tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/ecole-primaire-58480/articlesécole primaire – The Conversation2024-03-17T15:33:33Ztag:theconversation.com,2011:article/2252992024-03-17T15:33:33Z2024-03-17T15:33:33ZPour une éducation aux médias et à l’information (de) tous les jours<p>Ce lundi 18 mars 2024 s’ouvre la 35<sup>e</sup> édition de la <a href="https://www.clemi.fr/actions-educatives/semaine-de-la-presse-et-des-medias">Semaine de la presse et des médias dans l’école</a>. Chaque année, dans bon nombre d’établissements de la maternelle au lycée, ce rendez-vous permet de <a href="https://www.education.gouv.fr/semaine-de-la-presse-et-des-medias-dans-l-ecole-5159">« développer le goût pour l’actualité »</a>, tout en abordant avec les élèves des notions clés du travail journalistique, du décryptage de l’information, à travers des présentations du paysage médiatique ou des rencontres de rédactions.</p>
<p>Si cette manifestation a son importance, elle ne suffit bien sûr pas à mener à bien tous les objectifs énoncés ci-dessus. <a href="https://cfeditions.com/grandir-informes/">L’observation des pratiques informationnelles enfantines et adolescentes</a>, comme l’analyse des situations d’apprentissage dans le monde scolaire mais aussi en famille, en médiathèques ou dans les communautés associatives, plaident incontestablement pour une banalisation de l’éducation aux médias et à l’information (EMI).</p>
<p>Cette éducation est une pierre angulaire du développement d’une culture générale. Comment s’y prendre pour mieux l’ancrer dans le quotidien des jeunes générations ?</p>
<h2>Une recherche d’informations quotidienne</h2>
<p>Dès l’<a href="https://edunumrech.hypotheses.org/files/2023/12/GTnum_CREM_ELN_portfolio_Dec2023.pdf">enfance</a>, les pratiques informationnelles existent et participent du développement de loisirs et d’activités. Prenons l’exemple d’Emeline, 10 ans. Passionnée de botanique, elle effectue des recherches en ligne sur les plantes. De son côté, Aiden, 7 ans, utilise YouTube pour regarder « des vidéos de dessins pour avoir des techniques et des idées », et ensuite dessiner à son tour.</p>
<p>Dès l’enfance aussi, ces pratiques d’information témoignent d’un enjeu d’intégration sociale fort. Ainsi, Rémy, scolarisé en CM2, raconte l’importance de ses recherches sur les faits de jeu de son équipe de football préférée. Il les partage avec ses frères et son père car, à la maison, on n’a plus les moyens financiers de se rendre au stade : « Quand on en parle à l’école le lundi, c’est comme si j’étais allé à Bollaert ! »</p>
<p>Cette intrication des pratiques informationnelles avec le développement d’une personnalité et de ses goûts et la volonté de prendre sa place dans le monde monte en puissance avec l’âge.</p>
<p>Les collégiens et les lycéens rencontrés sur le terrain racontent le plaisir de s’informer en groupe, de partager leurs découvertes entre pairs, de s’interroger ensemble sur les informations auxquelles ils accèdent. Dans toute leur diversité : non seulement sont évoquées les pratiques informationnelles médiatiques, dites d’actualité, mais aussi les pratiques informationnelles documentaires, extrêmement prégnantes dans la vie enfantine et adolescente.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TJiIudqXH30?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">C’est quoi une information ? Les Clés des Médias (CLEMI, mars 2021).</span></figcaption>
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<p>Contrairement à une vulgate répandue, et affirmée par des études aux contours flous et purement <a href="https://www.nouvelobs.com/medias/20220121.OBS53512/le-desinteret-pour-l-actualite-progresse-surtout-chez-les-plus-jeunes.html">déclaratives</a>, les enfants et les adolescents s’informent. Ils et elles s’informent sur leurs centres d’intérêt, leurs loisirs, mais aussi des sujets de société qui leur tiennent à cœur, à la manière de ces lycéennes qui peuvent discuter longuement des violences sexistes et sexuelles. Elles effectuent une veille informationnelle rigoureuse sur le sujet par le moyen des réseaux sociaux numériques.</p>
<p>Adolescentes et adolescents s’informent avec un plaisir réel, lors de rituels qu’ils mettent en place, seuls, avec des pairs ou en <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03349651v1/file/CORDIER_Famille-numerique.pdf">famille</a>. Vasco, lycéen de 17 ans, explique combien il aime « confronter « (ses) » informations avec celles de (sa) mère avec la télé. On n’est pas souvent d’accord, mais c’est ça qui est bien, on se parle ! »</p>
<p>Ces générations tirent parti de ressources informationnelles qui échappent souvent au regard des adultes, à l’instar de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hugo_Travers">Hugo Décrypte</a>, fortement plébiscité par les lycéens, ou encore des titres de presse régionale ou nationale, dont ils suivent les publications <em>via</em> les réseaux sociaux numériques. N’oublions pas non plus les créateurs et créatrices de contenu, qui tiennent une place importante dans l’écosystème informationnel des publics juvéniles, notamment pour nourrir leur curiosité envers l’information documentaire (sur la santé, la sexualité, ou encore la physique ou le cinéma).</p>
<h2>Des rituels de familiarisation à l’information</h2>
<p>Ces pratiques informationnelles ont besoin de soutien, et les enfants comme les adolescents apparaissent très demandeurs d’accompagnement dans le domaine, conscients notamment de la difficulté à évaluer l’information dans un contexte généralisé de défiance, ou encore à gérer la <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/chaos-information-reseaux-sociaux-adolescents-sophie-jehel">réception des images violentes en ligne</a>. Ils sont aussi désireux de développer plus encore leurs connaissances informationnelles « pour réussir dans la vie, parce que l’information c’est un tremplin », comme le note Romane, 17 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faut-il-avoir-peur-des-ecrans-retour-sur-une-annonce-presidentielle-224456">Faut-il avoir peur des écrans ? Retour sur une annonce présidentielle</a>
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<p>Les adolescents et les jeunes adultes rencontrés en enquête font part de rituels de familiarisation à l’information qu’ils considèrent comme fondateurs dans leur parcours. C’est le cas de Morgan qui, à 24 ans, tire le fil entre une expérience quotidienne de la lecture et de la discussion autour de la presse d’actualité à l’école primaire et son appétence actuelle, à l’âge adulte, pour la presse écrite :</p>
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<p>« Tu titres “De Mon Quotidien à Mad Movies” ! (rires) Sérieusement, je suis certain, ça me vient de là, le plaisir de la presse, tu vois, de prendre de l’info dedans, de savoir que je peux la partager, comme on faisait en primaire, quoi. »</p>
</blockquote>
<p>D’autres évoquent des apprentissages structurants, lesquels ont pu être observés lors d’un <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/5130">suivi longitudinal de lycéens dans leur entrée dans les études supérieures</a> et dans la vie professionnelle. À 19 ans, Julie « ne remerciera jamais assez (son professeur documentaliste) qui lui a donné les bonnes cartes pour après ! », notamment en la sensibilisant au référencement bibliographique et au travail de sourçage de l’information.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HzZDrChvgME?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">“Le smartphone, une porte d’entrée à l’information” (Sqool TV, 2023)</span></figcaption>
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<p>Malheureusement, l’étude des parcours sur le long terme, et les enquêtes de terrain en milieu scolaire, montrent la difficulté à mettre en place une progression des apprentissages en éducation aux médias et à l’information. Les temps consacrés à l’information dans la classe, à son analyse comme à sa discussion, sont trop ponctuels.</p>
<p>Or, intégrer des apprentissages informationnels au sein d’un environnement médiatique et documentaire pour le moins complexe, comprendre des concepts essentiels comme l’autorité informationnelle ou encore la ligne éditoriale, développer une <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03541492v1/document">culture des sources</a>, tout cela demande du temps.</p>
<h2>Sortir du traitement évènementiel de l’éducation à l’information</h2>
<p>Le traitement évènementiel de l’information, auquel se trouvent souvent contraints les acteurs de l’éducation aux médias et à l’information, ne permet absolument pas de relever le défi. Tout d’abord, parce que, nous l’avons vu, ce traitement n’est pas à la mesure de la quotidienneté – joyeuse – de la vie sociale des enfants et des adolescents, et des enjeux qu’ils ont à affronter chaque jour pour <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03452769/document">appréhender le flux d’informations</a> et en traiter le contenu, quel que soit son statut.</p>
<p>Ensuite, la prise en charge des problématiques informationnelles et médiatiques ne saurait se limiter à la gestion d’un évènement en général tellement chargé émotionnellement (attentats, guerres) que la prise de distance nécessaire à la structuration de connaissances n’est pas possible.</p>
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<p>Enfin, l’étude des trajectoires informationnelles des acteurs suivis sur le long terme et les interrelations avec les formations en EMI dont ils ont bénéficié montrent à quel point la dimension temporelle est cruciale. C’est ce qui favorise l’intégration de compétences et de connaissances abordées de façon répétée de manière à ce que des transferts soient envisagés et envisageables. C’est ainsi qu’en situation, dans un nouveau contexte, les jeunes concernés seront en mesure de convoquer de nouveau des ressources, des types d’usages ou de pratiques abordés.</p>
<p>Pour l’ensemble de ces raisons, c’est d’une éducation aux médias et à l’information du quotidien et au quotidien dont nos enfants et adolescents ont besoin, une éducation à la hauteur de la place qu’a l’activité informationnelle dans leur vie. C’est-à-dire une place quotidienne, profondément incarnée, sensible, joyeuse, et essentielle dans les sociabilités qu’ils mettent en œuvre, que ce soit avec la famille ou avec les pairs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225299/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Cordier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En mars, la Semaine de la presse et des médias à l’école sensibilise les enfants et les adolescents au décryptage de l’actualité. Mais l’éducation aux médias est un défi à relever au jour le jour.Anne Cordier, Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, Université de Lorraine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172292024-03-13T15:56:44Z2024-03-13T15:56:44ZSignes religieux à l’école : 20 ans de recherches sur la loi du 15 mars 2004<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977">loi du 15 mars 2004</a> encadrant le port de signes religieux dans les établissements scolaires a suscité de <a href="https://www.amazon.fr/Lettre-ouverte-linstrumentalisation-politique-la%C3%AFcit%C3%A9/dp/2815921278">nombreux débats</a> aussi bien dans les champs des médias, de la politique que de l’éducation. Cependant, la manière dont les sciences humaines et sociales (SHS) l’ont appréhendée est plus mal connue.</p>
<p>L’étude de ces disciplines est pourtant un enjeu crucial, à l’intersection entre aspects académiques et <a href="https://www.puf.com/histoire-intellectuelle-de-la-laicite">interactions avec les controverses sociales</a>. En effet, l’augmentation du nombre de travaux et d’universitaires travaillant sur le sujet est fortement corrélée à la couverture médiatique et politique croissante de celui-ci depuis 1989.</p>
<p>Les chercheuses et chercheurs ne se privent d’ailleurs pas d’intervenir directement dans l’arène publique. En témoigne la participation de plusieurs spécialistes académiques de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/la-cite-22058">laïcité</a>, dont <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_laicite_falsifiee-9782707182173">Jean Baubérot</a>, <a href="https://ecoleetsociete.se-unsa.org/Laicite-interview-de-Jacqueline-Costa-Lascoux">Jacqueline Costa-Lascoux</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=R2cWsyyDS2U">Patrick Weil</a> à la commission dirigée par Bernard Stasi en 2003 – celle-là même qui conduit à la loi du 15 mars 2004.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/signes-religieux-a-lecole-une-longue-histoire-deja-212646">Signes religieux à l’école : une longue histoire déjà</a>
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<p>Cet article s’appuie sur une analyse de la bibliographie existante en français sur le sujet, construite à partir de l’analyse des bases documentaires existantes (<a href="https://www.jstor.org/">Jstor</a>, <a href="https://hal.science/">HAL</a>, <a href="https://www.erudit.org/fr/">Erudit</a>, <a href="https://www.cairn.info/">Cairn</a>, <a href="https://www.persee.fr/">Persee</a>, <a href="https://journals.openedition.org/">Openedition journals</a>, <a href="https://books.openedition.org/">Openedition books</a>), à partir d’une requête « loi du 15 mars 2004 ». Un total de 156 travaux a été recensé sur la période allant de 2004 à 2024. Ce total se décompose en 116 articles, 25 chapitres d’ouvrages, 12 ouvrages et 2 travaux de nature autre.</p>
<p>Tout en prenant en compte les limites inhérentes à la modalité de revue de littérature scientifique, voilà qui permet de faire une analyse de la production de SHS relative à celle-ci, en trois temps complémentaires. Comment et pourquoi évolue-t-elle ? Quelles en sont les principales caractéristiques ? Quelle cartographie peut-on en tirer ?</p>
<h2>Des travaux de recherche marqués par la loi de 2004 et les attentats de 2015</h2>
<p>L’évolution dans le temps montre deux phases relativement distinctes. Les années 2004-2014 sont marquées par un pic initial, lié à l’apparition d’une production dans les mois suivant la promulgation de la loi et son application. Cette première période connaît ensuite un déclin relativement régulier jusqu’au début des années 2010 – à l’exception d’une relance en 2010, liée aux débats sur l’interdiction des tenues entièrement couvrantes.</p>
<p>Les travaux de cette première vague s’intéressent à deux enjeux principaux – qui n’en excluent bien entendu pas d’autres. Le premier est la genèse de la loi du 15 mars 2004, avec les conditions qui en favorisent à la fois l’émergence dans l’agenda public et l’insertion dans les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3ub7ISuRFK0">débats de plus en plus passionnés que suscite l’islam de France</a>.</p>
<p>En effet, dans un contexte où l’application de la loi suscite en fin de compte peu de contentieux locaux, comme le rappelle le <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2005_num_1258_1_4391">rapport de l’inspectrice générale Hanifa Chérifi</a> sur celle-ci dès 2005, la production de SHS tend à réintégrer ce nouveau cadre législatif dans des enjeux plus globaux. De ce fait, les enjeux plus strictement scolaires ne sont pas forcément les plus visibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580936/original/file-20240311-16-9okxpi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chronologie des travaux de SHS incluant les mots « loi du 15 mars 2004 », sur la période 2004-2024 (n=156).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Recherche Ismaïl Ferhat et Béatrice-Mabilon Bonfils</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une seconde vague apparaît à partir de 2014, avec deux pics très nets en 2015 et 2020. Celle-ci est de moins en centrée sur la loi en tant que telle, mais tend plutôt à relier celle-ci à un contexte de choc d’une société et d’une <a href="https://passes-composes.com/book/337">« école sous le feu » du terrorisme islamiste</a>. Les annonces ministérielles de « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » du 22 janvier 2015 tendent à confier à l’institution scolaire la mission de répondre aux problèmes et tensions révélés par les attentats qui viennent d’avoir lieu.</p>
<p>La laïcité devient dès lors un outil incontournable de cette gestion des crispations post-janvier dans la société française. Après les attentats de novembre 2015, cette saisine croissante de l’école se confirme, sous une <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2017-4-page-439.htm">forme plus sécuritaire</a>.</p>
<p>De ce fait, la loi du 15 mars 2004 est réinsérée dans un continuum de frictions répétées entre institution scolaire et manifestations du fait religieux – en particulier musulman – depuis l’affaire des foulards de 1989. Loin d’être déconnectée des enjeux immédiats, la production des SHS relative à cette loi se révèle en réalité très sensible à ceux-ci.</p>
<h2>Un investissement croissant par la science politique des questions scolaires</h2>
<p>Si la chronologie confirme la forte intrication entre travaux de SHS, analyse de la loi du 15 mars 2004 et contexte, qu’en est-il des caractéristiques propres à cette production ?</p>
<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/genre-22050">Le genre</a> en est l’un des enjeux centraux. En effet, sur un sujet croisant les questions de la laïcité, du droit des femmes et du traitement du fait religieux depuis 1989, ce point est important. 46 % des travaux sont réalisés uniquement par des hommes, 32 % par des femmes, et le reste est mixte. Cette partition genrée est renforcée par la faible présence de travaux collectifs dans le corpus (plus de ¾ des travaux recensés sont individuels).</p>
<p>La présence relativement forte des femmes, par rapport à d’autres thèmes touchant à la laïcité et aux phénomènes religieux, interroge. Au terme d’une analyse plus qualitative, elle semble liée à la manière dont la loi du 15 mars 2004 articule l’intersection entre femmes, laïcité scolaire et islam. La production d’autrices est en effet plus attentive aux effets de cette législation sur les élèves et femmes musulmanes. Cependant, les travaux repérés ne recourent pas à une approche d’évaluation standardisée, comme l’a proposé la <a href="https://econpapers.repec.org/article/cupapsrev/v_3a114_3ay_3a2020_3ai_3a3_3ap_3a707-723_5f10.htm">récente étude d’Aala Abdelgadir et Vassiliki Fouka</a>, ou l’analyse d’Eric Maurin quant à la circulaire Bayrou de 1994.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenseignement-du-fait-religieux-dans-lecole-la-que-quel-bilan-194411">L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : quel bilan ?</a>
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<p>Le deuxième enjeu est celui des champs disciplinaires. La sociologie (40 travaux) et la science politique (idem) se taillent la part du lion. Une telle prééminence peut s’expliquer par l’importance de l’analyse des politiques publiques et de l’émergence des problèmes publics que ces deux disciplines portent. S’y ajoute, depuis les années 2000, <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2012-2-page-7.htm">l’investissement croissant par la science politique des questions et controverses scolaires</a>- notons que les deux auteurs du présent article sont eux-mêmes originellement issus de cette discipline.</p>
<p>Le droit suit de près (35 travaux). Cette place peut s’expliquer par l’importance traditionnelle de la production des juristes sur la laïcité, notamment dans le système éducatif public. Elle tient aussi au rôle des contentieux et de la jurisprudence administrative, notamment suite à la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/documents-laicite/document-3.pdf">circulaire dite Bayrou de 1994</a>, dans la résolution des conflits religieux, en particulier de nature vestimentaire, à l’école.</p>
<p>Les sciences de l’éducation et de la formation suivent, de manière relativement distante (11 travaux). Ceci peut paraître constituer un paradoxe, tant les conflits laïques sont historiquement centrés sur l’institution scolaire. Les autres disciplines de SHS (notamment l’histoire, la philosophie ou la psychologie) représentent une faible quantité de travaux dans le corpus, de même que les approches interdisciplinaires.</p>
<h2>Des rapports de force entre les disciplines</h2>
<p>Peut-on cartographier la production recensée ? Nous avons retenu un codage de variables qualitatives (période de parution, nombre d’auteur·e·s, discipline, type de publications) afin de repérer d’éventuels sous-groupes. Une analyse multifactorielle (Analyse en composantes multiples ou ACM) est proposée ici.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580941/original/file-20240311-24-80sdm5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Analyse en correspondances multiples, production en SHS sur la loi du 15 mars 2004 (n= 156).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Codage et traitement Ismaïl Ferhat et Béatrice Mabilon-Bonfils</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Plusieurs lignes de force apparaissent. La représentation graphique de l’ACM souligne le caractère relativement excentré des disciplines à dimension cognitive (psychologie et psychiatrie) ainsi que des travaux collectifs à 3 auteurs et plus. Ceci rejoint et confirme d’ailleurs leur marginalité quantitative dans le corpus. Les femmes sont nettement plus proches de certaines disciplines, ainsi la sociologie, là où les hommes sont nettement plus présents en sciences de l’éducation, droit et science politique. De même, les hommes semblent nettement surreprésentés dans la production d’articles (la plus grande partie du corpus constitué) ainsi que la production individuelle.</p>
<p>Le basculement chronologique entre la période 2004-2013 et celle de 2014-2024 paraît ici avoir un éclairage nouveau. En effet, avant la relance des travaux en 2014, la loi du 15 mars 2004 fait l’objet d’un traitement disciplinaire relativement pluriel et faisant une place plus importante aux femmes. La période 2014-2024 voit la mise en place d’une production centrée sur l’action publique (science politique, droit) et l’école (sciences de l’éducation et de la formation). Or, cette production favorise une plus grande place des hommes ainsi que des travaux mixtes.</p>
<p>Le basculement de l’approche de l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école publique par les SHS, sous le feu des événements en 2015, paraît de ce fait net. Dans le champ académique aussi, le choc des attentats a modifié les rapports de force disciplinaires et genrés sur le sujet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217229/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires a suscité de nombreux débats dans les médias et l’opinion. Mais comment la recherche l’a-t-elle abordée ?Ismail Ferhat, Professeur des universités en sciences de l'éducation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresBeatrice Mabilon-Bonfils, Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228292024-03-12T16:09:45Z2024-03-12T16:09:45ZEnfants surdoués : de quoi le « haut potentiel » est-il le nom ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580500/original/file-20240307-16-3i0hjw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C5%2C994%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Faut-il proposer aux enfants dits "précoces" ou "surdoués" des parcours spécifiques ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/shes-way-clever-her-age-shot-2146625927">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Aujourd’hui, qui n’a jamais entendu parler de « HPI » – ou haut potentiel intellectuel ? Popularisé récemment par une <a href="https://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=25616.html">série télévisée</a>, cet acronyme est utilisé depuis les années 2010 pour désigner ce qu’on appelait jusqu’alors les « surdoués » ou, au XIX<sup>e</sup> siècle, les enfants prodiges.</p>
<p>Ce « haut potentiel », même les spectateurs néophytes de la série savent qu’il est mesuré par un test d’intelligence, permettant d’évaluer le QI – ou quotient intellectuel –, nombre un brin magique censé prédire la réussite scolaire ou professionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/scientifiquement-le-hpi-nexiste-pas-184606">Scientifiquement, le HPI n’existe pas</a>
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<p>Dans le même temps, les chercheurs en psychologie sont fort embarrassés pour définir l’intelligence. Car tant le QI que le « haut potentiel » – par convention, un QI au moins égal à 130 (ce qui représenterait, par construction, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/tous-haut-potentiel-intellectuel-2697000">2,3 % de la population</a> soit environ, en France, 1 550 000 personnes) – sont des notions mobilisées essentiellement par des psychologues praticiens qui ont à se prononcer soit pour des recrutements dans les entreprises, soit pour des décisions pédagogiques dans le milieu éducatif.</p>
<p>Même s’il n’existe <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/l-intelligence-ca-s-apprend-nbsp--9782377474516/">pas de consensus scientifique chez les spécialistes sur ce que signifie le terme même d’intelligence</a>, l’intérêt des tests, aux yeux du grand public, vient de leur corrélation statistique avec la réussite scolaire, et en général professionnelle. Mais c’est sans doute cela l’essentiel…</p>
<h2>Un contexte social « porteur »</h2>
<p>Depuis une cinquantaine d’années, des <a href="https://www.librairie-ledivan.com/ebook/9782707337634-la-gestion-des-risques-robert-castel/">chercheurs comme Robert Castel</a> décrivent une tendance lourde à renvoyer à la psychologie ou à la psychiatrie la gestion des problèmes sociaux. L’institution scolaire, qui entend prendre en compte de plus en plus les spécificités des enfants – au début des années 2000, Ségolène Royal parlait ainsi d’« école pour chacun » – fait preuve d’une <a href="https://journals.openedition.org/lectures/16569">« médicalisation décomplexée »</a>, particulièrement depuis les années 1990.</p>
<p>Cette évolution conduit souvent à interpréter les <a href="https://theconversation.com/lechec-scolaire-histoire-et-invention-dune-notion-217943">échecs scolaires</a> en termes de défaillances personnelles. Les enfants qui peinent à l’école sont nombreux à être adressés à des spécialistes et <a href="https://theconversation.com/dyslexique-hyperactif-hpi-ces-diagnostics-qui-se-multiplient-en-milieu-scolaire-161530">à être étiquetés comme « dys »</a> – dyslexique, dyscalculique…</p>
<p>C’est au nom de ce « droit à la différence » que des parents convaincus des capacités exceptionnelles de leur enfant se regroupent en association (notamment l’association nationale pour les enfants surdoués (ANPES), créée en 1971) et <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_petite_noblesse_de_l_intelligence-9782707173072">engagent un combat vigoureux contre les méfiances du Ministère et des enseignants concernant la notion perçue comme élitiste de surdoué</a>, afin de faire reconnaître cette autre forme de spécificité.</p>
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<figcaption><span class="caption">Wilfried Lignier – La petite noblesse de l’intelligence, une sociologie des enfants surdoués (Librairie Mollat, interview en 2012).</span></figcaption>
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<p>Ces parents mettent en avant le fait qu’un enfant trop brillant rencontre souvent des problèmes à l’école, souffre de sa situation et devrait donc pouvoir bénéficier de parcours ou de traitements spécifiques. Ils finissent par être entendus, et le Ministère admet (au seuil des années 2000) que ces enfants qu’il préfère appeler « précoces » (expression euphémisée de la supériorité intellectuelle) peuvent éprouver des problèmes.</p>
<p>Dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000259787/">loi « Pour l’avenir de l’école » de 2005</a>, il est écrit que des « aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités ».</p>
<h2>Les parents d’élèves qui contestent les décisions de l’institution scolaire</h2>
<p>Dans un contexte de concurrence pour des places scolaires ou sociales inégalement prestigieuses et inégalement attractives, ces parents vont porter une demande d’évaluation capable d’asseoir un pronostic sur les performances à venir. L’objectif est de faire bénéficier leur enfant d’un traitement particulier, permettant d’optimiser son cursus scolaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/legalite-scolaire-un-enjeu-de-survie-pour-la-democratie-150254">L’égalité scolaire, un enjeu de survie pour la démocratie</a>
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<p>Le diagnostic de précocité, posé par un psychologue, le plus souvent dès l’école primaire, suit la demande de parents convaincus que leur enfant a des besoins particuliers et des qualités mal appréhendées par les maîtres.</p>
<p>Ces parents, en général bien plus diplômés que l’ensemble de la population, sont à l’aise avec la culture psychologique, et se sentent en <a href="https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/non-votre-enfant-nest-pas-hpi-vous-etes-juste-riche/">droit de contester l’institution scolaire</a>. Armés d’un test de QI délivrant le verdict de « haut potentiel », ils n’hésitent pas à exercer des pressions pour amener les enseignants à se plier à leurs souhaits, concrètement, à obtenir pour leur enfant un saut de classe ou des aménagements de scolarité.</p>
<p>Aujourd’hui, certains parents défendent véritablement, non sans moyens matériels, car il faut payer pour faire tester son enfant, une <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2011-2-page-179.htm">« cause » de l’intelligence</a> (selon la formule de Wilfried Lignier), fondée sur l’usage scolaire du diagnostic psychologique. Il s’agit de fait, grâce à cette ressource présentée comme indiscutable d’un QI élevé, d’une stratégie de distinction, justifiée par le caractère crucial de la réussite scolaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reussite-scolaire-faut-il-croire-au-don-pour-les-langues-etrangeres-207247">Réussite scolaire : faut-il croire au don pour les langues étrangères ?</a>
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<p>On défend ainsi la nécessité d’une prise en charge spécifique de ces enfants en arguant <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/la-societe-ne-voit-pas-leur-souffrance-pourquoi-la-scolarisation-des-enfants-precoces-releve-souvent-du-parcours-du-combattant_2934209.html">du fait que ces « surdoués » peuvent se retrouver en souffrance</a>, même si en réalité l’immense majorité des élèves ainsi étiquetés connaitra des <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/psycho/enfants-hpi-de-la-legende-noire-des-surdoues-aux-idees-recues-on-demele-le-vrai-du-faux-27e2af2e-9002-11ed-8732-c929ccc6462c">scolarités excellentes</a>. Ces stratégies de parents pour qui l’institution devrait être à leur service s’inscrivent dans la droite ligne de l’individualisation croissante des parcours scolaires.</p>
<h2>Qu’est-ce que les QI mesurent au juste ?</h2>
<p>Il reste qu’au-delà de cette quête du testing, on ne sait pas trop ce qui est mesuré. <a href="https://presse.inserm.fr/canal-detox/le-qi-une-mesure-fiable-de-lintelligence-vraiment/">Les tests de QI</a> entendent donner de l’intelligence d’une personne une mesure unique, épousant la conception commune d’une intelligence qui caractériserait chacun, au même titre que les traits physiques, chacun en ayant plus ou moins.</p>
<p>Le premier test d’intelligence construit en 1905 par le <a href="https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/histoire-neurosciences/alfred-binet-ou-les-premices-du-qi-1347.php">psychologue Alfred Binet</a> visait avant tout à détecter les enfants incapables de suivre l’enseignement normal, par des exercices variés recouvrant ce qui est en fait une « intelligence de l’écolier ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Diagnostics HPI : haute arnaque potentielle (Libération, juin 2022)</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, les tests d’intelligence sont toujours construits par rapport à ce qu’exige l’école : des capacités verbales, visuo-spatiales, le raisonnement, la mémoire, la vitesse… Le plus utilisé d’entre eux, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wechsler_Intelligence_Scale_for_Children">WISC</a>, permet de situer les enfants parmi leur groupe d’âge, autour d’un score moyen défini par convention à 100, la majorité se situant entre 70 et 130, seuls les HPI dépassant la borne supérieure. Le score est donc un classement entre enfants, par rapport aux capacités exigées aujourd’hui par l’école telle qu’elle est.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-eleves-interpretent-ils-les-ecarts-de-reussite-en-classe-151402">Comment les élèves interprètent-ils les écarts de réussite en classe ?</a>
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<p>D’aucuns soulignent que nombre de qualités comme la créativité ou l’empathie échappent totalement à cette mesure, qui est aussi étroite que la définition du mérite scolaire lui-même. Mais l’école doit classer, et elle le fait sur la base de critères faciles à mesurer ! Les tests « fabriquent » donc une mesure très dépendante de l’école, au risque d’entériner un fantastique gaspillage de talents et d’enfoncer pour la vie certains enfants au vu de <a href="https://www.uga-editions.com/menu-principal/actualites-nouveautes/a-paraitre/l-intelligence-ca-s-apprend--1320285.kjsp">performances qui s’avèrent pourtant très flexibles dans le temps</a> et selon les pratiques pédagogiques des enseignants.</p>
