tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/afghanistan-21082/articlesAfghanistan – The Conversation2024-03-26T19:07:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2265552024-03-25T16:07:25Z2024-03-25T16:07:25ZL’implication de Tadjiks dans le massacre de Moscou trouve ses racines dans le passé trouble et le présent désespéré de l’ex-république soviétique<p>Les quatre hommes armés accusés des meurtres d'au moins 139 spectateurs
au théâtre Crocus City Hall de Moscou, le 22 mars 2024, étaient tous citoyens du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/attentat-a-moscou-ce-que-l-on-sait-des-quatre-suspects_6445891.html">Tadjikistan</a>, petit pays d'Asie centrale.</p>
<p>Leur nationalité a-t-elle quelque chose à voir avec leur présumé acte de terrorisme ? De nombreux Russes affirmeraient que c’est le cas.</p>
<p>Le Tadjikistan, un pays enclavé de dix millions d’habitants, pris en sandwich entre l’Ouzbékistan, l’Afghanistan et la Chine, est la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/2702">plus pauvre</a> des anciennes républiques soviétiques. Connu pour sa corruption et sa répression politique, il subit depuis 1994 la poigne de fer du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Emomali_Rahmon">président Emomali Rahmon</a>. On estime que plus de <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/society/20220214/more-than-3-million-tajik-citizens-reportedly-officially-registered-in-russia-last-year">trois millions de Tadjiks</a> vivent en Russie, soit environ un tiers de la population totale. </p>
<p>Spécialiste de l’histoire de l’Asie centrale, je parle le tadjiki et j’ai séjourné à de nombreuses reprises dans la région, ainsi qu’en Russie, depuis 1990. J’ai personnellement été témoin des conditions de vie des Tadjiks en Russie, et dans leur pays d’origine, que j’ai décrites dans mon récent ouvrage, <a href="https://www.pulaval.com/livres/les-tadjiks-persanophones-d-afghanistan-d-ouzbekistan-et-du-tadjikistan"><em>Les Tadjiks : persanophones d’Afghanistan, d’Ouzbékistan et du Tadjikistan</em></a>.</p>
<h2>Une population discriminée</h2>
<p>La plupart des Tadjiks vivant en Russie occupent le statut précaire de « travailleurs invités », occupant des emplois mal rémunérés dans les secteurs de la construction, des marchés ou le nettoyage des toilettes publiques. Le <a href="https://www.contrepoints.org/2024/01/25/452518-demographie-de-la-russie-une-jeunesse-decimee-ou-en-fuite#:%7E:text=Le%20d%C3%A9clin%20d%C3%A9mographique%20russe%20ne%20date%20pas%20d%E2%80%99hier&text=Le%20pic%20est%20atteint%20en,%2C4%20millions%20en%202020">déclin démographique de la population russe</a> a conduit à une dépendance croissante envers les travailleurs étrangers, afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre. L’attitude des Russes envers les autochtones d’Asie centrale et du Caucase est généralement négative, semblable au stéréotype américain sur les Mexicains, exprimé tristement par Donald Trump en 2015 : <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201506/28/01-4881520-don">« Ils apportent de la drogue. Ils apportent le crime. Ce sont des violeurs »</a>. </p>
<p>Ainsi, les non-Slaves sont systématiquement discriminés en Russie et, depuis 2022, ils ont été enrôlés de manière disproportionnée et <a href="https://www.la-croix.com/Russie-migrants-Asie-centrale-racontent-pressions-envoyer-Ukraine-2023-11-15-1301291005">envoyés en Ukraine</a> pour servir de chair à canon au front.</p>
<h2>Une civilisation prestigieuse</h2>
<p>Peu de peuples dans l’histoire ont vu leur statut s’effondrer de manière aussi spectaculaire que les Tadjiks au cours des cent dernières années. </p>
<p>Pendant plus d’un millénaire, les Tadjiks, descendants persanophones des anciens Sogdiens qui dominaient la Route de la Soie, ont constitué l’élite culturelle de l’Asie centrale. À partir de la « Nouvelle Renaissance persane » du X<sup>e</sup> siècle, lorsque leur capitale, Boukhara, en est est venue à rivaliser avec Bagdad en tant que centre d’enseignement et de haute culture islamiques, les Tadjiks ont été les principaux érudits et bureaucrates des grandes villes d’Asie centrale, et ce, jusqu’à la révolution russe. Le célèbre mathématicien médiéval <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Avicenne">Avicenne</a> était d’origine tadjike, tout comme le collectionneur de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouhammad_al-Boukh%C3%A2r%C3%AE">hadiths Bukhari</a>, le poète <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Djal%C3%A2l_ad-D%C3%AEn_R%C3%BBm%C3%AE">soufi Rumi</a> et bien d’autres.</p>
<p>En tant que principaux pourvoyeurs de la civilisation islamique d’Asie centrale, les Tadjiks étaient considérés par les bolcheviks comme représentant un héritage obsolète que le socialisme souhaitait anéantir. Les Tadjiks ont été pratiquement exclus de la restructuration sociale et politique massive imposée à l’Asie centrale au cours des premières années de l’Union soviétique. </p>
<p>La majeure partie de leur territoire historique, y compris les villes légendaires de Samarkand et de Boukhara, a été attribuée aux Ouzbeks turcophones, qui étaient considérés comme plus malléables. Ce n’est qu’en 1929 que les Tadjiks se sont dotés de leur propre république, composée principalement de territoires marginaux et montagneux, et dépourvus de tout centre urbain majeur.</p>
<h2>Répression, désespoir et islam radical</h2>
<p>Tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, la République socialiste soviétique tadjike a été la région la plus pauvre et sous-développée de l’ex-URSS. Elle a conservé ce triste statut depuis son indépendance en 1991. De 1992 à 1997, le pays a été plongé dans une guerre civile dévastatrice qui a détruit presque toutes les infrastructures. </p>
<p>Depuis lors, le président Rahmon a utilisé la menace d’une reprise du conflit civil pour justifier son pouvoir absolu. Le spectre d’un <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20191108-tadjikistan-attaque-groupe-etat-islamique">islam radical</a> émanant de <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-3-page-150.htm">l’Afghanistan voisin</a> — où la population tadjike dépasse largement celle du Tadjikistan — a fourni une justification supplémentaire à la politique répressive de Rahmon.</p>
<p>Dans le Tadjikistan d’aujourd’hui, même ceux qui ont fait des études universitaires sont quasi <a href="https://novastan.org/fr/tadjikistan/les-7-problemes-principaux-des-villages-au-tadjikistan/">dans l’impossibilité de gagner un salaire</a> décent. Impuissants et humiliés par le système, ils sont des proies faciles pour les prédicateurs islamiques radicaux qui leur donnent un sentiment de valeur et un but réel à achever. </p>
<p>Le désespoir financier en toile de fond crée un cocktail explosif : l’un des suspects des récents attentats de Moscou <a href="https://www.aljazeera.com/news/2024/3/25/four-men-showing-signs-of-severe-beating-charged-over-moscow-concert-attack">a déclaré à ses interrogateurs</a> russes qu’il avait été recruté par un « imam » via la plate-forme Telegram. Il a expliqué qu’on lui avait promis une récompense en espèces d’un demi-million de roubles russes (environ 7 300 $ CDN) pour commettre ses atrocités.</p>
<h2>Un avenir peu radieux</h2>
<p>Partout dans le monde, les êtres humains normaux et sensés sont horrifiés par les actes terroristes, quelle que soit la manière dont ils sont justifiés par leurs auteurs. Le peuple du Tadjikistan, qui souffre depuis longtemps, ne fait pas exception. </p>
<p>L’option du terrorisme demeurera attrayante pour un petit nombre d’extrémistes, qui peuvent percevoir le meurtre psychopathique de civils innocents contre de l’argent, ou pour une idéologie, comme valable. La tentative ridicule de la Russie de lier, d’une manière ou d’une autre, les attaques de Moscou à l’Ukraine est une diversion maladroite des conséquences de ses relations avec l’Asie centrale.</p>
<p>Un grand nombre de Tadjiks vivent en Russie et il est probable que de telles attaques se multiplieront à l’avenir. Déjà, les ressortissants du Tadjikistan signalent sur les réseaux sociaux des incidents discriminatoires et des préjugés accrus. Les chauffeurs de taxi tadjiks, par exemple, témoignent que des passagers leur demandent s’ils sont Tadjiks, et refusent ensuite de voyager avec eux. </p>
<p>Avec ses ressources immobilisées en Ukraine dans un avenir proche, il semble peu probable que Moscou ait la capacité de se venger des islamistes au Tadjikistan, ou ailleurs en Asie centrale. Ils opèrent en dehors du contrôle du président Rahmon, dont le régime demeure un fidèle allié de la Russie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226555/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Richard Foltz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les auteurs de l’attentat de Moscou seraient originaires du Tadjikistan. Le pays, le plus pauvre de l’ex-URSS, connaît un régime répressif et corrompu, où l’islamisme radical fait son nid.Richard Foltz, Professor of Religions and Cultures, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249852024-03-05T16:03:01Z2024-03-05T16:03:01ZÊtre une femme devient un motif d’obtention du statut de réfugié<p>Alors que le Congrès réunit à Versailles vient de voter l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Constitution</a>, une autre évolution majeure pour la protection des droits des femmes est passée plus inaperçue : la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2024-01/cp240007fr.pdf">janvier dernier</a>, des femmes comme « groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951.</p>
<p>Sous ses abords techniques, moins immédiatement séduisants qu’une inscription dans le texte suprême d’un État, cette évolution est pourtant une quasi-révolution. C’est la première fois en effet que la plus haute instance juridictionnelle de l’Union européenne (UE) reconnaît que les femmes peuvent, sous certaines conditions prévalant dans leur pays d’origine, être reconnues réfugiées du fait de craintes de persécutions liées au genre. Les femmes victimes de <a href="https://theconversation.com/juger-les-violences-conjugales-une-audience-historique-sur-le-controle-coercitif-en-france-220894">violences conjugales</a> – objet de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 16 janvier – mais également, par exemple, les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>, du fait du traitement qui leur est réservé par les <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-les-afghanes-refusent-de-garder-le-silence-188624">talibans</a>, pourront désormais bénéficier d’une protection internationale certaine et améliorée.</p>
<h2>Le « groupe social », motif de protection</h2>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié définit ce dernier comme :</p>
<blockquote>
<p>« toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […] ».</p>
</blockquote>
<p>L’« appartenance à un certain groupe social » est certainement le motif de persécution le plus « énigmatique » ainsi que l’avait qualifié il y a quelques années un rapporteur public du Conseil d’État : ce qu’il signifie n’est pas aussi évident que les « opinions politiques », la « nationalité », ou la « religion ». S’il est fort probable qu’en 1951 le « groupe social » visé était celui des classes bourgeoises fuyant le communisme, l’indéfinition originelle de cette notion va faire beaucoup pour l’adaptation de la Convention à l’évolution de la protection des droits de la personne humaine.</p>
<p><a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">Harmonisée</a> par le droit de l’Union européenne au début des années 2000, la définition du « groupe social » fait appel à deux critères très généraux, que l’on peut résumer simplement de la manière suivante : font partie du même « groupe social » les personnes qui, d’une part, partagent une caractéristique innée ou une histoire commune et, d’autre part, ont de ce fait une identité propre et sont perçues comme différentes par la société environnante. Or, cette définition a permis le développement, au fil des années, d’une jurisprudence promouvant principalement la protection des personnes victimes, dans leur pays d’origine, de persécutions liées au genre : tel est le cas, notamment et surtout, des personnes homosexuelles, des femmes et fillettes craignant des <a href="https://theconversation.com/excision-les-conges-dete-periode-a-risque-pour-les-adolescentes-77690">mutilations génitales</a>, ou encore des femmes s’opposant au <a href="https://theconversation.com/au-liban-les-mariages-dadolescentes-continuent-de-prosperer-92554">mariage forcé</a> – pour citer trois des principaux groupes sociaux reconnus dans certains pays d’origine par la <a href="https://euaa.europa.eu/fr/publications/guide-sur-lappartenance-un-certain-groupe-social">jurisprudence</a> de la plupart des États membres de l’Union européenne.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7iLpAQC1W24?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans de nombreuses hypothèses, tout à fait inimaginables en 1951, le « groupe social » a ainsi permis la protection de minorités persécutées à raison de leur orientation sexuelle ou de leur opposition aux traditions constitutives de tortures ou traitement inhumains ou dégradants. Ce motif a assuré ce faisant la pertinence continue – et donc la pérennité – de la Convention de Genève. Jusqu’à présent cependant, le « groupe social des femmes » n’avait été reconnu que très épisodiquement, par <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=7ee22fba7f6f517290864502c8df502f32b219c1">quelques cours de justice</a> dont l’isolement permettait sans doute l’audace. Il en va désormais tout autrement avec la consécration de cette option de protection par la CJUE.</p>
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<h2>Le « groupe social des femmes », une (r) évolution ?</h2>
<p>La reconnaissance d’un groupe social « des femmes » se heurtait au second critère de la définition : comment considérer en effet que les femmes, qui constituent généralement peu ou prou la moitié de la société d’un pays, puissent être perçues comme « différentes » par une « société environnante »… dont elles font elles-mêmes partie pour moitié ? Les personnes homosexuelles, les femmes s’opposant à l’excision ou au mariage forcé sont minoritaires au sein de la société, et sont perçues comme différentes, y compris par les autres femmes. Dans certaines hypothèses spécifiques cependant, les femmes dans leur ensemble sont perçues comme différentes.</p>
<p>C’est pourquoi, selon la CJUE, « il y a lieu d’apprécier », pour déterminer l’existence d’un groupe social au sens de la Convention de 1951, si un ensemble de personnes partageant une caractéristique ou une histoire commune est perçu de ce fait comme distinct « au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§56 de l’arrêt</a>). La « société environnante » est entendue en un sens large englobant les normes – juridiques, sociales, culturelles, etc. – dont l’objet est précisément de spécifier une partie de la population en raison de caractéristiques liées au genre. Les discriminations ou persécutions visant la part féminine de la population participent de sa marginalisation et permettent de la constituer en groupe social au sens de la Convention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Le raisonnement permet la généralisation. Comme l’affirme la Cour, grâce à cette approche et « en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à “un certain groupe social” […] les femmes de ce pays dans leur ensemble » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§62</a>).</p>
<p>Telle est la principale révolution. S’il est vrai que les femmes pouvaient déjà, à raison de persécutions liées à leur genre, être protégées, cela se faisait au cas par cas et sur une base juridique régionale et non internationale, offrant une protection moindre. Désormais, les « femmes dans leur ensemble », originaires d’un pays au sein duquel elles auront été reconnues comme faisant partie d’un groupe social, pourront prétendre à la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951.</p>
<h2>Un « groupe social » des femmes afghanes ?</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SHoGbL-0qNk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le raisonnement de la Cour a permis, dans cette affaire, de reconnaître que les femmes peuvent être regardées comme :</p>
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<p>« appartenant à un “certain groupe social” […] lorsqu’il est établi que, dans leur pays d’origine, elles sont, en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques » (§57).</p>
</blockquote>
<p>Mais la généralisation qu’elle opère ouvre la voie à la reconnaissance d’autres groupes sociaux de femmes – et l’on songe évidemment à une telle reconnaissance concernant les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>. La Cour nationale du droit d’asile a d’ailleurs précédé la CJUE sur ce point, jugeant dans des décisions d’octobre dernier (par ex. CNDA, 3 oct. 2023, M.N.,n°22037537) que :</p>
<blockquote>
<p>« l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane » permettaient de considérer que les « femmes afghanes constituent un groupe social ».</p>
</blockquote>
<p>Loin des débats politiques sur les questions migratoires <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/en-bref/la-loi-immigration-a-lepreuve-du-conseil-constitutionnel-4197/">qui ne s’encombrent pas de préoccupations juridiques</a>, la protection internationale des femmes poursuit ainsi son évolution, par le droit international et grâce à son interprétation par les juges européens et nationaux.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://www.refwar.fr/">REFWAR</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est co-porteur du projet « RefWar », financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), s'intéresse à la protection en France des « réfugiés de guerre », c'est-à-dire de celles et ceux qui sont contraints à l'exil en raison d'un conflit armé dans leur État de nationalité ou de résidence.
</span></em></p>En janvier 2024, la CJUE a reconnu pour la première fois que les femmes pouvaient, sous certaines conditions, être reconnues réfugiées du fait de leur genre.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157502023-10-26T17:57:44Z2023-10-26T17:57:44ZCascade de séismes en Afghanistan : une séquence jamais vue ?<p>Depuis le 7 octobre 2023, plusieurs séismes de magnitude 6,3 ont frappé la région d’Hérat, troisième plus grande ville d’Afghanistan, non loin de la frontière iranienne. Cette séquence de séismes destructeurs a fait <a href="https://www.unicef.fr/article/afghanistan-les-enfants-sont-en-danger-apres-un-tremblement-de-terre-de-magnitude-63/">près de 1400 victimes</a>. Quatre séismes majeurs ont frappé la région en 8 jours et les secousses liées à des séismes plus petits se font encore sentir aujourd’hui.</p>
<p>Ces quatre événements étant de magnitudes presque identiques, les scientifiques font face à une curiosité statistique, dont l’origine physique reste à expliciter. D’habitude, un séisme de forte magnitude est suivi d’une séquence de réplique de magnitudes inférieures (pour un séisme de magnitude 6, la réplique la plus forte attendue est de magnitude 5). Quatre séismes de forte magnitude à la suite, c’est très inhabituel, voire jamais vu. Un second mystère réside dans le fait qu’aucun événement avec une magnitude si élevée n’était recensé de mémoire humaine sur ces failles actives.</p>
<p>Sur le découpage de notre globe en plaques tectoniques, ces séismes ont frappé la large frontière sud de la plaque eurasienne en collision le long de la chaîne de montagnes alpino-himalayenne s’étendant des contreforts des Pyrénées au Myanmar. Au niveau de l’Afghanistan, les plaques Inde et Arabie sont en collision avec l’Eurasie, à des vitesses relatives de quelques centimètres par an. Ces mouvements relatifs peuvent être mesurés grâce à des stations GPS ou à des images satellites.</p>
<p>C’est à 11h11 le samedi 7 octobre que la terre a tremblé une première fois, puis cela s’est reproduit 30 min plus tard et à nouveau 4 et 8 jours après, les 11 et 15 octobre. À première vue, rien ne permettait d’anticiper cet enchaînement dramatique d’événements. Est-ce parce que cette région reculée n’a pas été scrutée aussi attentivement que d’autres régions, par exemple l’ouest des États-Unis bien connu pour la faille de San Andreas ? L’anticipation des séismes reste une question délicate, et c’est souvent au vu des événements passés que les sismologues peuvent (ou non) reconstituer l’enchaînement entre les causes et les conséquences, reliées par les lois de la Physique.</p>
<h2>Des séismes d’une taille sans précédent dans la région</h2>
<p>Des sources historiques remontant au IX<sup>e</sup> siècle attestent qu’Hérat, ville aux origines antiques située le long de la route de la soie, a été endommagée par des séismes par le passé, mais les magnitudes qu’on leur associe n’atteignent <a href="https://doi.org/10.1785/gssrl.74.2.107https://doi.org/10.1785/gssrl.74.2.107">pas plus de 5,9</a>. Si la différence avec les quatre séismes d’octobre de magnitude 6,3 peut paraître faible, c’est parce que l’échelle de magnitude de moment est une mesure logarithmique. Ces séismes sont en fait chacun 4 fois plus gros, que ce soit en termes d’énergie libérée ou de taille de la zone affectée.</p>
<p>Ainsi, cette région relativement stable, comparée à l’est de l’Iran ou les hauteurs himalayennes, n’éveillait pas de grandes suspicions. C’est dans les <a href="https://doi.org/10.1111/j.1365-246X.2010.04591.x">tracés des rivières</a> et les dépôts sédimentaires que l’on retrouve le plus de signes d’une activité sismique récente à l’échelle des temps géologiques.</p>
<p>Les séismes correspondent au relâchement brutal de l’énergie accumulée depuis le dernier séisme dans la région, à la manière d’un élastique que l’on aurait étendu progressivement, qui aurait tenu jusque-là et se relâche tout à coup. La petite goutte de trop qui fait craquer l’élastique est soit une question de temps, soit la conséquence d’une perturbation, par un autre séisme par exemple. C’est pour cela qu’un séisme se produit rarement seul et les perturbations qu’il génère dans son environnement entraînent une cascade d’autres séismes. En général, ces événements, appelés répliques, sont de tailles décroissantes au cours du temps.</p>
<p>Néanmoins, dans la séquence sismique d’Herat, la désescalade ne fut pas immédiate. La cascade a mené à d’autres séismes aussi gros que le premier, et ceci par trois fois. Pourquoi ces ruptures ne se sont pas faites toutes d’un coup suite à la première rupture ? Quel est l’agencement géométrique des différentes ruptures ? Les premières observations géophysiques nous renseignent sur le sujet.</p>
<h2>Un soulèvement de 80 centimètres</h2>
<p>Au-delà des destructions qu’elles engendrent, les ondes sismiques portent des informations sur l’origine et la nature du séisme jusqu’aux stations sismologiques à proximité ou à des milliers de kilomètres de là, et cela, en quelques dizaines de minutes.</p>
<p>C’est donc dans les heures qui suivent que les agences comme l’<a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us6000lfn5/executive">USGS</a> (service géologique des États-Unis) ont pu déterminer que le premier séisme correspondait à un glissement essentiellement vertical vers le haut le long d’une faille inclinée à environ 30 degrés par rapport à l’horizontale et orientée est-ouest. Les trois autres séismes principaux qui ont suivi semblent avoir des géométries de rupture similaires.</p>
<p>Par ailleurs, l’imagerie satellitaire nous donne des informations sur ce qu’il se passe en surface dans cette région reculée. Ainsi, on peut cartographier l’étendue des destructions ou bien mesurer le déplacement du sol à proximité de la faille.</p>
<p>Des résultats préliminaires nous indiquent que le sol s’est élevé de quelques dizaines de centimètres sur une zone de 30 km par 10 km (une surface de l’ordre de celle occupée par la métropole de Lyon). Ce mouvement nécessite donc une énergie colossale, mais fidèle à ce qui est attendu pour une telle magnitude. Les séismes de la séquence semblent adjacents les uns aux autres avec une propagation vers l’est et un soulèvement maximal de 80 cm. C’est la méthode d’interférométrie radar par satellite, sur des images de la mission Sentinel-1 délivrées par l’Agence spatiale européenne (ESA), qui nous permet d’estimer ces chiffres au centimètre près et avec une haute résolution spatiale.</p>
<p>L’interférométrie se base sur la comparaison d’images du même endroit, prises depuis le même point de vue, afin de quantifier la déformation du sol accumulée entre les deux prises de vue. Attention, avec cette méthode, on ne voit que la déformation qui est permanente et non le mouvement du sol pendant le séisme du fait du passage des ondes ; cause de l’endommagement de nombreux bâtiments à des distances supérieures à notre rayon de 30 km.</p>
<p>Comment est-ce que cet instantané rare et catastrophique s’inscrit dans l’histoire géologique de la région ?</p>
<h2>Un fragment de la longue histoire géologique</h2>
<p>Ces premières observations semblent en accord avec le système de failles cartographié dans la région qui s’étend d’est en ouest sur 700 km, nommé Hari Rud. Ces failles prennent en charge un mouvement décrochant, décalage latéral sur l’horizontale (cf. article de <a href="https://theconversation.com/ce-que-le-seisme-en-afghanistan-nous-apprend-de-la-tectonique-des-plaques-dans-la-region-186321">juin 2022</a>), entre la plaque eurasienne et le bloc afghan central. Ce mouvement est lent et ne dépasse pas quelques millimètres tous les ans, si bien que le bloc afghan central est souvent considéré solidaire avec l’Eurasie. En effet, la frontière de plaque tectonique la plus active (et la plus récente) séparant l’Inde et l’Arabie de l’Eurasie se trouve au sud, dans le golfe d’Oman.</p>
<p>Ce mouvement décrochant horizontal change d’orientation localement produisant des soulèvements et des affaissements et ceci particulièrement lorsque différentes failles se rejoignent et se coupent. Les séismes compressifs (mouvement de soulèvement dominant) comme ceux de cette séquence d’Herat créent du relief. Au fil des millions d’années, la topographie monte progressivement et des montagnes se forment, à la condition que l’érosion n’agisse pas plus vite. Il semble donc que ces séismes participent à la construction des montagnes.</p>
<p>Nos analyses ne font que commencer. Il s’agira de reconstituer les événements et forces en jeu, et d’essayer de déceler les signaux précurseurs, s’il y en a, qui auraient pu nous mettre sur la piste de cette séquence avant son initiation. Les scientifiques se retrouvent comme face à une scène de crime qu’il est question de décoder pour mieux comprendre pourquoi de tels événements se sont produits, pourquoi à cet endroit, pourquoi maintenant…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon Dalaison a reçu des financements de l'ERC. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bryan Raimbault a reçu des financements de l'ERC, de l'ENS-PSL et du Ministère français de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation (MESRI) pour la réalisation de son contrat doctoral.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Romain Jolivet est membre de l'Institut Universitaire de France et a reçu des financements de l'ERC, de l'ANR ainsi que du CNRS.</span></em></p>Quatre séismes majeurs ont frappé l’Afghanistan, causant la mort de près de 1 400 personnes. Les géologues peinent à expliquer les causes de cette catastrophe.Manon Dalaison, Maître de Conférences, Institut de physique du globe de Paris (IPGP)Bryan Raimbault, Doctorant en géosciences, École normale supérieure (ENS) – PSLRomain Jolivet, Professeur des Universités, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102232023-09-05T17:03:58Z2023-09-05T17:03:58ZDeux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541949/original/file-20230809-23-a4bief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C7%2C1189%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;The Last Stand&nbsp;», de William Barnes Wollen (1898), dépeint Le 44<sup>e</sup> régiment d’infanterie britannique attaqué par les Afghans lors de la bataille de Gandamak, en Afghanistan, en 1842.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f2/The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg/1200px-The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg">Getty - DeAgostini</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>L’expression « Grand Jeu », popularisée par Rudyard Kipling, désignait au XIX<sup>e</sup> siècle la rivalité coloniale et diplomatique qui mettait aux prises, au Caucase et en Asie centrale, l’Angleterre victorienne et la Russie tsariste – avec, au centre de l’échiquier, l’Afghanistan, « cimetière des empires ». Cette notion est encore souvent employée de nos jours pour décrire les complexes manœuvres auxquelles se livrent, dans cette même région, les puissances actuelles – qu’il s’agisse de la Russie désormais poutinienne, de la Chine ou encore des États-Unis.</em></p>
<p><em>Dans son nouvel ouvrage, <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/sur-lechiquier-du-grand-jeu/">« Sur l’Échiquier du Grand Jeu »</a>, qui paraît aux Éditions Nouveau Monde ce 6 septembre, et dont nous vous présentons ici un extrait, Taline Ter Minassian, professeure d’histoire de la Russie et du Caucase à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), retrace deux cents ans de cette partie géopolitique aux règles et aux limites sans cesse fluctuantes.</em></p>
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<p>« Quand tout le monde est mort, le Grand Jeu est terminé. Pas avant. Écoute-moi jusqu’à la fin… » Le lecteur de <em>Kim</em>, le roman de Kipling, aura compris que l’histoire du Grand Jeu, commandée par une fatalité géopolitique implacable, n’a pas de fin. Tout comme la guerre froide, le Grand Jeu se nourrit d’espaces de confrontations réels, mais aussi de référents symboliques porteurs de mythes et</p>
<p>de mythologies.</p>
<p>Le Grand Jeu, qui fut initié au début du XIX<sup>e</sup> siècle par l’immense problème de la défense de l’Inde britannique « le plus loin possible et avec le moins de moyens possible », s’est perpétuellement modifié depuis lors, déplaçant le champ des tensions sur un échiquier toujours plus vaste entre des joueurs plus nombreux. Deux siècles de voyages intrépides, de sombres intrigues nouées dans le bazar de Tabriz ou de Boukhara, d’embuscades et de hauts faits dans les rocailles du Waziristan ont abouti à des centaines de milliers de morts au cours de cinq guerres successives en Afghanistan, perdues par la Grande Bretagne, l’URSS et les États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632984553257160714"}"></div></p>
<p>Pour échapper au vertige du décompte des morts, on est tenté de se réfugier dans le temps de l’innocence qui fut aussi celui de l’ignorance. On songe à William Moorcroft et à ses dix mille pages d’archives dormant dans les fonds de l’India Office, couvertes d’une écriture fiévreuse chamboulée par le balancement cadencé de sa monture, yak ou chameau. Ce détail émouvant contient toute la puissance d’évocation du Grand Jeu. En 1974, dans un village des fins fonds de l’Hindou Kouch, Garry Alder a rencontré un beau vieillard aux traits classiques dont le père se souvenait avoir entendu dire qu’un certain petit docteur anglais passant par là avait rendu la vue à des aveugles. Dans ces vallées reculées où il pratiquait, on s’en souvient, l’opération de la cataracte, Moorcroft était tout simplement devenu un dieu.</p>
<p>L’histoire du nouveau Grand Jeu depuis les années 1990 pourrait être le sujet d’un livre entier. Depuis la chute de l’Union soviétique, le terme s’est répandu au point de devenir banal, dans un océan de références, d’articles et d’expertises diverses à propos des tensions et des enjeux politiques et économiques de l’Asie centrale et du Caucase du Sud. Une fois encore, la notion a suscité une certaine réserve dans le milieu académique anglo-saxon, les tensions géopolitiques actuelles ayant été jugées au cours des années 2000 d’une nature très différente, notamment au plan économique, de celles du Grand Jeu classique.</p>
<p>Un autre argument avancé serait l’absence manifeste d’un dessein occidental affiché face à l’atavisme impérialiste de la Russie ou de la Chine. D’où le doute.</p>
<p>Le nouveau Grand Jeu existe-t-il seulement ? Formule simplement séduisante, label destiné aux gros titres, le nouveau Grand Jeu ne serait pas un concept « dur » rigoureusement élaboré. Selon ses détracteurs, il ne serait que l’analogie fautive du Grand Jeu classique (dont l’existence au passage est ainsi admise) et le produit d’une sur-interprétation romantique d’une époque révolue. Or le Grand Jeu, ancien comme nouveau, est essentiellement une métaphore performative des tensions géopolitiques et non une grille de lecture des relations internationales au sens strict.</p>
<p>Elle implique souvent, comme on l’a vu, la capacité d’initiative d’agents isolés qui s’aventurent vers le cœur de l’échiquier. « La Grande Bretagne recommence le Grand Jeu », titrait en 2020 une revue russe de stratégie à propos de la nomination du nouveau patron du MI6, Richard Moore. Suggérant le rôle que la Grande-Bretagne aurait pu jouer auprès de la Turquie lors du déclenchement de la seconde guerre du Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), l’article s’attarde sur le profil de ce diplomate diplômé de l’Université d’Oxford, parlant couramment le turc et réputé proche de Recep Tayyip Erdoğan.</p>
<blockquote>
<p>« L’impression grandit que “l’Anglaise” a lancé un nouveau Grand Jeu qui ne se limitera pas au Caucase […]. La géographie des questions qui ont été discutées lors de la visite de Moore à Ankara reflète de manière assez significative les plans grandioses de l’alliance anglo-turque. Et nous n’avons pas encore mentionné l’Ukraine dont le président, après avoir rencontré le même Moore, s’est rendu auprès d’Erdoğan et en Asie centrale. »</p>
</blockquote>
<p>D’empoisonnements en disparitions mystérieuses d’oligarques ou d’anciennes taupes, en opérations de cyberguerre et en piratage divers, sans parler des expertises publiques des services secrets britanniques à propos des fiascos militaires russes en Ukraine, les exemples de la guerre anglo-russe des services secrets ont abondé au cours des deux dernières décennies en Europe comme sur le territoire du Grand Jeu.</p>
<p>Sur le terrain, les tensions géopolitiques ont été récurrentes jusqu’à atteindre le point d’incandescence du 24 février 2022, jour du lancement de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. Si les frictions se manifestent sur l’échiquier classique, elles débordent de beaucoup de celui-ci, sur un arc de confrontation courant de l’Ukraine au Caucase, opposant désormais la Russie à l’« Occident collectif ».</p>
<p>Depuis 2008, la Russie a mené ou est intervenue dans plusieurs guerres : Géorgie (7-16 août 2008), Syrie (30 septembre 2015), conclusion d’un cessez-le-feu au Haut-Karabagh (10 novembre 2020) se soldant par l’envoi d’une force de maintien de la paix et, depuis le 24 février 2022, l’intervention militaire massive, menée simultanément sur six fronts, en Ukraine.</p>
<p>Le constat s’impose : depuis 2008, « l’arc des crises », notion héritée du fameux Rimland des théoriciens de la géopolitique, s’est transformé, à l’issue d’une implacable montée en tensions, en un « arc de confrontation » directe avec l’OTAN et le camp occidental. Si l’on admet l’existence d’un nouveau Grand Jeu, son champ géographique s’est considérablement élargi, de l’Asie centrale, soit des « Balkans de l’Eurasie » selon la célèbre formule de Zbigniew Brzezinski, jusqu’aux rives ukrainiennes de la mer Noire. Mais une constante s’impose : l’effondrement de l’URSS a laissé dans le voisinage de la Fédération de Russie une vacuité où se sont engouffrés les jeux d’influences politiques, économiques, de hard et soft power.</p>
<p>Comme au début du XIX<sup>e</sup> siècle, l’Asie centrale est devenue, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le « ventre mou » de la Russie. Réalité ou métaphore, le nouveau Grand Jeu se déploie sur une multitude de théâtres. Citons pêle-mêle la guerre des tubes d’un « Pipelinistan » étendu de l’Asie centrale au Caucase jusqu’à la Baltique. L’enquête sur le sabotage le 26 septembre 2022 des gazoducs Nord-Stream 1 et 2 n’a abouti à aucune conclusion probante sur la responsabilité de la Russie, selon le Washington Post. De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov ne s’est pas privé de mettre en cause les services secrets britanniques en déclarant que « nos services de renseignement disposent de preuves suggérant que l’attaque a été dirigée et coordonnée par des spécialistes militaires britanniques ».</p>
<p>De « nouvelles routes de la soie » dans le cadre de la Belt and Road Initiative (BRI) jusqu’au projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC), de Gwadar à Kachgar à travers le massif himalayen, la Chine est devenue la puissance montante sur l’échiquier du nouveau Grand Jeu, suscitant, côté russe, le fameux « pivot vers l’Est ». Le tournant russe vers l’Asie est en effet une politique de diversification économique et diplomatique en direction de la Chine. Préconisée de longue date par Moscou, cette bascule devrait permettre à la Russie de profiter du dynamisme de l’économie chinoise tout en coupant les ponts avec l’Europe, dans le contexte des sanctions consécutives à la guerre menée par la Russie en Ukraine.</p>
<p>Conservées au Texas, les archives de George Crile montrent qu’à la veille de sa mort, il travaillait à un nouveau projet de livre, la suite de <em>My Enemy’s Enemy</em> (ou Charlie Wilson’s War). Bombardements américains en Afghanistan et au Soudan, talibans au Pakistan et en Afghanistan, Ben Laden, Charlie Wilson, Gust Avrakotos, Milt Bearden… les titres des dossiers de travail sont très évocateurs du projet que George Crile était sur le point d’entreprendre.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « Sur l’Échiquier du Grand Jeu », de Taline Ter Minassian.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>« Comme dans Charlie Wilson’s War, on y trouvera le récit de faits jusqu’ici non documentés, révélant des lieux exotiques et improbables et une histoire secrète qui a conduit aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. […] Il permettra au lecteur de saisir les mystères profondément troublants qui entourent la confrontation toujours plus dangereuse de l’Amérique avec l’Islam », écrit-il dans ses notes préparatoires. Les années qui suivirent les attentats du 11 Septembre livrèrent en effet le spectacle dégrisant des séquelles de l’alliance désastreuse de la CIA et du djihad en Afghanistan.</p>
<p>La traque puis l’assaut héliporté du complexe fortifié d’Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan le 2 mai 2011, suivi en direct par Barack Obama et ses conseillers depuis la Maison Blanche, fut une réussite spectaculaire sans lendemains. La ville d’Abbottabad où Ben Laden avait trouvé refuge est située sur l’une des « nouvelles routes de la soie ».</p>
