tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/homo-sapiens-21703/articlesHomo sapiens – The Conversation2023-12-27T16:27:10Ztag:theconversation.com,2011:article/2186302023-12-27T16:27:10Z2023-12-27T16:27:10ZPeut-on encore parler de « propre de l’homme » et comment se place Homo Sapiens parmi les autres espèces humaines ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567365/original/file-20231227-27-l12yif.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C5160%2C3445&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sommes-nous si différents des autres espèces humaines ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/homme-tenant-une-lance-peinture-murale-3IxuF9MCjkA">Crawford Jolly/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Parler du « propre de l’homme », voilà un sujet épineux lorsqu’il s’agit d’évoquer la grande histoire de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/humanite-46876">l’humanité</a> ! Une bonne approche pour se simplifier la tâche est de s’entendre sur le vocabulaire, en tout cas d’expliciter de quoi nous parlons. C’est primordial de donner un sens aux mots, car la terminologie utilisée par divers scientifiques pour classifier nos ancêtres et proches cousins n’est pas toujours la même.</p>
<p>Pour trouver le propre de l’humain (pour ne pas s’engager dans la problématique de la polysémie du mot homme ici) il faut à la fois rassembler des êtres actuels ou du passé dans un ensemble cohérent et reconnaître des particularités à ce groupe. Il s’agit donc de parler des différentes possibilités pour appeler un humain, humain, et de justifier pourquoi ! Remontons le temps et explorons la diversité des primates actuels à la recherche d’une définition qui fonctionnerait pour avancer sur la résolution de notre fameuse question.</p>
<h2>Primates, hominidés et homininés</h2>
<p>Première évidence, nous faisons partie du groupe des primates, nous humains d’aujourd’hui, au côté des chimpanzés ou gorilles, mais aussi des tarsiers, singes hurleurs ou ouistitis. Notre plus nette caractéristique commune est d’avoir un pouce opposable aux autres doigts, le premier peut venir pincer la dernière phalange des 4 autres. C’est unique, nous ne verrez jamais une vache ou votre chat faire de même.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quest-ce-qui-separe-vraiment-lhumain-de-lanimal-une-histoire-de-la-classification-zoologique-218204">Qu’est-ce qui sépare vraiment l’humain de l’animal ? Une histoire de la classification zoologique</a>
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<p>Pour la majorité des paléoanthropologues, le terme homininé réfère aux humains préhistoriques et actuels et aux chimpanzés, hominidé inclue en plus les autres grands singes actuels (gorilles et orangs-outans) et ancêtres communs à ce petit monde depuis une vingtaine de millions d’années. Les hominines comprennent le genre <em>Homo</em>, les Australopithèques, <a href="https://www.hominides.com/hominides/paranthropus-robustus/">Paranthropes</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ardipith%C3%A8que#:%7E:text=Ardipithecus%20(les%20ardipith%C3%A8ques)%20est%20un,signifie%20donc%20%C2%AB%20singe%20terrestre%20%C2%BB.">Ardipithèques</a> et autres <em>Orrorin</em> ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sahelanthropus_tchadensis"><em>Sahelanthropus</em></a> (des plus récents aux plus anciens, qui sont ainsi les tout premiers il y a 6 à 7 millions d’années).</p>
<p>Ces derniers partagent la bipédie et surtout tous les caractères anatomiques qui en découlent, crâne au-dessus de la colonne vertébrale, adaptation de cette dernière, etc. Pour une partie des chercheurs, le mot « humain » renvoie élégamment à ce dernier assemblage. L’adaptation à la bipédie serait un indicateur utile et plutôt clair de ce qui nous réunirait.</p>
<h2><em>Homo</em>, le sparadrap du paléoanthrolopologue</h2>
<p>Cette approche fonctionne, c’est un intérêt non négligeable. Car d’autres niveaux de classification posent plus de problèmes. Le genre <em>Homo</em> est un peu le sparadrap dérangeant du paléoanthropologue. Au départ, il avait été défini pour justifier l’apparition du premier artisan, à qui on offrait aussi capacités de langage et raisonnement, <em>Homo habilis</em>.</p>
<p><a href="https://www.nature.com/articles/202007a0">Cette proposition</a> au cœur des années 60, résiste mal à la multitude de découvertes effectuées depuis. D’un point de vue anatomique, les différences entre <em>habilis</em> et les espèces qui ont vécu avant lui ne sont pas flagrantes, alors que les espèces humaines qui lui succèdent sont par contre proportionnées comme les humains d’aujourd’hui. <em>Homo habilis</em> ressemble plus à un Australopithèque qu’à <em>Homo erectus</em> en somme.</p>
<p>Pour les capacités cognitives, rien de plus évident puisque nous savons maintenant que les <a href="https://www.nature.com/articles/nature14464">plus anciens outils en pierre</a> sont contemporains des Australopithèques. Ainsi, utiliser le mot humain pour parler de Homo nous met face à un problème. Ce genre est aujourd’hui mal défini anatomiquement, et pas vraiment justifié par des comportements particuliers.</p>
<p>Il serait impossible d’omettre dans cet inventaire Homo sapiens. Voici deux mots qui désignent des êtres vivants dont nous imaginons tout savoir, ou presque. Pas tout à fait en effet, car lorsqu’il s’agit de définir notre espèce, de décrire ce qui nous caractériserait, l’expérience est nettement plus ardue que prévu.</p>
<p>Homo sapiens est un animal, un mammifère, un primate, parmi d’autres ; un représentant du genre Homo aussi, tout en étant le dernier toujours existant, et, enfin, évidemment, le seul de l’espèce sapiens. Car, l’appellation <em>Homo sapiens sapiens</em> qui fut un temps utilisée ne doit plus l’être depuis que les Néandertaliens ont été classés comme une espèce différente, <em>Homo neanderthalensis</em> et non pas <em>Homo sapiens neanderthalensis</em>. ; le terme « Homme moderne » est aussi souvent employé bien qu’il n’ait pas de valeur scientifique. Très bien, mais qu’est ce qui nous définirait alors ?</p>
<p>Certains croient que nous sommes plus « intelligents », mais cela mérite largement discussion. Les outils ne sont pas notre apanage, aussi bien au cours de l’évolution, mais aussi puisque les grands singes actuels savent aussi utiliser ou fabriquer certains objets selon leurs besoins et ils connaissent les <a href="https://www.fondationbiodiversite.fr/des-chimpanzes-pharmaciens">vertus médicinales des plantes</a> qui les entourent.</p>
<h2>Sommes-nous la seule espèce à avoir su parler ?</h2>
<p>Homo sapiens, garant de la pensée et du savoir, n’a en fait probablement pas été le premier à mériter cette appellation. Depuis des centaines de milliers d’années, d’autres groupes fossiles parmi <em>Homo erectus</em> et <em>neanderthalensis</em> en particulier ont sélectionné des pierres pour leurs outils, parfois uniquement à des fins esthétiques. Ils conservaient aussi à l’occasion des curiosités de la nature, comme des fossiles ou de belles pierres, pour des raisons non utilitaires.</p>
<p>Si le langage articulé est un trait distinctif évident de l’humanité actuelle, son origine est difficile à dater, car ni le son ni les organes pour l’émettre ou le percevoir, comme la langue ou le cerveau, ne se fossilisent. Les indices à disposition, indirects, sont complexes à interpréter. Les ossements mis au jour, crâne, mandibule et os hyoïde (os situé au niveau de la gorge), sont utilisés pour reconstituer la forme et la position des de la gorge ou des organes internes de l’oreille.</p>
<p>Les humains préhistoriques depuis 2 millions d’années devaient avoir des capacités similaires aux nôtres d’après les reconstitutions 3D de ces parties anatomiques, au contraire des grands singes. Dans tous les cas, les données archéologiques suggèrent que nos prédécesseurs disposaient depuis longtemps d’un mode de communication complexe. Des activités telles que le façonnage d’outils élaborés, l’usage du feu et surtout les comportements symboliques impliquent des savoirs et des valeurs échangés et transmis.</p>
<p>Notre espèce n’a pas été non plus la seule à avoir établi des usages vis-à-vis des morts, puisque les Néandertaliens enterraient leurs défunts, signe de valeurs partagées, d’une marque de respect envers l’autre, peut-être de croyances dans l’au-delà. Ces exemples suffisent à montrer qu’Homo sapiens n’a pas été le seul à développer une conscience réfléchie. Ainsi, notre espèce ne se distingue que par quelques caractéristiques anatomiques (la plus marquante, et pourtant totalement inutile semble-t-il, est la présence d’un menton osseux sur la mandibule) et partage de nombreuses similarités physiques et comportementales avec d’autres êtres vivants et les autres espèces humaines préhistoriques. Bien qu’étant les derniers sur Terre, nous n’avons pas été uniques. Certains chercheurs emploient le mot humain pour référer uniquement à notre espèce, voire à ses représentants actuels. Cela ne nous facilite pas la tâche pour répondre à la question de départ et n’est pas justifié d’un point de vue scientifique.</p>
<p>En tant que paléoanthropologue, je suis convaincu que nous, humains d’aujourd’hui, ne sommes pas plus intelligents qu’un représentant de notre espèce qui vivait il y a 40 000 ans ou d’un de ses contemporains néandertaliens. Le niveau de capacité serait à mon avis du même ordre au regard des productions archéologiques et par comparaison avec ce que nous savons réellement faire individuellement. Notre impression de tant avoir de capacités est surtout lié à notre héritage. Écriture, imprimerie, Internet… sont autant d’étapes qui nous ont permis de constituer une base de connaissances toujours plus grande. Chacun d’entre nous n’est pas devenu plus malin, nous profitons du savoir de nos prédécesseurs et de nos contemporains. Cela nous amène d’ailleurs à identifier une particularité, celle d’être les premiers à étudier, à documenter, à chercher à comprendre tout ce qui nous entoure. Mais aussi à le détruire massivement, malheureusement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218630/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Balzeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nous sommes la dernière espèce vivante du genre Homo, mais pouvons-nous vraiment nous différencier de nos cousins, aujourd’hui disparus ?Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172382023-11-08T20:47:34Z2023-11-08T20:47:34ZLes cerveaux ne fossilisent pas, comment étudier ceux de nos ancêtres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558426/original/file-20231108-19-73suns.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C681%2C3735%2C2783&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le fossile original Cro-Magnon 1 et une image virtuelle montrant grâce à l'imagerie la moitié droite de l'endocrâne et la moitié gauche du crâne (le code couleur sur le crâne correspond à la variation d'épaisseur des os).</span> <span class="attribution"><span class="source"> Antoine Balzeau CNRS/MNHN</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Depuis que les fossiles humains sont étudiés, les chercheurs s’intéressent à ce qui se cache dans leur boite crânienne. Le cerveau en effet a son importance, puisqu’il est lié aux capacités cognitives. Pourtant, son étude est rendue difficile pour les humains du passé car le cerveau ne résiste pas aux épreuves du temps : nous n’avons jamais retrouvé d’encéphale fossile. Les tissus les plus mous ne sont en effet jamais conservés, au contraire des restes osseux qui se transforment lors de la fossilisation. Heureusement, le cerveau laisse sur la surface interne du crâne des empreintes que les scientifiques étudient pour discuter de l’évolution du cerveau humain. Pour ce faire, nous tombons parfois sur un moulage interne naturel formé par du sédiment (c’est le cas par exemple pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1002/ajpa.21184">l’australopithèque de Taung</a>).</p>
<p>Depuis le milieu du XIX<sup>e</sup> siècle, des techniques de moulage sont aussi utilisées pour obtenir un objet en 3D de la surface endocrânienne. Enfin, depuis quelques dizaines d’années, nous utilisons des méthodes d’imagerie de plus en plus performantes pour reconstituer en 3D virtuelle ce volume, qui peut ensuite être imprimé physiquement par prototypage. Au Muséum national d’histoire naturelle, nous disposons de micro-tomographes qui nous permettent <a href="https://antoinebalzeau.jimdofree.com/recherche/imagerie-s/">d’obtenir des images scanners de très haute résolution</a> à partir desquelles nous reconstruisons toutes les structures cachées dans les fossiles, dont l’endocrâne.</p>
<p>C’est ainsi que nous pouvons observer les fins détails de la surface interne du crâne et tenter d’interpréter les caractéristiques du cerveau qu’ils reflètent. En effet les empreintes visibles pourraient correspondre aux circonvolutions sillonnant la surface du cerveau et marquant les limites entre les différentes régions cérébrales. L’objectif est de situer où se trouvent les grandes parties du cerveau, comme les lobes frontaux, pariétaux, temporaux ou occipitaux. Il s’agit aussi de localiser des zones spécifiques impliquées dans le comportement, et si possible de les observer les mesurer.</p>
<h2>Les crânes fossiles nous renseignent-ils sur le cerveau ?</h2>
<p>Mais les chercheurs s’interrogent sur la fiabilité de leurs déterminations et sur le lien réel entre endocrâne et cerveau. Jamais encore il n’avait été possible de vérifier si ce qui est observé sur l’endocrâne correspond précisément aux sillons visibles sur le cerveau.</p>
<p>Nous nous sommes ainsi <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/joa.13966">pour ce travail</a> publié aujourd’hui posé quelques questions fondamentales et avons tenté d’y répondre. Les empreintes qui tapissent l’intérieur d’une boite crânienne peuvent-elles révéler avec fiabilité l’anatomie du cerveau qu’elle contient ? L’étude des crânes fossiles peut-elle ainsi nous éclairer sur certaines capacités de nos ancêtres ? Autrement dit, une « paléoneurologie » fiable est-elle possible ?</p>
<p>Pour les besoins de cette étude, réalisée dans le cadre du projet ANR PaleoBRAIN, nous avons combiné les compétences de chercheurs de différents domaines. Nous avons utilisé des données IRM particulières obtenues sur un volontaire. Ces acquisitions ont été effectuées à l’Institut du Cerveau (ICM). L’originalité est que nous disposions ainsi de plusieurs séquences d’imagerie différentes, dont une classique pour reconstruction le cerveau, mais aussi une autre moins fréquemment usitée qui permet d’imager l’os. C’est grâce à cette dernière que nous avons reconstitué l’endocrâne de notre volontaire, pour lequel nous avions donc aussi des données précises pour son cerveau.</p>
<p>Grâce à des outils informatiques développés dans le domaine des neurosciences par l’équipe Baobab du centre de recherche Neurospin, nous avons pu effectuer des analyses comparatives des modèles d’endocrâne et de cerveau.</p>
<h2>14 experts testés</h2>
<p>Enfin et surtout, le cœur de l’étude a été de mettre à l’épreuve 14 experts internationaux de domaines variés étudiant l’évolution du cerveau (paléontologues, neurologues et primatologues) et travaillant régulièrement sur les endocrânes. Nous leur avons demandé à partir de l’image de l’endocrâne de positionner les principaux sillons qu’ils ont l’habitude d’observer lors de leur recherche. Puisque nous disposions non seulement de la forme de l’endocrâne mais aussi de celle du cerveau, nous pouvions ensuite vérifier la précision des déterminations effectuées à l’aveugle. </p>
<p>Ainsi, la correspondance réelle entre les positions des sillons du cerveau et les marques visibles sur l’endocrâne était disponible, alors que les experts travaillaient « à l’aveugle », comme ils sont contraints de le faire sur les endocrânes fossiles. La participation d’autant de spécialistes est très positive et illustre combien nous cherchons à améliorer la qualité de nos recherches, puisqu’en participant nous prenions le risque de constater que ce qui nous décrivions n’était pas juste !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558414/original/file-20231108-27-x5vjj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les observations réalisées par les 14 experts, qui montrent de nombreuses différences d’interprétation, ont pu être comparées à la réalité. Ce test révèle les limites actuelles de la méthode et ouvre des pistes pour augmenter sa fiabilité..</span>
<span class="attribution"><span class="source">Antoine Balzeau CNRS et MNHN</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les résultats révèlent quelques surprises, et heureusement ouvrent de belles pistes pour le futur des recherches sur l’évolution du cerveau humain. De nettes différences ont été observées entre les identifications proposées par les experts et les sillons du cerveau réel. Certaines marques, correctement repérées, ont notamment été associées à un mauvais sillon. Ce résultat illustre qu’essayer de reconstruire un sillon cérébral suivant la forme/position générale connue dans la documentation scientifique ou à partir d’un individu moyen induit un biais lorsque l’on regarde un endocrâne et tente de suivre les marques qui y sont observées. En effet, la morphologie du cerveau est extrêmement variable, celle de l’endocrâne l’est donc aussi !</p>
<p>Nous observons aussi que l’identification des sillons est meilleure dans la partie inférieure de l’endocrâne que dans la partie supérieure. Ceci est lié au mode de formation du crâne et du cerveau durant notre croissance. L’un et l’autre grandissent en parallèle, influant sur leur morphologie respective. De par notre position verticale, debout, le contact entre le cerveau et le crâne est plus rapproché vers le bas de notre tête que vers le haut, ou cerveau et crâne sont séparés par un espace un peu plus grand.</p>
<p>Certains résultats concernant des traits anatomiques spécifiques ont des implications sur des sujets débattus en paléoanthropologie et devront être analysés sur plus d’individus par la suite. En effet, le sillon central qui sépare les lobes frontaux et pariétaux n’a pas été bien localisé par la plupart des scientifiques.</p>
<h2>Mieux lire le cerveau de nos ancêtres préhistoriques</h2>
<p>D’où l’importance de ce projet que nous poursuivons sur de très nombreux volontaires. L’objectif sera de caractériser la position réelle des principaux sillons sur des endocrânes, puisque nous disposons aussi des cerveaux correspondants. Il sera aussi possible de clarifier ce que nous pouvons observer avec précision sur un endocrâne.</p>
<p>Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives. La description endocrânienne des spécimens fossiles devra à l’avenir prendre en compte la variation de position et de forme des sillons en plus d’utiliser des modèles de forme moyenne du cerveau. De plus, il ressort clairement de la présente étude que les chercheurs peuvent percevoir les empreintes des sillons avec une précision raisonnablement élevée, mais leur identification et leur attribution correctes restent un défi, en particulier lorsqu’il s’agit d’espèces disparues pour lesquelles nous manquons de connaissance directe du cerveau. Il nous reste donc beaucoup de travail à faire pour savoir bien lire le cerveau de nos ancêtres préhistoriques.</p>
<p><a href="https://paleobrain.jimdofree.com/">La prochaine étape</a>, que nous sommes en train de réaliser, va être d’étudier le détail de la relation entre l’endocrâne et le cerveau sur de nombreux individus. Cela va nous permettre de savoir ou se situent les principaux sillons sur un endocrâne, quelles parties de ces empreintes nous pouvons espérer observer avec précision, ce qui nous permettra enfin de mieux décrypter les traits présents sur les endocrânes de spécimens fossiles à partir d’informations objectives, solides et justes.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-20-CE27-0009">PaleoBRAIN</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217238/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Balzeau a reçu des financements de l'ANR (ANR-20-CE27-0009). </span></em></p>Les tissus mous du cerveau ne fossilisent pas, il est donc nécessaire d’extrapoler pour obtenir des informations sur l’organe de nos ancêtres. Le fait-on correctement ?Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163802023-10-26T08:42:09Z2023-10-26T08:42:09Z« Le propre de l’Homme » existe-t-il vraiment en éthologie ?<p>« Le propre de l’Homme ». Voilà une expression qui inspire moult réflexions et débats. À chaque époque et chaque culture d’apporter ses éléments de réponse, plus ou moins influencés par les courants religieux et philosophiques qui y prévalent. Il y a 2 400 ans, le philosophe grec Aristote avançait que l’homme était le seul animal à disposer d’une <a href="https://filosofiadoinicio.com/fr/lame-selon-aristote/">« âme intellective »</a>, lui permettant de penser et de comprendre, alors que les autres espèces se limiteraient à appréhender leur environnement et à se déplacer <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2003-3-page-65.htm">pour satisfaire leurs besoins</a>.</p>
<p>Puis l’Homme a été considéré comme l’aboutissement d’un travail divin, conçu à l’image de son créateur, et donc exclu du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethologie-24270">règne animal</a>. La théorie de l’évolution de Charles Darwin a <a href="http://darwin-online.org.uk/converted/pdf/1861_OriginNY_F382.pdf">lourdement impacté les réflexions</a> : l’intelligence animale (et les comportements qu’elle rend possibles) ne peut être organisée de manière linéaire. Car à l’instar de l’évolution biologique des espèces, <a href="https://theconversation.com/est-il-pertinent-de-hierarchiser-les-especes-animales-90577">celle de l’intelligence est « buissonnante »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Rire n’est plus le propre de l’Homme</h2>
<p><em>Homo sapiens</em> n’est donc pas l’aboutissement d’un long processus évolutif ni la plus haute branche de l’arbre. Juste une espèce parmi d’autres. Les travaux des éthologues, dont un échantillon peut être retrouvé dans <a href="https://www.delachauxetniestle.com/livre/un-tanguy-chez-les-hyenes">mon premier ouvrage, <em>Un Tanguy chez les hyènes</em></a>, appuient tous les jours cette affirmation, à l’aide de recherches menées sur les primates, mais aussi sur les poissons, reptiles, insectes ou encore amphibiens. Depuis l’avènement de leur discipline, au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, ces scientifiques brisent, les unes après les autres, les barrières que nous avons couramment dressées entre l’Homme et les autres espèces animales.</p>
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<p>À l’instar d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avec-philosophie/la-physique-aristotelicienne-les-animaux-le-monde-et-nous-1547019">Aristote</a> ou de <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/gargantua-francois-rabelais/9782020300322">François Rabelais</a>, nombreux sont ceux qui considéraient le rire comme un comportement propre à notre espèce. Aujourd’hui cependant, on sait que les <a href="https://www.mnhn.fr/fr/le-rire-est-il-vraiment-le-propre-de-l-homme">primates rient de bon cœur</a>, mais peuvent également rire en réponse à l’hilarité d’un congénère, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21355640/">pour se montrer à leur avantage auprès de celui-ci</a>.</p>
<h2>La transmission des savoirs et l’apprentissage</h2>
<p>Destiné à la formation des enseignants, l’ouvrage <a href="https://www.lamartine.fr/livre/9782804176266-l-enseignement-explicite-la-gestion-des-apprentissages-clermont-gauthier/">« L’enseignement explicite – La gestion des apprentissages »</a> (De Boeck, 2013) souligne pour sa part que : « Deux aptitudes semblent propres à l’humain et le distinguent de ses cousins primates. La première est la propension à transmettre et la seconde, la capacité à apprendre à partir de ces enseignements ». </p>
<p>Pourtant, les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16840701/">suricates inculquent aux plus jeunes les rudiments de la chasse</a> : sous les regards attentifs, l’enseignant attrape un scorpion puis le relâche, afin de laisser aux novices l’occasion de s’exercer à la capture, tout en corrigeant leurs mouvements si nécessaire. Une fois cette compétence acquise, les plus expérimentés apprennent à extraire le dard de l’arachnide sans se faire pincer, avant de le placer en bouche.</p>
<p>Les êtres humains seraient les seuls à prendre part à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16262930/">« des activités collaboratives impliquant des objectifs partagés et des intentions communes »</a>. Cette affirmation de neuroscientifiques allemands est au moins infirmée par des observations sur des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/mms.12906">orques</a> et des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26192594">chimpanzés</a>, démontrant la coordination dont font preuve ces animaux lors de leurs parties de chasse (aux baleines et aux colobes, respectivement). Un rôle est attribué à chaque individu (bloqueur, chasseur, embusqué, meneur…), qui doit ensuite coordonner ses actions avec celles du groupe et anticiper continuellement les mouvements tant des proies que des partenaires de chasse. Des techniques nécessitant des années d’observation et de pratique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-animaux-peuvent-ils-avoir-une-culture-167860">Les animaux peuvent-ils avoir une culture ?</a>
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<h2>La fausse piste du langage</h2>
<p>René Descartes au XVII<sup>e</sup> siècle, affirmait que seul l’Homme <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86069594.r=.langEN">utilise un langage pour communiquer ses pensées</a>. Une idée non partagée par Charles Darwin qui, deux siècles plus tard, <a href="https://www.loc.gov/item/06017473/">soulignait que</a>:</p>
<blockquote>
<p>« l’Homme n’est pas le seul animal qui puisse exprimer ce qui se passe dans son esprit, et comprendre plus ou moins ce qui est dit par un autre. » </p>
</blockquote>
<p>La question du langage comme spécificité humaine est récurrente. Au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, le prix Nobel Karl von Frische nous éclairait sur les systèmes complexes de communication des abeilles, qui utilisent leurs cinq sens pour se transmettre de l’information lors de leurs danses de recrutement de butineuses.</p>
<p>Mais selon Hélène Bouchet, Camille Coye et Alban Lemasson, le langage humain serait rendu unique par ses propriétés de <a href="https://www.tetralogiques.fr/IMG/pdf/tetralogiques_21_numero_complet.pdf">générativité, de récursivité, sa fonction symbolique et ses capacités de déplacement</a>. Si, sur base des connaissances actuelles, il n’est pas aisé de les contredire, on doit admettre que les recherches progressent rapidement et mettent en lumière certaines de ces caractéristiques linguistiques chez les primates non-humains. On sait aujourd’hui que les chimpanzés disposent de plusieurs dizaines de cris différents, <a href="https://www.nature.com/articles/s42003-022-03350-8">qu’ils combinent de manière prévisible en suivant des règles de contigüité précises</a>, sortes de règles grammaticales, afin de générer des centaines de séquences différentes.</p>
<h2>Repenser notre singularité humaine</h2>
<p>Ces quelques exemples ont valeur d’illustration. Nous aurions pu aborder le système de <a href="https://www.researchgate.net/publication/233822970_Food_Sharing_in_Vampire_Bats">« sécurité sociale »</a> mis en place par les vampires d’Azara, du <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1439-0310.1988.tb00707.x">« vote démocratique »</a> des cygnes chanteurs, des <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-020-01314-x">principes d’agriculture</a> appliqués par les fourmis champignonnistes, des <a href="https://www.nature.com/articles/srep02106">expressions artistiques</a> des poissons-globes, de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2610150/">l’homoparentalité</a> des albatros de Laysan, du <a href="https://academic.oup.com/jmammal/article/97/5/1428/2219069">deuil</a> des orques, des <a href="https://www.nature.com/articles/ncomms2781">gestes intentionnels</a> des mérous, des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31847765/">conflits récurrents</a> entre communautés voisines de suricates, des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/17790854/">stratégies de séduction</a> des insectes Hylobittacus, des <a href="https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1890/13-0927.1">soins parentaux</a> prodigués par les grenouilles des fraises ou encore des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982221017322">gestes d’empathie</a> des chimpanzés.</p>
<p>Autant de comportements que l’on attribue à tort à l’espèce humaine, et autant de résultats scientifiques qui nous poussent à repenser notre singularité. L’ensemble de ces comportements, et bien d’autres, ont été rassemblés et décrits dans mon second livre, <a href="https://www.delachauxetniestle.com/livre/la-cigale-et-le-zombie">« La Cigale et le Zombie : ces comportements que l’on pensait propres à l’Homme »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Verheggen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’est-ce qui rend notre espèce humaine unique au sein du royaume du vivant ? Des travaux scientifiques récents montrent que la frontière entre l’humain et le non-humain est bien plus fine qu’on le penseFrançois Verheggen, Professeur d'éthologie, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161952023-10-23T16:24:19Z2023-10-23T16:24:19ZHomo sapiens : comment deux crânes réécrivent l’histoire de son apparition en Europe –
Nouvelle recherche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555352/original/file-20231023-21-v0px95.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C10%2C1823%2C941&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Localisation des sites Buran Kaya III (1), Zlatý Kůň (2), Fournol (3), Serinyà (4), Krems-Wachtberg (5) et Věstonice (6) dont les génomes ont été analysés dans l’étude. Sont montré aussi un fragment de crâne analysé et une des perles percées découvertes avec les fragments d’os du site de Buran Kaya III ainsi que les statuettes des vénus de Věstonice, Willendorf et la Dame de Brassempouy (de droite à gauche)</span> <span class="attribution"><span class="source">E-M. Geigl</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Comment notre espèce, <em>Homo sapiens</em>, est-elle arrivée jusqu’en Europe de l’Ouest ? Notre nouvelle étude, basée sur l’analyse génétique de deux morceaux de crânes, datant de 37 000 et 36 000 ans, démontre que nos ancêtres sont issus d’Europe de l’Est et ont migré vers l’ouest. Ces deux individus sont issus d’un métissage avec les Néanderthaliens et avec les tous premiers <em>Homo sapiens</em> européens arrivés il y a environ 45 000 ans que l’on pensait éteints suite à une catastrophe climatique majeure.</p>
<p>Nous avons réussi à déchiffrer ces génomes à partir de vestiges osseux trouvés en Crimée, un défi technique puisque l’ADN était très mal préservé. Leur analyse nous a permis de générer un modèle large et actualisé des mouvements, interactions et remplacements de populations durant le peuplement de l’Europe pendant le Paléolithique supérieur (période entre environ -40 000 et -12 000 ans caractérisée par l’expansion des humains anatomiquement modernes à travers le monde). <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-023-02211-9">Nos résultats viennent d’être publiés</a> dans la revue <em>Nature Ecology & Evolution</em> et montrent que ces individus sont les plus anciens représentants des Européens de l’Ouest s’étant implantés durablement en Europe et ayant laissé des traces dans les génomes des Européens actuels.</p>
<p>De petits fragments de deux crânes provenant d’un site archéologique en Crimée, Buran Kaya III, et datés d’environ -37 000 et -36 000 ans, côtoyant des outils lithiques et des perles percées en ivoire de mammouth, témoignent de la présence d’humains anatomiquement modernes en Europe de l’Est. Ce site a été fouillé sous la direction d’Alexandr Yanevich de l’Académie des sciences de l’Ukraine à Kiev et les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0020834">fragments d’os analysés ont été trouvés en 2009</a>. Grâce à une collaboration entre notre équipe et des archéologues français et ukrainiens, nous avons pu mettre en place un protocole de prélèvement respectant des précautions particulières qui évitent les contaminations par de l’ADN humain actuel. Ces précautions ont permis l’analyse de l’ADN ancien dans ces bouts d’os.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555326/original/file-20231023-29-gkr3o5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">(A) Perle percée en ivoire de mammouth découverte dans la couche du (B) fragment d’os analysé dans l’étude actuelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Crépin/E.-M. Geigl</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ces individus se sont installés à cet endroit après une période glaciaire entre -40 000 et -38 000 ans qui a été accompagnée par <a href="https://www.nature.com/articles/srep45940">l’éruption d’un super-volcan</a> dans la région des Champs Phlégréens près de Naples et qui a couvert de cendres l’Europe du sud-est et de l’est.</p>
<p>Ces événements ont déclenché une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0065839">véritable crise écologique</a> qui aurait fait disparaître aussi bien les dernières populations néanderthaliennes que les premières populations d’humains <em>sapiens</em> associés au Paléolithique supérieur initial. Ces dernières étaient les descendants des populations d’<em>Homo sapiens</em> venus d’Afrique il y a environ 60 000 et qui ont laissé des <a href="https://academic.oup.com/gbe/article/14/4/evac045/6563828">vestiges archéologiques en Europe</a> à partir d’environ 45 000 ans, possiblement même avant.</p>
<p>Au niveau archéologique, c’est la période de la transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur car l’industrie lithique des derniers Néanderthaliens est remplacée par celle des premiers <em>H. sapiens</em>. Leurs restes de squelettes sont rares, mais on en connaît quelques sites archéologiques, par exemple en République tchèque, en Roumanie et en Bulgarie dont les génomes ont pu être déchiffrés en partie. Les Européens actuels ne portent <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03335-3">pas de traces des génomes</a> de ces premiers Européens <em>sapiens</em>, contrairement aux populations humaines ayant vécu en Europe après la crise écologique de -40 000 ans dont quelques génomes ont été séquencés.</p>
<h2>Des <em>Homo sapiens</em> issus de métissages</h2>
<p>Bien que les informations génomiques obtenues à partir des deux fragments de crâne du site de Buran Kaya III soient fragmentaires, nous avons pu analyser 740 000 variations génétiques partagées avec les génomes d’autres individus anciens, un nombre suffisant pour détecter leurs affinités et leurs ascendances partagées.</p>
<p>Notre analyse paléogénomique de ces deux fragments, séparés d’environ 700 ans, a mis en évidence que ces individus faisaient partie de la deuxième vague du peuplement d’Europe par <em>H. sapiens</em>, la vague qui s’est produite après cette crise écologique, et qu’ils sont parmi les plus anciens ancêtres des Européens. Tous les deux sont des descendants d’un métissage lointain avec les Néanderthaliens. Notre étude a aussi montré que l’individu plus récent portait des traces d’un métissage avec des individus de la première vague de peuplement qu’on croyait exterminés par la période glaciaire de -40 000 ans, représenté par l’individu de Zlatý Kůň (-45 000 ans). Nous avons donc pu conclure que le remplacement des premiers <em>H. sapiens</em> n’était pas total et qu’il a dû y avoir des survivants de la crise écologique.</p>
<p>Les génomes des individus de Buran Kaya III ont aussi révélé un lien génétique avec les populations du Caucase, contemporaines et beaucoup plus tardives, en accord avec des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S004724842030169X">similitudes identifiées par les archéologues</a> entre les outils lithiques trouvés au sud du Caucase et ceux trouvés à Buran Kaya III à la même période. Ce lien indique la directionnalité de la migration des ancêtres de Buran Kaya III en Europe : du Moyen-Orient via le Caucase vers le territoire de l’Ukraine actuelle.</p>
