tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/jean-luc-melenchon-20780/articlesJean-Luc Mélenchon – The Conversation2024-02-04T15:36:34Ztag:theconversation.com,2011:article/2212282024-02-04T15:36:34Z2024-02-04T15:36:34ZAffaires des emplois fictifs : des procès politiques ?<p>Ce 5 février le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement quant au procès des assistants parlementaires européens de l’Union pour la démocratie française (UDF) et du MoDem, <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/affaire-des-emplois-fictifs-du-modem-fin-de-proces-pour-francois-bayrou-20231121_DWTZFFQQSZA4RA3X6JFMUPNWBA/">dirigé par François Bayrou</a>. Certains de ces assistants - <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/05/francois-bayrou-relaxe-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires-europeens-du-modem_6214845_823448.html">deux ont été relaxés ainsi que François Bayrou </a>- étaient suspectés d’avoir œuvré davantage pour le parti que pour leurs eurodéputés. Cette affaire fait écho à d’autres au sein de la classe politique française.</p>
<p>Le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI), sont également soupçonnés d’<a href="https://theconversation.com/penelopegate-la-fin-du-on-a-toujours-fait-comme-ca-72307">emplois fictifs</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/15/soupcons-d-emplois-fictifs-deux-ex-assistants-parlementaires-de-melenchon-au-parlement-europeen-places-sous-le-statut-de-temoin-assiste_6149945_3224.html">Une enquête</a> sur les conditions d’emploi d’assistants d’eurodéputés de LFI est en cours. Quant au RN, deux juges d’instruction financiers ont ordonné le 8 décembre 2023 le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de Marine et Jean-Marie Le Pen, du parti et de 25 autres de ses membres pour <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/08/marine-le-pen-et-le-rassemblement-national-renvoyes-en-correctionnelle-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires_6204691_823448.html">détournement de fonds publics</a>. Alors que les procès contre des responsables ou des partis politiques sont nombreux, les médias et les protagonistes eux-mêmes ne les qualifient pas systématiquement de « procès politiques ». Que recouvre alors cette notion dans le champ scientifique ?</p>
<h2>Une double stratégie de politisation</h2>
<p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée soit par l’instruction puis le ministère public, soit par les accusés, voire par une combinaison stratégique de ces deux volontés. Comme l’a montré la politiste <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/punir-les-opposants-vanessa-codaccioni">Vanessa Codaccioni</a>, les procès politiques sont le produit d’une double stratégie de politisation, du pouvoir et de l’opposition. Le premier mobilise des incriminations qui peuvent justifier le recours à des juridictions d’exception (comme la <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-36.htm">Cour de sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie</a>) mobilisées contre les « ennemis de l’intérieur », offrant à l’accusation des outils extraordinaires tels les gardes à vue prolongées (dans la lutte antiterroriste) et de procédures militaires. Magistrats aux ordres du garde des Sceaux, débats contradictoires tronqués et condamnations pour l’exemple <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691649436/political-justice">en sont les marques</a> dans les régimes autoritaires et même parfois en régime démocratique.</p>
<p>Sur la longue durée, historiens et juristes ont plutôt <a href="https://afhj.fr/le-proces-politique/">interrogé</a> cette première forme de politisation de la justice. Toutefois, si le procès politique appartient à l’arsenal répressif d’un régime, l’opposition peut retourner à son profit la procédure, si ce n’est au tribunal, du moins dans l’opinion en médiatisant l’événement. L’affaire politico-judiciaire devient alors un espace alternatif pour faire de la politique en dehors du cadre institutionnel. Ainsi en 1863, le procès des Treize fédère les défenseurs des « libertés nécessaires » contre le Second Empire. Les procès politiques peuvent donc devenir une véritable opportunité qui permet à une opposition de retourner le stigmate, de catalyser ses forces et de se structurer sur le long terme.</p>
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<figcaption><span class="caption">« 1972 : Gisèle Halimi défend l’avortement » (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Dans l’affaire des emplois fictifs, les attitudes des partis varient non seulement selon leur rapport aux institutions, mais aussi en fonction de leur stratégie.</p>
<h2>Au pouvoir ou dans l’opposition : des stratégies à géométrie variable</h2>
<p>François Bayrou, leader de l’un des partis alliés de la coalition au pouvoir depuis 2017, a incarné la posture du <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1122374-abus-de-pouvoir-francois-bayrou-plon">défenseur de l’État de droit</a> face aux atteintes et dérives de la présidence de Nicolas Sarkozy. Aussi, ne peut-il emprunter la posture outragée de la victime d’un procès politique pour dénoncer un quelconque acharnement d’une justice qui lui serait idéologiquement hostile. <a href="https://www.france24.com/fr/france/20231106-de-bayrou-%C3%A0-dupond-moretti-pour-un-ministre-en-proc%C3%A8s-d%C3%A9missionner-n-est-plus-d-actualit%C3%A9">Garde des Sceaux démissionnaire</a> en raison d’une enquête préliminaire qui mènera à sa mise en examen dans l’affaire des emplois fictifs du MoDem au Parlement européen, il a choisi de répondre aux éléments du dossier point par point, davantage en législateur expérimenté qu’en dirigeant d’une formation politique.</p>
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<p>Tout à l’inverse, <a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon</a> a théorisé pour la Vᵉ République une justice à charge contre les opposants politiques, en s’appuyant sur des précédents historiques et des exemples étrangers. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/18/en-parallele-de-son-proces-jean-luc-melenchon-delivre-ses-verites_5511905_823448.html">Assimilant la France aux systèmes illibéraux</a>, voire dictatoriaux, le leader de La France insoumise dénonce, derrière une médiatisation à charge par les organes proches du pouvoir, une tentative de le discréditer et de le faire taire. La vigueur de ses réactions est renforcée par une perquisition qui <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2019/12/09/perquisition-houleuse-a-lfi-jean-luc-melenchon-et-ses-proches-fixes-sur-leur-sort-lundi_6022145_1653578.html">éclaire</a> l’interpénétration de sa vie privée et du financement de sa communication politique. La personnalisation grandiloquente - « la République, c’est moi ! » - vise à renouer avec les grandes heures des combats pour les libertés parlementaires – du Léon Gambetta sous le Second Empire à Léon Blum au procès de Riom -, en rappelant que la tradition républicaine française réserve la souveraineté populaire au Parlement.</p>
<p>Quelques jours avant <a href="https://www.leparisien.fr/politique/jean-luc-melenchon-condamne-a-trois-mois-de-prison-avec-sursis-pour-rebellion-et-provocation-09-12-2019-8212674.php">la condamnation</a> du leader de LFI par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « actes d’intimidation envers l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », l’ancien candidat à la présidentielle et ses soutiens avaient dénoncé un procès politique. Dans une tribune intitulée « <a href="https://www.lejdd.fr/International/tribune-melenchon-lula-iglesias-appellent-a-la-fin-des-proces-politiques-3918341">Le temps des procès politiques doit cesser</a> », publiée le 15 septembre dans le <em>Journal du Dimanche</em>, plus de 200 personnalités, parmi lesquelles Jean-Luc Mélenchon lui-même, le brésilien Lula, l’équatorien Rafael Correa ou encore l’espagnol Pablo Iglesias, mettaient en garde contre le recours croissant à la « tactique du lawfare », c’est-à-dire « une instrumentalisation de la justice pour éliminer des concurrents politiques ».</p>
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<p>Quelques jours plus tard, le leader des insoumis faisait paraître <a href="https://www.label-emmaus.co/fr/9782259282987-et-ainsi-de-suite-un-proces-politique-en-france/"><em>Et ainsi de suite… Un procès politique en France</em></a>, dans lequel il dénonçait une justice politique aux ordres de l’exécutif avec la complicité des médias :</p>
<blockquote>
<p>« Le <em>lawfare</em> est une guerre judiciaire, médiatique et psychologique. La leçon des expériences montre qu’on ne peut rien négocier, rien stopper. Il ne faut jamais renoncer à mener cette bataille comme une bataille politique, un rapport de force. Jusqu’à ce que la réputation de l’adversaire devienne aussi discutée que celle de l’accusé sans preuve » [p. 179].</p>
</blockquote>
<p>Quant à l’extrême droite, longtemps habituée à dénoncer, elle aussi, l’hostilité de la justice à son égard, le passage du Front au Rassemblement national vient percuter cette instrumentalisation des procédures judiciaires.</p>
<p>Si Jean-Marie Le Pen ne pouvait que se satisfaire de ses condamnations à répétition, qui venaient renforcer sa marginalité face à « l’establishment » et sa posture de tribun de la plèbe contre les élites coalisées, la normalisation et <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">la dédiabolisation du Rassemblement</a> de Marine Le Pen rendent complexe la posture victimaire. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/20/pourquoi-le-rassemblement-national-est-en-voie-de-normalisation_6211950_823448.html">L’institutionnalisation du RN</a> à l’Assemblée nationale depuis 2022 (vice-présidences et respect des codes parlementaires) apparaîtrait incohérente avec la dénonciation véhémente d’une justice politique et incompatible avec l’aspiration à devenir un parti de gouvernement apte à être admis au sein d’une coalition.</p>
<p>Le RN apparaît en conséquence à la croisée des chemins à l’occasion de cette affaire judiciaire : s’il renoue avec son héritage de mouvement hostile aux institutions politiques et judiciaires, il risque de mettre à bas une décennie d’efforts pour s’intégrer au système. À cette aune, le prochain procès sur les emplois fictifs constituera un test important sur la pérennité de la stratégie de notabilisation et de respectabilité du RN.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221228/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée, par certains gouvernements, mais aussi des accusés qui politisent certains procès en les médiatisant.Pierre Allorant, Professeur d’Histoire du droit et des institutions, Université d’OrléansNoëlline Castagnez, Professeur d'Histoire politique contemporaine, Université d’OrléansWalter Badier, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197662024-01-04T21:56:33Z2024-01-04T21:56:33Z« Fâchés pas fachos » : l’expression de Mélenchon a-t-elle encore un sens ?<p>Les expressions toutes faites permettant de parler de l’électorat sont légion : électorat « flottant », de « substitution », « captif »… Politiciens, éditorialistes et bien sûr politologues connaissent ces termes et rivalisent d’ingéniosité pour décrire les stratégies mises en place par les partis politiques pour s’attirer le vote des Français.</p>
<p>La dénomination des « fâchés pas fachos », quant à elle, <a href="https://theconversation.com/siphonner-les-voix-des-faches-pas-fachos-le-pari-perdu-de-melenchon-120143">semble être apparue</a> dans le contexte français des législatives de 2012. Elle a été utilisée par <a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon</a>, alors candidat à la députation dans le Pas-de-Calais puis fondateur du parti La France Insoumise, pour désigner les électeurs mécontents et parfois tentés par le vote d’extrême droite, avec notamment en tête les déçus de la gauche « hollandiste » et les abstentionnistes, qui ne se reconnaissent pas pour autant dans les idées du Front national.</p>
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<p>Réutilisée en 2017, cette expression le sera à nouveau <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/13/melenchon-et-lfi-ont-il-traite-les-gilets-jaunes-de-fachos-avant-de-les-recuperer-comme-l-accuse-onf_1731420/">à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes »</a>, alors que la composition de ce dernier était encore incertaine.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un « facho » ?</h2>
<p>Si le terme « fâchés » ne demande guère à être explicité, celui de « facho » doit l’être tant il est utilisé et connoté dans le débat public. Idéologie et système politique indissociables de Benito Mussolini, le fascisme émerge à la fin des années 1910. Le fascisme définit des pouvoirs politiques qui imposent notamment nationalisme, totalitarisme et autoritarisme. L’utilisation de ce terme n’est cependant pas toujours étroitement corrélée à sa définition scientifique, comme le souligne l’historien <a href="https://www.cairn.info/le-fascisme--9782707153692-page-7.htm">Olivier Forlin</a> :</p>
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<p>« Le qualificatif « fasciste » appliqué à une idée, à un discours, à une action politique, a souvent servi à faire de leurs auteurs des adversaires et à les diaboliser. Inversement, sa fonction a aussi été de rassembler un camp, jusque-là dispersé, en vue d’un combat politique. L’antifascisme a constitué un ciment idéologique pour unir des forces politiques, notamment en France et en Italie […] ».</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/10/31/l-extreme-droite-est-une-vision-du-monde-pas-un-programme_6100478_823448.html">Pour l’historien Nicolas Lebourg</a>, le fascisme est un courant parmi les sous-champs des extrêmes droites, mais ils sont souvent utilisés de manière synonyme dans le débat public.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La mise en évidence de cette métonymie permet de mieux comprendre l’expression qui nous occupe. En effet, en France, l’extrême droite est notoirement représentée par le Rassemblement national (RN) et Reconquête. S’il s’en défend publiquement, le premier est même reconnu ainsi <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/le-rassemblement-national-est-bien-d-extreme-droite-confirme-le-conseil-d-etat-sur-demande-du-rn_223428.html">par le Conseil d’État</a>. Nul doute que pour Jean-Luc Mélenchon, les « fachos » de l’expression sont représentés parmi les potentiels votants pour ce parti. Son idée est donc d’attirer à lui les gens en colère, mais pas celles et ceux qui se situent à l’extrême droite, incompatibles avec sa propre idéologie.</p>
<h2>La colère les rassemble</h2>
<p>Cette expression ne signifie pas, bien sûr, qu’il y aurait d’un côté les fâchés et de l’autre les « fachos ». En réalité, il y a d’un côté les fâchés qui entretiennent des liens (politiques, idéologiques, militants, etc.) avec l’extrême droite, et de l’autre des personnes qui sont seulement mécontentes, mais n’entretiennent pas de rapport avec ce courant politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lelectorat-senior-une-terre-de-mission-pour-jean-luc-melenchon-171258">L’électorat senior : une terre de mission pour Jean-Luc Mélenchon</a>
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<p>Nous pouvons poursuivre ce parallèle en nous référant à deux émotions qui peuvent schématiquement aider à caractériser ces deux groupes : la colère pour les « fâchés-non-fachos » et la peur accompagnée <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/podcast-je-vote-tu-votes-nous-votons/">par la colère</a> pour les « fâchés-fachos ».</p>
<p>La colère a beau être une émotion négative, elle est aussi dotée d’une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-affects-de-la-politique-frederic-lordon/9782021343328">forte puissance motrice</a>, par exemple lorsque nous subissons ce que nous considérons être des injustices. En 2023, la réforme des retraites a ainsi énormément mobilisé, au point dépasser des <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/retraites-apres-une-mobilisation-record-les-syndicats-appellent-a-renforcer-le-mouvement-1902354">records du nombre de participants</a>. Ces rassemblements ont été nourris par une colère envers une politique jugée, entre autres choses <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-economie-et-social/pourquoi-l-actuel-projet-de-reforme-des-retraites-fait-il-debat-3701597">injuste</a>.</p>
<p>Les divergences entre les deux groupes s’observent dans leur soutien différencié au mouvement des retraites (stratégie au Parlement, dans la rue, enquêtes d’opinion, etc.). Tandis que la <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/reforme-des-retraites-la-gauche-denonce-une-regression-sociale-le-rn-veut-faire-barrage-5251153">gauche a appelé</a> à se mobiliser dans la rue, le RN s’est contenté d’une discrète participation à l’Assemblée nationale, comme le souligne le chercheur <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-l-apparente-discretion-du-rn-a-l-assemblee-une-strategie-redoutable-pour-engranger-des-points_5660309.html">Sylvain Crépon</a>. Il est possible de constater qu’à la fin de ce mouvement, les soutiens étaient <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-le-mouvement-social-du-6-juin-contre-la-reforme-des-retraites/">plus importants</a> auprès des électeurs et électrices de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. Inversement, l’hostilité au mouvement était bien supérieure chez les partisans de cette dernière. Si la colère des « fâchés non-fachos » permet de les définir largement, celle des « fâchés-fachos » est un moteur qui cohabite avec un autre affect de grande intensité à l’extrême droite : la peur.</p>
<h2>La peur les distingue</h2>
<p>Si la colère des « fâchés-fachos » est indéniable, elle est régulièrement adjointe d’une certaine crainte, voire davantage. Ainsi, les personnes d’extrême droite ont à la fois peur, par exemple d’une disparition individuelle ou collective comme le montre la théorie complotiste du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/l-article-a-lire-pour-comprendre-pourquoi-le-grand-remplacement-est-une-idee-raciste-et-complotiste_4965228.html">« grand remplacement »</a>. Parallèlement, elles sont aussi en colère contre ce qu’elles estiment une inaction gouvernementale, notamment en matière d’immigration – cette dernière étant parfois même vécue <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/pour-le-gouvernement-l-immigration-n-est-pas-un-probleme-mais-un-projet-raille-marine-le-pen-20231210">comme une incitation</a>.</p>
<p>L’extrême droite – que ce soit celle de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour, est l’emplacement de l’échiquier politique le <a href="https://www.lexpress.fr/societe/difficulte-a-se-projeter-selon-l-ifop-83-des-francais-considerent-l-avenir-comme-inquietant_2183918.html">plus angoissé vis-à-vis de l’avenir</a> et travaillé par l’idée de décadence.</p>
<p>Les personnes qui ont une <a href="https://dictionary.apa.org/right-wing-authoritarianism">personnalité autoritaire de droite</a>, très répandues à l’extrême droite, ont également un fort besoin de se conformer aux normes sociales. Cela les amène à éprouver de la peur ou de la haine envers ce qui ne rentre pas dans ces normes, et donc à être sujettes à de hauts niveaux de racisme, sexisme, homophobie, etc.</p>
<p>Tous ces éléments montrent qu’au-delà de la colère, la peur est très présente chez les personnes d’extrême droite. Ce n’est pas un hasard si cette famille politique est associée à de nombreux qualificatifs en <em>phobie</em> (xénophobie, homophobie, islamophobie, etc.).</p>
<h2>L’abstention, un refuge politique</h2>
