tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/interet-general-27448/articlesintérêt général – The Conversation2021-07-28T19:35:18Ztag:theconversation.com,2011:article/1650232021-07-28T19:35:18Z2021-07-28T19:35:18ZDébat : Fallait-il vraiment confier la Ligue 1 à Amazon ?<p>L’attribution à Amazon de <a href="https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/droits-de-la-ligue-1-amazon-rafle-la-mise-canal-se-retire-1967349.php">l’essentiel des droits TV</a> du Championnat de France de football, et les multiples réactions médiatiques, <a href="https://www.sofoot.com/bein-sports-attaque-canal-en-justice-502149.html">judiciaires</a> et même <a href="https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Actualites/Une-mission-parlementaire-sur-les-droits-tv/1260784">politiques</a> qui s’en sont suivies, nous rappelle à quel point la vie des droits TV du football français n’a jamais été un long fleuve tranquille.</p>
<p>Dernier événement en date, le tribunal de commerce de Nanterre autorisait Canal+ a <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2021/07/23/droits-televises-de-la-ligue-1-la-justice-autorise-canal-a-suspendre-son-contrat-avec-bein-sports_6089360_3236.html">suspendre son contrat de sous-licence</a>, conclu avec BeIN Sports pour la diffusion de deux matchs par journée de Ligue 1, tant que la chaîne qatarie n’assigne pas la Ligue de football professionnel (LFP) en justice ainsi que lui demande l’autre chaîne cryptée. Canal+ demande en effet une renégociation du montant des droits après que Amazon a obtenu la diffusion des huit autres matchs pour une somme inférieure. Alors que les premiers versements doivent intervenir, la LFP pourrait aussi assigner BeIN en justice pour non-paiement.</p>
<p>On se régalerait d’ailleurs volontiers de cette délicieuse série à rebondissements offerte par l’ensemble des protagonistes, si les conséquences éventuelles à moyen terme pour les finances de nos clubs n’étaient pas aussi funestes (et ce n’est pas Jean‑Marc Mickeler, le président de la Direction nationale du contrôle de gestion, gendarme financier du football professionnel, qui <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Article/-le-pire-est-a-venir-pour-jean-marc-mickeler-le-president-de-la-dncg/1270451">prétendra le contraire</a>).</p>
<p><a href="https://theconversation.com/retour-sur-droits-tv-du-foot-francais-retour-sur-une-debacle-154576">Le fiasco de Mediapro</a> a, en effet, été le pilote d’une série qui, si elle ne brille pas toujours par la cohérence économique de ses protagonistes, a le mérite de réserver son lot hebdomadaire de péripéties et coups de théâtre.</p>
<p>Le scénario à suspense qui nous est servi aura au moins eu une vertu : braquer les projecteurs sur l’économie du football. Une économie dont on sait désormais qu’elle souffre des <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/medias/le-fiasco-des-droits-tv-revelateur-des-travers-de-l-economie-du-foot-867772.html">failles structurelles</a> qui ont conduit à la formation d’une <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/football-la-ligue-1-vaut-elle-vraiment-1-2-milliard-d-euros-780630.html">bulle</a> qui menace aujourd’hui d’éclater.</p>
<h2>Trois enseignements, deux impensés</h2>
<p>Concernant le cas spécifique des droits TV, l’analyse de la crise actuelle nous aura appris trois choses importantes :</p>
<ul>
<li><p>L’inflation des droits TV a été largement soutenue par des <a href="https://theconversation.com/surencheres-des-droits-du-foot-plus-dargent-pour-les-joueurs-moins-pour-les-telespectateurs-52852">mécanismes d’enchères</a> et des processus de mise en concurrence, parfois artificielle, entre diffuseurs ;</p></li>
<li><p>Par manque de diversification de leurs revenus, nos clubs sont devenus <a href="https://www.sportune.fr/business/om-psg-asse-ol-losc-que-pesent-les-droits-tele-sur-les-revenus-des-clubs-de-l1-246137">ultra-dépendants des droits TV</a> ;</p></li>
<li><p>Les droits TV sont un investissement d’autant plus difficile à rentabiliser pour les diffuseurs que des mécanismes de contournement (streaming et IPTV) sont facilement accessibles, et que la facture liée au morcellement du championnat entre plusieurs diffuseurs s’avère salée pour le consommateur.</p></li>
</ul>
<p>Essentiels à la compréhension, ces éléments ne sont pas pour autant suffisants. Ils occultent en effet deux dimensions cruciales, deux impensés du processus d’attribution des droits TV sans lesquels il est difficile de se prononcer sur la pertinence du choix opéré par la LFP de confier à Amazon le soin de diffuser <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/amazon-a-propose-260-millions-deuros-pour-le-championnat-de-france-de-football-1322952">l’essentiel du championnat</a>.</p>
<h2>Des revenus plus solides</h2>
<p>Dans ce grand jeu de stratégie que constitue la préparation d’un appel d’offres et la mise en concurrence des diffuseurs, la LFP a fait le choix de remettre en jeu les seuls lots jadis obtenus par Mediapro, là où les autres diffuseurs espéraient une remise à plat intégrale.</p>
<p>Ces lots ont donc été remportés par Amazon pour quelque 250 millions d’euros annuels (quand l’accord initial avec Mediapro prévoyait le versement de 780 millions d’euros annuels). Amazon s’engage également à verser 9 millions annuels pour la diffusion de 8 matchs de Ligue 2 par journée de championnat.</p>
<p>Comme le montre le tableau ci-dessous, Amazon propose des revenus plus solides que l’offre concurrente proposée par Canal+ et BeIN Sports. Celle-ci prévoyait certes le versement de 673 millions, mais dont 78 millions étaient conditionnés au nombre d’abonnements enregistrés sur la période.</p>
<iframe title="Comparatif des offres de diffusion domestique soumise à la LFP" aria-label="table" id="datawrapper-chart-Exjyr" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Exjyr/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="695" width="100%"></iframe>
<p>C’est mieux, mais uniquement sur le plan quantitatif. C’est ici que l’on identifie un premier impensé : <strong>où est passée la dimension qualitative de l’appel d’offres ?</strong></p>
<h2>Près de 20 euros l’abonnement</h2>
<p>Les procédures d’appel d’offres prévoient la constitution d’un dossier technique à travers lequel les attributaires potentiels décrivent les moyens qu’ils entendent déployer pour réaliser leur mission. En l’espèce, cette proposition qualitative doit préciser au moins deux points cruciaux pour saisir la pleine capacité des acteurs à promouvoir le produit que l’on s’apprête à leur confier : les moyens de production et de promotion du contenu.</p>
<p>Sur le premier de ces deux aspects, le choix d’Amazon ne semble pas particulièrement risqué dans la mesure où la compagnie de Jeff Bezos <a href="https://www.cbnews.fr/digital/image-amazon-reconduit-son-accord-diffusion-matchs-nfl-51702">a déjà fait ses preuves</a> en matière de diffusion d’événements sportifs. De plus, Amazon s’est engagé à verser 25 millions d’euros par saison <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/ligue-1/ligue-1-combien-offrent-amazon-et-canal-be-in-pour-les-droits-tv_AV-202106110298.html">pour couvrir les coûts de production</a>.</p>
<p>Le second aspect est nettement plus préoccupant. Car, là où le tandem Canal+ – BeIN Sports présentait de solides garanties en matière de visibilité de la compétition du fait de leur base d’abonnés, Amazon part d’une feuille blanche. La LFP ne semble ainsi pas avoir tiré de leçon du fiasco de MediaPro qui avait <a href="https://www.lepoint.fr/sport/football/mediapro-nous-avons-600-000-abonnes-a-la-chaine-telefoot-21-10-2020-2397439_1858.php">péniblement conquis 600 000 abonnés</a>. Difficile de valoriser la « ligue des talents » quand elle n’est vue que d’une poignée de téléspectateurs.</p>
<h2>Facture alourdie pour le consommateur</h2>
<p>Et difficile d’attirer des abonnés à l’ère de l’IPTV et du streaming sans une offre compétitive sur le plan tarifaire. Le précédent Mediapro, qui proposait un abonnement à 25 euros, l’a démontré : les consommateurs ne sont pas enclins à débourser plus de quelques euros mensuels pour contempler les exploits des footballeurs de l’élite française.</p>
<p>Las, force est de constater que la LFP <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/football/ligue-1/football-la-lfp-decue-du-prix-de-l-abonnement-a-amazon-581383a8-e5f4-11eb-a6b2-b0bf195271a0">ne semble pas avoir pris de garanties suffisantes à ce niveau</a>, sinon comment expliquer le tarif fort peu accessible proposé par Amazon pour son offre « Prime Ligue 1 » (12,99 euros mensuels auxquels s’ajoutent les 5,99 euros par mois de l’abonnement Prime, soit un total de 18,98 euros) ?</p>
<iframe title="Prix d’accès à l’intégralité de la compétition selon les offres soumises à la LFP" aria-label="table" id="datawrapper-chart-8azlm" src="https://datawrapper.dwcdn.net/8azlm/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="365" width="100%"></iframe>
<p>De ce point de vue, l’offre couplée Canal+ – BeIN Sports à 41,90 euros par mois (hors réductions) présentait l’avantage d’un contenu nettement plus diversifié, mais surtout d’une offre concentrée en un seul point de contact et d’une facture globale allégée pour le consommateur qui voudrait voir l’intégralité de la compétition en toute légalité.</p>
<h2>Délégation de service public</h2>
<p>L’autre grand impensé de cet appel d’offres concerne sans aucun doute <strong>la poursuite de l’intérêt général</strong>. En tant qu’association loi 1901, LFP a pour objet la « <a href="https://www.lfp.fr/statuts-reglements">gestion des activités du football professionnel » et la « défense des intérêts matériels et moraux du football professionnel</a> ».</p>
<p>Elle a ainsi pour mission de « développer les ressources du football professionnel dans le but d’en assurer la promotion ». A priori, rien ne s’oppose donc à ce que la LFP privilégie une approche quantitative dans le processus d’attribution des droits TV : elle maximise la valeur du produit en conformité avec ses statuts.</p>
<p>Cependant, la LFP est une association créée par la Fédération Française de Football (FFF). Elle en dépend au titre d’une <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-437/r16-437_mono.html">convention conclue</a> entre les deux entités qui prévoit que la <a href="https://www.europe1.fr/sport/fff-lfp-qui-fait-quoi-1370132">FFF a autorité sur la LFP</a>. Autrement dit, les missions de la LFP sont confiées par la FFF et ne peuvent en aucune manière être contraires aux intérêts supérieurs de la FFF.</p>
<p>Or, en tant que fédération, la FFF assure une <a href="https://www.fff.fr/75-qui-sommes-nous-.html">mission de service public</a> qui consiste à développer et promouvoir le football, professionnel comme amateur, sur l’ensemble du territoire national. C’est donc bien au titre d’une <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-437/r16-437_mono.html">délégation de service public</a> (DSP) que la FFF donne pouvoir à la LFP de gérer les affaires du monde professionnel.</p>
<h2>Le consommateur lésé, le contribuable aussi</h2>
<p>Nous pourrions dès lors attendre de la LFP qu’elle agisse au nom de l’intérêt général, plutôt que dans le seul intérêt des clubs de football professionnel.</p>
<p>Nous avons déjà souligné que le consommateur ne semble pas avoir été particulièrement pris en considération lors de l’appel d’offres. Le contribuable non plus ! En effet, autant Canal Plus – entreprise française, soumise à l’impôt sur les sociétés et contribuant par le <a href="https://www.telerama.fr/cinema/canal-menace-de-reduire-ses-aides-le-cinema-francais-accuse-le-coup-de-bluff-6838642.php">financement du cinéma français</a> à la politique d’exception culturelle – participe à l’effort redistributif, autant la question reste pleinement ouverte concernant Amazon.</p>
<p>Le rapport impôt payé sur chiffre d’affaires pour Amazon en France atteignait l’an passé un ratio <em>prélèvements directs/chiffre d’affaires</em> de <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/le-tour-de-passe-passe-damazon-sur-ses-impots-francais-1358147">tout juste 3,3 %</a>, ce qui place d’emblée le géant américain dans la catégorie des champions de l’optimisation fiscale.</p>
<p>La taxe mondiale prévoyant un plancher de 15 % sur les entreprises du numérique a, par ailleurs peu de chance d’infléchir le problème. En effet, celle-ci est conditionnée à un taux de profit de 10 %, qui restera longtemps hors d’atteinte pour Amazon dont la stratégie consiste à <a href="https://theconversation.com/podcast-amazon-et-la-spirale-du-low-cost-106731">privilégier la croissance de parts de marché aux profits</a>.</p>
<p>Au final, il semble que la LFP, en ayant porté son choix sur Amazon, a non seulement privilégié une multinationale qui, fort éloignée des considérations françaises, s’avèrera difficile à fiscaliser et à fidéliser dans la durée, mais a également pris le risque de se couper encore un peu plus de son public en occultant la question du coût d’accès pour le consommateur.</p>
