tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/droit-social-43740/articlesdroit social – The Conversation2024-02-20T14:44:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2234992024-02-20T14:44:11Z2024-02-20T14:44:11ZLafarge, « complice de crimes contre l’humanité » en Syrie ? Vers un procès sans précédent pour une multinationale<p>Le 16 janvier 2024, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">Cour de cassation</a>, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France, a confirmé la mise en examen pour « complicité de <a href="https://theconversation.com/topics/crimes-contre-lhumanite-22671">crimes contre l’humanité</a> » de la société française Lafarge, une première pour une firme de cette envergure. Très attendue par la société civile et les victimes, cette reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des crimes internationaux commis à l’étranger par des acteurs économiques constitue un tournant décisif en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.</p>
<p>Cette affaire qui peut sembler technique, avec à l’origine quatre chefs d’accusation (dont un a été écarté), touche à la question sensible de la possibilité de poursuivre au pénal des entreprises <a href="https://theconversation.com/topics/multinationales-22485">multinationales</a>. Ce terme désigne des ensembles de sociétés réparties dans différents pays et obéissant à une stratégie commune fixée par une société mère. Ces grands groupes semblent parfois bénéficier d’une forme d’impunité, sentiment qui ressort de <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/">décisions précédentes</a>, notamment américaines. Le juge français pourrait ainsi venir poser les jalons d’une rupture.</p>
<h2>Différents chefs d’accusation</h2>
<p>Lafarge, société mère de droit français, avait créé en 2010 une filiale de droit syrien pour détenir et exploiter sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Entre 2010 et 2014, les alentours du site ont fait l’objet de violents affrontements entre divers groupes armés, dont l’État islamique qui a fini par s’en emparer en septembre 2014. Pour poursuivre ses activités malgré le contexte de conflit armé, Lafarge aurait distribué en 2013 et 2014 quelque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">13 millions d’euros</a> à ces groupes armés commettant de graves exactions selon l’étude d’un cabinet de conseil missionné par Holcim, le groupe suisse qui a racheté Lafarge depuis. L’enquête française a estimé ces versements entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe État islamique.</p>
<p>En 2016, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie">plainte</a> a été déposée en France par le ministère de l’Économie à la suite de révélations dans la presse, puis par l’association Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et 11 anciens salariés de Lafarge en Syrie, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire. En 2018, la société Lafarge, en tant que personne morale, ainsi que plusieurs de ses cadres, a été mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ».</p>
<p>Le <a href="https://www.asso-sherpa.org/confirmation-de-la-mise-en-examen-de-lafarge-complicite-crimes-contre-humanite">18 mai 2022</a>, la Cour d’appel avait confirmé la mise en examen de la société Lafarge pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « mise en danger de la vie d’autrui », charges ensuite contestées dans un pourvoi en cassation. </p>
<p>La décision du 16 janvier 2024 est venue confirmer la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », considérant que la multinationale avait connaissance des graves exactions commises par les groupes armés. En revanche, la Cour de cassation a écarté la mise en examen pour la mise en danger de la vie d’autrui, estimant que la loi française n’était pas applicable aux salariés syriens. Un choix <a href="https://www.asso-sherpa.org/lafarge-en-syrie-decision-determinante-de-la-cour-de-cassation-sur-les-mises-en-examen-de-la-multinationale">déploré par Sherpa</a> pour qui pareille interprétation restrictive des règles de conflit de lois, malgré la forte implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne, entrave l’accès à la justice pour les travailleurs de multinationales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756000073530409033"}"></div></p>
<p>Pour les deux autres chefs d’accusation, le Parquet national antiterroriste a demandé son renvoi en correctionnel le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/09/lafarge-en-syrie-un-premier-proces-requis-contre-le-cimentier-et-neuf-personnes-pour-financement-du-terrorisme_6215693_3224.html">9 février 2024</a> pour financement d’une entreprise terroriste et pour violation d’un embargo, disjoignant ainsi les deux volets de l’affaire.</p>
<h2>Une porte ouverte par le droit français</h2>
<p>S’agissant des infractions de « financement du terrorisme » et de « complicité de crime contre l’humanité », celles-ci sont prévues, d’une part, dans la <a href="https://www.un.org/french/millenaire/law/cirft.htm">Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999</a>, d’autre part, dans le <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998</a>. Ces deux conventions ont été ratifiées par la France respectivement en 2002 et 2000.</p>
<p>Le financement du terrorisme s’entend, selon l’article 2 de la Convention sur le terrorisme, comme tout acte consistant à fournir ou à réunir des fonds « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre » des actes relevant du terrorisme. Le crime contre l’humanité s’entend, quant à lui, selon l’article 7 du Statut de Rome, comme des exactions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, incluant des actes tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la torture ou encore le viol.</p>
<p>Si le Statut de Rome a retenu la seule responsabilité pénale individuelle, son article 25 précise qu’« aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international ». La Convention sur le financement du terrorisme dispose, quant à elle, en son article 5 :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque État Partie, conformément aux principes de son droit interne, prend les mesures nécessaires pour que la responsabilité d’une personne morale située sur son territoire ou constituée sous l’empire de sa législation soit engagée lorsqu’une personne responsable de la direction ou du contrôle de cette personne morale a, en cette qualité, commis une infraction visée [par la présente convention]. Cette responsabilité peut être pénale, civile ou administrative ».</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000021796078/#LEGISCTA000021796940">Code pénal français</a> prévoit des mécanismes répressifs à l’encontre des sociétés transnationales qui relèvent de la législation française ou qui ont commis des infractions pénales sur le territoire français. En outre, son article 121-7, relatif au régime général de la complicité, requiert uniquement que le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-de-cassation-ouvre-voie-une-mise-en-examen-de-lafarge-pour-complicite-de-crime-contre-l-h">complice</a> ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime, sans critère géographique.</p>
<p>Si, avec l’affaire <em>Lafarge</em>, la France a ainsi l’opportunité de poser les prémices de la poursuite pénale d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité, cela n’est toutefois pas sans poser de redoutables défis.</p>
<h2>Vers la fin de l’impunité <em>de facto</em> des sociétés transnationales ?</h2>
<p>Depuis longtemps, les multinationales semblent bénéficier d’une certaine forme d’impunité, tirant profit de la complexité des régimes juridiques internationaux et de la difficulté d’imposer des normes juridiques uniformes à l’échelle mondiale. En effet, les règles encadrant leurs activités n’offrent notamment pas un cadre répressif avec des peines adaptées à la nature d’infractions comme le financement du terrorisme ou la complicité pour crimes contre l’humanité. Des efforts ont, certes, été déployés au niveau international pour les rendre responsables de leurs actions, comme l’adoption en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf">Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme</a>. L’absence d’un régime de responsabilité pénale internationale spécifique pour ces entités suggère néanmoins qu’elles pourraient potentiellement esquiver toute responsabilité pour leurs actions.</p>
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<p>Tel a été le cas dans l’affaire <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/"><em>Presbyterian Church of Sudan et al. v. Talisman Energy, Inc. and the Republic of the Sudan</em></a>. Des plaignants avaient intenté une action en justice contre l’entreprise Talisman Energy en vertu de l’<em>Alien Tort Statute</em>, une loi américaine de 1789 accordant aux tribunaux fédéraux compétence sur les affaires civiles déposées par des étrangers pour des violations du droit international. Ils alléguaient que cette société pétrolière canadienne était complice de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains perpétrés par le gouvernement soudanais dans les régions pétrolifères où elle opérait. En 2009, la requête a été rejetée et la société n’a pas été tenue pénalement responsable en raison pour partie d’un manque de preuves, mais surtout de la quasi-impossibilité d’engager la responsabilité d’une société transnationale sur le fondement du droit international. Un tel précédent a laissé planer l’ombre de l’impunité des sociétés transnationales et entretenu, à leur égard, le mythe d’une irresponsabilité pénale.</p>
<p>Face à l’inadéquation des mécanismes généraux de la responsabilité internationale et à une société civile de plus en plus déterminée à lutter contre l’impunité des personnes morales, la mise en examen de Lafarge apparaît comme un précédent qui pourrait relancer le débat sur la question de la pénalisation des activités des sociétés transnationales. Lafarge est, en effet, la première société transnationale au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur le fondement de complicité de crimes contre l’humanité. Les juges français vont ainsi, quelle que soit l’issue du procès, poser d’importants jalons susceptibles d’inspirer une évolution de la justice pénale internationale.</p>
<p>Ces jalons seront d’autant plus importants que d’autres affaires similaires sont en cours. L’association Sherpa, avec d’autres, a notamment déposé une <a href="https://www.asso-sherpa.org/complicite-de-crimes-de-guerre-au-yemen-une-plainte-deposee-contre-des-entreprises-darmement-francaises">plainte pénale</a> contre plusieurs entreprises d’armement pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient été commis grâce à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.</p>
<hr>
<p><em>Kadoukpè Babaodi, étudiant en Master 2 à l’Institut des droits de l’homme de l’Université catholique de Lyon a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les firmes multinationales semblent parfois jouir d’une forme d’impunité pénale. Que la justice française se saisisse du cas Lafarge pourrait bien marquer une rupture d’envergure.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1546782021-03-31T19:50:06Z2021-03-31T19:50:06ZL’impact de la Covid-19 sur l’aide sociale versée aux étrangers en Suisse<p>Dans bien des pays, la hauteur et la destination des dépenses sociales sont constamment contestées et discutées, aussi bien par les acteurs politiques que par le grand public. Un certain nombre de voix réclament régulièrement la baisse des prestations sociales, notamment de celles versées aux étrangers.</p>
<p>Les discussions sur ces questions sont particulièrement virulentes dans des périodes tendues comme celle liée à la pandémie actuelle. Ce débat est aujourd’hui très vivace en Suisse. Que dit le droit suisse sur ce sujet aujourd’hui, et comment pourrait-il évoluer à l’avenir ?</p>
<h2>L’aide sociale en Suisse</h2>
<p><a href="https://skos.ch/fr/themes/aide-sociale">L’aide sociale</a> est comprise comme le dernier filet qui fournit une aide financière une fois les autres formes de soutien exclues (par exemple, les allocations chômage ou les rentes vieillesse, d’invalidité ou de réversion). Il n’existe pas de loi fédérale sur l’aide sociale en Suisse ni de règles harmonisées en matière d’aide sociale. Ce sont les cantons et les communes (ou un mélange des deux) qui prennent en charge les dépenses, lesquelles sont financées par les impôts de l’État et des communes. Ce mécanisme exerce une <a href="https://www.srf.ch/news/schweiz/wie-viel-sozialhilfe-ist-zu-viel">pression sur les communes</a>, qui sont confrontées à un nombre élevé de personnes bénéficiaires et à des motions politiques qui tentent de réduire le seuil des besoins de base ou d’augmenter les <a href="https://normes.csias.ch/index.php/?id=396">mécanismes de sanction</a> contre les bénéficiaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1104416062840303617"}"></div></p>
<p>Les besoins fondamentaux et les mécanismes de sanction sont généralement définis par la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), dont font partie tous les cantons, certaines municipalités et également différents offices nationaux. Les motions politiques et les réactions des membres de la CSIAS ont un effet direct sur les <a href="https://www.srf.ch/news/schweiz/wie-viel-sozialhilfe-ist-zu-viel">décisions prises</a>, influençant ainsi la générosité de l’assistance fournie et les moyens adoptés pour sanctionner les individus considérés comme « récalcitrants ».</p>
<h2>La question du « mérite » des bénéficiaires de l’aide sociale</h2>
