tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/debat-21238/articlesdébat – The Conversation2023-07-23T15:10:59Ztag:theconversation.com,2011:article/2098742023-07-23T15:10:59Z2023-07-23T15:10:59ZDébat : L’Étatisme plombe-t-il la filière nucléaire française ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537807/original/file-20230717-201541-s8fizd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=47%2C26%2C695%2C476&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
Le gouvernement français vise à faciliter la construction de nouveaux réacteurs à l'horizon 2035 sur plusieurs sites, dont celui du Tricastin dans le Drôme (photo).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Saint_Restitut_-_vue_sur_la_centrale_nucléaire_du_Tricastin_2.jpg">Marianne Casamance/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 23 juin 2023, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000046513775/">loi</a> relative à « l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes » était publiée au <em>Journal officiel</em>. Elle simplifie le parcours d’autorisation des projets de construction de réacteurs : concertation du public, déclaration d’utilité publique, mise en compatibilité des documents d’urbanisme, autorisations d’urbanisme ou autorisation environnementale.</p>
<p>Le texte, <a href="https://www.leprogres.fr/economie/2023/05/16/la-loi-sur-la-relance-du-nucleaire-definitivement-adoptee-les-projets-vont-s-accelerer">largement adopté par le parlement à la mi-mai</a>, vise à faciliter la construction de trois séries de deux EPR 2 à l’horizon 2035 sur les sites de Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord), du Bugey (Ain) et du Tricastin (Drôme), comme le président-candidat Emmanuel Macron en avait pris <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220210-nucl%C3%A9aire-emmanuel-macron-%C3%A0-belfort-pour-d%C3%A9voiler-sa-strat%C3%A9gie-%C3%A9nerg%C3%A9tique-pour-la-france">l’engagement à Belfort en février 2022</a>. Ainsi, la loi <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/relance-du-nucleaire-la-loi-publiee-au-journal-officiel">supprime l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire</a> dans le mix électrique à l’horizon 2035, ainsi que le plafonnement de la capacité de production nucléaire à 63,2 gigawatts.</p>
<p>Il est remarquable d’observer que cette décision technologique majeure et cet investissement public de première importance n’ont suscité pratiquement aucun débat, aucune polémique, aucune protestation.</p>
<p>Pourtant, de nombreuses questions se posent : comment doit se prendre la décision d’investir ou de désinvestir dans la construction de nouvelles centrales nucléaires ? Où est l’équilibre des pouvoirs en la matière ? Y a-t-il encore un débat possible une fois que le chef de l’État, en réaction aux difficultés liées au conflit en Ukraine, déclare dans l’urgence que c’est la <a href="https://www.ladepeche.fr/2021/10/04/des-mini-centrales-en-france-pourquoi-emmanuel-macron-parie-sur-lenergie-nucleaire-9831107.php">seule solution</a> pour assurer l’approvisionnement énergétique de la France, et qu’un maigre débat à l’Assemblée nationale débouche sur un rapide consensus plutôt que sur des études et des discussions approfondies ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1658545177357697024"}"></div></p>
<p>Dans son <a href="http://montesquieu.ens-lyon.fr/IMG/pdf/de-l-esprit-des-lois.pdf"><em>Esprit des Lois</em></a> (1748), Montesquieu rappelle souvent qu’un peuple n’est libre que quand le pouvoir y arrête le pouvoir. En démocratie, la modération dans les décisions gouvernementales est supposée provenir du cadre constitutionnel et législatif, mais aussi et surtout d’un équilibre entre des forces dont les intérêts s’opposent et s’équilibrent.</p>
<h2>Des choix lourds de conséquences</h2>
<p>Immobiliser une nouvelle fois une grande part des capacités d’investissement de la France dans la construction de centrales nucléaires de type réacteur à eau pressurisée (PWR) – plutôt que dans autre chose –, c’est un choix majeur aux conséquences financières, techniques, écologiques et politiques lourdes à très long terme. C’est aussi la continuation d’un état technocratique centralisé, omniscience et omnipotent.</p>
<p>Comment assurer l’équilibre des pouvoirs dans un tel cas ? Suivant Montesquieu, quels pouvoirs faut-il mettre en concurrence pour obtenir la décision la plus éclairée, la plus raisonnable, la plus intelligente possible ?</p>
<p>Souvenons-nous que ce sont des décisions autoritaires – quasi militaires – qui ont marqué le <a href="https://www.cne2.fr/service/historique-et-gouvernance-du-programme-electronucleaire-francais/">lancement du programme nucléaire français en 1973</a>. Sans débat parlementaire sérieux, ni cadre juridique adapté, un petit groupe d’hommes politiques, de hauts fonctionnaires, et d’ingénieurs ont pris l’option radicale du tout nucléaire, en faisant deux promesses à la population : la technologie nucléaire serait sans risque et fournirait une électricité bon marché.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lheure-des-comptes-a-sonne-pour-le-nucleaire-francais-58174">L’heure des comptes a sonné pour le nucléaire français</a>
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<p>La suite de l’histoire mondiale de l’industrie nucléaire a montré qu’il y avait des risques. Pourtant, ce n’est que très récemment que les autorités françaises ont commencé à mettre en place des <a href="https://www.tarn-et-garonne.gouv.fr/Actualites/Exercice-de-Surete-nucleaire-et-de-securite-civile-les-7-et-8-juin-2023">exercices d’évacuation et de protection des populations</a> qu’impliquerait un accident majeur improbable, mais pas impossible.</p>
<p>Quant au bas prix de l’électricité en France entre 1975 et 2005, il s’explique surtout par une sous-estimation du coût complet du kilowatt heure, et par un <a href="https://www.annales.org/gc/2014/gc118/GC-118-article-PLOT_VIDAL.pdf">report de coûts cachés sur les générations futures</a> : remboursement des emprunts, coût du démantèlement des installations, du recyclage et du stockage des déchets, coût éventuel d’un accident majeur.</p>
<p>L’électricité bon marché de l’époque s’explique aussi par la non-prise en compte dans le coût du kilowatt heure de tous les projets qui ont du être abandonnés, et qui ont été financés par des dépenses publiques : la filière graphite gaz abandonnée ; le réacteur Superphénix de Creys-Malville (Isère) supposé contribuer au recyclage des déchets les plus radioactifs, définitivement arrêté en 1997, enfin, le doublement du coût des nouveaux réacteurs de Flamanville (Manche) qui ne sont toujours pas en fonctionnement.</p>
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<img alt="Le réacteur Superphénix de Creys-Malville (Isère), définitivement arrêté en 1997" src="https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537698/original/file-20230717-226716-93bviy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le réacteur Superphénix de Creys-Malville (Isère), définitivement arrêté en 1997.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Superphénix#/media/Fichier:Superphenix_reactor_south.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En se comportant à la fois en entrepreneur et en garant du programme nucléaire, l’État français a contribué à entretenir l’irresponsabilité financière des opérateurs. Il s’est substitué à eux. A contrario, dans d’autres pays tout aussi tentés par la solution nucléaire – les calculs des financiers et la logique des marchés ont joué le rôle de contre-pouvoir. Aux États-Unis en particulier, de nombreux projets de construction de centrales nucléaires ont été abandonnés parce que les investisseurs privés les trouvaient trop risqués ou pas assez rentables.</p>
<h2>Ailleurs, de plus en plus de fonds privés</h2>
<p>Depuis le début de la guerre en Ukraine, le retour au nucléaire constitue-t-il un investissement rentable, et si oui, à quel prix du kilowatt heure ? Est-ce une solution technique porteuse d’avenir et exportable ? Pour répondre à toutes ces questions, la population ne dispose aujourd’hui que de l’avis des experts de Bercy et d’EDF. Les partis politiques ne se montrent guère en état d’exercer le rôle de contre-pouvoir. Il ne serait donc pas absurde de faire appel au secteur privé, ne serait-ce que pour tester les hypothèses économiques et technologiques retenues par les experts étatiques. Il serait intéressant et utile de comparer un investissement dans des réacteurs PWR à un investissement équivalent répartit entre des économies d’énergie, des énergies renouvelables et une accèlération des recherches de pointes dans la fusion nucléaire ou, pourquoi pas, dans l’exploitation de l’hydrogène blanc récemment découvert dans le sous-sol français. Or, tous ces programmes sont en mal de financement…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fusion-nucleaire-une-avancee-majeure-mais-le-chemin-reste-long-196739">Fusion nucléaire : une avancée majeure, mais le chemin reste long</a>
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<p>Lorsqu’on veut installer un nouveau système de chauffage chez soi, on fait faire plusieurs devis et l’on étudie plusieurs solutions techniques. L’État français pourrait faire de même, évitant ainsi ses coutumiers dépassements de budgets. C’est en se tournant vers l’international que l’on peut espérer actuellement introduire suffisamment de diversité dans les débats sur les choix nucléaires. De ce point de vue, la controverse entre les Français et les Allemands sur la question nucléaire est utile et devrait stimuler la réflexion. </p>
<p>Faut-il, par exemple, imiter des états autoritaires – comme l’État chinois –, qui continue à construire des centrales EPR fondées sur le principe de la fission nucléaire ? Ne faut-il pas plutôt faire confiance, au contraire, à la recherche scientifique de pointe et à l’innovation comme aux États-Unis et en Allemagne, où l’on investit fortement dans le développement des centrales de nouvelle génération, basées sur le principe de la fusion ?</p>
<p>Depuis 2014 et encore plus depuis 2020, les investissements privés ont bondi dans ce domaine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique montrant l’évolution des investissements (en milliards de dollars) depuis 2000" src="https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436486/original/file-20211208-149721-1287dl1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les investissements privés dans le domaine de la fusion nucléaire sont en forte hausse depuis 2014.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Greg de Temmerman</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Aux hésitations et aux réticences de la population, tiraillée entre la peur du nucléaire, l’envie d’avoir de l’électricité bon marché, et l’envie de réduire les émissions de CO<sub>2</sub>, pourraient ainsi répondre la sagesse des marchés et le talent des scientifiques en quête de technologies nouvelles. Une réflexion sur une meilleure utilisation des fonds publics impliquerait donc que l’État français devienne plus modeste, cesse de se prendre à la fois pour un régulateur, un financeur et un entrepreneur et qu’il accepte enfin une plus sage et plus prudente répartition des rôles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Entre 1978 et 1982, Michel Villette était consultant à la société Euréquip où il a travaillé pour EDF sur des questions telles que le choix des sites nucléaires, l’organisation des chantiers et l’acceptabilité du programme par les populations. Il a publié un témoignage sur ces activités dans le livre : « L’Homme qui croyait au management » (Le Seuil, 1988). </span></em></p>En France, la loi de relance de l’énergie atomique n’a généré aucun débat tandis que l’investissement privé porte l’innovation dans le secteur aux États-Unis ou en Allemagne.Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090542023-07-10T15:44:07Z2023-07-10T15:44:07ZDébat : L’éducation est-elle en cause dans les émeutes ?<p>La mort de Nahel M., adolescent de 17 ans <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/29/le-drame-de-nanterre-heure-par-heure-du-controle-routier-de-nahel-m-a-la-marche-blanche-pour-l-adolescent-tue_6179840_3224.html">tué par un policier lors d’un contrôle routier le mardi 27 juin 2023</a> à Nanterre, a entraîné des émeutes dont l’ampleur et la gravité (incendies, pillages, destructions, attaques de bâtiments publics et privés) ont plongé la France dans une forte sidération. La question de savoir comment on a pu en arriver là devient essentielle, car la recherche de remédiations est suspendue à la connaissance des causes.</p>
<p>Parmi celles-ci, de nombreux acteurs sociaux ont évoqué les problèmes éducatifs. Le Président de la République a appelé en ce sens <a href="https://www.lemonde.fr/societe/live/2023/07/05/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-m-en-direct-le-bilan-chiffre-du-ministre-de-l-interieur-apres-une-semaine-de-violences-2-508-batiments-degrades-60-des-interpelles-n-ont-pas-de-casier-judiciaire_6179556_3224.html">« tous les parents à la responsabilité »</a>. Le ministre de la Justice a diffusé une circulaire invitant à engager des poursuites à l’égard des parents pour lesquels de « graves manquements à leurs obligations légales pourraient être constatés ». <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4043693-20230701-mort-nahel-syndicat-france-police-conteste-dissolution-voulue-gerald-darmanin">L’organisation France Police</a> est allée jusqu’à stigmatiser les parents de Nahel, « incapables d’éduquer leur fils ».</p>
<h2>Une fracture d’ordre scolaire</h2>
<p>La première fracture se manifeste en termes d’inégalités, de résultats scolaires et universitaires. C’est un fait bien établi, et qui a fait l’objet d’innombrables recherches et analyses : la France est l’un des pays où l’origine sociale pèse le plus sur les performances et les trajectoires scolaires, puis sociales. C’est ce dont témoignent, par exemple, les <a href="https://www.oecd.org/pisa/publications/PISA2018_CN_FRA_FRE.pdf">résultats de l’enquête PISA conduite par l’OCDE</a>. L’intolérable gâchis de l’insuccès scolaire touche en priorité les enfants issus de milieux défavorisés. Et, au fil des années, les inégalités liées à l’origine sociale ne paraissent pas connaître de changement significatif.</p>
<p>Cela s’est traduit dans la géographie scolaire, avec des phénomènes de ségrégation entre établissements. Selon le public dominant (favorisés vs défavorisés), de véritables fossés se sont creusés, entre établissements d’excellence, et établissements ghettos. Et c’est dans les « quartiers » que se trouvent les établissements le plus en difficulté. La nécessité d’augmenter la mixité scolaire est donc indéniable.</p>
<p>Selon une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/11/une-plus-grande-mixite-sociale-au-college-a-des-effets-positifs-sur-le-bien-etre-de-tous-les-eleves_6172929_3224.html">note de recherche parue en avril 2023</a>, les programmes de mixité sociale testés depuis huit ans ont des effets positifs pour tous les collégiens, quel que soit leur statut social, en termes de perception de l’environnement social, de relations avec leurs amis, et d’attitude vis-à-vis du travail en groupe pour les uns(défavorisés) ; d’estime de soi scolaire, de qualité des relations, et de solidarité pour les autres. Mais les effets constatés sont beaucoup moins d’ordre scolaire (apprentissages), que « non scolaires » (bien-être et intégration).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xblJpgZtmkA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment réduire les inégalités à l’école ? (France Culture, 2022).</span></figcaption>
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<p>Il faut reconnaître que les responsables successifs du système éducatif ont tenté de s’y employer, mais avec des fortunes diverses. Le combat est passé par la création en 1981 de zones prioritaires (ZP), qui deviendront dans les années 90 zones d’éducation prioritaire (ZEP), dont la carte a été revue en 2014 avec la création de <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2014/11/15/des-zep-aux-rep-la-future-carte-de-l-education-prioritaire-inquiete_4524117_1473685.html">réseaux d’éducation prioritaire</a> et devrait être à nouveau révisée en 2023.</p>
<p>Le combat est passé aussi par la lutte contre les stratégies de contournement de carte. Et, récemment, par la réforme de l’affectation des élèves (plate-forme Affelnet), ou la prise en compte de <a href="https://www.education.gouv.fr/indice-de-position-sociale-ips-actualisation-2022-377726">l’indice de position sociale</a> (IPS).) des élèves et, surtout, des établissements. Cet outil, mis en place en 2016 par l’éducation nationale, permet de déterminer un profil social, évalué en fonction de critères d’ordre social, culturel, et économique. On peut ainsi agir sur l’affectation des élèves en tenant compte tant de leur IPS personnel que de l’IPS moyen de l’établissement d’accueil.</p>
<p>Cependant, dans la mesure même où les inégalités scolaires ne sont, pour une partie significative, qu’un reflet des inégalités sociales, il faudrait pouvoir lutter directement contre celles-ci. On ne peut demander au système éducatif ce qu’il n’a pas la capacité de faire. Il est illusoire d’espérer agir sur les inégalités de réussite sans agir en amont, et fortement, sur les inégalités sociales.</p>
<h2>Une fracture d’ordre éducatif</h2>
<p>Si les émeutes interrogent le système éducatif, elles mettent en cause de façon sans doute plus forte l’éducation familiale. Sont en jeu des valeurs et des principes transmis dans l’enfance, et auxquels, peut-être, certains <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/04/jeunes-et-incontrolables-le-profil-complexe-des-emeutiers_6180409_3224.html">jeunes émeutiers</a> n’avaient pas eu accès.</p>
<p>Comment, en effet, comprendre que des adolescents et adolescentes puissent se sentir autorisés à terroriser la population ; à s’en prendre aux biens et aux personnes. À détruire, à voler, à brûler, à saccager. En s’attaquant en priorité aux <a href="https://theconversation.com/fr/topics/communs-37347">« communs »</a>, à tout ce qui rend la vie plus facile, voire plus agréable, au quotidien, et permet de vivre ensemble et de grandir : mairies, maisons de quartier, locaux d’associations, transports en commun, bibliothèques, gymnases.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-parole-des-professeurs-fait-elle-encore-autorite-149023">La parole des professeurs fait-elle encore autorité ?</a>
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<p>Il semble s’être produit, chez certains, une rupture dans la transmission des priorités. À travers le (mauvais) sort fait au commun, c’est l’articulation entre éducation familiale et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/citoyennete-23094">citoyenneté</a> qui est interrogée. Les facteurs à prendre en compte nécessiteraient de longues analyses, d’ordre sociologique, mais aussi économique, et culturel. C’est pourquoi nous nous bornerons ici au point de vue de l’agir éducatif, et de ses conditions de possibilité.</p>
<p>La participation aux émeutes pourrait témoigner d’une certaine faillite éducative. Il n’est pas question d’accabler les mères qui, dans des familles monoparentales, s’épuisent à créer les conditions d’une vie digne pour elles et leurs enfants. Mais ne faut-il pas prendre acte de l’importance capitale de ce que Pierre Bourdieu a nommé <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html">l’habitus</a>, « système de schèmes de perception, de pensée, d’appréciation et d’action », que chacun construit, au sein de sa famille, dans sa toute première enfance ? Et reconnaître que certains enfants souffrent malheureusement, de ce point de vue, d’une double carence ?</p>
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<p>La première résulte d’une défaillance dans l’incarnation de l’autorité parentale. Pôle dont chacun doit intégrer les principes pour pouvoir autoréguler son comportement (<a href="https://www.cairn.info/l-esprit-de-corps-democratie-et-espace-public--9782130546597-page-119.htm">« Un homme, ça s’empêche »</a>, a écrit Albert Camus), sans devenir le jouet de ses fantasmes et de ses emportements. Une société « sans pères », c’est-à-dire sans personne qui prenne résolument en charge le pôle de l’autorité, capable d’interdire, à bon escient (à savoir quand est en jeu le respect des autres), ne peut que sombrer dans la folie destructrice. Ivre de ce que Hegel appelait la <a href="https://theconversation.com/dejouer-les-pieges-de-leducation-positive-avec-la-philosophie-de-hegel-194869">liberté du vide</a>. La seconde carence est alors constituée par l’absence, qui en découle, d’un cadre gravant dans le marbre ce que le devoir de respect des autres, quelles que soient les circonstances, nous impose (aider), ou nous interdit (faire souffrir, spolier, détruire gratuitement).</p>
<p>La participation, ou non, aux émeutes, nous semble indiquer clairement qu’une fracture s’est établie entre ceux qui ont bénéficié de repères dans le cadre familial, et d’autres qui semblent sans horizons. Entre ceux à qui leur éducation familiale a permis d’intégrer la nécessité de « se retenir » ; et ceux qui n’ont pas eu cette chance. Réduire cette fracture exige un immense travail. Le témoignage de tant de personnes élevées par des mères admirables montre que cela n’est pas impossible.</p>
<h2>Une fracture d’ordre culturel</h2>
<p>La troisième fracture est sans doute la plus difficile à cerner avec sang-froid. Toute éducation implique un horizon culturel. On éduque et on forme pour préparer à vivre dans un ensemble régi par des valeurs communes, et acceptées par tous, faute de quoi il n’y a pas de vie commune possible. Ce socle de valeurs correspond à un imaginaire commun, celui d’une société où il sera possible de vivre ensemble d’une façon apaisée, voire heureuse. Dans le respect des différences mais aussi des valeurs fondatrices de la société, et qui en marquent l’identité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-a-etre-citoyen-ce-que-les-jeunes-pensent-de-leducation-civique-196908">Apprendre à être citoyen : ce que les jeunes pensent de l'éducation civique</a>
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<p>Or on peut se demander si nous disposons toujours d’un horizon culturel commun, qui fonderait à la fois la possibilité d’une éducation « nationale », et d’un « vivre ensemble » apaisé. Certes, il y a sans doute toujours une pluralité d’horizons culturels, selon les appartenances idéologiques, ou religieuses. Mais les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/05/fabien-jobard-politiste-le-legislateur-a-consacre-l-ascendant-de-la-police-sur-la-jeunesse-postcoloniale_6180576_3232.html">émeutes</a> font naître une interrogation sur la persistance, et la force véritable, de ce qui a constitué, depuis la fin du Second Empire, l’imaginaire républicain.</p>
<p>Cet imaginaire se cristallise dans la représentation d’une société régie par des valeurs telles que <a href="https://theconversation.com/fr/topics/valeurs-republicaines-32960">« liberté, égalité, et fraternité »</a>. Un tel ensemble de valeurs rendant possible, par-delà toutes les particularités, et la diversité des opinions, des religions, et des comportements, la vie en commun.</p>
<p>Ne pourrait-on aller jusqu’à se demander si cet idéal républicain n’est pas concurrencé par un nouvel imaginaire, émergent : un imaginaire, en quelque sorte postcolonial, de la rédemption ou de la revanche, exigeant de façon aussi brutale que presque impossible à satisfaire, une réparation, qui commencerait par la destruction de tous les symboles de l’État naguère colonial. Au sein, pourtant, duquel on vit.</p>
<p>Il n’y a là, bien sûr, qu’une hypothèse. Imaginaire postcolonial contre imaginaire républicain ? Radicalité destructrice de ceux qui ont soif de vengeance et de réparation, contre imaginaire républicain de ceux qui ne veulent que vivre en paix ? L’hypothèse a de quoi faire peur, et exigerait en tout cas de nombreux travaux pour être validée. Mais ne faut-il pas oser l’affronter ? Car ce qui est en jeu est la contribution possible du travail éducatif à la construction et à la reconnaissance par tous d’un horizon commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les émeutes de juin 2023 sont-elles le résultat d’une fracture éducative ? Elles interrogent dans tous les cas les promesses de l’école républicaine, l’autorité parentale et l’imaginaire commun.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039772023-04-24T13:58:35Z2023-04-24T13:58:35ZUn esprit sain dans un corps sain ? Voici ce qu’en dit la science<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522189/original/file-20230420-26-nosmra.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C988%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’exercice physique serait-il inutile au fonctionnement cognitif ?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les effets positifs de l’activité physique sur la santé sont indéniables. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lexercice-bon-pour-le-corps-certes-mais-egalement-pour-le-cerveau-174429">L’exercice, bon pour le corps, certes, mais également pour le cerveau !</a>
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<p>Cependant, une étude récente remet en cause le célèbre adage <em>Mens sana in corpore sano</em>, ou « un esprit sain dans un corps sain ». Les auteurs y contestent l’importance de l’exercice physique pour la santé de notre cerveau et de notre cognition.</p>
<p>Chercheurs en santé, neurosciences et psychologie, nous avons publié, quelques jours plus tard, une étude qui vient alimenter ce débat scientifique.</p>
<p>Qui a tort, qui a raison ? La réponse n’est pas si simple. Voici ce qu’il en est. </p>
<h2>L’exercice physique serait-il inutile au fonctionnement cognitif ?</h2>
<p>La <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-023-01554-4">première étude</a> a été publiée le 27 mars 2023. Il s’agit d’une revue de 24 méta-analyses qui réexamine les données de 11 266 personnes en bonne santé, en utilisant une approche plus rigoureuse que les analyses antérieures. </p>
<p>Bien que la quasi-totalité des 24 méta-analyses incluses dans cette étude ait démontré un effet positif de l’exercice physique régulier sur les fonctions cognitives, les auteurs soutiennent que ces analyses manquaient d’ajustements. Ils soulignent par exemple que le niveau d’activité physique en début d’intervention ainsi que la tendance de la communauté scientifique à ne publier que les résultats significatifs étaient rarement pris en compte. Une fois ces ajustements effectués, les auteurs aboutissent à des résultats suggérant que les bénéfices de l’exercice physique sont en réalité plus faibles que ceux estimés dans les précédentes méta-analyses, voire négligeables. </p>
<p>Sur la base de ces résultats, les auteurs se disent convaincus que les organismes de santé publique tels que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) devraient retirer l’amélioration de la santé cognitive et de la réussite scolaire de la <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/physical-activity">liste</a> des bienfaits de l’activité physique. </p>
<p>Dans la dernière phrase du résumé de l’article, les auteurs mettent notamment le lecteur en garde contre les affirmations et les recommandations liant l’exercice physique régulier aux bénéfices cognitifs chez les personnes en bonne santé, tout du moins, jusqu’à ce que des preuves scientifiques plus fiables s’accumulent. </p>
<p>Il n’a pas fallu attendre longtemps.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1641810112154140672"}"></div></p>
<h2>Une approche génétique : la randomisation mendélienne</h2>
<p>La <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-023-32150-1">seconde étude</a>, la nôtre, est une étude génétique incluant près de 350 000 personnes, publiée 4 jours plus tard, soit le 31 mars. Nous y apportons des preuves scientifiques à l’appui des bénéfices cognitifs de l’activité physique d’intensité modérée et élevée. </p>
<p>Ces preuves sont basées sur la méthode de randomisation mendélienne à deux échantillons, qui exploite les variations aléatoires de notre ADN survenant lors de la conception, donc avant la naissance. </p>
<p>Lorsqu’on compare deux humains, 99,9 % de leur matériel génétique est identique. On peut considérer l’ADN comme une longue chaîne de briques, appelées nucléotides. Il y a quatre types de briques, agencées de manière aléatoire : la thymine, l’adénine, la guanine et la cytosine. Ainsi, une fois sur 1 000, la brique d’ADN varie entre ces deux humains. Ces variations génétiques, appelées « snips », peuvent par exemple donner une brique de cytosine à un certain endroit de l’ADN d’une personne et une brique de thymine au même endroit chez une autre personne.</p>
<p>Le premier échantillon de notre étude, comptant 91 084 personnes, a été utilisé pour identifier les variations génétiques qui aboutissaient à des différences d’activité physique, mesurée à l’aide de <a href="https://axivity.com/product/ax3">capteurs de mouvement</a> portés au poignet. </p>
<p>Le second échantillon de notre étude, qui comptait 257 854 personnes, a été utilisé pour tester si ces variations génétiques associées au niveau d’activité physique influençaient le fonctionnement cognitif de manière proportionnelle. Si c’était le cas, nous pouvions conclure à un effet causal de l’activité physique sur la fonction cognitive.</p>
<h2>Preuves génétiques des bienfaits cognitifs de l’activité physique</h2>
<p>Dans notre étude utilisant une nouvelle méthode de <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-021-26970-w">randomisation mendélienne</a>, plus précise et plus robuste que les versions précédentes, les résultats montrent que des niveaux d’activité physique modérés et élevés conduisent à une amélioration du fonctionnement cognitif. </p>
<p>Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’effet de l’activité physique modérée (marche rapide, vélo) était 1,5 fois plus important que celui de l’activité physique d’intensité élevée (course à pied, basketball, ski de fond). L’intensité de l’activité physique que nous pratiquons est donc importante. Et, surtout, nos résultats soulignent qu’il n’est pas nécessaire de se pousser jusqu’à l’épuisement pour obtenir les bénéfices cognitifs d’une activité physique régulière.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="femme sur un vélo" src="https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522211/original/file-20230420-24-a4l2ia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les bénéfices cognitifs de l’activité physique modérée sont 1,5 fois supérieurs à ceux de l’activité physique soutenue.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’importance de la durée et de l’intensité de l’exercice</h2>
<p>Quand l’ensemble de l’activité physique des participants était considéré (incluant les activités sédentaires et les activités physiques d’intensité légère), nos résultats ne montraient plus d’effet sur le fonctionnement cognitif. Ce résultat confirme l’importance d’atteindre des intensités suffisantes pour profiter des bénéfices cognitifs de l’exercice physique. </p>
<p>Ces résultats concordent avec ceux d’une <a href="https://physoc.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1113/JP283582">étude récente</a> qui souligne l’importance de la durée et de l’intensité de l’exercice pour la libération d’une protéine appelée BDNF dans le cerveau. Cette protéine est impliquée dans la création de nouveaux neurones, de nouvelles connexions entre ces neurones et de nouveaux vaisseaux sanguins permettant de nourrir ces neurones. </p>
<p>Cette protéine, dont la <a href="https://cdnsciencepub.com/doi/abs/10.1139/apnm-2018-0192">production augmente au cours de l’exercice</a>, est donc un des mécanismes physiologiques permettant d’expliquer les effets bénéfiques de l’activité physique sur le fonctionnement cognitif. L’existence même de ce mécanisme explicatif renforce les résultats soutenant ces effets bénéfiques.</p>
<h2>Pourquoi les résultats divergent ?</h2>
<p>Plusieurs différences peuvent expliquer la divergence de résultats entre la méta-analyse basée sur des essais contrôlés randomisés et notre étude basée sur la génétique. </p>
<p>Tout d’abord, la méta-analyse s’intéresse uniquement aux personnes en bonne santé, ce qui n’est pas le cas de notre étude. Ensuite, notre étude différencie les activités physiques d’intensité modérée et élevée alors que la méta-analyse ne fait pas cette distinction. Enfin, la randomisation mendélienne évalue des effets à long terme, tout au long de la vie, alors que la méta-analyse se base sur des interventions durant entre 1 mois et 2 ans. </p>
<p>Puisque nous abordons ici les aspects temporels de l’activité physique, il nous parait important de rappeler qu’il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. En effet, une <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2727269">étude</a> de 2019 avait montré que commencer à être actif tard dans la vie procurait les mêmes effets positifs sur la santé qu’avoir été actif toute sa vie.</p>
<h2>Un esprit sain dans un corps sain</h2>
<p>Sur la base de nos résultats, il semble que l’amélioration du fonctionnement cognitif ait encore sa place sur la liste des bienfaits de l’activité physique. Comme c’est souvent le cas en sciences, il est plus raisonnable de ne pas prendre de décision hâtive et d’attendre les résultats des études scientifiques à venir avant de modifier les lignes directrices de promotion de l’activité physique. </p>
<p>Dans le climat sociopolitique actuel de méfiance envers la science, il est important de ne pas se précipiter sur la base d’une seule étude analysant différemment des données déjà existantes, et aboutissant à des conclusions contredisant des années de recherche basées sur ces mêmes données. </p>
