tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/classement-shanga-20606/articlesclassement Shangaï – The Conversation2023-08-10T21:18:29Ztag:theconversation.com,2011:article/2097682023-08-10T21:18:29Z2023-08-10T21:18:29ZLa puissance scientifique et technologique chinoise : de l’imitation au leadership mondial<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538740/original/file-20230721-19-48a781.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C5%2C3988%2C2670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans l’atelier de production de Jiangxi Lanke Semiconductor Co., LTD., à Jiujiang, Chine, en mai 2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/jiujiang-china-may-14-2022-workers-2156914541">humphery/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La Chine a longtemps été présentée comme un <a href="https://foreignpolicy.com/2023/03/28/china-has-been-waging-a-decades-long-all-out-spy-war/">pays recourant à la copie ou à l’espionnage pour monter en puissance</a> sur les plans scientifique et technologique. Désormais, sur ces deux plans, la RPC <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/publications-ifri/pekin-course-technologie">rivalise avec les plus grandes puissances mondiales</a>, et exerce même le leadership dans certains domaines. Les derniers indicateurs contrastent avec la vision classique d’une Chine qui espionne pour progresser et dont la production scientifique est plus quantitative que qualitative.</p>
<h2>L’innovation et les brevets : des premiers partenariats technologiques à l’autonomie puis à la domination mondiale</h2>
<p>Lors du développement des relations économiques des pays occidentaux avec la RPC, après la reconnaissance par la France en 1964, puis par les États-Unis en 1978, les premiers accords ont porté sur un « partenariat stratégique », avec le déploiement en Chine de technologies avancées.</p>
<p>Côté français, les projets dans le ferroviaire ou le nucléaire civil ont débouché sur d’importants contrats. L’exemple le plus notable est la <a href="https://www.lexpress.fr/informations/les-gaulois-de-daya-bay_595930.html">centrale nucléaire de Daya Bay</a>. Plus tard, les partenariats se sont équilibrés, avec des ventes et coopérations notamment dans l’aéronautique (<a href="https://www.europe1.fr/international/la-chine-achete-292-avions-a-airbus-pour-un-montant-total-de-37-milliards-de-dollars-4121040">Airbus</a>), accompagnées de « transferts technologiques ». Avec le temps, la Chine a acquis connaissances et savoir. Elle est devenue moins dépendante des technologies occidentales et a pu développer ses propres technologies.</p>
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<p>Aujourd’hui, d’après un <a href="https://www.aspi.org.au/report/critical-technology-tracker">rapport de l’Australian Sciences Policy Institute (ASPI)</a>, la Chine est en tête dans la compétition technologique mondiale et devance les États-Unis dans 37 des 44 technologies dites « critiques » identifiées par l’ASPI. Parmi celles-ci : les communications radiofréquences (5G, 6G), l’hydrogène, les batteries électriques, les nano-matériaux, les revêtements avancés, les super-condensateurs, l’hypersonique… Dans huit d’entre elles, le risque que la Chine devienne monopolistique est jugé élevé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=872&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537370/original/file-20230713-25-t0dz0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1095&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau créé par l’ASPI.</span>
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<p>Même si cette étude se base sur les innovations technologiques et pas sur leur commercialisation, il est clair que les transferts de technologies des décennies précédentes ont porté leurs fruits.</p>
<p>Cela s’est traduit, pour les entreprises occidentales, par un recul sur les marchés internationaux. L’<a href="https://classe-export.com/index.php/secteurs/energie/72245-eolien-europe-chine/">éolien</a>, le <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/industries/crrc-le-geant-chinois-du-ferroviaire-pret-a-avaler-l-europe_AV-202002190220.html">ferroviaire</a> ou l’<a href="https://www.ladepeche.fr/2023/05/31/lavion-chinois-c919-peut-il-vraiment-concurrencer-lairbus-a320-11232277.php">aéronautique</a> en sont des exemples notables : après des transferts de technologies vers la Chine, les entreprises occidentales de ces secteurs ont été fortement concurrencées, voire dépassées par des entreprises chinoises. Sur les marchés émergents, la croissance chinoise est spectaculaire. L’exemple le plus commun concerne les véhicules électriques. Dans ce domaine, la Chine représentait <a href="https://www.ev-volumes.com/">60 % du marché mondial en 2022</a> :</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=821&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=821&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538729/original/file-20230721-25-88o09t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=821&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Progression des ventes de véhicules électriques à batterie (BEV) et de véhicules hybrides rechargeables (PHEV) de 2021 à 2022, en milliers d’exemplaires.</span>
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<p>Plus généralement, en matière d’innovation et de technologies émergentes, l’analyse des dépôts de brevets donne une idée de l’activité. Selon le <a href="https://www.wipo.int/en/ipfactsandfigures/patents">World Intellectual Property Office</a> (WIPO ou OMPI en français, affilié aux Nations unies), la Chine devance de loin et depuis longtemps les autres pays pour les dépôts de brevets : </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538730/original/file-20230721-27-6vfe0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Progression en nombre et en proportion des brevets déposés par pays de 2020 à 2021.</span>
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<p>La Chine se concentre surtout sur les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique. Aujourd’hui, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/17/huawei-premier-deposant-de-brevets-au-monde-consacre-des-efforts-considerables-pour-franchir-la-frontiere-technologique-bien-gardee-par-washington_6073439_3234.html">Huawei est le premier déposant mondial</a>, très loin devant Samsung.</p>
<p>Pour nuancer ces indicateurs, l’OMPI publie aussi le <a href="https://www.wipo.int/global_innovation_index/fr/2022/">« Global Innovation Index »</a>, basé sur 80 paramètres, intégrant l’environnement politique, la réglementation, la formation, les infrastructures, les marchés financiers, etc. en plus des innovations à proprement parler. La Chine arrive alors à la 11<sup>e</sup> place (en progressant chaque année), avec des résultats performants sur les critères clés : 1 <a href="https://fr.euronews.com/2019/12/03/education-la-chine-meilleure-eleve-de-l-etude-pisa-l-estonie-premier-pays-de-l-ue">ʳᵉ place au classement PISA</a> qui compare les performances des systèmes éducatifs, 2<sup>e</sup> place pour le nombre de clusters technologiques, 3<sup>e</sup> place pour les dépenses de R&D financées par les entreprises…</p>
<h2>Les publications scientifiques et la recherche : de la quantité à la qualité</h2>
<p>La revue <em>Nature</em> a publié un <a href="https://www.nature.com/nature-index/news/ten-global-institutions-universities-twenty-nineteen-annual-tables">indicateur agrégeant les données des 82 plus grandes revues scientifiques du monde</a>. Il permet de classer les organismes de recherche à l’échelle mondiale. La Chinese Academy of Sciences (CAS) arrive en tête devant Harvard, la Max Planck Society et le CNRS. Avec plus de 60 000 chercheurs, elle représente le double du CNRS, qui a longtemps été le plus grand organisme de recherche du monde. Ses dépenses pour la science et la technologie s’élèvent à près de 5 milliards de dollars (le CNRS a un budget de 4,4 milliards de dollars). Elle accueille de <a href="https://english.cas.cn/research/facilities/">grandes infrastructures de recherche</a>, parmi les plus importantes du monde. </p>
<p>Au niveau individuel, c’est-à-dire au niveau des chercheurs, la Chine a longtemps misé sur le recrutement des meilleurs mondiaux, avant de progressivement permettre à une nouvelle génération de briller sur la scène internationale.</p>
<p>Aujourd’hui, les chercheurs chinois se positionnent de mieux en mieux dans les classements internationaux. Pour éviter les difficultés liées à l’analyse d’une production scientifique de masse de faible qualité, de nouveaux indicateurs sont utilisés, comme le nombre de citations des articles publiés (ce qui montre leur intérêt pour la communauté, même s’il existe des biais). Parmi ces nouveaux indicateurs, <a href="https://www.adscientificindex.com/?con=&tit=&tit_sub=&country_code=&q=">l’AD Scientific Index (Alper-Doger Scientific Index)</a> est le plus en vue. Il s’appuie sur 9 paramètres mêlant publications et citations. Il ressort de son classement mondial qu’il y a, en 2023, 304 chercheurs chinois dans le Top 10 000, 1 982 dans le Top 50 000 et 4 178 dans le Top 100 000. À titre de comparaison, les chercheurs français sont pratiquement moitié moins nombreux : 177 dans le Top 10 000, 1 214 dans le Top 50 000 et 2 856 dans le Top 100 000. Même si avec ce classement, les États-Unis ne voient pas leur leadership menacé, la Chine apparaît maintenant, qualitativement, comme une puissance scientifique devançant la plupart des grands pays occidentaux.</p>
<p>Au niveau des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les classements internationaux montrent aussi une percée de la Chine. On retrouve par exemple 16 établissements chinois sur les 25 premiers du <a href="https://www.leidenranking.com/ranking/2023/list">classement de Leiden</a>, qui classe les universités selon le nombre de publications scientifiques de leurs chercheurs, en fonction de critères à la fois quantitatifs (nombre total de publications scientifiques) et qualitatifs (uniquement les publications dans le Top 10 % des revues les plus cotées).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538731/original/file-20230721-22713-r9uf3l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Classement de Leiden 2023.</span>
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<p>Globalement, la Chine apparaît aujourd’hui comme un pays disposant de ses propres capacités de recherche et d’innovation, rivalisant avec les meilleurs mondiaux, voire les dépassant.</p>
<h2>Conclusion : espionnage et protectionnisme ?</h2>
<p>Depuis plusieurs décennies, les pays occidentaux soupçonnent la Chine de se livrer à un espionnage à large échelle, aussi bien dans le domaine militaire que dans les domaines scientifiques, technologiques et industriels. Les auteurs de l’ouvrage de 2013 <a href="https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2014-1-page-90.htm"><em>Chinese industrial espionage : technology acquisition and military modernisation</em></a> analysent les moyens de captation de l’information scientifique, notamment par les transferts de technologies, via la diplomatie chinoise, les entreprises sino-américaines ou chinoises aux États-Unis et la diaspora de scientifiques et d’entrepreneurs innovants installée en Europe et aux États-Unis. L’attraction vers la RPC de scientifiques occidentaux et la délocalisation en Chine de centres de R&D y participeraient, de même que la mobilisation des étudiants chinois acquérant leur savoir-faire dans les universités occidentales.</p>
<p>Les procès pour « cyber espionnage » se sont multipliés aux États-Unis, comme <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/espionnage-economique-le-groupe-chinois-sinovel-condamne-par-les-etats-unis-784398.html">celui concernant le vol de brevets de l’entreprise de haute technologie American Superconductor</a>. En France aussi, plusieurs affaires ont défrayé la chronique, comme celle de l’étudiante <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/12/18/soupconnee-d-espionnage-industriel-une-etudiante-chinoise-est-finalement-condamnee-pour-abus-de-confiance_991249_3224.html">Li Li Whuang</a>, arrêtée pour espionnage industriel en 2005 après son stage chez Valeo. De nombreux autres soupçons ont été révélés en 2019 dans l’ouvrage d’Antoine Izambard <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/france-chine-les-liaisons-dangereuses-9782234086555"><em>France-Chine, les liaisons dangereuses</em></a>).</p>
<p>Ces affaires montrent que la progression de la Chine et même sa position dominante n’empêcheraient pas une concurrence féroce accompagnée d’espionnage, un peu comme cela peut se rencontrer dans le monde des affaires où une entreprise dominante continuera à surveiller ce que font ses concurrents directs ou indirects. Face à ces pratiques, le protectionnisme revient en force. En France, l’Inspection générale des finances (IGF) a publié en 2022 un <a href="https://www.challenges.fr/education/ingerences-etrangeres-dans-la-recherche-l-elysee-a-la-manoeuvre-la-chine-visee_800869">rapport</a> sur « les enjeux de la protection des savoirs et savoir-faire dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique » et le Sénat a rendu public en 2021 un rapport d’information intitulé <a href="https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-873-notice.html">« Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques »</a>. Des efforts peut-être insuffisants et tardifs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209768/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Aymard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années durant, la Chine a employé les méthodes les plus diverses pour s’imposer comme une grande puissance technologique et scientifique. Avec un succès désormais indiscutable.Stéphane Aymard, Ingénieur de Recherche, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1894802022-09-25T15:41:47Z2022-09-25T15:41:47ZDébat : Après le classement de Shanghai, penser d’autres modèles d’excellence scientifique<p><em>Ninon Junca, cheffe de projet RESET au sein de l’Université de Bordeaux, a participé à la rédaction de cet article avec Marion Paoletti.</em></p>
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<p>Si elle ne manque pas d’ironie, l’invitation lancée en avril 2022 par le président chinois aux universités de son pays de quitter, près de 20 ans après son invention, le <a href="https://theconversation.com/les-universites-chinoises-vont-elles-quitter-les-classements-internationaux-183151">classement de Shanghai</a> constitue peut-être un moment charnière pour promouvoir d’autres modèles de classement des institutions d’enseignement supérieur.</p>
<p>L’Union européenne parait particulièrement bien armée pour proposer des critères de classement qui reposent sur d’autres valeurs propres et un modèle scientifique véritablement universel. Son action en la matière, ancienne, mais peut-être trop discrète jusqu’à présent compte tenu de la puissance du modèle de Shanghai, mérite sans doute d’être mieux affirmée au moment où celui-ci est un peu déstabilisé.</p>
<h2>Un moment propice pour la réflexion</h2>
<p>Rendu public à l’été 2003, le premier classement international des universités a eu un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/15/classement-de-shanghai-l-invention-du-marche-des-universites_6138077_3224.html">impact majeur</a> sur le secteur académique mondial et ses agents. Pensé au départ pour permettre aux universités chinoises de se moderniser en s’alignant sur les standards américains de mesure de la productivité scientifique (nombre de publications, de citations, de prix scientifiques, etc.), ce classement a très vite gagné en visibilité à l’international et exacerbé la concurrence entre établissements d’un continent à l’autre. Chaque université dans le monde veut renforcer son positionnement pour obtenir davantage de financements et attirer les meilleurs étudiants et chercheurs.</p>
<p>L’impact en France a été particulièrement important, coïncidant avec <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/6867">l’abandon d’un discours égalitaire</a> entre chercheurs et établissements. Certes, la compétition sur le marché académique n’est pas que capitaliste, et elle n’est pas due pas qu’aux seuls effets des classements mais aussi à la diffusion du <a href="https://theconversation.com/debat-pasdevague-lecume-des-nouvelles-politiques-de-gestion-publique-106018">Nouveau Management Public</a> (NMP), doctrine de réforme de l’État à l’œuvre dans tous les secteurs publics depuis les années 1990 et contribuant à la mise en concurrence des agents, des services, des administrations.</p>
<p>Conjuguant leurs logiques et effets, classement et Nouveau Management Public ont bouleversé les politiques universitaires. La compétition commence à l’intérieur des établissements, elle s’élargit au niveau national à travers les nouvelles agences de l’État chargées de l’évaluation des structures académiques (HCERES) ou des projets de recherche financés (ANR, appels nationaux lancés par l’État) et elle se joue aussi sur la scène européenne et mondiale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/classements-duniversites-des-enjeux-geopolitiques-sous-estimes-161914">Classements d’universités : des enjeux géopolitiques sous-estimés ?</a>
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<p>Au niveau des établissements, la politique de fusion, dans le but premier de progresser dans le classement grâce à un effet de masse, est majeure en France, <a href="https://www.eua.eu/downloads/publications/university%20autonomy%20in%20europe%20iii%20the%20scorecard%202017.pdf">au premier rang des pays européens</a> par le nombre de fusions réalisées entre 2000 et 2015. Au niveau des individus, la mesure de la performance s’effectue principalement à travers deux critères : la quantification des publications et l’internationalisation.</p>
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<p>L’annonce de la part de la Chine d’un repli sur un modèle national constitue un moment propice pour la réflexion, incitant à se pencher sur les projets de transformation commune des établissements que l’Union européenne finance de longue date, dans un sens favorable à l’égalité des carrières et à l’équité. C’est notamment le cas du projet <a href="https://wereset.eu/">RESET</a> (Redesigning Equality and Scientific Excellence Together) que l’université de Bordeaux coordonne et qui associe les universités de Porto, Thessalonique, Lodz, Oulou, Ruhr-Bochum et Sciences Po.</p>
<p>Dans le cadre de ce projet ont été menées en 2021 dans les établissements partenaires des enquêtes quantitatives sur les inégalités de carrière, et des enquêtes qualitatives sur la perception de l’excellence scientifique par les agents chargés de la mettre en œuvre. Leurs résultats amènent à interroger le modèle scientifique promu par l’université de Shanghai et à questionner la notion d’excellence scientifique à l’aune de la notion d’équité. Le constat a fondé <a href="https://wereset.eu/deliverables/reset-joint-statement-on-our-engagement-for-equality-diversity-and-excellence-in-research/">l’engagement commun</a>, rendu public en juin 2022, des sept présidents d’universités européennes concernées en faveur d’une excellence scientifique inclusive, tenant compte des inégalités qui traversent les institutions académiques.</p>
<h2>Des critères aveugles aux inégalités de genre</h2>
<p>L’excellence peut être définie comme ce qui présente <a href="https://www.enqa.eu/wp-content/uploads/ENQA-Excellence-WG-Report_The-Concept-of-Excellence-in-Higher-Education.pdf">« des caractéristiques exceptionnelles »</a>. Quand l’exception devient la norme, la notion perd de sa pertinence pour les agents chargés de la mettre en œuvre. Les données qualitatives recueillies dans le projet RESET, à travers plusieurs focus groups dans quatre universités (Bordeaux, Lodz, Porto, Thessalonique) au printemps 2021 et composés de manière homogène de chercheurs, d’enseignants, de personnels administratifs et de membres de l’équipe de gouvernance, signalent, au-delà des différences liées au contextes nationaux, l’ambivalence partagée de la notion.</p>
<p>Pour la majorité des personnes, l’excellence scientifique est une notion qui devrait être positive et constitue parfois un puissant moteur individuel. Elle se trouve aussi associée aux idées de pression et de surcharge de travail. Un élément a été souligné en particulier par les personnels administratifs : le manque de reconnaissance de leur participation, notamment dans les services de soutien à la recherche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Les participants aux groupes de discussion ont également souligné la difficulté à concilier vies et environnements personnels et professionnels pour atteindre l’excellence. La « recherche constante de l’excellence » semble lui faire perdre son sens. L’« excellence » a perdu sa partie « supra » et s’est transformée en un élément « normal » et parfois « insensé ». Par ailleurs, la pression liée au nombre de publications est perçue par les chercheurs comme une menace pour la qualité de leurs résultats de recherche. La notion d’excellence scientifique associée aux publications parait étroite par rapport à l’étendue des tâches à l’université, elle n’intègre pas l’activité pédagogique ou administrative : il faudrait plutôt parler d’excellence académique.</p>
<p>La notion est par ailleurs associée <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1350508411414293">dans la littérature</a> à celle de méritocratie que le principe de sélection est supposé garantir. Or l’objectivité des critères quantitatifs de mesure de la productivité scientifique demeure aveugle aux inégalités sociales que l’université enregistre et reproduit, au risque d’une association peu convaincante des termes « excellence » et « mérite ». Les données sur les inégalités sexuées dans le milieu académique sont bien renseignées, à tous les niveaux (établissements, États, Union européenne). Celles, inédites, produites dans le cadre de RESET, montrent la persistance d’injustices liées au genre, en particulier dans les carrières scientifiques, moins dans les carrières administratives.</p>
<p>Quel que soit le marché du travail académique en Europe, les mêmes inégalités genrées sont à l’œuvre, avec sensiblement la même répartition sexuée à toutes les étapes de la carrière. Alors que les femmes réussissent mieux leurs études universitaires et sont nettement majoritaires en master, elles ne sont plus en 2018 que 48 % en doctorat <a href="https://op.europa.eu/en/web/eu-law-and-publications/publication-detail/-/publication/67d5a207-4da1-11ec-91ac-01aa75ed71a1">au sein de l’UE</a> (43 % en France), 42 % au niveau Maître de conférences, et 26 % au niveau professeur des universités. Six présidents d’universités sur sept au sein de l’UE sont des hommes.</p>
<h2>Redéfinir le mérite</h2>
<p>Les causes de ces inégalités sont désormais bien renseignées. On sait aussi quelles sont les politiques à mettre en œuvre pour les résorber de manière transversale, en ouvrant la boite noire des recrutements et des promotions, de la production et du transfert des connaissances. Associées, dans une perspective intersectionnelle, à la lutte contre les discriminations, ces politiques tendent à rendre effective l’égale capacité à être reconnu excellent et excellente.</p>
<p>La prise en compte de l’égalité et de la diversité comme critère de classement semble devoir trouver facilement sa place dans un modèle européen, sans laisser l’initiative comme aujourd’hui à des groupes privés.</p>
<p>Cette redéfinition du mérite dans l’excellence scientifique pourrait d’autant plus amener à faire évoluer les critères à l’œuvre depuis 2003 qu’elle est associée à d’autres politiques dont les effets peuvent aller dans le même sens :</p>
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<li><p>une attention aux impacts sociaux des recherches dans leur évaluation – ce que porte particulièrement en matière d’égalité des sexes le <a href="https://eige.europa.eu/gender-mainstreaming/toolkits/gender-impact-assessment/what-gender-impact-assessment">Gender Impact Assessment</a> ;</p></li>
<li><p>une réflexion en cours sur <a href="https://journals.openedition.org/multilinguales/5580">l’empreinte environnementale des universités</a> et des activités de recherche, conformément aux objectifs de développement durable de l’ONU ;</p></li>
<li><p>un modèle de <a href="https://theconversation.com/la-science-ouverte-refaire-circuler-le-savoir-librement-133408">science ouverte</a>, qui pourrait à terme déboucher sur une évaluation plus qualitative des recherches.</p></li>
</ul>
<p>Le moment est sûrement venu d’intégrer l’ensemble de ces évolutions pour lesquelles l’UE œuvre à bas bruit depuis longtemps pour diffuser un nouveau classement des universités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span> Marion Paoletti est responsable scientifique du projet RESET.</span></em></p>À rebours d’un système compétitif ayant pour principale boussole le classement de Shanghai, des projets européens s’efforcent de penser un modèle d’excellence scientifique inclusif.Marion Paoletti, Professeure de Science politique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1831512022-05-31T19:00:22Z2022-05-31T19:00:22ZLes universités chinoises vont-elles quitter les classements internationaux ?<p>Près de 20 ans après avoir lancé le classement de Shanghai, la Chine serait-elle en train de changer de cap stratégique ? Trois mois avant la sortie ce 15 août de <a href="http://www.shanghairanking.com/">l'édition 2022 du palmarès</a> qui fait chaque année couler beaucoup d'encre, trois universités chinoises ont déclaré le 9 mai dernier leur intention de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/12/des-universites-chinoises-veulent-renoncer-aux-classements-internationaux_6125867_3210.html">« se retirer des classements internationaux »</a>. L’annonce, donnée par les organes de presse officiels nationaux, concerne l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_Renmin_de_Chine">université du Peuple (Renmin)</a> à Pékin ainsi que les universités de Nanjing et de Lanzhou, situées respectivement dans les provinces du Jiangsu, à l’est du pays, et du Gansu, dans le nord-ouest, à la jonction du plateau tibétain et de la Mongolie.</p>
<p>Si ces trois universités sont reconnues en Chine par leur taille et leur histoire, leur nom est plus confidentiel en dehors des frontières nationales, puisqu’elles ne font pas partie des « world-class universities », ces établissements de rang mondial annuellement évalués par les divers organismes de classement internationaux.</p>
<p>Les annonces de ces universités sont une réponse immédiate à l’allocution du président de la République populaire de Chine lors d’une visite à l’université du Peuple. Le 25 avril, ce dernier s’était exprimé avec véhémence sur la nécessité pour la Chine de continuer à renforcer la place de ses universités pour en faire des références mondiales mais « aux caractéristiques chinoises ». Xi Jinping avait explicitement déclaré à cette occasion que l’excellence académique internationale ne pourrait pas être atteinte en suivant les autres pays ni en adoptant des modèles ou des standards étrangers.</p>
<h2>Guerre des standards</h2>
<p>Le discours du président, suivi de ces trois annonces d’abandon du système de classement international, n’a pas encore eu de conséquences directes sur les politiques des autres établissements mais il interroge quant à la vision du Parti communiste chinois en matière d’enseignement supérieur et de recherche dans la compétition internationale.</p>