<p>En 2009, dans le cadre <a href="https://www.docs-crids.eu/index.php?lvl=notice_display&id=13140">d’un article</a> qui figurait également en bonne place dans un <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000026.pdf">rapport au Premier ministre</a> d’alors (M. François Fillon), nous alertions sur un double risque « d’invisibilisation » et de dépréciation du produit phare de la LFP, découlant du morcellement des offres et de la démocratisation des moyens techniques de contournement. Les derniers rebondissements dans la saga des droits TV du foot français semblent désormais confirmer un peu plus ce scénario.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165023/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le choix du géant américain pour diffuser le championnat ne résout pas le problème du coût d'accès au football français pour le consommateur et reste discutable fiscalement.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1558042021-03-01T18:16:34Z2021-03-01T18:16:34ZConfinement partiel, couvre-feu : comment le gouvernement arbitre entre différentes expertises<p>Dès le début de la crise de la Covid-19, le Président de la République, et plus généralement, les décideurs publics, ont orienté leurs décisions à partir de <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/11/24/adresse-aux-francais-24-novembre%20Adresse%20ayx%20francais%2024/11">l’avis d’experts scientifiques</a>.</p>
<p>Or, depuis quelques mois, ils semblent s’en émanciper tandis que de nouvelles mesures apparaissent – comme le confinement étendu désormais à 16 départements avec des consignes jugées peu claires et des atermoiements sur les attestations de sortie – ne répondant que partiellement aux conseils des scientifiques ou à ceux des élus. </p>
<p>Pour comprendre ce phénomène, nous proposons d’étudier la situation à travers le prisme de l’intérêt général. </p>
<p>En effet, il semble qu’au fur et à mesure de l’évolution de la crise sanitaire, l’appréciation de cette notion par les décideurs publics ait largement évolué.</p>
<h2>Des scientifiques moins écoutés</h2>
<p>En septembre 2020, tandis que de nombreux scientifiques appelaient à un confinement, le président Emmanuel Macron indiquait que <a href="https://www.lavoixdunord.fr/863092/article/2020-09-10/covid-19-emmanuel-macron-annonce-des-decisions-pour-vendredi-sans-ceder-la">« la vie du pays ne peut pas se réduire à l’avis du Conseil scientifique »</a>.</p>
<p>Plus récemment, en début d’année 2021, l’agenda public fut marqué par l’hypothèse d’un confinement afin de faire face aux variants du SARS-CoV-2. Dans sa <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/note_eclairage_variants_modelisation_29_janvier_2021.pdf">note d’éclairage du 29 janvier</a>, le Conseil scientifique préconise l’instauration d’un confinement d’une durée de quatre semaines à partir de début février.</p>
<p>Cette position était alors partagée publiquement par de nombreux scientifiques, par exemple, le président du Conseil scientifique <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/pour-jean-francois-delfraissy-il-faudra-probablement-aller-vers-un-confinement-1923007.html">Jean‑François Delfraissy</a> expliquait fin janvier que :</p>
<blockquote>
<p>« Si nous continuons sans rien faire de plus, nous allons nous retrouver dans une situation extrêmement difficile, comme les autres pays, dès la mi-mars. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, malgré ces interpellations publiques, le premier ministre a annoncé le 29 janvier qu’un confinement n’était, pour l’heure, pas envisagé et qu’il n’interviendrait qu’en dernier recours. Avant donc d'opter vendredi dernier pour un confinement assoupli dans seize départements. </p>
<h2>Comment intégrer l’intérêt général ?</h2>
<p>Pour appréhender au mieux cette émancipation de l’avis scientifique, il est intéressant de l’analyser sous le prisme de l’intérêt général.</p>
<p><a href="https://elabe.fr/responsables-politiques-justice/">Près de deux tiers des Français</a> considèrent que les personnalités politiques font passer leur intérêt individuel avant l’intérêt général. Pourtant, la plupart des théories centrées sur les mécanismes individuels de la prise de décision publique, comme la <a href="https://wp.unil.ch/bases/2013/07/theorie-des-choix-publics/">théorie des choix publics</a>, intègrent – outre le propre intérêt du décideur – la satisfaction de l’intérêt général dans leurs modèles. En effet, en visant sa réélection – donc son intérêt personnel – le décideur public chercherait à satisfaire l’intérêt général.</p>
<p>Dans la tradition française, la notion d’intérêt général a été largement inspirée par les travaux de Jean‑Jacques Rousseau dans son ouvrage <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Du_contrat_social"><em>Du Contrat Social</em></a>. Ainsi, dans cette logique, l’intérêt général est considéré comme supérieur aux intérêts individuels, transcendant ces derniers.</p>
<p>A l’inverse, la vision anglo-saxonne de l’intérêt général, influencée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeremy_Bentham">Jeremy Bentham</a> et les travaux utilitaristes, suppose qu’il correspond à la somme des intérêts particuliers.</p>
<p>Ainsi, pour satisfaire l’intérêt général, dans une logique anglo-saxonne, le décideur public visera à maximiser le bonheur individuel de la majorité. En opposition à cette approche utilitariste, dans la vision historique française, l’intérêt général dépend de la collectivité et non des individus qui la composent.</p>
<p>Cette différence profonde de conception de l’intérêt général explique en partie les <a href="http://www.affairespubliques-asso.fr/wp-content/uploads/2016/08/079-Lobbying-Escurat-2016-01-28-web.pdf">différences culturelles concernant le lobbying en France et aux États-Unis</a>.</p>
<p>Quelques années après la publication de <a href="https://books.google.fr/books/about/Du_contrat_social.html?id=5iQVAAAAQAAJ"><em>Du Contrat Social</em></a>, la <a href="https://institutions-professionnelles.fr/reperes/documents/119-1791-la-loi-le-chapelier-interdit-les-corporations">loi Le Chapelier</a> interdisait les groupes d’intérêts en France, car défendre des intérêts particuliers contreviendrait à la défense de l’intérêt général.</p>
<p>À la même période, les États-Unis autorisaient le lobbying à travers le <a href="https://constitution.congress.gov/constitution/amendment-1/">premier amendement de leur Constitution</a>, car répondre à l’intérêt général nécessiterait d’écouter les intérêts particuliers de chacun.</p>
<h2>Une évolution de la notion d’intérêt général</h2>
<p>Il est intéressant de noter qu’au cours de la crise sanitaire que nous connaissons la notion d’intérêt général a évolué. Au début de la crise, en mars 2020, lorsque le premier confinement a été déclaré, l’intérêt général était perçu dans une logique rousseauiste : assurer la survie et la santé des citoyens « quoi qu’il en coûte ».</p>
<p>Toutefois, au fur et à mesure de l’évolution de la pandémie, la perception de l’intérêt général a évolué, nous sommes désormais dans une logique plus anglo-saxonne, où l’intérêt général correspond à la somme des intérêts particuliers. Dans le cas présent, parmi les principaux intérêts particuliers représentés, nous pouvons citer les étudiants, commerçants, artisans, hôteliers, industries, etc.</p>
<p>La prise en considération de l’avis du Conseil scientifique comme étant uniquement une expertise parmi d’autres peut être illustrée avec une citation d’une <a href="https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20210202.OBS39699/macron-et-les-scientifiques-de-la-communion-au-desamour.html">source de l’exécutif</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Deux éléments ont singulièrement pesé dans la balance : l’état psychologique des Français et la considération économique. Bruno Le Maire a fait un énorme lobbying, ça a payé. »</p>
</blockquote>
<h2>Hiérarchiser, arbitrer</h2>
<p>Ainsi, désormais, prendre une décision publique revient à hiérarchiser et arbitrer entre plusieurs expertises.</p>
<p>Certaines d’entre elles se basent sur des indicateurs à court terme (<a href="https://dashboard.covid19.data.gouv.fr/vue-d-ensemble?location=FRA">nombre de contaminations, nombre de lits de réanimation occupés</a>…) ; d’autres à plus long terme (<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-mot-de-l-eco/le-mot-de-l-eco-l-endettement-des-entreprises-atteint-des-sommets_4276903.html">endettement des entreprises</a>, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/etre-et-savoir/etre-et-savoir-le-magazine-de-leducation-du-lundi-07-septembre-2020">niveau scolaire des jeunes</a>, <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/covid-19-isolement-stress-angoisse-des-psychologues-alertent-sur-les-pathologies-causees-par-la-pandemie-1940332.html">santé psychologique des Français</a>, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2532173#graphique-figure1">taux de chômage</a>…).</p>
<p>Cette demande d’expertise est de plus en plus prégnante dans nos sociétés, en 2020, <a href="https://www.ey.com/fr_fr/government-public-sector/les-agents-publics-veulent-s-appuyer-sur-des-experts">90 % des décideurs publics</a> souhaitent s’appuyer sur des experts pour prendre leurs décisions.</p>
<p>Conscientes de ce besoin latent et de leurs légitimités, les entreprises orientent la plupart de leurs actions de lobbying vers des stratégies de transmission d’informations et d’expertises auprès des décideurs publics.</p>
<p>De nombreux chercheurs comme <a href="https://scholar.google.com/citations?user=xafY0xQAAAAJ">Amy Hillman</a> et <a href="https://scholar.google.com/citations?user=Vn_4oHYAAAAJ">Michael Hitt</a> ou <a href="https://scholar.google.com/citations?user=zBQK-VkAAAAJ">Frank Baumgartner</a> et <a href="https://scholar.google.com/citations?user=ZQ7FdxYAAAAJ">Bryan Jones</a> ont étudié la manière dont les entreprises apportaient leurs connaissances et compétences aux décideurs publics pour orienter leurs décisions. Parmi les mécanismes les plus fréquents, nous pouvons citer les auditions, la publication de rapports ou de livres blancs, etc.</p>
<p>Si cette méthode de prise de décision publique permet, en interrogeant un large spectre d’acteurs, d’avoir une vision quasiment exhaustive d’une situation, elle présente le risque de survaloriser un intérêt particulier au détriment de l’intérêt général.</p>
<p>Afin de contenir ce risque et d’assurer un contrôle collectif des décisions publiques, la mise en lumière des forces et pressions exercées sur ces dernières, notamment via des <a href="https://www.hatvp.fr/le-repertoire/">répertoires des représentants d’intérêts</a>, semble nécessaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155804/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Nicolle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il semble qu’au fur et à mesure de l’évolution de la crise sanitaire, l’appréciation de la notion d’intérêt général par les décideurs publics ait largement évolué.François Nicolle, Enseignant chercheur - ICD Paris, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1089662018-12-19T23:38:59Z2018-12-19T23:38:59ZUn débat démocratique est-il vraiment possible ?<p>On en appelle aujourd’hui de plus en plus au débat. Ainsi, pour sortir de la crise des « gilets jaunes », l’exécutif lance un « grand débat national […] permettant à chaque Français […] d’exprimer ses attentes et propositions » sur cinq thèmes – nombre d’ailleurs très vite réduit à quatre.</p>
<p>Mais que signifie débattre ? Et quelles sont les conditions de possibilité d’un débat qui soit à la fois libre et fructueux ? Un député LREM affirmait à la télévision, le samedi 15 décembre :</p>
<blockquote>
<p>« On va pouvoir tous discuter, calmement, autour d’une table. »</p>
</blockquote>
<p>Vœu pieux, ou espoir raisonnable ?</p>
<h2>Plusieurs niveaux de débats</h2>
<p>Débattre, c’est communiquer avec autrui en échangeant des points de vue sur un problème défini. Il faut donc s’engager dans un dialogue, avec des idées consistantes, dans l’espoir que du dialogue surgira « une » vérité. Mais on peut distinguer plusieurs niveaux de débat.</p>
<p><strong>La polémique</strong> : c’est le débat lancé pour disqualifier l’adversaire, par des attaques ad hominem, et délégitimer sa position. Elle révèle une opposition tranchée, et engage une véritable guerre, entre deux façons de voir, deux thèses, et finalement deux clans. Par exemple, pour ce qui concerne l’apprentissage de la lecture, la méthode globale sera moquée comme non-scientifique et désastreuse. Dans la polémique sur l’accueil des migrants, ceux qui sont jugés « humanistes » seront taxés d’« angélisme », et dénoncés comme de mauvais patriotes.</p>
<p>La polémique est trop souvent le lieu d’expression de la haine, les échanges n’étant que vociférations. On débat ici pour tuer symboliquement l’adversaire. On pourrait dire pour « prouver qu’on a raison ». Comme si le meurtre, qu’il soit réel ou symbolique, pouvait être considéré comme une preuve ! Certains aimeraient bien qu’il en soit ainsi…</p>
<p><strong>Le débat d’opinion</strong> : c’est le débat où s’affrontent, de façon raisonnable, les libres opinions des uns et des autres. On débat pour défendre et promouvoir son opinion. Bien que l’opinion soit, selon Spinoza, le plus bas degré de la connaissance (puisque la « connaissance du premier genre, opinion, ou imagination » est « l’unique cause de la fausseté » (<em>Ethique</em>, partie 2, propositions 40 et 41).</p>
<p>La liberté « d’opiner » n’en est pas moins un droit fondamental dans une démocratie, comme l’a établi Spinoza lui-même. Le droit de juger de toutes choses et d’avoir ses propres opinions est « un droit dont personne, le voulût-il, ne peut se dessaisir » (<em>Traité théologico-Politique</em>, chapitre XX).</p>
<h2>Disputer et discuter</h2>
<p>Le problème est que, relevant de la liberté individuelle, une opinion n’a – en soi – pas plus de valeur qu’une autre. Si bien qu’on ne voit pas comment il est possible de sortir « par le haut » d’un débat d’opinions. Dans le meilleur des cas, on échange des arguments. Mais comment trancher de la pertinence des arguments ? Un débat d’opinions pourrait-il déboucher sur « la » vérité ? Sans oublier qu’ici, comme le chantait Guy Béart, « le premier qui dit la vérité » s’expose au risque d’être exécuté !</p>