<p>L’accumulation de preuves convergentes provenant de différentes équipes de recherche doit être un prérequis incontournable avant toute modification du message de santé publique. Comme le montre cet article, nous n’en sommes pas du tout là, et les effets de l’activité physique sur de très nombreux versants de la santé physique et mentale restent indéniables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203977/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthieu P. Boisgontier est chercheur principal à la Bruyère Research Institute (BRI) d'Ottawa, membre et ancien co-président de la Society for Transparency, Openness, and Replication in Kinesiology (STORK), éditeur en chef de Communications in Kinesiology (CiK), membre de Peer Community In (PCI) et fondateur de PCI Health & Movement Sciences. Il a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), de la Banting Research Foundation (BRF), de Mitacs, et de la Fondation Canadienne pour l'Innovation (FCI).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Boris Cheval a reçu des financements du fonds national suisse (FNS)</span></em></p>Une nouvelle étude met en lumière les bénéfices cognitifs de l’activité physique alors qu’une autre semble dire le contraire, alimentant le débat scientifique sur la question. Voici ce qu’il en est.Matthieu P. Boisgontier, Associate Professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaBoris Cheval, PhD. Neuropsychologie de l'activité physique, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1918912022-10-09T15:16:45Z2022-10-09T15:16:45ZDébat : Comment décoloniser le lexique sur l’« outre-mer » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/488511/original/file-20221006-22-8xaxr1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C1908%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Guadeloupe vue de l'ISS en 2005. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/France_d%27outre-mer#/media/Fichier:Guadeloupe_from_ISS.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Les termes que nous employons pour désigner les réalités liées à l’outre-mer en tant que territoire <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/france-d-outre-mer-terres-eparses-societes-vivantes">sont piégés</a>. En effet, ils ont pour toile de fond la colonisation et les utiliser encore fait resurgir la domination qu’elle implique. Le vocabulaire concernant les derniers vestiges de l’empire colonial français en porte les stigmates, comme le faisait remarquer en 1966 <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1966_num_55_1_1921">Charles Laroche</a>, conservateur en chef des futures Archives nationales d’outre-mer :</p>
<blockquote>
<p>« L’appellation de France d’Outre-Mer […] nous est devenue si familière que nous ne mesurons pas tout ce qu’elle contient de philosophie politique, en dehors de sa valeur sentimentale. »</p>
</blockquote>
<p>La locution adverbiale « outre-mer » a incontestablement de quoi séduire, renvoyant à la marine à voile, longtemps unique moyen de gagner ces contrées et toujours présente dans le lexique des langues créoles.</p>
<h2>Des colonies en filigrane</h2>
<p>Dans son sens le plus courant, « outre-mer » désigne un territoire de l’autre côté de la mer. Dans cette acception, la terre entière est outre-mer, puisque nous sommes tous l’outre-mer de quelque part ou de quelqu’un. Ce n’est pas ce sens qui l’emporte aujourd’hui, car, dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, il va désigner les pays sous domination coloniale européenne.</p>
<p>À partir des années 1930, il va être réduit à ceux soumis à l’autorité de la France. Ainsi, en 1934, l’École coloniale est rebaptisée <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/geographie-territoires/les-outre-mers-europeens/">École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM)</a>. L’année suivante, le Musée des colonies, construit pour l’Exposition coloniale de 1931, devient le Musée de la France d’outre-mer. En 1946, un « ministère de l’outre-mer » se substitue au « ministère des Colonies ». En 1957, l’Académie des sciences coloniales devient l’Académie des sciences d’outre-mer.</p>
<h2>Les « tam-tams » des DOM-TOM</h2>
<p>« Outre-mer » s’est maintenue grâce aux DOM-TOM, les départements et territoires d’outre-mer, créés en 1946 et qui après la décolonisation de l’Afrique se sont retrouvés être les seuls à porter ce nom, comme dernières « possessions » françaises hors d’Europe : de nombreux toponymes le rappellent (Fort-de-France, Polynésie française, Guyane française, La Réunion…).</p>
<p>Et quand bien même, depuis la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/19622-outre-mer-des-statuts-de-plus-en-plus-differencies">révision constitutionnelle de 2003</a>, les DOM-TOM n’existent plus avec la transformation des TOM en collectivités d’outre-mer (COM) et du statut à nul autre pareil de la Nouvelle-Calédonie depuis 1998, on continue d’utiliser cet acronyme, désormais substantivé, pour parler de la France d’outre-mer (FOM).</p>
<p>La pérennité de « domtoms » est possiblement due à sa sonorité, rappelant les tam-tams africains et des ambiances tropicales. « outre-mer » est donc perçu à travers le filtre de l’exotisme dans l’imaginaire de ceux qui habitent la mère patrie.</p>
<h2>Un pluriel singulier</h2>
<p>Eu égard à la diversité de l’outre-mer, ne faudrait-il pas mettre la locution au pluriel ? C’est ce qu’a fait le Parlement en 2009 avec le « Projet de loi pour le développement économique des outre-mer ». Ce pluriel sans s a été prolongé par la nouvelle appellation du ministère de l’outre-mer, en 2012, devenu « ministère des outre-mer ». La généralisation de <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/geographie-territoires/les-outre-mers-europeens/">l’usage du pluriel</a> avec ou sans s, semble traduire une mauvaise conscience vis-à-vis du passé et tente d’expier les ombres de la colonisation en donnant l’impression de prendre en compte la variété des populations. Le singulier, par opposition, devient le reflet d’un regard surplombant depuis Paris, donc un écho de la colonisation.</p>
<p>Si « outre-mer » est un toponyme, la FOM est un lieu étrange, éparpillé à travers le monde et dessinant un réseau radial dont le centre est la « Métropole ». Pour un Martiniquais ou un Tahitien, la FOM est abstraite. L’Outre-mer <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/petit-eloge-outre-mer-declaration-amour-francois-garde-628460.html">est une « définition exogène »</a>, étrangère à ceux qui en sont originaires. En fait, l’outre-mer est à la France ce que la province est à Paris. On est Basque, Provençal, Breton ou Alsacien, mais c’est par un séjour à Paris et/ou en adoptant le regard du centre qu’on est un Provincial. D’ailleurs la péjoration de « province », de plus en plus remplacé par « en région », démontre la gêne vis-à-vis de ce terme, trop évocateur de la domination de Paris. </p>
<p>Se dire « Ultramarin » participe du même processus de centrage et si la Métropole permet à l’outre-mer de prendre conscience de lui-même, elle crée également une identité chimérique que certains rejettent, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/07/patrick-chamoiseau-le-systeme-outre-mer-a-genere-un-syndrome-du-poulailler-ou-aucune-poule-ni-aucun-coq-vaillant-n-a-le-c-ur-a-voler_6140564_3232.html">tel Patrick Chamoiseau</a>.</p>
<h2>Un rapport centre/périphérie</h2>
<p>Le terme « Métropole » est de plus en plus remis en question. Il exprime l’idée de domination, celle d’un État sur ses territoires « extérieurs ». Il souligne le vieux fonds colonial et l’emploi d’« hexagone » à sa place chercherge à dissimuler cette réalité. En 2018, les députés du groupe Nouvelle Gauche, dont Serge Letchimy (Martinique), Ericka Bareigts (La Réunion), Hélène Vainqueur-Christophe (Guadeloupe), Josette Manin (Martinique) et George Pau-Langevin (Guadeloupe), ont déposé un amendement pour que le terme « métropole » soit remplacé par « France hexagonale » dans l’article 74-1 de la Constitution, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/le-terme-hexagone-ne-remplacera-pas-celui-de-metropole-dans-les-textes-officiels-985837.html">amendement</a> qui a été rejeté en 2021. Il faut toutefois remarquer que si « Métropole » reflète une domination qu’on veut masquer, celle-ci est toujours bien réelle dans des sociétés façonnées par l’État et où la relation à celui-ci reste capitale sur de nombreux plans.</p>
<p>Pour le moment il n’existe pas, à notre connaissance, de demande de suppression du mot « Métropolitain », car en FOM, le centre et son pouvoir ont une incarnation.</p>
<p>On l’appelle « Métro » ou « Zoreil’ » généralement, mais aussi « Mzungu » à Mayotte, « Farani » ou « Popa’a » en Polynésie française, « Papalagi » à Wallis. Cet « expatrié » cristallise les rancœurs par sa morgue. On est exaspéré par son assurance. On lui reproche de bloquer la promotion sociale de l’autochtone. Il est accusé de prendre les postes de direction qui devraient leur revenir. <a href="https://theconversation.com/martinique-comment-les-metropolitains-sont-ils-percus-186483">Il focalise</a> les moqueries sur sa naïveté, tombant souvent dans le piège de l’exotisme.</p>
<h2>Les Ultras de l’OM</h2>
<p>L’outre-mer a désormais son gentilé : « Ultramarin ». Si « ultramarin » est de longue date un adjectif, comme le démontre l’alexandrin de Rimbaud « Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs » (« Le Bateau Ivre », 1871), son usage comme substantif ne s’est diffusé que récemment, comme l’atteste son entrée dans le Larousse illustré en 2009 et <a href="https://www.anthropoweb.com/Ultramarin-Retour-sur-l-irruption-d-une-nouvelle-categorie-du-discours-dans-l-espace-public_a457.html">dans le Petit Robert en 2012</a>. On peut attribuer cette évolution à la création, en 2007, de la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’outre-mer ou à l’arrivée de la Guadeloupéenne Marie-Luce Penchard à la tête du ministère de l’outre-mer.</p>
<p>L’« Année des outre-mer », en 2011, a renforcé sa généralisation. Mais l’émergence dans les années 1990 de l’adjectif « ultramarin », pour évoquer ce qui est en relation avec l’outre-mer, est en lien avec la notion d’<a href="https://journals.openedition.org/add/1146">ultrapériphéricité</a>, terme de la novlangue bruxelloise, mentionnée dans le traité de Maastricht (1992), alors que le traité d’Amsterdam (1997) introduit les régions ultrapériphériques (RUP) dans le corps des traités européens.</p>
<p>Ce gentilé fédère-t-il les originaires de l’outre-mer dans l’Hexagone quand « Domien » semble reculer et que « Tomien » est rare quoique figurant encore dans Le Petit Larousse, presque vingt ans après la disparition des TOM ! Quelque technocratique et artificiel que soit « Ultramarin », se définir comme tel permet d’être reconnu par les pouvoirs publics, un label investi par les <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2014-1-page-121.htm">associations des originaires d’outre-mer vivant dans l’Hexagone</a>. Son dénigrement permet à ceux restés sur place de revendiquer leur identité locale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/martinique-comment-les-metropolitains-sont-ils-percus-186483">Martinique : comment les métropolitains sont-ils perçus ?</a>
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<h2>Au paradis des contrefaçons</h2>
<p>Le métropocentrisme s’insinue jusque dans la botanique, avec la multiplication des « fausses plantes », introduites ou endémiques.</p>
<p>En Nouvelle-Calédonie, on peut trouver des faux-mimosas (<em>Leucaena glauca</em>), des faux-poivriers (<em>Schinus terebinthifolius</em>), des fausses-aubergines (<em>Solanum torvum</em>), des faux-ébène (<em>Cordia subcordata</em>), etc. Le préfixe « faux » renvoie donc à ce qui est indigène et qui ressemble à une <a href="https://www.bdlp.org/">espèce métropolitaine ou qui y est connue</a>. On voit ici la prégnance du modèle central avec ce système de comparaisons dépréciatives.</p>
<p>La norme dominante est donc métropolitaine et les plantes locales ne semblent être que des reproductions défectueuses.</p>
<h2>Comment faire ?</h2>
<p>Comment dépasser ce jeu de miroir entre centre et périphéries ? Comment nommer l’outre-mer sans un point de vue métropocentré ? « France du lointain » est poétique mais n’est pas satisfaisante car cette notion d’éloignement fait également référence à la Métropole.</p>
<p>Quant à « France exotique », il est encore moins recevable, cantonnant ouvertement l’outre-mer à une altérité folklorique et ses habitants à des populations primitives ou idéales. Il est en conséquence bien difficile de nommer cette France éparse. Au XVII<sup>e</sup> siècle, on avait eu recours à l’astronomie pour la colonisation de la Guyane, qualifiée de « France équinoxiale » parce qu’à ces latitudes équatoriales la durée du jour et de la nuit est équivalente tout au long de l’année. Faut-il abandonner « outre-mer » et « Métropole » ? Que mettre en face de « France hexagonale » ? Pourquoi pas la « France exogonale » pour évoquer cette France à l’extérieur de l’hexagone ?</p>
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<p><em>Pour les éléments de botanique, je m’appuie sur un texte non publié aimablement communiqué par l’auteure Christine Pauleau, sociolinguiste d’origine calédonienne à l’université Paris-Nanterre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191891/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Christophe Gay ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment dépasser le métropocentrisme quand notre langage fait si directement écho au passé colonial de la France ?Jean-Christophe Gay, Agrégé de géographie, directeur scientifique de l’Institut du tourisme Côte d’Azur (ITCA), professeur des universités à l'IAE Nice, Unité de Recherches Migrations et Société, IAE Nice - Université Côte d'AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1909402022-10-03T17:27:58Z2022-10-03T17:27:58ZDébat : Qui a peur des études féministes et antiracistes à l’université ?<p>« Panique morale » : telle était l’expression qu’utilisait il y a 50 ans déjà le sociologue <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781351059039-1/criminology-sociology-deviance-britain-stanley-cohen">Stanley Cohen</a> en observant la couverture disproportionnée par les médias britanniques de quelques bagarres survenues sur des plages entre des jeunes de la contre-culture des années 1960, les rockers et les mods.</p>
<p>Dans son livre <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/issue/view/41-Panique-Morale"><em>Folk Devils and Moral Panics</em></a> (jamais traduit en français), le chercheur américain estimait que ces rixes n’étaient pas aussi significatives et intéressantes à analyser que le processus de diabolisation des jeunes à l’œuvre du côté des médias et des politiques.</p>
<p>Un phénomène similaire se produit régulièrement au sujet des universités depuis plusieurs décennies, de la peur des communistes sur les campus aux États-Unis dans les années 1950 (maccarthysme), à celle des des <a href="http://www.revueargument.ca/article/2001-10-01/181-le-totalitarisme-politically-correct-mythe-ou-realite.html">féministes et des antiracistes dans les années 1980-90</a>, jusqu’à aujourd’hui.</p>
<p>Assurément, il existe aujourd’hui des féministes et des antiracistes dans les corps étudiants et professoraux à l’Université (comme on retrouvait quelques rockers et mods sur les plages anglaises des années 1960), qui critiquent parfois telle conférence, exigent le développement des études féministes ou dénoncent le racisme et les agressions sexuelles sur les campus.</p>
<p>Mais ces forces restent <a href="https://luxediteur.com/catalogue/panique-a-luniversite/">nettement minoritaires</a> et pour comprendre les rapports de force dans la société, il importe surtout de se pencher sur certaines des réactions médiatiques et politiques paniquées et victimaires au sujet des féministes et des antiracistes, qu’on qualifie alors de « social justice warriors », « islamogauchistes » ou plus récemment de « wokes » pour mieux les dénigrer. C’est ce que souligne ainsi l’ouvrage d’Alex Mahoudeau, <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_panique_woke"><em>La panique woke. Autopsie d’une offensive réactionnaire</em></a>.</p>
<h2>Les campus, des lieux de « disputes » ?</h2>
<p>Ces polémiques carburent à l’oubli du passé ancien et récent, de récits fondés sur l’amplification, les exagérations et les hyperboles, qu’elles parlent de « lynchage », de « totalitarisme », ou de « terreur » et sont entretenues à coup de dizaines d’interventions d’éditorialistes, de chroniques d’humeur, de lettres ouvertes, de faux débats et de pétitions sur une même « affaire » survenue sur un campus et dont on sait, en fait, bien peu de choses.</p>
<p>S’invitent ensuite dans ces échanges de représentants institutionnels ou politiques, par exemple des <a href="https://pivot.quebec/2022/01/31/lutter-contre-lobscurantisme-ou-se-repeter-des-histoires-depouvante/">présidents et des ministres</a>, qui peuvent rivaliser de déclarations scandalisées ou <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/080122/un-vrai-faux-colloque-la-sorbonne-pour-mener-le-proces-du-wokisme">financer des colloques</a>, lancer des commissions d’enquête et des <a href="https://frq.gouv.qc.ca/appel-de-propositions-chaire-de-recherche-france-quebec-sur-les-enjeux-contemporains-de-la-liberte-dexpression">chaires de recherche sur la « liberté d’expression »</a> et même voter des lois pour la <a href="http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2022C21F.PDF">protéger sur les campus</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Ces phénomènes de panique morale s’appuient donc sur un ensemble de mécanismes sociaux. On sonne d’abord l’alarme en présentant la menace comme une pure nouveauté, ce qui stimule un sentiment d’urgence. Pourtant, le fait que des contestations se produisent sur des campus n’est pas en soi un événement surprenant. Depuis le Moyen Âge, les universités ont été régulièrement été des espaces de conflits intellectuels, politiques et religieux et les étudiants ont contesté et fait grève dès la fondation de cette institution.</p>
<p>Deux mots de la langue française font d’ailleurs référence à cette réalité : <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9B1949">« chahuter »</a> et <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9B1949">« boycotter »</a> un professeur ou une classe. Au cours de l’histoire de l’université, le tumulte a pu être provoqué par des communistes, des républicains, des catholiques, des monarchistes ou des fascistes, selon le contexte. De tels évènements surviennent très rarement, mais s’inscrivent tout de même dans une longue tradition universitaire. Les polémistes d’aujourd’hui préfèrent agiter le néologisme anglais « cancel culture », plus effrayant que le mot « chahut » et qui donne l’impression d’un problème généralisé.</p>
<p>On fabrique aussi la menace à partir d’anecdotes répétées à plus soif et en opérant un <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1993_num_48_2_279133">changement d’échelle</a> grâce à des formules telles qu’« on ne compte plus les cas ».</p>
<p>Or, qui prend le temps de compter sait qu’il n’y a chaque année aux États-Unis que <a href="https://academeblog.org/2021/09/09/scholars-under-fire-lessons-from-a-database/">quelques dizaines de collègues qui subissent des mesures disciplinaires pouvant mener au renvoi</a>, sur un total de près de <a href="https://www.bls.gov/ooh/education-training-and-library/postsecondary-teachers.htm">1,5 million de professeurs</a> dans plus de <a href="https://www2.ed.gov/about/offices/list/ous/international/usnei/us/edlite-institutions-us.html">4 000 établissements universitaires</a>.</p>
<p>On découvre aussi que, parmi des professeurs qui ont été mis à pied ou ont vu leurs conférences annulées, <a href="https://www.theatlantic.com/national/archive/2011/05/transgender-oklahoma-professor-denied-tenure-and-terminated/350189/">certains l’ont été pour avoir changé d’identité de genre</a>, <a href="https://www.washingtonpost.com/news/morning-mix/wp/2017/06/26/professor-fired-after-defending-blacks-only-event-on-fox-news-i-was-publicly-lynched-she-says/">appuyé un événement en non-mixité pour la communauté afro-américaine</a> ou <a href="https://reason.com/2019/08/26/antifa-professor-jeff-klinzman-kirkwood/,ou%5Baffirm%C3%A9queJ%C3%A9sus%C3%A9tait_queer_">s’être déclaré sympathisant antifasciste</a>. Des collègues ont aussi été limogés pour <a href="https://www.theguardian.com/education/2014/sep/09/professor-israel-criticism-twitter-university-illinois">avoir critiqué les offensives militaires israéliennes contre les territoires palestiniens</a> et des campagnes sont menées au Canada pour <a href="https://www.bnaibrith.ca/u_of_t_must_resist_pressure_campaign/">empêcher l’embauche d’une professeure qui défend les droits des Palestiniens</a>.</p>
<p><a href="https://heterodoxacademy.org/blog/campus-speaker-disinvitations-recent-trends-part-2-of-2/">Des enquêtes</a> montrent aussi que les campagnes de dénonciation lancées par les forces conservatrices réussissent plus souvent que celles lancées par les progressistes à forcer l’annulation d’une conférence ou la mise à pied d’un collègue.</p>
<p>Bref, ce phénomène reste ultra-marginal, contrairement à ce que les polémistes répètent dans tant de tribunes, mais il touche aussi des progressistes, ce que ne mentionnent jamais les fabricants de la panique « anti-wokes ».</p>
<h2>Des présentations biaisées</h2>
<p>La réalité est ainsi déformée quand certains laissent entendre que les féministes et les antiracistes sur les campus s’arrogeraient les postes et imposeraient leur volonté dans l’enseignement et la recherche. Une vérification empirique permet de constater que l’on compte 80 % d’hommes à la direction des <a href="https://www.universityaffairs.ca/features/feature-article/the-struggle-for-gender-equity-in-university-leadership">200 plus prestigieuses universités au monde</a> et que les hommes sont majoritaires dans le corps professoral et à la direction de chaires de recherche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yHgIaa752AM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’université est-elle vraiment menacée par les « wokes » (Francis Dupuis-Déri – TEDxHECMontréal).</span></figcaption>
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<p>On amplifie le sentiment de menace par des références aux pires violences de l’histoire, comme la chasse aux sorcières, la terreur révolutionnaire et le totalitarisme, alors que les féministes et les antiracistes n’exercent pas de violence sur la communauté universitaire. En Occident, depuis les années 1990, l’extrême-gauche est littéralement désarmée – il n’y a plus de groupes comme Action directe ou les Brigades rouges) et les groupes armés sont <a href="https://everytownresearch.org/report/armed-assembly-guns-demonstrations-and-political-violence-in-america/">généralement d’extrême droite</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-racisme-antise-mitisme-antiracisme-apologie-pour-la-recherche-159553">Bonnes feuilles : « Racisme, antisémitisme, antiracisme. Apologie pour la recherche »</a>
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<p>A contrario, des universités associées à la communauté afro-américaine aux États-Unis ont reçu des <a href="https://www.tennessean.com/story/news/american-south/2022/02/23/bomb-threats-hbcu-black-colleges-churches-targeted-fbi-investigation/6910491001/">dizaines d’appels à la bombe en 2022</a> et des universitaires racisées ou <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2022-06-06/haine-envers-les-femmes/les-ecrits-d-un-adorateur-de-marc-lepine-ont-seme-la-peur-a-l-uqam.php">féministes</a> sont la cible de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/522871/quatre-mois-de-prison-pour-avoir-menace-des-feministes-avec-des-photos-de-marc-lepine">menaces de mort</a>.</p>
<p>Cette panique serait-elle rentable ? Depuis 2021 en France seulement, il s’est publié une vingtaine de livres dénonçant les « décoloniaux », les « islamo-compatibles », les « théories sur l’identité, le genre, la race, l’intersectionnalité », etc.. Ces livres sont souvent présentés par des éditeurs ou des journalistes comme à « contre-courant » et « courageux », même s’ils semblent sortis du même moule, répétant en chœur que les études féministes et sur le racisme auraient renié la science au profit de l’idéologie.</p>
<p>S’appuyant trop souvent sur une <a href="https://pivot.quebec/2022/03/22/une-gauche-incertaine-au-sujet-de-louvrage-identite-race-liberte-dexpression/">représentation tronquée de la vérité, ou de purs mensonges</a>, ces essais se défèrent principalement à quelques anecdotes – une statue déboulonnée, une formation sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) ou une rencontre en non-mixité sur un campus – sans présenter la complexité de la réalité universitaire ou mobiliser des enquêtes empirique pour fournir des données chiffrées (ce qui se comprend, puisque les enquêtes infirment la thèse de l’université dominée par les « wokes »).</p>
<p>Or ces champs d’études si violemment attaqués devraient en réalité être salués en <a href="https://www.acfas.ca/publications/magazine/2022/09/40-ans-recherche-partenariale-au-service-femmes-communautes">ce qu’ils posent de nouvelles questions et développent de nouvelles théories</a>, de nouveaux concepts, de nouvelles méthodes d’enquête, ce qui devrait être une des missions de l’université. Il s’agit pour les sciences humaines et sociales, des champs qui produisent le développement des connaissances le plus important des plus récentes décennies, qui ont en plus des impacts positifs pour la société en termes de justice sociale individuelle et collective.</p>
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<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://luxediteur.com/catalogue/panique-a-luniversite/">« Panique à l’Université : rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Francis Dupuis-Déri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, les polémiques se succèdent au sujet de féministes et d’antiracistes qui imposeraient la terreur sur les campus. Analyse de cette rhétorique catastrophiste.Francis Dupuis-Déri, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897382022-10-03T14:21:48Z2022-10-03T14:21:48ZFonderie Horne : quel rôle occupent les preuves scientifiques dans la décision politique au Québec ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487793/original/file-20221003-3479-f229kf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C20%2C4518%2C3428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Maikel Rosabal Rodriguez)</span></span></figcaption></figure><p>Lorsque nous prétendons avoir la preuve de quelque chose, nous avons tendance à agir en conséquence, car nous pensons connaître la vérité. On pourrait donc penser que lorsqu’une nouvelle preuve scientifique est disponible, celle-ci devrait suffire en elle-même à entraîner une décision politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">Décrochage de la population aux mesures sanitaires : une Santé publique plus autonome est nécessaire</a>
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<p>Or, comme le montre la <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/2875-risque-cancerigene-concentrations-arsenic-cadmium-air-rouyn-noranda">récente évaluation de risques de cancers dans la ville de Rouyn-Noranda</a> et les <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/745239/nouvelles-normes-quebec-arsenic-fonderie-horne-rouyn-noranda">négociations gouvernementales avec la fonderie Horne</a> considérée responsable, la réalité semble bien plus complexe.</p>
<p>Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques ? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda ?</p>
<p>Professeur titulaire et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches sur la science, l’expertise et les politiques publiques cherchent à apporter un éclairage sur ces questions. Dans un chapitre d’un livre collectif à paraître (Molly Kao et Julien Prud’homme, <em>Faire preuve. Comment nos sociétés distinguent-elles le vrai du faux</em>, Presses de l’Université de Montréal) sur l’utilisation des preuves scientifiques dans la décision politique, nous argumentons que celles-ci ne peuvent suffire en elles-mêmes. Ces dernières font l’objet de diverses stratégies et n’apportent qu’un regard spécifique sur une situation, ce qui rend l’exercice du jugement politique indispensable.</p>
<p>Surtout, le niveau de preuve suffisant pour agir ne va pas de soi.</p>
<h2>L’importance des preuves scientifiques</h2>
<p>Nous évoquons dans notre chapitre <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300251852/the-misinformation-age/#:%7E:text=The%20Misinformation%20Age%2C%20written%20for,depends%20on%20who%20you%20know.">deux philosophes de la science</a> qui affirment que la vérité et les preuves scientifiques nous permettent d’agir de la bonne façon. Pourquoi ? Car si nous agissons en fonction de conceptions erronées, nous nous exposons à ce que le réel « nous heurte ».</p>
<p>Par exemple, si un décideur augmente la limitation de vitesse de 50 km/h en pensant que cela ne causera pas davantage d’accidents, la réalité risque de s’imposer et de « heurter » la population. Pour cette raison, un champ des politiques publiques <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/978-1-137-51781-4#:%7E:text=The%20Politics%20of%20Evidence%20Based,evidence%20relevant%20to%20policy%20problems.">vise à informer la décision publique au travers de preuves scientifiques</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’INSPQ et la Santé publique ont produit des preuves scientifiques identifiant certains risques que poseraient l’activité de la fonderie Horne sur la santé des riverains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Maikel Rosabal Rodriguez)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au Québec, c’est ce qui justifie l’existence de la Santé publique et de groupes d’experts comme l’INSPQ, dont la mission est, <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/i-13.1.1">selon sa Loi constitutive</a>, de soutenir et « [d’]informer le ministre des impacts des politiques publiques », et « la population sur son état de santé ».</p>
<h2>Fonderie Horne : une preuve scientifique à l’origine du débat public</h2>
<p>Forts de leur mission d’information, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1896064/conference-presse-boileau-cancer-arsenic-rouyn">l’INSPQ et la Santé publique ont produit des preuves scientifiques identifiant certains risques que poseraient l’activité de la fonderie Horne sur la santé des riverains</a>, dont récemment, celui de cancer du poumon.</p>
<p>Aussitôt après la publication du <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/2875-risque-cancerigene-concentrations-arsenic-cadmium-air-rouyn-noranda">rapport de l’INSPQ</a>, au début du mois de juillet 2022, le Directeur national de la Santé publique, Luc Boileau, <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/730686/fonderie-horne-un-niveau-d-emissions-d-arsenic-pas-tolerable">affirmait que les émissions d’arsenic de la fonderie n’étaient pas « tolérables »</a>. Dans la foulée, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1895848/arsenic-politique-environnement-premier-ministre-rouyn-noranda">premier ministre François Legault n’excluait pas la fermeture de l’usine</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de la carte Google Maps créée par le journaliste Thomas Gerbet (Radio-Canda) recensant les 89 entreprises bénéficiant d’une dérogation aux normes de pollution.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Radio-Canada</span></span>
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<p>Bien que des risques semblaient <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1885025/cancer-arsenic-nickel-abitibi">déjà avoir été identifiés dans le passé</a>, la solidité de la preuve paraît cette fois générer une attention publique considérable, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1910888/cinq-chefs-election-entrevue-quebec-radio-canada">essaimant dans la campagne électorale</a>, et générant un débat public sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1905872/attestations-assainissement-89-quebec">dérogations aux normes de pollution</a>.</p>
<p>Toutefois, l’orientation gouvernementale choisie semble s’être gardée de toute mesure préventive. Le gouvernement compte en effet imposer des <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/745239/nouvelles-normes-quebec-arsenic-fonderie-horne-rouyn-noranda">« cibles intermédiaires », dont des émissions de 15 nanogrammes d’ici 5 ans pour l’arsenic, au lieu des 3 requis par la norme nationale</a>. Pourquoi ?</p>
<h2>Une preuve scientifique suffit-elle pour agir ?</h2>
<p>En réalité, décider en se fondant sur une preuve scientifique n’est pas un processus linéaire. <a href="https://doi.org/10.1080/02691728.2016.1172365">Il existe bien une « hiérarchie des preuves » plaçant les essais expérimentaux (c’est-à-dire reproduisant le phénomène en conditions de laboratoire) en première position</a>, mais ils ne sont parfois pas adaptés aux décisions publiques et à la réalité.</p>
<p>Dans le cas de Rouyn-Noranda, des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1898316/fonderie-horne-contaminants-metaux-arsenic-nickel-plomb">doutes ont par exemple été émis sur les effets synergiques (multiplicatifs) de plusieurs polluants émis par la fonderie</a>, même à des taux peu élevés. Un expert indiquait ainsi lors de la <a href="https://www.ledevoir.com/depeches/751698/fonderie-horne-soiree-d-information-pour-les-residents-du-quartier-notre-dame-jeudi">récente soirée d’informations de la Santé publique</a> que de tels effets sont documentés de manière expérimentale <a href="https://fb.watch/fsQ4CW9mAm/">« dans des laboratoires »</a>.</p>
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<img alt="Benoît Charrette durant une conférence de presse" src="https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoît Charette, s’adresse aux médias lors d’une conférence de presse à Montréal, le 23 avril 2021. Il a fixé les émissions moyennes d’arsenic permises pour la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, un nouvel objectif à atteindre d’ici cinq ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
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<p>Cependant, ce dernier ajoutait également que <a href="https://fb.watch/fsQ4CW9mAm/">« l’état de la science actuellement ne permet pas tout simplement […] de pouvoir vérifier si ça s’observe vraiment »</a> à des niveaux faibles d’exposition. En d’autres termes, la preuve disponible demeure, dans ce cas, inadaptée et implique l’utilisation d’autres preuves.</p>
<p>Pour cette raison, les décideurs doivent souvent faire appel au jugement humain et fixer par eux-mêmes le niveau de preuve qu’ils considèrent suffisant pour qu’une décision soit prise (ou non). Ceci peut expliquer la position médiane du gouvernement.</p>
<h2>Un niveau de preuve insuffisant pour fermer la fonderie ?</h2>
<p>De plus, une preuve scientifique n’est jamais qu’un point de vue spécifique sur un problème. Comme le rappelait le Dr Boileau en <a href="https://youtu.be/o5OGDVNdx7A?t=1309">conférence de presse</a>, « [il] y a des effets lorsque l’on ferme des emplois […] pour la santé des personnes qui sont touchées ».</p>
