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À l’ombre de #MeToo, où est passé le plaisir sexuel ?

Qu’en est-il du sexe et de ses plaisirs à l'ère du #MeToo ?

Ces deux notions semblent fortement engluées par le lexique moral qui domine dans les médias, sociaux ou autres : « contrats » socio-sexuels, responsabilisation, menace de poursuites, prévention des infections transmises sexuellement, dénonciations sur Twitter et mises au pilori.

Quels sont les effets du climat social ambiant sur la manière dont les individus expriment, ressentent, communiquent et incarnent leurs désirs et plaisirs sexuels ?

Une « autre parole » ?

Il y a plus d’un an, une centaine de Françaises, dont Catherine Deneuve, ont signé une lettre ouverte dénonçant le mouvement #MeToo pour sa « haine des hommes et de la sexualité » et pour « défendre » la « liberté d’importuner » des hommes.

Catherine Deneuve en a choqué plus d'un -et plus d'une- en signant une lettre ouverte dénonçant les « dérives » du mouvement #MeToo. Shutterstock

Ces femmes ont qualifié #MeToo de « vague purificatoire » et une « libération de la parole » dont la cible, selon elles, est l’homme et la sexualité, sinon le plaisir lui-même.

Pour ces femmes, la libération de la parole est allée trop loin avec #MeToo, et son discours empiète sur la « liberté d’importuner » des hommes — imaginée dans leur texte comme un droit primordial. Il était temps, selon elles, que les femmes libèrent « une autre parole ».

Mais quelle est cette autre parole ? Laisse-t-elle poindre la possibilité du plaisir sexuel ?

Rhétorique de « danger » et panique morale

Dans le contexte actuel, c’est-à-dire dans la foulée du mouvement #MeToo, notre équipe interdisciplinaire s’intéresse aux discours sur le sexe et ses plaisirs.

Le contexte social ambiant est marqué par une conscience sociale accrue des abus et des violences sexuels, par des cas judiciaires hautement médiatisés, par l’accroissement des programmes institutionnels et éducatifs autour du consentement et de la victimisation sexuelle et par l’usage de définitions vastes et larges de la violence sexuelle.

Le fléau du harcèlement sexuel au travail fait partie des batailles du mouvement #MeToo. Shutterstock

D’un autre côté, les discours médiatiques, incluant les médias sociaux, véhiculent une série de trucs pratiques et de discours qui encouragent et encensent le plaisir et la performance sexuelle.

Quoi comprendre de tout ça ? Nous sommes en présence de nombreuses paroles à la fois concomitantes et contradictoires sur le sexe ; l’une qui met l’accent sur les divers « dangers » qui guettent, surveillent et encadrent l’expression de la sexualité ; l’autre qui célèbre le plaisir.

Les recherches sur la sexualité s'intéressent peu… au sexe

Dans ce contexte où le sexe est hautement politisé et surveillé, on semble faire silence sur le corps et ses plaisirs : ils sont suspects. L’anxiété culturelle entoure la sexualité d’une nouvelle forme de panique morale. Le désir et le plaisir sont formatés, presque déviants.

Dans les discours et pratiques des « professionnels » et chercheurs, la sexualité est étudiée presque exclusivement sous l’angle de la pathologie et de ses conséquences négatives. C’est donc surprenant que les recherches sur la sexualité s’intéressent peu au sexe et qu’il y en ait peu qui traitent du plaisir, du désir et de l’excitation de manière réaliste, concrète et ancrée dans le vécu des gens.

Professionnels et chercheurs étudient la sexualité sous l’angle de la pathologie et des ITS. Le discours est essentiellement médical. Shutterstock

Jones (2018) constate, par exemple, qu’une grande majorité des articles publiés sur la sexualité s’inscrivent dans une vision déficitaire, médicalisante et axée sur les risques et la victimisation sexuelle. Tolman et ses collaborateurs (2014), qui documentent la notion de corporéité en lien avec la sexualité, rapportent qu’en fait, nous en connaissons très peu sur les aspects incarnés du plaisir sexuel : « ironiquement, les recherches sur la sexualité s’intéressent peu au sexe, soit ce que les gens font, pensent et ressentent lorsqu’ils expriment un ressenti sexuel ou utilisent leurs corps de façon sexuelle ».

Quelles sont donc les conditions et possibilités d’expérience du « great sex », décrit par la chercheure Peggy Kleinplatz comme une sexualité qui va au-delà du fonctionnel, du bon et du satisfaisant ? Une sexualité qui procure un profond sentiment de plaisir et d’accomplissement et qui est vécue et perçue comme profonde, mémorable et extraordinaire.

Une autre parole : la possibilité d’un espace discursif ?

Nous nous positionnons nullement en faveur ou en défaveur du mouvement #MeToo ou d’autres mouvements sociaux récents, ni ne contestons la valeur de la liberté de parole. Ces phénomènes représentent plutôt une occasion, ou une « situation rhétorique » fertile. À quoi tient l’expérience du « great sex », du plaisir ?

Le mouvement #MeToo représente une occasion fertile pour libérer la parole. Shutterstock

N’est-elle pas dans la connexion, l’authenticité, la vulnérabilité et, surtout, la communication, l’épreuve de soi dans la relation à l’autre ? Nos recherches s’intéressent à la manière dont les individus produisent des agencements nouveaux pour tenter de se départir des normes et injonctions contradictoires. Sur la manière dont ils expriment leurs possibilités de plaisirs, les vivent, les partagent.

Entre le ressenti et le ressentiment, vécu dans le quotidien humain, nous ouvrons sur une « autre parole » intime, et une sexualité avec des composantes charnelles ainsi que morales.

Cette « autre parole » n’est pas celle imaginée par Catherine Deneuve et les autres féministes françaises. Cette parole est productive et prend place dans le lit (ou sur le divan, ou ailleurs) ; elle parle des corps et ses plaisirs entre intimes qui invitent, plutôt qu’importunent.

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