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Accros aux écrans: qu'en diraient McLuhan et Selye, deux grands penseurs canadiens?

Beaucoup d'entre nous pensons que nos écrans nous stressent. Nous n'avons pas tort.

Comme toutes les technologies, les écrans comportent des risques physiques. On s’est inquiétés des risques de cancer liés à l’exposition aux radiofréquences électromagnétiques. On s’est attaqué au problème de l’accroissement du nombre d’accidents de la route causés par la distraction d’un téléphone. On se préoccupe aujourd’hui des effets de la lumière bleue sur notre sommeil et toutes les fonctions cognitives qui en dépendent.

Or, les technologies médiatiques posent également un risque psychologique. On s’inquiète en effet de l’accoutumance à la télévision (et ce, depuis son introduction jusqu’à aujourd’hui), aux jeux vidéo, à l’Internet et aux cellulaires. On craint que les médias sociaux n’engendrent des psychopathologies. On se demande si les jeux informatiques peuvent rendre nos adolescents violents. On cherche des liens entre l’exposition aux médias et l’obésité, ou entre la dépendance à l’Internet et le TDAH.

Qu'en diraient deux grands penseurs canadiens que sont le théoricien de la communication Marshall McLuhan et le pionnier des études sur le stress Hans Selye ?

Une extension de notre corps

Marshall McLuhan serait d'accord avec l'idée de dépendance. Dans Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l'homme, , publié en 1964, il nous incitait à explorer l’impact des médias sur notre personne et sur la société de la même façon que le médecin Hans Selye a examiné la théorie du stress dû à la maladie.

C’est en 1936 qu’Hans Selye, professeur à l’Université de Montréal, décrit dans la revue Nature le « syndrome général d’adaptation » : un enchaînement de réactions de notre corps causées par diverses formes de stimuli désagréables, entraînant une réaction d’alarme (le corps détecte la menace), une phase de résistance (le corps tente de s’adapter à la menace) et, finalement, une phase de récupération ou d’épuisement (selon la capacité à s’adapter ou non).

Dans le premier numéro du Journal of Explorations : Studies in Culture and Communications (sous la direction de McLuhan), Selye a représenté les organismes vivants à l'aide d'un diagramme en réseau de nœuds (réacteurs ou unités de vie). Les nœuds étaient « associés les uns aux autres par des interactions d'importance variable ». La pression exercée sur n'importe quelle unité se propagerait à travers d'autres nœuds, selon le degré de connectivité de l'unité.

La représentation de Selye des « réacteurs » (unités de vie) et comment le stress exerçait ses effets spécifiques et non spécifiques par le degré d'association entre les réseaux de communication du corps. Cela a motivé McLuhan à écrire : « Car en opérant sur la société avec une nouvelle technologie, ce n'est pas la zone incisée qui est la plus touchée. La zone d'impact et d'incision est engourdie. C'est tout le système qui est changé. » Explorations : Études en culture et communication. Volume 1, numéro 1, 1953, p72

McLuhan a utilisé l'approche de Selye pour expliquer en quoi les médias (routiers, imprimés ou électroniques) étaient une extension de notre corps, une réponse au besoin de plus de puissance et de vitesse. « Chaque technologie, écrivait-il, crée de nouveaux stress et besoins chez les êtres humains qui l'ont engendrée », perpétuant ainsi un besoin de nouvelles technologies d'adaptation…

Dépendants et toxicomanes des écrans

Nous avons recherché des corrélations entre le temps d’écran et le stress psychologique au moyen d’un sondage anonyme en ligne, et avons posé diverses questions pour examiner les habitudes d’utilisation des écrans par rapport à différents types de facteurs de stress.

Un répondant sur trois se considérait toxicomane à l'écran (ce qui correspond aux statistiques du Pew Research Centre). En moyenne, il passait environ deux heures de plus à l'écran chaque jour. Un répondant sur cinq se disait à la fois stressé et dépendant aux écrans. En moyenne, ce groupe passait deux heures de plus par jour à l’écran et enregistrait davantage de stress émotionnel – jusqu’à 19 pour cent de plus (irritabilité, anxiété, manque de motivation, colère et tristesse).

Les dépendants aux écrans étaient plus jeunes et avaient besoin de leur écran (en particulier leur téléphone intelligent) surtout pour le réseautage social, la détente et le divertissement, et encore plus s’ils étaient stressés. En revanche, les non-dépendants avaient besoin de leur écran (en particulier leur ordinateur) surtout pour le travail et le réseautage social, et encore plus s’ils n’étaient pas stressés. Tous dépendaient fortement de leurs écrans pour suivre les nouvelles et trouver de l’information.

Si les écrans causent du stress, on s’attendrait à ce que les personnes qui les utilisent pour le travail, la lecture des nouvelles ou la recherche d’informations enregistrent des taux de stress plus élevés. Or, ce n’est pas le cas. Au contraire, les personnes stressées et dépendantes sont celles qui utilisent le moins leurs écrans pour les nouvelles, la recherche d’informations ou le travail.

Si les écrans étaient utilisés pour faire face au stress, nous nous attendions à ce que ceux qui étaient plus stressés les utilisent pour se divertir et se détendre. C'était le cas.

Qu'en est-il des réseaux sociaux ? Il a été démontré que l'utilisation de Facebook provoque une baisse de l'humeur en augmentant l'envie et en réduisant le capital social, l'anxiété à propos des relations, ou la culpabilité d'avoir perdu du temps. Nous avons constaté que les personnes qui dépendaient le plus des réseaux sociaux étaient également plus stressées. Mais cela aurait-il pu être dû au réseautage social, qui les a aidés à atténuer le stress ?

Un prolongement de nous-mêmes

Dans Le stress de la vie, paru en 1956, Hans Selye note que « c’est par le syndrome général d’adaptation que nos divers organes – en particulier les glandes endocrines et le système nerveux – nous aident à nous adapter aux changements constants qui surviennent en nous et autour de nous, ainsi qu’à maintenir le cap vers un but que nous jugeons utile ».

Comme l’a dit Marshall McLuhan, les écrans constituent un prolongement de nous-mêmes et nous connectent : ils nous permettent de voir et d’être vus instantanément; d’immortaliser des souvenirs et de les confier à nos téléphones intelligents; de récupérer de l’information de loin.

Aujourd’hui, les écrans sont artificiellement intelligents : ils nous suivent, nous orientent et surveillent notre mode de vie (choix alimentaires, pouls, rythmes circadiens). Certes, ils nous tiennent éveillés par le divertissement, l’information et la connexion, mais peut-être est-ce également ainsi qu’ils nous aident à nous endormir, comme le faisaient autrefois les livres, c’est-à-dire en nous distançant des réalités du jour passé et du jour à venir.

Les écrans qui nous rendent les plus dépendants aujourd'hui, les cellulaires, nous permettent d'aller plus loin. Ils remplacent notre système de mémoire, nous aident à naviguer, nous rendent introspectifs. Ce que nous mangeons, comment nous dormons, comment notre cœur bat, comment nous sommes aimables. A travers eux, nous nous réfléchissons et nous nous exprimons. Mais, ils nous stressent parce que cette autonomisation ampute aussi les organes qu'ils remplacent.

McLuhan et Selye ne se seraient-ils pas demandés : quelles technologies d'avenir pourraient nous aider à nous adapter avec succès au stress de l'écran ?

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