<p>Elle est désormais desservie par l’autoroute Hazara construite par les Chinois, dont les six voies serpentent entre les montagnes au nord d’Islamabad. Le projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC) est présenté au Pakistan comme « l’événement qui change la donne » (game changer) dans le nouveau Grand Jeu. Les images de la chute annoncée de Kaboul et du retrait chaotique des Américains le 30 août 2021, au terme de la plus longue guerre jamais engagée par les États-Unis, ont fait le tour du monde. Et le monde déplora l’abandon de l’Afghanistan, retombé aux mains des talibans. Kaboul désertée par les ambassades occidentales est depuis lors investie par la « diplomatie silencieuse » et singulièrement pragmatique du Kremlin. Une nouvelle partie du nouveau Grand Jeu a d’ores et déjà commencé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du Caucase aux confins de la Chine, en passant par l’Asie centrale, les grandes puissances internationales se livrent depuis près de deux siècles un « Grand Jeu » sans cesse renouvelé.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2115692023-08-16T14:18:13Z2023-08-16T14:18:13ZAfghanistan : la guerre des talibans contre les femmes est un apartheid des genres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/542622/original/file-20230807-23-aa6m4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4992%2C3300&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un combattant taliban monte la garde pendant que des femmes attendent de recevoir des rations alimentaires distribuées par un groupe d’aide humanitaire, à Kaboul, en Afghanistan, en mai 2023.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ebrahim Noroozi, File)</span></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/afghanistan-marks-1-year-anniversary-of-taliban-takeover">deuxième anniversaire de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan</a> approche à grands pas. Depuis lors, les femmes afghanes sont <a href="https://www.hrw.org/news/2022/01/18/afghanistan-taliban-deprive-women-livelihoods-identity">privées des droits de la personne les plus fondamentaux</a> dans ce qui ne peut être décrit que comme un apartheid de genre. </p>
<p>Ce n’est qu’en qualifiant la situation en Afghanistan de crime contre l’humanité que la communauté internationale pourra légalement lutter contre la discrimination systématique dont sont victimes les femmes et les jeunes filles de ce pays.</p>
<p>L’éradication des femmes de la sphère publique est au cœur de l’idéologie talibane. Les institutions de défense des droits de la femme en Afghanistan, notamment le ministère des Affaires féminines, ont été démantelées, tandis qu’on rétablissait le redoutable <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-58600231">ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice</a>. </p>
<p>La Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan a été dissoute et la constitution de 2004 abrogée ; la législation garantissant l’égalité entre les hommes et les femmes <a href="https://hrlr.law.columbia.edu/files/2022/12/Bennoune-Finalized-12.09.22.pdf#page=9">a quant à elle été invalidée</a>. </p>
<p><a href="https://www.amnesty.org/en/latest/research/2022/07/women-and-girls-under-taliban-rule-afghanistan/">Aujourd’hui, les femmes afghanes</a> n’ont pas accès à l’enseignement supérieur, elles ne peuvent pas quitter la maison sans un chaperon masculin, elles ne peuvent pas travailler, sauf dans le secteur de la santé et dans certaines entreprises privées ; les <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/25/world/asia/taliban-beauty-salons-afghanistan.html">parcs, les salles de sport et les salons de beauté leur sont interdits</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un salon de beauté fermé" src="https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue panoramique d’un salon de beauté fermé dans la ville de Kaboul, en Afghanistan, en juillet 2023. Les talibans ont fermé tous les salons de beauté en Afghanistan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Siddiqullah Khan)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Femmes ciblées</h2>
<p>Sur les quelque 80 décrets promulgués par les talibans, 54 <a href="https://feminist.org/our-work/afghan-women-and-girls/taliban-edicts/">ciblent particulièrement les femmes</a>, restreignant gravement leurs droits <a href="https://www.princeton.edu/events/2023/afghanistan-under-taliban-state-gender-apartheid">et violant</a> les obligations internationales de l’Afghanistan ainsi que ses lois constitutionnelles et nationales antérieures. </p>
<p>Les talibans <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/02/19/afghan-women-suffer-under-taliban/">ne semblent pas inquiétés</a>, continuant là où ils s’étaient arrêtés il y a 20 ans, lorsqu’ils ont pris le pouvoir pour la première fois. Les résultats de leurs ambitions sont presque apocalyptiques. </p>
<p>L’Afghanistan est confronté à l’une des <a href="https://www.hrw.org/news/2023/05/15/hard-choices-afghanistans-humanitarian-crisis#:%7E:text=Afghanistan%20a%20largement%20disparu%20de,les%20filles%20restent%20les%20plus%%C3%A0%risque.">pires crises humanitaires du monde</a>. Environ <a href="https://www.rescue.org/article/afghanistan-entire-population-pushed-poverty">19 millions</a> de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, tandis que plus de <a href="https://www.hrw.org/news/2022/08/04/afghanistan-economic-crisis-underlies-mass-hunger">90 %</a> des Afghans la ressentent sous une forme ou une autre, les <a href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/wfp-afghanistan-situation-report-18-january-2023">ménages dont le chef de famille est une femme et les enfants</a> étant les plus touchés. </p>
<p>La violence fondée sur le genre a augmenté de façon exponentielle, avec à la clef une impunité pour les auteurs et un manque de soutien pour les victimes, tandis que les minorités ethniques, religieuses et sexuelles subissent une <a href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/situation-human-rights-afghanistan-report-special-rapporteur-situation-human-rights-afghanistan-richard-bennett-ahrc5284-advance-edited-version">persécution acharnée</a>. </p>
<p>Cette triste réalité souligne la nécessité urgente d’aborder la <a href="https://spia.princeton.edu/sites/default/files/2023-02/SPIA_NaheedRangita_PolicyBrief_07.pdf#page=3">manière dont les préjudices civils, politiques, socio-économiques et fondés sur le genre</a> sont interconnectés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme portant un niqab bleu nourrit un bébé au biberon. Un autre bébé s’agite en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des mères et des bébés souffrant de malnutrition attendent de recevoir de l’aide et des examens dans une clinique humanitaire internationale à Kaboul, en Afghanistan, en janvier 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ebrahim Noroozi)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Crime de droit international</h2>
<p>Karima Bennoune, universitaire algérienne et américaine spécialisée dans le droit international, a préconisé de reconnaître l’apartheid de genre comme un <a href="https://hrlr.law.columbia.edu/hrlr/the-international-obligation-to-counter-gender-apartheid-in-afghanistan/">crime au regard du droit international</a>. Cette reconnaissance découlerait des engagements juridiques internationaux des États en matière d’égalité des sexes et du <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/gender-equality/">cinquième objectif de développement durable des Nations unies</a> visant à atteindre l’égalité des sexes à l’échelle mondiale d’ici 2030. </p>
<p>La criminalisation de l’apartheid de genre fournirait à la communauté internationale un cadre juridique puissant pour répondre efficacement aux abus des talibans. Si les <a href="https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2023-01-12/the-secretary-generals-remarks-the-security-council-the-promotion-and-strengthening-of-the-rule-of-law-the-maintenance-of-international-peace-and-security-the-rule-of">Nations unies ont déjà qualifié la situation en Afghanistan d’apartheid de genre</a>, ce terme n’est actuellement pas reconnu par le <a href="https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/rome-statute-international-criminal-court">Statut de Rome de la Cour pénale internationale</a> comme faisant partie des pires crimes internationaux.</p>
<p>Lors de la présentation de son rapport au Conseil des droits de la personne des Nations unies, <a href="https://news.un.org/en/story/2023/06/1137847">Richard Bennett</a> – le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de la personne en Afghanistan – a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>Une discrimination grave, systématique et institutionnalisée à l’encontre des femmes et des filles est au cœur de l’idéologie et du pouvoir des talibans, ce qui fait craindre qu’ils ne soient responsables d’un apartheid fondé sur le genre. </p>
</blockquote>
<p>La criminalisation de l’apartheid de genre à l’échelle mondiale permettrait à la communauté internationale de s’acquitter de son obligation de réagir efficacement et de tenter de l’éradiquer définitivement. Elle fournirait les outils juridiques nécessaires pour garantir le respect des engagements internationaux en matière de droits des femmes dans tous les aspects de la vie.</p>
<p><a href="https://www.arabnews.com/node/2324266/world">Shaharzad Akbar</a>, directrice du <a href="https://rawadari.org/">groupe Rawadari pour la défense des droits de la personne</a> et ancienne présidente de la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, a exhorté le Conseil des droits de la personne à reconnaître que la situation en Afghanistan en est une d’apartheid fondé sur le genre.</p>
<p>Elle souligne que « les talibans ont transformé l’Afghanistan en un véritable cimetière des ambitions, des rêves et du potentiel des femmes et des jeunes filles afghanes ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1411815986798473222"}"></div></p>
<h2>Soutien de l’Afrique du Sud</h2>
<p>Un certain nombre de défenseurs afghans des droits des femmes ont également demandé <a href="https://www.ohchr.org/fr/news/2023/06/human-rights-council-opens-fifty-third-session-hears-presentation-annual-report-high">l’inclusion de l’apartheid de genre dans le projet de convention des Nations unies sur les crimes contre l’humanité</a>. </p>
<p>Plus remarquable encore, <a href="https://ishr.ch/latest-updates/hrc53-un-experts-open-council-session-with-dedicated-discussion-on-the-situation-of-women-girls-in-afghanistan/">Bronwen Levy</a>, représentante de l’Afrique du Sud au Conseil de sécurité, a exhorté la communauté internationale à « prendre des mesures contre ce que le rapport (de M. Bennett) décrit comme un apartheid de genre, tout comme elle l’a fait pour soutenir la lutte de l’Afrique du Sud contre l’apartheid racial ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1671121452731359232"}"></div></p>
<p>Ailleurs, la <a href="https://www.europarl.europa.eu/delegations/en/joint-statement-of-2-february-2023-women/product-details/20230203DPU35201">présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen, ainsi que le chef de sa délégation pour les relations avec l’Afghanistan</a>, ont qualifié la situation de l’Afghanistan d’« inacceptable » et représentant un apartheid de genre.</p>
<p>Chaque fois qu’un système d’apartheid apparaît, c’est un échec de la communauté internationale. Le contexte afghan doit l’obliger à répondre efficacement à la persécution des femmes. </p>
<p>Reconnaître que le régime taliban est un apartheid de genre n’est pas seulement crucial pour les Afghans, il l’est tout autant pour la <a href="https://hrlr.law.columbia.edu/files/2022/12/Bennoune-Finalized-12.09.22.pdf#page=11">crédibilité de l’ensemble du système des Nations unies</a>. Comme l’a fait remarquer au Conseil de sécurité la militante afghane des droits de la personne <a href="https://press.un.org/en/2023/sc15222.doc.htm">Zubaida Akbar</a> :</p>
<blockquote>
<p>Si vous ne défendez pas les droits des femmes ici, vous n’avez aucune crédibilité pour le faire ailleurs. </p>
</blockquote>
<p>Les deux années atroces des talibans depuis leur arrivée au pouvoir en Afghanistan nous ont appris que les initiatives classiques en matière de droits de la personne, bien que primordiales, ne suffisent pas à lutter contre l’apartheid de genre. Le monde a besoin d’une action collective internationale inflexible pour mettre fin à la guerre contre les femmes. Pas dans deux mois. Pas dans deux ans. Maintenant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211569/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vrinda Narain est membre du conseil d'administration de Women Living Under Muslim Laws (WLUML), un réseau transnational de recherche et de solidarité.</span></em></p>Les deux années de règne des talibans en Afghanistan nous ont appris que les initiatives classiques en matière de droits de la personne ne suffisent pas à lutter contre l’apartheid de genre.Vrinda Narain, Associate Professor, Faculty of Law, Centre for Human Rights and Legal Pluralism, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103422023-07-26T18:18:42Z2023-07-26T18:18:42ZDes températures extrêmes « statistiquement impossibles », quelles sont les régions les plus à risque ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539053/original/file-20230724-27-hjzdml.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C34%2C4587%2C2552&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/heatwave-hot-sun-climate-change-global-1152324746">Ed Connor / shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Au cours de l’été de 2021, le Canada a vu son record historique de chaleur être pulvérisé de près de 5 °C. Cette température maximale était alors de 49,6 °C. Plus chaud que celles jamais enregistrées en Espagne, en Turquie ou même n’importe où en Europe à l’époque.</p>
<p>Ce <a href="https://theconversation.com/chaleurs-extremes-quand-les-changements-climatiques-menacent-la-sante-publique-164151">record canadien</a> a été établi à Lytton, un petit village situé à quelques heures de route de Vancouver, dans une région où l’on ne s’attendait pas vraiment à subir de telles températures.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Vallée sauvage avec des arbres au premier plan" src="https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522789/original/file-20230425-14-kacc5w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Plus chaud que n’importe où en Europe ou en Amérique du Sud, jamais : le fleuve Fraser près de Lytton, en Colombie-Britannique, au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Harry Beugelink/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lytton a pourtant connu le point culminant d’une vague de chaleur qui a frappé tout le littoral pacifique nord-ouest des États-Unis et du Canada cet été-là et qui a laissé de nombreux scientifiques sous le choc. D’un point de vue purement statistique, cela aurait dû être impossible.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1410157638109872134"}"></div></p>
<p>Je fais partie d’une équipe de climatologues qui a cherché à savoir si cette invraisemblable vague de chaleur était unique, ou si d’autres régions avaient connu des événements aussi anormaux d’un point de vue statistique. Nous voulions également déterminer les régions les plus exposées à l’avenir et nos résultats viennent d’être publiés dans la revue <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-023-37554-1"><em>Nature Communications</em></a>.</p>
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<p>Suivre ces vagues de chaleur exceptionnelles est capital. D’abord parce qu’elles sont dangereuses en elles-mêmes, mais aussi parce que les pays ont tendance à ne se préparer qu’aux températures retenues comme les plus extrêmes dans la mémoire collective. Une vague de chaleur sans précédent génère donc souvent des réponses politiques visant à réduire les risques futurs de canicule.</p>
<p>On estime par exemple que la <a href="https://theconversation.com/quavons-nous-appris-de-la-canicule-de-2003-119541">canicule européenne de 2003</a>, pendant laquelle le thermomètre a atteint 47,4 °C à Alentejo au sud du Portugal et 44,1 °C dans le Gard, en France, a causé <a href="https://www.undrr.org/publication/human-cost-disasters-overview-last-20-years-2000-2019">50 000 à 70 000 décès</a>. Bien qu’il y ait eu des vagues de chaleur plus intenses depuis en Europe, aucune n’a entraîné un nombre de décès aussi élevé, grâce aux plans de gestion mis en œuvre à la suite de l’année 2003.</p>
<p>L’une des questions les plus importantes à se poser lorsqu’on étudie ces vagues de chaleur extrême, comme celles qui sévit actuellement sur l’ensemble de la planète, est donc la suivante : combien de temps devrons-nous attendre avant de connaître un autre événement d’une intensité similaire ?</p>
<p>C’est une question difficile mais heureusement, il existe une branche des statistiques, appelée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_valeurs_extr%C3%AAmes">théorie des valeurs extrêmes</a>, qui permet de répondre à cette question précise en utilisant les événements passés.</p>
<p>Pourtant, la canicule qu’a subie le Canada en 2021 fait partie des nombreux événements récents qui ont remis en question cette méthode car cette vague de chaleur n’aurait pas dû être possible selon la théorie des valeurs extrêmes.</p>
<p>Cette « rupture » des statistiques est due au fait que la théorie conventionnelle des valeurs extrêmes ne tient pas compte de la combinaison spécifique de mécanismes physiques inédits que nous subissons désormais et qui était absente des événements passés archivés.</p>
<h2>La chaleur invraisemblable est omniprésente</h2>
<p>En examinant les données historiques de 1959 à 2021, nous avons constaté que 31 % de la surface terrestre avait déjà connu de telles chaleurs, statistiquement invraisemblables (bien que la vague de chaleur de l’Amérique du Nord de 2021 soit exceptionnelle même parmi ces événements). Ces régions sont réparties sur l’ensemble du globe, sans schéma spatial clair.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Maisons en bois près d’une grande baie remplie d’icebergs" src="https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=199&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=199&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=199&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=250&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=250&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522818/original/file-20230425-1269-6b7nse.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=250&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une vague de chaleur exceptionnelle en septembre 2022 a fondre les calottes glaciaires du Groenland pendant un mois de plus que d’habitude.</span>
<span class="attribution"><span class="source">muratart/Shutterstock</span></span>
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<p>Nous avons également tiré des conclusions similaires en analysant les données des « grands ensemble » produites par les modèles climatiques, qui impliquent de nombreuses simulations par ordinateurs du climat à l’échelle mondiale. Ces modélisations nous sont extrêmement utiles, car la durée effective de ce « registre historique » simulé est beaucoup plus grande et produit donc beaucoup plus d’exemples d’événements rares.</p>
<p>Cependant, si cette analyse des événements les plus exceptionnels est intéressante et met en garde contre l’utilisation d’approches purement statistiques pour évaluer les vagues de chaleur extrêmes, les conclusions les plus importantes de notre travail proviennent de l’autre extrémité du spectre : les régions qui n’ont pas connu d’événements particulièrement extrêmes.</p>
<h2>Certains endroits ont eu de la chance, jusqu’à présent</h2>
<p>Nous avons identifié un certain nombre de régions, là encore réparties sur l’ensemble du globe, qui n’ont pas connu de chaleur particulièrement extrême au cours des six dernières décennies (par rapport à leur climat « attendu »). Par conséquent, ces régions sont plus susceptibles de connaître un événement record dans un avenir proche. Et comme elles n’ont pas l’expérience d’une telle anomalie et qu’elles sont moins incitées à s’y préparer, elles peuvent être particulièrement touchées par une vague de chaleur record.</p>
<p>Les facteurs socio-économiques, notamment la taille de la population, la croissance démographique et le niveau de développement, exacerberont ces impacts. C’est pourquoi nous tenons compte des projections démographiques et de développement économique dans notre évaluation des régions les plus exposées au niveau mondial.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Homme dans un marché coloré" src="https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522796/original/file-20230425-24-glrns8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Amérique centrale n’a pas encore été touchée par une vague de chaleur vraiment sévère.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Streetflash/Shutterstock</span></span>
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<p>Ces régions à risque comprennent notamment l’Afghanistan, plusieurs pays d’Amérique centrale et l’Extrême-Orient russe. Cette liste peut surprendre, car ce ne sont pas les pays auxquels on pense généralement lorsqu’on évoque les effets du dérèglement climatique sur la chaleur extrême, comme l’Inde ou le golfe Persique. Mais ces derniers pays ont récemment <a href="https://www.theguardian.com/weather/2023/apr/19/severe-heatwave-asia-deaths-schools-close-india-china">connu de graves vagues de chaleur</a> et font donc déjà ce qu’ils peuvent pour se préparer.</p>
<p>L’Europe centrale et plusieurs provinces chinoises, y compris la région de Pékin, semblent également vulnérables si l’on tient compte du caractère extrême des données et de la taille de la population, mais en tant que régions plus développées, elles sont susceptibles d’avoir déjà mis en place des plans visant à atténuer les effets graves.</p>
<p>Dans l’ensemble, nos travaux soulèvent deux points importants :</p>
<p>Premièrement, des vagues de chaleur statistiquement invraisemblables peuvent se produire n’importe où sur la Terre, et nous devons être très prudents lorsque nous utilisons les seules données historiques pour estimer la vague de chaleur « maximale » possible. Les décideurs politiques du monde entier doivent donc se préparer à des vagues de chaleur exceptionnelles qui seraient jugées invraisemblables sur la base des relevés actuels.</p>
<p>La deuxième raison est qu’il existe un certain nombre de régions dont le record historique n’est pas exceptionnel et donc plus susceptible d’être battu. Ces régions ont eu de la chance jusqu’à présent, mais elles risquent d’être moins bien préparées à une vague de chaleur sans précédent dans un avenir proche. Il donc est particulièrement important que ces régions anticipent des températures anormalement chaudes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicholas Leach a reçu des financements du NERC (Natural Environment Research Council). Parallèlement à son travail de chercheur, il collabore avec Climate X, une start-up d'analyse des risques climatiques. </span></em></p>Les statisticiens peinent à prédire les records spectaculaires de chaleur. Une difficulté qui aggrave le manque de réactivité face aux canicules.Nicholas Leach, Postdoctoral Researcher, Climate Science, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1941862022-11-21T19:26:14Z2022-11-21T19:26:14ZAsie centrale-Afghanistan : des frontières sous haute surveillance<p>Le 14 octobre 2022, lors d’un sommet réunissant à Astana (Kazakhstan) les cinq pays d’Asie centrale et la Russie, le président du Tadjikistan, Emomali Rahmon, <a href="https://www.rferl.org/a/tajikistan-russia-rahmon-youtube-respect/32084773.html">fit sensation</a> lorsqu’il exhorta Vladimir Poutine à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=k0plRt5-eUE">« respecter »</a> son pays ainsi que les quatre autres États centrasiatiques.</p>
<p>Ces propos, largement interprétés comme le signe d’une volonté d’affirmer la souveraineté nationale du Tadjikistan, s’apparentent en réalité à un appel du pied à Moscou. Loin de traduire une recherche d’autonomie vis-à-vis du Kremlin, la tirade de Rahmon reflète plutôt la dépendance du Tadjikistan envers la Russie mais aussi envers d’autres partenaires. Le président tadjikistanais déplore le manque d’investissements massifs de la Russie dans les infrastructures du Tadjikistan et demande à son homologue russe non pas de se détourner de la région mais d’accorder une attention individuelle à chaque République plutôt que traiter l’Asie centrale comme une seule entité.</p>
<p>Quelques jours plus tard, lors d’une conférence à Douchanbé portant sur la sécurité régionale, le président Rahmon recevait le Biélorusse Stanislav Zas, secrétaire général de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-153.htm">l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC)</a>, alliance militaire régionale dominée par la Russie et comprenant également l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. Les deux hommes <a href="http://president.tj/en/node/29333">discutèrent</a> notamment de la nécessité de renforcer la protection de la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan.</p>
<p>De telles rencontres nourrissent la rhétorique des autorités tadjikistanaises, partagée par celles de l’Ouzbékistan et du Turkménistan : ces trois pays affirment régulièrement, et en particulier depuis le <a href="https://theconversation.com/les-talibans-afghans-carte-didentite-166601">retour au pouvoir des taliban à Kaboul</a> en août 2021, que la frontière qu’ils partagent avec l’Afghanistan est instable et nécessite l’attention accrue de la communauté internationale et, avant tout, de la Russie.</p>
<p>Cette vision d’une Asie centrale intrinsèquement instable et source de danger du fait de son voisinage avec l’Afghanistan <a href="https://academic.oup.com/ia/article-abstract/87/3/589/2417106?redirectedFrom=fulltext&login=false">n’est pas nouvelle</a>. Mais dans quelle mesure est-elle justifiée aujourd’hui ?</p>
<h2>État des lieux de la situation aux six frontières de l’Afghanistan</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495933/original/file-20221117-17-jkh8y3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’Afghanistan est frontalier de six pays : Pakistan, Iran, Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Chine. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Il est vrai que, depuis la prise de pouvoir par les taliban à Kaboul le 15 août 2021, des tensions sont apparues aux frontières septentrionales de l’Afghanistan. <a href="https://eurasianet.org/uzbekistan-pours-scorn-on-claims-of-iskp-attack">Le 18 avril 2022</a>, l’État islamique au Khorassan (EI-K) a revendiqué avoir tiré dix roquettes sur des installations militaires en Ouzbékistan depuis le nord de l’Afghanistan. Le <a href="https://www.militantwire.com/p/the-islamic-state-threat-to-afghanistan?r=nbtoo&s=r&utm_campaign=post&utm_medium=email">7 mai suivant</a>, l’EI-K a affirmé cette fois avoir lancé sept roquettes sur le territoire du Tadjikistan. S’il s’agit des deux seules attaques de ce type revendiquées à ce jour par cette organisation, qui n’ont d’ailleurs pas fait de victime, le risque zéro n’existe pas. Toutefois, ces attaques importent non pas dans les faits mais pour ce qu’elles représentent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">Qu’est-ce que l’État islamique au Khorassan, qui a revendiqué l’attentat de l’aéroport de Kaboul ?</a>
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<p>D’une part, elles s’inscrivent dans une <a href="https://thediplomat.com/2022/08/islamic-state-khorasans-expanded-vision-in-south-and-central-asia/">propagande de plus en plus intense de l’EI-K</a> dirigée contre les États d’Asie centrale. Or, le danger représenté par ce groupe terroriste, dont la présence dans le nord de l’Afghanistan est <a href="https://rus.azattyq.org/a/31939284.html">avérée</a>, provient davantage du potentiel de ralliement à l’État islamique de citoyens des pays centrasiatiques que d’incursions massives de l’EI-K sur leur territoire.</p>
<p>D’autre part, les deux attaques témoignent de l’incapacité des taliban, dont l’EI-K est un ennemi résolu, à mettre en pratique leur politique de contrôle du territoire – et ce, malgré le <a href="https://www.ariananews.af/badakhshan-establishes-new-anti-insurgency-unit/">déploiement d’unités de sécurité</a> dans le nord du pays et <a href="https://twitter.com/Zabehulah_M33/status/1548394038553821184">l’annonce</a> de la « neutralisation » des responsables de ces deux incidents. En somme, la situation laisse libre cours à la multiplication de combattants terroristes en Afghanistan.</p>
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<p>Pourtant, les frontières méridionales de l’Asie centrale ne sont pas les plus aisées à pénétrer depuis le territoire afghan (en dépit d’un terrain majoritairement plat et désertique), tout comme les 76 kilomètres qui séparent la Chine de l’Afghanistan en zone de très haute altitude et étroitement surveillés par Pékin.</p>
<p>L’Asie centrale n’a pas vu de vagues de réfugiés tentant de fuir l’Afghanistan par voie terrestre, comme cela a été le cas <a href="https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/12/ASA1148322021FRENCH.pdf">aux frontières iranienne et pakistanaise</a>.</p>
<p>La frontière avec l’Iran (945 km) a été également sujette à plusieurs incidents depuis le 15 août 2021, officiellement résultats de <a href="https://tolonews.com/afghanistan-175719">malentendus</a> entre les taliban et les gardes-frontières iraniens, dont le <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/7/31/border-fight-iran-taliban-afghanistan">dernier en date</a> fit un mort du côté des taliban.</p>
<p>La situation est encore plus tendue à la frontière avec le Pakistan (2 640 km), où les forces de sécurité des deux côtés font régulièrement <a href="https://www.reuters.com/world/fresh-clashes-pakistan-afghanistan-border-kill-two-wound-several-2022-02-25/">usage du feu</a>, malgré les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2022/1/31/pakistan-afghanistan-to-agree-coordination-of-border-crossings">tentatives de dialogue</a> entre les taliban et les autorités pakistanaises. Bien que le Pakistan soit généralement perçu comme un protecteur des taliban en Afghanistan, ces derniers s’opposent notamment à la <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/feb/09/we-are-happy-to-fight-deadly-tension-on-the-afghanistan-pakistan-border-taliban">construction en cours d’une barrière physique</a> qui séparerait les populations pachtounes.</p>
<p>En revanche, de telles échauffourées n’ont pas lieu le long de la frontière que partage l’Afghanistan avec trois pays d’Asie centrale, à l’exception d’un incident à la frontière du Turkménistan (800 km), rapporté par un <a href="https://gandhara.rferl.org/a/turkmenistan-afghanistan-taliban-/31637936.html">média afghan</a> mais mis sous silence par Achgabat, qui maintient tout de même une présence militaire accrue à sa frontière ; une militarisation que l’on retrouve aussi à la frontière partagée entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan (150 km). Quant à la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan (1 374 km), la Chine et la Russie y apportent ouvertement leur soutien militaire à Douchanbé.</p>
<h2>L’implication sécuritaire régionale : une diversification des partenariats de défense</h2>
<p>Le soutien de la Russie aux États d’Asie centrale demeure une garantie pour la sécurité de leurs frontières, cette <a href="https://intellinews.com/pannier-russia-s-two-centuries-of-central-asia-dominance-are-over-259059/">relation de dépendance</a> ayant été développée depuis la colonisation de la région par les troupes tsaristes au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>La Russie dispose aujourd’hui de deux importantes bases militaires : l’une au Kirghizstan, à 40 kilomètres de Bichkek, et l’autre au Tadjikistan, près de Douchanbé, de Bokhtar et de Koulob, ces deux dernières villes étant situées respectivement à 75 et 40 kilomètres de la frontière afghane. La 201<sup>e</sup> base déployée au Tadjikistan représente d’ailleurs le plus important contingent militaire russe extraterritorial.</p>
<p>Le monologue du président tadjikistanais du 14 octobre 2022 est sans doute lié à l’enlisement de la Russie en Ukraine, qui affecte directement la présence militaire russe à la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan. Sur les 7 000 soldats et officiers russes de la 201<sup>e</sup> base, <a href="https://rus.ozodi.org/a/32030414.html">entre 500 et 1 500 auraient été envoyés en Ukraine</a>. Cette base fonctionnant sur un principe de rotation, il demeure toutefois difficile d’évaluer le nombre effectif d’hommes ayant été transférés vers l’Ukraine.</p>
<p>Dans ce contexte, les pays d’Asie centrale, et plus particulièrement le Tadjikistan, continuent de diversifier leurs partenariats de défense. En effet, à titre d’exemple, la doctrine de politique étrangère du Tadjikistan s’appuie sur le concept des « portes ouvertes », un principe né à l’issue de la guerre civile (1992-1997), dont le but était de <a href="https://ebookcentral.proquest.com/lib/gwu/detail.action?pq-origsite=primo&docID=5519128">mettre fin à une dépendance intégrale vis-à-vis de la Russie</a>.</p>
<p>Ainsi, en mai 2022, le Tadjikistan et l’Iran <a href="https://www.tasnimnews.com/en/news/2022/05/17/2712404/iran-opens-military-drone-factory-in-tajikistan">inauguraient une usine de production de drones iraniens</a> sur le territoire tadjikistanais, dans un contexte de rapprochement inédit entre les deux pays. De plus, la guerre en Ukraine, qui occupe intensément l’armée russe, offre davantage de marge de manœuvre à un autre acteur : la Chine. Celle-ci partage 494 km de frontière avec le Tadjikistan et le poste-frontière de Karasu entre les deux pays n’est qu’à une journée de route de l’Afghanistan. <a href="https://eurasianet.org/china-holds-anti-terror-exercises-afghanistan-tajikistan-border">Depuis 2016 au moins</a>, on observe à la frontière afghane des exercices conjoints entre les armées tadjikistanaise et chinoise, et la construction d’une base militaire par la Chine sur le territoire tadjikistanais a été <a href="https://www.rferl.org/a/tajikistan-approves-chinese-base/31532078.html">annoncée</a> en octobre 2021.</p>
<p>Si le Tadjikistan bénéficie de présences effectives d’armées étrangères sur son territoire, les deux autres pays centrasiatiques frontaliers de l’Afghanistan s’y opposent et développent plutôt d’autres accords de défense.</p>
<p>Alors que le Turkménistan <a href="https://www.eurasiatimes.org/29/09/2021/le-turkmenistan-presente-les-drones-turcs-bayraktar-tb2-lors-du-defile-militaire-du-jour-de-lindependance/">affichait publiquement</a> ses drones turcs Bayraktar lors d’une parade militaire en mars 2022, l’Ouzbékistan a récemment signé avec Ankara un <a href="https://kun.uz/en/news/2022/03/30/uzbekistan-and-turkey-sign-agreement-on-military-cooperation">nouveau partenariat de défense</a>. L’Ouzbékistan et le Turkménistan, tout comme la Chine et le Kirghizstan, accueillent également volontiers les discussions avec les taliban, en particulier pour renforcer la connectivité régionale.</p>
<h2>Des frontières fermées mais connectées</h2>
<p>Les incidents et les tensions aux frontières n’empêchent pas ces dernières d’être des moteurs de la connectivité régionale.</p>
<p>La frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan est même la <a href="https://www.chathamhouse.org/2019/07/reconnecting-afghanistan">plus connectée de toutes les frontières d’Afghanistan</a>, grâce à ses ponts et marchés transfrontaliers, mais aussi aux programmes de mobilité médicale, qui permettent aux malades afghans d’être soignés par des médecins tadjikistanais, et d’exportation énergétique. Depuis le lancement de ces initiatives au début des années 2000, les communautés locales ont pu <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08865655.2021.1948898">bénéficier de retombées</a> sociales et économiques, même si la fermeture de la frontière depuis février 2020 <a href="https://www.centralasiaprogram.org/taliban-border-regime-neighboring-tajikistan">paupérise ces populations</a>. Seul le poste-frontière de Sher Khan Bandar demeure ouvert au transit de marchandises, dans un contexte <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/economic/20220622/tajikistan-afghanistan-bilateral-trade-in-january-may-this-year-values-at-about-363-million-us-dollars">d’intensification du commerce bilatéral</a>, tout comme celui de Termez, en Ouzbékistan, historiquement ville de transit vers l’Afghanistan, que les autorités ouzbékistanaises et talibanes <a href="https://asiaplustj.info/en/news/world/20220705/taliban-delegation-visits-uzbekistan-for-talks-on-trade-and-cargo-transportation">souhaitent dynamiser</a>.</p>
<p>À l’échelle régionale, les taliban cherchent à désenclaver l’Afghanistan et à l’insérer dans les grands projets de connectivité avec l’Asie centrale. Ainsi, la ligne de train reliant l’Afghanistan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et la Chine <a href="https://twitter.com/FDPM_AFG/status/1573248352703094784">a effectué son premier voyage en septembre 2022</a>. Le ministre taliban du commerce et de l’industrie déclara également <a href="https://www.ariananews.af/afghanistan-hopes-to-join-cpec/">vouloir relier l’Afghanistan au projet China Pakistan Economic Corridor</a>, un projet en <a href="https://twitter.com/hausibek/status/1392425501487210497">progression</a> mais loin d’être acté.</p>
<p>Il importe donc de nuancer l’idée de la dépendance envers la Russie des pays d’Asie centrale frontaliers de l’Afghanistan, ainsi que leur discours commun sur l’insécurité aux frontières. En cas d’attaque de groupes terroristes, la Chine, la Russie et éventuellement l’OTSC seront en mesure d’intervenir. Néanmoins, loin de l’image de la frontière dangereuse qui lui est communément associée, celle que partage l’Afghanistan avec l’Asie centrale demeure plus calme que d’autres dans la région. Ainsi, au début du mois d’octobre, un projet d’accord visant à modifier la délimitation de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan a provoqué de <a href="https://novastan.org/fr/kirghizstan/kirghizstan-le-transfert-dun-reservoir-deau-au-voisin-ouzbek-provoque-des-manifestations/">vives oppositions locales</a>, tandis que les <a href="https://theconversation.com/kirghizstan-et-tadjikistan-les-effets-funestes-de-la-militarisation-des-frontieres-191379">violences demeurent fréquentes</a> le long de la frontière kirghizstano-tadjikistanaise dont le tracé reste contesté par les deux États.</p>
<p>Il est dès lors nécessaire de considérer les dynamiques aux frontières d’Asie centrale dans toute leur complexité, en allant au-delà du seul prisme « sécuritaire » centré sur l’Afghanistan, sans pour autant minimiser les menaces à la stabilité régionale liées à ce voisinage.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélanie Sadozaï a reçu des financements de la Région Ile de France, de l'Institut de Recherche stratégique de l'Ecole militaire et de l'INALCO. </span></em></p>Le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan affirment que le voisinage du très instable Afghanistan nécessite un large soutien international. Un argument qu’il convient de décrypter.Mélanie Sadozaï, Post-doctorante, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1886242022-08-18T13:13:28Z2022-08-18T13:13:28ZUn an après la prise de pouvoir des talibans, les Afghanes refusent de garder le silence<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/479703/original/file-20220817-11729-yzmtg7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C0%2C5472%2C3620&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des femmes afghanes chantent lors d'une manifestation à Kaboul, en Afghanistan, en octobre 2021. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ahmad Halabisaz) </span></span></figcaption></figure><p>Le 15 août a marqué le premier anniversaire de la deuxième prise de pouvoir par la force des talibans en Afghanistan.</p>
<p>Au cours de cette dernière année, nous avons été témoins d’un retour rapide à un règne religieux conservateur et à la violation des droits des femmes, comme l’avait déjà vécu la population afghane entre 1996 et 2001. <a href="https://theconversation.com/taliban-has-not-changed-say-women-facing-subjugation-in-areas-of-afghanistan-under-its-extremist-rule-164760">Comme on le redoutait</a>, les talibans sont revenus sur divers acquis obtenus en matière de droits des femmes et des filles, <a href="https://www.hrw.org/news/2022/01/18/afghanistan-taliban-deprive-women-livelihoods-identity">notamment en limitant l’accès des femmes à l’emploi, à l’éducation et à la représentation politique, et même en restreignant leur liberté de mouvement</a>.</p>
<p>Les violences que subissent les femmes et les filles <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2022/07/27/afghanistan-women-taliban-rights-violence-amnesty-international/">sont également en hausse</a>, alors que les talibans ignorent toutes les normes internationales en matière de droits de la personne. Ces droits avaient été reconnus et intégrés à la législation nationale à la suite d’efforts soutenus déployés par beaucoup au cours des deux dernières décennies.</p>