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<p>Kant, dans sa <em>Critique du Jugement</em> (§ 56), nous fait entrevoir une issue, en distinguant – à propos du jugement de goût – <em>disputer</em> et <em>discuter</em>.</p>
<p>Les deux sont faits dans « l’espoir de s’accorder ». Mais disputer, c’est entrer dans l’ordre de la démonstration, pour « décider par des preuves ». Or cela est impossible dans le domaine du goût, où l’« on ne peut rien décider par preuve… bien que l’on puisse en discuter à bon droit », en recherchant « l’assentiment nécessaire d’autrui à son jugement ». Pour obtenir un assentiment fondé, il faudrait donc pouvoir passer du niveau de la discussion, à celui de la dispute, laquelle seule a valeur probatoire. Cela est-il possible dans un débat de nature politique ? Que va-t-on bien pouvoir prouver ?</p>
<p>La dispute « scientifique » ? C’est un débat dont l’horizon est la vérité. Celle-ci est l’horizon des vraies « controverses ». Mais au nom de quoi peut-on trancher une controverse ? Si elle est scientifique, au nom de la vérité, qui se manifestera dans l’exhibition d’une preuve expérimentale. Ce sont les faits qui tranchent. Mais si la science est engagée dans tout débat social ou politique (comme, par exemple, la sociologie ou l’économie), elle est impuissante à clore ces deux derniers types de débats.</p>
<p>Un débat social exige que l’on fasse référence à des valeurs universelles, du type justice ou équité : les « gilets jaunes » revendiquent ainsi plus de « justice sociale ». Un débat politique, au sens plus large, exige que l’on définisse un <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-le-des-interet-general-108844">intérêt général</a>, s’imposant aux intérêts particuliers.</p>
<p>Ainsi, en ces deux derniers domaines, la vérité est à rechercher, d’un côté, dans l’adéquation à des valeurs et, d’un autre côté, dans l’obtention d’un consensus sur le « bien commun », pour un pays donné à un moment donné.</p>
<h2>De la possibilité d’un débat démocratique</h2>
<p>Il n’y a donc de passage à la « dispute » (au sens kantien), et de vrai débat possible, en démocratie que si :</p>
<ul>
<li><p>l’on s’accorde sur des valeurs communes : d’où l’utilité d’un débat fondateur sur « l’identité profonde » de la nation, thème qui a disparu du programme du « grand débat » ;</p></li>
<li><p>l’on comprend et admet que l’intérêt général est en démocratie le Bien suprême. Cela suppose que les Français ne soient plus <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-les-maires-face-a-lemergence-du-citoyen-consumeriste-108353">citoyens simplement sur le plan formel</a>, mais le deviennent réellement. Il leur faut, pour cela, posséder et manifester des qualités personnelles sans lesquelles il n’y a pas de dialogue possible. Car la balle est, in fine, dans le camp des individus.</p></li>
</ul>
<p>La première de ces qualités est la <strong>bonne foi</strong> : sans un minimum de bonne foi de part et d’autre, le débat est condamné d’avance, car alors le dialogue n’est qu’un leurre. Mais la bonne foi n’est-elle pas aujourd’hui ce qui manque le plus dans la vie politique ?</p>
<p>La seconde qualité requise est la <strong>capacité de respecter les autres</strong>. Tout d’abord, en se gardant de les moquer, ou de les insulter. L’injure n’a jamais fait progresser un débat : bien des gilets jaunes semblaient ne l’avoir pas compris.</p>
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<p>Ensuite, en étant prêt à écouter, pour entendre, en examinant sérieusement les « raisons » des autres. Pour en tenir compte, et faire évoluer son point de vue, si nécessaire. Car la troisième qualité requise est l’<strong>humilité</strong>. Elle se traduit dans la conviction que personne n’est propriétaire de « la » vérité, et que chacun doit finir par s’incliner devant une « meilleure » raison – qu’elle soit telle par référence à une valeur, alors universelle, ou à un « bien commun », alors plus clairement perceptible aux yeux de la raison.</p>
<p>Les citoyens français sauront-il faire preuve de ces qualités pour s’inscrire dans un fructueux débat mis au service de tous ? Souhaitons que chacun reçoive, pour étrenne, la sagesse nécessaire à cette fin, pour qu’enfin l’amour l’emporte sur la haine, et que l’on puisse mieux vivre ensemble, dans la paix civile. Car :</p>
<blockquote>
<p>« La haine doit être vaincue par l’amour (ou générosité) et non pas compensée par une haine réciproque » (Éthique, partie 5, proposition 10).</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/108966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que signifie débattre ? Et quelles sont les conditions de possibilité d’un débat qui soit à la fois libre et fructueux ?Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055372018-10-24T21:21:32Z2018-10-24T21:21:32ZLoi Pacte : il faut que tout change pour que rien ne change<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242002/original/file-20181024-48724-1vzk1h0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=110%2C6%2C3691%2C2127&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La réalité économique et financière va continuer à s'imposer aux dirigeants des entreprises, loi Pacte ou pas.</span> <span class="attribution"><span class="source">HQuality / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La loi Pacte nous fait penser au roman de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-guepard-giuseppe-tomasi-di-lampedusa/9782020906791">Giuseppe Tomasi di Lampedusa</a>, <em>Le Guépard</em> (1958). L’histoire du prince de Sicile Don Fabrizio donne en effet à réfléchir sur la transition entre en ordre ancien et un nouvel ordre. Quant à la loi Pacte, il s’agit de la France de 2018 dans laquelle le personnage principal, le président Macron, tente de réformer son pays en le faisant passer de l’ancien au nouveau monde.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=898&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242000/original/file-20181024-48715-1yxnlma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1129&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>À la lecture du texte de loi, récemment <a href="http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/10/09/20002-20181009ARTFIG00002-10-choses-a-savoir-sur-la-loi-pacte-votee-ce-mardi-a-l-assemblee-nationale.php">voté à l’Assemblée nationale</a>, on pense fortement à la célèbre phrase du livre : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Une phrase qui avait d’ailleurs valu à son auteur la réprobation du Parti communiste italien car elle allait à l’encontre des idéaux de la révolution.</p>
<h2>Réhabiliter « l’objet social »</h2>
<p>Lorsque la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) fut mise en chantier, elle souleva chez de nombreux spécialistes de la gouvernance des entreprises de grands espoirs. Quelque 14 recommandations à ce sujet étaient en effet détaillées dans le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport</a> de la mission présidée par Nicole Notat, ancienne dirigeante du syndicat CFDT, et Jean‑Dominique Senard, patron de Michelin et accessoirement membre de la <a href="http://www.noblesse-pontificale.org/index.php/fr/">Réunion de la noblesse pontificale</a>).</p>
<p>Ce rapport, intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », a été remis le 9 mars 2018 aux ministres de la Transition écologique, de la Justice, de l’Économie et des finances, et du Travail. Selon les auteurs, « les auditions ont confirmé le besoin d’une réflexion sur l’entreprise, dans un contexte de financiarisation de l’économie et de court-termisme de certains investisseurs. Le détenteur provisoire de capital n’a plus grand-chose à voir avec la figure de l’associé, visé par le code civil de 1804 ». Ils affirmaient également une conviction : « l’entreprise a une raison d’être et contribue à un intérêt collectif ».</p>
<p>Parmi les 14 recommandations, notons la n° 1, qui visait à ajouter un second alinéa à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833</a> du code civil, ainsi que la n° 2, qui proposait d’insérer la notion de <em>raison d’être</em> de l’entreprise. De l’aveu des auteurs, il s’agissait de réhabiliter « l’objet social au sens premier du terme ». La recommandation n° 3 prévoyait en outre de renforcer le nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 1 000 salariés : deux salariés à partir de huit administrateurs non-salariés, et trois salariés à partir de 13. L’idée sous-jacente était la suivante : les salariés, qui subissent les risques de l’activité de l’entreprise, peuvent apporter dans ces conseils « une contribution précieuse par leur compréhension de l’intérieur, leur connaissance des métiers, de l’histoire de l’entreprise et leur attachement à sa continuité ». Quant autres recommandations, notamment celles visant les praticiens et les administrations, bien que dignes d’intérêt, elles étaient nettement moins « révolutionnaires ».</p>
<h2>Un texte loin des attentes</h2>
<p>Reprenant ces recommandations, le projet de loi Pacte visait, entre autres dispositions de modernisation, à « repenser la place des entreprises dans la société ». Pour cela, l’article 1833 du code civil a été complété par un alinéa ainsi rédigé : « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant compte en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». On note que l’article 1833 ne fait donc que l’objet d’un additif.</p>
<p>On est finalement loin des changements voulus par certains économistes (dont, par exemple, <a href="https://www.marianne.net/economie/les-actionnaires-ne-sont-pas-les-proprietaires-des-entreprises">Olivier Favereau du Collège des Bernardins</a>) qui contestent que la gestion des entreprises soit définie par son intérêt social et celui des actionnaires. L’ajout de la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux n’apporte finalement pas grand-chose de neuf. La jurisprudence oscille en effet depuis longtemps entre une conception restrictive de l’intérêt social réduit aux seuls intérêts des actionnaires, et une définition plus extensive pour englober les intérêts de tous les « stakeholders » (salariés, créanciers, clients, fournisseurs ou sous-traitants). Par ailleurs, les entreprises ont compris depuis longtemps qu’elles ne pouvaient pas ignorer les attentes de leurs parties prenantes pour réussir.</p>
<p>Le projet de loi proposait également de compléter l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444059&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1835</a> du code civil d’une phrase ainsi rédigée : « Les statuts peuvent préciser la raison d’être dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité ». Avec l’introduction de cette raison d’être dans ses statuts, on assiste à un renforcement de la notion d’<em>objet social</em> par rapport à celle de l’<em>intérêt social</em> limité aux seuls intérêts des associés.</p>
<h2>Impact minime</h2>
<p>Certaines entreprises pourront donc se donner une mission d’intérêt général. C’est par exemple le cas de Nutriset, société familiale normande spécialisée dans la conception et la fabrication de produits alimentaires, qui s’est fixée comme objectif « d’apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition/malnutrition des enfants ». <a href="http://www.nutriset.fr">Nutriset</a> oblige ainsi « les actionnaires à partager une vision commune et à protéger l’entreprise de visions privilégiant le court terme guidées par la recherche d’une rentabilité rapide ». Pour cette entreprise, l’OSE (Objet social étendu) est non seulement une boussole mais devient également un outil d’innovation managériale visant à impliquer davantage les collaborateurs. C’est bien, mais cela n’a rien de vraiment révolutionnaire…</p>
<p>Attention : loin de nous l’idée de vouloir minimiser l’intérêt de l’introduction de la raison d’être dans les statuts de l’entreprise. On peut cependant s’interroger sur la réalité de son impact sur la gouvernance au quotidien. Déjà, des effets d’aubaine ou d’affichage (communication) existent autour du statut d’entreprise à mission. Par ailleurs, et sans que cela soit inscrit dans le marbre des statuts, beaucoup d’entreprises se donnent des missions plus larges que le seul intérêt de leurs actionnaires.</p>
<p>Par exemple, le groupe français Air Liquide déclare veiller « au strict respect des droits de l’Homme et à celui de l’éthique des affaires ». Le leader mondial des gaz et technologies pour l’industrie et la santé s’est notamment fixé <a href="http://www.airliquide.com">deux objectifs</a> pour contribuer à un monde plus durable : « améliorer la qualité de l’air et prévenir le réchauffement climatique » et « approfondir le dialogue avec les parties prenantes ». Ce qui ne l’empêche pas de surperformer en bourse. Sur 20 ans (depuis le 23 octobre 1998), l’action Air Liquide a progressé de 248 % alors que le CAC 40 ne progressait que de 50 % sur la même période. Preuve que l’on peut combiner l’intérêt des actionnaires et ceux des autres parties prenantes, et cela sans inclure de raison d’être dans les statuts.</p>
<p>Enfin, le projet de loi Pacte reprend la proposition d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 1 000 salariés. Mais est-ce que deux salariés à partir de huit administrateurs non-salariés, et trois salariés à partir de 13, vont vraiment changer la donne et la répartition du pouvoir au sein des conseils des entreprises ? On peut en douter… En tout état de cause, on est encore très loin de la <a href="https://www.lesechos.fr/03/09/2017/lesechos.fr/030524516784_l-allemagne--un-modele-de-cogestion.htm">cogestion à l’allemande</a> (cogestion qui est d’ailleurs loin d’être toujours <a href="https://theconversation.com/volkswagen-revolte-des-actionnaires-minoritaires-au-pays-de-la-cogestion-66164">exemplaire</a>. Certes, la présence accrue d’administrateurs peut peser sur certaines décisions, comme la rémunération parfois exorbitante de certains dirigeants (et encore). Mais la question demeure entière pour des décisions visant à restructurer les activités de l’entreprise quand cela est rendu nécessaire. La question renvoie en fait au rôle effectif de ces administrateurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-de-lentreprise-des-administrateurs-salaries-pour-quoi-faire-92906">Réforme de l’entreprise : des administrateurs salariés pour quoi faire ?</a>