<p>Une politique publique ne peut donc pas traduire linéairement une preuve en décision. Dans le doute, c’est aux représentants démocratiquement élus, ou à la population, de trancher à partir des preuves disponibles. Ce à quoi devrait servir la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911276/qualite-air-rouyn-noranda-glencore-autorisation">consultation citoyenne récemment lancée</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran de « l’expertise scientifique rapide » produite par l’INSPQ le 10 août 2022 à la demande des autorités de santé publique afin de connaître, selon la question posée, « quelles sont les valeurs de référence à respecter afin de prévenir les risques d’effets autres que le cancer (effets sur l’enfant à naître et sur le développement de l’enfant en bas âge) dans le contexte actuel ».</span>
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<p><a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/breffage-fonderie-horne">L’INSPQ a proposé le mois dernier dans des considérations supplémentaires</a> un repère de 15ng d’émissions d’arsenic, jugé « acceptable ». Le mandat, « confié par les autorités de santé publique », cherche à identifier les risques autres que le cancer pour les personnes vulnérables (enfants à naître, enfants en bas âge).</p>
<p>On comprend que ce « repère », qui répond à des objectifs fixés par le mandat, montre que le niveau de preuve semble <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1896064/conference-presse-boileau-cancer-arsenic-rouyn">paraître insuffisant</a> pour les autorités afin d’envisager une fermeture. Elles demandent des preuves scientifiques supplémentaires.</p>
<h2>Quel équilibre entre preuves scientifiques et décision politique ?</h2>
<p>Le niveau de preuve suffisant pour prendre une décision relève donc du jugement politique. Dans un <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691218939/politics-and-expertise">ouvrage remarquable d’une professeure de science politique à la London school of economics</a>, il est considéré que ce niveau de preuve devrait être fixé par des structures de délibérations démocratiques.</p>
<p>Lors d’une <a href="https://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-avec-celine-galipeau/site/segments/reportage/376366/francois-legault">récente entrevue</a>, le premier ministre François Legault a semblé vouloir cadrer le débat en affirmant qu’il revenait seulement « aux gens de Rouyn-Noranda de décider ». Ce faisant, il propose donc une façon de choisir comment et qui devrait juger du niveau de preuve suffisant.</p>
<p>Or, s’il existe bien une preuve scientifique permettant de déterminer un repère intermédiaire « sécure » pour les « plus vulnérables » (15ng), le <a href="https://youtu.be/o5OGDVNdx7A?t=1309">Dr Boileau a également rappelé</a> que nous n’en disposons pas concernant les effets socio-économiques d’une fermeture. Dans ces conditions, une véritable délibération semble donc difficile.</p>
<p>Une question qui, en période électorale, mérite une place de choix dans la campagne afin d’identifier, surtout après la pandémie, quel équilibre adopter entre preuves scientifiques et décision politique. Une façon, aussi, de se préparer à l’avenir et aux changements climatiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189738/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Lemor reçoit une bourse du Fond de recherche du Québec société et culture (FRQSC) dans le cadre de ses recherches doctorales. Il a également effectué en stage en évaluation auprès de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pour lequel il a reçu une bourse du FRQSC. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Éric Montpetit reçoit un financement du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour ses travaux sur la COVID-19. </span></em></p>Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques ? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda ?Antoine Lemor, Political science PhD candidate and lecturer, Université de MontréalÉric Montpetit, Professor, Public Policy, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1894802022-09-25T15:41:47Z2022-09-25T15:41:47ZDébat : Après le classement de Shanghai, penser d’autres modèles d’excellence scientifique<p><em>Ninon Junca, cheffe de projet RESET au sein de l’Université de Bordeaux, a participé à la rédaction de cet article avec Marion Paoletti.</em></p>
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<p>Si elle ne manque pas d’ironie, l’invitation lancée en avril 2022 par le président chinois aux universités de son pays de quitter, près de 20 ans après son invention, le <a href="https://theconversation.com/les-universites-chinoises-vont-elles-quitter-les-classements-internationaux-183151">classement de Shanghai</a> constitue peut-être un moment charnière pour promouvoir d’autres modèles de classement des institutions d’enseignement supérieur.</p>
<p>L’Union européenne parait particulièrement bien armée pour proposer des critères de classement qui reposent sur d’autres valeurs propres et un modèle scientifique véritablement universel. Son action en la matière, ancienne, mais peut-être trop discrète jusqu’à présent compte tenu de la puissance du modèle de Shanghai, mérite sans doute d’être mieux affirmée au moment où celui-ci est un peu déstabilisé.</p>
<h2>Un moment propice pour la réflexion</h2>
<p>Rendu public à l’été 2003, le premier classement international des universités a eu un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/15/classement-de-shanghai-l-invention-du-marche-des-universites_6138077_3224.html">impact majeur</a> sur le secteur académique mondial et ses agents. Pensé au départ pour permettre aux universités chinoises de se moderniser en s’alignant sur les standards américains de mesure de la productivité scientifique (nombre de publications, de citations, de prix scientifiques, etc.), ce classement a très vite gagné en visibilité à l’international et exacerbé la concurrence entre établissements d’un continent à l’autre. Chaque université dans le monde veut renforcer son positionnement pour obtenir davantage de financements et attirer les meilleurs étudiants et chercheurs.</p>
<p>L’impact en France a été particulièrement important, coïncidant avec <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/6867">l’abandon d’un discours égalitaire</a> entre chercheurs et établissements. Certes, la compétition sur le marché académique n’est pas que capitaliste, et elle n’est pas due pas qu’aux seuls effets des classements mais aussi à la diffusion du <a href="https://theconversation.com/debat-pasdevague-lecume-des-nouvelles-politiques-de-gestion-publique-106018">Nouveau Management Public</a> (NMP), doctrine de réforme de l’État à l’œuvre dans tous les secteurs publics depuis les années 1990 et contribuant à la mise en concurrence des agents, des services, des administrations.</p>
<p>Conjuguant leurs logiques et effets, classement et Nouveau Management Public ont bouleversé les politiques universitaires. La compétition commence à l’intérieur des établissements, elle s’élargit au niveau national à travers les nouvelles agences de l’État chargées de l’évaluation des structures académiques (HCERES) ou des projets de recherche financés (ANR, appels nationaux lancés par l’État) et elle se joue aussi sur la scène européenne et mondiale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/classements-duniversites-des-enjeux-geopolitiques-sous-estimes-161914">Classements d’universités : des enjeux géopolitiques sous-estimés ?</a>
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<p>Au niveau des établissements, la politique de fusion, dans le but premier de progresser dans le classement grâce à un effet de masse, est majeure en France, <a href="https://www.eua.eu/downloads/publications/university%20autonomy%20in%20europe%20iii%20the%20scorecard%202017.pdf">au premier rang des pays européens</a> par le nombre de fusions réalisées entre 2000 et 2015. Au niveau des individus, la mesure de la performance s’effectue principalement à travers deux critères : la quantification des publications et l’internationalisation.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>L’annonce de la part de la Chine d’un repli sur un modèle national constitue un moment propice pour la réflexion, incitant à se pencher sur les projets de transformation commune des établissements que l’Union européenne finance de longue date, dans un sens favorable à l’égalité des carrières et à l’équité. C’est notamment le cas du projet <a href="https://wereset.eu/">RESET</a> (Redesigning Equality and Scientific Excellence Together) que l’université de Bordeaux coordonne et qui associe les universités de Porto, Thessalonique, Lodz, Oulou, Ruhr-Bochum et Sciences Po.</p>
<p>Dans le cadre de ce projet ont été menées en 2021 dans les établissements partenaires des enquêtes quantitatives sur les inégalités de carrière, et des enquêtes qualitatives sur la perception de l’excellence scientifique par les agents chargés de la mettre en œuvre. Leurs résultats amènent à interroger le modèle scientifique promu par l’université de Shanghai et à questionner la notion d’excellence scientifique à l’aune de la notion d’équité. Le constat a fondé <a href="https://wereset.eu/deliverables/reset-joint-statement-on-our-engagement-for-equality-diversity-and-excellence-in-research/">l’engagement commun</a>, rendu public en juin 2022, des sept présidents d’universités européennes concernées en faveur d’une excellence scientifique inclusive, tenant compte des inégalités qui traversent les institutions académiques.</p>
<h2>Des critères aveugles aux inégalités de genre</h2>
<p>L’excellence peut être définie comme ce qui présente <a href="https://www.enqa.eu/wp-content/uploads/ENQA-Excellence-WG-Report_The-Concept-of-Excellence-in-Higher-Education.pdf">« des caractéristiques exceptionnelles »</a>. Quand l’exception devient la norme, la notion perd de sa pertinence pour les agents chargés de la mettre en œuvre. Les données qualitatives recueillies dans le projet RESET, à travers plusieurs focus groups dans quatre universités (Bordeaux, Lodz, Porto, Thessalonique) au printemps 2021 et composés de manière homogène de chercheurs, d’enseignants, de personnels administratifs et de membres de l’équipe de gouvernance, signalent, au-delà des différences liées au contextes nationaux, l’ambivalence partagée de la notion.</p>
<p>Pour la majorité des personnes, l’excellence scientifique est une notion qui devrait être positive et constitue parfois un puissant moteur individuel. Elle se trouve aussi associée aux idées de pression et de surcharge de travail. Un élément a été souligné en particulier par les personnels administratifs : le manque de reconnaissance de leur participation, notamment dans les services de soutien à la recherche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Les participants aux groupes de discussion ont également souligné la difficulté à concilier vies et environnements personnels et professionnels pour atteindre l’excellence. La « recherche constante de l’excellence » semble lui faire perdre son sens. L’« excellence » a perdu sa partie « supra » et s’est transformée en un élément « normal » et parfois « insensé ». Par ailleurs, la pression liée au nombre de publications est perçue par les chercheurs comme une menace pour la qualité de leurs résultats de recherche. La notion d’excellence scientifique associée aux publications parait étroite par rapport à l’étendue des tâches à l’université, elle n’intègre pas l’activité pédagogique ou administrative : il faudrait plutôt parler d’excellence académique.</p>
<p>La notion est par ailleurs associée <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1350508411414293">dans la littérature</a> à celle de méritocratie que le principe de sélection est supposé garantir. Or l’objectivité des critères quantitatifs de mesure de la productivité scientifique demeure aveugle aux inégalités sociales que l’université enregistre et reproduit, au risque d’une association peu convaincante des termes « excellence » et « mérite ». Les données sur les inégalités sexuées dans le milieu académique sont bien renseignées, à tous les niveaux (établissements, États, Union européenne). Celles, inédites, produites dans le cadre de RESET, montrent la persistance d’injustices liées au genre, en particulier dans les carrières scientifiques, moins dans les carrières administratives.</p>
<p>Quel que soit le marché du travail académique en Europe, les mêmes inégalités genrées sont à l’œuvre, avec sensiblement la même répartition sexuée à toutes les étapes de la carrière. Alors que les femmes réussissent mieux leurs études universitaires et sont nettement majoritaires en master, elles ne sont plus en 2018 que 48 % en doctorat <a href="https://op.europa.eu/en/web/eu-law-and-publications/publication-detail/-/publication/67d5a207-4da1-11ec-91ac-01aa75ed71a1">au sein de l’UE</a> (43 % en France), 42 % au niveau Maître de conférences, et 26 % au niveau professeur des universités. Six présidents d’universités sur sept au sein de l’UE sont des hommes.</p>
<h2>Redéfinir le mérite</h2>
<p>Les causes de ces inégalités sont désormais bien renseignées. On sait aussi quelles sont les politiques à mettre en œuvre pour les résorber de manière transversale, en ouvrant la boite noire des recrutements et des promotions, de la production et du transfert des connaissances. Associées, dans une perspective intersectionnelle, à la lutte contre les discriminations, ces politiques tendent à rendre effective l’égale capacité à être reconnu excellent et excellente.</p>
<p>La prise en compte de l’égalité et de la diversité comme critère de classement semble devoir trouver facilement sa place dans un modèle européen, sans laisser l’initiative comme aujourd’hui à des groupes privés.</p>
<p>Cette redéfinition du mérite dans l’excellence scientifique pourrait d’autant plus amener à faire évoluer les critères à l’œuvre depuis 2003 qu’elle est associée à d’autres politiques dont les effets peuvent aller dans le même sens :</p>
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<li><p>une attention aux impacts sociaux des recherches dans leur évaluation – ce que porte particulièrement en matière d’égalité des sexes le <a href="https://eige.europa.eu/gender-mainstreaming/toolkits/gender-impact-assessment/what-gender-impact-assessment">Gender Impact Assessment</a> ;</p></li>
<li><p>une réflexion en cours sur <a href="https://journals.openedition.org/multilinguales/5580">l’empreinte environnementale des universités</a> et des activités de recherche, conformément aux objectifs de développement durable de l’ONU ;</p></li>
<li><p>un modèle de <a href="https://theconversation.com/la-science-ouverte-refaire-circuler-le-savoir-librement-133408">science ouverte</a>, qui pourrait à terme déboucher sur une évaluation plus qualitative des recherches.</p></li>
</ul>
<p>Le moment est sûrement venu d’intégrer l’ensemble de ces évolutions pour lesquelles l’UE œuvre à bas bruit depuis longtemps pour diffuser un nouveau classement des universités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189480/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span> Marion Paoletti est responsable scientifique du projet RESET.</span></em></p>À rebours d’un système compétitif ayant pour principale boussole le classement de Shanghai, des projets européens s’efforcent de penser un modèle d’excellence scientifique inclusif.Marion Paoletti, Professeure de Science politique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897152022-09-11T16:23:22Z2022-09-11T16:23:22ZDébat : Face à la pénurie d’enseignants, repenser un système à bout de souffle<p>Dès 2005, <a href="https://www.oecd.org/fr/education/scolaire/lerolecrucialdesenseignantsattirerformeretretenirdesenseignantsdequalite-rapportfinal.htm">l’OCDE prévoyait</a> que des pays, dont la France, seraient en déficit d’enseignants dans les décennies à venir, à cause des départs en retraite au regard du vieillissement de la population enseignante et de la forte diminution de l’attrait pour le métier.</p>
<p>L’OCDE proposait alors une stratégie d’action en cinq axes : faire de l’enseignement un choix de métier attrayant ; renforcer les connaissances et les compétences des enseignants ; recruter, sélectionner et employer les meilleurs enseignants possibles ; retenir les enseignants de qualité dans les établissements scolaires et faire participer les enseignants à l’élaboration de la politique.</p>
<p>Ce programme d’ampleur montrait que la crise déjà identifiée allait fortement s’inscrire dans le paysage si les états ne prenaient pas les mesures nécessaires. Ces propositions sont-elles toujours d’actualité aujourd’hui ? Oui, et le rapport de <a href="https://learningportal.iiep.unesco.org/fr/fiches-pratiques/ameliorer-les-apprentissages/motivation-des-enseignants-et-resultats">l’Unesco de 2016</a> constatait que les politiques qui ont été menées n’ont pas permis de mettre un frein ni de diminuer la crise de motivation à devenir, à être et à rester enseignant, car elles étaient soit insuffisantes par rapport aux propositions de l’OCDE, soit très éloignées.</p>
<p>Depuis les années 2000, de multiples <a href="https://journals.openedition.org/rfp/3113">rapports et états de la recherche</a> alertent que la crise est profonde et culturelle tant au niveau de la vocation comme de la persistance à exercer le métier d’enseignant. Si la stratégie choisie par les États est uniquement de mettre en activité le système (par exemple de proposer un catalogue de formation continue sans diagnostic objectif préalable pour répondre à la question de la formation, puis évaluer objectivement l’impact des transformations après ces dites formations), alors le manque d’enseignants motivés pour et par le métier ne fera qu’augmenter.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>La prise en compte des besoins réels en formation continue et en accompagnement de carrière est un point essentiel, car elle est un élément <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/sites/69e92fca-fr/index.html?itemId=/content/publication/69e92fca-fr">nécessaire au bien-être</a> et aux conditions de travail de l’enseignant. En France, la notion d’évaluation des actions de formation continue des enseignants apparaît pour la première fois en février 2022 dans le <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo8/MENH2201155C.htm">schéma directeur 2022-2025</a> avec un chapitre dédié et une grille d’indicateurs dont la vision est celle de la mesure de la cible atteinte, au sens quantitatif du terme, et pas de l’impact des formations continues sur l’évolution du métier, des conditions de travail et des situations d’enseignement et d’apprentissage.</p>
<h2>Une vocation en perte de vitesse</h2>
<p>Les travaux de recherche des années 2000 portant sur la motivation à devenir enseignant, en <a href="https://journals.openedition.org/rechercheformation/810">première carrière</a>, ou <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/mje/2008-v43-n3-mje2904/029701ar/">après une reconversion</a>, montrent que ce sont les valeurs et intérêts pour le métier et la fonction du point de vue personnel et pour la société, la stimulation intellectuelle, la relation avec l’élève et les parents, et la vocation qui sont déterminants. Le salaire était le critère de motivation le moins évoqué par les étudiants ou les jeunes enseignants participant à ces études, comme en 1955 avec les travaux de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00220671.1955.10882236">Fielstra</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/langues-vivantes-etrangeres-quest-ce-quun-bon-prof-115718">Langues vivantes étrangères : qu’est-ce qu’un bon prof ?</a>
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<p>Dans le débat public, la question des salaires des enseignants, et plus particulièrement des débutants, a été vive en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2010/03/29/hausse-du-salaire-des-enseignants-l-argent-ne-resout-pas-tout_1326047_3224.html">2010, sous Luc Chatel</a> et la réponse collective a été que ce sont aussi les conditions de travail et la représentation sociétale du métier et de la fonction qui sont en priorité à revoir. Le triptyque : sens et valeur du métier/fonction, conditions de travail et salaire est aussi évoqué en recherche comme étant la <a href="https://journals.openedition.org/rfp/3113">source première de démotivation</a> à devenir et à rester enseignant.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/rfp/1101#tocto1n2">D’autres travaux</a> montrent qu’au-delà de la nécessité d’avoir un salaire au reflet des compétences, des connaissances et de l’engagement, les incitations monétaires ou primes individuelles en direction des enseignants au profit de la “performance” du système éducatif n’apportent pas les solutions attendues, tant au niveau du système lui-même, que du point de vue de la persistance à être et rester enseignant.</p>
<p>Des travaux sur <a href="https://www.puf.com/content/Au_risque_denseigner">l’état de santé des enseignants</a> montrent des burn-out en progression, plus de démissions, un turn-over et un recours aux vacataires de plus en plus important. La recherche <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/019263650208663103">a identifié</a> que, même pour les plus motivés, 40 % des démissions étaient faites <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00978999">au cours des cinq à six premières années d’exercice</a> dans le métier.</p>
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<figcaption><span class="caption">Enseignants, un métier en crise ? (Arte, août 2022).</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, par nécessité de service public, l’État répond à un système sous tension depuis la fin des années 90, par des recrutements importants de vacataires et par un dispositif de formation en quelques jours et au fil de l’année dont nous pouvons collectivement nous accorder à dire qu’il n’est ni suffisant ni satisfaisant. Dans l’état actuel des choses, sans transformation majeure du système, comment pourrait-il en être autrement ? Quelles propositions envisager pour faire basculer la tendance ?</p>
<h2>Des transformations profondes à opérer</h2>
<p>Emmanuel Macron a annoncé à la réunion des recteurs le 25 août 2022, un salaire minimum de 2 000€, une rémunération supplémentaire pouvant aller jusqu’à 20 % pour des missions supplémentaires, des changements dans la formation et la mise en place d’un fond d’innovation pédagogique pour financer les projets d’établissements.</p>
<p>À l’anémie du système éducatif, l’état répond par des annonces qui ont déjà été faites, et qui n’ont pas permis d’éviter la situation. Le salaire de 2 000 euros, mais brut, pour les jeunes enseignants a déjà été mis en place sous Luc Chatel en <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/11/24/01016-20111124ARTFIG00641-luc-chatel-porte-a-2000-euros-le-salaire-des-jeunes-profs.php">2012</a>. La formation initiale des enseignants évolue depuis les années 90 avec pour succéder aux écoles normales, la création des IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres), leur intégration au sein d’Universités en 2005, en 2013 la création des ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation) et transformé en INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) en 2019.</p>
<p>En 2004, Courvoisier voyait la <a href="https://www.cairn.info/revue-empan-2004-4-page-22.htm">formation des enseignants</a> comme un système en perpétuelle évolution mais enfermé dans ses rigidités d’organisation de la formation et de sa représentation du métier et du terrain. Est-ce encore valable aujourd’hui en formation initiale, continue et continuée ? Est-ce que la formation initiale et le concours sont les premières questions à se poser ? Ces étudiants inscrits en formation initiale au sein de Master pour devenir enseignant sont en première instance acquis à la cause. Encore faudra-t-il avoir le concours, résultante de la sélection initiale, de la formation universitaire et du terrain, et surtout que le système entretient leur motivation à rester et être enseignant.</p>
<p>À ce sujet, en novembre 2020, la <a href="https://archives-statistiques-depp.education.gouv.fr/Default/doc/SYRACUSE/47122/education-formations-les-enseignants-panorama-carrieres-et-representations-du-metier-chap-5-de-l-ent?_lg=fr-FR">Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance</a> (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports publiait qu’entre 2008 et 2018, le nombre d’enseignants démissionnaires avait triplé.</p>
<p>Est-ce que la revalorisation salariale promise, l’abaissement des exigences de recrutement avec la possibilité comme l’évoquait déjà la Cour des comptes en 2018 de recruter les enseignants à Bac+3 et les incitations financières individuelles à hauteur de 20 % permettront de faire évoluer la perception de la société sur l’intérêt général du métier d’enseignant, tant au niveau de la formation des générations à venir que sur la perception d’un métier reconnu comme dernier recours, à niveau d’études similaires, avec un niveau de complexité plus important ? Est-ce que les mesures annoncées vont permettre de faire diminuer les démissions ?</p>
<p>Pour l’Unesco (2016), cette politique de lutte contre la pénurie d’enseignants passe par la mise en place d’un socle commun, collectivement construit, et de conditions minimales d’enseignement et d’apprentissage en prenant en compte les conditions réelles d’exercice. Il s’agit aussi de proposer davantage de perspectives d’évolution de carrière et de mettre en place un système d’obligation de rendre des comptes et d’appréciation qui pourrait se comprendre par un dialogue entre l’enseignant, l’éducation nationale et les collectivités, dont le but serait que le système soit au service des projets professionnels et pédagogiques de celui-ci accompagné par sa hiérarchie : directeur/trice ou chef d’établissement et inspection. L’Unesco incite aussi à accroître la contribution des enseignants aux décisions à tous les niveaux et à instaurer plus de collaboration et de formation continue entre pairs.</p>
<p>Au-delà de l’épisode politique et médiatique réagissant à une lame de fond qui est à la porte de nos territoires – et aucun ne semble pouvoir y échapper – c’est la qualité du diagnostic et des plans d’actions correctives pour faire évoluer le système que nous devons désormais collectivement observer et analyser pour permettre à l’ensemble des acteurs de se réguler : état, rectorat, établissement, équipe éducative, enseignants, élèves et parents. Pour l’état, il a été un enjeu fort à la rentrée de couvrir l’ensemble des besoins en enseignants. Il en est encore un plus grand pour nous citoyens, c’est d’observer et analyser comment l’état va conserver et développer leurs motivations et engendrer de nouvelles vocations.</p>
<p>Quelle sera la politique mise en place après ce plan correctif d’actions en urgence ? Et plus généralement, quelle sera la politique de planification et d’évaluation objective au sens d’une politique de résultats mise en place dans le cadre du renouvellement de la motivation à être enseignant, pompiers, infirmier, médecin, chauffeur de bus… ?</p>
<p>Nous conclurons avec les propos de <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1990_num_91_1_1385">Postic (1990)</a> pouvant s’appliquer à un très grand nombre de professions : </p>
<blockquote>
<p>« Choisir une profession, c’est attribuer un sens à une fonction sociale qu’on situe par rapport à sa vie, c’est prendre place dans une structure sociale et dans un système de relations interpersonnelles, dans le but de construire une image de soi. » (p.26)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/189715/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les risques de pénurie d’enseignants sont connus depuis longtemps, il a fallu recruter en urgence pour assurer les besoins de la rentrée 2022. Quelle autre politique à plus long terme ?Beatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris UniversitéLaurent Jeannin, Maitre de conférences-HC, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819142022-05-05T19:02:09Z2022-05-05T19:02:09ZDossier : À l'école, des initiatives pour réinventer la classe<p>En déstabilisant le cadre de la classe tel qu'on le connaissait jusque-là, avec un professeur dispensant son enseignement à une trentaine d'élèves l'écoutant sagement, assis chacun à leur table, la crise du Covid nous a incités à interroger les modes d'apprentissage classiques.</p>
<p>Si la quête de nouveaux modèles animait déjà auparavant un certain nombre de chercheurs et acteurs de l'éducation, comme le montrent par exemple les expériences autour de la <a href="https://theconversation.com/apprendre-autrement-lexperience-de-la-classe-mutuelle-97326">«classe mutuelle»</a> et du travail en groupe, l'enseignement à distance a mis à la «une» des questions fondamentales comme la place du corps en classe. Alors que Katie Headrick Taylor (University of Washington) nous montre combien le mouvement aide à l'acquisition de nouveaux savoirs, Sylvain Wagnon et Fabien Groeninger (Université de Montpellier) se demandent <a href="https://theconversation.com/le-corps-a-lecole-une-dimension-oubliee-152562">comment lutter contre la sédentarité scolaire</a>.</p>
<p>L'une des pistes pour rendre les élèves plus actifs et décloisonner les savoirs serait-elle la classe en plein air ? Celle-ci pourrait se mettre en place dans plus de situations qu'on ne l'imagine, <a href="https://theconversation.com/en-ville-les-ecoles-nature-sont-elles-possibles-180141">même en ville, poursuit Sylvain Wagnon</a>, confrontant par la même occasion les élèves à l'un des défis majeurs du XXI<sup>e</sup> siècle, l'urgence climatique.</p>
<p>Car dans un monde qui change, il s'agit aussi de former des citoyens à l'écoute des autres, capables de s'engager dans le débat public. Sébastien Claeys (Sorbonne Université) nous présente des dispositifs pour faire de l'école un <a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">laboratoire d'idées</a>, encourageant l'expression des jeunes, tandis qu'Omar Zanna (Le Mans Université) se penche sur la <a href="https://theconversation.com/cultiver-lempathie-quelques-cles-pour-aider-les-enfants-a-souvrir-a-lalterite-173376">pédagogie de l'empathie</a> et qu'Edwige Chirouter (Chaire Unesco/Nantes Université) éclaire l'idéal démocratique qui sous-tend les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-faire-de-la-philosophie-avec-des-enfants-168533">ateliers de philosophie</a> qui se développent à l'école primaire.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/en-ville-les-ecoles-nature-sont-elles-possibles-180141">En ville, les écoles « nature » sont-elles possibles ?</a></h2>
<p>Plus de 80 % de la population française est urbaine et, avec elle, l’extrême majorité des établissements scolaires. Dans ces conditions, comment développer des classes en plein air ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/cultiver-lempathie-quelques-cles-pour-aider-les-enfants-a-souvrir-a-lalterite-173376">Cultiver l’empathie : quelques clés pour aider les enfants à s’ouvrir à l’altérité</a></h2>
<p>Serions-nous empathiques d’abord, et parfois uniquement, avec ceux qui nous ressemblent ? Comment aider les enfants à vraiment comprendre et accepter la différence ? Quelques points de repère.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/a-lecole-ou-chez-soi-bouger-pour-mieux-apprendre-173764">À l’école ou chez soi, bouger pour mieux apprendre ?</a></h2>
<p>Quand on pense à un enfant qui fait ses devoirs, on l’imagine sagement assis à un bureau. Or de nombreux travaux de recherche soulignent l’importance du mouvement pour les apprentissages.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/apprendre-autrement-lexperience-de-la-classe-mutuelle-97326">Apprendre autrement : l'expérience de la classe mutuelle</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=476%2C12%2C1088%2C577&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/222675/original/file-20180611-191978-1kykuvx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">A l'heure de l'intelligence artificielle, la classe mutuelle mise sur l'intelligence collective.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Vincent Faillet</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>« L’école change avec le numérique », dit l’Éducation nationale. Mais avant d’équiper les établissements de matériel dernier cri, ne faut-il pas repenser le modèle figé de la salle de classe ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/le-corps-a-lecole-une-dimension-oubliee-152562">Le corps à l’école : une dimension oubliée</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=55%2C5%2C1106%2C619&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=314&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376783/original/file-20201229-21-9guiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=394&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">A l'école, c’est un corps obéissant que modèle la forme multiséculaire de la salle de classe, où les enfants sont assis toute la journée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>La sédentarité est l’une des menaces actuelles pour la santé des enfants et le ministère de l’Éducation vient de lancer une initiative pour inciter au sport. Un tournant dans l’histoire scolaire ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/pourquoi-faire-de-la-philosophie-avec-des-enfants-168533">Pourquoi faire de la philosophie avec des enfants ?</a></h2>
<p>Depuis une trentaine d’années, les propositions d’ateliers de philosophie pour enfants se multiplient. Que peuvent-ils apporter aux 6-10 ans ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?</a></h2>
<p>L’apprentissage du débat et sa pratique ouvrent des perspectives pour repenser la transmission des connaissances. Exemples.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181914/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment repenser la classe pour mieux préparer les élèves à un monde qui change ? Retour sur quelques initiatives et réflexions de chercheurs, de la pédagogie de l'empathie à l'école en plein air.Aurélie Djavadi, Cheffe de rubrique EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1823042022-05-02T19:05:33Z2022-05-02T19:05:33ZDébat : Rétablir dans leurs droits les professionnels non-vaccinés ? Pour une amnistie présidentielle et une convention citoyenne<p>Rétablir dans leurs droits les professionnels non vaccinés ? Il n’aurait pas été anodin de formuler cette question un 1<sup>er</sup> mai.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044315202">loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021</a> portant diverses dispositions de vigilance sanitaire prolonge l’effectivité de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 de la date du 31 décembre 2021 au 31 juillet 2022. Convient-il d’attendre cette échéance pour réintégrer les professionnels qui ont refusé l’obligation vaccinale relative au SARS-CoV-2 et n’exercent plus leur activité ?</p>