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<p>Même si les débats sont récurrents sur l’explication de ce « plus ou moins » – ces différences interindividuelles sont-elles innées ou acquises ?-, le score obtenu au test de QI évoque irrésistiblement l’idée de don, renvoyant à l’ordre de la nature. Avec des incidences politiques évidentes : mesurer l’intelligence a pour finalité, dans la pratique, d’affecter les personnes là où serait leur place « naturelle », du moins dans le parcours scolaire adéquat.</p>
<p>Alors que les enjeux autour de la notion de haut potentiel prennent aujourd’hui une importance sociale sans commune mesure avec le caractère souvent fragile des instruments et des travaux sur lesquels ils s’appuient, il est important de <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/2560">relancer le débat sur la mesure de l’intelligence et ce qu’on en fait</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222829/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La notion de haut potentiel est en vogue et prend aujourd’hui une importance sociale sans commune mesure avec la fragilité des instruments et des travaux sur lesquels elle s’appuie.Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177092024-03-11T16:11:57Z2024-03-11T16:11:57Z« L’école, c’était mieux avant ! » : les enjeux d’un leitmotiv politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580180/original/file-20240306-16-3u4ddu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1022%2C722&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une affiche de publicité des années 1920 autour de la rentrée des classes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/rentree-des-classes-vetements-trousseaux-articles-pour-pensions#infos-principales">Henri Genevrier (dit Grand'Aigle), via Wikimedia Commons - Musée Carnavalet</a></span></figcaption></figure><p>On ne parle plus, dans les médias, de « retour » de l’uniforme pour <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/16/derriere-la-solution-du-port-de-l-uniforme-a-l-ecole-de-rares-etudes-scientifiques-et-une-absence-de-consensus_6216874_3224.html">qualifier l’expérience lancée par Gabriel Attal</a>. Chacun commence à savoir que, dans les écoles publiques de France métropolitaine, les <a href="https://theconversation.com/uniforme-a-lecole-leternel-debat-147126">écoliers n’ont jamais été astreints au port de l’uniforme</a>, ni même de la blouse.</p>
<p>Il reste que cette initiative, au milieu d’autres éléments de langage et de marqueurs symboliques, sur le « retour » aux fondamentaux ou la « restauration » de la discipline, semble faire système, <a href="https://theconversation.com/luniforme-a-lecole-reflet-du-clivage-entre-la-droite-et-la-gauche-213298">contribuant à dessiner un modèle scolaire ancien</a>, érigé aujourd’hui en référence du débat public. L’historien Claude Lelièvre rappelle régulièrement à quel point <a href="https://www.cahiers-pedagogiques.com/lecole-daujourdhui-a-la-lumiere-de-lhistoire/">l’image de l’école passée est un pur fantasme</a> et n’a guère de fondements historiques. Pourtant, ce qu’on aime à présenter comme « la tradition de notre école » s’est pour de bon imposé comme un repère positif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecole-en-panne-de-projet-politique-212040">L’école, en panne de projet politique ?</a>
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<p>Il n’en a pas toujours été ainsi. <a href="https://journals.openedition.org/rhc/6639">En menant une étude systématique de la presse nationale d’information générale</a>, on voit que cette école traditionnelle n’était mentionnée dans les années 1960 que comme un repoussoir. <a href="https://www.cairn.info/refus-et-refuses-d-ecole--9782706145605-page-61.htm">Son progressif retour en grâce</a>, à partir de 1968, est en fait une illustration très éclairante des limites de nos débats éducatifs.</p>
<h2>Un modèle scolaire bien peu défini</h2>
<p>Si, dans les années 1960, la dénonciation délibérément provocatrice du « faux prestige des humanités classiques » ou de rites comme le baccalauréat (qualifié de « mort en sursis » par le vice-recteur de l’Université de Paris lui-même, dans son allocution solennelle de rentrée de 1961) paraît si consensuelle, c’est peut-être parce que <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/2730">cette école-repoussoir</a> est, hier comme aujourd’hui, bien peu définie par ceux qui la condamnent. C’est Raymond Aron qui, dans les colonnes du <em>Figaro</em> du 4 juin 1965, le dit le mieux :</p>
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<p>« Les porte-parole officiels commencent tous leurs discours par les formules aujourd’hui à la mode et, en un sens, incontestables : “les structures craquent de toutes parts… L’enseignement doit suivre son époque… il faut adapter méthodes et programmes” […] Qui ne souscrirait à de tels propos, dont la vérité s’impose avec d’autant plus d’évidence que la portée en est plus équivoque ? En quoi consiste l’"adaptation" ? Quelles sont “les structures qui craquent” ? »</p>
</blockquote>
<p>Mais l’ambivalence joue aussi dans l’autre sens. En 1984, il suffit à Jean-Pierre Chevènement, devenu ministre de l’Éducation, de faire allusion, dans la lettre qu’il envoie pour la rentrée à tous les enseignants, à « la tradition de notre école, (qui) est l’une des plus belles qui soient », pour que la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/09/06/un-ministre-simple-et-pratique_3020418_1819218.html">presse glose à loisir</a>. Alors enfiévré par la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/10/11/vues-et-revues-quand-l-education-redevient-nationale_3136550_1819218.html">publication de petits livres au ton vengeur</a> accusant les « réformes » ou le « pédagogisme » d’avoir dénaturé une école passée désormais parée de toutes les vertus, le débat éducatif embraye facilement.</p>
<p>Un mot suffit ainsi à activer tout un univers de représentations qu’à partir de ce moment, on qualifie de « républicain » alors qu’il était jusqu’ici cantonné au monde conservateur. Il n’est pas jusqu’au nom de Jules Ferry, rarement cité avant 1983, qui ne reprenne du service, mais dorénavant pour exalter les mérites d’une école de la discipline et de la verticalité, donc <a href="https://centrehenriaigueperse.wordpress.com/2022/02/05/claude-lelievre-lecole-republicaine-ou-lhistoire-manipulee/">bien loin de la vérité historique</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">1960 : Pour ou contre l’uniforme au lycée ? (Archive INA, 2018).</span></figcaption>
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<p>L’organisation en 2004 de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/2004/09/01/les-evidences-de-fillon-agacent-les-enseignants_490953/">conférence de presse de rentrée de François Fillon</a> dans un des musées de l’école qui se sont multipliés entre-temps vient ainsi fort logiquement illustrer l’enracinement d’un discours devenu banal : « (je suis) porteur d’une vision finalement assez simple de l’éducation : […] il faut restaurer l’autorité des maîtres d’hier » (<em>Le Figaro Magazine</em>, 11 septembre 2004.).</p>
<h2>L’école de Jules Ferry, otage de priorités politiciennes</h2>
<p>On le devine, cette référence à l’école d’autrefois, à laquelle on peut faire dire beaucoup de choses, sert des préoccupations plus politiques que pédagogiques.</p>
<p>Les anathèmes consensuels des années 1960 apparaissent comme un moyen d’éviter le vrai débat, à savoir ce qu’il faudrait faire face à ce que Louis Cros a appelé, dans un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1962_num_17_3_10199">livre qui a fait date</a>, « l’explosion scolaire ». La <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">massification</a> à l’œuvre, qui multiplie en dix ans les effectifs du collège par deux, ne suscite pas la réflexion qui aurait permis de lui trouver une réponse institutionnelle à la hauteur, et la dénonciation des archaïsmes semble être le seul moyen de mettre tout le monde d’accord.</p>
<p>Sous l’effet de l’ébranlement provoqué par les événements de Mai-68, la stabilité, face aux <a href="https://journals.openedition.org/histoirepolitique/4863">craintes de déstabilisation</a>, devient brutalement une valeur désirable. On voit le ministre Olivier Guichard se féliciter publiquement en 1970 qu’il n’y ait pas cette année-là de réforme du baccalauréat, comme si l’absence de changement était devenue une vertu (<em>Le Nouvel Observateur</em>, 15 juin 1970), tandis qu’en 1973, le premier ministre, Pierre Messmer, se retrouve contraint de revenir sur ses propos lorsqu’il suggère que la disparition de cet examen « ne serait pas une catastrophe nationale ».</p>
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<p>La charge de la preuve s’est inversée : ce n’est plus désormais la défense du <em>statu quo</em> qui doit être justifiée, mais la volonté de réforme en profondeur qui est perçue comme un projet déraisonnable. Alors que la très sélecte association des Anciens des collèges et lycées se félicitait dans <em>Le Figaro</em> du 18 mai 1959, que « l’enseignement secondaire de papa (soit) mort », le même journal publie le 12 février 1980 une tribune de Guy Bayet, président de la Société des agrégés, sous le titre « Vive le bac de papa ! », illustrant le renversement du consensus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-repenser-lautorite-a-lecole-209541">Pourquoi repenser l’autorité à l’école</a>
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<p>En 1984, l’invention du « républicanisme » par Chevènement joue sur une demande d’ordre, et se diffusera avec succès au cours des années suivantes aux thèmes de la sécurité et de l’immigration.</p>
<p>Deux décennies plus tard, c’est à la droite que l’école traditionnelle fournit une base de refondation idéologique. Le référentiel libéral, auquel elle a longtemps lié son destin, a alors perdu de son efficience politique. De la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 à la fondation du parti Les Républicains en 2015, l’école devient un appui majeur d’un discours fondé désormais sur l’ordre et la tradition.</p>
<h2>La célébration du passé éclaire-t-elle sur l’avenir ?</h2>
<p>Pour que cette célébration de ce qu’on imagine être l’école d’autrefois aide à répondre aux questions que nous pose l’école d’aujourd’hui, il faudrait au moins que les mérites de celle-ci soient rigoureusement établis et non pas simplement fantasmés.</p>
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<img alt="Portrait de Jules Ferry" src="https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=832&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580200/original/file-20240306-22-aukpbk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1046&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jules Ferry.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jules_Ferry_-_photo_Franck.jpg">Franck, via Wikimedia</a></span>
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<p>Ce qui a fait, en définitive, la <a href="https://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1993_num_57_1_2649">réussite bien réelle de l’école de Jules Ferry</a>, c’est sa capacité à ouvrir la société paysanne et ouvrière sur la modernité et sur l’extérieur bien plus que les coups de règle sur les doigts et l’apprentissage par cœur des listes de départements. Et c’est le consensus établi autour de ce projet cohérent qui a permis de susciter une dynamique à même de mettre à mal le modèle clérical jusque-là dominant. L’évocation de ce qui ressemble aujourd’hui surtout à une photo sépia peut-elle suffire à relancer un mouvement comparable ?</p>
<p>Quel fut, au fond, le vrai moteur de cette réinvention couronnée de succès d’une école qui n’a pas vraiment existé ? On pourrait fort bien la mettre au rang des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1957/05/06/mythologies_2336212_1819218.html">« mythologies » de Roland Barthes</a>, qui nous rappelle fort opportunément que la fonction de ces mythes est avant tout d’essentialiser une structure sociale qui bénéficie à ceux qui les entretiennent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/blanquer-lire-ecrire-compter-et-les-savoirs-fondamentaux-111676">Blanquer, « lire, écrire, compter » et les « savoirs fondamentaux »</a>
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<p>Dans les médias, entre 1983 et 2015, la réduction du débat scolaire au <a href="https://journals.openedition.org/ries/3993">retour cyclique de la confrontation entre ceux qui veulent changer l’école et ceux qui veulent la « sauver »</a> a fini par faire de ce modèle ancien, jamais vraiment décrit, une référence obligée, d’autant mieux naturalisée que, n’étant pas mise en débat, elle est généralement sous-entendue.</p>
<p>S’impose ainsi une confusion entre cette école mythique, le savoir et la République, comme si la remise en cause de l’une menaçait les deux autres. Confusion qui se fait au profit exclusif des <a href="https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2016-1-page-117.htm">personnalités médiatiques et intellectuelles qu’on a appelées « ceux qui aiment l’école »</a> : ayant construit leur identité sur leur maîtrise de l’école à l’ancienne, ils ont continuellement attiré l’attention sur cette question en assurant l’encadrement intellectuel du débat dans la presse et l’édition.</p>
<p>« Ceux qui aiment l’école » se rassurent ainsi sur leur positionnement dans le champ intellectuel tandis que, dans le champ politique, des conservateurs, assumés ou non, peuvent qualifier de « républicain » leur tropisme nostalgique. Il va de soi que, ce faisant, on relègue au second plan l’enjeu de l’invention d’une école capable de faire face aux défis des inégalités sociales, de l’explosion des cultures médiatiques ou de l’internationalisation des savoirs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217709/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yann Forestier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du retour aux fondamentaux à la « restauration » de la discipline, l’école d’autrefois est régulièrement érigée en modèle dans le débat public. Cela n’a pas toujours été le cas.Yann Forestier, Chercheur associé au Centre Amiénois de Recherche en Education et Formation (CAREF). Professeur agrégé d'histoire, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2237542024-03-10T16:47:36Z2024-03-10T16:47:36ZDémissions d’enseignants : une question qui reste taboue<p>Qui veut encore devenir prof ? La question alimente le débat public sur l’éducation. Alors que les médias mettent régulièrement en évidence les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/education-il-manque-des-enseignants-partout_6042710.html">difficultés à recruter des enseignants</a>, un autre phénomène, tout aussi préoccupant, reste souvent sous-estimé : celui des démissions de personnels en poste dans l’Éducation nationale.</p>
<p>Bien que ces démissions restent à un niveau relativement modéré par rapport à l’effectif total d’enseignants en France, <a href="https://www.senat.fr/rap/l23-128-314/l23-128-3141.pdf">elles sont en constante augmentation</a> : leur nombre a été multiplié par quatre en l’espace de dix ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/declassement-manque-de-reconnaissance-ces-enseignants-qui-veulent-changer-de-metier-176293">Déclassement, manque de reconnaissance… ces enseignants qui veulent changer de métier</a>
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<p>Les raisons en sont multiples et diverses, allant de l’alourdissement de la charge de travail – en particulier des tâches bureaucratiques – à l’émergence de nouvelles responsabilités, telles que la différenciation pédagogique et <a href="https://theconversation.com/quel-regard-les-enseignants-portent-ils-sur-lecole-inclusive-170418">l’accueil des élèves en situation de handicap</a>. Ceci dans un contexte de contraintes financières et de pressions liées aux réformes de la nouvelle gestion publique comme l’ont montré la <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2019-1-page-119.htm?contenu=article">chercheuse Magali Danner et ses co-autrices</a>. Le manque de reconnaissance et de soutien ainsi que des <a href="https://theconversation.com/salaires-des-profs-un-travail-invisible-a-prendre-en-compte-177034">salaires</a> jugés insuffisants contribuent à cette tendance.</p>
<p>Au-delà des motifs de découragement et de démissions, que sait-on de ces démarches de transition professionnelle ? Comment l’institution réagit-elle ? Vers qui les enseignants se tournent-ils pour envisager ces changements ?</p>
<h2>Les obstacles aux démissions enseignantes</h2>
<p>On pourrait croire que la mise en place des ruptures conventionnelles dans le secteur à partir de 2020 a facilité la sortie du métier d’enseignant. Cependant, les premières données révèlent une réalité différente. <a href="https://paris.sgen-cfdt.fr/actu/rupture-conventionnelle-premier-bilan-pour-2020-au-sein-de-leducation-nationale-2/">Un premier bilan des syndicats</a> sur les ruptures conventionnelles de l’année 2020, indique que près de 80 % des demandes ont été refusées.</p>
<p>Celles qui ont été acceptées provenaient essentiellement de trois académies : Montpellier, Bordeaux et Aix-Marseille, réputées pour ne pas être en tension. Par conséquent, les enseignants travaillant dans les académies les plus déficitaires et aux conditions de travail réputées les plus difficiles ont moins de chances de voir leur demande de rupture conventionnelle acceptée, ce qui accentue les disparités entre les régions.</p>
<p>De la même manière, les démissions simples <a href="https://www.bfmtv.com/societe/education/ces-profs-qui-ne-parviennent-pas-a-quitter-l-enseignement_AN-202309170053.html">sont susceptibles d’être refusées par l’administration</a> en raison de la nécessité de service. <a href="https://www.europe1.fr/societe/education-nationale-pourquoi-les-profs-obtiennent-rarement-une-rupture-conventionnelle-4130032">Un motif qui sert souvent de justification à cette décision</a> – le nombre de demandes de démissions refusées chaque année n’est à ce jour pas connu.</p>
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<figcaption><span class="caption">Entre manque de considération, salaires bas et pression, de plus en plus d’enseignants décident de quitter le navire. (Le Parisien, 2022).</span></figcaption>
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<p>Les enseignants désirant quitter la profession se heurtent souvent au manque de ressources, tant en termes d’information que de soutien humain, au sein de l’Éducation nationale. Par exemple, les informations sur les démissions sur les sites officiels sont plutôt succinctes. De plus, selon les académies, il peut être difficile de se procurer les circulaires relatives à l’Indemnité spécifique de rupture conventionnelle (ISRC) et les services des ressources humaines de proximité <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/education-nationale-on-ne-va-pas-dans-le-bon-sens-monsieur-le-prof-figure-des-reseaux-sociaux-jette-l-eponge-2769742.html">peuvent prendre plusieurs mois pour répondre à leurs demandes</a>.</p>
<p>Cette situation témoigne en partie de la position de l’institution sur la sortie du métier. La question demeure taboue, les responsables politiques tendant à minimiser le phénomène. L’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait avancé l’idée selon laquelle <a href="https://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ170800957&idtable=q335422%7Cq331133%7Cq324257%7Cq360452%7Cq417062%7Cq402127%7Cq324091%7Cq429087%7Cq324745%7Cq425052">l’évolution des démissions</a> serait peu significative et corrélée aux variations du nombre de postes ouverts.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-devenir-enseignant-cest-accepter-un-declassement-social-212206">Quand devenir enseignant, c’est accepter un déclassement social</a>
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<p>Selon cette perspective, une hausse des recrutements dans l’Éducation nationale se traduirait par une augmentation proportionnelle des démissions. Cependant, dans les faits, rien ne prouve que cette affirmation soit exacte, car l’Éducation nationale peine aujourd’hui à recruter, et le <a href="https://journals.openedition.org/lectures/22587">« malaise enseignant »</a> est aujourd’hui bien documenté dans la littérature scientifique.</p>
<h2>Des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux</h2>
<p>C’est probablement pour toutes ces raisons que les enseignants se tournent de plus en plus vers d’autres espaces, notamment des <a href="https://www.theses.fr/2023BORD0364">groupes d’entraide sur les réseaux sociaux et les forums</a>. L’un des plus importants, créé en 2015, compte plus de 33 000 membres début 2024 (nous n’indiquons pas son nom pour préserver l’anonymat de ses membres).</p>
<p>Ces groupes sont le lieu, notamment de :</p>
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<li><p>demandes d’aide concernant les aspects techniques du changement de métier, comme l’obtention d’une disponibilité, d’un détachement ou d’une rupture conventionnelle, d’information sur les concours permettant de changer de voie et leurs modalités, etc.</p></li>
<li><p><a href="https://www.quitterlenseignement.org/">retours d’expériences</a> de personnes ayant franchi le pas, décrivant comment elles ont vécu leur reconversion et quelles sont leurs conditions de travail actuelles ;</p></li>
<li><p>témoignages de difficultés rencontrées dans le métier, destinés à montrer à ceux qui les vivent qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation et à leur apporter du réconfort et des encouragements.</p></li>
</ul>
<p>En plus des échanges, <a href="https://pur-editions.fr/product/9786/en-quete-d-enseignants">ces groupes très actifs</a> partagent également une série de fichiers (dans un onglet dédié), tels que des CV, des exemples de lettres de démission, des documents juridiques (IDV, nécessité de service, etc.), des tableaux Excel permettant de calculer le montant des indemnités de départ en cas de rupture conventionnelle, des descriptions de postes concernant différents métiers, etc.</p>
<h2>L’apparition de prestataires de services…</h2>
<p>Parallèlement, un autre type de ressource émerge dans l’accompagnement des enseignants désireux de démissionner, apparu depuis le milieu des années 2000 : il s’agit de sites que nous qualifions de commerciaux car, contrairement aux groupes d’entraide, ils proposent des prestations de service moyennant un coût financier.</p>
<p>On en recense une vingtaine sur le Web, parmi lesquels une association se distingue, proposant un accompagnement personnalisé à la démission et à la reconversion. Elle fonctionne sur la base d’une cotisation unique assortie de prestations payantes (réinvestis dans l’association), telles que l’assistance pour lever la nécessité de service, ou l’aide à la création d’entreprise, et s’appuie sur un réseau étendu comprenant de hauts fonctionnaires, des hommes politiques, des chercheurs, des journalistes et d’anciens enseignants reconvertis.</p>
<p>D’autres <a href="https://www.prof-et-ensuite.fr/blog-prof/">prestataires</a> en ligne se concentrent principalement sur des services comme le bilan de compétences, largement reconnu comme une <a href="https://shs.hal.science/halshs-03243110/">étape essentielle</a> de la reconversion professionnelle. La durée du bilan de compétences est variable selon les besoins du bénéficiaire, mais ne dépasse généralement pas 24 heures, et son coût moyen varie entre 1 200 euros et 1 800 euros selon les prestataires recensés. Ou encore sur le coaching en outplacement, héritage, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2022-2-page-171.htm">selon certains chercheurs</a>, « du nouvel esprit capitaliste ».</p>
<p>La présence croissante de ces prestataires indique le développement d’un véritable marché autour de la démission et de la reconversion enseignante.</p>
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<p>En définitive, le pilotage de la problématique de la démission enseignante semble avoir été laissé entre les mains d’acteurs extérieurs à l’institution, malgré des points de vue convergents avec certains d’entre eux sur la gestion de carrière des enseignants, en accord avec les récentes évolutions législatives (mise en place de la rupture conventionnelle et élargissement des possibilités de recrutement de contractuels). Voilà qui rappelle les propos de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye <a href="https://twitter.com/Ithyphallique/status/1594272414724145161">dans une interview en 2022</a>.</p>
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<p>« On n’entre plus dans le métier pour que ça se termine par un pot de retraite 40 ans plus tard » […] On veut pouvoir être enseignant 10 ans et puis faire autre chose. »</p>
</blockquote>
<p>L’augmentation des démissions enseignantes et l’apparition de nouveaux acteurs dans leur accompagnement remettent en question les normes établies concernant les entrées et sorties de la profession, et suscitent des interrogations sur la nature et l’efficacité de cet accompagnement. Comment concilier cette nouvelle flexibilité des trajectoires professionnelles avec la gestion de la carrière enseignante ? Ces questions exigent une réflexion approfondie sur les politiques éducatives et les pratiques de ressources humaines afin d’assurer un accompagnement tout au long de la carrière des enseignants, en réponse aux défis et aux évolutions du monde de l’éducation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Croizier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’on parle souvent des difficultés à recruter des enseignants, un autre phénomène, tout aussi préoccupant, reste sous-estimé : celui des démissions de personnels de l’Éducation nationale.Camille Croizier, Docteure en Sciences de l'éducation, attachée temporaire d'enseignement et de recherche, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2244542024-03-04T16:55:16Z2024-03-04T16:55:16ZDiriger un établissement scolaire à l’ère post-Covid : des risques psychosociaux qui persistent<p>Au printemps 2023, alors que la pandémie Covid-19 passait à l’arrière-plan des préoccupations mondiales, le <a href="https://www.educationsolidarite.org/barometre-i-best-2023/">Baromètre I-BEST</a> (International barometer of education staff) s’est penché sur le vécu professionnel et le bien-être des personnels de l’éducation à travers le monde. Parmi les 26 000 participants issus de quatre continents, près d’un millier étaient des chefs d’établissements scolaires, essentiellement en France, en Espagne et en Argentine.</p>
<p>Les personnels de direction des écoles, des collèges ou des lycées assurent au quotidien les missions administratives et pédagogiques indispensables au bon fonctionnement de la structure placée sous leur responsabilité, rendant ainsi l’environnement propice à l’apprentissage des élèves qui la fréquentent. Ces professionnels doivent faire face à des <a href="https://www.aderae.ca/wp-content/uploads/2017/12/Revue_ERAdE_Vol1_No1_Pelletier.pdf">contraintes spécifiques</a> : charge importante de travail et horaires irréguliers, omniprésence de problèmes notamment d’ordre relationnel, isolement lié à la position, etc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseigner-en-france-en-espagne-au-royaume-uni-un-bien-etre-professionnel-qui-se-degrade-214778">Enseigner en France, en Espagne, au Royaume-Uni : un bien-être professionnel qui se dégrade ?</a>
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<p>La pandémie Covid-19, en plaçant les personnels de direction en première ligne dans l’organisation aussi bien des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/24/nos-ecoles-continuent-de-tourner-le-quotidien-des-chefs-d-etablissement-pendant-le-confinement_6034173_3224.html">périodes d’école à la maison</a> que de retour sur site, a encore renforcé les défis du métier. Mais alors, en 2023, quels sont les facteurs de <a href="https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%208002">risques psychosociaux</a> auxquels sont soumis ces personnels et comment vont-ils au décours de la crise sanitaire ?</p>
<h2>Des risques psychosociaux bien présents</h2>
<p>Les personnels de direction des établissements d’enseignement qui ont participé au baromètre I-BEST 2023 exerçaient presque tous dans l’enseignement public. Dans l’échantillon français, 80 % y exerçaient dans le premier degré. Dans les échantillons espagnol et argentin, les personnels de direction du second degré (cheffes et chefs d’établissement) étaient un peu plus représentés : 51 % et 35 % des échantillons respectivement.</p>
<p>Au regard des sex-ratios des échantillons de répondants, le métier de personnel de direction des établissements d’enseignement dans ces 3 pays apparaît largement féminisé avec plus de deux tiers de femmes, et même près de 9 sur 10 en Argentine. On remarque tout de même que la présence masculine augmente avec le niveau d’enseignement.</p>
<p>Constat partagé par les personnels de direction des trois pays enquêtés : le volume de travail est important et le stress omniprésent. Au moins deux tiers des personnels de direction qualifient d’assez ou de très stressant leur métier (respectivement 86 % en France, 78 % en Espagne et 67 % en Argentine) et ce ressenti est significativement moins favorable que celui de leurs collègues enseignants (73 % des enseignants en France, 65 % en Espagne et 46 % en Argentine).</p>
<p>En moyenne, un personnel de direction travaille plus de 40 heures par semaine, de l’ordre d’une cinquantaine d’heures hebdomadaire en France dans le second degré par exemple. D’ailleurs, le sentiment de déséquilibre vie professionnelle/personnelle est largement répandu pour ces personnels (Figure 1).</p>
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<p>Si les facteurs d’intensité du travail sont bien présents dans le métier, les personnels de direction semblent a contrario bénéficier d’une bonne autonomie de travail, avec une très large majorité des répondants qui la qualifie de « bonne » ou du moins de « relative ». En France tout de même, 1 personnel de direction sur 6 considère avoir peu ou pas d’autonomie au travail et la fréquence de cette opinion négative contraste défavorablement avec celle de leurs collègues enseignants (Figure 1).</p>
<p>Plus préoccupant : l’exposition des personnels de direction des établissements d’enseignement à la violence professionnelle. En France, 1 personnel de direction sur 2 a été victime de violence au travail dans les 12 derniers mois, là où 1 enseignant sur 3 déclarait déjà avoir été victime. Pour les personnels de direction en Espagne et Argentine, la violence au travail semble moins courante qu’en France, et à peu près aussi fréquente que celle rapportée par les personnels enseignants de ces pays, mais reste non négligeable : 18 % de personnels de direction victimes dans l’année écoulée en Espagne et 26 % en Argentine (Figure 1).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bien-etre-des-enseignants-apres-la-pandemie-une-eclaircie-tout-depend-du-pays-219529">Bien-être des enseignants : après la pandémie, une éclaircie ? Tout dépend du pays</a>
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<p>Toutefois, lorsqu’elles sont considérées « en général », les relations qu’entretiennent les personnels de direction avec les différents membres de la communauté éducative sont évaluées très positivement, et cette opinion tend à être meilleure que celle exprimée par leurs collègues enseignants. Ainsi, le taux de satisfaction des personnels de direction est presque de 100 % concernant la relation avec les élèves et dépasse 90 % pour la relation avec les parents et les autres membres du personnel respectivement. La relation avec la ligne hiérarchique prête à un peu plus de réserve, en particulier en France. Les personnels de direction apparaissent y plébisciter un meilleur soutien de la part des supérieurs, y compris sur les questions de qualité de vie au travail.</p>
<h2>Selon le pays, un bien-être contrasté</h2>
<p>Concernant les aspects motivationnels tels que les possibilités de formation, les opportunités de carrière et le niveau de salaire, l’avis des personnels de direction apparaît assez favorable en Argentine, intermédiaire en Espagne et plus négatif en France (Figure 3). Comparés aux enseignants, les personnels de direction semblent un peu plus satisfaits de leurs opportunités de carrière et de leur salaire.</p>
<p>Si, dans les trois pays, une grande majorité des personnels de direction considèrent que leur métier n’est pas valorisé dans la société (93 % en France, 81 % en Espagne, 71 % en Argentine), cette opinion négative des personnels de direction reste toutefois légèrement moins répandue que parmi leurs collègues enseignants.</p>
<p>Qu’en est-il globalement de la satisfaction au travail des personnels de direction ? En Espagne et en Argentine, elle se maintient, avec plus de 7 personnels de direction sur 10 qui choisiraient le métier si c’était à refaire. En France, avec seulement la moitié des personnels qui choisiraient de nouveau ce métier, la satisfaction apparaît entamée.</p>
<p>En cohérence, les indicateurs de bien-être généraux des personnels de direction indiquent une situation préoccupante en France, intermédiaire en Espagne et plus favorable en Argentine, que l’on s’intéresse au bien-être subjectif, ou encore à la santé mentale.</p>
<p>Notamment, le bien-être subjectif des personnels de direction apparait particulièrement fragilisé en France, avec au moins un personnel sur 2 qui se situe sur la partie inférieure d’une échelle à 8 degrés (Figure 4). La santé psychologique est non seulement préoccupante en France, mais aussi en Espagne, avec plus de 4 personnels de direction sur 10 qui ressentent souvent, très souvent ou toujours, des sentiments négatifs tels que l’anxiété ou la dépression dans ces deux pays (Figure 4).</p>