<h2>Des liens avec des fossiles retrouvés en France</h2>
<p>Le lien génétique le plus fort a été identifié entre les génomes des individus de Buran Kaya III et ceux de France du Sud-ouest (Fournol -29 000 ans) et d’Espagne du nord-est (Serinyà -27 000 ans) et, dans une moindre mesure, ceux d’Autriche (Krems-Wachtberg -30 500 ans) et de République tchèque (Věstonice -31 000 ans) ayant vécu 5 000 à 7 000 ans plus tard. Ces individus proches des individus de Buran Kaya III faisaient partie de la population associée au Gravettien classique qui a produit les statuettes féminines en ivoire connues sous le nom de « vénus gravettiennes » qu’on trouve aussi bien en France qu’en Allemagne, en Autriche et en République tchèque (les vénus « impudique » et de Lespugue en France, la vénus de Věstonice en République tchèque ou encore la vénus de Willendorf en Autriche). La célèbre « Dame de Brassempouy » originaire du département français des Landes a été sculptée à cette époque.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Dame de Brassempouy ou Dame à la capuche." src="https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555355/original/file-20231023-23-m1ej3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dame de Brassempouy ou Dame à la capuche.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Gilles Berizzi/Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Ce lien génétique entre les individus de Buran Kaya III et les individus associés à la culture gravettienne suggère que les individus de Buran Kaya III étaient des ancêtres des individus associés au Gravettien et pratiquaient déjà une culture qu’on peut qualifier comme proto-gravettienne. Cette affinité génétique indique que les populations correspondantes ont diffusé de l’est vers l’ouest. Les outils lithiques produits par les individus de Crimée ont été attribué par les archéologues ukrainiens, en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552114000879">particulier Alexandr Yanevich</a> : au complexe gravettien, mais cette attribution a été rejetée par d’autres archéologues, surtout à cause de leur date précoce et leur localisation à l’est, loin de la culture classique « Gravettienne » qui a été produite en Europe centrale et de l’ouest entre -34 000 et -26 000 ans, donc 5 000 à 7 000 ans plus tard et 3 000 km plus à l’est. Nos résultats génétiques donnent raison aux archéologues ukrainiens : les individus de Buran Kaya III étaient les ancêtres des Européens de l’Ouest, producteurs de la culture gravettienne et artistes des célèbres vénus gravettiennes.</p>
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<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/ProjetIA-17-EURE-0013">« Génétique et epigénétique nouvelle ecole »</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eva-Maria Geigl a reçu des financements de CNRS, EUR G.E.N.E. (ANR-17-EURE-0013 ; IdEx #ANR-18-IDEX-0001 l'Université de Paris ; Programme d’Investissements d’Avenir) </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thierry Grange a reçu des financements de Fondation pour la Recherche Médicale (DGE20111123014), Région Ile-de-France (11015901), CNRS, EUR G.E.N.E. (ANR-17-EURE-0013 ; IdEx #ANR-18-IDEX-0001 l'Université de Paris ; Programme d’Investissements d’Avenir)</span></em></p>L’analyse génétique de deux fragments de crânes datant de près de 40 000 ans démontre que notre espèce a colonisé l’Europe depuis l’est et s’est métissée avec nos cousins néandertaliens.Eva-Maria Geigl, Directrice de recherche CNRS, Université Paris CitéThierry Grange, Directeur Scientifique Adjoint CNRS INSB Génétique Génomique Bioinformatique, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044742023-05-03T18:07:23Z2023-05-03T18:07:23ZColonisation de l’Europe par Homo sapiens : une nouvelle étude rebat les cartes<p>L’annonce par mes équipes en 2022 de la <a href="https://theconversation.com/decouverte-des-plus-anciens-hommes-modernes-en-europe-et-ce-que-cela-change-de-ce-que-lon-pensait-de-ses-relations-avec-neandertal-176919">découverte d’installations <em>sapiens</em></a> datées d’il y a 54 000 ans, et reculant de 12 millénaires les premières migrations de ces populations sur le continent européen, laissait entendre que des éléments fondamentaux de la première colonisation de l’Europe nous avaient échappés.</p>
<p>Je publie ce mercredi 3 mai une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0277444">vaste étude</a> dans la revue scientifique <em>PlosOne</em> qui expose une réécriture profonde de ce moment clef de l’histoire européenne en démontrant que la colonisation de l’Europe par <em>sapiens</em> se serait établie suivant 3 grandes vagues de peuplements entre les 54<sup>e</sup> et 42<sup>e</sup> millénaires avant aujourd’hui.</p>
<p>La vague du 42<sup>e</sup> millénaire qui fut longtemps considérée comme la première vague de colonisation du continent ne serait en réalité… que la dernière… L’ultime pulsation d’un processus bien plus ancien reliant l’Europe depuis l’Orient méditerranéen et dont la compréhension nous aurait totalement échappé, impactant profondément nos conceptions de la colonisation de ce continent et l’histoire des populations aborigènes néandertaliennes dont l’extinction semble coïncider assez précisément avec la troisième vague <em>sapiens</em>, marquant la fin d’un processus très long, s’étalant sur plus de 12 millénaires, et dont nous ne commençons qu’à entrevoir les grandes inflexions historiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Représentation des trois vagues de migration de <em>sapiens</em> vers l’Europe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>La première vague</h2>
<p>Jusqu’en 2022 <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-021-01443-x">il semblait établi</a> que les premières migrations <em>sapiens</em> vers l’Europe s’établissaient entre 45 et 42 000 ans, s’installant sur des territoires occupés exclusivement, et depuis des centaines de millénaires, par Néandertal. Mais <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496">notre article de 2022</a> révélait la présence de <em>sapiens</em> dès le 54<sup>e</sup> millénaire. </p>
<p>L’étude présentait l’analyse de neuf dents découvertes dans la Grotte Mandrin en vallée du Rhône, démontrant que toutes ces dents étaient néandertaliennes, mais que l’étonnante culture du Néronien, fondée sur l’obtention systématique de petites pointes de silex étonnamment standardisées devait être associée à des <em>sapiens</em> archaïques. J’avais reconnu ces traditions du Néronien dès 2004, notant leur caractère remarquablement moderne du point de vue des techniques, mais sans pouvoir alors en analyser l’origine précise ni qui de Néandertal ou <em>sapiens</em> pouvait en être l’auteur.</p>
<p>L’étude de 2022 relevait aussi de puissantes connexions dans les traditions artisanales entre ces populations <em>sapiens</em> du Néronien de la vallée du Rhône et l’<em>Initial Upper Paleolithic</em> (IUP, littéralement le Paléolithique Supérieur Initial) reconnu dans le Levant méditerranéen (Moyen-Orient).</p>
<p>Après un séjour d’étude de plusieurs mois sur Harvard en 2016 j’avais été confronté à ces fameuses collections de l’IUP de l’Est de la méditerranée. J’y étudiais l’immense séquence archéologique de Ksar Akil localisée sur les flancs du mont Liban qui, avec ses 22 mètres d’enregistrements archéologiques, représente l’enregistrement le plus complet d’Eurasie quant à la question des derniers néandertaliens et des premiers <em>sapiens</em>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dégagement des niveaux archéologiques à la Grotte Mandrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Confronté aux artisanats <em>sapiens</em> je découvrais avec stupéfaction leurs similarités techniques vis-à-vis de mon Néronien. Ma confrontation avec les traditions techniques de ces <em>sapiens</em> orientaux n’offrait qu’une conclusion possible ; le Néronien et l’IUP levantin représentent une unique tradition technique, marquant ici une avancée <em>sapiens</em> très ancienne vers l’Europe occidentale.</p>
<p><a href="https://www.researchgate.net/publication/329876131_For_a_cultural_anthropology_of_the_last_Neanderthals">Je publiais</a> cette conclusion dès mon retour de Harvard, en 2017 et 2019, cinq années avant que nous ne publions l’analyse de ces fameuses neuf dents découvertes à la Grotte Mandrin, mais surtout deux années avant que Clément Zanolli (chercheur CNRS UMR PACEA) n’ait la première de ces dents entre ses mains pour analyse. <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496">Les conclusions</a> de l’anthropologie physique établies par ce chercheur rejoignaient alors, de manière totalement indépendante, celles de l’analyse comparée des systèmes techniques suivant le principe d’une analyse en double aveugle.</p>
<p>Cette proposition d’une présence <em>sapiens</em> très ancienne reposait ainsi à la fois sur la découverte remarquable de dents humaines anciennes, et sur une approche structurale, globale, croisant l’analyse des traditions artisanales néandertaliennes et <em>sapiens</em> à des études comparées transméditerranéennes.</p>
<p>Nous avons donc ici la première vague <em>sapiens</em> vers l’Europe, montrant l’existence de migrations anciennes qui atteignent l’ouest du continent dès le 54<sup>e</sup> millénaire.</p>
<h2>La troisième vague</h2>
<p>La troisième vague est reconnue depuis plusieurs décennies. Elle était jusqu’à peu considérée comme la première grande vague <em>sapiens</em> vers l’Europe. Nous sommes désormais quelque part autour du 42<sup>e</sup> millénaire. Cette vague concerne les traditions dites aurignaciennes dont les plus anciennes expressions sont communément distinguées sous l’appellation de Protoaurignacien.</p>
<p>Leur attribution ne repose à nouveau que sur une poignée de dents humaines mais le rattachement de ces traditions de l’Aurignacien à <em>sapiens</em> ne fait ici aussi guère de doute ces industries connaissant, comme pour le Néronien, des équivalents très précis dans le Levant méditerranéen où ces ensembles sont individualisés sous l’appellation d’Ahmarien ancien. Dans ce jeu de corrélations entre Orient et Occident les impressionnants enregistrements archéologiques de Ksar Akil jouent à nouveau un rôle important.</p>
<p>Lors de mes recherches sur Harvard au Peabody Museum en 2016 j’étudiais l’ensemble de ces collections. À nouveau, stupéfaction. Les corrélations établies depuis une vingtaine d’années entre Orient et Occident, entre Protoaurignacien et Ahmarien ancien de Ksar Akil, étaient clairement erronées.</p>
<p>Ces connexions avaient été établies principalement sur des bases bibliographiques et avec peu de retours directs sur ces collections. Ce que je voyais à Ksar Akil ne ressemblait en rien au Protoaurignacien européen. Toutefois, à Ksar Akil, un Protoaurignacien très classique pouvait effectivement être reconnu mais dans des niveaux archéologiques bien plus récents que ceux envisagés jusqu’alors par notre communauté scientifique. Bien. Admettons. Nous n’aurions ici qu’un recadrage des connexions pressenties entre Europe et Levant.</p>
<p>Mais quelque chose de bien plus intéressant se dessinait. À Ksar Akil, entre l’Initial Upper Paleolithic, le Néronien levantin donc, et l’équivalent du Protoaurignacien, il y a quelque chose. Ce ne sont pas moins de 8 niveaux archéologiques qui séparent l’IUP (ma première vague) de Ksar Akil des éléments archéologiques correspondant à ma troisième vague. Dans cette séquence archéologique, des chronologies très fines sont rarement accessibles du fait d’une moindre qualité de préservation des vestiges osseux dans ces régions climatiquement chaudes, mais ces huit niveaux archéologiques ont ici tout lieu de concerner une temporalité de plusieurs millénaires.</p>
<p>Et ces collections-là nous offrent un regard inattendu sur ce qui semble bien correspondre aux traditions culturelles d’une seconde vague <em>sapiens</em> vers le continent européen.</p>
<h2>La deuxième vague</h2>
<p>À Ksar Akil, entre l’IUP et l’équivalent du Protoaurignacien, des milliers de silex nous montrent des artisanats fondés sur la production de « pointes à dos abattu ». Ces niveaux archéologiques levantins appelés Early Upper Paleolithic (EUP, littéralement Paléolithique Supérieur Ancien) de Ksar Akil, avec leurs pointes à dos abattu, évoquent techniquement, très précisément, et de manière remarquable, ce que nous appelons en Europe occidentale le Châtelperronien, des traditions bien attestées de la Bourgogne à l’Espagne et généralement attribuées… à Néandertal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Similarités des silex entre les sites de Mandrin et de Ksar Akil. Dessins Laure Metz et Ludovic Slimak.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le Châtelperronien est l’une de ces industries dites « de transition » qui marqueraient l’entrée dans la modernité des populations néandertaliennes, avec lames, lamelles et parures d’os ou d’ivoire. Mais les restes humains ici aussi sont rares et différents chercheurs ont déjà relevé que cette attribution néandertalienne était incertaine, sans pouvoir en explorer l’origine précise (<em>sapiens</em> ? populations métisses ?) et sans être en mesure d’établir des connexions techniques, géographiques ou culturelles précises entre le Châtelperronien et les traditions <em>sapiens</em> reconnues ailleurs en Eurasie.</p>
<p>La confrontation aux données levantines du gisement de Ksar Akil crée pour la première fois ce pont très précis entre Châtelperronien et <em>sapiens</em> replaçant ces industries dans un contexte culturel bien défini et propre aux populations <em>sapiens</em> de l’orient méditerranéen. La proximité entre le Châtelperronien européen et l’EUP de Ksar Akil permet finalement de proposer une origine culturelle et géographique bien circonscrite, et en rien néandertalienne, au Châtelperronien européen.</p>
<p>Nous avons ici, avec le Châtelperronien, notre deuxième vague <em>sapiens</em>.</p>
<h2>Repenser la structure des basculements d’humanité en Europe</h2>
<p>Cette distinction de trois vagues <em>sapiens</em> vers l’Europe affecte l’ensemble de nos cadres interprétatifs raffinés à travers le XX<sup>e</sup> siècle mais dont la structure historique assez simple (Néandertal, puis <em>sapiens</em> avec une phase supposée d’acculturation néandertalienne entre les deux) était restée inchangée dans son ossature depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cette étude de PlosOne montre aussi que sur le Levant ces 3 traditions artisanales levantines passent très progressivement, à travers les millénaires, de l’IUP à l’EUP et enfin à l’équivalent du Protoaurignacien, nous confrontant ici aux évolutions graduelles d’un même groupe culturel.</p>
<p>Les trois pulsations migratoires vers l’Europe représenteraient donc des mouvements de <em>sapiens</em> à partir d’un unique substrat culturel levantin.</p>
<p>Quant à Néandertal la proposition de réattribution du Châtelperronien à certaines populations <em>sapiens</em> dont les traditions sont bien définies et de racines levantines impacte profondément notre regard même sur l’organisation des sociétés néandertaliennes au moment de l’arrivée de <em>sapiens</em> en Europe. C’est ici aussi une réécriture profonde de nos schémas et de notre compréhension de ces populations humaines fossiles. Peut-être que, finalement, les néandertaliens disparurent sans ne jamais rien changer, fondamentalement, à ce que furent leurs manières ancestrales d’être au monde.</p>
<p>Nous vivons un moment enthousiasmant de remodelage profond des connaissances permettant non seulement de repenser des moments clefs de l’histoire de notre continent mais aussi, plus profondément, de nous confronter à ce que signifie être humain face à la longue histoire des humanités autres, et désormais éteintes.</p>
<hr>
<p><em><strong>Pour aller plus loin :</strong></em><br>
<em>● Ludovic Slimak, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/neandertal-nu_9782738157232.php">« Néandertal nu, comprendre la créature humaine »</a>, Odile Jacob, 2022.</em><br>
<em>● Ludovic Slimak, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/dernier-neandertalien_9782415004927.php">« Le dernier néandertalien, comprendre comment meurent les hommes »</a>, Odile Jacob, 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Slimak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La colonisation de l'Europe depuis l'Orient s'est faite en trois vagues. Ce que l'on pensait être la première était en réalité la dernière.Ludovic Slimak, Archéologue, penseur et chercheur au CNRS, Université de Toulouse III – Paul SabatierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2033732023-04-14T13:41:44Z2023-04-14T13:41:44ZBonobos et chimpanzés : ce que nos plus proches parents nous apprennent sur nous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/520929/original/file-20230413-26-m49nr3.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1917%2C1060&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les recherche sur les chimpanzés et les bonobos nous aident à comprendre quelles sont les aspects humains qui sont naturels et non conditionnés par la société.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les êtres humains sont un mélange intéressant d’altruisme et de compétition. </p>
<p>Parfois, nous travaillons en collaboration, mais à d’autres moments, nous luttons entre nous pour arriver à nos fins. Pour tenter d’expliquer ces tendances contradictoires, les scientifiques ont observé des chimpanzés et des bonobos.</p>
<p>Parmi les grands singes, les chimpanzés et les bonobos sont les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959437X16301162">plus proches de nous sur le plan génétique</a>, puisque nous partageons avec eux environ 98,7 % de notre ADN. Nous possédons un ancêtre commun, ainsi que des <a href="https://sunypress.edu/Books/E/Evolution-of-Human-Behavior2">attributs anatomiques, des hiérarchies sociales complexes et des compétences en matière de résolution de problèmes semblables</a>.</p>
<p>Les bonobos sont peut-être l’un de nos plus proches cousins, mais les chimpanzés sont davantage étudiés depuis que <a href="https://www.nature.com/articles/2011264a0">Jane Goodall a constaté</a>, dans les années 1960, qu’ils fabriquent et utilisent des outils. Cette découverte a marqué le début de l’utilisation de la recherche sur les chimpanzés pour comprendre quels sont les aspects humains qui sont naturels et non conditionnés par la société. Diverses caractéristiques humaines, telles que l’<a href="https://link.springer.com/article/10.1007/BF02382862">empathie</a>, l’<a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rsbl.2020.0370">esprit ludique</a> et le <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0010625">respect des aînés</a>, sont désormais considérées comme issues de notre ascendance commune avec les chimpanzés.</p>
<h2>Le chimpanzé agressif en nous</h2>
<p>Un aspect inquiétant attire aussi l’attention. Il arrive aux chimpanzés de péter les plombs et de s’attaquer dans le cadre d’agressions coordonnées. Dans son livre <a href="https://www.babelio.com/livres/Waal-La-Politique-du-chimpanze/437351">La politique du chimpanzé</a> (1982, pour l’édition originale en anglais), le Néerlandais Frans de Waal, spécialiste des primates, décrit de manière imagée comment Luit et Nikkie, deux jeunes chimpanzés mâles, se sont alliés pour supplanter Yeroen, le mâle alpha. Ils ont mordu et arraché les testicules de Yeroen, qui est mort au bout de son sang.</p>
<p>L’un des arguments avancés par les scientifiques est que les tendances belliqueuses sont ancrées en nous de la même manière qu’elles le sont chez les chimpanzés, ce qui remet en cause l’idée que les guerres <a href="https://www.scientificamerican.com/article/war-is-not-part-of-human-nature/">seraient un phénomène inventé par les humains</a>. Les chimpanzés peuvent également nous aider à comprendre les circonstances susceptibles d’engendrer une agression, notamment lorsqu’un des <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/abs/10.1098/rspb.2001.1926">groupes rivaux est en surnombre</a> ou lors de la <a href="https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1196/annals.1330.015">négociation des positions dans la hiérarchie</a>.</p>
<p>J. B. Mulcahy, co-directeur du Chimpanzee Sanctuary Northwest aux États-Unis, estime néanmoins que les agressions ne représentent <a href="https://chimpsnw.org/2023/02/conflict-and-reconciliation-2/">qu’une très petite part des activités quotidiennes</a> des chimpanzés. Il est possible que certains scientifiques aient trop mis l’accent sur ce trait de caractère. De plus en plus de recherches montrent que les chimpanzés peuvent faire preuve de <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1611826113">coopération</a>.</p>
<h2>Le doux bonobo</h2>
<p>Les bonobos, qui intéressaient peu les scientifiques autrefois, sont aujourd’hui considérés comme <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-017-00548-3">plus proches</a> des humains que les chimpanzés. Compte tenu de leur réputation d’animaux gentils, il s’agit d’une bonne nouvelle pour nous.</p>
<p>Contrairement aux groupes de chimpanzés dominés par les mâles, les bonobos vivent dans des communautés pacifiques dirigées par une femelle. D’ailleurs, les sociétés humaines <a href="https://networks.h-net.org/node/73374/announcements/7798769/warfare-and-peacemaking-among-matricultural-societies">sont souvent matriarcales</a> lorsqu’il y a peu de concurrence directe pour les ressources.</p>
<p>Dans les communautés de bonobos, les relations sexuelles jouent un rôle important dans le maintien des relations et la résolution des conflits. Ainsi, si la découverte de nourriture peut entraîner les chimpanzés dans une frénésie agressive, les bonobos adoptent plutôt une <a href="https://www.jstor.org/stable/24980375">approche harmonieuse</a> et se réunissent pour ce qui devient parfois un pique-nique polyamoureux. On les voit souvent s’adonner à des jeux sexuels et à du toilettage, ce qui peut rappeler l’amour libre dans la culture hippie. Bien que la femelle alpha soit généralement plus petite que les mâles, toutes les femelles se rassemblent autour d’elle pour chasser les mâles si ceux-ci deviennent agressifs.</p>
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<img alt="Deux chimpanzés bonobos s’étreignent dans la nature" src="https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519022/original/file-20230403-26-yv16rm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les bonobos sont connus pour leur nature pacifique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/bonobo-chimpanzees-hugging-wilderness-democratic-republic-2158575391">Wirestock Creators/Shutterstock</a></span>
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<p>Les bonobos sont aussi enclins au partage. Des expériences menées en 2010 à Lola ya Bonobo, un sanctuaire pour bonobos en République démocratique du Congo, ont montré que lorsque des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982209022015">bonobos se trouvent dans des pièces adjacentes</a> et que l’un d’entre eux reçoit de la nourriture, celui-ci préfère partager sa nourriture plutôt que de manger seul. On les a également vus offrir de la nourriture à des individus <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29619667/">n’appartenant pas à leur groupe</a>, peut-être <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0051922">pour se faire de nouveaux amis</a>. Il leur arrive aussi d’aider d’autres bonobos à obtenir de la nourriture, même <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0051922">s’ils ne pourront en manger</a>.</p>
<p>Les bonobos pourraient avoir une meilleure intelligence sociale que les chimpanzés. Dans le cadre d’expériences où l’on présentait à divers animaux des <a href="https://www.amazon.com/Survival-Friendliest-Understanding-Rediscovering-Humanity/dp/0399590668">gobelets renversés</a> sous lesquels on avait caché une friandise, les chimpanzés choisissaient les gobelets au hasard, mais les bonobos (et les chiens) se tournaient vers la personne qui dirigeait l’expérience pour savoir lequel était le bon. <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00429-018-1751-9">Les bonobos ont également des circuits cérébraux</a> qui paraissent davantage orientés vers le partage, la tolérance, la négociation et la coopération que les chimpanzés.</p>
<h2>Les humains ont intégré les traits des deux espèces</h2>
<p>Où se situent alors les humains ? Il semble que nous ayons intégré les traits des deux espèces, ce qui crée une tension entre nos penchants vers l’agression et vers l’harmonie. Notre propension au conflit rappelle la compétitivité des chimpanzés. Pourtant, les bonobos nous enseignent que nous sommes enclins à l’altruisme et que la société peut être organisée de manière plus pacifique. </p>
<p>Cet altruisme est à la base de la coopération à grande échelle qui a permis à l’Homo sapiens de diffuser des idées, de former des nations, d’explorer l’univers et de survivre à d’autres humains primitifs tels que l’Homo erectus.</p>
<p>Et si la notion d’une société fondée sur l’amour libre peut paraître un conte de fées utopique, il semble que nous nous ouvrions à d’autres pratiques sexuelles, comme la <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.03033/full">non-monogamie consensuelle</a>, dans un monde de plus en plus désabusé par rapport aux notions traditionnelles de genre et de structures relationnelles. La flexibilité du comportement humain constitue après tout la base de notre remarquable capacité d’adaptation. Il ne faut donc pas hésiter à explorer de nouvelles possibilités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203373/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jose Yong ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il semble que les humains ont intégré les traits des chimpanzés et des bonobos, ce qui crée une tension entre nos penchants vers l’agression et vers l’harmonie.Jose Yong, Assistant professor of Psychology, Northumbria University, NewcastleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003262023-02-22T19:16:46Z2023-02-22T19:16:46ZNouvelle découverte dans la vallée du Rhône : les Homo sapiens d’Europe tiraient déjà à l’arc il y a 54 000 ans<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511788/original/file-20230222-28-zmha9c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C6000%2C3422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pointes découvertes montées pour former des flèches.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a un an, en février 2022, notre équipe scientifique de la Grotte Mandrin, dans la Drôme, faisait paraître une étude dans <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496"><em>Science Advances</em></a> qui repoussait de 10 à 12 millénaires la plus ancienne preuve de l’arrivée des premiers <em>Homo sapiens</em> en Europe. Nous apprenions que les premiers Hommes modernes étaient arrivés sur le continent dès le 54<sup>e</sup> millénaire.</p>
<p>Nous présentons aujourd’hui dans une <a href="https://www.science.org/journal/sciadv">nouvelle étude</a> publiée dans la même revue, le fait que ces premiers hommes modernes maîtrisaient parfaitement l’archerie, repoussant l’origine de ces technologies remarquables en Eurasie de quelque 40 000 ans.</p>
<p>Perchée à 100 mètres sur les pentes des Préalpes, dans la Drôme, la Grotte Mandrin regarde vers le nord, au milieu de la vallée du Rhône. Il s’agit d’un point stratégique dans le paysage, car ici le Rhône s’écoule dans un goulet d’un kilomètre de large entre les Préalpes à l’est et le Massif central à l’ouest.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511670/original/file-20230222-20-rxucdc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue des fouilles en cours dans la Grotte Mandrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous avons découvert, dans un niveau archéologique daté de 54 000 ans, appelé « Néronien », quelque 1 500 petites pointes en silex, triangulaires et standardisées, certaines mesurant moins d’un centimètre de long. Cette industrie lithique est très particulière et se distingue techniquement très nettement des artisanats néandertaliens retrouvés dans cette grotte avant et après les vestiges abandonnés par <em>Homo sapiens</em>. En revanche, ces artisanats de silex du Néronien montrent des ressemblances frappantes avec des collections archéologiques contemporaines attribuées elles aussi à <em>Homo sapiens</em> et que l’on retrouve dans <a href="https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2022.10.28.514208v2">l’est de la Méditerranée</a>.</p>
<h2>Les traces d’archerie sont complexes à mettre en évidence</h2>
<p>L’émergence des armes à propulsion mécanique, fondées sur l’emploi de l’arc ou du propulseur, est communément perçue comme l’une des marques de l’avancée des populations modernes sur le continent européen.</p>
<p>Or l’existence de l’archerie a toujours été plus difficile à retracer. Ces technologies sont basées sur l’utilisation de matériaux périssables : bois, fibres, cuir, résines et tendons, qui sont rarement préservés dans les sites paléolithiques européens et rendent difficile la reconnaissance archéologique de ces technologies.</p>
<p>Il faut attendre des périodes très récentes, comprises entre le 10<sup>e</sup> et le 12<sup>e</sup> millénaire pour retrouver des éléments d’archerie partiellement préservés en Eurasie et retrouvés dans des sols gelés ou dans des tourbières, comme sur l <a href="http://paleosite.free.fr/arc/origines/stellmoor.htm">e site de Stellmoor</a> en Allemagne. En l’absence de ces matières périssables, ce sont les armatures, communément réalisées en silex, qui constituent les principaux témoins de ces technologies d’armement durant la préhistoire ancienne en Europe.</p>
<p>Sur la base de l’analyse de ces armatures de pierre, la reconnaissance de l’archerie est maintenant bien documentée en Afrique dans des périodes anciennes pouvant remonter à quelque <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379122003080">70 000 ans</a>. Certaines armatures en silex ou en bois de cerf suggèrent l’existence de l’archerie dès les premières phases du Paléolithique supérieur en Europe, il y a plus de 35 000 ans, mais leur morphologie et les modes d’emmanchement de ces armatures anciennes ne permettent pas de les rattacher à un mode de propulsion bien distinct tel que l’arc.</p>
<p>La reconnaissance de ces technologies dans le Paléolithique supérieur européen butait jusqu’alors sur des recouvrements balistiques entre armes projetées à l’aide d’un propulseur ou d’un arc. Ce contexte général rend l’existence éventuelle de l’archerie au Paléolithique européen quasiment invisible sur le plan archéologique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511684/original/file-20230222-805-647peo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Programme expérimental appelé Initiarc. Les petites pointes néroniennes trouvées dans la Grotte Mandrin ont été reproduites expérimentalement en utilisant le même silex et les mêmes technologies de taille.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces dernières recherches enrichissent profondément notre connaissance de ces technologies en Europe et nous permettent désormais de repousser l’âge de l’archerie en Europe de plus de 40 millénaires !</p>
<h2>De nombreux tests pour prouver l’utilisation d’arcs</h2>
<p>L’étude se fonde sur une analyse fonctionnelle de milliers de silex retrouvés dans ce niveau archéologique du Néronien. Les fractures et les traces observées démontrent que ces pointes légères étaient emmanchées en extrémité de fût (la partie en bois de la flèche). Les fractures observées sont caractéristiques d’un impact violent.</p>
<p>En reproduisant des répliques expérimentales de ces pointes tirées à l’arc, au propulseur, ou simplement plantées dans des carcasses d’animaux, nous avons pu observer au sein de nos expérimentations des types de fractures qui sont précisément les mêmes que celles retrouvées sur le mobilier archéologique.</p>
<p>Nous avons également testé l’efficacité et les limites balistiques des plus petites pointes dont toute une catégorie n’atteint pas un centimètre de longueur. Mais c’est la largeur de ces pointes légères qui nous intéressait ici. En archerie traditionnelle il existe en effet une corrélation entre la largeur de la pointe armant une flèche à l’extrémité de son fût et le diamètre même de son fût.</p>
<p>On constate ainsi expérimentalement qu’une flèche n’est pénétrante, et donc efficiente, que lorsque la flèche est armée en son extrémité d’une armature présentant, a minima, une largeur équivalente ou supérieure à celle son fût.</p>
<p>Près de 40 % des pointes légères abandonnées à la Grotte Mandrin par ces premiers Homo sapiens présentent une largeur maximale de 10 mm. Ces toutes petites pointes présentent de très nombreuses fractures qui n’ont pu se développer que lors d’impacts très violents. Ces fractures très caractéristiques, et que nous retrouvons sur nos petites pointes expérimentales tirées à l’arc, nous révèlent qu’elles n’ont pu se développer que sous la contrainte d’une très forte énergie affectant leur extrémité distale (le bout de la pointe…).</p>
<p>Ces traces, additionnées à la très faible dimension de ces pointes, et à leur très faible largeur ne peuvent être expérimentalement reproduites que lorsque ces objets sont associés à une propulsion à l’aide d’un arc, et cela à l’exclusion de tout autre mode de propulsion.</p>
<p>Nos expérimentations montrent que la faible énergie cinétique des armes les plus légères (dont environ 30 % ne pèsent guère plus de quelques grammes) ne peut, lorsqu’elles étaient emmanchées en bout de fût (la partie en bois de la flèche), être compensée que par l’arc, seul mode de propulsion mécanique à même de produire la vitesse nécessaire au développement de telles fractures sur des objets si légers.</p>
<p>C’est donc au croisement de très nombreux facteurs balistiques, analytiques et expérimentaux qu’il nous a été possible de démontrer que ces pointes si petites et si régulières avaient indubitablement été propulsées à l’aide d’un arc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=759&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=759&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=759&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=954&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=954&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511673/original/file-20230222-22-fj93hf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=954&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette pointe très légère trouvée dans la couche Néronienne de la Grotte Mandrin, datée de 54.000 ans, présente des traces microscopiques diagnostiques de son utilisation comme arme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laure Metz et Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Grâce à cette étude, l’archerie en Europe, et plus largement en Eurasie, fait un saut remarquable dans le temps. Mais notre étude va beaucoup plus loin encore et s’est aussi intéressée aux armements des populations néandertaliennes contemporaines. Ces recherches montrent en effet que les néandertaliens continuèrent à utiliser leurs armes traditionnelles fondées sur l’emploi de pointes massives montées en lance qui étaient plantées ou projetées à la main. L’archerie, et plus généralement les propulsions mécaniques, furent exclusivement employées par Homo sapiens qui maîtrisait déjà parfaitement ces technologies lors de sa première migration vers l’Europe continentale il y a 54 millénaires.</p>
<p>Les traditions et les technologies maîtrisées par ces deux populations étaient donc profondément distinctes, conférant, objectivement, un avantage technologique remarquable aux populations modernes lors de leurs expansions sur le continent européen.</p>