<p>Le président de la République a évoqué le 29 avril 2022 une telle éventualité que pourrait justifier une stabilisation confirmée de la situation sanitaire. S’agirait-il d’une amnistie présidentielle ?</p>
<p>Dans ce cas, si sa justification tenait au souci d’apaisement, de « réparation » attendu dans bien des champs de la vie sociale, n’affaiblirait-elle pas l’autorité publique dans ses choix décisionnels au cas où des rebonds de la pandémie imposeraient à nouveau des mesures d’urgence contraignantes ?</p>
<p>Une convention citoyenne portant sur l’obligation vaccinale en situation de crise sanitaire ne devrait-elle pas alors accompagner cette mesure politique ? Elle permettrait d’examiner et de discuter le champ de nos responsabilités à travers une consultation étayée par l’expérience des derniers mois et les données scientifiques, et ainsi d’associer la société civile aux dispositifs que pourrait préconiser notre représentation nationale après le 31 juillet 2022.</p>
<p>Du 20 juillet 2020 au 25 janvier 2022, Santé publique France dénombre <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/recensement-national-des-cas-de-covid-19-chez-les-professionnels-en-etablissements-de-sante">102 837 cas de Covid-19 chez les professionnels exerçant en établissement de santé</a> (dont 23 167 infirmiers et 19 635 aides-soignants), ainsi que 19 décès (aucun n’est intervenu depuis décembre 2020). <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/enquetes-etudes/signalement-d-infections-a-sars-cov-2-nosocomiales.-mars-2020-novembre-2021.-point-au-2-decembre-2021">Santé publique France reporte 6505 signalements d’infections à SARS-CoV-2 nosocomiales</a> entre mars et janvier 2022.</p>
<p>Cela doit nous inciter à des approches prudentes lorsque l’enjeu supérieur est la protection de la santé des personnes dans le contexte des pratiques soignantes à l’hôpital ou dans des établissements médico-sociaux comme le sont les Ehpad.</p>
<h2>Réfléchir à une convention citoyenne ?</h2>
<p>Dans cette perspective, quelques repères sont de nature à préciser le cadre et les enjeux de cette convention citoyenne.</p>
<p>Rappelons que la vaccination préventive du SARS-CoV-2 s’est imposée dès juillet 2020 dans les controverses publiques comme un marqueur de l’adhésion ou non « aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique » (<a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">« Déclaration universelle des droits de l’homme »</a>, Assemblée générale des Nations unies, 10 décembre 1948, art. 29-2).</p>
<p>Cette exigence de santé publique constitue certainement l’expression la plus évidente des tensions éthiques et de gouvernance révélées et accentuées par les impacts d’une crise qui imposait des décisions d’intérêt général dans un contexte d’incertitude.</p>
<p>Le défi était de donner à comprendre, et tout autant à être assuré, que l’obligation vaccinale ne procédait pas d’une obstination politique disproportionnée au regard d’une analyse objective des circonstances, mais de la conviction qu’il s’agissait là du recours obligé à une riposte collective que les avancées inattendues des biotechnologies appliquées à la conception des vaccins rendaient tangibles.</p>
<p>Le privilège des pays qui disposent du système sanitaire et des ressources financières conditionnant la soutenabilité d’une stratégie vaccinale, est d’avoir pu s’autoriser une contestation de la vaccination motivée par une certaine conception de la liberté individuelle. D’autres nations dans le monde regrettent de n’avoir pas pu bénéficier d’une obligation universelle à accéder à la vaccination (y compris pour leurs soignants), faute de disposer de doses en dépit des besoins…</p>
<p>La <a href="https://modelisation-covid19.pasteur.fr/evaluate-control-measures/impact-partially-vaccinated-population/">position prônée le 29 juin 2021 par l’Institut Pasteur</a> devait-elle conduire l’État à imposer la vaccination obligatoire en termes d’efficacité ? : « Les personnes non vaccinées contribuent à la transmission de façon disproportionnée : une personne non vaccinée a 12 fois plus de risque de transmettre le SARS-CoV-2 qu’une personne vaccinée. […] » Notre gouvernement n’a pas choisi l’obligation vaccinale pour tous, lui préférant la forte incitation du passe vaccinal.</p>
<p>Il conviendrait de savoir si cette stratégie était la plus pertinente, alors que certains y ont interprété une incertitude sur l’efficacité du vaccin et donc une position de prudence.</p>
<p>Six mois après la position de l’Institut Pasteur, le 25 janvier 2022, le <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/covid-19-le-vaccin-est-un-peu-un-medicament-avec-une-action-formidable-pour-jean-francois-delfraissy_4929057.html">président du Conseil scientifique Covid-19</a> affirmait ainsi sur France Info que, si le vaccin a « une action formidable pour lutter contre les formes sévères », les scientifiques observaient néanmoins « une action limitée dans le temps et limitée sur la transmission ».</p>
<h2>Un vaccin attendu… mais « mal aimé »</h2>
<p>Le vaccin ARN messager a bénéficié d’autorisations de mise sur le marché à travers des procédures validées dans l’urgence. Mais <a href="https://theconversation.com/que-repondre-a-ceux-qui-hesitent-a-se-faire-vacciner-contre-la-covid-19-153131">sans lever les incertitudes et les craintes exprimées</a> par des personnes qui n’étaient pas toutes réductibles à la catégorie des « anti-vaccins » d’être incluses dans une expérimentation présentant des risques non négligeables. Ceci en <a href="https://www.inrae.fr/actualites/avantages-desavantages-risques-ce-quil-faut-savoir-vaccins-arn">dépit des arguments développés par les instances scientifiques</a>.</p>
<p>Revenons sur les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043909676">conditions de mise en œuvre de l’obligation vaccinale</a>.</p>
<p>Elle s’est <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/grands-dossiers/vaccin-covid-19/je-suis-un-professionnel-de-sante-du-medico-social-et-du-social/obligation-vaccinale">imposée aux professionnels, étudiants ou bénévoles</a> intervenant dans le secteur de la santé ou du médico-social, les sapeurs-pompiers et personnes assurant la prise en charge des victimes, aux personnels naviguant et militaires affectés aux missions de sécurité civile, et aux prestataires de service et distributeurs de matériels.</p>
<p>D’emblée, nombre de professionnels de santé ont difficilement admis cette préconisation au sein de leur communauté. Théoriquement, ils étaient pourtant plus que d’autres en mesure d’en saisir les enjeux, ne serait-ce que pour se protéger et protéger autrui, ou par souci d’exemplarité. De surcroît ils acceptaient déjà quatre vaccins obligatoires.</p>
<p>Depuis le début de la crise sanitaire n’avaient-ils pas démontré leur esprit d’engagement, y compris lorsqu’ils ne disposaient pas des moyens de protection indispensables, pour être de la sorte menacés d’exclusion de l’hôpital ou de l’Ehpad, de perte d’emploi et de relégation sociale s’ils ne se soumettaient pas à l’injonction vaccinale ? Était-il dès lors inconcevable d’envisager les conditions d’un pacte de confiance alternatif à des procédures systématiques de vaccination, appliquées sans esprit critique, qui voulant imposer un comportement exemplaire et responsable s’avéraient pour certains professionnels plus proches de la soumission et d’une intrusion dans la sphère privée que d’un consentement libre, éclairé et exprès ?</p>
<h2>Éviter les discriminations</h2>
<p>Dans un remarquable document adopté le 27 janvier 2021, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :</p>
<blockquote>
<p>« […] Demande [donc] instamment aux États membres et à l’Union européenne : de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. » (« Vaccins contre la Covid-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques », Conseil de l’Europe, Résolution 2361 (2021), 7.3.1, 7.3.2, 27 janvier 2021)</p>
</blockquote>
<p>Qu’a-t-on fait de cette préconisation ?</p>
<p>Le triptyque de la méthode gouvernementale – <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/une_strategie_et_un_agenda_de_reouverture_mai_2021.pdf">« progressivité, prudence et vigilance »</a> – rappelé le 12 mai 2021, semble intégré comme mode de conduite au sein de la société. Il contribue, en dépit de contestations récurrentes mais somme toute peu représentatives, à une adhésion pour le moins tacite aux dispositions prescrites lorsqu’elles s’imposent sans susciter d’objections majeures.</p>
<p>Cette relation de confiance qui bénéficie également de l’efficacité plutôt reconnue de la stratégie vaccinale, pourrait toutefois être entamée demain par l’atténuation de l’efficacité attribuée à la vaccination du point de vue de la contamination et de la transmission du SARS-CoV-2. Peut-on en effet affirmer qu’il s’agit encore du « bouclier vaccinal » qui avait été présenté comme l’arme absolue nous permettant de retrouver nos libertés (pour autant qu’on en avait été véritablement spolié…) du fait de sa capacité d’atténuer l’intensité des contaminations ?</p>
<p>Le président de la République a provoqué une vive controverse le 4 janvier 2022 en exprimant son « envie » présidentielle – « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. <a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/une_strategie_et_un_agenda_de_reouverture_mai_2021.pdf">C’est ça, la stratégie</a>. »</p>
<p>Conviendra-t-il, sur la base de données épidémiologiques, que nous sommes parvenus « au bout », ne serait-ce que provisoirement, d’une phase active de la crise sanitaire ? Estimera-t-il que le contexte social serait désormais favorable à se concerter afin de tirer des enseignements indispensables à l’anticipation de circonstances analogues qui risquent de se reproduire dans les prochains mois ?</p>
<p>Nous gagnerions tous de ce temps de réflexion approfondie en dehors de l’état d’urgence. Dès lors, l’amnistie présidentielle prendrait la signification non pas d’un renoncement au devoir pour chacun d’assumer ses obligations, mais à l’exigence de dialogue afin de mieux donner à comprendre ce que sont les responsabilités engagées et à d’en saisir plus justement leur bien-fondé.</p>
<h2>Rétablir dans leurs droits les professionnels non vaccinés ?</h2>
<p>Cette éventualité apparaît recevable aujourd’hui. Elle relève d’une capacité de faire confiance à l’écoute, à la concertation ainsi qu’à l’esprit de responsabilité. Et elle ne consiste pas à relativiser l’impératif de l’obligation vaccinale de professionnels qui, dans un contexte qui le justifiait, imposait une règle de bonne pratique aux professionnels concernés.</p>
<p>C’est dire qu’au-delà d’une amnistie présidentielle, cette démarche politique doit être accompagnée de l’initiative d’une convention citoyenne portant sur l’obligation vaccinale et plus largement sur les mesures contraignantes en situation de crise sanitaire.</p>
<p>Nous avons acquis, depuis le premier confinement, une expérience, une expertise et une intelligence collectives à reconnaître et à valoriser afin de contribuer aux choix futurs et de leur conférer une légitimation qui, comme pour la vaccination, a parfois manqué aux instances publiques et à la société dans son ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les professionnels de santé non vaccinés contre le Covid ne peuvent plus exercer : faut-il lever cette interdiction ? Un échange citoyen est nécessaire pour revenir sur les responsabilités de chacun.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1809792022-04-14T18:21:40Z2022-04-14T18:21:40ZDébat : L’éthique du soin à l’épreuve des politiques gestionnaires<p>La loi du 4 mars 2002 relative aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">droits des malades et à la qualité du système de santé</a> a eu 20 ans cette année. Au cours de ces deux dernières décennies, les personnels soignants ont régulièrement fait part de leur inquiétude quant à l’évolution du système de santé français, et en particulier de l’hôpital public.</p>
<p>Quelles sont les conséquences des politiques gestionnaires mises en place au fil des années sur l’éthique du soin ?</p>
<h2>Des choix qui engagent les soignants</h2>
<p>Dans une <a href="https://blogs.mediapart.fr/michel-canis/blog/210322/lettre-ouverte-au-president-du-comite-consultatif-national-dethique">lettre ouverte adressée fin mars au président du Comité consultatif national d’Éthique</a> (CCNE), Michel Canis, professeur de Gynécologie obstétrique au CHU de Clermont-Ferrand, soulignait que chaque jour les soignants doivent faire « des choix impossibles qui peuvent conduire à la négligence, voire à la maltraitance ».</p>
<p>Prenant l’exemple d’une infirmière de nuit d’un service de chirurgie devant « gérer » seule 22 malades, parmi lesquels une patiente en fin de vie, il s’interroge : </p>
<blockquote>
<p>« Qui négliger, les opérés qu’il faut surveiller pour dépister une complication, tellement plus grave quand elle est prise en charge avec retard, ou celle qui vit sa dernière nuit, physiquement soulagée mais si seule face à la mort ? »</p>
</blockquote>
<p>Face à ce type de dilemme moral dont les conditions de résolution ne peuvent être remplies, les soignants sont obligés de faire des choix tragiques, qui créent des situations maltraitantes pour les patients.</p>
<p>Les politiques gestionnaires ont donc bien des conséquences sur l’éthique du soin. Dans cette perspective éthique, il convient de se rappeler ce que <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585">Paul Ricœur</a> entendait par visée éthique : « appelons visée éthique la visée de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes ». Agir éthiquement est ainsi se soucier de soi, de l’autre, de l’institution.</p>
<h2>Les étalons d’excellence de la profession de soignant</h2>
<p>Agir éthiquement suppose de fait d’être capable de s’accorder sur ce qu’est un « bien-vivre ». Dans le cas particulier des soignants, il s’agit d’accorder une valeur intrinsèque aux pratiques qui fondent le métier du soin. Soigner est dès lors une catégorie de l’action, dont le but y est contenu : non pas soigner pour dominer, contraindre, ou gagner une place de choix dans la hiérarchie hospitalière ou sociale, mais soigner seulement, en respectant les règles constitutives de la profession, que <a href="https://www.puf.com/content/Apr%C3%A8s_la_vertu">MacIntyre</a> appelle « étalons d’excellence ».</p>
<p>Ces standards ou règles pratiques idéales reconnus par les professions et intériorisés par les professionnels aguerris permettent de qualifier de « bon » (dans le sens de compétence à la fois technique et relationnelle) tout représentant d’une profession qui participe au soin des patients. C’est en insistant sur cette idée de biens immanents à la pratique que cette notion d’étalon d’excellence recouvre que la visée du bien-vivre – du bien faire – prend tout son sens : par la satisfaction de bien faire, par l’appréciation de nos actions « nous nous apprécions nous-mêmes comme en étant l’auteur », selon <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585">Paul Ricœur</a>.</p>
<p>Mais dans le réel des chambres et des salles de soin, l’absence de reconnaissance peut mener à la perte de l’estime de soi.</p>
<h2>Avec et pour autrui</h2>
<p>Travailler sans sollicitude envers « ce patient-là » – cette patiente en fin de vie, dans l’exemple de Michel Canis – conduit les soignants à une forme de dévalorisation de leur propre travail. Si les contraintes physiques et psychiques s’avèrent ainsi trop importantes – du fait en particulier du manque de personnel, elles peuvent conduire à un certain désinvestissement auprès des personnes malades et fragiles.</p>
<p>Ces limites dans l’attention portée à l’autre n’empêchent pas toujours de faire correctement le travail, comme l’a bien montré la sociologue <a href="https://www.cairn.info/je-travaille-donc-je-suis--9782707199706-page-205.htm">Christelle Avril</a> dans son enquête auprès d’aides à domicile. Ces aides osaient dire ne pas aimer les personnes âgées dont elles s’occupaient, sans pour autant que leur travail ne s’en ressente. Elles se bornaient à faire les courses, entretenir la maison, préparer les repas et estimaient qu’au prix où elles étaient payées, elles ne pouvaient pas toujours s’investir émotionnellement et affectivement dans une relation interpersonnelle avec lesdites personnes âgées.</p>
<p>Ainsi, substituer la notion de soin attentionné envers l’autre vulnérable – le « care » – attendu de tout soignant, à celle de « travail » risque, pour Christelle Avril, de masquer les pénibilités plus ordinaires du travail et de faire oublier qu’au-delà d’un certain niveau de contraintes, le risque est grand d’aboutir à l’oubli de la subjectivité propre du patient – devenu objet de soin et non plus sujet de soin.</p>
<p>Avec cette objectivation de l’autre, le soin perd son sens premier d’accueil et d’hospitalité, pourtant au cœur de toute relation soignante. Dans le dialogue avec le soignant, le « tu » du patient devient un « on » quelconque, tandis que le travail devient un « job » à faire. En perdant, au passage, la dimension éthique que lui confère la relation entre la personne du soignant et la personne du patient…</p>
<h2>Exercer dans des institutions justes</h2>
<p>La pandémie a encore dégradé cette situation, constate Michel Canis, qui s’interroge : </p>
<blockquote>
<p>« Que doit faire cette équipe chirurgicale de gynécologie qui, à la fin du Covid va devoir […] réduire son activité ? Elle ne “rattrapera” pas le retard. Au contraire, elle va encore faire des choix. »</p>
</blockquote>
<p>Si la prise en charge des urgences et des cas les plus graves sera assurée, qu’en est-il des autres patientes ? Qui prioriser ? Sur quels critères ? Comment trancher, par exemple, entre des « patientes infertiles dont l’âge avance, qui voient chaque report éloigner leur rêve de famille » et des patientes « atteintes d’endométriose, en arrêt de travail depuis des mois à cause de douleurs sévères », s’interroge le praticien.</p>
<p>Dans un tel contexte, les écrits de Paul Ricœur nous rappellent que la justice s’étend plus loin que le face-à-face avec autrui. Elle recouvre pour l’essentiel une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/soi-meme-comme-un-autre-paul-ric-ur/9782020114585">exigence d’égalité</a> : « l’institution comme point d’application de la justice et l’égalité comme contenu éthique du sens de la justice, tels sont les enjeux ».</p>
<p>Le « tu » du face-à-face devient le « chacun » que la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">loi du 4 mars 2002</a> a voulu défendre. Chaque patient a le droit d’être informé et de choisir, sans discrimination possible. Mais rien n’est gagné, comme montre l’enquête <a href="https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/enquete_-_refonder_la_ds_-_22.03.22-2.pdf">« refonder ensemble la démocratie en santé »</a> conduite par l’Espace éthique Île-de-France, dont les résultats ont été publiés en mars 2022.</p>
<p>Si la reconnaissance des patients comme acteurs de leur propre santé a été grandement améliorée, il persiste un écart entre la loi et les pratiques effectives nécessitant :</p>
<ul>
<li><p>d’œuvrer à l’essor du dialogue entre l’ensemble des acteurs du système de santé ;</p></li>
<li><p>de restaurer urgemment l’attractivité des métiers de la santé en améliorant les conditions de travail des professionnels, préalable indispensable à une reconnaissance mutuelle entre ces professionnels et les patients ;</p></li>
<li><p>de mener une réflexion collective pour défendre les plus exclus et les plus vulnérables de notre société, dans une perspective d’égal accès aux soins de qualité pour toutes et tous, seule garante d’une véritable démocratie sanitaire.</p></li>
</ul>
<p>L’hôpital public ne risque-t-il pas de perdre cette éthique d’hospitalité pour toutes et tous, de toutes conditions, chère à toutes et tous, et qui fonde son existence au sein de la cité, si une véritable place n’est pas faite à l’ensemble des acteurs du système public, travailleurs du soin et citoyens ordinaires, afin d’y gouverner en égaux ? En espérant que le CCNE puisse répondre à celles et ceux qui croient encore que l’hôpital peut être sauvé de ses maux et <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/lhopital-public-en-crise-peut-il-renaitre-blog_fr_620a1edde4b0ccfb3e57ee5e">renaître</a>, et que les gouvernants puissent prêter toute l’attention souhaitée aux cris d’alarme des travailleurs du soin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180979/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Bizouarn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vingt ans après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les soignants alertent sur les effets de la logique gestionnaire sur l’éthique du soin.Philippe Bizouarn, Médecin anesthésiste-réanimateur au CHU de Nantes, chercheur associé au laboratoire SPHERE, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1763352022-02-22T18:37:31Z2022-02-22T18:37:31ZDébat : Retrouver le chemin vers les « petits pays renouvelables »<p>Zones agricoles, aires périurbaines, friches industrielles, massifs forestiers… Quels destins post-carbone pour les territoires les moins peuplés ? À l’heure des choix de société, les enjeux territoriaux et urbains doivent être au cœur du débat public.</p>
<p>Il faut aujourd’hui souligner la nécessité de <a href="https://www.eceee.org/library/conference_proceedings/eceee_Summer_Studies/2011/4-transport-and-mobility-how-to-deliver-energy-efficiency160/dense-cities-in-2050-the-energy-option/">flécher des investissements vers ces territoires</a> et de piloter la transition par des métriques locales.</p>
<p>Au-delà de leurs vocations agricoles, ces « pays » – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_r%C3%A9gions_naturelles_de_France">au sens des régions naturelles</a> – sont nos « bassins versants écologiques », nos indispensables puits carbone +1,5 °C-compatibles.</p>
<h2>Brève histoire des bassins versants écologiques</h2>
<p>Avant l’impasse thermo-industrielle, nos campagnes étaient autonomes vis-à-vis des flux liés aux activités humaines. Le métabolisme était local et fortement circulaire. L’énergie était renouvelable : biomasse, avec parfois des moulins à vent ou à eau.</p>
<p>Souvent excédentaires en production par rapport à leurs besoins propres (énergie, alimentation, matières organiques, etc.), ces pays constituaient les <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10113-011-0275-0">corolles d’abondance des villes et des bourgs</a>.</p>
<p>Avant les révolutions industrielles, avant l’ère extractiviste, ces régions étaient autant de « petits pays renouvelables », au sens de leur capacité à équilibrer besoins et productions. Il faut retrouver ce chemin : faire décroître la pression écologique des densités et, en parallèle, renforcer le potentiel de ces bassins versants, en articulant leurs proximités et en renforçant leurs symbioses.</p>
<p>Voilà la clé pour (re)composer le puzzle de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ou_atterrir_-9782707197009">« l’atterrissage »</a> planétaire.</p>
<h2>Les zones peu denses, nouveau défi politique</h2>
<p>Les habitants des zones peu denses réclament de l’attention, comme en a témoigné la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-62467">crise des « gilets jaunes »</a>, et d’être réintégrés au cœur du pacte social.</p>
<p>Un nouveau récit reste à bâtir, de nouvelles fiertés à inventer, mettant fin au déclassement social, associé parfois à un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=srDH_zxjyRw">imaginaire de « France moche »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214621724119093248"}"></div></p>
<p>Zones égarées <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Diagonale_du_vide">dans la « diagonale du vide »</a>, franges périurbaines isolées, la réparation du monde passera par la reconfiguration de ces pays. Plus que de <em>smart cities</em>, les projets politiques doivent se concentrer sur les bourgs et les zones pavillonnaires : ils sont de formidables leviers de transitions, des espaces de libertés et d’expérimentations.</p>
<p>Redécouvrons leur potentiel pour nourrir les densités : pour une alimentation soutenable, pour tous nos intrants (eau, énergie, matières…) et pour nos exutoires (réabsorption du CO<sub>2</sub>, déchets…).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3DPyKQ829II?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film de Marie-Monique Robin « Qu’est-ce qu’on attend ? » (Bandes-annonces, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour l’énergie, une <a href="https://www.dailymotion.com/video/x81l1pe">esthétique des renouvelables</a> est à inventer, anticipant le « surgissement » de ces infrastructures – selon le récent rapport de RTE, <em>Futurs énergétiques 2050</em>, on devrait de 14 000 à 35 000 mats pour l’éolien terrestre et de 0,1 à 0,3 % du territoire pour le photovoltaïque, selon les différents scénarios – et dépasser les polémiques de l’impact paysager. Nos campagnes et nos franges méritent une nouvelle ambition esthétique.</p>
<p>Pour illustrer cette nouvelle géographie post-carbone, <em>matriochkas</em> du local au global, <a href="https://bit.ly/3rq0a7D">j’illustre</a> dans le graphique ci-dessous <a href="https://ecosociete.org/livres/manuel-de-transition">l’empreinte écologique d’Hopkins</a>, à l’échelle d’une commune de 5000 habitants.</p>
<p>Le récit de ce territoire spatialise la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ville_en_transition">convergence entre besoins et productions, entre évolution des usages et celui des sols</a>. Ces « petits pays renouvelables » constituent la clé du changement ; la mise en œuvre de cette nouvelle fierté réclame de nouveaux instruments.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/443692/original/file-20220201-28-1q6vhlv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dynamique des bassins versants écologiques d’Hopkins pour une ville de 5000 habitants, d’une aire communale de 25km², insérée dans son territoire et à proximité des autres villes et villages. Au fur et à mesure de la transition, les bassins versants écologiques ne se superposent plus et redeviennent à terme excédentaires.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Spatialiser les aides à la transition</h2>
<p>En zones peu denses, la dépendance à l’automobile va de pair avec des tissus résidentiels souvent énergivores. Cette conjugaison mobilité-bâtiment alourdit le budget des ménages et grève les émissions CO<sub>2</sub>, qui peuvent aisément atteindre <a href="https://issuu.com/raphael_menard/docs/200801_energie_mati_re_architecture_raphael_menard">4000 euros par an</a> (en prenant pour base 15 000 km par an avec une voiture thermique et une maison de 100 m<sup>2</sup> chauffée au fioul et mal isolée).</p>
<p>Une politique publique spécifique et cohérente permettrait de conjuguer efficacité du bâti, transition des mobilités et reconfiguration des sols (dont la désartificialisation). Des crédits d’impôt vers la rénovation des existants, des incitations spécifiques pour les toits solaires, des primes à la conversion ou de « retrofit électrique » (consistant à modifier des fonctions technologiques dans des systèmes vieillissants) vers des mobilités peu émettrices.</p>
<p>Ce fléchage serait évalué lors de la déclaration fiscale, selon la localisation du domicile principal ; un dispositif similaire pourrait être dévolu à la fiscalité des entreprises – par exemple, poids des charges de mobilité pour une entreprise d’artisanat dans le milieu rural, comme pour les agriculteurs et le matériel agricole thermique.</p>
<p>Le croisement entre le revenu du ménage (et pourquoi pas aussi pour les entreprises !) et cette taxonomie « éco-géographique » déclencherait des dispositifs type bonus-malus et/ou de crédit d’impôt.</p>
<p>Avec volontarisme, et sous dix ans, les dépenses pourraient être divisées par cinq et les émissions de gaz à effet de serre au moins d’autant : <a href="https://issuu.com/raphael_menard/docs/200801_energie_mati_re_architecture_raphael_menard">700 euros par an de dépenses, contre 4000 auparavant, et le passage de 12 tonnes de CO₂ par an à moins d’une tonne</a>, suite à la rénovation thermique de l’habitat et à la transition mobilitaire.</p>
<p>Ces mesures seraient couplées à l’arrêt de toute artificialisation avec une prime au m<sup>2</sup> renaturé, et au renforcement du potentiel de séquestration carbone. Ces « petits pays renouvelables » engageraient de nouvelles dynamiques locales et la relocalisation des bassins d’emploi.</p>
<h2>Une nouvelle cartographie</h2>
<p>Cette mise en œuvre suppose pilotage et de nouveau outils, comme le suivi cadastral des densités d’émission et de séquestration carbone. L’estimation de la densité d’émissions pour les ménages et les entreprises serait basée sur la collecte des informations de la déclaration fiscale, en comprenant quelques valeurs complémentaires à renseigner comme les dépenses et la nature des achats annuels d’énergie pour le bâti et la mobilité notamment.</p>
<p>Associée au mode d’occupation des sols, cette cartographie apporterait une métrique du métabolisme des territoires. Ce nouveau type de cadastre – notamment <a href="https://www.arep.fr/">développé par AREP</a> sous l’acronyme EMC2B (énergie, matière, carbone, climat et biodiversité) – serait accessible à tous et permettrait de suivre à toute échelle de temps et d’espace le changement de régime écologique.</p>
<p>Plus largement, cette documentation consoliderait la trajectoire de la France, futur (petit) pays (re)devenu renouvelable, illustrant une méthode déclinable à bien d’autres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Ménard dirige l’AREP (filiale de SNCF Gares & Connexions). </span></em></p>Zones agricoles, aires périurbaines, friches industrielles, massifs forestiers… La réparation du monde passera par la reconfiguration de ces espaces géographiques et sociopolitiques.Raphaël Ménard, Enseignant à l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est, président d’AREP, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749742022-02-09T08:36:11Z2022-02-09T08:36:11ZSur Twitter, une nouvelle forme de mobilisation politique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445140/original/file-20220208-15-14jl5g3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C5%2C1194%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les salons audio ou Twitter Spaces, une nouvelle fonctionnalité. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les « Twitter Spaces », apparus en décembre 2020, pourraient être définis comme des salons publics auxquels tous ceux qui disposent d’un compte peuvent participer en déposant une note vocale.</p>
<p>Il suffit pour cela de se rendre sur le « Space » de son choix – il en existe sur une multitude de sujets –, écouter et, si on le souhaite, demander à intervenir auprès des hôtes et co-hôtes. Twitter a ouvert cette fonctionnalité audio depuis le 17 décembre pour mieux rivaliser avec d’autres plates-formes comme Facebook ou Clubhouse.</p>
<p>Ils s’inscrivent dans la grande nébuleuse de la participation politique à l’ère de l’agora digitale, comme les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/EJM-04-2019-0336/full/html">blogs et les plates-formes</a> de participation politiques actives en France, ainsi que dans d’autres pays européens. En période de campagne électorale, ces espaces deviennent des lieux d’échange mobilisant de quelques dizaines de participants à des milliers, ce à toute heure du jour et de la nuit.</p>
<p>Les lieux de participation politique trouvent leur origine dans l’agora grecque. Ces « Twitter Spaces » sont des lieux de mobilisation politique dont les règles de fonctionnement, de participation et d’interaction échappent en partie à l’activité politique traditionnelle. Plus précisément, ces <a href="https://foucault.info/documents/heterotopia/foucault.heteroTopia.fr/">hétérotopies politiques</a> émergent suivant les axes pouvoir vertical vs pouvoir horizontal ; exclusivité sociale vs inclusivité sociale.</p>
<p>Une première analyse ethnographique du phénomène, menée en observation participante et non-participante, dévoile comment ces spaces réarticulent les lieux traditionnels de la participation politique. Nous avons écouté des dizaines de notes vocales, et créé 3 « Twitter Spaces » spécifiques en janvier 2022 afin de recueillir les paroles des participants et saisir leurs motivations ; les citations de l’article sont toutes issues de ces échanges.</p>
<h2>Un lieu de critique</h2>
<p>Les « Twitter Spaces » centrés sur des sujets politiques sont tout d’abord de formidables lieux d’expression ; ils sont une respiration démocratique.</p>
<p>Ils offrent à qui veut l’écoute, la parole, la possibilité d’élargir son territoire social et son réseau, de convaincre.</p>
<p>Ici, pas de casting, l’espace est libre, ces endroits jouent comme une alternative aux médias classiques.</p>
<p>Comme le disent certains des participants de l’un des « Spaces » que nous avons créé :</p>
<blockquote>
<p>« La parole est très contrôlée dans les médias mainstream, les milliardaires contrôlent tout, ici on est libres ».</p>
<p>« On peut tout se dire, moi je n’ai plus la télé depuis des années, ici on débat pour de bon. »</p>
</blockquote>
<p>Le « Twitter Space » devient le lieu d’une expression <a href="https://theconversation.com/le-mouvement-5-etoiles-en-italie-lecture-marketing-dun-phenomene-politique-inclassable-93547">hors les murs</a> des institutions traditionnelles, d’une oxygénation citoyenne ; la critique du système politico-médiatique qui n’est pas sans questionner sur l’état de la démocratie y est exprimée sans cesse.</p>
<p>Dans la lignée des autres médias sociaux, c’est une offre de citoyenneté de plus une offre encore plus puissante car facile d’accès.</p>
<h2>Un lieu d’inclusivité</h2>
<p>Ces espaces permettent à tous, des anonymes aux plus connus – politiques, chercheurs, intellectuels, journalistes – d’échanger, de se connaître, ou simplement d’écouter.</p>
