tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/eglise-catholique-24819/articlesÉglise catholique – The Conversation2023-08-03T21:33:46Ztag:theconversation.com,2011:article/2109112023-08-03T21:33:46Z2023-08-03T21:33:46ZSinead O’Connor, une vie de quête spirituelle à travers la musique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541037/original/file-20230803-27-los2z2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C1815%2C1231&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La chanteuse au Paradiso, à Amsterdam, en mars 1988. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-performs-at-paradiso-amsterdam-news-photo/997813120?adppopup=true">Paul Bergen/Redferns via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 juillet 2023, alors qu’on apprenait la <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-66318626">mort de la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor</a>, des anecdotes sur un célèbre incident ont refait surface.</p>
<p>Il y a 31 ans, après une interprétation envoûtante de la chanson « War » de Bob Marley, Sinead O’Connor avait déchiré une photo du pape Jean-Paul II en direct à la télévision, déclarant : « Combattez le véritable ennemi », en référence <a href="https://theconversation.com/the-catholic-church-sex-abuse-crisis-4-essential-reads-169442">aux abus sexuels commis par des ecclésiastiques</a>. Pendant les mois qui ont suivi, elle a été bannie, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/sinead-o-connor-booed-pope-bob-dylan-concert-1176338/">huée et moquée</a>, rejetée comme une rebelle et une folle.</p>
<p>Les commémorations qui ont suivi sa mort ont cependant jeté une lumière très différente sur cet épisode. Sa déclaration-choc au <em>Saturday Night Live</em> est désormais considérée comme « revigorante » <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/26/arts/music/sinead-oconnor-snl-pope.html">écrit le critique pop du <em>New York Times</em></a> et comme « un appel aux armes pour les dépossédés ».</p>
<p>Les mentalités ont beaucoup changé depuis 1992, que ce soit à l’égard du catholicisme, du sexe et du pouvoir, que ce soit à New York ou à Dublin, la ville natale d’O’Connor. Aux yeux de nombreuses personnes, la crédibilité morale de l’Église catholique dans le monde <a href="https://news.gallup.com/poll/245858/catholics-faith-clergy-shaken.aspx">s’est effondrée</a>, et la confiance dans les institutions religieuses, quelles qu’elles soient, est <a href="https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx">au plus bas</a>. Les abus sexuels, dont on ne parlait autrefois qu’à voix basse, sont aujourd’hui évoqués ouvertement.</p>
<p>Je me joins au chœur des voix qui affirment aujourd’hui qu’O’Connor était en avance de plusieurs décennies sur son temps. Mais si l’on s’en tient à cela, on passe à côté de quelque chose de profond quant à la complexité et à la profondeur de son imagination religieuse. Sinead O’Connor était sans doute l’une des artistes les plus sensibles à la spiritualité de notre époque. </p>
<p>Je suis une <a href="https://www.fordham.edu/academics/departments/theology/faculty/brenna-moore/">spécialiste du catholicisme à l’époque moderne</a> et je m’intéresse depuis longtemps à ces personnages – les poètes, les artistes, les chercheurs – qui errent en <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/K/bo90478851.html">marge de leur tradition religieuse</a>. Ces hommes et ces femmes déçus par les représentants du pouvoir religieux, mais dont l’imagination artistique et l’inspiration tiennent beaucoup à la spiritualité.</p>
<p>Tout au long de sa vie, O’Connor a défié les étiquettes religieuses, explorant de multiples croyances. L’exquise liberté de sa musique ne peut pas être dissociée de l’amour qu’elle porte à la religion.</p>
<h2>« Sauver Dieu de la religion »</h2>
<p>La religion est souvent considérée comme une affaire intime et personnelle : on est croyant ou on ne l’est pas. Mais en réalité, c’est rarement aussi simple.</p>
<p>L’Église catholique avait une forte emprise sur la société irlandaise à l’époque où Mme O’Connor grandissait – une « théocratie », comme elle l’a qualifiée <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/sep/10/sinead-oconnor-pope-visit">dans des interviews</a> et dans ses mémoires, <a href="https://www.penguin.co.uk/authors/126006/sinead-oconnor"><em>Rememberings</em></a> – et pendant de nombreuses années, elle a <a href="https://www.reuters.com/article/us-oconnor/singer-sinead-oconnor-demands-pope-steps-down-idUSTRE5BA39Y20091211">alerté et appelé à plus de responsabilité</a> au sujet des abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Mais elle aimait ouvertement d’autres aspects de la foi, même si c’était souvent de manière peu orthodoxe. Elle s’est fait tatouer Jésus sur la poitrine et a continué à critiquer l’Église tout en apparaissant à la télévision avec un collier de prêtre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe violette, au crâne rasé et au grand tatouage coloré, embrasse une femme blonde" src="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sinead O’Connor, avec son tatouage de Jésus, embrasse la chanteuse Deborah Harry lors du gala Inspiration 2011 de l’amfAR à Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/singers-sinead-oconnor-and-deborah-harry-attend-the-the-news-photo/130660855?adppopup=true">Jeff Vespa/Getty Images for amfAR</a></span>
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<p>Dix ans après sa prestation au SNL, O’Connor a suivi des cours dans un séminaire de Dublin avec un prêtre dominicain catholique, le révérend Wilfred Harrington. Ensemble, ils lisaient les prophètes de la Bible hébraïque et les Psaumes : des écritures sacrées dans lesquelles les paroles de Dieu sont exprimées.</p>
<p>Inspirée par son professeur, elle lui a dédié le magnifique album <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xncY5WP12BQ"><em>Theology</em></a>. L’album est un mélange de certaines de ses propres chansons inspirées par la Bible hébraïque – comme <a href="https://www.youtube.com/wat,h?v=Kf24-rgyOeI">« If You Had a Vineyard »</a>, inspirée par le Livre d’Isaïe, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Jh7s5BKphw8">« Watcher of Men »</a>, qui s’inspire de l’histoire biblique de Job – et d’autres morceaux qui sont essentiellement des versions chantées de ses psaumes préférés.</p>
<p>Dans une <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">interview de 2007</a> pour la station de radio WFUV de l’Université Fordham, O’Connor a déclaré qu’elle espérait que l’album pourrait montrer Dieu aux gens lorsque la religion elle-même leur avait bloqué l’accès à Dieu. Il s’agissait en quelque sorte de « sauver Dieu de la religion », de « sortir Dieu de la religion ». Plutôt que de prêcher ou d’écrire, « la musique est le petit moyen que j’ai de le faire », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je dis cela en tant que personne qui a beaucoup d’amour pour la religion ».</p>
<h2>Lire les prophètes</h2>
<p>Ce faisant, elle s’inscrit dans la longue lignée de la tradition prophétique. Le livre <a href="https://www.harpercollins.com/products/the-prophets-abraham-j-heschel?variant=40970012721186"><em>Les prophètes</em></a> du grand penseur juif, le <a href="https://www.myjewishlearning.com/article/abraham-joshua-heschel-a-prophets-prophet/">rabbin Abraham Joshua Heschel</a> commence par cette phrase : « Ce livre traite de certaines des personnes les plus troublantes qui aient jamais vécu ». À maintes reprises, la Bible montre les prophètes comme des êtres humains.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une poignée de personnes tiennent des pancartes de protestation rouges, blanches et noires devant un bâtiment, avec une grande photo d’une femme déchirant une photographie devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une photo de Sinead O’Connor déchirant la photographie du pape Jean-Paul II se trouve lors d’une manifestation à Cracovie, en Pologne, en 2023, accusant la hiérarchie de l’église d’avoir dissimulé des abus sexuels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/banners-are-seen-during-a-protest-next-to-the-bishops-news-photo/1248867957?adppopup=true">Beata Zawrzel/NurPhoto via Getty Images</a></span>
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<p>Pour de nombreux catholiques horrifiés, l’apparition de Mme O’Connor dans le <em>SNL</em> et ses nombreuses autres critiques de l’Église étaient blasphématoires ou servaient juste à attirer l’attention sur sa personne. D’autres fans, en revanche, y ont vu une condamnation prophétique. Il ne s’agissait pas seulement d’une critique de la maltraitance, mais aussi d’une critique de la prétendue compassion des responsables de l’Église pour les enfants, tenant des propos moralisateurs <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/nov/26/catholic-church-ireland-child-abuse">alors qu’ils couvraient la maltraitance</a>.</p>
<p>En dénonçant tout cela et bien d’autres choses encore, O’Connor a souvent été considérée comme dérangeante : pas seulement à cause de l’incident de la photo du pape, mais en raison de son androgynie, son crâne rasé, son ouverture sur ses propres luttes contre la maladie mentale. Mais pour de nombreux admirateurs, comme le montre le documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-VLy1A4En4U"><em>Nothing Compares</em></a>, tout cela montrait qu’elle était libre et, comme les prophètes d’autrefois, qu’elle n’avait ni honte ni peur de provoquer.</p>
<h2>Du rasta à l’islam</h2>
<p>En même temps, l’imagination religieuse d’O’Connor représentait bien plus qu’une relation complexe avec le catholicisme. La religion autour d’O’Connor était éclectique et intense.</p>
<p>Elle était profondément influencée par les <a href="https://theconversation.com/reggaes-sacred-roots-and-call-to-protest-injustice-99069">traditions rastafari</a> de la Jamaïque, <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">qu’elle décrivait</a> comme « un mouvement spirituel antireligieux, mais massivement pro-Dieu ». Elle considérait le premier album de Sam Cooke avec les Soul Stirrers comme le meilleur album de gospel jamais réalisé. Elle compte parmi ses héros spirituels Muhammad Ali – et <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-45987127">s’est convertie à l’islam en 2018</a>, changeant son nom en Shuhada’ Sadaqat.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe à carreaux et coiffe chante avec passion devant des lumières violettes" src="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">O’Connor se produit lors d’un concert à l’Admiralspalast de Berlin en décembre 2019, après sa conversion à l’islam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-aka-shuhada-sadaqat-performs-news-photo/1187273491?adppopup=true">Frank Hoensch/Redferns/AFP</a></span>
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<p>Pourtant, la vision d’O’Connor n’était pas fragmentée. Le miracle de Sinead O’Connor, c’est que tout est cohérent, d’une certaine manière, dans les mots d’une artiste qui refuse de mentir, de se cacher ou de ne pas dire ce qu’elle pense.</p>
<p>Interrogée sur la spiritualité, O’Connor a dit un jour qu’elle préférait la chanter plutôt que d’en parler – comme elle le fait dans de nombreuses chansons, depuis <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XkP-0rnr_Gw">son chant lumineux de l’antienne</a>, un hymne marial chanté lors des services de Pâques, jusqu’à son album inspiré par les Rasta, <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/5945-throw-down-your-arms/"><em>Throw Down Your Arms</em></a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=haYbyQIEgQk">« Something Beautiful »</a>, un morceau de l’album <em>Theology</em>, O’Connor s’adresse à la fois à Dieu et à l’auditeur : « Je veux faire/Quelque chose de beau/Pour toi et de toi/Pour te montrer/Je t’adore ».</p>
<p>Et c’est bien ce qu’elle a fait. Être ému par son art, c’est ressentir une transcendance, un regard sur une forme lumineuse de spiritualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210911/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brenna Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’emblématique chanteuse irlandaise s’est toujours imprégnée de spiritualité, tout en critiquant les institutions religieuses.Brenna Moore, Professor of Theology, Fordham UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2090742023-07-23T15:18:04Z2023-07-23T15:18:04ZPortugal, Philippines, France : comment les JMJ éclairent les différentes pratiques de la laïcité<p>Les <a href="https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2023-lisbonne/">Journées mondiales de la jeunesse</a> (JMJ), qui se déroulent cette année du 25 juillet au 6 août 2023 à Lisbonne, ont bénéficié d’un soutien significatif des pouvoirs publics portugais.</p>
<p>Le <a href="https://24.sapo.pt/atualidade/artigos/161-milhoes-de-euros-e-o-valor-estimado-para-realizar-a-jmj-em-lisboa">cumul des subventions</a> versées à la fois par le gouvernement et les municipalités de Lisbonne et de Loures, qui accueillent les cérémonies de ce <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin-2021-2-page-189.htm">giga-événement organisé tous les deux ou trois ans par l’Église catholique</a> depuis 1987, dépasse les 80 millions d’euros.</p>
<p>À ces transferts financiers directs s’ajoutent la fourniture à titre gracieux de différentes prestations, notamment la création d’un plan de mobilité, ou le <a href="https://www.dn.pt/sociedade/cada-policia-deslocado-em-lisboa-vai-receber-4339-euros-por-dia-de-ajudas-de-custo--16535432.html">déploiement de forces de police</a> pour sécuriser l’événement. Comme au cours des éditions précédentes, ce soutien public d’une activité religieuse a divisé l’opinion publique.</p>
<h2>Le contribuable portugais doit-il payer pour l’organisation des JMJ de Lisbonne ?</h2>
<p>Concernant les JMJ de Lisbonne, l’utilisation de l’argent du contribuable a suscité des critiques qui ont connu leur acmé fin janvier 2023, quand les médias ont relayé <a href="https://www.publico.pt/2023/01/25/local/noticia/altar-cinco-milhoes-vao-caber-duas-mil-pessoas-bispos-padres-cantores-musicos-2036353">l’information</a> selon laquelle la mairie allait dépenser plus de 5 millions d’euros pour construire l’estrade destinée à la veillée et à la messe finales avec le pape François.</p>
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<p>Dans un contexte où les moins de 35 ans, à qui est destiné l’événement, sont les premières victimes de l’inflation, des <a href="https://setemargens.com/jmj-discutem-se-os-milhoes-mas-nao-se-ouvem-os-proprios-jovens/">voix se sont élevées</a> pour dire que, plutôt que de servir à une fête éphémère, cet argent aurait été mieux employé à aider les jeunes Portugais à financer leurs études. D’autres <a href="https://www.dn.pt/opiniao/laicos-de-meia-idade-15863951.html">commentateurs</a>, ainsi qu’une <a href="https://www.publico.pt/2023/01/27/sociedade/noticia/jmj-associacao-acusa-autarquia-nao-respeitar-principio-laicidade-estado-2036639">association de promotion de la laïcité</a>, ont dénoncé un manquement de l’État à son devoir de neutralité.</p>
<p>Les élus mis en cause, notamment le maire de Lisbonne Carlos Moedas, ont répondu que, comme pour <a href="https://eglise.catholique.fr/jmj-journees-mondiales-jeunesse/jmj-2011-madrid/">l’édition de Madrid en 2011</a>, l’investissement initial serait largement compensé par les <a href="https://sicnoticias.pt/especiais/jornada-mundial-da-juventude/2023-02-10-JMJ-custo-do-altar-palco-baixa-para-menos-de-metade-revela-Marcelo-43ed5a90">retombées économiques</a>. Les 1,5 million de participants attendus étant censés dépenser chacun 200 euros sur place, l’économie portugaise pourrait bénéficier d’un retour financier de 300 millions d’euros.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1675145275600523265"}"></div></p>
<p>Des arguments relatifs à <a href="https://www.famillechretienne.fr/39739/article/le-cout-des-jmj-de-lisbonne-fait-polemique-au-portugal">l’image de marque du Portugal sur la scène internationale</a> ont été mis en avant par le président de la République, Marcelo Rebelo. Les JMJ étant présentées comme porteuses d’un message de fraternité, l’impact positif en termes de cohésion sociale a aussi été souligné.</p>
<p>Sur le plan juridique, des professeurs de droit <a href="https://www.publico.pt/2023/01/27/sociedade/noticia/jornada-mundial-juventude-estado-laico-sao-dez-estadios-euro-versao-religiosa-2036683">ont affirmé</a> que le soutien apporté était tout à fait conforme à la législation. De fait, si la Constitution de 1976 affirme l’aconfessionnalité de l’État et sa séparation avec <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article451">« les Églises et autres communautés religieuses »</a>, la <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article452">Loi de la Liberté religieuse</a> (2001) et le <a href="https://www.legirel.cnrs.fr/spip.php?article453">nouveau Concordat</a> signé avec le Saint-Siège en 2004 mentionnent un principe de coopération entre les pouvoirs publics et les religions, qui tient compte de leur représentativité (ce qui avantage le catholicisme, 81 % des Portugais s’y déclarant affiliés), dans les domaines où elles ont des intérêts communs (la promotion des droits humains, le développement, les valeurs de paix, de liberté…).</p>
<p>Cela ménage la <a href="https://www.eurel.info/spip.php?rubrique1042">possibilité de financements</a>, ce que n’ont pas manqué de rappeler certaines personnalités catholiques au moment de la polémique sur le coût des JMJ. Selon leur interprétation de l’édifice juridique portugais, <a href="https://setemargens.com/laicidade-e-laicismo/">l’État est dans son rôle quand il soutient les JMJ</a>, en raison de leur impact social positif, au même titre que quand il contribue à financer des manifestations culturelles et sportives.</p>
<h2>Une question récurrente lors des préparatifs des JMJ</h2>
<p>Cette question du soutien apporté par l’État aux JMJ est intéressante du point de vue de l’étude des relations entre État et religions. Comme j’ai eu l’occasion de l’analyser dans le cadre d’une <a href="https://journals.openedition.org/assr/65134">recherche sur l’histoire globale des JMJ</a>, elle s’est posée lors de précédentes éditions, en des termes qui dépendaient non seulement du cadre législatif mais aussi de la culture politique nationale et de l’état de l’opinion publique.</p>
<p>Sur les huit éditions s’étant tenues sous le pontificat de Jean-Paul II (1978-2005), cinq ont été organisées dans des pays où le financement direct du rassemblement par l’État était possible, soit parce que le catholicisme, en tant que religion de la majorité de la population, bénéficiait d’un statut privilégié (Argentine en 1987, Espagne en 1989, Pologne en 1991, Italie en 2000), soit parce que la Constitution n’interdisait pas explicitement le financement d’activités religieuses par l’État (Canada, 2002).</p>
<p>Les trois autres éditions ont eu lieu dans des pays où un principe de séparation stricte empêchait au contraire tout financement direct (États-Unis en 1993, Philippines en 1995 et France en 1997).</p>
<h2>Laïcité prescrite, laïcité réelle</h2>
<p>L’étude concrète des préparatifs m’a amené à relativiser l’importance des dispositions constitutionnelles organisant les relations entre l’État et les organisations religieuses. Une séparation stricte en principe peut en effet cacher de nombreuses interactions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537270/original/file-20230713-29-l7my6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le pape Jean-Paul II et le cardinal Sin lors de la messe finale des Journées mondiales de la jeunesse à Manille en 1995.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bd/JohnPaulIICardinalSin1995WYD.jpg/703px-JohnPaulIICardinalSin1995WYD.jpg?20220520232612">Ryansean071/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Aux Philippines, où la Constitution de 1987, qui a accompagné le retour de la démocratie, a proclamé, sur le modèle des États-Unis, l’impossibilité pour l’État d’utiliser l’argent ou les moyens publics pour soutenir un groupe religieux spécifique (<a href="https://www.officialgazette.gov.ph/constitutions/1987-constitution/">article VI, section 29-2</a>), le président (protestant) Fidel Ramos, décida de financer l’intégralité de la JMJ.</p>
<p>Un montage juridique fut échafaudé pour contourner la législation : le ministère du Tourisme versa des subventions à une association-écran dédiée à la jeunesse, qui transféra l’intégralité des sommes reçues aux organisateurs de l’événement. Le gouvernement prit en charge toutes les infrastructures, y compris celles qui étaient provisoires, comme le podium ou le système de sonorisation. Même les fleurs furent payées par le contribuable philippin.</p>
<h2>La séparation stricte n’exclut pas la coopération</h2>
<p>De telles libertés avec la loi ne semblent pas avoir été prises aux États-Unis ni en France. Cela dit, l’absence de transferts d’argent ne signifie pas que l’aide publique n’ait pas pu être aussi – voire plus – décisive que dans les pays autorisant le financement étatique des religions.</p>
<p>L’exemple de la France, où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749">loi du 9 décembre 1905</a> stipule que la République « ne salarie ni ne subventionne aucun culte », l’atteste. Dans ce pays où les sphères de compétences de l’État sont très larges, le concours apporté par la puissance publique à la réussite des JMJ parisiennes de 1997 fut déterminant. Le ministère de la Défense mit à la disposition des organisateurs un certain nombre d’appelés du contingent qui purent consacrer leur service militaire à la préparation du rassemblement.</p>
<p>Il prêta <a href="https://www.liberation.fr/france-archive/1997/08/22/quatre-peches-dans-la-capitale-la-visite-du-pape-justifie-t-elle-toute-ces-prodigalites-de-l-etat_211970/">gracieusement du matériel</a> et mit à disposition une partie de ses casernes pour l’hébergement de pèlerins. Le ministère de l’Intérieur prit quant à lui en charge une grande partie de la sécurisation de l’événement. Quant au ministère des Affaires étrangères, il mit en place une procédure facilitant la participation de jeunes étrangers ayant besoin d’un visa pour venir en France, et couvrit les coûts de fonctionnement de l’un des trois centres de presse. Il soutint particulièrement, dans le cadre de la politique de coopération, la participation de jeunes Africains.</p>
<p>Cet engagement, efficacement coordonné par un <a href="https://theconversation.com/et-si-les-pros-de-levenementiel-religieux-inspiraient-la-campagne-de-vaccination-153035">comité interministériel mis en place par le gouvernement d’Alain Juppé</a>, fut prolongé après l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon, à l’issue des élections législatives de juin 1997 qui avaient ramené la gauche au pouvoir. Les protestations de la part du camp laïque furent marginales, peut-être parce que les organisateurs avaient su donner une image positive d’un événement qui rassemblait pacifiquement des milliers de jeunes de différents pays.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1R0zFz-WEm8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>On peut se demander si, l’un dans l’autre, les pouvoirs publics français, qui n’avaient versé aucune subvention directe, mais avaient structuré et organisé les efforts consentis par l’État pour faciliter le déroulement du rassemblement, n’ont pas rempli un rôle plus important que les pouvoirs publics portugais, qui ont affiché leur soutien à l’événement et financé son organisation, <a href="https://visao.pt/opiniao/2023-06-22-longa-jornada-para-o-desconhecido-opiniao-de-rui-tavares-guedes/">sans avoir mis en œuvre de planification globale des flux</a>.</p>
<p>Cette mise en perspective montre que les régimes de laïcité ne suffisent pas à prédire l’aide effective apportée par les États à la mise en place des événements religieux. Elle montre également que les opinions publiques tolèrent plutôt bien le soutien apporté par l’État ou les collectivités territoriales aux manifestations religieuses à condition que celles-ci soient organisées avec une certaine économie de moyens, et soient perçues comme alignées avec les valeurs de solidarité et d’hospitalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier a reçu des financements de l'Institut universitaire de France dans le cadre d'un projet "Jeunes, religions et mondialisations"</span></em></p>Lisbonne s’apprête à accueillir les JMJ, grand événement catholique rassemblant des centaines de milliers de personnes. L’État portugais participe au financement, ce qui suscite certaines critiques.Charles Mercier, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1975482023-02-14T20:35:29Z2023-02-14T20:35:29ZBenoît XVI, une vie de quête intellectuelle et spirituelle<p>Disparu le 31 décembre 2022, Benoît XVI écrivait ces quelques lignes en 2006 dans son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/elezione/documents/testamento-spirituale-bxvi.html">« testament spirituel »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis soixante ans, j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier des sciences bibliques, et avec la succession des différentes générations, j’ai vu s’effondrer des thèses qui semblaient inébranlables, se révélant de simples hypothèses […] J’ai vu et je vois comment, à partir de l’enchevêtrement des hypothèses, le caractère raisonnable de la foi a émergé et émerge encore. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, avec toutes ses insuffisances, est vraiment son corps ». </p>
</blockquote>
<p>Des propos qui résument la quête intellectuelle et spirituelle de toute une vie de chercheur.</p>
<p>La conviction du croyant est inébranlable et se résume ici à l’hommage au Christ par la reprise de ses propres paroles adressées à l’apôtre Thomas au soir de la Cène, selon l’évangile de Jean (<a href="https://www.aelf.org/bible/Jn/14">14,6</a>).</p>
<p>En bon disciple de Saint-Augustin, sur la doctrine duquel il a écrit sa première thèse, c’est un hommage au « Christ total », c’est-à-dire à la personne du Christ à qui l’Église est unie comme son corps, selon la doctrine paulinienne (<a href="https://www.aelf.org/bible/1Co/12">1 Co 12</a>). Mais cette conviction n’enferme pas le théologien dans un monde clos de certitudes. Pour lui, l’accueil dans la foi de la Révélation de Dieu conduit avant tout à « chercher Dieu et se laisser trouver par Lui », selon l’expression phare de son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2008/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20080912_parigi-cultura.html">discours au Collège des Bernardins</a>.</p>
<h2>Le doute en partage</h2>
<p>Dans cette démarche, le chemin du croyant, non exempt de doutes, peut croiser celui de l’agnostique voire de l’athée : « ce qui arrive au croyant, aux prises avec les flots du doute, arrive également à l’incroyant, qui éprouve le doute de son incroyance » écrivait déjà le professeur Ratzinger dans son ouvrage <a href="https://www.qwant.com/?client=ext-firefox-sb&t=images&q=image+la+foi+chr%C3%A9tienne+hier+et+aujourd%27hui&o=0%3AE5D8CF33568891CF88F4F7CF16515979C6FC5C50">« La Foi chrétienne hier et aujourd’hui »</a>.</p>
<p>Plus encore : le doute, autre catégorie augustinienne, « qui empêche l’un et l’autre de se claquemurer dans leur tour d’ivoire, pourrait devenir un lieu de communion ».</p>
<p>Mais surtout, la foi chrétienne est accueil du Logos fait chair, selon l’expression trouvée, elle aussi, dans l’évangile de Jean (<a href="https://www.aelf.org/bible/Jn/1">1,14</a>). Or, le Logos est à la fois Dieu personnel et Raison créatrice. Dès lors, « <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2012/may/documents/hf_ben-xvi_spe_20120503_gemelli.html">Religion du Logos, le christianisme ne relègue pas la foi au domaine de l’irrationnel, mais attribue l’origine et le sens de la réalité à la Raison créatrice, qui, dans le Dieu crucifié, s’est manifestée comme amour</a> ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508944/original/file-20230208-29-kqhhah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une photo prise entre 1962 et 1965 à Rome montre Josef Ratzinger (à gauche), alors professeur de théologie, avec le cardinal Joseph Frings de Cologne qui l’a choisi comme conseiller au Vatican.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Dialogue entre foi et raison</h2>
<p>La contemplation du Logos détermine le premier axe majeur de la recherche théologique de Ratzinger : le dialogue fécond entre foi et raison. Comme tout dialogue, il n’est pas à sens unique. Benoît XVI l’a par exemple exprimé à propos du rapport de la science et de la foi : « Science et foi possèdent une réciprocité féconde, presque une exigence complémentaire de l’intelligence du réel ». Cette fécondité réciproque exige du croyant de se souvenir que « ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu », comme le pontife l’a réaffirmé dans son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2006/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20060912_university-regensburg.html">discours tant décrié à l’université de Ratisbonne</a>.</p>
<p>Elle exige en retour du philosophe ou du scientifique de ne pas exclure la question de Dieu, question ultime qui porte l’exigence tant de la recherche théologique que des sciences profanes et garde la raison de se fermer sur elle-même.</p>
<p>Ratzinger puisait à la pensée d’Henri de Lubac, dont l’ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_2006_num_37_3_3535_t1_0428_0000_2"><em>Catholicisme</em></a> a profondément marqué son parcours, l’idée selon laquelle un humanisme athée se retournait contre l’homme. Le dialogue nécessaire entre foi et raison, exprimé souvent chez Ratzinger sous la forme de la relation entre Amour et Vérité, l’a conduit à explorer par exemple le rapport de la foi à la culture.</p>
<p>Ainsi, dans un <a href="https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/incontri/rc_con_cfaith_19930303_hong-kong-ratzinger_en.html">discours aux commissions doctrinales des diocèses d’Asie</a>, il cherche à montrer « le droit et la capacité de la foi chrétienne à se communiquer à d’autres cultures, à les assimiler et à se communiquer à elle ». Nourri de diverses cultures, le christianisme ne peut se confondre avec aucune.</p>
<p>Un autre thème découlant de ce premier axe – foi et raison – est celui de la théologie politique. Nous pouvons ici nous référer à un autre discours pontifical, exercice dans lequel Benoît XVI recueillait le fruit de réflexions antérieurement plus développées et nourries de lectures plus récentes. Il s’agit de son <a href="https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/speeches/2011/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20110922_reichstag-berlin.html">discours au Bundestag en 2011</a>. Il y déclarait :</p>
<blockquote>
<p>« Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit – il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu. »</p>
</blockquote>
<h2>Sciences bibliques et théologie</h2>
<p>Le deuxième axe majeur de la pensée de Benoît XVI, également mentionné dans son testament spirituel, est la recherche du juste rapport entre sciences bibliques et théologie. Expert au Concile Vatican II, le théologien allemand livrait en 1969 un <a href="https://archive.org/details/commentaryondocu0005unse/page/n5/mode/2up">commentaire</a> d’une partie d’un des documents majeurs de ce Concile, la constitution pastorale Gaudium et Spes, commentaire dans lequel il revient sur l’état de la question du rapport entre exégèse et théologie pendant le travail conciliaire.</p>
<p>Ratzinger fait le constat d’un manque. Les évêques réunis en Concile étaient convaincus que l’Église avait un message à transmettre aux hommes de leur temps, et que ce message devait être fondé dans l’Écriture. Seulement, la seule exégèse dont les évêques disposaient alors était l’historico-critique, c’est-à-dire la recherche aussi précise que possible des éléments de contexte, événementiels et littéraires, permettant une meilleure connaissance du sens des textes bibliques, dont le corpus s’étend sur plusieurs siècles.</p>
<p>Or, par exigence méthodologique, cette exégèse cantonne l’Écriture dans le passé. De ce fait, la référence à l’Écriture semblait cantonner l’Église dans le passé, ou alors, en cherchant à être l’Église du temps présent, celle-ci risquait d’être infidèle à son identité, forgée plus de 1500 ans en arrière. Le Concile a cherché à sortir de cette impasse en initiant une lecture de l’Écriture dans l’unité du texte biblique et « dans la tradition vivante de toute l’Église », inspirée par l’Esprit-Saint.</p>
<p>En attendant, cette attention au rapport entre exégèse et théologie, vu comme un enjeu crucial pour la mission de l’Église, a habité constamment l’esprit de Joseph Ratzinger. Nous en voyons la trace dans les premières pages de son ouvrage <a href="https://catholicapedia.net/Documents/cahier-saint-charlemagne/documents/C1017_B16_Jesus_88p.pdf">« Jésus de Nazareth »</a>, publié en 2007 sous la double signature Joseph Ratzinger/Benoît XVI, dont il parle comme « le fruit d’un long cheminement intérieur ».</p>
<p>Le pape théologien salue l’avènement dans les années 1970 de l’exégèse canonique « qui vise à lire les différents textes en les rapportant à la totalité de l’Écriture unique ».</p>
<p>Pour Benoît XVI, l’exégèse canonique, sans discréditer l’historico-critique, comble le manque constaté lors du Concile Vatican II. Mais plus encore, ce qui fait l’actualité toujours renouvelée des écrits bibliques, c’est l’Église qui à la fois en est nourrie et en est le sujet vivant : « Le peuple de Dieu – l’Église – est le sujet vivant de l’Écriture, et en elle les paroles bibliques sont toujours du présent. Ce qui implique évidemment que ce peuple admet lui-même qu’il se reçoit de Dieu et, pour finir, du Christ incarné, qu’il accepte aussi d’être organisé, dirigé, orienté par Lui ».</p>
<p>Ainsi, comme pour le dialogue foi et raison, le juste rapport entre exégèse et théologie prend sa source dans le Christ Jésus, le Verbe fait chair, et y renvoie. Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI, rappelle d’abord que la recherche théologique est indissociable de la personne de Jésus de Nazareth, que l’Église reconnaît comme vrai Dieu et vrai homme, révélateur du Dieu unique.</p>
