tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/catholicisme-21358/articlescatholicisme – The Conversation2024-01-22T15:19:40Ztag:theconversation.com,2011:article/2213242024-01-22T15:19:40Z2024-01-22T15:19:40ZL’enseignement musulman sous contrat dans le viseur des pouvoirs publics français<p>Les affaires récentes concernant l'établissement catholique <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/stanislas-et-l-affaire-oudea-castera">Stanislas</a> à Paris et le lycée musulman <a href="https://www.marianne.net/societe/education/rapport-elogieux-manquements-graves-comment-les-autorites-ont-navigue-a-vue-sur-le-lycee-averroes">Averroès</a> de Lille prouvent que l’enseignement confessionnel sous contrat reste un sujet de controverses politiques et médiatiques.</p>
<p>En août 2021, les parlementaires français votent <a href="https://www.seine-maritime.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Securite-et-Defense/Securite-publique/Lutte-contre-la-radicalisation-et-le-terrorisme/Loi-du-24-aout-2021-confortant-le-respect-des-principes-de-la-Republique-loi-CRPR/Loi-n-2021-1109-du-24-aout-2021-confortant-le-respect-des-principes-de-la-Republique-loi-CRPR#:%7E:text=La%20loi%20n%C2%B02021,Mureaux%20le%202%20octobre%202020.">la loi confortant les principes de la République</a>, créant un nouveau délit de séparatisme et instaurant un contrôle renforcé sur les établissements scolaires confessionnels hors contrat et sous contrat, notamment « musulmans ».</p>
<h2>Le cas emblématique du lycée Averroès</h2>
<p>C’est dans ce contexte que le préfet du Nord Georges-François Leclerc a annoncé le 8 décembre dernier <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/11/a-lille-le-lycee-averroes-de-l-excellence-a-la-chute_6205111_3224.html">la résiliation du contrat d’association</a> qui lie le lycée Averroès à l’État, invoquant entre autres des dysfonctionnements administratifs majeurs, des financements illicites et des contenus pédagogiques non conformes aux principes républicains, points qui ne figurent pourtant pas dans <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille/lycee-musulman-averroes-syndicats-politiques-directeur-de-grande-ecole-tour-d-horizon-des-soutiens-affiches-2884994.html">les différents rapports d'inspection</a>.</p>
<p>Ouvert à Lille en 2003, il s’agit du plus ancien des trois lycées musulmans contractualisés par l’État en France métropolitaine. La mobilisation de moyens financiers, humains et administratifs consistants lui a permis de s’imposer rapidement comme un établissement scolaire d’excellence. Classé <a href="https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/France/Le-lycee-musulman-Averroes-de-Lille-meilleur-lycee-de-France-2013-03-28-926203">meilleur lycée de France</a>, puis <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1309270/article/2023-03-29/lille-averroes-et-faidherbe-dans-le-top-3-des-lycees-de-la-region">de la région</a>, la décision préfectorale prend donc une valeur fortement symbolique et politique.</p>
<p>Depuis sa création, ce lycée a déjà connu plusieurs épisodes intenses de <a href="https://www.liberation.fr/societe/2015/02/05/pourquoi-j-ai-demissionne-du-lycee-averroes_1196424/">controverses</a>. Au niveau local, l’extrême droite puis la droite se sont régulièrement opposées à son financement public, mettant en avant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1271299/article/2022-12-26/subventions-regionales-le-conseil-d-etat-tranche-en-faveur-du-lycee-averroes">ses liens financiers (avérés et bien légaux) avec le Qatar</a>.</p>
<p>Mais le cas Averroès ne pose pas tant <a href="https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2020-1-page-11.htm">la question anciennement portée par le camp laïque</a> de la fin du financement de l’enseignement privé. Il interroge fondamentalement la possibilité pour des établissements musulmans — derniers arrivés dans le paysage de l’enseignement confessionnel —, de bénéficier des mêmes <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/l-ecole-et-la-republique-p.html">« accommodements »</a> que les autres cultes. Au-delà de cela, il questionne la tolérance par les pouvoirs publics d’organisations islamiques (c’est-à-dire se référant à l’islam) autonomes dans le champ social français.</p>
<h2>Un système d'aides publiques qui n'a cessé de se renforcer</h2>
<p>Le financement public du secteur d’enseignement privé est le point crucial de l’approche de la laïcité qui s’est déployée sous la Vème République. Il scelle le contrat d’association instauré par <a href="https://books.openedition.org/pur/109889?lang=en">la loi Debré (1959)</a> entre l’État et les établissements d’enseignement privé qui le demandent.</p>
<p>Ce contrat permet le versement de fonds publics aux écoles privées moyennant le respect des règles et des programmes de l’enseignement public et l’accueil de tous les élèves sans discrimination. <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/l-ecole-et-la-republique-p.html">Ce régime d’accommodement </a> a longtemps suscité l’ire des militants pour le service public unifié et laïque de l’Éducation nationale qui y voient une grave atteinte à l’interdiction du financement public des religions posée par la loi de 1905, dont le point culminant de la mobilisation a été les manifestations de 1984 pour la défense de <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000005866/la-mobilisation-des-partisans-de-l-ecole-privee-provoque-l-echec-de-la-loi-savary.html">la version initiale de loi Savary</a>.</p>
<p>Cependant, ce système d’aide n’a cessé de se renforcer. Les financements publics versés par l’État et les collectivités territoriales représentent aujourd’hui <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/06/02/enseignement-prive-8-milliards-de-fonds-publics-et-pas-de-controles/">73 % des dépenses de fonctionnement des établissements sous contrat</a>. Ces subventions atteignent annuellement environ 8 milliards d’euros, <a href="https://www.lgdj.fr/l-ecole-et-la-republique-9782247221158.html">soit 14 % du budget total de l’Éducation nationale</a>. Elles bénéficient d’abord aux établissements catholiques, très majoritaires parmi les établissements privés.</p>
<p>La légitimation du dispositif de la loi Debré s’est complexifiée avec le temps. Argumentée au départ par les besoins scolaires et la liberté d’éducation, l’existence d’un secteur d’enseignement privé financé par l’État est devenue dans les années 2000 un appui à la mise en œuvre d’une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/05/25/seize-propositions-dans-le-rapport-sur-la-laicite-de-francois-baroin_4262905_1819218.html">« nouvelle laïcité »</a> exigeant des élèves <a href="https://www.senat.fr/seances/s200403/s20040302/s20040302003.html#int996">en établissement public</a> qu’ils et elles n’arborent aucun signe ostensible de leur affiliation religieuse.</p>
<p>Lors du vote de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977">la loi du 15 mars 2004</a> interdisant aux élèves, « en application du principe de laïcité », le port de signes et tenues manifestant ostensiblement une religion, la possibilité pour les élèves voilées exclues de rejoindre des établissements privés a été présentée comme <a href="https://esprit.presse.fr/article/patrick-weil/lever-le-voile-7559">un gage de leur liberté de conscience</a>.</p>
<h2>Des contrôles inégaux</h2>
<p>La question du contrôle des établissements sous contrat a été soulevée périodiquement. Dans un <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lenseignement-prive-sous-contrat">rapport paru en 2023</a>, la Cour des comptes estime que celui prévu par la législation, est au mieux minimaliste (du côté pédagogique), au pire inappliqué (concernant le financier).</p>
<p>Nos recherches nous amènent à nuancer ce constat : <a href="https://www.theses.fr/2021UPSLP080">les modalités de contrôle varient</a> considérablement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01416200.2022.2131735">d’un réseau à l’autre</a>. Du côté de l’enseignement catholique, les inspections suivent en gros le rythme de celles qui sont réalisées dans le public <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lenseignement-prive-sous-contrat">(dans le cadre des trois « rendez-vous de carrière » des enseignants)</a>. En outre, ces établissements peuvent choisir sur des critères scolaires les élèves qu’ils accueillent. Cette sélection sur le niveau correspond peu ou prou à un tri social, ce qui aggrave <a href="https://laviedesidees.fr/Enseignement-prive-et-segregation-scolaire">la structure ségrégative du système scolaire français</a>. </p>
<p>Les collèges sous contrat scolarisent moins de 17 % d’élèves d’origine sociale défavorisés et concentrent 40 % d’élèves très favorisés, proportions qui sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/13/mixite-sociale-a-l-ecole-pap-ndiaye-face-a-la-delicate-implication-de-l-enseignement-prive_6169320_3224.html">strictement inverses dans le public</a>. En 2022, le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye a <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/mixite-sociale-a-l-ecole-l-enseignement-prive-catholique-signe-un-protocole-finalement-peu-contraignant_5829536.html">renoncé à imposer des obligations de mixité sociale</a> à l’enseignement catholique qui y était très hostile.</p>
<p>En raison des réticences des responsables administratifs et communautaires, l’enseignement juif a quant à lui historiquement été peu inspecté, malgré des entorses au contrat <a href="https://www.lgdj.fr/l-ecole-et-la-republique-9782247221158.html">bien documentées</a>. Il n’est pas rare que <a href="https://books.openedition.org/pur/109985?lang=fr">les établissements juifs</a> sélectionnent leurs élèves sur des critères religieux ou communautaires. </p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’enseignement musulman est à l’inverse <a href="https://www.theses.fr/265451752">très contrôlé</a>, qu’il s’agisse <a href="https://doi.org/10.1177/09571558221151001">des établissements hors contrat</a> (on compte environ 70 groupes scolaires musulmans ayant moins de dix ans d’existence), ou des rares établissements contractualisés partiellement (en métropole, aucun ne l’est pour l’ensemble de ses classes). À ce titre, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche notait <a href="https://static.blast-info.fr/attachments/stories/2023/gS9HjS-QQnumCrLXl7NLOw/attachment-kaCAkdjcQz2hkp2n1H3ixA.pdf">en 2020</a> que treize inspections d’enseignants avaient été menées au sein du lycée Averroès depuis 2015, « ce qui doit en faire l’établissement le plus contrôlé de l’académie, sans que jamais aucune remarque défavorable n’ait été formulée à l’encontre des pratiques enseignantes observées ».</p>
<h2>De la surveillance à la sujétion de l’islam : une tendance lourde</h2>
<p>Si les écoles musulmanes ont initialement été conçues par leurs promoteurs ainsi que par les pouvoirs publics, comme une solution au « problème du voile à l’école », force est de constater qu’elles sont devenues aujourd’hui un nouveau problème public. Les attentats de 2015 ont porté <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58369">le soupçon sur ce secteur</a>. </p>
<p>Bien qu’il n’existe aucun lien connu entre ces établissements et le terrorisme islamiste, les gouvernements successifs ont depuis lors cherché à restreindre l’ouverture d’établissements privés musulmans. Trois lois - <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036798673/">la loi Gatel du 13 avril 2018</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/269264-loi-ecole-de-la-confiance-du-26-juillet-2019-loi-blanquer">la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019</a> et <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/277621-loi-separatisme-respect-des-principes-de-la-republique-24-aout-2021">la loi « séparatisme » du 24 août 2021</a> - ont accru leurs contrôles.</p>
<p>La suppression du contrat d’association du lycée Averroès, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/16/la-decision-de-deconventionner-le-lycee-averroes-a-lille-est-inequitable-et-disproportionnee_6206186_3232.html">dénoncée par certains observateurs comme inéquitable et disproportionnée</a> est à resituer dans l’ensemble plus vaste des dispositions qui tendent aujourd’hui à disperser les collectifs islamiques et à dévitaliser les institutions qu’ils tentent d’édifier.</p>
<p>La dissolution en janvier 2022 <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/25/le-conseil-d-etat-valide-la-dissolution-du-ccif-et-de-barakacity_6095981_3224.html">du Collectif contre l’islamophobie en France</a>, structure associative dédiée à la défense juridique des victimes, partenaire de plusieurs organisations internationales de défense des droits humanitaire en est un exemple. Le remplacement du Conseil français du culte musulman établi en 2003 avec une certaine autonomie par des <a href="https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/Actualites/Assises-territoriales-de-l-Islam-de-France-lancement-de-la-concertation">Assises départementales de l’islam</a> dont les membres sont choisis par les préfets en est un autre. Autant de décisions qui témoignent d’une politique résolue d’affaiblissement des capacités d’organisation autonome de l’islam en France.</p>
<p>De manière générale, les établissements musulmans qui demandent à s’inscrire dans la continuité du service public par le biais du contrat obtiennent <a href="https://www.millenaire3.com/Interview/2018/les-difficultes-d-ouvrir-une-ecole-confessionnelle">rarement une réponse positive</a>. Au nom de la lutte contre le séparatisme islamiste, on en vient à entraver le développement d’un secteur d’enseignement privé musulman sous contrat qui, outre ses performances scolaires et sa conformité à <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2013-1-page-35.htm">la rhétorique méritocratique républicaine</a>, est très étroitement contrôlé par les autorités de tutelle tout en envoyant aux musulmans un message de reconnaissance de leur légitimité à exister en France en tant que tels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Geisser est membre de organisation. Président du Centre d'information et d'études sur les migrations internationales (CIEMI, Paris)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carol Ferrara et Françoise Lorcerie ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les écoles musulmanes ont initialement été conçues par leurs promoteurs ainsi que par les pouvoirs publics comme une solution au « problème du voile à l’école .»Françoise Lorcerie, Professeure, Aix-Marseille Université (AMU)Carol Ferrara, Anthropologist & Assistant Professor, Department of Marketing Communication, Emerson CollegeVincent Geisser, Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204052024-01-14T16:30:10Z2024-01-14T16:30:10ZDu « Jour du Seigneur » aux croisades morales de CNews<p>Le <em>Jour du Seigneur</em> vient de fêter ses 75 ans. Émission emblématique du <a href="https://theconversation.com/debat-laudiovisuel-public-est-il-vraiment-public-156794">service public</a> par sa longévité, elle s’inscrit dans un processus ancien d’influence de l’Église au sein des médias. Si les émissions religieuses font désormais partie du « patrimoine » de la <a href="https://theconversation.com/la-necessite-de-la-television-publique-158175">télévision publique</a>, elles ne manquent pas d’interroger le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/271400-la-loi-du-9-decembre-1905-de-separation-des-eglises-et-de-letat">principe de laïcité</a>.</p>
<h2>Des causeries religieuses aux radio-sermons</h2>
<p>Les émissions religieuses illustrent la rapidité avec laquelle l’Église catholique a su s’adapter à l’évolution des médias pour étendre son influence. Ce sont essentiellement les dominicains, appartenant à <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-histoire-des-religions-2018-3-page-554.htm">l’Ordre prêcheur</a> (OP), congrégation pour l’évangélisation des peuples, qui vont être les fers de lance du mouvement d’influence.</p>
<p>À partir de 1927, la station Radio-Paris retransmet les conférences de Notre-Dame et diffuse chaque dimanche 20 minutes de prédication catholique, appelée la « causerie religieuse ». Au 1<sup>er</sup> janvier 1934, suite à la décision du gouvernement français de racheter Radio-Paris afin d’en faire une radio nationale publique, les émissions religieuses sont supprimées au nom de la neutralité de l’État malgré les critiques rejetant un « laïcisme outrancier".</p>
<p>C’était sans compter l’influence des dominicains : elles sont rétablies à Pâques la même année… À partir de cette date, les prédications <a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/1411">« radio-sermons »</a>, sorte de discours simples, directs, familiers, à la portée de tous, fleurissent sur les radios d’État ou privées.</p>
<p>L’introduction de la messe est plus tardive. En 1935, une campagne est menée par des auditeurs et des personnalités de confession catholique auprès du ministre des PTT pour la diffusion d’une messe hebdomadaire. Mais la radio d’État résiste au motif que l’expression religieuse à la radio doit être soumise aux principes de laïcité et de neutralité. Les dominicains orchestrent alors une campagne de communication et obtiennent ainsi à la Pentecôte 1938 que Radio-37, nouvelle radio privée en quête d’audience, diffuse en direct la messe.</p>
<p>Après la libération, la radiodiffusion française (RTF) devient monopole d’État. Néanmoins, dès octobre 1944, la messe est diffusée sur les antennes et des programmes spéciaux ont lieu pour les événements catholiques.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>L’introduction des émissions religieuses à la télévision</h2>
<p>Dans les années 1950, dans une télévision française naissante, les premiers programmes de télévision accordent sans tarder une place et une attention particulières aux émissions à caractère religieux.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/d97fbN8nOjU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Cette présence du religieux est essentiellement due à l’action conjointe du père Pichard, dominicain, et celle de <a href="https://publictionnaire.huma-num.fr/notice/arcy-jean">Jean d’Arcy</a>, alors chargé de mission au cabinet de François Mitterrand, secrétaire d’État chargé de l’information auprès du président du Conseil. Si Jean d’Arcy défend le choix des 819 lignes, technique de qualité qui rendrait la France compétitive, le père Pichard entend prioritairement mettre la technique au service de l’unité chrétienne. Ancien résistant, Jean d’Arcy considère aussi ce nouveau média comme instrument de lien et de communication entre les peuples, susceptible de répondre aux besoins spirituels du public :</p>
<blockquote>
<p>« Grâce à la Télévision, qui apporte un spectacle complet, maintenant, à domicile, nous pouvons apporter la satisfaction de ces besoins intellectuels et spirituels, qui ne sont plus réservés ainsi aux classes riches, aux classes aisées, comme c’était le cas jusqu’à maintenant. C’est en cela que nous sommes un service, et un service public. » (stage international des réalisateurs, 21/10/1957. Fonds J. d’Arcy)</p>
</blockquote>
<h2>La première messe télévisée</h2>
<p>En 1948 est diffusé le premier direct extérieur de la télévision française : il s’agit la messe de Noël en direct de la cathédrale Notre-Dame, la première messe télévisée au monde. Quant au <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i19053921/premiere-allocution-televisee-du-pape-pie-xii">premier discours à la télévision</a> française, c’est celui du Pape Pie XII, diffusé le 17 avril 1949.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jh5nNXk5HOw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>À partir du 9 octobre 1949, la télévision française émet 17 heures de programme par semaine. Parmi celles-ci : une heure et demie de programmes religieux catholiques, soit 9 % du temps d’antenne. Le père Pichard, engagé par contrat « en qualité de collaborateur artistique » est rémunéré pour exercer des fonctions de conseiller ecclésiastique à la télévision, ce qui constitue un certain nombre <a href="https://www.gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite">d’entorses au principe de laïcité</a>.</p>
<p>Jean d’Arcy, devenu directeur des programmes de la RTF (radiodiffusion-télévision française) en 1952, continue de s’intéresser au développement de la télévision catholique en même temps qu’à celui de l’Eurovision, toutes deux destinées à créer « une communauté spirituelle entre les peuples » selon lui. Ses <a href="https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2007-2-page-247.htm">discours</a> attestent ainsi de la place des courants d’inspiration chrétienne dans la construction de la première télévision.</p>
<p>Le débat autour de la compatibilité des émissions religieuses avec le principe de laïcité reprendra de la vigueur après que la RTF, le 5 décembre 1954, décide de diffuser tous les dimanches à la télévision <em>Le Jour du Seigneur</em>, un magazine et une messe catholiques en direct. En l’absence de cadre légal, au nom du principe de neutralité du service public mais aussi pour faire taire les critiques, les responsables proposent au président de la Fédération protestante de France une émission « Présence protestante » dès 1955 dans la grille des programmes. D’autres religions et courants spirituels suivront : <em>La Source de vie</em> (judaïsme, 1962), <em>Orthodoxie</em> (1963), <em>Foi et traditions des chrétiens orientaux</em> (1965), rejoints par l’Islam (1983) et le Bouddhisme (1996).</p>
<h2>Émissions religieuses : une entorse au principe de laïcité ?</h2>
<p>Il faut attendre la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006089724">loi du 7 août 1974</a> pour que soit consacré un « égal accès à l’expression des principales tendances de pensée et des grands courants de l’opinion ». Plus tard, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000043969260">loi du 30 septembre 1986</a> relative à la liberté de communication prévoit et encadre juridiquement la programmation des émissions religieuses (article 56). <a href="https://www.senat.fr/rap/l08-150/l08-15089.html">Cette loi impose à France Télévisions</a> de programmer et de participer financièrement à la réalisation d’émissions religieuses consacrées aux principaux cultes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ejy20NSAOP8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>La diffusion de programmes religieux est donc rendue possible en droit français par une interprétation du principe de neutralité du service public audiovisuel : l’idée est que le pluralisme dans le contenu de l’audiovisuel public est une garantie de cette neutralité. Il en résulte que c’est bien la loi qui prévoit les émissions religieuses, sur la base de la Constitution, et cela sans que puisse être opposée la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Selon le législateur, les programmes à caractère religieux à la télévision publique participent à la formation des divers courants d’opinions des citoyens, et revêtent ainsi le caractère d’une mission de service public.</p>
<p>Si la neutralité du service public audiovisuel suppose la représentation de tous les courants de pensée, c’est le juge qui doit délimiter les contours de cette notion en cas de conflits. En 1980, Le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007687938">Conseil d’État</a> a rejeté une demande tendant à bénéficier d’un même espace d’expression au bénéfice des athées, en jugeant que le principe d’égalité de traitement des grands courants d’opinion « ne fait pas obstacle à ce que des émissions particulières soient consacrées à l’expression de certaines formes de pensée et de croyance ».</p>
<p>Dans la pratique, les émissions religieuses sont diffusées le dimanche matin entre 8 h 30 et 12 h, et réunissent en moyenne 8,5 % de part d’audience. Le <em>Jour du Seigneur</em>, émission co-produite avec le comité français de radio-télévision (CFRT), association dominicaine en charge du programme, bénéfice d’une heure trente tous les dimanches avec une audience de <a href="https://www.arcom.fr/sites/default/files/2023-11/Rapport-sur-execution-du-cahier-des-charges-de-France-Televisions-Annee-2022-Arcom_0.pdf">600 000 personnes</a> soit 11,4 % de parts d’audience, en baisse depuis plusieurs années. Cela est peu au regard des 1,8 M d’abonnés du <a href="https://twitter.com/Pontifex_fr">compte du Pape François sur X (ex Twitter)</a></p>
<h2>Un monopole du sens ?</h2>
<p>Comme le rappelle <a href="https://irel.ephe.psl.eu/sites/default/files/iesr_import//debray.pdf">Regis Debray</a>, on ne saurait reconnaître aux religions un quelconque monopole du sens. Pour ce qui relie l’individu au temps, au cosmos et à ses congénères, les religions instituées n’ont ni exclusivité ni supériorité a priori. Les réponses profanes aux questions que posent la fin de vie, l’interruption volontaire de grossesse, le mariage pour tous, l’origine et la finalité de l’univers, contribuent pleinement à la formation du sens. Il faut ainsi faire le partage entre le religieux comme objet de culture (entrant dans le cahier des charges de la télévision publique qui a pour mission de permettre de comprendre l’apport des différentes religions à l’institution symbolique de l’humanité) et le religieux comme objet de culte (pratique personnelle dans le cadre d’associations privées). On peut légitimement s’interroger sur la place de retransmissions de prières collectives à la télévision de service public.</p>
<h2>CNews et croisade morale</h2>
<p>Enfin, si les émissions religieuses du service public sont bien encadrées par la loi, quoiqu’en porte-à-faux avec la représentation d’une République incarnant l’émancipation du service public à l’égard du religieux, la présence de journalistes d’opinion au sein de chaînes privées interroge peut-être plus encore la laïcité.</p>
<p>Avec l’émission « En quête d’esprit » animée par Aymeric Pourbaix, journaliste du magazine France Catholique, diffusée chaque dimanche, CNews entend « aborder l’actualité d’un point de vue spirituel et philosophique » et plus précisément défend une ligne éditoriale chrétienne affirmée. À titre d’exemple, le <a href="https://www.cnews.fr/emission/2023-03-12/en-quete-desprit-du-12032023-1331847">12 mars 2023</a>, à l’occasion du projet d’inscription dans la Constitution de la loi « Veil » relative à l’interruption volontaire de la grossesse (IVG), l’animateur qualifie l’IVG de « dogme » et défend « la place du pardon et de la miséricorde divine ». Une attaque au droit fondamental de la femme à disposer de son corps.</p>
<p>Faut-il rappeler que la laïcité est la garantie de la liberté de conscience, indépassable outil au service de l’émancipation des hommes et des femmes, ciment de la citoyenneté et de l’égalité de tous vis-à-vis de tous ? L’esprit critique est alors indispensable pour décrypter au sein des médias et sur les réseaux sociaux les discours dogmatiques et manœuvres d’influence, offrant un terrain fertile aux attaques à la laïcité et à la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/07/ivg-net-le-site-tres-oriente-d-un-couple-de-militants-catholiques_5044551_4355770.html">désinformation active dans le domaine</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Chaque dimanche depuis 75 ans, la télévision publique diffuse une émission catholique. Comment cela s’articule-t-il avec le principe de laïcité ?Sylvie Pierre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication/Centre de recherche sur les médiations, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164672023-11-07T17:27:11Z2023-11-07T17:27:11ZComment le rugby est devenu un élément majeur de l’identité irlandaise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/556154/original/file-20231026-24-42brlj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3537%2C2360&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’équipe nationale de rugby est composée à la fois de joueurs de la République d’Irlande et de joueurs d’Irlande du Nord.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Marco Iacobucci Epp/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le 9 septembre 2023, l’Irlande a entamé sa Coupe du monde de rugby par un match contre la Roumanie, à Bordeaux. En tribunes, l’ambassadeur d’Irlande et l’ambassadeur du Royaume-Uni étaient présents. Tous deux étaient venus encourager « leur » Irlande. En effet, l’équipe d’Irlande représente l’ensemble de l’île, donc aussi bien la République d’Irlande, qui est <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/histoire-de-lirlande/9782262030223">indépendante depuis 1922</a>, que l’Irlande du Nord, restée dans le giron du Royaume-Uni.</p>
<p>Cette simple image des deux ambassadeurs illustre la complexité du rapport entre sport et politique en Irlande. Les équipes nationales irlandaises – et spécialement celle de rugby – se trouvent, plus qu’ailleurs, au centre de la construction identitaire des habitants de l’île, qu’ils soient citoyens de la République d’Irlande (5 millions de personnes) ou qu’ils comptent parmi les quelque 2 millions de résidents de l’Irlande du Nord, laquelle est partie intégrante du Royaume-Uni.</p>
<h2>Stades, drapeaux, hymnes… Les casse-tête irlandais</h2>
<p>Malgré la partition de 1922, l’Irlande est représentée par une seule sélection nationale unique dans de nombreux sports. Cette situation n’est pas allée sans créer quelques problèmes.</p>
<p>En football, jusque dans les années 1950, la République d’Irlande et l’Irlande du Nord prétendaient toutes deux représenter « l’Irlande ». Certains joueurs en profitaient pour jouer pour l’équipe du Nord le samedi à Belfast, avant de prendre le train pour Dublin et de porter les couleurs de l’équipe du Sud le dimanche. En 1953, la FIFA a ordonné que cela cesse et a décrété que, dorénavant, les deux équipes s’appelleraient République d’Irlande et Irlande du Nord.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En hockey sur gazon, une équipe irlandaise unique dispute la Coupe du monde et le Championnat d’Europe ; mais les règles des Jeux olympiques n’autorisent pas la présence de plusieurs équipes d’un même pays : aux JO, il y a donc une seule équipe représentant l’ensemble du Royaume-Uni, et une autre représentant la République d’Irlande. Plusieurs hockeyeurs ont ainsi joué pour l’Irlande lors de la Coupe du monde et des Championnats d’Europe, mais pour l’équipe du Royaume-Uni lors des Jeux olympiques.</p>
<p>En ce qui concerne le rugby, les problèmes ont également été nombreux lors des matchs de la sélection. Tout d’abord, où doit-elle disputer ses rencontres à domicile ? L’Irlande joue principalement à Dublin, et occasionnellement à Belfast, en Irlande du Nord (donc au Royaume-Uni).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556129/original/file-20231026-15-21aip8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lors de ce match au Millenium Stadium, au Pays de Galles, les supporters irlandais brandissent le drapeau national et le drapeau vert de l’IRFU.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.irishrugby.ie/gallery/fans-at-wales-v-ireland-millennium-stadium-saturday-march-21-2009/#nanogallery/undefined/0/1">Irish Rugby</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dès lors, quel drapeau afficher ? Pour éviter les litiges sur ce point, l’IRFU (la fédération chargée du rugby à XV en Irlande) a conçu son propre drapeau en 1925. Lors des matchs qui se déroulent à Dublin, ce drapeau est associé au drapeau tricolore de la République. Et lors des rares matchs tenus à Belfast, c’est le drapeau de l’Ulster (région historique située dans le nord de l’île d’Irlande, qui recouvre la totalité de l’entité du Royaume-Uni qu’est l’Irlande du Nord ainsi que trois comtés relevant de la République d’Irlande) qui est utilisé conjointement avec celui de l’IRFU.</p>
<p>Autre symbole important de l’identité : l’hymne. Lors des matchs de rugby à Dublin, l’hymne national de la République d’Irlande (« Amhràn na bhFiann ») est joué, tandis qu’à Belfast, c’est « God Save The Queen » (ou désormais God Save The King) qui est utilisé, et aucun hymne n’est joué lors des matchs à l’extérieur. En 1954, ce problème a atteint son paroxysme lorsque certains joueurs de la République ont protesté contre l’utilisation de « God Save The Queen » avant un match contre l’Écosse à Belfast. Il s’ensuivit une longue période pendant laquelle l’IRFU évita d’organiser des matchs à Belfast.</p>
<p>L’absence d’un hymne irlandais acceptable par tous a été un problème lors de la première Coupe du monde de rugby, en 1987. Toutes les équipes, à l’exception de l’Irlande, avaient un hymne. En guise de mesure d’urgence, l’équipe a donc utilisé l’enregistrement, sur une cassette audio, d’une ballade irlandaise, <a href="https://www.independent.ie/regionals/kerry/news/the-rose-of-tralee-and-the-rugby-world-cup-how-the-kerry-festival-inspired-irelands-call/a697801384.html">« The Rose of Tralee »</a>. Cet enregistrement a suscité des moqueries en raison de la piètre qualité audio de la cassette et du fait que le morceau avait été enregistré par un musicien allemand, James Last.</p>
<p>Finalement, l’IRFU a commandé un hymne pour l’équipe de rugby, « Ireland’s Call ». Il a été écrit par l’un des meilleurs auteurs-compositeurs irlandais, Phil Coulter. Bien qu’il ait été initialement <a href="https://global.oup.com/academic/product/sport-and-ireland-9780198745907">critiqué</a>, il a fini par être adopté comme hymne politiquement neutre, non seulement par l’équipe irlandaise de rugby, mais aussi par les équipes irlandaises de cricket et de hockey.</p>
<p>La pratique consiste désormais à jouer « Ireland’s Call » et « Amhràn na bhFiann » à Dublin, mais seulement « Ireland’s Call » lors des matchs à l’extérieur.</p>
<p>Lors de la Coupe du monde de rugby 2023, un hymne non officiel des supporters a vu le jour. Les fans irlandais ont commencé à chanter la chanson « Zombie » des Cranberries, écrite quelque 30 ans plus tôt en réaction à un attentat à la bombe de l’IRA. L’adoption de cette chanson par les fans de rugby a déclenché un débat, certains estimant qu’elle insultait le nationalisme irlandais et qualifiant les fans de rugby de « West Brits » (terme péjoratif désignant les Irlandais trop pro-britanniques). Toutefois, le premier ministre irlandais actuel, Leo Varadkar, a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/13/ireland-embrace-zombie-song-rugby-world-cup-stirs-debate-lyrics">« chanson antiterroriste ; ce n’est pas une chanson nationaliste ou unioniste »</a></p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CbGq_ffK2Jo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Le poids des années de Troubles</h2>
<p>Les discussions relatives à « Zombie » montrent comment le rugby a été affecté par les <a href="https://www.cairn.info/les-conflits-dans-le-monde--9782200611613-page-179.htm">Troubles</a>, le violent conflit sur le statut de l’Irlande du Nord qui a duré de la fin des années 1960 jusqu’à l’accord de paix de 1998.</p>
<p>Les graves violences qui ont éclaté en Irlande du Nord ont en effet eu des conséquences sur le rugby. En 1972, l’Écosse et le Pays de Galles ont refusé de se rendre à Dublin pour participer au Tournoi des cinq nations. L’année suivante, on s’attendait à ce que l’Angleterre fasse de même, mais au lieu de cela, elle est venue jouer à Dublin, un geste de soutien qui a été chaleureusement accueilli en Irlande.</p>
<p>Après ces deux années particulièrement tendues, il n’y a pas eu d’autres annulations de matchs de rugby. Cependant, en avril 1987, trois joueurs du Nord – Nigel Carr, David Irwin et Philip Rainey – ont été blessés lorsque la voiture dans laquelle ils se rendaient à une séance d’entraînement a été prise dans un attentat à la bombe commis par l’IRA au passage de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. La cible de l’attentat était <a href="https://www.irishtimes.com/news/victims-lord-justice-gibson-and-his-wife-cecily-1.400995">Maurice Gibson</a>, un haut magistrat d’Irlande du Nord ; sa femme et lui-même ont été tués dans l’explosion.</p>
<p>La voiture qui emmenait les trois rugbymen vers le sud passait juste à ce moment-là. Les joueurs n’ont pas subi de blessures mortelles – tous les trois ont fait partie de l’équipe d’Irlande lors de la Coupe du monde qui s’est déroulée plus tard dans l’année – mais l’un d’entre eux, Carr, s’est retiré prématurément du rugby à la suite des blessures qu’il a subies.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/b4g9rFq90p0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Revenons brièvement sur la question des stades accueillant les matchs. En 2007, l’ancien stade de Lansdowne Road à Dublin a été fermé pendant trois ans pour reconstruction. Pendant ces années, les rencontres internationales de rugby (et de football) ont été déplacées à Croke Park. Ce stade appartient à la Gaelic Athletic Association (GAA), qui vise à promouvoir les sports typiquement irlandais tels que le football gaélique et le hurling.</p>