<p>En d’autres termes, comme le dirait le <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/12/17/la-reconnaissance-d-axel-honneth-les-trois-grammaires-de-la-liberte_6063791_3260.html">philosophe Axel Honneth</a> (1996), les « Twitter Spaces » facilitent la reconnaissance réciproque des uns vis-à-vis des autres, et permettent certainement de rétablir un sentiment d’équité et de justice sociale.</p>
<p>Lors de ce travail d’observation, il a souvent été question d’inclusion, de la rencontre avec « l’autre ». Cet autre qui peut être un « proche » – même famille politique – ou un contradicteur. Cet espace reste le lieu des altérités.</p>
<p>C’est d’ailleurs un lieu dans lequel les personnes souvent invisibilisées prennent la parole :</p>
<blockquote>
<p>« Sur les Spaces, il peut y avoir des racisés, beaucoup de femmes, les gens concernés sont enfin présents ; on parle enfin racisme avec des personnes touchées par le sujet ».</p>
<p>« Il y a eu un Space sur le handicap et la politique, certains responsables politiques sont venus écouter, une a même pris la parole ».</p>
</blockquote>
<p>C’est un peu comme si, dans ces lieux, les hiérarchies sociales se reformaient peu à peu sur de nouvelles bases d’égalité entre tous les participants.</p>
<h2>Un lieu d’autogestion et d’intelligence collective</h2>
<p>Le caractère autogéré via un médium aussi puissant que Twitter rend cet espace d’expression assez inclusif pour les participants.</p>
<blockquote>
<p>« On dit souvent que dès que le nombre est trop important on ne peut plus gérer, or ces spaces prouvent le contraire ; ce soir on est près de 400 et tout le monde s’écoute et prend la parole sans se superposer aux autres participants. »</p>
<p>« Il y a une légère modération via l’hôte ou l’hôtesse, mais ça reste en général très léger. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ce que nous disent une sympathisante LFI et une militante d’EELV.</p>
<p>L’horizontalité est aussi permise par le temps long ; les « Twitter Spaces » restent actifs 3, 6, voire 12 heures ou plus, ce qui permet à chacun de s’exprimer. Les discussions sont ouvertes et peuvent être écoutées en replay si un enregistrement a été prévu. Chacun est libre de partir, de rester, de revenir au regard de l’amplitude horaire.</p>
<p>Ces lieux offrent la possibilité de repérer des personnes « inspirantes, ayant une culture politique impressionnante avec des discours politiques très construits. Il y a tellement de pépites. » dit un participant.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Twitter Space peut se muer en outil de communication.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twitter</span></span>
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<p>L’horizontalité y est sociale mais aussi géographique : Londres parle à La Rochelle, qui parle à Québec. Le monde est plat ici, et il autorise la création de communautés très liquides, flexibles, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ou_atterrir_-9782707197009#:%7E:text=Pour%20contrer%20une%20telle%20politique,publique%20mais%20aussi%20ses%20enjeux">comme le montre Bruno Latour</a>. Le seul trait d’union qui unit les participants est l’intérêt pour la chose publique et le débat politique.</p>
<h2>Un lieu de mobilisation de proximité</h2>
<p>La plate-forme digitale joue aussi dans l’acculturation politiques des participants, c’est le lieu de la diffusion et du partage de connaissance. Le tout se faisant <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/EJM-04-2019-0336/full/html">dans une grande familiarité, une forme d’intimité</a>.</p>
<p>Se crée un sentiment de proximité qui vient participer à la socialisation de chacun :</p>
<blockquote>
<p>« J’aime les spaces mais j’aime aussi raconter ma vie, on parle politique en pyjama ! »</p>
<p>« Avec la pandémie on ne se voit plus, ça nous permet de continuer à échanger » expliquent ces deux personnes de concert.</p>
</blockquote>
<p>Des processus de socialisation politique qui peuvent s’opérer en milieu plutôt « like minded » soit en allant dans des sphères politiques « ennemies » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est aussi un moyen d’éprouver la consistance de mon propre argumentaire et de mes propres convictions politiques, cela m’aide. » confie une militante RN.</p>
<p>« moi je vais dans des spaces adverses pour apprendre à contrer leur arguments » nous explique ce proche de Zemmour.</p>
</blockquote>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1106&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1106&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1106&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1390&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1390&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1390&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des sympathisants d’Eric Zemmour se retrouvent dans des « Spaces ».</span>
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</figure>
<p>Le politique est aussi le lieu de l’apprentissage et celui où l’on fourbit ses armes pour la vie en société.</p>
<h2>Un lieu avec ses limites et sa part d’ombre</h2>
<p>Nous remarquons déjà que les space reflètent souvent ce que la littérature a déjà constaté sur l’intérêt que l’on porte à la politique : les femmes sont moins nombreuses – sauf sur les space EELV/Ecologie – les gens sont souvent plutôt diplômés, ce qui reflète aussi <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2013-3-page-663.htm">la fréquentation de Twitter en général</a>.</p>
<p>Ce militantisme 2.0 se développe, mais il est de plus en plus saisi par les officiels : le 12 janvier 2022, le ministère de l’Intérieur créait un « Space » autour des métiers liés à la sécurité ; au même moment, une porte-parole de LREM proposait un « Space » sur la jeunesse.</p>
<p>Les leaders d’opinion, les politiques, quelques éditorialistes, quelques intellectuels peuvent y voir une nouvelle manière d’assurer leur présence. Nous serions alors là face à un retour de verticalité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jen)-Luc Mélenchon, hôte d’un « Twitter Space ».</span>
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</figure>
<p>Le journal <em>Libération</em> a créé un « Twitter Space » pour soutenir la candidature de Christine Taubira ; les politiques y font de plus en plus campagne : Le 13 janvier Jean-Luc Mélenchon ou le 23 janvier Damien Rieu avec Eric Zemmour.</p>
<p>Si les gens « autorisés » s’emparent de cet outil, celui-ci risque de perdre beaucoup de son originalité et de son caractère alternatif, mais il peu gagner en attractivité et s’inviter à part entière dans la campagne.</p>
<p>Enfin, certains participants peuvent subir du cyberharcèlement : réception de message privés insultants, voire menaçants. Ce cyberharcèlement pourrait conduire Twitter a réguler ou tout simplement les hôtes à faire la police dans leur space.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tous les sujets sont abordés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twitter</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous voyons ici combien ces lieux perdraient de leur intérêt si une sorte de super régulation venait à se mettre en place.</p>
<p>Au total, les « Twitter Spaces » participent d’une dynamique politique globale, ils ouvrent d’autres espaces démocratiques ; ils peuvent être aussi le lieu de mise en valeur d’enjeux particuliers, le lieu de découvertes de nouveaux talents, le creuset de réseaux militants, une possibilité pour les responsables politiques d’être au contact et d’échanger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174974/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Apparus récemment, les « Twitter Spaces » sont un nouvel outil audio qui s’installe dans l’agora politique en ligne.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolGregorio Fuschillo, Professeur assistant de marketing, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1748322022-01-31T14:15:45Z2022-01-31T14:15:45ZPortrait(s) de France(s) : Où en est le débat public ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/440505/original/file-20220112-15-1vd6hmz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C6%2C2207%2C1228&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/Jennifer Gallé/Allociné/Benoît Tonson</span></span></figcaption></figure><p><em>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous bimensuel et thématique réunissant articles inédits, cartographies et podcasts, pour aborder les grands enjeux de l’élection présidentielle de 2022.</em></p>
<hr>
<p>Le cadre du débat est lui-même au cœur du débat. Ce qui ressort fortement des articles ici rassemblés, c’est une mutation fondamentale du débat d’idées en France et dans le monde aujourd’hui. On peut dire en effet qu’il s’est déplacé d’un débat, dans un cadre commun, à un débat à la fois plus général et plus tendu sur le cadre du débat lui-même. Il y va donc désormais des conditions mêmes du débat d’idées et au fond de la démocratie comme telles. Et on a besoin des sciences sociales pour comprendre où on en est, ne pas aller trop vite, mesurer les enjeux et les réponses.</p>
<p>Mais voyons d’abord les deux aspects qui nous semblent ici se dégager. La contestation du cadre : les articles <a href="https://theconversation.com/comment-l-alt-right-a-la-francaise-sapproprie-les-codes-de-tiktok-instagram-ou-youtube-173112">« sur l’alt-right »</a> ou <a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">« le wokisme »</a> et jusque dans ces termes mêmes, montrent que ceux qui se réclament de l’une ou qui critiquent l’autre ne veulent plus débattre avec leurs adversaires mais les contester comme adversaires légitimes, et contester le cadre même du débat. Il ne s’agit plus d’un débat d’idées mais d’un combat pour s’approprier et fermer le cadre du débat. Les études, très précises, le montrent et appellent d’autres recherches plus approfondies encore.</p>
<p>Le maintien du cadre : les articles sur les <a href="https://theconversation.com/en-graphiques-comment-les-francais-sinforment-ils-en-ligne-173283">modes d’information</a> des Français, <a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">sur l’école</a> ou sur la <a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-culture-generale-en-2021-117135">culture générale</a>, montrent au contraire comment le cadre se maintient à la fois dans des institutions, qu’il faut renouveler, des usages qu’il faut étudier et soutenir, et un savoir commun qui reste une condition du débat lui aussi. L’étude sur l’école comme laboratoire d’idées montre bien comment l’institution doit se penser elle-même comme lieu d’apprentissage du débat, et pas seulement d’un savoir, pour former aux pratiques fragilisées par la contestation du cadre.</p>
<p>Ce sera aussi aider à construire la recherche d’informations sur Internet, qui montre une certaine solidité des cadres institutionnels reconnus, et la construction d’une véritable culture commune de référence, qui n’est jamais neutre mais reste comme telle justement une base d’un débat commun. L’enjeu est là, pour le meilleur et pour le pire. Le débat d’idées n’oppose plus directement des idées et il faut le regretter. Le débat d’idées ne reviendra que si l’on maintient le cadre qui le rend possible.</p>
<p>Débattre de ce cadre est une urgence, mais, direz-vous, cela suppose déjà ce cadre ? Oui, vous avez raison, c’est l’enjeu et le critère. C’est le point critique où nous sommes et dont tous les « intellectuels » devraient se saisir d’abord, en réfléchissant eux-mêmes sur leurs cadres, leurs pratiques, leurs institutions, leurs principes. C’est le sens et l’importance du présent dossier.</p>
<hr>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans la série Netflix <em>La directrice</em>, la protagoniste jouée par Sandra Oh se retrouve confrontée à un déferlement de panique morale au sein de son université.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-26267/photos/detail">Eliza Morse/Netflix</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le « wokisme » ou l’import des paniques morales</h2>
<p>Le « wokisme » dispose d’une forme de lâcheté polysémique particulièrement arrangeante : la particularité d’embrasser un ensemble très étendu de pratiques, de mouvements et de faits sociaux.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">> Lire l’article</a></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Navigation sur des chaines YouTube de l’alt-right française.</span>
<span class="attribution"><span class="source">JG/The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Comment l’« alt-right » à la française s’approprie les codes de TikTok, Instagram ou YouTube</h2>
<p>Les influenceurs de la droite alternative française utilisent habilement les codes de YouTube, Instagram ou TikTok pour diffuser leur idéologie auprès des jeunes générations.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/comment-l-alt-right-a-la-francaise-sapproprie-les-codes-de-tiktok-instagram-ou-youtube-173112">> Lire l’article</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La culture générale est-elle un moyen, ou une fin en soi ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/blur-book-stack-books-bookshelves-590493/">Janko Ferlic/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>A quoi sert la culture générale en 2021 ?</h2>
<p>La culture générale, entendue comme un moyen et non comme une fin en soi, reste un outil formidable pour naviguer dans notre monde complexe.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-culture-generale-en-2021-117135">> Lire l’article</a></p>
<h2>Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?</h2>
<p>L’apprentissage du débat et sa pratique ouvrent des perspectives pour repenser la transmission des connaissances. Exemples.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">> Lire l’article</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Types de sources d information consulte es sur Internet.</span>
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<h2>L’infographie : comment les Français s’informent-ils en ligne ?</h2>
<p>Cette série de graphiques vous propose un aperçu du comportement des Français en quête d’information sur le net.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/en-graphiques-comment-les-francais-sinforment-ils-en-ligne-173283">> Lire l’article</a></p>
<h2>Le podcast</h2>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au programme de ce dossier spécial Présidentielles 2022, les mutations profondes du débat public.Frédéric Worms, Professeur de philosophie, École normale supérieure (ENS) – PSLAlbin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2Aurélien Brest, Doctorant en sciences cognitives, Université de BordeauxCécile Dutriaux, Doctorante, chaire EPPP, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLaurent Cordonier, Sociologue - Docteur en sciences sociales, Université Paris CitéNicolas Baygert, Maître de conférences à l'Université libre de Bruxelles, Université Libre de Bruxelles (ULB)Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable de la médiation à l'Espace éthique Île-de-France, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1750002022-01-19T11:08:05Z2022-01-19T11:08:05ZNucléaire en France : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… ?<p>Le nucléaire fait partie des sujets clivants, trop souvent traités sous forme d’opposition binaire entre pros et antis. <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/nucleaire-onoff-analyse-economique-d-un-pari-prix-marcel"><em>Nucléaire : On/Off ?</em></a> titre par exemple l’ouvrage de <a href="https://theconversation.com/profiles/francois-leveque-196391">François Lévêque</a>. L’auteur y livre une analyse économique incontournable sur le risque et les coûts induits de la sûreté nucléaire. Il y souligne l’importance des représentations subjectives. Le nucléaire, on aime ou on n’aime pas !</p>
<p>Mais est-ce si simple ? Il y a bien des façons d’intégrer les sources nucléaires dans un mix énergétique, comme le montre la mosaïque des situations en Europe. Et aussi de multiples gradations dans l’amour ou la haine qu’elles peuvent susciter.</p>
<p>L’élection présidentielle aura lieu au printemps, la saison des marguerites. Examiner les enjeux du nucléaire, c’est un peu comme d’effeuiller la fleur en se demandant sur quel pétale s’arrêtera la ritournelle : « Nucléaire, je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… pas du tout » ?</p>
<h2>Le nucléaire à l’extérieur de l’Hexagone</h2>
<p>Première constatation, le nucléaire pèse peu dans le bilan énergétique mondial : 10 % de l’électricité utilisée dans le monde en 2020 (soit 2 % de la <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Glossary:Final_energy_consumption/fr#:%7E:text=La%20consommation%20finale%20d%E2%80%99%C3%A9nergie,%E2%80%99industrie%20et%20l%E2%80%99agriculture.">consommation finale d’énergie</a>).</p>
<p>Il joue également un rôle subalterne dans les <a href="https://iea.blob.core.windows.net/assets/4ed140c1-c3f3-4fd9-acae-789a4e14a23c/WorldEnergyOutlook2021.pdf">scénarios</a> de décarbonation de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) à l’horizon 2050.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440901/original/file-20220114-27-1q1m84n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.worldnuclearreport.org/IMG/pdf/wnisr2021-lr.pdf">Worldnuclearreport.org</a></span>
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<p>Cette part modeste, et déclinante, contraste avec celle occupée par le nucléaire dans les médias et le débat public, en France tout particulièrement. Il y a deux raisons à cela.</p>
<p>Tout d’abord, le nucléaire a connu deux accidents majeurs – Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 – qui ont eu un impact considérable sur la perception du risque associé à l’exploitation des centrales et au traitement des déchets radioactifs. Le sociologue allemand Ulrich Beck l’a théorisé dans son ouvrage <a href="https://editions.flammarion.com/la-societe-du-risque/9782081218888"><em>La Société du risque</em></a>, témoignant des raisons profondes du rejet du nucléaire par nos voisins d’Outre Rhin.</p>
<p>Le nucléaire constitue d’autre part une industrie lourde en capitaux, avec de gros enjeux économiques, y compris pour les États souvent mis à contribution. L’ampleur des moyens (financiers et scientifiques) requis constitue une barrière à l’entrée pour la plupart des pays en développement. Et, dans les pays riches, les gros sous du nucléaire animent le débat politique.</p>
<p>L’Union européenne et le Royaume-Uni se divisent à <a href="https://www.connaissancedesenergies.org/comment-sont-repartis-les-reacteurs-nucleaires-dans-lunion-europeenne-211216">parts égales</a> entre ceux qui disposent de réacteurs et ceux qui n’en ont pas.</p>
<p>Parmi les pays sans nucléaire, certains ont renoncé à exploiter leurs centrales (Lituanie et Italie), d’autres n’en ont jamais construites. Dans le groupe des pays exploitant le nucléaire, l’Allemagne compte en sortir totalement dès 2022. À l’exception du Royaume-Uni, les pays d’Europe de l’Ouest visent une sortie à moyen terme, mais pas ceux d’Europe de l’Est. La Pologne, qui n’a pas de centrale en exploitation, vise même à y accéder.</p>
<h2>Au bord de la falaise</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="EDF" src="https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440966/original/file-20220116-15-o7ttuk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Répartition des centrales nucléaire en France en 2021.</span>
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<p>La position de la France demeure singulière. Avec 56 réacteurs en service (après la fermeture de Fessenheim en 2020), notre pays dispose de plus de la moitié de la puissance nucléaire installée au sein de l’Union. Il tire de l’ordre de 70 % de son électricité de l’atome (environ 17 % de la consommation finale d’énergie du pays).</p>
<p>La grande majorité des 56 réacteurs en activité (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9n%C3%A9rations_de_r%C3%A9acteurs_nucl%C3%A9aires">dits de seconde génération</a>) ont été construits en un temps record durant la décennie 1980. Depuis 1990, la capacité installée reste sur un plateau tandis que les moyens de production vieillissent.</p>
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<figcaption><span class="caption">Fessenheim à l’heure de la fermeture, démantèlement jusqu’en 2040. (Euronews/Youtube, 2020).</span></figcaption>
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<p>Si on déclassait ces équipements au terme d’une durée fixe d’utilisation, leur capacité de production s’affaisserait brutalement. Les spécialistes appellent cela « l’effet falaise ». Aujourd’hui, on se rapproche de la falaise… Car si l’on déclassait toutes les centrales ayant effectué 40 années de service – hypothèse de durée <a href="https://www.asn.fr/l-asn-informe/actualites/la-poursuite-de-fonctionnement-des-reacteurs-de-900-mwe-au-dela-de-40-ans">retenue lors de leur conception</a> –, la chute interviendrait au cours de la décennie 2020.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440900/original/file-20220114-25-j9wvgb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.worldnuclearreport.org/IMG/pdf/wnisr2021-lr.pdf">Worldnuclearreport.org</a></span>
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<p>Le prochain quinquennat devra donc répondre à deux questions clefs : combien de temps doit-on exploiter le parc existant ? Par quels moyens de production faudra-t-il remplacer les centrales en fin d’exploitation ?</p>
<h2>Des milliards en jeu</h2>
<p>En France, les licences d’exploitation sont délivrées pour des périodes décennales, après les visites de contrôle de l’Autorité de sûreté (ASN). Pour pouvoir continuer à fonctionner au-delà de 40 ans, il faut donc remplacer une bonne partie des équipements initiaux. Cela coûte des sous : de l’ordre de <a href="https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/espaces-dedies/espace-medias/cp/2020/2020-10-29-cp-certifie_edf-reajuste-le-cout-du-programme-grand-carenage.pdf">50 milliards d’après EDF</a>, si l’on veut prolonger l’exploitation de l’ensemble du parc.</p>
<p>50 milliards, c’est une somme conséquente, mais qui permettrait de prolonger la production du parc existant de 10 à 20 ans. Par MWh (mégawatt-heure), cela laisse le coût du nucléaire « historique » compétitif.</p>
<p>Remplacer le parc existant par de nouveaux moyens de production nucléaire alourdit ainsi fortement la facture : la <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-07/20200709-synthese-filiere-EPR.pdf">Cour des comptes</a> a évalué à près de 20 milliards le coût total du réacteur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9acteur_pressuris%C3%A9_europ%C3%A9en">EPR de 3° génération</a> en cours de finition à Flamanville. Si la centrale, après un nouveau report, est bien mise en route en 2023, son coût de production sera de l’ordre de 110 à 120 €/MWh, plus de deux fois le <a href="http://i-tese.cea.fr/fr/Publications/LettreItese/Lettre_itese_32/files/04_Lettr_itese_automne_2017_Dossier_Les_couts_du_nucleaire_existant.pdf">coût du nucléaire « historique »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1481305051612258306"}"></div></p>
<p>Ce coût reflète pour une part celui de la protection contre les risques propres au nucléaire, mais aussi les multiples défaillances dans la conduite du projet. Si on décidait de remplacer l’intégralité du parc existant par de nouveaux EPR, on peut espérer que l’effet d’expérience réduirait fortement le coût de construction des futurs réacteurs. En supposant une division par deux, cela représenterait encore une facture de 140 milliards.</p>
<p>Côté renouvelable, le coût à la production des énergies éoliennes et solaires est passé <a href="https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020">bien en dessous</a> de celui du nouveau nucléaire. Face au nucléaire « historique », le match est moins déséquilibré, mais en tendance, le coût du renouvelable baisse, ce qui n’est pas le cas du nucléaire.</p>
<p>Pour tenir compte de la variabilité du renouvelable, il convient d’ajouter à son coût de production celui du stockage et de mise à niveau du réseau. L’équation est complexe. À mesure que la part du renouvelable augmente, il faut de plus en plus de capacité de stockage. Mais le coût du <a href="https://www.irena.org/-/media/Files/IRENA/Agency/Publication/2017/Oct/IRENA_Electricity_Storage_Costs_2017_Summary.pdf">stockage par batterie</a> diminue rapidement et celui que fournira demain l’hydrogène vert est aujourd’hui inconnu.</p>
<p>Au total, l’investissement dans l’allongement de la durée d’utilisation du parc existant se justifie au plan économique ; celui dans le nouveau nucléaire implique de faire des paris aventureux sur les coûts futurs du nouveau nucléaire relativement au renouvelable. Reste l’analyse de la situation sous l’angle climatique…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/81udmOJCt3g?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo de la Cour des comptes sur la filière EPR. (Cour des comptes/Youtube, 2020).</span></figcaption>
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<h2>L’atome, le renouvelable et le CO₂</h2>
<p>Le secteur électrique contribue de trois façons à la décarbonation du système énergétique : décarboner le reliquat d’électricité produite à partir d’énergie fossile en France ; opérer la même substitution chez nos clients via l’exportation d’électricité ; remplacer l’énergie fossile via l’électrification des usages dans le transport, l’industrie et le chauffage des bâtiments. C’est ce troisième levier qui est le plus stratégique pour l’atteinte de la neutralité en 2050.</p>
<p>À l’instar de l’hydraulique, de l’éolien et du solaire, le nucléaire ne dégage aucune émission de CO<sub>2</sub> lors de la production d’électricité. Nucléaire et renouvelable permettent ainsi de décarboner l’offre d’électricité.</p>
<p>C’est pourquoi les choix à opérer sur le nucléaire au début du prochain quinquennat conditionneront la stratégie de décarbonation du secteur électrique, au moins jusqu’en 2050. La récente étude <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/282232-futurs-energetiques-2050-rapport-du-rte"><em>Futurs énergétiques 2050</em></a> de RTE montre la multiplicité des chemins y conduisant, avec « un peu, beaucoup, passionnément… ou pas du tout » de nucléaire à l’arrivée.</p>
<p>Compte tenu des délais de réalisation, si on décide de lancer le programme EPR2 – préparé par EDF et visant dans un premier temps la construction de 6 nouveaux réacteurs –, cela n’aura aucun impact sur les émissions de CO<sub>2</sub> avant 2035 et donc a fortiori sur l’horizon 2030 pour lequel l’objectif européen qui nous oblige vient de passer de – 40 % à -55 % d’émissions de gaz à effet de serre (relativement à 1990).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1151863976378195969"}"></div></p>
<p>Sauf à imaginer une baisse brutale de la consommation d’électricité, il sera techniquement impossible de tenir ces nouveaux objectifs climatiques d’ici 2035 sans prolonger l’exploitation des centrales au-delà des 40 ans. Si la centrale de Fessenheim était encore en opération, elle pourrait produire environ 11 000 GWh par an. De quoi économiser de l’ordre de 4 à 9 Mt de CO<sub>2</sub> relativement à des centrales à gaz ou à charbon, soit chez nous, soit via l’exportation d’électricité décarbonée.</p>
<p>Durant la décennie 2040, il ne sera plus possible de repousser l’effet falaise. Les investissements requis pour obtenir l’autorisation d’exploitation de l’ASN au-delà des 60 ans seraient trop élevés.</p>
<p>Mais le pari d’une électricité intégralement produite à partir de sources renouvelables deviendra une perspective réaliste. Surtout si on a simultanément conduit une politique de maîtrise de la demande d’énergie nous rapprochant des scénarios de sobriété décrits par <a href="https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese-scenario-negawatt-2022.pdf">Négawatt</a>. La place du nucléaire dépendra largement des décisions à prendre durant le prochain quinquennat.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=536&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440899/original/file-20220114-19-1b0mrkm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=674&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">À gauche : trois scénarios sans le lancement des EPR2. À droite : deux scénarios avec EPR2 et un scénario avec EPR2 + small reactors (SMR).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-10/Futurs-Energetiques-2050-principaux-resultats_0.pdf">RTE (Futurs énergétiques 2050)</a></span>
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<h2>Dans la peau d’un candidat</h2>
<p>Si j’étais candidat à la prochaine présidentielle, mon programme sur le nucléaire comporterait trois messages clairs.</p>
<p>Le premier serait le rappel du rôle primordial de la maîtrise de la demande d’énergie, impliquant d’accélérer les investissements dans l’efficacité énergétique et la promotion de la sobriété.</p>
<p>Le second concernerait le rôle stratégique du réinvestissement dans le parc nucléaire existant pour franchir la marche des – 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en 2030 et maintenir un socle de production d’électricité décarbonée au-delà. Un tel réinvestissement renforcerait la compétence industrielle d’EDF, condition d’un niveau élevé de protection face au risque nucléaire.</p>
<p>Le troisième serait celui de la priorité absolue donnée, à partir de 2022, au déploiement du renouvelable et de la nouvelle filière hydrogène, qui devront se substituer au nucléaire existant. Au nom de cette priorité, je proposerais de renoncer à tout projet d’EPR2, une voie économiquement aventureuse et ne présentant pas les avantages de modularité et de sécurité du renouvelable.</p>
<p>Concernant la technologie des <em>small reactors</em> (SMR) en cours de développement, je préconiserais la poursuite des études de faisabilité par EDF pour ne pas fermer les options futures.</p>
<p>Et si j’étais élu : je demanderais au gouvernement de préparer la loi de programmation mettant en œuvre ces orientations au tout début du quinquennat. Pour éviter les crispations inutiles et déminer les blocages, j’organiserais en amont du débat parlementaire une consultation citoyenne sur le modèle de ce qui a été conduit en <a href="https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande.html">Irlande</a> sur d’autres « questions qui fâchent ».</p>
<p>Dans une démocratie mature, on doit être capable d’échanger des arguments contradictoires en écoutant ceux de son interlocuteur, plutôt que de lui asséner ses propres certitudes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175000/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le prochain quinquennat devra répondre à ces deux questions sur le nucléaire : combien de temps doit-on exploiter le parc existant ? Par quels moyens de production remplacer les vieilles centrales ?Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724222021-12-15T20:40:47Z2021-12-15T20:40:47ZDébat : Les sciences sociales face à l’instrumentalisation politique de l’islam<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438075/original/file-20211216-21-1ozij1d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C24%2C1245%2C1684&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Différentes unes de magazines français.</span> </figcaption></figure><p>L’instrumentalisation de l’islam à des fins politiciennes atteint des sommets aujourd’hui au sein des médias <em>mainstream</em>. Depuis longtemps déjà, des <a href="http://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-peur-de-lislam-2/">chercheurs</a> ont analysé cette <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fascination_de_l_islam-9782707172631">fascination</a> comme étant pathogène, et ce, bien avant les attentats djihādistes sur notre sol.</p>
<p>N’ayons pas peur des mots, il s’agit maintenant d’une véritable <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-mediatique/les-medias-face-a-lislam-a-quoi-jouent-ils">obsession</a> qui transcende les courants politiques. Comme le soulignait récemment un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ip93-LXMib4">chroniqueur humoristique</a>, certains « parlent plus d’islam qu’un imam ». Désormais, nul besoin d’être spécialiste du fait religieux, tout le monde se croit autorisé à en disserter doctement, monsieur Jourdain est devenu docteur en islamologie.</p>
<p>Dans cette cacophonie, les spécialistes de l’étude scientifique de l’islam (ou « islamologues ») sont pris de court face à tant de fake news touchant leur domaine de compétences. Ils ont déjà été écartés des débats publics de par le délabrement progressif des <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2016-1-page-4.htm">études classiques arabes</a> portées notamment par quelques départements universitaires. Certains se sont aussi autocensurés, suivant en cela une ligne radicalement anti-médias inspirée par le sociologue <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1996/04/BOURDIEU/5425">Pierre Bourdieu</a> en se réfugiant dans le strict champ de leur spécialisation.</p>
<p>Des politologues spécialistes des mouvements fondamentalistes de l’islam ont certes investi la parole publique en livrant leurs <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/le-terrorisme-en-face">analyses</a> <a href="https://www.liberation.fr/debats/2016/04/14/olivier-roy-et-gilles-kepel-querelle-francaise-sur-le-jihadisme_1446226/">contradictoires</a> mais eux-mêmes sont désormais largement dépassés par des éditorialistes et chroniqueurs « toutologues », peu aptes à respecter le laborieux travail des universitaires. Comme le rappelle fort justement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f89WVeqWe-M">Étienne Klein</a> : « pour se rendre compte qu’on est incompétent, il faut être compétent ».</p>
<p>Une nouvelle <a href="https://www.ozap.com/actu/charles-consigny-s-eleve-contre-la-nouvelle-doxa-incarnee-par-les-editorialistes-de-cnews/610419">doxa médiatique</a> ultra réactionnaire semble désormais se dessiner sous nos yeux, avec ses ayatollahs et ses nécessaires boucs émissaires. Pour pasticher Gilles Kepel, cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/12/histoire-du-jihadisme-d-atmosphere-par-gilles-kepel_6069672_3232.html">« haine d’atmosphère »</a> nous place <em>de facto</em>, nous, chercheurs du temps long, dans une forme de dissidence. Pourquoi ? Non pas car nous serions des militants, ou que notre rôle serait de défendre une communauté en particulier, mais parce que la recherche scientifique vise justement à lutter contre le simplisme et les visions binaires partisanes.</p>
