tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/droits-des-femmes-20399/articlesdroits des femmes – The Conversation2024-03-08T13:34:19Ztag:theconversation.com,2011:article/2252262024-03-08T13:34:19Z2024-03-08T13:34:19Z« Si on s’arrête le monde s’arrête » ou comment la grève féministe s’est installée en France<p>« Si on s’arrête le monde s’arrête », « 8 mars 15h40 grève féministe » sont quelques-uns des slogans diffusés pour appeler à la grève féministe en France.</p>
<p>Ce mot d’ordre émerge depuis quelques années dans le mouvement féministe français, dans la continuité des grèves féministes menées à l’international (Argentine, Suisse, Espagne, Chili, etc.) qui ont <a href="https://theconversation.com/droits-des-femmes-la-vague-mauve-en-espagne-et-en-france-129659">rassemblé des milliers de personnes</a>.</p>
<p>La pratique de la grève est <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-22.htm">classique</a> du mouvement ouvrier et chez les <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">féministes</a>, comme le rappelait Eva Gueguen dans son mémoire, <em>L’arme des travailleuses, c’est la grève ! Appropriation et usages de la grève par le mouvement féministe à l’assemblée générale féministe Paris-Banlieue</em> (2023, Paris Dauphine). Mais la « grève féministe » quant à elle connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications mises en avant à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars. Comment ce mot d’ordre s’est-il imposé ? À quoi renvoie-t-il ?</p>
<h2>Un outil révolutionnaire ?</h2>
<p>Tout d’abord, la grève féministe renvoie à l’arrêt du travail productif (rémunéré dans la sphère professionnelle) et celui <a href="https://theconversation.com/les-metiers-tres-feminises-du-soin-et-du-lien-pourquoi-il-est-urgent-de-les-reconnaitre-a-leur-juste-valeur-223670">reproductif</a> réalisé gratuitement (travail domestique, de soin, etc.).</p>
<p>Les militant·e·s expliquent que ce dernier est majoritairement réalisé par des femmes (et des minorités de genre, c’est-à-dire les personnes trans’ et non binaires) et <a href="https://theconversation.com/les-revenus-des-femmes-diminuent-apres-la-naissance-dun-enfant-voici-pourquoi-223150">invisibilisé dans la société</a>.</p>
<p>La grève féministe ambitionne de faire reconnaître ce travail considéré comme essentiel dans les économies et pour lequel « si on s’arrête, le monde s’arrête », c’est-à-dire, selon ce slogan féministe, si celles-ci ne le réalisaient plus, l’économie ne pourrait plus fonctionner.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a>
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<p>Il s’agit par la grève de transformer la société et reconfigurer les rapports sociaux. Les militantes, rencontrées lors d’un atelier sur la grève féministe (Coordination féministe à Rennes, le 22 janvier 2022) souhaitent « mettre en lumière à la fois l’aspect économique de l’oppression des femmes et les conséquences économiques concrètes » sur l’organisation du pays quand elles cessent leur activité, « dégager du temps » pour d’autres activités que le travail, et rassembler largement autour de cette revendication en mobilisant l’ensemble du mouvement social et pas uniquement les féministes.</p>
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<p>La grève féministe est alors un outil permettant de penser ensemble l’imbrication entre différents rapports de domination – patriarcat, capitalisme, racisme –. Pour le 8 mars 2024, les militantes appellent par exemple au <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">« partage du temps de travail et des richesses »</a>, au droit à <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">disposer de son corps</a>, ou encore dénoncent la <a href="https://theconversation.com/comment-la-loi-immigration-souligne-de-graves-dysfonctionnements-democratiques-220301">loi asile-immigration</a> considérée comme <a href="https://www.grevefeministe.fr/8-mars-2024/">raciste et antiféministe</a>.</p>
<p>En somme, la grève féministe se pose « à rebours d’une vision des féminismes comme « confinées » (à un secteur, une revendication, une minorité), en <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2020-3-page-137.htm">liant le féminisme au reste des mouvements sociaux</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/marie-huot-antispecisme-et-feminisme-un-meme-combat-contre-les-dominations-au-xix-siecle-210576">Marie Huot : antispécisme et féminisme, un même combat contre les dominations au XIXᵉ siècle</a>
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<h2>Inspirations internationales</h2>
<p>La diffusion de cette revendication en France s’inscrit dans un contexte de mobilisation internationale autour des grèves féministes. À partir de 2016, celles-ci se multiplient en Pologne, Argentine, Suisse, Chili, etc. C’est aussi le cas en Espagne où les militantes appellent à cesser le travail pendant 24h le 8 mars 2018.</p>
<p>La mobilisation est conséquente, réunissant 5 millions de personnes où les militantes dénoncent « les féminicides et les agressions, les humiliations, les exclusions, l’ensemble des violences machistes » auxquelles sont <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-155.htm">exposées les femmes</a></p>
<p>La grève espagnole « inspire le mouvement féministe français », elle est qualifiée « d’initiative extraordinaire » qui montre que la grève est un « outil qui fonctionne » indique en entretien une militante de la Coordination féministe. L’ampleur de ce mouvement a ainsi inscrit les revendications féministes dans les sphères politiques et médiatiques. Rappelons que le Premier ministre espagnol <a href="https://www.leparisien.fr/international/espagne-greve-feministe-et-manifestations-monstres-a-barcelone-et-madrid-08-03-2019-8027928.php">a d’ailleurs défilé en tête de cortège</a> lors de la grève féministe l’année suivante, quelques semaines avant la tenue des législatives.</p>
<p>Prenant acte de ce phénomène, les féministes françaises ont établi et entretiennent des liens avec ces militantes internationales. Celles-ci se rencontrent dans des espaces politiques et syndicaux de gauche – par exemple au sein de la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/socialisme-les-internationales/4-la-ive-internationale/">Quatrième internationale</a>, organisation trotskyste – ou lors de rencontres féministes internationales, comme celles organisées par <a href="https://radar.squat.net/fr/event/toulouse/toutes-en-greve-31/2019-10-26/rencontres-feministes-internationales">Toutes en grève à Toulouse en 2019</a>. Les féministes échangent sur leurs expériences et modes d’action.</p>
<p>Les mouvements de grévistes à Toulouse ont été particulièrement actifs, d’une part du fait de la proximité des militantes avec celles Espagnoles, mais aussi historique, car réactivant une initiative précédente, celle du collectif <a href="https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/8-mars-la-greve-feministe-simpose-dans-les-syndicats-030120602">Grève des femmes qui existe dans la région depuis 2012</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement sans précédent le 8 mars 2018 en Espagne (<em>Courrier International</em>).</span></figcaption>
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<p>À ce titre, plusieurs militantes de la Coordination féministe (anciennement au collectif toulousain Toutes en grève 31) expliquent avoir repris les modalités d’organisation des grèves italiennes et espagnoles, qui fonctionnent avec des assemblées et des petits groupes de travail.</p>
<p>C’est donc dans ce sillage internationaliste que la grève féministe émerge en France.</p>
<h2>« Si on s’arrête, le monde s’arrête »</h2>
<p>Dans une temporalité similaire, « On arrête toutes » se forme à Paris, en 2019 et propose de faire grève le 8 mars en arrêtant le travail à 15h40. Ce chiffre symbolique correspond chaque jour à l’heure à laquelle les femmes arrêtent d’être payées par rapport aux hommes, au regard des <a href="https://www.snrt-cgt-ftv.org/jdownloads/Communiques/2017/170228a.pdf">26 % d’écart salarial entre femmes et hommes</a>.</p>
<p>Ce projet va ensuite prendre de l’ampleur. Toutes en grève 31 organise des rencontres internationales en octobre 2019 pour appeler à la grève générale <a href="https://www.facebook.com/events/692675771192523">du 8 mars 2020</a> et dans la continuité, la Coordination féministe – réseau d’associations, collectifs et assemblées féministes en France – est créé en 2020, structurant progressivement son activité autour de la grève féministe.</p>
<p>D’autres collectifs s’en saisissent progressivement, comme <a href="https://theconversation.com/mobiiser-dans-un-contexte-post-metoo-la-strategie-du-collectif-noustoutes-193771">« Nous toutes »</a>, qui y appelle pour la première fois à l’occasion du 8 mars 2024, avec un consortium d’organisations <a href="https://coordfeministe.wordpress.com/2024/02/19/appel-a-la-greve-feministe-du-8-mars-2024/">dont la Coordination féministe</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 8 mars on arrête tout !</span></figcaption>
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<h2>Un cadre théorique issu de la pensée féministe-marxiste</h2>
<p>Au-delà des circulations militantes internationales, la <a href="https://lms.hypotheses.org/676">diffusion de la grève féministe</a>, passe par des actrices féministes issues de <a href="https://shs.hal.science/halshs-01349832">différentes sphères</a> (académique, associative ou encore syndicale) de « l’espace de la cause des femmes ».</p>
<p>Elles interviennent dans des syndicats, des conférences, ou encore dans des <a href="https://www.contretemps.eu/read-offline/22714/pour-greve-feministe-koechlin.print">interviews</a> ou des <a href="https://www.contretemps.eu/greve-feministe-genealogie-histoire-gallot">articles</a>.</p>
<p>Cette organisation s’appuie aussi sur la mobilisation d’un corpus féministe-marxiste des <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1vz494j">théories de la reproduction sociale</a>. Celles-ci reprennent les analyses de Marx, « étendues au travail reproductif des femmes et à leur rôle dans les rapports de (re)production capitaliste ». Ces théories mettent en lumière le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">travail reproductif</a> principalement pris en charge par les femmes, consistant à « produire l’être humain », c’est-à-dire l’ensemble des activités nécessaires à produire le travailleur, à faire en sorte qu’il/elle soit apte au travail dit productif au quotidien (travail domestique, prise en charge des enfants, mais aussi santé publique, éducation, etc.).</p>
<p>Cette critique du travail reproductif s’inscrit dans le cadre de travaux plus larges liant capitalisme et patriarcat, comme l’expliquent des autrices telles que <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/economies-populaires-et-luttes-feministes/">Verónica Gago</a>, <a href="https://www.librairie-des-femmes.fr/listeliv.php?base=paper&form_recherche_avancee=ok&auteurs=Silvia%20Federici">Silvia Federici</a> ou encore <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminisme_pour_les_99-9782348042881">Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya, Nancy Fraser</a>.</p>
<p>Si ces ouvrages féministes-marxistes ne sont qu’un point d’appui pour les militant·es, leur circulation va accompagner le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2022-2-page-113.htm">regain d’intérêt pour la grève féministe</a> « qui réintègre alors les répertoires d’action collective de certaines parties du mouvement féministe » depuis quelques années.</p>
<p>Si en France les grèves ne sont pas aussi massives que dans d’autres pays comme l’Espagne ou l’Argentine, elles offrent la possibilité aux féministes de faire considérer la cause féministe comme un projet politique global qui vise à la transformation des rapports sociaux. En 2024, pour la première fois, <a href="https://www.grevefeministe.fr">au-delà d’une centaine de collectifs féministes</a> ce sont aussi huit organisations syndicales qui appellent ensemble à faire grève le <a href="https://solidaires.org/sinformer-et-agir/les-journaux-et-bulletins/solidaires-en-action/n-165/interprofessionnel-le-8-mars-cest-la-greve-feministe/">8 mars</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225226/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathilde Guellier a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en science politique au sein de l'Université Paris-Dauphine PSL. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête ethnographique et a été notamment amenée à rencontrer des membres de la Coordination féministe et des militantes féministes.
</span></em></p>La grève féministe connaît un regain depuis la seconde moitié des années 2010, devenant l’une des revendications de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars.Mathilde Guellier, Doctorante en science politique, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234212024-03-07T16:18:02Z2024-03-07T16:18:02ZDans « Pauvres créatures », des costumes pour rapiécer les destins<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577969/original/file-20240226-28-ouf33d.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C10%2C932%2C579&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Lisbonne, Bella se lance dans une danse endiablée.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-290065/photos/detail/?cmediafile=22056255">Allociné</a></span></figcaption></figure><p>« Dress the creature, will you ? » : c’est Dirk Bogarde qui formule cette demande dans le film <a href="https://www.cinematheque.fr/article/1583.html"><em>Providence</em> (1977) d’Alain Resnais</a>, à un tailleur engagé pour habiller un étrange personnage, qui a tendance à se couvrir d’un excès de poils et à se transformer en loup-garou. Mais « Habillez la créature, voulez-vous ? » peut aussi s’interpréter comme la phrase clé qui définit le lien que le cinéma contemporain voit entre le dépassement de l’animalité et la civilisation : question d’habits, de costumes propres au « sacerdoce » social.</p>
<p>Au cinéma, les costumes agissent en même temps comme des filtres qui révèlent ou dissimulent une dimension intime des personnages. Ils contraignent les corps, définissent les gestes, et forment une sorte de deuxième peau pleine d’indices <a href="https://journals.openedition.org/signata/2878">sur le passé et le destin probable des protagonistes</a>.</p>
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<p>Dans le film <em>Pauvres créatures</em>, le personnage de Bella Baxter (interprétée par Emma Stone) est une jeune femme enceinte suicidaire. Elle saute d’un pont, puis est ramenée à la vie par un savant fou qui implante dans son crâne le cerveau du bébé qu’elle portait. Le spectateur se retrouve alors en présence de cette femme « réenfantée » qui est à la fois une chimère, résultat d’une expérimentation médicale délirante, et l’incarnation du désir masculin le plus stéréotypé.</p>
<p>Placée dans cette situation narrative paradoxale, à la fois nourrisson et jeune femme, la protagoniste incarne une sorte de dissonance cognitive et affective entre aptitude morale et tenue sociale. À travers ses nombreux changements de costumes – conçus par la très douée <a href="https://www.harpersbazaar.fr/mode/rencontre-avec-holly-waddington-costumiere-de-pauvres-creatures-je-voulais-que-les-tissus-donnent-limpression-detre-en-vie_1790">Holly Waddington</a> – le film de Yorgos Lanthimos nous montre le potentiel d’ambivalence des relations humaines, quand le fait de prendre soin cohabite avec une forme de cruauté.</p>
<h2>Subversion des mœurs</h2>
<p>Le raffinement excessif des <a href="https://www.metmuseum.org/art/metpublications/From_Queen_to_Empress_Victorian_Dress_1837_1877">vêtements de style victorien tardif</a>, choisis pour évoquer la fin du XIX<sup>e</sup> siècle – dans un univers plein d’anachronismes – contraste avec l’incapacité, pour l’héroïne, d’adopter un comportement digne de ses parures.</p>
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<p>Ce décalage perturbe le regard des médecins – des adultes aux manières impeccables – qui entourent la jeune femme. Ils s’efforcent de maintenir un regard clinique sur la chimère qu’ils ont créée et sur son apprentissage des choses de l’esprit et de la chair. Dans une synchronisation contre nature de leurs développements respectifs – tête malléable (de bébé) et corps irrésistible (de jeune femme)–, ce personnage d’innocente pécheresse est une projection exclusivement masculine de la féminité.</p>
<p>Selon les canons de la fable pourtant dystopique, la contre-histoire de l’héroïne – objet du désir à la découverte de ses propres appétits – passe sans surprise par l’étape de l’éloignement.</p>
<p>Après un rocambolesque voyage, Bella finit par céder aux désirs masculins, puis se range en se mariant, après un itinéraire suffisamment surprenant pour préserver une forme de suspense – et donc de désir. L’attrait irrépressible éprouvé par les personnages masculins pour cette femme est tolérable aux yeux de Bella à condition qu’elle ne soit pas perçue comme un membre de la famille (ni fille, ni épouse) ni prise dans une relation professionnelle (cobaye ou patiente). Ainsi, au lieu d’épouser le disciple du père, Max McCandles (Ramy Youssef), Bella fuit à l’étranger avec Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo).</p>
<p>Si ce dernier voit en Bella la chimère d’un pur désir, comme celui incarné par les poupées mécaniques (imaginaire filmique qui traverse l’histoire du cinéma de <em>Die Puppe</em> de Lubitsch au <em>Casanova</em> de Fellini), la femme réenfantée déconstruit peu à peu la sacralisation hypocrite de la figure féminine ; une déconstruction qui passe par la subversion des mœurs et, figurativement, des costumes.</p>
<h2>Des costumes parlants</h2>
<p>La trame du film est en effet ponctuée par les changements de vêtements de la protagoniste. Toutefois, en évitant toute déclinaison didactique et pédante des thèmes évoqués (l’empire du désir masculin, l’émancipation féminine), <em>Pauvres créatures</em> ne présente pas une évolution linéaire de l’héroïne et de ses costumes.</p>
<p>La surabondance et l’apparence des vêtements dépassent les postures et les gestes de la protagoniste. D’une part, les manches énormes des vêtements rappellent des « poumons » (comme l’a dit la costumière elle-même), des prothèses respiratoires qui permettent à cette femme suicidaire d’être encore vivante ; d’autre part, Bella semble toujours sur le point de disparaître dans les plis de sa robe, comme engloutie par une machine désirante plus grande qu’elle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577970/original/file-20240226-24-wodr4p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manches-poumons.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-290065/photos/detail/?cmediafile=22056255">Allociné</a></span>
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<p>Comment échapper à la confection, à la fabrication d’artifices ? Le parcours initiatique de Bella est ponctué de robes splendides qui empêchent toute émancipation, et ne lui permettent pas d’exprimer qui elle est. À travers la multiplication des costumes, Bella semble comprendre qu’elle doit accepter son destin de chimère, y adhérer encore et encore et encore avec de nouvelles mises, sans échappatoire à ce destin soumis au règne de l’artifice.</p>
<p>D’ailleurs, le père de Bella, Godwin Baxter (Willem Dafoe) est un Frankenstein social qui a décidé de reproduire l’artifice chimérique dont il est lui aussi un résultat aberrant : il survit grâce à des dispositifs médicaux alambiqués et son visage n’est qu’un affreux rapiéçage de peaux et d’os recomposés. La reprise et variation constante d’une malédiction originaire est-elle le meilleur moyen de s’adapter à cette dernière ? Le docteur Baxter rote comme un petit enfant en produisant une sorte de bulle de savon/saveur dont on craint qu’elle n’éclate en survolant les plats d’un somptueux dîner. Ce circuit du besoin alimentaire – à partir du bol alimentaire dans la bouche, des sécrétions sont déjà générées qui assaisonneront la table avec de nouveaux condiments ! – est à la fois dégoûtant et sublime car il passe justement par une bulle, une enveloppe précaire et translucide qui concède aux « pauvres créatures » la possibilité de développer, malgré tout, une intériorité. Les vêtements sociaux, comme des bulles, échappent alors à leurs créateurs, en disséminant ici et là une partie de leur vécu.</p>
<h2>Jouer avec la difformité</h2>
<p>Les vêtements de Bella, avec leurs épaulettes bizarrement disproportionnées, poussent l’esthétique sociale jusqu’aux limites de la difformité. Si l’on met de côté la robe bleue portée par la protagoniste dans lorsqu’elle saute d’un pont, la première robe dans laquelle on la voit ressuscitée se présente comme une série d’excroissances, résonances textiles des des bonnes manières. Ces représentations difformes du goût social dessinent une sublime « femme-éléphant », ou une créature digne de <em>La Forme de l’eau</em> (Guillermo del Toro, 2017). Côté syntaxe vestimentaire, un jupon à la queue rembourrée (sorte d’infinie « perruque de juge », selon Waddington) accompagné d’une veste aux épaules surdéveloppées (4<sup>e</sup> costume de Bella) dessinent une femme à la fois vamp et enfant, prête à séduire et en même temps à se pisser dessus.</p>
<p>Ce n’est que lorsque Bella annonce qu’elle veut se marier et partir en voyage que ses vêtements apparaissent, l’espace d’un instant, presque normaux, avec une coupe équilibrée et plus moulante. Mais alors qu’elle prépare ses vêtements pour le départ, son père coud dans l’un d’eux une poche intérieure dans laquelle il cache de l’argent. De manière emblématique, la survie de la femme continue de passer par les coutumes sociales qu’elle devra porter. Toute la vie du père putatif est également faite de prothèses (machines dont sa physiologie est dépendante) et de rapiéçages (son visage est une série de raccommodages de morceaux de peau).</p>
<h2>La poupée libérée</h2>
<p>Nous avons parlé de l’ambiguïté du désir masculin : les vêtements de Bella préfigurent et contiennent sa beauté explosive ; parallèlement, ils la transforment en poupée prête à satisfaire le désir masculin. Vers le milieu du film, Bella Baxter est accidentellement reconnue à Lisbonne comme la défunte Victoria Blessington ; cet événement, apparemment aussitôt archivé par la protagoniste, la pousse en réalité à dénuder ses épaules et avec des pantalons déjà transparents, elle se lance dans un ballet totalement anachronique et primitif. Non seulement elle finit par impliquer son mari dans la danse mais l’utilise, en le manipulant par derrière, presque comme une marionnette, dans le but d’inscrire sur le corps masculin les gestes de libération féminine que celui-ci voulait en fait camoufler.</p>
<p>La force de cette danse libératrice s’amplifie à travers la convocation d’une imaginaire visuelle plus vaste. En effet, peu après, le film nous présente, dans la cour du docteur Baxter, une seconde femme (Felicity), dotée d’un implant cérébral de fœtus. Cette réédition de la chimère est interprétée par Margaret Qualley, ce qui nous invite à relire la scène de la danse comme une citation possible du célèbre spot <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NoMqvniiEkk">Kenzo World</a> réalisé par Spike Jonze (2016). Dans cette publicité, Qualley quittait un gala de fin d’année, emblème d’une société opulente, pour se lancer dans une danse où les gestes animaux sont adoptés comme une claire transgression des normes, normes dans lesquelles la femme risque d’être emprisonnée dans une opposition de finalisations du désir masculin que Lanthimos rappelle impitoyablement : « tu me tues ou bien tu m’épouses ».</p>
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<h2>Perversion de la beauté</h2>
<p>Si la musique du film, jouée sur des instruments désaccordés, thématise une esthétique défaillante, la magnificence des costumes incarne la perversion de la beauté à laquelle on ne peut échapper. Chacun doit rentrer dans ses propres « habits » et renverser le sens habituel des artifices, qui dépassent leur statut fonctionnel et deviennent des idéalisations alambiquées auxquelles il faut tenter d’adhérer faute de mieux.</p>
<p>Toutefois, les aventures de Bella ne sont pas édifiantes (la protagoniste se consacre tour à tour au luxe, à la prostitution et à une vengeance cruelle), et ses vêtements marquent précisément les contradictions de son parcours existentiel.</p>
<p>Lorsqu’elle se trouve à pleurer devant un lazaret que lui montre le cynique Harry Ashley, Bella arbore les vêtements les plus ostensiblement aristocratiques (une robe victorienne blanche à manches bouffantes), et son rouge à lèvres est la première chose qu’elle regrette face aux horreurs du monde.</p>
<p>Au contraire, quand elle reprend en main son destin à Paris pour se lancer dans l’expérimentation extrême de la prostitution, ses vêtements sont de nouveau contenus et moulants (une cape en latex jaune, une sorte « manteau-préservatif », selon Waddington). Lorsqu’elle rentre finalement à Londres, elle est accueillie par la servante comme « le cheval qui est rentré à la maison », vêtue toute en noir, prête à rencontrer à nouveau un père putatif qui a déjà un pied dans la tombe et donc peut-être prêt à lui révéler ce qu’elle craint déjà en réalité : elle est à la fois mère et fille d’elle-même, prisonnière d’un circuit masculin qui la réduit à une « pauvre créature » : objet du désir et machine à procréer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577979/original/file-20240226-26-mbbxr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=586&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une « robe-préservatif », selon la costumière., pour la période où Bella se prostitue à Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-290065/photos/detail/?cmediafile=22056255">Allociné</a></span>
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<p>La cape jaune et semi-transparente de Paris est presque reproduite à l’identique à Londres dans la séquence dans laquelle elle demande au docteur Max McCandles de l’épouser ; mais le costume suivant, la robe de mariage, aux épaulettes disproportionnées, affiche de nouveau le thème du dédoublement : Bella est cette femme qui veut intégrer une nouvelle famille (et avec elle, la médecine) et une femme déjà mariée, avant son suicide, avec Alfie Blessington. De manière assez surprenante, Bella demande à Dieu (mais « God » est aussi le diminutif du père putatif, Godwin Baxter) de pouvoir quitter à la fois l’église et le mariage en cours, afin de suivre son ancien époux. En réalité, elle veut comprendre les raisons de son suicide.</p>
<h2>Renverser les hiérarchies</h2>
<p>Bella Baxter ne devra pas attendre longtemps pour passer d’une robe blanche luxueuse, qui épouse l’élégance du palais où réside son mari, à son premier costume rouge, caractérisé par une allure « militaire » et par une forme trapézoïdale sur la poitrine. Cette forme géométrique est inversée : en effet, Bella se retrouve sous l’autorité de son mari, réduite à l’état de prisonnière, un objet appartenant au « territoire » de celui-ci. Mais la robe indique justement que Bella est déjà prête à renverser les hiérarchies, au point de capturer le mari pour lui implanter le cerveau d’une chèvre et l’amener ainsi à brouter le gazon, le « territoire » des Baxter. Le bleu du vêtement de Mme Blessington suicidaire se transforme en rouge dans la robe de Bella qui lui permet d’assumer ses propres cruautés : d’un côté, son « manque d’instinct maternel » (elle n’a jamais accouché, et s’est suicidée en entraînant dans la mort de son propre enfant), et de l’autre, la réduction du mari – un général – à un animal « incurable » (sa perte d’humanité est définitive).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577977/original/file-20240226-16-gfx0s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un retour à la normale ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-290065/photos/detail/?cmediafile=22056255">Allociné</a></span>
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<p>En ce sens, le spectateur reste dans le doute et ne sait pas si l’émancipation de Bella l’a simplement admise au carrousel des horreurs ; ou si les rapiéçages opérés sur les êtres les plus déchirés peuvent finalement faire émerger une famille au-delà du patriarcat et peut-être même du matriarcat : une famille sans créatures ni marionnettistes, sans cobayes ni savants fous. Certes, le dernier costume qui caractérise son personnage – un pull en tricot à col roulé et une jupe longue – suggère une attitude décontractée, mais le jardin qui l’entoure est trop bizarre pour que l’on se sente vraiment rassuré.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223421/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierluigi Basso Fossali a reçu des financements de l'ANR.</span></em></p>L’héroïne du film de Yorgos Lanthimos offre l’occasion rêvée de percevoir les possibles dissonances entre la « tenue » sociale et les costumes que l’on porte.Pierluigi Basso Fossali, Professeur en sciences du langage, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249852024-03-05T16:03:01Z2024-03-05T16:03:01ZÊtre une femme devient un motif d’obtention du statut de réfugié<p>Alors que le Congrès réunit à Versailles vient de voter l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-inscrire-le-droit-a-lavortement-dans-la-constitution-est-aussi-une-protection-symbolique-195945">Constitution</a>, une autre évolution majeure pour la protection des droits des femmes est passée plus inaperçue : la reconnaissance par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), en <a href="https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2024-01/cp240007fr.pdf">janvier dernier</a>, des femmes comme « groupe social » au sens de la Convention de Genève de 1951.</p>
<p>Sous ses abords techniques, moins immédiatement séduisants qu’une inscription dans le texte suprême d’un État, cette évolution est pourtant une quasi-révolution. C’est la première fois en effet que la plus haute instance juridictionnelle de l’Union européenne (UE) reconnaît que les femmes peuvent, sous certaines conditions prévalant dans leur pays d’origine, être reconnues réfugiées du fait de craintes de persécutions liées au genre. Les femmes victimes de <a href="https://theconversation.com/juger-les-violences-conjugales-une-audience-historique-sur-le-controle-coercitif-en-france-220894">violences conjugales</a> – objet de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt du 16 janvier – mais également, par exemple, les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>, du fait du traitement qui leur est réservé par les <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-la-prise-de-pouvoir-des-talibans-les-afghanes-refusent-de-garder-le-silence-188624">talibans</a>, pourront désormais bénéficier d’une protection internationale certaine et améliorée.</p>
<h2>Le « groupe social », motif de protection</h2>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-relating-status-refugees">Convention de Genève de 1951</a> relative au statut de réfugié définit ce dernier comme :</p>
<blockquote>
<p>« toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays […] ».</p>
</blockquote>
<p>L’« appartenance à un certain groupe social » est certainement le motif de persécution le plus « énigmatique » ainsi que l’avait qualifié il y a quelques années un rapporteur public du Conseil d’État : ce qu’il signifie n’est pas aussi évident que les « opinions politiques », la « nationalité », ou la « religion ». S’il est fort probable qu’en 1951 le « groupe social » visé était celui des classes bourgeoises fuyant le communisme, l’indéfinition originelle de cette notion va faire beaucoup pour l’adaptation de la Convention à l’évolution de la protection des droits de la personne humaine.</p>
<p><a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32011L0095">Harmonisée</a> par le droit de l’Union européenne au début des années 2000, la définition du « groupe social » fait appel à deux critères très généraux, que l’on peut résumer simplement de la manière suivante : font partie du même « groupe social » les personnes qui, d’une part, partagent une caractéristique innée ou une histoire commune et, d’autre part, ont de ce fait une identité propre et sont perçues comme différentes par la société environnante. Or, cette définition a permis le développement, au fil des années, d’une jurisprudence promouvant principalement la protection des personnes victimes, dans leur pays d’origine, de persécutions liées au genre : tel est le cas, notamment et surtout, des personnes homosexuelles, des femmes et fillettes craignant des <a href="https://theconversation.com/excision-les-conges-dete-periode-a-risque-pour-les-adolescentes-77690">mutilations génitales</a>, ou encore des femmes s’opposant au <a href="https://theconversation.com/au-liban-les-mariages-dadolescentes-continuent-de-prosperer-92554">mariage forcé</a> – pour citer trois des principaux groupes sociaux reconnus dans certains pays d’origine par la <a href="https://euaa.europa.eu/fr/publications/guide-sur-lappartenance-un-certain-groupe-social">jurisprudence</a> de la plupart des États membres de l’Union européenne.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7iLpAQC1W24?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans de nombreuses hypothèses, tout à fait inimaginables en 1951, le « groupe social » a ainsi permis la protection de minorités persécutées à raison de leur orientation sexuelle ou de leur opposition aux traditions constitutives de tortures ou traitement inhumains ou dégradants. Ce motif a assuré ce faisant la pertinence continue – et donc la pérennité – de la Convention de Genève. Jusqu’à présent cependant, le « groupe social des femmes » n’avait été reconnu que très épisodiquement, par <a href="https://citeseerx.ist.psu.edu/document?repid=rep1&type=pdf&doi=7ee22fba7f6f517290864502c8df502f32b219c1">quelques cours de justice</a> dont l’isolement permettait sans doute l’audace. Il en va désormais tout autrement avec la consécration de cette option de protection par la CJUE.</p>
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<h2>Le « groupe social des femmes », une (r) évolution ?</h2>
<p>La reconnaissance d’un groupe social « des femmes » se heurtait au second critère de la définition : comment considérer en effet que les femmes, qui constituent généralement peu ou prou la moitié de la société d’un pays, puissent être perçues comme « différentes » par une « société environnante »… dont elles font elles-mêmes partie pour moitié ? Les personnes homosexuelles, les femmes s’opposant à l’excision ou au mariage forcé sont minoritaires au sein de la société, et sont perçues comme différentes, y compris par les autres femmes. Dans certaines hypothèses spécifiques cependant, les femmes dans leur ensemble sont perçues comme différentes.</p>
<p>C’est pourquoi, selon la CJUE, « il y a lieu d’apprécier », pour déterminer l’existence d’un groupe social au sens de la Convention de 1951, si un ensemble de personnes partageant une caractéristique ou une histoire commune est perçu de ce fait comme distinct « au regard des normes sociales, morales ou juridiques du pays d’origine en cause » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§56 de l’arrêt</a>). La « société environnante » est entendue en un sens large englobant les normes – juridiques, sociales, culturelles, etc. – dont l’objet est précisément de spécifier une partie de la population en raison de caractéristiques liées au genre. Les discriminations ou persécutions visant la part féminine de la population participent de sa marginalisation et permettent de la constituer en groupe social au sens de la Convention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<p>Le raisonnement permet la généralisation. Comme l’affirme la Cour, grâce à cette approche et « en fonction des conditions prévalant dans le pays d’origine, peuvent être considérées comme appartenant à “un certain groupe social” […] les femmes de ce pays dans leur ensemble » <a href="https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=281302&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=3538030">(§62</a>).</p>
<p>Telle est la principale révolution. S’il est vrai que les femmes pouvaient déjà, à raison de persécutions liées à leur genre, être protégées, cela se faisait au cas par cas et sur une base juridique régionale et non internationale, offrant une protection moindre. Désormais, les « femmes dans leur ensemble », originaires d’un pays au sein duquel elles auront été reconnues comme faisant partie d’un groupe social, pourront prétendre à la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951.</p>
<h2>Un « groupe social » des femmes afghanes ?</h2>
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<p>Le raisonnement de la Cour a permis, dans cette affaire, de reconnaître que les femmes peuvent être regardées comme :</p>
<blockquote>
<p>« appartenant à un “certain groupe social” […] lorsqu’il est établi que, dans leur pays d’origine, elles sont, en raison de leur sexe, exposées à des violences physiques ou mentales, y compris des violences sexuelles et des violences domestiques » (§57).</p>
</blockquote>
<p>Mais la généralisation qu’elle opère ouvre la voie à la reconnaissance d’autres groupes sociaux de femmes – et l’on songe évidemment à une telle reconnaissance concernant les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-la-guerre-des-talibans-contre-les-femmes-est-un-apartheid-des-genres-211569">femmes afghanes</a>. La Cour nationale du droit d’asile a d’ailleurs précédé la CJUE sur ce point, jugeant dans des décisions d’octobre dernier (par ex. CNDA, 3 oct. 2023, M.N.,n°22037537) que :</p>
<blockquote>
<p>« l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane » permettaient de considérer que les « femmes afghanes constituent un groupe social ».</p>
</blockquote>
<p>Loin des débats politiques sur les questions migratoires <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/en-bref/la-loi-immigration-a-lepreuve-du-conseil-constitutionnel-4197/">qui ne s’encombrent pas de préoccupations juridiques</a>, la protection internationale des femmes poursuit ainsi son évolution, par le droit international et grâce à son interprétation par les juges européens et nationaux.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://www.refwar.fr/">REFWAR</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224985/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Fleury Graff est co-porteur du projet « RefWar », financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR), s'intéresse à la protection en France des « réfugiés de guerre », c'est-à-dire de celles et ceux qui sont contraints à l'exil en raison d'un conflit armé dans leur État de nationalité ou de résidence.
