Menu Close

Retour sur le sauvetage de la couche d’ozone

Image montrant la concentration d'ozone
Concentration d’ozone (en unités Dobson) mesurées mi-septembre 2022 depuis 15 ans au-dessus de l'Antarctique par le sondeur infrarouge IASI. L'amplitude et la répartition géographique du trou (en bleu) varie en fonction des conditions météorologiques. Anne Boynard/LATMOS, CC BY-NC-ND

Le 9 janvier 2023, les Nations unies ont rendu public le nouveau rapport sur l’état de la couche d’ozone. Il soulignait que la reconstitution de cette couche protectrice était en bonne voie et devrait être complète d’ici à la seconde moitié du XXIe siècle.

Dans le contexte actuel, où malgré l’urgence de mettre en place des solutions qui limitent les dérèglements climatiques les décisions sont difficiles à concrétiser, il est utile de se remémorer l’épopée scientifique qui a conduit à la mise en place en 1987 du protocole de Montréal.

Ce texte qui résulte d’une coordination exemplaire entre scientifiques, industriels et décisionnaires politiques fut le premier accord environnemental à atteindre la ratification universelle. Ce traité et les amendements qui ont suivi vont permettre d’éliminer complètement les substances qui détruisent la couche d’ozone.

Indispensable ozone

Comme nous le rappelle le rapport annuel 2023, le trou d’ozone revient chaque année. De septembre à novembre, toutes les conditions sont en effet réunies pour qu’il se reforme au-dessus de l’Antarctique. Durant ces trois mois, les concentrations d’ozone descendent sous les 220 unités Dobson.

L’ozone nous protège du rayonnement solaire en absorbant, dans les hautes couches de l’atmosphère (entre 10 et 50 kilomètres au-dessus du sol terrestre), les rayons ultraviolets les plus puissants. Sans ozone, pas de vie sur Terre donc.


Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ». Au programme, un mini-dossier, une sélection de nos articles les plus récents, des extraits d’ouvrages et des contenus en provenance de notre réseau international. Abonnez-vous dès aujourd’hui.


Les processus chimiques produisant et détruisant ce composé atmosphérique qui remplit la stratosphère sont connus depuis longtemps ; on réalise des mesures de l’ozone depuis l’entre-deux-guerres (1919-1939). À partir des années 1980, les dispositifs pour surveiller l’ozone s’étoffent : instruments basés au sol, ballons-sondes lâchés régulièrement par les instituts météorologiques, et satellites qui permettent d’observer sa distribution à l’échelle du globe.

Dans ces années 1980, l’inquiétude du côté des scientifiques concerne l’impact des vols supersoniques et autres perturbations possibles dans cette couche atmosphérique stable et moins sujette au mélange de masses d’air que les couches proches de la surface de la Terre.

Énigme au-dessus de l’Antarctique

En 1984, une découverte vient bousculer les priorités de nombreux chercheurs : deux équipes indépendantes, l’une japonaise, l’autre américaine, rapportent en effet avoir observé une diminution systématique de l’ozone au-dessus de l’Antarctique en octobre ; une diminution qui s’amplifie d’année en année. La surprise provient d’abord du fait que cette chute de concentration soit observée dans une région du globe qui ne devrait pas être affectée par les émissions associées aux activités humaines.

Les soupçons se portent rapidement sur les composés chlorés et bromés et tout particulièrement sur les chlorofluorocarbures et les halons, ces composés industriels « magiques » produits dans les années 1960 pour répondre à nos besoins en termes de gaz propulsants, de réfrigération/climatisation, de fabrication de mousses, d’extincteurs, etc.

Ils présentent l’avantage d’être très stables (ils persistent dans l’atmosphère entre 50 et 100 ans) et ne sont pas nocifs pour la santé. Mais, à l’inverse de la plupart des polluants introduits par les activités humaines, ils ne sont pas détruits dans la troposphère et peuvent donc atteindre la stratosphère.

L’interdiction des gaz CFCs a permis de stabiliser la formation du trou dans la couche d’ozone. PiccoloNamek, CC BY-SA

Des chimistes – qui obtiendront plus tard le prix Nobel pour cette découverte – ont montré en laboratoire que les atomes de chlores et de bromes peuvent s’associer aux molécules d’ozone et entraîner leur destruction.

Mais les scientifiques ne sont pas au bout de leurs surprises… Comment expliquer que cette destruction massive ne se produise qu’au-dessus du pôle Sud ? Et comment se fait-il que les satellites n’aient pas donné l’alerte ?

Pour ces derniers, on s’aperçoit que les codes informatiques qui traitent les observations et écartent les données aberrantes, ont systématiquement rejeté les valeurs mesurées, car beaucoup trop basses par rapport à ce qui était attendu comme concentration habituellement mesurée aux pôles.