<p>En fait, les sciences humaines et sociales visent à déconstruire <em>tous</em> les édifices de certitude, qu’ils proviennent de l’extrême droite ou de n’importe quelle idéologie, même progressiste. Notre travail consiste à mettre au jour les mécanismes sous-jacents de tout discours dominant, en dévoilant les aspérités que ce dernier cherche à gommer ; gymnastique indispensable à l’esprit critique au cœur même du projet démocratique. Raison pour laquelle les régimes autoritaires cherchent toujours à domestiquer les universités et ses chercheurs, l’exemple récent me venant à l’esprit étant celui de la Hongrie de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/120920/la-methode-orban-pour-prendre-le-controle-des-universites?onglet=full">Viktor Orban</a>.</p>
<h2>La thèse du clash/choc des civilisations</h2>
<p>À ce titre, exerçons ce regard critique en « tordant le cou » pour le moment à deux fausses évidences fort répandues désormais : la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/choc-des-civilisations_9782738156211.php">thèse du « choc/clash des civilisations »</a> et l’équation dangereuse <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4RASDjtfef0">islam = « islamisme »</a>. Il y en a d’autres mais l’espace qui est le nôtre ne nous permet pas d’en traiter davantage et ces deux idées reçues structurent le discours complotiste autour de l’islam de manière centrale.</p>
<p>Le professeur de sciences politiques états-unien Samuel Huntington a effectivement popularisé la thèse du choc des civilisations dans un article devenu ensuite son célèbre ouvrage mais il n’est pas le père de cette notion. Il l’a empruntée à un collègue islamologue célèbre, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2018-3-page-265.htm">Bernard Lewis</a>.</p>
<p>Les partisans de cette théorie ignorent qu’ils partagent en cela la vision du monde binaire des théoriciens du <em>djihād</em> offensif qui y croient eux aussi fermement et poussent des individus perméables aux rhétoriques belliqueuses à prendre part à cette soi-disant guerre civilisationnelle. Bien entendu, les termes utilisés pour la présenter ne sont pas identiques, les djihādistes manipulent des notions de l’islam classique telles que <em>dār al-ḥarb</em> (territoires de la guerre) face à un <em>dār al-islām</em> (territoires de l’islam) assiégé, toutefois, le résultat est identique, c’est toujours la guerre du bien (fantasmé) contre le mal (fanstasmé).</p>
<p>Huntington considérait dans son ouvrage que la religion était la matrice de neuf « civilisations » qu’il croyait déceler mais il se trouve que même à une époque où les religions structuraient bien plus qu’aujourd’hui la vie des populations, à l’apogée par exemple des trois puissants empires islamiques (ottoman, perse et moghol), la France de François 1<sup>er</sup> était déjà l’alliée de l’Empire ottoman sunnite contre les Habsbourg pourtant chrétiens. Et quant aux Portugais, chrétiens eux aussi, ils étaient alliés avec l’Empire perse chiite (contre les Ottomans).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cartographie des trois empires islamiques au XVIᵉ siècle" src="https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cartographie des trois empires islamiques au.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Islamic_Gunpowder_Empires.jpg">Pinupbettu/WikiCommons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les intérêts stratégiques furent bien plus à l’origine des alliances entre les empires que la propagande religieuse. Le célèbre réalisateur Ridley Scott a fait de ce constat basique un beau et divertissant film sur les croisades <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kingdom_of_Heaven">Kingdom of Heaven</a>, on peut utilement bien sûr, et de manière plus scientifique, consulter sur ces questions des <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/V/bo5956520.html">ouvrages</a> <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/de-lautre-cote-des-croisades-lislam-entre-croises-et-mongols">savants</a>.</p>
<p>En réalité, il n’existe pas de choc des civilisations car il n’existe aujourd’hui plus qu’une seule civilisation capitalistique néo-libérale qui règne sans partage et au sein de laquelle musulmans, juifs ou encore Chinois confucéens participent pleinement. Et au sein de cette civilisation, les fondamentalismes religieux sont paradoxalement très à l’aise avec l’<a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/les-neo-freres-musulmans-et-le-nouvel-esprit-capitaliste-entre-rigorisme-moral-cryptocapitalisme-et-0">idée de marché</a> <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_double_impasse-9782707182913">transnational dérégulé</a>.</p>
<p>Que dire alors de notre temps, depuis que la sécularisation s’est répandue au XX<sup>e</sup> siècle en Europe mais aussi dans le monde, et ce, jusqu’au plus intime, la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-rendez-vous-des-civilisations-youssef-courbage/9782020925976">maîtrise de la fécondité</a> ? Où classer d’après les catégories huntingtoniennes, l’<a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/dr-saoud-et-mr-djihad-la-diplomatie-religieuse-de-larabie-saoudite">Arabie saoudite</a>, pays d’obédience salafiste, qui reste l’allié le plus fidèle des USA pourtant protestants, après avoir été l’allié des Britanniques jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle ?</p>
<p>Ces catégories de « civilisations » sont une supercherie qui masque la complexité du monde, elles confondent les religions historiques avec les fondamentalismes religieux qui en sont issus. Ne perdez pas votre temps avec Huntington, lisez plutôt <a href="https://www.grasset.fr/livres/le-dereglement-du-monde-9782246681519">« Le dérèglement du monde »</a>, cet essai utile et toujours aussi actuel d’Amin Maalouf.</p>
<h2>L’inquiétante équation : islam = « islamisme »</h2>
<p>Pour ce qui concerne maintenant l’équation islam = « islamisme », les <a href="https://iremmo.org/publications/bibliotheque-de-liremmo/lislamisme-decrypte/">spécialistes</a> des <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/genealogie-de-lislamisme-9782818500842">mouvements politico-religieux</a> de l’islam reprennent souvent ce terme placé ici entre guillemets, ils parlent également de « courants fondamentalistes » ou d’« <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/comprendre_l_islam_politique-9782707192134">islam politique</a> ». Ce faisant, ils désignent par là des mouvements précis par exemple, le salafisme saoudien, les Frères musulmans ou encore le mouvement missionnaire du tablīġ.</p>
<p>À ma connaissance toutefois, aucun spécialiste digne de ce nom n’aurait l’imprudence de réduire l’islam (religion) et l’Islam (civilisation) à ces courants fondamentalistes. Ce serait aussi incongru que d’affirmer que l’on pourrait réduire le judaïsme et sa grande histoire à n’importe quel mouvement messianique israélien contemporain.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas confondre ces mouvements fondamentalistes avec les <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/271020/cet-islam-qui-assassine-et-rend-fou">organisations qui appellent à la violence</a> et au crime de masse, ce que l’on a désormais coutume de qualifier de djihādistes ou de terroristes car, malgré quelques points communs d’ordre théologique, ce sont des réalités bien distinctes.</p>
<h2>L’émergence d’un islam réformé</h2>
<p>À l’instar des autres monothéismes, l’islam est en train de faire émerger en son sein, de manière discrète mais inéluctable, un <a href="https://theconversation.com/imamat-feminin-une-tradition-meconnue-de-lislam-124056">« islam réformé »</a> ou « progressiste » (<em>iṣlāḥī</em>/<em>taqaddumī</em>). C’est un courant pour le moment minoritaire mais tout comme l’était le <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/9782705688929">mouvement juif réformé</a> en Allemagne à ses débuts au XIX<sup>e</sup> siècle avant que ce courant devienne aujourd’hui majoritaire aux USA.</p>
<p>Affirmer que l’islam ne pourrait être que fondamentaliste c’est donner raison à l’extrême droite religieuse du monde musulman tels que les idéologues de Daech qui prétendent à cette hégémonie, c’est valider leur vision du monde.</p>
<p>Ces points de crispations, et d’autres encore, sont devenus des <a href="https://www.liberation.fr/politique/toujours-plus-a-droite-ciotti-croit-la-theorie-complotiste-du-grand-remplacement-20211109_MFDGHLKGUNEH7CVWHJZHOSTVLM/">sujets récurrents</a> dans les débats politiques <em>mainstream</em>. Ils sont un symptôme d’une société où l’expertise scientifique n’irrigue plus ses citoyens, ni ses élites, il s’agit bel et bien d’une <a href="https://cessp.cnrs.fr/Comment-sommes-nous-devenus-reacs">hégémonie culturelle</a> qui s’installe, un nouveau « politiquement correct » avec ses nouveaux ayatollahs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172422/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Steven Duarte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’islam devient un sujet prégnant dans le débat public et le champ médiatique, l’apport des sciences sociales et de l’Histoire permet de relativiser les discours inquiétants et menaçants.Steven Duarte, Maître de conférences arabe / islamologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1729762021-12-13T18:32:48Z2021-12-13T18:32:48ZDébat : Peut-on en finir avec la « crise » des migrants dans les médias ?<p>Le 24 novembre 2021, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-8-h/journal-de-08h00-margot-delpierre-du-jeudi-25-novembre-2021">27 personnes meurent</a> dans un naufrage au large de Calais alors qu’elles espéraient traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre.</p>
<p>Dans les heures qui suivent, l’événement fait la une et les journalistes se mettent à la recherche d’« experts » à inviter à la radio et à la télévision. Rebelote quelques jours plus tard, cette fois pour commenter l’annonce du ministre de l’Intérieur d’appeler en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/direct-crise-des-migrants-suivez-la-conference-de-presse-de-gerald-darmanin_4863487.html">renfort Frontex</a>, l’agence européenne de contrôle des frontières.</p>
<p>Il se trouve qu’à l’instar de nombre de mes collègues, je fais partie des chercheurs et universitaires considérés comme « spécialistes des migrations ». C’est à chaque fois pareil : les journalistes cherchent un invité pour parler durant quelques minutes ; il y a urgence car l’émission est prévue pour le soir même, ou le lendemain matin au plus tard ; et comme tout le monde prévoit de parler de Calais, les « spécialistes » sont sur-sollicités, renvoient à d’autres collègues, les journalistes enchaînent les coups de fil, l’agitation croît au fil de la journée – parfois jusqu’à l’absurde.</p>
<h2>Nous disons tous la même chose</h2>
<p>Les collègues qui finissent par passer à l’antenne disent tous la même chose. Non, les passeurs ne sont pas les seuls responsables de ces drames, ce sont les États qui condamnent les migrants à prendre des risques insensés. Non, le traitement inhumain infligé aux migrants, que ce soit à Calais, ailleurs en Europe ou encore en Libye, ne décourage personne, mais ne fait que perpétuer une impasse qui aboutit aux tentatives les plus désespérées. Oui, il est possible d’accueillir décemment ces exilés, en garantissant leur droit de demander l’asile ou en reconnaissant qu’ils occupent les emplois dont personne ne veut. Et non, une telle politique ne créerait pas l’appel d’air tant redouté, mais ne ferait que respecter les principes les plus élémentaires d’un continent qui se prétend un <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/150/an-area-of-freedom-security-and-justice-general-aspects">« espace de liberté, de sécurité et de justice »</a>.</p>
<p>De telles séquences ne sont malheureusement pas nouvelles. Depuis des décennies les migrants meurent <a href="https://theconversation.com/compter-les-morts-aux-frontieres-qui-comment-pourquoi-59095">aux frontières</a> de l’Europe. Et depuis des décennies les États européens accusent les passeurs et renforcent le contrôle des frontières. Qui se souvient qu’au début des années 2000, l’Espagne réclamait déjà <a href="http://migreurop.org/article1073.html">« bateaux et avions »</a> pour empêcher les arrivées de migrants sur les îles Canaries ?</p>
<p>Certains chercheurs font donc le tour des plateaux, pour l’adrénaline du direct et le narcissisme inhérent à l’exercice, bien sûr, mais aussi pour de très bonnes raisons : apporter un éclairage au débat public, valoriser l’utilité des sciences sociales, défendre des valeurs, et contrer les propos xénophobes qui saturent <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/frederique-matonti-il-ny-a-plus-de-digues-pour-empecher-lextreme-droite-dimposer-sa-vision-du-monde-20211107_PZ77IOQ4H5F2DDENAZEIDXS5BU/">l’espace public</a>, a fortiori en ce début de campagne présidentielle.</p>
<p>D’autres chercheurs sont plus hésitants. Question de tempérament, d’expérience des médias, et aussi de rigueur car force est d’avouer qu’on ne connaît pas toujours grand-chose du sujet du jour, et qu’on a de toute manière pas le temps de se préparer. Pour ma part, bien que « spécialiste des migrations », je n’ai jamais étudié la situation à Calais et n’ai aucune connaissance particulière sur le sujet (de même que je connais pas grand-chose non plus sur la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-des-migrants-a-la-frontiere-pologne-bielorussie/">frontière entre la Pologne et la Biélorussie</a>, sujet sur lequel mes collègues et moi-même sommes aussi sollicités).</p>
<p>Ce n’est pas vraiment un problème car je maîtrise bien les quelques généralités qu’on me demande d’énoncer. Mais cette superficialité n’en est pas moins un peu insatisfaisante, voire parfois aliénante. Et puis il y a le problème de la disponibilité, avec des émissions de très bon matin ou vers 19-20 heures, quand ce n’est pas le dimanche à midi – autant dire des horaires défavorables à la vie de famille.</p>
<h2>Des questions de fond</h2>
<p>Au-delà de ces petits débats entre collègues, le traitement médiatique des migrations pose des questions de fond. Avec la crise des migrants et des réfugiés en Europe, la manière dont la presse couvre des événements comme les naufrages en Méditerranée a fait l’objet de beaucoup de réflexions. On s’accorde à considérer que les médias jouent un rôle clé et qu’ils ont une responsabilité particulière. L’Unesco, par exemple, <a href="https://fr.unesco.org/themes/medias-situation-crise-catastrophe/couverture-mediatique-migration">travaille avec les médias</a> pour qu’ils fournissent « des informations vérifiées, des opinions éclairées ainsi que des récits équilibrés ».</p>
<p>De même, Amnesty International déconseille l’usage de termes qui <a href="https://www.amnesty.fr/migration-analyser-les-discours-des-medias">« déshumanisent »</a> les migrants comme : clandestins, illégaux, ou flux migratoires.</p>
<p>On se souvient aussi qu’en 2015 la chaine Al Jazeera <a href="https://www.aljazeera.com/features/2015/8/20/why-al-jazeera-will-not-say-mediterranean-migrants">écartait le terme de migrant</a> et ne parlait que de réfugiés, pour insister sur les raisons impérieuses et légitimes qui motivent leur départ (là où de nombreux médias européens faisaient le contraire).</p>
<p>Il existe également un <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804163730-couvrir-les-migrations">manuel</a> destiné aux journalistes qui travaillent sur le sujet, tandis que l’association France Terre d’asile organise des séances de formation à <a href="https://www.france-terre-asile.org/actualites/actualites-choisies/comment-ameliorer-le-traitement-de-la-question-migratoire-par-les-medias">leur intention</a>.</p>
<p>C’est là aussi le sens des invitations aux « spécialistes des migrations », lesquels fourniraient un éclairage aux journalistes (et, à travers eux, à leur public). Mais on peut s’interroger sur ce besoin d’instruire les médias. Les quelques journalistes que j’ai eu l’occasion de rencontrer connaissent tout aussi bien que moi les arguments sur les impasses des politiques migratoires actuelles. S’ils m’invitent, ce n’est donc pas pour mes connaissances. Ce n’est pas étonnant : à force d’inviter des chercheurs, les journalistes sont devenus familiers de leurs explications. Le « spécialiste » ne fait donc que redire ce que tout le monde sur le plateau sait déjà.</p>
<h2>Une médiatisation qui renforce le climat de crise</h2>
<p>Ce que je constate surtout, c’est que les interactions entre médias et « spécialistes » sont pernicieuses car elles renforcent paradoxalement le climat de « crise » qui caractérise la perception des migrations.</p>
<p>En ce qui me concerne, j’expliquerais volontiers qu’un naufrage comme celui de Calais ne relève pas d’une « crise », mais d’une forme de routine – une routine certes tragique et inacceptable, mais une routine quand même. Cette routine est la conséquence directe de la manière dont les États gouvernent les migrations, et il ne faut donc pas s’en étonner. C’est là le travail des universitaires (et des sciences sociales) : prendre du recul par rapport à l’actualité brûlante, mettre l’événement en perspective, rappeler des précédents historiques, etc.</p>
<p>Mais comment exposer de tels arguments si, précisément, on ne parle des migrations qu’à l’occasion de naufrages ? En matière de communication, la forme prend souvent le pas sur le fond. Et naturellement, plus on évoque les migrations sous l’angle d’une crise, plus les responsables politiques seront fondés à ne présenter les naufrages que comme des événements imprévus et tragiques, et à les traiter à grands coups de réunions d’urgence et de mesures ad hoc – perpétuant ainsi un cycle de crise et d’urgence qui dure depuis près de trente ans.</p>
<p>On objectera que les lamentations sur les biais médiatiques sont aussi anciennes que les médias eux-mêmes, et que face à l’urgence il faut se lancer dans l’arène sans hésitation ni cynisme, et avec toute l’indignation qui sied aux circonstances. Éternel débat, auquel il n’existe probablement aucune réponse satisfaisante. Mais tout de même, comment se fait-il qu’en 2021, alors que la barre des <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/03/1063431">20 000 décès</a> de migrants en Méditerranée a été franchie depuis 2020 déjà, on continue à solliciter en urgence des « spécialistes » à chaque naufrage, pour qu’ils interviennent le soir même et commentent un événement qui, hélas, n’en est pas un ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172976/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’instar de nombreux collègues, je suis régulièrement invité par les médias comme « spécialiste des migrations ». Nous disons tous la même chose mais rien ne change. Pourquoi ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1728032021-12-08T09:56:57Z2021-12-08T09:56:57ZLe « wokisme » ou l’import des paniques morales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435843/original/file-20211206-15-4w53l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1599%2C1056&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans la série Netflix _La directrice_, la protagoniste jouée par Sandra Oh se retrouve confrontée à un déferlement de panique morale au sein de son université. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-26267/photos/detail ">Eliza Morse/Netflix</a></span></figcaption></figure><p>Omniprésent dans les médias, utilisé par une certaine élite politique et intellectuelle, le « wokisme » s’est imposé comme une catégorie lexicale commode pour désigner une grande variété de faits sociaux.</p>
<p>Du point de vue linguistique, le mot <em>wokisme</em> est facile à analyser et à comprendre : contraction de l’emprunt à l’anglais <em>woke</em> (participe passé du verbe <em>wake</em>, pour « éveiller ») et du suffixe <em>-isme</em> (toujours aisé à utiliser pour substantiver une <a href="https://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2019-2-page-43.htm">manière de penser</a>, il constitue un anglicisme qui a réussi à s’imposer dans le champ médiatique et politique, des deux côtés de l’Atlantique. De surcroît, du point de vue énonciatif, il est important de préciser que ce terme est avant tout utilisé par ceux qui se présentent comme ses détracteurs.</p>
<p>Toutefois, il est important de séparer le mouvement « woke », qui définit les mouvements de libération des minorités afro-américaines <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/08/les-militants-woke-s-inscrivent-dans-une-histoire-longue-de-mobilisation-politique-de-la-jeunesse_6069230_3210.html">dans les années 60</a> aux États-Unis, du « wokisme », principalement utilisé par les milieux conservateurs pour (dis)qualifier les mouvements progressistes, dans leur diversité.</p>
<h2>Caricatures</h2>
<p>Souvent, les deux mouvements que sont le progressisme et le conservatisme, sont utilisés pour décrire les tendances antagonistes qui animent la <a href="https://www.revuepolitique.fr/%E2%80%AFwokisme%E2%80%AF-contre-conservatisme%E2%80%AFou-le-conflit-des-deux-cultures-dans-lamerique-actuelle/">vie politique états-unienne</a>. En France, ce progressisme, caricaturé en « wokisme », a bénéficié d’une entrée remarquable dans l’environnement médiatique suite aux prises de <a href="https://www.melty.fr/ideologie-woke-jean-michel-blanquer-veut-lutter-contre-le-wokisme-et-la-cancel-culture-a775284.html">position de Jean-Michel Blanquer</a>, ministre de l’Éducation nationale qui avait marqué les esprits au moment de la polémique autour de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/pour-jean-michel-blanquer-l-islamo-gauchisme-est-un-fait-social-indubitable_4304631.html">« l’islamo-gauchisme »</a>.</p>
<p>On remarque aussi que la polémique sur ce que l’on résume sous le terme <em>wokisme</em> a totalement écrasé celle de l’islamo-gauchisme en termes de popularité et d’étendue sur les deux dernières années</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435431/original/file-20211202-15-9t1rjw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comparaison par Google Trends entre les recherches concernant « wokisme » et « islamo-gauchisme » (pour la France, sur les douze derniers mois).</span>
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</figure>
<p>Par ailleurs, alors que l’islamo-gauchisme semblait décrire une collusion suspecte entre ce que l’on appelle « une certaine gauche », <a href="https://sysdiscours.hypotheses.org/352">notamment universitaire</a> et l’islamisme (même si l’utilisation du préfixe « islamo » laissait penser que l’islam dans son intégralité pouvait être visé), le « wokisme » dispose d’une forme de lâcheté polysémique particulièrement arrangeante : en d’autres termes, cette dernière a la particularité d’embrasser un ensemble très étendu de pratiques, de mouvements et de faits sociaux.</p>
<p>En effet, tout mouvement qui lutte pour le progrès social peut être qualifié de « woke », ce qui est commode, notamment pour les think tanks conservateurs comme Fondapol par exemple, qui, à travers une note de recherche aux prétentions objectives mais à la grille de lecture <a href="https://www.fondapol.org/etude/lideologie-woke-1-anatomie-du-wokisme">particulièrement discutable</a> – comme le rappelle par ailleurs Réjane Sénac, <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/le-wokisme-nexiste-pas-mais-il-parle-20211028_B6E7QRI5LZFN7DYULYUXV7AO7Y/">directrice de recherche au CNRS</a>, évoquant ainsi le fait que cette note de recherche participe à la construction d’une « croisade » contre un « ennemi de la République ».</p>
<h2>L’importation de la panique</h2>
<p>Ces think tanks organisent une importation des paniques morales conservatrices américaines dans l’espace politique français, afin de contrer le <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/1277">progressisme politique</a> grâce à des présupposés typiques des cercles de réflexion de la droite républicaine nord-américaine. Ce faisant, ils installent une vision conservatrice de la société et la présentation des mouvements de reconnaissance et de justice sociale comme dangereux pour l’équilibre démocratique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2cMYfxOFBBM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un reportage de Vice News (en anglais) revient sur l’affaire ayant défrayé le campus d’Evergreen.</span></figcaption>
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<p>Il y a en effet, une exception française à l’importation de la panique « wokiste », qui est calquée sur la situation politique américaine : on parle souvent du cas de <a href="https://www.marianne.net/monde/ameriques/se-soumettre-ou-etre-detruit-le-temoignage-dun-chercheur-americain-victime-du-mouvement-woke-a-luniversite-devergreen">l’université Evergreen</a> comme emblème de la prétendue menace « wokiste », ce qui permet d’utiliser un stratagème efficace de peur panique – pour le dire autrement, si cela arrive aux États-Unis (pays pourtant fort différent), cela pourrait arriver en France.</p>
<h2>Une fracture politique</h2>
<p>Le mot <em>wokisme</em> est, de manière quasiment systématique, utilisé par un spectre politique qui va de la gauche républicaine conservatrice à l’extrême droite, avec des <a href="https://aoc.media/opinion/2021/11/25/lagitation-de-la-chimere-wokisme-ou-lempechement-du-debat/">nuances diverses</a>, mais un but qui ne varie jamais : qualifier les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/decoloniaux-obsedes-de-la-race-woke-enquete-sur-les-nouveaux-censeurs_2145919.html">mouvements d’émancipation sociale</a>, de lutte pour la <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/613869/point-de-vue-rapports-interculturels-et-tyrannie-des-minorites">reconnaissance des minorités</a> ou de <a href="https://b-mag.news/cop26-glasgow-clap-de-fin-pour-la-grande-messe-du-wokisme-climatique">justice climatique</a> de ridicules, inadaptés, voire dangereux pour la République française en tant que régime politique.</p>
<p>En creux se dessine également une fracture qui n’est pas seulement générationnelle, mais politique ; c’est la manière de faire du militantisme et de lutter pour la justice sociale qui se retrouve disqualifiée par celles et ceux qui ont connu d’autres manières de porter ces combats et préfèrent les matérialiser d’abord sur le terrain purement intellectuel et médiatique, comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/franc-tireur-des-obsessions-a-perdre-la-raison-20211117_6IU5RFOK2VBCLIVGRIVU6DLTWM/">l’illustre la revue Franc-Tireur</a>.</p>
<p>Cette dichotomie illustre par ailleurs particulièrement bien une chose : si l’on comprend bien qui sont les « anti-wokistes », on ne sait jamais vraiment qui sont les « wokistes », puisque tout le monde peut l’être a priori.</p>
<h2>Une forme de gentrification des luttes sociales</h2>
<p>De ce point de vue, les « anti-wokistes » ont en fait succombé à une forme de gentrification des luttes sociales, pour reprendre ce concept hérité de la <a href="https://laviedesidees.fr/Mixite-controle-social-et-gentrification.html">géographie urbaine</a> : tout comme des quartiers populaires se retrouvent mis aux normes des classes sociales plus aisées dans l’espace urbain, les luttes populaires subissent le même sort sur le terrain intellectuel et médiatique, ce qui conduit certaines personnalités à délégitimer les combats « woke » au seul motif que la forme leur déplairait, et qu’elle ne correspondrait pas à leur modèle intellectuel de lutte sociale.</p>
<p>En France, si le « wokisme » excite les passions et stimule autant de discours alarmistes, c’est parce que ces mouvements pour le progrès social auraient pour ambition de détruire le modèle républicain – alors qu’ils ne font pas autre chose que de réclamer, au contraire, l’application de ses principes fondamentaux que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Mais il faut croire que pour certain·e·s, ces principes paraissent plus confortables dans les discours que dans les actes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172803/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Albin Wagener ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le « wokisme » dispose d’une forme de lâcheté polysémique particulièrement arrangeante : la particularité d’embrasser un ensemble très étendu de pratiques, de mouvements et de faits sociaux.Albin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1729962021-12-06T22:32:54Z2021-12-06T22:32:54ZDébat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?<p>À la faveur de la COP26, les appels à transformer l’éducation pour mieux répondre aux défis actuels se sont multipliés. C’est ainsi que les convivialistes Renaud Hétier, François Prouteau et Nathanaël Wallenhorst <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-convivialistes/blog/161121/pour-une-education-convivialiste-en-anthropocene">nous rappellent</a> « combien l’éducation peut être un outil politique de choix pour réapprendre à vivre ensemble », que François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) en <a href="https://theconversation.com/et-si-nous-faisions-des-jeunes-les-premiers-citoyens-de-la-planete-168591">appelle</a> à faire des jeunes « les premiers citoyens de la planète » et qu’un collectif d’enseignants-chercheurs <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Crise-ecologique-Leducation-permet-changer-monde-2021-11-17-1201185551">nous convie à renforcer</a> dans les programmes « l’éducation scientifique au fonctionnement du climat ».</p>
<p>Un cercle vertueux, donc, qui consiste à transformer l’éducation afin qu’elle puisse, à son tour, transformer les citoyens et le monde dans lequel nous vivons. Un monde aux prises avec les enjeux systémiques du changement climatique, de la montée des inégalités, ou encore de la crise sanitaire. Nous sommes nombreux à partager ces principes. La question est de savoir par où commencer.</p>
<h2>Enseigner dans un monde incertain</h2>
<p>Or, si l’éducation et la transmission – des connaissances, des valeurs et des savoir-faire – sont incontestablement des terrains privilégiés d’expérimentation pour faire éclore un nouveau monde, elles sont aussi aux premières loges des impasses et des incompréhensions contemporaines.</p>
<p>Nous formons les futurs citoyens dans la perspective d’en faire de bons électeurs. Or de nombreux jeunes se détournent des urnes et <a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-comment-les-jeunes-reinventent-ils-lengagement-politique-171899">trouvent d’autres moyens d’investissement politique</a>, sur les réseaux sociaux, ou dans des mouvements comme « Youth for climate ». Nous attendons d’eux qu’ils construisent l’avenir – alors que leur anxiété quant au changement climatique <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3918955">ne fait que croître</a>. Nous nous targuons de forger leur esprit critique – quand la critique à l’emporte-pièce progresse dans l’espace public. <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Debattre-vraiment-10-engagements-Croix-presidentielle-2021-09-23-1201176947">Un journal comme <em>La Croix</em></a> se voit contraint de publier un manifeste pour nous rappeler des règles aussi fondamentales que celle d’« écouter le point de vue de l’autre jusqu’au bout ». Nous prétendons leur transmettre l’amour de la démocratie – alors que nous sommes de plus en plus nombreux à douter des corps intermédiaires. On le voit, l’éducation doit être repensée dans ses objectifs, ses moyens, ses méthodes et ses contenus.</p>
<p>C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter de transmettre des savoirs de manière descendante, comme si nous savions tout, comme si le monde et les élèves n’avaient pas changé. Nous devons, au contraire, nous demander comment éduquer les nouvelles générations sur des questions mouvantes que nous avons nous-mêmes du mal à concevoir et qui sont pourtant la clef des enjeux politiques à venir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324706907530141696"}"></div></p>
<p>Quoi de plus salutaire, dans ce contexte, que de renouveler les modes de production et de transmission des savoirs dans les établissements scolaires par la pratique du débat et de la concertation ? En effet, nous avons beaucoup à apprendre de la discussion collective, tout éducateur, philosophe ou chercheur que nous sommes. Car les questions d’éthique de la recherche, des nouvelles technologies ou de la bioéthique nous plongent sans cesse dans l’incertitude.</p>
<h2>Apprendre à débattre</h2>
<p>Il s’agit de faire de l’école un terrain d’expérimentation privilégié du débat public et un laboratoire d’idées. Pour faire un débat réussi, encore faut-il prendre la parole des élèves au sérieux, leur offrir un cadre serein où chacun puisse s’exprimer librement. Cela suppose d’encadrer la démarche par une méthodologie structurée, de définir clairement les objectifs de la concertation, et de rendre publics les résultats de leurs échanges. Et surtout, il faut leur proposer une perspective concrète : élaborer une charte, concevoir une cartographie des controverses transmise à des instances officielles, soumettre des recommandations dans le processus de révision d’une loi…</p>
<p>C’est ce que nous faisons par exemple avec le <a href="https://www.espace-ethique.org/education-transmissions">programme « Transmissions »</a> de l’Espace éthique d’Île-de-France, en invitant des lycéens à participer depuis octobre à une consultation sur les <a href="https://www.espace-ethique.org/d/4088/4654">techniques d’édition du génome</a>. Celle-ci s’appuie sur une charte méthodologique, un dossier documentaire étayé et la rencontre avec des experts. Ce travail débouchera sur un rapport élaboré collectivement avec les lycéens et les étudiants et sera remis au <em>Global Citizens Assembly on genome editing</em>.</p>
<p>Cette méthodologie produit des savoirs autant qu’elle permet d’en transmettre : des compétences autour de la conduite et du déroulement d’une consultation citoyenne, mais aussi des connaissances citoyennes sur ce qui semble acceptable ou inacceptable dans les développements techniques contemporains. Ces savoirs seront précieux en vue de la préparation des prochains États généraux de la bioéthique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1316366676577923072"}"></div></p>
<p>Il existe de nombreuses autres initiatives qui vont dans ce sens comme la <a href="https://www.ccne-ethique.fr/fr/evenements/journee-de-reflexion-des-lyceens-0">journée de réflexion des lycéens</a> du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), la <a href="https://euromad.org/?page_id=980">modélisation</a> du Conseil de l’Union européenne au lycée français de Madrid, ou encore la participation de 170 enfants à la rédaction de la <a href="https://www.paris.fr/pages/une-charte-parisienne-pour-les-droits-de-l-enfant-15853">Charte parisienne des droits de l’enfant</a>.</p>