<p><a href="https://www.srf.ch/news/schweiz/sozialhilfe-auffangbecken-in-der-not-oder-haengematte">Les débats</a> publics sont souvent le théâtre de <a href="https://www.rts.ch/play/radio/le-journal-du-matin/audio/abus-daide-sociale-faut-il-renforcer-les-controles?id=4380882">dénonciations</a> visant les « abuseurs de l’aide sociale », qui recevraient de l’aide sans le moindre effort et que la permanence de cette aide inciterait à ne pas tenter de trouver un emploi. Cette vision prend pour cible des groupes de personnes socialement et financièrement marginalisées, avec un niveau d’éducation bas, dont les difficultés sociales ou les problèmes de santé ne sont pas considérés comme suffisamment graves pour justifier qu’elles bénéficient d’une aide sociale.</p>
<p>En outre, les <a href="http://www.snf.ch/SiteCollectionDocuments/nfp/nfp45/NFP45_MaederU_SB.pdf">appels à mettre en place des politiques plus restrictives</a> visent également les personnes qui travaillent, mais dont les revenus ne suffisent pas à subvenir à leurs besoins (et à ceux de leur famille). Il s’agit des « travailleurs pauvres », qui ont des emplois précaires et mal payés ou qui travaillent temporairement. Ils occupent souvent des emplois sous-payés, avec des horaires irréguliers, et sont régulièrement exploités par les employeurs, tout en dépendant de l’aide sociale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"920220611799949312"}"></div></p>
<p>Diverses recherches ont examiné les mesures de plus en plus sévères prises contre ceux qui tombent dans le « dernier filet de sécurité ». Dans le contexte des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0020715206070268?journalCode=cosa">avancées néolibérales</a> au sein des politiques publiques, les populations pauvres sont encore plus <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167268119301969">marginalisées</a> sur le plan socio-économique. Le <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev.lawsocsci.093008.131551?journalCode=lawsocsci">passage</a> de « welfare » (l’aide sociale) au « workfare » (travailler pour le bien-être) a été <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2008-2-page-162.htm">critiqué</a> au fil des années.</p>
<p>De plus, le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/1468-5965.00263">« welfare chauvinsim »</a> (le chauvinisme de l’aide sociale) vise à restreindre des droits d’un groupe spécifique. Cette forme de chauvinisme proclame que l’aide sociale doit être limitée à certains groupes, excluant souvent les personnes étrangères.</p>
<h2>Des mesures de plus en plus drastiques</h2>
<p>Au cours des dernières années, nous avons pu constater l’interconnexion des politiques migratoires et sociales en Suisse. Même si les services sociaux cantonaux/municipaux avaient l’obligation de déclarer la dépendance à l’aide sociale (aux services des migrations) depuis 2009, la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (<a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/758/fr">LEI</a>) stipule que les dépendances à l’aide sociale des étrangers doivent être déclarées de manière <a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/759/fr#art_82_b">« spontanée »</a> depuis 2019.</p>
<p>En outre, non seulement les aides sociales, mais aussi toutes demandes de prestations complémentaires ainsi que le chômage doivent être signalés aux services des migrations (<a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/758/fr#art_97">art. 97 LEI</a>). <a href="https://nccr-onthemove.ch/projects/governing-migration-and-social-cohesion-through-integration-requirements-a-socio-legal-study-on-civic-stratification-in-switzerland/">Les informations transférées</a> et partagées par les services sociaux portent sur la somme des prestations reçues et s’accompagnent d’un bref rapport sur le comportement général des bénéficiaires étrangers, à savoir leur niveau de coopération et les efforts qu’ils ont déployés pour « réintégrer » le marché du travail.</p>
<p>D’autres autorités peuvent également partager des informations concernant les organisations avec lesquelles les personnes étrangères ont des contacts dans leur vie quotidienne et les compétences linguistiques de la personne concernée – ces données seront prises en compte par les autorités migratoires lors de la décision de prolonger ou de révoquer une autorisation de séjour (ou d’établissement).</p>
<p>De plus, depuis 2019, les autorités migratoires peuvent décider de révoquer l’autorisation d’établissement et de la remplacer par une autorisation de séjour en cas de dépendance à l’aide sociale (<a href="https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2007/758/fr#art_63">art. 63 LEI</a>). Cette possibilité concerne les <a href="https://explore.rero.ch/fr_CH/if/result/L/VlRMU19SRVJPUjAwNzkzOTEyMQ==">personnes étrangères</a> de pays tiers ainsi que les citoyens de l’UE/AELE résidant en Suisse.</p>
<h2>Une insécurité grandissante</h2>
<p>Actuellement, les discussions se concentrent autour des conséquences du <a href="https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-81887.html">chômage causé par la pandémie</a>. La situation sanitaire a renforcé la crainte de nombreux étrangers de perdre leur permis de séjour. Une étude de la <a href="https://digitalcollection.zhaw.ch/handle/11475/19967">Haute école spécialisée zurichoise (ZHAW)</a> indique que, pendant le confinement imposé par l’État, les personnes étrangères ont hésité à demander des prestations sociales en raison du risque de perte de leur permis de séjour.</p>
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<figcaption><span class="caption">coronavirus : quelles conséquences pour les travailleurs frontaliers ?</span></figcaption>
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<p>Selon la <a href="https://skos.ch/fileadmin/user_upload/skos_main/public/pdf/medien/medienkonferenzen/2021_Medienkonferenz/Analysepapier_Herausforderungen.pdf">CSIAS</a>, les étrangers font partie des personnes qui seront le plus dépendantes de l’aide sociale suite à la pandémie. De son côté, <a href="https://www.swissinfo.ch/ger/-die-angst--die-schweiz-verlassen-zu-muessen--waechst-/45907516">l’organisation Isa Berne</a>, qui s’occupe de programmes d’intégration, explique que les personnes étrangères ont peur de toucher l’aide sociale, mais aussi les prestations complémentaires, les réductions pour l’assurance maladie ou l’aide à la garde d’enfants, car dans certains cantons, ces prestations sont également considérées comme une aide sociale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mise au Point – J’étais un sans-papiers (opération Papyrus).</span></figcaption>
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<p>En outre, les <a href="https://cigev.unige.ch/files/3716/0692/0389/rapport_covid_parchemins_juillet2020.pdf">sans-papiers</a> qui ont été régularisés par un programme cantonal spécifique appelé <a href="https://www.ge.ch/dossier/operation-papyrus">Papyrus</a> mis en place à Genève évitent aussi l’aide sociale par crainte de perdre leur statut juridique nouvellement obtenu. Cette crainte de faire valoir les droits sociaux peut avoir des conséquences graves, jusque à la <a href="https://www.cairn.info/revue-sciences-et-actions-sociales-2020-1-page-53.htm">perte du logement</a>, la perte de l’assurance de la caisse maladie et la faim.</p>
<h2>Des discours volontaires pour de maigres résultats</h2>
<p><a href="https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/weisungen-kreisschreiben.html">Le secrétariat d’État aux migrations</a> (SEM) recommande de tenir compte de la situation actuelle lors de l’évaluation des cas. De plus, les organisations non gouvernementales et le Parti socialiste suisse ont lancé une <a href="https://poverty-is-not-a-crime.ch/fr/">pétition</a> concernant cette pratique précaire, arguant que la dépendance envers l’aide sociale des personnes étrangères en raison de la pauvreté ne devrait pas être considérée comme un <a href="https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20200451">« crime »</a> qui mettrait en danger le séjour.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1111613538701922310"}"></div></p>
<p>Pourtant, jusqu’à présent, seuls deux services de migration (selon la connaissance des auteures), <a href="https://www.bernerzeitung.ch/auslaender-koennen-trotz-sozialhilfe-bleiben-914043313985">Berne-Ville</a> et le <a href="https://www.ge.ch/actualite/covid-19-employabilite-formation-aide-sociale-permis-23-04-2020">canton de Genève</a>, ont annoncé qu’ils prendraient fortement en compte la situation sanitaire lors de l’évaluation des dépendances à l’aide sociale.</p>
<p>Finalement, les lois restreignant le droit des migrations vident les objectifs des droits sociaux et soulignent les conséquences auxquelles les populations précaires ou les personnes étrangères sont confrontées. Les objectifs des politiques sociales et des droits sociaux sont de plus en plus contredits par les pratiques néolibérales de l’État, qui non seulement amènent à contrôler les citoyens, mais visent également à exclure les personnes étrangères des aides dans le but de réduire les dépenses publiques.</p>
<p>En période de pandémie mondiale, cela remet fortement en question le fonctionnement et les intentions des États-providence en tant que tels, ainsi que la cohésion sociale au sein de ces États.</p>
<hr><img src="https://counter.theconversation.com/content/154678/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Marie Borrelli receives funding from the National Centre of Competence in Research (NCCR) – on the move, which is funded by the Swiss National Science Foundation (51NF40-182897)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Stefanie Kurt receives funding from the National Centre of Competence in Research (NCCR) – on the move, which is funded by the Swiss National Science Foundation (51NF40-182897)</span></em></p>La pandémie de Covid-19 soulève la question de la précarité des personnes étrangères dépendantes de l’aide sociale en Suisse – une précarité toujours croissante.Lisa Marie Borrelli, Chercheuse, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Stefanie Kurt, Professeure HES assistante, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1358832020-04-20T17:27:54Z2020-04-20T17:27:54ZLe revenu universel inconditionnel plébiscité en Europe<p>Ainsi que les implications de la pandémie de coronavirus deviennent évidentes, de nouveaux appels ont été lancés en faveur d’un revenu de base universel : par des politiciens de <a href="https://www.cnbc.com/2020/03/16/coronavirus-stimulus-romney-proposes-1000-for-every-american.html">droite</a> comme de <a href="https://basicincome.org/news/2020/03/united-states-alexandria-ocasio-cortez-calls-for-basic-income-as-a-response-to-the-corona-virus-crisis/">gauche</a>, des <a href="https://www.independent.co.uk/voices/letters/coronavirus-universal-basic-income-ubi-poverty-economy-business-migrants-a9408846.html">academiques</a>, le <a href="https://www.americamagazine.org/faith/2020/04/12/easter-message-pope-francis-proposes-universal-basic-income?fbclid=IwAR0xTJ0tGNejz5jge74dHZOQ6LUzy_4ZvgqSB3TBl4XPGzCmvj8NFsy5mHs">pape</a> et même le comité de rédaction du <a href="https://www.ft.com/content/7eff769a-74dd-11ea-95fe-fcd274e920ca"><em>Financial Times</em></a>. Cette politique garantirait aux individus des paiements réguliers de la part de l’État, quelle que soit leur activité économique.</p>
<p>Nous avons récemment <a href="https://www.springer.com/gp/book/9783030300432">analysé la faisabilité de la mise en place d’un tel revenu dans les pays de l’Union européenne</a>. Nos conclusions montrent que, bien que des mesures importantes aient été prises, pour que ces politiques soient mises en œuvre avec succès, des changements seraient nécessaires en termes de soutien public, d’alignement institutionnel, de preuve des effets et de clarté de l’objectif politique. La pandémie de Covid-19 pourrait-elle déclencher un tel changement ?</p>
<h2>Mettre le stimulus financier entre les mains des particuliers ?</h2>
<p>Étant donné que des stimuli financiers massifs <a href="https://fr.euronews.com/2020/04/10/coronavirus-l-eurogroupe-trouve-finalement-un-accord-pour-renflouer-l-economie-europeenne">sont négociés</a> pour atténuer la dépression économique, <a href="https://www.ft.com/content/927d28e0-6847-11ea-a6ac-9122541af204">certains économistes</a> soutiennent qu’une politique de transferts directs d’argent aux particuliers est un mécanisme relativement abordable. Un revenu de base pourrait soulager les travailleurs et entrepreneurs qui sont en <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/04/09/coronavirus-face-a-une-telle-crise-il-faut-un-revenu-universel_1784609">difficulté</a>.</p>
<p>Au-delà de ses avantages potentiels en temps normal – comme atténuer les situations de <a href="https://www.revenudebase.info/decouvrir/">pauvreté</a>, <a href="https://theconversation.com/le-revenu-universel-la-solution-aux-inegalites-homme-femme-93019">valoriser</a> le travail de soin <a href="https://theconversation.com/money-for-nothing-lheure-du-revenu-de-base-universel-a-t-elle-sonne-71435">non rémunéré</a> – il est suggéré qu’un revenu de base inconditionnel puisse amoindrir certains des effets et des causes de la pandémie.</p>
<p>En effet, d’après les <a href="https://www.ids.ac.uk/opinions/precarious-and-informal-work-exacerbates-spread-of-coronavirus/">économistes</a> et les <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/19/coronavirus-insecurity-anxiety-us-epidemic">épidémiologistes</a>, en palliant l’insécurité des revenus, un revenu de base pourrait renforcer le respect de la distance sociale, en particulier chez les <a href="https://www.weforum.org/agenda/2020/03/covid-19-quarantine-sick-pay/">travailleurs précaires</a> qui ne bénéficient pas d’indemnités de maladie ou le télétravail, ce qui ralentirait la propagation du virus. Des <a href="https://www.nytimes.com/article/coronavirus-stimulus-package-questions-answers.html">transferts directs en espèces</a> sont aussi proposés pour faire face à la chute précipitée des dépenses de consommation, ce qui permettrait d’amortir l’impact économique de la crise.</p>