<p>Toutefois, nous replaçons dans notre article ce débat dans un contexte beaucoup plus large dans lequel les stratégies des sociétés humaines ne peuvent se limiter aux seuls avantages logistiques ou technologiques d’une innovation. Les sociétés humaines développent communément des solutions sous-optimales, contre-intuitives et dont les seules raisons relèvent de la culture, du mythe ou de la représentation que ces sociétés se font d’elle-même. Cette étude qui demanda plus de 15 années de recherches et d’expérimentations nous renvoie alors au poids des traditions au sein de ces populations ainsi qu’aux éthologies humaines qui purent être profondément divergentes entre néandertaliens et hommes modernes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une toute nouvelle étude montre qu’Homo sapiens maîtrisait déjà le tir à l’arc il y a plus de 50 000 ans, grâce à des fouilles archéologiques dans la Grotte Mandrin.Laure Metz, Archéologue et chercheuse en anthropologie, Aix-Marseille Université (AMU)Jason E. Lewis, Lecturer of Anthropology and Assistant Director of the Turkana Basin Institute, Stony Brook University (The State University of New York)Ludovic Slimak, CNRS Permanent Member, Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988252023-02-02T19:01:00Z2023-02-02T19:01:00ZDepuis quand les humains ont-ils de si gros cerveaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/507196/original/file-20230130-14099-cv7kfp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C12%2C2035%2C1520&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le crâne de Selam, Australopithecus afarensis.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/baggis/3557813569">Travis, Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Les fossiles nous racontent ce que les êtres humains et nos prédécesseurs faisaient il y a des centaines de milliers d’années. Mais certaines étapes importantes du cycle de la vie, comme la grossesse ou la gestation, ne laissent aucune trace dans les archives fossiles. Comment les étudier ?</p>
<p>Une des caractéristiques de notre espèce est d’avoir des cerveaux de taille importante par rapport à la taille totale du corps, ce qui rend la grossesse particulièrement intéressante pour les paléoanthropologues. Mais alors que les <a href="https://theconversation.com/pourquoi-laccouchement-humain-est-il-beaucoup-plus-difficile-que-celui-de-nos-cousins-les-grands-singes-183059">crânes imposants d’<em>Homo sapiens</em> contribuent aux difficultés de l’accouchement</a>, ce sont les cerveaux logés à l’intérieur qui ont permis à notre espèce de prendre son envol.</p>
<p>Mes collègues et moi voulons comprendre le développement du cerveau de nos ancêtres avant la naissance : était-il comparable à celui des fœtus aujourd’hui ? En étudiant quand la croissance prénatale et la grossesse sont devenues « humaines », on comprend mieux quand et comment le cerveau de nos ancêtres est devenu plus similaire au nôtre qu’à ceux de nos proches cousins les singes.</p>
<p>Nous avons étudié l’évolution des taux de croissance prénatale en regardant le développement <em>in utero</em> des dents, qui, elles, fossilisent. Grâce à un <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2200689119">modèle mathématique</a> des longueurs relatives des molaires, construit pour l’occasion, nous pouvons suivre les changements évolutifs des taux de croissance prénatale dans les archives fossiles.</p>
<p>D’après notre modèle, il semblerait que la grossesse et la croissance prénatale soient devenues plus proches de l’humain que du chimpanzé il y a près d’un million d’années.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Silhouette de femme enceinte contre un coucher de soleil sur un paysage" src="https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505651/original/file-20230120-26-idfswj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La grossesse et l’accouchement comportent de nombreux risques pour le parent et le bébé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/silhouette-pregnant-woman-standing-on-field-against-royalty-free-image/1082494338">Jimy Lindner/EyeEm via Getty Images</a></span>
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<h2>La gestation et la taille du cerveau humain</h2>
<p>La <a href="https://doi.org/10.1002/(SICI)1520-6505(1998)6:2%3C54::AID-EVAN3%3E3.0.CO;2-W">grossesse et la gestation sont des périodes importantes</a> – elles guident la croissance ultérieure et orientent le cours biologique de la vie.</p>
<p>Mais la grossesse humaine, en particulier le travail et l’accouchement, <a href="https://doi.org/10.1152/physiologyonline.1996.11.4.149">coûte beaucoup d’énergie</a> et est souvent dangereuse. Le cerveau du fœtus a besoin de beaucoup de nutriments pendant son développement et le taux de croissance de l’embryon pendant la gestation, également appelé « taux de croissance prénatale », impose un lourd tribut métabolique et physiologique au parent en gestation. De plus, le <a href="https://doi.org/10.1002/ajpa.1330350605">passage délicat de la tête et des épaules du nourrisson</a> à travers le canal pelvien pendant l’accouchement peut entraîner la mort, tant de la mère que de l’enfant.</p>
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<p>En contrepartie de ces inconvénients évolutifs, il faut une très bonne raison d’avoir une tête aussi grosse. Le gros cerveau caractéristique de l’espèce humaine s’accompagne de <a href="https://doi.org/10.1016/j.jhevol.2009.04.009">nombreuses capacités cognitives</a>, et l’<a href="https://doi.org/10.1098/rstb.2012.0115">évolution du cerveau</a> a contribué à la domination de notre espèce : elle est notamment associée à une utilisation accrue d’outils, à la création d’œuvres d’art et à la capacité de survivre dans des environnements variés.</p>
<p>L’évolution de nos cerveaux est aussi entremêlée avec nos capacités à trouver et exploiter davantage de ressources, avec des outils et en <a href="https://doi.org/10.1086/667623">coopérant</a> par exemple.</p>
<p>Les changements dans la croissance prénatale nous renseignent également sur les façons dont les parents rassemblaient les ressources alimentaires et les distribuaient à leur progéniture. Ces ressources croissantes auraient contribué à l’évolution d’un cerveau encore plus gros. En comprenant mieux à quel moment la croissance prénatale et la grossesse sont devenues « humaines », on peut savoir quand et comment notre cerveau a évolué lui aussi.</p>
<p>L’homme a le <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2200689119">taux de croissance prénatale le plus élevé</a> de tous les primates vivant aujourd’hui, soit 11,58 grammes par jour. Les gorilles, par exemple, ont une taille adulte beaucoup plus grande que celle des humains, mais leur taux de croissance prénatale n’est que de 8,16 grammes par jour. Étant donné que <a href="https://carta.anthropogeny.org/moca/topics/proportion-pre-and-postnatal-brain-growth">plus d’un quart de la croissance du cerveau humain</a> s’effectue pendant la gestation, le taux de croissance prénatale est directement lié à la taille du cerveau adulte.</p>
<p>Quand et comment le taux de croissance prénatale de <em>Homo sapiens</em> a évolué est resté un mystère jusqu’à présent.</p>
<h2>Ce que les dents révèlent de la croissance prénatale</h2>
<p>Les chercheurs étudient depuis des siècles les restes de squelettes fossilisés, mais malheureusement, les cerveaux ne fossilisent pas – et encore moins la gestation et le taux de croissance prénatale.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="échographie d’un bébé in utero" src="https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=623&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505250/original/file-20230118-20-a40toc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=783&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le cerveau en développement d’un être humain en gestation à 26 semaines.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tesla Monson</span></span>
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<p>Mes collègues et moi réfléchissons à la façon dont les dents se développent, très tôt dans l’utérus. Les dents permanentes commencent à se développer bien avant la naissance, vers 20 semaines de gestation. L’émail des dents est <a href="https://doi.org/10.1016/j.crpv.2016.10.006">inorganique à plus de 95 %</a>, et la majorité des fossiles de vertébrés est constituée de dents ou en possède.</p>
<p>Partant de ce constat, nous avons décidé d’étudier la relation entre le taux de croissance prénatale, la taille du cerveau et la longueur des dents.</p>
<p>Nous avons mesuré les dents de 608 primates contemporains provenant de collections de squelettes du monde entier et les avons comparées aux taux de croissance prénatale calculés à partir de la durée moyenne de gestation et de la masse à la naissance pour chaque espèce. Comme indicateur de la taille du cerveau, nous utilisons le volume endocrânien (l’espace à l’intérieur du crâne).</p>
<p>Nous avons constaté que le <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.2200689119">taux de croissance prénatale</a> présente une corrélation significative avec la taille du cerveau adulte et la longueur relative des dents chez les singes et les grands singes.</p>
<p>Cette relation statistique a permis de générer une équation mathématique qui prédit le taux de croissance prénatale à partir de la taille des dents. Avec cette équation, nous pouvons prendre quelques dents molaires d’une espèce fossile éteinte et reconstituer exactement la vitesse de croissance de leur progéniture pendant la gestation.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="alt" src="https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=276&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505479/original/file-20230119-5264-t8y9ql.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En utilisant la nouvelle équation, les chercheurs ont découvert que les taux de croissance prénatale ont augmenté au cours des millions d’années d’évolution des humains et des hominidés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tesla Monson</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>En utilisant cette nouvelle méthode, nous avons pu reconstituer les taux de croissance prénatale pour treize espèces fossiles, construisant ainsi une chronologie des changements survenus au cours des six derniers millions d’années d’évolution des humains et des hominidés (le terme « hominidé » désigne toutes les espèces, <em>Australopithecus</em> entre autres, appartenant à la lignée « humaine » depuis sa séparation avec celle des chimpanzés, il y a environ 6 à 8 millions d’années).</p>
<p>Grâce à ces recherches, nous savons maintenant que le taux de croissance prénatale a augmenté tout au long de l’évolution des hominidés, pour atteindre il y a moins d’un million d’années un taux semblable à celui des humains – qui dépasse celui observé chez tous les autres singes.</p>
<p>Un taux de croissance prénatale totalement similaire à celui des humains est apparu seulement avec l’évolution de notre espèce <em>Homo sapiens</em>, il y a 200 000 ans environ. Mais d’autres espèces d’hominidés vivant au cours des 200 000 dernières années, comme les Néandertaliens, avaient également des taux de croissance prénatale du même ordre de grandeur.</p>
<p>Il reste à déterminer quels gènes ont été impliqués dans ces changements de taux de croissance.</p>
<h2>Les dents révèlent d’autres secrets</h2>
<p>Avec seulement <a href="https://doi.org/10.1002/1096-8644(200103)114:3%3C192::AID-AJPA1020%3E3.0.CO;2-Q">quelques dents et une partie de la mâchoire</a>, un expert chevronné peut en <a href="http://www.annualreviews.org/doi/full/10.1146/annurev-an-42">apprendre beaucoup sur un individu disparu</a> : de quelle espèce il s’agissait, ce qu’il mangeait, s’il se battait pour obtenir des partenaires, à quel âge il est mort, s’il avait des problèmes de santé, et bien plus encore.</p>
<p>Nous pouvons maintenant ajouter à cette liste le fait de savoir à quoi ressemblaient la grossesse et la gestation pour cette espèce. Les dents pourraient aussi refléter indirectement l’émergence de la conscience humaine, via l’évolution de la taille du cerveau.</p>
<p>Le modèle suggère que les taux de croissance prénatale ont commencé à augmenter bien avant l’émergence de notre espèce, <em>Homo sapiens</em>. On peut supposer qu’un taux de croissance prénatale rapide a été nécessaire à l’apparition d’un cerveau imposant et à l’évolution de la conscience et des capacités cognitives humaines.</p>
<p>Voilà le genre de questions que nos recherches nous permettent dorénavant de formuler… à partir de quelques dents.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ces recherches ont été financées par des bourses attribuées aux collaborateurs de Tesla Monson par la Washington Research Foundation et la John Templeton Foundation. Une grande partie de la collecte de données sur les primates a été financée par la National Science Foundation, Division of Behavioral and Cognitive Sciences, via les bourses 0500179, 0616308 et 0130277.</span></em></p>Le cerveau se développait-il aussi rapidement pendant la grossesse chez nos ancêtres que chez l’espèce humaine ? De nouveaux indices fossiles et in utero.Tesla Monson, Assistant Professor of Anthropology, Western Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980392023-01-26T13:56:30Z2023-01-26T13:56:30ZL’humain n’est pas fait pour vivre dans le froid. Voici comment il s’est adapté – et fort bien !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506200/original/file-20230124-14-m9zcbj.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C0%2C4898%2C3262&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">CP</span> </figcaption></figure><p>L’être humain est une espèce tropicale. Nous avons vécu dans des climats chauds pendant la majeure partie de notre évolution, ce qui pourrait expliquer pourquoi nous sommes nombreux à passer en rêvant à l’été.</p>
<p>Toutes les espèces de singes habitent des régions tropicales. Les plus anciens fossiles connus de la lignée humaine (homininés) proviennent <a href="https://www.researchgate.net/publication/242882028_erratum_A_new_hominid_from_the_Upper_Miocene_of_Chad_Central_Africa">d’Afrique centrale</a> et <a href="https://afanporsaber.com/wp-content/uploads/2017/08/First-hominid-from-the-Miocene-Lukeino-Formation-Kenya.pdf">orientale</a>. Les homininés qui se sont déplacés vers le nord, sous des latitudes plus élevées, ont rencontré des températures glaciales, des jours plus courts qui réduisaient le temps pour chercher de la nourriture, de la neige qui rendait la <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/688579">chasse plus difficile</a> et un vent glacial qui <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/8889744/">accentuait la perte de chaleur</a> de leur corps.</p>
<p>Compte tenu de sa capacité limitée d’adaptation au froid, comment se fait-il que notre espèce soit devenue dominante, non seulement dans les régions chaudes de nos ancêtres, mais aussi partout sur la planète ? La réponse réside dans notre habileté à développer des solutions culturelles complexes pour relever les défis de la vie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme se réchauffe les mains avec un chat à côté d’un chauffage électrique" src="https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C32%2C5426%2C3590&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503268/original/file-20230105-16-nc2xj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreux humains redoutent le froid de l’hiver.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/using-heater-home-winter-woman-warming-1254492208">Mariia Boiko/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Les premiers signes de la présence d’homininés en Europe du Nord ont été découverts à <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0088329">Happisburgh, dans le Norfolk</a>, dans l’est de l’Angleterre. Il s’agit d’empreintes de pas et d’outils en pierre vieux de 900 000 ans. À cette époque, Happisburgh était une région de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379118306863">forêts de conifères aux hivers froids</a>, comme le sud de la Scandinavie aujourd’hui. Il existe peu de preuves que les homininés de Happisburgh sont restés longtemps sur le site, ce qui laisse penser qu’ils n’ont pas eu le temps de s’y adapter physiquement.</p>
<p>La façon dont ces homininés ont survécu aux conditions difficiles si différentes de celles de leurs terres ancestrales d’Afrique demeure un mystère. Il n’y a pas de grottes dans la région ni de traces d’abris. Les artefacts de Happisburgh sont simples et ne témoignent d’aucune technologie complexe.</p>
<p>Les preuves de <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1018116108">l’utilisation de feux de camp</a> à cette époque sont controversées. Les outils permettant de confectionner des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S004724841830085X">vêtements ajustés et résistants aux intempéries</a> n’apparaissent en Europe occidentale que près de 850 000 ans plus tard. De nombreux animaux migrent pour éviter le froid saisonnier, mais les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1040618211005957">homininés de Happisburgh</a> auraient dû parcourir environ 800 km vers le sud pour un réel changement de climat.</p>
<p>Il est difficile d’imaginer que les homininés ont pu survivre aux hivers du Norfolk sans feu ni vêtements chauds. Pourtant, le fait qu’ils ont vécu <a href="https://www.researchgate.net/publication/349378194_Robert_Hosfield_2020_The_earliest_Europeans_a_year_in_the_life_seasonal_survival_strategies_in_the_Lower_Palaeolithic_Oxford_Oxbow_9781785707612_paperback_2499">si loin au nord</a> signifie qu’ils ont dû trouver un moyen de survivre au froid, alors qui sait ce que les archéologues découvriront à l’avenir.</p>
<h2>Les chasseurs de Boxgrove</h2>
<p>Les sites de peuplement plus récents, comme celui de Boxgrove dans le West Sussex, dans le sud de l’Angleterre, offrent davantage d’indices sur la façon dont nos ancêtres ont survécu aux climats nordiques. Le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248498902159">site de Boxgrove</a> date d’il y a près de 500 000 ans, une des périodes les plus froides de l’histoire de l’humanité.</p>
<p>De nombreuses preuves, comme des marques de coupure sur des os ou une omoplate de cheval qu’on pense avoir été percée par une lance en bois, attestent que ces homininés <a href="https://www.researchgate.net/publication/344449964_The_Horse_Butchery_Site_A_High_Resolution_Record_of_Lower_Palaeolithic_Hominin_Behaviour_at_Boxgrove_UK_Spoil_Heap_Monograph">chassaient des animaux</a>. Ces découvertes concordent avec les études menées sur des chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui, qui montrent que les habitants des régions froides <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21745624/">dépendent davantage des proies animales</a> que leurs semblables des régions chaudes. La viande contient les calories et les graisses nécessaires pour affronter le froid.</p>
<p>Un tibia d’homininé fossilisé trouvé à Boxgrove est plus robuste que celui des humains actuels, ce qui suggère qu’il appartenait à un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248499902956">homininé grand et trapu</a>. Un <a href="https://www.digitale-sammlungen.de/en/view/bsb10306637?page=,1">corps volumineux</a> avec des <a href="http://people.wku.edu/charles.smith/biogeog/ALLE1877.htm">membres relativement courts</a> réduit la perte de chaleur en minimisant la surface.</p>
<p>La meilleure silhouette pour éviter la perte de chaleur étant une sphère, les animaux et les humains des climats froids se rapprochent le plus possible de cette forme. Nous avons également des <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.1018116108">preuves</a> de l’existence de feux de camp à cette époque.</p>
<h2>Spécialistes des climats froids</h2>
<p>Les Néandertaliens, qui vivaient en Eurasie il y a environ 400 000 à 40 000 ans, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/%28SICI%291096-8644%28199710%29104%3A2%3C245%3A%3AAID-AJPA10%3E3.0.CO%3B2-%23">habitaient des climats glaciaires</a>. Par rapport à leurs ancêtres d’Afrique et à nous, ils avaient des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1002/ajpa.1330370605">membres courts et forts</a>, et des corps larges et musclés adaptés à la production et à la conservation de la chaleur.</p>
<p>Pourtant, le visage proéminent et le nez large et saillant des néandertaliens sont à l’opposé de ce que l’on pourrait imaginer être adapté à une période glaciaire. Comme les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379117308211">macaques japonais</a> vivant dans des régions froides et les <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2006.3629">rats de laboratoire</a> élevés dans des conditions froides, les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248417300921">humains des climats froids</a> ont généralement un nez relativement haut et étroit et des pommettes larges et plates.</p>
<p>La <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2018.0085">modélisation informatique</a> des squelettes anciens nous indique que le nez de l’humain de Neandertal était plus efficace que celui de ses ancêtres des climats chauds pour conserver la chaleur et l’humidité. Il semble que la structure interne soit aussi importante que la taille globale du nez.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un bœuf musqué debout dans la neige" src="https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503266/original/file-20230105-14-yxyovj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le bœuf musqué était bien adapté aux climats froids.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/muskox-looking-your-eyes-standing-snow-1079290970">Fitawoman/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Même avec leur physique adapté au froid, les Néandertaliens avaient gardé des caractéristiques de leurs ancêtres tropicaux. Ainsi, ils n’avaient pas <a href="https://www.academia.edu/4570677/Parasitic_lice_help_to_fill_in_the_gaps_of_early_hominid_history">l’épaisse fourrure</a> des autres mammifères de l’Europe glaciaire, comme le rhinocéros laineux ou le bœuf musqué. Ils ont plutôt développé une culture complexe.</p>
<p>On possède des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/evan.21894">preuves archéologiques</a> que les Néandertaliens confectionnaient des vêtements et des abris avec des peaux d’animaux. Des traces de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3021051/">cuisson</a> et de l’utilisation du feu pour préparer de la <a href="https://pure.tudelft.nl/ws/portalfiles/portal/82720614/Kozowyk2020_Article_UnderstandingPreservationAndId.pdf">colle à base d’écorce</a> de bouleau pour fabriquer des outils montrent que l’humain de Neandertal avait une excellente maîtrise du feu.</p>
<p>Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552120300832">archéologues affirment</a>, même si c’est controversé, que les ossements de Néandertaliens trouvés sur le site de Sima de los Huesos, dans le nord de l’Espagne, vieux de 400 000 ans, présentent des lésions causées par le ralentissement de leur métabolisme pour hiberner. Selon les chercheurs, ces os montrent des cycles de croissance interrompue et de guérison.</p>
<p>Seules quelques espèces de primates hibernent, comme certains lémuriens du Madagascar et le galago moholi, ainsi que le <a href="https://rdcu.be/c3hVi">loris paresseux pygmée</a> du nord du Vietnam.</p>
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<img alt="Un petit galago moohli se nourrissant de résine d’arbre lors d’un safari de nuit en Afrique du Sud" src="https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503267/original/file-20230105-24-zrjt92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le galago moohli est l’un des rares primates qui hibernent.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/lesser-bushbaby-seen-feeding-on-tree-1892296174">Rudi Hulshof/Shutterstock</a></span>
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<p>Cela pourrait nous inciter à croire que les humains auraient la possibilité d’hiberner. Mais la plupart des espèces qui hibernent ont un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/brv.12137">petit corps</a>, à quelques exceptions près, comme les ours. Les humains sont peut-être trop grands pour hiberner.</p>
<h2>Capacité d’adaptation</h2>
<p>Les plus anciens fossiles de la lignée <em>Homo sapiens</em> datent d’il y a 300 000 ans, <a href="https://www.nature.com/articles/nature22335">au Maroc</a>. Nous ne sommes sortis d’Afrique qu’<a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03244-5">il y a environ 60 000 ans</a>, pour ensuite coloniser toutes les régions du globe. Nous sommes donc relativement nouveaux dans la plupart des habitats où nous nous trouvons aujourd’hui. Au cours des milliers d’années qui se sont écoulées depuis, les personnes des régions froides se sont adaptées biologiquement à leur environnement, mais pas parfaitement.</p>
<p>Un exemple bien connu de cette adaptation est que dans les régions peu ensoleillées, <em>Homo sapiens</em> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10896812/">a développé des teintes de peau claires,</a> qui permettent de mieux synthétiser la vitamine D. Les génomes des Inuits du Groenland montrent une adaptation physiologique à un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26383953/">régime marin riche en graisses</a>, bénéfique dans le froid. Des preuves plus directes proviennent de l’ADN d’un cheveu conservé dans le pergélisol au Groenland. Ce cheveu vieux de 4 000 ans laisse entrevoir des <a href="https://www.nature.com/articles/nature08835">modifications génétiques</a> qui ont conduit à une forme corporelle trapue maximisant la production et la rétention de chaleur, à l’instar de l’homininé de Boxgrove dont nous n’avons qu’un seul tibia.</p>
<p>Notre héritage tropical fait en sorte que nous sommes toujours incapables de vivre dans des lieux froids sans concevoir des moyens pour affronter ce climat. Il suffit de penser au <a href="https://www.jstor.org/stable/26974873">parka traditionnel des Inuits</a>, qui offre une meilleure isolation que l’uniforme d’hiver de l’armée canadienne moderne.</p>
<p>Notre capacité d’adaptation comportementale a été <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-018-0394-4">déterminante pour notre succès évolutif</a>. Si <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-019-47202-8">on le compare aux autres primates</a>, l’humain fait montre d’une moindre adaptation physique au climat. L’adaptation comportementale est plus rapide et plus flexible que l’adaptation biologique. Les êtres humains sont des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11303338/">champions de l’adaptation</a>, ce qui leur permet d’habiter presque toutes les niches écologiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198039/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Vous n’aimez pas l’hiver ? La réponse se trouve peut-être dans notre évolution.Laura Buck, Senior Lecturer in Evolutionary Anthropology, Liverpool John Moores UniversityKyoko Yamaguchi, Senior Lecturer in Human Genetics, Liverpool John Moores UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1959532023-01-09T20:28:25Z2023-01-09T20:28:25ZÀ qui appartiennent ces empreintes de pieds vieilles de 300 000 ans ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503629/original/file-20230109-9349-y8ec3q.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C2354%2C1569&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photographie du site archéologique au pied de la falaise d'Asperillo en Espagne où ont été trouvées les empreintes.</span> <span class="attribution"><span class="source">E. Mayoral</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Au cours de leurs recherches sur l’évolution humaine, les paléoanthropologues se concentrent généralement sur des restes osseux fossilisés. Toutefois, un autre type de vestige est de plus en plus utilisé : les empreintes de pieds laissées par nos ancêtres et conservées à travers le temps. À la différence des restes osseux, les empreintes ouvrent une fenêtre sur de brefs moments de vie d’individus disparus. Par cette échelle temporelle très particulière, leur étude fournit de nombreuses informations inédites sur les comportements locomoteurs mais aussi la composition de groupes ayant vécu il y a des centaines de milliers voire millions d’années. Malheureusement, les empreintes de pieds fossiles sont particulièrement rares du fait de leur fragilité. Quand elles sont découvertes, un véritable travail d’enquête commence.</p>
<p>En 2020, 87 empreintes de pieds ont été découvertes au pied de la falaise d’Asperillo sur la côte de l’espace naturel de Doñana, au sud-ouest de l’Espagne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503620/original/file-20230109-4654-qx6px8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=520&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie du site archéologique au pied de la falaise d’Asperillo en Espagne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Mayoral</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Lors de la première étude de ces empreintes, <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-83413-8">publiée dans la revue <em>Scientific Reports</em> en 2021</a>, nous avions montré qu’elles avaient été laissées par un groupe composé d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Afin d’estimer l’âge des individus à partir de leurs empreintes de pieds, nous avions utilisé des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003552122000772">données expérimentales</a>. Des participants d’âges variés avaient laissé des empreintes dans un sol similaire à celui de Doñana. Les empreintes ont ensuite été mesurées et des relations statistiques avaient été établies entre les dimensions des empreintes et leurs caractéristiques biologiques comme leur taille ou leur âge. Ces relations ont alors été appliquées aux empreintes fossiles qui avaient été mesurées.</p>
<p>Par ailleurs, l’orientation de ces empreintes vers des traces animales (oiseaux, cerfs, bovins…) laissait penser à d’éventuels comportements de chasses de la part de ce groupe préhistorique.</p>
<p>L’une des questions était de savoir quelle espèce humaine avait laissé ces empreintes. Dans la plupart des cas les empreintes de pieds ne sont pas associées à une espèce sur la base de critères anatomiques, comme le sont les restes osseux fossiles, mais à partir du contexte chronologique. C’est pourquoi nous avions attribué ces empreintes à des Néandertaliens sur la base de la seule référence temporelle disponible, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379114003254">date de 106 000 ans</a> obtenue lors d’une étude du site au milieu des années 2000. Une telle attribution se justifiait car les Néandertaliens étaient la seule espèce connue à occuper la péninsule ibérique et plus largement l’Europe de l’ouest à cette date.</p>
<h2>De nouvelles datations</h2>
<p>Cependant, en continuant l’étude de ce site, nous avons procédé à un échantillonnage du sol où ont été découvertes les empreintes afin d’obtenir des datations plus précises. Les résultats de cette étude <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-022-22524-2">publiés en octobre dans la revue <em>Scientific Reports</em></a> sont surprenants : le sol n’est pas daté de 106 000 mais de 296 000 ans. Les empreintes sont donc beaucoup plus vieilles qu’estimées. Cette différence dans les dates obtenues est non seulement due aux avancées méthodologiques dans les techniques utilisées mais également à la position des échantillons datés se focalisant davantage sur le niveau des empreintes que les toutes premières datations qui avaient été précédemment utilisées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503623/original/file-20230109-7887-4dky2o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Empreinte de pied découverte à Doñana comparée à un pied adulte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E. Mayoral</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La nouvelle datation a placé les empreintes dans un nouveau contexte géographique et environnemental. Le continent européen était sur le point de subir un <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-022-22524-2">changement climatique radical il y a 300 000 ans</a>. Des conditions relativement chaudes faisaient place à des conditions beaucoup plus froides, précurseur d’une ère glaciaire. À cette époque, le niveau de la mer sur le continent européen était en moyenne 60 mètres en dessous de son niveau actuel. Le littoral du sud-ouest de l’Espagne était alors à 20 ou 25 kilomètres au large de sa position actuelle.</p>
<p>Outre ces changements environnementaux et géographiques, cette nouvelle chronologie est à l’origine d’une question essentielle : est-ce que des Néandertaliens ont vraiment réalisé ces empreintes ?</p>
<h2>De nouveaux suspects</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il a fallu se pencher sur les archives paléontologiques pour savoir quelle espèce était présente il y a 296 000 ans au cours de la période appelée le Pléistocène moyen. Selon les paléoanthropologues, les individus ayant vécu au cours de cette époque appartenaient à la « lignée néandertalienne ». Une « lignée » comme la « lignée néandertalienne » ou la célèbre « lignée humaine » est composée de plusieurs espèces apparentées. La « lignée néandertalienne » est ainsi composée des Néandertaliens, aussi appelés <em>Homo neanderthalensis</em>, et d’une espèce plus ancienne, <em>Homo heidelbergensis</em>,dont certains seraient à l’origine des Néandertaliens.</p>
<p>Malheureusement, les restes osseux fossiles datant de cette période sont relativement pauvres et dispersés non seulement temporellement mais aussi géographiquement. Ils montrent cependant que les premiers Néandertaliens et les derniers <em>Homo heidelbergensis</em> étaient tous les deux présents en Europe lorsque les empreintes de Doñana ont été réalisées. Les autres sites où des empreintes de pieds ont été découvertes ne sont pas d’une grande aide. En effet, dans tout le Pléistocène moyen européen, seuls quatre sites ont livré des empreintes : Terra Amata en France (380 000 ans), Roccamonfina en Italie (345 000 ans), Biache-Vaast en France (236 000 ans) et Theopetra en Grèce (130 000 ans). Alors que les empreintes des deux premiers sites ont été attribués à <em>Homo heidelbergensis</em>, celles des deux suivants ont été attribuées à <em>Homo neanderthalensis</em>.</p>
<p>La présence de deux espèces en Europe au cours de cette période rend complexe une attribution des empreintes de Doñana à l’une ou l’autre de ces espèces. Une option serait de comparer les caractéristiques reflétées par les empreintes de pieds à l’anatomie des pieds des deux espèces pour savoir de quelle espèce elles se rapprochent le plus. Toutefois, les restes de pieds datant du Pléistocène moyen ne sont que peu connus. Ils sont presque tous issus du site espagnol de Sima de Los Huesos près d’Atapuerca et apparentés à <em>Homo neanderthalensis</em>. Par ailleurs, ces restes sont très fragmentaires et aucun pied complet n’a été retrouvé pour le moment. En outre, la morphologie d’une empreinte ne résulte pas uniquement des caractéristiques anatomiques mais aussi d’autres facteurs comme la nature du sol (son humidité, sa granulométrie, sa minéralogie…). Il est donc rare de trouver des empreintes de pieds reflétant des caractéristiques anatomiques parfaitement conservées (traces des orteils, voûte plantaire…) encore plus dans les milieux dunaires comme à Doñana où les empreintes peuvent être endommagées et détruites par l’action du vent et des marées.</p>
<p>L’attribution de ces empreintes à l’une ou l’autre espèce est également compliquée par l’absence de consensus chez les paléoanthropologues concernant la lignée néandertalienne et la définition d’<em>Homo heidelbergensis</em>. Différents modèles d’évolution ont été proposés, mais cette question est encore loin d’être résolue, étant donné la rareté des archives fossiles et la complexité des relations évolutives soulignées par les dernières études sur l’ADN ancien.</p>
