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Academic All-Star Game, épisode VI : la recherche, entre performance et performativité

Aude Deville et Hervé Dumez à la Faculté Jean-Monnet de l'Université Paris-Sud, pour l'épisode VI de l'Academic All-Star Game.

Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’ENS Paris-Saclay et de la Faculté Jean‑Monnet (droit, économie, gestion) de l’Université Paris-Sud. Ce cycle est soutenu par la MSH Paris-Saclay.


Programme complet de l’Academic All-Star Game.

Le jeudi 21 mars s’est déroulée la sixième conférence de l’Academic All-Star Game. Cet événement organisé par les étudiants de la Faculté Jean‑Monnet et de l’ENS Paris-Saclay, a pour objectif, rappelons-le, de traiter la problématique suivante : « recherche en stratégie et management : mort clinique ou renaissance ? ». Aux deux tiers de ce cycle de conférences, nous avons toujours autant d’entrain à venir assister aux interventions des chercheurs en gestion ayant répondu présents à l’invitation.

Lors de cette sixième conférence, Aude Deville et Hervé Dumez sont tous deux venus nous faire part de leur réflexion sur la problématique posée par l’Academic All-Star Game.

Présentation des intervenants

Aude Deville est professeur des universités à l’IAE de Nice, Université Côte d’Azur. Elle est spécialiste en contrôle de gestion. Son domaine de prédilection est la performance. Elle a été corédactrice en chef de la revue « Comptabilité-Contrôle-Audit » et elle a coordonné récemment un dossier spécial de la Revue française de gestion sur le thème du management des coopératives.

Hervé Dumez est professeur à l’École Polytechnique et directeur de recherche au CNRS. Il dirige le Centre de Recherche en Gestion (CRG) de Polytechnique ainsi que l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (i3). Il a été visiting professor au MIT. Hervé Dumez est chevalier de l’Ordre du mérite. Le chercheur travaille notamment sur les méta-organisations, la performativité ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Il dirige une revue électronique bien connue des chercheurs en gestion : « le Libellio d’AEGIS ».

Un dur labeur

Aude Deville a décidé lors de cette conférence, puisqu’il s’agit finalement de parler de la recherche en management, de présenter ce qu’est le métier de chercheur en sciences de gestion. La chercheuse a tout d’abord rappelé que la recherche c’est participer à une conversation, contribuer aux savoirs d’un domaine : il faut donc prouver qu’on apporte quelque chose à la littérature existante.

Aude Deville a par la suite insisté sur les trois messages qu’elle souhaitait véhiculer concernant ce qu’est la recherche en sciences de gestion :

  • Premièrement, du fait de son objet d’analyse la gestion est une science de l’action. La recherche en sciences de gestion est donc quelque chose qui se pratique, il convient de s’approprier le contexte d’analyse, les données et surtout avoir une connaissance pointue de la littérature.

  • Deuxièmement, il faut avoir en tête que ce n’est pas une approche qui définit un chercheur mais ses préoccupations. Aude Deville a d’ailleurs abordé la performance à travers diverses méthodes : normative, explicative ou encore exploratoire. Elle note que la posture normative est difficilement acceptée par la communauté de chercheurs, mais qu’elle apprécie pour sa part d’aborder le thème de la performance sous différents prismes.

  • Enfin, faire de la recherche n’est ni régulier, ni linéaire. L’unique chose régulière est le travail fourni au quotidien. En effet, le travail de chercheur est un travail de fourmi et nécessité une rigueur importante. La publication des articles constitue donc l’aboutissement de ce travail de longue haleine, et bien plus encore, elle est l’une des uniques (si ce n’est l’unique) formes de reconnaissance de ce dur labeur. C’est d’ailleurs pour affronter ces écueils que le chercheur en gestion doit absolument aimer son sujet et se battre pour celui-ci.

Pour conclure, Aude Deville a indiqué que le chercheur devait être ouvert d’esprit et donc à même d’accepter ce qu’elle nomme le « fait surprenant », c’est-à-dire le résultat auquel on ne s’attendait pas, celui qui peut être en contradiction avec la littérature, ou encore celui qui peut remettre en question l’intuition sur laquelle reposait par exemple un projet d’article.

La recherche en stratégie et la question du langage

Hervé Dumez a, pour sa part, davantage traité de la notion de stratégie, et plus exactement de la stratégie vue comme discours et action. Sa présentation s’est donc focalisée sur l’analyse de la stratégie. Son propos a moins porté sur la stratégie en elle-même, son élaboration, ses tenants ou ses aboutissants que sur la manière pour un chercheur d’observer celle-ci.