<p>Finalement, faire appel aux « fâchés pas fachos », est-ce encore pertinent actuellement ? Il est bien possible que ce soit le cas. Cette invitation a du sens car les « fâchés non-fachos » et les « fâchés-fachos » ne semblent pas se situer sur le même continuum, comment en atteste la <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">faible porosité entre les électorats</a> de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen entre 2017 et 2022.</p>
<p>Même si l’extrême droite attire des citoyens fâchés, ces derniers ont également un autre refuge politique : l’abstention.</p>
<p>L’évolution des scores entre 2017 et 2022, de respectivement +2,4 % pour Jean-Luc Mélenchon et +1,9 % pour Marine Le Pen, peut laisser penser que l’appel aux « fâchés » du premier à au moins partiellement été entendu. Quid de l’avenir ? Le dernier <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/intentions-de-vote-pour-lelection-presidentielle-de-2027-2/">sondage Harris interactive</a> imaginant l’élection présidentielle de 2027 place Marine Le Pen en tête de tous les scénarios, et Jean-Luc Mélenchon présent au second tour dans sept des huit hypothèses. Si ce duel devait avoir lieu, nul doute que l’ancien député des Bouches-du-Rhône relancerait l’électorat « fâché pas facho » afin de proposer un débouché politique inédit à des abstentionnistes de plus en plus nombreux. La formule pourrait ne pas avoir dit son dernier mot.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219766/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Ailloud est membre de la France insoumise. </span></em></p>Les sympathisants de l’extrême droite et de l’extrême gauche sont-ils vraiment les mêmes ? Disséquer l’expression « fâchés pas fachos » offre un éclairage bienvenu.Julien Ailloud, Chercheur postdoctoral, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199392023-12-28T17:09:27Z2023-12-28T17:09:27ZLFI : dissidence, verrouillage du parti et déficit de démocratie, comment comprendre la crise ?<p>La France Insoumise (LFI) se retrouve au cœur d’une crise touchant à la fois l’image publique et la cohésion du mouvement comme le révèle un nouveau différend entre un militant breton et la direction du parti <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/24/a-la-france-insoumise-le-recadrage-d-un-militant-illustre-un-probleme-de-democratie-interne_6207513_823448.html">lors d'une assemblée le 16 décembre à Rennes</a>. </p>
<p>Cette situation s'inscrit dans une suite de controverses et de tensions entourant son leader, Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier avait suscité de nouveau les polémiques en refusant de qualifier les attaques du Hamas du 7 octobre dernier comme des « actes terroristes », les désignant plutôt comme des « crimes de guerre », et <a href="https://www.liberation.fr/politique/attaques-du-hamas-en-israel-les-politiques-francais-reagissent-20231007_HV33CT243ZEULAH3WM4X7TES4Q/">renvoyant dos-à-dos les deux camps</a>.</p>
<p>Selon certains sondages, Jean-Luc Mélenchon est désormais la personnalité politique la moins appréciée des Français avec <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-jean-luc-melenchon-devient-la-personnalite-politique-qui-suscite-le-plus-de-rejet-dans-lopinion">62 % d’opinions défavorables</a>. Un autre sondage, quant à lui, affecte l’image du mouvement, le considérant <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/lfi-considere-comme-plus-dangereux-pour-la-democratie-que-le-rn-selon-un-sondage_6113646.html">plus dangereux pour la démocratie que le Rassemblement national</a> (RN) et révèle également que 60 % des Français estiment que LFI est un parti qui « attise la violence » contre 52 % pour le RN.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-divisions-sur-le-conflit-israelo-palestinien-montrent-les-faiblesses-de-la-gauche-215540">Comment les divisions sur le conflit israélo-palestinien montrent les faiblesses de la gauche</a>
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<p>Cette crise dépasse la simple perception du mouvement par les Français et touche également son fonctionnement interne. Depuis les élections législatives de 2022, des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/12/lfi-les-critiques-de-clementine-autain-et-francois-ruffin-balayees-par-manuel-bompard_6154037_823448.html">voix s’élèvent au sein du mouvement</a>, critiquant le déficit de démocratie et de pluralisme au sein de LFI. Cette crise sans précédent, tant dans son ampleur que dans sa médiatisation, est le symptôme d’un verrouillage de l’organisation partisane par son fondateur. LFI s’apparente davantage à un parti personnel, centré sur la figure de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1369148117750819">son leader-fondateur</a>, qu’à un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/15/la-france-insoumise-est-moins-un-parti-mouvement-qu-un-parti-personnel_6154468_3232.html">parti-mouvement</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, Jean-Luc Mélenchon est perçu par ses dissidents, avec Clémentine Autain et François Ruffin en tête, et plus largement au sein de la gauche, comme un <a href="https://www.lexpress.fr/politique/melenchon-lagent-perturbateur-la-nupes-sapprete-a-passer-larme-a-gauche-ZROKGRMLVZGVJIN55VBNYU37XA/">agent perturbateur</a>. Sa capacité à nuire est jugée supérieure à sa capacité à unir, et <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/melenchon-feint-de-ne-pas-savoir-pourquoi-les-partis-de-gauche-ont-mis-fin-a-la-nupes-20231202">l’implosion de la Nupes</a> est citée comme un exemple de cette dynamique par ses opposants à gauche. Cela soulève des interrogations quant à la capacité de Jean-Luc Mélenchon à continuer d’incarner une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=aU1tHUXjQ6c">figure de stabilité et de présidentialité</a> pour son mouvement.</p>
<h2>L’ombre d’un leader toujours présent</h2>
<p>Malgré <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tI4kWSn5Awk&themeRefresh=1">son retrait annoncé</a>, Jean-Luc Mélenchon garde une influence centrale sur la direction et la ligne politique de LFI. Cela est devenu évident lors de la nomination à l’unanimité de Manuel Bompard, un fidèle de l’ancien candidat, à la tête de la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-et-renaissance-crise-ou-metamorphose-de-partis-singuliers-214521">coordination du mouvement</a>. Les 21 membres de la « Coordination des Espaces » impliqués dans cette décision comprennent des proches du leader tels que Sophia Chikirou, Gabriel Amard, Mathilde Panot, Louis Boyard, Danièle Obono, Clémence Guetté et Manon Aubry, tous membres de sa garde rapprochée. En revanche, certains, tels qu’Alexis Corbière, Clémentine Autain, François Ruffin et Eric Coquerel, affirment ne pas avoir été consultés et se retrouvent écartés des instances opérationnelles.</p>
<p>Cette désignation est perçue par certains membres en interne comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/la-france-insoumise-se-dechire-apres-une-reorganisation-qui-exclut-les-figures-montantes-du-parti_5507295.html">« une purge »</a>, un acte de « verrouillage » ou encore une forme d’« autodésignation ». Cette nomination est révélatrice de l’influence persistante de Jean-Luc Mélenchon sur la direction du parti.</p>
<p>En parallèle, en assumant la co-présidence avec Clémence Guetté de <a href="https://www.leparisien.fr/politique/lfi-les-contours-de-la-fondation-la-boetie-de-jean-luc-melenchon-se-precisent-22-11-2022-HQ4WHQWWGBCKTOZCWJCNFKPMTY.php">l’Institut La Boétie</a>, il conserve une position stratégique au sein du mouvement. Cet institut est conçu comme un laboratoire d’idée pour le parti et de formation des futurs cadres, axant ses programmes sur les thématiques chères à l’ancien candidat, lui permettant de continuer à exercer une emprise idéologique et de <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/institut-la-boetie-bienvenue-a-la-melenchon-academy-20230222_6HX6HXYAZVGHDHUZOJ6TFS26YQ/">façonner les futurs leaders du parti</a> selon ses principes et sa vision politique.</p>
<h2>Une société de cour</h2>
<p>Malgré les critiques et les dissidences, Jean-Luc Mélenchon reste le centre de gravité du mouvement, renforcé par une garde rapprochée qui fonctionne comme une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-histoire/qu-est-ce-qu-une-societe-de-cour-6543140">société de cour</a>. Ce cercle d’intimes, composé de proches et de fidèles, joue un rôle clef dans la direction et les stratégies du parti, écartant critiques et dissidents.</p>
<p><a href="https://www.liberation.fr/politique/lfi-raquel-garrido-sanctionnee-pour-quatre-mois-apres-avoir-critique-la-ligne-officielle-du-mouvement-20231107_MVEOVRNUQBDC7PXVSQZALFQ3NA/">Raquel Garrido</a> sera la première à en subir les conséquences, suspendue de son rôle de porte-parole à l’Assemblée nationale pour une durée de quatre mois par le « bureau politique », un organe qui ne figure dans aucun organigramme du mouvement. Cette sanction fait suite à ses critiques publiques de la stratégie et de la direction de LFI, et notamment contre son leader.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1721681537412841671"}"></div></p>
<p>Des reproches se sont rapidement élevées, condamnant la sanction prise contre Garrido et établissant un parallèle avec celle d’<a href="https://www.liberation.fr/politique/exclu-du-groupe-lfi-adrien-quatennens-de-retour-a-lassemblee-20230111_RIJREA2W5RAN7N5GCA5PUHA4B4/">Adrien Quatennens</a>, exclu du groupe parlementaire pour quatre mois suite à sa condamnation pour violences conjugales. Clémentine Autain considère cette sanction comme un cas de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/08/les-sanctions-prises-contre-raquel-garrido-ouvrent-une-nouvelle-crise-a-la-france-insoumise_6198798_823448.html">« deux poids, deux mesures »</a>. Elle note que les députées Danièle Obono et Sophia Chikirou, proches du leader, n’ont pas été inquiétées par ce bureau pour leurs différentes affaires : Obono ayant qualifié le Hamas de « mouvement de résistance », et Chikirou risquant une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/03/pourquoi-la-justice-enquete-sur-la-deputee-lfi-sophia-chikirou_6192142_3224.html">mise en examen pour escroquerie aggravée</a>.</p>
<h2>Un blocage systématique des velléités de démocratie</h2>
<p>Le verrouillage et le déficit de démocratie interne laissent à Jean-Luc Mélenchon le rôle de seul décideur au sein du mouvement. Cette position est <a href="https://www.liberation.fr/politique/avec-melenchon-en-premiere-ligne-la-france-insoumise-deja-lancee-vers-2027-20231214_OJQGTWVHJZEIVOIW3CLXRDGKTE/">renforcée par l’arrivée de primo-députés</a>, élus lors des dernières législatives, qui lui manifestent une grande loyauté.</p>
<p>Cette dynamique solidifie non seulement sa position prééminente au sein du mouvement, mais garantit également l’engagement fidèle de ses alliés. La loyauté et l’interdépendance entre leader et ses « courtisans » consolident son influence et son pouvoir au sein de LFI. En d’autres termes, cette situation lui permet de maintenir son emprise sur le parti et de s’appuyer sur leur loyauté inébranlable. En reprenant l’image de la <a href="https://www.calmann-levy.fr/livre/la-societe-de-cour-9782702105177/">société de cour de Norbert Elias</a>, on peut comparer le mouvement à une monarchie absolue.</p>
<p>Dans ce système, le fonctionnement est informel et arbitraire, dicté par la volonté d’un seul homme ou de quelques-uns de ses fidèles. Quant à sa base militante, elle n’exerce, aucune influence sur les décisions du parti. Le sociologue français Manuel Cervera-Marzal qui a publié en 2021 une enquête sociologique sur la France Insoumise, caractérise les militants insoumis comme étant <a href="https://www.cairn.info/le-populisme-de-gauche--9782348054921-page-179.htm">« sans droits et sans devoirs »</a>.</p>
<p>La mainmise exercée par l’entourage fidèle à Jean-Luc Mélenchon au sein du mouvement cristallise un blocage systématique des velléités de démocratie et de <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/clementine-autain-demande-a-lfi-plus-de-pluralisme-et-d-ancrage-territorial-20220822">pluralisme internes</a>. Cette stratégie de verrouillage, centrée sur la figure de son leader, étouffe toute tentative de renouveau ou de divergence idéologique. En réaction, les figures dissidentes pourraient trouver un second souffle en forgeant une alliance en marge du mouvement, s’affranchissant ainsi de la tutelle du leadership établi.</p>
<h2>Une nouvelle union de la gauche sans Jean-Luc Mélenchon ?</h2>
<p>Parmi les dissidents les plus médiatisés figurent François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière et <a href="https://www.challenges.fr/politique/raquel-garrido-tourne-le-dos-aux-monstres-staliniens-de-la-france-insoumise_876485">Raquel Garrido</a>. Ces derniers, aux côtés de trois députés d’autres formations politiques – Jérôme Guedj (PS), Julien Bayou (EELV), et Elsa Faucillon (PCF) –, ont constitué un groupe informel, <a href="https://www.liberation.fr/politique/les-unionistes-ce-petit-groupe-de-deputes-qui-veut-sauver-le-rassemblement-de-la-gauche-et-preparer-lapres-20231020_QNDRKYXEPJHRBF7PY6JZIQ26BE/">« les unionistes »</a>.</p>
<p>Ils envisagent une <a href="https://www.challenges.fr/politique/ruffin-garrido-autain-la-sourde-revolte-des-insoumis-des-insoumis_871675">alliance</a> pour la nomination d’un candidat unique aux prochaines élections présidentielles, en organisant des primaires de la gauche, contournant ainsi le verrouillage et le déficit de démocratie de LFI. Cette stratégie pourrait ne pas produire les résultats escomptés dans un parti personnel et fortement <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti-cartel">cartelisé</a> comme LFI, moins dépendant de ses militants du fait de son financement étatique et donc moins influencé par leur avis, et qui demeure la première force à gauche avec ses 75 députés à l’Assemblée nationale.</p>
<p>En outre, la décision de Jean-Luc Mélenchon de ne pas participer à la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/19/jean-luc-melenchon-refuse-d-etre-associe-a-la-primaire-populaire-selon-les-insoumis_6110031_6059010.html#:%7E:text=Jean%2DLuc%20M%C3%A9lenchon-,Jean%2DLuc%20M%C3%A9lenchon%20refuse%2C%20selon%20les%20%C2%AB%20insoumis%20%C2%BB%2C,gauche%20%C3%A0%20l%E2%80%99%C3%A9lection%20pr%C3%A9sidentielle">Primaire populaire de 2022</a> illustre la complexité et les défis des primaires en tant qu’outil d’unification. L’histoire récente, notamment des primaires de 2017 des républicains et du parti socialiste, montre que celles-ci peuvent <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1167.htm">exacerber les divisions internes</a>.</p>
<p>Cette dynamique risque de reproduire le même schéma au sein de la gauche, où la multiplication des candidatures pourrait davantage fragmenter l’électorat plutôt que de consolider une véritable alternative à Jean-Luc Mélenchon, dont la voix et celle de ses fidèles restent dominantes à gauche. Cette situation s’explique en partie par la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/05/la-strategie-du-conflit-permanent-de-jean-luc-melenchon-de-polemique-en-polemique_6203937_823448.html">stratégie de conflictualité permanente</a> du leader, qui lui permet d’occuper l’espace médiatique, ainsi que par une rhétorique populiste visant à mobiliser ses sympathisants et les abstentionnistes. Toutefois, cette « stratégie de la conflictualité dans une société de plus en plus fragmentée et polarisée est très risquée », et pourrait se retourner contre la gauche, comme l’analyse le politologue <a href="https://www.nouvelobs.com/opinions/20231207.OBS81814/tribune-mais-que-cherche-donc-jean-luc-melenchon.html">Rémi Lefebvre</a>.</p>
<p>La situation actuelle de LFI, caractérisée par des tensions internes et une critique croissante de la centralisation du pouvoir autour du leadership charismatique de Jean-Luc Mélenchon, constitue un tournant qui pourrait s’avérer décisif pour l’avenir du mouvement. Les fidèles à la figure du fondateur sont peu enclins à remettre en question sa prééminence, ouvrant ainsi la possibilité à l’ancien candidat de se présenter une quatrième fois à l’élection présidentielle, tant sa position paraît inébranlable au sein de LFI.</p>
<p>Les appels à la démocratisation et à une ouverture plus large émanant des dissidents les amènent à envisager leur avenir en dehors du mouvement jugé trop verrouillé par l’entourage du leader. La question est de savoir si ces dissidents, en s’appuyant sur leurs propres ressources, sont capables de se détacher de l’orbite insoumise et de son fondateur, afin de se positionner en tant qu’alternative crédible à Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui rien n’en est moins sûr.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Grave ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une crise sans précédent touche LFI, tant dans son ampleur que dans sa médiatisation, et semble être le symptôme d’un verrouillage de l’organisation par son fondateur.Ludovic Grave, Doctorant en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2145212023-10-19T20:37:30Z2023-10-19T20:37:30ZLa France insoumise et Renaissance : crise ou métamorphose de partis singuliers ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551189/original/file-20230929-27-e9cvb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=136%2C56%2C2338%2C2195&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le futur demeure incertain, avec des défis toujours présents pour ces deux formations, notamment en matière de leadership.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/scratched-posters-streets-paris-april-21-625766570">Laurentlesax</a></span></figcaption></figure><p>La crise sans précédent qui divise la gauche et la LFI, en raison des prises de position de Jean-Luc Mélenchon et de certains cadres de son mouvement au sujet des <a href="https://twitter.com/jlmelenchon/status/1712180530228117832?s=61&t=wSy5WVrwX54m1O2-Sbk-sw">attaques du Hamas sur Israël</a> du 7 octobre 2023 entache sérieusement l’avenir de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/la-nupes-se-rapproche-un-peu-plus-dun-divorce-1987041">l’alliance de gauche</a>.</p>
<p>Le PCF voit l’union comme une « impasse », plaidant pour une <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20231015.OBS79547/le-pcf-qualifie-la-nupes-d-impasse-et-appelle-a-un-nouveau-type-d-union-pour-la-gauche.html">nouvelle forme d’union à gauche</a>, tandis que le Conseil national du PS a décidé d’un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/17/jean-luc-melenchon-accuse-olivier-faure-de-rompre-la-nupes-apres-les-critiques-du-premier-secretaire-du-ps_6194956_823449.html">moratoire</a> sur sa participation à la Nupes, appelant à un « fonctionnement plus démocratique » de l’alliance pour aboutir à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/17/jean-luc-melenchon-accuse-olivier-faure-de-rompre-la-nupes-apres-les-critiques-du-premier-secretaire-du-ps_6194956_823449.html">« une candidature commune à l’élection présidentielle de 2027 »</a></p>
<p>Ces événements viennent ajouter à une situation déjà fragile, à la suite des élections de 2022, et dans lequel l’horizon politique pour LFI/Nupes mais aussi pour le parti présidentiel, LREM (devenue Renaissance) entre dans une période d’incertitude.</p>
<p>Tandis qu’Emmanuel Macron ne peut briguer un troisième mandat présidentiel consécutif, Jean-Luc Mélenchon qui ne détient plus de mandat électif, semble vouloir se mettre en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tI4kWSn5Awk">« retrait »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-discours-de-defaite-sont-ils-souvent-de-bons-discours-181438">Pourquoi les discours de défaite sont-ils (souvent) de bons discours</a>