<p>Ainsi, les empreintes de pieds de Doñana ont probablement été laissées par des individus appartenant à la lignée néandertalienne. Savoir qui des Néandertaliens ou de leurs ancêtres apparentés, les <em>Homo heidelbergensis</em>, ont laissé ces traces est une question encore ouverte. Malgré ces incertitudes, le site de Doñana complète nos connaissances sur les occupations humaines en Europe au cours du Pléistocène et sur notre évolution.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit par Eduardo Mayoral Alfaro, Ana Santos, Antonio Rodríguez Ramírez, Asier Gomez-Olivencia, Ignacio Díaz-Martínez, Jorge Rivera Silva, Juan Antonio Morales et Ricardo Díaz-Delgado.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195953/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Duveau a reçu des financements de la fondation FYSSEN dans le cadre d'un projet de recherche sur les empreintes de pieds. </span></em></p>Pouvoir identifier quelle espèce a pu laisser des traces de son passage n’est pas chose aisée. Découvrez comment les scientifiques enquêtent pour trouver les « coupables ».Jérémy Duveau, Chercheur associé, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1927612022-10-18T16:41:16Z2022-10-18T16:41:16ZAuguste : « Qui était le premier humain ? »<p>C’est une très bonne question, de nombreux enfants, mais aussi de nombreux adultes se posent cette question depuis des siècles. Il y a même des scientifiques qui étudient les origines du genre humain, ce sont des paléoanthropologues.</p>
<p>Avec l’étude des fossiles humains découverts, ils peuvent ainsi mieux comprendre l’origine de notre espèce et nous proposer des réponses à cette question. Qu’est-ce qu’un fossile humain ? Cela peut être un os ou une dent d’un individu que l’on retrouve dans la roche. À ce jour, le plus ancien fossile « humain » connu est daté de 2,8 millions d’années. Il a été découvert en 2013 en Éthiopie par Chalachew Seyoum.</p>
<p>Mais avant de parler des êtres humains, j’ai une question pour toi. Sais-tu le point commun entre un cheval, un zèbre et un âne ?</p>
<p>Ce sont trois espèces différentes, mais qui appartiennent à la même famille, celle des Équidés. Nous pouvons prendre d’autres exemples comme celui-ci. Les lions, les tigres et les chats sont des espèces qui appartiennent à la famille des Félidés. Les loups, les renards et les chiens sont des espèces qui appartiennent à la famille des Canidés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490412/original/file-20221018-8870-6bd51t.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La famille des félidés.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comme eux, notre espèce appartient à une famille, celle des Hominidés. Bien qu’il n’y ait qu’une seule espèce humaine vivant sur Terre aujourd’hui, auparavant plusieurs espèces humaines vivaient sur Terre.</p>
<p>Ces premiers humains seraient apparus il y a plusieurs millions d’années en Afrique avant de peupler le reste du monde sur une très longue période. Et parmi ces nombreuses espèces humaines apparut la nôtre que l’on nomme <em>Homo sapiens</em>. Cela veut dire l’être humain sage, c’est-à-dire qui a un savoir.</p>
<p>Quand <em>Homo sapiens</em> est apparu sur Terre, il n’est pas le seul représentant du genre humain sur la planète. Au même moment, en Europe et en Asie par exemple, il aurait vécu pendant plusieurs milliers d’années en même temps qu’une autre espèce humaine appelée <em>Homo neanderthalensis</em>. Tu as peut-être déjà entendu parler d’elle, on la connaît surtout sous le nom de Néanderthal.</p>
<p>Mais il y avait aussi d’autres espèces humaines qui partageaient la planète avec nos ancêtres comme <em>Homo Floresiensis</em> découvert en 2003 sur l’île indonésienne de Florès en Indonésie et <em>Homo luzonensis</em> découvert en 2007 dans la grotte de Callao aux Philippines.</p>
<p>De nos jours, seule l’espèce humaine <em>Homo sapiens</em> est présente sur la Terre et, selon nos connaissances actuelles, elle serait apparue il y a plus de 300 000 ans sur le continent africain.</p>
<p>Maintenant que tu sais tout cela, tu vas peut-être te demander comment sont apparus ces premiers humains ?</p>
<p>Les scientifiques expliquent l’apparition des espèces humaines notamment grâce à la Théorie de l’évolution par la sélection naturelle formulée au XIX<sup>e</sup> siècle par Alfred Russel Wallace et Charles Robert Darwin.</p>
<p>Il est important de savoir qu’en science, une théorie est un modèle explicatif dont les hypothèses ont été validées. Tu connais déjà sûrement quelques théories scientifiques. Par exemple, si tu lâches un objet que tu aurais dans la main, celui-ci tombera par terre à cause de la gravité terrestre. C’est la théorie de la Gravitation universelle qui avait été formulée par Isaac Newton au XVII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Concernant cette évolution humaine, Charles Robert Darwin avait publié en 1871 un livre qui soutenait que les êtres humains partageaient un ancêtre commun récent avec les grands singes africains.</p>
<p>À l’aide des progrès scientifiques en génétique particulièrement, il s’avère que cela est confirmé par l’acide désoxyribonucléique (ADN). L’ADN est une molécule qui se transmet de génération en génération chez les êtres vivants. Elle est présente dans toutes les cellules et contient des gènes qui permettent le développement des organismes vivants.</p>
<p>Les chimpanzés partagent avec nous 98 % de gènes par rapport à toutes les autres espèces animales sur la Terre. Cela fait d’eux nos plus proches cousins et ce lien proviendrait d’un ancêtre commun présent sur Terre il y a environ 7 millions d’années. La génétique démontre également que les bonobos, les gorilles et les orangs-outans sont de proches cousins.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490414/original/file-20221018-8304-hxpkxg.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La famille des hominidés.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Comme tu l’auras compris, à ce jour nous savons que les humains et les autres grands singes ont énormément de gènes en commun ensemble. Ils sont donc bel et bien de notre famille, celle des hominidés.</p>
<p>Nous savons que chacune de ces espèces aurait évolué de leur côté à partir d’un ancêtre commun qui nous est toujours inconnu à ce jour. Mais qui sait, peut-être que plus tard tu feras cette découverte après être devenu paléoanthropologue à ton tour !</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192761/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Özçelebi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une question fondamentale de la recherche. Peut-être reste-t-il encore à découvrir…Jonathan Özçelebi, Ingénieur d'étude, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1922202022-10-11T19:14:05Z2022-10-11T19:14:05ZEntre Néandertaliens et Sapiens, il y a eu du sexe… mais peu d’amour<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489022/original/file-20221010-24-2ut7gi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C12%2C4297%2C3050&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chacun de nous possède 1 à 3 % d'ADN d'origine néandertalienne</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/es/image-illustration/cave-people-by-fire-neanderthals-original-789130387">Yulia Serova / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La relation entre les Néandertaliens et les premiers Sapiens suscite des débats passionnés. Longtemps, l’interprétation la plus largement admise fut celle d’une confrontation entre les deux espèces, d’une « guerre » de 100 000 ans, le temps de leur cohabitation sur la planète, avec à la clé une victoire de notre espèce. Nous savons aujourd’hui qu’en plus de l’hostilité possible des Sapiens, il y avait d’autres raisons possibles à leur disparition.</p>
<p>La défaite des Néandertaliens, l’extinction de la dernière espèce « sœur », a pu être due à des changements climatiques, ou peut-être liée à leur physiologie, voire aux effets d’une épidémie qui les aurait décimés. Les nouvelles données archéologiques et les progrès dans la compréhension de notre génome ont complètement transformé la façon dont nous pouvons maintenant raconter notre histoire commune avec les Néandertaliens.</p>
<h2>Europe centrale : le territoire partagé par les deux espèces</h2>
<p>La densité de population en Eurasie au cours du <a href="https://recyt.fecyt.es/index.php/CUGEO/article/view/89346">Pléistocène supérieur</a>, il y a environ 129 000 ans, devait être très faible. Il ne s’agit pas d’un simple chiffre, mais d’une prise en compte des possibilités de rencontres qui ont pu avoir lieu dans le passé entre les deux communautés. Néandertaliens comme Sapiens étaient alors très peu nombreux.</p>
<p>Nous ne disposons pas de données fiables quant au Paléolithique moyen, mais nous avons des données du début du Paléolithique supérieur (Aurignacien), où l’on estime qu’il y avait entre 900 et 3 800 personnes en Europe centrale. En d’autres termes, les habitants de ce qui pourrait être aujourd’hui un petit village étaient répartis dans toute l’Europe centrale. Si l’on considère une zone habitable de plus de 10 millions de km<sup>2</sup>, la <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0211562">densité de population</a> était très faible, environ 0,103 personne/100 km<sup>2</sup>.</p>
<p>En plus de la faible densité de population, les lieux de résidence (grottes, abris ou lits de rivière) ont été réutilisés à plusieurs reprises par les mêmes groupes au fil du temps. Ainsi, les possibilités de contact entre les deux espèces ont dû être très limitées.</p>
<h2>Il y a eu plus de rencontres que prévu</h2>
<p>Les rencontres entre Néandertaliens et Sapiens ont été plus nombreuses qu’il n’y paraît, et pas seulement pour des raisons de concurrence.</p>
<p>Les experts ont pu séquencer l’ADN néandertalien dans des restes humains tels que ceux de <a href="https://los13delsidron.com/el-codigo.html">El Sidrón (Asturies)</a>, <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aao1887">Vindija (Croatie)</a> ou <a href="http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=PubMed&list_uids=20448178&dopt=Abstract">Mezmaiskaya (Russie)</a>, et nous avons pu commencer à faire des comparaisons avec l’ADN des populations modernes, ainsi qu’avec les premiers sapiens arrivés en Europe.</p>
<p>L’importance du séquençage a récemment culminé avec l’attribution du prix Nobel de médecine à son pionnier, <a href="https://theconversation.com/svante-paabo-un-prix-nobel-pour-la-saga-de-ladn-ancien-99190">Svante Pääbo</a>, de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutive de Leipzig, en Allemagne. Cette comparaison confirme que les relations entre ces groupes humains étaient plus fréquentes qu’on ne le pensait. Il est également contradictoire que des espèces différentes puissent avoir une descendance commune. Mais nous savons aujourd’hui que nous avons une charge génétique comprise entre 1 et 4 % d’ADN néandertalien, même si tous les Sapiens ne présentent pas de traces d’hybridation, comme c’est le cas des populations africaines.</p>
<p>En 2018, la découverte des restes d’une fillette, fille d’une femme néandertalienne et d’un <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/06/23/le-mystere-de-denisova-sur-france-5-a-la-decouverte-d-un-humain-du-troisieme-type-en-siberie_6131775_3246.html">Homme de Denisova</a>, a confirmé que le métissage était un processus viable.</p>
<p>Récemment, des restes humains provenant du site de Bacho Kiro en Bulgarie et de Zlatý kůň en <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-021-01443-x">République tchèque</a> ont confirmé que les <a href="https://doi.org/10.1038%2Fs41586-021-03335-3">contacts étaient fréquents</a>.</p>
<p>Pour l’instant, les rencontres ont dû être limitées à des contextes géographiques et chronologiques spécifiques. Nous savons au moins qu’ils ont pu se produire dans les montagnes de l’Altaï en Sibérie il y a environ 100 000 ans, au Proche-Orient il y a environ 60 000 ans et en Europe centrale il y a environ 40 000 ans, et tout cela sur la base des dossiers génétiques des Sapiens et des Néandertaliens.</p>
<p>La relation « d’amour » entre les deux espèces a dû se limiter à l’intégration d’individus isolés au sein de groupes étrangers. Les processus de sélection culturelle dans la descendance ont dû sculpter notre charge génétique limitée de Néandertal.</p>
<h2>Similaire mais pas identique</h2>
<p>Nous avons tendance à oublier l’importance de la culture comme facteur de différenciation entre les groupes humains. Même s’ils ne se reconnaissaient pas comme une espèce distincte, ils devaient se considérer comme différents, comme l’indique leur culture matérielle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488267/original/file-20221005-16-hf690y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Deux espèces, deux cultures. Les archives anthropologiques et industrielles de Neandertal (à gauche) et de Sapiens (à droite). Photo : Conchi Torres et Javier Baena.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Par exemple, il y a environ 300 000 ans, les premiers Sapiens ont élaboré une industrie identique à celle des Néandertaliens mais l’ont transformée en peu de temps en normes très complexes. Cependant, l’<em>Homo neanderthalensis</em> l’a maintenu <a href="https://www.nature.com/articles/nature22335">avec peu de changements jusqu’à son extinction</a>. Même en supposant que la symbologie et l’art fassent partie de la richesse culturelle des Néandertaliens, leur généralisation et leur expression <a href="https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.2021495118">ne sont en rien comparables à celles des Sapiens</a>.</p>
<p>Au cours des 100 000 dernières années de contact entre ces espèces, la culture des Néandertaliens semble sans aucun doute être la grande gagnante. Cette industrie néandertalienne, connue sous le nom de moustérienne, a été enregistrée dans des sites européens avec peu de variation depuis 300 000 ans. En fait, l’hybridation culturelle qui se produit au Proche-Orient confirme le triomphe relatif des modes de production d’outils de Neandertal sur ceux de Sapiens.</p>
<p>Peut-on considérer cela comme une domination d’une espèce sur une autre ? Il est possible que la situation socio-démographique ait conditionné une réponse culturelle en faveur des Néandertaliens, mais la flexibilité et la plasticité de Sapiens ont pu être la clé de cette absorption du Moustérien pendant la <a href="https://www.nature.com/articles/nature13621">période où les deux espèces sont entrées en contact</a> sur une période d’environ 5 000 ans.</p>
<p>Contrairement au sentiment territorial marqué des Néandertaliens, les Sapiens ont peut-être modelé leur occupation d’un même territoire avec une plus grande mobilité, épuisant progressivement les ressources traditionnelles de l’espèce « concurrente ».</p>
<h2>Une bataille gagnée d’avance</h2>
<p>Les Néandertaliens étaient capables de s’adapter à des changements climatiques difficiles et d’exploiter des environnements et des ressources variés grâce à une technologie complexe.</p>
<p>C’est peut-être leur immobilité culturelle, associée aux nouvelles conditions créées par l’arrivée sporadique et peut-être précoce de Sapiens en Eurasie, qui a déterminé leur dissolution progressive au profit de Sapiens, qui était capable d’effectuer des migrations agiles et de s’adapter à l’environnement avec une plus grande flexibilité.</p>
<p>C’était une « guerre » lente mais gagnée d’avance. Il n’est pas facile de savoir si les derniers groupes néandertaliens étaient conscients de leur propre extinction et s’ils ont laissé leurs traces dans des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379118308722">bastions isolés</a>.</p>
<p>Ce conflit interespèces a donné lieu à des rapports sexuels, mais apparemment avec peu d’amour. Sinon, l’ADN de Neandertal serait beaucoup plus présent dans les groupes humains qui ont évolué en Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Javier Baena Preysler reçoit des fonds du Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de la Compétitivité par le biais de l'Agence d'Etat pour la Recherche et de l'Union Européenne par le biais du FEDER sous PROJECT/AEI/10.13039/501100011033.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Concepción Torres Navas reçoit un financement de l'Agence d'État pour la recherche et les fonds européens par le biais du contrat avec REF BES-2017-079805.</span></em></p>Les Néandertaliens et les Sapiens ont partagé le même monde pendant 100 000 ans. Mais si seule une des deux espèces a survécu, des rencontres ont bel et bien eu lieu.Javier Baena Preysler, Catedrático de Prehistoria, Universidad Autónoma de MadridConcepción Torres Navas, Investigadora postdoctoral Prehistoria, Universidad Autónoma de MadridLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1776512022-02-22T18:41:05Z2022-02-22T18:41:05ZLéonora : « Comment il a fait le premier homme pour descendre de l'arbre où il était un singe ? »<p>Voilà bien une question qui anime les débats entre les paléoanthropologues depuis des décennies. Ce sont les chercheurs qui travaillent sur l’évolution humaine.</p>
<p>Il s’agit d’une question très importante puisqu’elle porte sur un élément clé de l’évolution humaine : l’apparition de la bipédie, c’est-à-dire marcher sur deux pieds, contrairement à la plupart des animaux qui se déplacent à quatre pattes.</p>
<p>Mais revenons à la question qui présente une idée reçue très fréquente, mais fausse scientifiquement. L’Homme, ou <em>Homo sapiens</em> notre espèce, ne descend pas du singe. En réalité, nous sommes des singes !</p>
<p>En effet, du point de vue biologique et évolutif, nous appartenons à la famille des grands singes. Nous partageons d’ailleurs avec les autres représentants de cette famille (les chimpanzés, les bonobos, les gorilles, les orangs-outans et les gibbons) des caractéristiques identiques comme la disparition d’une véritable queue.</p>
<p>Cependant, comme toute espèce nous possédons des caractéristiques propres. Notre façon de se déplacer, presque exclusivement en bipédie, en est une. Les autres singes peuvent aussi être bipèdes, mais ils le sont d’une autre façon et sur une durée moins longue. Ils préfèrent utiliser d’autres modes de locomotion plus adaptés à leur environnement, comme se déplacer à quatre pattes (on dit qu’ils sont quadrupèdes) ou grimper dans les arbres par exemple. En réalité, notre mode de locomotion est lié à notre anatomie et en particulier à notre squelette. Ainsi l’anatomie d’un chimpanzé, fréquemment quadrupède est différente de celle d’un humain bipède.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448105/original/file-20220223-23-uo8vl0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le squelette humain diffère de celui du chimpanzé. Certaines de ces différences anatomiques, comme celles illustrées ci-dessus, reflètent les différences de locomotion entre les deux espèces.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>C’est justement à partir des caractéristiques anatomiques observées sur des fossiles parfois vieux de plusieurs millions d’années que nous sommes capables de reconstituer, tel un puzzle, l’évolution de la locomotion. Malheureusement, cette tâche est bien difficile, car nous ne connaissons que très peu de fossiles et ils ne représentent qu’une infime part des individus qui ont peuplé la Terre au cours de son histoire. Cependant, les fossiles que nous possédons nous ont déjà révélé bon nombre d’informations. Nous savons par exemple que nos ancêtres n’ont pas acquis une bipédie identique à la nôtre en un jour. Cela s’est fait au cours de plusieurs millions d’années via des modifications anatomiques.</p>
<p>Remontons donc le temps ! Nos ancêtres qui vivaient il y a 8 à 10 millions d’années étaient particuliers puisqu’il s’agit d’ancêtres que nous avons en commun avec les chimpanzés, ce qui fait de nous des cousins ! Nous ne connaissons pas précisément quel type de locomotion utilisaient ces ancêtres communs… Se déplaçaient-ils de préférence sur terre ? Dans les arbres ? De façon bipède ? Quadrupède ? Nous savons par contre que ces ancêtres ont eu des descendants. Certains de ces descendants ont donné naissance aux chimpanzés et d’autres aux hommes après plusieurs millions d’années d’évolution.</p>
<p>Intéressons-nous aux descendants humains. Il y a 5 à 7 millions d’années, les tout premiers représentants de la « lignée humaine » étaient en partie bipèdes. En partie seulement, car l’étude de leur squelette indique qu’ils vivaient également dans les arbres. Plus récemment, entre 2 et 4 millions d’années, nos ancêtres appartenaient au groupe des australopithèques dans lequel on trouve la célèbre Lucy. Nous savons que ces australopithèques étaient bipèdes grâce non seulement à l’étude de leur squelette fossile, mais également à leurs empreintes de pieds découvertes à Laetoli en Tanzanie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=511&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=511&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=511&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=643&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=643&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447829/original/file-20220222-13-1iva2yj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=643&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les empreintes de Laetoli ont été découvertes en Tanzanie (Afrique). Elles ont été laissées il y a 3,6 millions d’années par des australopithèques. Comme seules des empreintes de pieds et non de mains sont visibles, elles représentent l’une des preuves les plus directes et anciennes d’une bipédie proche de celle utilisée par l’homme.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Toutefois, même s’ils étaient bipèdes, les australopithèques vivaient aussi dans les arbres, et la bipédie qu’ils utilisaient était différente de la nôtre. Enfin, nos ancêtres les plus récents comme les <em>Homo erectus</em> ou les Néandertaliens, ont une bipédie plus similaire à la nôtre, les <em>Homo erectus</em> pouvaient courir comme nous sur de longues distances.</p>
<p>Pour résumer, la bipédie humaine s’est développée au cours de plusieurs millions d’années. L’acquisition de ce comportement particulier a donné des avantages à nos ancêtres (parcourir de plus longues distances facilitant la recherche de nourritures, mieux voir aux alentours de potentiels dangers, porter des éléments lourds…) qui ont participé à la survie et au succès de nos ancêtres au cours de l’évolution.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérémy Duveau est chercheur associé au Muséum national d'Histoire naturelle de Paris et travaille actuellement dans le laboratoire de paléoanthropologie de l'Université de Tübingen en Allemagne. Son travail de recherche est financé par une bourse postdoctorale obtenue auprès de la fondation FYSSEN. </span></em></p>L’Homme, ou Homo sapiens notre espèce, ne descend pas du singe. En réalité, nous sommes des singes !Jérémy Duveau, Chercheur associé, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1757902022-02-13T19:58:27Z2022-02-13T19:58:27ZAu Paléolithique déjà… « Le gras, c’est la vie ! »<p>Aujourd’hui, manger sainement et « allégé » est le leitmotiv de toutes les tendances culinaires des sociétés dites occidentales. Par exemple le régime « Paléo » prône une alimentation à base de fruits, de légumes, d’oléagineux et de viande maigre – <a href="https://theconversation.com/regime-paleo-lubie-du-mangeur-moderne-desoriente-ou-vraie-bonne-idee-175720">loin de la réalité archéologique</a>. Dans le passé, durant des centaines de millénaires, nos ancêtres se sont en effet délectés… de graisse !</p>
<p>Pourquoi le gras a-t-il été si important pour les sociétés du Paléolithique, période gigantesque s’étirant de 3 millions à 12 000 ans avant le présent, toutes latitudes confondues ? Comment les vestiges fossiles nous renseignent sur cette récupération de la graisse, tant par <em>Homo sapiens</em> que Néandertal ? Et en quoi certaines préparations culinaires observées dans les sociétés traditionnelles actuelles nous aident à émettre des hypothèses et à mieux comprendre les « cuisines » paléolithiques ?</p>
<h2>Comment faire « parler » le registre archéologique ?</h2>
<p>Les traces liées à l’alimentation en contexte archéologique sont ténues. En effet, les aliments sont ingérés et les déchets restants, périssables, se décomposent en un laps de temps très court. De façon fortuite, quelques résidus organiques peuvent parfois se retrouver piégés dans des matériaux comme de la céramique ou se conserver dans des contextes très particuliers (carbonisation, milieu humide).</p>
<p>Le gras ne fait pas exception, et c’est donc principalement sur la base d’indices indirects qu’il est possible de discuter de sa récupération et de sa consommation. Contrairement à la viande ou aux ressources végétales, en l’état actuel des recherches, la consommation de gras ne peut pas être inférée à partir de l’analyse des restes humains, que ce soit au moyen de l’étude des isotopes contenus dans le squelette, du tartre dentaire ou encore des micro-usures laissées sur la surface des dents.</p>
<p>Les déchets fossiles des animaux mangés (os, dents) constituent donc les seuls témoins pour parler de cette consommation. Ces déchets alimentaires, assez robustes pour traverser le temps, nous informent sur les différents gibiers chassés, sur les morceaux transportés puis consommés aux sites d’habitat, et sur certaines pratiques bouchères et culinaires.</p>
<p>La moelle représente une des principales sources de gras animal. Pour la récupérer, il est nécessaire de casser les ossements permettant ainsi d’accéder à leur cavité médullaire : cette pratique est donc principalement mise en évidence par la présence de traces de percussion sur les os et par des bords de fractures caractéristiques d’une fragmentation alors que l’os était encore frais.</p>
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<img alt="Trois vues d’un fragment d’humérus, montrant ses faces externe et interne et les traces de raclage anciennes" src="https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fragment d’humérus de cerf présentant des fractures et des encoches dues à la récupération de la moelle par des Néandertaliens (Abri du Maras, Ardèche).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delphine Vettese</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>On a pu constater que sur les sites d’habitat du Paléolithique, les « os à moelle » sont rarement retrouvés entiers. C’est en particulier le cas des os longs (fémur, etc.), qui contiennent les volumes de moelle les plus importants. Phalanges et mandibules sont aussi fréquemment fracturées, malgré des cavités médullaires très réduites. Ces indices attestent d’une récupération et d’une consommation intensive de la moelle.</p>
<h2>Une consommation purement alimentaire ou culturelle ?</h2>
<p>Choisir les « bons aliments » découle pour une large part de notre éducation et de notre culture, mais aussi des techniques et des ressources disponibles autour de nous. Ces ressources sont elles-mêmes fonction des facteurs environnementaux et climatiques, en particulier durant les temps préhistoriques.</p>
<p>Au Paléolithique, durant les périodes froides, la part de nourriture d’origine animale (protides) augmente, tandis que celle d’origine végétale (glucides) diminue. <a href="https://www.hominides.com/html/references/alimentation-paleolithique-delluc-0275.php">La viande maigre des herbivores constituait alors une part importante de la nutrition</a>, en particulier en hiver et au printemps lorsque les herbivores souffrent de malnutrition. Ce régime de viande, pourtant à haute valeur protidique, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0278416583900065">induit de grandes dépenses énergétiques liées à l’élimination des déchets azotés</a>.</p>
<p>De ce fait, une alimentation riche en viande maigre, c’est-à-dire une viande avec un taux de graisse inférieur à 3 %, nécessite des rations journalières de nourriture très importantes pour couvrir les besoins énergétiques corporels. Par ailleurs, une consommation excessive de protéines engendre des dérèglements du foie et des reins, pouvant entraîner le décès, comme c’est le cas par exemple d’une consommation exclusive de viande de lapin pendant plusieurs semaines. Ces carences et risques sanitaires peuvent être palliés par un surcroît d’apports lipidiques, donc de gras, dans le régime alimentaire.</p>
<p>La graisse a en effet une grande valeur énergétique – environ le double de celle des protides et des glucides – et permet de faire fonctionner la « néoglucogenèse » : un métabolisme du foie qui produit des glucides à partir des protides et des lipides. Ces avantages expliquent donc en grande partie pourquoi les groupes humains du Paléolithique ont cherché à récupérer la graisse partout où elle pouvait être disponible.</p>
<p>Toutefois, les données archéologiques montrent que, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01891712v1">même sous des climats tempérés, la recherche de graisse restait importante</a>. En complément des facteurs physiologiques, d’autres facteurs pourraient donc expliquer l’attrait pour le gras…</p>
<p>La part du culturel et du symbolique dans les choix alimentaires n’est pas à négliger. Comme l’avait observé l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, loin d’être restreint aux sociétés dites « complexes », le caractère culturel de l’alimentation est en effet un trait commun à toute société humaine. En Occident aujourd’hui, par exemple, la moelle est notamment servie dans des restaurants gastronomiques, ou présente dans de nombreux plats traditionnels, tel que l’osso buco italien.</p>
<p>Chez certains groupes Inuit, la palatabilité de la moelle varie en fonction des ossements : la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440306000793">moelle issue des phalanges et des métapodes – riche en acide oléique – est ainsi nettement plus appréciée</a> que celle des autres os. Dans le Kamtchatka, en Sibérie, la <a href="https://www.researchgate.net/publication/242311559_Kilvei_The_Chukchi_Spring_Festival_in_Urban_and_Rural_Contexts">graisse de renne obtenue durant le <em>Kilvèj</em> (fête du printemps)</a> tient lieu d’offrande dans les relations des éleveurs de rennes avec leur environnement.</p>
<p>La graisse animale est ainsi un mets très prisé et fortement valorisé dans beaucoup de sociétés.</p>
<p>La dimension sociale et symbolique de l’alimentation au Paléolithique est malheureusement particulièrement difficile à saisir. Quelques études récentes montrent néanmoins que les marques laissées par l’extraction de moelle peuvent mettre en évidence l’existence de pratiques bouchères traditionnelles spécifiques à certains groupes de chasseurs-cueilleurs du <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352409X17300032">Paléolithique moyen (environ de 300000 à 40000 av. J.-C.)</a> et <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01891662v1">récent ou supérieur, d’environ 40000 à 12000 av. J.-C.)</a>.</p>
<p>Il a aussi été proposé que l’intense fragmentation des phalanges, mais aussi des os courts dépourvus de moelle, puisse être le <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02369001/document">reflet de pratiques de boucherie ritualisées</a>, en lien avec les rapports entretenus avec le gibier. Ces travaux permettent de dépasser le caractère strictement économique auquel est généralement réduite l’alimentation dans les études archéozoologiques.</p>
<h2>Des pratiques culinaires et procédés de cuisson comme témoins</h2>
<p>La préparation de bouillons à base de graisse contenue dans les tissus osseux observée chez les Nunamiut (Alaska) a permis d’envisager l’<a href="https://paleoanthro.org/media/journal/content/PA20150054.pdf">existence de tels procédés au sein des sociétés du Paléolithique</a>.</p>
<p>De nombreux travaux archéologiques et expérimentaux ont permis de lister des critères appuyant l’utilisation d’un tel procédé dès le Paléolithique. C’est le cas par exemple de l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/313273260_New_criteria_for_the_archaeological_identification_of_bone_grease_processing">intense fragmentation des éléments spongieux des os dans lesquels se trouve la graisse</a>. Ce procédé est notamment reconnu au Paléolithique supérieur, il y a environ 25 000 ans (période gravettienne).</p>
<p>Dans certains sites plus anciens, ni galets chauffés permettant de faire bouillir de l’eau, ni petits os brûlés n’ont été découverts, et l’hypothèse d’un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01891712v1">concassage des parties spongieuses</a> riches en graisses pour une consommation crue a donc été proposée. En contexte européen, en particulier durant les périodes glaciaires où les ressources en combustible étaient limitées, il est tout en fait envisageable que ce mode d’extraction sous forme de bouillie d’os ait été privilégié.</p>
<p>Il est toutefois important de souligner que si l’extraction de la graisse contenue dans les tissus osseux semble relativement courante au Paléolithique en Europe, elle est loin d’être aussi systématique que la récupération de la moelle.</p>
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<img alt="À gauche, une archéologue est agenouillée, un gros galet à la main, pour tenter de retrouver les gestes anciens de fracturation d’un gros os long (humérus ici). À droite, résultat pour un tibia que l’on voit cassé en une vingtaine de petits morceaux" src="https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour mieux comprendre les vestiges archéologiques, l’expérimentation est devenue incontournable. À gauche, fracturation d’un humérus de bœuf à l’aide d’un galet pour en extraire la moelle ; à droite, un tibia de bœuf fracturé à l’issue de la récupération de sa moelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delphine Vettese</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce goût prisé pour le gras pourrait aussi être perceptible au travers des modes de cuisson privilégiés au Paléolithique.</p>
<p>Pour les peuples vivant dans les milieux froids, la cuisson préférée est le bouilli, alors que la viande grillée est dépréciée du fait d’une perte en graisse trop importante. La consommation de viande ou de moelle crue est aussi très appréciée : les Inuits mais surtout les Koriaks (Extrême-Orient russe) privilégient une <a href="https://journals.openedition.org/tc/8887?lang=en">consommation des aliments sous cette forme</a>.</p>
<p>Pour le Paléolithique, les traces de rôtissage sur les ossements sont relativement rares quand les stries liées au décharnement des carcasses sont très nombreuses, <a href="https://www.researchgate.net/publication/39064292_Comparaison_des_pratiques_boucheres_et_culinaires_de_differents_groupes_siberiens_vivant_de_la_renniculture">ce qui atteste d’un prélèvement fréquent de viande crue</a>. De même, les procédés de récupération de la moelle témoignent de sa consommation crue.</p>
<h2>De nouvelles recherches à mettre au menu…</h2>
<p>De nombreux indices disséminés au sein des registres de faune fossile permettent de mieux comprendre l’alimentation de nos prédécesseurs. Les traces d’extraction de la moelle et de la graisse osseuses laissées sur les os d’herbivores comme le renne, le bison ou le cheval permettent de placer le gras au cœur du régime alimentaire des sociétés humaines du Paléolithique, aux côtés de nombreux autres aliments, animaux et végétaux.</p>
<p>Pour autant, il reste encore beaucoup à découvrir, et notamment les pans symbolique et culturel de ces pratiques alimentaires, encore très difficilement atteignables aujourd’hui. Nul doute que les nouvelles découvertes archéologiques et les nouvelles méthodes d’études (analyses isotopiques, paléogénétique des résidus de tartre anciens, micro-usure dentaire, etc.) permettront d’affiner encore nos connaissances sur l’alimentation de nos lointains ancêtres et d’en extraire la « substantifique moelle ». Affaire à suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Daujeard a reçu des financements de la Fondation Nestlé France pour un projet de recherche intitulé : « A l’origine des traditions bouchères : apprentissage et savoir‐faire chez les Néandertaliens dans le Sud de l’Europe » (2016-2018), incluant un demi-financement de contrat doctoral pour Delphine Vettese. (Sans droit de regard sur les résultats des recherches.)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Delphine Vettese a reçu des financements de la Fondation Nestlé France et le CIV: Viandes, Sciences et Sociétés pour un projet de recherche intitulé : « A l’origine des traditions bouchères : apprentissage et savoir‐faire chez les Néandertaliens dans le Sud de l’Europe » (2016-2018, PI: C. Daujeard). (Sans droit de regard sur les résultats des recherches.)