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<h2>Une gouvernance pas vraiment révolutionnée</h2>
<p>Le projet de loi Pacte vise également à « améliorer et diversifier les financements » des entreprises via des mesures en faveur du financement par les acteurs privés. C’est ainsi qu’il est prévu d’orienter davantage l’épargne salariale vers l’investissement en actions, en assouplissant la détention de plans d’épargne retraite, et à renforcer la contribution de l’assurance-vie au financement de l’économie, à travers l’investissement en actions.</p>
<p>La loi Pacte consacre également une section importante de l’article 66 aux dispositions applicables aux entreprises d’investissement et notamment à celles qui effectuent un <a href="https://www.lesechos.fr/19/04/2018/lesechos.fr/0301571783338_ag---ces-specialistes-du-conseil-en-vote-qui-murmurent-a-l-oreille-des-investisseurs.htm">« service de conseil en vote »</a>. Autrement dit, ces dispositions vont renforcer le poids des actionnaires minoritaires et l’engagement actionnarial. Ce ne sont pas les actionnaires qui s’en plaindront, ni les entreprises à la recherche de fonds propres…</p>
<p>Ces mesures, et quelques autres, vont de facto dans le sens d’une pression plus grande des actionnaires sur les grandes firmes cotées. En effet, si les gérants d’assurance-vie sont encouragés à investir davantage en actions, et que les services de conseil en vote sont davantage reconnus, on ne voit pas comment cela pourrait ne pas se traduire par une pression accrue de la part des actionnaires ou de leurs mandants sur la gestion financière de l’entreprise.</p>
<p>In fine, comme nous l’annoncions dans les premières lignes de cet article, avec la loi Pacte, « il faut que tout change pour que rien ne change ». La réalité économique et financière va continuer à s’imposer aux dirigeants des entreprises, notamment celles faisant appel à l’épargne publique, et leur gouvernance ne va pas être vraiment révolutionnée. Cette conclusion rassurera tous ceux qui pensent que les actionnaires ont un rôle fondamental à jouer dans la gouvernance des sociétés, et qu’il ne faut pas amoindrir leur pouvoir. En même temps, elle décevra tous ceux qui attendaient le grand chamboulement dans la répartition de ce pouvoir au sein des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105537/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux dans la mission de l’entreprise est loin d’être une révolution. La nouveauté, c’est plutôt le pouvoir renforcé des actionnaires.Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1049732018-10-15T21:38:53Z2018-10-15T21:38:53ZLa loi Pacte ne referme pas le débat sur l’objet social de l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240610/original/file-20181015-165885-hjevpf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C44%2C7227%2C4726&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Il semble bien que oui...</span> <span class="attribution"><span class="source">Stokkete / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, le mardi 9 octobre dernier. Au milieu d’une invraisemblable accumulation de mesures hétéroclites (qu’on aurait appelé <a href="http://blogs.lexpress.fr/cuisines-assemblee/2017/02/03/le-conseil-constitutionnel-veut-stopper-la-cavalerie-legislative/">« cavaliers législatifs »</a> en un autre temps), son volet relatif à la place des entreprises dans la société était la disposition la <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">plus attendue</a>.</p>
<p>Rappelons qu’à la suite du <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Notat-Sénard</a>, il s’agissait de consacrer, en leur donnant du contenu juridique, trois des principaux sujets novateurs du projet : la notion « d’intérêt social » associée à une reconnaissance de la responsabilité sociale de l’entreprise, la notion de « raison d’être de l’entreprise », et l’idée de création de « société à mission ». Dans le contexte général d’un projet économique très libéral, il sera évidemment facile de se gausser en disant que la <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">montagne a accouché d’une souris</a>… ce qui est néanmoins vrai.</p>
<h2>Absence d’obligation de résultat</h2>
<p>Le projet gouvernemental reconnaissait déjà qu’il n’existe pas de définition stabilisée de l’intérêt social d’une société et s’en remettait à la jurisprudence pour en préciser la signification. Les députés n’ont pu faire mieux, compte tenu d’un foisonnement de conceptions et d’interprétations dans la doctrine juridique, la jurisprudence et la littérature académique (<a href="https://classiques-garnier.com/entreprise-et-responsabilite-sociale-en-questions-savoirs-et-controverses-faut-il-renouveler-la-conception-de-l-entreprise.html">Capron, 2017</a>). On n’est donc pas plus avancé et la loi ne nous éclaire pas sur ce que sont (ou devraient être) les finalités d’une société en tant que personne morale. D’autant que l’ajout à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833</a> du code civil, « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », ne précise pas concrètement quelles sont les obligations qui résultent de cette prise en considération.</p>
<p>Nous savons cependant, à travers les débats, qu’il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais d’une simple obligation de moyens à la charge de la société. En conséquence, il ne peut y avoir de sanctions légales pour ne pas y avoir répondu et il sera difficile de mettre en cause la responsabilité des dirigeants pour une insuffisance de prise en considération. Dans son <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Avis/Selection-des-avis-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Projet-de-loi-relatif-a-la-croissance-et-la-transformation-des-entreprises">avis sur le projet</a> de loi, adopté le 14 juin 2018, le Conseil d’État avait déjà bien insisté sur ce point. Seule une faute de gestion pourrait être invoquée par les associés, car cet article ne concerne que la gestion de la société. Ce qui n’est pas le cas de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832</a> (inchangé) qui définit le contrat de société entre les associés.</p>
<h2>Une « raison d’être » mal précisée</h2>
<p>Mais alors n’y a-t-il pas matière à discordance entre un contrat de société, qui ne concerne que les seuls associés dans le but de partager les bénéfices de l’activité, et une gestion dont la loi oblige ceux-ci à avoir une vision plus large qui intègre des exigences sociétales ? Des ONG (<a href="https://www.asso-sherpa.org/projet-de-loi-pacte-ne-reconcilie-lentreprise-citoyens">Sherpa</a>, ou encore <a href="https://ccfd-terresolidaire.org/infos/rse/loi-pacte-une-loi-pour-6199">CCFD Terre solidaire</a>) l’ont fait remarquer en mettant le doigt sur la contradiction entre le fait d’être tourné vers le profit et en même temps de s’intégrer dans un écosystème social et environnemental.</p>
<p>En ce qui concerne la notion de « raison d’être », l’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/09/05/tresor-eco-n-226-quel-effet-macroeconomique-du-pacte-premiers-elements-de-reponse">étude d’impact</a> du projet de loi se contentait de préciser que « la raison d’être est le motif, la raison pour laquelle la société est constituée ». C’est elle qui détermine « le sens de la gestion et en définit l’identité et la vocation ».</p>
<p>Soumise à la pression de ses collègues qui soulignaient, comme le Conseil d’État, qu’il s’agissait d’une notion inédite dans la législation, la rapporteure du projet, Coralie Dubost, en a reconnu en séance l’imprécision. Elle a alors fait adopter un amendement qui précise que la raison d’être est « constituée de principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Une précision qui reste, malgré tout, bien vague. Elle laissera sans doute perplexes bon nombre de dirigeants d’entreprise qui, au demeurant, ne seront pas tenus de l’intégrer dans leurs statuts.</p>
<h2>Un statut « d’entreprise à mission »</h2>
<p>Enfin, le rapport Notat-Sénard suggérait d’introduire la notion d’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/le-rapport-senard-netlesauteursproposaientnotammentd%E2%80%99ajouterlamention%C2%ABl%E2%80%99objetsocialpeutpr%C3%A9ciserlaraisond%E2%80%99%C3%AAtredel%E2%80%99entrepriseconstitu%C3%A9">« entreprises à mission »</a> à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444059&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1835</a> du code civil.</p>
<p>Cette proposition n’a pas été retenue dans le projet initial du gouvernement. Dans l’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/09/05/tresor-eco-n-226-quel-effet-macroeconomique-du-pacte-premiers-elements-de-reponse">étude d’impact</a>, le gouvernement écartait même clairement l’écriture d’un nouveau statut « d’entreprise à mission » en laissant aux acteurs économiques le soin de définir eux-mêmes des statuts types ou des labels répondant à cette préoccupation. En cause : les différents statuts de sociétés existants, très nombreux en France, et les risques de redondance ou d’illisibilité puisqu’il existe déjà un cadre juridique de l’économie sociale et solidaire (ESS).</p>
<p>Une grande partie des membres de la commission spéciale de l’Assemblée nationale sont cependant revenus à la charge avec des propositions diverses. Cette contre-attaque a abouti à faire accepter par le gouvernement un amendement visant à créer, non pas une nouvelle forme juridique, mais un statut de société à mission. Ce statut peut s’appliquer à toute forme juridique répondant aux deux critères suivants : l’existence d’une raison d’être dans les statuts, et la mise en place d’un organe social distinct des organes sociaux obligatoires destiné à veiller sur la bonne application de la « mission ».</p>
<h2>Le vote est clos à l’Assemblée, mais le débat reste ouvert</h2>
<p>Ce statut semble avant tout de l’ordre du symbolique. Il est toutefois porteur de risques. Il pourrait d’abord brouiller encore un peu plus le paysage de l’ESS et de l’entrepreunariat social, déjà fort confus. Plus inquiétant, il pourrait aussi, en creux, décourager certaines entreprises à adopter des politiques de Responsabilité sociétale (RSE). Ces dernières pourraient ne plus s’estimer concernées, laissant le sujet aux autres qui auraient adopté le statut.</p>
<p>En fin de compte, on serait tenté de dire : « beaucoup de bruit pour peu de choses ». La majorité a surtout paru soucieuse de réduire au maximum l’impact juridique de son propre dispositif, afin de ne pas effaroucher des milieux d’affaires qui, dans l’ensemble, sont restés défavorables à des changements substantiels du droit des sociétés. À l’évidence, la loi Pacte ne refermera pas le débat sur l’identité, l’utilité et la finalité des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Capron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le texte, voté à l’Assemblée nationale début octobre, n’éclaire pas sur ce que devraient être les finalités d’une société en tant que personne morale. C’était pourtant le point le plus attendu.Michel Capron, Chercheur associé au Laboratoire d’économie dyonisien et à l’Institut de Recherche en Gestion, Université Paris-Est, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/943542018-04-15T19:56:39Z2018-04-15T19:56:39ZL’entreprise, un objet d’intérêt collectif ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/214726/original/file-20180413-560-zdkd7p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C161%2C4685%2C2863&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La société civile est concernée au premier chef par la réforme de l'entreprise.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/unrecognizable-mass-people-walking-city-490906510?src=7fD1DDl_4QwYB93GVLQD9Q-1-16">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Remis au ministre de l’Économie Bruno Le Maire le 9 mars dernier, le <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Sénard-Notat</a> est un texte intéressant. Solidement documenté, il présente des analyses et des problématiques dans lesquelles la société civile au sens large peut se retrouver. Il tranche notamment avec les discours laudatifs et sans consistance qu’on rencontre trop souvent lorsqu’il est question des entreprises. Son ambition est d’emblée annoncée : </p>
<blockquote>
<p>« Consacrer dans notre droit la dynamique de la RSE. » (p. 6)</p>
</blockquote>
<p>Une perspective que partagent la plupart des chercheurs spécialisés en RSE et les représentants des organisations de la société civile. Examinons la philosophie générale qui traverse ce rapport.</p>
<h2>Une déviation par rapport à l’objet de la mission</h2>
<p>Tout d’abord, une constatation assez surprenante : le titre ne correspond pas à l’objet de la mission. Alors que la lettre de mission parlait de « mener une réflexion sur la relation entre l’entreprise et l’intérêt général », les auteurs du rapport prennent, dès le titre, leurs distances avec cette problématique pour parler de l’entreprise comme d’un objet d’intérêt collectif.</p>