<p>Certes, la déclaration a avant tout une portée politique et symbolique, puisque l’on ne décide pas de « sortir » d’un classement tout comme l’on ne décide pas d’y entrer. L’université peut au mieux cesser de fournir des données aux organismes de classement qui continueront dans ce cas de l’évaluer à partir d’autres sources de données telles que les bases bibliographiques, les bases de brevets, les registres des prix Nobel, les moteurs de recherche, les <a href="https://collaboratif.cirad.fr/alfresco/s/d/workspace/SpacesStore/09704ef1-e988-4cd9-94e7-faf8a8dfa186/comprendre-les-classements-internationaux-20150504.pdf">enquêtes publiques</a>.</p>
<p>Plus fondamentalement, pousser les universités à sortir des classements internationaux peut sembler une décision incongrue dans le contexte géopolitique actuel. Historiquement absente du paysage de l’enseignement supérieur mondial, la Chine compte bien en 2022 dix universités dans le top 200 du classement <a href="https://www.timeshighereducation.com/world-university-rankings">Times Higher Education</a>, avec l’Université Tsinghua et l’Université de Pékin à la seizième place ex aequo. Sept universités de Chine continentale figurent dans le top 150 du <a href="https://www.topuniversities.com/university-rankings/world-university-rankings/2022">classement QS</a>.</p>
<p>Il s’agit là d’une ascension récente et fulgurante que le gouvernement chinois a fortement soutenue dans l’objectif d’attirer les talents et les investissements nécessaires à la recherche scientifique dans une économie mondiale étroitement dépendante de l’innovation et de la R&D.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1917%2C1258&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De plus en plus nombreux, les palmarès universitaires sont très attendus par les établissements comme par les étudiants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/photographie-de-personnes-diplomees-1205651/">Emily Ranquist/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/classements-duniversites-des-enjeux-geopolitiques-sous-estimes-161914">Classements d’universités : des enjeux géopolitiques sous-estimés ?</a>
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<p>Ces performances ont été obtenues non seulement par des réformes de la gouvernance et du mode de financement des universités mais aussi par une véritable guerre mondiale des standards qui ont longtemps été ceux de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivy_League">l’Ivy League américaine</a> ou d’Oxbridge. Au début des années 2000, s’appuyant sur les recherches d’une équipe de l’université Jiaotong de Shanghai, la Chine met au point sa méthode et ses indicateurs d’excellence, aujourd’hui confiés à un opérateur privé, l’Academic Ranking of World Universities (<a href="https://www.shanghairanking.com/rankings/arwu/2021">AWRU</a>). C’est donc ce classement, dit « de Shanghai », qui depuis 2003 bouleverse les équilibres traditionnels dans le grand marché mondial de la réputation des universités.</p>
<h2>Revendication d’autonomie</h2>
<p>Que Xi Jinping s’érige aujourd’hui en pourfendeur de la domination des standards occidentaux peut sembler ironique puisque c’est précisément la Chine qui a imposé les critères qui prévalent à l’échelle mondiale.</p>
<p>Davantage quantitatifs et moins axés sur la réputation et le prestige, ces critères ont permis en vingt ans à quelques universités chinoises de collaborer d’égal à égal avec les meilleures universités du monde, d’intensifier les échanges académiques, de recruter des scientifiques chinois diplômés à l’étranger, et surtout de ne pas être évaluées sur des dimensions qu’elles ne maitrisent pas ou sur lesquelles elles sont fragiles, comme la <a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682">liberté académique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-classement-de-shanghai-un-palmares-pas-tres-classe-142444">Débat : Classement de Shanghai, un palmarès pas très classe !</a>
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<p>Déclarer la sortie des classements marque ainsi une nouvelle étape dans la <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100637910">stratégie de développement</a> de l’enseignement supérieur chinois et de diplomatie scientifique avec les puissances occidentales.</p>
<p>Le message de Xi Jinping est clair : le développement académique et scientifique chinois est aujourd’hui de moins en moins dépendant du transfert de connaissances depuis l’étranger. <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-chine-est-elle-re-devenue-la-premiere-puissance-economique-mondiale-915626.html">Deuxième puissance économique mondiale</a>, la Chine a moins besoin de l’Occident comme source de légitimité car son stade d’avancement économique et scientifique suffit pour auto-déclarer l’excellence de ses universités. Ainsi, le temps où il était nécessaire d’influencer les critères des autres est révolu. Le pays avance dans sa stratégie et passe à un niveau supérieur.</p>
<p>Par cet appel au rejet des modèles et des standards étrangers, Xi Jinping ne s’adresse pas uniquement aux pays occidentaux, mais il parle également au reste du monde. S’inscrivant dans la continuité de la politique étrangère des dix dernières années, le président chinois réaffirme son opposition aux ingérences externes, surtout dès lorsqu’elles sont occidentales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-mandarins-2-0-une-bureaucratie-chinoise-formee-a-lamericaine-144968">Bonnes feuilles : « Les Mandarins 2.0. Une bureaucratie chinoise formée à l’américaine »</a>
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<p>En utilisant l’expression « aux caractéristiques chinoises » d’ailleurs, il reprend une habitude des leaders chinois depuis la mise en place de la politique d’ouverture économique par Deng Xiaoping dans les années 1980 pour s’inspirer d’exemples étrangers sans devoir justifier les éventuelles incohérences et surtout sans permettre à aucun modèle en particulier de se considérer comme tel. Paradoxalement, cette formule aux apparences de fermeture a été, au cours des quarante dernières années, un puissant moyen pour la Chine d’emprunter de l’étranger en toute liberté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-centenaire-du-parti-communiste-chinois-la-puissance-et-le-chaos-163334">Le centenaire du Parti communiste chinois : la puissance et le chaos</a>
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<p>Ainsi, plus qu’un discours isolationniste, l’appel adressé aux universités pour créer un système indépendant de connaissances et de savoirs est une revendication d’autonomie vis-à-vis des pays occidentaux, principalement des États-Unis. En cohérence avec les principes qui ont présidé à l’ouverture de la <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">« nouvelle route de la Soie »</a> et à l’intensification des investissements sur le continent africain, la Chine continue en effet de s’adresser aux autres pays, en essayant de les amener de plus en plus dans l’ordre anti-américain qu’elle prône, de les constituer en « cercle d’amis » pour reprendre les termes de la politiste <a href="https://www.iss.europa.eu/content/china-and-battle-coalitions">Alice Ekman</a>.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/la-chine-confirme-ses-velleites-de-conquete-du-monde-menee-par-un-xi-tout-puissant-86359">nouveau leadership mondial</a> que Xi Jinping tente d’installer comme alternative à celui des États-Unis défend un système de valeurs différent de celui des régimes démocratiques mais qui se veut pourtant moderne et performant en termes de résultats, notamment sur le plan scientifique et de l’éducation.</p>
<p>Quant aux effets potentiels de ces déclarations, il est encore tôt pour le dire. Pour le moment, les trois universités zélées qui ont annoncé, dans le sillage du discours présidentiel, vouloir tourner le dos aux classements ne font pas partie du peloton de tête et ont peu de relations avec les universités nord-américaines.</p>
<h2>Anticiper l’incertitude</h2>
<p>Un tel discours pourrait toutefois présager de nouvelles politiques entraînant davantage de restrictions à la mobilité académique, voire des réelles contraintes, encore plus drastiques que les actuelles, pénalisant l’activité des chercheurs et des étudiants, rappelant ainsi les prémices de la révolution culturelle, au milieu des années 1960.</p>
<p>Ces restrictions se justifieraient d’autant plus facilement aux yeux de l’opinion publique chinoise, voire internationale, que le contexte sanitaire de l’épidémie de Covid-19 amène déjà le gouvernement à restreindre sensiblement depuis quelques semaines la mobilité internationale entrante et sortante : limitation de la délivrance de nouveaux passeports aux ressortissants chinois, annulation de la plupart des vols internationaux depuis et vers la Chine, confiscation temporaire de passeports dans certaines provinces.</p>
<p>Ces mesure conjoncturelles font écho à une série de réformes qui, au cours des dernières années, ont diminué l’importance de l’enseignement des langues étrangères dans la formation secondaire et dans les concours d’entrée aux universités, jusqu’à la décision prise par le gouvernement de <a href="https://www.timeshighereducation.com/news/china-taking-isolationist-stance-higher-education">ne pas ouvrir cette année</a> les examens pour le test international « Advanced Placement » (AP) massivement utilisé par les bacheliers chinois pour accéder aux universités américaines.</p>
<p>La crise sanitaire affecte le rayonnement international des universités chinoises, cela ne fait aucun doute. Découragés par les restrictions aux libertés fondamentales et par les conditions draconiennes de surveillance et de quarantaine, les candidats étrangers se détournent au profit d’autres destinations. Nul ne sait si la Chine saura conserver sa huitième place dans le palmarès des pays d’accueil de la mobilité internationale entrante, après avoir connu des flux en constante augmentation depuis le début des années 2000 (<a href="https://ressources.campusfrance.org/publications/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_2021_fr.pdf">données Campus France 2018</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelle-democratie-3-3-la-democratisation-de-la-chine-un-espoir-a-oublier-161251">« Quelle démocratie ? » (3 / 3) : La démocratisation de la Chine, un espoir à oublier ?</a>
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<p>La prétendue « sortie » des classements serait ainsi une façon d’anticiper les incertitudes qui planent sur le potentiel des grandes universités chinoises à poursuivre l’amélioration de leur rang dans les années à venir. Ayant déjà acquis un certain prestige mondial grâce à leur ascension rapide dans les classements internationaux, ces universités pourraient par ailleurs voir peu de gains à <a href="https://www.scmp.com/comment/opinion/article/3178704/why-some-chinese-universities-are-opting-out-global-rankings?module=perpetual_scroll_0&pgtype=article&campaign=3178704">se contenter de plafonner sans pouvoir atteindre le sommet</a>.</p>
<p>L’éventuelle annonce de restrictions permanentes à la liberté de mouvement des étudiants et des chercheurs tout comme la mise en œuvre d’une politique réellement isolationniste en matière académique, serait toutefois un jeu dangereux. En indiquant dans son discours à l’université du Peuple que les universités chinoises devront « hériter du gène rouge » et « suivre le parti », Xi Jinping semble vouloir renouer avec les pratiques des années de la révolution culturelle (1966-76). À cette époque, la sélection et la promotion des élites se fondaient avant tout sur la loyauté politique : il fallait être identifié comme « rouge » pour servir le Parti dans la réalisation de ses ambitions de développement du pays. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2014-2-page-353.htm">L’« expertise », c’est-à-dire la compétence, ne suffisait pas</a>.</p>
<p>Les enjeux du XXI<sup>e</sup> siècle sont différents et Xi Jinping sait que le développement et l’influence géopolitique de son pays reposent essentiellement sur ses capacités de formation, sur ses avancées scientifiques ainsi que sur son potentiel <a href="https://www.larecherche.fr/dossier/lenseignement-sup%C3%A9rieur-va-t-il-r%C3%A9ussir-le-pari-de-la-modernisation">d’innovation</a>.</p>
<p>Dans un futur proche, nous pourrions assister à la fois à des limitations à la mobilité académique et à la poursuite du développement de l’influence scientifique et intellectuelle chinoise dans le monde, réalisant ainsi la prophétie de l’historienne américaine Rebecca E. Karl <a href="https://newbooksnetwork.com/rebecca-e-karl-chinas-revolutions-in-the-modern-world-a-brief-interpretive-history-verso-2020%20">qui écrivait en 2020</a> que « l’ère de Xi Jinping s’annonce à la fois comme la plus effroyablement insulaire et la plus tournée vers le monde extérieur de l’histoire de la Chine ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183151/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Près de 20 ans après avoir lancé le classement de Shanghai, dont l'édition 2022 a été publiée lundi 15 août, la Chine serait-elle en train de changer de cap stratégique ?Alessia Lefébure, Sociologue, membre de l'UMR Arènes (CNRS, EHESP), École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1619142021-06-27T17:00:30Z2021-06-27T17:00:30ZClassements d’universités : des enjeux géopolitiques sous-estimés ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/407935/original/file-20210623-21-1omf3wy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1917%2C1258&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De plus en plus nombreux, les palmarès universitaires sont très attendus par les établissements comme par les étudiants.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/photographie-de-personnes-diplomees-1205651/"> Emily Ranquist /Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche est désormais rythmé par les annonces saisonnières des résultats des « rankings ». Depuis 2003, date de parution du premier classement des universités mondiales par une équipe de recherche de l’université chinoise Jiaotong à Shanghai, les rendez-vous se sont multipliés.</p>
<p>À côté des classements généralistes établis annuellement par le groupe de presse britannique <em>Times Higher Education</em> (depuis 2004), par la société de conseil QS-Quacquarelli Symonds (depuis 2006) et par diverses autres équipes de recherche, médias et sociétés de services, ont fait leur apparition des classements spécialisés, par région et par discipline.</p>
<p>La publication en mai du <a href="https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/classement-thematique-de-shanghai-paris-saclay-reste-championne-en-maths.html">classement thématique</a> dit « de Shanghai » (<a href="http://www.shanghairanking.com/rankings/gras/2021">Global Ranking of Academic Subjets</a>) puis celle du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/universite-les-etablissements-americains-toujours-en-tete-du-classement-de-shanghai-la-france-a-la-13e-place_4738185.html">classement général</a> ce dimanche 15 août ont déclenché, dans la plupart des pays, des prises de parole de <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid158682/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid158682/classement-thematique-shanghai-2021-82-etablissements-francais-classes-dont-41-au-moins-une-fois-dans-le-top-100.html">ministres</a>, présidents d’université, dirigeants d’organismes de recherche se félicitant des succès rencontrés par leurs établissements. La position dans ce classement devient, à leurs yeux, une variable de substitution <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid159284/classement-de-shanghai-2021-la-france-a-la-3e-position-mondiale.html">pour mesurer l’excellence</a> du socle scientifique disciplinaire des universités, voire des systèmes nationaux.</p>
<p>D’une année sur l’autre, la conquête de quelques places permettant d’approcher – si ce n’est d’intégrer – le peloton de tête des établissements mondiaux dans une discipline donnée est vue comme le résultat de nouvelles performances scientifiques, la reconnaissance de l’excellence des travaux des chercheurs, ou encore la consécration de la pertinence des stratégies nationales et des établissements mises en œuvre à cet effet.</p>
<h2>Poids de la recherche</h2>
<p>Deux mois avant la parution du classement général (<a href="http://www.shanghairanking.com/rankings/arwu/2020">Academic Ranking of World Universities</a>), le classement thématique de Shanghai revêt une importance particulière en France. Caractérisé par une séparation historique entre organismes de recherche, universités et grandes écoles, le système d’enseignement supérieur français a longtemps échappé aux critères et aux indicateurs de performance scientifique élaborés par les chercheurs de l’université Jiaotong.</p>
<p>Ce n’est que récemment, au prix d’une suite de reformes conduisant au rapprochement et aux synergies entre entités aux statuts et aux missions différentes, que les établissements français ont fait leur apparition dans <a href="https://www.universityworldnews.com/post.php?story=20080814153800504">ce palmarès</a>.</p>
<p>Les enjeux sont sans doute encore plus importants en Chine, qui compte déjà six universités dans le top 100 du classement généraliste mondial (Tsinghua, l’université de Pékin, l’université du Zhejiang, Shanghai Jiaotong, l’université de science et technologie de Chine, Fudan). Lorsque le classement s’établit par thématique – Sciences naturelles, Ingénierie, Sciences de la vie, Sciences médicales et Sciences sociales – puis par l’une des 54 disciplines identifiées, les universités chinoises occupent la première, la deuxième ou la troisième place mondiale, devançant ainsi des établissements tels que le MIT-Massachussetts Institute of Technology, l’université Stanford ou l’EPFL-Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, essentiellement dans les sciences de l’ingénieur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1404937138945335296"}"></div></p>
<p>Tsinghua est classée première mondiale en sciences de l’énergie, deuxième en télécommunications, génie chimique, nanosciences et nanotechnologies, science et technologie de transports, tandis que Jiaotong remporte la première place en génie maritime et en ingénierie biomédicale. Parmi les autres champs d’excellence de l’université chinoise figurent le génie civil, la mécanique et la métallurgie, le génie des mines.</p>
<p>Plus que les autres classements thématiques, celui de Shanghai vise à mesurer la performance scientifique des établissements à partir d’un certain nombre d’<a href="http://www.shanghairanking.com/methodology/gras/2021">indicateurs quantitatifs</a> que sont :</p>
<ul>
<li><p>le nombre d’articles scientifiques publiés dans une discipline donnée ;</p></li>
<li><p>l’impact, c’est-à-dire le nombre de citations dans d’autres articles ;</p></li>
<li><p>le nombre de publications dans les revues scientifiques ayant un facteur d’impact élevé ;</p></li>
<li><p>le nombre d’équipes internationales impliquées dans les publications ;</p></li>
<li><p>le nombre de prix scientifiques remportés par les chercheurs de l’université évaluée.</p></li>
</ul>
<p>Le choix de la méthodologie n’est pas innocent. Classer les universités selon les performances scientifiques indique que la recherche joue un rôle de plus en plus important dans la compétition internationale. À la fin des années 1990, l’émergence de l’économie de la connaissance (« knowledge economy ») a progressivement placé l’enseignement supérieur au cœur des politiques économiques, la croissance des pays étant considérée comme fortement dépendante de leur capacité à produire des savoirs.</p>
<h2>Guerre des talents</h2>
<p>Pendant toute la décennie 1990, la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877042810011833">guerre des talents</a> a consisté à attirer les flux de mobilité étudiante en provenance d’autres pays. La compétition entre systèmes universitaires et établissements s’est essentiellement jouée sur le marketing, le prix (c’est-à-dire les bourses) et l’attractivité des conditions de vie sur le campus.</p>
<p>Depuis, le jeu s’est décalé sur le terrain scientifique. Même dans le discours d’organisations internationales telles que l’Union européenne ou l’OCDE, le curseur se déplace, de la transmission des connaissances pour la formation de travailleurs hautement qualifiés vers la course à l’innovation, elle-même étroitement liée à la qualité et à la valorisation de la recherche scientifique et technologique.</p>
<p>Le défi est celui d’attirer des professeurs, des chercheurs et des doctorants de haut niveau, capables de contribuer à l’innovation de demain. <a href="https://doi.org/10.1093/ser/mwy033">La définition et la mesure</a> de la qualité des établissements deviennent ainsi cruciales dans la stratégie de renforcement des capacités de recherche des universités qui se livrent à cette compétition mondiale. C’est précisément sur ce terrain que la Chine se positionne depuis plus de vingt ans.</p>
<p>Définir la qualité des universités est un exercice difficile du fait de l’hétérogénéité des statuts, des modèles économiques, des contraintes et des besoins de chaque discipline. On ne saurait quantifier la valeur intrinsèque des productions scientifiques qui pour la plupart se construisent sur les recherches préexistantes et contribuent aux productions à venir, parfois bien des années plus tard. Les critères et les indicateurs de qualité de la recherche sont donc contestés, au sens où ils font toujours l’objet de controverses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1151738587047743489"}"></div></p>
<p>Profitant de cet espace de discussion, et donc de négociation en vue d’un consensus international, la Chine s’est positionnée en introduisant, à son avantage, une nouvelle méthodologie. En effet, lorsque Jiaotong publie son premier classement mondial en 2003, aucun établissement chinois n’y figure. L’initiative de Shanghai se présente à l’époque comme une contribution méthodologique à l’espace international de l’enseignement supérieur, destinée à permettre aux universités chinoises de se comparer aux meilleurs établissements du monde (à l’époque essentiellement nord-américains et britanniques) et faciliter ainsi leur montée en gamme. C’était donc à l’origine une sorte d’outil de pilotage interne à la Chine, à finalité avant tout nationale.</p>
<p>Presque vingt ans plus tard, non seulement les universités chinoises se sont positionnées de plus en plus clairement dans le haut du classement mais la méthode de Jiaotong s’est aussi imposée comme l’un des principaux indicateurs de réputation des meilleures institutions académiques mondiales. En proposant ses propres critères de mesure de la qualité, la Chine, par le biais de l’université Jiaotong, a entrepris une véritable guerre internationale des standards.</p>
<p>Par analogie avec le domaine technologique et industriel, analyser le classement de Shanghai en tant qu’instrument d’un processus de standardisation permet de comprendre l’extraordinaire et fulgurante trajectoire de la Chine en matière scientifique ainsi que ses ambitions internationales.</p>
<h2>Concurrence des standards</h2>
<p>Le processus d’imposition d’un standard par rapport à un autre est fortement compétitif. Jusqu’aux années 2000, on ne mesurait pas la qualité des universités qui dépendait essentiellement de leur réputation, elle-même fondée sur le prestige et l’ancienneté. Il n’existait aucun classement comparant des universités de pays différents, même si chaque pays avait ses hiérarchies plus ou moins officielles.</p>
<p>Ainsi, compte tenu de l’histoire de la mobilité étudiante et scientifique, une telle mesure de la qualité avait fini par renforcer le prestige et l’influence des universités les plus réputées et accueillant le plus d’étudiants de l’étranger, à savoir les grandes universités de recherche des États-Unis, ainsi qu’Oxford et Cambridge au Royaume-Uni. Il aurait été impossible à la Chine de concurrencer les pays anglo-saxons sur ce terrain, car elle n’était pas encore un pays d’accueil mais plutôt un pourvoyeur de <a href="https://www.snesup.fr/la-construction-de-l-excellence-universitaire-en-republique-populaire-de-chine">mobilité sortante</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1299086759024877568"}"></div></p>
<p>Il fallait donc imaginer de nouveaux critères sur lesquels les acteurs chinois puissent avoir prise et construire progressivement leur qualité. C’est ainsi que les chercheurs de Jiaotong ont élaboré des indicateurs quantitatifs qui correspondent davantage aux atouts du système chinois.</p>
<p>Les résultats du classement de Shanghai traduisent en effet les positions de force de chaque pays en termes de moyens financiers consacrés à la recherche. Autrement dit, en passant du qualitatif fondé sur la réputation et sur l’enseignement, toutes disciplines confondues, au quantitatif de la production scientifique dans les sciences « dures » et la technologie, la Chine s’est donné les moyens de rivaliser avec les autres pays sur un marché que l’histoire tourmentée du XX<sup>e</sup> siècle lui avait rendu jusque-là inaccessible. Elle a misé sur des investissements croissants, <a href="https://www.larecherche.fr/dossier/lenseignement-sup%C3%A9rieur-va-t-il-r%C3%A9ussir-le-pari-de-la-modernisation">ciblés sur un petit nombre d’établissements</a>, et, en 2018, la <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/GB.XPD.RSDV.GD.ZS">dépense chinoise en R&D</a> représentait 2,2 % du PNB.</p>
<p>En plaçant ses universités d’excellence dans le paysage des « world class universities », la Chine pourra ainsi poursuivre la dynamique entamée avec les réformes des années 1990. Elle a créé un système universitaire fortement différencié et à deux vitesses, pour devenir une <a href="https://www.larecherche.fr/dossier/un-r%C3%AAve-dhyperpuissance-scientifique">« hyperpuissance scientifique »</a> et attirer des talents (étudiants et chercheurs) venant d’autres régions du monde au bénéfice de son économie et de son industrie.</p>
