tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/debat-public-25773/articlesdébat public – The Conversation2024-01-22T15:36:28Ztag:theconversation.com,2011:article/2212492024-01-22T15:36:28Z2024-01-22T15:36:28ZRemigration : ce que « l’anti-mot de l’année » en Allemagne dit du débat public actuel<p>Dans de nombreux pays européens, les fins et les débuts d’année donnent lieu au choix - parfois à l’élection - du mot/des mots de l’année, entendus comme ces unités lexicales qui condensent à elles seules tout un pan de discours, de positions, de controverses qui ont marqué les douze mois écoulés.</p>
<p>L’idée sous-jacente à ces classements, <a href="https://u-bourgogne.hal.science/halshs-03871342/">largement développée en analyse de discours</a>, est que certains mots, souvent <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-langage-et-societe-2010-4-page-5.htm">appréhendés comme « formules »</a>, fonctionnent comme des révélateurs et des marqueurs des soubresauts et des évolutions de la société dans à peu près tous les domaines : politique, économie, vie sociale, sport, etc. Ils sont les pierres angulaires de positionnements et de postures de toute nature et leur simple énoncé active toute une série d’arguments et contre-arguments.</p>
<p>Si cette tradition n’est pas implantée en France – en tout cas pas de façon organisée et institutionalisée – elle l’est largement autour de nous. C’est le cas au Royaume-Uni, où ce sont les Presses universitaires d’Oxford qui président à ce choix et <a href="https://theconversation.com/im-an-expert-in-slang-here-are-my-picks-for-word-of-the-year-218286">ont retenu, pour 2023, le mot <em>rizz</em></a> qui désigne le charisme, le charme, l’attractivité ; ou en Belgique flamande et aux Pays-Bas, où l’éditeur de dictionnaires van Dale fait la même chose et <a href="https://www.les-plats-pays.com/article/le-mot-neerlandais-de-lannee-2023-denonce-linflation-due-a-la-cupidite">a opté, pour l’année qui vient de s’achever, pour <em>graainflatie</em></a>, un mot-valise parfois traduit par « cupideflation » en français et hérité du néologisme anglais <em>greedflation</em> pour désigner la stratégie mise en œuvre par certains industriels afin de profiter de l’inflation liée à l’augmentation des coûts pour augmenter leurs marges. Dans le même domaine de l’économie, on se souvient des discussions, pendant toute l’année 2023, en France et dans d’autres pays, autour de la paire de termes <a href="https://theconversation.com/hausses-de-prix-dissimulees-comment-reagissent-les-consommateurs-191920"><em>shrinkflation</em>/<em>réduflation</em></a>.</p>
<h2>Du mot à l’anti-mot de l’année en Allemagne</h2>
<p>En Allemagne, qui est au centre de cet article, le choix des mots de l’année est beaucoup plus institutionnalisé et connaît, chaque année, un large écho médiatique. J’utilise ici le pluriel, car <a href="https://tekst-dyskurs.eu/resources/html/article/details?id=226831">il y en a en fait plusieurs</a>.</p>
<p>Tout d’abord, le « mot de l’année », au sens strict, qui est choisi régulièrement depuis 1977, après un premier essai isolé en 1971, par une société savante, la <a href="https://gfds.de/"><em>Gesellschaft für deutsche Sprache</em></a> (société pour la langue allemande) dont le siège est à Wiesbaden. À partir d’une première collecte de mots faite dans les médias, mais aussi de propositions spontanées envoyées par des citoyens, le jury, largement composé d’experts de la langue réunis dans le bureau de l’association, opère des vagues de sélection successives pour arriver à une liste de dix mots dont celui classé numéro un prend le titre de mot de l’année.</p>
<p>Cette année, c’est <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/08-breves-de-la-semaine/-/2635084"><em>Krisenmodus</em></a> – littéralement <em>le mode de crise</em> – qui a été retenu pour désigner cet état de crise permanente ou perpétuelle dans lequel vit l’Allemagne, et pas seulement elle, depuis la crise Covid, avec les conséquences, en particulier mentales, que peut entraîner cette situation.</p>
<p>À côté de cette première initiative, une autre fait souvent couler davantage d’encre encore : c’est <a href="https://www.unwortdesjahres.net/">l’« anti-mot » de l’année</a>, que l’on pourrait paraphraser comme le mot abject dont l’emploi est ainsi dénoncé et condamné.</p>
<p>Lancé en 1991 et d’abord choisi dans le sillage du « mot de l’année », il est depuis 1994 déterminé par un jury indépendant constitué de quatre linguistes, un journaliste et un autre membre coopté chaque année, issu des milieux de la culture et des médias. Par « anti-mot », le jury entend des formulations soit « dénuées d’humanité », soit « inadaptées pour ce qu’elles désignent ». Bref, des mots et des formules détestables qu’un emploi réfléchi de la langue ne devrait pas produire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746882492026458399"}"></div></p>
<p>Le but de cette action est très largement de faire réfléchir les locuteurs de l’allemand à l’utilisation de la langue en contexte, tradition très ancrée dans le monde germanophone, y compris comme discipline académique connue sous le nom de <a href="https://heiup.uni-heidelberg.de/journals/heso/issue/view/2372"><em>Sprachkritik</em></a> – critique de la langue. Les travaux du philologue Victor Klemperer <a href="https://journals.openedition.org/germanica/2464">sur la langue du Troisième Reich</a>, consignés dans son ouvrage majeur publié en 1947, prennent toute leur place dans cette tradition, tout comme la publication en 1958, sous la plume de Dolf Sternberger, Gerhard Storz et W. E. Suskind, du <a href="https://www-cairn-info.proxy-bu1.u-bourgogne.fr/revue-hermes-la-revue-2010-3-page-47.htm?contenu=article"><em>Dictionnaire de l’inhumain</em></a>, qui commentait et mettait en perspective les pires vocables de la dictature nazie.</p>
<h2><em>Remigration</em> et le spectre des affaires de l’AfD</h2>
<p>Publié ce 15 janvier par le jury décrit ci-dessus, l’anti-mot de l’année 2023 est <em>remigration</em> (qui rappelle le concept de « remigration » en français, nous y reviendrons). Les derniers événements autour du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) lui donnent un relief et une actualité toute particulière.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.unwortdesjahres.net/presse/aktuelle-pressemitteilung/">communiqué de presse</a>, le jury justifie son choix par les arguments suivants. Il s’agit tout d’abord d’un euphémisme, une forme linguistique visant donc à atténuer, adoucir une réalité par trop brutale – ici le projet d’expulser par la force, voire de déporter de façon massive des personnes vivant en Allemagne et issues de l’immigration. Pour le jury, il s’agit très clairement d’un mot relevant du combat idéologique d’extrême droite, cachant les véritables intentions qu’il véhicule derrière une façade anodine.</p>
<p>Ce faisant, on assiste à un détournement de sens idéologique puisque, en tout cas pour la tradition allemande, ce terme est issu de la recherche sur les migrations et l’exil où il désigne des formes volontaires de retour dans son pays natal. Ce détournement idéologique en faisait bien sûr un candidat de choix pour être désigné « anti-mot ». Le communiqué de presse du jury continue par ailleurs en dénonçant l’objectif de la Nouvelle Droite qui se cache derrière ce terme, en l’occurrence arriver à une hégémonie culturelle et à l’homogénéité ethnique de la nation allemande.</p>
<p>Ce choix ne pouvait pas plus tomber à point nommé dans la mesure où il vient alimenter un débat enflammé qui fait rage depuis le 10 janvier dernier dans le paysage politique et médiatique allemand suite à la publication ce jour-là d’une <a href="https://correctiv.org/aktuelles/neue-rechte/2024/01/10/geheimplan-remigration-vertreibung-afd-rechtsextreme-november-treffen/">enquête</a> du site d’investigation <em>Correctiv</em>. Cette enquête très détaillée, structurée en actes à la façon d’une pièce de théâtre, révèle une rencontre secrète, le 25 novembre 2023, dans un hôtel situé près de la ville de Potsdam, organisée à l’initiative d’un dentiste retraité bien connu sur la scène d’extrême droite allemande et d’un investisseur non moins connu du secteur de la gastronomie (mais lui-même absent à ladite réunion).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/V1I6X-HCSMw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Immigration : le « plan secret » de l’extrême droite allemande fait scandale, LCI, 19 janvier 2024.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette rencontre avait deux objectifs affichés : d’une part, la collecte de fonds de campagne pour l’AfD et diverses structures proches, existantes ou en création ; et d’autre part, la présentation et la discussion d’un « plan d’action ». Elle a réuni un certain nombre de membres de l’AfD – dont Roland Hartwig, le conseiller personnel de la dirigeante du parti Alice Weidel –, des représentants de diverses mouvances néonazies et des donateurs fortunés, pour discuter justement, dans l’hypothèse d’une accession au pouvoir de l’AfD, d’un « plan de remigration » visant une expulsion à grande échelle de plusieurs catégories de personnes.</p>
<p>Ce plan, qui constituait le point central de la rencontre, a été présenté par Martin Sellner, figure historique du mouvement identitaire autrichien. Sellner y désigne trois groupes-cibles pour la remigration : les demandeurs d’asile, les étrangers ayant droit de séjour et les citoyens « non assimilés ». Il va même plus loin en imaginant la création d’un « État-modèle », par exemple en Afrique du Nord, à même d’accueillir les groupes en question ainsi que celles et ceux qui souhaitent les soutenir. On comprend, à lire ces détails, les arguments du jury de l’anti-mot de l’année pour justifier son choix, et en particulier la dimension euphémistique du terme – et ce d’autant plus dans le contexte allemand dont l’« héritage discursif » a été rappelé ci-dessus.</p>
<p>Ces révélations ont rouvert le débat d’une éventuelle interdiction constitutionnelle du parti AfD en Allemagne, question qui revient comme un serpent de mer dans le débat politique fédéral : une pétition en cours a déjà réuni 400 000 signatures et le député chrétien-démocrate Marco Wanderwitz cherche aussi les soutiens nécessaires au sein de la Diète fédérale pour engager la procédure idoine. Dimanche 14 janvier, des manifestations organisées en réaction à ces révélations à Berlin et Potsdam ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, dont le chancelier Olaf Scholz et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock.</p>
<h2>Remigration – un internationalisme ?</h2>
<p>Le terme choisi comme anti-mot de l’année 2023 en Allemagne, et que le jury présente comme une dérivation du latin <em>remigrare</em> pour <em>rentrer chez soi</em>, apparaît en fait, et surtout, comme un internationalisme utilisé sous cette forme dans beaucoup de langues : il alimente donc de façon croisée des discours dans plusieurs pays qui se répondent, s’alimentent et s’entretiennent mutuellement.</p>
<p>En français, il a fait l’objet d’une forte thématisation dans la discussion politico-médiatique lors du dernier scrutin présidentiel avec la proposition du candidat <a href="https://theconversation.com/fr/topics/eric-zemmour-106952">Éric Zemmour</a>, dont plusieurs thématiques ont d’ailleurs été <a href="https://journals.openedition.org/corela/14675">analysées par l’analyse française du discours</a>, de mettre en place un « ministère de la Remigration ».</p>
<p>Une brève interrogation du corpus français disponible sur l’outil <a href="https://www.sketchengine.eu/">SketchEngine</a>, en particulier de ses contextes d’emploi, montre très clairement <a href="https://journals.openedition.org/mots/30959">son ancrage dans un discours d’extrême droite</a>, confirmant le statut qui lui est reconnu comme marqueur de la mouvance identitaire. Il y voisine en effet avec des noms comme <em>islamisation, communautarisme, identité, remplacement, invasion</em>, mais aussi avec des verbes d’action comme <em>enclencher la remigration</em> ou de positionnement comme <em>prôner la remigration</em>.</p>
<p>On le voit ici nettement, de tels mots – j’ai parlé plus haut d’internationalismes – circulent d’une langue et d’une culture à l’autre dans des discours apparentés où ils constituent autant de signaux d’appartenance et de reconnaissance. Dans le domaine politique, comme dans beaucoup d’autres, les combats idéologiques passent par des combats sémantiques où il s’agit d’occuper les concepts, d’y imprimer sa marque pour, finalement, les soustraire à l’adversaire. Dans cette perspective, le choix 2023 du jury de l’anti-mot allemand de l’année ne pouvait mieux atteindre ses objectifs : nous amener à toujours interroger les implications des mots que nous employons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221249/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gautier a reçu des financements du Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté, de l'ANR et de la Commission Européenne pour divers projets de recherche.</span></em></p>Chaque année, un jury allemand désigne le mot le plus détestable à avoir marqué le débat public. En 2023, sur fond de montée de l’extrême droite, le choix s’est porté sur « remigration ».Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2120402023-09-03T14:24:30Z2023-09-03T14:24:30ZL’école, en panne de projet politique ?<p>La France aime débattre de l’école. L’institution scolaire s’y est historiquement construite parallèlement à la démocratie et son pilotage soulève des enjeux aussi essentiels que le savoir, l’autorité ou la justice.</p>
<p>Il est sain que ces problèmes fassent l’objet d’un actif débat public. Pour conduire une politique éducative, la discussion des projets doit entraîner l’adhésion d’un nombre suffisant de citoyens et offrir aux enseignants un horizon qui donne sens à leur action quotidienne. Pour pratiquer ce métier, mieux vaut croire en effet à ce qu’on fait et savoir pourquoi on le fait : c’est là, une fois encore, affaire de politique.</p>
<p>À l’heure où <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-republique-en-marche/gabriel-attal-l-ascension-de-l-eleve-modele-du-gouvernement_6019613.html">un nouveau ministre</a> prend ses fonctions, il n’est pas inutile de se demander dans quelle tradition politique il pourrait inscrire son action, et dans quelle mesure le débat public des dernières décennies est parvenu à dessiner des cultures politiques suffisamment stables, identifiables et adaptées aux cadres ordinaires du débat politique institutionnel, notamment à la division droite/gauche.</p>
<p>Pour ce faire, on s’appuiera sur une étude systématique de la <a href="https://www.theses.fr/2014PA040048">façon dont la presse d’information générale a, depuis les années 1960, relayé les débats éducatifs</a> afin d’identifier, à côté des textes officiels produits par les organisations politiques, ce qui résiste au filtre médiatique et se diffuse au-delà des cercles de spécialistes, avec une chance sérieuse de constituer une culture politique. Ce que montre cette étude, c’est qu’il est très difficile de cerner, dans les nombreuses controverses qui ont marqué l’histoire récente des débats éducatifs, des orientations claires et durables.</p>
<h2>Esquive et confusion à gauche</h2>
<p>La gauche, pour sa part, sait se référer à des symboles forts. Ses organisations invoquent très souvent le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Langevin-Wallon">plan Langevin-Wallon de 1947</a>, qui a imaginé à la Libération l’école de la société nouvelle qu’on voulait alors construire. Mais sa mention dans la presse ne dit jamais rien de son contenu. Jean-Pierre Chevènement s’en réclame même à plusieurs reprises à partir de 1984 pour défendre ce qu’il appelle « l’élitisme républicain », sans que personne ne lui signale que <a href="https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/250723/chevenement-l-ecole-alsacienne-et-l-elitisme-dit-republicain">l’illustre texte défend en fait le contraire</a>.</p>
<p>Tout au long des années 1970, la gauche s’est efforcée de s’inscrire dans le sillage d’un autre symbole : <a href="https://theconversation.com/fr/topics/mai-68-24373">Mai-68</a>. Mais c’est en subordonnant à chaque fois, dans ses prises de position médiatisées, les enjeux éducatifs à des préalables plus généraux comme « l’instauration d’une société socialiste » (<a href="https://maitron.fr/spip.php?article88437">Charles Josselin</a>, 1973) et la nécessité du « Programme commun de gouvernement ». La communication des syndicats et des partis de gouvernements mettait en fait en scène leur unité dans une opposition systématique au pouvoir. C’est ainsi qu’ils ont bruyamment porté dans la presse, entre 1975 et 1977, leur « union sacrée contre la <a href="https://www.cahiers-pedagogiques.com/le-debat-sur-le-college-bien-trop-politicien-pour-etre-politique/">réforme Haby</a> », sans jamais aborder la question du « collège unique » comme un débat prioritaire.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-leducation-nationale-larrivee-dun-nouveau-ministre-peut-elle-vraiment-changer-lecole-183667">À l’Éducation nationale, l’arrivée d’un nouveau ministre peut-elle vraiment changer l’école ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Présente au pouvoir à partir de 1981, la gauche unie (derrière un Parti socialiste bientôt hégémonique) a abondamment communiqué sur la « priorité à l’éducation », en faisant le premier budget de l’État, mais n’a pas eu beaucoup d’occasions de défendre ses choix concrets les plus forts devant les médias.</p>
<p>Des réformes aussi importantes que les zones d’éducation prioritaire (ZEP), qui relèvent d’un principe, nouveau, de discrimination positive, le <a href="https://theconversation.com/le-lycee-professionnel-enfin-sujet-de-debats-180808">baccalauréat professionnel</a>, mis en place à partir de 1985 en vue de mener « 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat » ou le fait de <a href="https://www.education.gouv.fr/loi-d-orientation-sur-l-education-ndeg89-486-du-10-juillet-1989-3779">mettre l’élève « au centre du système »</a>, ont été peu remarquées par les médias, cette discrétion permettant d’ailleurs au pouvoir d’éviter les controverses porteuses de divisions internes.</p>
<p>Entre 1997 et 2017, Claude Allègre (ministre de 1997 à 2000) ou Vincent Peillon (de 2012 à 2014) ont tenté d’ouvrir des débats de fond, mais la visibilité médiatique de <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2007-2-page-231.htm">l’agressivité du premier a éclipsé ses projets de réforme</a> tandis que la très forte opposition suscitée par la réforme des rythmes scolaires du second a masqué <a href="https://www.vousnousils.fr/wp-content/uploads/2016/01/Refondation.pdf">son travail de « Refondation »</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EF7CgnB61ik?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 1999, le ministre Claude Allègre présente son projet de réforme de l’école primaire.</span></figcaption>
</figure>
<p>En fait, les échanges d’idées les plus nourris ont été porteurs de divisions plus qu’ils n’ont contribué à fédérer la gauche autour d’une culture commune. Des ministres Alain Savary à Najat Vallaud-Belkacem, en passant par Lionel Jospin ou Claude Allègre, ceux-ci ont porté sur des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/05/13/reforme-du-college-ce-qui-est-vrai-ce-qui-est-faux_4633220_4355770.html">projets de réforme</a> favorables aux méthodes pédagogiques alternatives, censées favoriser la prise en charge de publics scolaires devenus plus hétérogènes, grâce au travail en équipe des professeurs et au recours à des techniques plus individualisées.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-grands-defis-de-lecole-francaise-186658">Les grands défis de l’école française</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Or, bien que soutenues par les mouvements pédagogiques, ces réformes ont été perçues par la base enseignante et ses syndicats majoritaires (électorat clé pour la gauche) comme des injonctions brutales méprisant les difficultés qu’ils rencontraient au quotidien. Les grèves, manifestations et polémiques qui ont suivi ont généralement mené à une <a href="https://www.fayard.fr/comment-la-gauche-perdu-lecole-9782012355873">politique de concessions et/ou à une défaite électorale</a>.</p>
<p>Ces divisions sont d’autant plus profondes qu’à chaque épisode de conflit, l’encadrement idéologique de l’opposition aux réformes, dans la presse et l’édition, a été assuré par un discours créant un clivage supplémentaire. Reformulant des anathèmes récurrents, des personnalités généralement issues du monde universitaire ou médiatique ont su séduire durablement aussi bien à gauche qu’à droite en <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/09/05/critiquer-najat-vallaud-belkacem-au-nom-de-l-egalite_4637059_3232.html">dénonçant dans les réformes la marque du « pédagogisme »</a>, idéologie peu définie <a href="https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2006-4-page-81.htm">qui serait à leur avis responsable des problèmes de l’École</a>. Lorsqu’en 1984, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre socialiste, reprend à son compte ce discours « antipédagogiste » à tonalité conservatrice, il donne naissance à un courant dit « républicain » qui a connu depuis une importante postérité, tout en brouillant un peu plus les pistes à gauche.</p>
<h2>Schizophrénie et velléités à droite</h2>
<p>La confusion idéologique n’est pas moins grande dans l’expression publique de la droite, écartelée dès les années 1970 entre deux priorités contradictoires. Assumant alors les responsabilités du pouvoir, les ministres successifs ont accepté de répondre aux aspirations à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Faure">libéralisation du rapport pédagogique</a> et de parachever la politique de massification du second degré à l’œuvre depuis 1959 à travers <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/38483-le-debat-sur-le-college-unique">l’institution du collège unique</a> en 1975. Dans le même temps, les réseaux conservateurs, des colonnes du Figaro au SNALC, en passant par l’UNI ou le Club de l’Horloge, <a href="https://www.puf.com/content/Changer_l%C3%A9cole_ou_la_sauver">s’indignaient de cette politique de concessions</a>.</p>
<p>Au-delà de la défense de l’école « libre », victorieuse en 1984, la droite des années 1980 s’est approprié certains marqueurs idéologiques portés par la dynamique antipédagogiste. Pourtant, lors de leur passage au pouvoir, ses principales personnalités n’ont pu mettre en œuvre la suppression du collège unique, la fermeture des IUFM (<a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/07/03/devant-la-commission-des-affaires-culturelles-de-l-assemblee-nationale-francois-fillon-presente-un-requisitoire-contre-les-iufm_4417667_1819218.html">« institutions pernicieuses aux mains de médiocres ou d’illuminés »</a>, selon François Fillon) ou l’abandon du principe selon lequel l’élève devrait être « au centre du système », sur lesquels ils avaient abondamment communiqué. Se construisant dans l’opposition sur le mode polémique, la culture conservatrice s’est une fois encore heurtée aux faits.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UIZKj2ad2Zw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Manifestation contre le projet de loi Savary, en 1984.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’option libérale a davantage donné lieu à des réalisations concrètes. La décentralisation, pensée avant tout comme une responsabilisation des cadres intermédiaires (particulièrement des chefs d’établissement), a ainsi été un souci prioritaire de Luc Ferry comme de Jean-Michel Blanquer, et se manifeste jusque dans le « Pacte » promu à la rentrée 2023 par Emmanuel Macron.</p>
<p>Mais elle offre peu de prises au monde conservateur pour se distinguer de la gauche, qui s’est longtemps réclamée de valeurs décentralisatrices et qui, dans les années 1980, s’est parfaitement approprié l’idée selon laquelle l’École devait s’adapter aux besoins des entreprises : c’était une autre priorité de la communication de Jean-Pierre Chevènement.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jean-michel-blanquer-un-ministre-a-la-longevite-republicaine-ou-bonapartiste-167672">Jean‑Michel Blanquer, un ministre à la longévité républicaine ou bonapartiste ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Il faut en fait attendre 2007 pour que la droite adopte sur l’éducation une communication donnant la priorité à la construction d’une identité véritablement conservatrice. Nicolas Sarkozy est alors le premier candidat au deuxième tour de l’élection présidentielle à accorder une place importante à l’école dans sa campagne, et ce en mettant en avant la question de la discipline et de l’autorité. Dès lors, l’École devient un terrain privilégié pour la refondation idéologique d’une droite qui doit, sur l’autre bord, se mesurer à une extrême droite en pleine ascension.</p>
<p>Dans l’opposition depuis 2012, les parlementaires Les Républicains, à l’instar de ceux du Rassemblement national, et suivis à l’occasion par Jean-Michel Blanquer, saisissent toutes les occasions de manier des marqueurs idéologiques, positifs, comme <a href="https://theconversation.com/uniforme-a-lecole-leternel-debat-147126">l’uniforme</a> ou le lever de drapeau, ou négatifs, comme l’écriture inclusive, le « wokisme » ou les tenues religieuses.</p>
<h2>Une réflexion politique nécessaire à l’engagement éducatif</h2>
<p>Il n’est pas certain que ce travail, essentiellement symbolique, suffise à construire une culture partagée à droite. À gauche, les forces désormais appelées à jouer un rôle moteur, des écologistes à la France Insoumise, ont rarement l’occasion de s’exprimer sur les questions éducatives, de sorte que les perspectives risquent aussi d’y demeurer floues. Encore peu fondées factuellement, les nouvelles oppositions, imaginées par le pouvoir actuel, entre « progressisme » et « populisme » ou entre « arc républicain » et « extrêmes », manquent de contenu.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Historiquement, la question du statut de l’école privée est en fait le seul point qui soit parvenu à unifier durablement des camps et à susciter des oppositions claires, porteuses de véritables identités politiques. Mais depuis que les <a href="https://www.fabert.com/editions-fabert/la-liberte-sous-contrat-une-histoire-de-l-enseignement-prive.3084.produit.html">manifestations monstres de 1984 et de 1994 ont convaincu les uns et les autres de ne plus toucher au statu quo</a>, celles-ci ont perdu de leur consistance.</p>
<p>Or l’école a besoin de politique. On ne redonnera pas aux jeunes l’envie de s’engager dans les métiers de l’éducation sans leur permettre d’inscrire cet engagement dans un projet qui le dépasse. On ne mobilisera pas les enseignants pour une réforme, si nécessaire soit-elle, sans que celle-ci soit sous-tendue par une vision. C’est là affaire de travail programmatique et de mise en débat, d’activation d’un imaginaire et de mise en scène de clivages clairs et durables. Et sur ce point, tout reste à faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yann Forestier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bac, calendrier, uniforme, évaluations… Les sujets autour de l’école font régulièrement l’actualité. Mais au-delà des polémiques, des projets politiques se dessinent-ils vraiment ?Yann Forestier, Chercheur associé au Centre Amiénois de Recherche en Education et Formation (CAREF). Professeur agrégé d'histoire, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035792023-05-08T18:06:37Z2023-05-08T18:06:37ZDans les débats sur la fin de vie, prendre en compte la voix des lycéens<p>La remise du rapport de la <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/09/13/lancement-du-debat-sur-la-fin-de-vie">Convention citoyenne sur la fin de vie</a> le 3 avril 2023 a clos la période de concertation de 6 mois ouverte en octobre 2022 pour « donner à chacun de nos concitoyens l’opportunité de se pencher sur ce sujet, de s’informer, de s’approprier la réflexion commune et de chercher à l’enrichir ». Au-delà de la délicate question de l’évolution de la loi et de l’aide active à mourir, l’idée était aussi de donner aux Français les moyens de s’approprier les termes du débat.</p>
<p>En effet, selon le sondage <em>BVA Opinon</em> d’octobre 2022, <a href="https://www.bva-group.com/sondages/les-francais-et-la-fin-de-vie-2/">« Les Français et la fin de vie »</a>, la moitié des citoyens se sentent mal informés à ce sujet. Ils connaissent peu des dispositifs comme le <a href="https://theconversation.com/fin-de-vie-plutot-que-des-directives-anticipees-parlons-de-directives-concertees-194573">système des directives anticipées</a> (permettant à chacun de laisser un document précisant ses souhaits) ou le principe de la <a href="https://sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/les-soins-palliatifs-et-la-fin-de-vie/la-prise-en-charge-palliative-et-les-droits-des-personnes-malades-et-ou-en-fin/article/designer-sa-personne-de-confiance">personne de confiance</a> (qui accompagnera le patient au cours de sa prise en charge).</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faire-evoluer-les-conditions-de-la-fin-de-vie-prenons-le-temps-dy-travailler-202563">Faire évoluer les conditions de la fin de vie ? Prenons le temps d’y travailler</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Alors que s’ouvre une nouvelle étape du débat avec l’annonce, par le président de la République, de l’élaboration d’un plan décennal pour la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs et la « co-construction entre le Gouvernement, les parlementaires et les parties prenantes, d’un <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/04/03/reception-des-membres-de-la-convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie">projet de loi sur la fin de vie</a> d’ici la fin de l’année 2023 », il s’agit de s’appuyer pleinement sur les enseignements d’une démarche citoyenne très large. Outre le grand intérêt du <a href="https://www.lecese.fr/convention-citoyenne-sur-la-fin-de-vie">rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie</a>, il s’agit de faire le bilan des 245 débats organisés par les Espaces de réflexion éthique régionaux.</p>
<h2>Réfléchir sur les conditions de l’aide active à mourir</h2>
<p>Une attention toute particulière doit aussi être portée à des publics traditionnellement peu consultés sur les questions de la fin de vie, comme les <a href="https://www.bva-group.com/sondages/les-francais-et-la-fin-de-vie-2/">18-34 ans</a>. C’est ainsi que l’Espace éthique Île-de-France a mis en place une démarche de réflexion avec quatre établissements – le lycée Jeanne d’Albret à Saint-Germain-en-Laye, le lycée Jehan de Chelles, les lycées Pierre-Gilles de Gennes et Henri IV à Paris.</p>
<p>L’objectif n’était pas de produire, en quatre séances de trois heures, des recommandations en vue d’une éventuelle évolution de la loi ni de constituer un panel représentatif des « jeunes » mais de recueillir les points d’attention des participants. Il s’agissait d’approfondir avec eux leurs réflexions sur les thématiques choisies collectivement, et de construire un espace public leur permettant d’échanger des arguments, des accords et des désaccords synthétisés dans un <a href="https://www.espace-ethique.org/concertation-fin-de-vie">rapport et une cartographie des controverses</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-face-a-lincertitude-faire-entrer-la-reflexion-ethique-a-lecole-147338">Débat : Face à l’incertitude, faire entrer la réflexion éthique à l’école</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si la méthode de consultation des lycéens est différente de celle de la Convention citoyenne ou d’autres dispositifs mis en œuvre – travail transpartisan avec les députés et les sénateurs, avis des sociétés savantes, rencontres organisées par les espaces de réflexion éthique régionaux… –, elle ne doit pas pour autant les ignorer. Cette mosaïque d’approches forme un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/hast.1318">« système délibératif » global</a> qui apporte de la richesse au débat public et permet de toucher un public diversifié – les étudiants en médecine, les personnes âgées dans des EHPADs, des soignants, des élus, etc.</p>
<p>Les membres de la Convention citoyenne et les lycéens qui ont participé à la consultation de l’Espace éthique Île-de-France partent du même constat : le manque d’information de nos concitoyens sur les droits des patients et les soins palliatifs. Autre point commun, nous pouvons observer un attachement fort au système de santé et une profonde imprégnation de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. La question du respect des choix du patient, de son autonomie décisionnelle, de son consentement, et la notion d’une égalité de traitement font partie des principes rappelés par les participants.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6x6b6wWnVeU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Débat sur la fin de vie : Emmanuel Macron veut un projet de loi pour « un modèle français » (France 24, avril 2023).</span></figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, alors que les conventionnels soulignent d’abord « l’inégalité d’accès à l’accompagnement en fin de vie » et la nécessité de garantir « un accès aux soins palliatifs », les lycéens consultés ont préféré se concentrer une éventuelle légalisation de l’aide active à mourir afin de soulager les souffrances réfractaires, qu’elles soient somatiques ou psychiques.</p>
<p>En effet, contrairement aux arguments « pour » et « contre » <a href="https://theconversation.com/pourquoi-se-dirige-t-on-vers-une-legalisation-de-leuthanasie-en-france-190414">l’euthanasie</a> et le suicide assisté qui ont été débattus au sein de la Convention citoyenne – même si les conventionnels se sont prononcés majoritairement en faveur d’une ouverture de l’aide active à mourir – les lycéens et les étudiants de la consultation ne montrent pas de désaccord de départ sur l’aide active à mourir. Aucune voix de participant ne s’est élevée contre, alors que les animateurs leur en ont donné l’occasion à plusieurs reprises.</p>
<h2>Construire une cartographie des controverses</h2>
<p>Le débat s’est alors ouvert sur les critères d’accès à l’aide active à mourir, sur les droits des patients, le rôle des médecins et leur éventuelle spécialisation, les formations nécessaires pour accompagner au mieux les patients les familles, ou encore les souffrances qui doivent être prises en compte (somatiques, psychiques, existentielles, etc.) et la manière de les mesurer.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ainsi, alors que la Convention citoyenne traite de manière systématique des conditions d’accès à l’aide à mourir (conditions médicales, nationalité, âge, etc.), les lycéens approfondissent des enjeux qui leurs tiennent à cœur : l’accès éventuel des mineurs ou des personnes ayant des troubles psychiques, le rôle des familles dans le choix du patient, la capacité de discernement du patient, le soulagement des souffrances psychiques ou existentielles, ou encore le risque de marchandisation.</p>
<p>A partir de ces réflexions, la mise en situation amène les lycéens, comme les conventionnels, à imaginer un parcours très encadré de soin et d’accompagnement des personnes qui feraient une demande d’aide active à mourir avec un soutien psychologique, un consentement répété, ou encore une possibilité d’arrêter le processus à tout moment.</p>
<p>On le voit ici, il ne s’agit pas d’énoncer des opinions définitives. Au contraire, la cartographie des controverses, tout comme le « nuancier des opinions » du rapport de la Convention citoyenne permettent d’entrer dans la complexité des débats et des arguments qui ont été échangés. Ce sont des questionnements profondément éthiques qui se sont exprimés :</p>
<ul>
<li><p>Devrait-il y avoir une spécialisation de certains soignants formés pour procéder à l’aide active à mourir, ou bien tous les soignants devraient-ils être en mesure de répondre, dans leurs services, à une demande d’aide active à mourir ?</p></li>
<li><p>L’aide active à mourir est-elle une continuité des soins ou une rupture ?</p></li>
<li><p>La médecine doit-elle passer de la perspective de guérison du malade à un rôle d’accompagnement ?</p></li>
<li><p>Comment évaluer une demande d’aide à mourir ? Qui juge que la demande est légitime ?</p></li>
</ul>
<p>Ces questions, telles qu’elles se sont exprimées, ne trouveront pas de réponses binaires « vrai/faux », « bien/mal », ou « juste/injuste ». Elles ouvrent un champ de réflexion sur les enjeux tels qu’ils sont posés par les Français en 2023 sur la <a href="https://theconversation.com/comment-penser-la-mort-en-france-200562">fin de vie</a>. En cela, nous pensons que ces dispositifs de concertation et de consultation citoyenne sont de nature à structurer le débat public et à guider les choix politiques qui pourront être faits.</p>