<h2>Ce que les femmes réclament</h2>
<p>Cependant, les Afghanes — qu’elles se trouvent au pays ou aient été contraintes de fuir depuis août 2021 — <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20220326-open-the-schools-afghan-women-protest-against-taliban-reversal-on-education">refusent de garder le silence</a> face aux atteintes à leurs droits.</p>
<p>En tant que membres du réseau <a href="https://www.wluml.org/">Femmes sous lois musulmanes</a>, nous avons parlé à des militantes, des leaders et d’anciennes figures politiques féminines, maintenant exilées dans des pays comme le Canada, l’Allemagne ou encore la Grèce. Nous en avons appris davantage sur leur combat sans relâche pour les droits des femmes en Afghanistan et leurs diverses stratégies de résistance.</p>
<p>Malgré leurs divergences politiques, beaucoup sont déterminées à s’unir pour faire front commun dans la lutte contre les talibans et leur position conservatrice sur les droits des femmes, la démocratie et les droits de la personne.</p>
<p>Une militante et ancienne femme politique afghane nous a confié :</p>
<blockquote>
<p>En cette période sombre de notre histoire, nous avons deux objectifs principaux : soutenir l’opposition des femmes au sein du pays et élaborer un message unifié pour que la communauté internationale ne manifeste aucun soutien envers les talibans.</p>
</blockquote>
<p>Alors qu’elles doivent faire face au traumatisme du retour des talibans au pouvoir et à leur propre déplacement soudain, beaucoup de ces femmes continuent de se considérer comme des représentantes des Afghanes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des femmes en burqa passent devant un homme armé" src="https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5499%2C3647&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478281/original/file-20220809-13115-ffr1dv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des Afghanes circulent dans un marché gardé par un combattant taliban dans le centre-ville de Kaboul, en Afghanistan, en mai 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ebrahim Noroozi)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elles travaillent en réseau avec d’autres femmes et d’autres groupes de femmes pour exhorter collectivement la communauté internationale à prendre des mesures en faveur des droits des Afghanes.</p>
<p>Ces efforts s’inscrivent dans la lignée du travail accompli par les femmes en Afghanistan, où, grâce au quota de femmes adopté en 2004 en vertu de la constitution, au moins 27 % des sièges parlementaires sont réservés aux femmes. Cela a permis qu’un nombre déterminant de femmes occupent des fonctions politiques de haut niveau.</p>
<p>Une autre militante nous a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>Les quotas parlementaires nous ont ouvert les portes de la politique et nous ont donné la confiance nécessaire pour nous considérer comme des citoyennes à part entière ayant les mêmes droits que les hommes, du moins légalement. Cela a marqué un virage important par rapport à l’ère des talibans, qui voyaient davantage les femmes comme une menace que comme des personnes. »</p>
</blockquote>
<p>L’ouverture de la vie publique aux femmes en tant que membres de la société civile, du gouvernement et du parlement a changé l’Afghanistan, et les femmes sont déterminées à ne pas laisser ces acquis disparaître.</p>
<h2>Trois priorités</h2>
<p>Le militantisme des femmes exilées comporte trois axes majeurs :</p>
<ol>
<li><p>Soutenir les femmes et les forces favorables à la démocratie au sein du pays.</p></li>
<li><p>Veiller à ce que la communauté internationale et les grandes puissances occidentales ne considèrent pas le régime antidémocratique et extrémiste des talibans comme un gouvernement légitime et ignorent les atrocités perpétrées à l’encontre des femmes, des minorités et des organisateurs de la société civile.</p></li>
<li><p>Continuer à responsabiliser la communauté internationale face à ses promesses en matière de droits de la personne, de paix et de sécurité, surtout au moment où le monde accorde moins d’attention aux talibans en Afghanistan et à leurs violations des droits de la personne.</p></li>
</ol>
<p>Les femmes exilées se rassemblent, forment des groupes et créent des plates-formes politiques, et elles travaillent sans relâche pour susciter une prise de conscience internationale à l’égard du règne des talibans.</p>
<p>Dans le cadre de leurs efforts, elles font des déclarations publiques, participent à des entrevues dans les médias, rédigent des articles et organisent des séminaires et des webinaires afin d’exprimer leurs revendications et de discuter des développements politiques pertinents en Afghanistan.</p>
<p>Elles exercent des pressions sans relâche sur la communauté internationale et les puissances occidentales, les exhortant à ne pas ignorer les atteintes aux droits des femmes en Afghanistan par opportunisme politique. Elles ont également formé des alliances avec des militantes pour la paix et les droits de la personne dans les différents pays dans lesquels elles résident.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Plusieurs femmes portant le foulard tiennent des pancartes lors d’une manifestation intérieure" src="https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478290/original/file-20220809-18-bhx5gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des Afghanes scandent des slogans lors d’une manifestation à Kaboul, en Afghanistan, en décembre 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mohammed Shoaib Amin)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Utiliser l’islam comme une arme</h2>
<p>L’une des principales préoccupations dont les femmes nous ont fait part est la possibilité que les gouvernements occidentaux jugent utile de faire abstraction du règne cruel des talibans et leur accordent une légitimité.</p>
<p>Les femmes soulignent le fait que toute preuve de tolérance à l’égard du prétendu règne islamique des talibans aura des répercussions négatives sur les autres groupes fondamentalistes religieux dans la région et ailleurs.</p>
<p>Pour démontrer comment les talibans utilisent l’islam comme une arme dans leur propre intérêt, de nombreuses leaders afghanes tiennent à rappeler à la communauté internationale que peu de pays à majorité musulmane, notamment la très conservatrice Arabie saoudite, disposent de politiques aussi draconiennes à l’encontre des femmes.</p>
<p>Mettre en évidence la nature non islamique du règne des talibans est une tactique clé du militantisme des femmes exilées, souvent en collaboration avec d’autres groupes et mouvements de défense des droits des femmes qui alertent l’opinion publique des dangers d’un règne religieux fondamentaliste sur les droits des femmes. Cela comprend notre réseau Femmes sous lois musulmanes.</p>
<p>Ces militantes afghanes connaissent les retombées considérables que les Nations unies, l’Union européenne et d’autres organisations internationales pourraient avoir sur la crise politique actuelle en Afghanistan. Par conséquent, elles tentent de faire pression sur ces organisations, les invitant à respecter leurs propres normes en matière de droits de la personne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Par-dessus l’épaule d’une femme rousse, nous voyons un homme s’exprimer lors d’une conférence" src="https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/478284/original/file-20220809-19-57jvec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’exprime lors du lancement du mécanisme de consultation américano-afghan en compagnie de Rina Amiri, l’envoyée spéciale des États-Unis pour les droits des femmes et des filles afghanes et les droits de la personne, en juillet 2022, à Washington, D.C.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andrew Harnik)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Dénoncer les injustices</h2>
<p>Les femmes appellent <a href="https://atalayar.com/en/content/groups-stand-afghan-women-and-urge-un-ban-travel-taliban-leaders">actuellement les Nations unies à ne pas renouveler une dérogation à l’interdiction de voyager pour les membres des talibans</a>. Cette dérogation avait initialement été accordée aux hauts responsables du groupe pour permettre la tenue de discussions internationales en faveur de la réconciliation et de la paix en Afghanistan.</p>
<p>Les femmes dénoncent les graves injustices qui permettent aux talibans de voyager à l’étranger dans la poursuite de leurs objectifs politiques, tandis que les femmes en Afghanistan ont été privées de leur droit d’aller à l’école, de se rendre dans des établissements de santé ou tout simplement de quitter leur domicile.</p>
<p>Avec la guerre en Ukraine et le fait que le grand public s’intéresse moins à l’Afghanistan, les gouvernements reviennent sur leurs promesses faites au peuple afghan vivant sous le règne des talibans.</p>
<p>Le gouvernement canadien, malgré son engagement ferme envers les droits de la personne et les politiques féministes ainsi que sa <a href="https://www.canada.ca/en/immigration-refugees-citizenship/news/2021/07/government-of-canada-offers-refuge-to-afghans-who-assisted-canada.html">promesse publique d’aider le peuple afghan ayant collaboré avec le gouvernement</a>, met fin à son <a href="https://you.leadnow.ca/petitions/help-save-the-lives-of-afghans-who-worked-for-canada">programme spécial pour l’Afghanistan</a>.</p>
<p>Beaucoup d’Afghans et d’Afghanes considèrent cela comme une trahison <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/conservatives-advocates-want-extension-special-immigration-afghan-program-1.6527482">tandis qu’un grand nombre de Canadiens et Canadiennes trouvent que cela va à l’encontre</a> des valeurs humanitaires du Canada.</p>
<p>Un an après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, il est temps de rediriger notre attention vers ce pays et d’écouter celles qui sont bien placées pour nous conseiller sur les stratégies visant à amener la paix, la sécurité, l’égalité des genres, les droits de la personne et la démocratie en Afghanistan : ses militantes et leaders féminines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188624/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Homa Hoodfar fait partie du conseil d'administration du réseau "Femmes sous lois musulmanes".</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mona Tajali est affiliée au réseau de recherche transnational "Femmes sous lois musulmanes".</span></em></p>Des militantes, des dirigeantes et d’anciennes politiciennes afghanes, aujourd’hui en exil, racontent la lutte pour les droits des femmes en Afghanistan et les diverses stratégies de résistance.Homa Hoodfar, Professor of Anthropology, Emerita, Concordia UniversityMona Tajali, Associate Professor of International Relations and Women's, Gender, and Sexuality Studies, Agnes Scott CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1881002022-08-02T20:17:12Z2022-08-02T20:17:12ZAprès l’élimination d’Ayman al-Zawahiri, Al-Qaïda représente-t-elle toujours une menace ?<p>Le gouvernement américain vient d’annoncer qu’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda et cerveau des attentats du 11 septembre 2001, a été <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">tué par un drone</a> à Kaboul, capitale de l’Afghanistan.</p>
<p>Al-Zawahiri était le successeur d’Oussama ben Laden. Sa mort permet aux familles de ceux qui ont été tués dans les attaques de 2001 de « tourner la page », a déclaré le président des États-Unis, Joe Biden, lors d’une <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/08/01/remarks-by-president-biden-on-a-successful-counterterrorism-operation-in-afghanistan/">allocution télévisée</a> le 1<sup>er</sup> août 2022.</p>
<p>Cet assassinat ciblé a eu lieu près d’un an après que les troupes américaines <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210830-les-derni%C3%A8res-troupes-am%C3%A9ricaines-ont-quitt%C3%A9-l-afghanistan-pentagone">ont quitté l’Afghanistan</a> après des décennies de combats dans ce pays. Quel sera l’impact de l’élimination du chef d’Al-Qaïda, et que dit cette opération de la lutte antiterroriste conduite par les États-Unis en Afghanistan sous le régime des talibans ? The Conversation a demandé à <a href="https://ctc.usma.edu/team/dr-daniel-milton/">Daniel Milton</a>, expert en terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point, et à <a href="https://extremism.gwu.edu/dr-haroro-ingram">Haroro J. Ingram</a> et <a href="https://extremism.gwu.edu/andrew-mines">Andrew Mines</a>, chargés de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington, d’apporter de premiers éléments de réponse à ces questions.</p>
<h2>Qui était Ayman al-Zawahiri ?</h2>
<p>Ayman al-Zawahiri, né en 1951 en Égypte, était devenu le principal dirigeant d’Al-Qaïda en 2011 après que l’élimination de son prédécesseur, Oussama ben Laden, dans été une <a href="https://www.lemonde.fr/mort-de-ben-laden/">opération américaine</a>.</p>
<p>Au cours des dernières années précédant la mort de Ben Laden, de nombreux responsables d’Al-Qaïda avaient été tués par des <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2019-2-page-63.htm">frappes de drones américains au Pakistan</a>, et Ben Laden avait <a href="https://www.ctc.usma.edu/letters-from-abbottabad-bin-ladin-sidelined/">rencontré de plus en plus de difficultés</a> à exercer un contrôle réel sur le réseau mondial qu’était devenue son organisation.</p>
<p>En 2011, Al-Zawahiri a succédé à Ben Laden malgré une réputation mitigée. Bien qu’il ait été impliqué de longue date dans la lutte djihadiste, il était considéré par de nombreux observateurs et, aussi, par certains djihadistes comme un orateur soporifique sans qualifications religieuses officielles ni expérience sur le champ de bataille.</p>
<p>Nettement moins charismatique que son prédécesseur, Al-Zawahiri était connu pour sa tendance à <a href="https://www.universiteitleiden.nl/binaries/content/assets/customsites/perspectives-on-terrorism/2017/issue-1/0620171-deciphering-ayman-al-zawahiri-and-al-qaeda%E2%80%99s-strategic-and-ideological-imperatives-by-sajjan-m.-gohel.pdf">se lancer dans de longs discours sinueux</a> et souvent archaïques. Il a également eu du mal à se défaire des rumeurs selon lesquelles il aurait été un <a href="https://www.pulitzer.org/winners/lawrence-wright">informateur</a> des autorités égyptiennes lors de son séjour en prison dans son pays d’origine (1981-1984) et, <a href="https://www.pulitzer.org/winners/lawrence-wright">comme l’a expliqué le journaliste Lawrence Wright</a>, il a rendu compliquées les relations entre le jeune Ben Laden et le mentor de celui-ci, Abdullah Azzam.</p>
<p>L’influence d’Al-Zawahiri s’est encore affaiblie du fait du <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20210205-2011-une-histoire-de-printemps-les-r%C3%A9volutions-arabes-vues-par-france-24">Printemps arabe qui a balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient</a> : Al-Qaïda est alors apparue déconnectée des événements et incapable d’exploiter efficacement le déclenchement de la guerre en Syrie et en Irak. Pour les analystes comme pour ses djihadistes, Al-Zawahiri est apparu comme le symbole d’une Al-Qaïda dépassée et rapidement éclipsée par d’autres groupes qu’elle avait <a href="https://www.cairn.info/le-terrorisme--9782738129543-page-251.htm">autrefois aidé à s’imposer sur la scène mondiale</a>, notamment l’État islamique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui était Ayman Al-Zawahiri, chef d’Al-Qaïda ? • France 24, 2 août 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais avec <a href="https://www.cnews.fr/monde/2016-05-17/Daech-sur-le-declin-729701">l’effondrement du califat du groupe État islamique</a> en 2019, le retour au pouvoir en Afghanistan des talibans, alliés d’Al-Qaïda, et la persistance des filiales d’Al-Qaïda <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">notamment en Afrique</a>, certains experts <a href="https://warontherocks.com/2022/05/how-strong-is-al-qaeda-a-debate/">affirment</a> qu’Al-Zawahiri a guidé Al-Qaïda pendant sa période la plus difficile et que le groupe reste une menace puissante. Un haut responsable de l’administration Biden <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahiri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">a déclaré à l’Associated Press</a> qu’au moment de sa mort, Al-Zawahiri continuait à exercer une « direction stratégique » et était considéré comme un personnage dangereux.</p>
<h2>Où sa mort laisse-t-elle Al-Qaïda ?</h2>
<p>L’assassinat ou la capture des principaux chefs terroristes est un outil clé de la lutte contre le terrorisme depuis des décennies. Ces opérations permettent de retirer les chefs terroristes du champ de bataille et de provoquer les <a href="https://cup.columbia.edu/book/terror-in-transition/9780231192255">luttes de succession</a> qui perturbent la cohésion du groupe et peuvent exposer ses vulnérabilités en matière de sécurité. Contrairement à l’État islamique, dont les <a href="https://theconversation.com/islamic-state-leader-killed-in-us-raid-where-does-this-leave-the-terrorist-group-176410">pratiques de succession des dirigeants</a> sont claires et ont été mises en œuvre à quatre reprises depuis la mort de son fondateur Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006, celles d’Al-Qaïda sont plutôt opaques. Le successeur d’Al-Zawahiri ne sera que le troisième dirigeant du mouvement <a href="https://archives.fbi.gov/archives/news/testimony/al-qaeda-international">depuis sa création</a> en 1988.</p>
<p>Le <a href="https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/S%202022%20547.pdf">principal prétendant</a> est un autre Égyptien. Ancien colonel de l’armée égyptienne et, comme Al-Zawahiri, membre du Djihad islamique égyptien, affilié à Al-Qaïda, <a href="https://www.fbi.gov/wanted/wanted_terrorists/saif-al-adel">Saif al-Adel</a> est lié aux attentats à la bombe de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, qui ont fait d’Al-Qaïda une menace djihadiste mondiale. Sa réputation d’expert en explosifs et de stratège militaire lui vaut une vraie popularité au sein du mouvement Al-Qaïda. Toutefois, un certain nombre d’autres possibilités se cachent derrière Al-Adel : un récent <a href="https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/S%202022%20547.pdf">rapport du Conseil de sécurité des Nations unies</a> identifie plusieurs successeurs possibles.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, Al-Qaïda se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Si le successeur d’Al-Zawahiri est largement reconnu comme légitime à la fois par le noyau dur d’Al-Qaïda et par ses affiliés, il pourrait contribuer à stabiliser le mouvement. Mais toute ambiguïté concernant le plan de succession d’Al-Qaïda pourrait entraîner une remise en question de l’autorité du nouveau chef, ce qui pourrait fracturer davantage le mouvement.</p>
<p>Tout porte à croire qu’Al-Qaïda en tant que mouvement mondial survivra à la mort d’Al-Zawahiri, tout comme elle a survécu à celle de Ben Laden. Le réseau a connu un certain nombre de succès récents. Les talibans, ses alliés de longue date, ont réussi à prendre le contrôle de l’Afghanistan avec l’aide d’<a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/al-qaeda-indian-subcontinent-aqis">Al-Qaïda dans le sous-continent indien</a> – une filiale qui étend actuellement ses opérations au Pakistan et en Inde. Pendant ce temps, les groupes affiliés sur le continent africain – du Mali et de la région du lac Tchad à la Somalie – demeurent une menace, certains s’étendant au-delà de leurs zones d’opérations traditionnelles.</p>
<p>D’autres groupes affiliés, comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique, basée au Yémen, restent fidèles au noyau dur et, selon l’équipe de surveillance des Nations unies, sont désireux de relancer des attaques à l’étranger contre les États-Unis et leurs alliés.</p>
<p>Le successeur d’Al-Zawahiri cherchera à conserver l’allégeance des affiliés d’Al-Qaïda afin que celle-ci continue de représenter une menace réelle.</p>
<h2>Qu’est-ce que cette élimination nous apprend sur les opérations américaines en Afghanistan sous les talibans ?</h2>
<p>Le retrait américain d’Afghanistan en août 2021 a suscité des interrogations quant à la capacité des États-Unis à maintenir la pression sur Al-Qaïda, <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">l’État islamique au Khorassan</a> et les autres djihadistes présents dans le pays.</p>
<p>Les responsables américains ont <a href="https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2021/11/20/sof-leader-calls-over-the-horizon-ops-in-afghanistan-hard-but-doable">expliqué</a> qu’une stratégie de surveillance de loin (« over-the-horizon ») – consistant à lancer des frappes chirurgicales et des raids d’opérations spéciales depuis l’extérieur d’un État donné – permettrait aux États-Unis de répondre à des défis tels que les préparatifs d’attaques terroristes et la résurgence de groupes armés.</p>
<p>Mais de nombreux experts <a href="https://foreignpolicy.com/2022/01/05/over-the-horizon-biden-afghanistan-counter-terrorism/">ne sont pas de ce cet avis</a>. Et lorsqu’une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/13/les-militaires-americains-responsables-de-la-frappe-de-drone-a-kaboul-ne-seront-pas-poursuivis_6105923_3210.html">erreur de frappe d’un drone américain</a> a tué sept enfants, un travailleur humanitaire employé par les États-Unis et d’autres civils l’automne dernier, cette stratégie a fait l’objet d’un examen approfondi.</p>
<p>Mais à ceux qui doutaient que les États-Unis aient encore la volonté de s’attaquer aux principaux terroristes en Afghanistan, l’assassinat d’Al-Zawahiri apporte une réponse claire. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220802-u">Cette frappe</a> aurait impliqué une surveillance à long terme du leader d’Al-Qaïda et de sa famille, et des discussions approfondies au sein du gouvernement américain avant de recevoir l’approbation présidentielle. Joe Biden affirme que l’élimination d’Al-Zawahiri n’a pas fait d’autres victimes.</p>
<p>Il convient cependant de remarquer qu’il a fallu onze mois aux États-Unis pour frapper leur première cible de grande valeur en Afghanistan sous le régime des talibans. Cela contraste avec les <a href="https://www.voanews.com/a/us-military-significantly-reduced-global-airstrikes-in-2021-/6392771.html">centaines de frappes aériennes</a> effectuées dans les années qui ont précédé le retrait américain d’août 2021.</p>
<p>La frappe a eu lieu dans un quartier de Kaboul où résident de nombreux hauts responsables talibans. <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahiri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">La planque elle-même appartenait</a> à un collaborateur de haut rang de Sirajuddin Haqqani, un terroriste <a href="https://www.fbi.gov/wanted/terrorinfo/sirajuddin-haqqani">recherché par les États-Unis</a> et un haut dirigeant taliban.</p>
<p>Apporter de l’aide à Al-Zawahiri constituait une violation de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a> de 2020, en vertu duquel les talibans avaient accepté de « ne pas coopérer avec des groupes ou des individus menaçant la sécurité des États-Unis et de leurs alliés ». Les circonstances de l’attaque suggèrent que si les États-Unis veulent mener des opérations efficaces « au-delà de l’horizon » en Afghanistan, ils <a href="https://foreignpolicy.com/2019/08/26/how-to-partner-with-the-taliban/">ne peuvent pas compter sur</a> le soutien des talibans.</p>
<p>L’élimination d’Al-Zawahiri ne nous dit pas non plus si la stratégie américaine après le retrait peut contenir d’autres groupes djihadistes dans la région, comme l’État islamique au Khorassan, qui est farouchement opposé aux talibans et <a href="https://ctc.usma.edu/the-islamic-state-threat-in-taliban-afghanistan-tracing-the-resurgence-of-islamic-state-khorasan/">à leur expansion en Afghanistan</a>.</p>
<p>En effet, si un plus grand nombre de djihadistes perçoivent les talibans comme étant trop faibles pour protéger les principaux dirigeants d’Al-Qaïda et de ses affiliés, tout en étant incapables de gouverner l’Afghanistan sans l’aide des États-Unis, beaucoup d’entre eux pourraient considérer l’État islamique au Khorassan comme le meilleur choix.</p>
<p>Ces dynamiques, ainsi que d’autres, illustrent les nombreux défis que pose la poursuite du contre-terrorisme en Afghanistan aujourd’hui – défis qui ne seront probablement pas résolus par des frappes de drones et des assassinats occasionnels très médiatisés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The views expressed by Dr. Milton are his own and not of the U.S. Military Academy, the Department of the Army, or any other agency of the U.S. Government</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrew Mines et Haroro J. Ingram ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’élimination de celui qui en était le chef depuis onze ans porte sans doute un rude coup à Al-Qaïda, mais d’autres groupes djihadistes pourraient profiter de la nouvelle donne.Haroro J. Ingram, Senior Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityAndrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityDaniel Milton, Director of Research, United States Military Academy West PointLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863212022-07-04T18:43:23Z2022-07-04T18:43:23ZCe que le séisme en Afghanistan nous apprend de la tectonique des plaques dans la région<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472302/original/file-20220704-26-76w6bw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1200%2C795&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un homme prie devant les décombres du séisme de Khost.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://u.afp.com/wzHA">Ahmad Sahel Arman / AFP </a></span></figcaption></figure><p>Dans la nuit du 22 juin dernier, un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/22/afghanistan-au-moins-255-morts-dans-un-seisme-dans-le-sud-est-du-pays_6131495_3210.html">séisme a violemment secoué</a> les villes et villages des montagnes reculées du Sulaiman, à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. L’effondrement de nombreuses habitations y a fait <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/06/1122272">plus d’un millier de victimes</a>. On l’appelle « séisme de Khost », du nom de la ville voisine d’environ 150 000 habitants.</p>
<p>Dans une région située à l’interface entre les plaques tectoniques indienne et eurasienne – qui, par leur collision, forment aussi la plus haute chaîne de montagnes de notre planète, l’Himalaya – cet évènement rare rappelle douloureusement les enjeux majeurs associés à une meilleure compréhension des failles et forces tectoniques à l’œuvre.</p>
<p>Les premières observations scientifiques du séisme de Khost remettent en question ce que l’on sait (ou croit comprendre) des failles voisines.</p>
<h2>Une frontière de plaque décrochante presque banale</h2>
<p>La plaque indienne se déplace vers le nord, à une vitesse d’environ 3 centimètres par an, de l’ordre de la vitesse de croissance de nos ongles. À sa limite avec l’Eurasie en Afghanistan et au Pakistan, elle coulisse le long de failles décrochantes ; c’est-à-dire que les plaques, comme des trains qui se croisent, se déplacent dans des sens opposés de part d’autre de failles, sans se cogner.</p>
<p>Si les failles étaient droites, lisses et verticales, tout se passerait comme sur des rails, mais le fait est que cette frontière de plaque est tordue et épaissie par les millions d’années d’histoire tectonique et le mouvement plus compliqué que prévu.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Géographie et failles tectoniques autour de Khost" src="https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472283/original/file-20220704-16-xny6ut.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Contexte tectonique et géographie du séisme de Khost du 22 juin 2022. Les failles sont en rouge et les frontières nationales en pointillé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Manon Dalaison</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des dégâts considérables au regard de la magnitude</h2>
<p>Le séisme du 22 juin a une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Magnitude_de_moment">« magnitude de moment »</a> <a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us7000hj3u/moment-tensor">estimée à 6,0</a>. Ce chiffre indique une libération d’énergie modérée, plus de mille fois inférieure à celle du séisme japonais de 2011 associé à la catastrophe de Fukushima, de magnitude de moment 9,1 (on dit que l’échelle de magnitude de moment est « logarithmique »). En moyenne, on dénombre une centaine de séismes de taille similaire dans le monde chaque année, mais rares sont ceux qui se révèlent aussi dévastateurs.</p>
<p>Deux séismes plus petits (magnitudes de 4,5 et 4,3) à proximité immédiate <a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/map/?currentFeatureId=us7000hj3u&extent=32.05697,67.32422&extent=34.16636,71.71875&range=search&baseLayer=terrain&timeZone=utc&search=%7B%22name%22:%22Search%20Results%22,%22params%22:%7B%22endtime%22:%222022-07-12T20:54:36.148Z%22,%22latitude%22:33.0924,%22longitude%22:69.5135,%22maxradiuskm%22:250,%22minmagnitude%22:2,%22starttime%22:%222022-05-31T20:54:36.148Z%22%7D%7D">ont pu être détectés</a> une heure et trois jours après. Ce sont les plus grosses « répliques » de ce séisme qui en a probablement des dizaines d’autres, plus petites et indétectables à cause du manque de capteurs dans cette région.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<p>En effet, le risque ne peut être apprécié qu’en croisant les caractéristiques physiques d’un séisme avec les facteurs de vulnérabilité d’une région, dont la proximité des populations, la résistance des structures. Ainsi, dans le cas du séisme de Khost, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/22/afghanistan-au-moins-255-morts-dans-un-seisme-dans-le-sud-est-du-pays_6131495_3210.html">il a été souligné</a> que l’ampleur exceptionnelle des dégâts pour un tel séisme était largement liée à la vulnérabilité des bâtiments non renforcés. D’autres facteurs explicatifs peuvent néanmoins être avancés, comme la faible profondeur du séisme (il s’est amorcé à <a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us7000hj3u/executive">10 kilomètres</a>) d’une part, et des effets locaux d’amplification des ondes sismiques liés à la nature du sous-sol d’autre part.</p>
<h2>Pourquoi est-il difficile d’estimer le risque sismique dans la région ?</h2>
<p>En général, c’est l’analyse des séismes contemporains et historiques d’une région qui constitue la première source d’information pour essayer d’anticiper l’emplacement et l’ampleur des prochains séismes.</p>
<p>Or <a href="https://pubs.usgs.gov/of/2006/1185/">très peu de séismes ont été documentés dans cette région</a>, en comparaison avec d’autres frontières de plaques, comme celle en Californie par exemple, la plus étudiée au monde. Le dernier tremblement de terre de taille importante enregistré à proximité de Khost remonte à 1956, avec une magnitude <em>estimée</em> de 6,7.</p>
<p>On sait également que Kaboul, la capitale afghane, a été <a href="https://pubs.usgs.gov/of/2006/1185/">détruite par un séisme en 1505</a>, et des <a href="https://www.seismosoc.org/Publications/SRL/SRL_74/srl_74-2_ambraseys-esupp2.html">récits rapportent</a> que « le sol s’est élevé aussi haut qu’un éléphant à certains endroits et s’est effondré d’autant ailleurs ». D’autres récits, combinés aux informations géographiques ont permis d’estimer qu’il s’agissait d’un séisme de magnitude 7,3 – 90 fois plus puissant que celui de 2022.</p>
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<img alt="Carte d’intensité des trois séismes historiques afghans connus" src="https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=496&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472286/original/file-20220704-25-htajp8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=623&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Intensité sismique pour trois séismes afghans : celui du 22 juin 2022 et ceux de 1505 et 1956. Alors que les cartes pour les séismes contemporains sont produites en temps quasi réel à partir de stations sismiques connectées et de témoignages, la reconstitution de l’intensité des séismes historiques est un tout autre travail d’enquête. Représentation basée sur l’« échelle de Mercalli modifiée ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us7000hj3u/map">Manon Dalaison à partir de données USGS</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mises bout à bout, ces observations ne sont pas suffisantes pour avoir une vision précise des failles sismiques actives le long de cette frontière de plaques large de plus de 100 kilomètres. Ainsi, la connaissance scientifique actuelle des failles de cette région s’appuie largement sur les traces laissées par les mouvements tectoniques dans le paysage et la géologie.</p>
<p>Étant donné le contexte géopolitique de la région, cela fait plusieurs décennies que les sismologues travaillent essentiellement à partir d’images satellites, c’est-à-dire par « télédetection ». La végétation clairsemée, liée au climat aride, est propice à l’observation du sol et de ses mouvements tectoniques. Pour autant, vues du ciel, les failles actives de nos jours et celles fossilisées héritées de l’histoire géologique ne sont pas faciles à distinguer.</p>
<p>Ainsi, on sait que le séisme du 22 juin 2022 est survenu à proximité immédiate de nombreuses et courtes failles connues, dans une zone où la topographie montre des bourrelets caractéristiques d’une zone en compression (les blocs de part et d’autre des failles se cognent et se montent les uns sur les autres), mais l’activité sismique de ces failles est indéterminée. Peuvent-elles accueillir du glissement ? En quelle quantité et dans quelle direction ?</p>
<h2>Un premier aperçu du mouvement sismique qui donne à réfléchir</h2>
<p>Une partie de la réponse nous est fournie par le « mécanisme au foyer » de ce séisme obtenu dans les heures qui ont suivi l’évènement à partir des signaux enregistrés sur le réseau mondial de stations sismiques.</p>
<p>Les sismologues ont pour habitude de représenter le glissement tridimensionnel du séisme sur un « ballon de plage » vu du ciel. Le ballon à quatre quartiers rouges et blancs est précisément orienté tel que le mouvement soit du blanc vers le rouge. Les plans entre les quartiers définissent deux failles probables et d’autres données, comme des <a href="https://twitter.com/timwright_leeds/status/1542582339653570560">images satellites</a>, sont requises pour savoir laquelle représente effectivement la faille qui a joué. Dans notre cas, les plans sont proches de la verticale et le mouvement est « décrochant », c’est-à-dire que les deux côtés de la faille coulissent sans contraction ou extension nettes associées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le séisme de Khost est orienté de façon surprenante par rapport aux failles de la région" src="https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472288/original/file-20220704-21-72m5s3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Localisation du séisme de Khost dont le mouvement est représenté par le mécanisme au foyer rouge et blanc. Le tracé des failles connues est en rouge. Les séismes passés de magnitude 6 ou plus sont localisés et l’année où ils ont eu lieu est indiquée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Manon Dalaison</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette observation contraste avec notre vision des failles construite sur la géologie et les images satellites qui nous indique que le mouvement décrochant entre l’Inde et l’Eurasie est décomposé en deux parties à l’échelle locale. Les grandes structures décrochantes que sont les zones de failles de Chaman et de Gardez et qui auraient pu accommoder un tel séisme se trouvent plus à l’est, alors que la région dans laquelle a eu lieu le séisme de Khost est associée à des structures identifiées comme « compressives ».</p>
<p>Par conséquent, ce séisme a surpris la communauté scientifique par les dégâts considérables qu’il a engendrés, mais aussi par la direction du mouvement décrochant, dans une zone pensée comme en compression tectonique. C’est un nouvel élément (parmi d’autres) qui aide à préciser la géométrie actuelle de la frontière de plaque et les modèles de son évolution passée et future.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186321/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon Dalaison a reçu des financements de l'ERC (European Research Council). </span></em></p>Dans cette région difficile d’accès, les premières observations du séisme contrastent avec notre compréhension des failles tectoniques.Manon Dalaison, Post-doctorante en géophysique, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1784512022-03-03T19:58:35Z2022-03-03T19:58:35ZL’aide internationale, indispensable sur la durée en Ukraine… et ailleurs<p>Alors que le sort de l’Ukraine est toujours incertain et que sa population subit la violence d’un conflit qu’elle n’a pas souhaité, s’exprime de toutes parts en Europe une large solidarité. </p>
<p>On ne peut que s’en réjouir. Mais aussitôt émergent les symptômes d’une compassion à géométrie variable.</p>
<h2>Les « bons » réfugiés, et les « mauvais »</h2>
<p><a href="https://www.rtbf.be/article/accusations-de-racisme-envers-des-africains-et-des-indiens-qui-tentent-de-quitter-lukraine-que-sait-on-10945008">Les étrangers non européens</a> présents en Ukraine ne se sont pas vu octroyer les mêmes facilités de prise en charge pour pouvoir quitter le pays en guerre. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/01/guerre-en-ukraine-le-difficile-exode-des-etudiants-africains_6115635_3212.html">Des étudiants</a> et travailleurs originaires d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-Orient sont <a href="https://www.politis.fr/articles/2022/02/ukraine-le-tri-racial-des-refugies-44139/">sommés d’attendre</a>, sur place, des jours meilleurs. La levée de boucliers induite dans les opinions publiques par cette attitude de certaines autorités ukrainiennes comme européennes des pays limitrophes semble avoir mis un terme à la discrimination initiale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YsJE8WStrGI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Guerre en Ukraine : des réfugiés discriminés en raison de leur couleur de peau, Courrier International, 28 février 2022.</span></figcaption>
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<p>En France, quelques éditorialistes et responsables politiques se laissent aller à des commentaires choquants. Citons, par exemple, le député centriste Jean Louis Bourlanges, <a href="https://www.europe1.fr/politique/guerre-en-ukraine-on-aura-une-immigration-de-grande-qualite-dont-on-pourra-tirer-profit-4095961">invité au micro d’une grande radio</a> :</p>
<blockquote>
<p>« (Du fait de la situation en Ukraine) « on aura une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit. »</p>
</blockquote>
<p>Ou bien un journaliste sur une <a href="https://mobile.twitter.com/Portia15963173/status/1496932116759785487">chaîne d’informations en continu</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On ne parle pas ici de réfugiés syriens qui fuient les bombardements du régime syrien ; on parle d’Européens qui partent dans des voitures qui ressemblent à nos voitures et qui essaient juste de sauver leur vie. »</p>
</blockquote>
<p>Parce que les Syriens, non ?</p>
<p>De tels propos – inacceptables – illustrent une forme de « double standard » décomplexé entre les « bons » déplacés forcés et ceux qui seraient « négligeables ». </p>
<p>Ils traduisent, dans la bouche de leurs auteurs, la réaffirmation d’un occidentalo-centrisme dans la lecture des affaires internationales auquel les organisations humanitaires doivent elles-mêmes <a href="https://msf-crash.org/fr/publications/guerre-et-humanitaire/y-t-il-une-hierarchie-dans-la-souffrance">être très vigilantes</a>.</p>