</span></em></p>En janvier 2024, la CJUE a reconnu pour la première fois que les femmes pouvaient, sous certaines conditions, être reconnues réfugiées du fait de leur genre.Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241062024-02-25T16:26:54Z2024-02-25T16:26:54ZMobilisations agricoles : où (en) sont les femmes ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/colere-des-agriculteurs-gabriel-attal-annonce-un-nouveau-projet-de-loi-d-ici-l-ete-pour-renforcer-le-dispositif-egalim_6217681_823448.html">« Colère des agriculteurs »</a>, « Manifestation des agriculteurs », « Blocage des agriculteurs ». Ces titres de presse éclairent à double titre l’invisibilisation de la participation et de l’expression syndicale des femmes dans le <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">secteur agricole</a> : numériquement, en signifiant leur absence des scènes médiatiques et des terrains de la mobilisation, symboliquement, en renvoyant la <a href="https://theconversation.com/les-mouvements-de-contestation-des-agriculteurs-servent-ils-a-quelque-chose-221889">grogne</a> de la profession à des considérations uniquement portées par les hommes.</p>
<p>Les femmes représentaient en 2020 <a href="https://www.msa.fr/lfp/documents/98830/28556362/Population+f%C3%A9minine+en+agriculture+en+2020.pdf">26 % des chef·fe·s d’exploitation</a>, une part qui reste relativement stable. Elles sont majoritairement présentes en élevage et exercent davantage dans les filières de petits ruminants (caprins, ovins lait et viande), équine et avicole, qui généralement renvoient à des structures économiques de taille moyenne et petite.</p>
<p>Les <a href="https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2023/02/Oxfam_mediabrief_agriculture_Vdef.pdf">études</a> montrent que les femmes doivent se confronter à des représentations sociales qui peuvent décrédibiliser leur projet agricole : visions stéréotypées de ce qu’est « un exploitant agricole », remise en cause de la légitimité, remarques sexistes émanant des professionnel·le·s des instances agricoles telles que les commissions d’attribution des terres, banques, techniciens, bailleurs/futurs cédants, associations de développement agricole, etc. Plus généralement, des doutes persistent quant à la capacité d’une jeune femme à s’installer seule et les femmes sont soumises au test répété de leurs compétences.</p>
<p>Un constat qui par ailleurs contraste avec la féminisation des trois principales directions syndicales agricoles, à la tête desquelles œuvrent ou ont œuvré <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/christiane-lambert-lagricultrice-la-plus-courtisee-de-france-2076504">Christiane Lambert</a> (pour la FNSEA), <a href="https://www.lecese.fr/membre/veronique-le-floch">Véronique le Floch</a> (pour la coordination rurale) et <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/salon-de-l-agriculture-emmanuel-macron-prevoit-un-moment-de-discussion-un-peu-long-avec-avec-les-syndicats-lors-de-l-inauguration-selon-la-confederation-paysanne_6373798.html">Laurence Marandola</a> (pour la Confédération paysanne).</p>
<p>Comment éclairer ce paradoxe d’une profession qui continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance du monde agricole ?</p>
<h2>Des rôles genrés dans la mobilisation</h2>
<p>Une première manière de répondre à cette apparente contradiction est de s’intéresser à la place qu’occupe objectivement les femmes dans l’organisation des événements manifestants. Malgré l’accaparement de la parole par les hommes depuis le coup d’envoi de la mobilisation, les agricultrices n’en sont pas pour autant absentes mais les rôles attribués aux hommes et aux femmes ne sont pas les mêmes : aux premiers les actions commandos et coups de force médiatiques, aux secondes les opérations de sensibilisation.</p>
<p>Les agricultrices invoquent alors un style « manifestant » complémentaire à celui des hommes.</p>
<p>Elles se présentent comme celles qui « prennent la relève » des hommes mobilisés, comme dans le cas <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">du barrage gersois de Dému</a> le 28 janvier dernier où est organisé, à l’initiative des agricultrices du département, une <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">journée dédiée aux femmes et aux familles</a>. Elles se représentent aussi comme celles qui « prennent le relais » sur les exploitations, en apportant <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/temoignages-sur-une-exploitation-une-femme-c-est-primordial-conjointes-meres-exploitantes-les-femmes-soutien-indefectible-des-agriculteurs-2914130.html%C3%A0">leur soutien à l’arrière</a>, incarnant ainsi les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2013-3-page-99.htm">« épouses honorables et les gardiennes indéfectibles »</a> de la communauté familiale.</p>
<p>Leur prise de parole repose sur un <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=SR_024_0043">mode d’argumentation moral et humaniste</a>, plutôt que directement politique ou syndical. Tout autant qu’elle vise l’apaisement après les excès de violence masculins, leur participation, parce que rare, a comme objectif de convaincre l’opinion publique de la profondeur du <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">« malaise »</a> paysan. Produit d’une conception relativement traditionnelle des rôles de genre dans la profession, cette tactique de mobilisation (assurer l’arrière/prendre le relais/incarner une parole apaisante) est également un ressort de mobilisation stratégiquement encouragé par les organisations dominantes du gouvernement de l’agriculture et ses fractions les plus conservatrices.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</a>
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<h2>Observer plus finement les actions de basse intensité</h2>
<p>Une seconde réponse à apporter est de regarder autrement les façons de militer pour la profession agricole. Si les médias portent les coups de projecteurs sur des répertoires d’action à forte dimension protestataires, une analyse du travail syndical agricole attentive aux rapports de genre réclame que l’on dépasse ces seuls temps forts de mobilisation pour davantage envisager les actions de promotion professionnelle dites <a href="https://www.theses.fr/2017REN1G038">« de basse intensité »</a>.</p>
<p>Nous entendons par ce terme l’ensemble des événements festifs, ludiques et récréatifs où se construit « discrètement » la défense de la cause agricole. Très régulièrement en effet, les agricultrices, réunis en collectif, mènent des actions de promotion de leur métier destinées à qui repose sur l’ouverture au public de leur territoire professionnel.</p>
<p>On pense ainsi aux portes ouvertes sur les exploitations, l’accueil de groupes scolaires, l’organisation d’animations autour de l’agriculture lors de salons agricoles locaux, les manifestations sportives ou des festivals…</p>
<p>Rien de surprenant alors que l’opération baptisée « sur la paille », lancée par la Coordination rurale de la Vendée au lendemain de l’annonce des mesures par le premier ministre Gabriel Attal, soit venue <a href="https://www.challenges.fr/economie/les-agriculteurs-sur-la-paille-se-deshabillent-pour-repondre-a-attal_881579">d’une agricultrice</a>. Rompant avec les habituels feux de pneus et épandages de lisiers, les manifestants présents ont exprimé leur ras-le-bol en entonnant, dévêtus derrière une large banderole, des chants.</p>
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<figcaption><span class="caption">Premier week-end de mobilisation pour les agriculteurs de Vendée (TV Vendée Actu, 29 janvier 2024).</span></figcaption>
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<p>Un registre humoristique qui n’est pas nouveau : des agricultrices avaient déjà posé en maillot de bain en 2014 <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-des-agricultrices-en-maillots-de-bain-pour-un-calendrier-2906455">pour la réalisation d’un calendrier</a> dont les bénéfices avaient été reversés à la recherche contre le cancer du sein.</p>
<h2>Les mandats agricoles de plus en plus tenus par des femmes</h2>
<p>Une autre forme d’engagement politique fort des femmes néanmoins peu analysée est leur place croissant au sein d’organisations professionnelles ou syndicales.</p>
<p>Certes le nombre d’agricultrices occupant des postes à responsabilité dans les organisations agricoles augmente tendanciellement. Ainsi, depuis 2012, les assemblées des chambres d’agriculture comptent un tiers de femmes. Globalement, les organisations agricoles cherchent à ce que leurs conseils d’administration soient composés d’au moins 30 % de femmes afin d’atteindre la représentation dite « miroir », c’est-à-dire <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2014-2-page-183.htm">descriptive</a>.</p>
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<p>Cependant, un très fort plafond de verre limite la progression des femmes dans la hiérarchie des mandats. Ainsi le nombre de femmes présidentes de chambres départementales d’agriculture reste très limité, <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-615/r16-61512.html">on en compte trois à ce jour</a> : Drôme, Lozère et Côtes-d’Armor.</p>
<p>C’est également un mur de verre qui contribue à une répartition stéréotypée des mandats entre, d’une part, une surreprésentation des femmes dans les fonctions relevant des domaines considérés comme typiquement féminins (le social, la communication, la diversification) et, d’autre part, leur quasi-absence dans les mandats économiques et techniques les plus prestigieux. Au sein des coopératives d’utilisation de matériel agricole mais surtout dans les grands groupes industriels qui pèsent pourtant dans les orientations stratégiques et économiques de la profession, les femmes sont encore très peu présentes.</p>
<h2>Le manque de ressources</h2>
<p>Un ensemble de facteurs expliquent cette dichotomie. D’abord, comme elles sont rarement héritières de leurs entreprises par transmission familiale, elles estiment que les connaissances clefs du « milieu » leur font défaut (maîtrise enjeux fonciers, des données techniques, faible familiarité avec l’environnement institutionnel de la profession) pour évaluer l’opportunité d’une proposition, trancher des litiges et être la porte-voix de leurs homologues.</p>
<p>Ensuite, comme elles se sentent moins habilitées à manier les référents idéologiques, à émettre un avis syndical et à le défendre et à s’exposer publiquement aux jugements des pairs, elles se sentent éloignées des deux composantes gestionnaire et protestataire centrales du répertoire syndical agricole et incarnent moins immédiatement le rôle du « parfait » militant doté d’ambition, de tonus, de hauteur de vue et de charisme. Enfin, comme elles sont moins habituées à endosser ces fonctions, quand elles franchissent le pas, elles partagent une définition exigeante l’engagement porteuse de stress et de sentiment d’inconfort.</p>
<p>Pourquoi alors, certaines agricultrices et paysannes font figure d’exceptions ? Parce qu’elles sont dotées de ressources familiales, culturelles et sociales qui répondent aux qualités attendues du « bon » syndicaliste. Soit elles sont elles-mêmes filles de syndicaliste et ont été dès l’enfance socialisées aux rôles de responsables agricoles, soit elles ont eu des expériences scolaires et professionnelles antécédentes à l’agriculture qui leur ont permis de nourrir une aisance oratoire et argumentative ou encore de se forger des habitudes des négociations avec les pouvoirs publics, à l’instar de Danielle Even, qui a été présidente de la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor.</p>
<p>Reste enfin une dernière hypothèse qu’il conviendrait de tester plus finement. <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2007-2-page-45.htm">Les recherches</a> montrent en effet que certains contextes organisationnels favorisent l’accession des femmes : lorsque la valeur des mandats décroît ou en cas de conflits politiques internes.</p>
<p>C’est par exemple les difficultés financières et l’épuisement militant que rencontre l’UDSEA, version finistérienne de la Confédération paysanne, après six années de gestion de la chambre d’agriculture, qui éclairent la nomination d’une femme à la tête du syndicat en 2001.</p>
<p>Dans ces cas, la concurrence pour l’accès aux postes est moindre et l’ascension militante des femmes facilitée. La situation de crise qui mine actuellement la profession agricole est-elle donc un terreau fertile à l’engagement des femmes ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plan-ecophyto-tout-comprendre-aux-annonces-du-gouvernement-223571">Plan Ecophyto : tout comprendre aux annonces du gouvernement</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Clémentine Comer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur agricole continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance. Décryptage d’une invisibilisation.Clémentine Comer, Sociologue, IRISSO, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216672024-01-25T14:51:43Z2024-01-25T14:51:43Z« Réarmement démographique » ou comment rater la cible (de communication) ?<p>« Permettre un réarmement démographique » : l’expression employée par le président Emmanuel Macron pour décrire son plan de relance de la natalité et de lutte contre <a href="https://theconversation.com/oui-messieurs-la-fertilite-masculine-decline-aussi-avec-lage-191911">l’infertilité</a> a suscité de vives réactions. Il ne s’agit pas ici de juger la pertinence de ce plan annoncé lors de sa conférence de presse du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ySrRVE3m_SU">16 janvier 2024</a>. Notre objectif est d’analyser ce que cette formule révèle de la difficulté de décideurs, gouvernementaux notamment, à comprendre la psychologie des comportements (et changements comportementaux). Sans cette compréhension, ils s’avèrent incapables de déterminer quelles conditions et caractéristiques doivent être respectées pour qu’une communication à visée persuasive soit efficace.</p>
<p>Ce travers s’était déjà exprimé lors de la pandémie de Covid-19 avec de multiples déclarations et <a href="https://theconversation.com/les-lecons-des-sciences-comportementales-pour-assurer-un-confinement-efficace-134831">mesures incitatives</a> ou coercitives aux résultats à l’efficacité nuancée (avec des dommages collatéraux parfois conséquents, comme une <a href="https://theconversation.com/appeler-a-la-peur-pour-proteger-la-population-et-obtenir-leffet-inverse-133946">montée importante de l’anxiété</a> pouvant aller <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19098/pandemie-2020">jusqu’à des symptômes</a> rappelant des <a href="https://datacovid.org/lefficacite-mitigee-des-appels-a-la-peur-dans-les-communications-du-covid19/">états de stress post-traumatique</a>).</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>La phrase d’Emmanuel Macron au sujet du « réarmement démographique » pour permettre « une France plus forte » « par la relance de la natalité » a pu être perçue comme réactionnaire. Elle a provoqué la colère de nombreuses personnalités politiques, notamment à la gauche de l’échiquier politique, mais aussi plus largement de diverses associations féministes ou concernées par les <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/rearmement-demographique-tolle-des-feministes-apres-les-propos-d-emmanuel-macron-20240117">droits des femmes et des familles</a>. Ce parti pris de formulation a occulté certaines mesures qui auraient pu être accueillies plus favorablement (par exemple, le plan de lutte contre l’infertilité attendu par <a href="https://www.midilibre.fr/2024/01/17/le-plan-de-lutte-contre-linfertilite-existe-maintenant-il-faut-le-mettre-en-oeuvre-estime-le-pr-samir-hamamah-11701559.php">certains spécialistes de la reproduction</a>) et a amoindri l’effet d’une perspective qui aurait pu avoir une connotation positive (la vie au travers de naissances à venir).</p>
<h2>Une rhétorique guerrière anxiogène</h2>
<p>Indépendamment d’un jugement sur le fond, la terminologie adoptée explique en partie ces réactions et marques de résistance. Tout d’abord, du fait de la rhétorique guerrière. L’historienne <a href="https://www.huffingtonpost.fr/life/article/parler-de-rearmement-demographique-est-extremement-inquietant-selon-cette-historienne_228477.html">Marine Rouch</a> a ainsi repéré « une sémantique ‘viriliste et guerrière’ qui n’a rien d’anodin ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747527169121648875"}"></div></p>
<p><em>Le caractère guerrier de la métaphore a suscité de nombreuses réactions</em></p>
<p>Déjà mobilisé lors du Covid, ce lexique guerrier, par ses références en France à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/radiographies-du-coronavirus/quand-crise-sanitaire-rime-avec-rhetorique-guerriere-5878741">première et à la Seconde Guerre mondiale</a>, avait alors frappé les esprits (« Nous sommes en guerre » avait martelé Emmanuel Macron). Implicitement et symboliquement également, l’idée de réarmement fait référence à la guerre et peut se révéler anxiogène, a fortiori dans le contexte actuel où guerres et conflits armés réactivent, partout dans le monde, et en particulier sur le continent européen, des <a href="https://www.lexpress.fr/societe/stress-angoisses-les-repercussions-de-la-guerre-en-ukraine-sur-la-sante-mentale-des-francais_2169594.html">angoisses qu’on croyait oubliées</a>.</p>
<p>Ce choix est dommageable, car une rhétorique guerrière entraîne un imaginaire anxiogène. Or, lorsque les individus ont peur, leur réponse inconsciente est souvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2005-1-page-97.htm">mécanisme de défense psychologique d’évitement ou de déni</a>. Autrement dit, une réaction défensive destinée à diminuer l’inconfort psychologique ressenti, mais qui est à l’opposé de celle recherchée. En effet, faire face à une situation stressante nécessite de développer des efforts, cognitifs en particulier, et une stratégie dite d’adaptation. L’individu stressé peut préférer ne pas voir la réalité, la déformer ou encore discréditer la source de l’information <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/32044643/coping_as_a_mediator_of_emotion-libre.pdf">pour se protéger psychologiquement</a>. Ces réactions compromettent bien sûr l’efficacité persuasive.</p>
<h2>Un discours infantilisant et moralisateur</h2>
<p>Le message a aussi été perçu comme infantilisant. En filigrane, certaines et certains y ont entendu que les femmes ne seraient pas suffisamment matures pour décider par elles-mêmes de décisions relatives à la natalité. <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Cela a pu être vu comme</a> une « tentative de contrôler le corps des femmes », une volonté de « mettre les ventres des femmes au service de l’État ». <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/societe/laissez-nos-uterus-en-paix-tolle-des-feministes-sur-le-rearmement-demographique_AD-202401170680.html">« Laissez nos utérus en paix ! »</a> a lancé de son côté la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert.</p>
<p>Ce message était instillé par ailleurs dans une communication descendante, dont le caractère directif, voire autoritaire, apparait dans la qualification « d’injonctions natalistes » <a href="https://www.bfmtv.com/societe/les-propos-de-macron-sur-le-rearmement-demographique-font-un-tolle-a-gauche-et-chez-des-associations-feministes_AD-202401170648.html">utilisée de nombreuses fois à son propos</a>. De ce fait, le message, a priori incitatif, avait tout pour engendrer de la <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">réactance (mécanisme de défense psychologique)</a> en raison d’une liberté qui pouvait sembler menacée. Ainsi, la députée écologiste Sandrine Rousseau a <a href="https://www.leparisien.fr/politique/macron-sur-la-natalite-les-uterus-des-femmes-ne-sont-pas-une-affaire-detat-fustige-rousseau-18-01-2024-WQI2PVOP5RASJGTJ6OD42PM5XA.php">réagi</a> :</p>
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<p>« Chaque femme est libre de choisir de faire des enfants ou de ne pas en faire » et</p>
<p>« Les femmes font absolument ce qu’elles veulent de leur corps ».</p>
</blockquote>
<p>De plus, le discours émanait d’un représentant des pouvoirs publics envers lesquels la méfiance des Français est grandissante. <a href="https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/N-2305-11464.pdf">Cette absence de confiance envers l’émetteur</a> ne pouvait que renforcer la résistance par une diminution de la crédibilité perçue de la source du message.</p>
<h2>Le délicat recours aux normes sociales</h2>
<p>De même, une composante morale transparaît de ce discours incitatif. Délibérément ou involontairement convoquée, la responsabilité individuelle est ainsi associée à un devoir de reproduction de chaque Français(e). Ce « bon » comportement apparaît de façon plus ou moins explicite comme la clé pour revendiquer un statut de « bon » ou « bonne » citoyen(ne). Or, la stimulation d’un devoir de conformité à des normes sociales est indissociable de la responsabilité morale individuelle. Une communication incitative en faveur de la natalité cherche donc à amener les récepteurs et réceptrices à se conformer à ce qui est présenté comme la norme du groupe, de la communauté. Les cibles ressentent de ce fait une pression sociale. L’individu exposé à cette forme d’influence sociale cherchera donc <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/002200275800200106">à se soumettre</a> pour obtenir l’approbation sociale ou éviter la désapprobation sociale.</p>
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<p>Toutefois, le recours explicite ou implicite aux normes sociales exige d’être utilisé avec précaution. D’une part, certaines cibles ayant déjà internalisé une norme morale conforme à leurs valeurs, comme celle de faire des enfants, risquent finalement d’être rebutées par la volonté de persuasion – <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/45767255/Enhancing_or_Disrupting_Guilt_The_Role_o20160519-4175-57fjrw-libre.pdf">notamment si cette dernière est perçue comme manipulatrice</a>. Elles peuvent aussi ressentir une menace sur leur liberté individuelle et <a href="https://www.cairn.info/marketing-social-et-nudge--9782376875482-page-75.htm">développer de la réactance situationnelle</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-prefere-se-passer-des-journalistes-des-quil-le-peut-221367">« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »</a>
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<p>De surcroît, en appeler à la responsabilité individuelle peut entrer en conflit avec la perception d’une nature infantilisante du message délivré. Il est en effet paradoxal de demander aux cibles de se conduire en adultes responsables et « en même temps » de leur délivrer un message perçu comme infantilisant. « nouveau, la contradiction dans les intentions perçues réduit la persuasion recherchée.</p>
<p>En outre, il existe <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/47395178/Recycling_the_Concept_of_Norms_to_Reduce_Littering_in_Public_Places-libre.pdf">deux types de normes</a>. D’une part, les normes injonctives – fondées sur la perspective de récompenses ou sanctions sociales. D’autre part, les normes descriptives – qui résultent de ce que font les membres de la communauté et de ce qui est considéré comme le comportement « normal ». Ce second type de norme se base fortement sur l’exemple. Or sur ce point, Emmanuel Macron est dans l’impossibilité de se présenter comme <a href="https://theconversation.com/devoir-dexemplarite-detricoter-les-cols-roules-des-politiques-192891">l’exemple à suivre</a>. Cela affaiblit l’effet de norme descriptive et peut sembler paradoxal, comme n’a pas manqué de le noter le collectif féministe <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/rearmement-demographique-les-propos-demmanuel-macron-suscitent-la-colere-des-feministes-27efe6ce-b5ec-11ee-be97-0ca6f5a426b0">Nous Toutes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Un homme cisgenre de 46 ans sans enfants qui vient nous donner des leçons sur la façon dont on doit utiliser nos utérus… »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la mobilisation de normes sociales ou morales risque d’activer des émotions négatives chez celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas les suivre : culpabilité et honte notamment. Il est alors question de réponses affectives de valence négative, susceptibles de déclencher elles aussi des comportements de défense, d’évitement, de déni, voire le fameux effet « boomerang » consistant à <a href="https://books.google.fr/books/about/Communication_and_Persuasion.html?id=j_FoAAAAIAAJ">prendre le contre-pied</a> exact de ce qui est préconisé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747945785809932547"}"></div></p>
<h2>La confiance, pierre angulaire de la persuasion ?</h2>
<p>En conséquence, et comme le précise la philosophe Cristina <a href="https://psycnet.apa.org/record/2006-06579-000">Bicchieri</a>, pour espérer convaincre en recourant à toutes ces mécaniques d’influence sociale, il ne faut rien négliger. En particulier, Bicchieri pointe la nécessité de :</p>
<blockquote>
<p>« prévoir comment les gens vont interpréter un contexte donné, quels indices ressortiront comme saillants et comment des indices particuliers sont liés à certaines normes ».</p>
</blockquote>
<p>Comme le souligne le chercheur en philosophie de la santé, <a href="https://theconversation.com/les-francais-es-face-a-leur-responsabilite-133726">David Simard</a>, les Français ont un rapport complexe et ambigu à l’autorité et à l’État. De tendance facilement contestataire, ils valorisent la liberté individuelle mais en oublient parfois son corollaire, la responsabilité individuelle. De même, ils ne supportent pas les injonctions mais reprochent facilement à l’État de ne pas définir et/ou de <a href="https://theconversation.com/debat-quand-le-libre-choix-cache-la-societe-disciplinaire-que-denoncait-michel-foucault-138089">ne pas faire respecter des règles</a>. Cela rend l’exercice de la communication incitative encore plus compliqué, surtout à une époque où la confiance dans les élites, dans les médias, dans la Science, dans les politiques semble sérieusement altérée.</p>
<p>Or, en matière de communication liée à la santé (natalité et infertilité s’y rattachent), les chercheurs en psychologie sociale <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21613380">Gabriele Prati</a>, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21957983/">Luca Pietrantoni et Bruna Zani</a> ont montré que cette <a href="https://theconversation.com/politique-une-histoire-de-confiance-186487">confiance</a> représente une clé essentielle de l’efficacité persuasive.</p>
<p>Pour espérer persuader les Français de faire plus d’enfants, il faudrait donc avant toute chose faire (re)naître la confiance… Cela semble passer tout d’abord par une meilleure maîtrise de la psychologie comportementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les recherches en communication apportent un éclairage critique sur la rhétorique du « réarmement démographique » utilisée par Emmanuel Macron.Marie-Laure Gavard-Perret, Professeure des universités en gestion, Grenoble IAE, laboratoire CERAG, spécialiste du marketing social et de la communication persuasive et préventive. Co-responsable de la chaire de recherche Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE., Grenoble IAE Graduate School of ManagementMarie-Claire Wilhelm, Maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, Grenoble INP, CERAG, co-responsable de la Chaire Marketing au Service de la Société (M2S) de Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201832024-01-23T16:37:34Z2024-01-23T16:37:34ZLes féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ?<p>Les féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ? Des magazines tels <em>Causeur</em> et <em>Valeurs actuelles</em> font leurs gros titres sur la <a href="https://www.causeur.fr/feminisme-lahaie-fourest-menard-vienet-33706">« terreur féministe »</a> et la radicalité des combats que des militantes <a href="https://www.journaldesfemmes.fr/societe/combats-de-femmes/2625279-valeurs-actuelles-alerte-les-feministes-sont-devenues-folles/">« devenues folles »</a> mèneraient contre le genre masculin. Le Rapport annuel 2024 sur l’état des sexismes en <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/actualites/article/6e-etat-des-lieux-du-sexisme-en-france-s-attaquer-aux-racines-du-sexisme">France</a> qui met en avant une augmentation des idées machistes chez les jeunes hommes de 24-35 ans déplace le pôle de la radicalité en question.</p>
<p>« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne », commente le rapport 2024. Ces débats sur le postulat de l’extrémisme féministe d’aujourd’hui et le constat de la montée concomitante des conservatismes masculins à l’égard des femmes intéressent assurément l’histoire et renvoient aux positionnements des <a href="https://www.puf.com/antifeminismes-et-masculinismes-dhier-et-daujourdhui">antiféminismes et masculinismes d’hier</a>.</p>
<p>Un exemple édifiant est la loi qui a permis aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire en France. Adoptée le 21 décembre 1880, sous la III<sup>e</sup> République, la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9844-la-loi-camille-see-ouvre-l-enseignement-secondaire-aux-jeunes-filles">« loi Camille Sée »</a> a révélé un masculinisme agitant le chiffon rouge de ce qui était perçu à l’époque comme de l’extrémisme féministe.</p>
<p>Tout à la fois, cette loi républicaine est novatrice et conservatrice.</p>
<p>Novatrice, car elle instaure pour les jeunes filles ce que le Second Empire n’a pas réussi à faire. Soucieux de promouvoir un enseignement secondaire féminin, le ministre de l’Instruction publique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Duruy">Victor Duruy</a> avait posé avec la circulaire du 30 octobre 1867 le projet de la création de Cours d’enseignement secondaire pour les jeunes femmes. Cette initiative avait soulevé une violente opposition de l’Église catholique qui contribuera à l’échec de cette entreprise. La politique scolaire du ministre se situait dans le contexte d’un Second Empire qui avait initié une ébauche d’instruction féminine dans le primaire, avec la loi Falloux qui permettait l’ouverture d’une école primaire pour les filles dans chaque commune de plus de 800 habitants et la loi de Victor Duruy du 10 avril 1867 qui abaissait ce seuil à 500. Ces mesures étaient des avancées au regard de la loi de juin 1833 de <a href="https://www.guizot.com/fr">François Guizot</a> qui, sous la monarchie de Juillet, avait obligé l’ouverture d’écoles primaires pour les garçons dans chaque commune de plus de 500 habitants, en faisant l’impasse sur l’instruction primaire des filles.</p>
<p>Cette loi républicaine du 21 décembre 1880 est aussi conservatrice car elle crée de façon volontaire un enseignement féminin qui n’a ni le même cursus, ni le même programme, ni le même diplôme que celui des garçons. Il se déroule en cinq ans, au lieu de sept pour eux. Il privilégie un enseignement ménager et de couture pour elles. Et il n’inclut dans son programme aucun cours de philosophie et de langues anciennes. Or, ces matières sont <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-du-baccalaureat-9782350770901.html">obligatoires au baccalauréat</a>. La fin du cursus donne accès non pas un baccalauréat, mais à un « diplôme de fin d’études secondaires » qui ne permet pas aux filles d’accéder à l’université. Les républicains ont donc profité du revers du Second Empire pour créer un enseignement féminin à leur convenance. Mais s’ils ont œuvré pour que la jeune fille ne soit plus élevée « sur les genoux de l’église », selon la formule chère à leur adversaire clérical, Monseigneur Dupanloup, ils ont aussi agi pour qu’elle soit élevée sur les genoux républicains du foyer familial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Cet inégalitarisme de scolarisation entre filles et garçons n’est pas le fait du hasard. Dans ce <a href="https://galeries.limedia.fr/histoires/les-stereotypes-de-genre-au-XIXe-si%C3%A8cle/">XIX<sup>e</sup> siècle masculiniste</a>, il résulte d’une peur que les hommes ont que les femmes puissent accéder à autre chose qu’un simple enseignement élémentaire. Cette <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">frayeur tourne autour d’une trilogie</a> que scandent législateurs et autres théoriciens de l’éducation dans les discours, ouvrages et articles dont ils sont les auteurs : les femmes studieuses seraient des femmes orgueilleuses, hideuses, dangereuses. Les délibérations qui se tiennent à la Chambre des députés en décembre 1879 et janvier 1880 ainsi qu’au Sénat en novembre et décembre 1880 permettent de bien rentrer dans le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">détail de ces émois</a>.</p>
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<h2>Femmes studieuses, femmes orgueilleuses</h2>
<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Femmes_savantes/119250"><em>Les Femmes savantes</em></a> de Molière et <a href="https://www.livre-rare-book.com/book/20676660/12142"><em>Les Bas-Bleus</em></a> de Barbey d’Aurevilly sont dans toutes les têtes lors des débats parlementaires et sénatoriaux. Ces pédantes ridicules sans talent sont des repoussoirs absolus. Dans l’introduction à son projet de loi, le député Camille Sée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f84.image.r=Chrysale%20a">rassure</a> ses collègues parlementaires :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leurs ménages, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. » (ndlr, « bas-bleu » est expression péjorative pour désigner une femme cultivée)</p>
</blockquote>
<p>Pas plus par snobisme hautain que par surcroît d’intellectualité, il leur promet que la femme républicaine n’abandonnera les tâches culinaires qui lui reviennent :</p>
<blockquote>
<p>« L’économie domestique leur est indispensable ; Chrysale a raison : il faut songer au pot-au-feu. On le dédaignait par mondanité ; il ne faut pas qu’on le dédaigne par excès de capacité. »</p>
</blockquote>
<p>Sur les bancs de ces nobles assemblées, des cris fusent contre les « habits déchirés » que la femme, trop « occupée de hautes études » ne voudra plus recoudre pour son mari. Ils s’indignent aussi du « rôti brulé » et du « pot-au-feu manqué » qu’elle ne manquera pas de lui servir.</p>
<p>Toutes ces admonestations sur les « savantes », les « bas-bleus », les « ergoteuses » avec leur « mondanité », leur « capacité » et leurs « hautes études » sont des doigts sévèrement pointés sur celles qui sont perçues comme de futures orgueilleuses instruites et diplômées qui ne pourront que regarder de haut les tâches subalternes des habits à recoudre et du dîner à préparer. Même après la proclamation de la loi, les recommandations restent tenaces contre « l’orgueil » de la jeune fille instruite.</p>
<p>Tout ce qui relève du scientifique exacerbe particulièrement les élites de l’époque. Le 28 juillet 1882, l’ancien ministre de l’Instruction publique Jules Simon déclare lors d’une remise de prix à de jeunes lycéennes :</p>
<blockquote>
<p>« Je soutiens qu’il est parfaitement inutile d’enseigner la chimie et la physique aux filles […] »</p>
</blockquote>
<p>Le risque de ces sciences, continue-t-il, est de faire de ces jeunes femmes des mères infatuées qui ne s’abaisseront plus à nourrir leur progéniture. Elles utiliseront un langage châtié pour vérifier que leur servante ait bien mis du sucre dans le bouillon de leur petit. Jules Simon se moque du ridicule qu’aurait leur style ampoulé :</p>
<blockquote>
<p>« [Elles] ne manqueront pas […] de s’écrier en molestant la nourrice de leur enfant – car elles ne nourriront certainement plus elles-mêmes – “Avez-vous donné à mon fils son potage sacchariné ?” »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-hommes-qui-mexpliquent-la-vie-de-nouvelles-solutions-a-un-tres-vieux-probleme-120646">« Ces hommes qui m'expliquent la vie » : de nouvelles solutions à un très vieux problème</a>
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<h2>Femmes studieuses, femmes hideuses</h2>
<p>La femme hideuse, c’est la « virago », cette mégère autoritaire aux allures masculines que généreront ces études secondaires. Trois jours après la séance sénatoriale du 22 novembre 1880, l’écrivain <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qui-etait-octave-mirbeau-3439692">Octave Mirbeau</a> dans le journal <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k523648k/f1.image"><em>Le Gaulois</em></a> s’étrangle de colère devant la politique républicaine en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce que j’apprends ? Et où allons-nous, mon Dieu ? Ne voila-t-il pas, maintenant, qu’ils veulent prendre nos filles pour en faire des hommes ! »</p>
</blockquote>
<p>Après quelques considérations sur « la barbe au menton » qu’elles ne manqueront pas d’avoir, il dénonce le sabotage d’identité qui se trame :</p>
<blockquote>
<p>« II s’agit de les déniaiser, de les savantiser, de les bas-bleuiser, de les garçonniser, de les viriliser. »</p>
</blockquote>
<p>Tous horizons politiques confondus, le « bas-bleu » n’est donc pas seulement une prétentieuse qui pérore à tout va. C’est aussi une femme qui trahit hideusement sa nature féminine. Un « homme manqué », un « hermaphrodite » qui s’échine à vouloir ressembler à son homologue masculin pour mieux le toiser. Charles Baudelaire, Georges Proudhon ou Jules Barbey d’Aurevilly se déchainent sur les affreuses métamorphoses à venir. En femme de plume célèbre, George Sand est une de leurs cibles favorites. Plus cyniques que jamais, les <a href="https://laffont.ca/livre/journal-des-goncourt-t-3-ne-a-paraitre-97822211t41267/">frères Goncourt</a> s’en prennent aussi à elle pour attester des mutations en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand […] on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parent de nos verges. »</p>
</blockquote>
<h2>Femmes studieuses, femmes dangereuses</h2>
<p>On s’effraie des « bas-bleus » dégénérés autant que des « bas-rouges » révoltés à venir. Le lendemain du vote en première lecture de la loi sur les lycées de jeunes filles, le journal catholique <em>L’Univers</em> <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k703581x">fait son miel</a> du péril imminent que préparent les savoirs et diplômes féminins. Les « futures doctoresses et avocates », élevées « sans religion » et « bourrées de cette science-frelatée » ne seront que les répliques des violences de 1848 et 1870 :</p>
<blockquote>
<p>« La haine de ces bas-rouges sera d’autant plus féroce que leurs appétits seront plus vastes ; elles voudront réformer une société où elles ne sauraient trouver place, et s’en iront, avec les Hubertine Auclert et les Louise Michel, courir les réunions publiques et réclamer les droits de la femme. »</p>
</blockquote>