<p>À l’origine, la GAA interdisait spécifiquement les « sports étrangers » tels que le football et le rugby – les membres des clubs de la GAA n’avaient pas le droit de participer à ces sports, ni même de les regarder. Si cette hostilité profonde s’est atténuée au début des années 2000, la réticence à aider un sport rival reste considérable. Un membre important de la GAA a par exemple déclaré en 2017 que le rugby <a href="https://www.irishexaminer.com/sport/gaa/arid-20442688.html">« menaçait de détourner les jeunes joueurs prometteurs des sports gaéliques »</a>.</p>
<p>En outre, Croke Park est imprégné de symbolisme nationaliste. L’une des extrémités du terrain est connue sous le nom de « Hill 16 », en mémoire du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-soulevement-de-paques-en-irlande-en-1916-6782217">soulèvement nationaliste de 1916 contre la domination britannique en Irlande</a>. Une autre partie est appelée Hogan Stand, en l’honneur d’un joueur de football gaélique qui fut l’une des 14 personnes tuées à Croke Park le <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/centenaire-du-bloody-sunday-le-jour-ou-un-match-de-football-gaelique-s-est-transforme-en-massacre_4429661.html">21 novembre 1920</a> lorsque les forces de sécurité britanniques ont ouvert le feu sur une foule assistant à un match de football gaélique. La décision d’accueillir à Croke Park un « match étranger » a donc suscité la controverse. Cependant, lorsque l’Irlande y a joué contre l’Angleterre en 2007, « God Save The Queen » a été traité avec respect, ce qui a fait de cette journée <a href="https://www.theguardian.com/sport/2007/feb/26/rugbyunion.sixnations20071">« un jour de fierté pour l’Irlande moderne »</a>.</p>
<h2>Un sport devenu fédérateur</h2>
<p>On le voit : en Irlande, le rugby est entouré d’une importante symbolique politique. Malgré tout, l’île continue d’aligner une équipe nationale unique.</p>
<p>Au cours des dernières décennies, c’est aussi l’alignement identitaire lié au rugby qui a changé. Auparavant, ce sport était considéré comme fortement protestant et, par conséquent, aux yeux d’une grande partie de la République d’Irlande, il <a href="https://muse.jhu.edu/article/510690/pdf">« ne représentait pas vraiment l’Irlande »</a>.</p>
<p>Mais progressivement, le nombre de catholiques appréciant et pratiquant le jeu a augmenté et une position plus équilibrée a émergé. Ce processus a été renforcé par l’identité de classe liée à la pratique et à l’appréciation du rugby en Irlande. Le rugby est fortement ancré dans la classe moyenne et « la pratique du rugby et la participation sociale au rugby (appartenance à un club, participation aux matchs, etc.) <a href="https://www.esri.ie/system/files/publications/RS97_0.pdf">sont fortement liées au statut socio-économique »</a>. Cette appartenance à une même classe sociale a contribué à maintenir l’unité du rugby en Irlande.</p>
<p>Enfin, la professionnalisation du rugby en 1995 a eu un impact majeur sur sa place en Irlande. Sa popularité a nettement augmenté, tant au niveau des clubs qu’au niveau de l’équipe nationale. L’ère du professionnalisme a également permis à de nombreux joueurs australiens, néo-zélandais et sud-africains de s’installer en Irlande et même de jouer pour la sélection irlandaise. Cela a contribué à l’affaiblissement des identités nationalistes et unionistes les plus dogmatiques et les plus enracinées, qui sont en train d’être remplacées par de nouvelles identités plus mondialisées.</p>
<p>Alors que l’équipe d’Irlande a pu être autrefois <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/714947402">« une union temporaire de deux nations politiquement distinctes par le biais du sport »</a>, elle « transcende désormais les barrières et les différences de race, de sexe, de religion et d’orientation sexuelle », selon la <a href="https://www.irishrugby.ie/irfu/strategic-plan/">formule de l’IRFU</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216467/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael Holmes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Coupe du monde de rugby n’aura pas souri aux Irlandais, mais la compétition leur a tout de même permis, une fois de plus, d’exprimer leur unité à travers leur sélection nationale.Michael Holmes, Maître de conférences en science politique, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109112023-08-03T21:33:46Z2023-08-03T21:33:46ZSinead O’Connor, une vie de quête spirituelle à travers la musique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541037/original/file-20230803-27-los2z2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C1815%2C1231&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La chanteuse au Paradiso, à Amsterdam, en mars 1988. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-performs-at-paradiso-amsterdam-news-photo/997813120?adppopup=true">Paul Bergen/Redferns via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 juillet 2023, alors qu’on apprenait la <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-66318626">mort de la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor</a>, des anecdotes sur un célèbre incident ont refait surface.</p>
<p>Il y a 31 ans, après une interprétation envoûtante de la chanson « War » de Bob Marley, Sinead O’Connor avait déchiré une photo du pape Jean-Paul II en direct à la télévision, déclarant : « Combattez le véritable ennemi », en référence <a href="https://theconversation.com/the-catholic-church-sex-abuse-crisis-4-essential-reads-169442">aux abus sexuels commis par des ecclésiastiques</a>. Pendant les mois qui ont suivi, elle a été bannie, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/sinead-o-connor-booed-pope-bob-dylan-concert-1176338/">huée et moquée</a>, rejetée comme une rebelle et une folle.</p>
<p>Les commémorations qui ont suivi sa mort ont cependant jeté une lumière très différente sur cet épisode. Sa déclaration-choc au <em>Saturday Night Live</em> est désormais considérée comme « revigorante » <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/26/arts/music/sinead-oconnor-snl-pope.html">écrit le critique pop du <em>New York Times</em></a> et comme « un appel aux armes pour les dépossédés ».</p>
<p>Les mentalités ont beaucoup changé depuis 1992, que ce soit à l’égard du catholicisme, du sexe et du pouvoir, que ce soit à New York ou à Dublin, la ville natale d’O’Connor. Aux yeux de nombreuses personnes, la crédibilité morale de l’Église catholique dans le monde <a href="https://news.gallup.com/poll/245858/catholics-faith-clergy-shaken.aspx">s’est effondrée</a>, et la confiance dans les institutions religieuses, quelles qu’elles soient, est <a href="https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx">au plus bas</a>. Les abus sexuels, dont on ne parlait autrefois qu’à voix basse, sont aujourd’hui évoqués ouvertement.</p>
<p>Je me joins au chœur des voix qui affirment aujourd’hui qu’O’Connor était en avance de plusieurs décennies sur son temps. Mais si l’on s’en tient à cela, on passe à côté de quelque chose de profond quant à la complexité et à la profondeur de son imagination religieuse. Sinead O’Connor était sans doute l’une des artistes les plus sensibles à la spiritualité de notre époque. </p>
<p>Je suis une <a href="https://www.fordham.edu/academics/departments/theology/faculty/brenna-moore/">spécialiste du catholicisme à l’époque moderne</a> et je m’intéresse depuis longtemps à ces personnages – les poètes, les artistes, les chercheurs – qui errent en <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/K/bo90478851.html">marge de leur tradition religieuse</a>. Ces hommes et ces femmes déçus par les représentants du pouvoir religieux, mais dont l’imagination artistique et l’inspiration tiennent beaucoup à la spiritualité.</p>
<p>Tout au long de sa vie, O’Connor a défié les étiquettes religieuses, explorant de multiples croyances. L’exquise liberté de sa musique ne peut pas être dissociée de l’amour qu’elle porte à la religion.</p>
<h2>« Sauver Dieu de la religion »</h2>
<p>La religion est souvent considérée comme une affaire intime et personnelle : on est croyant ou on ne l’est pas. Mais en réalité, c’est rarement aussi simple.</p>
<p>L’Église catholique avait une forte emprise sur la société irlandaise à l’époque où Mme O’Connor grandissait – une « théocratie », comme elle l’a qualifiée <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/sep/10/sinead-oconnor-pope-visit">dans des interviews</a> et dans ses mémoires, <a href="https://www.penguin.co.uk/authors/126006/sinead-oconnor"><em>Rememberings</em></a> – et pendant de nombreuses années, elle a <a href="https://www.reuters.com/article/us-oconnor/singer-sinead-oconnor-demands-pope-steps-down-idUSTRE5BA39Y20091211">alerté et appelé à plus de responsabilité</a> au sujet des abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Mais elle aimait ouvertement d’autres aspects de la foi, même si c’était souvent de manière peu orthodoxe. Elle s’est fait tatouer Jésus sur la poitrine et a continué à critiquer l’Église tout en apparaissant à la télévision avec un collier de prêtre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe violette, au crâne rasé et au grand tatouage coloré, embrasse une femme blonde" src="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sinead O’Connor, avec son tatouage de Jésus, embrasse la chanteuse Deborah Harry lors du gala Inspiration 2011 de l’amfAR à Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/singers-sinead-oconnor-and-deborah-harry-attend-the-the-news-photo/130660855?adppopup=true">Jeff Vespa/Getty Images for amfAR</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dix ans après sa prestation au SNL, O’Connor a suivi des cours dans un séminaire de Dublin avec un prêtre dominicain catholique, le révérend Wilfred Harrington. Ensemble, ils lisaient les prophètes de la Bible hébraïque et les Psaumes : des écritures sacrées dans lesquelles les paroles de Dieu sont exprimées.</p>
<p>Inspirée par son professeur, elle lui a dédié le magnifique album <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xncY5WP12BQ"><em>Theology</em></a>. L’album est un mélange de certaines de ses propres chansons inspirées par la Bible hébraïque – comme <a href="https://www.youtube.com/wat,h?v=Kf24-rgyOeI">« If You Had a Vineyard »</a>, inspirée par le Livre d’Isaïe, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Jh7s5BKphw8">« Watcher of Men »</a>, qui s’inspire de l’histoire biblique de Job – et d’autres morceaux qui sont essentiellement des versions chantées de ses psaumes préférés.</p>
<p>Dans une <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">interview de 2007</a> pour la station de radio WFUV de l’Université Fordham, O’Connor a déclaré qu’elle espérait que l’album pourrait montrer Dieu aux gens lorsque la religion elle-même leur avait bloqué l’accès à Dieu. Il s’agissait en quelque sorte de « sauver Dieu de la religion », de « sortir Dieu de la religion ». Plutôt que de prêcher ou d’écrire, « la musique est le petit moyen que j’ai de le faire », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je dis cela en tant que personne qui a beaucoup d’amour pour la religion ».</p>
<h2>Lire les prophètes</h2>
<p>Ce faisant, elle s’inscrit dans la longue lignée de la tradition prophétique. Le livre <a href="https://www.harpercollins.com/products/the-prophets-abraham-j-heschel?variant=40970012721186"><em>Les prophètes</em></a> du grand penseur juif, le <a href="https://www.myjewishlearning.com/article/abraham-joshua-heschel-a-prophets-prophet/">rabbin Abraham Joshua Heschel</a> commence par cette phrase : « Ce livre traite de certaines des personnes les plus troublantes qui aient jamais vécu ». À maintes reprises, la Bible montre les prophètes comme des êtres humains.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une poignée de personnes tiennent des pancartes de protestation rouges, blanches et noires devant un bâtiment, avec une grande photo d’une femme déchirant une photographie devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une photo de Sinead O’Connor déchirant la photographie du pape Jean-Paul II se trouve lors d’une manifestation à Cracovie, en Pologne, en 2023, accusant la hiérarchie de l’église d’avoir dissimulé des abus sexuels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/banners-are-seen-during-a-protest-next-to-the-bishops-news-photo/1248867957?adppopup=true">Beata Zawrzel/NurPhoto via Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour de nombreux catholiques horrifiés, l’apparition de Mme O’Connor dans le <em>SNL</em> et ses nombreuses autres critiques de l’Église étaient blasphématoires ou servaient juste à attirer l’attention sur sa personne. D’autres fans, en revanche, y ont vu une condamnation prophétique. Il ne s’agissait pas seulement d’une critique de la maltraitance, mais aussi d’une critique de la prétendue compassion des responsables de l’Église pour les enfants, tenant des propos moralisateurs <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/nov/26/catholic-church-ireland-child-abuse">alors qu’ils couvraient la maltraitance</a>.</p>
<p>En dénonçant tout cela et bien d’autres choses encore, O’Connor a souvent été considérée comme dérangeante : pas seulement à cause de l’incident de la photo du pape, mais en raison de son androgynie, son crâne rasé, son ouverture sur ses propres luttes contre la maladie mentale. Mais pour de nombreux admirateurs, comme le montre le documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-VLy1A4En4U"><em>Nothing Compares</em></a>, tout cela montrait qu’elle était libre et, comme les prophètes d’autrefois, qu’elle n’avait ni honte ni peur de provoquer.</p>
<h2>Du rasta à l’islam</h2>
<p>En même temps, l’imagination religieuse d’O’Connor représentait bien plus qu’une relation complexe avec le catholicisme. La religion autour d’O’Connor était éclectique et intense.</p>
<p>Elle était profondément influencée par les <a href="https://theconversation.com/reggaes-sacred-roots-and-call-to-protest-injustice-99069">traditions rastafari</a> de la Jamaïque, <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">qu’elle décrivait</a> comme « un mouvement spirituel antireligieux, mais massivement pro-Dieu ». Elle considérait le premier album de Sam Cooke avec les Soul Stirrers comme le meilleur album de gospel jamais réalisé. Elle compte parmi ses héros spirituels Muhammad Ali – et <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-45987127">s’est convertie à l’islam en 2018</a>, changeant son nom en Shuhada’ Sadaqat.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe à carreaux et coiffe chante avec passion devant des lumières violettes" src="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">O’Connor se produit lors d’un concert à l’Admiralspalast de Berlin en décembre 2019, après sa conversion à l’islam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-aka-shuhada-sadaqat-performs-news-photo/1187273491?adppopup=true">Frank Hoensch/Redferns/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, la vision d’O’Connor n’était pas fragmentée. Le miracle de Sinead O’Connor, c’est que tout est cohérent, d’une certaine manière, dans les mots d’une artiste qui refuse de mentir, de se cacher ou de ne pas dire ce qu’elle pense.</p>
<p>Interrogée sur la spiritualité, O’Connor a dit un jour qu’elle préférait la chanter plutôt que d’en parler – comme elle le fait dans de nombreuses chansons, depuis <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XkP-0rnr_Gw">son chant lumineux de l’antienne</a>, un hymne marial chanté lors des services de Pâques, jusqu’à son album inspiré par les Rasta, <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/5945-throw-down-your-arms/"><em>Throw Down Your Arms</em></a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=haYbyQIEgQk">« Something Beautiful »</a>, un morceau de l’album <em>Theology</em>, O’Connor s’adresse à la fois à Dieu et à l’auditeur : « Je veux faire/Quelque chose de beau/Pour toi et de toi/Pour te montrer/Je t’adore ».</p>
<p>Et c’est bien ce qu’elle a fait. Être ému par son art, c’est ressentir une transcendance, un regard sur une forme lumineuse de spiritualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210911/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brenna Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’emblématique chanteuse irlandaise s’est toujours imprégnée de spiritualité, tout en critiquant les institutions religieuses.Brenna Moore, Professor of Theology, Fordham UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011332023-03-12T17:14:11Z2023-03-12T17:14:11ZQuand les collectionneurs spéculent sur la religion : une bible à 50 millions de dollars ?<p>Il y a quelques jours, la presse internationale <a href="https://www.nytimes.com/2023/02/15/arts/hebrew-bible-auction-sothebys.html">annonçait</a> la mise aux enchères de ce qui pourrait être le livre le plus cher de tous les temps : une bible estimée à 50 millions de dollars. Il s’agirait de l’une des plus anciennes bibles au monde, un témoin unique de cet ouvrage pas comme les autres. Qu’en est-il vraiment ?</p>
<h2>Aux origines de la Bible</h2>
<p>La Bible est, dit-on, <a href="https://www.guinnessworldrecords.com/world-records/best-selling-book-of-non-fiction">l’ouvrage le plus vendu au monde</a>. Il faut dire qu’elle a une longueur d’avance : au XV<sup>e</sup> siècle, lorsque Gutenberg met au point sa célèbre technique d’imprimerie, c’est bien sûr la Bible qu’il choisit pour être diffusée à grande échelle. C’est une véritable révolution.</p>
<p>À l’époque, Gutenberg imprime une version latine de la Bible, qu’on appelle la « Vulgate », traduite par saint Jérôme au tournant du V<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ. Jérôme avait alors effectué sa traduction à partir des langues originales de la Bible, à savoir l’hébreu, l’araméen et le grec. Cette pluralité de langues est due au caractère composite de la Bible qui, en réalité, n’est pas un livre, mais une collection de livres écrits à des époques différentes par des auteurs qui ne parlaient pas tous la même langue. Le mot « Bible » lui-même signifie d’ailleurs « les livres », au pluriel (en grec : « ta biblia »). Tout est dans le titre !</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Bible de Gutenberg, Lenox Copy, New York Public Library.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Starfire2k/Flickr</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La bible qui sera mise aux enchères le 16 mai est en hébreu et date du X<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ, environ. C’est un âge vénérable, mais il existe des manuscrits bien plus anciens. Mille ans plus tôt, des scribes copiaient les mêmes livres sur des rouleaux de parchemin (ou, plus rarement, de papyrus).</p>
<p>Certains de ces manuscrits ont traversé les millénaires cachés dans des grottes sur les rives occidentales la mer Morte. Ils ont été découverts au milieu du XX<sup>e</sup> siècle par des Bédouins ; ces « rouleaux de la mer Morte », comme on les appelle, sont, à ce jour, les plus anciens manuscrits de la Bible. Ils sont hélas disloqués et morcelés : on compte plus de <a href="https://www.deadseascrolls.org.il">30000 fragments</a> qui devaient correspondre à un millier de rouleaux environ. Autant de puzzles à reconstituer, sans modèle, et avec la majeure partie des pièces manquantes. Les plus anciens datent du III<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ, et peut-être même du IV<sup>e</sup> voire V<sup>e</sup> siècle, ainsi que je l’ai <a href="http://michaellanglois.fr/?p=18261">récemment proposé</a>. Les plus récents datent du II<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Grand rouleau d’Isaïe (1QIsᵃ), copié vers la fin du IIᵉ siècle avant Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://barhama.com/">Ardon Bar-Hama</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans la plupart des cas, la datation proposée se fonde sur la « paléographie » – la façon dont les lettres sont tracées –, l’idée étant qu’on n’écrit pas de la même manière au III<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ et au II<sup>er</sup> siècle de notre ère.</p>
<h2>Un problème de datation</h2>
<p>Une datation au carbone 14 est, en théorie, utile, mais elle se heurte à plusieurs difficultés : c’est une méthode destructive, car il faut prélever et broyer des échantillons ; ces échantillons sont souvent contaminés et donnent des résultats aberrants ; même lorsqu’ils sont justes, les résultats doivent être calibrés, et l’on aboutit parfois à plusieurs datations possibles et assez imprécises ; enfin, même lorsque la datation s’avère plausible, on ne date que le parchemin ou le papyrus, et non la copie du texte, qui peut avoir été faite longtemps après – surtout si le parchemin a été lavé et réutilisé, comme ça se faisait souvent : à l’époque, tout se recyclait.</p>
<p>Le même problème de datation se pose pour cette bible mise aux enchères. Parfois, le scribe ajoute une mention précisant son identité, la date de la copie, le nom de la personne qui lui a commandé ce travail, etc. Un peu comme l’achevé d’imprimer que vous trouverez aujourd’hui à la fin de n’importe quel livre. Cette mention s’appelle un « colophon », mais il n’y en a pas ici. Tout juste sait-on qu’elle a été vendue au tournant du II<sup>e</sup> millénaire après Jésus-Christ. On en déduit qu’elle a été copiée avant et, grâce à la paléographie, on l’a datée des environs du X<sup>e</sup> siècle de notre ère.</p>
<p>À l’occasion de la mise aux enchères, une datation au carbone 14 a été effectuée, mais les résultats n’ont pas été publiés. On nous dit que cette bible daterait de la fin du IX<sup>e</sup> ou du début du X<sup>e</sup> siècle, mais sans plus de précision. Le vendeur a tout intérêt à proposer la datation la plus ancienne possible pour faire grimper les enchères, au point même de présenter cette bible comme un chaînon manquant avec les manuscrits de la mer Morte, alors qu’un millénaire les sépare, de sorte que quelques décennies ne feront guère de différence.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Codex Vaticanus, copié vers le IVᵉ siècle après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Unknown author</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un chaînon manquant ?</h2>
<p>Le chaînon manquant existe pourtant : ce sont des bibles grecques datées des IV<sup>e</sup> ou V<sup>e</sup> siècles après Jésus-Christ. La plus connue d’entre elles est au Vatican : c’est le <a href="https://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.gr.1209">Codex Vaticanus</a>. Ces manuscrits permettent d’accéder au texte biblique dans sa langue originale, le grec, pour ce qui est des livres écrits dans cette langue. Mais pour les livres écrits en hébreu et en araméen, il faut se contenter d’une traduction grecque. Or, traduire, c’est trahir. </p>
<p>Se pose donc la question de la fiabilité de cette version grecque, d’autant qu’elle diffère parfois des bibles hébraïques plus tardives telles que celle qui est mise aux enchères. Les traducteurs grecs étaient-ils incompétents ? Distraits ? Orientés ? La découverte des manuscrits de la mer Morte a permis de résoudre cette énigme, puisque certains de ces rouleaux, y compris en hébreu, concordent avec la version grecque. Autrement dit, les traducteurs grecs ont plutôt bien travaillé, car ils avaient sous les yeux un texte hébreu différent de celui des bibles hébraïques médiévales.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Codex d’Alep, copié vers 930 après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ardon Bar Hama</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’évolution du texte biblique ne s’est pas arrêtée là. Ces différentes versions de la Bible ont circulé pendant des siècles, copiées et recopiées par des scribes juifs et chrétiens qui ne se parlaient pas forcément beaucoup.</p>
<p>Au début du Moyen Âge, des savants juifs mettent au point des systèmes de ponctuation du texte biblique. Il faut dire que l’alphabet hébreu ne note pas les voyelles de façon systématique et précise ; le même texte peut être lu de différentes façons, avec les conséquences que l’on imagine lorsqu’il s’agit des saintes Écritures.</p>
<p>Pour lever toute ambiguïté, on a donc habillé le texte de petits points et traits permettant d’en préciser la prononciation exacte : voyelles, intonation, ponctuation, cantillation. Plusieurs prononciations étaient en concurrence, et il faudra attendre le X<sup>e</sup> siècle pour trouver la première bible hébraïque dotée de la prononciation encore en usage aujourd’hui. Cette bible, c’est le <a href="http://aleppocodex.org/">Codex d’Alep</a>, daté de l’an 930 environ, et que l’on peut admirer au Musée d’Israël à Jérusalem. Plusieurs feuilles sont perdues, mais son héritier, le Codex de Saint-Pétersbourg (ou Codex de Leningrad), copié en 1009 après Jésus-Christ, est complet. C’est ce manuscrit qui sert de référence à l’étude de la Bible hébraïque et à la plupart des <a href="https://lire.la-bible.net">traductions françaises modernes</a> de la Bible.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Codex Sassoon 1053, copié vers le Xᵉ siècle après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ardon Bar-Hama</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un texte vivant</h2>
<p>La bible qui est mise aux enchères n’est ni le Codex d’Alep, ni celui de Saint-Pétersbourg. Il s’agit du Codex Sassoon 1053. Contrairement au Codex de Saint-Pétersbourg, il lui manque des feuilles, de sorte qu’il ne peut prétendre au titre de plus ancienne bible hébraïque complète connue. En outre, sa ponctuation est légèrement différente de celle du Codex d’Alep. C’est à la fois un défaut et un atout : les croyants désireux de lire la Bible hébraïque selon la prononciation officielle écarteront le Codex Sassoon 1053, cependant que les spécialistes ont depuis longtemps noté l’intérêt de ce manuscrit pour une étude comparative de la ponctuation hébraïque.</p>
<p>Dans tous les cas, le prix astronomique évoqué pour cette vente aux enchères – jusqu’à 50 millions de dollars ! – est révélateur de l’importance de la Bible et de la religion pour des milliards de personnes à travers le monde. Au point que certains collectionneurs américains n’ont pas hésité à dépenser des millions de dollars pour des manuscrits de la mer Morte, et ce afin de s’acheter une crédibilité scientifique et politico-religieuse. Ironie du sort, <a href="https://theconversation.com/a-washington-la-bible-falsifiee-105624">ces manuscrits étaient des faux</a>…</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-washington-la-bible-falsifiee-105624">À Washington, la Bible falsifiée</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il faut protéger ce patrimoine culturel de toute forme d’instrumentalisation et l’apprécier à sa juste valeur. Le Codex Sassoon 1053 a d’autres qualités : il dispose par exemple les livres de la Bible hébraïque dans un ordre légèrement différent de celui que nous connaissons. Le livre du prophète Isaïe a été placé après celui d’Ézéchiel et non avant celui de Jérémie. Imaginez que vous regardiez les films de la saga <em>Star Wars</em> dans un ordre différent de celui dans lequel ils sont sortis au cinéma ; l’effet ne serait pas le même ! C’est ce qui se passe ici : on lit la Bible d’une autre façon. Chaque manuscrit est unique. L’histoire plurimillénaire de la Bible nous invite à la découvrir, non pas comme un monolithe prisonnier d’une lecture univoque, mais comme un texte vivant et toujours différent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael Langlois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Codex Sassoon de 1053 ne peut prétendre au titre de plus ancienne bible hébraïque complète connue. Alors, comment expliquer le prix astronomique de sa mise aux enchères ?Michael Langlois, Docteur ès sciences historiques et philologiques, maître de conférences HDR, membre honoraire de l’IUF, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1975482023-02-14T20:35:29Z2023-02-14T20:35:29ZBenoît XVI, une vie de quête intellectuelle et spirituelle<p>Disparu le 31 décembre 2022, Benoît XVI écrivait ces quelques lignes en 2006 dans son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/elezione/documents/testamento-spirituale-bxvi.html">« testament spirituel »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis soixante ans, j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j’ai vu s’effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses […] J’ai vu et je vois comment, à partir de l’enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, avec toutes ses insuffisances, est vraiment son corps ». </p>
</blockquote>
<p>Des propos qui résument la quête intellectuelle et spirituelle de toute une vie de chercheur.</p>
<p>La conviction du croyant est inébranlable et se résume ici à l’hommage au Christ par la reprise de ses propres paroles adressées à l’apôtre Thomas au soir de la Cène, selon l’évangile de Jean (<a href="https://www.aelf.org/bible/Jn/14">14,6</a>).</p>
<p>En bon disciple de Saint-Augustin, sur la doctrine duquel il a écrit sa première thèse, c’est un hommage au « Christ total », c’est-à-dire à la personne du Christ à qui l’Église est unie comme son corps, selon la doctrine paulinienne (<a href="https://www.aelf.org/bible/1Co/12">1 Co 12</a>). Mais cette conviction n’enferme pas le théologien dans un monde clos de certitudes. Pour lui, l’accueil dans la foi de la Révélation de Dieu conduit avant tout à « chercher Dieu et se laisser trouver par Lui », selon l’expression phare de son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2008/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20080912_parigi-cultura.html">discours au Collège des Bernardins</a>.</p>
<h2>Le doute en partage</h2>
<p>Dans cette démarche, le chemin du croyant, non exempt de doutes, peut croiser celui de l’agnostique voire de l’athée : « ce qui arrive au croyant, aux prises avec les flots du doute, arrive également à l’incroyant, qui éprouve le doute de son incroyance » écrivait déjà le professeur Ratzinger dans son ouvrage <a href="https://www.qwant.com/?client=ext-firefox-sb&t=images&q=image+la+foi+chr%C3%A9tienne+hier+et+aujourd%27hui&o=0%3AE5D8CF33568891CF88F4F7CF16515979C6FC5C50">« La Foi chrétienne hier et aujourd’hui »</a>.</p>
<p>Plus encore : le doute, autre catégorie augustinienne, « qui empêche l’un et l’autre de se claquemurer dans leur tour d’ivoire, pourrait devenir un lieu de communion ».</p>
<p>Mais surtout, la foi chrétienne est accueil du Logos fait chair, selon l’expression trouvée, elle aussi, dans l’évangile de Jean (<a href="https://www.aelf.org/bible/Jn/1">1,14</a>). Or, le Logos est à la fois Dieu personnel et Raison créatrice. Dès lors, « <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2012/may/documents/hf_ben-xvi_spe_20120503_gemelli.html">Religion du Logos, le christianisme ne relègue pas la foi au domaine de l’irrationnel, mais attribue l’origine et le sens de la réalité à la Raison créatrice, qui, dans le Dieu crucifié, s’est manifestée comme amour</a> ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une photo prise entre 1962 et 1965 à Rome montre Josef Ratzinger (à gauche), alors professeur de théologie, avec le cardinal Joseph Frings de Cologne qui l’a choisi comme conseiller au Vatican.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Dialogue entre foi et raison</h2>
<p>La contemplation du Logos détermine le premier axe majeur de la recherche théologique de Ratzinger : le dialogue fécond entre foi et raison. Comme tout dialogue, il n’est pas à sens unique. Benoît XVI l’a par exemple exprimé à propos du rapport de la science et de la foi : « Science et foi possèdent une réciprocité féconde, presque une exigence complémentaire de l’intelligence du réel ». Cette fécondité réciproque exige du croyant de se souvenir que « ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu », comme le pontife l’a réaffirmé dans son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2006/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20060912_university-regensburg.html">discours tant décrié à l’université de Ratisbonne</a>.</p>
<p>Elle exige en retour du philosophe ou du scientifique de ne pas exclure la question de Dieu, question ultime qui porte l’exigence tant de la recherche théologique que des sciences profanes et garde la raison de se fermer sur elle-même.</p>
<p>Ratzinger puisait à la pensée d’Henri de Lubac, dont l’ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2006_num_37_3_3535_t1_0428_0000_2"><em>Catholicisme</em></a> a profondément marqué son parcours, l’idée selon laquelle un humanisme athée se retournait contre l’homme. Le dialogue nécessaire entre foi et raison, exprimé souvent chez Ratzinger sous la forme de la relation entre Amour et Vérité, l’a conduit à explorer par exemple le rapport de la foi à la culture.</p>
<p>Ainsi, dans un <a href="https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/incontri/rc_con_cfaith_19930303_hong-kong-ratzinger_en.html">discours aux commissions doctrinales des diocèses d’Asie</a>, il cherche à montrer « le droit et la capacité de la foi chrétienne à se communiquer à d’autres cultures, à les assimiler et à se communiquer à elle ». Nourri de diverses cultures, le christianisme ne peut se confondre avec aucune.</p>
<p>Un autre thème découlant de ce premier axe – foi et raison – est celui de la théologie politique. Nous pouvons ici nous référer à un autre discours pontifical, exercice dans lequel Benoît XVI recueillait le fruit de réflexions antérieurement plus développées et nourries de lectures plus récentes. Il s’agit de son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2011/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20110922_reichstag-berlin.html">discours au Bundestag en 2011</a>. Il y déclarait :</p>
<blockquote>
<p>« Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit – il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu. »</p>
</blockquote>
<h2>Sciences bibliques et théologie</h2>
<p>Le deuxième axe majeur de la pensée de Benoît XVI, également mentionné dans son testament spirituel, est la recherche du juste rapport entre sciences bibliques et théologie. Expert au Concile Vatican II, le théologien allemand livrait en 1969 un <a href="https://archive.org/details/commentaryondocu0005unse/page/n5/mode/2up">commentaire</a> d’une partie d’un des documents majeurs de ce Concile, la constitution pastorale Gaudium et Spes, commentaire dans lequel il revient sur l’état de la question du rapport entre exégèse et théologie pendant le travail conciliaire.</p>
<p>Ratzinger fait le constat d’un manque. Les évêques réunis en Concile étaient convaincus que l’Église avait un message à transmettre aux hommes de leur temps, et que ce message devait être fondé dans l’Écriture. Seulement, la seule exégèse dont les évêques disposaient alors était l’historico-critique, c’est-à-dire la recherche aussi précise que possible des éléments de contexte, événementiels et littéraires, permettant une meilleure connaissance du sens des textes bibliques, dont le corpus s’étend sur plusieurs siècles.</p>
<p>Or, par exigence méthodologique, cette exégèse cantonne l’Écriture dans le passé. De ce fait, la référence à l’Écriture semblait cantonner l’Église dans le passé, ou alors, en cherchant à être l’Église du temps présent, celle-ci risquait d’être infidèle à son identité, forgée plus de 1500 ans en arrière. Le Concile a cherché à sortir de cette impasse en initiant une lecture de l’Écriture dans l’unité du texte biblique et « dans la tradition vivante de toute l’Église », inspirée par l’Esprit-Saint.</p>
<p>En attendant, cette attention au rapport entre exégèse et théologie, vu comme un enjeu crucial pour la mission de l’Église, a habité constamment l’esprit de Joseph Ratzinger. Nous en voyons la trace dans les premières pages de son ouvrage <a href="https://catholicapedia.net/Documents/cahier-saint-charlemagne/documents/C1017_B16_Jesus_88p.pdf">« Jésus de Nazareth »</a>, publié en 2007 sous la double signature Joseph Ratzinger/Benoît XVI, dont il parle comme « le fruit d’un long cheminement intérieur ».</p>
<p>Le pape théologien salue l’avènement dans les années 1970 de l’exégèse canonique « qui vise à lire les différents textes en les rapportant à la totalité de l’Écriture unique ».</p>
<p>Pour Benoît XVI, l’exégèse canonique, sans discréditer l’historico-critique, comble le manque constaté lors du Concile Vatican II. Mais plus encore, ce qui fait l’actualité toujours renouvelée des écrits bibliques, c’est l’Église qui à la fois en est nourrie et en est le sujet vivant : « Le peuple de Dieu – l’Église – est le sujet vivant de l’Écriture, et en elle les paroles bibliques sont toujours du présent. Ce qui implique évidemment que ce peuple admet lui-même qu’il se reçoit de Dieu et, pour finir, du Christ incarné, qu’il accepte aussi d’être organisé, dirigé, orienté par Lui ».</p>