<p>Reste donc de ces débats une richesse de questionnements qui aura été signalée par tous les participants, et une manière apaisée de partager nos accords et nos désaccords. Comme le souligne une participante à la consultation lycéenne, « cette expérience a été en effet très enrichissante. J’ai appris à discuter et réfléchir autour d’un sujet que je ne connaissais pas à l’origine et que j’ai pu par ailleurs approfondir. Il était également intéressant de prendre le temps d’écouter les autres et de pouvoir intervenir à tout moment ». Nous espérons que la rédaction de la loi et sa discussion seront éclairées par ces débats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203579/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Claeys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les 18-34 ans sont traditionnellement peu consultés sur les questions autour de la fin de vie. Ils ont pourtant des avis à partager sur le sujet, nous montre une consultation menée avec quatre lycées.Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable du débat public et de la communication à l'Espace éthique Île-de-France, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957492023-01-08T16:43:11Z2023-01-08T16:43:11Z« L’envers des mots » : Clivant <p><em>À mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies, notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ? De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », les chercheurs de The Conversation s’arrêtent deux fois par mois sur l’un de ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
<hr>
<p>Dans les dictionnaires usuels, l’adjectif <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/clivant/10910991">« clivant »</a> se définit comme « ce qui divise profondément l’opinion ». Ce sens aujourd’hui dominant a éclipsé le sens strict du verbe « cliver » qui désignait à l’origine une technique, et même un art : celui de fendre un diamant ou un minerai cristallisé « selon le sens de ses couches lamellaires », comme le précise le dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources textuelles et lexicales (<a href="https://www.cnrtl.fr/">CNRTL</a>).</p>
<p>L’artisan doté de ce savoir-faire sur une matière première très précieuse était appelé « cliveur ». On retrouvait donc cette famille de mots techniques dans le <em>Dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers</em>, autrement dit <em>L’Encyclopédie</em> dirigée par Diderot et d’Alembert au temps des Lumières.</p>
<p>Apparu beaucoup plus tard, « clivant » est doté d’un sens sociopolitique n’ayant plus de rapport avec le vocabulaire matérialiste des diamantaires flamands. Plus qu’un mot, il est même devenu un véritable trope, une figure de style caractéristique de cet idiome des médias que le linguiste Gérard Genette nommait le <a href="https://www.la-nouvelle-quinzaine.fr/mode-lecture/gerard-genette-ou-les-saveurs-de-l-alphabet-140">médialecte</a>. En 2012, dans la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/04/clivant_1638963_3232.html">chronique « Juste un mot »</a> du <em>Monde</em>, le journaliste Didier Pourquery relatait sa diffusion rapide et quasi contagieuse dans la bouche des journalistes politiques. Notons que les deux exemples donnés alors de sujets considérés comme « clivants », l’Europe et la laïcité sont toujours à l’agenda dix ans plus tard.</p>
<p>L’envers de ce mot diabolique est qu’il se présente comme une étiquette descriptive et que son usage public s’avère d’une efficacité d’autant plus forte que celle-ci est estompée par le halo d’attitude protectrice qui la nimbe. Des propos « clivants » pourraient en effet susciter le malaise dans l’opinion soudain magiquement réunifiée : la vigilance est donc de rigueur ! Sur un plan plus général, « clivant » représente un acte de discours qui modifie la réalité, ce que l’on qualifie de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/quand-dire-c-est-faire-john-langshaw-austin/9782020125697">performatif</a> en linguistique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Voyons cela de plus près. « Clivant » opère en effet une mise en garde quasi sanitaire à propos de certains discours tout en souscrivant à la protection du bien public démocratique le plus précieux : la libre expression des opinions. De fait, l’étiquette « clivant » une fois qu’elle est attribuée à des auteurs heurtant des conceptions dominantes, ou à propos de questions dites aussi « vives » ou « sensibles » comme l’immigration, l’identité nationale ou l’islamophobie, revient à signaler un danger à l’opinion publique. La nature du danger restant tacite, l’alarme propage son potentiel anxiogène dans l’opinion ainsi interpellée.</p>
<p>Cette efficacité performative redoutable révèle à la réflexion un sérieux paradoxe. En effet, la démocratie étant par essence le régime reconnaissant la pluralité des opinions et protégeant la liberté d’expression tant qu’elle s’exerce dans le cadre de la loi, la suspicion à l’égard de discours qui respectent a priori les règles du débat n’aurait pas lieu d’être, si l’on se fonde sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 août 1789.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-la-pandemie-a-t-elle-eu-raison-de-lesprit-des-lumieres-152593">Débat : La pandémie a-t-elle eu raison de l’esprit des Lumières ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Car cela reviendrait alors à décider d’autorité, en dehors de toute loi établie et de toute instance légitime, en référence à un consensus aussi mythique que fallacieux, quels sont les discours jugés audibles et quels sont ceux qui ne le sont pas, comme y tendent les cas borderline suspects regroupés dans la catégorie « clivant ».</p>
<p>L’hypothèse de l’existence d’une norme idéologique tacite sous-tendant l’espace discursif public dont « clivant » serait l’expression codée et l’opérateur reviendrait donc à reconnaître l’exercice d’une censure morale dans le domaine de l’expression des idées et des convictions, ce qui contrevient radicalement aux principes de notre culture démocratique.</p>
<p>Ce qui vient à l’appui de cette hypothèse préoccupante est le glissement récent de « clivant » appliqué à des personnes et non plus à leurs propos publics. En effet, la controverse perd son sens même lorsque cette qualification est attribuée a priori à des intellectuels et des représentants du monde académique invités à s’exprimer. Aussi aurions-nous affaire à travers cet abus de mot non seulement à un dévoiement du débat sous influence de la culture du clash, mais à son empêchement sans violence apparente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195749/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle de Mecquenem ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Derrière l'usage de plus en plus fréquent de l'adjectif « clivant », assisterait-on à un dévoiement de la notion même de débat, sous l'influence de la culture du clash ?Isabelle de Mecquenem, Professeur de philosophie, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897382022-10-03T14:21:48Z2022-10-03T14:21:48ZFonderie Horne : quel rôle occupent les preuves scientifiques dans la décision politique au Québec ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487793/original/file-20221003-3479-f229kf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=48%2C20%2C4518%2C3428&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda?</span> <span class="attribution"><span class="source">(Maikel Rosabal Rodriguez)</span></span></figcaption></figure><p>Lorsque nous prétendons avoir la preuve de quelque chose, nous avons tendance à agir en conséquence, car nous pensons connaître la vérité. On pourrait donc penser que lorsqu’une nouvelle preuve scientifique est disponible, celle-ci devrait suffire en elle-même à entraîner une décision politique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/decrochage-de-la-population-aux-mesures-sanitaires-une-sante-publique-plus-autonome-est-necessaire-176629">Décrochage de la population aux mesures sanitaires : une Santé publique plus autonome est nécessaire</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Or, comme le montre la <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/2875-risque-cancerigene-concentrations-arsenic-cadmium-air-rouyn-noranda">récente évaluation de risques de cancers dans la ville de Rouyn-Noranda</a> et les <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/745239/nouvelles-normes-quebec-arsenic-fonderie-horne-rouyn-noranda">négociations gouvernementales avec la fonderie Horne</a> considérée responsable, la réalité semble bien plus complexe.</p>
<p>Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques ? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda ?</p>
<p>Professeur titulaire et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches sur la science, l’expertise et les politiques publiques cherchent à apporter un éclairage sur ces questions. Dans un chapitre d’un livre collectif à paraître (Molly Kao et Julien Prud’homme, <em>Faire preuve. Comment nos sociétés distinguent-elles le vrai du faux</em>, Presses de l’Université de Montréal) sur l’utilisation des preuves scientifiques dans la décision politique, nous argumentons que celles-ci ne peuvent suffire en elles-mêmes. Ces dernières font l’objet de diverses stratégies et n’apportent qu’un regard spécifique sur une situation, ce qui rend l’exercice du jugement politique indispensable.</p>
<p>Surtout, le niveau de preuve suffisant pour agir ne va pas de soi.</p>
<h2>L’importance des preuves scientifiques</h2>
<p>Nous évoquons dans notre chapitre <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300251852/the-misinformation-age/#:%7E:text=The%20Misinformation%20Age%2C%20written%20for,depends%20on%20who%20you%20know.">deux philosophes de la science</a> qui affirment que la vérité et les preuves scientifiques nous permettent d’agir de la bonne façon. Pourquoi ? Car si nous agissons en fonction de conceptions erronées, nous nous exposons à ce que le réel « nous heurte ».</p>
<p>Par exemple, si un décideur augmente la limitation de vitesse de 50 km/h en pensant que cela ne causera pas davantage d’accidents, la réalité risque de s’imposer et de « heurter » la population. Pour cette raison, un champ des politiques publiques <a href="https://link.springer.com/book/10.1057/978-1-137-51781-4#:%7E:text=The%20Politics%20of%20Evidence%20Based,evidence%20relevant%20to%20policy%20problems.">vise à informer la décision publique au travers de preuves scientifiques</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487294/original/file-20220929-16-zq4g3g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’INSPQ et la Santé publique ont produit des preuves scientifiques identifiant certains risques que poseraient l’activité de la fonderie Horne sur la santé des riverains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Maikel Rosabal Rodriguez)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au Québec, c’est ce qui justifie l’existence de la Santé publique et de groupes d’experts comme l’INSPQ, dont la mission est, <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/i-13.1.1">selon sa Loi constitutive</a>, de soutenir et « [d’]informer le ministre des impacts des politiques publiques », et « la population sur son état de santé ».</p>
<h2>Fonderie Horne : une preuve scientifique à l’origine du débat public</h2>
<p>Forts de leur mission d’information, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1896064/conference-presse-boileau-cancer-arsenic-rouyn">l’INSPQ et la Santé publique ont produit des preuves scientifiques identifiant certains risques que poseraient l’activité de la fonderie Horne sur la santé des riverains</a>, dont récemment, celui de cancer du poumon.</p>
<p>Aussitôt après la publication du <a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/2875-risque-cancerigene-concentrations-arsenic-cadmium-air-rouyn-noranda">rapport de l’INSPQ</a>, au début du mois de juillet 2022, le Directeur national de la Santé publique, Luc Boileau, <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/730686/fonderie-horne-un-niveau-d-emissions-d-arsenic-pas-tolerable">affirmait que les émissions d’arsenic de la fonderie n’étaient pas « tolérables »</a>. Dans la foulée, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1895848/arsenic-politique-environnement-premier-ministre-rouyn-noranda">premier ministre François Legault n’excluait pas la fermeture de l’usine</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486583/original/file-20220926-12637-huyf0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de la carte Google Maps créée par le journaliste Thomas Gerbet (Radio-Canda) recensant les 89 entreprises bénéficiant d’une dérogation aux normes de pollution.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Radio-Canada</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Bien que des risques semblaient <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1885025/cancer-arsenic-nickel-abitibi">déjà avoir été identifiés dans le passé</a>, la solidité de la preuve paraît cette fois générer une attention publique considérable, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1910888/cinq-chefs-election-entrevue-quebec-radio-canada">essaimant dans la campagne électorale</a>, et générant un débat public sur les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1905872/attestations-assainissement-89-quebec">dérogations aux normes de pollution</a>.</p>
<p>Toutefois, l’orientation gouvernementale choisie semble s’être gardée de toute mesure préventive. Le gouvernement compte en effet imposer des <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/745239/nouvelles-normes-quebec-arsenic-fonderie-horne-rouyn-noranda">« cibles intermédiaires », dont des émissions de 15 nanogrammes d’ici 5 ans pour l’arsenic, au lieu des 3 requis par la norme nationale</a>. Pourquoi ?</p>
<h2>Une preuve scientifique suffit-elle pour agir ?</h2>
<p>En réalité, décider en se fondant sur une preuve scientifique n’est pas un processus linéaire. <a href="https://doi.org/10.1080/02691728.2016.1172365">Il existe bien une « hiérarchie des preuves » plaçant les essais expérimentaux (c’est-à-dire reproduisant le phénomène en conditions de laboratoire) en première position</a>, mais ils ne sont parfois pas adaptés aux décisions publiques et à la réalité.</p>
<p>Dans le cas de Rouyn-Noranda, des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1898316/fonderie-horne-contaminants-metaux-arsenic-nickel-plomb">doutes ont par exemple été émis sur les effets synergiques (multiplicatifs) de plusieurs polluants émis par la fonderie</a>, même à des taux peu élevés. Un expert indiquait ainsi lors de la <a href="https://www.ledevoir.com/depeches/751698/fonderie-horne-soiree-d-information-pour-les-residents-du-quartier-notre-dame-jeudi">récente soirée d’informations de la Santé publique</a> que de tels effets sont documentés de manière expérimentale <a href="https://fb.watch/fsQ4CW9mAm/">« dans des laboratoires »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Benoît Charrette durant une conférence de presse" src="https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487795/original/file-20221003-20-4ikvms.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoît Charette, s’adresse aux médias lors d’une conférence de presse à Montréal, le 23 avril 2021. Il a fixé les émissions moyennes d’arsenic permises pour la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda, un nouvel objectif à atteindre d’ici cinq ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cependant, ce dernier ajoutait également que <a href="https://fb.watch/fsQ4CW9mAm/">« l’état de la science actuellement ne permet pas tout simplement […] de pouvoir vérifier si ça s’observe vraiment »</a> à des niveaux faibles d’exposition. En d’autres termes, la preuve disponible demeure, dans ce cas, inadaptée et implique l’utilisation d’autres preuves.</p>
<p>Pour cette raison, les décideurs doivent souvent faire appel au jugement humain et fixer par eux-mêmes le niveau de preuve qu’ils considèrent suffisant pour qu’une décision soit prise (ou non). Ceci peut expliquer la position médiane du gouvernement.</p>
<h2>Un niveau de preuve insuffisant pour fermer la fonderie ?</h2>
<p>De plus, une preuve scientifique n’est jamais qu’un point de vue spécifique sur un problème. Comme le rappelait le Dr Boileau en <a href="https://youtu.be/o5OGDVNdx7A?t=1309">conférence de presse</a>, « [il] y a des effets lorsque l’on ferme des emplois […] pour la santé des personnes qui sont touchées ».</p>
<p>Une politique publique ne peut donc pas traduire linéairement une preuve en décision. Dans le doute, c’est aux représentants démocratiquement élus, ou à la population, de trancher à partir des preuves disponibles. Ce à quoi devrait servir la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1911276/qualite-air-rouyn-noranda-glencore-autorisation">consultation citoyenne récemment lancée</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=335&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486581/original/file-20220926-12637-y0j7pi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=421&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de « l’expertise scientifique rapide » produite par l’INSPQ le 10 août 2022 à la demande des autorités de santé publique afin de connaître, selon la question posée, « quelles sont les valeurs de référence à respecter afin de prévenir les risques d’effets autres que le cancer (effets sur l’enfant à naître et sur le développement de l’enfant en bas âge) dans le contexte actuel ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.inspq.qc.ca/publications/breffage-fonderie-horne">L’INSPQ a proposé le mois dernier dans des considérations supplémentaires</a> un repère de 15ng d’émissions d’arsenic, jugé « acceptable ». Le mandat, « confié par les autorités de santé publique », cherche à identifier les risques autres que le cancer pour les personnes vulnérables (enfants à naître, enfants en bas âge).</p>
<p>On comprend que ce « repère », qui répond à des objectifs fixés par le mandat, montre que le niveau de preuve semble <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1896064/conference-presse-boileau-cancer-arsenic-rouyn">paraître insuffisant</a> pour les autorités afin d’envisager une fermeture. Elles demandent des preuves scientifiques supplémentaires.</p>
<h2>Quel équilibre entre preuves scientifiques et décision politique ?</h2>
<p>Le niveau de preuve suffisant pour prendre une décision relève donc du jugement politique. Dans un <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691218939/politics-and-expertise">ouvrage remarquable d’une professeure de science politique à la London school of economics</a>, il est considéré que ce niveau de preuve devrait être fixé par des structures de délibérations démocratiques.</p>
<p>Lors d’une <a href="https://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-avec-celine-galipeau/site/segments/reportage/376366/francois-legault">récente entrevue</a>, le premier ministre François Legault a semblé vouloir cadrer le débat en affirmant qu’il revenait seulement « aux gens de Rouyn-Noranda de décider ». Ce faisant, il propose donc une façon de choisir comment et qui devrait juger du niveau de preuve suffisant.</p>
<p>Or, s’il existe bien une preuve scientifique permettant de déterminer un repère intermédiaire « sécure » pour les « plus vulnérables » (15ng), le <a href="https://youtu.be/o5OGDVNdx7A?t=1309">Dr Boileau a également rappelé</a> que nous n’en disposons pas concernant les effets socio-économiques d’une fermeture. Dans ces conditions, une véritable délibération semble donc difficile.</p>
<p>Une question qui, en période électorale, mérite une place de choix dans la campagne afin d’identifier, surtout après la pandémie, quel équilibre adopter entre preuves scientifiques et décision politique. Une façon, aussi, de se préparer à l’avenir et aux changements climatiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189738/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Lemor reçoit une bourse du Fond de recherche du Québec société et culture (FRQSC) dans le cadre de ses recherches doctorales. Il a également effectué en stage en évaluation auprès de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pour lequel il a reçu une bourse du FRQSC. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Éric Montpetit reçoit un financement du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour ses travaux sur la COVID-19. </span></em></p>Comment les preuves scientifiques sont-elles traduites en décisions politiques ? Et en quoi cela peut-il nous aider à mieux comprendre la situation de Rouyn-Noranda ?Antoine Lemor, Political science PhD candidate and lecturer, Université de MontréalÉric Montpetit, Professor, Public Policy, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749742022-02-09T08:36:11Z2022-02-09T08:36:11ZSur Twitter, une nouvelle forme de mobilisation politique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445140/original/file-20220208-15-14jl5g3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C5%2C1194%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les salons audio ou Twitter Spaces, une nouvelle fonctionnalité. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les « Twitter Spaces », apparus en décembre 2020, pourraient être définis comme des salons publics auxquels tous ceux qui disposent d’un compte peuvent participer en déposant une note vocale.</p>
<p>Il suffit pour cela de se rendre sur le « Space » de son choix – il en existe sur une multitude de sujets –, écouter et, si on le souhaite, demander à intervenir auprès des hôtes et co-hôtes. Twitter a ouvert cette fonctionnalité audio depuis le 17 décembre pour mieux rivaliser avec d’autres plates-formes comme Facebook ou Clubhouse.</p>
<p>Ils s’inscrivent dans la grande nébuleuse de la participation politique à l’ère de l’agora digitale, comme les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/EJM-04-2019-0336/full/html">blogs et les plates-formes</a> de participation politiques actives en France, ainsi que dans d’autres pays européens. En période de campagne électorale, ces espaces deviennent des lieux d’échange mobilisant de quelques dizaines de participants à des milliers, ce à toute heure du jour et de la nuit.</p>
<p>Les lieux de participation politique trouvent leur origine dans l’agora grecque. Ces « Twitter Spaces » sont des lieux de mobilisation politique dont les règles de fonctionnement, de participation et d’interaction échappent en partie à l’activité politique traditionnelle. Plus précisément, ces <a href="https://foucault.info/documents/heterotopia/foucault.heteroTopia.fr/">hétérotopies politiques</a> émergent suivant les axes pouvoir vertical vs pouvoir horizontal ; exclusivité sociale vs inclusivité sociale.</p>
<p>Une première analyse ethnographique du phénomène, menée en observation participante et non-participante, dévoile comment ces spaces réarticulent les lieux traditionnels de la participation politique. Nous avons écouté des dizaines de notes vocales, et créé 3 « Twitter Spaces » spécifiques en janvier 2022 afin de recueillir les paroles des participants et saisir leurs motivations ; les citations de l’article sont toutes issues de ces échanges.</p>
<h2>Un lieu de critique</h2>
<p>Les « Twitter Spaces » centrés sur des sujets politiques sont tout d’abord de formidables lieux d’expression ; ils sont une respiration démocratique.</p>
<p>Ils offrent à qui veut l’écoute, la parole, la possibilité d’élargir son territoire social et son réseau, de convaincre.</p>
<p>Ici, pas de casting, l’espace est libre, ces endroits jouent comme une alternative aux médias classiques.</p>
<p>Comme le disent certains des participants de l’un des « Spaces » que nous avons créé :</p>
<blockquote>
<p>« La parole est très contrôlée dans les médias mainstream, les milliardaires contrôlent tout, ici on est libres ».</p>
<p>« On peut tout se dire, moi je n’ai plus la télé depuis des années, ici on débat pour de bon. »</p>
</blockquote>
<p>Le « Twitter Space » devient le lieu d’une expression <a href="https://theconversation.com/le-mouvement-5-etoiles-en-italie-lecture-marketing-dun-phenomene-politique-inclassable-93547">hors les murs</a> des institutions traditionnelles, d’une oxygénation citoyenne ; la critique du système politico-médiatique qui n’est pas sans questionner sur l’état de la démocratie y est exprimée sans cesse.</p>
<p>Dans la lignée des autres médias sociaux, c’est une offre de citoyenneté de plus une offre encore plus puissante car facile d’accès.</p>
<h2>Un lieu d’inclusivité</h2>
<p>Ces espaces permettent à tous, des anonymes aux plus connus – politiques, chercheurs, intellectuels, journalistes – d’échanger, de se connaître, ou simplement d’écouter.</p>
<p>En d’autres termes, comme le dirait le <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/12/17/la-reconnaissance-d-axel-honneth-les-trois-grammaires-de-la-liberte_6063791_3260.html">philosophe Axel Honneth</a> (1996), les « Twitter Spaces » facilitent la reconnaissance réciproque des uns vis-à-vis des autres, et permettent certainement de rétablir un sentiment d’équité et de justice sociale.</p>
<p>Lors de ce travail d’observation, il a souvent été question d’inclusion, de la rencontre avec « l’autre ». Cet autre qui peut être un « proche » – même famille politique – ou un contradicteur. Cet espace reste le lieu des altérités.</p>
<p>C’est d’ailleurs un lieu dans lequel les personnes souvent invisibilisées prennent la parole :</p>
<blockquote>
<p>« Sur les Spaces, il peut y avoir des racisés, beaucoup de femmes, les gens concernés sont enfin présents ; on parle enfin racisme avec des personnes touchées par le sujet ».</p>
<p>« Il y a eu un Space sur le handicap et la politique, certains responsables politiques sont venus écouter, une a même pris la parole ».</p>
</blockquote>
<p>C’est un peu comme si, dans ces lieux, les hiérarchies sociales se reformaient peu à peu sur de nouvelles bases d’égalité entre tous les participants.</p>
<h2>Un lieu d’autogestion et d’intelligence collective</h2>
<p>Le caractère autogéré via un médium aussi puissant que Twitter rend cet espace d’expression assez inclusif pour les participants.</p>
<blockquote>
<p>« On dit souvent que dès que le nombre est trop important on ne peut plus gérer, or ces spaces prouvent le contraire ; ce soir on est près de 400 et tout le monde s’écoute et prend la parole sans se superposer aux autres participants. »</p>
<p>« Il y a une légère modération via l’hôte ou l’hôtesse, mais ça reste en général très léger. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ce que nous disent une sympathisante LFI et une militante d’EELV.</p>
<p>L’horizontalité est aussi permise par le temps long ; les « Twitter Spaces » restent actifs 3, 6, voire 12 heures ou plus, ce qui permet à chacun de s’exprimer. Les discussions sont ouvertes et peuvent être écoutées en replay si un enregistrement a été prévu. Chacun est libre de partir, de rester, de revenir au regard de l’amplitude horaire.</p>
<p>Ces lieux offrent la possibilité de repérer des personnes « inspirantes, ayant une culture politique impressionnante avec des discours politiques très construits. Il y a tellement de pépites. » dit un participant.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=902&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445142/original/file-20220208-25317-90djwi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le Twitter Space peut se muer en outil de communication.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twitter</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’horizontalité y est sociale mais aussi géographique : Londres parle à La Rochelle, qui parle à Québec. Le monde est plat ici, et il autorise la création de communautés très liquides, flexibles, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ou_atterrir_-9782707197009#:%7E:text=Pour%20contrer%20une%20telle%20politique,publique%20mais%20aussi%20ses%20enjeux">comme le montre Bruno Latour</a>. Le seul trait d’union qui unit les participants est l’intérêt pour la chose publique et le débat politique.</p>
<h2>Un lieu de mobilisation de proximité</h2>
<p>La plate-forme digitale joue aussi dans l’acculturation politiques des participants, c’est le lieu de la diffusion et du partage de connaissance. Le tout se faisant <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/EJM-04-2019-0336/full/html">dans une grande familiarité, une forme d’intimité</a>.</p>
<p>Se crée un sentiment de proximité qui vient participer à la socialisation de chacun :</p>
<blockquote>
<p>« J’aime les spaces mais j’aime aussi raconter ma vie, on parle politique en pyjama ! »</p>
<p>« Avec la pandémie on ne se voit plus, ça nous permet de continuer à échanger » expliquent ces deux personnes de concert.</p>
</blockquote>
<p>Des processus de socialisation politique qui peuvent s’opérer en milieu plutôt « like minded » soit en allant dans des sphères politiques « ennemies » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est aussi un moyen d’éprouver la consistance de mon propre argumentaire et de mes propres convictions politiques, cela m’aide. » confie une militante RN.</p>
<p>« moi je vais dans des spaces adverses pour apprendre à contrer leur arguments » nous explique ce proche de Zemmour.</p>
</blockquote>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1106&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1106&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1106&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1390&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1390&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445143/original/file-20220208-2903-1moafjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1390&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des sympathisants d’Eric Zemmour se retrouvent dans des « Spaces ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le politique est aussi le lieu de l’apprentissage et celui où l’on fourbit ses armes pour la vie en société.</p>
<h2>Un lieu avec ses limites et sa part d’ombre</h2>
<p>Nous remarquons déjà que les space reflètent souvent ce que la littérature a déjà constaté sur l’intérêt que l’on porte à la politique : les femmes sont moins nombreuses – sauf sur les space EELV/Ecologie – les gens sont souvent plutôt diplômés, ce qui reflète aussi <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2013-3-page-663.htm">la fréquentation de Twitter en général</a>.</p>
<p>Ce militantisme 2.0 se développe, mais il est de plus en plus saisi par les officiels : le 12 janvier 2022, le ministère de l’Intérieur créait un « Space » autour des métiers liés à la sécurité ; au même moment, une porte-parole de LREM proposait un « Space » sur la jeunesse.</p>
<p>Les leaders d’opinion, les politiques, quelques éditorialistes, quelques intellectuels peuvent y voir une nouvelle manière d’assurer leur présence. Nous serions alors là face à un retour de verticalité.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=877&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445144/original/file-20220208-26-cq4cc3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1102&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Jen)-Luc Mélenchon, hôte d’un « Twitter Space ».</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le journal <em>Libération</em> a créé un « Twitter Space » pour soutenir la candidature de Christine Taubira ; les politiques y font de plus en plus campagne : Le 13 janvier Jean-Luc Mélenchon ou le 23 janvier Damien Rieu avec Eric Zemmour.</p>
<p>Si les gens « autorisés » s’emparent de cet outil, celui-ci risque de perdre beaucoup de son originalité et de son caractère alternatif, mais il peu gagner en attractivité et s’inviter à part entière dans la campagne.</p>
<p>Enfin, certains participants peuvent subir du cyberharcèlement : réception de message privés insultants, voire menaçants. Ce cyberharcèlement pourrait conduire Twitter a réguler ou tout simplement les hôtes à faire la police dans leur space.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445138/original/file-20220208-25-1t5ttum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tous les sujets sont abordés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twitter</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous voyons ici combien ces lieux perdraient de leur intérêt si une sorte de super régulation venait à se mettre en place.</p>
<p>Au total, les « Twitter Spaces » participent d’une dynamique politique globale, ils ouvrent d’autres espaces démocratiques ; ils peuvent être aussi le lieu de mise en valeur d’enjeux particuliers, le lieu de découvertes de nouveaux talents, le creuset de réseaux militants, une possibilité pour les responsables politiques d’être au contact et d’échanger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174974/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Apparus récemment, les « Twitter Spaces » sont un nouvel outil audio qui s’installe dans l’agora politique en ligne.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolGregorio Fuschillo, Professeur assistant de marketing, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1748322022-01-31T14:15:45Z2022-01-31T14:15:45ZPortrait(s) de France(s) : Où en est le débat public ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/440505/original/file-20220112-15-1vd6hmz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C6%2C2207%2C1228&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/Jennifer Gallé/Allociné/Benoît Tonson</span></span></figcaption></figure><p><em>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous bimensuel et thématique réunissant articles inédits, cartographies et podcasts, pour aborder les grands enjeux de l’élection présidentielle de 2022.</em></p>
<hr>
<p>Le cadre du débat est lui-même au cœur du débat. Ce qui ressort fortement des articles ici rassemblés, c’est une mutation fondamentale du débat d’idées en France et dans le monde aujourd’hui. On peut dire en effet qu’il s’est déplacé d’un débat, dans un cadre commun, à un débat à la fois plus général et plus tendu sur le cadre du débat lui-même. Il y va donc désormais des conditions mêmes du débat d’idées et au fond de la démocratie comme telles. Et on a besoin des sciences sociales pour comprendre où on en est, ne pas aller trop vite, mesurer les enjeux et les réponses.</p>
<p>Mais voyons d’abord les deux aspects qui nous semblent ici se dégager. La contestation du cadre : les articles <a href="https://theconversation.com/comment-l-alt-right-a-la-francaise-sapproprie-les-codes-de-tiktok-instagram-ou-youtube-173112">« sur l’alt-right »</a> ou <a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">« le wokisme »</a> et jusque dans ces termes mêmes, montrent que ceux qui se réclament de l’une ou qui critiquent l’autre ne veulent plus débattre avec leurs adversaires mais les contester comme adversaires légitimes, et contester le cadre même du débat. Il ne s’agit plus d’un débat d’idées mais d’un combat pour s’approprier et fermer le cadre du débat. Les études, très précises, le montrent et appellent d’autres recherches plus approfondies encore.</p>
<p>Le maintien du cadre : les articles sur les <a href="https://theconversation.com/en-graphiques-comment-les-francais-sinforment-ils-en-ligne-173283">modes d’information</a> des Français, <a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">sur l’école</a> ou sur la <a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-culture-generale-en-2021-117135">culture générale</a>, montrent au contraire comment le cadre se maintient à la fois dans des institutions, qu’il faut renouveler, des usages qu’il faut étudier et soutenir, et un savoir commun qui reste une condition du débat lui aussi. L’étude sur l’école comme laboratoire d’idées montre bien comment l’institution doit se penser elle-même comme lieu d’apprentissage du débat, et pas seulement d’un savoir, pour former aux pratiques fragilisées par la contestation du cadre.</p>
<p>Ce sera aussi aider à construire la recherche d’informations sur Internet, qui montre une certaine solidité des cadres institutionnels reconnus, et la construction d’une véritable culture commune de référence, qui n’est jamais neutre mais reste comme telle justement une base d’un débat commun. L’enjeu est là, pour le meilleur et pour le pire. Le débat d’idées n’oppose plus directement des idées et il faut le regretter. Le débat d’idées ne reviendra que si l’on maintient le cadre qui le rend possible.</p>
<p>Débattre de ce cadre est une urgence, mais, direz-vous, cela suppose déjà ce cadre ? Oui, vous avez raison, c’est l’enjeu et le critère. C’est le point critique où nous sommes et dont tous les « intellectuels » devraient se saisir d’abord, en réfléchissant eux-mêmes sur leurs cadres, leurs pratiques, leurs institutions, leurs principes. C’est le sens et l’importance du présent dossier.</p>