<p>L’adhésion des autres pays à ses propres standards de la qualité universitaire offre aujourd’hui à la Chine de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2015-1-page-48.htm">nouvelles perspectives géopolitiques</a>. Les rankings, en tant que standards, sont en effet des vecteurs de transformation et d’adaptation transnationaux. Ainsi, par isomorphisme, l’enseignement supérieur mondial est en train de se conformer non seulement aux indicateurs de la performance établis en Chine, mais aussi aux normes sous-jacentes, qui sont de facto reconnues et légitimées au niveau mondial. En apparence idéologiquement neutre, la méthodologie de mesure de la qualité de l’enseignement et de la recherche véhicule une vision sociétale, même sans référence explicite au paradigme politique qui l’a générée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161914/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'édition 2021 du classement de Shanghai vient de paraître. Comment cet outil de pilotage initialement dédié aux universités chinoises a-t-il engagé une guerre internationale des standards ?Alessia Lefébure, Directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1619432021-06-02T18:11:22Z2021-06-02T18:11:22ZEnseignement supérieur : la capacité à créer un réseau, clé du succès des fusions entre établissements<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403799/original/file-20210601-25-696bc8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8000%2C3493&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le modèle sociologique de la traduction permet de comprendre les mécanismes d’une coopération efficace entre des groupes d’acteurs différents.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Ces deux dernières décennies, le paysage du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche français s’est vu profondément transformer par les opérations de fusions-acquisitions. Elles surviennent à la fois entre universités publiques (Strasbourg, Lorraine, Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble-Alpes, Sorbonne Université, Paris Sciences & Lettres, etc.), <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/regroupement-des-ecoles-d-ingenieurs-c-est-enfin-parti.N651874">écoles d’ingénieurs</a> (CentraleSupélec, AgroParisTech, l’Institut Mines-Télécom, Sigma Clermont, Efrei Paris, etc.), <a href="https://www.lepoint.fr/palmares-grandes-ecoles/grandes-ecoles-de-management-entre-fusion-et-hyperspecialisation-21-02-2020-2363856_3587.php">écoles de commerce</a> (KEDGE, Skema, Neoma, etc.) ou encore entre organismes de recherche (IFSTTAR, INRAE, etc.). De fait, face à un environnement académique et scientifique hautement concurrentiel, le développement par croissance externe apparaît comme une option stratégique de plus en plus judicieuse.</p>
<p>Dans le secteur de l’enseignement et de la recherche, l’intention prêtée à ce type d’opération reflétait principalement de motifs défensifs, comme le fait de rationaliser les processus, de consolider les positions en présence, de réaliser des économies d’échelle ou encore d’adopter une taille critique. Néanmoins, comme nous l’avons montré dans un <a href="https://www.revue-rms.fr/attachment/2149476/">travail de recherche</a> publié en 2020, de récents exemples montrent que cette manœuvre peut également permettre de répondre à des <a href="https://www.dunod.com/entreprise-economie/fusions-acquisitions">objectifs offensifs</a> : prendre des positions sur de nouveaux marchés ou produire des approches innovantes par exemple.</p>
<h2>Exigences contradictoires</h2>
<p>Dans ce type d’activité, la recherche de complémentarités peut aussi bien porter sur les dimensions pédagogique (recombiner l’offre de formation, améliorer les services aux étudiants, innover dans la pédagogie), académique (varier les champs disciplinaires, augmenter le potentiel de publications, développer un réseau de recherche à l’international) ou institutionnelle (accroître sa visibilité, se hisser dans les classements internationaux).</p>
<p>Aujourd’hui, les opérations de croissance externe reposant sur une logique de co-développement semblent de ce fait, particulièrement pertinentes, pour développer de nouveaux modèles d’excellence, tant sur le plan académique que scientifique. Cela passe notamment par la combinaison de compétences complémentaires détenues par des universités ou grandes écoles différentes. Ce type de stratégie dite <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0090261615000777?via%3Dihub">« symbiotique »</a> se justifie notamment, lorsqu’un acteur ne détient pas les capacités nécessaires pour proposer des solutions adaptées aux nouvelles exigences de son marché.</p>
<p>Néanmoins,la recherche de complémentarité demeure risquée et difficile à mettre en œuvre. Pour les établissements, innover ensemble au sein d’un système d’autorité unique (mode de gouvernance) implique un management d’<a href="https://theconversation.com/fusions-acquisitions-comment-combiner-des-savoir-faire-complementaires-apres-un-rachat-151882">exigences contradictoires</a> entre exploration et exploitation, mais également entre autonomie et contrôle ou encore entre différenciation et harmonisation.</p>
<p>La politique d’intégration post-fusion ne peut donc s’accommoder d’une approche purement rationnelle à base de planification (prédétermination des synergies) et d’actions programmées. L’émergence de modèles réellement innovants nécessite en effet d’accepter une part d’incertitude et de favoriser les prises d’initiatives. Dans ce type ce contexte, le succès de l’opération réside donc tout autant sur la qualité des orientations stratégiques initiales que sur la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0018726707075288">capacité des dirigeants à construire un réseau convergent</a> d’acteurs pour soutenir le projet.</p>
<h2>« Problématiser, intéresser, enrôler, mobiliser »</h2>
<p>Dès lors, comment construire un tel réseau ? Le <a href="https://www.rse-magazine.com/Michel-Callon-et-la-sociologie-de-la-traduction_a3432.html">modèle sociologique de la traduction</a> s’avère ici fort utile pour décrypter les défis relationnels induits par la recherche d’opérations de symbiose. Ce schéma développé par Michel Callon tente de rendre compte de la façon dont un groupe d’acteurs va s’associer à un autre pour une action commune. Pour mobiliser, il s’agit de traduire ses intérêts dans le langage des partenaires, un peu comme un Français qui voudrait agir avec un Anglo-saxon.</p>
<p>Michel Callon avait fondé sa théorie à partir d’observations à propos de la domestication de la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc. Alors que l’espèce se raréfiait, des chercheurs proposent de mettre en place un élevage, avec pour objectif de réaliser leurs recherches. Pour obtenir cette réalisation, ils vont apprendre à traduire leurs intérêts dans des mots compréhensibles par d’autres acteurs qui bénéficieraient de la solution et dont ils se feront les porte-parole. Il y a les marins-pêcheurs dont les visées sont économiques, les pouvoirs politiques qui veulent se montrer comme agissant face aux problèmes et même les coquilles dont l’objectif supposé est de survivre. Celles-ci font en effet partie de ce que Michel Callon désigne sous le nom de « réseau socio-technique », associant humains et non-humains.</p>
<p>Les étapes du raisonnement peuvent ici être reprises, lorsqu’on doit aborder les fusions entre établissements.</p>
<p>Ainsi, la « problématisation » s’avère fondamentale pour faire passer les acteurs de leur position initiale à une position d’acceptation de la coopération. Il s’agit ici de faire prendre conscience aux acteurs qu’ils tous sont concernés par le problème posé et que chacun d’entre eux a un intérêt dans la réussite du rapprochement. Il peut s’agir par exemple de convaincre le corps professoral (et les étudiants) que la fusion constitue la meilleure option pour se différencier des modèles classiques d’université et développer de nouveaux avantages compétitifs (programme de recherche, différenciation de l’offre de formation, innovation et expertise pédagogique…).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403800/original/file-20210601-25-1nrzq1j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La sociologie de la traduction rend autant compte des processus de domestication de la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc que des interactions conduisant aux rapprochements entre établissements universitaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Baie_de_Saint-Brieuc_Lumi%C3%A8res_de_f%C3%A9vrier.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Différents mécanismes « d’intéressement » vont ensuite faire converger les intérêts des acteurs autour de la solution proposée. Pour une grande école ou une université, l’objectif de s’impliquer dans un tel projet (fusion) peut être autant animé par une quête de légitimité, de reconnaissance institutionnelle ou professionnelle que par la volonté de sauvegarder sa position dans les classements internationaux.</p>
<p>Pour concrétiser le projet, il faut alors parvenir à faire accepter aux acteurs (institutionnels, administratifs, enseignants, chercheurs), les rôles qui leur ont été assignés. Ce mécanisme correspond à la notion d’« enrôlement ». Le système d’alliances établi doit ainsi permettre de rendre l’action de chaque acteur prévisible et de faciliter la convergence du réseau. Plusieurs approches, comme la <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/272204-premier-bilan-des-fusions-duniversites-realisees-entre-2009-et-2017">création de structures intermédiaires</a> dans les instances de gouvernance, peuvent favoriser une telle démarche.</p>
<p>La dynamique de convergence initiée peut cependant à tout moment être remise en cause, en raison de controverses scientifiques et techniques, suscitées par les nouvelles orientations stratégiques. Les divergences d’intérêts non traitées en amont peuvent resurgir à tout moment et déstabiliser le réseau sociotechnique. Il convient alors de négocier des compromis, pour résoudre les désaccords, afin de s’assurer du soutien du plus grand nombre. Dans la situation envisagée, ces négociations peuvent porter sur le choix du nom, des garanties sur l’évolution des effectifs, l’adaptation de l’offre de formation ou le mode de fonctionnement des instances de gouvernance.</p>
<p>Cette lecture relationnelle nous enseigne ainsi que le succès d’une politique d’intégration post-fusion dépend autant de la qualité des choix stratégiques initiaux que de la capacité des acteurs à établir une traduction stable sur les complémentarités à combiner. Finalement, dans ce type d’opération, le recours à une approche <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2018-5-page-127.htm">multiniveaux</a>, combinant <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2016-3-page-465.htm">différentes lectures sociologiques</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2016-3-page-465.htm"></a> (processus de traduction, types de légitimités, dynamique de groupe, innovation minoritaire) peut s’avérer particulièrement utile, pour créer les conditions d’une dynamique positive et constructive dans le cas de fusions-acquisitions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà de la pertinence des complémentarités entre les partenaires, la réussite dépend de la manière dont les acteurs vont relever les nombreux défis relationnels.Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Julien Fernando, Doctorant en sciences de gestion rattaché au laboratoire LIPHA, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1462462020-09-24T13:30:54Z2020-09-24T13:30:54ZDébat : Comment repenser l’évaluation dans l’enseignement supérieur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359347/original/file-20200922-16-1lwwbgw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C13%2C1000%2C651&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Campus de Sorbonne Université, bâtiments situés boulevard Malesherbes à Paris.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/paris-france-september-4th-2017-boulevard-1510973381"> Michael von Aichberger/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les classements internationaux des universités sont aujourd’hui une réalité de la mondialisation qui donne un autre éclairage que la réputation historique des établissements ou que les rapports d’évaluation réalisés à leur sujet. Ils sont basés sur des éléments de performances comparatifs purement quantitatifs qu’il faut savoir interpréter dans leurs périmètres : quelles sont les données utilisées ? Quels sont les indicateurs ? Quels sont les algorithmes de calculs ?</p>
<p>Par exemple le <a href="https://theconversation.com/debat-classement-de-shanghai-un-palmares-pas-tres-classe-142444">classement de Shanghai</a> ne couvre que le domaine de la recherche et occultant d’autres missions fondamentales des universités : la transmission de connaissances, la délivrance des diplômes et l’insertion professionnelle.</p>
<p>Importants pour notre rayonnement international, ces palmarès sont souvent décalés des besoins d’information des citoyens, qui cherchent d’abord, avec des ressources budgétaires limitées, les meilleures solutions dans leurs territoires pour scolariser leurs enfants. Concrètement, ils sont plus intéressés par tel cursus de licence, d’IUT, d’ingénieur ou de master plutôt que la reconnaissance internationale de l’établissement universitaire.</p>
<p>On sait très bien par ailleurs que derrière le mot « université » ce sont en fait en France des écosystèmes qui sont classés, avec bien souvent un apport incontestable des organismes de recherche.</p>
<h2>Environnement complexe</h2>
<p>L’évocation de « l’évaluation » dans l’enseignement supérieur et la recherche conduit rapidement à des crispations liées à notre histoire et nos pratiques, sur des sujets comme l’orientation des étudiants, les filières sélectives, les droits d’inscription ou encore la liberté académique. On distinguera en particulier l’expertise institutionnelle, réalisée par un comité de pairs, du contrôle, de l’inspection, ou de l’audit.</p>
<p>Les débats actuels sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche illustrent bien la question de l’organisation et de l’utilité de l’évaluation institutionnelle qui nous intéresse dans cet article.</p>
<p>Les sujets de discussion sont nombreux : quelle est la place de l’évaluation, et son utilité ? Est-elle acceptée par les communautés évaluées ? Quel est son impact ? Quelles pratiques peut-on envisager pour mieux communiquer les résultats et faire en sorte que ceux-ci apparaissent parfaitement lisibles à l’ensemble des acteurs et notamment les futurs étudiants ?</p>
<p>L’évaluation par les pairs d’une entité de l’enseignement supérieur et de la recherche publique (université, école, laboratoire, organisme de recherche…) s’organise autour de trois acteurs :</p>
<ul>
<li><p>l’entité évaluée ;</p></li>
<li><p>le comité d’experts (pairs) ;</p></li>
<li><p>l’organisateur : le <a href="https://www.hceres.fr/fr">Hcéres</a> (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) ou la <a href="https://www.cti-commission.fr">Cti</a> (Commission des titres d’ingénieur) ou <a href="https://enqa.eu">d’autres agences</a> d’évaluation étrangères.</p></li>
</ul>
<p>Le contexte de l’organisation d’une évaluation est complexe et alterne plusieurs paramètres. La relation entre les évaluateurs et les évalués doit être basée sur la confiance et l’absence de liens d’intérêt. La distance entre l’évaluation et la prise de décision (attribution d’un label, allocation de moyens…) est essentielle. La crise sanitaire actuelle souligne en particulier l’importance des questions d’intégrité scientifique dans la recherche mais aussi dans la formation des doctorants et des étudiants.</p>
<p>L’évaluation ne peut avoir pour seul objectif de sanctionner et de réguler le système, au risque de conduire à des biais d’adaptation des acteurs. Elle doit être conçue dans une triple perspective d’aide au développement des entités évaluées, d’aide à la décision des tutelles, et d’information des publics et usagers de l’enseignement supérieur.</p>
<h2>Enjeux actuels</h2>
<p><a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100051360">Les dispositifs d’évaluation</a> par les pairs mis en place par le Hcéres, en application de la loi actuelle sur l’enseignement supérieur et la recherche, conduisent ainsi à préciser les critères retenus et à observer la réalité (rapport d’autoévaluation, indicateurs, visite du comité), autant d’étapes essentielles à l’expression d’un jugement (rapport du comité d’experts). Ces modalités s’inscrivent par ailleurs dans le cadre d’une démarche qualité et d’amélioration continue, formalisée à l’échelle européenne, <a href="https://www.hceres.fr/en/node/1550">conséquence</a> du processus de Bologne.</p>
<p>L’obligation actuelle d’évaluer toutes les formations et toutes les unités de recherche pose néanmoins la question de l’efficacité du système d’évaluation. Compte tenu de la charge induite par cette « industrialisation » d’un très grand nombre d’expertises (plusieurs centaines pour une université tous les cinq ans), celui-ci ne permet pas des investigations susceptibles de meilleures plus-values pour un établissement donné.</p>
<p>Par ailleurs, l’évaluation institutionnelle menée par le Hcéres est concentrée sur une cinquantaine d’établissements chaque année alors que d’autres établissements par exemple privés non contractualisés avec l’état, ou des établissements particuliers comme l’ENA n’ont jamais été, évalués par le Hcéres.</p>
<p>La définition du grain d’évaluation, c’est-à-dire des composantes à évaluer au sein d’une université (diplômes, facultés, écoles, instituts, UFR, départements d’enseignement, départements de recherche, laboratoires, équipes de recherche) ne devrait pas être figée, car l’autonomie des établissements a conduit à des modèles d’organisation différents.</p>
<p>Il convient ainsi de définir avec souplesse un canevas permettant à la diversité des établissements de pouvoir exprimer ainsi leurs spécificités et leurs stratégies, et éviter de les contraindre à rentrer dans un stéréotype. C’est en ce sens que le sujet de la réactualisation de la loi s’impose.</p>
<h2>Évolutions possibles</h2>
<p>La vie scientifique et pédagogique, la créativité et la réussite des étudiants ne peuvent toutefois se limiter à des indicateurs ou des classements standardisés et figés. La prise de risque, la détection des « signaux faibles » dans l’innovation sont par exemple des enjeux fondamentaux pour progresser.</p>
<p>Comment élaborer une mesure de la performance qui ne soit pas normative, qui puisse être adaptée à la diversité des personnes, des établissements évalués et des écosystèmes concernés, et qui stimule les dynamiques d’établissement ? Il s’agit en particulier d’apprécier les leviers utilisés par les établissements pour améliorer l’efficience de leur action et leur performance.</p>
<p>Une évolution globale des modes de fonctionnement <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2010-1-page-53.htm">ne pourrait se résumer</a> à une action isolée d’une agence d’évaluation pour comparer des entités, cela d’autant plus que, dans le passé, la notation des laboratoires a permis de souligner les limitations d’une telle approche (et son rejet) ne serait-ce que par <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/33843-levaluation-de-la-recherche-et-de-lenseignement-superieur">le périmètre territorial</a> limité des comparaisons effectuées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1227647335401955328"}"></div></p>
<p>On pourrait ainsi envisager de débattre d’une approche plus globale impliquant non seulement des agences d’évaluation, mais aussi les établissements, les ministères de tutelle, en intégrant dans le processus l’acceptation par les communautés concernées dans les établissements. Évoquons quelques pistes :</p>
<ul>
<li><p>au niveau de la formation et de la réussite étudiante, en distinguant les niveaux Licence (et les enjeux liés à la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants) et Master-Doctorat (et les enjeux liés à la recherche), et en recourant à un usage de données publiques certifiées par les établissements sur le suivi des étudiants, mises à jour annuellement au niveau national, comme le pratique la Cti actuellement pour les écoles d’ingénieurs ;</p></li>
<li><p>au niveau de la recherche, en distinguant la contribution des laboratoires à une stratégie d’établissement, complétée par des analyses nationales par grands champs disciplinaires (implication de l’Observatoire des Sciences et Technique, évaluation coordonnée d’équipes de recherche d’un même périmètre, synthèses disciplinaires nationales) pour analyser la position de la France.</p></li>
</ul>
<p>Pour préserver un climat de confiance, il est donc proposé des inflexions progressives des méthodes d’évaluation actuelles plutôt qu’une transformation brutale et radicale, porteuse de risques de rejet, en plaçant dorénavant – comme on peut le constater dans d’autres pays européens – au centre de la démarche d’évaluation l’établissement comme acteur principal de sa propre évaluation interne puis externe.</p>
<p>Ces réflexions structurelles et structurantes sont d’autant plus d’actualité aujourd’hui qu’elles s’inscrivent dans un contexte profondément impacté par la transition climatique la crise sanitaire laquelle, en imposant le basculement dans une société de la distanciation physique, va nous conduire nécessairement à changer de cap.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146246/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Robert est depuis le 1 septembre 2016 directeur du département d'évaluation des établissements au Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.</span></em></p>Les débats actuels sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche soulèvent bien la question de l’évaluation des universités et autres établissements d’enseignement supérieur.Michel Robert, professeur de microélectronique, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1058142018-10-28T20:18:10Z2018-10-28T20:18:10Z« Fenêtres ouvertes sur la gestion » (2) : Contrefaçon, rôles du CNU et autres classements de Shangaï<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242571/original/file-20181027-7068-rmdtrc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La lettre Fenêtres Ouvertes sur la Gestion, n°2.</span> </figcaption></figure><p>À l’affiche de cette lettre « Fenêtres ouvertes sur la gestion », n°2, datée 15 septembre 2018 :</p>
<ul>
<li>Une conversation avec l’auteur le plus consulté (hors institutions) de la Revue Française de Gestion en 2017 via la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">plateforme CAIRN</a> : Eric Lamarque, Directeur de l’IAE de Paris et président du réseau des IAE.</li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-systeme-financier-est-il-plus-securise-quen-2008-97119">Le système financier est-il plus sécurisé qu’en 2008 ?</a>
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<ul>
<li>La restitution avec <a href="https://www.cairn.info/publications-de-El%20Bekkari-Manal--679334.htm">Manal El Bekkari</a> (IAE de Lyon) d’un travail de recherche relatif à la gestion par les PME du risque de contrefaçon des sous-traitants.</li>
</ul>
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<ul>
<li>Une discussion autour de la place du doctorat aujourd’hui avec Sylvie Pommier, Directrice du <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/fr/le-college-doctoral">Collège Doctoral</a> de l’Université Paris-Saclay.</li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ceremonies-de-remise-des-diplomes-de-doctorat-pourquoi-cet-engouement-62361">Cérémonies de remise des diplômes de doctorat : pourquoi cet engouement ?</a>
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<li>Une réponse par Véronique Des Garets (IAE de Tours, <a href="http://www.vallorem.fr">laboratoire Vallorem</a>) aux critiques formulées en 2017 par le président Emmanuel Macron contre une institution trop méconnue du grand public : le Conseil National des Universités.</li>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/devenir-professeur-des-universites-en-sciences-de-gestion-retour-sur-quatre-annees-de-qualifications-93926">Devenir professeur des universités en sciences de gestion : retour sur quatre années de qualifications</a>
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<li>Un retour sur « le paradoxe des business schools », prises dans l’enfer de rivalités mimétiques suicidaires, avec Hamid Bouchikhi (<a href="http://www.essec.edu/fr/">ESSEC Business School</a>).</li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-paradoxe-des-business-schools-conversation-avec-hamid-bouchikhi-95757">Le paradoxe des business schools : conversation avec Hamid Bouchikhi</a>
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<li>L’éclairage de Jean Charroin, récemment nommé Directeur Général de l’<a href="https://www.essca.fr">ESSCA</a>, sur le rôle du classement de Shangaï comme « technologie invisible ».</li>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/travailler-sur-linvisible-dans-une-societe-amnesique-53891">Travailler sur l’invisible dans une société amnésique</a>
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<ul>
<li>Enfin, l’appel à la révolte d’Aurélien Rouquet (<a href="https://www.neoma-bs.fr">Neoma Business School</a>), publié dans la <em>Revue Française de Gestion</em>.</li>
</ul>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-a-levaluation-par-etoiles-chercheurs-en-gestion-revoltons-nous-86968">Face à l’évaluation par « étoiles » : chercheurs en gestion, révoltons-nous !</a>
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<p>Prises dans leur ensemble, ces émissions laissent le sentiment d’une situation dont le caractère paradoxal atteint désormais son paroxysme : d’un côté, le diagnostic d’un système d’enseignement supérieur malade d’avoir dépassé (en sciences de gestion comme ailleurs) depuis longtemps le “point culimnant” s’impose avec la force de l’évidence ; d’un autre côté, plutôt que de s’en saisir de manière proactive pour reconcevoir (réellement) le futur, les institutions nationales (CNRS, FNEGE, associations académiques, etc.) semblent impuissantes à instruire ces débats qui agitent pourtant le monde entier.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1052457933701861376"}"></div></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105814/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La lettre « Fenêtres ouvertes sur la gestion », une indépendance radicale et totalement assumée des choix scientifiques et éditoriaux, couplée à une liberté de parole absolue pour les invités. Vidéos.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/867422018-03-01T21:17:30Z2018-03-01T21:17:30ZScission à Saclay, modernisation de l’X… et renaissance de l’enseignement supérieur en France ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/207701/original/file-20180223-108128-1v287bf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=456%2C168%2C1585%2C968&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Visite d'Emmanuel Macron à Polytechnique sur le plateau de Saclay, le 25 octobre 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/117994717@N06/37876460926/in/photolist-ZH1KUC-ZNW3Ev-YJcoV1-ZH1LeL-YJdd9Q">J. Barande/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le Président Macron a décidé, dans la dynamique du Plateau de Saclay, la création de deux pôles dont l’un autour de l’X. Certains observateurs ont vu là un échec. On peut aussi y voir un facteur clé d’avenir si, enfin, l’X se modernise en devenant une véritable université scientifique à part entière, avec au moins deux autres universités scientifiques et technologiques : l’une autour de Centrale-Supelec et l’autre autour de l’Université d’Orsay en y intégrant certains laboratoires des organismes de recherche étatique présents sur le site depuis 1952. L’X étant la clé de voûte du système d’enseignement supérieur français, la moderniser pourrait permettre de refonder l’ensemble du système d’enseignement supérieur et de recherche français qui a beaucoup évolué depuis 20 ou 30 ans.</p>
<p>Le <a href="http://www.elysee.fr/videos/new-video-97/">25 octobre 2017</a>, le Président Macron a pris acte de la division de la COMUE (Communauté d’Universités et d’Établissements) de Saclay en deux pôles, en affirmant « Chaque jour qui passe nous démontre que les sciences et les techniques sont les viatiques de notre avenir commun ». Le 15 janvier 2018, l’État a mis fin à la plateforme décriée APB (admission post-bac) et au tirage au sort. Il a ouvert la nouvelle plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur : « Parcoursup » après avoir défini des règles complémentaires (les « Attendus »).</p>