Pour l'expérimentation de l'illustration, les ossements ont été fournis par l'entreprise Charal à titre gratuit (2017). Post-doctorat financé par une ERC (n° 818299, PI : A.-B. Marin Arroyo). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sandrine Costamagno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La consommation de « gras » est aujourd’hui mal perçue dans les sociétés occidentales. Pourtant, la recherche montre qu’au Paléolithique, la moelle était prisée – et utile à l’équilibre alimentaire.Camille Daujeard, Archéozoologue, chargée de Recherche, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Delphine Vettese, Archéozoologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Sandrine Costamagno, Archéozoologue paléolithicienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1769192022-02-13T19:58:22Z2022-02-13T19:58:22ZDécouverte des plus anciens hommes modernes en Europe (et ce que cela change de ce que l'on pensait de ses relations avec Néandertal)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/446089/original/file-20220213-25052-rrqqsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C19%2C3307%2C3311&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'abri sous roche de la Grotte Mandrin a été utilisé à plusieurs reprises par les Néandertaliens et les humains modernes au cours des millénaires. </span> <span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Nous venons d’annoncer, dans la revue <a href="https://doi.org/10.1126/sciadv.abj9496">Science Advances</a>, la découverte des premières traces de l’arrivée des hommes modernes en Europe il y a 54 000 ans à la Grotte Mandrin, soit environ 10 millénaires avant ce que l’on pensait jusqu’alors et 1700 km à l’Ouest du site bulgare de Bacho Kiro précédemment considéré comme la plus ancienne occupation humaine moderne d’Europe. </p>
<p>Nous voici désormais loin à l’ouest, dans l’immense vallée du Rhône…</p>
<p>Perché à environ 100 mètres d’altitude à l’ouest des contreforts des Préalpes, un abri-sous-roche fait face au Nord et domine la vallée du Rhône. Ce lieu est stratégique dans le paysage, car le Rhône s’écoule à cet endroit dans un couloir d’environ 1 km entre les Préalpes à l’Est et le Massif central à l’Ouest. Pendant des millénaires, les habitants de cet abri ont pu scruter les hordes d’animaux migrant entre la région méditerranéenne et les plaines d’Europe du Nord. Aujourd’hui, ce sont les TGV et lors des pics estivaux près de 180 000 véhicules par jour qui parcourent la vallée du Rhône sur l’une des autoroutes les plus empruntées du continent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="woodsy landscape with rock outcropping against blue sky" src="https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=164&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445214/original/file-20220208-36884-116o8hb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=206&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Grotte Mandrin est quelque peu camouflée en un affleurement rocheux lorsqu’elle est vue de loin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Le site, reconnu depuis les années 1960 et nommé Mandrin d’après le brigand Louis Mandrin, a été un lieu de vie privilégié depuis plus de 100 000 ans.</p>
<p>Les outils en pierre taillée et les ossements d’animaux laissés par les chasseurs-cueilleurs par le passé ont été rapidement recouverts par les loess, ces poussières déposées par le vent glacial venu du Nord, le Mistral, préservant ainsi ces éléments. Les couches de sédiments supérieures <a href="https://www.britannica.com/event/Paleolithic-Period">contiennent du matériel</a> datant de l’Âge du Bronze et du Néolithique il y a 4 à 5 millénaires.</p>
<p>Depuis 32 ans, notre équipe de chercheurs menée par Ludovic Slimak (CNRS) a fouillé près de 3 mètres de dépôts sédimentaires qui fossilisent sur 80 millénaires les passages de chasseurs du Paléolithique entre le 100<sup>e</sup> et le 40<sup>e</sup> millénaire. Les hommes modernes avaient alors vraisemblablement commencé leur conquête de l’Europe <a href="https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2014.08.011">il y a 43 000 à 45 000 ans</a>, les Néandertaliens et les autres populations fossiles d’Eurasie disparaissant quelques millénaires plus tard. Ce scénario sur l’évolution humaine en Europe est établi depuis des décennies.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="personnes agenouillées sur le sol, travaillant dans la poussière" src="https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=785&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=785&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=785&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=986&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=986&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445223/original/file-20220208-13-1ea5wyf.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=986&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Vue des fouilles à l’entrée de la Grotte Mandrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Mais en plein milieu de ces enregistrements archéologiques, intercalée entre 11 autres niveaux contenant des milliers d’outils de silex et des fossiles néandertaliens, une couche de la Grotte Mandrin fossilise une incursion très ancienne d’un groupe d’hommes modernes au cœur même des territoires néandertaliens.</p>
<h2>Des indices provenant de petites pointes de pierre et d’une dent</h2>
<p>Durant la première décennie de fouilles du site, le premier signal intrigant fut la découverte de 1500 petites pointes triangulaires en silex, ressemblant à des pointes de flèches, dont certaines mesuraient moins d’un centimètre de longueur, et inconnues ailleurs, tant dans les riches enregistrements archéologiques de la Grotte Mandrin que dans les autres sites néandertaliens recensés à travers l’Eurasie.</p>
<p>Qui les a produites ? L’étude d’assemblages d’outils en pierre de quelques autres gisements de la moyenne vallée du Rhône montre que ces pointes sont attestées dans 4 autres sites sur la rive opposée du fleuve. Cependant, ces gisements ont été fouillés il y a longtemps, à la pioche, et les informations qu’ils fournissent s’avèrent très limitées, notamment pour comprendre si ces pointes sont présentes sur une longue période de temps, ou si elles apparaissent là aussi de manière abrupte, et donc si les Néandertaliens avaient développé ces étonnantes technologies. Cette culture fut alors individualisée dès 2004 et dénommée <a href="https://doi.org/10.1016/j.jas.2008.02.005">« Néronien »</a>, d’après la Grotte de Néron où de petites pointes similaires avaient été découvertes dès 1870.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pointes de pierre triangulaires sur fond noir." src="https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445229/original/file-20220208-21-1y943e2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ces pointes néroniennes n’ont pas de technologie équivalente chez les groupes néandertaliens qui ont vécu avant et après l’arrivée des premiers hommes modernes à la Grotte Mandrin..</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laure Metz and Ludovic Slimak</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>En l’absence d’autres sites locaux comparables, Laure Metz et Ludovic Slimak partirent en 2016 étudier certains gisements archéologiques de l’Est de la Méditerranée. L’un des plus importants, le site de <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1501529112">Ksar Akil</a> près de Beyrouth, allait nous révéler des collections archéologiques en tout point identiques aux étonnantes collections du Néronien.</p>
<p>Les petites pointes de la vallée du Rhône n’étaient plus isolées, mais pouvaient désormais se rattacher très directement à ces collections levantines où les mêmes catégories de pointes étaient réalisées très précisément suivant les mêmes traditions techniques que celles de la Grotte Mandrin. Cette étonnante constatation allait permettre de proposer dès 2017, alors à titre d’hypothèse, que le Néronien n’était probablement pas le produit d’artisanats Néandertaliens, mais bien de populations modernes issues du Levant méditerranéen et arrivées en Europe bien plus tôt qu’on ne le pensait.</p>
<p>À cette époque l’analyse directe des collections de Ksar Akil et leur comparaison avec celles de la Grotte Mandrin nous permettait déjà de dire qu’elles “…<em>illustrent une stricte réplication des systèmes ; les systèmes techniques du Néronien à l’ouest de la Méditerranée sont semblables à ceux documentés au début de ce que l’on reconnaît sous l’appellation d’Initial Upper Paleolithic dans l’Est de la Méditerranée</em>” permettant de proposer, il y a 5 ans déjà, leur attribution à l’homme moderne.</p>
<p>La pièce finale de ce vaste puzzle anthropologique et culturel n’arriva que plus tard, en 2018, lorsque les 9 dents retrouvées en 32 ans de recherche <a href="https://doi.org/10.1126/sciadv.abj9496">furent analysées</a> par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Microtomographie_aux_rayons_X">microtomographie à rayons X</a>, permettant la caractérisation détaillée de la structure externe et interne de cette dent. L’analyse du seul reste humain du niveau étudié de Mandrin, une dent de lait d’un enfant âgé entre 2 et 6 ans, permit de démontrer, sans aucun doute possible, qu’elle appartenait à un homme moderne du Pléistocène et non à un Néandertalien.</p>
<p>La démonstration de notre étude s’est construite sur ce croisement de connaissances issues de domaines scientifiques très différents et qui aboutissent tous, de manière indépendante, aux mêmes conclusions.</p>
<p>C’est sur la base à la fois de l’analyse des structures techniques de ces artisanats, d’approches comparatives transméditerranéennes très précises, et de la détermination de morphologies dentaires singulières que la toute première migration des hommes modernes sur le continent européen a pu être démontrée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="map of Mediterranean region with sketches of stone points superimposed" src="https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445450/original/file-20220209-23-39hgqu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">On opposite sides of the Mediterranean, similar stone points were made by <em>Homo sapiens</em> around the same time.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Laure Metz and Ludovic Slimak</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Lire dans le passé avec des traces de feu</h2>
<p>Mais les découvertes à Mandrin ne s’arrêtent pas là. En 2006 Ludovic Slimak repère d’étonnants dépôts grisés sur des fragments de paroi tombés dans l’ensemble des couches archéologiques. Une nouvelle enquête commence. À travers le temps la paroi de la grotte s’est lentement effritée, produisant des épandages de cailloutis progressivement ensevelis avec les milliers d’objets archéologiques abandonnés par les préhistoriques. <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01610057/document">Il nous aura donc fallu 16 ans</a> pour prendre conscience que ces cailloutis avaient préservé la trace des dépôts de suie des anciennes parois de la grotte. À chaque campement dans la cavité les parois se noircissaient de suies. Et ces suies se recouvraient rapidement de calcite au départ des hommes, générant des successions de dépôts noirâtres (suies) et blanchâtres (calcite) créant un véritable code-barres sur la paroi de la grotte et un témoignage unique de la succession des installations humaines dans la cavité. L’un des membres de l’équipe, Ségolène Vandevelde, mettra alors en place les outils permettant de déterminer la fréquence et le rythme des feux fossilisés dans ces témoins pariétaux et dans lesquels se profilent l’organisation de ces sociétés à travers le temps. L’analyse de ces dépôts successifs allait aussi permettre de déterminer qu’une seule année s’était écoulée entre le dernier feu Néandertalien et le premier feu des hommes modernes, il y a 54 000 ans. Et ce n’est qu’après avoir occupé le site pendant une quarantaine d’années, une vie humaine, que les hommes modernes allaient abandonner soudainement la Grotte Mandrin, disparaissant aussi rapidement et aussi mystérieusement qu’ils y étaient arrivés. Par la suite, et durant 12 millénaires, ne reviendront plus à Mandrin que des chasseurs Néandertaliens.</p>
<p>Ces découvertes fascinantes nous interrogent profondément.</p>
<p>Comment ces populations modernes sont-elles arrivées si précocement dans l’Ouest de l’Europe ? Les données archéologiques montrent que les humains sont arrivés en Australie il y a <a href="https://doi.org/10.1038/nature22968">au moins 65 000 ans</a> et ont nécessairement dû utiliser des moyens de navigation pour traverser l’océan. Les hommes de Mandrin se seraient-ils eux aussi déplacés par voie maritime il y a 54 000 ans ?</p>
<p>Et par la suite, comment ces populations ont-elles acquises en si peu de temps une connaissance aussi précise de l’ensemble des ressources naturelles, silex et roches rares, du vaste territoire qu’elles ont exploité autour de la cavité pendant 40 années ? Étaient-elles en contact avec des populations aborigènes néandertaliennes avec qui elles auraient échangé des informations ou qui auraient pu les guider, partageant leurs connaissances millénaires du territoire ? Ces populations se sont-elles évitées ? Ou ont-elles essayé de se métisser aux populations locales ?</p>
<p>Les découvertes à venir de la Grotte Mandrin pourraient apporter des réponses à certaines de ces questions et pourraient bien nous éclairer, un peu, sur ce que représenta réellement cette colonisation de l’Europe et la remarquable incidence de ce fait historique majeur sur le destin des populations néandertaliennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des artefacts en pierre et une dent fossile indiquent qu’Homo sapiens vivait à la Grotte Mandrin il y a 54 000 ans, à une époque où les Néandertaliens vivaient encore en Europe.Ludovic Slimak, CNRS Permanent Member, Université Toulouse – Jean JaurèsClément Zanolli, Paleoanthropologist, Université de BordeauxJason E. Lewis, Lecturer of Anthropology and Assistant Director of the Turkana Basin Institute, Stony Brook University (The State University of New York)Laure Metz, Archaeologist at Aix-Marseille Université and Affiliated Researcher in Anthropology, University of ConnecticutLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1764252022-02-10T16:04:38Z2022-02-10T16:04:38ZL’évolution du cerveau humain : clichés et réalité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445628/original/file-20220210-21-1rtgh0m.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C14%2C1931%2C1429&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un modèle 3D du crâne fossile d'_Homo sapiens_ Cro-Magnon 1.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Voici probablement la partie du corps humain qui inspire le plus de fantaisies quand il s’agit de dépeindre son évolution au cours de la grande histoire de l’humanité. Un facteur limitant évident est qu’il est impossible de trouver un cerveau fossile. Ses tissus, mous, ne se conservent pas au fil du temps. C’est évidemment contrariant pour arpenter les méandres de la paléoneurologie.</p>
<p>Par chance, les os restent bien présents et puisque le cerveau appuie sur la surface interne du crâne tout au cours de la vie de l’individu, il y dépose des marques. Enveloppe osseuse et cerveau sont imbriqués, ils se mettent en place conjointement durant la croissance. Ainsi, la forme du crâne adulte rappelle le moment du summum du développement du cerveau. Quand nous découvrons un crâne fossile, sa surface interne est moulée, soit physiquement, soit virtuellement grâce aux méthodes d’imagerie, pour reconstituer son endocrâne. C’est le reflet de la forme d’ensemble du cerveau ainsi que de fins détails, comme les limites entre les lobes et autres petits sillons qui traduisent l’extension des zones cérébrales. L’honneur est sauf, les <a href="https://paleobrain.jimdofree.com/">paléoanthropologues ont bien de quoi travailler</a> sur les cerveaux des humains préhistoriques.</p>
<p>Dans l’animation ci-dessous, on voit un modèle 3D du crâne fossile d’<em>Homo sapiens</em> Cro-Magnon 1. Le crâne est en gris et s’efface pour montrer l’endocrâne (le moulage interne du crâne qui reflète les empreintes laissées par le cerveau).</p>
<iframe src="https://gfycat.com/ifr/PotableHandsomeIrishredandwhitesetter" frameborder="0" scrolling="no" allowfullscreen="" width="100%" height="640"></iframe>
<h2>Un cerveau de plus en plus gros</h2>
<p>Il est d’ailleurs généralement clamé que le cerveau <a href="https://www.hominides.com/html/dossiers/cerveau.php">croît en taille sans interruption depuis les premiers humains jusqu’à nous</a>. Globalement, c’est vrai. Mais cela n’a pas été une croissance régulière et continue. L’augmentation n’a pas été linéaire, la variation a connu plusieurs plateaux, des accélérations, mais aussi des diminutions avec plusieurs espèces extraordinaires.</p>
<p>Toumaï, le plus ancien bipède connu et premier humain de fait, <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/nouvelles-lumieres-sur-7-millions-dannees-devolution-du-cerveau-1313351">a un endocrâne d’environ 370 cm³, ce qui représente à peine plus d’un tiers de litre</a>. C’est aussi un peu moins que le cerveau moyen des chimpanzés actuels. Poursuivons avec les Australopithèques qui vécurent sur une longue période, entre 4,5 et 1,5 millions d’années. Leur cerveau mesurait 400 à 550 cm<sup>3</sup>. Avec l’apparition du genre <em>Homo</em>, il y a environ 2,5 millions d’années, la moyenne du volume cérébral atteint 650 cm<sup>3</sup>. La stature, c’est-à-dire la taille du corps, augmente un peu aussi. Mais ces chiffres sont des moyennes globales pour des groupes. Certains Australopithèques avaient un endocrâne plus gros que certains <em>Homo</em> anciens. Ainsi, il y a une petite hausse de la moyenne, mais ce n’est pas une révolution. Pas de « Rubicon cérébral », une image longtemps employée pour dire que le cerveau d’<em>habilis</em> était proche du nôtre et bien différent de celui des Australopithèques. Cela ne se vérifie finalement pas.</p>
<p>Une rupture s’observe à partir d’<em>Homo erectus</em>. Cette espèce vécut pendant presque 2 millions d’années et fut la première à visiter tout l’ancien monde. Son cerveau atteint un volume moyen autour de 1 000 cm<sup>3</sup> avec une variation entre 600 et 1 300 cm<sup>3</sup>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C3%2C646%2C647&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=601&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445172/original/file-20220208-27-f53sq9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=755&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le crâne fossile d’<em>Homo sapiens</em> Cro-Magnon 1, vue du spécimen original et de toutes les structures internes visualisées grâce à l’imagerie. L’endocrâne, visible à gauche, est montré en orange, en avant les sinus maxillaire, sphénoïdal et frontaux sont visibles, enfin la partie droite montre les variations d’épaisseur de l’os crânien. Toutes ses structures sont maintenant accessibles et peuvent être étudiées et comparées entre de nombreux spécimens fossiles afin de mieux comprendre l’évolution humaine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Antoine Balzeau</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les plus gros cerveaux furent ceux des Néandertaliens, avec une moyenne de 1 600 cm<sup>3</sup>. Les représentants préhistoriques de notre espèce, <em>Homo sapiens</em>, avaient un endocrâne à peine plus petit, aux alentours de 1 500 cm<sup>3</sup>. Puis, la taille de cet organe a diminué et la moyenne actuelle n’est plus que de 1 350 cm<sup>3</sup>.</p>
<p>Terrible révélation : notre encéphale a rétréci au cours des derniers milliers d’années. Par ailleurs, il y a des exceptions à la tendance générale à la hausse. « l’Homme de Flores » a vécu au moins entre 800 000 et 50 000 ans en Indonésie. L’individu le plus complet avait un endocrâne de 430 cm<sup>3</sup>. Tous les spécimens sur des centaines de milliers d’années avaient une stature similaire, et donc probablement une petite tête. Sur une île voisine, Luzon, des humains dénommés <em>Homo luzonensis</em> et datés d’il y a environ 50 000 ans avaient aussi une toute petite stature. Enfin, <em>Homo naledi</em> est une autre originalité, avec ses 500 à 600 cm<sup>3</sup> de cerveau alors qu’il vivait il y a environ 300 000 ans en Afrique du Sud. Tous ces humains ont été contemporains d’autres avec des cerveaux bien plus volumineux.</p>
<h2>Intelligence et taille du cerveau</h2>
<p>Il n’y a donc pas de croissance infinie et dirigée du cerveau au cours de l’évolution humaine. Ceci démontré, il reste un sujet à aborder. Celui de savoir s’il existe une relation entre taille du cerveau et intelligence.</p>
<p>Premier élément de réponse, indiscutable. Sur 7 millions d’années, la hausse du volume cérébral s’effectue en parallèle de l’acquisition de nouvelles compétences. Cela concerne la fabrication de nombreux outils, dont la complexité croît avec le temps, l’émergence d’une forme du langage articulé, l’apparition de la culture, de comportements symboliques et des arts… Ainsi, le lien se vérifie plutôt à une large échelle mais le détail entre espèces, ou parmi des individus choisis, est plus compliqué. <em>Homo floresiensis</em> naviguait peut-être, les premiers fabricants d’outils en pierre étaient des Australopithèques, ou les différentes espèces qui cohabitaient il y a 50 000 avaient des cerveaux de grande taille mais de structure clairement différente. N’oublions pas que la taille du cerveau ne saurait être le seul critère qui permet toutes les avancées de l’humanité.</p>
<p>L’organisation interne, la forme et diverses autres paramètres biologiques sont des facteurs déterminants et font aujourd’hui l’objet de nombreux travaux. Entre autres, il a été montré que les humains fossiles partagent un cerveau asymétrique depuis des millions d’années. Ces aspects sont impliqués dans de nombreuses fonctions chez les humains d’aujourd’hui, comme le langage ou la latéralité manuelle. Des caractères communs de structure ont aussi été observés chez la plupart des fossiles du genre <em>Homo</em>, même chez les espèces plus récentes qui ont un cerveau plus petit. Ainsi, les variations de forme et structure du cerveau sont complexes chez les humains fossiles. Le cerveau des terriens d’aujourd’hui a ses particularités, une grande hauteur par rapport à sa longueur et des lobes pariétaux étendus par exemple, mais des cerveaux humains très différents ont permis à leurs propriétaires de disposer de capacités cognitives élaborées.</p>
<p>Prenons pour finir un exemple mémorable d’étude sur le lien entre taille du cerveau et intelligence. Un chercheur a exploité les bases de données de l’armée américaine pour comparer des dizaines de milliers de spécimens. Il a calculé que les individus noirs avaient un cerveau plus petit que les blancs. C’est une démonstration mathématique, la moyenne est en effet plus faible. Cette petite différence est connue, il y a bien des variations de taille entre populations. Ce chercheur a aussi mis en évidence des résultats aux tests de QI plus faibles chez les noirs que chez les blancs. Pour lui, c’était la preuve que la taille de l’encéphale est directement corrélée à l’intelligence. Il justifiait ainsi la supériorité intellectuelle des blancs sur les noirs. Ce monsieur, bien que scientifique, avait sa petite idée en tête en menant cette recherche. Ce travail est vraiment publié comme un article scientifique. </p>
<p>Mais si le résultat est « juste » d’un point de vue purement mathématique, les <a href="https://www.un.org/fr/chronicle/article/lideologie-du-racisme-un-mauvais-usage-de-la-science-pour-justifier-la-discrimination-raciale">interprétations sont totalement fausses</a>. En effet, les données étaient biaisées, et le scientifique le savait. L’échantillon d’hommes noirs comprenait exclusivement des soldats jeunes, sans formation, issus de milieux pauvres. Les blancs étaient des militaires âgés, gradés et de milieux aisés. Ainsi, la relation observée n’était pas entre taille du cerveau et QI, mais entre ce dernier et les conditions de vie et la formation suivie !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=330&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445171/original/file-20220208-25317-lkjp80.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Variation de la taille du cerveau (en cm³) au cours du temps (en millions d’années) au sein des différentes espèces humaines.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Antoine Balzeau</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Un lien existe bien entre le cadre socio-économique, la formation et les résultats à des tests de QI. Par contre, la taille du crâne, la couleur de peau ou tout critère biologique ne déterminent pas les capacités intellectuelles. Il existe une variation de taille du cerveau, entre 1 000 et 2 000 cm<sup>3</sup> pour une moyenne de 1 350 cm<sup>3</sup> chez <em>Homo sapiens</em>. Les femmes ont un cerveau plus petit que les hommes, les populations européennes que les populations asiatiques, etc. Aucune étude n’a pu différencier hommes et femmes ou les différentes populations à travers la planète selon leurs capacités intellectuelles. Au final, la seule vraie relation observée lie taille du cerveau et climat. C’est pour cela qu’il faut garder un esprit critique en sciences, une éventuelle corrélation n’est pas la preuve d’une relation de causalité. Inutile de développer des thèses racistes ou sexistes basées sur l’origine, le genre, la couleur ou la supposée puissance civilisationnelle ! Pour ce qui est du cerveau, il est démontré que ce n’est pas la taille qui compte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Balzeau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Peut-on établir un lien entre intelligence et taille du cerveau ?Antoine Balzeau, Paléoanthropologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1757202022-02-09T20:50:26Z2022-02-09T20:50:26ZRégime « paléo » : lubie moderne ou vraie bonne idée ?<p>Le régime « paléo » (pour paléolithique, période de la préhistoire courant de 3 millions à 12 000 ans avant notre ère) est aujourd’hui l’objet d’un regain de popularité, alimenté par ses <a href="https://www.passeportsante.net/fr/Nutrition/Regimes/Fiche.aspx?doc=paleolithique_regime">nombreuses vertus (supposées ?) sur la santé</a>. Mais rien n’est jamais simple en matière d’alimentation… La science nous invite d’un côté à nous émerveiller sur la remarquable diversité et sophistication du régime de nos ancêtres, et de l’autre à garder un esprit critique face à la complexité des effets des aliments sur notre santé.</p>
<p>Depuis l’apparition des premiers hominidés du genre <em>Homo</em>, notre alimentation n’a cessé d’évoluer… <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3226386/">et nous avec</a> ! Adaptation à notre environnement, maîtrise de nouvelles pratiques et techniques, évolution morphologique, changements de mode de vie : au fil des millions d’années, l’Homme se transforme, adapte son comportement, acquiert de nouvelles capacités… et varie le contenu de ses menus.</p>
<h2>Évolution(s) et alimentation</h2>
<p>Plutôt végétariens à nos origines, de plus en plus carnivores quand les conditions climatiques (refroidissement) l’imposaient et que <a href="https://theconversation.com/la-chasse-est-elle-a-lorigine-de-lemergence-du-genre-humain-145745">nos techniques de chasse progressaient</a>, nous avons évolué comme des omnivores opportunistes, essayant tout ce qui pouvait tenir lieu de nourriture autour de nous, végétaux comme animaux. La cueillette permet de récolter racines, tubercules, feuilles, fleurs, baies, ainsi que champignons, algues, œufs, coquillages ou encore insectes. Le charognage, puis la chasse, de plus gros animaux (mammifères, oiseaux, poissons) entiers… ou ce qu’il en reste !</p>
<p>Nous ne nous étendrons pas sur la consommation de nos propres congénères, car si le <a href="https://theconversation.com/sommes-nous-tous-des-cannibales-159363">cannibalisme était sans doute répandu chez nos ancêtres</a>, la pratique n’est plus admise dans nos sociétés modernes. Elle ne peut donc raisonnablement pas rentrer dans les préconisations d’un « régime paléo » au goût du jour.</p>
<p><a href="https://www.lemangeur-ocha.com/wp-content/uploads/2012/05/JD_Vigne_Alimentation_pr_historique.pdf">L’apparition (progressive) de l’agriculture et de l’élevage au Néolithique</a>, il y a environ 12 000 à 7000 ans (selon les endroits), a changé la donne. L’introduction notamment de produits laitiers et céréaliers, ainsi que l’accès à une viande plus grasse (les animaux d’élevage étant 5 à 20 fois plus gras que leurs « équivalents » sauvages), a transformé durablement et radicalement notre alimentation.</p>
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<img alt="Plats et ustensiles de cuisine du Néolithique, avec graines" src="https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=550&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=550&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=550&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=691&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=691&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=691&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Néolithique, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage, a contribué à énormément changer le contenu de notre assiette depuis le Paléolithique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sandstein/Historisches Museum Bern</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<p>Dans un contexte d’industrialisation et donc de transition encore plus brutale à l’échelle de l’histoire de l’Homme, l’alimentation d’aujourd’hui, majoritairement constituée de produits transformés par l’agro-industrie (riches en sel, sucres rapides, graisses saturées…), est de plus en plus tenue <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6817492/">responsable des pathologies métaboliques, parfois également appelées « maladies de civilisation », qui minent notre santé</a>. Obésité, diabète, cancers, maladies coronariennes : tel est le tableau clinique qui donne un sérieux coup de frein à l’augmentation de notre espérance de vie, malgré les fantastiques progrès de la médecine.</p>
<p>Dès lors, revenir à une alimentation « paléo », <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2981409/">idée popularisée par Boyd Eaton dans les années 1985</a>, apparaît chez certains adeptes du « c’était mieux avant » comme une solution pour assainir nos modes de vie moderne.</p>
<h2>Vraie ou fausse bonne idée ?</h2>
<p>D’abord, de quels ancêtres parle-t-on ? Des lointains australopithèques qui peuplaient l’Afrique il y a plus de 2 millions d’années ? Des premiers individus du genre <em>Homo</em> apparus ensuite ? Ou de leurs descendants plus récents qui ont peuplé l’Europe à partir de 300 000 ans, l’homme de Néanderthal aujourd’hui disparu, puis <em>Homo sapiens</em> (celui-là même que l’on nomme parfois « Cro Magnon » et qui est notre ancêtre direct) ?</p>
<p>Et parmi ces derniers, parle-t-on de ceux qui vivaient sur les côtes ou de ceux de la toundra ou de la taïga (respectivement au Sud et au Nord de l’Europe) ? Ou de ceux qui, encore plus proches de nous, ont subi le grand froid du Solutréen (-22 000 à -17 000) ou de ceux qui ont ensuite bénéficié du redoux au Magdalénien (-17 000 à -14 000) ?</p>
<p>Clairement, le Paléolithique présente une multitude de périodes, de climats, d’environnements et de cultures, qui ont toutes leurs spécificités… C’est donc plutôt de régimes paléolithiques qu’il faudrait parler. Pour connaître le régime des humains il y a 1 000, 10 000, 100 000 ans voire plus, les scientifiques croisent les informations directes (obtenues grâce aux chantiers de fouille) et indirectes (par extrapolation et rapprochement avec d’autres types de données).</p>
<p>Dans les premières, on trouve les restes fossilisés d’animaux et de végétaux consommés, les traces d’activités humaines (habitats, outils…), les ossements humains (dont les dents, très riches en information). Dans les deuxièmes, on sollicite la connaissance de l’environnement biologique et géologique de l’époque, la comparaison avec les comportements des quelques sociétés de chasseurs-cueilleurs subsistant encore aujourd’hui (Pygmées, Inuit, Aborigènes…), ou encore l’étude des régimes alimentaires de nos cousins primates (gorilles, chimpanzés, bonobos).</p>
<h2>Festins préhistoriques</h2>
<p>Forme du crâne, taille des dents (des grosses molaires témoignent d’une alimentation riche en végétaux coriaces, des dents plus petites avec les incisives marquées un régime plus omnivore) et usure de celles-ci (stries verticales chez les carnivores, horizontales chez les herbivores et… diagonales chez les omnivores !), composition chimique du tartre dentaire et des os (notamment le rapport strontium/calcium, qui diminue en même temps que l’augmentation de la part animale dans l’alimentation, à l’inverse des isotopes du carbone et de l’azote), ossements animaux portant des traces de découpe, pierres taillées, résidus de préparations alimentaires (graines, os, coquilles, pollens…), éléments de vaisselle, outils de chasse ou pêche (lances, pointes taillées, nasses, bâtons…) mais aussi représentations artistiques de scènes de chasse et bestiaires divers : les archéozoologues passent au peigne fin – ou plutôt au scanner, microscope électronique, séquenceur ADN et <a href="https://sagascience.cnrs.fr/Origine/methodologie/outils.htm">autre outil d’analyse physico-chimique moderne</a> – tous les éléments retrouvés sur les sites qu’ils sont amenés à fouiller.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Crâne fossilisé d’un _A. africanus_" src="https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=684&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=684&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=684&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’analyse des ossements des anciens hominidés (ici, crâne de « Mrs. Ples », grotte de Sterkfontein, <em>Australopithecus africanus</em> de 2,1 millions d’années) donne des éléments sur leur régime alimentaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">José Braga, Didier Descouens</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nombreux, les reliefs de festins anciens attestent de l’existence de régimes très variés, selon le lieu et l’époque. Ont figurés au menu, pêle-mêle :</p>
