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Collembole. Shutterstock

À la rencontre des petites bêtes des toitures végétalisées

Reconnus pour leur rôle environnemental – régulation de l’eau, lutte contre les îlots de chaleur urbain, production alimentaire de proximité –, les espaces végétalisés se multiplient en ville. Ils constituent aujourd’hui un outil clef des collectivités pour aménager et rendre les villes plus durables et vivables.

Parmi ces espaces, les toitures végétalisées ont connu un développement sans précédent en France avec 1,3 million de m2 installés durant l’année 2014.

Si ces toitures reçoivent de plus en plus d’attention, leurs sols et la biodiversité qu’ils abritent – comme les vers de terre, coléoptères et autres bactéries – demeurent en revanche peu étudiés. Cette biodiversité joue pourtant un rôle environnemental essentiel, notamment pour la fertilité des sols et la régulation de l’eau.

Dans le but de mieux connaître cet aspect, nous avons étudié un ensemble de toitures végétalisées – qu’elles produisent des aliments ou non. Ces espaces accueillent-ils une forte biodiversité des sols ? D’où proviennent les organismes qu’on y observe ?

À la recherche de la biodiversité urbaine

On distingue aujourd’hui différentes formes de toitures végétalisées, en fonction des usages, du type et de l’épaisseur du sol ou encore de la végétation. Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à deux d’entre elles : les toitures « extensives » et les toitures potagères « intensives ».

Les toitures extensives possèdent un sol – appelé « Technosol » en référence à leur origine technique ou humaine – d’une profondeur de 5 à 15 cm. Ils sont composés de substrats minéraux grossiers (typiquement de la pouzzolane/roche volcanique en mélange avec du terreau), non irrigués et la plupart du temps couverts par des espèces ornementales succulentes (comme Sedum sp).

Les toits verts productifs ont été conçus pour produire des aliments (principalement des légumes) sur plus de 50 % de leur surface, avec un Technosol plus profond (de 15 à 30 cm de profondeur) construit grâce à des substrats majoritairement organiques (compost, résidus de champignonnière, par exemple).

Parmi les toitures végétalisées, les formes extensives sont majoritaires, tandis que les potagers émergent progressivement – grâce notamment à des appels à projets comme celui de la mairie de Paris, Parisculteurs dont l’objectif est de végétaliser 100 hectares de toitures et murs, dont 30 hectares pour l’agriculture urbaine. Les rares études réalisées sur la faune du sol des toits végétalisés concernent uniquement les toitures extensives.

Ces études mettent en évidence une forte abondance d’invertébrés répartis au sein d’un petit nombre d’espèces d’arthropodes et de collemboles, petites bêtes du sol de 2 mm. Les collemboles, un des groupes taxonomiques les plus abondants dans le sol, constituent des indicateurs bien connus de la qualité des sols (fertilité, pollution…). Par ailleurs, ils jouent un rôle majeur dans la fertilité des sols grâce à leur implication dans le recyclage de matière organique (nutriments) ou encore la création de microporosités (aération et enracinement).

Planète collemboles, la vie secrète des sols. (Philippe Lebeaux/Vimeo, 2015).

Écosystèmes urbains

Plusieurs hypothèses sur le rôle des toitures végétalisées dans la circulation de la biodiversité en milieu urbain ont été avancées, même si les données restent encore trop peu nombreuses. Les toits végétalisés pourraient ainsi participer à la trame verte urbaine, cet outil d’aménagement urbain qui a pour objectif de protéger la biodiversité en améliorant la connectivité entre les espaces de nature.

Pour en savoir davantage, nous avons donc étudié les communautés de collemboles de 15 toits végétalisés – 7 extensifs et 8 potagers – à Paris et dans la petite couronne au cours du printemps 2016. Notre étude, publiée dans la revue scientifique Ecological Engineering en 2018, a également permis de comparer les niveaux de biodiversité observés sur les toits à ceux d’autres types d’espaces végétalisés – jardins familiaux, forêt, terre arable.

Notre recherche a porté sur la diversité taxonomique des communautés – quelles espèces sont présentes ? en quelles quantités ? – et sur leurs « traits fonctionnels » – taille, forme du corps ou pigmentation.

44 espèces de collemboles

Sur l’ensemble des toitures étudiées, 44 espèces de collemboles ont été identifiées, avec des densités variant entre 3 500 et 152 000 individus par m2. Cette forte variabilité n’est pas réellement dépendante du type de toiture, potagère ou extensive, bien que cette dernière ait tendance à avoir une diversité et une densité de collemboles légèrement plus faible.

En France, ces niveaux de densité dans les toits végétalisés sont respectivement deux et onze fois supérieurs à ceux des jardins familiaux et des terres arables. En termes de diversité, le nombre d’espèces est deux fois plus faible dans les toits que dans les jardins familiaux mais reste trois fois supérieur à ceux des terres arables.

On le voit, les Technosols utilisés pour les toitures végétalisées sont aptes à accueillir des collemboles, que ce soit dans le cas d’un potager ou d’une toiture extensive. La présence de ces espèces indique que ces espaces peuvent héberger une forte biodiversité des sols.

Les Technosols abritent un mélange hétéroclite d’espèces communes, mais aussi d’espèces plus rares. La présence de ces dernières est sans doute liée à leur capacité de résistance à la sécheresse sur les toits extensifs – qui ne sont pas irrigués à l’inverse des toits potagers – ou à leur préférence pour les sols riches en matière organique (toits potagers).

Toiture potagère sur un des immeubles parisiens de la RATP. Sophie Joimel, CC BY-NC-ND

Trames vertes urbaines

Nous avons avancé dans notre étude deux hypothèses pour expliquer le peuplement des toitures par les collemboles.

Cette colonisation peut s’expliquer soit par les apports de compost sur les toits potagers, soit par une dissémination due au vent sur les deux types de toits étudiés. D’autres possibilités de colonisation sont également envisageables, comme l’apport involontaire d’œufs via les mottes de plantations ou la phorésie, lorsqu’un collembole utilise un organisme plus large pour se disperser, par exemple un carabe… ou même un humain.

Notre étude montre ainsi que les toits végétalisés sont capables d’abriter une grande biodiversité de collemboles. Si ces résultats confirment le rôle important que peuvent jouer les toits végétalisés comme support de biodiversité en ville, ils soulèvent aussi d’importantes questions concernant la connexion des toits végétalisés aux autres espaces de nature, qui permettrait d’améliorer l’accueil de la biodiversité en ville.

L’arrivée des collemboles s’effectuant notamment grâce au vent, il est nécessaire que d’autres espaces verts, refuge pour ces organismes, soient proches des toits végétalisés pour en permettre la colonisation.


Les travaux évoqués dans cet article ont été réalisés en collaboration avec Apolline Auclerc, Mickaël Hedde, Nolwenn Le Doaré et Sandrine Salmon. Les auteurs remercient les porteurs de projets qui ont ouvert les portes de leurs toits : Association Espace, RATP, Topager et Veni Verdi.

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