<p>Au final, dans trois pays aux conjonctures, cultures et systèmes éducatifs divers, les personnels de direction apparaissent exposés à des risques psychosociaux significatifs. Le bien-être subjectif des personnels de direction est néanmoins plus contrasté selon le pays. En décrivant ces situations à partir de données récentes, I-BEST contribue à identifier des voies d’améliorations tenant compte de la réalité du terrain. En particulier, les facteurs et organisations dans les pays où les indicateurs de bien-être sont les plus favorables représentent autant de <a href="https://www.cnesco.fr/le-bien-etre-a-lecole/">pistes à considérer</a> pour les pays où de fortes marges de progression existent.</p>
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<p><em>Remerciement : le Réseau Éducation et Solidarité et tous ses partenaires pour la mise en œuvre d’I-BEST ; Nathalie Billaudeau pour les statistiques et les figures ; Nathalie Billaudeau, Pascale Lapie-Legouis, Karim Ould-Kaci, Ange-Andréa Lopoa et Morgane Richard pour la relecture de l’article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Noël Vercambre-Jacquot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En première ligne pendant la pandémie de Covid, les personnels de direction ont vu les défis de leur métier se renforcer. Le baromètre I-BEST a évalué leur bien-être aujourd’hui.Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation d'entreprise pour la santé publiqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179432024-02-14T14:32:22Z2024-02-14T14:32:22ZL’échec scolaire : histoire et invention d’une notion<p>L’école française est réputée, du moins dans une partie non négligeable des représentations publiques et politiques, être enferrée dans une crise multiforme. À la faveur de ces constats, l’attention s’est focalisée sur « l’échec scolaire », les « décrocheurs » et les résultats moyens des élèves français dans les classements internationaux (PISA).</p>
<p>Ce contexte de compétition scolaire accrue se traduit, aux yeux de plusieurs observateurs, par une injonction toujours plus pressante à <a href="https://www.cairn.info/a-l-ecole-des-competences--9782707175410.htm">fabriquer des élèves et un système éducatif performants</a>. Une telle évolution semble relever du paradoxe pour une institution censée être le socle du modèle républicain et de ses valeurs.</p>
<p>En effet, en France, comme dans de nombreux autres pays, c’est dans les années 1960-1970 – soit au moment où sont perçus les premiers effets des politiques de massification scolaire – que les thèmes de <a href="https://www.pug.fr/produit/1751/9782706145605/refus-et-refuses-d-ecole">l’échec scolaire</a> et de la crise sont mis sur le devant de la scène éducative, médiatique et politique. Que signifie ce changement historique ?</p>
<h2>Avant les années 1950, un échec scolaire fréquent mais invisible</h2>
<p><a href="https://www-cairn-info.merlin.u-picardie.fr/l-echec-scolaire--9782130483618.htm">La notion d’échec scolaire est relativement récente</a>. L’expression apparaît en effet dans les années 1960. Est-ce à dire qu’il est absent des expériences scolaires d’avant-1945 ? Assurément, non. En réalité, la question ne se pose pas exactement en ces termes avant le milieu du XX<sup>e</sup> siècle, mais renvoie à différentes situations dans un système d’enseignement qui reste organisé selon une division et une ségrégation en deux « ordres » (primaire et secondaire) fondées sur l’appartenance sociale.</p>
<p>Dans l’enseignement secondaire (composé de lycées d’État et de collèges municipaux qui ont leurs propres classes élémentaires), les échecs de certains enfants issus de milieux aisés sont considérés comme « paradoxaux » dans une <a href="https://www.persee.fr/doc/diver_0335-0894_1996_num_104_1_7053">population scolaire normalement destinée à des études longues</a>, comme l’a montré dès 1985 Viviane Isambert-Jamati, et à non des scolarités courtes, caractéristiques des jeunes des milieux populaires.</p>
<p>En effet, « l’école du peuple », gratuite (1881), ne permet qu’aux élèves ayant un bon niveau scolaire d’obtenir le fameux certificat d’études (une minorité d’élèves : moins d’un tiers à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle) et de poursuivre leurs études au-delà de l’obligation scolaire, dans les établissements de l’enseignement primaire supérieur. Les autres, c’est-à-dire la plupart des enfants issus de milieux ouvriers et paysans, rejoignent l’usine ou la ferme à l’âge de 13 ans.</p>
<p>Ces sorties du système scolaire ne sont cependant pas perçues comme un échec dans les classes populaires : elles ne posaient pas problème, elles étaient légitimes pédagogiquement, socialement, politiquement et culturellement, résume <a href="https://www.cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2008-2-page-229.htm">Jean Houssaye</a>. Tout au plus pouvaient-elles être vécues comme des ambitions déçues.</p>
<p>D’autre part, le modèle scolaire républicain généralise la pratique du redoublement dans l’enseignement primaire. Ainsi, en 1888, seulement 30 % des élèves réalisent le cursus prévu sans redoubler ! Son usage, d’abord massif puis atténué, a pour effet une <a href="https://books.openedition.org/pur/50117">répartition inégale des effectifs</a> et des classes où l’âge des élèves est très variable.</p>
<p>Une part non négligeable de ces élèves en difficulté pratiquent « l’école buissonnière ». L’absentéisme se maintient à des niveaux élevés. Il peut par exemple atteindre <a href="https://books.openedition.org/pur/50117">20 % dans les cours élémentaires des quartiers ouvriers de Paris et sa banlieue</a>. De plus, une partie des enfants de 6 à 13 ans ne sont inscrits dans aucun établissement scolaire. Mais le sort de ces enfants intéresse peu…</p>
<h2>La psychologie de l’enfance s’empare du sujet</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-5-page-14.htm?ref=doi">La situation des élèves « en retard »</a> préoccupe en revanche les milieux politiques, pédagogiques et médicaux, mais tardivement. Pour les désigner est employée une multitude de catégories aux contours flous : « retardés », « cancres », « arriérés », « débiles », « idiots », « crétins », « inadaptés », « déficients »… Des recherches médicales tentent d’en expliquer les causes et donnent lieu à la publication de multiples <a href="https://sante.gouv.fr/fichiers/numerisations/CCHP_TOME2_1873_T.pdf">rapports</a>.</p>
<p>Au tournant du siècle, la psychologie de l’enfance naissante cherche également à évaluer, mesurer ces retards et imaginer les structures capables de prendre en charge les « enfants anormaux » selon l’expression du moment, qui englobe par ailleurs les cas d’élèves présentant un handicap.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/intelligent-vraiment-une-breve-histoire-des-tests-de-qi-49518">Intelligent, vraiment ? Une brève histoire des tests de QI</a>
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<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/test_de_Binet-Simon/183418">Alfred Binet et Théodore Simon</a> mettent ainsi au point un outil permettant de repérer les enfants susceptibles de rencontrer les plus grandes difficultés scolaires : il s’agit d’une échelle psychométrique (dite d’intelligence) qui a pour but un diagnostic « d’arriération » en comparant les performances de l’enfant à celles de sa classe d’âge (vulgarisé plus tard sous le sigle « QI »). Ils sont par ailleurs membres de la commission interministérielle (1904-1905) chargée d’étudier l’application de l’obligation scolaire aux enfants anormaux.</p>
<p>Cette obligation débouche sur la loi du 15 avril 1909 créant des écoles et des classes de perfectionnement pour les enfants dits arriérés, qui sont la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1992_num_100_1_2509_t1_0140_0000_2">préfiguration de l’éducation spécialisée</a>.</p>
<h2>Dans les années 1960, l’échec scolaire devient un problème social et politique</h2>
<p>Pourquoi des enfants réussissent-ils globalement moins que d’autres à l’école ? Dans les années 1960, la <a href="https://theconversation.com/les-heritiers-ce-que-bourdieu-et-passeron-nous-ont-appris-de-linegalite-des-chances-177185">sociologie française de l’éducation</a> répond à cette question en montrant le rôle de l’école et de la culture scolaire dans la reproduction du modèle des catégories socialement favorisées et donc des inégalités sociales. Comme le rappelle l’historien <a href="https://journals.openedition.org/histoire-education/4206">Jean-François Condette</a> :</p>
<blockquote>
<p>« l’échec scolaire n’est longtemps vu qu’en terme individualiste et clinique, comme l’échec d’un enfant dans sa scolarité pour des raisons personnelles [mais] la question devient, à partir des années 1960, pour certains psychologues et sociologues et un certain nombre de cadres de l’Éducation nationale, un problème social concernant le mauvais fonctionnement du système scolaire. »</p>
</blockquote>
<p>Celui-ci est alors en pleine transformation : les réformes de 1959 et 1963 prolongent la scolarité obligatoire à 16 ans et jettent les bases du collège unique (1975), tandis que le discours public insiste sur le rôle primordial de la scolarisation dans le développement économique et technique futur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/estime-de-soi-et-difficultes-scolaires-un-cercle-vicieux-161384">Estime de soi et difficultés scolaires, un cercle vicieux ?</a>
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<p>L’émergence de la notion d’échec scolaire est en effet concomitante de la croissance des effectifs dans le premier cycle du second degré (massification) et de son ouverture à un public plus large sociologiquement (démocratisation), à un moment où la statistique fournit une grille de lecture de ces processus.</p>
<p>À partir de 1957, le service statistique du ministère de l’Éducation nationale s’intéresse par exemple au milieu social des collégiens (recours à la classification par CSP de l’Insee construite pour le recensement de 1954) et croise cet indicateur avec d’autres variables : le niveau scolaire et l’âge notamment. Le retard scolaire devient donc mesurable.</p>
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<p>C’est alors que naît l’échec scolaire comme problème public, à partir du moment où l’entrée en classe de 6<sup>e</sup> et la poursuite d’études au collège deviennent la norme. L’entrée en scène des sociologues (comme <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1963_num_18_1_10410">Alain Girard</a>) permet de mettre en avant l’influence du milieu social sur l’échec scolaire (ou plutôt la réussite qui devient désormais la finalité des scolarisations) mais aussi le fait que d’excellents élèves ne poursuivent pas d’études.</p>
<p>Le poids des inégalités territoriales est alors largement sous-estimé bien que les études ministérielles mettent au jour des variations départementales dans l’accès aux études prolongées et des départements en « retard » ou scolairement « sous-développés ».</p>
<p>La notion d’échec scolaire s’étend ensuite à d’autres niveaux du système scolaire, à mesure de la massification du lycée dans les années 1980 puis dans l’enseignement supérieur massifié dans les années 1990-2000 dans le contexte de la montée du chômage et de la peur de l’exclusion sociale. L’abandon de l’école en cours de cursus et les sorties sans diplôme du système scolaire <a href="https://journals.openedition.org/lectures/242">deviennent alors un problème public et institutionnel</a>.</p>
<h2>Vers la mise en place de politiques publiques</h2>
<p>Il est aussi devenu une catégorie de l’action publique selon <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2015-1-page-34.htm">Pierre-Yves Bernard</a> : l’institution scolaire prend en charge, par diverses politiques (dont l’éducation prioritaire) et de multiples <a href="https://eduscol.education.fr/1613/prise-en-charge-des-jeunes-en-situation-de-decrochage-scolaire">dispositifs</a> ou structures (comme les micro-lycées) les jeunes en <a href="https://www.education.gouv.fr/la-lutte-contre-le-decrochage-scolaire-7214">situation de décrochage scolaire</a>, parce qu’elle pose à moyen terme la question de leur insertion professionnelle et sociale.</p>
<p>Si l’échec puis le décrochage scolaire sont révélateurs de l’importance prise par le diplôme et la qualification, la massification a eu pour première conséquence une certaine dévalorisation des diplômes dans la mesure où le bénéfice retiré de leur obtention diminue. C’est le cas du baccalauréat en particulier.</p>
<p>Deuxièmement, la démocratisation a pour effet pervers de déplacer les inégalités et les échecs scolaires au lieu de les supprimer, comme l’a montré l’historien <a href="https://www.cairn.info/l-enseignement-s-est-il-democratise--9782130444176.htm">Antoine Prost</a>. Ainsi, dans les années 1960,pour les « mauvais » élèves qui demeuraient auparavant dans les classes de fin d’études primaires (après le cours moyen) sont créées des classes de 6<sup>e</sup> de transition puis des classes de 4<sup>e</sup> pratiques confiées à des instituteurs spécialisés. Après la mise en place du collège unique, les classes préprofessionnelles de niveau (CPPN) remplacent les classes pratiques et accueillent des élèves en échec scolaire se destinant à l’apprentissage ou l’enseignement professionnel dans des filières socialement dévalorisées.</p>
<p>L’histoire de ces élèves en échec scolaire n’est donc pas seulement l’histoire de ceux qui décrochent de l’école. Elle est aussi celle de l’école qui marginalise certains types d’élèves : les <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/livre-france/20221029-les-d%C3%A9croch%C3%A9s-de-rachid-zerrouki">« décrochés »</a> (SEGPA), <a href="https://www.cairn.info/refus-et-refuses-d-ecole--9782706145605.htm">« refusés »</a> d’école ou <a href="https://www.cairn.info/ameliorer-l-ecole--9782130555599-page-37.htm">« vaincus de la compétition scolaire »</a>.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://www.persee.fr/doc/diver_0335-0894_1996_num_104_1_7051">l’échec scolaire est très variable selon le moment historique où il est considéré</a>. La large diffusion de la notion est moins un symptôme d’une crise de l’école qu’un reflet des attentes grandissantes de l’école vis-à-vis des élèves et de la société vis-à-vis de son école (dont les finalités ont changé). Elle tient finalement à un improbable lien de cause à effet : plus le niveau d’études et de qualification d’une population augmente, plus l’échec scolaire progresse…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Cahon a reçu des financements de la région Hauts-de-France et du Fonds européen de développement régional (FEDER) dans le cadre d'une recherche collective intitulée « Picardie-REUssite-éducatiVE » (PREUVE, 2015-2019).
</span></em></p>Si l’échec scolaire est une réalité de longue date, sa prise en considération est assez récente. Retour sur l’histoire d’une notion qui interroge les liens entre la société et son école.Julien Cahon, Professeur des universités, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207332024-01-16T16:20:42Z2024-01-16T16:20:42ZUne école en « transition numérique », vraiment ?<p>Lorsqu’elle augmente brusquement, la fréquence d’utilisation de certains termes dans les discours politiques et institutionnels constitue une alerte significative pour identifier des prêts-à-penser et une invitation à les déconstruire.</p>
<p>Le numérique scolaire n’échappe pas à ces « buzzwords » et l’on se souvient pêle-mêle de l’enseignement assisté par ordinateur, de l’interactivité et de l’e-learning des années 1980. Puis, dans les années 2000, on a plutôt parlé de numérique, plus récemment de l’hybridation. Aujourd’hui, ce sont <a href="https://theconversation.com/fr/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">l’intelligence artificielle</a> et la réalité virtuelle qui sont sur le devant de la scène.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-pourquoi-le-numerique-doit-sapprendre-a-lecole-149801">Débat : Pourquoi le numérique doit s’apprendre à l’école</a>
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<p>Deux expressions ont acquis ces dernières années une place de choix dans le lexique des politiques publiques de l’éducation comme dans celui de tous les acteurs de l’éducation : <a href="https://theconversation.com/fr/topics/transition-numerique-27801">« transition numérique »</a> et « écosystèmes d’innovation », les deux étant souvent mobilisés conjointement. Ainsi, les institutions scolaires et universitaires seraient-elles engagées dans une transition numérique s’appuyant largement sur la dynamique d’écosystèmes le plus souvent territorialisés et favorables à l’innovation.</p>
<p>Bien que cette assertion puisse sembler évidente, elle mérite d’être confrontée d’une part à la littérature scientifique et d’autre part aux réalités de terrain. C’est à cette mise en perspective que les différents partenaires du <a href="https://techne.labo.univ-poitiers.fr/gtnum5-reve/">projet REVE</a>, soutenu par la direction du numérique pour l’éducation du ministère de l’Éducation nationale, ont travaillé entre janvier 2021 et décembre 2023. Et c’est en grande partie sur la base de leurs travaux que cet article a été rédigé.</p>
<h2>Transition numérique de l’école : fixer des objectifs clairs</h2>
<p>D’un point de vue conceptuel, la mobilisation de l’expression « transition numérique » est moins simple qu’il n’y paraît à la première lecture. Si l’on en reste à une définition classique, la transition est un processus, plus ou moins continu, qui caractérise l’évolution d’un système entre deux états stables.</p>
<p>Pourtant, s’agissant de l’évolution des institutions éducatives en lien avec le numérique, il semble aujourd’hui bien difficile d’identifier ce que pourrait ou devrait être l’état stable auquel parvenir, ni à quelle échéance, en encore moins la trajectoire pour y parvenir. Sans cet horizon, la transition change de nature.</p>
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<figcaption><span class="caption">Interview de Claudio Cimelli, directeur du Numéri’Lab, sur la place de l’intelligence artificielle à l’école (Éducation France, 2018).</span></figcaption>
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<p>On peut formuler l’hypothèse que le recours au concept de transition témoigne alors davantage d’une idéologie latente qui légitime l’accroissement continu des usages et des enjeux du numérique dans les champs de l’éducation et de la formation, sans pour autant être en mesure de l’inscrire dans des transformations aux finalités explicites.</p>
<p>On peut aussi fléchir le concept de transition pour l’envisager soit de façon rétrospective où la transition permet d’appréhender le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui, soit de façon prospective où le principe et le projet de changement font office d’horizon. On peut aussi y lire un souhait de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/resilience-22971">résilience</a>, la transition étant alors le processus permanent d’adaptation aux évolutions de contexte et à leurs contraintes.</p>
<p>Le principal enseignement de cette approche conceptuelle est sans doute qu’il convient de construire un horizon ou, a minima, une finalité à cette transition annoncée. Cela permettrait notamment aux acteurs de terrain, et en particulier aux enseignantes et enseignants, de donner du sens à leurs pratiques et d’inclure leurs choix pédagogiques dans une dynamique d’ensemble.</p>
<h2>Dans le numérique éducatif, des acteurs interdépendants, entre concurrence et coopération</h2>
<p>Le concept d’écosystème caractérise tout système stable constitué d’êtres vivants qui vivent en interaction dans un milieu spécifique (biotope). Il est souvent mobilisé de façon métaphorique pour désigner l’ensemble des organisations humaines agissant dans le même secteur d’activité ou un même environnement physique et partageant des infrastructures et des services, comme c’est le cas pour le numérique scolaire.</p>
<p>Ce concept est utile à l’analyse de ce qui se joue dans la transition numérique des institutions éducatives mais aussi à la conduite de cette transition. La cartographie des acteurs de l’écosystème (à ses différentes échelles territoriales) est importante. Elle permet de vérifier si toutes les compétences sont bien réunies, disponibles et mobilisées.</p>
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<figcaption><span class="caption">Edtech : un secteur comme les autres ? (Anne-Charlotte Monneret, directrice générale d’Edtech France, sur SQOOL TV, 2022)</span></figcaption>
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<p>Pour autant, c’est dans la dynamique des interactions entre les acteurs que tout se joue. On cite la collaboration et la coopération entre acteurs, souvent dans le cadre de projets au sein de partenariats privilégiés, comme un apport majeur à l’appropriation scolaire efficace des techniques numériques. La recherche scientifique montre pourtant que ces processus, souvent vertueux (pas systématiquement), ne s’enclenchent pas spontanément.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-lecole-apprendre-a-evaluer-linformation-dans-un-monde-numerique-215279">À l’école, apprendre à évaluer l’information dans un monde numérique</a>
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<p>On retrouve par ailleurs dans la sphère du numérique éducatif d’autres types d’interactions typiques des écosystèmes comme la symbiose, la compétition, la prédation ou le parasitisme dont la valeur peut être parfois positive et parfois négative. Chacun pourra trouver aisément des exemples…</p>
<p>Comme la transition, l’écosystème peut être considéré comme une métaphore opérante pour ce qui concerne le numérique scolaire. Elle rappelle aussi bien l’interdépendance des acteurs concernés que la nécessité d’en organiser les composantes et d’en soutenir la dynamique.</p>
<h2>Quatre conditions pour soutenir la dynamique des écosystèmes</h2>
<p>Dans le cadre du <a href="https://techne.labo.univ-poitiers.fr/wp-content/uploads/sites/63/2020/09/GTnum_Techne_REVE_portfolio_Dec2023.pdf">projet REVE</a>, plusieurs études de cas (des projets de terrain), deux enquêtes et de nombreux entretiens individuels et groupés avec tous les types d’acteurs du numérique scolaire (élèves, enseignants, cadres du système éducatif, cadres des collectivités territoriales, entrepreneurs du secteur EdTech…), confirment que les concepts de transitions et d’écosystèmes peuvent être mobilisés pour décrire et analyser les usages des techniques numériques à l’œuvre à l’école.</p>
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<p>Via l’analyse de l’expression que les acteurs de terrain proposent de leur expérience et de leurs attentes, ces travaux suggèrent des conditions qui pourraient permettre aux écosystèmes du numérique scolaire de favoriser les processus d’invention et d’innovation. Quatre apparaissent pratiquement systématiquement et répondent directement aux apports de l’analyse des concepts de transition et d’écosystème.</p>
<ul>
<li><p>Massivement citée, on retient en premier lieu l’aspiration de toutes et tous à <strong>plus de stabilité des politiques publiques</strong>, afin de pouvoir disposer du temps indispensable à la construction de projets et à l’installation de nouvelles pratiques.</p></li>
<li><p>Vient ensuite l’épineuse question de <strong>l’information</strong>. Beaucoup des enseignants rencontrés, par exemple, expriment leur méconnaissance – voire leur incompréhension – des attentes de l’institution quant aux usages qu’ils peuvent ou doivent faire des techniques numériques. Nombreux également sont les acteurs des écosystèmes qui ignorent l’existence des autres, leur rôle et leurs apports potentiels.</p></li>
<li><p>La connaissance de l’écosystème ne suffit pas, encore faut-il disposer des compétences qui permettront de l’activer, le plus souvent au travers de projets. Une formation de tous aux méthodes et outils de <strong>l’ingénierie de projet</strong> apparaît légitimement à beaucoup comme une nécessité, d’autant plus que bien des réalisations de terrain sont subordonnées au succès de réponses à des appels à projets compétitifs.</p></li>
</ul>
<p>Enfin, la transition numérique de l’école, faite par essence de changements, repose sur des initiatives des acteurs de l’écosystème. Cela suppose <strong>une définition claire du cadre d’action de chacun</strong> et du respect de ces prérogatives, avec une solidarité systémique face aux réussites comme aux échecs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220733/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pour les travaux de recherche ayant permis la rédaction de cet article, l'unité de recherche Techné (UR-20297) au sein de laquelle travaille Jean-François Cerisier a reçu des financements du ministère de l'Éducation nationale. </span></em></p>On parle souvent de transition numérique de l’école. Mais les objectifs à atteindre sont-ils clairement définis ? Et qu’en est-il du cadre d’action de chacun ?Jean-François Cerisier, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202472024-01-08T16:57:47Z2024-01-08T16:57:47ZDerrière le choix d’une école privée, des ambitions parentales à long terme<p><em>En France, l’enseignement catholique représente 96 % des élèves scolarisés dans des établissements privés sous contrat. Ce secteur prend en charge 17,6 % des élèves du primaire et du secondaire, et accueille deux enfants sur cinq au cours de leur scolarité. Largement fréquenté par les enfants des classes supérieures, ce système d’enseignement constitue l’un des principaux canaux de formation des élites.</em></p>
<p><em>Dans son ouvrage <a href="https://www.puf.com/lecole-primaire-catholique">« À l’école primaire catholique. Une éducation bien ordonnée »</a> publié en octobre 2023 aux PUF, Emilie Grisez se penche sur les dispositifs éducatifs qui y sont déployés et montre comment ils favorisent l’acquisition précoce de compétences socialement valorisées. Voici un extrait de cette enquête ethnographique qui s’arrête sur les attentes des familles.</em></p>
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<p><a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01521701/">Les parents articulent différentes temporalités</a> de façon à concilier une grande ambition scolaire et sociale pour leurs enfants et un idéal expressif qui vise à leur bonheur au temps présent. Si ces préoccupations peuvent entrer en tension, elles ne sont pas incompatibles : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-enfant-et-la-vie-familiale-sous-l-ancien-regime-philippe-aries/9782020026765">l’enfant peut être à la fois objet d’affection et d’ambition</a>. Dans ces familles imprégnées de l’ethos managérial, elles prennent une tournure particulière : l’ambition va de pair avec une gestion de l’enfant comme projet, tandis que l’épanouissement est à la fois une fin en soi et un moyen de développer des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/soft-skills-62725"><em>soft skills</em></a> valorisables sur le marché scolaire et du travail.</p>
<h2>Penser le temps long : éduquer ses enfants comme on gère un projet</h2>
<p>Les parents de l’école ont en commun de nourrir de grandes ambitions scolaires et sociales pour leurs enfants, pensées sur le long terme. Nombreux sont ceux qui anticipent d’ores et déjà les <a href="https://theconversation.com/classes-prepas-un-modele-bouleverse-par-la-crise-du-Covid-19-140000">classes préparatoires</a>, voire les responsabilités que leurs enfants pourraient être amenés à assumer dans leurs futurs emplois. Pour que ces ambitions aient une chance de s’accomplir, ils déploient un dispositif de socialisation précoce et complexe. Les normes de management infusent leur style éducatif : beaucoup voient leur enfant comme un projet qu’il s’agit de gérer au mieux. Les dispositions et les logiques du monde de l’entreprise qu’ils importent au domicile s’illustrent notamment dans le vocabulaire qu’ils emploient pour décrire leurs pratiques éducatives. Les mots « investissement » ou « plus‑value » sont fréquemment utilisés, tandis que les personnes qui les entourent peuvent être pensées en termes de « valeur ajoutée » pour l’enfant :</p>
<blockquote>
<p>« Mes parents, ils emmènent beaucoup mes enfants au musée, ce genre de truc, alors que mes beaux‑parents je crois qu’ils sont jamais allés dans un musée ! Donc j’essaie de dire aux enfants que chacun a une valeur ajoutée, et que tout le monde n’apporte pas la même chose quoi. » (Mme Delaunay)</p>
</blockquote>
<p>Pour gérer le temps long sur lequel se déploie le projet éducatif, les parents adaptent leurs stratégies à l’âge des enfants. M. Duval explique : « Elles vont être longues les études, je pense qu’on va avoir le temps de le pousser plus tard. Je pense qu’il faut qu’il en garde sous le pied, parce que si on commence à lui mettre la pression maintenant… » De même, M. de Langlois considère que l’ampleur de la pression et de l’investissement scolaires doit être modulée de façon à maximiser la réussite sociale :</p>
<blockquote>
<p>« C’est bien de faire travailler les enfants, mais l’académique, c’est une partie de la vie. Après dans la vie ce qui compte, c’est le charisme qu’on a, entraîner les autres, avoir l’envie d’entreprendre… Si on est épuisé parce qu’on a fait des études académiques trop prenantes, on arrive épuisé à 25 ans. Donc il faut apprendre, il faut avoir ce goût de l’effort, mais il faut pas que les gens soient en tension permanente.> » (M. de Langlois)</p>
</blockquote>
<p>Ce souci pour la préservation d’un certain bien‑être de l’enfant en début de scolarité sert ainsi des fins instrumentales : il s’agit de faire en sorte qu’il puisse <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01521701/">supporter la contrainte d’une scolarité longue</a> et de plus en plus exigeante, mais également de ne pas épuiser trop tôt son « potentiel ». Bien qu’ils dosent le degré de pression, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">ces parents maintiennent un niveau d’exigence</a> sans commune mesure avec celui qui prévaut dans d’autres milieux sociaux : leurs exigences professionnelles sont transformées très tôt en exigences scolaires, et ils présentent à leurs enfants l’école comme un enjeu de reconnaissance au sein de la famille. La très grande majorité explique porter attention aux résultats scolaires et assurer une forme de suivi pour faire preuve de leur intérêt. Ainsi, M. de Langlois se rend disponible quotidiennement pour aider sa fille à faire ses devoirs, tandis que son épouse assure le week‑end « la récitation d’une poésie ou d’une leçon […] pour montrer qu’elle aussi ça l’intéresse ».</p>
<p>Toutefois, du fait de leur emploi du temps très chargé, les parents sont contraints de déléguer une partie des tâches éducatives et de <em>care</em> (gestion, soin, attention portée aux enfants). Ils les « externalisent » en direction de nounous et de baby‑sitters : 53 des 87 enfants de CP et CM2 ayant répondu au questionnaire indiquent en avoir une. Les parents paient également des cours particuliers afin d’assurer une partie de la transmission du capital culturel qu’ils ne peuvent prendre en charge eux‑mêmes. Plus directement, l’inscription des enfants dans un établissement catholique revient à acheter un « filet de sécurité » limitant les <a href="https://www.jstor.org/stable/20110297">risques en matière de scolarisation et de socialisation</a>. Par le recours à des services privés, les parents mobilisent donc activement leurs ressources économiques au profit de la <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03571813">réussite scolaire et sociale de leurs enfants</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lycees-le-clivage-public-prive-au-coeur-de-la-segregation-scolaire-215638">Lycées : le clivage public/privé, au cœur de la ségrégation scolaire</a>
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<p>Le projet éducatif de long terme passe également par une structuration et une maximisation du temps libre des enfants. Conformément aux <a href="https://journals.openedition.org/cdg/2421">résultats de précédentes études</a>, ces parents des classes supérieures prennent soin de les stimuler en <a href="https://www.cairn.info/choisir-son-ecole--9782130558163.htm">les inscrivant à une multitude d’activités extrascolaires</a>. D’après le questionnaire, les élèves de CM2 effectuent en moyenne près de trois activités par semaine, un chiffre pouvant s’élever à six ou sept. Cet usage du temps extrascolaire, dense et de qualité, participe de la construction des inégalités sociales dans l’enfance : ces activités étendent la forme scolaire en dehors du temps de classe et s’inscrivent dans un <a href="https://www.cairn.info/la-differenciation-sociale-des-enfants--9782379240379-page-165.htm">« continuum éducatif » entre l’école et la vie quotidienne</a>. Elles sont mobilisées par les parents pour <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">construire des dispositions concernant la régularité, la concentration</a>, la discipline, en d’autres termes, l’effort. Au vu de la quantité de loisirs, les enfants sont placés dans une situation où ils doivent apprendre à planifier des activités, à s’organiser et à pratiquer sur eux‑mêmes une forme de contrôle. Cette forte structuration temporelle a toutes les chances de se traduire par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/tableaux-de-familles-heurs-et-malheurs-scolaires-en-milieux-populaires-bernard-lahire/9782020239318">l’incorporation d’un rapport réflexif de maîtrise du temps</a>, qui correspond aux réquisits temporels des établissements et filières d’excellence dans le système d’enseignement.</p>