<hr>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440495/original/file-20220112-27-1e5pfrw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans la série Netflix <em>La directrice</em>, la protagoniste jouée par Sandra Oh se retrouve confrontée à un déferlement de panique morale au sein de son université.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie-26267/photos/detail">Eliza Morse/Netflix</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le « wokisme » ou l’import des paniques morales</h2>
<p>Le « wokisme » dispose d’une forme de lâcheté polysémique particulièrement arrangeante : la particularité d’embrasser un ensemble très étendu de pratiques, de mouvements et de faits sociaux.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/le-wokisme-ou-limport-des-paniques-morales-172803">> Lire l’article</a></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440496/original/file-20220112-23-qkcrnu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Navigation sur des chaines YouTube de l’alt-right française.</span>
<span class="attribution"><span class="source">JG/The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Comment l’« alt-right » à la française s’approprie les codes de TikTok, Instagram ou YouTube</h2>
<p>Les influenceurs de la droite alternative française utilisent habilement les codes de YouTube, Instagram ou TikTok pour diffuser leur idéologie auprès des jeunes générations.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/comment-l-alt-right-a-la-francaise-sapproprie-les-codes-de-tiktok-instagram-ou-youtube-173112">> Lire l’article</a></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440499/original/file-20220112-27-ko5rf9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La culture générale est-elle un moyen, ou une fin en soi ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/blur-book-stack-books-bookshelves-590493/">Janko Ferlic/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>A quoi sert la culture générale en 2021 ?</h2>
<p>La culture générale, entendue comme un moyen et non comme une fin en soi, reste un outil formidable pour naviguer dans notre monde complexe.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-culture-generale-en-2021-117135">> Lire l’article</a></p>
<h2>Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?</h2>
<p>L’apprentissage du débat et sa pratique ouvrent des perspectives pour repenser la transmission des connaissances. Exemples.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">> Lire l’article</a></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=467&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440502/original/file-20220112-15-8u9qcf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=587&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Types de sources d information consulte es sur Internet.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’infographie : comment les Français s’informent-ils en ligne ?</h2>
<p>Cette série de graphiques vous propose un aperçu du comportement des Français en quête d’information sur le net.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/en-graphiques-comment-les-francais-sinforment-ils-en-ligne-173283">> Lire l’article</a></p>
<h2>Le podcast</h2>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au programme de ce dossier spécial Présidentielles 2022, les mutations profondes du débat public.Frédéric Worms, Professeur de philosophie, École normale supérieure (ENS) – PSLAlbin Wagener, Chercheur associé l'INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS, Université Rennes 2Aurélien Brest, Doctorant en sciences cognitives, Université de BordeauxCécile Dutriaux, Doctorante, chaire EPPP, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLaurent Cordonier, Sociologue - Docteur en sciences sociales, Université Paris CitéNicolas Baygert, Maître de conférences à l'Université libre de Bruxelles, Université Libre de Bruxelles (ULB)Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable de la médiation à l'Espace éthique Île-de-France, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1743562022-01-05T18:47:12Z2022-01-05T18:47:12ZEn quoi la controverse à l’IEP de Grenoble questionne l’autonomie de l’enseignement supérieur<p>Parmi les polémiques de l’année 2021 figure <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/07/enquete-pour-injure-publique-apres-des-accusations-d-islamophobie-a-sciences-po-grenoble_6072260_3224.html">« l’affaire de l’IEP de Grenoble »</a>, née de l’usage du terme « islamophobie » dans l’intitulé d’un événement.</p>
<p>D’abord animée par échange de mails internes, la controverse a donné lieu à un affichage d’accusations par certains étudiants, prenant une dimension publique et médiatique notamment du fait des décisions de la direction de l’institut.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1473550164660994051"}"></div></p>
<p>Alors que l’affaire <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/religion-laicite/sciences-po-grenoble-on-vous-resume-l-affaire-de-la-suspension-d-un-professeur-en-cinq-actes_4889045.html">vient de rebondir suite à la suspension d’un enseignant</a>, et tandis que la nouvelle année sera marquée par des élections présidentielles et législatives, revenons sur ce que cette polémique nous dit des transformations de notre enseignement supérieur.</p>
<h2>Arguments académiques, politiques et disciplinaires</h2>
<p>Si la polémique a démarré par des enjeux propres au campus grenoblois, elle renvoie d’abord à la mobilisation par la recherche académique de notions importées d’universités américaines (« décolonialisme », « cancel culture », idéologie « woke »…), elles-mêmes importées et interprétées à partir de la <em>french theory</em> (aux racines notamment situées dans les travaux de chercheurs post-modernistes comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Foucault">Michel Foucault</a> ou <a href="https://www.philomag.com/philosophes/jacques-derrida-0">Jacques Derrida</a>. C’est donc à une controverse académique qu’il convient en premier lieu de remonter pour comprendre les sources du débat.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/polemique-sur-l-islamo-gauchisme-revenir-a-lesprit-de-la-recherche-155889">Polémique sur l’« islamo-gauchisme » : revenir à l’esprit de la recherche</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pour autant, ces notions ont de fait une valence politique, par leur questionnement de la construction sociale des individus et des groupes sociaux. Aussi ont-elles fait irruption <a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-des-enseignants-est-elle-en-danger-sur-les-campus-americains-156729">dans les pratiques politiques d’universités américaines</a>, dans un pays où l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Discrimination_positive_aux_%C3%89tats-Unis"><em>affirmative action</em></a> témoigne depuis longtemps d’une approche singulière de la lutte contre les discriminations, définies par <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-1-page-103.htm">Daniel Sabbagh</a> comme</p>
<blockquote>
<p>« ensemble de pratiques consistant à accorder aux membres de certains groupes précédemment soumis à un régime juridique discriminatoire et statistiquement sous-représentés dans les échelons les plus élevés de la hiérarchie socioprofessionnelle un traitement préférentiel dans la répartition des emplois (publics et privés), des places à l’université (dès lors qu’il s’agit d’établissements sélectifs) et des marchés publics ».</p>
</blockquote>
<p>En France, où la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », rend déjà compte des tensions que peut susciter une telle approche, la réception des notions décoloniales <a href="https://www.lepoint.fr/politique/decoloniaux-racialistes-identitaristes-enquete-sur-les-nouveaux-fanatiques-13-01-2021-2409521_20.php">n’a pas été sans susciter de débats</a> dans la sphère politique, y compris dans le monde universitaire qui a par exemple vu apparaître un <a href="https://decolonialisme.fr">« observatoire du décolonialisme »</a>, ainsi que les réactions de plusieurs ministres.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1410862837912776706"}"></div></p>
<p>Outre les champs scientifique et politique, l’affaire de l’IEP de Grenoble convoque également des faits d’ordre disciplinaire, avec une enquête assortie de sanctions, en écho au comportement des protagonistes et <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/la-situation-l-iep-de-grenoble-en-mars-2021-47481">l’intervention</a> de l’Inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche(IGESR).</p>
<p>Enfin, <a href="https://twitter.com/laurentwauquiez/status/1472950277028392965">l’annonce par Laurent Wauquiez</a> de son refus de continuer à financer l’IEP, en réaction à la suspension récente d’un enseignant (que le professeur de droit Olivier Beaud <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/04/la-liberte-academique-n-est-nullement-en-cause-dans-l-affaire-de-l-iep-de-grenoble_6108102_3232.html">décrit</a> comment relevant d’une atteinte à la liberté d’expression plutôt qu’à la liberté académique), devrait conduire l’IEP à être privé d’un soutien annuel de l’ordre de 100 000€ par la région Auvergne-Rhône-Alpes qu’il préside.</p>
<h2>Autonomie des universités, autonomie des universitaires</h2>
<p>La situation de l’IEP de Grenoble mérite d’être analysée au prisme de la notion d’autonomie, soit le <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/autonomie">« fait de se gouverner par ses propres lois »</a>. Le classement annuel de l’autonomie des systèmes d’enseignement supérieur de recherche de <a href="https://www.university-autonomy.eu/">l’Association européenne de l’Université</a> (EUA) distingue par exemple quatre composantes : organisationnelle, académique, ressources humaines, moyens financiers. Plus fondamentalement, deux types d’autonomies sont revendiqués par les acteurs de la recherche :</p>
<blockquote>
<p>« L’autonomie des universitaires, qui désigne l’exercice d’une indépendance relative des universitaires dans le contrôle de leurs activités face à des membres externes à leur groupe professionnel (avec le primat du jugement par les pairs), doit donc être distinguée de l’autonomie des universités, qui désigne la capacité de chaque établissement à déterminer et à mettre en œuvre une stratégie qui lui est propre. » <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-02108917v2/document">(Barrier, 2015, p.128)</a></p>
</blockquote>
<p>Le système universitaire français constitue justement un exemple dans lequel l’autonomie des universitaires <a href="https://www.jstor.org/stable/42844610">ne s’est pas automatiquement traduite</a> par une autonomie des universités, encore aujourd’hui <a href="https://www.university-autonomy.eu/countries/france/">à en juger par le classement de la France par l’EUA</a>.</p>
<p>Or, l’affaire de l’IEP de Grenoble peut être utilement analysée à l’intersection de ces deux autonomies.</p>
<h2>Une sanction moins financière que politique</h2>
<p>En effet, s’il ne nous revient pas de commenter les décisions prises par la section disciplinaire de l’IEP (d’autant plus sans en connaître les attendus) relevons néanmoins que la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/26/sciences-po-grenoble-relaxe-pour-les-etudiants-passes-en-conseil-de-discipline_6103737_3224.html">relaxe des étudiants</a> ne se conforme pas plus au <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/affaire-sciences-po-grenoble-les-etudiants-impliques-devront-etre-sanctionnes-selon-la-ministre-frederique-vidal-2082910.html">souhait de sanction des étudiants</a>, exprimé par la ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, qu’aux recommandations de l’IGESR vis-à-vis du dépaysement de la procédure.</p>
<p>Ce constat résulte du fait que les procédures disciplinaires relatives aux étudiants comme aux enseignants-chercheurs dépendent en première instance de leur établissement (puis en appel du Conseil National de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – CNESER).</p>
<p>D’ailleurs, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000038889245">décision récente</a> de faire présider la section disciplinaire du CNESER par un conseiller d’État, plutôt que par un universitaire, a pu être commentée comme une <a href="https://blog.juspoliticum.com/2019/07/05/la-justice-universitaire-mise-sous-la-tutelle-du-conseil-detat-le-coup-de-grace-donne-au-principe-constitutionnel-dindependance-des-universitaires-2-2-par-olivier-beaud/">« mise sous tutelle de la justice universitaire »</a>.</p>
<p>Par ailleurs, si la sanction financière décidée par la Région semble de prime abord renvoyer à l’autonomie de gestion de l’établissement, il convient de nuancer la portée de ces 100000€, par exemple en <a href="http://www.sciencespo-grenoble.fr/wp-content/uploads/2021/07/IEPG_CA_BilanSocial2020-Vdef_Projet_CA20210706-1.pdf">comparaison des 9,9M€ de l’IEP consacrés annuellement à la seule masse salariale</a> (dont 7,6M€ issus de l’État). Ce sont donc moins les conséquences budgétaires de la décision de Laurent Wauquiez (d’ailleurs <a href="https://www.letudiant.fr/educpros/personnalites/wauquiez-laurent-734.html">ancien ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur</a>) que leur portée symbolique et politique qu’il convient d’appréhender.</p>
<h2>Articuler débat républicain et autonomie des universitaires</h2>
<p>Finalement, les événements de l’IEP de Grenoble s’inscrivent dans une époque où les attentes à l’égard de l’université à travers le monde n’ont jamais été si manifestes. <a href="https://www.cairn.info/revue-innovations-2017-3-page-173.htm">Des chercheurs ont par exemple proposé</a> de revisiter le modèle dit de la « triple hélice » associant initialement et dans une dynamique commune les secteurs académique, économique et politique.</p>
<p>Outre l’intégration des enjeux de la transition écologique qui s’ajoutent désormais à ces trois premières dimensions, cette « quintuple hélice » considère que les universités ont vocation à contribuer aux transformations culturelles et sociales, ce qui n’est pas sans rapport avec la polémique qui nous intéresse. Cette multiplication des attentes questionne à la fois la vocation des organisations universitaires et leurs modèles économiques (quels partenaires et financeurs pour y répondre ?).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UBuHlmS0vas?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La liberté académique est-elle en danger ? Interview d’Olivier Beaud (France Culture, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>En France, alors que le Code de l’Éducation listait <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006524408/2000-06-22/">jusqu’en juin 2006 trois missions</a> pour le service public d’enseignement supérieur, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042815070/">elles sont désormais onze</a>. En parallèle de cet accroissement, l’autonomie de gestion des universités a été confortée (notamment <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000824315/">par la loi de 2007</a>) tandis que les collectivités étaient appelées à jouer un <a href="https://theconversation.com/recherche-et-enseignement-superieur-plus-de-place-pour-les-collectivites-60508">rôle en principe croissant</a> dans le paysage académique français (la Métropole et la Région siègent d’ailleurs au Conseil de l’IEP Grenoble).</p>
<p>Pour autant, des travaux <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-batir_l_universite_gouverner_les_implantations_universitaires_a_lyon_jerome_aust-9782343006994-41625.html">tels que ceux de Jérôme Aust sur le cas lyonnais</a> invitent à remarquer que, si les collectivités sont des partenaires <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/imported_files/documents/NF_2021-05_budget_collterr_1388137.pdf">et des financeurs</a> désormais bien identifiés des acteurs, il convient d’en relativiser le poids réel dans la gouvernance universitaire.</p>
<p>En outre, <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant_et_le_politique.pdf">comme le pointait déjà Max Weber</a> au début du siècle dernier, le monde de la recherche et le monde politique poursuivent des objectifs différents, en empruntant des chemins différents. La <a href="http://www.magna-charta.org/resources/files/the-magna-charta/french">Magna Charta Universitatum</a> rappelle par exemple que</p>
<blockquote>
<p>« La liberté de recherche, d’enseignement et de formation étant le principe fondamental de la vie des universités, les pouvoirs publics et les universités, chacun dans leur domaine de compétence, doivent garantir et promouvoir le respect de cette exigence fondamentale ».</p>
</blockquote>
<p>Tandis que les libertés académiques sont <a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682">attaquées en de multiples lieux</a>, l’importation et la mobilisation en France des notions « décoloniales » n’est pas seulement affaire de controverses entre politiques d’un côté ou entre scientifiques de l’autre. Elle questionne aussi leur capacité à respecter leurs légitimités mutuelles et à dialoguer sereinement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174356/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Romain Pierronnet travaille pour l'Université de Lorraine. Il est par ailleurs élu local à Nancy.</span></em></p>Les événements de l’IEP de Grenoble interrogent les relations entre sphère politique et autonomie des universitaires.Romain Pierronnet, CEREFIGE, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718662021-11-28T23:06:16Z2021-11-28T23:06:16ZVit-on vraiment le retour des années 1930 ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/433465/original/file-20211123-25-171gkuc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C923%2C610&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Militants du francisme en 1934. 'Marcel Bucard entraîne [ses partisans] au salut à la Romaine'. Marthe Hanau, Écoutez-moi..., n° 41, 22 décembre 1934.
"</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.vikidia.org/wiki/Ligues_d%27extr%C3%AAme-droite#/media/File:Francisme.jpg">Marthe Hanau/Vikidia</a></span></figcaption></figure><p>« Je mesure la droitisation des esprits, ce danger qui progresse depuis des années : on ne peut pas s’empêcher de penser à l’avant-guerre ». Annie Ernaux, dans cet <a href="https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20211118.OBS51133/amour-politique-cinema-etre-une-femme-rencontre-avec-annie-ernaux-dans-sa-maison-de-cergy.html">entretien accordé au <em>Nouvel Obs</em></a>, croit reconnaître les années 1930, pour le pire, dans le visage incertain du monde qui se reconfigure 30 ans après l’espoir d’une <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/lhistoire-de-la-fin-de-lhistoire">« fin de l’histoire »</a> marquée par le triomphe de la démocratie libérale sur le bloc soviétique.</p>
<p>Les publicistes sont saisis par l’effroi de l’éternel retour. En 2014, l’universitaire Philippe Corcuff publie <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/les-annees-30-reviennent-et-la-gauche-est-dans-le-brouillard"><em>Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard</em></a>. En 2017, Farid Abdelouahab et Pascal Blanchard <a href="https://livre.fnac.com/a10176110/Pascal-Blanchard-Les-Annees-30-Et-si-l-histoire-recommencait">s’inquiètent</a> : <em>Les Années 30. Et si l’histoire recommençait</em> ? La quatrième de couverture assume la réduction du raisonnement analogique à la répétition : « Notre présent apparaît comme un fascinant écho de ces années 30 ».</p>
<h2>La hantise de la répétition</h2>
<p>Le philosophe Michaël Foessel relit le passé à partir des préoccupations présentes, avec son <a href="https://www.puf.com/content/R%C3%A9cidive_1938"><em>Récidive. 1938</em></a>, qui interroge plus subtilement la permanence des périls qui ont existé dans les années 1930 ; il se plonge dans la presse de 1938, pris « d’un doute sur la réalité du bégaiement de l’histoire ».</p>
<p>D’autres titres versent dans le prophétisme, pour ne pas dire le simonisme (monnayer des prophéties) comme l’écrit François Langlet, dans <a href="https://www.albin-michel.fr/tout-va-basculer-9782226441942"><em>Tout va basculer</em></a>. La pandémie virale aiguise cette crainte qui prospère depuis le milieu des années 2010. <a href="https://www.commentaire.fr/numeros/automne-2020-171">Un diplomate essayiste</a> voit se lever « l’ombre portée des années 1930 » qui « doit inspirer stupeur et humilité » en levant le regard sur l’avenir. Les hommes politiques ne sont pas immunisés contre cette hantise. L’analogie vient à Manuel Valls en 2014. Le ministre de l’Intérieur trouve à notre temps un « point commun avec les années 1930 » :</p>
<blockquote>
<p>« L’anti-républicanisme et la détestation violente dans les mots comme dans les actes » des valeurs et principes républicains (<em>Le Journal du Dimanche</em>, 2 février 2014).</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron, élu à la présidence de la République sur le refus du clivage bi-partisan, donne en novembre 2018 un <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/info-ouest-france-emmanuel-macron-le-moment-que-nous-vivons-ressemble-l-entre-deux-guerres-6045961">entretien à <em>Ouest-France</em></a> titré : « Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres ».</p>
<p>Le ressort analogique conduit à comparer les difficultés de notre temps à celles des années 1930. La crise financière de 2008 rappelle celle de 1929, avec son lot de malheurs sociaux. L’affirmation de la Chine rappelle le passage de relais de l’entre-deux-guerre au profit des États-Unis.</p>
<h2>Le retour des « égoïsmes nationaux »</h2>
<p>La pandémie mondiale et les réponses apportées, frontières closes, ruées rivales des États sur les moyens de lutte contre la propagation du virus, rappellent le retour des <a href="https://www.babelio.com/livres/Margairaz-LEtat-les-finances-et-leconomie-Histoire-dune-/377471">« égoïsmes nationaux »</a> des années 30, lorsque les gouvernements choisissaient la hausse des tarifs douaniers et les dévaluations compétitives.</p>
<p>La floraison de régimes illibéraux et populistes, enfin, fait craindre le retour des régimes totalitaires qui cernaient la France des années 1930.</p>
<p>L’anticipation d’une catastrophe possible explique probablement notre fascination pour cette décennie qui se termine par la disparition de la démocratie, abîmée dans la défaite, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-orphelins-de-la-republique-olivier-wieviorka/9782021283747">liquidée le 10 juillet 1940 avec la IIIᵉ République</a>.</p>
<h2>Non, nous n’allons pas revivre les années 30, nous les avons déjà vécues</h2>
<p>En dehors de toute réflexion théorique sur la validité de la comparaison entre périodes, l’historien doit rappeler ce truisme que nous n’allons pas revivre les années 30. C’est bien pire : « nous » les avons vécues, nous sommes façonnés par elle et, par-là, nous les vivons encore.</p>
<p>Reste à savoir comment ! Il n’est pas fatal de se laisser happer par cette angoisse mémorielle. Si la hantise de répéter l’expérience passée, et le mécanisme de reproduction compulsif a été identifié dès le début du XX<sup>e</sup> siècle par Sigmund Freud chez ses patients, il a fallu attendre l’aube du XXI<sup>e</sup> siècle pour que le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-memoire-l-histoire-l-oubli-paul-ric-ur/9782020563321">philosophe Paul Ricœur suggère</a> d’appliquer aux sociétés ce travail d’interprétation des évènements traumatiques, travail de deuil auquel Freud invitait ses patients pour échapper à la répétition pathologique après une perte qui n’a pas été regardée en face.</p>
<p>Les historiens professionnels eux-mêmes, qui ont construit d’artificielles « périodes », ne s’arrachent jamais complètement à l’illusion d’un temps cyclique. Le péril n’est pas « qu’adviennent » à nouveau les années 1930, comme si notre condition historique était passive, mais que nous soyons à ce point traumatisés par le point d’aboutissement de la décennie 1930 que nous ne puissions pas nous <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/pierre-laval-un-cauchemar-francais-17-10-2018-2263513_1913.php">réconcilier avec notre passé</a>, pour qu’il ne pèse plus sur notre devenir comme une fatalité.</p>
<h2>D’autres années 1930</h2>
<p>Peut-on modestement appeler à une meilleure connaissance de ce passé, dans toute l’amplitude de ses potentialités, sans se polariser sur la catastrophe de 1940, pour se réconcilier avec lui – et ne pas subir ses effets ? Lorsqu’en janvier 2021 Marine Le Pen <a href="https://www.lepoint.fr/politique/crise-sanitaire-le-pen-denonce-une-politique-du-chien-creve-au-fil-de-l-eau-25-01-2021-2411055_20.php">fustige</a> « la politique du chien crevé au fil de l’eau » du gouvernement Castex, la presse y voit la reprise d’une attaque de François Fillon ciblant François Hollande huit ans plus tôt.</p>
<p>Elle répète en réalité la pique d’André Tardieu, disciple de Georges Clemenceau, qui visait en 1921 la politique étrangère du président du conseil Aristide Briand formulée en 1921, suspect de détricoter le traité de Versailles.</p>
<p>L’insulte revient sous la plume des journalistes d’extrême droite à l’aube des années 1930, lorsque Tardieu, devenu président du conseil à son tour, maintient Briand au Quai d’Orsay et se rallie à sa politique de conciliation avec l’Allemagne de Weimar. L’Action française fustige inlassablement Tardieu qui contribue au démantèlement du traité de Versailles. Au point que l’emploi de l’expression « chien crevé au fil de l’eau » se généralise dans les journaux de toutes tendances. En 1935, <em>L’Humanité</em> l’applique à Pierre Laval (<em>L’Humanité</em>, « Où nous conduit M. Laval ? Scandale diplomatique ! », le 8 novembre 1935, p. 3] dont la politique étrangère indécise hésite entre la volonté de séparer l’Italie de l’Allemagne nazie et l’exigence juridique de condamner le régime fasciste, agresseur de l’Ethiopie.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NVPFN9tx9lE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le 30 juin 1936, devant la Société des Nations à Genève, le négus Haïlé Sélassié plaide la cause de son pays, l’Éthiopie, envahi par l’armée de Mussolini.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cet exemple permet de rappeler les permanences – la réserve rhétorique de Marine Le Pen vient de l’extrême droite des années 1930 – et les discontinuités : Tardieu, inquiet de l’impuissance du parlementarisme, pressé par une partie de son camp de rompre avec la politique de conciliation avec l’Allemagne de Weimar, s’y est rallié – avant de prendre ses distances avec le régime parlementaire.</p>
<h2>Notre présent se fabrique le passé de son choix</h2>
<p>Les années 30 pèsent sur notre temps, mais ne sommes-nous pas aussi les enfants d’autres décennies ? Cette évidence masque un phénomène subtil : selon les époques, tel moment de notre généalogie s’impose au souvenir collectif.</p>
<p>Notre présent se fabrique le passé de son choix. Pour nous représenter les conséquences des années 1930, une <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/face-au-passe-essais-sur-la-memoire-contemporaine">mémoire traumatisée</a> par la honte de la défaite et de la Collaboration nous ramène compulsivement à la défaite et la Collaboration.</p>
<p>Un défaut de connaissance ne nous permet pas de situer ces années comme un chaînon dans une généalogie plus longue. Cela permettrait d’amoindrir leur exceptionnalité en dépit du caractère visible des crises qui s’y jouent. Les émeutes du 6 février 1934 et la haine du parlementarisme ; l’abandon des Républicains espagnols, les <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/09/28/26010-20180928ARTFIG00315-accords-de-munich-1938-la-tchecoslovaquie-sacrifiee-sur-l-autel-d-une-paix-illusoire.php">accords de Munich</a> qui cèdent les Sudètes aux nazis ; les élans du Front populaire dissous dans les pleins pouvoirs ; la chute de la III<sup>e</sup> République : ceci est advenu.</p>
<p>Ces traumatismes font-ils perdre confiance dans notre avenir ? Pourtant aucun de ces évènements n’est né en 1930. La question de la compatibilité entre démocratie et représentation court toute <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Le-Peuple-introuvable">l’histoire de la modernité politique</a>, avant et après le 6 février 1934.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cavaliers de la garde républicaine mobile contre émeutiers sur la place de la Concorde le 7 février.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_du_6_f%C3%A9vrier_1934#/media/Fichier:Place_de_la_Concorde_7_f%C3%A9vrier_1934.jpg%20**">L’Ouest-Éclair, journal républicain du matin, n° 13609, 9 février 1934</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La non-intervention en Espagne <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2014-2-page-3.htm">s’inscrit dans l’histoire longue</a> d’une expression formulée pour la première fois en 1830 lorsque la France libérale récusait le droit des Puissances conservatrices à réprimer l’émancipation du peuple belge, dominé par le roi de Hollande (la notion devient ambiguë lorsque l’intervention russe en Pologne redevient un outil de répression des révolutions libérales nationales).</p>
<p>L’antisémitisme ? L’affaire Dreyfus a eu lieu avant <a href="https://www.cairn.info/les-grands-proces--9782130558309-page-287.htm">l’affaire Stavisky</a>, cet escroc ayant profité de la complaisance d’élus, de patrons de presse et de magistrats, dont la mort dans des conditions troubles réactive la haine des Juifs récemment immigrés.</p>
<p>La peur de la démocratie sociale des années 1930 ? Elle hérite des journées de juin 1848 ou de la Commune, etc. Pourtant, on compte moins de casquettes d’ouvriers le 6 juin 1934 que de chapeaux bourgeois…</p>
<h2>Dépasser le stade obsessionnel</h2>
<p>Si l’on veut comprendre la richesse des années 1930, on peut partir du souvenir actuel que nous en conservons, à savoir un traumatisme pour l’unité (sommes-nous démocrates ?) et l’identité (qu’est-ce qu’être Français, à l’heure des grands brassages des hommes, des choses, des pratiques et des idées ?), pourvu qu’on n’en reste pas au stade obsessionnel, qui empêche de déployer tout ce qui fut et aurait pu être, et qui résonne dans un temps plus long.</p>
<p>L’analogie de Corcuff, par exemple, qui s’inquiète du retour des années 30, identifie parmi les « nouvelles équipes » qui cherchaient une tierce voie entre libéralisme et communisme, les individus qui ont rallié l’antiparlementarisme fascisant. Ces généalogies pessimistes limitent les années 30 aux trajectoires les plus décevantes des « non conformistes » insatisfaites de matérialisme technophile. Or, les racines de notre prise de conscience écologique, par exemple, procèdent également des <a href="https://theconversation.com/redecouvrir-la-pensee-de-jacques-ellul-pionnier-de-la-decroissance-80624">Jacques Ellul</a>, <a href="https://theconversation.com/bernard-charbonneau-ce-pionnier-meconnu-de-lecologie-francaise-130094">Bernard Charbonneau</a> ou Denis de Rougemont, qui s’inscrivaient dans cette 3<sup>e</sup> voie, porteuse d’autres devenirs que la révolution nationale de Vichy.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Meltz a reçu des financements d'organisations publiques.</span></em></p>Si l’on veut comprendre la richesse des années 1930, il nous faut confronter la mémoire que nous en avons tout en dépassant le stade obsessionnel.Renaud Meltz, Historien, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1618642021-06-02T18:10:27Z2021-06-02T18:10:27ZDans notre monde numérique, comment réinventer le débat démocratique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403795/original/file-20210601-23-bvq5rw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C984%2C635&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'école d'Athènes, Raphaël, 1511 (détail).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/49/%22The_School_of_Athens%22_by_Raffaello_Sanzio_da_Urbino.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Dans un texte de 1990 intitulé <a href="https://www.revue-chimeres.fr/IMG/pdf/terminale_n51_f_guattari_vers_une_ere_postmedia.pdf">« Vers une ère post-média »</a>, Félix Guattari s’interrogeait sur les évolutions des technologies médiatiques. La jonction entre la télévision, la télématique et l’informatique devaient selon lui conduire à un renversement des pratiques, permettant aux récepteurs passifs de se réapproprier les « machines d’information, de communication, d’intelligence, d’art et de culture » et de remanier le « pouvoir mass-médiatique » écrasant les subjectivités.</p>
<h2>De l’ère post-média à l’ère post-vérité</h2>
<p>Trente ans plus tard, les « pratiques moléculaires alternatives » alors envisagées par Guattari ne semblent pas avoir suffi. À « l’ère post-média » s’est en effet substituée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%88re_post-v%C3%A9rit%C3%A9">« l’ère post-vérité »</a> qui correspond aussi à celle de la <a href="https://www.diaphanes.net/titel/post-democratie-1656">« post-démocratie »</a>. À en croire ces deux expressions, l’époque de l’intelligence artificielle et des technologies numériques serait aussi celle de la fin de la vérité et de la démocratie, deux pratiques apparues dans un milieu technique tout à fait différent et spécifique : celui de l’écriture phonétique.</p>
<p>Comme l’ont montré les travaux de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/mythe_et_pensee_chez_les_grecs-9782707146502">Jean‑Pierre Vernant</a> ou de <a href="https://www.livredepoche.com/livre/les-maitres-de-verite-en-grece-archaique-9782253115564">Marcel Détienne</a> sur la cité grecque, la technique de l’écriture permet la publication de la loi, ainsi que sa mise en débat par des citoyens ayant appris à lire et à écrire : à mesure que les lois sont placées sous le regard de tous et discutées dans l’Agora, le pouvoir royal ou aristocratique se voit remplacé par un ordre légal démocratique. La vérité ne prend plus la forme de la « révélation » ou du « mystère » réservés à un « cercle restreint d’initiés », mais celle d’une vérité ouverte et accessible « qui fonde sur sa propre force démonstrative ses critères de validité ». Bref, <a href="https://blogs.mediapart.fr/segesta3756/blog/270918/les-origines-de-la-philosophie-par-jean-pierre-vernant-0">« les règles du jeu politique – la libre discussion, le débat contradictoire, l’affrontement des argumentations contraires – s’imposent comme règles du jeu intellectuel »</a> dans un espace public à la fois rationnel et politique, qui se reconfigure autour de l’écriture phonétique.</p>
<p>Qu’en est-il de <a href="http://www.ventscontraires.net/article.cfm/14806_bernard_stiegler___le_web_peut_toujours_etre_une_plateforme_pour_le_bien_public_.html">l’espace public</a> à l’époque des entreprises numériques planétaires ? Qu’en est-il de la vérité démonstrative et argumentée à l’époque de la <a href="https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/">« fin de la théorie »</a>, alors que les calculs sur des quantités massives de données tendent à remplacer l’exercice de la pensée ? Qu’en est-il de la vie démocratique et de la société politique, à l’époque de la <a href="https://www.greeneuropeanjournal.eu/la-gouvernementalite-algorithmique-et-la-mort-du-politique/">« gouvernementalité algorithmique »</a>, au sein de laquelle le pouvoir statistique tend à remplacer la normativité juridique ?</p>
<h2>L’économie de l’attention : de la collecte des données à la « désinformation »</h2>
<p>Les technologies numériques contemporaines soulèvent en effet de nombreux enjeux, à la fois scientifiques et politiques : outre <a href="https://www.who.int/fr/news/item/23-09-2020-managing-the-covid-19-infodemic-promoting-healthy-behaviours-and-mitigating-the-harm-from-misinformation-and-disinformation">« l’infodémie »</a>, désormais reconnue comme un problème de santé publique, la collecte des données et le profilage algorithmique sont apparus comme des <a href="https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/17b86683-f39a-4e52-91ea-a66969a6686f_POL_30-1404-2019_Surveillance+Giants_FR.pdf">menaces pour les droits humains</a>, suite aux <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/20/l-affaire-cambridge-analytica-plonge-facebook-dans-une-crise-historique_5273376_4408996.html">scandales</a> provoqués par le ciblage des citoyens.</p>
<p>Depuis leur développement des années 2000 à 2010, les réseaux dits « sociaux » sont devenus à la fois des lieux de traçage des activités et de circulation d’<a href="https://www.courrierinternational.com/magazine/2017/63-hors-serie">informations non certifiées</a>, qui contribuent souvent à la dissémination de la haine, à la polarisation des opinions ou à la stigmatisation de certaines populations. De plus, <a href="https://www.cairn.info/l-economie-de-l-attention--9782707178701.htm">l’économie de l’attention</a> qui commande le fonctionnement de la plupart des plates-formes implique de maximiser l’engagement des utilisateurs, quitte à leur recommander automatiquement les <a href="https://www.technologyreview.com/2021/03/11/1020600/facebook-responsible-ai-misinformation/">contenus les plus sensationnels, les plus abêtissants ou même les plus violents</a>, qui sont souvent les plus « likés », donc les plus diffusés, au détriment d’autres contenus potentiellement plus intéressants, mais aussi plus exigeants, qui sont de fait invisibilisés.</p>