Dans le cas de Hervé Dumez, il s’agit donc d’étudier d’abord le lien entre discours et action. Ainsi est-il question d’analyser, dans un premier temps, la stratégie comme discours. Via des logiciels le chercheur et ses collègues ont tenté de relever les mots, les expressions et donc les thèmes qui reviennent le plus dans les discours des PDG d’entreprises. Se pose cependant une question cruciale : y-a-t-il un lien entre discours et actions ? En effet, le discours managérial a aussi une vocation communicationnelle, dont l’enjeu en termes d’image et de motivation des acteurs n’est pas à négliger.

L’idée n’est donc pas de réduire la stratégie qu’à des mots, ni à l’opposé qu’à une réalité économique à savoir la structure des marchés. Au contraire, il y a interaction entre les deux, entre discours et action. Le discours ne fait pas que rendre compte d’une réalité, il peut l’influencer, la transformer : c’est ce que l’on nomme la performativité.

Un discours est dit performatif quand, par sa simple énonciation, il conduit la réalité à s’accorder à son énoncé.

Pour clarifier ce concept un exemple « canonique » s’impose : le « je vous déclare mari et femme » prononcé par l’officier d’état civil lors d’un mariage. Par cette phrase, les époux sont considérés comme mariés (ce n’était pas le cas avant, cela le devient après). Le discours, par sa simple énonciation, modifie donc le réel. Appliqué au discours managérial, et ce n’est pas sans rappeler le concept de sensemaking cher à Karl Weick, cela conduit à s’interroger sur la traduction en actes des discours des PDG.

Hervé Dumez énonce d’autres éléments d’interrogation quant aux liens entre discours et action. Le premier est temporel : le discours précède-t-il l’action, ou bien est-ce l’inverse ? Bien évidemment la réponse est complexe, la relation est toujours récursive.

La seconde interrogation porte sur l’analyse de la métaphore. Comme le rappelle Hervé Dumez, le langage est métaphorique et par les analogies qu’il crée, les champs lexicaux auxquels il renvoie, il rend compte de la vision de celui qui l’émet : « la métaphore est un programme », disait Schön.

Enfin, et parce que l’objet de la recherche en gestion est mouvant, le chercheur a développé l’usage d’un nouveau support pour l’analyse du discours : le PowerPoint. En effet, peut-on aujourd’hui imaginer une présentation sans PowerPoint ? Il ne semble guère péremptoire d’affirmer que non. Cependant, étudier ce type de support est compliqué. Tout d’abord, il n’est ni un texte écrit, ni un texte oral, et dans le cadre d’une analyse qualitative, du propre aveu du chercheur, son codage est impossible. Ainsi n’analyse-t-on pas les éléments d’un PowerPoint un à un mais l’on se concentre sur le tout, sur la forme. Aux critiques récurrentes, pour lesquelles les diaporamas sont très pauvres en termes d’analyse on objectera que ces présentations sont du discours visant l’action, et qu’ils s’inscrivent à ce titre parfaitement dans l’étude du lien discours-action, même si ce discours ne se suffit pas à lui-même.

Une dose de Prozac pour la gestion ?

Cette conférence, bien loin de l’optimisme sans faille de la précédente, s’est achevée sur une note en demi-teinte. On peut déplorer, tout comme Aude Deville, qu’avoir une approche différente, comme peut l’être l’approche normative, est tout sauf encouragé par les pairs. Or, au risque de paraître naïf, la recherche en gestion n’aurait-elle pas tout à gagner à multiplier les visions et les approches ?


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De plus, à la fin de cette conférence, Hervé Dumez a semblé des plus pessimistes quant à la place de la gestion par rapport aux autres sciences humaines. Sur le plan médiatique un économiste ou un sociologue semblent bien plus légitimes (oserions-nous dire « scientifiques » ?) qu’un chercheur en gestion. Il en va de même pour l’opinion publique. Ainsi, les chercheurs en gestion, et leurs discours, sont-ils bien souvent inaudibles. Or, une science qui ne participe pas, ou peu, au débat public, a-t-elle de l’avenir ? C’est toute la question posée aujourd’hui à la communauté même des chercheurs en gestion…


À visionner, l’intégralité de l’épisode 6 de l’Academic All-Star Game avec Aude Deville et Hervé Dumez.

À voir également, l’interview d’Aude Deville et Hervé Dumez.

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