<p>Le 14 février 2018, le gouvernement a présenté un projet de réforme du baccalauréat, et le 15 février le parlement, <a href="http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/entree-a-l-universite-deputes-et-senateurs-s-accordent-sur-le-projet-de-loi.html">après un accord de la commission mixte paritaire</a> entre la Chambre des députés et le Sénat, a adopté le projet de loi sur « l’orientation et la réussite des étudiants ». Cette loi valide le dispositif « Parcoursup ».</p>
<p>Y a-t-il un lien entre ces décisions administratives et ces votes ? Sont-ce des « faits porteurs d’avenir » qu’utilisent les prospectivistes quand ils cherchent à examiner les « futurs possibles » d’une société. Certainement, si on les relie à cette affirmation d <a href="http://bit.ly/2GBzTsQ">‘Henri Guillaume et Emmanuel Macron en 2007</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le défi présent est de concevoir à nouveau le système de recherche qui s’est constitué autour d’organismes ad hoc au cours du XX<sup>e</sup> siècle et qui, après avoir fait notre réussite, est en passe de devenir un handicap. Plus encore, le véritable enjeu est de repenser la place de l’université. »</p>
</blockquote>
<p>Assistons-nous à une « Révolution » qui permettra de doter enfin la France, d’un système d’enseignement supérieur et de recherche à la hauteur des enjeux scientifiques et sociétaux du XXI<sup>e</sup> siècle, à l’égal des grands pays d’Europe, d’Amérique ou d’Asie ?</p>
<h2>Le « baroque » de l’enseignement supérieur et de la recherche en France</h2>
<p>Dans un article intitulé <a href="http://www.cairn.info/revue-commentaire-2015-3-page-599.htm">« Le baroque universitaire français »</a> (DOI 10.3917/comm.151.0599), je me suis interrogé sur les raisons historiques de la structure du système d’enseignement supérieur et de recherche français ? Il est caractérisé par une double dualité unique au monde : enseignement supérieur et organismes de recherche étatiques d’une part, universités et grandes écoles d’autre part. Ce système est illisible, incompréhensible et complexe.</p>
<p>Ailleurs dans le monde, une université est une institution qui assure quatre fonctions : créer des connaissances scientifiques, diffuser les savoirs, assurer une formation professionnelle, sélectionner les élites. Selon ces quatre critères, la France ne possède pas de « vraies » universités. Chacun connaît l’histoire de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Il est moins connu que <a href="http://bit.ly/2oilmeZ">Léon Bourgeois</a> a tenté de créer de véritables universités en 1892 et qu’il échoua en raison de l’opposition du Sénat, comme je l’ai montré. (DOI 10.3917/comm.151.0599)</p>
<p>Jean Zay, Pierre Mendès-France et le général de Gaulle ont attaché une grande importance à la recherche scientifique, aux savoirs et à la connaissance. Dès leur arrivée au pouvoir, Mendès-France en 1953 et de Gaulle en 1959 inscrivaient la recherche comme une priorité (V. Duclert & A. Chatriot, <a href="http://bit.ly/2HFKKDu">« Le gouvernement de la recherche »</a>). Emmanuel Macron pourra-t-il leur être comparé ? Et aller plus loin ?</p>
<p>Les tentatives de réforme de Mendès-France et De Gaulle ont buté sur l’opposition de lobbies extrêmement puissants en France, notamment certains à l’association des anciens élèves de l’X en général, et au corps des Mines en particulier. Ce fut l’échec du projet de Michel Debré de regrouper à Palaiseau, autour de l’X, à l’occasion de son emménagement dans les années 1960, ses Écoles d’application. Les archives de l’X montrent que c’est en 1974 – année de l’élection de M. Giscard d’Estaing – que les réunions de déplacement de l’ENPC à Palaiseau sont interrompues.</p>
<p>Le dernier échec, probablement imputable au Corps des Mines, a été une décision prise en Conseil des ministres, torpillant le projet de « ParisTech » (Paris Institute of Technology). Pierre Veltz, directeur de l’École Nationale des Ponts et chaussées, est non renouvelé en 2003, ce qui ipso facto l’obligeait à démissionner de la Présidence de l’Association ParisTech dont j’assurai auprès de lui la Délégation générale.</p>
<p>L’idée de doter Paris d’une « Université de technologie » à l’égale du Massachusetts Institute of Technology, de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich ou de l’Imperial College à Londres était enterrée… même si la « marque » ParisTech subsiste. L’objectif de ParisTech est abandonné en 2013 et l’EPCS (Établissement Public de Coopération Scientifique) est dissous au 1° janvier 2016.</p>
<h2>Saclay : 65 ans de politique d’enseignement supérieur et de recherche</h2>
<p>Les évènements récents sont un point d’aboutissement de 65 ans d’installation d’organismes de recherche scientifique à Saclay : inauguration des bâtiments du C.E.A en 1952, création en 1955, de l’Institut de physique nucléaire d’Orsay, <a href="http://www.media-paris-saclay.fr/petite-ensaclaypedie-par-pierre-veltz/">histoire bien décrite par P. Veltz</a>.</p>
<p>Depuis une vingtaine d’années, les gouvernements successifs essayent de mettre en œuvre ce qui semble une évidence pour tout observateur connaissant les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche étrangers, qu’ils soient européens, américains, et maintenant chinois ou coréens : associer la recherche scientifique et technologique et l’enseignement supérieur en formant des cadres de haut niveau s’appuyant sur les sciences de l’homme et de la société, mais aussi des ingénieurs et des docteurs qui, formés aux sciences de la matière et de la vie, sont les vecteurs de la recherche fondamentale et de l’innovation dans la société. C’est ce qui manque cruellement à la France et provoque son énorme déficit commercial : des entreprises faibles en R&D et en capacité d’innovation.</p>
<p>Dans le cadre d’un grand projet lié aux initiatives prises depuis une dizaine d’années qu’il s’agisse tout d’abord de la création de « P.R.E.S. (Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur) puis de « COMUE », l’Université de Paris-Saclay a été mise sur les rails sous l’impulsion des Présidents Dominique Vernay et Gilles Bloch avec le travail novateur et incessant de Pierre Veltz. C’est un « grand projet à la française » comme le montrent quelques chiffres simples : 15 % du budget de la recherche française, 300 laboratoires de recherche, 15 000 professeurs et doctorants avec un objectif essentiel : être visible dans le « classement de Shanghai » !</p>
<p>De 2007 à 2014 – date de création de l’Établissement Public – le projet a été porté par la Fondation de coopération scientifique, mais la gouvernance n’a pas été facile à imaginer et à mettre en place. Pour de nombreux acteurs, il manquait « l’affectio societatis », et surtout l’un des acteurs ne jouait pas le jeu : l’École Polytechnique.</p>
<p>Pierre Veltz le soulignait dans un article dans <a href="http://bit.ly/2BINFL5"><em>Les Echos</em> en février 2017</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Dans cet univers où l’on retrouve tant de grands noms de l’enseignement supérieur, le chemin de la convergence rencontre forcément des difficultés. Disons les choses simplement, Polytechnique résiste. Son président et une partie de ses anciens élèves pensent que leur École peut jouer seule dans la cour des grands, à l’échelle mondiale. C’est, à mon avis, une grave erreur d’analyse. Les principales institutions présentes sur le site ont donc choisi d’étudier, sans l’X, la voie vers de plus fortes synergies. Cette mise en retrait de Polytechnique est regrettable. Elle n’est pas dramatique. »</p>
</blockquote>
<h2>La difficile modernisation de l’X</h2>
<p>En fait l’X a toujours pensé être la meilleure, en France naturellement, mais aussi en Europe et dans le monde. Le classement de Shanghai en 2002 a fait l’effet d’une douche froide. Le roi était nu. L’X n’a apporté à la science qu’un seul prix Nobel (Becquerel en 1903) et aucune médaille Field. Elle a délaissé la recherche scientifique depuis longtemps alors que c’était sa raison d’être (« Pour la science… » dit sa devise), malgré les efforts d’Henri Poincaré et d’Henri Becquerel. « Louis Pasteur attribue la défaite française aux carences de la science française qu’incarne à ses yeux l’École polytechnique et son éloignement de la recherche. » Les autres grandes écoles ont fait comme elle, c’est le cas de l’École des Mines de Paris : au début des années 2000, le directeur des études interdisait à ses élèves de troisième année de préparer un D.E.A. (Diplôme d’Études Approfondies, l’actuel Master 2) afin de les dissuader d’aller vers la recherche.</p>
<p>J’ai souligné dans ces colonnes les <a href="https://theconversation.com/la-refonte-de-lx-une-quatrieme-occasion-manquee-en-125-ans-52591">occasions manquées de réformer l’X</a> et ses écoles d’application. Les prises de conscience viennent d’avoir lieu. Le Président Macron 2017 a annoncé la création, autour de l’École Polytechnique, d’un regroupement comportant, pour le moment, l’ENSTA ParisTech, l’ENSAE ParisTech, Télécom ParisTech, Télécom Sud Paris. Cette institution dont le nom de code est NewUni, « délivrera tous les diplômes » et « devra trouver des voies originales pour évoluer vers un MIT à la française ». Selon des modalités différentes, on va probablement retrouver soit le périmètre de Michel Debré dans les années 1960 (L’X et ses Écoles d’application) soit un périmètre voisin de celui de ParisTech (les neuf écoles d’ingénieurs de Paris intra-muros et l’X).</p>
<p>En actant la scission du « <strong>gros machin jacobin</strong> » de Paris-Saclay, dont les difficultés sont connues depuis quelques années, le Président de la République met en œuvre une réforme de l’X qui peut marquer le début d’un renouveau, engager un processus manqué par le Président du Conseil Léon Bourgeois en 1892, et faire entrer la France entrer dans l’ère de la modernité en la dotant de <strong>vraies universités</strong> dont notre pays ne dispose toujours pas aujourd’hui.</p>
<p>En effet, avec les réformes Le Drian du 15 décembre 2015, l’X a créé des « Bachelors » internationaux qui attirent de très bons étudiants étrangers. Aujourd’hui des lycéens français brillants admis dans de très bonnes classes préparatoires commencent par le « bachelor » de l’X. Ce fait porteur d’avenir vient en complément d’un autre « signal faible » : depuis 15 à 20 ans, dans certains milieux aisés et informés, un enfant brillant est directement envoyé dans un bon « College » américain ou anglais, car le bilan des avantages et inconvénients des CPGE (Classes préparatoires aux Grandes Écoles) est désormais regardé à la loupe. L’X a aussi créé un <a href="https://portail.polytechnique.edu/graduatedegree/">« graduate degree de l’école polytechnique »</a> de niveau master (bac +5) dispensé en Anglais, pour le moment.</p>
<p>L’X peut devenir sérieusement scientifique et former ses élèves par la recherche, par exemple en intégrant dans ses rangs des laboratoires de recherche associé du CNRS ou une partie des laboratoires de recherche du CEA qui n’a plus de raison d’être – mise à part la partie recherche sur les armes nucléaires – comme me l’avait dit, il y a bien longtemps, l’ancien ministre Pierre Guillaumat.</p>
<h2>Une occasion de refonder l’enseignement supérieur et la recherche en France</h2>
<p>Alors quid de l’excellence sur le plateau de Saclay ? Il est possible d’y créer – comme à Boston – plusieurs universités scientifiques et technologiques. Au moins trois : l’une fondée sur l’actuelle université de Paris-Orsay (ex Paris Sud), une autre autour de l’École Polytechnique ; une troisième autour de l’École Centrale de Paris, regroupée avec SUPELEC, et d’autres établissements telle que l’ancienne École Normale Supérieure de Cachan. Aux établissements – tels qu’Agro-ParisTech ; par exemple et l’INRA ou Chimie-ParisTech – dans une logique « bottom up », de décider où se rattacher à partir de l’affectio societatis.</p>
<p>À l’État de jouer son rôle en accompagnant les dynamiques locales, et surtout en mettant les établissements à armes égales : ce qui suppose l’autonomie donnée à l’Université d’Orsay. Ce qui implique une réforme nécessaire : l’autonomie pour les universités françaises. En effet de telles synergies, comme à Saclay permettant de doter la France de vraies universités se retrouvent dans les régions, à Strasbourg ou à Lyon et dans d’autres villes.</p>
<p>L’X est la clé de voûte du système baroque français, et la faire entrer dans la modernité c’est permettre la refondation du système d’enseignement supérieur. La décision prise à Saclay, d’acter son divorce de l’ex–Université de Paris-Saclay n’est pas, contrairement à ce qu’ont pu dire de <a href="https://theconversation.com/rompre-la-malediction-de-la-dualite-universite-grandes-ecoles-90418">fins observateurs</a>, un échec, mais peut-être interprétée comme un facteur d’avenir. La décision annoncée le 27 octobre 2017 consacrant l’échec de la COMUE de Saclay peut paraître comme un renoncement à l’idée de « Construire un Cambridge à la française » (<em>Le Monde</em> du 27 octobre 2017).</p>
<p>Au contraire la réforme de l’X, telle qu’elle est actée, est – c’est mon interprétation – la reprise de l’idée de ParisTech créant un « Caltech » ou une « École Polytechnique Fédérale de Zurich » à la française. <a href="https://www.polytechnique.edu/fr/jean-lou-chameau-accompagnera-la-mise-en-place-de-new-uni">La nomination de J.L. Chameau</a>, comme coordonnateur de NewUni en est le signe. Le prochain Président de l’X, plutôt que d’être issu d’un cabinet ministériel, devrait avoir dans son cursus un doctorat <em>ès</em> science d’une grande université étrangère.</p>
<p>L’X peut s’adapter enfin au monde moderne et devenir une université scientifique à part entière, aux côtés de l’École centrale – son ennemi de toujours – pilier d’une université technologique et aux côtés de l’Université d’Orsay, renforcée par l’intégration de certains laboratoires d’organismes de recherche étatique qui n’auraient plus de raison d’être dans un système d’enseignement supérieur et de recherche adapté au XXI<sup>e</sup> siècle. La dynamique du plateau de Saclay redeviendrait positive, grâce aux synergies créées depuis 60 ans et sans « mariage forcé ». Si tel est le cas, on pourrait dire que la France, de ce point de vue, entre dans l’ère de la modernité, notamment si la maïeutique d’autres COMUE, notamment à Paris se concrétise.</p>
<h2>Doter enfin la France de véritables universités, comme dans tous les pays du monde</h2>
<p>En 1954, par l’importance accordée à la recherche scientifique, Pierre Mendès-France reprenait le flambeau de Jean Zay ministre du gouvernement de Léon Blum en 1936. En 1959 de Gaulle reprenait l’action en faveur de la recherche que la IV° République n’avait pu mener à bien, en créant ce qui deviendra la Délégation à la Recherche Scientifique et technique. Jean Zay, Pierre Mendès-France et Charles de Gaulle confrontés aux « rigidités » de l’École Polytechnique « qui dévitalise la recherche française » et « au grand corps mou » qu’est l’Université (<a href="https://www.vjf.cnrs.fr/histcnrs/pdf/laugier-crh/mers.pdf">Jean Louis Cremieux- Brilhac</a>), s’appuyèrent sur les grands organismes de recherche étatique.</p>
<p>Dans la France des années 50 et 60, ce jacobinisme était probablement la seule réponse efficace. Mais Mendès France comme de Gaulle (<a href="http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00027/discours-a-l-universite-de-toulouse.html">Discours de 1959 à l’Université de Toulouse</a>) soulignaient l’importance de la <strong>liberté</strong> et de la <strong>mobilité</strong> dans les activités de recherche parfois incompatibles avec l’autorité de l’État. Le Président Macron le sait bien.</p>
<p>Des prises de conscience récentes ont conduit par les lois de 2006, 2007, 2013 à enclencher une réorganisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche par la mise en place de PRES et la création de COMUE dont celle de Saclay qui a montré les limites de ces politiques.</p>
<p>En 1956, lors <a href="http://www.fabriquedesens.net/Colloque-de-Caen-de-1956-Colloque">du colloque de Caen</a>, Mendès France pouvait dire</p>
<blockquote>
<p>« Pourquoi tant de barrières entre grandes écoles et universités, entre facultés, entre cadres de la Recherche et de l’Enseignement. Comment justifier cette ossification des matières d’enseignement. Pourquoi cette muraille de Chine entre recherche fondamentale et industrie ? »</p>
</blockquote>
<p>Soixante-deux ans après, on pourrait presque écrire la même chose quand on entend certains propos tenus en privé par certains responsables.</p>
<p>Depuis 20 ans les structures et les mentalités ont profondément évolué. Dans de nombreuses villes, les EPSCP (dénomination officielle des universités actuelles) collaborent avec des laboratoires de recherche étatique et des Écoles d’ingénieurs, dans les grands centres comme Strasbourg ou Lyon, mais aussi dans des villes moyennes. Je fais l’hypothèse que le Président Macron et son gouvernement, par cette décision forte et symbolique, actant le refus des mariages forcés à Saclay, donnent le signal qu’ils vont prendre à bras le corps la nécessaire réorganisation de l’enseignement supérieur (universités et écoles) et des organismes de recherche étatiques.</p>
<p>Voudront-ils mettre en place, en France comme dans tous les grands pays, de véritables universités gérées de façon autonome ? Ces évolutions et ce renouveau supposeront aussi d’avoir un État plus efficace : une gestion de l’enseignement supérieur et de la recherche profondément transformée, par la création d’une « administration de mission » légère et efficace se substituant à la technostructure actuelle (le « mammouth ») et moins coûteuse. La détermination du Président devrait permettre cette « Révolution », à condition d’éviter l’erreur de Léon Bourgeois en 1892 : l’État ne doit pas décider dans quelles villes de France seront mises en places ces « vraies » universités. Il doit accompagner les villes dans lesquelles les acteurs locaux sont prêts à avancer et le veulent.</p>
<p>L’État central doit agir par le « bottom up » remplaçant le vieux jacobinisme colbertiste et néo-marxiste, inadapté au XXI<sup>e</sup> siècle. Des « <strong>États généraux de l’enseignement supérieur et de la recherche</strong> », comme le colloque de Caen en 1956, dont le rapport a été repris par le général de Gaulle trois ans plus tard, pourraient permettre d’accompagner la réflexion et l’action de l’État et celles de tous les acteurs concernés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86742/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Bobe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La création sur le campus de Saclay, du pôle nommé « NewUni », autour de l’École Polytechnique, préfigure-t-il une refondation de l’enseignement supérieur et de la recherche français ?Bernard Bobe, Professeur des Universités E R, Chimie ParisTechLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/867432017-11-29T20:38:02Z2017-11-29T20:38:02Z« Une Grenouille vit un Bœuf qui lui sembla de belle taille… », ou comment (ne pas) moderniser les universités françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192884/original/file-20171101-19847-1bd7fjt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Benjamin Rabier illustration pour la fable de La Fontaine, « La Grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf ».</span> <span class="attribution"><span class="source">Fonds Rabier</span></span></figcaption></figure><p>Réputé pour son ironie, l’historien <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/559-doit-on-le-dire">Jacques Bainville écrivait en 1925</a> : « On nous annonce tous les jours de nouvelles réformes. Pourquoi n’en trouve-t-on une seule, mais qui soit bonne ? » Les réformes imposées en France à l’enseignement supérieur et la recherche montrent combien cette remarque reste d’actualité.</p>
<p>Ces réformes marquent depuis un certain temps une constante : le postulat qui les guide, devenu un dogme en dépit des alternances politiques, présuppose que l’enseignement supérieur et la recherche ne pourront viser à l’excellence et à la reconnaissance internationale sans que les institutions qui en ont la charge ne se regroupent pour former des entités de grande taille, seules capables – dit-on – d’égaler les universités les plus prestigieuses.</p>
<h2>Shanghai 2003 : une humiliation nationale</h2>
<p>On se souvient du tollé médiatique après la publication, en 2003, du premier classement mondial des universités établi par l’École d’éducation de l’<a href="http://www.shanghairanking.com/fr/ARWU2003.html">université chinoise Shanghai Jiao Tong</a>.</p>
<p>Aucun établissement français ne figurait parmi les cinquante premiers classés, et seulement deux universités françaises apparaissaient dans la deuxième cinquantaine. Le ton des commentaires journalistiques suggérait que venaient de se produire à la fois un cataclysme intellectuel et une humiliation nationale.</p>
<p>Personne ne semblait prêter attention au fait que ce classement, entaché de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00388319/fr/">fautes</a> <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs11192-007-1712-1">méthodologiques</a> <a href="http://www.ost.uqam.ca/publications/que-vaut-le-classement-de-shanghai-des-universites/">élémentaires</a>, émanait d’une université de troisième ordre, qui occupait elle-même l’une des dernières places dans sa propre évaluation.</p>
<p>Sans être vraiment crédible, le classement de Shanghai avait cependant un mérite : celui de tomber à point pour permettre aux responsables politiques, toujours habiles dans la manipulation des médias, de justifier le projet préalablement conçu d’une « modernisation universitaire ». Le dispositif principal de cette « modernisation » était l’agrégation des institutions existantes, d’abord sous la forme d’« établissements publics de coopération universitaire » (2003), puis de « pôles de recherche et d’enseignement supérieur » (2006), enfin de « communautés d’universités et établissements » (devenues obligatoires à partir de 2013).</p>
<p>Si le jargon de ces appellations pouvait évoluer, l’idée centrale demeurait fixe : il faut regrouper, afin d’obtenir des institutions de taille considérable, car elles seules pourront occuper une position honorable dans les classements internationaux.</p>
<p>Dorénavant, « visibilité », « affichage » et « communication » seront les trois mots clé du discours qui accompagnera cette marche vers l’excellence.</p>
<h2>Une étude du professeur Mérindol</h2>
<p>L’un des défenseurs les plus convaincus et actifs de cette modernisation par agrégation est Jean‑Yves Mérindol, professeur de mathématiques, ancien président de l’Université Louis-Pasteur à Strasbourg, ancien directeur de l’École normale supérieure Paris-Saclay, ancien président du groupement « Université Sorbonne-Paris-Cité », et ancien conseiller du président de la République en charge de l’enseignement supérieur et la recherche. Dès 2004, <a href="http://www.liberation.fr/tribune/2004/09/16/quid-du-palmares-universitaire_492685">il crut pouvoir expliquer</a> la piètre position des établissements français dans le classement de Shanghai par leur dispersion et leur petite taille.</p>
<p>La faute en reviendrait à la loi <a href="http://bit.ly/1rp7sDw">Edgar Faure</a> qui, en 1968, préconisa de limiter la taille des universités entre 8 000 et 15 000 étudiants, non seulement dans un souci de gestion de proximité, mais aussi par crainte de la capacité de contestation politique des établissements populeux.</p>
<p>Après avoir multiplié ce genre de déclarations pendant une douzaine d’années, le professeur Mérindol s’est enfin livré, en 2016, à une étude quantitative destinée à étayer ses propos (1). En croisant les positions des universités les mieux placées dans quatre classements mondiaux différents, avec leurs tailles mesurées par le nombre d’étudiants, J.-Y. Mérindol vise à démentir ce qu’il appelle l’« illusion française », selon laquelle les meilleures universités sont relativement petites.</p>
<p>Ainsi, observe-t-il, le nombre d’étudiants dans les quatre « super leaders » occupant invariablement les premières places (Harvard, MIT, Stanford et Cambridge), va de 11 300 à 22 000, avec un effectif moyen de 17 100. Dans les dix universités de l’« hyper élite », situées juste derrière les quatre « super leaders », l’effectif estudiantin va de 8 100 (Princeton) à 44 900 (Université de Californie à Los Angeles). Mérindol en conclut que les meilleures universités mondiales sont loin d’être petites. Dans le contexte du débat hexagonal, cette démonstration est un argument en faveur du regroupement, accréditant l’idée que la construction d’établissements de taille importante aidera les universités françaises à se hisser dans les classements.</p>
<p>Pourtant, s’agit-il d’une démonstration vraiment solide et convaincante ? L’« illusion française » brocardée par le professeur Mérindol consiste à affirmer, comme le fait par exemple le <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4062.asp">rapport parlementaire de Sandrine Doucet et Benoît Apparu</a>, que les universités les plus prestigieuses accueillent entre 10 000 et 20 000 étudiants. Les chiffres cités par J.-Y. Mérindol autorisent à nuancer cette généralisation, sans la contredire radicalement.</p>
<p>En effet, parmi les quatre meilleures universités, seul Harvard dépasse, très légèrement, cette fourchette (22 000 étudiants), alors que les trois autres s’y confinent (11 300 au MIT, 16 100 à Stanford, 19 000 à Cambridge). Quant aux dix établissements qui suivent dans les classements, cinq d’entre eux se situent sous la barre des 20 000 (16 700 à Chicago, 8 100 à Princeton, 19 200 au ETH Zurich, 15 700 à l’Imperial College London, 2 200 au California Institute of Technology), et les cinq autres la dépassent (22 600 à Oxford, 38 200 à Berkeley, 31 300 à Columbia, 38 300 à l’University College London, 44 900 à l’University of California Los Angeles).</p>
<p>Ainsi, sur les quatorze universités les mieux classées, la majorité, à savoir huit, confirment la « légende », alors que seulement six la contredisent. Ces faits n’ont pas échappé à l’attention de J.-Y. Mérindol. « La leçon que j’en tire – conclut-il avec une curieuse forme négative – est qu’il n’est pas impossible d’être très bien en étant petit. En revanche, je démontre qu’il ne s’agit pas d’un modèle international obligatoire, ni même d’un modèle dominant » (J.-Y. Mérindol, « Entretien », <em>op. cit</em>., p. 4).</p>
<p>On peut aisément agréer cette conclusion, car nul n’a jamais imaginé qu’il ait pu exister, à l’échelle mondiale, un modèle universitaire dominant, et encore moins un modèle obligatoire.</p>
<h2>Une marche forcée vers le modèle de l’université du Tiers-monde</h2>
<p>Toutefois, on se demande quel est l’apport réel de cette démonstration au débat français sur le regroupement des universités. Mérindol établit que les quatorze meilleures universités mondiales inscrivent entre 2 200 et 44 900 étudiants, avec une moyenne de 21 829 étudiants par établissement. La médiane se situe à 19 100, ce qui est une valeur plutôt conforme à la prétendue « légende ».</p>
<p>Mais la question principale est de savoir si ces chiffres permettent d’établir une corrélation entre la taille et l’excellence des établissements. Pour le vérifier, il faut faire ce que J.-Y. Mérindol a omis de faire, notamment examiner de même la taille des établissements qui se traînent dans les dernières places des classements. Si la taille des meilleurs diffère significativement de la taille des derniers, on pourra conclure que le classement dépend de leur taille.</p>