<p>Son génie aura été de discerner les enjeux fondamentaux de la théologie depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’à la première décennie du XXI<sup>e</sup> siècle, période de confrontation de l’Église à la sécularisation accélérée de l’Europe et aux échanges multiculturels et plurireligieux au niveau mondial.</p>
<p>Les deux axes de sa pensée incitent au renouveau constant de la réflexion intraecclésiale à partir de l’Écriture reçue comme Parole vivante et à un effort constant de dialogue pour l’Église et ses multiples interlocuteurs. Il aura témoigné que la théologie est une discipline scientifique toujours en mouvement, scrutant inlassablement les mystères de Dieu, du monde et de l’homme qu’il a créé, sans jamais pouvoir les maîtriser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brice de Malherbe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Disparu le 31 décembre 2022, Joseph Aloisius Ratzinger, qui fut le pape Benoît XVI, a été un infatigable théologien, en constante quête intellectuelle et spirituelle.Brice de Malherbe, Président de la Faculté Notre-Dame de Paris, Collège des Bernardins, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1954082022-12-22T15:20:57Z2022-12-22T15:20:57ZLe père Noël dans l’imaginaire collectif : entre profane et sacré<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502550/original/file-20221222-18-d432yn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C991%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour que l'idée d'un père Noël sacré survive dans l'esprit des enfants, il nous faut compter sur la complicité et la solidarité de tous les adultes, que ce soit à la maison, à l'école, dans les médias, dans les commerces ou dans les œuvres de culture populaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage <em>n’existe pas</em> ?</p>
<p>C’est une question à laquelle plusieurs parents trouveront certainement des réponses pertinentes dans les écrits de la <a href="https://naitreetgrandir.com/fr/etape/1_3_ans/viefamille/fiche.aspx?doc=bg-naitre-grandir-croire-pere-noel">psychologie pédiatrique</a>. En adoptant toutefois la perspective de l’<a href="https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie">anthropologie culturelle</a>, ma question est un peu différente. Je me demande pourquoi nous acceptons tous, un jour ou l’autre, de nous faire les complices de ce mystère sur la réalité du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8re_No%C3%ABl">père Noël</a>, qu’on le voit comme un <a href="https://theconversation.com/coca-cola-is-coming-to-town-ou-lepopee-publicitaire-de-santa-128412">personnage fictif du soft power américain</a> ou plutôt comme une icône des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl">fêtes chrétiennes de la Nativité</a>.</p>
<p>Deux sous-questions doivent être formulées. La première concerne le besoin que nous, occidentaux, avons d’incarner l’esprit religieux de Noël sous la forme d’un vieillard costumé plutôt que de lui conserver son essence mythique originelle. Et la seconde concerne notre volonté encore plus naïve de sublimer l’image de ce personnage folklorique en feignant de ne pas remarquer ses écarts de conduite lorsqu’il s’en donne la licence morale, notamment dans les films ou les chansons pour enfants.</p>
<p>Dans une <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">perspective universitaire</a> et sur la base de mes intérêts pour la culture populaire et sa construction dans un contexte capitaliste, je me réfère principalement aux écrits du philosophe <a href="https://www.puf.com/Auteur:Jean-Jacques_Wunenburger">Jean-Jacques Wunenburger</a>, éminent spécialiste de l’image et du sacré, pour aborder ce thème de l’ambivalence qui caractérise notre expérience du père Noël.</p>
<h2>L’expérience infantile du « numineux »</h2>
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<figcaption><span class="caption">Des enfants prennent des photos, assis sur les genoux du père Noël.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce que nous enseigne d’abord Wunenburger, c’est que le sacré dispose fondamentalement d’un statut paradoxal. C’est-à-dire qu’en tant qu’il fixe un seuil entre le naturel et le surnaturel, le sacré constitue à la fois un « interdit à ne pas transgresser » et une « invitation à enfreindre les limites », notamment celles de la matérialité du monde. Devant ce paradoxe, il est normal d’être en proie à des sentiments ambivalents : d’un côté, nous ressentons une « peur panique devant la grandeur incommensurable de l’inconnu » ; et de l’autre, une « attraction irrésistible vers quelque chose de supérieur, de merveilleux et de solennel ». C’est ce que le théologien Rudoplf Otto a appelé l’expérience du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Numineux"><em>numineux</em></a>.</p>
<p>C’est sans doute ce que ressentent nos enfants lorsque nous, parents, les asseyons sur les genoux d’un père Noël inconnu en plein milieu d’un centre commercial. Par ce geste, nous les soumettons à ce type d’expérience en permettant que soit entretenue, en eux, une grande confusion de sentiments. D’une part, ils éprouveront une peur effroyable envers cet étranger flamboyant qui les empoigne ; et, d’autre part, ils nourriront cette espérance ardente à laquelle nous les raccrochons en leur faisant miroiter de jolis présents d’ordinaire inaccessibles.</p>
<h2>Sacraliser notre expérience du profane</h2>
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<figcaption><span class="caption">Le défilé du père Noël, à Montréal, en 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Aussi, pour que l’étrange bonhomme soit <em>plus</em> qu’une image dans un cahier à colorier, il nous faut mettre en place des stratégies visant à en instituer le caractère sacré. Comme nous en instruit Wunenburger, il s’agit dès lors de structurer notre expérience « par le symbole, le mythe et le rite ».</p>
<p>Parmi les rites de Noël les plus pratiqués dans les métropoles industrielles, il y a celui qui consiste à assister, les enfants sur les épaules, à un long défilé de chars allégoriques au terme duquel l’apparition du père Noël produit généralement l’émoi escompté. D’autres rites plus intimes consistent par exemple à laisser des indices du passage du père Noël dans nos maisons, que ce soit en disposant des biscuits grignotés, des verres de lait à moitié bus ou des cadeaux sous le sapin, le tout à l’insu des enfants endormis.</p>
<p>Afin de donner au père Noël son caractère sacré, les créateurs de la fête capitaliste en ont par ailleurs engendré les mythes de sorte à lui octroyer des pouvoirs magiques, des connaissances secrètes et des privilèges merveilleux.</p>
<p>Quant aux symboles de la sacralité du père Noël, on les a empruntés au domaine du religieux. Il s’agit notamment de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crosse_%C3%A9piscopale">crosse épiscopale</a>, de la <a href="https://articlesreligieux.fr/vetements-du-clerge/2482-barrette-rouge-avec-pompon.html">barrette à pompon</a> et de la couleur pourpre portée par les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cardinal_(religion)">cardinaux</a>, un rouge flamboyant symbolisant le pouvoir, le prestige et l’autorité de ces hauts dignitaires de l’Église catholique.</p>
<h2>Profaner notre expérience du sacré</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zGoISPHVTxU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du film The Santa Clause.</span></figcaption>
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<p>Dans son goût pour le paradoxe, l’industrie du divertissement ne craint pas, par ailleurs, d’avilir l’image de son père Noël en produisant des œuvres qui en exposent certains travers. Dans la scène où il boit du chocolat chaud préparé par une jeune elfe (ci-dessus), le père Noël en pyjama flirte librement avec elle : « je dois dire que tu es très bien pour ton âge ! » Cet extrait compte parmi les plus embarrassants qu’ait tourné Disney pour sa série <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Super_No%C3%ABl"><em>The Santa Clause</em> (ou Sur les traces du père Noël, en français)</a>.</p>
<p><em>The chimney song</em> (ci-dessous), interprétée par une fillette, est un autre exemple de propos à caractère pédophile exploitant la figure sacrée du père Noël.</p>
<blockquote>
<p>Il y a quelque chose de coincé dans la cheminée</p>
<p>et je ne sais pas ce que c’est, mais c’est resté là toute la nuit.</p>
<p>J’ai attendu le père Noël toute la nuit de Noël</p>
<p>mais il n’est jamais venu et ça ne semble pas normal…</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQS5nAesfGk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">The chimney song.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’idée théorique du père Noël</h2>
<p>L’anthropologue Gregory Bateson a proposé une métaphore intéressante à propos du sacré et, surtout, de la place que celui-ci occupe dans l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/vers-une-ecologie-de-l-esprit-gregory-bateson/9782020532334#">écologie de l’esprit humain</a>. En comparant les idées à des êtres vivants, Bateson a montré comment celles-ci naissent, vivent, se reproduisent et meurent pour créer autour de nous un écosystème de communication à la fois riche, sensible et vulnérable. Comme les espèces qui luttent ou coopèrent pour leur survie dans des conditions qui leur sont parfois favorables, parfois hostiles, les idées s’assemblent, se coordonnent, s’embrouillent ou s’entrechoquent dans une compétition qui n’est pas toujours loyale.</p>
<p>Ainsi, pour que l’idée d’un père Noël sacré survive dans l’esprit des enfants, il nous faut compter sur la complicité et la solidarité de tous les adultes, que ce soit à la maison, à l’école, dans les médias, dans les commerces ou dans les œuvres de culture populaire.</p>
<p>En revanche, pour que ce mensonge reste socialement acceptable, il est nécessaire que les adultes se mentent à leur tour à eux-mêmes quant à la réalité obscène que recouvre le personnage fictif du père Noël. En tant que complices de cette manipulation du sacré, nous devons en quelque sorte fermer les yeux sur la licence morale qu’accorde au père Noël l’industrie du divertissement lorsqu’elle met en scène la réalité de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=M8GcjB6WnPY">homme ordinaire qui en endosse le costume</a>.</p>
<p>Nous signons alors un pacte avec le diable en faisant semblant de croire en l’existence d’un père Noël capable de prendre des enfants sur ses genoux sans avoir de pulsions sexuelles ; de se montrer généreux avec eux sans ruiner leurs parents ; de leur promettre des cadeaux sans exiger quelque service en retour ; qui ne voit rien d’obscène à s’introduire dans l’intimité des familles en pénétrant leur cheminée trop étroite et pas assez profonde ; ni rien de louche à se trouver dans la chambre des tout-petits.</p>
<p>Or, c’est un secret de polichinelle que ce sont des hommes de chair et de sang qui donnent vie aux pères Noël. Considérant la dualité de la nature humaine, se rendre complice de leurs mauvais penchants ne me semble pas, dès lors, très avisé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="représentation illustrée d’un père noël penché sur le lit d’une fillette endormie" src="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/195408/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1883362022-08-12T13:27:32Z2022-08-12T13:27:32ZAprès les excuses du pape, voici le temps des réparations<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/478775/original/file-20220811-20-7rmj2u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C0%2C6431%2C4307&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un manifestant tient une pancarte appelant à la réparation, alors que le pape François arrive à un événement public à Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022, à l’occasion de sa visite au Canada.
</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span></figcaption></figure><p>Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les récentes excuses présentées par le pape François au sujet des pensionnats pour autochtones au Canada lors de sa visite en <a href="https://www.ctvnews.ca/canada/read-the-full-text-of-pope-francis-speech-and-apology-1.6001384">Alberta</a>, ainsi que sur ses déclarations <a href="https://www.theglobeandmail.com/canada/article-pope-francis-renews-his-apology-in-quebec/">à Québec</a> <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/north/pope-francis-iqaluit-nunavut-visit-1.6535224">et à Iqaluit</a>. Les atrocités historiques laissent des marques, et les excuses peuvent représenter un acte de reconnaissance et offrir un sentiment de justice aux personnes qui ont été la cible de violences institutionnelles.</p>
<p>Les gens ont deux critères :</p>
<ol>
<li><p>Authenticité : les déclarations du pape sont-elles un reflet authentique de la « repentance » de l’Église et de son engagement à changer ?</p></li>
<li><p>Responsabilité : les déclarations du pape témoignent-elles de la volonté et de la détermination de l’Église à s’attaquer aux causes et aux effets systémiques de préjudices donnés ?</p></li>
</ol>
<p>Les gens attendent de voir <a href="https://www.cbc.ca/news/indigenous/pope-francis-residential-schools-genocide-1.6537203">si l’Église catholique romaine</a> endossera la responsabilité institutionnelle <a href="https://doi.org/10.1080/14623528.2015.1096580">du génocide</a>, des abus sexuels, de la <a href="https://newsinteractives.cbc.ca/longform/st-anne-residential-school-opp-documents">torture</a> <a href="https://www.nytimes.com/2021/06/07/world/canada/mass-graves-residential-schools.html">et de la mort de milliers d’enfants autochtones</a>.</p>
<p>Des excuses complètes reconnaîtraient les méfaits de l’Église, mais aussi sa complicité avec le pouvoir colonial canadien dans la répression des <a href="https://www.insightexchange.net/wp-content/uploads/2018/12/Language-and-Violence-Resource-Kit.pdf">résistances autochtones</a> pour accéder aux terres. Les liens entre l’extraction des ressources et le retrait des enfants des communautés autochtones, ainsi que les attaques contre les communautés tout au long de ce processus, ont été occultés. Pour changer cet état de fait, les réparations seront importantes.</p>
<h2>Prévention de la violence</h2>
<p>En tant qu’universitaire métis, ayant des ancêtres cris et gwichins, je suis déterminé à promouvoir l’amélioration des conditions de vie et du bien-être des populations autochtones au Canada.</p>
<p>J’ai récemment été chercheur principal à l’Université Concordia d’un projet intitulé <a href="https://www.concordia.ca/cuevents/artsci/2021/10/22/indigenous-healing-knowledges.html">« Indigenous Healing Knowledges »</a>. Lors d’une conférence où des aînés, des gardiens du savoir et de jeunes Autochtones ont parlé de ce qu’ils ont appris de leurs expériences et de leurs approches de la guérison, de nombreux survivants ont exprimé l’idée que les gens sont plus susceptibles de se rétablir, et ce, rapidement, lorsque</p>
<p>la <a href="https://doi.org/10.18357/ijcyfs101201918804">violence à leur égard a été reconnue</a>, et non minimisée.</p>
<p>Le rétablissement est plus probable lorsqu’ils sont en sécurité, ont reçu des soins et ont été traités avec dignité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des aînés attentifs dans la foule" src="https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477246/original/file-20220802-14394-9jeb3g.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des aînés autochtones écoutent le pape François présenter des excuses lors d’un événement public à Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’utilisation d’un langage précis, en référence à la violence, est une réponse sociale positive et juste, essentielle au rétablissement du bien-être. <a href="https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/eng/1450124405592/1529106060525">La réconciliation</a> doit être précédée de la vérité. L’absence de vérité historique entraîne des distorsions désagréables pour les groupes ciblés.</p>
<h2>Des excuses inefficaces</h2>
<p>Andy Molinsky, professeur en comportement organisationnel à la Brandeis International Business School, distingue <a href="https://hbr.org/2016/11/the-4-types-of-ineffective-apologies">quatre types d’excuses inefficaces</a>.</p>
<p>Deux types d’excuses décrits par Molinsky sont apparents dans les déclarations du pape : les « excuses excessives » (ou « je suis tellement désolé, je me sens tellement mal ») qui attirent l’attention sur les sentiments de la personne plutôt que sur ce qui a été fait. Et les « excuses incomplètes », qui se manifestent par des expressions du type « je suis désolé que cela soit arrivé, je suis désolé que vous vous sentiez ainsi » et utilisent un langage passif.</p>
<p>Par exemple, en attirant l’attention sur ses propres sentiments de tristesse, le pape François a négligé de reconnaître la violence sexuelle extrêmement répandue qui a détruit de nombreuses vies dans les pensionnats. Dans ses remarques du 28 juillet, il fait référence au caractère « diabolique » des abus sexuels, mais ne <a href="https://globalnews.ca/news/9023430/pope-denounces-evil-sexual-abuse">dit pas expressément qu’il y a eu des abus sexuels dans les pensionnats</a>.</p>
<p>Il a déclaré que l’Église catholique au Canada se trouve sur une nouvelle voie après avoir été dévastée par « le mal perpétré par certains de ses fils et filles ».</p>
<h2>Pathologiser les survivants</h2>
<p>J’ajouterais un cinquième aspect à la liste des excuses inefficaces de Molinsky : la pathologisation des victimes/des survivants.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme en robe cléricale blanche coiffé d’une calotte est assis et parle" src="https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477247/original/file-20220802-12076-fgij7y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le pape François prend la parole lors d’un événement public à Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022, au cours de sa visite au Canada.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En déplaçant le sujet de la violence vers le traumatisme d’autrui, on dissimule la violence, on en fait disparaître les auteurs et <a href="https://doi.org/10.18357/ijcyfs101201918804">on peut en arriver à blâmer les victimes</a>. Ce glissement occulte la délibération, la planification et le piégeage. Se concentrer sur la pensée de la victime est une stratégie utilisée par les auteurs d’actes criminels, et leurs complices, pour discréditer les victimes et leurs revendications.</p>
<h2>Prendre les enfants, prendre les terres</h2>
<p>Linda Coates et Allan Wade, deux chercheurs <a href="https://www.responsebasedpractice.com/members">basés en Colombie-Britannique</a> qui étudient la violence et le langage, ont démontré que les <a href="https://psycnet.apa.org/record/2008-00724-002">représentations de la violence des agresseurs dans divers médias impliquent quatre opérations linguistiques</a> : elles dissimulent la violence, voilent la responsabilité de l’agresseur, occultent la résistance de la victime et blâment et pathologisent les victimes.</p>
<p>Le problème de la violence est inextricablement lié à celui de sa représentation. Ainsi, les <a href="https://nationalpost.com/news/canada/this-school-is-a-jail-house-documents-reveal-the-horrors-of-indian-residential-schools">camps de prisonniers pour enfants sont présentés comme des « pensionnats » ;</a> la violence comme un « traumatisme » ; la résistance comme une « résilience » ; et la « réconciliation » remplace les « réparations ».</p>
<p>Enfin, il y a une différence entre les excuses et le pardon. Les excuses peuvent être coercitives si elles ne font que transférer la responsabilité de la « réconciliation » ou du « passer à autre chose » aux victimes/aux survivants.</p>
<h2>Réparer les préjudices</h2>
<p>Pour que l’histoire s’aligne sur les réalités des abus de l’État, un <a href="https://www.ctvnews.ca/canada/canada-s-bishops-want-catholic-church-to-issue-new-statement-on-doctrine-of-discovery-1.6004557">plan d’action doit suivre</a> les excuses.</p>
<p>En ce qui concerne les réparations, les récentes excuses du pape ont été accompagnées d’appels à l’action lancés par les autochtones, notamment <a href="https://thetyee.ca/Opinion/2022/07/26/Post-Apology-To-Do-List/">par Cindy Blackstock</a>, <a href="https://www.therecord.com/ts/news/canada/2022/07/26/pope-franciss-apology-fails-to-meet-truth-and-reconciliation-call-to-action-sinclair.html">Murray Sinclair</a>, <a href="https://www.thestar.com/opinion/contributors/2022/07/26/pope-francis-we-dont-accept-your-hollow-apology-heres-why.html">Pamela Palmater</a> et d’autres chefs autochtones.</p>
<p>Malgré les termes obscurs utilisés dans les excuses du pape, sa visite pourrait marquer une nouvelle avancée, si l’Église catholique soutient et met en œuvre les actions décrites dans les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Tant l’Église que nos structures juridiques, éducatives et de gouvernance à travers le Canada ont encore beaucoup de chemin à parcourir.</p>
<p>Lors d’une récente conférence <a href="https://ialmh.org/general-information">sur le droit et la santé mentale</a>, tenue à Lyon, en France, des juristes ont affirmé qu’une mise en œuvre plus complète de la <a href="https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf">Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones</a> répondrait à de nombreuses préoccupations des peuples autochtones. Une grande partie de la richesse du Canada provient de ce qui a été pris aux peuples autochtones.</p>
<p>La réparation de cette injustice aidera les nations autochtones dans leur processus d’autogouvernance.</p>
<p>Un autre rôle important de l’Église catholique romaine est de rendre une partie des terres volées aux peuples autochtones. L’Église doit également se tourner vers ses formidables actifs existants pour <a href="https://globalnews.ca/news/8997434/canada-bishops-fundraiser-residential-schools">honorer rapidement les sommes que les entités catholiques ont accepté de payer dans le cadre du règlement de 2006</a>. Les dirigeants de l’Église disent maintenant qu’il leur faut cinq ans pour réunir l’objectif actuel de 30 millions de dollars.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des hommes en habit clérical noir passent devant un homme assis en habit clérical blanc" src="https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477245/original/file-20220802-15-5h8giu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des cardinaux marchent à côté du pape François lors du dernier événement public de sa visite papale au Canada, alors qu’il se prépare à quitter Iqaluit, au Nunavut, le 29 juillet 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un autre pays</h2>
<p>Au Canada, les communautés autochtones continuent d’être confrontées à la pénétration de la société colonisatrice, notamment par les industries extractives, et les défenseurs des terres sont arrêtés.</p>
<p>Les dirigeants de l’Église ne peuvent pas détourner le regard et prétendre que l’Église n’a aucun lien avec ces préjudices.</p>
<p>Les valeurs de l’Église comprennent le <a href="https://www.caritas.org.nz/catholic-social-teaching/human-dignity#">respect et la promotion de la dignité humaine</a>, la dévotion spirituelle à la [famille et la communauté], la charité et la <a href="https://www.loyolapress.com/catholic-resources/ignatian-spirituality/introduction-to-ignatian-spirituality/social-justice-catholic-social-teaching/">justice sociale</a>.</p>
<p>Si elles étaient étendues aux peuples et aux nations autochtones, le Canada serait un pays très différent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188336/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Richardson est affiliée au Centre for Response-Based Practice, qui tente de lutter contre la violence. Je suis le porte-parole du Parti vert en matière d'affaires autochtones au Québec et je suis membre du Parti vert, mais je ne le mentionne pas ici. J'ai reçu des subventions de recherche du CRSH, notamment pour la subvention sur les pratiques de guérison autochtones. Dans certains des écrits pour cette subvention, j'explique le contexte, mais il n'est pas directement lié à la visite du pape.</span></em></p>Les excuses du Pape pourraient marquer une nouvelle étape si l’Église catholique propose des réparations pour les crimes qu’elle a commis.Catherine Richardson, Director, First Peoples Studies Program, Associate Professor, School of Community and Public Affairs, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1866172022-07-21T13:36:20Z2022-07-21T13:36:20ZVoici pourquoi la visite du pape nous concerne tous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473642/original/file-20220712-31713-jv7cc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5803%2C4047&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Pape François salue une foule de fidèles et de pèlerins, le 6 juin 2021, au Vatican. Le pape a alors exprimé sa tristesse à suite de la découverte au Canada des restes de 215 élèves d'un pensionnat.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Domenico Stinellis)</span></span></figcaption></figure><p>À qui s'adresse <a href="https://www.ecdq.org/visite-du-pape-au-canada-du-24-au-29-juillet-2022/">la visite du pape François au Canada</a>, qui se déroule du 24 au 29 juillet ? </p>
<p>En général, ces visites papales concernent en priorité les catholiques et peuvent donc être peu intéressantes pour la population en général. Avec des <a href="https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2022-06/pape-francois-canada-programme-voyage-pape-juillet.html">arrêts prévus à Sainte-Anne-de-Beaupré, au Québec</a>, ainsi qu’à Edmonton, Maskwacis et Iqaluit, cette visite semble, dans ce cas-ci, s’adresser surtout aux Autochtones : son but est de présenter des excuses au nom de l’Église catholique relativement aux pensionnats dits « indiens ».</p>
<p>En effet, sur les 139 pensionnats reconnus par la définition juridique de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI), <a href="https://www.cecc.ca/peuples-autochtones/ressources/indian-residential-schools-truth-reconciliation-commission/">environ 60 % étaient gérés par des catholiques</a>. Il est donc logique que le principal public de cette visite soit les communautés autochtones.</p>
<p>Le reste de la population canadienne serait-elle donc non concernée ? Je crois au contraire que l’ensemble du pays devrait se sentir visé par ce qui est en jeu. Moi-même, j’ai toutes les raisons de me sentir concernée : je suis anthropologue et je fais des recherches depuis plus de 25 ans sur la colonisation et ses impacts, le paysage religieux algonquien et les pensionnats indiens. Mais l’enjeu va bien au-delà des frontières de la recherche universitaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473643/original/file-20220712-31783-ciyjbg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le chef Vernon Saddleback passe devant une photo d’un pensionnat lors d’une conférence de presse pour annoncer la visite du pape François, à Maskwacis, en Alberta, le 27 juin 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jason Franson</span></span>
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</figure>
<h2>Réécrire, effacer ou juger l’histoire</h2>
<p>Quel est cet enjeu, justement ?</p>
<p>Il s’agit de notre rapport à l’histoire, celle de la construction d’un État qui a marginalisé les Autochtones et tenté de les assimiler dans le but de faire disparaître leurs sociétés et leurs cultures.</p>
<p>L’Église catholique a occupé une grande place dans cette construction, dès la Nouvelle-France. <a href="https://histoire-du-quebec.ca/histoire-eglise-quebec/">Religieux et religieuses ont fondé les systèmes éducatifs (scolaires, universitaires) et hospitaliers</a>. Les paroisses ont structuré le réseau urbain. Les missionnaires ont œuvré, ici et là, à l’extension des voies ferrées, à la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/regime-seigneurial">colonisation des terres</a>. Ils ont influencé les politiques, promu l’agriculture, laissé leurs noms à de multiples toponymes à travers les villes, les provinces et les territoires. En outre, hommes et femmes aux idées de leurs époques, ils ont écrit et diffusé des opinions souvent largement partagées par leurs concitoyens, mais qui seraient aujourd’hui considérées comme inacceptables.</p>
<p>Nous avons deux tentations, de nos jours. La première est de se dire que l’histoire, c’est du passé. La seconde est de vouloir réécrire l’histoire, de vouloir l’effacer, ou de ne pas vouloir en hériter.</p>
<p>Bien des éléments du passé chrétien du Canada ne passent plus : nous sommes choqués par les préjugés et le racisme ayant infligé de nombreuses souffrances aux Autochtones. Ils continuent à en subir les conséquences à travers la transmission intergénérationnelle de ces traumatismes. Dans ce sens, l’histoire vit toujours. Que nous n’ayons plus envie de rendre hommage à des personnages qui ont eu une action dévastatrice sur les cultures et les identités autochtones est une chose.</p>
<p>Que nous les jugions en est une autre : comment aurions-nous agi, nous, à la même époque et à leur place ? D’ailleurs, comment serons-nous jugés demain par les générations qui vont nous succéder ?</p>
<h2>Faire face honnêtement au passé</h2>
<p>L’histoire n’est pas faite en noir et blanc : elle est complexe, tout en nuances de gris, d’erreurs, de compromissions. Les religieux ont soigné et formé les populations, protégé la langue française. Certains ont pris fait et cause pour ceux qu’ils considéraient comme leurs frères et sœurs autochtones. D’autres, au contraire, les ont violés, rabaissés et les ont empêchés de pratiquer leurs propres croyances.</p>
<p>Nous ne pouvons pas annuler l’histoire. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Nora">L’historien français Pierre Nora</a> écrivait, en 2006, à propos des lois mémorielles du gouvernement de la France au sujet des génocides et de la colonisation, qu’il était dangereux de criminaliser le passé et de laisser apparaître ce qu’il a appelé une « hégémonie mémorielle » : selon lui, il est important de définir une histoire collective et nationale, plutôt que de laisser place à une mémoire « essentiellement accusatrice et destructrice de cette histoire ».</p>
<p>Cela ne veut pas dire nier certains faits au profit d’autres. Cela veut dire se confronter honnêtement à tous les aspects de cette histoire. Notre défi est maintenant d’inclure les points de vue autochtones dans l’histoire collective, ou plutôt de créer une histoire collective avec celles de nos trois solitudes : anglophone, francophone et autochtone. Puis nous devrons la transmettre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473647/original/file-20220712-19-le4cbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des membres de l’Assemblée des Premières Nations se produisent sur la place Saint-Pierre au Vatican, le 31 mars 2022. Une délégation d’autochtones ont été reçus par le pape François.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Alessandra Tarantino, File)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le sombre rôle du gouvernement fédéral</h2>
<p>Notre troisième tentation est de rejeter tout le blâme de l’histoire des pensionnats autochtones sur les missionnaires.</p>
<p>Bien sûr, ils en ont largement été les maîtres d’œuvre, à travers les diocèses et les congrégations. Leur niveau de responsabilité est élevé. Mais n’oublions pas que c’est le gouvernement fédéral <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/pensionnats">qui a créé le système et l’a entretenu et que ce sont les agents des Affaires indiennes</a> qui recensaient les enfants et les envoyaient dans les écoles résidentielles.</p>
<p>Ce même gouvernement, sous la pression de son Surintendant aux Affaires indiennes, <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/duncan-campbell-scott">Duncan Campbell Scott</a>, a tabletté le <a href="http://www.fnesc.ca/wp/wp-content/uploads/2015/07/IRSR11-12-DE-1906-1910.pdf">rapport de 1907 du Dr Peter Bryce</a>. Ce dernier enjoignait les autorités à mettre en place de manière urgente des mesures pour limiter la mortalité dans les pensionnats indiens, majoritairement due aux épidémies. Ce médecin avait remarqué <a href="https://thechildrenremembered.ca/school-histories/file-hill/">qu’au pensionnat de File Hills Colony</a>, en Saskatchewan, (opéré par les presbytériens, puis par l’Église unie du Canada), près de 70 % des enfants mouraient à cause des mauvaises conditions sanitaires. Bryce n’a pas été entendu alors qu’il préconisait des mesures aussi simples que de séparer les malades des enfants en bonne santé.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473645/original/file-20220712-31833-xmyjzd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations des T.N.-O., Gerald Antoine, parle aux journalistes à l’extérieur de la place Saint-Pierre à la fin d’une rencontre avec le pape François au Vatican, le 31 mars 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andrew Medichini)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’indifférence générale de la population</h2>
<p>L’opinion publique ne s’est pas non plus émue du fait que ces pensionnats existaient et avaient pour but de « civiliser » ces enfants. Ainsi pouvait-on lire dans le journal <em>Le Progrès</em>, en avril 1957, au sujet du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pensionnat_autochtone_d%27Amos_(Saint-Marc-de-Figuery)">pensionnat d’Amos</a> :</p>
<blockquote>
<p>Leur éducation comme la nourriture et les vêtements qu’ils reçoivent sont des dons généreux du gouvernement, lequel tient à les aider à s’adapter à une vie normale dans un pays civilisé, s’efforçant de bâtir un peuple courageux et fier pour défendre ses droits essentiels.</p>
</blockquote>
<p>Le bien-être mental et culturel de ces enfants n’était pas pris en considération, ni dans les pensionnats, ni ailleurs. Combien d’enfants autochtones ont-ils disparu dans le système de la protection de la jeunesse à partir des années 1960 (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_des_ann%C3%A9es_60">ce qu’on appelle le « Sixties Scoop »</a>), et combien dans le système des soins de santé ?</p>
<p>Il aura fallu des chercheurs, des journalistes et des commissions gouvernementales pour que les familles commencent à avoir les outils pour chercher leurs proches.</p>
<h2>Nous héritons aussi de ce qui nous dérange</h2>
<blockquote>
<p>Terre de nos aïeux, ton front est ceint de fleurons glorieux ! Car ton bras sait porter l’épée, il sait porter la croix ! Ton histoire est une épopée des plus brillants exploits. Et ta valeur, de foi trempée, protégera nos foyers et nos droits.</p>