<h2>L’impact de la mobilisation pour l’Ukraine sur les autres crises humanitaires</h2>
<p>Outre les questions éthiques soulevées par ces postures, un autre danger se profile : on pourrait assister à un <a href="https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2022/03/02/how-russias-invasion-will-worsen-global-hunger">brusque coup de frein</a> sur les financements des <a href="https://executiveboard.wfp.org/document_download/WFP-0000129031">crises majeures et prolongées</a> (Syrie, RDC, RCA, Yémen, Bangladesh, Soudan du Sud…) pour réorienter les dons des principaux pays contributeurs vers la crise ukrainienne.</p>
<p>Si tel devait être le cas, les conséquences seraient très graves pour le sort des populations alors délaissées. D’autant plus que le conflit en Europe aura de lourdes conséquences sur les <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/ukraine-les-cours-du-ble-senvolent-1429718">prix et sur les possibilités de transport du blé</a>, l’Ukraine constituant le premier fournisseur du Programme alimentaire Mondial (420 000 tonnes de produits alimentaires en 2020).</p>
<p>En toile de fond se trouve ainsi à nouveau posée la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/10/aide-internationale-le-modele-financier-pour-repondre-aux-besoins-des-populations-en-danger-sur-les-terrains-de-crise-est-obsolete_6072541_3232.html">question du mode de financement</a>) de l’aide humanitaire internationale. Ce modèle repose pour les trois quarts de l’enveloppe annuelle (de 40 milliards de dollars) sur les contributions volontaires d’une vingtaine de pays membres de l’OCDE – essentiellement occidentaux – et pour un quart sur la générosité de donateurs individuels issus des mêmes pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-necessaire-transformation-de-laide-humanitaire-internationale-145671">La nécessaire transformation de l’aide humanitaire internationale</a>
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<p>La crise ukrainienne, par son ampleur, va encore accroître le différentiel annuel qui prévaut au niveau mondial entre les besoins estimés nécessaires par le <a href="https://www.un.org/sg/fr/global-leadership/office-for-the-coordination-of-humanitarian-affairs/all">Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations unies (OCHA)</a> et les recettes obtenues. Il est <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/lonu-alerte-contre-un-%C3%A9puisement-des-fonds-et-le-risque-de-linterruption-des-activit%C3%A9s-humanitaires-au-y%C3%A9men/2399081">déjà chroniquement déficitaire</a> : 40 % des sommes appelées ne sont pas obtenues.</p>
<p>Le système humanitaire international ne peut plus fonctionner efficacement avec une telle équation économique. Elle est soumise à la fois à une subjectivité compassionnelle que l’on sait éphémère, et aux logiques d’une générosité aléatoire. La mobilisation est intimement liée aux proximités culturelles, géographiques, économiques ou politiques des individus et des États donateurs avec les populations confrontées à des crises.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/emmP4XLOMcM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les images choc du petit Aylan, dont le corps sans vie fut retrouvé sur une plage de Turquie après le naufrage de l’embarcation qui le transportait avec ses parents ayant fui la Syrie, ont été vite oubliées. Il aura fallu la sortie récente d’un film qui lui est consacré, et dont le tournage s’est fait à l’insu de la famille, pour qu’éclate une <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/17847/un-film-sur-la-mort-daylan-kurdi-suscite-la-polemique">nouvelle polémique</a>. Cet épisode a réactivé la mémoire de ce petit garçon et du drame dont sa mort a résulté.</p>
<h2>Une crise chasse l’autre</h2>
<p>Ainsi, pendant que l’attention se focalise brusquement sur le sort de la population ukrainienne, seuls 10 % des fonds <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/13/l-appel-de-l-onu-a-lever-5-milliards-de-dollars-d-aide-pour-l-afghanistan-reste-sans-reponse_6109311_3210.html">appelés par l’ONU pour lutter contre la famine en Afghanistan</a> ont été obtenus. Six mois après les images – diffusées en boucle sur toutes les télés du monde – des foules afghanes massées sur l’aéroport de Kaboul pour fuir l’arrivée des talibans au pouvoir, le gouvernement danois met en place les <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/38562/au-danemark-la-commission-dasile-se-prononce-pour-la-reprise-des-expulsions-dafghans">premières procédures d’expulsion</a> de réfugiés issus de ce pays présents sur son sol.</p>
<p>Au Yémen, où perdure une situation dramatique, les <a href="https://lemonde-arabe.fr/28/02/2021/au-yemen-une-baisse-des-financements-humanitaires-fait-craindre-une-catastrophe/">financements de l’aide ont baissé de 40 %</a> l’an dernier.</p>
<p>Trop empreinte d’une générosité émotionnelle, l’aide internationale ne peut se déployer de façon satisfaisante pour les populations fragilisées par des crises dont bon nombre s’étalent sur des années. La durée de séjour moyenne de séjour dans un camp de réfugiés est de <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/combien-de-temps-dure-l-exil-des-refugies-2018">plus de dix ans</a>. Pour les organisations humanitaires, la plus grande des vigilances reste de mise. Partout dans le monde aujourd’hui, et peut-être en Ukraine demain…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178451/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise ukrainienne survient alors que l’ONU peine à financer son action en Afghanistan et a dû mettre fin à ses activités au Yémen. Dès lors, comment mobiliser l’aide humanitaire nécessaire ?Pierre Micheletti, P résident d’Action Contre la Faim – France. Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine., Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1755662022-02-08T20:59:19Z2022-02-08T20:59:19ZFamine en Afghanistan : la grande hypocrisie<p>Le grand malheur de la population afghane réside dans la localisation de son pays pris, depuis des siècles <a href="https://international-review.icrc.org/sites/default/files/irrc-880-maley-fre.pdf">entre tectonique des plaques et guerres par procuration</a>. Comme si les montagnes vertigineuses résultaient du choc des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/serie/la-longue-histoire-de-l-afghanistan">blocs qui entourent l’Afghanistan</a>, né sur les marges de l’Empire perse des Safavides à l’Ouest, de l’empire russe au nord et de l’Empire moghol, bientôt relayé par l’Empire britannique des Indes, à l’Est.</p>
<p>L’après-Seconde Guerre mondiale en fera l’un des épicentres violents de la guerre froide, avec l’entrée en 1979 de l’Armée rouge, dont les officiers sont persuadés qu’ils effectuent une courte opération de police régionale dans un État vassal, dans la lignée d’interventions antérieures. L’opération prend ainsi le nom de code d’<a href="https://culture.tv5monde.com/histoire/histoire-le-printemps-de-prague-a-50-ans-10565">« Opération Prague »</a>… Ronald Reagan voulut en faire – avec succès – le <a href="https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2021-1-page-97.html">« Tombeau de l’Armée rouge »</a>, en même temps que l’opération la plus coûteuse de l’après-guerre pour la CIA.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/afghanistan-des-decennies-de-guerre-et-derreurs-de-calcul-166431">Afghanistan : des décennies de guerre et d’erreurs de calcul</a>
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<p>Peu à peu se mettent alors en place les mécanismes, multiples et intriqués, qui aboutissent à la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220107-les-en-afghanistan-les-taliban-demandent-une-aide-humanitaire-sans-parti-pris-politique">situation d’insécurité alimentaire majeure</a> que connaît l’Afghanistan aujourd’hui.</p>
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<h2>La fabrique d’une famine</h2>
<p>Dans ce pays de 650 000 km<sup>2</sup>, seuls 12 % des terres sont considérées comme cultivables (contre 60 % en France) et sont très dépendantes de la pluviométrie et d’un complexe système d’irrigation que la réforme agraire avortée de 1978, alors menée par le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2012/08/PARENTI/48065">nouveau régime communiste</a>, déstructurera en partie. Puis, pendant l’occupation soviétique, la destruction d’installations agricoles participa de stratégies, parfois volontaires, destinées à vider de leurs populations des poches de résistance.</p>
<p>En parallèle se mettent en place deux autres phénomènes qui viennent aggraver encore l’équation de la faim : les <a href="https://www.fmreview.org/sites/fmr/files/FMRdownloads/fr/afghanistan.pdf">mouvements massifs de déplacés forcés</a> fuyant les campagnes pour gagner les habitats miséreux de la périphérie des villes, et une augmentation constante des surfaces agricoles consacrées à la culture du pavot.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-afghanistan-la-crise-humanitaire-risque-de-deboucher-sur-une-famine-catastrophique-168293">En Afghanistan, la crise humanitaire risque de déboucher sur une famine catastrophique</a>
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<p>Le développement rapide de l’éphédra (« oman » dans la langue locale), qui permet de produire des méthamphétamines de faible qualité, contribue à renforcer le <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-controle-du-marche-de-la-drogue-lautre-victoire-des-talibans-166209">statut de narcoétat de l’Afghanistan</a>, dans une logique qui relève, de la part des producteurs, d’un processus adaptatif de survie. Les avances financières qui leur sont concédées par les trafiquants (« salaam ») pour payer des intrants devenus nécessaires à la production de drogue les piègent dans un modèle économique classique de l’agriculture d’exportation.</p>
<p>Deux chiffres rendent compte de ces phénomènes depuis l’entrée de la coalition en 2001 et la chute du premier régime taliban : en vingt ans, le pays n’aura pas connu une année durant laquelle le flux de personnes déracinées sera tombé en dessous de 150 000 par an, avec deux pics à plus d’un million en 2001 et 2014 ; dans le même temps, les surfaces consacrées à la culture du pavot ont triplé, stimulées par une meilleure rentabilité financière pour les agriculteurs, et par les besoins d’achat d’armement des talibans.</p>
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<p>La meilleure résistance du pavot au réchauffement climatique, comparé à d’autres productions de l’agriculture vivrière, est venue encore renforcer la progression des surfaces plantées. La situation ne serait pas aussi dramatique si tous ces mécanismes qui précèdent ne s’étaient ajoutés à une progression démographique qui confère à l’Afghanistan le record mondial en la matière, avec un <a href="https://www.populationdata.net/pays/afghanistan/">taux annuel de 6 %</a>. Depuis 2001, la population du pays est ainsi passée de 18 à 38 millions d’habitants, avec un taux d’urbanisation aujourd’hui estimé à 30 %.</p>
<p>Les talibans sont ainsi aujourd’hui aux commandes d’un pays qui a profondément changé depuis leur première prise de pouvoir en 1996. L’ensemble de ces réalités convergent pour créer les conditions d’une fatale équation alimentaire auquel le nouveau régime de l’émirat islamique est confronté, sans ignorer pour autant la part de responsabilité de ses dirigeants dans une partie des mécanismes décrits. Pour y faire face, les caisses de l’État sont vides et le système de santé est exsangue.</p>
<h2>Entre cynisme et amnésie</h2>
<p>Dans un scandaleux exercice d’amnésie collective, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, comme les autres pays les plus riches parmi ceux qui composent l’Assemblée générale des Nations unies, rechignent à contribuer en urgence à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/13/l-appel-de-l-onu-a-lever-5-milliards-de-dollars-d-aide-pour-l-afghanistan-reste-sans-reponse_6109311_3210.html">l’appel de fonds de 4,4 milliards de dollars</a> lancé par le sous-secrétaire général des Nations unies aux affaires humanitaires, Martin Griffiths et relayé par le secrétaire général Antonio Guterres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1486445087512936449"}"></div></p>
<p>Tous sont oublieux de l’histoire, oublieux des <a href="https://theconversation.com/laccord-entre-les-etats-unis-et-les-talibans-un-jeu-de-dupes-134060">accords de Doha</a> qui avaient volontairement tenu à l’écart des négociations aussi bien le gouvernement afghan d’Achraf Ghani que les alliés de la coalition internationale. Prenant ainsi acte de l’alternance politique annoncée, et faisant aujourd’hui semblant de s’offusquer de l’arrivée au pouvoir des talibans… Oublieux, chemin faisant, du « Grand jeu » dans lequel les uns et les autres ont continué d’inscrire la population civile, dans des enjeux qui la dépassent totalement.</p>
<p>En décembre 2021, après <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-adopte-une-r%C3%A9solution-pour-faciliter-lacheminement-des-aides-humanitaires-%C3%A0-lafghanistan-/2455002">d’âpres négociations</a>, le Conseil de sécurité a finalement voté une <a href="https://undocs.org/fr/S/RES/2615(2021)">résolution</a> qui, pour un an, permet la mise en œuvre d’une aide humanitaire qui peut se déployer, sous conditions, <a href="https://www.un.org/press/fr/2021/cs14750.doc.htm">sans que ne puisse lui être opposé</a> le régime de sanctions qui frappe les nouvelles autorités afghanes. Si la Chine et la Russie ont pesé de tout leur poids pour aboutir à cette décision politique, les deux pays ne se sont pour autant pas engagés sur les aspects des financements de cette résolution 2615, finalement votée à l’unanimité du Conseil de sécurité.</p>
<p>Ces atermoiements traduisent une nouvelle fois l’impérative nécessité de <a href="http://bibliotheque.i-mag-ine.com/fr/n4-pierre-micheletti-0-03-pour-une-transfo-e812#page/2">refonder le modèle de financement de l’aide humanitaire</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1449390675997380616"}"></div></p>
<p>Telle qu’elle est organisée aujourd’hui, cette aide est insuffisante en volume, et trop dépendante du jeu complexe des relations entre grandes puissances. Mais en attendant, il faut rapidement obtenir ces financements et les mettre à disposition des organisations en mesure de les déployer. En Afghanistan, le <a href="https://www.actioncontrelafaim.org/presse/une-crise-alimentaire-majeure-frappe-lafghanistan/">sort de 22 millions de personnes en dépend</a>.</p>
<p>C’est pour faciliter la collecte des sommes destinées à l’aide d’urgence – et pour œuvrer à une certaine forme de légitimation de leur rôle politique –, qu’une délégation de responsables talibans a récemment effectué son <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/24/afghanistan-talibans-et-occidentaux-evoquent-la-crise-humanitaire-lors-d-une-rencontre-inedite_6110787_3210.html">premier déplacement en Europe</a>, pour rencontrer, à Oslo, les représentants des pays occidentaux qui aujourd’hui sont les financeurs primordiaux de l’aide humanitaire mondiale.</p>
<p>Réunies au sein d’un organisme de coordination (<a href="https://www.acbar.org/">Agency Coordinating Body for Afghan Relief & Development, (ACBAR)</a>), des dizaines d’ONG internationales et afghanes – homologuées par les autorités talibanes – seront en charge, aux côtés des agences spécialisées de l’ONU, de délivrer l’aide humanitaire d’urgence.</p>
<p>Sous l’égide du ministère de l’Économie de l’« Émirat islamique d’Afghanistan » a été élaboré un document qui formalise le plan global de suivi et de contrôle des ONG impliquées dans les réponses humanitaires. Certains aspects ne manqueront pas de soulever questions et débats à la lumière d’interventions qui aujourd’hui ne sont pas entravées par les nouvelles autorités du pays.</p>
<p>À l’enveloppe destinée à l’aide humanitaire, qui peine déjà a être réunie, se greffent également des besoins financiers additionnels pour mettre en œuvre le <a href="https://unsdg.un.org/fr/latest/announcements/un-announces-transitional-engagement-framework-tef-afghanistan-save-lives">« Cadre d’engagement transitionnel »</a>. Ce programme permet d’assurer la coordination des activités des entités membres de l’équipe des Nations unies en aidant au maintien des services de base – tels que la santé et l’éducation – et à la préservation des systèmes communautaires essentiels. Il porte à 8 milliards de dollars l’ensemble des besoins financiers pour l’année à venir.</p>
<p>C’est dire combien la question du modèle économique et de la contribution d’un socle beaucoup plus large de pays contributeurs de l’aide internationale devient cruciale. Ce n’est donc pas une surprise que les organisateurs du prochain Sommet humanitaire européen, qui se tiendra à Bruxelles du 21 au 23 mars prochain, aient décidé de faire de cette question l’un des sujets majeurs de la rencontre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Première victime du jeu des puissances, le peuple afghan est sous la menace d’une insécurité alimentaire majeure, héritage de 45 ans de conflit et d’ingérence internationale.Pierre Micheletti, Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716212022-01-03T20:04:19Z2022-01-03T20:04:19ZPourquoi il faut juger les talibans pour les atrocités du passé<p>En août 2021, après la prise de pouvoir éclair des talibans en Afghanistan, leurs combattants ont exécuté 13 personnes de la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210824-en-afghanistan-la-minorit%C3%A9-hazara-craint-de-voir-vingt-ans-d-acquis-s-envoler">minorité hazara</a> dans la province de Daikundi, où je suis née. Amnesty International a déclaré que ces exécutions extrajudiciaires s’apparentent à <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/10/afghanistan-13-hazara-killed-by-taliban-fighters-in-daykundi-province-new-investigation/">« des crimes de guerre »</a>.</p>
<p>Ce n’est là qu’un exemple de la cruauté des talibans. Ces derniers mois, 20 autres civils auraient été <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210915-afghanistan-les-talibans-%C3%A0-nouveau-accus%C3%A9-d-avoir-tu%C3%A9-des-civils">massacrés dans la vallée du Panjshir</a>, des agriculteurs hazaras auraient été <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20211024-en-afghanistan-les-talibans-expulsent-de-force-les-hazaras-de-leurs-terres">chassés de leurs terres</a> et les journalistes sont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/09/en-afghanistan-le-journalisme-au-peril-de-la-vie_6097748_3210.html">arrêtés et persécutés</a> dans tout le pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-djihadisme-pourrait-prosperer-dans-lafghanistan-des-talibans-169965">Comment le djihadisme pourrait prospérer dans l’Afghanistan des talibans</a>
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<p>Depuis leur première arrivée au pouvoir en 1996, les talibans ont bénéficié d’une impunité quasi totale pour ces crimes. Cette impunité passée leur a permis de continuer à commettre des atrocités sans crainte de poursuites, de sanctions ou de toute autre forme de responsabilité.</p>
<p>Cela a de graves conséquences pour l’avenir de l’Afghanistan.</p>
<h2>Les crimes des talibans</h2>
<p>Les talibans sont bien connus pour les <a href="https://www.hrw.org/report/2005/07/06/blood-stained-hands/past-atrocities-kabul-and-afghanistans-legacy-impunity">graves violations des droits humains</a> qu’ils ont commises entre 1996 et 2001. Il s’agit notamment de massacres de civils, d’<a href="https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=6350172">incendies de villages et de vergers</a>, de torture de détenus et de déplacement forcé de civils.</p>
<p>Parmi ces exactions, l’une des pires eut lieu en 1998, dans la ville de <a href="https://www.liberation.fr/planete/1998/09/07/des-milliers-de-civils-massacres-a-mazar-i-shariff_247664/">Mazar i-Sharif</a>, dans le nord de l’Afghanistan. 2 000 civils y furent abattus lorsque les talibans ont pris la ville, les minorités ethniques hazara, tadjik et ouzbek étant particulièrement visées.</p>
<p>De janvier à novembre 2001, les talibans ont perpétré plusieurs massacres dans la province de Bamyan. <a href="https://www.opensocietyfoundations.org/uploads/291156cd-c8e3-4620-a5e1-d3117ed7fb93/ajpreport_20050718.pdf">178 civils</a> furent tués en une seule journée dans la ville de Yakawlang.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des combattants devant le site où se trouvait la statue du Bouddha Shahmama avant qu’elle ne soit détruite par les talibans en mars 2001" src="https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425721/original/file-20211011-19-16x1aot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des combattants devant le site où se trouvait la statue du Bouddha Shahmama avant qu’elle ne soit détruite par les talibans en mars 2001.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bulent Kilic/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Après l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis en novembre 2001 et le renversement des talibans, le pays s’est enfoncé dans une guerre asymétrique, durant laquelle le groupe a continué à commettre des crimes.</p>
<p>Au cours de cette période, les talibans <a href="https://www.icc-cpi.int/iccdocs/otp/161114-otp-rep-pe_eng.pdf">ont continué</a> à tuer des civils, à pratiquer l’enlèvement et la séquestration, à attaquer le personnel humanitaire et à détruire des sites protégés, comme des mosquées, des lieux de culte et des hôpitaux. Ils ont également <a href="https://www.icc-cpi.int/Pages/record.aspx?docNo=ICC-02/17-7-Red&ln=fr">conscrit et enrôlé des enfants</a> de moins de 15 ans, les forçant à participer aux combats.</p>
<h2>Un système judiciaire effondré</h2>
<p>Malgré le <a href="https://www.refworld.org/pdfid/47fdfad50.pdf">vif désir</a> de justice exprimé par les victimes des crimes commis par les talibans, aucun mécanisme de détermination des responsabilités n’a été adopté, que ce soit en Afghanistan ou au niveau international, pour répondre à ces atrocités.</p>
<p>Depuis 2001, le système judiciaire afghan est généralement considéré comme une <a href="https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/2021/07/asa110072007en.pdf">institution effondrée</a>, caractérisée par un manque de ressources, l’inexistence de dispositions légales adéquates et une corruption généralisée. Par ailleurs, les <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2012/11/25/afghanistan-le-gouvernement-doit-refuser-toute-amnistie-pour-les-crimes-commis-par">lois d’amnistie</a> ont protégé les auteurs de crimes de guerre, tandis qu’un manque d’impartialité a entaché les procédures pénales qui ont eu lieu. Dans le même temps, les <a href="https://www.usip.org/sites/default/files/PW84-Informal%20Justice%20and%20the%20International%20Community%20in%20Afghanistan.pdf">systèmes de justice informels</a> ont proliféré dans tout le pays.</p>
<p>De même, le gouvernement afghan ne faisait preuve que d’une volonté politique très limitée pour poursuivre les talibans lorsqu’ils n’étaient pas au pouvoir, les justifications de paix et de sécurité étant invoquées pour éviter les poursuites.</p>
<p>Enfin, dans le cadre de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord</a> conclu entre l’administration Trump et les talibans en février 2020, <a href="https://www.sudouest.fr/international/afghanistan-les-talibans-prets-a-negocier-apres-la-liberation-de-prisonniers-1878477.php">5 000 membres talibans ont été libérés</a>, parmi lesquels environ 400 étaient liés à des crimes majeurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306443870042025985"}"></div></p>
<h2>Le rôle de la CPI</h2>
<p>Comme il y a peu d’espoir que justice soit rendue sous le régime taliban en Afghanistan, c’est à la communauté internationale qu’il revient de mener ces batailles juridiques.</p>
<p>La Cour pénale internationale (CPI) <a href="https://www.icc-cpi.int/afghanistan?ln=fr">examine la situation</a> en Afghanistan depuis 2007, et son procureur a demandé en 2017 l’autorisation d’<a href="https://www.hrw.org/fr/news/2017/11/20/lafghanistan-et-la-cour-penale-internationale">enquêter sur les crimes</a> commis dans le pays par les talibans, les forces gouvernementales afghanes et les forces étrangères depuis 2003.</p>
<p>Pourtant, il n’est pas réaliste d’espérer que la CPI – qui est fortement tributaire de la coopération des États membres pour l’émission de mandats d’arrêt, la collecte de preuves et d’informations et l’exécution des jugements – puisse juger et condamner les talibans à elle seule. Il convient par ailleurs de rappeler que les États-Unis, l’acteur international le plus important en Afghanistan depuis des décennies, ne sont pas membres de la CPI.</p>
<p>Le cas du Soudan montre bien combien il peut être difficile de rendre justice pour la CPI. Bien qu’elle ait émis <a href="https://www.icc-cpi.int/darfur/albashir?ln=fr">deux mandats d’arrêt</a> à l’encontre de l’ancien président Omar Al-Bashir pour des allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide, elle n’a pas encore été en mesure de le juger, en raison d’années de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/08/11/le-soudan-va-remettre-omar-al-bachir-recherche-pour-genocide-au-darfour-a-la-cour-penale-internationale_6091199_3212.html">non-coopération entre États</a>, rendant impossible son arrestation. Ce n’est qu’en 2020 que le gouvernement de transition du Soudan a <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-51466421">accepté de coopérer</a> avec la CPI.</p>
<h2>Justice alternative</h2>
<p>En dehors des tribunaux internationaux, les membres de la communauté internationale, y compris les gouvernements nationaux, les ONG, les communautés universitaires et les personnes militant pour les droits humains, peuvent travailler ensemble pour demander des comptes sur les crimes commis par les talibans. Cela pourrait inclure des mesures telles que l’établissement d’une commission de vérité et de réconciliation, ou l’utilisation de procédures coutumières pour faire entendre la voix des victimes sur les crimes passés.</p>
<p>Dans le cadre d’une telle approche, il est important de tenir compte des expériences de pays comme l’<a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2007-2-page-313.htm">Afrique du Sud</a>, l’<a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2008-1-page-118.htm">Ouganda</a>, le <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/33574-kosovo-une-commission-verite-alors-que-le-probable-pm-est-accuse-de-crimes-de-guerre.html">Kosovo</a>, la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2005/10/ARSENEAULT/12826">Sierra Leone</a> ou le <a href="https://theconversation.com/verite-et-reconciliation-en-asie-du-sud-est-quelles-lecons-pour-le-canada-106594">Timor-Leste</a> dans la recherche de solutions de justice alternatives. En même temps, la complexité du contexte politique, social et culturel de l’Afghanistan ne doit pas être ignorée.</p>
<p>Mettre les auteurs d’injustices passées face à leurs responsabilités est essentiel pour éviter de futures atrocités. En accordant jusqu’à présent une immunité permanente aux talibans, on envoie le message qu’ils peuvent continuer à commettre les crimes les plus effroyables sans crainte de poursuites.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171621/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Latifa Jafari Alavi a travaillé pour la CPI en tant que stagiaire pour une période de six mois, d'octobre 2015 à avril 2016.</span></em></p>Les talibans sont responsables d’atrocités remontant aux années 1990, mais n’ont jamais été tenus pour responsables. La communauté internationale peut jouer un rôle pour mettre fin à l’impunité.Latifa Jafari Alavi, PHD in international law, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673332021-12-08T20:33:34Z2021-12-08T20:33:34ZAfghanistan : un pays ne devient pas une démocratie parce que des puissances occidentales l’ont décidé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432474/original/file-20211117-19-135weu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5094%2C3450&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des combattants talibans bloquent les routes après une explosion dans un hôpital militaire à Kaboul, le 2 novembre. Les puissances occidentales ont échoué à faire de l'Afghanistan un État de droit.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ahmad Halabisaz) </span></span></figcaption></figure><p>Trois mois après la chute de Kaboul et la prise de pouvoir des talibans, l’Afghanistan <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/22/afghanistan-la-ruee-vers-l-aeroport-de-kaboul-cause-plusieurs-morts_6092052_3210.html">s’enfonce dans une grave crise alimentaire</a>. Selon les chiffres du Programme alimentaire mondial (PAM), 3,2 millions enfants de moins de 5 ans souffriront de malnutrition aiguë d’ici la fin de l’année.</p>
<p>À cela s’ajoute une <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-11-11/l-afghanistan-iesau-bord-de-l-effondrement-economique.php">économie en banqueroute</a>, un chômage généralisé <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2021/09/26/climat-de-terreur-en-afghanistan-ils-croient-beaucoup-dans-le-principe-de-rapport-de-force">et une population terrifiée, notamment les femmes</a>. Comment ce pays <a href="https://www.humanite.fr/etats-unisafghanistan-2-313-milliards-de-dollars-le-cout-de-la-strategie-canonniere-719562">sur lesquels des milliards de dollars se sont abattus</a> peut-il en être rendu là ? C’est que 20 ans de présence militaire américaine n’a fait qu’exacerber les problèmes.</p>
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<img alt="Une femme voilée tient un bébé dans ses bras" src="https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432476/original/file-20211117-21-1wgzmqn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une femme tient l’un de ses deux bébés en cours de traitement dans le service de malnutrition de l’hôpital pour enfants Indira Gandhi de Kaboul, le 5 octobre 2021. La famine menace 3,2 millions d’enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Felipe Dana)</span></span>
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</figure>
<p>L’Afghanistan s’ajoute en effet à la liste des pays où l’intervention militaire dirigée par des puissances occidentales a généré un nouveau cycle de violence et d’instabilité sociale, ce qui a eu pour effet de bloquer les transitions politiques censées mener à une forme d’État de droit.</p>
<p>Si l’usage de la force a entraîné un changement de régime et démembré certains groupes terroristes, la difficulté est demeurée entière d’aménager une organisation sociale paisible qui répond aux besoins des populations. De l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Irak">Irak</a> à l’Afghanistan en passant par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Deuxi%C3%A8me_guerre_civile_libyenne">Libye</a> et les <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/securite-desarmement-et-non-proliferation/terrorisme-l-action-internationale-de-la-france/l-action-de-la-france-au-sahel/article/la-force-conjointe-g5-sahel-et-l-alliance-sahel">pays du Sahel</a>, la chute des dictatures et la lutte contre le terrorisme n’ont pas ouvert la voie à l’émancipation des peuples et à la démocratie, ni à relever les défis du développement humain, social et politique. Pourquoi ?</p>
<p>En tant que directeur de la Chaire de recherches interethniques et interculturelles de l’Université du Québec à Chicoutimi, je m’intéresse notamment à la radicalisation islamique depuis la défaite de l’État Islamique (EI).</p>
<h2>L’échec du « nation building »</h2>
<p>C’est en termes d’échec politique et diplomatique qu’il faut interpréter le retour au pouvoir des talibans : l’intervention militaire des Américains et de leurs alliés occidentaux n’a pas été précédée et accompagnée d’une réflexion sur la complexité socio-anthropologique de l’Afghanistan et sur les dispositifs politiques et institutionnels nécessaires à sa transition.</p>
<p>Il est vrai que <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/12/13/l-accord-de-bonn-prevoit-un-retour-progressif-a-la-democratie_254726_1819218.html">l’Accord de Bonn</a> a été un moment important de délibération sur le devenir démocratique et la pacification de la société afghane. L’objectif de cet accord visait à jeter les bases sociales et institutionnelles d’une paix durable, de la stabilité et du respect des droits de la personne.</p>
<p>Mais la nature provisoire de cet accord n’a pas permis de réaliser ces objectifs. En fait, l’empressement d’organiser des élections démocratiques et la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/31/lakhdar-brahimi-la-paix-etait-possible-avec-les-talibans-mais-encore-eut-il-fallu-qu-on-leur-parle_6092908_3210.html">sous-évaluation de l’enracinement communautaire des talibans</a> ont empêché l’ONU et les puissances occidentales de concevoir une transition politique susceptible d’asseoir la société afghane sur des bases institutionnelles solides et durables. Le « nation building » a échoué parce que le système international et les démocraties libérales soutiennent des transitions politiques qui ne prennent pas au sérieux la <a href="https://www.un.org/ruleoflaw/fr/thematic-areas/international-law-courts-tribunals/transitional-justice/">problématique de la justice transitionnelle</a>. On n’a pas tenu compte du caractère multiculturel de la société afghane, de la représentativité des différentes communautés et régions du pays, de la redistribution des richesses et du partage du pouvoir.</p>
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<img alt="Soldats pointant leurs armes dans le désert" src="https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432475/original/file-20211117-17-7ldjy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des combattants frontaliers talibans participent à un exercice d’entraînement à Lashkar Gah, dans le sud-ouest de l’Afghanistan, le 25 octobre 2021. Tout au long de l’occupation américaine, les talibans sont demeurés enracinés dans le pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Abdul Khaliq)</span></span>
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<p>En Afghanistan — comme au Mali et au Tchad, où les Occidentaux ont voulu instaurer la démocratie, les considérations électorales et les solutions militaires ont marginalisé la question pourtant centrale de l’organisation éthique et politique de la coexistence sociale. Une élection démocratique n’est pas synonyme d’une organisation démocratique de la société et d’une démocratisation de la gouvernance. Avant même de promouvoir la démocratie et l’État de droit, ne faudrait-il pas s’interroger sur les conditions nécessaires à une vie commune paisible et juste et sur la nature des pouvoirs censés garantir la paix sociale et la justice politique ?</p>
<p>Des considérations géopolitiques et la lutte hégémonique entre les grandes puissances conduisent très souvent à privilégier des solutions inefficaces et des questions périphériques, qui n’aident en rien les peuples brimés par la tyrannie et la misère.</p>
<h2>Une instrumentalisation politique de l’islam</h2>
<p>La chute de Kaboul ne doit pas seulement être analysée sous l’angle des insuffisances de la diplomatie et des actions des Occidentaux. Le succès des talibans tient aussi à des raisons idéologiques qui ont permis de repositionner la <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-triomphe-des-talibans-malgre-les-milliards-depenses-par-les-etats-unis-166158">mouvance islamiste tant au niveau social que sous-régional</a>. Les leaders de l’organisation ont su se réorganiser autour d’une stratégie qui s’articule autour du respect de la souveraineté nationale et de la défense de l’islam.</p>
<p>C’est à la faveur d’une réinterprétation radicale de l’islam et de l’exigence d’un Émirat islamique que les talibans ont rebâti leur critique de l’invasion américaine et des puissances occidentales.</p>
<p>L’inefficacité des gouvernements successifs depuis 2001 et leur immense corruption ont permis cette instrumentalisation politique de l’islam de la part des talibans. Les nouveaux maîtres de l’Afghanistan ont su attirer la <a href="https://timbuktu-institute.org/index.php/toutes-l-actualites/item/507-les-mouvements-islamiques-en-afrique-et-la-reconnaissance-internationale-des-talibans">sympathie d’organisations musulmanes, notamment africaines, comme la Ligue des Oulémas musulmane</a>.</p>
<p>Cela dit, le <a href="https://www.lefigaro.fr/international/afghanistan-la-reconnaissance-du-regime-taliban-en-question-au-g20-20211011">régime reste isolé sur la scène internationale</a>. Peu après leur prise de pouvoir, les talibans <a href="https://www.lindependant.fr/2021/08/17/pas-de-represailles-respect-du-droit-des-femmes-les-talibans-adoptent-un-ton-conciliant-lors-de-leur-premiere-conference-a-kaboul-9737123.php">ont tenté d’apaiser les craintes sur le sort réservé aux femmes</a>. Mais <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/entretien-pour-olivier-roy-on-a-sous-estime-la-strategie-des-talibans-24a13c0e-fe9a-11eb-b25b-e686c75688fc">cette posture, loin d’être la conséquence d’un profond changement idéologique</a>, est en réalité un <a href="https://theconversation.com/les-talibans-nont-pas-change-dapres-les-femmes-assujetties-a-leur-regime-extremiste-166322">calcul politique</a> visant à se positionner comme un acteur fréquentable sur la scène internationale, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/09/eu-saudi-arabia-first-human-rights-meeting-must-not-be-a-whitewash/">comme l’Arabie saoudite tente de le faire depuis quelques années</a>.</p>
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<img alt="Trois femmes vêtues de noir et voilées debout devant une porte" src="https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432477/original/file-20211117-25-inl2ve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes à l’Université de Kaboul, le 11 septembre 2021. Le retour des talibans a un impact considérable sur la vie des femmes, qui doivent recommencer à se voiler intégralement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Felipe Dana)</span></span>
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<p>Il est difficile d’évaluer l’appui réel de la population afghane au type d’islam promu par les talibans. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/22/afghanistan-la-ruee-vers-l-aeroport-de-kaboul-cause-plusieurs-morts_6092052_3210.html">La ruée vers l’aéroport de Kaboul</a>, au lendemain de la chute de la capitale, témoigne d’une peur évidente face au nouveau régime. Mais la société afghane <a href="https://nouvelles.ulaval.ca/2021/10/06/le-retour-des-talibans-au-pouvoir-4348c38b8be26c9339147854f88baaa2">demeure largement conservatrice, analphabète et pauvre</a>.</p>
<p>La démocratie comme mode de gouvernement de la société n’a pas réussi à gagner les esprits. Les logiques communautaires, les rivalités tribales et la <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2021-09-15/corruption-en-afghanistan/des-millions-de-dollars-et-de-l-or-trouves-chez-d-anciens-dirigeants.php">généralisation de la corruption</a> ont entraîné un écrasement des structures officielles de la gouvernance au profit des talibans.</p>
<p>Le président américain Joe Biden <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/08/16/retrait-dafghanistan-biden-decline-la-responsabilite">a en partie raison lorsqu’il impute aux responsables politiques</a> et à l’armée afghans le retour au pouvoir des talibans. Leur victoire est idéologique et sociale avant d’être politique. Les Américains et leurs alliés ont échoué dans leur tentative de « nation building ». Mais des facteurs endogènes ont pavé la voie à l’absence d’un modèle de gouvernance politique capable de représenter une alternative durable à celle proposée par les talibans.</p>
<p><em>Amadou Sadjo Barry, professeur de philosophie au Cégep de Saint-Hyacinthe et chercheur associé au CELAT, a participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167333/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>khadiyatoulah Fall a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada( CRSHC). Depuis novembre 2021, il est ministre conseiller à la présidence de la république du Sénégal.