<ul>
<li><p>Des mammifères, bien sûr. <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aad0554">Nos ancêtres chassaient bien le mammouth</a> ainsi que l’antilope, l’aurochs, le bison, le cerf, le cheval, le chevreuil, le renne, le sanglier, le lièvre…)</p></li>
<li><p>Mais aussi des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440309002052">oiseaux</a> et leurs <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00460848/PDF/LaroulandieUISPP2009.pdf">œufs</a> : autruche, caille, canard, faisan, oie, perdrix, pigeon, pintade, poule…</p></li>
<li><p>Des invertébrés, dont les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0104898">escargots</a>…) ainsi que divers <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0024026">mollusques marins</a>,</p></li>
<li><p>De la mer venaient aussi bivalves et crustacés (couteaux, moules, praires, écrevisses…), thons et autres poissons (oui, la <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1207703">pêche en mer était déjà pratiquée il y a 40 000 ans</a>).</p></li>
<li><p>Même si les restes font défaut, on peut aussi imaginer insectes et de larves (scarabées, termites, fourmis…) faire partie de la liste.</p></li>
</ul>
<p>L’animal ne fait pas tout. Côté végétal, nos prédécesseurs pouvaient puiser pour leur alimentation (ou <a href="https://www.nature.com/articles/nature21674">leur santé</a>) dans l’incroyable biodiversité de leur environnement – avec précaution, car les poisons sont légion :</p>
<ul>
<li><p>Baies (arbouse, genièvre, fraise des bois, mûre, myrtille, olive, prunelle, raisin…),</p></li>
<li><p>Graines et fruits secs (châtaigne, figue, noisette, noix, pignon…),</p></li>
<li><p>Herbes et plantes sauvages (ail, asperges, céleri, ciboule, fenouil, laurier, menthe, pourpier, romarin, roquette, thym…),</p></li>
<li><p>Algues et plantes aquatiques (wakame, posidonie…),</p></li>
<li><p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440315001296">Champignons</a> – qui ne sont pas des végétaux, mais la taxonomie ne nous l’avait pas encore dit.</p></li>
</ul>
<p>Et, contrairement aux idées reçues, <a href="https://www.pnas.org/content/110/14/5380">n’allons pas imaginer que les céréales et tubercules étaient absents</a> : ils ont été récoltés à l’état sauvage avant leur domestication au Néolithique, et <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aaz5926">cuits pour en consommer les glucides il y a 170 000 ans</a>. Les <a href="https://www.pnas.org/content/107/44/18815">premières farines connues ont même été faites il y a 30 000 ans</a> ! Cette consommation de féculents est confortée par une récente étude sur le <a href="https://www.pnas.org/content/118/20/e2021655118">microbiome buccal de 124 Néandertaliens</a> indiquant une propension à consommer de l’amidon.</p>
<p>Par contre, pas de sel pour assaisonner, sauf sur le littoral, ni d’huile pour cuisiner : il faut attendre pour ça la culture de céréales au néolithique. Pas de carence en minéraux pour autant (les végétaux en contiennent beaucoup) ni en matière grasse.</p>
<p>Les fruits secs, telles les noix et noisettes, et, encore plus, la chaire et la graisse animale, de poissons ou de mammifères (notamment les abats et la moelle) procuraient les <a href="https://theconversation.com/au-paleolithique-deja-le-gras-cest-la-vie-175790">lipides essentiels à leur métabolisme</a>.</p>
<h2>La cuisine comme moteur de l’évolution</h2>
<p>Forgé pour l’omnivorisme, notre système digestif n’est… optimisé pour rien : nous digérons moins bien les végétaux que les herbivores et moins bien la viande que les carnivores. Il est par contre adapté pour tout, ce qui nous a donné le rare privilège de pouvoir coloniser à peu près toute la planète.</p>
<p>Partant d’une alimentation principalement végétale qui est encore celle de nos cousins primates, nous avons, en développant nos techniques de chasse et de pêche, augmenté progressivement la part animale de notre alimentation. Puis, transition majeure dans notre histoire, nous avons découvert la cuisson, rendue possible par la maîtrise du feu – <a href="https://www.pnas.org/content/108/13/5209">acquise progressivement depuis plus de 1 million d’années</a> en Afrique et au Proche-Orient, indépendamment à plusieurs endroits, et plus régulièrement depuis 400 000 ans en Europe.</p>
<p>Cette découverte a permis d’améliorer grandement notre alimentation : augmentation de la valeur énergétique des aliments (en facilitant mastication et digestion), détoxification de certains végétaux, élimination de parasitoses animales, etc. Cuire nos aliments permet d’accéder à près de 100 % de leurs nutriments, contre 30 à 40 % pour les aliments crus !</p>
<p>S’il est probable que les premières dégustations d’animaux cuits furent celles, fortuites, de cadavres retrouvés après un incendie de forêt, on assiste ensuite à une course à l’ingéniosité pour élaborer des moyens de cuisson toujours plus variés et sophistiqués : les aliments étaient cuits sur braises, dans des fours creusés dans la terre, sur pierre, voire bouillis dans des récipients mis eux-mêmes sur le feu (ou chauffés en immergeant des pierres chaudes).</p>
<p>Dans les régions septentrionales, le feu permettait aussi de dégeler des morceaux de carcasse congelés, donnant ainsi accès à une alimentation naturellement préservée par le froid. Enfin, le feu apporte aussi la fumée, donnant accès aux premiers moyens de conservation de la viande, avec la <a href="https://paleoanthro.org/media/journal/content/PA20170044.pdf">maîtrise de la fermentation</a> puis l’apparition des viandes salées/séchées que nous connaissons aujourd’hui.</p>
<h2>Manger paléo aujourd’hui</h2>
<p>Est-il possible, et si oui, y a-t-il un intérêt à copier le menu de nos ancêtres ? Une remarque tout d’abord : sachant qu’en France, les <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/er958.pdf">2/3 des nouveau-nés sont allaités à la naissance</a>, la plupart d’entre nous ont bel et bien commencé leur vie avec le même régime que nos aînés ! C’est après que les choses se compliquent.</p>
<p>Notre alimentation est aujourd’hui principalement composée de produits transformés, basés sur une production abondante de viande, de céréales, de produits laitiers et d’huile : ce qui n’a rien à voir avec celle qui a prévalu pendant 99, 9 % de l’existence de notre espèce. Tenter de revenir à une alimentation « préhistorique » est-elle alors une bonne idée ?</p>
<p>Aller chercher dans le passé les solutions à nos problèmes actuels est sans doute un peu naïf… D’abord, comme nous l’avons mentionné, nos prédécesseurs ont connu une multitude de régimes différents. Ensuite, l’Homme a évolué, aussi bien morphologiquement que génétiquement : nos intestins se sont raccourcis, et nous sommes aujourd’hui capables de digérer le lait (<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28426286/">même si cette capacité n’est pas partagée par tous</a>). Enfin, nous n’avons pas le même mode de vie. Notre dépense calorique, notamment, est moindre du fait du confort et, souvent, du peu d’activité physique dans nos vies modernes.</p>
<p>Alors, aurions-nous de bonnes raisons de faire « marche arrière » ? Comme souvent en matière de nutrition, les études ont beau s’accumuler, la science a du mal à trancher – que ce soit sur la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6628854/">santé cardiovasculaire</a> ou sur les <a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/13/3/1019">performances physiques</a>. En fait, tout ce que nous rappellent ces méta-analyses, les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4588744/">unes</a> après les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6817492/">autres</a>, c’est qu’une alimentation moins riche en sel, en aliments à indice glycémique élevé et en oméga 6 est meilleure pour la santé. On s’en doutait un peu…</p>
<p>Bref, pas la peine de « remonter » si loin et se plier à des préconisations et contraintes plus ou moins fondées, avec ce que cela comporte de risques de carences (en vitamine D notamment) ou excès (consommation excessive de viande, certains auteurs avançant même l’idée que le <a href="https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.09.17.301887v1.full.pdf">régime paléo accélère le vieillissement</a>… sans parler de l’impact écologique de l’élevage). D’autant qu’on ne peut que rester perplexe devant l’esprit très fantaisiste de certaines recettes « paléo » d’aujourd’hui : un <a href="https://paleo-regime.fr/curry-poisson-ananas">curry de poisson</a> avec ananas, crème de coco, huile d’olive, oignon, coriandre est sûrement très bon, mais on a un peu de mal à voir lequel de nos ancêtres pouvait trouver ces ingrédients réunis à sa portée !</p>
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<p>Ironie de la situation : adieu les recettes « veggie healthy », également très tendances, à base de riz et tofu… Céréales et légumineuses étant proscrites dans la démarche paléo !</p>
<p>Plus problématique, la tentation de remonter encore plus loin, avec par exemple le régime crudivoriste qui prône les soi-disant bienfaits d’une alimentation « vivante », inspirée de nos très, très lointains ancêtres (ou de nos cousins primates actuels). Cette tendance est d’autant plus incohérente voire dangereuse que c’est justement la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14527628/">transformation (cuisson surtout, mais aussi fermentation) des aliments, et donc la cuisine, qui nous a fait évoluer</a> et qui fait que nous sommes maintenant <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4860691/">parfaitement adaptés biologiquement aux aliments cuits</a>.</p>
<p>Ne boudons pas pour autant l’opportunité offerte par ces « régimes »… À défaut de menus miracles pour notre santé, ils proposent des contraintes qui sont autant de pistes divertissantes pour varier nos pratiques et <a href="https://www.marmiton.org/recettes/recette_madeleine-paleo_383016.aspx">inspirer de nouvelles recettes</a> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175720/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Lavelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quoi parle-t-on avec le « régime paléo » ? Beaucoup l’associe largement à la viande… mais c’est oublier que les menus de nos prédécesseurs ont énormément évolué – comme nous-mêmes.Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1715522021-12-02T19:17:06Z2021-12-02T19:17:06ZLes populations de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique connaissaient-elles la violence ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/435281/original/file-20211202-18590-gt2ghq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C0%2C4128%2C2743&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photographie d’archive illustrant la tombe double des individus JS 20 et JS 21 avec l’indication par les crayons de la position des artéfacts lithiques associés.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Fond d’Archives Wendorf du British Museum.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>La violence est-elle le propre de l’Homme ? Vaste question, surtout dans une ère médiatique où les comportements violents alimentent régulièrement les informations. Mais qu’en est-il dans les périodes anciennes ? La violence est-elle consubstantielle au genre humain ou, au contraire, s’est-elle construite au fil de l’histoire avec l’émergence des sociétés modernes ?</p>
<p>Cette question a très tôt alimenté les controverses constitutives de la philosophie moderne à travers l’opposition classique entre Hobbes et Rousseau. Pour le premier, la violence est constitutive des humains qui, dans leur forme naturelle, sont dans un état de guerre et de violence permanent. Des lois sont donc nécessaires pour réguler ces comportements et passer de l’état de nature à l’ordre politique artificiellement crée. Rousseau s’oppose lui à cette vision en faisant des humains des êtres naturellement bons, innocents et purs qui seraient peu à peu pervertis par les constructions politiques.</p>
<h2>Faire parler les traces archéologiques</h2>
<p>Centrale en philosophie, la question de la violence est aussi présente très tôt en archéologie classique. Parmi les épisodes violents les plus célèbres, on peut citer l’épopée légendaire de Gilgamesh, ce roi de la première dynastie d’Uruk datée du 3<sup>e</sup> millénaire avant J.-C dans le Sud mésopotamien. D’autres exemples pourraient être convoqués dans l’Antiquité, mettant en scène des peuples celtes ou gaulois en guerre face à des Grecs ou des Romains. Mais là n’est pas notre objet puisque nous voulons ici enquêter sur les origines de la violence dans les sociétés humaines très anciennes, celles du Paléolithique. Pour ce faire, il nous faut quitter l’écriture et les récits et accepter de nous concentrer uniquement sur des traces archéologiques, qu’il faut décrypter puis faire parler.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-larcheologie-enquete-sur-lorigine-de-la-violence-organisee-149382">Quand l’archéologie enquête sur l’origine de la violence organisée</a>
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<p>Pendant des centaines de milliers d’années d’évolution humaine, disons jusqu’à l’avènement d’Homo sapiens, il faut bien avouer que les préhistoriens n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent ! En effet, s’il existe bien quelques traces synonymes de coups violents sur des ossements humains, elles ne suffisent pas à attester l’homicide volontaire entraînant la mort. En archéologie, prouver l’action de donner volontairement la mort relève d’une enquête multiméthode particulièrement difficile et les archéologues doivent souvent se contenter de l’identification d’une seule modalité qui consiste à briser le bon fonctionnement de la physiologie humaine en lui faisant subir des traumatismes violents.</p>
<h2>Pratiques anthropophages</h2>
<p>Chez les Néandertaliens, on trouve ça et là des traces de fracturation intentionnelle sur des os frais ou des traces de découpe provoquées par des tranchants en pierre sur les os, <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.271.5247.277">traduisant une désarticulation et l’ablation des parties molles du corps</a>. Dans certains cas, ces modalités d’intervention post-mortem reflètent une pratique anthropophage, aujourd’hui clairement attestée dès 800 000 ans avant le présent. Sur le site de Gran Dolina à Atapuerca, en Espagne, 170 restes humains appartenant à 11 individus ont été découverts et la plupart portent des stigmates d’intervention anthropiques, correspondant à des traces de découpes laissées par des outils tranchants en pierre taillée, des marques de raclage indiquant sans doute le prélèvement des muscles ou encore des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S004724849990324X">marques de percussion laissées par un galet pour briser les os et en récupérer la moelle</a>. Des pratiques cannibales qui sont donc très anciennes et ici attribuées pour les premières connues à Homo antecessor, espèce humaine fossile qui serait proche du dernier ancêtre commun entre les Néandertaliens et Homo sapiens. Nous retrouverons d’autres témoignages probants d’une pratique cannibale chez les Néandertaliens, entre 100 et 50 000 avant le présent sur au moins 6 gisements européens. Mais rien dans ces pratiques, souvent interprétées comme des pratiques anthropophages à visée gastronomique, ne vient plaider pour l’homicide volontaire entraînant la mort !</p>
<p>La première évidence significative d’une violence entre individus est illustrée par un cas isolé vieux d’environ 450 000 ans. Toujours à Atapuerca mais cette fois-ci sur le site archéologique de La Sima de los Huesos, des individus se sont affrontés au corps à corps et les coups ont alors entraîné la mort, <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0126589">comme en témoignent certaines traces évidentes</a>.</p>
<p>Un crâne en particulier porte les stigmates de deux perforations létales sur l’os frontal, interprétées comme le résultat de deux coups portés par la même arme contondante dans un conflit interpersonnel face à face. Il y a plusieurs centaines de milliers d’années, un individu en a donc tué un autre, deux humains ont pu s’affronter pour des raisons à jamais inconnues qui nous renseignent sur l’ancienneté d’un comportement agressif, mais pas sur des phénomènes violents collectivement constitués ni sur les structures sociales qui les sous-tendent.</p>
<p>Devant l’opacité des données pour les périodes très anciennes du Paléolithique, tournons-nous maintenant vers le Paléolithique récent qui, à partir de 45 000 ans avant le présent, marquent l’arrivée des populations d’Homo sapiens à l’origine de la diversité actuelle en Eurasie. De nouveaux registres archéologiques apparaissent et l’on pense en particulier à la multiplication drastique des armes de chasse en silex ou en bois de cervidés comme celle des objets ostensibles que sont les parures ornementales faites en coquillages, en pierre ou en matières dures animales. En dépit de toutes ces innovations et de la rencontre avérée entre plusieurs humanités qui donnent lieu à un métissage entre Néandertal et Homo sapiens, les traces irréfutables de violence collective restent minces. Sur les parois des grottes, l’art figuratif qui s’affiche désormais ne représente pas, ou très peu, d’êtres humains et a fortiori de scènes de violence, hormis les quelques humains transpercés de traits que l’on découvre à Cougnac ou Pech Merle et qui peuvent très bien figurer des scènes d’accidents de chasse ou des sacrifices symboliques. D’autres exemples d’interprétation délicate viennent des sépultures, à l’image de cette pointe de silex fichée dans la colonne vertébrale d’un des enfants de Grimaldi, <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/204594">retrouvé dans une grotte près de Menton</a>.</p>
<h2>Jebel Sahaba : une découverte fondatrice</h2>
<p>C’est du nord du Soudan que nous vient une découverte tout à fait exceptionnelle <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Prehistory_of_Nubia.html?id=JWdyAAAAMAAJ&redir_esc=y">réalisée au début des années 1960 par Wendorf</a>. Elle a eu lieu dans le cadre des campagnes de fouilles de sauvetage mises en place par l’Unesco afin de sauver le riche patrimoine archéologique de Basse Nubie qui allait être inondé par le lac Nasser suite à la construction du haut barrage d’Assouan. La nécropole fouillée, appelée Jebel Sahaba, est très singulière : à la toute fin du Paléolithique récent, aux alentours de 13 500 ans avant le présent, au moins 64 sujets y ont été inhumés en position fléchie, le plus souvent déposés dans des fosses ovales recouvertes de dalles peu épaisses. La majorité des tombes sont individuelles, mais certaines contiennent plusieurs individus (4 tombes doubles et 4 tombes multiples, renfermant jusqu’ à 5 individus). Pour ces périodes du Paléolithique, trouver une telle concentration d’individus inhumés est déjà remarquable : il s’agit du premier grand ensemble funéraire de l’histoire de l’humanité, le premier cimetière en quelque sorte.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=897&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435293/original/file-20211202-19-ocnjqb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1128&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photographie d’archive illustrant la fouille du cimetière de Jebel Sahaba en 1965.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fond d’Archives Wendorf du British Museum.</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Mais ce qui est encore plus surprenant, c’est le nombre de traces de violence présentes sur plus de la moitié des individus. <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Prehistory_of_Nubia.html?id=JWdyAAAAMAAJ&redir_esc=y">Les premiers travaux sur cette collection</a> avaient mis en évidence la présence de traces de violences interpersonnelles sur les squelettes de vingt individus dont certains avaient encore des fragments d’armatures en pierre taillée fichés dans les ossements. Le site de Jebel Sahaba avait depuis cette découverte acquis un statut presque iconique dans les travaux portant sur les premiers moteurs du comportement violent et de guerres organisée.</p>
<p>Récemment, une équipe pluridisciplinaire dirigée par l’une d’entre nous (IC) a pu réétudier l’ensemble de la collection conservée au British Museum afin de caractériser la <a href="https://www.nature.com/articles/s41598-021-89386-y">nature des lésions présentes sur ces individus</a>. Ces nouveaux travaux confirment que les lésions osseuses sont bien le résultat de la violence humaine et qu’elles ont été réalisées principalement avec des armes à projectiles, notamment des lances et des flèches. D’autres lésions, comme les fractures cicatrisées des avant-bras ou des os de la main, ou certains traumatismes crâniens, témoignent, elles, de combats rapprochés. La violence dont ont été victimes au moins deux tiers des personnes inhumées n’est désormais plus considérée comme résultant d’un événement unique. En effet, plusieurs individus présentent en plus des traces d’impact de projectiles ayant causé la mort, des blessures par arme de jet antérieures qui ont cicatrisé, indiquant de multiples événements violents tout au long de la vie d’une personne.</p>
<p>L’analyse de la distribution anatomique des lésions à Jebel Sahaba montre également que, contrairement à la plupart des exemples archéologiques de l’époque, les traces de violences sont étendues et ne se limitent pas à une catégorie de personnes : les femmes, les hommes ainsi que les enfants ont été touchés de façon indiscriminée.</p>
<p>Enfin, la démographie du cimetière et la réutilisation de certaines tombes pour le dépôt différé d’individus soutiennent l’idée d’épisodes de violence interpersonnelle récurrents à petite échelle entre membres de communauté différentes, sous forme d’escarmouches, de raids ou d’embuscades. Ce type de guerre au long cours, de faibles magnitudes, est assez similaire aux exemples documentés par les ethnologues et ethnoarchéologues <a href="https://www.google.fr/books/edition/Violence_and_Warfare_among_Hunter_Gather/nVmTDAAAQBAJ?hl=en&gbpv=0">au sein des sociétés de chasseurs-pêcheur-cueilleurs plus récentes</a>. Le site du début de l’Holocène de Nataruk au Kenya, légèrement plus récent que Jebel Sahaba, pourrait d’ailleurs représenter un instantané de ces types de conflits dont les <a href="https://www.nature.com/articles/nature16477">victimes n’auraient pas pu être ramenées au sein de leur communauté et inhumées</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435292/original/file-20211202-13-1rlopmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Trace d’impact de projectile avec éclat lithique fiché dans le percement au niveau de la surface postérieure de l’os coxal gauche de l’individu JS 21.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Isabelle Crevecœur/Marie-Hélène Dias-Meirinho</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les travaux ethnographiques nous montrent que les raisons de ces conflits intergroupes peuvent être extrêmement diverses, entre motifs culturels souvent difficilement accessibles au niveau de l’archive archéologique, pression démographique, ou contraintes environnementales, sans exclure un mélange de ces différents composants pour justifier un point de basculement au sein de ces équilibres précaires.</p>
<p>Dans le cas de Jebel Sahaba, des changements climatiques sévères sont documentés dans la vallée du Nil à la fin du Pléistocène supérieur, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277379115301517">entre environ 20 000 et 11 000 ans avant le présent</a>. Les données archéologiques montrent en outre une très forte concentration d’occupations humaines dans une zone réduite de la Vallée du Nil à cette époque associée à une grande diversité d’industries de pierre taillée interprétées <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/feart.2020.607183/full">comme de fortes composantes culturelles des groupes humains de la région</a>. Les changements environnementaux documentés à cette période et la pression démographique sur une zone géographie restreinte sont susceptibles d’avoir été une source de rivalité pour l’accès aux ressources entre des groupes humains culturellement déjà très structurés. L’exemple de Jebel Sahaba permet d’ores et déjà d’affirmer que la violence socialement constituée précède l’avènement des sociétés agricoles et pastorales du Néolithique, souvent citées comme étant les premières dans l’histoire de l’humanité à documenter ce type de comportements.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171552/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Crevecoeur a reçu des financements de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société in Toulouse (MSHS-T), et de l'Agence national de la recherche (ANR-14-CE31 BIG DRY).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Teyssandier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Centrale en philosophie, la question de la violence est aussi présente très tôt en archéologie classique.Isabelle Crevecoeur, Chargée de recherche au CNRS, Paléoanthropologue, Université de BordeauxNicolas Teyssandier, Chargé de recherche CNRS, Préhistorien, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1703132021-10-28T19:00:56Z2021-10-28T19:00:56ZDébat : « Lady Sapiens », un nouveau stéréotype des femmes préhistoriques?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/429044/original/file-20211028-22-1pbnqsq.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=69%2C25%2C2359%2C1478&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image extraite de la bande-annonce du jeu viséo "Lady Sapiens".</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=0lBd2rMU3cg&t=1s&ab_channel=Francetvlab">Youtube</a></span></figcaption></figure><p>L’idée que la femme paléolithique aurait été rabaissée par des siècles de préjugés misogynes constitue de nos jours une source d’inspiration inépuisable. La dernière œuvre dans cette veine, <em>Lady Sapiens</em>, qui réunit un jeu vidéo, un documentaire et un <a href="https://www.arenes.fr/livre/lady-sapiens/">livre</a>, bénéficie d’un large écho médiatique.</p>
<p>À première vue, pour toute personne soucieuse de l’émancipation féminine et de la promotion de la connaissance scientifique, il n’y a là que des motifs de réjouissance. Pourtant, <em>Lady Sapiens</em> véhicule une image des femmes de la préhistoire entachée de nombreux biais, en restituant ce qui apparaît bien davantage comme un fantasme contemporain <a href="https://www.lemonde.fr/blog/huet/2021/10/11/lady-sapiens-stereotype-feminin-prehistorique-conteste/">que l’état réel de la connaissance scientifique</a>. La femme paléolithique est ainsi dépeinte sous les traits d’une <em>working woman</em> émancipée, choisissant ses partenaires, contrôlant sa fécondité, accédant peu ou prou aux mêmes activités que les hommes et exerçant une influence sociale sur un pied d’égalité avec eux. Pour parvenir à ce résultat, l’exposé s’emploie à écarter tous les éléments qui pourraient suggérer ne serait-ce que la simple possibilité de la domination masculine.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0lBd2rMU3cg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Une présentation biaisée : la division sexuée du travail</h2>
<p>Ainsi, la division sexuée du travail, qui constitue une dimension essentielle de cette domination masculine, est présentée comme faible voire absente dans les premières sociétés européennes d’<em>Homo sapiens</em>, entre 40 000 et 12 000 ans. <em>Lady Sapiens</em> insiste donc sur l’idée que les femmes chassaient de petits animaux et qu’elles participaient aux chasses collectives, ce qui est tout à fait vraisemblable. Toutefois, ainsi que le démontre l’observation de l’ensemble des chasseurs-cueilleurs connus en ethnologie, ce fait n’empêchait nullement les femmes d’être l’objet d’une série d’interdits d’une constance remarquable : celles-ci sont en effet presque universellement exclues du maniement des armes tranchantes ou perçantes. Hormis les Agta des Philippines, <a href="http://www.alaintestart.com/essai_div_sex.htm">aucune population de chasseurs-cueilleurs connue n’a jamais permis aux femmes de manier lances et arcs</a> et d’intervenir ainsi dans la mise à mort sanglante du gros gibier. Il y a donc un biais à prendre précisément ce peuple en exemple… en omettant de préciser <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/pdf/12001">qu’il se procurait ses produits végétaux auprès d’agriculteurs voisins, et qu’il était donc tout entier spécialisé dans l’acquisition de viande</a>.</p>
<p>Le traitement des informations archéologiques procède du même déséquilibre. Si l’enquête est ardue en raison d’un nombre très réduit de squelettes, une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03147057/document">étude datant d’une dizaine d’années</a> a montré que les coudes droits masculins – et eux seuls – portaient la trace de jets répétés, ce qu’il est aisé d’interpréter par un parallèle avec les observations ethnographiques où les armes lancées, à l’aide d’un propulseur par exemple, sont maniées par les hommes.</p>
<p>Les auteurs de <em>Lady Sapiens</em> mentionnent certes cette étude… mais c’est pour aussitôt porter au pinacle une <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abd0310">découverte faite il y a un an</a>, qui aurait prouvé que « certaines femmes du Paléolithique supérieur, à l’égal des hommes, ont lancé des armes pour mettre à mort le gros gibier » (p. 235).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429042/original/file-20211028-17-19ys0p3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Female Hunters of the Early Americas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sciences Advances, 2020, vl. 6, n°45, Matthew Verdolivo/UC Davis IET Academic Technology Services</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pourtant, l’unique cadavre féminin découvert au Pérou, enterré avec des armes de chasse, n’a pu être sexué qu’avec une probabilité d’environ 80 %, un chiffre bien inférieur au seuil de confiance normalement requis, à savoir 95 %. Quant à l’affirmation des découvreurs selon laquelle 30 % à 50 % des chasseurs de l’Amérique ancienne étaient des chasseresses, elle repose sur un échantillon de seulement 27 individus parmi lesquels les données de 4 squelettes, dont 3 féminins, sont jugées fiables par les auteurs eux-mêmes. Une saine attitude scientifique imposerait donc qu’une étude prétendant, sur la base d’indices aussi ténus, dévoiler une réalité en rupture avec l’ensemble des observations ethnologiques soit accueillie avec la prudence qu’elle mérite.</p>
<p>Toujours concernant la division sexuée du travail, d’autres éléments évoqués ressortent de conclusions tout aussi hâtives. Ainsi, ces parures de la culture de l’Aurignacien, il y a environ 37 000 ans, dont la réalisation est attribuée aux femmes sur l’unique base de la petitesse des perles en ivoire qui les composaient. Il en va de même des célèbres mains négatives apposées sur les parois des grottes, et <a href="https://www.hominides.com/html/actualites/mains-prehistoire-realisees-par-des-femmes-0762.php">qui furent attribuées à des artistes féminins</a> sur la base de l’indice de Manning, basé sur les proportions entre les doigts [Illustration 2]. Or <a href="https://blogs.univ-tlse2.fr/palethnologie/wp-content/files/2013/fr-FR/version-longue/articles/FOR3_Bruzek-etal.pdf">l’anthropologie médico-légale a depuis lors montré</a> que celui-ci ne pouvait être considéré comme une méthode sûre pour discriminer le sexe des empreintes de mains en art pariétal.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=839&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429040/original/file-20211028-28-5z4zbc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1054&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Main négative et ponctuations de la grotte du Pech Merle (Lot), culture dite du Gravettien, Paléolithique récent/</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Rapt des femmes et polygamie</h2>
<p>Lorsque le livre <em>Lady Sapiens</em> évoque une possible domination masculine, c’est sous deux angles essentiels : celui de la polygamie et du rapt des femmes. On lit ainsi que le rapt des femmes « ne répond probablement pas à une réalité anthropologique » (p. 88). Une intervenante concède néanmoins qu’il a pu être observé, tout en en minimisant la portée.</p>
<p>En réalité, le rapt des femmes est une des réalités les plus banales de l’ethnologie. <a href="https://www.editionselytis.com/product-page/narcisse-pelletier-la-vraie-histoire-du-sauvage-blanc">Il a été amplement documenté dans les populations de chasseurs-cueilleurs</a>, et traduit l’existence de droits unilatéraux des hommes sur les femmes.</p>
<p>Quant à la polygamie, on lit que « l’ethnographie des chasseurs-cueilleurs nous enseigne que la forme de relation privilégiée est la monogamie. C’est ce qui convient le mieux à une société où l’on ne peut pas être trop nombreux… » (p. 90). Cette manière de présenter les choses est pour le moins très orientée. <a href="https://d-place.org/contributions/EA">Une écrasante majorité des sociétés de chasse-cueillette autorise la polygamie</a> – parfois à des degrés très élevés – et presque toujours, en la réservant aux seuls hommes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/429041/original/file-20211028-15-1jchahg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une famille Mangaridji (Australie), photographiée en 1912 par B. Spencer. L’homme, au centre, possédait au moins six femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L. Hiatt, Arguments about Aborigines, p. Cambridge University Press, 1996, p. 74</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>La domination masculine oubliée</h2>