<p>Lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi, le sénateur bonapartiste Georges Poriquet agite également l’épouvantail de l’émeutière communarde. « Même améliorée par la République », il ne veut pas de cette « femme savante, électeur et orateur, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_commune-9782707186805">Louise Michel</a> du présent et de l’avenir ».</p>
<p>Dangereuses pour les autres, les femmes studieuses le seraient aussi pour elles-mêmes. Ces littératures prédisent que, désœuvrées par ces nouveaux savoirs, elles se donneront « au premier homme qui passera », « qu’elles se tueront », qu’elles « deviendront folles »…</p>
<p>Les hommes du XIX<sup>e</sup> siècle ont eu peur des évolutions à venir. Et ils ont fait peur à leurs contemporains pour que ces progrès ne se fassent pas. Leur refus d’un enseignement secondaire à égalité avec celui des garçons a été extrême. Il a rejeté de toutes ses forces ces changements en dramatisant leurs enjeux. Il faudra attendre le décret de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_B%C3%A9rard_(homme_politique)">Léon Bérard</a> en 1924 pour que les filles puissent commencer à passer un baccalauréat identique à celui des garçons ; soit cent seize ans après le décret impérial du 17 mars 1808 de Napoléon 1er.</p>
<p>Deux siècles plus tard, les conservateurs s’offusquent de l’extrémisme des féminismes d’aujourd’hui. Ces femmes seraient une fois encore <a href="https://www.entreprendre.fr/le-neo-feminisme-nouveau-totalitarisme-engendrant-des-monstres/">orgueilleuses</a>, <a href="https://mamanvogue.fr/bien-etre/enfants/psychologie-enfants/comment-le-feminisme-met-en-danger-la-feminite/">hideuses</a>, <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/le-neo-feminisme-une-ideologie-totalitaire-feministes-militants-societe-france-critiques-pensee-philosophie-revendications-jean-gabard">dangereuses</a>… Ce n’est rien de neuf sous le soleil noir des <a href="https://theconversation.com/il-faut-quon-parle-de-la-maniere-dont-on-parle-des-incels-182928">conservatismes sexistes</a> du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les féministes du XXIᵉ siècle sont parfois taxées d’extrémisme. L’Histoire nous montre que ce chiffon rouge est souvent agité notamment lors des débats sur l’accès des femmes à l’éducation secondaire.Jean-Michel Barreau, Professeur émérite en Sciences de l'éducation. Historien de l'école et de l'éducation. Spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201612024-01-19T18:50:19Z2024-01-19T18:50:19Z« Je préfère ne pas en parler » : le tabou des avortements en dépassement de délais<p>Avorter reste un évènement fréquent dans la vie d’une femme : une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-42.htm">grossesse sur trois donne lieu à un avortement</a> et <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-42.htm">40 %</a> des femmes y auront recours au moins une fois dans leur vie. Pour pouvoir accéder à une interruption volontaire de grossesse, lorsque son accès est interdit ou limité dans le pays de résidence, les femmes cherchent des législations plus favorables et se déplacent au gré des évolutions du droit des États.</p>
<p>La France ne fait pas exception. À l’heure où il est question d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution, de nombreuses Françaises <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2018-2-page-225.htm?ref=doi">passent encore les frontières</a> pour accéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). En l’absence de statistiques fiables, seules des estimations élaborées principalement à partir des demandes d’accompagnement comptabilisées par le Planning Familial permettent de quantifier le phénomène. Elles seraient chaque année environ 5000 à se rendre à l’étranger pour avorter.</p>
<p>C’est le dépassement du délai légal qui motive leur déplacement vers un autre pays à la législation plus progressiste. Les <a href="https://www.planning-familial.org/fr/que-faire-en-cas-de-depassement-du-delai-legal-divg-1676">seuils légaux dans les États frontaliers</a>, pour ne citer que les Pays-Bas et l’Espagne, sont respectivement de 20 et de 22 semaines de grossesse. En France, ce délai est actuellement de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045287560">14 semaines de grossesse</a>.</p>
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<h2>De la difficulté de recueillir des témoignages</h2>
<p>Peu de travaux de recherche en sciences sociales s’intéressent aux mobilités frontalières pour un avortement dans sa dimension vécue. Pour enrichir les savoirs dans ce domaine, nous avons mené une <a href="https://transfrontera.univ-perp.fr/prospectsaso-prospective-transfrontaliere-sanitaire-et-sociale/">enquête de terrain</a> de 2017 à 2020 par observations et par entretiens. Elle s’est déroulée de part et d’autre de la frontière franco-espagnole, dans les cliniques de Gérone et Barcelone, toutes deux impliquées dans la prise en charge de demandeuses d’avortement en dépassement de délai.</p>
<p>Le nombre de femmes ayant accepté de témoigner est particulièrement faible au regard du nombre rencontré : sur presque 300 femmes sollicitées en salle d’attente des cliniques et 70 échanges plus formels au cours desquels ont été présentés les objectifs de recherche, seules 43 ont accepté d’être recontactées pour un entretien enregistré avec garantie d’anonymat. 20 n’ont pas donné suite à une reprise de contact ultérieure. Une fois l’expérience de l’avortement passée, les femmes font souvent le choix de ne plus l’évoquer, comme si elles laissaient de l’autre côté de la frontière cette part de leur histoire personnelle.</p>
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<p>Ces difficultés dans l’accès au terrain de recherche et plus précisément à l’expérience vécue de l’avortement en dépassement de délai ne peuvent que réinterroger les postures méthodologique et déontologique. Elles questionnent au même moment la perception de l’avortement en dépassement de délai aujourd’hui dans la société. En effet, alors que l’entretien sociologique repose sur l’empathie, le consentement, la confiance, le sentiment de contraindre ou de forcer l’adhésion a été fréquent. Nos impératifs de recherche nous conduisaient à « faire parler », à « écouter » des femmes qui semblaient vouloir se taire. Si le sceau du silence frappe l’expérience de l’avortement en général, le dépassement de délai l’exacerbe.</p>
<p>Malgré la légalisation de l’avortement avec la loi Veil de 1975 et en dépit du fait qu’avorter reste un évènement fréquent dans la vie d’une femme, le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sociologie_de_l_avortement-9782348074998">tabou inhérent à l’avortement reste puissant</a>.</p>
<h2>Sentiment de clandestinité dans un cadre légal</h2>
<p>Être « hors délai » ou se trouver en « dépassement de délai » renforce le tabou.</p>
<p>Les exemples de réprobation sociale subie sont nombreux (médecins français annonçant à leur patiente l’impossibilité d’avorter légalement au-delà du délai légal français et n’évoquant pas la possibilité d’aller à l’étranger alors même qu’ils la connaissent, chauffeurs de taxi qui ne souhaitent pas déposer les patientes à l’entrée des cliniques, mais dans une rue attenante, etc.)</p>
<blockquote>
<p>« L’échographe a fait comme si on le gardait. Et puis elle, elle n’était pas trop pour l’avortement. Elle nous a dit qu’on ferait mieux… enfin, elle nous a déconseillé d’aller en Espagne, que l’impact psychologique était très très dur… Elle avait peut-être raison, je sais pas. “Faites bien attention, prenez votre temps pour faire votre choix, parce que… y’a des parents qui s’en remettent jamais.” C’est peut-être pas faux, je sais pas. » (Sonia, 38 ans)</p>
<p>« Quand j’ai parlé à la sage-femme d’avortement, elle était complètement contre. Elle m’a dit que certes aujourd’hui je ne voulais pas d’enfants, que j’ai la chance d’en avoir au mois un et que ce serait dommage… Elle m’a dit “vous vous rendez compte, il a un cœur, c’est un être vivant…” » (Charlie, 28 ans)</p>
</blockquote>
<p>Ces professionnels alimentent un sentiment de honte et de culpabilité et incitent les femmes à taire ou à cacher leurs expériences d’avortement transfrontalier. On citera une femme qui cache son visage dans la salle d’attente de l’une des cliniques espagnoles par crainte d’être reconnue, ou encore toutes celles qui trouvent des « excuses » et des motifs d’absence « recevables » à l’égard de leur entourage familial, personnel ou professionnel lorsqu’il s’agit de s’absenter pour réaliser un avortement à l’étranger.</p>
<p>L’illégalité a historiquement marqué la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-l-avortement-XIXe-XXe-si%C3%A8cle---9782020541367.htm">pratique de l’avortement</a>. En étant « hors délai » en France, les femmes se vivent dans une certaine mesure comme étant « hors la loi » et nourrissent un sentiment d’illégalité alors même qu’avorter à l’étranger n’est pas une pratique illégale.</p>
<blockquote>
<p>« J’avais l’impression de faire un truc qui n’est pas autorisé ici, en fait […] Dire qu’on a fait une IVG et en plus qu’on a traversé la frontière, j’ai l’impression que c’est un truc encore plus grave… Je ne l’ai pas fait ici, je l’ai fait ailleurs […] Je sais pas, peut-être qu’on a l’impression de transgresser, parce qu’on passe la frontière, c’est comme si on allait faire… je sais pas, du trafic de quelque chose. » (Héléna, 33 ans)</p>
</blockquote>
<p>Passer la frontière pour avorter est assimilé à un acte transgressif. Elles oscillent entre clandestinité et discrétion alors même que la mobilité et la pratique de l’avortement sont réalisées dans un cadre médical et légal.</p>
<blockquote>
<p>« Je me demandais, après, si j’avais le droit d’en parler à des gens. Si j’avais le droit de dire : j’ai avorté en Espagne […] Et je crois que non, je ne l’ai pas, fondamentalement le droit […] J’étais dans le secret, j’avais peur de rentrer en France, de me faire arrêter – j’avais 18 ans, en plus – et qu’on me dise : voilà, vous n’avez pas le droit. » (Lou, 23 ans, étudiante)</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, si le passage de la frontière permet de s’affranchir d’un droit limitatif à l’avortement, ces mobilités transfrontalières font également échos à tout un <a href="https://journals.openedition.org/tem/3047">imaginaire lié aux zones frontalières</a> (lieu de passage, de trafic, de contrôle, etc.).</p>
<h2>Un tabou lié à la responsabilisation</h2>
<p>L’analyse de l’avortement en délai dépassé montre que ce que les femmes vivent et ressentent (un sentiment de honte mêlé à de la culpabilité) est alimenté par le mythe de la double responsabilisation. Elles seraient non seulement responsables de ce qui est présenté comme leur « échec » contraceptif (ne pas avoir pu éviter une grossesse), et du dépassement de délai (ne pas avoir su se rendre compte suffisamment tôt de sa grossesse).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1736342398236610749"}"></div></p>
<p><em>Des associations alertent sur les difficultés d’accès à l’avortement.</em></p>
<p>Ce prisme réducteur de la responsabilisation contribue à masquer les raisons d’un avortement en dépassement de délai : découverte tardive d’une grossesse, changement de situation matérielle et/ou conjugale, erreur de diagnostic médical, grossesse sous contraception ou encore absence de signes de grossesse (règles toujours présentes, absence de prise de poids, etc.).</p>
<p>« Je préfère pas en parler » disent-elles. Pourtant, au-delà de produire des connaissances sur un objet de recherche négligé, faire parler ces femmes pour faire entendre leur voix contient un double enjeu. Individuel d’une part : parler c’est permettre la déconstruction du tabou et l’illusion de la responsabilité. Collectif d’autre part : faire entendre leur voix, c’est faire entrer dans le social une expérience encore trop souvent présentée comme « personnelle ». Rendre visible les mobilités pour un avortement en délai dépassé, le vécu des avortantes, c’est donner à l’intime une dimension politique et rendre possible le changement social afin d’améliorer l’accès à l’avortement pour toutes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220161/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Avarguez est membre du Planning Familial. La recherche sur l'avortement en dépassement de délai a été financé dans le cadre du projet européen « PRospecTsaso » (Prospective Transfrontalière Sanitaire et Sociale). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Aude Harlé est membre du Planning Familial . La recherche sur l'avortement en dépassement de délai a été financé dans le cadre du projet européen « PRospecTsaso » (Prospective Transfrontalière Sanitaire et Sociale).</span></em></p>Les mobilités frontalières pour un avortement sont toujours d’actualité, même en France.Sophie Avarguez, Maitresse de conférences en sociologie, Université de PerpignanAude Harlé, Maitresse de conférences en sociologie, Université de PerpignanLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202452023-12-20T19:55:41Z2023-12-20T19:55:41ZVie économique, relations familiales, normes sociales… comment les femmes changent la Corée du Nord<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566893/original/file-20231212-15-fz337w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=131%2C15%2C1793%2C1131&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comme le montre cette photo prise à Pyongyang, les habitudes vestimentaires des Nord-Coréennes sont en train de changer, reflet d’une évolution discrète mais profonde.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Kang (ici et plus loin, les prénoms ont été changés pour des raisons de sécurité) avait 20 ans lorsqu’elle a quitté son emploi officiel de glaneuse de pommes de terre en Corée du Nord, pour rejoindre les rangs des femmes s’étant lancées dans des activités commerciales illicites, d’abord pour survivre à la <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/how-did-the-north-korean-famine-happen">grande famine des années 1990</a>, puis pour construire une vie meilleure pour elles-mêmes et leurs familles en échappant – partiellement – à l’étroit contrôle exercé par le gouvernement.</p>
<p>Kang a commencé à faire commerce de marchandises telles que le riz, les métaux et même le pétrole, ce qui lui a permis de générer des revenus bien supérieurs à ceux qu’elle aurait pu attendre d’un emploi autorisé par l’État. Avant son départ pour la Corée du Sud en 2013, son activité la plus lucrative était un service de courtage pour les jeunes femmes qui souhaitaient travailler dans des usines en Chine.</p>
<p>Kang est l’une des femmes que nous avons rencontrées dans le cadre de la rédaction de notre récent livre, <a href="https://www.routledge.com/North-Koreas-Women-led-Grassroots-Capitalism/Dalton-Jung/p/book/9780367536961"><em>North Korea’s Women-led Grassroots Capitalism</em></a>. Comme elle nous l’a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Le plus gratifiant dans ce travail, c’était l’argent. J’ai pu payer les frais d’inscription à l’université de ma sœur cadette, ainsi que ceux de mes beaux-enfants. J’ai même pu faire adhérer mon mari au Parti des [travailleurs], et il a fini par devenir secrétaire du parti. Travailler dans le business m’a permis de mûrir. […] Grâce à l’argent que je gagnais, nous étions pratiquement comme des fonctionnaires du parti subvenant aux besoins de leurs enfants. »</p>
</blockquote>
<h2>Un phénomène discret mais sensible</h2>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/40377482">L’émergence d’un capitalisme d’en bas en Corée du Nord</a>, à travers des femmes comme Kang, constitue un avertissement pour les sociétés patriarcales du monde entier : sous-estimer les femmes est à vos risques et périls. Nos recherches ont révélé qu’en rendant compliqué <a href="https://lentraidemissionnaire.org/la-realite-des-droits-des-femmes-en-coree-du-nord">l’accès des femmes à la sphère publique et à l’économie formelle</a>, le gouvernement nord-coréen les a, de fait, incitées à devenir des entrepreneuses, ce qui a eu des effets en cascade sur la société.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">De petites boutiques ont vu le jour autour de Pyongyang, tenues pour la plupart par des femmes, qui vendent de la nourriture et d’autres petits articles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comment cela s’est-il produit ? Les autorités nord-coréennes oppriment leur population par la terreur et la surveillance afin de contenir l’expansion du capitalisme. Mais elles se concentrent avant tout sur les hommes, bien plus que sur les femmes.</p>
<p>De plus en plus de femmes nord-coréennes, sous-estimées par le pouvoir, ont progressivement appris à contourner la surveillance et les contrôles officiels, si bien qu’elles ont su peu à peu créer des espace favorables à des changements économiques et sociaux significatifs.</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Une femme portant une jupe au-dessus du genou, des chaussures à talons hauts et un sac à main de marque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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<p>Notre livre explore les façons complexes dont les femmes nord-coréennes agissent au quotidien pour améliorer leurs conditions d’existence. Nos recherches sont basées sur 52 entretiens avec des transfuges nord-coréennes et des représentants d’ONG, ainsi que sur plusieurs visites de terrain en Corée du Nord et dans le nord-est de la Chine. Loin des stéréotypes d’après lesquels les femmes nord-coréennes seraient des automates ayant subi un lavage de cerveau ou des victimes impuissantes ayant besoin de protection, nous avons découvert qu’elles étaient fortes, résistantes et créatives.</p>
<p>Par leurs actes de résistance discrète, elles ont provoqué des évolutions profondes dans de nombreux domaines comme la sexualité, la procréation et, plus généralement, l’ensemble des rôles attribués aux femmes dans la culture du pays.</p>
<h2>5 façons dont les femmes changent la Corée du Nord</h2>
<p>**1) Les femmes sont le moteur du capitalisme d’en bas</p>
<p>Les femmes jouent un rôle actif dans <a href="https://beyondparallel.csis.org/markets-private-economy-capitalism-north-korea/">l’économie informelle émergente</a> centrée sur les marchés locaux. Celle-ci, avant la pandémie de Covid-19, <a href="https://www.nkeconwatch.com/category/statistics/">représentait</a> environ 80 % du revenu des ménages et plus de 60 % de la nourriture et des besoins de base de la population. En bref, la survie des Nord-Coréens dépend largement du travail des femmes.</p>
<p>Dans la plupart des familles nord-coréennes, les femmes pourvoient plus que les hommes au budget du ménage. Cette réalité engendre toujours plus d’opportunités pour les femmes, et toujours plus de défis pour ceux qui cherchent à les contrôler, y compris l’État.</p>
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<span class="caption">Une femme transporte des marchandises à l’aide d’une charrette tirée à la main dans la campagne du sud.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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<h2>2) Les rôles de genre évoluent</h2>
<p>Les femmes sont à l’origine de changements qui déstabilisent deux piliers fondamentaux de la Corée du Nord : d’une part, le socialisme ; de l’autre, un patriarcat profondément enraciné.</p>
<p>La participation des femmes à des activités commerciales leur a permis d’accéder à des ressources rares, à commencer par l’argent, et à un niveau de visibilité publique et d’interaction sociale auparavant réservé aux hommes.</p>
<p>L’indépendance économique et le fait d’avoir davantage voix au chapitre dans la prise de décision au sein du foyer ont mis à rude épreuve des dynamiques familiales établies de longue date et remis en question des normes sociales plus larges. Comme l’explique Seol :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsque les rations ont diminué, les femmes ont pris davantage d’initiatives et sont allées travailler à l’extérieur. Les hommes, eux, restaient à la maison. Nous avons commencé à nous attendre à ce que les hommes fassent la cuisine et s’occupent des tâches domestiques. Je pense que les rôles des femmes et des hommes ont été inversés. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Un écolier achète une glace à une vendeuse de rue à Pyongyang. L’évolution des dynamiques familiales, les femmes gagnant désormais plus que les hommes, provoque des tensions dans les familles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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</figure>
<p><strong>3) Une révolution sexuelle est en cours</strong></p>
<p>La manière dont les femmes vivent et abordent la sexualité, les relations et le mariage est devenue beaucoup plus complexe. Cela se traduit par un retardement du mariage et une augmentation du nombre de divorces. Les relations non traditionnelles sont également en plein essor, comme les relations prémaritales et extraconjugales (qui ont conduit à l’augmentation du nombre de mères célibataires) et les mariages où les femmes sont plus âgées que leurs époux. Une jeune femme nommée Bae nous a confié :</p>
<blockquote>
<p>« Comme je gagne beaucoup d’argent, j’ai des exigences élevées en ce qui concerne mon futur mari. Étant occupée à gagner de l’argent, je n’ai pas le temps de penser au mariage ou de me marier. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, les jeunes citadins adoptent des attitudes plus libérales en matière de rencontres et de sexe, ainsi qu’une vision plus romantique des relations. Comme le dit Joo :</p>
<blockquote>
<p>« De nombreux jeunes couples s’affichent en public et se promènent en s’enlaçant. Friandes de séries sud-coréennes, les jeunes femmes appellent leur petit ami “oppa” (frère) comme en Corée du Sud. »</p>
</blockquote>
<p>Certaines femmes ont aussi, souvent par stratégie bien réfléchie, établi des relations avec des hommes chinois afin de s’installer en Chine et d’assurer ainsi leur sécurité.</p>
<h2>4) Le temps des talons hauts</h2>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">À Pyongyang, les femmes portent désormais des talons plus hauts et des vêtements plus colorés que par le passé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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<p>Tout en semblant se conformer aux versions patriarcales de la féminité, les femmes construisent en réalité une nouvelle version, hyperféminine, de la femme nord-coréenne idéale. Il s’agit généralement d’un moyen d’accéder à des biens matériels et à des récompenses sociales.</p>
<p>Par leurs choix vestimentaires et consuméristes ostentatoires, ces femmes jouent un rôle clé dans la manière dont leur statut est désormais déterminé en Corée du Nord. Par exemple, les talons hauts sont de rigueur, constate Bae :</p>
<blockquote>
<p>Les femmes sont obsédées par les talons hauts. Probablement parce que nous, les filles, sommes petites. Que les femmes vivent à la campagne ou à la montagne, elles préfèrent ce type de chaussures, même sur les routes non goudronnées.</p>
</blockquote>
<p>À l’instar des <a href="https://www.lejdd.fr/International/coree-du-sud-et-chirurgie-esthetique-enquete-au-pays-du-bistouri-roi-4156317">Sud-Coréennes</a>, les jeunes générations cherchent de plus en plus à avoir des corps minces et des cheveux longs et lisses. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à avoir recours non seulement à la chirurgie esthétique. Une autre femme, Gho, nous a raconté :</p>
<blockquote>
<p>« Nous, les jeunes, nous sommes comme les Sud-Coréennes. Nous regardons des séries télévisées sud-coréennes en cachette, nous portons des pantalons comme les Sud-Coréennes [rires], et nous nous teignons les cheveux en jaune comme les Sud-Coréennes. »</p>
</blockquote>
<p>Par ces actions, les femmes remettent en question les idéaux traditionnels qui leur assignent des rôles d’épouses et de mères, et élaborent de nouvelles constructions de la féminité.</p>
<p>La façon dont Paik décrit sa décision de se teindre les cheveux et de porter des boucles d’oreilles illustre la façon dont les femmes imitent la première dame du pays <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ri_Sol-ju">Ri Sol-ju</a>, connue pour son <a href="https://www.scmp.com/lifestyle/fashion-luxury/article/2121968/north-korean-first-ladys-fashion-evolution-drives-new-elite">goût de la mode</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les policiers avaient l’habitude de contrôler tous ceux qui portaient des boucles d’oreilles. Mais Ri Sol-ju est apparue en public avec des boucles d’oreilles et maintenant, les autorités ne peuvent plus rien faire. Les gens ont commencé à se rebeller. En Corée du Nord, il est interdit de se teindre les cheveux. […] Aujourd’hui, beaucoup de gens se teignent les cheveux. »</p>
</blockquote>
<p><strong>5) Le nouvel idéal féminin de la propagande du régime</strong></p>
<p>L’État a réagi à ces changements sociétaux en faisant évoluer la manière dont il présente la femme « idéale » dans sa propagande.</p>
<p>Ainsi, il promeut désormais des femmes qui incarnent un mélange attrayant et dynamique d’ancien et de nouveau, de loyauté et de modernité. C’est ce modèle que reprennent aujourd’hui la sœur, l’épouse et, depuis peu, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/coree-du-nord/coree-du-nord-kim-jong-un-met-sa-fille-en-scene-en-vue-d-une-probable-succession_5679665.html">fille</a> du dirigeant suprême du pays, Kim Jong‑un. Par exemple, Ri apparaît régulièrement en Prada, Christian Dior et Chanel, ou dans des looks inspirés de ces marques de haute couture.</p>
<p>Le régime cherche ainsi à coopter les tendances sociales pour maintenir sa légitimité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=265&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=265&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=265&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=333&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=333&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=333&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les habitantes branchées de Pyongyang adorent les vêtements arborant un logo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/220245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bronwen Dalton a reçu des financements de l'Australian Research Council and the Academy of Korean Studies.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kyungja Jung a reçu des financements de l'Australian Research Council and the Academy of Korean Studies.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lesley Parker ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De plus en plus présentes dans la vie économique du pays, les Nord-Coréennes font progressivement évoluer les normes sociales en vigueur.Bronwen Dalton, Professor, Head of Department of Management, UTS Business School, University of Technology SydneyKyungja Jung, Associate Professor, University of Technology SydneyLesley Parker, Adjunct Fellow, University of Technology SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037802023-11-22T17:21:02Z2023-11-22T17:21:02ZPermis de conduire : les stéréotypes de genre influencent-ils les taux de réussite ?<p>Depuis le 1er janvier 2024, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/02/permis-de-conduire-a-17-ans-combien-de-jeunes-sont-concernes-qu-est-ce-que-ca-va-changer_6178978_4355771.html">l'âge légal pour passer le permis de conduire</a> est de 17 ans. Mais pour l'obtention de ce précieux sésame, filles et garçons ne sont pas en position d’égalité. En France, l’écart entre les taux de succès des unes et des autres est proche de 10 points au niveau des épreuves pratiques, alors que les taux de réussite sont les mêmes à l’épreuve théorique – soit le passage du Code de la route. L’écart est le même que l’on considère la population dans son ensemble ou qu’on se focalise sur les jeunes.</p>
<p>Les travaux de recherche sur l’accès au permis de conduire sont principalement centrés sur les causes du déclin de la détention de permis. La question du genre y est peu présente.</p>
<p>Quand elle est évoquée, c’est essentiellement pour voir comment, dans le temps long, le taux d’accès des femmes au permis de conduire a augmenté jusqu’à converger vers celui des hommes. On approche d’une situation de parité au milieu des années 1990. La fin du rattrapage des hommes par les femmes en matière d’accès au permis de conduire est d’ailleurs présentée comme l’un des déterminants du plafonnement de l’usage automobile, ou hypothèse du <a href="https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/peak-car-la-baisse-de-la-mobilite-automobile-est-elle-durable/"><em>peak car</em></a>.</p>
<h2>Le permis de conduire, un atout pour l’emploi</h2>
<p>Les études sur le différentiel d’accès au permis de conduire entre les femmes et les hommes sont donc rares et les constats divergent selon les pays. Les femmes sont désavantagées dans la réussite au permis au Royaume-Uni ou en Finlande, mais pas en Suède ni aux Pays-Bas. En France, le taux de réussite à l’examen pratique du permis de conduire automobile est de <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/etudes-et-medias/info-intox/les-filles-reussissent-moins-lexamen-pratique-b-que-les-garcons-info-ou">53,4 % pour les femmes contre 62,7 % pour les hommes en 2018</a>, soit un écart de 9,3 points. Cet écart se réduit légèrement d’une année à l’autre, puisqu’il était de 11,6 points en 2009.</p>
<p>Alors que les femmes réussissent aussi bien que les hommes l’épreuve théorique du permis de conduire, pourquoi ont-elles en France un taux de réussite de 10 points inférieur à celui des hommes à l’épreuve pratique du permis B ? Pourquoi réussissent-elles mieux l’épreuve théorique (70 %) que l’épreuve pratique (56 %) ? Pourquoi les hommes réussissent-ils mieux l’épreuve pratique alors qu’ils composent ensuite 86 % des conducteurs de moins de 24 ans tués sur la route ?</p>
<p>L’enjeu est d’importance. Le permis de conduire est l’examen le plus passé en France, avec près de 1,3 million de candidats chaque année. Sa réussite conditionne largement l’insertion professionnelle et sociale des personnes, en particulier <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119016300547">celle des jeunes les moins diplômés</a>. Une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01441647.2020.1747569">méta-évaluation récente</a> s’appuyant sur 93 études a mesuré quantitativement l’impact de l’accès à un véhicule sur les situations d’emploi. Il s’avère que la possession d’un véhicule augmente la probabilité d’être en emploi, en particulier pour les bénéficiaires de minima sociaux.</p>
<p>Les différences d’accès au permis de conduire entre les hommes et les femmes ont donc des conséquences potentielles sur l’insertion professionnelle et les trajectoires de vie des individus. Le respect du principe d’égalité recouvre aussi un enjeu fort pour les pouvoirs publics qui jouent un rôle de régulateur pour les centres de formation à la conduite et pour les centres d’examen.</p>
<h2>Les attentes des formateurs influencées par les stéréotypes de genre</h2>
<p>Nous nous intéressons au rôle joué par les stéréotypes de genre dans l’accès au permis de conduire. Les stéréotypes associés à la conduite ont été étudiés par les psychologues chez les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847811000337">adolescents</a> et les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847815001230">adultes</a>. Ils reposent sur une vision essentialiste où les compétences de conduite et les prises de risque au volant seraient directement liées au sexe biologique. Par ailleurs, des études par testing ont montré que les stéréotypes sexués sur le permis de conduire étaient utilisés par les employeurs pour qui le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2011-4-page-33.htm">permis moto</a>, par exemple, envoie un signal de genre tout autant que de mobilité.</p>
<p>L’influence des stéréotypes de sexe – de manière générale et de manière spécifique à la conduite – a été suggérée comme <a href="https://hal.science/hal-01670593/">potentiel facteur explicatif</a> des différences dans la réussite de l’examen pratique du permis B. Ces stéréotypes peuvent être définis comme des croyances sociales sur ce que signifie dans une société donnée le fait d’être un homme ou une femme et ce qui est valorisé pour chaque sexe en termes d’apparence physique, d’attitudes, d’intérêts, de traits psychologiques, de relations sociales et d’occupations.</p>
<p>Les stéréotypes sur la conduite des femmes reposent sur une croyance sociale en l’incapacité des femmes à gérer les situations stressantes, demandant des prises de décisions rapides, comme le sont les situations routières. Au contraire, le fait d’être un homme amènerait une compétence naturelle pour la conduite, associée à des comportements à risque et infractionnistes. En ce sens, l’homme est considéré comme le prototype du conducteur, par rapport auquel la femme conductrice est définie de façon antonyme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Thionville : une bourse pour financer le permis de conduire à des jeunes contre 70 heures de travail (France-3 Grand Est, 2022).</span></figcaption>
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<p>Ces stéréotypes peuvent également influencer les performances des individus. La littérature scientifique sur les effets de menace du stéréotype pose l’hypothèse que, lors d’une tâche évaluative, la mise en <a href="https://psycnet.apa.org/record/1996-12938-001">saillance du stéréotype négatif</a> visant un groupe va avoir un effet direct sur les performances des membres du groupe. Ce phénomène a, par exemple, été largement étudié sur les performances des filles en <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2014-3-page-13.htm">mathématiques</a> et a été récemment montré auprès des femmes dans le cadre de la conduite automobile. Des études montrent que l’activation du stéréotype négatif de la femme au volant auprès de femmes conductrices a un effet perturbateur sur leurs performances au volant.</p>
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<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Les stéréotypes de genre créent aussi chez les éducateurs des attentes et des pratiques différenciées en fonction du sexe de l’apprenti. Ce phénomène, connu sous le nom de socialisation de genre, a été déjà bien étudié dans les pratiques éducatives parentales et a également été montré chez les enseignants. Pour autant, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur l’effet du sexe de l’apprenti sur les attentes et les comportements des formateurs et des examinateurs dans le domaine de la conduite automobile.</p>
<h2>Un testing sur les auto-écoles</h2>
<p>Pour explorer cette hypothèse, nous avons réalisé une expérimentation par <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00036846.2023.2203459">test de correspondance</a>. L’objectif du test est de déceler d’éventuelles différences de traitement entre des candidats et des candidates à la préparation du permis de conduire de la part des auto-écoles. Il s’agit de vérifier si des stéréotypes de genre en matière de compétences de conduite, pouvant s’élargir aux difficultés d’apprentissage et de réussite au permis de conduire, sont intégrés par les acteurs de la formation et de l’accompagnement au permis B.</p>
<p>Nous avons fait le choix d’un protocole très simple où une paire de candidats, semblables en tous points sauf par leur étiquette de sexe, effectuent des demandes d’informations aux mêmes auto-écoles. En premier lieu, nous avons créé deux identités fictives de candidats au passage du permis de conduire, une fille et un garçon, âgés de 21 ans, en utilisant des prénoms et des noms très répandus en France (Thomas Bernard et Léa Martin).</p>
<p>Nous avons rédigé deux messages de demandes d’information destinés à des auto-écoles sur le coût du permis de conduire et le nombre d’heures nécessaires, chaque message étant envoyé soit par Thomas, soit par Léa, de façon à ce que chaque auto-école reçoive deux messages différents mais équivalents.</p>
<p>Ensuite, nous avons constitué une base d’adresses d’auto-écoles représentative au niveau national, en sélectionnant au hasard 500 établissements parmi l’ensemble des établissements enregistrés au titre du code APE – NAF 8553Z, pour lequel environ 13 500 sociétés sont immatriculées en France.</p>
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<p>Sur cette base, on dispose d’un échantillon de 176 auto-écoles réparties sur le territoire français. Les résultats de l’étude montrent que le fait d’être une femme affecte positivement à la fois la probabilité d’obtenir une information sur le volume horaire mais également le nombre d’heures proposées. Une auto-école propose en moyenne un nombre d’heures de conduite plus élevé de près de 2 heures aux femmes qu’aux hommes.</p>
<p>En conclusion, il s’avère effectivement que le sexe de l’apprenti influence les appréciations des formateurs avant même le début de la phase d’apprentissage, les amenant à déterminer la durée et le contenu des apprentissages en fonction de croyances socialement partagées sur les compétences des hommes et des femmes au volant.</p>
<p>Dès lors que ces pratiques ont des conséquences dommageables sur l’accès à la conduite des femmes et partant, sur leur insertion sociale et professionnelle, le constat sollicite une intervention du régulateur. Dans ce domaine qui est celui des discriminations, il existe une large gamme d’actions publiques qui vont d’un rappel du cadre de la loi et du principe d’égalité des candidats à la mobilité routière, à des actions de formations et de sensibilisation des auto-écoles, qui sont des structures agréées par l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Anne a reçu des financements de l'I-Site Futur pour réaliser une partie de la collecte des données d'un article cité en référence.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Axelle Granié, Sylvain Chareyron et Yannick L’Horty ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une jeune femme qui s’inscrit dans une auto-école bénéficie-t-elle de la même formation qu’un jeune homme ? Regard sur ces différences d'accès au permis de conduire, accessible désormais à 17 ans.Denis Anne, Professeur associé, Université Gustave EiffelMarie-Axelle Granié, Directrice de Recherches en Psychologie Sociale du Développement, Université Gustave EiffelSylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172242023-11-22T15:02:41Z2023-11-22T15:02:41ZCode de la famille au Maroc : le long chemin vers l'égalité<p>Dans son <a href="https://lematin.ma/express/2022/fete-tro-voici-discours-integral-sm-roi-mohammed-vi/379166.html">discours du 30 juillet 2022</a> au moment de la fête du trône, le roi Mohammed VI appelait à une refonte profonde du code de la famille. Depuis lors, la question des droits des femmes marocaines traverse une phase cruciale qui peut s’avérer décisive quant au <a href="https://aujourdhui.ma/societe/demographie-mariage-fecondite-la-femme-marocaine-en-chiffres#:%7E:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20du%20HCP%2C%20les%20femmes%20repr%C3%A9sentent,hommes%20%C3%A0%20vivre%20en%20ville%20%2811.788.000%20contre%2011.402.000%29">devenir de plus de la moitié de la société</a> marocaine.</p>