<h2>« Infodémie » et discrédit</h2>
<p>Comme le soulignent <a href="https://researchportal.unamur.be/en/publications/the-role-of-artificial-intelligence-in-disinformation">Yves Poullet et Noemi Bontridder</a>, si la distorsion de la réalité et les appels à la violence ne sont pas nouveaux, les réseaux numériques semblent néanmoins engendrer des risques spécifiques : outre la vitesse et l’ampleur de la diffusion des informations, la possibilité de cibler automatiquement les publics rend d’autant plus efficace la manipulation des comportements. De plus, la <a href="https://mondaynote.com/the-internet-is-not-ready-for-the-flood-of-ai-generated-text-a082976c6186">génération automatique</a> de contenus par des logiciels ou des algorithmes masque la source des informations reçues et contribue à une liquidation progressive de la confiance et du crédit accordé aux contenus – confiance et crédit qui constituent pourtant les conditions de possibilité de toute société. </p>
<p>En effet, comme le rappelait <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/050920/demesure-promesses-compromis-13-par-bernard-stiegler">Bernard Stiegler</a>, toute société suppose « un crédit que s’accorde le groupe social », un « gage de confiance mutuelle primordiale sans lequel aucun échange ne peut s’instaurer durablement, ni entre les membres de la société, ni entre les générations ». Si la plupart des échanges (qu’ils soient marchands, professionnels, symboliques, culturels, sociaux, familiaux, amoureux, etc.) sont désormais médiatisés par les environnements numériques, on comprend l’importance de restaurer la confiance et le crédit en ces technologies.</p>
<h2>Vers un espace public numérique et herméneutique ?</h2>
<p>Face à ces enjeux, les solutions tournent souvent autour de deux propositions : la régulation des contenus d’une part, qui devrait permettre de repérer les informations trompeuses, et la protection des données ou le paramétrage des recommandations d’autre part, qui devrait permettre aux utilisateurs de protéger leur vie privée et de modifier les paramètres utilisés pour les « cibler ». De telles mesures, bien que nécessaires, risquent néanmoins de se révéler peu efficaces, en raison du nombre de contenus diffusés et de la vitesse de leur propagation, qui fait obstacle à leur modération, et en raison des dispositifs <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Captologie">« captologiques »</a>, qui sollicitent les pulsions infra-conscientes pour influencer les conduites, avant même que les individus n’aient pu paramétrer les systèmes pour protéger leurs données.</p>
<p>Au-delà des contenus et des données, ce sont donc les modèles d’affaires et les fonctionnements techniques des plates-formes qui constituent les principaux dangers : c’est l’écosystème numérique lui-même qui semble devoir être transformé. Face aux réseaux fondés sur l’individualisation des profils, la quantification de soi et les comportements mimétiques, la constitution de <a href="https://www.researchgate.net/publication/277309659_COLLECTIVE_INDIVIDUATION_THE_FUTURE_OF_THE_SOCIAL_WEB">réseaux véritablement sociaux</a> pourrait permettre l’individuation collective de groupes diversifiés et l’expression des singularités, nécessaire à la controverse scientifique comme au débat démocratique. </p>
<p>D’un modèle hégémonique basé sur la génération automatique d’informations par les algorithmes, sur la recommandation ciblée de contenus sensationnels et sur l’exploitation des ressources attentionnelles, il s’agirait de passer à des <a href="https://www.fypeditions.com/toile-voulons-bernard-stiegler-evgeny-morozov-julian-assange-dominique-cardon/">dispositifs herméneutiques et délibératifs</a>, permettant aux sujets d’exprimer leurs interprétations et leurs points de vue singuliers, de se recommander les uns aux autres des contenus certifiés, et de discuter collectivement à travers des controverses ou des débats argumentés, au cours desquels seulement lesdites « vérités » peuvent émerger, et avec elles, le crédit et la confiance qui leur sont accordés.</p>
<p>Comme le rappelle <a href="https://www.glass-bead.org/research-platform/complexite-science-et-democratie-entretien-avec-giuseppe-longo/?lang=enview">Giuseppe Longo</a>, même les vérités scientifiques supposent la « composante critique de la démocratie », qui permet de s’écarter de la majorité, des moyennes et de la banalité, pour explorer des voix nouvelles de pensée et introduire de la signification dans les quantités massives d’informations. Si l’ère post-média n’est plus d’actualité dans des environnements intégralement connectés, il semble plus que jamais nécessaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Tex0kF-3ntE&list=PLlhOYvtSn-fvdty0cvZqLKjuBTb-XrbLn&index=7&t=3388s">d’expérimenter de nouvelles pratiques et de nouveaux dispositifs pour réinventer la démocratie dans le milieu numérique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161864/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Alombert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’époque de l’intelligence artificielle et des technologies numériques est-elle aussi celle de la fin de la vérité et de la démocratie ?Anne Alombert, Enseignante-chercheuse en philosophie à l'Université Catholique de Lille, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1581702021-04-06T18:40:26Z2021-04-06T18:40:26ZDébat français sur l’euthanasie : leçons d’Allemagne, du Portugal et d’Espagne<p><em>Texte écrit en collaboration avec Éva Stahl, étudiante à Sciences Po Paris.</em></p>
<hr>
<p>La pandémie a rappelé avec force le tabou de la mort. La mort doit être évitée, elle est un échec ultime, et mérite notre indignation. Mais est-ce la mort elle-même qui est un problème, ou bien ses causes inacceptables et ses conditions qui nous paraissent inhumaines ? Le débat est en cours, notamment au niveau législatif, dans plusieurs pays européens, y compris en France.</p>
<p>Alors que l’Assemblée nationale <a href="https://www.lepoint.fr/politique/la-difficile-question-de-l-euthanasie-entre-enfin-en-debat-au-parlement-23-03-2021-2418989_20.php">se prépare à débattre</a> (à partir du 8 avril 2021) de quatre nouvelles propositions de loi relatives à la fin de vie (après que le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-rejette-la-proposition-de-loi-ps-pour-le-droit-a-mourir-dans-la">Sénat en a rejeté une</a>), trois autres pays européens vivent des révolutions dans leur rapport à la mort et à la possibilité de prendre des décisions dans ce domaine. L’Allemagne, le Portugal et l’Espagne ont récemment repensé le rapport entre la mort volontaire et le droit. Leurs expériences posent des défis intellectuels, moraux et juridiques fascinants.</p>
<h2>De quoi est-il question, exactement ?</h2>
<p>Les propositions de loi françaises parlent toutes d’<em>assistance médicalisée active à mourir</em>. Il s’agit d’une évolution du vocabulaire : les formules <em>euthanasie</em> et <em>suicide assisté</em> ne semblent plus exprimer de façon adéquate la demande du patient et sa relation avec le médecin, même si elles sont encore parfois citées pour préciser les différences techniques entre les procédures.</p>
<p>Le processus de mourir est regardé en face, et c’est bien sa solitude jusqu’à présent assumée qui n’est plus perçue comme une nécessité. La mort médicalement assistée se présente non seulement comme une mort choisie et sans souffrances, mais surtout comme un départ qui peut être accompagné par des proches, réunis au chevet du malade.</p>
<p>Il existe plusieurs définitions de l’euthanasie. Celle dont il est question ici est qualifiée d’<em>active</em> : il s’agit d’une mort douce donnée par le médecin (le plus souvent par injection d’un produit létal) à la demande explicite du patient. Ce dernier se trouve parfois dans l’impossibilité physique de se donner la mort lui-même, mais il peut aussi <em>préférer</em> être accompagné par le médecin dans ses derniers moments. Quant au suicide assisté, il s’agit de la possibilité offerte au patient de se donner la mort seul, grâce à un produit sûr prescrit par un médecin (une boisson létale), accompagné ou non par un médecin.</p>
<p>Toutes les propositions de loi récemment déposées à l’Assemblée souhaitent encadrer ces deux procédures. La première a été avancée par <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-131.html">Marie-Pierre de la Gontrie</a>, juriste et sénatrice, membre du Parti socialiste. Élaborée avec l’aide de <a href="https://www.admd.net/">l’Association pour le droit de mourir dans la dignité</a>, elle a été inscrite à l’ordre du jour au Sénat juste après la mort de <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/03/08/la-mort-de-paulette-guinchard-kunstler-ancienne-secretaire-d-etat-aux-personnes-agees_6072339_3382.html">Paulette Guinchard-Kunstler</a> début mars 2021. </p>
<p>Paulette Guinchard-Kunstler fut une députée PS, secrétaire d’État aux personnes âgées dans le gouvernement Lionel Jospin et vice-présidente de l’Assemblée nationale. Elle souffrait du syndrome cérébelleux, une maladie neurodégénérative incurable. Elle a décidé de se rendre en Suisse, où le suicide assisté est autorisé, pour y mourir – en faisant en même temps de son décès un geste militant en faveur de la modification de la <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/ameliorer-la-fin-de-vie-en-france/article/loi-fin-de-vie-du-2-fevrier-2016">loi française sur la fin de vie</a>, qui ne permet pas au médecin d’abréger intentionnellement la vie de la personne qui souffre. Le cœur de la proposition <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-rejette-la-proposition-de-loi-ps-pour-le-droit-a-mourir-dans-la">a été rejeté</a> par la Haute Chambre le 11 mars, et son auteure l’a donc retirée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369896515087577089"}"></div></p>
<p>Les quatre propositions suivantes ont été déposées par des députés de tous bords politiques, et semblent avoir toutes la même motivation : encadrer des pratiques soutenues par la grande majorité des Français (<a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/ethique/euthanasie-96-des-francais-y-sont-favorables">96 %</a> d’entre eux seraient favorables à l’euthanasie d’après un sondage d’avril 2019) et les rendre non seulement accessibles, mais aussi transparentes et contrôlables.</p>
<p>Le premier projet, qui sera débattu le 8 avril 2021, a été soumis en 2017 par le professeur d’histoire et membre du groupe Libertés et territoires (divers gauche) <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi">Olivier Falorni</a>. Cette même année 2017, l’aide-soignante <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0517_proposition-loi">Caroline Fiat</a> (FI) a déposé son texte. Deux autres ont été présentés en 2021, par la juriste <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3755_proposition-loi">Marine Brenier</a> (LR) et par le médecin <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3806_proposition-loi">Jean‑Louis Touraine</a> (LREM).</p>
<p>Les projets diffèrent par la tonalité de l’exposé de leurs motifs – ils insistent particulièrement sur l’inégalité devant les conditions de mourir (FI), sur l’absence de moyens juridiques (LR), sur les mauvaises conditions de la mort assistée en France (LREM) ou sur le fait que le droit de mourir relève de « la liberté ultime » (Falorni). Ils sont toutefois tous d’accord sur le fond : si une personne, adulte et capable, souffrant d’une maladie grave, incurable et en phase avancée, exprime le désir de mourir, elle devrait avoir le droit d’être aidée activement par un médecin. Plusieurs projets insistent sur le côté actif, parfois sans préciser – volontairement – s’il s’agit d’une simple prescription d’un comprimé ou d’une boisson létale (pour le suicide assisté), ou d’une injection d’une telle substance (pour l’euthanasie). Les souffrances citées dans les projets ne doivent pas être nécessairement physiques – il peut s’agir de souffrances psychiques qui rendent la vie insupportable.</p>
<p>Tous les projets proposent également différents moyens de s’assurer que le patient ne subit pas de pressions, que sa décision est réellement autonome, et que son état de santé ne laisse pas espérer une amélioration. Ces moyens incluent notamment la consultation de médecins indépendants, de membres de l’entourage qui n’ont aucun intérêt moral ou matériel au décès et, quand cette précaution a été prise, la lecture des <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32010">directives anticipées</a> laissées par le malade s’il n’est pas en mesure de s’exprimer. La création d’une commission de contrôle est également prévue, tout comme l’assurance de l’accès universel aux soins palliatifs et l’existence d’une clause de conscience pour le médecin.</p>
<p>Les différences entre les projets sont minimes. Ils ne copient pas les projets internationaux – par exemple, contrairement à la <a href="https://www.justifit.be/b/droit-euthanasie-belgique/">loi belge</a>, ils excluent tous l’application de la loi aux mineurs. Cette relative unanimité des projets devrait d’ailleurs conduire à l’élaboration d’un texte commun reflétant le soutien massif des citoyens français à une nouvelle législation. Mais cette perspective est pour l’instant lointaine : le 8 avril, quelques députés LR, <a href="https://www.la-croix.com/Euthanasie-3-000-amendements-deposes-Assemblee-compromettant-adoption-2021-04-03-1301149218">qui ont déposé 3 000 amendements</a> au texte d’Olivier Falorni, risquent de bloquer l’examen même du projet. Pourtant, le soutien à la tenue de ce débat est transpartisan au sein de l’Assemblée, comme en témoigne une tribune de 270 députés <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/lappel-de-270-deputes-sur-la-fin-de-vie-nous-voulons-debattre-et-voter-4036064">publiée le 4 avril</a>.</p>
<p>Le projet d’<a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b0288_proposition-loi">Olivier Falorni</a> a la spécificité d’avoir été co-écrit avec l’écrivaine <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/la-derniere-lettre-danne-bert-euthanasiee-lundi-en-belgique-3452399">Anne Bert</a> qui, souffrant de sclérose latérale amyotrophique, a choisi en 2017 de partir en Belgique pour y bénéficier de l’euthanasie. Dans son dernier livre, <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-tout-dernier-ete-9782213705521"><em>Le tout dernier été</em></a>), elle invite à « apprendre à penser la mort », et témoigne de ses motivations. L’exposé des motifs du projet qui sera débattu à l’Assemblée le 8 avril contient une lettre d’Anne Bert, qui précise notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Non, la loi française n’assure pas au malade son autodétermination et elle n’est pas garante d’équité. Chaque équipe médicale agit, <em>in fine</em>, selon ses propres convictions et non selon les vôtres. »</p>
</blockquote>
<p>Ce même exposé souligne aussi que « le droit à l’euthanasie ne s’oppose pas aux soins palliatifs », contrairement à ce qui est <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Leuthanasie-soins-palliatifs-sont-ils-compatibles-2018-11-28-1200986030">souvent affirmé</a>.</p>
<p>Si les projets de loi cités insistent sur le rôle actif du médecin, c’est parce qu’ils jugent insatisfaisante la procédure connue sous le nom d’<em>euthanasie passive</em>. Cette dernière assume qu’il est parfois permis de suspendre le traitement et de permettre à un patient de mourir sans pour autant prendre de mesures directes visant à abréger sa vie. Elle semble de facto autorisée par la loi en vigueur en France depuis <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000446240?r=Kd28XBu5rt">2005</a> ou <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/ameliorer-la-fin-de-vie-en-france/article/loi-fin-de-vie-du-2-fevrier-2016">2016</a>, et en Allemagne, via des arrêts de la Cour fédérale de justice (BGH), depuis <a href="https://www.hrr-strafrecht.de/hrr/3/96/3-79-96.php3">1996</a>.</p>
<p>Toutefois, plusieurs voix se sont élevées contre cette distinction jugée hypocrite. Le philosophe américain James Rachels pense par exemple que puisqu’il s’agit dans les deux cas de provoquer la mort du patient, ce qui diffère est la méthode, et non pas le fond. Dans le cas de la procédure active, on s’assure que le patient ne souffre pas, et dans la procédure passive on le laisse mourir faute de soins, ce qui peut <a href="https://www.nejm.org/doi/pdf/10.1056/NEJM197501092920206">sembler plus cruel</a>. Si l’on accepte la possibilité d’arrêter l’acharnement thérapeutique, on devrait permettre aussi la fin de vie plus apaisée, comme dans le contexte de l’euthanasie active.</p>
<h2>L’actualité ibérique</h2>
<p>Depuis une vingtaine d’années, le Portugal a voté une série de lois dont la modernité surprend. D’abord, en 2001, la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2016-2-page-151.htm">dépénalisation de toutes les drogues</a>. Puis, en 2007, ce pays pourtant catholique a légalisé <a href="https://www.scielo.br/scielo.php?pid=S0102-311X2020001300502&script=sci_arttext&tlng=en">l’accès à l’avortement</a>. Enfin, en janvier 2021, son Parlement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/29/au-portugal-le-parlement-legalise-l-euthanasie_6068124_3210.html">a voté en faveur</a> de l’accès à l’euthanasie et au suicide assisté, en reprenant un projet de loi de février 2020 proposé par la gauche, les écologistes et les libéraux (136 voix pour, 78 contre, et 4 abstentions).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/A_xMtCqfGaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Quelques semaines plus tard, en mars 2021, la Cour constitutionnelle a pourtant temporairement bloqué la loi, à la demande du président Marcelo de Sousa qui la trouvait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/18/au-portugal-la-cour-constitutionnelle-annule-la-loi-autorisant-l-euthanasie_6073641_3210.html">imprécise</a>. Les juges ont noté qu’ils comprenaient bien l’existence d’une tension, au sein de la Constitution, entre le devoir de protéger la vie et le respect de l’autonomie personnelle, tout en reconnaissant que cette tension peut être traitée à l’aide des moyens législatifs. </p>
<p>La loi sur l’euthanasie n’est donc <a href="https://www.jn.pt/nacional/lei-da-eutanasia-chumbada-pelo-constitucional-13459769.html">pas contraire à la Constitution <em>a priori</em></a>. Néanmoins, dans sa formulation actuelle, elle ne définit pas assez clairement la notion de « souffrance intolérable », laquelle serait pourtant au moins partiellement déterminable à l’aide des critères médicaux. Les députés se pencheront donc sur le texte, en y ajoutant très probablement le critère de la « maladie terminale », qui exclurait notamment de la loi les personnes handicapées. Notons que cette dernière limitation n’existe pas en Belgique et aux <a href="https://www.alliancevita.org/2017/11/leuthanasie-aux-pays-bas-2-2/">Pays-Bas</a> : dans ces deux pays, les personnes lourdement handicapées peuvent demander une aide à mourir, et celle-ci peut être acceptée.</p>
<p>Au même moment (18 mars 2021), en Espagne, le Parlement <a href="https://www.ieb-eib.org/fr/actualite/fin-de-vie/euthanasie-et-suicide-assiste/espagne-la-depenalisation-de-l-euthanasie-entre-les-mains-du-senat-1945.html">a approuvé définitivement</a> la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté (202 voix pour, 141 contre et 2 abstentions). La loi, qui entrera en vigueur en juin, ne précise pas si la personne qui formule la demande doit être en fin de vie. Il faut en revanche qu’elle souffre « d’une maladie grave et incurable ou d’une maladie grave, chronique et invalidante » provoquant « des souffrances intolérables ».</p>
<p>Aussi bien au Portugal qu’en Espagne, des mouvements d’opposition existent. Plusieurs organisations militant pour un accès plus large aux soins palliatifs – qui diminuent la douleur – maintiennent que ces derniers suffisent face à la souffrance potentielle de la fin de vie. Néanmoins, le soutien populaire à cette mesure est important dans les deux pays. Au Portugal, <a href="https://www.lusa.pt/article/UsrRdIrU_ZwTiNeR6mVBbTMSZM5iuSI1/portugal-over-half-favour-euthanasia-survey">plus de 50 %</a>de la population veut une législation permettant l’euthanasie ; en Espagne, le soutien atteint <a href="https://elpais.com/sociedad/2021-03-18/espana-aprueba-la-ley-de-eutanasia-y-se-convierte-en-el-quinto-pais-del-mundo-en-regularla.html">87 %</a>.</p>
<h2>L’Allemagne entre droits fondamentaux et absence du droit</h2>
<p>En Allemagne, la question de a légalisation de l’euthanasie active, appelée « aide à mourir », <em>Sterbehilfe</em> (le mot <em>Euthanasie</em> n’est plus utilisé à cause des précédents historiques), se pose bien moins aujourd’hui que celle du suicide assisté. Interdit en décembre 2015 à travers <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2015/12/rk20151221_2bvr234715.html">l’article 217 du code pénal</a>, il est revenu, de façon inattendue, sur le devant de la scène. Cette fois-ci, toutefois, ce n’est pas le Bundestag qui s’est prononcé, mais la <em>Bundesverfassungsgericht</em>, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe.</p>
<p>Le 26 février 2020, la Cour de Karlsruhe <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2020/02/rs20200226_2bvr234715.html">a déclaré</a> que l’interdiction de l’aide à un individu pour mettre fin à sa vie est anticonstitutionnelle. Ce jugement revient de facto à légaliser la procédure du suicide médicalement assisté dont l’interdiction va, aux yeux des juges, à l’encontre du <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2020/bvg20-012.html">droit fondamental à disposer de soi-même</a> (<em>Selbstbestimmungsrecht</em>). Aujourd’hui, et selon la loi, chaque citoyen allemand a le droit de demander une aide médicale au suicide à tout moment de sa vie, et pas seulement en cas de maladie incurable. Si le droit à disposer de soi-même se trouve au centre de la Constitution allemande (<a href="https://www.bundestag.de/resource/blob/189762/f0568757877611b2e434039d29a1a822/loi_fondamentale-data.pdf">article 2</a>) et domine depuis de longues années le principe de non-abandon, c’est en partie pour protéger la population d’une quelconque rechute totalitaire. Le fait que chaque citoyen ait le droit de décider librement du déroulement de sa vie, sans ingérence de quiconque (et surtout pas de l’État), est l’une des conditions du processus de <a href="https://www.cairn.info/usages-de-l-oubli%20--%209782020100502-page-49.htm">reconstruction nationale allemande</a>.</p>
<p>La décision de la Cour de Karlsruhe a été <a href="https://www.zeit.de/politik/deutschland/2020-02/paragraf-217-bundesverfassungsgericht-kippt-sterbehilfe-gesetz">vivement critiquée</a> – on craignait notamment la banalisation du suicide. Or il n’y aucune raison de croire que l’autorisation du suicide assisté ferait augmenter le nombre de cas. En Suisse, pays où l’aide au suicide est autorisée depuis 1942, une <a href="https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/etat-sante/mortalite-causes-deces/specifiques.assetdetail.3902306.html">étude de 2016</a> montre que le nombre de suicides (tous types confondus) comptabilisés par an a clairement diminué entre 1995 et 2003 et reste stable depuis, alors qu’en parallèle, celui des suicides assistés a fortement progressé, notamment entre 2008 et aujourd’hui. Le nombre total de suicides violents continue donc à diminuer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1004511611166646272"}"></div></p>
<p>Certaines craintes sont infondées, mais le malaise persiste. Un an plus tard, la décision juridique de la Cour de Karlsruhe demeure un espace vide. L’interdiction est levée, mais aucune loi encadrant les pratiques n’est pour l’instant prévue. La question de l’achat de médicaments (<em>pentobarbital</em> notamment) nécessaires a été posée au ministre de la Santé plutôt conservateur Jens Spahn (CDU), mais reste non résolue.</p>
<p>Il existe trois associations qui peuvent aider la personne en souffrance : la <a href="https://www.dghs.de/">Société allemande pour la mort humaine</a>, l’association <em>Dignitas</em> Allemagne (la branche allemande de la célèbre association suisse, dont 43 % de clients <a href="http://www.dignitas.ch/images/stories/pdf/statistik-ftb-jahr-wohnsitz-1998-2019.pdf">viennent d’Allemagne</a> et l’association <a href="https://www.deutschlandfunkkultur.de/gewerbliche-sterbehilfe-wir-haben-eine-vernuenftig.1008.de.html ?dram :article_id=486253"><em>Sterbehilfe</em></a> de l’ancien sénateur de Hambourg pour la justice, Roger Kusch. Elles ont aidé depuis février 2020 une centaine de personnes, de façon plutôt artisanale, sans véritablement disposer de codes de conduite reconnus, le jugement de la Cour de Karlsruhe <a href="https://www.sueddeutsche.de/politik/sterbehilfe-suizid-medizin-bundesverfassungsgericht-1.5197390">ne précisant pas les détails</a>. </p>
<p>Deux projets de loi ont été déposés par les députés libéraux et de gauche d’un côté et par les Verts de l’autre, en <a href="https://www.lto.de/recht/hintergruende/h/sterbehilfe-neuregelung-gesetzentwuerfe-abgeordnete-aerzte-freier-wille-minderjaehrige-toedliche-medikamente-beratung/">janvier 2021</a>. Ils visent à encadrer davantage la procédure (en précisant que sont concernées uniquement des personnes adultes, et que le médecin prescripteur doit avoir eu les moyens de s’assurer de la liberté de la prise de décision), à former du personnel, à définir les réglementations relatives à la publicité des institutions concernées, et à mettre en place des mesures renforcées en matière de prévention des suicides.</p>
<p>Les deux projets différent sur un point important : faut-il réserver la procédure exclusivement à des personnes gravement malades ? Les Verts pensent que la question devrait être posée et que l’État devrait y répondre par avance ; l’autre proposition de loi laisse ouverte cette possibilité à toute personne qui en fait une demande libre et consciente. Dans tous les cas, le temps d’attente serait imposé, et le médecin pourrait refuser de faire l’ordonnance demandée.</p>
<h2>Reprise de contrôle en temps de pandémie ?</h2>
<p>Cet engouement européen – même s’il s’agit souvent de projets de loi qui ont commencé à être rédigés bien avant la pandémie – témoigne de la volonté de reprendre le contrôle sur sa vie, et sur les conditions de sa mort.</p>
<p>L’une des violences les plus insupportables de la pandémie de Covid-19 est celle de la solitude des victimes âgées, mourant isolées dans les Ephad et dans des hôpitaux. L’aide médicale à la mort, qu’il s’agisse de l’aide au suicide ou de l’euthanasie, permet de faire sortir de la solitude de la fin de vie. S’éteindre entouré par des proches, au moment voulu, ne semble pas être cette mort médicalisée que tant craignaient, mais un moment où les humains se confrontent ensemble à leur finitude.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna C. Zielinska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à examiner plusieurs projets de loi sur l’euthanasie, que nous apprend l’exemple des pays européens qui ont récemment légiféré sur la question ?Anna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1501902020-11-24T22:06:45Z2020-11-24T22:06:45ZDébat : La liberté d’expression défendue par Emmanuel Macron peut-elle s’affranchir de toute responsabilité sociale ?<p>Le 2 octobre dernier, le président Emmanuel Macron <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">a présenté</a> sa stratégie de lutte contre ce qu’il avait initialement nommé « le séparatisme ». Prononçant 52 fois les mots islam ou islamisme, il y a clairement visé – et plus encore stigmatisé – ceux des membres de la communauté musulmane qui refusent d’être purement et simplement <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/11/integration-ou-assimilation-une-histoire-de-nuances_5029629_3232.html">« assimilés »</a> à la majorité culturelle.</p>
<p>Se sont alors élevées un grand nombre de voix afin de rappeler que les communautés musulmanes en France font l’objet de stigmatisations d’ampleur, qui ont pour conséquences une très forte discrimination à leur encontre, les marginalisant sur le marché de l’emploi, de l’éducation ou du logement.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/separatisme-et-si-la-politique-antiterroriste-faisait-fausse-route-149078">« Séparatisme » : et si la politique antiterroriste faisait fausse route ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Tout en reconnaissant ces discriminations et en annonçant que la formation des imams se ferait en France (et non au Maroc comme l’avait décidé son prédécesseur François Hollande), il a néanmoins systématiquement amalgamé l’extrémisme religieux, l’islam politique et l’islam tout court.</p>
<p>Or, les mots de Macron, « l’islam est une religion qui connaît aujourd’hui une crise, partout dans le monde », résonnent désormais avec ceux de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/eric-zemmour-pourquoi-macron-se-trompe-dans-son-analyse-de-l-islam-et-de-l-islamisme-20201009">polémistes</a> ouvertement racistes, laissant entendre que le problème c’est l’islam.</p>
<h2>Une stratégie politique</h2>
<p>Réputé plutôt accommodant avec l’islam et les musulmans à son accession au pouvoir en 2017, Macron a pu étonner par sa soudaine fermeté contre le « séparatisme islamique ». Mais il faut inscrire cet apparent changement de cap dans une séquence plus longue qui tient aussi d’une stratégie politique pour l’exécutif.</p>
<p>Ainsi, pour saisir la portée de son discours, le dernier livre d’Emmanuel Todd, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-luttes-de-classes-en-france-au-XXIe-siecle-emmanuel-todd/9782021426823"><em>Les Luttes de classes en France au XXIᵉ siècle</em></a> peut apporter des éclairages intéressants.</p>
<p>On comprend à la lecture du démographe que Macron ne peut pas espérer obtenir un second mandat avec <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/qui-sont-les-electeurs-d-emmanuel-macron-08-05-2017-2125665_1897.php">l’électorat</a> qui l’a porté au pouvoir en 2017, essentiellement « progressiste » et urbain.</p>
<p>Le soutien de son <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/07/07/la-popularite-de-macron-s-erode-a-gauche-comme-a-droite_5327668_823448.html">aile gauche</a> en particulier s’est fortement érodé après trois ans de politiques libérales, dénoncées notamment par le mouvement des « gilets jaunes » et la contestation sur les retraites. Il lui faut donc séduire impérativement les électorats classiques du puissant mouvement identitaire de la droite et de l’extrême droite, et notamment la composante ouvrière du Rassemblement national.</p>
<p>La stratégie de lutte contre « le séparatisme », reprend donc à son compte une partie des <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-1-page-13.htm">thèses islamophobes</a> actuellement en vogue dans le débat public. Ses accents populistes – qui plaident pour une laïcité offensive – tranchent avec la doctrine prônée au collège des Bernardins où Emmanuel Macron <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Laicite/Discours-Macron-Bernardins-partie-classe-politique-condamne-atteinte-laicite-2018-04-10-1200930553">plaidait</a> pour une « réparation du lien entre l’Eglise et l’État ».</p>
<p>On peut donc légitimement y voir une stratégie électorale. J’entends donc ici me concentrer sur la façon dont le populisme de Macron conceptualise la « liberté d’expression ».</p>
<h2>Liberté d’expression versus responsabilité sociale</h2>
<p>La liberté d’expression, qui est un droit humain fondamental, devient, selon mes analyses, contraire à l’éthique lorsque la rigueur intellectuelle et la responsabilité sociale lui font défaut.</p>
<p><em>Charlie Hebdo</em>, par le biais du large spectre des cibles de ses caricatures en est l’exemple. Notons par exemple le nombre importants de dessins polémiques de Riss, familier des caricatures sur les étrangers et les musulmans etc.</p>
<p><a href="https://www.legrandsoir.info/charlie-hebdo-ou-la-derive-anticommuniste-et-le-racisme-larve.html">Son parcours et tonalités de ses dessins</a> interrogent. Il dessine tantôt une immigration <a href="https://www.arretsurimages.net/articles/quand-luz-trouvait-un-peu-confus-un-dessin-de-riss">profiteuse des allocations</a> tantôt se moque <a href="https://www.20minutes.fr/medias/1767351-20160117-aylan-kurdi-dessin-charlie-hebdo-fait-pleurer-pere-petit-syrien-noye">d’Aylan Kurdi</a>, le petit syrien retrouvé sans vie sur une plage turque, qu’il tourne en dérision.</p>
<p>Ainsi l’hebdomadaire satirique avait-il caricaturé cet enfant de trois ans en le projetant comme « futur violeur » à Cologne, tout en véhiculant une <a href="https://www.lesinrocks.com/2016/01/news/le-dessin-de-charlie-hebdo-a-fait-pleurer-le-pere-du-petit-syrien-noye/">infox colportée</a> par les mouvances xénophobes européennes.</p>
<p>Un certain nombre de caricatures du prophète de l’islam par Charlie Hebdo n’échappent pas à cette confusion des genres. Présenter le prophète Mohammed comme un terroriste ou comme un détraqué sexuel, ne serait au fond pas très différent que de présenter Moïse comme un colon, ou d’en faire une caution (morale) du comportement de la droite israélienne à l’encontre des Palestiniens. Une telle association serait pourtant – et à juste titre – condamnée comme antisémite et interdite par les lois de nombreux pays européens.</p>
<p>Enfin, rappelons qu’au sein même de <em>Charlie Hebdo</em>, il semblerait que la caricature portant sur Israël ou certaines personnalités juives prête au débat houleux. Ainsi, le dessinateur Siné a été licencié sous la simple accusation d’un trait d’humour qualifié d’« antisémite » (<a href="https://www.nouvelobs.com/medias/medias-pouvoirs/20080727.OBS4800/affaire-sine-les-points-de-vue-de-charb-et-cavanna-historiques-de-charlie-hebdo.html">affaire Siné</a>).</p>
<h2>Un dévoiement de la satire</h2>
<p>Le réductionnisme populiste qui se cache derrière ces caricatures s’inscrit donc en réalité dans un dangereux dévoiement d’une satire – comme outil indispensable de la critique de tous les pouvoirs – vers la déshumanisation de certaines minorités.</p>
<p>Des mécanismes qui rappellent la trajectoire d’un vieil antisémitisme européen qui avant la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2002-3-page-13.htm">diabolisation des juifs</a>, a commencé avec celle de leur foi et de leur culture, préparant les esprits à leur quasi-extermination.</p>
<p>Certains pensent pouvoir affirmer que statistiquement <em>Charlie Hebdo</em> ne vise pas spécifiquement l’islam en tant que religion (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/05/oui-charlie-hebdo-est-obsede-par-l-islam_4588297_3232.html">près d’1 % des unes</a> qui lui sont consacrées).</p>
<p>C’est peut-être vrai statistiquement, mais comment ne pas être troublé par l’essentiel du message qui est véhiculé par les seules caricatures produites en direction de l’islam et des musulmans ?</p>
<h2>Droit à la liberté d’expression : jusqu’à quel point ?</h2>
<p>Emmanuel Macron défend le droit à la liberté d’expression, fustigeant la notion de blasphème, abolie par la <a href="https://www.scienceshumaines.com/blaspheme_fr_36063.html">révolution française en 1789</a>.</p>
<p>Mais est-ce pour autant un droit ? Si c’est le cas, sur quelle valeur universelle prend elle appui ?</p>
<p>Ne faudrait-il pas considérer que cette notion tend à apparaître aujourd’hui comme une véritable incitation à stigmatiser une minorité en France ?</p>
<p>Or comme le formule très bien <a href="https://www.theguardian.com/media/2015/aug/28/emmanuel-todd-the-french-thinker-who-wont-toe-the-charlie-hebdo-line">Emmanuel Todd au journal britannique <em>The Guardian</em> en 2015</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Oui, bien sûr, il y a un droit de blasphémer, mais il faut aussi avoir le droit de dire que le blasphème n’est pas une priorité et que c’est idiot »</p>
</blockquote>
<p>Et d’ajouter :</p>
<blockquote>
<p>« Je réclamais le droit de contre-blasphémer : de dire que les caricatures de Mahomet étaient obscènes, des bêtises, totalement décalées historiquement et qu’elles étaient l’expression d’une islamophobie rampante. Et bien, pour avoir dit cela, j’ai été accusé de complicité avec les terroristes. »</p>
</blockquote>
<h2>Le majoritarisme culturel français vu d’ailleurs</h2>
<p>En France, donc, il semblerait que ce soit imposé un « majoritarisme culturel », à l’encontre d’une société qui se décrit comme ouverte aux autres cultures.</p>
<p>Ce majoritarisme semble s’allier à la renaissance d’une forme très militante de la laïcité, combiné à une réminiscence prégnante de l’imaginaire colonial.</p>