<p>Quand on se limite, pour simplifier le calcul, aux dernières positions du classement de Shanghai de 2017, on constate que les effectifs estudiantins des quatorze parmi les établissements occupant les dernières places sur 800 (2), vont de 4 889 (<a href="http://www.yokohama-cu.ac.jp/en/">Université de la ville de Yokohama</a>) à 337 612 (Université de l’Afrique du Sud à Pretoria), avec une moyenne de 43 747 étudiants par établissement. Et puisque le cas exceptionnel de cette dernière université affecte fortement la moyenne, il convient de calculer la valeur médiane : celle-ci se situe à 20 444. Ce simple calcul permet de se rendre compte que les tailles médianes des universités considérées comme les plus excellentes et des universités mal classées restent similaires (19 000 contre 20 444). L’un et l’autre chiffre sont d’ailleurs très proches de la « légende » combattue par le professeur Mérindol.</p>
<p><strong>On ne peut qu’en conclure que la position dans les classements ne dépend pas de la taille des établissements mesurée par le nombre d’étudiants inscrits</strong>. La partie historique de l’étude proposée par J.-Y. Mérindol a le grand mérite de rappeler que les considérations sur la taille optimale des universités sont un leitmotiv des débats français depuis le milieu des années 1950 (J.-Y. Mérindol, « Quelle est la taille des universités de recherche ? », tapuscrit du 30/11/2016, revu en janvier 2017, p. 25-33). Il serait temps d’admettre que cette taille ne présente aucune corrélation avec l’excellence des universités.</p>
<p>Qu’en est-il de la taille des universités françaises, prétendument émiettées et petites ? Avant les regroupements, beaucoup d’universités françaises avaient des effectifs tout à fait comparables, voire plus importants que les meilleures universités du monde : 20 292 étudiants à l’<a href="http://bit.ly/2A83St1">université Lille-1</a>, 30 000 à l’université de <a href="http://bit.ly/2n5ZnKb">Toulouse-2-Jean Jaurès</a>, 29 000 à l’<a href="https://www.univ-rennes1.fr/rennes-1-en-chiffres">université Rennes-1</a>, 38 000 à l’<a href="http://bit.ly/2iSgB9n">université de Nantes</a>, 38 900 étudiants à l’<a href="http://bit.ly/2k21JbM">université Paris-Descartes</a>, 42 000 étudiants à l’<a href="http://bit.ly/2AAaVLF">université Paris-1</a>. Et pourtant, une seule de ces grandes universités caracolait, très loin, dans le <em>ranking</em> de Shanghai. Peut-on sérieusement imaginer que leur « petite taille » fût la cause de leur piètre évaluation ?</p>
<p>Les regroupements en cours, lancés pour garantir à la France une place plus glorieuse dans les classements mondiaux, s’orientent vers la création de véritables mastodontes : l’« Université fédérale de Toulouse » se prévaut d’accueillir <a href="http://www.univ-toulouse.fr/">104 237 étudiants</a>, le groupement « Sorbonne Paris-Cité » affiche <a href="http://bit.ly/2iU0YOD">120 000</a>, l’« Université Bretagne-Loire » en gestation s’enorgueillit d’en avoir inscrit un total de <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4062.asp">160 000</a>. Il s’agit de gabarits sans équivalent au regard des universités les mieux classées et les plus prestigieuses.</p>
<p>Quelles sont les analogies les plus proches de ces monstres que le rêve français d’excellence a engendrés ? C’est par exemple l’<a href="http://bit.ly/2jnExkg">Université de Karachi</a> (95 000 étudiants), l’<a href="http://www.du.ac.in/du/index.php?page=about-du-2">Université de Delhi</a> (132 435), l’<a href="http://cu.edu.eg/QAU">Université du Caire</a> (257 200) ou encore l’<a href="http://bit.ly/2Bps4oo">Université de l’Afrique du Sud</a> (337 612), celle-là même qui occupe l’un des derniers rangs du classement de Shanghai. À l’évidence, la « modernisation » voulue par les pouvoirs publics conduit le système français vers le modèle de l’université des pays sous-développés.</p>
<h2>L’exception qui ne confirme pas la règle</h2>
<p>Jean‑Yves Mérindol, qui soutient cette « modernisation », assortit une partie de ses conclusions de la clause suspensive : « sauf Caltech », « hors Caltech » ou « à l’exception du Caltech » (J.-Y. Mérindol, « Quelle est la taille des universités de recherche ? », <em>op. cit.</em>, p. 2, 3, 14). En effet, le California Institute of Technology, de même que l’université de Princeton, infirment l’hypothèse de la corrélation entre la taille des établissements et leur classement.</p>
<p>Le Caltech occupe invariablement l’une des premières places dans tous les classements (9<sup>e</sup> place en 2017 dans le classement de Shanghai ; 4<sup>e</sup> place dans le QS World University Ranking pour 2018 ; 3<sup>e</sup> place dans Times of Higher Education World University Ranking pour 2018 ; 6<sup>e</sup> place dans US News : Best Global Universities pour 2018). Il est pourtant très petit, n’accueillant en 2017 que 2 250 étudiants. On pourrait songer à éliminer ce cas comme atypique. Je préfère le considérer, au contraire, comme un exemple significatif et révélateur, bien qu’inhabituel.</p>
<p>Par sa taille, cet établissement est proche de l’<a href="https://www.ehess.fr/fr">École des hautes études en sciences sociales</a>. Le nombre d’étudiants inscrits à l’EHESS s’élève à environ 3 000, contre 2 250 au Caltech. Le nombre d’enseignants est similaire : 233 enseignants-chercheurs à l’EHESS, contre 300 <em>professorial faculty</em> au Caltech, à quoi il faut ajouter 500 chercheurs présents dans les centres de l’EHESS et 600 <em>research scholars</em> dans les équipes du <a href="http://www.caltech.edu/content/caltech-glance">Caltech</a>. Analogues par leurs tailles, les deux établissements se distinguent nettement par le sort que leur réservent les classements mondiaux : le Caltech y occupe les premières places, l’EHESS n’y figure jamais.</p>
<p>Pourquoi ? La taille ne peut en être responsable, puisqu’elle est presque identique dans les deux cas. L’origine de cette différence est double. La première raison est que les critères des classements mondiaux favorisent les sciences exactes et naturelles anglophones : ce sont d’abord les publications en langue anglaise dans des revues de sciences naturelles et exactes, comme <em>Science</em> ou <em>Nature</em> ; ce sont ensuite les prix Nobel, qui n’existent que pour quelques rares disciplines scientifiques, excluant les humanités et les sciences sociales, à l’exception de l’<a href="http://bit.ly/2n60xW3">économie dont le vrai-faux Nobel</a> est décerné en réalité par la Banque de Suède.</p>
<p>Il est cependant une deuxième raison, indépendante de la domination des sciences exactes et de la langue anglaise. C’est cette deuxième raison qui jette une lumière crue sur l’absence des classements non seulement de l’EHESS, mais aussi de beaucoup d’autres établissements français. Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_des_hautes_%C3%A9tudes_en_sciences_sociales">budget annuel de l’EHESS</a>, la masse salariale comprise, est limité à 60 millions d’euros, tandis que le budget annuel du Caltech s’élevait en 2017 à <a href="http://www.caltech.edu/content/caltech-glance">2,6 milliards de dollars</a>, c’est-à-dire environ 2,2 milliards d’euros. Il convient de modérer cette comparaison en ajoutant qu’une partie considérable (1,9 milliard de dollars) de cette dernière somme revient au Jet Propulsion Laboratory, travaillant notamment pour la NASA et profitant des largesses de cette richissime agence, mais abrité au Caltech. Il n’en reste pas moins que la partie <em>Campus</em> du Caltech, établissement d’enseignement et de recherche au sens strict, avec ses départements de sciences exactes, de sciences naturelles, de sciences sociales et de sciences humaines, dispose au Caltech d’un budget annuel de 692 millions de dollars (597 millions d’euros).</p>
<p>Ainsi, à effectifs presque identiques, le Caltech bénéficie de moyens financiers dix fois supérieurs à ceux de l’EHESS. C’est l’une des différences essentielles entre les deux établissements. On peut rappeler également que l’université Harvard, l’un des « super-leaders », disposait en 2017 d’un budget de <a href="https://finance.harvard.edu/files/fad/files/final_harvard_university_financial_report_2017.pdf">5 milliards de dollars</a>, tandis que l’université Pierre et Marie Curie, la <a href="http://bit.ly/2tmeJJP">mieux positionnée des universités françaises</a>, à la 65<sup>e</sup> place du classement de Shanghai, avait à sa disposition, la même année, un budget de 317 millions d’euros, c’est-à-dire treize fois plus petit, alors qu’elle est plus « grande » que Harvard (33 789 étudiants inscrits à l’UPMC, contre 22 000 à Harvard).</p>
<h2>L’argent c’est le temps</h2>
<p>Ces chiffres se passent de commentaire. Si les pouvoirs publics voulaient sincèrement créer les conditions nécessaires pour assurer aux établissements français cette excellence dont ils sont si diserts, ils devraient s’intéresser davantage à leur financement qu’à leur taille. Une étude statistique menée sur les universités américaines montre que leurs positions dans le classement de Shanghai sont étroitement corrélées avec quatre variables : d’abord, le montant global des ressources financières et le montant du budget réservé à la recherche, ainsi que le nombre d’enseignants employés ; ensuite le caractère privé de l’université et la part importante des recherches et de l’enseignement de sciences exactes et de sciences pour l’ingénieur <a href="http://bit.ly/2Bot38p">par rapport aux autres domaines du savoir</a>.</p>
<p>Pourtant, tout ne se résume pas à la « question de moyens et de postes ». Les disciplines comme la physique des particules ou l’astronomie nécessitent certes de grands équipements dont le prix peut atteindre, exceptionnellement, des milliards d’euros, mais toutes les sciences ne sont pas si gourmandes. Dans les années 1970 et 1980, l’EHESS a conquis une grande notoriété, alors qu’elle était dotée d’un budget fort modeste.</p>
<p>Bien qu’internationalement renommée, son excellence n’aurait pas pu être reconnue par les classements mondiaux, puisqu’elle ne devait rien ni à l’Académie suédoise ni à l’usage de la langue anglaise. Son prestige venait des mérites individuels de ses meilleures recrues – Claude Lévi-Strauss, Pierre Bourdieu, François Furet, Jacques Derrida, Roland Barthes, pour ne mentionner que quelques disparus – dont les œuvres patiemment bâties suscitèrent l’admiration à laquelle on associa bientôt le nom de l’institution qui les avait sinon rendu possibles, du moins ne les avait pas rendu impossibles.</p>
<p>La recette du succès était à cette époque simple : outre des recrutements judicieux, il faut noter une charge d’enseignement réduite, une structure administrative relativement légère, un personnel auxiliaire et administratif relativement nombreux. Par conséquent, la ressource cardinale qu’est le temps, plus précieux que l’argent, restait abondante. Petits investissements, grands rendements.</p>
<p>Les œuvres de l’esprit et de la science n’ont pas grand-chose à voir avec des articles hâtivement rédigés dans un idiome approximatif qui n’a d’anglais que l’appellation, pour être placés, au nom de la « visibilité » et de la « communication », dans des revues bien cotées, sous une signature institutionnelle laquelle doit aider à hisser l’université du chercheur dans le classement concocté par d’obscurs tâcherons d’une université chinoise. L’argent est assurément important, et ce n’est pas un luxe pour un grand État européen que de financer un établissement universitaire renommé en lui versant un budget annuel de 60 millions d’euros, qui équivaut au prix de deux rames de TGV ou au septième du prix d’un Airbus 380. Seulement, pour pouvoir créer les œuvres dont la gloire puisse ensuite rejaillir sur une université ou sur un pays, les chercheurs et les enseignants ont impérativement besoin non seulement d’argent, mais aussi de beaucoup de temps.</p>
<p>Ce n’est sans doute pas par hasard qu’au Caltech, pour un nombre d’enseignants et chercheurs équivalent à celui de l’EHESS, il y a 9 400 employés non scientifiques (5 000 pour le <em>Jet Propulsion Laboratory</em> et 3 900 pour le <em>Campus</em>), alors que l’EHESS doit se satisfaire de 450 ingénieurs de recherche et personnels administratifs. Cette proportion défavorable entre ceux qui font la recherche et ceux qui la rendent possible par leur assistance, explique en partie, non moins que la disproportion financière, la différence entre les conditions de travail dans les universités les mieux classées et dans celles qui ne le sont pas, quelles que puissent être leurs éventuelles qualités.</p>
<p>La réforme « modernisatrice » du système universitaire français, obnubilée à tort par la question de la taille des établissements, ne fait qu’exacerber la frénésie administrative qui éloigne les chercheurs et les universitaires de la recherche et de l’enseignement. Des réunions, des conseils, des comités, des consultations, des négociations, des évaluations, des débats se poursuivent sans répit depuis bientôt une quinzaine d’années, consommant l’énergie de milliers d’universitaires qui passent le plus clair de leurs journées à satisfaire une lubie de nos politiques en essayant d’amalgamer des établissements existants, souvent dans des accouplements contre nature dont l’aspect mal cousu fait penser davantage à la créature du docteur Frankenstein qu’à une université où l’on aurait envie d’étudier et de travailler.</p>
<h2>L’excellence académique ou les ficelles du marketing ?</h2>
<p>Le précédent président du groupement « Paris Sciences et Lettres » a poussé la sollicitude jusqu’à faire venir à Paris Monsieur <a href="https://www.lesechos.fr/18/10/2016/LesEchos/22300-012-ECH_le-classement-de-shanghai-a-portee-de-main-des-communautes-d-universites.htm">Yin Cheng</a>, le responsable chinois du classement de Shanghai, pour le convaincre que la nouvelle usine à gaz dont il avait la charge – et où l’on trouve, dans un mariage de la carpe et du lapin, le Collège de France et l’École des Beaux-Arts, le Conservatoire national supérieur de musique et l’Observatoire de Paris, l’École des chartes et l’École des mines – était en dépit des apparences un seul et unique établissement. C’était peine perdue avec M. Cheng, mais le travail de <em>com</em> a porté ses fruits, puisqu’en 2017 « Paris Sciences et Lettres » s’est trouvé propulsé à la 38<sup>e</sup> position dans le classement du <em>Times of Higher Education</em>, basé sur une enquête internationale auprès d’un échantillon de chercheurs invités à évaluer la « réputation » des établissements.</p>
<p>Ce même classement a porté à la 30<sup>e</sup> place l’Université d’État Lomonosov à Moscou, laquelle ne se signale pas par de grands exploits scientifiques, à la 17<sup>e</sup> place l’Université de Pékin dont le cursus est toujours tributaire de l’enseignement intensif du marxisme-léninisme, et à la 14<sup>e</sup> place l’Université Tsinghua dont le principal titre de gloire est d’avoir formé l’actuel Secrétaire Général du Parti communiste chinois et le Leader Suprême Xi Jinping. La façon dont ces miracles du classement ont été rendus possibles reste une énigme, mais on comprend mieux ce que voulait dire le <a href="http://bit.ly/2BdW1Xx">sociologue des sciences Yves Gingras</a> lorsqu’il concluait que les classements des universités sont souvent dépourvus de toute valeur et toujours manipulables à souhait (cf. Yves Gingras et Johan Giry, <a href="http://bit.ly/2A8xJS1">« Note critique. Les grandes universités de recherche »</a>).</p>
<p>Le montage récent « Paris Sciences et Lettres » a pu faire irruption dans le classement de <em>Times Higher Education</em>, bien qu’il reste si peu connu qu’on a souvent tendance à associer son acronyme à la Pakistani Super League (PSL), tout aussi récente mais plus célèbre que PSL Research University. <a href="http://bit.ly/2srHd6C">« C’est une énorme victoire pour nous »</a>, se réjouissait la directrice de la communication de PSL, précédemment employée comme directrice commerciale dans plusieurs agences de publicité et de marketing. « C’est un levier essentiel pour faire grandir la marque PSL », ajoutait-elle. Pour une spécialiste de marketing, qui déclare être chargée de « développer […] l’image de la <a href="http://www.arces.com/Actualites#22426-PORTRAIT">marque PSL</a> […] dont la notoriété, tant en interne qu’en externe, reste à construire », ce classement est sans aucun doute une grande victoire, parce que c’est une victoire de la promotion publicitaire.</p>
<p>Pour les universitaires qui font vivre les vingt-deux établissements membres de PSL et dont les activités sont très éloignées des arcanes du marketing destiné à promouvoir une « marque », ni ce classement ni le groupement qui se voit ainsi couronné n’ont changé grand-chose dans leur travail quotidien, si ce n’est l’immensité du temps perdu pour mettre sur pied ce montage institutionnel.</p>
<p>Qu’est-ce que l’on gagne en échange de cette gabegie du temps ? Une manne financière souvent promise ? Que non ! Les sommes allouées par l’État pour faire émerger ces fameux groupements sont <a href="http://bit.ly/2jpxEiu">dérisoires</a> : 719 248 euros en 2016 pour l’« Université Sorbonne-Paris-Cité » qui totalise 120 000 étudiants, 135 680 euros pour l’« Université Bretagne-Loire » qui inscrit 160 000 étudiants. Ce qui représente environ 6 euros par étudiant dans le premier cas, et 85 centimes par étudiant dans le second. Est-ce bien cela que les décideurs politiques qualifient d’« investissements d’avenir » ?</p>
<p>On peut se demander quel est l’usage auquel les groupements universitaires destinent les modestes dotations dont l’État les gratifie. Pour prendre un exemple, PSL a touché en 2016 <a href="http://bit.ly/2jpxEiu">2,3 millions d’euros</a>, ce qui représente un peu moins que le coût annuel de Paris-Plage (2,5 million d’euros), à partager entre 22 établissements qui composent ce regroupement (théoriquement, 104 000 euros par établissement). C’est une somme modique, mais qui a néanmoins permit d’accorder au précédent président de PSL un <a href="http://lemde.fr/1O6shRj">salaire annuel brut de 180 000 euros</a> (l’équivalent du salaire du président de la République française), à chacun de ses deux vice-présidents 140 000 euros, puis de financer un service de communication, dispositif désormais central de toute université, dont dépendra sa réputation et son classement, obtenus non par le travail de recherche et d’enseignement, mais à coups d’actions promotionnelles.</p>
<p>Le bilan de ce grand chambardement « modernisateur » reste pour l’instant, comme disent les diplomates, très mitigé. Une prodigieuse perte de temps, des gains budgétaires microscopiques, et la triste perspective de voir apparaître en France des universités dont la taille s’enflera si bien qu’elles ressembleront à ce qui se fait de mieux dans les grands pays du Tiers-monde. Faut-il rappeler le sort de la Grenouille ?</p>
<hr>
<p><em>(1) « Une étude de J.-Y. Mérindol remet en cause l’idée que les meilleures universités sont de petite taille », News Tank Higher Ed & Research, publié en ligne le 19 janvier 2017. J.-Y. Mérindol, « Quelle est la taille des universités de recherche ? », tapuscrit du 30 novembre 2016, revu en janvier 2017. Je remercie le professeur Mérindol d’avoir bien voulu me communiquer ce texte inédit.</em></p>
<p><em>(2) Les quatorze dernières positions ont été déterminées aléatoirement, au hasard de l’alphabet, car le classement de Shanghai regroupe les derniers établissements par centaine, en les énumérant selon l’ordre alphabétique. Pour construire une évaluation en bonne et due forme de la relation entre la taille et le classement des universités, il aurait fallu comparer systématiquement, pour chaque ranking, la taille et la place de tous les établissements classés (800 pour ce qui est du classement chinois), tout en procédant à une analyse statistique des liens entre ces variables. Une étude allant dans ce sens a été publiée en 2013, mais elle porte exclusivement sur les universités américaines, celles situées dans la première centaine du classement de Shanghai, et celles qui n’y figurent pas. Une analyse statistique montre clairement que la position de l’université n’est nullement corrélée avec le nombre d’étudiants inscrits (Brendan Cantwell & Barrett J. Taylor « Global status, intra-institutional stratification and organizational segmentation : a time-dynamic Tobit analysis of ARWU position among U.S. universities », _Minerva</em>, vol. 51, 2013). Je remercie le professeur Yves Gingras de m’avoir signalé cet article._</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86743/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Wiktor Stoczkowski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le débat fait rage dans le monde universitaire sur les regroupements d’établissements, une analyse sans concessions des classements et des effets de tailles… budgétaires, qu’ils impliquent.Wiktor Stoczkowski, Anthropologue, directeur d'études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) - PSL, chercheur au Laboratoire d’anthropologie sociale (Collège de France), École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/836702017-09-19T18:48:34Z2017-09-19T18:48:34ZÊtre bon ou bien classé ? Le dilemme des institutions d’enseignement supérieur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/186367/original/file-20170918-8255-r11f0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cour de l'université de Sydney</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sidneiensis/15522077678/in/photolist-pDCGUW-2vVkpu-Curwec-8vBVVr-ULu5K8-8vEXcj-pgP4SA-63pkYL-gwmAC2-q27rVB-99xQq9-92gu5k-58ijVf-gwmN7H-DeAXXx-6KjkJK-4HfejV-8TZg4D-g1EDcJ-TPBuCz-dJu49c-bttEaU-TVmHFc-URt7L2-iFiov3-bZN1o5-8vBVTe-okmQct-eR7hdr-8vEXjo-8vEXd9-ahZRdG-pTVpeL-9dmrST-Jc4mkf-8vBWaH-n3Niiv-8vEXmG-8vEXtU-TS5yfu-b42rWe-ci91Jh-hC5uK7-7wJa5b-2V2uSq-RTxdUu-eRicb9-SifnkW-AUh7cY-dAi7pp">Jason Tong/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les sorties successives des classements des universités du <a href="https://www.timeshighereducation.com/world-university-rankings/2018/world-ranking#!/page/0/length/25/sort_by/rank/sort_order/asc/cols/scores"><em>Times Higher Education</em></a> et de l’université Jiaotong de Shanghaï ont, comme chaque année, été accompagnés de leurs lots de commentaires, et autres inepties.</p>
<p>Au-delà de leur rigueur et de leurs qualités, c’est leur logique sous-jacente – l’idée même de pouvoir classer – qui pose problème. Celle-ci est porteuse d’une idéologie très économico-managériale qui amène à voir des institutions d’enseignement supérieur et leurs acteurs sous l’unique angle de leur performance, ou plutôt de <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/09/05/classement-mondial-des-universites-the-2018-la-france-continue-de-sous-performer_5181408_4401467.html">« sous performance »</a> pour les premières et d’<a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/08/15/les-universites-americaines-dominent-une-nouvelle-fois-le-classement-de-shanghai_5172428_4401467.html">« angoisse »</a> pour les seconds.</p>
<h2>Des classements qui posent question</h2>
<p>Cette idée de classer les universités se doit d’être questionnée et d’ailleurs, dès son premier numéro, la revue <em>Academy of Management Learning and Education</em> offrait une tribune à Dennis Gioia et Kevin Corley intitulée <a href="https://www.researchgate.net/profile/Kevin_Corley/publication/268389856_Being_Good_Versus_Looking_Good_Business_School_Rankings_and_the_Circean_Transformation_From_Substance_to_Image/links/55c9220d08aeca747d670f07/Being-Good-Versus-Looking-Good-Business-School-Rankings-and-the-Circean-Transformation-From-Substance-to-Image.pdf">« Being Good Versus Looking Good : Business School Rankings and the Circean Transformation from Substance to Image »</a>. S’ils se concentrent d’abord sur les écoles de commerce, leur analyse des classements et de leurs impacts sur les institutions d’enseignement supérieur mérite d’être rappelée.</p>
<p>Pour ces auteurs, tout au long des 30 dernières années, les institutions d’enseignement supérieur se sont peu à peu ouvertes à l’international (en Europe, on pensera au programme Erasmus, aux crédits ECTS et au système LMD des accords de Bologne, aux semestres d’échange à l’étranger, etc.). Ce processus a amené une plus grande lisibilité et comparabilité des cursus, mais aussi à une diminution des spécificités pédagogiques et académiques, et donc à une forme de standardisation. Les différences entre les institutions se font maintenant de plus en plus « à la marge », dans un contexte de « concurrence » accrue sur ce qu’on tend maintenant à appeler trop souvent sans recul ni analyse le « marché de l’éducation supérieure ».</p>
<h2>Quand Circé hypnotise les universités</h2>
<p>Cette situation est un des résultats d’un lent processus de marchandisation dans lequel les classements jouent un rôle majeur. En effet, Gioia et Corley voient en eux un équivalent moderne des chants de Circé qui jette un sort sur les institutions d’enseignement supérieur, les hypnotisant pour mieux leur imposer ses désirs. À ceci près que nous sommes loin d’être réellement aveuglés… Mais malgré une connaissance de leurs limites, les multiples parties prenantes de ces institutions semblent dorénavant leur accorder une très grande importance. Et les universités de devoir créer des services internes dédiés à la « communication » et à la « qualité » dont le <a href="http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/08/15/les-universites-francaises-au-prisme-du-classement-de-shanghai-levier-a-recrutements-et-a-finances_5172465_4401467.html">seul travail est de rendre visible et de faciliter la comptabilité de l’activité</a>.</p>
<p>On risque alors de ne plus valoriser que ce qui est mesurable et mesuré par les classements (avec un accent mis sur les items à forte pondération) et à oublier, ignorer, voire abandonner le reste.</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui, cela signifie que les écoles de commerce sont souvent confrontées à un choix imposé entre être bon ou avoir l’air bon, à tel point que la concurrence entre elles risque de se transformer en concours de beauté avec des conséquences désastreuses car elles doivent alors dépenser des fonds déjà rares pour des problèmes d’images plutôt que d’allouer ces ressources à l’amélioration des programmes pédagogiques. » (Gioia & Corley, 2002, p. 109)</p>
</blockquote>
<h2>Concurrence : synonyme d’amélioration ou vecteur de dérives ?</h2>
<p>Une justification libérale fréquente à cette situation à laquelle les classements participent est que cela stimule la concurrence, et que la concurrence pousse les entreprises à toujours s’améliorer. Il est certes évident que les classements amènent une transparence et sont vecteurs d’un certain nombre d’informations auparavant difficilement accessibles. Mais ils facilitent aussi les stratégies d’optimisation, d’imitation, de <em>best practices</em> et de <em>benchmark</em> sans forcément stimuler une quelconque quête d’excellence, de qualité, de motivation intrinsèque ou même de définition d’une identité propre. Pour autant, si « être bon » et « être bien classé » ne sont absolument pas nécessairement alignés, ils ne sont pas non plus mutuellement exclusifs.</p>