<h2>Les pays qui soutiennent le revenu universel</h2>
<p>Une <a href="https://theconversation.com/survey-reveals-young-people-more-likely-to-support-universal-basic-income-but-its-not-a-left-right-thing-87554">enquête sociale européenne</a> de 2016 a montré un soutien assez élevé pour le revenu de base dans les pays européens, détaillé dans le tableau 1. Toutefois, il est surprenant de constater que le soutien public le plus important se trouve en Lituanie, en Hongrie et en Slovénie, des pays qui, <a href="https://www.springer.com/gp/book/9783030300432">selon nous</a>, ont peu ou aucune propositions concrètes concernant le revenu de base. Puisque la popularité du revenu de base n’équivaut pas à la faisabilité politique, il est donc important que nous examinions cette dernière en profondeur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/326174/original/file-20200407-147360-1055vhz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pourcentage de la population favorable ou fortement favorable à l’existence d’un régime du revenu de base dans son pays en 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shanahan, Smith and Srinivasan (2020)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Notamment, même en l’absence d’un soutien public particulièrement fort pour les politiques du revenu de base, quelque pays prennent des mesures pour tester les propositions, avec des essais pilotes en <a href="https://basicincome.org/news/2019/03/germany-the-hartzplus-experiment-is-starting-and-the-basic-income-discussion-is-there-to-stay/">Allemagne</a> et les <a href="https://www.utrecht.nl/city-of-utrecht/study-on-rules-in-social-assistance/">Pays-Bas</a>. Notre recherche du degré relatif de développement des initiatives sur le revenu de base est résumée dans le tableau 2.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327355/original/file-20200412-134587-1vi9uqe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Initiatives revenu de base par niveau de développement dans 28 États membres de l’UE, janvier 2016-mars 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shanahan, Smith and Srinivasan (2020)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La faisabilité politique</h2>
<p>Nous pouvons examiner la faisabilité politique en déterminant si les conditions sociales actuelles sont propices à une politique du revenu de base. <a href="https://www.researchgate.net/publication/304799382_On_the_Political_Feasibility_of_Universal_Basic_Income_An_Analytic_Framework">Selon les théoriciens politiques Jurgen De Wispelaere et Jose Antonip Noguera</a>, la faisabilité dépend de quatre sous-types :</p>
<ul>
<li><p>La faisabilité institutionnelle : la politique atteindrait-elle ses objectifs dans le cadre institutionnel existant ?</p></li>
<li><p>La faisabilité stratégique : les principaux acteurs politiques sont-ils prêts à engager des ressources pour mettre en œuvre la politique ?</p></li>
<li><p>La faisabilité psychologique : le grand public soutient-il la politique ?</p></li>
<li><p>La faisabilité comportementale : la politique établirait-elle des incitations comportementales cohérentes avec ses objectifs ?</p></li>
</ul>
<h2>Est-on prêt à payer le prix du revenu universel ?</h2>
<p>L’un des principaux obstacles à la mise en œuvre du revenu de base est le <a href="https://www.ft.com/content/cf63e08e-725f-11e9-bbfb-5c68069fbd15">prix apparemment</a> élevé des caractéristiques distinctives de la politique, en particulier en l’absence de vérification des moyens mis en œuvre.</p>
<p>Mais les soutiens au revenu universel proposent de le mettre en place de la même façon que le système d’allocation. <a href="https://www.weforum.org/agenda/2017/01/why-we-should-all-have-a-basic-income/">Ils affirment</a> que la différence de coût entre les allocations sociales sous condition de moyens et un revenu de base sans condition de moyen pourrait être récupérée par le biais du système fiscal donc être payé par les contribuables les plus fortunés, ainsi que par une réduction des coûts administratifs liés à la vérification des moyens.</p>
<p>Ces idées dépendent d’une forte volonté politique. Néanmoins on observe un certain volontarisme politique stimulé par la pandémie. Les gouvernements sont soumis à une pression intense pour faire <a href="https://theconversation.com/coronavirus-why-the-uk-needs-a-basic-income-for-all-workers-134257">« tout ce qu’il faut »</a> afin d’éviter une dépression économique.</p>
<p>Les économistes réclament des mesures d’urgence économique rapides et simples pour <a href="https://www.ft.com/content/abd6bbd0-6a9f-11ea-800d-da70cff6e4d3">« mettre l’argent entre les mains de tout le monde »</a>, et nous voyons apparaître des initiatives qui <a href="https://read.oecd-ilibrary.org/view/?ref=119_119686-962r78x4do&title=Supporting_people_and_companies_to_deal_with_the_Covid-19_virus">échappent</a> à de nombreuses restrictions habituelles.</p>
<p>Par exemple, en <a href="https://www.oireachtas.ie/en/debates/debate/dail/2020-04-02/5/">Irlande</a>, une allocation de chômage Covid-19 a été mise à la disposition par le gouvernement de ceux qui perdent leur emploi à la suite de la pandémie, avec moins de restrictions, moins de conditions de moyens et donc une période d’attente beaucoup plus courte pour le paiement que les allocations de chômage ordinaires. On voit des mesures similaires à <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/03/world/europe/coronavirus-Berlin-self-employed.html">Berlin</a>.</p>
<p>Bien qu’il s’agisse de mesures temporaires, certains dirigeants politiques, comme la <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-pour-faire-face-la-crise-l-espagne-veut-deployer-un-revenu-universel-6801428">ministre de l’Économie d’Espagne</a> et le <a href="https://www.thejournal.ie/dail-emergency-legislation-5058234-Mar2020/">premier ministre irlandais</a>, ont laissé entendre que nous ne reviendrons pas entièrement au statu quo une fois la pandémie maîtrisée.</p>
<p>Ces allocations ne sont pas identiques au revenu de base, dans la mesure où elles s’adressent exclusivement aux travailleurs ou aux ménages pauvres. Néanmoins, la réduction de l’administration et de la vérification des moyens établissent un <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/06/business/europe-coronavirus-labor-help.html">cadre de protection sociale</a> plus proche qu’auparavant du revenu de base, renforçant ainsi la faisabilité institutionnelle de la politique.</p>
<h2>Impact psychologique et comportemental</h2>
<p>L’acceptabilité sociale du revenu de base est liée à l'adéquation entre les effets attendus par chacun sur le comportement de l'autre, et les effets réellement observés de la mise en place d'un revenu garanti. Une préoccupation commune concernant le revenu de base est qu’il agirait comme un facteur de dissuasion au travail. Pourtant des recherches initiales, conduites par exemple au <a href="http://archive.irpp.org/po/archive/jan01/hum.pdf">Canada</a> et en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304387818306084 ?via %3Dihub">Iran</a>, suggèrent que les gens n’abandonnent généralement pas le travail lorsqu’ils sont par ailleurs soutenus par un revenu de base.</p>
<p>Cependant, <a href="https://www.kela.fi/web/en/basic-income-objectives-and-implementation">l’expérimentation finlandaise du revenu de base</a>, peut-être l’expérience de revenu de base la plus médiatisée à ce jour, a <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/feb/08/finland-free-cash-experiment-fails-to-boost-employment">été critiquée</a> parce qu’elle ne maximisait pas l’insertion professionnelle.</p>
<p>Or, l’insertion par le travail <a href="https://helda.helsinki.fi/handle/10138/167728">n’est pas la seule raison</a> d’un revenu de base. Il est donc important d’examiner ce que les gens considèrent comme <a href="https://www.academia.edu/38154431/From_Rights_to_Activation_The_Evolution_of_the_Idea_of_Basic_Income_in_the_Finnish_Political_Debate_1980_2016">l’objectif du revenu de base</a> pour la société : s’il s’agit d’encourager l’emploi ou de faciliter une transformation du rôle du travail rémunéré dans la société tout entière.</p>
<h2>Objectifs de transformation ?</h2>
<p>Un effet frappant de la crise Covid-19 est la façon dont elle change déjà la façon dont la société perçoit les prestations de l’État. Lorsque l’ancien secrétaire d’État britannique au travail a critiqué le soutien au revenu des coronavirus, affirmant qu’il aurait un effet <a href="https://www.independent.co.uk/news/uk/politics/coronavirus-uk-update-universal-basic-income-iain-duncan-smith-a9411251.html">« dissuasif sur le travail »</a>, les commentateurs se sont empressés de noter que, dans ce cas, la dissuasion au travail est <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/26/universal-basic-income-help-self-employed">précisément le but recherché</a>. Aujourd’hui, certains travailleurs sont <a href="https://www.nytimes.com/2020/03/06/business/europe-coronavirus-labor-help.html">« payés pour rester à la maison »</a> pour le bien de la santé publique.</p>
<p>Comme la pandémie oblige pour la première fois de <a href="https://www.euronews.com/2020/03/31/coronavirus-in-europe-one-million-job-losses-in-two-weeks-is-tip-of-the-iceberg">vastes pans de la population</a> active à dépendre du soutien au revenu de l’État, on peut s’attendre à une érosion des barrières psychologiques à l’acceptation de <a href="https://www.jacobinmag.com/2019/12/basic-income-finland-experiment-kela">« l’aumône »</a> et à une remise en question de la signification de ces transferts.</p>
<p>Peut-être cela ouvre-t-il la porte à l’examen d’autres objectifs sociaux qu’un revenu de base pourrait servir, comme donner aux citoyens le temps de <a href="https://www.vox.com/future-perfect/2020/3/24/21188779/mutual-aid-coronavirus-covid-19-volunteering">s’occuper les uns des autres</a>, de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/feb/12/universal-basic-income-work-finland-experiment-payments">réduire le rôle du travail rémunéré</a> dans leur vie, et de réduire les activités qui nuisent à <a href="https://www.bbc.com/future/article/20200326-covid-19-the-impact-of-coronavirus-on-the-environment">l’environnement</a>.</p>
<hr>
<p><em>Priya Srinivasan a contribué à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135883/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour mettre en place un revenu universel, des changements seraient nécessaires en termes de soutien public et politique. La pandémie de Covid-19 pourrait-elle faire basculer la donne ?Mark Smith, Dean of Faculty & Professor of Human Resource Management, Grenoble École de Management (GEM)Genevieve Shanahan, Etudiante PhD, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1292482020-01-07T19:32:59Z2020-01-07T19:32:59ZÀ Madagascar, l’accaparement des terres peut prendre des formes diverses<p>En Afrique subsaharienne et à Madagascar, le phénomène d’accaparement des terres est apparu tardivement, car le droit foncier coutumier – qui reposait sur une appropriation collective de la terre – ne permettait pas les transactions privées, avant que la Banque mondiale n’impose, à partir des années 1990, des réformes foncières introduisant la propriété privée individuelle dans un monde paysan qui ignorait largement ce nouveau concept.</p>
<p>C’est sans doute à Madagascar que ce basculement a été le plus spectaculaire, puisque le groupe sud-coréen Daewoo avait entrepris en 2008 de s’y faire attribuer 1 300 000 hectares de terres cultivables. La colère paysanne avait alors abouti au renversement en mars 2009 du président de la République de l’époque, Marc Ravalomanana, et au <a href="https://agritrop.cirad.fr/556661/">retrait de Daewoo</a>.</p>
<p>Au cours des dix années qui se sont écoulées depuis, les transactions portant sur les terres agricoles malgaches n’ont jamais atteint de telles superficies, mais elles ont continué à prospérer. Pour autant, le terme anglo-saxon <em>land grabbing</em> ne semble pas s’appliquer dans la mesure où sa définition – « prise de contrôle de terres agricoles d’un pays par des investisseurs étrangers » – ne correspond pas exactement aux réalités sur lesquelles nous avons travaillé lors d’un récent séjour sur le terrain. Trois cas de figure très différents ont ainsi été étudiés.</p>
<h2>Octroi de terres riches en minéraux à une entreprise privée étrangère</h2>
<p>On sait depuis longtemps que Madagascar est riche en sables minéralisés. Le groupe canadien Rio Tinto, qui s’intéresse particulièrement à l’ilménite, avait ciblé depuis 1998 la région de Taolagnaro (Fort-Dauphin) pour y lancer une exploitation de grande ampleur. Des <a href="http://www.ejolt.org/2013/03/rio-tinto-in-madagascar-15-activists-arrested/">manifestations</a> parfois violentes avaient retardé le chantier mais tout était rentré « dans l’ordre » avec notamment la construction d’un port dédié à Ehoala.</p>
<p>Une opération similaire a donc été entreprise en 2018 dans l’arrière-pays de Toliara (Tuléar), au sud-ouest de la Grande Île, par le groupe australien Base Resources. Il souhaite exploiter l’ilménite, le zircon et le rutile, par le biais d’une société de droit malgache nommée <a href="http://toliarasands.com/fr/">Base Toliara</a> à qui a été concédée une zone de 7 000 hectares.</p>
<p>Une enquête très précise a identifié 1 020 paysans de l’ethnie masikoro détenteurs de parcelles concernés par l’emprise minière. Ceux-ci se sont <a href="https://fr.mongabay.com/2019/09/un-projet-dexploitation-miniere-a-madagascar-declenche-des-manifestations-et-divise-la-communaute/">mobilisés avec détermination</a> en avril 2019, allant jusqu’à incendier l’antenne de Base Toliara située dans le village de Ranobe, et neuf manifestants avaient été emprisonnés.</p>