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<p>Pour LFI, la crise actuelle trouve son origine dans un déficit d’horizontalité et à l’influence continue de Jean-Luc Mélenchon. Du côté de Renaissance, l’incertitude provient d’un verrouillage institutionnel. Ces situations soulèvent des questions sur la succession de ces deux leaders. En effet, ni les statuts de Renaissance, ni ceux de LFI n’établissent de procédures démocratiques explicites pour désigner leurs successeurs.</p>
<p>Ces formations partisanes vont donc être amenées à régler des enjeux de leadership. Bien qu’ils aient partagé des <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2022-v41-n2-ps06818/1088649ar/">structures organisationnelles similaires</a> par le passé (parti-mouvement, à adhésion gratuite, peu démocratique et centré sur une plate-forme numérique), LFI et Renaissance empruntent désormais des voies divergentes en matière de gouvernance et de stratégie interne.</p>
<h2>Entre transition et tensions : Les nouveaux défis de la France insoumise</h2>
<p>Quelques mois après la campagne présidentielle, une <a href="https://lafranceinsoumise.fr/assemblee-representative-10-decembre-2022/">« Assemblée représentative »</a> est mise en place le 10 décembre 2022, composée d’un tiers de cadres et de deux tiers de militants tirés au sort. Elle a pour but de formaliser l’organisation par la création de deux organes ; la « coordination des espaces » et le « conseil politique ». Les principales figures du mouvement proches de Jean-Luc Mélenchon, telles que Sophia Chikirou, Manuel Bompard, Mathilde Panot, entre autres, occupent la <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/la-france-insoumise-la-nouvelle-direction-autour-de-manuel-bompard-attise-les-critiques-au-sein-du-mouvement_5536845.html">première instance</a>, tandis que des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/09/a-lfi-une-assemblee-representative-qui-seme-la-colere-au-sien-du-parti_6153732_823448.html">figures dissidentes</a> comme Clémentine Autain et François Ruffin sont reléguées au conseil politique, une instance spécialement créée pour l’occasion <a href="https://www.lepoint.fr/politique/lfi-tient-son-premier-conseil-politique-sans-ruffin-autain-corbiere-ni-garrido-16-01-2023-2504952_20.php">représentant la pluralité du mouvement</a>. Pour les évincés de la coordination du parti, cela s’apparenterait davantage à un <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/lfi-choisit-une-direction-ultra-resserree-et-suscite-la-colere-20221210_6MZ3XJOVVBC2XJ5FGOZEDYD7TU/">« conseil Théodule »</a>, un comité sans grande utilité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">France insoumise : un César à la tête d’un mouvement anarchique ?</a>
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<p>L’Assemblée représentative valide la stratégie de l’ancrage local par la création de « boucles départementales » et l’acquisition de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=g7ayvI4t3jQ">« QG insoumis »</a>. Les 21 membres de la coordination des espaces plébiscitent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/10/manuel-bompard-prend-les-renes-de-la-france-insoumise-sous-les-critiques-de-figures-du-parti_6153880_823448.html">Manuel Bompard</a> à la coordination nationale. Toutefois, la désignation de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Interroi">interrex</a> – leader temporaire du mouvement avant la nomination d’un successeur à Jean-Luc Mélenchon – n’a pas été sans remous. Plusieurs cadres influents tels qu’Alexis Corbière, Clémentine Autain, François Ruffin et Éric Coquerel ont regretté l’absence de consultation dans ce processus et souligné l’opacité de ce plébiscite.</p>
<p>La centralisation des décisions a été un point de friction, suscitant des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/la-france-insoumise-se-dechire-apres-une-reorganisation-qui-exclut-les-figures-montantes-du-parti_5507295.html">critiques internes</a>, avec des termes tels que : « purge », « verrouillage » ou encore « autodésignation ».</p>
<p>Ainsi, malgré ces évolutions structurelles, LFI conserve son identité de <a href="https://le1hebdo.fr/journal/numeros/174/melenchon-dit-tout/politique_franaise-personnalit.html">parti-mouvement gazeux</a>. L’organisation n’a pas fondamentalement changé et Jean-Luc Mélenchon garde un magistère sur la structure qu’il continue à diriger (Manuel Bompard est un proche).</p>
<h2>Renaissance : du parti-mouvement au parti traditionnel ?</h2>
<p>En mars 2022, Emmanuel Macron plaide pour la formation d’un <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-un-nouveau-parti-pour-emmanuel-macron-7900144281">nouveau parti</a> englobant tous les partis de la majorité présidentielle (excepté le MoDem et Horizons qui gardent leur indépendance). Ce <a href="https://www.lepoint.fr/politique/la-republique-en-marche-devient-officiellement-renaissance-17-09-2022-2490355_20.php#11">« nouveau » parti</a> établit rapidement de nouveaux statuts votés par les adhérents de LREM et Stéphane Séjourné en prend la tête. Ces statuts marquent le passage à une organisation partisane « traditionnelle » typique de la V<sup>e</sup> République avec une structure hiérarchisée claire, qui vise un <a href="https://metropolitiques.eu/Municipales-2020-La-Republique-en-marche-au-defi-de-l-ancrage-politique-local.html">ancrage local</a> (il est actuellement faible).</p>
<p>Du temps de LREM, le bureau exécutif désignait les référents, entraînant de nombreuses critiques en interne sur son manque de démocratie. Désormais à Renaissance, les membres des bureaux départementaux sont élus par les adhérents du département pour trois ans. En cela, sa structuration rappelle les fédérations socialistes. Chaque assemblée départementale est organisée en association loi de 1901, avec un budget dépendant du nombre d’adhérents, des cotisations des élus locaux et des contributions des sympathisants, à l’opposé de ce qui se faisait à LREM, où le budget était alloué par appel à projets.</p>
<p>Renaissance offre une plus grande autonomie financière et de liberté d’action dans les activités militantes locales (impressions de propagande politique, etc.). De plus, contrairement à LREM où le bureau exécutif désignait les candidats locaux, ce sont désormais les bureaux départementaux qui les choisissent pour les villes de moins de 60 000 habitants. L’attrait de ces instances locales n’a pas échappé à une dizaine de ministres, désireux d’étendre leur influence. Ces figures politiques ont saisi l’opportunité des élections internes de Renaissance pour se positionner à la tête de certains bureaux départementaux et ainsi se constituer des fiefs. On y retrouve, par exemple, Gérald Darmanin dans le Nord, Patricia Mirallès dans l’Hérault, et Aurore Bergé dans les Yvelines.</p>
<p>Cependant, malgré ces évolutions structurelles, le défi reste de taille pour Renaissance. Il se heurte à la difficulté de la conversion des <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/regionales/on-n-a-pas-des-militants-on-a-des-cliqueurs-francois-patriat-etrille-lrem-parti-trop-virtuel-20210622">« cliqueurs LREM »</a> (soutiens sur Internet) en adhérents Renaissance.</p>
<p>Suite à 12 entretiens que nous avons menés avec des présidents de bureaux départementaux, il ressort qu’en moyenne, seulement 10 % des cliqueurs LREM deviennent adhérents Renaissance. Pour augmenter ce pourcentage, certains présidents de bureaux départementaux ont adopté des approches « proactives » telles que le <em>phoning</em>, l’envoi de courriels et même des rencontres informelles autour de « goûters ». Cependant, ils rencontrent divers obstacles, tels que des bases de données LREM obsolètes ou la présence de cliqueurs issus de partis d’opposition. Le passage à la cotisation offre plus de droits, mais aussi plus de responsabilités, nécessitant ainsi un apprentissage de la démocratie partisane. Malgré ces efforts, la conversion reste timide, avec seulement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-republique-en-marche/info-franceinfo-renaissance-le-parti-presidentiel-revendique-un-pic-d-adhesions-avec-pres-de-400-nouveaux-adherents-hebdomadaires_5753147.html">30 000 adhérents officiels à ce jour</a>.</p>
<h2>L’heure de la restructuration</h2>
<p>Une transformation s’opère au sein des partis politiques phares, La France Insoumise (LFI) et La République en Marche (devenue Renaissance). LFI cherche à équilibrer démocratisation interne et centralisation, en adoptant une structure davantage ancrée localement, mais rencontre des tensions internes, notamment exacerbées par la crise au Proche-Orient et les déclarations de Jean-Luc Mélenchon. Ces dernières ont eu pour effet de <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/comment-la-guerre-entre-israel-et-le-hamas-exacerbe-les-divisions-au-sein-de-la-france-insoumise_6127539.html">polariser les élites partisanes</a>, démontrant, s’il en était encore besoin, que « l’ancien leader » est toujours aux commandes du mouvement.</p>
<p>De son côté, Renaissance se métamorphose d’un parti-mouvement à une formation plus traditionnelle, mettant en avant des structures départementales et cherchant à renforcer sa base d’adhérents.</p>
<p>Dans les deux cas, rien n’est tranché sur la question de la désignation du futur candidat aux élections présidentielles de 2027. Les organisations évoluent, mais le futur demeure incertain, avec des défis toujours présents pour ces deux formations, notamment en matière de leadership.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214521/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Grave ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ni Renaissance ni La France insoumise ne disposent à ce jour de procédures démocratiques traditionnelles pour désigner leurs leaders et faire face aux crises qui les divisent.Ludovic Grave, Doctorant en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155402023-10-16T17:02:55Z2023-10-16T17:02:55ZComment les divisions sur le conflit israélo-palestinien montrent les faiblesses de la gauche<p>À l’aune des massacres commis au Proche-Orient par le Hamas, la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/francois-ruffin-se-desolidarise-du-clan-de-jean-luc-melenchon-20231011">fragmentation</a> de la Nupes semble relever d’un fait divers.</p>
<p>Elle n’est pas causée par la nouvelle étape du conflit israélo-palestinien. Elle ne constitue sans doute pas non plus le stade ultime de la décomposition du cartel formé par la France Insoumise, le PS et les écologistes, ni par la position du PCF qui <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/15/le-pcf-prend-acte-de-l-impasse-qu-est-devenue-la-nupes-et-appelle-a-un-nouveau-type-d-union-de-la-gauche_6194607_823448.html">« prend acte de l’impasse »</a> dans laquelle se trouverait la Nupes.</p>
<p>Fragile dès sa formation en 2022, cette alliance d’une gauche française, amputée par la constitution de la République en Marche en 2016, lui a permis d’exister lors des dernières élections législatives. Divisée sur la question centrale du rôle de l’Union européenne, elle avance en ordre dispersé. Ses principaux dénominateurs communs demeurent la recherche de la chute du gouvernement d’Elisabeth Borne et de l’incarnation d’une alternative à Emmanuel Macron comme à Marine Le Pen.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">L’antisémitisme, vieux démon de la gauche française ?</a>
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<h2>Des difficultés européennes</h2>
<p>L’importance des divergences au sein de la Nupes dans la <a href="https://theconversation.com/terrorisme-ou-crimes-de-guerre-215541">qualification</a> des meurtres et des prises d’otages par la branche militaire du Hamas n’est pas pour autant à minimiser. Elle renvoie à la difficulté de la gauche européenne de trouver un électorat stable alors que de nouvelles droites populaires achèvent de lui enlever le monopole de la contestation sociale.</p>
<p>Au lendemain des tueries perpétrées par les commandos palestiniens,le contraste entre les propos du chancelier social-démocrate allemand et de la France Insoumise est par exemple évident. Pour <a href="https://www.lepoint.fr/monde/attaque-du-hamas-israel-a-le-droit-de-se-defendre-selon-olaf-scholz-08-10-2023-2538489_24.php">Olaf Scholz</a>, Israël a le « droit de se défendre » contre des attaques « barbares ».</p>
<p>Par contre, pour le groupe parlementaire français, il ne parait pas y avoir de hiérarchie entre les formes de violence des deux parties au conflit. Selon les termes d’un <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/attaque-du-hamas-contre-israel-la-reaction-de-la-france-insoumise-provoque-des-remous-a-gauche/">communiqué controversé</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. »</p>
</blockquote>
<p>Il n’y a guère que le député LFI de Paris Rodrigo Arenas pour <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/attaque-du-hamas-contre-israel-le-depute-rodrigo-arenas-se-demarque-du-groupe-insoumis-20231009">déclarer</a> que « La justesse des causes anticoloniales et du refus des oppressions perdent leur légitimité le jour où elles acceptent les massacres de civils et le terrorisme aveugle ».</p>
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<p>Les ambiguïtés de la France Insoumise à l’égard des crimes commis le week-end des 7 et 8 octobre doivent un peu à <a href="https://www.abebooks.com/9781848852976/Hundred-Years-Socialism-West-European-1848852975/plp">l’héritage de l’extrême gauche européenne des années 1970</a>. Pour celle-ci, <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001108/la-palestine-apres-la-mort-de-yasser-arafat.html">l’OLP de Yasser Arafat</a> restait un mouvement laïc de libération nationale poursuivant une cause juste, même lorsque des athlètes israéliens étaient assassinés à Munich en 1972 par Septembre noir.</p>
<p>Cette mouvance, alimentée par la propagande « anti-impérialiste » chinoise et cubaine, attribuait un caractère progressiste aux nationalismes arabes. Elle ne reconnaissait aucune valeur aux réalisations démocratiques et économiques d’Israël. <a href="https://www.fnac.com/a927310/Ilan-Greilsammer-La-Nouvelle-histoire-d-Israel">La dimension socialiste</a> du projet sioniste initial était notamment ignorée.</p>
<h2>Une gauche européenne à bout de souffle ?</h2>
<p>Le poids de cet héritage ne doit pourtant pas être surestimé même si l’hostilité à l’égard d’Israël est encore caractéristique de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attaque-du-hamas-contre-israel-en-europe-la-gauche-radicale-europeenne-isolee-PQ2ZXX3EO5HERJUFVCLLTGIW7Q/">forces ou de membres de la gauche radicale</a>, notamment en Espagne, en Belgique, en Grande-Bretagne et en Grèce.</p>
<p>Il ne permet pas de comprendre que ce qui se joue à gauche aujourd’hui, de la Scandinavie au nord de la méditerranée, n’a plus rien à voir avec les gesticulations <a href="https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/04/maladie.pdf">du gauchisme</a> pour reprendre le terme de Lénine. L’enjeu relève de la mathématique électorale des forces gouvernementales.</p>
<p>Actuellement, la gauche d’origine socialiste reste une force politique importante en Europe mais elle a perdu sa dimension hégémonique. D’abord, en France comme en Espagne ou en Suède lorsque le <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/suede-le-parlement-renverse-le-gouvernement-une-premiere-dans-l-histoire-du-royaume/">gouvernement Lofven</a> était encore en place (jusqu’en juin 2021), elle ne recueille plus un nombre de voix suffisant pour gouverner seule. Ensuite, les électeurs les moins aisés ont retiré leur confiance à un discours promettant la garantie d’une vie bonne par une correction marginale de l’économie sociale de marché, incapable d’à assurer un pouvoir d’achat suffisant à tous les travailleurs.</p>
<p>Dans ce contexte d’affaiblissement et de fragmentation des partis, deux options ont été expérimentées par la gauche, avec un succès variable.</p>
<h2>Deux expérimentations aux résultats mitigés</h2>
<p>La première est <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-gauche-entre-la-vie-et-la-mort/">d’origine anglo-saxonne et germanique</a>. Privilégiée par les sociaux-démocrates, elle parie sur la régulation du libéralisme économique et l’organisation politique de la mondialisation. Elle entérine la perte d’audience auprès des salariés les moins rémunérés et compense cette perte par la recherche du vote des classes moyennes, mais aussi des jeunes, des femmes et des différentes minorités culturelles et sexuelles.</p>
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<figcaption><span class="caption">Clip de campagne présidentielle de Bill Clinton, 1992 (John Froio et Cheryl Froio/Deed of Gift).</span></figcaption>
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<p>Inspirée par les New Democrats de Bill Clinton, elle a été importée par les gouvernements successifs de Tony Blair et Gordon Brown en Angleterre. Introduite en Allemagne, sur la base d’un rapprochement avec les écologistes, depuis <a href="https://journals.openedition.org/rea/205">Gerhard Schröder</a>, elle a été préconisée en France par la Fondation Terra Nova et <a href="https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/gauche-quelle-majorite-electorale-pour-2012">y a inspiré</a> les gouvernements socialistes depuis Lionel Jospin. Si elle n’a pas profondément modifié la sociologie, vieillissante, des partis, elle a, au moins un temps, contribué à leur maintien au pouvoir.</p>
<p>Cette recomposition du socle électoral de la gauche implique de conserver la valorisation de l’économie de marché et le libéralisme culturel <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070136407-le-sens-du-peuple-la-gauche-la-democratie-et-le-populisme-laurent-bouvet/">typiques du réformisme social-démocrate</a>. Elle demande aussi de miser sur la construction européenne et l’extension à l’échelle mondiale de son principe constitutif d’encadrement du libre-échange par des organisations internationales.</p>
<p>La seconde est notamment inspirée en France par les philosophes <a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">Michel Foucault et Chantal Mouffe</a>. Elle vise à agréger les individus estimés exposés à la « domination », économique mais aussi culturelle et sociale, réputée typique du capitalisme.</p>
<p>Conformément à une relecture du schéma marxiste par Antonio Negri, une <a href="https://selforganizedseminar.files.wordpress.com/2011/07/hardt_negri_multitude.pdf">« multitude »</a> d’individus seraient discriminés en raison de leur place subalterne sur le marché du travail, leur genre, leurs croyances ou encore leurs origines géographiques. Ils sont supposés constituer une majorité qu’il revient à la gauche d’éveiller à la conscience politique d’elle-même. Cette option emporte que les sociétés européennes ne sont pas réformables par des accommodements raisonnables avec le capitalisme mais que des bouleversements, incluant par exemple la fondation d’une VI<sup>e</sup> république dans le cas français et la remise en cause des traités européens, est nécessaire.</p>
<h2>Populisme, woke : la direction Mélenchon/Bompard</h2>
<p>En France, cette seconde option a été adoptée par la France Insoumise dès sa constitution. Elle lui a valu d’être qualifiée indifféremment de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">« populiste »</a> en raison de son intention de représenter un « peuple » comme de <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/comment-l-ideologie-woke-infiltre-la-classe-politique-20211107">« woke »</a> pour son investissement dans la défense de minorités.</p>
<p>Depuis la mise en place d’une nouvelle direction animée par <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/la-france-insoumise-la-nouvelle-direction-autour-de-manuel-bompard-attise-les-critiques-au-sein-du-mouvement_5536845.html">Manuel Bompard en décembre 2022</a>, un discours à destination la population d’origine arabe et de confession musulmane a gagné en visibilité. Il a, jusqu’à présent, signifié reléguer au second plan la thématique laïque <a href="https://theconversation.com/la-republique-la-que-de-jean-luc-melenchon-un-debat-qui-fracture-la-gauche-et-bien-plus-encore-151955">longtemps caractéristique du discours de Jean-Luc Mélenchon</a> au profit de la justification de l’abaya dans l’espace public, voire de la violence spontanée en réaction à un racisme attribué à des membres des forces de l’ordre.</p>