<p>Gioia et Corley voient dans les chants Circéens des classements un certain nombre de dangers. Tout d’abord, le fait qu’ils reposent sur un ensemble de critères, d’items et de pondérations plus ou moins légitimes, et plus ou moins arbitraires. Mais surtout, le classement est fondamentalement une traduction de qualités éducatives en critères mesurables, processus de comptabilité qui est loin d’être neutre d’un point de vue épistémologique comme idéologique (voir l’article de Dillard & Tinker en 1996 : <a href="http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1045235496900271">« Commodifying Business and Accounting Education »</a>).</p>
<p>Peu à peu, les histoires, les styles et les cultures des différentes écoles et universités risquent de disparaître car les classements peinent à en rendre compte. On tend de plus à se concentrer sur ce qui est mesuré <em>là</em> où c’est mesuré, et donc sur les programmes « figures de proue » que sont les masters et les MBA, souvent au détriment des licences, des bachelors et autres <em>undergrads</em>, ou encore des doctorats qui n’intéressent apparemment que peu les producteurs de classements.</p>
<p>La recherche n’est alors plus vue que comme une activité coûteuse qui doit produire des résultats mesurables en Nobels et en étoiles, ce qui évacue toute question de substance ou d’intérêt et font tomber dans l’oubli les ouvrages (pourtant souvent loin devant les articles dans les taux de citation), les chapitres, les manuels ou encore les études de cas. Dans ce processus comptable, la plupart des acteurs et des parties prenantes sont conscients de ses limites comme de ses dangers, tombant alors dans un cynisme généralisé quant à ces dispositifs majeurs dans la structuration du champ académique.</p>
<h2>Et les étudiants dans tout ça ?</h2>
<p>Loin de simplement dépeindre une situation dans laquelle nous serions des victimes passives, Gioia et Corley nous rappellent que cette obsession pour les chants Circéens requièrent une certaine collaboration de notre part. Nous sommes souvent tout à fait conscients de leurs effets, et certains développent des comportements stratégiques d’adaptation, voire d’optimisation par des pratiques d’<em>image management</em> (Argenti, 2000 : <a href="http://www.ingentaconnect.com/content/pal/crr/2000/00000003/00000002/art00008">« Branding B-Schools : Reputation Management for MBA Programs »</a>) et de détournement des critères. Mais même les plus stratèges se retrouvent peu à peu pris dans les préoccupations de court terme du prochain classement et en oublient parfois les effets autoréalisateurs : les mieux classés obtiennent plus de ressources (financières, humaines, etc.) ce qui leur permet de renforcer leur position dans le champ. Dans ces spirales, les étudiants passent souvent au second plan (la pédagogie étant la plupart du temps secondaire, si ce n’est absente, des classements) et sont alors considérés comme des ressources, voire comme des clients à séduire, plutôt que des êtres humains à éduquer.</p>
<p>Gioia et Corley nous prévenaient déjà en 2002 : </p>
<blockquote>
<p>« In a perverse way, then, the classroom doesn’t matter very much. What matters is our number, so we devote resources to the things that will maintain or boost that number. » </p>
</blockquote>
<p>Ce sont les classements qui rendent les universités de différents pays comparables, posant ainsi les bases d’un marché de l’enseignement supérieur – Kornberger et Carter l’ont parfaitement démontré en 2010 dans leur travail sur les classements des villes : <a href="http://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/09513571011034325">« Manufacturing Competition : How Accounting Practices Shape Strategy-Making in Cities »</a>. On passe alors de la compétition (confrontation stimulante de certaines organisations avec d’autres) à la concurrence (illusion que toutes les universités seraient des organisations de même nature qui chercheraient à conquérir des parts d’un hypothétique marché).</p>
<p>Gioia et Corley remarquent d’ailleurs avec ironie qu’il y a même aujourd’hui une concurrence entre les classements eux-mêmes… Il n’en reste pas moins que leur omniprésence actuelle – et leurs effets en termes de décisions académiques, administratives et politiques – nous fait passer d’une réflexion collective sur la mission de nos institutions d’enseignement supérieur, absolument essentielle aujourd’hui tant il nous faut les réinventer au niveau de la France comme à celui de l’Union européenne, à une obsession de l’image que nos universités donnent au travers d’une série de critères arbitraires et surtout réducteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/83670/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Bazin est membre du think tank Different. </span></em></p>Chaque année, les classements du Times Higher Education et de Shanghai font beaucoup parler. Mais au-delà de leurs qualités, c’est l’idée même de pouvoir classer les universités qui pose problème.Yoann Bazin, Enseignant chercheur en Sciences de gestion, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/698602016-12-06T05:26:50Z2016-12-06T05:26:50ZSachons faire bon usage du classement PISA<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/148620/original/image-20161205-19399-1ygfbco.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Que peuvent faire les élèves avec ce qu’ils ont appris ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/download/confirm/522713917?src=&id=522713917&size=medium_jpg">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Sur The Conversation, Marie Duru-Bellat a consacré une <a href="https://theconversation.com/comment-lire-la-prochaine-enquete-pisa-69430">analyse très pertinente</a> aux problèmes de « lecture » des résultats des enquêtes PISA. Un lecteur a cru y déceler une « hâte » suspecte à « désamorcer » les résultats annoncés ce mardi 6 décembre 2016.</p>
<p>Cette hâte manifesterait la crainte de la vérité, et le désir de cacher le fait « qu’en France on ne sait plus enseigner ». Marie Duru-Bellat dénonçait un risque de « dérapage » dans une interprétation précipitée. Monsieur Jeanneret dénonce un risque d’affadissement, voire de déni, des résultats eux-mêmes. Ces deux risques sont-ils réels ? Qu’y a-t-il le plus à craindre ?</p>
<h2>Des données pleines d’enseignement</h2>
<p>Il est clair que la politique de l’autruche est condamnable. Quels qu’ils soient, bons ou mauvais, il n’est pas possible d’ignorer superbement les résultats d’une enquête telle que PISA. Certes, celle-ci souffre de quelques imperfections, que Marie-Duru-Bellat rappelle à juste titre, et qui avaient déjà été pointées, entre autres, par <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/12/11/un-palmares-mediatise-mais-discutable_4332540_3232.html">Julien Grenet dans <em>Le Monde</em> en 2013</a>.</p>
<p>On peut retenir l’existence de biais culturels (familiarité avec le type d’exercices et de questions) ; l’importance des marges d’erreur inhérentes à une enquête portant sur des échantillons ; et enfin le fait que tous les jeunes de 15 ans ne sont pas concernés, alors que les situations scolaires des jeunes touchés varient selon les pays.</p>
<p>Cela fragilise le palmarès, mais n’enlève rien à la richesse des données recueillies, ni à l’intérêt de la périodicité régulière du recueil d’informations, qui rend possible le constat d’évolutions.</p>
<p>À cet égard, il faut bien reconnaître que, de <a href="http://www.oecd.org/pisa/data/">2000 à 2012</a>, la courbe (descendante) des résultats des jeunes Français ne s’est pas inversée, bien au contraire ! Tous les 3 ans, on peut faire le même, et très préoccupant, constat : la France décroche, et s’enfonce, tandis que les inégalités scolaires s’accroissent. Refuser de voir cette réalité constituerait bien un inadmissible déni, pouvant faire suspecter que l’on veut cacher quelque chose. Par exemple, sa part de responsabilité dans les mauvais résultats…</p>
<h2>Comparaison n’est pas raison</h2>
<p>Que peuvent faire d’utile ceux qui voudraient dépasser le stade des lamentations ?</p>
<p>Deux voies, complémentaires, se présentent : essayer de comprendre comment on en est arrivé là (repérage et analyse des erreurs commises) ; identifier d’éventuels facteurs d’amélioration. La première voie conduit à approfondir l’analyse de la situation française, pour voir ce qui « cloche » ; la seconde, à rechercher ce qui marche ailleurs, dans les pays les mieux classés. Dans les deux cas, il faudrait pouvoir établir des relations de causalité.</p>
<p>Dans le second cas, par exemple, comme Marie Duru-Bellat l’a souligné, il est vain de vouloir emprunter des éléments isolés, qui perdent de leur sens hors de leur contexte. Car il faudrait tenir compte de la globalité et de la complexité des situations.</p>
<p>De plus, les pays obtenant les meilleurs résultats (exemples, la Corée du Sud et la Finlande en 2009), peuvent avoir des « politiques éducatives » très différentes, voire opposées (pression et sélection d’un côté, patient accompagnement de tous de l’autre). Que choisir : régime sévère et rythme d’enfer, ou bien vision positive et responsabilisation de l’élève ? Et quand Shanghaï prend la tête en 2012, faut-il vouloir transformer les écoliers français en bourreaux de travail, et les soumettre à une <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/12/11/ubuesque-docilite-chinoise_4332542_3232.html">« ubuesque docilité »</a> de type chinois ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i4RGqzaNEtg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment fonctionne l’enquête PISA ? (OCDE, 2016).</span></figcaption>
</figure>
<h2>La tentation du patchwork</h2>
<p>Ce qui est à craindre est donc bien, ici, la précipitation naïve qui conduirait à faire son marché en piochant dans le magasin universel de ce qui semble avoir réussi, comme si toutes les pratiques étaient interchangeables. Une mise en garde contre le risque d’une recherche superficielle et précipitée de pratiques efficaces était salutaire.</p>
<p>Emprunter la première voie place devant le même problème. Il faudrait pouvoir repérer, sinon, dans l’idéal, des réseaux, du moins quelques lignes indiscutables, de causalité. Une première étape sera la mise en évidence de corrélations entre deux variables. Par exemple, les résultats des élèves, et : leur origine socio-économique ; l’implication des parents ; le type de logement occupé par la famille ; la durée de la journée d’école ; le niveau des dépenses consacrées à l’éducation ; la qualité des enseignants ; la durée et le niveau de leur formation.</p>
<p>Mais, pour que la corrélation prenne du sens, il faudrait la situer dans un contexte politique et social concret. En observant, par exemple, que le salaire des enseignants est en recul, en France, depuis 1995. Ou que leur formation a été supprimée sous le quinquennat Sarkozy !</p>
<p>Mais, pour intéressante qu’elle soit, la recherche de corrélations n’est qu’un premier pas, très insuffisant, vers l’imputation causale. Car d’une part elle ne relie le plus souvent que deux variables seulement. Et, d’autre part, elle n’est nullement gage de causalité.</p>
<p>Une troisième variable, ou (plus vraisemblablement) un réseau de variables, peuvent être à l’œuvre derrière la corrélation mise en évidence. Ce qui est à craindre à ce stade est donc la croyance selon laquelle une variable reliée par corrélation à une autre est ipso facto cause de cette autre. Et de conclure trop vite (autre précipitation coupable) que l’on a trouvé la cause de ce qui cloche.</p>
<h2>Relier le transversal et le longitudinal</h2>
<p>La recherche des causes exigerait une identification des dynamiques éducatives à l’œuvre dans la durée. Il faudrait pour cela, comme l’écrit Duru-Bellat, pouvoir relier le transversal – les résultats d’une enquête – et le longitudinal – des séquences temporelles entre les variables. Ce qui est d’autant plus grave que cette recherche s’effectue le plus souvent en tenant pour causes possibles des réalités aussi larges que floues, comme l’école, les « politiques éducatives », le « savoir enseigner (« on ne sait plus enseigner…), voire l’action (à coup sûr néfaste) des « pédagogistes ».</p>
<p>Ce que l’on peut redouter le plus est donc bien finalement que l’on tombe dans une lecture partisane des résultats de l’enquête. Ce risque devient majeur quand l’on veut interpréter les données produites en recherchant des causes dans l’axe d’un questionnement sur les responsabilités. C’est alors la porte ouverte à tous les raccourcis, et à toutes les interprétations sauvages, dans des grilles de lecture imprégnées d’idéologie.</p>
<p>Personne n’est à l’abri. Ni, certes, ceux qui voudraient gommer leur part de responsabilité. Ni, plus encore, ceux qui verraient là une occasion de terrasser leurs ennemis intimes. Comme, par exemple, ceux qui entonneront à pleins poumons le petit air que fredonnent déjà les pourfendeurs des « assassins » de l’école (qui, soyons-en sûrs, se sentiront revigorés par les résultats de l’enquête PISA) :</p>
<blockquote>
<p>« Si ça ne va pas mieux<br>
C’est la faute à Meirieu<br>
Si l’on tend vers zéro<br>
C’t’à cause des pédagos ! »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/69860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les résultats de la nouvelle enquête PISA, menée tous les trois ans par l’OCDE pour évaluer les acquis des élèves de 15 ans, viennent de paraître ce mardi. Tentons de les lire avec sang-froid !Charles Hadji, Professeur émérite (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/624652016-07-24T21:19:46Z2016-07-24T21:19:46ZQuels usages des classements universitaires ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/131625/original/image-20160722-26837-1tqu6md.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Harvard est en tête du classement de Shanghai… et d'autres. Mais ces classements ont des zones d’ombre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/aon/6273971705/in/photolist-aypKcX-aypHqK-dWVmD4-C9G4p-5h4DAF-5h8YZG-8dS7bQ-8dS5S3-8dS7EW-8dNT5P-8dNSpx-8dNRcF-oZbFg5-oZaGkT-oZaK6n-7w8sSo-69dxuC-pgCSYQ-pgESG6-oZaTHU-oZbC7P-5ZqTjv-jDA5Y-abrtm-72a5qL-8dSbNA-8dNUZ4-8dS8U1-8dNWwF-8dSc6u-8dNVXD-8dS9kS-8dNUpe-8dNVAx-dY3CPg-dZDaUM-e1nRXS-Mnmf-8Pmf8m-PYKek-8dNSxg-82KWCM-oZVMkZ-sDMt8-sDMdS-sDLLK-sDMm2-sDLUs-sDM8o-sDMTR">Angela N./Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>De nombreux classements d’universités sont aujourd’hui établis par des journaux spécialisés ou des institutions académiques. Les classements de Shanghai, du <em>Times Higher Education</em>, de QS, du <em>Financial Times</em>, de RePeC, de l’Etudiant… parmi tant d’autres, informent les futurs étudiants, leurs parents, les établissements d’éducation supérieure, le personnel universitaire et les autorités publiques.</p>
<p>Mais restons prudents : ces classements peuvent induire en erreur, du fait de la nature même des données qu’ils utilisent et des traitements qu’ils leur appliquent.</p>
<h2>Choisir une université</h2>
<p>Au cours des dernières décennies, la mondialisation a entraîné une hausse de la mobilité des personnes, et plus particulièrement des étudiants. Mais il est difficile pour l’étudiant globe-trotteur de comparer simplement les apports de différentes universités, car ces dernières sont organisées et financées de diverses manières.</p>
<p>À cause du coût que représente la collecte des données et de la multiplicité des critères, il est très difficile d’asseoir le choix d’un établissement en particulier. En Europe, des efforts ont été faits pour harmoniser les diplômes afin de faciliter la comparaison des différentes institutions par les étudiants et de permettre à ces derniers de passer d’un programme universitaire à un autre. Mais il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Les organismes nationaux et internationaux d’accréditation produisent des rapports détaillés, mais ces derniers sont souvent obscurs pour le non-initié.</p>
<p>Les classements d’universités sont plus lisibles, mais il n’est pas toujours facile de les interpréter. Les classements sont présentés comme scientifiquement exacts, mais les méthodes statistiques employées sont loin d’être robustes. Il serait plus approprié de regrouper dans des fourchettes de classement les établissements présentant des performances similaires.</p>
<p>Les établissements d’éducation supérieure participent en effet à des activités variées : éducation à différents niveaux de qualification et dans de nombreuses disciplines, recherches universitaires ou appliquées, services offerts par les bibliothèques, conseils d’orientation et accompagnement professionnel. Ces différentes dimensions ne sont pas toutes nécessairement présentes au sein d’un même établissement, elles ne sont pas homogènes et comparables.</p>
<p>Un classement unidimensionnel ne peut être le résultat que de choix subjectifs quant à l’importance de ces dimensions. Certains critères ont donc un impact plus important que d’autres.</p>
<h2>Le sens d’un rang</h2>
<p>Dans ces circonstances, les différences de rang dans un classement peuvent résulter de choix implicites. Ainsi, les classements ne répondent pas nécessairement aux besoins des lecteurs, dont les priorités et les intérêts peuvent différer. Ils peuvent induire en erreur.</p>
<p>Certains d’entre eux, par exemple, adoptent une approche générale de l’efficacité économique sans vraiment intégrer les principes économiques adaptés à la situation des établissements d’éducation supérieure, comme la théorie des clubs et du bien public local. Sur la base d’approximations fragiles, d’autres peuvent proposer des comparaisons rétrospectives de la rentabilité d’un investissement dans une formation. Ce faisant, ils ne prennent pas forcément en compte la pertinence du contenu des enseignements en relation avec les évolutions anticipées des exigences des marchés de l’emploi pour un pays donné, les salaires non perçus pendant le temps de la formation ou l’impact de la sécurité sociale sur les rémunérations.</p>
<p>Des données peuvent être omises, car il est difficile de se les procurer, ou parce qu’elles nécessitent des traitements trop complexes. D’autres classements évaluent la qualité scientifique d’un corps enseignant à un moment donné par des mesures résultant de processus longs et cumulatifs.</p>
<h2>Des classements rétrospectifs et court-termistes</h2>
<p>Bien qu’ils aient encouragé quelques établissements à investir dans des domaines négligés, les classements d’universités sont rétrospectifs et court-termistes. Ils ont tendance à être autoréalisateurs en renforçant la dimension réputationnelle sur laquelle ils reposent en grande partie.</p>
<p>Certains classements recueillent ainsi les avis sur la réputation des établissements, mais ces avis, formulés par des professionnels qualifiés, peuvent être construits à partir des versions antérieures desdits classements (Bastedo et Bowman, 2009 ; 2010).</p>
<p>Il est donc prudent d’accorder uniquement du crédit aux classements qui exposent clairement leurs a priori lorsque ces derniers sont considérés comme pertinents. Il est également plus avisé de ne pas se référer à un seul classement, mais d’en combiner plusieurs pour évaluer ces établissements sous plusieurs angles.</p>
<h2>Les choix d’un jeune établissement</h2>
<p>Dans ces conditions et d’un point de vue pragmatique, il est important, pour un établissement jeune, porteur d’un projet original, comme l’est TSE, de ne pas prendre en compte son rang au moment de faire ces choix ou ces investissements stratégiques. C’est le classement qui doit résulter de convictions, de valeurs et de la façon de prendre en compte l’intérêt des étudiants, et non le contraire.</p>
<p>Il est utile d’essayer de comprendre et d’expliquer notre rang dans un classement aux gens intéressés par notre projet en relation avec les objectifs de notre institution. Ce n’est pas toujours possible et cela reste coûteux. Rejoindre les rangs d’un établissement d’éducation supérieure doit par-dessus tout être une expérience intellectuelle unique, qui enrichit et enrichira nos vies par les rencontres qu’elle permet, les savoirs qui nous sont enseignés, les valeurs qui nous sont inculquées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/62465/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Gregoir est Doyen de Toulouse School of Economics</span></em></p>Pourquoi les classements universitaires peuvent induire en erreur, du fait de la nature même des données qu’ils utilisent et des traitements qu’ils leur appliquent.Stéphane Gregoir, Doyen, Toulouse School of Economics – École d'Économie de ToulouseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/574502016-04-13T20:23:32Z2016-04-13T20:23:32ZL’enseignement supérieur français : une industrie sans marque et sans direction<p>On a l’habitude en France de considérer l’enseignement supérieur et la recherche comme des services publics. En parler comme d’une industrie, dire que le rôle des marques y est aussi décisif que dans l’automobile ou le luxe peut paraître choquant.</p>
<p>Et pourtant, examiner la politique de la recherche française sous l’angle du marketing est un moyen de montrer son incapacité à atteindre les buts qu’elle s’est fixés et à faire bon usage des ressources disponibles.</p>
<h2>Des marques mondialement connues</h2>
<p>Harvard, MIT, Berkeley, Oxford, Cambridge sont sans doute des organisations compliquées où les décisions sont difficiles à prendre et où, comme chez nous, les chercheurs ont du mal à préserver leur autonomie, mais ce sont des marques mondialement connues, soutenues par une organisation efficace.</p>
<p>Chaque fois qu’un chercheur y publie un article, il fait la promotion de la marque et accroît la crédibilité du diplôme décerné aux étudiants. La concentration du crédit scientifique attire les étudiants, les enseignants et les chercheurs du monde entier.</p>
<p>Le capital symbolique accumulé se convertit aussi en ressources financières qui permettent de lancer des recherches ambitieuses, de financer des campagnes de publicité mondiale, d’organiser de grands événements scientifiques, d’investir dans les systèmes d’information et de distribuer des bourses aux étudiants sans ressources.</p>
<p>Le développement des enseignements à distance accroît encore l’influence de la marque, qui devient indispensable pour crédibiliser ces nouvelles formes d’apprentissage.</p>
<h2>Jeu de Monopoly</h2>
<p>Face à ces institutions anciennes, autonomes et structurées qui capitalisent sur leur nom, l’enseignement supérieur français aligne un empilement d’institutions multiples, emboîtées les unes dans les autres et ayant chacune leur statut, leur conseil d’administration, leur politique et leurs marques fragiles, sans ancienneté, sans notoriété, sans gros moyens publicitaires de promotion à l’international et surtout, changeantes au grès des luttes internes à l’appareil politico-administratif.</p>
<p>Ce jeu de Monopoly est dangereux. Chaque officine s’épuise dans la lutte avec les autres dans l’espoir de capter quelques ressources et ce ne sont pas les UMR, Labex, Idex, PRESS, COMUE, ANR, Campus France et autres AERES qui vont simplifier le paysage.</p>
<p>Lorsqu’un enseignant-chercheur français publie un article scientifique, au nom de quelle institution doit-il le signer pour que le crédit scientifique qu’il apporte profite à tous ? Les chercheurs signent CNRS, INRA, IRD, Ifremer ou Inserm et cela n’apporte aucun crédit aux étudiants.</p>
<p>Les membres des institutions de prestige comme le Collège de France, L’ENS, l’EHESS, Sciences Po, Polytechnique, ou les Mines gardent leur prestige pour eux mais ils sont trop peu nombreux pour peser sur la scène mondiale.</p>
<p>Mis à part la mythique et disputée Sorbonne, les universités tantôt décomposées, tantôt recomposées ne sont pas des marques ou alors des marques trop jeunes, insuffisamment promues sur la scène internationale et dont on a souvent retiré les vedettes pour les isoler dans la cage dorée des institutions de prestige.</p>
<p>Bref, nous ne sommes toujours pas entrés dans la course à l’enseignement supérieur mondialisé et ce n’est pas seulement un problème de langue ! Les étudiants étrangers viendront étudier en France si, et seulement si, le diplôme délivré a un prestige suffisant sur la scène mondiale : il faut des marques grandes, peu nombreuses et connues !</p>
<h2>Comme dans les équipes de football</h2>
<p>Humiliés par la publication des classements internationaux – classements contestables mais inévitables – l’État français a décidé de concentrer les moyens et il fait de l’immobilier, cher et long à mettre en œuvre, au lieu d’investir dans l’immatériel.</p>
<p>Construire des mètres carrés de bureaux en espérant que la ribambelle des officines bureaucratiques va se regrouper comme par miracle est la solution la plus chère, la plus lente et la moins sûre.</p>
<p>C’est sur l’architecture des organisations de la recherche et de l’enseignement supérieurs qu’il faut travailler.</p>
<p>Il faut créer des marques mondiales, et vite. Il faut dire à chaque enseignant-chercheur et à chaque chercheur quelle est la marque dont il doit être le champion et ces marques doivent être crédibles, fortement promues et peu nombreuses.</p>
<p>Réciproquement, les marques doivent s’attacher à mettre en valeur et à soutenir les chercheurs talentueux qui sont leurs principales ressources, tout comme les meilleurs joueurs pour les équipes de football.</p>
<p>Investir dans l’immatériel, c’est créer quelques marques mondiales qui concentrent le crédit scientifique, garantissent la valeur des diplômes, concentrent et redistribuent les financements, le tout soutenu par des investissements massifs dans les moyens de communication les plus modernes.</p>
<p>Si nous n’avons pas de marques, c’est parce que nous n’avons pas d’institutions académiques autonomes. Nos établissements d’enseignement ou de recherche, désarticulés, divisés, encombrés d’instances multiples et pseudo démocratiques restent subordonnés aux ministères qui les composent et les recomposent au gré de changements de politique et de luttes internes. Tout le contraire d’une stratégie conséquente et de long terme.</p>
<p>Compte tenu de cette histoire administrative dont nous héritons et qui ne peut se changer en un jour, il faut créer des marques chapeaux -très vite- puis regrouper progressivement les entités administratives dispersées sous ce même chapeau symbolique. C’est l’essentiel. L’immobilier peut attendre.</p>
<h2>Tutelles</h2>
<p>Au siècle du numérique, les bureaux sont peut-être des dépenses inutiles. Les regroupements juridiques, statutaires, suivront au rythme lent (trop lent) de nos institutions publiques, et seulement s’ils sont vraiment indispensables pour assurer le bon fonctionnement des équipes de chercheurs, sans trop de lourdeur administrative et de conflits, et surtout, sans contrarier la formation de ces « collèges invisibles » qui regroupent librement les personnes qui cherchent ensemble, quels que soient leurs statuts et leurs institutions de rattachement.</p>
<p>La signature de l’auteur de cet article fait mention de six institutions différentes (AgroParisTech, Université d’Orsay et Centre Maurice Halbwachs (ENS/EHESS/CNRS) mais on pourrait ajouter le Labex Tepsis, Paris Sciences et Lettres, ParisTech et Agenium, qui prétendent aussi avoir une marque et une « politique de communication ». Cela ferait neuf tutelles pour un seul homme. N’est-ce pas ridicule ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/57450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Villette est professeur de classe exceptionnelle de l'enseignement supérieur Agricole. A ce titre, il a un statut de fonctionnaire du MAAPRAT. Il a rédigé cette contribution à titre personnel. Elle ne correspond à aucune commande, ni à aucune mission. Elle n'a donné lieu à aucun financement spécifique.