<p>Lors de notre passage à Ranobe en octobre 2019, l’ambiance était encore très tendue, mais quelques symboles de l’exploitant minier étaient toujours visibles et apparemment tolérés.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308266/original/file-20191228-11896-1et96s9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans le village de Ranobé, le projet « Base Toliara » sait communiquer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Bouquet</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Les paysans rencontrés n’ont pas souhaité s’étendre sur la nature de leur mécontentement, évoquant simplement sans les détailler les revendications exposées par les collectifs de défense : atteintes aux cultures et à l’habitat, offenses aux tombeaux et risques sanitaires.</p>
<p>Nous sommes donc allés questionner à Tuléar un responsable de l’entreprise Base Toliara afin de connaître le point de vue de l’opérateur économique. Celui-ci nous a clairement expliqué qu’un plan d’action en cours visait à identifier les « propriétaires », à estimer le montant de l’indemnisation, et à rédiger un accord. Le responsable a insisté sur le fait qu’aucun habitat n’était touché, et qu’il n’y aurait donc aucune délocalisation, affirmant que les seules terres concernées étaient du « bush », utilisé comme pâture pour les animaux. Ses dires semblaient conformes à nos propres observations sur le terrain, car nous n’avons repéré ni villages ni cultures sur la zone minière proprement dite.</p>
<p>Il apparaît que les négociations avec les paysans masikoro sont finalement relativement avancées. Il demeure néanmoins une inquiétude : comment parviendra-t-on à restaurer les sols à l’identique dans vingt ou trente ans lorsque les opérations d’extraction seront terminées ?</p>
<p>Pour le reste, la contestation sera difficile à soutenir, sauf à imaginer qu’on souhaite figer le mode de vie et de production des populations masikoro dans une sorte de conservationnisme sanctuarisé au motif qu’il ne faut pas bousculer les équilibres ancestraux. Il sera intéressant de suivre dans les prochains mois l’évolution de ce dossier parce que l’État malgache, au motif qu’il doit réformer le code minier, a <a href="https://www.business-humanrights.org/en/node/198602">suspendu les activités de Base Toliara</a> le 6 novembre 2019.</p>
<h2>Mainmise d'un ancien ministre sur des terres fertiles</h2>
<p>À l’ouest d’Antananarivo, un ancien dignitaire du régime conteste à 300 paysans l’occupation de près de 600 hectares de terres très fertiles</p>
<p>À la périphérie nord de Soavinandriana, la petite plaine en forme de cuvette d’Ampalaha est le théâtre d’un conflit foncier d’une autre nature. Il s’agit d’un héritage mal conduit de la période coloniale.</p>
<p>En effet, avant l’indépendance de Madagascar (1960), une grande partie des riches terres volcaniques de cette région de l’Itasy étaient exploitées par des sociétés privées, et autour de Soavinandriana, c’est la culture de l’aleurite qui avait été développée pour l’exploitation de l’huile de bancoulier, très prisée à l’époque, notamment pour les moteurs.</p>
<p>À l’indépendance, ces grandes propriétés ont été remises en question, et abandonné par les colons, notamment lorsque Didier Ratsiraka (« l’Amiral rouge ») a pris le pouvoir en 1975. À ce moment-là les paysans, souvent d’anciens travailleurs agricoles des grandes sociétés huilières, ont occupé les terres mais n’ont pas conservé les bancouliers.</p>
<p>Ces terres ont alors été considérées comme « nationalisées » par le régime de Ratsiraka, puis « récupérées légalement » par certains dignitaires du régime, dont un ancien ministre, qui a fait borner l’emprise en 1988. Celui-ci n’ayant développé aucune activité agricole sur place jusqu’en 2005, les paysans – environ 300 familles – ont considéré qu’ils étaient chez eux et que ces champs étaient les leurs. Chaque année, ils exploitent du maïs selon des méthodes certes extensives, mais ils n’ont pas d’autre moyen de survie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308267/original/file-20191228-11951-1n3qzy9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans la plaine d’Ampalaha, les paysans continuent à occuper les terres contestées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Bouquet</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Depuis 2005, les procès se succèdent, généralement à l’avantage du notable qui menace de niveler la plaine au bulldozer pour y planter un immense verger de litchis, mais qui pour l’heure n’est pas passé à l’acte. Plusieurs collectifs de défense encadrent les mobilisations populaires de soutien, mais force est de constater que les familles paysannes concernées ne pèsent pas lourd face à un dignitaire fort bien replacé dans le nouveau régime.</p>
<p>Depuis plusieurs années, je me rends régulièrement dans cette zone et j’ai pris l’attache de tous les acteurs (maire, député, préfet, leaders paysans, avocats, collectifs de défense, ainsi que l’ancien ministre et son fils, haut placé dans le système actuel) pour essayer de démêler le tricotage juridique qui a conduit à la présente situation. Celle-ci n’est guère favorable aux petits exploitants. Si la justice les confortait dans leur occupation des terres, leur modèle de production resterait trop extensif pour avoir un avenir. En effet, cette plaine d’Ampalaha présente une topographie parfaite pour devenir un latifundium : c’est une cuvette à peine incurvée sur laquelle des machines modernes auraient tôt fait de tout labourer d’un coup, de semer et de récolter avec une main-d’œuvre de seulement quelques hommes, et avec des rendements sensiblement plus élevés. Mais quid des 300 familles ?</p>
<p>Et si un arrangement amiable conduisait à une indemnisation, ces familles devraient également partir. Nous sommes donc en présence d’un exemple d’accaparement de terres qui semble simple à dénoncer en première lecture, puis qui se révèle sensiblement plus complexe au fur et à mesure qu’on approfondit les différents éléments du dossier. Par ailleurs, le conflit étant malgacho-malgache, il ne s’agit plus de <em>land grabbing</em>.</p>
<h2>Quand l’État cherche à réquisitionner des terres pour un grand projet urbain</h2>
<p>À proximité d’Antananarivo, l’État souhaite préempter 1 000 hectares de rizières pour y construire une ville nouvelle destinée à désengorger Antananarivo</p>
<p>Parmi les grands chantiers entrepris par le nouveau président Andry Rajoelina figure en bonne place un projet de délocalisation partielle de la capitale Antananarivo au profit d’une ville nouvelle, nommée Tana Masoandro (« Rayon de soleil »), qui serait implantée à environ quinze kilomètres au nord-ouest et en aval de l’actuelle métropole sur la rive gauche de la rivière Ikopa.</p>
<p>À l’évidence, le besoin de trouver une solution aux problèmes de circulation que connaît Tana depuis une vingtaine d’années était devenu impératif. L’idée de déconcentrer la capitale et l’ensemble de l’agglomération (qui compte 8 millions d’habitants en 2020) était déjà dans l’air dans les années 1990, car la ville souffre d’une topographie et d’un habitat qui laissent peu de place pour le percement de grandes artères.</p>
<p>L’État malgache envisage donc de réquisitionner 1 000 hectares de terres entre les communes d’Ambohidrapeto et d’Ambohitrimanjaka. Dans un premier temps, 300 hectares seront remblayés et aménagés pour recevoir plusieurs dizaines de milliers de logements, ainsi que des bâtiments administratifs où seront relocalisés la plupart des ministères. Des centres d’affaires et des hôtels seront également ouverts pour que cette ville nouvelle devienne rapidement le poumon économique de la capitale.</p>
<p>Naturellement, les détenteurs des rizières qui occupent actuellement la zone impactée se sont mobilisés et entendent faire valoir leurs droits, invoquant leur présence sur place de longue date, leur activité agricole menacée, et les tombeaux de leurs ancêtres, ce qui est tout à fait légitime. Des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/madagascar/madagascar-la-fronde-des-opposants-a-tana-masoandro-ville-nouvelle-voulue-par-le-president-rajoelina_3675071.html">manifestations</a> ont eu lieu, dont l’une fut violente et fit plusieurs blessés en octobre 2019.</p>
<p>Sur le terrain, l’observation du géographe conduit à un point de vue plus nuancé. En effet, s’il est vrai qu’un certain nombre de rizières sont actives et exploitées par ces cultivateurs dont on connaît le savoir-faire, beaucoup sont déjà asséchées et connaissent le sort de toutes les rizières proches des grandes villes : elles sont devenues des gisements d’argile pour la fabrication de briques cuites. Les briqueteries, avec leur odeur âcre, font désormais partie des paysages péri-urbains malgaches, et leur caractère informel ne simplifie par les projets d’aménagement du territoire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308268/original/file-20191228-11891-14kwbo7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Madagascar, les rizières péri-urbaines sont souvent transformées en briqueteries. Ici en périphérie d’Antananarivo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Bouquet</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Tana Masoandro illustre donc une autre forme d’accaparement des terres, déjà observée à <a href="https://www.bbc.com/news/world-africa-18646243">Kilamba</a> (Angola) ou à <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/22/a-ouaga-2000-c-est-marbre-colonnes-et-balustrades-a-gogo_5492260_3212.html">Ouaga 2000</a> (Burkina Faso). Les opérations de « déguerpissement » butent alors sur un droit foncier coutumier (urbain et rural) qui ne relève pas tout à fait du droit dit « moderne », dans lequel la question de la propriété privée individuelle de la terre ne se poserait pas, et où l’État disposerait d’un droit de préemption clair assorti d’indemnisations généralement convaincantes. À Tana Masoandro, nous sommes en présence d’une forme d’accaparement des terres déclenchée par l’État pour des raisons qui semblent rejoindre l’intérêt général, voire l’intérêt supérieur du pays. Mais plusieurs centaines de petits paysans, peu sécurisés au plan juridique, risquent d’en faire les frais.</p>
<h2>Peut-on accaparer des terres pour de bonnes raisons ?</h2>
<p>À Madagascar, plusieurs milliers d’hectares de terres sont donc respectivement convoités par une entreprise étrangère à côté de Tuléar, par un dignitaire du régime dans l’Itasy, et par l’État malgache à la périphérie de la capitale Antananarivo. Les trois cas de figure sont différents. À Tuléar, une société australienne veut extraire l’ilménite et – d’une certaine manière – transformer les cultivateurs locaux en salariés d’une exploitation minière. En Itasy, des paysans pratiquant une agriculture extensive et peu productive sont menacés par un projet relevant de l’agro-business, conduit par un Malgache aisé. À Antananarivo, c’est l’État qui souhaite aménager son territoire urbain dans le sens de l’intérêt public.</p>
<p>Dans les trois lieux, des manifestations de protestation ont été organisées, parfois violentes et suivies d’emprisonnements. Toutefois, ainsi qu’on a tenté de le montrer, les trois situations sont inégalement défendables. Et l’injustice la plus criante – celle qui concerne les paysans d’Ampalaha – sera sans doute la plus facilement étouffée. Rien n’a changé depuis Jean de la Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir… »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129248/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En divers lieux de Madagascar, des terres occupées par de petits paysans font l’objet de convoitise. L’étude de trois cas de figure différents met en évidence la complexité des processus à l’œuvre.Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/989972018-06-28T21:58:52Z2018-06-28T21:58:52ZSNCF : paysage syndical à la fin de la bataille<p>Si le syndicalisme en France a souvent pour réflexe la culture de l’affrontement, c’est encore plus vrai pour les cheminots, véritable bastion de la conflictualité.</p>
<p>Fort d’un paysage syndical porté majoritairement depuis plus de 20 ans par des organisations syndicales contestataires (CGT–Sud Rail), la SNCF éprouve des difficultés à progresser vers la culture du compromis et la négociation « gagnant-gagnant ». Les jeux de postures restent farouchement ancrés dans les usages, tant du côté d’une direction qui se fait le jeu de cet affrontement que du côté des organisations syndicales, en raison, notamment des enjeux électoraux et des moyens dédiés au droit syndical. Avant d’imaginer un dialogue social partagé, les parties prenantes doivent, semble-t-il, apprendre à se parler.</p>
<p>Maintenant que la loi sur la réforme ferroviaire a été votée, l’heure est au premier constat : y a-t-il des perdants et des gagnants parmi les organisations syndicales ? Ni l’un, ni l’autre, juste un rendez-vous manqué vers des relations sociales pacifiées devenues pourtant indispensables.</p>
<p>Mais si la première étape est franchie, il en reste deux autres : la négociation de la convention collective de branche du ferroviaire et le déploiement de la réforme au sein de l’entreprise. Espérons que chacun des partenaires sociaux puisse avancer davantage dans le dialogue que dans le conflit, en prenant en compte les intérêts des cheminots.</p>
<h2>Un bastion syndical redoutable… et redouté</h2>
<p>Du haut de ses 80 ans (décret du 31 août 1937), la SNCF passe du statut de société anonyme d’économie mixte (SAEM) à un établissement public industriel et commercial (EPIC) en 1983 et à triple EPIC – « SNCF siège », « SNCF mobilité » et « SNCF réseau » le 4 août 2014 et, à horizon 2020, à une société anonyme à capitaux publics avec titres incessibles. Preuve en est que la SNCF sait se transformer.</p>