<p>L’efficacité de ce discours assez spécifique à la France dans le contexte européen est à présent <a href="https://www.foreignaffairs.com/middle-east/martin-indyk-why-hamas-attacked-and-why-israel-was-taken-surprise">mise à l’épreuve</a> par la résurgence du conflit israélo-palestinien. Plus subtil que ce qui en est retenu dans le cadre des joutes médiatiques, le discours politique de LFI évite un alignement sur l’une ou l’autre force politique palestinienne en même temps qu’il se prévaut <a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-vieux-demon-de-la-gauche-francaise-215459">d’une distinction entre antisionisme et antisémitisme</a>.</p>
<h2>Une confusion dangereuse pour la société française</h2>
<p>Quoiqu’il en soit, ce discours s’il développe une sympathie indifférenciée et appuyée pour les populations d’origine arabe et de confession musulmane en France et en Palestine, est porteur de deux implications.</p>
<p>La première est d’exposer la société française au risque d’une confusion entre l’agenda politique de celle-ci et celui d’autres régions du monde.</p>
<p>Une démagogie qui encouragerait l’assimilation, ne serait-ce que par le fait d’une juxtaposition des propos, d’une part de la violation de droits des Palestiniens par le gouvernement Nétanyahou et d’autre part de la défense de la laïcité des services publics français serait potentiellement explosive. Comme Benedict Anderson <a href="https://www.versobooks.com/en-gb/products/1126-imagined-communities">l’a montré</a>, les nationalités sont avant tout des communautés imaginaires et imaginées. De ce fait, contribuer à la formation d’une communauté dont les frontières ne correspondraient plus aux frontières d’un État démocratique mais engloberaient des zones de guerre est dangereux car de nature à étendre géographiquement le cadre des violences.</p>
<p>La seconde est de décentrer le débat politique national. La pérennité de la démocratie demande à ses acteurs de ne pas cliver la société civile par des discours réducteurs qui opposent « amis » et « ennemis ». Elle sollicite le caractère fédérateur des partis et leur aptitude à n’inscrire à l’agenda que ce qui est atteignable par la représentation des citoyens et une mise en commun, fiscale, de moyens.</p>
<p>Autrement dit, il n’y a pas en France, ou ailleurs en Europe, une question arabe et/ou musulmane, mais bien la nécessité, pour garantir la paix civile, de débats respectueux des principes constitutionnels sur la place des religions dans l’espace public, sur la gestion des flux migratoires et les conditions d’attribution de la nationalité.</p>
<p>Le conflit israélo-palestinien appartient par contre au registre du droit international dans lequel les États tiers au conflit sont éventuellement compétents, lorsqu’ils agissent dans le respect des principes des Nations unies.</p>
<p>Si elle devait persister dans sa stratégie, la France Insoumise ne s’expose pas seulement à briser un cartel mais à polariser une société déjà fracturée. L’histoire de l’Europe a déjà montré comment l’antisémitisme pouvait s’insinuer dans de telles fractures.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les divergences qui taraudent la gauche européenne à propos du conflit israélo-palestinien soulignent sa difficulté à trouver un électorat stable face à la montée de nouvelles droites populaires.Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094172023-08-06T15:24:45Z2023-08-06T15:24:45ZLa social-démocratie est-elle de retour ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537039/original/file-20230712-23-uzawu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C0%2C5609%2C3719&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'ancien premier ministre Bernard Cazeneuve arrive avec l'ancien président François Hollande pour le lancement de son parti politique "La Convention" à Créteil, le 10 juin 2023. </span> <span class="attribution"><span class="source">Behrouz Mehri / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le printemps 2023 a vu le retour inattendu des références à la social-démocratie. Le 10 juin, l’ancien premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve lançait son mouvement, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-convention-bernard-cazeneuve-lance-le-mouvement-des-orphelins-de-la-gauche-et-anti-nupes_5879939.html">La Convention</a>. Se revendiquant d’une « gauche sociale-démocrate », il fustigeait l’impasse de la Nupes et la stratégie jugée brutale de la <a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">France Insoumise</a> (LFI). Quelques mois plus tôt, le député LFI François Ruffin adoptait une stratégie prônant le « rassemblement » après s’être déclaré « social-démocrate » à la une <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20221109.OBS65720/francois-ruffin-je-suis-social-democrate.html">du <em>Nouvel Observateur</em></a>. À son tour, le secrétaire national du parti communiste Fabien Roussel tendait la main au « centre gauche », estimant la Nupes <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/le-billet-politique-du-mardi-11-avril-2023-9845217">dépassée</a>. </p>
<p>Au sein du PS, la stratégie d’alliance a également suscité de profondes divisions, exprimées lors du dernier congrès. Faut-il voir dans ces initiatives éparses un « retour de la social-démocratie » ? Pour cela, il importe d’observer le sens acquis par cette étiquette, ainsi que le degré d’homogénéité des acteurs qui s’en réclament.</p>
<p>Dès son apparition au XIX<sup>e</sup> siècle, la <a href="https://theconversation.com/la-social-democratie-est-morte-vive-la-social-democratie-89782">social-démocratie</a> a été parcourue par d’importants débats quant au rapport à l’égalité sociale, à la participation démocratique ou aux institutions. Aujourd’hui, la revendication de cette identité ne recouvre qu’imparfaitement les positions politiques adoptées en réalité. Le politiste Fabien Escalona et l’économiste Romaric Godin ont ainsi montré que l’héritage de la social-démocratie se retrouve <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160622/legislatives-quel-camp-peut-vraiment-se-dire-social-democrate">plutôt dans le programme de la Nupes qu’auprès de ses critiques</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590692192427077636"}"></div></p>
<p>En plaçant l’égalité sociale, la redistribution, les procédés démocratiques et la refonte institutionnelle au cœur de son action, le programme de la Nupes interroge bien, sans toujours le revendiquer, les fondements du néo-libéralisme.</p>
<p>À l’inverse, par leur contribution <a href="https://www.cairn.info/la-resistible-ascension-du-neoliberalisme--9782348068904.htm">au délitement de l’État social</a> et leur inclinaison pour une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/11/15/la-politique-de-l-offre-de-hollande-une-vraie-rupture-dans-l-histoire-de-la-gauche_1790391_823448.html">« politique de l’offre »</a>, l’« aile gauche du macronisme » comme les héritiers du hollandisme semblent s’être écartés des fondements doctrinaux de la social-démocratie. Ce constat invite à interroger le rôle politique dévolu à cette étiquette.</p>
<h2>Revendiquer une « culture du gouvernement »</h2>
<p>Le lancement de La Convention illustre la fonction politique de la référence à l’identité sociale-démocrate. Entouré de François Hollande et de plusieurs des figures de la social-démocratie européenne, Bernard Cazeneuve a construit son discours autour de la revendication d’une culture de gouvernement. Il a rejoué l’opposition traditionnelle entre les courants radicaux de la gauche, jugés irréalistes, et sa branche réformiste, raisonnable, capable d’assumer sa vocation à gouverner.</p>
<p>Ce schéma s’observe dans la trajectoire de nombre des partis socialistes européens. Leur identité s’est progressivement ancrée dans les capacités à intégrer les contraintes économiques et budgétaires de l’État et à exercer durablement le pouvoir, plutôt que dans une revendication idéologique ou une <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/la-reconversion-partisane-de-la-social-democratie-europeenne-p.html">alternative politique marquée</a>.</p>
<p>En France, c’est ce qu’illustre le premier septennat de François Mitterrand. La rupture avec le projet de 1981 et <a href="https://www.cairn.info/les-socialistes-francais-face-a-la-troisieme-voie--9782706126185.htm">l’adoption des outils de la gouvernementalité libérale</a> sont alors justifiées en tant que gages de la capacité du parti à gérer les affaires courantes du pays.</p>
<p>En prolongeant ce schéma, le discours de Bernard Cazeneuve passe sous silence les positions social-libérales du hollandisme (concernant, par exemple, les crédits d’impôts aux entreprises ou la loi travail). Il renvoie également la Nupes à une irresponsabilité de radicaux, voire à une extrême gauche pendant de l’extrême droite.</p>
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<p>En arguant que le pouvoir ne se conquiert pas par les marges, il s’agit de revendiquer une position centrale susceptible d’agréger des intérêts divers et de profiter des logiques d’alternance. C’est une position que reprennent les courants qui, au sein du PS, se sont exprimés contre la Nupes. Cependant, en dépit de leur revendication de centralité, la ligne Cazeneuve comme les anti-Nupes du PS demeurent largement minoritaires au plan électoral.</p>
<h2>L’avenir et les mouvements du balancier</h2>
<p>Il est possible de distinguer plus précisément plusieurs types de stratégies.</p>
<p>Autour de Bernard Cazeneuve, un premier camp anticipe la fin du macronisme (et, dans une moindre mesure, la fin du mélenchonisme) et attend que le mouvement de balancier profite à la gauche. Pour que cela se produise, cette gauche veut se défaire de tout soupçon de radicalité susceptible d’effrayer les électeurs du bloc central. Elle cherche aussi à incarner un versant <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-toujours-et-encore-le-neo-liberalisme-179680">plus social et plus écologiste du macronisme</a>, pour ne pas être simplement confondue avec celui-ci.</p>
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<p>Chez les anti-Nupes du PS, où les élus locaux occupent une place centrale, la logique est autre. Ceux-ci voient dans l’alliance Nupes un accord électoral forgé sur les bases d’un rapport de force national qui diffère de leur situation locale. Le socialisme local s’est progressivement construit dans une forme de dépolitisation et dans la constitution d’alliances autour du PS. La conclusion d’un accord national marqué à gauche et où le PS est nettement minoritaire entre en contradiction avec cette dynamique.</p>
<p>Enfin, les positions adoptées par François Ruffin visent à dépasser l’hétérogénéité de l’électorat de gauche et l’hostilité d’une partie de celui-ci à l’égard de la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-peut-elle-se-donner-les-moyens-de-ses-ambitions-189731">France Insoumise</a>. Pour cela, il rompt avec les stratégies conflictuelles et centre son propos autour de l’emblème fédérateur du social.</p>
<p>La question qui se pose est de savoir si ces divers acteurs sont réellement disposés à faire évoluer leur projet. Sont-ils susceptibles d’y intégrer des innovations permettant de proposer une alternative lisible au paradigme néolibéral et une issue à la crise sociale-démocrate ?</p>
<h2>Les capacités d’évolutions doctrinales en question</h2>
<p>Dans les années 1970, la social-démocratie est parvenue à renforcer puis à conserver ses positions de pouvoir en renouvelant son projet et son assise électorale. <a href="https://books.openedition.org/pur/92469">En France</a>, le PS a proposé une perspective de refonte du <a href="https://www.cairn.info/les-socialistes-francais-et-l-economie--9782724618600.htm">mode de gestion de l’économie</a> et un <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2007-4-page-77.htm">débouché politique au libéralisme culturel</a>. Cette offre lui a permis d’agréger les intérêts de certains segments des classes populaires et des classes moyennes salariées.</p>
<p>Par la suite, l’offre sociale-démocrate s’est progressivement trouvée <a href="https://www.cairn.info/histoire-globale-des-socialismes-XIXe-XXIe-si%C3%A8cle--9782130822103-page-576.htm">assimilée à l’économie néolibérale</a>, sans parvenir à incarner une réelle alternative.</p>
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<p>Par ailleurs, une autre partie de la gauche est restée campée sur l’opposition chimérique entre les enjeux socio-économiques (redistribution, emploi, imposition…) et les enjeux culturels (oppression des femmes, des minorités…). Elle a ainsi freiné les innovations programmatiques. Par le passé, intégrer la diversification des combats pour l’émancipation a pourtant permis à la social-démocratie de <a href="https://www.cairn.info/histoire-globale-des-socialismes-XIXe-XXIe-si%C3%A8cle--9782130822103-page-576.htm">mieux résister au déclin électoral que les partis communistes notamment</a>, en faisant évoluer sa base électorale. En France, ce fut, par exemple, le cas avec la politique culturelle <a href="https://www.cairn.info/dire-la-france--9782724619454.htm">sous François Mitterrand</a>, avec le PACS sous Lionel Jospin ou le mariage pour tous sous François Hollande.</p>
<h2>Le sociétal contre le social ?</h2>
<p>En se revendiquant d’une gauche « universaliste et républicaine », Bernard Cazeneuve multiplie les critiques sur les compromissions de LFI (évoquant un <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/04/05/lfi-on-savait-que-cetait-le-parti-de-loutrance-on-sait-maintenant-que-cest-le-parti-de-linsulte-condamne-bernard-cazeneuve-11113512.php">« parti de l’outrance »</a> ou l’accusant de <a href="https://www.bfmtv.com/politique/cazeneuve-fustige-lfi-dont-la-strategie-fabrique-des-votes-d-extreme-droite-en-quantite-industrielle_AD-202212040378.html">« fabriquer des votes d’extrême droite en quantité industrielle »</a>.</p>
<p>Fabien Roussel puis François Ruffin placent en opposition le « social » et le « sociétal » (questions de genre, de sexe, de religion, de multiculturalisme, etc.). Ils tentent de neutraliser le second au titre du potentiel <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/video-presidentielle-2027-la-gauche-doit-parler-a-tout-le-pays-pas-seulement-a-sa-fanbase-estime-l-insoumis-francois-ruffin_5860883.html">clivant</a> qu’ils lui attribuent.</p>
<p>En reposant sur l’implicite d’une défiance des classes populaires à l’égard des enjeux dits « culturels », cette analyse repose sur une distinction artificielle entre deux dimensions étroitement articulées. Les <a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">classes populaires</a> sont elles aussi concernées par les enjeux de lutte contre les diverses formes de stigmatisation. De plus, d’une part, la lutte pour l’émancipation interroge directement les fondements du régime économique (concernant par exemple, la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-lindex-egalite-professionnelle-nameliorera-pas-la-remuneration-des-femmes-202396">division sexuelle du travail</a>). D’autre part, la mise en cause du néo-libéralisme contient des implications quant à la dignité individuelle et collective (comme les questions liées au système de retraite).</p>
<p>Rejeter cette position revient à espérer qu’une partie de l’électorat de gauche délaisse ses revendications d’émancipation, au nom du « rassemblement ». À travers cela apparaît une série de résistances à un renouvellement doctrinal qui, pourtant, caractérise l’histoire longue de la social-démocratie et lui a permis, par le passé, d’incarner une alternative électorale et de se maintenir au rang des partis de gouvernement.</p>
<p>En définitive, il apparaît donc qu’en France, en 2023, évoquer un retour de la social-démocratie revient avant tout à opposer arbitrairement radicalité et responsabilité politique. Cela conduit à prêter une cohérence interne à des stratégies politiques divergentes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Nicolas Baudot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La social-démocratie fait son retour dans le débat public. Mais en 2023, elle semble être utilisée comme synonyme de « non-radicalité » et « capacité à gouverner » plus que comme un projet politique.Pierre-Nicolas Baudot, Doctorant en science politique à l'Université Paris-Panthéon-Assas, ATER à l'Université Clermont-Auvergne, spécialisé en histoire sociale des idées partisanes, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1989392023-02-26T17:15:38Z2023-02-26T17:15:38ZLa dénonciation publique, une caractéristique des discours populistes ?<p>Lors des discussions houleuses à l’Assemblée nationale sur le projet controversé de réforme des retraites du gouvernement, le député Louis Boyard a publié sur son compte Twitter la liste des députés qui ont voté contre une proposition de loi socialiste visant à proposer des repas à un euro à tous les étudiants. Cette initiative, assortie de la mention « retenez leurs noms », a suscité de vives critiques dans la majorité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1623710452973727746"}"></div></p>
<p>Le tweet du député et les différentes oppositions à la <a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">réforme des retraites</a> mettent aujourd’hui en lumière l’importance de la dénonciation publique dans les démocraties. Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Mais elle donne aussi à voir un spectacle politique dans lequel les acteurs populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.</p>
<p>Si les définitions des populismes sont plurielles et polémiques, la plupart s’accordent sur une série de caractéristiques propres à ces mouvements. Les <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-nouveau-national-populisme/">populismes</a> seraient portés par des leaders charismatiques et dénonceraient les élites en place au nom d’un peuple victime perçu comme homogène. Cette définition des populismes est une montée en généralité théorique nécessaire à leur conceptualisation, mais elle masque en même temps leurs spécificités.</p>
<p>En France, trois candidats à la dernière élection présidentielle s’inscrivent dans ce courant : Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Éric Zemmour. Ils revendiquent un <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">« monopole de la représentation populaire »</a>, mais ne s’appuient pas sur les mêmes figures du « peuple » et des « élites ». L’analyse des dénonciations publiques produites par les trois acteurs peut alors constituer un moyen de mieux saisir ces deux figures aux contours flous.</p>
<p>Les dénonciations sont des formes narratives produites dans l’espace public et appartiennent à la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-contre-democratie-pierre-rosanvallon/9782757841167">critique sociale et politique</a>. Elles présentent une conflictualité et renseignent l’identité de ceux qui les portent car elles construisent des « victimes » et des « bourreaux », un « nous » et un « eux ».</p>
<p>En s’appuyant sur un corpus de dénonciations produites sur Twitter par Jean-Luc Mélenchon (1478 tweets), Marine Le Pen (2052 tweets) et Eric Zemmour (952 tweets) entre l’annonce publique de leur candidature et le second tour des élections présidentielles (2022), il s’agit ici de déplier les notions de « peuple » et « d’élites » en revenant sur les figures de bourreau et de victime les plus couramment mises en avant par ces acteurs.</p>