</span></em></p>À l’étranger, les grandes institutions se vendent comme des marques. En France, nous ne sommes toujours pas entrés dans la course à l’enseignement supérieur mondialisé.Michel Villette, Enseignant chercheur en Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/525912016-01-04T05:49:56Z2016-01-04T05:49:56ZLa refonte de l’X : une quatrième occasion manquée en 125 ans ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/106785/original/image-20151221-27863-1td6ynd.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des refontes sont en cours à X.</span> <span class="attribution"><span class="source">Bernard Bobe</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le 15 décembre 2015, <a href="http://www.defense.gouv.fr/ministre/prises-de-parole-du-ministre/prises-de-parole-de-m.-jean-yves-le-drian/intervention-de-jean-yves-le-drian-ministre-de-la-defense-devant-le-conseil-d-administration-de-l-ecole-polytechnique#.VnAEjkzUxJw.twitter">Jean-Yves Le Drian</a>, ministre de la Défense, accompagné d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie et des Finances et de Thierry Mandon, Secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur, s’est rendu à l’École Polytechnique, à Palaiseau (Essonne) « dans le cadre de la refonte de l’X <a href="http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/jean-yves-le-drian-amorce-la-refonte-de-polytechnique">annoncée en juin dernier</a> ». C’est une suite donnée au rapport Attali, déjà analysé dans <a href="https://theconversation.com/polytechnique-ecole-detat-ou-fleuron-dune-universite-mondiale-49017">ces colonnes</a>.</p>
<h2>Des évolutions sensibles</h2>
<p>Les ministres ont annoncé des évolutions importantes et utiles pour l’École Polytechnique notamment en renforçant les liens avec le Ministère de la Défense puisque c’est une école militaire depuis Napoléon I.</p>
<p>Les autres mesures maintiennent un lien étroit avec la haute fonction publique française (formation des futurs hauts fonctionnaires intégrants les « grands corps de l’État »), une diversification des formations, un recrutement de professeurs de haut niveau à l’échelon international, une plus grande ouverture à l’accès par le mérite (internat d’excellence pour des boursiers de classes préparatoires, un accroissement des recrutements « post-licence » pour le cycle ingénieur), la poursuite du rapprochement entre écoles d’ingénieurs françaises (comme avec l’École Nationale Supérieure des Techniques avancées), et surtout une plus grande ouverture sur l’international.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.polytechnique.edu/fr/content/le-plan-davenir-de-lecole-polytechnique">Président de l’X</a>, « Les orientations retenues comportent des mesures phares : mise en place de cursus sélectifs, payants, en anglais, aux standards internationaux (Graduate degrees dès 2016 et Bachelor au plus tard en 2018), recrutement d’enseignants chercheurs internationaux renommés, tout en modernisant et en renforçant le joyau qu’est le cycle ingénieur polytechnicien ».</p>
<p>Ces principales mesures seront accompagnées d’un plan des travaux de rénovation. L’État apporte 60 millions d’euros sur cinq ans pour un objectif clair, selon le communiqué du ministère de la Défense : « assurer la pérennité de nos acquis les plus précieux, pour notre développement et notre rayonnement international en préservant l’excellence de l’école Polytechnique ».</p>
<p>Dans sa lettre au Président de l’École Polytechnique du 14 décembre 2015, le ministre clarifie les principaux objectifs et les mesures à intégrer dans un plan stratégique rénové. Les relations avec l’Université Paris-Saclay viennent en huitième et dernière position.</p>
<h2>L’enseignement supérieur et la recherche français en mouvement</h2>
<p>Dans le « grand Paris » des évolutions notables sont en cours, notamment à Saclay comme cela a été analysé par <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-paris-saclay-un-grand-projet-a-la-francaise-1-48477">Jean-Claude Thoenig</a> qui qualifie avec raison cette initiative de « projet à la française » le nommant « la méga université de Saclay ». C’est un « cluster » qui rassemble avec des entreprises deux universités existantes (Paris Orsay et Versailles Saint-Quentin), dix grandes écoles et sept organismes de recherche étatiques. L’objectif de cet agglomérat est de rendre la France visible dans le « classement de Shanghai ».</p>
<p>Le véritable enjeu n’est pas là. Le système d’enseignement supérieur et de recherche français a été qualifié récemment de « baroque », au sens de « bizarre et étrange ». « L’exception française est une double dichotomie unique au monde : enseignement supérieur et organismes de recherche étatiques d’une part, universités et grandes écoles d’autre part. Ce système est illisible, incompréhensible et complexe<sup>1</sup>. Partout en France il est en évolution, car chacun a pris conscience que ces structures sont devenues un handicap pour l’économie et la société françaises ».</p>
<p>La France est le seul pays au monde, pour des raisons historiques et culturelles, à ne pas disposer de « vraies » universités, des établissements assurant quatre fonctions : créer des connaissances scientifiques, diffuser les savoirs, assurer une formation professionnelle, sélectionner les élites. Le système d’enseignement supérieur et de recherche français date de la Révolution avec la création de l’École Polytechnique et de l’École Normale Supérieure, par la Convention, en 1794. Il s’est complexifié au fil des ans par l’ajout de nombreuses écoles d’ingénieurs de petite taille, sans liens avec la recherche, d’universités de taille et de qualité moyennes et d’organismes de recherche étatiques comme le Centre National de la Recherche scientifique ou le Commissariat à l’Énergie atomique.</p>
<h2>Quatre initiatives en 125 ans</h2>
<p>Plusieurs initiatives ont été prises soit pour doter la France de vraies universités soit pour faire évoluer l’École Polytechnique vers une véritable Université de Technologie au sens, par exemple du MIT afin de pouvoir le faire ailleurs en France.</p>
<p>La première initiative fut prise en 1890 par le Ministre Léon Bourgeois s’inspirant du modèle allemand de W. von Humboldt fondateur en 1810 de l’Awyezlma Mater Berolinensis. Ce modèle correspond à une conception du développement scientifique qui se fait par la confrontation des disciplines, comme l’avait écrit Condorcet. Ce projet échoua, en 1892, devant l’opposition du Sénat qui refusait la décentralisation financière et l’autonomie. Décentraliser c’était défaire la France de la Révolution et de l’Empire. Cette France jacobine et hyper centralisée a bien été analysée par A. de Tocqueville dans « L’Ancien Régime et la Révolution » et plus récemment par P. Rosanvallon<sup>2</sup>. Analyses encore actuelles ?</p>
<p>La deuxième initiative date de la décision en 1961-1963 de déménager l’École Polytechnique de Paris à Palaiseau. Il est question d’associer à l’X ses écoles d’application, et notamment l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Les discussions vont assez loin, mais ce projet est arrêté en 1974. L’École reste elle-même et accueille ses premiers élèves à Palaiseau en 1976.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/106788/original/image-20151221-27875-4nz0od.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">X en cours de changement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bernard Bobe</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une troisième initiative est prise avec la création de ParisTech qui, à la fin des années 1990 regroupe neuf écoles d’ingénieurs de Paris intra-muros auxquelles s’associe l’École Polytechnique. Le projet est construit dans une optique fédérative par une approche « bottom up ». Ce projet trouva vite ses limites quand les différents ministères auxquels appartiennent ces écoles prirent conscience que les administrations centrales – les grands corps de l’État – perdraient une partie de leur pouvoir. Des voies s’élevèrent chez les anciens pour « ne pas mélanger les torchons et les serviettes ». Le projet fut arrêté de facto par le gouvernement en 2003, même si ParisTech moribond bénéficia du label « Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur » (PRES).</p>
<p>Une quatrième occasion est ce projet de refonte de l’X en 2015. Des responsables ministériels en sont conscients. Emmanuel Macron a déclaré, dans son <a href="https://gargantua.polytechnique.fr/siatel-web/linkto/mICYYYUCOYZ">discours</a> à Palaiseau : La clé de la réussite « c’est que les écoles constituent un pôle d’excellence qui fonctionne avec l’université et que les ingénieurs, qui ont ce rôle fondamental que je viens d’évoquer, puissent travailler de mieux en mieux avec les docteurs et les chercheurs qui sont sur ce site », ajoutant « la transformation économique que nous sommes en train de vivre elle abat les frontières disciplinaires, elle modifie profondément les modes d’organisation, et c’est ce défi que nous devons relever en bénéficiant de toutes les synergies qui sont ici à l’œuvre ».</p>
<p>Ailleurs dans le monde, à Lausanne comme à Zurich, à Munich comme à Berlin, à Shanghai comme en Californie ou à Cambridge, cela se fait dans des universités.</p>
<h2>Constituer trois universités à Saclay ?</h2>
<p>L’établissement public de Paris Saclay est un « gros machin jacobin » dont chacun sait que la gouvernance sera délicate. En usant de litotes, les trois ministres l’ont dit dans leurs discours. L’imagination devrait être mobilisée à Saclay. Pourquoi, comme à Boston ne pas créer plusieurs universités ? L’une associant l’École Polytechnique avec les écoles qui voudraient la rejoindre et des scientifiques d’organismes de recherche étatiques (CNRS, CEA, etc.) pour constituer une École Polytechnique de Paris (ParisTech). Une autre associant l’École Centrale de Paris, la « rivale de toujours » – désormais fusionnée avec Supelec – avec d’autres écoles (comme l’E.N.S.) et des chercheurs de centres de recherches étatiques qui voudraient aussi la rejoindre. Une autre autour de l’université de Paris Orsay avec, comme l’a dit Thierry Mandon dans son <a href="https://gargantua.polytechnique.fr/siatel-web/linkto/mICYYYUCuBY">discours</a> à Palaiseau, une « officialisation de la sélection à l’entrée en master ».Il ne peut y avoir d’autonomie sans sélection. </p>
<p>Chacune de ces trois universités pourrait alors avoir, comme d’autres en France (avec des COMUE évoluant vers de véritables universités), une autonomie dans la définition de leurs stratégies incluant la formation, la recherche, l’international et l’entreprenariat. Il faudrait remplacer l’hyper centralisation jacobine par un financement global géré par une structure n’ayant qu’un petit nombre de « chargés de mission » et une évaluation internationale rigoureuse, comme cela se fait dans d’autres pays européens. La fin du mammouth et de l’âge de glace !</p>
<p>Les décisions prises le 15 décembre 2015 conduisent à penser qu’une quatrième occasion est manquée. Le plan stratégique ne concerne que l’École Polytechnique : il donne la priorité à la visibilité internationale, au développement de la recherche et ajoute un zeste de « diversité » ; l’X reste ce qu’elle est. La <a href="https://gargantua.polytechnique.fr/siatel-web/linkto/mICYYYUCP5Z">lettre</a>du ministre de la Défense laisse une porte ouverte : « Vous entreprendrez la constitution d’un regroupement entre écoles d’ingénieurs volontaires au sein de l’université Paris-Saclay ».</p>
<p>Pourquoi ne pourrait-on pas créer de vraies universités à Saclay et ailleurs en France, dans les villes où les acteurs le souhaitent, comme à Marne-la-Vallée et Lyon ou Strasbourg ? La création de vraies universités implique que l’état jacobin accepte la constitution et le développement d’îlots de liberté, des universités autonomes, sans craindre que cela ne remette en cause l’unité de la République. Ce qui n’était pas possible en 1890, en 1974 et en 2000 le sera-t-il en 2016 ? On peut en douter, mais on peut encore espérer, même si Manuel Valls n’en n’a pas parlé, le 14 décembre 2015, dans son <a href="http://www.gouvernement.fr/la-france-est-grande-par-sa-recherche-3495">discours</a> à la clôture de la conférence de la stratégie nationale de recherche.</p>
<p><em>(1) Bernard Bobe, « Le baroque universitaire français », Commentaire, No. 151, automne 2015.<br>
(2) Pierre Rosanvallon, « Le Modèle politique français, la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours », Seuil, 2004.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/52591/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Bobe a reçu des financements de la Commission européenne en 2013</span></em></p>Des évolutions importantes ont été annoncées pour l’École Polytechnique, mais c’est tout le système d’enseignement supérieur et de recherche français qu’il faut réformer.Bernard Bobe, professeur des Universités Emérite, Chimie ParisTechLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/501392015-11-10T22:14:01Z2015-11-10T22:14:01ZCondorcet, un campus transpériphérique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/101472/original/image-20151110-21201-1rh0eqj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le futur campus, trait d'union entre la banlieue et Paris</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.campus-condorcet.fr/userdata/c_bloc/6/6552/6552_vignette_09108-09.jpg">Vincent Bourdon/ Campus Condorcet 2014</a></span></figcaption></figure><p>Jean-Claude Thoenig est revenu ici même sur la création de l’Université Paris-Saclay au travers de deux <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-paris-saclay-un-grand-projet-a-la-francaise-1-48477">articles récents</a>. Ce nouveau campus universitaire, qui sera construit autour des sciences dures afin d’entrer dans le <a href="https://theconversation.com/classement-de-shangha-les-solutions-au-retard-francais-47668">classement de Shanghaï</a> et accroître la visibilité à l’internationale de la recherche universitaire française, fait partie des sites universitaires retenus par <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2008/07/12/le-plan-campus-privilegie-dix-poles-universitaires-par-luc-cedelle_1072779_823448.html">le plan campus de Nicolas Sarkozy</a>. Trois d’entre eux devaient être construits en région parisienne – les autres se répartissant entre Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Strasbourg et Toulouse. Ce sont soit des constructions soit des rénovations. Ce plan est un soubresaut de l’État planificateur à l’heure ou l’on réfléchit à l’autonomie des universités.</p>
<p>En dehors de Paris-Saclay, qui attire la plus grande partie des financements (trois fois plus que Strasbourg et douze fois plus que Nancy-Metz), il existe deux autres campus parisiens. Ces établissements ont érigé en modèle le système universitaire anglo-saxon. Il s’agit, pour eux, de promouvoir une communauté de scientifiques et d’institutions en créant un écosystème amenant le chercheur à s’investir pleinement dans la production universitaire.</p>
<h2>Au cœur de la Plaine</h2>
<p>Si Saclay sera construit hors les murs, ce ne sera pas le cas du Campus Condorcet. D’ici 2020, l’EHESS (École des hautes études en science sociale), l’EPHE (École pratique des hautes études), Paris I, VIII, XIII, l’École nationale des Chartes, le CNRS, la FMSH (Fondation de la maison des sciences de l’Homme) ou encore l’INED (Institut national d'études démographiques), s’installeront des deux côtés de la Porte de la Chapelle et sur la façade nord de la place du Front populaire à Aubervilliers.</p>
<p>Campus Condorcet fait partie des projets portés par <a href="https://theconversation.com/regionales-2015-lenjeu-des-elections-franciliennes-48629">le Grand Paris</a>, cette nébuleuse de programmes urbains que les politiques tentent de rendre cohérents au travers de la création d’une Métropole. Que ce soit Saclay ou Condorcet, ce sont avant tout des projets politiques d’aménagement et d’urbanisme de grande ampleur. L’aspect universitaire est un pan important de ces chantiers, sûrement le plus important, mais il ne peut occulter les multiples enjeux locaux que véhiculent ces établissements.</p>
<p>Aubervilliers est une ville de banlieue parisienne, membre de Plaine Commune, la plus emblématique des intercommunalités de proche banlieue. Une ville aujourd’hui en pleine mutation. La désindustrialisation a laissé de nombreuses friches autour du canal de Saint-Denis qui la traverse de la Villette à la Plaine. La réaffectation des anciens sites industriels est une question importante pour la revitalisation de la banlieue nord. Les nombreux programmes urbains portés par l’État et les collectivités territoriales dans la Plaine Saint-Denis et la mairie de Paris, incluent une transformation importante de la sociologie de ce secteur. L’arrivée du Campus Condorcet est clairement l’un des symboles les plus importants du futur d’Aubervilliers.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=868&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=868&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=868&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/101138/original/image-20151107-24388-jb3nk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1091&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Campus Condorcet Front Populaire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.campus-condorcet.fr/Chantiers/Les-etudes-urbaines">Campus-condorcet.fr</a></span>
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<p>Le projet qui se déploie Porte de La Chapelle a pour vocation de dépasser la limite que forme le périphérique en proposant une connexion plus forte entre Paris et Aubervilliers. Le terme « <a href="http://www.campus-condorcet.fr/Territoire/Le-Campus-dans-le-territoire">transpériphérique</a> » rend compte de cette volonté, tout en continuant d’utiliser le mot périphérique. L’idée du Grand Paris ne permet pas encore de s’affranchir de toutes les frontières symboliques… Pour autant, la couverture du périphérique sur près de 225 mètres apportera certainement un progrès dans l’effacement progressif du rempart autoroutier qui sépare les Franciliens les uns des autres.</p>
<h2>Aubervilliers la parisienne</h2>
<p>Le Plan campus à l’origine de la construction de Condorcet a été enclenché par le gouvernement et l’exécutif en 2009. C’est une politique en <em>top-down</em>, pilotée par le gouvernement sur les territoires, qui propose un appel à projet afin de sélectionner des sites. La ville d’Aubervilliers a ainsi été choisie pour accueillir certaines universités et grandes écoles qui se délocalisent de Paris en banlieue. </p>
<p>La construction de grands établissements universitaires nécessite des terrains à la fois vastes et facilement accessibles. Or la banlieue Nord compte de nombreuses friches et terrains vagues aux abords de certaines stations de métro. Cela permet de diminuer d'autant les coûts de construction dûs au prix du foncier, tout en proposant aux universités des bâtiments de qualité et une vie parisienne préservée par le métro.</p>
<p>Ce mouvement induit une recomposition territoriale importante et entraînera nécessairement une forte spéculation sur l’ensemble de la commune. Il est absolument certain que ce processus va profondément changer, à moyen terme et à long terme, la sociologie aubervilloise et de la proche banlieue du nord de Paris. Mais l’émergence du campus Condorcet n’est pas le seul programme qui engage une mutation urbaine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/101137/original/image-20151107-16258-l9xjsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ligne 15 est.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.metroligne15est.fr/trace/">Metroligne15est.fr</a></span>
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<p>La construction du nouveau réseau de métro, qui prévoit plusieurs gares sur la commune, participe à la spéculation urbaine, mais aussi à la promotion de la ville et à la requalification des friches et des zones urbaines à faible densité. La ligne 12, qui a récemment inauguré la station Front populaire au pied du Campus Condorcet, sera prolongée jusqu’à la mairie d’Aubervilliers, où elle fera la connexion d’ici sept ou huit ans avec le <a href="http://www.societedugrandparis.fr/projet">Grand Paris Express</a>.</p>
<p><em>De facto</em>, la commune d’Aubervilliers est en train de devenir parisienne. La puissance déployée conjointement par l’État et la Mairie de Paris ne permet pas à la municipalité d’Aubervilliers de proposer une réelle alternative. À cet égard, si le Campus Condorcet est bien une des cartes maîtresses dont disposent Paris et le gouvernement dans l’aménagement de la région capitale, reste à savoir si les autres collectivités ont de quoi mener une partie équilibrée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/50139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Faure est doctorant à l'EHESS. </span></em></p>Comme Paris-Saclay, le futur campus Condorcet n’intéresse pas seulement la communauté universitaire. C’est aussi un projet politique d’aménagement et d’urbanisme de grande ampleur.Alexandre Faure, Doctorant en sciences sociales, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/485082015-10-07T04:45:46Z2015-10-07T04:45:46ZL’Université de Paris-Saclay : les défis à venir (2)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/97072/original/image-20151002-23067-s2rmpw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue aérienne du quartier de l'Ecole polytechnique et de l'ENSTA Paristech.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Ecole polytechnique Université Paris-Saclay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Pour sa rentrée 2015, la méga université de Saclay, grand projet à la française, a rempli un premier contrat avec succès : l’offre de formation. Alors qu’elle vient tout juste d’être créée, l’UPS propose vingt nouvelles écoles doctorales – treize propres et trois co-accréditées avec des institutions tierces –, chacune fédérant un ensemble d’équipes de recherche rattachées à diverses entités internes et qui prennent en charge la formation par la recherche.</p>
<p>Ces écoles sont regroupées dans un collège doctoral unique. La perspective est d’accueillir 6 000 doctorants voire plus. Par ailleurs et sur le modèle de Cambridge, l'université de Paris-Saclay (UPSaclay) est en train de créer huit <em>schools</em>, qui entre les différents établissements, organisent la formation et regroupent des masters dans un domaine scientifique – par exemple en biologie-médecine-pharmacie, en biodiversité-agriculture-alimentation environnement, en sciences fondamentales, en humanités, etc.</p>
<p>Au total, quarante-neuf masters mutualisés sont délivrés par la COMUE et non plus par tel ou tel établissement. Ils offrent 280 parcours-types enseignés en français et pour partie en anglais. En matière de recherche, l’ambition est de créer dix départements au niveau de l’UPSaclay permettant de coordonner une stratégie de site créant un écosystème de recherche qui se situe en amont du <em>cluster</em>. Des chiffres qui sont impressionnants.</p>
<h2>Gouvernance</h2>
<p>Ces résultats ont été rendus notamment possibles par l’évolution de la gouvernance à l’UPSaclay<sup>*</sup>. De 2007 à début 2014, le projet a été porté et défini par la Fondation de coopération scientifique qui chapeaute également la facette du cluster installé sur le campus Paris-Saclay. Les grands traits de la maquette ayant été définis, elle a ensuite passé la main à la COMUE proprement dite. Aujourd’hui, l’UPSaclay est administrée par un conseil de vingt-six personnes dont huit représentent les personnels scientifiques et administratifs, deux les étudiants, dix les établissements membres et six sont des personnalités externes. Il élit notamment le Président de la COMUE.</p>
<p>Par ailleurs, un conseil des membres de l’UPSaclay a une fonction exécutive pour préparer et mettre en œuvre les décisions. Enfin, un conseil académique de 220 membres joue un rôle consultatif, la majorité d’entre eux représentant les diverses catégories de personnels et les étudiants. Ces représentants tant au conseil d’administration qu’au conseil académiques sont élus au suffrage direct par leur collège respectif. Le premier président qui a été élu en juin 2015 est Gilles Bloch, directeur des sciences du vivant au CEA, institution par ailleurs membre d’UPSaclay. Il s’appuie sur une petite équipe exécutive avec pour principale mission de coordonner trois compétences : la recherche, la formation et les ressources.</p>
<p>De fait, ce qui est frappant tant dans les textes définissant les compétences exécutives que dans les discours tenus par les responsables à tous les étages de l’UPSaclay, c’est le recours quasi récurrent aux termes de consultation et de regroupement plutôt qu’à celui de décision. Par exemple, s’agissant de projets affichant la marque propre et relevant directement de la compétence de la seule UPSaclay, la part de la concertation consensuelle est importante entre les parties concernées, notamment entre les institutions membres de la COMUE, entre leurs directions, leurs départements propres, leurs activités respectives et leurs ambitions propres à chacune.</p>
<h2>Hétérogénéité</h2>
<p>Néanmoins, la marge d’action et d’initiative de l’UPSaclay en tant que telle est étroitement balisée dans les faits par l’hétérogénéité de ses composantes, de leurs statuts administratifs et de leurs réseaux d’anciens élèves. Surtout quand ces derniers représentent des élites influentes auprès des pouvoirs publics, avec leurs propres intérêts et ambitions de pouvoir, quand ce n’est pas leurs préjugés et rivalités. S’agissant de surcroît d’un milieu comme celui des institutions académiques, dont les performances reposent sur la façon dont leurs échelons de base se mobilisent et orientent leurs prestations de recherche et de formation, l’adoption par leur direction générale d’un style de gouvernance autoritaire n’est pas de mise. Tout doit passer par la concertation.</p>
<p>L’avenir à court et moyen terme n’est pas tracé de façon irréversible et la route à parcourir reste délicate pour l’UPSaclay. Avec plusieurs défis à relever. Trouver un consensus à propos du degré d’intégration institutionnelle à atteindre entre entités de l’UPSaclay n’est pas forcément facile. Certaines des institutions sont favorables à un modèle unique entièrement intégré, donc irréversible, qui verrait disparaître leur existence, sauf à garder leur marque quand elles possèdent déjà une notoriété nationale ou internationale présumée significative. D’autres préfèrent un partenariat confédéral limité aux seules activités doctorales et le cas échéant à des coopérations pluriannuelles en matière de recherche. Le fait étant que d’ores et déjà certaines parmi les plus petites ressentent comme un avantage de subir une pression croissante qui les amène à développer leur propre capacité de recherche.</p>
<p>En revanche, et c’est notamment le cas des sciences dites dures logées dans les entités les plus performantes, certains chercheurs et enseignants-chercheurs peinent parfois à comprendre la valeur ajoutée que peut leur apporter le fait de voir leur entité se fondre dans un ensemble comme l’UPSaclay. Notamment quand ils se sentent déjà solidement ancrés au coeur des meilleurs réseaux de leur communauté académique en Europe et ailleurs.</p>
<h2>Boule de neige</h2>
<p>L’effet de boule de neige financier doit également être relativisé comme source de motivation des entités membres de l’UPSaclay. Telle très grande école d’ingénieurs relevant du ministère de la Défense constate que la générosité financière manifestée par l’État – 1 milliard d’euros en capital équivalant à 10 % redistribués entre membres de l’UPSaclay – ne lui rapporte qu’entre 1 et 2 millions d’euros par an, soit environ 1 % de son budget annuel.</p>
<p>Un autre défi d’importance renvoie à la création d’un sentiment de communauté scientifique et d’identité partagée qui transcenderait les particularismes propres à chaque institution. Car le propre des universités les plus reconnues mondialement à commencer par Cambridge, Oxford et Harvard – c’est même le cas de l’École polytechnique fédérale de Lausanne – est de développer un très fort attachement sinon une forte loyauté de leurs enseignants et chercheurs à l’égard de la culture de leur « maison ».</p>
<p>Comment l’UPSaclay pourra-t-elle développer un affectio societatis qui transcende le quotidien de ses micromondes locaux, qu’ils soient disciplinaires ou institutionnels ? Un professeur de Polytechnique peut-il reconnaître un professeur de Centrale Supélec comme un égal et comme un membre de sa communauté ? Autrement dit, la raison ultime de l’UPSaclay de satisfaire un meilleur classement de la France dans le <a href="https://theconversation.com/classement-de-shangha-les-solutions-au-retard-francais-47668">classement de Shanghaï</a> apparaît-elle comme un levier suffisamment mobilisateur pour créer un sens de destin communautaire partagé ? Le projet d’UPSaclay est-il durable sans une ambition de nature scientifique qui fasse sens à son personnel académique ? Quelle place distinctive voudrait-on occuper dans l’avancement de la connaissance face à des concurrents étrangers ?</p>
<p>Dire que la vocation de l’UPSaclay est de sélectionner et de former des élites à l’instar de HEC ou de Polytechnique aide, mais n’est pas suffisant. Cela ne permet pas forcément d’attirer et surtout de retenir un noyau professoral de talents internationaux qui, par comparaison avec des universités leaders mondiaux américaines ou helvétiques, devrait être de 10 à 20 % supérieur. Enfin la question est posée de la place prise ou que prennent les sciences humaines et sociales dans le périmètre de l’UPSaclay dont l’ingénierie, les sciences naturelles et les sciences de la vie constituent incontestablement les points forts et durs.</p>
<p>De fait, il est difficile aujourd’hui de savoir comment Paris-Saclay gérera des projets de recherche multidisciplinaires tels que d’autres campus à haute visibilité le font à l’étranger. Car les problèmes tels que posent les avancées technologiques revêtent aussi des dimensions sociétales, éthiques, politiques et économiques auxquelles il incombe de s’ouvrir de façon résolue quand on veut devenir une référence mondiale. Il serait regrettable que chaque discipline se cantonne au fait de cultiver son pré-carré scientifique.</p>
<p><em><sup>*</sup> Paris-Saclay fait partie des partenaires fondateurs de The Conversation France.</em></p>
<p><em>Jean-Claude Thoenig est le co-auteur avec Catherine Paradeise du livre « In Search of Academic Quality » paru en 2015 chez Palgrave, Londres.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/48508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Claude Thoenig a reçu des financements de plusieurs organismes publics qui ont soutenu ses travaux jusqu'au milieu des années 1990.
