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L’ancien premier ministre Pierre Trudeau et son épouse Margaret rendant visite à Fidel Castro en Janvier 1976. La Presse Canadienne/filière

Adíos harmonie! Les relations canado-cubaines ont pris un bien mauvais tournant

La décision récente du gouvernement canadien de suspendre le traitement des visas à son ambassade de La Havane, obligeant ainsi les demandeurs à se rendre dans un pays tiers pour obtenir leurs documents, a causé un certain émoi.

La décision est la conséquence directe d’une autre décision, celle de réduire de moitié son personnel en poste à l’ambassade, dans la foulée d’une poursuite judiciaire engagée par des employés de l’ambassade. Ceux-ci accusent Ottawa de ne pas les avoir bien protégés contre le mystérieux « syndrome de La Havane ». Il s'agit de problèmes de santé qui ont frappé des diplomates tant à l’ambassade des États-Unis qu’à celle du Canada.

L’ambassade du Canada à La Havane photographiée en 2018. La Presse Canadienne

Une couverture médiatique, des manifestations dans plusieurs villes canadiennes, et une vidéo maison largement diffusée à La Havane dans les jours suivants cette annonce ont porté principalement sur les personnes les plus atteintes par cette mesure. Car peu de cubains, dont le salaire mensuel moyen oscille autour de 30 dollars US, peuvent se permettre un voyage vers un pays tiers afin d’y obtenir les documents dont ils ont besoin.

Les témoignages recueillis dans cette vidéo sont choquants: des étudiants cubains ne pouvant se rendre dans une université canadienne bien que leur demande d’admission ait été acceptée; des couples canado-cubains qui doivent attendre encore plus longtemps le droit de voyager entre leurs deux pays ou faire venir leurs conjoints; des grand-mères cubaines ne pouvant rendre visite à leurs petits-enfants.

Ce mauvais tournant crée aussi des dommages collatéraux en mettant fin à des décennies de relations créatives et productives entre les deux peuples.

Le lien officiel entre le Canada et Cuba est bien connu. Le Canada a suivi un chemin fort différent de celui poursuivi par les États-unis. Le gouvernement canadien n’a pas instauré de blocus contre Cuba ni tenté de l’envahir. Pierre Trudeau et Fidel Castro sont allés à la pêche ensemble. Margaret Trudeau a emmené son plus jeune enfant à Cuba lors d’une visite officielle.

Mais les liens politiques formels ont tendance à fluctuer. Et le Canada, quel que soit le parti au pouvoir, doit toujours marcher sur des œufs à l’ombre de l’oncle Sam. Malgré cela, de nombreux liens uissent le Canada et Cuba lesquels, bien que moins connus, sont cependant plus durables - dans les domaines de l’éducation, de la culture, des ONG, et en affaires notamment.

Une ONG canadienne est arrivée à Cuba après la révolution

Solidarité-Union-Coopération (SUCO) a été la première ONG internationale établie au Canada invitée à Cuba après la révolution de 1959.

SUCO a activé son antenne locale à La Havane en 1969, et pendant plus d’une décennie, a coordonné la coopération technique et éducative avec les écoles et instituts de recherche cubains.

Sa contribution la plus importante a été de former une nouvelle génération d’ingénieurs enseignants cubains. Au début des années 70, des professeurs en ingénierie en provenance de plusieurs universités canadiennes ont donnés des cours intensifs à des étudiants cubains avides de technologie.

Margaret Trudeau sourit pendant que Fidel Castro tient son plus jeune fils, Michel, dans ses bras après l’arrivée des Trudeau à La Havane en janvier 1976. (CP PHOTO/Fred Chartrand)

Une cohorte d’enseignants en anglais langue seconde (ESL) du collège George Brown accompagnait ce groupe, s’assurant que les étudiants cubains puissent comprendre leurs professeurs canadiens. De plus, près de cent étudiants cubains diplômés sont venus au Canada pour y passer des séjours de trois mois afin de rencontrer leurs conseillers de thèse.

Les Canadiens considèrent que ce projet a été un succès remarquable. Le rapport final, ainsi que d’autres documents établis par SUCO et disponibles à la librairie des archives du Canada, attestent de l’importance des projets de développement sur le terrain.