<p>En effet, dans l’ensemble des sociétés à majorité musulmane, la question de l’égalité entre les sexes à tous les échelons de la société est intrinsèquement liée au problème fondamental du droit de la famille. Celui-ci demeure ancré dans la charia (loi islamique), née durant la période médiévale, qui légalise et sacralise la domination masculine dans chaque foyer à travers notamment la <a href="https://books.openedition.org/iheid/6523">tutelle matrimoniale, la polygamie et l’inégalité successorale</a>. Or, une inégalité légalisée, sacralisée et intériorisée au sein du premier lieu de la socialisation, la famille, ne peut aucunement favoriser une égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes dans l’espace public. </p>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons notamment réalisé des travaux sur <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-feminismes_arabes_un_siecle_de_combat_les_cas_du_maroc_et_de_la_tunisie_leila_tauil-9782343146430-59538.html">les féminismes arabes</a> et la <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_femmes_dans_les_discours_freristes_salafistes_et_feministes_islamiques_leila_tauil-9782806105127-65477.html">place des femmes dans les discours islamistes</a>.</p>
<p>Cet article met en lumière le rôle déterminant du politique dans le choix du projet de société, moderne et égalitaire ou conservateur et hiérarchique, à adopter. </p>
<h2>Histoire du statut des femmes</h2>
<p>Dans de nombreux pays musulmans, malgré la présence de théologiens réformistes de la fin du 19 ème et du début du 20 ème siècles qui défendent alors des <a href="https://books.google.ch/books/about/The_Liberation_of_Women.html?id=HsH8QTftEs8C&redir_esc=y">thèses favorables à l’émancipation féminine</a>, les gouvernements adoptent majoritairement, au moment des indépendances durant les années 1950-1960, au nom de l’islam d’Etat, des codes du statut personnel et de la famille, inspirés de la charia, qui infériorisent légalement les femmes. </p>
<p>Les mouvements féministes, en plus de lutter contre ces inégalités institutionnalisées, doivent faire face, depuis les années 1980, aux mouvements islamistes et de la réislamisation. Ces derniers prônent le voilement du corps des femmes et leur assignation à leur rôle dit premier d’épouse et de mère inscrit dans un rapport hiérarchique des sexes. Ils s’opposent systématiquement aux réformes égalitaires revendiquées par les féministes. </p>
<p>Pour revenir brièvement à l’histoire du statut des femmes au Maroc, au lendemain de l’indépendance, un <a href="https://books.openedition.org/puam/1011">code du statut personnel</a> basé sur le <a href="https://www.doctrine-malikite.fr/">rite malékite</a> est promulgué, entre 1957 et 1958. Celui-ci entérine la prééminence masculine (autorité maritale, répudiation, polygamie, etc.) et fait immédiatement l’objet de contestations, entre autres, par la pionnière féministe <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/73233/malika-fassi-seule-femme-signataire.html">Malika Al Fassi</a> qui réclame publiquement une réforme égalitaire.</p>
<p>En mars 1992,<a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8700?lang=en">l’Union pour l’action féministe </a> lance une pétition “Un million de signatures pour une réforme égalitaire du code du statut personnel”. Celle-ci aboutit, en 1993, à une réforme certes mineure mais avec l’effet non négligeable de sa désacralisation dans la mesure où il pouvait désormais faire l'objet de critiques entraînant des modifications. </p>
<p>En 1999, le <a href="http://www.albacharia.ma/xmlui/bitstream/handle/123456789/31645/1448L%E2%80%99exp%C3%A9rience%20marocaine%20d%E2%80%99int%C3%A9gration.pdf">Plan national d’intégration des femmes au développement</a>, qui comprend les réformes du code du statut personnel, divise la société marocaine entre les féministes et les islamistes qui s’affrontent sur le devenir de la place des femmes dans la société.</p>
<p>Une controverse sociétale qui témoigne plus largement d’un affrontement entre deux projets de société opposés, à savoir: sécularisé et égalitaire ou islamiste et patriarcal. Le nouveau code de la famille, <a href="http://ism.ma/ismfr/francais/Textes_francais/cf.pdf">adopté en février 2004</a> comprend de grandes avancées égalitaires telles que la responsabilité conjointe des deux époux, le droit pour la femme de demander le divorce, l'élévation de l'âge du mariage à 18 ans, etc. </p>
<p>Néanmoins, il comporte des limites liées à son application et à la présence d’articles permettant son contournement (mariage de mineurs, etc.) et demeure inégalitaire en maintenant notamment la polygamie et le partage de l’héritage.</p>
<h2>Des réformes profondes</h2>
<p>Près d’une vingtaine d’années après le nouveau code de la famille, le roi Mohammed VI, favorable à l’émancipation des femmes, charge le chef du gouvernement de s’atteler à la proposition de réformes profondes du code de la famille. Ce travail se fait en collaboration et en concertation avec les différentes composantes politiques, religieuses et civiles de la société (Conseil supérieur des oulémas, Conseil national des droits de l’Homme, collectifs féministes, etc.). </p>
<p>L'objectif est de le conformer à la nouvelle<a href="https://www.doctrine-malikite.fr/"> Constitution de 2011</a> comprenant l’article 19 qui consacre la pleine égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Cependant, les islamistes s’opposent formellement à une réforme du code de la famille, particulièrement à l’épineuse question de l’inégalité successorale, entérinée par le Coran. </p>
<p>A ce titre, <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/137571/maroc-relance-debat-l-egalite-dans.html">dans un communiqué </a> publié en février 2023, le Parti islamiste pour la justice et le développement (PJD) affirme que “certains ont osé appeler explicitement à l'égalité dans l'héritage, contre le texte coranique explicite réglementant l'héritage (…). C’est une menace pour la stabilité nationale, liée à ce que le système successoral a établi dans la société marocaine depuis plus de 12 siècles”. </p>
<p><a href="https://www.bladi.net/pjd-reforme-code-famille-maroc,100497.html">La réaction du mouvement féministe</a> ne s’est pas fait attendre. Quelques jours plus tard, il dénonce la prise de position du PJD assimilée à “une forme d’intimidation” et appelle les islamistes à “faire preuve de rationalité et d’ijtihad [effort d'interprétation du Coran] dans un climat démocratique permettant d’élaborer des dispositions innovantes au service de l’intérêt général et de celui de la famille marocaine”. </p>
<p>A ce propos, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-1-page-187.htm">Mohammed Arkoun</a> souligne que les mouvements islamistes s’inscrivent dans une “régression intellectuelle et culturelle” tant avec l’héritage de l’islam rationaliste classique (VIIe-XIIIe siècles) ouvert à la philosophie que celui de l’islam réformiste libéral (XIXe-XXe siècles) ouvert à la modernité.</p>
<p>Ainsi, en ce qui concerne par exemple le verset relatif à l’inégalité successorale, voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : </p>
<blockquote>
<p>Au fils, une part équivalente à celle de deux filles". (sourate 4, verset 11)</p>
</blockquote>
<p>Pour le théologien réformiste tunisien Tahar Haddad, ce verset ne constitue pas un dogme puisque le Coran contient également des versets égalitaires : </p>
<blockquote>
<p>Aux hommes revient une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches ; et aux femmes une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches, que ce soit peu ou beaucoup : une part fixée. (sourate 4, verset 7)</p>
</blockquote>
<p>En 1930, Tahar Haddad, qui défend une refonte de la charia inscrite dans la promotion d’une égalité des sexes, affirme audacieusement : “comme il fut possible à la loi musulmane de décréter l’abolition de l’esclavage, en s’appuyant sur le but libéral de cette décision, il peut en être de même pour établir <a href="https://nirvanaedition.com/produit/notre-femme-dans-la-charia-et-la-societe/">l'égalité entre l'homme et la femme</a> sur les plans de la vie pratique et aux yeux de la loi (…)”. </p>
<p>C’est pourquoi, il prône notamment l’abolition de la polygamie, de la répudiation, de la tutelle matrimoniale, l’abandon du voile et l’égalité successorale. </p>
<p>Aussi, souligne Mohammed Arkoun, l’enjeu actuel majeur pour l’exercice de la pensée islamique est son passage de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-mohammed_arkoun_une_approche_critique_subversive_et_humaniste_de_l_islam_leila_tauil-9782140310683-75606.html">l’épistémè médiévale</a> travaillée par des rapports hiérarchiques – supériorité du musulman sur le non-musulman dhimmî (sourate 9, verset 29), du libre sur l’esclave (sourate 16, verset 71), de l’homme sur la femme (sourate 4, verset 34) – à l’épistémè moderne travaillée par le concept d’égalité citoyenne tout en reconnaissant l’historicité des textes scripturaires. </p>
<p>Or, si les acteurs religieux orthodoxes et islamistes acceptent majoritairement l’abolition du statut – entériné par le Coran – des minorités non-musulmanes (dhimmitude) et de l’esclavage, ils continuent à s'opposer avec force, sous la bannière d'un patriarcat sacralisé, à l’émancipation des femmes. </p>
<h2>Un tournant historique</h2>
<p>Pourtant, il serait grand temps que tous les acteurs religieux acceptent l'abolition du statut infériorisé des femmes, tant au niveau des lois que dans les discours islamiques, pour les considérer véritablement comme leurs égales. </p>
<p>Aussi, gageons que l’instance chargée au Maroc de la révision du code de la famille qui a auditionné, entre autres, en novembre 2023, la Coalition féminine pour un code de la famille basé sur l’égalité et la dignité, tienne compte des revendications de Saida El Idrissi, membre de la Coalition. Celle-ci souligne:</p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.mapnews.ma/fr/actualites/social/r%C3%A9vision-du-code-de-la-famille-la-%E2%80%9Ccoalition-f%C3%A9minine-pour-un-code-de-la-famille">l’importance</a> de procéder à la révision du code de la famille sur la base des Hautes orientations royales, de la Constitution de 2011 et des principes des droits de l’Homme, et ce, en adéquation avec les <a href="https://www.ohchr.org/fr/publications/policy-and-methodological-publications/convention-elimination-all-forms-discrimination">conventions internationales</a> ratifiées par le Maroc. </p>
</blockquote>
<p>Enfin, le Maroc a un rendez-vous avec l’histoire et peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la pleine démocratie qui peuvent s’avérer totalement compatibles avec un islam moderne et humaniste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leïla Tauil does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Maroc peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la démocratie qui peuvent s’avérer compatibles avec un islam moderne et humaniste.Leïla Tauil, Enseignante-chercheure, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158462023-10-25T16:01:45Z2023-10-25T16:01:45ZOù en est la lutte de la population iranienne un an après la mort de Mahsa Amini ?<p>Le 16 septembre 2022, à Téhéran, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/17/en-iran-la-mort-d-une-jeune-femme-arretee-par-la-police-des-m-urs-suscite-des-protestations_6142073_3210.html">Mahsa Jina Amini décède sous les coups de la police des mœurs</a> (<em>gasht-e-ershâd</em>) après avoir été arrêtée pour port incorrect du voile (<em>bad hedjâbi</em>). Elle devient l’étendard d’une vague de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/4.html">protestations inédites en République islamique d’Iran</a>.</p>
<p>Ces protestations évoluent rapidement en un véritable processus révolutionnaire à travers lequel, dans plusieurs villes du pays, des femmes s’opposent au <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">port obligatoire du voile</a>. Elles sont <a href="https://theconversation.com/iran-quand-la-revolte-des-femmes-accueille-dautres-luttes-192156">rejointes par une grande partie de la population, y compris de nombreux hommes</a>. Les contestataires se battant pour leurs droits, dénoncent le régime et réclament sa fin.</p>
<p>La réponse des autorités, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/iran-le-bilan-de-la-repression-monte-a-537-morts-depuis-septembre-04-04-2023-2514924_24.php">sanglante</a> et sans états d’âme, ne se fait pas attendre. Depuis, les arrestations, les morts et les assassinats ne se comptent plus : <a href="https://www.tf1info.fr/international/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini-les-chiffres-pour-comprendre-la-mobilisation-2269779.html">selon différentes sources</a>, on dénombre plus de 500 morts, dont de nombreux mineurs, et plus de 20 000 arrestations, sans compter les disparus, les « suicidés », les exécutions sous d’autres prétextes, les morts non déclarées et les personnes décédées dans les représailles visant les <a href="https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/iran-les-minorites-ethniques-et-religieuses-sont-sous-pression">minorités ethniques et religieuses</a> s’étant jointes au mouvement général.</p>
<p>Aujourd’hui, quand le prix Nobel de la paix a été décerné à la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/prix-nobel/le-prix-nobel-de-la-paix-est-attribue-a-la-militante-iranienne-narges-mohammadi-pour-sa-lutte-contre-l-oppression-des-femmes_6105279.html">militante emprisonnée Nargues Mohammadi</a> pour « sa lutte contre l’oppression des femmes en Iran et son combat pour promouvoir les droits humains et la liberté pour tous », et quand la France célèbre la <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/la-chercheuse-fariba-adelkhah-de-retour-en-france-apres-quatre-annees-de-retention-en-iran-20231018_U4W2LMGZ5VBHPM6A4QTKI6YJFE/">libération de la chercheuse Fariba Adelkhah</a> après des années d’emprisonnement à Téhéran pour avoir notamment travaillé sur les femmes de ce pays où en sont la lutte des Iraniennes – et des Iraniens – et le mouvement connu sous le nom de son principal <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/10/09/femme-vie-liberte-un-slogan-qui-vient-de-loin_6145039_6116995.html">slogan « Femme, Vie, Liberté »</a> ?</p>
<h2>De la révolte des femmes à une lutte multiforme de tous les Iraniens</h2>
<p>Les Iraniennes ont été les premières à s’insurger, enlevant leur voile, le <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-62981497">brûlant</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/18/iran-se-couper-des-meches-de-cheveux-un-geste-symbolique-qui-mobilise-les-rebelles-au-pouvoir-islamiste_6146232_3232.html">se coupant des mèches de cheveux</a>.</p>
<p>Très vite, les militantes prennent conscience que si elles sortent tête nue et contestent, elles peuvent être arrêtées, emprisonnées, torturées, <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/iran/iran-comment-les-forces-de-securite-utilisent-le-viol-pour-reprimer-les-protestations_AV-202211230375.html">violées</a> et, depuis peu, perdre tous leurs droits, dont ceux de travailler ou de voyager, dans la mesure où leur passeport est confisqué, leur inscription à l’université peut être suspendue ou annulée, et elles risquent de ne plus avoir accès à des services bancaires. Pourtant, rien ne les arrête.</p>
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<p>Aujourd’hui, la lutte et la résistance sont celles des Iraniens dans leur ensemble : femmes et hommes de tous bords et de toutes origines. Des femmes voilées participent aux manifestations. <a href="https://www.lefigaro.fr/international/iran-des-hommes-portent-le-voile-pour-soutenir-les-femmes-contre-la-politique-stricte-du-regime-20230314">Des jeunes hommes portent le voile</a> en signe de soutien et de solidarité avec leurs sœurs. Des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221207-manifestations-en-iran-cette-r%C3%A9volution-a-commenc%C3%A9-dans-les-universit%C3%A9s">grèves</a> sont organisées dans tous les secteurs, en particulier dans l’industrie pétrolière et gazière ou dans la métallurgie. Dans les régions où vivent des minorités ethniques, entre autres celles du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/31/en-iran-les-kurdes-premieres-victimes-de-la-repression_6159913_3210.html">Kurdistan</a> et du <a href="https://www.rts.ch/info/monde/13465898-le-sistanbaloutchistan-province-martyre-de-la-repression-iranienne.html">Baloutchistan</a>, ignorées et abandonnées depuis longtemps par le régime, la colère ne faiblit pas.</p>
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<p>Dans ce cadre, les motivations des contestataires ne sont pas identiques : discriminations ethniques et religieuses, <a href="https://www.letemps.ch/monde/je-mets-en-vente-mon-rein-en-iran-une-crise-economique-qui-risque-d-embraser-le-pays">situation économique désastreuse</a>, inflation <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/24/en-iran-de-plus-en-plus-de-menages-ne-peuvent-plus-payer-leur-loyer-en-raison-de-l-inflation-galopante_6183242_3210.html">atteignant les 50 %</a>, salaires insuffisants, <a href="https://www.courrierinternational.com/dessin/dessin-du-jour-en-plein-hiver-l-iran-frappe-par-une-severe-penurie-de-gaz">pénuries de toutes sortes</a> – dont le gaz et le pétrole, dans un pays qui dispose des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des deuxièmes réserves de gaz, un comble… Toutes les catégories sociales se retrouvent dans un même élan contre le régime.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635359924686561284"}"></div></p>
<h2>De la contestation ouverte à la désobéissance civile</h2>
<p>Après plus d’un an de luttes, face à la répression et probablement en raison de l’épuisement des participants, les manifestations et la résistance ont pris de nouvelles formes. Les grandes processions, en dehors du Baloutchistan et à l’exception de sursauts ponctuels partout dans le pays, ont diminué et l’opposition est devenue plus discrète et, surtout, s’est transformée en désobéissance civile.</p>
<p>En ce qui concerne les femmes, le rôle de certaines figures publiques et surtout des réseaux sociaux, qui relaient les événements dans un contexte de répression et de censure, est devenu central.</p>
<p>Des prisonnières libérées refusent de porter le voile à leur libération. C’est le cas, par exemple, de la journaliste <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4049383-20230818-iran-journaliste-publie-nouvelle-photo-voile-sortie-prison">Nazila Maroufian</a> ou de l’actrice <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221110-iran-au-nom-des-femmes-la-star-de-cin%C3%A9ma-taraneh-alidoosti-%C3%B4te-son-voile">Taraneh Alidousti</a>.</p>
<p>Des femmes scientifiques s’affirment également, comme Zainab Kazempour qui quitte une conférence en jetant son voile à terre, ce qui lui vaut d’être <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/le-choix-d-angele/en-iran-une-ingenieure-condamnee-a-74-coups-de-fouet-pour-avoir-jete-son-voile_VN-202309080128.html">condamnée à 74 coups de fouet</a>. Des jeunes filles chantent, dansent et se filment, toujours sans voile.</p>
<p>Des actrices prennent la parole sans voile et publient leurs photos sur les réseaux sociaux. Des sportives invitées à des compétitions à l’étranger se passent du <em>hedjâb</em>. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/19/iran-elnaz-rekabi-la-grimpeuse-disparue-depuis-sa-participation-sans-voile-a-une-competition-reapparait-a-teheran_6146470_3210.html">Elnaz Rekabi</a>, championne d’escalade, grimpe lors de la finale des championnats d’Asie sans voile. La championne d’échecs <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/apres-avoir-joue-sans-voile-la-championne-dechecs-iranienne-sara-khademalsharieh-sest-exilee-en-espagne-20230122_JOPXKFYTE5FONBQPZZU2OUYA5M/">Sara Khademalsharieh</a> apparaît tête nue lors d’un tournoi international. Exilée en Espagne peu après, elle met ses pas dans ceux de <a href="https://www.ouest-france.fr/gaming/jeux-de-societe/a-30-ans-mitra-hejazipour-est-sacree-championne-de-france-dechecs-38f0b714-4580-11ee-a014-fc15152f6424">Mitra Hejazipour</a>, qui avait quitté le pays en 2019 dans des circonstances similaires et vient d’être sacrée championne de France.</p>
<p>Un an après le début des contestations, un grand nombre de femmes continuent à braver le régime et à transgresser l’interdiction de sortir tête nue. Certaines, par prudence, préfèrent se promener en groupe car les altercations et les maltraitances sont plus compliquées que face à une femme seule.</p>
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<p>Les femmes incarcérées multiplient les messages vers l’extérieur. Récemment, <em>Le Monde</em> a publié les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/08/cinq-iraniennes-ecrivent-depuis-leur-prison-nous-sommes-coupables-du-desir-de-vivre_6188463_3232.html">textes écrits et transmis clandestinement</a> par des militantes iraniennes des droits humains dont celui de Nargues Mohammadi (prix Nobel de la paix 2023, voir plus bas).</p>
<p>Enfin, des chanteurs populaires relaient le mécontentement général. <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">Mehdi Yarrahi</a> a soutenu sur Instagram le mouvement « Femme, vie, liberté ». Son morceau « Soroode Zan » (« Hymne de la femme »), était devenu un hymne pour les manifestants, notamment dans les universités, tout comme l’avait été celui de <a href="https://csdhi.org/actualites/repression/39618-le-chanteur-iranien-shervin-hajipour-risque-la-prison-mais-remporte-un-grammy-pour-son-hymne-de-protestation/">Shervin Hajipour</a> « Baraye » (« Pour »). Finalement, la chanson « Enlève ton foulard » de Yarrahi a <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230827-iran-le-chanteur-mehdi-yarrahi-poursuivi-pour-avoir-contest%C3%A9-le-voile-obligatoire">mené à son arrestation</a>.</p>
<h2>Une répression multiforme</h2>
<p>En parallèle, la répression n’a pas faibli, au contraire. Les tribunaux se sont mis à condamner celles qui transgressent les lois à des peines de type « rééducation morale », à travers des <a href="https://www.lejdd.fr/international/en-iran-les-femmes-refusant-le-voile-sont-condamnees-pour-trouble-mental-et-envoyees-en-psychiatrie-137590">internements psychiatriques</a>, des obligations d’assister à des séances de conseil pour « comportement antisocial » ou des <a href="https://www.smh.com.au/world/middle-east/iranian-women-forced-to-wash-corpses-for-refusing-to-wear-veil-20230809-p5dvar.html">lavages de cadavres à la morgue</a>. Les médias renchérissent en les qualifiant de dépravées sexuelles et de porteuses de « maladies sociales ».</p>
<p>Depuis septembre 2023, la répression s’est dotée d’un nouvel outil juridique : la loi <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-histoires-du-monde/histoires-du-monde-du-jeudi-14-septembre-2023-6669871">« <em>hedjâb</em> et chasteté »</a>, qui assimile le fait de se dévoiler à une menace pour la sécurité nationale. Des sanctions financières pour « promotion de la nudité » ou « moquerie du hedjâb » dans les médias et sur les réseaux sociaux sont prévues, ainsi que des privations importantes de droits, voire des peines d’emprisonnement du quatrième degré, soit entre cinq à dix ans.</p>
<p>Cette loi va plus loin encore en condamnant également, entre autres, à des amendes et à des interdictions de quitter le pays les propriétaires d’entreprises dont les employées ne portent pas de voile. Il va sans dire que les athlètes et les artistes et toutes les autres personnalités publiques sont visés par des interdictions de participer à des activités professionnelles et, souvent, à des amendes voire à des <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2022/12/22/flagellationflagellation/">flagellations</a>. Au-delà, les retombées des transgressions touchent toute la société. Ainsi, à Machhad, un grand parc aquatique, a été fermé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/04/en-iran-un-parc-aquatique-ferme-pour-avoir-permis-a-des-femmes-d-entrer-sans-voile_6187777_3210.html">pour avoir laissé entrer des femmes dévoilées</a>.</p>
<p>Dans la répression généralisée, le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/iran-des-cameras-intelligentes-pour-sanctionner-les-femmes-non-voilees-20230408">recours à l’intelligence artificielle</a> est devenu un nouvel instrument aux mains du régime. Des millions de femmes sont ainsi photographiées, puis identifiées, menacées voire arrêtées.</p>
<p>Enfin, les plus jeunes, dans les écoles et les lycées de filles – tous les établissements éducatifs sont non mixtes –, ont été nombreuses à être touchées par des <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/vague-dintoxications-dans-les-ecoles-en-iran-qui-veut-nuire-leducation-des-filles">attaques chimiques</a> visant à <a href="https://www.ei-ie.org/fr/item/27836:iran-les-attaques-chimiques-a-repetition-menees-contre-les-ecoles-mettent-en-evidence-la-violence-fondee-sur-le-genre-et-les-obstacles-a-leducation-des-filles">semer la terreur</a> et, probablement, à les dissuader de rejoindre le mouvement de contestation, même si le régime évoque vaguement « certains individus voulant fermer les écoles de filles ».</p>
<h2>L’octroi du prix Nobel de la paix à Nargues Mohammadi</h2>
<p>Le 15 septembre 2023, vingt ans après <a href="https://www.lejdd.fr/International/Shirin-Ebadi-une-vie-de-combat-813184-3150128">Shirin Ebadi</a>, Nargues Mohammadi <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/la-militante-iranienne-narges-mohammadi-fiere-de-ses-codetenues-2667765">s’est vu décerner le prix Nobel de la paix</a> pour sa lutte contre l’oppression des femmes – et pas seulement des femmes – en Iran. La lauréate se trouve derrière les barreaux, où <a href="https://actualitte.com/article/112922/international/en-iran-pres-de-11-ans-de-prison-pour-l-autrice-narges-mohammadi">elle purge une peine d’onze ans de prison</a>. Il y a peu de chances qu’au-delà de la signification symbolique, cette récompense puisse avoir des répercussions sur sa situation ou sur celle des Iraniennes en général. Téhéran a aussitôt réagi en qualifiant ce choix de <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/06/world/nobel-peace-prize-winner-2023-intl/index.html">« politique et partial »</a> et d’acte interventionniste impliquant certains gouvernements européens. Il en est de même du <a href="https://www.letemps.ch/societe/egalite/le-prix-sakharov-recompense-mahsa-amini-et-le-mouvement-des-femmes-en-iran">prix Sakharov accordé le 19 octobre à Mahsa Amini et au mouvement « Femme vie liberté »</a>.</p>
<p>Un an après la révolte des Iraniennes et des Iraniens, aucune amélioration n’est visible. Au contraire, le gouvernement fait fi des critiques internationales et consolide ses liens à l’international, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/05/la-russie-livre-des-avions-a-l-armee-de-l-air-iranienne_6187893_3210.html">avec la Russie</a>, mais aussi <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Enfin, dernièrement, les massacres perpétrés en Israël par le Hamas et dans la préparation desquels l’Iran est <a href="https://www.lopinion.fr/international/comment-liran-a-aide-le-hamas-a-attaquer-israel">largement soupçonné d’avoir été impliqué</a>, tout comme les bombardements de Gaza qui se sont ensuivis ont fait passer la situation intérieure en Iran, le prix Nobel de la paix et la question des femmes au second plan de l’attention de la communauté internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De très nombreuses Iraniennes, et de très nombreux Iraniens, continuent de défier le régime, malgré une répression impitoyable.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138302023-10-06T16:45:19Z2023-10-06T16:45:19ZL’égalité femmes-hommes dans le sport français : une chimère ?<p>À la veille des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en juillet 2024, certaines parties prenantes de l’événement vont sans doute accentuer la communication sur les valeurs choisies comme étendard vertueux de cette olympiade.</p>
<p>Parmi elles, l’égalité entre les femmes et les hommes (F/H) occupe une place de choix car ces jeux seront les premiers de l’histoire olympique à être paritaires (autant d’hommes que de femmes parmi les athlètes en compétition mais aussi parmi les relayeurs et relayeuses de la flamme olympique, et – presque – parmi les salariées et salariés du comité d’organisation avec 52 % de femmes).</p>
<p>Dans cette perspective, cette olympiade propose également plus d’épreuves mixtes ; un logo à l’effigie de Marianne (porte-parole de la devise républicaine) ; une mascotte en forme de <a href="https://www.theguardian.com/sport/2022/nov/15/mascot-paris-olympic-games-2024-likened-to-clitoris-in-trainers-phryges">bonnet phrygien</a> que les internautes ne manquent pas de <a href="https://www.liberation.fr/sports/jo-2024-vive-les-phryges-les-mascottes-clitoris-qui-en-mettent-plein-la-vulve-20221114_QE3ICJC3ZZCYTLIZJYDCEBQXTQ/">comparer avec un clitoris</a>.</p>
<p>Enfin, ces jeux candidatent au nouveau <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/cp-lancement-label-gesi-08-03-2022">label d’État Terrain d’égalité</a> (lancement en 2022) en vue de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutter contre les discriminations et les violences sexistes et sexuelles dans le domaine de l’événementiel sportif. Bien que volontaires, ces mesures sont-elles les signes d’une politique aboutie d’égalité entre les femmes et les hommes dans le mouvement olympique et/ou représentatives de la situation des femmes dans le mouvement sportif français ?</p>
<h2>Parcours de combattantes</h2>
<p>La parité des athlètes aux JOP 2024 est assurément un élément clé de la communication égalitaire des instances olympiques quand on sait le parcours de combattantes nécessaire, d’une part à l’intégration des femmes dans ses grands événements et à leur lente augmentation numérique dans <a href="https://hal.science/hal-02359712">l’ensemble des disciplines olympiques</a>. Alors que <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=1215418759273381">Pierre de Coubertin, en 1912</a>, juge l’arrivée des femmes dans le programme officiel des JO, « impratique, inintéressante, inesthétique et, nous ne craignons pas d’ajouter incorrecte », il faudra toute la persévérance et la pugnacité d’une femme, Alice Milliat, pour s’opposer à <a href="https://www.cairn.info/revue-vingt-et-vingt-et-un-revue-d-histoire-2019-2-page-93.htm">l’idéologie androcentrique de l’institution olympique</a> ; organiser – comme alternative – des Jeux mondiaux féminins entre 1922 et 1934 et fédérer les <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/genre-et-europe/gagner-sa-vie-en-europe/dirigeantes-du-sport-au-XXe-si%C3%A8cle">dirigeantes internationales</a> du sport <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17460263.2019.1652845">autour de la cause des femmes dans et par le sport</a>.</p>
<p>Ainsi, le premier combat pour les sportives fut de conquérir le droit d’accès aux fédérations sportives nationales (le droit d’obtenir une licence sportive), et ensuite aux compétitions internationales comme les JO (le droit de performer). Ainsi, pas de femmes licenciées à la fédération française de cyclisme jusqu’en 1948 et <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09523367.2015.1134500">pas de femmes cyclistes aux JO avant 1984</a>. Pas de femmes licenciées à la fédération française de football jusqu’en 1970 et <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-histoire_du_football_feminin_au_XXeme_si%C3%A8cle_laurence_prudhomme_poncet-9782747547307-15071.html">pas de footballeuses aux JO avant 1996</a>.</p>
<p>Quantitativement, la progression des femmes parmi les athlètes fut lente, irrégulière jusqu’à la dernière décennie du XX<sup>e</sup> siècle où le sujet de l’égalité F/H dans le sport gagne en légitimité et visibilité lors de la déclaration de Brighton en 1994 (sous l’égide du groupe de travail international femmes et sport) ; de la conférence mondiale sur les femmes de Beijing en 1995 (sous l’égide de l’ONU) ; puis de diverses commissions et projets <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2021.1939763">au sein du Comité international olympique</a>. </p>
<p>Au final, c’est en 2012 (JO d’été) et 2014 (JO d’hiver) que toutes les disciplines olympiques (mais pas forcément toutes les épreuves) sont autorisées aux femmes comme aux hommes. Néanmoins, encore aujourd’hui, le ratio femmes/hommes demeure très variable en fonction des délégations olympiques et en fonction des disciplines sportives (par exemple à Tokyo en 2021, seules six fédérations internationales – le canoë, le judo, l’aviron, la voile, le tir et l’haltérophilie – ont adopté des quotas équilibrés d’athlètes entre les femmes et les hommes).</p>
<h2>Des inégalités persistantes</h2>
<p>De plus, si cet objectif de parité des athlètes aux Jeux olympiques de Paris constitue l’un des leviers clés de la promotion, à l’international, du sport vers les femmes, il s’avère décalé avec la situation des sportives dans la plupart des pays. En France, par exemple, les <a href="https://injep.fr/donnee/recensement-des-licences-sportives-2020/">femmes représentaient 39 % des licences sportives en 2020</a> (chiffre au plus haut avant la pandémie de Covid-19), mais elles n’étaient que 32,8 % dans les fédérations olympiques françaises (et majoritaires dans seulement 4 fédérations olympiques sur 39 : les fédérations de danse, de gymnastique, de roller et skateboard et celle d’équitation). Certes, la progression des licences sportives repose principalement sur l’arrivée de femmes et davantage de jeunes filles – avec +8,1 % de licences féminines contre +2,5 % de licences masculines entre 2012 et 2017 – mais il demeure une <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2022-1-page-71.htm">importante division sexuée dans l’adhésion aux sports en France</a>.</p>
<p>S’il n’est plus possible d’imputer ce constat à des politiques d’exclusion (inégalités d’accès) – comme ce fut le cas par le passé – sans doute révèle-t-il les effets – moins directs – <a href="https://shs.hal.science/halshs-04072725">d’inégalités de traitement</a> (moindres ressources matérielles, financières et humaines) et de reconnaissance (moindre valeur et dignité) persistantes qui continuent à être <a href="https://www.theses.fr/s233255">largement défavorables</a> à l’engagement des <a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2021-1-page-5.htm">femmes et des filles dans le sport</a>.</p>
<p>Dorénavant, les restrictions à l’égard des femmes prennent la forme <a href="https://theses.hal.science/tel-01131575">d’une absence de sections féminines</a> dans le club sportif choisi à proximité ; d’une offre d’activités, d’horaires, d’équipements, de budget ou d’encadrement (parfois tout à la fois) <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-2-page-218.htm">restreinte</a>. Ces inégalités de traitement vont de pair avec un système de représentations culturelles qui, non seulement entretient la distinction entre la catégorie, socialement construite, des femmes et celle des hommes (autour de ce que « doit être » une femme ou un homme) mais davantage les hiérarchise (Clair, 2015). Ainsi, dès le plus jeune âge, sous les effets d’une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17430437.2023.2181163">socialisation genrée</a> qui se joue dans plusieurs instances, <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2022-1-page-63.htm?ref=doi">dont les médias</a>, les filles sont davantage encouragées à être <a href="https://www.cairn.info/inegalitees-culturelles-retour-en-enfance--9782111399785.htm">lectrices, musiciennes ou sédentaires plutôt que sportives</a> – ou <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2011-4-page-87.htm">danseuses, gymnastes, athlètes</a> plutôt que footballeuses, rugbywomen ou boxeuses.</p>
<p>Les filles sont davantage incitées à participer, à coopérer et à entretenir leur(s) forme(s) plutôt qu’à se battre, se dépasser et performer. Les filles intériorisent une représentation déclassée d’elles-mêmes qui justifierait qu’elles valent moins et donc mériteraient moins de moyens que les hommes. Ainsi, au-delà de la seule parité numérique des athlètes, d’autres critères d’égalité devront être mobilisés pour juger de l’égalité entre les femmes et les hommes comme les usages des espaces sportifs, la qualité des commentaires médiatiques, et plus largement le droit à la reconnaissance de la dignité de toutes les personnes.</p>
<h2>Le leadership féminin à la traîne</h2>
<p>De plus, en matière d’égalité, il convient également d’interroger la situation des femmes hors de l’aire de compétition, notamment dans les fonctions de direction (politique et/ou technique) du sport. Bien que peu médiatisé, le <a href="https://www.theses.fr/2020BORD0200">sujet mobilise</a> le législateur français, comme la <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315692883-13/gender-diversity-governance-international-sport-federations-johanna-adriaanse">gouvernance</a> du mouvement olympique, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/gwao.12790">depuis une vingtaine d’années</a>. </p>
<p>Au sujet de l’égalité d’accès aux fonctions électives du sport, la France est à l’avant-garde avec, en l’espace de huit ans, deux lois ambitieuses : celle du 4 août 2014, puis celle du 2 mars 2022 fixant l’exigence de parité dans les conseils d’administration des fédérations sportives pour 2024 et dans les conseils d’administration des ligues sportives régionales pour 2028. En l’espace de quelques olympiades, <a href="https://e-archivo.uc3m.es/bitstream/handle/10016/31436/impact_valiente_SIS_2020_ps.pdf">ces politiques</a> ont fait bondir la représentation des femmes <a href="https://patrickbayeux.com/actualites/federations-sportives-le-defi-de-la-parite/">dans les instances dirigeantes</a> du sport français (passant de 27,4 % en 2009-2012 à 40,3 % en 2021-2024).</p>
<p>Mais ces résultats numériques ne sont que l’arbre qui cache (mal) la forêt des inégalités, car en matière de politique sportive, le plancher colle. En France, seules deux femmes (5,7 %) sont, en 2023, présidentes d’une fédération olympique et pour les autres, nous manquons cruellement d’études sur les fonctions qu’elles occupent dans les CA ; les mécanismes de résistance qu’elles rencontrent et/ou les stratégies de contournement qui limitent un partage efficace du pouvoir. « Car ce n’est pas tant le pouvoir des nombres, qui, somme toute, fait la différence, <a href="https://doi.org/10.7202/011092ar">mais bien le nombre au pouvoir</a> ».</p>