</span></em></p>Avec ses nombreux établissements, le pôle propose déjà quarante-neuf masters mutualisés. Mais reste plusieurs défis à relever pour la mega université. Deuxième article sur Paris-Saclay.Jean-Claude Thoenig, Jean-Claude Thoenig est directeur de recherche émérite au CNRS (Dauphine Recherches en Management) , Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/484772015-10-06T04:36:22Z2015-10-06T04:36:22ZL’Université de Paris-Saclay : un grand projet à la française (1)<p>L’université de Paris-Saclay (UPSaclay) a été créée officiellement au printemps 2014. Elle constitue la facette académique ou amont d’un pôle d’innovation et de technologie mis progressivement en place dès 2004. Ce <em>cluster</em> est établi sur 7 700 hectares du plateau de Saclay, au sud de Paris. Il rassemble de grandes multinationales – Danone, EADS, EDF, France Télécom, Siemens, Thalès, etc. – et plus de 300 petites et moyennes entreprises de pointe. Une méga-université que la <em>MIT Technology Review</em>, la revue du célèbre institut de Boston, classe au nombre des huit pôles d’innovation les plus prometteurs mondialement. Un formidable parti sur l’avenir.</p>
<h2>Gouvernance propre</h2>
<p>L’UPSaclay<sup>*</sup>, qui est chapeautée par une Fondation de coopération scientifique, relève d’un statut public particulier, la Communauté d’Universités et d’Établissements (COMUE), et dispose d’une gouvernance propre. Elle n’est ni une université totalement intégrée ni une simple alliance de coopération limitée entre ses membres. Ce statut traduit la volonté du gouvernement de rassembler des entités jusque-là totalement autonomes les unes par rapport aux autres et les placer sous un toit commun avec l’espoir de les inciter progressivement à former une seule communauté académique. Bref l’État ne fusionne pas par décret.</p>
<p>Cette COMUE, qui occupe 3 000 hectares, est très hétérogène à tous égards jusqu’à, pour les mauvaises langues, ressembler à un inventaire à la Prévert. Par le nombre de ses membres : dix-neuf entités, dont deux universités, dix grandes écoles et sept institutions nationales de recherche. Mais aussi par leur histoire, par leur prestige, par leur statut juridique, par leur tutelle de référence, par leurs missions, par leur mode de sélection de leurs étudiants et par les disciplines couvertes.</p>
<p>Quoi de semblable entre une école de management relevant de la Chambre de Commerce de Paris comme HEC et une école d’ingénieurs comme Polytechnique qui dépend du ministère de la Défense ou une autre comme Centrale Supélec dont la tutelle incombe au ministère de l’Industrie ? Quoi de semblable entre des laboratoires comme ceux du CNRS, de l’INRA et du CEA et deux universités publiques, l’une à dominante en sciences sociales et humanités comme Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et l’autre, un poids lourd en sciences dites dures, comme Paris Sud ? Pour simplifier la situation, certaines de ces institutions sont déjà établies sur le plateau de Saclay, alors que d’autres ne le sont pas.</p>
<p>En tout cas, la somme de ces entités laisse rêveur. L’UPSaclay attire 15 % du budget potentiel de la recherche publique française. Elle abrite 300 laboratoires de recherche. Elle comprend un peu plus de 15 000 professeurs et doctorants. Elle couvre tous les domaines de formation et de recherche, des sciences dures et sociales jusqu’aux humanités et aux arts, de l’agronomie et de la biologie médicale jusqu’aux activités sportives et à la physique atomique. Sur le papier, l’UPSaclay se classe d’ores et déjà parmi les plus grandes universités multidisciplinaires en Europe.</p>
<h2>Une ambition nationale</h2>
<p>Le projet qui sous-tend la constitution de l’UPSaclay est celui du <a href="https://theconversation.com/classement-de-shangha-les-solutions-au-retard-francais-47668">classement dit de Shanghaï</a>. Dès 2003 les pouvoirs publics prennent conscience qu’aucune Grande École ou université française ne figure honorablement dans le haut du classement mondial des « meilleures » institutions de recherche et de formation. En 2004 le Président de la République en fait une cause prioritaire et impose une réaction dont Saclay devrait être le navire amiral. Le regroupement autour d’une UPSaclay paraît offrir les meilleures chances de figurer rapidement au sommet de cette élite mondiale, notamment par la somme de ses performances en termes de publications scientifiques.</p>
<p>Être visible de Shanghaï devrait ranimer une ambition sacrée. Effectivement, l’UPSaclay comme marque unique ou comme entité institutionnelle, agrège aujourd’hui déjà une production de 8 000 publications annuelles dans les revues scientifiques de référence et rassemble 5 700 doctorants, dont 40 % venus de l’étranger. Des chiffres qui sont sensés, grâce à la dynamique imprimée par la COMUE, augmenter rapidement dans les années à venir.</p>
<p>Pour ce faire, l’UPSaclay se dote de références étrangères qui devraient servir de bonnes pratiques : par exemple Harvard, Oxford, Cambridge, tous leaders historiques des classements internationaux, ou encore l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, dont l’ascension est fulgurante depuis quelques années. La partie paraît d’autant plus jouable que l’appui des instances gouvernementales semble garanti, alors que l’argent devient une ressource qui se fait rare dans le paysage des universités françaises.</p>
<p>En réalité, une sorte de politique pluriannuelle de grands travaux publics s’est engagée en faveur du plateau de Saclay. On peut estimer que, sans prendre en compte les coûts indirects et les subventions diverses, l’État aura jusqu’à présent alloué plus de 6 milliards d’euros pour construire des bâtiments, soutenir des projets d’innovation et installer des infrastructures de transport desservant le campus, y compris le <em>cluster</em>.</p>
<p>À l’UPS stricto sensu, plus de 2,5 milliards d’euros sont affectés à l’édification de nouveaux équipements immobiliers et à des soutiens à des projets de recherche et d’enseignement. Et si besoin le budget de l’État saura se faire respecter pour obliger les membres de la COMUE à coopérer entre eux en matière de demandes de financement sous le sigle commun de l’UPSaclay, et non pas seulement sous leur seule signature.</p>
<h2>Visibilité internationale</h2>
<p>Certes, des voix discordantes se sont fait entendre dans les années 2000, face à la fois au projet de <em>cluster</em> et à celui d’un pôle immobilier de grande taille, qui tous deux s’avèrent consommateurs de vastes terrains agricoles de qualité. Mais Paris-Saclay ne génère pas d’opposition forte des partis politiques de droite ou de gauche, quel que soit le gouvernement en place. Les maires des communes riveraines ont eux critiqué l’État pour avoir accéléré le projet sans leur accord formel. Des syndicats étudiants ont dénoncé le fait que l’argent des contribuables alloué au projet ne bénéficie qu’à l’élite académique parisienne et entrave la modernisation de toutes les autres universités à travers la France, l’École Polytechnique en étant une figure de proue. Cependant les oppositions se sont essoufflées progressivement.</p>
<p>Trois postulats plus ou moins implicites rallient les futures institutions membres au projet d’UPSaclay. Le premier est un argument de taille. Pour être visible internationalement, il faut être gros, en effectifs d’enseignants, d’étudiants, de programmes, de domaines scientifiques couverts, etc., et ce même si la corrélation entre taille et classement mondial n’est pas avérée. Le deuxième est que le temps court nécessaire pour intégrer les multiples entités membres en un ensemble unique n’est pas un obstacle rédhibitoire. La synergie se fera sans trop attendre, d’une manière ou d’une autre, parce que chacune des entités doit en bénéficier si fondue dans un ensemble qui gagne par ailleurs. Les entités déjà les plus fortes scientifiquement dans leur domaine feront aussi gagner les plus faibles ou les moins valorisées. Le troisième est que la gouvernance de la dynamique d’évolution de cette configuration interne si complexe est une solution à trouver, et non pas un problème à aborder d’emblée.</p>
<p>Bref, et quitte à forcer quelque peu le propos, l’ambition est celle de la taille, de la reconnaissance par les classements internationaux de l’excellence, et de la fusion par une logique de type « top down ». Le projet scientifique, la mobilisation des échelons de base déjà existants – entités, départements disciplinaires, etc. – et la logistique administrative de la gestion de la mise en œuvre suivront.</p>
<p><em><sup>*</sup> Paris-Saclay fait partie des partenaires fondateurs de The Conversation France.</em></p>
<p><em>Jean-Claude Thoenig est coauteur avec Catherine Paradeise du livre « In Search of Academic Quality » paru en 2015 chez Palgrave, Londres.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/48477/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Claude Thoenig a reçu des financements de plusieurs organismes publics qui ont soutenu ses travaux jusqu'au milieu des années 90. </span></em></p>Créée au printemps 2014, l’université de Paris-Saclay est un pôle d’innovation très prometteur. Et doit permettre à la France de remonter dans les classements universitaires. Premier de deux articles.Jean-Claude Thoenig, Jean-Claude Thoenig est directeur de recherche émérite au CNRS (Dauphine Recherches en Management) , Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/475942015-09-28T04:40:30Z2015-09-28T04:40:30ZConsommation: un bon classement peut faire du mal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/96247/original/image-20150925-17711-4noehi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Joan Roca de El Celler de Can Roca, "meilleur restaurant du monde".</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/cronicasdesdelomejordelagastronomia/5167182293/in/photolist-8SBagT-9yMRVj-8SBcrR-8SEgsy-8SEgT7-8SBcJr-8SBciK-8SBbnX-8SEfM9-8SBcma-8SBcRg-8SEh8Q-8SBbza-8SBc6H-8SBcGp-8SBbDg-8SBcWc-8SEg8j-8SBcgH-8SEgAC-8SEfTj-8SBatr-8SEfG7-8SEg3u-8SBcq4-8SEfNN-8SBcTz-8SBc8X-8SBcbe-8SBaUi-8SBbuc-8SEfkf-8SEfrQ-8SBcYF-8SEgCW-8SBc2c-8SEfw1-8SEfW1-8SEgPQ-8SBd1p-8SBcEc-8SBaRP-8SBbwD-8SBcur-8SEfQL-8SBaqD-ehgyXk-ayD2uC-bginEP-8SBaxg">VCrown/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Début juin, <a href="http://www.lefigaro.fr/gastronomie/2015/06/01/30005-20150601ARTFIG00441-el-celler-de-can-roca-sacre-meilleur-restaurant-du-monde.php">El Celler de Can Roca</a> à Gérone, en Espagne, est devenu le meilleur restaurant du monde – du moins selon le 2015 « <em>World’s 50 Best Restaurant awards</em> » – grâce à la « curiosité et la créativité » des trois frères qui en sont propriétaires.</p>
<p>Se voir décerner un prix aussi prestigieux est une garantie pour El Celler et les autres restaurants de la liste d’afficher complet pour de nombreuses années, leur apportant le prestige et les retombées financières. Lorsque Noma est devenu « le meilleur du monde » pour la première fois en 2010, cette récompense, selon <a href="http://edition.cnn.com/2015/06/01/travel/worlds-50-best-restaurant-awards-2015/">CNN</a> « a catapulté la renommée du restaurant dans les hautes sphères internationales, entraînant assez de demandes de réservation pour remplir ses tables pour les années à venir. »</p>
<p>Ces classements abondent dans la société d’aujourd’hui, qu’ils soient publiés par un groupe comme World’s 50 Best ou basés sur les préférences des consommateurs comme chez Trip Advisor. Logiquement, les classements sont considérés comme utiles et bénéfiques pour les consommateurs. Ils incitent les restaurants (ou les entreprises dans d’autres secteurs) à améliorer leurs produits et services tout en fournissant aux consommateurs toujours plus d’informations pour prendre leurs décisions.</p>
<p>Mais, les classements n’auraient-ils pas un côté obscur ? Ne pourraient-ils pas avoir aussi des effets négatifs et, au final, détériorer le bien-être des consommateurs ? Notre <a href="http://www.nber.org/papers/w21083">recherche</a> montre que la réponse à cette question est parfois positive. En effet, dans certains cas, nous pourrions très bien nous passer de classements.</p>
<h2>Les classements, leurs critiques et les mauvais perdants</h2>
<p>Les classements sont depuis longtemps la cible de critiques, en particulier de la part des maux classés surtout lorsque le classement est particulièrement influent, comme c’est le cas avec le World’s 50 Best.</p>
<p>Une pétition « <a href="http://occupy50best.com/">Occupy50best</a> » a circulé récemment, signée par plus de 400 chefs, restaurateurs et autres qui ont attaqué la méthodologie du World’s 50 Best. Ils affirment qu’il n’y a pas de critères établis et pas d’exigences gastronomiques cohérentes et objectives ; de plus les membres du jury sont « recrutés par cooptation et peuvent voter anonymement, sans avoir à justifier leur choix de restaurant ni même à prouver qu’ils y ont effectivement mangé ! »</p>
<p>Ces critiques quant à la méthodologie des classements sont probablement aussi répandues que les classements eux-mêmes. Le débat tourne habituellement autour de la mesure de qualité du produit classé. Un autre exemple symbolique est celui du débat sans fin autour des classements des universités et des programmes éducatifs.</p>
<p>Mais, même si la méthode de classement est bonne et reflète correctement la qualité, une question plus fondamentale doit être posée : les classements eux-mêmes sont-ils bons pour les consommateurs ? Ou, en d’autres termes : une meilleure information est-elle toujours bénéfique pour le bien-être des consommateurs ?.</p>
<h2>L’interaction avec les décisions des consommateurs</h2>
<p>Si les classements étaient utilisés uniquement dans les situations où une décision individuelle n’affecte que l’individu prenant la décision, plus d’informations serait en effet toujours bénéfique, et ne pourrait jamais nuire aux consommateurs.</p>
<p>Mais, sur de nombreux marchés où les classements jouent un rôle, les choix des consommateurs ne peuvent pas être appréhendés comme des décisions purement individuelles ; ils affectent le bien-être d’autres et leurs décisions de manière souvent complexes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/96251/original/image-20150925-17733-1hatqsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comment estimer la qualité d’un restaurant ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/laurahendersondesign/4406321701/in/photolist-7HnxVP-83nxLB-dX3eZs-cJHL5m-66Nt6n-9oHWyD-prq3DL-ddhvpm-ceEWdL-4T8NyM-5nCySv-pbe1FH-eTnSmK-q8tmj7-5vrr36-9oM1Gd-eHSowc-9gZTTR-6Knxki-6RjrcM-4iqV8c-8V1KHX-8YNCQS-7BaSGe-dYtUhu-2hQjch-7EHkWM-c3eq2L-bqocvQ-dYCWq6-6segz6-azRJ7h-6gTK1Q-oGoy3z-dkjWWT-akQ4Hc-5dBDSn-8kxBFm-ffLLGq-nh5FBn-8jzbuE-68MHcd-5hAtJz-4zmxwY-f2iXwz-oq4uaL-6VkV2z-5vrr2T-9ERpsL-8L7vfu">Laura Henderson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Considérez par exemple le cas des restaurants. Pour de nombreux clients, la valeur d’un dîner est influencée par l’identité des autres clients du restaurant. Dans le cas des programmes éducatifs, les élèves apprennent de leurs pairs, et le réseau généré lors du passage dans une école est crucial pour la réussite professionnelle future.</p>
<p>En d’autres termes, ces marchés sont caractérisés par des « externalités de consommation » – la consommation d’un produit ou service a un effet positif ou négatif sur des individus qui ne sont pas impliqués dans la transaction.</p>
<p>En outre, sur certains marchés, les prix sont rigides, conduisant à un rationnement ; de telle sorte que certains consommateurs ne peuvent consommer le produit ou service qu’ils souhaitent. Par exemple, dans de nombreux restaurants côtés, il est très difficile d’obtenir une table, même en s’y prenant longtemps à l’avance.</p>
<p>Finalement, même sur les marchés où les prix sont entièrement flexibles et où il n’y a pas d’externalités, les prix fixés par les entreprises sont influencés par la demande. De ce fait, les choix des consommateurs ne peuvent pas être appréhendés comme des problèmes de décision purement individuelle.</p>
<h2>Les gourmets et les consommateurs lambda</h2>
<p>Dans notre récente étude, nous étudions l’effet des classements sur le bien-être des consommateurs sur les marchés où les choix des consommateurs sont interdépendants. Nous montrons que pour ces marchés, les classements peuvent être nocifs pour les consommateurs.</p>
<p>Pour comprendre ce résultat, concentrons-nous sur le cas des marchés où il y a des contraintes de capacité (ce qui correspond assez bien au cas des restaurants, surtout si l’on considère que les prix sont les mêmes chaque jour de la semaine, bien que la demande soit beaucoup plus élevée le week-end).</p>
<p>Considérons un marché hypothétique de deux restaurants et sans classement. Un des restaurants, appelons le A, est plus cher et de meilleure qualité (attendue), tandis que l’autre, B, est moins cher et de moindre qualité (attendue). Mais, comme il n’y a pas de classement, les consommateurs ne sont pas certains de quel restaurant est réellement de meilleure qualité. Les consommateurs sont de deux types différents : les gourmets, qui apprécient hautement la qualité, et les consommateurs lambda qui sont moins sensibles à la qualité.</p>
<p>Sans classement, la différence de qualité attendue entre les restaurants A et B ne suffit pas pour que les consommateurs lambda soient disposés à payer le coût supplémentaire pour dîner au restaurant A. Ils réservent donc une table au restaurant B. Les gourmets, d’autre part – parce qu’ils sont focalisés sur la qualité – sont prêts à payer le coût supplémentaire, et donc ils réservent tous une table au restaurant A.</p>
<p>Partant de cette situation, qu’elle est l’effet de la publication d’un classement mesurant parfaitement la qualité des deux restaurants. La réponse à cette question dépend de ce que révèle le classement. Est-ce qu’il confirme que le restaurant A est le meilleur ? Où surprend-il les consommateurs en révélant que B est de meilleure qualité ?</p>
<h2>Classements et bien-être</h2>
<p>Commençons par le cas où le restaurant A occupe la première place.</p>
<p>Les consommateurs savent désormais avec certitude que le restaurant A est meilleur que le restaurant B. Bien que cette information ne change pas ce que font les gourmets (ils sont encore plus désireux d’obtenir une table dans le restaurant A), elle affecte le choix des consommateurs lambda. En effet, étant certains de la différence de qualité, les consommateurs lambda sont maintenant disposés à payer le coût supplémentaire : tous les consommateurs appellent donc le restaurant A pour réserver une table.</p>
<p>Le problème est que le restaurant A est trop petit pour accueillir les gourmets et les consommateurs lambda. Par conséquent, il doit refuser les demandes de réservation de certains consommateurs. Les gourmets qui ne peuvent obtenir une table au restaurant A sont donc affectés négativement par la publication du classement, tandis que les consommateurs lambda qui parviennent à obtenir une table sont affectés positivement.</p>
<p>Quid du cas où le résultat du classement est une surprise et révèle que le restaurant B est meilleur ? Dans ce cas, le classement affecte le comportement des gourmets qui veulent tous une table au restaurant B. Le même problème de contraintes de capacité se pose et seuls les gourmets qui obtiennent une table au restaurant B bénéficient de la publication du classement (alors que les consommateurs lambda qui ne peuvent pas obtenir une table sont affectés négativement).</p>
<h2>Au final, les consommateurs perdent</h2>
<p>Ce que nous montrons c’est que, une fois prise en compte la probabilité que le classement confirme les attentes des consommateurs ou les surprend, puis la procédure de rationnement utilisée par le restaurant (généralement « premier arrivé, premier servi »), l’effet de la publication du classement sur le bien-être peut être négatif pour tous les consommateurs. Nous identifions un effet similaire pour les marchés caractérisés par des externalités de consommation.</p>
<p>Quand les prix sont flexibles, nous atteignons la même conclusion pessimiste, même si il n’y a pas de rationnement ou d’externalités de consommation. La raison est la suivante : le « gagnant » fait face à une demande plus élevée et peut donc augmenter ses prix. Si le niveau de la demande dépend fortement de la qualité (et donc du résultat du classement), cette hausse des prix peut être si grande que chaque consommateur finit par y perdre.</p>
<p>Loin de suggérer que les classements sont toujours nuisibles, nos résultats proposent une conclusion surprenante : contrairement à ce qu’on peut penser, ce n’est pas lorsqu’on a davantage d’informations qu’on fait les meilleurs choix.</p>
<p>Une question qui demeure est de déterminer quand les classements sont susceptibles de nuire aux consommateurs. Une des conditions que nous identifions est que les consommateurs se soucient suffisamment de la qualité. Comme une ironie du sort, c’est quand l’information fournie par les classements est importante pour les consommateurs qu’il est plus probable qu’ils vont leur faire du mal.</p>
<p><em>La <a href="https://theconversation.com/consumers-love-rankings-but-they-may-end-up-doing-more-harm-than-good-40529">version originale</a> de cet article a été publiée sur The Conversation US.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/47594/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bouton is a member of the American Economic Association, the Econometric Society, and the European Economic Association. He has recently received an European Reseach Council Starting Grant for his project "Political Economy with Many Parties".</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Georg Kirchsteiger is Research Fellow of the Centre for Economic Policy Research and of the CESifo Research Network. He receives funding from the Belgian "Fonds de la Rechereche Scientifique."</span></em></p>Palmarès des meilleurs restaurants du monde, classements en ligne des hôtels les plus appréciés… les consommateurs ont-ils toujours intérêt à utiliser ces éléments pour faire leurs choix. Pas sûr.Laurent Bouton, Assistant Professor of Economics, Georgetown UniversityGeorg Kirchsteiger, Professor of Microeconomics, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/476682015-09-20T13:28:04Z2015-09-20T13:28:04ZClassement de Shanghaï : les solutions au retard français<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/95525/original/image-20150921-31495-r364fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La promo Marketing - Université Paris Dauphine 2010</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/feuilllu/5266762597/in/photolist-92px2F-8712gR-86umTQ-8711zH-874bYA-874c9w-8711dH-874c4m-874bSb-8711vg-874bU1-8711tP-874bWq-8711qg-874c7J-874bZm-874c8y-874c6W-8711Cc-8711LR-874c6h-8711x6-8711FT-8711xV-874c2o-92pwMR-92sD2u-874cgY-8711Qn-8711pg-87129x-86rc18-86umCd-8711iT-8711nx-87118T-8711MF-86raCR-8711Vr-8712fP-86rbdZ-86rbr8-8712eX-871268-86un7S-874ce5-86unuW-86un3j-8711hn-8711Eg">Pierre Metivier</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Depuis 1980, la France a décroché 25 prix Nobel et médailles Fields – le Royaume-Uni 26, l’Allemagne et le Japon 17. Pourtant, <a href="http://www.shanghairanking.com/fr/ARWU2015.html">le classement de Shanghaï</a> offre depuis des années une réalité tout autre à la communauté internationale. Si, en 2014, le Royaume-Uni affiche 9 établissements dans les 100 premières places, dont deux aux dix premières, la France, elle, n’en affiche que 4, le premier pointant à la 36e place : elle fait à ce titre moins bien que le Japon et l’Allemagne qui en inscrivent autant, mais à de meilleurs rangs.</p>
<p>Du côté du dépôt des brevets d’invention, la France accuse un même retard : avec 7 500 dépôts en 2011, elle est loin derrière le Japon et l’Allemagne – qui en affichent respectivement 39 000 et 18 500. Notre premier cycle français, scindé entre classes préparatoires et université, accuse de même certaines faiblesses : 70 % des étudiants de premier cycle abandonnent leurs études en cours de première année et seuls 28 % d’entre eux décrochent une licence. Il est inutile de rappeler le coût économique et social de tels taux d’échec : le désespoir des jeunes générations nourrit le sentiment, légitime, que l’ascenseur social est en panne et que le système profite à une petite élite : 13 % des étudiants de licence proviennent de milieux modestes, contre 9 % en master et seuls 5 % en doctorat. On aura beau arguer ici des limites de tels classements, là incriminer les filières d’excellence en souhaitant une uniformisation qui serait désastreuse, un seul constat s’impose : la France ne tire pas le meilleur parti de ses remarquables atouts.</p>
<h2>Réagir</h2>
<p>Il est grand temps pour elle de réagir, faute de quoi elle disparaîtra progressivement dans la concurrence internationale. L’université de recherche Paris Sciences & Lettres (PSL Research University) offre, parmi d’autres, des solutions à ce défi. Les établissements français ont besoin de structures adaptées, qui leur offrent l’échelle, la force de frappe et la diversité dont aucun ne dispose isolément. A cette fin, un nouveau modèle institutionnel doit être établi.</p>
<p>D’aucuns, comme Strasbourg, ont opté pour la fusion. Il n’est pas certain que cette solution soit généralisable à l’ensemble, en particulier lorsque les établissements jouissent de statuts juridiques différents et qu’ils relèvent de tutelles multiples. Au sein de regroupements comme PSL, les établissements jouent un rôle moteur : ce sont autant d’écosystèmes experts dans la fabrique de l’excellence. Il importe donc de promouvoir une configuration qui combine les avantages d’une intégration forte et d’un projet commun à ceux d’une large autonomie et d’une identité affirmée des composantes.</p>
<p>Le rôle de l’université comme structure centrale est de fonctionner comme une plateforme les aidant à créer des synergies, à exploiter tout leur potentiel. C’est selon un modèle comparable que sont organisées les plus grandes universités mondiales autour de l’autonomie des membres. Reste à établir les conditions permettant à l’innovation de surgir au sein de ces regroupements. La tentation est forte de vouloir rationaliser en regroupant dans chaque secteur les principaux acteurs : c’est le sens du rapport Attali et son projet de grande École Polytechnique de Paris. Néanmoins, si l’excellence est disciplinaire, l’innovation, elle, surgit bien souvent aux confins des disciplines.</p>
<h2>Ensemble pluridisciplinaire</h2>
<p>Les établissements de PSL l’ont compris, qui ont décidé de se réunir au sein d’un ensemble très pluridisciplinaire qui les dépasse. Forte de ses 25 membres, de ses 146 laboratoires de recherche (dont 12 laboratoires d’excellence et 8 équipes), de ses 3 200 chercheurs et 18 500 étudiants (dont 70 % en master et doctorat), PSL allie ainsi arts, sciences, sciences humaines et sociales pour créer un mouvement inédit de convergences : possibilité de créer de nouveaux parcours diversifiés conciliant spécialisation et pluridisciplinarité qui offrent aux étudiants une formation complète, qui soient attractifs auprès de nouveaux profils nationaux et internationaux, possibilité d’amplifier et intensifier les programmes de recherche déjà existants, d’en créer de nouveaux en misant sur les coopérations internes entre établissements, possibilité de valoriser et diffuser les savoirs…</p>
<p>Les bénéfices tirés de cette confrontation à la diversité sont multiples. À titre d’exemple, le cycle pluridisciplinaire d’études supérieures (CyPES), formation de Bac + 1 à Bac + 3 lancée en 2012, offre à 70 bacheliers, dont 40 % de boursiers, la meilleure des deux filières de l’enseignement supérieur français en premier cycle : l’intensité et la qualité des cours, l’encadrement et le suivi pédagogique, les effectifs limités dans des groupes-classes, caractéristiques des classes préparatoires aux grandes écoles ; l’apprentissage de l’autonomie, la diversité des choix de spécialisation, la formation par la recherche propre aux universités.</p>
<h2>Bilan</h2>
<p>Le bilan de la première promotion est révélateur du succès de la formule : de l’ENS à Polytechnique, en passant par Sciences Po ou de grandes universités étrangères, les étudiants du CyPES intègrent les meilleurs masters nationaux et internationaux. Le modèle élaboré par le lycée Henri IV et les membres de PSL ne demande désormais qu’à être repris dans le reste du pays. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres, mais révélateur de notre potentiel.</p>
<p>La société civile, et en particulier les entreprises, restent trop largement indifférentes à notre enseignement supérieur, dont elles doutent de la capacité à se réformer et à répondre à leurs attentes. Que de tels regroupements permettent à notre pays d’afficher sous peu deux établissements dans le top 30 du classement de Shanghai – 25<sup>e</sup> pour PSL, 26<sup>e</sup> pour Paris Saclay – devrait permettre de restaurer la confiance et vaincre par le même coup les réticences résiduelles de la puissance publique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/47668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Coulhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France fait moins bien que le Japon, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne au fameux classement mondial des universités. Comment s’améliorer ?Thierry Coulhon, Professeur de Mathématiques, président de PSL, Paris Sciences et Lettres Research University (PSL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.