<h2>Les figures de bourreau</h2>
<p>Emmanuel Macron représente « le bourreau » le plus dénoncé par les trois candidats : 19,01 % des contenus d’Éric Zemmour, 18,03 % pour Marine Le Pen et 17,73 % pour Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1492859596217761797"}"></div></p>
<p>Ce résultat est en partie déterminé par le contexte électoral qui incite les acteurs à critiquer le président sortant pour se présenter comme une alternative crédible à celui-ci. En ce sens, le gouvernement constitue la deuxième figure la plus dénoncée par Marine Le Pen (17,3 %) et Jean Luc Mélenchon (10,62 %). Éric Zemmour accuse quant à lui le gouvernement dans seulement 4,1 % de ses contenus. Cette différence peut résulter d’une annonce plus tardive de candidature à l’élection l’ayant conduit à moins se positionner contre les mesures mises en place par le gouvernement dans les années qui ont précédé le scrutin.</p>
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<p>Eric Zemmour dénonce en revanche amplement les autres candidats à l’élection. Valérie Pécresse a ainsi constitué la deuxième figure qu’il a le plus dénoncée (7,14 %). Au-delà de la candidate LR, Eric Zemmour a largement critiqué « les politiciens professionnels » (3,26 %), Jean-Luc Mélenchon (1,57 %), Marine Le Pen (1,36 %) et Yannick Jadot (0,63 %). Mélenchon, quant à lui, dénonce fréquemment Marine Le Pen (3,11 %), Eric Zemmour (2,84 %) et dans une moindre mesure Anne Hidalgo (0,68 %). Marine Le Pen est finalement celle qui critique le moins ses adversaires. Elle concentre ses dénonciations sur Emmanuel Macron et le gouvernement pour se présenter comme leur principale opposante. Le seul candidat que Marine Le Pen critique parfois est Eric Zemmour (0,53 %) car il occupe un espace politique assez proche du sien.</p>
<h2>L’UE et les médias comme figures antagonistes</h2>
<p>La dénonciation de l’Union européenne a aussi été relativement importante pour les trois acteurs. Marine Le Pen a été la candidate qui a le plus critiqué l’UE (4,63 %) ; tandis qu’Eric Zemmour (1,15 %) et Jean-Luc Mélonchon (0,88 %) ont moins visé cette figure de bourreau.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484439548625133568"}"></div></p>
<p>Les trois candidats partagent ensuite une dénonciation des médias et des journalistes. Ceux-ci ont en effet constitué la 4<sup>e</sup> figure la plus critiquée par Eric Zemmour (4,62 %) et la 5<sup>e</sup> par Jean-Luc Mélenchon (3,06 %). La dénonciation des médias a en revanche été beaucoup plus parcellaire dans les contenus de Marine Le Pen (1,07 %).</p>
<p>Des convergences s’observent donc dans les figures dénoncées par les acteurs, mais elles ne doivent pas masquer leurs différences.</p>
<p>Si Le Pen et Zemmour semblent proches, avec par exemple un même taux de dénonciation de l’institution judiciaire (respectivement 2,58 % et 2,67 % des contenus), il peut être hâtif de les mettre sur un même plan. Eric Zemmour se démarque en effet de Marine Le Pen en ce qu’il durcit le discours de la candidate RN. D’une part, Eric Zemmour mobilise un discours ouvertement plus <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/stigmatiser-discours-mediatiques-et-normes-sociales/">stigmatisant</a>. Il cible prioritairement les personnes lorsqu’il dénonce l’immigration (4,56 % des contenus critiquent les migrants, les réfugiés, les clandestins ou les étrangers contre 4,23 % pour l’immigration) ; là où Marine Le Pen dénonce le phénomène migratoire en priorité (5,7 %) en évitant une attaque plus systématique contre les étrangers (1,7 %). D’autre part, Eric Zemmour se distingue de Marine Le Pen par sa dénonciation du « Grand remplacement » (3,47 % des contenus) ; une <a href="https://theconversation.com/politiques-identitaires-et-mythe-du-grand-remplacement-117471">théorie xénophobe</a> que la candidate RN prétend aujourd’hui mettre à distance.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon se différencie enfin des autres acteurs sur de nombreux sujets, signe que le clivage gauche/droite n’est pas complètement désuet. Le candidat insoumis dénonce en effet des figures qui ne sont pas critiquées par les deux autres leaders, entre autres : le système capitaliste/néolibéral (3,99 %), le nucléaire (2,57 %), les ultra-riches (2,23 %) ou les fermes-usines (0,95 %).</p>
<h2>Les figures de victime</h2>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-2.htm">notion de « peuple »</a> recouvre des réalités multiples et diffère en fonction des approches et des contextes politiques. Les victimes dans le récit de dénonciation sont un des biais par lesquels les candidats populistes construisent des figures du « peuple ».</p>
<p>Celles-ci sont très proches pour Eric Zemmour et Marine Le Pen, les deux plus récurrentes étant identiques : les Français constituent 36,4 % des victimes d’Eric Zemmour et 35,72 % de celles de Marine Le Pen ; la France, respectivement 17,5 % et 12,71 %. Le « peuple-victime » de ces deux leaders renvoie avant tout à un <a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">peuple-ethnos</a>, centré sur l’appartenance à la communauté nationale. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, mobilise moins ces deux figures (4,24 % pour les Français et 2,32 % pour la France). Le « peuple-victime » du leader insoumis est celui des « classes populaires » (11,97 %) ; il prend pour référent un critère économique et social. Il se distingue en cela du peuple-ethnos des deux autres leaders, bien qu’il le mobilise par moment.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1483900104318857219"}"></div></p>
<p><a href="https://www.persee.fr/doc/lsoc_0181-4095_1997_num_79_1_2772">Le peuple-demos</a>, qui est centré sur un référent démocratique et renvoie à la communauté des citoyens, occupe également une place significative dans le récit des trois acteurs. Celui-ci constitue notamment la troisième figure la plus mobilisée par Jean-Luc Mélenchon (7,1 % des contenus). Le peuple-demos est une victime moins récurrente mais tout de même importante dans les récits d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen (respectivement 3,68 % et 2,29 %).</p>
<p>Par ailleurs, les « femmes » constituent des victimes régulières dans le récit des trois acteurs. Eric Zemmour est celui qui les mobilise le plus dans ce rôle (2,73 %), tandis que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen les présentent comme victimes dans des proportions similaires : respectivement 2,16 % et 2,29 % des contenus.</p>
<p>Mélenchon et Le Pen mobilisent aussi de nombreuses figures de victime identiques, mais dans des proportions différentes : les animaux constituent par exemple 1,69 % des victimes de Jean-Luc Mélenchon contre 0,49 % de celles de Marine Le Pen ; l’environnement et la biodiversité représentent 4,47 % des victimes du leader insoumis et 0,88 % de celles de la candidate RN. Inversement, Marine Le Pen mobilise aussi des victimes qui sont identiques à celles d’Eric Zemmour : par exemple, les policiers (respectivement 1,51 % et 2,31 %) ainsi que les agriculteurs (respectivement 1,66 % et 1,36 %).</p>
<h2>L’autovictimisation</h2>
<p>Les trois leaders partagent enfin une même stratégie d’autovictimisation. Cette démarche permet aux acteurs de créer une symétrie d’oppression avec le peuple-victime dont ils revendiquent la représentation. Ainsi, Eric Zemmour est celui qui se présente le plus souvent comme une victime (7,46 %), suivi par Jean-Luc Mélenchon (5,2 %), puis Marine Le Pen (2,19 %).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1467540791413379079"}"></div></p>
<p>Réduire les populismes à une opposition floue entre le peuple et les élites n’est ainsi pas toujours pertinent pour saisir leurs spécificités. Les antagonismes sur lesquels ils s’appuient semblent plus formalisés. En l’espèce, les notions de « peuple » et « d’élites » occupent une place relative dans les dénonciations.</p>
<p>Le « peuple » est souvent mis en avant indirectement. Il l’est par l’intermédiaire d’un référent national et ethnique par Marine Le Pen et Eric Zemmour lorsqu’ils définissent la France et les Français comme les victimes principales du contexte politique. Il l’est aussi par Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il installe les classes populaires dans ce rôle, recentrant la notion de peuple sur une condition sociale spécifique et s’inscrivant ainsi dans une tradition politique radicalement différente de celle des deux autres leaders. Le terme peuple est aussi mobilisé de manière plus explicite par les trois acteurs. Il renvoie alors le plus souvent à un référent démocratique et caractérise la communauté des citoyens. La notion d’« élites », en revanche, occupe une place presque nulle dans les dénonciations et seul Eric Zemmour lui accorde une position importante lorsqu’il accuse les « politiciens professionnels » ; une figure qui peut être associée à une forme d’élite politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198939/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Swan DUFOUR est en contrat doctoral au laboratoire CARISM (Université Paris-Panthéon-Assas). </span></em></p>Cette forme de discours apparaît dans le débat comme une contestation du pouvoir en place. Les populistes ont fait de ce mode d’action une stratégie.Swan Dufour, Doctorant en Sciences de l'information et de la communication au laboratoire CARISM, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1897312022-09-06T21:40:30Z2022-09-06T21:40:30ZLa France insoumise peut-elle se donner les moyens de ses ambitions ?<p>« Je souhaite être remplacé » : les <a href="https://reporterre.net/Jean-Luc-Melenchon-Je-souhaite-etre-remplace">mots sont ceux de Jean-Luc Mélenchon</a>, lors d’un entretien avec Reporterre, au cours duquel le fondateur de La France insoumise aborde la question sensible de sa succession. Le sujet s’est parfois immiscé dans les conversations pendant l’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat-d-ete/le-temps-du-debat-du-mercredi-24-ao%C3%BBt-2022-8751073">université d’été</a> – les <a href="https://amfis2022.fr/">Amfis</a> – de la France insoumise édition 2022, qui a donné lieu aux traditionnelles discussions sur les « refondations » à engager.</p>
<p>Dans le sillage du <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/resultats-presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-termine-troisieme-du-premier-tour-avec-20-1-des-voix-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5063749.html">résultat</a> de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle (21,95 % des voix au premier tour) et des <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/resultats-des-legislatives-2022-la-nupes-obtient-149-sieges-et-devient-la-premiere-force-d-opposition-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5201320.html">scores de la Nupes</a> aux élections législatives, les débats ont beaucoup tourné autour de l’électorat cible de la France insoumise et des moyens à mettre en œuvre pour conquérir <a href="https://blogs.mediapart.fr/antoine-sallespapou/blog/170422/lecons-du-10-avril">« ceux qui manquent »</a>, convaincre les « fâchés mais pas fachos » et partir à l’assaut des campagnes populaires, comme le martèle le député de la Somme <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere-des-faches-pas-fachos-20220413_5SLOQ2OMTVDYPG3IPAM5OTXGTA/">François Ruffin</a>.</p>
<p>D’autres enjeux, moins médiatisés, se jouent en interne concernant la structuration organisationnelle du parti, comme en témoignent l’intervention très remarquée de Clémentine Autain sur son <a href="https://clementine-autain.fr/lfi-franchir-un-cap-pour-gagner/">blog personnel</a> ou la récente contribution du sociologue <a href="https://www.contretemps.eu/france-insoumise-construction-mouvement-politique-populaire/">Étienne Pénissat</a>. Tous deux soulignent la nécessité de dépasser la forme originelle <a href="https://le1hebdo.fr/journal/melenchon-dit-tout/174/article/l-insoumission-est-un-nouvel-humanisme-2481.html">« gazeuse »</a> du mouvement pour adapter son organisation à la séquence politique à venir.</p>
<h2>Un cœur battant au Palais Bourbon</h2>
<p>La France insoumise a tiré profit de la nouvelle donne parlementaire. Avec ses 75 élus, le parti a plus que quadruplé son nombre de députés. Surtout, les élections législatives ont propulsé à l’Assemblée nationale des chevilles ouvrières de LFI, à l’image de Clémence Guetté, jusqu’alors secrétaire générale du groupe parlementaire et coordinatrice du programme, ou de Paul Vannier, co-responsable de l’espace élections. Manuel Bompard, l’un des principaux stratèges du parti, a lui aussi migré du Parlement européen vers le Palais Bourbon.</p>
<p>Même en l’absence de Jean-Luc Mélenchon, dont le rôle à venir est encore incertain, le cœur du réacteur insoumis est plus que jamais implanté à l’Assemblée nationale. Cette phase de croissance institutionnelle ouvre de nouvelles perspectives au mouvement créé en 2016 : accès à certains postes clés de l’Assemblée, visibilité médiatique accrue, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/21/comment-les-resultats-des-legislatives-vont-affecter-les-finances-des-partis-politiques_6131386_823448.html">doublement du financement public perçu chaque année</a>, opportunités de professionnalisation pour des militants recrutés en tant qu’assistants parlementaires, etc.</p>
<p>Mais la centralité du groupe parlementaire dans l’ossature du mouvement soulève également nombre de questions quant à l’avenir d’une organisation jusqu’ici très centralisée et conçue sur mesure pour les campagnes électorales nationales.</p>
<h2>Le mouvement « gazeux » à l’épreuve de l’implantation locale</h2>
<p>La France insoumise figure parmi ces nouvelles entreprises politiques, à l’instar de Podemos en Espagne ou du Mouvement cinq étoiles italien, qui ont récusé dans les années 2010 les formes traditionnelles de structuration partisane pour revendiquer l’appellation de « mouvement ». Cela se traduit notamment par l’assouplissement de l’adhésion et l’absence de strates intermédiaires entre le groupe dirigeant et la base militante.</p>
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<p>La France insoumise n’a donc pas mis en place d’instances territoriales ni désigné ou élu des référents locaux. Ce choix tranche avec le fonctionnement d’autres grands partis, organisés en fédérations à l’échelle des départements, ou des régions pour Europe Écologie–Les Verts. À LFI, le maillage territorial repose tout entier sur les groupes d’action (GA) qui réunissent les militants à l’échelle d’une ville ou d’un quartier sans – sur le papier – la possibilité de mettre en place des coordinations à un échelon supérieur.</p>
<p>Élaboré pour concentrer les efforts sur le scrutin présidentiel, limiter la bureaucratisation du parti et prévenir l’apparition de baronnies locales, comme l’a bien expliqué le politiste <a href="https://journals.openedition.org/crdf/301">Rémi Lefebvre</a>, ce modèle peut-il perdurer dans les prochaines années ?</p>
<p>Jusqu’ici, la France insoumise s’est accommodée de cette structure souple et d’une base militante en grande partie évanescente, caractérisée par des engagements intermittents, affluant et refluant au gré des séquences de mobilisation électorale. La pérennité de ce modèle au cours des cinq dernières années tient en partie à son intériorisation par des militants pétris par la culture de l’action dispensée par le groupe dirigeant, constitué autour du groupe parlementaire et des quelques permanents au siège parisien du parti.</p>
<h2>La primauté à l’action de terrain</h2>
<p>Qu’ils soient novices ou qu’ils conçoivent leur militantisme insoumis comme le complément d’un engagement associatif ou syndical, ceux-ci, lors de mes entretiens, décrivent volontiers leur investissement comme exclusivement tourné vers l’action de terrain – à savoir le travail de mobilisation électorale – et désencombré des querelles intestines et des rigidités bureaucratiques qui caractérisent selon eux les partis traditionnels.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">LFI : du pari à la mutation ?</a>
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<p>Cette culture partisane a toutefois été mise à l’épreuve par les dernières élections territoriales. En « enjambant » les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/10/21/la-france-insoumise-veut-enjamber-les-elections-municipales_6016317_823448.html">élections municipales de 2020</a> et en plaçant au second plan les élections départementales et régionales en 2021, la direction de la France insoumise a pu susciter un sentiment d’abandon chez une partie des militants impliqués localement dans ces séquences électorales, qui s’est traduit par une certaine lassitude et par le désir d’une structure plus formalisée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482311/original/file-20220901-21-kp0mbh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Affiches réalisées par le Discord insoumis, à l’université d’été de la France insoumise, 27 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La croyance dans l’efficacité du « gazeux » s’est parfois effritée devant l’improvisation, la difficulté à coordonner les équipes militantes et à faire émerger des cadres clairement identifiés localement. Ces doutes ont pu être accentués par le contraste avec les partis rivaux à gauche qui, du fait d’une implantation ancienne et d’une organisation locale plus rodée, apparaissaient mieux armés pour affronter ce type de scrutins.</p>
<p>Cet enjeu de la structuration territoriale pourrait s’accentuer en préparation des futurs scrutins locaux. La conquête du pouvoir local est un défi que la France insoumise partage d’ailleurs avec la République en marche : les deux partis sont devenus incontournables au niveau national sans parvenir – sans chercher ? – à détrôner de leurs bastions institutionnels locaux des partis plus solidement ancrés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon : l’arme du charisme en politique</a>
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<h2>Concrétiser le « parti-mouvement » ?</h2>
<p>La culture de l’action professée par LFI est aussi éprouvée par le décalage entre l’autonomie théoriquement accordée aux groupes d’action et la faiblesse des moyens qui leur sont effectivement octroyés. Les militants sont nombreux à demander la mise en place d’un véritable mécanisme de financement des « GA » afin que ces derniers puissent louer des salles, organiser des formations, mener des actions sur leurs territoires, sans avoir à recourir, comme la plupart du temps aujourd’hui, à l’autofinancement.</p>
<p>Si ces demandes ne sont pas nouvelles, elles rencontrent davantage d’écho depuis le relatif succès du parti aux élections législatives, qui pose avec une acuité nouvelle la question du ruissellement des fonds partisans, et compte tenu de la volonté affichée par la France insoumise de <a href="http://www.regards.fr/actu/article/manuel-bompard-une-force-d-alternative-prete-a-gouverner-demain">« favoriser les dynamiques d’auto-organisation populaire »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482313/original/file-20220901-23-slnfjf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les cadres LFI : Adrien Quattenens,Manuel Bompard et Jean-Luc Mélenchon, université d’été de la France insoumise, 28 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">V. Dain</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La France insoumise a-t-elle l’ambition et les moyens de se constituer en un véritable « parti-mouvement » ? Pour le politiste <a href="https://sk.sagepub.com/reference/hdbk_partypol/n24.xml">Herbert Kitschelt</a>, le parti-mouvement désigne une organisation souple et peu formalisée qui importe dans la compétition partisane le répertoire d’action des mouvements sociaux, conjuguant activité parlementaire et mobilisations extra-institutionnelles.</p>