</blockquote>
<p>« De foi trempée », elle est là partout, dans l’histoire du Canada. En tant que Canadiens, nous vivons avec les bénéfices que l’histoire nous a légués : un pays démocratique, libre, sécuritaire, où nous avons un système de santé universel, etc. Nous ne pouvons pas hériter que de ce qui nous arrange. Nous héritons aussi d’un pays où les <a href="https://www.un.org/fr/chronicle/article/la-discrimination-envers-les-autochtones-au-canada-une-crise-globale">Autochtones sont moins en sécurité que les autres</a>, où ils ont été privés de libertés et de droits à la participation à la vie démocratique (ils n’ont obtenu le <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/droit-de-vote-des-peuples-autochtones">droit de vote fédéral qu’en 1960</a>), où ils peuvent se sentir en danger dans le système de santé.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-principe-de-joyce-pour-une-approche-de-soins-securitaire-et-libre-de-discrimination-147826">Le principe de Joyce : pour une approche de soins sécuritaire et libre de discrimination</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La reconnaissance solennelle du Pape, en terre canadienne, du préjudice collectivement subi par les Autochtones s’inscrit dans un processus de réconciliation et de réparation qui ne fait que commencer afin, véritablement, que le passé finisse. Nous devons donc profiter de cette occasion pour accepter des vérités difficiles sur notre histoire collective et, ce faisant, avancer dans la construction d’un avenir partagé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186617/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Pierre Bousquet a reçu des financements de CRSH, FRQSC, Université de Montréal, Musées numériques Canada.</span></em></p>La visite du pape François concerne tous les Canadiens. Son enjeu est notre rapport à l’histoire, celle de la construction d’un État qui a marginalisé les Autochtones et tenté de les assimiler.Marie-Pierre Bousquet, Professeure titulaire, directrice du programme en études autochtones, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1852372022-06-16T20:41:46Z2022-06-16T20:41:46ZJudith, figure biblique de la « veuve noire »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469291/original/file-20220616-12-41b3u9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1515%2C1203&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Judith décapitant Holopherne. Tableau du Caravage, vers 1598-1602. Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome. Détail. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7e/Judit_y_Holofernes%2C_por_Caravaggio.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le livre de Judith fait partie des écrits deutérocanoniques admis dans le canon biblique par les Églises catholique et orthodoxe. Il s’agit d’un récit édifiant qui doit montrer au lecteur comment il est possible, en des circonstances dramatiques, de <a href="https://bible.catholique.org/livre-de-judith/4147-chapitre-1">rester fidèle à Dieu</a>.</p>
<p>Malgré les divergences entre les commentateurs de cette œuvre, on s’accorde généralement à reconnaître qu’elle a été écrite entre 160 et 60 av. J.-C., c’est-à-dire <a href="https://www.academieoutremer.fr/images/files/Juifs-Nabateens-%2859_088%29.pdf">à l’époque des Hasmonéens</a>, dynastie de souverains juifs qui régna sur la Judée, entre la fin de la domination séleucide et la conquête romaine.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1034&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469304/original/file-20220616-22-eklkux.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1299&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Judith, par Jean-Joseph Benjamin Constant, vers 1886. National Gallery of Art, Washington.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le livre se réfère, de manière allusive, à la <a href="https://www.babelio.com/livres/Hadas-Lebel-La-revolte-des-Maccabees--167-142-av-J-C/938279">guerre de libération</a> menée contre le roi séleucide Antiochos IV Épiphane par Judas Maccabée, héros fondateur de la dynastie hasmonéenne.</p>
<p>L’auteur a dissimulé son dessein édifiant sous le voile du passé : il situe l’action <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Book_of_Judith.html?id=5NgUAAAAIAAJ&redir_esc=y">au temps de Nabuchodonosor</a>, souverain babylonien du VI<sup>e</sup> siècle av. J.-C. Mais, toute ressemblance avec des personnages et des faits du II<sup>e</sup> siècle av. J.-C. n’est nullement fortuite.</p>
<h2>Deux époques superposées</h2>
<p>L’auteur superpose deux époques, suivant un procédé qui sera encore exploité, bien plus tard, par Sergueï Eisenstein dans <em>Alexandre Nevski</em> (1938). Le film, bien que se situant au Moyen Âge, n’en fait pas moins implicitement référence au contexte contemporain de sa réalisation : la menace de l’expansionnisme nazi. Dans un but propagandiste, le passé est mis au service du présent.</p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Franz von Stuck, 1927. Gemäldegalerie, Schwerin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Franz_von_Stuck_-_Judith.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le roi Nabuchodonosor, ennemi des Juifs, n’est autre que la transposition littéraire d’Antiochos IV Épiphane. Le livre de Judith évoque aussi le principal haut fait de Judas Maccabée : la purification du Temple de Jérusalem et de son autel, après leur profanation par le roi séleucide qui avait consacré le sanctuaire des Juifs à Zeus Olympien.</p>
<p>« Depuis peu tout le peuple de Judée avait été rassemblé et les ustensiles, l’autel et la maison de Dieu avaient été consacrés après leur profanation (<em>Judith 4, 3</em>) ».</p>
<p>Il s’agit d’une référence au 25 kislew (mois du calendrier hébraïque) 165 ou 164 av. J.-C. et à l’instauration de la <a href="https://bmcr.brynmawr.edu/2015/2015.02.48/">fête de Hanoucca</a> qui fut ensuite célébrée chaque année.</p>
<h2>Conquérir « toute la terre d’Occident »</h2>
<p>Le livre de Judith s’ouvre sur une évocation de Nabuchodonosor. L’orgueilleux roi, avide de guerres et de pillages, lance le général en chef de son armée, Holopherne, à la conquête de « toute la terre d’Occident » (<em>Judith 2, 6</em>), c’est-à-dire du Proche-Orient méditerranéen. Les Juifs, effrayés par la menace qui pèse sur eux, n’en décident pas moins de résister à l’envahisseur.</p>
<p>Holopherne, qui souhaite en savoir davantage sur l’identité de ces Juifs qui osent lui tenir tête, interroge à ce sujet un officier ammonite nommé Akhior, commandant de troupes auxiliaires recrutées en Transjordanie.</p>
<p>Akhior déconseille formellement à Holopherne de s’attaquer aux Juifs « de peur que leur Seigneur et Dieu ne les protège » (<em>Judith 5, 21</em>). Mais le général méprise cet avertissement : selon lui, Nabuchodonosor est un dieu bien plus puissant que le dieu d’Israël (<em>Judith 6, 2</em>).</p>
<p>Pour punir Akhior de l’insolence de ses propos, Holopherne ordonne à ses hommes de ligoter l’officier et d’aller l’abandonner au pied de la colline où s’élève la ville de Béthulie. Une localité juive, inconnue par ailleurs, sans doute inventée par l’auteur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-messie-etait-il-un-leader-nationaliste-157262">Le Messie était-il un leader nationaliste ?</a>
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<p>Akhior est recueilli et bien traité par les habitants, tandis qu’Holopherne commence le siège de la ville. Bientôt la population n’a plus de quoi se nourrir et envisage de se rendre à l’ennemi.</p>
<h2>Et Dieu créa Judith</h2>
<p>C’est alors qu’intervient une belle veuve nommée Judith. Pourquoi une veuve ? L’auteur veut souligner le fait qu’elle échappe à toute tutelle masculine dans un cadre matrimonial. C’est une femme libérée de la domination des hommes, mais non de Dieu. Judith possède aussi une expérience qui va lui permettre de mener à bien sa mission. De plus, comme les filles juives étaient alors mariées dès l’adolescence, il n’est pas difficile pour le lecteur d’imaginer une jeune et pimpante veuve.</p>
<p>Judith prend la parole : elle prédit aux habitants de Béthulie leur prochain salut, car, dit-elle, « le Seigneur visitera Israël par mon entremise (<em>Judith 8, 33</em>) ». Après une prière, accompagnée de sa servante, la veuve quitte Béthulie pour se rendre dans le camp ennemi. Elle est vêtue comme pour un jour de fête. Elle s’est enduit le corps d’un baume parfumé, a entouré sa chevelure d’un bandeau, a chaussé des sandales, mis « ses colliers, ses bracelets, ses bagues, ses boucles d’oreilles et toutes ses parures » (<em>Judith 10, 4</em>).</p>
<p>Parfum, coiffure et bijoux contribuent à façonner une figure prête à séduire, de la tête aux pieds, « les yeux des hommes qui la verraient ».</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Judith et Holopherne. Tableau de Lucas Cranach l’Ancien, vers 1530. Jagdschloss Grunewald.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Judith_mit_dem_Haupt_des_Holofernes.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>L’appât féminin</h2>
<p>Quand elle se présente à l’entrée du camp ennemi dans cet irrésistible accoutrement, la jeune femme attire aussitôt tous les regards. Subjugué par l’appât, Holopherne l’invite à entrer dans sa tente, comme un cheval de Troie féminin. Assurée de son succès, la sublime veuve se permet une touche d’ironie : « Dieu m’a envoyée réaliser avec toi des affaires dont toute la terre sera stupéfaite », lance-t-elle à sa proie (<em>Judith 11, 16</em>).</p>
<p>Après un banquet bien arrosé, Holopherne, ivre, s’assoupit. L’assistance se retire, laissant le chef seul avec Judith. La belle soulève la lourde épée que le général a déposée près de son lit. Elle saisit Holopherne par les cheveux et, frappant de toutes ses forces, lui tranche le cou. Puis elle sort de la tente et confie la tête à sa suivante qui la met dans son sac.</p>
<p>Toutes deux s’en retournent alors à Béthulie avec leur trophée. Ravis de cet exploit, les assiégés accrochent la tête d’Holopherne à la muraille de la ville. Lorsqu’ils découvrent l’assassinat de leur chef, les ennemis, frappés de stupeur, se hâtent d’abandonner leur camp.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Judith. Tableau de Gustav Klimt, 1901. Musée du Belvédère, Vienne. Détail.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_et_Holopherne_(Klimt)#/media/Fichier:Gustav_Klimt_039.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>La belle tueuse</h2>
<p>Bien après l’Antiquité, le livre de Judith fascina nombre de lecteurs et d’artistes. Son attrait repose notamment sur le renversement de situation qu’il opère entre le dominant et le prétendu faible, qui sort finalement vainqueur de la confrontation.</p>
<p>Ce schéma asymétrique est comparable au duel entre le jeune David et le géant Goliath, thème biblique qui connut un engouement similaire.</p>
<p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort. Elle incarne la femme dangereuse, mais dans un sens positif, car elle agit pour la bonne cause. C’est une sorte de Salomé inversée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/salome-itineraire-dune-jeune-fille-impudique-155245">Salomé : itinéraire d’une jeune fille impudique</a>
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<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle, la veuve de Béthulie devint un sujet d’inspiration pour nombre de peintres, comme le Caravage (vers 1598-1602) qui la représente en train de décapiter sa proie.</p>
<p>Sandro Botticelli préfère montrer les conséquences de l’acte : l’effroi des officiers d’Holopherne découvrant le corps amputé de leur maître, ou encore Judith rentrant à Béthulie, suivie de sa servante qui porte la tête d’Holopherne sur sa propre tête, comme une femme revenant du marché.</p>
<p>On ne compte pas les nombreuses Judith posant en compagnie de leur macabre trophée, de Lucas Cranach l’Ancien (vers 1530) à Gustav Klimt (1901). Quant à Franz von Stuck (1927), il choisit d’illustrer l’instant fatidique où la lame tranchante va s’abattre sur le cou du chef ennemi.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/469297/original/file-20220616-24-6yjno1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1015&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le retour de Judith à Béthulie. Tableau de Sandro Botticelli, vers 1470. Galerie des Offices, Florence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/84/Sandro_Botticelli_-_Retour_de_Judith_1.JPG">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<h2>L’odalisque armée</h2>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, Benjamin Constant, suivant la mode orientaliste du moment, imagine une odalisque aux longs cheveux noirs, sertie de bijoux, et armée d’un puissant cimeterre.</p>
<p>Le livre de Judith inspira aussi Flaubert. Comme l’héroïne de Béthulie, <a href="https://books.openedition.org/pufc/1584">Salammbô pénètre dans la tente de l’ennemi, dans le chapitre 11</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Au chevet du lit, un poignard s’étalait sur une table de cyprès ; la vue de cette lame luisante l’enflamma d’une envie sanguinaire ».</p>
</blockquote>
<p>La Carthaginoise songe un instant à tuer Mâtho endormi, avant de se raviser.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jeux-erotiques-de-salammbo-et-de-son-python-fetiche-157618">Les jeux érotiques de Salammbô et de son python fétiche</a>
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<p>Dans l’imaginaire occidental de l’époque, toutes ces figures de femmes fatales, de Judith à Salammbô, en passant par Salomé, se rejoignent et se confondent en un même rêve d’Orient érotique et cruel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La figure de Judith rencontra aussi un grand succès en raison des deux thèmes, en apparence contradictoires, qui fusionnent en elle : la séduction et la mort.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1828722022-05-24T18:00:55Z2022-05-24T18:00:55ZIrlande : comment les femmes témoignaient en ligne de leur avortement avant la légalisation en 2018<p>Tandis que les États-Unis pourraient très prochainement <a href="https://theconversation.com/politisation-de-la-cour-supreme-la-democratie-americaine-en-peril-173281">effacer un demi-siècle de jurisprudence</a> sur le droit à l’avortement, en <a href="https://theconversation.com/vers-la-fin-du-droit-a-lavortement-aux-etats-unis-182528">annulant l’arrêt <em>Roe v. Wade</em></a>, l’Irlande célèbre quant à elle les quatre ans de la légalisation de l’avortement.</p>
<p>En effet, un référendum tenu le 25 mai 2018 <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/ivg/referendum-sur-l-avortement-les-irlandais-ont-vote-oui-a-plus-de-66-selon-les-resultats-officiels_2771561.html">avait vu le « oui » l’emporter</a> avec 66,9 % des suffrages exprimés. Ce référendum avait été organisé pour répondre à une <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-43962738">mobilisation de plus en plus importante</a> en faveur de la légalisation : en particulier suite à la <a href="https://www.nytimes.com/2018/05/27/world/europe/savita-halappanavar-ireland-abortion.html">mort de Savita Halappanavar</a> en 2012, les « Marches for choice » ont attiré toujours plus de manifestants, principalement des jeunes femmes, et les débats se sont multipliés. En opposition, le mouvement « pro-vie », <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0141778919894451">très soutenu par l’Église</a>, réagissait à travers, entre autres, des « Rallies for life ».</p>
<p>À l’occasion de ce quatrième anniversaire, nous revenons sur un élément central de la mobilisation : les récits de femmes ayant avorté avant la légalisation.</p>
<p>Parmi les multiples actions menées pendant la campagne, l’artiste et activiste <a href="https://edarcydesign.com/">Erin Darcy</a> a créé en janvier 2018 la page Facebook <a href="https://www.facebook.com/InHerIrishShoes/">« In Her Shoes – Women of the Eighth »</a> (en français « Dans Sa Peau – Les Femmes du Huitième ») en référence au huitième amendement de la Constitution irlandaise, qui plaçait à égalité la vie de la femme enceinte et de l’enfant « non né ». L’interdiction de l’avortement était déjà inscrite dans la loi de 1861, entrée dans la Constitution par cet amendement en 1983 puis retiré en 2018.</p>
<p>La page « In Her Shoes » permet aux femmes de raconter anonymement les conséquences du huitième amendement sur leur vie. En quelques mois, des centaines de récits ont été publiés, lus et partagés, visibilisant de façon massive ces expériences imprégnées de tabous et de stigmates.</p>
<h2>Avorter dans un contexte conservateur</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=799&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464665/original/file-20220522-20-bhfu33.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1004&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pancartes affichées à Dublin en mai 2018 pendant la campagne référendaire. (Cliquer pour zoomer.)</span>
<span class="attribution"><span class="source">Justine Chaput</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’histoire contemporaine irlandaise est marquée par un fort conservatisme qui, outre la criminalisation de l’avortement, a aussi eu pour conséquence d’instaurer une chape de plomb sur les discussions autour de cette pratique. Dès sa création en 1922, l’État irlandais affirme ses liens avec l’Église catholique, renforçant des normes religieuses déjà fortement ancrées dans l’identité nationale, notamment au sujet du <a href="http://doi.org/10.14672/ada2018145513-31">contrôle de la reproduction et de la sexualité</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1981_num_36_6_17249">légalisation de l’avortement en 1967</a> en Grande-Bretagne a donné à certaines Irlandaises la possibilité d’y recourir en <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/fr.2010.44">traversant la mer d’Irlande</a>. Celles qui n’en avaient pas les moyens étaient contraintes à l’avortement clandestin, à une parentalité non choisie, voire à l’internement dans des institutions (plus tard prises au cœur de scandales) comme les <a href="https://theconversation.com/mother-and-baby-homes-inquiry-now-reveal-the-secrets-of-irelands-psychiatric-hospitals-153608">foyers Mère-Enfant</a> ou les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pSZ9i9NaUU4">laveries de la Madeleine</a>, voire à l’infanticide.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Zl75gSey7AI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du documentaire <em>When Women Won</em> sur la campagne pour le « oui » au référendum légalisant l’avortement.</span></figcaption>
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<p>En 2013, l’avortement est ouvert aux femmes dont la vie est menacée, mais <a href="https://www.gov.ie/en/press-release/1cb04e-annual-report-of-notifications-in-accordance-with-the-protection-of-/">très peu y ont effectivement accès</a> et beaucoup continuent de se rendre au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, ou <a href="https://doi.org/10.1016/j.rhm.2016.10.002">obtiennent des pilules abortives</a> sur Internet via <a href="https://www.womenonweb.org/fr/"><em>Women on Web</em></a> ou <a href="https://womenhelp.org/"><em>Women Help Women</em></a>. La solidarité organisée par les réseaux féministes en Irlande et à l’étranger a permis à un grand nombre de femmes d’avorter de manière plus sécurisée et d’attirer l’attention sur leur situation.</p>
<h2>Ce que « In Her Shoes » nous apprend sur les autrices des témoignages</h2>
<p>La page Facebook « In Her Shoes » apparaît dans un contexte dit de « libération de la parole ». Qui s’exprime sur son avortement dans cet espace, et sous quel angle ? L’analyse de témoignages postés sur cette page montre que certaines expériences peuvent plus facilement être exprimées, et deviennent donc plus visibles que d’autres. Parmi les 587 histoires publiées sur la page entre janvier et juillet 2018, 375 relatent des avortements et ont été retenues pour cette recherche.</p>
<p>Quel que soit l’âge des femmes au moment de l’écriture, les récits en ligne relatent principalement des avortements qui ont eu lieu lorsqu’elles étaient jeunes : parmi celles qui donnent leur âge, 81 % avaient moins de 25 ans au moment de l’intervention. Certaines racontent par exemple leur angoisse de ne pas voir leurs règles arriver pour la première fois, et d’autres expliquent qu’elles ont continué à aller au lycée pendant plusieurs semaines en espérant que « ça » partirait et qu’elles n’auraient pas à en parler à leurs parents ou à quiconque.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=513&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=513&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=513&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=644&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=644&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464466/original/file-20220520-18-yxycyi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=644&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image de la page Facebook « In Her Shoes ».</span>
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<p>Par ailleurs, 87 % des femmes racontent avoir avorté à l’étranger. Le voyage est central, notamment parce qu’il coûte cher : en plus des soins, il faut payer le billet d’avion ou de bateau, poser un congé, éventuellement trouver une garde pour les enfants… Pour celles qui se trouvent en situation de précarité financière, il s’agit de dépenses considérables. Au total, la moitié des récits font mention de difficultés économiques.</p>
<p>Les femmes doivent souvent garder secrets la grossesse, l’avortement et le voyage pour éviter les critiques voire le rejet de leur entourage. Toutefois, cette situation d’isolement social est plus souvent évoquée lorsque les faits sont anciens (la totalité de ceux des années 1980 contre la moitié de ceux des années 2010), ce qui s’explique certainement par la <a href="https://laviedesidees.fr/L-Irlande-catholique-un-pays-en-transition.html">levée progressive du carcan conservateur</a>.</p>
<p>Les avortements pour anomalie fœtale létale (qui concernent souvent des grossesses souhaitées) sont surreprésentés dans les récits : alors que seuls <a href="https://www.gov.uk/government/statistics/abortion-statistics-for-england-and-wales-2018">1,6 % des avortements</a> pratiqués en Angleterre et au Pays de Galles le sont pour cette raison, 11 % des récits de « In Her Shoes » mentionnent cette situation. Cette surreprésentation peut s’expliquer par une plus grande légitimité de ces avortements : parce qu’ils sont tragiques, ils seraient plus acceptables socialement, et donc plus racontables.</p>
<p>Une analyse textuelle du contenu montre que les femmes qui mettent l’accent sur le droit à maîtriser leur fécondité ne se décrivent pas elles-mêmes ni leur avortement. À l’inverse, celles dont le récit est centré sur l’expérience et sur la douleur physique et émotionnelle parlent avec précision des conditions de leur avortement (âge, semaines de grossesse, méthode employée, anomalie du fœtus…).</p>
<h2>L’absence de certains types de récits : des situations perçues comme moins légitimes ?</h2>
<p>L’hétérogénéité des discours entre des récits très militants et d’autres centrés sur la description du vécu révèle les conséquences de la criminalisation sur la vie des femmes qui avortent. Mais bien que ces discours varient selon les caractéristiques des femmes et le type d’avortement, certaines histoires qui sont sans doute moins <a href="https://www.jstor.org/stable/23016544">recevables socialement</a> restent invisibles.</p>
<p>Par exemple, Niamh (le prénom a été changé), une militante pro-choix, explique que :</p>
<blockquote>
<p>« souvent l’accent est mis sur des histoires déchirantes […] mais celles qu’on entend moins sont celles des gens qui disent “je suis tombée enceinte, je ne le voulais pas donc j’ai avorté” ».</p>
</blockquote>
<p>Par ailleurs, parmi les récits postés sur cette page, ceux évoquant un parcours migratoire difficile sont quasi absents, et aucun ne mentionne l’appartenance à la communauté des Travellers. Pourtant, les femmes issues de cette <a href="https://www.slate.fr/story/191460/irlande-travellers-minorite-ethnique-etrangere-propre-pays-discriminations">minorité ethnique irlandaise</a> historiquement nomade, de même que les demandeuses d’asile ou les réfugiées sont confrontées à davantage de <a href="https://www.hrw.org/report/2010/01/28/state-isolation/access-abortion-women-ireland">difficultés à avorter</a>. Outre les discriminations et la marginalisation qu’elles rencontrent, elles ont globalement une moins bonne situation économique que le reste de la population et sont plus éloignées du système de santé, de la vie politique et sociale nationale. L’accès aux informations et aux ressources économiques et matérielles facilitant l’avortement leur est donc plus compliqué.</p>
<p>Ainsi, même si elles ne représentent qu’une petite part de la population, les particularités de leur situation ne sont pas visibilisées dans les témoignages publiés sur « In Her Shoes ». Il est possible que certaines de ces femmes aient écrit des témoignages sans mentionner cette caractéristique sociale mais il n’est pas à exclure que d’autres n’aient simplement pas envoyé le leur.</p>
<p>Si la publication de ces récits génère une représentation partielle des situations dans lesquelles se trouvent les femmes qui avortent, il faut toutefois souligner la levée du tabou obtenue grâce aux nombreuses mobilisations, notamment l’expression des avortantes sur « In Her Shoes ». En exposant la fréquence de cette pratique et les conséquences néfastes du huitième amendement sur leur vie, ces femmes ont montré la nécessité du droit à avorter et à disposer de son corps.</p>
<h2>Qu’attendre de la révision prochaine de la loi ?</h2>
<p>Les récits occuperont sans doute une place non négligeable dans le cadre de la révision de la loi sur l’avortement prévue au moment de la légalisation. Ainsi, une consultation citoyenne organisée par le ministère de la Santé entre décembre 2021 et avril 2022 a recueilli des témoignages, notamment de femmes ayant avorté, afin d’alimenter le rapport sur lequel se basera cette révision.</p>
<p>Il sera intéressant de voir dans quelle mesure les difficultés racontées dans ces récits seront prises en compte dans la nouvelle version de la loi. Si les associations anti-avortement participent à ce processus, les difficultés d’accès soulignées par les « pro-choix » sont <a href="https://www.thejournal.ie/abortion-review-5622657-Dec2021/">au cœur des discussions</a> et semblent suggérer une libéralisation à venir plutôt qu’un durcissement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182872/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les résultats présentés sont le fruit d’une recherche de Master 2 (Idup, Université Paris 1) réalisée en 2020 sous la co-direction de Magali Mazuy et Armelle Andro. Le stage à l’Ined et la mobilité au MUSSI (Maynooth University, Irlande) ont été financés par l’Ecole des hautes études en démographie. </span></em></p>Il y a quatre ans, à l’issue d’un référendum, l’Irlande autorisait l’avortement. Une issue qu’avait favorisée la publication sur Internet de témoignages de femmes ayant avorté hors du cadre légal.Justine Chaput, Doctorante en démographie, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1695712022-04-14T18:22:02Z2022-04-14T18:22:02ZAbus sexuels au sein de l’Église catholique : une longue histoire<p>Début avril, la Commission reconnaissance et réparation <a href="https://www.la-croix.com/Religion/l-Eglise-face-a-la-pedophilie">a annoncé</a> un barème s’échelonnant de 1 à 7 fixé pour les personnes ayant été abusées sexuellement par des membres de l’Église catholique en France. <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pedocriminalite-dans-leglise-des-reparations-allant-de-5000-a-60000-euros-12-04-2022-6YVLYUSMQZEDXAUPLLN5EDKQ74.php?ts=1649833915912">Ces montants</a> iront de 5 000 à 60 000 en fonction de différents critères.</p>
<p>Ces décisions font suite à plusieurs enquêtes entreprises après la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (<a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">CIASE</a>). Au-delà de l’écho reçu dans la presse et l’opinion publique, cette commission a voulu concilier l’écoute des victimes, l’établissement des faits sur 70 ans, et l’audit des réponses apportées par l’institution. Les apports de l’enquête Sauvé recoupent les autres travaux déjà réalisés à l’étranger.</p>
<p>Les rapports du Grand Jury en <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pretres-accuses-de-pedophilie-aux-etats-unis-500-000-pages-de-dossiers-secrets-deux-ans-d-enquete-16-08-2018-7854561.php">Pennsylvanie</a> (USA) et en <a href="https://www.lepoint.fr/europe/pedophilie-la-honte-de-l-eglise-catholique-allemande-13-09-2018-2250895_2626.php">Allemagne</a> en 2018, la démission des 34 évêques <a href="https://www.franceinter.fr/monde/les-34-eveques-chiliens-remettent-leur-demission-au-pape-francois">chiliens</a> en 2019, avaient déjà dévoilé l’ampleur des crimes commis au sein de l’Église catholique et le nombre considérable de victimes.</p>
<h2>Une chronologie des attitudes</h2>
<p>Au-delà des chiffres épouvantables de victimes, d’abuseurs et de témoins, se dessine l’aspect « massif » et <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/pedophilie-dans-l-eglise-216-000-victimes-depuis-1950-selon-le-rapport-sauve-7900081502">« systémique »</a> des violences sexuelles au sein de l’Église. S’établit ici une <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf">chronologie des attitudes</a> : ainsi dans les années 1950-1960, il s’agit de préserver l’Église par l’éloignement des criminels et le silence des victimes, puis la question disparaît avant que, dans les années 1990, timidement, une attention aux victimes commence à émerger suivie d’une reconnaissance partielle <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-catholicisme-francais-a-l-epreuve-des-scandales-sexuels-celine-beraud/9782021462838">à partir des années 2010</a>.</p>
<p>Alors qu’une des principales associations de victimes, celle des abus du Père Preynat, fondée à Lyon dès 2015, s’appelle <a href="https://www.laparoleliberee.org/">« La Parole libérée »</a>, la publication parallèle d’un recueil, intitulé <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Annexe-AN32-Recueil-de-temoignages-De-victimes-a-temoins.pdf">« De victimes à témoins »</a>, marque le changement de regard qui s’est amorcé.</p>
<p>Pour la première fois, on reconnaît et rend publique la parole des victimes, ce qui contraste avec le long silence et le long aveuglement devant l’ampleur des abus. Alors que la préoccupation est croissante face à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/on-savait-mais-quoi-claude-langlois/9782021439281">question des abus sexuels</a>, l’institution a longtemps privilégié une résolution en interne des abus, elle s’est souvent opposée à la judiciarisation et a largement promu une politique de transfert des clercs défaillants. Elle s’est aussi plus consacrée aux <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-sciences-sociales-des-religions-2021-1-page-177.html">prêtres coupables</a> qu’aux victimes, alors que l’Église apparaît comme le deuxième lieu en France des <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf">violences sexuelles</a> envers les enfants, après la <a href="https://www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Resume.pdf">famille</a>.</p>
<h2>Une autre commission pionnière</h2>
<p>L’appel à une commission pour affronter un divorce profond entre l’opinion et l’image de l’Église n’est pas une nouveauté. Le choix de la CIASE, une commission voulue par les évêques et dirigée par un catholique reconnu, est inspiré par le succès d’une autre commission identique dirigée elle par l’historien René Rémond.</p>
<p>En 1992, vivement mis en cause par les médias, le primat des Gaules, Mgr Decourtray, fit le choix d’une commission d’enquête « indépendante », sur <a href="https://www.fayard.fr/histoire/paul-touvier-et-leglise-9782213028804">« l’affaire Touvier »</a>. Pauk Touvier, chef milicien à Lyon, réprime la résistance et poursuit les Juifs aux côtés des Allemands. Il participe à l’arrestation des époux Victor et Hélène Basch, tués peu après, et choisit personnellement les Juifs exécutés à Rillieux-la-Pape en juin 1944.</p>
<p>Condamné à mort à la Libération, il échappe à la justice grâce à des complicités au sein de l’Église. Une somme d’initiatives individuelles plus qu’une politique volontaire et un mélange mal venu de miséricorde, de méconnaissance des enjeux politiques, et parfois de proximité idéologique contre-révolutionnaire, favorisa sa cavale. L’historien René Rémond ajoutait qu’une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1995_num_45_4_403565">conception trop cléricale</a> avait enfermé des clercs dans un soutien criminel qui oubliait les victimes.</p>
<p>Or l’enfermement des autorités ecclésiastiques dans des logiques internes qui, en oubliant la victime, privilégie l’attention aux clercs coupables, est à l’œuvre aussi dans les abus sexuels et favorise l’ampleur des crimes. Si le rapport Touvier dévoila l’histoire des protections accordées au milicien Touvier, il permit à l’Église d’éteindre le scandale.</p>
<p>La remise d’un tel rapport à l’occasion d’un scandale qui remet en cause l’institution permet de créer un an zéro, un avant et un après. Les évêques, espéraient-ils renouveler le succès du rapport Touvier avec la CIASE ?</p>
<h2>Un rapport qui produit un choc, et après ?</h2>
<p>S’il est trop tôt pour totalement dégager l’impact du rapport de la CIASE sur les fidèles, au-delà de la souffrance d’être associé à une communauté souillée par ces crimes et trahie par des clercs qui devraient la guider vers le salut, trois attitudes semblent se dessiner : une résistance réelle de certains croyants, qui regrettent la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/10/05/personne-n-aurait-imagine-le-chiffre-final-l-eglise-catholique-face-aux-conclusions-de-la-commission-sauve-sur-la-pedocriminalite_6097262_3224.html">mise en place de la commission</a>, tandis que d’autres s’interrogent sur la place et le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-catholicisme-francais-a-l-epreuve-des-scandales-sexuels-celine-beraud/9782021462838">rôle du clergé</a>. Emergent alors des <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLMARD/Bibliotheque-de-Philosophie/Chretiens-sans-Eglise">« chrétiens sans Église »</a>. Sans rompre avec la foi, ces croyants, par objection de conscience se détachent des rites et de l’institution. Il ne s’agit pas nécessairement d’une contestation de la croyance mais un refus de s’inscrire dans une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/07/pedocriminalite-l-eglise-catholique-face-a-trente-ans-de-scandales-dans-le-monde_6097419_3210.html">certaine forme d’organisation de la foi</a>.</p>