<p>Enfin, les mondes de l’entraînement sportif et/ou de l’arbitrage révèlent également d’importantes inégalités entre les femmes et les hommes. En France, le <a href="https://insep.hal.science//hal-03081973">pourcentage de femmes entraîneurs de haut niveau</a> stagne durablement entre 8 % en 2006 et 11 % en 2020. Dans ce secteur professionnel, la mixité (et encore moins la parité) n’est pas à l’ordre du jour, et ce d’autant plus que la situation des femmes est encore mal connue. Si les <a href="https://www.cairn.info/quelle-mixite-dans-les-formations-et-les-groupes-p--9782296554597-page-193.htm">travaux</a> de la sociologue Caroline Chimot font encore figure d’exception, ils sont actuellement prolongés au sein du LVIS par des recherches en cours sur les carrières et conditions de travail des femmes entraîneurs, sur les raisons de leur moindre durabilité dans le métier et sur les formes de leadership qu’elles développent en lien (ou non) avec les perceptions/réceptions dans l’écosystème sportif.</p>
<p>Ainsi, sans vouloir minimiser la portée politique et culturelle de cette décision historique, espérons que la parité aux JOP de Paris 2024 ne sera pas <a href="https://www.paris2024.org/fr/parite/">« le dernier pas vers une parité historique aux JO »</a> mais une étape de route vers des politiques et pratiques permettant l’inclusion des personnes minorisées sur le plan de l’ordre de genre à partir <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2022.2161599">d’un travail critique</a> sur les pratiques et politiques à l’œuvre et/ou de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/19406940.2022.2161599">l’ancrage épistémique et idéologiques</a> des dirigeants du sport en France et au-delà.</p>
<hr>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213830/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Ottogalli-Mazzacavallo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces jeux seront les premiers de l’histoire olympique à être paritaires. Pour autant, peut-on parler d’égalité entre les femmes et les hommes dans le paysage sportif français ?Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Maîtresse de Conférences en histoire, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143382023-10-02T18:19:23Z2023-10-02T18:19:23ZScandale Luis Rubiales : l’image progressiste de l’Espagne écornée ?<p>La finale de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/coupe-du-monde-feminine-2023-141703">Coupe du Monde de football féminin</a> a captivé le monde autant qu’elle a dérangé pour des raisons inattendues. Après la victoire de l’équipe espagnole, le président de la Fédération espagnole de football (RFEF), Luis Rubiales, a choqué l’opinion en <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/baiser-force-de-luis-rubiales-sur-jennifer-hermoso-ce-sont-des-gestes-qu-on-n-aime-pas-voir-j-ai-ete-choquee-avoue-eugenie-le-sommer_6068034.html">embrassant sans son consentement Jennifer Hermoso</a>, la capitaine de la sélection. Cet incident a déclenché un scandale à échelle mondiale et mis en lumière la problématique du harcèlement sexuel, tout en rappelant l’une des difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses femmes qui en sont victimes : l’identifier comme tel.</p>
<p>Cette controverse soulève des questions cruciales sur les abus de pouvoir au sein de fédérations sportives et sur la perception et la définition du <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-h-comme-harcelement-164371">harcèlement sexuel</a>. Elle révèle également des liens complexes entre politique espagnole, droits des femmes et image internationale du pays. Elle met enfin en lumière les mœurs espagnoles contemporaines.</p>
<h2>Une mobilisation sociale sans équivoque ?</h2>
<p>Le baiser en question a d’abord provoqué une polémique, les réactions allant de l’indignation à la minimisation des faits. Certaines personnes ont considéré l’incident comme une situation résultant de l’euphorie du moment, Luis Rubiales lui-même ayant fondé un temps sa défense sur le fait que c’était un acte banal – en relayant une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4uz-HP2fvBI">scène d’amusement des joueuses après l’incident</a>. Jenni Hermoso a déclaré publiquement que le baiser n’était pas consenti. Parallèlement, la Fédération affirmait que le geste était mutuel et spontané, lié à la joie de la victoire.</p>
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<p>Ces déclarations contradictoires ont contribué à alimenter la controverse et ont vite déclenché une réaction massive dénonçant la normalisation de comportements machistes et abusifs sur le corps des femmes.</p>
<p>Le geste de Rubiales a été largement condamné comme inapproprié par la classe politique, les institutions, les syndicats, les citoyens espagnols et les athlètes. <a href="https://www.thewomensvoices.fr/news/agression-de-hermoso-solidarite-des-joueuses-face-au-refus-de-demission-de-rubiales/">Les joueuses championnes du monde ont pris position</a> en soutien à leur coéquipière. <a href="https://elpais.com/deportes/2023-08-24/la-tardia-reaccion-del-futbol-espanol-al-beso-no-consentido-de-rubiales-a-hermoso.html">Après plusieurs heures de tergiversations</a>, les présidents des fédérations régionales ont déclaré unanimement leur intention de demander la démission de Rubiales. Cette mobilisation plurielle montre une <a href="https://elpais.com/videos/2023-09-03/video-la-entrevista-a-irene-montero-en-diez-minutos.html">prise de conscience collective</a> dans la lutte contre le harcèlement sexuel.</p>
<h2>Du sport à la politique</h2>
<p>Le scandale est au cœur de débats qui mêlent des facteurs culturels, sociaux et politiques. La ministre de l’Égalité Irene Montero a qualifié le baiser forcé de « violence sexuelle » et a insisté sur le besoin de ne pas normaliser de tels actes. Elle a été soutenue par le chef du gouvernement Pedro Sanchez, ainsi que par plusieurs ministres qui ont demandé la démission immédiate de Rubiales.</p>
<p>En Espagne, la question de la définition juridique du harcèlement sexuel a fait l’objet en 2022 de débats houleux lors du projet de loi contre les violences sexuelles. Cette loi, communément appelée <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230425-s%C3%B3lo-s%C3%AD-es-s%C3%AD-en-espagne-la-r%C3%A9forme-de-la-loi-sur-le-consentement-sexuel-divise-la-gauche"><em>Solo sí es sí</em></a> (« seul un oui est un oui ») visait à renforcer la protection des victimes de violence sexuelle et à punir plus sévèrement les agresseurs.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’Espagne de 2023 est forte d’une réputation avant-gardiste en matière de droits des femmes et des minorités sexuelles grâce aux avancées en termes législatifs et judiciaires enregistrées sous le gouvernement de coalition de gauche PSOE et Podemos, au pouvoir depuis 2019. Dans le <a href="https://eige.europa.eu/gender-equality-index/2022">classement européen sur l’égalité femmes-hommes</a>, elle était 10<sup>e</sup> sur 27 en 2017, deux ans avant l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elle est désormais 6<sup>e</sup>, juste derrière la France.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/droits-des-femmes-la-vague-mauve-en-espagne-et-en-france-129659">Les questions liées au féminisme</a> et aux droits LGBTQIA+ ont joué un rôle central durant le mandat de Pedro Sanchez, qui <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4055434-20230929-espagne-pedro-sanchez-nouveau-rangs-succeder-apres-echec-droite">brigue actuellement un nouveau mandat</a> après les législatives de juillet dernier. Les lois adoptées au cours de ces dernières années témoignent d’un engagement fort en faveur de l’égalité des sexes et de la diversité sexuelle.</p>
<p>Ainsi, en 2023 a été adoptée la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/17/avec-la-loi-d-egalite-des-personnes-trans-l-espagne-approuve-l-autodetermination-de-genre_6162150_3210.html">loi pour l’égalité réelle et effective des personnes trans et pour la garantie des droits des personnes LGBT+</a>, qui autorise l’autodétermination de genre. Elle permet aux personnes transgenre de changer leur sexe légal sans avoir à subir de traitement médical préalable, ni à obtenir une décision judiciaire à partir de 16 ans (avec approbation parentale ou aval judiciaire pour les jeunes de 12 à 16 ans). Cette loi a été saluée comme un <a href="https://tetu.com/2023/02/16/europe-vote-loi-transgenre-espagne-avancee-historique-exemple-droits-trans-lgbt/">exemple de progrès en matière de droits LGBTQIA+</a> mais a aussi <a href="https://elpais.com/sociedad/2022-09-27/la-urgencia-profundiza-las-grietas-que-abre-la-ley-trans-entre-los-socialistas.html">divisé la classe politique</a> tant au sein de la gauche que de la droite, <a href="https://www.eldiario.es/politica/pp-recurrira-constitucional-ley-trans-rebufo-vox_1_10113074.html">Vox et le Parti populaire ayant par ailleurs intenté un recours contre le texte</a>.</p>
<h2>Entre tradition et avant-gardisme social</h2>
<p>Depuis la fin des années 1970, et après plusieurs décennies de dictature franquiste, l’Espagne a connu une transformation sociale rapide et est devenue un modèle en Europe en matière de droits pour l’égalité (<a href="https://ecoute-violences-femmes-handicapees.fr/ressources/espagne-loi-organique-relative-aux-mesures-de-protection-integrale-contre-la-violence-de-genre-en-espagne-2004/">loi contre les violences de genre</a> en 2004, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-ephemeride/3-juillet-2005-legalisation-du-mariage-pour-tous-en-espagne_1782333.html">loi sur le mariage pour tous</a> en 2005, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2010/07/05/avorter-en-espagne-devient-un-droit_1383342_3214.html">loi sur l’avortement</a> en 2010, <a href="https://fr.euronews.com/2022/08/26/seul-un-oui-est-un-oui-lespagne-renforce-sa-loi-contre-le-viol">loi contre les violences sexuelles</a> en 2022, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/17/avec-la-loi-d-egalite-des-personnes-trans-l-espagne-approuve-l-autodetermination-de-genre_6162150_3210.html">loi pour l’égalité des personnes trans</a> en 2023, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/conge-menstruel-un-rapport-senatorial-estime-qu-un-dispositif-ne-se-justifie-pas_AD-202306280924.html">loi pour le congé menstruel en 2023 – dont le modèle a été rejeté en France</a>…)</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703304370673131976"}"></div></p>
<p>Cependant, malgré ces avancées législatives, il est essentiel de reconnaître que l’Espagne n’est pas unanime sur ces questions. L’opposition au féminisme et aux droits LGBT+ persiste dans certaines parties de la société espagnole. Cela peut s’expliquer par diverses raisons, à commencer par la rapidité de ces changements sociaux qui remettent en cause des normes établies, enracinées, en lien avec des questions sur l’identité de genre qui polarisent la classe politique. L’Espagne est l’héritière d’un <a href="https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/societe-contemporaine/la-laicite-en-espagne-un-compromis-hesitant-issu-de-memoires-conflictuelles">passé culturel et religieux</a> dont les valeurs traditionnelles volent en éclats face aux revendications des groupes exposés précédemment.</p>
<h2>Une image de pays progressiste à soigner</h2>
<p>Cette affaire dessert un pays dont la réputation est aujourd’hui largement bâtie sur les avancées sociales, le tourisme et les succès sportifs. En prononçant un discours incendiaire lors de l’assemblée extraordinaire de la RFEF, et en scandant « Je ne vais pas démissionner » à maintes reprises, Luis Rubiales a attiré l’attention des médias internationaux, friands d’une histoire de dirigeant d’une grande organisation sportive qui refuse d’abandonner son poste et présente cet épisode tel un match de longue haleine à gagner contre ce qu’il a <a href="https://www.elcorreo.com/deportes/futbol/rubiales-causa-asombro-prensa-internacional-20230825175342-ntrc.html">qualifié de « faux féminisme » ambiant</a> (Rubiales a finalement <a href="https://www.letemps.ch/sport/football/baiser-force-luis-rubiales-annonce-qu-il-va-quitter-la-presidence-de-la-federation-espagnole-de-football">quitté ses fonctions le 10 septembre</a> après trois semaines de polémique).</p>
<p>Tant Rubiales que ceux qui ont applaudi son discours, comme Luis de la Fuente, sélectionneur de l’équipe féminine de football espagnole, laissent penser que les normes et valeurs au sein de l’institution ne sont pas alignées avec celles promues au sein de cette Espagne progressiste. Parmi les divers sponsors de la Fédération espagnole de football, il y a eu un <a href="https://elpais.com/deportes/2023-08-25/el-silencio-de-los-patrocinadores-de-la-federacion-espanola-de-futbol.html">moment de flottement</a> puisque seules la compagnie aérienne Iberia et le fournisseur d’énergie Iberdrola ont immédiatement soutenu publiquement les joueuses sur leurs réseaux sociaux. Or, dans la gestion de la crise d’une part et dans la communication sur l’affaire d’autre part, il en va de l’image de marque de l’Espagne. Comme le souligne le spécialiste de la communication de crise <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/image-reputation-influence-comment-construire-une-strategie-pour-vos-marques">Géraud de Vaublanc</a> :</p>
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<p>« Une bonne réputation est une image favorable qui dure, malgré les aléas (évolution des marchés, changements de dirigeants, incidents ou crises traversées par l’entreprise). C’est ce qui explique que la valeur d’une réputation positive est supérieure à la valeur d’une image positive. »</p>
</blockquote>
<p>L’affaire Rubiales porte peut-être atteinte un temps à l’image de l’Espagne, quelque peu abîmée par le comportement d’un dirigeant, mais il est peu probable qu’elle affecte radicalement sa réputation. Alors que l’enquête se poursuit, l’Espagne est toujours engagée aux côtés du Portugal et du Maroc pour l’organisation du Mondial (masculin) en 2030.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sabrina Grillo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’affaire Rubiales intervient dans un contexte de crise politique et d’avancées sociales qui ne font pas l’unanimité.Sabrina Grillo, Maîtresse de conférences en civilisation de l'Espagne contemporaine, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138822023-09-28T19:12:42Z2023-09-28T19:12:42ZQuand les Iraniennes résistent à la surveillance par la « sousveillance »<p>Un an environ après la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/iran/manifestations/iran-un-an-apres-la-mort-de-mahsa-amini_6066060.html">mort de Mahsa Amini</a>, la révolte iranienne ne fléchit pas. Cette jeune femme de 22 ans est devenue le symbole de la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">politique islamique iranienne sur le port du voile</a>. Son décès amène un <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-la-premiere-fois-que-les-iraniennes-descendent-dans-la-rue-cette-fois-ci-sera-t-elle-la-bonne-192480">vent de révolte</a> à l’encontre du régime iranien. Celle-ci se concentre autour de la lutte contre la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-2-page-277.htm">loi adoptée en 1983 qui imposait aux femmes le port du hijab</a>, quatre ans après la révolution islamique de 1979.</p>
<p>Si un souffle de rébellion s’était déjà emparé de la jeunesse iranienne <a href="https://journals.openedition.org/eps/5170">ces deux dernières décennies</a>, ce tragique événement a renforcé les manifestations. En effet, il n’est plus rare, ces deux dernières décennies, de voir quelques mèches de cheveux dépasser des voiles ou même certaines femmes tête nue.</p>
<p>Cette défiance aux airs de désobéissance civile répand une vague de liberté et d’émancipation chez les Iraniens qui décident de ne plus répondre aux diktats sur le voile.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-regime-iranien-est-un-apartheid-des-genres-il-faut-le-denoncer-comme-tel-191465">Le régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel</a>
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<p>Cette dernière année, notamment depuis la mort de Mahsa Amini, les manifestations ont été plus fortes et la <a href="https://www.amnesty.fr/discriminations/actualites/iran-femmes-repression-port-obligatoire-du-voile">répression mise en œuvre par le pouvoir des mollahs</a> est également allée croissant. Le régime iranien emploie à présent des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/technologie-controler-le-port-du-voile-via-la-reconnaissance-faciale-un-projet-fait-polemique-en-iran">outils technologiques de surveillance de masse</a> qui jusque-là n’avaient jamais été <a href="https://www.bfmtv.com/tech/l-iran-utiliserait-la-reconnaissance-faciale-pour-identifier-les-femmes-qui-ne-portent-pas-le-hijab_AN-202301130024.html">utilisés pour imposer une loi vestimentaire aux femmes sur la base d’une politique religieuse</a>. À ce titre, la chercheuse Mahsa Alimardani souligne que le régime a passé des années à construire un <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">appareil de surveillance numérique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un an après, où en est la révolution ? (Public Sénat).</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.cnil.fr/sites/cnil/files/atoms/files/reconnaissance_faciale.pdf">La reconnaissance faciale permet d’identifier un individu</a>, c’est-à-dire de retrouver son identité parmi un groupe de personnes ou au sein d’une base de données. Cette technologie peut être utilisée en temps réel <a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">dans l’espace public</a> par le biais de caméras de surveillance par exemple.</p>
<p>Mais elle peut également être exploitée dans le cadre d’une surveillance a posteriori, grâce à des images enregistrées issues des caméras de surveillance ou encore des réseaux sociaux.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cet outil de surveillance visuelle peut alors être utilisé pour identifier les <a href="https://www.bfmtv.com/tech/l-iran-utiliserait-la-reconnaissance-faciale-pour-identifier-les-femmes-qui-ne-portent-pas-le-hijab_AN-202301130024.html">personnes qu’un régime considère comme dissidentes</a> si elles portent des signes visuellement reconnaissables par des machines, de façon automatisée. Cette utilisation de la technologie pour répondre à une politique vestimentaire amène un changement d’échelle dans la répression des contrevenantes. Alors que la police iranienne ne peut être omniprésente, la technologie permet au régime iranien d’avoir un œil ubiquitaire grâce à l’utilisation d’un <a href="https://ipvm.com/reports/tiandy-iran-business">logiciel de reconnaissance faciale issu de la société chinoise Tiandy</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/proposition-de-loi-sur-la-reconnaissance-faciale-un-pas-de-plus-vers-la-surveillance-generalisee-207677">Proposition de loi sur la reconnaissance faciale : un pas de plus vers la surveillance généralisée ?</a>
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<h2>Le voile : sous « l’œil de Dieu »</h2>
<p>En janvier 2023, le journal américain <em>Wired</em> révélait que quelques jours après avoir manifesté de nombreuses femmes <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">avaient été arrêtées chez elles</a>.</p>
<p>Un haut fonctionnaire déclarait d’ailleurs que des algorithmes pouvaient identifier les femmes enfreignant les <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">codes vestimentaires</a>. L’utilisation d’algorithme à des fins d’identification des individus par le biais de leur visage est techniquement possible en Iran, puisque le régime dispose depuis 2015 d’une <a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">gigantesque base de données nationale d’identité</a>. Cette base regroupe non seulement les identités (état civil, adresse, etc.), mais également des données biométriques comme les images numérisées des visages des citoyens utilisées pour les cartes d’identité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sportives-iraniennes-miroir-dun-pays-en-crise-132222">Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise</a>
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<p>Couplée à un logiciel de reconnaissance faciale, cette base de données permet d’identifier toute personne qui ne respecterait pas loi, par exemple toutes les femmes contrevenant à la loi sur le hijab. Cet outil de surveillance visuelle devient, à l’instar d’un autre cas cité <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/12858">dans un travail de recherche,</a> « l’œil de Dieu ».</p>
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<figcaption><span class="caption">En Iran, la police des mœurs de retour de la rue, HuffPost, juillet 2023.</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.wired.com/story/iran-says-face-recognition-will-id-women-breaking-hijab-laws/">Des exemples récents</a> attestent de cette mise en œuvre de la surveillance. Typiquement, les femmes qui ne portent pas de voile dans leur voiture reçoivent des <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">SMS d’avertissement</a>. Développé en 2020, <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">ce programme, Nazer (« surveillance » en persan), lutte contre le retrait du hijab dans les voitures</a>. Il a récemment été <a href="https://www.voanews.com/a/iran-issues-warning-on-mandatory-headscarf-in-cars-/6901848.html">renforcé et déployé dans tout le pays, d’après un officier supérieur de la police</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reconnaissance-faciale-du-deverrouillage-de-telephone-a-la-surveillance-de-masse-184484">La reconnaissance faciale, du déverrouillage de téléphone à la surveillance de masse</a>
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<h2>S’exposer sans voile sur les réseaux sociaux : un acte de « sousveillance »</h2>
<p>Mais, alors que le régime épie les femmes pour surveiller si elles portent le voile ou non, parallèlement, ces dernières cherchent à donner davantage de visibilité à leur lutte contre cette politique, et plus généralement contre le régime. Le voile se retrouve alors au cœur d’une guerre de la visibilité : son port est scruté d’un côté, tandis que son absence est brandie comme un signe d’émancipation sur les réseaux sociaux de l’autre.</p>
<p>Face à cette utilisation de la surveillance pour punir, les manifestants usent d’outils de <a href="http://archiverlepresent.org/terminologie/sousveillancesurveillance">sousveillance</a>, comme l’explique le chercheur Steve Mann afin de donner de la visibilité à leurs actions et aux exactions qu’ils subissent.</p>
<p><em>Le hashtag #Kartemelichallenge visait à montrer sur Instragram la schizophrénie dans laquelle vivent de nombreux Iraniens et Iraniennes.</em></p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/explore/tags/kartmelichallenge/ ?hl=fr","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Construite par opposition à la surveillance, la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2016-3-page-68.htm">sousveillance viendrait du « bas »</a>. Elle cherche à constituer un contrepoids au pouvoir étatique avec la possibilité de filmer et <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/14088/9355">rendre visibles les actions s’opposant à la surveillance</a>. En ce sens, les photos de femmes s’affichant sans voile sur les réseaux sociaux ou les manifestations relayées sur la Toile s’apparentent à de véritables actions de « sousveillance ».</p>
<p>Par ces actes de désobéissance, les femmes tentent à s’opposer à la surveillance de l’État et à médiatiser leur combat. Le régime iranien a, d’ailleurs, vite compris la puissance de la visibilité des actions des manifestants, et <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/22/face-aux-manifestations-l-iran-bloque-massivement-messageries-et-reseaux-sociaux_6142722_4408996.html">cherche à restreindre l’accès à Internet</a>. De fait, les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/droits-des-femmes/manifestations-en-iran-les-reseaux-sociaux-ont-donne-beaucoup-de-pouvoir-a-ces-jeunes-contestataires-observe-une-specialiste_5399155.html">réseaux sociaux ont donné du pouvoir à la jeunesse contestataire iranienne</a> ainsi que l’observe Azadeh Kian, professeure de sociologie politique.</p>
<p>Cette <a href="https://ojs.library.queensu.ca/index.php/surveillance-and-society/article/view/14088">« ère hypermédiatisée et hypervisuelle »</a> permise par les réseaux sociaux transforme le citoyen en journaliste et témoin documentant ses propres actions et celles de ses concitoyens.</p>
<p>Si l’accès aux technologies les plus puissantes et les plus onéreuses (comme la reconnaissance faciale) reste le privilège des dominants, l’agrégation d’une multitude de voix permise par les réseaux sociaux tente de pallier l’asymétrie de la visibilité. De plus, les coûts réduits des smartphones offrent à qui veut la possibilité de filmer et publier en direct sur la Toile des actions de lutte. La technologie devient ainsi autant un outil d’émancipation que de répression. L’Iran est donc au cœur d’un double déploiement technologique, où s’opposent surveillance et sousveillance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elia Verdon est membre de l'Observatoire de la surveillance en démocratie. </span></em></p>En Iran, le voile est au cœur d’une guerre de la visibilité : son port est scruté d’un côté, tandis que son absence est brandie sur les réseaux sociaux comme un signe d’émancipation .Elia Verdon, Doctorante en droit public et en informatique, CERCCLE (EA 7436) et LaBRI (UMR 5800), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2115692023-08-16T14:18:13Z2023-08-16T14:18:13ZAfghanistan : la guerre des talibans contre les femmes est un apartheid des genres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/542622/original/file-20230807-23-aa6m4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4992%2C3300&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un combattant taliban monte la garde pendant que des femmes attendent de recevoir des rations alimentaires distribuées par un groupe d’aide humanitaire, à Kaboul, en Afghanistan, en mai 2023.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ebrahim Noroozi, File)</span></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/afghanistan-marks-1-year-anniversary-of-taliban-takeover">deuxième anniversaire de la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan</a> approche à grands pas. Depuis lors, les femmes afghanes sont <a href="https://www.hrw.org/news/2022/01/18/afghanistan-taliban-deprive-women-livelihoods-identity">privées des droits de la personne les plus fondamentaux</a> dans ce qui ne peut être décrit que comme un apartheid de genre. </p>
<p>Ce n’est qu’en qualifiant la situation en Afghanistan de crime contre l’humanité que la communauté internationale pourra légalement lutter contre la discrimination systématique dont sont victimes les femmes et les jeunes filles de ce pays.</p>
<p>L’éradication des femmes de la sphère publique est au cœur de l’idéologie talibane. Les institutions de défense des droits de la femme en Afghanistan, notamment le ministère des Affaires féminines, ont été démantelées, tandis qu’on rétablissait le redoutable <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-58600231">ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice</a>. </p>
<p>La Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan a été dissoute et la constitution de 2004 abrogée ; la législation garantissant l’égalité entre les hommes et les femmes <a href="https://hrlr.law.columbia.edu/files/2022/12/Bennoune-Finalized-12.09.22.pdf#page=9">a quant à elle été invalidée</a>. </p>
<p><a href="https://www.amnesty.org/en/latest/research/2022/07/women-and-girls-under-taliban-rule-afghanistan/">Aujourd’hui, les femmes afghanes</a> n’ont pas accès à l’enseignement supérieur, elles ne peuvent pas quitter la maison sans un chaperon masculin, elles ne peuvent pas travailler, sauf dans le secteur de la santé et dans certaines entreprises privées ; les <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/25/world/asia/taliban-beauty-salons-afghanistan.html">parcs, les salles de sport et les salons de beauté leur sont interdits</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un salon de beauté fermé" src="https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541722/original/file-20230808-17-u58pge.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Vue panoramique d’un salon de beauté fermé dans la ville de Kaboul, en Afghanistan, en juillet 2023. Les talibans ont fermé tous les salons de beauté en Afghanistan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Siddiqullah Khan)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Femmes ciblées</h2>
<p>Sur les quelque 80 décrets promulgués par les talibans, 54 <a href="https://feminist.org/our-work/afghan-women-and-girls/taliban-edicts/">ciblent particulièrement les femmes</a>, restreignant gravement leurs droits <a href="https://www.princeton.edu/events/2023/afghanistan-under-taliban-state-gender-apartheid">et violant</a> les obligations internationales de l’Afghanistan ainsi que ses lois constitutionnelles et nationales antérieures. </p>
<p>Les talibans <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/02/19/afghan-women-suffer-under-taliban/">ne semblent pas inquiétés</a>, continuant là où ils s’étaient arrêtés il y a 20 ans, lorsqu’ils ont pris le pouvoir pour la première fois. Les résultats de leurs ambitions sont presque apocalyptiques. </p>
<p>L’Afghanistan est confronté à l’une des <a href="https://www.hrw.org/news/2023/05/15/hard-choices-afghanistans-humanitarian-crisis#:%7E:text=Afghanistan%20a%20largement%20disparu%20de,les%20filles%20restent%20les%20plus%%C3%A0%risque.">pires crises humanitaires du monde</a>. Environ <a href="https://www.rescue.org/article/afghanistan-entire-population-pushed-poverty">19 millions</a> de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, tandis que plus de <a href="https://www.hrw.org/news/2022/08/04/afghanistan-economic-crisis-underlies-mass-hunger">90 %</a> des Afghans la ressentent sous une forme ou une autre, les <a href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/wfp-afghanistan-situation-report-18-january-2023">ménages dont le chef de famille est une femme et les enfants</a> étant les plus touchés. </p>
<p>La violence fondée sur le genre a augmenté de façon exponentielle, avec à la clef une impunité pour les auteurs et un manque de soutien pour les victimes, tandis que les minorités ethniques, religieuses et sexuelles subissent une <a href="https://reliefweb.int/report/afghanistan/situation-human-rights-afghanistan-report-special-rapporteur-situation-human-rights-afghanistan-richard-bennett-ahrc5284-advance-edited-version">persécution acharnée</a>. </p>
<p>Cette triste réalité souligne la nécessité urgente d’aborder la <a href="https://spia.princeton.edu/sites/default/files/2023-02/SPIA_NaheedRangita_PolicyBrief_07.pdf#page=3">manière dont les préjudices civils, politiques, socio-économiques et fondés sur le genre</a> sont interconnectés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme portant un niqab bleu nourrit un bébé au biberon. Un autre bébé s’agite en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541521/original/file-20230807-25161-ue4ret.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des mères et des bébés souffrant de malnutrition attendent de recevoir de l’aide et des examens dans une clinique humanitaire internationale à Kaboul, en Afghanistan, en janvier 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ebrahim Noroozi)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Crime de droit international</h2>
<p>Karima Bennoune, universitaire algérienne et américaine spécialisée dans le droit international, a préconisé de reconnaître l’apartheid de genre comme un <a href="https://hrlr.law.columbia.edu/hrlr/the-international-obligation-to-counter-gender-apartheid-in-afghanistan/">crime au regard du droit international</a>. Cette reconnaissance découlerait des engagements juridiques internationaux des États en matière d’égalité des sexes et du <a href="https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/gender-equality/">cinquième objectif de développement durable des Nations unies</a> visant à atteindre l’égalité des sexes à l’échelle mondiale d’ici 2030. </p>
<p>La criminalisation de l’apartheid de genre fournirait à la communauté internationale un cadre juridique puissant pour répondre efficacement aux abus des talibans. Si les <a href="https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2023-01-12/the-secretary-generals-remarks-the-security-council-the-promotion-and-strengthening-of-the-rule-of-law-the-maintenance-of-international-peace-and-security-the-rule-of">Nations unies ont déjà qualifié la situation en Afghanistan d’apartheid de genre</a>, ce terme n’est actuellement pas reconnu par le <a href="https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/rome-statute-international-criminal-court">Statut de Rome de la Cour pénale internationale</a> comme faisant partie des pires crimes internationaux.</p>
<p>Lors de la présentation de son rapport au Conseil des droits de la personne des Nations unies, <a href="https://news.un.org/en/story/2023/06/1137847">Richard Bennett</a> – le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de la personne en Afghanistan – a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>Une discrimination grave, systématique et institutionnalisée à l’encontre des femmes et des filles est au cœur de l’idéologie et du pouvoir des talibans, ce qui fait craindre qu’ils ne soient responsables d’un apartheid fondé sur le genre. </p>
</blockquote>
<p>La criminalisation de l’apartheid de genre à l’échelle mondiale permettrait à la communauté internationale de s’acquitter de son obligation de réagir efficacement et de tenter de l’éradiquer définitivement. Elle fournirait les outils juridiques nécessaires pour garantir le respect des engagements internationaux en matière de droits des femmes dans tous les aspects de la vie.</p>
<p><a href="https://www.arabnews.com/node/2324266/world">Shaharzad Akbar</a>, directrice du <a href="https://rawadari.org/">groupe Rawadari pour la défense des droits de la personne</a> et ancienne présidente de la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, a exhorté le Conseil des droits de la personne à reconnaître que la situation en Afghanistan en est une d’apartheid fondé sur le genre.</p>
<p>Elle souligne que « les talibans ont transformé l’Afghanistan en un véritable cimetière des ambitions, des rêves et du potentiel des femmes et des jeunes filles afghanes ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1411815986798473222"}"></div></p>
<h2>Soutien de l’Afrique du Sud</h2>
<p>Un certain nombre de défenseurs afghans des droits des femmes ont également demandé <a href="https://www.ohchr.org/fr/news/2023/06/human-rights-council-opens-fifty-third-session-hears-presentation-annual-report-high">l’inclusion de l’apartheid de genre dans le projet de convention des Nations unies sur les crimes contre l’humanité</a>. </p>
<p>Plus remarquable encore, <a href="https://ishr.ch/latest-updates/hrc53-un-experts-open-council-session-with-dedicated-discussion-on-the-situation-of-women-girls-in-afghanistan/">Bronwen Levy</a>, représentante de l’Afrique du Sud au Conseil de sécurité, a exhorté la communauté internationale à « prendre des mesures contre ce que le rapport (de M. Bennett) décrit comme un apartheid de genre, tout comme elle l’a fait pour soutenir la lutte de l’Afrique du Sud contre l’apartheid racial ». </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1671121452731359232"}"></div></p>
<p>Ailleurs, la <a href="https://www.europarl.europa.eu/delegations/en/joint-statement-of-2-february-2023-women/product-details/20230203DPU35201">présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen, ainsi que le chef de sa délégation pour les relations avec l’Afghanistan</a>, ont qualifié la situation de l’Afghanistan d’« inacceptable » et représentant un apartheid de genre.</p>
<p>Chaque fois qu’un système d’apartheid apparaît, c’est un échec de la communauté internationale. Le contexte afghan doit l’obliger à répondre efficacement à la persécution des femmes. </p>
<p>Reconnaître que le régime taliban est un apartheid de genre n’est pas seulement crucial pour les Afghans, il l’est tout autant pour la <a href="https://hrlr.law.columbia.edu/files/2022/12/Bennoune-Finalized-12.09.22.pdf#page=11">crédibilité de l’ensemble du système des Nations unies</a>. Comme l’a fait remarquer au Conseil de sécurité la militante afghane des droits de la personne <a href="https://press.un.org/en/2023/sc15222.doc.htm">Zubaida Akbar</a> :</p>
<blockquote>
<p>Si vous ne défendez pas les droits des femmes ici, vous n’avez aucune crédibilité pour le faire ailleurs. </p>
</blockquote>
<p>Les deux années atroces des talibans depuis leur arrivée au pouvoir en Afghanistan nous ont appris que les initiatives classiques en matière de droits de la personne, bien que primordiales, ne suffisent pas à lutter contre l’apartheid de genre. Le monde a besoin d’une action collective internationale inflexible pour mettre fin à la guerre contre les femmes. Pas dans deux mois. Pas dans deux ans. Maintenant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211569/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vrinda Narain est membre du conseil d'administration de Women Living Under Muslim Laws (WLUML), un réseau transnational de recherche et de solidarité.</span></em></p>Les deux années de règne des talibans en Afghanistan nous ont appris que les initiatives classiques en matière de droits de la personne ne suffisent pas à lutter contre l’apartheid de genre.Vrinda Narain, Associate Professor, Faculty of Law, Centre for Human Rights and Legal Pluralism, McGill UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2083822023-07-18T18:32:36Z2023-07-18T18:32:36ZUn « bra » d’honneur : comment le soutien-gorge est-il devenu un symbole politique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537079/original/file-20230712-29-acndss.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1280%2C777&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lancer de soutien-gorge annuel du Pink Bra Bazaar à la Tour Eiffel</span> <span class="attribution"><span class="source">Pink Bra Spring</span></span></figcaption></figure><p>Plébiscité par certaines femmes pour des raisons esthétiques, de confort ou de santé, le <a href="https://www.lexpress.fr/styles/bien-etre/psycho/pourquoi-elles-ont-choisi-de-vivre-sans-soutien-gorge_2092565.html">rejet du soutien-gorge</a> a accédé récemment au rang de symbole de libération des corps au point d’incarner une forme d’<em>empowerment</em> féminin. Il n’est ainsi pas rare de voir de plus en plus de femmes, quelle que soit la saison, de tout âge et corpulences, proscrire ce vêtement/accessoire de leur garde-robe.</p>