<p>LFI correspond déjà partiellement à cette formule. <a href="https://populisme.be/articles_sc/le-local-desinvesti-une-analyse-de-lancrage-territorial-de-podemos-et-de-la-france-insoumise/">Ses militants</a> participent de multiples mobilisations collectives et ont souvent pied dans le milieu associatif.</p>
<h2>Des engagements ambitieux mais à faible portée</h2>
<p>À ces multi-engagements (associatifs, syndicaux, au sein d’organisations contestataires) à la base s’ajoutent quelques initiatives portées par le groupe dirigeant, à l’image de la « marche contre le coup d’État social » au tout début du précédent quinquennat, et des votations citoyennes organisées sur le nucléaire ou sur <a href="https://eau.vote/">l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution</a>.</p>
<p>Toutefois, les projets les plus ambitieux sur le papier n’ont pas eu la portée escomptée. Les pratiques de « community organizing », à l’image de la <a href="https://alliancecitoyenne.org/wp-content/uploads/2016/08/la_traverse_Alinsky_article.pdf">méthode Alinsky</a>, portées par le « pôle auto-organisation » de LFI, n’ont pas essaimé sur l’ensemble du territoire. À l’heure actuelle, la France insoumise est loin d’être parvenue à « se glisser dans tous les interstices de la société », comme le préconisait <a href="https://lvsl.fr/entretien-avec-manuel-bompard/">Manuel Bompard en 2017</a>.</p>
<p>LFI renouera-t-elle avec cette ambition mouvementiste dans les mois et les années à venir ou le parti empruntera-t-il une trajectoire similaire à celle de <a href="http://arbre-bleu-editions.com/podemos-par-le-bas.html">Podemos</a> ? Chez l’allié espagnol, les projets relatifs à l’auto-organisation populaire ont disparu de l’agenda partisan à mesure que le parti engrangeait des positions institutionnelles de premier plan.</p>
<p>En conséquence, les cercles de base se sont peu à peu vidés – ils comptaient, en 2020, 18 791 militants à jour de cotisation – et la capacité de mobilisation qui faisait à l’origine la force du parti s’est considérablement affaiblie.</p>
<p>Dans son discours de clôture des « Amfis », Jean-Luc Mélenchon exhortait les insoumis à lancer des collectes de fournitures scolaires pour la rentrée et à constituer des « escouades citoyennes » pour organiser la solidarité face aux conséquences du dérèglement climatique, en référence aux pluies diluviennes et aux inondations qui pourraient survenir à l’automne. Les propos du candidat insoumis à l’élection présidentielle sonnent comme une nouvelle réaffirmation de cette prétention mouvementiste, reste à voir dans quelle mesure ils seront traduits par l’organisation en des moyens et des dispositifs concrets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Dain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du mouvement La France Insoumise, plusieurs débats concernant la structuration organisationnelle du parti et sa capacité à dépasser sa forme actuelle. Vers quoi ?Vincent Dain, Doctorant en science politique au Laboratoire Arènes, Université Rennes 1, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1850942022-08-03T17:40:52Z2022-08-03T17:40:52ZDossier : Présidentielle, législatives, deux élections plus tard, quel bilan ?<p>La France a vécu cette année au rythme d'élections majeures : la présidentielle tout d'abord qui a vu Emmanuel Macron réélu, puis les élections législatives dont la campagne a été lancée de manière inédite par Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France Insoumise.</p>
<p>Sous son impulsion, différents partis de gauche réussirent ce qui paraissait impossible depuis longtemps : réunir la gauche derrière un programme (presque) commun. La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (Nupes) a depuis su s'imposer comme l'une des premières forces d'opposition du pays.</p>
<p>Plus encore qu'en 2017, la séquence électorale de 2022 a fait exploser le Parti socialiste et les Républicains, les partis dits traditionnels qui ont gouverné la France pendant plusieurs décennies. Malgré ces recompositions, deux phénomènes s'accentuent : la place de l'extrême droite et des ses idées dans le champ politique, et celle de l'abstention.</p>
<p>Dans ce dossier spécial, The Conversation vous propose de faire le bilan de la séquence politique qui vient de s'achever.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a></h2>
<p>Le clivage droite-gauche a cédé la place à une fragmentation géographique et sociale qui n'a pas encore produit tous ses effets sur l'organisation du champ politique.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">La France désenchantée ?</a></h2>
<p>L'un des enseignements des éléctions législatives de 2022 est l'aggravation du fossé qui sépare les électeurs de leurs représentants.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/un-effondrement-socialiste-qui-vient-de-loin-181122">Un effondrement socialiste qui vient de loin</a></h2>
<p>Le premier tour de l'élection présidentielle 2022 a marqué l'effondrement de l'une des plus vieilles organisations partisanes de France.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/les-republicains-un-quinquennat-pour-moins-que-rien-181318">Les Républicains : un quinquennat pour moins que rien</a></h2>
<p>Le parti traditionnel de la droite française est aujourd'hui réduit à l'état de résidu électoral. Quelques pistes pour comprendre la nature de cet évidement électoral, ses causes et ses conséquences.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/une-abstention-hautement-politique-181558">Une abstention hautement politique</a></h2>
<p>L'abstention massive qui caractérise les dernières élections en France témoignerait d'une demande profonde des citoyens pour une autre forme de démocratie.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/lfi-du-pari-a-la-mutation-185571">LFI : du pari à la mutation</a></h2>
<p>Au sein de LFI, s'affranchir de la ligne portée par Jean-Luc Mélenchon demeure complexe: le mouvement pourra-t-il se fondre dans un projet collectif ?</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/apres-le-bouleversement-des-legislatives-quelle-place-pour-le-senat-185554">Après le bouleversement des législatives, quelle place pour le Sénat ?</a></h2>
<p>Si l'actualité politique se focalise sur l'Assemblée nationale, une autre partie pourrait se jouer à la seconde chambre du Parlement, le Sénat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La France vient de vivre six mois au rythme des élections. Bilan d'un épisode politique particulièrement complexe.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceNils Buchsbaum, Journaliste éditeur rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855712022-06-27T16:06:11Z2022-06-27T16:06:11ZLFI : du pari à la mutation ?<p>L’épisode d’effervescence politique que connaît actuellement la France et ses trois principales forces politiques – le centre-droit incarné par Emmanuel Macron et ses alliés, le Rassemblement national (RN) et l’alliance de gauche autour de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) – <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">interroge</a> non seulement les modalités de la participation politique, à l’aune d’une abstention toujours plus importante, mais aussi la position qu’occupent ces trois forces.</p>
<p>Le RN, fort de ses 89 députés, peut désormais compter sur une assise solide au parlement. Emmanuel Macron et ses soutiens tirent les leçons du revers législatif. Le chef de l’État espère plusieurs compromis : partisans mais peut-être aussi programmatiques et institutionnels, afin d’assurer une continuité gouvernementale. Enfin, au cœur de la Nupes, La France Insoumise, LFI, détermine sa stratégie pour les semaines à venir.</p>
<p>Or beaucoup s’interrogent : son leader, Jean-Luc Mélenchon, peut-il garder une forme de mainmise sur la vie parlementaire en n’étant plus lui-même député ?</p>
<p>Après les résultats, le leader de 73 ans a très vite appelé ses alliés de la Nupes à poursuivre l’alliance électorale et programmatique sous la forme d’une vraie force politique au sein d’un seul groupe parlementaire. <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/nupes/legislatives-2022-en-coulisses-la-proposition-de-jean-luc-melenchon-sur-le-groupe-unique-de-la-nupes-fait-grincer-des-dents_5211877.html">Proposition qui a été immédiatement rejetée</a> par les principaux intéressés, désireux et capables de s’émanciper des stratégies du leader des Insoumis. En effet, grâce à cette alliance, les partis obtiennent le <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/nupes/legislatives-ps-eelv-lfi-pcf-combien-de-sieges-remportent-les-differents-partis-de-la-nupes-845665f8-f074-11ec-8647-9c04f7b41067">découpage suivant</a> : 72 sièges pour LFI, 24 pour le Parti socialiste (PS), 12 pour le Parti communiste français (PCF) et 23 pour Europe-Ecologie Les Verts (EELV).</p>
<p>Au sein de LFI en revanche, s’affranchir de la ligne directement portée par Jean-Luc Mélenchon demeure plus complexe. Le mouvement créé en 2016 – et non parti, terme que le fondateur et les militants récusent – est principalement incarné par l’ancien sénateur de l’Essonne.</p>
<p>C’est lui encore qui a formé une génération de jeunes trentenaires, souvent issus de sa formation précédente, le Parti de Gauche. Ainsi, en témoignent les parcours de Mathilde Panot, Adrien Quatennens, Manuel Bompard, Ugo Bernalicis, députés dont le capital politique se fonde sur celui de leur mentor.</p>
<p>Dans ce contexte, difficile d’imaginer que ses lieutenants se désolidarisent de ce qui a fait le noyau dur de LFI, <a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">rassemblé autour de son chef</a>.</p>
<h2>Plus de courants qu’il n’y paraît</h2>
<p>En revanche il convient d’analyser les autres tendances au cœur de LFI qui ont été déterminantes dans la création et le projet d’union de la gauche. Le mouvement n’est pas, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">selon nos recherches</a>, un bloc monolithique. S’il existe un courant « mélenchoniste » il existe aussi un courant « ruffiniste » autour du militant François Ruffin et son réseau issu <a href="https://www.cairn.info/revue-mots-2020-2-page-103.htm">notamment du média Fakir</a>.</p>
<p>Des divergences existent. Par exemple, au sujet du concept de France périphérique de <a href="https://www.liberation.fr/politique/francois-ruffin-jusquici-nous-ne-parvenons-pas-a-muer-en-espoir-la-colere-des-faches-pas-fachos-20220413_5SLOQ2OMTVDYPG3IPAM5OTXGTA/">Christophe Guilly</a>, expression utilisée par François Ruffin, mais récusée par le chef de file des Insoumis.</p>
<p>Concernant l’Union européenne ensuite. Ainsi, François Ruffin revendique ses <a href="https://lvsl.fr/francois-ruffin-il-y-a-deux-invisibles-les-oublies-en-bas-et-les-ultra-riches-en-haut/">« pulsions protectionnistes »</a> quand Mélenchon a tergiversé en abandonnant progressivement la <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/120419/la-france-insoumise-et-le-plan-b-quatre-annees-d-ambiguite">stratégie dite du plan B</a> qui envisageait une possible sortie de l’UE.</p>
<p>Rappelons par ailleurs qu’aux élections législatives de juin 2017, François Ruffin fut le seul député français élu avec le soutien de l’ensemble des partis politiques de gauche. Il préfigurait, avec cinq années d’avance, la future Nupes.</p>
<p>Une autre tendance apparaît aussi autour de Clémentine Autain. C’est elle qui dès juin 2019 avait appelé à un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/06/29/clementine-autain-reunit-son-big-bang-pour-regenerer-la-gauche_5483116_823448.html">« big bang de la gauche »</a>. Jean-Luc Mélenchon rejetait à l’époque cette option stratégique avant d’admettre, après la présidentielle de 2022, le projet de la Nupes comme seule issue possible pour imposer les forces de gauche sur l’échiquier politique.</p>
<p>La Nupes est donc aussi bien une victoire pour Ruffin et Autain que pour Mélenchon.</p>
<p>Or rien ne garantit aujourd’hui, à l’issu des législatives, que ces trois tendances ne vont pas effriter peu à peu le ciment sur lequel elles reposent.</p>
<h2>Sous un vernis consensuel, une culture de la verticalité</h2>
<p>Autain comme Ruffin, et bien sûr Mélenchon, ont réussi à agréger et consolider un solide réseau militant. Et, comme je le montre dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_populisme_de_gauche-9782348054921">mes enquêtes de terrain</a> pendant trois ans au sein de LFI, s’il existe parfois une forme d’admiration chez les plus jeunes pour le leader, les relations entre les cadres et les militants demeurent assez souples.</p>
<p>Il n’existe pas, par exemple, de mainmise hiérarchique, d’intermédiaires tout puissants, comme peuvent parfois l’affirmer d’anciens courtisans qui dépeignent désormais la France insoumise en mouvement <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/pourquoi-le-fonctionnement-de-la-france-insoumise-est-anti-democratique-20220503">« dictatorial »</a>. Certes la culture autour de l’homme providentiel, le leader puissant existe, mais elle assez banale dans la <a href="https://www.cairn.info/l-ego-politique--9782200283100.htm">culture politique de la Vᵉ Rép</a> et la médiatisation des <a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">personnalités politiques</a> comme le montre d’ailleurs <a href="https://editions.flammarion.com/le-retour-du-prince/9782081481473">Vincent Martigny</a>.</p>
<p>En revanche, il est intéressant d’analyser la façon dont LFI structure ces réseaux et pense le mouvement. La base militante bénéficie d’une grande autonomie, la charte du mouvement promet une forte horizontalité, plus de démocratie, de consensus. Cependant, on observe que les moyens financiers et matériels mis en œuvre pour parvenir à cette promesse font défaut. Dans les faits, les décisions sont prises de façon verticale et le mouvement fonctionne de manière assez rigide.</p>
<p>Ainsi, la stratégie LFI a été de faire de la présidentielle un enjeu politique principal au détriment d’autres formes de militantisme. De la même façon, les militants n’ont pas accès aux grandes décisions stratégiques, et ont une faible marge de manœuvre sur les décisions programmatiques. Il n’existe pas de système de vote sur les programmes ou les investitures contrairement au PS par exemple, au PC et à EELV : Mélenchon décide seul avec sa garde rapprochée.</p>
<h2>Un turn-over important</h2>
<p>Ce fonctionnement suscite un turn-over important dans le mouvement. Le départ de Charlotte Girard, responsable du programme durant la campagne présidentielle de 2017, en constitue l’exemple le plus éloquent. Il n’existe pas de fidélisation des militants LFI hormis ceux qui ont eu accès à des postes d’assistants parlementaires par exemple lors du premier quinquennat, soit quelques dizaines de personnes sur un mouvement comptant une base militante de plusieurs milliers. Dès la fin de l’année 2017, 9/10<sup>e</sup> des personnes ont quitté le mouvement, même si elles ont pu poursuivre leur engagement politique ailleurs : associations pour le climat, bénévolat, syndicalisme. Rappelons aussi que le fait d’adhérer à LFI (gratuitement et en quelques clics sur Internet) n’engage aucunement à s’investir au sein d’un <a href="https://lafranceinsoumise.fr/groupes-action/carte-groupes/">groupe d’action</a>. Autrement dit, le nombre de militants est largement inférieur au nombre de membres.</p>
<p>Ce mode de gouvernance au sein de LFI peut être déstabilisant pour les alliés de la Nupes qui ont un tout autre fonctionnement. La gauche dans sa globalité s’est réorganisée et a, d’une manière inédite au XX<sup>e</sup> siècle, fait union autour de la plus radicale des formations politiques de gauche. Ces militants doivent désormais apprendre à collaborer ensemble : en dépit des hypothèses émises par certaine, une désunion semble, à court terme, difficilement envisageable. L’union a été plébiscitée <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/sondage-viavoice-la-nupes-une-alliance-des-gauches-et-des-verts-desiree-mais-desequilibree-20220511_U5FXPUPXIRD75FYHEQJUNZHZKI/">par une part importante</a> des sympathisants de gauche, et si la victoire n’a pas été complète, notamment pour Jean-Luc Mélenchon, le fossé qui sépare la Nupes et la Macronie demeure plus important que les tensions entre les formations de gauche.</p>
<h2>Une délicate culture du compromis</h2>
<p>Reste à imaginer comment LFI parviendra à s’imposer dans l’arène politique sur le temps long. Le manque de pluralisme et la verticalité imposée par Jean-Luc Mélenchon a certes laissé place à une accélération de la culture du compromis lors de la constitution de la Nupes. Mais cet assouplissement de la machine idéologique pour travailler de concert avec des alliés peut-elle se traduire par un investissement équivalent sur les bancs de l’Assemblée ?</p>
<p>Les règles institutionnelles de la V<sup>e</sup> ne favorisent pas cette culture. Le fait majoritaire et la prééminence de l’exécutif sur le législatif n’incitent pas ou peu à passer des compromis.</p>
<p>Notons cependant que la V<sup>e</sup> République a beaucoup évolué au cours des soixante dernières années et il semble que, tant du côté de la majorité présidentielle que du côté de la Nupes, la quête de compromis s’impose désormais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manuel Cervera-Marzal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein de LFI, s'affranchir de la ligne portée par Jean-Luc Mélenchon demeure complexe: le mouvement pourra-t-il se fondre dans un projet de gauche collectif?Manuel Cervera-Marzal, Chercheur qualifié au FNRS (Université de Liège / PragmApolis), Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849492022-06-13T19:13:28Z2022-06-13T19:13:28ZLégislatives, l’élection de la rupture ?<p>En plaçant à quasi-égalité la majorité présidentielle et la principale force d’opposition la Nupes, les résultats du premier tour des élections législatives de 2022 – dont le décompte pose certes des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/13/legislatives-2022-nupes-ou-ensemble-en-tete-du-scrutin-les-raisons-de-la-divergence-entre-le-monde-et-le-ministere-de-l-interieur_6130066_823448.html">questions méthodologiques</a> – marquent une certaine rupture par rapport à la tradition électorale qui s’est instaurée 20 ans plus tôt.</p>
<p>En effet, en 2002, la réduction à cinq ans du mandat présidentiel et l’inversion du calendrier électoral (qui, initialement, aurait dû conduire à organiser les <a href="https://www.cairn.info/institutions-elections-opinion--9782724616101-page-119.htm">législatives avant la présidentielle</a>) ont donné une fonction particulière à un scrutin qui survient quelques semaines seulement après le moment majeur et décisif de la vie politique française : l’élection présidentielle.</p>
<p>Les électeurs sont invités à confirmer leur vote précédent et, de fait, à amplifier le résultat de l’élection présidentielle. Depuis 2002, ils ont donc toujours envoyé à l’Assemblée nationale une large majorité pour le président. Cela avait déjà été le cas en 1981, lorsque le nouveau président, François Mitterrand, dissout l’Assemblée nationale élue en 1978 alors dominée par la droite.</p>
<h2>L’accent parlementaire de la France</h2>
<p>Cette concordance entre majorité présidentielle et majorité parlementaire renforce la nature présidentialiste du <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100761880">régime politique en France</a>, en donnant au président de la République les mains libres pour constituer son gouvernement et conduire sa politique. <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-organise-t-elle-la-cohabitation">Elle a évité depuis vingt ans</a> la pratique de la cohabitation, qui a eu lieu à la suite d’élections législatives organisées cinq ans (en 1986 et en 1993) ou deux ans (en 1997) après une élection présidentielle.</p>