<p>Cette troisième voie donnera-t-elle naissance à un « troisième homme » ? Sous ce terme, le jésuite François Roustang <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/religions-spiritualites/troisieme-homme-entre-rupture-personnelle-et-crise-catholique_9782738146632.php">évoquait en 1966</a> l’émergence de croyants ayant adopté un « désintérêt » institutionnel pour mieux vivre leur foi de façon plus spirituelle.</p>
<p>Si la reconnaissance des victimes ne semble plus remise en cause, ces positionnements reflètent des interprétations divergentes. Si les prêtres abuseurs sont des cas isolés, il suffit de les exclure. Les brebis galeuses ne remettent pas en cause ni la sainteté de l’Église ni son organisation et sa doctrine. Si les abus sont « systémiques », ce qu’a démontré la CIASE, surgissent des interrogations au moins sur l’autorité et son exercice au sein de l’institution. L’enjeu, au-delà du rapport Sauvé, est bien de débattre d’une certaine idée de l’Église.</p>
<h2>Une conception cléricale de l’Église</h2>
<p>Cette dernière a déjà subi un grand nombre de réformes quant à son clergé. La plus importante est peut-être celle qui s’opéra au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente">Concile de Trente</a> (1545-1563) en réponse à la Réforme protestante, qui avait entre autres dénoncé l’indignité de certains clercs. La Papauté choisit alors de s’appuyer sur le clergé pour accomplir la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/church-history/article/abs/council-of-trent-reform-and-controversy-in-europe-and-beyond-15451700-edited-by-wim-francois-and-violet-soen-refo-500-academic-studies-35-gottingen-vandenhoeck-and-ruprecht-2018-3-vols-25000-hardcover/5F0E5F5BBA6516EA01D6924EE5BCE80A">réforme catholique et la reconquête spirituelle de l’Europe</a>.</p>
<p>Ce choix rejette la conception protestante du sacerdoce – le sacerdoce universel donné à tous par le baptême – et exalte l’exemplarité du prêtre.</p>
<p>Si le rapport de la CIASE ne remet pas en cause le catholicisme comme foi, la défaillance de l’Église enseignante ébranle une certaine conception de l’Église. Parmi les explications avancées, la commission Sauvé, comme dans le rapport Rémond, dégage en effet une « excessive sacralisation de la personne du prêtre » et un « dévoiement de l’obéissance ». La crise des abus sexuels marque une remise en cause possible d’une organisation appuyée sur une caste spécialisée sans qu’il soit possible de fixer jusqu’où ira la « dévaluation du sacerdoce ».</p>
<h2>Quelle réputation pour l’Église ?</h2>
<p>L’Église est une des sources morales reconnues de la société. Du fait de son droit d’aînesse, qui est un droit d’ancienneté historique, le catholicisme continue d’affirmer sa préséance numérique et historique et revendique <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03042387">d’inspirer la vie sociale</a>.</p>
<p>L’enjeu de cette « reconnaissance » est la recomposition des relations entretenues entre les expressions religieuses dans le pays et leur place dans les institutions publiques (armée, école, hôpitaux, prison). Quand l’aumônier se révèle un abuseur, peut-on conserver confiance dans son employeur ?</p>
<p>Les catholiques revendiquent de participer à l’élaboration des normes et valeurs du <a href="https://www.karthala.com/signes-des-temps/3152-catholicisme-et-identite-regards-croises-sur-le-catholicisme-francais-contemporain-1980-2017-9782811118396.html">vivre-ensemble</a>. Mais cette revendication socio-éthique au cœur des combats menés par l’Église catholique ces dernières années – les mouvements pro-vie et le rejet de l’avortement, le refus du mariage homosexuel, l’opposition à la procréation médicalement assistée et à l’adoption par des couples de même sexe – est bousculée par le rapport de la CIASE. En France, la Manif pour Tous en 2012-2013 a incarné cette exigence. Sa défense de la famille qu’illustre le slogan « Papa, maman et les enfants, c’est naturel », se brise sur le dévoilement des crimes « de famille » et du silence qui les a entourés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gugelot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les apports de l’enquête Sauvé recoupent d’autres travaux déjà réalisés à l’étranger, éclairant une histoire longue et internationale des abus.Frédéric Gugelot, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786732022-03-10T20:22:37Z2022-03-10T20:22:37ZLa « mode modeste », entre mode et religion, des liens paradoxaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450994/original/file-20220309-22-f8zvlw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C9%2C414%2C367&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Zurbaran, Saint François dans sa tombe, vers 1635.</span> </figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/622871d6692eae001351373b" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p>La mode modeste, ou mode pudique, est le symbole d’une morale vestimentaire qui prône la décence et la sobriété.</p>
<p>Ses incidences sont multiples : elle permet de sortir des diktats marchands et de se démarquer, d’afficher son appartenance à un groupe ou enfin de réorienter une industrie textile qu’on sait ultra polluante. La mode modeste charrie donc des enjeux économiques, esthétiques et éthiques.</p>
<p>Dans ce dernier épisode, nous continuons à tirer le fil de la mode modeste : Nathalie Roelens dévoile les liens paradoxaux entre mode et religion, entre ostentation et discrétion, entre une industrie devenue obscène et une aspiration à la sobriété.</p>
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<p><em>Crédits, conception, Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178673/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Roelens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cet épisode, Nathalie Roelens dévoile les liens paradoxaux entre mode et religionNathalie Roelens, Professeur de théorie littéraire, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1777672022-02-24T18:53:19Z2022-02-24T18:53:19ZLa « mode modeste », qu’est-ce que c’est ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452862/original/file-20220317-17-hout8q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=431%2C51%2C4207%2C3192&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un défilé de mode modeste. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.piqsels.com/en/public-domain-photo-oquwh/download">Piqsels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/62162e3b4075990012f85f7f" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
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<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La mode modeste, ou mode pudique, est le symbole d’une morale vestimentaire qui prône la décence et la sobriété.</p>
<p>Ses incidences sont multiples : elle permet de sortir des diktats marchands et de se démarquer, d’afficher son appartenance à un groupe ou enfin de réorienter une industrie textile qu’on sait ultra polluante. La mode modeste charrie donc des enjeux économiques, esthétiques et éthiques.</p>
<p>Dans ce premier épisode, pour nous aider à dessiner les contours de la mode modeste, nous recevons Alberto Fabio Ambrosio, professeur de théologie et d’histoire des religions à la Luxembourg School of Religion and Society et co-directeur de recherches au Collège des Bernardins. Il y a co-organisé, en décembre dernier, un colloque intitulé « Revêtir l’invisible, la religion habillée ». Il est aussi l’auteur de <em>Théologie de la mode</em>, sorti aux éditions Hermann.</p>
<hr>
<p><em>Crédits, conception, Sonia Zannad. Réalisation, Romain Pollet. Chargé de production, Rayane Meguenni</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alberto Ambrosio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « mode modeste » rencontre un succès grandissant. Mais où puise-t-elle ses origines, et de quoi est-elle le symbole ?Alberto Ambrosio, Professeur de théologie et histoire des religions à la Luxembourg School of Religion & Society (LSRS), co-directeur de recherche, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719692021-12-02T19:17:03Z2021-12-02T19:17:03ZLes équivoques du pardon : la conférence épiscopale face au rapport Sauvé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435003/original/file-20211201-15-15ni95c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C23%2C794%2C541&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Confessionaux de la chapelle de Chateau-Vieux d'Allinges, Haute-Savoie, France.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Fr_Allinges_Chapel_of_Chateau-Vieux_Confessionals.jpg">Pethrus/Wikimedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>L’interrogation sur la moralité du pardon revient en force à l’occasion de la révélation de l’ampleur de la pédocriminalité dans l’Église catholique en France de 1950 à 2020. Le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) appelle l’institution à la reconnaissance de la réalité du mal commis et à « une humble reconnaissance de responsabilité de la part des autorités de l’Église pour les fautes et les crimes commis en son sein » ; à un « chemin de contrition » et à une entreprise de réparation. « Il ne peut y avoir d’avenir commun sans un travail de vérité, de pardon et de réconciliation. »</p>
<p>Les études philosophiques sur le pardon peuvent éclairer ces conclusions, car elles affrontent deux questions. Quelles sont les conditions pour qu’il s’agisse d’un pardon et non d’autre chose (oubli ou insouciance) ? Et quelles conditions pour que cette pratique soit appropriée ?</p>
<p>Selon le <a href="https://www.jstor.org/stable/4544851">paradoxe du philosophe Aurel Kolnai</a>, le pardon, supposé répondre à une faute grave, est soit injustifié, soit sans objet. À première vue, il n’est donc jamais justifié. On accorde qu’il ne consiste pas à fermer, mais à ouvrir les yeux sur la réalité de la faute et suppose sa <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199329397.001.0001">mémoire partagée</a>. On admet généralement qu’il n’y a pas de droit au pardon. La réflexion a été particulièrement alimentée par l’expérience des commissions de <a href="https://doi.org/10.1017/CBO9780511619168">vérité et réconciliation</a> qui ont dû faire face aux crimes collectifs de l’apartheid.</p>
<h2>« Le risque de dévoiement du pardon »</h2>
<p>Dans le cas du rapport Sauvé, le registre emprunte à la fois au lexique du sacrement de pénitence et à celui, tant séculier que religieux, de la réparation et d’une forme de <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2018-1-page-58.htm">justice restaurative</a> centrée sur les victimes. Cependant, le Rapport dénonce l’instrumentalisation du pardon par les agresseurs. Une recommandation de la CIASE attire l’attention sur « le risque de dévoiement du pardon en facile absolution des bourreaux, pire comme une exigence incombant aux victimes de pardonner à leurs persécuteurs ». Il s’agit aussi, dans la formation des prêtres, de rappeler « la nécessité préalable de la sanction ou de la rétribution des crimes et des délits… ».</p>
<p>Le <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours de clôture</a> de l’assemblée de la Conférence des évêques de France, le 8 novembre 2021, fait référence à un pardon de Dieu qui « devrait fortifier le coupable pour qu’il se prépare à rendre compte de ses actes et à en assumer les conséquences ».</p>
<p>Il n’est pas étonnant que des clercs expriment dans le vocabulaire de leur confession la manière dont ils croient devoir répondre à des crimes engageant leur église.</p>
<h2>La matrice théologique du pardon</h2>
<p>Mais des visions différentes du pardon se télescopent. La première est celle du pardon interpersonnel, celui que la <a href="https://doi.org/10.7202/1042752ar">victime seule</a> ou son représentant est en droit d’accorder ou de refuser au coupable, ou de ne même pas considérer. La seconde est celle du pardon que, selon la théologie catholique, Dieu peut accorder, souverainement, au pécheur.</p>
<p>La Conférence espère dans le pardon divin des fautes qu’elle reconnaît être celles de l’institution, et qui sont distinctes de celles des auteurs des agressions sexuelles. De manière oblique, elle fait allusion au pardon humain qu’elle sait ne pas être en droit d’attendre. Elle entend le rapport de la CIASE :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’elles ont été prises au sérieux, les personnes agressées ont reçu une demande de pardon au nom de l’Église, et ont été invitées à pardonner [à] leur agresseur. Ces demandes de pardon, de même que les offres de prières, ont été perçues par les enquêtées comme une violence supplémentaire… »</p>
</blockquote>
<h2>Conditionnel ou inconditionnel ?</h2>
<p>Dans le cas de crimes graves, on a du mal à admettre que le pardon humain puisse être inconditionnel. On peut l’admettre de la part de victimes à la suite d’une punition légale sévère. Mais un regard religieux peut être tenté de valoriser le pardon inconditionnel comme l’expression de cet amour pratique qui est une image de l’amour divin. La théologie catholique fixe cependant des conditions du sacrement de pénitence et de réconciliation. Selon la conception catholique de l’absolution des péchés, le prêtre a un pouvoir de pardonner au nom du Christ, qu’il exerce en l’assortissant d’une condition d’examen de conscience, d’aveu, de repentir ; la pénitence, selon la gravité de la faute, peut impliquer une réparation.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434500/original/file-20211129-72623-fm387j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1179&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Te absolvo</em>, une œuvre de Josip Urbanija (1910).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Absolution_(christianisme)#/media/Fichier:Josip_Urbanija_-_Absolvo_te_1910.jpg">Digital Library of Slovenia/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le pardon humain n’est pas incompatible avec la punition légale humaine (ni avec la supposée punition divine). Ils peuvent <a href="https://doi.org/10.1093/arisoc/aoy003">se cumuler</a>. Mais le pardon divin, compatible aussi avec la punition humaine, comme le rappelle la Conférence, est par définition incompatible avec la punition divine (il peut y faire suite, mais dans ce cas il y met un terme). Et cela, que l’on conçoive ce pardon comme une suspension de la colère divine ou, selon une métaphore qui insiste plus sur la justice que sur les émotions supposées de Dieu, comme un effacement de la dette que, <a href="https://doi.org/10.1093/0198248490.001.0001">selon certains</a>, le péché constitue.</p>
<p>Le christianisme assigne une condition au pardon divin, à savoir le pardon humain lui-même, bien que la nécessité et la causalité de cette condition restent l’objet de controverses qui ont une grande affinité avec celles qui concernent la grâce, comme on le voit dans la théologie d’<a href="https://www.cairn.info/saint-augustin-et-les-actes-de-parole--9782130524694-page-223.htm">Augustin</a>. Le Notre Père en donne un condensé : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». On attache communément au catholicisme une conception très forte de la condition de pardon humain, comme s’il était un moyen d’obtenir le pardon divin.</p>
<h2>Vers la libération ?</h2>
<p>Le président de la Conférence déclare :</p>
<blockquote>
<p>« La miséricorde de Dieu met à nu ce qui fait notre honte mais pour nous permettre d’en être libérés et soignés, peut-être un jour guéris, et elle nous indique un chemin de relèvement. »</p>
</blockquote>
<p>L’horizon suggéré par le vocabulaire de la libération est l’absolution. Il peut sembler présomptueux de l’employer quand l’institution fautive n’a pas fini de parcourir les étapes d’examen de conscience et de contrition.</p>
<p>Ce registre n’est pas adéquat à l’engagement de la Conférence dans une entreprise de pénitence institutionnelle qui consiste notamment en la prise en charge de réparations. Comme le dit une victime :</p>
<blockquote>
<p>« Le pardon c’est quand on peut tourner la page une fois qu’on l’a lue, si on la tourne sans la lire, ça ne va pas. »</p>
</blockquote>
<p>Il est douteux qu’une perspective qui donne au pardon un sens religieux soit la bonne optique. Les crimes individuels et les fautes collectives qui leur sont associées appellent des réponses autres que théologiques. Le salut de leurs agresseurs n’importe pas aux victimes.</p>
<p>L’Église catholique n’a-t-elle été que le « lieu » des agressions sexuelles, selon un mot du <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/assemblee-pleniere-de-novembre-2021/520477-discours-de-cloture-de-lassemblee-pleniere-de-la-conference-des-eveques-de-france-le-lundi-8-novembre-2021/">discours du 8 novembre</a> ?</p>
<p>Le rapport de la CIASE y voit plus fortement leur « terreau ». Et l’Église admet sa part de responsabilité en s’engageant dans une réparation à venir, au-delà de la seule reconnaissance, et en deçà d’un pardon. C’est pourquoi ces quelques remarques sur le choc entre le scandale de la violence et le langage du pardon réagissent seulement à ce qui est dit, et non à ce qui sera fait.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171969/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Jaffro a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet REACT : <a href="https://react.sciencesconf.org/">https://react.sciencesconf.org/</a></span></em></p>La conférence des évêques de France a réagi au rapport sur la pédocriminalité dans l’Église catholique en s’engageant dans une voie pénitentielle qu’elle envisage encore sous l’horizon du pardon.Laurent Jaffro, Professeur de philosophie morale, membre senior de l'Institut universitaire de France, directeur de Phare ("Philosophie, Histoire et Analyse des Représentations Economiques"), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1716152021-11-16T18:52:30Z2021-11-16T18:52:30ZCommunication catholique et pédocriminalité des prêtres<p>Il y a somme toute quelque chose de paradoxal à parler de la communication catholique. Car le <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport</a> de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (<a href="https://www.ciase.fr/">Ciase</a>) montre que l’Église catholique, dans bien des cas, n’a pas communiqué, volontairement. Les affaires ont été tenues au secret. Les choses se sont dites discrètement, à mots couverts. Il fallait éviter de faire du bruit, éviter que ça se sache. Éviter la communication, donc. Éviter le scandale, car ce terme se trouve dans l’évangile. </p>
<p>Et comme le souligne <a href="https://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/218/248">Stéphane Dufour</a>, l’Église catholique aime sans doute le secret. Elle se sentait, sans doute, <a href="https://theconversation.com/quand-leglise-catholique-se-pensait-en-societe-parfaite-et-intouchable-130430">« parfaite et intouchable »</a>, forte de son appareil juridique propre (le droit canon), avant que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_sur_mineurs_dans_l%27%C3%89glise_catholique">plusieurs scandales</a> n’éclatent, dans les années 1980. Cela s’inscrit cependant dans une histoire longue, comme l’a montré récemment <a href="https://www.reforme.net/gratuit/2020/09/25/un-livre-retrace-lhistoire-de-la-pedophilie-dans-leglise-catholique/">Claude Langlois</a>.</p>
<p>C’est que l’Église catholique, comme d’autres institutions chrétiennes, et d’autres religions (les islams, par exemple) ne <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-225.htm">communique</a> pas seulement par des discours, des images normées, des médias, des assemblées, des rites publics et médiatisés, aussi, des sites Internet et des applications ou des <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-25.htm">vidéos</a>, mais aussi par le <a href="https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-3-page-47.htm">témoignage humain</a>.</p>
<h2>Une communication par le comportement : le témoignage chrétien</h2>
<p>Le comportement d’une personne, son célibat engagé, est censé en effet, à l’époque moderne et en Occident, pour une société qui l’admet et le reconnaît, témoigner de l’amour du dieu chrétien et de Jésus, son fils, pour les humains. Autrement dit, c’est le comportement qui est « donné à voir » et qui parle, à qui saurait l’entendre de la sorte (et pas autrement).</p>
<p>C’est le sens d’une « sainteté » exigée au quotidien. Puisqu’un homme (ou une femme) renonce au pouvoir (économique ou politique), à l’argent, à la sexualité (du moins en principe), c’est que le dieu le nourrit et est tout, est-on invité ainsi à penser. Or, dans l’affaire de la pédocriminalité des prêtres catholiques, le comportement d’un certain nombre de ces derniers laisse apparaître autre chose, et ne témoigne pas en faveur du dieu et du souci des plus faibles. En termes catholiques, c’est donc un <a href="https://fr.aleteia.org/2015/05/26/pape-francois-un-chretien-mondain-est-un-contre-temoignage/">« contre-témoignage »</a>. La communication chrétienne est obstruée par ces gestes, pervers, destructeurs et criminels, au lieu même où elle « communique ».</p>
<p>Ce n’est pas l’Église catholique, <a href="https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/communications/documents/papa-francesco_20180124_messaggio-comunicazioni-sociali.html">soucieuse de vérité</a> et d’aveu (par la confession demandée aux fidèles pour le sacrement dit de réconciliation), qui plus est, qui communique d’abord sur ces questions (elle se tait) : ce sont les victimes, les journalistes et les médias.</p>
<h2>Une impossibilité de contrôler désormais la communication</h2>
<p>La parole du témoin, c’est celle de l’homme (ou de la femme) victime d’attouchements ou de pénétration quand il ou elle était scout. Qui évoque le refus d’entendre des familles. « Ça communique », mais pas là où on voudrait. L’Église catholique, en tant qu’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-03194352/">institution fermée</a>, comme l’armée ou la franc-maçonnerie, contrôle en grande partie sa communication. Les réseaux numériques lui ont d’ailleurs posé une difficulté, qu’elle a <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/sommaire-publications/documents-episcopat-sommaire/439601-documents-episcopat-communion-a-lere-numerique/">cherché à réguler</a>, en ce qu’ils permettaient à « tous » de s’exprimer.</p>
<p>Une parole interne, dans un contexte de « censure » (de volonté que ça n’advienne pas publiquement, que cela ne soit pas publicisé), soutenue par des associations de victimes, passe par l’extérieur, et est entendue depuis l’extérieur. Il s’est passé quelque chose de semblable pour la crise des suicides à France Télécom-Orange en 2004 : c’est <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00499666/document">l’écho médiatique</a> qui a obligé à une écoute et une prise de conscience interne, là où les interrogations syndicales et les alertes publiques n’étaient pas entendues.</p>
<h2>Un temps propre pour communiquer ?</h2>
<p>Mais, s’interrogent certains, comme l’expert et conseiller en communication – interlocuteur du pape François – Dominique Wolton, l’écrit dans <a href="https://aufildelapense.wordpress.com/2018/12/09/politique-et-societe-le-pape-francois-avec-dominique-wolton">Pape François, <em>Politique et Société</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le temps de l’Église n’est pas toujours celui de la société. Ce n’est pas celui des médias non plus. Or aujourd’hui, les médias sont devenus le tribunal des mœurs [car] l’Église manipule aussi du temps, des valeurs, qui sont différentes. »</p>
</blockquote>
<p>L’institution, liée à l’intemporalité sinon à l’éternité, échapperait donc au temps médiatique (à défaut d’échapper à la loi ?). Cette soustraction à la temporalité comme à la communication ordinaire pose question, ou du moins est difficilement acceptable dans une société qui vit dans le désir d’une temporalité commune et dans laquelle les acteurs, notamment religieux, sont amenés à rendre des comptes de leur action, et s’exposent au <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22362">regard du tiers</a>. C’est la possibilité d’un regard extérieur sur le religieux qui est en cause, et en jeu.</p>
<p>Il semble cependant que le pape catholique accepte désormais la communication et le rôle des médias dans cette affaire, puisque François, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1281446/francois-salue-le-role-de-la-presse-face-aux-abus-sexuels-dans-leglise.html">s’adressant aux journalistes</a>, les remerciait, le 12 novembre 2021, pour ce qu’ils disent « sur ce qui ne va pas dans l’Église » afin de l’« aider à ne pas le mettre sous le tapis » et « pour la voix donnée aux victimes d’abus ». Une dette communicationnelle envers les médias, en quelque sorte, s’acquitte ainsi.</p>
<h2>Le religieux, une affaire publique</h2>
<p>Le religieux ne peut toutefois pas être seulement l’affaire des évêques, des rabbins (mêmes femmes), de « savants religieux » ou d’imams. Il concerne les citoyens, qui peuvent également entendre à leur propos les analyses de chercheurs en <a href="https://afsr.hypotheses.org/">sciences sociales du religieux</a>. On comprend bien, toutefois, que le religieux pourrait vouloir échapper au regard, surtout quand il est malveillant, ou qu’<a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3728">il ne comprend pas le propos « spirituel » du religieux</a>, ce qui est souvent le cas des médias.</p>
<p>Ces derniers peuvent en effet ne <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3756">s’intéresser à l’Église catholique qu’à propos de</a> questions de sexualité (homosexualité, pédophilie, viols, domination masculine, préservatifs), précisément, d’argent (détournement, placements, liens avec la mafia), ou bien, de façon presque folklorique, de production monastique de bière ou de fromage… (ou, plus spirituellement, de chant grégorien). Peut-être cela est-il le signe d’un effondrement social radical du religieux, qui ne peut plus être compris dans son propos propre, mais seulement dans ses signes extérieurs.</p>
<p>Ceci ne fonde pas toutefois le religieux à ne revendiquer d’expertise adéquate <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22568">que de lui-même</a>. Les clercs ou les « dévots » ne sont pas les seuls autorisés à parler du religieux, dans l’espace public, surtout quand le religieux affiche ou implique des <a href="https://journals.openedition.org/assr/26432">préoccupations politiques et sociales</a> : refus du mariage entre personnes de même sexe, rejet de l’avortement, rejet de l’homosexualité, de la contraception, de l’euthanasie…</p>
<p>Qu’une institution soucieuse de pureté et avide de recommandations morales, se préoccupant si souvent de la vie sexuelle, matrimoniale et familiale des personnes, trouvant aisément impur le moindre geste érotique, et se souciant du caractère sain ou non des contenus et images circulant dans l’espace public, s’avère ainsi criminelle interroge donc le public notamment quant à sa communication, interne et publique.</p>
<h2>Communiquer sur un ensemble de drames</h2>
<p>Les dispositifs et actes qu’a mis en place l’Église catholique pour faire face à ces crimes et à ce drame, gérer ce scandale et y répondre ont été nombreux : demande publique de pardon au plus haut niveau et affichage d’une préoccupation forte, <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3739">contre-communication</a> montrant le souci de l’institution pour les enfants, prières, espaces d’accueil et d’écoute dans les églises, commission d’enquête indépendante, communication par le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yg_RZeTCzH4">geste</a> symbolique, ritualisation presque liturgique, à Lourdes (les <a href="https://www.ktotv.com/video/00385735/2021-11-06-geste-penitentiel-lourdes">genoux à terre</a>), de la <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520414-assemblee-pleniere-des-eveques-de-france-textes-de-mgr-emb/">repentance</a>, reconnaissance de la dimension institutionnelle et du <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/pedocriminalite-les-eveques-de-france-reconnaissent-la-responsabilite-institutionnelle-de-l-eglise-et-la-dimension-systemique-de-ces-crimes_4834035.html">caractère « systémique »</a> (mettant en jeu l’organisation entière et son silence) de ces crimes, par la Conférence des évêques de France…</p>
<p>Toutefois, ils peuvent ne pas suffire à apaiser le public, inquiet de ces actes comme de leur mise sous silence. Ils n’effacent pas le manque de conscience et de <a href="https://www.revue-etudes.com/article/un-moment-de-verite-pour-l-eglise-23859">débat</a> interne à l’Église, cette autre forme de communication, constructive.</p>
<p>Sans doute, cette affaire forme aussi l’occasion opportune, en contexte de laïcité en tension (car la laïcité républicaine française est à la fois utilisée par l’extrême droite dans une perspective xénophobe, et attaquée autant par une partie de la gauche que par des défenseurs des religions, qu’il s’agisse du christianisme ou d’un islam), d’attaques fortes, cette fois justifiées, contre l’Église catholique.</p>
<p>Elle demeure une institution finalement mal connue et ses objectifs ne semblent pas toujours en phase avec un certain nombre d’orientations et de tendances sociales (avortement, mariage pour les couples homosexuels, aménagement des conditions de décès…).</p>
<h2>Difficultés à admettre</h2>
<p>La diversité des expressions ecclésiales dans les médias et sur les réseaux toutefois surprend : <a href="https://twitter.com/AbbeRaffray/status/1446141804710174725">« le temps des persécutions est venu »</a>, dit un prêtre, il y a bien plus de pédocriminalité dans les familles ou d’autres institutions, <a href="https://www.france24.com/fr/20190308-france-pedophilie-eglise-institutions-famille-education-nationale-agressions-sexuelles?ref=tw_i">disent plusieurs</a>, tout comme le pape François qui déclarait lui-même en 2017 que « « la majeure partie des abus sur les mineurs viennent du cercle familial ou des voisins du quartier » (<em>Politique et société</em>, p.223).</p>
<p>La confession est un secret majeur, déclare par ailleurs le <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/video-pedocriminalite-dans-l-eglise-le-secret-de-la-confession-est-plus-fort-que-les-lois-de-la-republique-selon-mgr-eric-de-moulins-beaufort_4796947.html">porte-parole de la Conférence des évêques de France</a>.</p>
<p>La Conférence des évêques de France, réunie à Lourdes en novembre 2021, s’est exprimée cependant de façon plus ferme et plus forte. Elle a mis en place et communiqué un <a href="https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/520492-resolutions-votees-par-les-eveques-de-france-en-assemblee-pleniere-le-8-novembre-2021/">programme d’actions</a>. Lorsque les associations de victimes, les réseaux sociaux et les médias font éclater la communication, l’institution ne peut plus être muette, craindre le dissensus, ou couvrir des forfaits de son silence prudent.</p>
<p>Il importe donc de communiquer sur le religieux, qui a ses silences, et ne tient pas toujours la promesse qu’il porte, et d’interroger autant ses <a href="https://mei-info.com/revue/38/religion-et-communication/">communications</a>, internes et externes, que sa non-communication, et, peut-être, de dialoguer avec lui, s’il consent à une relation égalitaire, ainsi qu’au débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Douyère ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapport Sauvé (Ciase) sur la pédocriminalité au sein de l’Église met à mal la communication catholique.David Douyère, Professeur de sciences de l'information et de la communication, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1639212021-11-03T19:22:28Z2021-11-03T19:22:28ZQue savons-nous des « minorités religieuses » de la fin de l’Antiquité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/430053/original/file-20211103-15-jqxz2j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C7%2C1245%2C1226&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mosaïque de plafond du _Baptistère des Ariens_ à Ravenne (VIe siècle).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.vikidia.org/wiki/Arianisme#/media/File:Battistero_degli_ariani,_int,_mosaico_della_cupola_08_battesimo_di_cristo.jpg">Vikidia</a></span></figcaption></figure><p>Bien des études ont vu le jour depuis la Renaissance sur la situation religieuse du monde méditerranéen de la fin de l’Antiquité. Leur intérêt est très inégal et malheureusement très souvent le contenu des travaux des uns et des autres trahit une récupération idéologique et une méconnaissance de la complexité de cette période clé dans l’histoire de l’évolution de la pensée religieuse humaine. Ainsi d’aucuns en ont fait une période marquée par l’accroissement de l’intolérance, d’autre une période teintée par la montée de la pensée unique. Certains ont cru trouver dans cette période la fin de la raison philosophique antique surtout après la <a href="http://agora.qc.ca/documents/Philosophe--Les_derniers_philosophes_de_lecole_dAthenes_par_Edward_Gibbon">fermeture de l’école d’Athènes par l’empereur Justinien en 529</a>. D’autres encore ont vu en cette période l’âge d’or de la corruption et de l’absolutisme impérial. Bref, nous pourrions encore allonger la liste de ces thèses qui ont surtout cherché à s’autojustifier. Il nous semble que l’erreur première, pour les positions que nous considérons comme erronées, mais auxquelles nous prêtons le crédit de la bonne foi, réside dans le manque d’attention à la richesse de cette période.</p>