<p>Ainsi, comme pour le dialogue foi et raison, le juste rapport entre exégèse et théologie prend sa source dans le Christ Jésus, le Verbe fait chair, et y renvoie. Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, rappelle d’abord que la recherche théologique est indissociable de la personne de Jésus de Nazareth, que l’Église reconnaît comme vrai Dieu et vrai homme, révélateur du Dieu unique.</p>
<p>Son génie aura été de discerner les enjeux fondamentaux de la théologie depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’à la première décennie du XXI<sup>e</sup> siècle, période de confrontation de l’Église à la sécularisation accélérée de l’Europe et aux échanges multiculturels et plurireligieux au niveau mondial.</p>
<p>Les deux axes de sa pensée incitent au renouveau constant de la réflexion intraecclésiale à partir de l’Écriture reçue comme Parole vivante et à un effort constant de dialogue pour l’Église et ses multiples interlocuteurs. Il aura témoigné que la théologie est une discipline scientifique toujours en mouvement, scrutant inlassablement les mystères de Dieu, du monde et de l’homme qu’il a créé, sans jamais pouvoir les maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brice de Malherbe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Disparu le 31 décembre 2022, Joseph Aloisius Ratzinger, qui fut le pape Benoît XVI, a été un infatigable théologien, en constante quête intellectuelle et spirituelle.Brice de Malherbe, Président de la Faculté Notre-Dame de Paris, Collège des Bernardins, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1877292022-07-26T22:20:00Z2022-07-26T22:20:00ZExcuses papales pour les pensionnats pour autochtones au Canada : un « premier pas »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476169/original/file-20220726-15-93tuny.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3880%2C2526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le pape François coiffé d’un panache traditionnel après ses excuses présentées à Maskwacis, en Alberta. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jason Franson </span></span></figcaption></figure><p>Le pape François a répondu <a href="https://nctr.ca/wp-content/uploads/2021/04/4-Appels_a_l-Action_French.pdf">à l’appel à l’action no 58 de la Commission de vérité et réconciliation</a> (CVR) en <a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2022/july/documents/20220725-popolazioniindigene-canada.html">s’excusant en personne</a>, au Canada, auprès survivants des pensionnats autochtones, à leurs familles et à leurs communautés. Contrit, il a demandé pardon pour la participation de religieux à cette « entreprise de destruction culturelle et d’assimilation forcée ».</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une main brandit un fagot de sauge qui brûle" src="https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475925/original/file-20220725-14-g1vzpj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Fumée rituelle au premier rassemblement pour le pèlerinage pénitentiel du pape François à Maskwacis, en Alberta.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jason Franson</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour la première étape de ce <a href="https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1900753/visite-papale-edmonton-maskwacis-autochtones-reconciliation">« pèlerinage pénitentiel »</a> de <a href="https://www.visitepapale.ca/">cinq jours</a> au Canada, le pape a pris la parole à Maskwacis, près du site de <a href="https://collections.irshdc.ubc.ca/index.php/Detail/entities/1080">l’ancien pensionnat d’Ermineskin</a>, en Alberta. Cependant, ces excuses pontificales, qui arrivent sept ans après l’appel de la CVR, ne reconnaissent pas définitivement le rôle de l’Église elle-même dans le système des pensionnats.</p>
<p>Après le discours du pape, la <a href="https://nativenewsonline.net/currents/pope-francis-apologizes-for-evil-committed-by-christians-against-indigenous-peoples">chef Judy Wilson de l’Union des chefs indiens de la Colombie-Britannique</a> a demandé au pape d’abroger la <a href="https://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/2012/News%20and%20Media/Fr%20Fact%20Sheet_Doctrine%20Discovery.pdf">doctrine de la découverte</a>, soulignant ainsi l’une des nombreuses lacunes des excuses papales. Cette doctrine, formulée pour la première fois dans la bulle papale de 1455, fournissait la <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/phare-ouest/segments/entrevue/408692/jean-francois-roussel-pape-canada-edmonton-iqaluit-quebec-doctrine-decouverte">justification théologique et juridique à la dépossession des indigènes</a> par les colonisateurs européens et sert de base à l’affirmation de la souveraineté canadienne sur le territoire.</p>
<h2>La signification des excuses</h2>
<p>Ma réflexion et mon analyse sont ancrées dans ma perspective de descendant de colonisateur européen et de spécialiste des excuses ecclésiastiques pour les torts historiques. Elles reflètent également mes premières impressions.</p>
<p>Il ne m’appartient pas de dire ce que les excuses signifient pour les survivants. Néanmoins, leur signification, elle, reposera non seulement sur les mots prononcés, mais aussi sur les actions qui s’en suivront.</p>
<p>Il faudra attendre des années voire des décennies pour savoir si ces excuses auront réellement contribué au processus de guérison. Au cours des prochains jours, le pape pourrait apporter d’autres nuances à travers ses prochaines déclarations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475931/original/file-20220725-19-meaybl.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le pape François présente ses excuses aux peuples autochtones à Maskwacis, en Alberta, le 25 juillet 2022, dans le cadre de son pèlerinage pénitentiel au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un mal déplorable</h2>
<p>Comme il l’avait fait le <a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2022/april/documents/20220401-popoli-indigeni-canada.html">1er avril</a>, le pape a formulé des excuses qui reconnaissent les souffrances de ceux qui ont fréquenté les pensionnats indiens, notamment la perte de la culture, de la langue et de la spiritualité, ainsi que les « violences physiques, verbales, psychologiques et spirituelles » infligées.</p>
<p>Le pape n’a cependant pas mentionné les <a href="https://www.cbc.ca/news/indigenous/pope-address-maskwacis-alberta-1.6531231">violences sexuelles</a>, pourtant spécifiées dans l’appel à l’action no 58, alors qu’il en avait pourtant reçu plusieurs témoignages à Rome.</p>
<p>« Face à ce mal déplorable, l’Église s’agenouille devant Dieu et implore son pardon pour les péchés de ses enfants », a-t-il déclaré. « Je demande humblement pardon pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones. »</p>
<h2>Créer une culture</h2>
<p>Le pape a souligné que ses excuses ne sont qu’« un premier pas, le point de départ », et que de telles paroles seront toujours profondément insuffisantes. Le long chemin de la guérison, a-t-il déclaré, nécessitera de nombreuses actions et devra pénétrer le cœur des catholiques.</p>
<p>Le pape a exprimé son engagement en faveur d’un chemin qui respecte les identités et les expériences des peuples autochtones. Son évocation quant à la nécessité de « créer une culture capable d’empêcher la répétition de tels événements » semble suggérer que l’Église devra modifier plusieurs aspects de sa culture et de ses pratiques institutionnelles.</p>
<p>Contrairement aux excuses présentées au Vatican, le pape était cette fois un invité chez les autochtones, qui l’ont accueilli avec leurs chefs, des joueurs de tambour, des chanteurs et des locuteurs des langues autochtones que les pensionnats ont voulu faire disparaître.</p>
<p>En quelque sorte, cette cérémonie était l’embryon d’une relation renouvelée et plus respectueuse. La présence même du pape, dont la santé est mauvaise, est certainement un autre signe de son engagement personnel.</p>
<h2>Une entreprise de dépossession</h2>
<p>Les excuses papales, qui reconnaissent la destruction des cultures autochtones par l’église, ne vont pas jusqu’à faire le lien avec deux autres faits importants : que cette destruction ait été au service de la dépossession des terres autochtones par le Canada, et que <a href="https://theconversation.com/indigenous-land-defenders-dont-call-me-resilient-ep-6-156632">ces terres étaient inextricablement liées à leurs cultures</a>.</p>
<p>Il n’a pas non plus reconnu explicitement la complicité et la responsabilité institutionnelles de l’Église qui gérait ces écoles. Comme il l’a fait en avril, le pape a maintenu la distinction entre l’action de l’Église et celles des religieux. Mais, a-t-il ajouté cette fois-ci, ces individus ont fait avancer l’objectif sous-jacent de ces écoles, qui était une politique d’assimilation.</p>
<p>Certaines parties du discours semblaient placer l’Église et les peuples autochtones du même côté, comme s’ils étaient tous des victimes affligées des mêmes maux. Par exemple, en parlant d’« intérioriser notre douleur », le pape donne l’impression de chercher une douleur commune avec les survivants. Le souvenir des traumatismes étant très différent pour les victimes et leurs bourreaux, un tel point de vue suggérerait une reconnaissance inadéquate des torts historiques.</p>
<p>Comme c’est souvent le cas <a href="https://www.bloomsbury.com/ca/ecclesial-repentance-9780567523686/">pour ce genre d’excuses</a>, le pape s’adressait à deux publics : les victimes, évidemment, mais aussi les croyants qui, à titre de colonisateurs, sont appelés à poser des gestes spécifiques de guérison et de réparation.</p>
<p>Certains refusent toute responsabilité pour les fautes passées. D’autres refusent d’admettre tout le mal commis dans les pensionnats. La déclaration du pape les persuadera-t-elle d’accepter et d’assumer réellement ces faits douloureux de l’histoire ?</p>
<p>Le pape François a appelé à une « sérieuse recherche sur la vérité du passé afin d’aider les survivants des pensionnats dans la voie de la guérison pour les traumatismes subis. ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des gens brandissent une bannière rouge" src="https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475933/original/file-20220725-15-pwoxng.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Déploiement d’une bannière sur laquelle figurent des noms d’enfants après le discours papal à Maskwacis, en Alberta, le 25 juillet.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jason Franson</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien que la question reste vague, le pape semble suggérer un processus de reconnaissance au sein de l’Église. Pourra-t-on enfin ouvrir davantage les filières vaticanes ? L’Église pourra-t-elle reconnaître sa complicité institutionnelle ? Verra-t-on aussi des gestes plus spécifiques réclamés par les survivants, comme le retour d’artéfacts du Vatican ?</p>
<p>Tout cela est possible, mais pourrait très bien ne jamais se passer.</p>
<p>Que le pape ait répondu à l’appel à l’action no 58 de la CVR n’est pas une fin en soi. Cet acte de vérité doit servir à amener tous les Canadiens à répondre aux autres appels dans un très long chemin à parcourir.</p>
<p>En 2008, déjà, le <a href="https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1100100015644/1571589171655">premier ministre Stephen Harper avait présenté des excuses</a> au nom du gouvernement du Canada, affirmant que le fardeau de cette histoire était celui de tous les Canadiens.</p>
<p>Le pape et l’Église catholique ne sont, en eux-mêmes, ni l’objet ni le sujet des excuses papales. Il s’agit plutôt de reconnaître la souffrance et la dignité humaine des survivants. Cet événement est aussi pour tous les Canadiens une autre occasion de faire face à un passé douloureux et d’engager le long, difficile et coûteux travail de réparation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187729/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeremy M. Bergen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce n’est que dans les années et les décennies à venir que l’on saura si ces excuses ont réellement fait progresser le processus de guérison.Jeremy M. Bergen, Associate Professor of Religious Studies and Theological Studies, Conrad Grebel University College, University of WaterlooLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1845162022-07-06T18:17:38Z2022-07-06T18:17:38ZAu cinéma, l’identité amérindienne trop souvent malmenée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472779/original/file-20220706-13-9g4fd9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C28%2C3817%2C2121&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ajuawak Kapashesit dans le film Indian Horse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p><em>A l'occasion de la sortie du film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, fresque sur le drame méconnu des Amérindiens Osage dans les années 1920, nous republions cet article qui mentionne d'autres productions récentes et questionne la représentation des Amérindiens dans le cinéma américain.</em></p>
<hr>
<p>Un chef amérindien déclara jadis à des Blancs : « Votre civilisation va nous détruire. Mais votre magie le [cinéma] va nous rendre immortels ». Ces propos, extraits du documentaire canadien <a href="https://canfilmday.ca/fr/film/reel-injun-hollywood-et-les-indiens/"><em>Reel Injun</em></a> de Neil Diamond et Catherine Bainbridge (2009), étaient on ne peut plus clairvoyants si on les replace dans leur contexte. Car en plus de 100 ans d’histoire, l’industrie cinématographique a réalisé plus de 4 000 films sur les Amérindiens. Comme l’explique <a href="https://journals.openedition.org/lisa/2756">Anne Garrait-Bourrier</a>, c’est bien « le genre cinématographique qui a le plus repris les anciens stéréotypes historiques liés à l’image de l’Indien pour en faire le centre d’« histoires », avec un h minuscule, qui n’avaient plus rien à voir avec les réalités de la conquête de l’Ouest ».</p>
<p>Hollywood, notamment à partir de ses westerns des années 1930 à 1950, a exploité à l’extrême l’image de l’Indien et l’a fait évoluer au gré de la conjoncture (goûts des cinéastes, volontés des producteurs, attentes des spectateurs), allant ainsi du « sauvage sanguinaire » au « noble sauvage » en passant par l’<a href="https://wwnorton.com/books/The-Ecological-Indian/">« Indien New Age »</a>.</p>
<p>Toutefois, et bien que le jeu soit une composante essentielle des cultures amérindiennes (comme l’attestent les nombreux écrits missiologiques et anthropologiques), un aspect est resté peu visible voire minoré : la figure du sportif. C’est à partir de cette idée que le cinéaste Stephen Campanelli, s’inspirant du roman de <a href="https://www.ledevoir.com/lire/509759/richard-wagamese-ecrit-la-violence-du-deracinement-culturel-impose-aux-autochtones">Richard Wagamese</a>, a abordé, dans <em>Indian Horse</em> (2017), la question identitaire des Amérindiens qui, entre tradition et modernité, se situent dans un entre-deux culturel.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8gT0avr6Yfg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Générations sacrifiées</h2>
<p>Le héros, tourné vers la vie occidentale tout en se nourrissant de son héritage indien, des droits et devoirs qui y sont associés, cherche inlassablement sa place. Le film raconte l’histoire dramatique d’un jeune garçon ojibwa – Saul Indian Horse – qui, enlevé à sa famille pour intégrer de force un pensionnat catholique en 1961, doit oblitérer sa culture. </p>
<p>Il trouve temporairement son salut dans le hockey, un sport qui lui permet de s’épanouir et d’intégrer une équipe professionnelle. Toutefois, le racisme latent auquel il est confronté a raison de lui. Il jette l’éponge et finit par sombrer dans l’alcoolisme et la misère. Après des années d’errance, sauvé in extremis de la mort, il décide de se repentir en retournant sur les lieux de son enfance. Et là, en foulant l’ex-patinoire du pensionnat de Saint-Jerome, il prend conscience – sous forme de flash-backs – d’un autre mal qui le ronge depuis toujours : les abus sexuels dont il fut victime.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<p>Le pensionnat est ici décrit comme un lieu de souffrance, une dé-amérindianisation voire un génocide culturel : on voit à plusieurs reprises dans le film des enfants amérindiens subir de vrais abus psychiques et physiques. Il faut dire que le gouvernement canadien avait mis en place une politique visant à éradiquer les langues et cultures autochtones, fournissant ainsi des explications sur les taux élevés d’alcoolisme, de suicide et autres fléaux sociaux qui affectèrent grandement la communauté amérindienne, tout comme les Inuits par la suite. </p>
<p>S’appuyant sur les propos de Richard Wagamese, le réalisateur Stephen Campanelli a pris soin de mentionner ces quelques informations dans le générique de fin, entrecoupées par des images d’archives montrant la vie de jeunes Amérindiens dans les pensionnats :</p>
<blockquote>
<p>« Entre la fin des années 1800 et 1996, plus de 150 000 enfants indigènes ont été envoyés dans des pensionnats. Selon les archives, au moins 6 000 enfants sont morts pendant leur séjour dans ces établissements. Mais on estime qu’ils sont des milliers de plus. En 2008, le gouvernement canadien a finalement présenté des excuses et mis en place une commission de vérité et de réconciliation chargée d’établir la vérité. Nous encourageons tout le monde à ouvrir son cœur et son esprit à la souffrance et à la douleur infligées à des générations d’enfants et de familles indigènes par des politiques d’assimilation agressives sanctionnées par le gouvernement. »</p>
</blockquote>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/semanciper-par-le-sport-exploser-les-stereotypes-de-genre-117757">S’émanciper par le sport, exploser les stéréotypes de genre</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En revenant sur l’histoire de ces générations sacrifiées, <em>Indian Horse</em> installe un certain nombre de débats sur la vérité historique, sur les conditions sociales actuelles, sur le destin de ces peuples devenus étrangers et marginalisés sur leurs propres territoires. L’évocation de ces témoignages douloureux constitue un levier dramaturgique important à travers lesquels sont abordés, avec plus ou moins de force, les questions de pauvreté dans les réserves, de dépendance à l’alcool ou à la drogue, de violences intercommunautaires voire familiales ; autant de blessures intérieures qui ont poussé certains enfants au suicide. Ce long métrage vient ainsi renouveler un genre cinématographique qui a eu tendance trop longtemps à imposer un modèle déformé voire humiliant de l’Indien dans des <a href="https://uknowledge.uky.edu/upk_film_and_media_studies/23/">intrigues souvent manichéennes</a>.</p>
<h2>Donner la parole aux Amérindiens</h2>
<p>Un changement dans l’histoire du cinéma qui a commencé à s’opérer à la fin des années 1970, avec la production d’un cinéma « pro-Indien » souhaitant montrer une vision plus réaliste de la situation amérindienne, et qui déboucha ces dernières années sur une production contemporaine hyperréaliste, voire désabusée comme <em>The Rider</em> de Chloé Zhao (2017), <em>The Grizzlies</em> de Miranda De Pencier (2018) et, bien évidemment, <em>Indian Horse</em>. </p>
<p>Les cinéastes d’aujourd’hui, à l’instar de Stephen Campanelli, donnent la parole aux Amérindiens eux-mêmes, sans maquillage ni faux-semblants, sans clichés susceptibles de mettre la communauté en danger dans ce qu’elle a de plus fragile : la préservation de son patrimoine culturel et religieux. Ce cinéma est, comme le souligne <a href="https://journals.openedition.org/lisa/2756">Anne Garrait-Bourrier</a>, « messager d’une autre voix, plus corrosive et sans concession : celle du réel américain ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KncyPWbEgr4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><em>Indian Horse</em> s’inscrit aussi, d’une certaine façon, dans la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17430437.2020.1826163">lignée des films sportifs</a> en présentant l’importance du jeu dans la culture traditionnelle indienne – « Le jeu, ma survie » déclare Saul dans le film – et le rôle joué par les pensionnats dans <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2019-2-page-141.htm?ref=doi">l’appropriation par les Amérindiens de pratiques sportives modernes</a>.</p>
<p>Ces institutions incluent dans leur cursus les pratiques physiques et plus particulièrement le sport, devenu partie intégrante de la culture nationale et incarnant les valeurs d’un système qui encourage l’esprit de compétition, l’individualisme, le succès. Le sport scolaire, pensé comme un facteur d’assimilation, devient un substitut aux pratiques ludo-sportives ancestrales. </p>
<p>Ces écoles, à l’instar de Carlisle et Haskell, permettent l’émergence de sportifs de haut niveau d’origine amérindienne comme James Francis Thorpe ou William Mills dont les parcours sont repris dans les biopics <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09523367.2020.1828359"><em>Jim Thorpe – All American</em> (1951)</a> et <em>Running Brave</em> (1983). Cette insertion remarquable des Amérindiens dans le monde sportif ne masque pas pour autant les dérives inhérentes à la société nord-américaine d’alors.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-quidditch-ce-sport-reel-venu-dharry-potter-64534">Le quidditch, ce sport « réel » venu d’Harry Potter</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le racisme ambiant côtoie les exploitations commerciales, tout comme l’utilisation de l’indianité comme faire valoir sportif prend rapidement et durablement des allures de <a href="https://thestrikeoutfrance.com/2020/08/19/noms-et-logos-amerindiens-le-sport-us-face-au-defi-dune-societe-plus-juste/">pseudototémisme</a>, exploitant les symboles culturels amérindiens dans les différentes composantes de la société. Les athlètes amérindiens, même s’ils ne font pas l’objet d’interdiction de jeu, sont, tout comme leurs homologues de couleur, les victimes d’épithètes à caractères racistes ou autres insultes. Le film reprend cela via l’accueil reçu par l’équipe amérindienne des « Moose » dans le championnat régional, par Saul au sein de l’équipe des « Monarchs » de Toronto, et dans la caricature du joueur dans la presse.</p>
<p>Au regard de l’histoire fictionnelle tragique de Saul ou bien réelle de Thorpe, <em>Indian Horse</em> dénonce les injures et les cruels affronts dont les Amérindiens ont été victimes. David Q. Voigt insiste sur ce fait à travers ces quelques mots : </p>
<blockquote>
<p>« […] peut-être aucun groupe ne dut faire face à autant de sarcasmes sans pitié que ne le firent les Amérindiens ».</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est certainement pas la bêtise populaire et médiatique qui a eu raison de la carrière professionnelle de Saul mais bien une conjonction de facteurs et de traumatismes auxquels plusieurs « générations volées » ont dû faire face.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184516/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>A travers la figure du sportif, le film « Indian Horse » de Stephen Campanelli dénonce le racisme et les abus sexuels dont ont été victimes de nombreux amérindiens.Thomas Bauer, Maître de conférences HDR en histoire du sport (STAPS), Université de LimogesFabrice Delsahut, Maître de conférences en STAPS, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1852372022-06-16T20:41:46Z2022-06-16T20:41:46ZJudith, figure biblique de la « veuve noire »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469291/original/file-20220616-12-41b3u9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1515%2C1203&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Judith décapitant Holopherne. Tableau du Caravage, vers 1598-1602. Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome. Détail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7e/Judit_y_Holofernes%2C_por_Caravaggio.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le livre de Judith fait partie des écrits deutérocanoniques admis dans le canon biblique par les Églises catholique et orthodoxe. Il s’agit d’un récit édifiant qui doit montrer au lecteur comment il est possible, en des circonstances dramatiques, de <a href="https://bible.catholique.org/livre-de-judith/4147-chapitre-1">rester fidèle à Dieu</a>.</p>
<p>Malgré les divergences entre les commentateurs de cette œuvre, on s’accorde généralement à reconnaître qu’elle a été écrite entre 160 et 60 av. J.-C., c’est-à-dire <a href="https://www.academieoutremer.fr/images/files/Juifs-Nabateens-%2859_088%29.pdf">à l’époque des Hasmonéens</a>, dynastie de souverains juifs qui régna sur la Judée, entre la fin de la domination séleucide et la conquête romaine.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Judith, par Jean-Joseph Benjamin Constant, vers 1886. National Gallery of Art, Washington.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le livre se réfère, de manière allusive, à la <a href="https://www.babelio.com/livres/Hadas-Lebel-La-revolte-des-Maccabees--167-142-av-J-C/938279">guerre de libération</a> menée contre le roi séleucide Antiochos IV Épiphane par Judas Maccabée, héros fondateur de la dynastie hasmonéenne.</p>
<p>L’auteur a dissimulé son dessein édifiant sous le voile du passé : il situe l’action <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Book_of_Judith.html?id=5NgUAAAAIAAJ&redir_esc=y">au temps de Nabuchodonosor</a>, souverain babylonien du VI<sup>e</sup> siècle av. J.-C. Mais, toute ressemblance avec des personnages et des faits du II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. n’est nullement fortuite.</p>
<h2>Deux époques superposées</h2>
<p>L’auteur superpose deux époques, suivant un procédé qui sera encore exploité, bien plus tard, par Sergueï Eisenstein dans <em>Alexandre Nevski</em> (1938). Le film, bien que se situant au Moyen Âge, n’en fait pas moins implicitement référence au contexte contemporain de sa réalisation : la menace de l’expansionnisme nazi. Dans un but propagandiste, le passé est mis au service du présent.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1159&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469305/original/file-20220616-17-6prz3p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Franz von Stuck, 1927. Gemäldegalerie, Schwerin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Franz_von_Stuck_-_Judith.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le roi Nabuchodonosor, ennemi des Juifs, n’est autre que la transposition littéraire d’Antiochos IV Épiphane. Le livre de Judith évoque aussi le principal haut fait de Judas Maccabée : la purification du Temple de Jérusalem et de son autel, après leur profanation par le roi séleucide qui avait consacré le sanctuaire des Juifs à Zeus Olympien.</p>
<p>« Depuis peu tout le peuple de Judée avait été rassemblé et les ustensiles, l’autel et la maison de Dieu avaient été consacrés après leur profanation (<em>Judith 4, 3</em>) ».</p>
<p>Il s’agit d’une référence au 25 kislew (mois du calendrier hébraïque) 165 ou 164 av. J.-C. et à l’instauration de la <a href="https://bmcr.brynmawr.edu/2015/2015.02.48/">fête de Hanoucca</a> qui fut ensuite célébrée chaque année.</p>
<h2>Conquérir « toute la terre d’Occident »</h2>
<p>Le livre de Judith s’ouvre sur une évocation de Nabuchodonosor. L’orgueilleux roi, avide de guerres et de pillages, lance le général en chef de son armée, Holopherne, à la conquête de « toute la terre d’Occident » (<em>Judith 2, 6</em>), c’est-à-dire du Proche-Orient méditerranéen. Les Juifs, effrayés par la menace qui pèse sur eux, n’en décident pas moins de résister à l’envahisseur.</p>
<p>Holopherne, qui souhaite en savoir davantage sur l’identité de ces Juifs qui osent lui tenir tête, interroge à ce sujet un officier ammonite nommé Akhior, commandant de troupes auxiliaires recrutées en Transjordanie.</p>
<p>Akhior déconseille formellement à Holopherne de s’attaquer aux Juifs « de peur que leur Seigneur et Dieu ne les protège » (<em>Judith 5, 21</em>). Mais le général méprise cet avertissement : selon lui, Nabuchodonosor est un dieu bien plus puissant que le dieu d’Israël (<em>Judith 6, 2</em>).</p>
<p>Pour punir Akhior de l’insolence de ses propos, Holopherne ordonne à ses hommes de ligoter l’officier et d’aller l’abandonner au pied de la colline où s’élève la ville de Béthulie. Une localité juive, inconnue par ailleurs, sans doute inventée par l’auteur.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-messie-etait-il-un-leader-nationaliste-157262">Le Messie était-il un leader nationaliste ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Akhior est recueilli et bien traité par les habitants, tandis qu’Holopherne commence le siège de la ville. Bientôt la population n’a plus de quoi se nourrir et envisage de se rendre à l’ennemi.</p>
<h2>Et Dieu créa Judith</h2>
<p>C’est alors qu’intervient une belle veuve nommée Judith. Pourquoi une veuve ? L’auteur veut souligner le fait qu’elle échappe à toute tutelle masculine dans un cadre matrimonial. C’est une femme libérée de la domination des hommes, mais non de Dieu. Judith possède aussi une expérience qui va lui permettre de mener à bien sa mission. De plus, comme les filles juives étaient alors mariées dès l’adolescence, il n’est pas difficile pour le lecteur d’imaginer une jeune et pimpante veuve.</p>
<p>Judith prend la parole : elle prédit aux habitants de Béthulie leur prochain salut, car, dit-elle, « le Seigneur visitera Israël par mon entremise (<em>Judith 8, 33</em>) ». Après une prière, accompagnée de sa servante, la veuve quitte Béthulie pour se rendre dans le camp ennemi. Elle est vêtue comme pour un jour de fête. Elle s’est enduit le corps d’un baume parfumé, a entouré sa chevelure d’un bandeau, a chaussé des sandales, mis « ses colliers, ses bracelets, ses bagues, ses boucles d’oreilles et toutes ses parures » (<em>Judith 10, 4</em>).</p>
<p>Parfum, coiffure et bijoux contribuent à façonner une figure prête à séduire, de la tête aux pieds, « les yeux des hommes qui la verraient ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469300/original/file-20220616-22-uxhc8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Lucas Cranach l’Ancien, vers 1530. Jagdschloss Grunewald.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Judith_mit_dem_Haupt_des_Holofernes.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’appât féminin</h2>
<p>Quand elle se présente à l’entrée du camp ennemi dans cet irrésistible accoutrement, la jeune femme attire aussitôt tous les regards. Subjugué par l’appât, Holopherne l’invite à entrer dans sa tente, comme un cheval de Troie féminin. Assurée de son succès, la sublime veuve se permet une touche d’ironie : « Dieu m’a envoyée réaliser avec toi des affaires dont toute la terre sera stupéfaite », lance-t-elle à sa proie (<em>Judith 11, 16</em>).</p>
<p>Après un banquet bien arrosé, Holopherne, ivre, s’assoupit. L’assistance se retire, laissant le chef seul avec Judith. La belle soulève la lourde épée que le général a déposée près de son lit. Elle saisit Holopherne par les cheveux et, frappant de toutes ses forces, lui tranche le cou. Puis elle sort de la tente et confie la tête à sa suivante qui la met dans son sac.</p>
<p>Toutes deux s’en retournent alors à Béthulie avec leur trophée. Ravis de cet exploit, les assiégés accrochent la tête d’Holopherne à la muraille de la ville. Lorsqu’ils découvrent l’assassinat de leur chef, les ennemis, frappés de stupeur, se hâtent d’abandonner leur camp.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=656&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469298/original/file-20220616-12-jt430c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=825&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Judith. Tableau de Gustav Klimt, 1901. Musée du Belvédère, Vienne. Détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_et_Holopherne_(Klimt)#/media/Fichier:Gustav_Klimt_039.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La belle tueuse</h2>
<p>Bien après l’Antiquité, le livre de Judith fascina nombre de lecteurs et d’artistes. Son attrait repose notamment sur le renversement de situation qu’il opère entre le dominant et le prétendu faible, qui sort finalement vainqueur de la confrontation.</p>
<p>Ce schéma asymétrique est comparable au duel entre le jeune David et le géant Goliath, thème biblique qui connut un engouement similaire.</p>
<p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort. Elle incarne la femme dangereuse, mais dans un sens positif, car elle agit pour la bonne cause. C’est une sorte de Salomé inversée.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/salome-itineraire-dune-jeune-fille-impudique-155245">Salomé : itinéraire d’une jeune fille impudique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle, la veuve de Béthulie devint un sujet d’inspiration pour nombre de peintres, comme le Caravage (vers 1598-1602) qui la représente en train de décapiter sa proie.</p>
<p>Sandro Botticelli préfère montrer les conséquences de l’acte : l’effroi des officiers d’Holopherne découvrant le corps amputé de leur maître, ou encore Judith rentrant à Béthulie, suivie de sa servante qui porte la tête d’Holopherne sur sa propre tête, comme une femme revenant du marché.</p>
<p>On ne compte pas les nombreuses Judith posant en compagnie de leur macabre trophée, de Lucas Cranach l’Ancien (vers 1530) à Gustav Klimt (1901). Quant à Franz von Stuck (1927), il choisit d’illustrer l’instant fatidique où la lame tranchante va s’abattre sur le cou du chef ennemi.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le retour de Judith à Béthulie. Tableau de Sandro Botticelli, vers 1470. Galerie des Offices, Florence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Sandro_Botticelli_-_Retour_de_Judith_1.JPG">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’odalisque armée</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, Benjamin Constant, suivant la mode orientaliste du moment, imagine une odalisque aux longs cheveux noirs, sertie de bijoux, et armée d’un puissant cimeterre.</p>
<p>Le livre de Judith inspira aussi Flaubert. Comme l’héroïne de Béthulie, <a href="https://books.openedition.org/pufc/1584">Salammbô pénètre dans la tente de l’ennemi, dans le chapitre 11</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Au chevet du lit, un poignard s’étalait sur une table de cyprès ; la vue de cette lame luisante l’enflamma d’une envie sanguinaire ».</p>
</blockquote>
<p>La Carthaginoise songe un instant à tuer Mâtho endormi, avant de se raviser.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">Les jeux érotiques de Salammbô et de son python fétiche</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans l’imaginaire occidental de l’époque, toutes ces figures de femmes fatales, de Judith à Salammbô, en passant par Salomé, se rejoignent et se confondent en un même rêve d’Orient érotique et cruel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1750822022-06-09T22:11:44Z2022-06-09T22:11:44ZDu chapeau conique à la kippa, le couvre-chef dans la religion juive<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468048/original/file-20220609-17-6p1wcj.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=39%2C2%2C1707%2C1033&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le couvre-chef et sa couleur (doré ou pas) marquent le statut hiérarchique du personnage biblique en fonction de sa sainteté : couronne, auréole, chapeau conique simple. À gauche, Joseph jeté dans le puits par ses onze frères. Tous portent le chapeau conique. Celui de Joseph est accompagné de l’auréole lui conférant une sainteté supérieure à ses frères. À droite, le prophète Jonas jeté à la mer et englouti par le poisson. Il porte seulement l’auréole, marquant ainsi son importance dans le christianisme.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000434v/f59.item">Speculum humanae salvationis, Folio 28r , Gallica</a></span></figcaption></figure><p>Le couvre-chef fut imposé par les catholiques aux membres de la communauté juive dès le Moyen Âge afin de les identifier – et le plus souvent pour les déconsidérer. Il est parallèlement devenu un signe distinctif de religiosité revendiqué avec fierté, selon ce qui ressemble à un retournement du stigmate.</p>
<h2>En 1215, un moment fondateur</h2>
<p>Le IV<sup>e</sup> concile du Latran de 1215 est considéré comme le moment fondateur de la différenciation visible des Juifs dans l’espace public européen. Le pape Innocent III y décrète en effet la nécessité de distinguer les Juifs (et les musulmans) de la population chrétienne « par la qualité de leur habit public » <a href="https://www.cairn.info/revue-sigila-2021-1-page-105.htm">afin d’éviter la « grave damnation d’une union (sexuelle entre juifs et chrétiens) »</a>.</p>