<p>Une fois minimisés ou écartés les éléments qui précèdent, les auteurs décrivent <em>Lady Sapiens</em> comme « une femme d’action », qui était possiblement une « femme de pouvoir » (p. 203). Les femmes du Paléolithique bénéficiaient donc d’un « statut privilégié » (p. 203) – selon le documentaire, elles étaient « respectées, honorées, vénérées ».</p>
<p>Or, la question essentielle demeure celle de la domination masculine, observée dans la grande majorité des sociétés humaines. Cette domination s’exprime avec une vigueur toute particulière en matière de droits matrimoniaux et sexuels, le mari pouvant à sa guise prêter ou répudier sa femme, tandis qu’elle ne disposait d’aucune espèce de droit équivalent. Dans bien des sociétés, <a href="http://smolny.fr/product/le-communisme-primitif-nest-plus-ce-quil-etait">elle était de surcroît légitimée par une religion dont les secrets étaient interdits aux femmes</a>.</p>
<p>Pas un mot n’est dit sur ces coutumes, et donc sur la possibilité qu’elles remontent, sous une forme ou sous une autre, jusqu’à cette époque. On aurait beau jeu d’arguer l’absence de traces archéologiques : les droits sexuels ou matrimoniaux inégaux ne laissent aucune empreinte matérielle. En elle-même, l’absence d’indices archéologiques directs de la domination masculine ne permet donc aucune conclusion.</p>
<p>En fait, le message véhiculé par <em>Lady Sapiens</em> est qu’une femme impliquée « dans de nombreuses activités du quotidien, indispensables à la survie des siens » (p. 203) ne saurait être infériorisée. C’est pourtant là une vision démentie par toute l’histoire des dominations de genre et, au-delà, de l’exploitation du travail. Il n’est qu’à regarder notre propre société pour faire le constat qu’effectuer un travail utile n’est nullement un gage de reconnaissance, et encore moins de puissance sociale.</p>
<p>Le récit que tisse <em>Lady Sapiens</em> met en scène une version modernisée du mythe du matriarcat primitif où ce serait l’activité productive des femmes qui aurait assuré l’égalité des sexes. En réalité, dans la mesure où les lacunes de la documentation archéologique peuvent être éclairées par les observations ethnologiques, il est vraisemblable que les sociétés des <em>sapiens</em> du Paléolithique récent étaient marquées tant par la division sexuée du travail que par des niveaux plus ou moins élevés de domination masculine. Prétendre le contraire a sans aucun doute quelque chose de séduisant. Mais pour la science comme pour l’émancipation des femmes, les théories les plus séduisantes ne sont pas nécessairement les plus justes et, par conséquent, les plus utiles.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit avec la contribution de Fanny Bocquentin, Bruno Boulestin, Dominique Henry-Gambier, Jean‑Loïc Le Quellec, Catherine Perlès et Priscille Touraille</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Lady Sapiens véhicule une image des femmes de la préhistoire entachée de nombreux biais, dans ce qui apparaît comme un fantasme contemporain plutôt que l’état réel de la connaissance scientifique.Anne Augereau, Protohistorienne, spécialiste du Néolithique et de l'évolution de l'outillage., Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)Christophe Darmangeat, Maître de conférences (HDR), Université Paris CitéNicolas Teyssandier, Chargé de recherche CNRS, Préhistorien, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1633392021-07-01T20:02:24Z2021-07-01T20:02:24ZCe que les animaux des peintures rupestres nous apprennent sur l’art et l’empathie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/407987/original/file-20210623-27-1sbmjwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C2153%2C1422&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Panneau de cheval de la grotte du Pont d'Arc (copie de la grotte Chauvet).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:29_PanneauDesChevaux(VueG%C3%A9n%C3%A9rale).jpg">Wikimedia Commons / Claude Valette</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre de la prochaine Fête de la science (qui aura lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Eureka ! L'émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>L’écrivain et critique d’art britannique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Berger">John Berger</a> a été l’un des premiers chercheurs modernes à souligner, dans son étude des peintures d’animaux de la <a href="https://culture.gouv.fr/Espace-documentation/Sites-internet-et-multimedias/La-grotte-Chauvet-Pont-d-Arc">grotte Chauvet</a>, le caractère éminemment artistique des peintures paléolithiques primitives que les humains ont peintes pendant 20 000 ans dans les grottes et les abris du monde entier.</p>
<p>Lorsqu’on demande aujourd’hui à un expert quel but poursuivaient les peintres rupestres en représentant des images d’animaux, on se heurte souvent à une interprétation utilitaire : nos ancêtres peignaient pour attirer le gibier et favoriser leurs intérêts matériels, dans la croyance superstitieuse qu’en peignant, ils obtiendraient d’une manière ou d’une autre ce qu’ils recherchaient.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=675&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=675&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=675&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406723/original/file-20210616-3785-1cf89gt.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=849&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">John Berger à Strasbourg en 2009.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Berger-2009_(1)_(cropped).jpg"> Ji-Elle/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Cet essayiste anglais, expert de la culture visuelle humaine de tous les temps, propose une analyse différente. Selon Berger, « L’artiste primitif avait une connaissance intime et exhaustive de ces animaux ; ses mains étaient capables de les imaginer dans l’obscurité ». Dans l’intérieur de l’immense grotte, silencieuse et sombre, l’émergence de ces images lui donne le sentiment que « la plupart des animaux peints à Chauvet, dans la vie réelle, étaient féroces ; cependant, les images ne trahissent aucune crainte. Le respect, oui, un respect fraternel et intime. C’est pourquoi, dans chaque image d’animal, il y a une présence humaine. Une présence révélée par le plaisir. Chaque créature ici présente est à l’aise dans l’homme ; une formulation étrange, mais indiscutable. »</p>
<p>Les tableaux successifs, superposés, inachevés, interagissant entre eux à des milliers d’années de distance, sont la multiplication d’un phénomène absolument unique, dans lequel, comme <a href="https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-5541_1895_num_2_6_1412">dans l’esthétique médiévale de saint Thomas</a>, « le plaisir parfait l’opération. » L’art rupestre témoigne de la réflexion, de la pensée et de la capacité de communication de ses créateurs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406725/original/file-20210616-15-1msjaq2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lions et rhinocéros déchaînés. Grotte du Pont d’Arc (copie de la grotte Chauvet).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:15_PanneauDesLion(PartieGauche).jpg"> Claude Valette/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’art « normal »</h2>
<p>La première idée qu’il faut se mettre dans la tête, pour voir l’art rupestre dans toute sa splendeur, c’est que c’est de l’art. Et probablement le plus raffiné des modes artistiques que l’être humain a pu développer et cultiver. Comme l’affirme Berger, l’intention artistique ne peut être instrumentalisée à des fins bassement matérielles – pour encourager la chasse ou éloigner la malchance. Ils n’engendreraient guère cette beauté absolue : comme le dit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Gu%C3%A9non">Guénon</a>, l’inférieur ne peut causer le supérieur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406726/original/file-20210616-23-1ta0t7s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ananda Coomaraswamy (1877-1947).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Coomaraswamy.jpg"> Alvin Langdon Coburn/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais pourquoi l’art rupestre peut-il être défini comme de l’art ? Il s’agit d’un art traditionnel, dans le sens où l’entend <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ananda_Coomaraswamy">Ananda Coomaraswamy</a> quand il parle d’<a href="https://www.editions-tredaniel.com/la-transformation-de-la-nature-en-art-p-7440.html">« art normal »</a> : un moyen de communication capable de transmettre la meilleure façon de faire les choses, dont le but fondamental est de transmettre des expériences qui élargissent la liberté et la capacité humaines.</p>
<p>Cette conception « normale » de l’art est celle qui prévaut dans la culture orientale, et dans la culture occidentale jusqu’à la Renaissance, depuis des millénaires. L’artiste n’est pas un type d’homme particulier, mais tout homme est un type d’artiste particulier. La beauté est une cognition, c’est-à-dire une forme de connaissance du réel, de sa véritable essence, produite par des opérations dans lesquelles on accède à des idées, qui aident à représenter l’expérience de manière harmonieuse, claire et intégrale.</p>
<p>Il n’existe pas d’art en tant que valeur particulière, mais l’art, qu’il s’agisse des beaux-arts ou de l’art populaire, de l’art manuel ou du grand art, de l’artisanat, de la poésie et des chansons, de la décoration, de l’architecture ou de la danse, est intégré à toutes les expériences quotidiennes, sans être confiné dans les musées ou constituer une valeur spéculative. Et dans l’art traditionnel normal, tous les artistes sont anonymes : simples médiateurs, leur fonction est de s’immerger et de disparaître dans la perfection de leur œuvre, et de donner naissance à ce qu’ils sont capables de voir.</p>
<p>La conception normale de l’art est précisément celle que nous pouvons apprécier avec les peintures rupestres. L’artiste est anonyme, il n’a pas besoin de signer, il n’est pas là. Il n’y a plus que son regard, incroyable, éternel, sur l’animal.</p>
<h2>Empathie et communication à travers les millénaires</h2>
<p>Les animaux sont, en quelque sorte, des médiateurs, ou des moyens pour exprimer et réaliser l’expérience la plus profondément humaine de l’existence. C’est ce que nous disent les peintures rupestres. Au-delà de l’humain, l’artiste des cavernes comprend mieux que nous que les animaux – les autres êtres vivants de la planète, les êtres créés avec tant de beauté et d’harmonie sur cette terre – sont la voie vers la réalisation humaine de l’existence. Rien de plus, rien de moins.</p>
<p>Cette approche relève d’une éthique et d’une sensibilité impossibles à surpasser.</p>
<p>Lorsque nous regardons une peinture rupestre, nous voyons de l’art pur. Les artistes cessent d’être de leur espèce pour être l’image qu’ils peignent, comme le préconisait le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hokusai">grand peintre japonais Hokusai</a> : si tu veux dessiner un oiseau, tu dois devenir un oiseau. Ces peintures nous montrent la voie vers un mode de communication ouvert vers l’avenir, une empathie pour les êtres vivants et à venir. Elles témoignent de la recherche d’une finalité profonde, dans laquelle éthique et esthétique se rejoignent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eva Aladro Vico no recibe salario, ni ejerce labores de consultoría, ni posee acciones, ni recibe financiación de ninguna compañía u organización que pueda obtener beneficio de este artículo, y ha declarado carecer de vínculos relevantes más allá del cargo académico citado.</span></em></p>Les peintres préhistoriques ont créé un art animalier qui ne peut être expliqué uniquement en termes utilitaires.Eva Aladro Vico, Profesora Titular de Teoría de la Información, Universidad Complutense de MadridLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604342021-05-27T17:04:25Z2021-05-27T17:04:25ZComment nous avons découvert la plus ancienne sépulture humaine d'Afrique – et ce qu'elle nous révèle sur nos ancêtres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403151/original/file-20210527-20-14sb29c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C65%2C2366%2C3352&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Reconstruction virtuelle de la position de Mtoto dans la fosse mortuaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Jorge González/Elena Santos)</span></span></figcaption></figure><p>Comment les caractéristiques humaines se sont-elles développées chez nos ancêtres, nous différenciant des autres animaux ? C'est une question à laquelle <a href="https://theconversation.com/no-giant-leap-for-mankind-why-weve-been-looking-at-human-evolution-in-the-wrong-way-60935">s'intéressent de nombreux archéologues</a> qui étudient les premières traces d'art, du langage, d'ornements, de symboles et de préparation de nourriture.</p>
<p>La façon dont nos ancêtres traitaient les morts et les pleuraient peut également fournir d'importants indices pour déterminer à quel moment nous avons développé la pensée abstraite nécessaire afin de saisir pleinement le concept de la mort.</p>
<p>Nous avons découvert une sépulture humaine vieille de 78 000 ans dans une grotte de la côte tropicale de l'Afrique de l'Est. Cette découverte nous offre des informations intrigantes sur la manière dont nos ancêtres s'occupaient des morts. Dans notre nouvelle étude, <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-021-03457-8">publiée dans Nature</a>, nous décrivons la sépulture d'un enfant âgé de 2 ans et demi à 3 ans, qu'on a surnommé Mtoto (mot swahili pour «enfant»), découverte dans le site archéologique de <a href="https://www.shh.mpg.de/1466873/miller-panga-ya-saidi-cave">Panga ya Saidi</a>, au Kenya. Il s'agit de la plus ancienne sépulture d'Homo sapiens jamais trouvée en Afrique.</p>
<p>Les fouilles ont commencé en 2010. Jusqu'à présent, elles ont permis de conclure à une occupation humaine datant d'il y a 78 000 à il y a 500 ans, couvrant les périodes de l'âge de pierre moyen et de l'âge de pierre tardif de l'archéologie africaine. La sépulture de Mtoto se trouvait vers le fond du site de fouilles et a d'abord été remarquée parce qu'elle contenait des sédiments d'une couleur différente de ceux qui l'entouraient.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Image d'une grotte" src="https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398880/original/file-20210505-13-frsx4j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Site de la grotte de Panga ya Saidi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mohammad Javad Shoaee</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L'examen initial a révélé des os très dégradés. Nous avons rapidement constaté que le matériel était si fragile que les techniques d'excavation habituelles ne convenaient pas. Nous avons donc décidé de récupérer la tombe dans son bloc de sédiments et de l'envoyer au <a href="https://www.cenieh.es/en">Centre national de recherche sur l'évolution humaine</a> (CENIEH) à Burgos, en Espagne.</p>
<p>Plusieurs mois de fouilles minutieuses en laboratoire ont permis de découvrir Mtoto, couché sur le côté droit et les genoux ramenés contre la poitrine. Le squelette était relativement intact, ce qui, avec l'analyse détaillée des sédiments qui entouraient le corps, indique que celui-ci s'est décomposé dans une tombe remplie. Le déplacement de certains os laisse penser que la partie supérieure du corps de Mtoto pourrait avoir été enveloppée dans un matériau périssable, sans doute de la peau ou un tissu végétal, ou que la tombe a été densément remplie de sédiments pendant l'enterrement.</p>
<p>Des éléments semblent aussi démontrer que la tête de Mtoto aurait été soutenue par des matériaux périssables dans la tombe. Elle était tournée par rapport au corps, un phénomène courant lorsque les oreillers laissent un vide en se décomposant. Il est évident que Mtoto a été installé avec soins dans une tombe, probablement avec le haut du corps enveloppé et la tête déposée sur un coussin. Tout porte à croire que le corps de Mtoto a été enterré intentionnellement, avec une forme de participation de la communauté ou de rite funéraire. Le corps n'a certainement pas été abandonné ou enseveli accidentellement par des processus géologiques tels qu'une inondation.</p>
<h2>Un cas unique ?</h2>
<p>Qu'est-ce que cela peut nous apprendre sur nos ancêtres ? En Eurasie, les Homo Sapiens et les Néandertaliens enterraient couramment leurs morts dans des sites résidentiels depuis au moins 120 000 ans. Pourquoi l'inhumation la plus ancienne trouvée en Afrique s'est-elle produite si tard, compte tenu de la place centrale qu'occupe ce continent dans l'émergence du <a href="https://theconversation.com/what-excavated-beads-tell-us-about-the-when-and-where-of-human-evolution-53695">«comportement humain moderne»</a> ? Une des hypothèses est qu'il y a plus de 78 000 ans, les populations africaines traitaient leurs morts d'une manière différente.</p>
<p>Il semble que les populations africaines plus anciennes retiraient la chair de certaines parties importantes du corps, notamment du crâne, pour n'en conserver que les os. Ce processus se nomme excarnation. Des marques d'incisions et de polissage sur trois crânes vieux de 150 000 ans <a href="https://www.nature.com/articles/nature01670">découverts à Herto, en Éthiopie</a>, confirment cette hypothèse. Il est possible que ce traitement particulier des morts ait été associé à la perte ou au deuil.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Image de l'excavation de la tranchée" src="https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398881/original/file-20210505-13-un9bz4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La sépulture humaine a été trouvée au fond de cette tranchée excavée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mohammad Javad Shoaee</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il se peut également que nous ne cherchions pas au bon endroit les anciens vestiges humains. La plupart des fouilles archéologiques ont lieu sur des sites résidentiels. Si les cultures plus anciennes se débarrassaient des corps à l'extérieur de ces zones, les archéologues risquent de ne pas les trouver. Les corps pourraient avoir été déposés dans des endroits naturels tels que des fissures ou des creux dans des grottes, une pratique connue sous le nom de <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/mono/10.4324/9780203813300-10/funerary-caching-earliest-burials-early-homo-sapiens-paul-pettitt">«mise en cache funéraire»</a>.</p>
<p>La signification culturelle précise de la mise en cache funéraire n'est pas claire, mais la pratique semble être très ancienne. Une grande concentration d'ossements d'homininés datant d'il y a 430 000 ans a été découverte à la <a href="https://theconversation.com/chew-on-this-neanderthal-jaws-evolved-before-brains-28190">Sima de los Huesos</a> (le gouffre aux ossements) à Atapuerca, en Espagne.</p>
<p>Avant la découverte de Mtoto, les plus anciennes sépultures africaines connues étaient celles de <a href="https://www.discovermagazine.com/planet-earth/the-ancient-tomb-of-a-young-child">Taramsa, en Égypte</a> (datant d'il y a 69 000 ans) et de <a href="https://www.liberation.fr/sciences/2020/01/02/la-capacite-d-homo-sapiens-a-transformer-la-nourriture-en-un-fait-social-a-fait-la-difference_1771543/">Border Cave, en Afrique du Sud</a> (datant d'il y a 74 000 ans). L'enfant de Taramsa a été trouvé dans une fosse, initialement creusée pour extraire de la roche afin de fabriquer des outils en pierre. Ce site pourrait être considéré comme un exemple tardif de mise en cache funéraire. Le bébé de Border Cave a été exhumé en 1941 et, contrairement à Mtoto, on n'a aucune information dans ce cas sur la position des restes. Il est donc impossible de conclure que ce qui a été découvert à Border Cave est une sépulture.</p>
<p>Mais, prises dans leur ensemble, les découvertes pourraient suggérer que les pratiques funéraires africaines ont changé au fil du temps. Il pourrait y avoir eu un passage, quelque part entre il y a 150 000 et il y a 80 000 ans, de l'excarnation observée à Herto à la mise en cache et aux inhumations de Panga ya Saidi, Taramsa et Border Cave. Il est également frappant de constater que tous ces sites contiennent des individus jeunes. Peut-être que les corps des enfants faisaient l'objet d'un traitement particulier à cette époque ancienne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160434/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Armitage est financé par le Conseil de la recherche de Norvège, par l'intermédiaire de son programme de financement des centres d'excellence, le Centre SFF pour le comportement précoce des Sapiens (SapienCE), numéro de projet 262618.
</span></em></p>Les enterrements semblent avoir été peu fréquents en Afrique il y a environ 80 000 ans, alors qu'ils étaient répandus en Eurasie.Simon Armitage, Professor in Quaternary Science, Royal Holloway University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1552302021-02-12T16:32:43Z2021-02-12T16:32:43ZMaeve, 8 ans : «D'où venait la première personne du monde ?»<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/384020/original/file-20210212-23-t5cha7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=59%2C59%2C851%2C438&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nos ancêtres dans une grotte.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/cromagnon-homo-sapiens-man-cave-mined-542740507">Cimmerian / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Quelle question géniale, Maeve ! Elle a posé problème à de nombreux scientifiques au fil des ans, tout simplement parce qu'il est très difficile de répondre.</p>
<p>Pourquoi ?</p>
<p>Eh bien, ça dépend un peu de ce que tu entends par <em>personne</em>. Il peut nous sembler évident aujourd'hui de savoir ce que nous entendons par personne. Toi, moi, ta maman, ton professeur à l'école…</p>
<p>Nous sommes tous des gens, ce qui veut dire que du point de vue de la science, nous appartenons tous à la même espèce.</p>
<p>Les scientifiques donnent des noms à toutes les espèces. Ces étiquettes nous permettent de communiquer plus facilement entre nous et de savoir exactement de quelle espèce nous parlons. L'abeille domestique (qui fait du miel), par exemple, est appelée <em>Apis mellifera</em>, tandis qu'une rose est appelée <em>Rosa gallica</em>.</p>
<p>Notre espèce porte le nom d’<em>Homo sapiens</em> qui signifie «le sage». Il y a d'autres espèces d'humains, comme les Néandertaliens, mais je ne vais parler ici que d’<em>Homo sapiens</em> parce que c'est ce que nous sommes – c'est ce que j'entends par personne.</p>
<p>Donc, toutes les personnes qui vivent aujourd'hui appartiennent à l'espèce <em>Homo sapiens</em>. Et, en remontant dans le temps, les archéologues ont trouvé des os de personnes appartenant à notre espèce qui ont au moins 200 000 ans.</p>
<p>Pour moi, c'est un temps inimaginable, mais nous savons aussi que ce n'est qu'une infime partie du temps pendant lequel la Terre a existé. Cela fait de nous une espèce très jeune par rapport à la plupart des millions d'autres espèces vivant sur la planète aujourd'hui.</p>
<p>Les squelettes de ces très jeunes gens ont été trouvés par des archéologues dans des endroits comme le Maroc en Afrique du Nord, l'Éthiopie et le Kenya en Afrique de l'Est, et en Afrique du Sud.</p>
<p>Donc, une réponse à ta question est de dire que la première personne est venue d'Afrique il y a environ 200 000 ans.</p>
<p>Mais c'est là que ça commence à devenir un peu délicat.</p>
<p>La première personne n'était pas seule, bien sûr, elle vivait sûrement dans un petit groupe de quelques centaines de personnes. Il vaut donc mieux penser aux <em>premières personnes</em> plutôt qu'à la <em>première personne</em> qui a vécu en Afrique il y a toutes ces années.</p>
<p>Ces gens très anciens sont tous membres de notre grande famille et ils sont les ancêtres de tous ceux qui vivent aujourd'hui.</p>
<p>Ils se sont lentement répandus à travers l'Afrique, vivant dans tous les coins et recoins qu'ils pouvaient pendant les 100 000 premières années où notre espèce était présente. Ils se sont installés sur la côte, dans les montagnes, et même dans le désert.</p>
<p>Mais, il y a environ 70 000 ans, un petit groupe d'entre eux a quitté sa patrie africaine et est parti vers le reste de la planète, s'installant en Asie, en Australie, en Europe et finalement en Amérique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CJdT6QcSbQ0?wmode=transparent&start=66" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Carte animée montrant comment les premiers humains ont migré à travers le globe.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, le tout premier asiatique, ou le premier aborigène australien, le premier européen, ou le premier amérindien, tous descendent de ces peuples africains qui se sont répandus à partir de l'Afrique il y a environ 70 000 ans.</p>
<p>Cela signifie que pour chaque personne vivante aujourd'hui, quelle que soit notre ascendance, il est juste de dire que nous sommes tous des Africains ! Notre espèce est née en Afrique et les ancêtres de tous les êtres vivants, où qu'ils vivent aujourd'hui, sont des Africains.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d'envoyer un mail à : tcjunior@theconversation.fr. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p>
<hr>
<p>Traduit par Benoît Tonson, avec l'aide de DeepL.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155230/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Darren Curnoe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qui était le premier humain sur Terre ? En voilà une question qui a questionné les scientifiques pendant très longtemps, et est même toujours débattue.Darren Curnoe, Honorary Associate Professor, UNSW SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1493822020-11-09T19:17:14Z2020-11-09T19:17:14ZQuand l’archéologie enquête sur l’origine de la violence organisée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/368249/original/file-20201109-20-pwpz2e.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C0%2C1860%2C1239&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gravure rupestre du Boshulan (Suède) : hommes en armes sur un bateau, et présence de trompettes à l'arrière; </span> <span class="attribution"><span class="source">Photo Yann Lorin pour « Boat 1550 BC »</span></span></figcaption></figure><p>L’homme est-il naturellement porté à la violence ou, au contraire, est-il pacifique ? La société, par ses choix, son organisation et ses lois l’amène-t-elle à une attitude d’hostilité, voire d’attaque envers son prochain, ou au contraire est-elle à l’origine d’un meilleur contrôle de son agressivité originelle ? L’organisation de cette violence et des moyens de guerre est-elle un point de départ ou d’arrivée des trajectoires humaines ?</p>
<p>Les hommes se posent depuis des siècles cette question de fond qui touche à leur être et les interroge sur leur nature. Les réponses relèvent d’une infinie complexité, mobilisant au minimum la philosophie, l’histoire, la sociologie, l’anthropologie. Les figures emblématiques de Jean‑Jacques Rousseau ou de Thomas Hobbes en incarnent en particulier deux positions depuis l’époque moderne. Loin de se restreindre à un débat d’ordre théorique et intellectualisé, elles percutent douloureusement la réalité.</p>
<p>À chaque tragédie de l’histoire, cette question revient, avec plus ou moins d’intensité et la question des fondements de la nature humaine ressurgit. Comment l’homme – nous <em>Homo sapiens</em> avec son petit pourcentage de Neandertal – peut-il en arriver là ? Existe-t-il quelque part des explications qui dépassent l’immédiateté de moments ignobles et insoutenables ? Un éclairage historique est-il possible et quel autre regard pourrait-il apporter ? Comment qualifier ces pulsions et ces actions ? À quand remontent-elles et pourquoi ? Jusqu’où dans la profondeur du temps et sous quelles formes peut-on mettre en perspective sur la longue – voire la très longue – durée les agissements violents de l’humanité ? Enchâssé dans l’actualité du présent, le travail de l’historien tente une autre approche : mener l’enquête en repoussant sans cesse les limites de la recherche, explorer librement toutes les pistes, produire des travaux érudits pour nourrir la réflexion et apporter de la connaissance jusque dans les salles de classe et auprès de tous les citoyens.</p>
<h2>Guerre et Préhistoire</h2>
<p>Les spécialistes des époques les plus anciennes ont tardé à entrer <a href="https://www.inrap.fr/age-du-bronze-age-de-guerre-violence-organisee-et-expressions-de-la-force-au-iie-14789">sur le terrain de la guerre</a>. Celle-ci, pour l’Antiquité ne pouvait être évitée car les auteurs en faisaient de nombreuses descriptions. Dans l’antichambre de ce que l’on considérait traditionnellement comme l’histoire – celle qui commençait avec les sources écrites – on apercevait les Celtes, les Gaulois, des peuples en guerre face à des Grecs et des Romains avant d’être battus par ces derniers.</p>
<p>Pour les époques plus anciennes, le sujet ne pouvait être abordé de la même manière, avec les mêmes méthodes d’enquêtes. Pendant très longtemps, jusqu’au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle environ, ces temps très anciens n’avaient d’ailleurs même pas d’existence. On ne connaissait l’histoire que par le biais de l’écrit et l’archéologie se limitait, au mieux, à n’être qu’un complément d’une étude des textes sous l’angle des monuments et de certains objets prestigieux.</p>
<p>La « Préhistoire » fut littéralement inventée dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, et baptisée ainsi officiellement en 1867 à l’Exposition universelle de Paris. On était encore très loin de maîtriser toutes les chronologies, leurs nuances, leur exactitude. Il fallut attendre la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle pour y parvenir et en particulier des méthodes en laboratoire comme le radiocarbone.</p>
<p>Depuis, l’archéologie n’a cessé de mettre en œuvre pour approcher au mieux les sociétés du passé. Les thématiques et les approches trouvent un écho dans les préoccupations des chercheurs eux-mêmes : la technique après 1945, la naissance du monde agricole à partir des années 1970, les rituels funéraires après 1980, les questions environnementales après 1990, l’ADN aujourd’hui, etc. La guerre a globalement résisté jusqu’à l’aube des années 2000 et a d’abord été étudiée par les Anglo-saxons qui y intégraient une dimension anthropologique peu présente en France. Les archéologues, comme les historiens qui avaient connu pour certains la Seconde Guerre mondiale ou les conflits de la décolonisation, choisissaient de manière privilégiée, consciemment ou non, d’autres thématiques de recherche.</p>
<p>La violence n’était pas absente des interrogations sur les premiers hommes. Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les images populaires se multiplièrent et montrèrent un homme des cavernes à l’allure patibulaire armé d’un gourdin. Elles ne furent pas le fait des pionniers de l’archéologie qui s’en tinrent prudemment à classer leurs données peu dissertes sur la réalité de la violence. Dans les années 1990, si l’on ne trancha pas sur la violence originelle de l’homme, on promut une image pacifique du paysan du Néolithique (à partir du VI<sup>e</sup> millénaire pour l’Europe), celui qui inventa l’agriculture et que l’on imagina plus volontiers aux champs cultivés que sur ceux de bataille.</p>
<p>Dans les années 2000, le retour de préoccupations guerrières contemporaines, et en particulier la montée du terrorisme, changea la donne dans l’ensemble des sciences sociales. En archéologie, la violence et la guerre prirent une importance nouvelle et grandissante, tandis que les fouilles sur le terrain livraient une documentation très nombreuse et mieux étudiée. Vingt ans plus tard, c’est donc presque un bilan d’une génération de recherche que l’on peut modestement oser.</p>
<h2>L’archéologie face à la violence et à la guerre</h2>
<p>Établir le lien entre les seules données archéologiques, la violence et la guerre n’est pas simple. L’archéologie livre des témoignages que l’on peut qualifier d’immobiles et muets au sens littéral, contrairement aux sources écrites ou aux témoignages directs de l’anthropologie. L’archéologue a donc pour mission de mettre en mouvement et en récit des traces qui ne disent rien dans un langage ordinaire. En outre, ces vestiges sont partiels même s’ils sont abondants. Ils ne sont que le résidu de ce qui a traversé le temps, après que les hommes aient, le plus souvent, continué à vivre dans les mêmes espaces que ceux de leurs ancêtres. En outre, la sédimentation opérée par le temps et l’anonymisation des individus offre une certaine mise à distance qui rend sans doute le sujet moins difficile et douloureux que pour les conflits les plus récents.</p>
<p>La connaissance de la violence et de la guerre en archéologie passe donc par la matérialité de celle-ci. Si cette dernière a disparu, la preuve n’existe plus et aucun texte ne peut pallier ce manque. La première étape est donc celle de la recherche de traces, la seconde celle de leur interprétation qui ne fait pas consensus en tous points chez les archéologues. Les documents sont de quatre types : les restes humains eux-mêmes, les équipements et instruments de la violence déployée, les représentations figurées, les lieux des actions.</p>
<p>Certains d’entre eux sont connus depuis les débuts de la pratique archéologique entre le XVIII<sup>e</sup> et le XIX<sup>e</sup> siècle, en particulier les objets découverts dans des tombes ou des ensembles que l’on nomme les « dépôts » et les représentations figurées sur des stèles ou des parois rocheuses. Toutefois, avoir un objet sous les yeux ne signifie pas nécessairement l’appréhender dans tous ses aspects. Longtemps, les casques et les cuirasses de l’Âge du bronze européen (vers -2200/-800 environ) ont été d’abord été vus comme des marqueurs chronologiques et des objets de prestige plus que comme des armes au sens plein.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=772&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=970&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=970&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368248/original/file-20201109-21-2z0jg9.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=970&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cuirasse de Saint-Germain-du-Plain (Saône-et-Loire), datable de la fin de l’Âge du bronze, Musée d’archéologie nationale (Saint-Germain-en-Laye).</span>