<p>Sur le plan religieux, l’Antiquité tardive se caractérise par une grande diversité. Le processus de christianisation, qui a commencé à partir du début du IV<sup>e</sup> siècle, n’a pas empêché la survivance des pensées religieuses dites minoritaires. De nombreuses lois impériales concernant ces minorités sont promulguées par les empereurs Théodose II et Justinien. Diverses lois décrètent la protection de leurs lieux de culte et le respect des pratiques religieuses minoritaires tout en privilégiant, en même temps le <a href="https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/antiquite/lempire-romain-devient-chretien-68733.php">christianisme catholique pour ce qui concerne l’Empire romain</a> et le <a href="https://www.clio.fr/bibliotheque/le_mazdeisme_la_religion_des_mages.asp">Mazdéisme</a> pour ce qui concerne l’Empire sassanide.</p>
<h2>L’Antiquité tardive et les « minorités religieuses » chrétiennes</h2>
<p>Dès le III<sup>e</sup> siècle, l’Église chrétienne connaît des divisions bien réelles. Beaucoup sont très vite résorbées, d’autres persistent assez longtemps, mais au mieux comme de très faibles minorités. La grande fracture de l’<a href="https://croire.la-croix.com/Les-formations-Croire.com/Histoire-de-l-Eglise/Petite-histoire-des-grands-conciles/Le-concile-de-Nicee-premier-concile-oecumenique/La-confusion-s-installe">arianisme</a>, qui revient à nier la divinité du Fils dans la Trinité, condamné par le <a href="https://fr.aleteia.org/2019/09/29/un-concile-peut-il-determiner-que-jesus-est-dieu/">concile de Nicée de 325</a>, mais vraiment écarté de l’orthodoxie à la suite du concile de Constantinople de 381, est pour l’essentiel résorbée bien avant le début du VIII<sup>e</sup> siècle, mais on ne peut exclure des survivances.</p>
<p>Cette pensée religieuse qui anime une partie importante du débat théologique chrétien de l’Antiquité tardive commence à proprement parler avec celui qui lui a donné son nom, Arius, un prêtre alexandrin qui, entre 315 et 318, réagit violemment aux sermons de son évêque Alexandre, qui lui semblait prêcher que le Fils était inengendré et éternel comme le Père. Ses écrits sont quantitativement peu nombreux : une lettre à Eusèbe de Nicomédie, une autre à son évêque d’Alexandrie, et une courte présentation de ses convictions intitulée la <em>Thalie</em>. La théologie d’Arius eut une présence importante en Europe et Afrique du Nord du V<sup>e</sup> et VI<sup>e</sup> siècles, essentiellement parmi les peuples goths et les Vandales.</p>
<p>Le paysage chrétien tardo-antique est aussi structuré par une autre déchirure : le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/nestorianisme/">Nestorianisme</a> dont la christologie, d’origine antiochienne, présente le Christ comme étant l’union de deux natures après l’incarnation, d’une façon souvent très proche du Credo du concile de Chalcédoine de 451. L’appellation de ce courant doctrinal, due à vrai dire à ses opposants, lui vient du patriarche de Constantinople <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/nestorius/">Nestorius</a>, condamné en 431 au concile d’Éphèse pour s’être opposé à la théologie de l’un des plus puissants évêques de l’Antiquité tardive en matière politique : <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/cyrille-d-alexandrie/">Cyrille d’Alexandrie</a>.</p>
<p>Après la fermeture des écoles nestoriennes d’Édesse en 489, les membres de la secte fuient l’Empire romain d’Orient qui les <a href="https://www.lorientlejour.com/article/999034/la-perse-au-commencement-de-la-chretiente-orientale.html">persécutait pour s’installer en territoire perse</a>. Les années 500 voient la prédominance de l’Église nestorienne en Irak, et dès les années 550 les chrétiens nestoriens ont reconnu les évêques des villes royales sassanides Séleucie et Ctésiphon comme primat ou <em>catholicos</em>, c’est-à-dire chef suprême de leur Église, indépendamment du pouvoir des évêques de Rome et de Constantinople, ce qui annonce une rupture radicale, franche et rapide entre les nestoriens et l’Empire romain.</p>
<p>Au niveau plus régional, l’Afrique du Nord par exemple était <a href="https://theconversation.com/quand-lafrique-du-nord-etait-chretienne-159088">très marquée durant cette période par le mouvement donatiste</a> ; un schisme qui né à la suite de la grande persécution du début du IV<sup>e</sup> siècle. Les événements historiques relatifs à l’origine de ce mouvement ont été l’objet de doute et d’incertitude pratiquement depuis le début, et les interprétations du mouvement par les érudits sont controversées. Mais en dépit de ces incertitudes, nous sommes sûrs que ce mouvement schismatique a créé une grande dynamique théologique, polémique et religieuse en Afrique du Nord durant les derniers de l’époque antique.</p>
<h2>Les Juifs de l’Antiquité tardive : une minorité dynamique</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429740/original/file-20211102-27-1ybo7mk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mosaïque à la menorah découverte à Hammam Lif en Tunisie (VIe siècle).</span>
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<p>Les Juifs sont présents dans tout l’espace méditerranéen <a href="https://www.cairn.info/les-cultures-des-juifs--9782841621125-page-99.htm">depuis l’époque hellénistique</a> mais leur présence est devenue plus visible sur le plan social à partir du IV<sup>e</sup> siècle. Cette présence est néanmoins difficile à quantifier mais il sera important de signaler qu’ils sont plus présents dans les villes que dans les compagnes avec une concentration particulière dans les grandes villes comme Alexandrie, Rome et Carthage.</p>
<p>Pour la majorité gréco-romaine de l’Antiquité tardive, les Juifs sont fréquemment perçus comme une minorité, mais il s’agit d’une minorité assez dynamique. Les estimations du nombre de Juifs dans l’Empire romain oscillent entre 8 % et 10 % de la population de l’Empire entre le IV<sup>e</sup> et le V<sup>e</sup> siècle, ce qui est loin d’être négligeable. En dépit de sa différence et peut-être à cause d’elle, la religion juive a suscité l’intérêt de plusieurs auteurs gréco-romains. Ils sont souvent mentionnés par ces auteurs, soit de manière neutre, soit de manière positive, soit enfin de manière négative.</p>
<p>Face à ce regard de l’Autre, les rabbins de la Diaspora ont <a href="https://journals.openedition.org/medievales/7878">développé une vision différente des choses</a>. Les Juifs ne sont pas à leurs yeux une population minoritaire puisqu’il s’agit de la population avec laquelle Dieu a établi une alliance. À cette époque les rabbins ont deux discours à l’égard des autres Nations. Le premier est marqué par une profonde indifférence envers les autres peuples. Le deuxième discours considère au contraire qu’il existe deux Nations fondamentales dans l’histoire : Israël et Rome. Elle se partagent en quelque sorte le monde : Rome, domine dans le monde présent, Israël dans le futur. Cette analogie que les rabbins de l’Antiquité tardive établissent entre Rome et Israël découle d’ailleurs d’un véritable lien de parenté, qui remonte aux deux fils d’Isaac ; Jacob et Ésaü.</p>
<h2>Le retour des mouvements prophétiques : le Manichéisme</h2>
<p>Pensée gnostique, structure dualiste, esprit persan sont les clichés qui ont servi à qualifier le Manichéisme pendant l’Antiquité tardive. Mais loin de ces préjugés, la pensée manichéenne est bien le produit de son époque. Les détails sur l’origine de cette pensée sont rares et ce qu’en rapportent ses ennemis est à certains moments contradictoire. Mais nous avons la chance de posséder des documents manichéens grâce à un certain nombre de découvertes, faites à Turkestan (en Chine), à Médinet Mâdi (en Égypte) et à Tébessa (en Algérie).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=581&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=581&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=581&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=731&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=731&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429752/original/file-20211102-29670-1p15t3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=731&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sceau en cristal de roche de Mani avec une inscription syriaque portant : <em>Mani, apôtre de Jésus-Christ</em>.</span>
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<p>Mani, le <a href="https://www.lepoint.fr/histoire/perse-qui-est-mani-le-pere-du-manicheisme-30-12-2017-2183208_1615.php">fondateur de ce que sera appelé le Manichéisme</a>, est né en Babylonie, alors sous domination perse, le 14 avril 216. Sa famille appartenait aux elchaïsites, une branche judéo-chrétienne par laquelle il a pu être en contact avec certaines idées gnostiques que nous rencontrons ultérieurement dans sa pensée. En 228, à l’âge 12 ans, il reçoit une première révélation divine, puis une seconde en 240, à l’âge de 24 ans. Jusqu’à cette deuxième date, il était lié à la secte des Baptistes qu’il quitte juste après son illumination.</p>
<p>Nous ne chercherons pas à suivre Mani en ses expéditions missionnaires, attendu que les documents à ce sujet sont rares et fort imprécis. On sait toutefois qu’il ne cessa de déployer une activité énergique qui le conduit d’abord dans la capitale de l’empire perse, Ktésiphon, puis dès avant la fin du règne d’Ardachir I<sup>er</sup>, au « pays des Indiens ». Sans doute ce voyage se situe-t-il à l’époque où Châhpour I<sup>er</sup> lui-même occupé Le Pendjab et la vallée d’Indus et lançait ses armées à l’assaut du royaume des Kouchâns. On estime que ce premier grand voyage missionnaire s’étendit sur deux années. Après son retour de l’Inde, Châhpour I<sup>er</sup>, régnant désormais seul depuis la mort de son père, l’invite à se rendre à sa cour. L’entrevue avait été préparée par Fîrouz, le jeune frère du roi perse. Cette rencontre entre le « Prophète » et le « Roi des rois », qui est la manifestation officielle de la nouvelle religion peut être fixée au 9 avril 243. Après cette rencontre, le roi perse accorde plusieurs entretiens à Mani et on a même avancé l’hypothèse de la présence de ce dernier dans l’expédition du « Grand Roi » contre Gordien III. Mais rapidement, sa relation avec la cour impériale se dégrade. Le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/mages/">clan des Mages</a> qui surveillait attentivement la faveur dont jouissait le « Prophète perse » attendait le moment propice pour l’éliminer, par tous les moyens, en vue d’établir le monopole du Mazdéisme comme religion officielle de l’Empire sassanide.</p>
<p>Avec la montée de Bahrâm sur le trône royal, en 273 probablement, la situation va rapidement évoluer. Le roi perse ne va pas tarder pour faire grief à Mani d’avoir condamné sa politique militaire et aussi d’avoir négligé son rôle de guérisseur à la cour royale, pour se consacrer à sa prédication. Mais le véritable reproche que lui adresse le monarque est plus grave : de quel droit, lui, Mani, est-il Prophète ? N’y a-t-il pas crime de lèse-majesté ? Il est alors chargé de chaînes avant de se voir jeté en prison puis condamné à mort. D’après la tradition manichéenne, le corps du « Prophète » fut décapité et sa tête clouée à une porte de la ville royale.</p>
<p>La <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/08/25/le-manicheisme-une-religion-devenue-un-adjectif_6092326_3451060.html">pensée manichéenne</a> a pu survivre après la mort de son fondateur. Sa doctrine fondamentale enseigne le dualisme radical des « Principes » antithétiques et l’histoire des « Trois Temps » qui sont les phases au cours desquelles les « Deux Principes » (le Bien et le Mal) déroulent leur drame. C’est dans ce drame, dont l’origine remonte au Temps Antérieur, que la création du cosmos s’est insérée. Et c’est comme acteur de drame que l’humain doit jouer son rôle, à la place qui lui est assignée, constituant en même temps un champ de bataille à l’intérieur duquel se déroule le Combat. On conçoit aisément que, pour qui se considère ainsi doublement engagé, à la fois comme soldat, au service de son « royaume », et comme enjeu, où s’affrontent le Bien et le Mal, le problème unique consiste à bien connaître sa mission.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163921/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Arbi Nsiri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sur le plan religieux, l’Antiquité tardive se caractérise par une grande diversité. Le processus de christianisation n’a pas empêché la survivance des pensées religieuses dites minoritaires.Mohamed Arbi Nsiri, Docteur en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700502021-10-21T21:12:03Z2021-10-21T21:12:03ZBonnes feuilles : « Des soutanes et des hommes »<p><em>Alors que le publication du <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église</a> dresse un état des lieux accablant des violences sexuelles au sein de l’Église catholique française en évoquant un phénomène « massif » et « systémique », Josselin Tricou, qui a lui-même participé à l’<a href="https://presse.inserm.fr/en/sociologie-des-violences-sexuelles-au-sein-de-leglise-catholique-en-france-1950-2020-une-enquete-inserm-pour-eclairer-le-rapport-de-la-ciase/43884/">enquête de l’Inserm</a> fait paraître une enquête sociologique sur la masculinité des prêtres catholiques. Extraits choisis.</em></p>
<hr>
<p>Dès le début de son pontificat, le corps de Jean-Paul II avait été mis en valeur à travers la diffusion par le service de presse du Vatican de photographies d’avant son élection – reprises et commentées par les médias du monde entier – où on le voyait faire du ski ou encore se raser en pleine nature. C’était un corps viril qui était présenté au public. Jusque dans la mise en scène médiatisée de sa maladie et de son agonie, il est apparu comme combatif.</p>
<p>Cette image d’un corps résistant, y compris dans l’épreuve, n’était-elle pas en congruence avec le grand récit du pape vainqueur du communisme ? Jean Paul II n’était-il pas aussi celui qui a su remettre en état de marche un catholicisme en crise depuis la fin des années 1960 et, ce faisant, incarner une <a href="https://www.maremagnum.com/libri-antichi/europe-revue-mensuelle-n-32-miguel-de-unamuno-la-virilite-de/148878646">« virilité de la foi »</a> retrouvée ? Cette représentation a sans doute été construite par contraste avec – et peut-être pour contrer – celle d’un Paul VI (pape de 1963 à 1978) qui, au contraire, fut décrit sur la fin de sa vie comme un intellectuel distant, impuissant à mettre un terme à la <a href="https://doi-org.inshs.bib.cnrs.fr/10.3917/dec.renne.2021.01.0534">« crise catholique » des années 1960-1970</a>, et, qui fut dénoncé par certains médias – y compris catholiques – comme un homosexuel torturé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Jean-Paul II fait du ski dans les montagnes des Abruzzes à l’est de Rome en janvier 1981" src="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean-Paul II, au centre habillé en noir, fait du ski dans les montagnes des Abruzzes à l’est de Rome, janvier 1981.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.aleteia.org/slideshow/en-images-saint-jean-paul-ii-comme-vous-ne-lavez-jamais-vu-1451/16/">Bettman/AFP</a></span>
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<p>Ces quelques remarques sur les papes antérieurs à ceux de la période qui nous intéresse dans ce livre servent à convaincre la lectrice ou le lecteur – dont le regard est possiblement imprégné par une sorte de catholic gaze.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Le « catholic gaze »</h2>
<p>Le « catholic gaze » (« to gaze » signifie « regarder fixement », « contempler ») est inscrit dans la culture occidentale, de la même façon qu’ il existe un <a href="https://www.debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif">« male gaze »</a> regard hétérosexuel érotisant et objectifiant le corps des femmes, critiqué <a href="https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/male-gaze-ce-que-voient-les-hommes/?uri=male-gaze-ce-que-voient-les-hommes%2F">ces récentes années</a> notamment dans les arts visuels.</p>
<p>J’utilise ainsi l’expression « catholic gaze » pour évoquer la construction historique d’un regard collectif catholique dégenrant en partie et désexualisant le corps des clercs en le sacralisant, alors même que l’aspect genré (la masculinité), mais aussi sexualisé (les préférences sexuelles supposées) du pape, comme de tout prêtre, apparaissent bel et bien comme un enjeu politique et communicationnel à l’ère médiatique.</p>
<p>Non pas que ces aspects ne l’étaient pas auparavant, mais cet enjeu apparaît démultiplié dès lors que la communication institutionnelle se voit redoublée par le travail d’interprétation que produisent les médias du monde entier. En ce sens, si le genre – tant comme structure sociale que comme performance individuelle – a toujours été <a href="https://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1759">« une façon première de signifier les rapports de pouvoir »</a>, la mise en place d’un nouveau régime de l’information de masse et, plus encore, la dynamique récente de politisation des questions de genre et de sexualité dans l’espace public – appelée <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linversion-de-la-question-homosexuelle-2/">« démocratie sexuelle »</a> par Éric Fassin – exercent une pression sur l’Église catholique.</p>
<h2>Le genre devient un enjeu dans la représentation politique</h2>
<p>Cette pression apparaît encore renforcée par le grand mouvement de dévoilement de <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">violences sexuelles</a> commises par ses représentants. Or, une telle dynamique conduit nécessairement le pape, mais aussi tous les membres du clergé, à redoubler de réflexivité sur la manière dont ils vivent et performent leur genre et leur sexualité. Elle infléchit également les regards extérieurs portés sur leur atypie en la matière, d’autant plus que l’« exculturation » croissante du catholicisme en Occident – c’est-à-dire la déliaison à laquelle on assiste depuis les années 1950-1960 entre la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2003_num_83_4_1053_t7_0495_0000_2">culture catholique</a> et l’univers civilisationnel qu’elle a contribué à façonner pendant des siècles – joue en faveur d’une multiplication des manières d’appréhender une identité sacerdotale à la fois raréfiée dans la réalité et exotisée, voire dévaluée dans les représentations sociales.</p>
<p>Dès lors, on observe dans le cas des clercs de l’Église catholique ce que le chercheur <a href="https://journals.openedition.org/gss/2686?lang=en">Clément Arambourou</a> note, s’agissant des individus cherchant à incarner des rôles de pouvoir dans le champ politique, à savoir que « ce qui relève des rapports de genre et de sexualité ne ressortit plus au domaine de l’évidence », mais constitue désormais « un des enjeux du travail de représentation politique ».</p>
<h2>L’aveuglante évidence du masculin sacerdotal</h2>
<p>En interrogeant la masculinité des prêtres, j’ai adopté et appliqué, une perspective de genre sur un objet particulièrement bien étudié par ailleurs, mais le plus souvent dans des perspectives <em>genderblind</em> – aveugles au genre. Si le statut des prêtres et religieux catholiques a inspiré des analyses fondamentales pour la sociologie, de <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/economie-et-societe/9782266132442">Max Weber</a> à <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1971_num_12_3_1994">Pierre</a> <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1982_num_43_1_2159">Bourdieu</a>, il a également suscité un nombre non négligeable d’enquêtes sociologiques en tant que telles.</p>
<p>La masculinité des prêtres n’a été qu’effleurée par la sociologie du catholicisme et totalement ignorée par la sociologie du genre. Il faut dire qu’<a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/4423">études de genre</a> et <a href="https://www.cairn.info/encyclopedie-critique-du-genre--9782707190482-page-559.htm">sociologie des religions</a> – du catholicisme surtout – se sont longtemps ignorées. Mais plus encore, le « catholic gaze » fonctionnait encore il y a peu, dans l’Église bien sûr, mais aussi dans la société française malgré sa sécularisation avancée, et chez nombre de sociologues à certains égards.</p>
<p>L’idéal sacerdotal continuait à projeter son ombre portée sur les représentations contemporaines. Et la sociologie du catholicisme, tout particulièrement, semblait en ce sens atteinte par une sorte de persistance rétinienne, témoignant, en retour, de la force d’imposition de cet idéal par l’institution ecclésiale.</p>
<h2>Un angle mort de la sociologie du catholicisme</h2>
<p>L’analyse de la masculinité afférente à cet idéal sacerdotal a donc longtemps été un angle mort de la sociologie du catholicisme. À titre d’exemples, les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Vocation_(La)-2270-1-1-0-1.html">deux derniers</a> <a href="https://www.puf.com/content/Pr%C3%AAtres_diacres_la%C3%AFcs">travaux sociologiques d’envergure</a> sur le clergé catholique français ne cessent de la croiser et de la recroiser sans jamais l’aborder frontalement.</p>
<p>Même en 2012, quand je commence à soumettre à l’évaluation d’universitaires mon projet de thèse à l’origine de cet ouvrage, certain·e·s me rétorquent encore que je devrais plutôt m’intéresser à la place des femmes dans l’Église. C’est dire la rémanence de l’aveuglante évidence du masculin, cet objet longtemps resté le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-marges_du_masculin_exotisation_deplacements_recentrements_maxime_cervulle_patrick_farges_anne_isabelle_francois-9782343075037-48481.html">« neutre invisible »</a> et construit comme tel par un androcentrisme généralisé, y compris dans le regard des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sous_les_sciences_sociales_le_genre-9782707154507">sciences sociales</a>.</p>
<p>Pourtant, objectiver les enjeux contemporains touchant à la masculinité sacerdotale, soit la masculinité censée être incarnée par les agents de l’appareil catholique romain, c’était affronter une des rares institutions occidentales qui oppose encore une fin de non-recevoir à toutes revendications d’égal accès des femmes aux postes de pouvoir.</p>
<p>A contrario, la majorité des grandes institutions se sont converties bon gré mal gré à l’égalité des sexes, fût-ce à reculons. Il apparaissait dès lors difficile de ne pas apercevoir le <a href="https://journals.openedition.org/sdt/16426?lang=en">« plafond de vitrail »</a> (l’équivalent religieux du fameux « plafond de verre ») désormais imposé explicitement aux femmes par l’Église catholique romaine sans justifications convaincantes et son envers, le maintien de l’homosociabilité du corps clérical et sa <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/15431">patriarcalité</a> décomplexée.</p>
<p>Il faut reconnaître néanmoins, qu’une fois certains enjeux de ma recherche explicités – notamment la potentielle <a href="https://doi-org.inshs.bib.cnrs.fr/10.3917/dec.renne.2021.01.0534">« fonction de placard »</a> que peut recouvrir la prêtrise, c’est-à-dire la fonction de dissimulation, voire de protection pour des hommes non-hétérosexuels en contexte hétéronormatif –, l’évidence d’appliquer un tel prisme sautait aux yeux de mes interlocteur·trice·s.</p>
<p>Mais jusque-là, dans la plupart des cas, la masculinité sacerdotale apparaissait consubstantielle à l’institution catholique. Elle était à leurs yeux tout à la fois omniprésente et cachée. C’est bien en ce sens, et avec humour, quel’anthropologue <a href="http://docplayer.fr/138345880-Notes-pour-une-definition-sociologique-des-categories-de-sexe.html">Nicole-Claude Mathieu</a> écrivait en 1971, même si son propos visait au-delà de la seule Église :</p>
<blockquote>
<p>« La catégorie homme se caractérisait, tel le Christ dans l’hostie, par une présence réelle mais cachée. »</p>
</blockquote>
<p>Or c’est aujourd’hui une prise de conscience qui s’est diffusée au-delà d’un petit cercle de chercheuses et militantes féministes, y compris au sein d’un public croyant.</p>
<h2>Le catholicisme, un « bougé » du genre</h2>
<p>C’est que la structuration institutionnelle du catholicisme produit une variante de la manière dont les sociétés occidentales distinguent et ordonnent les sexes et les sexualités. Ce « bougé » catholique du genre – comme on dit d’une photographie floue – est lié au double paradoxe qu’induit l’idéal sacerdotal que l’Église a imposé à ses clercs, <a href="https://journals.openedition.org/assr/3345">« qui dicte leur conduite et la justifie à leurs propres yeux »</a></p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de l’ouvrage « Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres » qui vient de paraître aux PUF.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Alors que l’Église se présente plus que jamais comme la grande défenseuse de la complémentarité des sexes et de la vocation universelle à l’hétérosexualité des êtres humains, elle a institutionnalisé deux modèles de masculinités : celle du laïc marié correspond à ce discours et se trouve donc présentée comme naturelle ; celle des prêtres échappe « surnaturellement » à cette vocation universelle et à la division entre les rôles de sexes traditionnels. Rien que par cette pratique, l’Église vend la mèche – comme le dirait Bourdieu – sur cette naturalisation qu’elle opère en discours.</p>
<p>Par ailleurs, et tout aussi paradoxalement, l’Église institutionnalise ce faisant une hiérarchie des masculinités inversée par rapport à celle qui structure les sociétés dans lesquelles elle s’imbrique : elle fait prévaloir sur la masculinité laïque jugée normale la masculinité sacerdotale pourtant atypique au regard des modèles culturellement dominants de masculinité.</p>
<p>Or, dans le regard de nos contemporain·e·s, ce « bougé » du genre est de plus en plus perçue comme étrange. Il est devenu un « trouble dans le genre », pour reprendre le fameux titre de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/trouble_dans_le_genre-9782707150189">Judith Butler</a>. C’est sa plausibilité même qui est remise en cause aujourd’hui au sein des sociétés occidentales.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://www.puf.com/content/Des_soutanes_et_des_hommes">« Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres »</a>, de Josselin Tricou, est paru le 22/09/2021 aux Presses universitaires de France</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Tricou a reçu des financements de l'Université Paris 8 pour mener à bien sa recherche dans le cadre d'un contrat doctoral.</span></em></p>Après une enquête au sein de l'Eglise catholique française, Josselin Tricou nous livre les Bonnes feuilles de son ouvrage qui explore un impensé des études sociologiques : la masculinité des prêtres.Josselin Tricou, Maître assistant en sociologie, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1694122021-10-10T16:40:30Z2021-10-10T16:40:30ZLa religion catholique, première prise de parole politique pour les femmes françaises ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/425588/original/file-20211010-27-1b19p6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=20%2C15%2C832%2C551&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Conseil dirigeant de la Ligue patriotique des Françaises, en 1927.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_patriotique_des_Fran%C3%A7aises">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Les femmes françaises ont pu voter pour la première fois en <a href="https://histoire-image.org/fr/etudes/premier-vote-femmes-france">1945</a>. <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/man7279254694/le-droit-de-vote-des-femmes">Dans les médias</a>, les visages des militantes manifestant dans les rues, pancartes à la main, sont l’illustration des combats menés pour l’acquisition ce droit. Ces images font également écho aux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Suffragette">suffragettes</a> britanniques.</p>
<p>D’autres femmes ont cependant réussi à mener des actions politiques au début du XX<sup>e</sup> siècle. Leurs profils sont différents et leur histoire méconnue. Certaines femmes appartenant à la bourgeoisie ont pris la parole dans la sphère politique pour la défense de leur religion dans un contexte politique marqué par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anticl%C3%A9ricalisme">l’anticléricalisme</a>.</p>
<p>Dans le contexte de l’époque, les femmes sont perçues comme « sensibles », et donc attachées à la spiritualité et au ministère de l’Église. La politique reste une affaire d’hommes. Certaines ont cependant repris cet argument à leur compte pour élargir leur champ d’action.</p>
<h2>La naissance des Ligues de femmes</h2>
<p>La fin du XIX<sup>e</sup> et le début du XX<sup>e</sup> siècle sont marqués par les positions anticléricales. Alors que la religion catholique s’éloigne de la société, les défenseurs de cette tradition s’en inquiètent et prennent position. Parmi eux, des femmes. Celles appartenant aux classes sociales aisées ont la pratique religieuse au cœur de leur quotidien. La vie religieuse définit parfois intégralement leur vie sociale. Elles se rencontrent à l’église, elles sont proches des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Congr%C3%A9gation_religieuse">congrégations religieuses</a>, elles mènent des activités auprès d’œuvres de <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/charit%C3%A9">charité</a>.</p>
<p><a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D43/waldeck.html">La loi du 1ᵉʳ juillet 1901</a> promulguée par le gouvernement <a href="https://www.senat.fr/evenement/archives/D43/waldeck.html">Waldeck-Rousseau</a> place les associations sous autorisation législative. Les congrégations religieuses sont elles aussi soumises à un contrôle du gouvernement. Cette loi est perçue comme une véritable attaque. Les élites appartenant à un catholicisme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Intransigeantisme">intransigeant</a> décident de riposter. Les femmes qui les composent entrent dans l’action politique. Alors qu’elles n’ont pas encore le droit de vote, elles décident de s’organiser autrement.</p>
<p>En septembre 1901 à Lyon, un père <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/j%C3%A9suite">jésuite</a> nommé Antonin Eymieu a l’idée de créer une ligue. Il invite Jeanne Lestra, une dame appartenant à la bourgeoisie, à en prendre la tête. Jeanne devient la fondatrice de la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2002-1-page-39.htm">Ligue des femmes françaises</a> (LFF). Accompagnée de la comtesse Octavie Thomas de Saint-Laurent, elle organise cette Ligue afin de mener à bien des actions visant à influencer les élections législatives qui se dérouleront un an plus tard. Pour cela, elles soutiennent des candidats qu’elles jugent en faveur de leurs revendications religieuses. <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2002-1-page-39.htm">Les femmes prennent la parole et trouvent des financements</a>. D’abord lyonnaise, la ligue s’exporte rapidement dans toutes les régions de France. Des comités sont créés dans les départements. Le comité parisien décide de soutenir le catholique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Piou">Jacques Piou</a>, fondateur de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Action_lib%C3%A9rale_populaire">l’Action libérale populaire (ALP)</a>, sans succès.</p>
<p>Alors que leur religion a été un argument pour ne pas les inclure à la vie politique du pays, celle-ci devient un tremplin pour les premiers pas engagés de certaines femmes.</p>
<p>En 1902, La Ligue patriotique des Françaises (LPF) est créée à Paris à la suite de désaccords entre le comité lyonnais et celui de la capitale. La présidente est la Baronne de Brigode. Le but est le même que la LFF. En effet, les Lyonnaises ont décidé de retirer leur soutien à Jacques Piou alors que les Parisiennes désiraient maintenir leur collaboration avec l’ALP. La LPF crée elle aussi des comités départementaux.</p>
<h2>L’ouverture vers les campagnes</h2>
<p>Si ces ligues concernent dans un premier temps les élites, elles vont par la suite s’ouvrir à d’autres profils.</p>
<p>En 1909, Mlle d’Héricault est vice-président de la LFF, mais aussi présidente du comité départemental du Pas-de-Calais. Les femmes sont en effet, dès l’origine, à la tête de la hiérarchie des ligues.</p>
<p>Mlle d’Héricault décide de se rendre dans le village de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bucquoy">Bucquoy</a> afin d’y mener une conférence. En faisant cela, elle touche un public plus hétérogène, différent des profils habituels. Elle y rencontre des femmes qui travaillent parfois dans les milieux agricoles et ouvriers. Pour elles aussi, bien qu’elles soient en activité, la religion joue un rôle majeur dans leur sociabilité. Sa venue a été un succès. En effet, une section est créée : Mme Couche est nommée chef de section. Une secrétaire, des déléguées du quartier et des zélatrices de l’œuvre sont élues et feront circuler <em>Le Bulletin de la Ligue</em>, des tracts et des convocations. En 1913, la section de Bucquoy compte 300 ligueuses.</p>
<p>Ces centaines de femmes aux caractéristiques différentes mais vivant en milieu rural font alors leurs premiers pas dans le militantisme. Leur modèle à toutes est Jeanne d’Arc. Au XIX<sup>e</sup> siècle, la Pucelle d’Orléans est devenue une <a href="https://www-retronews-fr.ezproxy.univ-artois.fr/religions/long-format/2019/04/10/jeanne-d-arc-une-canonisation-politique">figure politique</a>. Le combat contre les Anglais devient un combat contre la laïcité et l’anticléricalisme. Elle devient un argument pour les défenseurs d’une France à l’identité catholique.</p>
<p>Les ligues iront jusqu’à compter un <a href="https://books.openedition.org/septentrion/16189?lang=fr">million d’adhérentes</a>.</p>
<p>Si l’influence des ligues auprès de l’action militante des femmes catholiques est indéniable, il est plus difficile de percevoir l’impact politique qu’elles ont eu auprès du gouvernement de l’époque.</p>
<h2>Les ligues s’essoufflent</h2>
<p>Leurs actions ont été stoppées par la Première Guerre mondiale. Elles sont néanmoins restées présentes. En 1933, la LFF et la LPF ont fusionné. Elles sont alors devenues la Ligue féminine d’action catholique française.</p>
<p>Si leurs actions politiques ont été précurseurs d’un militantisme religieux au féminin, celles-ci vont peu à peu s’effacer. En effet, la ligue se distinguera au fil des années par des actions sociales et charitables. Cette caractéristique se situe dans leur axe de défense de l’Église catholique, mais vient remplacer les premières armes politiques utilisées en 1901 et 1902.</p>