<p>En France, Louis IX (saint Louis) impose <a href="https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1974_num_1972_1_8107">ces signes distinctifs dans tout le royaume en 1269</a>. Il s’agit d’exclure les Juifs des rapports sociaux ordinaires afin d’empêcher les mariages mixtes entre chrétiens et juifs, ainsi que les conversions au judaïsme. Ce « marquage » des Juifs se fait par l’imposition d’un signe distinctif : une roue (ou rouelle, cercle cousu sur le vêtement) et/ou du chapeau de forme conique, le plus souvent jaunes.</p>
<p>Dans l’art médiéval, le chapeau conique identifie les Juifs et par extension les Hébreux de l’histoire biblique de manière métonymique, comme dans deux manuscrits illuminés : <em>Le Psautier dit de saint Louis</em> (1274) et <em>Speculum humanae salvationis</em> (début du 14e siècle).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468040/original/file-20220609-1203-6p1wcj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le psautier de saint Louis commence par une série de 78 miniatures en pleine page illustrant les scènes des premiers livres de l’Ancien Testament. Les personnages bibliques sont très souvent coiffés du chapeau conique. Cette œuvre est produite 60 ans après le concile du Latran (1215).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://utpictura18.univ-amu.fr/notice/19414-destruction-sodome-psautier-saint-louis-fdeg9v">Psautier dit de saint Louis, Maître de Noah, enlumineur (1270-1274)/BnF</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=271&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=271&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468039/original/file-20220609-5837-l97du9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=271&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À gauche, Marie et Jésus précédé de Joseph affublé du chapeau conique sans auréole. À droite, Marie et Joseph écoutent Jésus à la synagogue. Son enseignant porte le chapeau conique. (Speculum humanae salvationis, Folio 46v).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6000434v/f95.item">Gallica</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans minimiser les mesures anti-juives au Moyen Âge, ces occurrences du chapeau dans les enluminures médiévales ne correspondent pas à une volonté d’humilier les Juifs, puisque même Joseph, l’époux de Marie, le porte.</p>
<p>Les catholiques ne sont pas les seuls à user du chapeau conique dans les représentations des Hébreux, les Juifs aussi. <em>La Haggadah</em> de Pessah à têtes d’oiseaux, dont la date est estimée à 1300, est attribué à un certain Menahem, Juif ashkénaze. Ce parchemin relate les épisodes de la fuite d’Égypte. On y voit par exemple des Hébreux, un chapeau conique sur la tête avec sa boule caractéristique, se hâtant de cuire la <em>matsa</em> pour l’emporter avec eux. Les Égyptiens lancés à leur poursuite ont les traits du visage effacés. Ici ce chapeau n’est pas stigmatisant, il permet d’identifier les Hébreux et les distinguer des Égyptiens.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=627&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=627&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=627&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=788&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=788&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468038/original/file-20220609-11303-c6qe5f.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=788&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les Oiseaux Oiseaux’. circa 1300. Scribe bleu-Menahem.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Blue_Scribe-_Menahem_-_The_Birds%27_Head_Haggadah_-_Google_Art_Project_(cropped).jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des poèmes de Süsskind von Trimberg, poète juif allemand du début du 14e siècle, se trouvent dans le <em>Codex Manesse</em>. Une miniature montre un Juif reconnaissable à son chapeau conique emblématique dont la pointe est surmontée d’une boule. Il porte un col en fourrure, comme l’évêque à gauche avec sa crosse. Le Juif est habillé comme le dignitaire catholique, en exacte symétrie si ce n’est son chapeau distinctif. Le Juif est le visiteur mais à égalité avec l’évêque, comme le montre la richesse de leurs vêtements doublés de fourrure. Le chapeau conique s’oppose à la crosse de l’évêque.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468043/original/file-20220609-20-b94zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">On reconnaît le chapeau conique emblématique du dignitaire juif.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/cpg848/0705">Codex Palatinus Germanicus 848, folio 355r Bibliothèque de l’université d’Heidelberg</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un stigmate vestimentaire</h2>
<p>Si l’origine du chapeau jaune remonte au 13e siècle, son usage s’est surtout développé à la fin du 15e et au 16e siècle, à la Renaissance, alors que l’Europe s’est vidée de sa population juive après les expulsions. Ce <em>pileus cornutus</em> ou <em>Judenhut</em> devient un stigmate vestimentaire, l’apanage de Juifs maléfiques, comme ceux représentés pour illustrer le supposé martyre de Simon de Trente, enfant de 3 ans disparu en 1475 au moment de la fête de Pessah. Sa disparition met en cause la communauté juive de la ville accusée de meurtre rituel, donnant lieu à l’apparition d’un véritable mythe antisémite. Des gravures sont diffusées montrant un enfant torturé par des Juifs identifiés par le chapeau conique sur lequel leur nom hébraïque est inscrit, comme celles de l’imprimeur allemand Albrecht Kunne (1435-1520). Le chapeau juif désigne à la fin du 15e siècle des êtres maléfiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=524&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468045/original/file-20220609-24-e0hkc1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=658&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tobias capturant Simon, Albrecht Kunne, dans L’histoire de l’enfant chrétien assassiné à Trente, 1475. Munich, Bayerische Staatsbibliothek.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’historienne Naomi Lubrich, <a href="https://www.persee.fr/doc/asdi_1662-4653_2015_num_10_1_1043">dans son étude exhaustive du chapeau juif</a>, rappelle que, dans les régions germanophones du Saint-Empire romain, les Juifs durent, d’environ 1250 à 1750, porter un chapeau pointu appelé <em>pileus</em> <em>cornutus</em>. Elle établit le passage du <em>Judenhut</em>, le « chapeau des Juifs », au <em>Zauberhut</em>, le « chapeau des sorciers » (Lubrich 2015:149). Dans les deux cas, Juifs et sorcières sont accusés d’être en lien avec le diable.</p>
<p>Les premières occurrences <a href="https://www.persee.fr/doc/rjuiv_0484-8616_1890_num_20_39_3671">du chapeau jaune en Italie</a>, notamment dans les États pontificaux, apparaissent au milieu 16e siècle, en application de la bulle pontificale du pape Paul IV, <em>Cum nimis absurdum</em>, du 14 juillet 1555, qui impose des restrictions aux Juifs des États pontificaux. Outre les restrictions drastiques concernant les libertés des Juifs, l’article 3 mentionne explicitement l’obligation du chapeau pour les hommes.</p>
<h2>L’obligation de se couvrir la tête dans le judaïsme</h2>
<p>Ce chapeau, qui vise à exclure les Juifs de la société pour éviter les promiscuités, devient une injonction des rabbins qui cherchent, eux aussi, à éviter les mariages mixtes au profit des unions endogames.</p>
<p>C’est au Choulhan Aroukh de Yossef Karo (1488-1575), donc au 16e siècle, que l’obligation de la kippa est attribuée. <a href="https://journals.openedition.org/rhr/8326">Claire Soussen, historienne spécialiste</a> des relations entre Juifs et chrétiens au Moyen Âge, décrit cette difficile interprétation du couvre-chef dans le judaïsme, à la fois subi et choisi, qu’elle définit d’emblée comme « identitaire ». Elle rappelle son origine tardive : « Les polémistes juifs justifient d’ailleurs parfois cette obligation par la volonté assumée des Juifs de se distinguer des Chrétiens qui, eux, se défont de leur couvre-chef lorsqu’ils entrent dans un lieu consacré. La kippa n’est donc pas, au départ, un objet rituel ; elle l’est devenue petit à petit, même si dès le Moyen Âge central, l’iconographie chrétienne représente les Juifs coiffés ».</p>
<p>Dans une autre édition du Choulhan Aroukh, commentée par le rabbin Binyamin Krief, on trouve, en note de cette règle, deux précédents : Maïmonide (1138-1204) et Yaakov Ben Asher (1270-1343). Le premier, Maïmonide (Rambam), écrit « Les érudits ont l’habitude de se comporter [sic.]. Ils ne se dévalorisent pas en ne dévoilant ni leur tête ni leur corps » (Hilkhot Déot 5.6). Le second, Yaakov Ben Asher, est l’auteur du Arbaa Tourim, un code de loi juive ancêtre du Choulhan Aroukh, dont la première section, Orah Hayim, traite entre autres de la tête couverte (Krief 2011:16, note 22).</p>
<p>Les deux auteurs, respectivement du 12e et 13e siècles, montrent que la règle de l’obligation d’avoir la tête couverte était connue plus de trois siècles avant le Choulhan Aroukh, mais surtout qu’elle est contemporaine des mesures vexatoires entreprises par les pays européens pour exclure la population juive.</p>
<p>La question est de savoir si le chapeau et la kippa, que tout Juif pratiquant porte de manière précautionneuse, correspondent à un retournement du stigmate : les Juifs auraient fait de la contrainte et de l’humiliation une fierté. Les rabbins auraient ainsi transformé la soumission à une loi inique en une soumission à Dieu. Le Juif n’obéit ainsi plus à la législation anti-juive, mais à Dieu qui le lui commande.</p>
<p>De l’obligation de porter et de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-02912373">l’infamie par la coercition</a>, on passe à la fierté de marquer sa différence. Le chapeau juif visible et imposant, notamment dans le monde ashkénaze avec le fameux <em>streimel</em>, peut être considéré comme la réparation d’une ancienne humiliation ; tout comme la <em>magen</em> David portée aujourd’hui en bijou au cou, très loin de l’étoile jaune imposée par les nazis dont la forme est pourtant similaire. Le « couvre-chef stigmate » a fini par marquer l’identité juive revendiquée. Le chapeau est passé de signe infamant à signe distinctif de religiosité : montrant le Juif pieux exprimant sa « crainte de Dieu » dans l’espace public.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175082/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès De Féo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chapeau pointu, souvent de couleur jaune, a été imposé aux Juifs européens à partir du 13e siècle. Au même moment, le couvre-chef devenait une obligation religieuse imposée par les rabbins.Agnès De Féo, Sociologue, chercheuse associée Iremam, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1696712021-11-17T21:27:15Z2021-11-17T21:27:15ZEntre mode et religion, un corps à corps riche de sens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432205/original/file-20211116-15-9pzlup.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C989%2C693&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La pudeur, Antonio Corradini, chapelle Sanseverio de Naples. Détail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Pudeur">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Quels sont les liens entre mode et religion ? </p>
<p>Durant trois ans, de 2019 à 2021, le Collège des Bernardins de Paris a tenu un séminaire intitulé « Revêtir l’invisible : la religion habillée ». En guise de conclusion, un colloque est organisé sur le thème
<a href="https://www.collegedesbernardins.fr/content/mode-modeste-pudeur-intimite-decence">« Mode modeste : pudeur, intimité, décence »</a>. </p>
<p>La « mode modeste », calquée sur l’anglo-américain « modest fashion » et renouant avec une morale vestimentaire imposée par les trois monothéismes, se traduit de nos jours par un double habitus : d’une part, adopter un style de vie réservé et, de l’autre, réorienter l’industrie vestimentaire vers des pratiques plus éthiques. </p>
<p>Où situer en effet la mode modeste sur l’arc qui va de la confection à la mise sur le marché et aux pratiques vestimentaires ? Comment allier la modestie et l’ostentation qu’imposent les réseaux sociaux et ses cohortes d’influenceurs ? Les questions du futile et de l’utile, du trivial et du spirituel, du luxe et de la sobriété s’invitent en effet dans nos réflexions.</p>
<p>Le colloque interroge le rapport entre le corps propre et le vêtement comme matière, la dialectique entre l’être intime et le paraître social, la négociation entre une subjectivité et une norme imposée, ou encore, la double contrainte du vouloir se cacher (inhibition) tout en portant la bannière (exhibition) de son appartenance à un style de vie pudique.</p>
<p>On scrute également l’expérience sensorielle d’un corps qui habite la seconde peau qui l’habille, la nudité qui engendre la honte et la vulnérabilité, l’aporie de se couvrir et se découvrir. Enfin, le présupposé qui innerve tout notre séminaire, à savoir la mode comme religion (re-ligere) avec ses dogmes et ses codes mais aussi ses interdits et ses profanations, nourrira une nouvelle fois nos travaux. Les intervenants originaires de plusieurs pays échangeront sur l’histoire de la pudeur, sur les accessoires et leur charge symbolique (chevelures et couvre-chefs) ou sur la nudité et l’intimité, sublimées ou non par l’art.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZKi5Z3SdC6c?wmode=transparent&start=22" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Qu’entend-on par « modeste » ?</h2>
<p>La richesse sémantique du vocable « modestie » lance toutefois un défi supplémentaire. Dans quelle mesure les comportements « vertueux » prônés par une mode moins polluante font-ils écho à la « vertu » comme exigence de pudicité ? Si celle-ci remonte à Tertullien avec ses règles de tenue vestimentaire et ses reproches de luxure, d’impudeur, voire d’« égarement du paganisme » (<em>De l’ornement des femmes</em>, Livre 2) adressés à la femme qui pare son corps ou farde son visage, on la retrouve aujourd’hui chez les talibans avec la création d’un ministère « pour la promotion de la vertu et la prévention du vice », chargé de veiller au respect d’un dress code strict et sévère. La mode modeste ne comporte-t-elle pas des dérives, des excès, telle cette nouvelle version de la tsniout, cette retenue imposée aux femmes juives, poussée jusqu’à la frumka, mot-valise composé de frum (dévotion) et de burka qui ne relève plus d’aucune coutume antérieure ?</p>
<p>Le mode modeste n’est d’ailleurs pas une simple question sémantique mais un défi épistémologique posé à la fois aux fashion studies et aux sciences religieuses. Pudeur morale et pudeur environnementale sont-elles conciliables avec le faste de la mode, son système consumériste ? Ce paradoxe est relevé par Alberto Ambrosio dans son article sur <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/content/kenose-de-la-mode-vers-un-vetement-plus-ethique">« la kénose de la mode »</a> : « La mode peut-elle devenir plus éthique sans perdre de sa superbe ? » Ambrosio y soulève l’obscénité d’une fast fashion qui fait passer le lucratif avant les retombées écologiques. Il oppose lui-même l’éthique de la sobriété de Tertullien à l’apparat ecclésiastique proclamé par le concile de Trente. D’où son idée de « kénose » (dépouillement du divin dans l’humain) de la mode, qui somme les stylistes et les usagers de se convertir à plus d’humilité. </p>
<p>Or, celle-ci se cantonne-t-elle pour autant dans le volet écologique, avec son goût pour le recyclage et le troc ? L’humilité n’est-elle pas antithétique de la volonté de se singulariser (se « dé-marquer ») qui émane malgré tout de la modest fashion, témoin le crop-top, au départ un affranchissement des diktats marchands qui devient style de vie avec ses adeptes et ses détracteurs et dont le prêt-à-porter s’est aussitôt emparé ? Comment faire rimer la mode comme fille de la caducité, éphémère et futile, avec le durable, le responsable ?</p>
<h2>Une contre-mode ?</h2>
<p>Tandis que la mode semble relever davantage d’une « kénose inversée » dès lors qu’elle ne dépouille plus Dieu de sa divinité mais habille de sacré l’humain, le transfigure en corps glorieux, lui conférant de l’éclat, Ambrosio montre qu’une touche de sobriété n’entame en rien la splendeur, et constate que les grandes maisons ont entendu cet appel de la contre-mode, respectueuse et responsable. La formule oxymorique « la mode s’humilie » résonnerait avec l’ascétisme préconisé par saint Thomas d’Aquin de sorte que le « durable » découlerait de la sobriété. De Thomas d’Aquin à TikTok, si l’on veut. L’« équitable » serait peut-être le lieu commun entre la modestie économique et la modestie morale. Encore une question de vocabulaire tout sauf anodine !</p>
<p>Qui dit pudeur, dit corps à revêtir, <a href="https://psyaparis.fr/le-moi-peau-didier-anzieu">ou encore peau comme enveloppe et surface d’inscription</a>. La question de la nudité entraîne celle de la chair, de l’épiderme, de l’incarnat et, partant, de l’incarnation. L’incarnat est un problème esthétique : en littérature, il est l’aveu somatique de la princesse de Clèves qui essaie de cacher sa rougeur (sa honte et son embarras) devant le duc de Nemours. En peinture, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Peinture_incarn%C3%A9e-2039-1-1-0-1.html">il rend vivante une œuvre de pur pigment</a>.</p>
<p>L’incarnat peut faire scandale : ainsi des pieds roses de la princesse Europe de François Boucher incriminés pour leur réalisme ; ou des chairs meurtries de Lucian Freud, jugées obscènes car trop humaines. Dès que nous ne sommes plus dans le contexte mythologique, le nu devient potentiellement érotique, impudique. Même si le corps est privé d’incarnat, d’un blanc de porcelaine, il est indécent lorsque les vêtements jonchent le sol. Ainsi dans <em>Rolla</em> de Henri Gervex (1878), le jupon, la jarretière et le corset, disposés en désordre, suggèrent que la jeune femme s’est déshabillée devant son client et qu’il s’agit bien d’une fille de joie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432371/original/file-20211117-23-sc07k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un mannequin défile à Dubai en 2017, dans le cadre de la Fashion Week dédiée à la mode modeste.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/25/Model_on_the_Runway_on_Dubai_Modest_Fashion_Week_2017.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Et pourtant, la honte comme corrélat de la pudeur ne commence que là où la nudité est consciente. Adam et Eve « connurent qu’ils étaient nus. […] L’Éternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit. » (Genèse 3 : 7 et 21) Alberto Ambrosio inscrit tout un ouvrage, <em>Théologie de la mode</em> (à paraître), dans l’interstice entre ces deux versets, établissant un lien entre Création et créateur de mode. Les tuniques de peau que Dieu confectionne font de Lui le premier couturier, mieux, un triple tailleur : faisant fi des ceintures de feuilles de vigne, Dieu nous habille au moment de la découverte de la nudité, il nous refait un vêtement à notre baptême et il taille le vêtement de noces des élus de l’Apocalypse. </p>
<p>Aussi les stylistes-créateurs sont-ils amenés à réfléchir à la deuxième peau dont ils nous revêtent, surtout lorsqu’il s’agit de peaux de bête, d’où le débat sur la fourrure synthétique, qui ne porte pas préjudice au monde animal mais s’avère moins pérenne que la fourrure naturelle, d’où également les projets de cuir végane, en maïs. Le film d’Almodovar, <em>La piel que habito</em>, dit bien l’importance de l’enveloppe, en l’occurrence le justaucorps couleur chair aux coutures apparentes dont il affuble sa « créature », censé enrober une absence de femme.</p>
<p>De peau il sera encore question dans la performance artistique intitulée « Choisis ta peau – Fable », d’Élodie Brochier et de Nicole Max, qui offrira à la journée un point d’orgue totalement inédit en incarnant et sublimant les concepts mobilisés, telle une rédemption par l’art, la créativité. À l’inverse du conte d’Andersen <em>Les habits neufs de l’empereur</em>, où la nudité était victime malgré elle d’une machination couturière, ici la renarde, tout droit sortie de la tapisserie <em>La dame à la licorne</em> enfile en toute impunité une robe qui ne lui appartient pas, jusqu’à ce que celle-ci se rebiffe contre celle qui l’endosse… On le voit, la mode humble et « verte » n’a pas dit son dernier mot.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Roelens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’est-ce que la mode modeste ? Et comment s’articule-t-elle avec les grands défis environnementaux de notre temps ?Nathalie Roelens, Professeur de théorie littéraire, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701742021-10-27T11:18:09Z2021-10-27T11:18:09ZEn graphiques : Quelle identité religieuse pour la France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/428548/original/file-20211026-19-itp9jh.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1890%2C1141&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'appartenance religieuse des Français en pourcentage de la population.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pierre Bréchon/EVS 2018</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Quelle est la place du fait religieux en France ? Faut-il s’inquiéter des formes qu’il prend avec d’un côté beaucoup de sécularisation mais aussi des minorités crispées sur des visions très conservatrices au nom de leur foi ? Si les idéologues et les médias se plaisent à polémiquer, les enquêtes quantitatives, notamment la <a href="http://www.valeurs-france.fr/">European Values Study</a> (EVS) et le module religion de l’<a href="http://www.issp-france.fr/">International Social Survey programme</a> (ISSP) permettent d’analyser <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03352875/">quelques tendances depuis plus de trente ans</a>.</p>
<p>Ici, nous prendrons en compte d’abord l’image des religions dans l’opinion publique, l’identité subjective (se sentir religieux et/ou spirituel) et l’évolution des croyances.</p>
<iframe title="L'appartenance religieuse des Français (% de la population)" aria-label="chart" id="datawrapper-chart-lcTQV" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lcTQV/4/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="570" width="100%"></iframe>
<h2>Les religions, sources de conflit</h2>
<p>Alors que les religions se présentent très souvent comme des acteurs de paix, leur image est très différente dans l’opinion : elles sont largement considérées comme « apportant plus de conflit que de paix » selon 64 % des enquêtés, aussi bien en 2018 qu’en 1998. Et les personnes qui ont de fortes convictions religieuses sont considérées avec méfiance : 61 % jugent qu’elles « sont souvent trop intolérantes envers les autres ».</p>
<p>C’est donc l’image belliqueuse et intolérante des religions qui domine l’opinion publique, sans grand changement depuis vingt ans, probablement parce que, déjà à l’époque, des événements dramatiques avaient renforcé les craintes à l’égard des religions radicalisées, qui sont les seules que certains connaissent à travers les messages médiatiques.</p>
<iframe title="L'opinion des Français envers les religions" aria-label="chart" id="datawrapper-chart-4o3yq" src="https://datawrapper.dwcdn.net/4o3yq/6/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="364" width="100%"></iframe>
<p>Évidemment les religions n’ont pas toute la même image : 56 % des personnes enquêtées ont « une attitude personnelle tout à fait ou plutôt positive » envers les chrétiens, 40 % envers les bouddhistes, 36 % envers les hindous, 34 % envers les juifs et 24 % envers les musulmans.</p>
<p>Le reste des réponses est massivement composé de personnes indécises (qui se disent « ni d’accord, ni pas d’accord »), qui n’ont probablement pas d’image claire des religions considérées. Les réponses négatives sont en fait rares : même pour les musulmans, groupe religieux le moins bien jugé, il y a seulement 26 % de réponses négatives, contre 4 % pour les chrétiens et 8 % pour les juifs. Il n’y a donc pas de rejet par principe des religions, la plupart des gens adhérant aux principes de la laïcité, reconnaissant à chacun la liberté de <a href="https://www.gsrl-cnrs.fr/13-juillet-2020-parution-anne-laure-zwilling-et-pierre-brechon-indifference-religieuse-ou-atheisme-militant/">croire ou de ne pas croire</a>.</p>
<h2>Religion ou spiritualité ? Les jeunes dans l’attente d’un au-delà</h2>
<p>Peut-on distinguer des personnes « fidèles à une religion » et des individus simplement « spirituels, intéressés par le sacré et le surnaturel » ? En fait la moitié de la population française adopte des positions simples : ils sont « religieux et spirituels » ou « ni religieux ni spirituels ».</p>
<p>L’autre moitié de la population choisit des types plus complexes :</p>
<ul>
<li><p>« adepte d’une religion sans se sentir spirituel », groupe assez âgé et à faible diplôme, pas très religieux mais plutôt conformistes, vivant probablement souvent la religion comme quelque chose allant de soi.</p></li>
<li><p>« pas religieux mais spirituel », groupe qui représente le religieux hors institution. Il est en petite progression de 15 à 18 % en dix ans, soit un tiers des personnes qui se disent sans appartenance religieuse. Et il est particulièrement présent chez les moins de 35 ans et les diplômés qui sont donc à la fois très souvent fortement sécularisés mais un peu plus ouverts au sacré et au surnaturel.</p></li>
</ul>
<iframe title=" Se sentir religieux et/ou spirituel selon l'âge (%)" aria-label="Grouped Column Chart" id="datawrapper-chart-R3B5o" src="https://datawrapper.dwcdn.net/R3B5o/3/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="400" width="100%"></iframe>
<p>Les jeunes sont peu religieux, ils ne croient que rarement aux grands récits des religions institutionnelles mais ils peuvent être ouverts à des croyances que je qualifie de psycho-religieuses : forts de leur dynamisme vital, ils ont plus de mal que les plus âgés à imaginer que tout s’arrêtera avec la mort. Alors que le vieillissement rendrait les individus plus « réalistes » : les personnes âgées croient moins souvent à un futur sans fin que les jeunes. Il y aurait comme un effet d’âge qui expliquerait la propension des jeunes pour des croyances à un futur indéfinissable.</p>
<p>Les rapports aux croyances religieuses et les pratiques qu’elles occasionnent sont très variés et de plus en plus dérégulés par rapport aux grands dogmes des principales religions. Mais des minorités vivent souvent sur un mode radical et assez intransigeant les débats sur les religions, qu’elles défendent des modèles traditionnels soient ou des religiosités alternatives largement recomposées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des polémiques, les enquêtes quantitatives sur le temps long font émerger quelques grandes tendances sur le pluralisme religieux en France.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694122021-10-10T16:40:30Z2021-10-10T16:40:30ZLa religion catholique, première prise de parole politique pour les femmes françaises ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425588/original/file-20211010-27-1b19p6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C15%2C832%2C551&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Conseil dirigeant de la Ligue patriotique des Françaises, en 1927.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_patriotique_des_Fran%C3%A7aises">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Les femmes françaises ont pu voter pour la première fois en <a href="https://histoire-image.org/fr/etudes/premier-vote-femmes-france">1945</a>. <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/man7279254694/le-droit-de-vote-des-femmes">Dans les médias</a>, les visages des militantes manifestant dans les rues, pancartes à la main, sont l’illustration des combats menés pour l’acquisition ce droit. Ces images font également écho aux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Suffragette">suffragettes</a> britanniques.</p>
<p>D’autres femmes ont cependant réussi à mener des actions politiques au début du XX<sup>e</sup> siècle. Leurs profils sont différents et leur histoire méconnue. Certaines femmes appartenant à la bourgeoisie ont pris la parole dans la sphère politique pour la défense de leur religion dans un contexte politique marqué par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anticl%C3%A9ricalisme">l’anticléricalisme</a>.</p>
<p>Dans le contexte de l’époque, les femmes sont perçues comme « sensibles », et donc attachées à la spiritualité et au ministère de l’Église. La politique reste une affaire d’hommes. Certaines ont cependant repris cet argument à leur compte pour élargir leur champ d’action.</p>
<h2>La naissance des Ligues de femmes</h2>
<p>La fin du XIX<sup>e</sup> et le début du XX<sup>e</sup> siècle sont marqués par les positions anticléricales. Alors que la religion catholique s’éloigne de la société, les défenseurs de cette tradition s’en inquiètent et prennent position. Parmi eux, des femmes. Celles appartenant aux classes sociales aisées ont la pratique religieuse au cœur de leur quotidien. La vie religieuse définit parfois intégralement leur vie sociale. Elles se rencontrent à l’église, elles sont proches des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Congr%C3%A9gation_religieuse">congrégations religieuses</a>, elles mènent des activités auprès d’œuvres de <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/charit%C3%A9">charité</a>.</p>
<p><a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D43/waldeck.html">La loi du 1ᵉʳ juillet 1901</a> promulguée par le gouvernement <a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D43/waldeck.html">Waldeck-Rousseau</a> place les associations sous autorisation législative. Les congrégations religieuses sont elles aussi soumises à un contrôle du gouvernement. Cette loi est perçue comme une véritable attaque. Les élites appartenant à un catholicisme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Intransigeantisme">intransigeant</a> décident de riposter. Les femmes qui les composent entrent dans l’action politique. Alors qu’elles n’ont pas encore le droit de vote, elles décident de s’organiser autrement.</p>
<p>En septembre 1901 à Lyon, un père <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/j%C3%A9suite">jésuite</a> nommé Antonin Eymieu a l’idée de créer une ligue. Il invite Jeanne Lestra, une dame appartenant à la bourgeoisie, à en prendre la tête. Jeanne devient la fondatrice de la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2002-1-page-39.htm">Ligue des femmes françaises</a> (LFF). Accompagnée de la comtesse Octavie Thomas de Saint-Laurent, elle organise cette Ligue afin de mener à bien des actions visant à influencer les élections législatives qui se dérouleront un an plus tard. Pour cela, elles soutiennent des candidats qu’elles jugent en faveur de leurs revendications religieuses. <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2002-1-page-39.htm">Les femmes prennent la parole et trouvent des financements</a>. D’abord lyonnaise, la ligue s’exporte rapidement dans toutes les régions de France. Des comités sont créés dans les départements. Le comité parisien décide de soutenir le catholique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Piou">Jacques Piou</a>, fondateur de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Action_lib%C3%A9rale_populaire">l’Action libérale populaire (ALP)</a>, sans succès.</p>
<p>Alors que leur religion a été un argument pour ne pas les inclure à la vie politique du pays, celle-ci devient un tremplin pour les premiers pas engagés de certaines femmes.</p>
<p>En 1902, La Ligue patriotique des Françaises (LPF) est créée à Paris à la suite de désaccords entre le comité lyonnais et celui de la capitale. La présidente est la Baronne de Brigode. Le but est le même que la LFF. En effet, les Lyonnaises ont décidé de retirer leur soutien à Jacques Piou alors que les Parisiennes désiraient maintenir leur collaboration avec l’ALP. La LPF crée elle aussi des comités départementaux.</p>
<h2>L’ouverture vers les campagnes</h2>
<p>Si ces ligues concernent dans un premier temps les élites, elles vont par la suite s’ouvrir à d’autres profils.</p>
<p>En 1909, Mlle d’Héricault est vice-président de la LFF, mais aussi présidente du comité départemental du Pas-de-Calais. Les femmes sont en effet, dès l’origine, à la tête de la hiérarchie des ligues.</p>
<p>Mlle d’Héricault décide de se rendre dans le village de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bucquoy">Bucquoy</a> afin d’y mener une conférence. En faisant cela, elle touche un public plus hétérogène, différent des profils habituels. Elle y rencontre des femmes qui travaillent parfois dans les milieux agricoles et ouvriers. Pour elles aussi, bien qu’elles soient en activité, la religion joue un rôle majeur dans leur sociabilité. Sa venue a été un succès. En effet, une section est créée : Mme Couche est nommée chef de section. Une secrétaire, des déléguées du quartier et des zélatrices de l’œuvre sont élues et feront circuler <em>Le Bulletin de la Ligue</em>, des tracts et des convocations. En 1913, la section de Bucquoy compte 300 ligueuses.</p>
<p>Ces centaines de femmes aux caractéristiques différentes mais vivant en milieu rural font alors leurs premiers pas dans le militantisme. Leur modèle à toutes est Jeanne d’Arc. Au XIX<sup>e</sup> siècle, la Pucelle d’Orléans est devenue une <a href="https://www-retronews-fr.ezproxy.univ-artois.fr/religions/long-format/2019/04/10/jeanne-d-arc-une-canonisation-politique">figure politique</a>. Le combat contre les Anglais devient un combat contre la laïcité et l’anticléricalisme. Elle devient un argument pour les défenseurs d’une France à l’identité catholique.</p>
<p>Les ligues iront jusqu’à compter un <a href="https://books.openedition.org/septentrion/16189?lang=fr">million d’adhérentes</a>.</p>
<p>Si l’influence des ligues auprès de l’action militante des femmes catholiques est indéniable, il est plus difficile de percevoir l’impact politique qu’elles ont eu auprès du gouvernement de l’époque.</p>
<h2>Les ligues s’essoufflent</h2>
<p>Leurs actions ont été stoppées par la Première Guerre mondiale. Elles sont néanmoins restées présentes. En 1933, la LFF et la LPF ont fusionné. Elles sont alors devenues la Ligue féminine d’action catholique française.</p>
<p>Si leurs actions politiques ont été précurseurs d’un militantisme religieux au féminin, celles-ci vont peu à peu s’effacer. En effet, la ligue se distinguera au fil des années par des actions sociales et charitables. Cette caractéristique se situe dans leur axe de défense de l’Église catholique, mais vient remplacer les premières armes politiques utilisées en 1901 et 1902.</p>
<p>Aujourd’hui, l’Action catholique des femmes se place dans l’héritage laissé par Jeanne Lestra. La volonté de cette association est d’œuvrer pour le <a href="https://actioncatholiquedesfemmes.org/notre-association/">respect de droit des femmes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexia Sebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au tout début du XXᵉ siècle, des femmes issues e la bourgeoisie ont investi sphère politique pour la défense de leur religion dans un contexte politique marqué par l’anticléricalisme.Alexia Sebert, Doctorante en histoire et civilisations, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1688842021-09-30T18:17:25Z2021-09-30T18:17:25ZLes Jésuites, ou l’histoire mouvementée d’une congrégation catholique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424057/original/file-20210930-12-uph75s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C2%2C1767%2C1434&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La voûte de l'église Saint-Ignace (Rome), Andrea Pozzo, 1691-1694.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrea_Pozzo#/media/Fichier:Sant'Ignazio_-_affresco_soffitto_-antmoose.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Homme de guerre repenti après une grave blessure lors d’un siège en 1521, Ignace de Loyola part étudier à Paris. En 1534, il y fonde – avec le navarrais François-Xavier et le Savoyard Pierre Favre – un ordre, avec une bande d’étudiants qui veut œuvrer à une plus grande gloire de Dieu dans un monde déchiré par les affrontements entre catholiques et réformés. L’Ordre naissant <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/apostolat/4601">se donne un but apostolique</a> et missionnaire. Ils prennent le nom de Compagnie de Jésus et obéissent à une règle. Cette priorité induit un investissement intellectuel et la recherche de méthodes d’apostolat renouvelées. Arme intellectuelle du catholicisme romain, le Pape mobilise immédiatement les jésuites comme théologiens de service au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente">Concile de Trente</a>.</p>