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<p>Les parents partagent donc un rapport au temps, visant un horizon très lointain. Cela permet, par l’anticipation, de <a href="https://www.jstor.org/stable/24273078">concevoir des projets éducatifs ambitieux</a> qui les <a href="https://www.cairn.info/choisir-son-ecole--9782130558163.htm">distinguent des autres catégories sociales</a>. Leurs <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">« investissements éducatifs »</a>, qui nécessitent un certain niveau de ressources économiques, sont destinés à mettre en place les meilleures conditions de socialisation pour leurs enfants. Toutefois, les parents cherchent à articuler cette ambition avec une deuxième norme : celle de l’épanouissement de l’enfant et la recherche de son bonheur au temps présent.</p>
<h2>Penser le temps présent : le bien-être et les soft skills</h2>
<p>Nous l’avons vu, si les parents ont de grandes ambitions pour leurs enfants, ils ne souhaitent pas les « pousser » pour autant : ils sont pour une large majorité acquis à la norme expressive, qui met le <a href="https://www.cairn.info/choisir-son-ecole--9782130558163.htm">bien‑être de l’enfant et la prise en compte de son point de vue</a> au centre de l’éducation. Ce faisant, ils <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">minimisent leurs ambitions scolaires</a>, ainsi que l’aspect objectivement contraignant de l’encadrement qu’ils fournissent. Mme Delaunay explique :</p>
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<p>« Je m’en fous que mes enfants réussissent, moi je veux qu’ils soient heureux, qu’ils soient bien dans leurs baskets, que ce qu’ils font ça les épanouisse ! Et c’est ça la réussite pour moi ! »</p>
</blockquote>
<p>Néanmoins, le bien‑être n’a pas uniquement une valeur intrinsèque, il est aussi doté d’une valeur sur le marché scolaire et du travail. À travers leur épanouissement, les parents souhaitent voir se développer chez leurs enfants des <em>soft skills</em>, compétences non scolaires de plus en plus importantes dans les études supérieures et en entreprise : « Le <em>soft</em>, c’est confiance en lui, capacité à aller vers les autres, aisance à l’oral, pas d’inhibition à développer une forme de créativité, etc. » (M. Lejeune). Les ambitions scolaires des parents sont en effet tournées vers de grandes écoles et des établissements prestigieux qui recrutent sur la base de très bonnes notes, mais qui valorisent ce type de compétences souvent dès l’admission, dans les épreuves orales, et de façon plus nette encore au sein des cursus. On peut également voir dans le développement de ces compétences une socialisation anticipatrice au métier de manager, les parents cherchant à doter leurs enfants des atouts nécessaires à leur intégration dans ce milieu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220247/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Émilie Grisez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même au niveau du primaire, le choix d’une école privée peut s’intégrer dans des stratégies parentales visant à transmettre aux enfants le plus tôt possible des compétences socialement valorisées.Émilie Grisez, Doctorante en sociologie à l'Ined et au Centre de recherche sur les inégalités sociales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2194662023-12-14T19:00:57Z2023-12-14T19:00:57ZMaths : la « méthode de Singapour », remède ou mirage ?<p>Mardi 5 décembre 2023, communiquant sur les <a href="https://www.education.gouv.fr/choc-des-savoirs-une-mobilisation-generale-pour-elever-le-niveau-de-notre-ecole-380226">résultats des élèves français à l’enquête internationale PISA</a>, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a proposé de réviser les programmes de primaire pour y adopter progressivement la méthode de Singapour, vue comme un remède au « niveau » jugé trop faible en mathématiques.</p>
<p>L’objectif d’améliorer les performances des élèves français en mathématiques peut-il vraiment être atteint à travers la diffusion de cette méthode ? Pourrait-il en fait se révéler indifférent, voire même contre-productif ?</p>
<h2>Peut-on vraiment parler de méthode de Singapour ?</h2>
<p>Ce qui est nommé Méthode de Singapour renvoie à la fois à une réalité géographique, celle d’une cité-État de 720 km<sup>2</sup>, avec 181 écoles primaires, et à un réalité éducative <a href="https://www.aia.com.sg/en/health-wellness/healthy-living-with-aia/parenting-tips-to-raise-successful-children-life-matters-aia-singapore">imposant une forte pression aux élèves</a>. Dès les années 80, le programme de mathématique de Singapour s’est centré autour de deux éléments : d’une part la résolution de problèmes ; d’autre part une approche résumée par le triptyque « Concret – Imagé – Abstrait » visant à accompagner le passage du concret vers l’abstrait via la manipulation de matériel ou la schématisation.</p>
<p>Au niveau des contenus, le <a href="https://irem.univ-grenoble-alpes.fr/revues/grand-n/consultation/numero-102-grand-n/2-un-apercu-du-curriculum-de-mathematiques-a-singapour--461883.kjsp?RH=1550478380358">programme de mathématiques de Singapour</a> est en fait assez semblable à ceux des autres pays à travers le monde, mais sa particularité est de permettre une certaine flexibilité d’application, grâce à des suggestions proposées aux enseignants pour qu’ils l’adaptent dans leurs classes. Par ailleurs, les enseignants de Singapour sont hautement qualifiés et exercent dans des écoles très bien équipées en ressources pédagogiques.</p>
<p>Le programme de mathématiques de Singapour ne se revendique pas d’une méthode à proprement parler. A notre connaissance, aucune recherche ne donne d’informations précises sur <a href="https://www.copirelem.fr/wordpress/wp-content/uploads/2023/06/ACTES-TOULOUSE-Num-de2s51.pdf">l’étendue des prescriptions institutionnelles, sur les utilisations et les adaptations en classe</a>, et donc sur son efficacité.</p>
<p>Autrement dit, en l’état actuel des études, l’expression « Méthode de Singapour », exportée ou généralisée hors de Singapour, semble être davantage un fétiche verbal qu’une méthode évaluée selon les canons scientifiques.</p>
<h2>Se représenter un problème par des schémas</h2>
<p>Les publications institutionnelles du MENJ retiennent principalement deux éléments : l’approche « Concret-Imagé-Abstrait » et un outil, <a href="https://irem.univ-grenoble-alpes.fr/medias/fichier/108n1_1686591188245-pdf">« le schéma en barres »</a>. Concernant cette approche, elle n’est pas étrangère aux enseignants français qui connaissent bien l’intérêt de passer par la manipulation pour aller vers l’abstraction. L’utilisation de cubes emboîtables pour travailler la numération décimale est, par exemple, assez répandue en France. Néanmoins, cette approche nécessite une grande expertise pour être mise en œuvre efficacement, ce qui est bien le cas à Singapour.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565781/original/file-20231214-19-yme2eg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Deux exemples de schémas en barres (Clivaz et Dindyal, 2023).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’utilisation de <a href="https://irem.univ-grenoble-alpes.fr/medias/fichier/108n1_1686591188245-pdf">schémas barres</a> pour aider les élèves à se représenter un problème arithmétique peut être utile, mais elle ne doit pas <a href="https://publimath.univ-irem.fr/numerisation/PS/IPS19027/IPS19027.pdf">se substituer à la résolution de problèmes en elle-même</a> : il est contreproductif de l’imposer à tous les élèves et peut même s’avérer inapproprié pour les élèves ayant une autre représentation du problème. De plus, tous les problèmes de maths ne se prêtent à l’utilisation de cet outil, notamment s’il faut passer par plusieurs étapes de raisonnement.</p>
<p>Ainsi, si les principaux éléments retenus par le ministère de l’Éducation sont présents dans le programme mathématique de Singapour, d’autres comme la flexibilité dans l’application des recommandations, la qualification des enseignants et l’installation de bonnes conditions d’exercices semblent absents.</p>
<h2>Est-ce avec une « méthode » qu’on se forme ou qu’on enseigne ?</h2>
<p>Suite aux résultats du PISA 2022, le ministère de l’Éducation a indiqué tout à la fois sa volonté de co-financer des manuels pour les classes de CP et de CE1, et de diffuser progressivement la « méthode » de Singapour. Mais la question est-elle vraiment de <a href="https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2015/11/Manuels-scolaires.pdf">créer de nouvelles ressources, alors que celles-ci sont foisonnantes</a>, ou de labelliser des manuels ? L’enjeu n’est-il pas plutôt de développer les connaissances nécessaires aux enseignants pour mieux exploiter les moyens à disposition et pour se les approprier ?</p>
<p>Rappelons que certains manuels français existants proposent déjà des dispositifs d’apprentissage de type <a href="https://hal.science/hal-02912823v1">« Problème – compréhension – application »</a>, à l’aide de manipulations de matériel convoquant le jeu, et où le savoir à retenir est explicitement exposé aux élèves. D’ailleurs, l’enjeu n’est pas tant d’avoir recours à du matériel que de s’en servir pour <a href="https://hal.science/hal-02912901v1">problématiser des situations</a>. Pour cela, il faut laisser aux élèves une <a href="https://hal.science/hal-02913567v1">marge d’initiative</a> et la possibilité de se tromper, et non les cantonner à <a href="https://hal.science/hal-01741605">reproduire ce qui leur est montré</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maths-a-lecole-dou-vient-le-probleme-191691">Maths à l’école : d’où vient le problème ?</a>
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<p>C’est la première fois que le ministère de l’Éducation promeut explicitement une méthode d’enseignement ainsi qu’une adaptation des programmes scolaires et la production de manuels pour la déployer. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006525569">La liberté pédagogique de l’enseignant</a> qui s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre sera donc naturellement impactée par l’imposition de cette méthode inscrite dans de nouveaux programmes.</p>
<p>Dans la lettre du ministre adressée aux enseignants, il est précisé que cette méthode, <a href="https://www.copirelem.fr/wordpress/wp-content/uploads/2023/06/ACTES-TOULOUSE-Num-de2s51.pdf">« construite à partir des meilleures inspirations internationales et appliquée par 70 pays, a fait ses preuves »</a>, mais quelles preuves le ministre évoque-t-il ?</p>
<p>Suffit-il d’exporter une méthode d’un pays à un autre pour obtenir les mêmes résultats ? Au Japon, dans la petite ile d’Okinawa, la population a la <a href="https://www.lunion.fr/id412122/article/2022-09-28/pour-vivre-100-ans-adoptez-le-regime-okinawa">plus longue espérance de vie</a> et ses habitants sont parmi les plus nombreux à dépasser les 100 ans. Ils adoptent un régime semi-végétarien, faible en matière grasse. L’importation de ce régime en France permettrait-elle d’augmenter significativement l’espérance de vie des Français ?</p>
<p>Par ailleurs, le programme de mathématiques de Singapour est accompagné d’une formation importante entretenue par une <a href="https://irem.univ-grenoble-alpes.fr/revues/grand-n/consultation/numero-102-grand-n/2-un-apercu-du-curriculum-de-mathematiques-a-singapour--461883.kjsp?RH=1550478380358">formation continue conséquente de 100h par an</a>. En France, la formation initiale des professeurs des écoles est préemptée par la préparation au concours de recrutement des enseignants et la formation continue réduite à 18h par an, partagée entre les deux disciplines principales que sont les Mathématiques et le Français.</p>
<p>La formation des enseignants est pour nous l’élément clé de la réussite des élèves français en mathématiques et c’est elle qu’il faut investir prioritairement. Il s’agit de considérer les enseignants comme des professionnels, donc leur permettre d’enrichir leurs connaissances et compétences afin qu’ils puissent choisir puis adapter les ressources mises à leur disposition pour exercer leur métier. La perspective d’un <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/11/10/recrutement-des-professeurs-le-ministere-devoile-ses-pistes/">déplacement du concours de recrutement des enseignants en fin de Licence</a> donne la possibilité de réorienter les masters Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation vers une formation initiale digne de ce nom, intégrant des dimensions professionnelles et scientifiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-maths-les-evaluations-de-primaire-favorisent-elles-les-inegalites-de-genre-211939">En maths, les évaluations de primaire favorisent-elles les inégalités de genre ?</a>
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<p>Au-delà de la formation, pour que l’enseignement des mathématiques atteigne ses objectifs de plus grande réussite pour tous, il faudrait aussi réaffirmer les objectifs de l’apprentissage des mathématiques non en termes de réussite à des évaluations nationales ou internationales, mais en termes de constructions de connaissances mathématiques ainsi que de démarches et de processus de raisonnements, à des fins citoyennes. Il s’agit aussi d’améliorer les conditions d’exercice en classe afin que chaque enseignant puisse déployer sa palette d’outils professionnels au service de la réussite de tous les élèves.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219466/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Mounier est co-auteur de manuels scolaires, de la collection Haut Les Maths aux éditions Retz</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nathalie Sayac ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour lutter contre la baisse du niveau en maths, le ministre de l’Éducation a proposé de repenser les programmes en s’inspirant de la méthode de Singapour. Mais cette méthode existe-t-elle vraiment ?Nathalie Sayac, Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen NormandieEric Mounier, Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2192422023-12-12T18:48:36Z2023-12-12T18:48:36ZEnquête PISA : derrière la baisse de niveau, une hausse des inégalités scolaires ?<p>PISA (Programme for International Student Assessment) est une enquête internationale sur les compétences des élèves de 15 ans environ, réalisée tous les 3 ans par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). De manière exceptionnelle, la dernière vague du test PISA a été effectuée avec une année de décalage (2022 au lieu de 2021), du fait de la crise sanitaire de 2020.</p>
<p>Parus le 5 décembre 2023, les résultats de cette enquête ont fait grand bruit et suscité de multiples articles sur la <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/classement-pisa-la-france-degringole-plus-que-les-autres-pays-en-maths-2039293">baisse de niveau des élèves français</a>. Faut-il imputer ce déclin à une conjoncture propre à l’Hexagone ? Ou ce fléchissement des compétences concerne-t-il l’ensemble des pays ?</p>
<p>Pour bien situer et comprendre ces résultats, se focaliser uniquement sur les classements publiés pour 2022 s’avère réducteur. Nous en proposons une grille de lecture autour d’un groupe de pays formant un ensemble homogène et similaire à la France, réunissant 18 pays européens, dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Danemark ou la Suède, et trois pays asiatiques, dont le Japon (la liste complète des pays pris en compte figure en note dans le Tableau 1), afin de voir dans quelle mesure la France aurait une performance déviante.</p>
<h2>Une baisse généralisée des performances scolaires dans les pays européens</h2>
<p>De prime abord, il apparaît avec évidence que la performance française chute dans les différents domaines de compétences évalués par PISA. Sur les vingt dernières années, la baisse représente environ <a href="https://www.education.gouv.fr/pisa-programme-international-pour-le-suivi-des-acquis-des-eleves-41558">37 points en mathématiques et 22 points en lecture</a>. Bien que ces diminutions soient conséquentes, il nous semble important de les placer en comparaison avec d’autres pays européens.</p>
<p>Nous constatons ainsi que les écarts de performance entre la France et les principaux pays européens n’ont été significatifs qu’en 2003, et ceci surtout pour les mathématiques. Même si, dans cette dernière édition, la France a des scores moins élevés que les autres pays européens, les écarts ne peuvent pas être considérés comme significatifs, du fait de la marge d’erreur due à l’estimation des scores moyens.</p>
<p>La première conclusion renvoie ainsi à une baisse quasi généralisée de la performance des élèves dans les pays européens. En somme, la baisse observée en France est avant tout la résultante d’un problème structurel, c’est-à-dire évoluant lentement au fil du temps.</p>
<p>Quant à la récente déclaration du ministre de l’Éducation français pour le <a href="https://www.la-croix.com/france/education-en-quoi-consiste-la-methode-de-singapour-que-le-gouvernement-veut-generaliser-20231206">renforcement de l’enseignement des mathématiques en utilisant la méthode de Singapour</a>, elle semble résulter de la performance élevée observée pour certains pays asiatiques. En effet, un quasi-doublement de la différence de performance apparaît très nettement entre la France et l’Asie sur les deux dernières décennies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maths-lecture-le-niveau-des-eleves-baisse-t-il-vraiment-198432">Maths, lecture : le niveau des élèves baisse-t-il vraiment ?</a>
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<p>En termes très concrets, l’équivalent de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0927537123000404">deux années d’acquis scolaires</a> séparent ainsi la France et les pays asiatiques de notre échantillon en mathématiques. En parallèle, c’est pratiquement l’équivalent d’une année d’acquis scolaires de différence en lecture.</p>
<p>Nous constatons ainsi une baisse structurelle de la performance dans les principaux pays européens, tandis que les pays asiatiques maintiennent un écart significatif avec la France, voire même le renforcent depuis l’avènement de l’enquête PISA.</p>
<h2>En France, près de 3 élèves sur 10 n’atteignent pas le seuil minimum de compétences</h2>
<p>Au-delà des scores et d’une analyse de rang, des enquêtes telles que PISA permettent également d’évaluer la part des élèves atteignant un seuil minimum de performance ou encore un stade avancé de performance, ce qui permet de saisir les évolutions à des niveaux différents. Se concentrer sur les seuls scores moyens peut, en effet, cacher des disparités fortes de performance entre élèves d’un même pays.</p>
<p>Qui plus est, il est aisé de définir le seuil minimum de compétences (SMC) comme le niveau 2 de PISA par exemple, où les élèves peuvent réaliser, pour de jeunes adultes, des tâches assez simples dans chacun des domaines de compétences évalués (ce seuil avoisine un score de 400 points). À l’inverse, le seuil avancé de compétences (SAC) renvoie davantage à des aptitudes élevées telles que l’inférence et l’analyse multidimensionnelle (le score minimum à atteindre est autour de 600 points). Alors que le SMC peut être considéré comme un indicateur que nous qualifions ici « d’équité », le SAC renverrait donc davantage à un indicateur de formation que nous appelons ici « d’excellence ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enquetes-internationales-sur-le-niveau-des-eleves-comment-les-interpreter-203795">Enquêtes internationales sur le niveau des élèves : comment les interpréter</a>
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<p>Logiquement, la proportion d’élèves atteignant le seuil minimum dépasse bien évidemment celle du seuil avancé : alors qu’environ 73 % des élèves français atteignent le SMC en français, ils ne sont que 7 % à atteindre le seuil avancé. En d’autres termes, moins d’un élève sur 14 parvient à atteindre le seuil avancé, soit en moyenne 2 élèves par classe. De manière très concrète, là encore, cela signifie qu’environ 3 élèves sur 10 ne parviennent pas à atteindre le seuil minimum de compétences.</p>
<p>Sur ce point, il est intéressant d’observer les tendances dans d’autres pays. Alors que la Finlande faisait figure de modèle dans le test PISA au début du XXI<sup>e</sup> siècle, nous observons une dégradation forte de la performance de ce pays. En 2003, presque la totalité de sa population jeune de 15 ans atteignait le seuil minimum de compétence dans les trois domaines. Deux décennies plus tard, les chiffres diminuent significativement : seuls 75 % des élèves atteignent le seuil minimum en mathématiques en 2022, soit une baisse d’environ 20 %.</p>
<p>À titre de comparaison, la Pologne réussit davantage à faire atteindre le seuil minimum à ses élèves : en mathématiques, près de 77 % des élèves y parviennent contre seulement 71 % pour la France.</p>
<p>Pour illustrer ce propos, nous présentons la trajectoire française, comparée à celle de ses voisins, dans le Tableau 2. Nous notons certes une baisse simultanée de la proportion des jeunes atteignant les deux seuils pour la France, mais elle est similaire pour les autres pays européens.</p>
<p>Quant à la comparaison avec les pays asiatiques, elle nous offre deux observations de taille :</p>
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<li><p>la part des élèves atteignant le seuil avancé de compétences est significativement plus importante dans ces pays, quelle que soit l’année. Ainsi, près d’un élève sur quatre atteint le niveau d’excellence en mathématiques, pour un élève sur dix en lecture ;</p></li>
<li><p>par ailleurs, même si une baisse des proportions aux deux seuils est observée dans ces pays, elle est faible et l’Asie continue à être une zone où les systèmes éducatifs parviennent à faire atteindre à leurs élèves des niveaux d’excellence.</p></li>
</ul>
<h2>Des politiques éducatives à interroger</h2>
<p>Cette analyse des seuils de compétences s’avère particulièrement utile pour questionner l’efficacité d’un système éducatif en termes d’équité et d’excellence. En toute logique, un pays avec un système éducatif efficace devrait être capable de faire atteindre la majorité de sa population au seuil minimum de compétence (au maximum 100 %), sans compromettre les chances de succès des plus performants : nous pouvons supposer, par hypothèse, qu’un système performant est celui où la moitié de la population au moins atteint le niveau avancé.</p>
<p>Il est alors possible de calculer un indice d’efficacité des systèmes éducatifs qui combine ces deux seuils. Forts de cela et pour le cas de la France, nous constatons une double évolution inquiétante : moins d’élèves parviennent à atteindre le seuil minimum de compétences, mais sans observer parallèlement une hausse de ceux qui accèdent à celui de l’excellence. À sa manière, l’observation de cette réalité nous conduit à questionner le maintien des inégalités.</p>
<p>La situation semble d’ailleurs assez critique en mathématiques où la part des élèves atteignant le seuil avancé a été divisée par deux et passe de 15,1 % à 7,4 % des élèves en deux décennies. Cette baisse drastique se retrouve aussi dans d’autres pays, notamment en Finlande, citée précédemment, où elle atteint 15 %. L’efficacité du système éducatif français est ainsi mise à mal, car la France ne parvient ni à diminuer les inégalités ni à élever une partie de sa population au niveau de l’excellence. Son niveau d’efficacité baisse de près de 13,8 % en mathématiques contre 5 % en lecture.</p>
<p>Un résultat plus général et particulièrement évocateur émerge du Tableau 3 : la baisse de l’efficacité est généralisée à toute l’Europe, mais aussi aux pays asiatiques.</p>
<p>Dans cette perspective, quelles conclusions pouvons-nous tirer des résultats de PISA 2022, mais aussi des enquêtes précédentes ? Le premier résultat renvoie, à nos yeux, à l’absence de « choc PISA » dans l’Hexagone durant la décennie passée. La baisse observée récemment découle pourtant de problèmes structurels, qui plus est, elle concerne finalement la plupart des pays européens. Elle ne peut donc pas être traitée de manière hâtive par telle ou telle politique de rapiéçage. Elle demande des changements de politique éducative majeurs, de long terme, qui se comptent en années, voire en décennies.</p>
<p>Quant à la surperformance de certains pays asiatiques, elle devrait alarmer les décideurs politiques français et européens, dans un contexte de <a href="https://www.cae-eco.fr/baisse-de-la-productivite-en-france-echec-en-maths">baisse de la productivité française</a> notamment. Il conviendrait dès lors et plus que jamais sans doute de poursuivre sans relâche les efforts d’anticipation et de dialogue en vue de mieux appréhender l’importance vitale que représente la qualité de l’éducation, sans négliger les dimensions historiques et comparatives inhérentes à <a href="https://rdcu.be/dmIVx">tout système éducatif</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà de la baisse de performances scolaires dans les pays européens, l’enquête internationale PISA révèle qu’un nombre non négligeable d’élèves peinent à atteindre le seuil minimum de compétences.Nadir Altinok, Maître de conférences, UMR BETA, Université de LorraineClaude Diebolt, Directeur de Recherche au CNRS, UMR BETA, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163032023-12-06T17:44:04Z2023-12-06T17:44:04ZPasser au tableau : comment faire de ce rituel scolaire un moyen de réguler ses émotions ?<p>« C’est à qui le tour de passer au tableau ! », « Viens au tableau nous dire tout ce que tu racontes à ton camarade ! » ou encore « Qui souhaite venir au tableau ? »… Quels sont les élèves qui n’ont jamais entendu ce type d’exhortation au cours de leur scolarité ?</p>
<p>En France, l’installation de tableaux dans les classes est finalement assez récente, puisqu’elle date de l’instruction obligatoire chère à Jules Ferry (1882). Toutes les classes sont aujourd’hui dotées de cet artefact noir, blanc ou numérique. Il devient alors un support de transmission pour l’enseignant mais également une occasion d’expression – le plus souvent imposée – pour les élèves, qui sont invités à venir y résoudre des exercices, réciter des leçons, recopier des mots…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-classe-une-forme-scolaire-depassee-201029">La classe : une forme scolaire dépassée ?</a>
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<p>Rien d’étonnant donc à ce que ce rituel, pensé par l’institution comme l’occasion d’évaluer ou d’exposer une connaissance face aux autres, ait et continue à être vécu par certains élèves <a href="https://www.cairn.info/l-eleve-humilie--9782130593133.htm">« comme une sorte de passage à tabac »</a>, participant au processus de <a href="https://theconversation.com/violences-scolaires-ou-le-harcelement-commence-t-il-107074">harcèlement scolaire</a> dont on connaît désormais les funestes conséquences. Les humiliations subies <a href="https://theconversation.com/le-corps-a-lecole-une-dimension-oubliee-152562">lorsque le corps est mis en scène</a>, lorsqu’il est exposé aux moqueries, aux remarques déplacées des élèves et parfois des enseignants peuvent participer du harcèlement comme l’expliquait Kilian Vaysse, de l’Association contre les discriminations et le harcèlement, lors du colloque <a href="https://groupe-vyv.tv/embed/16h15_Table_ronde_harcelement_scolaire_soutenir_lebesoin_de_justice_desenfants2dtqf"><em>Enfant demain</em></a>.</p>
<p>Qui n’a en effet pas souhaité disparaître six pieds sous terre lorsqu’il se retrouve debout au tableau, face à plus d’une vingtaine de paires d’yeux qui le déshabillent littéralement – notamment quand il ne maîtrise pas totalement sa leçon. Qui n’a jamais vécu cette situation ? Et finalement que révèle ce temps de passage au tableau : la maitrise d’une connaissance (enseignée à l’école) ou bien une <a href="https://theconversation.com/les-emotions-une-cle-de-la-lutte-contre-le-harcelement-scolaire-122880">compétence émotionnelle</a> (moins enseignée à l’école) à restituer une connaissance ?</p>
<h2>Favoriser la coopération entre élèves</h2>
<p>Tout bien considéré, si la classe et l’école en général bouillonnent d’émotions, celles-ci font peu l’objet d’une réelle réflexion didactique. Tout se passe comme si ces émotions, les siennes et celles des autres, ne relevaient pas du périmètre de l’école. <a href="https://www.cairn.info/l-education-morale--9782130568599-page-141.htm">Émile Durkheim</a>, référence majeure du projet de l’école républicaine, ne préconisait-il pas d’arracher l’enfant à la famille jugée émotionnellement trop toxique au prétexte que « la morale qui y est pratiquée y est surtout affective. L’idée abstraite du devoir y joue un moindre rôle que la sympathie, que les mouvements spontanés du cœur. »</p>
<p>Pourtant, nombreux sont les travaux montrant <a href="https://journals.openedition.org/osp/748">l’intérêt de considérer les émotions</a>. Leur prise en compte se traduit en effet par un bien-être subjectif plus marqué et à une amélioration des <a href="https://site.nathan.fr/livres/comment-les-emotions-viennent-aux-enfants-et-pourquoi-apprendre-les-reguler-va-les-aider-toute-leur-vie-edouard-gentaz-9782092493199.html">performances scolaires</a>. Mais encore faut-il leur ouvrir la porte de la classe, et plus largement celle de l’école, pour que les élèves les apprivoisent et en fassent des compagnes plutôt que d’en être esclave.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-rituels-qui-organisent-la-vie-scolaire-une-importance-a-reconsiderer-169037">Ces rituels qui organisent la vie scolaire : une importance à reconsidérer ?</a>
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<p>C’est précisément ce à quoi nous nous sommes attachés avec les enseignants d’écoles primaire rencontrés dans le cadre d’une recherche-action. Concrètement, il s’agissait de <a href="https://www.cairn.info/cultiver-l-empathie-a-l-ecole--9782100778997.htm?contenu=presentation">transformer l’exercice du passage au tableau en un temps d’éducation aux compétences socio-émotionnelles</a>. Pour faire de cet exercice souvent individuel, angoissant, un moment de construction de soi, d’approvisionnement de ses émotions et d’apprentissage optimal, les enseignants ont, entre autres, expérimenté la récitation à plusieurs voix.</p>
<p>Par groupe de 3 ou 4, les élèves sont invités à réciter au tableau une poésie préalablement divisée par leurs soins en trois ou quatre parties. L’un d’entre eux entame la récitation et s’arrête soit lorsqu’il a terminé sa partie, lorsqu’il se sent en difficulté (une hésitation, un trou de mémoire, une perturbation liée au regard des élèves auditeurs…), ou bien quand il éprouve l’envie de passer le relais à l’un de ses camarades. Le deuxième, attentif à la situation (phrasé, mimiques, mouvement du corps…) prend alors la suite de la récitation avant de lui-même passer la main à un autre camarade.</p>
<p>L’enseignant propose plusieurs passages de façon à ce que chaque élève ait récité le texte dans son intégralité. À partir de ce design pédagogique, de très nombreuses variantes ont été proposées : récitation seule avec désignation d’un joker-souffleur avec ou sans contrainte d’intervention, libre choix de la répartition du texte, choix du lieu de récitation (à sa place, à côté de l’enseignant…), etc.</p>
<h2>Apprendre à se mettre en scène</h2>
<p>Le scénario pédagogique mis en œuvre dans cette recherche-action, permet, d’une part, de réduire le stress, préjudiciable aux apprentissages et, d’autre part, de libérer rapidement la participation des élèves et favorise leur entrée dans la tâche proposée.</p>
<p>Très vite, les élèves apprennent à s’organiser collectivement et s’inscrivent dans un <a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-de-la-resonance-selon-hartmut-rosa-comment-lecole-connecte-les-eleves-au-monde-197732">processus de résonance</a> nécessaire à une coopération sans fard. Aux dires des enseignants, grâce à cet exercice collectif, ils ont moins d’appréhension dans leur prise de parole et sont plus attentifs à celle des autres. Au-delà d’un simple entraînement à la mémorisation, ils s’expriment désormais à l’oral avec plus d’aisance et – point essentiel – en tenant compte d’autrui.</p>
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<p>Ainsi pensé et expérimenté régulièrement, <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=33063">« le rituel du passage au tableau »</a> prend une tout autre tournure pour les élèves. De situation stressante, parfois terrifiante, il devient un temps de jeu, de mise en scène de soi plus confiante, un temps de développement de l’empathie envers ses camarades, de récitation et de développement des compétences socio-émotionnelles utiles tout au long de la vie pour naviguer sans heurts dans les mondes sociaux.</p>
<p>Parce que la vie sociale est souvent l’occasion de se mettre en scène sous le regard d’autrui dans le cadre d’une réunion de travail, d’un exposé, d’un événement familial ou amical… apprendre à ressentir, identifier et apprivoiser ses propres émotions et celles des autres devrait également faire partie des missions de l’école.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216303/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Omar Zanna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Passer au tableau est souvent vécu par les élèves comme une épreuve exposant au jugement des autres. Mais ne peut-on pas faire de ce rituel une occasion d’apprendre à apprivoiser ses émotions ?Omar Zanna, Professeur des universités en sociologie, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2187482023-12-05T17:07:38Z2023-12-05T17:07:38ZPourquoi tant d’enfants non scolarisés à Mayotte ?<p>Mayotte est le département le plus jeune de France. Selon les estimations de l’Insee, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4632225">Mayotte est peuplée d’environ 310 000 habitants</a> au 1<sup>er</sup> janvier 2023 ; l’âge moyen est de 23 ans contre 41 ans en métropole ; plus de 60 % de la population mahoraise a moins de 25 ans. Avec l’avancement de l’âge de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038901859">l’instruction obligatoire à 3 ans</a> à partir de la rentrée 2019, plus d’un habitant sur trois (soit 36,3 % au 1<sup>er</sup> janvier 2023) est donc en âge d’obligation scolaire.</p>