<h2>Gain d’estime de soi</h2>
<p>À l’heure où les enseignants <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/30/parler-de-la-vaccination-contre-le-covid-19-en-classe-une-gageure-pour-les-enseignants_6092793_3224.html">sont encouragés</a> par l’Éducation nationale à parler du vaccin à leurs élèves, cette forme du débat pourrait être appropriée pour envisager des réalités scientifiques, sanitaires et politiques complexes et renouer le dialogue sur des thématiques très clivantes.</p>
<p>Selon Karine Demuth-Labouze, maître de conférences en biochimie et bioéthique à l’Université Paris-Saclay, cette méthode éducative par la contribution effective des élèves au débat public cumule de <a href="https://www.espace-ethique.org/sites/default/files/rapport_definitif_pgdg_-_kdl.pdf">nombreux avantages</a>, du gain de « maturité intellectuelle » » au « un gain d’estime de soi » :</p>
<blockquote>
<p>« Les lycéens ayant suivi la formation ont majoritairement considéré que celle-ci avait influencé leur manière de réfléchir. […] 86 % d’entre eux ont eu des discussions éthiques avec leur entourage (parents, fratrie, famille proche et camarades) en marge de la formation. Enfin, 48 % pensent avoir envisagé au moins une situation ou une problématique sous l’angle du questionnement éthique depuis le début de la formation ».</p>
</blockquote>
<p>Mais pour mener à bien ce type de démarche, encore faut-il y être encouragé, avoir le temps de mettre en œuvre des projets à l’interface entre les établissements scolaires et les acteurs de la société civile, redéfinir la posture de l’enseignant pour susciter les questionnements. En bref, créer des institutions et des établissements scolaires accueillants et ouverts à la parole des élèves.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172996/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Claeys est responsable du débat public et de la communication à l'Espace éthique Île-de-France.</span></em></p>L’apprentissage du débat et sa pratique ouvrent des perspectives pour repenser la transmission des connaissances. Exemples.Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable de la médiation à l'Espace éthique Île-de-France, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1714472021-12-05T17:14:36Z2021-12-05T17:14:36ZDébat : Quand la jeunesse interroge le vivre-ensemble<p>En France, les jeunes générations ont grandi durant des années marquées par des crises si régulières que l’on peut raisonnablement penser que le terme « crise » ne doit plus désigner une simple rupture entre deux périodes supposées stables (le « monde d’avant » et le « monde d’après ») mais un âge en tant que tel, fait d’incertitudes, et de fragmentations, questionnant les jeunes sur le type de société qu’ils auront à cœur de construire.</p>
<p>Au-delà des données, nombreuses, qui décrivent les situations de fragilité objectives de certaines fractions de la jeunesse, notamment peu diplômées, voire marginalisées, la voix des jeunes est peu donnée à entendre. À l’aube de ce rendez-vous électoral majeur que sont les présidentielles de 2022, nous avons donc souhaité les écouter, pour comprendre comment ils envisagent le vivre-ensemble.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-covid-171165">« Une jeunesse, des jeunesses » : peut-on vraiment parler de « Génération Covid » ?</a>
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<p>Cette jeunesse est inquiète des lacérations du lien social et son rapport à la globalisation est ambigu. Elle se montre désireuse d’inscriptions électives fortes et semble plus que jamais en quête d’un récit qui pourrait rendre les Français solidaires, par-delà leurs divisions. C’est à l’exploration de ces tiraillements que notre ouvrage <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-une_jeunesse_crispee_le_vivre_ensemble_face_aux_crises_globales_vincenzo_cicchelli_sylvie_octobre-9782343238807-71332.html"><em>Une jeunesse crispée. Le vivre-ensemble face aux crises globales</em></a> est consacré. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur un corpus de 54 entretiens semi-directifs auprès de jeunes franciliens de 18 ans à 30 ans, recrutés au cours de deux vagues d’enquête (en décembre 2018 et mai 2019) et représentant des milieux sociaux variés : 24 % sont issus des classes supérieures, 30 % des classes moyennes et 46 % des classes populaires.</p>
<h2>Entre ouverture sur le monde et ancrage dans la nation</h2>
<p>La diffusion d’une forte norme d’ouverture dans les jeunes générations fait écho à leurs mobilités croissantes. <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2021-2-page-9.htm">Leurs consommations</a> et <a href="https://journals.openedition.org/lectures/22655">leurs références</a> se sont également internationalisées. En revanche, dans le domaine du vivre ensemble, aucun support institutionnel post-, inter-, supranational (tels l’ONU, la Commission européenne) n’a été en mesure de faire du cosmopolitisme éthico-politique un récit attractif, susceptible de l’emporter sur celui de la nation.</p>
<p>La jeunesse française peut ainsi avoir des <a href="https://www.ceped.org/fr/Actualites/vient-de-paraitre/article/vincenzo-cicchelli-et-sylvie-2734">imaginaires culturels globaux</a> étendus, elle peut même adopter des engagements transnationaux, comme on le voit par les mobilisations aux quatre coins de la planète au nom de la liberté d’expression, de la <a href="https://theconversation.com/ces-trois-jeunesses-qui-se-mobilisent-pour-le-climat-113297">défense de l’environnement</a> ou encore la lutte contre les discriminations. Il n’en reste pas moins que son expérience immédiate du lien social est profondément ancrée dans une réalité structurelle (infra)nationale qui façonne sa conception du vivre ensemble et son rapport à l’autre.</p>
<p>D’autre part, cette norme d’ouverture est très diversement perçue selon les classes sociales : les jeunes les plus diplômés auront plutôt tendance à tenter d’en faire un horizon d’opportunités, tandis que les jeunes ouvriers, qui ont subi une forte détérioration du marché de l’emploi depuis 50 ans (avec l’apparition de statuts dérogatoires au droit du travail au nom des politiques publiques d’insertion des jeunes, comme l’intérim, le CDD, le contrat d’insertion), vivent plutôt la tentation du repli.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1319013767909343239"}"></div></p>
<p>Les sociétés occidentales, dont la France, se trouvent à un moment charnière de leur histoire : le modèle issu des équilibres économiques, politiques, culturels, idéologiques et sociaux de l’après-guerre s’essouffle. Les lignes de tensions sont nombreuses : montée des inégalités ressenties et observées (dont le mouvement des <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quest-ce-que-cest-108213">« gilets jaunes »</a> a été une traduction majeure), questions récurrentes adressées à la laïcité, tant à son interprétation qu’à sa place dans le pacte républicain, développement de modes d’action politique qui s’émancipent des logiques représentatives (sur l’Internet, mais aussi dans la rue).</p>
<p>La conception républicaine de la citoyenneté est ainsi épinglée par la critique décoloniale de l’universalisme. Le pacte intégrateur échoue face à la reproduction des exclusions. L’idéologie méritocratique se fissure face aux preuves de la reproduction des élites. Le libéralisme des mœurs est confronté à de nouveaux conservatismes. Quant au choix français d’inscrire la nation dans une vision civique, liée à l’exercice de droits, il semble remis en question par la montée en puissance d’une lecture plus identitaire de l’appartenance, dans laquelle la culture (langue, mœurs, religions) et le récit historique (les racines partagées ou pas) sont centraux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Les jeunes s’interrogent, dans ce contexte, parce que leur vulnérabilité est le symptôme de mutations profondes de nos sociétés. Frappés par les crises globales, divisés par des fractures nouvelles, ils ne se reconnaîtraient plus totalement dans les valeurs de notre société tout en devant y trouver leur place.</p>
<h2>Comment dire ses crispations</h2>
<p>En faisant le choix de rendre la parole aux jeunes sur leur manière d’envisager le vivre ensemble en France, nous avons cherché à susciter leur réflexivité. Au-delà de l’identification de leurs formes de repli sur soi, il s’agit de saisir les agacements (parfois vifs), les irritations (parfois douloureuses), pouvant se muer en amertumes et ressentiments, bref leurs zones de crispations.</p>
<p>Si la jeunesse française ne s’est jamais autant méfiée du politique, ni autant désinvestie des canaux traditionnels de la participation, elle n’est pas moins fortement consciente des enjeux du vivre ensemble dont elle loue ou critique les forces et les faiblesses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1461611754828541953"}"></div></p>
<p>Certes, leurs discours doivent beaucoup aux matrices idéologiques qui informent les débats sociaux, à l’état des rapports de force entre partis politiques et au champ des disputes intellectuelles, ainsi qu’aux capacités des médias à imposer tant les thèmes que le tempo des débats, en intervenant sur les sens à donner à une sélection d’évènements nationaux et internationaux. Pourtant, les opinions des jeunes ne sauraient se réduire à une caisse de résonance de débats sociétaux tout faits.</p>
<p>Si les jeunes appartiennent bien à une génération qui semble à la fois en retrait de la participation militante stricto sensu (avec une baisse de l’engagement dans les partis et syndicats), ils sont fortement concernés par les questions politiques au sens large. Cette enquête confirme une réinvention de leur participation, une tentative de réenchanter la citoyenneté en <a href="https://injep.fr/publication/generations-desenchantees-jeunes-et-democratie/">faveur d’une démocratie directe</a>, plus juste et plus efficace.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Inquiète des lacérations du lien social, la jeunesse entretient un rapport ambigu à la globalisation. Présentation d’une enquête qui revient sur ces points de crispation.Vincenzo Cicchelli, Maître de conférences en sociologie, Université Paris CitéSylvie Octobre, Chercheure, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1705772021-11-11T16:23:30Z2021-11-11T16:23:30ZCrise UE-Pologne : le retour du politique<p>La décision du Tribunal constitutionnel polonais selon laquelle la Constitution nationale doit <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/07/pologne-le-tribunal-constitutionnel-juge-une-partie-des-traites-europeens-incompatible-avec-la-constitution-polonaise_6097514_3210.html">primer sur le droit européen</a> est apparue comme un coup de semonce porté à l’édifice juridique européen et a déclenché une série de débats.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/derriere-la-crise-polono-europeenne-une-vraie-interrogation-democratique-170039">Derrière la crise polono-européenne, une vraie interrogation démocratique</a>
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<p>La <a href="http://infosdroits.fr/la-hierarchie-des-normes-dans-le-systeme-juridique-francais-principe-bloc-constitutionnel-legislatif-reglementaire-actes-conventionnel/">hiérarchie des normes</a> semblait acquise à partir du moment où un État adhérait à ce nœud de traités qu’est l’Union européenne (UE) : le droit national en conflit avec le droit européen devait céder. La <a href="https://curia.europa.eu/jcms/jcms/Jo2_6999/fr/">Cour de justice de l’Union</a> (CJUE) était la gardienne scrupuleuse de la solidité des liens juridiques unissant les différentes composantes de cet ensemble. Mais en revenant sur ce postulat, le Tribunal polonais a pris une décision très politique.</p>
<p>Celle-ci est apparue d’autant plus choquante aux yeux des observateurs que le gouvernement de Varsovie est considéré par plus d’un comme <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/letat-de-droit-en-pologne-et-en-hongrie-un-defi-pour-leurope">autoritaire et malmenant l’État de droit</a>.</p>
<p>Le débat possible sur les rapports entre le droit national et le droit européen a donc été rendu inaudible, car il a été placé à des niveaux qui faisaient de la discussion quelque chose d’impossible à tolérer. Pour certains, l’affaire était trop grave : l’État de droit, <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/europe/detail_voici-comment-la-pologne-menace-la-stabilite-europeenne-par-le-biais-de-la-justice?id=10846717">et même l’avenir de l’Union</a> étaient en jeu. La décision polonaise devait donc absolument être revisée.</p>
<p>La question devenait dès lors « comment faire plier ce gouvernement ? » Or, comme la <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-union-europeenne-a-l-epreuve-de-l-impuissance-politique-817361.html">capacité de l’Union à faire appliquer</a> certaines de ses décisions est aussi puissante que celle de la <a href="https://www.sudouest.fr/redaction/le-cercle-sud-ouest-des-idees/l-039-impuissance-de-la-societe-des-nations-2067287.php">Société des Nations en son temps</a>, c’est-à-dire nulle, il n’y avait que <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-pologne-et-la-hongrie-suspendues-aux-fonds-europeens-20211018">l’arme économique</a> et celle des fonds promis au titre du plan de relance <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/279587-en-quoi-consiste-le-plan-de-relance-next-generation-ue">« EU Next generation »</a> qui pouvaient peut-être faire plier Varsovie.</p>
<p>Que l’Union doive recourir à pareille menace en dit long sur l’état de dégradation des rapports politiques en son sein.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pologne et UE : la Commission européenne menace de geler les aides allouées à Varsovie (France 24, 19 octobre 2021).</span></figcaption>
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<p>Pour d’autres, acquis à un certain souverainisme et prêts à oublier les <a href="https://fr.euronews.com/2020/10/07/pologne-bataille-pour-la-defense-de-l-etat-de-droit">atteintes à l’État de droit</a> orchestrées par le gouvernement polonais, la Pologne était libre de ses choix, et c’est le droit européen qui devait céder. Peu importe la nature des décisions prises, la démocratie impliquait un renversement dans la hiérarchie des normes.</p>
<p>Le débat impossible prend ainsi une nouvelle fois place, avec l’opposition supposée entre, d’un côté, le camp du droit et du bien et de l’autre, le camp du souverainisme arc-bouté, nationaliste et, dans le fond, condamnable. La pensée binaire avait encore une fois frappé.</p>
<p>L’UE est pétrie de paradoxes : projet politique, elle s’est construite sur la méfiance envers le politique et a voulu le museler par le droit et l’économique.</p>
<p>Désormais, le politique revient à la charge sous différentes formes, illustrant à sa manière la <a href="https://www.republicain-lorrain.fr/france-monde/2018/04/07/le-populisme-se-leve-a-l-est-et-se-repand-a-l-ouest">théorie du frigo</a> de <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/cerispire-user/7174/674">Jacques Rupnik</a>. Ce dernier, en analysant <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1997_num_28_1_2839">l’éclatement du fédéralisme yougoslave</a>, l’expliquait par des conflits conservés au réfrigérateur pendant l’ère de <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Josip_Broz_dit_Tito/146915">Tito</a>, mais au prix d’un pourrissement inquiétant. L’Union européenne, sans basculer dans la guerre civile, expérimente elle aussi les retours d’un politique trop longtemps endigué.</p>
<h2>Le politique saisi par le droit</h2>
<p>Le projet européen se voulait un projet politique dont l’arc allait du <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271592-leurope-modele-de-paix-structurelle">rétablissement de la paix</a> sur le continent à la <a href="https://journals.openedition.org/framespa/10299">lutte contre le communisme</a>.</p>
<p>Il est l’enfant de <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/divers/Peres_de_l_Europe.pdf">l’Europe vaticane</a> des années 1950, un projet chrétien-démocrate qui s’est pensé aussi bien contre le keynésianisme que contre le socialisme et, surtout, le communisme.</p>
<p>Le projet était très largement fondé sur l’idée que des solidarités successives de nature économique débordant sur d’autres domaines donneraient naissance à quelque chose d’hybride qui ne serait ni <a href="https://www.toupie.org/Dictionnaire/%C3%89tat-nation.htm">État-nation</a>, ni Empire, mais une sorte de fédération des nations.</p>
<p>En réalité, le projet s’est construit sur la méfiance à l’égard du politique, visant à l’enserrer, le limiter et le placer sous la férule du marché et du droit (<a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/89/le-cadre-de-l-union-europeenne-pour-les-politiques-budgetaires">lois budgétaires encadrées</a>, gestion de la monnaie confiée à une <a href="https://www.ecb.europa.eu/ecb/html/index.fr.html">banque centrale indépendante</a>, ordre juridique émanant de la concurrence libre et non faussée…). Le politique étant assimilé à la guerre, au nationalisme ou encore aux préjugés, il ne pouvait qu’inspirer la défiance.</p>
<p>Mais il ne s’est pas seulement agi de l’encadrer. Il s’est aussi agi de se substituer à lui, et d’imaginer ses intentions. C’est ici que la CJUE entre en scène, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782749535852-europe-la-grande-liquidation-democratique-frederic-farah/">comme je l’indique dans mon livre</a> : sa méthode d’interprétation du droit poursuit des objectifs de nature politique. Elle considère que le droit ne doit pas être strictement appliqué, mais appréhendé de façon extensive, dans le cadre des objectifs implicites contenus dans les traités : en cas de litige, l’interprétation du droit doit toujours privilégier un supposé « esprit des traités », impliquant le renforcement de l’intégration supranationale.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Pologne et l’Union européenne s’affrontent avant tout sur le terrain du droit malgré le fond politique de leur opposition.</span></figcaption>
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<p>Les prérogatives accordées au juge lui donnent donc un pouvoir presque constituant, puisqu’il lui appartient de combler les lacunes supposées du droit communautaire.</p>
<p>On voit donc bien là comment le juridique est censé guider et soumettre le politique.</p>
<h2>L’UE ou l’art du paradoxe : défense de l’État de droit et méfiance à l’égard de la démocratie</h2>
<p>La méfiance à l’égard du politique s’est parfois transformée en dérive antidémocratique. Cela, moins pour les raisons habituellement évoquées (Parlement européen faiblement doté de pouvoirs, technocratie omnipotente) que du fait d’une sorte de suspicion de la part des autorités européennes vis-à-vis de ce qui pouvait sortir des urnes nationales.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/01/25/grece-victoire-historique-du-parti-de-gauche-radicale-syriza_4563125_3214.html">L’élection d’Alexis Tsípras</a> en Grèce avait ainsi été accueillie par la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/01/28/01003-20150128ARTFIG00490-jean-claude-juncker-la-grece-doit-respecter-l-europe.php">surprenante sortie</a> de Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne, qui avait affirmé qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».</p>
<p>L’UE, qui se veut le parangon de l’État de droit, exige son respect de la part des nations européennes pour obtenir une <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20366-quelles-sont-les-conditions-et-les-modalites-dadhesion-lue">adhésion</a> ou, pour ses membres, des fonds dans le cadre de son plan de relance. Mais, dans le même temps, elle n’hésite pas à vider la démocratie de l’intérieur ou en rend l’exercice compliqué.</p>
<p>Il faut se souvenir combien, dans les pays du Sud durant les années 2011 et suivantes, il a été difficile de former des majorités, car les choix des citoyens risquaient d’être incompatibles avec les règles européennes. Que l’on se remémore, à cet égard, la <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/portugal-le-president-impose-un-gouvernement-de-droite-516381.html">difficile accession</a> du bloc des gauches au Portugal, le <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/05/en-espagne-les-questions-qui-compliquent-la-formation-d-une-coalition_4860367_3214.html">fonctionnement récent</a> de la démocratie espagnole ou les nouveaux rôles des présidents italiens, comme Giorgio Napolitano ou Sergio Matarella, grands ordonnateurs de gouvernements européistes.</p>
<h2>Le paradoxe économique : quand l’économique capture le politique</h2>
<p>L’autre paradoxe vient de l’économie. Cette dernière devait donner naissance à du politique, mais le marché a finalement capturé le politique.</p>
<p>Les politiques économiques non coopératives <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/1-98.pdf">l’ont emporté</a>, et la recherche de la compétitivité a fait oublier que l’Union européenne était, au départ, une communauté de partenaires et pas uniquement de concurrents.</p>
<p>La logique de la libre circulation des capitaux et l’affirmation de la logique concurrentielle ont autonomisé la sphère économique, qui est devenue centrale dans le projet européen. L’objectif désormais était la mise en œuvre de réformes structurelles affectant la protection sociale et le marché du travail. De plus en plus de domaines économiques, comme la politique commerciale, sont ainsi soustraits de la délibération collective.</p>
<p>En somme, les paradoxes traversant l’organisation juridique et économique de l’Union en font non seulement un lieu de développement des travers les plus inquiétants de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2003-1-page-181.htm">seconde mondialisation</a> (la mondialisation financière, débutée à la fin des années 1970) à travers les possibilités de concurrence déloyale (dumping social et fiscal) qu’ils ouvrent, mais nourrissent aussi les contestations.</p>
<p>Cet arrière-plan met à mal <a href="https://www.cairn.info/l-economie-europeenne-2018%E2%80%939782707198778-page-18.htm">certains piliers</a> sur lesquels repose l’adhésion des citoyens à l’UE et participe à l’intensification de la fréquence à laquelle l’Union rencontre des crises depuis 2010 (la crise dite grecque, la crise migratoire, les tensions à l’est, etc.). Ce faisant, la contestation de l’ordre européen, ne pouvant s’opérer sur un terrain politique cadenassé, s’est déportée dans les domaines économique et juridique.</p>
<p>Que l’on songe déjà au Brexit : le Royaume-Uni avait fait du retour à la supériorité au droit britannique sur celui de l’Europe une <a href="https://publiclawforeveryone.com/2016/06/23/vote-leave-take-control-sovereignty-and-the-brexit-debate/">pierre angulaire de sa sortie</a>. Et dans l’ordre économique, les pays d’Europe centrale et orientale <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/16-1-amis-europeens-Chine-conclave-Dubrovnik-2019-04-10-1201014702">cédaient</a>, ces dernières années, au contre-projet de mondialisation chinois, les nouvelles routes de la soie. Mais le politique prend désormais d’autres visages.</p>
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<figcaption><span class="caption">Peut-on concilier droit européen et souveraineté nationale ? (Arte, 19 octobre 2021).</span></figcaption>
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<h2>Les différents visages du retour du politique</h2>
<p>Il y aurait tout un nuancier à explorer pour observer le retour du politique dans la contestation contre l’UE.</p>
<p>Il est revenu de manière inquiétante lors de la crise dite grecque, durant laquelle les préjugés à l’égard des pays du sud ont prospéré un peu partout. Le nationalisme que l’Europe avait combattu depuis sa création revenait sous la forme d’un racisme décomplexé. Souvenons-nous de certains <a href="https://www.lejdd.fr/International/UE/Valerie-Robert-specialiste-des-medias-allemands-La-presse-allemande-a-traite-la-Grece-avec-un-ton-hautain-et-condescendant-741508">titres de journaux allemands</a> ou encore des sorties de l’ancien président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, parlant de la <a href="https://www.france24.com/fr/20170322-dijsselbloem-eurogroupe-finance-polemique-femme-alcool-schnaps-sud-europe">préférence des habitants du sud pour l’alcool et les femmes</a>.</p>
<p>Mais le politique n’a pas cessé d’exister dans les pays forts et dominants du continent, comme l’Allemagne qui, d’une part, adhérait à l’ordre économique et juridique européen, mais, de l’autre, disposait d’une Cour constitutionnelle <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/453#tocto1n3">ne cédant pas d’un pouce sur la souveraineté allemande</a>, exigeant que l’Allemagne puisse toujours <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2013-2-page-61.htm ?contenu=resume">décider par soi-même et pour soi-même</a>.</p>
<p>La Pologne, sans détenir la même puissance – et peu importent ses motifs – voulait à son tour faire valoir la possibilité d’imposer son ordre juridique national et a porté la contestation là où le Royaume-Uni l’avait fait avant elle : sur le terrain du droit. En faisant prévaloir son droit sur celui de l’Europe, elle n’est pas le héraut de la démocratie retrouvée de demain qui reconquiert fièrement sa souveraineté, mais le signe supplémentaire de la décomposition d’un ordre européen fondé sur le droit et le marché.</p>
<p>La déconstruction européenne continuera d’emprunter les chemins du droit, d’autant plus que les sujets clés à venir sont à haute teneur juridique : gestion des flux migratoires, dumping social, fiscal, normes techniques, sanitaires, phytosanitaires. La Pologne poursuit le travail britannique et l’Union européenne n’a rien d’autre à offrir. Elle est en panne d’imaginaire et a montré que face aux enjeux de nos économies, elle apparaît confuse, contradictoire et exacerbe les tensions plus qu’elle ne parvient à les résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Farah travaille pour/conseille/
la fondation respublica reconnue d'utilité publique, pour le media Elucid, media en ligne, collabore en tant que pigiste à l'hebdomadaire Marianne </span></em></p>Au-delà des points de vue sur l’autoritarisme polonais, il faut se saisir du conflit entre le pays et l’UE pour se poser la question de la place du politique et de la démocratie au sein de l’Union.Frédéric Farah, Professeur de sciences économiques et sociales, chercheur affilié au laboratoire PHARE, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703132021-10-28T19:00:56Z2021-10-28T19:00:56ZDébat : « Lady Sapiens », un nouveau stéréotype des femmes préhistoriques?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429044/original/file-20211028-22-1pbnqsq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=69%2C25%2C2359%2C1478&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image extraite de la bande-annonce du jeu viséo "Lady Sapiens".</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=0lBd2rMU3cg&t=1s&ab_channel=Francetvlab">Youtube</a></span></figcaption></figure><p>L’idée que la femme paléolithique aurait été rabaissée par des siècles de préjugés misogynes constitue de nos jours une source d’inspiration inépuisable. La dernière œuvre dans cette veine, <em>Lady Sapiens</em>, qui réunit un jeu vidéo, un documentaire et un <a href="https://www.arenes.fr/livre/lady-sapiens/">livre</a>, bénéficie d’un large écho médiatique.</p>
<p>À première vue, pour toute personne soucieuse de l’émancipation féminine et de la promotion de la connaissance scientifique, il n’y a là que des motifs de réjouissance. Pourtant, <em>Lady Sapiens</em> véhicule une image des femmes de la préhistoire entachée de nombreux biais, en restituant ce qui apparaît bien davantage comme un fantasme contemporain <a href="https://www.lemonde.fr/blog/huet/2021/10/11/lady-sapiens-stereotype-feminin-prehistorique-conteste/">que l’état réel de la connaissance scientifique</a>. La femme paléolithique est ainsi dépeinte sous les traits d’une <em>working woman</em> émancipée, choisissant ses partenaires, contrôlant sa fécondité, accédant peu ou prou aux mêmes activités que les hommes et exerçant une influence sociale sur un pied d’égalité avec eux. Pour parvenir à ce résultat, l’exposé s’emploie à écarter tous les éléments qui pourraient suggérer ne serait-ce que la simple possibilité de la domination masculine.</p>
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<h2>Une présentation biaisée : la division sexuée du travail</h2>
<p>Ainsi, la division sexuée du travail, qui constitue une dimension essentielle de cette domination masculine, est présentée comme faible voire absente dans les premières sociétés européennes d’<em>Homo sapiens</em>, entre 40 000 et 12 000 ans. <em>Lady Sapiens</em> insiste donc sur l’idée que les femmes chassaient de petits animaux et qu’elles participaient aux chasses collectives, ce qui est tout à fait vraisemblable. Toutefois, ainsi que le démontre l’observation de l’ensemble des chasseurs-cueilleurs connus en ethnologie, ce fait n’empêchait nullement les femmes d’être l’objet d’une série d’interdits d’une constance remarquable : celles-ci sont en effet presque universellement exclues du maniement des armes tranchantes ou perçantes. Hormis les Agta des Philippines, <a href="http://www.alaintestart.com/essai_div_sex.htm">aucune population de chasseurs-cueilleurs connue n’a jamais permis aux femmes de manier lances et arcs</a> et d’intervenir ainsi dans la mise à mort sanglante du gros gibier. Il y a donc un biais à prendre précisément ce peuple en exemple… en omettant de préciser <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/pdf/12001">qu’il se procurait ses produits végétaux auprès d’agriculteurs voisins, et qu’il était donc tout entier spécialisé dans l’acquisition de viande</a>.</p>
<p>Le traitement des informations archéologiques procède du même déséquilibre. Si l’enquête est ardue en raison d’un nombre très réduit de squelettes, une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03147057/document">étude datant d’une dizaine d’années</a> a montré que les coudes droits masculins – et eux seuls – portaient la trace de jets répétés, ce qu’il est aisé d’interpréter par un parallèle avec les observations ethnographiques où les armes lancées, à l’aide d’un propulseur par exemple, sont maniées par les hommes.</p>
<p>Les auteurs de <em>Lady Sapiens</em> mentionnent certes cette étude… mais c’est pour aussitôt porter au pinacle une <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abd0310">découverte faite il y a un an</a>, qui aurait prouvé que « certaines femmes du Paléolithique supérieur, à l’égal des hommes, ont lancé des armes pour mettre à mort le gros gibier » (p. 235).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Female Hunters of the Early Americas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sciences Advances, 2020, vl. 6, n°45, Matthew Verdolivo/UC Davis IET Academic Technology Services</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pourtant, l’unique cadavre féminin découvert au Pérou, enterré avec des armes de chasse, n’a pu être sexué qu’avec une probabilité d’environ 80 %, un chiffre bien inférieur au seuil de confiance normalement requis, à savoir 95 %. Quant à l’affirmation des découvreurs selon laquelle 30 % à 50 % des chasseurs de l’Amérique ancienne étaient des chasseresses, elle repose sur un échantillon de seulement 27 individus parmi lesquels les données de 4 squelettes, dont 3 féminins, sont jugées fiables par les auteurs eux-mêmes. Une saine attitude scientifique imposerait donc qu’une étude prétendant, sur la base d’indices aussi ténus, dévoiler une réalité en rupture avec l’ensemble des observations ethnologiques soit accueillie avec la prudence qu’elle mérite.</p>
<p>Toujours concernant la division sexuée du travail, d’autres éléments évoqués ressortent de conclusions tout aussi hâtives. Ainsi, ces parures de la culture de l’Aurignacien, il y a environ 37 000 ans, dont la réalisation est attribuée aux femmes sur l’unique base de la petitesse des perles en ivoire qui les composaient. Il en va de même des célèbres mains négatives apposées sur les parois des grottes, et <a href="https://www.hominides.com/html/actualites/mains-prehistoire-realisees-par-des-femmes-0762.php">qui furent attribuées à des artistes féminins</a> sur la base de l’indice de Manning, basé sur les proportions entre les doigts [Illustration 2]. Or <a href="https://blogs.univ-tlse2.fr/palethnologie/wp-content/files/2013/fr-FR/version-longue/articles/FOR3_Bruzek-etal.pdf">l’anthropologie médico-légale a depuis lors montré</a> que celui-ci ne pouvait être considéré comme une méthode sûre pour discriminer le sexe des empreintes de mains en art pariétal.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Main négative et ponctuations de la grotte du Pech Merle (Lot), culture dite du Gravettien, Paléolithique récent/</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Rapt des femmes et polygamie</h2>
<p>Lorsque le livre <em>Lady Sapiens</em> évoque une possible domination masculine, c’est sous deux angles essentiels : celui de la polygamie et du rapt des femmes. On lit ainsi que le rapt des femmes « ne répond probablement pas à une réalité anthropologique » (p. 88). Une intervenante concède néanmoins qu’il a pu être observé, tout en en minimisant la portée.</p>
<p>En réalité, le rapt des femmes est une des réalités les plus banales de l’ethnologie. <a href="https://www.editionselytis.com/product-page/narcisse-pelletier-la-vraie-histoire-du-sauvage-blanc">Il a été amplement documenté dans les populations de chasseurs-cueilleurs</a>, et traduit l’existence de droits unilatéraux des hommes sur les femmes.</p>
<p>Quant à la polygamie, on lit que « l’ethnographie des chasseurs-cueilleurs nous enseigne que la forme de relation privilégiée est la monogamie. C’est ce qui convient le mieux à une société où l’on ne peut pas être trop nombreux… » (p. 90). Cette manière de présenter les choses est pour le moins très orientée. <a href="https://d-place.org/contributions/EA">Une écrasante majorité des sociétés de chasse-cueillette autorise la polygamie</a> – parfois à des degrés très élevés – et presque toujours, en la réservant aux seuls hommes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une famille Mangaridji (Australie), photographiée en 1912 par B. Spencer. L’homme, au centre, possédait au moins six femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Hiatt, Arguments about Aborigines, p. Cambridge University Press, 1996, p. 74</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>La domination masculine oubliée</h2>