<p>En effet, l’idée de « libérer l’islam » est considérée par certains, dont de nombreux Libanais, comme une continuité <a href="https://orientxxi.info/magazine/les-racines-coloniales-de-la-politique-francaise-a-l-egard-de-l-islam,1426">du comportement colonial de la France</a>.</p>
<p>Suite aux événements ayant frappé le Liban, l’un de mes étudiants à l’Université Américain de Beyrouth, <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/09/01/visite-du-president-emmanuel-macron-au-liban-moins-dun-mois-apres-lexplosion-au-port-de-beyrouth">tout en saluant l’intervention du Président français</a> contre la corruption s’inquiétait de la tournure de ses propos sur l’islam, vécu pour beaucoup comme un reliquat de la mentalité coloniale.</p>
<p>Plus généralement, plusieurs leaders religieux libanais ont critiqué la représentation du Prophète Mohamet par certains média français. C’est le cas <a href="https://www.aa.com.tr/ar/%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%88%D9%84-%D8%A7%D9%84%D8%B9%D8%B1%D8%A8%D9%8A%D8%A9/%D9%84%D8%A8%D9%86%D8%A7%D9%86-%D8%A7%D9%84%D9%83%D9%86%D9%8A%D8%B3%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D9%85%D8%A7%D8%B1%D9%88%D9%86%D9%8A%D8%A9-%D8%AA%D8%B4%D8%AC%D8%A8-%D8%A7%D9%84%D8%AA%D8%B9%D8%B1%D8%B6-%D8%A7%D9%84%D9%85%D9%82%D9%8A%D8%AA-%D9%84%D9%84%D8%B1%D9%85%D9%88%D8%B2-%D8%A7%D9%84%D8%AF%D9%8A%D9%86%D9%8A%D8%A9-/2026418">du patriarche Maronite (chrétien) Bechara Boutros al-Rahi</a>. Quasiment toutes les instances religieuses et politiques de pays musulmans ont dénoncé les <a href="https://www.oic-oci.org/topic/?t_id=24890&t_ref=15211&lan=en">dessins</a> à l’encontre du Prophète Mohamet.</p>
<p>Ces leaders s’étonnent du discours français qui fustige d’une part l’islam politique et cherche à le faire interdire « juridiquement » ou qui <a href="https://theconversation.com/les-ong-musulmanes-au-coeur-des-debats-sur-le-separatisme-149182">stigmatise certaines organisations</a>, tout en s’alliant économiquement à des <a href="http://www.slate.fr/story/159808/sissi-egypte-presidentielle-occidentaux-armes-migrants-petrole-terrorisme">régimes autoritaires arabes</a>, où souvent éclot ce même islam politique.</p>
<p>Rappelons enfin que a la Cour Européenne des Droits de l’Homme a elle-même considéré que l’atteinte au Prophète Mohammed <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/pour-la-cedh-latteinte-au-proph%C3%A8te-mohammed-nest-pas-la-libert%C3%A9-dexpression-/1292925">ne relève pas de la liberté d’expression</a>. Il ne semble ainsi pas envisageable, sous couvert de majoritarisme culturel, de laisser toute expression se répandre sans aucune limites ni responsabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150190/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sari Hanafi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Réputé plutôt accommodant avec l’islam et les musulmans à son accession au pouvoir en 2017, Macron a étonné le monde musulman par sa soudaine fermeté contre le « séparatisme islamique ».Sari Hanafi, Professor, American University of BeirutLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1484792020-10-28T22:05:10Z2020-10-28T22:05:10ZBonnes feuilles : « Apprentissages de la citoyenneté. Expériences démocratiques et environnement »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/366090/original/file-20201028-13-1c9njd4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C1020%2C676&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Villeneuve de Berg, le 26 novembre 2011, avant une manifestation</span> <span class="attribution"><span class="source">Jeani-Pierre Clatot/AFP</span></span></figcaption></figure><p><em>À l’heure où de nouvelles formes de démocratie rencontrent les débats sur l’environnement, la sociologue Laura Seguin a suivi en Poitou-Charentes une conférence de citoyens sur la gestion de l’eau, et, en Ardèche, une mobilisation contre l’extraction de gaz de schiste.</em></p>
<p><em>Ces expériences faites de construction de savoirs, d’émotions et de délibérations, constituent pour les citoyens ou les acteurs associatifs, comme les élus, de véritables espaces d’apprentissages. Laura Seguin les analyse en associant enquête ethnographique et sciences de l’éducation. Voici la conclusion de son ouvrage, <a href="https://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/31046">paru récemment</a> aux éditions de la Maison des sciences de l’homme : « Apprentissages de la citoyenneté – Expériences démocratiques et environnement ».</em></p>
<hr>
<p>Cette étude contribue à éclairer d’un nouveau regard les expériences de participation, qu’elles s’inscrivent dans des dispositifs institués ou dans des formes contestataires. En ouvrant la boîte noire des apprentissages, entendus comme produits mais aussi comme processus, cette recherche s’est centrée sur la fonction éducative de la participation.</p>
<p>Cette approche a mis en évidence ce qui se produit chez les différents acteurs : par l’observation s’identifient les modalités par lesquelles les apprentissages s’effectuent, et par les entretiens répétés dans le temps est mise en évidence la portée des expériences sur les individus. Au terme de cette enquête, j’identifie trois principaux résultats.</p>
<p>Le premier résulte du regard croisé entre procédure de démocratie instituée et mobilisation contestataire. Ces deux expériences, si différentes soient-elles, sont toutes deux porteuses d’apprentissage du conflit comme de la délibération. Alors que les conférences de citoyens fondées sur l’idéal délibératif apparaissent parfois comme des tentatives de réduction, voire d’épuisement du conflit, nous avons vu qu’elles peuvent mener, au contraire, à construire le conflit, aussi bien auprès des élus et professionnels des politiques concernées qu’auprès des citoyens invités à participer.</p>
<p>De même, l’enquête sur la mobilisation ardéchoise montre qu’il existe un processus de construction du conflit au fil du temps, par le recours à des modalités participatives contribuant à évacuer la violence que contient toute situation agonistique. Ce processus, que j’ai appelé « instruction du conflit » en m’inspirant du travail sur l’éducation populaire d’<a href="http://www.theses.fr/2011PA083546">A. Morvan</a>, consiste à apprendre à identifier les antagonismes, les « camps » en opposition, tout en se conformant aux règles de la « grammaire publique », que <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2006-3-page-11.htm?contenu=resume">J. Talpin</a> identifie comme l’impératif de montée en généralité et auquel l’analyse mène à adjoindre l’impératif de la non-violence.</p>
<p>Dans les deux cas étudiés, ce n’est pas le conflit qui est exclu des arènes de discussion – celui-ci fait au contraire l’objet d’une construction, d’un apprentissage – mais ses modalités d’expression violentes conduisant à la rupture du dialogue. Le théâtre-forum ou le débat mouvant ont par exemple été identifiés comme des outils et dispositifs d’apprentissage du conflit par des modalités coopératives et « non violentes ».</p>
<p>À cette instruction préalable du conflit succède l’apprentissage de la délibération, entendue comme processus de construction d’accords collectifs. Cet apprentissage fait l’objet d’un important cadrage, non seulement au sein de la conférence de citoyens, mais aussi, de manière peut-être plus inattendue, au sein du mouvement contestataire. Ses modalités s’inscrivent en tension entre des stratégies éducatives fortement interventionnistes dans lesquelles les animateurs et leurs règles jouent un rôle contraignant mais paradoxalement envisagé comme « libérateur », et des stratégies d’autonomisation des groupes délibérants, où les règles de la délibération sont définies par les participants eux-mêmes, sollicitant, voire développant chez eux des compétences participatives.</p>
<p>Cet apprentissage est aussi celui des limites au-delà desquelles la poursuite de la coopération deviendrait risquée. Les participants à ces arènes expérimentent effectivement la construction d’accords collectifs tout en apprenant à repérer les moments où cela porte trop atteinte aux intérêts ou aux valeurs défendues. L’expérience leur apprend à faire parfois le choix de ne pas ou ne plus participer, qui peut également s’expliquer par un effet de résistance à l’idéal délibératif et à des formes de professionnalisation du débat public.</p>
<p>Le second résultat spécifie la portée des apprentissages sur les individus, et détaille les modalités d’apprentissage à l’œuvre. Dans ce travail de repérage des apprentissages de la participation sont inclus les élus, professionnels des politiques publiques (notamment ingénieurs et techniciens), acteurs associatifs et militants politiques. Alors que la majorité des travaux s’intéressent au « citoyen ordinaire » qui serait le seul à (devoir) apprendre, je montre que ces expériences participatives sont également des moments d’apprentissages pour ces acteurs réputés plus aguerris au politique.</p>
<p>Du côté des citoyens « ordinaires », ces expériences ont un effet de politisation, mais aussi une portée sur les représentations de la participation politique, en termes de confiance accrue dans les formes de contre-pouvoir, mais aussi dans le sens d’une plus grande demande de démocratie participative. L’analyse n’a cependant pas manqué de souligner les inégalités d’apprentissage parmi les individus, qui s’expliquent notamment par les différences initiales de ressources.</p>
<p>Du côté des acteurs associatifs, les principaux effets relevés sont l’apprentissage d’une posture d’animateurs de débat, et l’acquisition de compétences coopératives, alors que ceux-ci sont plus habituellement amenés à user de stratégies agonistiques dans leurs pratiques militantes. L’appel aux citoyens « ordinaires », élément aujourd’hui incontournable de l’action publique, contribue à reconfigurer leur rôle social et politique.</p>
<p>Enfin, les élus et professionnels des politiques publiques en retirent des apprentissages susceptibles de faire évoluer leurs pratiques. C’est en cela que ces expériences peuvent être considérées comme des « écoles de démocratie », non seulement pour les citoyens, mais également pour les élus et professionnels qui s’y engagent.</p>
<p>Ces derniers sont invités à renouer, du moins temporairement, avec une conception du débat public faisant la part belle à la dimension conflictuelle des enjeux. La confrontation avec les citoyens mais aussi avec les acteurs d’éducation populaire et d’éducation à l’environnement les amène également à revoir leurs représentations de la participation politique et des processus de prise de décision, notamment lorsque celle-ci est traditionnellement fondée sur l’expertise technique qui imprègne de manière profonde les politiques environnementales.</p>
<p>Enfin, le dernier résultat de cette enquête met en lumière trois éléments permettant de caractériser les manières d’apprendre. D’abord, les apprentissages se font par socioconstructivisme, théorisé et pratiqué dans le courant de l’éducation populaire et qui imprègne les pratiques des artisans de participation dans les deux cas étudiés. Il s’agit d’un processus avant tout collectif et reposant sur une pédagogie inductive, basée sur les savoirs préalables des apprenants pour la construction collective de nouveaux savoirs.</p>
<p>Ensuite, on apprend aussi par l’expérience, c’est-à-dire par « essais-erreurs » ou « essais-succès ». C’est le célèbre « apprendre en faisant » du philosophe et pédagogue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Dewey">J. Dewey</a>. On apprend par exemple à trouver sa place dans les groupes débattants en faisant l’expérience de sanctions ou récompenses symboliques qui inculquent les manières de dire et de se comporter.</p>
<p>Enfin, on apprend la plupart du temps par l’autonomie, qui est dans le même temps un apprentissage de l’autonomie, où prévaut une relation pédagogique horizontale. Il s’agit là d’un modèle général, que l’analyse mène toutefois à nuancer, notamment par l’identification de processus d’apprentissages individuels et par formation théorique, qui s’éloignent donc du modèle socioconstructiviste. De même, certaines situations d’apprentissage interrogent l’horizontalité de la relation pédagogique et suggèrent davantage une hiérarchie et des rapports de domination.</p>
<p>L’actualité des questions développées dans cet ouvrage n’a certainement pas échappé au lecteur. Nous connaissons depuis plusieurs années une multiplication des mouvements de contestation de projets d’aménagement : aéroports, barrages, stades de football, incinérateurs, projets commerciaux, fermes industrielles… Tout comme l’agriculture intensive et l’exploitation du gaz de schiste, ces conflits mettent en débat le devenir de ces espaces ruraux ou périurbains.</p>
<p>Ils sont également à mettre en perspective avec les conflits urbains, liés par exemple à des projets de rénovation, mais aussi avec le mouvement des Gilets jaunes. Ce dernier interroge par ailleurs la possibilité de conjuguer l’action de contestation avec l’impératif de la non-violence mis en évidence dans ce travail, dans un contexte où l’État use, voire abuse de son monopole de la violence légitime, pour reprendre les mots de Max Weber.</p>
<p>On pourrait également s’interroger sur l’apparent paradoxe entre la multiplication de ces conflits et celle, dans le même temps, des procédures participatives ou de dialogue censées les prévenir ou les résoudre, comme l’a prétendu le Grand Débat national. À travers cette étude, le souhait était d’enrichir la compréhension de tels phénomènes politiques, d’en montrer la complexité et la richesse.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365025/original/file-20201022-20-17tjh6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet ouvrage fournira notamment des clés de lecture de la Convention citoyenne pour le climat qui se termine au moment où sont écrites ces lignes. Ce dispositif, à l’initiative de citoyens, de mouvements écologistes et de chercheurs, est également une réponse au mouvement des Gilets jaunes. Lancée par le gouvernement en avril 2019, la convention réunit 150 Français tirés au sort, amenés à s’informer, à rencontrer des acteurs et experts, et à délibérer pendant sept week-ends, afin de produire des propositions de loi pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-la-democratie-participative-vue-de-linterieur-141571">Convention citoyenne pour le climat : la démocratie participative vue de l’intérieur</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si ce dispositif inédit tient ses promesses en matière d’innovation démocratique, espérons que les mesures proposées, même les plus contraignantes, seront effectivement soumises sans filtre au Parlement ou au référendum, comme le gouvernement s’y est engagé. Ce serait alors une vraie promesse de démocratisation des politiques environnementales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Seguin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’école n’est pas le seul lieu de formation. La participation à des mouvements citoyens apporte aussi nombre de compétences, montre une enquête alliant ethnographie et sciences de l’éducation.Laura Seguin, Post-doctorante en sociologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1478652020-10-11T16:44:03Z2020-10-11T16:44:03ZDébat : Le défi de « produire du politique » pour les sciences humaines et sociales au moment de la crise sanitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362645/original/file-20201009-19-14yblpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Contrôles des mesures de sécurité à Paris. </span> <span class="attribution"><span class="source">Thomas Coex/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Une question hante la recherche en sciences humaines et sociales (SHS) ces derniers temps : à quoi servons-nous ? Elle vient notamment de donner lieu à un livre <a href="https://cigev.unige.ch/actu/covid-19-le-regard-des-sciences-sociales/">Covid-19, le regard des sciences sociales</a>. Ce livre développe la réponse suivante : les SHS « produisent de l’orientation ».</p>
<p>En ces temps de crise sanitaire, cette réponse mérite que l’on s’y attarde, y compris pour s’en distancier. Bien évidemment, il est important, d’abord, de resituer la pandémie et les réponses qui lui sont opposées dans leur contexte sociétal, de les mettre en rapport avec les inégalités sociales, avec les récentes transformations des États, ou encore avec les rapports de forces géopolitiques. Une vue d’ensemble sur la réalité sociale affectée par la pandémie ne saurait que bénéficier aux acteurs sociaux de tout ordre.</p>
<p>Ensuite, il importe de construire une notion claire de la place de l’activité scientifique dans ce contexte. Celle-ci, et plus particulièrement la science médicale, est un acteur clé dans le développement des réponses thérapeutiques. Cependant, elle agit en articulation avec des gouvernements, ou encore avec des acteurs économiques. Mieux comprendre dans quels jeux organisationnels l’activité scientifique s’inscrit ne saurait que bénéficier à la recherche, et ce, au-delà des SHS.</p>
<h2>« Produire du politique »</h2>
<p>Dans un cas comme dans l’autre cependant, si l’on a suivi les récents débats sur la science (penser notamment à ceux qu’avait déjà suscités la publication, sous la direction de Bernard Lahire, de <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-___quoi_sert_la_sociologie__-9782707144218.html">À quoi sert la sociologie ?</a>), on est forcé de ressentir un scrupule à l’idée de revendiquer un rôle d’orientation.</p>
<p>Ne serions-nous pas en train d’adopter cette fameuse position « en surplomb » qu’on a pu reprocher à certains grands noms des sciences sociales ? Une telle posture ne pourrait-elle pas être interprétée comme une volonté d’imposer certaines vues de la réalité sociale aux acteurs sociaux, et à nos collègues d’autres disciplines certaines notions de ce qu’est la science dans la société ?</p>
<p>Ce scrupule nous porte à défendre la réponse suivante : il ne s’agit pas tant d’orienter, il s’agit de produire du politique. C’est-à-dire du débat sur des enjeux collectifs, sur des propositions de connaissance et sur leurs conséquences en termes d’action ; et ce dans le domaine scientifique comme dans le domaine public.</p>
<p>« Produire du politique » veut donc dire participer à des débats desquels est susceptible de surgir, à partir de contributions individuelles multiples et par hypothèse souvent contradictoires, des projets de connaissance et d’action collective. De l’orientation donc, mais pas par le discours scientifique lui-même, plutôt par le fait que les scientifiques invitent à débattre, tout en participant eux-mêmes à alimenter ces débats. Lesquels pourront avoir lieu dans le domaine scientifique lui-même, mais aussi dans ce qu’on a pu appeler l’espace public, ou encore dans le cadre du système politique, et enfin dans les multiples arènes qui s’emboîtent en marge de cet espace public et de ce système politique.</p>
<h2>Activité de débat dans la science</h2>
<p>Rappelons encore ceci : l’activité scientifique est pour une part importante une activité de débat. Surtout de débats sur la pertinence d’observations ou d’interprétations. Mais aussi, et c’est principalement ce sur quoi nous voulons ici attirer l’attention, des débats sur la manière d’agir ensemble comme scientifiques : à la fois pour recueillir ces observations, pour discuter ces interprétations, mais aussi pour les faire circuler au-delà des limites du domaine scientifique, ou encore, enfin, pour prendre en compte les réactions nous parvenant de la part de non-spécialistes.</p>
<p>De tels débats doivent concerner toutes les disciplines, les SHS étant toutefois bien placées pour mettre en évidence leur dimension à la fois réflexive et politique ; pour contribuer à les organiser, sur la base de leur analyse de l’état actuel du politique, en associant des disciplines scientifiques très diverses.</p>
<p>Le pari est donc qu’il y a un rôle à jouer par la recherche en SHS de contribuer à revitaliser ou à recréer des débats de ce type et donc, du politique, dans le contexte actuel.</p>
<h2>Analyse, réflexion, retour</h2>
<p>Trois considérations nous amènent à défendre ce rôle pour les SHS.</p>
<p><strong>1. L’analyse de la conjoncture actuelle</strong>, où l’on peut constater une coïncidence entre la pandémie et des indices d’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/international-theory/article/constitutionalism-and-populism-national-political-integration-and-global-legal-integration/C9D54E336E01716FEEF0AFAA090AE61A">érosion du modèle démocratique</a>.</p>
<p>Érosion qui s’alimente, d’une part, d’une <a href="https://www.scidev.net/global/communication/editorials/the-case-for-a-deficit-model-of-science-communic.html">prise de distance excessive entre monde scientifique et monde social</a> ; mais aussi, d’autre part, d’une <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-death-of-expertise-9780190469412?cc=ru&lang=en&">remise en cause du savoir des experts</a>, en lien avec le phénomène politique qu’on a pu qualifier de populisme.</p>
<p>Ces dynamiques en apparence contradictoires se sont d’ailleurs conjointement alimentées de la crise sanitaire, les réponses de certains gouvernements et les avis d’experts les ayant inspirées étant présentés soit comme des solutions attendues, soit comme des exemples de mesures technocratiques méritant d’être rejetées par « le peuple ».</p>
<p>Dans ces conditions, il apparaît difficile de s’interroger sur le rôle de la recherche scientifique face à la pandémie sans s’interroger aussi sur les problèmes d’acceptabilité auquels la science faisait face déjà avant la pandémie. Or un des raisonnements développés face à ces problèmes est qu’il faut, non abolir la distinction de ces deux mondes, mais améliorer leur connaissance réciproque.</p>
<p>Cela exige, non seulement de vulgariser et disséminer des résultats du travail scientifique, mais surtout de faciliter une réappropriation active de la science par les non scientifiques (d’où la promotion de la science ouverte, de la science citoyenne ; d’où les visées fondatrices, par exemple, de <a href="https://theconversation.com/fr">The Conversation</a>). Ce qui suppose une bonne connaissance de la nature et de l’état actuel de la distance entre science et société, et des possibles moyens d’établir des relations, connaissances que, précisément, les SHS ont la responsabilité de développer.</p>
<p><strong>2. Une réflexion, à approfondir, sur la genèse de la démocratie</strong>, et le rôle des sciences dans cette genèse. Réflexion qui mérite de prendre appui sur l’histoire des sciences modernes. En effet, celles-ci ont pris leur essor avant le développement des régimes politiques démocratiques et elles ont fourni à ceux-ci, notamment par les académies, des <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/sc_hum_pensee_occ_t_III_I/revolution_galileenne_I_tdm.html">modèles d’organisation de l’action collective par la concertation</a>, et <a href="https://biblio-bhf.fr/246961">de débats d’idées et d’arguments</a>.</p>
<p>C’est par ailleurs <a href="https://www.librest.com/livres/les-academies-d-art--passe-et-present-nikolaus-pevsner_0-5024626_9782252041277.html">dans le domaine scientifique</a>, à côté des domaines des arts et du droit, que s’est forgée la notion de subjectivité moderne, avec son potentiel d’innovation ou de créativité susceptible de bénéficier à la collectivité. Notion qui prépare le terrain à celle de citoyenneté au sens de participation individuelle au devenir collectif, institutionnalisée par des droits et des obligations.</p>
<p>C’est enfin autour de ces domaines que s’est formé un public critique, qui a pu devenir <a href="https://mitpress.mit.edu/books/habermas-and-public-sphere">l’espace public</a> nécessaire à l’institutionnalisation du politique. Si la science <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/sc_hum_pensee_occ_t_VIII/sc_hum_pensee_occ_t_VIII_intro.html">a joué un rôle dans la formation des démocraties modernes</a>, son rôle pourrait bien être essentiel dans les efforts actuels de réhabilitation de la démocratie. Réhabilitation qui est aussi en jeu dans les réponses qui se construisent face à la pandémie.</p>
<p><strong>3. Un retour sur nos expériences individuelles de travail</strong> ces derniers mois, comme auteur·e·s et chercheur·e·s. Si un certain nombre d’entre nous ont voulu prendre la parole dans l’espace public, ce n’est pas seulement pour défendre certains acquis de nos recherches, mais aussi mus par la perception que les collectifs auxquelles nous appartenons (familles, communautés professionnelles, de voisinage, etc.) se trouvaient remis en cause dans leur nature et dans leurs modalités, que ce que « nous » était en train de changer de sens, et qu’il était urgent de « nous » engager dans ces changements, en « nous » associant aux débats déclenchés par la crise.</p>
<p>Les SHS nous sont d’un précieux secours pour prendre du recul par rapport à cette expérience. Au moment où des scientifiques de nombreuses disciplines, et non seulement des SHS, interviennent dans ces débats, les SHS peuvent mettre en valeur cette dimension essentiellement citoyenne de la parole scientifique.</p>
<h2>Débat sur le débat</h2>
<p>Les SHS mènent des recherches concernant l’ensemble des réalités affectées par la crise sanitaire ; elles auront à les poursuivre, les mettre en rapport entre elles et les mettre en rapport avec les travaux menés par d’autres disciplines scientifiques.</p>
<p>Mais elles ont aussi cette responsabilité : s’interroger sur ce que la crise sanitaire fait à la démocratie ; à laquelle la science participe par essence – et dont la science a vitalement besoin – et participer, par un travail par le débat et sur le débat, à la production du politique, dimension indispensable de la recherche, base indispensable de la démocratie.</p>
<p><em>Ce texte paraît dans le cadre du colloque <a href="http://msh-paris-saclay.fr/colloque-ruptures-des-pratiques-et-dynamique-du-debat-les-shs-face-a-la-crise-covid-19-12-13-10-2020/">« Ruptures des pratiques et dynamique du débat – Les SHS face à la crise Covid-19 »</a> organisé par la MSH Paris-Saclay les 12 et 13 octobre 2020</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147865/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En ces temps de pandémie, les SHS doivent générer du débat sur des enjeux collectifs, sur des propositions de connaissance et sur leurs conséquences en termes d’action ; une question de démocratie.Pierre Guibentif, Directeur, Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayMaryse Bresson, Directrice , Maison des Sciences de l'Homme (MSH) – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1350782020-04-05T16:59:28Z2020-04-05T16:59:28ZDébat : Doit-on à tout prix imposer un « sens » à l’actualité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/325036/original/file-20200402-74878-1sa6hog.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C37%2C1165%2C786&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">'Come with me' Danil Golovkin. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ccsearch.creativecommons.org/photos/96df7d1c-030f-4919-b8d5-aeeb5d0bd832">Behance</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les intellectuels devraient-ils aujourd’hui se contenter de « cueillir des fraises », pour reprendre l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/coronavirus-sibeth-ndiaye-s-excuse-apres-avoir-parle-des-enseignants-qui-ne-travaillent-pas_3885431.html">expression pour le moins regrettable</a> de la porte-parole du gouvernement ?</p>
<p>Evidemment, non. Les intellectuels, principalement des universitaires bénéficiant d’une position institutionnelle stable dans le champ académique, se distinguent par leur capacité à nommer le monde et à lui trouver des significations. Ils ont en cela un rôle important dans la construction de l’ordre symbolique d’une société, puisqu’ils participent à la compréhension de l’histoire collective. Mais par temps de « guerre », les intellectuels ont-ils toujours une prise sur le sens de notre destin ?</p>
<h2>La place des intellectuels</h2>
<p>« Toutes les sociétés ont eu leurs scribes », disait <a href="https://calmann-levy.fr/livre/lopium-des-intellectuels-9782702134740">l’historien Raymond Aron</a>. Les nôtres s’expriment dans les <a href="https://www.cairn.info/l-histoire-des-intellectuels-aujourd-hui--9782130531616-page-201.htm">médias écrits traditionnels</a> ou sur la radio publique. Ils sont plutôt des hommes blancs de plus de 55 ans.</p>
<p>Par exemple, entre le 17 et 31 mars 2020, sur les 50 prises de position publiées dans la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/">rubrique « Idées » du <em>Monde</em></a>, 38 ont été signées par des hommes. Excepté les quatre tribunes signées par des collectifs de personnalités, la large majorité des contributions (41) provient de l’univers académique.</p>
<p>Ces intellectuels utilisent les concepts qu’ils ont forgés dans leurs travaux universitaires pour éclairer l’actualité politique. Ainsi, dans deux tribunes différentes publiées récemment dans le journal <em>Le Monde</em>, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/la-crise-sanitaire-incite-a-se-preparer-a-la-mutation-climatique_6034312_3232.html">Bruno Latour</a>, célèbre philosophe et sociologue des sciences, et l’économiste nobélisé <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/25/jean-tirole-face-au-coronavirus-allons-nous-enfin-apprendre-notre-lecon_6034318_3232.html">Jean Tirole</a> nous expliquent que la vraie urgence n’est pas la guerre contre le Covid-19, mais la crise climatique.</p>
<p>Au premier abord, leur rappel de la « vraie » urgence est sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« peut-être faut-il prendre conscience que la lutte contre le changement climatique comme celle contre le coronavirus, est la responsabilité de tous » (Tirole).</p>
</blockquote>
<p>« Responsabilité de tous », « responsabilité de l’État », il y a toujours des nuances dans les prises de position, mais l’essentiel est ailleurs : la parole de ces intellectuels <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1985_num_59_1_2272">oriente</a> le regard du citoyen, définit ce qui est important et ce qui n’est pas important, en le forçant implicitement à prendre lui-aussi position.</p>
<p>Cette imposition de problématique peut s’apparenter à une forme de violence symbolique, c’est-à-dire à la construction d’un horizon des possibles qui ne fait que <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/raisons-pratiques-reedition-pierre-bourdieu/9782757841709">traduire la vision du monde des forces sociales dominantes</a>.</p>
<p>Mais au-delà de cet aspect récurrent de la <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-intellectuels-en-europe-au-xixe-siecle-essai-d-histoire-comparee-christophe-charle/9782020239578">marche des idées</a>, ce type de tribunes pose aujourd’hui un autre problème. Elles obligent les citoyens ordinaires à penser à tout prix « le sens » de l’actualité. Elles leur interdisent de partir dans tous les sens ou d’accepter le non-sens de leur condition.</p>
<p>Il faut croire que cette mince possibilité de s’arrêter et de ne pas penser, de se laisser envahir par le calme ou par la peur, par des sentiments contradictoires ou par le vide est si terrifiante socialement que certains considèrent qu’il faut remettre de toute urgence de l’ordre avant que cela ne soit pas trop tard.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=606&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325041/original/file-20200402-74895-e6jd3o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=762&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Non sens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Surubaru</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« To be or not to be » en guerre</h2>
<p>En sciences sociales, l’idée que le langage ordinaire peut induire en erreur le chercheur est largement partagée. Les manuels de sociologie invitent ainsi les étudiants à <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/metier-de-sociologue/">se méfier des prénotions</a>, c’est-à-dire des mots qui construisent le sens du monde au quotidien.</p>
<p>Quand le Président Macron dit que « nous sommes en guerre », le bon sens académique nous oblige donc à prendre cette expression avec des pincettes. Malgré le caractère exceptionnel de la situation sanitaire liée au Covid-19, « il ne s’agit pas d’une guerre, parce qu’il n’y a pas d’ennemi » rappelait la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/30/claire-marin-l-epreuve-de-la-rupture-peut-nous-disloquer-jusqu-a-la-folie_5443447_3232.html">philosophe Claire Marin</a>.</p>
<p>« Parler de guerre me semble inadapté, incongru et déplacé, c’est même une faute », considère lui-aussi <a href="https://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/2020-03-31/michel-wieviorka-coronavirus-parler-de-guerre-est-une-faute-843666.html">l’historien Michel Wierviorka</a>.</p>
<p>Pour Bruno Latour, le problème n’est pas tant ce virus qui mène tranquillement sa vie (de « la gorge en nez en nous tuant sans nous en vouloir »), mais l’humain qui détruit la Planète. Selon lui, le véritable enjeu de cette crise est de dévoiler l’incapacité de l’État actuel à gérer la crise climatique. Les décisions actuelles de Macron illustrent selon lui l’existence d’un État enfermé dans la logique du biopouvoir, c’est-à-dire un État du XIX<sup>e</sup> siècle qui gérerait des populations de manière autoritaire sur son territoire.</p>
<p>Pour Jean Tirole :</p>
<blockquote>
<p>« dans leur quotidien, les citoyens ne mettent pas systématiquement la vie au-dessus de l’argent et ne sont pas prêts à réduire considérablement leur consommation en échange d’un monde plus sûr. »</p>
</blockquote>
<p>C’est pourquoi, l’économiste les exhorte à « apprendre leur leçon » pour :</p>
<blockquote>
<p>« faire jouer la pression sociale pour pousser les acteurs économiques à agir dans le sens du bien commun. »</p>
</blockquote>
<h2>Pourtant… « nous sommes en guerre »</h2>
<p>Malgré les réticences justifiées des universitaires à l’égard de l’usage politique du mot « guerre », celui-ci reste un des <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-essais/philosophie/essais-d-empirisme-radical">cadres possibles d’interprétation</a> de la situation actuelle. En effet, lorsque le Chef des armées déclare « nous sommes en guerre », cela a des conséquences directes sur l’organisation de la société. Ainsi, les rythmes de la vie privée se retrouvent bousculés du jour au lendemain et les règles de fonctionnement de la sphère publique révisées de manière discrétionnaire. Le Président de la République n’est pas l’État, mais il dispose d’un pouvoir d’agir fondamental sur une population et un territoire. C’est pourquoi, lorsqu’il dit « faire la guerre », ces mots ne sont pas anodins, au-delà de simples procédés rhétoriques.</p>
<p>Pourquoi alors de nombreuses tribunes publiées à propos de la lutte contre le Covid-19 rejettent l’idée de l’existence d’une « guerre » ?</p>
<p>Pour le citoyen ordinaire, la guerre est une <a href="https://www.tallandier.com/livre/des-hommes-ordinaires/">perte de contrôle</a> de sa situation individuelle. Ce n’est pas lui qui décide du sens immédiat de ses activités, mais le pouvoir politique.</p>
<h2>Accélération du temps social</h2>
<p>Cette capacité structurante du politique n’est pas une particularité des situations de guerre : nos existences sont régies de la maternité aux pompes funèbres par les décisions de nos gouvernants. Mais l’accélération du temps social face à un « ennemi » commun (réel ou supposé) rend le pouvoir visible, palpable et de ce fait, insupportable pour beaucoup d’entre nous.</p>
<p>Confronté à cette perte de contrôle, chacun réagit avec les armes dont il dispose. Jean Tirole, Bruno Latour ou Michel Wieviorka ne sont pas des citoyens ordinaires : ils représentent les savoirs académiques institués. Leurs idées sont donc les idées d’un monde universitaire légitime, qui se donne le luxe de pouvoir reformuler les priorités du jour, à contre-courant de l’expérience immédiate du monde.</p>
<p>Or, pour ceux et celles qui n’ont pas ces armes à leur disposition, ni l’illusion de pouvoir jouer un rôle dans l’histoire de leur pays, la guerre peut être un cadre qui donne du sens à la perte de sens. Les priorités d’hier semblent ridicules aujourd’hui, car le temps n’a plus de consistance. La peur ou l’anxiété de vivre confiné se mêle à la peur de mourir ou de voir mourir. L’attente devient l’horizon commun des citoyens ordinaires, tout comme ce goût amer de brouillage de repères. Même si les intellectuels s’efforcent dans les médias à donner du sens à la violence de ce nouveau quotidien, celle-ci leur échappe. Tout comme le pouvoir d’agir sur le sens de notre destin collectif, qui reste fondamentalement un acte politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alina Surubaru a reçu des financements de la Fondation Bordeaux Université, de la Région Nouvelle Aquitaine et du CNRS.