<p>Le 7 août 1990, la France a ratifié la <a href="https://www.unicef.fr/convention-droits-enfants/">Convention internationale des droits de l’enfant</a> qui stipule en son article 28 que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation et, en particulier, en vue d’assurer l’exercice de ce droit progressivement et sur la base de l’égalité́ des chances : ils rendent l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous et ils encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/protection-et-emancipation-les-deux-faces-des-droits-de-lenfant-139062">Protection et émancipation : les deux faces des droits de l’enfant</a>
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<p>Ce droit fondamental concerne tous les enfants qui vivent sur le territoire français, quel que soit leur statut juridique. Pourtant, à Mayotte, ce droit n’est pas respecté. Dans une recherche récente, intitulée <a href="https://efis.parisnanterre.fr/nsm/"><em>Non-scolarisation et déscolarisation à Mayotte : dénombrer et comprendre</em></a>, et sur la base de deux méthodes appelées « par addition » et « par soustraction », nous effectuons deux estimations. Respectivement 5 379 et 9 575 enfants de Mayotte en âge d’être scolarisés ne le sont pas (soit près de 9 %). Cette recherche pose ainsi directement des questions sur la politique publique d’éducation mise en œuvre au sein de la République.</p>
<h2>Que signifie être scolarisé à Mayotte ?</h2>
<p>Tout d’abord, notons que la question de la dénomination de l’objet d’étude se pose. Parler de « non-scolarisation » pourrait laisser penser que l’on peut observer sur le territoire mahorais un phénomène bien défini et délimité : la scolarisation. Or, comme réaffirmée dans un dernier <a href="https://www.unicef.fr/article/grandir-dans-les-outre-mer-lenvers-de-la-carte-postale/">rapport de l’Unicef</a>, la scolarisation à Mayotte est différente de la scolarisation dans le reste de la France. De nombreuses mesures ont été mises en place afin de la maximiser, parfois au détriment des conditions d’apprentissage des élèves.</p>
<p>Dans le premier degré, plusieurs communes utilisent le système de rotation des salles de classe, dans lequel deux équipes éducatives distinctes occupent à tour de rôle les murs d’un même établissement scolaire, qui fonctionne alors en demi-journées. Par ailleurs, les écoles maternelles étant particulièrement impactées par le manque de places, le rectorat de Mayotte a mis en place à la rentrée 2021 le dispositif des classes itinérantes. Cela consiste à dispenser des cours dans des locaux en dehors de l’enceinte scolaire, pour une prise en charge théorique de seulement 10 heures par semaine.</p>
<p>Enfin, la restauration scolaire est inexistante dans la majorité des établissements scolaires de l’île. Dans le secteur secondaire, seul un élève sur cinq environ bénéficie aujourd’hui d’un repas chaud. Parallèlement au déficit d’infrastructures, Mayotte est confrontée à un manque de moyens humains, obligeant le ministère à mettre en œuvre des dispositifs dérogatoires pour attirer et fidéliser les enseignants. En plus d’une surindexation des salaires (taux de 1,43 à Mayotte) et des primes accordées aux personnels titulaires, les recrutements sont aménagés et permettent ainsi de recruter des enseignants à la fin de la licence et non du master, et les modalités du stage de titularisation sont assouplies.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mayotte, les défis de la jeunesse (France 24, 2018).</span></figcaption>
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<p>Ce déficit d’attractivité impose également un recours massif aux personnels contractuels, parfois recrutés à la hâte malgré l’inexpérience des candidats dans la discipline à enseigner. À la rentrée 2022, le taux de personnels contractuels est de 20 % dans le premier degré et de 55 % dans le second degré.</p>
<p>Au-delà de la qualité de l’enseignement, c’est l’ensemble de l’écosystème de l’enfant qui est impacté. Un enfant scolarisé à Mayotte ne bénéficie pas du même environnement qu’un enfant scolarisé en métropole, en matière de déplacement, de santé et d’alimentation.</p>
<h2>L’évitement scolaire, une cause de la non-scolarisation ?</h2>
<p>Sur le plan international mais aussi national, la non-scolarisation est de plus en plus appréhendée sous le prisme de l’« évitement scolaire ». Par exemple, dans le cadre de la mise en œuvre de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021H1004&from=EN">recommandation (UE) 2021/1004 du Conseil du 14 juin 2021 établissant une <em>Garantie européenne pour l’enfance</em></a>, le <a href="https://www.cnape.fr/documents/secretariat-general-des-affaires-europeennes_-plan-daction-2022-2030-pour-la-mise-en-oeuvre-de-la-recommandation-ue-2021-1004-du-conseil-du-14-juin-2021-etablissant-une-garantie-europeenne/">plan d’action de la France 22-30</a> expose les objectifs : « Afin de mieux cerner les enjeux en matière de scolarisation des enfants […], des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045174618">cellules d’évitement scolaire</a> sont instaurées à compter de la rentrée, et réunissent l’ensemble des acteurs concernés par le suivi des enfants non scolarisés et définir (sic) l’accompagnement personnalisé permettant de répondre à l’obligation d’instruction. »</p>
<p>Ce vocable, qui devient l’unique référence dans le cadre des politiques publiques, sous-entend que les situations de non-scolarisation sont principalement dues à une stratégie de l’enfant et/ou de la famille, sur qui repose finalement la responsabilité de la situation. Sur le plan national, cette situation de défiance peut être observée vis-à-vis de l’institution scolaire, pour des raisons culturelles, sociologiques, sociales, religieuses, politiques… En termes de politiques publiques, selon cette approche, il serait alors nécessaire d’agir sur ce défaut de « demande ». En revanche, à Mayotte, rien ne nous permet d’analyser cette non-scolarisation avec ce « modèle ».</p>
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<p>Tout d’abord, contrairement à beaucoup de pays où le phénomène de non-scolarisation touche plutôt les filles, l’ensemble de nos sources montre qu’il n’en est rien à Mayotte. Selon l’<a href="https://www.bnsp.insee.fr/ark:/12148/bc6p06xr9qb">Insee dès 2004</a> puis l’<a href="https://mfv2.site.ined.fr/fr/trois-enquete-mfv/mfv-1-et-mfv-mayotte/">enquête Migrations, familles et vieillissement</a>, la population mahoraise recherche la scolarisation de tous ses enfants. Aucune sélection sexuée n’est effectuée. Le rang de naissance de l’enfant ne rentre également pas en ligne de compte.</p>
<p>Par ailleurs, cette dernière enquête démontre que les systèmes éducatifs extrafamiliaux ne se font pas concurrence. 95 % des enfants fréquentant l’école coranique sont également scolarisés dans une école reconnue par la République. Les familles ne semblent pas effectuer des choix dans les systèmes « éducatifs » extrafamiliaux et aucun élément ne permet d’affirmer que les autres institutions les poussent à effectuer ce choix.</p>
<p>Au contraire, prenant exemple sur le secteur associatif qui se positionne en « passerelle » vers la scolarisation dans l’école de la République ou en complément (accueil de jour en suppléance, péri et extrascolaire), il est possible d’émettre l’hypothèse que toutes ces institutions pourraient constituer des relais vers une scolarisation effective.</p>
<h2>Un manque d’infrastructures</h2>
<p>Ainsi, le vocable d’évitement scolaire serait, sur le plan politique, « toxique », dans le sens où les raisons évoquées, et les politiques publiques associées pour y remédier ne sont pas sur ce territoire les principales. L’ensemble des observations démontre que les enfants et les familles désirent très largement bénéficier du droit à la scolarisation dans une école publique. S’ils n’y ont pas accès, c’est parce qu’il n’y a pas d’offre suffisante et adaptée et il est du devoir de la puissance publique (et de tous les acteurs) d’y remédier.</p>
<p>De surcroît, à Mayotte, selon l’<a href="https://mfv.site.ined.fr/fr/les-resultats/mfv-mayotte/">enquête Migrations, familles et vieillissement</a>, la non-scolarisation concerne surtout les classes d’âges les plus jeunes. La répartition par âge indique que les enfants les plus touchés par la non-scolarisation se situent aux bornes de la tranche d’âge 3-15 ans : 27 % à l’âge de 3 ans, 12 % à 4 ans, 6 % à 5 ans, pour se stabiliser entre 4 à 5 %, puis pour remonter à partir de l’âge de 12 ans à 6 %, subissant une forte hausse à partir de 14 ans. Elle concerne également des populations spécifiques, notamment les enfants en situation de handicap.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/graphiquement-votre-a-mayotte-la-population-a-quintuple-en-moins-de-40-ans-142788">Graphiquement vôtre : À Mayotte, la population a quintuplé en moins de 40 ans</a>
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<p>Selon le recteur, lors d’un entretien en décembre 2022, le phénomène de décrochage scolaire semble beaucoup moins important que dans d’autres territoires. Une politique publique volontariste d’une offre de scolarisation peut donc identifier des cibles : les écoles maternelles, l’entrée en primaire et les établissements adaptés pour les enfants en situation de handicap, avec des possibilités de distinction quand les jeunes font le choix d’une orientation en formation notamment.</p>
<p>Ainsi, les politiques publiques qui pourraient être mises en œuvre semblent bien identifiées, puisque tous les habitants de Mayotte, dans leur diversité, sont en forte demande de scolarisation de leurs enfants. La non-scolarisation découle principalement d’un manque d’infrastructures et d’encadrement, surtout aux plus jeunes âges, notamment en maternelle, et d’une carence de dispositifs adaptés aux besoins, notamment pour les enfants en situation de handicap. Une politique volontariste de l’ensemble des acteurs dans l’offre de scolarisation pourrait ainsi résorber cet état inacceptable, en totale contradiction avec les engagements internationaux de la République française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218748/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dans le cadre de cette recherche, l'Université Paris Nanterre a reçu des financements des associations suivantes : Apprentis d'Auteuil Mayotte, Cnape, Mlezi Maore.</span></em></p>Les enfants non scolarisés sont de plus en plus nombreux à Mayotte. Une étude estime qu’ils seraient entre 5 379 et 9 575, ce qui interroge les politiques d’éducation.Gilles Séraphin, Professeur des universités en sciences de l'éducation et de la formation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresTanguy Mathon-Cécillon, Démographe, doctorant en sciences de l'éducation et de la formation, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184622023-11-28T17:15:28Z2023-11-28T17:15:28ZLe redoublement à l’école, un débat aux enjeux politiques ?<p>Ce mercredi 5 décembre, le ministre de l'l’Éducation nationale Gabriel Attal a annoncé une série de mesures <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/05/gabriel-attal-annonce-les-mesures-de-son-choc-des-savoirs-aux-enseignants_6203998_3224.html?random=1471988056">pour un « choc des savoirs »</a>. En bonne place parmi ces mesures figure la question du redoublement, sur laquelle un décret devrait rendre le dernier aux enseignants. </p>
<p>Lors du <a href="https://www.lexpress.fr/societe/education/education-attal-veut-en-finir-avec-le-tabou-du-redoublement-SDEAMGYAP5D5FOHCV43DJYEVMI/">congrès des maires de France</a>, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal avait déjà déclaré qu’« il faut revoir la question du tabou du redoublement : un élève qui entre en sixième sans savoir ni lire ni compter, c’est quasiment de la maltraitance ». Un « tabou » qui est loin d’être évident si l’on prend en compte qu’il y a 30 ans la moitié des élèves de troisième avaient redoublé au moins une fois, et le quart il y a 10 ans.</p>
<p>Nombre de Français doivent donc penser par « expérience » que le <a href="https://www.education.gouv.fr/forte-baisse-du-redoublement-un-impact-positif-sur-la-reussite-des-eleves-1958">redoublement</a> fait partie de la « normalité », en dépit des études de suivi en la matière qui concluent au caractère inutile, voire néfaste, de la <a href="https://www.cnesco.fr/redoublement/effets-du-redoublement-et-croyances/">plupart des types de redoublement</a>.</p>
<h2>Le redoublement, une gestion peu efficace des difficultés scolaires ?</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que la question du redoublement, qu’on aurait pu croire réglée, revient sur le devant de la scène. Un autre ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait déjà déclaré dans un <a href="https://www.leparisien.fr/societe/jean-michel-blanquer-il-n-est-pas-normal-d-interdire-le-redoublement-07-06-2017-7028271.php">entretien au <em>Parisien</em> en juin 2017</a> qu’« il n’est pas normal d’interdire le redoublement : il y a quelque chose d’absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant les retards ».</p>
<p>On peut noter la similitude de la mise en cause des deux ministres à six ans d’intervalle, d’autant plus que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036625089">Jean-Michel Blanquer a pris effectivement un décret en ce sens dès 2018</a> : « À titre exceptionnel, dans le cas où le dispositif d’accompagnement pédagogique mis en place n’a pas permis de pallier les difficultés d’apprentissage rencontrées par l’élève, un redoublement peut être proposé par le conseil de classe »</p>
<p>Ce décret succédait à un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000029779752">décret pris en 2014</a> par la ministre de l’Éducation nationale qui l’avait précédé, Najat-Vallaud Belkacem. Ce décret pris en application de la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20661-refondation-ecole-de-la-republique-loi-dorientation-programmation">loi de refondation de l’école de juillet 2013</a> qui prônait son « caractère exceptionnel » limitait le redoublement aux seuls cas de « ruptures des apprentissages » (une longue absence pour maladie par exemple) et aux situations dans lesquelles un élève n’obtiendrait pas l’orientation souhaitée en fin de troisième ou de seconde si les parents en faisaient la demande.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui décide du redoublement ? (La Croix, mai 2017).</span></figcaption>
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<p>Ces dispositions réglementaires n’étaient pas survenues par hasard. Elles s’inscrivaient dans une longue évolution de la baisse des taux de redoublements plus ou moins encouragée par ses prédécesseurs et dans le contexte des <a href="https://www.oecd.org/france/PISA-2012-results-france.pdf">conclusions de l’enquête internationale PISA</a> rendues publiques fin décembre 2012 sur le sujet.</p>
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<p>« En France, 28 % des élèves de 15 ans ont indiqué avoir redoublé au moins une fois, contre 12 % en moyenne dans les pays de l’OCDE […] Les résultats de l’enquête PISA 2012 montrent que, dans les systèmes qui pratiquent le redoublement, l’impact du milieu socio-économique des élèves sur leur performance est plus élevé […]. Les établissements qui ont une forte proportion d’élèves de 15 ans ayant redoublé au moins une fois obtiennent de moins bons résultats que ceux où cette proportion est moins importante. De même, en règle générale, les pays où le redoublement est une pratique courante pour gérer la difficulté scolaire ont de moins bons résultats que les autres pays. »</p>
</blockquote>
<h2>Des allers et retours sur les plans politiques et pédagogiques</h2>
<p>Ces résultats sont sans doute de l’ordre du contre-intuitif dans un pays où le <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/11/27/pourquoi-g-attal-remet-il-le-redoublement-en-debat/">redoublement a été longtemps pratiqué</a> à haute dose et peut donc apparaître comme de l’ordre du « bon sens » pour nombre d’enseignants et de parents d’élèves, encore maintenant. C’est sans doute aussi ce qui explique la prudence de certains décideurs, voire des allers et retours en la matière parfois surprenants, aussi bien dans les décisions que dans la sphère politico-médiatique. Car le débat à ce sujet est récurrent et ne date pas d’hier.</p>
<p>Par exemple, si l’on en juge par une <a href="https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/190510/redoublements-le-temps-des-decisions">enquête menée en 2004 par la Sofres</a>, la moitié des parents d’élèves dont l’enfant avait redoublé une ou plusieurs fois à l’école élémentaire considéraient que cela avait été une très bonne chose ; même si, parmi les parents d’élèves dont il avait été seulement envisagé que leur enfant redouble dans le primaire sans que cela se fasse, les trois quarts considéraient que c’était mieux que leur enfant n’ait pas redoublé et un quart qu’il aurait mieux valu qu’ils redoublent.</p>
<p>En cette même année 2004, le ministre de l’Éducation nationale François Fillon se prononce pour <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/05/27/p-education-le-projet-de-fillon-pour-une-nouvelle-troisieme-p_4296605_1819218.html">faciliter la pratique du redoublement</a> (alors encore pourtant fortement répandue) en accusant la loi d’orientation de 1989 d’avoir « conduit à enlever aux enseignants leur pouvoir de décision en matière de redoublement ; or aucune étude ne démontre que passer automatiquement dans la classe supérieure soit un gage de réussite ».</p>
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<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000259787/">loi d’orientation du 25 avril 2005</a>, dite loi Fillon, légitime la pratique du redoublement avec toutefois une condition à l’école primaire : « lorsqu’un redoublement est décidé et afin d’en assurer l’efficacité pédagogique, un programme personnalisé de réussite éducative est mis en place » selon le décret d’application sur les dispositifs d’aide et de soutien à l’école.</p>
<p>Le décret de 2018 pris par Jean-Michel Blanquer est toujours en vigueur. Par rapport à 2017, que constate-t-on dans les <a href="https://www.education.gouv.fr/reperes-et-references-statistiques-2023-378608">évolutions des taux de redoublements</a> par niveau ? Au CP, il a doublé, passant de 1 % en 2017 à 2 % en 2022. Et aussi au CE1, où il est passé de 0,7 % à 1,4 %. Une évolution significative donc au niveau des deux classes particulièrement cruciales de l’élémentaire. Le taux de redoublement est en revanche resté quasiment stable au collège, passant de 0,6 % à 0,5 % en classe de cinquième et quatrième, et de 2,4 % à 2,2 % en troisième.</p>
<p>Que veut exactement Gabriel Attal ? S’agit-il seulement d’un « effet d’annonce » ou bien d’autre chose ? Mais quoi exactement et pour quoi ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218462/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De nombreuses enquêtes ont mis en cause l’efficacité du redoublement et sa pratique a considérablement décru ces dernières années. Le ministre de l’Education vient pourtant de relancer le débat.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2174692023-11-21T16:55:53Z2023-11-21T16:55:53ZCréer des classes de niveau : atouts ou freins à la réussite des élèves ?<p>Comment faire travailler ensemble des élèves ayant des compétences scolaires et des problèmes d’apprentissage de natures variées ? Certains enseignants rapportent leurs difficultés à <a href="https://www.autonome-solidarite.fr/articles/lasl-devoile-les-premiers-resultats-de-letude-sur-le-climat-scolaire-2nd-degre/">gérer l’hétérogénéité de leurs classes</a>. C’est particulièrement le cas lorsque les difficultés scolaires de certains élèves se doublent de problèmes de comportement.</p>
<p>Constituer des classes de niveau est-il alors la solution ? En annonçant que <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/05/gabriel-attal-annonce-les-mesures-de-son-choc-des-savoirs-aux-enseignants_6203998_3224.html?random=1471988056">les élèves de 6ᵉ et de 5ᵉ seront répartie en trois groupes de niveaux pour l’enseignement des maths et du français</a> dès la rentrée 2024, le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, a relancé des <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2004_num_148_1_3258">débats sur la composition des classes</a> qui reviennent depuis plus d’un siècle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-eleves-interpretent-ils-les-ecarts-de-reussite-en-classe-151402">Comment les élèves interprètent-ils les écarts de réussite en classe ?</a>
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<p>Les promoteurs des classes de niveau centrent leurs arguments sur la meilleure adaptation des pratiques pédagogiques et l’efficacité qui en résulterait. Pour les autres, les classes hétérogènes seraient un facteur de cohésion sociale et de réduction des inégalités. Qu’en est-il réellement ? Quel impact la répartition des élèves a-t-elle sur l’enseignement, le climat scolaire et les apprentissages ?</p>
<h2>Composition de la classe : des effets sur le bien-être des élèves</h2>
<p>De nombreuses <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20140308">études internationales en économie de l’éducation</a> se sont centrées sur <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1997_num_38_4_4667">l’effet des pairs</a>. Ces recherches examinent l’influence des caractéristiques des autres élèves de la classe (notamment le niveau scolaire et le niveau social qui apparaissent très corrélés) sur les performances ou le bien-être d’un élève donné. Globalement, ces dernières montrent que la composition de la classe (hétérogène/homogène) n’influence pas (ou avec des effets très faibles) les résultats scolaires des élèves.</p>
<p>Par ailleurs, même s’il n’existe pas de consensus clair, ces études suggèrent que les élèves d’un niveau scolaire élevé bénéficieraient davantage des classes homogènes du point de vue de leurs performances scolaires alors que les élèves avec de faibles résultats scolaires profiteraient plus des classes hétérogènes.</p>
<p>En ce qui concerne le bien-être et les attitudes sociales, la littérature tend à montrer que les classes hétérogènes seraient plus propices à leur développement. En France, une récente enquête du CSEN (Comité scientifique de l’Éducation nationale) révèle que, si une <a href="https://www.ih2ef.gouv.fr/mixite-sociale-au-college-premiers-resultats-des-experimentations-menees-en-france">plus grande mixité sociale dans les collèges</a> n’a pas d’impact sur les résultats scolaires, elle provoque en revanche des effets positifs sur le plan du bien-être personnel et du bien-être social, pour les élèves de milieux favorisés comme des milieux défavorisés.</p>
<p>Ces études apportent des résultats précieux sur les effets de la composition de la classe. Toutefois elles occultent une pièce maîtresse des apprentissages et du fonctionnement de la classe : les pratiques pédagogiques des enseignants.</p>
<h2>Les classes de niveau changent-elles les façons d’enseigner ?</h2>
<p>Il est généralement admis que les classes de niveau, à travers les pratiques pédagogiques des enseignants, peuvent creuser les écarts entre les élèves scolarisés dans des classes de faible niveau par rapport à ceux inclus dans des classes d’un niveau élevé. En effet, les enseignants auraient tendance à baisser le niveau d’exigence et <a href="https://www.researchgate.net/publication/7869791_Teacher_Expectations_and_Self-Fulfilling_Prophecies_Knowns_and_Unknowns_Resolved_and_Unresolved_Controversies">à moins solliciter l’activité réflexive des élèves avec les classes perçues comme faibles</a>.</p>
<p>Par ailleurs, il a été montré que, plus les attentes des enseignants vis-à-vis de l’engagement et du niveau de leurs élèves sont élevées, plus leurs pratiques pédagogiques soutiennent la motivation et les apprentissages de leurs élèves.</p>
<p>D’autres études, plus rares, ont examiné les <a href="https://www.researchgate.net/publication/320406752_The_interplay_between_class_heterogeneity_and_teaching_quality_in_primary_school">effets de la composition de la classe sur les performances scolaires</a> en prenant en compte la qualité de l’enseignement mesurée à partir de trois catégories de pratiques pédagogiques :</p>
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<li><p>les stratégies d’enseignement (ajuster les situations d’apprentissage, solliciter des stratégies de recherche de solutions face à des problèmes, etc.) ;</p></li>
<li><p>le soutien émotionnel et social (encourager, être disponible pour les élèves en cas de difficultés, etc.) ;</p></li>
<li><p>la gestion de classe (mettre les élèves en activité, prévenir les comportements perturbateurs, etc.).</p></li>
</ul>
<p>Si les résultats obtenus à l’école primaire ne montrent pas d’effet de la composition de la classe sur la qualité de l’enseignement, en revanche ils révèlent que, plus la classe est hétérogène, plus la qualité de l’enseignement a un rôle important. Autrement dit, les pratiques pédagogiques des enseignants auraient plus de poids dans les apprentissages et les progrès des élèves lorsque la classe est hétérogène.</p>
<p>Par ailleurs, les premiers résultats d’une étude en cours auprès de 145 classes du second degré suggèrent que la perception de l’hétérogénéité de la classe par les enseignants entraîne des pratiques pédagogiques aux effets contradictoires sur l’engagement des élèves. Notamment, plus les enseignants perçoivent leurs classes comme hétérogènes, plus ils soutiennent le sentiment de compétence des élèves (notamment par une explicitation des attentes et un ajustement des situations d’apprentissage), mais moins ils sollicitent des stratégies cognitives de haut niveau et l’autonomie des élèves.</p>
<h2>La classe hétérogène, un défi pour les enseignants ?</h2>
<p>En définitive, même si la classe hétérogène n’influence pas les performances scolaires, elle des effets positifs sur le bien-être et les attitudes sociales des élèves. Par ailleurs, c’est dans ce type de classes que les pratiques pédagogiques des enseignants semblent jouer un rôle essentiel dans la réussite des élèves.</p>
<p>Toutefois, les réalités professionnelles révèlent également les difficultés rencontrées par les professeurs à gérer ce type de classe qui requiert de différencier et personnaliser leur enseignement alors même que les effectifs de chaque classe sont élevés. Dès lors plusieurs questions méritent d’être soulevées.</p>
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<p>Tout d’abord, au-delà de la comparaison entre classes de niveau ou classes hétérogènes, les futures recherches gagneront à affiner la mesure du degré d’hétérogénéité dans les classes (exemple : la proportion d’élèves de chaque niveau et écart entre les niveaux). En effet, il y a lieu de se demander s’il n’existe pas un degré d’hétérogénéité optimal favorable aux progrès des élèves et aux pratiques pédagogiques des enseignants.</p>
<p>Il apparaît également qu’une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_2001_num_135_1_2816_t1_0223_0000_2">organisation flexible de la classe</a> articulant classes hétérogènes et groupes de niveaux puisse faciliter la différenciation pédagogique et être bénéfique pour les élèves. Dans cette optique, les élèves qui appartiennent à une classe hétérogène peuvent rejoindre ponctuellement des groupes de niveau pour certains apprentissages.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/limiter-le-nombre-deleves-par-classe-une-cle-de-la-reussite-scolaire-116931">Limiter le nombre d’élèves par classe : une clé de la réussite scolaire ?</a>
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<p>Ce mode d’organisation est parfois adopté avec les collégiens sur certains apprentissages fondamentaux pour que les élèves puissent bénéficier de manière momentanée d’un enseignement ajusté à leurs besoins tout en maintenant la poursuite d’objectifs communs. C’est également le cas dans le premier degré, dans des classes à plusieurs niveaux dans lesquels des groupes de besoin sont mis en place ponctuellement. Dans cette perspective, une attention doit être portée à l’articulation entre les pratiques pédagogiques et les contenus disciplinaires dans les formations initiales et continues des enseignants pour les aider à développer des compétences professionnelles permettant une <a href="https://hal.science/hal-04250926">meilleure gestion de l’hétérogénéité</a>.</p>
<p>Enfin, il s’agit de réfléchir aux leviers qui permettent aux enseignants de mieux gérer les classes hétérogènes et qui sont efficaces pour faire progresser les élèves. Dans ce cadre, le coenseignement (deux enseignants pour une classe), même avec des effectifs de classes plus élevés, apparaît comme une piste prometteuse. En effet, il offre l’opportunité d’une plus grande flexibilité par le partage des tâches (pilotage de la classe, étayage, soutien émotionnel, etc.) qui facilite la différenciation et la gestion de l’hétérogénéité.</p>
<p>Toutefois, le coenseignement n’a pas des effets magiques mais implique une organisation particulière de la structure scolaire, un pilotage adapté et une formation de qualité des enseignants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amaël André a reçu des financements de la Caisse des dépôts dans le cadre de l'action "Territoires d'Innovation Pédagogique" du Programme d'Investissements d'Avenir (PIA3 "100% Inclusion, un Défi, un Territoire").</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Damien Tessier a reçu des financements de l'Université Grenoble Alpes et de l'Agence Nationale pour la Recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jonas Didisse a reçu des financements de la Caisse des dépôts dans le cadre de l'action "Territoires d'Innovation Pédagogique" du Programme d'Investissements d'Avenir (PIA3 "100% Inclusion, un Défi, un Territoire").</span></em></p>Il n’est pas toujours facile pour les enseignants de répondre aux besoins des élèves dans une classe hétérogène. Mais créer des groupes de niveau est-il une alternative souhaitable ?Amaël André, Professeur des universités, sciences de l’éducation, Université de Rouen NormandieDamien Tessier, Maître de conférences en STAPS, laboratoire Sens, sport en environnement social, Université Grenoble Alpes (UGA)Jonas Didisse, Docteur en économie de l'éducation, Ingénieur de Recherche "100% Inclusion, un Défi, un Territoire", Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2095542023-11-15T21:16:18Z2023-11-15T21:16:18ZComment la philosophie de John Dewey nous aide à former les citoyens de demain<p>Après une période d’oubli relatif, le philosophe américain John Dewey (1859-1952), figure majeure du courant du pragmatisme, est largement mobilisé sur les questions de pédagogie depuis quelques années. Souvent réduite à la célèbre formule du « learning by doing » qui valorise l’expérience dans les stratégies éducatives, sa réflexion sur l’école reste indispensable, au-delà du recours à la pédagogie de projet.</p>
<p>Si John Dewey a produit une somme considérable d’écrits dans les domaines de la psychologie, l’art, la politique, et surtout l’éducation, il n’a été traduit en France qu’avec parcimonie. C’est grâce aux travaux de Jean-Pierre Cometti et de <a href="https://www.cairn.info/Introduction-a-john-dewey--9782707183194.htm">Joëlle Zask</a>, entre autres, qu’il a été récemment redécouvert.</p>
<p>On trouve dans ses ouvrages les bases d’une réflexion originale et toujours actuelle sur la <a href="https://www.cairn.info/democratie-et-education--9782200621896.htm">relation entre pédagogie et démocratie</a>, sur ce que pourrait être une éducation « accoucheuse » de démocratie, selon ses propres termes, ancrée dans l’expérience, dans un monde en proie aux fractures et au doute.</p>
<h2>Les objectifs de l’éducation : former des enquêteurs dans un monde commun</h2>
<p>John Dewey s’est penché sur les relations entre éducation et démocratie en cherchant une façon de construire un monde commun qui autorise le partage de significations et d’actions. Ce commun résonne profondément comme un appel à l’action dans les périodes de conflits militaires, politiques et sociaux, et de menaces environnementales. Car l’action est indissociable de la connaissance pour Dewey, une connaissance de nature relationnelle et sociale qui se construit dans l’expérience.</p>
<p>L’information est alors source d’« empowerment », elle peut donner les moyens de l’action collective et individuelle, si elle permet aux acteurs de construire et de partager une perception, une compréhension et des modalités d’intervention sur l’environnement sur des bases collaboratives. La communauté se constitue dans son rapport à l’information, rapport qui repose sur une interprétation partagée et vécue. La communication nourrit ainsi la dynamique qui permet les conduites conjointes, l’adaptation et l’association des individualités.</p>
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<img alt="Portrait de John Dewey" src="https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558649/original/file-20231109-29-svznfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">John Dewey.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Dewey_cph.3a51565.jpg">Underwood & Underwood, Public domain, via Wikimedia</a></span>
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<p>Le courant pragmatiste représenté par John Dewey considère l’élève comme un individu capable d’agir dans la société et non comme l’instrument d’un système qui le dépasse. Cette capacité d’action, cette agentivité, diraient certains, correspond à un engagement. Elle suppose que l’élève soit considéré comme sujet, acteur de son propre apprentissage et non réceptacle d’un savoir accumulé et simplement transmis.</p>