<p>À son bord, des cheminots, militants et combatifs, faisant de la SNCF un véritable <a href="http://www.stacian.com/les-conflits-sociaux-de-la-sncf-depuis-1947/">bastion syndical redoutable, et redouté</a>, ayant une tradition du rapport de force dans le conflit. Fort de cette réputation, on observe, à travers l’histoire que le syndicalisme de contestation n’est pas un vain mot à la SNCF. Il compte beaucoup pour les cheminots qui n’hésitent pas à se mobiliser dès lors que l’on touche à leur entreprise.</p>
<p>Et même si le nombre de journées perdues en raison des conflits sociaux est bien différent des années 1953 (7,53 journées par agent), 1968 (14,63) et 1995 (5,82), la propension à se mobiliser reste élevée quand les enjeux sont de taille. La mobilisation à la SNCF dépasse de très loin, la <a href="http://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-065.pdf">conflictualité du secteur privé</a> qui atteint péniblement en 2015 : 0,07 jour de grève/salarié.</p>
<p>Les thèmes de mobilisation sont récurrents et la solidarité syndicale (intersyndicale CGT–Sud Solidaires, UNSA–CFDT) est de mise dès lors que l’on touche à certains thèmes classiques comme l’emploi, la réorganisation ou les restructurations, la retraite étant celui qui demeure largement devant (1 054 920 journées perdues en 1995 et 572 161 en 2010). Le reste du temps, la CGT et Sud Rail restent très mobilisés sur des questions de pouvoir d’achat, d’emploi, d’organisation du travail et de discrimination syndicale.</p>
<p>Si le conflit est le mode de régulation principal pour les militants CGT et Sud-Rail, il ne fait plus autant recette auprès de certains cheminots qui courtisent de plus en plus les organisations syndicales réformistes comme l’UNSA, la CFDT et la CGT-FO qui alternent entre négociation et mobilisation. La <a href="http://www.vie-publique.fr/actualite/panorama/texte-vote/loi-du-20-aout-2008-portant-renovation-democratie-sociale-reforme-du-temps-travail.html">réforme de la représentativité du 20 août 2008</a> et les dernières ordonnances Macron exigent désormais un dialogue social d’entreprise de plus en plus riche et la signature d’accords collectifs majoritaires.</p>
<h2>Une méthode innovante qui a peu payé</h2>
<p>Le conflit de la SNCF s’inscrit dans la triste tradition historique des occasions manquées de la démocratie sociale. 38 jours de mobilisation – le conflit du rail le plus long et le plus massif depuis 1995 – n’ont pas suffi à inverser la volonté du gouvernement dans son projet de réforme « pour un nouveau pacte ferroviaire ».</p>
<p>Adopté le 13 juin 2018 en dernière lecture à l’Assemblée nationale par 452 voix pour, 80 contre et 27 abstentions, il convient désormais de le mettre en œuvre. Autrement dit, de transformer la SNCF en société anonyme, de l’ouvrir à la concurrence et de faire disparaître petit à petit le statut des cheminots.</p>
<p>Le gouvernement est serein : objectif atteint. Les syndicats, eux, ne décolèrent pas et continuent leur mobilisation.</p>
<p>Jusqu’au-boutiste ? Aucunement : stratégie de politique interne, les élections professionnelles de la SNCF devant intervenir en fin d’année, chacun fait campagne. La CGT et Sud Rail préparent le coup d’après en faisant pression par la mobilisation en vue de la négociation de la future convention collective de la branche du ferroviaire et de la mise en œuvre de la réforme désormais votée. De leur côté, l’UNSA et la CFDT se préparent à entrer en négociation tout en maintenant la menace de la poursuite de la mobilisation.</p>
<h2>Premier round : un jeu de postures</h2>
<p>Le premier round consistait à faire pression dans les débats législatifs, c’est-à-dire mobiliser et manifester son opposition à la réforme du gouvernement, tout comme sur les parlementaires, en espérant un large soutien de l’opinion.</p>
<p>L’intersyndicale CGT-UNSA-CFDT et Sud Rail optaient, à la mi-mars, pour une grève massive et durable en établissant un calendrier « anti-réforme » au rythme de 2 jours de grève et 3 jours de travail, pendant 3 mois. Soit 18 vagues s’étalant du 3 avril au 28 juin.</p>
<p>Soutenus par l’opinion et aidés financièrement <a href="https://www.leetchi.com/c/solidarite-avec-les-cheminots-grevistes-31978353">par quelques intellectuels</a> allant constituer une cagnotte « solidarité avec les cheminots grévistes » (1 267 470 millions d’euros et 31 127 participants au 27 juin 2018), <a href="https://www.cheminotcgt.fr/wp-content/uploads/2018/05/20180509_tract_unitaire_vot-action.pdf">relancés par un « vot’action »</a>,une consultation sans forme particulière et légale, organisée par l’intersyndicale courant mai, les voyants étaient au vert. Mais le gouvernement restait sur ses positions de non-ingérence des corps intermédiaires dans le débat législatif, sauf à les recevoir pour des réunions d’information plus que de véritables concertations, les trois impératifs de la réforme restant intouchables – transformation de la société (SA), ouverture à la concurrence et arrêt du recrutement au statut à compter de 2020.</p>
<p>Si les cheminots soutenaient moralement et financièrement l’opposition à cette réforme, le taux de participation des grévistes diminuait peu à peu, passant de 33,9 % (dont 77 % de conducteurs et 69 % de contrôleurs) le 3 avril à 10,80 % le 18 juin (43 % de conducteurs et 38 % de contrôleurs) selon la direction de la SNCF. Il fallait être réactif et trouver d’autres solutions innovantes. Il convenait de peser autrement dans le débat. Il fallait dialoguer. Une fenêtre s’étant ouverte, mi-mai, du côté de la ministre des Transports, Élisabeth Borne, l’occasion était offerte de faire bouger les lignes.</p>
<p>Voici en quelques mots, le résumé du premier round (mars-juin), où nous avons été les témoins forcés d’un jeu de posture entre un gouvernement peu enclin dans la production d’un véritable dialogue et des organisations syndicales unies en intersyndicale, au départ fermement opposées à la réforme et à l’arrivée, mises devant le fait accompli et n’ayant pu recevoir que de maigres concessions de certains sénateurs.</p>
<h2>Deuxième round : réouverture de la négociation, avec d’autres acteurs</h2>
<p>Le deuxième round, amorcé par une première réunion entre l’État et les organisations syndicales, le 15 juin dernier, consiste dans la réouverture de la négociation de la convention collective du ferroviaire commencée en 2014. Cette négociation a pour objectif d’anticiper l’arrivée de la concurrence et de fonder un cadre commun à toutes les entreprises du rail. Les négociations ont été interrompues suite au <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000036708397&type=general">projet de réforme du rail</a> pourtant non prévu dans le calendrier des réformes d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Ce qui est intéressant dans ce deuxième round, c’est que nous sommes à un niveau différent de dialogue où les acteurs ne sont plus les mêmes. La négociation collective de branche qui s’ouvre se joue entre l’UTP (l’organisation patronale de l’Union des transports publics et ferroviaires) et les organisations représentatives dans la branche – CGT (34,49 %), UNSA (24 %), Union syndicale Solidaires (16,87 %), CFDT (15,39 %) et la CGT-FO (9,25 %) qui entre désormais dans la danse. Les cartes sont distribuées, le calendrier de négociation est attendu.</p>
<p>Si le combat politique, hautement symbolique pour le gouvernement, de cette réforme SNCF sur l’autel d’une démocratie sociale mise à mal a été remporté par le vote de la loi, il laisse un climat délétère pour ré-entamer les négociations de cette convention collective du ferroviaire.</p>
<p>Même si le bloc réformiste UNSA-CFDT représente plus de 30 %, nécessaire à la signature des accords de branche, la CFDT a indiqué dans <a href="http://www.cfdt-transports-environnement.fr/lettre-ouverte-aux-cheminots">ses récents communiqués de presse</a> qu’elle agirait en acteur responsable et tenterait, avec l’UNSA, d’imposer une convention collective la plus protectrice possible pour conserver les éléments du contrat social du statut des cheminots. Les cinq organisations syndicales négociatrices devront faire face à une organisation patronale particulièrement hostile à cette idée. Quant au gouvernement, il devrait éviter de s’immiscer (du moins officiellement) dans cette négociation.</p>
<p>Pendant ce temps, et pour continuer à peser de façon conflictuelle sur les négociations de branche, l’unité d’action d’une intersyndicale CGT- Sud-Rail propose de poursuivre la mobilisation pendant certains jours au cours de l’été, <a href="https://www.cheminotcgt.fr/actions/action-a-partir-des-3-et-4-avril-2018/info-luttes-n48/">notamment lors des départs en vacances</a> qui s’annoncent ou lors des rendez-vous importants fixés avec la direction.</p>
<h2>Troisème round : une mise en œuvre de la réforme qui s’annonce conflictuelle</h2>
<p>Le troisième round, probablement à compter de septembre et pour quelques années, correspond à celui de la mise en œuvre effective de la réforme au niveau de l’organisation de l’entreprise. Pour que cette réforme puisse se réaliser concrètement, il faut compter sur la capacité des salariés et de la ligne managériale à s’impliquer dans les changements. Les cheminots y sont-ils préparés ? Sont-ils prêts ?</p>
<p>Du côté des instances représentatives du personnel et des organisations syndicales, la mise en application de cette réforme du ferroviaire se traduit par la signature d’accords collectifs sur la nouvelle organisation. Avec, pour le moment, des organisations syndicales remontées et des cheminots quelque peu frustrés, le temps du dialogue social risque de se réaliser sur fond de contestation, dans un climat plutôt tendu.</p>
<p>Comment dans ces conditions faire émerger un pôle réformiste constructif et accompagnateur des transformations de l’entreprise ?</p>
<h2>Entre conflictualité en baisse et recomposition syndicale</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225115/original/file-20180627-112601-196j3rs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>La conflictualité va de pair avec l’intensité du dialogue social</h2>
<p>Comme nous avons pu le voir lors de ce conflit, la première sortie de crise est venue du pas de côté réalisé par la CFDT et l’UNSA, qui ont rouvert les discussions avec le gouvernement et les sénateurs pour tenter une sortie honorable avec des avantages négociés pour les cheminots.</p>
<p>Ces deux organisations à tendance « réformistes », qui préfèrent généralement le dialogue à la contestation, disposent des clés du changement des relations sociales à la SNCF, la CGT-FO n’étant pour le moment pas représentative à la SNCF. Mais pendant les campagnes des élections professionnelles, comme c’est le cas actuellement, les pressions sont fortes, les adhérents exigeants et les sympathisants inconstants.</p>
<p>Même si, comme en témoigne le tableau ci-dessus, la conflictualité ne fait plus recette, le dialogue social de façade n’est pas la solution non plus. Le conflit s’exerce à la SNCF, sur fond de division et de compétition syndicale, forçant des alliances inédites et non désirées qui ne durent que le temps d’un rapport de force puissant visant à faire tomber la direction.</p>
<p>Par conséquent, les marges de manœuvre sont réduites pour les organisations syndicales qui souhaiteraient construire, avec la direction (et vice-versa), une culture des relations sociales plus apaisées. Des organisations syndicales comme l’UNSA et la CFDT doivent obligatoirement se constituer un pré carré solide et gagner des points aux élections grâce à la signature de bons accords mais également par le jeu d’alliance avec la CGT sur certaines mobilisations.</p>
<p>N’oublions pas qu’historiquement, à la SNCF, les relations sociales étaient basées sur un agenda social conçu par les syndicats contestataires via des préavis de grève. La route vers la construction d’une culture du compromis sera longue.</p>
<p>Les cheminots, sont-ils prêts, sont-ils matures pour entrer dans une culture des relations sociales moins conflictuelle et davantage accompagnatrice des projets de transformation ? Pas si sûr, car le tableau nous indique également que la CGT maintient son audience quand elle sait tirer profit des bénéfices des mouvements sociaux (1996, 2004 sur la question des retraites) et ce, au détriment de la CFDT. Les adhérents CGT veillent également à ce que la fédération « CGT Cheminots » ne s’aligne pas trop sur la confédération CGT qu’ils estiment moins radicale et plus réformiste.</p>
<p>Les organisations syndicales contestataires (CGT – Sud Rail) savent s’unir, mais savent aussi qu’elles sont rivales sur le champ des élections professionnelles. D’ailleurs, depuis 1999, les jeunes ont tendance à reporter leur voix ailleurs qu’à la CGT, notamment chez Sud-Rail.</p>
<h2>Une porte de sortie ? L’évolution vers des relations sociales apaisées exigée par la loi, notamment les ordonnances Macron</h2>
<p>Les réformes sociales successives ont permis d’inverser cette tendance contestataire à partir de 2009. La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail bouleverse la façon de penser les relations sociales, tant du côté des organisations syndicales que de celui des équipes de direction et des Directions des ressources humaines.</p>
<p>En effet, la loi fixe un seuil en de ça duquel la représentativité d’une organisation ne peut être établie : 10 % dans les entreprises, 8 % dans les branches, et 8 % au niveau interprofessionnel. L’audience syndicale aux élections professionnelles devient un véritable enjeu pour les organisations syndicales et pour les directions.</p>
<p>La loi prévoit également que les accords collectifs, pour être validés, sont subordonnés à la signature d’un ou plusieurs syndicats ayant recueilli seul ou ensemble au moins 30 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles et à l’absence d’une opposition venant des syndicats ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés.</p>