<p>En 1548, les <a href="https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-2-page-71.htm"><em>Exercices d’Ignace</em></a> promeuvent le jugement de l’intériorité par le moyen d’un dialogue avec un maître de sagesse pour concevoir sa façon d’être chrétien en son siècle. Ces « techniques de soi » fondent le discernement jésuite, d’où leur rôle actif dans la direction spirituelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">papillon publicitaire, Manrèse (Clamart), 1951.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives jésuites de la Province d’Europe occidentale francophone, Vanves.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En France, depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, le choix de proposer des retraites variées dans leur durée, et donc adaptées au monde moderne, une publicité efficace et le soutien de la hiérarchie, promeut Clamart comme un lieu majeur de l’accompagnement spirituel des catholiques.</p>
<p>Les formes de l’apostolat s’étoffent au fil du temps. Au tournant des années 1960, Aimé Duval use de la guitare pour chanter dans les grandes salles de spectacle l’amour de Dieu et vendre des milliers de disques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HicsAZHTI1c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dès la fondation de <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210212-radio-vatican-la-voix-du-pape-f%C3%AAte-ses-90-ans">Radio Vatican</a> en 1931, les jésuites <a href="https://www.mulino.it/isbn/9788815272942">délivrent le message chrétien</a> en de multiples langues.</p>
<p>En 1934, Friedrich Muckermann alerte, « Le moment est crucial pour l’Église. Des Droits de l’humanité sont en péril. », le jésuite est rappelé à l’ordre, il ne peut pas parler contre la politique du Pape. Certains succombent à l’attrait de Vichy et au mea culpisme de 1940, dont les autorités de la Compagnie. D’autres fournissent les armes intellectuelles de la résistance chrétienne et interrogent le primat de l’obéissance sur les valeurs évangéliques à l’exemple <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1519423-yves-de-montcheuil-philosophe-et-theologien-je--etienne-fouilloux-mediasevres">d’Yves de Montcheuil</a>, fusillé au Vercors.</p>
<p><a href="https://esprit.presse.fr/article/fouilloux-etienne/les-armes-de-l-esprit-temoignage-chretien-1941-1944-par-renee-bedarida-31654">Les <em>Cahiers du Témoignage chrétien</em></a> de Pierre Chaillet sont imprimés illégalement et sans l’accord de sa tutelle ecclésiale, ce qui est interdit à tout clerc, dès l’automne 1941. À Vatican II, Augustin Bea, Karl Rahner, John Courtnay Murray et d’Henri de Lubac illustrent ce rôle renouvelé d’influence et de référence de la Compagnie. L’américain Murray est un protagoniste essentiel du texte sur la liberté religieuse de 1965, <a href="https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html"><em>Dignitatis Humanae</em></a>, qui promeut la tolérance, la reconnaissance d’un droit à la croyance de toutes les expressions spirituelles et un dialogue avec les athées.</p>
<p>Le jésuite selon Ignace devait être un homme de grande culture humaine et théologique dans le but d’être apôtre. La quête de la science n’est pas une fin mais un moyen inféodé à un objectif religieux. Des jésuites s’illustrent dans l’élaboration de dictionnaires – ou comment convaincre sans maîtriser la langue, dans le cadre de missions à l’étranger – et dans les sciences : le mathématicien, Christopher Clavius au XVI<sup>e</sup> siècle, le polygraphe et esprit universel Athanasius Kircher et l’astronome Matteo Ricci au XVII<sup>e</sup> siècle, le paléontologue Teilhard de Chardin au XX<sup>e</sup> siècle. </p>
<p>Dans les années 1960-1970, des jésuites comme Michel de Certeau participent aux courants les plus novateurs des sciences humaines, sémiologie, psychanalyse, histoire et sociologie. Il s’agit de repenser la théologie et l’exégèse, les conditions de la foi et les apports de la tradition dans un monde de plus en plus sécularisé. S’ils participent à cet essor, ils échouent à catholiciser ces « nouvelles » disciplines : ces nouvelles approches soulignent en effet le poids des structures jusque dans le langage, dévoilent le système de signes qui s’impose à tous parfois même de façon inconsciente, au moment où dans l’Église et la Compagnie s’élabore un humanisme chrétien.</p>
<p>À l’activité missionnaire et intellectuelle s’ajoute rapidement l’enseignement. Au XVIII<sup>e</sup> siècle, l’Europe, l’Inde et l’Amérique Centrale et du Sud comptent environ 600 établissements qui sont la providence des parents en quête d’études solides et d’orthodoxie spirituelle. L’attention à la pédagogie sanctifie le savoir et accorde une grande place à la science moderne, ce qui renforce leur succès. S’y jouent du théâtre et des musiques religieuses, s’y publient des ouvrages pour la jeunesse qui doivent christianiser tout en moralisant et moraliser tout en évangélisant. La Compagnie de Jésus s’associe durablement à la formation des élites.</p>
<p>Les jésuites incarnent le <a href="http://ceias.ehess.fr/index.php?4987">voyage et le martyr</a>. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Xavier">François Xavier</a> traduit en tamoul le Credo, les dix Commandements et le Pater Noster. De la Chine au Paraguay, les marges du catholicisme attirent la Compagnie avec succès (les Indes) ou en échouant (le Japon). Les partisans d’une adaptation aux coutumes et usages locaux affrontent les défenseurs d’un christianisme pleinement orthodoxe, jusqu’au refus en 1704 de rites propres à chaque pays par le Vatican.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0Vzyu8VcBaE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En 1978, une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Inculturation">« Lettre sur l’inculturation »</a> du Général Pedro Arrupe promeut l’adaptation à la sensibilité de la culture d’accueil. En Indonésie, des danses traditionnelles sont introduites durant l’offertoire et même des sacrifices de buffles lors de grandes cérémonies. Alors qu’encore au XIX<sup>e</sup> siècle, la Compagnie vend des esclaves aux États-Unis (Rachel L. Swarns, « Catholic Order Pledges $100 Million to Atone for Slave Labor and Sales », <em>New York Times</em>, 15 mars 2021), au XX<sup>e</sup> siècle, l’attention aux populations locales, au départ à but de conversion, est réinterprétée comme un rejet de l’exploitation coloniale. </p>
<p>En 1952, la pièce de Fritz Hochwälder, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sur_la_Terre_comme_au_ciel_(pi%C3%A8ce_de_th%C3%A9%C3%A2tre)"><em>Sur la terre comme au ciel</em></a>, aborde les déchirements de conscience lors des suppressions des missions au Paraguay du XVIII<sup>e</sup> siècle : « Dieu veut que ce monde change. Et nous, les jésuites du Paraguay, nous l’avons changé. […] Aussi longtemps que j’aurai la force de respirer, de crier et de combattre – vous me trouverez du côté des pauvres, des faibles, des opprimés ! », affirme un des Pères.</p>
<p>Un film, <em>Mission</em>, de Roland Joffé, dont la musique (« Sur la terre comme au ciel ») est signée Ennio Morricone, incarne ce nouveau regard sur les missions jésuites, et obtient la Palme d’or en 1986.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/POO_4lE20AQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Griefs et fantasmes</h2>
<p>Un vaste catalogue de griefs et de fantasmes associés aux jésuites mêle duplicité, obsession du pouvoir, domination secrète, affairisme, et obéissance absolue à une puissance étrangère. Le jésuite est perçu comme fourbe.</p>
<p>Les histoires drôles reflètent l’image qui colle à sa peau :</p>
<blockquote>
<p>« Un jésuite demande son chemin pour se rendre à la cathédrale. Le passant lui répond : Oh ! je ne crois pas que vous puissiez y arriver. C’est tout droit. »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui fait la gloire de la Compagnie fait aussi sa légende noire. Leur vœu « à la manière d’un cadavre », qui exprime leur parfaite obéissance au pape, y participe largement.</p>
<p>Si dans les histoires drôles, le Bénédictin est toujours savant, le Trappiste creuse sa tombe, le Jésuite, lui, est rusé : « Au temps des rois mages, les couvents ont envoyé un représentant auprès de l’enfant Jésus. Le bénédictin s’écrie : – Seigneur, voici l’encens de notre connaissance. Le dominicain : – Seigneur, voici l’or de notre parole. Et le franciscain : – Seigneur, voici la myrrhe de notre pauvreté. Pendant ce temps, le jésuite glisse à l’oreille de Joseph : – Confiez-nous le petit. Nous en ferons quelque chose ».</p>
<p>En littérature aussi, le jésuite est néfaste chez Voltaire (1759), accapareur chez Eugène Sue (1844-1845) et Wilkie Collins (1881), comploteur chez Umberto Eco (2011). Dans sa <em>Montagne magique</em> (1924), Thomas Mann oppose le défenseur de la raison et du progrès, le franc-maçon Settembrini, au jésuite mystique Naphta dans de vaines agitations face à la mort qui rode.</p>
<p>Le <a href="http://ceias.ehess.fr/index.php?4987">despotisme éclairé et les Lumières</a> contestent le rôle de la Compagnie. En 1759, le Portugal et ses colonies les chassent. En 1763, Louis XV les proscrit. En 1767, l’Espagne les expulse. En 1773, la Papauté les supprime. Événement unique, un Ordre religieux est détruit par l’autorité même qui l’avait fondée. Le profond enracinement social et culturel des jésuites permet sa reconstitution après 1814. En 1957, la Compagnie compte 34 000 jésuites. Presque le quart est américain. La Compagnie ne se projette plus de l’Europe vers le monde, cette réelle internationalisation se concrétise dans l’élection de l’Argentin François, premier pape jésuite de l’histoire en 2013.</p>
<p>Il fallait plus qu’une blessure pour donner naissance à un Ordre religieux. Mais elle incarne le poids du siècle dans un projet spirituel et intellectuel d’apostolat confronté depuis aux aléas de l’histoire.</p>
<hr>
<p><strong>Pour aller plus loin :</strong></p>
<p><em>Étienne Fouilloux et Frédéric Gugelot (dir.), <a href="https://journals.openedition.org/rhr/8893">« Jésuites français et sciences humaines (Années 1960) »</a>, Lyon, Chrétiens et sociétés, 2014.</em></p>
<p><em>Frédéric Gugelot, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03041575">« Une maison jésuite de retraite, Manrèse à Clamart »</a>, in Pierre Antoine Fabre, Patrick Goujon et Martín M. Morales (dir.), La Compagnie de Jésus des Anciens Régimes au monde contemporain (XVIII<sup>e</sup>-XX<sup>e</sup> siècles), Institutum Historicum Societatis Iesu, École française de Rome, 2020, p.607-622.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gugelot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1534, Ignace de Loyola fonde à Paris la Compagnie de Jésus, un ordre nouveau qui se donne un but apostolique et missionnaire.Frédéric Gugelot, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641032021-09-02T17:56:07Z2021-09-02T17:56:07ZComment l’amour traverse l’œuvre de Dante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416562/original/file-20210817-25-o2j3y5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C1515%2C862&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dante Gabriel Rossetti,
Paolo and Francesca da Rimini,
1855.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.tate-images.com/preview.asp?image=N03056">Tate Gallery</a></span></figcaption></figure><p>Les 700 ans de la mort de Dante, survenue à Ravenne entre le 13 et le 14 septembre 1321, a fait fleurir de nombreuses recherches sur le poète florentin et son œuvre majeure.</p>
<p>On ne compte plus le nombre de <a href="https://www.700dantefirenze.it/lista-eventi">célébrations et d’événements en son nom</a>, dont le dernier a été l’attribution posthume de la citoyenneté d’honneur de Vérone, ville où le père de la langue italienne séjourna plusieurs fois pendant son exil de la ville de Florence, se liant d’amitié avec le prince Cangrande de la Scala.</p>
<h2>Une quête de sens intemporelle</h2>
<p>Comme l’a souligné le Président de la République italienne, Sergio Mattarella : « Il représente l’identité nationale née bien avant l’État italien ». La beauté et la richesse de <em>La Divine Comédie</em> de Dante résident dans le fait que, à chaque époque, elle peut être lue avec intérêt et résonner avec l’actualité.</p>
<p>En 2004, aux États-Unis, deux thérapeutes et un neurologue ont élaboré la « méthode Dante », entendue comme un véritable voyage thérapeutique, qui permet à la personne qui l’entreprend de surmonter le mal-être et les difficultés, <a href="https://www.efficacemente.com/crescita-personale/fare-chiozza/">et donc de retrouver une forme de sérénité</a>. En somme, la promesse de se transformer tout en restant soi.</p>
<p>La pandémie mondiale a également permis d’offrir de nouvelles interprétations au chef-d’œuvre de Dante, car la quête de sens se fait sentir avec encore plus d’acuité. Après les confinements successifs, nous avons tous ressenti une forte envie de sortir et de « voir les étoiles », à l’instar du poète.</p>
<p>Nous savons bien que le long chemin de <em>La Divine Comédie</em> est celui qui conduit le Poète à se détacher des tentations humaines et du péché, à s’élever jusqu’aux hauteurs de l’amour le plus absolu qui soit : celui qui se concrétise dans la rencontre avec Dieu. La philosophe américaine Martha Nussbaum, dans son beau livre <em>L’intelligence des émotions</em> (aux pages 657-693 de l’édition italienne que j’ai consultée), en fait une interprétation très intéressante.</p>
<h2>Théorie de l’émotion</h2>
<p>Nussbaum consacre depuis de longues années des études approfondies à la thématique des émotions : pour elle, toutes les constructions durables, même en politique, reposent sur l’amour pour l’humanité. La philosophe est fortement convaincue qu’une société ne peut être juste sans amour.</p>
<p>La justice sociale est, en effet, fortement enracinée dans les émotions et les sentiments comme la compassion, l’empathie, l’amour. Pour donner force à sa thèse, Nussbaum s’appuie sur de grands chefs-d’œuvre de la littérature de tous les temps.</p>
<p>Par exemple, elle esquisse les caractéristiques de l’amour platonique, qui tend vers le beau en toutes choses et qui, cependant, ne parvient jamais à donner vie à une authentique théorie de l’émotion. Elle débat de la signification de l’ascension amoureuse chez saint Augustin, avec sa référence constante et problématique à la méchanceté innée de l’homme.</p>
<p>Elle analyse la façon dont Proust décrit les émotions, la douleur de la passion amoureuse, la jalousie qui fait de l’amant le geôlier de sa bien-aimée. Elle se penche sur des auteurs plus récents, comme Emily Brontë, Gustav Mahler, Walter Whitman et James Joyce. Comment pourrait-elle ne pas parler du poème dantesque, qui représente précisément la description du voyage le plus fascinant qui soit pour atteindre l’amour ?</p>
<p>Ainsi, après avoir vécu avec douleur le détachement de Virgile, le guide aimable qui l’a accompagné jusqu’au seuil du Paradis, Dante est prêt à revoir Béatrice. Toute perte est douloureuse, mais elle est tout aussi nécessaire pour parvenir à un nouveau stade de maturité spirituelle. Il est à ce titre significatif que Béatrice appelle l’aimé par son nom (et c’est la seule fois où le nom du Poète apparaît dans la Comédie) :</p>
<blockquote>
<p>« Dante, perché Virgilio se ne vada,<br>
non pianger anco, non piangere ancora ;<br>
ché pianger ti conven per altra spada »</p>
<p>« Dante, parce que Virgile s’en va,<br>
ne pleure pas, ne pleure pas encore ;<br>
il convient que tu pleures par une autre épée. » (<em>Purgatoire</em>, XXX, 55-57)</p>
</blockquote>
<p>Béatrice est la femme qui a embrassé et qui embrasse les fautes et les vertus de l’aimé, dans les yeux de laquelle toute leur histoire terrestre est présente. Nussbaum souligne que l’amour chrétien est l’amour pour l’individu, pour <em>cet</em> individu spécifique et non, par conséquent, une sorte d’admiration contemplative.</p>
<p>Pour cette raison, la philosophe américaine dit qu’elle trouve cette scène – quand Béatrice regarde Dante en l’accueillant aux portes du Paradis – « à la fois physiquement sensuelle et profondément émouvante ». </p>
<p>Il ne s’agit pas ici de l’amour purement érotique qui lie Paolo et Francesca. L’autre n’est pas, en effet, un simple instrument de plaisir, mais il est l’individu dans sa singularité unique, vu pour ce qu’il est. Il ne s’agit pas non plus l’amour filial que Dante porte à son maître Brunetto Latini, rencontré au chant XV de l’Enfer, celui des sodomites. Un intellectuel dont la faute la plus grande réside dans son orgueil, à la différence de Dante, pour lequel l’homme a toujours besoin de Dieu pour atteindre l’<em>eudaimonìa</em> (la béatitude).</p>
<p>L’idée que l’amour chrétien est l’amour vrai, s’offrant à l’individu dans son intégrité, et qui atteint sa pleine adéquation avec le salut éternel, est également développée par Nussbaum dans l’article : <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/APEIRON.1993.26.3-4.161/html">« Le “Dante” de Béatrice : aimer l’individu ? »</a>, Apeiron 26 : 161-178 (1993).</p>
<p>Il est intéressant de lire Dante selon l’interprétation de Martha Nussbaum, car la philosophe comprend l’amour que le Divin Poète manifeste pour l’humanité déchue, pour l’humanité fragile et imparfaite. Sur ce plan, il va bien plus loin qu’ Augustin. Chez Augustin s’exprime une colère contre les hérétiques, les païens, les incroyants, les juifs. Chez Dante, il y a, plus encore que chez Augustin, l’expression d’un amour total pour l’humanité déchue et donc, à ce titre, très prometteur pour la vie politique de ce monde. Et pourtant, prévient-elle, l’ascension de Dante n’est pas exempte de problèmes critiques.</p>
<p>Tout d’abord, le poète exprime une colère qui est parfois justifiée parce qu’elle s’adresse aux injustices et à la corruption du monde, mais il arrive qu’elle soit dirigée contre ceux qui ont commis des erreurs uniquement parce qu’ils ont suivi leurs croyances. Pour Dante, les seuls êtres vertueux ne sont pas tous chrétiens. Il présente des figures d’hérétiques vertueux et donc dignes de respect, au même titre que les croyants. La moralité n’est pas seulement un fait lié à la croyance religieuse. Dante valorise également la liberté de l’autre et se place dans une perspective compatissante qui soutient une vision libérale de l’État ; cependant, la liberté de l’individu est toujours contrôlée, toujours soumise à l’autorité de l’Église (que Béatrice représente).</p>
<p>Les pages de l’Enfer, où les êtres humains jugés dégoûtants sont bannis, posent de sérieux problèmes sur le plan de l’acceptation et de la réciprocité, tant en amour que dans la vie sociale.</p>
<p>Une autre grande limite de la vision dantesque est la place attribuée au sexe parmi les joies de la vie humaine. Le sexe n’est permis que selon son acception dans la doctrine catholique : il ne peut être pratiqué qu’à des fins reproductives et tout amour est d’autant plus parfait qu’il se rapproche de la chasteté.</p>
<p>Enfin, en ce qui concerne la compassion, Nussbaum constate que le poète divin fait un pas en avant décisif, car la compassion pour la souffrance humaine est précisément une composante fondamentale de l’ascension. Ici, Nussbaum trouve que Dante a une vision plus pragmatique de la compassion que celle d’Augustin.</p>
<p>En conclusion, Nussbaum affirme que le poème de Dante est conforme aux canons de l’orthodoxie chrétienne de type médiéval. Une déclaration que l’on peut discuter. Mais nous pouvons certainement nous accorder avec cette affirmation de la philosophe :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas de texte dans toute la littérature qui manifeste un amour plus pur, une curiosité plus absolue à l’égard des vies humaines. Dante embrasse vraiment le monde avec amour. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/164103/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucia Gangale ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La philosophe américaine Martha Nussbaum, dans son livre « L’intelligence des émotions », explore le thème de l’amour à travers « La Divine Comédie » de Dante Alighieri.Lucia Gangale, Doctorant, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1663602021-08-18T18:46:32Z2021-08-18T18:46:32ZBonnes feuilles : « Frères de douleur. Récit d’un ethnologue en pèlerinage à Lourdes »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416740/original/file-20210818-27-eg2cej.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C27%2C3021%2C1997&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un groupe de pèlerins dans la grotte de Massabielle, à Lourdes, 2010.</span> <span class="attribution"><span class="source">Laurent Amiotte-Suchet.</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Au début des années 2000, l’auteur a choisi de participer à des pèlerinages à Lourdes pour mieux saisir, de l’intérieur, ce qui pouvait bien motiver ces hommes et ces femmes à effectuer un si long voyage pour réciter des chapelets devant une statue de pierre. Durant plusieurs années, il a côtoyé les pèlerins, accompagné les personnes malades, partagé la vie d’équipe des brancardiers et des hospitalières, assisté aux offices et aux réunions. Fidèle à la démarche ethnographique, il a consigné dans son journal de terrain tout ce qui lui était donné à voir et à entendre afin de mieux comprendre ce que vivent et partagent les pèlerins de Lourdes. Un jour, il est de service aux « piscines ». Extraits choisis.</em></p>
<hr>
<p>Hasard du terrain, cet après-midi du 11 mai 2000 m’offre une expérimentation inédite à laquelle je n’étais guère préparé. Par je ne sais quel « miracle », Michel, traditionnellement responsable de l’équipe des nouveaux brancardiers, a obtenu l’autorisation inattendue d’emmener le groupe aux piscines. Nous allons être pour un temps enrôlés dans l’équipe qui encadre cet espace rituel si particulier. Cela n’a rien d’habituel, les brancardiers qui servent aux piscines appartiennent à différents pèlerinages et sont volontaires pour accomplir cette tâche durant toute leur semaine à Lourdes. Avoir la chance de servir aux piscines durant une journée est donc une expérience inhabituelle pour un groupe de nouveaux brancardiers […].</p>
<p>La pratique du bain demeure beaucoup moins fréquente que le fait de se rendre à la grotte ou de consommer l’eau des fontaines. Bien des pèlerins, pourtant familiers de Lourdes, ne s’y sont jamais rendus. Mais pour les autres, le sentiment d’avoir vécu un moment capital, combiné à l’impossibilité de traduire par des mots l’expérience vécue, est une dimension très présente dans les témoignages que j’ai déjà pu recueillir :</p>
<blockquote>
<p>« En allant aux piscines et en ressortant, j’ai été bouleversée. J’en discutais avec les filles en sortant, enfin déjà en sortant on discutait plus parce qu’on était trop bouleversée, ce qui se passait en moi […], on est ressortie, on se reconnaissait plus. Mais après, on a pu en discuter, mais c’est indéfinissable, c’est quelque chose qui nous prend au fond de nous et… ça fait partie de Lourdes. » (Estelle)</p>
</blockquote>
<h2>Entrer dans le rituel</h2>
<p>Nous quittons nos uniformes de brancardiers pour revêtir de longues blouses grises avant de pénétrer dans le bâtiment pour y rejoindre la zone masculine. Un groupe d’hommes nous accueille et après une rapide démonstration des gestes conventionnels, nous formons avec eux un cercle en nous tenant par les mains avant de réciter une courte prière. Dans la pièce exiguë où nous nous trouvons, entourés de quatre murs en béton sans ornement ni couleur, ce moment de prière collective prend une tout autre dimension. Me voici brusquement complice du rituel. En joignant nos mains, comme nous l’enseigne un brancardier, nous partageons alors, selon lui, la misère de ceux qui vont s’avancer, nous sommes liés à eux par un même espoir de mieux-être, quel que soit d’ailleurs le mieux-être que chacun peut attendre.</p>
<p>Nous nous préparons à devenir acteurs d’une démarche pèlerine en accompagnant les malades jusqu’au fond du bassin. Nous nous apprêtons à prendre place au sein d’un dispositif rituel, à être avec l’eau de la source (et un certain nombre d’hommes et d’objets) des médiateurs entre les baignés et l’absolu qu’ils convoitent. Les problèmes méthodologiques de la situation me viennent immédiatement à l’esprit : le chercheur peut-il participer activement au rite qu’il observe ? Dois-je demander à ne pas participer à l’expérience ? Dois-je dire à ces hommes avec qui je viens à peine de prier que je ne partage pas leurs convictions religieuses et souhaite seulement m’asseoir ici pour les regarder baigner les malades ?</p>
<p>Je ris intérieurement d’une telle idée tant elle me paraît tout à coup particulièrement inappropriée à l’instant présent. Comment pourrais-je demander à n’être que le spectateur passif et détaché d’un tel moment d’intimité où hommes et femmes, quelles que soient les blessures de leur corps ou de leur cœur, acceptent de se dénuder (au sens propre comme au sens figuré) face à des inconnus pour leur confier la responsabilité d’un accompagnement à si forte charge symbolique ? Là où les photographies sont interdites, pourrais-je révéler que, d’une certaine manière, je suis d’abord ici pour « voler » des images, des instants, des comportements ? Il me faut respecter mon terrain, même là où l’éthique m’invite au détachement. Il me faut vivre l’événement. […]</p>
<h2>Premier baigneur</h2>
<p>Me voici maintenant dans l’espace central des piscines. Il s’agit de baignoires en marbre gris, pourvues de marches latérales. Sur le bord de chaque bassin, une petite statuette mariale ainsi qu’une jarre d’eau de la grotte ont été disposées. Entre la baignoire et le rideau qui la sépare des vestiaires, un espace avec bancs et porte – manteaux permet de faire patienter un ou deux pèlerins afin qu’ils puissent s’avancer dès que le précédent a quitté le bassin. Notre équipe commencera par observer les habitués avant de participer pleinement au rituel.</p>
<p>Restant discrètement de côté, je regarde ces hommes presque nus traverser un par un le rideau quand leur tour est venu. Nous sommes huit dans cet espace restreint : moi et deux brancardiers de mon équipe, trois brancardiers servant chaque jour aux piscines et deux hommes nus venus se plonger dans le bassin. Un brancardier se saisit alors d’un pagne qu’il plonge dans le bassin, l’essore et vient s’accroupir devant le candidat au bain pour tendre le pagne devant lui, le protégeant ainsi des regards. L’homme retire son slip et se laisse envelopper la taille par le pagne. Le contact de l’humidité glacée sur la peau surprend notre premier baigneur. Deux brancardiers lui saisissent alors les poignets et avancent avec lui jusqu’au bassin où il descend prudemment.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416742/original/file-20210818-21-1glja0y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le bain d’un pèlerin dans les piscines de Lourdes. Sur les pas de Bernadette, Vic-en-Bigorre, Lestrade, 1990.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bordes Joseph, Lourdes</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À sa demande, nous l’accompagnons dans la récitation d’un « Je vous salue Marie ». La prière terminée, l’homme fait lentement son signe de croix, les yeux fermés. Les deux brancardiers inclinent alors le corps du pèlerin en arrière et ce dernier plonge tout entier dans l’eau froide du bassin. Dans une eau à 10-12 degrés, le saisissement est immédiat. L’homme se redresse vivement, visiblement secoué par la fraîcheur de l’eau. Sa tête est restée hors de l’eau. Un brancardier lui propose un verre d’eau de la grotte, mais l’homme répond par la négative et sort du bassin. On l’aide à retirer son pagne et il récupère ses premiers vêtements qu’il enfile sans se sécher. Quelque chose vient de s’accomplir pour lui. Il nous quitte pour mieux méditer cette expérience ineffable.</p>
<h2>Etre brusquement extrêmement proche de chacun de ces inconnus</h2>
<p>Le second candidat est déjà prêt. Il attend à son tour le pagne pour pouvoir s’avancer vers le bassin. Le rituel se reproduit alors, avec chaque fois la même simplicité. Durant une heure, j’assiste presque passivement à ces bains successifs. Malgré la monotonie de leur déroulement, l’expérience individuelle semble chaque fois particulièrement forte pour celui qui s’avance. Les pèlerins ont, avant ou après le bain, toutes sortes de demandes : méditer un instant en silence, réciter une prière, formuler à haute voix une intention, boire de l’eau, se laisser répandre de l’eau sur la tête, embrasser la statuette de la Vierge placée au bord du bassin… Mon tour vient alors de participer plus activement au rituel en aidant les fidèles à descendre dans le bassin. Accrocher le pagne autour de leur taille, leur parler, les regarder, les baigner… tout cela est pour moi particulièrement impressionnant, en raison de ce sentiment d’être brusquement extrêmement proche de chacun de ces inconnus et de la gêne occasionnée par les confidences si intimes qu’ils me font, alors que je les tiens par la main.</p>
<p>Soutenue par les chants qui nous parviennent de l’extérieur, toute notre équipe s’affaire à gérer les bains des pèlerins. Les corps s’enchaînent, des plus usés par le temps aux plus atteints par la maladie. Il nous faut parfois recourir à un brancard de sangles pour immerger un corps paralysé. Progressivement, le travail devient routinier et les automatismes s’installent. Sous le regard de la minuscule statuette de la Vierge, les pèlerins défilent, incessamment, livrant à haute voix une partie de leurs malheurs et confiant le reste dans un murmure.</p>
<h2>Vivre ce rite comme ceux que nous avons baignés</h2>
<p>Fin de l’après-midi. Les piscines ferment. Les derniers baigneurs nous quittent, aussi troublés que les premiers par ce qu’ils viennent de vivre. Je retire ma blouse, impatient de courir noter sur mon journal de terrain ces observations inattendues. Mais Michel compte aller plus loin. Nous voilà tous ensemble dans le bâtiment vide après ces intenses moments où nous avons soutenu, au sens propre du terme, des fidèles dans une démarche de foi. « Pourquoi ne pas profiter de ces instants pour nous baigner mutuellement les uns les autres ? » propose Michel.</p>
<p>Le petit groupe adhère immédiatement au projet. Nous sommes tous assez vigoureux pour descendre seuls dans le bassin, mais l’idée n’effleure personne. Il nous faut vivre ce rite comme ceux que nous avons baignés, en descendant dans le bassin soutenus par nos compagnons. Me voilà projeté aux frontières entre l’observation participante et la participation observante, dans une complicité inattendue avec mon objet, sans que j’aie réellement pu me préparer à cela. Deux hommes de mon équipe m’invitent à m’avancer. Après quelques secondes d’hésitation, je retire à mon tour mes vêtements pour expérimenter silencieusement un des éléments forts de la dévotion mariale à Notre-Dame de Lourdes. Moi aussi, le pagne me glace la peau, alors que mes pieds s’enfoncent dans l’eau du bassin.</p>
<hr>
<p><em>Cet extrait est tiré d’un ouvrage que l’auteur vient de publier <a href="https://www.alphil.com/alphileuro/index.php/editions-livreo-alphil/freres-de-douleur.html">« Frères de douleur. Récit d’un ethnologue en pèlerinage à Lourdes »</a>. Préface de Roberte Hamayon. Editions Alphil, presses universitaires suisses</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166360/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Amiotte-Suchet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lors d’une enquête ethnographique auprès de pèlerins se rendant à Lourdes, le chercheur est confronté à une expérience inédite qui interroge sur sa pratique.Laurent Amiotte-Suchet, Sociologue, chargé de recherche, Haute école de santé Vaud (HESAV - HES-SO), Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1565292021-03-04T19:11:53Z2021-03-04T19:11:53ZLes paris du pape François en Irak<p>Malgré la montée, depuis deux semaines, des <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/irak-dix-roquettes-sur-une-base-abritant-des-americains-deux-jours-avant-la-visite-du-pape.afp.com.20210303.doc.9468lb.xml">tensions entre l’Iran et les États-Unis</a> – un conflit dont l’Irak reste un terrain majeur – et malgré l’escalade des violences intérieures, notamment dans la province de Dhi Qar, où le pouvoir <a href="https://raseef22.net/article/1081783">réprime la contestation</a>, le voyage pastoral et diplomatique du pape François entre les 5 et 8 mars 2021 a été maintenu.</p>
<p>L’intensité des préparatifs, entamés de longue date par le Saint-Siège et les autorités locales, dont le très actif cardinal et Patriarche des Chaldéens Louis Raphaël Sako, finit par intriguer. Que vient faire le pape dans ce pays meurtri et sous influence ? Quelles sont ses intentions et peuvent-elles être couronnées de succès ?</p>
<h2>L’enjeu de la présence chrétienne en Irak</h2>
<p>La première raison de ce voyage est bien sûr de conforter les chrétiens d’Irak. Une occasion exceptionnelle leur est offerte de sensibiliser le monde à leur <a href="https://www.arabnews.fr/node/64706/monde-arabe">tragédie</a>, dans l’accumulation des tragédies irakiennes.</p>
<p>L’enjeu, pour les responsables chrétiens du pays, est de retrouver leurs ressources humaines et financières en prévision d’un retour de leur communauté éparse, à la faveur de la paix, <a href="https://www.la-croix.com/Religion/chretiens-Bagdad-revent-dexil-visite-pape-2021-02-05-1201139030">ce qui semble à courte vue irréaliste</a>. Regroupant désormais moins de 1 % des 38,4 millions d’Irakiens, les chrétiens de l’ancienne Mésopotamie sont en cours de transplantation migratoire.</p>
<p>Ayant connu de grandes tribulations aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, on estime qu’ils étaient encore 6 % avant 2003, dont près de 800 000 à Bagdad. Aujourd’hui, leur nombre dans la capitale a chuté à 75 000. L’intervention américaine a transformé leur singularité en dernier stigmate. À Bagdad, les lieux de culte ont été attaqués dès les premiers attentats de 2004 : la cathédrale syriaque <em>Sayidat al-Najat</em> – où le pape va se rendre – a subi une <a href="https://www.theguardian.com/world/2004/aug/02/iraq.michaelhoward">explosion à la voiture piégée</a> dans une attaque simultanée contre plusieurs églises, commanditée par le chef terroriste Zarqaoui. Cette même cathédrale a essuyé une autre <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/11/02/messe-de-bagdad-l-obscur-carnage_690718/">attaque d’Al-Qaeda</a>, pendant l’office de la Toussaint 2010, faisant une soixantaine de victimes dont le prêtre en chaire, le père Thar.</p>
<p>L’<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-19-aout-2020#:%7E:text=Ils%20%C3%A9taient%201%2C5%20million,av%C3%A8nement%20du%20groupe%20%C3%89tat%20Islamique.">hémorragie des chrétiens d’Irak</a> a précédé la fuite par millions des Irakiens à partir de 2004. Leur exode s’est <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2015/01/24/refugies-etat-islamique-irak_n_6537886.html">accéléré</a> avec l’installation de Daech dans les terres sunnites. À Mossoul – autre lieu de passage de François –, surnommée jadis la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-pleine-reconstruction-Mossoul-attend-chretiens-2021-03-02-1201143407">Jérusalem de Mésopotamie</a>, les chrétiens assyriens et syriaques étaient près de 50 000 avant la première guerre du Golfe. Leur nombre est passé à 5 000 en 2014.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gHT9zXyV6yI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/224254/irak-elect-violence">kidnapping</a> de l’archevêque syriaque Basil George Casmoussa en 2005, une série d’<a href="http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/145921%26fr%3Dy.html">attentats et d’enlèvements ciblés en 2007</a>, l’assassinat après torture de l’évêque assyro-chaldéen <a href="https://www.nytimes.com/2008/03/14/world/middleeast/14iraq.html">Paulo Faraj Rahho</a> en 2008, l’attentat contre un <a href="https://www.cath.ch/newsf/bombe-contre-un-bus-d-etudiants-dans-la-plaine-de-ninive/">bus d’étudiants</a> venus de Qaraqosh en 2010 : tous ces évènements ont précipité leur fuite, avant même l’arrivée de l’État islamique.</p>