<p>La cohabitation rappelle que la nature constitutionnelle de la V<sup>e</sup> République <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quelle-est-la-place-du-parlement">reste parlementaire</a> : lorsque la majorité à l’Assemblée nationale s’oppose au président de la République, c’est bien elle – et non le président de la République – qui inspire la constitution et la politique du gouvernement.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/la-politique-en-france--9782707154446-page-363.htm">Les conclusions négatives</a> que Lionel Jospin comme Jacques Chirac avaient tirées de l’expérience d’une longue cohabitation (1997-2002) les avaient conduits à privilégier la lecture présidentialiste des institutions et à donner aux législatives leur nouveau statut : celui d’élections secondes, voire secondaires.</p>
<h2>Une mobilisation inégale de l’électorat</h2>
<p>Si ce calendrier électoral conduit à amplifier le résultat de l’élection présidentielle, c’est essentiellement en raison d’une mobilisation inégale de l’électorat. Les électeurs du vainqueur de la présidentielle se rendent davantage aux urnes pour les législatives que ceux des perdants, qui soit ne croient plus à la victoire soit ne veulent pas bloquer les institutions en imposant au Président légitime une nouvelle cohabitation : c’est notamment <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/1er-tour-legislatives-2017-sociologie-des-electorats-et-profil-des-abstentionnistes">ce qui s’est produit</a> lors des élections législatives de 2017.</p>
<p>Depuis que les législatives se situent dans la foulée des présidentielles, l’abstention y bat des records. En 1981 déjà, elle s’élevait à 30 % quand, trois ans plus tôt, elle n’atteignait que 17 %. Et alors qu’en 1986, 1993 ou 1997, elle restait maintenue en dessous du tiers des inscrits, <a href="https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/vie-politique-et-associative/participationvote">elle progresse sans cesse depuis 2002</a> – jusqu’à atteindre des records, en 2017 (52 %) comme en 2022 (52,5 %). Cette abstention différentielle amplifie donc la dynamique présidentielle, de façon artificielle. En obtenant moins de voix que le vainqueur de la présidentielle, les candidats de la majorité présidentielle creusent dès le premier tour l’écart avec les autres : en 2002, 2007 et 2017, cet écart s’élevait à plus de dix points et ont garanti ainsi une victoire très large en nombre de sièges, au second tour.</p>
<p>L’élection de 2022 montre toutefois que cette mécanique ne fonctionne pas de façon systématique. Avec moins de 26 % des voix, les candidats de la majorité présidentielle, regroupés sous la bannière « Ensemble », régressent par rapport au résultat des législatives de 2017 mais aussi par rapport au score obtenu par Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle du 10 avril 2022. Ils font jeu égal avec la coalition de gauche, ce qui laisse prévoir un second tour particulièrement ouvert. Quant au Rassemblement national, ses électeurs se sont moins démobilisés qu’à l’accoutumée : avec plus de 18,5 % des voix, il enregistre son meilleur score à une élection législative, en progression de 5 points par rapport à 2017.</p>
<h2>Une dynamique cohabitationniste ?</h2>
<p>Plusieurs facteurs expliquent ce résultat incertain pour la majorité. Contrairement à ses trois prédécesseurs (Sarkozy en 2007, Hollande en 2012 et lui-même en 2017), Emmanuel Macron est dans la position d’un président réélu. Il n’incarne donc plus le changement et ne bénéficie donc pas de la <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-47.htm">dynamique de renouvellement</a> qui a conduit, depuis la fin des années 1970, à la multiplication et à la banalisation des alternances des élections législatives, seule la majorité élue en 2002 ayant été reconduite en 2007.</p>
<p>Ainsi, le soir même où plus de 58 % des Français l’ont réélu, une majorité d’entre eux souhaitait qu’il n’obtienne pas une majorité absolue à l’Assemblée nationale : aux yeux d’une partie non négligeable de l’électorat, le <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/legislatives-61-des-francais-ne-souhaitent-pas-qu-emmanuel-macron-dispose-d-une-majorite-absolue-a-l-assemblee-selon-un-sondage-ipsos-sopra-steria_2180021.html">spectre d’une cohabitation est un moindre repoussoir</a> que le risque d’une concentration des pouvoirs pour cinq années supplémentaires.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon a très tôt saisi cette évolution de l’opinion et a pleinement assumé le fait de porter une dynamique cohabitationniste – comme l’atteste cette incantation devenue slogan électoral : « Mélenchon premier ministre ».</p>
<p>L’alliance électorale des gauches, autour de la Nupes, vise de façon pragmatique à rendre possible cette cohabitation, en maximisant les chances des candidats de gauche d’être présents au second tour face à la majorité. Elle a ainsi évité la démobilisation d’un électorat qui, pour être minoritaire, pèse à peine moins que la majorité présidentielle. Les premiers pas difficiles du gouvernement, l’effacement des autres oppositions (RN et LR) de la scène médiatique ont contribué à faire du duel Macron-Mélenchon l’enjeu essentiel de la campagne électorale.</p>
<p>Dans le cadre d’un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui se révèle de plus en plus en <a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">décalage</a> avec la structure de la vie politique, la Nupes réussit à valoriser au maximum son poids électoral : avec un plus du quart des suffrages exprimés, ses candidats sont qualifiés pour le second tour dans plus de 80 % des circonscriptions.</p>
<p>Ce duel, différent de celui qui a mis aux prises Macron et Le Pen au second tour de la présidentielle, a eu l’attrait de la nouveauté : il a aussi favorisé la mobilisation des électeurs de gauche. Les législatives de 2022 n’ont pas été des élections de confirmation du scrutin présidentiel. Elles ont plutôt constitué le troisième tour de ce scrutin.</p>
<h2>Une situation proche de 1988</h2>
<p>Cette situation rappelle les résultats des élections législatives de 1988. Comme Emmanuel Macron, François Mitterrand venait d’être réélu, avec un résultat au premier tour supérieur à celui qu’il avait obtenu lors du précédent scrutin mais autour d’une ligne programmatique assez floue. Bouleversé par l’irruption du Front national, le paysage politique ne répondait déjà plus à la structure bipolaire qui le caractérisait <a href="https://www.le-livre.fr/livres/fiche-r320094033.html">depuis les années 1960</a>.</p>
<p>Au premier tour, les candidats de l’opposition de droite et du centre, conduits par Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, font, en voix, jeu égal avec les soutiens de François Mitterrand (socialistes et radicaux de gauche pour l’essentiel). Au second tour, les socialistes n’obtiennent qu’une majorité relative de 275 sièges, ce qui obligera les gouvernements successifs (conduits par Michel Rocard, Edith Cresson et enfin Pierre Bérégovoy) à négocier tantôt avec les communistes tantôt avec les centristes pour obtenir des majorités.</p>
<p>Mais même avec une majorité relative, cette législature a pu arriver à son terme : il n’y a pas eu de crise de régime. Le premier tour des élections législatives de 2022 n’ouvre donc la voie ni à une situation totalement inédite ni à une remise en cause fondamentale des institutions de la V<sup>e</sup> République, même si le nouveau record d’abstention impose à l’évidence des réponses à la fois politiques et institutionnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184949/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le premier tour des élections législatives de 2022 n’ouvre la voie ni à une situation totalement inédite ni à une remise en cause fondamentale des institutions de la Vᵉ République.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1849462022-06-13T06:53:08Z2022-06-13T06:53:08Z1ᵉʳ tour des législatives : entre désintérêt électoral et recomposition politique<p>Au soir du premier tour des élections législatives, la majorité présidentielle (Ensemble) recueillerait la majorité des suffrages (25,75 %), au coude à coude avec la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) obtenant 25,66 % des suffrages et devant Rassemblement avec 18,68 % des voix. Alors, au regard de ces résultats, dont le décompte méthodologique <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/13/legislatives-2022-nupes-ou-ensemble-en-tete-du-scrutin-les-raisons-de-la-divergence-entre-le-monde-et-le-ministere-de-l-interieur_6130066_823448.html">demeure discuté</a> selon les étiquetages de certains candidats, quelles sont les clefs de lecture de ce premier tour ?</p>
<p>Le premier tour de ces élections législatives se solde d’abord par une forte abstention, atteignant les 52,61 %, soit 1,3 point de plus qu’en 2017. Ce niveau d’abstention s’inscrit dans une tendance de fond, avec une hausse continue depuis les élections législatives de 1993.</p>
<p>Une des raisons de la croissance abstentionniste aux législatives peut être institutionnelle. La réforme de <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268319-la-reforme-constitutionnelle-de-2000-sur-le-quinquennat-presidentiel">2000 sur le quinquennat</a>, alignant les mandats présidentiels et législatifs, conjuguée à l’inversion du calendrier électoral (la présidentielle précédant les législatives) <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SCPO_DUHAM_2019_01_0027&download=1">ont renforcé la présidentialisation du régime</a> et affaiblit la place du Parlement.</p>
<p>Une autre raison peut être conjoncturelle. Comme le rappelle le journaliste Gérard Courtois, depuis 1981, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/100-jours-de-guerre-en-ukraine-la-campagne-des-legislatives-8537577">logique politique</a> voulait que dans la lignée de l’élection présidentielle, il fallait donner une majorité à l’Assemblée nationale pour le président nouvellement élu (François Mitterrand ayant <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19442-la-dissolution-de-lassemblee-nationale-une-arme-presidentielle">dissout</a> l’Assemblée nationale après ses deux élections présidentielles en 1981 et en 1988). Or, cette année, les deux camps arrivés en tête à la présidentielle (LREM devenu Renaissance et le Rassemblement national) ont mené une campagne législative quasi inexistante.</p>
<p>D’un côté, le président Macron semble avoir opté pour une <a href="https://www.nouvelobs.com/chroniques/20220530.OBS59077/macron-et-les-legislatives-la-strategie-du-chloroforme.html">« stratégie du chloroforme »</a> en se faisant discret lors de cette campagne, mais aussi en temporisant la nomination d’un nouveau gouvernement (trois semaines après sa réélection). De l’autre, Marine Le Pen semblait s’avouer déjà vaincue en <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/marine-le-pen-jure-vouloir-battre-la-campagne-plutot-que-battre-en-retraite-20220524">ne visant qu’une soixantaine de députés RN à l’Assemblée</a> et était devenue moins visible dans les médias, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/legislatives-ou-est-passee-marine-le-pen-211521">à tel point que l’on s’est demandé où elle était passée</a>.</p>
<p>En conséquence, cette <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/legislatives-seulement-15-des-francais-trouvent-la-campagne-interessante-213113">campagne législative n’aura intéressé que 15 % des Français</a> et n’aura pas été marquée par un thème central lors des débats.</p>
<h2>Qui arrive en tête ?</h2>
<p>La création de la Nupes a rappelé les grandes heures de la gauche unifiée (le Front populaire de 1936 ou le Programme commun de 1972) et a tenté d’insuffler une nouvelle dynamique pour ces législatives. Le slogan <a href="https://www.nouvelobs.com/elections-legislatives-2022/20220427.OBS57710/elisez-moi-premier-ministre-le-nouveau-cap-de-melenchon.html">« Jean-Luc Mélenchon Premier ministre »</a> adopté par la coalition aura personnifié et nationalisé ces élections et la stratégie du <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220424-pr%8Esidentielle-le-pen-et-m%8Elenchon-d%8Ej%88-tourn%8Es-vers-le-troisi%8Fme-tour-des-l%8Egislatives">« troisième tour »</a> suit finalement la <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=SCPO_PERRI_2007_01_0017&download=1">logique de présidentialisation du régime</a>.</p>
<p>La forte mobilisation (<a href="https://www.leparisien.fr/elections/legislatives/legislatives-pourquoi-la-nupes-a-t-elle-eu-la-moitie-du-temps-de-parole-radio-et-tele-en-mai-08-06-2022-343IEHEOHNEFHIL56BFC52FFHQ.php">notamment médiatique</a>) de la Nupes conjuguée à une campagne en demi-teinte de la majorité présidentielle peuvent alors expliquer la surprise de cette élection : pour la première fois sous la V<sup>e</sup> République, le camp présidentiel n’obtient pas une franche majorité des suffrages exprimés lors du premier tour des élections législatives. Dès lors, il se pourrait que la « macronie » ne dispose pas de la majorité absolue au soir du second tour de cette élection.</p>
<h2>Quelles perspectives pour la vie politique ?</h2>
<p>Les Républicains obtiennent quant à eux leur plus faible score aux élections législatives avec près de 13,6 %. Là encore la campagne a été plus effacée au niveau national, la stratégie choisie étant de se concentrer au niveau des circonscriptions en se présentant comme un « parti des territoires ». Cependant, les estimations donnent une baisse du nombre de députés LR passant de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/infographies-premier-tour-des-legislatives-2022-voici-a-quoi-pourrait-ressembler-la-future-assemblee-nationale-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5193349.html">centaine à environ 50 à 80 sièges</a>.</p>
<p>Pour le Rassemblement national, au contraire, le nombre de députés grimperait entre 20 et 45 selon les résultats à venir la semaine prochaine. En résumé, on observe un lent déclin de LR depuis 2017 (voire 2012) et une installation confirmée du RN sur les bancs de l’Assemblée nationale.</p>
<p>Selon les estimations, le camp présidentiel disposerait d’une majorité à l’Assemblée nationale, avec un peu moins de 300 députés, soit un recul puisque celui-ci disposait de 346 sièges jusqu’à présent. Le risque serait même de ne pas disposer de la majorité absolue (de 289 sièges).</p>
<p>Le pari de la Nupes sera non plus d’obtenir la majorité mais le plus grand nombre de sièges pour tenir le rôle de premier groupe d’opposition à l’Assemblée. La perspective d’une cohabitation avec Jean-Luc Mélenchon comme chef du gouvernement est dès lors compromise. Même si la nomination du leader de la France insoumise n’aurait pas été automatique en <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/legislatives/nomination-du-premier-ministre-que-prevoit-la-loi-en-cas-de-cohabitation_AN-202206060348.html">cas de victoire de la Nupes</a> puisque la Constitution (art. 8) ne précise pas les critères de nomination du premier ministre. Cependant ce dernier doit s’assurer d’une majorité afin d’éviter la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19523-la-motion-de-censure-493-veritable-moyen-de-controle">censure</a> par l’Assemblée nationale (art. 49).</p>
<p>Au-delà même d’une majorité, le risque pour la Nupes est la <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/13/legislatives-2022-a-gauche-la-nupes-reussit-son-pari-mais-fait-maintenant-face-au-front-anti-melenchon_6130043_6104324.html">fronde « anti-Mélenchon »</a> de la part des autres formations politiques, en raison de la personnalité et des positions clivantes de son leader, par exemple concernant la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/10/qu-impliquerait-la-desobeissance-aux-regles-europeennes-promue-par-la-nupes_6125509_4355770.html">désobéissance des traités européens</a> ; sa position à l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/presidentielle-jean-luc-melenchon-handicape-par-ses-prises-de-position-sur-la-russie_4988445.html">égard de la Russie</a> ou encore <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/melenchon/la-police-tue-comment-la-polemique-sur-le-refus-d-obtemperer-s-est-deplacee-sur-le-terrain-politique_5184763.html">ses récents propos sur la police</a>.</p>
<p>Si elle veut incarner ce rôle de leader de l'opposition, la coalition devra maintenir sa cohérence à l’Assemblée <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/05/30/programme-de-la-nupes-aux-legislatives-les-points-de-convergence-et-de-desaccord-entre-lfi-eelv-le-ps-et-le-pcf_6128161_4355770.html">malgré les désaccords programmatiques</a> et <a href="https://www.leparisien.fr/elections/legislatives/direct-legislatives-la-gauche-se-lance-unie-pour-la-conquete-de-lassemblee-06-05-2022-A47XOF3Z5BA43HD5QMTUOYM6JQ.php">l’absence d’un seul groupe parlementaire</a>.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184946/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Robin a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal. Il est membre du centre de recherche Jean Monnet de Montréal.</span></em></p>Abstention record, coalition de gauche bien installée face à la coalition présidentielle : ce qu’il faut retenir de ce premier tour des législatives.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821772022-05-23T19:59:02Z2022-05-23T19:59:02ZL’élite « de l’anti-élitisme », un paradoxe français<p>Les résultats de l’élection présidentielle ont amené de <a href="https://theconversation.com/la-reelection-demmanuel-macron-une-victoire-en-trompe-loeil-181841">nombreux observateurs</a> à penser que la France serait divisée en trois pôles : un centre de gouvernement, une droite regroupant ses courants conservateurs et extrémistes et une gauche majoritairement ralliée à son pôle radical.</p>
<p>Les variables de la sociologie électorale, l’abstentionnisme, le clivage entre générations ou <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-campagnes-en-tension-170041">modes de vie</a> expliquent qu’il ne s’agit pas d’une simple répétition du scénario de 2017. En effet, la crise des « gilets jaunes » et celle du Covid-19 ont accentué le <a href="https://www.cairn.info/pourquoi-detestons-nous-autant-nos-politiques--9782724620108.htm">sentiment de « détestation »</a> des hommes et des femmes politiques représentant les partis de gouvernement. <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-adorent-detester-emmanuel-macron-178665">Emmanuel Macron</a> incarne particulièrement bien cette détestation.</p>
<h2>Vers un alignement des discours contre les « élites » ?</h2>
<p>Peu parmi ces analystes ont cependant souligné la victoire sans précédent des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">candidatures se revendiquant comme anti-élitiste</a>.</p>
<p>Le terme « élite » vient du verbe <em>eligere</em> (« choisir »), terme latin en usage en France dès le XII<sup>e</sup> siècle. À l’époque contemporaine, « élite » et « élitisme » désignent dans la communauté des hommes un certain nombre de personnes « élues » destinées à diriger les non-« élues » en y associant la notion de mérite. Par opposition à l’aristocratisme, l’élitisme a une <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">connotation sociale et politique positive</a>. L’anti-élitisme est une critique radicale de cette conception. Aujourd’hui appliqué à la vie politique, il se traduit par une remise en question du caractère « méritocratique » de la compétence donc la légitimité des <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">élites de la démocratie représentative</a>.</p>