</span></em></p>Une élection démocratique n’est pas synonyme d’une organisation démocratique de la société et de sa gouvernance. À cet égard, la tentative de faire de l’Afghanistan une démocratie est un échec total.khadiyatoulah Fall, Professor, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699652021-11-04T19:18:55Z2021-11-04T19:18:55ZComment le djihadisme pourrait prospérer dans l’Afghanistan des talibans<p>Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a été <a href="https://www.sudouest.fr/international/asie/afghanistan/afghanistan-la-victoire-des-talibans-a-donne-un-enorme-coup-de-pouce-aux-djihadistes-du-monde-entier-5216875.php">célébré</a> par les djihadistes du monde entier. Le Middle East Institute, un groupe de réflexion de Washington, estime que leur succès représente une <a href="https://www.mei.edu/blog/taliban-victory-would-be-major-win-global-jihadist-movement">« victoire majeure »</a> pour les groupes djihadistes comme Al-Qaïda ou l’État islamique (EI).</p>
<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210903-afghanistan-poutine-esp%C3%A8re-que-les-talibans-deviendront-civilis%C3%A9s">Moscou</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/18/pekin-demande-aux-talibans-d-eradiquer-les-organisations-terroristes-en-afghanistan_6095153_3210.html">Pékin</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/afghanistan-linde-face-a-linfluence-grandissante-du-pakistan-et-de-la-chine-1346669">New Delhi</a> et même <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/290921/le-pakistan-au-risque-des-talibans?onglet=full">Islamabad</a> sont profondément préoccupés par la situation sécuritaire en Afghanistan. Et pour cause : les liens des talibans avec Al-Qaïda n’ont jamais été rompus, leur lutte contre l’EI est loin d’être évidente, et plusieurs autres groupes djihadistes régionaux peuvent capitaliser sur leur récente victoire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Le Pakistan et les talibans : les liaisons dangereuses</a>
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<h2>Al-Qaïda</h2>
<p>Récemment, Al-Qaïda <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2021/09/07/al-qaeda-taliban-complex-relationship-509519">a déclaré</a> que la prise de pouvoir par les talibans était une preuve que « la voie du djihad est la seule qui mène à la victoire ».</p>
<p>Les talibans afghans entretiennent avec <a href="https://www.fdd.org/analysis/2021/06/04/al-qaeda-is-still-in-afghanistan/">Al-Qaïda</a> des liens <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-mercredi-15-septembre-2021">toujours actifs</a> dans toute la région Afghanistan-Pakistan. Ainsi, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a récemment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2021/08/26/taliban-bin-laden/?utm_campaign=wp_main&utm_medium=social&utm_source=facebook&fbclid=IwAR3o4b6U1-xrMuUl_mEuer7jTX_zOETWobMNd7NpGv9JWxK4jBZvFBasZT0">nié</a> qu’Oussama Ben Laden était responsable du 11 Septembre, illustrant ainsi la proximité des deux groupes.</p>
<p>Les spécialistes de la région pensent que les talibans continueront à fournir un soutien <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210816-taliban-to-give-al-qaeda-covert-not-overt-support-analysts">discret</a> à Al-Qaïda à présent qu’ils sont de nouveau au pouvoir. Mais ils pourraient aussi utiliser la présence d’Al-Qaïda comme un atout pour renforcer leurs positions contre l’État islamique, ainsi que comme moyen de chantage sur la scène régionale et mondiale, en exerçant une pression sécuritaire sur différents pays pour obtenir l’<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/10/1106092">aide internationale</a> dont ils ont tant besoin.</p>
<h2>L’État islamique</h2>
<p>Les talibans affirment qu’ils <a href="https://www.newsweek.com/taliban-says-we-can-control-terrorism-blames-kabul-airport-attack-u-s-1626445">peuvent</a> et <a href="https://apnews.com/article/afghanistan-cabinets-taliban-militant-groups-3652ae786079637a56a4edff5063fe5f">vont</a> contrôler les cellules terroristes de l’EI dans le pays. Mais le peuvent-ils vraiment, et le feront-ils ?</p>
<p>La <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-%C3%89tat-islamique-dans-le-Khorasan-1-2.html">présence de cellules actives de l’EI à Kaboul et à Kandahar</a> montre la capacité de cette organisation à évoluer dans un pays éloigné de sa zone d’origine, et cela malgré sa rivalité avec les talibans. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/attentat-a-l-aeroport-de-kaboul-le-recit-d-un-carnage-aux-consequences-internationales_2157360.html">L’attentat du 26 août</a> contre l’aéroport international Hamid Karzai de Kaboul, qui a fait au moins 182 morts, témoigne de sa capacité à frapper la capitale.</p>
<p>Les attaques terroristes de l’EI se sont poursuivies depuis le retrait des États-Unis, à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-deux-morts-dans-un-attentat-devant-une-mosquee-a-kaboul_4793789.html">Kaboul</a>, à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-un-attentat-suicide-dans-une-mosquee-kunduz-fait-des-dizaines-de-victimes">Kunduz</a>, ainsi qu’à <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/blast-hits-mosque-afghan-city-kandahar-heavy-casualties-officials-2021-10-15/">Kandahar</a>.</p>
<p>L’EI est également actif dans les provinces de <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20210831-afghanistan-do-islamic-state-group-jihadists-pose-a-real-challenge-to-the-taliban">Nangarhar et Kunar</a>, à la frontière des provinces pakistanaises du Waziristan et des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5804925e4.pdf">Zones tribales</a>. Cette région est un bastion du djihadisme et du trafic d’armes, et a contribué au succès des talibans eux-mêmes. L’EI est également présent dans la province pakistanaise du <a href="https://dakarinfo.net/letat-islamique-est-accuse-davoir-tue-des-sikhs-au-pakistan/">Baloutchistan</a>.</p>
<p>Le but de l’EI est de remplacer les talibans et de s’emparer de l’Afghanistan pour en faire leur <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">nouveau sanctuaire</a>. Pour cela, ils ont recours aux mêmes <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/islamic-state-uses-talibans-own-tactics-attack-afghanistans-new-rulers-2021-09-23/">tactiques</a> que les talibans ont longtemps utilisées pour attaquer les États-Unis.</p>
<p>Les combattants de l’ancienne Armée nationale afghane pourraient par ailleurs être tentés de rejoindre les forces de l’EI après avoir été chassés par les talibans. Ce processus <a href="https://english.alarabiya.net/perspective/features/2014/06/26/In-Iraq-former-militia-program-eyed-for-new-fight">s’est déjà produit</a> en Irak, où l’armée nationale et la Sahwa, une milice sunnite, ont toutes deux été dissoutes et renvoyées chez elles, permettant l’émergence d’Al-Qaïda et de l’État islamique dans le pays.</p>
<p>Les talibans suivent les préceptes de l’école <a href="https://www.refworld.org/docid/403dd2624.html">déobandi</a> de l’islam, originaire d’Inde, alors que l’État islamique est salafiste. Ils sont concurrents stratégiquement, mais compatibles idéologiquement. Ils disposent également de réseaux interconnectés, emploient des méthodes coercitives similaires, ont des ennemis identiques et entretiennent des contacts indirects au travers du <a href="https://www.liberation.fr/international/afghanistan-les-haqqani-dynastie-de-la-terreur-20210821_TIR64DXY7VHUBN2X7P3GLNLPYY/">réseau Haqqani</a>.</p>
<p>Responsable de nombreuses <a href="https://web.stanford.edu/group/mappingmilitants/cgi-bin/groups/print_view/363#cite34">attaques</a> en Afghanistan, « y compris l’utilisation d’escadrons de la mort pour des exécutions publiques, ainsi que des vidéos de décapitations massives et d’assassinats brutaux », le réseau Haqqani <a href="https://foreignpolicy.com/2021/08/26/afghanistan-kabul-airport-attack-taliban-islamic-state/">fait le lien</a> entre les talibans et Al-Qaïda, mais aussi entre les talibans et l’EI. Son chef, Sirajuddin Haqqani, a récemment été nommé ministre de l’Intérieur.</p>
<p>Si les talibans adoptent une stratégie de coopération avec les puissances étrangères contre l’EI, ils seront considérés comme des dirigeants faibles collaborant avec l’ennemi. Dans le monde djihadiste, cela équivaut au discrédit ultime, et pourrait favoriser le recrutement, le financement et l’action de l’État islamique.</p>
<p>À l’inverse, si les talibans choisissent de se rapprocher de l’EI pour éviter les attaques sur leur sol, l’organisation se retrouvera alors plus ou moins dans la position d’Al-Qaïda avant 2001. L’organisation pourrait alors utiliser l’Afghanistan comme base arrière, gouverner en coulisses ou bien conquérir le pays.</p>
<h2>Les autres groupes de la région</h2>
<p>La situation actuelle en Afghanistan favorise les organisations sunnites radicales implantées au Pakistan.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Tehreek-e-Taliban Pakistan</a> (TTP), également connu sous le nom de « talibans pakistanais », est l’une d’elles. Il a récemment absorbé une fraction de l’organisation terroriste Lashkar-e-Janghvi ; ainsi que le <a href="https://jamestown.org/program/hizb-ul-ahrar-pakistans-cross-border-taliban-problem-remains-critical/">groupe</a> Hizb-ul-Ahrar, qui a commis de nombreux <a href="https://www.start.umd.edu/gtd/search/Results.aspx ?perpetrator=40837">attentats</a> en 2019 ; le groupe Hakimullah Mehsud, une cellule active des Zones tribales <a href="https://2009-2017.state.gov/documents/organization/146935.pdf">liée</a> à Al-Qaïda ; ainsi que le <a href="https://www.nytimes.com/2014/08/27/world/asia/hard-line-splinter-group-galvanized-by-isis-emerges-from-pakistani-taliban.html">Jamaat-ul-Ahrar</a>, auparavant affilié à l’État islamique.</p>
<p>En outre, le TTP a récemment <a href="https://jamestown.org/program/tehreek-e-taliban-pakistans-discursive-shift-from-global-jihadist-rhetoric-to-pashtun-centric-narratives/">accueilli en son sein</a> deux sous-groupes d’Al-Qaïda dans le sous-continent indien.</p>
<p>Les talibans pakistanais rassemblent ainsi des forces provenant à la fois d’Al-Qaïda et de l’EI. Intimement allié aux talibans afghans, le TTP recentre actuellement sa dynamique sur le Pakistan plutôt que sur la scène globale, mais les connexions de certains de ses groupes avec les deux grandes organisations djihadistes demeurent récentes.</p>
<p>En Asie centrale, les factions du Mouvement islamique d’Ouzbékistan <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/islamic-movement-uzbekistan#highlight_text_10187">affiliées à l’EI</a> ainsi que celles <a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2016/06/islamic-movement-of-uzbekistan-faction-emerges-after-groups-collapse.php">alliées aux talibans</a>, pourraient également utiliser l’Afghanistan comme base arrière pour préparer des attaques dans cette région.</p>
<p>Enfin, le <a href="https://warontherocks.com/2019/01/chinas-foreign-fighters-problem/">Parti islamique du Turkestan</a>, qui s’étend du Xinjiang chinois à la province syrienne d’Idleb, pourrait prospérer sous le nouveau régime en Afghanistan, de manière plus ou moins clandestine, en profitant de ce pivot entre l’Asie centrale, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.</p>
<p>La reprise de l’Afghanistan par les talibans est une défaite stratégique indubitable, mais c’est aussi un revers doctrinal pour le contre-terrorisme. Au cœur de l’Asie, les groupes djihadistes régionaux et mondiaux disposent désormais d’une nouvelle plate-forme, et la communauté internationale ne dispose plus guère de solutions pour prévenir les conséquences prévisibles de cette nouvelle menace sécuritaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Théron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les talibans promettent qu’ils ne permettront pas aux mouvements djihadistes de prospérer sous leur autorité. Mais il est presque certain que les groupes locaux profiteront de leur prise de pouvoir.Julien Théron, Lecturer, Conflict and Security Studies, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678512021-09-28T18:46:09Z2021-09-28T18:46:09ZVingt ans de guerre à l’opium en Afghanistan : retour sur une déroute américaine<p>Le 7 octobre 2001, les États-Unis, suite aux attentats du 11 septembre précédent, lançaient, avec leurs alliés de l’OTAN, l’opération <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/09/26/l-operation-change-de-nom-et-devient-8220-liberte-immuable-8221_226216_1819218.html">« Enduring freedom »</a>. Celle-ci visait à détruire les infrastructures d’Al-Qaïda en Afghanistan et le régime des talibans, jugé coupable de les abriter et de les protéger.</p>
<p>En dehors de la mise en avant du thème de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/FD001270.pdf">« guerre contre le terrorisme »</a>, très vite, la propagande, consubstantielle à toute opération de cette envergure, a mobilisé celui de la lutte contre la drogue, en présentant les talibans <a href="https://2001-2009.state.gov/p/inl/rls/rm/sep_oct/5210.htm">comme de vulgaires « narco-terroristes »</a>, trafiquant l’opium et l’héroïne afin, notamment, de détruire la jeunesse occidentale. Dès 2002, le premier ministre britannique, Tony Blair, le plus fidèle allié des États-Unis, <a href="https://frontline.thehindu.com/world-affairs/the-narco-politics-of-afghanistan/article30246131.ece">déclarait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les armes que les talibans achètent sont payées avec les vies des jeunes Britanniques qui achètent leur drogue dans les rues britanniques. C’est un autre aspect de leur régime que nous devons détruire. »</p>
</blockquote>
<p>L’agitation de cette thématique permettait de conférer un supplément d’âme à l’opération et de justifier un investissement guerrier de longue durée contre des talibans qui, chassés du pouvoir, n’en allaient pas moins se réorganiser très rapidement pour mener la lutte armée contre le nouveau régime mis en place par la coalition occidentale.</p>
<h2>L’opium comme arme de guerre</h2>
<p>Pourtant, cette volonté affichée de lutter contre l’opium n’avait pas toujours été de mise de la part des États-Unis. Au contraire, Washington avait <a href="https://apjjf.org/-Peter-Dale-Scott/3145/article.html">longtemps fermé les yeux</a> sur l’explosion de la production dans les années 1980, consécutive à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.</p>
<p>Quand l’Armée rouge franchit la frontière, si l’opium est connu depuis des siècles dans le pays et fait l’objet d’une consommation régulière, notamment dans les populations baloutches, la <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/periodiques/drogues-enjeux-internationaux/opium-afghan-20-ans-de-suprematie-mondiale-numero-5-juin-2013/">production est faible</a>, estimée par les spécialistes à 180-200 tonnes par an, tandis que la fabrication de l’héroïne est inexistante.</p>
<p>Cette production est rapidement dynamisée, sous l’effet d’une double nécessité : financer le djihad lancé contre l’occupant, et faire face aux conséquences des destructions infligées par la politique de la terre brûlée mise en œuvre par les Soviétiques.</p>
<p>Dès 1981, plusieurs fatwas prononcées par des chefs religieux appartenant à la résistance afghane appellent les paysans à développer les plantations de pavot. Des appels immédiatement entendus par des cultivateurs qui voient leur cadre de vie bouleversé par la guerre. La culture du pavot est en effet particulièrement bien adaptée au temps de désolation que traversent les campagnes du pays.</p>
<p>Économe en eau dans un contexte où les systèmes d’irrigation sont largement détruits, exigeant une main-d’œuvre abondante à un moment où la population surnuméraire explose et plus lucrative que le blé, la culture de l’opium se développe rapidement. Collecté et acheté par les seigneurs de la guerre, il est transformé en héroïne dans les zones tribales du Pakistan. Le tout sous la supervision des services secrets pakistanais, qui voient dans le développement du trafic un moyen de soutenir financièrement la guérilla contre les Russes.</p>
<p>On retrouve là une utilisation des drogues qui n’est pas sans rappeler la situation qui prévalait en Asie du Sud-Est une dizaine d’années plus tôt, quand la <a href="http://www.organized-crime.de/revmcc01.htm">CIA couvrait les trafics d’héroïne au Laos</a> destinés à financer les guérillas anticommunistes. À ceci près qu’il semble que, en Afghanistan, les Américains ne sont pas impliqués directement, mais par l’intermédiaire de <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-2-page-126.htm">leurs alliés pakistanais</a>, ce qui ne va pas sans provoquer des tensions entre la Drug Enforcement Agency (DEA) et la CIA, laquelle, au nom de la realpolitik, décourage toute velléité d’intervention de l’agence chargée de la lutte contre la drogue.</p>
<p>Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Jimmy Carter sur les affaires afghanes et architecte de l’alliance avec les moudjahidines, <a href="http://thenation.s3.amazonaws.com/pdf/la_nouvel_observateur_brzezinski.pdf">déclarera bien des années plus tard</a> que cette stratégie n’était qu’un moindre mal à côté de l’effondrement de l’URSS auquel le djihad afghan avait largement contribué.</p>
<p>En 1989, quand l’Armée rouge quitte l’Afghanistan, le pays produit 1 200 tonnes d’opium soit 35 % de la production mondiale. Ce départ, malheureusement pour la population, ne signifie pas la fin des conflits. Après la chute du régime communiste de Najibullah en 1992 sous les coups des moudjahidines, une guerre civile s’engage entre les alliés d’hier pour la prise du pouvoir, accélérant encore le chaos dans le pays et favorisant un nouvel essor de l’opium et de la corruption qui va avec.</p>
<p>Entre 1989 et 1996, année de la prise de Kaboul par les talibans, la production double et atteint plus de 2 000 tonnes. Par une ironie certaine, ce sont ceux-là mêmes que l’administration Bush accusera de « narco-terrorisme » qui mettent provisoirement un frein à la production. <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/les-talibans-ont-eradique-le-pavot-19-08-2001-2002376555.php">Suite à une fatwa de juillet 2000</a>, celle-ci retombe aux niveaux d’avant l’intervention soviétique, soit 185 tonnes. Les superficies de culture du pavot passent alors de 82 000 hectares à 8 000.</p>
<p>Il semble que le nouveau régime ait pu faire appliquer cette décision sans trop recourir à la coercition du fait de la popularité dont il jouit auprès d’une partie de la paysannerie. Celle-ci reconnaît aux talibans le mérite d’avoir mis fin au chaos de la guerre civile entre factions et d’avoir rétabli un certain ordre dans le pays. Cependant, l’interdiction et les pertes de revenus qu’elle fit subir aux plus vulnérables des paysans (métayers, ouvriers agricoles, petits propriétaires) leur fit perdre une partie de leur base sociale.</p>
<p>Ironie supplémentaire, quelques mois avant l’invasion de l’Afghanistan par la coalition occidentale, en mai 2001 précisément, une <a href="https://www.nytimes.com/2001/05/20/world/taliban-s-ban-on-poppy-a-success-us-aides-say.html">délégation américaine saluera la politique anti-drogue</a> du nouveau régime et Colin Powell, à la tête du département d’État, décidera d’allouer près de 43 millions de dollars pour aider les agriculteurs, dans un contexte où la sécheresse sévit, à opérer la transition…</p>
<h2>Faillite du State building</h2>
<p>La chute du régime des talibans va relancer la production d’opium dans le pays pour la simple raison que l’intervention américaine remet au pouvoir les anciens seigneurs de la guerre qui étaient au cœur de tous les trafics depuis les années 1980, tandis que les paysans, notamment les fermiers et les métayers, faute d’alternatives, consacrent au pavot une partie croissante de leurs parcelles.</p>
<p>Cela d’autant plus que la stabilité économique n’est pas au rendez-vous avec, à partir de 2004, la montée en puissance, notamment dans le sud du pays, des talibans chassés du pouvoir. Dans les zones qu’ils contrôlent, pour ne pas s’aliéner les paysans, ils tolèrent les cultures du pavot, sur lesquelles ils prélèvent des taxes. À l’époque, toutes les factions, qu’elles soient proches du gouvernement de Kaboul ou dans l’opposition armée, sont peu ou prou impliquées dans les <a href="https://www.fayard.fr/1001-nuits/afghanistan-opium-de-guerre-opium-de-paix-9782842058975">trafics d’opium et d’héroïne</a>.</p>
<p>Certains spécialistes estiment toutefois que c’est du côté du gouvernement prooccidental plutôt que des talibans que la <a href="https://www.telegraph.co.uk/world-news/2021/08/22/learned-taliban-will-fund-decades-studying-afghanistans-opium/">corruption par l’argent des trafics est la plus grande</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lechec-du-nation-building-en-afghanistan-166580">L’échec du « nation building » en Afghanistan</a>
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<p>En 2005, 9 tonnes d’opium sont retrouvées dans la résidence du gouverneur du Helmand, qui passera du côté des talibans après sa destitution. La corruption est gigantesque et <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/103/article_69004.asp">affecte l’entourage proche du président Hamid Karzai</a>. Pourtant, les Américains ne se focalisent que sur les talibans. En cela, ils ne font qu’utiliser une technique éprouvée de diabolisation déjà essayée sur d’autres terrains, par exemple en Colombie avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), <a href="https://vih.org/20150511/la-guerre-a-la-cocaine-a-lepreuve-de-leffet-ballon/">qualifiées de « narco guérilla » par leur ambassadeur en 1984</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Le trafic de drogue est certainement l’une des principales sources de revenu au sein même du gouvernemnt », France 24, 21 août 2009.</span></figcaption>
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<p>Pourtant, les travaux de terrain montrent que les revenus que tirent les talibans de l’opium ne sont pas grand-chose à côté de ceux qu’ils tirent des taxes sur les marchandises qui transitent dans les régions où ils sont présents. Une <a href="https://www.unodc.org/documents/mexicoandcentralamerica/publications/CrimenOrganizado/Global_Afghan_Opium_Trade_2011-web.pdf">étude</a> évalue en 2009 leurs revenus tirés de la drogue à 155 millions de dollars, soit une petite partie de l’argent engendré par le trafic de drogues dans le pays, à savoir 2,5 milliards de dollars.</p>
<p>Ce sont donc bel et bien les alliés des États-Unis dans la guerre contre la terreur qui sont au cœur des trafics illicites. À partir de 2004, les Américains, qui avaient <a href="https://rusi.org/explore-our-research/publications/rusi-newsbrief/fighting-uks-war-drugs-afghanistan">délégué la lutte contre l’opium et l’héroïne à leur allié britannique</a>, vont reprendre la main en mettant au cœur de leur discours le lien entre terrorisme et trafics. Robert B. Charles, secrétaire adjoint de l’<em>International Narcotics and Law Enforcement Affairs</em>, un service du département d’État chargé de la lutte internationale contre les drogues, <a href="https://2001-2009.state.gov/p/inl/rls/rm/31039.htm">déclarait alors</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Couper l’approvisionnement en opium est essentiel pour établir une démocratie sûre et stable, ainsi que pour gagner la guerre mondiale contre le terrorisme. »</p>
</blockquote>
<h2>Bilan de faillite</h2>
<p>Entre 2002 et 2015, on estime que 8 milliards de dollars ont été dépensés dans la guerre à la drogue en Afghanistan, surtout dans les zones du sud du pays tenues par les talibans. Les méthodes employées sont variées : épandages, arrachages manuels… jusqu’aux <a href="https://www.lse.ac.uk/united-states/Assets/Documents/Heroin-Labs-in-Afghanistan-Mansfield.pdf">bombardements aériens de laboratoires d’héroïne</a>. Cette politique, qui privilégie la force au détriment d’autres stratégies comme le développement alternatif, ne remportera que des succès très relatifs.</p>
<p>En 2020, l’Afghanistan produit <a href="https://www.unodc.org/res/wdr2021/field/WDR21_Booklet_3.pdf">85 % de l’opium mondial</a> et est le premier producteur mondial d’héroïne. <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/2018/May/last-years-record-opium-production-in-afghanistan-threatens-sustainable-development--latest-survey-reveals.html">20 à 30 % du PIB</a> serait engendré par le commerce de l’opium et de l’héroïne et la production d’opium a été multipliée par 30 entre 2001 et 2020. De plus, l’Afghanistan est en train de devenir un acteur important du marché de la résine de cannabis, tandis que la <a href="https://www.emcdda.europa.eu/news/2020/11/emerging-methamphetamine-industry-in-afghanistan-worrying-says-new-emcdda-study_en">production de méthamphétamine</a> se développe.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/09/qui-dira-que-cette-guerre-a-ete-menee-en-vain-les-afghanistan-papers-revelent-l-ampleur-des-dysfonctionnements-du-conflit-en-afghanistan_6022261_3210.html">Comme l’a reconnu Douglas Lute</a>, l’actuel représentant des États-Unis à l’OTAN et ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale pour l’Irak et l’Afghanistan de George W. Bush et Barack Obama, « nous n’avions aucune compréhension fondamentale de l’Afghanistan. Nous ne savions pas ce que nous faisions.[…] Par exemple sur l’économie. Nous devions établir “un marché florissant”. Nous aurions dû spécifier : “un marché de la drogue florissant”, car c’est la seule partie qui fonctionne. »</p>
<p>Dans ce contexte, certains chercheurs estiment qu’il est douteux que les talibans, malgré une volonté affichée, <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Afghanistan-turmoil/Afghanistan-s-vast-narcotics-trade-likely-to-continue-under-Taliban">renouvellent l’interdiction de 2000</a>. L’économie liée à l’opium est devenue trop importante dans les stratégies de survie d’une proportion importante de la population, dans un contexte où, du fait du retrait des États-Unis, les flots d’argent que leur présence engendrait vont s’arrêter, aggravant la situation économique.</p>
<p>La <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/Illicit_DT_through_SEE_REPORT_2014_web.pdf">route des Balkans</a> de l’héroïne qui alimente l’Europe n’est probablement pas près de se tarir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement aux affirmations récurrentes de Washington, ce ne sont pas les talibans, mais les alliés afghans des États-Unis qui ont, depuis vingt ans, été les principaux trafiquants d’opium.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement, master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678462021-09-26T16:33:21Z2021-09-26T16:33:21Z2001-2021 : vingt ans de renforcement stratégique et économique pour la Chine<p>Après le 11 septembre 2001, les États-Unis, traumatisés, s’engagèrent, sous l’influence des néoconservateurs, dans un interventionnisme militaire exacerbé au Moyen-Orient, motivés par <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/2001-2021-comment-le-11-septembre-transforme-les-etats-unis">l’idéologie de changement de régime par la force et les théories de la « paix démocratique »</a>. Pékin envoya un message de soutien à Washington dans la foulée des attaques terroristes ; mais les relations diplomatiques avaient été marquées, en avril de la même année, par un épisode extrêmement tendu. </p>
<p>Au-dessus de la mer de Chine méridionale, un avion-espion EP-3 américain était entré en collision avec un appareil chinois, provoquant la mort du pilote de celui-ci. L’avion américain finit par être intercepté et par <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/07/20/la-facture-chinoise-pour-l-avion-espion-americain-ep-3_4197702_1819218.html">atterrir en urgence sur l’île chinoise de Hainan</a> où l’équipage, humilié, subit pendant près de trois semaines les quolibets de la presse chinoise avant d’être piteusement relâché.</p>
<p>Ces deux événements allaient, chacun à sa manière, permettre à Pékin d’obtenir des autorités américaines un blanc-seing pour mener une répression accrue contre la minorité musulmane et ouïgoure du Xinjiang. La création en juin 2001 de <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)</a> allait par ailleurs donner à la Chine des moyens inédits de surveillance, au-delà de son territoire et, plus particulièrement, en Asie centrale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le dessous des cartes : Organisation de coopération de Shanghai, 11 juin 2016.</span></figcaption>
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<p>Last but not least, en novembre, la Chine obtenait enfin, malgré des réticences évidentes (de certains) à Washington à son égard, la possibilité d’<a href="https://www.senat.fr/ue/pac/E1837.html">intégrer l’OMC</a>, après quinze ans de négociations. Une adhésion qui transformera puissamment l’économie et le commerce mondial, au bénéfice premier (pour un temps ?) de Pékin.</p>
<h2>Recompositions stratégiques de l’ordre international</h2>
<p>Le 11 Septembre aura permis à Pékin de <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01065008/document">nouer de meilleures relations avec Washington</a>, dans le cadre apparent d’une mobilisation multilatérale de la « guerre contre le terrorisme », sans pour autant que la Chine ne participe aux opérations militaires en Afghanistan. Surtout, la RPC multipliera les consultations, les rapports et les analyses sur les conséquences du <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2001_num_67_1_2664">11 Septembre et de l’intervention de l’OTAN dans les équilibres régionaux</a>. Ce qui intéresse les autorités chinoises au premier chef, ce n’est pas tant le djihadisme qui attaque l’Occident que la géopolitique régionale recomposée aux portes d’une région, le Xinjiang, perçue comme subversive pour l’unité de la Chine.</p>
<p>Le 11 Septembre aura pour conséquences d’accélérer la systématisation des discours officiels sur la lutte contre les « trois forces » (<em>san gu shili</em>) (terrorisme, séparatisme, extrémisme) – des discours qui insistent sur la prétendue collusion entre la minorité ouïgoure et le terrorisme islamiste international. Le Conseil des Affaires d’État (merci d’expliquer ce qu’est cette instance) s’attachera à montrer les liens étroits existant entre Al Qaida et deux groupuscules ouïgours jusqu’alors méconnus, le <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03078827/document">Parti d’Allah du Turkestan oriental et le Mouvement islamique du Turkestan Oriental</a> (MITO). Si Pékin avait négocié avec les talibans dès 1996 pour s’assurer que ces derniers ne soutiendraient pas les Ouïgours, la présence de l’OTAN, et spécialement des États-Unis dans la région (Asie centrale, Pakistan…) va bousculer, un temps, l’action diplomatique chinoise.</p>
<p>Le Parti-État s’inquiétait à ce moment de <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2009-2-page-111.htm">l’installation dans la durée des États-Unis</a>, alors que l’OCS prenait une ampleur nouvelle, traduisant la montée en puissance de l’influence chinoise en Asie centrale et d’un certain dessein stratégique eurasien, <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">centré sur l’approvisionnement en ressources</a> (hydrocarbures, minerais, terres arables, ressources agricoles) et sur la proximité diplomatico-politique plus forte avec les régimes en place.</p>
<p>C’est aussi le prolongement de la politique dit du « développement de l’ouest » (<em>xibu dakaifa</em>), à savoir de la sinisation des terres lointaines du centre, dont les habitants ne sont pas des Han et qui sont importantes pour l’équilibre territorial chinois (à la fois du point de vue des ressources dont elles disposent, de l’espace qu’elles offrent, et des enjeux sécuritaires qui s’y déploient). Ainsi, le facteur afghano-taliban et la longue guerre de l’OTAN de 2001 à 2014 (année du retrait de l’ISAF) – voire jusqu’en 2021, <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">sont perçus par Pékin</a> comme des facteurs influant à la fois sur sa politique intérieure (la sinisation du Xinjiang et, aussi, du Tibet) et sur sa politique extérieure (la stabilisation des pays situés à l’ouest de la Chine), particulièrement l’Asie centrale et le triangle conflictuel Chine-Inde-Pakistan.</p>
<p>Pékin mettra systématiquement en avant les réseaux terroristes locaux et la déstabilisation du Xinjiang pour mieux légitimer la politique du « développement de l’ouest » puis la répression stricto sensu contre les Ouïgours, laquelle sera accentuée après, d’une part, la <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/la-lutte-contre-le-terrorisme-et-l-extremisme-au-xinjiang-quelles-methodes-pour-quels-resultats-">multiplication des attentats dans le monde</a>, avec notamment l’émergence de Daech et, d’autre part, ceux commis sur le territoire chinois (Kunming, Canton, Pékin, Urumqi, etc.).</p>
<p>D’un côté, un nouvel arsenal législatif est institutionnalisé (loi anti-terroriste), de l’autre la répression sur l’ensemble du territoire (moins connue) et plus particulièrement au Xinjiang seront deux paramètres majeurs des politiques sécuritaires à partir de 2015. Ainsi, depuis vingt ans, la politique chinoise de contrôle de l’islam a évolué. Si à l’époque il s’agissait avant tout d’éviter que ce dernier <a href="https://www.canal-u.tv/video/fmsh/djihadisme_et_radicalites_en_asie.43999">ne devienne un canal d’expression du mécontentement ouïgour au Xinjiang</a> ou qu’il se radicalise sous l’influence de mouvements fondamentalistes étrangers, aujourd’hui la RPC met en place envers les Ouïgours un contrôle humain et technologique totalitaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chine : Ouïgours, un peuple en danger (Arte, 2019).</span></figcaption>
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<h2>Le Xinjiang et l’Afpak (Afghanistan-Pakistan) : un champ de forces</h2>
<p>Cet étranger proche, situé dans le prolongement du Xinjiang, représente un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Suite-des-temps/Demain-la-Chine-guerre-ou-paix">terrain d’affrontement indirect avec l’Inde</a>. En ce sens, le Pakistan, à la fois soutien des talibans et partie d’un continuum stratégico-diplomatique avec Pékin, est la clef de ce Grand Jeu.</p>
<p>Les guérillas actives dans cette zone sont autant d’épines dans le pied du Gulliver chinois. Leur existence exprime la manifestation de frustrations identitaires, religieuses et économiques de peuples malmenés par la mondialisation, l’instabilité chronique et de longue durée (guerre en Afghanistan depuis plus de 40 ans) ou par une sinisation brutale comme celle subie par les Ouïgours. Leur opposition aux projets de Pékin, qu’elle se traduise par de simples tensions ou par des actions terroristes, obère les chances de l’<a href="https://www.senat.fr/rap/r05-400/r05-400.html">« émergence pacifique » (<em>heping jueqi</em>)</a> à laquelle la Chine prétend.</p>
<p>Sur le temps long, et dans les régions tampons que sont le Turkestan mais aussi les zones pachtoune, baloutche et cachemirie, ces heurts manifestent l’opposition irréductible entre deux systèmes politiques : l’un marqué par une culture voire un culte de l’État, l’autre s’en affranchissant et érigeant en principe cardinal le <a href="https://laviedesidees.fr/Zomia-la-ou-l-%C3%89tat-n-est-pas.html">fait même de ne pas être gouverné</a>. Et certainement pas par la Chine. Un autre « Grand Jeu » se joue dans ces différentes parties du monde. Il ne dépend pas des seules relations conflictuelles entre puissances. Car à travers lui, se redécouvre l’expérience faite hier par l’URSS, aujourd’hui par la Chine, dans leur rapport antagoniste à un islam des maquis.</p>
<p>« Redécouverte » car Al Qaida et les organisations terroristes centrasiatiques ont recours à une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-emission-du-mardi-31-aout-2021">guerre asymétrique</a> déjà pratiquée au début du siècle dernier par des indépendantistes en pays ouïgour. Vue des oasis, du désert du Taklamakan ou de l’arrière-pays que forment les Pamirs, cette vaste région minérale s’apparente à une mer intérieure. Vue de Pékin, elle constitue davantage un front pionnier.</p>
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<figcaption><span class="caption">China’s Hidden War On Terror : Special Report, 10 mai 2019.</span></figcaption>
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<p>Les visées de la RPC butent aussi sur des précédents historiques que les populations locales n’ont guère oubliés. Nombre de Basmatchis (peuples musulmans, notamment turcs opposés à la domination russe et soviétique) se sont réfugiés, dans les années 1930, en Afghanistan et dans le nord-ouest de la Chine. Une <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_292_4801_t1_0454_0000_2">éphémère République du Turkestan voit même le jour</a>. Son gouvernement provisoire, dirigé par l’émir auto-proclamé Abdullah Bughra ( ?-1934), s’établit dans <a href="https://theconversation.com/tadjikistan-et-kirghizistan-deux-foyers-dincertitude-aux-portes-de-la-chine-148362">l’oasis de Khotan</a> (<em>Hetian</em> en chinois), à l’est de Kachgar. Soutenue par le roi d’Afghanistan, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohammad_Zaher_Shah">Mohammed Zahir Shah</a> (1914-2007), qui lui fournit des armes, et bien qu’aidée par des rebelles kirghizes qui la rejoignent, celle-ci sera âprement combattue puis défaite par l’armée des nationalistes chinois avec l’aide financière de Staline.</p>