<span class="attribution"><span class="source">photographie Anne Lehoërff</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les ossements sont mis au jour quotidiennement par les archéologues mais, durant des décennies, ils n’ont guère retenu l’attention des chercheurs sauf cas particulier (des momies, les débuts de l’humanité). Il a fallu attendre la datation au radiocarbone, et plus récemment les études d’ADN pour qu’ils acquièrent une importance nouvelle. Aujourd’hui, on y traque des stigmates de coups, des manipulations. Les vestiges anthropobiologiques jouent désormais un rôle majeur en archéologie funéraire, en bioarchéologie et en archéologie forensique (études des conflits et scènes de crime) avec de <a href="https://www.inrap.fr/les-archeologues-arrivent-sur-la-scene-du-crime-14650">nouvelles méthodes d’investigation sur la violence</a>.</p>
<p>Quant aux terrains où les combats ont eu lieu, les archéologues avaient presque renoncé à en retrouver les traces pour les périodes les plus anciennes, convaincus qu’elles avaient été balayées par les millénaires. La découverte récente (2006) du champ de bataille de Tollense au nord de Berlin (Allemagne) et ses centaines de morts encore <em>in situ</em> relance les possibles et atteste une réalité inédite.</p>
<h2>La violence n’est pas la guerre</h2>
<p>Avec de nouvelles données et méthodes, le paradigme des premières guerres de l’humanité a changé en moins d’un quart de siècle. La violence est envisagée aujourd’hui partout, à toutes les époques, réaffirmant la violence du chasseur-cueilleur du Paléolithique, supplantant le paisible paysan du Néolithique, faisant évoluer une vision sociale et élitaire du guerrier de l’Âge du bronze (il était beau et il était un prince) à une vision plus brutale et sanguinaire de cette figure.</p>
<p>Reste à savoir de quoi on parle, ce qu’il y a derrière les mots de violence et de guerre. L’archéologie dispose de données mais elle ne sait pas comment elles se nommaient tant que les hommes n’écrivent pas. Ce sont donc les chercheurs qui choisissent des termes – les leurs – pour désigner des réalités anciennes qui s’appelaient peut-être tout autrement. Ce serait un détail si les mots n’avaient un sens bien précis. Le terme de « violence » est le moins difficile, il est une manière d’agir à l’échelle de l’individu ou du groupe, qui intègre de l’agression envers autrui. Cela peut être une perte de contrôle de soi, ou au contraire un geste prémédité, contrôlé, voire organisé. Celui de « guerre » inclut la notion d’organisation, et induit même que tout un pan de la société, dans son volet économique, politique, social, technique, est dédié à cette activité.</p>
<p>Que peut en dire l’archéologie ? Quand voit-elle la naissance de la « guerre » ? Comment mène-t-elle l’enquête pour y parvenir ? Le défi n’est pas simple et plusieurs niveaux de réponses s’entrecroisent. La première étape est donc celle de la collecte des données sur le terrain, puis leur étude. Il faut parfois supposer, déduire d’une absence ou d’une présence qui implique en amont des actes dont il ne reste plus de traces. C’est donc bien souvent un faisceau de présomptions qui invite à telle ou telle conclusion, au-delà de la seule preuve archéologique. Tous les sujets ne sont pas aussi complexes. Ainsi, lorsque la recherche porte sur l’apparition de l’agriculture, la forme domestiquée d’une espèce qui supplante une forme sauvage, le taxon dit l’innovation, même s’il ne répond pas au « pourquoi ».</p>
<p>À quel moment la donnée archéologique dit-elle la guerre et dans quelles sociétés ?</p>
<p>Sur les ossements humains, dès le Paléolithique, des stigmates attestent des morts violentes. C’est en Chine méridionale (grotte de Maba) que l’on a la trace du premier individu mort d’un coup au crâne par un objet contondant en pierre entre -200 000 et -150 000. Des objets en bois ont également été utilisés dans la mise à mort de Néandertaliens (Saint-Césaire, Charente-Maritime, vers -38 000) ou de Sapiens, y compris d’enfants (Grimaldi, Italie, vers -30 000). Sur les parois peintes du Paléolithique le plus récent, quelques parois montrent également des scènes de blessures ou de décès, comme dans la grotte Cosquer (Bouches-du-Rhône) ou celle de Pech-Merle (Lot) il y a plus de 20 000 ans. La violence est donc présente, et elle est même intégrée au registre figuratif. Les témoignages restent isolés, au sein de populations encore très peu nombreuses.</p>
<p>Les premières traces de morts regroupées sont actuellement à la frontière nord du Soudan, sur le site baptisé « 117 », où 59 individus (24 femmes, 19 hommes, 13 enfants et 2 indéterminés) ont été mis au jour, morts de coups violents portés à différents endroits du corps. Massacre, l’événement l’est certainement mais guerre, impossible de le déterminer.</p>
<p>Un débat de fond touche le Néolithique avec des tenants d’une naissance de la guerre à ce moment-là (soit entre -12 000 et -6 000 environ), et les chercheurs qui optent pour une naissance de la guerre au sens plein à la période suivante, l’Âge du bronze.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368250/original/file-20201109-22-1ttnpjn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fosse 124 en cours de démontage.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Inrap, photo Michel Christen.</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La thèse d’une guerre stricto sensu au Néolithique repose en particulier sur le nombre croissant de lieux où des morts violentes ont eu lieu : Talheim (Bade-Wurtempberg, Allemagne) où 34 individus (18 adultes et 16 enfants) ont été découverts portant de nombreuses de traces de coups et de stigmates sur les os ; Hexheim (sud Rhénanie-Palatinat, Allemagne) où -5000 environ, dans les fossés, plusieurs centaines d’individus dont de nombreux enfants ont été violemment mis à mort ; Achenheim (Alsace) où une fosse, vers -4200, contient les restes mutilés de cinq hommes adultes, d’un adolescent auxquels s’ajoutent quatre membres supérieurs gauches surnuméraires interprétés comme le résultat d’exécutions d’un ennemi captif, etc.</p>
<p>Mais, la mort violente est-elle la guerre ? L’archéologie le prouve difficilement. Les équipements de cette époque (hache, flèches) qui peuvent servir à blesser et tuer sont autant des armes pouvant servir à la chasse qu’au combat entre humains. D’autres arguments sont avancés : la croissance démographique, la sédentarisation, le développement d’une notion de propriété seraient des raisons qui auraient poussé à l’invention de la guerre. Les motifs religieux ne sont pas à exclure.</p>
<p>Ces sociétés ont effectivement des croyances au nom desquelles les hommes pratiquent des rituels dès le Paléolithique que l’on qualifie de religieux mais il est impossible de savoir s’ils ont été, ou non, des raisons pour attaquer autrui. Les travaux récents, abandonnant le pacifique paysan des années 1970 à 1990, tendent à avancer des comparaisons en anthropologie et à introduire la notion de « feud », qui est une forme de conflits présents comme un bas bruit, qui règle la vie de certaines sociétés et garantit leur équilibre. Reste là aussi à savoir si cette piste de réflexion peut être directement transposée à des populations habitant à des milliers de kilomètres, des milliers d’années plus tôt…</p>
<h2>Âge du bronze, âge de guerre</h2>
<p>À l’Âge du bronze, une réalité nouvelle surgit en Europe. La création d’un objet dit littéralement cette fois, et avec certitude, le combat anticipé, organisé : l’épée dont il subsiste des milliers d’exemplaires à travers l’Europe. Cette invention s’accompagne d’ailleurs d’un armement défensif composé de casques, cuirasses et protections diverses. C’est un moment clé dans la course à l’armement qui implique un investissement technique, économique, un contrôle des échanges et un encadrement politique à cette activité dans ces sociétés de guerre.</p>
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<span class="caption">Épée de Wimereux, Pas-de-Calais, (sans la poignée en matériaux organiques qui a disparu) ; longueur 56,5 cm. Musée de Boulogne-sur-Mer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">projet européen « Boat 1550 BC »</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La découverte et la fouille du site de Tollense ne font que confirmer cette réalité. Différents types de combattants y ont pris part ainsi que des chevaux domestiqués en Europe vers -1500. Le détail de la périodicité des combats de cette époque est difficile à estimer. En revanche, leur déroulement est mieux estimé aujourd’hui grâce à aux études scientifiques combinées avec la fabrication de répliques des armes et des essais de mise en situation. Pour cette époque de l’Âge du bronze, des exemples soulignent des atteintes volontaires et particulièrement violentes sur les corps, incluant des mutilations, des démembrements, des décapitations comme sur le site de Vélim en Bohème.</p>
<p>Si la guerre au sens plein est désormais incontestable, les raisons de guerre restent mal connues. Les motifs classiques ou récurrents évoqués par Thomas Hobbes ne sont pas anachroniques : profit, sécurité, réputation ont toute leur place dans ces sociétés complexes, hiérarchisées et organisées sur le plan politique. Sans pouvoir entrer dans le détail, il faut y inclure une dimension cultuelle, religieuse qui s’exprime à travers des gestes forts : les atteintes aux corps qui ne sont pas aléatoires, les bris d’armes qui sont également très standardisés et qui sont à mettre en lien avec des croyances. Ces actes volontaires et ritualisés participent d’un processus de déshumanisation des individus et de « défonctionnalisation » de l’arme du vaincu en la privant de son intégrité. Ces gestes ultimes vont au-delà de la mise à mort, réelle et symbolique.</p>
<h2>Le rôle de l’archéologie</h2>
<p>L’archéologie identifie donc aujourd’hui l’ancienneté de la violence et la naissance de la guerre « classique ». Elle en voit les traces matérielles, tangibles même si l’absence de récits lui interdit certains détails ou motivations. L’épée en est l’incarnation.</p>
<p>Des millénaires plus tard, les hommes n’ont pas cessé leur course à l’armement, ils ont mondialisé la guerre, et en ont inventé de nouvelles formes parfois d’une ampleur et d’une cruauté difficilement qualifiable, se jouant d’innovations techniques et de portée massive. L’invention de moyens si puissants qu’ils risqueraient d’anéantir la planète a conduit au renouveau de formes primitives de combat. L’arme ne joue plus le même rôle symbolique. Le guerrier n’est pas toujours sur un champ de bataille face à un ennemi déclaré et lui aussi en armes. Des instruments très ordinaires de cuisine, des outils et des engins explosifs artisanaux suffisent à des assaillants isolés qui s’attaquent à des cibles choisies. Le discours idéologique prime.</p>
<p>L’archéologie serait sans doute bien impuissante à percevoir et comprendre cette réalité terroriste par l’étude des seuls vestiges sur le terrain. Elle n’en a pas moins un rôle à jouer dans l’appréhension de cette longue durée qui lui est précieuse et, sur le sujet de la guerre, elle n’en est qu’aux prémices. Le chercheur est à la fois dans son temps de vie et dans celui qu’il étudie. Cette dynamique offre un regard double entre un hier ancien et un aujourd’hui – voire un demain – qui nourrit sa réflexion sur le pourquoi autant que sur le comment.</p>
<p>Traquer les premières violences, pointer la naissance d’organisations de guerre, tenter de dater, proposer des mots pour expliquer ce visage le plus sombre de l’humanité. Aux côtés de toutes les sciences humaines, l’archéologie accomplit ses missions et tente de comprendre l’incompréhensible : le droit que des hommes s’arrogent depuis des millénaires d’ôter la vie d’autrui, celle de ses semblables au nom d’idéaux et de motifs indicibles dans tout projet humaniste.</p>
<hr>
<p><em>Anne Lehoërff est l’autrice de <a href="https://www.belin-editeur.com/par-les-armes">« Par les armes ; le jour où l’homme inventa la guerre »</a>, paru chez Belin en 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Lehoërff ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’homme est-il naturellement porté à la violence ? Les spécialistes des époques les plus anciennes mènent l’enquête.Anne Lehoërff, Professeur des universités, chaire "Archéologie et patrimoine", CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1303632020-03-18T16:58:28Z2020-03-18T16:58:28ZUn fossile vieux de 380 millions d'années révèle l'origine de nos mains<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/320177/original/file-20200312-111277-woxzpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1188%2C2954%2C1560&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Elpistostege watsoni_, ce poisson à pattes ou ce tétrapode à nageoires est le plus proche de ce que l’on pourrait considérer comme un « chaînon manquant. </span> <span class="attribution"><span class="source">Artiste : Katrina Kenny</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Nos mains et nos doigts nous aident à communiquer, à travailler, à créer. Ils nous permettent de nous identifier en tant qu’individus, mais aussi en tant que <em>Homo sapiens</em>.</p>
<p>Mais depuis quand ces structures anatomiques sont-elles apparues chez nos lointains ancêtres ? La découverte récente d’un fossile vieux de 380 millions d’années au Canada, <em>Elpistostege watsoni</em>, clarifie cette question qui intrigue les paléontologues depuis plus d’un siècle.</p>
<p>Notre étude publiée aujourd’hui dans la revue <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-020-2100-8"><em>Nature</em></a> décrit pour la première fois la présence de doigts dans une nageoire.</p>
<h2>L’origine des animaux à quatre pattes</h2>
<p>Depuis 530 millions d’années, certains événements évolutifs ont marqué de manière prépondérante l’histoire des vertébrés (organismes avec une colonne vertébrale). L’origine des tétrapodes, soit les vertébrés quadrupèdes, souvent associée à la transition du milieu aquatique au milieu terrestre, représente l’une de ces transitions cruciales de notre propre évolution.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/320296/original/file-20200312-111261-1hf4ed9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Phylogénie des grands groupes de tétrapodes actuels. (Illustration : Richard Cloutier).</span>
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<p>Aujourd’hui, les tétrapodes comptent plus de 33 879 espèces vivantes regroupées en six grands groupes taxonomiques. Les tétrapodes incluent les lissamphibiens, comprenant les grenouilles, les salamandres et les apodes, les tortues, les lépidosaures (lézards, serpents, sphénodons, crocodiliens, oiseaux et mammifères).</p>
<p>Tous ces tétrapodes possèdent des pattes (<a href="https://www.lapresse.ca/sciences/decouvertes/201102/09/01-4368408-comment-les-serpents-ont-perdu-leurs-pattes.php">même certains serpents possèdent des vestiges de pattes</a>), plutôt que des nageoires lobées comme chez leurs ancêtres poissons, les <a href="https://www.miguasha.ca/mig-fr/les_sarcopterygiens.php">sarcoptérygiens</a>.</p>
<p>À ce jour, les plus anciens restes fossilisés de tétrapodes chez qui les pattes sont connues, soit <em>Tulerpeton</em> de Russie et <em>Acanthostega</em> et <em>Ichthyostega</em> du Groenland, datent de la fin de la période géologique du Dévonien, entre 363,3 et 358,9 millions d’années.</p>
<h2>Les doigts et les mains : une définition critique</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319741/original/file-20200310-20909-jzxi31.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Même l’empreinte éphémère d’une main nous permet de nous identifier en tant qu’<em>Homo sapiens</em>. (Photo : Richard Cloutier).</span>
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<p>Avant de traiter de l’origine de la main et des doigts, il est important de savoir reconnaître ces structures dans le registre fossile. A priori, il peut sembler évident de savoir ce que sont les doigts et à quoi correspond une main. Toutefois, cette évidence est moins apparente lorsque nous devons définir ces structures anatomiques afin de couvrir toute la diversité observée chez les tétrapodes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=625&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=786&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=786&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/320823/original/file-20200316-27627-qmksy1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=786&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Anatomie de la main chez <em>Homo sapiens</em>. (Illustration : Richard Cloutier).</span>
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<p>En 1849, Richard Owen fut le premier anatomiste à définir notre main et ses constituants : les carpes et métacarpiens suivi de cinq doigts composés de deux ou trois phalanges chacun. Cependant, la première définition moderne est celle du <a href="https://oba.bsd.uchicago.edu/faculty/michael-i-coates-phd">Dr Mike I. Coates</a> de l’Université de Chicago, qui définit les doigts comme des radiaux postaxiaux segmentés, soit de petits os dans la partie terminale des membres, ne supportant pas de rayons dans les nageoires.</p>
<p>Nous définissons les doigts comme des ensembles de petits os internes (les phalanges), de forme et taille relativement uniformes, qui s’alignent l’un avec l’autre. Ces doigts forment l’extrémité des appendices pairs des vertébrés, soit nos bras et nos jambes. Les critères de cette définition concernent tous les tétrapodes vivants et fossiles, incluant des éléments retrouvés dans la nageoire pectorale d’<em>Elpistostege</em>.</p>
<h2>Les spécimens d’<em>Elpistostege</em> : rares et exceptionnels</h2>
<p>L’histoire de la découverte d’<em>Elpistostege</em> débute à l’été 1937, alors que deux paléontologues britanniques scrutent les falaises de la péninsule gaspésienne, dans l’est du Canada. Le professeur Thomas Stanley Westoll, de l’Université d’Aberdeen, et le doctorant William Graham-Smith, de l’Université de Cambridge, s’étaient rendus au Canada afin de collecter des poissons dévoniens.</p>
<p>Depuis la fin du 19<sup>e</sup> siècle, Miguasha était considéré comme l’eldorado des poissons fossiles dévoniens. Encore aujourd’hui, il est considéré comme un site fossilifère exceptionnel ce qui lui a valu d’être déclaré <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/686/">site naturel du Patrimoine mondial de l’UNESCO</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/319924/original/file-20200311-116255-1nwtxfe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Holotype d’<em>Elpistostege watsoni</em> décrit par Westoll en 1938 et provenant de Miguasha. (Photo : Marion Chevrinais).</span>
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<p>Durant cette expédition, Westoll a acheté, de collectionneurs locaux, un fossile pour lequel seuls quelques os de l’arrière du toit crânien étaient préservés. Ce fossile unique allait devenir une pierre angulaire dans notre compréhension de la transition entre les poissons et les tétrapodes.</p>
<p>Le 15 janvier 1938, Stanley Westoll nomme ce spécimen unique, <em>Elpistostege watsoni</em>, du latin « elpistos » ou « espéré » et « stegos » ou « toit », espérant qu’il s’agissait du toit crânien d’un ancien amphibien. Dans ce bref article publié dans <em>Nature</em>, Westoll décrit ces os crâniens comme étant ceux d’un stégocéphalien, soit un tétrapode-souche à quatre pattes, qui selon l’auteur fournissait « une transition parfaite » entre les poissons à nageoires lobées et les animaux à quatre pattes précoces.</p>
<figure class="align-left zoomable">
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<span class="caption">Deuxième spécimen d’<em>Elpistostege</em> connu montrant le museau jusqu’à la partie postérieure aux orbites. (Photo : Richard Cloutier).</span>
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<p>Une trentaine d’années plus tard, un autre collectionneur de fossiles de Miguasha, Allan Parent, découvrait le museau d’un crâne qui restera oublié dans sa collection personnelle jusqu’en 1983. Le <a href="https://biodiversity.ku.edu/vertebrate-paleontology/people/hans-peter-schultze">professeur Hans-Peter Schultze</a> de l’Université du Kansas remarqua les similitudes entre ce nouveau spécimen et l’holotype d’<em>Elpistostege</em>, reconnaissant que les deux spécimens appartenaient à la même espèce. De plus, les nouvelles caractéristiques visibles sur ce crâne fossilisé suggéraient qu’<em>Elpistostege</em> appartenait à un groupe de poissons éteints étroitement liés aux premiers tétrapodes, les elpistostégaliens, plutôt que d’être un tétrapode.</p>
<p>Dans leur article publié dans la revue <a href="https://www.palass.org/sites/default/files/media/publications/palaeontology/volume_28/vol28_part2_pp293-309.pdf"><em>Palaeontology</em></a> en 1985, Schultze et Arsenault ont également inclus une petite section de tronc incluant des écailles et quelques vertèbres aussi retrouvée à Miguasha qu’ils identifièrent provisoirement à <em>Elpistostege</em>. Dans cet article, les auteurs ont réfuté l’idée qu’<em>Elpistostege</em> était un tétrapode, mais ont plutôt suggéré qu’il était étroitement lié à <em>Panderichthys</em> et que ces deux espèces de poissons étaient les plus proches parents des tétrapodes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/321112/original/file-20200317-60906-riew2h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Spécimen complet d’<em>Elpistostege watsoni</em> d’une longueur totale de 1,57 m de long vieux de 380 millions d’années. (Photo : Johanne Kerr).</span>
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<p>Le 3 août 2010, le quatrième spécimen d’<em>Elpistostege</em> fut découvert derrière le musée du <a href="http://www.miguasha.ca/mig-fr/le_parc_national_de_miguasha.php">Parc national de Miguasha</a>, dans la roche sous la plage où des milliers de visiteurs et de nombreux chercheurs marchaient depuis des décennies. Ce fossile, long de 1,57 m, extrait des strates de la base de la Formation d’Escuminac est non seulement un spécimen complet d’<em>Elpistostege</em>, mais le spécimen le plus complet d’elpistostégaliens connus.</p>
<h2>Une nageoire avec des doigts</h2>
<p>Ce spécimen exceptionnel d’<em>Elpistostege</em> fut analysé à l’aide de tomodensitométrie à haute énergie (CT-scan). Pixel par pixel, image par image, l’anatomie d’<em>Elpistostege</em> a été révélée. Ces milliers d’images permettent de visualiser le fossile à l’intérieur de sa matrice rocheuse, mais aussi d’étudier l’intérieur de son corps et plus particulièrement ses nageoires.</p>
<p>Le squelette de la nageoire pectorale d’<em>Elpistostege</em> a révélé la présence d’un humérus (bras), un radius et un ulna (avant-bras), des rangées de carpes (poignet) et des phalanges organisées en doigts. Il s’agit de la première fois que l’on découvre, de manière sans équivoque, des doigts enfermés dans une nageoire avec des rayons. Cela représente l’arrangement d’os le plus semblable à un tétrapode trouvé dans une nageoire pectorale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/320822/original/file-20200316-27680-44mul4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaisons de la nageoire pectorale entre quatre taxons fossiles à la transition en les poissons (<em>Panderichthys</em> et <em>Tiktaalik</em>) et les tétrapodes (<em>Tulerpeton</em>). La présence de doigts chez <em>Elpistostege</em> le rapproche des premiers tétrapodes terrestres.</span>
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<h2><em>Elpistostege</em> : poisson à pattes ou tétrapode à nageoires ?</h2>
<p>Les hypothèses récentes quand à la position d’<em>Elpistostege</em> dans l’arbre évolutif des vertébrés suggéraient que ce dernier était l’espèce de poisson la plus proche parente des tétrapodes. Mais qu’elle est la différence entre un poisson et un tétrapode ? Depuis des décennies, un ensemble de nouveautés évolutives (synapomorphies) a été identifié afin de caractériser les tétrapodes. Toutefois, il est toujours possible de découvrir un nouveau fossile qui puisse posséder seulement une partie de ces caractères diagnostiques, et donc de changer la définition des Tetrapoda.</p>
<p>Il y a près de 20 ans, il a été suggéré de définir les tétrapodes comme étant les organismes dérivés du sarcoptérygien qui a d’abord possédé des doigts comparables à ceux d’<em>Homo sapiens</em>. De ce fait, puisqu’<em>Elpistostege</em> possède incontestablement des doigts, aussi rudimentaires soient-ils, ce caractère fait d’<em>Elpistostege</em> non pas un poisson, mais bien un tétrapode primitif.</p>
<p>Ainsi, les appendices d’<em>Elpistostege</em> brouillent davantage la frontière entre les poissons et les vertébrés terrestres. <em>Elpistostege</em> n’est pas nécessairement l’ancêtre de tous les autres tétrapodes, mais c’est le plus proche de ce que l’on pourrait considérer comme un « chaînon manquant ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uyUYKTBA91k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Cette animation montre ce à quoi pouvait ressembler <em>Elpistostege</em> au Dévonien et met en évidence les similarités anatomiques en le squelette de sa nageoire pectorale et les os de notre bras et de notre main.</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/130363/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Richard Cloutier reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et de l'Australian Research Council (ARC). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>John Long reçoit un financement de l'Australian Research Council.</span></em></p>Une espèce qui a vécu il y a 380 millions d'années révèle l'origine de nos mains. Il est le plus proche de ce que l’on pourrait considérer comme un « chaînon manquant ».Richard Cloutier, Professor of Evolutionary Biology, Université du Québec à Rimouski, Université du Québec à Rimouski (UQAR)John Long, Strategic Professor in Palaeontology, Flinders UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1321492020-02-20T19:26:23Z2020-02-20T19:26:23ZLes premiers humains se sont peut-être croisés avec une espèce mystérieuse et éteinte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/316492/original/file-20200220-92533-8bzek5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un crâne datant de 200 000 ans d'un Homo Rhodesiensis, exemple d'une espèce éteinte du genre humain. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>L’une des découvertes les plus surprenantes découlant du <a href="https://www.nature.com/articles/nature12886">séquençage génomique de l’ADN des anciens homininés</a> est celle qui détermine que tous les humains hors de l’Afrique ont des traces d’ADN dans leur génome qui n’appartiennent pas à notre propre espèce.</p>
<p>Les quelque six milliards de personnes sur Terre dont l’ascendance récente n’est pas africaine auront hérité entre un et deux pour cent de leur génome de nos parents les plus proches, mais aujourd’hui disparus : les <a href="https://theconversation.com/neanderthals-cared-for-each-other-and-survived-into-old-age-new-research-93110">Néanderthaliens</a>. Les Asiatiques de l’Est et les Océaniens ont également hérité d’une petite partie de leurs ancêtres, les <a href="https://genographic.nationalgeographic.com/denisovan/">Dénisoviens</a>, un autre proche parent de <em>Homo Sapiens</em>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-une-dent-de-neandertalien-nous-aide-a-comprendre-la-migration-humaine-115983">Comment une dent de Néandertalien nous aide à comprendre la migration humaine</a>
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<p>Une nouvelle étude, <a href="https://advances.sciencemag.org/content/6/7/eaax5097">publiée dans Science Advances</a>, suggère que les premiers humains vivant en Afrique pourraient aussi avoir été croisés avec des homininés archaïques. Il s’agit d’espèces éteintes qui sont apparentées à <em>Homo sapiens</em>.</p>
<p>Le métissage en dehors de l’Afrique s’est produit après que nos ancêtres <em>Homo sapiens</em> se soient développés dans de nouveaux environnements. C’est là qu’ils ont eu des <a href="https://theconversation.com/jaw-bone-discovery-reveals-more-about-secret-sex-lives-of-neanderthals-and-early-humans-43656">relations sexuelles avec des Néanderthaliens</a> et des <a href="https://theconversation.com/how-breeding-with-an-ancient-human-species-gave-tibetans-their-head-for-heights-28818">Dénisoviens</a>.</p>
<p>Cela a conduit à de nouvelles découvertes. Les premières études génétiques menées sur des humains à travers le monde avaient précédemment <a href="https://www.nature.com/articles/325031a0">suggéré que notre répartition actuelle</a> était le résultat d’une seule expansion hors de l’Afrique, il y a environ 100 000 ans. Mais l’identification de l’ascendance de Néandertaliens et de Dénisoviens chez les Eurasiens modernes a compliqué les choses.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315048/original/file-20200212-61952-1ijzkgh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Homo Sapiens versus Neanderthaliens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Nous pensons toujours qu’une très grande majorité de nos ancêtres (entre 92 et 98,5 pour cent) qui ne vivent pas en Afrique aujourd’hui (https://www.nature.com/articles/s41559-019-0992-1) proviennent de l’expansion hors de ce continent. Mais nous savons maintenant que le reste provient d’espèces archaïques dont les ancêtres ont quitté l’Afrique des centaines de milliers d’années avant cela.</p>
<h2>Que se passait-il en Afrique ?</h2>
<p>Les possibilités de métissage ont été révélées par la grande disponibilité de génomes modernes et anciens provenant de l’extérieur de l’Afrique. En effet, les environnements froids et secs de l’Eurasie sont bien plus aptes à préserver l’ADN que la chaleur humide de l’Afrique tropicale.</p>
<p>Mais notre compréhension de la relation entre les ancêtres des humains en Afrique et les humains archaïques commence à s’approfondir. Une étude de 2017 en <a href="https://doi.org/10.1016/j.cell.2017.08.049">Afrique australe</a> a examiné 16 génomes anciens de personnes qui ont vécu au cours des 10 000 dernières années. Cela a montré que l’histoire des populations africaines est complexe. Il n’y avait pas <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-020-1929-1">qu’un seul groupe d’humains en Afrique</a> lorsqu’ils se sont développés il y a 100 000 ans.</p>
<p>C’est un résultat qui a été étayé plus tôt cette année par un <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-020-1929-1">article examinant l’ADN ancien de quatre individus</a> vivant dans une région qui est maintenant le Cameroun. Prises ensemble, ces recherches suggèrent qu’il y avait des groupes géographiquement divers en Afrique bien avant la principale expansion hors du continent. Et beaucoup de ces groupes auront contribué à l’ascendance des personnes qui y vivent aujourd’hui.</p>
<p>En outre, il semble maintenant qu’il y a eu un flux de gènes dans les anciennes populations africaines <em>Homo sapiens</em> provenant d’un ancêtre archaïque. Comment cela s’est-il produit ? L’une de ces façons est que les humains qui ont migré hors d’Afrique aient eu des relations avec des Néandertaliens, puis sont retournés en Afrique. Cela a d’ailleurs été démontré dans une <a href="https://doi.org/10.1016/j.cell.2020.01.012">étude récente</a>.</p>
<p>Ce nouvel article apporte la preuve qu’il pourrait également y avoir eu un flux de gènes chez les ancêtres des Africains de l’Ouest qui provient directement d’un mystérieux homininé archaïque. Les chercheurs ont comparé l’ADN de Néandertalien et de Dénisovien avec celui de quatre populations contemporaines d’Afrique de l’Ouest. À l’aide de mathématiques sophistiquées, ils ont ensuite construit un modèle statistique pour expliquer les relations entre les homininés archaïques et les Africains modernes.</p>
<p>Il est intéressant de noter qu’ils suggèrent que six à sept pour cent des génomes des Africains de l’Ouest sont d’origine archaïque. Mais cette ascendance archaïque n’est pas celle de Néandertal ou de Denisova. Leur modèle suggère que l’ascendance supplémentaire provient d’une population archaïque pour laquelle nous n’avons pas de génome actuellement.</p>
<p>Cette population fantôme s’est probablement séparée des ancêtres des humains et des Néandertaliens il y a entre 360 000 et 1,02 million d’années. C’était bien avant le flux génétique qui a ramené l’ADN de Néandertal en Afrique de l’Ouest il y a environ 43 000 ans.</p>
<p>Ces dates positionnent cette espèce fantôme comme une sorte de Néandertalien, mais qui était probablement présent en Afrique au cours des 100 000 dernières années. Une autre explication est que l’homininé archaïque était présent en dehors de l’Afrique et qu’il s’y est croisé avec des populations avant de migrer à nouveau.</p>
<p>Les auteurs restent cependant prudents quant à ce résultat. Ils appellent à une analyse plus approfondie de l’ADN contemporain et ancien de diverses populations d’Afrique.</p>
<p>Néanmoins, cette recherche contribue à des résultats constants en recherche qui démontrent la promiscuité, le croisement des espèces et les comportements compliqués de nos ancêtres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132149/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>George Busby reçoit des fonds de Wellcome, du Conseil de la recherche médicale, de l'université d'Oxford et de la Royal Geographical Society.</span></em></p>Les premiers humains en Afrique ont pu se croiser avec une population fantôme qui s'est probablement séparée des ancêtres des humains et des Néandertaliens.George Busby, Senior Research Associate in Translational Genomics, University of OxfordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.