<p>Une fois minimisés ou écartés les éléments qui précèdent, les auteurs décrivent <em>Lady Sapiens</em> comme « une femme d’action », qui était possiblement une « femme de pouvoir » (p. 203). Les femmes du Paléolithique bénéficiaient donc d’un « statut privilégié » (p. 203) – selon le documentaire, elles étaient « respectées, honorées, vénérées ».</p>
<p>Or, la question essentielle demeure celle de la domination masculine, observée dans la grande majorité des sociétés humaines. Cette domination s’exprime avec une vigueur toute particulière en matière de droits matrimoniaux et sexuels, le mari pouvant à sa guise prêter ou répudier sa femme, tandis qu’elle ne disposait d’aucune espèce de droit équivalent. Dans bien des sociétés, <a href="http://smolny.fr/product/le-communisme-primitif-nest-plus-ce-quil-etait">elle était de surcroît légitimée par une religion dont les secrets étaient interdits aux femmes</a>.</p>
<p>Pas un mot n’est dit sur ces coutumes, et donc sur la possibilité qu’elles remontent, sous une forme ou sous une autre, jusqu’à cette époque. On aurait beau jeu d’arguer l’absence de traces archéologiques : les droits sexuels ou matrimoniaux inégaux ne laissent aucune empreinte matérielle. En elle-même, l’absence d’indices archéologiques directs de la domination masculine ne permet donc aucune conclusion.</p>
<p>En fait, le message véhiculé par <em>Lady Sapiens</em> est qu’une femme impliquée « dans de nombreuses activités du quotidien, indispensables à la survie des siens » (p. 203) ne saurait être infériorisée. C’est pourtant là une vision démentie par toute l’histoire des dominations de genre et, au-delà, de l’exploitation du travail. Il n’est qu’à regarder notre propre société pour faire le constat qu’effectuer un travail utile n’est nullement un gage de reconnaissance, et encore moins de puissance sociale.</p>
<p>Le récit que tisse <em>Lady Sapiens</em> met en scène une version modernisée du mythe du matriarcat primitif où ce serait l’activité productive des femmes qui aurait assuré l’égalité des sexes. En réalité, dans la mesure où les lacunes de la documentation archéologique peuvent être éclairées par les observations ethnologiques, il est vraisemblable que les sociétés des <em>sapiens</em> du Paléolithique récent étaient marquées tant par la division sexuée du travail que par des niveaux plus ou moins élevés de domination masculine. Prétendre le contraire a sans aucun doute quelque chose de séduisant. Mais pour la science comme pour l’émancipation des femmes, les théories les plus séduisantes ne sont pas nécessairement les plus justes et, par conséquent, les plus utiles.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit avec la contribution de Fanny Bocquentin, Bruno Boulestin, Dominique Henry-Gambier, Jean‑Loïc Le Quellec, Catherine Perlès et Priscille Touraille</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Lady Sapiens véhicule une image des femmes de la préhistoire entachée de nombreux biais, dans ce qui apparaît comme un fantasme contemporain plutôt que l’état réel de la connaissance scientifique.Anne Augereau, Protohistorienne, spécialiste du Néolithique et de l'évolution de l'outillage., Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)Christophe Darmangeat, Maître de conférences (HDR), Université Paris CitéNicolas Teyssandier, Chargé de recherche CNRS, Préhistorien, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1681612021-10-04T18:46:55Z2021-10-04T18:46:55ZDébat : Revoir les règles de Parcoursup pour améliorer l’orientation des lycéens<p>En ces temps de rentrée universitaire, les bacheliers qui franchissent pour la première fois la porte d’un cours en amphi ou de travaux dirigés ont un point commun : pour s’inscrire en licence, tous sont passés par la procédure Parcoursup, qui recueille au printemps les vœux d’orientation des lycéens et distribue les places disponibles dans les différentes filières de l’enseignement supérieur.</p>
<p>C’est en 2018 que Parcoursup a remplacé la système Admission Post-Bac, en bute à de multiples critiques, suite au <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170717.OBS2189/admission-post-bac-la-fin-du-calvaire-du-systeme-de-tirage-au-sort.html">tirage au sort</a> à l’entrée de certaines formations très demandées. Mais les premières sessions de cette nouvelle plate-forme ont été mouvementées également, et la procédure taxée d’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/18/parcoursup-un-systeme-opaque_5333082_3232.html">opacité</a>. La situation a-t-elle évolué en 2021 ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1399738817523900423"}"></div></p>
<p>D’après le bilan publié par le ministère, les choses rentreraient peu à peu dans l’ordre, <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid159456/parcoursup-fin-de-la-procedure-2021.html">« seuls » 239 candidats n’ayant pas trouvé chaussure à leur pied</a>, cette année, soit presque deux fois moins qu’en 2020. Cependant, ce chiffre de 239 correspond aux candidats qui sont toujours accompagnés par une commission d’accès à l’enseignement supérieur fin septembre. Une aide que tous les déçus n’ont pas forcément sollicitée. Et, d’après un <a href="https://www.parcoursup.fr/tdb-indicateurs/Tableau_de_bord_Admission_2021-07-16.pdf">tableau de bord</a> publié en juillet, plus de 22 000 lycéens et 8 291 étudiants en demande de réorientation auraient quitté la procédure sans y avoir eu la moindre proposition.</p>
<p>D’autre part, même parmi les jeunes qui ont décroché une inscription, un certain nombre ont témoigné de leur désarroi face à la longue attente qu’ils ont vécue entre l’enregistrement de leurs vœux et la confirmation de leur admission. Il importe donc de se pencher sur la « non hiérarchisation » des vœux par les candidats, présentée comme une différence avec Admission Post-Bac susceptible de régler les problèmes d’affectation. Peut-elle tenir ses promesses ?</p>
<h2>Une procédure « non manipulable » ?</h2>
<p>Revenons à la situation de départ. Il y a un certain nombre de bacheliers donné, un certain nombre de places dans les formations du supérieur, il convient alors d’affecter ces candidats à ces places. D’un côté, les candidats ont des projets, ou du moins des préférences, de l’autre côté les formations ont des critères d’admission. Pour résoudre cette problématique, Parcoursup s’appuie sur un algorithme.</p>
<p>Pour comprendre comment celui-ci fonctionne, il faut se pencher d’abord sur le modèle qui précédait Parcoursup : celui d’Admission Post-Bac (APB), qui s’appuie sur un système d’affectation obéissant à la <a href="http://pareto.uab.es/jmasso/pdf/DubinsFreedmanAMM1981.pdf">procédure Gale-Shapley</a>. Un système déjà expérimenté dans les années 1950 aux États-Unis pour affecter les internes en médecine aux hôpitaux du pays, en fonction des choix de chacun.</p>
<p>David Gale et Lloyd Shapley, mathématiciens, imaginèrent une procédure à la fois équitable, juste, non-manipulable et efficace, qu’ils comparent avec la constitution de mariages « stables ». Pour arriver à coup sûr à cette stabilité, la procédure Gale-Shapley veut que les hommes proposent, et que les femmes disposent. C’est-à-dire qu’elles acceptent ou refusent, cela se jouant en plusieurs tours. Les femmes peuvent accepter en attendant de trouver mieux.</p>
<p>Dans le cas d’APB, les formations allaient donc envoyer en plusieurs tours des propositions aux candidats, selon l’ordre dans lequel elles recevraient leurs demandes, puis ces candidats disposeraient. La procédure avait l’inconvénient d’être « inéquitable » dans le sens où un candidat pouvait voir passer sous son nez une admission dans une filière qui l’aurait préféré, mais qui, au fil des tours d’attente, avait déjà rempli ses capacités avec l’admission d’autres candidats peut-être moins méritants.</p>
<p>Certains optaient alors pour des stratégies afin d’optimiser leurs chances, comme ne pas forcément mettre la filière sélective dont ils rêvaient en premier choix, de peur d’y être refusés face aux dossiers de leurs concurrents, sans avoir assuré leurs arrières dans une formation plus accessible et qui leur plaisait aussi. Voilà en quoi la procédure devenait « manipulable ».</p>
<p>Jusqu’ici, ces explications se basent sur des exemples simplifiés. S’il y a trop d’élèves par rapport aux places, certains se retrouvent sans affectation, et vice-versa. La procédure Gale-Shapley constitue le modèle sur lequel reposa APB en France de 2009 à 2017, à quelques nuances près. C’est également peu ou prou le modèle sur lequel repose Parcoursup, si l’on omet la non-hiérarchisation des vœux par le candidat, qui va en fait marquer une rupture franche.</p>
<h2>Une entorse majeure</h2>
<p>Sur Parcoursup, les candidats opèrent ainsi leurs choix sans les classer par ordre de préférence. Les formations doivent ensuite les classer, et renvoient aux étudiants une réponse parmi les suivantes : « oui », « non » (uniquement pour les formations sélectives), ou placement sur liste d’attente. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/02/alban-mizzi-la-non-hierarchisation-des-v-ux-est-la-principale-limite-de-parcoursup_6086664_3224.html">La spécificité de Parcoursup, ce sont justement ces listes d’attentes</a>, ils disent combien l’évolution de leurs rangs et leur suivi dans ces listes <a href="http://www.theses.fr/s245428">occupe une place prépondérante</a> dans leurs esprits ainsi que dans leur quotidien.</p>
<p>En n’obligeant plus le candidat à hiérarchiser ses candidatures par ordre de préférence, Parcoursup s’affranchit de la dimension « manipulable » d’APB. Pour autant, le problème de l’insatisfaction n’est pas résolu, car l’attente à laquelle Parcoursup oblige peut amener bon nombre de candidats à accepter puis s’inscrire dans une formation qui n’entrait initialement pas dans leurs plans. Et cette même non-hiérarchisation incite plus facilement les candidats à formuler plus de vœux, d’où de plus longs délais de traitement.</p>
<p>Ce principe de non-hiérarchisation des vœux paraît pourtant, à première vue, plutôt intéressant pour offrir un délai de réflexion au candidat et alléger la <a href="https://jdl2020.sciencesconf.org/data/MIZZI_JDL2020.pdf">charge mentale</a> du candidat par rapport à toutes les questions qu’il doit déjà gérer à cette étape de sa scolarité. C’est néanmoins indéniablement cette spécificité qui rend la procédure particulièrement longue, en faisant donc une facette de stress supplémentaire. Avec APB, les candidats obtenaient leurs résultats lors de dates prédéfinies.</p>
<p>Comme les vœux en deçà de la première proposition d’admission étaient automatiquement supprimés, il n’y avait pas de doublons et la procédure était particulièrement accélérée. Les horizons temporels du lycéen étaient moins diffus, plus bornés.</p>
<p>Pour conserver les avantages sans en revenir aux inconvénients, on pourrait revenir à un classement des vœux, mais en réservant une période exclusive pour le faire. Par exemple, le candidat pourrait, dans un premier temps, formuler ses candidatures sans les classer, puis, avant la réception des vœux, hiérarchiser ses vœux sans pouvoir en rajouter, afin de consacrer cette étape uniquement à ce travail de réflexion.</p>
<p>Enfin, il faut rappeler que Parcoursup s’inscrit dans un contexte de paupérisation des places dans les filières de l’enseignement supérieur que pourraient résoudre des investissements en postes d’enseignement et en locaux. Alors, ces débats et propositions sur les algorithmes n’auraient pas même lieu d’être et cela soulagerait bon nombre de candidats et de personnels d’une charge considérable de travail et d’anxiété.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168161/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alban Mizzi a reçu des financements de l'école doctorale Santé Publique Science Politique de l'Université de Bordeaux. </span></em></p>Alors que Parcoursup a fermé ses portes, un certain nombre de lycéens candidats ont quitté la procédure sans avoir eu de proposition d’affectation dans l’enseignement supérieur. Décryptage.Alban Mizzi, Doctorant en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670662021-09-26T16:32:08Z2021-09-26T16:32:08ZApprendre à « grandir », un combat à mener avec Susan Neiman<p>Que veut dire « grandir » ? La question devrait hanter tous les parents, et tous ceux qui ont pour tâche d’accompagner les enfants dans leur chemin vers l’âge adulte. Elle est pourtant rarement posée. Pourquoi ? Peut-être, répond la philosophe américaine <a href="http://www.premierparallele.fr/auteur/susan-neiman">Susan Neiman</a>, parce que la peur de grandir cache la peur de vieillir, qui elle-même cache la peur de mourir, c’est-à-dire, paradoxalement, la peur de vivre !</p>
<p>Dans une société fascinée par les images de la jeunesse, un double combat contre notre « réticence à grandir » est alors nécessaire. Ce combat, Susan Neiman s’y engage résolument, et courageusement, dans un ouvrage que tout éducateur devrait lire, et dont les éditions Premier Parallèle proposent une traduction depuis ce 2 septembre 2021. Sous-titrée <em>Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise</em>, <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/grandir">sa réflexion</a> vise à montrer la réalité du « grandir », comme processus inéluctable pour une vie humaine, et sa légitimité, comme objectif incontournable de l’action éducative. Car grandir est à la fois un fait, indiscutable ; et un idéal, « qui mérite qu’on s’y attelle ».</p>
<p>Dans ce livre qui « se veut utile », la philosophe entend montrer ce que signifie « mûrir comme il se doit », afin de pouvoir dire comment on peut « accompagner intelligemment une vie ». Son sujet est le même que celui de l’<a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/rousseau/emile-education/propos-oeuvre"><em>Émile ou De l’éducation</em>, de Rousseau</a>, « la seule œuvre philosophique intégralement consacrée au fait de grandir », estime-t-elle.</p>
<h2>Une nécessité à accepter</h2>
<p>L’ouvrage nous rappelle ainsi que, du fait de l’inachèvement humain, grandir est une nécessité fondamentale. Nous naissons complètement démunis, et notre survie dépend de toute une série de conquêtes (d’ordre cognitif, moteur, affectif, et social) qui s’effectuent non seulement pendant l’enfance et l’adolescence, mais tout au long de la vie. Le « processus » qui fait de chacun un être (pleinement) humain est « un processus qui ne finit jamais ». L’enfant est en ce sens « l’affirmation vivante de la transcendance humaine », selon les mots de Simone de Beauvoir, en apportant quelque chose de radicalement neuf, et en n’étant jamais réductible à ce qu’il est à un moment déterminé.</p>
<p>Si l’on n’accepte pas de reconnaître la positivité immédiate du « grandir », c’est souvent parce que l’on refuse l’appauvrissement et le rétrécissement qui seraient la marque de l’âge « adulte ». Mais il faut distinguer lucidité et résignation. Être adulte, ce n’est pas se résigner à une vie étriquée, et de moindre intérêt. On doit accepter les incertitudes, et renoncer à certains rêves, en quittant le monde de l’illusoire pour celui de la réalisation de soi.</p>
<p>Certes, la vieillesse est à l’horizon de la plus belle vie du monde, et elle a souvent été perçue comme un naufrage. Mais elle peut avoir « de l’éclat », et « l’humanité, la créativité et le développement de soi se poursuivent, au-delà des flops, des chutes, des excès et des erreurs ».</p>
<h2>Des mécanismes sociaux d’infantilisation</h2>
<p>Toutefois, la question « à quoi bon grandir ? » surgit d’une façon cruelle si l’on prend en compte ce que Susan Neiman désigne comme « l’horreur conceptuelle de notre monde », autrement dit la négativité d’une époque où triomphe le néo-libéralisme. Car « les structures sociales dans lesquelles nous évoluons sont conçues pour que nous restions puérils ».</p>
<p>On aimerait alors en savoir plus sur les mécanismes qui nous maintiennent dans l’aliénation de l’immaturité, et nous font patauger dans « les marécages de l’adolescence ». Ces mécanismes « destinés à infantiliser les sujets » sont désormais « plus subtils mais pas moins puissants, et certainement plus envahissants » que les mécanismes de type féodal. Il n’est pas sûr qu’il suffise de désigner l’État, qui voudrait nous empêcher de « penser de manière indépendante », et la culture dominante, « qui ne veut pas d’adultes ».</p>
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<figcaption><span class="caption">« Why we need to grow up », Susan Neiman (Institute of Art and Ideas, 2019).</span></figcaption>
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<p>C’est la question de la possibilité même du changement qui est posée. L’espoir de passer d’une société qui infantilise à une société qui permet de grandir n’est-il pas illusoire ? Il faudrait pouvoir changer à la fois les individus, et les structures.</p>
<p>On rejoint la difficile question de la formation des formateurs. Seuls des individus libres pourraient construire une société de liberté. Mais d’où peuvent provenir ces adultes, dans une société qui infantilise et aliène ? Tel est le paradoxe sur lequel s’est penché Rousseau. Qui pourra commencer ? D’où viendra le miracle ? Susan Neiman ne répond pas vraiment. On peut retenir en tout cas que, si un tel miracle de l’émergence d’une société adulte dans un monde qui n’en veut pas n’a rien de certain, ni même de probable, il n’est pas impossible. Guy Béart ne chantait-il pas : « Le miracle vient de partout » ? Mais toute « solution » ne peut être que « partielle ».</p>
<h2>Un gouffre entre idéal et réalité</h2>
<p>Il ne suffit pas de vouloir grandir, et d’avoir la possibilité de le faire. Encore faut-il savoir comment s’y prendre. L’un des grands mérites de l’ouvrage de Suzan Neiman est d’apporter des réponses concrètes, en proposant, et en décrivant minutieusement, trois voies privilégiées pour « devenir adulte », à savoir l’éducation, les voyages, et le travail.</p>
<p>Les pages consacrées à ces trois voies proposent des analyses aussi fouillées que passionnantes, sur la crise de l’éducation, la difficulté d’être parent, l’importance de la lecture, les dangers d’Internet et des écrans, l’intérêt et les inconvénients des voyages, l’avenir du travail ; et permettent à l’auteur de préciser sa critique de l’économie néo-libérale.</p>
<p>Mais avant (ou, à tout le moins, grâce à ces trois « expériences »), il faut, pour grandir, avoir fait l’expérience du « gouffre », ou du « fossé », qui, à la fois, sépare, et unit, réel et idéal. Il faut « reconnaître l’abîme qui sépare le “est” du “devrait être” tout en essayant de préserver chacun de ces deux modes ».</p>
<p>L’expérience cardinale du devenir adulte est la prise de conscience « du gouffre qui sépare ce qui est de ce qui devrait être ». C’est l’expérience de la réalité, mais en même temps, de l’insuffisance, des choses. Et aussi l’expérience de la transcendance (car « le “devrait” n’appartient pas au monde ») et de la valeur de l’exigence morale, à travers la découverte des « idéaux de la raison ». C’est la découverte de la « dimension normative » de l’existence humaine. On pourrait dire, avec Alain : se savoir esprit.</p>
<p>Être adulte, c’est donc accepter de continuer à vivre un pied dans le réel, et un pied dans l’idéal, en ayant compris que ces deux « modes » sont d’égale importance. Dans un « équilibre fragile, sur lequel nous devons sans cesse veiller ».</p>
<h2>Grandeur et limites d’un combat philosophique</h2>
<p>En posant la question du sens du processus « grandir », on est conduit à s’interroger sur la possibilité même de dire le sens. Qui est qualifié pour cela ? L’acharnement à imaginer un monde qui fasse sens n’a-t-il pas quelque chose d’insensé ? L’auteur distingue deux types d’ouvrages : les ouvrages philosophiques, et les autres, qu’on peut qualifier d’empiriques. Le livre <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/grandir"><em>Grandir</em></a> appartient aux deux catégories. L’ouvrage prétend à la vérité des travaux empiriques, qui présentent des données factuelles, vérifiables. Mais aussi à la pertinence des travaux philosophiques, qui visent un autre type de vérité. Laquelle ?</p>
<p>La réponse qu’apporte l’auteur éclaire aussi bien le travail philosophique que le travail éducatif. La philosophie est « l’éducation des adultes », en ce sens qu’elle cherche à répondre à des questions auxquelles on pensait avoir déjà répondu grâce à l’éducation reçue comme enfant, puis comme adolescent. Elle est remise en question de réponses qui, dans leur dimension de « vérités » allant de soi, étouffaient les questions existentielles auxquelles on pensait avoir pu répondre à peu de frais.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aider-un-enfant-a-prendre-confiance-en-lui-les-conseils-de-trois-grands-philosophes-158590">Aider un enfant à prendre confiance en lui : les conseils de trois grands philosophes</a>
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<p>Cette remise en question radicale est présentée comme la tentative d’atteindre « l’Inconditionné », « ce point où le monde en tant que tout ferait entièrement sens », et où il n’y aurait plus besoin de poser des questions. Un point que personne ne peut prétendre atteindre, sauf à s’abandonner à un fondamentalisme difficilement défendable, qu’il soit religieux et/ou économique. Mais un « Inconditionné » jouant le rôle d’un « idéal régulateur » au sens de Kant, et dont l’identification et la poursuite sont comme des devoirs pour l’être humain.</p>
<p>C’est pourquoi l’analyse philosophique est si précieuse. Et pourquoi l’on prendra tant de plaisir à suivre Susan Neiman dans sa présentation si généreuse, et si pertinente, de travaux essentiels (entre autres) de Rousseau, de Kant, et d’Hannah Arendt. « La philosophie, pratiquée correctement, participe pleinement à l’art de devenir adulte », assure-t-elle. Nous ne pouvons que remercier l’auteur de « Grandir » d’en avoir fait la démonstration, par l’exemple…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans une société hantée par le jeunisme et l’ombre de Peter Pan, la philosophe Susan Neiman invite à combattre la peur de grandir pour passer du monde de l’illusoire à la réalisation de soi.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1679522021-09-19T18:42:49Z2021-09-19T18:42:49ZDébat : Le mérite, un mythe à revisiter à l’heure de Parcoursup ?<p>Qu’il s’agisse de promouvoir un programme électoral ou de mobiliser leurs concitoyens dans un contexte difficile, les politiques recourent fréquemment à la rhétorique du mérite : contre l’assistanat et pour la juste récompense de chacun, <a href="https://www.cairn.info/le-merite-contre-la-justice--9782724611304-page-9.htm">comme Nicolas Sarkozy en 2007</a>, ou pour féliciter <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/a-lelysee-emmanuel-macron-tente-lexplication-de-texte-sur-les-premiers-de-cordee-3713504">« les premiers de cordées »</a>, qui réussissent par leurs talents, comme Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Dans le même temps, de très nombreux essais sont publiés avec des titres évocateurs : <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-tyrannie-du-merite-9782226445599"><em>La tyrannie du mérite</em></a>, de Michael Sandel, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lillusion-meritocratique"><em>L’illusion méritocratique</em></a>, de David Guilbaud, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/heritocratie-9782348042683"><em>Héritocratie</em></a>, de Paul Pasquali ou encore <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100169330"><em>Le mérite contre la justice</em></a>. Dans une collection récente de textes courts analysant de manière critique des mots « dévoyés par la langue au pouvoir » (selon la présentation des <a href="https://anamosa.fr/">éditions Anamosa</a>), l’ouvrage intitulé <em>Mérite</em> <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/09/02/le-merite-est-un-mode-de-justification-des-inegalites-tres-commode_6093097_4401467.html">que publie la sociologue Annabelle Allouch</a> en cette rentrée 2021 s’inscrit donc dans une perspective critique qui n’a rien d’une mode.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Il vise, fidèle à l’orientation de la collection, à démontrer l’usage idéologique de cette notion, sans pour autant prétendre en renouveler l’analyse critique, ce qui serait une gageure vu l’abondance de travaux sur ce sujet et aussi bien sûr le format court du livre. L’auteure se centre sur le mérite tel qu’on le parle aujourd’hui, tel qu’on s’y réfère constamment, en insistant sur l’obsession contemporaine de la comparaison et de l’évaluation des personnes qu’il entraîne, quand des enjeux d’accès à un bien sont à la clé.</p>
<h2>Les grandes écoles et leurs concours</h2>
<p>L’ouvrage est émaillé d’anecdotes et de références personnelles et Annabelle Allouch va y donner beaucoup de place à l’utilisation de ces classements (prétendument) au mérite dans l’enseignement supérieur et notamment à Sciences Po. L’objectif est de comprendre non seulement « les usages de la rhétorique méritocratique mais aussi la manière dont son sens se transforme au fil du temps, du mérite républicain au mérite néo-libéral, du mérite des Grandes écoles à celui de Parcoursup »…</p>
<p>Ce premier parallèle donne le ton de l’ouvrage : le mérite républicain (celui des Grandes écoles ?) est connoté positivement, par opposition au mérite néo-libéral de Parcoursup…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?</a>
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<p>L’auteure dégage, dans les Grandes écoles (de fait essentiellement à Sciences Po), « les 3 âges du mérite », en se centrant donc sur un cas très particulier : à une sélection faisant tout pour exclure les femmes (à Sciences Po, dans les années 1940) et fondée davantage sur la cooptation va succéder, avec la massification scolaire, une prise en compte des résultats scolaires comme la forme de justice la plus évidente.</p>
<p>Un concours remplace une sélection sur dossier qui pouvait écarter les indésirables (ce fut un certain temps le cas des femmes). C’est la standardisation d’un mode de sélection académique qui semble alors la voie la plus correcte pour démocratiser l’accès à cette filière d’excellence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-m-comme-merite-167551">« Les mots de la science » : M comme mérite</a>
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<p>Mais, petit à petit, les analyses sociologiques font prendre conscience que l’évaluation de la valeur scolaire est biaisée par des critères sociaux et penche souvent en faveur des « héritiers », c’est-à-dire des jeunes disposant des références culturelles et du soutien économique familial. Ce sont à présent (à partir des années 1980, note l’auteure), les capacités de l’étudiant (son « potentiel ») qu’on veut tenter d’évaluer.</p>
<p>Les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01064424/">« conventions d’éducation prioritaires »</a> sont mises en place, visant les jeunes « méritants » des zones populaires au nom du principe d’égalité des chances, et ouvrant une nouvelle voie d’accès à Sciences Po. Ainsi, on donne plus de poids à l’oral comme mode de sélection, non sans débats, puisque, comme le souligne l’auteure, les personnes en charge du recrutement n’ont pas forcément les mêmes lectures, tant la notion de mérite est plastique ! Tout en exigeant d’être justifiée : au-delà des élites ainsi sélectionnées, tout le monde doit y croire.</p>
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<figcaption><span class="caption">INA Sciences, reportage en 2006 sur une diplômée de Sciences Po issue de la voie d’admission par les Conventions d’éducation prioritaire.</span></figcaption>
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<p>Annabelle Allouch souligne avec raison que les choix des grandes écoles ont une portée symbolique puisqu’ils rendent publique la définition (actualisée) du mérite attendu de nos élites. En revanche, elle ne s’interroge pas sur le fait que cette évolution a touché très inégalement les différentes grandes écoles, celles à orientation scientifique ayant continué à donner (et donnent encore aujourd’hui, même si elles s’efforcent de démocratiser la préparation d’un concours inchangé) un poids très prééminent aux critères purement scolaires : savoir s’exprimer, savoir se vendre n’est guère utile pour réussir en maths ou en physique…</p>
<h2>La sélection post-bac</h2>
<p>Le jugement de l’auteure est sans appel : il y a une tendance profonde à une « dérégulation progressive d’une lecture traditionnelle du mérite scolaire (et des instruments qui sont censés l’incarner, comme la note à l’examen) en faveur d’une lecture néo-libérale », des facteurs comme la motivation ou les qualités d’expression prenant le pas sur les verdicts scolaires. Est-ce à dire que « c’était mieux avant » ?</p>
<p>L’étiquette globale de « néo-libéral » caractérise sans doute davantage une conception que l’on peut effectivement étiqueter libérale de l’éducation – une éducation qui doit servir la croissance économique –, avec à la clé une logique de compétition entre les diplômés pour les « meilleurs » emplois. Mais quand l’auteure écrit que la valeur des individus se calerait à présent sur leur productivité et non plus sur leur moralité, on peut se demander à quel âge d’or elle fait référence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Interview d’Annabelle Allouch sur la « société du concours » (Xerfi Canal, 2019).</span></figcaption>
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<p>En fait, ce sont avant tout les procédures Parcoursup que vise Annabelle Allouch, quand on intègre dans les critères de sélection des éléments subjectifs comme les projets personnels des étudiants. Mais peut-on considérer que ce souci du « potentiel » efface la perspective d’« émancipation individuelle sous-jacente aux lectures socio-démocrates du mérite » ? C’est sans doute là plus une hypothèse qu’autre chose…</p>
<p>Le « mérite républicain » porteur d’idéaux comme l’« excellence pour tous », ou « l’ascenseur social pour tous », serait-il si exemplaire ? Il constitue pourtant une aporie si tant est que l’on considère, comme les étudiants d’ailleurs, que les diplômes doivent « servir » à quelque chose, et tant que les emplois sont inégaux. Car en arrière-plan de ce recours insistant au mérite, il y a la nécessité cruciale, pour toutes les sociétés qui ont rejeté le principe aristocratique pour répartir les emplois, de fonder cette répartition entre des positions sociales inégales sur un critère apparemment efficace et équitable.</p>
<p>Même si la critique du mérite est largement diffusée, peu se hasardent (y compris chez les sociologues les plus critiques) à contester radicalement l’articulation étroite entre formations et emplois qui existe en France…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">Démocratiser les grandes écoles : pourquoi ça coince ?</a>
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<p>En fait, la polarisation de l’ouvrage sur Parcoursup, plus encore que sur l’évolution dite « néolibérale » des critères de sélection, se fonde sur la sélection elle-même. Ce dispositif « organise la pénurie de places à l’université », note l’auteure, et « relève de l’idée d’une régulation des flux d’étudiants », avec in fine l’affirmation selon laquelle le mérite est ici ce qui « légitime et justifie non seulement la sélection mais aussi la pénurie ». Un jugement discutable : serait-il plus juste de laisser (de manière libérale) les étudiants choisir librement leurs études et fermer les yeux (tout aussi libéralement) sur les aléas de leur réussite et de leur insertion ultérieures ?</p>
<h2>Réfléchir à la définition du mérite</h2>
<p>Certes, il faut contester l’optique technocratique qui domine aujourd’hui, bien loin des racines religieuses et morales du mérite que rappelle l’auteure. À l’opposé de cette définition actuelle du mérite comme ce qui va rendre les personnes efficaces dans la vie économique, faut-il revenir à un modèle autant scolaire que sélectif, à l’instar des grandes écoles de jadis ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment changer l’école dans une société compétitive ? (Observatoire des inégalités, 2019).</span></figcaption>
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<p>Ne passe-t-on pas alors à côté de ce qui peut apparaître comme massivement plus injuste dans ce règne du mérite ? Car le mérite actuel ne souffre pas (ou pas seulement) de son caractère « néo-libéral » mais plutôt de ce qu’il disqualifie précocement toute une gamme de qualités moins classiquement scolaires. Parmi celles-ci, la créativité, certaines habiletés manuelles ou artistiques, l’aisance dans les rapports avec les autres, des intérêts ouverts qui débordent les programmes scolaires…</p>
<p>Et cela débouche sur la relégation de tous les jeunes – au moins la moitié d’une classe d’âge – qui n’entreront jamais dans l’enseignement supérieur et qui ne sont pourtant pas sans qualités (et que le monde du travail cherchera parfois comme des pépites pour des apprentissages.</p>
<p>L’ouvrage se clôt en soulignant la nécessité de débattre sur la définition du mérite que l’on s’accorde à faire prévaloir (dans la vraie vie et pas seulement quand il s’agit d’accéder à une classe préparatoire, pourrait-on ajouter), ainsi que sur la place que l’on peut donner à ce principe par rapport à d’autres principes de justice comme l’égalité et la solidarité.</p>
<p>L’ouvrage pose donc (à nouveau et avant tout au prisme de Parcourssup) la question des effets de cette enflure du mérite scolaire dans une société où les inégalités alimentent des enjeux de compétition sans fin ; et ce non sans effets psychologiques, sur les personnes elles-mêmes chez qui l’invocation du mérite est souvent très chargée émotionnellement : « malgré la faiblesse de son existence statistique, le mérite tire sa force sociale de son efficacité émotionnelle ». C’est ce qui explique notre attachement à cette notion, et ce qui justifie, encore et encore, de s’y intéresser !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167952/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les illusions de la méritocratie sont au cœur de nombreux ouvrages en librairie. Retour sur les questions soulevées par le travail de la sociologue Annabelle Allouch autour des concours.Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.