<p>Avec un paysage, largement porté jusqu’en 2009 par les organisations syndicales contestataires, la CGT et Sud Rail réalisant plus de 50 % à elles deux et la CGT-FO, la CFE-CGC et la CFTC étant éliminées du jeu des négociations d’entreprise, la recomposition du paysage syndical est indispensable à la SNCF pour pouvoir remettre de l’huile dans les rouages de la négociation collective.</p>
<p>À titre d’illustration, à la suite du scrutin de 2009, le pôle réformiste représentatif constitué par l’UNSA et la CFDT réalisait 29,65 %, soit moins de 30 % nécessaire pour engager, à eux deux, la signature d’accords collectifs d’entreprise. Le gel des négociations, entre 2009 et 2011, plongeait alors la SNCF dans une impossibilité de se transformer, si d’autres organisations (CGT, Sud-rail) n’étaient pas là pour signer.</p>
<p>À compter du 1<sup>er</sup> mai 2018, les ordonnances Macron achèvent le dispositif. En exigeant la signature d’accords majoritaires (50 % au lieu de 30 %), elles signent à la SNCF, la quasi-impossibilité, au niveau de l’entreprise, en l’état du paysage syndical actuel, de développer une véritable culture de la négociation collective, sauf à chacun de s’engager dans la voie d’un dialogue social sincère et d’un syndicalisme de propositions avec des partenaires forts et indépendants.</p>
<h2>L’enjeu crucial des élections professionnelles de fin d’année</h2>
<p>Les enjeux des élections professionnelles de cette fin d’année sont majeurs pour les suites à donner à la nouvelle culture des relations sociales au sein de la SNCF. Il convient de dépasser les postures et les tensions entre un syndicalisme partenaire-intégré et un syndicalisme contestataire.</p>
<p>La CGT ne fait pas du jusqu’au-boutisme, elle évite, sur le registre d’une conflictualité « maîtrisée » et autant que faire se peut le transfert des voix de ses électeurs vers Sud-Rail.</p>
<p>La CFDT doit continuer à progresser et à faire de la pédagogie auprès de ses adhérents sur les avantages du dialogue social. Son union avec la FGAAC (syndicat catégoriel des conducteurs de train) a été une première étape.</p>
<p>La CGT-FO doit, si elle souhaite rejoindre la table des négociations, continuer à progresser.</p>
<p>Les deux syndicats « maison » – Sud Rail, proche du personnel d’exécution, et l’UNSA, proche de la maîtrise cheminot – se maintiennent ou progressent sous une expression davantage catégorielle en exerçant un syndicalisme de proximité qui fonctionne plutôt bien, chacun dans son registre, contestataire ou réformiste.</p>
<p>La CFTC et la CFE-CGC sont, quant à elles, désormais absentes du paysage syndical, au niveau national.</p>
<p>Il ne semble y avoir ni gagnant, ni perdant parmi les organisations syndicales, il reste un grand chantier d’une culture des relations sociales à réinventer et des enjeux électoraux lourds de sens pour chacune des organisations syndicales et pour la direction SNCF qui devrait travailler à davantage de transparence, de reconnaissance et d’ouverture au dialogue.</p>
<p>Enfin, ce conflit souligne malheureusement encore, combien, il est difficile, à la SNCF, de se parler.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98997/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Matteudi est directrice d'ADDS (Art du Dialogue Social). </span></em></p>Y a-t-il des gagnants et des perdants parmi les organisations syndicales ? Ni l’un, ni l’autre. Juste un rendez-vous manqué vers des relations sociales pacifiées au sein de la SNCF.Stéphanie Matteudi-Lecocq, Enseignante. Chercheuse au LEREDS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/892212017-12-21T21:41:57Z2017-12-21T21:41:57Z« Prière de gérer la religion dans le contexte du travail » : des petits pas pour de grandes avancées ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/199426/original/file-20171215-17857-1njszwn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p>L’enjeu n’est plus aujourd’hui de savoir s’il faut gérer le fait religieux dans le contexte du travail mais de savoir <em>comment</em> le gérer. Il semble en effet que nous soyons entrés dans une nouvelle ère, synonyme d’un nombre croissant d’entreprises actives et/ou anticipatrices sur le sujet de la religion au travail, et au contraire en nombre réduit dans une posture dénégative.</p>
<p>Plus précisément, l’enjeu est de faire en sorte que tous les salariés sachent appréhender sereinement ce type de situations, et ce, de la manière la plus homogène possible.</p>
<p>Ces premiers constats, issus de la 2<sup>e</sup> édition du Club de l’ANVIE « Faits religieux, identités et diversité », nous conduisent à analyser les motifs et les conséquences de ces changements observés <a href="https://theconversation.com/comment-apprehender-le-fait-religieux-dans-les-entreprises-73888">entre 2016 et 2017</a>.</p>
<h2>Cessons de nous voiler la face : la nécessité de gérer la religion au travail</h2>
<p>Les croyances religieuses dans le contexte du travail ne sont plus mises sous le tapis dans les entreprises. Plusieurs phénomènes concourent à cette prise de conscience collective.</p>
<p><strong>Des évolutions juridiques</strong></p>
<p>L’article 1 bis de la Loi El Khomri (2016) a ravivé le débat auprès de nombreuses parties prenantes liées à ce sujet. Loin de représenter LA solution pour les entreprises comme nous le <a href="https://theconversation.com/non-le-droit-ne-peut-tout-regler-en-matiere-de-religion-en-entreprise-75160">précisions précédemment</a>, cet article est dans le meilleur des cas considéré comme une possibilité d’ouvrir le dialogue social, et dans le pire des cas vu comme inutile voire problématique. Dans tous les cas, il invite à penser le sujet et à évaluer la possibilité d’introduire, assortie de très nombreuses précautions, la neutralité dans le règlement intérieur.</p>
<p>Les arrêts de la CJUE et des Cours de Cassation française et belge en 2017, suite aux recours des salariées voilées chez G4S et Micropole Univers, ont apporté de leur côté de nouveaux éléments de réponses avec une même ligne directrice. En substance, pour ne pas être discriminatoire, directement et indirectement, l’interdiction d’un signe religieux doit résulter d’une règle interne générale et systématique dans l’entreprise. Edictée en amont, elle doit correspondre à des exigences professionnelles du poste (principalement des relations avec la clientèle) et à un objectif légitime, ne survenir qu’après avoir considéré toutes les possibilités de reclassement interne.</p>
<p>Ces décisions de justice introduisent la possibilité de limiter, par une règle interne, les manifestations de convictions religieuses (également philosophiques et politiques), et précisent les conditions nécessaires pour légitimer les limites posées à la liberté de croire et de manifester sa croyance. Si elles restent réduites par l’empilement des conditions nécessaires à leur application, ces avancées juridiques ont le mérite, non seulement d’installer le sujet dans le débat public, mais aussi d’engager les discussions dans les entreprises sur les opportunités et menaces associées.</p>
<p><strong>Des nouveaux cas sensibles à gérer</strong></p>
<p>A côté des demandes que l’on pourrait qualifier de classiques, relatives aux menus, aux tenues vestimentaires, aux temps de travail, ont émergé de nouvelles revendications et postures de salariés. Des hommes qui ne souhaitant plus serrer la main ou recevoir de directives de leurs collègues féminines voire refusent de s’asseoir sur une chaise précédemment occupée par une femme ; des cas de radicalisation associés à des comportements ou des propos extrêmes dans les relations de travail ; des détournements de vêtements (djellabas, bérets) ou de lieux communs (avec des chants religieux à la cantine ou l’utilisation de salles pour prier). Des groupes de salariés, sous couvert de section syndicale, installent du communautarisme dans leur entreprise et concentrent leurs revendications sur des questions religieuses.</p>
<p>Tous ces « nouveaux » cas ne peuvent évidemment pas être ignorés. Ils nécessitent surtout de trouver des voies de réponses claires et homogènes, pour limiter « l’effet de levier » de ces demandes.</p>
<p><strong>La médiatisation croissante</strong></p>
<p>Tant les évolutions juridiques que les cas à gérer par les entreprises ont fait l’objet ces derniers mois d’une forte médiatisation. Preuve que le sujet est difficile à appréhender, les titres sont parfois même contradictoires sur un même sujet. Dans tous les cas, cette médiatisation souligne l’effacement des frontières de l’entreprise quant aux questions religieuses : les enjeux sociétaux s’invitent dans l’entreprise, mais de manière symétrique, les interrogations managériales se diffusent dans la société. Certaines entreprises doivent dès lors faire face à une large médiatisation (RATP, Micropole Univers) les obligeant, ainsi que leurs consoeurs, à considérer ce sujet.</p>
<h2>Avançons sur le sujet : la mise en place de solutions dans les entreprises</h2>
<p>Face à ces évolutions, les entreprises sont contraintes d’inventer ou de réinventer des manières d’appréhender le sujet.</p>
<p><strong>La formation comme outil de clarification</strong></p>
<p>Afin de lever les tabous entourant les questions religieuses, beaucoup d’organisations ont mis en place des formations afin de permettre aux salariés et managers concernés. Différents choix s’offrent à elles :</p>
<ul>
<li><p>Internes/Externes : des formations assurés par des salariés de l’organisation (responsables juridiques, RH, diversité, QVT) ou assurés par des personnes extérieures (experts, chercheurs, consultants)</p></li>
<li><p>Obligatoires/Facultatives : avec une sélection selon les business units prioritairement concernées, ou une inscription selon les attentes de chacun</p></li>
<li><p>Générales/Ciblées : cherchant soit à sensibiliser sur le fait religieux ou au contraire à appréhender par exemple la radicalisation dans l’entreprise.</p></li>
</ul>
<p>Chaque entreprise procède à ces choix selon son contexte actuel (activité, caractéristiques de leurs ressources humaines, urgence du sujet) mais aussi selon son historique (en matière de formation, d’évolution du sujet…).</p>
<p>Fait notable, toutes celles ayant opté pour ce type de dispositif, relatent un feedback positif des participants, qui se sentent dès lors « moins démunis », « soulagés », « décomplexés » face à ces questions. Et plus encore, ces formations permettent à certains d’être plus « fiers » de leurs entreprises, capables de se saisir et d’affirmer une position claire sur le sujet.</p>
<p><strong>Les guides comme supports à l’homogénéisation</strong></p>
<p>Nombre de grandes entreprises avaient déjà élaboré un guide consacré en partie ou en totalité à la question de la diversité religieuse (<a href="https://www.cairn.info/revue-rimhe-2014-4-page-40.htm">Galindo G., Zannad H., (2014)</a>). Elles ont pour la plupart actualisé et repositionné ces outils de gestion, pour aborder de nouveaux cas potentiellement rencontrés et préciser leur (re)positionnement sur ce sujet. Ainsi, les relations hommes-femmes font leur entrée dans tous ces guides. De la même manière, des valeurs sont affirmées pour donner une ligne directrice à partager au sein de l’organisation considérée et devant présider aux réponses apportées. Les études de cas présentées dans ces guides se diversifient donc et traduisent la prise en compte de la diversité des situations issues du terrain, preuves d’une prise de conscience partagée.</p>
<p><strong>Le dialogue comme la base toute démarche</strong></p>
<p>Si le dialogue et la communication sont souvent présentés comme au cœur de tout processus managérial, ils sont plus que jamais cruciaux dans le cas de questionnements liés à la religion. Les formations et/ou guides n’ont aucune utilité s’ils ne sont pas co-construits, expliqués et au cœur d’échanges ensuite, avec toutes les parties prenantes concernées dans des groupes de travail, des réunions formelles/informelles. Ce dialogue est souvent initié par et avec les managers, il reste cependant limité avec tous les salariés. En effet, les actions mises en place le sont, la plupart du temps, à certains niveaux et pour certains types de managers. Charge à eux de diffuser « la bonne parole », avec toutes les limites et risques que cela peut représenter.</p>
<p>Toutes ces actions relèvent finalement plus de petits pas que de grandes métamorphoses dans les entreprises. Prudentes, elles avancent plutôt groupées sur ce sujet afin de limiter les risques dans la manière de traiter ces questions.</p>
<h2>Des petits pas voire des avancées, mais un chemin encore long</h2>
<p>La religion dans le contexte du travail est un sujet placé sous les projecteurs, tant au niveau des salariés, des entreprises, du législateur et plus largement de la société. Chacun avance donc à petits pas sur ce sujet. Bien sûr ces petits pas représentent des avancées salutaires pour dépassionner ce sujet. Ces avancées sont-elles pour autant importantes, positives, ou stables ? Rien n’est moins sûr. Plusieurs défis subsistent en effet.</p>
<p><strong>Clarifier les règles</strong></p>
<p>La Loi El Khomri donne aujourd’hui une possibilité aux entreprises. Si la grande majorité des salariés sont favorables à ce nouveau principe, ils sont aussi une grande majorité à ne pas vouloir qu’il soit introduit dans leur organisation (OFRE/Randstat, 2017). Loin d’être étonnantes, ces données mettent en lumière la difficulté de modifier les règles internes (en l’occurrence le règlement intérieur) afin d’introduire ce principe. De nombreuses conditions doivent en effet être réunies pour que ce changement ne souffre pas de contestations : que ce principe soit général, systématique, édicté en amont…</p>