Actuellement, ses travaux de recherche sont financés par l'Agence nationale de la Recherche. </span></em></p>Pour celles et ceux qui n’ont pas l’illusion de pouvoir jouer un rôle dans l’histoire de leur pays, la guerre peut être un cadre qui donne du sens à la perte de sens.Alina Surubaru, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1291112020-01-27T17:09:55Z2020-01-27T17:09:55ZLes think tanks : une déception française ?<p>Ils émettent leurs souhaits par voie de presse en commentant les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/retraites-un-think-tank-d-orientation-liberale-attend-des-voeux-d-emmanuel-macron-un-message-ferme-notamment-vis-a-vis-des-regimes-speciaux_3765767.html">actions de l’exécutif</a>, expriment leurs opinions sur les politiques publiques, et emploient parfois des <a href="https://www.challenges.fr/education/parallaxe-le-puissant-employeur-de-delevoye_691000">hauts fonctionnaires</a> : les think tanks semblent désormais incontournables dans la vie politique française.</p>
<p>Et pourtant, s’ils ont été objets de toutes les <a href="http://www.theses.fr/s89966">curiosités</a> du début des années 2000 au milieu des années 2010, ils connaissent depuis un essoufflement pour le moins certain. L’attrait de la nouveauté ayant petit à petit laissé la place à la routine des publications et des événements, les think tanks politiques continuent en France à nourrir l’actualité mais l’exemple d’une transformation sociale, sociétale, économique ou politique qu’ils aient directement impulsée semble bien lointain à trouver.</p>
<p>Est-ce à dire qu’ils sont en train de passer de mode dans le débat public ou qu’ils n’ont, plus profondément et malgré les apparences médiatiques, jamais réellement su peser dans ce débat ? Nés d’une inspiration nord-américaine, les think tanks se sont greffés sur une <a href="http://www.theses.fr/s89966">réalité académique, politique et administrative française radicalement différente</a>.</p>
<h2>Quels modèles d’expertise ?</h2>
<p>Certes, la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_1984_num_2_3_991_t1_0219_0000_1">forte fascination de l’Amérique</a> des années 1960 – années où le <a href="https://www.theses.fr/2011PA020040">phénomène des clubs politiques</a>, ancêtres des think tanks, a été particulièrement important dans l’hexagone – a marqué le paysage des groupes français de réflexion, dont les think tanks constituent la dernière forme d’organisation. Les références états-uniennes sont d’ailleurs encore aujourd’hui constantes. Mais les think tanks en France ne sont que de lointains cousins de leurs parents américains, qu’il s’agisse de leur structuration, de leur ampleur ou de leur influence.</p>
<p>Cela est grande partie du au fait que les modèles d’expertise ne se sont pas construits sur le même schéma des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, la demande d’une expertise extérieure naît de la conjonction d’un <a href="https://www.researchgate.net/publication/261948302_Think_Tanks_and_Production_of_Policy-knowledge_in_America">État fédéral faible</a>, du caractère limité des structures dédiées en son sein à la production d’un savoir technocratique et du rôle mineur joué par les partis politiques dans le développement d’une expertise politique.</p>
<p>À l’inverse, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2002-2-page-295.htm">l’expertise d’État</a> acquiert en France une place centrale à partir de 1945. Un espace politico-administratif d’exercice de la compétence savante s’institutionnalise dès le début de la IV<sup>e</sup> République, notamment dans le domaine de la politique économique et financière. Le commissariat général au plan, créé par un décret du <a href="https://www.strategie.gouv.fr/actualites/decret-3-janvier-1946">3 janvier 1946</a>, n’est sans doute pour beaucoup qu’un lointain souvenir ; il n’en reste pas moins que l’expertise d’État reste un canal majeur de l’importation et de la diffusion d’idées.</p>
<h2>Des acteurs de référence sur certaines questions</h2>
<p>Du début des années 2000 à celui de 2020, il est possible de tirer un premier bilan des activités des principaux think tanks politiques français. Si aucun d’entre eux ne s’est montré à même de proposer une approche fondamentalement nouvelle d’un pan de l’action publique, plusieurs sont parvenus à devenir des acteurs de référence sur certaines questions.</p>
<p>On doit ainsi mettre au crédit de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/06/30/olivier-ferrand-le-president-du-think-tank-terra-nova-est-mort_1727447_823448.html">Terra Nova</a>, créé en 2008 par Olivier Ferrand (décédé en 2012), l’importation, après une mission d’étude aux États-Unis sur <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2009/08/26/01002-20090826ARTFIG00387-que-signifient-des-primaires-ouvertes-.php">l’organisation de primaires ouvertes</a>, de ce modèle en France et son adoption par le Parti socialiste en 2011, puis par un grand nombre de partis en 2016.</p>
<p>Il faut également indiquer que l’Institut Montaigne, qui a vu le jour en 2000 pendant les années de la cohabitation entre le Président de la République Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin, a fait de sa capacité d’estimation financière – et notamment de <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/politique-de-sante/presidentielle-2017-l-institut-montaigne-decortique-les-mesures-de-sante-des-candidats_2117435.html">chiffrage des propositions des candidats à l’élection présidentielle</a> et de bilan économique de mandatures – un axe fort de son positionnement dans le débat économique.</p>
<p>On peut enfin souligner que la Fondation Jean‑Jaurès a su quant à elle, notamment à partir de 2012, développer une stratégie d’influence autour de partenariats avec des think tanks à l’international.</p>
<p><a href="https://books.google.fr/books?id=fZVxDwAAQBAJ&pg=PT69&lpg=PT69&dq=Instituto+Lula+du+premier+%C2%AB+Forum+du+progr%C3%A8s+social+%C2%BB">On peut citer</a> à titre d’illustrations l’organisation en décembre 2012 avec le think tank brésilien Instituto Lula du premier « Forum du progrès social », et le projet « Progressistes pour le climat » développé en collaboration avec la Fondation européenne d’études progressistes en vue de la COP 21.</p>
<p>Dans ce cadre des rencontres ont notamment été organisées en Afrique du Sud avec le Mapungubwe Institute for Strategic Reflection, aux États-Unis avec le Center for American Progress ou au Canada avec le Canadian Centre for Policy Alternatives…</p>
<p>Mais, au-delà de ces marques de fabrique et du traitement récurrent de marronniers du débat public soumis par le biais de <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/Un-think-tank-propose-que-les-enseignants-aient-une-formation-pratique-2015-09-10-1354559">rapports plus ou moins convenus sur la santé, l’éducation ou la fiscalité</a>, trop souvent marqués du sceau d’une pensée mainstream, un double constat s’impose.</p>
<h2>Des exercices de style</h2>
<p>Les think tanks ont certes permis à l’occasion à des organisations partisanes de tester des propositions programmatiques ou d’en renforcer l’écho, mais pour autant, sans porter ni produire d’idées et de pensées radicalement nouvelles. On peut citer, pour ne prendre qu’un exemple, les <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/06/07/education-le-liberal-institut-montaigne-maitre-a-penser-de-macron_1575198">rapports de l’Institut Montaigne sur les sujets éducatifs</a>, aux préconisations souvent semblables à celles des <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/auteurs/jean-michel-blanquer/">ouvrages publiés par Jean‑Michel Blanquer</a> avant qu’il soit nommé en 2017 ministre de l’Éducation nationale et qu’il s’attache alors à leur mise en œuvre.</p>
<p>Par ailleurs, la grande force des think tanks français est aussi leur première faiblesse : dans leur constante recherche d’adaptation de leurs formats aux exigences des décideurs publics susceptibles de reprendre leurs recommandations et à celles des journalistes qui assurent leur couverture médiatique, les productions de ces groupes de réflexion sont aussi – et parfois surtout – devenues des exercices de styles.</p>
<p>Dès sa création, Terra Nova a ainsi annoncé qu’il publierait non seulement des essais de fond mais aussi des « policy briefs » (sur le modèle de « notes de cabinet »). Et tous les think tanks politiques hexagonaux proposent, à la publication de chaque essai ou rapport, des synthèses aux allures de communiqués de presse.</p>
<h2>Une certaine légitimité universitaire</h2>
<p>Bien évidemment, les think tanks ont bénéficié du fait que les partis politiques, tournés vers les échéances électorales, ont depuis plusieurs dizaines d’années maintenant perdus en France leur centralité dans l’élaboration des programmes, rendant propice le développement de lieux de pensée extérieurs et de nouveaux producteurs ou assembleurs d’expertise.</p>
<p>On ne peut d’ailleurs que se féliciter qu’ils parviennent à associer, au sein de groupes de travail spécifiquement constitués en vue de la production d’une note ou d’un rapport ou de leurs pôles d’expertise, acteurs académiques et acteurs de la vie politique, administrative, associative, et du monde économique.</p>
<p>Il faut ainsi reconnaître à ces organisations le fait d’avoir contribué à un <a href="http://www.theses.fr/s89966">mouvement positif d’effacement des frontières</a> entre les mondes académique, politique et administratif, économique et journalistique et une capacité à établir des interconnexions nouvelles, souples et informelles, contribuant à fluidifier la circulation des modèles et des idées.</p>
<h2>Déceptions</h2>
<p>Au final, si les think tanks politiques ont su se positionner comme des acteurs qui comptent dans la vie publique, politique, économique et <a href="http://www.thinktankinitiative.org/fr/blog/think-tanks-et-universit%C3%A9s-le-tout-est-sup%C3%A9rieur-%C3%A0-la-somme-des-parties">intellectuelle française</a>, porter un regard lucide sur leur production n’est pas sans susciter aujourd’hui de la déception.</p>
<p>Leur production régulière continue de bénéficier d’une importante couverture médiatique et elle est le plus souvent formellement de qualité. <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/511">Des universitaires de premier plan comme de grands noms de la politique</a> et du monde économique se sont d’ailleurs engagés, notamment à la fin des années 2000, aux côtés de certains think tanks politiques.</p>
<p>Le positionnement des think tanks politiques leur procure une certaine liberté en dehors des partis, en dépit parfois de positions partisanes, et il est donc légitime d’en attendre des idées détonantes.</p>
<p>Le décalage n’en est que plus grand quand se retrouvent recyclées, tout juste modernisées par un vernis marketing nouveau, des propositions corsetées aux airs de déjà vu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129111/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agathe Cagé est associée-cofondatrice, et présidente, de l'agence de conseil en stratégie Compass Label. </span></em></p>L’attrait de la nouveauté ayant petit à petit laissé la place à la routine, les think tanks peinent à transformer leur production en réelle impulsion politique.Agathe Cagé, Docteure en Sciences politiques associée au (CESSP) du CNRS, de l'EHESS, et de , Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1228082019-09-12T22:25:48Z2019-09-12T22:25:48ZLe rond-point, fabrique quotidienne de solidarités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292018/original/file-20190911-190061-c4ilbu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C24%2C4001%2C2993&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le mouvement des gilets jaunes a, dès son apparition, recréé de la solidarité grâce à de nombreux mécanismes d'entraides aussi inventifs que ludiques. Hiver 2018.</span> <span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En 2005, dans <em>Le territoire du rien</em>, le <a href="https://www.gibert.com/territoire-du-rien-ou-la-contre-revolution-patrimonialiste-le-7120434.html">philosophe Jean‑Paul Dollé</a> considérait qu’il était</p>
<blockquote>
<p>« urgent d’inventer une politique de l’événement, c’est-à-dire d’affirmer un désir d’agir avec les autres pour ouvrir le champ du possible et interrompre la répétition immuable du temps et de la servitude ».</p>
</blockquote>
<p>Treize ans plus tard, des femmes et des hommes lui ont répondu sur les lieux mêmes des « anti-villes fabriquées plutôt que construites ».</p>
<p>En novembre 2018, les « gilets jaunes » ont <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01994163/document">« surgi » dans l’espace public</a> et sur les écrans : ouverture des barrières de péages autoroutiers, manifestations et occupations.</p>
<p>Au fil des semaines, les femmes et les hommes en jaune se sont notamment appropriés les ronds-points des zones péri-urbaines, les transformant en lieux de vie, places publiques, nouveaux médias, dispositifs d’entraide, ateliers de formation et d’éducation populaire. La géographie ne peut rester insensible à ces émergences, là où on ne les attendait pas.</p>
<h2>Révélateur de la colère et de la France « moche »</h2>
<p>On a déjà dit la force du gilet technique couleur citron, <a href="https://theconversation.com/la-colere-jaune-une-passion-personnelle-108023">qui a rendu visibles</a> les « invisibles » et révélé les urgences. En s’appropriant les lieux de transit d’un territoire « métropolisé », en bloquant les autoroutes, comme autrefois on bloquait les rues de nos villes, le mouvement a également mis en évidence le changement d’échelle de nos espaces de vie quotidiens et donné un visage à <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/actes-sud-beaux-arts/terre-natale">« l’outre-ville »</a>.</p>
<p>Ce faisant, les gilets jaunes ont pointé les « ronds-points », symboles proliférants d’une <a href="https://www.ina.fr/emissions/la-france-defiguree/">« France défigurée »</a> ou <a href="https://www.telerama.fr/monde/comment-la-france-est-devenue-moche,52457.php">« moche »</a> – avec ses lotissements monotones, ses rocades, ses friches et ses bazars commerciaux périphériques. En quelques mois, ils ont réussi le miracle de transformer des objets techniques inhospitaliers en lieux dignes de figurer dans une nouvelle <a href="https://monoskop.org/images/9/9b/Barthes_Roland_Mythologies_1957.pdf">« mythologie »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292004/original/file-20190911-190065-196nc10.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le mouvement a également mis en évidence le changement d’échelle de nos espaces de vie quotidienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’émergence des parlements du peuple</h2>
<p>L’occupation fait écho à <a href="https://theconversation.com/de-la-place-tahrir-aux-gilets-jaunes-les-nouvelles-formes-de-lindignation-110520">d’autres mobilisations</a>, occupations de bâtiments, de portions de territoires et d’expérimentations. On pense aux <a href="http://imaginations.glendon.yorku.ca/?p=9156">mouvements d’occupation</a> tels que Occupy Wall Street, Indignados, le Printemps érable du Québec, le Printemps arabe, la « Révolution des parapluies » à Hong Kong ou « Nuit debout » en France.</p>
<p>Elles renvoient également à d’autres formes d’occupations et de résistances territorialisées contemporaines, de « communs oppositionnels » comme les <a href="https://theconversation.com/les-zad-et-leurs-mondes-les-sciences-sociales-contre-les-caricatures-89992">Zones à défendre</a> (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, le barrage de Sivens, la « Ferme des mille vaches », le Center Parc de Roybon en Isère, les squats, voire les actions de <a href="https://www.psychologies.com/Planete/Eco-attitude/Agir/Livres/La-Guerilla-jardiniere">« guérilla jardinière »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292007/original/file-20190911-190035-15icwjc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les « gilets jaunes » proposent de nouveaux modèles d’occupation en résonnance avec les mobilisations de cette dernière décennie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292010/original/file-20190911-190002-1rvbrct.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Bannière « Coluche revient » aperçue à de nombreuses manifestations « gilets jaunes », l’humeur est à la camaraderie et à l’humour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Venus des communes alentours, souvent vidées de leurs services, les gilets jaunes ont créé là de nouveaux cafés métropolitains, « ces parlements du peuple » d’Honoré de Balzac. Ici, la convivialité est de mise.</p>
<p>Il y a toujours une main tendue, un mot de bienvenue et un café pour briser la glace. Le site est ouvert et les panneaux disposés en amont invitent les automobilistes à s’arrêter. Avec sa cabane, sa table et ses sièges, le rond-point est un dispositif de l’hospitalité. On a l’impression d’être à la bonne échelle, une sorte d’entité anthropologique de base : « agora » de quelques mètres carrés réunissant une cinquantaine de personnes. La taille semble idéale pour pouvoir se parler, communiquer par gestes, se toucher : « le rond-point est important car on n’échange pas qu’avec les mots ». Ici émerge une urbanité « émotionnelle » bien plus que fonctionnelle.</p>
<h2>Esthétique mondialisée de la bricole</h2>
<p>Sur les ronds-points nous voyageons immobiles dans une esthétique mondialisée de la bricole, de la récupération et du recyclage. Il y a de la cabane de l’enfance, du cirque, de l’atelier artisanal, du jardin ouvrier dans ce bric-à-brac de palettes, de tourets et de panneaux qui stimule les imaginaires.</p>
<p>Au fil des mois, les ronds-points sont passés du statut de « camp de base » à celui de lieu habité, confortable et visible. Au début du mouvement, ils étaient parfois occupés 7 jours sur 7 et 24h sur 24. Désormais, ils s’animent surtout en fin de journée, le soir des assemblées hebdomadaires et le samedi, rendez-vous des manifestions et des actions.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292022/original/file-20190911-190026-13t3q7k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Au sein de ces espaces nous voyageons immobiles dans une esthétique mondialisée de la bricole.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinsk</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292021/original/file-20190911-190002-z7y96u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Au fil des mois, les ronds-points sont passés du statut de « camp de base » à celui de lieu habité, confortable et visible.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinsk</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le rond-point est ainsi devenu un « espace public » au sens politique du mot autour des « Assemblées générales », des recueils de « Cahiers de doléance » et des débats. Là, en plein air, dans le bruit et au milieu de la circulation, on assiste au passage d’un <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3027">« espèce d’espace »</a> géographique en « espace idéologique et politique plébéien » au sens de <a href="https://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_1992_num_18_1_977">Jurgen Habermas</a>, une sorte de « commun oppositionnel », cette expérience sensible, à la portée fortement émancipatrice où les affects sont présents.</p>
<h2>Un média et un totem</h2>
<p>Ici dans la proximité s’expérimente un « processus instituant d’autonomie individuelle et collective » comme l’<a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-institution-imaginaire-de-la-societe-cornelius-castoriadis/9782020365628">écrit Cornélius Castoriadis</a>. Des assemblées générales hebdomadaires, animées à tour de rôle, rythment la vie du site. Ici les décisions sont prises à main levée. Sur les ronds-points les gilets jaunes rejettent toute hiérarchie, désignation de chef ou porte-parole autoproclamé. C’est la limite et la force d’un mouvement insaisissable en mutation permanente. Du local au national, l’autonomie est vécue et revendiquée.</p>
<p>Le lieu est aussi le média et le totem positif du mouvement, celui dont les gilets jaunes ont la maîtrise, contrairement aux médias « mainstream » dont ils se méfient. La qualité de l’aménagement exprime ce qui est vécu là :</p>
<blockquote>
<p>« Le rond-point, on en est fier. C’est notre image ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292025/original/file-20190911-190050-8uqui3.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le lieu est aussi le média et le totem positif du mouvement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La production de tracts ou plaquettes et leur distribution contribuent au rayonnement du lieu tout comme les panneaux qui disent le mouvement et son évolution : de « Macron démission » en novembre au « Casse des services publics : ça suffit » en août.</p>
<p>Afin de voir et d’être vus, les gilets jaunes préfèrent vivre leurs assemblées sur le rond-point plutôt que dans une salle. Ils fabriquent un lieu qui les façonne en retour, au risque de l’enfermement : « on n’avancera pas si on reste entre nous sur le rond-point ». Cet aller et retour entre « nous » et les « autres », le rond-point et le « dehors » est devenu vital.</p>
<h2>Dispositif solidaire</h2>
<p>Le rond-point est un « dispositif » <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Surveiller-et-punir">au sens de Foucault</a> c’est-à-dire « un ensemble hétérogène constitué de discours, d’institutions, d’aménagements architecturaux, de règles et de lois, etc. »</p>
<p>Les discours sont construits collectivement, résumés et exposés sur les panneaux, détaillés sur les tracts et partagés sur les réseaux sociaux. Des institutions – <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/regles_methode/regles_methode.html">au sens de croyances et modes de conduite</a> institués par la collectivité se sont élaborées.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292016/original/file-20190911-190061-qu2itx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Apprentissage et parole militante vont de pair.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les modestes aménagements architecturaux sont constamment améliorés et des « règles » sont même édictées : interdiction d’alcool, port du gilet, fonctionnement des Assemblées générales.</p>
<p>La solidarité, la « fraternité » et l’entraide ne sont pas feintes : emplois trouvés pour les uns, papiers remplis pour les autres (retraite, assurance maladie…) et autres services quotidiens font de nombreux ronds-points des pôles d’entraide et de services gratuits. Le rond-point forme ainsi une <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-art-comme-experience">« communauté d’expérience »</a>, de transformation permanente et non un dispositif matériel immuable. C’est aussi un lieu d’intensité humaine, de « synergies » et non un simple rassemblement.</p>
<h2>« Ici on apprend tous les jours »</h2>
<p>Sur le rond-point bricolé se déploie une fonction particulière de lieu de formation et d’apprentissage par le faire, un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01699738/document">« territoire apprenant »</a> où tous les acteurs contribuent au processus, de manière informelle ou à travers des ateliers thématiques sur le pouvoir d’achat, les retraites ou le Référendum d’initiative citoyenne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292031/original/file-20190911-190026-1bw9qr2.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le rond-point forme aussi une communauté d’expérience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292032/original/file-20190911-190044-1vwrz7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Préparation des thèmes de la rentrée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Ici on apprend tous les jours » se réjouit Pascale sur un rond-point. Cette constellation de lucioles des bords de routes tisse quotidiennement un lien concret entre « fin de mois » et « fin du monde », et invente de nouvelles formes d’éducation populaire.</p>
<p>Les ronds-points qui résistent sont des lieux à étudier et investir. Dotés d’un formidable potentiel d’urbanité, ils sont capables de nourrir les réflexions en cours sur le « design de l’action publique » des collectifs et de la politique qui partirait de la base. À la question « Où, quand et comment faire ville et société aujourd’hui ? » Les gilets jaunes ont répondu par l’invention d’un lieu et d’un dispositif de solidarité ouvert à tous. À suivre.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292036/original/file-20190911-190021-11sq5hv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les gilets jaunes ont créé un lien concret entre « fin de mois » et « fin du monde ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<hr>
<p><em>L’auteur a publié avec Bernard Floris (et tous les autres) <a href="https://www.elyascop.fr/catalogue/collections/linnovation-autrement/sur-la-vague-jaune">« Sur la vague jaune, l’utopie d’un rond point »</a>, Elya éditions, mai 2019.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122808/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Gwiazdzinski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Regards impressionnistes d’un géographe sur le rond-point, phénomène urbain, café métropolitain et « parlement du peuple ».Luc Gwiazdzinski, Enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme, laboratoire Pacte, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1231952019-09-12T22:25:47Z2019-09-12T22:25:47ZRentrée presque ordinaire sur les ronds-points<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292043/original/file-20190911-190044-ko6xth.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C19%2C1270%2C938&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Déjà plus de 300 jours de mobilisation. ‘On ne lâche rien’: pour de nombreux gilets jaunes, la lutte ne s'est pas essoufflée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Mercredi 4 septembre. Un petit panneau noir indiquait à la craie blanche : « 292 jours ». Je me rends sur les ronds-points depuis le début de mouvement. Ce mercredi-là, j’assiste à une assemblée générale (AG), j’observe et participe aux débats. Contrairement à ce qui a pu être annoncé, les « gilets jaunes » auront finalement passé l’été. Le rond-point a été occupé tout l’été, des <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/gilets-jaunes-heurts-lors-de-manifestations-a-rouen-et-montpellier-07-09-2019-8147520.php">actions se sont déroulées ici et ailleurs</a>. Le mouvement n’est pas mort. Il s’est installé. Certes avec un peu moins de monde, mais le rond-point a tenu. Seul changement : compte tenu des pointes de chaleur, les assemblées ont glissé de la cabane sans toit à l’ombre protectrice des grands arbres. Même les mobilisations sociales prennent désormais en compte les évolutions climatiques. Ce récit relate les événements de la semaine passée, nous avons depuis passé la barre des 300 jours de mobilisation.</p>
<h2>Rendez-vous</h2>
<p>À 18h00, ce mercredi jour d’assemblée générale, ils sont une cinquantaine sur le rond-point à l’entrée de la zone d’activités, pas loin de la sortie d’autoroute. Pas mal pour un début septembre. Des gilets jaunes toujours « fidèles au rendez-vous ». D’autres « que l’on ne voyait plus ». D’autres encore « que l’on voyait moins ». Quelques retraités sont absents, encore en « vacances », dans la famille, parfois à l’étranger, du côté de l’Italie. Les plus jeunes ont repris le travail. C’est la rentrée des classes pour les enfants, les parents et les grands-parents très sollicités. Avant que l’AG ne démarre, le rond-point a droit à la visite de deux jeunes gendarmes souriants. Cette fois c’est sûr les vacances sont bien finies.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292044/original/file-20190911-190026-97g2l5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">AG au 292ᵉ jour de mobilisation.</span>
<span class="attribution"><span class="source"> Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À la sortie des voitures et des camionnettes, l’ambiance est aux retrouvailles. Il y a des larmes dans les yeux de celles et ceux qui ont tenu le site en août et accueillent les autres. Des accolades. Le rond-point est un lieu de fraternité.</p>
<p>« Tié la famille ! » comme on le chante si souvent. On la raconte aussi. Comme dans les familles, il y a des naissances, des mariages, des malades qu’on ne voit plus. Il y a celle qui a finalement trouvé un emploi et ne pourra plus être si souvent là et celui qui vient de fermer sa petite entreprise. « Mais ça prend du temps ». Les troupes sont dissipées. On parle des « vacances », même si pour beaucoup le mot est mal adapté. Certes les visages sont halés mais « il a fait beau partout ». Il y a ceux qui ont « finalement pu partir quelques jours » et qui s’excusent presque. Les autres qui « sont restés dans le coin » sans plus de détails. Ceux qui « auraient bien aimé mais qui n’ont pas pu ». On n’en saura pas plus. La pudeur toujours et le respect. Celles et ceux qui ont bougé racontent quand même des arrêts sur d’autres ronds-points tenus par quelques irréductibles, l’accueil et la fraternité.</p>
<h2>Rond-point éternel</h2>
<p>Appel de Thierry : « On démarre ». On migre doucement du parking au rond-point où le soleil chauffe encore. Le rond-point n’a pas bougé. Tout est en place un peu comme dans une crèche de Noël. Le drapeau, la banderole du site, les assises de palettes en U, le touret qui fait office de table, les chaises en plastique blanc empilées. L’ensemble ressemble à une île sur l’herbe verte, une oasis entourée par la circulation ou un radeau, selon l’humeur. Sur le dispositif et en amont du site, le long de la route, d’anciens panneaux résistent et d’autres s’affirment et expriment les préoccupations actuelles du mouvement : « Ils vendent nos autoroutes, nos aéroports, nos barrages » ; « Vente par lots de la France. Agence le Vautour » ; « retraite complémentaire ? » ; « Eliminée ? » ; Epargnez ! »</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=232&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292046/original/file-20190911-190044-1x4iyue.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les sujets de la rentrée sont bien en évidence.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’assemblée se déroule selon les règles établies au fil des semaines. L’organisation est rodée. Un animateur, un secrétaire de séance, des prises de paroles courtes. Chacun a retrouvé sa place dans le cercle, comme autrefois dans la salle de classe avec les mêmes voisins de table ou presque. On commence naturellement par le bilan des dernières semaines. Avant cela, place au courage. Jacqueline se lève les larmes aux yeux, la chair de poule et la voix qui tremble.</p>
<p>Elle a peur pour « Petit Jean » de « la marche blanche des médics ». Parti de Marseille cet été, il est passé par le rond-point pour monter à Paris rencontrer Emmanuel Macron qui ne l’a pas reçu.</p>
<p>Déçu, il est redescendu sur Genève. Il campe en face de l’ONU depuis le 15 août au matin : grève de la faim. L’ancien militaire est solide, mais tout le monde est inquiet. Il ne lâchera pas pour dénoncer la violence contre les gilets jaunes et les « médics ». Il n’a qu’un but : rencontrer Macron. Toujours lucide, il attend mais le temps presse. On se promet de lui envoyer un mot de soutien. « Je sais qu’il ira jusqu’au bout » conclut Jacqueline dans les larmes. L’ambiance est plombée.</p>
<figure>
<iframe src="https://player.vimeo.com/video/347878377" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Petit Jean », secouriste en colère, n’a pas été reçu à l’Élysée.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Bilan globalement positif</h2>
<p>L’assemblée se poursuit par le témoignage poignant de quelques membres du rond-point <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/08/22/le-contre-sommet-du-g7-federe-autour-de-la-lutte-contre-le-systeme-capitaliste_5501528_3244.html">présents</a> au « contre G7 » de Biarritz, où ils étaient environ 15 000 pendant une semaine :</p>
<blockquote>
<p>« L’organisation était géniale et on a rencontré des personnes qui ont tout abandonné pour se battre ».</p>
</blockquote>
<p>Outre les témoignages touchants sur des petits moments de fraternisation avec les forces de l’ordre – 15 000 renforcés par des Italiens et Espagnols- le témoignage est centré sur les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/07/26/gilets-jaunes-une-information-judiciaire-ouverte-pour-violences-policieres-a-toulon_5493953_3224.html">violences policières</a>. Encore et toujours.</p>
<p>Dimanche dernier, un groupe du rond-point était présent dans une manifestation organisée par une « association d’écolos ». Bien accueillis, ils se sont installés avec une table, un ordinateur et une connexion Internet. Résultat : une quarantaine de signatures en ligne pour le référendum sur la privatisation d’Aéroport de Paris (ADP). Au début ils mettaient un quart d’heure pour l’inscription. « À la fin c’était moins de 5 minutes ». L’occasion de rappeler que pour l’instant « on est scotchés à 700 000 signatures ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292049/original/file-20190911-190050-wx6wsc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Préparation des bannières, mobilisations aussi sur des sujets connexes comme la privatisation de l’aéroport de Paris ou les marches pour le climat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292065/original/file-20190911-190065-1elc511.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur le rond-point on évoque les sujets pour lesquels la mobilisation a payé, il ne faut rien lâcher.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Pouvoir d’achat. Une vie digne pour tous »</h2>
<p>Samedi dernier une énorme banderole a été réalisée sur le rond-point. Elle pourra être utilisée samedi sur le pont au-dessus de l’autoroute : « Si on la tient à bout de bras ce n’est pas interdit ». Le slogan très simple revient aux fondements du mouvement : « Pouvoir d’achat. Une vie digne pour tous ».</p>
<p>Des pochoirs gilets jaunes ont été réalisés et de la peinture biodégradable achetée. Il reste à programmer une opération sur les chaussées du secteur. Des tractages ont été réalisées pour annoncer un nouveau atelier sur la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/05/a-cotisation-egale-ceux-du-bas-de-l-echelle-sociale-profiteront-bien-moins-de-leur-retraite_5506669_3232.html">question des retraites</a> le 20 septembre. Les précédents ont été un succès.</p>
<p>L’éducation populaire en plein air retrouve là un nouvel élan. Plus de 1 500 tracts distribués et un très bon accueil. Deux gilets jaunes venus de la grande ville voisine racontent leur rencontre avec une députée LREM en vue des municipales. Définitivement sans intérêt. Sylvie, très calme jusque-là, prend la parole pour hurler victoire. Certains bureaux de la sécurité sociale ne fermeront pas malgré ce qui était prévu dans « le plan de restructuration ».</p>
<p>La mobilisation a donc payé. « Ça fait chaud au cœur ». (Applaudissements nourris). Une autre évoque encore la participation à une action contre les violences faites aux femmes sur une place publique. Le nom des 101 victimes de l’année passée était inscrits sur une immense banderole. Là aussi il y avait de l’émotion et des convergences.</p>
<h2>Chaque assemblée doit venir avec une idée</h2>
<p>On passe aux prochaines semaines d’action. Vendredi, c’est l’assemblée départementale des gilets jaunes. Trois personnes représenteront le rond-point. Pas d’ordre du jour mais chaque assemblée doit venir avec une idée.</p>
<p>Ici c’est simple : « se recentrer sur le pouvoir d’achat ». Samedi prochain c’est barbecue offert sur le rond-point « où on attend du monde ». Il reste des ballons à gonfler d’ici là. Comme toujours Denis s’occupe du barbecue. Un mystérieux rendez-vous est donné à 6h le matin le même jour pour une opération sur le terrain. Il y aura du monde. Il s’agissait de lever les barrières d’un gros péage, mais à moins de cinquante gilets jaunes il a fallu renoncer.</p>
<p>Un « ancien » de novembre promet d’être là. Il a vécu une garde à vue et demande à chacun de ne pas avoir peur. Un autre rendez-vous est posé dans les agendas qui se noircissent déjà : ne pas oublier le 7 septembre devant le tribunal où plusieurs gilets jaunes seront jugés. L’action s’inscrit dans « la semaine anti-répression ». Pour finir, on rappelle que désormais tous les soirs à partir de 18h sur le rond-point on tracte. Avis aux amateurs ! Daniel prend la parole pour lire un texte où il est question d’amitié et d’amour. « N’en jetez plus ! Il est temps d’inscrire le mot FIN ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292183/original/file-20190912-190021-t8ik33.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tous unis pour l’avenir.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Gwiazdzinski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Sérénité combative</h2>
<p>La tradition jaune est sauve : les interventions ont été plus longues que prévu. Mais cette fois, personne ne s’est énervé. L’envie est là. Tout le monde est en forme. Une drôle de « sérénité combative » s’est installée. Sans doute les mois et les saisons d’expérience.</p>
<p>À ce sujet, Denis s’inquiète des 300 jours du mouvement : « Il faudrait marquer le coup ». Au-delà, dans quelques semaines à peine, les gilets jaunes auront un an.</p>
<p>« On a encore un peu de temps pour y penser ». Pour l’instant il faut organiser les événements de samedi. Alors que le soleil a déjà basculé derrière les reliefs, les camions qui nous frôlent font retentir leurs klaxons. Ils font partie de l’ambiance du rond-point et sont au rendez-vous. Celles et ceux qui les saluent veulent y voir un signe.</p>
<p>C’était un jour de rentrée presque ordinaire sur un rond-point parmi d’autres du doux pays de France. Un jour de retrouvailles entre égaux, dans l’un de ces nouveaux lieux des mondes péri-urbains, une fragile oasis d’humanité, une utopie concrète dans une société qui semble accepter l’effondrement. L’histoire d’hommes et de femmes qui ont décidé de dire non. Tout simplement.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur a publié avec Bernard Floris (et tous les autres) <a href="https://www.elyascop.fr/catalogue/collections/linnovation-autrement/sur-la-vague-jaune">« Sur la vague jaune, l’utopie d’un rond point »</a>, Elya éditions, mai 2019.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Gwiazdzinski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un géographe raconte le quotidien d’un rond-point de « gilets jaunes » où l’on débat, apprend et vit l’utopie dans la sérénité, prêts à affronter la rentrée. Retour de terrain.Luc Gwiazdzinski, Enseignant-chercheur en aménagement et urbanisme, laboratoire Pacte, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1121422019-03-11T20:35:36Z2019-03-11T20:35:36ZAu Mali, religieux et stars des médias bataillent pour capter l’opinion<p>La <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190225-mali-blesses-attaque-contre-camp-formation-militaire">récente attaque contre des militaires au Mali</a> de la part de présumés djihadistes rappelle à quel point le pays, à majorité musulmane, doit faire face aujourd’hui à l’émergence d’un terrorisme islamiste, alors même que les leaders religieux jouent un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/07/27/au-mali-le-poids-de-la-religion-dans-la-campagne-est-considerable_3454547_3212.html">rôle non négligeable</a> dans la vie politique malienne.</p>