<p>La diplomatie chinoise n’hésitera pas non plus, en pleine guerre froide, à s’associer avec les services secrets pakistanais (ISI) et la CIA pour soutenir les <a href="https://theconversation.com/la-question-ou-goure-au-coeur-des-enjeux-entre-pekin-et-kaboul-150051">moudjahidines dans leur lutte contre les Soviétiques</a>. Aujourd’hui encore, la région reste redoutée par Pékin.</p>
<h2>À l’ouest, rien (de trop) nouveau…</h2>
<p>Dans sa recherche constante d’une sanctuarisation territoriale, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/episode-1-4-pakistan-la-strategie-de-l-ambiguite">Pékin cherche à s’appuyer non seulement sur le Pakistan</a> mais aussi, et dans son prolongement, sur l’Iran, pour dynamiser l’ensemble de la région dont l’Afghanistan est le centre.</p>
<p>Le fait que le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, ait assisté d’une part à la <a href="http://french.xinhuanet.com/2015-12/04/c_134886105.htm">5ᵉ conférence ministérielle du Processus d’Istanbul – Cœur de l’Asie sur l’Afghanistan</a>, qui s’est déroulée en 2015 à Islamabad, et que la Chine n’ait jamais écarté les talibans des négociations, cherchant au contraire à les associer aux <a href="https://www.letemps.ch/monde/situation-afghanistan-provoque-desarroi-inde-attentisme-chine">discussions organisées à Tianjin</a>, va dans le même sens. Pour l’essentiel, hormis <a href="https://asia.nikkei.com/Opinion/The-myth-of-Chinese-investment-in-Afghanistan2">l’hypothétique exploitation des immenses richesses</a> du pays (lithium, fer, or, cuivre – notamment la <a href="https://thediplomat.com/2017/01/the-story-behind-chinas-long-stalled-mine-in-afghanistan/">mine de cuivre de Mes Aynak</a>), c’est pour avoir l’assurance d’une stabilité régionale et pour anticiper ou éviter des attaques terroristes ouïgoures sur le territoire chinois que la RPC s’affiche aux côtés des talibans.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/r94isLSWaEg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Afghanistan : la Chine souhaite des « relations amicales » avec les talibans • France 24, 16 août 2021.</span></figcaption>
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<p>La presse chinoise a abondamment évoqué tout au long du mois d’août dernier « l’échec » de l’Occident et, en particulier, des États-Unis dans l’entreprise de « Nation building » en Afghanistan depuis 2001. Si le bilan de l’intervention américaine, et plus largement de celle de l’OTAN, est <a href="https://www.marianne.net/monde/asie/afghanistan-nous-assistons-a-une-deroute-de-loccident-et-de-lotan">à nuancer</a>, et s’il ne faut pas oublier que cette intervention militaire s’est doublée d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/economie/les-americains-ont-ils-depense-plus-de-1000-milliards-de-dollars-en-afghanistan-20210817">perfusion de dollars et de projets de développement</a>), le traitement médiatique de Pékin ne laisse pas de doute sur sa volonté d’incarner une alternative diplomatique et un modèle de développement pour la région.</p>
<p>Pour autant, les États-Unis se sont retirés massivement tout en conservant des relais locaux, la récurrence des attaques terroristes contre des intérêts ou individus chinois, notamment au Pakistan, ne tarira probablement pas. Le régime de Pékin le sait. La nouvelle donne entraînera probablement une montée en gamme (diplomatique, technique et militaire) des politiques anti-terroristes en Chine à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, s’appuyant sur le Pakistan, l’Asie centrale et une partie du Moyen-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour Pékin, la « guerre contre le terrorisme » lancée par Washington après le 11 Septembre a été l’occasion de s’imposer comme un acteur sécuritaire et diplomatique alternatif pour l’Asie centrale.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1682932021-09-21T19:32:31Z2021-09-21T19:32:31ZEn Afghanistan, la crise humanitaire risque de déboucher sur une famine catastrophique<p>Plus de 14 millions d’Afghans sont menacés de famine à court terme selon le Programme alimentaire mondial.</p>
<p>Les <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2020/people-and-crisis/">statistiques internationales le démontrent</a> avec constance : il existe une étroite corrélation entre la grande pauvreté et la survenue de crises humanitaires.</p>
<p>L’Afghanistan n’échappe pas à cette logique, <a href="https://www1.undp.org/content/undp/fr/home/news-centre/news/2021/el-97--de-la-gente-en-afganistan-podria-caer-en-la-pobreza-a-med.html">ce qui a récemment conduit le Programme des Nations unies pour le Développement</a> (PNUD) à interpeller la communauté internationale sur un risque majeur : en cas de suspension des aides financières internationales, la proportion d’Afghans vivant sous le seuil national de pauvreté atteindrait 97 % de la population. Un record. Avant le 15 août 2021, ce taux était estimé par la Banque mondiale à 72 %. Il était à 60 % en 2020.</p>
<p>Le <a href="https://www.un.org/press/fr/2021/sgsm20876.doc.htm">13 septembre dernier</a> s’est tenue une réunion internationale sous l’égide des Nations unies. Le secrétaire général, Antonio Guterres, a pris à cette occasion une position ferme pour obtenir rapidement les fonds d’urgence estimés nécessaires, exxigeant par ailleurs que les organisations humanitaires <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103602">puissent travailler sans entraves et sans danger</a>. Cet appel aura permis d’obtenir plus de 1 milliard de dollars de promesse de dons.</p>
<p>Plus gênant pour les acteurs de l’aide internationale a été son propos supplémentaire évoquant des <a href="https://www.lalibre.be/international/asie/2021/09/13/antonio-guterres-chef-de-lonu-il-est-tres-important-de-discuter-avec-les-talibans-LEYY2LSQ7VGSTG2QWZJJMJ7IJU/">clauses de conditionnalité de la délivrance des fonds</a>. Le soutien des organisations humanitaires à la population afghane apparaît alors de sa part comme subordonné à des conditions auxquelles les nouvelles autorités du pays devront se conformer pour que l’aide soit effective. Cette déclaration entretient clairement la prééminence d’une aide délivrée sous conditions, dont les organisations humanitaires seraient <em>ipso facto</em> les relais.</p>
<h2>Les différents mécanismes qui construisent la crise humanitaire</h2>
<p>L’Afghanistan cumule différents mécanismes qui, ensemble, conduisent à la rupture d’un équilibre préalable précaire et entraînent la bascule d’une large partie de la population la plus fragile dans une dégradation qui relève d’interventions d’urgence, de l’ordre de la survie :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=464&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422090/original/file-20210920-25-1356up6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=583&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les mécanismes qui construisent la crise humanitaire afghane.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/acaps-thematic-report-afghanistan-humanitarian-impact-and-trends-analysis-23">Sandy Walton-Ellery/Elvire Colin-Madan(trad.FR)/ACAPS</a></span>
</figcaption>
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<p><a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/20210823_acaps_afghanistan_humanitarian_impact_and_trends_analysis.pdf">Une conflictualité incessante perdure depuis quarante ans</a>, réactivée par les offensives qui ont conduit à la chute du gouvernement présidé par Ashraf Ghani.</p>
<p>Les données chiffrées ci-dessous traduisent l’augmentation progressive des blessés et des morts civils depuis 2019, avec une saisonnalité connue dans le pays : la violence, contenue par la paralysie hivernale des déplacements de combattants, augmente au printemps pour atteindre chaque année un pic durant l’été.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422094/original/file-20210920-18-schubm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=492&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le nombre de blessés et de morts parmi les civils augmente progressivement depuis 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNAMA</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, il faut tenir compte des effets de dégradations environnementales qui mêlent, selon les provinces, inondations et sécheresses durables, la crise du Covid-19 étant venue dégrader davantage encore le sombre tableau par ses effets sanitaires et économiques. L’Afghanistan ne déroge pas à la logique qui a conduit les pays les plus pauvres à <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-54121783">subir les effets les plus dévastateurs de la pandémie</a>.</p>
<p>La conjonction des deux mécanismes précédents se traduit par des mouvements de populations. Ces déterminants constitutifs de la crise humanitaire sont à l’œuvre depuis maintenant plus de quatre décennies, faisant, dès 2020, de l’Afghanistan l’un des six pays du monde comptant plus de 10 millions de personnes en besoin d’assistance.</p>
<p>L’Afghanistan est, avec la RDC, le pays où la progression du nombre de personnes en besoin d’une aide vitale a le plus progressé en 2020, avec <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2021/chapter-one-people-and-crisis/">2,7 millions d’individus supplémentaires</a>. Il était déjà, avant l’accélération des migrations en cours depuis début 2021, le sixième pays au monde pour le nombre de déplacés forcés (<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/08/1102762">3,6 millions</a>). Ce sont très majoritairement aujourd’hui des déplacés internes.</p>
<iframe title="Déplacements de population dus à la guerre à l’intérieur du pays" aria-label="Column Chart" id="datawrapper-chart-WydQ5" src="https://datawrapper.dwcdn.net/WydQ5/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="400" width="100%"></iframe>
<p>Le schéma ci-dessus montre la variation des flux de déplacés forcés depuis la chute du régime communiste de Najibullah en 1994. Le pic de 2001 correspond à l’entrée de la coalition et aux combats pour faire chuter le régime taliban arrivé au pouvoir en 1996. Le pic de 2015 correspond à une reprise des offensives des combattants talibans, par suite du retrait officiel des troupes de la coalition internationale en décembre 2014.</p>
<h2>Insécurité alimentaire, maladies, toxicomanie… les mutiples maux qui affligent les Afghans</h2>
<p>Violence, déplacements forcés, pénurie alimentaire et mauvaise qualité de l’eau concourent à dresser un tableau tristement usuel de l’épidémiologie de la pauvreté. S’y ajoute une réalité spécifique à l’Afghanistan, lourde de conséquences sanitaires et économiques : le poids des toxicomanies, au premier rang desquelles l’usage de l’opium.</p>
<p>Un tiers des Afghans étaient en insécurité alimentaire avant la chute de Kaboul. <a href="https://www.unicef.fr/article/nous-ne-pouvons-pas-abandonner-les-enfants-dafghanistan">Un million d’enfants souffrent de malnutrition aiguë sévère</a> mettant en jeu leur pronostic vital. Début 2021, 17 millions d’habitants relevaient d’un besoin d’assistance alimentaire, soit le double de l’année précédente. La moitié des enfants de moins de 5 ans, des femmes enceintes ou allaitantes sont identifiés comme exposés à une sous-nutrition aiguë en 2021.</p>
<p>Leur relocalisation dans des camps de fortune ou dans les périphéries déshéritées des villes renforcent les vulnérabilités : manque de nourriture, exposition au froid, manque d’eau potable et de latrines, manque d’ustensiles comme de combustible pour la cuisine. Se rajoutent les infections respiratoires aiguës, les diarrhées, les dermatoses liées au défaut d’hygiène, et les pathologies de l’accouchement et plus globalement de la sphère gynécologique chez les femmes. Il émerge encore, par la promiscuité et le regroupement, le risque important d’épidémies multiples : rougeole (souvent mortelle chez des enfants dénutris), méningites…</p>
<iframe title="Coût humain de la guerre en Afghanistan" aria-label="Diagramme en barres" id="datawrapper-chart-MC1UW" src="https://datawrapper.dwcdn.net/MC1UW/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="207" width="100%"></iframe>
<p>Deux indicateurs épidémiologiques sont usuellement considérés en santé internationale comme rendant compte du niveau global de développement et d’accès à la santé d’un pays : le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans (TMM5 de l’UNICEF) et le taux de mortalité maternelle (TMM).</p>
<p>Sur ces deux indicateurs, l’Afghanistan, avant même la dégradation politique et sociale de l’année 2021, faisait déjà partie des pays les plus pénalisés au monde.</p>
<p>Le tableau ci-dessous fournit quelques éléments de comparaison internationale. Il convient toutefois de traiter ces chiffres avec la prudence que requiert l’usage des données. Il existe en effet une grande asymétrie dans la qualité et la fiabilité des systèmes de collecte d’information selon le niveau socio-économique de chaque pays.</p>
<iframe title="Les pathologies « marqueurs » de la pauvreté et de la défaillance du système de santé" aria-label="table" id="datawrapper-chart-NVTR7" src="https://datawrapper.dwcdn.net/NVTR7/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="307" width="100%"></iframe>
<p>Dans les deux cas, les comparaisons avec les pays voisins sont éloquentes.</p>
<p>Au-delà de toutes les difficultés décrites, il convient cependant de souligner que l’Afghanistan a connu une évolution globale dont rend compte la progression de l’espérance de vie dans le pays : elle était de 55 ans en 2000, quand les talibans ont quitté le pouvoir. <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.LE00.IN?locations=AF">Elle est de 65 ans aujourd’hui</a>.</p>
<p>La consommation problématique de drogues est l’un des problèmes de santé les plus critiques auxquels sont confrontés les hommes, les femmes et les enfants en Afghanistan. De 2005 à 2015, trois enquêtes sur la consommation de drogues ont été menées dans le pays. En 2005, la toute première enquête sur la consommation de drogue estimait que 3,8 % de tous les groupes d’âge consommaient des drogues, les plus couramment utilisées étant le haschich, l’opium, l’héroïne et les produits pharmaceutiques.</p>
<p>En 2009, une enquête de suivi a montré que 8 % de la population âgée de 15 à 64 ans consommait des drogues et qu’il y avait eu une augmentation de 53 % du nombre d’usagers réguliers d’opium et de 140 % du nombre d’usagers d’héroïne depuis 2005.</p>
<p>Cette enquête a également montré que 50 % des parents consommateurs d’opium donnaient de l’opium à leurs enfants pour faciliter le sevrage, et pour contrôler le comportement et/ou la faim. En 2015, l’enquête nationale a révélé que le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7100898/">taux national de consommation de drogues chez les adultes était de 12,8 %</a>, soit plus du double du taux mondial (qui était alors de 5,2 %).</p>
<h2>Les facteurs qui influencent le contexte humanitaire</h2>
<p>Après que les talibans ont été chassés du pouvoir en 2001, le pays a subi de profondes mutations.</p>
<p>Trois d’entre elles, importantes et intriquées, ont des effets qui renforcent la crise humanitaire que connaît la population. Elles constituent également des considérations sensibles pour le nouveau pouvoir dans sa capacité, au-delà de l’expression de la force, à convaincre la population de sa capacité à améliorer son existence.</p>
<p><strong>1. La progression démographique et l’urbanisation</strong></p>
<p>Depuis 1996, la population est passée de 18 à 38 millions d’habitants. C’est l’un des taux de croissance démographique les plus importants au monde (6 % annuel). La première conquête de Kaboul se déroula dans une ville meurtrie par les bombardements, qui ne comptait alors plus que 300 000 habitants. Elle en abrite plus de 4 millions aujourd’hui.</p>
<p>Les Pachtounes, dont les aires d’implantation dans les provinces ont constitué le berceau de l’émergence du mouvement taliban, composent aujourd’hui seulement 25 % de la population de la capitale.</p>
<p>Depuis l’entrée des Soviétiques en 1979, le taux d’urbanisation a quasiment doublé, passant de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SP.URB.TOTL.IN.ZS?locations=AF">15 % à près de 30 % de la population totale du pays</a>.</p>
<p>Cette réalité démographique est en lien avec les peurs qu’entraîne, en particulier chez les citadins, la prise de pouvoir politique par les étudiants en religion. Ce poids des villes recèle pourtant, à terme, de sérieux ferments de résistance face au projet de société des talibans.</p>
<p>A l’inverse, la carte ci-dessous traduit l’asymétrie qui prévalait déjà, en 2017, concernant les taux de pauvreté selon les régions. C’est sur cette réalité économique et sociale que n’a cessé de prospérer le mouvement taliban, jusqu’à sa récente prise de pouvoir.</p>
<iframe title="Taux de pauvreté en Afghanistan" aria-label="Carte" id="datawrapper-chart-QwrwX" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QwrwX/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="596" width="100%"></iframe>
<p><strong>2. La place de la culture du pavot « somnifère » dans l’économie du pays</strong></p>
<p>En Afghanistan, le pavot est une ressource majeure de l’économie rurale. Le pays est de loin le premier producteur mondial d’opium, sa contribution est estimée à <a href="https://www.lawfareblog.com/wheres-us-strategy-counternarcotics-afghanistan">84 % de la production mondiale</a>. Cette situation résulte de trois mécanismes intriqués.</p>
<p>Alors qu’à partir du début du XIX<sup>e</sup> siècle les autres pays producteurs de la région (Iran, Pakistan, Turquie) ont légiféré pour interdire la production, cela n’a pas été le cas en Afghanistan où l’État a été incapable de maîtriser la progression de la production.</p>
<p>La période communiste et l’occupation soviétique ont créé une première augmentation notable des surfaces de culture du pavot : de 1980 à 1989, la production d’opium a été multipliée par cinq. Les recettes réalisées ayant largement contribué à payer l’achat d’armes des moudjahidines (la production était contrôlée par les seigneurs de la guerre qui utilisaient l’argent à diverses fins dont l’achat d’armes ; tous ne soutenaient toutefois pas la rébellion au gré de leurs intérêts et alliances). Enfin, depuis l’entrée de la coalition en 2001, la dégradation de l’agriculture vivrière et la détérioration de la vie économique a <a href="https://www.unodc.org/pdf/report_2001-06-26_1_fr/report_2001-06-26_1_fr.pdf">poussé les agriculteurs vers la culture du pavot</a>.</p>
<p>En 2020, le pays comptait 224 000 hectares de pavot (surtout situés dans les provinces Sud), soit une hausse de 37 % par rapport à 2019. <a href="https://www.unodc.org/pdf/report_2001-06-26_1_fr/report_2001-06-26_1_fr.pdf">Le même rapport</a> apporte des informations complémentaires : 6 300 tonnes d’opium produit et un revenu cumulé évalué à 2 milliards de dollars pour tous les maillons de la chaîne (agriculteurs, exploitants, négociants, etc.).</p>
<p>L’année 2020 constitue l’un des quatre plus forts pics de surfaces cultivées de l’histoire du pays. Cette production représenterait aujourd’hui <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/20210823_acaps_afghanistan_humanitarian_impact_and_trends_analysis.pdf">entre 6 et 11 % du PIB de l’Afghanistan</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422174/original/file-20210920-13-7aqq4j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution de la surface de cultivation de pavot somnifère en Afghanistan de 1994 à 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNODC, Afghanistan Opium Survey 2020</span></span>
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</figure>
<p><strong>3. Un enchaînement fatal qui dégrade l’économie rurale</strong></p>
<p>Conflits armés, déplacements forcés, fragilités et dégradations environnementales, détérioration de l’agriculture vivrière, augmentation de la culture du pavot : ces différents facteurs convergent et se cumulent pour provoquer une insécurité alimentaire majeure.</p>
<p>L’Afghanistan est un pays de hautes montagnes où les sols sont arides tandis que les plaines et l’eau sont rares. Sur une superficie totale de 65 millions d’hectares (650 000 km<sup>2</sup>), on estime que seuls 8 millions sont arables, soit 12 % du pays.</p>
<p>Les systèmes d’irrigation ont été largement détruits lors des bombardements pendant l’occupation soviétique (1979-1989) et subi des dégradations volontaires commises par différents belligérants au gré de la lutte armée. Ils n’ont pas toujours été reconstruits sur fond d’exode rural et de réorientation de la production agricole vers la culture du pavot, moins consommatrice en eau. Le pays ne peut toujours pas tirer profit des ressources hydriques gelées en neiges éternelles qui se trouvent dans l’Hindou Kouch. Parce qu’elle est apparue comme une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Economie-et-developpement-en-Afghanistan-comment-la-culture-illegale-du-pavot.html">solution à la précarisation des conditions d’existence dans le monde rural</a>, la culture du pavot n’a cessé de prospérer.</p>
<p>La destruction des zones rurales et des chaînes de production agricole est une constante des dernières décennies, accélérée par le Covid-19.</p>
<p>En 1989, le gouvernement, au bord de la faillite, n’a que peu de ressources à allouer à l’agriculture, et les subventions accordées pour la culture du blé sont souvent mal coordonnées et finalement inefficaces. En 2001, la reprise des combats et des bombardements aériens achève de détruire les infrastructures et les terres agricoles afghanes.</p>
<p>De plus, une partie des terres agricoles sont rendues inutilisables par la dissémination de mines. L’acheminement et la vente de ces produits sont également désorganisés. Les infrastructures de transports, comme les routes, qui permettaient de relier les producteurs aux consommateurs, ont été gravement endommagées. La guerre, à ses différents stades, a ainsi empêché le développement économique du pays, avec l’absence notable de crédits agricoles et de réformes agraires.</p>
<p>La carte ci-dessous montre les provinces afghanes dans lesquelles la production de pavot a le plus progressé entre 2019 et 2020. Elle met en évidence de claires congruences des zones de culture avec les territoires où les taux de pauvreté sont les plus élevés, traduisant le réflexe d’adaptation de la part des paysans afghans face à la dégradation de leurs revenus et de leurs conditions de vie.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=417&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422171/original/file-20210920-17-q2fxz4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=524&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Variation du taux de culture de pavot somnifère par province, 2019-2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">UNODC, Afghanistan Opium Survey 2020</span></span>
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</figure>
<p>La sécheresse de 2018, les inondations de 2019 et la crise sanitaire de 2020 ont aggravé la sécurité alimentaire du pays. En 2020, le pouvoir d’achat de nombreux foyers a enregistré une baisse de 20 % ainsi qu’une précarisation des emplois de 14 %.</p>
<p>Le Covid-19, en plus de déclencher une crise économique, a également provoqué une grave crise sanitaire : une étude du ministère afghan de la Santé en août 2020 évalue à 10 millions, soit un tiers de la population afghane, le nombre de personnes contaminées.</p>
<p>Dans ce contexte économique, l’opium s’est ainsi imposé comme base de crédit. Une vente anticipée ainsi que des paiements différés sont accordés comme prêts sans intérêts. Cela permet aux agriculteurs d’investir dans leur production agricole future comme le blé et le cumin.</p>
<p>Ce système d’avance, appelé <a href="https://www.ecoi.net/en/file/local/1231617/1002_1225125226_afghanistan-poppy.pdf">salaam</a>, vient compenser l’absence de crédits agricoles légaux et encadrés. Beaucoup de familles et spécialement les plus pauvres sont tributaires de ces prêts. En ce sens, <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/covid/Covid-19-and-drug-supply-chain-Mai2020.pdf">l’éradication soudaine de ces cultures sans alternative aggraverait lourdement l’endettement de ces ménages</a>, en même temps que la situation actuelle expose à un risque d’effondrement alimentaire du pays.</p>
<h2>Les obstacles potentiels au déploiement de l’aide d’urgence</h2>
<p>La situation de la population afghane requiert une aide internationale, qui pour être rapidement déployée doit contourner ou résoudre des obstacles concrets de différentes natures.</p>
<p>Cinq points méritent une attention particulière :</p>
<p><strong>1.</strong> L’aide internationale devra veiller à mobiliser au mieux et à soutenir les ressources existantes, ou ce qu’il en reste, à la suite des événements de ces derniers mois. Les nouvelles autorités sont confrontées à la fuite des cerveaux et à l’effondrement de l’appareil d’État, en particulier à l’effondrement du système de santé par manque de professionnels compétents, de moyens, de chaîne logistique.</p>
<p><strong>2.</strong> La sécurité des intervenants humanitaires, qui conditionne la capacité de la population à recevoir l’aide apportée, doit faire l’objet d’une attention spécifique. La violence – à laquelle le personnel afghan est plus particulièrement exposé – revêt une importance particulière pour les intervenants humanitaires à l’échelon local, là où les aides se déploient. Les chiffres disponibles pour le début de l’année 2021 incitent en effet à la prudence. L’Afghanistan, de façon récurrente ces dernières années, a fait partie des pays les plus générateurs de violence à l’égard des personnels humanitaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/422187/original/file-20210920-19-7mcqv8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Actes hostiles à l’égard du personnel humanitaire en Afghanistan entre janvier et juin 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">INSO</span></span>
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<p>L’attention aux risques sécuritaires soulève deux questions connexes : la réalité du contrôle et de la régulation que pourra exercer le pouvoir en place, entre les intentions/déclarations affichées à Kaboul et sur la scène internationale, et l’application effective de ces postures au niveau des responsables talibans provinciaux et locaux ; et l’évolution de la violence qui pourrait résulter de la résurgence active de groupes djihadistes, dans le sillage des attentats sur l’aéroport de Kaboul en août dernier.</p>
<p><strong>3.</strong> Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103602">déploiement effectif du soutien financier international</a>. Si la <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/revue-de-presse-internationale/20210914-%C3%A0-la-une-l-onu-au-chevet-de-l-afghanistan-au-bord-de-l-effondrement">conférence des donateurs du 13 septembre 2021</a> a, on l’a dit, permis de réunir des engagements de principe de plus de 1 milliard de dollars, les organisations humanitaires devront rester attentives à des questions très concrètes qui pourraient en contrarier le déploiement effectif :</p>
<ul>
<li><p>La rapidité de la mise à disposition des sommes promises par les États donateurs.</p></li>
<li><p>La possibilité de réaliser les transferts financiers depuis l’étranger, ce qui suppose la restauration d’un système bancaire fonctionnel à Kaboul, mais également dans tout le pays, car une partie de cette aide va être constituée de versements directs aux familles (CTP, <em>cash transfer programs</em>) ou faire l’objet de programmes de travaux rémunérés effectués par les populations locales.</p></li>
<li><p>Les taxes imposées sur l’aide financière apportée à la population par les talibans sur les territoires conquis avant la chute de Kaboul ne doivent plus avoir cours, face au niveau de pauvreté général qui prévaut désormais.</p></li>
</ul>
<p><strong>4.</strong> L’accès à l’ensemble des populations et des territoires est un enjeu crucial. L’aide nécessaire concerne l’ensemble de la population, sans discrimination entre groupes tribaux et l’accès non discriminé à cette aide, y compris pour les femmes et les fillettes. Ceci a pour corollaire la non-remise en cause de la contribution des professionnelles femmes dans le personnel humanitaire. Elles jouent un rôle incontournable dans la prise en charge des femmes et des enfants.</p>
<p><strong>5.</strong> La restauration d’une chaîne logistique fonctionnelle reste une priorité dont les déclinaisons concrètes sont multiples :</p>
<ul>
<li><p>Réouverture de l’aéroport de Kaboul au fret et à l’accueil des vols passagers internationaux.</p></li>
<li><p>Simplification des procédures administratives pour les voyageurs et les dédouanements de marchandise.</p></li>
<li><p>Réouverture des voies d’acheminement et des transports routiers entre Kaboul les capitales provinciales.</p></li>
</ul>
<h2>Et demain ?</h2>
<p>Si la crise humanitaire actuelle arrive à être dépassée, pourra alors débuter un travail de restauration des facteurs de protection de la population générale face à l’exposition aux vulnérabilités qui ravagent l’Afghanistan.</p>
<p>Le nouveau gouvernement afghan est d’emblée confronté à l’acceptabilité sociale des politiques mises en œuvre au service d’une société désormais en grande partie éduquée et urbaine. Ce risque de « divorce » entre villes et campagnes est l’un des enjeux cruciaux pour le nouveau pouvoir.</p>
<p>L’insécurité alimentaire et la grave sous-nutrition, construites par la convergence des mécanismes décrits précédemment, exposent à un risque majeur de famine dans les mois à venir. De fait, l’Afghanistan est au bord de l’effondrement alimentaire.</p>
<p>Nous entrons dans la saison du froid et de la neige, qui vont renforcer davantage encore les besoins en nourriture dans ce pays où l’hiver impose une paralysie transitoire, bloquant tout, y compris la capacité des hommes à se faire la guerre. Il y a donc urgence à restaurer l’aide internationale dont dépendent des millions d’Afghans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Afghanistan, la situation humanitaire est plus que préoccupante. La population, en proie à de graves difficultés sanitaires et économiques, pourrait bientôt subir une famine de grande ampleur.Pierre Micheletti, Concepteur et responsable pédagogique du diplôme universitaire « Santé Solidarité Précarité » à la Faculté de Médecine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673832021-09-15T19:10:45Z2021-09-15T19:10:45ZLe Pakistan et les talibans : les liaisons dangereuses<p>Alors que les talibans célèbrent le départ des troupes américaines depuis le 31 août 2021 et <a href="https://theconversation.com/les-talibans-a-lepreuve-du-pouvoir-167319">viennent d’établir un gouvernement</a>, de nombreux regards se tournent vers le Pakistan, dont l’establishment se félicite, de manière plus ou moins dissimulée, de l’évolution des événements chez le voisin du nord.</p>
<p>Le rôle d’Islamabad dans le succès taliban est presque de notoriété publique. L’acteur central de cette coopération est, depuis des décennies, l’armée pakistanaise, et plus particulièrement sa puissante agence de renseignements, <a href="https://www.cairn.info/qui-gouverne-le-monde--9782348040696-page-308.htm?contenu=article">l’Inter-Service Intelligence, ou ISI</a>.</p>
<h2>Assurer la survie du pays, envers et contre tout</h2>
<p>Depuis 1947, le <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-1-page-407.htm?contenu=plan">premier impératif politique du Pakistan est de garantir la survie du pays</a>, en particulier face à son voisin indien. Cette obsession détermine à la fois l’évolution interne et le positionnement international de l’État.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oW9Y9GBOc5s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cachemire : aux origines des tensions entre l’Inde et le Pakistan, <em>Le Monde</em>, 12 août 2019.</span></figcaption>
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<p>À cette perception de menace imminente s’ajoute l’incertitude causée par la non-reconnaissance de la <a href="https://www.jstor.org/stable/26572400?seq=1">ligne Durand</a>, la frontière afghano-pakistanaise, qui, négociée entre l’envoyé britannique Sir Henry Mortimer Durand et l’émir d’Afghanistan Abdur Rahman Khan en 1893, sépare arbitrairement les populations locales, sans considération ethniques ni topographiques – les préoccupations de l’époque ayant été avant tout stratégiques.</p>
<p>Pour le Pakistan, l’objectif est simple : ne pas <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300216165/taliban-revival">se retrouver encerclé</a> par deux pays ennemis. C’est pourquoi Islamabad a toujours agi de façon à ce que l’Afghanistan ne soit pas gouverné par un pouvoir politique favorable à l’Inde.</p>
<p>Un gouvernement afghan neutre, voire favorable aux intérêts pakistanais, permettrait ainsi à Islamabad de se concentrer exclusivement sur le cas indien – son troisième voisin, la Chine, étant qualifié d’« ami de tout temps » (<a href="http://web.isanet.org/Web/Conferences/HKU2017-s/Archive/80de1ecf-8860-4917-a39c-d7b738b762e9.pdf"><em>all-weather friend</em></a>) et ne représentant donc pas une menace imminente.</p>
<p>C’est dans ce contexte d’insécurité que l’armée pakistanaise, et en particulier l’ISI, puise la source de son pouvoir politique : sans ennemi de la nation, nul besoin d’une armée si puissante. En d’autres termes, un environnement politique et sécuritaire instable est un <a href="https://www.jstor.org/stable/20869714?seq=1">facteur de puissance et d’influence politiques</a> pour l’establishment militaire pakistanais.</p>
<p>Le contexte géopolitique régional, imprégné de méfiance, de suspicion et d’adversité, est favorable à une organisation dont le désordre et l’insécurité sont les principaux leviers d’action. Pensant à l’ISI, <a href="https://www.france24.com/fr/20080118-une-sinistre-histoire-despion-pakistan-services-secrets">d’aucuns s’imaginent</a> une agence de renseignement menée par et employant des voyous, des extrémistes, presque des criminels. Il n’en est rien : l’ISI est une bureaucratie digne de son armée, hautement professionnelle, compétente dans son domaine, organisée, à la structure hiérarchique claire et respectée. Placée sous commandement militaire, son personnel provient en majeure partie des rangs de l’armée, ce qui lui assure une grande cohésion interne et, par là même, longévité et stabilité. Puissant et fort de ressources humaines, financières et matérielles, l’ISI met en œuvre de manière continue la politique pakistanaise de soutien à des groupes islamistes depuis maintenant une cinquantaine d’années.</p>
<h2>Un patronage de longue haleine</h2>
<p>L’implication pakistanaise dans la politique afghane est loin d’être nouvelle. Dès les années 1970, alors que le pouvoir et l’autorité du <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2007/07/24/zaher-shah-dernier-roi-d-afghanistan_938686_3382.html">roi Zaher Shah</a> (1933-1973) commencent à vaciller, Islamabad fournit un <a href="https://www.jstor.org/stable/4328240">soutien politique et militaire</a> à différentes factions afghanes.</p>
<p>Pendant la période d’invasion soviétique, entre 1979 et 1989, l’armée pakistanaise, en bonne partie via l’ISI, apporte une assistance financière, matérielle et d’entraînement aux moudjahidines. Allié de Washington, le Pakistan <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/quand-la-cia-aidait-les-fous-de-dieu_606084.html">achemine également l’aide américaine aux combattants afghans</a>.</p>
<p>C’est à cette époque que <a href="https://www.understandingwar.org/pakistan-and-afghanistan">l’ISI accroît sa puissance et son champ d’action</a>. Alors que l’Afghanistan s’enfonce dans la guerre civile à partir de 1989, le Pakistan suit et soutient la formation progressive d’un mouvement d’étudiants en religion qui prennent les armes sous la direction du mollah Omar pour rétablir sécurité et justice en Afghanistan et lutter contre le pouvoir et l’autorité des chefs tribaux et des seigneurs de guerre.</p>
<p>Dès leur formation en 1994, les talibans bénéficient ainsi du <a href="https://www.hrw.org/reports/2001/afghan2/Afghan0701.pdf">soutien pakistanais</a> : financement, recrutement, armement, entraînement, planification et stratégie, voire, selon certains témoignages, une participation directe à des opérations de combat. Aucun échelon de la chaîne opérationnelle du mouvement n’est totalement isolé du Pakistan. Lors de leur présence au pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001, les talibans seront reconnus par trois pays uniquement, dont le Pakistan (les deux autres étant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis).</p>
<p>Lorsque les troupes internationales entrent en Afghanistan en 2001, d’abord avec <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/120/A/47015">l’opération Liberté immuable</a>, puis avec la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_69366.htm">Force internationale d’assistance à la sécurité</a>, le Pakistan se voit délivrer un <a href="https://www.nytimes.com/2006/09/22/world/asia/22pakistan.html">ultimatum</a> de la part de l’administration américaine : soit le pays soutient l’opération internationale et rejoint la lutte anti-terroriste, soit il connaîtra le même sort que l’Émirat islamique d’Afghanistan.</p>