Des campagnes d’observations sont alors organisées pour mieux comprendre le phénomène ; l’ozone est alors mesuré à différentes altitudes à l’aide de ballons-sondes et d’avions.

Ces observations indiquent que l’ozone est totalement détruit entre 15 et 20 kilomètres (d’où le terme « trou d’ozone »). Mais pourquoi cette disparition n’est-elle pas aussi importante plus haut en altitude, en particulier autour de 25 km où l’ozone est le plus abondant ?

Comportement inhabituel du trou d’ozone détecté de 2020 à 2022. (Copernicus ECMWF, 2022).

1985, la prise de conscience du problème

L’énigme est résolue en 1985 et fait intervenir trois « ingrédients » : la dynamique stratosphérique qui emprisonne les masses d’air très froides sous forme de vortex durant l’hiver ; l’apparition de nuages spécifiques quand les températures à l’intérieur du vortex atteignent environ les -80 °C (nuages stratosphériques polaires) ; enfin, le retour du soleil au printemps qui va enclencher une série de réactions catalytiques hétérogènes à la surface de ces nuages en faisant intervenir des composés chlorés et bromés stables qui se sont accumulés au cours des semaines précédentes.

À partir de là, tout s’enchaîne rapidement : dès 1985, les Nations unies adoptent la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone ; le texte reconnaît la nécessité d’accroître la coopération internationale en vue de limiter les risques que les activités humaines font courir à la couche d’ozone. C’est ce texte qui débouchera sur le protocole de Montréal deux ans plus tard.


Read more: Heurs et malheurs de la couche d’ozone à travers son histoire


Les industriels proposent alors des substituts plus réactifs qui seront détruits avant d’atteindre la stratosphère tandis que la communauté scientifique s’organise pour élaborer tous les quatre ans les rapports scientifiques, qui font autorité et rassemblent toutes les informations disponibles concernant l’ozone et son évolution.

Aujourd’hui, le trou d’ozone n’a pas encore disparu, car une quantité significative de CFCs et de halons persistent dans la stratosphère ; mais leurs concentrations sont en chute libre et les scientifiques considèrent aujourd’hui que la couche d’ozone est « en rémission ». En effet, les mesures montrent que le trou d’ozone ne s’étend plus et que depuis quelques années il commence à se résorber.

Les projections sur la base des connaissances actuelles prédisent un retour à l’équilibre entre 2060 et 2070, le temps que toutes les substances responsables aient disparu de la stratosphère.

Un délai supplémentaire ?

Il y a plusieurs raisons qui pourraient expliquer que ce retour à l’équilibre tarde un peu plus que ce que les prévisions actuelles indiquent. La première est qu’il faut que tous les pays respectent leurs engagements. En 2018, grâce aux stations de surveillance disséminées un peu partout, des chercheurs ont détecté que les concentrations du CFC-11 ne diminuait pas aussi vite que prévu. En faisant des rétrotrajectoires, ils ont réalisé que les émissions provenaient des provinces de l’est de la Chine.

Carte montrant les zones d’émission du gaz CFC-11, dangereux pour la couche d’ozone
Rétrotrajectoires pour identifier les sources d’émission du CFC-11 mesuré par les stations locales en Chine. Bristol University

La seconde cause qui explique déjà en partie que le délai recule un peu par rapport aux premières estimations est liée au réchauffement des basses couches de l’atmosphère. Par un effet de compensation, quand le bas de l’atmosphère absorbe plus d’énergie, la stratosphère se refroidit. Et plus elle se refroidit, plus les nuages stratosphériques polaires se forment rapidement, ce qui favorise la destruction de l’ozone.

La troisième raison potentielle est liée à la géoingénierie, et en particulier la technique qui consiste à envoyer intentionnellement des particules en suspension dans la stratosphère pour imiter une éruption volcanique et renvoyer une partie des rayons du soleil. Une injection de particules au-dessus de l’Antarctique a été simulée. Elle a montré que si cela permettrait de réduire la température mondiale de 0,5 °C, le trou de la couche d’ozone retournerait alors à des niveaux élevés, proches de ceux des années 1990.

Un exemple à suivre ?

Le parallèle avec le dérèglement climatique est évident. On sait depuis longtemps que les gaz à effet de serre qui piègent le rayonnement infrarouge et sont émis par les activités humaines sont responsables de l’augmentation des températures observées.

Les rapports du GIEC rassemblent l’état des connaissances scientifiques à destination des décideurs tous les cinq à six ans. Des accords internationaux ambitieux ont été mis en place, notamment l’accord de Paris (2015) afin de maintenir l’augmentation de la température mondiale « bien en dessous de 2 degrés ».

Mais il y a une différence et elle est de taille : il ne suffit pas en effet de convaincre quelques industriels de trouver des substituts ad hoc ; il s’agit de revoir complètement le fonctionnement de nos sociétés dépendantes des énergies fossiles.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,100 academics and researchers from 4,941 institutions.

Register now