<p>70 familles seulement vivraient encore à Mossoul. Les 150 000 chrétiens de la plaine de Ninive, dont 50 000 syriaques de Qaraqosh – autre ville que <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Voyage-pape-Irak-Qaraqosh-recherche-legerete-perdue-2021-03-02-1201143323">visitera François</a> – ont tout quitté pour échapper au <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1431911-20140825-irak-onu-accuse-etat-islamique-nettoyage-ethnique-religieux">nettoyage ethnoreligieux</a> qui a également frappé les <a href="https://www.infochretienne.com/en-irak-les-chretiens-et-les-yezidies-subissent-un-nettoyage-ethnique/">yézidis</a>, les <a href="https://lephenixkurde.tumblr.com/post/114786953522/les-shabaks-victimes-meconnues-de-Daech">Shabaks</a> et les <a href="https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2017/07/06/ankara-indigne-apres-le-massacre-de-turkmenes-d-irak-par-Daech-765535">Turkmènes</a> chiites. Ils se sont réfugiés dans l’antique terre d’Erbil (Arbèle) devenue kurde – où le pape se rendra aussi – et dans les camps de réfugiés, au Liban, en Jordanie et en Turquie. Depuis, 55 000 d’entre eux ont réussi à quitter le Moyen-Orient. <a href="https://www.jadaliyya.com/Details/27531">25 000 sont revenus à Qaraqosh</a>. Les autres sont restés à Erbil. La petite <a href="https://www.cath.ch/newsf/les-communautes-religieuses-en-irak-les-armeniens-7-7/">Église arménienne</a>, issue de la diaspora marchande et des réfugiés du génocide ottoman, s’est vidée de ses fidèles depuis 2003. À Bassorah, sur les 4 500 familles assyriennes présentes avant 2003, <a href="http://fraternite-en-irak.org/a-bassorah-fraternite-en-irak-offre-un-refuge-aux-plus-pauvres/">il n’en reste plus que 200</a>.</p>
<p>Tout cela est éminemment tragique et douloureux. Mais pour le dire crûment, beaucoup d’Irakiens ont énormément souffert, et l’exode des chrétiens d’Irak ne les émeut pas outre mesure, d’autant que les chrétiens n’ont jamais été présents partout dans le pays.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité œcuménique</h2>
<p>Qu’en est-il pour les chrétiens qui ne sont pas partis ? De grands efforts matériels ont été déployés pour réparer les édifices emblématiques, comme le couvent dominicain et le clocher de <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/irak-retour-a-mossoul-sur-le-chantier-de-notre-dame-de-l-heure-ravagee-par-Daech-7900004464">Notre-Dame de l’Heure à Mossoul</a> qui a servi de centre de torture sous Daech. Idem pour <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-chaldeenne-al-tahira-de-mossoul/">l’église chaldéenne Al-Tahira</a> que le pape visitera. De même, <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-syriaque-catholique-mar-touma-de-mossoul/">l’église syriaque orthodoxe de Mar-Touma</a> est en train d’être reconstruite, grâce au financement de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (<a href="https://www.aliph-foundation.org/fr">ALIPH</a>), qui a par ailleurs soutenu la réhabilitation du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Mar-Behnam-renaissance-dun-lieu-saint-partage-2017-12-14-1200899373">mausolée-monastère de Mar Benham</a>, dynamité par Daech en 2015.</p>
<p>Mais l’autre véritable enjeu – outre la sécurisation des personnes, l’effort éducatif et médical et les opportunités de travail, à l’instar des besoins de tous les Irakiens – est de finaliser, en le rendant tangible avec cette visite, <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Le-Saint-Siege-Eglises-dIrak-role-novateur-pape-Francois-2021-02-26-1201142740">l’effort de communion entrepris depuis le concile catholique de Vatican II</a> entre les différentes Églises chrétiennes d’Orient que le Pape va rencontrer. Ces dernières, par leurs strates et leur diversité, récapitulent des siècles de morcellements ou d’empiètement entre territoires canoniques, justifiés par des divergences théologiques qui échappent aujourd’hui à l’entendement.</p>
<p>Ainsi les Assyriens descendent-ils de <a href="https://www.choisir.ch/societe/histoire/item/3735-l-histoire-de-de-l-eglise-assyrienne-de-l-orient">l’Église d’Orient</a>, dite aussi Église de Mésopotamie ou Église perse, entièrement autocéphale sous l’Empire sassanide. Elle a aujourd’hui deux branches : l’Église « historique », siégeant à Erbil, et l’Église chaldéenne, qui est son pendant catholique à Bagdad. À côté des Assyriens, une autre Église des origines un peu plus « tardive », l’Église syriaque, s’est formée avec les descendants des chrétiens syriens et arabes de l’Église d’Antioche, qui ont fui la répression de l’Empire byzantin au VI<sup>e</sup> siècle. L’Église syriaque a deux branches, comme l’assyrienne.</p>
<p>Un tel émiettement, auquel s’ajoute la présence de chrétiens convertis, soit anciennement, soit plus récemment au protestantisme évangélique – <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-irsem-2015-1-page-108.htm">par ailleurs mal vu pour son prosélytisme et ses origines américaines</a> – affaiblit la voix et les intérêts communs des chrétiens d’Irak, si on enlève leur avantage démultiplicateur comme réseau d’émigration. Le regroupement œcuménique des Églises en un lien opérationnel et protecteur, dont Rome serait le garant et qui rattacherait les diasporas entre elles en les « universalisant », pourrait fabriquer une cohérence à double détente. Il permettrait des actions concertées, de répartition et de coordination entre les acteurs de terrain ; surtout, il mettrait en évidence le cercle vertueux de la bonne entente qui servirait d’exemple à suivre pour le dialogue interreligieux.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité irakienne ?</h2>
<p>C’est ici que se situe l’enjeu le plus audacieux mais peut-être aussi le plus problématique de la visite de François, si l’on tentait de le conjecturer.</p>
<p>Il s’agirait de fabriquer, à partir de l’établissement pérenne de relations interconfessionnelles entre l’ensemble des acteurs religieux d’Irak, un chemin exemplaire de réconciliation nationale et, très paradoxalement, de dépolarisation religieuse.</p>
<p>La démarche est celle de la diplomatie interreligieuse, comme antidote à la toxicité confessionnelle qui a contaminé toute la société irakienne depuis l’embargo qui a suivi la première guerre du Golfe, avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-3-page-138.htm">« campagne pour la foi »</a> de Saddam Hussein. Durant ces années déterminantes où le tissu social a commencé à se déliter, alors que les bombardements de cette première guerre avaient détruit toutes les infrastructures et affaibli l’État, le ressentiment communautaire s’est développé, ressentiment que la brutale politique de <a href="https://journals.openedition.org/remmm/3451">dé-baassisation</a>, parallèle au processus de démocratisation, a renforcé après 2003, quand les États-Unis ont semblé favoriser les chiites. C’est ainsi que sont apparues les milices sunnites, les groupes islamistes terroristes et les contre-milices chiites…</p>
<p>Certes, la jeunesse irakienne d’aujourd’hui, très nombreuse mais <a href="https://www.france24.com/fr/20190219-irak-avenir-economie-chomage-masse-jeunesse-corruption-austerite-entreprenariat">sans travail et sans ressources</a>, est épuisée par le discours sectaire. Elle <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/28/sans-pays-pas-d-ecole-la-jeunesse-irakienne-rejoint-le-mouvement-de-contestation_6017200_3210.html">manifeste</a> ardemment, depuis deux ans, sunnites et chiites confondus, une aspiration vitale pour la liberté, la démocratie, la fin de la corruption et la fin de la mainmise iranienne sur le pays. Elle a même obtenu la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-en-irak-sunnites-et-chiites-unis-contre-le-pouvoir">démission d’un premier ministre</a>.</p>
<p>Certes, le cardinal chaldéen Louis Raphaël Sako a réussi à organiser une <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/le-pape-en-irak-rencontrer-le-grand-ayatollah-ali-al-sistani-cest-rencontrer-le-monde-chiite-71757.php">rencontre historique entre le pape et le Grand ayatollah Ali-Al-Sistani</a> dans la ville de Najaf, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/01/22/al-sistani-le-pape-chiite-de-nadjaf_350041_1819218.html">décrite</a> par Pierre-Jean Luizard comme le Vatican chiite. Al-Sistani <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-rencontre-layatollah-Sistani-conscience-irakienne-2021-02-27-1201142859">est devenu « la conscience irakienne »</a>, défenseur d’un Irak indépendant des influences étrangères, c’est-à-dire de l’Iran, <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">dont la présence par milices</a> et partis politiques (Coalition Sairoun et Coalition Al-Fatha) interposés est absolument prégnante.</p>
<p>Al-Sistani est connu pour refuser <a href="https://journals.openedition.org/assr/21941">l’interprétation iranienne du velayat-e-faqhi</a> (littéralement la tutelle des jurisconsultes) et pour défendre une citoyenneté nationale commune transcendant les clivages religieux et ethniques du pays. Mais, même si Al-Sistani ne peut être comparé en rien à <a href="https://www.france24.com/fr/20200212-contestation-en-irak- %C3 %A0-quoi-joue-le-leader-chiite-moqtada-al-sadr">Moqtada Al-Sadr</a>, leader chiite des quartiers pauvres et ancien chef de l’Armée du Madhi, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/31/en-irak-l-emprise-des-milices-chiites_6064924_3210.html">milices chiites qui se sont formées à son appel contre l’État islamique en 2014</a> poursuivent leur mainmise dans les territoires sunnites, à côté de l’armée irakienne, et en opposition aux autres milices chiites pro-iraniennes également bien présentes, malgré l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani à Bagdad en janvier 2020.</p>
<p>Ces milices entretiennent la peur et la rancœur par leurs méthodes. Elles restent dominantes au cœur du pouvoir irakien où les institutions chiites nationales n’ont jamais eu autant d’influence. Le pouvoir religieux chiite, anti-ou pro-iranien, n’est pas un truchement de la réconciliation en Irak.</p>
<p>Enfin, du côté sunnite, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/impair-les-sunnites-oublies-de-la-visite-du-pape-francois-en-irak">aucune rencontre n’est prévue</a>, alors même que François va rencontrer des représentants kurdes à Erbil et <a href="https://rcf.fr/la-matinale/ur-le-pape-rencontrera-les-minorites-religieuses-heritieres-d-abraham">prier avec des Yézidis, mandéens et Kakaïs à Ur</a>, ville de naissance d'Abraham selon la Bible. Comment comprendre un tel manque, dans cette manœuvre interreligieuse ? Est-ce parce qu’il n’y a aucun responsable sunnite qui soit suffisamment représentatif de la population ? Est-ce parce qu’il n’y a actuellement aucun contact entre dignitaires sunnites, chrétiens et chiites ? Est-ce parce que les personnes pressenties ont décliné la proposition ? Est-ce parce que personne ne veut se rapprocher des sunnites considérés comme infréquentables après le soutien d’une partie d’entre eux à l’État islamique ? En tout cas, cette absence <a href="https://raseef22.net/article/1081783">a été critiquée par le député sunnite de la province de Salâh ad-Dîn</a>, Muthanna al-Samarrai, critique reprise par les médias arabes. Elle risque de réduire à néant les chances de mise en place d’une « coalition » interreligieuse qui plaiderait pour un Irak uni et indépendant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Blandine Chelini-Pont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La visite du pape François en Irak vise à conforter les derniers chrétiens de ce pays et à contribuer au dialogue inter-religieux. Mais le pape ne rencontrera aucun représentant sunnite…Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1545242021-02-10T20:49:10Z2021-02-10T20:49:10ZMarion Maréchal : l’héritière qui bouscule les codes du champ politique<p>Marine Le Pen n’est plus à une conversion près et va jusqu’à jouer la carte participative pour gagner enfin l’élection présidentielle en <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/presidentielle-2022-marine-le-pen-joue-la-carte-de-la-democratie-participative-1284193">2022</a>.</p>
<p>À la tête du FN depuis plus de 10 ans, elle n’est pas parvenue à transformer en profondeur le parti au-delà du <a href="https://oeilsurlefront.liberation.fr/les-idees/2021/01/17/marine-le-pen-a-la-tete-du-rn-quel-bilan-apres-dix-ans_1817358">changement de nom</a>. Figure d’opposante, aux faibles relais locaux, beaucoup <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/franceinfo/ouvrez-le-1/ouvrez-le-1-du-dimanche-31-janvier-2021_4278905.html">s’interrogent sur le bilan de la présidente du RN et</a> sur son avenir politique.</p>
<p>Et ce d’autant plus que les idées qu’elle porte sont aujourd’hui non seulement concurrencées par la droite de l’échiquier politique, mais aussi par d’autres acteurs de sa famille politique, avec en tête de file, sa nièce, plus que jamais active sur le terrain malgré son apparent retrait de la vie politique.</p>
<h2>L’héritière</h2>
<p>Héritière, Marion Maréchal (Le Pen) l’est indéniablement. Héritière d’un nom qu’elle a évacué, d’une famille politique et d’une petite entreprise familiale. Elle s’inscrit malgré sa jeunesse (31 ans) dans le sillon creusé par son grand-père, Jean‑Marie Le Pen depuis une cinquantaine d’années.</p>
<p>Elue députée de la troisième circonscription du Vaucluse en <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2012/06/15/01002-20120615ARTFIG00510-la-petite-fille-le-pen-pourrait-etre-la-plus-jeune-elue-de-la-ve.php">2012</a> sous l’étiquette Front national, elle s’impose localement, nationalement et surtout médiatiquement en cassant certains des codes de cet héritage.</p>
<p>Localement d’abord, elle entame doucement mais sûrement sa politique de la main tendue aux édiles de droite avec lesquels elle ambitionne de fonder l’union de toutes les droites. Cela va de ses relations cordiales avec <a href="https://lelab.europe1.fr/le-fn-minimise-la-presence-dune-liste-dissidente-de-jacques-bompard-en-paca-2524519">Jacques Bompard</a>, pourtant honni par son grand-père, au positionnement de son suppléant, <a href="https://lesjours.fr/personnages/herve-de-lepinau/">Hervé de Lépineau</a>, comme candidat d’opposition de droite au maire sortant lors des élections municipales de 2014 à Carpentras.</p>
<p>Nationalement ensuite, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/09/15/rassemblement-national-marion-marechal-engage-l-offensive-contre-marine-le-pen-sur-la-strategie-electorale_6052189_823448.html">progressivement légitimé sa place</a> au sein de l’appareil partisan et a construit, à force de travail, l’image d’une femme politique consciencieuse et soucieuse de l’intérêt général.</p>
<p>Médiatiquement enfin, elle concurrence sa tante Marine Le Pen sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio où ses concurrents finissent par la <a href="https://twitter.com/marionmarechal?lang=fr">prendre au sérieux</a>.</p>
<h2>Le mythe idéal de la dédiabolisation</h2>
<p>Parmi les codes qu’elle bouscule, il y a de fait le virilisme, porté par les fondateurs de la nouvelle droite <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-front-national-valerie-igounet/9782021078268">composant du Front national depuis l’origine</a> et que la figure de Marine Le Pen contribue elle aussi à faire évoluer.</p>
<p>Comme cette dernière, elle apporte un soin tout particulier à son image de jeune femme moderne et parfois exagérément souriante. Elle incarne de manière assez idéale le <a href="https://laviedesidees.fr/Le-mythe-de-la-dediabolisation-du-FN.html">mythe de la dédiabolisation</a> initiée par sa tante qu’elle concurrence à l’évidence en termes de popularité.</p>
<p>Jeune retraitée de la vie politique en 2017, elle accroît depuis ses premiers pas un <a href="https://lesjours.fr/obsessions/front-national-paca/ep16-lepinau/">capital sympathie inégalé</a> par les autres figures du Front national devenu depuis 2017 Rassemblement national.</p>
<p>En témoigne les propos admiratifs de ce candidat FN <a href="https://www.cairn.info/le-vote-fn--9782807305595.htm">rencontré pour mes travaux sur le vote FN</a>, novice en politique lors des municipales 2014 dans le sud de la France :</p>
<blockquote>
<p>« Ah Marion, je l’ai vu une fois, je suis resté couac quand même la façon dont elle s’exprime à 22 ans… Elle a sa place à l’Assemblée nationale oui carrément mais bon ça passe par des jeunes comme ça je pense le Front national… ça n’a rien à avoir avec Marine… Marine devrait être comme Marion ».</p>
</blockquote>
<p>Détachée de la compétition politique, elle a réussi à s’extraire de l’étau partisan pour investir ce qu’elle appelle elle-même les canaux de la « méta-politique », concept imaginé par Joseph de Maistre et Antonio Gramsci, qui désignerait, écrit <a href="https://oeilsurlefront.liberation.fr/les-idees/2018/05/30/metapolitique-notion-magique-de-la-frontiste_1655515"><em>Libération</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« l’étude de tout ce qui sous-tend la politique, non pas de la “tambouille” ou de la “politique politicienne” mais des idéologies qui infusent dans la société et la structurent ».</p>
</blockquote>
<h2>Créer des lieux de savoir à son image</h2>
<p>Directrice générale de l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP) elle présente volontiers cet institut comme concurrent direct de Sciences Po.</p>
<p>Elle <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/marion-marechal-veut-former-une-nouvelle-elite-politique-dans-son-ecole-87444">dénonce</a> ces lieux de formation des élites « sclérosées » selon elle par « l’entre soi » parisien, mais aussi, comme elle le déclare dans un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=rKm4NbzOljI">entretien avec l’ancien magistrat Philippe Bilger</a> des idéologies « mortifères » telle que l’indigénisme, la théorie du genre, le décolonialisme ou le privilège blanc.</p>
<p>Elle joue ainsi la carte d’un populisme assumé fortement anti-élites mais en se positionnant de manière tout à fait singulière sur leur terrain pour les concurrencer.</p>
<p>Via le think tank Centre d’analyse et de prospective (CAP) qu’elle présente comme un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BW7EwrV6I5U">centre de recherche</a>, elle choisit donc pour le moment la théorie contre l’action politique.</p>
<p>Elle n’exclut pourtant à aucun moment un retour en politique, cette position messianique s’incarne dans la création de ce Centre de recherche qui lui offre la légitimité pour intervenir de manière « informée » dans l’espace médiatique.</p>
<h2>Une conquête culturelle des esprits</h2>
<p>Elle se donne ainsi les moyens de labourer les terres délaissées par les partis politiques classiques dont elle constate l’effondrement généralisé. Elle s’engage très pratiquement dans une conquête culturelle des esprits, dans l’héritage de son père <a href="https://lesjours.fr/personnages/samuel-marechal/">Samuel Maréchal</a>, soutien de Bruno Mégret lors de la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/scission-de-1999-quand-le-duel-le-pen-megret-ebranla-le-fn-21-09-2017-2158682_20.php">scission</a> qui l’opposait à Jean‑Marie Le Pen en 1999.</p>
<p>Elle tient les deux bouts de cette filiation alors qu’elle ménage encore la « chèvre » familiale, en laissant à sa tante le leadership pour la présidentielle de 2022 et le « chou » de sa propre carrière qu’elle prend le temps de dessiner à travers une mise en scène personnelle, communicationnelle particulièrement forte et égocentrée, notamment via l’usage foisonnant de photos la représentant (<a href="http://marionlepen.fr/album-photos-marion-marechal-le-pen/">voir ainsi son site</a>).</p>
<p>Parmi les chantiers intellectuels à conquérir, <a href="https://www.laprovence.com/actu/en-direct/6155720/la-laicite-insuffisante-pour-combattre-lislamisme-juge-marion-marechal.html">elle investit la laïcité</a> sous l’angle du projet de loi contre le séparatisme actuellement en débat à l’Assemblée nationale, thème déjà largement trusté par sa tante.</p>
<h2>La défense des femmes occidentales blanches et chrétiennes</h2>
<p>Dans cette situation de pandémie mondiale, elle s’attaque également à la défense des libertés publiques qu’elle raccroche très vite à celles menacées des femmes occidentales blanches et chrétiennes.</p>
<p>Positionnement qu’elle prend soin de distinguer du « néo-féminisme » contemporain, fortement marqué à gauche et qu’elle n’envisage que sous l’angle d’une « compétition victimaire » entre les hommes et les femmes, « nouvelle lutte des classes transformée en nouvelle lutte des sexes » selon ses mots lors de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=rKm4NbzOljI">entretien avec l’ancien magistrat Philippe Bilger déjà cité</a>.</p>
<p>Elle défend ainsi la nécessaire complémentarité entre les hommes et les femmes en niant le fait que différence puisse signifier hiérarchie entre les sexes.</p>
<p>Elle cale à l’occasion cette conception, devenant inévitablement dans sa bouche discours politique, sur celui de la religion catholique qui défend la division sexuelle des rôles sociaux comme garantie de l’équilibre de l’unité de référence que constitue la famille.</p>
<p><a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-43533-6_9">Francesca Scrinzi</a> entre autres chercheurs, a bien souligné en quoi de telles stratégies dissimulent des formes de racialisation des rapports sociaux de sexes qui visent à renforcer les fondamentaux racistes du parti.</p>
<p>Dans cette croisade, Marion Maréchal Le Pen bénéfice d’un environnement médiatique et politique favorable et fortement enclin, comme le souligne Éric Fassin, à la politisation conjointe des <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-3-page-123.htm">questions sexuelles et raciales et par extension religieuses</a>.</p>
<h2>Le langage d’un nouveau racisme</h2>
<p>Cet environnement s’est construit à la faveur d’un « féminisme d’État » tel que le définit Sylvie Tissot, <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2007-4-page-15.htm">développé dans la France des années 2000</a> et qui a fourni selon elle « le langage d’un nouveau racisme », euphémisé et par conséquent « respectable ».</p>
<p>Évacuant l’imbrication des questions de genre, de classe et de race, ces détournements qui ont contribué à profondément diviser les mouvements féministes, ont également ouvert la voie à des définitions alternatives du féminisme dans lesquelles s’engouffrent les formations génétiquement inscrites dans la filiation de l’extrême droite.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_o-LLGpQiG4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Manifeste des Antigones, 2013.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il en va d’organisations telles que les <a href="http://lesantigones.fr/manifeste-antigones/">Antigones</a> ou encore le <a href="https://collectif-nemesis.com/">collectif Némésis</a> qui, se démarquant des mouvements féministes historiques, surfent eux aussi sur ces détournements discursifs.</p>
<p>Alors que le premier replace la femme dans son rôle collectif au sein de la société, le second, dans une relative proximité avec les <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev.soc.012809.102602">mouvements de droite conservateur états-uniens</a> défend une approche très individualiste. Ils s’éloignent tous les deux de l’incarnation d’un groupe de femmes unies par une quelconque sororité.</p>
<p>Les femmes qui portent ces discours apparaissent comme d’autant plus légitimes quand, à l’image de Marion Maréchal Le Pen, elles sont elles-mêmes séparées du père de leur enfant, indépendantes professionnellement et financièrement, à fort capital culturel et outsiders dans un milieu masculin tel que peut l’incarner encore aujourd’hui la politique.</p>
<p>Marion Maréchal Le Pen, de par sa jeunesse, sa popularité et son extériorité au champ politique traditionnel fortement démonétisé renvoie les signaux d’une modernité qui peut difficilement lui être disputée. Ce travail d’incarnation altère significativement la portée conservatrice voire réactionnaire de ses positions qu’elle défend de plus en plus fréquemment dans des arènes médiatiques et politiques devenues très réceptives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154524/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christèle Lagier a reçu des financements de l'ANR (Agence nationale de la recherche), laboratoires de recherche (Cherpa-LBNC), fondations (Friedrich Ebert) pour des conférences sur son sujet de recherche ou encore collectivités territoriales (Conseil régional PACA)</span></em></p>La nièce de Marine Le Pen a su utiliser son image et son héritage à son avantage pour imprimer un virage important dans l’extrême droite française.Christèle Lagier, Maîtresse de conférences de science politique, Avignon Université-LBNC, chercheuse associée au Cherpa, Sciences Po Aix, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1540962021-01-27T18:35:51Z2021-01-27T18:35:51ZL’onction de la Nation américaine par son président catholique<p>Selon Valérie Biden Owens, sœur, meilleure amie, et ex-consultante politique de Joe Biden, son frère va « restaurer l’âme de l’Amérique ». Elle a déclaré dans une interview récente <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/13/president-role-joe-biden/?arc404=true">rapportée par Matt Viser, du <em>Washington Post</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« En Amérique, nous avons souvent la bonne personne au bon moment. Nous avons eu Lincoln pendant la guerre civile, FDR après la grande dépression. Mon frère est le bon [président] pour les défis auxquels nous faisons face aujourd’hui. Il sait comment redresser la [Nation]. Toute sa vie n’est que redressement et guérison, et c’est ce dont notre pays a besoin. »</p>
</blockquote>
<p>Cette remarque relève une vérité sur le rôle non écrit mais essentiel du président des États-Unis : sa personne incarne la Nation américaine et sa parole sert à la maintenir ou à la rétablir dans sa destinée. Comme le montre Robert Bellah dans son <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1973_num_35_1_2751">article devenu classique et très commenté sur la religion civile des États-Unis</a>, le président exprime au sens littéral l’identité nationale. En l’occurrence, Joe Biden, avec ses discours de victoire puis d’investiture, a immédiatement endossé son rôle de grand prêtre national, mais en y ajoutant sa touche personnelle, une touche surprenante eu égard à la fabrique plutôt protestante de la narration américaine, à savoir sa spiritualité catholique.</p>
<h2>Religion civile américaine, narration biblique et parole présidentielle</h2>
<p>Le tempérament chrétien et biblique de la narration nationale américaine est en effet facilement repérable, tout comme l’évolution de ses schèmes.</p>
<p>Très nombreuses aux États-Unis, les recherches sur ce sujet ont aussi été conduites en France, notamment par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/dieu-benisse-l-amerique-la-religion-de-la-maison-blanche-sebastien-fath/9782020629737">Sébastien Fath</a> et Denis Lacorne, qui en a fait une synthèse magistrale dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/De-la-religion-en-Amerique"><em>De la religion en Amérique</em> (2007)</a>. Camille Froidevaux-Metterie, dans <a href="https://www.cairn.info/politique-et-religion-aux-%C3%89tats-Unis--9782707153975.htm">Politique et Religion aux États-Unis</a> (2009) rappelle aussi que la religion civile américaine s’appuie sur les idéaux types du <a href="https://journals.openedition.org/erea/75">républicanisme britannique</a>. Antérieurement, l’historienne Elise Marienstras a publié deux livres très éclairants, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1004100r.texteImage"><em>Les Mythes fondateurs de la Nation américaine</em> (1976)</a> et <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Nous-le-peuple"><em>Nous le Peuple : les origines du nationalisme américain</em> (1988)</a>. Des auteurs plus contemporains, comme le politiste <a href="https://journals.openedition.org/lectures/885">Mark Bennett McNaught</a> ou le juriste <a href="https://journals.openedition.org/rdr/364">Maxence Guillemin</a> ont continué d’en tracer les linéaments et d’en analyser l’influence sur l’interprétation de la Constitution.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQ3mqaIQiBU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En effet, toute la sacralité de l’appareil institutionnel fédéral, son calendrier électoral, ses usages non écrits mais immuables, dont celui de l’investiture présidentielle, s’adossent à la révérence envers la Constitution et les droits énoncés. Mais la mythologie des textes « saints » excède leur sens littéral. Pour la repérer, il faut relire la Déclaration d’indépendance et… les discours présidentiels. Le président des États-Unis, dans cet entrelacs symbolique puissant, n’est pas tant le <em>Chief Executive</em> d’une Union organisée par pragmatisme et nécessité depuis 1787. Il est le vicaire de la religion civile américaine, elle-même construite autour de sa légende nationale. Le serment d’investiture puis le discours personnel du président sont <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/linvestiture-des-presidents-americains-un-rite-democratique-devenu-evenement-populaire">centraux</a>. Ils placent ce dernier au cœur de la fabrique narrative. Il est le porte-voix et l’incarnation de la Nation.</p>
<p>Avec lui, la légende nationale prend corps et se raconte. George Washington, général en chef de l’Armée des patriotes, premier des présidents à tous les égards, a aisément représenté la figure de Moïse libérateur, divinement choisi pour conduire le Peuple élu hors de la tyrannie (britannique). C’est lui qui a prononcé le premier discours d’investiture et laissé un <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/farewell-address">discours d’adieu</a> resté dans les annales.</p>
<p>Alors que la guerre civile est en train de briser le pays, Abraham Lincoln, qui a fait de la préservation sacrée de l’Union sa priorité absolue lors de <a href="https://mjp.univ-perp.fr/textes/lincoln1.htm">son investiture</a> (mars 1861), transforme le conflit fratricide en <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02196466/document">sacrifice salvateur pour la renaissance de la Nation</a>, dans son <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-oubliettes-du-temps/les-oubliettes-du-temps-19-novembre-2012">discours de Gettysburg</a> (novembre 1863). Il s’exprime aux abords d’un champ de bataille où ont péri 51 000 soldats, entre le 1<sup>er</sup> et le 3 juillet 1863. Lors de son <a href="http://levieuxcordelier.fr/abraham-lincoln-discours/">deuxième discours d’investiture</a> (mars 1865), il présente la guerre comme une conséquence du péché de l’esclavage. Il implore ses concitoyens de pratiquer la charité réciproque et la réconciliation. </p>
<p>Mark Noll a écrit que ce discours-là était « l’un de ces rares textes à moitié sacrés par lesquels les Américains conçoivent leur place dans le monde ». Lincoln a « fini » d’expier les péchés cumulés du fratricide américain par son propre sacrifice, double figure du bouc émissaire et de l’agneau pascal. Il meurt assassiné quelques jours après la fin de la guerre. Et cette mort « christique » l’a transformé en deuxième gardien tutélaire de la Nation.</p>
<h2>« J’ai mis toute mon âme dans cet acte » : la spiritualité de Joe Biden au secours de la narration nationale</h2>
<p>Il y aurait encore beaucoup à dire sur les adresses des différents présidents en temps de guerres et de crises.</p>
<p>Depuis les années 1960, hormis le <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/01/21/le-discours-d-investiture-de-barack-obama_1144600_3222.html">premier discours d’Obama</a>, que Robert Bellah a commenté comme absolument conforme à sa fonction symbolique – aucune adresse n’a été aussi puissante que <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2021/01/20/inaugural-address-by-president-joseph-r-biden-jr/">celle du 20 janvier 2021</a>. Après quatre ans de déshérence symbolique, menée par un président jouant au grand magicien de l’île enchantée, le portrait dessiné par Biden d’une Amérique blessée et malade, au sens physique et intérieur, le transforme en thérapeute.</p>
<p>Le rappel du caractère précieux mais fragile de la démocratie américaine a été recouvert ensuite des sûres bénédictions octroyées à la Nation indivisible : une Nation résiliente, forte, celle d’un peuple de bonnes personnes, qui sait se réparer et se reconstruire. Ce faisant, la coloration théologique que Joe Biden a projetée dans ce discours n’a pas puisé dans l’imaginaire de la faute expiée ou de la brebis égarée que le pasteur vigilant ramène au bercail. Le nouveau chef de l’État a plutôt utilisé la catholique expression de la souffrance et de l’affliction, éprouvées et surmontées dans la guérison, expression qu’il puise de <a href="https://www.letemps.ch/monde/tragique-destin-famille-joe-biden">sa propre expérience de la douleur</a>.</p>
<p>Il a aussi invoqué la force de la famille. Paraphrasant le psaume 30 : « Au soir arrivent les pleurs et au matin l’allégresse », quand il évoque la joie du petit matin, le nouveau président, habité par le deuil mais aussi le vivant souvenir des siens disparus, a en fait administré à ses concitoyens une onction de guérison, ce sacrement catholique qui offre aux malades de corps et d’âme soulagement intérieur et rémission. Il a également appelé ses administrés à prier pour les morts de la pandémie, arrachés à leur famille humaine et membres de la grande famille des Américains. Il a rappelé le lien entre unité et vérité, désunion et mensonge, puis invoqué encore l’unité recouvrée, comme une guérison certaine. La Nation a enduré l’épreuve de sa désunion et elle va surmonter maladie et blessures, parce que la guérison-résurrection ne manque jamais d’advenir.</p>
<h2>Un président thaumaturge ?</h2>
<p>Avec Biden commence le schème de la rémission comme nouvelle variable de la narration nationale, après celle de la libération du Peuple ou celle du sacrifice salvateur. Penser le corps blessé de l’Amérique-nation et son âme tourmentée, avoir foi en la grâce de sa guérison-rédemption, est un schéma de rétablissement assurément très catholique. Celle d’un homme qui se promène un chapelet dans sa poche, jure sur une <a href="https://www.lavoixdunord.fr/art/region/l-extraordinaire-posterite-de-la-bible-de-douai-400-ans-jna16b0n632169">Bible de Douai</a> dans sa famille depuis 127 ans, et qui met une <a href="https://www.la-croix.com/Religion/%C3%89tats-Unis-Joe-Biden-orne-Bureau-ovale-symboles-religieux-2021-01-22-1201136434">photo encadrée du pape François</a> dans le Bureau ovale, en face du buste de Martin Luther King.</p>
<p>Que la nouvelle Israël, la Terre bénie et le Peuple saint d’Amérique, la <em>City upon a Hill</em>, puisse s’énoncer comme une famille solidaire et être rassurée par la parole d’un président thaumaturge, voilà un virage pour le moins inattendu dans les ressources symboliques de la foi civile et patriotique des États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154096/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La foi catholique de Joe Biden a profondément imprégné son discours d’investiture.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Alexis Artaud de La Ferrière, Senior Lecturer in Sociology, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1530352021-01-13T18:14:37Z2021-01-13T18:14:37ZEt si les pros de l’événementiel religieux inspiraient la campagne de vaccination ?<p>Quels rapports entre un grand rassemblement religieux et la campagne de vaccination de masse contre la Covid-19 ? A priori aucun.</p>
<p>Pourtant, ayant étudié <a href="https://www.bayard-editions.com/religions-et-sciences-humaines/religions/religion-et-societe/leglise-les-jeunes-et-la-mondialisation-une-histoire-des-jmj">l’histoire des Journées mondiales de la jeunesse</a> (JMJ), gigantesques rencontres religieuses, qui tous les deux ou trois ans depuis 1985, font converger des pèlerins de 16 à 35 ans autour du pape, je repère deux caractéristiques communes à ces dispositifs :</p>
<ul>
<li><p>le besoin de gérer des flux importants de personnes et de matériels sur une période courte ;</p></li>
<li><p>la nécessité de susciter l’adhésion pour qu’un maximum d’individus participent.</p></li>
</ul>
<p>L’analyse des JMJ, en particulier, celle qui a eu lieu à Paris en <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/jmj-de-paris-1997-notre-dossier-special/">1997</a>, pourrait-elle, dès lors, alimenter la réflexion sur la manière dont la vaccination en cours peut être organisée en France ?</p>
<h2>Privilégier une approche interministérielle</h2>
<p>L’Église catholique, organisatrice de la JMJ d’août 1997, sollicita le gouvernement, non seulement parce que l’accueil de Jean‑Paul II, leader religieux mais également chef d’État du Vatican, relevait de la République française, mais aussi parce que, comme toute manifestation d’ampleur, elle posait des questions de sécurité, de maintien de l’ordre et de gestion des foules qui concernaient la puissance publique.</p>