<p>Pour Pervez Musharraf, qui est à la tête du pays depuis 1999 (et le restera jusqu’en 2008), il s’agit d’un <a href="https://www.simonandschuster.com/books/In-the-Line-of-Fire/Pervez-Musharraf/9781439150436">non-choix</a>. Dans la guerre contre le terrorisme proclamée par George W. Bush, le Pakistan se positionne comme un allié des Américains.</p>
<p>Pourtant, Islamabad, et surtout Rawalpindi – où se situe le quartier général de l’armée pakistanaise – ne comptent pas pour autant abandonner l’atout taliban. C’est alors que le tristement connu <a href="https://cf2r.org/actualite/la-poursuite-du-double-jeu-pakistanais/">« double jeu » pakistanais</a> commence : tout en assistant les opérations internationales, notamment par le biais de la sécurisation des chaînes de ravitaillement des troupes présentes en Afghanistan, Islamabad continue de <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/the-taliban-at-war/">soutenir les talibans</a>, en leur donnant librement accès à des sanctuaires situés sur le territoire pakistanais, mais également par une assistance financière, matérielle et en matière d’entraînement.</p>
<p>Comme l’a <a href="https://www.independent.co.uk/asia/south-asia/taliban-pakistan-imran-khan-afghanistan-b1903821.html">indiqué récemment</a> l’actuel premier ministre pakistanais Imran Khan (en poste depuis 2018), il est certes compliqué d’identifier les talibans parmi les centaines de milliers d’Afghans qui peuplent les camps de réfugiés installés depuis des années au Pakistan. Mais les témoignages faisant état de la <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/117472/DP%2018.pdf">présence de membres de l’ISI</a> aux réunions de la Choura de Quetta (un conseil de leaders talibans formé suite à la chute du régime en 2001) ou de <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/the-taliban-at-war/">l’entraînement de combattants talibans</a> par l’armée pakistanaise laissent moins de place à l’interprétation.</p>
<p>D’ailleurs, certains ne s’en cachent pas : le général Hamid Gul, ancien directeur de l’ISI (1987-1989) et <a href="https://www.dw.com/en/the-godfather-of-the-taliban-hamid-gul-and-his-legacy/a-18652103">parrain</a> des talibans afghans, s’était ainsi félicité, lors d’une <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-07-22/pakistans-pyrrhic-victory-afghanistan">déclaration télévisée</a> en 2014, du fait que « lorsque l’histoire sera écrite, il sera dit que l’ISI a vaincu l’Union soviétique en Afghanistan avec l’aide de l’Amérique. Puis il y aura une autre phrase. L’ISI, avec l’aide des États-Unis, a vaincu l’Amérique ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Afghanistan : quels partenaires pour les talibans ? Arte, 8 septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>Le prix de la victoire</h2>
<p>Il est toutefois certain, <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-07-22/pakistans-pyrrhic-victory-afghanistan">comme le soutient l’ancien ambassadeur pakistanais aux États-Unis Hussain Haqqani</a>, que le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan relève d’une victoire à la Pyrrhus pour Islamabad.</p>
<p>Cette politique myope de soutien à tout acteur pouvant représenter un levier stratégique contre l’Inde a joué un rôle majeur dans la normalisation du terrorisme et de la violence politique dans la région.</p>
<p>Une telle tactique ne peut <em>in fine</em> que se retourner contre ceux qui l’ont élaborée et mise en œuvre.</p>
<p>Il y a trente ans, le Pakistan a partiellement réussi à réorienter des combattants talibans contre son adversaire de toujours, l’Inde, en les guidant vers la lutte dans le Cachemire. Le prix à payer pour le pays est pourtant lourd : au Pakistan, la <a href="https://www.jstor.org/stable/23280406?seq=1">stratégie d’utilisation des militants islamistes quasiment depuis son indépendance</a> et amplifiée par les politiques court-termistes de Zia ul-Haq (1977-1988), a abouti à une <a href="https://icrd.org/wp-content/uploads/2017/12/Countering-Violent-Religious-Extremism-in-Pakistan-White-Paper.pdf">radicalisation religieuse qui est encore aujourd’hui l’une des plus élevées au monde</a>.</p>
<p>Le pays est en proie à une instabilité constante du fait de la présence d’un nombre élevé de groupes islamistes sur le territoire national. La politique de l’armée pakistanaise semble presque schizophrène : soutien à des groupes islamistes identifiés comme des atouts stratégiques d’un côté, lutte contre d’autres groupes de l’autre.</p>
<p>Ainsi, les forces armées pakistanaises soutiennent les talibans afghans et combattent les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pakistan-les-talibans-revendiquent-un-attentat-qui-a-fait-4-morts-06-09-2021-2441611_24.php">talibans pakistanais</a> – le Tehrik-e-Taliban Pakistan, ou TTP. Pourtant, talibans afghans et TTP sont <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/tehrik-i-taliban-pakistan">liés</a> : si leurs objectifs sont nationaux – une forme de « chacun chez soi » – les deux groupes coopèrent notamment dans les régions pachtounes des deux pays, et les membres du TTP reconnaissent l’autorité de l’émir taliban, aujourd’hui le mollah Akhundzada.</p>
<p>La <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00396338.2018.1518379">réalité de la relation</a> entre talibans afghans et establishment militaire pakistanais est donc plus complexe et bien moins stable que ce que l’on pourrait penser.</p>
<p>Fluctuante, cette connexion entre le Pakistan et le mouvement taliban afghan évolue au gré des intérêts de sécurité nationale du premier et de la recherche d’autonomie stratégique du second. Ce n’est pas un hasard si Abdul Ghani Baradar, le numéro deux des talibans, a été <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/faith-unity-discipline/">arrêté à Karachi en 2010</a> juste après avoir affiché une volonté de négociation avec <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2014/04/01/hamid-karzai-le-reve-afghan-brise_4393871_3208.html">Hamid Karzai</a> (alors président de l’Afghanistan), sans accord ni discussion préalable avec les Pakistanais.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pakistan : quatre paramilitaires tués dans un attentat suicide, Euronews, 5 septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>Après le crime, le châtiment ?</h2>
<p>Il est certain que la possibilité de bénéficier d’un sanctuaire au Pakistan pèse lourd dans la balance des avantages que les talibans afghans tirent de leur relation avec l’armée pakistanaise. La situation actuelle en Afghanistan soulève dès lors une question cruciale : si les talibans (dont aucun pays ne reconnaît officiellement l’autorité sur l’Afghanistan pour l’instant) parviennent à stabiliser le pays, voire à établir des relations diplomatiques avec d’autres États – au premier rang desquels la Chine, la Russie, l’Iran ou encore le Qatar –, à quel levier d’influence les Pakistanais pourront-ils encore faire appel pour peser sur le groupe islamiste ?</p>
<p>Et si les talibans afghans ont dans leur visée la réunification de tous les territoires pachtounes au sein d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-1-page-177.htm">Afghanistan élargi</a>, comment les Pakistanais pourront-ils éviter un accroissement de l’instabilité, voire des velléités de sécession, de la part des populations pachtounes du pays ?</p>
<p>Il est en effet bon de le rappeler : pendant leurs cinq années de gouvernance de l’Afghanistan entre 1996 et 2001, les talibans n’ont jamais reconnu la ligne Durand comme frontière internationale… Enfin, et surtout, la victoire militaire des talibans afghans pourrait inspirer d’autres groupes islamistes présents au Pakistan et les redynamiser dans leur lutte contre le gouvernement pakistanais.</p>
<p>Dangereuses, les relations que l’institution militaire pakistanaise a établies avec les talibans afghans risquent de se retourner une fois de plus contre Islamabad. Ainsi le Pakistan, dans sa lutte historique contre la supposée menace indienne, se trouve à nouveau être le premier architecte de ses propres difficultés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167383/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Vandamme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le Pakistan semble avoir atteint son objectif avec la victoire des talibans, son soutien aux fondamentalistes pourrait se retourner contre lui.Dorothée Vandamme, Chargée de cours, UMons et Chargée de cours invitée, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1675552021-09-14T21:50:50Z2021-09-14T21:50:50ZL’engagement de l’armée française en Afghanistan : 90 morts pour rien ?<p>Le 15 août 2021, la <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-triomphe-des-talibans-malgre-les-milliards-depenses-par-les-etats-unis-166158">prise de Kaboul par les talibans</a> suscite la stupeur dans l’opinion publique mondiale et, en particulier, française.</p>
<p>Le lendemain, lors d’une <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/08/16/allocution-relative-a-la-situation-en-afghanistan">allocution télévisée</a>, le président de la République Emmanuel Macron rappelle l’engagement militaire de la France de 2001 à 2014. Il fixe une priorité : mettre en sécurité les Français sur place ainsi que tous les Afghans qui ont travaillé pour la France. Il propose l’aide de Paris à tous les Afghans – défenseurs des droits, militants, artistes, journalistes – menacés en raison de leur engagement, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/afghanistan-la-polemique-sur-les-flux-migratoires-irreguliers-craints-par-emmanuel-macron-en-quatre-actes_4741151.html">tout en mettant en garde l’Europe face au risque d’une vague migratoire</a>.</p>
<p>Le président exprime également ses pensées aux familles des soldats français qui ont perdu la vie en Afghanistan. Treize ans plus tôt, pratiquement jour pour jour, se déroulait <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/les-etes-meurtriers-78-afghanistan18-aout-2008-dix-soldats-francais-tues-dans-lembuscade-duzbin">l’embuscade d’Uzbin</a> dans le district de Surobi, 80 kilomètres à l’est de Kaboul. Les Français découvraient alors avec stupéfaction que l’armée menait des opérations de guerre en Afghanistan.</p>
<p>Qui se souvient qu’entre 2002 et 2014, environ 70 000 militaires se succèdent dans ce pays ? En douze ans, les missions de l’armée française évoluent du retour à la paix vers des combats de plus en plus importants, au prix de <a href="https://www.defense.gouv.fr/terre/base/in-memoriam/afghanistan">90 tués</a>, plus de 700 blessés et de nombreux blessés psychologiques dont le décompte demeure incertain.</p>
<p>Aujourd’hui, pour les familles meurtries comme pour les citoyens, parfois éloignés du monde militaire, se pose la question du sens des sacrifices consentis par la Nation : 90 morts pour rien ?</p>
<h2>Une opération de stabilisation (2002-2006)</h2>
<p>Après les attentats du 11 septembre 2001, les <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1842551001/allocution-du-president-de-la-republique-monsieur-jacques-chirac">premières forces françaises sont rapidement envoyées en Afghanistan</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420224/original/file-20210909-19-9caqkv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chronologie de l’engagement français de 2001 à 2002.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>À la suite de la chute des talibans et des <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/af2001.htm">accords de Bonn</a> du 5 décembre 2001, la France contribue à la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_69366.htm">FIAS</a>) dans le cadre de <a href="https://fr.calameo.com/read/00415197856d5291eaa96">l’opération « Pamir »</a>, sous mandat de l’ONU (qui passe la main à l’OTAN en 2004).</p>
<p>Entre 2002 et 2006, le bataillon interarmes français (BATFRA) est présent à Kaboul. L’armée française a alors pour mission la sécurisation de la zone et ses environs, en restant centrée sur l’aéroport, le nord de la ville, les districts de police 11 et 15 et la plaine de Chamali.</p>
<p>Le BATFRA se consacre à une mission de stabilisation. Il s’agit d’accélérer la normalisation de la situation dans le pays en favorisant l’émergence et l’affirmation d’une autorité civile légale. Durant l’été 2006, la <a href="https://www.understandingwar.org/region/regional-command-capital">Region Command Central Capital</a> (RC-C), sous commandement de l’OTAN, est créée et le district de Surobi est intégré dans ce nouveau découpage territorial.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420225/original/file-20210909-17-1tmls15.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les différents mandats du BAFTRA (2002–2009).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Chaque nation qui exerce le commandement du RC-C doit envoyer un détachement interarmes sur la <a href="https://www.liberation.fr/planete/2009/09/07/afghanistan-dans-le-poste-avance-des-militaires-francais_579849/">base de Tora</a> (Surobi) pour contrôler cet espace stratégique. Les soldats français se heurtent alors à une résistance plus vive. Au mois d’octobre 2006, les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2006/12/04/01003-20061204ARTFIG90103-le_soulevement_taliban_se_repand_en_afghanistan.php">talibans appellent à l’insurrection générale</a>.</p>
<h2>De l’imposition de la paix à la contre-insurrection (2007-2009)</h2>
<p>Au printemps 2007, la France participe à la relance de la guerre contre les talibans menée par la coalition internationale. Il s’agit d’imposer la paix, y compris par la force.</p>
<p>L’élection de Nicolas Sarkozy, le <a href="https://www.liberation.fr/france/2009/02/11/retour-de-la-france-dans-l-otan-la-polemique-monte_309420/">retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN</a> et le souhait du chef d’état-major des armées – le général <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20191114.OBS21095/qui-est-jean-louis-georgelin-le-general-en-mission-notre-dame-qui-veut-que-ca-depote.html">Jean-Louis Georgelin</a> – de ne pas voir les forces françaises « se vassaliser » au profit des autres grandes puissances poussent la France dans l’engrenage des combats.</p>
<p>Les années 2008 et 2009 sont celles du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/12/18/01003-20081218ARTFIG00374-la-france-envisagerait-de-renforcer-ses-troupes-en-afghanistan-.php">redéploiement</a> de l’armée française et de l’accélération du processus d’adaptation à la lutte contre la guérilla menée par les talibans. Au printemps 2008, un groupement de mille hommes supplémentaires est annoncé pour un déploiement dans la <a href="https://www.google.com/maps/place/K%C3%A2p%C3%AEss%C3%A2,+Afghanistan/@34.9474295,68.9925164,9z/data=!4m5!3m4!1s0x38d03661144c7495:0x88b2c4004d8134e1!8m2!3d34.9810572!4d69.6214562">province de Kapisa</a> à l’été.</p>
<p>Alors que les restrictions d’emploi des forces françaises au sein de l’OTAN sont levées, le processus d’adaptation réactive est lancé. Il vise à <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/afghanistan/lafghanistan-modifie-le-paquetage-du-soldat-francais-1622367">moderniser l’équipement des troupes françaises</a> sur le terrain.</p>
<p>Le 18 août 2008, l’embuscade meurtrière d’Uzbin, qui coûte la vie à dix soldats, agit comme un accélérateur de la transformation de l’armée.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 2 : 10 soldats français tués en Afghanistan, 19 août 2008 (<em>Archive INA</em>).</span></figcaption>
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<p>De nouveaux matériels et équipements sont envoyés en Afghanistan et la préparation opérationnelle passe à six mois : pour un soldat français, une projection dans le pays occupe une année entière. En janvier 2009, une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2010-1-page-83.html?contenu=resume">doctrine de contre-rébellion</a> est adoptée. C’est un retour aux fondamentaux du combat.</p>
<p>Les mandats qui se succèdent en Kapisa et dans le district de Surobi lancent une série d’expérimentations tactiques. C’est le retour de la contre-insurrection, qui vise à couper la population des insurgés et à gagner – autant que possible dans ce pays si compliqué – les cœurs et les esprits.</p>
<p>Les Français suivent en cela les troupes américaines, dont les commandants en Afghanistan, les <a href="https://www.france24.com/fr/2010062-changement-tactique-depart--general-mcchrystal-obama-afghanistan">généraux Mc Chrystal et Petraeus</a>, pensent détenir les clés du succès militaire en remettant au goût du jour (d’abord en Irak puis en Afghanistan) les <a href="https://www.penseemiliterre.fr/lieutenant-colonel-david-galula-peut-on-etre-prophete-en-son-pays-_470_1013077.html">écrits du lieutenant-colonel français David Galula</a> (1919-1968), qu’ils qualifient de « Clausewitz de la contre-insurrection ».</p>
<p>L’armée française participe aussi à la formation de l’armée nationale afghane (ANA), que ce soit dans le cadre de <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/operations/afghanistan-dissolution-du-detachement-epidote">l’opération Epidote</a> ou au sein des équipes de liaison et de mentorat opérationnel, ses membres accompagnant les soldats afghans au combat tout en poursuivant leur entraînement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420211/original/file-20210909-23-10jai10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les soldats français vont passer de nombreuses années à former l’ANA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pascal Guyot/AFP</span></span>
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<h2>De la contre-insurrection au retrait (2009-2014)</h2>
<p>À la fin de l’année 2009, l’ensemble des moyens militaires français est regroupé dans la province de Kapisa et dans le district de Surobi. Le 1<sup>er</sup> novembre, la <a href="http://webdocs.ecpad.fr/afghanistan/pages/accueil">brigade interarmes (ou Task Force) Lafayette</a> est créée. Elle est placée sous commandement américain.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420226/original/file-20210909-13-t75rej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les différents mandats de la brigade Lafayette (2009–2012).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les deux premiers mandats de la brigade se concentrent en large partie sur la population. Suivant le principe de la tâche d’huile (<a href="https://www.herodote.net/La_mission_civilisatrice_de_la_France-synthese-2114.php">lointain héritage colonial</a>), des bases opérationnelles avancées sont installées sur l’aire de responsabilité française pour faire progresser le contrôle et la pacification de ces espaces. Les forces françaises mènent alors des opérations de guerre.</p>
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<figcaption><span class="caption">La bataille de l’Afghanya, France24, 25 novembre 2009.</span></figcaption>
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<p>La <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_67814.htm">conférence de l’OTAN à Lisbonne</a>, le 20 novembre 2010, fixe une date de retrait pour la fin de l’année 2014. Le principe de la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/la-france-accelere-la-transition-en-afghanistan_949801.html">transition de la responsabilité des opérations et des territoires vers l’armée afghane</a> est adopté et il devient plus difficile de demander aux populations de faire confiance aux forces étrangères, alors qu’elles savent que les militaires devront partir.</p>
<p>Les objectifs principaux du plan de campagne de la brigade Lafayette se concentrent désormais sur les talibans. Il s’agit de briser l’adversaire pour l’amener à un niveau où il pourra être <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201412/31/01-4831850-le-test-ultime-de-larmee-afghane.php">pris en charge par l’armée afghane seule</a>. Dès l’hiver 2010-2011, le <a href="https://www.defense.gouv.fr/terre/actu-terre/archives/le-battle-group-richelieu-projete-en-afghanistan">Battle Group (BG) Richelieu</a> lance avec succès une <a href="https://lavoiedelepee.blogspot.com/2012/12/nomadisation-en-kapisa-jean-francois.html">tactique de nomadisation</a> au cœur des villages.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420227/original/file-20210909-25-108gv1y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chronologie de l’action de la Brigade Lafayette (2009–2012).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les troupes françaises conduisent des opérations longues. Elles s’installent sur le terrain, dans les habitations, bouclent de vastes zones et procèdent à des fouilles systématiques. Cet effort permet de sécuriser, pour un temps, les axes logistiques vitaux pour ravitailler Kaboul. Simultanément, les troupes françaises du <a href="http://www.opex360.com/2010/11/25/le-battle-group-allobroges-a-pied-doeuvre-en-kapisa/">BG Allobroges</a> poursuivent le quadrillage de la Kapisa en implantant de nouveaux postes de combats et des observatoires.</p>
<p>Le quatrième mandat de la brigade Lafayette marque une rupture : le 2 mai 2011, Oussama Ben Laden est tué lors d’un raid de commandos américains à Abbottabad au Pakistan. Un objectif est donc rempli, alors que le <a href="http://www.slate.fr/story/40095/barack-obama-guerre-afghanistan">président Obama est de plus en plus réticent à envoyer des renforts supplémentaires</a>.</p>
<p>Pour les Français, la préservation des acquis de la campagne précédente entraîne de furieux combats durant l’été. En trois mois seulement, le BG Raptor en Kapisa déplore huit morts et trente blessés tandis que le BG Quinze Deux en Surobi déplore quatre victimes. Après un réaménagement opérationnel durant l’été, la reprise des opérations se solde au mois de septembre par un nouveau mort.</p>
<p>En métropole, <a href="https://www.france24.com/fr/20120120-nicolas-sarkozy-annonce-suspension-operations-francaises-afghanistan-armee">Nicolas Sarkozy décide de suspendre les opérations</a>. Les Français ne retournent plus dans le fond des vallées et les deux mandats suivants de la brigade Lafayette voient le transfert progressif de la responsabilité des combats vers l’ANA.</p>
<p>L’élection de François Hollande, en mai 2012, <a href="https://www.france24.com/fr/20120525-france-militaire-afghanistan-francois-hollande-visite-surprise-kaboul-ministre-etrangere-defense-armee">accélère le retrait</a>. Les soldats français préparent et exécutent un transfert logistique complexe et particulièrement risqué des bases opérationnelles vers la capitale. La brigade Lafayette est dissoute le 25 novembre 2012 après le transfert du district de Surobi et de la Kapisa aux forces afghanes. Les Français sont alors regroupés à Kaboul et quittent définitivement l’Afghanistan le 31 décembre 2014.</p>
<h2>Un sacrifice pour rien ?</h2>
<p>Le sacrifice des soldats français ne peut être considéré comme vain, sinon à renoncer à toute idée de la chose publique ou du destin commun. Les soldats se battent pour défendre les intérêts stratégiques de leur pays mais aussi les uns pour les autres.</p>
<p>Cette parenthèse de vingt ans de relative stabilité en Afghanistan, malgré les combats et le retour des talibans, ouvre un univers de possibles. Après cet engagement, l’armée française est rompue à l’épreuve du feu. Cette expérience opérationnelle accumulée permet de remporter un <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/missions-realisees/afrique/operation-serval-2013-2014">succès rapide</a> au Mali face aux groupes armés terroristes en 2013. Le prix du sang versé aux côtés des alliés de l’OTAN, justifie en partie leur appui en Afrique et au Moyen-Orient. En bande sahélo-saharienne, les Américains fournissent des drones et du renseignement. Les forces spéciales françaises n’hésitent pas de leur côté à venir secourir les forces américaines en mauvaise posture comme à <a href="https://fr.sputniknews.com/international/202105271045660081-le-jour-ou-les-commandos-marine-francais-ont-sauve-les-forces-speciales-us-au-sahel/">Tongo Tongo en 2017</a>.</p>
<p>Pourtant, le sacrifice des militaires français impose aux responsables de notre pays deux réflexions profondes. La première concerne la prise de décision initiale de l’emploi de la force armée. Engager une guerre est souvent plus facile que d’en sortir. L’Afghanistan illustre parfaitement le déficit de débat public en profondeur, alors que le rôle de l’armée française sur place évolue de manière radicale entre 2001 et 2014. Tous les pays de la coalition avaient de bonnes raisons d’envoyer des troupes en Afghanistan, renvoyant souvent à des considérations stratégiques assez éloignées du bien être de la femme afghane ou l’installation de la démocratie. Cela impose une deuxième réflexion sur l’indispensable débat démocratique sur la définition de la stratégie et des objectifs politiques à atteindre par l’intervention armée. Il faut prendre garde de ne pas s’intoxiquer avec sa propre communication opérationnelle, aussi belle et vertueuse soit-elle. Le réel revient toujours avec force dicter ses évidences.</p>
<p>L’intervention militaire dans des États faillis, face à des groupes armés terroristes, ne permet pas de remporter une victoire décisive, même en invoquant le retour de la contre-insurrection. De nouvelles formes d’interventions sont à imaginer. L’usage de la force armée en terre étrangère tend à renforcer les groupes terroristes plutôt qu’à les affaiblir. Tôt ou tard, les populations, d’abord favorables, se retournent contre « l’occupant ». Le retour au multilatéralisme, la diplomatie et le renforcement du droit pénal international avec l’appui de forces comparables à notre gendarmerie nationale seraient sans doute plus efficaces. Combattre le mal à la racine, en quelque sorte, plutôt que s’épuiser vainement contre les symptômes. Vaste programme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Lafaye ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Treize ans de présence en Afghanistan… pour quel résultat ? La chute de Kaboul invite aussi la France à faire le bilan de son interventionnisme passé pour tirer les leçons de ses échecs.Christophe Lafaye, Chercheur associé au GRHIS de l’université de Rouen (EA 3831) et à l’IRSEM, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1671372021-09-13T17:53:48Z2021-09-13T17:53:48ZDes boat-people aux Afghans : les réfugiés, une cause politique pour le PS<p>La prise de Kaboul par les talibans et le séisme politique frappant la région ont eu des répercussions dans la politique intérieure de nombreux pays, à commencer par les États-Unis. En France également, les dirigeants de différents mouvements politiques ont réagi. Ainsi, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste et député, a publié trois tweets relatifs à la chute de Kaboul dès le 15 août, <a href="https://twitter.com/faureolivier/status/1426862047866855425">l’un en son nom</a>, l’autre <a href="https://twitter.com/partisocialiste/status/1427022973857406984">au nom du PS</a>, et un <a href="https://twitter.com/arminarefi/status/1426967842797277187">retweet d’article de presse</a>.</p>
<p>Ces prises de parole, liées aux événéments précis de ces derniers jours, reflètent aussi l’histoire des mouvements politiques. Ainsi les prises de positions socialistes s'inscrivent dans l'histoire longue du PS, dont <a href="https://books.openedition.org/pur/50889?lang=fr">j'étudie la politique internationale depuis de nombreuses années</a>.</p>
<p>Bien que membre de l’Internationale socialiste et héritier d’une tradition ouvrière internationaliste qu’il ambitionne de renouveler, le Parti socialiste <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2000_num_65_1_2874#xxs_0294-1759_2000_num_65_1_T1_0089_0000">refondé au congrès d’Épinay en 1971</a> reste une organisation dont l’ancrage et les objectifs ne sont pas d’abord internationaux. Il entend promouvoir un « nouvel internationalisme » pour « changer la vie » à toutes les échelles, mais ses préoccupations sont celles de ses militants et de son électorat.</p>
<p>Lorsqu’en 1973 le royaume d’Afghanistan devient une République à la suite d’un coup d’État mené avec l’appui militaire soviétique, puis lorsqu’un nouveau coup d’État débouche sur l’instauration de la République démocratique d’Afghanistan en 1978, le Parti ne réagit pas officiellement.</p>
<p>En effet, l’Afghanistan n’est alors pas central dans l’agenda politique français. Le pays entre réellement dans l’horizon diplomatique du PS à partir de son <a href="https://www.jeuneafrique.com/72000/archives-thematique/l-urss-envahit-l-afghanistan/">invasion par l’URSS</a> en décembre 1979, qui en fait un enjeu de Guerre froide de premier plan.</p>
<h2>Le PS face à l’invasion soviétique de l’Afghanistan</h2>
<p>Dès le 2 janvier 1980, un communiqué socialiste condamne l’ingérence soviétique au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et pointe le risque d’enlisement dans un « conflit meurtrier ». Le même jour, le président Valéry Giscard d’Estaing envoie une invitation à François Mitterrand et Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, les conviant à s’entretenir avec le ministre des Affaires étrangères pour évoquer la situation afghane.</p>
<p>Le 11 janvier, Georges Marchais s’exprime à la télévision française en duplex de Moscou, d’où il apporte son soutien à l’intervention soviétique. S’ensuit une <a href="https://www.ina.fr/video/I08017706">passe d’armes à la télévision avec Pierre Joxe</a>, qui dénonce une direction communiste « justifiant l’injustifiable ».</p>
<p>Les tensions entre PS et PCF, déjà fortes depuis la rupture de l’union de la gauche (1972-1977), s’aggravent. Alors que l’invasion de l’Afghanistan marquait la fin incontestable de la Détente, la position du PCF fut dénoncée par le PS comme le signe de son réalignement indéniable sur Moscou - un réalignement auquel on pouvait même désormais imputer la fin des discussions sur la réactualisation du Programme commun.</p>
<p>Le sujet afghan, et à travers lui celui de l’URSS, sont ensuite régulièrement débattus dans l’arène politique française, par exemple lors des réflexions sur l’opportunité d’un boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 (boycott rejeté par le PS).</p>
<p>S’emparant du sujet en mars 1981 pour critiquer la droite durant la campagne présidentielle, le candidat Mitterrand revient sur un épisode de juin 1980 : l’annonce giscardienne erronée d’un retrait significatif des troupes soviétiques d’Afghanistan. Il attaque alors la diplomatie du président sortant et le qualifie de « petit télégraphiste » de Moscou.</p>
<p>En juin 1981, l’entrée de ministres communistes au gouvernement de Pierre Mauroy suit la conclusion d’un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/06/25/le-texte-de-l-accord-p-s-p-c_2730407_1819218.html">« accord politique de gouvernement »</a> préalable entre le PS et le PCF. Sur le plan international, où les désaccords étaient majeurs, la ligne du PS mitterrandien s’impose : les signataires y « affirment le droit du peuple afghan à choisir son régime et son gouvernement et se prononcent pour le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et la cessation de toute ingérence étrangère ».</p>
<p>Fin 1982, l’Afghanistan compte toujours parmi les grandes causes internationales de mobilisation du PS, aux côtés du Salvador, de la Pologne et du Liban. <a href="https://archives-socialistes.fr/themes/archives/static/pdfviewer/?docid=367092&language=fra">Les objectifs socialistes affichés</a> sont de soutenir la circulation des informations émanant des mouvements de résistance afghans, d’aider au financement d’écoles publiques dans les zones tenues par les résistants, ainsi que l’installation d’un dispensaire au Pakistan pour les réfugiés afghans.</p>
<h2>Le PS et la question de l’accueil des réfugiés dans les années 1970</h2>
<p>Le 16 août 2021, la déclaration télévisée du président Emmanuel Macron à propos de potentiels <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sJ1Yr-5FXV0">« flux migratoires irréguliers importants »</a> provoqua une polémique immédiate à gauche. Si, dans les années 1970, la question des réfugiés n’était pas encore un enjeu majeur dans le cas afghan, c'était déjà le cas pour d’autres populations.</p>
<p>À l’époque, la solidarité socialiste et internationaliste s’exerce en premier lieu en faveur de « camarades », de militants et de leurs proches. Celle-ci s’inscrit dans une vaste tradition internationaliste, que l’on retrouve par exemple dans l’aide apportée <a href="https://books.google.fr/books?id=HV6FBPol6iUC&pg=PA196&lpg=PA196&dq=psoe+toulouse">aux socialistes espagnols ayant fui la dictature franquiste</a> par la SFIO puis par le PS, de la reconstitution du PSOE en exil à Toulouse en 1944 à sa <a href="https://www.psoe.es/el-socialista/sucedio-en/sucedio-en-1974-el-congreso-de-suresnes/">refondation en 1974</a> à Suresnes notamment.</p>
<p>Dans ces années 1970, on songe surtout à la mobilisation exceptionnelle de l’ensemble des socialistes en faveur des exilés de la gauche chilienne, victimes en 1973 du coup d’État de Pinochet. Beaucoup d’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2722">initiatives locales</a> permirent de fournir aide, domicile ou emploi à ces réfugiés. La direction centrale socialiste, soutenant cet élan, chercha aussi à <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-parti-socialiste-francais-dans-la-recomposition-du-parti-socialiste-chilien-a-partir-de-1973/">l’orienter vers le Parti socialiste chilien</a>.</p>
<p>À côté de cette solidarité politique à l’égard d’homologues étrangers ayant choisi la France comme terre d’asile, les socialistes se mobilisèrent également dans des accueils présentés comme plus « humanitaires » que politiques.</p>
<p>Le PS prit par exemple part à l’immense vague française de solidarité envers les réfugiés d’Asie du Sud-Est, dont les départs sont provoqués dès le printemps 1975 par l’<a href="https://www.herodote.net/30_avril_1975-evenement-19750430.php">effondrement du Sud-Vietnam</a>, et <a href="https://www.histoire-immigration.fr/collections/1979-l-arrivee-des-refugies-d-asie-du-sud-est">s’intensifient en 1979</a> en raison de la crise économique vietnamienne, de la guerre sino-vietnamienne et de l’invasion du Cambodge par le Vietnam.</p>
<p>Fin juin 1979, interpellée par de nombreux militants et élus, la direction nationale donne ses consignes en faveur de la coordination de l’accueil de réfugiés par les municipalités, fédérations et sections. Un appel aux dons est aussi lancé pour financer l’envoi très médiatisé, en juillet 1979, d’un avion qui porte secours à 156 réfugiés. Or cette mobilisation du PS pour l’ex-Indochine fait partie d’une campagne nationale qui est un moment clé pour le champ humanitaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Arrivée de boat-people à Rouen le 22 juillet 1987, archive INA.</span></figcaption>
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<h2>L’accueil de réfugiés, un choix toujours politique</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/l-asile-et-l-exil--9782707198792-page-171.htm">Karen Akoka</a> montre combien cet épisode accompagne et nourrit la promotion d’une nouvelle idéologie sans-frontiériste contre le tiers-mondisme et le romantisme révolutionnaires.</p>
<p>Cette nouvelle pensée humanitaire présente la défense des droits humains comme une cause consensuelle et apolitique, alors même qu’elle correspond à l’intégration, dans les discours de solidarité internationale, de l’antitotalitarisme qui marque alors le débat intellectuel et politique. Cet antitotalitarisme et sans-frontiérisme s’accompagne chez certains d’un indéniable anticommunisme.</p>
<p>Ainsi, si les Vietnamiens secourus par les socialistes français n’étaient effectivement pas ciblés en fonction de leurs affiliations politiques, on ne peut qualifier la solidarité socialiste d’humanitarisme apolitique : par sa participation et dans ses déclarations, le PS était soucieux d’une part de se positionner contre les anticommunistes oublieux des responsabilités historiques du Japon, de la France et des États-Unis dans les difficultés de la région, et d’autre part de condamner les dysfonctionnements des régimes communistes d’Asie du Sud-Est, ainsi que leurs crimes et violations des droits humains.</p>
<p>L’accueil de réfugiés, militants politiques ou non, et les raisons qui le motivent, restait et reste ainsi un choix très politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Judith Bonnin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fidèle à ses traditions, le PS a appelé à « se mobiliser » pour le peuple afghan dès le 15 août. Pour le parti, l’accueil de réfugiés est une tradition autant qu’une cause politique.Judith Bonnin, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1676162021-09-10T13:11:43Z2021-09-10T13:11:43ZVingt ans après les attentats du 11 septembre, que reste-t-il du consensus antiterrorisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/420331/original/file-20210909-17-1a5sc6r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1991%2C1299&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des restes fumants des tours jumelles à New York, le 11 septembre 2001. Le large consensus antiterroriste aux États-Unis qui a suivi les attentats s'est peu à peu effiloché. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alexandre Fuchs) </span></span></figcaption></figure><p>Avec un bilan d’au moins 3 000 morts et de 6 000 blessés, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre_2001">attaques du 11 septembre 2001</a> constituent à la fois l’attentat terroriste et l’attaque étrangère les plus meurtriers perpétrés en sol américain.</p>
