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Affaire Platini : conflit d’intérêt, avantage indu et rivalités politiques

L’ex-président de l’UEFA, ici en 2009, au temps de sa splendeur. Klearchos Kapoutsis/Flickr, CC BY

Le Tribunal arbitral du sport (TAS) a confirmé, le 9 mai, la suspension de Michel Platini de toute activité liée au football. Cette décision prise à l’unanimité des trois arbitres réunis pour cette affaire marque la fin de la procédure judiciaire sportive.

Le TAS conclut à la culpabilité de Michel Platini pour conflit d’intérêt et avantage indu, tout en réduisant la sanction à quatre années de suspension (au lieu de six). Cette décision, somme toute sans surprise, laisse néanmoins transparaître les complexités de cette affaire.

La légitimité du TAS

Michel Platini contestait devant le TAS les décisions de la Commission d’éthique de la FIFA et de son organe d’appel, la Commission des recours, qui l’avaient suspendu huit ans (sanction ramenée en appel à six ans) pour avoir perçu en 2011 une somme de 2 millions de francs suisses versée par le président de la FIFA, Joseph Blatter, pour un travail de « conseiller technique ». L’ancien meneur de jeu des Bleus demandait au TAS l’annulation de sa sanction.

Le TAS est la juridiction compétente en cas d’appel contre une décision prise par un organisme sportif. Pour saisir ce Tribunal, il faut d’abord que les voies de recours internes aient été épuisées. De fait, Michel Platini avait d’abord contesté, en vain, sa suspension devant l’instance d’appel de la FIFA, la Commission des recours.

Les statuts de l’organisme sportif concerné doivent ensuite prévoir spécifiquement le recours au TAS (ce qui est le cas de la FIFA à l’article 66.1 des Statuts). Dans cette affaire, le TAS était donc compétent pour trancher en dernière instance la question de la légalité du paiement reçu par Michel Platini.

Contrat de travail et avantage indu

Dans sa décision, le TAS reconnaît d’abord l’existence d’un contrat de travail valable entre Michel Platini et la FIFA entre 1999 et 2002 – ce qui était l’un des points contestés (les décisions de la FIFA considérant qu’il n’existait pas de base juridique contractuelle).

Le Tribunal considère, malgré tout, que la somme perçue par Michel Platini relève d’un avantage indu, la durée d’exécution du contrat ayant été beaucoup trop longue. Les arbitres relèvent ainsi que le paiement n’est intervenu qu’en février 2011, soit plus de huit ans après la fin du contrat. Qui plus est à seulement quatre mois des élections présidentielles à la FIFA auxquelles Joseph Blatter était candidat.

Joseph Blatter, l’ex-président de la FIFA et ex-allié de Michel Platini. Global Panorama/Flickr, CC BY-SA

Les arbitres laissent ici clairement voir le lien qu’ils établissent entre le versement de la somme de 2 millions de francs suisses à Michel Platini et l’imminence de l’élection ayant mené à la prolongation de Blatter à la tête de la FIFA. Rappelons que Platini était, à l’époque, l’un de ses potentiels rivaux.

Double violation du Code d’éthique

La justification avancée par la défense de Michel Platini consistant à présenter cette somme comme un arriéré de salaire n’a pas – loin s’en faut – convaincu les arbitres. C’est la « légitimité » même du versement que le TAS réfute, s’appuyant sur l’absence de personne ayant connaissance de cet accord – à l’exception des seuls Platini et Blatter – ainsi que de document contractuel. Surtout, le TAS souligne que ce paiement ne correspond pas au salaire impayé qui aurait dû être perçu : 2 millions au lieu des 2,7 millions supposément dus…

C’est donc bien d’une double violation du Code d’éthique de la FIFA que Michel Platini s’est rendu coupable, selon le TAS. À travers le versement de cette somme, il a bénéficié d’un avantage indu en argent – une violation de l’article 20 du Code d’éthique interdisant les cadeaux et autres avantages – constitutif d’un conflit d’intérêt. Le Code d’éthique interdit en effet aux personnes liées à la FIFA de « retirer un avantage pour elles-mêmes » de leurs fonctions (article 19).

Le Tribunal n’a, cependant, pas reconnu Michel Platini coupable de violation de son devoir de loyauté vis-à-vis de la FIFA (article 15 du Code d’éthique) ni des règles de conduite générales (éthique, dignité, crédibilité, intégrité, selon l’article 13 du Code d’éthique). Le TAS accède ici partiellement à la demande de Platini, en annulant en ces points les décisions des instances de la FIFA.

Élection et sanction

Le Tribunal s’empresse toutefois de préciser qu’il est « loin d’affirmer que le comportement de Michel Platini était éthique et loyal ». Précision étonnante, alors que le TAS écarte ces violations au nom d’un principe juridique classique de droit international, résumé par l’adage latin bien connu des juristes : lex specialis derogat generali. Autrement dit : les règles particulières et spécifiques au litige l’emportent sur les règles à visée générale. En l’espèce, l’application des règles spéciales (les articles 19 et 20 du Code d’éthique) empêche celle des règles générales (les articles 13 et 15). Michel Platini ne peut pas être reconnu coupable de ces deux séries de violation à la fois.

Le Tribunal arbitral a ainsi confirmé la culpabilité de Michel Platini, mais en partie seulement. En conséquence, il a réduit la sanction qui lui avait été infligée par les instances de la FIFA : l’estimant « trop sévère », il l’a fixée à quatre années (au lieu de six) d’interdiction d’exercer toute activité nationale ou internationale liée au football.

Le TAS justifie d’ailleurs cette durée car elle correspond à celle « d’un mandat présidentiel » à la tête de la FIFA. L’instance renvoie au contexte d’une affaire intimement liée aux élections : qu’il s’agisse du versement contesté ayant eu lieu juste avant le scrutin de 2011 ou de la suspension de Michel Platini prononcée lors de la campagne présidentielle pour les élections de 2016 et alors que Platini était lui-même candidat…

En 2014, avant l’éclatement du conflit ouvert. Antoon Kuper/Flickr, CC BY-NC

Néanmoins, si la sanction a été réduite d’un tiers, elle reste d’une durée non négligeable. Pour l’évaluer, le TAS a pris en compte – de manière classique pour toute juridiction – l’importance des fonctions exercées par Michel Platini (qui était à l’époque des faits vice-président de la FIFA et Président de l’UEFA), son absence de repentir (ce qui en droit pénal a souvent pour effet d’alourdir la peine d’un condamné), ainsi que l’atteinte à la réputation de la FIFA occasionnée par l’affaire.

Mais le TAS prend également le soin de préciser qu’alors « que la FIFA avait été informée du paiement de 2 millions en 2011 […] une investigation concernant Michel Platini n’a été initiée par la Commission d’éthique de la FIFA qu’en septembre 2015. » Élément bien évidemment retenu en faveur de la cause de Michel Platini et qui indique clairement que les arbitres n’ont pas été dupes des visées politiques internes à la FIFA dans le calendrier de l’affaire Platini.

La sentence n’étant pas encore publiée, il n’est pas possible d’analyser plus en détail ses motivations.

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