<p>Il y avait également, en raison de la dimension internationale, des enjeux liés à l’image de la France à l’étranger.</p>
<p>Le premier ministre Alain Juppé accepta de mettre en place un comité interministériel, directement rattaché à lui, pour coordonner l’action des administrations et organismes publics concernés par ces questions. Il en confia l’animation au <a href="https://www.liberation.fr/portrait/1996/10/16/philippe-morillon-61-ans-ancien-chef-de-la-forpronu-aide-les-sdf-dans-une-communaute-charismatique-l_186720">général Philippe Morillon</a>.</p>
<p>Cet ancien commandant des forces armées de l’ONU lors de la guerre en Bosnie, lui-même catholique pratiquant, interpréta son rôle de manière large : au-delà des enjeux de sécurité et de diplomatie, il fit son possible pour, dans le respect du cadre laïc, faciliter la tâche des organisateurs, en leur ouvrant les portes des différents ministères et collectivités territoriales.</p>
<p>Leur concours logistique (et non financier, pour cause de laïcité) permit le bon déroulement de la manifestation. Tout en regrettant que certains fonctionnaires « suite aux procès et mises en examen des dernières années » aient fait une « lecture plutôt tatillonne des textes sans chercher à s’adapter aux circonstances particulières », Morillon parvint à harmoniser les initiatives d’acteurs aux cultures très différentes.</p>
<p>Pour la campagne de vaccination, on peut se demander si ce modèle de gouvernance ne serait pas plus pertinent qu’un pilotage par le seul ministère de la santé. C’était d’ailleurs l’option qui avait été choisie, avec succès, par Édouard Philippe quand il avait nommé Jean Castex, jusqu’alors délégué interministériel aux grands événements sportifs, <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/coronavirus-jean-castex-le-vice-premier-ministre-qui-prepare-le-deconfinement-3962916">coordinateur interministériel pour la stratégie de déconfinement</a>.</p>
<p>Cela faciliterait sans doute la mise en synergie de la perspective sanitaire avec les autres approches (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/06/vaccins-le-gouvernement-a-essaye-de-cacher-une-faillite-logistique-par-une-communication-maladroite_6065314_3232.html">logistiques</a>, <a href="https://www.europe1.fr/societe/axel-kahn-pointe-une-tres-importante-erreur-strategique-sur-la-vaccination-en-france-4015333">communicationnelles</a>…) nécessaires à la réussite de l’opération. Cela permettrait aussi vraisemblablement de mobiliser davantage les ressources existantes au sein du service public (plutôt que de faire appel à des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-sa-strategie-vaccinale-le-gouvernement-a-sollicite-4-cabinets-prives_fr_5ff6d39ac5b64e568bf4863f">cabinets privés</a>), tout en facilitant la coopération avec les acteurs non étatiques.</p>
<h2>Conjuguer professionnalisme et engagement bénévole</h2>
<p>La JMJ de Paris entraînait de nombreux défis logistiques : 1,5 million de repas de qualité devaient notamment être distribués sur cinq jours, avec des ressources limitées.</p>
<p>En coopération non plus avec les pouvoirs publics mais avec le groupe Sodexho (aujourd’hui <a href="https://start.lesechos.fr/innovations-start-up/top-start-up/5-choses-que-vous-ignorez-sans-doute-sur-sodexo-1178286">Sodexo</a>), les organisateurs inventèrent un dispositif original permettant de limiter le temps de service des repas, de rejoindre les pèlerins tantôt sur le site des grands rassemblements, tantôt dans leurs multiples lieux d’hébergement, tout en limitant le recours à un personnel salarié qui était majoritairement en vacances, et qu’ils n’avaient de toute façon pas les moyens de rémunérer.</p>
<p>La nourriture fut préparée et distribuée dans des « unités mobiles de restauration », c’est-à-dire des petits camions frigorifiques transportant des denrées, du matériel pour réchauffer les plats et un stand de distribution.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Schéma d’une unité mobile de restauration (documentation Sodexho)</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’unité était dirigée par un responsable Sodexho, assisté par dix jeunes pèlerins bénévoles, dont l’un avait été préalablement formé par les organisateurs.</p>
<p>Malgré les résistances initiales d’une partie des salariés du géant de la restauration collective, la formule se révéla efficace, et adaptée à une configuration qui nécessitait de la souplesse et de la réactivité. La supervision par un professionnel garantit la qualité et le respect des normes sanitaires, l’engagement des volontaires apporta une forme de dynamisme et de gratuité.</p>
<p>Cette hybridation des logiques du monde de l’entreprise, et du monde du bénévolat, déjà testée lors des précédentes éditions, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L-AmL5eQXkU">notamment à Denver en 1993</a>, fut jugée enrichissante par les salariés et les syndicats de Sodexo.</p>
<p>Elle permit à l’organisation des JMJ de démultiplier à moindre coût sa capacité de distribution des denrées et de rejoindre les jeunes disséminés dans toute l’Île-de-France. Parmi les jeunes bénévoles, l’implication dans la distribution des repas pouvait répondre à une soif d’expérience spirituelle, le service du prochain étant dans la religion chrétienne un moyen d’accès à Dieu.</p>
<p>Elle relevait également d’un processus d’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-25.htm"><em>empowerment</em></a>, c’est-à-dire d’acquisition de nouvelles capacités d’agir, non seulement sur le cours du rassemblement, mais aussi sur leur future trajectoire professionnelle.</p>
<p>Plus que la transposition de certaines de ces solutions techniques et logistiques, c’est l’implication des volontaires qui peut être inspirante par rapport à l’enjeu sanitaire actuel.</p>
<p>Dans la lutte contre l’épidémie, les citoyens « lambda », et notamment les jeunes, ont été appelés à jouer un rôle essentiellement passif.</p>
<p>Dans la communication gouvernementale, leur contribution devait principalement consister à <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/article/coronavirus-plus-que-jamais-pour-sauver-des-vies-restez-chez-vous">rester chez eux</a>, à cesser leurs activités et à diminuer leurs contacts, avec les <a href="https://www.u-bordeaux.fr/Actualites/De-l-universite/Best-of-2020/Comprendre-l-impact-de-l-epidemie-de-coronavirus-sur-le-bien-etre-et-la-sante-mentale">conséquences psychologiques</a> que l’on connaît.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iMe_gnXTYcg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Solidarité dans les quartiers nords de Marseille, avril 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Impliquer ceux qui le souhaiteraient dans les tâches non médicales des futurs vaccinodromes (l’accueil et l’orientation du public par exemple), pourrait constituer une opportunité non seulement de répondre à un besoin ponctuel de personnel, mais aussi de valoriser une générosité qui s’était spontanément exprimée, surtout lors du premier confinement, par de multiples actions solidaires.</p>
<p>Plus largement, cela permettrait sans doute de ranimer une forme d’optimisme, en permettant aux citoyens d’avoir prise sur le cours des événements. Une mobilisation générale pour la campagne de vaccination contribuerait sans doute par ailleurs à réparer une cohésion nationale mise à mal par les épreuves de 2020.</p>
<h2>Susciter une dynamique à partir du noyau des convaincus</h2>
<p>Ce dernier point supposerait cependant que la vaccination devienne un objectif partagé par les Français qui n’étaient, fin décembre 2020, que <a href="https://www.leparisien.fr/societe/covid-19-seuls-40-des-francais-prets-a-se-faire-vacciner-pire-taux-du-monde-selon-un-sondage-29-12-2020-8416529.php">40 % à accepter de se faire vacciner</a>.</p>
<p>Sur ce plan également, l’observation de la JMJ de Paris peut être instructive. Dans sa phase préliminaire, une proportion dérisoire de la population cible avait l’intention de participer : à l’ouverture de l’événement, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/08/15/l-eglise-s-inquiete-du-faible-nombre-de-francais-inscrits-aux-jmj_3784562_1819218.html">on comptait 70 000 inscrits</a> français, soit 0,5 % des 18-35 ans vivant dans l’hexagone.</p>
<p>Lors de la veillée finale, ils étaient 700 000, soit 5 % de cette tranche d’âge, un chiffre supérieur aux 2 % de jeunes catholiques pratiquants, ce qui surprit les <a href="https://www.leparisien.fr/societe/dans-le-retro-en-1997-le-succes-inattendu-des-jmj-a-paris-28-06-2016-5922551.php">observateurs et l’Église catholique elle-même</a>.</p>
<p>La dynamique d’agrégation, qui permit la multiplication par dix des participants, reposa sur la mobilisation initiale d’un noyau de jeunes catholiques fervents. Certains, avant le départ, réussirent à convaincre des amis ou des membres de leur famille de se joindre à eux, provoquant une contagion par capillarité.</p>
<p>Une fois rassemblés à Paris, leur dynamisme juvénile suscita la bienveillance et parfois le ralliement de certains riverains, culturellement catholiques mais éloignés de l’Église.</p>
<p>La couverture médiatique de la rencontre, et la retransmission télévisée de cérémonies donnant à voir une foule de jeunes heureux, fraternels et pacifiques, eut un effet d’entraînement qui alimenta l’effet boule de neige. Au-delà des motivations religieuses, le rassemblement rejoignait le besoin de communion d’individus en manque de liens.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rK60shOUI38?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’effervescence JMJ en 1997.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les logiques de l’émotion religieuse ne sont pas celles qui doivent sous-tendre une campagne de vaccination, mais cet épisode suggère qu’il pourrait être pertinent de cibler, parallèlement aux personnes prioritaires, les Français les plus impatients.</p>
<p>Une fois vaccinés, les seconds pourraient contribuer à convaincre les premiers, souvent hésitants, en communiquant leur enthousiasme dans leurs réseaux, via notamment les <a href="https://www.lepoint.fr/sante/etats-unis-les-vaXXIes-selfies-des-vaccins-envahissent-les-reseaux-sociaux-01-01-2021-2407851_40.php">« vaXXIᵉs »</a>.</p>
<p>Leur interview par les médias, qui suscitent la méfiance mais dont l’influence sociale demeure fondamentale, démultiplierait l’effet d’adhésion à un dispositif qui a besoin, pour réussir, d’être coordonné par le gouvernement tout en s’appuyant sur les multiples ressources de la société civile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les festivals organisés par les jeunes catholiques pourraient bien être utiles à ceux qui orchestrent les campagnes de vaccination.Charles Mercier, Maître de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1518602021-01-03T16:10:13Z2021-01-03T16:10:13ZLaïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376396/original/file-20201222-21-19mxqlq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1000%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans l'ensemble, les enfants semblent avoir une conception assez stricte de la laïcité.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Comme après les attentats de <em>Charlie Hebdo</em>, <a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">l’assassinat de Samuel Paty</a> a suscité son lot de propositions pour renforcer l’enseignement de la laïcité à l’école : le président du groupe « Les Républicains » à l’Assemblée nationale, Damien Abad, a notamment réclamé l’instauration de <a href="https://republicains.fr/actualites/2020/10/19/damien-abad-instaurons-des-cours-sur-la-laicite/">« cours sur les valeurs de la République et la laïcité »</a>, sanctionnés par une épreuve obligatoire au brevet des collèges, ainsi qu’une « épreuve de laïcité dans le concours d’enseignant ».</p>
<p>Mais qu’en est-il vraiment des connaissances des enfants sur <a href="https://www.gouvernement.fr/qu-est-ce-que-la-laicite">ce principe républicain</a> qui garantit la neutralité de l’État et des agents en matière de convictions religieuses ?</p>
<h2>Une notion bien identifiée</h2>
<p>Une <a href="https://classiques-garnier.com/nouveaux-vocabulaires-de-la-laicite-le-vocabulaire-enfantin-de-la-laicite.html">enquête menée à Bordeaux</a> au printemps 2017 montre que les écoliers sont loin d’être muets sur la laïcité. Sur les 160 élèves de CM1 et de CM2 qui y ont participé, 81 % ont été capables de répondre à une partie au moins du questionnaire, alors même qu’il avait été convenu avec les enseignants que la notion ne serait pas abordée en classe avant l’enquête.</p>
<p>Contrairement à ce qu’on pourrait supposer spontanément, ce ne sont pas les élèves issus d’établissements favorisés et homogènes sur le plan culturel qui ont obtenu le meilleur score : les classes des écoles en situation de mixité sociale et ethnique étaient sur la première marche du podium, comme si la diversité de l’environnement scolaire fournissait des ressources pour écrire sur la laïcité.</p>
<p>D’un point de vue qualitatif, les élèves de l’école privilégiée ont davantage réussi à formuler une définition experte du concept, mais ceux des autres écoles ont fourni des exemples plus nombreux, plus concrets, et davantage ancrés dans un vécu personnel.</p>
<p>On rejoint ici une observation faite par Annick Percheron, alors qu’elle s’intéressait à la <a href="https://www.cairn.info/l-univers-politique-des-enfants--9782724603163-page-3.htm?contenu=resume">socialisation politique</a> des enfants des milieux populaires : il n'étaient pas en retard par rapport aux enfants des milieux aisés car ils faisaient l’expérience directe des faits politiques et sociaux dans leur quotidien.</p>
<h2>Une source d’interdits plus que de libertés</h2>
<p>Si l’on s’intéresse aux contenus attribués à la laïcité, il est frappant de constater que les jeunes enquêtés conçoivent la laïcité comme une source d’interdictions davantage que comme un dispositif qui garantit des droits. « On n’a pas le droit » est l’expression qui revient le plus souvent sous leur plume.</p>
<p>Très majoritairement, les élèves s’appliquent à eux-mêmes, dans le cadre scolaire et parfois même dans l’ensemble de l’espace public, l’impératif de neutralité. Ignorant, sauf exception, la distinction opérée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977/">loi du 15 mars 2004</a> entre signes religieux discrets (autorisés) et signes ostensibles (interdits), ils considèrent que la laïcité implique l’absence de tout accessoire religieux dans l’enceinte de l’école : « on n’a pas le droit de montrer des signes qui pourraient faire penser les gens qu’on a une religion. »</p>
<p>Concernant la parole et les mots, les répondants sont unanimes à considérer que toute propagande est à proscrire (« Pour moi, la laïcité est l’interdiction de dire que sa religion est la meilleure et que les autres sont nuls »), mais sont partagés sur l’idée qu’on puisse converser, sans prosélytisme, de religion à l’école. Un quart des élèves répond négativement, un autre quart positivement tandis que la moitié restante élabore une casuistique fine en fonction :</p>
<ul>
<li><p>des lieux : « On peut pas trop en parler dans la cour, mais en classe on peut » ;</p></li>
<li><p>des personnes : « tu peux parler de ta religion à tes amis ou à des gens à qui tu peux faire confiance » ;</p></li>
<li><p>des circonstances : « des fois oui, des fois non parce que ça peut blessé des personnes mais des fois oui pour mieux connaître la personne ».</p></li>
</ul>
<p>Il semble que, dans leur grande majorité, les élèves aient intégré ce que Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin qualifient de <a href="https://www.lgdj.fr/l-affaire-baby-loup-ou-la-nouvelle-laicite-9782275044460.html">« nouvelle laïcité »</a>, qui, depuis le début des années 2000, cherche à étendre l’obligation de neutralité convictionnelle à l’ensemble de la société et non plus seulement à l’État.</p>
<p>Si certains élèves associent la laïcité à une liberté, c’est la liberté de conscience qui est convoquée, et non la liberté d’expression : « Pour moi, la laïcité, ces de pouvoir croire ou ne pas croire en un dieu spécial mais de ne pas le montrer. »</p>
<h2>Une appréciation positive</h2>
<p>Parmi les 59 % des élèves qui ont répondu à la dernière question du formulaire qui leur demandait d’évaluer la laïcité, près de 90 % ont porté une <a href="https://sharedocs.huma-num.fr/wl/?id=fb6kiE745AYT7OUPM9kYmL9yHHkdfoFv">appréciation positive ou plutôt positive</a>, 8 % une appréciation négative ou plutôt négative et 2 % n’ont pas exprimé de jugement de valeur. L’adhésion s’exprime par des formules souvent enthousiastes.</p>
<p>On peut expliquer ces résultats par le conformisme des enfants, qui cherchent à s’affilier et à ne pas commettre d’impair par rapport aux préférences qu’ils ont pu repérer chez les adultes. La laïcité étant un des mots clés de l’école, ils savent qu’il s’agit d’un item auquel ils peuvent et doivent accorder leur confiance.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gXJ0qqtroQ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discussion sur la laïcité avec des élèves de CM2, en 2019, sur France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur.</span></figcaption>
</figure>
<p>La moitié des réponses exprimées sont argumentées. Plusieurs considèrent que la laïcité permet d’aller vers ceux qui sont différents (« grâce à ça, on est amies »), et de préserver l’égalité et la liberté de conscience des « plus petits ».</p>
<p>Les élèves qui ont défini la laïcité comme l’absence de toute trace de religion à l’école mettent en avant ses effets positifs pour la paix civile, déclinant à l’échelle de la cour de récréation les arguments qui circulent dans le monde des adultes pour vanter les <a href="http://ww2.ac-poitiers.fr/dsden79-pedagogie/spip.php?article558">mérites de l’invisibilité des convictions</a> : « on ne se tape pas, on ne dit pas de gros mots et on ne se moque pas de la religion de quelqu’un, je pense que c’est génial. »</p>
<p>La conception stricte de la laïcité semble correspondre à <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-enfance-de-l-ordre-wilfried-lignier/9782021343038">l’appétence enfantine pour l’ordre</a>, les règles et les cadres rassurants. Il faut néanmoins relever que pour la minorité qui a porté une appréciation négative, tout en manifestant sa loyauté, cette laïcité neutralisante est peu utile : « Je pense que ça ne sert pas à grand-chose mais je respecte quand même sa et je me fiche que mes amis soient juifs ou catholiques. »</p>
<h2>Une formation à consolider</h2>
<p>Les résultats de cette enquête exploratoire suggèrent qu’arrivés en fin d’école élémentaire, les élèves, même quand ils n’ont pas eu de cours spécifique sur la laïcité, ont acquis des représentations sur la notion, par confrontation aux normes, et par imprégnation des mots qu’elle génère dans leur environnement scolaire, mais sans doute aussi familial et médiatique.</p>
<p>Les enfants apparaissent particulièrement perméables aux discours qui, depuis le début des années 2000, renégocient le sens du mot, le corrélant non plus à la liberté d’expression en matière de foi, mais à l’encadrement de la visibilité du religieux dans l’espace public.</p>
<p>L’idée d’une formation renforcée et systématisée des élèves, mais aussi des enseignants, qui souvent sont contraints à « bricoler » individuellement un discours légitimant ce qu’ils pensent être interdit à l’école, paraît dès lors pertinente. Elle permettrait de confronter les représentations issues des <a href="https://classiques-garnier.com/nouveaux-vocabulaires-de-la-laicite.html">« nouveaux vocabulaires de la laïcité »</a> au cadre juridique d’un dispositif plus libéral et inclusif qu’il n’y paraît.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On s’interroge souvent sur la manière d’expliquer la laïcité aux enfants. Mais en leur donnant d’emblée la parole, on constate qu’ils en construisent aussi une représentation personnelle.Charles Mercier, Maître de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507082021-01-03T16:09:58Z2021-01-03T16:09:58ZPrésidentielle américaine : comment la religion des citoyens a pesé sur leur vote<p>Même s’il convient de toujours avoir à l’esprit le <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/11/04/henry-olsen-polling-industry-failure/?itid=lk_inline_manual_2">caractère faillible des sondages</a>, l’analyse des données récupérées <a href="https://www.cnn.com/election/2020/exit-polls/president/national-results">à la sortie des urnes</a> lors de la dernière élection présidentielle aux États-Unis fournit une photographie intéressante du vote des Américains <a href="https://apnews.com/article/votecast-trump-wins-white-evangelicals-d0cb249ea7eae29187a21a702dc84706">selon leur affiliation religieuse</a>.</p>
<p>Il en ressort que ce vote connaît actuellement une <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/exit-polls-changes-2016-2020/?itid=sf_elections_election-analysis">recomposition significative</a>.</p>
<h2>Les évangéliques blancs, toujours républicains…</h2>
<p>Les chrétiens évangéliques blancs, qui représentent <a href="https://www.pewforum.org/religious-landscape-study/racial-and-ethnic-composition/">76 % de la population évangélique et 25 % de la population votante</a>, semblent fermement arrimés au camp républicain. Selon le <a href="https://www.npr.org/2020/11/03/929478378/understanding-the-2020-electorate-ap-votecast-survey">National Election Pool et les sondages de sortie de l’AP/VoteCast</a>, Donald Trump a récolté 81 % de leurs suffrages, soit à peu près la même proportion qu’en 2016.</p>
<p>Partout où leur poids démographique est le plus fort, les votes du collège électoral sont restés républicains. Les évangéliques semblent avoir continué à approuver le réalignement idéologique que la candidature et victoire de Donald Trump ont provoqué depuis 2016 au sein du parti républicain – un phénomène, rapidement qualifié de <em>trumpisme</em>, se voulant à la fois national-conservateur et chrétien. Son manichéisme populiste, accusant les élites libérales, les urbains progressistes, les immigrants, les médias, les féministes de détruire la « vraie » Amérique, par ailleurs morale et croyante, a pu encore une fois les convaincre qu’il était leur défenseur.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ULt6-VFjxkY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Robert P. Jones, directeur du <a href="https://www.prri.org/">Public Religion Research Institute</a> et auteur de l’essai <a href="https://www.theguardian.com/books/2020/jul/25/white-too-long-review-race-trump-american-christianity"><em>White Too Long : The Legacy of White Supremacy in American Christianity</em></a>, tout comme les sociologues et co-directeurs de l’<a href="https://www.thearda.com/">Association of Religion Data Archives</a>, Andrew L. Whitehead et Samuel L. Perry, dans leur recherche <a href="https://global.oup.com/academic/product/taking-america-back-for-god-9780190057886?cc=fr&lang=en&"><em>Taking America Back for God : Christian Nationalism in the US</em></a>, ont décrit la cristallisation raciale-nationaliste d’une partie importante du monde évangélique blanc sous le mandat de Donald Trump.</p>
<p>Par sa rhétorique, fondée pour une large part sur la dénonciation d’une supposée hégémonie du camp progressiste – lequel serait par définition hostile aux Blancs, aux chrétiens et aux « valeurs traditionnelles » –, Donald Trump a, tout au long de son mandat, conforté le sentiment des évangéliques que les chrétiens étaient discriminés et que leur liberté religieuse était en danger.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/evangelical-leaders-like-billy-graham-and-jerry-falwell-sr-have-long-talked-of-conspiracies-against-gods-chosen-those-ideas-are-finding-resonance-today-132241">Evangelical leaders like Billy Graham and Jerry Falwell Sr. have long talked of conspiracies against God's chosen – those ideas are finding resonance today</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans les États de la « Sun Belt », en transition démographique – la population s’y mélange de plus en plus –, leur soutien à Trump a été encore plus important qu’au niveau national : 82 % en Floride, 89 % en Géorgie, 86 % en Caroline du Nord et 82 % au Texas. Selon <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/this-is-a-massive-failure-of-character-among-republicans--with-evangelicals-out-in-front/2020/11/12/c7a05396-251e-11eb-8672-c281c7a2c96e_story.html">Robert P. Jones</a>, leur vote pour Trump a été une façon de résister à « la marée du changement démographique et culturel ».</p>
<h2>… mais tiraillés à leurs marges</h2>
<p>Cependant, des signes d’érosion de l’homogénéité de ce bloc <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02359703">se sont manifestés avant la campagne</a> et pendant celle-ci.</p>
<p>Au sein du bloc évangélique blanc, la position jusqu’au boutiste en faveur de Trump, considéré littéralement comme l’élu de Dieu par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0TLAN8hKw4A">réseau croissant d’Églises pentecôtistes néo-charismatiques</a>, aspirant par ailleurs au <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/im-a-pro-life-evangelical-in-supporting-trump-my-movement-sold-its-soul/2020/10/07/04d90712-0733-11eb-859b-f9c27abe638d_story.html">leadership sur le monde évangélique</a> a aussi contribué aux remous d’une partie des <a href="https://www.washingtonpost.com/religion/2020/10/02/new-evangelical-leaders-support-biden/">responsables</a> et des <a href="https://www.christianitytoday.com/ct/2019/december-web-only/trump-should-be-removed-from-office.html">médias évangéliques</a> qui ont <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/im-a-pro-life-evangelical-in-supporting-trump-my-movement-sold-its-soul/2020/10/07/04d90712-0733-11eb-859b-f9c27abe638d_story.html">pris leurs distances avec Trump</a>. Certains ont tout récemment manifesté <a href="https://abcnews.go.com/Politics/pastor-robert-jeffress-staunch-trump-evangelical-supporter-calls/story?id=74151603">leur confiance</a> dans le système électoral américain lors de la crise de transition. On a également davantage entendu les <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Religion-et-spiritualite/%C3%89tats-Unis-generation-devangeliques-coeur-gauche-2017-10-27-1200887742">évangéliques sociaux</a>, attachés aux valeurs de justice sociale et raciale, si <a href="https://theconversation.com/evangelical-christians-are-on-the-left-too-66253">intimement liées à l’histoire de l’évangélisme américain</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/C7UcBmdxu3E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les sondages avancent que <a href="https://www.nytimes.com/2020/11/11/opinion/biden-evangelical-voters.html">Joe Biden a obtenu plus de votes parmi les évangéliques blancs dans les États clés</a> qu’au niveau national. De même, les minorités ethniques évangéliques, noires, latinos et asiatiques, traditionnellement démocrates, sont en <a href="https://www.washingtonpost.com/news/post-nation/wp/2018/06/22/will-the-growing-numbers-of-evangelicals-of-color-mean-less-influence-for-white-christian-conservatives/">croissance numérique</a>.</p>
<p>Cependant, les Démocrates auraient tort de compter sur leur soutien complet : les évangéliques latinos ont plus tendance à voter républicain que démocrate, à l’instar de leurs homologues blancs, ce qui conduit à nuancer l’idée de l’émergence d’un front évangélique progressiste propice aux fortunes électorales du parti de l’âne.</p>
<h2>Des catholiques diversifiés qui convergent au centre</h2>
<p>Pris globalement, le vote catholique est revenu à quasi-parité entre Républicains et Démocrates, soit 50 % pour Trump et 49 % pour Biden ou inversement selon les sondages. Dans le détail, la répartition raciale et sociale de cette population, la plus diversifiée de toutes les dénominations américaines et la plus importante démographiquement derrière les évangéliques (22 % de l’électorat, composé pour deux tiers de catholiques blancs et pour un quart de catholiques latinos), se combine avec <a href="https://www.ncronline.org/news/politics/signs-times/2020-nonexistent-catholic-vote-will-be-crucial-again">leur nombre élevé dans certains États</a> (Rust Belt, Nouvelle-Angleterre et Sun Belt). Ces États ont été et resteront des États clés. La palette des références catholiques proches des positions démocrates (sur l’immigration, l’accueil des réfugiés, la justice sociale, le juste salaire, le droit à la santé, l’éducation, le bien commun, y compris sanitaire et environnemental) a permis – malgré une <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/10/catholics-joe-biden-pope-francis-devil/616732/">forte mobilisation des catholiques conservateurs</a> en faveur de Trump – des « désengagements partisans » qui ont réduit leur propre polarisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321925626912215041"}"></div></p>
<ol>
<li><p>Une part plus importante encore que chez les évangéliques de blancs catholiques, à la fois conservateurs et plus pratiquants, a rompu l’amarre qui la rattachait au camp républicain. C’est la surprise attendue de ce dernier scrutin. Selon les deux sondages de sortie des urnes, Joe Biden a réduit l’écart qui le séparait de Trump chez les catholiques blancs de 12 ou 13 points. La raison en est double : Trump ayant rempli leur objectif judiciaire (3 juges conservateurs nommés à la Cour suprême), les catholiques ne sont pas passés, cette fois-ci, par-dessus sa personnalité rebutante. Ensuite, Biden aura manifesté une foi suffisamment sincère et un projet politique suffisamment modéré pour qu’ils se souviennent de son appartenance catholique. Ainsi, alors <a href="https://text.npr.org/926659149">qu’ils avaient voté à 64 % pour Donald Trump en 2016</a> et qu’ils sont restés concernés par le même rejet de l’avortement et du mariage pour les homosexuels, les <a href="https://apnews.com/article/votecast-trump-wins-white-evangelicals-d0cb249ea7eae29187a21a702dc84706">catholiques blancs ne sont « plus » que 57 % à avoir voté</a> pour le président sortant en 2020.</p></li>
<li><p>Dans les <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/exit-polls-changes-2016-2020/?itid=lk_inline_manual_9">États clés</a> du Wisconsin, du Michigan et de <a href="https://www.post-gazette.com/news/faith-religion/2020/11/09/Pennsylvania-religious-vote-presidential-race-Biden-Trump-evangelical-Christian-Protestant-Catholic-Jewish-Muslim/stories/202011080093">Pennsylvanie</a>, ces mêmes catholiques blancs ont encore un peu moins voté pour Trump que leur moyenne générale (54 %). Leurs points de différence ont contribué à faire basculer lesdits États pour Biden, lequel y a également récolté une large majorité des électeurs religieux non blancs.</p></li>
<li><p>Enfin, si les Hispaniques catholiques ont voté à 67 % pour Joe Biden, les électeurs latinos d’origine cubaine, vénézuélienne et nicaraguayenne de Floride <a href="https://edition.cnn.com/2020/11/03/politics/exit-polls-2020/index.html">ont majoritairement voté républicain</a>, notamment par opposition au tournant « socialiste » ou « laxiste » supposé du Parti démocrate, démentant la loyauté inébranlable des Latinos envers le parti de l’âne. Les Républicains ont aussi enregistré des gains très significatifs chez les catholiques mexicains du Texas, ce qui s’explique en partie par leur conservatisme sur les questions sociétales.</p></li>
</ol>
<p>Les questions de justice raciale ont particulièrement contribué à fissurer le mur des catholiques pratiquants et d’une part des évangéliques. Tandis que 7 évangéliques blancs sur 10 considéraient avant les élections que les meurtres d’Afro-Américains par la police étaient des incidents isolés plutôt qu’un problème de racisme (73 % en 2015 et 70 % en 2020), la proportion de catholiques blancs partageant cette perception a chuté de 13 points (71 % en 2015 à 58 % en 2020). De même, quoique conservateurs, patriotes et sensibles à la rhétorique du remplacement démographique, les catholiques blancs sont moins inquiets de l’altérité ethnique et plus sensibles à l’éradication de la pauvreté comme cause politique. Ils sont également susceptibles d’accepter plus de compromis sur les questions relatives aux droits des minorités sexuelles et <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/10/20/8-key-findings-about-catholics-and-abortion/">acceptent majoritairement</a> – sans l’approuver pour autant – la légalité de l’avortement.</p>
<h2>La nouvelle religiosité du Parti démocrate : un bon calcul ?</h2>
<p>Durant sa campagne, Joe Biden a largement <a href="https://news.gallup.com/opinion/polling-matters/318308/religion-takes-larger-role-democrats-year.aspx">insisté sur sa foi</a> et multiplié les mains tendues vers l’électorat croyant, même si les <a href="https://catholicvote.org/wp-content/uploads/2020/09/CV-Biden-Report-5.1.pdf">catholiques conservateurs ont dénoncé</a> la « superficialité » de ses positions, mettant en avant ses revirements sur des questions telles que l’avortement ou les droits des personnes LGBTQ.</p>
<p>Ce positionnement de Joe Biden lui a permis d’obtenir le soutien de nouveaux groupes comme les <a href="https://www.ncronline.org/news/opinion/4-ways-progressive-pro-lifers-can-reengage-democratic-leaders">« progressive pro-lifers »</a> ou les <a href="https://theconversation.com/understanding-christians-climate-views-can-lead-to-better-conversations-about-the-environment-115693">« pro-climate Christians »</a>. Dans le même temps, la<a href="https://www.ncronline.org/news/coronavirus/bishops-add-covid-19-anti-racism-elements-four-year-strategic-plan">Conférence épiscopale des États-Unis</a> a pris des positions très fermes sur les questions de migration, de pauvreté, de racisme et de santé.</p>
<p>Pendant la campagne démocrate, la traditionnelle défense des minorités sexuelles – qui est absolument acquise au sein de ce parti – a été moins valorisée que la <a href="https://time.com/5903399/gender-gap-politics/">promotion des femmes</a>, sans parler de <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=4xbSGsBFmnQ">l’appel constant de Biden à la « décence »</a>. Cela a abouti, dans le discours de victoire de Joe Biden, non seulement au retour de la rhétorique biblique de bénédiction qu’emploient régulièrement les présidents des États-Unis comme <a href="http://www.robertbellah.com/articles_5.htm">grands prêtres d’une religion civile toujours vibrante</a> mais également à la <a href="https://edition.cnn.com/politics/live-news/trump-biden-election-results-11-07-20/h_94fe1f58baf52fe233d3bfd5d9ba0c10">récitation d’un hymne catholique</a> qu’aimait son fils décédé, Beau, paroles dédiées à tous les Américains en souffrance.</p>
<p>L’inflexion religieuse du Parti démocrate va-t-elle contrarier le dernier groupe d’électeurs désormais le plus important, à savoir les Américains sans religion, <a href="https://www.au.org/blogs/2020-religious-vote">qui ont voté pour Biden à plus de 70 %</a> ? Ce groupe, qui vote davantage pour l’aile socialiste du Parti démocrate, n’a cessé de croître et avoisinerait désormais les 25 % de la population. Il comprend la jeune génération des millennials, beaucoup plus sécularisés que les générations précédentes. Il semblerait que, pour l’instant, cette masse grandissante, si elle est particulièrement « ouverte » en matière de mœurs, est également ouverte au pluralisme religieux et racial, cherchant à protéger la minorité musulmane, également <a href="https://www.npr.org/2020/12/04/942262760/majority-of-muslims-voted-for-biden-but-trump-got-more-not-less-support">très démocrate</a>. Le parti doit donc, plus que jamais, s’il veut à la fois ménager sa tradition laïque et <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02359703">récupérer l’électorat croyant</a>, se présenter comme la formation du compromis et de l’inclusion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, l’appartenance religieuse demeure un facteur explicatif important du vote. L’élection présidentielle de cette année a mis en évidence plusieurs évolutions notables du vote religieux.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Marie Gayte, Chercheuse au laboratoire Babel de l'Université de Toulon, spécialiste de la politique américaine contemporaine, Université de ToulonRobin D. Presthus, Enseignant au Moravian College de Pennsylvanie, doctorant au Laboratoire Interdisciplinaire De Droit et Mutations Sociales, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514312020-12-20T21:52:47Z2020-12-20T21:52:47ZJésus a-t-il échappé à une tentative de meurtre alors qu’il était bébé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376013/original/file-20201220-15-jjvdii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=64%2C7%2C4740%2C4085&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nicolas Poussin, « Le massacre des Innocents », vers 1630. Musée Condé, Chantilly.