<p>En plus d’avoir <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2014/05/14/more-than-a-decade-later-911-attacks-continue-to-resonate-with-americans/">traumatisé durablement la population américaine</a>, ces attaques ont mis fin à la certitude partagée par nombre de citoyens de mener une existence à l’abri de la violence et du chaos. Le 11 septembre a porté un coup fatal et inattendu au paradigme optimiste de la <a href="https://www.goodreads.com/book/show/57981.The_End_of_History_and_the_Last_Man">« fin de l’histoire »</a> énoncé en 1992 par le politologue néoconservateur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francis_Fukuyama">Francis Fukuyama</a>. Il voyait la disparition de l’Union soviétique comme annonciatrice d’une marche inexorable des nations vers la démocratie, le libre marché et, en définitive, la paix mondiale.</p>
<p>Douze ans après la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chute_du_mur_de_Berlin">chute du Mur de Berlin</a>, une autre chute, celle des tours jumelles de Manhattan, a amené un « <a href="https://www.goodreads.com/book/show/2611798-the-return-of-history-and-the-end-of-dreams">retour</a> de <a href="https://www.goodreads.com/book/show/28957367-the-return-of-history">l’histoire</a> », marqué au sceau d’un <a href="https://www.goodreads.com/book/show/413179.The_Clash_of_Civilizations_and_the_Remaking_of_World_Order">« choc des civilisations »</a>.</p>
<p>Dans le monde de l’après 11 septembre, les États-Unis devaient reprendre l’étendard du monde libre pour mener un combat homérique contre un extrémisme islamiste violent, obscurantiste et liberticide, aux valeurs incompatibles avec celles de l’Occident. Neuf jours après les attentats, le président George W. Bush annonce devant le Congrès que les États-Unis s’engagent dans un nouveau type de guerre, une <a href="https://www.washingtonpost.com/wp-srv/nation/specials/attacked/transcripts/bushaddress_092001.html">« war on terror »</a> : « [Cette guerre] ne sera pas terminée tant que tous les groupes [terroristes] ayant une portée mondiale n’auront pas été trouvés, neutralisés et vaincus », de déclarer le président républicain, <a href="https://news.gallup.com/poll/116500/presidential-approval-ratings-george-bush.aspx">dont le taux de popularité atteignait alors un incroyable 90 %</a>.</p>
<p>Ils étaient rares alors ceux qui remettaient en doute l’entrée des États-Unis dans un nouveau paradigme au sein duquel le djihadisme remplaçait le communisme en tant que plus grande menace portée à la paix mondiale. Le consensus antiterroriste succédait ainsi au consensus anticommuniste de la Guerre froide.</p>
<p>En tant qu’historien et politologue spécialiste des États-Unis, il me paraissait pertinent de revisiter, 20 ans après la tragédie du 11 septembre et alors que s’achève la guerre américaine en Afghanistan, l’effet de ce consensus aux États-Unis : continue-t-il de façonner la politique intérieure et extérieure des États-Unis ou est-il devenu un enjeu parmi d’autre, sujet aux aléas de la polarisation partisane ?</p>
<h2>Un patriotisme exacerbé</h2>
<p>À n’en pas douter, la lutte contre le terrorisme (lire : le terrorisme d’inspiration djihadiste) a été au cœur des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/George_W._Bush">années Bush</a> (2001-2009) : en plus de cette lutte, l’administration républicaine a lancé les États-Unis dans deux guerres plus « classiques » en Afghanistan et en Irak. Elle l’a fait avec l’appui de majorités écrasantes au Congrès (une seule voix, celle de la démocrate californienne Barbara Lee, a osé voter contre l’utilisation de la force militaire en Afghanistan).</p>
<p>Moins de deux mois après les attentats, ce même Congrès a voté massivement pour l’adoption du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Patriot_Act">USA Patriot Act</a>, un imposant projet de loi accroissant les capacités de surveillance du gouvernement américain afin de prévenir de nouvelles attaques. <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/United_States_federal_executive_departments#Current_departments">Chose relativement rare dans l’histoire des États-Unis</a>, un tout nouveau ministère, le Department of Homeland Security, a été créé avec le mandat d’assurer la sécurité du territoire américain.</p>
<p>Les Américains (et les touristes de passage) ont du apprendre à vivre avec les <a href="https://ash.harvard.edu/terrorism-attacks#:%7E:text=Six%20months%20after%20the%20attacks,the%20public%20about%20terrorist%20threats.&text=The%20alert%20system%20established%20five,%3D%20high%3B%20red%20%3D%20severe.">niveaux nationaux d’alerte terroriste</a> (les fameuses alertes orange) et avec la sécurité renforcée dans les aéroports et dans les lieux publics. Dans un contexte de patriotisme exacerbé, critiquer le gouvernement américain a pris rapidement des allures suspectes et on a vu temporairement le <em>God Bless America</em> remplacer le <em>Take Me Out to the Ball Game</em> dans les stades de baseball.</p>
<p>La culture populaire ne devait pas échapper à ce nouveau paradigme comme en font foi la popularité de la télésérie <a href="https://www.imdb.com/title/tt0285331/?ref_=nv_sr_srsg_0">24</a> ou, dans un registre satyrique, le film <a href="https://www.imdb.com/title/tt0372588/?ref_=nv_sr_srsg_0">Team America : World Police</a>.</p>
<h2>Premiers doutes et critiques</h2>
<p>La détresse ressentie par les Américains immédiatement après les attentats du 11 septembre, de même que le phénomène de <a href="https://www.jstor.org/stable/3649343">« ralliement autour du drapeau »</a>, expliquent sans doute pourquoi une forte majorité d’Américains ont pu souscrire au consensus antiterroriste.</p>
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<img alt="Un homme portant un mouchoir sur sa bouche traverse le pont de Brooklyn avec d’autres personnes" src="https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420332/original/file-20210909-21-1mz8z4u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des gens traversent le pont de Brooklyn Bridge après l’écrasement des tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Le traumatisme des Américains après les attentats explique pourquoi une écrasante majorité d’Américains d’entre eux ont pu souscrire au consensus antiterroriste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Mark Lennihan)</span></span>
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<p>Peu à peu toutefois, les ratés de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Irak">guerre en Irak</a> et la révélation que cette guerre a été lancée sous de faux prétextes, le récit des bavures américaines (notamment à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scandale_d%27Abou_Ghraib">prison d’Abou Ghraib</a>) et les entorses de plus en plus nombreuses aux libertés civiles au nom de la sécurité (y compris sous Barack Obama, le président sous lequel ont été révélés les scandales des écoutes de la NSA par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden">Edward Snowden</a>) ont amené un nombre croissant d’Américains à remettre en question les méthodes employées pour lutter contre le terrorisme, voire à douter de l’importance à accorder à cet enjeu.</p>
<p>Ces critiques ont proliféré au sein des franges plus progressistes du Parti démocrate, mais également dans les cercles libertariens au sein du Parti républicain. On a ainsi vu, en mars 2013, le sénateur républicain Rand Paul, du Kentucky, bloquer pendant 12 heures la nomination du nouveau directeur de la CIA pour remettre en question la légalité de l’utilisation de drones pour lutter contre des terroristes possédant la citoyenneté américaine.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Oussama Ben Laden" src="https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=594&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=594&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/420333/original/file-20210909-15-1776fvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=594&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La mort de leader d’al-Qaida, Oussama ben Laden, a laissé croire aux Américains que la menace terroriste s’éloignait, effritant le consensus anti-terroriste.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo, File)</span></span>
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<p>La mort <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oussama_ben_Laden">d’Oussama Ben Laden</a> en 2011, de même que l’absence pendant plusieurs années d’attaques de grande ampleur en sol américain, expliquent sans doute également l’effritement du consensus. L’émergence du groupe armé État islamique (ISIS) et la vague d’attentats qui ont frappé l’Occident entre 2014 et 2017 ont toutefois remis de l’avant les enjeux liés au terrorisme sans qu’on assiste par ailleurs au retour d’un consensus bipartisan : une <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2016/11/10/a-divided-and-pessimistic-electorate/">enquête réalisée en marge de l’élection présidentielle de 2016</a> devait montrer que le terrorisme représentait alors un enjeu majeur pour 74 % des électeurs républicains et pour seulement 42 % des électeurs démocrates.</p>
<h2>Le terrorisme, un enjeu parmi d’autres ?</h2>
<p>Les élections présidentielles américaines de 2020 ont été les cinquièmes organisées après les attentats du 11 septembre. Et c’étaient les premières depuis cette date fatidique où le thème du terrorisme n’a pas été sur le devant de la scène. Terrorisme djihadiste s’entend, puisque la violence de certains groupes d’extrême droite appuyant le président Donald Trump (notamment les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Proud_Boys">Proud Boys</a>) a fait l’objet d’une certaine attention médiatique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JZk6VzSLe4Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Avec le recul, il est étonnant que Donald Trump n’ait pas davantage cherché à tirer profit de la défaite d’ISIS ou de la mort de son leader <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abou_Bakr_al-Baghdadi">Abou Bakr al-Baghdadi</a> (comme l’a fait Obama en 2012 lors de sa campagne de réélection avec la mort de Ben Laden). De même, son adversaire démocrate Joe Biden a peu attaqué le président à propos de son <a href="https://www.federalregister.gov/documents/2017/03/09/2017-04837/protecting-the-nation-from-foreign-terrorist-entry-into-the-united-states">« Muslim Ban »</a> adopté en 2017 pour empêcher l’arrivée en sol américain de ressortissants provenant principalement de pays à majorité musulmane.</p>
<p>Certes, la Covid-19 a monopolisé une bonne partie des débats, mais il n’en demeure pas moins que même des enjeux généralement marginalisés comme la <a href="https://www.loe.org/shows/segments.html?programID=20-P13-00043&segmentID=1">justice environnementale</a> ont été davantage discutés que la lutte contre le djihadisme. Certes, le terrorisme islamique n’a pas disparu et ne disparaîtra jamais totalement des préoccupations des Américains : on l’a vu récemment avec la réaction courroucée de <a href="https://apnews.com/article/immigration-151d588fd9f4b33b0a71b9a1226e589b">nombreux républicains</a> craignant que l’arrivée de réfugiés afghans en sol américain constitue une menace inacceptable envers la sécurité nationale.</p>
<p>Par ailleurs, malgré la débâcle ayant accompagné la chute de Kaboul et le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan, une <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2021/08/31/majority-of-u-s-public-favors-afghanistan-troop-withdrawal-biden-criticized-for-his-handling-of-situation/">majorité d’Américains (54 %) appuient le retrait américain de ce pays</a>. Quant aux talibans, une faible majorité d’Américains (52 %) affirment qu’ils représentent un danger mineur ou ne représentent pas de danger pour les États-Unis.</p>
<p>En somme, le monde de 2021 n’est plus celui de 2001 : la crise sanitaire, le retour des tensions géopolitiques (avec la Russie sous Obama, avec la Chine et l’Iran sous Trump) et l’urgence climatique font en sorte que le terrorisme islamique ne peut être, aux yeux des Américains, qu’une menace parmi d’autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167616/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Cloutier-Roy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après le 11 septembre, la crise sanitaire, le retour des tensions géopolitiques et l’urgence climatique font en sorte que le terrorisme islamiste est devenu une menace parmi d’autres.Christophe Cloutier-Roy, Chercheur en politique américaine, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673192021-09-09T19:03:57Z2021-09-09T19:03:57ZLes talibans à l’épreuve du pouvoir<p>Aussi dérangeant que soit ce constat pour la communauté internationale, le régime taliban peut apparaître, pour une <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/lafghanistan-vu-par-les-talibans">partie des Afghans</a>, comme acceptable.</p>
<p>Dans un pays marqué par quarante ans de guerre, le retour au pouvoir des « étudiants en religion » est synonyme de possibilité de stabilisation et de justice (violente) rendue aux tenants corrompus des régimes précédents. En outre, les valeurs des talibans ne sont pas si éloignées des mœurs d’une partie de la population (ils n’ont inventé ni la burqa, ni la réclusion des femmes), du moins dans les régions pachtounes.</p>
<p>Reste que pour les nouveaux maîtres de Kaboul – qui <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-les-talibans-annoncent-leur-nouveau-gouvernement-trois-semaines-apres-avoir-pris-le-pouvoir_4763187.html">viennent d’annoncer la composition de leur gouvernement</a>, où l’on ne retrouve aucune personnalité extérieure à leur mouvement, et comme il fallait s’y attendre aucune femme –, le plus dur est à venir.</p>
<h2>Un pays ingouvernable ?</h2>
<p>Les effectifs des talibans sont estimés à <a href="https://www.rferl.org/a/taliban-government-islamic-state-who-controls-what-in-afghanistan-/30644646.html">environ 60 000 hommes permanents</a> et 90 000 « saisonniers ». Cela paraît insuffisant pour contrôler le pays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Vivre en pays taliban (Arte, 3 juin 2021).</span></figcaption>
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<p>Maîtriser les villes (ce qui est théorique) et les points de passage frontaliers (par ailleurs peu nombreux) n’a jamais assuré le contrôle du pays, comme l’ont illustré toutes les tentatives modernes d’asseoir un pouvoir national en Afghanistan.</p>
<p>Les seuls pouvoirs un tant soit peu fonctionnels se sont toujours basés sur l’arbitrage des intérêts tribaux et régionaux et sur la capacité de l’État à s’entendre avec les chefs locaux, dont les alliances mouvantes et les vendettas font la réalité de la politique afghane. Les talibans sauront-ils satisfaire (ou plutôt laisser faire) les <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-1-page-129.htm?contenu=article">chefs de clans</a> ? Au-delà de cette question cruciale, quatre dossiers s’annoncent problématiques :</p>
<ul>
<li><p>Une partie des Tadjiks – un groupe ethnique qui représente environ 25 % de la population totale du pays – s’est regroupée, dans le nord, autour d’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/09/BELKAID/63443">Ahmad Massoud</a>. Une proportion importante des Tadjiks sont <a href="https://www.scienceshumaines.com/les-ismaeliens-histoire-et-traditions-d-une-communaute-musulmane_fr_3690.html">ismaéliens</a>, une forme de l’islam incompatible avec le rigorisme taliban. Même s’ils ont dernièrement subi des déconvenues militaires, les Tadjiks du Nord vont continuer de faire peser une menace sécuritaire sur le pouvoir taliban.</p></li>
<li><p>Les <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/625938/etre-hazara-sous-les-talibans">Hazaras (moins de 10 % de la population), eux aussi « hérétiques »</a> aux yeux des talibans car chiites, redoutent de subir un ethnocide. Même si ce risque ne semble pas immédiat du fait des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/l-iran-tente-un-nouveau-depart-avec-les-talibans-20210824">contacts pris par les talibans avec l’Iran</a>, cette minorité se sent en danger et les talibans, qui ont déjà commis de nombreuses exactions à son égard, peinent à la convaincre de leur faire confiance.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1432999337907339269"}"></div></p>
<ul>
<li><p>Les producteurs d’opium, dont nombre sont alliés aux talibans d’une façon ou d’une autre, ne sont pas totalement sous leur contrôle. On peut supposer que les talibans <a href="https://theconversation.com/afghanistan-le-controle-du-marche-de-la-drogue-lautre-victoire-des-talibans-166209">auront du mal à se passer d’eux</a>, étant donné la place de l’opium comme ressource financière pour le pays. Or, le 18 août dernier, les nouveaux dirigeants ont annoncé qu’il n’y aurait <a href="https://www.leprogres.fr/defense-guerre-conflit/2021/08/26/les-talibans-peuvent-ils-vraiment-renoncer-a-l-opium">« plus de production ni de contrebande d’opium »</a> en Afghanistan…</p></li>
<li><p>L’État islamique, dont les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/02/afghanistan-talibans-al-qaida-et-etat-islamique-quelles-differences_6093168_3210.html">militants en Afghanistan</a> restent actifs, comme on l’a constaté lors du sanglant attentat de l’aéroport de Kaboul le 26 août dernier, n’a rien à envier aux talibans en termes de violence et de détermination. Les deux groupes se sont combattus plus ou moins vivement ces dernières années.</p></li>
</ul>
<p>Même en admettant que le pouvoir taliban arrive à atténuer ces problèmes (les résoudre semble illusoire), d’autres questions vont devoir trouver des réponses pour la construction d’un pouvoir pérenne.</p>
<h2>Insurgés mais pas fonctionnaires</h2>
<p><a href="https://www.nytimes.com/2021/08/25/world/asia/taliban-women-afghanistan.html">De l’aveu même des responsables talibans</a>, le contrôle de leurs propres troupes est difficile : l’ivresse de la victoire, la tentation de pillage, le zèle de certains et la structure même de l’appareil militaire taliban (qui fait appel à de multiples commandants autonomes auxquels va la fidélité de leurs hommes) entraînent des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/08/afghanistan-taliban-responsible-for-brutal-massacre-of-hazara-men-new-investigation/">actes de violence</a> qui risquent d’aliéner durablement la population, et rendent peu crédibles les discours d’apaisement des leaders du pays.</p>
<p>Les militants talibans sont par ailleurs <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-Afghanistan-gouvernement-taliban-fait-attendre-2021-09-05-1201173832">bien incapables de prendre en charge une administration</a>, sans parler des aspects techniques de la gouvernance : le pouvoir devra rallier les fonctionnaires et techniciens présents dans le pays, moins susceptibles d’accepter, du fait de leur éducation et de leur statut de classe moyenne privilégiée, le rigorisme taliban.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1433408796785844224"}"></div></p>
<p>La peur et la violence ne permettront pas de les mettre au service du pouvoir de manière durable et efficace. D’autant qu’une partie de ces cadres sont des femmes. Dès lors, la capacité des talibans à assurer les services publics, la santé, l’alimentation, la distribution d’eau et d’électricité semble compromise.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1434793240071393289"}"></div></p>
<h2>Un positionnement délicat sur la scène internationale</h2>
<p>La situation internationale n’est pas non plus très simple. Outre que les talibans ne peuvent plus durablement invoquer l’ingérence étrangère comme explication à tout (d’autant qu’il faudra clarifier <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/11/l-ombre-du-pakistan-derriere-l-avancee-des-talibans-en-afghanistan_6091155_3210.html">leurs liens avec le Pakistan</a>), l’environnement régional ne leur est, a priori, guère favorable.</p>
<p>Ni les puissances d’Asie centrale, ni l’Iran, ni l’Inde, ni la Chine, ni la Russie ne peuvent rester indifférents à ce qui se passe dans ce carrefour régional, surtout s’il s’y profile un risque djihadiste. Les talibans eux-mêmes n’ont un agenda que national, mais d’autres mouvements (à commencer par l’EI et Al-Qaïda) pourraient faire du pays leur base arrière s’ils n’y prennent pas garde.</p>
<p>L’Iran peut-il accepter sur ses frontières un régime inspiré du radicalisme sunnite en provenance du Golfe ? Téhéran <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210829-afghanistan-face-au-retour-des-talibans-t%C3%A9h%C3%A9ran-choisit-la-neutralit%C3%A9">a acté la prise de pouvoir contre garanties</a>, mais il faudra que ce modus vivendi résiste au temps. De même, l’Inde vient d’engager des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afghanistan-lInde-sonde-les-talibans-2021-09-01-1201173314">prises de contact</a>, mais craint un soutien depuis l’Afghanistan aux islamistes du Cachemire.</p>
<p>Les dirigeants talibans actuels sont incontestablement intelligents, pragmatiques et soucieux de reconnaissance internationale, comme en témoignent les multiples contacts et accords établis (<a href="https://www.peaceagreements.org/view/2232">notamment à Doha</a>) avec les pays voisins et les USA.</p>
<p>Cette tentative de normalisation est-elle réelle ou temporaire ? L’avenir le dira, mais, pour l’instant, les relations internationales des talibans sont <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/afghanistan-les-talibans-en-quete-de-reconnaissance-internationale-1339660">moins conflictuelles qu’elles ne pourraient l’être</a>. En dépendent les revenus des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-talibans-au-turkmenistan-pour-discuter-de-projets-d-infrastructures-20210206">futurs gazoducs</a> devant traverser le pays, l’aide internationale, ou encore les réserves en dollars détenues (mais bloquées) par la banque centrale, toutes ressources vitales à l’installation durable du nouveau régime à la tête du pays.</p>
<p>C’est bien sur le plan interne que les difficultés les plus grandes s’annoncent dans l’immédiat.</p>
<h2>Une doctrine de guérilla à l’épreuve du pouvoir</h2>
<p>L’Afghanistan est plus une région avec un <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/afghanistan-une-mosaique-ethnique-dans-un-pays-fragmente_2157075.html">écosystème politique particulier</a> qu’un État au sens plein, qui n’est né que parce que Britanniques et Russes souhaitaient une zone tampon entre leurs zones d’influence respectives en Asie (<a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1907petersbourg.htm">traité de Saint-Pétersbourg, 1907</a>).</p>
<p>Contrôler Kaboul n’a jamais permis de contrôler le pays autrement que symboliquement. D’autant qu’il faut aussi contrôler une population de la ville très jeune, éduquée, connectée et moderne, peu susceptible d’accepter des interdits religieux impliquant un retour en arrière.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un pays « accidenté », Le dessous des cartes | Arte, 2019.</span></figcaption>
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<p>La prise du territoire implique aussi la perte de <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-183.htm">l’avantage stratégique dont les talibans disposaient dans le passé</a> : la souplesse opérationnelle et la mobilité. Le contrôle effectif du territoire et la menace d’un conflit de longue durée avec les Tadjiks mobilisent leurs moyens déjà limités.</p>
<p>Par ailleurs, aucun régime dont la base doctrinale est la pureté (religieuse, ethnique ou morale) n’a jamais perduré. La réalité des hommes, la nécessité de pragmatisme et de compromis, a toujours soit transformé ces tentatives en régimes totalitaires inefficaces, soit renforcé l’hostilité internationale, soit entraîné la disparition progressive de ses prétentions.</p>
<p>Quoi qu’en disent les dirigeants talibans, chantres de valeurs de l’islam « non négociables », cette position n’est pas tenable dans le temps. Car la prétention à la pureté n’est légitime que si elle entraîne une récompense (paix, prospérité, victoire militaire, extension…) : face à l’impossibilité de réaliser ces objectifs, sa légitimité politique devient nulle.</p>
<p>La victoire des talibans n’est pas une fin mais le début d’un nouvel épisode. Il ne se passera pas six mois avant que le nouveau pouvoir ne soit confronté à des contradictions qu’il lui sera extrêmement difficile de surmonter. Pour tenir, il devra perdre une partie de son identité, ou voir s’affaiblir ses capacités, ce qui menacerait les compromis difficilement établis avec les parties prenantes nationales. Dans l’intervalle, quel bien et quel mal les talibans feront-ils au pays ? Nul ne peut le dire aujourd’hui.</p>
<p>Il est toujours plus difficile de gérer la paix que d’obtenir la victoire par les armes. Les talibans devront tirer les conclusions des leçons apprises par ceux qu’ils se vantent d’avoir vaincus : les Américains, qui se retirent finalement autant par réalisme que par découragement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Marc Huissoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est une chose de s’emparer du pouvoir en Afghanistan. C’en est une tout autre de gérer un pays aussi complexe, surtout avec la rigidité propre aux talibans.Jean-Marc Huissoud, Professeur et chercheur, Relations Internationales Stratégies d'internationalisation, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1668682021-09-07T18:24:29Z2021-09-07T18:24:29ZLes djihadistes peuvent-ils gagner ?<p>Les attentats du 11 septembre 2001 furent un choc incommensurable pour l’Amérique. Le président des États-Unis, George W. Bush, compara cet événement à l’attaque-surprise de Pearl Harbor en 1941. Il répliqua par le déclenchement d’une « guerre globale contre le terrorisme » dont le premier théâtre fut l’Afghanistan. Le régime taliban – qui avait refusé de livrer Oussama Ben Laden – fut balayé en quelques semaines et les camps d’entraînement d’al-Qaïda furent détruits. Nul n’aurait alors songé que 20 ans plus tard, les talibans seraient de retour à Kaboul, ni qu’al-Qaïda et ses épigones auraient <a href="https://www.csis.org/analysis/evolution-salafi-jihadist-threat">essaimé dans de nombreux pays</a>.</p>
<p>Deux décennies après l’effondrement des tours du World Trade Center, les djihadistes peuvent-ils gagner ? Cette question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Commençons par rappeler que les djihadistes – partisans d’une doctrine politico-religieuse qui prône la lutte armée au nom d’une conception fondamentaliste de l’islam – ne forment pas un ensemble homogène. Une manière de les différencier consiste à distinguer les groupes ayant des objectifs locaux de ceux poursuivant des buts globaux.</p>
<h2>Djihad local et djihad global</h2>
<p>Les talibans sont généralement classés dans la première catégorie, mais ils entretiennent historiquement des liens avec al-Qaïda qui appartient à la seconde catégorie. Un point essentiel de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a>, signé en février 2020 par le diplomate américain Zalmay Khalilzad et le mollah Abdul Ghani Baradar, est que l’émirat islamique d’Afghanistan s’engageait à ne pas héberger al-Qaïda ni à lui fournir la moindre assistance. De sérieux doutes, émis notamment par <a href="https://www.undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2021/486">l’Organisation des nations unies</a>, existent néanmoins sur la crédibilité de cet engagement, d’autant que la formulation de l’accord était relativement ambiguë.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laccord-entre-les-etats-unis-et-les-talibans-un-jeu-de-dupes-134060">L’accord entre les États-Unis et les talibans : un jeu de dupes ?</a>
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<p>Les États-Unis, de leur côté, promettaient de retirer leurs troupes du pays. Profitant de ce retrait et de l’effondrement subséquent de l’armée nationale afghane, les talibans ont réussi à s’emparer du pouvoir à l’été 2021, à l’issue d’une offensive-éclair. Ils ont ainsi gagné leur guerre et rempli leur objectif stratégique. On ne peut pas en dire autant d’al-Qaïda – même si <a href="https://english.alarabiya.net/News/gulf/2021/08/19/Al-Qaeda-in-Yemen-congratulates-Taliban-vows-to-continue-campaigns">différentes</a> <a href="https://ent.siteintelgroup.com/Statements/aqim-and-jnim-issue-joint-statement-congratulating-taliban-promoting-its-victory-as-justifying-jihad.html">filiales</a> de l’organisation terroriste se sont réjouies de la victoire talibane.</p>
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<p>Oussama Ben Laden avait exposé publiquement ses objectifs : « chasser les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier la communauté des croyants sous l’autorité d’un calife. Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies, ces buts n’ont été atteints ni par al-Qaïda, ni par son principal concurrent au sein de la mouvance djihadiste internationale : Daech. Si ces deux organisations paraissent aujourd’hui affaiblies, minées par leurs divisions internes et traquées par les unités contre-terroristes, elles disposent néanmoins de trois grands atouts qui ont rendu jusqu’à présent leur éradication impossible.</p>
<h2>La force de l’idéologie</h2>
<p>Le premier atout est la force de l’idéologie <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/salafi-jihadism/">salafo-djihadiste</a> qui plonge ses racines dans les écrits d’<a href="https://brill.com/view/book/9789004412866/BP000005.xml">Ibn Taymiyya</a> (1263-1328), <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sayyed-Qutb.html">Sayyid Qutb</a> (1906-1966) ou encore <a href="https://www.cambridge.org/core/books/caravan/F92B16194E70D55E6ABF362A06271E71">Abdallah Azzam</a> (1941-1989). Les partisans de cette mouvance ont le sentiment de défendre l’islam contre des agresseurs et d’œuvrer pour une cause sacrée. Ils perçoivent l’interventionnisme occidental dans le monde musulman comme une forme de guerre contre l’<em>oumma</em> et présentent l’engagement dans le « djihad défensif » comme une obligation individuelle pour tous les musulmans. Ceux qui refusent de suivre ce précepte ne peuvent être considérés à leurs yeux comme de véritables croyants. Dans cette vision de la « guerre sainte », les « croisés » doivent être combattus jusque sur leurs terres, ce qui permet de légitimer les attentats dans les pays occidentaux.</p>
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<p>Les djihadistes sont persuadés de jouir d’une forme de supériorité morale et développent par conséquent une détermination hors du commun au service d’une cause sacrée. Ils mènent une guerre totale et se vantent de ne pas craindre d’aller au-devant de la mort. Leur propension à mourir est d’autant plus élevée que mille félicités sont promises aux « martyrs ». La devise « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie » n’a pas uniquement vocation à terroriser les adversaires : elle est aussi le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-djihad-et-la-mort-olivier-roy/9782757876534">reflet d’un système de valeurs</a> fondamentalement différent de celui des Occidentaux. La lutte contre le djihadisme n’est peut-être pas un <em>clash</em> des civilisations, mais c’est assurément un choc de valeurs.</p>
<h2>La capacité à innover</h2>
<p>L’idéologie est un socle essentiel pour motiver les combattants et attirer de nouvelles recrues, mais elle ne suffit pas à garantir la puissance d’un mouvement. Or, d’un point de vue matériel, les djihadistes ne font pas le poids face à leurs ennemis. S’ils engageaient toutes leurs forces dans un combat frontal face aux armées occidentales – sans même mentionner d’autres adversaires comme la Russie ou l’Iran –, ils seraient vaincus. Conscients de cette faiblesse matérielle, ils misent sur un deuxième atout : la capacité à surprendre et à déstabiliser leurs opposants en misant sur l’innovation.</p>
<p>Ainsi, al-Qaïda et Daech ont su innover à différents niveaux : organisationnel, stratégique et tactique. Un exemple d’évolution organisationnelle est la décentralisation de la nébuleuse qaïdiste qui a pris deux formes : d’une part, l’ouverture de <a href="https://www.cairn.info/un-monde-de-ruptures--9782100745562-page-48.htm?contenu=plan">« filiales » régionales</a> et, d’autre part, le déploiement d’un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/web-social-djihadisme-diagnostic-aux-remedes">vaste appareil de propagande sur Internet</a> en vue, notamment, de susciter du « terrorisme d’inspiration ». L’innovation stratégique peut être illustrée par la volonté d’Abou Bakr al-Baghdadi d’unifier les théâtres syrien et irakien en 2013, puis de rétablir le califat en 2014. Au niveau tactique, enfin, les exemples sont nombreux, de l’utilisation quasi industrielle de véhicules-suicides à la <a href="https://www.defenseone.com/technology/2017/01/drones-isis/134542/">confection de drones armés artisanaux</a>.</p>
<h2>La mobilité stratégique</h2>
<p>Ces savoir-faire tactiques peuvent être déployés sur différents théâtres car les djihadistes bénéficient d’un troisième atout : leur mobilité stratégique. Ils ont su, au cours des deux dernières décennies, faire passer le centre de gravité de leurs actions de l’Afghanistan à l’Irak puis à la Syrie, à la Libye et à l’Afrique subsaharienne. Ils savent se greffer sur des conflits locaux, profiter de la mauvaise gouvernance, des injustices et des inégalités, nouer des alliances tribales et promouvoir les mérites de leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/politique-etrangere/articles-de-politique-etrangere/sahel-soubassements-dun-desastre">modèle alternatif</a>. Dans des États faillis ou marqués par des fractures ethno-sociales, les djihadistes ne gagnent pas seulement du terrain en terrorisant les populations réfractaires mais aussi en se présentant comme les défenseurs d’un ordre islamique plus équitable.</p>
<p>Ces trois atouts offrent à la mouvance djihadiste internationale une capacité de résilience remarquable. Ils peuvent lui permettre de continuer à porter des coups à ses adversaires et lui fournir les bases d’une possible remontée en puissance. Ils ne sauraient toutefois suffire à offrir la victoire à des combattants irréguliers opposés aux États les plus puissants. Souvenons-nous de la formule de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-2-page-281.htm">Gérard Chaliand</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si la guérilla est l’arme du faible, le terrorisme, utilisé de façon exclusive, est l’arme du plus faible encore. »</p>
</blockquote>
<p>En définitive, après vingt ans de guerre contre le terrorisme, les États occidentaux continuent d’être confrontés à un ennemi qu’ils ne parviennent pas à éradiquer, mais qui n’est pas en mesure de l’emporter. La victoire des talibans pourrait agir comme un trompe-l’œil stratégique, laissant penser à une mouvance djihadiste enhardie qu’elle est capable de mettre l’Occident à genoux. Or, ce n’est pas le cas. Les dirigeants américains ont décidé de cesser le combat parce qu’ils ne voyaient plus dans cette guerre lointaine une priorité et qu’ils mesuraient les limites de leur action. S’ils l’avaient voulu, ils auraient néanmoins pu tenir Kaboul encore des années.</p>
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<span class="caption">Marc Hecker a récemment publié, avec Élie Tenebaum, <em>La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle</em>, aux éditions Robert Laffont.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Robert Laffont</span></span>
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<p>La situation est différente de celle de l’URSS à la fin des années 1980. On se souvient qu’Oussama Ben Laden était persuadé que les moudjahidines, du fait de leur victoire contre l’Armée rouge en Afghanistan, avaient joué un grand rôle dans la chute de l’Union soviétique. Cette perception avait conduit l’émir d’al-Qaïda à développer une forme d’hybris, à déclarer le djihad aux États-Unis et à <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-08-13/osama-bin-ladens-911-catastrophic-success">anticiper de façon erronée la réaction des Américains aux attentats du 11 septembre 2001</a>. Il est peu probable que l’histoire se répète, mais les pays occidentaux ne sont pas à l’abri d’une nouvelle surprise stratégique. Les conditions chaotiques du retrait américain d’Afghanistan risquent en tout cas de renforcer la détermination des djihadistes à poursuivre le combat et Washington pourrait avoir du mal à clore définitivement le cycle de la <em>global war on terror</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166868/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Hecker est directeur de la recherche et de la valorisation à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Il est aussi rédacteur en chef de la revue Politique étrangère.</span></em></p>Chasser « les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier l’oumma : c’était l’objectif de Ben Laden, et c’est toujours celui de ses épigones.Marc Hecker, Enseignant à Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.