Si le projet a réussi, écrit le recteur du département d’ingénierie de l’université de Waterloo en 1977, c’est parce que les universités canadiennes ont travaillé comme « d’authentiques partenaires » et n’ont pas imposé leurs conditions. « On ne peut apporter de réponses aux problèmes cubains à partir d’une université canadienne… Ça ne peut se trouver qu’à Cuba » écrit-il.

Belles paroles, mais qu’en pensent les Cubains?

Des possibilités éducatives toujours précieuses

Dans le cadre d’un nouveau livre sur les relations canado-cubaines, je me suis récemment rendu à La Havane pour m’entretenir avec des professeurs d’ingénierie à la retraite qui ont commencé leur carrière grâce au programme SUCO.

Ils avaient tous été formés par des enseignants canadiens à La Havane, et passé du temps dans des universités canadiennes. Ils se souviennent avec nostalgie de leur passé étudiant à Toronto et Winnipeg, et ne se privent pas de plaisanter au sujet du froid, tout en discutant sérieusement des occasions qu’ils ont eues d’apprendre et qu’ils chérissent encore.

Des professeurs d’ingénierie cubains formés par le projet SUCO en 1970. De gauche à droite: Antonio A. Martinez Garcia, Vincente Lazaro Elejal de Villargo, Juan Lorenzo Almiral, Roberto Ignacio Ugarte Barazain. Karen Dubinsky, Author provided

« Nous avons réalisé à l’époque que nous devions apprendre à résoudre nos propres problèmes, m’a confié Juan Lorenzo Almiral. Les universités canadiennes nous en ont donné les moyens. »

On trouve un autre exemple de coopération dans le monde culinaire. Ivan Chef Justo est un restaurant bien connu situé dans une demeure du 18è siècle du Vieux Havane. Si c’est la nourriture qui attire la clientèle, c’est la décoration qui fascine par son mélange grisant de photographies, d’art et d’antiquités provenant de l’histoire de Cuba.

Mais on y trouve également d’autres curiosités: une plaque d’immatriculation ontarienne, une carte postale de l’Expo 67 de Montréal, et des gravures autochtones.

Le restaurant du Chef Ivan Justo, Havana Paladar, à La Havane. Adrian Lamela Aragones, Havana VIP

C’est parce que l’un des propriétaires, Justo Pérez, s’est formé en cuisine il y a 50 ans à Montréal. Ami avec des Canadiens rencontrés à La Havane dans le cadre du programme SUCO, Pérez a passé un an à Montréal au début des années 70 en un périple auto éducatif des cafés et restaurants montréalais.

Son visa de sortie, extrêmement rare à l’époque, fut organisé par ses amis de SUCO. Une année plus tard, il est retourné à Cuba pour y ouvrir le premier restaurant privé du pays, où il continue des décennies plus tard de laisser son empreinte sur la scène culinaire de La Havane.

La musique cubaine

Les Canadiens, comme tant d’autres autour du monde, adorent la musique cubaine.

Des pointures comme la chanteuse Omara Portuando, et le musicien Chucho Valdès, sont tous les deux présents en ce moment à Montréal dans le cadre du Festival de Jazz. Ils honorent toutes les scènes canadiennes importantes depuis des années. Et l’on retrouve des communautés de musiciens cubains talentueux dans toutes les villes canadiennes.

Les liens musicaux entre Canadiens et Cubains perdurent depuis des décennies, et ce depuis l’arrivée du chef d’orchestre Chicho Valle, animateur de l’émission « Latin American Serenade » à la radio anglaise de Radio-Canada. Il régnait également sur la musique de danse à l’Inn on the Park à Toronto dans les années 60 et 70.

Mais l’échange musical le plus inattendu est survenu au début des années 60 lorsque Gaby Warren, diplomate canadien désormais connu en tant que célébrité du jazz à Ottawa, faisait passer en contrebande par la valise diplomatique des disques de jazz américains aux talents émergents Valdés et Paquito d’Rivera.

Quand on parle de Cuba, on entend plus souvent parler de l’absence des États-Unis que de la présence constante du Canada.

Mais les amitiés et relations, les projets communs et la durable communauté d’intérêts entre Cubains et Canadiens ont créé des mécanismes de développement social, politique, économique et culturel.

Ce sont ces liens, tant passés que présents, qui sont mis en danger par la politique mal avisée du gouvernement canadien.

This article was originally published in English

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