<p>Plusieurs acteurs ont popularisé ce phénomène durant la décennie 2010. Pensons au mouvement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UAA5qHu4B9g">No Bra Challenge</a> en 2018, mais aussi au travail de la féministe américaine Moira Johnson qui avait fait du sein et de son exposition une revendication en militant pour que les femmes obtiennent le droit de se promener topless dans les rues de New York sans craindre une arrestation. Une aspiration relayée par le mouvement <em>Free the Nipple</em>, lancé en 2012 par Lina Esco qui, dans son docu-fiction éponyme, mettait en scène un groupe de femmes osant défiler torse nu à New York afin de montrer l’absurdité de la loi. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eX8czRjkaBI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-Annonce de Free the Nipples.</span></figcaption>
</figure>
<p>En devenant viral, l’hashtag #freethenipple a favorisé la circulation des revendications. En France, les <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2012-3-page-204.htm">Tumultueuses</a> dénoncèrent le port du haut de maillot de bain pour les femmes qui, en occultant les seins, œuvrait à la perpétuation d’un ordre hétérosexiste. Organisant des <a href="https://www.nonfiction.fr/article-4336-les_tumultueuses__topless_et_activisme_politique.htm">bains revendicatifs</a>, elles réclamaient le droit pour les femmes à se baigner dans les piscines publiques seins nus ou demandaient aux hommes de se couvrir le torse.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="« Dames parisiennes dans leurs atours complets d’hive », caricature de 1799, par Isaac Cruikshank, sur les excès de la mode des « Merveilleuses » du Directoire, qui visait à copier le style « héllénique »" src="https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=911&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=911&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=911&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1145&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1145&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536851/original/file-20230711-29-7dy0qy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1145&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Dames parisiennes dans leurs atours complets d’hiver », caricature de 1799, par Isaac Cruikshank, sur les excès de la mode des « Merveilleuses » du Directoire, qui visait à copier le style « héllénique ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d4/1799-Cruikshank-Paris-ladies-full-winter-dress-caricature.jpg?uselang=fr">Isaac Cruikshank/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Érigé en vecteur de « la liberté conquise » par rapport au corset – c’est notamment le sens que lui donne le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Poiret">couturier Paul Poiret</a> qui invente en 1908 une silhouette fluide, inspirée des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Incroyables_et_Merveilleuses">Merveilleuses du Directoire</a> – le soutien-gorge est devenu en Occident 120 ans plus tard celui de l’oppression et de la domination patriarcale.</p>
<p>Étrange volte-face qui dit bien la labilité des objets et des significations associées, la mutation des regards et des pratiques comme la nature des mobilisations et des valeurs qui les sous-tendent.</p>
<h2>Du corset au soutien-gorge</h2>
<p>L’histoire des sous-vêtements féminins, et notamment le passage du corset au soutien-gorge, nous raconte une <a href="https://www.fnac.com/a224515/Philippe-Perrot-Les-Dessus-et-les-dessous-de-la-bourgeoisie">progressive émancipation</a> : celle d’une transformation des contraintes qui enserraient les corps des femmes, celle de l’appropriation de soi, entre souplesse et fluidité, dans un imaginaire renouvelé de liberté conquise.</p>
<p>On le sait, corsets et crinolines contribuèrent à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle à la division des sexes, œuvrant à la promotion d’une silhouette cambrée et en sablier qui <a href="https://www.decitre.fr/livres/the-corset-9780300090710.html">atrophiait la taille</a> pour faire saillir les seins et les reins. Se trouvait fixé un imaginaire où le corps féminin était guindé et guidé par un carcan rigide qui fonctionnait <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-silhouette-georges-vigarello/9782757869673">comme un tuteur</a>.</p>
<p>Il s’insérait aussi dans une économie des corps qui n’était pas dissociable de <a href="https://lvsl.fr/la-classe-de-loisir-de-veblen-pour-comprendre-les-crises-ecologiques-modernes/">logiques distinctives et de profits mondains</a>. Explicitement conçus pour exhiber leurs coûts et susciter l’attention, les vêtements féminins (dont les corsets) témoignaient de cette domination masculine, à la fois économique et sociale, par la médiation d’une consommation ostentatoire dont les femmes, entretenues dans une vie oisive et habillées de vêtements coûteux et entravants, en étaient l’expression.</p>
<h2>Interactions sociales et territoire du moi</h2>
<p>Mais dès le début de la Belle Époque, un mouvement de rejet se dessine à l’égard du corset sous le triple aiguillon de la mode, du savoir médical – qui invite à prendre conscience des déformations qu’il produit – et des féministes qui réclament sa suppression ou son adaptation au corps féminin. Le corset est progressivement remplacé au début du XX<sup>e</sup> siècle par l’architecture plus souple du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/a-l-origine-du-soutien-gorge-une-feministe-revolutionnaire-1187756">soutien-gorge</a> (dont le premier brevet est déposé en 1898).</p>
<p>Ce dernier insuffle des représentations plus sportives même s’il continue à surligner (voire à amplifier) les courbes, par un jeu ambivalent d’exposition/occultation. Avant d’être galbant ou pigeonnant, le soutien-gorge redessine toujours les silhouettes, lutte contre la mollesse des chairs et redresse les seins, assurant la perpétuation d’une érotologie valorisant les poitrines et figeant durablement les stéréotypes de genre. La liberté de mouvement n’est pas nécessairement synonyme de libération des corps.</p>
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<p>Au-delà de sa fonctionnalité supposée, ce <a href="https://www.cairn.info/les-objets-ont-ils-un-genre--9782200277130-page-137.htm">« vêtement lisière »</a> délimite les contours de ce « territoire du moi » et construit les identités (de genre). Invisibilisé le plus souvent, parfois annexé dans des stratégies de présentation de soi et de séduction (via le dévoilement plus ou moins contrôlé d’une bretelle ou d’une dentelle), le soutien-gorge constitue un adjuvant dans ces <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Pr%C3%A9sentation_de_soi._La_Mise_en_sc%C3%A8ne_de_la_vie_quotidienne_I-2089-1-1-0-1.html">chorégraphies du quotidien</a>, celles qui ponctuent, en les codifiant, les interactions sociales ordinaires. Il devient aussi, dans les long sixties, un symbole sociopolitique : celui de l’émancipation des femmes.</p>
<h2>« Bra burner » et « freedom trash can »</h2>
<p>Une séquence mémorable a suscité toute une mythologie largement médiatisée : celle des brûleuses de soutien-gorge (« bra burner »). Lors de la manifestation organisée en 1968 à Atlantic City contre l’élection de Miss America, 400 féministes jetèrent dans une « poubelle de la liberté » (« freedom trash can ») des objets symbolisant « les instruments de torture des femmes » parmi lesquels gaines, bigoudis, faux cils, perruques et soutien-gorge.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/asfudy5NN-Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 1968, 400 féministes jetèrent dans une « poubelle de la liberté » des objets symbolisant les « instruments de torture des femmes ».</span></figcaption>
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<p>Entre histoire et mémoire, l’épisode est devenu emblématique du combat mené par les féministes américaines et le soutien-gorge la figure métonymique de ce corps problématique, tout à la fois désiré, érotisé, sexualisé, opprimé, violenté et/ou réifié par le désir masculin et sa sexualité hégémonique.</p>
<p>Le contexte n’était pas anodin. Il intervenait lors de l’un de ces concours de Miss qui, avec leurs propensions à définir les normes acceptables et désirables du corps féminin, allaient devenir la cible de ces contestations tant ils étaient accusés de véhiculer une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/beaute_fatale-9782355220395">vision sclérosée, mutilante et stéréotypée des femmes</a>.</p>
<p>Cette contestation s’inscrivait aussi dans l’horizon d’attentes de cette époque. L’un des plus fameux slogans de Mai 68 – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vivre_sans_temps_mort,_jouir_sans_entraves">« Vivre sans temps morts. Jouir sans entraves »</a> – résumait bien l’humeur antiautoritaire et libertaire des années 60. Cette aspiration à l’émancipation se traduisit par une volonté farouche de libération des désirs, elle-même indissociable d’une politisation des corps.</p>
<h2>Labilité du signe et inversion du sens</h2>
<p>Transgressif, ce rejet du soutien-gorge l’est évidemment au regard du contexte : celui d’un conservatisme social et d’un moralisme ambiant alors prégnant dans les pays occidentaux. Le décentrement géographique et culturel est pourtant nécessaire en ce qu’il rend visible la variation des pratiques comme l’antinomie des lectures du monde social qui peuvent en être faites.</p>
<p>Si les seins nus furent perçus comme un symbole d’émancipation sexuelle et une provocation en Occident, ailleurs, <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2010-4-page-64.htm">comme au Mali</a>, ce n’était pas forcément le cas :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y avait rien d’extraordinaire pour une Malienne d’être en pagne, poitrine dénudée au bord du Niger. L’adoption du bikini par les jeunes filles était bien plus subversive. […] Dans les années 1970, les jeunes Maliennes s’emparèrent du soutien-gorge, exhibèrent cet attribut de mode doté d’une signification émancipatrice, tandis que les Françaises s’en débarrassaient. »</p>
</blockquote>
<p>De façon comparable, stigmatisé par les féministes américaines, le soutien-gorge réapparait sur les podiums des défilés de mode dans les années 1980 lorsque des créateurs transgressifs s’imposent par le brouillage de codes. Dans les collections de Vivienne Westwood où de Jean-Paul Gaultier les soutiens-gorge s’affichent agressivement, ironiquement et iconiquement au-dessus des vêtements, dans une reprise appuyée à l’esthétique trash et carnavalesque du mouvement punk.</p>
<p>Enfin, et à rebours du mouvement No Bra, un soutien-gorge allait encore être réinvesti politiquement lors de la révolution égyptienne de 2011. Une scène devenue rapidement virale montrait une jeune femme voilée, agressée le 17 décembre 2011 place Tahrir par des soldats anti-émeutes. Traînée au sol sur plusieurs mètres avant d’être laissée inanimée, dénudée jusqu’à la taille, <a href="https://www.npr.org/sections/pictureshow/2011/12/21/144098384/the-girl-in-the-blue-bra">son abaya relevée exposait aux regards son soutien-gorge bleu</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1317478555442384897"}"></div></p>
<p><a href="https://www.researchgate.net/figure/Bahia-Shehab-The-Blue-Bra-On-top-No-to-stripping-the-people-The-sole-of-the_fig11_315847726">Un graffiti de l’artiste Bahia Shehab</a> a popularisé cette « Girl in the Blue Bra » et a érigé cette pièce du vestiaire féminin en symbole de cette résistance d’en bas menée par les femmes égyptiennes contre l’oppression.</p>
<p>Au début de l’année 2012, un groupe d’activistes Anonymous (AnonTranslator) lançait l’opération Blue Bra Girl invitant les internautes à marquer leur solidarité à l’égard des Égyptiennes en se photographiant en soutien-gorge bleu, opérant un renversement radical des codes et des significations associées à cet élément de la culture matérielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Hourmant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire des sous-vêtements féminins, jusqu’à ne plus en porter, raconte une progressive émancipation du corps des femmes.François Hourmant, Professeur de science politique, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2065212023-06-04T16:08:17Z2023-06-04T16:08:17ZLes femmes rebelles de la mythologie grecque, féministes avant l’heure ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529920/original/file-20230604-25-rv952h.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C4%2C1457%2C1167&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sculpture "Méduse avec la tête de Persée" de Luciano Garbati. Avec l'aimable autorisation de l'artiste.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lucianogarbati.com/">Luciano Garbati</a></span></figcaption></figure><p>Après quelques victoires obtenues de haute lutte, les droits des femmes sont à nouveau menacés dans de nombreuses régions du monde. Aux États-Unis, la Cour suprême a <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/la-cour-supreme-americaine-revoque-le-droit-a-l-avortement-une-catastrophe-pour">révoqué le droit à l’avortement</a> en juin 2022 ; beaucoup de femmes ont également <a href="https://www.courrierinternational.com/une/inegalites-des-millions-damericaines-hors-du-marche-de-lemploi-cause-de-la-crise-du-Covid-19">quitté le marché du travail</a> depuis la pandémie de Covid-19, souvent pour s’occuper de leurs enfants et de leurs parents âgés. Dans d’autres parties du monde, en particulier dans les pays en développement, les <a href="https://www.unwomen.org/fr/nouvelles/article-explicatif/2022/03/inegalites-entre-les-sexes-et-changements-climatiques-des-enjeux-etroitement-lies">femmes sont les premières impactées par le changement climatique</a>.</p>
<p><a href="https://as.tufts.edu/classicalstudies/people/faculty/marie-claire-beaulieu">En tant que spécialiste de la mythologie ancienne</a>, je connais de nombreux personnages féminins de la mythologie grecque qui nous offrent des modèles pour les défis d’aujourd’hui. Cela peut paraître surprenant, car la Grèce antique était soumise à des <a href="https://books.google.com/books/about/Women_in_Ancient_Greece.html?id=Xfx1VaSIOgQC">règles patriarcales strictes</a> : les femmes étaient considérées comme des mineures placées sous la tutelle de leur père ou de leur mari pendant toute leur vie et n’avaient pas le droit de voter. Pourtant, dans les récits mythologiques, les femmes confrontaient le pouvoir et résistaient farouchement à l’injustice et à l’oppression.</p>
<h2>Déesses rebelles</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une peinture montrant un personnage effrayant aux cheveux longs mangeant un enfant dont le torse est ensanglanté" src="https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1102&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1102&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1102&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520854/original/file-20230413-24-uceh0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le dieu Saturne dévorant son enfant. Peinture de Francisco José de Goya y Lucientes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.museodelprado.es/en/the-collection/art-work/saturn/18110a75-b0e7-430c-bc73-2a4d55893bd6">Museo Nacional del Prado, Madrid</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La rébellion féminine est au cœur de l’histoire grecque de la <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=urn:cts:greekLit:tlg0020.tlg001.perseus-eng1:104-138">création du monde</a>. Gaïa, la déesse de la Terre, se rebelle contre son mari Ouranos, le Ciel, qui l’étouffe et refuse de laisser ses enfants libres. Elle ordonne à son fils Kronos de castrer son père et de prendre son trône. Mais une fois au pouvoir, Kronos a peur d’être détrôné par ses enfants et <a href="http://www.perseus.tufts.edu/hopper/text?doc=urn:cts:greekLit:tlg0059.tlg001.perseus-eng1:6a">il dévore tous les bébés que sa femme Rhéa a mis au monde</a>.</p>
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<p>Rhéa se rebelle contre cet acte horrible. Elle donne à Kronos une <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/247308?ft=06.1021.144&offset=0&rpp=40&pos=1">pierre enveloppée dans une couverture</a> pour lui faire croire qu’il s’agit d’un autre bébé. Rhéa cache son enfant, le dieu Zeus, qui grandit et précipite son père dans les profondeurs des Enfers. Mais l’histoire se répète et le nouveau chef des dieux craint à nouveau que sa femme ne complote pour le renverser. En tant que roi des dieux, Zeus a peur de sa femme Héra, <a href="https://www.college-de-france.fr/media/vinciane-pirenne-delforge/UPL9044676424375206401_hera_pirenne.pdf">qui se venge de toutes ses transgressions</a>, en particulier de ses innombrables liaisons.</p>
<p>De même, l’histoire de Déméter et de sa fille Perséphone montre une déesse puissante qui tient bon face aux divinités masculines. Lorsque Perséphone est enlevée par Hadès, le roi des Enfers, Déméter, la déesse de l’agriculture, <a href="https://odysseum.eduscol.education.fr/hymne-homerique-demeter-vers-1-32-lenlevement-de-persephone-etude">refuse de laisser pousser les récoltes tant que Perséphone ne lui aura pas été rendue</a>. Malgré les supplications de Zeus, Déméter ne cède pas. Le monde entier est dépourvu de nourriture et les humains meurent de faim.</p>
<p>Finalement, Zeus est contraint de négocier et Perséphone <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/252973">remonte des Enfers</a> pour rejoindre sa mère une partie de l’année. Pendant les mois où Perséphone est avec Hadès, Déméter retient la végétation et c’est l’hiver sur la Terre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une peinture montrant un homme emportant une femme dans un char conduit par un cheval blanc" src="https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520857/original/file-20230413-26-8ppfh5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Peinture murale avec Hadès enlevant Perséphone dans un char.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hades_abducting_Persephone.jpg">Le Musée absolu, Phaidon, via Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Femmes meurtrières</h2>
<p>La culture grecque se méfiait toutefois des femmes au caractère bien trempé et les dépeignait comme des méchantes.</p>
<p>La spécialiste des lettres classiques <a href="https://www.classics.cam.ac.uk/directory/mary-beard">Mary Beard</a> explique que les écrivains masculins caractérisent ainsi les femmes pour justifier leur exclusion du pouvoir. Elle affirme que la définition occidentale du pouvoir s’applique intrinsèquement aux hommes. Par conséquent, <a href="https://wwnorton.com/books/9781631494758">selon elle</a>, « les [femmes] sont, pour la plupart, dépeintes comme des abuseuses plutôt que comme des utilisatrices du pouvoir. Elles le prennent illégitimement, d’une manière qui conduit à la fracture de l’État, à la mort et à la destruction. En fait, c’est le gâchis incontestable que les femmes font du pouvoir qui justifie qu’elles en soient exclues dans la vie réelle ».</p>
<p>Beard utilise les histoires de Clytemnestre et de Médée, entre autres, pour illustrer son propos. Clytemnestre punit son mari, Agamemnon, pour avoir <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Iphig%C3%A9nie_%C3%A0_Aulis-1642-1-1-0-1.html">sacrifié leur fille Iphigénie</a> au début de la guerre de Troie. Elle prend le pouvoir dans son royaume de Mycènes alors qu’Agamemnon est encore en guerre, et lorsqu’il revient, <a href="https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010277267">elle l’assassine de sang-froid</a>.</p>
<p>Médée fait payer à son mari, Jason, le <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251800240/medee">prix ultime</a> pour l’avoir abandonnée – <a href="https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010274318">elle tue leurs enfants</a>.</p>
<p>Médée, en tant que princesse étrangère dans la cité grecque de Corinthe, sorcière puissante et Noire, est marginalisée de multiples façons. Pourtant, elle refuse de céder. L’universitaire classique et intellectuelle féministe noire <a href="https://www.hamilton.edu/academics/our-faculty/directory/faculty-detail/shelley-haley">Shelley Haley</a> souligne que Médée est fière, une caractéristique considérée comme typiquement masculine dans la culture grecque.</p>
<p>Haley voit dans les actions de Médée un moyen d’affirmer son individualité face aux attentes de la société grecque. Médée n’est pas disposée à laisser à Jason la liberté d’entamer une relation avec une autre femme, et elle négocie l’asile selon ses propres termes avec le roi d’Athènes. <a href="https://books.google.com/books?id=kjup9bBv168C&lpg=PA177&pg=PA177#v=onepage&q&f=true">Selon Haley, Médée</a> « résiste aux normes culturelles qui font de la procréation la seule raison d’être de l’existence féminine. Médée aime ses enfants, mais comme un homme, sa fierté passe avant tout ».</p>
<h2>Comédie et tragédie</h2>
<p>De manière plus humoristique, dans <em>Lysistrata</em>, le dramaturge Aristophane imagine les femmes d’Athènes protestant contre la <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251450209/la-guerre-du-peloponnese">guerre du Péloponnèse</a> destructrice en faisant la grève du sexe. Sous une telle pression, leurs maris cèdent rapidement et la paix est négociée avec Sparte.</p>
<p>Lysistrata, la cheffe des femmes en grève, explique que les <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251799001/lysistrata">femmes souffrent doublement de la guerre</a>, même si elles n’ont pas leur mot à dire dans la décision d’entrer en guerre. Elles souffrent d’abord en mettant au monde des enfants, puis en les voyant partir comme soldats. Elles peuvent être veuves et réduites en esclavage en plus des conséquences de la guerre.</p>
<p>Enfin, dans une célèbre tragédie de Sophocle, <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251799162/antigone">Antigone se bat pour la décence humaine</a> face à l’autocratie. Lorsque les frères d’Antigone, Etéocle et Polynice, se disputent le trône de Thèbes et finissent par s’entretuer, le nouveau roi, Créon, ordonne que seul Etéocle, qu’il considère comme le roi légitime, soit enterré avec les honneurs. Antigone se révolte et déclare qu’elle doit faire respecter la loi divine <a href="https://www.youtube.com/watch?v=A9-W66xB-fM">plutôt que la loi humaine tyrannique de Créon</a>. Elle saupoudre le corps de Polynice d’un peu de poussière, geste symbolique qui permet au mort de passer dans l’au-delà.</p>
<p>Antigone agit en sachant pertinemment que Créon la tuera pour faire respecter son décret. Pourtant, elle est prête à offrir le sacrifice ultime pour ses convictions.</p>
<h2>Les femmes et la justice morale</h2>
<p>Tout au long de ces récits, les figures féminines représentent la justice morale et incarnent la résistance des personnes privées de pouvoir. C’est peut-être pour cette raison que la figure de Méduse, traditionnellement considérée comme un monstre féminin terrifiant <a href="https://www.mollat.com/livres/412278/la-bibliotheque-d-apollodore-un-manuel-antique-de-mythologie">vaincu par le héros masculin Persée</a>, a récemment été réinterprétée comme un symbole de force et de résilience.</p>
<p>Reconnaissant que la <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-Metamorphoses-d-Ovide/Les-Metamorphoses-d-Ovide-Livre-4">Méduse mythologique a été transformée en monstre</a> à la suite de son viol par Poséidon, de nombreuses survivantes d’agressions sexuelles <a href="https://twitter.com/emberlilly_/status/1640423393806696469">ont adopté l’image de Méduse</a> comme symbole de résilience.</p>
<p>Le sculpteur <a href="https://www.lucianogarbati.com/">Luciano Garbati</a> a renversé le mythe. En revisitant l’image traditionnelle du victorieux <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Perseus_with_the_Head_of_Medusa#/media/File:Persee-florence.jpg">Persée avec la tête de Méduse</a>, Garbati a donné à Méduse une nouvelle position puissante avec sa statue <em>Méduse avec la tête de Persée</em>. L’attitude réfléchie et déterminée de Méduse est devenue un symbole du mouvement #MeToo <a href="https://www.nytimes.com/2020/10/13/arts/design/medusa-statue-manhattan.html">lorsque la statue a été installée à l’extérieur de la salle d’audience</a> où Harvey Weinstein et de nombreuses autres personnes accusées d’agression sexuelle ont été jugées.</p>
<h2>Une inspiration pour les femmes rebelles d’aujourd’hui ?</h2>
<p>Les échos de toutes ces histoires résonnent fortement <a href="https://www.boldtypebooks.com/titles/helen-morales/antigone-rising/9781568589343/">aujourd’hui dans les mots de jeunes militantes intrépides</a>.</p>
<p>Malala Yousafzai a défendu l’éducation des filles dans l’Afghanistan contrôlé par les talibans, tout en sachant que les répercussions potentielles pourraient être terribles. Lors d’une interview pour un podcast, <a href="https://podcasts.apple.com/gb/podcast/the-accomplishment-podcast-with-sir-michael-barber/id1605826027?i=1000601684803">elle a déclaré</a> : « Nous savions que rien ne changerait si nous restions silencieuses. Le changement survient lorsque quelqu’un est prêt à s’engager et à s’exprimer ».</p>
<p>Greta Thunberg, <a href="https://www.npr.org/2019/09/23/763452863/transcript-greta-thunbergs-speech-at-the-u-n-climate-action-summit">s’adressant aux dirigeants mondiaux lors du Sommet de l’action climatique des Nations unies en 2019</a>, n’a pas manqué de dire : « Vous nous décevez. Mais les jeunes commencent à comprendre votre trahison. Les yeux de toutes les générations futures sont braqués sur vous. Et si vous choisissez de nous décevoir, je vous le dis : nous ne vous pardonnerons jamais. Nous ne vous laisserons pas vous en tirer à si bon compte. C’est ici et maintenant que nous fixons les limites ».</p>
<p>Pour les femmes qui continuent à lutter contre l’oppression, savoir que d’autres le font depuis des millénaires peut être à la fois un réconfort et un catalyseur d’action.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206521/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Claire Beaulieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De nombreux personnages féminins de la mythologie grecque nous offrent des modèles pour les défis d’aujourd’hui.Marie-Claire Beaulieu, Associate Professor of Classical Studies, Tufts UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064562023-06-01T16:17:50Z2023-06-01T16:17:50ZDécryptage : en droit, fœtus et embryon pourraient-ils être considérés autrement que comme des choses ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528339/original/file-20230525-23265-rnsgkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1280%2C662&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour le droit, l'embryon et le fœtus sont des choses comme une autre, quand bien même cela peut paraître choquant.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/b%c3%a9b%c3%a9-neige-vie-l%c3%a9ger-amour-1915402/">Nikos Apelaths / Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>À parcourir l’actualité avec un regard de juriste, on a parfois l’impression qu’il existe un fossé très large entre la <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">théorie du droit</a> et la perception qu’en a le grand public. C’est en fait là tout un pan de recherche pour les juristes : c’est un enjeu pour le droit d’être raccord avec les perceptions de son temps ; c’en est un autre que de demeurer fonctionnel et efficace.</p>
<p>Cela vaut notamment lorsque l’on parle des <a href="https://theconversation.com/topics/embryon-61175">embryons</a>, des fœtus ou des <a href="https://theconversation.com/topics/cadavres-105809">cadavres</a>, objets de <a href="https://www.theses.fr/s167776">mes recherches</a>. Beaucoup de personnes étrangères à la discipline (et ce n’est pas une tare !) ne comprennent notamment pas les décisions de justice lorsqu’une femme perd son bébé à naître lors d’une agression ou d’un accident provoqué par autrui : pourquoi ne s’agirait-il que de « blessures » ? Les étudiants en droit témoignent fréquemment de leur surprise quand ils le découvrent.</p>
<p>Une partie des confusions est née le 22 mai 1994, quand le Comité national d’éthique a qualifié l’embryon de « personne humaine potentielle dont le respect s’impose à tous ». Il s’agit-là d’un simple <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=DZ%2FOASIS%2F000419">avis et non d’un véritable statut juridique</a>. Le <a href="https://www.cairn.info/fiches-de-droit-des-personnes--9782340040175-page-5.htm?contenu=article">droit civil français, lui, ne distingue que les personnes et les biens</a>. Rien n’existe entre les deux, pas donc de catégorie propre à l’embryon, ni au fœtus. De ce fait, l’embryon et le fœtus sont donc considérés comme des choses, juridiquement parlant, et non une personne malgré l’idée de « personne potentielle ». Le statut de personne est réservé à celles et ceux qui sont <a href="https://www.cairn.info/droit-des-personnes-et-de-la-famille--9782340063228-page-9.htm">« nés vivants et viables »</a>.</p>
<p>Il est très compréhensible que cette théorie puisse être « choquante » aux yeux des profanes du droit. Elle ne repose pas moins sur un certain nombre de justifications qui participent activement à la sauvegarde de certains <a href="https://theconversation.com/topics/droits-fondamentaux-61604">droits et libertés</a> des personnes. Cela n’empêche toutefois pas les juristes chercheurs d’imaginer un statut juridique de l’embryon et du fœtus qui soit plus en accord avec la réalité de son objet.</p>
<h2>L’atteinte à la vie d’un enfant à naître n’existe pas en droit</h2>
<p>Le choix du législateur a directement à voir avec le droit des femmes à l’avortement qui fut autorisé en France en 1975 grâce à la <a href="https://ivg.gouv.fr/le-droit-lavortement">loi dite Veil</a>. Un statut de « chose », aussi particulière puisse être cette dernière, le justifie plus facilement qu’un statut de personne qui risquerait d’apporter son lot de questionnements gênants. En tissant, par exemple, un lien entre l’avortement et le <a href="https://www.repondreauxprejuges.com/un-avortement-est-un-meurtre">meurtre avec préméditation</a>, ce que certaines personnes n’hésitent pas à faire.</p>
<p>Ce statut permet également d’apporter une réponse pénale opportune sur les questions très délicates impliquant notamment des accidents entraînant la perte d’un fœtus. Reprenons le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007071215/">cas</a> jugé en Assemblée plénière par la Cour de cassation le 29 juin 2001. Dans cette affaire, un conducteur alcoolisé avait causé un accident de la route impliquant une femme enceinte. Il avait entraîné la mort de son fœtus. Se posait alors la question de savoir si le conducteur pouvait être jugé coupable du chef d’homicide involontaire sur le fondement de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165277/">article 221-6 du code pénal</a> qui définit ce dont il s’agit et les peines associées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=140&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=140&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=140&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528344/original/file-20230525-15-57x5hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le statut juridique du fœtus est régulièrement jugé choquant, comme il l’a été par beaucoup d’internautes au moment de l’affaire Palmade.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>En droit pénal, la <a href="https://www.cairn.info/droit-penal-general--9782340057036-page-110.htm">loi est d’interprétation stricte</a> : il n’y a pas de crime sans texte qui le prévoit. Le juge doit ainsi s’en tenir à une interprétation littérale de ce qu’énonce le législateur, laquelle ne permet pas en l’espèce de condamner ce conducteur pour des faits d’homicide involontaire. Il ne peut pas poser une jurisprudence qui étendrait le champ d’application du texte au fœtus. N’a ainsi été retenu que le chef de blessures involontaires, avec circonstance aggravante du fait de son état d’ébriété, car il n’existe pas, pour la Cour de cassation en tout cas, d’atteinte involontaire à la vie de l’enfant à naître.</p>
<p>Tout cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler la triste actualité du comédien <a href="https://www.actu-juridique.fr/penal/affaire-pierre-palmade-ou-lon-redecouvre-que-mettre-fin-a-une-grossesse-nest-pas-un-homicide/">Pierre Palmade</a> : ce dernier ne pouvait en aucun cas être condamné pour homicide involontaire tant que l’enfant n’était pas considéré comme étant né vivant et viable. Des examens semblent démontrer que l’enfant, mis au monde par césarienne après l’accident, a vécu <a href="https://www.lindependant.fr/2023/02/28/accident-de-pierre-palmade-le-bebe-est-ne-vivant-mais-na-survecu-que-33-minutes-lhomicide-involontaire-pourrait-etre-retenu-11028650.php">33 minutes</a> et l’on comprend désormais toute l’ampleur des enjeux judiciaires auxquels l’artiste va devoir faire face.</p>
<h2>Un souci de modérer les peines ?</h2>
<p>Pourquoi, alors le législateur n’a-t-il jamais accepté de réformer l’article 226-1 du code pénal ou de prévoir un nouveau texte permettant de faire entrer ces faits en adéquation avec le chef d’homicide involontaire sans attendre que le fœtus naisse vivant et viable ?</p>
<p>Il est en fait établi que la peine pénale n’a <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2018-4-page-18.htm">pas pour fonction de permettre à la victime ou à ses proches de se reconstruire</a> : nulle peine ne peut soulager la douleur qu’éprouve la victime d’un tel drame. Si elle peut faire ressentir un sentiment selon lequel « justice a été rendue », ériger cela en objectif encouragerait les vengeances, ce qui est exactement ce contre quoi le droit pénal français s’est <a href="https://www.cairn.info/droit-penal-general--9782340057036-page-7.htm?contenu=plan">fondamentalement construit</a>. Le droit pénal vise à punir les personnes coupables de transgression d’une ou plusieurs valeurs sociales mais c’est la société qui punit et <a href="https://www.cairn.info/de-la-division-du-travail-social--9782130619574.htm">réaffirme par la même ses valeurs</a>, pas la victime, afin d’éviter la <em>vendetta</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1175959166705393664"}"></div></p>
<p>Enfin, nul n’est à l’abri de provoquer un accident et le droit pénal n’est pas que le « droit des criminels ». Il suffit parfois d’un rien pour se retrouver mis en cause dans une affaire impliquant potentiellement un homicide involontaire (SMS au volant, par exemple). En refusant de faire le lien entre perte provoquée du fœtus et homicide involontaire, le législateur reste <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2014-3-page-495.htm">soucieux de préserver les libertés</a> des individus en modérant les peines pouvant leur être infligées.</p>
<p>Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’il s’agit là de l’état actuel du droit et de la présentation des justifications à l’absence de réforme de ce système. Cela ne signifie en aucun cas qu’il emporte la satisfaction de tous les juristes. Beaucoup pensent que le droit a le potentiel d’établir de nouvelles règles permettant de mieux prendre en compte la réalité de l’embryon, du fœtus et les droits des victimes à demander réparation.</p>
<h2>Quelles évolutions légales possibles ?</h2>
<p>L’hypothèse qui semble la plus simple est la suivante : réaménager la protection pénale de l’embryon et du fœtus en <a href="https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2020/01/26/lembryon-et-le-foetus-entre-personne-et-chose-entre-science-et-droit-des-protections-dinterets/">créant une incrimination spéciale</a> à leur égard dans le code pénal. Ainsi, l’enfant simplement conçu (embryon) ou à naître (fœtus) serait reconnu comme une valeur sociale à part entière dont seraient punies toutes les atteintes volontaires ou involontaires à son endroit.</p>
<p>Cette solution constituerait un apport à la fois symbolique et juridique. Symboliquement, elle permettrait aux profanes et victimes de constater une meilleure prise en compte par le droit des violences subies. Juridiquement, cela permettrait d’établir une peine à mi-chemin entre les blessures et l’homicide. Elle démontrerait une certaine prise de conscience de la part des juristes de la réalité des « personnes potentielles ». Il faudrait cependant préciser dans ce cas que l’avortement reste une atteinte autorisée dans le sens de la préservation de la liberté des personnes dans leur choix de devenir parents ou non.</p>
<p>Une deuxième hypothèse, beaucoup plus complexe dans sa mise en œuvre, impliquerait une <a href="https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2020/01/26/lembryon-et-le-foetus-entre-personne-et-chose-entre-science-et-droit-des-protections-dinterets/">mutation du droit civil</a>, s’affranchissant de sa dichotomie entre personnes et choses. Il s’agirait d’accepter la reconnaissance d’une nouvelle catégorie, celle de « personne potentielle ». Cela ne paraît pas impossible dans la mesure où l’article 16 du code civil suggère déjà, selon certains <a href="https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/2020/01/26/lembryon-et-le-foetus-entre-personne-et-chose-entre-science-et-droit-des-protections-dinterets/">auteurs</a>, que l’embryon et le fœtus sont des « personnes humaines » mais non juridique, d’où l’idée d’une nouvelle catégorie à créer pour eux.</p>
<p>Une telle solution ne serait clairement pas du goût de tous les juristes, car beaucoup estiment que cela <a href="https://www.actu-juridique.fr/ntic-medias-presse/lhomme-se-robotise-le-robot-shumanise-et-nous-roulons-a-tombeau-ouvert-vers-la-confusion-des-genres/">menacerait l’efficacité du droit civil</a>. Elle ouvrirait la « boite de Pandore » qui pousserait à la multiplication des nouvelles catégories en dehors des personnes et des choses pour l’animal ou le cadavre humain par exemple. Le droit y perdrait son caractère fonctionnel au profit d’un nouveau cadre qui serait contraint à devenir le reflet de toutes les étiquettes sociales.</p>
<p>« Parce que contraignante est la forme, l’esprit jaillit plus intense », disait Baudelaire. Le droit civil doit-il rester contraignant au profit de solutions fonctionnelles pour l’embryon et le fœtus ? Doit-il, au contraire, finir par s’avouer qu’une mutation est nécessaire afin de ne pas rester en décalage avec la société qui, pour ne pas l’ignorer, doit pouvoir conserver sa capacité à le comprendre ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jordy Bony ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Associer les enfants à naître à des choses comme le fait le droit est trop déconnecté des représentations de la société selon certains juristes ; pour d’autres, cela lui permet de rester efficace.Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l'EM Lyon, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048742023-05-24T17:31:32Z2023-05-24T17:31:32ZAux États-Unis, la longue marche vers l’égalité LGBTQ+<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526472/original/file-20230516-15-zgqnd1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C7%2C4930%2C3289&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aux États-Unis, les minorités sexuelles se sont battues pendant des décennies pour obtenir des droits qui sont aujourd’hui menacés par certains responsables politiques.