<p>Aujourd’hui, l’Action catholique des femmes se place dans l’héritage laissé par Jeanne Lestra. La volonté de cette association est d’œuvrer pour le <a href="https://actioncatholiquedesfemmes.org/notre-association/">respect de droit des femmes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexia Sebert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au tout début du XXᵉ siècle, des femmes issues e la bourgeoisie ont investi sphère politique pour la défense de leur religion dans un contexte politique marqué par l’anticléricalisme.Alexia Sebert, Doctorante en histoire et civilisations, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1688842021-09-30T18:17:25Z2021-09-30T18:17:25ZLes Jésuites, ou l’histoire mouvementée d’une congrégation catholique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424057/original/file-20210930-12-uph75s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=80%2C2%2C1767%2C1434&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La voûte de l'église Saint-Ignace (Rome), Andrea Pozzo, 1691-1694.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andrea_Pozzo#/media/Fichier:Sant'Ignazio_-_affresco_soffitto_-antmoose.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Homme de guerre repenti après une grave blessure lors d’un siège en 1521, Ignace de Loyola part étudier à Paris. En 1534, il y fonde – avec le navarrais François-Xavier et le Savoyard Pierre Favre – un ordre, avec une bande d’étudiants qui veut œuvrer à une plus grande gloire de Dieu dans un monde déchiré par les affrontements entre catholiques et réformés. L’Ordre naissant <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/apostolat/4601">se donne un but apostolique</a> et missionnaire. Ils prennent le nom de Compagnie de Jésus et obéissent à une règle. Cette priorité induit un investissement intellectuel et la recherche de méthodes d’apostolat renouvelées. Arme intellectuelle du catholicisme romain, le Pape mobilise immédiatement les jésuites comme théologiens de service au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Concile_de_Trente">Concile de Trente</a>.</p>
<p>En 1548, les <a href="https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2005-2-page-71.htm"><em>Exercices d’Ignace</em></a> promeuvent le jugement de l’intériorité par le moyen d’un dialogue avec un maître de sagesse pour concevoir sa façon d’être chrétien en son siècle. Ces « techniques de soi » fondent le discernement jésuite, d’où leur rôle actif dans la direction spirituelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423991/original/file-20210930-20-16zw2f8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">papillon publicitaire, Manrèse (Clamart), 1951.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives jésuites de la Province d’Europe occidentale francophone, Vanves.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>En France, depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, le choix de proposer des retraites variées dans leur durée, et donc adaptées au monde moderne, une publicité efficace et le soutien de la hiérarchie, promeut Clamart comme un lieu majeur de l’accompagnement spirituel des catholiques.</p>
<p>Les formes de l’apostolat s’étoffent au fil du temps. Au tournant des années 1960, Aimé Duval use de la guitare pour chanter dans les grandes salles de spectacle l’amour de Dieu et vendre des milliers de disques.</p>
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<p>Dès la fondation de <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210212-radio-vatican-la-voix-du-pape-f%C3%AAte-ses-90-ans">Radio Vatican</a> en 1931, les jésuites <a href="https://www.mulino.it/isbn/9788815272942">délivrent le message chrétien</a> en de multiples langues.</p>
<p>En 1934, Friedrich Muckermann alerte, « Le moment est crucial pour l’Église. Des Droits de l’humanité sont en péril. », le jésuite est rappelé à l’ordre, il ne peut pas parler contre la politique du Pape. Certains succombent à l’attrait de Vichy et au mea culpisme de 1940, dont les autorités de la Compagnie. D’autres fournissent les armes intellectuelles de la résistance chrétienne et interrogent le primat de l’obéissance sur les valeurs évangéliques à l’exemple <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1519423-yves-de-montcheuil-philosophe-et-theologien-je--etienne-fouilloux-mediasevres">d’Yves de Montcheuil</a>, fusillé au Vercors.</p>
<p><a href="https://esprit.presse.fr/article/fouilloux-etienne/les-armes-de-l-esprit-temoignage-chretien-1941-1944-par-renee-bedarida-31654">Les <em>Cahiers du Témoignage chrétien</em></a> de Pierre Chaillet sont imprimés illégalement et sans l’accord de sa tutelle ecclésiale, ce qui est interdit à tout clerc, dès l’automne 1941. À Vatican II, Augustin Bea, Karl Rahner, John Courtnay Murray et d’Henri de Lubac illustrent ce rôle renouvelé d’influence et de référence de la Compagnie. L’américain Murray est un protagoniste essentiel du texte sur la liberté religieuse de 1965, <a href="https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html"><em>Dignitatis Humanae</em></a>, qui promeut la tolérance, la reconnaissance d’un droit à la croyance de toutes les expressions spirituelles et un dialogue avec les athées.</p>
<p>Le jésuite selon Ignace devait être un homme de grande culture humaine et théologique dans le but d’être apôtre. La quête de la science n’est pas une fin mais un moyen inféodé à un objectif religieux. Des jésuites s’illustrent dans l’élaboration de dictionnaires – ou comment convaincre sans maîtriser la langue, dans le cadre de missions à l’étranger – et dans les sciences : le mathématicien, Christopher Clavius au XVI<sup>e</sup> siècle, le polygraphe et esprit universel Athanasius Kircher et l’astronome Matteo Ricci au XVII<sup>e</sup> siècle, le paléontologue Teilhard de Chardin au XX<sup>e</sup> siècle. </p>
<p>Dans les années 1960-1970, des jésuites comme Michel de Certeau participent aux courants les plus novateurs des sciences humaines, sémiologie, psychanalyse, histoire et sociologie. Il s’agit de repenser la théologie et l’exégèse, les conditions de la foi et les apports de la tradition dans un monde de plus en plus sécularisé. S’ils participent à cet essor, ils échouent à catholiciser ces « nouvelles » disciplines : ces nouvelles approches soulignent en effet le poids des structures jusque dans le langage, dévoilent le système de signes qui s’impose à tous parfois même de façon inconsciente, au moment où dans l’Église et la Compagnie s’élabore un humanisme chrétien.</p>
<p>À l’activité missionnaire et intellectuelle s’ajoute rapidement l’enseignement. Au XVIII<sup>e</sup> siècle, l’Europe, l’Inde et l’Amérique Centrale et du Sud comptent environ 600 établissements qui sont la providence des parents en quête d’études solides et d’orthodoxie spirituelle. L’attention à la pédagogie sanctifie le savoir et accorde une grande place à la science moderne, ce qui renforce leur succès. S’y jouent du théâtre et des musiques religieuses, s’y publient des ouvrages pour la jeunesse qui doivent christianiser tout en moralisant et moraliser tout en évangélisant. La Compagnie de Jésus s’associe durablement à la formation des élites.</p>
<p>Les jésuites incarnent le <a href="http://ceias.ehess.fr/index.php?4987">voyage et le martyr</a>. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Xavier">François Xavier</a> traduit en tamoul le Credo, les dix Commandements et le Pater Noster. De la Chine au Paraguay, les marges du catholicisme attirent la Compagnie avec succès (les Indes) ou en échouant (le Japon). Les partisans d’une adaptation aux coutumes et usages locaux affrontent les défenseurs d’un christianisme pleinement orthodoxe, jusqu’au refus en 1704 de rites propres à chaque pays par le Vatican.</p>
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<p>En 1978, une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Inculturation">« Lettre sur l’inculturation »</a> du Général Pedro Arrupe promeut l’adaptation à la sensibilité de la culture d’accueil. En Indonésie, des danses traditionnelles sont introduites durant l’offertoire et même des sacrifices de buffles lors de grandes cérémonies. Alors qu’encore au XIX<sup>e</sup> siècle, la Compagnie vend des esclaves aux États-Unis (Rachel L. Swarns, « Catholic Order Pledges $100 Million to Atone for Slave Labor and Sales », <em>New York Times</em>, 15 mars 2021), au XX<sup>e</sup> siècle, l’attention aux populations locales, au départ à but de conversion, est réinterprétée comme un rejet de l’exploitation coloniale. </p>
<p>En 1952, la pièce de Fritz Hochwälder, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sur_la_Terre_comme_au_ciel_(pi%C3%A8ce_de_th%C3%A9%C3%A2tre)"><em>Sur la terre comme au ciel</em></a>, aborde les déchirements de conscience lors des suppressions des missions au Paraguay du XVIII<sup>e</sup> siècle : « Dieu veut que ce monde change. Et nous, les jésuites du Paraguay, nous l’avons changé. […] Aussi longtemps que j’aurai la force de respirer, de crier et de combattre – vous me trouverez du côté des pauvres, des faibles, des opprimés ! », affirme un des Pères.</p>
<p>Un film, <em>Mission</em>, de Roland Joffé, dont la musique (« Sur la terre comme au ciel ») est signée Ennio Morricone, incarne ce nouveau regard sur les missions jésuites, et obtient la Palme d’or en 1986.</p>
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<h2>Griefs et fantasmes</h2>
<p>Un vaste catalogue de griefs et de fantasmes associés aux jésuites mêle duplicité, obsession du pouvoir, domination secrète, affairisme, et obéissance absolue à une puissance étrangère. Le jésuite est perçu comme fourbe.</p>
<p>Les histoires drôles reflètent l’image qui colle à sa peau :</p>
<blockquote>
<p>« Un jésuite demande son chemin pour se rendre à la cathédrale. Le passant lui répond : Oh ! je ne crois pas que vous puissiez y arriver. C’est tout droit. »</p>
</blockquote>
<p>Ce qui fait la gloire de la Compagnie fait aussi sa légende noire. Leur vœu « à la manière d’un cadavre », qui exprime leur parfaite obéissance au pape, y participe largement.</p>
<p>Si dans les histoires drôles, le Bénédictin est toujours savant, le Trappiste creuse sa tombe, le Jésuite, lui, est rusé : « Au temps des rois mages, les couvents ont envoyé un représentant auprès de l’enfant Jésus. Le bénédictin s’écrie : – Seigneur, voici l’encens de notre connaissance. Le dominicain : – Seigneur, voici l’or de notre parole. Et le franciscain : – Seigneur, voici la myrrhe de notre pauvreté. Pendant ce temps, le jésuite glisse à l’oreille de Joseph : – Confiez-nous le petit. Nous en ferons quelque chose ».</p>
<p>En littérature aussi, le jésuite est néfaste chez Voltaire (1759), accapareur chez Eugène Sue (1844-1845) et Wilkie Collins (1881), comploteur chez Umberto Eco (2011). Dans sa <em>Montagne magique</em> (1924), Thomas Mann oppose le défenseur de la raison et du progrès, le franc-maçon Settembrini, au jésuite mystique Naphta dans de vaines agitations face à la mort qui rode.</p>
<p>Le <a href="http://ceias.ehess.fr/index.php?4987">despotisme éclairé et les Lumières</a> contestent le rôle de la Compagnie. En 1759, le Portugal et ses colonies les chassent. En 1763, Louis XV les proscrit. En 1767, l’Espagne les expulse. En 1773, la Papauté les supprime. Événement unique, un Ordre religieux est détruit par l’autorité même qui l’avait fondée. Le profond enracinement social et culturel des jésuites permet sa reconstitution après 1814. En 1957, la Compagnie compte 34 000 jésuites. Presque le quart est américain. La Compagnie ne se projette plus de l’Europe vers le monde, cette réelle internationalisation se concrétise dans l’élection de l’Argentin François, premier pape jésuite de l’histoire en 2013.</p>
<p>Il fallait plus qu’une blessure pour donner naissance à un Ordre religieux. Mais elle incarne le poids du siècle dans un projet spirituel et intellectuel d’apostolat confronté depuis aux aléas de l’histoire.</p>
<hr>
<p><strong>Pour aller plus loin :</strong></p>
<p><em>Étienne Fouilloux et Frédéric Gugelot (dir.), <a href="https://journals.openedition.org/rhr/8893">« Jésuites français et sciences humaines (Années 1960) »</a>, Lyon, Chrétiens et sociétés, 2014.</em></p>
<p><em>Frédéric Gugelot, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03041575">« Une maison jésuite de retraite, Manrèse à Clamart »</a>, in Pierre Antoine Fabre, Patrick Goujon et Martín M. Morales (dir.), La Compagnie de Jésus des Anciens Régimes au monde contemporain (XVIII<sup>e</sup>-XX<sup>e</sup> siècles), Institutum Historicum Societatis Iesu, École française de Rome, 2020, p.607-622.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gugelot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1534, Ignace de Loyola fonde à Paris la Compagnie de Jésus, un ordre nouveau qui se donne un but apostolique et missionnaire.Frédéric Gugelot, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1620392021-06-03T15:30:45Z2021-06-03T15:30:45ZLa découverte d’un charnier d’enfants autochtones rappelle au Canada un sombre passé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/404275/original/file-20210603-19-10ebt8b.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5218%2C3512&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Partout au Canada, y compris ici à Edmonton, des gens ont dressé des mémoriaux à ls mémoire des 215 enfants dont les corps ont été retrouvés sur le site d'un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jason Franson</span></span></figcaption></figure><p>Un épisode macabre de l’histoire canadienne a fait les manchettes la semaine dernière après qu’un géoradar, aussi appelé radar à pénétration de sols, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1796744/pensionnats-autochtones-decouverte-dechirante-des-restes-de-215-enfants">a localisé les restes de 215 enfants des Premières Nations dans une fosse commune non répertoriée</a>, située sur le terrain de l’ancien pensionnat autochtone de Kamloops.</p>
<p>À l’instar des 150 000 enfants autochtones arrachés à leur famille et à leur nation et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pensionnat_autochtone_au_Canada">placés dans des pensionnats au cours du siècle dernier</a>, ces 215 enfants, dont certains n’avaient que trois ans, faisaient partie d’un vaste programme colonial visant à acculturer les nations autochtones. Pour ce faire, le Canada a mis en place un système visant à <a href="https://indigenousfoundations.arts.ubc.ca/the_residential_school_system/">« tuer l’Indien dans l’enfant »</a>.</p>
<p>Ce système a souvent tué l’enfant.</p>
<p>Bien que nous n’ayons actuellement aucune preuve permettant de déterminer la cause du décès de chaque enfant, nous pouvons dire que leur mort est politique — ces enfants étaient <em>les disparus</em>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laction-collective-reglee-il-ne-faut-pas-oublier-les-histoires-des-survivants-des-pensionnats-autochtones-158271">L’action collective réglée, il ne faut pas oublier les histoires des survivants des pensionnats autochtones</a>
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</p>
<hr>
<h2>Une « gestion » de la population coloniale</h2>
<p>La terrible découverte de <a href="https://tkemlups.ca/wp-content/uploads/05-May-27-2021-TteS-MEDIA-RELEASE.pdf">Kamloops</a> révèle un vaste et agressif projet d’assimilation.</p>
<p>Les pensionnats autochtones <a href="https://nctr.ca/">étaient des endroits où la violence était érigée en système par l’État envers les nations autochtones</a>, où les enfants — les héritiers de ces nations — étaient dépouillés de leur « indianité » de manière programmée.</p>
<p>Leurs vies étaient déconstruites, « purifiées » de toute trace de l’héritage de leurs parents et de leurs ancêtres et reconditionnées dans des « corps canadiens ».</p>
<p>Le plan brutal de construction d’un État canadien s’est appuyé sur une <a href="https://www.facinghistory.org/stolen-lives-indigenous-peoples-canada-and-indian-residential-schools/chapter-3/role-churches">infrastructure déjà existante établie par les grandes Églises chrétiennes</a>. Les Églises ont été impliquées dans la gestion et l’éducation de la population très tôt, dès les débuts de la colonisation. L’Église catholique, <a href="https://www.aptnnews.ca/national-news/look-canadas-indian-residential-schools-numbers/">qui allait gérer environ 60 % de ces écoles</a>, s'est montrée particulièrement active en la matière.</p>
<p>L’État a ainsi fait bon usage du vaste réseau mis en place par les Églises pour coordonner l’extraction de la « matière première » — soit les enfants autochtones.</p>
<p>Mais la révélation de l’existence d’une fosse commune d’enfants — non enregistrée et cachée — sur le terrain du pensionnat indien de Kamloops nous indique que le contrôle sur la vie des autochtones s’étendait de leur naissance à leur mort.</p>
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<img alt="Une photo en noir et blanc de dizaines de garçons et de filles autochtones alignés devant l’école tandis qu’une rangée de représentants de l’église et de l’école sont assis à l’avant de la photo" src="https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=366&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403862/original/file-20210601-17-75978.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=460&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une photographie de 1937 du pensionnat autochtone de Kamloops.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archidiocèse de Vancouver Archives</span></span>
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<h3>La politique de la mort et du deuil</h3>
<p>De nombreux autochtones perçoivent la vie, dans tous ses aspects, <a href="https://theconversation.com/not-in-the-past-colonialism-is-rooted-in-the-present-157395">à travers le prisme colonial</a>. Au fur et à mesure que nous grandissons, nous l’apprenons rapidement.</p>
<p>Ce que l’on oublie souvent, c’est que ce prisme se poursuit jusque dans la mort.</p>
<p>Les autochtones — je suis moi-même membre de la nation Anishinaabe — avaient <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/june-2019/why-are-the-deaths-of-indigenous-women-and-girls-ungrievable/">leurs manières de célébrer la vie et de commémorer la mort</a>. Mais l’État canadien, en partenariat avec les Églises, a longtemps contrôlé leurs rituels.</p>
<p><a href="https://www.buzzfeednews.com/article/laurenstrapagiel/indigenous-residential-schools-canada-graves">Cette réalité a été encore davantage mise en lumière avec la terrible découverte de Kamploops</a>. Ces horreurs vécues par de nombreuses nations autochtones nous ont fait réaliser comment l’Église catholique a non seulement refusé à ces enfants la possibilité de choisir leur façon de vivre, mais a aussi nié à leurs communautés la possibilité de décider de leurs rituels funéraires.</p>
<p>À Kamloops, <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/survivors-faith-leaders-call-on-catholic-church-to-take-responsibility-for-residential-schools-1.6048077">l’Église catholique a décidé que ni leur vie ni leur mort ne méritait d’être connue</a>, commémorée ou célébrée.</p>
<p>L’un des actes les plus épouvantables de l’Église catholique de Kamloops est la façon dont les enfants ont été délibérément oubliés. Ils <a href="https://nationalpost.com/news/canada/feds-stopped-keeping-track-of-children-who-died-in-residential-schools-probably-because-rates-were-so-high">n’apparaissent pas dans les registres officiels qui auraient pu attester de leur décès</a>.</p>
<p>La documentation de la mort peut sembler clinique et manquer d’humanité, mais pour la plupart des gens, elle est <a href="https://www.psychologytoday.com/ca/blog/understanding-grief/201709/ambiguous-loss">cruciale dans le processus de deuil</a>. C’est une façon, parmi de nombreux autres rituels, de confirmer le décès et de permettre aux âmes d’avoir une vie après leur mort et de pouvoir communiquer avec les vivants. Le vide douloureux qui persiste est ce que la <a href="https://www.ambiguousloss.com">thérapiste Pauline Boss, spécialiste du stress familial</a> appelle la « perte ambiguë », soit <a href="https://www.proquest.com/openview/ec2f44692d0bfd26dd01c9f2013b88a2/1?pq-origsite=gscholar&cbl=41036">« une perte qui reste floue parce qu’il n’y a pas de certificat de décès ou de faits attestant de la perte ; il n’y a pas de résolution, pas de fin</a> ».</p>
<p>La mémoire de la personne et sa dépouille peuvent nous sembler être deux choses distinctes, mais elles sont intimement liées dans de nombreuses cultures.</p>
<p>À l’instar du catholicisme, le corps physique <a href="https://www.cpd.utoronto.ca/endoflife/Slides/PPT%20Indigenous%20Perspectives.pdf">occupe une place centrale dans de nombreux rites et cérémonies autochtones</a> qui cultivent la continuité du dialogue avec les morts. <a href="https://religion.columbia.edu/content/matthew-engelke">Matthew Engelke, professeur à l’Université Colombia</a> spécialiste des rituels du deuil, nous dit que :</p>
<blockquote>
<p>« La commémoration implique souvent bien plus que le souvenir des morts. Elle exige un engagement avec les choses auxquelles tiennent les esprits des ancêtres : un enterrement, un verre de bière, un festin, de l’argent, une pierre tombale appropriée, le sang d’un caribou, le sang de la parenté. »</p>
</blockquote>
<h2>La vérité sur les disparus</h2>
<p>La vérité sur les atrocités commises à Kamloops n’a pas été examinée par la <a href="http://www.trc.ca/index-splash-fr.html">Commission de vérité et réconciliation (CVR)</a>. Dans les semaines qui ont précédé la publication du rapport, en 2008, l’Église catholique a été confrontée aux allégations de l’existence de fosses communes. À l’époque, <a href="https://www.kamloopsthisweek.com/news/claims-of-mass-grave-at-tk-emlups-go-back-years-1.24324160">l’église a nié en avoir connaissance</a>.</p>
<p>Jusqu’à ce que leurs restes soient récemment localisés, l’Église catholique s’est contentée de considérer les 215 enfants comme « disparus ».</p>
<p>Les disparus — ceux dont on a secrètement disposé — donnent lieu à une forme de deuil unique. Ils laissent les familles et les communautés dans un état de deuil suspendu, ne sachant jamais si l’être cher est vivant ou mort ni où ses restes ont été laissés.</p>
<p>C’est la vie abandonnée à la mort, sans que les vivants puissent intervenir.</p>
<p>Maintenant qu’ils ont été localisés, les familles, les communautés et les nations survivantes peuvent commencer à réfléchir à la manière dont elles conserveront les restes, ainsi qu'au deuil et à la commémoration. C’est à elles que revient cette tâche et elles doivent bénéficier de tout le soutien et de toutes les ressources nécessaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162039/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Veldon Coburn reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada et du Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Un géoradar a localisé les restes de 215 enfants des Premières Nations dans une fosse commune, révélant un épisode macabre de l’histoire du Canada.Veldon Coburn, Assistant Professor, Institute of Indigenous Research and Studies, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1540962021-01-27T18:35:51Z2021-01-27T18:35:51ZL’onction de la Nation américaine par son président catholique<p>Selon Valérie Biden Owens, sœur, meilleure amie, et ex-consultante politique de Joe Biden, son frère va « restaurer l’âme de l’Amérique ». Elle a déclaré dans une interview récente <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/13/president-role-joe-biden/?arc404=true">rapportée par Matt Viser, du <em>Washington Post</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« En Amérique, nous avons souvent la bonne personne au bon moment. Nous avons eu Lincoln pendant la guerre civile, FDR après la grande dépression. Mon frère est le bon [président] pour les défis auxquels nous faisons face aujourd’hui. Il sait comment redresser la [Nation]. Toute sa vie n’est que redressement et guérison, et c’est ce dont notre pays a besoin. »</p>
</blockquote>
<p>Cette remarque relève une vérité sur le rôle non écrit mais essentiel du président des États-Unis : sa personne incarne la Nation américaine et sa parole sert à la maintenir ou à la rétablir dans sa destinée. Comme le montre Robert Bellah dans son <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1973_num_35_1_2751">article devenu classique et très commenté sur la religion civile des États-Unis</a>, le président exprime au sens littéral l’identité nationale. En l’occurrence, Joe Biden, avec ses discours de victoire puis d’investiture, a immédiatement endossé son rôle de grand prêtre national, mais en y ajoutant sa touche personnelle, une touche surprenante eu égard à la fabrique plutôt protestante de la narration américaine, à savoir sa spiritualité catholique.</p>
<h2>Religion civile américaine, narration biblique et parole présidentielle</h2>
<p>Le tempérament chrétien et biblique de la narration nationale américaine est en effet facilement repérable, tout comme l’évolution de ses schèmes.</p>
<p>Très nombreuses aux États-Unis, les recherches sur ce sujet ont aussi été conduites en France, notamment par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/dieu-benisse-l-amerique-la-religion-de-la-maison-blanche-sebastien-fath/9782020629737">Sébastien Fath</a> et Denis Lacorne, qui en a fait une synthèse magistrale dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/De-la-religion-en-Amerique"><em>De la religion en Amérique</em> (2007)</a>. Camille Froidevaux-Metterie, dans <a href="https://www.cairn.info/politique-et-religion-aux-%C3%89tats-Unis--9782707153975.htm">Politique et Religion aux États-Unis</a> (2009) rappelle aussi que la religion civile américaine s’appuie sur les idéaux types du <a href="https://journals.openedition.org/erea/75">républicanisme britannique</a>. Antérieurement, l’historienne Elise Marienstras a publié deux livres très éclairants, <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1004100r.texteImage"><em>Les Mythes fondateurs de la Nation américaine</em> (1976)</a> et <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Nous-le-peuple"><em>Nous le Peuple : les origines du nationalisme américain</em> (1988)</a>. Des auteurs plus contemporains, comme le politiste <a href="https://journals.openedition.org/lectures/885">Mark Bennett McNaught</a> ou le juriste <a href="https://journals.openedition.org/rdr/364">Maxence Guillemin</a> ont continué d’en tracer les linéaments et d’en analyser l’influence sur l’interprétation de la Constitution.</p>
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<p>En effet, toute la sacralité de l’appareil institutionnel fédéral, son calendrier électoral, ses usages non écrits mais immuables, dont celui de l’investiture présidentielle, s’adossent à la révérence envers la Constitution et les droits énoncés. Mais la mythologie des textes « saints » excède leur sens littéral. Pour la repérer, il faut relire la Déclaration d’indépendance et… les discours présidentiels. Le président des États-Unis, dans cet entrelacs symbolique puissant, n’est pas tant le <em>Chief Executive</em> d’une Union organisée par pragmatisme et nécessité depuis 1787. Il est le vicaire de la religion civile américaine, elle-même construite autour de sa légende nationale. Le serment d’investiture puis le discours personnel du président sont <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/linvestiture-des-presidents-americains-un-rite-democratique-devenu-evenement-populaire">centraux</a>. Ils placent ce dernier au cœur de la fabrique narrative. Il est le porte-voix et l’incarnation de la Nation.</p>
<p>Avec lui, la légende nationale prend corps et se raconte. George Washington, général en chef de l’Armée des patriotes, premier des présidents à tous les égards, a aisément représenté la figure de Moïse libérateur, divinement choisi pour conduire le Peuple élu hors de la tyrannie (britannique). C’est lui qui a prononcé le premier discours d’investiture et laissé un <a href="https://www.presidency.ucsb.edu/documents/farewell-address">discours d’adieu</a> resté dans les annales.</p>
<p>Alors que la guerre civile est en train de briser le pays, Abraham Lincoln, qui a fait de la préservation sacrée de l’Union sa priorité absolue lors de <a href="https://mjp.univ-perp.fr/textes/lincoln1.htm">son investiture</a> (mars 1861), transforme le conflit fratricide en <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02196466/document">sacrifice salvateur pour la renaissance de la Nation</a>, dans son <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-oubliettes-du-temps/les-oubliettes-du-temps-19-novembre-2012">discours de Gettysburg</a> (novembre 1863). Il s’exprime aux abords d’un champ de bataille où ont péri 51 000 soldats, entre le 1<sup>er</sup> et le 3 juillet 1863. Lors de son <a href="http://levieuxcordelier.fr/abraham-lincoln-discours/">deuxième discours d’investiture</a> (mars 1865), il présente la guerre comme une conséquence du péché de l’esclavage. Il implore ses concitoyens de pratiquer la charité réciproque et la réconciliation. </p>
<p>Mark Noll a écrit que ce discours-là était « l’un de ces rares textes à moitié sacrés par lesquels les Américains conçoivent leur place dans le monde ». Lincoln a « fini » d’expier les péchés cumulés du fratricide américain par son propre sacrifice, double figure du bouc émissaire et de l’agneau pascal. Il meurt assassiné quelques jours après la fin de la guerre. Et cette mort « christique » l’a transformé en deuxième gardien tutélaire de la Nation.</p>
<h2>« J’ai mis toute mon âme dans cet acte » : la spiritualité de Joe Biden au secours de la narration nationale</h2>
<p>Il y aurait encore beaucoup à dire sur les adresses des différents présidents en temps de guerres et de crises.</p>
<p>Depuis les années 1960, hormis le <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2009/01/21/le-discours-d-investiture-de-barack-obama_1144600_3222.html">premier discours d’Obama</a>, que Robert Bellah a commenté comme absolument conforme à sa fonction symbolique – aucune adresse n’a été aussi puissante que <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2021/01/20/inaugural-address-by-president-joseph-r-biden-jr/">celle du 20 janvier 2021</a>. Après quatre ans de déshérence symbolique, menée par un président jouant au grand magicien de l’île enchantée, le portrait dessiné par Biden d’une Amérique blessée et malade, au sens physique et intérieur, le transforme en thérapeute.</p>
<p>Le rappel du caractère précieux mais fragile de la démocratie américaine a été recouvert ensuite des sûres bénédictions octroyées à la Nation indivisible : une Nation résiliente, forte, celle d’un peuple de bonnes personnes, qui sait se réparer et se reconstruire. Ce faisant, la coloration théologique que Joe Biden a projetée dans ce discours n’a pas puisé dans l’imaginaire de la faute expiée ou de la brebis égarée que le pasteur vigilant ramène au bercail. Le nouveau chef de l’État a plutôt utilisé la catholique expression de la souffrance et de l’affliction, éprouvées et surmontées dans la guérison, expression qu’il puise de <a href="https://www.letemps.ch/monde/tragique-destin-famille-joe-biden">sa propre expérience de la douleur</a>.</p>
<p>Il a aussi invoqué la force de la famille. Paraphrasant le psaume 30 : « Au soir arrivent les pleurs et au matin l’allégresse », quand il évoque la joie du petit matin, le nouveau président, habité par le deuil mais aussi le vivant souvenir des siens disparus, a en fait administré à ses concitoyens une onction de guérison, ce sacrement catholique qui offre aux malades de corps et d’âme soulagement intérieur et rémission. Il a également appelé ses administrés à prier pour les morts de la pandémie, arrachés à leur famille humaine et membres de la grande famille des Américains. Il a rappelé le lien entre unité et vérité, désunion et mensonge, puis invoqué encore l’unité recouvrée, comme une guérison certaine. La Nation a enduré l’épreuve de sa désunion et elle va surmonter maladie et blessures, parce que la guérison-résurrection ne manque jamais d’advenir.</p>
<h2>Un président thaumaturge ?</h2>
<p>Avec Biden commence le schème de la rémission comme nouvelle variable de la narration nationale, après celle de la libération du Peuple ou celle du sacrifice salvateur. Penser le corps blessé de l’Amérique-nation et son âme tourmentée, avoir foi en la grâce de sa guérison-rédemption, est un schéma de rétablissement assurément très catholique. Celle d’un homme qui se promène un chapelet dans sa poche, jure sur une <a href="https://www.lavoixdunord.fr/art/region/l-extraordinaire-posterite-de-la-bible-de-douai-400-ans-jna16b0n632169">Bible de Douai</a> dans sa famille depuis 127 ans, et qui met une <a href="https://www.la-croix.com/Religion/%C3%89tats-Unis-Joe-Biden-orne-Bureau-ovale-symboles-religieux-2021-01-22-1201136434">photo encadrée du pape François</a> dans le Bureau ovale, en face du buste de Martin Luther King.</p>
<p>Que la nouvelle Israël, la Terre bénie et le Peuple saint d’Amérique, la <em>City upon a Hill</em>, puisse s’énoncer comme une famille solidaire et être rassurée par la parole d’un président thaumaturge, voilà un virage pour le moins inattendu dans les ressources symboliques de la foi civile et patriotique des États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154096/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La foi catholique de Joe Biden a profondément imprégné son discours d’investiture.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Alexis Artaud de La Ferrière, Senior Lecturer in Sociology, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1530352021-01-13T18:14:37Z2021-01-13T18:14:37ZEt si les pros de l’événementiel religieux inspiraient la campagne de vaccination ?<p>Quels rapports entre un grand rassemblement religieux et la campagne de vaccination de masse contre la Covid-19 ? A priori aucun.</p>
<p>Pourtant, ayant étudié <a href="https://www.bayard-editions.com/religions-et-sciences-humaines/religions/religion-et-societe/leglise-les-jeunes-et-la-mondialisation-une-histoire-des-jmj">l’histoire des Journées mondiales de la jeunesse</a> (JMJ), gigantesques rencontres religieuses, qui tous les deux ou trois ans depuis 1985, font converger des pèlerins de 16 à 35 ans autour du pape, je repère deux caractéristiques communes à ces dispositifs :</p>
<ul>
<li><p>le besoin de gérer des flux importants de personnes et de matériels sur une période courte ;</p></li>
<li><p>la nécessité de susciter l’adhésion pour qu’un maximum d’individus participent.</p></li>
</ul>