<p>Un flou entoure donc cette évolution juridique, débattue depuis son inscription dans la Loi, et très souvent contestée par les spécialistes de la question (par exemple, Bianco J-L., Cadène N. (2017), « Peut-on concevoir la neutralité dans l’entreprise ? », Revue de Droit Social, p. 235.). Si pour certaines entreprises, l’immobilisme reste la meilleure réponse, d’autres en profitent pour lancer une réflexion sur les réponses à diffuser de manière homogène. Dans tous les cas, des règles (pas nécessairement juridiques) sont attendues désormais sur le sujet.</p>
<p><strong>Préciser les sanctions</strong></p>
<p>Si le dialogue est une première étape quand une question d’ordre religieux est introduite dans l’entreprise, il devient parfois impossible avec certains salariés qui contreviennent même au bon fonctionnement de l’entreprise. La peur saisit certains managers et organisations sur les réactions à avoir face à ces salariés. Comme toute faute ou manquement professionnel, ces actions préjudiciables doivent donner lieu à des sanctions. Chaque entreprise doit arriver désormais à penser ses réactions et dispositifs, pour donner des réponses claires aux comportements diversifiés de ses salariés. La transparence des décisions prises fera certainement gagner à la fois en cohérence mais aussi en compréhension sur ces questions, souvent encore gérées au cas par cas, au risque d’inéquité et d’« effet boule de neige ».</p>
<p><strong>Désacraliser le sujet</strong></p>
<p>Les grandes entreprises se sont en grande majorité saisies de ce sujet. La manière de le faire reste cependant très variable, allant d’une démarche largement diffusée en interne voire externe, à un processus quasi confidentiel et objet de toutes les craintes quand une quelconque communication est prévue. Cette variabilité des postures d’entreprises conduit à ce que l’injonction à en faire « un sujet de management comme un autre », reste souvent un vœu pieu. Comment imaginer que les faits religieux soient comparés à d’autres si les directions refusent toute diffusion ?</p>
<p>Des défis persistent donc quant aux manières de gérer les faits religieux au travail. Ce sujet paraît quasi inépuisable face à la diversité des salariés et de leurs croyances, à la globalisation croissante des entreprises et aux évolutions juridiques régulières.</p>
<p>Les organisations sont donc engagées sur un long chemin où elles doivent et devront à la fois avancer groupées sur ce sujet, mais dans le même temps inventer les réponses les plus pertinentes possibles au regard de leur contexte (social, culturel ou économique). Autant d’opportunités pour les acteurs impliqués que ce soient les DRH, responsables diversité, sécurité, qualité de vie au travail !</p>
<hr>
<p><em>Cet article vient conclure les débats menés au cours de la 2<sup>e</sup> saison à l’automne 2017, du Club « Faits religieux et Entreprises, vers une nouvelle donne ? » à l’ANVIE 2017. Directrice scientifique, Géraldine Galindo ; Chef de projet, Quentin Deslandres.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89221/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Géraldine Galindo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nous sommes entrés dans une nouvelle ère qui voit un nombre croissant d’entreprises actives et/ou anticipatrices sur le sujet de la religion au travail.Géraldine Galindo, Professeur associé Stratégie Hommes et Organisation, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/844232017-09-26T22:01:24Z2017-09-26T22:01:24ZFusion CE-CHSCT-DP : la fin d’une époque<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/187272/original/file-20170924-15786-1ahpyvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fusionner les IRP : quel intérêt réel ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/timdorr/3946708876/in/photolist-71KV3L-oDumJ9-oVWW8u-qNtQE-oVX9ud-6orVGo-oVXbhw-fXTF9S-oTWWjh-888AD2-oDuCuM-oVHtMZ-6aJKtg-6YXBkT-ei4vLx-dpv9hC-fXTLeG-fXTDSJ-5U2YhL-fXUrcv-oTWXGN-5psBYC-88bMVC-6onJe8-fhiqR8-oDujBd-cjGpAj-aWpxzz-6orVKm-fUVttD-88bMDm-dCcGdp-2C5XVC-dqSdfA-oDuxw1-2PGZPW-6orVLN-7QcDdY-4Hzn8a-dD2GLf-cwDYum-88bMSh-oVXh5J-Wix67a-XsTog1-fhxBuf-fXU4t1-kq8SuH-dqSdFw-dqS52P">Tim Dorr/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La réforme du code du travail proposée par Emmanuel Macron prévoit la mise en place dans les entreprises d’au moins 50 salariés d’un <em>comité social et économique</em> (CSE) exerçant toutes les attributions auparavant dévolues aux délégués du personnel (DP), au comité d’entreprise (CE) et au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT). Par ailleurs et sous réserve qu’un accord soit signé entre les partenaires sociaux, la réforme envisage d’aller plus loin en instituant un <em>conseil d’entreprise</em> exerçant l’ensemble des compétences du CSE auquel s’ajoutera la possibilité de négocier et de conclure des accords d’entreprise, autrement dit des attributions jusque-là réservées aux délégués syndicaux. </p>
<p>Cette réforme marque la fin d’une époque où coexistaient plusieurs instances représentatives du personnel (IRP) dans les entreprises. Mais quel est l’intérêt de cette réforme ? Est-ce vraiment une si bonne idée de fusionner les IRP ? </p>
<h2>La fusion des IRP n’est pas une idée neuve</h2>
<p>De nombreux groupes de travail ont produit ces dernières années des rapports (rapport de la <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000041.pdf">commission Attali</a>, rapport <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000364.pdf">Hadas-Lebel</a>, rapport du <a href="http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/088.pdf">CAE de Jacques Barthélemy et Gilbert Cette</a>, rapport de <a href="http://www.institutmontaigne.org/res/files/publications/rapport_dialogue_social.pdf">l’Institut Montaigne</a>…) insistant sur la nécessité de simplifier la représentation du personnel dans les entreprises françaises. La fusion des IRP n’est donc pas une idée neuve sortie de nulle part. D’ailleurs, depuis 2015 et la loi Rebsamen, les entreprises de moins de 300 salariés peuvent déjà regrouper les DP, CE et CHSCT au sein d’une délégation unique du personnel (DUP) et celles de plus de 300 salariés faire de même, à la condition d’avoir obtenu l’accord majoritaire des organisations syndicales.</p>
<h2>Qu’est-ce qui justifie une telle mesure ?</h2>
<p>Le premier argument justifiant la fusion des IRP est que les entreprises hésiteraient à franchir certains seuils d’effectifs, limitant de fait les embauches. Une étude déjà ancienne de <a href="http://www.epsilon.insee.fr/jspui/bitstream/1/19480/1/estat_1985_173_1.pdf">Gérard Lang et Claude Thélot (1985)</a> a montré que le nombre d’entreprises de 10 salariés passant à 11 salariés au bout de trois ans étaient « trop rares » comparées à celles qui passaient de 9 à 10 salariés, suggérant une hésitation des employeurs à passer à 11 salariés. Par ailleurs, les auteurs observent également une cassure dans l’évolution des effectifs à 50 salariés qu’ils interprètent comme une réticence des employeurs à franchir ce deuxième palier d’effectifs. Cette prudence s’expliquerait par les obligations financières et sociales générées par le franchissement de ces seuils et en particulier l’obligation de mettre en place des IRP (DP pour les entreprises de plus de 10 salariés et CE, CHSCT pour celles d’au moins 50 salariés).</p>
<p>Un deuxième argument souvent évoqué est que les règles de fonctionnement des IRP sont complexes. Plus de 460 textes législatifs portent sur la représentation du personnel sans compter l’ensemble des décisions de justice qu’ont rendu les tribunaux sur ces questions. Le droit collectif du travail est donc particulièrement dense et parfois obscur. Cet argument est régulièrement retenu pour justifier des mesures visant à simplifier le code du travail réputé trop contraignant par les employeurs. </p>
<p>Le coût de la représentation du personnel est un autre argument avancé par les partisans de cette réforme. En effet, l’ensemble des coûts directs (organisation des élections, heures de délégation payées, local mis à disposition…) et indirects (contentieux, délits d’entrave…) liés à la mise en place des IRP pourrait représenter jusqu’à 4 % de la masse salariale pour une entreprise passant de 49 à 50 salariés, selon le rapport de la commission Attali (2008).</p>
<p>Enfin, on peut ajouter une autre raison souvent négligée par les experts : de nombreux représentants du personnel cumulent déjà des mandats de DP, de membre du CE, de membre du CHSCT ou encore de DS. Selon la dernière enquête REPONSE de la DARES (ministère du Travail), environ 35 % des représentants du personnel exercent déjà deux mandats et près de 19 % vont même jusqu’à cumuler 3 mandats (<a href="https://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/actualites/les-representants-du-personnel-thomas-breda-mars-2016/">Breda, 2016</a>). Seul 1 salarié sur 5 s’engageant au sein des IRP n’exercerait qu’un seul mandat ! </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/187194/original/file-20170922-13425-nl3jq7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DARES (Enquête REPONSE 2010-2011, volet « représentants du personnel »), calculé par Thomas Breda (2016, page 42)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Figure 1. Nombre et type de mandats occupés par les RP de l’instance la plus représentative de leur établissement.</em></p>
<p>Dès lors, l’idée de limiter le nombre d’IRP dans les entreprises répond, d’une part, à la demande récurrente du patronat de réduire le nombre d’IRP afin de simplifier grandement la tâche des employeurs et, d’autre part, à un constat qu’il existe déjà des élus qui multiplient les mandats et participent à l’animation de plusieurs instances dont les attributions sont différentes.</p>
<h2>Est-ce vraiment une bonne idée de fusionner les IRP ?</h2>
<p>Si le cumul des mandats des élus peut à lui seul justifier une telle mesure, les autres arguments avancés par les partisans de cette ordonnance sont fallacieux et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est peu probable que ces mesures stimulent la croissance des entreprises. En effet, les études les plus sérieuses consacrées aux effets de seuil sur l’emploi constatent un effet marginal sur la dynamique de croissance des entreprises (<a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000092.pdf">Cahuc et Kramarz, 2004</a> ; <a href="http://www.persee.fr/docAsPDF/estat_0336-1454_2010_num_437_1_9585.pdf">Ceci-Renaud et Chevalier, 2010</a>). </p>
<p>Ensuite, l’idée qu’il faudrait simplifier les règles de fonctionnement des IRP, en particulier pour les PME, ne résiste pas à l’épreuve des faits : les PME sont le plus souvent dépourvues de représentants du personnel. À peine plus de la moitié des établissements de 50 à 200 salariés disposent d’un délégué du personnel et ils ne sont que 42 % à disposer d’un CE, autant dire que la fusion des IRP ne va pas changer la donne pour une majorité de PME. De surcroît, la loi offre, depuis plusieurs années, la possibilité aux PME de mettre en place une DUP, comme nous l’avons déjà évoqué.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/187198/original/file-20170922-17262-66jixf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête REPONSE 2010-2011 (DARES)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Figure 2. Présence des IRP dans les établissements de plus de 10 salariés selon leur taille.</em></p>
<p>Enfin, insister sur le coût que représenterait le fonctionnement des IRP pour l’entreprise relève de la posture idéologique. Pourquoi ne pourrait-on pas considérer tout simplement les moyens alloués aux IRP comme des investissements ? Après tout, la présence d’IRP peut être bénéfique aux entreprises. </p>
<p>Le seul argument vraiment recevable est donc celui relevant de la mise en place d’une instance unique dans les PME où les élus ne sont pas suffisamment nombreux pour faire vivre le dialogue social dans les conditions actuelles. Pour les grandes entreprises, il est plus difficile de justifier l’intérêt d’une instance unique. </p>
<h2>Vers un appauvrissement des débats ?</h2>
<p>Les syndicats redoutent que les discussions ne tournent plus qu’autour des problématiques économiques et laissent de côté celles qui concernent les conditions de travail des salariés, allant jusqu’à évoquer le retour aux <a href="https://hal.inria.fr/halshs-00256587/document">« comités sociaux d’établissements » créés en 1941 par Pétain</a> (les fameux « comités patates »).</p>
<p>Si ce risque est certainement exagéré, il n’en demeure pas moins que la diminution du nombre d’IRP risque d’appauvrir les débats et peut avoir des conséquences sur la qualité du dialogue social dans les grandes entreprises. En effet, les élus au CSE devront aborder des sujets beaucoup plus larges et plus complexes qu’auparavant, nécessitant un certain niveau d’expertise. <a href="https://theconversation.com/fusion-ce-chsct-dp-quelles-consequences-sur-la-sante-au-travail-83981">Gregor Bouville</a> a montré par exemple que la dilution des compétences du CHSCT au sein du CSE entraînera certainement une régression de la prise en charge des problèmes de santé au travail. Une crainte partagée par d’autres experts qui dressent d’ailleurs un premier bilan mitigé de l’instance unique issue de la loi Rebsamen <a href="http://www.ires-fr.org/etudes-recherches-ouvrages/eclairages/item/5351-eclairages-006">(IRES)</a>. </p>