<p>Il est clair qu’« intérêt général » et « intérêt collectif » ne peuvent pas être confondus. Les auteurs s’en expliquent en disant que le rôle de l’entreprise n’est pas de poursuivre l’intérêt général. On peut aisément en être d’accord, mais alors, pourquoi n’avoir pas suivi la consigne de la lettre de mission et avoir évacué de tout le texte la question centrale des rapports entre les entreprises et la société au sens large ? Sans aller jusqu’à vouloir faire assumer aux entreprises l’intérêt général, il y a matière à s’interroger sur les manières de faire respecter l’intérêt général par les entreprises. Ce point constitue une déception majeure.</p>
<p>Deux maîtresses locutions jalonnent l’ensemble du rapport et en constituent deux pierres de touche étroitement liées : « l’intérêt propre de l’entreprise » et sa « raison d’être ». Grâce à elles et aux développements auxquels elles donnent lieu, on cerne la philosophie profonde du rapport.</p>
<h2>L’intérêt propre de l’entreprise</h2>
<p>Répondant à une demande largement partagée par la plupart des organisations et personnes consultées, critiquant le fait que la rédaction actuelle de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=ECD866D4C9BFB81B1893CFFF82C2F22A.tplgfr27s_2?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721&categorieLien=id&dateTexte=">article 1833 du code civil</a> réduit l’objet social à la satisfaction de « l’intérêt commun des associés », le rapport propose d’ajouter un second alinéa à cet article 1833 :</p>
<blockquote>
<p>« La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux. »</p>
</blockquote>
<p>Le terme <em>considérant</em> apparaît faible, car il n’induit pas d’obligation de résultats (comme le fait d’ailleurs observer le rapport). Mais sans modification de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832</a>, qui stipule que l’objectif du contrat de société est de partager entre les associés « le bénéfice ou de profiter de l’économie » qui pourra résulter de l’entreprise commune, on est en droit de s’interroger sur la contradiction qui apparaît entre les deux articles.</p>
<h2>Quel est l’« intérêt propre de la société, distinct de celui des associés » ?</h2>
<p>Le rapport Sénard-Notat s’inspire de la théorie juridique institutionnelle de l’entreprise qui a vu le jour dans l’immédiat après-guerre sous la plume, notamment, <a href="http://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/public/index.jsp?record=bmr%3AUNIMARC%3A4841946&failure=%2Fjsp%2Fpublic%2Ffailure.jsp&action=public_direct_view&success=%2Fjsp%2Fpublic%2Findex.jsp&profile=public">du juriste Paul Durand</a>. Pour ce dernier, l’entreprise constitue une unité organique entre patronat et salariés ; en quelque sorte, une association « capital-travail ».</p>
<p>Cette théorie a été ensuite développée par <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/6212">« l’école de Rennes »</a> de droit des sociétés dans les années 1950-1960, sous la férule de Claude Champaud, et fut combattue d’une part, par ceux qui y voyaient l’occultation de l’opposition irréductible entre les intérêts des employeurs et ceux des salariés et d’autre part, par les tenants de la vision contractuelle de l’entreprise, pour lesquels le contrat de société repose avant tout sur les engagements des associés. Après avoir connu un relatif succès auprès de la jurisprudence, elle fut reprise en 1995 par le <a href="https://www.lesechos.fr/11/07/1995/LesEchos/16937-061-ECH_le-rapport-vienot-preconise-une-mutation-en-douceur-des-conseils-d-administration.htm">rapport Viénot</a> sur le conseil d’administration des sociétés cotées. Ce travail sur la réforme de l’entreprise piloté par Marc Viénot, président de la Société Générale, a largement inspiré le rapport Notat-Sénard. La définition de l’intérêt de l’entreprise y est la suivante :</p>
<blockquote>
<p>« L’intérêt social de l’entreprise peut ainsi se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même ; c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome poursuivant ses propres fins distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise. » (<a href="http://www.ecgi.org/codes/documents/vienot1_fr.pdf">rapport AFEP‑CNPF</a>, p. 9)</p>
</blockquote>
<p>En l’occurrence, il ne s’agit pas ici d’un « intérêt général commun », mais d’un intérêt collectif supposé, au demeurant non démontré, car la définition fait fi des antagonismes susceptibles d’exister entre les divers protagonistes. On peut comprendre que l’intérêt propre apparaît ainsi comme la continuité de l’exploitation, la pérennité de l’organisation, dans le sens du maintien de la viabilité d’un système qui n’aurait pas d’autre finalité que sa propre survie et transcenderait les intérêts de ses parties prenantes.</p>
<p>On remarquera au passage que la définition confond la société et l’entreprise. Bien que les auteurs du rapport soulignent la nécessité de distinguer les deux notions, ils ne fournissent pas de critères de distinction entre les deux, ce qui laisse entière la question de leurs définitions respectives et de leur articulation. D’ailleurs, à plusieurs reprises les auteurs du rapport écrivent « entreprise » à la place de « société ».</p>
<p>La vision des auteurs semble correspondre à une association « capital-travail », ce que confirme la proposition d’une plus grande ouverture des conseils d’administration et des conseils de surveillance aux représentants des salariés. Ce qui laisse de côté les autres parties prenantes… En effet, si le rapport recommande bien de constituer des comités de parties prenantes dans les grandes entreprises, ceux-ci le seraient en dehors des conseils d’administration. Une autre conception, plus innovante, aurait été possible. Par exemple celle de l’APIA, l’<a href="http://www.apia.asso.fr/">association des Administrateurs professionnels indépendants associés</a>, qui considère l’intérêt social de l’entreprise comme recouvrant</p>
<blockquote>
<p>« de manière combinée et variable, selon le contexte, les intérêts de la personne morale, des actionnaires, des salariés ou des autres parties prenantes »(APIA, Vademecum n°2, mars 2015)</p>
</blockquote>
<h2>La « raison d’être » de l’entreprise</h2>
<p>La seconde locution qui imprègne le rapport est la notion de « raison d’être » définie comme étant « ce qui est indispensable pour remplir l’objet social, c’est-à-dire le champ des activités de l’entreprise. » (p. 4), en quelque sorte un préalable en amont avant de définir l’objet social dans les statuts. Elle doit être le résultat d’une « volonté réelle et partagée » (p. 4).</p>
<p>Mais entre quels acteurs cette volonté doit-elle être partagée ? Certainement pas seulement entre les associés, puisque l’« intérêt propre » de la société est distinct de celui des associés (ce qui serait contradictoire avec le nouvel article 1833). Pas non plus avec les représentants des salariés, puisqu’ils ne sont pas présents au moment de l’adoption de ses statuts.</p>
<p>Finalement, l’entreprise (ou la société, personne morale) apparaît comme un être irréel, idéalisé, placé au-dessus des acteurs qui la compose, irréalité d’autant plus ressentie qu’elle ne fait l’objet d’aucune définition, ni juridique, ni économique.</p>
<h2>Métaphore de « l’être » : l’utilisation abusive nuit à la clarté</h2>
<p>Ceci est la conséquence d’un abus de la métaphore de « l’être » appliquée à la personne morale, que l’on rencontre très souvent dans la littérature managériale et académique. Même si la législation lui a reconnu les attributs d’une personne physique, <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre1-2012-3-p-44.htm">avec d’ailleurs plus de droits que d’obligations</a>, une personne morale n’est pas un être vivant assimilable à un être humain. Le pape Innocent IV, en 1250, à l’origine de l’idée de personne morale, la qualifiait de <em>persona ficta</em>. Il s’agit bien d’une fiction, qui ne peut pas avoir de « volonté propre », contrairement à ce que semble prétendre le rapport. Celui-ci l’admet d’ailleurs implicitement, puisqu’il reconnaît que c’est le conseil d’administration qui manifeste cette volonté (p. 50).</p>
<p>Des tribunaux québécois ont effectivement contesté cette représentation des sociétés en déclarant qu’étant des personnes intangibles et fictives, elles sont incapables de bénéficier de façon concrète des mêmes attributs que les personnes physiques ou d’en faire un usage conforme à leur objet. De son côté, la littérature en sociologie des organisations, tant américaine que française, va à l’encontre de cette idée en montrant que l’entreprise est une organisation composite, un « système » dans lequel et auprès duquel évoluent de <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-acteur-et-le-systeme-michel-crozier/9782757841150">multiples acteurs et dont les actions et les comportements résultent de leurs luttes d’influence et de leurs interactions</a>. Ces acteurs, les « parties prenantes », ont tantôt des relations coopératives, tantôt des relations conflictuelles avec les directions des entreprises, ce que ne contredirait pas <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2002-3-page-161.htm">James March</a>, cité dans le rapport (p. 17).</p>
<h2>Attention aux entreprises à mission</h2>
<p>Sur d’autres sujets abordés dans le rapport, nous retiendrons la proposition de <a href="http://www.hec.fr/News-Room/Communiques-de-presse/Les-entreprises-a-mission-les-entreprises-de-demain-Premiere-enquete-nationale-sur-les-entreprises-a-mission-francaises">« l’entreprise à mission »</a> sur laquelle les auteurs restent flous et prudents. Reconnaissant qu’une nouvelle forme juridique ou un nouveau statut de société ne se justifie pas en France, ils suggèrent que l’objet social pourrait préciser, pour des sociétés volontaires, la « raison d’être de l’entreprise constituée » (p. 70), avec une reconnaissance dans la loi de ces « entreprises à mission », accessibles, sous conditions, à toutes les formes juridiques de société. Actuellement, la SAS (société anonyme simplifiée), qui connaît un énorme succès, permet déjà d’introduire ce type de clause dans son objet social.</p>
<p>Plus inquiétante est l’idée d’une quatrième voie, aux côtés de l’économie de marché, de l’action publique et de l’économie sociale et solidaire : « une économie responsable, parvenant à concilier le but lucratif et la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux » (p. 6), ce qui pourrait signifier en creux, renoncer à faire de la RSE, le marqueur de l’ensemble des entreprises. Les auteurs s’en défendent en parlant de « rythmes différents » selon les entreprises, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’une « évolution normative légère » (p. 6) conduirait précisément à des RSE à plusieurs vitesses.</p>
<p>Le rapport aborde également la <a href="https://theconversation.com/reforme-de-lentreprise-des-administrateurs-salaries-pour-quoi-faire-92906">question des administrateurs salariés</a> en recommandant une plus grande ouverture des CA et des CS, mais il ne précise pas ce qui est attendu d’eux, leurs conditions d’exercice, leurs responsabilités spécifiques…</p>
<p>Si on peut être d’accord avec le fait que la théorie des parties prenantes correspond plus à une vision américaine de l’intérêt général, peu compatible avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2007-4-page-463.html">tradition française rousseauiste et républicaine de la volonté générale</a>, on ne peut ignorer que l’activité et les résultats d’une entreprise dépendent en grande partie de son environnement institutionnel, économique et social. C’est pourquoi des propositions de nouvelle rédaction du code civil ont mis l’accent sur la nécessité pour l’entreprise, à la fois de prendre en compte les attentes de ses parties prenantes et de respecter l’intérêt général. Par ailleurs, la définition des parties prenantes retenue par le rapport : « les personnes et les groupes qui subissent un risque du fait de l’activité de l’entreprise » (p. 4) semble un peu rapide et incomplète.</p>
<h2>RSE : peu de nouveautés</h2>
<p>Finalement, malgré des analyses très actuelles qui participent de l’évolution de la pensée due au mouvement de la RSE, le rapport présente peu d’idées nouvelles et d’innovations. Celles-ci sont rapidement résumées dans les graphiques des p. 8 et 71 :</p>
<ul>
<li><p>un premier niveau comprenant toutes les entreprises auxquelles il est recommandé de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité ;</p></li>
<li><p>un deuxième niveau composé de sociétés dotées d’organes d’administration et de contrôle qui déterminent les orientations de leur activité en fonction de leur « raison d’être » ;</p></li>
<li><p>un troisième niveau avec des entreprises à mission volontaire.</p></li>
</ul>
<p>En conclusion, tout en constituant une base de départ intéressante, le rapport Notat-Sénard déçoit par la timidité de ses propositions, qui restent dans un champ de densité normative très faible. Avoir une vraie réflexion sur la relation entre les entreprises et l’intérêt général supposerait notamment :</p>
<ul>
<li><p>d’aborder de front la question de la transparence des activités des entreprises et de leur conséquences de façon à permettre un véritable contrôle de la société au sens large sur leurs activités et notamment de limiter strictement le secret des affaires ;</p></li>
<li><p>de circonscrire leur rôle et leur place dans les décisions publiques, en réglementant de manière sérieuse le lobbying des groupements d’intérêt ;</p></li>
<li><p>de distinguer nettement l’entreprise « entrepreneuriale » redonnant vigueur à l’esprit d’entreprise de la « grande entreprise » soumise aux aléas des mouvements de capitaux ;</p></li>
<li><p>de donner corps à une réinternalisation des coûts sociaux et environnementaux s’appuyant sur une comptabilité dégagée de la seule préoccupation des intérêts financiers ;</p></li>