<p>L’analyse des JMJ, en particulier, celle qui a eu lieu à Paris en <a href="https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/jmj-de-paris-1997-notre-dossier-special/">1997</a>, pourrait-elle, dès lors, alimenter la réflexion sur la manière dont la vaccination en cours peut être organisée en France ?</p>
<h2>Privilégier une approche interministérielle</h2>
<p>L’Église catholique, organisatrice de la JMJ d’août 1997, sollicita le gouvernement, non seulement parce que l’accueil de Jean‑Paul II, leader religieux mais également chef d’État du Vatican, relevait de la République française, mais aussi parce que, comme toute manifestation d’ampleur, elle posait des questions de sécurité, de maintien de l’ordre et de gestion des foules qui concernaient la puissance publique.</p>
<p>Il y avait également, en raison de la dimension internationale, des enjeux liés à l’image de la France à l’étranger.</p>
<p>Le premier ministre Alain Juppé accepta de mettre en place un comité interministériel, directement rattaché à lui, pour coordonner l’action des administrations et organismes publics concernés par ces questions. Il en confia l’animation au <a href="https://www.liberation.fr/portrait/1996/10/16/philippe-morillon-61-ans-ancien-chef-de-la-forpronu-aide-les-sdf-dans-une-communaute-charismatique-l_186720">général Philippe Morillon</a>.</p>
<p>Cet ancien commandant des forces armées de l’ONU lors de la guerre en Bosnie, lui-même catholique pratiquant, interpréta son rôle de manière large : au-delà des enjeux de sécurité et de diplomatie, il fit son possible pour, dans le respect du cadre laïc, faciliter la tâche des organisateurs, en leur ouvrant les portes des différents ministères et collectivités territoriales.</p>
<p>Leur concours logistique (et non financier, pour cause de laïcité) permit le bon déroulement de la manifestation. Tout en regrettant que certains fonctionnaires « suite aux procès et mises en examen des dernières années » aient fait une « lecture plutôt tatillonne des textes sans chercher à s’adapter aux circonstances particulières », Morillon parvint à harmoniser les initiatives d’acteurs aux cultures très différentes.</p>
<p>Pour la campagne de vaccination, on peut se demander si ce modèle de gouvernance ne serait pas plus pertinent qu’un pilotage par le seul ministère de la santé. C’était d’ailleurs l’option qui avait été choisie, avec succès, par Édouard Philippe quand il avait nommé Jean Castex, jusqu’alors délégué interministériel aux grands événements sportifs, <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/coronavirus-jean-castex-le-vice-premier-ministre-qui-prepare-le-deconfinement-3962916">coordinateur interministériel pour la stratégie de déconfinement</a>.</p>
<p>Cela faciliterait sans doute la mise en synergie de la perspective sanitaire avec les autres approches (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/06/vaccins-le-gouvernement-a-essaye-de-cacher-une-faillite-logistique-par-une-communication-maladroite_6065314_3232.html">logistiques</a>, <a href="https://www.europe1.fr/societe/axel-kahn-pointe-une-tres-importante-erreur-strategique-sur-la-vaccination-en-france-4015333">communicationnelles</a>…) nécessaires à la réussite de l’opération. Cela permettrait aussi vraisemblablement de mobiliser davantage les ressources existantes au sein du service public (plutôt que de faire appel à des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/pour-sa-strategie-vaccinale-le-gouvernement-a-sollicite-4-cabinets-prives_fr_5ff6d39ac5b64e568bf4863f">cabinets privés</a>), tout en facilitant la coopération avec les acteurs non étatiques.</p>
<h2>Conjuguer professionnalisme et engagement bénévole</h2>
<p>La JMJ de Paris entraînait de nombreux défis logistiques : 1,5 million de repas de qualité devaient notamment être distribués sur cinq jours, avec des ressources limitées.</p>
<p>En coopération non plus avec les pouvoirs publics mais avec le groupe Sodexho (aujourd’hui <a href="https://start.lesechos.fr/innovations-start-up/top-start-up/5-choses-que-vous-ignorez-sans-doute-sur-sodexo-1178286">Sodexo</a>), les organisateurs inventèrent un dispositif original permettant de limiter le temps de service des repas, de rejoindre les pèlerins tantôt sur le site des grands rassemblements, tantôt dans leurs multiples lieux d’hébergement, tout en limitant le recours à un personnel salarié qui était majoritairement en vacances, et qu’ils n’avaient de toute façon pas les moyens de rémunérer.</p>
<p>La nourriture fut préparée et distribuée dans des « unités mobiles de restauration », c’est-à-dire des petits camions frigorifiques transportant des denrées, du matériel pour réchauffer les plats et un stand de distribution.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378353/original/file-20210112-23-92fked.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Schéma d’une unité mobile de restauration (documentation Sodexho)</span>
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<p>L’unité était dirigée par un responsable Sodexho, assisté par dix jeunes pèlerins bénévoles, dont l’un avait été préalablement formé par les organisateurs.</p>
<p>Malgré les résistances initiales d’une partie des salariés du géant de la restauration collective, la formule se révéla efficace, et adaptée à une configuration qui nécessitait de la souplesse et de la réactivité. La supervision par un professionnel garantit la qualité et le respect des normes sanitaires, l’engagement des volontaires apporta une forme de dynamisme et de gratuité.</p>
<p>Cette hybridation des logiques du monde de l’entreprise, et du monde du bénévolat, déjà testée lors des précédentes éditions, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L-AmL5eQXkU">notamment à Denver en 1993</a>, fut jugée enrichissante par les salariés et les syndicats de Sodexo.</p>
<p>Elle permit à l’organisation des JMJ de démultiplier à moindre coût sa capacité de distribution des denrées et de rejoindre les jeunes disséminés dans toute l’Île-de-France. Parmi les jeunes bénévoles, l’implication dans la distribution des repas pouvait répondre à une soif d’expérience spirituelle, le service du prochain étant dans la religion chrétienne un moyen d’accès à Dieu.</p>
<p>Elle relevait également d’un processus d’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2013-3-page-25.htm"><em>empowerment</em></a>, c’est-à-dire d’acquisition de nouvelles capacités d’agir, non seulement sur le cours du rassemblement, mais aussi sur leur future trajectoire professionnelle.</p>
<p>Plus que la transposition de certaines de ces solutions techniques et logistiques, c’est l’implication des volontaires qui peut être inspirante par rapport à l’enjeu sanitaire actuel.</p>
<p>Dans la lutte contre l’épidémie, les citoyens « lambda », et notamment les jeunes, ont été appelés à jouer un rôle essentiellement passif.</p>
<p>Dans la communication gouvernementale, leur contribution devait principalement consister à <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/article/coronavirus-plus-que-jamais-pour-sauver-des-vies-restez-chez-vous">rester chez eux</a>, à cesser leurs activités et à diminuer leurs contacts, avec les <a href="https://www.u-bordeaux.fr/Actualites/De-l-universite/Best-of-2020/Comprendre-l-impact-de-l-epidemie-de-coronavirus-sur-le-bien-etre-et-la-sante-mentale">conséquences psychologiques</a> que l’on connaît.</p>
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<figcaption><span class="caption">Solidarité dans les quartiers nords de Marseille, avril 2020.</span></figcaption>
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<p>Impliquer ceux qui le souhaiteraient dans les tâches non médicales des futurs vaccinodromes (l’accueil et l’orientation du public par exemple), pourrait constituer une opportunité non seulement de répondre à un besoin ponctuel de personnel, mais aussi de valoriser une générosité qui s’était spontanément exprimée, surtout lors du premier confinement, par de multiples actions solidaires.</p>
<p>Plus largement, cela permettrait sans doute de ranimer une forme d’optimisme, en permettant aux citoyens d’avoir prise sur le cours des événements. Une mobilisation générale pour la campagne de vaccination contribuerait sans doute par ailleurs à réparer une cohésion nationale mise à mal par les épreuves de 2020.</p>
<h2>Susciter une dynamique à partir du noyau des convaincus</h2>
<p>Ce dernier point supposerait cependant que la vaccination devienne un objectif partagé par les Français qui n’étaient, fin décembre 2020, que <a href="https://www.leparisien.fr/societe/covid-19-seuls-40-des-francais-prets-a-se-faire-vacciner-pire-taux-du-monde-selon-un-sondage-29-12-2020-8416529.php">40 % à accepter de se faire vacciner</a>.</p>
<p>Sur ce plan également, l’observation de la JMJ de Paris peut être instructive. Dans sa phase préliminaire, une proportion dérisoire de la population cible avait l’intention de participer : à l’ouverture de l’événement, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/08/15/l-eglise-s-inquiete-du-faible-nombre-de-francais-inscrits-aux-jmj_3784562_1819218.html">on comptait 70 000 inscrits</a> français, soit 0,5 % des 18-35 ans vivant dans l’hexagone.</p>
<p>Lors de la veillée finale, ils étaient 700 000, soit 5 % de cette tranche d’âge, un chiffre supérieur aux 2 % de jeunes catholiques pratiquants, ce qui surprit les <a href="https://www.leparisien.fr/societe/dans-le-retro-en-1997-le-succes-inattendu-des-jmj-a-paris-28-06-2016-5922551.php">observateurs et l’Église catholique elle-même</a>.</p>
<p>La dynamique d’agrégation, qui permit la multiplication par dix des participants, reposa sur la mobilisation initiale d’un noyau de jeunes catholiques fervents. Certains, avant le départ, réussirent à convaincre des amis ou des membres de leur famille de se joindre à eux, provoquant une contagion par capillarité.</p>
<p>Une fois rassemblés à Paris, leur dynamisme juvénile suscita la bienveillance et parfois le ralliement de certains riverains, culturellement catholiques mais éloignés de l’Église.</p>
<p>La couverture médiatique de la rencontre, et la retransmission télévisée de cérémonies donnant à voir une foule de jeunes heureux, fraternels et pacifiques, eut un effet d’entraînement qui alimenta l’effet boule de neige. Au-delà des motivations religieuses, le rassemblement rejoignait le besoin de communion d’individus en manque de liens.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’effervescence JMJ en 1997.</span></figcaption>
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<p>Les logiques de l’émotion religieuse ne sont pas celles qui doivent sous-tendre une campagne de vaccination, mais cet épisode suggère qu’il pourrait être pertinent de cibler, parallèlement aux personnes prioritaires, les Français les plus impatients.</p>
<p>Une fois vaccinés, les seconds pourraient contribuer à convaincre les premiers, souvent hésitants, en communiquant leur enthousiasme dans leurs réseaux, via notamment les <a href="https://www.lepoint.fr/sante/etats-unis-les-vaXXIes-selfies-des-vaccins-envahissent-les-reseaux-sociaux-01-01-2021-2407851_40.php">« vaXXIᵉs »</a>.</p>
<p>Leur interview par les médias, qui suscitent la méfiance mais dont l’influence sociale demeure fondamentale, démultiplierait l’effet d’adhésion à un dispositif qui a besoin, pour réussir, d’être coordonné par le gouvernement tout en s’appuyant sur les multiples ressources de la société civile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Mercier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les festivals organisés par les jeunes catholiques pourraient bien être utiles à ceux qui orchestrent les campagnes de vaccination.Charles Mercier, Maître de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507082021-01-03T16:09:58Z2021-01-03T16:09:58ZPrésidentielle américaine : comment la religion des citoyens a pesé sur leur vote<p>Même s’il convient de toujours avoir à l’esprit le <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/11/04/henry-olsen-polling-industry-failure/?itid=lk_inline_manual_2">caractère faillible des sondages</a>, l’analyse des données récupérées <a href="https://www.cnn.com/election/2020/exit-polls/president/national-results">à la sortie des urnes</a> lors de la dernière élection présidentielle aux États-Unis fournit une photographie intéressante du vote des Américains <a href="https://apnews.com/article/votecast-trump-wins-white-evangelicals-d0cb249ea7eae29187a21a702dc84706">selon leur affiliation religieuse</a>.</p>
<p>Il en ressort que ce vote connaît actuellement une <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/exit-polls-changes-2016-2020/?itid=sf_elections_election-analysis">recomposition significative</a>.</p>
<h2>Les évangéliques blancs, toujours républicains…</h2>
<p>Les chrétiens évangéliques blancs, qui représentent <a href="https://www.pewforum.org/religious-landscape-study/racial-and-ethnic-composition/">76 % de la population évangélique et 25 % de la population votante</a>, semblent fermement arrimés au camp républicain. Selon le <a href="https://www.npr.org/2020/11/03/929478378/understanding-the-2020-electorate-ap-votecast-survey">National Election Pool et les sondages de sortie de l’AP/VoteCast</a>, Donald Trump a récolté 81 % de leurs suffrages, soit à peu près la même proportion qu’en 2016.</p>
<p>Partout où leur poids démographique est le plus fort, les votes du collège électoral sont restés républicains. Les évangéliques semblent avoir continué à approuver le réalignement idéologique que la candidature et victoire de Donald Trump ont provoqué depuis 2016 au sein du parti républicain – un phénomène, rapidement qualifié de <em>trumpisme</em>, se voulant à la fois national-conservateur et chrétien. Son manichéisme populiste, accusant les élites libérales, les urbains progressistes, les immigrants, les médias, les féministes de détruire la « vraie » Amérique, par ailleurs morale et croyante, a pu encore une fois les convaincre qu’il était leur défenseur.</p>
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<p>Robert P. Jones, directeur du <a href="https://www.prri.org/">Public Religion Research Institute</a> et auteur de l’essai <a href="https://www.theguardian.com/books/2020/jul/25/white-too-long-review-race-trump-american-christianity"><em>White Too Long : The Legacy of White Supremacy in American Christianity</em></a>, tout comme les sociologues et co-directeurs de l’<a href="https://www.thearda.com/">Association of Religion Data Archives</a>, Andrew L. Whitehead et Samuel L. Perry, dans leur recherche <a href="https://global.oup.com/academic/product/taking-america-back-for-god-9780190057886?cc=fr&lang=en&"><em>Taking America Back for God : Christian Nationalism in the US</em></a>, ont décrit la cristallisation raciale-nationaliste d’une partie importante du monde évangélique blanc sous le mandat de Donald Trump.</p>
<p>Par sa rhétorique, fondée pour une large part sur la dénonciation d’une supposée hégémonie du camp progressiste – lequel serait par définition hostile aux Blancs, aux chrétiens et aux « valeurs traditionnelles » –, Donald Trump a, tout au long de son mandat, conforté le sentiment des évangéliques que les chrétiens étaient discriminés et que leur liberté religieuse était en danger.</p>
<hr>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/evangelical-leaders-like-billy-graham-and-jerry-falwell-sr-have-long-talked-of-conspiracies-against-gods-chosen-those-ideas-are-finding-resonance-today-132241">Evangelical leaders like Billy Graham and Jerry Falwell Sr. have long talked of conspiracies against God's chosen – those ideas are finding resonance today</a>
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</p>
<hr>
<p>Dans les États de la « Sun Belt », en transition démographique – la population s’y mélange de plus en plus –, leur soutien à Trump a été encore plus important qu’au niveau national : 82 % en Floride, 89 % en Géorgie, 86 % en Caroline du Nord et 82 % au Texas. Selon <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/this-is-a-massive-failure-of-character-among-republicans--with-evangelicals-out-in-front/2020/11/12/c7a05396-251e-11eb-8672-c281c7a2c96e_story.html">Robert P. Jones</a>, leur vote pour Trump a été une façon de résister à « la marée du changement démographique et culturel ».</p>
<h2>… mais tiraillés à leurs marges</h2>
<p>Cependant, des signes d’érosion de l’homogénéité de ce bloc <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02359703">se sont manifestés avant la campagne</a> et pendant celle-ci.</p>
<p>Au sein du bloc évangélique blanc, la position jusqu’au boutiste en faveur de Trump, considéré littéralement comme l’élu de Dieu par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0TLAN8hKw4A">réseau croissant d’Églises pentecôtistes néo-charismatiques</a>, aspirant par ailleurs au <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/im-a-pro-life-evangelical-in-supporting-trump-my-movement-sold-its-soul/2020/10/07/04d90712-0733-11eb-859b-f9c27abe638d_story.html">leadership sur le monde évangélique</a> a aussi contribué aux remous d’une partie des <a href="https://www.washingtonpost.com/religion/2020/10/02/new-evangelical-leaders-support-biden/">responsables</a> et des <a href="https://www.christianitytoday.com/ct/2019/december-web-only/trump-should-be-removed-from-office.html">médias évangéliques</a> qui ont <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/im-a-pro-life-evangelical-in-supporting-trump-my-movement-sold-its-soul/2020/10/07/04d90712-0733-11eb-859b-f9c27abe638d_story.html">pris leurs distances avec Trump</a>. Certains ont tout récemment manifesté <a href="https://abcnews.go.com/Politics/pastor-robert-jeffress-staunch-trump-evangelical-supporter-calls/story?id=74151603">leur confiance</a> dans le système électoral américain lors de la crise de transition. On a également davantage entendu les <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Religion-et-spiritualite/%C3%89tats-Unis-generation-devangeliques-coeur-gauche-2017-10-27-1200887742">évangéliques sociaux</a>, attachés aux valeurs de justice sociale et raciale, si <a href="https://theconversation.com/evangelical-christians-are-on-the-left-too-66253">intimement liées à l’histoire de l’évangélisme américain</a>.</p>
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<p>Les sondages avancent que <a href="https://www.nytimes.com/2020/11/11/opinion/biden-evangelical-voters.html">Joe Biden a obtenu plus de votes parmi les évangéliques blancs dans les États clés</a> qu’au niveau national. De même, les minorités ethniques évangéliques, noires, latinos et asiatiques, traditionnellement démocrates, sont en <a href="https://www.washingtonpost.com/news/post-nation/wp/2018/06/22/will-the-growing-numbers-of-evangelicals-of-color-mean-less-influence-for-white-christian-conservatives/">croissance numérique</a>.</p>
<p>Cependant, les Démocrates auraient tort de compter sur leur soutien complet : les évangéliques latinos ont plus tendance à voter républicain que démocrate, à l’instar de leurs homologues blancs, ce qui conduit à nuancer l’idée de l’émergence d’un front évangélique progressiste propice aux fortunes électorales du parti de l’âne.</p>
<h2>Des catholiques diversifiés qui convergent au centre</h2>
<p>Pris globalement, le vote catholique est revenu à quasi-parité entre Républicains et Démocrates, soit 50 % pour Trump et 49 % pour Biden ou inversement selon les sondages. Dans le détail, la répartition raciale et sociale de cette population, la plus diversifiée de toutes les dénominations américaines et la plus importante démographiquement derrière les évangéliques (22 % de l’électorat, composé pour deux tiers de catholiques blancs et pour un quart de catholiques latinos), se combine avec <a href="https://www.ncronline.org/news/politics/signs-times/2020-nonexistent-catholic-vote-will-be-crucial-again">leur nombre élevé dans certains États</a> (Rust Belt, Nouvelle-Angleterre et Sun Belt). Ces États ont été et resteront des États clés. La palette des références catholiques proches des positions démocrates (sur l’immigration, l’accueil des réfugiés, la justice sociale, le juste salaire, le droit à la santé, l’éducation, le bien commun, y compris sanitaire et environnemental) a permis – malgré une <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2020/10/catholics-joe-biden-pope-francis-devil/616732/">forte mobilisation des catholiques conservateurs</a> en faveur de Trump – des « désengagements partisans » qui ont réduit leur propre polarisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1321925626912215041"}"></div></p>
<ol>
<li><p>Une part plus importante encore que chez les évangéliques de blancs catholiques, à la fois conservateurs et plus pratiquants, a rompu l’amarre qui la rattachait au camp républicain. C’est la surprise attendue de ce dernier scrutin. Selon les deux sondages de sortie des urnes, Joe Biden a réduit l’écart qui le séparait de Trump chez les catholiques blancs de 12 ou 13 points. La raison en est double : Trump ayant rempli leur objectif judiciaire (3 juges conservateurs nommés à la Cour suprême), les catholiques ne sont pas passés, cette fois-ci, par-dessus sa personnalité rebutante. Ensuite, Biden aura manifesté une foi suffisamment sincère et un projet politique suffisamment modéré pour qu’ils se souviennent de son appartenance catholique. Ainsi, alors <a href="https://text.npr.org/926659149">qu’ils avaient voté à 64 % pour Donald Trump en 2016</a> et qu’ils sont restés concernés par le même rejet de l’avortement et du mariage pour les homosexuels, les <a href="https://apnews.com/article/votecast-trump-wins-white-evangelicals-d0cb249ea7eae29187a21a702dc84706">catholiques blancs ne sont « plus » que 57 % à avoir voté</a> pour le président sortant en 2020.</p></li>
<li><p>Dans les <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2020/elections/exit-polls-changes-2016-2020/?itid=lk_inline_manual_9">États clés</a> du Wisconsin, du Michigan et de <a href="https://www.post-gazette.com/news/faith-religion/2020/11/09/Pennsylvania-religious-vote-presidential-race-Biden-Trump-evangelical-Christian-Protestant-Catholic-Jewish-Muslim/stories/202011080093">Pennsylvanie</a>, ces mêmes catholiques blancs ont encore un peu moins voté pour Trump que leur moyenne générale (54 %). Leurs points de différence ont contribué à faire basculer lesdits États pour Biden, lequel y a également récolté une large majorité des électeurs religieux non blancs.</p></li>
<li><p>Enfin, si les Hispaniques catholiques ont voté à 67 % pour Joe Biden, les électeurs latinos d’origine cubaine, vénézuélienne et nicaraguayenne de Floride <a href="https://edition.cnn.com/2020/11/03/politics/exit-polls-2020/index.html">ont majoritairement voté républicain</a>, notamment par opposition au tournant « socialiste » ou « laxiste » supposé du Parti démocrate, démentant la loyauté inébranlable des Latinos envers le parti de l’âne. Les Républicains ont aussi enregistré des gains très significatifs chez les catholiques mexicains du Texas, ce qui s’explique en partie par leur conservatisme sur les questions sociétales.</p></li>
</ol>
<p>Les questions de justice raciale ont particulièrement contribué à fissurer le mur des catholiques pratiquants et d’une part des évangéliques. Tandis que 7 évangéliques blancs sur 10 considéraient avant les élections que les meurtres d’Afro-Américains par la police étaient des incidents isolés plutôt qu’un problème de racisme (73 % en 2015 et 70 % en 2020), la proportion de catholiques blancs partageant cette perception a chuté de 13 points (71 % en 2015 à 58 % en 2020). De même, quoique conservateurs, patriotes et sensibles à la rhétorique du remplacement démographique, les catholiques blancs sont moins inquiets de l’altérité ethnique et plus sensibles à l’éradication de la pauvreté comme cause politique. Ils sont également susceptibles d’accepter plus de compromis sur les questions relatives aux droits des minorités sexuelles et <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/10/20/8-key-findings-about-catholics-and-abortion/">acceptent majoritairement</a> – sans l’approuver pour autant – la légalité de l’avortement.</p>
<h2>La nouvelle religiosité du Parti démocrate : un bon calcul ?</h2>
<p>Durant sa campagne, Joe Biden a largement <a href="https://news.gallup.com/opinion/polling-matters/318308/religion-takes-larger-role-democrats-year.aspx">insisté sur sa foi</a> et multiplié les mains tendues vers l’électorat croyant, même si les <a href="https://catholicvote.org/wp-content/uploads/2020/09/CV-Biden-Report-5.1.pdf">catholiques conservateurs ont dénoncé</a> la « superficialité » de ses positions, mettant en avant ses revirements sur des questions telles que l’avortement ou les droits des personnes LGBTQ.</p>
<p>Ce positionnement de Joe Biden lui a permis d’obtenir le soutien de nouveaux groupes comme les <a href="https://www.ncronline.org/news/opinion/4-ways-progressive-pro-lifers-can-reengage-democratic-leaders">« progressive pro-lifers »</a> ou les <a href="https://theconversation.com/understanding-christians-climate-views-can-lead-to-better-conversations-about-the-environment-115693">« pro-climate Christians »</a>. Dans le même temps, la<a href="https://www.ncronline.org/news/coronavirus/bishops-add-covid-19-anti-racism-elements-four-year-strategic-plan">Conférence épiscopale des États-Unis</a> a pris des positions très fermes sur les questions de migration, de pauvreté, de racisme et de santé.</p>
<p>Pendant la campagne démocrate, la traditionnelle défense des minorités sexuelles – qui est absolument acquise au sein de ce parti – a été moins valorisée que la <a href="https://time.com/5903399/gender-gap-politics/">promotion des femmes</a>, sans parler de <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=4xbSGsBFmnQ">l’appel constant de Biden à la « décence »</a>. Cela a abouti, dans le discours de victoire de Joe Biden, non seulement au retour de la rhétorique biblique de bénédiction qu’emploient régulièrement les présidents des États-Unis comme <a href="http://www.robertbellah.com/articles_5.htm">grands prêtres d’une religion civile toujours vibrante</a> mais également à la <a href="https://edition.cnn.com/politics/live-news/trump-biden-election-results-11-07-20/h_94fe1f58baf52fe233d3bfd5d9ba0c10">récitation d’un hymne catholique</a> qu’aimait son fils décédé, Beau, paroles dédiées à tous les Américains en souffrance.</p>
<p>L’inflexion religieuse du Parti démocrate va-t-elle contrarier le dernier groupe d’électeurs désormais le plus important, à savoir les Américains sans religion, <a href="https://www.au.org/blogs/2020-religious-vote">qui ont voté pour Biden à plus de 70 %</a> ? Ce groupe, qui vote davantage pour l’aile socialiste du Parti démocrate, n’a cessé de croître et avoisinerait désormais les 25 % de la population. Il comprend la jeune génération des millennials, beaucoup plus sécularisés que les générations précédentes. Il semblerait que, pour l’instant, cette masse grandissante, si elle est particulièrement « ouverte » en matière de mœurs, est également ouverte au pluralisme religieux et racial, cherchant à protéger la minorité musulmane, également <a href="https://www.npr.org/2020/12/04/942262760/majority-of-muslims-voted-for-biden-but-trump-got-more-not-less-support">très démocrate</a>. Le parti doit donc, plus que jamais, s’il veut à la fois ménager sa tradition laïque et <a href="https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-02359703">récupérer l’électorat croyant</a>, se présenter comme la formation du compromis et de l’inclusion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150708/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Aux États-Unis, l’appartenance religieuse demeure un facteur explicatif important du vote. L’élection présidentielle de cette année a mis en évidence plusieurs évolutions notables du vote religieux.Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Marie Gayte, Chercheuse au laboratoire Babel de l'Université de Toulon, spécialiste de la politique américaine contemporaine, Université de ToulonRobin D. Presthus, Enseignant au Moravian College de Pennsylvanie, doctorant au Laboratoire Interdisciplinaire De Droit et Mutations Sociales, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514662020-12-15T18:03:12Z2020-12-15T18:03:12ZDu pape Grégoire XIII à Joe Biden, les stratégies politiques se répètent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/373382/original/file-20201207-23-wye4c3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C50%2C5606%2C3703&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président-élu Joe Biden quitte l'église catholique romaine St. Joseph, le samedi 5 décembre 2020, à Wilmington, au Delaware.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo AP/Andrew Harnik</span></span></figcaption></figure><p>Le matin du 2 novembre dernier, jour d’élections aux États-Unis, Joe Biden s’est rendu à l’église Saint-Joseph de Wilmington, au Delaware, ainsi qu’au cimetière, pour se recueillir sur les tombes de sa première femme et de deux de ses enfants.</p>
<p>Ce programme aux allures de pèlerinage constitue peut-être sa prière ultime pour la victoire électorale qu’il espérait ce jour-là. Si sa foi est bien réelle – et l’objectif n’est pas d’en discuter ici – on ne peut nier qu’elle a été savamment orchestrée pour draper le candidat démocrate d’une aura positive durant la campagne.</p>
<p>Plusieurs vidéos publicitaires ont souligné la piété du chef démocrate. Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KZFnTb225uc"><em>Principles</em></a>, on le montre en compagnie du pape François ou discourant dans une église ; dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-A2Z0ZQKQWs"><em>A Man Guided by Faith</em></a>, une paroissienne de son village natal le décrit comme un dévot modèle. Joe Biden a d’ailleurs souligné sa ferveur religieuse dans son discours de victoire, le 7 novembre, où il cite la Bible sans ambages.</p>
<p>Rappelons que le <a href="https://theconversation.com/the-underappreciated-yet-critical-catholic-vote-in-the-2020-us-presidential-election-147150">vote catholique</a> a valu à Donald Trump les trois États-clés des Grands Lacs (Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin) à l’élection de 2016, ce qui expliquerait une telle mise en avant de sa foi. Si Trump ne semble pas faire preuve d’une grande piété, <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/25/us/politics/catholic-voters-trump-biden.html">il insiste beaucoup sur la position antiavortement du Parti républicain pour rallier lui aussi cette portion de l’électorat</a>.</p>
<h2>De Grégoire XIII à Joe Biden</h2>
<p>De nombreux politiciens et hommes d’église de haut rang ont usé de la foi à des fins démagogiques à l’instar de l’actuel président élu. Mes recherches sur le mécénat des cardinaux dans la Rome du XVI<sup>e</sup> siècle m’ont permis d’examiner fréquemment ce type de comportement, notamment chez le pape Grégoire XIII, qui a régné de 1572 à 1585.</p>
<p>Dans sa biographie du pontife publiée en 1596, l’auteur Marcantonio Ciappi soutient qu’il récitait des litanies dès son réveil et se rendait ensuite dans sa chapelle privée pour assister à la messe et faire des oraisons. Même si le pape était réellement un fervent dévot, l’ostentation de sa piété, qui s’explique par le contexte religieux contemporain, permet de replacer la conduite de Joe Biden dans un spectre historique plus large.</p>
<h2>Réforme et Contre-Réforme</h2>
<p>En 1517, le frère augustinien allemand Martin Luther proclame son opposition aux abus perpétrés par l’Église avec la publication des <a href="https://philosophie.cegeptr.qc.ca/2017/10/500e-anniversaire-de-laffichage-des-95-theses-de-luther-2017/">95 Thèses</a>, ce qui marque le début de la Réforme protestante. Ses idées se propagent rapidement dans le nord de l’Europe, encourageant les caricatures qui dénigrent l’office papal.</p>
<p>Lucas Cranach l’Ancien représente par exemple, en 1545, le <a href="https://pennrare.wordpress.com/2012/09/17/woodcut-sauritt-des-papsts-after-lucas-cranach-the-elder-used-by-christian-rodinger-the-elder-of-magdeburg-of-the-pope-riding-a-sow-holding-steaming-excrement/">pontife chevauchant une truie et bénissant des excréments</a> alors que Melchior Lorch le transforme peu de temps après en <a href="https://artsandculture.google.com/asset/the-pope-as-wild-man-melchior-lorch/WgF9GhARkcrWFw">monstre sanguinaire recouvert d’une toison hideuse et crachant du feu</a>.</p>
<p>En réaction, le clergé catholique émet des directives en ce qui concerne le comportement des prélats lors du concile de Trente (débuté en 1545 et terminé en 1563). La nouvelle image de l’Église passe par la démonstration que ses membres faisaient preuve des vertus qu’elle enjoint de respecter. La piété devient un critère de sélection des candidats à la tiare pontificale et plusieurs cardinaux aspirant au titre entreprennent de faire valoir la leur par les arts. En résultent de nombreux décors destinés à des institutions religieuses, mais aussi des fresques à même les murs de leurs palais.</p>
<h2>Une lignée de papes exemplaires</h2>
<p>Pour respecter les recommandations concernant l’ostentation de la richesse, Grégoire XIII visite la villa de campagne du cardinal Marco Sittico Altemps plutôt que de se faire construire sa propre résidence d’été comme ses contemporains.</p>
<p>Toutefois, il faut se détromper : la villa, localisée dans le haut lieu de retraite du clergé à Frascati et nommée « Mondragone » en l’honneur du pontife dont l’emblème est le dragon, devient en fait une véritable villa papale. Des activités administratives y sont tenues – c’est d’ailleurs là qu’est scellé l’établissement du calendrier grégorien – et des invités de marque y sont reçus.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373658/original/file-20201208-22-98fn3z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Villa Mondragone, à Frascati, en Italie, où le pape Grégoire XIII se rendait pour recevoir des invités de marque et remplir diverses tâches administratives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">de l’auteure</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’édifice détient ainsi des fonctions promotionnelles, tout comme ses décors. Ceux de la chapelle, peints par Guidonio Guelfi, en 1576, sont consacrés à saint Grégoire le Grand (pape de 540 à 604). Tel que démontré dans le troisième chapitre de <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/13773">mon mémoire de maîtrise</a>, c’est grâce à la représentation du récit de son homonyme, mais aussi grâce à la substitution du portrait de son prédécesseur par celui de Grégoire XIII dans les épisodes dépeints sur les murs, que l’artiste suggère l’association de Grégoire XIII avec ce pape précurseur exemplaire.</p>