</span> <span class="attribution"><span class="source">lazyllama/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>La remise en cause progressive de l’ordre hétéronormatif bouleverse le paysage juridique états-unien à mesure que les notions d’orientation sexuelle et d’identité de genre trouvent un écho puissant dans les pratiques des opérateurs juridiques. Cette tendance se heurte à des résistances acharnées, comme on a récemment pu le constater avec la <a href="https://theconversation.com/fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-moins-de-democratie-plus-de-religion-184914">révocation du droit fédéral à l’avortement</a>. Clarence Thomas, l’un des neuf juges de la Cour suprême, n’a pas caché <a href="https://www.newsweek.com/clarence-thomas-gay-marriage-supreme-court-ruling-obergefell-v-hodges-1718971">son souhait de démanteler certains des droits fondamentaux des Américains LGBTQ+</a>, acquis au niveau fédéral, alors que <a href="https://www.slate.fr/story/243755/amerique-floride-etats-unis-projet-ron-desantis-make-america-florida-election-presidentielle-2024">Ron DeSantis</a>, actuel gouverneur de la Floride et possible candidat républicain à la présidentielle de 2024, s’est engagé dans une guerre culturelle acharnée contre les personnes LGBTQ+. Anthony Castet, maître de conférences en études nord-américaines, à l’Université de Tours, revient dans <a href="https://pufr-editions.fr/produit/la-fabrique-de-legalite-lgbtq-aux-etats-unis/">« La Fabrique de l’égalité LGBTQ+ aux États-Unis »</a>, à paraître aux Presses universitaires François Rabelais et dont nous vous proposons ici un extrait, sur le long combat pour les droits civiques des minorités sexuelles et de genre dans un pays tiraillé entre l’égale protection des lois, réservée à chacun, et l’instrumentalisation de la liberté religieuse, hostile aux personnes LGBTQ+.</em></p>
<h2>Statut des minorités sexuelles et de genre</h2>
<p>Cette population est d’évidence composée d’individus dont les aptitudes, les compétences, les croyances religieuses, les origines ethniques et sociales sont diverses et contribuent à la richesse de la communauté nationale à laquelle ils appartiennent. Pourtant, ils subissent l’incompréhension viscérale d’une partie de la société qui n’a de cesse de recourir à des éléments de langage visant à discréditer et à disqualifier le mouvement par tous les moyens possibles.</p>
<p>Ils sont accusés de défendre des intérêts particuliers dont ils ambitionnent de se prévaloir, en particulier au niveau politique. On parle de « lobby LGBT », de « communautarisme LGBT », d’« agenda homosexuel » et de « droits spéciaux », terminologie dont la connotation péjorative vise à associer le mouvement LGBTQ+ à une force sournoise profondément antidémocratique et prosélyte. Ce refus de comprendre et cette incompréhension – issus de la morale religieuse la plus rigoriste – sont alimentés par certains politiques et juges qui sont les architectes de l’invisibilisation, du refoulement, de la compartimentation, de l’homophobie intériorisée et de l’<em>outing</em>.</p>
<p>La brèche ouverte dans le mur de séparation entre les Églises et l’État ainsi que la liberté religieuse, érigée en dogme absolu pour justifier une différence de traitement à l’égard d’un groupe minoritaire, comptent parmi les caractéristiques de cette guerre culturelle menée contre le mouvement LGBTQ+. Un groupe minoritaire est <a href="https://www.abebooks.com/first-edition/Gays-Uniform-Pentagons-Secret-Reports-Edited/545217051/bd">constitué par</a> des individus qui ont en commun l’expérience d’être l’objet de discriminations fondées sur des stéréotypes, sur des croyances ethnocentriques ou sur des préjugés qui sont partagés par des membres du groupe non minoritaire.</p>
<p>Ces deux composantes agissent à la manière de turbines qui alimentent les agitations sociales du pays et affectent les mécanismes institutionnels de la vie politique, à mesure que la communauté LGBTQ+ gagne en visibilité et en crédibilité dans la conquête des cœurs et des esprits. Cette dynamique au profit de la minorité LGBTQ+ correspond historiquement, selon <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2009-4-page-135.htm">Camille Froidevaux-Metterie</a>, professeure de science politique, à un « mouvement de flux et de reflux de la foi religieuse » qui va de pair avec un second processus amorcé par le mouvement LGBTQ+ en faveur de l’égalité réelle <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo3627498.html">« sous la forme de cycles alternatifs que nous pourrions communément décrire par “des pas de géant” et “des phases de stabilité” »</a>.</p>
<p>Le contexte des guerres culturelles rend les victoires politiques et juridiques du mouvement LGBTQ+ fragiles et incertaines. La persistance de l’homophobie, de discours contradictoires au niveau politique et de l’injonction paradoxale au niveau juridique peut encore aujourd’hui conduire à la régression. Ainsi, le statut des Américains LGBTQ+ est constamment soumis à réévaluation par les conservateurs, ce qui peut constituer de nombreuses situations anxiogènes pour ces personnes. […]</p>
<p>En s’appuyant sur le cadre juridique international des droits de l’homme, les juges ont été les principaux artisans de l’égalité des droits des Américains LGBTQ+ en bâtissant un arsenal jurisprudentiel progressif et solide fondé sur les V<sup>e</sup> et XIV<sup>e</sup> amendements de la Constitution des États-Unis. Ils ont été les témoins directs de nombreux récits authentiques d’hommes et de femmes LGBTQ+ frappé‧e‧s historiquement d’indignité et d’immoralité en raison de leur orientation sexuelle. Néanmoins, les progrès considérables acquis par les personnes LGBTQ+ aux niveaux politique et juridique, la visibilité grandissante des problèmes auxquels elles font face ainsi que la libération de la parole ne doivent pas occulter un passé historique funeste pour ces individus dont l’humanité a été dépréciée et malmenée par une discrimination d’État. […]</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/loyacDl4HuI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Établissement du droit à la vie privée des couples de même sexe</h2>
<p>Dans l’introduction de son opinion majoritaire, dans l’affaire <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/539/558/">Lawrence vs Texas</a> (2002), le juge de la Cour suprême Anthony Kennedy fonde clairement son raisonnement sur un principe essentiel de liberté. Une valeur fondamentale de la démocratie, obtenue au prix d’une lutte sans faille contre l’oppression de la monarchie britannique, qui garantit l’importance des libertés individuelles et plus précisément encore le droit d’être en sécurité chez soi : </p>
<blockquote>
<p>« Dans notre tradition, l’État n’est pas omniprésent à l’intérieur de la maison [ainsi que dans] d’autres domaines de notre vie et de notre existence, à l’extérieur de la maison. »</p>
</blockquote>
<p>Au nom de la tradition libérale, le juge invoque implicitement un droit des personnes homosexuelles à une vie privée garantie par le IV<sup>e</sup> amendement de la Constitution qui protège les Américains contre des perquisitions et saisies non justifiées. […]</p>
<p>Kennedy s’évertue à complexifier la reconnaissance des droits fondamentaux des Américains LGBTQ+ du point de vue historique, juridique, philosophique, mais aussi des droits de l’homme. En s’appuyant sur la procédure légale régulière, Kennedy doit expliciter la ou les libertés qui sont, selon lui, bafouées. Pour ce faire, il fait appel une nouvelle fois à un contrôle du fondement rationnel pour invalider la loi du Texas, ce qui lui vaudra de nombreuses critiques […].</p>
<p>Son premier objectif est de démontrer que la vie privée est une liberté, et que celle-ci est fondée sur la jurisprudence de nombreuses affaires traitées entre 1923 et 1973, dont le point culminant a été la légalisation de l’avortement dans <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cw4xpn9yv2no"><em>Roe v. Wade</em></a>. Cet arrêt garantit la libre disposition du corps de la femme et la liberté de pouvoir prendre des décisions le concernant. Le droit à la vie privée est encadré par le <em>substantive due process</em>, principe qui consiste à restreindre le pouvoir des législateurs d’adopter certaines lois qui viendraient considérablement porter atteinte à la substance du droit et/ou de la liberté (fondamentale) contenus dans le XIV<sup>e</sup> amendement.</p>
<p>Le jugement rendu dans <a href="https://www.oyez.org/cases/1900-1940/262us390"><em>Meyer</em> (1923)</a> (la Cour a annulé une loi du Nebraska qui interdisait aux professeurs d’enseigner une autre langue vivante que l’anglais) guide le cheminement intellectuel emprunté par Kennedy dans la perspective de définir le terme de liberté du point de vue juridique dans une approche purement pragmatique :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit de l’individu […] de se lancer dans n’importe quelle occupation ordinaire de la vie, d’acquérir des connaissances utiles, de se marier, de fonder un foyer et d’élever des enfants […] et, en général, de profiter de ces privilèges reconnus il y a longtemps par le droit coutumier comme étant essentiels dans la recherche ordonnée du bonheur des hommes libres. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, le droit à la vie privée trouve sa place dans cette longue énumération d’opportunités qui permettent aux individus de s’accomplir et de s’enrichir dans toutes les étapes de la vie sans que l’État puisse invoquer arbitrairement un intérêt d’ordre public pour s’y opposer. Ce principe du <em>substantive due process</em> (droit substantiel) autoriserait certains juges « libéraux » de la Cour suprême à user d’un pouvoir d’interprétation non négligeable que certains utiliseraient de manière abusive, selon leurs détracteurs. Cette accusation contre-productive vise à disqualifier le fond du raisonnement alors même que Kennedy est un juge conservateur modéré. […]</p>
<p>Kennedy fait référence également à l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1964/496"><em>Griswold v. Connecticut</em> (1965)</a> afin d’établir un lien entre le présent dossier et un droit marital à la vie privée qui sanctuarise la chambre en tant qu’espace protégé, propice à la sexualité. Dans <em>Griswold</em>, la Cour a décidé d’invalider une loi du Connecticut (1879) qui interdisait la promotion et l’utilisation de moyens contraceptifs. Ce jugement a instauré le droit des individus de prendre des décisions relatives à leur intimité sexuelle et reproductive.</p>
<p>En 1972, dans l’affaire <a href="https://www.oyez.org/cases/1971/70-17"><em>Eisenstadt</em></a>, la Cour suprême a annulé une loi du Massachusetts qui interdisait la distribution de moyens contraceptifs à des personnes non mariées : « C’est le droit de l’individu, marié ou célibataire, que d’être libre de toute intrusion gouvernementale injustifiée dans des affaires qui touchent une personne de manière si fondamentale ». <em>Griswold</em> (1965) et <em>Eisenstadt</em> (1972) servent de précédents dans <em>Roe v. Wade</em> (1973) afin d’autoriser les femmes à avorter. D’après la Cour, le corps d’un individu est un espace de liberté protégé. Il est donc légitime de pouvoir faire des choix intimes qui s’y rapportent. Rappelons que ces deux affaires se déroulent dans le contexte des années 1960-70 au moment où la justice est confrontée à la question du rapport sexuel à des fins récréatives et non procréatives en dehors du mariage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Castet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un récent ouvrage revient sur les longues et complexes procédures juridiques qui, aux États-Unis, ont permis aux personnes LGBT+ d'obtenir des droits dont certains sont aujourd'hui remis en cause.Anthony Castet, Maître de Conférences civilisation nord-américaine, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045882023-05-02T20:23:13Z2023-05-02T20:23:13ZDes chiffons aux tampons : une brève histoire des protections menstruelles<p>En 2023, les règles sont encore taboues. Bien qu’il soit <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/culture/2662647-20191202-regles-art-artistes-represente-menstruations">évoqué, par exemple, dans l’art contemporain</a>, cet événement physiologique qui concerne les femmes pendant une bonne partie de leur vie n’est toujours pas un sujet de conversation ordinaire.</p>
<p>Les menstruations sont généralement considérées comme quelque chose qu’il faut contenir – les fuites menstruelles étant estimées <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2011-1-page-33.htm">honteuses</a> malgré des <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/08/15/monstrueuses-menstrues-ou-le-tabou-publicitaire-des-regles_6138053_3451060.html">campagnes</a> visant à aider les jeunes à se sentir plus à l’aise pour en parler.</p>
<p>Pour de nombreuses femmes, cette période se traduit par une perte de sang équivalente à <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK279294/">deux ou trois cuillères à soupe</a> au cours des quatre à cinq jours que durent leurs règles. Elles ont donc recours à des tampons, à des serviettes hygiéniques ou à des coupes menstruelles.</p>
<p>Mais une <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2019/apr/13/cloth-cow-dung-cups-how-the-worlds-women-manage-their-periods">étude de 2019</a> sur la façon dont les femmes du monde entier gèrent ces périodes délicates a montré que beaucoup utilisent encore des feuilles, de la laine de mouton, du papier journal, de l’herbe ou même de la bouse de vache comme substance absorbante. </p>
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<p>Un <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/les-menstruations-source-d-absenteisme-scolaire-dans-le-monde">rapport de l’Unesco</a> a révélé en 2016 que 10 % des jeunes femmes africaines n’allaient pas à l’école pendant leurs règles. En effet, l’un des moyens d’éviter les fuites est tout simplement de ne pas sortir de chez soi lorsqu’on a ses règles, ce qui explique pourquoi les menstruations ont encore des conséquences importantes sur l’éducation des femmes.</p>
<h2>Les règles dans l’histoire</h2>
<p>Cependant, les femmes n’ont pas toujours eu le même rapport à leurs menstruations.</p>
<p>Il est probable qu’à d’autres époques, les <a href="https://www.sudouest.fr/societe/histoire-comment-les-femmes-ont-gere-leurs-regles-au-cours-des-si%C3%A8cles-11099346.php">femmes avaient moins de règles</a>, avec des <a href="https://helloclue.com/articles/culture/what-was-it-like-to-get-your-period-in-ancient-greece">saignements plus légers</a>, non seulement parce qu’elles passaient une plus grande partie de leur vie enceintes, mais aussi parce que leur <a href="https://www.theguardian.com/society/2022/jan/06/women-losing-their-periods-because-of-restrictive-diets-and-excessive-exercise">alimentation était plus pauvre qu’aujourd’hui</a>.</p>
<p>Pourtant, des textes médicaux datant de la <a href="https://www.cairn.info/revue-champ-psychosomatique-2005-4-page-25.htm">Grèce antique</a> affirment que le saignement idéal doit être abondant. Cela s’explique par la croyance selon laquelle les menstruations se produiraient parce que le corps des femmes a une texture plus spongieuse que celui des hommes. Leur chair absorbant davantage de ce qu’elles mangent et de ce qu’elles boivent, le saignement était alors vu comme bénéfique pour la santé des femmes. On pensait même que le sang qui ne sortait pas pouvait leur causer des maladies mentales.</p>
<p>Jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle, les textes médicaux reprenaient les idées héritées de la Grèce antique ; mais au début de l’Europe moderne, les hommes semblaient à l’aise pour parler des menstruations. Samuel Pepys, homme de lettres du XVII<sup>e</sup> siècle, mentionnait par exemple le cycle menstruel de sa femme <a href="http://earlymodernmedicine.com/review-menstruation-and-the-female-body/">dans son journal</a>.</p>
<p>En ce qui concerne les saignements, l’historienne <a href="http://earlymodernmedicine.com/review-menstruation-and-the-female-body/">Sara Read</a> a conclu qu’à cette époque, la plupart les femmes se contentaient de saigner sur leurs vêtements ou utilisaient occasionnellement des chiffons placés entre les cuisses ou attachés aux vêtements.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une ceinture hygiénique représentée en noir et blanc" src="https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522748/original/file-20230425-14-3hj3h.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ceinture menstruelle commercialisée au début du XXᵉ siècle. Illustration de 1911.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Feminine_hygiene">Wikimedia</a></span>
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<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, le marché des protections menstruelles s’est développé, des ceintures et serviettes hygiéniques au <a href="http://www.mum.org/sanapron.htm">« tablier hygiénique »</a>, porté sur les fesses pour empêcher les fuites sur les vêtements lorsque l’on s’assoit. Mais jusqu’à la mise au point des tampons en coton jetables à la fin des années 1890, ces protections devaient toujours être lavées et séchées (bien que les tampons réutilisables aient récemment fait leur retour).</p>
<p>À partir de la fin des années 1960, l’utilisation d’une bande adhésive a permis de fixer les protections dans les sous-vêtements plutôt que de les attacher à une ceinture spéciale.</p>
<h2>L’apparition de nouvelles protections hygiéniques</h2>
<p>Dans les années 1930, les <a href="http://www.mum.org/faxAd.htm">premiers tampons</a> sont apparus sur le marché. Ils étaient décrits comme des « serviettes hygiéniques internes ». Les coupes menstruelles en caoutchouc remontent également aux années 1930, bien qu’elles aient été largement remplacées de nos jours par des coupes en silicone disponibles dans une <a href="https://www.nytimes.com/wirecutter/reviews/best-menstrual-cup/">large gamme de tailles</a>. Le risque de fuite avec une coupe de bonnes dimensions semble <a href="https://www.nytimes.com/wirecutter/reviews/best-menstrual-cup/">être plus faible</a> qu’avec une serviette ou un tampon.</p>
<p>Ces nouvelles protections ont, selon l’historienne <a href="https://muse.jhu.edu/article/399411/pdf">Lara Freidenfelds</a>, contribué à faire accepter les menstruations comme une partie normale de la vie – ne nécessitant plus quelques jours de repos comme c’était le cas auparavant. Au XX<sup>e</sup> siècle, les protections menstruelles sont progressivement devenues des marqueurs sociaux.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Diagramme montrant un tissu plié" src="https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1731&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1731&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1731&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=2176&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=2176&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522751/original/file-20230425-2394-ff4dto.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=2176&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Instructions sur la façon de plier un morceau de tissu pour une serviette hygiénique. En bas, on montre comment attacher la serviette à la ceinture à l’aide d’un cordon. Extrait du livre allemand « La femme en tant que médecin de famille », 1911.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Feminine_hygiene">Wikimedia</a></span>
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<h2>Vers le retour de la réutilisation ?</h2>
<p>Les applicateurs et les emballages des tampons contiennent des matières plastiques, de même que les serviettes hygiéniques : la consommation de ces produits n’est pas sans conséquences sur l’environnement. Les <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/tampons-et-serviettes-hygieniques-y-t-il-vraiment-un-risque-les-utiliser-6232056">risques liés aux produits chimiques</a>, tels que les dioxines, utilisés dans les tampons et les serviettes hygiéniques, sont aussi de plus en plus connus. Ces deux raisons ont contribué à stimuler le marché des produits naturels.</p>
<p>Il existe également des disques menstruels jetables ou réutilisables – il s’agit d’un disque rond en silicone qui recueille le sang. Enfin, les culottes hygiéniques, inventées en 2017, sont vendues comme étant « meilleures pour la planète ».</p>
<p>Plutôt que de commercialiser des produits dans les pays les plus pauvres du monde, des organisations caritatives telles qu’<a href="https://www.actionaid.org.uk/our-work/period-poverty/reusable-sanitary-pads-and-sustainability">ActionAid</a> organisent des sessions de formation à la fabrication de serviettes hygiéniques. Les femmes des pays riches ont été <a href="https://www.actionaid.org.uk/blog/2019/06/05/would-you-make-and-wear-your-own-reusable-sanitary-pads?gclid=Cj0KCQjwuLShBhC_ARIsAFod4fJvB_9i5cFjtYAvqacKtiWwfevD7n4TRyl4XGdWfgAIeE9fzkpK7e0aAqWBEALw_wcB">surprises</a> de constater le confort de ces serviettes.</p>
<p>La promotion actuelle des serviettes hygiéniques réutilisables ou des pantalons hygiéniques est un retour à une façon traditionnelle de gérer les menstruations, même s’il est aujourd’hui beaucoup plus facile pour la plupart des femmes de laver et de sécher ces vêtements de protection.</p>
<p>Leur utilisation suggère que notre attitude à l’égard du sang menstruel est en train de changer. L’idée selon laquelle les produits menstruels sont des « déchets » qui doivent être cachés et éliminés de manière « hygiénique » ne va pas de pair avec l’idée de laver ses serviettes et de les faire sécher sur un fil.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Helen King ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vision des règles est passée d’une période de vulnérabilité mal comprise à une étape naturelle dans la vie d’une femme grâce aux évolutions des protections hygiéniques.Helen King, Professor Emerita, Classical Studies, The Open UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1969732023-01-05T19:24:04Z2023-01-05T19:24:04ZPourquoi a-t-on besoin de « Lehmann Sisters » : plus de femmes aux postes décisionnels<p>L’égalité des sexes a été posée comme l’une des valeurs fondatrices de l’Union européenne. Et pourtant, en 2022, les femmes restent sous-représentées aux postes de décision en Europe. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), elles ne représentent que 32,3 % des présidents, membres des conseils d’administration et représentants des salariés, et 21,5 % des PDG, cadres et non cadres des plus grandes entreprises cotées en Europe. La situation paraît sensiblement la même en ce qui concerne les gouvernements, les institutions financières et les académies nationales des sciences.</p>
<p>Au-delà de l’importance d’une représentation égale, nos recherches au sein de l’<a href="https://www.axa-research.org/en/project/paola-profeta">AXA Lab on Gender Equality</a> montrent qu’un leadership équilibré entre les sexes présente de nombreux avantages. Veiller à ce que les femmes soient représentées de manière égale parmi les candidats potentiels à un poste de direction, c’est s’assurer de disposer d’un plus grand nombre de candidats, et accroître ses chances de sélectionner la bonne personne.</p>
<p>Cela a été prouvé empiriquement par la recherche. L’introduction de quotas de genre dans les conseils d’administration en Italie a, par exemple, non seulement augmenté la proportion de femmes dans les conseils d’administration, mais a également amélioré les qualifications de tous les membres du conseil, hommes et femmes. Les hommes moins qualifiés qui siégeaient auparavant au conseil d’administration n’ont, de fait, pas été reconduits dans leurs fonctions. Ce résultat devient possible lorsque des femmes qualifiées et compétentes, prêtes à devenir des leaders, se trouvent en nombre abondant, comme c’est le cas aujourd’hui dans de nombreux pays européens.</p>
<h2>Imaginer les sœurs Lehman</h2>
<p>Un deuxième argument concerne l’agenda des institutions et organisations. Les ordres du jour des directions où les sexes sont équitablement représentés incluent généralement des points négligés là où les hommes se trouvent excessivement majoritaires. Des points qui peuvent pourtant s’avérer importants pour leurs organisations, par exemple, les objectifs de durabilité.</p>
<p>Il a été démontré que la présence de femmes aux postes de décisions politiques est associée à davantage de financements en direction des services de garde d’enfants, eux-mêmes favorisant l’emploi des mères de famille. Les services de garde d’enfants, constituent d’ailleurs une politique clairement efficace en la matière. Importants pour le développement des enfants, ils aident en particulier les femmes à concilier vie professionnelle et vie familiale. Il y a là un cercle vertueux, cela engendrant un renforcement de la place des femmes à la tête des organisations, menant des politiques positives sur le marché du travail.</p>
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<p>Le style de leadership n’est pas non plus sans importance. La recherche a établi que, par rapport aux hommes, les femmes dirigeantes ont tendance à être plus réticentes au risque et moins animées d’un esprit de compétition, plus démocratiques et innovantes, et qu’elles se projettent à plus long terme.</p>
<p>Ces éléments ne sont pas des détails : Christine Lagarde, ancienne directrice du Fond monétaire international et actuelle présidente de la Banque centrale européenne, a souvent fait remarquer que si Lehman Brothers avait été « Lehman Sisters », la crise financière de 2007-2008 n’aurait peut-être jamais eu lieu. Une surreprésentation des hommes dans les organes de décision peut entraîner un comportement agressif et surcompétitif. Et compte tenu des dégâts mondiaux laissés par la crise financière, un leadership de « frères et sœurs » est devenu une référence pour les organisations.</p>
<p>Un exemple plus récent est la pandémie de Covid-19. Une étude réalisée en 2021 sur 194 pays a révélé qu’au cours du premier trimestre de la crise, les pays dirigés par des femmes ont connu de meilleurs résultats. Elles ont eu tendance à imposer des mesures de blocage beaucoup plus tôt que leurs homologues masculins. Pareille observation rejoint le fait que les femmes sont plus réticentes au risque que les hommes, même lorsqu’elles se trouvent au pouvoir. Les données suggèrent également que les citoyennes étaient plus susceptibles de percevoir le Covid-19 comme un problème de santé grave, d’approuver les mesures de restriction des politiques publiques et de s’y conformer.</p>
<h2>Faire évoluer les stéréotypes culturels</h2>
<p>Les stéréotypes enracinés dans les mentalités constituent un obstacle majeur à l’équilibre entre les sexes aux postes de direction. Il est généralement admis que cela est une question de culture, et la culture évolue lentement. Les politiques et les mesures peuvent donc accélérer la réduction des inégalités, mais il faudra du temps pour constater de réels changements.</p>
<p>Il est difficile de mesurer les phénomènes culturels touchant au genre et d’évaluer les progrès réalisés. Les chercheurs utilisent pour cela les données de l’Enquête mondiale sur les valeurs. Elles montrent que les stéréotypes explicites ont diminué au fil du temps, même si les différences d’un pays européen à l’autre restent importantes. L’affirmation « Les hommes sont de meilleurs chefs d’entreprise que les femmes » est, par exemple, approuvée par 15,8 % des citoyens italiens, mais seulement par 4,6 % des Suédois.</p>
<p>Partout, les stéréotypes implicites sont plus forts que les stéréotypes explicites. Des travaux récents montrent qu’ils sont bien établis sur le lieu de travail. Les répondants au test d’association implicite sur le sexe et la carrière ont tendance, par exemple, à associer les femmes avec la famille et les hommes avec la carrière. Les managers qui prennent des décisions en matière d’embauche et de promotion partagent ces stéréotypes. La manière de les contrer et de les atténuer s’avère une tâche plus compliquée, mais pourtant importante pour réduire les écarts entre les sexes sur le lieu de travail.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=158&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/310261/original/file-20200115-134768-1tax26b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=198&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Créé en 2007 pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 700 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 38 pays. Pour en savoir plus, visiter le site ou bien suivre sur Twitter <a href="https://twitter.com/AXAResearchFund">@AXAResearchFund</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paola Profeta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les femmes restent sous-représentées dans les postes décisionnels, même si la recherche montre que l’égalité entre sexes va de pair avec une montée en compétence et en efficacité.Paola Profeta, Director of Axa Research Lab on Gender Equality, AXA Fonds pour la RechercheLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1955082023-01-05T15:00:27Z2023-01-05T15:00:27ZDirection d'entreprise : les femmes perdent du terrain. Elles doivent être stratégiques, mais la culture doit aussi changer<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498791/original/file-20221204-55964-xmkv40.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les femmes sont moins nombreuses dans les postes de direction qu'avant la pandémie. Plusieurs facteurs l'expliquent, mais le fait que les femmes privilégient le télétravail n'aide en rien à leur promotion.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Récemment, le cabinet McKinsey publiait sa huitième <a href="https://www.mckinsey.com/%7E/media/mckinsey/featured%20insights/diversity%20and%20inclusion/women%20in%20the%20workplace%202022/women-in-the-workplace-2022.pdf">étude sur l’avancement des femmes dans le monde des entreprises</a> (<em>Women in the Workplace 2022</em>). Bien que portant sur les grandes entreprises états-uniennes, elle comporte de nombreux constats qui laissent présager un avenir où la représentation des femmes au sein des postes de haute direction se fera de plus en plus rare et exigera des femmes davantage d’endurance, de persévérance et de combativité pour y demeurer.</p>
<p>Qui y perdra : les femmes, les hommes ainsi que la société dans son ensemble.</p>
<p>Certains constats de l’étude sont préoccupants :</p>
<p>1) Au cours de la dernière année, les femmes leaders ont quitté leur emploi à un rythme plus élevé que leurs collègues masculins et cet écart est le plus important depuis les cinq dernières années ;</p>
<p>2) Une représentation moins forte des femmes dans les postes d’ingénierie et de technologie comparativement à 2018 fait en sorte qu’aujourd’hui, comparativement à cette dernière année de référence, les hommes y sont 2,5 fois davantage représentés qu’en 2018. Un résultat hautement préoccupant puisque ce secteur est celui qui connaît la plus forte croissance et où on retrouve les emplois les mieux rémunérés.</p>
<p>Respectivement doyenne de l’École de gestion John Molson et experte depuis plusieurs décennies de la place des femmes dans les hautes sphères du milieu des affaires, nous sommes préoccupées par cette régression.</p>
<h2>Le malaise va au-delà de la conciliation travail-famille</h2>
<p>Quelles sont les raisons qui conduisent ces femmes à se retirer du marché du travail après avoir atteint des postes de leadership ou à chercher un nouvel emploi davantage respectueux de leurs priorités et valeurs ?</p>
<p>Les difficultés à concilier travail-famille et vie personnelle sont certes présentes, mais d’autres raisons méritent d’être mentionnées et relèvent davantage de la qualité du milieu de travail comparativement aux hommes :</p>
<p>1) Le manque de reconnaissance : 37 % des femmes leaders voient leurs bonnes idées être reprises au crédit d’autres collègues, alors que ce phénomène de mauvaise appropriation arrive à 27 % des hommes ;</p>
<p>2) La remise en question fréquente de leurs décisions par leurs collègues masculins sous prétexte qu’elles ne disposent pas des compétences appropriées pour les prendre ;</p>
<p>3) Un accès plus difficile à des promotions en raison de leur sexe ou de leurs responsabilités familiales ;</p>
<p>4) Les microagressions</p>
<p>5) Le manque d’engagement de l’entreprise en regard de la diversité, de l’inclusion et de l’équité (DEI)</p>
<h2>Accéder aux plus hautes fonctions, mais pas à n’importe quel prix</h2>
<p>Un élément important à souligner est l’évolution des besoins des femmes au cours des deux dernières années en regard de leur milieu de travail.</p>
<p>Tant les femmes leaders que celles qui ont moins 30 ans disent que les possibilités d’avancement sont l’élément qui les préoccupent le plus. Les plus jeunes accordent en sus une priorité plus forte à la flexibilité et l’engagement des entreprises vers le bien-être au travail et les programmes DEI.</p>
<p>De plus, les jeunes femmes disent qu’elles seraient davantage intéressées à devenir leader si elles pouvaient avoir comme modèle un plus grand nombre de femmes dirigeantes parvenant à atteindre l’équilibre travail-famille qu’elles souhaitent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une jeune femme, assise devant un ordinateur, face à une fenêtre" src="https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/498790/original/file-20221204-55987-z2bf2g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les possibilités d’avancement sont l’élément qui préoccupent le plus les jeunes femmes, et elles accordent la priorité à la flexibilité et l’engagement des entreprises vers le bien-être au travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De tels constats sont préoccupants, puisque la rétention des femmes dans des postes de direction et le maintien d’un vivier riche en potentiel féminin seront sûrement freinés dans l’avenir par la qualité de vie au travail et au bien-être des employés.</p>
<p>La récente étude de Viviane de Beaufort, professeure à l’ESSEC, menée auprès de 295 femmes françaises dirigeantes sur leurs aspirations professionnelles permet d’aller plus loin dans ces constats : les femmes veulent bien accéder aux plus hautes fonctions <a href="https://www.academia.edu/80171918/WP_CERESSEC_CEDE_ESSEC_Viviane_de_Beaufort_2022_avec_le_collectif_WOMEN_BOARD_READY_ESSEC">mais pas à n’importe quel prix</a>. Cette étude ajoute des éléments explicatifs fort intéressants à cette grande désillusion féminine : le décalage du discours, la gouvernance non éthique, l’entre-soi persistant, la non-exemplarité des dirigeants et le manque de confiance dans les collaborateurs.</p>
<h2>Le marché du travail va-t-il se masculiniser à nouveau ?</h2>
<p>On peut penser que si cette tendance se poursuit, ce pas de côté, comme le dit si bien Viviane de Beaufort, se traduira, au cours des prochaines années, par des lieux de pouvoir qui redeviendront davantage masculins.</p>
<p>Cette tendance pourrait être même accentuée par un autre phénomène, le travail à la maison, privilégié par les femmes afin de leur assurer un meilleur équilibre de vie. Comme dit le proverbe, loin des yeux, loin du cœur. Ainsi, le manque de contacts et de visibilité sur les lieux du travail pourrait faire en sorte que moins de femmes pourraient être promues à des postes de direction ou considérées sur la liste des candidats pour des postes de direction.</p>
<p>Une tendance à une raréfaction des nominations féminines à des postes de direction créera à nouveau un marché du travail à dominance masculine, <a href="https://www.catalyst.org/research/women-in-male-dominated-industries-and-occupations/">lequel est peu propice à l’inclusion et au développement du leadership féminin</a>. De plus, cette raréfaction diminuera la possibilité pour les jeunes aspirantes leaders de rencontrer d’autres femmes d’expérience qui pourraient leur servir de rôle modèle. Le réseau de soutien féminin au sein des entreprises diminuera et par conséquent, limitera le nombre de sponsores et mentores auxquelles ces jeunes décideuses en devenir ont tant besoin.</p>
<p>Un autre phénomène qui émerge suite à la pandémie est l’augmentation des difficultés d’apprentissage chez certains enfants. <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2020-12-15/Covid-19/l-ecole-a-la-maison-surtout-l-affaire-des-femmes-revele-une-etude.php#">Ce sont souvent aux femmes que revient la tâche d’aide</a>. Cette responsabilité additionnelle élève donc une autre barrière à l’avancement de carrière des jeunes femmes.</p>
<h2>Des compétences nouvelles</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/un-monde-du-travail-a-reinventer-pour-faire-une-meilleure-place-aux-femmes-173862">Comme nous en discutions dans un article précédent</a>, le cheminement de carrière au sein des moyennes et grandes organisations est plutôt linéaire. Il repose sur les connaissances, les expériences, les relations développées au fil du temps et le pouvoir progressivement acquis au fur et à mesure que les échelons sont franchis.</p>
<p>Cette progression plutôt typique ne tient pas compte de la vision périphérique qu’il est maintenant nécessaire d’acquérir afin de créer de la valeur autant financière qu’extrafinancière pour l’organisation. En effet, les attentes envers les organisations pour qu’elles contribuent à la protection de l’environnement, aux besoins de la société et d’une meilleure gouvernance (ESG) <a href="https://www.forbes.com/sites/forbestechcouncil/2022/05/12/five-reasons-to-develop-women-to-lead-and-influence-your-corporate-esg-operating-models/?sh=4ac0810b1c23">demandent des compétences nouvelles, souvent moins traditionnelles</a> : des connaissances approfondies en développement durable, en politiques publiques ou encore en sciences de l’environnement. Ces disciplines sont davantage populaires auprès des femmes que des hommes, de sorte que cela ouvre la voie à une nouvelle forme de promotion pour les femmes.</p>