<p>La connaissance acquise par l’expérience est celle d’un être socialement situé dans le monde, qui interagit nécessairement avec ses pairs, dans des groupes, et avec des outils intellectuels qui lui permettent d’appréhender ce monde. Chez Dewey, politique et connaissance sont indissolublement liées dans le pragmatisme qui est à la fois philosophie politique et théorie de la connaissance.</p>
<p>Si l’éducation vise l’expérience partagée, communicable et communiquée, propre à la logique démocratique, elle repose fondamentalement sur la méthode de l’enquête. Celle-ci consiste à interroger l’environnement social et culturel et à chercher des solutions aux problèmes qui se posent par l’exploration : l’élève est avant tout un enquêteur, et la démarche d’enquête restera la condition de sa construction comme citoyen participant à la vie démocratique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ce-que-les-enfants-comprennent-du-monde-numerique-214295">Ce que les enfants comprennent du monde numérique</a>
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<p>Sortant des pétitions de principe, du dogme des valeurs désincarnées ou brandies comme une menace, Dewey s’attache à proposer des pistes qui ouvrent la voie à l’incarnation des principes démocratiques dans la « vraie vie » à l’école, notamment dans son ouvrage <em>Expérience et éducation</em> (1938). Il en appelle au courage des enseignants pour qu’ils proposent une éducation basée sur un esprit de discernement, qui cultive le doute constructif, la recherche de la preuve, l’appel à l’observation, à la discussion, à l’enquête plutôt qu’aux conventions.</p>
<p>On trouve ici les bases des réflexions contemporaines sur l’éducation à l’esprit critique, destinée à ancrer une culture démocratique solide à l’école.</p>
<h2>Les moyens d’une éducation démocratique : une pédagogie de la participation contre la transmission</h2>
<p>John Dewey voit dans l’école le lieu de transformation de la classe en communauté d’enquêteurs, permettant aux élèves de se développer dans un monde dominé par la science et la technique.</p>
<p>En politique, la démocratie repose sur la communauté des citoyens, sur l’interprétation des expériences, a minima l’accord sur les désaccords et la façon de les résoudre, si bien qu’à l’époque actuelle, une communauté démocratique suppose une <a href="http://siupress.siu.edu/books/978-0-8093-2805-5">communauté d’enquêteurs</a>. Cette démocratie est expérimentale et la participation est le moyen de disposer de son existence, qui ne peut reposer que sur l’échange et la coopération sous peine d’être dominée par une autorité autoproclamée.</p>
<p>La démarche d’enquête face à l’information consiste à rendre intelligible une situation pour agir, à créer un cadre qui donne cohérence et sens à une situation. Dans cette démarche, l’élève apprend en faisant un lien entre son expérience et les savoirs, et l’enseignant devient un médiateur entre l’école et la vie. Les contraintes didactiques ne sont pas nécessairement imposées mais les projets pédagogiques doivent être authentiques et favoriser les savoirs de l’expérience.</p>
<p>Ce point de vue sur les moyens d’une éducation démocratique constitue un héritage très contemporain dans les débats sur l’éducation. Il a été dénoncé, du vivant du philosophe, <a href="https://journals.openedition.org/ree/6074">comme le rappelle Michel Fabre à propos de la critique par Hannah Arendt de la crise de l’autorité</a> dans la <em>Crise de la culture</em>. John Dewey considère que l’éducation, au regard de l’objectif démocratique, ne peut en aucun cas consister en une transmission de contenus et d’un patrimoine de connaissances.</p>
<p>Tim Ingold, dans son ouvrage <a href="https://pur-editions.fr/product/4806/l-anthropologie-comme-education"><em>L’anthropologie comme éducation</em></a>, reprend cet argument en proposant de lutter contre l’idée de transmission. Pour lui, l’éducation est avant tout ouverture aux choses et au monde, dans une capacité d’attention à l’environnement, à la résonance qu’étudie le sociologue <a href="https://theconversation.com/la-pedagogie-de-la-resonance-selon-hartmut-rosa-comment-lecole-connecte-les-eleves-au-monde-197732">Hartmut Rosa</a> dans un récent ouvrage, également consacré à l’éducation.</p>
<p>Yves <a href="https://theconversation.com/leducation-de-lattention-a-lage-du-numerique-ubiquitaire-62172">Citton</a>, qui revient dans plusieurs ouvrages sur la <a href="https://www.yvescitton.net/wp-content/uploads/2020/08/Citton-PostfaceIngold-SciencesEducArtsAttention-2018.pdf">question de l’attention</a> et postface celui de Tim Ingold, défend cette idée selon laquelle l’éducation ne consiste pas à remplir des têtes mais à ouvrir les conditions de l’attention. C’est aussi l’horizon de la démarche de cartographie des controverses initiée par Bruno Latour, lecteur attentif de Dewey et de sa conception du public se saisissant de problèmes autour desquels la discussion et la critique sont garantes de la démocratie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-lecole-apprendre-a-evaluer-linformation-dans-un-monde-numerique-215279">À l’école, apprendre à évaluer l’information dans un monde numérique</a>
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<p>Ces propositions inspirées de la pensée de John Dewey peuvent être rapprochées des pratiques de la pédagogie active. <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lecole-freinet-67615">Célestin Freinet</a> insiste sur la « <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/oeuvres-pedagogiques-celestin-freinet/9782020220149">nécessité organique d’user le potentiel de vie à une activité tout à la fois individuelle et sociale</a>, qui ait un but parfaitement compris, et présentant une grande amplitude de réactions » en valorisant le « sentiment de puissance ».</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-faire-de-la-philosophie-avec-des-enfants-168533">« communautés de recherche philosophique »</a> qui consistent à expérimenter le débat philosophique très tôt à l’école, reprennent le principe du développement de la démarche de l’enquête, comme les stratégies pédagogiques basées sur l’expérimentation dans l’enseignement des sciences (dans le dispositif « La main à la pâte » par exemple).</p>
<p><a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782130451761-logique-la-theorie-de-l-enquete-john-dewey/">L’enquête</a> consiste à poser des problèmes à partir d’une situation d’incertitude et tenter de les résoudre dans une recherche collective basée sur le questionnement, la discussion, la recherche d’information et l’argumentation. L’arrivée du numérique dans le contexte scolaire et la complexification de l’établissement de critères de confiance dans l’information en circulation ont renouvelé l’actualité de la pensée de John Dewey.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/pour-eduquer-a-linformation-etre-un-digital-native-ne-suffit-pas-111240">éducation aux médias et à l’information</a> est présentée comme une nécessité sociale absolue ces dernières années, pour développer <a href="https://theconversation.com/enfants-lesprit-critique-une-qualite-innee-a-aiguiser-des-le-plus-jeune-age-132714">l’esprit critique</a> des élèves face aux phénomènes de complotisme, désinformation et radicalisation. Mais elle reste peu traduite dans les pratiques pédagogiques réelles. Elle pourrait trouver dans le souci de l’enquête, notamment autour de questions controversées, comme le propose Bruno Latour, une ouverture pragmatique indispensable.</p>
<p>Le développement d’une solide culture de l’information à l’école, base de l’esprit critique allié à l’esprit d’enquête, peut ainsi être considéré, dans la perspective de la pensée de John Dewey, comme la condition d’une éducation démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Lehmans ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après une période d’oubli relatif, le philosophe américain John Dewey, figure du courant du pragmatisme, est largement mobilisé sur les questions de pédagogie depuis quelques années.Anne Lehmans, Professeure des universités en sciences de l'information et de la communication, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129992023-11-06T16:59:24Z2023-11-06T16:59:24ZCe que la pensée complexe d’Edgar Morin apporte à l’éducation<p>Le dicton « nul n’est prophète en son pays » pourrait bien s’appliquer aux travaux d’Edgar Morin sur l’éducation. C’est un champ que le sociologue a amplement traité, pourtant son apport en la matière ne semble pas reconnu en France. L’homme de la complexité ne trouve pas dans cette « province de la Terre-patrie » à laquelle il se voue l’écho des honneurs et plébiscites qu’il reçoit à l’échelle planétaire, par exemple en <a href="https://www.cairn.info/edgar-morin-les-cent-premieres-annees--9791037029317-page-41.htm">Amérique latine</a> qui dès les années 60 a noué une forte relation avec lui.</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.espaces-latinos.org/archives/82136">Brésil</a> attirera son attention par l’étude de « la pensée métisse » et « les mythes des civilisations précolombiennes ». En 1999, l’Unesco ouvrira la « Chaire itinérante Edgar Morin pour la complexité » et diffusera amplement l’ouvrage <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000117740_fre"><em>Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur</em></a>, une étude sollicitée par l’ancien directeur de l’Unesco Federico Mayor Zaragoza.</p>
<p>Depuis plus de 20 ans, Morin repère dans le système éducatif des problématiques (l’écologie, l’erreur, les connaissances, l’incertitude, la mission enseignante…) qui le conduisent à proposer des éléments de réflexion pour une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-tete-bien-faite-repenser-la-reforme-reformer-la-pensee-edgar-morin/9782020375030">école appréhendée comme un lieu de réforme pour la pensée</a>. Cette approche n’est pas proposée comme un remède ou une potion magique pour sauver l’école, mais comme un défi pour la repenser au prisme du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ce défi auquel Morin nous invite par la pensée complexe semble si évident que l’on peut se demander comment il est encore possible aujourd’hui de ne pas le relever dans le cadre d’une école confrontée à de nombreux enjeux.</p>
<p>Qu’il s’agisse de l’amélioration du niveau des élèves ou de la nécessité de la mixité sociale, de la transmission du principe de la laïcité, de la réflexion sur le recrutement des professeurs, ou encore de la redéfinition des programmes pour l’école de demain, tout semble indiquer qu’il est nécessaire de réformer l’école. Comme le montre le Rapport de l’Unesco, <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000379705"><em>Repenser nos futurs ensemble</em></a>, la « crise mondiale de l’apprentissage » est due à des contenus peu adaptés au contexte, à des méthodes et des processus pédagogiques qui ne tiennent pas compte des réalités des jeunes ou ne répondent pas aux besoins des plus défavorisés.</p>
<h2>Le paradigme de l’éducation complexe</h2>
<p>En replaçant <a href="https://journals.openedition.org/trema/6357">l’humain au cœur d’une communauté de destin</a>, la vision anthropologique de l’éducation d’Edgar Morin s’inscrit dans une visée sociétale qui fait de chacun de nous un citoyen du monde, un monde qui se transmet, et qu’il nous appartient tant de préserver que de bâtir. Au regard des problématiques qui parcourent l’école aujourd’hui, déployer des réformes ne saurait suffire. Une pensée prenant en compte la globalité des grands défis contemporains est nécessaire pour assurer la transmission des connaissances aux jeunes générations.</p>
<p>Cette pensée éducative, Morin s’y est consacré à travers une trilogie composée des ouvrages suivants : <em>La Tête bien faite : repenser la réforme, réformer la pensée</em> (1999), <em>Relier les connaissances</em> (1999), <em>Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur</em> (2000). La trilogie a été complétée une quinzaine d’années plus tard par l’ouvrage <em>Enseigner à vivre : manifeste pour changer l’éducation</em> (2014), dont s’est inspiré le réalisateur Abraham Ségal pour réaliser un <a href="https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19574905">documentaire</a> montrant une mise en perspective des idées de Morin dans 5 établissements publics.</p>
<p>Certes, la question n’est pas nouvelle, les pédagogues du début du XX<sup>e</sup> siècle, à l’instar de <a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-dans-les-coulisses-du-succes-le-travail-demilie-brandt-entrepreneuse-de-la-petite-enfance-207568">Maria Montessori et ses disciples</a> avaient déjà tenté en leur temps de révolutionner l’école. Mais l’approche dialogique à laquelle nous invite Morin par la pensée complexe permet de s’y atteler par plusieurs aspects, par exemple celui de la transdisciplinarité dans le cadre des programmes scolaires.</p>
<h2>La transdisciplinarité au service de la compréhension de l’humain</h2>
<p>Les différentes disciplines doivent être mobilisées ensemble plutôt que séparément afin de converger sur la compréhension de la condition humaine. C’est sur ces bases que Morin appelle à une réforme de pensée qu’il annonce comme étant historique et vitale en ce qu’elle permettra conjointement de séparer pour connaitre et de relier ce qui est séparé.</p>
<p>Ainsi, en suscitant « de façon nouvelle les notions broyées par le morcellement disciplinaire : l’être humain, la nature, le cosmos, la réalité », on entrera au cœur même de ce qu’il considère comme un impératif de l’éducation, à savoir « le développement de l’aptitude à contextualiser et globaliser les savoirs ». Cela seul favoriserait l’émergence d’une pensée « écologisante » permettant de situer un évènement dans son contexte et d’observer en quoi il le modifie ou l’éclaire autrement.</p>
<p>Concrètement, la mission de l’enseignant est de donner du sens aux apprentissages en proposant à ses élèves un travail s’appuyant sur leurs besoins profonds, comme le préconisait en son temps le pédagogue belge <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ovide_Decroly">Ovide Decroly</a> avec la pédagogie de l’intérêt.</p>
<p>Morin prône une éducation au service de laquelle l’enseignement devrait permettre d’étudier les « <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/temps-est-venu-de-changer-de-civilisation-le-dialogue-avec-morin-edgar-lafay-denis-9782815925044">caractères cérébraux, mentaux, culturels</a> des connaissances humaines, de ses processus et de ses modalités, des dispositions tant psychiques que culturelles qui lui font risquer l’erreur ou l’illusion ».</p>
<p>Sa vision de l’homme entendu dans la complexité d’un être qu’il envisage à la fois totalement biologique et totalement culturel le conduit à envisager une science qu’il qualifie d’anthropo-sociale remembrée de façon à envisager l’humanité tout à la fois dans son unité anthropologique et dans ses diversités, tant individuelles que culturelles.</p>
<h2>Instaurer une démocratie à l’école</h2>
<p>Edgar Morin prône aussi l’instauration, dans le cadre de l’école, d’une démocratie qui permettrait aux élèves de prendre réellement part aux débats et à la vie quotidienne scolaire. L’objectif serait de redonner à l’école sa place comme lieu de formation du futur citoyen. Nous sommes là au cœur de cette éducation transmettant les valeurs d’un humanisme qu’il considère comme un principe fondamental devant « être enraciné en soi, chevillé au fond de soi, car grâce à lui on reconnait tout autre comme être humain », révélant ainsi « le seul véritable antidote à la tentation barbare, qu’elle soit individuelle et collective » à laquelle chaque être humain peut être confronté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/edgar-morin-un-siecle-de-sagesse-en-trois-lecons-163917">Edgar Morin, un siècle de sagesse en trois leçons</a>
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<p>Autrement dit, selon Morin, l’éducation doit non seulement permettre d’apprendre à vivre, mais à vivre dans la solidarité, et dans une solidarité qu’il place dans un système planétaire. <a href="https://theconversation.com/la-competition-a-t-elle-une-vertu-educative-166586">Le système compétitif</a> que l’école continue à favoriser devrait donc être repensé au prisme de la coopération pour permettre aux enfants et aux jeunes d’apprendre à travailler ensemble, dans un monde commun, et dans une relation de confiance qui englobe également les éducateurs.</p>
<p>Pour ce faire, Morin pense l’enseignement comme devant répondre à une véritable mission qui ne se réduise pas à une simple fonction ou une spécialisation. Il s’agit d’une tâche de salut public qui s’incarne dans une mission de transmission qui suppose d’avoir foi tant dans la culture que dans les possibilités de l’esprit humain. Car l’éducation comprend en elle le principe d’éducabilité qui repose sur un postulat essentiel : chaque humain a une aptitude à progresser et à se perfectionner, quelles que soient ses fragilités et ses faiblesses.</p>
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<p>Cette réforme de l’éducation qui appelle une réforme de l’enseignement tant primaire que secondaire et universitaire pourrait permettre et accompagner un changement de paradigme. En ce qui concerne plus particulièrement l’école, l’évolution de notre système scolaire doit prendre en compte l’esprit humain, que Morin nous dit de nature prêt à la complexité, pour éduquer aux risques de l’erreur et de l’illusion auxquels nous sommes de plus en plus soumis notamment par les réseaux sociaux, pour nous apprendre à naviguer dans l’incertitude.</p>
<p>Le concept d’<a href="https://journals.openedition.org/trema/5896">éducation complexe</a> permet ainsi de porter une vision qui tient compte de l’humain, tant de son bien-être et de son épanouissement, que de ses faiblesses et ses errements. Qui permette, en plaçant l’humain au cœur du système éducatif, de tenter d’enseigner à vivre, et à vivre ensemble. Ces questions désormais essentielles à appréhender dès le plus jeune âge nécessitent de repenser la formation des enseignants, car dans cet esprit ils devront avoir, <a href="https://www.meirieu.com/LIVRES/qui-veut-encore-des-professeurs.html">selon les mots de Philippe Meirieu</a> :</p>
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<p>« la mission d’instruire sans enfermer, de transmettre sans clôturer, d’engager chacun et chacune dans une démarche de recherche à laquelle aucun credo obscurantiste ne pourra jamais mettre fin. Il y va de la réussite de notre École. Et de la possibilité, pour nos enfants, de donner un avenir à leur futur ».</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/212999/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Si Edgar Morin s’est penché sur les questions éducatives et a rencontré un écho dans ce domaine en Amérique du Sud, les pistes que sa pensée apporte pour changer l’école sont trop méconnues en France.Fabienne Serina-Karsky, Maître de conférences HDR en Sciences de l'éducation, Institut catholique de Paris (ICP)Maria Fernanda Gonzalez Binetti, maitre de conférences, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152792023-10-24T17:12:44Z2023-10-24T17:12:44ZÀ l’école, apprendre à évaluer l’information dans un monde numérique<p>Sujet relativement marginal il y a une vingtaine d’années, <a href="https://theconversation.com/in-extenso-decrypter-linfo-sur-ecran-ca-sapprend-155506">l’évaluation de l’information sur Internet</a> est aujourd’hui un enjeu majeur pour notre société. Le nombre très important de messages frauduleux, douteux ou biaisés publiés tous les jours sur les réseaux sociaux et sur le web en général rend tout un chacun vulnérable à la désinformation. On l’a vu avec des sujets d’actualité comme la vaccination contre le <a href="https://theconversation.com/science-et-Covid-19-pourquoi-une-telle-crise-de-confiance-147808">Covid-19</a>, les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/election-au-bresil-une-campagne-de-fake-news-et-de-desinformation-dans-le-camp-bolsonaro-comme-dans-celui-des-partisans-de-lula_5425105.html">élections présidentielles au Brésil</a>, ou encore la <a href="https://www.la-croix.com/France/Guerre-Ukraine-France-denonce-vaste-campagne-desinformation-provenance-Russie-2023-06-13-1201271314">guerre en Ukraine</a>.</p>
<p>Si l’évaluation est plus que jamais essentielle à tous les citoyens, et ce dès le plus jeune âge, elle est aussi une compétence complexe. Elle requiert des connaissances sur les règles de publication sur Internet et les critères de fiabilité de l’information, mais aussi une motivation et des habilités métacognitives, c’est-à-dire la capacité à réfléchir sur ses actions et à les réguler. Ces compétences posent de nombreux défis aux internautes et interrogent le rôle de l’école.</p>
<h2>Aller au-delà des indices superficiels</h2>
<p>Prenons le cas d’un élève de CM2 qui a pour consigne de trouver des informations sur les causes du réchauffement climatique sur Internet pour une présentation en classe. Après avoir saisi des mots-clés dans un moteur de recherche, il trouve plusieurs articles en apparence intéressants. L’un d’entre eux s’intitule « Les zones climatiques : causes et conséquences ». Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959475210000216">recherches</a> auxquelles j’ai pu contribuer montrent que le fait de trouver des mots-clés de la requête dans le titre de l’article augmente beaucoup les chances que l’élève considère l’article comme pertinent pour sa recherche, alors même que celui-ci ne traite pas de son sujet…</p>
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<p>Jusqu’à un certain âge et niveau scolaire, les élèves se laissent influencer très facilement par des indices superficiels, tels que la présence de mots-clés, la taille et le type de police de caractères utilisés dans les pages de résultats de recherche. Vers la fin du collège, ces effets s’atténuent considérablement, mais d’autres défis de l’évaluation prennent le pas, tels que le fait de ne pas savoir ce qu’il faut évaluer exactement quand on demande de juger la fiabilité d’une page web pour une recherche.</p>
<p>Ainsi, dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0360131517301252">étude menée auprès d’élèves de troisième en France et en Allemagne</a>, publiée dans la revue <em>Computers & Education</em>, mes collègues et moi-même avons montré que la quasi-totalité des participants ne prête pas attention à la source des informations lorsqu’on leur demande de répondre à une question telle que « L’aspartame est-il mauvais pour la santé ? » à partir de quatre pages web sur le thème. Ils se centrent sur le contenu des articles, alors même que certains sites ont un conflit d’intérêts notoire vis-à-vis du sujet (par exemple, un fabricant de sodas qui contiennent de l’aspartame).</p>
<p>Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ne prêtent pas attention à la source de l’information, les élèves évoquent le manque de consignes explicites de la part de l’enseignant, le type de tâche et leur motivation personnelle à trouver des informations fiables sur le sujet.</p>
<p>Pour autant, ils ne sont pas insensibles ni incapables de percevoir les enjeux liés à la source pour l’évaluation de la fiabilité de l’information. Lorsqu’on leur pose la question directement, ils perçoivent rapidement le conflit d’intérêts derrière certaines sources. Le problème est que la recherche d’informations et la consultation quotidienne des réseaux sociaux ne se font pas avec un adulte à côte pour poser ce genre de questions…</p>
<h2>Faut-il appliquer la méthode des « check lists » ?</h2>
<p>Que peut faire l’école pour aider les élèves à développer des compétences d’évaluation de l’information sur Internet ? La réponse à cette question est moins évidente qu’elle n’y paraît. Il existe en effet une multitude de méthodes, contenus et approches pédagogiques aujourd’hui disponibles sur Internet et dans les écoles. Cependant, la plupart de ces approches manquent de preuves empiriques de leur efficacité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-contrer-infox-et-propagande-le-fact-checking-ne-suffit-pas-179984">Pour contrer infox et propagande, le fact-checking ne suffit pas</a>
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<p>Pour donner un exemple, une approche couramment utilisée se base sur l’application de « check lists » à l’analyse des sites web trouvés par les élèves dans le cadre de leurs recherches. On demande ainsi aux élèves de vérifier, pour chaque site, si les informations sont « à jour », le texte « lisible » et la source « fiable », entre autres critères d’évaluation. Les revues de la littérature scientifique par <a href="https://crl.acrl.org/index.php/crl/article/view/24799">Ziv et Benne</a>, en 2022, et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0360131519302647">Sarah McGrew</a>, en 2020, montrent que cette approche est prépondérante, voire exclusive, dans un grand nombre d’universités et d’écoles. Or, elle est inefficace pour l’apprentissage de l’évaluation de l’information car la plupart des critères demandent des connaissances relativement expertes et/ou ne sont pas suffisamment objectifs pour permettre un jugement indépendant de l’avis de l’élève ou étudiant.</p>
<p>Une formation à l’évaluation de l’information efficace demande de bases théoriques solides sur les processus sociocognitifs de lecture et compréhension de « documents » (textes, images, vidéos…), ainsi que des preuves empiriques obtenues à travers des études scientifiques rigoureuses et impliquant une collaboration étroite entre chercheurs et praticiens. Ces recherches existent depuis quelques années, mais elles ne sont pas encore assez nombreuses pour couvrir tous les domaines et problématiques pédagogiques liées à l’évaluation de l’information.</p>
<p>Dans mon livre <a href="https://cfeditions.com/savoir-chercher/"><em>Savoir chercher. Pour une éducation à l’évaluation de l’information</em></a>, je passe en revue les théories et études scientifiques réalisées à l’échelle internationale, dans les années récentes, sur ce sujet. Ce n’est pas une revue exhaustive, mais elle couvre un grand nombre d’études et de synthèses d’études montrant que les défis de l’éducation à l’évaluation de l’information peuvent être surmontés à certaines conditions (par exemple, proposer des exercices structurés d’évaluation de l’information, créer des liens entre l’évaluation et d’autres activités scolaires tels que la lecture et la résolution de problèmes).</p>
<p>Il n’existe pas de recette miracle, mais un nombre croissant d’études pointe vers la nécessité d’un enseignement explicite de cette compétence à l’école, c’est-à-dire, un enseignement qui combine des phases de réactivation des connaissances préalables, de modelage, de pratique guidée et autonome des élèves. Par exemple, l’enseignant peut partir de l’expérience des élèves sur des informations fausses ou erronées diffusées sur Internet, pour leur expliquer la notion de source d’information et montrer pas à pas les étapes d’évaluation de la source. Ensuite, les élèves s’exercent sur des exercices partiellement résolus par/avec l’enseignant pour aller progressivement vers des exercices en autonomie.</p>
<h2>Imaginer de nouvelles formes d’apprentissage</h2>
<p>Les recherches pointent vers la nécessité d’imaginer de nouvelles formes de collaboration entre les enseignants de différentes disciplines, par exemple en identifiant un corpus de textes dans différentes disciplines qui peuvent se prêter à un travail d’évaluation des informations. Ceci afin de montrer l’importance de l’évaluation dans tous les domaines de connaissances, et en même temps sa complexité car les critères d’évaluation ne sont pas absolus, ils demandent une adaptation au contexte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-dela-du-fact-checking-cinq-pistes-pour-renforcer-leducation-aux-medias-127524">Au-delà du fact-checking, cinq pistes pour renforcer l’éducation aux médias</a>
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<p>Les liens entre les processus cognitifs fondamentaux, tels que la compréhension de textes, et l’évaluation de l’information, que l’on peut considérer comme un processus de lecture finalisée ou « fonctionnelle », pour utiliser les termes de <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-derniere-enquete-pisa-de-l-ocde-met-en-lumiere-les-difficultes-des-jeunes-a-l-ere-du-numerique.htm">l’enquête PISA de l’OCDE</a> et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Observatoire_national_de_la_lecture">l’Observatoire national de la lecture</a>, mission ministérielle d’expertise menée au début des années 2000, sont à creuser et à développer dans les recherches actuelles.</p>
<p>L’évaluation est une compétence que l’on souhaite voir s’appliquer non seulement aux tâches scolaires, mais aussi à toutes les tâches de la vie courante qui demandent une vigilance particulière quant à la qualité et à la crédibilité de l’information. Pour cette raison, impliquer les élèves dans la formation de leurs pairs, par exemple en les incitant à animer des ateliers (pour lesquels ils devraient être préparés) sur l’évaluation des l’information dans les réseaux sociaux, est sans doute une piste prometteuse pour identifier des situations intéressantes et pertinentes pour les jeunes, et promouvoir l’engagement de tous dans cette activité, l’évaluation, aujourd’hui essentielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215279/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mônica Macedo-Rouet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’évaluation de l’information est plus que jamais une compétence essentielle à tous les citoyens, elle est complexe à acquérir. Retour sur les défis qu’elle pose à l’école.Mônica Macedo-Rouet, Professeure des universités en psychologie cognitive, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159502023-10-19T20:38:07Z2023-10-19T20:38:07ZL’école de la République : un pilier dans la tourmente ?<p>Trois ans après <a href="https://theconversation.com/lettre-aux-enseignants-en-premiere-ligne-pour-defendre-les-valeurs-de-la-republique-148315">l’assassinat de Samuel Paty</a>, le terrorisme vient à nouveau de frapper l’école, qui devient ainsi clairement une cible spécifique du djihadisme. Mais si les <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/10/16/face-a-la-salafisation-des-esprits-l-ecole-est-la-ligne-de-front_6194776_3260.html">enseignants sont devenus une cible</a>, c’est qu’ils sont aussi un rempart. Un rempart contre l’obscurantisme qui caractérise et anime leurs agresseurs, et menace toute la société. Ils se trouvent ainsi de facto, sans l’avoir vraiment voulu, chargés d’une mission qui dépasse la simple (mais déjà assez difficile !) mission d’enseigner : celle d’être un pilier dans la tourmente, pour toute la nation française.</p>
<p>Il y a désormais un décalage entre ce que l’on attend de l’école, et ce que les enseignants sont habitués à y faire, en ayant été formés spécifiquement pour cela. Car ils doivent être plus que de simples enseignants, et cela n’est sans doute, pour eux, ni évident, ni facile.</p>
<p>Pour apprécier la charge que représente cette nouvelle tâche, et l’étendue du changement touchant le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/enseignants-24310">métier de professeur</a> (des écoles comme de collège ou de lycée), on peut l’appréhender à partir de trois attentes essentielles touchant désormais l’école.</p>
<h2>L’école, ce lieu où l’on est soumis au « choc du savoir »</h2>
<p>Ce décalage est déjà visible au niveau de la mission la plus traditionnelle de l’école, et qui perdure, en étant plus que jamais d’actualité : transmettre des savoirs. Mais, plus que d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/05/gabriel-attal-nous-devons-engager-une-bataille-pour-le-niveau-de-notre-ecole_6192600_3224.html">« choc des savoirs »</a>, selon l’expression de Gabriel Attal, il lui faut être le lieu d’un choc du savoir ! Non pas accumuler des savoirs, mais d’abord comprendre ce qu’est le savoir, et le distingue d’une opinion. Car l’essentiel est de dépasser les opinions (s’en délivrer), pour accéder au savoir.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/education-aux-medias-et-a-linformation-la-generalisation-et-apres-177372">Éducation aux médias et à l’information : la généralisation, et après ?</a>
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<p>C’est ce mouvement de <a href="https://editions.flammarion.com/traite-de-la-reforme-de-lentendement/9782080711717">« purification de l’entendement »</a>, pour parler comme Spinoza, qui compte, beaucoup plus que l’accès à tel ou tel savoir particulier. Telle est la « révolution copernicienne » qui est exigée de l’école pour devenir vraiment un rempart contre l’ignorance et l’obscurantisme : se centrer non sur les savoirs, mais sur la dynamique qui permet d’y accéder.</p>
<p>Le glissement est double. Il s’agit de porter un autre regard sur les disciplines scolaires. Et de vraiment ne laisser personne à l’écart. Du premier point de vue, les disciplines d’enseignement ne doivent plus être considérées comme des fins en soi, mais essentiellement comme des occasions de développer certaines capacités ou compétences fondamentales. Le professeur ne doit plus être au service d’une discipline, mais au service des élèves que cette discipline peut aider à grandir et à progresser en tant qu’êtres humains.</p>
<p>Il ne s’agit pas, par exemple, de former un mathématicien, ou un homme de lettres. Mais d’utiliser les mathématiques et les lettres pour armer l’élève d’outils cognitifs, qui le rendront capable d’innover, pour faire face à la variété de problèmes qu’il rencontrera dans le temps de crise, et d’incertitude, qui est désormais le nôtre.</p>