<p>Le pays a connu un tournant particulier, en juillet 2013, lorsque les mouvements religieux musulmans <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/07/27/au-mali-les-wahhabites-de-sabati-veulent-peser-sur-la-presidentielle_3454516_3212.html">avaient appelé à voter pour le candidat Ibrahim Boubacar Keita</a> à l’occasion de l’élection présidentielle.</p>
<p>Depuis cette élection, de nouvelles figures de la société civile sont apparues, notamment via les réseaux sociaux. Leur capacité de mobilisation a entraîné une reconfiguration de l’espace public malien. Comment en est-on arrivé là ? Quelle a été l’influence des associations islamiques et de leurs représentants dans le débat public au Mali ? Et qui aujourd’hui leur oppose un autre discours ?</p>
<h2>200 associations à caractère islamique</h2>
<p>Depuis 2002, le Mali connaît une influence des mouvements religieux musulmans dans le débat public. Selon la sociologue Danielle Jonckers, en 2011, le Mali comptait <a href="https://www.cairn.info/les-societes-civiles-dans-le-monde-musulman--9782707164896-page-227.htm">près de 200 associations</a> à caractère islamique enregistrées auprès de l’État.</p>
<p>Pour la plupart de ces associations, l’immixtion dans le débat public s’est faite sans participation à un processus électif.</p>
<p>Cette situation est née après leur unification au sein d’un organe faîtier appelé Haut Conseil islamique du Mali (HCIM). Il a constitué la principale force de la société civile malienne jusqu’à l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta comme président de la République, en juillet 2013.</p>
<p>Ce poids des mouvements religieux musulmans dans le débat public a entraîné, en 2011, le <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20111203-mali-adoption-code-famille-plus-traditionnaliste">rejet</a> du projet du Code de la famille et des personnes proposé en 2009. Dix ans plus tard, ces mêmes religieux, sous l’influence de l’imam Mahmoud Dicko, président du HCIM ont réussi <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/12/26/au-mali-mahmoud-dicko-imam-et-vizir_5402362_3212.html">à faire interdire un manuel scolaire</a> traitant d’éducation sexuelle soi-disant contraire aux « valeurs » maliennes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U5so-N8j4pk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’imam Dicko à propos du terrorisme (Mondafrique) 2018.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un rôle politique diffus</h2>
<p>Cette association du politique et du religieux est progressivement devenue une constante au Mali. Avant 2002, le monopole du débat public n’était pas tenu par les religieux. Il faut noter d’au début des années 1980, l’islam malien avait un « visage officiel » connu sous le nom de l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam (AMUPI). Cette organisation, mise en place par le pouvoir militaire, avait l’État pour parrain et faisait la promotion d’un islam officiel.</p>
<p>Ce rôle politique des acteurs religieux musulmans est accepté par les citoyens au regard de la fonction sociale que l’islam occupe au Mali. Avec 95 % de la population musulmane, les acteurs religieux musulmans puisent leur légitimité en invertissant dans le social par la construction de centre de santé ou d’infrastructures socio-éducatives.</p>
<p>En effet, c’est autour autour de la religion que se construit les mariages, les funérailles, les baptêmes et les autres formes de la vie sociale, parmi lesquelles la politique.</p>
<p>Prenons en exemple la fête du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mawlid">Maouloud</a> (commémoration de la naissance du prophète Mohammed). Quand en 2015, le gouvernement du Mali <a href="https://lamenparle.hypotheses.org/448/">a voulu suspendre toutes les manifestations à caractère festif</a> dans le cadre de l’État d’urgence, le chef d’Ançar-Dine, le principal mouvement islamique qui compte le plus grand nombre d’adhérents, a fait une mise en garde sévère à l’endroit du pouvoir :</p>
<blockquote>
<p>« Seul un Président en phase de déclin ose s’attaquer à un évènement religieux qu’est le Maouloud ». Face à cette mise en garde, les autorités politiques n’ont pas réagi.</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0hhjvb2T4GY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Maouloud 2018.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Occupation de l’espace public</h2>
<p>Les associations religieuses musulmanes, fortes de leurs prérogatives ont ainsi réussi à s’imposer dans le paysage médiatique, à travers radio et chaînes de télévision diverses, certaines confessionnelles comme. Il existe à Bamako une dizaine de radios et de télévisions confessionnelles comme la Voix du Coran et des hadiths, ou d’autres comme Niéta, déclinées également en chaîne télévisée, toutes étant enregistrées au niveau de la Haute Autorité de la Communication (HAC).</p>
<p>Beaucoup sont aussi à l’origine de la construction de mosquée, même s’il n’y a pas de statistiques officielles. Cette occupation de l’espace public est, <a href="https://www.ajol.info/index.php/ad/article/viewFile/74096/64757">selon feu le professeur Naffet Keita</a> liée à la désinstitutionnalisation et à l’individualisation des pratiques qui échappent au contrôle de l’État et en dehors de tout cadre familial.</p>
<p>Il s’agit en effet d’une perte de contrôle par l’État des secteurs sociaux de base tels que l’éducation, la santé ou le caritatif. Si par exemple, l’<a href="https://www.afribone.com/?ONG-Al-Farouk-un-exemple-de">ONG Al Farouk</a> intervient dans la construction de mosquées, <a href="https://afribone.com/?Islamic-Relief-fait-don-de-90">Islamic Relief</a> assiste beaucoup les démunis pendant le mois de ramadan. C’est donc par l’investissement dans le social, face à un État soumis au diktat des bailleurs de fonds, que les religieux musulmans ont conquis l’espace public.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4ejbCmSs2aU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’imam Mahamadou Dicko, sur Niéta TV.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Faibles critiques</h2>
<p>Cette peur ou du moins cette méfiance de la classe politique malienne devant les religieux musulmans se traduit par des critiques faibles.</p>
<p>La même année, le leader du HCIM avait fait la polémique en qualifiant les attaques terroristes du 20 novembre 2015 contre l’hôtel du Radisson Blu de <a href="https://www.jeuneafrique.com/283688/societe/mali-limam-mahmoud-dicko-voit-terrorisme-punition-divine-cree-polemique/">« punition divine »</a>, cette sortie de l’imam Mahamoud Dicko avait irrité une partie de l’opinion publique qui s’était indignée. Pourtant, certains hommes politiques ont jugé prudent de s’abstenir de tout commentaire critiquant les leaders religieux.</p>
<p>Ainsi le président du parti pour Rassemblement pour le développement et la solidarité <a href="https://malijet.com/people-mali/qui-est-qui-au-mali/qui-est-qui-en-politique/74176-younouss-hameye-dicko.html">Younouss Hameye Dicko</a> déclarait :</p>
<blockquote>
<p>« … je vous dis qu’il n’est pas bon de dénoncer les religieux. Notre rôle n’est pas de prendre position contre un imam ou un évêque. Il n’est pas question de se mettre à dos près de 98 % des Maliens. » (<em>L’indépendant</em>, N°3882, du 4 décembre 2015, page 4)</p>
</blockquote>
<h2>Des voix sur les réseaux sociaux</h2>
<p>Que reste-t-il alors comme gardes-fou ? Les prédicateurs ont pignon sur rue, mobilisant les foules et l’opinion, notamment durant Ramadan, et peu s’opposent à leurs discours, même lorsque les discours de ces derniers frôlent la réclame publicitaire douteuse.</p>
<p>Certains personnages issus de la société civile, favoris des médias et des réseaux sociaux, osent cependant s’attaquer à ces « religieux ». Le célèbre prêcheur <a href="http://bamada.net/qui-est-bandiougou-doumbia-le-contradicteur-de-ras-bath">Bandiougou Boumbia</a>, connu pour la <a href="https://www.maliweb.net/faits-divers/oeil-du-reporter-precheurs-devenus-arnaqueurs-marchands-dillusions-1051112.html">vente d’une potion magique</a>, appelée <em>massa daga</em> ou « canaris du souverain », en vertu de ses pouvoirs surnaturels a été ainsi pris à partie en 2018 par une star des médias sociaux, l’animateur radio Mohamed Youssouf Bathily, alias <a href="https://www.jeuneafrique.com/467388/politique/mali-un-phenomene-nomme-ras-bath/">Ras Bath, 44 ans</a>.</p>
<p>Bandiougou Doumbia, qualifié de « faux marabout » est également cité par l’animateur dans <a href="https://maliactu.net/mali-reglement-de-comptes-entre-ras-bath-et-le-precheur-bandiougou-doumbia-sur-des-radios-privees-de-la-place-le-silence-coupable-de-la-hac/">des affaires de mœurs</a>. Après ces révélations, l’opinion publique a changé de regard sur ces figures considérées jusqu’alors comme intouchables.</p>
<h2>Ras Bath ou la nouvelle figure de l’engagement citoyen</h2>
<p>Connu à travers son émission <em>Cartes sur table</em>, sur les ondes de la radio Maliba FM, les chroniques de Ras Bath attirent de milliers d’auditeurs dans les rues de Bamako.</p>
<p>Ses deux slogans « choquer pour éduquer » et « milikiti » (sangsue en langue bambara), l’ont rendu célèbre à travers tout le Mali. Ses diatribes n’épargnent personne faisant de lui la seule figure à tenir tête au leadership religieux dans le débat public.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I2c7wUmxIJM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Journée internationale des droits de l’Homme, 10 décembre 2018.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ras Bath s’était déjà fait connaître il y a quelques années au sein du <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20180511-reggae-rastafari-histoire-mouvement-musique">Mouvement des Rastafaris du Mali (Mourasma)</a>. Son nom Ras vient du mot rastafari et Bath le diminutif de son nom de famille Bathily. Avec ses dreadlocks, sa maîtrise de la rhétorique et sa connaissance de l’histoire du panafricanisme, il a rapidement séduit la jeunesse malienne.</p>
<p>Ses premiers fait d’armes remontent à octobre 2003 lors d’une visite du président français <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/046/article_7599.asp">Jacques Chirac</a>. durant la quelle il avait déambulé dans la rue muni d’une pancarte sur laquelle était écrit « À bas Chirac », en protestation à la politique de la « Françafrique ».</p>
<p>Mais c’est en 2013 qu’il crée l’événement avec le rappeur Master Soumi et les « Sofas de la République », collectif politique, au lendemain de l’intervention militaire française au Mali.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eVgqJtoMPL0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le rappeur Master Soumi, « Touche pas à ma Constitition ».</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un « Guide » pour la jeunesse malienne</h2>
<p>Ras Bath se lance alors dans un travail de sensibilisation auprès de la jeunesse malienne et crée en 2013 le CDR (Comité pour la Défense de la République) qui a comme philosophie « Le combat le plus aimé de Dieu est la parole prononcée devant un gouvernement injuste » ou alors cet autre slogan « Apprendre, comprendre et agir ».</p>
<p>Dans ses chroniques, Ras Bath s’en prend violemment à la hiérarchie militaire malienne pour son incompétence et sa corruption. En 2016, ses positions virulentes lui valent une <a href="https://maliactu.net/mali-la-mysterieuse-arrestation-de-ras-bath-les-premiers-elements/">arrestation par la gendarmerie</a>, qu’il relaie sur les réseaux sociaux. Des centaines de partisans se rendent devant les locaux de la gendarmerie pour réclamer la libération de celui qu’on surnomme désormais le « Guide » au Mali.</p>
<p>Condamné avec sursis, Bath se lance ensuite dans la bataille contre la réforme constitutionnelle. <a href="https://maliactu.net/mali-edito-lultime-bataille-de-an-te-abana/">Son ralliement à la plate-forme</a> « Antè A bana. Touche pas à ma Constitution ! » sera être décisif. Plusieurs marches de contestation ont vu la participation des militants affiliés à son comité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260718/original/file-20190225-26171-1uq7jaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Conférence débat animé par Ras Bath sur le thème de la promotion et de la protection des droits de l’enfant, 2014. L’activiste va peu à peu évoluer vers des thèmes propres à la vie politique malienne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/actualiteafricaine/14106032199/">Reporter.com/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour beaucoup d’observateurs de la vie politique malienne, l’abandon de ce projet de réforme tient en partie à la capacité de mobilisation de Ras Bath. Après ce premier succès, même s’il faut reconnaître que le mouvement « Antè A Bana » a d’abord été porté les acteurs du mouvement démocratique, l’activiste va s’engager sur le terrain électoral et fera de l’alternance sa nouvelle bataille politique.</p>
<h2>« Le vieux doit lâcher »</h2>
<p>Pour ce faire il lance le slogan « Boua ba bla » ou « le vieux doit lâcher », c’est-à-dire IBK doit quitter le pouvoir.</p>
<p>Pour atteindre cet objectif, le CDR élabore en 2018 un <a href="http://bamada.net/presidentielle-2018-enfin-le-manifeste-du-cdr-de-ras-bath-devoile">manifeste</a> qu’il soumet à tous les candidats, sauf le Rassemblement Pour le Mali (RPM), parti fondé par IBK. Même si son appel à l’alternance n’a pas eu les résultats escomptés et qu’il a rompu son alliance avec le chef de file de l’opposition, il n’en demeure pas moins attaché à ses convictions.</p>
<p>Il continue à dénoncer le népotisme et le clientèlisme qui caractérisent aujourd’hui la gouvernance politique au Mali. Sa cible reste le pouvoir d’IBK et son premier ministre <a href="https://www.jeuneafrique.com/mag/728758/politique/mali-soumeylou-boubeye-maiga-cible-privilegiee-de-soumaila-cisse/">Soumeilou Boubeye Maiga</a> (SBM).</p>
<p>L’émergence de Ras Bath sur la scène a entraîné une reconfiguration de l’espace public au Mali. Son implication en tant qu’acteur de la société civile laïque et l’utilisation des réseaux sociaux comme moyens de mobilisation ont beaucoup contribué à l’abandon du premier projet de réforme sur la constitution. Même si son soutien à l’opposition n’a pas permis l’alternance tant souhaité, il permet désormais de faire émerger d’autres voix au Mali et de permettre au débat public de ne plus être confisqué par les seuls religieux.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5XTFz3aMbTc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ras Bath, le « Guide » de la jeunesse malienne ?</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/112142/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fousseyni Touré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelle a été l’influence des associations islamiques et de leurs représentants dans le débat public au Mali ? Et qui aujourd’hui leur oppose un autre discours ?Fousseyni Touré, Doctorant en Anthropologie, Institut Supérieur de Formation et de Recherche Appliquée Bamako, Université des sciences juridiques et politiques de BamakoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1092912019-01-06T20:37:35Z2019-01-06T20:37:35ZDes « gilets jaunes » au grand débat : quels enjeux institutionnels ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/252522/original/file-20190104-32142-1p3rc49.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C34%2C926%2C598&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les « gilets jaunes », Bordeaux, le 15 décembre 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/patrice_calatayu/45487008945/in/photolist-2ciwP1V-RB4C8w-PY5PjM-2cMsGAj-2dKmGdt-2ctQAd4-2dzWLJp-2cxbVgr-2dBtSLM-RB2TUq-2aYinrS-2dJwqxN-2dzWLwF-2dA5RrW-2crQ6gD-2dvvuNb-2b79YzC-2cu2Jxs-2cu2JvJ-2cu2JqU-2dwYLx7-2aQKMTJ-Q1FYK8-2dU1mQM-2dwSURd-2ccwkLR-PYCekR-2cDzNVY-2cfT7xM-RFmfF5-2dLrGZ2-2cd3hMV-2cEsUc7-2bACkLi-2cy7hwW-2cxPbej-Q1xAun-2b8jzUw-2cfBZXc-2cgjTYr-2dKCPEF-2dzWLu6-2cvf3HX-2ckuiu2-RAdpQd-2aXPCRq-Q428iF-2dzWLEM-2cuCiP9-2aRj1Mf">Patrice Calatayu/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La saga des « gilets jaunes » et les pillages de décembre relayés dans le monde entier ont révélé les failles de la représentation démocratique dans le jeu politique français. La cristallisation de la colère autour de la figure présidentielle, plébiscitée encore six mois plus tôt, souligne l’acuité du problème institutionnel.</p>
<h2>Un abîme</h2>
<p>La crise est d’abord idéologique car les référentiels du XIX<sup>e</sup> et du XX<sup>e</sup> siècle qui ont forgé les croyances politiques françaises n’opèrent plus. Les notions de capitalisme et de socialisme, de libéralisme et de dirigisme, de droite et de gauche sont à des années-lumière de la révolte des ronds-points. En témoignent les références à la Révolution française et l’impuissance des partis comme des syndicats à s’insérer dans le mouvement.</p>
<p>Quant à l’opposition entre gagnants et perdants de la mondialisation – qualifiés par le pouvoir de progressistes et de populistes –, elle paraît bien abstraite tant les trajectoires personnelles se mêlent ici aux catégories sociales. Le propre de Facebook, premier outil de la mobilisation, est de fédérer des personnes autour d’affinités multiples. Les critères d’adhésion, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/15/sur-les-ronds-points-les-gilets-jaunes-a-la-croisee-des-chemins_5397928_3224.html?xtmc=&xtcr=2">cela a été bien décrit</a>, sont autant sociaux qu’individuels. En outre, les effets de réseau sont massifs : le coût du ralliement est nul, l’utilité de la mobilisation croît très vite. Relayées par les chaînes d’information continue, les images perlées de jaune ont magnifié le déploiement. Les groupes d’amis stimulés par les algorithmes se sont mués en ronds-points, télévisés par BFM, réverbérés par Twitter… Même les écologistes, pourtant dindons de la farce, ont voulu devenir amis le temps d’un défilé. Le gilet jaune a habillé la fonction <em>like</em>, laquelle s’est étendue au soutien de l’opinion.</p>
<p>Dans un vide idéologique abyssal, ce mouvement a polarisé les médias et entretenu une chronique relançant les épisodes hebdomadaires. La sidération du pouvoir a conforté un nihilisme générateur de violence et d’angoisse. Les casseurs ont débordé les gilets, envahi les médias, saturé la mobilisation. Enfin, les poursuites judiciaires, l’octroi de mesures fiscales et la promesse d’un <a href="https://www.gouvernement.fr/le-grand-debat-national">grand débat national</a> ont inversé les effets de réseau. La saison I s’achève en spasmes. La crise institutionnelle n’est pas réglée pour autant.</p>
<p>Par chance, la nature a horreur du vide. Face à la faillite des idéologies anciennes, de nouvelles théories ont surgi. Certes, leur part de marché est encore faible. Mais elles ambitionnent de refonder les sciences sociales et se prêtent volontiers au test des événements : leur crédibilité dépend de leur confrontation aux faits.</p>
<p>Le discours le plus abouti à ce jour est la <a href="https://www.amazon.fr/Violence-ordres-sociaux-conceptuel-interpr%C3%A9ter/dp/2070128563">théorie des ordres sociaux</a>, cosignée en 2009 par l’économiste <a href="https://theconversation.com/in-memoriam-douglass-cecil-north-un-prix-nobel-a-linsatiable-curiosite-52736">Douglass North</a>, le politologue Barry Weingast, et l’historien John Joseph Wallis. Six mois avant l’élection d’Emmanuel Macron, j’en ai publié un <a href="https://www.amazon.fr/nouvelle-%C3%A9conomie-politique-id%C3%A9ologie-si%C3%A8cle/dp/2070461637">bréviaire</a> appliqué aux situations française, européenne et chinoise. On peut tenter ici de la croiser aux « gilets jaunes ». Résumons la brièvement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252527/original/file-20190104-32145-4fcpih.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Gilets jaunes » à Bordeaux, le 22 décembre 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/patrice_calatayu/46447915251/in/dateposted/">Patrice Calatayu/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La France d’accès ouvert</h2>
<p>L’idée de base est que la priorité de toute société est de <a href="https://journals.openedition.org/regulation/9088">contenir la violence</a>. L’économie n’est jamais qu’un moyen. Chaque société s’organise dans ce but selon deux modèles, deux ordres sociaux types : les États naturels, dits aussi ordres d’accès limité en cela que l’État contrôle l’accès à la propriété et aux organisations, et les ordres d’accès ouvert où économie et politique sont largement découplés.</p>
<p>Dans les États naturels (85 % de la population y vit), la violence est confiée à une élite qui échange des accès – des privilèges, des ressources économiques – à des vassaux. L’économie est manipulée, conditionnée à un soutien politique, lequel passe bien souvent par des relations personnelles. Il n’y a pas lieu de s’y étendre ici.</p>
<p>Dans les ordres d’accès ouvert auxquels ressortit la France, la politique est découplée de l’économie sous couvert de l’<a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/approfondissements/qu-est-ce-que-etat-droit.html">État de droit</a> : chacun peut accéder à la propriété et créer des organisations. L’État veille au fonctionnement concurrentiel des marchés. Les citoyens sont égaux devant la loi dans une société où priment les relations impersonnelles, ce qui permet l’extension d’une couverture sociale unifiée, sans passe-droit. L’État encadre le recours à la force, c’est son rôle premier, mais de manière légale, institutionnalisée.</p>
<p>Le pouvoir politique est statutairement révocable au gré des coalitions de groupes d’intérêt. Lesquels se reconfigurent sans cesse sous l’effet de la concurrence dans l’économie – la destruction-créatrice <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2006-1-page-82.htm">décrite par Schumpeter</a>. Ces groupes d’intérêt sont représentés par des organisations syndicales ou politiques concurrentes qui participent aux élections. Les ordres d’accès ouvert sont donc caractérisés par une double dynamique : celle des marchés économiques d’où émergent des groupes d’intérêt, celle des marchés politiques où des organisations concourent pour les représenter.</p>
<p>Seulement, il en va des marchés politiques comme des marchés économiques : ils fonctionnent plus ou moins bien selon que les organisations en place bloquent ou non l’entrée de concurrents. Car le découplage entre économie et politique vise à empêcher la sédimentation de rentes et le pouvoir corrupteur des rentiers. Ce qu’on nomme ici rentes est l’octroi de privilèges, de statuts, d’offices réservés à des groupes sociaux spécifiés. Ces groupes sont bien organisés pour défendre leurs avantages, et souvent surreprésentés. Or, plus la concurrence économique est intense, ce qui est le cas dans la mondialisation, plus le marché de la représentation syndicale et politique doit pouvoir se remodeler.</p>
<p>À défaut, les rentiers tiennent les politiques en otage et bloquent l’entrée des innovateurs. Les politiques, quant à eux, verrouillent leur marché par le cumul des mandats et les règles de cooptation. Au final, les tensions économiques s’aggravent jusqu’à ce que les politiciens historiques soient battus.</p>
<p>Le plus souvent, les historiques sont défaits par des politiciens populistes dénonçant les élites et la trahison du vrai peuple qu’eux seuls prétendent incarner. Les populistes prospèrent sur les failles des institutions représentatives. Ils peuvent menacer l’État de droit, mais aussi engager des réformes que les politiciens classiques étaient impuissants à mener. L’originalité de la situation française est que la débâcle des partis historiques a été telle qu’un entrant non populiste a pu créer sa formation et se faire élire dans la foulée. Mais l’élection n’est pas l’exercice du pouvoir, lequel peine à se passer d’un marché efficace de la représentation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252525/original/file-20190104-32154-1sd8d00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les « gilets jaunes », Bordeaux, le 22 décembre 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/patrice_calatayu/46480691981/in/photolist-2dPkGn4-2dwL6qJ-2dyGayQ-2ciwP1V-RB4C8w-PY5PjM-2cMsGAj-2dKmGdt-2ctQAd4-2dzWLJp-2cxbVgr-2dBtSLM-RB2TUq-2aYinrS-2dJwqxN-2dzWLwF-2dA5RrW-2crQ6gD-2dvvuNb-2b79YzC-2cu2Jxs-2cu2JvJ-2cu2JqU-2dwYLx7-2aQKMTJ-Q1FYK8-2dU1mQM-2dwSURd-2ccwkLR-PYCekR-2cDzNVY-2cfT7xM-RFmfF5-2dLrGZ2-2cd3hMV-2cEsUc7-2bACkLi-2cy7hwW-2cxPbej-Q1xAun-2b8jzUw-2cfBZXc-2cgjTYr-2dKCPEF-2dzWLu6-2cvf3HX-2ckuiu2-RAdpQd-2aXPCRq-Q428iF">Patrice Calatayu/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>De l’importance des capteurs</h2>
<p>Dit autrement, Macron a bien saisi l’opportunité historique que lui offrait la chute des partis traditionnels. Il a compris qu’il pourrait s’en servir pour introduire des réformes structurelles restaurant la croissance économique. Il a vu aussi qu’il lui faudrait pour cela affaiblir les organisations de rentiers. Mais il a négligé l’émergence de nouvelles offres de représentation. Son procès en arrogance et en favoritisme découle de cela.</p>
<p>En effet, comment suivre le moral des salariés avec un taux de syndicalisation de 11 % dont seulement 8,4 % dans le secteur privé ? Les salariés pauvres hors des grandes entreprises sont totalement ignorés. Ce sont eux qu’on a vus sur les ronds-points. Certes, leur situation doit beaucoup et depuis longtemps au monopole des syndicats historiques qui ont instrumenté les conventions collectives et les organes paritaires au profit de leurs seuls mandants. Mais briser ce monopole ne suffit pas à restaurer une représentation fiable, cohérente et efficace du monde du travail. Et si la revalorisation du smic par la prime d’activité ou la défiscalisation des heures supplémentaires peuvent calmer le symptôme, elles ne traitent pas la cause du mal.</p>
<p>De même, la fin du cumul des mandats locaux et nationaux permet de réduire le clientélisme (il s’effondre tout seul à Marseille) et de régénérer le personnel politique. Mais elle brise aussi le lien informationnel canonique entre les territoires et le pouvoir central. Il faudrait donc <em>en même temps</em> que cesse le cumul, instaurer des formes de coordination nouvelles. Au lieu de cela, les maires ont été sevrés de ressources – contrats aidés, APL, taxe d’habitation – et d’interlocuteurs nationaux.</p>
<p>Comment alors prendre le pouls des quartiers pauvres, des zones rurales isolées ? Comment anticiper les effets des décisions centrales ? Quelle que soit la finesse d’un Benalla, l’État ne saurait être renseigné que par des officines… Que ledit <a href="https://aoc.media/opinion/2018/08/27/benalla-autopsie-dune-fronde/">Benalla</a> ait déclenché la fronde des élus signe aussi qu’il incarnait un rapport occulte à l’information substitutif des canaux traditionnels.</p>
<p>Les économistes ont beau dire que tout est modélisable, rien ne vaut une bonne transaction. Dit autrement, avoir de bons capteurs des effets locaux d’une réforme permet d’en anticiper l’impact plus sûrement qu’un modèle théorique. La consultation de salariés représentatifs et de collectivités locales aurait permis d’ajuster nombre de mesures conspuées ou d’orienter les choix vers des alternatives. Le problème de fond est alors de trouver et de coordonner ces médiateurs. Il est institutionnel.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252528/original/file-20190104-32139-ouwlns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Gilet jaune à Bordeaux, 15 décembre 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/patrice_calatayu/44536728880/in/dateposted/">Patrice Calatayu/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La démocratie sera-t-elle compétitive ?</h2>
<p>En effet, dans la mondialisation, la <em>destruction-créatrice</em> et les enjeux environnementaux dessinent des groupes d’intérêt bien plus nombreux et plus mouvants que durant les trente glorieuses. Il importe donc d’instituer des modes de représentation des citoyens aussi dynamiques que les transformations auxquels ils sont soumis.</p>
<p>Face à nous, la Chine restreint les libertés mais surveille les réseaux sociaux pour sonder les préférences et trouver des consensus permettant de faire passer de très nombreuses réformes. La forte croissance dont elle jouit facilite ce processus. Les « gilets jaunes » n’y auraient jamais eu ni le droit ni le besoin d’investir des ronds-points. Leur humeur, à n’en pas douter, aurait cependant été soigneusement « écoutée » et probablement entendue.</p>
<p>Les pays occidentaux ont, quant à eux, une tradition démocratique valorisant l’individu, mais génératrice de nombreux blocages. La démocratie représentative repose sur des mandats, des délégations, autrement dit des transactions génératrices de coûts et de dérives. Facebook, on l’a vu, ne saurait s’y substituer. Pas plus que des référendums <em>ad hoc</em> livrés aux calculs politiciens. Quant au <em>grand débat national</em>, s’il ne débouche pas sur des apports institutionnels, ce ne sera qu’un coup de bluff.</p>
<p>Le défi majeur des démocraties occidentales est d’améliorer en couverture, en qualité de service, en réactivité, leurs organisations représentatives pour les rendre compatibles avec un rythme de réformes qui ne saurait ralentir. La France jacobine et éruptive va devoir s’y adapter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109291/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Bomsel dirige la Chaire d'économie des médias et des marques à MINES Paris Tech. Cette chaire est financée par le groupe Vivendi. </span></em></p>Vue à travers le prisme des « ordres sociaux », la crise des « gilets jaunes » pose la question de la cohérence et de l’efficacité des institutions représentatives dans les sociétés occidentales.Olivier Bomsel, Senior Researcher (HDR) and Professor, Director of the MINES ParisTech Chair of Media and Brand Economics, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1042162018-10-03T18:08:30Z2018-10-03T18:08:30ZDébat public à Bure, la marge de manœuvre s’annonce réduite pour les citoyens<p>Mi-septembre, le gouvernement a confirmé l’organisation en décembre de la concertation pour Cigéo, ce projet de centre industriel de stockage géologique de déchets nucléaires, situé à Bure dans le département de la Meuse.</p>
<p>Cette concertation prendra la forme d’un « débat public » organisé par la Commission nationale du débat public. Ce nouvel échange viendra s’ajouter à deux autres organisés précédemment. Tout ou presque semble avoir été dit sur Bure et pourtant il reste matière à débattre. Car loin d’avoir réglé les discussions, les débats précédents les ont ouvertes. Celui de 2013 aura même été le théâtre d’une forte critique sociale.</p>
<p>La concertation proposée aujourd’hui se fonde sur un discours valorisant la transparence et l’information du public. Il s’inscrit dans plus d’une décennie de rhétorique gouvernementale autour du très controversé projet d’enfouissement des déchets radioactifs.</p>
<h2>Un débat public dès 2006</h2>
<p>Le débat public de décembre à Bure sera donc le troisième à porter sur la gestion des déchets nucléaires. Ceci tient au fait que Cigéo n’est pas un projet comme les autres : l’énergie nucléaire soulève des questions techniques et environnementales qui dépassent celles des plans d’aménagement. Et la longue durée de vie de ces déchets implique de prendre des décisions qui auront des conséquences sur plusieurs générations.</p>
<p>C’est pourquoi Cigéo a mis à l’épreuve la procédure de débat public dès 2006, en devenant le premier à porter sur une question de politique générale. Cette procédure s’est poursuivie par l’adoption d’une loi faisant le choix du stockage réversible profond pour la gestion des déchets nucléaires.</p>
<p>En 2013, les citoyens sont à nouveau invités à débattre. Les discussions portent alors sur les modalités de réalisation du projet Cigéo, porté par son « maître d’ouvrage », l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Cette deuxième édition est restée dans les mémoires : la contestation sociale qu’elle a provoquée fut sans précédent, contraignant les réunions publiques à migrer sur le web.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"411347795761979392"}"></div></p>
<h2>Un contexte particulièrement tendu</h2>
<p>Les discussions de décembre vont s’inscrire dans cette histoire déjà riche et mouvementée. Elles interviennent dans une période de <a href="https://theconversation.com/dechets-nucleaires-comprendre-lescalade-de-la-violence-autour-du-projet-cigeo-83114">fortes tensions</a> qui s’est soldée par l’évacuation en février dernier des opposants rassemblés dans le bois Lejuc.</p>
<p>Ce contexte particulier n’est pas étranger au changement de méthode impulsé par le gouvernement et qui s’appuie sur l’Autorité du comité de haut niveau (CHN) dont les <a href="https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.03.07_comit%C3%A9_de_haut_niveau.pdf">membres</a> comptent des représentants de l’État, des élus locaux, l’Andra et les producteurs de déchets nucléaires (EDF, Orano et le CEA).</p>
<p>Le CHN orchestre ainsi la nouvelle phase de concertation autour de deux dispositifs : un débat public portant sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) ; un centre de ressources en ligne hébergé par le ministère de la Transition écologique et solidaire.</p>
<h2>Un changement d’énonciation</h2>
<p>L’objectif de toute concertation est d’informer les populations sur le projet discuté. La mission première de la CNDP est de « veiller au respect de bonnes conditions d’information du public ». Le gouvernement assume désormais cet impératif en lançant le portail d’informations <a href="https://www.cigeo.gouv.fr/">cigeo.gouv.fr</a>.</p>
<p>Informer la population semble être un préalable indispensable à tout débat, pour disposer d’un minimum de connaissances avant d’entrer de plain-pied dans la discussion. Sachant, comme le soulignent les sciences de l’information et de la communication, que toute information est le produit de choix délibérés. Ce qui ne la rend pas fausse pour autant : elle véhicule une série de représentations.</p>
<p>Les éléments disponibles sur le centre de ressources en ligne tiennent compte de cette situation. Un premier espace invite ainsi le visiteur à « tout comprendre », à l’aide de chiffres et de schémas, postule qu’il existe un <a href="http://journals.sagepub.com/doi/10.1088/0963-6625/1/1/008">déficit</a> de connaissance chez le public. Le second propose « d’explorer la base documentaire », renforçant l’idée que le projet est déjà lancé puisqu’il comporte presque une centaine d’archives législatives, scientifiques et techniques.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/238919/original/file-20181002-85632-ymfl9o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Site d’informations du gouvernement sur Cigéo.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce portail d’informations opère une rupture sur le plan de l’énonciation. Encore récemment, c’est l’Andra qui diffusait les informations sur le projet Cigéo : son calendrier, son budget, ses risques, etc. Désormais, c’est le plus haut niveau de la représentation politique qui s’exprime. L’Andra n’est plus seule à endosser la responsabilité du stockage des déchets nucléaires. Le gouvernement <a href="https://www.cigeo.gouv.fr/foire-aux-questions-4">explique</a> pourquoi la France s’est engagée dans le projet, quelle sera la durée de vie du site, ou encore son impact sur la santé des habitants et l’agriculture locale.</p>
<p>Cette rupture peut s’expliquer par la volonté de rendre visible le projet Cigéo dans le débat plutôt que le laboratoire de l’Andra construit en 2000. Dans le discours gouvernemental, Cigéo devient une quasi-certitude. Il s’agit de « lever les interrogations légitimes » ou encore de « rassembler » des documents pour que le projet puisse se réaliser.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1043115279553896453"}"></div></p>
<h2>Un débat verrouillé</h2>
<p>C’est en livrant une information complète au citoyen que celui-ci pourra débattre. Tel est le postulat des concepteurs de la concertation qui ont recours à la rhétorique de la transparence.</p>
<p>Mais le débat semble verrouillé avant même d’avoir eu lieu. Les pouvoirs publics envisagent la concertation comme un rendez-vous démocratique dans le calendrier de Cigéo. Les associations écologistes, quant à elles, dénoncent l’impossible remise en cause du projet.</p>
<p>Cette focalisation du débat public sur les conditions de réalisation du stockage est susceptible de créer à nouveau de vives tensions.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1042825609821515776"}"></div></p>
<p>La première option qui s’offre aux citoyens consiste à prendre part au débat public, dont on sait désormais qu’il constitue une <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/arene/">arène</a> dotée de règles auxquelles doivent souscrire les participants.</p>
<p>L’option alternative conduit les citoyens à mener l’enquête sur les points qui leur posent problème au sein d’associations. De cette manière, ils constituent un contre-public dont l’action est susceptible d’influencer la concertation « de l’extérieur ». Ce mode d’action est susceptible de provoquer de vives tensions, comme en 2013 lorsque des associations avaient boycotté le débat de la CNDP pour le faire vivre dans d’autres lieux.</p>
<h2>Décider avec ou contre l’État</h2>
<p>La concertation vise également à éclairer la prise de décision politique.</p>
<p>Le cap fixé par le gouvernement est clair : Cigéo a besoin d’un <a href="https://www.estrepublicain.fr/meuse/2018/09/19/cigeo-souffre-d-un-manque-de-pilotage-national">« pilotage national »</a> qui puisse <a href="https://www.estrepublicain.fr/actualite/2018/09/20/bure-le-citoyen-aura-son-mot-a-dire">« garantir l’acceptabilité »</a> du projet.</p>
<p>Le citoyen sera appelé à s’exprimer sur le Plan national des matières et déchets radioactifs, pas supplémentaire vers la réalisation de Cigéo. S’il habite Bure et ses environs, son élu local sera entendu par le CHN. Enfin, s’il souhaite en savoir plus, le portail en ligne du ministère lui apportera des éléments de réponse.</p>
<p>Ce dispositif de concertation semble bien huilé, allant du plus haut niveau de la représentation nationale jusqu’à ceux qui ne connaissent pas le projet, en passant par les citoyens qui souhaitent y prendre une part active.</p>