<li><p>de retreindre les possibilités d’irresponsabilité d’actionnaires ou d’associés s’abritant derrière des statuts juridiques de société trop conciliantes à leur égard ;</p></li>
<li><p>de reconnaître un statut de contre-pouvoirs aux organisations et aux personnes de la société civile.</p></li>
</ul>
<p>Il conviendra, dans le projet de loi ou au-delà, de lever un certain nombre de contradictions et de combler les manques du rapport remis par Nicole Notat et Jean‑Dominique Sénard, à partir d’une analyse approfondie de la place des entreprises dans la société. Analyse qui lui fait actuellement défaut.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus :<br>
Fericelli A.M., (1983) « L’entreprise comme système dynamique ouvert », Connaissance politique n°1, p. 50-61 ;<br>
Capron M. et Quairel-Lanoizelée F., (2015), <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-L_entreprise_dans_la_societe-9782707175960.html">« L’entreprise en société. Une question politique »</a>, La Découverte, 2015.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94354/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Capron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapport Notat-Sénart sur la réforme de l’entreprise présente des problématiques importantes pour la société civile. Mais il contient des contradictions, et les innovations y sont rares.Michel Capron, Chercheur associé au Laboratoire d’économie dyonisien et à l’Institut de Recherche en Gestion, Université Paris-Est, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/807332017-07-23T20:25:20Z2017-07-23T20:25:20ZEnseignants-chercheurs en médecine générale : « L’obligation vaccinale est une mauvaise solution »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/178863/original/file-20170719-13545-13nmma7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vaccination d'un nourrisson (photo d'illustration). </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/doctor-vaccinating-baby-455879764?src=HMJ6b4K_JZk2I-rXV5UhAQ-1-8">De Africa studio/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le premier ministre a annoncé, le 4 juillet, son intention de rendre obligatoire onze vaccins pour la petite enfance - trois d’entre eux l’étant déjà. Il a ainsi entériné les propositions émises par la ministre de la Santé. Un texte de loi <a href="http://sante.lefigaro.fr/article/onze-vaccins-obligatoires-la-loi-examinee-a-la-fin-de-l-annee">doit être présenté dans ce sens devant le Parlement à la fin de l’année</a>. </p>
<p>Les universitaires de médecine générale, par la voix du <a href="https://www.cnge.fr/">Collège national des généralistes enseignants</a> (CNGE) regroupant 8 500 médecins enseignants et maîtres de stage, prennent position contre cet élargissement de l’obligation vaccinale. <a href="https://www.cnge.fr/conseil_scientifique/productions_du_conseil_scientifique/comment_ameliorer_la_couverture_vaccinale_concerta/">Avec le conseil scientifique du CNGE</a>, nous estimons qu’il s’agit d’une mauvaise solution, inapte à régler le problème de l’insuffisance de la couverture vaccinale en France. </p>
<p>En effet, l’obligation, qui peut être perçue par les citoyens comme une réaction autoritariste, risque d’être contre-productive. Cette stratégie est de nature à renforcer la défiance d’une partie de la population, en plus d’apparaître décalée par rapport aux évolutions sociétales allant dans le sens d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GamcW2Ym4oA">plus grande autonomie des patients</a>. </p>
<h2>BCG facultatif, pas de recrudescence des tuberculoses</h2>
<p>Aucun élément scientifique ne plaide en faveur d’une efficacité de l’obligation. D’autres pays européens comparables à la France ont, sans cette contrainte, des taux de couverture vaccinale équivalents ou supérieurs. Quant à l’option inverse, une levée totale de l’obligation, elle ne semble pas comporter de risque particulier. Il existe un précédent encourageant en France avec le vaccin contre la tuberculose, le BCG, rendu facultatif en 2007. Ce changement ne s’est pas accompagné d’une recrudescence des tuberculoses graves chez l’enfant.</p>
<p>Historiquement, la vaccination a permis des succès considérables. On peut lui attribuer l’éradication de la variole dans le monde, la quasi disparition de la poliomyélite, la régression spectaculaire du tétanos, de la diphtérie mais aussi de la rougeole et de la coqueluche, maladies infectieuses aux bilans autrefois effrayants en termes de morbidité et de mortalité. </p>
<p>La vaccination bénéficie d’une aura considérable dans le corps médical en France, pays de Louis Pasteur. Les médecins généralistes sont attachés <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4563133/">de manière ultra majoritaire</a> aux <a href="http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/vaccinations-attitudes-et-pratiques-des-medecins-generalistes">vaccinations recommandées et au respect du calendrier vaccinal</a>. Quant aux patients, ils <a href="http://fulltext.bdsp.ehesp.fr/Sfsp/SantePublique/2012/6/547_560.pdf">accordent une grande confiance à leurs médecins traitants</a>. Un contexte plutôt favorable, <em>a priori</em>, à une bonne couverture vaccinale.</p>
<h2>Le vaccin contre l’hépatite B accusé, à tort, d’effets indésirables graves</h2>
<p>Cependant, une partie de la population manifeste depuis plusieurs années une défiance vis-à-vis des vaccins. Ce sentiment complexe trouve ses racines dans des phénomènes d’origines variées. Il y a d’abord l’héritage de la campagne de vaccination systématique contre l’hépatite B en milieu scolaire menée de 1994 à 1997. Abandonnée après de longues polémiques sur son innocuité, elle s’est soldée par un doute durable vis à vis de ce vaccin accusé, à tort, d’une pléiade d’effets indésirables graves.</p>
<p>Ensuite, les principes vaccinaux en vigueur sont difficilement compréhensibles car déconnectés de l’utilité réelle de chacun des vaccins. Les trois vaccins « historiques », contre le tétanos, la polio et la diphtérie, sont obligatoires. Les autres, plus récents, sont seulement recommandés alors qu’ils sont les plus importants durant la petite enfance. Il s’agit des vaccins anti pneumocoque, hémophilus, coqueluche, méningocoque et rougeole.</p>
<p>La campagne de vaccination contre la grippe H1N1, en 2009 et 2010, est venue elle aussi alimenter la défiance. Anxiogène et inadaptée, cette opération a déconsidéré la parole d’institutions qui avaient surestimé la gravité de l’épidémie. Enfin, la révélation de liens d’intérêts entre certains promoteurs de la vaccination et les industriels du secteur, par exemple <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/09/papillomavirus-les-autorites-europeennes-dans-la-tourmente_5046054_3244.html">pour le vaccin contre le papillomavirus, responsable de cancers du col de l’utérus</a>, est venue aggraver la défiance.</p>
<h2>La France, la plus méfiante parmi 67 pays</h2>
<p>Les mouvements anti vaccinaux se sont nourris des erreurs précédemment citées, faisant basculer dans le doute une part croissante de la population au cours des quinze dernières années. Aujourd’hui, la France est le pays où le doute sur la vaccination est le plus important au monde, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27658738">selon l’étude portant sur 67 pays publiée en 2016</a>. </p>
<p>Cette situation aboutit à une couverture vaccinale que les autorités sanitaires estiment insuffisante. Pour obtenir un effet protecteur généralisé à l’échelle d’un pays, l’objectif - validé par la communauté scientifique - est de vacciner plus de 95 % de la population cible.</p>
<p>Examinons les chiffres les plus récents, <a href="http://invs.santepubliquefrance.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-infectieuses/Maladies-a-prevention-vaccinale/Couverture-vaccinale/Donnees/Synthese-des-couvertures-vaccinales-chez-l-enfant-de-2-ans">ceux de 2015</a>. En France, ils sont de 98,9 % pour la primovaccination obligatoire anti tétanos, diphtérie, polio et de 96,7 % pour le rappel. Ils sont équivalents pour la coqueluche, 98,6 % et 96,3 %. Ils sont moins importants pour le vaccin anti pneumocoque, avec une population vaccinée à 91,4 %, et à 90,5 % pour le vaccin anti rougeole/rubéole/oreillons. Mais ces vaccins sont plus récents et leur taux de couverture croît d’année en année en dépit du contexte difficile énoncé plus haut - même si cette croissance est maintenant très lente. </p>
<p>La dramatisation autour de l’enjeu d’une couverture supérieure à 95 % de la population peut sembler surprenante. Le premier ministre a évoqué, dans son discours de politique générale, la situation de la rougeole, considérant celle-ci comme inadmissible. Il faut préciser que l’épidémie de rougeole a été à l’origine ces dix dernières années, en moyenne, <a href="http://invs.santepubliquefrance.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-infectieuses/Maladies-a-prevention-vaccinale/Rougeole/Points-d-actualites/Archives/Epidemie-de-rougeole-en-France.-Actualisation-des-donnees-de-surveillance-au-12-avril-2017">d’un cas de décès par an sur toute la France</a>. De plus, la majorité des victimes étaient des enfants souffrant déjà d’un déficit immunitaire contre indiquant de fait cette vaccination - qui, par ailleurs, ne protège pas parfaitement les enfants vaccinés.</p>
<h2>Un rapport bénéfices risques favorable pour l’ensemble des vaccins de la petite enfance</h2>
<p>Les vaccins conseillés dans la petite enfance ont tous un rapport favorable entre leurs bénéfices et leurs inconvénients, même si celui-ci s’avère plus ou moins élevé selon le vaccin. Les données actuelles de la science plaident clairement pour l’utilisation de l’ensemble d’entre eux. Ils permettent d’éviter des évolutions plus sévères, plus ou moins fréquentes selon les maladies ciblées, ou la ré-émergence de maladies gravissimes disparues en France. Ainsi, notre prise de position contre l’obligation vaccinale ne tient pas à un jugement négatif sur le fond (l’utilité des vaccins) mais sur la méthode (la coercition).</p>
<p>Le premier ministre, donc, a déclaré vouloir rendre obligatoire onze vaccins pour les enfants de moins de deux ans. Sa proposition s’appuie sur <a href="http://concertation-vaccination.fr/rapport-du-comite-dorientation/">l’avis du Comité d’orientation</a> chargé de rédiger la synthèse de la concertation citoyenne qui s’est tenue sur la vaccination l’an dernier. A ce stade, il paraît utile de rappeler que ce n’est pas l’extension de l’obligation vaccinale mais au contraire, sa levée qui avait été privilégiée par le jury réunissant des professionnels de santé et par la moitié du jury des citoyens, comme indiqué dans le rapport. </p>
<p>Mais pourquoi donc, au fond, les citoyens acceptent-ils les vaccinations ? Pour deux raisons principales, selon une synthèse internationale récente : parce que celles-ci figurent dans les recommandations officielles, et parce qu’elles leur sont conseillées par un professionnel de santé. C’est donc la confiance des citoyens envers les autorités de santé qu’il faut se préoccuper de rétablir. On manque d’une politique publique d’ensemble en faveur des vaccinations, en particulier d’une campagne d’information et d’incitation pour les vaccins de la petite enfance. Les médecins se retrouvent en effet bien seuls au moment de les proposer aux parents… C’est une explication, pour partie, à la faible couverture des vaccins recommandés ces dernières années, comme le vaccin anti méningocoque C. </p>
<h2>Rétablir la confiance par la contrainte ?</h2>
<p>La ministre de la Santé manifeste maintenant la volonté de promouvoir la vaccination et nous saluons cet engagement. Cependant, il est pour le moins paradoxal de prétendre rétablir la confiance de la population par la contrainte. D’autant que le citoyen a pris au fil des ans une place croissante dans la gestion de sa propre santé, encouragé par le principe d’autonomie inscrit dans la loi de 2002 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015&categorieLien=id">relative aux droits des patients</a>. La décision partagée entre médecin et patient, comme la démarche de soins centrée sur le patient, sont maintenant largement promues dans la littérature scientifique et <a href="https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-10/synthese_avec_schema.pdf">par la Haute autorité de santé</a> (HAS).</p>
<p>Une exception à ces principes gravés dans la loi pourrait toutefois se justifier s’il existait une crise sanitaire ou un risque épidémiologique important. Ce qui n’est pas le cas. D’autres situations sanitaires pourtant bien plus dangereuses n’entraînent pas, et ce à juste titre, une posture aussi autoritaire que l’obligation vaccinale. Un exemple ? Plus de 25 000 personnes en France sont porteuses du virus du SIDA sans le savoir. Elles peuvent donc éventuellement contaminer d’autres personnes, notamment par voie sexuelle. Pourtant, les autorités sanitaires n’envisagent pas de mettre en place un dépistage obligatoire du VIH pour toute la population, ni une injonction de soins pour les personnes concernées. </p>
<p>Un autre exemple ? Près de 80 000 morts par an sont liés au tabagisme, avec une nocivité reconnue pour l’entourage des fumeurs notamment les jeunes enfants. Là non plus, l’urgence n’a pas conduit les autorités à imposer l’arrêt définitif et généralisé de la consommation de tabac. On le comprend, car de telles mesures seraient synonymes de la fin du libre arbitre des citoyens. Elles seraient considérées, avec raison, comme une dérive répressive sous couvert de santé publique. </p>
<h2>La mort subite, l’autisme, les allergies risquent d’être attribués aux vaccins</h2>