<p>Et quand se développent des <a href="https://theconversation.com/chatgpt-face-aux-artifices-de-lia-comment-leducation-aux-medias-peut-aider-les-eleves-207166">outils numériques par lesquels on pourrait craindre d’être dépassé</a>, il faut d’abord permettre à l’élève de se construire lui-même comme « outil pensant intelligent (smart) », capable de débusquer les contre-vérités, et d’imaginer des solutions aux problèmes rencontrés. La grande tâche de l’école est aujourd’hui de participer à cette construction.</p>
<p>C’est ce qui conduit à repenser les curricula (les programmes d’étude et de développement), en visant moins une pluralité de savoirs spécifiques (correspondant à des disciplines d’enseignement enseignées pour elles-mêmes), que ce que chaque discipline peut offrir comme méthodes de recherche, attitudes de travail, en matière de formation et de structuration de l’esprit.</p>
<p>Non pas la discipline pour elle-même, mais pour sa contribution à la sauvegarde et au développement des capacités cognitives. Il s’agit en somme de sauvegarder et de développer ce que Rousseau appelait la <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/file/index/docid/297311/filename/Adli_La_perfectibilite_chez_Rousseau.pdf">« perfectibilité »</a>, c’est-à-dire le pouvoir fondamental d’acquérir et de développer des pouvoirs (d’agir et de penser).</p>
<p>La seconde préoccupation (ne laisser personne à l’écart) devrait conduire à privilégier une <a href="https://theconversation.com/penser-lapres-pour-une-ecole-de-lessentiel-137005">« école du socle »</a>. C’est-à-dire une école centrée sur les fondamentaux, dans le sens évoqué ci-dessus, et accompagnant les élèves sur un temps suffisamment long : pas de différenciation, ou d’orientation importante, avant la fin du collège actuel. Tous les enfants et adolescents doivent être touchés par le mouvement de « réforme de l’entendement ».</p>
<h2>L’école comme lieu d’expérimentation concrète de la laïcité</h2>
<p>Bien plus que l’instauration d’un nouveau rapport au savoir, le deuxième changement risque d’être déstabilisant pour les enseignants. Il s’agit pour eux d’être les acteurs d’une véritable expérimentation concrète de la laïcité. Cela peut encore être saisi à deux niveaux.</p>
<p>Le premier est celui d’un enseignement de la laïcité. Ce travail incombe en grande partie aux professeurs d’histoire-géographie, à qui il appartient, depuis 2015, d’assurer un enseignement moral et civique (EMC) poursuivant trois finalités, précisées par le <a href="https://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=38047">Bulletin officiel n° 30 du 26-7-2018 de l’Éducation nationale</a> : respecter autrui ; acquérir et partager les valeurs de la République ; construire une culture civique.</p>
<p>Le nouvel <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-lenseignement-moral-et-civique-148493">« enseignement moral et civique »</a> (EMC) inscrit dans la loi de refondation de l’école de 2013 a suscité d’importants débats, sur son opportunité, son sens, sa légitimité, et même sa possibilité. Les événements récents montrent qu’un tel enseignement est absolument nécessaire.</p>
<p>Tous les élèves doivent comprendre ce que signifie la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/la-cite-22058">laïcité</a>, et quel est le sens du principe qui la fonde : la distinction entre les lois, libre expression du peuple souverain, qui s’imposent à tous les citoyens, égaux en tant que tels ; et les convictions, religieuses ou autres, que chacun est libre d’adopter et de défendre, à la seule condition qu’elles n’entraînent pas d’actes contradictoires avec les lois de la République.</p>
<p>Mais les professeurs d’histoire-géographie ne doivent pas être laissés seuls sur les créneaux du rempart ! Il appartient à l’ensemble de la communauté éducative (au sein de l’établissement), de faire en quelque sorte expérimenter concrètement la laïcité. En rappelant, chaque fois que l’occasion en est donnée, en cours, comme dans la « vie scolaire », la nécessité du respect des opinions individuelles, et des personnes qui les expriment, mais toujours dans le cadre du respect premier et fondamental des lois de la République. Et en n’hésitant pas à assurer le rôle de garant et de gardien de la laïcité, en intervenant quand un acte mérite sanction.</p>
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<figcaption><span class="caption">France : atteintes à la laïcité, les professeurs en première ligne •(France 24, octobre 2023).</span></figcaption>
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<p>De ce point de vue, tous les acteurs de la communauté que constitue l’établissement, dont les professeurs, doivent accepter de jouer le rôle de représentants, et s’il le faut de gendarmes, de l’exigence laïque.</p>
<p>Il y a bien un combat à mener, mais finalement contre la haine, qui fait oublier que l’autre (le Palestinien, le juif, le chrétien, le Français…), est mon semblable, et mon égal. Quelqu’un envers qui j’ai des devoirs, qui ne sont que l’autre, et première, face de mes droits.</p>
<h2>L’école comme espace où l’on vit de façon protégée les temps de l’enfance et de l’adolescence</h2>
<p>L’école est aussi le lieu où l’on passe une partie essentielle des longues, et souvent heureuses, années de son enfance et de son adolescence. Années qu’on les passe au sein de groupes sociaux rassemblant des personnes d’à peu près le même âge, mais de convictions et de milieux relativement divers, et avec certaines desquelles on nouera des amitiés durables.</p>
<p>Ce lieu où se tissent des amitiés, où se construisent, et s’interpénètrent, des parcours de vie, se doit d’être un lieu protecteur. Or la menace djihadiste en fait un lieu où les enseignants, comme les élèves, deviennent des cibles particulièrement exposées au risque d’agression terroriste, et peuvent se sentir condamnés à vivre dans la peur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-aux-attaques-terroristes-comment-proteger-les-enseignants-215724">Face aux attaques terroristes, comment protéger les enseignants ?</a>
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<p>L’école se doit d’être un espace hautement sécurisé, qui met à l’abri de la peur. Mais sans devenir une forteresse coupée du reste de la société. En dehors de ce qui relève de l’action des forces de police, voire de l’armée, le souci de la sécurité peut d’ailleurs commencer à se manifester dans des actes tels que l’instauration de « places aux enfants », espaces libérés de la circulation automobile devant l’entrée des établissements. Ou dans une ferme politique de lutte contre le harcèlement, à laquelle tous les enseignants peuvent, et doivent, participer.</p>
<p>Car s’il faut craindre les agressions mortelles en provenance de l’extérieur, l’histoire récente montre que des agressions proprement scolaires, relevant du <a href="https://theconversation.com/ecole-exclure-les-eleves-harceleurs-est-ce-vraiment-la-solution-211950">harcèlement</a>, peuvent s’avérer, in fine, tout aussi mortelles. Tout doit être fait pour que les élèves puissent vivre en paix, à l’abri de toutes les agressions, d’où qu’elles viennent.</p>
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<p>Le combat pour la sécurité et la paix est ainsi un combat multiforme, et de tous les instants. Les enseignants sont, plus que jamais, invités à y participer. Et cela peut commencer par l’instauration d’une atmosphère de travail paisible, fondée sur le respect réciproque, au sein d’une classe où l’erreur n’est pas une faute, et où l’on peut apprendre sans avoir peur : ni la peur de se tromper ; ni la peur d’être moqué ou agressé par les autres ; ni la peur d’être victime d’un attentat.</p>
<p>Il est clair, toutefois, que les enseignants ne pourront vraiment s’investir dans ce triple nouveau rôle d’accompagnateur de la réforme de l’entendement, de représentant actif de la laïcité, et d’agent de la paix, qu’à une double condition. La première est qu’ils bénéficient d’une triple formation adéquate. La seconde, que la société leur manifeste (enfin) une reconnaissance à la hauteur de l’importance de leur rôle, et de leur engagement dans ce triple combat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les enseignants sont devenus une cible, c’est qu’ils sont aussi un rempart. Un rempart contre l’obscurantisme qui caractérise et anime leurs agresseurs, et menace toute la société.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101562023-10-11T17:23:39Z2023-10-11T17:23:39ZComment la Finlande encourage l’activité physique des enfants et des adolescents<p>Tandis qu’en France les opérations en milieu scolaire comme l’<a href="https://www.education.gouv.fr/30-minutes-d-activite-physique-quotidienne-dans-toutes-les-ecoles-344379">opération 30 minutes d’activité physique</a>) se succèdent pour <a href="https://www.education.gouv.fr/bouger-plus-pour-mieux-apprendre-30-minutes-d-activite-physique-quotidienne-dans-les-ecoles-344406">lutter contre la sédentarité</a> dès l’école primaire, « restaurer le capital santé » des enfants et « faciliter l’apprentissage », d’autres pays ont vu une <a href="https://www.activehealthykids.org/2018/11/09/finlands-2018-report-card-on-physical-activity-for-children-and-youth-has-been-launched/">augmentation constante des niveaux d’activité physique</a> chez les jeunes de 11 à 15 ans.</p>
<p>En Finlande, entre 2002 et 2018, la proportion de jeunes qui atteignent le minimum de 60 minutes d’activité physique par jour est passée de 18 % à 35 % chez les garçons et de 12 % à 29 % chez les filles dans ce même intervalle de temps.</p>
<p>Comment expliquer ces résultats ? Quels dispositifs notre voisin nordique a-t-il mis en place au sein des écoles pour réussir à guider les élèves vers un mode de vie actif ou <em>lifestyle</em> et les éduquer à travers les activités physiques et sportives ? Car pour le ministère de l’Éducation et de la Culture finlandais, augmenter le niveau d’activité physique est le moyen de faire accéder les enfants et les adolescents au bien-être et à la santé.</p>
<h2>Des liens entre activité physique et développement des apprentissages</h2>
<p>On peut constater des politiques nationales favorables à l’activité physique dans les écoles élémentaires et dans les écoles secondaires inférieures (ce qui équivaut au collège pour la France). Ainsi, la Finlande a lancé le programme <a href="https://liikkuvavarhaiskasvatus.fi/wp-content/uploads/2022/10/joy_in_motion_programme_document_LV_www.pdf">« Joy in Motion »</a> en 2017 dans les centres de petite enfance (garderie, crèches pour les enfants de 0 à 6 ans). Il s’agit d’un programme destiné à renforcer la pratique de l’activité physique quotidienne chez les jeunes enfants.</p>
<p>Car les liens entre l’activité physique et le développement des prérequis nécessaires aux apprentissages généraux ont été soulignés <a href="https://jyunity.fi/en/thinkers/outdoor-activities-and-play-are-important-for-childrens-motor-skill-development/">dans plusieurs enquêtes finlandaises</a>. Le pays accorde ainsi beaucoup d’importance à ce rapport entre activité physique et développement des apprentissages (motricité fine, concentration, mémorisation, etc).</p>
<p>Les enfants capables de marcher et âgés de 0 à 5 ans doivent alors faire au moins 180 minutes d’activité physique par jour. Un rapport <a href="https://journals.humankinetics.com/view/journals/jpah/15/s2/article-pS355.xml">« Finland’s report card on Physcial Activity for children and Youth »</a> (2018) indique qu’environ 59 % des jeunes enfants âgés de moins de 6 ans atteignent ces 180 minutes recommandées.</p>
<p>Dans les écoles élémentaires et dans l’enseignement secondaire (collège), le programme <a href="https://schoolsonthemove.fi/about-us/">« Finnish schools on move ! »</a> a été implanté suite au décret ministériel de 2012. Les transports actifs (vélo, marche) sont valorisés, les élèves doivent passer moins d’heures assis sur les bancs de classe par jour, ils ont des pauses actives en salle de classe et ont plus de récréations : pour chaque tranche de 45 minutes de travail à l’école primaire, 15 minutes de pauses conçues comme des moments actifs durant lesquels les enfants doivent « bouger ».</p>
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<p>En primaire, les élèves doivent avoir 60 minutes d’activité physique par jour et un suivi des données de santé sur application mobile a été mis en place. En mai 2018, 88 % des écoles primaires (2 096 écoles) participaient au programme Move !</p>
<p>Enfin on peut ajouter que la Finlande fait une large place à l’éducation physique (EP) dans l’emploi du temps des élèves. La discipline est en effet est considérée comme <a href="https://www.finlex.fi/fi/laki/alkup/2018/20180793">l’une des cinq principales matières du programme d’études</a> dans le primaire et dans le secondaire et représente un tiers du nombre total de cours (après le finnois, la littérature et les mathématiques).</p>
<p>Dans la plupart des écoles élémentaires, les élèves ont au minimum deux leçons de 45 minutes d’éducation physique par semaine en général, soit 90 minutes par semaine. Car elles doivent offrir un certain volume d’heures d’éducation physique sur les trois sections qui composent la <em>basic education</em> en Finlande : pour les années 1-2 (7-8 ans), le volume est de 152 heures annuelles d’EP ; pour les années 3-6 (9-12 ans), le volume est de 342 heures ; enfin pour les années 7-9 (13-15 ans), il est de 266 heures d’EP.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-cours-deducation-physique-et-sportive-consistent-ils-seulement-a-faire-du-sport-203804">Les cours d’éducation physique et sportive consistent-ils seulement à faire du sport ?</a>
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<p>Par ailleurs, dans ces années 7 à 9, des cours d’EP sont proposés en option, de sorte que certains élèves peuvent avoir jusqu’à 6 leçons d’éducation physique par semaine. Généralement une « option éducation physique » est de 36 heures et son enseignement peut être organisé de différentes manières : avec des heures regroupées lors des journées plus longues en ski alpin par exemple, ou « dispatchées » dans l’emploi du temps hebdomadaire des élèves.</p>
<p>Au lycée, pendant trois ans, un cours d’EP est obligatoire, il est de 36 heures réparties sur l’année de différentes manières à nouveau. Il y a également la possibilité pour les élèves de choisir des « cours volontaires d’EP ».</p>
<h2>Favoriser la créativité et le bien-être des élèves</h2>
<p>La Finlande offre une grande liberté pédagogique aux établissements (qui recrutent eux-mêmes les professeurs) et aux enseignants d’éducation physique (qui sont libres de programmer les activités qu’ils souhaitent pour répondre au programme national) : il n’y a pas d’inspection nationale mais des enquêtes conduites au hasard dans les écoles.</p>
<p>S’appuyant sur le rapport précoce et affirmé des finlandais à la forêt, à la nature, ils proposent des leçons à partir d’activités tournées le plus souvent vers l’extérieur et la nature en fonction des saisons : ski de fond, patinage, marche nordique ou flower ball qui est l’activité très populaire. Seule la natation doit obligatoirement être programmée au « pays des mille lacs ».</p>
<p>Enfin, la formation des futurs enseignants d’EP est tournée vers l’ambition de renforcer le <em>lifestyle</em> des futures générations d’élèves en valorisant les expériences positives, la créativité et le bien-être de ces derniers. Nous avons observé les enseignants et les étudiants de la <a href="https://www.jyu.fi/sport/en">faculté du Sport et des Sciences de la Santé de Jyväskylä</a>, seule lieu de formation des futurs enseignants d’EP et avons constaté que les savoirs transmis aux étudiants et les compétences professionnelles travaillées valorisent la conception d’un enseignement fondé sur une pratique ludique plutôt que sur l’apprentissage de techniques spécifiques.</p>
<p>Le but pour les enseignants d’EP finlandais c’est que chaque élève trouve sa manière de faire, de réussir et qu’il se sente bien et heureux dans la leçon. Pour dribbler au basket-ball par exemple, les élèves ne vont pas copier une technique de haut niveau ou reproduire la technique d’un autre élève ou de l’enseignant. Ils vont trouver leur propre manière d’avancer vers la cible en dribblant. Elias, un enseignant de la faculté nous explique cet enjeu fort de formation :</p>
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<p>« J’utilise beaucoup de couleurs, de chiffres, de dés… donc je veux qu’ils soient positifs, créatifs, ouverts d’esprit. Je ne crois pas aux “compétences”. Si vous êtes très habile en tant que footballeur ou nageur, cela ne joue pas un grand rôle lorsque vous êtes enseignant. Je crois que plus vous êtes enthousiaste, plus vos élèves ont envie de bouger, d’essayer et de faire partie de vos cours. »</p>
</blockquote>
<p>Le développement de l’autonomie et la créativité des élèves sont ainsi des principes au cœur du <em>curriculum</em> officiel de l’éducation physique. La place conséquente importante accordée à l’éducation physique dans l’emploi du temps des élèves, l’importance accordée au bien-être et à la créativité dans les leçons de la discipline, les réformes politiques en faveur de l’activité physique sont de nature à renforcer le <em>lifestyle</em> des élèves, à les guider dans la construction d’un rapport positif et favorable à la pratique des activités physiques.</p>
<p>Les élections parlementaires des 200 députés finlandais en avril 2023 ont continué d’orienter les débats en direction des enfants, des adolescents, et de leur activité physique, de leur bien-être, de la qualité de leur vie. Les discussions actuelles portent par exemple sur l’augmentation du temps des leçons d’éducation physique qui pourraient passer de 90 minutes à 135 minutes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210156/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Pochon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment lutter contre la sédentarité des jeunes ? C’est un problème mondial à l’heure des écrans. Zoom sur la Finlande qui a mis en place des politiques en faveur de l’activité physique.Sarah Pochon, Maîtresse de conférences en STAPS, Université d'ArtoisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147782023-10-10T21:20:33Z2023-10-10T21:20:33ZEnseigner en France, en Espagne, au Royaume-Uni : un bien-être professionnel qui se dégrade ?<p>Le Baromètre international de la santé et du bien-être des personnels de l’éducation (I-BEST) a pour objectif de mieux connaître les conditions de travail et le ressenti des personnels de l’éducation. Il a été mis en place en 2021 par le Réseau Éducation et Solidarité (RES) et la Fondation d’entreprise pour la santé publique (FESP), avec l’appui de l’Internationale de l’Éducation et la Chaire Unesco « ÉducationS et Santé », dans une finalité de promotion de la santé globale, et avec l’idée que l’équilibre physique et mental de ces professionnels est une condition essentielle d’une éducation de qualité.</p>
<p>En 2021, après 18 mois de pandémie, la <a href="https://www.educationsolidarite.org/nos-actions/barometre-international-de-la-sante-du-personnel-de-leducation/">première édition d’I-BEST</a> avait objectivé <a href="https://theconversation.com/la-crise-sanitaire-met-la-sante-du-personnel-enseignant-sous-haute-tension-171620">l’épuisement des enseignants à travers le monde</a>. Deux ans plus tard, la deuxième édition du Baromètre s’est élargie à 11 territoires repartis sur 4 continents et plus de 26 000 personnels de l’éducation ont répondu à l’enquête en ligne. Parmi eux, 9 595 enseignent en France, 2 723 en Espagne et 2 524 au Royaume-Uni, trois pays d’Europe géographiquement et économiquement proches, mais avec des cultures différentes, et dont la langue est un marqueur fort.</p>
<p>Au sortir de la crise Covid-19, alors que l’année scolaire 2022-2023 <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000381091">marque pour l’école dans son fonctionnement un certain retour à la normale</a>, qu’en est-il du ressenti des enseignants en Europe ? Selon les territoires, leurs ressentis sont-ils similaires, nuancés ou franchement contrastés ?</p>
<h2>Des enseignants qui travaillent 40h par semaine en moyenne</h2>
<p>Sept enseignants sur dix sont des femmes dans les échantillons français, espagnol et britannique, ce qui reflète la féminisation très large du secteur de l’éducation en Europe. Les profils des enseignants des trois pays sont également similaires en âge et niveau d’enseignement (Figure 1), tout comme leur cadre de travail, avec des distributions assez proches en ce qui concerne la taille de l’établissement, le caractère urbain-rural du quartier environnant, le niveau de sécurité perçue au quotidien ou encore les temps de trajet domicile-travail.</p>
<p>L’Espagne se distingue toutefois par des classes plus souvent petites (moins de 20 élèves) et par une relative insatisfaction vis-à-vis des locaux et des conditions matérielles.</p>
<p>Le temps de travail effectif par semaine apparait partout important, supérieur en moyenne à 40 heures hebdomadaires, et même 48 heures au Royaume-Uni. Parallèlement, les enseignants britanniques se révèlent moins satisfaits de l’autonomie dans leur travail et de leurs relations professionnelles tant en équipe qu’avec la hiérarchie. Les réponses en France vont aussi dans le sens d’une crispation avec la hiérarchie, alors que le travail en équipe y est jugé plus favorablement.</p>
<p>En ce qui concerne les possibilités de formation, d’évolutions et le salaire, des trois pays, l’insatisfaction est systématiquement la plus répandue en France (Figure 2).</p>
<p>Avec plus d’un quart des enseignants concernés, la proportion de personnels victimes de violence au travail dans les 12 derniers mois est partout préoccupante : 25 % en Espagne, 27 % au Royaume-Uni, et 35 % en France.</p>
<p>L’équilibre vie professionnelle/vie personnelle est jugé un peu plus défavorablement en France et au Royaume-Uni qu’en Espagne : 6 enseignants sur 10 y sont insatisfaits de cet aspect contre 5 sur 10 en Espagne. Pourtant, une plus forte proportion d’enseignants espagnols sont amenés à apporter, en plus de leur travail, un soutien régulier à un proche : 7 sur 10 en Espagne, versus 1 sur 2 en France et au Royaume-Uni.</p>
<h2>Des indicateurs de santé au travail contrastés</h2>
<p>Les enseignants espagnols apparaissent un peu plus satisfaits globalement de leur travail que ceux de France ou du Royaume-Uni (Figure 3). Dans ces deux pays, moins d’un enseignant sur deux est « d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec l’affirmation « Dans l’ensemble, mon travail me donne satisfaction » contre plus de 7 sur 10 en Espagne. À noter que les enseignants en France déplorent quasi systématiquement une faible valorisation sociétale du métier : 97 % contre 86 % en Espagne et 84 % au Royaume-Uni.</p>
<p>Néanmoins, et faisant écho à la réserve des enseignants espagnols vis-à-vis de leurs conditions matérielles de travail, la proportion de ceux ayant été dans l’impossibilité de travailler à cause d’un problème de voix dans l’année écoulée est sensiblement plus élevée dans le pays : 41 % en Espagne, 26 % en France et 19 % au Royaume-Uni.</p>
<p>L’état de santé général des enseignants se maintient à un niveau favorable, avec un taux similaire dans les 3 pays de plus de 8 enseignants sur 10 qui le qualifient positivement. L’évaluation du bonheur, de la santé mentale et du sommeil est plus contrastée : ainsi les enseignants se situent sur une échelle de bonheur dans la vie plutôt positivement en Espagne (61 % de satisfaits), de manière intermédiaire au Royaume-Uni (53 %) et plus négativement en France (49 %).</p>
<p>La santé psychologique des enseignants apparait d’ailleurs fragilisée en France, et dans une moindre mesure au Royaume-Uni, avec près d’un personnel sur 2 qui y rapporte ressentir souvent, très souvent ou toujours des sentiments négatifs ; de même pour l’insatisfaction vis-à-vis du sommeil (Figure 4).</p>
<h2>Outils numériques : une bonne adhésion mais une pointe d’ambivalence</h2>
<p>Dans l’enseignement européen, la mise à disposition à titre professionnel d’outils numériques (ordinateur, tablette, connexion Internet…) apparait inégale selon les pays, les enseignants britanniques bénéficiant globalement de taux d’équipement meilleurs et la France de moins bon (Figure 5). En miroir, le taux d’utilisation systématique du matériel numérique personnel pour le travail va de 23 % au Royaume-Uni à 55 % en France.</p>
<p>Dans les trois pays, les outils numériques font partie du quotidien enseignant et l’adhésion est globalement bonne, puisque partout, au moins 8 enseignants sur 10 s’estiment à l’aise avec les outils numériques et considèrent qu’ils leur facilitent le travail. Cependant, tant en France qu’en Espagne et au Royaume-Uni, 4 enseignants sur 10 estiment que les outils numériques sont une source de stress. L’opinion est également partagée sur l’impact du numérique sur les relations avec les élèves et les familles : plus de 4 enseignants sur 10 dans les trois pays (même 6 sur 10 en France) expriment une réserve sur ce point.</p>
<h2>Des pistes d’amélioration différentes selon le pays</h2>
<p>I-BEST nous livre, en 2023, un tableau nuancé du bien-être professionnel et général des enseignants en France, au Royaume-Uni et en Espagne, mettant en lumière des marges de progression spécifiques au territoire.</p>
<p>Dans les trois pays, la lutte contre la violence à l’école et une meilleure valorisation du métier d’enseignant sont à renforcer. Mais aussi, l’accent gagnerait à être mis :</p>
<ul>
<li><p>en Espagne, sur les conditions matérielles d’enseignement, les possibilités d’évolution de carrière et la prévention des troubles de la voix ;</p></li>
<li><p>au Royaume-Uni, sur la charge de travail, les relations professionnelles, l’autonomie et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle ;</p></li>
<li><p>et en France, sur les possibilités de formation et d’évolutions de carrière, le salaire, l’amélioration de la relation avec la hiérarchie, et toujours, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle.</p></li>
</ul>
<p>Un meilleur accompagnement médical de la santé professionnelle est aussi une piste à considérer au Royaume-Uni et en France, alors que 95 % des enseignants de ces deux pays ne voient jamais la médecine du travail, contre 45 % en Espagne (dans ce pays, un tiers des enseignants bénéficie d’une consultation annuelle).</p>
<p>Étant donné les retombées sociétales majeures à court ou plus long-terme de la santé des enseignants, alors que le bien-être est indispensable au bien-faire, suivre les évolutions au plus près du terrain doit rester une priorité afin d’identifier de manière réactive les pistes d’amélioration.</p>
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<p><em>Remerciement : le Réseau Éducation et Solidarité et tous ses partenaires pour la mise en œuvre d’I-BEST ; Nathalie Billaudeau pour les statistiques et les figures ; Nathalie Billaudeau, Pascale Lapie-Legouis, Karim Ould-Kaci, Ange-Andréa Lopoa et Morgane Richard.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214778/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Noël Vercambre-Jacquot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les enseignants se sentent-ils dans leur métier alors que l’année scolaire 2022-2023 marque un certain retour à la normale ? Quelques éléments de réponse avec le baromètre I-BEST 2023.Marie-Noël Vercambre-Jacquot, Chercheur épidémiologiste, Fondation d'entreprise pour la santé publiqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147852023-10-05T17:48:32Z2023-10-05T17:48:32ZPoids des cartables, sanitaires : l’école néglige-t-elle le bien-être physique des élèves ?<p>La prise en compte du corps des élèves est trop souvent négligée dans l’école française comme le montrent entre autres l’état des toilettes scolaires, mis en cause régulièrement depuis des dizaines d’années, tout comme le poids excessif des cartables au collège. En cette rentrée scolaire 2023, on a pu entendre une nouvelle fois cette double mise en cause ô combien récurrente et significative.</p>
<p>Le nouveau ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal s’est prononcé en faveur de la <a href="https://www.bfmtv.com/societe/education/rentree-scolaire-gabriel-attal-veut-diviser-par-deux-le-poids-des-cartables_AN-202309040080.html">diminution de moitié du poids des cartables</a> début septembre : « Je veux avancer sur ce sujet pendant cette année avec les représentants des enseignants, des personnels de direction, les collectivités locales », a-t-il déclaré sur M6.</p>
<h2>Le numérique pour alléger les cartables ?</h2>
<p>Les propos du ministre à la veille de la rentrée ne sont pas sans rappeler la <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/2008/3/MENE0701925C.htm">circulaire du 11 janvier 2008</a> parue sous le ministère de Xavier Darcos :</p>
<blockquote>
<p>« Le poids moyen d’un cartable est encore de 8,5 kilos, ce qui correspond à environ 20 % du poids de l’enfant. C’est pourquoi je vous demande d’agir et de trouver sans délai des solutions concrètes afin de diviser, sous brève échéance, le poids du cartable par deux. »</p>
</blockquote>
<p>C’était il y a quinze ans. Et une <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120902118.html">note ministérielle du 17 octobre 1995</a> avait déjà indiqué que le poids du cartable d’un élève ne devait pas dépasser 10 % de son poids…</p>
<p>À la rentrée 2009, le ministère de l’Éducation nationale expérimente dans douze académies l’utilisation de manuels scolaires via l’espace numérique de travail (ENT) du collège. La <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/2010/11/mene1006812c.htm">circulaire du 16 mars 2010</a> demande aux recteurs d’« accélérer le développement du numérique à l’école » . Celle du 31 juillet 2012 a établi une <a href="https://www.education.gouv.fr/bo/12/Hebdo30/MENE1229918C.htm">liste de fournitures scolaires</a> recommandées ayant pour objectif de réduire le coût de la rentrée et d’alléger le poids du cartable. Et il a été recommandé que l’ensemble des mesures destinées à alléger le poids du cartable soit mis à l’ordre du jour du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté dans chaque établissement scolaire .</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/j9YhPvLalcU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le poids des cartables, le poids des maux (Franceinfo INA, 2020)</span></figcaption>
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<p>Dix ans plus tard, en dépit des mises en garde des personnels de santé sur les risques encourus par les corps des élèves, le poids des disciplines accumulées avec leurs exigences spécifiques reste sur le dos des élèves. Le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a préconisé de « jouer » sur les fournitures, sur les manuels, sur le numérique, sur les casiers dans les établissements. Dans les faits, le souci « instructif » l’a jusqu’ici emporté quasiment sans partage aux dépens du bien-être, comme si le souci réel du corps de l’enfant relevait du « supplément d’âme ».</p>
<h2>Le tabou des toilettes scolaires</h2>
<p>Mutatis mutandis, il en est de même pour ce qui concerne la question sensible, mais pour l’essentiel inchangée, des <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-toilettes-scolaires-nous-apprennent-sur-la-vie-des-eleves-202260">sanitaires scolaires</a>. Une tribune collective signée par des élus, des représentants de parents, d’entreprises, d’associations et de spécialistes de l’enfance a sonné une nouvelle fois l’alerte dans <em>Le Figaro</em> du 27 août 2023 sous le titre <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/hygiene-et-securite-des-toilettes-scolaires-relevent-des-droits-les-plus-essentiels-des-enfants-20230827">« L’hygiène et la sécurité des toilettes scolaires relèvent des droits les plus essentiels des enfants »</a>. Les signataires indiquent que le problème n’est certes pas nouveau, mais qu’il y a une prise de conscience récente quant à l’urgence de la situation. Acceptons-en l’augure :</p>
<blockquote>
<p>« Nos enfants subissent une situation qu’aucun adulte ne serait prêt à endurer dans un environnement personnel ou professionnel. L’hygiène et l’usage des toilettes à l’école sont autant un sujet de santé publique que d’éducation, de sécurité et d’aménagement des espaces […] La situation appelle une réponse collective, massive et urgente pour améliorer le bien-être de tous les enfants de la République. »</p>
</blockquote>
<p>En 2019, Essity, acteur de l’hygiène et de la santé, a mené avec l’IFOP une <a href="https://www.ifop.com/publication/lhygiene-des-toilettes-a-lecole/">étude auprès de 500 enfants âgés de 6 à 11 ans</a>. Il en ressort qu’un élève sur deux se retient d’aller aux toilettes en milieu scolaire, alors même que l’Association française d’urologie préconise d’aller uriner au moins toutes les trois heures au risque de développer, entre autres pathologies, des infections urinaires. L’étude d’Essity met en avant trois facteurs explicatifs de cette situation qui perdure :</p>
<ul>
<li><p>le fait que la question des toilettes à l’école demeure un sujet tabou ;</p></li>
<li><p>l’absence de responsabilité claire et partagée concernant l’hygiène et la sécurité des toilettes ;</p></li>
<li><p>enfin (et sans doute surtout) la sous-estimation de la situation vécue par les enfants.</p></li>
</ul>
<p>En 2006, après enquête, la Fédération nationale des délégués départementaux de l’Éducation nationale écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Ce qui existe partout en matière d’hygiène dans tous les lieux de travail et dans tous les lieux publics est absent dans nombre d’écoles… Ce qui serait intolérable pour des adultes est trop souvent accepté pour des enfants. »</p>