<p>Une incertitude demeure toutefois : <em>quid</em> de ceux qui ne veulent pas s’y soumettre ? Ceux-là doivent bâtir leurs propres moyens d’expression et de communication. S’ils s’opposent farouchement à ce cap, ils alimentent un conflit auquel la représentation nationale semble préparée. Ceux qui se situent en marge de la concertation la radicalisent au sens propre du terme (« ce qui tient à la racine »). Leur combat ne sera alors plus seulement dirigé contre Cigéo mais contre le capitalisme. Celui de l’État ne se limitera pas à bâtir une concertation, mais à garantir une certaine vision de l’ordre républicain, y compris par la force publique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104216/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Carlino ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un nouveau débat public sera organisé en décembre prochain autour du projet d’enfouissement des déchets nucléaires Cigéo. Mais ce débat semble verrouillé avant même d’avoir eu lieu.Vincent Carlino, Doctorant en sciences de l’information et de la communication, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/968352018-05-22T20:43:06Z2018-05-22T20:43:06ZSciences citoyennes, oui, mais comment ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219624/original/file-20180519-42230-10kiui9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C102%2C4025%2C2661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment impliquer les citoyens dans les décisions de politique scientifique ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/4hcpIbqQM8c">Rob Bye/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du cycle de conférences <a href="http://www.cite-sciences.fr/fr/au-programme/animations-spectacles/conferences/le-progres-a-t-il-un-avenir/">Le progrès a-t-il un avenir ?</a>, organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, du mardi 15 au 26 mai 2018. Durant deux semaines, des groupes d’étudiants, un panel de citoyens et des scientifiques, historiens et philosophes, livrent leurs réflexions et débattent.</em></p>
<hr>
<p>Quel rôle le citoyen doit-il jouer dans l’orientation du développement des sciences et des techniques ? Doit-il avoir son mot à dire dans le choix des grandes priorités de la recherche ? Et si oui, quelles formes pratiques cette implication peut-elle prendre ? Ces questions se posent d’une façon particulièrement pressante aujourd’hui pour plusieurs raisons.</p>
<p>Partons tout d’abord du constat, assez banal en soi, de l’impact important et sans précédent de nombreuses avancées scientifiques dans la vie individuelle et sociale des hommes. Manipulations du génome d’organismes vivants, nanotechnologies, clonage de mammifères, fusion nucléaire, techniques de procréation médicalement assistée, intelligence artificielle, les exemples abondent de programmes de recherche aux répercussions majeures dans la vie quotidienne de l’ensemble des citoyens.</p>
<p>Ces développements sollicitent de plus l’argent du contribuable. Comment dès lors justifier le fait que dans des pays démocratiques, l’immense majorité des individus soit dans une très large mesure tenue à l’écart des décisions de politique scientifique orientant ces développements ?</p>
<h2>Les experts nous privent-ils de démocratie ?</h2>
<p>Le fait est que les grandes décisions en matière de priorités de la recherche, tant au niveau national que supranational, demeurent très largement l’apanage d’une fraction restreinte de la société, en l’occurrence des communautés d’experts scientifiques, que ce soit directement ou indirectement, par des fonctions de conseil des gouvernements ou assemblées élues. Cette situation est-elle satisfaisante ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"987325054760431617"}"></div></p>
<p>Elle ne l’est clairement pas au regard de l’exigence démocratique minimale d’une implication des citoyens dans les processus de prise de décisions qui les affectent. Les experts scientifiques, aussi compétents soient-ils dans leur domaine de spécialité, ne sont pas forcément les mieux placés pour déterminer les besoins de la société auxquels la recherche et l’innovation doivent s’efforcer de répondre en priorité. Des alternatives à cette forme d’« élitisme savant », plus légitimes politiquement, doivent donc être envisagées.</p>
<p>Une option, de plus en plus débattue aujourd’hui, est celle d’une <a href="https://www.puf.com/content/Science_v%C3%A9rit%C3%A9_et_d%C3%A9mocratie">participation directe des citoyens</a> dans les processus de choix des grandes priorités de la recherche. Elle s’inscrit dans une demande sociétale plus large de participation directe dans la vie publique et politique (budgets municipaux participatifs, crowd-sourcing dans les campagnes électorales, consultations citoyennes de toute sorte, etc.). De ce point de vue, le domaine des sciences et des innovations technologiques ne fait donc pas exception. Et de fait, d’assez <a href="https://global.oup.com/academic/product/when-the-people-speak-9780199604432?cc=fr&lang=en&">nombreux dispositifs de participation</a> ont été implémentés et expérimentés dans ce domaine (conférences de consensus par exemple), mais la question de leur impact réel sur les décisions effectives en matière de politique publique de recherche se pose et nombre de ces dispositifs de participation ont été une source récurrente d’insatisfaction pour les participants au motif qu’ils visaient avant tout à <a href="http://www.editionsbdl.com/fr/books/la-dmocratie-des-chimres.-gouverner-la-biologie-synthtique/646/">diminuer les résistances</a> à certaines innovations technologiques.</p>
<h2>Science désintéressée ou utilitariste ?</h2>
<p>Indépendamment de ce constat, et plus fondamentalement, l’idée même d’une participation du non-spécialiste à la définition des grands objectifs de la recherche, peut susciter des résistances de principe, au sein des <a href="https://stephanieruphy.com/wp-content/uploads/2014/04/P3-Autonomie-science-.pdf">communautés scientifiques en particulier</a>. Pour bien saisir d’où viennent ces résistances et pouvoir s’interroger sur leur légitimité, il faut prendre acte d’une évolution de ce qui fait la valeur de la science dans nos sociétés, des types d’objectifs qu’on lui assigne aujourd’hui, et des tensions que cette évolution génère.</p>
<p>Traditionnellement, du point de vue de la philosophie des sciences, on distingue deux grands types d’objectifs, qui correspondent à deux types d’attente à l’égard de la science. Une première conception des objectifs de la science, qu’on peut qualifier de désintéressée, consiste à attendre avant tout que les sciences produisent des connaissances fiables sur le monde, ceci indépendamment d’applications pratiques qu’on pourrait éventuellement en tirer. Selon une seconde conception, d’emblée utilitariste, on attend avant tout de la science qu’elle permette de résoudre des problèmes particuliers auxquels la société se trouve confrontée à un moment de son histoire (par exemple, aujourd’hui, typiquement, les conséquences du réchauffement climatique).</p>
<p>Il n’est pas inutile de rappeler, pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, que dans l’Antiquité, c’était le premier objectif qui était exclusivement privilégié. Platon et Aristote par exemple dévalorisent l’utilité pratique de la science : seule la production de connaissances sur le monde a de la valeur, indépendamment d’éventuelles applications. Par la suite va émerger progressivement une valorisation des usages pratiques et une figure importante de cette évolution est Francis Bacon, avocat et philosophe qui, au tournant du XVI<sup>e</sup> et XVII<sup>e</sup> siècle, est le premier à théoriser une <a href="https://www.brookings.edu/book/pasteurs-quadrant/">vision utilitariste de la science</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, ces deux types d’attentes coexistent mais pas toujours très harmonieusement dans la mesure où elles peuvent être vécues, notamment par un certain nombre de chercheurs, comme étant en tension. Cette tension se manifeste de façon récurrente par des prises de position qui opposent objectif de production de connaissances désintéressée et objectif d’utilité. Les bailleurs de fonds de la recherche se voient reprocher de ne pas laisser les chercheurs simplement suivre leur curiosité et d’attendre des avancées qui répondent à <a href="https://www.learnedsociety.wales/our-publications/curiosity-driven-blue-sky-research-a-threatened-vital-activity-2/">des « besoins sociétaux »</a> dans des domaines bien spécifiques (santé, changement climatique, économie de l’hydrogène, etc.).</p>
<p>Une tension s’exerce donc entre des valeurs, désintéressement et autonomie, traditionnellement au cœur de la recherche scientifique, et des attentes utilitaristes de plus en plus pressantes. Mais il faut souligner que ces attentes ont été générées par la science elle-même : elles sont en quelque sorte le revers de la médaille de ses succès. En effet, la recherche et l’innovation, en raison précisément de leurs accomplissements, sont placées dans nos « sociétés de la connaissance » au cœur de ses projets de développements et en sont considérées comme des moteurs essentiels. Dès lors, les bailleurs de fonds n’attendent pas seulement de la recherche un accroissement des connaissances et plus d’innovations en général, mais un accroissement des connaissances et des innovations dans certains domaines correspondant à des besoins sociétaux spécifiques jugés prioritaires.</p>
<p>Les attentes de la société sont donc à la fois plus pressantes et plus ciblées. C’est comme si on passait, si l’on peut dire, d’un régime de l’offre à un régime de la demande. Dans un régime d’offre, le chercheur est libre de produire des connaissances selon sa curiosité naturelle, connaissances qui sont ensuite mises à disposition de la société et qui peuvent donner plus tard des choses très utiles. Le laser en est l’exemple type : il n’a pas été développé pour répondre à des besoins identifiés au préalable mais constitue une application tardive de développements théoriques très fondamentaux en mécanique quantique au début du XX<sup>e</sup> siècle. Dans un régime de demande, au contraire, on part de certains problèmes, jugés prioritaires, dont on pense que les sciences, y compris les sciences humaines et sociales, peuvent contribuer à la résolution, et ces problèmes orientent, conditionnent les choix des programmes de recherche.</p>
<h2>Comment faire participer le citoyen ?</h2>
<p>La participation des citoyens à ces choix ne peut se poser que dans ce second régime de demande, elle en présuppose donc la légitimité. Or cette question de la légitimité d’attentes avant tout utilitaristes à l’égard de la science est une question à mon sens politique. Il n’est dès lors guère surprenant qu’elle ne fasse pas l’objet d’un consensus, en particulier au sein des communautés scientifiques. Supposons cependant pour la suite qu’une telle conception utilitariste de la science soit adéquate, à la fois des points de vue descriptif et normatif.</p>
<p>Une participation directe des citoyens (plutôt que via leurs représentants élus par exemple) dans les processus de choix des grandes orientations de la recherche est-elle alors la meilleure façon de répondre à l’exigence démocratique ? Cette question, à la croisée de la philosophie des sciences et de la philosophie politique, me semble encore très ouverte.</p>
<p>Je n’évoquerai ici que deux types de considération jouant en faveur, ou non, d’une participation directe. S’en remettre à nos représentants élus en matière de priorités de recherche soulève par exemple le risque que soient privilégiés les programmes de recherche aux retombées rapides, le temps de la politique étant plus rapide que le temps, long, de la recherche.</p>
<p>Une participation directe des citoyens permettrait d’atténuer ce risque du court-termisme, mais cette forme de démocratisation se heurte à un problème de légitimité politique. N’étant pas élus, les citoyens qui seraient impliqués dans les processus de décision ne représentent pas, au sens d’« agir au nom de », le reste des citoyens. Leur représentativité relève d’une forme très modeste de représentativité au regard des exigences démocratiques, qui se réduit à l’absence de biais de sélection dans la constitution du groupe amené à participer. Avec pour conséquence de ne pouvoir justifier, au mieux, qu’un rôle consultatif, et <a href="https://www.jstor.org/stable/41821270">non décisionnel</a> des citoyens impliqués. Il reste donc à penser la façon d’articuler des formes participatives de démocratisation avec les structures politiques décisionnelles de nos démocraties représentatives, dans le champ spécifique des politiques de recherche, et donc aussi le rôle des experts scientifiques dans ces <a href="https://www.democrasci.com/accueil/">processus de démocratisation</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96835/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Ruphy a reçu des financements de l'Agence nationale de l'ANR pour le projet DEMOCRASCI <a href="http://www.democrasci.com">www.democrasci.com</a>
</span></em></p>La science est partout dans nos vies, elle coûte également cher à tous. Doit-on laisser les experts juger des axes de recherche prioritaires ou soumettre ces choix à tous les citoyens ?Stéphanie Ruphy, Professeure des universités en philosophie, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/941882018-04-05T20:25:55Z2018-04-05T20:25:55ZOui à la controverse scientifique, non à la polémique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/212964/original/file-20180403-189810-6bgf86.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C184%2C5590%2C3539&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les controverses se nourrissent de questionnements scientifiquement, à l'inverse des polémiques stériles</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/cw-cj_nFa14">Antenna/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Produisons-nous, oui ou non, <a href="https://theconversation.com/six-regles-pour-regenerer-son-cerveau-65294">des nouveaux neurones</a> tout au long de notre vie ? Cette question est importante car la « neurogénèse », si elle persiste chez l’adulte, pourrait être exploitée pour réparer le cerveau. Cette énigme fait l’objet de
nombreuses recherches depuis deux décennies, mais le <a href="http://www.sciencepresse.qc.ca/blogue/cerveau-niveaux/2018/03/27/neurogenese-cerveau-humain-adulte-remise-question">doute persiste</a>. Un nouvel article, publié le 15 mars <a href="https://www.nature.com/articles/nature25975">dans la revue <em>Nature</em></a>, est venu contredire de précédents résultats suggérant qu’il existe bel et bien une « fontaine de jouvence » dans notre cerveau.</p>
<p>La science est le processus de génération de connaissance et la définition de faits objectifs. Bien que les faits scientifiques soient la chose que nous, humains, avons de plus proche de la vérité, il est essentiel de reconnaître qu’ils sont intrinsèquement et perpétuellement remis en cause. Même lorsqu’un fait a été démontré à de multiples reprises pendant des décennies, des doutes peuvent toujours exister autour de celui-ci.</p>
<p>La science dans son essence la plus profonde est à l’origine de doutes. Les connaissances scientifiques ne peuvent progresser que par le questionnement constant des paradigmes établis. Ces derniers sont soit prouvés encore et encore et deviennent donc des faits établis, ou alors ils évoluent et sont corrigés par de nouvelles preuves. Quoi qu’il en soit, le doute peut également prendre une forme plus destructrice. Il est donc crucial de distinguer deux mécanismes : la controverse et la polémique.</p>
<h2>Controverse ou polémique ?</h2>
<p>Une controverse est un processus fondamentalement sain qui conduit à l’explication scientifique des choses. Imaginez deux groupes de scientifiques débattant, discutant, échangeant des informations sur des interprétations contradictoires d’une série d’observations.</p>
<p>L’objectif principal de ce débat est ici d’obtenir un consensus, un accord. La controverse ne peut être réglée que par de nouvelles expériences et donc de données, qui alimentent d’autres discussions et ainsi de suite. La controverse se conclut car des preuves soutiennent de manière écrasante une interprétation scientifique en particulier. Le processus de réflexion critique est essentiel en science et la controverse scientifique est indispensable pour atteindre un consensus sur de nouveaux concepts. Elle peut également conduire à l’émergence de nouveaux champs de recherche. Il s’agit là d’un cercle vertueux de débat et de découvertes.</p>
<p>Une polémique, en revanche, est un processus destructeur qui n’aboutit qu’à une impasse. Il faut là imaginer un débat où la vision scientifique des choses est incroyablement restreinte et où le moteur du désaccord est l’idéologie ou les intérêts économiques et non les faits scientifiques. Ce processus créé également du doute, mais celui-ci est utilisé dans le but de discréditer le consensus scientifique.</p>
<p>En effet, une polémique naît souvent de la déformation idéologique d’un débat ou d’une controverse scientifique, à desseins politiques ou économiques. Le processus d’une polémique implique souvent de discréditer les scientifiques, affirmer qu’ils ont des conflits d’intérêts et créer une guerre d’information hypermédiatisée. Ceux qui sont à la poursuite de telles polémiques habillent souvent leurs discours d’un verbiage scientifique pour donner une légitimité superficielle à leur propagande pseudoscientifique. Par comparaison à une controverse, l’objectif principal d’une polémique est d’être le terreau de l’obscurantisme. Les doutes ne conduisent pas qu’à la curiosité scientifique mais aussi à la peur. Nous sommes témoins ici d’un cercle vicieux freinant le progrès et une action publique rationnelle.</p>
<h2>Science, média et politiques publiques</h2>
<p>Pour que la science soit un outil plus efficace de bien-être social, au moins dans une démocratie, il est important que les décideurs et le public dans son ensemble soient correctement informés et capables de faire la différence entre fait scientifique et fiction, entre controverse et polémique.</p>
<p>Pour informer les personnes responsables de définir les politiques publiques, le lobbying est un élément clé. Bien qu’il soit régulièrement associé à des polémiques et perçu comme une tentative de puissants <a href="http://www.merchantsofdoubt.org/">pour manipuler la démocratie par la désinformation scientifique</a>, ce n’est pas exact. Le lobbying est une série d’actions d’influence pour défendre un intérêt particulier. Il peut donc être motivé par des objectifs positifs et la vérité scientifique, comme dans le cas des énergies renouvelables ou de la vaccination des enfants par exemple.</p>
<p>Au-delà d’informer les décideurs, il est primordial que le public soit scientifiquement averti et bien informé. Grâce aux médias et la digitalisation massive, le public a accès à une quantité extraordinaire d’informations et de connaissances. Cependant, ce tsunami d’informations n’est pas suffisamment accompagné des outils analytiques qui permettraient au grand public de discerner les faits et de la fiction.</p>
<p>Parce que la méthode scientifique paraît mystérieuse, détachée de la vie quotidienne, complexe et nuancée, le public n’a souvent pas accès aux raisons qui distinguent certaines affirmations soutenues par la recherche scientifique, d’autres qui ne le sont pas. On peut citer la vaccination, le changement climatique, la soi-disant crise des migrants en Europe comme des exemples patents de débats alimentés par des non-vérités brandies telles des épouvantails plutôt que par des faits scientifiques. Il est crucial que les médias s’efforcent de fournir au public de tels outils pour permettre aux individus et aux communautés de prendre des décisions éclairées, qui pourraient en retour affecter leur vie et leurs moyens d’existence.</p>
<h2>Le scientifique au micro</h2>
<p>Quels sont les aspects positifs du fait que les scientifiques <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/21548455.2011.611627">s’impliquent directement dans le débat public</a> ? De toute évidence, les scientifiques travaillant dans un domaine particulier sont les principaux experts sur le sujet. Dans ce sens, ils sont les mieux placés pour donner une opinion solide basée sur des preuves objectives.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/212961/original/file-20180403-189804-fx9gl4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vul-ga-ri-ser !</span>
<span class="attribution"><span class="source">PEB&Fox</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Même lorsqu’un sujet est sensible et que le débat autour de celui-ci est enflammé, l’avis scientifique peut souvent être le meilleur moyen de construire un consensus. L’expertise et la connaissance ont également une tendance naturelle à tempérer le débat. Les scientifiques diront souvent « Nous avons observé ceci… mais des données supplémentaires sont encore nécessaires pour confirmer ces observations ».</p>
<p>À l’inverse, les médias auront tendance à évoquer la découverte scientifique en des termes plus tranchés et imposants. Il y a donc au moins 3 avantages principaux à l’implication des scientifiques dans le débat public. Le premier est de s’assurer de la présentation mesurée et nuancée des découvertes. La seconde, qui peut paraître paradoxale, est d’expliquer la nature souvent controversée des nouveaux résultats. La troisième est de communiquer clairement sur la complexité du processus d’une découverte scientifique.</p>
<p>Après tous les avantages susmentionnés, quelles sont, alors les désavantages ? Nous en distinguons au moins 3. D’abord, les scientifiques sont par définition spécialistes d’un aspect très spécifique de leur domaine. Si l’expertise scientifique est un avantage évident, le danger existe qu’un scientifique soit tenté ou poussé à donner son opinion au-delà de son champ d’expertise.</p>
<p>Une seconde préoccupation, inévitable, est que les scientifiques sont également des êtres humains. Avec leur biais personnels et, plus rarement, des positions idéologiques affirmées, ils pourraient participer, volontairement ou involontairement, à la naissance d’une polémique.</p>
<p>Enfin, il existe une différence entre connaître beaucoup de choses sur un sujet et être capable de communiquer efficacement ces connaissances à un public plus large. Tous les scientifiques ne sont pas de bons communicants, ce qui peut conduire à plus de confusion que de clarté. Cela peut aussi conduire les scientifiques à arrêter de communiquer auprès du public. Dans ce contexte, mettre en place des outils de formation en communication pourrait encourager les scientifiques à intervenir plus activement auprès du public.</p>
<p>Une vision plus large d’une question scientifique, en particulier si elle suscite d’autres questionnements, d’ordre éthique par exemple, nécessite le point de vue de plusieurs experts. S’assurer que différents experts sont consultés, quelle que soit la question, peut répondre à ces inquiétudes. Ce processus est essentiel pour mettre sur la table suffisamment d’informations pour que le public puisse se forger sa propre opinion éclairée, et ainsi participer positivement à la vie publique.</p>
<p>Un corrélat important de l’implication des scientifiques dans le débat public est l’exemple des politiciens possédant une formation scientifique. Il existe plusieurs exemples de politiciens titulaires d’un diplôme scientifique, dont le doctorat, et même pour certains une carrière scientifique derrière eux. L’aspect positif que cela suggère est que la science est reconnue comme une valeur positive dans la société. Un autre point positif est que ces politiques pourraient avoir une plus grande capacité, due à leur formation, à faire la distinction entre des conclusions basées sur des preuves et de la pseudoscience.</p>
<p>Il ne faut cependant pas oublier l’impact négatif que cela peut avoir. La science évolue relativement vite et ces politiques n’exercent plus en tant que scientifiques. Leurs priorités et impératifs ont changé avec leur carrière politique. Ces éléments auront des conséquences sur leurs conclusions, qui interféreront avec les conclusions de la communauté scientifique aux yeux du public. Il est essentiel que les politiciens de formation scientifique évitent d’utiliser leurs diplômes pour avancer des positions politiques comme s’il s’agissait de conclusions scientifiques. De toute évidence, une décision politique ne peut être prise uniquement sur des bases scientifiques et des informations partielles. En revanche, plus le public comprend ce qu’est le consensus scientifique, pourquoi il en est ainsi et où la controverse peut encore résider, plus la société pourra éviter la polémique.</p>
<p>Placer le scientifique au cœur du débat public et du relais médiatique de l’information mettra inévitablement en avant le profil et le prestige de certains scientifiques adeptes de la communication. Comme dit plus haut, les scientifiques sont aussi des êtres humains et ne sont donc pas à l’abri des pièges de l’excès de médiatisation, aux dépens de la science elle-même. Il est crucial de garder à l’esprit que ce n’est pas le prestige du scientifique qui est important, mais plutôt de mettre l’esprit scientifique et les informations basées sur des preuves aux cœurs du débat public, des médias, et – chose la plus importante- de l’éducation. C’est primordial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94188/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandra Auffret travaille pour l'Institut du Cerveau et de la Moelle épinière</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Bassem Hassan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ne confondons plus les polémiques stériles et la pseudoscience avec les controverses dont la science et ses acteurs se nourrissent.Bassem Hassan, Neuroscientifique, directeur de l'équipe Développement du cerveau, Institut du Cerveau (ICM)Alexandra Auffret, Neuroscientifique, directrice des affaires scientifiques et médicales, Institut du Cerveau (ICM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/933172018-03-14T23:36:46Z2018-03-14T23:36:46ZPodcast : Pour mieux comprendre les débats sur la bioéthique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210102/original/file-20180313-30983-u5ib0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C14%2C3224%2C2418&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Valérie Depadt et Carine Vassy dans le studio de Moustic the Audio Agency.</span> <span class="attribution"><span class="source">Moustic</span></span></figcaption></figure><p>PMA, GPA, Fin de vie, cellules souches, dons d’organes, etc., via le débat sur la bioéthique, notamment avec les <a href="https://etatsgenerauxdelabioethique.fr/">États généraux</a> qui ont débuté le 18 janvier dernier, c’est désormais le futur qui s’invite en permanence dans les débats. Fantasmes, inquiétudes, présupposés, la réflexion sereine y perd souvent ce que les préoccupations idéologiques y gagnent. Des premières dispositions législatives prises en 1994 avec l’adoption des premières lois, à la loi de 2011, quels ont été les progrès et les évolutions sur la bioéthique ? Quels sont les enjeux de cette année, notamment pour la PMA ? Qui dit le droit ? Pour quelles pratiques et pour quelle société ?</p>
<p>Discussion pour y voir plus clair, entre une juriste (Valérie Depadt), une sociologue (Carine Vassy) et un philosophe (Bernard Baertschi).</p>
<hr>
<p><em><strong>Animation</strong> : Yves Bongarçon (Moustic the Audio Agency) et Didier Pourquery (The Conversation France)</em>.<br>
<em><strong>Réalisation</strong> : Joseph Carabalona et Thierry Imberty (Moustic the Audio Agency).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93317/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les États généraux de la bioéthique ont été lancés le 18 janvier 2018, sur le thème : « Quel monde voulons-nous pour demain ? ». Trois experts apportent leurs éclairages.Valérie Depadt, Maître de conférences en droit, Université Sorbonne Paris NordBernard Baertschi, Maître d'enseignement et de recherche en philosophie à l'université de Genève, comité d'éthique, InsermCarine Vassy, Maître de conférences en sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/927842018-03-13T22:28:57Z2018-03-13T22:28:57ZLa PMA en débat : pratique mondialisée, nouveaux regards sur le corps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210089/original/file-20180313-30979-5o4u0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C582%2C4609%2C2481&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La PMA pourrait offrir à toutes une possibilité de maternité. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/PmNjS6b3XP4">Dakota Corbin/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Avec la révision de la loi bioéthique, la procréation médicalement assistée (PMA) est à l’agenda du <a href="http://www.ccne-ethique.fr/">Conseil Consultatif National d’Éthique</a>. Autour de ce débat sur la médicalisation du <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/le-corps-reproducteur/">corps reproducteur</a>, les passions se déchaînent. Pourquoi ?</p>
<p>Qu’est-ce que la PMA ? Comment se fabrique la réglementation de l’offre médicale en France et à l’étranger ? Quels circuits transfrontières se mettent en place compte tenu de la disparité des législations ?</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-1-page-5.htm"><em>Un regard transnational de genre</em></a> met en relief les enjeux du débat français. Car dans ce contexte mondialisé de nouveaux modèles de conjugalité et de parentalité sont en train d’émerger. Quelles incidences sur le système de genre et son cortège d’inégalités ?</p>
<h2>La PMA en France</h2>
<p>L’offre médicale actuelle est <a href="http://calmann-levy.fr/livre/mille-et-une-facons-de-faire-les-enfants-9782702140758">variée</a> et comprend pour l’essentiel des inséminations artificielles et des fécondations <em>in vitro</em>. C’est le produit d’une longue <a href="http://books.openedition.org/pur/15922?lang=fr">histoire</a> de dissociation entre sexualité et reproduction : le premier succès connu d’insémination remonte à 1776 ; pour la fécondation <em>in vitro</em> (FIV), la première réussite mondiale a eu lieu en Grande Bretagne en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9condation_in_vitro#Historique">1978</a> et en France la première naissance par FIV date de 1982.</p>
<p>L’insémination artificielle consiste à déposer des spermatozoïdes dans les voies génitales féminines sans rapport sexuel. La FIV vise à concevoir un œuf fécondé hors du corps de la femme puis à l’introduire dans les voies génitales féminines.</p>
<p>L’usage de ces techniques s’est rapidement banalisé en France : pour la FIV, on enregistrait déjà en <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-8-p-52.htm">1986</a> un millier de naissances et 200 000 en <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/population-et-societes/200-000-enfants-concus-par-fecondation-in-vitro-en-france-depuis-30-ans/">2008</a>. Aujourd’hui, selon les dernières données de l’<a href="https://www.agence-biomedecine.fr/Toutes-les-activites-chiffrees">agence de biomédecine</a>, le recours à l’ensemble de ces deux techniques se stabilise autour de 3 % des naissances annuelles dont la quasi-totalité au sein du couple. Les autres possibilités par don de sperme, d’ovocytes ou d’embryons ne représentent que 3 % du total.</p>
<h2>Les règles en débat</h2>
<p>Le débat traverse la société mais ce sont trois institutions qui s’avèrent décisives dans tous les pays pour la fabrication des règles : l’hôpital, l’état et l’église. Le porte-parole de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000006692557&dateTexte=&categorieLien=cid">loi française de référence adoptée en 1994</a> en est le symbole : <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/Jean%E2%80%91Francois-Mattei-homme-d-ethique-et-de-convictions-2013-10-31-1053952">Jean François Mattei</a> est à la fois médecin, député et catholique pratiquant.</p>
<p>L’accès en France est aujourd’hui réservé aux seuls couples hétérosexuels en âge de procréer. L’un des enjeux porte sur l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, proposition soutenue par <a href="http://www.lemonde.fr/programmes/familles/la-procreation-medicalement-assistee-pma">plusieurs des candidats</a> à l’élection présidentielle notamment par l’actuel Président Macron.</p>
<p>Des arbitrages bien différents interviennent dans d’autres pays. Ainsi en Espagne, un autre arrangement a prévalu entre la jeune démocratie, le corps médical et l’Église catholique autorisant dès 1988 l’accès à toutes les femmes. Au Moyen-Orient la <a href="http://www.lhistoire.fr/%C2%AB-la-guerre-des-berceaux-%C2%BB"><em>fécondité de combat</em></a> rencontre l’idéal procréatif des religions aussi bien juif que musulman. En alliance avec le corps médical, l’accès est largement ouvert en <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=22919">Israël</a> et la sélection prénatale du sexe de l’enfant possible en <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-1-page-19.html">Palestine</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=774&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=972&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=972&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/210131/original/file-20180313-30972-lgop7o.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=972&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Affiche du colloque : Travail des femmes, travail des mères : les enjeux de la gestation pour autrui.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laurence Tain</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>De nouvelles pratiques mondialisées</h2>
<p>Avec la disparité des réglementations, les <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2015-1-page-43.htm">normes françaises</a> sont ébranlées. De nouvelles pratiques émergent dans l’espace mondialisé de la PMA. Des <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=CDGE_056_0005">circuits transnationaux</a> se développent.</p>
<p>Pour les dons de gamètes, le choix majoritaire est celui de la proximité et du moindre coût : Belgique et Espagne pour le don de sperme, Grèce, Espagne ou pays de l’Est pour le don d’ovocytes. Un choix marginal concerne les Pays-Bas et le Danemark pour permettre à l’enfant de connaître l’identité du donneur.</p>
<p>Concernant la gestation pour autrui, la sélection des destinations (Inde, Ukraine, Russie, États-Unis, Canada…) combine plusieurs critères : coût, encadrement légal et médical et surtout taux de réussite.</p>
<p>L’usage de ces circuits transnationaux met ainsi en scène de nouveaux modèles du <a href="https://www.cairn.info/le-corps-reproducteur--9782810901319.htm"><em>corps reproducteur</em></a>, comme expliqué dans l'ouvrage <a href="https://www.presses.ehesp.fr/produit/le-corps-reproducteur/">que j'ai publié aux Presses de l'EHESP</a>. Deux options se dessinent s’appuyant sur un bricolage normatif en sélectionnant l’un des deux piliers de la parentalité occidentale : le caractère binaire (il faut être deux pour procréer) ou la différence sexuée (il faut du masculin et du féminin).</p>
<h2>Priorité au couple</h2>
<p>Le premier modèle est centré sur le couple parental : couple hétérosexuel ou lesbien ayant eu recours à un don de gamètes, couple gay ayant fait appel à une gestation pour autrui. La personne donneuse est considérée comme accessoire, vécue comme une assistance biologique momentanée, extérieure au projet d’enfant.</p>
<p>Plusieurs dynamiques sociales concourent à l’affirmation de ce modèle qui semble devenir majoritaire. D’une part, la majorité des couples hétérosexuels souscrivent à cette vision bicentrée. D’autre part la majorité des médecins sont favorables en France au maintien de l’anonymat du don de gamètes. Enfin ce modèle correspond à l’évolution des <a href="http://journals.openedition.org/socio-logos/2870">choix des couples homosexuels</a>.</p>
<h2>Priorité à la différence sexuée</h2>
<p>Le deuxième modèle prend appui sur la nécessaire contribution du masculin et du féminin dans la parentalité. Il s’agit d’une collaboration reproductive de façon que l’enfant ait accès au donneur de sperme, à la donneuse d’ovocytes ou à la gestatrice. Cette coparentalité peut correspondre à des liens ponctuels, ou plus réguliers voire s’inscrire dans l’éducation au quotidien.</p>
<p>Ce deuxième modèle se trouve aussi au carrefour de plusieurs dynamiques sociales. Il y a d’une part la représentation dominante d’une nécessaire complémentarité des sexes dans la parentalité. Il y a, d’autre part, l’affirmation d’un <em>droit à l’origine</em> dans <em>l’intérêt supérieur de l’enfant</em> porté par des personnes professionnelles de l’accompagnement. Il y a aussi la volonté de reconnaître la commune humanité de l’ensemble des partenaires.</p>
<p>Néanmoins ce choix est devenu minoritaire parmi les homosexuel.les, même si le souhait d’inventer de nouvelles formes de coparentalité demeure présent. Les lesbiennes semblent freinées dans ce type de projet compte tenu des complications potentielles avec le père donneur qu’elles ont pu observer dans leur entourage. De plus, l’ouverture d’une offre de don de sperme à l’étranger tout comme l’émergence d’une jurisprudence pour reconnaître la paternité de gays ayant fait appel à une gestation pour autrui facilitent l’adhésion au premier modèle centré sur le couple.</p>
<h2>La chaîne mondiale du travail reproductif</h2>
<p>Ainsi avec l’émergence de ces deux modèles transnationaux, de nouvelles tendances se dessinent dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2004-2-p-229.htm">système de genre</a> : place des hommes et des femmes, injonctions hétéronormatives.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=773&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=773&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/210116/original/file-20180313-30969-17mvptt.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=773&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Couverture du livre <em>Le corps reproducteur</em> de Laurence Tain, aux éditions des presses de l’EHESP.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur Laurence Tain, artiste Françoise Bisiaux</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Qu’en est-il des rapports de pouvoir et des inégalités inhérentes au système de genre ? Comme le signalait déjà <a href="http://journals.openedition.org/lhomme/6470">Paola Tabet en 1985</a>, s’agit-il d’une remise en cause de la domination masculine ou de son aménagement ? Par ailleurs qu’en est-il de la position respective de l’ensemble des partenaires de la <a href="https://www.cairn.info/le-corps-reproducteur--9782810901319.htm">chaîne mondiale reproductive</a> ?</p>
<p>Les réponses restent à ce jour encore incertaines et contradictoires. Des ouvertures apparaissent pour les homosexuel·les néanmoins limitées par le potentiel économique et le cadre législatif. L’éventail s’élargit pour les femmes qui demeurent néanmoins soumises au <a href="http://journals.openedition.org/gss/167">devoir d’enfant</a> de l’ordre patriarcal. Enfin les gestatrices pour autrui, parfois exploitées, peuvent aussi en tirer des bénéfices comme le montre <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-1-page-59.htm">Sharmila Ruddrappa</a> pour l’Inde, voire se sentir <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Revue-Les-Temps-Modernes/Les-Temps-Modernes304">satisfaites</a> d’offrir ce don.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92784/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Tain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La procréation médicalement assistée fait débat en France, il faut cependant dépasser nos frontières pour comprendre tous les enjeux liés à cette question d’éthique et de société.Laurence Tain, Enseignant-chercheur, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.