<h2>Un monde du travail à réinventer</h2>
<p>Nous avons également pris conscience de l’importance de réimaginer le travail dans une perspective de mieux-être et d’équilibre. Cet élément constitue désormais une priorité des hauts dirigeants, <a href="https://www2.deloitte.com/us/en/insights/topics/leadership/employee-wellness-in-the-corporate-workplace.html">selon les conclusions d’une étude récente de la firme Deloitte</a>. Les organisations doivent offrir plus d’un parcours professionnel prometteur à leurs employés, favorisant une excellence <em>inclusive</em> où les mesures de performance sont repensées à la lumière des principes de DEI et de ESG.</p>
<p>L’acquisition de nouveaux talents et la rétention du personnel constitueront les plus grands défis de l’avenir en matière de gestion des risques des ressources humaines. Une nouvelle façon d’imaginer le travail et la progression des ressources humaines au sein de l’organisation devra en émerger et favoriser une meilleure harmonisation des exigences d’une vie familiale, professionnelle et personnelle.</p>
<p>Les femmes sont ambitieuses et veulent évoluer au sein de leur organisation et de la société. Il est donc de notre responsabilité collective de réajuster nos façons de faire, de rester à l’affût de nos biais inconscients tout en restant rigoureux et clair sur les objectifs corporatifs à atteindre. Cet objectif à atteindre est certes ambitieux, mais ce sera le pilier d’une meilleure équité dans le monde du travail pour les femmes et les hommes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195508/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Loin de progresser, la place des femmes dans les postes de direction régresse dans les entreprises. Plusieurs facteurs post-pandémie sont à l’œuvre, mais tant les hommes que les femmes y perdent.Louise Champoux-Paillé, Cadre en exercice, John Molson School of Business, Concordia UniversityAnne-Marie Croteau, Dean, John Molson School of Business, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1956312022-12-01T15:42:01Z2022-12-01T15:42:01ZStratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique : distance avec la Chine, mais l’obsession pour le « miracle asiatique » demeure<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498323/original/file-20221130-14-8zz6ty.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6500%2C4417&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly en conférence de presse en compagnie du ministre de la Sécurité publique Marco Mendocino à Vancouver, le 27 novembre 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source"> La Presse canadienne/Darryl Dyck</span></span></figcaption></figure><p>La nouvelle <a href="https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/indo-pacific-indo-pacifique/index.aspx?lang=fra">Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique</a>, annoncée en <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1936295/canada-asie-paix-affaires-mondiales-economie-securite">grande pompe par la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly</a>, marque un retour du bon sens après 25 années d’illusions canadiennes.</p>
<p>Malgré de sérieuses lacunes qui montrent que les dirigeants canadiens ont encore besoin de réfléchir, cette stratégie fait tout de même table rase de l’objectif d’engagement avec la Chine. Malgré leurs allégeances opposées, les gouvernements de Jean Chrétien et de Stephen Harper rêvaient d’imbriquer la Chine dans <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-canadienne/201902/16/01-5215033-chrystia-freeland-defend-un-ordre-regi-par-des-regles.php">« l’ordre international fondé sur des règles »</a>, si cher aux dirigeants canadiens.</p>
<p>Les choses ne se sont pas passées ainsi.</p>
<p>L’ascension de la Chine a été « rendue possible par les mêmes règles et normes internationales que ce pays méprise de plus en plus », lit-on dans la politique.</p>
<p>Cette affirmation, quoique juste, omet le rôle du Canada, qui a activement soutenu et encouragé la Chine dans son entreprise de modification des normes internationales dans l’espoir de rafler sa part du gâteau.</p>
<h2>Mieux connaître la région</h2>
<p>Cette évolution tardive vers une vision moins étriquée de la Chine est la bienvenue.</p>
<p>Il faut se réjouir que le Canada souhaite réinvestir dans la connaissance de la Chine et de la région. Depuis un certain temps, il ne finançait plus les études asiatiques au Canada <a href="https://www.theglobeandmail.com/news/politics/canada-axes-foreign-studies-program-despite-being-told-of-economic-spinoffs/article4184581/">ni les études canadiennes en Asie</a>, alors qu’elles sont pourtant un moyen précieux de diplomatie culturelle.</p>
<p>Malheureusement, la nouvelle stratégie retombe trop aisément dans les vieilles platitudes. Dès l’introduction, par exemple, les stratèges se révèlent toujours aussi obnubilés par le vaste potentiel commercial du marché asiatique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme portant des lunettes discute avec un homme asiatique dans un décor orné, avec une grande peinture murale derrière eux" src="https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497961/original/file-20221129-16-o0inje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Stephen Harper et le président de l’Assemblée nationale populaire, Zhang Dejiang, à Pékin en novembre 2014.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Adrian Wyld</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les yeux fermés sur une pauvreté bien enracinée</h2>
<p>On ne constate aucune évolution depuis les années 1990 lorsque les décideurs politiques rêvaient à voix haute du potentiel phénoménal de ce marché florissant — sans tenir compte des récessions à répétition ni d’une pauvreté endémique qui sabotait la pérennité du <a href="https://www.researchgate.net/publication/238482958_Du_miracle_economique_a_la_crise_financiere_en_Asie_du_Sud-est_erosion_des_acquis_sociaux_et_retour_de_la_pauvrete">« miracle asiatique »</a>.</p>
<p>Les auteurs de la stratégie font encore valoir ce potentiel grandiose. Un tiers de toute l’activité économique mondiale ! La moitié du PIB mondial ! Cinq économies qui, ensemble, surclassent l’Union européenne !</p>
<p>Bref, le vieux disque des années 1990 recyclé presque sans changement pour un nouveau siècle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une image montre des faits et des chiffres sur la région indopacifique" src="https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497653/original/file-20221128-26-cwcz8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Illustration tirée de la toute nouvelle Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gouvernement du Canada</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les termes sont à peu près identiques à ceux du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, en visite au Japon dans les années 1970, pour qui l’Asie n’était plus l’Extrême-Orient, mais l’ <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0020702020980771">« Ouest nouveau »</a>.</p>
<p>Aucun danger de voir la police montée débarquer pour faire régner la loi et un nouvel ordre colonial : le Canada voulait juste sa part du gâteau commercial.</p>
<p>Et pourtant, <a href="https://www.erudit.org/en/journals/ei/1900-v1-n1-ei3012/701467ar.pdf">cette rhétorique n’a pas été un grand succès de diversification</a> : le commerce avec le Japon est presque au même pourcentage, et les États-Unis ont capturé la part du lion du commerce canadien.</p>
<h2>Et les droits de la personne ?</h2>
<p>La nouvelle stratégie ne mentionne pratiquement pas les droits de la personne, une question importante dans toute la région depuis des décennies. <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/nov/29/canada-china-relations-cop15-indo-pacific">Malgré ce qu’en dit Mélanie Joly</a>, ils ne figurent pas parmi les cinq piliers de sa stratégie : paix et sécurité, commerce, liens entre les peuples, environnement et engagement actif du Canada.</p>
<p>Les précédentes prises de position leur avaient tout de même fait un clin d’œil, mais les droits de la personne sont désormais relégués à une sous-section. La stratégie ne mentionne même pas les détenus canadiens en Chine, comme <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1722196/huseyincan-celil-chine-ouigours-canada-reclusion-criminelle-amnistie">Huseyin Celil</a>, injustement emprisonné depuis près de 20 ans.</p>
<p>Le Canada avait autrefois la <a href="https://reconciliationtim.ca/solomons/verite-et-reconciliation-en-asie-du-sud-est-quelles-lecons-pour-le-canada">réputation de soutenir financièrement les organisations non gouvernementales en Asie</a> sous la rubrique « renforcement de la société civile ».</p>
<p>La nouvelle stratégie, lit-on, « accroîtra le financement canadien et les activités de défense des droits de la personne dans la région indopacifique, notamment pour les femmes et les filles, les minorités religieuses, les personnes des communautés 2ELGBTQI+ et les personnes handicapées ».</p>
<p>Pour y arriver, il faudra revenir à un soutien à plus long terme des organisations de défense des droits basées en Asie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des manifestants tiennent des pancartes" src="https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497967/original/file-20221129-22-lu28hp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Manifestants contre les Jeux olympiques d’hiver de Pékin devant le consulat de Chine à Vancouver en février 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Darryl Dyck</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Renforcer les liens avec les démocraties</h2>
<p>Enfin, la stratégie veut resserrer les liens avec les démocraties comme le Japon et la Corée du Sud et les intensifier dans le Sud-Est asiatique.</p>
<p>Pourtant, elle ne mentionne nulle part la démocratie la plus fonctionnelle de la région, le Timor oriental — jadis prioritaire et aujourd’hui largement abandonnée par Ottawa.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/verite-et-reconciliation-en-asie-du-sud-est-quelles-lecons-pour-le-canada-106594">Vérité et Réconciliation en Asie du Sud-Est: quelles leçons pour le Canada ?</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Après un quasi génocide, ce pays indépendant depuis 20 ans a tenu de nombreuses élections libres et équitables en plus de relever son faible niveau de vie.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme chauve parle dans un microphone sur un podium portant l’insigne de l’ONU" src="https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497968/original/file-20221129-18-g63zu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">José Ramos-Horta, président du Timor oriental, à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Julia Nikhinson)</span></span>
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<p>C’est même le Timor oriental <a href="https://www.unwomen.org/fr/get-involved/step-it-up/commitments/timor-leste">qui a ravi à l’Iran son siège au conseil d’administration d’ONU Femmes</a> — siège que ce pays ne méritait absolument pas si l’on en juge par le traitement réservé aux Iraniennes.</p>
<p>Si le Canada veut réellement que ses liens avec les démocraties régionales aient un sens, il doit y inclure les plus petites et les plus pauvres, et pas seulement les plus grosses et les plus riches.</p>
<p>Il doit se faire le défenseur des droits au lieu de s’accrocher à de vieilles illusions sur la richesse de l’Asie.</p>
<p>Et il devra adopter une stratégie soutenue plutôt que de la modifier à chaque changement de ministre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195631/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Webster reçoit un financement du Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Si les liens avec les régimes démocratiques de la région indopacifique doivent avoir un sens, le Canada doit se tourner vers les démocraties, et pas seulement vers les partenaires plus riches.David Webster, Associate professor, Human Rights Studies, King's University College, Western UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1925172022-10-24T17:19:47Z2022-10-24T17:19:47ZAvorter en France : oui, mais discrètement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491288/original/file-20221024-5833-y8vdtg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C5%2C788%2C520&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation en 2019 contre les atteintes au droit à l'avortement.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/48813195727/in/photostream/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Inscrire le droit à l’avortement dans la constitution ? Une telle mesure, réclamée par une partie de la classe politique – <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/pourquoi-l-inscription-du-droit-a-l-ivg-dans-la-constitution-ne-pourra-jamais-passer-20221019">et récemment rejetée par le Sénat</a> – pour empêcher un scénario à l’américaine, se heurte à la stigmatisation durable de l’avortement, acte médical toujours considéré comme « à part ».</p>
<p>En 1975, le vote de <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/14/evenements/2015/anniversaire-loi-veil#node_9805">« la loi Veil »</a> autorisait, sous d’étroites conditions, les femmes enceintes ne souhaitant pas poursuivre leur grossesse à avorter auprès de professionnel.les de santé compétent.es. Depuis le début des années 2000, ces conditions se sont faites moins contraignantes.</p>
<p>Outre un allongement du seuil légal d’IVG (10 semaines de grossesse en 1975, 12 en 2001 et 14 depuis mars 2022), la législation tend à autonomiser les choix procréatifs des femmes : la fin de l’obligation légale d’un entretien psychosocial pré-IVG pour les personnes majeures en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000222631/">2001</a>, la suppression de la mention d’une « situation de détresse » en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0433.asp">2014</a> et du délai de réflexion d’une semaine en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032630558">2016</a> pour accéder à l’IVG sont autant de décisions politiques qui facilitent l’accès au soin.</p>
<p>Pourtant, une clause de conscience spécifique à l’IVG, autorisant les médecins à refuser de prendre part à un avortement, maintient une distinction symbolique entre cet acte et les autres actes médicaux.</p>
<p>La désinformation en ligne est par ailleurs si importante qu’elle a mené, en 2017, à compléter le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000034228048/">délit d’entrave à l’IVG</a>, formulé au début des années 1990 pour lutter contre les actions agressives des anti-IVG, par un délit d’entrave numérique, quasi inapplicable en pratique.</p>
<p>Les démarches effectives restent opaques pour les premières concernées et chaque année, plusieurs milliers de femmes, enceintes au-delà du seuil légal d’IVG en France, <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b3343_rapport-information.pdf">se déplacent à l’étranger pour avorter</a>.</p>
<h2>Impossible de considérer l’IVG comme un acte médical comme les autres</h2>
<p>Impossible, donc, de considérer l’IVG comme un acte médical comme les autres. Pour un certain nombre de praticien·ne·s, l’orthogénie (la pratique des IVG) n’est d’ailleurs pas envisagée comme partie intégrante de la gynécologie – obstétrique ou médicale – ou elle en constitue a minima <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000051.pdf">l’aspect le moins valorisé et valorisant</a>.</p>
<p>Malgré sa grande banalité statistique, puisqu’une femme sur trois en moyenne interrompt volontairement une ou plusieurs grossesse(s) au cours de sa <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-communique-de-presse/etudes-et-resultats/interruptions-volontaires-de-grossesse-la">vie féconde</a>, l’IVG reste socialement perçue comme illégitime.</p>
<p>Les femmes qui avortent, leur conjoint éventuel, mais aussi les professionnel·le·s de santé, sont exposé·e·s à une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21530840/">stigmatisation protéiforme</a> – allant du regard ou commentaire déplacé aux violences physiques et psychiques – dont les effets sont bien réels.</p>
<p>Concrètement, avorter demeure <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-42.htm?ref=doi">moins un droit qu’une concession</a> faites aux femmes, dont on attend, outre l’expression d’une tristesse, voire d’une culpabilité, un minimum de discrétion.</p>
<h2>Une prise en charge attentive à la confidentialité des usagères</h2>
<p>Cette discrétion est d’abord repérable dans la prise en charge médicale de l’avortement, qui peut avoir lieu dans des services ou des étages dédiés et parfois isolés géographiquement du reste des établissements de santé.</p>
<p><a href="https://www.ameli.fr/assure/remboursements/rembourse/contraception-ivg/ivg">Une attention spéciale</a> est accordée à la confidentialité des usagères. Outre l’anonymat possible pour les mineures, de nombreux services d’orthogénie mettent en place des pratiques formelles ou informelles pour préserver l’intimité des femmes (pas de rappels de rendez-vous automatiques par message, pas de courrier au domicile…).</p>
<p>Ces pratiques, pensées comme protectrices, continuent paradoxalement de faire de l’avortement un acte médical invisible et particulier.</p>
<h2>Des stratégies pour dissimuler la grossesse et son interruption</h2>
<p>La discrétion est aussi de mise pour les personnes qui avortent : la pesanteur des démarches est redoublée par des stratégies pour dissimuler la grossesse et son interruption.</p>
<p>Avorter impose de se rendre disponible dans les délais les plus courts. Toutefois, l’IVG fait rarement suite au premier contact médical : il faut souvent en passer d’abord par une échographie de datation et une prise de sang. Les difficultés à se repérer dans le système de soin, les informations contradictoires en ligne, l’absence d’un·e professionnel·le de santé de confiance, sans compter les orientations fallacieuses de quelques médecins <a href="https://www.madmoizelle.com/grossesse-non-desiree-medecin-anti-ivg-1055843">réticent·e·s voire ouvertement anti-IVG</a>, peuvent retarder d’autant les prises en charge.</p>
<p>À cela s’ajoute la pesanteur organisationnelle de certains services qui, malgré les avancées légales, continuent d’espacer les rendez-vous pré-IVG de l’IVG elle-même d’une semaine et de rendre l’entretien avec une conseillère conjugale et/ou un·e psychologue systématique, sans compter le rendez-vous post-IVG <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2014-3-page-33.htm?contenu=article">deux à trois semaines après l’intervention</a>.</p>
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<p>La somme de ces démarches impose aux femmes un bouleversement précipité de leur emploi du temps : absences professionnelles ou scolaires, réorganisation de la garde des enfants, annulation de rendez-vous, etc. Justifier cette indisponibilité soudaine suppose d’informer une partie de son entourage de sa situation ou d’en donner des explications alternatives.</p>
<p>En pratique, il n’est donc pas rare que les femmes préfèrent prendre sur leur temps libre ou leurs jours de congé pour accéder à l’avortement plutôt que demander un arrêt de travail, ou qu’elles invoquent un autre motif médical à leur absence – comme un kyste aux ovaires. D’une façon générale, c’est tout le discours autour de l’avortement qui fait l’objet d’un <a href="https://journals.openedition.org/efg/11732">contrôle étroit</a>.</p>
<h2>Préservation de soi ou mise sous silence ?</h2>
<p>De telles stratégies pour ne pas dire et montrer l’avortement signalent combien l’intériorisation du stigmate demeure puissante. Dès lors que les femmes – ou toute personne partie prenante d’une IVG – redoutent des réactions indésirables, elles choisissent bien souvent, plutôt que prendre le risque de s’exposer, de taire leur expérience abortive ou de la travestir.</p>
<p>Mais il n’est pas seulement question de préservation de soi : au fond, la discrétion attendue des femmes traduit moins un souci de les épargner qu’une forme de contrôle de leurs choix procréatifs. En cela, le silence autour de l’avortement est davantage une <em>mise sous silence</em>.</p>
<p>L’acceptation sociale de l’avortement semble en effet aller de pair avec sa relégation dans la sphère intime, privée, individuelle : avorter, d’accord, mais à bas bruit, avorter mais discrètement et sans fanfaronnade. Une telle mise sous silence, repérable dans d’autres aspects de la vie génésique et/ou sexuelle des femmes (fausses-couches, accouchements, post-partum, endométriose, violences sexuelles et/ou obstétricales…), reconduit l’ordre social dominant. Elle intime à une catégorie de personnes – les femmes, et à plus forte raison les femmes jeunes, précaires, racisées – de rester à sa place.</p>
<h2>L’avortement dans les rapports de genre</h2>
<p>L’injonction à la discrétion ne peut donc se comprendre indépendamment des rapports de force dans lesquels l’avortement s’inscrit. Une grossesse n’est jamais le fruit d’un hasard céleste : sauf cas particulier (PMA), elle résulte d’un rapport sexuel pénétratif avec un individu doté d’un pénis durant la brève période de fécondité du cycle menstruel. Or, cette participation des hommes aux rapports sexuels fécondants est trop souvent occultée, ralentissant de fait l’ouverture du débat sur les pratiques sexuelles – notamment sur « l’évidence » de la pénétration – et sur le partage de la charge contraceptive.</p>
<p>La focalisation médicale sur la fertilité féminine (discontinue) empêche ainsi un questionnement la fertilité masculine (continue). La <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2011-1-page-148.htm">remédicalisation</a> de la contraception après l’avortement (pose d’implant ou de dispositif intra-utérin) renouvelle l’injonction faite aux femmes de prendre la responsabilité de la contraception et, par contraste, en dédouane les hommes.</p>
<p>De même, renvoyer l’avortement à un choix individuel ou conjugal empêche d’interroger les transformations des modèles de parentalité.</p>
<p>Désormais, la maternité doit être choisie, et choisie de préférence au sein d’un couple stable, où la <a href="https://www.persee.fr/doc/revss_1623-6572_2009_num_41_1_1194">parentalité</a> est voulue à deux. Derrière cette symétrie dans la décision d’enfanter se cache pourtant l’asymétrie des rôles parentaux : une naissance augmente bien davantage le travail domestique des femmes que celui des hommes, elle entrave la vie professionnelle des mères et les réassigne <em>de facto</em> à la gestion du foyer, y compris avec un système de garde d’enfant accessible – ce qui est rarement le cas.</p>
<p>Interroger la mise sous silence de l’avortement, c’est donc se donner les moyens, collectivement, de repenser le rapport à la sexualité, à la contraception, à la parentalité, en envisageant un partage des tâches plus équilibré – c’est-à-dire une société plus juste et plus égalitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurine Thizy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les femmes qui avortent sont exposées à une stigmatisation allant du regard ou commentaire déplacé aux violences physiques et psychiques – dont les effets sont bien réels.Laurine Thizy, Professeure agrégée de sciences économiques et sociales, doctorante en sociologie à l’Université Paris 8, rattachée au laboratoire CRESPPA-CSU, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921562022-10-19T17:08:36Z2022-10-19T17:08:36ZIran : quand la révolte des femmes accueille d’autres luttes<p>Depuis un mois maintenant, les <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20221013-mort-de-mahsa-amini-un-mois-de-manifestations-et-de-r%C3%A9pression-en-iran">manifestations se poursuivent en Iran</a> suite au décès de Mahsa Amini, 22 ans, battue à mort par la police des mœurs le 13 septembre.</p>
<p>Ces protestations, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/iran/iran-plus-de-100-morts-depuis-le-debut-des-manifestations-et-plus-de-120-arrestations-6866aca2-4a0d-11ed-9784-e9ad79cbd945">sévèrement réprimées par le régime</a>, portaient initialement sur les droits des femmes. Mais, rapidement, d’autres revendications s’y sont ajoutées. Mieux le comprendre nécessite une approche intersectionnelle, car nous assistons à une convergence des luttes sociales derrière la cause des femmes : celle-ci va de pair avec l’apparition d’une nouvelle génération militante, de nouvelles revendications et de nouvelles formes d’action.</p>
<h2>Un soulèvement au nom de la cause des femmes</h2>
<p>Lors de la cérémonie de funérailles de Mahsa Amini, plusieurs femmes auraient ôté leur voile scandant le slogan « Jin Jiyan Azadi » (Femme Vie Liberté) afin de protester contre la loi imposant en toutes circonstances le port du hidjab. Très vite, ce slogan a été repris à travers le pays, notamment dans les universités de <a href="https://observers.france24.com/fr/moyen-orient/20221004-iran-manifestation-femmes-%C3%A9tudiants-r%C3%A9gime-universit%C3%A9-sharif-islam">Téhéran</a>, comme ElmoSanat, et de <a href="https://atalayar.com/fr/content/les-protestations-en-iran-setendent-aux-universites-et-aux-ecoles">Tabriz</a>. Ces manifestations ont suscité une <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4003506-20221003-iran-repression-manifestation-prestigieuse-universite">réponse violente du régime</a>.</p>
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<p>Rappelons que l’obligation du hidjab en tant que question religieuse, politique et idéologique peut être considérée comme le <a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">symbole de la politique répressive et inégalitaire</a> mise en œuvre en Iran dès le lendemain de la révolution de 1979 : les femmes font l’objet depuis plus de quarante ans de nombreuses mesures discriminatoires, qui les privent de nombre de leurs droits fondamentaux comme le droit de choisir leurs propres vêtements, le droit égal au divorce et à la garde des enfants, le droit de voyager à l’étranger, le droit d’être présentes dans certains espaces publics (tels les stades de football ou d’autres types de stades sportifs), le droit d’exercer certains métiers ou des postes clés comme président de la République, juge et plusieurs autres postes militaires et religieux.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-sportives-iraniennes-miroir-dun-pays-en-crise-132222">Les sportives iraniennes, miroir d’un pays en crise</a>
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<p>C’est pourquoi des militantes féministes qualifient l’Iran actuel d’<a href="https://theconversation.com/le-regime-iranien-est-un-apartheid-des-genres-il-faut-le-denoncer-comme-tel-191465">apartheid des genres</a> et dénoncent la <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2019/10/07/la-segregation-sexuelle-jusque-dans-les-creches-en-iran/">« ségrégation sexuelle systématique »</a> qui y a cours.</p>
<p>Ces dénonciations ont été récurrentes – et toujours réprimées – tout au long des plus de quarante-trois ans d’existence de la République islamique. À partir de 2017, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de protestation (des protestations individuelles), portées par de nouvelles générations d’activistes féministes, et même à la mobilisation de divers groupes marginalisés et des hommes <a href="https://blogs.mediapart.fr/dornajavan/blog/210922/mahsa-amini-figure-des-luttes-pour-la-cause-des-femmes-en-iran">pour la cause des femmes</a>. Le 27 décembre 2017, Vida Movahed brandit un hidjab blanc, attaché au bout d’un bâton. Son geste a un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/02/01/les-iraniennes-tombent-le-voile_1626859/">grand impact en Iran</a> et d’autres femmes suivent son exemple dans d’autres villes, jusqu’à aujourd’hui.</p>
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<p>L’une des spécificités du mouvement actuel réside dans le fait qu’aux revendications féministes se mêlent aussi des exigences liées à une autre cause, d’ordre cette fois ethnique.</p>
<h2>La cause ethnique</h2>
<p>L’Iran est un pays pluriethnique dont l’ethnie dominante – c’est-à-dire les Perses, qui occupent plutôt le plateau central du pays – ne représente que 50 % de la population totale. Parmi les <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Nation-et-minorites-en-Iran-face-au-fait-minoritaire-quelle-reponse.html">autres grands groupes ethnolinguistiques</a>, citons les Turcs azerbaïdjanais (entre 20,6 et 24 %), les Kurdes (entre 7 et 10 %), les Arabes (entre 3 et 3,5 %), les Baloutches (entre 2 et 2,7 %), les Turkmènes (entre 0,6 et 2 %) et les Lors (entre 2 % et 8,8 %)…</p>
<p>Des <a href="https://journals.openedition.org/remmm/8438">tensions ethniques importantes</a> existent en Iran au moins depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, quand a été mise en place une politique assimilationniste qui s’est notamment soldée par une répression violente des minorités ethniques des provinces iraniennes d’Azerbaïdjan, du Kurdistan, du Turkménistan, du Khouzistân et du Baloutchistan. Ces violences reprennent après la Seconde Guerre mondiale, avec l’écrasement de la <a href="https://www.cairn.info/identites-et-politique--9782724616354-page-67.htm">République autonome d’Azerbaïdjan (juillet 1945 – décembre 1946)</a> et de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_de_Mahabad">république de Mahabad</a> (janvier 1946–décembre 1946) au Kurdistan.</p>
<p>Après la révolution de 1979, ces tensions ont continué de se manifester, particulièrement <a href="http://www.strato-analyse.org/fr/spip.php?article141">dans la province iranienne d’Azerbaïdjan</a> et au <a href="https://www.rferl.org/a/iran-khuzestan-poverty-separatism-bloody-war-memories/29515269.html">Khouzistân</a>.</p>
<p>C’est dans ce contexte qu’interviennent les événements dont nous sommes aujourd’hui témoins. Après la médiatisation du décès de Mahsa Amini, qui était kurde, les partis d’opposition kurdes ont appelé les villes du Kurdistan iranien à <a href="https://kurdistan-au-feminin.fr/2022/10/12/iran-manifestations-greve-mahsa-amini-jina-amini/">se mettre en grève générale</a>. Un appel qui a été suivi le 17 septembre par les commerçants et les habitants de Saqqez, ville natale de Mahsa Amini, où des centaines de personnes avaient assisté à ses funérailles, et dans certaines petites et grandes villes de la région.</p>
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<p>La minorité azerbaïdjanaise d’Iran a <a href="https://twitter.com/Maenochehr/status/1572532887039385601?s=20&t=hszvdMpS5A_p7vxlr5nhaQ">rejoint le mouvement</a> et soutenu les Kurdes avec le slogan <a href="https://twitter.com/MehdiJalali/status/1572290797810192386?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">« l’Azerbaïdjan s’est réveillé et soutient le Kurdistan »</a>. Ce message de solidarité s’est propagé à d’autres régions et a mobilisé d’autres groupes ethnico-religieux comme les Arabes et les Baloutches.</p>
<p>Ce sont précisément les Baloutches qui ont payé le plus cher leur implication dans cette contestation. Le vendredi 30 septembre, une manifestation pacifique a été organisée par les minorités baloutches à Zahedan, ville de la province du Sistan-Baloutchistan dans le sud-est de l’Iran, en soutien aux Kurdes, mais aussi en protestation contre le viol d’une jeune fille baloutche de 15 ans par un chef de police dans la ville baloutche de Chabahar. La répression a été <a href="https://www.lejsl.com/defense-guerre-conflit/2022/10/06/manifestations-en-iran-que-s-est-il-passe-lors-du-vendredi-sanglant-a-zahedan">d’une immense violence</a> : près de 100 personnes auraient trouvé la mort. Un massacre que le régime justifie par la lutte contre le séparatisme.</p>
<h2>Nouvelles revendications, nouveaux acteurs</h2>
<p>De nouveaux acteurs apparaissent à travers cette révolte, à commencer par une nouvelle génération de militantes féministes avec un nouveau répertoire d’actions et un nouveau discours, et également une nouvelle génération appelée la <a href="https://observers.france24.com/fr/%C3%A9missions/les-observateurs/20221013-iran-la-g%C3%A9n%C3%A9ration-z-au-c%C5%93ur-des-manifestations">« génération Z »</a>, comme des <a href="https://www.marianne.net/monde/proche-orient/manifestations-en-iran-ecolieres-collegiennes-et-lyceennes-rejoignent-le-vent-de-la-revolte">jeunes lycéens ou collégiens</a>.</p>
<p>À partir de la deuxième semaine, des étudiants et lycéens ont commencé à manifester dans les universités, les lycées et collèges en scandant des slogans. Ce qui a poussé les forces de sécurité à attaquer des lycées lors de la quatrième semaine de manifestations. Lors de l’intervention policière du 13 octobre contre le lycée Shahed dans la ville d’Ardebil, au nord du pays, une lycéenne nommée <a href="https://twitter.com/yclaude/status/1581915315000475648">Esra Panahi</a> a été tuée et plusieurs dizaines de lycéennes ont été blessées et <a href="https://iranwire.com/en/politics/108607-schoolgirl-killed-in-custody-in-ardabil/">certaines arrêtées</a>, ce qui a déclenché des manifestations dans les <a href="https://iranwire.com/en/politics/108653-day-29-of-protests-fire-and-blood-from-ardabil-to-evin/">villes d’Ardabil et de Tabriz</a>. Plus de 1 700 personnes ont été arrêtées à Tabriz, selon Sina Yousefi, un avocat qui a été lui-même été <a href="https://twitter.com/ElyarKamrani/status/1581596620541788166?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">arrêté par le gouvernement suite à la diffusion de cette information</a>.</p>
<p>De nombreuses femmes écrivains ont également annoncé qu’elles ne publieraient plus de livres sous la tutelle et l’audit du ministère de la Culture et de l’orientation islamique, chargé d’autoriser ou non les productions culturelles. Dans une <a href="https://twitter.com/AhrazHumanRight/status/1577050129344868352?s=20&t=E-7WKf6V4z-qMA1IrvdU2w">vidéo mise en ligne le 4 octobre</a>, Mahdieh Ahani, la directrice du magazine <em>Ban</em>, publié à Tabriz, se filmant tête nue, a brûlé son permis de travail devant la caméra tout en dénonçant l’obligation du hidjab et les mesures répressives envers les femmes, la censure et la liberté d’expression. De même, Atekeh Radjabi,une institutrice à Ahmadabad, s’est elle aussi <a href="https://twitter.com/CoordinatingA/status/1582396494291664896?t=Q2q0kl4JxP4246VS_ZDSOQ&s=03">filmée tête nue en déclarant faire la grève</a>.</p>
<p>Les étudiants ont également appelé à la grève dans de nombreuses universités chantant « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation », « Mort à l’oppresseur, qu’il soit roi ou mollah » et « Femme, vie, liberté ». Ils remettent en question d’une manière radicale non seulement les politiques et les lois imposées par le régime, mais aussi les normes et les valeurs culturelles, traditionnelles et religieuses instaurées dans la société iranienne.</p>
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<p>Leur contestation ne porte plus seulement sur l’obligation du port du voile : ils vont jusqu’à s’en prendre au <a href="https://www.letemps.ch/monde/iran-une-revolte-contre-fondements-republique-islamique">régime de la République islamique en tant que tel</a>, et ciblent le guide suprême Ali Khamenei, dont plusieurs photos accrochées dans les espaces publics ou dans les salles de cours, ont été brûlées et déchirées.</p>
<h2>Solidarités internationales et situation révolutionnaire</h2>
<p>Ces colères, largement diffusées à travers les réseaux sociaux, ont rapidement suscité des messages de solidarité adressés par de nombreuses femmes notamment en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/turquie/les-manifestations-en-turquie-en-soutient-des-femmes-iraniennes-se-poursuivent-6a93b402-4260-11ed-9fec-b3708b1f58fa">Turquie</a>, au <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1313372/a-beyrouth-des-femmes-manifestent-en-signe-de-solidarite-avec-les-rassemblements-pour-mahsa-amini-en-iran.html">Liban</a>, en <a href="https://actu.orange.fr/societe/videos/des-militants-se-rassemblent-en-syrie-pour-soutenir-les-manifestants-iraniens-CNT000001TpnoU.html">Syrie</a> et dans divers pays occidentaux, y compris en <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220930-des-f %C3 %A9ministes-fran %C3 %A7aises-apportent-leur-soutien-aux-iraniennes-qui-manifestent">France</a>.</p>
<p>L’ampleur de la mobilisation est telle qu’il est possible de parler de <a href="https://www.france24.com/fr/vid %C3 %A9o/20221014-contestation-en-iran-cette-situation-r %C3 %A9volutionnaire-va-durer">situation révolutionnaire</a>. Pour la première fois, la cause des femmes n’est pas minimisée au profit des autres luttes et revendications, mais se trouve <a href="https://reporterre.net/Revolte-en-Iran-Le-slogan-Femme-vie-liberte-est-un-cri-du-c%C5%93ur">au cœur de cette insurrection</a>, et s’articule aux luttes des minorités nationales, des groupes marginalisés, des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/23/en-iran-la-classe-moyenne-malmenee-par-une-inflation-galopante_6131737_3210.html">classes moyennes et populaires exaspérées par la situation politique et économique</a>, ainsi qu’aux luttes environnementales. C’est ainsi qu’elle conduit à un soulèvement exceptionnel à travers tout le pays, qui semble parti pour durer.</p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorna Javan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le combat des femmes est rejoint en Iran par d’autres revendications, notamment en provenance des minorités ethniques.Dorna Javan, Doctorante et Enseignant vacataire en science politique à IEP de Lyon, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.