</blockquote>
<p>Il y a 20 ans déjà, dans <em>Le Parisien</em> du 18 novembre 2003, <a href="https://www.slate.fr/story/161788/probleme-toilettes-ecole">Philippe Meirieu déclarait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Notre société exalte le corps, mais est incapable de reconnaître ses fonctions primordiales […] Il n’y a qu’un seul lieu où l’hygiène et le mépris de l’intime sont aussi choquants : c’est la prison. »</p>
</blockquote>
<h2>L’éducation physique, différente de la compétition sportive</h2>
<p>On exalte en effet le corps, mais lequel ? On le voit bien en pleine préparation de l’accueil des Jeux olympiques à Paris dans moins d’un an. Il y est moins question de l’« éducation physique » du corps des enfants que de l’exaltation des « performances sportives ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-cours-deducation-physique-et-sportive-consistent-ils-seulement-a-faire-du-sport-203804">Les cours d’éducation physique et sportive consistent-ils seulement à faire du sport ?</a>
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<p>Comme il est indiqué sur le site du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, le programme <a href="https://www.education.gouv.fr/30-minutes-d-activite-physique-quotidienne-dans-toutes-les-ecoles-344379">30 minutes d’activité physique quotidienne</a> est généralisé depuis septembre 2022 dans les écoles primaires du pays. Il est mis en valeur que l’accompagnement de ce dispositif transformateur constitue l’une des priorités des feuilles de route du ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques et aussi du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. « Cette mesure s’inscrit dans la construction d’une Nation sportive » est-il dit. Et tout est dit.</p>
<p>Et que peut-on dire aussi, en point d’orgue, de la médecine scolaire ? De l’avis quasi général, elle est foncièrement sinistrée. Mais qui s’en soucie vraiment ? À l’école, tout semble se passer comme si les élèves n’avaient pas vraiment de corps, ou si peu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Mettant l’accent sur les savoirs livresques, l’école tend à négliger tout ce qui touche au corps des élèves, du poids des cartables à l’état des toilettes scolaires.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096972023-09-26T19:11:11Z2023-09-26T19:11:11ZLa pédagogie Montessori est-elle efficace ? Ce que nous disent les recherches scientifiques<p>Née au début du XX<sup>e</sup> siècle, la pédagogie Montessori suscite un fort engouement depuis une vingtaine d’années en France. La multiplication de livres, jeux, écoles privées étiquetés « Montessori » témoigne de ce phénomène.</p>
<p>Mais, concernant l’efficacité de la pédagogie Montessori par rapport aux autres formes de pédagogie, que nous disent les recherches ?</p>
<p>Cette pédagogie plus que centenaire a-t-elle encore quelque chose à nous dire sur l’école d’aujourd’hui et celle de demain ?</p>
<h2>La pédagogie Montessori : une liberté dans un environnement cadré</h2>
<p>Fondée sur différents grands principes, la <a href="https://journals.openedition.org/rechercheseducations/10807">pédagogie Montessori</a> vise à offrir à l’enfant une certaine liberté d’apprentissage, dans un environnement cadré et adapté. Celui-ci se partage en plusieurs aires de découverte dédiées à la vie pratique, à la vie sensorielle, au langage et aux mathématiques. Notons aussi que les enfants évoluent en groupes multi-âges – de 3 ans à 6 ans par exemple, puis de 6 ans à 9 ans…</p>
<p>Le matériel présent dans la classe permet à l’enfant d’agir en <a href="https://www.cairn.info/les-grands-penseurs-de-l-education--9782361064655-page-55.htm">toute autonomie</a>. Il lui permet entre autres de se corriger seul, le rôle de l’enseignant étant avant tout d’observer l’enfant pour répondre de manière optimale à ses besoins, de l’accompagner dans ses initiatives et le rediriger si nécessaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-les-ressorts-dun-engouement-qui-dure-105269">Pédagogie Montessori : les ressorts d’un engouement qui dure</a>
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<p>Par ailleurs, l’environnement Montessori permet une <a href="https://theconversation.com/lecture-postures-emotions-comment-le-corps-nous-aide-a-comprendre-un-texte-159583">cognition incarnée</a>. Selon cette théorie les interactions sensori-motrices avec l’environnement favoriseraient le développement cognitif et les apprentissages des enfants. Autrement dit, on apprendrait mieux en interagissant corporellement avec l’environnement. Le matériel Montessori fait justement intervenir plusieurs sens, en particulier le toucher et la vue.</p>
<p>Par exemple, les <a href="https://theconversation.com/apprendre-a-lire-quels-defis-cela-represente-t-il-pour-les-eleves-de-primaire-212144">lettres rugueuses</a> invitent l’enfant à découvrir le tracé des lettres alphabétiques au travers du toucher, puis à en prononcer le son. Ce procédé favorise l’apprentissage de la lecture, en permettant à l’enfant d’associer directement le son des lettres à leur représentation graphique. Autre exemple du côté des concepts mathématiques : le matériel Montessori permet à l’enfant d’associer un nombre écrit à des unités physiquement palpables. À travers la vue et la manipulation, l’enfant peut ainsi renforcer sa compréhension des liens entre représentation spatiale et mathématique d’un nombre.</p>
<p>Enfin, contrairement aux idées reçues, Montessori ne rime pas avec une liberté sans limites. Des règles de vie régissent la classe et les adultes présents posent le cadre. Ainsi, si un objectif de cette pédagogie est de s’adapter au rythme de chacun et chacune, le respect de l’autre et de son travail est éminemment requis. En cohérence avec ce principe, les élèves d’écoles Montessori ne reçoivent ni récompenses ni punitions, ce qui permettrait de soutenir la coopération des élèves, tout en favorisant la motivation intrinsèque.</p>
<p>Ainsi, l’ensemble des caractéristiques de la pédagogie Montessori pourraient offrir aux enfants un cadre particulièrement favorable aux apprentissages et au développement psychologique. Les études menées depuis les trente dernières années semblent aller en ce sens, suggérant que divers aspects de la pédagogie Montessori pourraient avoir des effets bénéfiques sur les capacités cognitives, les compétences sociales, la créativité, le développement moteur et les résultats scolaires des enfants.</p>
<p>Cependant, jusqu’alors, aucun travail de synthèse n’avait réellement permis de conclure sur les effets de la pédagogie Montessori. Une méta-analyse parue récemment dans <em>Contemporary Educational Psychology</em>, une revue phare dans le champ de la psychologie du développement et de l’éducation, apporte un éclairage concernant les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0361476X2300036X">effets de la pédagogie Montessori sur le développement psychologique</a> et les apprentissages des enfants en école primaire.</p>
<h2>Des effets positifs sur les compétences sociales et les résultats scolaires</h2>
<p>Une méta-analyse est une synthèse statistique de plusieurs recherches empiriques portant sur un même objet d’étude. L’objectif est de connaître la tendance, positive ou négative, de l’ensemble des études portant sur le phénomène étudié. La méthodologie repose sur le calcul de tailles d’effets (en anglais « effect size »), qui permet de calculer le bénéfice ou le désavantage du groupe expérimental (les écoles ou les classes utilisant la pédagogie Montessori) par rapport au groupe témoin (les écoles ou les classes utilisant une autre pédagogie).</p>
<p>Les bases de données bibliographiques ont permis d’identifier et d’examiner scrupuleusement 109 articles publiés au cours des 30 dernières années. Ce recensement a permis de retenir 33 études expérimentales ou quasi expérimentales comparant la pédagogie Montessori à d’autres approches pédagogiques. L’ensemble de ces études ont porté sur plus de 21 000 élèves scolarisés en Amérique du Nord, en Asie et en Europe. Ces recherches ont permis de calculer 268 tailles d’effets.</p>
<p>Des méthodes statistiques apparues récemment (« multilevel meta-analysis ») ont permis de réaliser des analyses afin de contrôler tous les biais possibles (biais de publication, dépendances entre les tailles d’effets, etc.). On a pu ainsi calculer les tailles d’effets moyens en fonction des cinq domaines étudiés : les apprentissages scolaires, le développement cognitif, social, moteur ainsi que le domaine de la créativité.</p>
<p>Les résultats de cette méta-analyse montrent que la pédagogie Montessori a des effets positifs et significatifs sur les compétences sociales et sur les résultats scolaires. Autrement dit, comparativement à d’autres formes de pédagogies, elle permettrait un meilleur développement de la compréhension des situations sociales, de la capacité à résoudre des problèmes sociaux ou encore de la capacité à se mettre à la place de l’autre… Différentes caractéristiques de la pédagogie Montessori favoriseraient ce développement des compétences sociales, comme la valorisation de la coopération plutôt que la compétition ou encore l’encouragement au respect mutuel et au partage.</p>
<p>Par ailleurs, cette pédagogie contribue également et fortement à ce que les élèves obtiennent de meilleurs résultats scolaires en mathématiques, lecture, écriture, etc. Cet apport serait lié au matériel multisensoriel et autocorrectif présent dans la classe, mais également à l’absence de punitions et récompenses, encourageant la motivation intrinsèque de l’enfant.</p>
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<p>Les analyses des différents modérateurs n’ont pas révélé de différences selon le niveau scolaire (maternelle ou élémentaire), le type de revue dans laquelle est publiée l’étude (à comité de lecture ou non) et la zone géographique dans laquelle l’étude a été menée.</p>
<p>L’impact de la pédagogie Montessori sur les capacités cognitives, les compétences motrices et la créativité n’est pas significatif.</p>
<p>Comme nous l’avons mentionné plus haut, les effets de la pédagogie Montessori sur le développement et les apprentissages des enfants varient de faibles à élevés. Il serait intéressant de mener des études supplémentaires pour étayer les preuves actuelles. Les travaux futurs gagneraient à contrôler davantage de variables comme le statut socio-économique des familles, ou encore le degré d’implémentation de la pédagogie Montessori. En effet, comme l’ont montré différents travaux, il semblerait qu’une approche holistique de cette méthode soit plus efficace que son utilisation partielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209697/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’engouement pour la pédagogie Montessori ne se dément pas. Mais va-t-il de pair avec son efficacité ? Une méta-analyse s’est penchée sur la question.Alison Demangeon, Docteure en psychologie du développement et de l'éducation, Université de LorraineYoussef Tazouti, Professeur des universités en Psychologie de l’éducation, 2LPN (Laboratoire Lorrain de Psychologie et Neurosciences, EA. 7489), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2128962023-09-25T16:49:17Z2023-09-25T16:49:17ZApprendre les maths, les sciences ou l’art dans une langue étrangère : pourquoi ça motive les élèves<p>Les résultats des élèves français en langues étrangères, et en anglais en particulier, ne sont pas bons. Alors que les élèves étudient une langue étrangère – très majoritairement l’anglais – depuis la classe de CP, en fin de CM2, seul un élève sur deux (54 %) maitrise à l’oral la syntaxe des questions et phrases simples, selon les données publiées en 2019 par le <a href="https://www.cnesco.fr/langues-vivantes/">Conseil National de l’Évaluation scolaire</a> (CNESCO).</p>
<p>En classe de troisième, 75 % des élèves ont du mal à se faire comprendre et à produire une langue globalement correcte à l’oral en anglais (73 % en espagnol, 62 % en allemand). Comparativement aux autres pays européens, d’après la dernière grande <a href="https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/42ea89dc-373a-4d4f-aa27-9903852cd2e4">étude Surveylang de 2012</a>, la France se classe dans les dernières positions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reussite-scolaire-faut-il-croire-au-don-pour-les-langues-etrangeres-207247">Réussite scolaire : faut-il croire au don pour les langues étrangères ?</a>
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<p>Les causes de cette situation sont multiples : la formation des enseignants du primaire semble insuffisante puisque le <a href="https://www.cnesco.fr/langues-vivantes/">rapport</a> du CNESCO indique que 80 % d’entre eux déclaraient (en 2016) n’avoir suivi aucun stage de formation en langues étrangères au cours des cinq années précédentes.</p>
<p>Mais les causes sont aussi d’ordre sociétal : notre état centralisé mettant en avant la maîtrise du français laisse <a href="https://theconversation.com/la-france-un-rapport-complique-avec-les-langues-53851">peu de place aux autres langues et au développement d’un plurilinguisme</a> qui permet de mieux développer la maîtrise des langues étrangères. La défense de la francophonie et le doublage systématique de la majorité des dessins animés, films, et documents proposés à la population française ne facilitent pas l’apprentissage de l’anglais auquel sont davantage exposés d’autres pays en Europe.</p>
<p>Des facteurs linguistiques sont également à considérer : les caractéristiques de la langue anglaise elle-même, en particulier concernant sa phonologie qui diffère largement de la langue française, peuvent expliquer les <a href="https://shs.hal.science/halshs-03564371/file/2021%20Jouannaud%20Hilton%20Art7.pdf">difficultés des Français à maîtriser les langues étrangères et l’anglais en particulier</a>.</p>
<h2>En primaire, un nouveau dispositif d’enseignement des langues depuis 2020</h2>
<p>Face à ce constat, on peut se demander : ne faudrait-il pas commencer l’apprentissage de l’anglais plus tôt et proposer plus d’heures d’enseignement de langue étrangère en école primaire ?</p>
<p>Les comparaisons montrent que les programmes de l’école élémentaire française qui demandent de démarrer l’apprentissage de l’anglais à 6 ans en CP et imposent au minimum 1h à 1h30 hebdomadaire entre le CP et CM2, sont dans la moyenne européenne. De plus, l’idée qu’« il faut apprendre une langue étrangère le plus tôt possible » pour réussir se révèle un mythe, documenté par la <a href="https://www.editions-retz.com/enrichir-sa-pedagogie/mes-connaissances-educatives/l-apprentissage-des-langues-9782725635187.html">recherche</a>. Plutôt que « plus jeune » ou simplement « plus », mieux vaut se poser la question du « comment » apprendre les langues étrangères.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseigner-les-langues-autrement-ce-que-lexemple-des-pays-bas-nous-apprend-193896">Enseigner les langues autrement : ce que l’exemple des Pays-Bas nous apprend</a>
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<p>Le ministère de l’Éducation nationale s’est fortement penché sur cette question depuis 2018, en commandant un <a href="https://www.education.gouv.fr/propositions-pour-une-meilleure-maitrise-des-langues-vivantes-etrangeres-7052">rapport</a> puis en mettant en place la conférence du CNESCO qui a débouché sur <a href="https://www.cnesco.fr/langues-vivantes/recommandations/">10 recommandations</a> de la part des scientifiques et la publication d’un <a href="https://eduscol.education.fr/document/632/download?attachment">guide pour l’enseignement des langues vivantes étrangères de l’école au lycée</a>.</p>
<p>Une nouvelle mesure a été mise en place en 2020 avec la création d’au moins une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zgaWMjphHuQ&t=80s">« école EMILE »</a>, proposant un Enseignement d’une Matière intégrée en Langue étrangère par département : il s’agit pour ces écoles primaires de dispenser des cours de mathématiques, Éducation physique et sportive, arts ou encore sciences en langue étrangère, comme cela se fait en section européenne en lycée depuis les années 1990.</p>
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<p>La France rattrape ainsi son retard par rapport aux autres pays européens et en particulier l’Espagne sa voisine, dont plusieurs régions ont massivement développé l’approche CLIL (Content Language Integrated Learning) dès l’école primaire depuis les années 2000. Les élus locaux ont parfois répondu très positivement à cette demande, comprenant que la création d’une <a href="https://www.dailymotion.com/video/kpu7zFPW5VsNKcvJliV">« école EMILE » bilingue</a> dans leur commune serait facteur d’attraction pour les parents.</p>
<p>Le dispositif « écoles EMILE » est en augmentation constante en France depuis sa création en 2020. On ne trouve pas à l’heure actuelle de données à l’échelle nationale, mais plutôt des données régionales. À titre d’exemple, la région Centre-Val de Loire comptait entre 2 et 9 « écoles EMILE » par département en juin 2023.</p>
<h2>Des élèves plus investis</h2>
<p>Peut-on alors espérer que cet apprentissage d’autres disciplines en langue étrangère aura des répercussions positives sur le niveau en langue des élèves français ? Pour l’instant, la recherche ne peut pas conclure en ce sens, comme l’explique Stéphanie Roussel dans son ouvrage <a href="https://www.cairn.info/l-approche-cognitive-en-didactique-des-langues--9782807330962.htm"><em>L’approche cognitive en didactique des langues</em></a>. Pour y répondre, les chercheurs devront affiner leurs outils d’analyse, définir précisément ce qu’on veut mesurer lorsqu’on parle de « niveau en langue », développer des études en école primaire.</p>
<p>Dans notre laboratoire, l’Équipe de Recherche Contextes et Acteurs de l’Éducation (ÉRCAÉ – EA7493), nous sommes trois enseignants et chercheurs à aller dans ce sens en lançant une <a href="https://www.univ-orleans.fr/upload/public/2022-10/fiche%20projet%20emergences.pdf">recherche exploratoire</a> pour la période janvier 2023-juin 2024. En observant et échangeant avec des enseignants de notre région qui se sont lancés dans le dispositif, nous avons pour l’instant été amenés à constater des effets bénéfiques de l’EMILE, bien au-delà des compétences linguistiques. Exposés plus régulièrement à l’anglais, les enfants s’engagent davantage et montrent moins d’appréhension face à cette langue étrangère.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dispositif EMILE à Saint-Jean-de-Maurienne (Maurienne TV, 2018).</span></figcaption>
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<p>Dans des disciplines où ils participaient peu par crainte de se tromper, par exemple les mathématiques, des élèves de CM1 et CM2 s’investissent plus lorsque la leçon se déroule en langue étrangère. De nombreux professeurs des écoles ont également témoigné sur le fait que leurs élèves étaient plus attentifs lorsqu’ils faisaient le cours en anglais. Plus concentrés et engagés, on peut donc supposer que leurs résultats peuvent progresser.</p>
<p>Comment expliquer que les langues étrangères puissent permettre des progrès dans des disciplines et connaissances « non linguistiques » comme les mathématiques, les sciences, etc. ? Ceci va en effet à l’encontre d’une idée répandue, qui fait dire à de nombreux parents et enseignants que les élèves doivent d’abord avoir des compétences dans une matière pour pouvoir l’aborder en langue étrangère, car celle-ci rajouterait une couche de difficulté supplémentaire pour l’élève.</p>
<h2>Favoriser la flexibilité cognitive</h2>
<p>Nous pouvons émettre quelques hypothèses pour expliquer qu’au contraire, utiliser une langue étrangère pour enseigner un contenu non linguistique peut aider les élèves à mieux y réussir. Les enseignants que nous avons suivis ont tous témoigné du fait qu’enseigner en anglais les amenait à davantage réfléchir aux moyens de faire comprendre les concepts aux élèves.</p>
<p>Partant du principe que la langue étrangère représentait un obstacle, ils déployaient d’autres méthodes, plus visuelles, plus explicites, plus progressives ; ils ont d’eux-mêmes reconnus que, à tort, lorsqu’ils enseignent en français, ils pensent que les élèves comprennent, ce qui n’est pas toujours le cas, car le problème n’est pas tant la langue utilisée que la façon dont on amène les élèves à comprendre.</p>
<p>Du côté des enfants, nous avons pu constater qu’eux aussi, se rendant immédiatement compte qu’ils ne comprennent pas, font davantage un effort d’attention que lorsque le cours se déroule en français, qui peut leur donner l’illusion que c’est facile.</p>
<p>D’autres facteurs psycholinguistiques expliquent sans doute que la langue étrangère puisse faciliter l’apprentissage. Comme on l’observe <a href="https://theconversation.com/est-ce-vraiment-un-atout-detre-bilingue-158471">chez les enfants bilingues, devoir passer d’une langue à l’autre favorise la flexibilité cognitive</a>, c’est-à-dire la capacité à passer d’une tâche à une autre, à adapter ses stratégies, donc à apprendre. On sait également que pour accéder aux concepts, on doit passer par la parole. Plus on parle de langues, plus on parle tout court, et plus les enfants ont des chances d’accéder aux concepts qui permettent la connaissance.</p>
<p>Pour un enfant, dire devant toute la classe qu’on ne comprend pas quand la leçon a été présentée en anglais semble normal, l’enseignant va sans doute tenter d’aider l’élève par d’autres moyens ; alors que dire devant ses camarades qu’on n’a pas compris ce que le maître ou la maîtresse vient d’expliquer en français, c’est une autre histoire…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire Ercaé auquel j'appartiens a reçu des financements de Ministère de l'Education Nationale, dans le cadre d'un Appel à Manifestation d'Intérêt (AMI)</span></em></p>Face aux difficultés des élèves en langues, ne faut-il pas trouver des moyens de les enseigner autrement ? À l’occasion de la Journée européenne des langues, présentation d’un dispositif en vogue.Pascale Catoire, Enseignante PRAG à l'université d'Orléans, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119502023-09-19T16:14:57Z2023-09-19T16:14:57ZÉcole : exclure les élèves harceleurs, est-ce vraiment la solution ?<p>Le « zéro tolérance » face au harcèlement scolaire, brandi par le nouveau ministre de l’Éducation, suite au <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047973978">décret du 16 août 2023</a> sur l’exclusion de l’élève harceleur, montre tant la gravité de ce phénomène qui traverse l’école que la nécessité d’actes forts pour traiter cette menace qui pèse sur beaucoup d’enfants, d’adolescents et de familles.</p>
<p>Cependant, cette mesure révèle aussi l’impuissance dans laquelle se trouvent les institutions pour faire face à ces violences et fournir des espaces scolaires sereins et favorables au vivre ensemble.</p>
<p>Avec l’enchaînement des évènements violents, des tensions politiques et sociétales, l’école traverse aujourd’hui une crise de sens dont elle a du mal à sortir. La chronicité des souffrances au sein de l’institution scolaire dans sa globalité, renforce aussi les <a href="https://www.inpress.fr/livre/le-sens-de-lecole/">phénomènes d’exclusion et les violences symboliques</a>.</p>
<h2>Le harcèlement scolaire, un phénomène complexe</h2>
<p>Le harcèlement scolaire est un sujet qui frappe l’école, souvent insidieusement, parfois bruyamment avec des conséquences dramatiques qui entraînent une importante couverture médiatique. Sa désignation est parfois une porte ouverte à des abus de langage qui peuvent avoir des conséquences psychologiques sur ceux qui en sont manifestement les victimes, ceux qu’on désigne comme étant les auteurs exclusifs, ainsi que sur l’entourage familial, scolaire et social.</p>
<p>En effet, <a href="https://doi.org/10.1016/j.psfr.2018.09.002">l’une des caractéristiques du harcèlement scolaire</a> est qu’il est souvent maintenu secret, caché au monde des adultes tant par les auteurs que les victimes et témoins. Ainsi, de nombreuses situations de harcèlement ne seront jamais révélées et impacteront profondément la <a href="https://doi.org/10.3917/psys.181.0027">construction identitaire</a> des personnes concernées.</p>
<p>De même, de nombreuses situations, abusivement désignées comme « harcèlement scolaire », relèvent de la violence entre pairs, d’une conflictualité inhérente à la vie sociale des enfants et des adolescents.</p>
<p>Le terme <a href="https://www.researchgate.net/publication/246876123_Olweus_D_1993Bullying_at_school_What_we_know_and_what_we_can_do_Malden_MA_Blackwell_Publishing_140_pp_2500"><em>harcèlement scolaire</em></a> est relativement récent. Sa définition repose sur trois caractéristiques :</p>
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<li><p>l’intentionnalité de l’agression ou l’action négative ;</p></li>
<li><p>la répétition dans le temps ;</p></li>
<li><p>le déséquilibre des forces entre la victime et son ou ses agresseur(s).</p></li>
</ul>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/j.jpp.2022.05.008">Les recherches</a> montrent la <a href="https://doi.org/10.1016/j.prps.2020.09.006">diversité du phénomène</a> et l’importance de la prévention dans ce domaine. Pourtant, il est encore pris dans un regard simplificateur binaire entre harceleur et harcelé, auteur et victime, avec une dimension moralisatrice qui empêche parfois de comprendre la complexité des processus psychologiques et sociaux sous-jacents dont la prise en compte permettrait de traiter le sujet de manière profonde et pérenne.</p>
<h2>Exclure, et après ? Les effets sur les enfants</h2>
<p>Si le dernier décret sur l’exclusion et le déplacement de l’élève harceleur admet la nécessité de reconnaître la souffrance de l’élève harcelé, cette mesure s’inscrit dans une logique sécuritaire, laissant de côté la dimension inter-humaine, éducative, fondamentale pour accompagner tant la victime que l’auteur.</p>
<p>La mesure interroge à plusieurs niveaux. Elle intervient en effet comme si le harcèlement scolaire se faisait strictement entre les murs de l’école, et dans la classe. Or, c’est surtout dans les espaces entre-deux que cela se passe : à l’entrée ou à la sortie de l’école, sur le chemin de l’école, dans le bus, parfois dans le quartier, et souvent, presque régulièrement sur les réseaux sociaux. La mesure omet donc une grande partie de ce processus qui n’est pas localisable dans un espace physique.</p>
<p>Pour l’enfant victime de harcèlement, la mesure d’éloignement du harceleur, si elle n’est pas accompagnée, ne garantit pas l’arrêt du harcèlement – dans d’autres espaces, ou par d’autres élèves. Elle risque aussi de le figer dans un statut de victime, ce qui risque de le fragiliser davantage et de le stigmatiser en tant personne vulnérable. D’autres fois, le sentiment de culpabilité, assez fréquent chez les victimes de violences, et de peur de représailles, se poursuit. Beaucoup d’enfants harcelés continuent d’avoir mal au ventre chaque matin en allant à l’école, notamment de peur que de croiser le harceleur, ou ses amis.</p>
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<figcaption><span class="caption">Face au harcèlement scolaire, des mesures depuis 2008 (Franceinfo INA, 2020).</span></figcaption>
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<p>Pour <a href="https://www.researchgate.net/publication/342253002_La_mediation_par_les_pairs_est-elle_une_reponse_adequate_face_au_harcelement_a_l%E2%80%99ecole_Is_peer_mediation_an_appropriate_response_to_school_bullyingLa_mediacion_por_los_pares_es_una_respuesta_adecuada_">l’enfant auteur d’actes de harcèlement</a>, bien que le fait de le confronter à ses responsabilités soit crucial, l’éloignement n’est pas du meilleur augure pour la suite de son parcours. Déplacé dans un autre établissement, il porte avec lui comme un boulet le stigmate de « harceleur » et risque à son tour soit de vivre des formes de rejet et de marginalisation, soit de poursuivre un « parcours » de harceleur, en s’inscrivant dans des logiques de survie, à travers une appropriation du stigmate, pour exister aux yeux des autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/harcelement-scolaire-les-points-faibles-des-strategies-de-lutte-actuelles-158927">Harcèlement scolaire : les points faibles des stratégies de lutte actuelles</a>
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<p>Dans les deux cas de figure, la violence de la situation n’est ni entendue ni accompagnée. Or pour qu’un enfant ou un adolescent soit capable de telles violences intentionnelles, il faut qu’il soit lui-même dans une grande détresse et ce manque de repères nécessite qu’on s’occupe de lui. Par ailleurs, des études montrent que les <a href="http://www.apa.org/ed/cpse/zttfreport.pdf">politiques basées sur les sanctions</a> n’améliorent pas le sentiment de sécurité ni le comportement des élèves. Dans certains cas, le <a href="https://doi.org/10.3917/psys.181.0027">harcèlement continue</a>, discrètement, en contournant la sanction.</p>
<p>D’autant plus que de nombreuses études ont montré que le harceleur et le harcelé présentaient souvent des vulnérabilités similaires, de crainte de l’autre, une fragilité au niveau émotionnel. Beaucoup auraient des <a href="https://www.albin-michel.fr/souffrances-a-lecole-9782226320100">« destins » similaires</a> en termes de parcours psychosociaux, des difficultés en termes de santé mentale (décrochages, addictions, troubles de stress post-traumatique, comportements à risques, difficultés relationnelles, violences dans les relations amoureuses, etc.).</p>
<h2>Troubles dans le périmètre et l’identité de l’école</h2>
<p>Continuer à traiter le problème selon des logiques binaires et excluantes risque d’avoir des effets délétères sur la construction psychique des enfants et des adolescents, mais aussi d’amplifier le problème, car la violence de fond n’est pas traitée.</p>
<p>Un autre risque est celui de renforcer le trouble dans la <a href="https://www.jdpsychologues.fr/lire/le-sens-de-l-ecole-cliniques-des-souffrances-scolaires-et-des-trajectoires-creatives">fonction et l’identité même de l’école</a>, piégée par ses propres paradoxes : s’agit-il d’éduquer dans une logique de transmission ou sanctionner dans une logique pénale ? Comment, en tant qu’adultes, transmettre des valeurs que l’on n’applique pas soi-même, ou que l’on applique qu’en surface ? Ces mesures et dispositifs, comme bien d’autres, souvent légitimes et justifiés, quand ils sont appliqués de manière isolée et superficielle, cochent la case du devoir bien fait, mais portent le poids d’un évitement des questions de fond, et l’illusion d’éradiquer la violence par l’exclusion.</p>
<p>La sidération des adultes face à de telles violences enclenche des mécanismes similaires. Plutôt que de faire preuve d’empathie envers les enfants, l’environnement juge, sanctionne, s’effraye, protège en hissant les murs et en renforçant les clivages. Le « harcèlement scolaire », basé sur la violence de l’exclusion et le rejet de l’autre, est finalement un <a href="https://www.cairn.info/seismes-identitaires-trajectoires-de-resilience--9782367177007.htm">symptôme contemporain chargé d’héritages identitaires complexes</a>, qui héberge et cache en même temps des maux de l’école et de la société, actuels et lointains. En plus de mal-être des enfants, il interroge les rapports entre les générations, mettant en lumière l’échec des figures d’éducation et de transmission, dans les espaces privés, institutionnels et publics.</p>
<p>Particulièrement dans les <a href="https://doi.org/10.1016/j.psfr.2018.09.002">situations de harcèlement</a>, les enfants règlent souvent tout entre eux… persuadés que les adultes ne peuvent ni les comprendre ni les protéger, et ce même après des mesures de sanction et de protection d’une situation de harcèlement connue.</p>
<h2>Au-delà de la figure du coupable, retrouver le sens de l’école pour rebondir</h2>
<p>Ainsi pour faire face au harcèlement scolaire, il est important de dépasser les tensions et les non-dits dans l’école, autrement qu’en les marquant par des bannières maintenant l’illusion que l’école irait mieux si on identifiait un coupable à exclure. Les mesures de sanctions ne peuvent être utiles et bénéfiques pour la victime, l’auteur ou les témoins que si elles sont pensées et articulées avec des démarches personnalisées d’accompagnement des enfants, des professionnels et des familles concernés par ces situations.</p>
<p>Ces accompagnements ne peuvent être efficaces sans le rétablissement d’une relation de confiance réciproque entre l’enfant et l’école. Il s’agit avant tout de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zviWrfVmluU">réhumaniser les liens d’éducation</a>, y compris ceux de la sanction lorsque celle-ci est pertinente. Cela passe par le lien interhumain et les mots, seuls garants de l’efficacité des mesures et des techniques. Celui qui est nommé, désigné comme le harceleur est aussi un être humain, un enfant qui a besoin d’accompagnement dans l’apprentissage de la considération de lui-même et de l’autre. Ainsi le risque est-il grand que ce décret et les mesures qui en découlent assurent principalement l’illusion de traiter le problème, en pensant avoir écarté sa source.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-scolaires-ou-le-harcelement-commence-t-il-107074">Violences scolaires : où le harcèlement commence‑t‑il ?</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Amira Karray ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’éloignement de l’élève harceleur peut-il suffire à enrayer un phénomène aussi complexe que celui du harcèlement ? La volonté d’éradiquer la violence par l’exclusion n’est-elle pas illusoire ?Amira Karray, Maître de conférences en psychologie clinique, Laboratoire LPCPP EA3278, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.