</span> </figcaption></figure><p>L’évangile selon Matthieu nous raconte un fameux épisode de la vie de Jésus, juste après sa naissance : le massacre des Innocents. Le roi de Judée de l’époque, Hérode le Grand (vers 72-4 av. J.-C.), apprend, par des mages arrivés à Jérusalem, qu’un « roi des Juifs » vient de naître. Il fait aussitôt rechercher l’enfant car il voit en lui un concurrent susceptible de lui ravir son trône. Il « entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem, tous les enfants jusqu’à deux ans », écrit Matthieu (Mt 2, 16). Mais Joseph, père de Jésus, prévenu par un ange, parvient à prendre la fuite en Égypte, en compagnie de Marie et du bébé. Ils <a href="https://www.info-bible.org/lsg/40.Matthieu.html">ne reviennent en Judée qu’après la mort d’Hérode, quelques mois plus tard</a>.</p>
<p>On peut remarquer que l’histoire du massacre cadre bien avec ce que l’on sait, par ailleurs, de la cruauté prêtée à Hérode. Le roi, peut-être atteint d’une forme de délire paranoïaque dans les dernières années de son règne, était allé jusqu’à faire exécuter trois de ses propres enfants : Aristobule et Alexandre en 7 av. J.-C., puis Antipater en 4 av. J.-C., comme le raconte <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/un-nouvel-h%C3%A9rode">l’historien antique Flavius Josèphe</a>.</p>
<p>L’Hérode historique était donc bien un massacreur de jeunes princes innocents et le récit de la tuerie de Bethléem se fonde sur un contexte qui le rend vraisemblable, mais non véridique. Pourquoi donc avoir inventé cette histoire ?</p>
<h2>Œdipe, le bébé pendu par les pieds</h2>
<p>D’anciens mythes grecs, bien connus à l’époque de Jésus, racontaient comment un enfant condamné à mort finissait tout de même par s’en sortir après avoir déjoué les tentatives de meurtre de ses ennemis. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Oedipe abandonné, enluminure de la Fleur des Histoires de jean mansel, seconde moitié du XVe siècle.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La légende d’Œdipe constituait le prototype de ces récits, sorte de roman d’apprentissage du futur chef, <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1319766-dipe-ou-la-legende-du-conquerant-marie-delcourt-les-belles-lettres">comme l’a montré Marie Delcourt (<em>Œdipe ou la légende du conquérant</em>, Liège, Paris, Les Belles Lettres, 1981)</a>.</p>
<p>Laïos, roi de Thèbes, apprend par un oracle qu’il sera tué par son propre fils. Il tente d’empêcher que la prophétie ne se réalise, en cessant toute relation sexuelle avec Jocaste, sa femme. Mais celle-ci, vexée, le fait boire et s’unit à lui alors qu’il est ivre. Neuf mois plus tard, lorsqu’elle accouche, Laïos arrache l’enfant des bras de sa mère. Il escalade une montagne, voisine de Thèbes, et y abandonne le bébé, après l’avoir pendu par les pieds à un arbre. Laïos a cloué les talons de l’enfant avant de lui passer une corde autour des mollets. A priori aucune chance que le petit survive. Il doit rapidement mourir de soif ou dévoré par des bêtes sauvages.</p>
<p>Sauf que c’est évidemment le contraire qui se produit, sans quoi, il n’y aurait pas de légende. Le mythe raconte une histoire qui échappe à la logique des hommes. Il s’agit de montrer que le bébé n’est pas n’importe qui : il est le protégé d’un grand dieu.</p>
<p>Un berger, passant sur la montagne, découvre l’enfant, le libère et l’emmène dans sa ville : Corinthe. Le roi local se désespérait justement de ne pas avoir de fils. Il adopte le petit et le nomme Œdipe, c’est-à-dire « Pieds-enflés », en raison des blessures infligées par les clous de Laïos. L’enfant est sain et sauf. Il a survécu, contre toute attente. Le bébé aux pieds cloués est maintenant qualifié pour un brillant avenir de chef.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Frederick Goodal, « La découverte de Moïse », 1862.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/The_Finding_of_Moses.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Romulus et Moïse, les bébés sauvés des eaux</h2>
<p>De la même manière, dans la légende romaine, le petit Romulus et son frère Rémus sont abandonnés sur le Tibre avant d’être sauvés par une louve, animal envoyé par le dieu Mars, qui vient les allaiter. Le divin père de Romulus, futur fondateur et roi de Rome, n’a pas l’intention de voir périr son enfant. Romulus a une mission terrestre à accomplir : il est prédestiné par les Cieux, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Tite/index.htm">comme le suggère l’historien latin Tite-Live</a>.</p>
<p>Ce schéma légendaire se trouve également dans la Bible, jetant un pont entre la mythologie gréco-romaine et le judaïsme. Le petit Moïse échappe de justesse à ses assassins égyptiens, envoyés par le pharaon, tyran cruel, qui veut faire tuer tous les fils des Hébreux (Exode 1). Sa mère l’abandonne sur le Nil dans une caisse en papyrus. Heureusement, le bébé est sauvé des eaux par la fille du pharaon qui le découvre et l’adopte comme son fils. Étonnant retournement ! Moïse accède au statut de prince d’Égypte, de même qu’Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe dont il devient le fils adoptif. Le schéma narratif de l’enfant persécuté qui s’en sort finalement est un modèle universel.</p>
<h2>Le storytelling de l’enfant persécuté</h2>
<p>Dans les années 50 av. J.-C., ce même storytelling est exploité par Jules César qui raconte qu’il a échappé, dans sa jeunesse, aux persécutions du dictateur romain Sylla, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/cesar.htm">comme le rapporte l’historien latin Suétone (<em>Vie de César</em>, 1)</a>.</p>
<p>Plus proche encore chronologiquement de Jésus, l’empereur Auguste, reprend à son tour le même schéma légitimateur. « Quelques mois avant la naissance d’Auguste, il se produisit à Rome, dans un lieu public, un prodige annonçant que la nature allait enfanter un roi pour le peuple romain : le Sénat épouvanté décréta que l’on n’élèverait aucun des enfants mâles nés cette année-là », <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/auguste.htm">écrit Suétone (<em>Vie d’Auguste</em>, 94)</a>.</p>
<p>Mais la décision du Sénat n’est pas appliquée, car les femmes de plusieurs sénateurs sont alors enceintes. C’est ainsi que le futur Auguste aurait finalement été sauvé.</p>
<p>Il est intéressant de remarquer que Suétone nous donne le nom de l’inventeur de cette fable : Julius Marathus, affranchi et conseiller d’Auguste, rédacteur du Journal officiel de l’Empire. Il s’agit donc bien d’un mythe officiel dont la signification est politico-religieuse. Le storytelling de l’enfant qui échappe au meurtre est un stéréotype servant à légitimer le leader destiné à fonder de nouvelles règles, normes sociales et institutions : Moïse avec les Tables de la Loi, Auguste avec l’instauration du régime impérial.</p>
<p>Il pouvait donc être intéressant pour Matthieu d’offrir à ses lecteurs une nouvelle version de ce schéma narratif, dès lors qu’il cherchait à présenter Jésus comme un législateur et un réformateur, venu refonder la société juive. Jésus annonce l’émergence d’un monde nouveau, et il possède toute légitimité pour le faire. C’est ce que signifie l’histoire du massacre des Innocents, calquée sur les récits légitimateurs du passé. Jésus est le nouveau Moïse, ou encore l’Auguste des Juifs, fondateur d’une ère nouvelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Friedrich Herlin de Nördlingen, Circoncision de Jésus. Retable de Rothenburg, 1466.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/76/CirconcisionRothenburg.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Jésus exfiltré en Égypte ou circoncis à Jérusalem ?</h2>
<p>Mais le récit du massacre est en contradiction avec l’épisode de la circoncision de Jésus au Temple, « huit jours » après sa naissance, relatée par l’évangile selon Luc (Lc 2, 21). Comment peut-on imaginer que Jésus puisse aller se faire circoncire à Jérusalem, capitale du méchant roi Hérode, une semaine à peine après avoir échappé à sa tentative de meurtre ? Pourquoi la menace aurait-elle disparu tout d’un coup ?</p>
<p>Luc ignore le massacre des Innocents, tandis que l’incohérence entre les évangiles de Matthieu et Luc nous prouve que <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/j%C3%A9sus-aux-quatre-visages">divers récits concurrents sur la naissance du Christ ont circulé parallèlement</a>.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a écrit <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/christian-georges-schwentzel/les-quatre-saisons-du-christ-christian-georges-schwentzel/">« Les Quatre saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine »</a>, éditions Vendémiaire, 2018</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on en croit l’évangile selon Matthieu, Jésus aurait échappé à une tentative d’assassinat, juste après sa naissance, à Bethléem. Ce fameux épisode est-il historique?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514662020-12-15T18:03:12Z2020-12-15T18:03:12ZDu pape Grégoire XIII à Joe Biden, les stratégies politiques se répètent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/373382/original/file-20201207-23-wye4c3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C50%2C5606%2C3703&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président-élu Joe Biden quitte l'église catholique romaine St. Joseph, le samedi 5 décembre 2020, à Wilmington, au Delaware.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo AP/Andrew Harnik</span></span></figcaption></figure><p>Le matin du 2 novembre dernier, jour d’élections aux États-Unis, Joe Biden s’est rendu à l’église Saint-Joseph de Wilmington, au Delaware, ainsi qu’au cimetière, pour se recueillir sur les tombes de sa première femme et de deux de ses enfants.</p>
<p>Ce programme aux allures de pèlerinage constitue peut-être sa prière ultime pour la victoire électorale qu’il espérait ce jour-là. Si sa foi est bien réelle – et l’objectif n’est pas d’en discuter ici – on ne peut nier qu’elle a été savamment orchestrée pour draper le candidat démocrate d’une aura positive durant la campagne.</p>
<p>Plusieurs vidéos publicitaires ont souligné la piété du chef démocrate. Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KZFnTb225uc"><em>Principles</em></a>, on le montre en compagnie du pape François ou discourant dans une église ; dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-A2Z0ZQKQWs"><em>A Man Guided by Faith</em></a>, une paroissienne de son village natal le décrit comme un dévot modèle. Joe Biden a d’ailleurs souligné sa ferveur religieuse dans son discours de victoire, le 7 novembre, où il cite la Bible sans ambages.</p>
<p>Rappelons que le <a href="https://theconversation.com/the-underappreciated-yet-critical-catholic-vote-in-the-2020-us-presidential-election-147150">vote catholique</a> a valu à Donald Trump les trois États-clés des Grands Lacs (Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin) à l’élection de 2016, ce qui expliquerait une telle mise en avant de sa foi. Si Trump ne semble pas faire preuve d’une grande piété, <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/25/us/politics/catholic-voters-trump-biden.html">il insiste beaucoup sur la position antiavortement du Parti républicain pour rallier lui aussi cette portion de l’électorat</a>.</p>
<h2>De Grégoire XIII à Joe Biden</h2>
<p>De nombreux politiciens et hommes d’église de haut rang ont usé de la foi à des fins démagogiques à l’instar de l’actuel président élu. Mes recherches sur le mécénat des cardinaux dans la Rome du XVI<sup>e</sup> siècle m’ont permis d’examiner fréquemment ce type de comportement, notamment chez le pape Grégoire XIII, qui a régné de 1572 à 1585.</p>
<p>Dans sa biographie du pontife publiée en 1596, l’auteur Marcantonio Ciappi soutient qu’il récitait des litanies dès son réveil et se rendait ensuite dans sa chapelle privée pour assister à la messe et faire des oraisons. Même si le pape était réellement un fervent dévot, l’ostentation de sa piété, qui s’explique par le contexte religieux contemporain, permet de replacer la conduite de Joe Biden dans un spectre historique plus large.</p>
<h2>Réforme et Contre-Réforme</h2>
<p>En 1517, le frère augustinien allemand Martin Luther proclame son opposition aux abus perpétrés par l’Église avec la publication des <a href="https://philosophie.cegeptr.qc.ca/2017/10/500e-anniversaire-de-laffichage-des-95-theses-de-luther-2017/">95 Thèses</a>, ce qui marque le début de la Réforme protestante. Ses idées se propagent rapidement dans le nord de l’Europe, encourageant les caricatures qui dénigrent l’office papal.</p>
<p>Lucas Cranach l’Ancien représente par exemple, en 1545, le <a href="https://pennrare.wordpress.com/2012/09/17/woodcut-sauritt-des-papsts-after-lucas-cranach-the-elder-used-by-christian-rodinger-the-elder-of-magdeburg-of-the-pope-riding-a-sow-holding-steaming-excrement/">pontife chevauchant une truie et bénissant des excréments</a> alors que Melchior Lorch le transforme peu de temps après en <a href="https://artsandculture.google.com/asset/the-pope-as-wild-man-melchior-lorch/WgF9GhARkcrWFw">monstre sanguinaire recouvert d’une toison hideuse et crachant du feu</a>.</p>
<p>En réaction, le clergé catholique émet des directives en ce qui concerne le comportement des prélats lors du concile de Trente (débuté en 1545 et terminé en 1563). La nouvelle image de l’Église passe par la démonstration que ses membres faisaient preuve des vertus qu’elle enjoint de respecter. La piété devient un critère de sélection des candidats à la tiare pontificale et plusieurs cardinaux aspirant au titre entreprennent de faire valoir la leur par les arts. En résultent de nombreux décors destinés à des institutions religieuses, mais aussi des fresques à même les murs de leurs palais.</p>
<h2>Une lignée de papes exemplaires</h2>
<p>Pour respecter les recommandations concernant l’ostentation de la richesse, Grégoire XIII visite la villa de campagne du cardinal Marco Sittico Altemps plutôt que de se faire construire sa propre résidence d’été comme ses contemporains.</p>
<p>Toutefois, il faut se détromper : la villa, localisée dans le haut lieu de retraite du clergé à Frascati et nommée « Mondragone » en l’honneur du pontife dont l’emblème est le dragon, devient en fait une véritable villa papale. Des activités administratives y sont tenues – c’est d’ailleurs là qu’est scellé l’établissement du calendrier grégorien – et des invités de marque y sont reçus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Villa Mondragone, à Frascati, en Italie, où le pape Grégoire XIII se rendait pour recevoir des invités de marque et remplir diverses tâches administratives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">de l’auteure</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’édifice détient ainsi des fonctions promotionnelles, tout comme ses décors. Ceux de la chapelle, peints par Guidonio Guelfi, en 1576, sont consacrés à saint Grégoire le Grand (pape de 540 à 604). Tel que démontré dans le troisième chapitre de <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/13773">mon mémoire de maîtrise</a>, c’est grâce à la représentation du récit de son homonyme, mais aussi grâce à la substitution du portrait de son prédécesseur par celui de Grégoire XIII dans les épisodes dépeints sur les murs, que l’artiste suggère l’association de Grégoire XIII avec ce pape précurseur exemplaire.</p>
<p>Fréquent dans les cycles décoratifs de la Renaissance – pensons simplement aux <a href="http://www.museivaticani.va/content/museivaticani/fr/collezioni/musei/stanze-di-raffaello.html">Chambres de Raphaël au Vatican</a> – ce procédé permet à Grégoire XIII de se présenter, à l’instar de Grégoire le Grand, comme un pontife idéal dont le règne restaurera l’âge d’or du christianisme.</p>
<p>Joe Biden a utilisé une stratégie similaire dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xiLR4sCgvnc">son tout premier discours en tant que président élu</a>, affirmant que sa présidence s’inscrirait dans la suite de celles de Franklin D. Roosevelt, John F. Kennedy et Barack Obama. Reculant jusqu’au New Deal de 1932 à titre de comparaison pour valoriser ses projets de loi à venir, il rejoue le stratagème grégorien.</p>
<h2>L’humilité du Sauveur</h2>
<p>Dans la chapelle de la villa Mondragone, Grégoire XIII est aussi représenté, priant le Christ nouveau-né dans <em>L’adoration des bergers</em> qui figure au-dessus de l’autel. Si ce procédé illustre la piété que le prélat s’attribue, il met aussi en scène son humilité.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’œuvre « L’adoration des bergers », dans laquelle Grégoire XIII est représenté priant le Christ nouveau-né.</span>
<span class="attribution"><span class="source">de l’auteure</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plus fréquemment associés aux rois mages dans l’iconographie de l’adoration de l’enfant – comme dans la <a href="https://journals.openedition.org/cem/13519#tocto1n3">Chapelle des mages du Palais Médicis à Florence</a>, les mécènes affichent leur humilité par le choix de s’identifier aux bergers. Cette prise de position constitue un outil de valorisation évident dans le contexte suivant le concile de Trente. Grégoire XIII se montre ainsi au service de son peuple et contrecarre les critiques d’abus intentées au clergé lors de la Réforme.</p>
<p>« Et maintenant, ensemble – sur les ailes de l’aigle – nous entamons l’œuvre que Dieu et l’histoire nous ont demandé d’accomplir », a clamé Joe Biden à la fin de son discours de victoire. Même si la formule ne paraît de prime abord pas très humble, Joe Biden emboîte le pas à Grégoire XIII en s’identifiant comme l’élu divin (et non seulement le gagnant d’un vote électoral).</p>
<p>Il se positionne également tel un messie (« Nous devons restaurer l’âme de l’Amérique ! ») dont l’action extirpera les États-Unis de la noirceur dans laquelle Donald Trump les a plongés. La mise en scène de la foi de Joe Biden aura-t-elle fait oublier aux fervents catholiques la position démocrate proavortement qu’ils n’appuient pas ?</p>
<p>On ne peut que penser que la stratégie a été gagnante : près de 500 ans après son utilisation par Grégoire XIII, Joe Biden arrache peut-être grâce à elle les Grands Lacs à son adversaire républicain et devient le sauveur attendu des États-Unis. <em>God bless America</em> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151466/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fannie Caron-Roy a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Gouvernement du Canada et de l'Université de Montréal. </span></em></p>Durant la campagne présidentielle, Joe Biden a usé de sa foi à des fins électoralistes. Cette stratégie n’est pas nouvelle. Elle remonte aussi loin qu’au pape Grégoire XIII !Fannie Caron-Roy, Doctorante en histoire de l'art, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514862020-12-04T18:02:08Z2020-12-04T18:02:08ZLa Saint-Nicolas est aussi une fête de la diversité linguistique et culturelle<p>À l’intérieur de l’Hexagone comme à l’intérieur des autres régions de la francophonie d’Europe (Belgique, Suisse), les journaux, radios, télévisions et autres médias de l’internet diffusent un français relativement standard et uniforme. Si bien que l’on pense parfois que la langue française ne permettrait pas de rendre justice à la diversité des traditions qui a caractérisé le pays pendant des siècles. Dans <a href="https://www.lerobert.com/dictionnaires/francais/culturel/comme-on-dit-chez-nous-le-grand-livre-du-francais-de-nos-regions-9782321014775.html"><em>Comme on dit chez nous, le grand livre du français de nos Régions</em></a> (octobre 2020, éditions Le Robert), nous avons commenté des centaines de cartes permettant de montrer qu’au 21e s., les français régionaux gardaient encore les traces de nos provinces aujourd’hui disparues.</p>
<p>En ce début de mois de décembre, qui initie la traditionnelle période des fêtes, nous avons eu une bonne occasion pour rappeler qu’en France, la Saint-Nicolas n’était célébrée que sur une partie du territoire, et qu’elle était même associée à des débats linguistiques dignes du match pain au chocolat vs chocolatine…</p>
<h2>Qui sont ces francophones qui célèbrent la Saint-Nicolas ?</h2>
<p>La Saint-Nicolas est une fête chrétienne, qui met en scène <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_de_Myre">Nicolas de Myre</a> (qu’on appelle plus généralement saint Nicolas), et son méchant compagnon, le Père Fouettard (Zwarte Piet en néerlandais). Dans l’est de l’Europe, la Saint-Nicolas est surtout fêtée dans les pays à tradition orthodoxe (Chypre, Grèce, Russie, etc.) et dans les pays de tradition (partiellement) catholique se rattachant historiquement ou géographiquement à l’Empire germanique (Allemagne, Autriche, Belgique, Grand-Duché du Luxembourg, Pays-Bas, Suisse). En France, les régions où l’on célèbre la Saint-Nicolas les plus souvent mentionnées comprennent le Grand Est, les Hauts-de-France et l’ex-Franche-Comté.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pain-au-chocolat-vs-chocolatine-fight-85923">Pain au chocolat vs chocolatine… Fight !</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les données collectées dans le cadre des enquêtes conduites <a href="https://francaisdenosregions.com/participez-a-lenquete/">dans le cadre du programme de recherche Français de nos Régions</a> nous ont permis d’établir précisément la vitalité et l’aire d’extension du phénomène dans la francophonie d’Europe.</p>
<p>La carte ci-dessous a été établie sur la base des réponses de plus de 11 500 internautes ayant déclaré avoir passé la plus grande partie de leur vie en Belgique, en France ou en Suisse ; et à qui l’on a présenté l’instruction suivante « Le 6 décembre de l’an, c’est la Saint-Nicolas. Faites-vous quelque chose de spécial (distribution de cadeaux ou friandises aux enfants, p. ex.) pour célébrer cet événement ? » </p>
<p>Nous avons calculé le pourcentage de réponses positives pour chaque arrondissement de Belgique, de France et de district en Suisse, et fait varier leur couleur en fonction de la valeur des pourcentages (plus la couleur est froide, plus le pourcentage de participants ayant indiqué célébrer la Saint-Nicolas est bas ; inversement, plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants ayant déclaré fêter l’événement est important). Nous avons enfin utilisé la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Krigeage#:%7E:text=Le%20krigeage%20est%2C%20en%20g%C3%A9ostatistique,la%20mod%C3%A9lisation%20du%20variogramme%20exp%C3%A9rimental">méthode du krigeage</a> pour colorier la surface de la carte, de façon à obtenir une représentation lisse et continue du territoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pourcentage de francophones ayant déclaré fêter la Saint-Nicolas le 6 décembre, d’après les enquêtes Français de nos Régions (échelle : 0/100 %). Les symboles carrés donnent la position des centres urbains d’arrondissements en France et en Belgique, de districts en Suisse. Le Robert.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si les données de notre enquête valident en <a href="https://actu.fr/loisirs-culture/saint-nicolas-pourquoi-cette-fete-est-importante-lorraine-dans-lest-la-france_20094861.html">partie les descriptions disponibles ailleurs</a>, elles permettent de délimiter, avec une précision jamais atteinte jusque-là, l’aire d’extension de cette coutume, de même que sa vitalité à travers les régions francophones. On peut ainsi voir que les francophones d’Europe qui célèbrent la Saint-Nicolas sont tous établis sur un croissant nord-oriental dont les pointes vont de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais à la Suisse romande.</p>
<h2>Männela ou männele ?</h2>
<p>À la Saint-Nicolas et jusqu’à l’épiphanie, les boulangers en activité dans les régions où l’on fête Nicolas de Myre fabriquent de petites pâtisseries briochées en forme de petits bonshommes dans l’est (du Grand-Duché du Luxembourg à la Suisse romande, en passant par la Lorraine, l’Alsace et la Franche-Comté).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324306240508469248"}"></div></p>
<p>Dans le nord de la francophonie d’Europe, de la Wallonie au Nord-Pas-de-Calais, ces petits pains prennent la forme de petits Jésus emmaillotés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"795222135811751936"}"></div></p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373021/original/file-20201204-17-1f0z34v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cougnou au sucre (à gauche) et cougnou aux pépites de chocolat (à droite). Mathieu Avanzi.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces viennoiseries, vendues natures, au sucre, aux raisins secs ou aux pépites de chocolat, changent non seulement de forme mais également de nom en fonction des régions où elles sont commercialisées.</p>
<p>D’ailleurs, chaque mois de décembre, les dénominations de ces petits pains déclenchent de petits séismes chez les utilisateurs des réseaux sociaux établis dans le grand nord-est de la France et la Wallonie…</p>
<p>Sur le plan de la géographie linguistique, il n’existe que des cartes locales donnant à voir la répartition locale des formes dans les parlers wallons encore parlés au début du 20e s. (<em>Atlas linguistique de la Wallonie</em>, t. 3, carte 70) ou dans le français régional de Belgique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324999700022497280"}"></div></p>
<p>Les enquêtes que nous avons conduites nous ont permis de cartographier l’aire de chacune des dénominations relatives à ces viennoiseries, en tenant compte cette fois-ci de la totalité des régions francophones où l’on célèbre la Saint-Nicolas. En pratique, la carte ci-dessous a été réalisée à partir de deux enquêtes, chacune réunissant plus de 12 500 répondants. </p>
<p>Dans l’une et l’autre enquête, les questions portaient sur les dénominations du bonhomme ou de la brioche de Saint-Nicolas. Les internautes devaient indiquer s’ils connaissaient le référent, et, le cas échéant, dire quelle(s) étai(en)t la ou les variantes qu’ils utilisaient le plus communément pour le dénommer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les dénominations de la « brioche » de Saint-Nicolas dans la francophonie d’Europe d’après les enquêtes Français de nos Régions.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons calculé le pourcentage de chacune des réponses reçues pour chaque arrondissement de Belgique, de France, du Grand-Duché du Luxembourg et de district en Suisse, et conservé la réponse qui avait obtenu le pourcentage le plus haut. Des méthodes d’interpolation ont ensuite été utilisées pour colorer la surface de la carte de façon uniforme. Lorsqu’il était clair qu’une variante était largement minoritaire par rapport à l’autre, nous avons représenté cette information au moyen d’un petit carré sur la carte. Au total, nous avons pu faire figurer sur la carte 16 variantes différentes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une image glanée sur Facebook.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Page Facebook Humour chti</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans l’est de la France, la fracture la plus évidente sépare le Haut-Rhin (<em>männala</em>) de la région englobant le Bas-Rhin et la Moselle (<em>männele</em>) : à l’origine, c’est un même mot alsacien signifiant littéralement « petit homme » (où <em>Männ-</em> : « homme », <em>-le</em> : suffixe diminutif), dont la prononciation diffère. </p>
<p>Toujours au rayon des emprunts aux parlers germaniques, signalons la forme <em>grittibänz</em> sporadiquement utilisée dans les cantons de l’arc jurassien romand (où <em>Benz</em> est le diminutif du prénom « Benoît », naguère synonyme en suisse-alémanique du mot « homme » ; Gritte, « fourche » et p. ext. « jambes écartées » dans ces mêmes dialectes) ; ainsi que <em>boxemännchen</em>, employé dans le Grand-Duché du Luxembourg et emprunté au parler local sans avoir été adapté (où <em>box-</em> = « petit boîte », <em>-männ-</em> = « homme » et <em>-chen</em> = « joli, mignon », soit « petit bonhomme dans une boîte »). Quant au <em>folard</em> dunkerquois, c’est un emprunt au flamand <em>volaeren</em> qui signifie… crotte ! (D’ailleurs on trouve dans le coin des attestations de « pain à crotte » !)</p>
<p>Un certain nombre de variantes n’appellent pas de remarques particulières, puisque le choix du mot s’explique en raison de l’aspect de la viennoiserie.</p>
<p>C’est notamment le cas à Liège, comme en Suisse romande, des formes bonhomme et <em>bonhomme de/en pâte</em>, mais aussi de la forme <em>jean-bonhomme</em> (rappelons que le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/12/27/quels-sont-les-prenoms-les-plus-populaires-depuis-1946_5234967_4355770.html">prénom Jean était le prénom le plus couramment donné à des hommes</a> jusque dans les années 50) que l’on rencontre en Haute-Saône, dans le nord du Doubs et dans le Territoire-de-Belfort. Le tour <em>Petit Saint-Nicolas</em> en Lorraine fait référence au caractère miniature de la viennoiserie (on dit aussi parfois qu’il ferait référence aux enfants de Saint-Nicolas). Quant au composé <em>pain de jésus</em> qui survit sporadiquement sur la frange occidentale de la Lorraine (départements de la Marne et de l’Aube, essentiellement), il s’explique par la ressemblance entre la viennoiserie et l’enfant star de la crèche.</p>
<p>Ailleurs, les liens entre forme de la viennoiserie et choix de dénomination sont moins transparents.</p>
<p>C’est notamment le cas dans les Vosges, où il faut savoir que le mot <em>coualé</em>, emprunté aux parlers locaux signifie « tordu ». Dans le Nord-Pas-de-Calais et le Hainaut belge, le mot <em>coquille</em> est employé par analogie avec l’enveloppe dans laquelle le petit Jésus est emmailloté.</p>
<p>La Wallonie est divisée entre les partisans du <em>cougnou</em> (aire dialectale wallonne, à l’est) et les partisans de la cougnole (aire dialectale picarde, à l’ouest). Comme les variantes <em>cugnole</em> et <em>quéniole</em>, en usage de l’autre côté de la frontière (de même que la forme <em>quénieu</em> attestée naguère en Champagne ne semble désormais plus en usage), <em>cougnou</em> et <em>cougnole</em> continuent un type wallon/picard <em>cougn</em>, à rapprocher du français <em>coin</em>. Comme le rappelle Michel Francard <a href="https://www.lesoir.be/art/1399192/article/debats/chroniques/vous-avez-ces-mots/2016-12-23/cougnous-cougnoles-et-autres-bonhommes">dans l’une de ses chroniques</a>, ces dénominations remontent toutes à la forme originelle de la pâtisserie. Avant d’avoir l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui (pain de forme oblongue composé de deux boules), les <em>cougnous</em> et autres <em>cougnoles</em> avaient la forme d’un losange, c’est-à-dire d’un double coin.</p>
<h2>Le mot de la fin</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Comme on dit chez nous – Le grand livre du français de nos régions, est paru aux éditions Le Robert.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pendant des siècles, les langues ancestrales que parlaient nos arrière-grands-parents (qu’on appelle encore parfois, de façon péjorative, patois ou dialectes) ont fidèlement reflété les différences entre les modes de penser et de vivre des habitants d’une même région. Aujourd’hui, ces langues ne sont presque plus transmises, mais les traditions et le folklore local n’ont pas disparu. Et contrairement à ce que l’on croit, le français que l’on parle ici et là en garde les traces. Car comme les autres langues de grande diffusion que sont l’anglais et l’espagnol, partout tout où il est parlé, le français varie. Les dictionnaires de référence ne rendent pas toujours justice à cette variation. C’est pourquoi il est important de continuer à documenter ces phénomènes locaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Avanzi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fête de la Saint-Nicolas, célébrée seulement sur une partie du territoire français, est associée à des débats linguistiques dignes du match pain au chocolat vs chocolatine.Mathieu Avanzi, Maître de conférences en linguistique francaise, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.