<p>Fréquent dans les cycles décoratifs de la Renaissance – pensons simplement aux <a href="http://www.museivaticani.va/content/museivaticani/fr/collezioni/musei/stanze-di-raffaello.html">Chambres de Raphaël au Vatican</a> – ce procédé permet à Grégoire XIII de se présenter, à l’instar de Grégoire le Grand, comme un pontife idéal dont le règne restaurera l’âge d’or du christianisme.</p>
<p>Joe Biden a utilisé une stratégie similaire dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xiLR4sCgvnc">son tout premier discours en tant que président élu</a>, affirmant que sa présidence s’inscrirait dans la suite de celles de Franklin D. Roosevelt, John F. Kennedy et Barack Obama. Reculant jusqu’au New Deal de 1932 à titre de comparaison pour valoriser ses projets de loi à venir, il rejoue le stratagème grégorien.</p>
<h2>L’humilité du Sauveur</h2>
<p>Dans la chapelle de la villa Mondragone, Grégoire XIII est aussi représenté, priant le Christ nouveau-né dans <em>L’adoration des bergers</em> qui figure au-dessus de l’autel. Si ce procédé illustre la piété que le prélat s’attribue, il met aussi en scène son humilité.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373436/original/file-20201207-23-4jt90z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’œuvre « L’adoration des bergers », dans laquelle Grégoire XIII est représenté priant le Christ nouveau-né.</span>
<span class="attribution"><span class="source">de l’auteure</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plus fréquemment associés aux rois mages dans l’iconographie de l’adoration de l’enfant – comme dans la <a href="https://journals.openedition.org/cem/13519#tocto1n3">Chapelle des mages du Palais Médicis à Florence</a>, les mécènes affichent leur humilité par le choix de s’identifier aux bergers. Cette prise de position constitue un outil de valorisation évident dans le contexte suivant le concile de Trente. Grégoire XIII se montre ainsi au service de son peuple et contrecarre les critiques d’abus intentées au clergé lors de la Réforme.</p>
<p>« Et maintenant, ensemble – sur les ailes de l’aigle – nous entamons l’œuvre que Dieu et l’histoire nous ont demandé d’accomplir », a clamé Joe Biden à la fin de son discours de victoire. Même si la formule ne paraît de prime abord pas très humble, Joe Biden emboîte le pas à Grégoire XIII en s’identifiant comme l’élu divin (et non seulement le gagnant d’un vote électoral).</p>
<p>Il se positionne également tel un messie (« Nous devons restaurer l’âme de l’Amérique ! ») dont l’action extirpera les États-Unis de la noirceur dans laquelle Donald Trump les a plongés. La mise en scène de la foi de Joe Biden aura-t-elle fait oublier aux fervents catholiques la position démocrate proavortement qu’ils n’appuient pas ?</p>
<p>On ne peut que penser que la stratégie a été gagnante : près de 500 ans après son utilisation par Grégoire XIII, Joe Biden arrache peut-être grâce à elle les Grands Lacs à son adversaire républicain et devient le sauveur attendu des États-Unis. <em>God bless America</em> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151466/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fannie Caron-Roy a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Gouvernement du Canada et de l'Université de Montréal. </span></em></p>Durant la campagne présidentielle, Joe Biden a usé de sa foi à des fins électoralistes. Cette stratégie n’est pas nouvelle. Elle remonte aussi loin qu’au pape Grégoire XIII !Fannie Caron-Roy, Doctorante en histoire de l'art, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1503292020-11-23T20:30:35Z2020-11-23T20:30:35ZL’Église catholique face aux unions civiles homosexuelles<blockquote>
<p>« Les personnes homosexuelles ont des droits à être dans une famille, ils sont enfants de Dieu, ils ont le droit à une famille. On ne peut pas expulser quelqu’un d’une famille ou lui rendre la vie impossible pour cette raison. Ce que nous devons faire c’est une loi d’union civile, car ils ont le droit à une couverture légale. C’est ce que j’ai défendu. »</p>
</blockquote>
<p>Ces paroles du pape François, datant d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VOcLWcW6Elw">interview de 2019</a> par une journaliste mexicaine et reprises en partie de manière inédite dans un documentaire présenté à Rome le 21 octobre dernier, ont suscité des interrogations sur un changement dans l’enseignement de l’Église catholique par rapport aux unions légales entre personnes de même sexe.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ocXc_SpmI48?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Francesco</em>, bande annonce du documentaire inédit consacré au pape François, présenté le 21 octobre au festival international du film de Rome.</span></figcaption>
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<p>Il n’y avait pourtant rien de nouveau : en 2017, dans ses entretiens avec <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/Politique_et_soci%C3%A9t%C3%A9">Dominique Wolton</a>, le pape avait déjà avancé l’expression « union civile » pour l’union entre personnes de même sexe, en affirmant que le « mariage » était entre un homme et une femme. Par ailleurs, dans l’interview de 2019, le pape souligne que ses propos n’équivalent pas à « approuver les actes homosexuels ».</p>
<p>Quel est donc l’enseignement de l’Église catholique sur l’homosexualité, spécialement en rapport à la loi, et le pape François apporte-t-il quelque chose de nouveau ? Nous ne pouvons qu’esquisser ici un rapide parcours de la Bible et de la Tradition, dans leur contexte politique et culturel, avant de revenir sur les propos du pape.</p>
<h2>Une condamnation claire de la pratique homosexuelle</h2>
<p>Dans l’ouvrage <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb466216281"><em>Qu’est-ce que l’homme ?</em></a> de 2019, la Commission biblique pontificale, rassemblant des exégètes de différents pays reconnus pour leur expertise dans l’interprétation des textes, rappelle que la Bible « ne parle pas de l’inclination érotique vers une personne de l’autre sexe, mais seulement des actes homosexuels », et qu’elle en parle peu.</p>
<p>La condamnation légale de la pratique homosexuelle est très claire aux chapitres 18 et 20 du livre du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9vitique">Lévitique</a>, l’un des cinq livres de la Torah juive.</p>
<p>Les auteurs de relations sexuelles entre hommes sont déclarés passibles de la peine capitale. Une peine présente dans d’autres civilisations antiques. Dans le Nouveau Testament, la condamnation morale de la pratique homosexuelle ne se trouve expressément que sous la plume de saint Paul.</p>
<p>Dans le premier chapitre de l’épitre aux <a href="https://www.aelf.org/bible/Rm/1">Romains</a>, les relations homosexuelles tant féminines que masculines sont qualifiées de « contre nature » (παρά φύσιν en grec). La référence majeure reste l’intégration de la différence sexuelle dans l’acte créateur (Genèse 1-2).</p>
<p>À noter que la Commission invite <em>in fine</em> tout lecteur à être intelligemment attentif au contexte culturel dans lequel les expressions bibliques ont été forgées et les sanctions disciplinaires édictées.</p>
<p>L’interprétation de ces textes doit être complétée par l’apport des sciences humaines et de la théologie et il convient de considérer les personnes dans leur singularité propre.</p>
<h2>Un rejet qui s’inscrit dans une structure sociale ancienne</h2>
<p>Qu’en est-il de la tradition ? Dans l’antiquité chrétienne et le Moyen-Âge, l’attirance vers les personnes de même sexe n’est pas vue comme une structure possible de la personnalité.</p>
<p>Selon le théologien <a href="https://www.edizionicantagalli.com/shop/amare-nella-differenza/">Maurizio Faggioni</a>, rejoignant en partie <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_sexualit%C3%A9">Michel Foucault</a>, cette compréhension s’établit vers la fin du XVI<sup>e</sup>.</p>
<p>Les lois des premiers empereurs chrétiens, en continuité avec leurs prédécesseurs païens immédiats, menacent de mort la prostitution masculine, en étendant parfois cette sanction à toute relation homosexuelle.</p>
<p>Dans le même temps, les théologiens condamnent les relations homosexuelles. Ainsi saint Jean Chrysostome dans son <a href="https://books.google.fr/books/about/Hom%C3%A9lies_sur_les_%C3%A9p%C3%AEtres_de_saint_Pau.html?id=qzw1DwAAQBAJ&redir_esc=y">commentaire de l’épitre aux Romains</a> ou Saint Augustin dans les <a href="http://www.la-pleiade.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-la-Pleiade/Les-Confessions-Dialogues-philosophiques"><em>Confessions</em></a>.</p>
<p>Durant le Moyen-Âge, alors que les pénitentiels – <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/casuistique">livres de casuistique</a> (soit la forme d’argumentation utilisée en théologie morale) à l’usage des confesseurs – prévoient plusieurs années de pénitence pour l’union sexuelle entre hommes, des peines canoniques sont édictées en parallèle aux peines infligées par le pouvoir civil.</p>
<p>Ainsi le concile de Latran III en 1178 reprend les sanctions déjà prévues par le concile de Tolède de 693 : la réduction à l’état laïc et l’exil pour les clercs, l’exil et l’excommunication pour les laïcs, accompagné de la flagellation et de la tonsure dégradante.</p>
<p>Le quatrième concile de Latran, en 1215, prévoit la suspension des clercs s’étant livrés à la sodomie, et leur renvoi définitif en cas de célébration de la messe malgré la suspension.</p>
<p>Dans le même temps, la prédication et les traités de théologie fustigent les pratiques homosexuelles, témoignant par là même de leur présence active. <a href="https://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Traductions/STIIa-IIae.pdf">Thomas d’Aquin</a> range l’acte homosexuel parmi les péchés de luxure les plus graves.</p>
<h2>Un véritable dispositif punitif</h2>
<p>À partir du XV<sup>e</sup> siècle est organisé, tant dans le domaine civil que religieux, un véritable dispositif punitif envers l’homosexualité. Ainsi, le pape Saint Pie V, dans la constitution <em>Cum primum</em> de 1566, appelle à punir sans indulgence « l’exécrable vice libidineux contre nature ».</p>
<p>Au siècle suivant, <a href="http://patristica.net/denzinger/enchiridion-symbolorum.html">Alexandre VII</a> demande aux confesseurs de ne pas faire preuve de laxisme sur la question ?</p>
<p>À partir de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, la culture progressivement sécularisée en Occident, continue à voir la personne pratiquant l’homosexualité comme délinquante, à l’exception de la France révolutionnaire, qui dépénalise le <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/2151">« crime de sodomie »</a> en 1791.</p>
<p>L’historien <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/4430/l-eglise-et-la-sexualite">Guy Bédouelle et ses collègues</a> rappellent que l’homosexualité a été réprimée en Allemagne jusqu’en 1969 et au Royaume-Uni jusqu’en 1982.</p>
<p>Dans l’Église catholique, malgré les débats traversant la médecine et d’autres disciplines dès la fin du XIX<sup>e</sup>, les théologiens moralistes restent réticents à minorer la culpabilité du comportement homosexuel.</p>
<p>Le <a href="https://www.droitcanonique.fr/codes/cic-1917-15">code de droit canonique de 1917</a> prévoit une peine d’« infamie de droit » pour un laïc, de sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’état clérical pour un clerc.</p>
<h2>La déclaration « Persona humana » et ses suites</h2>
<p>Des changements apparaissent à partir de la déclaration <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19751229_persona-humana_fr.html"><em>Persona humana</em></a> de la congrégation pour la Doctrine de la Foi, en 1975.</p>
<p>Soit 10 ans après le Concile Vatican II, qui a suscité une réforme majeure dans l’Église, et au milieu d’évolutions rapides dans la société civile : <a href="https://www.franceculture.fr/sciences/guerir-des-cerveaux-malades-quand-lhomosexualite-redevient-une-maladie-honteuse">l’OMS sort l’homosexualité</a> de la liste des pathologies psychiques en 1976.</p>
<p>Pour l’Église, les relations homosexuelles restent moralement injustifiables, mais elle admet que la culpabilité des personnes doit être « jugée avec prudence » et demande que les homosexuels soient « accueillis avec compréhension ».</p>
<p>En tant que tel, la question de l’homosexualité a disparu du <a href="https://www.droitcanonique.fr/codes/cic-1983-1">code de droit canonique</a> en 1983. Le clerc qui ne serait pas fidèle à ses engagements, que ce soit avec une personne de l’autre sexe ou de son propre sexe, encourt des peines similaires.</p>
<p>En <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19861001_homosexual-persons_fr.html">1986</a>, la même Congrégation écrit que la législation doit respecter la dignité de toute personne homosexuelle, en sanctionnant toute malveillance et tout « geste violent » à son égard, sans pour autant « protéger » le comportement homosexuel qui ne peut être considéré équivalent « à l’expression sexuelle de l’amour conjugal ». En <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19920724_homosexual-persons_fr.html">1992</a>, elle affirme que « l’orientation homosexuelle » étant considérée désordonnée « ne constitue pas une qualité comparable à la race, l’origine ethnique, etc., en ce qui concerne la non-discrimination ». En règle générale « l’homosexualité […] ne devrait donc pas constituer le fondement de revendications juridiques ».</p>
<p>Enfin, en <a href="http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20030731_homosexual-unions_fr.html">2003</a>, la Congrégation considère que si une certaine tolérance de l’État envers les unions homosexuelles peut se comprendre, « les législations favorables aux unions homosexuelles sont contraires à la droite raison car elles confèrent des garanties juridiques, analogues à celles de l’institution matrimoniale, à l’union entre deux personnes du même sexe ». Elle réfute par ailleurs :</p>
<blockquote>
<p>« l’argumentation selon laquelle la reconnaissance juridique des unions homosexuelles serait nécessaire pour éviter que des homosexuels vivant sous le même toit ne perdent […] la reconnaissance effective des droits communs qu’ils ont en tant que personnes ».</p>
</blockquote>
<p>Selon elle en effet, ces personnes « peuvent toujours recourir […] au droit commun pour régler les questions juridiques d’intérêt réciproque ».</p>
<h2>Une attitude nettement plus compréhensive</h2>
<p>Au long de son histoire, l’Église catholique a plutôt suivi l’évolution sociale et sa traduction juridique envers l’homosexualité, du moins en Occident, celles-ci étant plus ou moins sensibles à son enseignement moral.</p>
<p>La doctrine récente exprime en revanche clairement une opposition à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles, alors même qu’elle favorise une attitude nettement plus compréhensive que par le passé des personnes homosexuelles.</p>
<p>Par rapport à la rediffusion récente des propos du pape François, la Secrétairerie d’État a précisé dans une note interne que le pape « a fait référence à certaines dispositions de l’État, certainement pas à la doctrine de l’Église ».</p>
<p>Nous pouvons en conclure que, tout en réaffirmant l’impossibilité pour l’Église catholique de reconnaître les unions homosexuelles comme l’équivalent d’un mariage, le pape avance la possibilité pour un État de choisir une forme légale de reconnaissance de ces unions dans le but d’assurer les droits économiques et sociaux de chacun. C’est une concession sur le terrain de la juridiction civile par rapport au document de 2003.</p>
<p>Concession qui reste à confirmer dans le temps. Mais la doctrine concernant tant la réprobation des relations homosexuelles que le mariage compris exclusivement entre un homme et une femme reste inchangée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150329/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brice de Malherbe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En dépit des propos du pape François sur l’union civile entre personnes de même sexe, la doctrine de l’Église sur l’homosexualité demeure inchangée.Brice de Malherbe, Professeur à la Faculté Notre-Dame de Paris et co-directeur du département de recherche « éthique biomédicale » du Collège des Bernardins, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1483652020-10-19T19:29:04Z2020-10-19T19:29:04ZDe Clovis à nos jours, le long combat de la laïcité<p>Dans un ouvrage déjà ancien (<a href="https://www.puf.com/content/Les_terroristes_disent_toujours_ce_quils_vont_faire"><em>Les terroristes disent toujours ce qu’ils vont faire</em></a>), nous démontrions qu’il est très rare de se trouver confrontés à une « surprise » en matière de terrorisme.</p>
<p>La révolution stratégique provoquée par l’apparition de l’État islamique a conforté et amplifié cette analyse, alors que l’organisation proclame régulièrement sur de nombreux supports médiatiques cibles et moyens à utiliser pour les atteindre…</p>
<p>Un peu partout dans le monde, les enseignants sont victimes de mises en cause physiques ou morales.</p>
<p>Il est toujours très difficile de parler de Darwin et des théories de l’évolution aux États-Unis. Il est presque impossible de sortir d’une école coranique dans de nombreuses régions du Pakistan. Et on assassine les enseignants ou les élèves, notamment les jeunes filles, qui osent enseigner ou venir à l’école en Afghanistan.</p>
<p>Au Nigeria ou au nord Cameroun, l’organisation Boko Haram, qui s’appelle en réalité <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/VICKY/47604">Book Haram</a> (les livres sont impurs), se donne pour mission fondatrice de lutter contre l’école publique sécularisée.</p>
<p>En fait, le combat laïque n’a jamais été aisé. Celles et ceux qui revivent aujourd’hui la lente transition française vers la liberté de conscience en ont hélas une faible mémoire historique.</p>
<h2>Le rôle de l’Église catholique</h2>
<p>Depuis le baptême de Clovis en 498, la culture du pouvoir en France improprement appelée gallicane – elle est franque en réalité car rattachée aux peuplades germaniques (les Francs) qui conquirent la Gaule au V<sup>e</sup> et VI<sup>e</sup> siècle – explique sans doute un irrédentisme national qui portait moins sur la nature de la foi que sur son expression politique.</p>
<p>Ce compromis entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel va être renforcé par l’éclatement de l’Empire de Charlemagne et le maintien d’une seule colonne vertébrale pour la société féodale : l’Église catholique.</p>
<p>Cette dernière devient une très importante opératrice des services publics locaux. Elle investit, ordonne, spécule, exploite. La monarchie en prendra ombrage et Philippe Le Bel y mettra bon ordre en installant le Pape à Avignon en 1309. La religion reste d’État, la France devient la fille aînée de l’Église. Elle a laissé détruire les Cathares, autant par détestation religieuse que pour contraindre le Comté de Toulouse. Mais tout est sous contrôle.</p>
<p>Les 95 thèses, martelées sur les portes de l’église de la Toussant à Wittenberg par Martin Luther en 1517 ouvrirent la porte à un schisme, la progression rapide du protestantisme, et un « génocide » oublié, la Saint-Barthélemy, le 24 août 1572. L’un des survivants de ce massacre, Henri IV, proclamera l’Édit de Nantes en 1598. Et pour le malheur du pays et le bonheur de ses voisins, il fut révoqué par un Louis XIV au soleil pâlissant, en 1685.</p>
<h2>Séparation de l’Église et de l’État</h2>
<p>La Révolution française imposera la première rupture avec l’Église catholique, en inscrivant dans la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789 : « Nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] ». On notera le « même » arraché de haute lutte tant la rancœur contre le haut clergé était forte. Depuis les grandes jacqueries de 1348, on brûlait des châteaux, mais aussi beaucoup de presbytères et quelques autres résidences ecclésiastiques…</p>
<p>L’Église est « nationalisée » à la fois dans ses biens mais aussi dans sa structure et sa culture. Blasphème, sorcellerie, hérésie, disparaissent du Code pénal. L’État civil, créé en 1539 par François I<sup>er</sup>, mais administré par le clergé, est civilisé. Le 21 février 1795, la première séparation de l’Église et de l’État est proclamée.</p>
<p>La <a href="http://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2019/la-revolution-s-affiche/la-convention-septembre-1792-octobre-1795">Convention nationale</a>, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public, de sûreté générale et de législation, réunis, décrète notamment que « conformément à l’article VII de la Déclaration des droits de l’Homme, et à l’article CXXII de la Constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé. II. La République n’en salarie aucun. III. Elle ne fournit aucun local, ni pour l’exercice du culte, ni pour le logement des ministres. IV. Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice ».</p>
<p>Le texte précise également que « tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées » et qu’« aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public, ni extérieurement, de quelque manière que ce soit ».</p>
<p>Toute la loi de 1905 est déjà là.</p>
<h2>Laïcisation heurtée</h2>
<p>Bonaparte devenu Napoléon rétablira le dialogue avec l’Église de Rome en signant un Concordat en 1801 avec le pape. L’Église catholique n’est plus que l’« Église de la grande majorité des Français ». Les prêtres sont salariés par l’État et soumis aux autorités françaises. La religion devient un service public qui s’étend au protestantisme puis au judaïsme. La Restauration (1814-1848) rétablira pour un temps le catholicisme comme religion de l’État. En 1850, la loi Falloux donne à l’Église un droit de direction dans les écoles primaires.</p>
<p>Mais les républicains, les radicaux et les laïques attendent leur heure. La défaite de l’Empire en 1871 et la proclamation de la République en 1877 permettra une laïcisation heurtée grâce à l’action de Jules Ferry, ministre de l’instruction publique.</p>
<p>Entre 1881 et 1886, l’école publique devient gratuite, l’instruction devient obligatoire de 6 à 13 ans, l’Église en est sortie. Les lycées et les collèges s’ouvrent aux jeunes filles, le personnel enseignant est laïcisé et l’enseignement religieux exclu des heures de cours. De plus, l’enseignement de la morale civique devient obligatoire.</p>
<h2>La loi de 1905</h2>
<p>C’est une laïcité dynamique et combattante qui s’affirme et par effet mécanique de conflit. Les relations diplomatiques sont rompues avec la Cité du Vatican en 1904.</p>
<p>En 1905, malgré la pugnacité des radicaux, c’est une loi de compromis et de liberté d’exercice des cultes qui sera adoptée sous l’impulsion de Jean Jaurès dont la formule « La France n’est pas schismatique, elle doit être révolutionnaire » marquera la défaite des radicaux les plus déterminés et la victoire d’Aristide Briand et de Ferdinand Buisson, les pacificateurs.</p>
<p>On y trouvera notamment, pour celles et ceux qui commentent souvent <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000508749/2020-10-19/">ce texte</a> sans l’avoir bien lu, un titre particulièrement précis sur la nature exacte de cette loi qui est moins un texte de séparation que de libre exercice sous contrôle.</p>
<p>Dans le titre V, sous l’intitulé « Police des cultes », il est notamment précisé que « les réunions pour la célébration d’un culte… restent placées sous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public » et que « si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile ».</p>
<p>Voici ce qu’est donc cette laïcité sans adjectif, dont les défenseurs sont des laïques et qui est devenue un principe constitutionnel en 1958 dans l’article 1<sup>er</sup> de la Constitution et en 2013 seulement quand le Conseil constitutionnel donnera à certaines dispositions de la loi de 1905 une <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2013-3-page-699.htm">« valeur constitutionnelle »</a>.</p>
<h2>La question de l’Islam</h2>
<p>La question juive ou musulmane fit l’objet d’évolutions controversées, parfois heureuses (émancipation sous la révolution, grand sanhédrin sous Napoléon mais honteux statut sous la collaboration pour les israélites, indigénat et exploitation).</p>
<p>Mais un accord unanime fut trouvé pour créer la société des Habous et Lieux saints de l’Islam (dite Grande Mosquée de Paris) en 1921 avec subvention publique et souscription nationale sous la conduite du Maréchal Lyautey afin de rendre hommage aux « soldats musulmans morts pour la France ».</p>
<p>Les laïques de 1905, qui insistent sur la « rupture » avec les Églises font cependant un effort, au nom du sang versé, et grâce à Lyautey (qui lui-même souhaitait établir un <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01345427/document">Califat pro-français</a>) et aident à la création <a href="http://www.senat.fr/rap/r15-757/r15-757_mono.html">d’un Islam de France et pas seulement en France</a>.</p>
<p>La décolonisation poussera à une sous-traitance de l’Islam vers les nouveaux États devenus indépendants dans une « communauté » qui perdra peu à peu de sa réalité.</p>
<h2>Se mobiliser pour la laïcité</h2>
<p>Mais cette laïcité est-elle aussi neutre qu’on l’affirme haut et fort ? Peut-elle être plurielle ? Peut-elle résister aux assauts intégristes, communautaristes, djihadistes ?</p>
<p>Toute son histoire prouve que la laïcité n’est pas un autre culte. Qu’elle n’est pas une excuse à l’ignorance. Qu’elle impose le respect des croyants et des non croyants. Qu’elle n’est pas l’ennemie de la foi ou de la spiritualité. Les Républicains « atypiques » du XIX<sup>e</sup> siècle l’avaient bien démontré. Et on oublie souvent que la Déclaration des Droits de l’Homme est placée « sous les auspices de l’Être Suprême ».</p>
<p>En 2002, le <a href="http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/laicite/enseignements-faits-religieux/lenseignement-du-fait-religieux-a-lecole-rapport-debray">rapport de Régis Debray</a> expliquait déjà les risques, pressions et dangers qui menaçaient l’école publique, les valeurs républicaines et la société du vivre ensemble, qui semble devenir celle du côte à côte et du face à face.</p>
<p>Cette laïcité mérite une mobilisation, un rassemblement et une action. Plus de neutralité molle. Une dynamique. De Chrétiens, de Juifs, de Musulmans, de Boudhistes, d’Orthodoxes, d’Agnostiques, d’Athées. De Laïques, de Républicain·e·s, de Citoyen·e·s.</p>
<p>Il est plus que temps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Bauer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le combat pour la laïcité a suivi un chemin long et tortueux à travers l’histoire.Alain Bauer, Professeur de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1472912020-10-12T18:37:06Z2020-10-12T18:37:06ZÉglise : la délicate intégration des prêtres « venus d’ailleurs »<p>Historiquement considérée comme pourvoyeur de missionnaires pour l’Afrique, la France est devenue grand demandeur des prêtres appelés <em>fidei donum</em>, c’est-à-dire des missionnaires envoyés par leur diocèse pour une durée déterminée afin d’aider une Église qui est en situation de pénurie de prêtres.</p>
<p>En raison de la crise des vocations, ces prêtres venus d’Afrique sont de plus en plus nombreux à entrer en France chaque année. Selon les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/les-pretres-venus-d-ailleurs-un-espoir-et-un-probleme-pour-l-eglise-de-france-17-04-2014-1813866_23.php">chiffres de l’Église</a>, ils étaient 916 en 2014, soit plus de la moitié de l’ensemble des 1 620 prêtres étrangers, ou « venus d’ailleurs » pour reprendre la terminologie de l’Église.</p>
<p>Comme tout expatrié, ces missionnaires africains, principalement ceux de l’Afrique francophone, sont confrontés à un certain nombre de difficultés de type culturel, professionnel, etc. S’ils peuvent être rapprochés d’expatriés d’entreprise, la nature de leur travail les singularise. Être prêtre, c’est être professionnellement engagé 24 heures sur 24. Vie professionnelle et vie privée sont étroitement entremêlées.</p>
<h2>Des messes moins animées</h2>
<p>Pour autant, cet engagement dans une communauté chrétienne qui se définit comme catholique universelle devrait faciliter leur intégration et ne les confronter qu’à des difficultés d’ordre climatique et culturel. Or, plusieurs <a href="https://journals.openedition.org/assr/17503">travaux</a> montrent qu’en France et dans d’autres pays, les difficultés rencontrées par ces prêtres sont beaucoup plus importantes que cela.</p>
<p>Sans nier la véracité de ces résultats, il convient de noter que l’on sait peu de choses à l’heure actuelle sur la manière dont ces prêtres font face à ces difficultés. Pour mieux connaître les défis qu’ils rencontrent et leurs stratégies d’ajustement, nous en avons interrogé 40 d’entre eux, entre 2018 et 2020 en région parisienne, sous forme d’entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 30 minutes. Tous ont requis l’anonymat.</p>
<p>D’abord, au-delà des différences culinaires et vestimentaires, les prêtres missionnaires admettent leur surprise de trouver un contexte social et culturel radicalement différent de ce qu’ils imaginaient avant leur arrivée, à l’instar de ce missionnaire interrogé :</p>
<blockquote>
<p>« Ici en France j’ai appris à vivre comme un Français, je dois laisser ma soutane et m’habiller comme eux, je dois m’efforcer de parler comme eux en imitant leur accent, je dois m’adapter à leur alimentation, je dois m’acclimater au froid et à la neige. J’avoue que ce que nous entendions de la France depuis l’Afrique est bien différent de la réalité. »</p>
</blockquote>
<p>Quant aux différences dans leur activité, beaucoup soulignent le caractère triste des assemblées dominicales qui manquent de dynamisme. Comme le rappelle un missionnaire :</p>
<blockquote>
<p>« En Afrique, les cérémonies sont généralement dynamiques, vivantes parce que bien animées et parfois dansantes. Ici, ce n’est pas pareil. Non pas que c’est mal animé mais les cérémonies sont pour la plupart trop classiques et les gens sont heureux comme ça. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre l’explique par l’absence de la jeunesse dans les paroisses :</p>
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<p>« Le caractère parfois triste des cérémonies est dû au fait de l’absence flagrante des jeunes dans les églises de France. Ce sont en effet les jeunes qui font la force de nos paroisses en Afrique en intégrant dans les cérémonies les instruments de musique comme la batterie et les tambours et autres. »</p>
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<p>La mission des prêtres en paroisse de France semble en outre très limitée du fait de la place importante accordée aux fidèles laïcs. Un autre ajoute :</p>
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<p>« On n’a plus besoin de nous que pour célébrer la messe et donner les sacrements, le reste ils s’en chargent eux-mêmes. Même les cérémonies de baptême et de mariage sont réduites à leur strict minimum et ne doivent pas excéder 30 minutes, alors que ce sont les lieux de grandes fêtes en Afrique où la cérémonie peut durer deux heures. »</p>
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<p>Heureusement, face à ces difficultés, les prêtres expatriés expliquent pouvoir s’appuyer sur deux précieuses ressources pour s’adapter : leur formation et la communauté paroissiale.</p>
<h2>Précieux bénévoles</h2>
<p>Les missionnaires que nous avons interrogés sont nombreux à mettre en avant la qualité de leur formation, délivrée par les missionnaires français avant leur départ, comme un élément clé de leur adaptation à leur nouveau contexte. Comme en témoigne l’un d’entre eux :</p>
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<p>« Notre grande chance est que nous avons été formés par les missionnaires français venus en Afrique. Nous avons parfois le sentiment qu’ils nous ont formés d’abord pour venir faire fonctionner l’Église de France. »</p>
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<p>À cela s’ajoutent quelques mois d’expérience ou de stage en paroisse en Afrique qui permettent aux candidats de comprendre comment gérer une paroisse. Plusieurs ont bénéficié d’un complément de formation sous la forme plusieurs ministères exercés comme ceux de vicaire, curé ou aumônier. Là encore un atout précieux, selon un autre missionnaire :</p>
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<p>« Ces expériences me permettent de vite comprendre les problèmes que posent mes paroissiens. »</p>
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<p>La seconde ressource est le soutien des bénévoles en paroisse. Ces derniers répondent à leurs divers questionnements, souligne un missionnaire :</p>
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<p>« Nous ne pouvons rien faire sans ces bénévoles qui sont très utiles pour le fonctionnement de la paroisse. C’est parmi eux que nous nous faisons nos premiers amis pour bien comprendre la paroisse et la mentalité des paroissiens. »</p>
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<p>Un autre missionnaire témoigne aussi de cet appui précieux :</p>
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<p>« Je me suis vite renseigné sur les compétences socioprofessionnelles de mes collaborateurs pour savoir quel service je peux demander à chacun. »</p>
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<p>Il n’en reste pas moins que ces expatriés particuliers que sont les prêtres missionnaires africains vivent une intégration délicate. Cependant, grâce à leur formation en Afrique et au soutien des bénévoles dans les paroisses, ils disposent d'atouts précieux pour atteindre leur objectif : évangéliser les fidèles de France.</p>
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<p><em>Ce travail a bénéficié des résultats des travaux menés au sein des « ateliers thèses » de l’Observatoire « Action sociétale et action publique » (ASAP).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147291/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les missionnaires africains expatriés, qui seraient un millier en France, témoignent d’un choc culturel auquel ils ne s’attendaient pas.Isaac Houngué, Doctorant en science de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)François Grima, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Olivier Meier, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.