<p>En définitive, si la mise en place d’une instance unique peut se justifier dans les PME, il est beaucoup plus difficile de trouver des raisons valables pour introduire un tel dispositif dans les grandes entreprises. En effet, l’enjeu pour les entreprises n’est pas de réduire les moyens accordés aux représentants du personnel mais plutôt de favoriser les échanges, de multiplier les lieux de rencontres, de former les élus avec l’idée sous-jacente que les représentants du personnel peuvent apporter leur éclairage, être forces de propositions et contribuer à la dynamique de croissance des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrice Laroche a reçu des financements de la Chaire "Dialogue social et compétitivité des entreprises" d'ESCP Europe Il est professeur affilié à ESCP Europe et président du comité scientifique de la Chaire "Dialogue social et compétitivité des entreprises" d'ESCP Europe. </span></em></p>Quel est l’intérêt réel de la réforme des instantes représentatives du personnel (IRP) ? Est-ce vraiment une si bonne idée de fusionner les IRP ?Patrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/845482017-09-26T22:01:23Z2017-09-26T22:01:23ZDroit du travail : la hiérarchie des normes est-elle inversée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/187270/original/file-20170924-25406-1dh6w37.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation du 12 septembre 2017 contre les ordonnances travail.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/37049322191/in/photolist-YrVsH6-cyNqNJ-d1Pg8S-pQUnwT-ErmLBG-GCfwAZ-F9CWTw-EeyUvi-F9CWUd-HxML78-d1PdnU-GCfxBg-W7Tnuh-axxifN-agtiFS-avEU8r-azsrBn-aqSUow-HUd4Hc-deUvCE-amzvCS-avETXg-arG544-agtiQo-azv7xQ-azv7kC-d1Pei7-avETEH-d1Peqf-aYL2nz-d1P7U7-d1Pg3h-dEWyjZ-GCfvQk-d1Pemu-d1P3jj-HxMKMR-aMHoBZ-gjMjBM-arJJY5-agtiMm-anbrUN-agtiHw-azadm4-avETzZ-agqxtH-asRmkD-aCZu1C-aBdTpY-d1PfRj">Jeanne Menjoulet / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Loi, convention collective et accord de branche, accord d’entreprise, usages, contrat de travail… Les normes du droit du travail sont nombreuses et variées.</p>
<p>Au cœur de la réforme actuelle du droit du travail figure cette question complexe et stratégique : comment s’articulent les normes du droit du travail dans la nouvelle configuration après les ordonnances ?</p>
<h2>Le principe de faveur</h2>
<p>Habituellement en droit, c’est le texte le plus élevé dans la hiérarchie des normes qui reçoit application (la loi s’impose au décret, un texte de droit public s’impose à un accord de droit privé, etc.).</p>
<p>En droit du travail, une règle d’articulation différente a été posée par la jurisprudence : en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application.</p>
<p>Cette règle, inspirée de dispositions éparses du code du travail, ne figure pas explicitement dans le code du travail. Elle a été instituée et mise en œuvre progressivement à partir de 1936 et surtout de 1946.</p>
<p>Cette règle est appelée « principe de faveur ». Ce principe « constitue un principe fondamental du droit du travail », d’une certaine façon « l’âme du droit du travail ».</p>
<p>Ce principe de faveur organise donc l’articulation, la hiérarchie, des normes en droit du travail : « l’ordre public social ».</p>
<h2>Les exceptions</h2>
<p>Ce principe de faveur a une valeur légale ; cependant, il ne s’est pas vu reconnaître une valeur constitutionnelle. Par conséquent, son application peut être écartée par le Législateur.</p>
<p>Ainsi, des exceptions ont été prévues à l’application du principe de faveur. Des normes peuvent « déroger » à d’autres normes dans un sens qui n’est pas plus favorable aux salariés, voire dans un sens défavorable, et ce sont ces normes qui vont s’appliquer. Cependant, cette dérogation est encadrée par la loi : la dérogation n’est possible que dans certains cas, à certaines conditions et dans certaines limites.</p>
<p>Plusieurs réformes législatives successives ont écarté l’application du principe de faveur :</p>
<ul>
<li><p>L’ordonnance du 16 janvier 1982 et surtout deux lois de 1986-1987 autorisent des accords collectifs (de branche puis d’entreprise) à déroger à des dispositions législatives en matière de temps de travail (modulation-annualisation, etc.) ;</p></li>
<li><p>La loi du 4 mai 2004 autorise un accord d’entreprise à déroger à un accord de branche ; cependant, des verrous sont posés : les signataires de l’accord de branche peuvent décider que les dispositions de cet accord constituent un plancher auquel un accord d’entreprise ne pourra pas déroger ;</p></li>
<li><p>En 2012 puis en 2013 et 2015, des lois prévoient que dans certains cas (aménagement du temps de travail, emploi,), un accord d’entreprise s’imposera au contrat de travail même si l’accord n’est pas plus favorable au salarié que son contrat ;</p></li>
<li><p>La loi du 8 août 2016 donne priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de durée du travail et de congés (le temps de travail est le laboratoire des évolutions du droit du travail) ; les signataires de l’accord de branche ne peuvent plus décider que les dispositions de cet accord en matière de durée du travail constituent un plancher auquel un accord d’entreprise ne pourra pas déroger.</p></li>
</ul>
<p>Une nouvelle architecture du code du travail se dessine en matière de durée du travail et de congés :</p>
<ul>
<li><p>la loi fixe des principes du droit du travail, mais n’en donne plus le contenu,</p></li>
<li><p>l’accord d’entreprise ou, à défaut, l’accord de branche fixe le contenu,</p></li>
<li><p>à défaut d’accord (d’entreprise et de branche), une disposition supplétive fixe le contenu (un décret ou une décision de l’employeur).</p></li>
</ul>
<p>Un exemple emblématique : le taux de majoration des heures supplémentaires est fixé par accord collectif (d’entreprise ou, à défaut, de branche), à défaut par un décret supplétif.</p>
<h2>Le nouveau paysage juridique</h2>
<p>La nouvelle situation résulte des évolutions législatives de ces dernières années et, dans le prolongement, des apports de la nouvelle ordonnance n° 2017-1385 « relative au renforcement de la négociation collective » du 22 septembre 2017.</p>
<p>Voici ce nouveau paysage des articulations entre les principales sources du droit du travail : loi – accords collectifs, de branche et d’entreprise – contrat de travail. Un tableau pointilliste à la Seurat et à la Signac.</p>
<p><strong>Relations entre la loi et les accords collectifs (accord de branche et accord d’entreprise)</strong></p>
<p>En application du principe de faveur, un accord collectif, de branche ou d’entreprise, peut prévoir des dispositions plus favorables que la loi. L’ordre public social s’applique ici pleinement. Exemple emblématique : un accord collectif, de branche ou d’entreprise, peut prévoir un niveau de salaire supérieur au smic.</p>
<p>En revanche, un accord collectif, de branche ou d’entreprise, ne peut prévoir de dispositions moins favorables que la loi. L’ordre public social doit être respecté. Exemple : un accord collectif ne peut pas prévoir une durée de travail effectif hebdomadaire supérieure à 48 heures.</p>
<p>Cependant, quand la loi l’autorise explicitement un accord collectif peut prévoir des dispositions moins favorables que les dispositions législatives. Cette dérogation est, suivant les cas, ouverte aux seuls accords de branche ou également ouverte aux accords d’entreprise.</p>
<p>Ainsi, des accords de branche peuvent prévoir des durées de période d’essai plus longue que les durées légales.</p>
<p>La nouvelle législation, issue de l’ordonnance, permet à un accord de branche de déroger à des dispositions légales, notamment en matière de contrat à durée déterminée et de contrat de travail temporaire (durées maximales, périodes de carence, etc.) et de contrat à durée indéterminée de chantier.</p>
<p>Dans certains cas, la loi prévoit que l’accord d’entreprise, comme l’accord de branche, peut déroger aux dispositions législatives. Exemple : le salarié en CDD a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat égale à 10 % ; un accord d’entreprise, comme un accord de branche, peut prévoir de limiter le montant de cette indemnité à 6 %.</p>
<p>Dans le domaine de la durée du travail et des congés, la loi est supplétive et ne s’applique qu’en l’absence de dispositions conventionnelles de branche et d’entreprise (exemple : le régime juridique des heures supplémentaires – taux de majoration et volume d’heures par salarié et par an).</p>
<p><strong>Relations entre l’accord d’entreprise et l’accord de branche</strong></p>
<p>Un accord de branche peut prévoir des dispositions favorables aux salariés qui vont s’appliquer.</p>
<p>Mais, selon la nouvelle ordonnance, <strong>en règle générale, l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche</strong>.</p>
<p>Il en est ainsi quelque soit la date de conclusion de l’accord d’entreprise (antérieure ou postérieure à la conclusion de l’accord de branche).</p>
<p>Et surtout l’accord d’entreprise a la primauté sur l’accord de branche quelque soit le niveau de son contenu : l’accord d’entreprise s’applique qu’il soit, pour le salarié, plus favorable que l’accord de branche ou qu’il soit moins favorable que l’accord de branche (la promotion de l’accord d’entreprise s’accompagne de la mise à l’écart du principe de faveur).</p>
<p>Cependant, quelques exceptions existent. Dans certains domaines, un accord d’entreprise ne peut déroger à un accord de branche. Les dispositions de l’accord de branche constituent le plancher.</p>
<p>Il s’agit en particulier :</p>
<ul>
<li><p>des salaires minimas hiérarchiques ;</p></li>
<li><p>des grilles de classification ;</p></li>
<li><p>de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;</p></li>
<li><p>des garanties collectives complémentaires (mutuelle, prévoyance).</p></li>
</ul>
<p>Et dans quelques autres domaines, un accord d’entreprise ne peut déroger à un accord de branche si celui-ci l’a prévu. Il s’agit :</p>
<ul>
<li><p>de la prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels – pénibilité ;</p></li>
<li><p>de l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés ;</p></li>
<li><p>de l’effectif à partir duquel les délégués syndicaux peuvent être désignés, leur nombre et la valorisation de leurs parcours syndical ;</p></li>
<li><p>des primes pour travaux dangereux ou insalubres.</p></li>
</ul>
<p>De façon générale, pour évier l’encadrement des accords d’entreprises par des accords de branche, les dispositifs légaux prévoyant le « verrouillage » des accords de branche, par les signataires de ces accords, pour éviter les accords d’entreprises dérogatoires (loi du 4 mai 2004) sont supprimés.</p>
<p>Pour les accords de branche qui prévoient actuellement des clauses faisant obstacle à des clauses dérogatoires (moins favorables pour les salariés) de conventions ou accords d’entreprise ou d’établissement, ces clauses de « verrouillage » (imposant l’application du principe de faveur) continueront de produire effet si les parties signataires les confirment, avant le 1<sup>er</sup> janvier 2019.</p>
<p><strong>Relation entre l’accord d’entreprise et le contrat de travail</strong></p>
<p>De manière générale, c’est le principe de faveur qui s’applique :</p>
<ul>
<li><p>un contrat de travail peut prévoir des dispositions plus favorables que la loi, l’accord de branche et l’accord d’entreprise (exemple : le contrat de travail peut prévoir un salaire plus élevé que le smic, que les minimas conventionnels de branche et que les salaires pratiqués dans l’entreprise) ;</p></li>
<li><p>si un accord collectif est signé et qu’il est plus favorable que le contrat de travail, les nouvelles dispositions conventionnelles s’appliquent (exemple : un accord d’entreprise prévoyant un salaire plus élevé que le contrat de travail bénéficie automatiquement au salarié).</p></li>
</ul>
<p>Cependant, dans certains cas, un accord d’entreprise peut s’imposer au contrat de travail alors qu’il prévoit des dispositions moins favorables pour le salarié. Il en est ainsi, pour “répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi”, en matière d’aménagement du temps de travail, d’aménagement de la rémunération et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise (dispositifs reformulés par la nouvelle ordonnance).</p>
<h2>Ne pas confondre les niveaux</h2>
<p>Ainsi, c’est toujours la loi qui détermine l’ordonnancement des sources du droit du travail, la hiérarchie des normes. Cependant, <strong>le contenu substantiel du droit est déplacé de la norme légale vers la norme conventionnelle et surtout en particulier maintenant vers l’accord d’entreprise</strong>.</p>
<p>Pour éviter les confusions, il convient de ne pas confondre les niveaux :</p>
<ul>
<li><p>les domaines où un accord collectif peut déroger à la loi,</p></li>
<li><p>les domaines où un accord d’entreprise a primauté sur un accord de branche, et,</p></li>
<li><p>les domaines où le contrat de travail ne s’applique plus face à un accord d’entreprise moins favorable.</p></li>
</ul>
<p>Autre point essentiel à toujours garder à l’esprit : ne pas confondre la règle (posée par le Législateur) et l’usage qui sera fait de cette règle par les acteurs sociaux (employeurs, organisations patronales et organisations syndicales de salariés). La législation propose des outils : les acteurs s’en serviront ou pas, différemment suivant les branches d’activité en fonctions de différents paramètres socio-économiques. Le jeu des acteurs est essentiel dans la mise en œuvre du droit.</p>
<h2>Et le droit international et européen ?</h2>
<p>Les normes de droit interne doivent respecter les normes du droit international et les normes du droit de l’Union européenne. Il en est ainsi bien entendu en droit du travail.</p>
<p>Les nouvelles dispositions du code du travail doivent être en conformité avec les sources internationales et européennes, notamment avec les dispositions des Conventions de l’Organisation internationale du travail, de la Charte sociale européenne révisée et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe et des directives de l’Union européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Miné est membre du Réseau Académique pour la Charte Sociale Européenne (RACSE). </span></em></p>Analyse juridique d’un des points clés des ordonnances de réforme du code du travail : quelles sont les nouvelles articulations des normes du droit du travail ?Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire Droit du travail et droits de la personne, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.