<p>Les effets contre-productifs d’un élargissement de l’obligation vaccinale sont prévisibles. Les maladies et les accidents qui surviennent ou se révèlent habituellement entre 0 et 2 ans, par exemple la mort subite, l’autisme, les allergies ou les maladie rares, risquent d’être attribués aux vaccins. Et quand une affaire sera portée en justice, au niveau français ou au niveau européen, la jurisprudence permet de prédire que l’Etat (toujours solvable) <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/07/12/vaccin-contre-l-hepatite-b-et-sclerose-en-plaques-non-la-justice-europeenne-n-a-pas-reconnu-le-lien_5159670_4355770.html">sera condamné</a> en dépit de l’absence de lien de cause à effet, induisant toujours plus de confusion dans l’esprit des citoyens. </p>
<p>Aux yeux des médecins généralistes universitaires, il paraît logique de lever l’obligation vaccinale pour mettre fin à un héritage historique qui n’a plus de légitimité. La vaccination entrerait ainsi dans le droit commun de la santé. La vaccination étant une priorité de santé publique, il serait souhaitable d’organiser une grande campagne d’information associée à une formation des professionnels de santé. Mesures qui ont montré, avec les antibiotiques en 2012, qu’elles pouvaient induire un réel changement de comportement. Il nous semble que cette voie est celle de la raison et du progrès.</p>
<p>L’obligation ne peut que renforcer les postures anti vaccination. L’annonce des intentions du gouvernement entraîne déjà réactions et pétitions de mouvements anti vaccins qui profitent de cette erreur tactique pour donner plus d’importance à leurs croisades idéologiques. Demain, si l’obligation doit entrer en vigueur, certains parents chercheront à la contourner par tous les moyens. Les médecins de premier recours, bien souvent des généralistes, seront mis en position difficile avec des demandes de certificats de contre-indication ou de mention de vaccinations dans les carnets de santé alors que celles-ci n’ont pas été réalisées. </p>
<h2>Des familles préféreront sortir leur progéniture du système scolaire classique</h2>
<p>Les directeurs d’établissement scolaires se trouveront eux aussi sous la pression de parents demandant des exemption de vaccination pour que leurs enfants puissent être inscrits à l’école. Certaines familles préféreront sortir leur progéniture du système scolaire classique pour échapper à l’obligation vaccinale. Est-ce que cette obligation dont les bénéfices sont, au mieux, hypothétiques vaut vraiment tous ces risques ?</p>
<p>Obtenir une bonne couverture vaccinale est un objectif important. Il mérite mieux que l’affrontement annoncé d’une vision dirigiste et paternaliste de la santé avec les thèses complotistes anti vaccinales. Dans une vision éthique et progressiste, l’information délivrée par les tutelles et les professionnels devrait être cohérente. Elle devrait s’appuyer sur une évaluation scientifique indépendante des bénéfices et risques de chaque vaccin, qui reste à produire. C’est à cette condition que nous pourrons, ensemble, convaincre l’immense majorité des citoyens du bien fondé d’une politique vaccinale protectrice de la santé de chacun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80733/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Rendre 11 vaccins obligatoires chez l'enfant n'est pas un moyen efficace d'augmenter la couverture vaccinale en France. D'autres mesures permettraient de l'obtenir en restaurant la confiance.Vincent Renard, Professeur de médecine générale, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Olivier Saint Lary, Maître de conférences en médecine générale, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/740122017-05-01T20:28:58Z2017-05-01T20:28:58ZUn capitalisme d’intérêt général<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/167366/original/file-20170501-17307-97xf8s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Patagonia est un bon exemple d'entreprise à impact sociétal positif.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/2672910273/cdb1a5faef/">Nicolas Boullosa/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Dans cette période électorale régressive, certains veulent nous faire croire que nous aurions le choix entre un capitalisme dérégulé sans égard pour les laissés pour compte de la mondialisation et un repli isolationniste dont nous n’avons pas les moyens, car pour pouvoir s’isoler, il faudrait être autonome.</p>
<h2>Refuser le choix entre injustice et pauvreté</h2>
<p>Même si leurs propositions sont irréalistes, les grands simplificateurs d’une droite et d’une gauche qui refusent le qualificatif d’extrême ont beau jeu de constater le désordre de notre société, le dysfonctionnement des dispositifs censés garantir l’égalité des chances, le délitement des solidarités. Les riches ont le sentiment que leurs impôts servent à alimenter le tonneau percé d’un État incapable d’exercer efficacement ses missions de service public et sont tentés par la <a href="https://theconversation.com/un-second-tour-le-pen-melenchon-les-dangers-du-degagisme-76157">sécession</a>. Ceux qui « rament », excédés, veulent leur faire rendre gorge ou s’en prennent à divers « envahisseurs ».</p>
<p>Pourtant, encore récemment, certains annonçaient la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Fin_de_l%27histoire_et_le_Dernier_Homme">fin de l’histoire</a>, la prospérité et la libération des individus grâce à l’implosion des pays communistes et des dictatures. Notre meilleur des mondes politiques et économiques n’a cependant pas su convaincre ceux qui ailleurs ont voté pour le <a href="https://theconversation.com/industrie-et-cohesion-sociale-et-territoriale-lautre-lecon-du-brexit-61959">Brexit</a> ou pour Trump, ni ceux qui chez nous sont tentés par un soutien à Le Pen ou Mélenchon.</p>
<p>Nous pouvons cependant refuser le choix binaire, voire l’absence de choix dont on nous menace. Comme le montre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-No%C3%ABl_Giraud">Pierre-Noël Giraud</a>, il existe de <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Principes_d___conomie-9782707182944.html">multiples formes de capitalisme</a> et celui-ci n’est pas incompatible avec des dispositifs de régulation plus ou moins ambitieux. Lorsque les marchés sont efficients, la recherche par chacun de son intérêt individuel optimise l’allocation et l’usage des ressources dans l’intérêt général. Lorsqu’ils ne le sont pas, l’intérêt général ne peut être garanti que par une régulation qui passe par la coercition ou l’incitation. Par exemple, si notre collectivité choisit de respecter des normes exigeantes en matière d’impact sur l’environnement ou de droits humains, il est <a href="https://theconversation.com/taxer-le-carbone-sans-nuire-a-notre-competitivite-50372">légitime qu’elle protège ses entreprises</a>, auxquelles elle impose ces contraintes, contre la concurrence de sociétés qui polluent ou exploitent leur main d’œuvre.</p>
<h2>Entreprendre en privilégiant l’intérêt général</h2>
<p>Heureusement, beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas besoin de régulations coercitives pour poursuivre un projet d’intérêt général économiquement viable. Nombreux sont ceux qui veulent que leur travail ait un sens et contribue à un monde meilleur. Certes, rien ne les empêche aujourd’hui de créer une entreprise qui privilégie ces objectifs altruistes sur la recherche du profit, mais la pérennité de leur projet peut être menacée.</p>
<p>C’est notamment le cas lorsqu’ils doivent s’associer pour accéder à des compétences complémentaires aux leurs ou à des financements. Leurs associés peuvent avoir ou développer à terme une vision du monde différente et promouvoir d’autres arbitrages entre les ambitions du fondateur et les profits.</p>
<p>C’est particulièrement vrai si l’entreprise est une société par actions, notamment aux États-Unis où un actionnaire peut attaquer en justice un dirigeant qui prend une décision ayant pour conséquence de limiter la rentabilité de son investissement. Ces <em>fiduciary duties</em> sont cohérentes avec la position de l’économiste Milton Friedman écrivant en 1970 que « la responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter leurs profits ».</p>
<p>Pour surmonter ces difficultés, de nouveaux statuts de sociétés sont apparus, parfois de longue date (mutuelles, SCOP…) parfois plus récemment, afin d’inscrire dans la constitution de l’entreprise la mission d’intérêt général choisie par ses fondateurs et de protéger cette mission lorsqu’elle entre en conflit avec d’autres objectifs.</p>
<h2>Les entreprises à mission</h2>
<p>Dans un <a href="http://editions.prophil.eu/produit/entreprises-mission/">ouvrage clair et documenté</a>, illustré de nombreux cas concrets, <a href="http://prophil.eu/fr/">Prophil</a> (société de conseil en stratégie philanthropique) dresse un panorama international de ces statuts juridiques permettant d’organiser une entreprise au service du bien commun sans négliger la viabilité économique indispensable à la poursuite de sa mission. On y découvre les subtiles différences entre le statut de <em>Benefit Corporation</em>, qui certes protège les dirigeants des poursuites mais reste imprécis et peu contraignant, se contentant d’exiger un rapport sur l’impact environnemental et social et la gouvernance, et les <em>special purpose corporations</em> dont les objectifs d’intérêt généraux peuvent être mieux spécifiés et sont opposables aux actionnaires.</p>
<p>En France, la loi de juin 2014 sur l’Économie sociale et solidaire (« loi Hamon ») ouvre la voie aux entreprises commerciales d’utilité sociale. Certains veulent aller encore plus loin et expérimentent la <a href="http://www.pressesdesmines.com/economie-et-gestion/la-societe-a-objet-social-etendu.html">« société à objet social étendu »</a> proposée par des chercheurs de Mines-ParisTech.</p>
<p>L’ouvrage <em>Les entreprises à mission</em> présente de nombreux exemples, à l’étranger et en France, allant de l’américain Patagonia, qui vend des vêtements et équipements sportifs en s’attachant à leur impact écologique et aux conditions de leur production et en affectant 1 % de son chiffre d’affaires au soutien de diverses causes ; au français Nutriset, qui fabrique des suppléments alimentaires pour lutter contre la malnutrition dans les pays du Sud ; en passant par Enea Consulting, qui intègre le mécénat de compétences au profit des populations précaires dans sa stratégie de conseil dans le domaine de la transition énergétique ; ou par Plum Organics, qui propose une nourriture pour enfant saine et diversifiée et lutte contre la précarité alimentaire en fournissant de nombreux repas gratuits et qui grâce à son statut de <em>public benefit corporation</em> (une forme de SPC) peut conserver des modalités de gouvernance spécifiques et différentes des autres filiales du groupe alimentaire Campbell, qui détient désormais son capital. Bien d’autres exemples italiens, britanniques, américains ou français illustrent la variété des engagements.</p>
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<h2>Construire un capitalisme d’intérêt général par la régulation et l’incitation</h2>
<p>La fracture sociale d’une société dont l’enrichissement ne profite qu’à quelques-uns n’est pas une fatalité. Un capitalisme d’intérêt général peut se construire en combinant deux approches. D’une part, il faut une régulation pour lutter contre certains comportements prédateurs, en interdisant des actions nuisibles à certaines parties prenantes ou en créant divers systèmes d’incitation. Ces incitations ont pour but d’« internaliser les externalités », c’est-à-dire de faire payer à un agent économique les conséquences fâcheuses pour d’autres de son activité (par exemple par la mise en place d’une taxe carbone qui l’incite à émettre moins de gaz à effet de serre) ou à le faire bénéficier des services qu’il rend à la collectivité (par exemple en subventionnant un agriculteur dont l’action contribue à l’entretien du patrimoine naturel). D’autre part, il faut faciliter la vie des entrepreneurs sociaux, qui contribuent à l’intérêt général sans renoncer pour autant à vivre de leur activité.</p>
<p>Des statuts des entreprises à mission assortis de mécanismes transparents d’évaluation des impacts extrafinanciers sur les objectifs qu’elles se donnent facilitent le développement de ces nouveaux acteurs dont la priorité n’est pas la maximisation du profit, mais qui entendent vivre de leur activité plutôt que de subventions publiques.</p>
<p>Même si elles restent très minoritaires, ces entreprises pionnières contribuent à tirer vers le haut l’ensemble des acteurs économiques. En effet, puisque ces nouveaux entrepreneurs à impact sociétal attirent de plus en plus de jeunes diplômés qui cherchent un travail porteur de sens, les entreprises moins engagées se trouvent contraintes de dépasser le <em>greenwashing</em> ou les déclarations purement formelles sur leur attachement à leur responsabilité sociale et à faire la preuve d’un véritable respect des droits humains et de l’environnement si elles veulent continuer à attirer des collaborateurs motivés et compétents.</p>
<p>La moralisation du capitalisme ne peut se passer de régulation, mais elle repose aussi sur des collaborateurs et des consommateurs de plus en plus sensibles à la manière dont les biens et les services sont produits. Ils votent avec leurs pieds et leur porte-monnaie, d’autant plus efficacement qu’ils sont de mieux en mieux informés.</p>
<p>L’actualité nous le prouve, il y a urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/74012/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Les sociétés à objet social étendu sont un des thèmes de recherche de l'Institut interdisciplinaire pour l'innovation (I3, unité CNRS), de Mines ParisTech (mais l'auteur ne participe pas à cette recherche).
Thierry Weil est par ailleurs délégué de La Fabrique de l'industrie, laboratoire d'idées destiné à susciter et à enrichir le débat sur l'industrie. </span></em></p>Un panorama des « entreprises à mission » montre qu’on peut dépasser le choix entre un capitalisme prédateur et une économie administrée.Thierry Weil, Membre de l'Académie des technologies, Professeur au centre d’économie industrielle, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/591372016-05-11T04:36:03Z2016-05-11T04:36:03ZOù est passé le bien commun ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/122317/original/image-20160512-16402-1gg7wrz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p>Depuis le retentissant échec économique, culturel, social et environnemental des économies planifiées, depuis la chute du mur de Berlin et la mutation économique de la Chine, l’économie de marché est devenue le modèle dominant, voire exclusif d’organisation de nos sociétés. Même dans le « monde libre », le pouvoir politique a perdu de son influence, au profit à la fois du marché et de nouveaux acteurs. Les privatisations, l’ouverture à la concurrence, la mondialisation, le recours plus systématique aux mises aux enchères dans la commande publique restreignent le champ de la décision publique. Et pour celle-ci, l’appareil judiciaire et les autorités indépendantes de régulation, organes non soumis à la primauté du politique, sont devenus des acteurs incontournables.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/121777/original/image-20160509-20575-lgs12f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Jean Tirole.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TSE</span></span>
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<p>Pour autant, l’économie de marché n’a remporté qu’une victoire en demi-teinte, car elle n’a gagné ni les cœurs ni les esprits. La prééminence du marché, à qui seule une petite minorité de nos concitoyens font confiance, est accueillie avec fatalisme, mâtiné pour certains d’indignation. Une opposition diffuse dénonce le triomphe de l’économie sur les valeurs humanistes, un monde sans pitié ni compassion livré à l’intérêt privé, le délitement du lien social et des valeurs liées à la dignité humaine, le recul du politique et du service public, ou encore l’absence de durabilité de notre environnement.</p>
<p>Un slogan populaire qui ne connaît pas de frontières rappelle que « le monde n’est pas une marchandise ». Ces interrogations résonnent avec une acuité particulière dans le contexte actuel marqué par la crise financière, la hausse du chômage et des inégalités, l’inaptitude de nos dirigeants face au changement climatique, l’ébranlement de la construction européenne, l’instabilité géopolitique et la crise des migrants qui en résulte, ainsi que par la montée des populismes partout dans le monde.</p>
<p>Où est passée la recherche du bien commun ? Et en quoi l’économie peut-elle contribuer à sa réalisation ?</p>
<h2>Pour mieux comprendre le bien commun</h2>
<p>Définir le bien commun, ce à quoi nous aspirons pour la société, requiert, au moins en partie, un jugement de valeur. Ce jugement peut refléter nos préférences, notre degré d’information ainsi que notre position dans la société. Même si nous nous accordons sur la désirabilité de ces objectifs, nous pouvons pondérer différemment l’équité, le pouvoir d’achat, l’environnement, la place accordée à notre travail ou à notre vie privée. Sans parler d’autres dimensions, telles que les valeurs morales, la religion ou la spiritualité sur lesquelles les avis peuvent diverger profondément.</p>
<p>Il est toutefois possible d’éliminer une partie de l’arbitraire inhérent à l’exercice de définition du bien commun. L’expérience de pensée qui suit fournit une bonne entrée en matière. Supposez que vous ne soyez pas encore né, et que vous ne connaissiez donc pas la place qui vous sera réservée dans la société : ni vos gènes, ni votre environnement familial, social, ethnique, religieux, national… Et posez-vous la question : « Dans quelle société aimerais-je vivre, sachant que je pourrai être un homme ou une femme, être doté d’une bonne ou d’une mauvaise santé, avoir vu le jour dans une famille aisée ou pauvre, instruite ou peu cultivée, athée ou croyante, grandir au centre de Paris ou en Lozère, vouloir me réaliser dans le travail ou adopter un autre style de vie, etc. ? »</p>
<p>Cette façon de s’interroger, de faire abstraction de sa position dans la société et de ses attributs, de se placer « derrière le voile d’ignorance », est issue d’une longue tradition intellectuelle, inaugurée en Angleterre au XVII<sup>e</sup> siècle par Thomas Hobbes et John Locke, poursuivie en Europe continentale au XVIII<sup>e</sup> siècle par Emmanuel Kant et Jean-Jacques Rousseau (et son contrat social), et plus récemment renouvelée aux États-Unis par la théorie de la justice du philosophe John Rawls (1971) et la comparaison interpersonnelle des bien-être de l’économiste John Harsanyi (1955).</p>
<p>Pour restreindre les choix et vous interdire de « botter en touche » par le biais d’une réponse chimérique, je reformulerai légèrement la question : « Dans quelle organisation de la société aimeriez-vous vivre ? » La question pertinente n’est en effet pas de savoir dans quelle société idéale nous aimerions vivre, par exemple une société dans laquelle les citoyens, les travailleurs, les dirigeants du monde économique, les responsables politiques, les pays privilégieraient spontanément l’intérêt général au détriment de leur intérêt personnel.</p>
<p>Car si […] l’être humain n’est pas constamment à la recherche de son intérêt matériel, le manque de prise en considération d’incitations et de comportements pourtant fort prévisibles, que l’on retrouve par exemple dans le mythe de l’homme nouveau, a mené par le passé à des formes d’organisation de la société totalitaires et appauvrissantes.</p>
<h2>Concilier intérêt personnel et intérêt général</h2>
<p><a href="https://www.puf.com/content/%C3%89conomie_du_bien_commun?gclid=CO6a1rimzcwCFRG3GwodIucGSA">Ce livre</a> part donc du principe suivant : que nous soyons homme politique, chef d’entreprise, salarié, chômeur, travailleur indépendant, haut fonctionnaire, agriculteur, chercheur, quelle que soit notre place dans la société, nous réagissons tous aux incitations auxquelles nous sommes confrontés. Ces incitations – matérielles ou sociales – et nos préférences combinées définissent le comportement que nous adoptons, un comportement qui peut aller à l’encontre de l’intérêt collectif.</p>
<p>C’est pourquoi la recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général. Dans cette perspective, l’économie de marché n’est en rien une finalité. Elle n’est tout au plus qu’un instrument ; et encore, un instrument bien imparfait si l’on tient compte de la divergence possible entre l’intérêt privé des individus, des groupes sociaux et des nations, et l’intérêt général.</p>
<p>S’il est difficile de se replacer derrière le voile d’ignorance tant nous sommes conditionnés par la place spécifique que nous occupons déjà dans la société, cette expérience de pensée permettra de nous orienter beaucoup plus sûrement vers un terrain d’entente. Il se peut que je consomme trop d’eau ou que je pollue, non pas parce que j’en tire un plaisir intrinsèque, mais parce que cela satisfait mon intérêt matériel : je produis plus de légumes, ou j’économise des coûts d’isolation, ou je me dispense de l’achat d’un véhicule plus propre. Et vous qui subissez mes agissements, vous les réprouverez.</p>
<p>Mais si nous réfléchissons à l’organisation de la société, nous pouvons nous accorder sur la question de savoir si mon comportement est désirable du point de vue de quelqu’un qui ne sait pas s’il en sera le bénéficiaire ou la victime, c’est-à-dire si le désagrément du second excède le gain du premier. L’intérêt individuel et l’intérêt général divergent dès que mon libre arbitre va à l’encontre de vos intérêts, mais ils convergent en partie derrière le voile d’ignorance.</p>
<h2>Bien-être et droits</h2>
<p>Un autre bénéfice de cet outil de raisonnement que représente l’abstraction du voile d’ignorance est que les droits acquièrent une rationalité et ne sont plus de simples slogans : le droit à la santé est une assurance contre la malchance d’avoir les mauvais gènes, l’égalité des chances devant l’éducation doit nous assurer contre les différences qu’induit l’environnement où nous naissons et grandissons, les droits de l’homme et la liberté sont des protections contre l’arbitraire des gouvernants, etc.</p>
<p>Les droits ne sont plus des concepts absolus, que la société peut ou non accorder ; ce qui les rend plus opératoires, car en pratique ils peuvent être octroyés à des niveaux divers ou entrer en conflit les uns avec les autres (par exemple, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres).</p>
<p>La recherche du bien commun prend pour critère notre bien-être derrière le voile d’ignorance. Elle ne préjuge pas des solutions et n’a pas d’autre marqueur que le bien-être collectif. Elle admet l’usage privé pour le bien-être de la personne, mais pas l’abus de cet usage aux dépens des autres. Prenons l’exemple des biens communs, ces biens qui, derrière le voile d’ignorance, doivent pour des raisons d’équité appartenir à la communauté : la planète, l’eau, l’air, la biodiversité, le patrimoine, la beauté du paysage…</p>
<p>Leur appartenance à la communauté n’empêche pas qu’in fine ces biens seront consommés par les individus. Par tous à condition que ma consommation n’évince pas la vôtre (c’est le cas de la connaissance, de l’éclairage sur la voie publique, de la défense nationale ou de l’air). En revanche, si le bien est disponible en quantité limitée ou si la collectivité veut en restreindre l’utilisation (comme dans le cas des émissions carbonées), l’usage est nécessairement privatisé d’une manière ou d’une autre.</p>
<p>C’est ainsi que la tarification de l’eau, du carbone ou du spectre hertzien privatise leur consommation en octroyant aux agents économiques un accès exclusif pourvu qu’ils acquittent à la collectivité le prix demandé. Mais c’est précisément la recherche du bien commun qui motive cet usage privatif : la puissance publique veut éviter que l’eau ne soit gaspillée, elle souhaite responsabiliser les agents économiques quant à la gravité de leurs émissions, et elle entend allouer une ressource rare – le spectre hertzien – aux opérateurs qui en feront un bon usage.</p>
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<span class="caption">L’ouvrage de Jean Tirole.</span>
<span class="attribution"><span class="source">PUF</span></span>
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<h2>Le rôle de l’économie</h2>
<p>Ces remarques anticipent en grande partie la réponse à la deuxième question, la contribution de l’économie à la recherche du bien commun. L’économie, comme les autres sciences humaines et sociales, n’a pas pour objet de se substituer à la société en définissant le bien commun. Mais elle peut y contribuer de deux manières.</p>
<p>D’une part, elle peut orienter le débat vers les objectifs incarnés dans la notion de bien commun en les distinguant des instruments qui peuvent concourir à leur réalisation. Car trop souvent, comme nous le verrons, ces instruments, qu’il s’agisse d’une institution (par exemple le marché), d’un « droit à » ou d’une politique économique, acquièrent une vie propre et finissent par perdre de vue leur finalité, allant alors à l’encontre du bien commun qui les justifiait de prime abord. D’autre part, et surtout, l’économie, prenant le bien commun comme une donnée, développe les outils pour y contribuer.</p>
<p>L’économie n’est ni au service de la propriété privée et des intérêts individuels, ni au service de ceux qui voudraient utiliser l’État pour imposer leurs valeurs ou faire prévaloir leurs intérêts. Elle récuse le tout-marché comme le tout-État. L’économie est au service du bien commun ; elle a pour objet de rendre le monde meilleur. À cette fin, elle a pour tâche d’identifier les institutions et les politiques qui promouvront l’intérêt général. Dans sa recherche du bien-être pour la communauté, elle englobe les dimensions individuelle et collective du sujet. Elle analyse les situations où l’intérêt individuel est compatible avec cette quête de bien-être collectif et celles où au contraire il constitue une entrave.</p>
<p><em><a href="https://www.puf.com/content/%C3%89conomie_du_bien_commun?gclid=CO6a1rimzcwCFRG3GwodIucGSA">« Économie du bien commun » de Jean Tirole</a>, Éditions PUF, Paris mai 2016, 640 pages, 18€</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Tirole ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Extrait de l’ouvrage du Prix Nobel Jean Tirole « Économie du bien commun ». Où il est question du voile d’ignorance, de l’intérêt général, du bien-être… et du rôle de l’économie.Jean Tirole, Professeur d'économie, président, Toulouse School of Economics – École d'Économie de ToulouseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.