<p>Nous qualifions ainsi les candidats ayant mobilisé durant la campagne la rhétorique de l’anti-élitisme. L’extrême droite, <a href="https://twitter.com/ZemmourEric/status/1483899993530552322">Éric Zemmour</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9HZylDRkqsc">Marine Le Pen</a>, la droite souverainiste, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TgR2vV2-PrA">Nicolas Dupont-Aignan</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/politique/vaccin-cia-ombres-au-pouvoir-la-facette-conspirationniste-du-candidat-jean-lassalle">Jean Lassalle</a> mais aussi les candidats de la gauche radicale, <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.cultura.com/p-un-ouvrier-c-est-la-pour-fermer-sa-gueule-interdit-d-election-presidentielle-9782845974418.html">Philippe Poutou</a> ou encore <a href="https://www.bienpublic.com/elections/2022/04/10/nathalie-arthaud-votera-blanc-au-second-tour-fustigeant-deux-ennemis-mortels-pour-les-travailleurs">Nathalie Artaud</a> ont vilipendé le pouvoir de « l’oligarchie », des « puissants », de la « finance », de la « caste », de « ceux d’en haut », etc.</p>
<p>Les candidats ayant mobilisée cette rhétorique au premier tour des élections présidentielles entre 2012 et 2022 ont obtenu un nombre de voix en constante progression : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">33 % en 2012 ; 49,8 % : 2017 ; 61,1 % en 2022</a>. Si on ne peut pas vraiment faire de lien de causalité entre cette rhétorique et ces scores, on peut supposer que cette rhétorique n’a pas choqué les électeurs au point de les dissuader de porter leur voix sur ces candidats.</p>
<h2>Une rhétorique contre la démocratie représentative</h2>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">rhétorique anti-élitiste</a> – relayée par les leaders populistes depuis plus d’une décennie – transcende le clivage droite-gauche.</p>
<p>Comme souligne <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070749690-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/">Jacques Julliard</a> le mouvement social de 1995 a été le moment historique qui a fait de la rhétorique anti-élitiste « l’un des topos obligatoires du discours politique ». Il n’a cessé depuis de devenir central pour les styles discursifs les plus radicaux de droite mais aussi de plus en plus de gauche, en particulier de <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm"><em>La France insoumise</em></a>. <a href="https://www.puf.com/content/Cabinet_de_curiosit%C3%A9s_sociales_0">Gérald Bronner</a> rappelle que même des professionnels de la politique pourtant plus modérés ne rechignent pas à faire usage de cette figure de la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/gerald-bronner/demagogie-cognitive-information_b_6089800.html">« démagogie cognitive »</a>. Chacun se souviendra du « mon adversaire c’est le monde de la finance ! » <a href="https://www.lemonde.fr/blog/luipresident/2017/05/13/mon-adversaire-cest-le-monde-de-la-finance-quel-bilan-pour-francois-hollande/">lancé</a> par François Hollande lors de la campagne électorale de 2012. Dans ce contexte, les arguments rationnels perdent droit de cité puisque même ceux qui doivent les porter s’en débarrassent au nom de la rentabilité électorale.</p>
<p>Dans cette perspective, l’oligarchie <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">« des riches, la caste des politiciens »</a> et les technocrates de <a href="https://frontpopulaire.fr/p/revue%20N%C2%B02">« l’État profond (français ou bruxellois) »</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-110.htm">doivent partir</a>. Cet appel à se débarrasser de l’élite est consubstantiel à la division du monde entre le (bon) peuple et la (méchante) élite. Le bien ne doit-il pas naturellement chasser le mal. Relevant habituellement du bagage conceptuel de l’extrême droite, cette réduction du combat politique à des catégories religieuses a aussi été théorisée par la gauche dite « radicale ».</p>
<p>La philosophe Chantal Mouffe appelle, ainsi, à la répudiation de la raison, fondement de la démocratie libérale, au profit de l’<a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">« énergie libidinale »</a>. Elle propose de « mobiliser » cette énergie « malléable » contre l’oligarchie afin de « construire » le « peuple ». Dans cette perspective, les émotions et les affects devront se traduire par le rejet, comme le suggère le député François Ruffin, <a href="https://www.courrier-picard.fr/art/167978/article/2019-02-24/ruffin-lanti-macron-ce-rejet-physique-visceral-nous-sommes-des-millions">« physique et viscéral »</a> de l’élite.</p>
<p>De surcroît, l’anti-élitisme est présenté comme discours politique permettant de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">« sauver » la démocratie</a>. Pour ses promoteurs, l’élitisme contemporain contrarierait l’imaginaire égalitaire et occulterait les grands projets d’émancipation au profit de la mondialisation néolibérale.</p>
<h2>La mobilisation du déclin des « grands récits »</h2>
<p>Cet anti-élitisme puise sa force dans un contexte de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-faute-aux-elites-9782070407569.html">déclin des « grands récits »</a> (libéralisme, socialisme, etc.) et est aujourd’hui aisément récupéré par les tenants d’une critique de la démocratie représentative. Ce carburant idéologique des mouvements sociaux étêtés, tels que celui des « gilets jaunes », permet de mobiliser un électorat toujours plus large autour d’un prétendu clivage entre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18867/bloc-contre-bloc">« bloc élitaire » et « bloc populaire »</a>.</p>
<p>Le raisonnement de ces pourfendeurs de « l’oligarchie » repose sur une « terrible simplification » : le mythe de l’existence d’une élite « Consciente, Cohérente et Conspirante » (<a href="https://www.goodreads.com/book/show/3917666-the-myth-of-the-ruling-class">modèle de « 3 C</a> ») critiqué par James Meisel en raison de la déformation de la théorie de <a href="http://davidmhart.com/liberty/ClassAnalysis/Books/Mosca_RulingClass1939.pdf"><em>la classe dirigeante</em></a> de Gaetano Mosca. En effet, ce raccourci facilite l’association de tout type de médiation élitaire avec les théories complotistes.</p>
<p>Dans la stratégie discursive populiste, l’idée d’une élite unifiée maximisant ses intérêts concurrence fortement celle – plus en cohérence avec le pluralisme démocratique – d’une multiplicité de groupes élitaires en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0010414013512600">compétition pour le pouvoir politique, religieux social et économique</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, depuis l’administration de Georges Bush jr., des travaux ont évoqué le rôle d’une <a href="https://www.basicbooks.com/titles/janine-r-wedel/shadow-elite/9780465020843/">« élite de l’ombre »</a> (<em>shadow elite</em>) qui aurait favorisé la deuxième guerre du Golfe. Toutefois, la démonstration de l’interpénétration des réseaux néoconservateurs et l’administration des affaires étrangères, repose sur un travail dont la <a href="https://www.jstor.org/stable/41275203 ?seq=1">scientificité est discutable</a>. Une recherche, plus solide empiriquement, a ainsi démontré que, dans le cas de la <a href="https://www.cairn.info/gouverner-a-l-abri-des-regards%20--%209782724626254.htm">réforme de l’assurance maladie</a>, les groupes d’intérêts (<em>big pharma</em>, compagnies d’assurance, etc.) n’ont pas joué un tel rôle auprès de l’administration Obama. Pourtant, malgré le déficit de preuve, le mythe d’une élite omnipotente influençant l’ensemble des décisions démocratiques persiste. Dans un contexte de crise de confiance <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">à l’égard des gouvernants</a>, il renforce la croyance dans l’antiélitisme.</p>
<h2>L’élite de l’anti-élitisme : une autre oligarchie ?</h2>
<p>En poussant ce raisonnement sociologique, on pourrait établir que certains leaders mobilisant la rhétorique antiélitiste forment aussi une élite. Le diplomate britannique et ancien ministre conservateur, Georges Walden, la naissance d’une « caste supérieure de l’élite anti-élite » <a href="https://www.newstatesman.com/uncategorized/2020/09/boris-johnson-dominic-cummings-anti-elite-populists-power">(upper-caste elite of anti-elitists</a>) composée d’individus issus de milieux sociaux très privilégiés à l’image des premiers ministres David Cameron et de Boris Johnson. Tous deux issus sont les produits du cursus élitiste <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/international/etudier-a-l-etranger/detail/article/a-eton-sont-forgees-les-elites-britanniques0-3814/">Eton</a>-Oxford.</p>
<p>En France, l’élite anti-élite se caractérise par son profil de <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_professionnels_de_la_politique.html ?id=27YgAQAAMAAJ&redir_esc=y"><em>professionnel de la politique</em></a>. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en constituent des exemples emblématiques comme le montrent leur carrière et leur leadership partisan. La première est une « héritière politique » entrée dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_Le_Pen">carrière</a> dès l’âge de 18 ans, avant de gravir tous les échelons du <em>Front national</em> avant de se présenter aux élections présidentielles depuis 2012. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_M %C3 %A9lenchon">Le second</a> est un « produit de la méritocratie » à la française, obtenant son CAPES en lettres modernes et intégrant en même temps le Parti socialiste en 1976.</p>
<p>Il a cumulé au cours de sa longue carrière politique les fonctions électives entre autres de député, de sénateur, de député européen et la fonction exécutive de ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002). Depuis la création de son propre parti (Le Parti de Gauche en 2008 devenu en 2016 la France insoumise), il s’est lui aussi présenté à trois reprises aux élections présidentielles. Par ailleurs, tous deux ont imposé un leadership incontesté sur leur parti politique comme en témoignent leur réélection continue à la direction. Cette main de fer sur l’organisation illustre la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2015/07/02/politique-la-loi-d-airain-de-l-oligarchie_4667090_3260.html">loi d’airain de l’oligarchie</a> chère à Roberto Michels.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/qui-sont-les-deputes-francais%20--%209782724610307.htm">Les critères de la sociologie des élites</a>, à savoir l’origine sociale, la formation, la trajectoire professionnelle, la durée de la carrière politique, cumul et le type des mandats, montrent, sans surprise, le peu de distance les séparant de celles et ceux qu’ils dénoncent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182177/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Saïd Darviche est membre de l'Association française de science politique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire sans précédent des candidatures se revendiquant comme anti-élitiste ?William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Mohammad-Saïd Darviche, Maître de conférences, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1828212022-05-23T19:55:00Z2022-05-23T19:55:00ZLes candidats pro-RIC, favoris des « gilets jaunes »<p>Le vote des « gilets jaunes » a souvent été catalogué comme un vote de rejet. Dans un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/pops.12826">article récent</a>, nous nous appuyons sur une expérimentation conduite pendant le mouvement pour mettre en évidence que les considérations programmatiques, à commencer par le référendum d’initiative citoyenne (RIC), occupent la première place dans leurs logiques de vote.</p>
<p>Une littérature abondante s’est intéressée aux liens entre les caractéristiques des électrices et des électeurs et les caractéristiques des candidates ou candidats. Il a notamment été souligné que les citoyens préfèrent les candidats qui leur ressemblent. Ce principe de congruence (<a href="https://doi.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2F0003-066X.59.7.581">« voter-politican congruency »</a>) se décline selon trois grandes dimensions : une dimension statutaire (on préfère un candidat proche par son profil social), une dimension idéologique (on préfère un candidat qui partage nos idées et valeurs politiques), et une dimension plus programmatique (on préfère un candidat qui défend nos revendications, sans être forcément de la même origine sociale, ou de la même couleur politique).</p>
<p>Pour autant, comment les électeurs arbitrent-ils entre ces trois conditions quand elles ne sont simultanément remplies par un même candidat. En situation de choix électoral contraint, est-ce qu’on va préférer un candidat qui nous ressemble politiquement à un candidat qui nous ressemble idéologiquement, ou qui nous ressemble programmatiquement plutôt qu’idéologiquement ?</p>
<p>Le mouvement des « gilets jaunes » constitue un cas d’étude particulièrement intéressant pour étudier ce type de dilemme. Outre les questionnements qui l’ont travaillé sur la <a href="https://lundi.am/Les-Gilets-jaunes-et-la-question-democratique-Samuel-Hayat">légitimité et la nature de la représentation</a>, le mouvement a en effet été traversé par une tension forte entre une exigence de congruence statutaire (un représentant issu du peuple), une exigence de congruence idéologique (un représentant qui rejette le système partisan et l’opposition gauche-droite) et une exigence de congruence politique (un représentant qui soutient les doléances exprimées par le mouvement).</p>
<h2>Saisir les choix électoraux de façon réaliste</h2>
<p>Pour mieux comprendre comment s’organisent les préférences électorales des « gilets jaunes », nous avons eu recours à une expérimentation conjointe, une méthode souvent utilisée en science politique pour approcher la réalité des <a href="https://doi.org/10.1017/9781108777919.004">arbitrages électoraux</a>. L’expérimentation a été conduite dans le cadre d’une grande enquête en ligne, administrée auprès de 2 743 participants ou soutiens au mouvement <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/grande-enquete-sur-le-mouvement-des-gilets-jaunes">entre décembre 2018 et mars 2019</a>.</p>
<p>Concrètement, nous avons posé une question formulée ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le tableau suivant, les candidats A et B sont deux candidats qui sollicitent votre suffrage pour être élus à l’Assemblée nationale lors de prochaines élections législatives. Merci de lire la description de chacun des deux candidats, puis d’indiquer votre préférence entre ces deux candidats. Même si vous n’êtes pas entièrement sûr de vous, merci d’indiquer lequel d’entre les deux vous préférez. »</p>
</blockquote>
<p>Une série de vignettes étaient ensuite présentées, sur lesquelles apparaissaient les différents traits testés et relevant respectivement de la personne du candidat, de son idéologie et des <a href="https://www.giletsjaunes-coordination.fr/informations/quelles-revendications">principales revendications portées par le mouvement des « gilets jaunes »</a> (instaurer le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/presidentielle-ric-rip-50-nuances-de-referendums-dans-les-programmes-des-candidats">référendum d’initiative citoyenne</a>, augmenter le smic, rétablir l’ISF, réduire les taxes sur les carburants – à quoi a été ajoutée la limitation des flux migratoires qui a fait débat à l’intérieur du mouvement).</p>
<p>Le principe de l’expérimentation est que chaque répondant se voit proposer de choisir entre (trois) paires de candidats dont les attributs sont tirés aléatoirement (figure 1). Sur cette base, il est possible d’isoler statistiquement les effets propres de chaque attribut, tout en contrôlant les caractéristiques sociales et politiques des répondantes et répondants.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=787&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=787&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=787&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=989&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=989&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462291/original/file-20220510-14-yfptfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=989&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1. Exemple de vignette proposée et présentant une combinaison aléatoire de caractéristiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Gonthier, T. Guerra</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« RIC en toutes matières »</h2>
<p>La figure 2 montre le degré de soutien à chaque attribut, net du soutien aux autres traits testés. Trois grands résultats se dégagent. D’abord, le sexe, l’âge et le niveau de diplôme sont globalement peu clivants, à l’exception des candidats diplômés de grandes écoles qui sont largement rejetés. Ensuite, un candidat qui défend les revendications phares du mouvement tend à être préféré à un candidat enseignant, travailleur social ou ouvrier – plus proche donc du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html">profil moyen des « gilets jaunes » en termes de profession</a>. Ce type de candidat est également préféré à un candidat qui signalerait une forme de proximité idéologique avec le mouvement en affirmant que « la plupart des responsables politiques sont corrompus ».</p>
<p>Enfin, parmi les revendications, c’est celle du RIC est la plus fortement soutenue ; ce qui est cohérent avec la <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">centralité</a> gagnée progressivement par ce thème dans le mouvement. Des analyses supplémentaires montrent d’ailleurs qu’un candidat défendant le RIC sera préféré dans tous les cas de figures, quelles que soient donc ses autres caractéristiques. En clair, la préférence pour un candidat soutenant le RIC conditionne toutes leurs autres préférences.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=696&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=875&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=875&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462292/original/file-20220510-22-g6c9ps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=875&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2. Caractéristiques préférées d’un candidat aux yeux des « gilets jaunes ». Les coefficients à droite du seuil de 0,5 indiquent une probabilité de soutien plus marquée pour la caractéristique considérée, celles à gauche une probabilité de rejet plus prononcée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Gonthier, T. Guerra</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les logiques de vote intègrent aussi des considérations programmatiques</h2>
<p>Un grand nombre de commentateurs ont affirmé que le vote des « gilets jaunes » serait avant tout de type protestataire, prompt à céder aux appels populistes des leaders charismatiques. Nos résultats invitent à relativiser cette lecture. Loin d’être uniquement motivées par le rejet des élites, les logiques de vote intègrent aussi des considérations programmatiques, à commencer par le RIC. De ce point de vue, ils ne se distinguent pas des électeurs ordinaires, dont les chercheurs ont souligné <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379418302257?via%3Dihub">qu’ils préféraient une représentation fondée sur des préférences politiques partagées</a> (substantive representation) à une représentation fondée seulement sur des caractéristiques sociales partagées (descriptive representation).</p>
<p>Surtout, nos résultats éclairent les performances à l’élection présidentielle des candidats ayant le plus ouvertement soutenu le RIC – à savoir <a href="https://lafranceinsoumise.fr/category/niche-parlementaire-2019/ric/">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/politique/marine-le-pen-detaille-sa-revolution-referendaire-202358">Marine Le Pen</a> ou encore Jean Lassalle dont le gain électoral conséquent au premier tour (666086 voix de plus qu’en 2017) tient sans doute en grande partie à la labellisation de son programme par les collectifs œuvrant pour la <a href="https://label.ric-france.fr/">mise en place du RIC</a>. Certes, le soutien affiché aux réformes démocratiques n’est pas suffisant à faire élire un candidat. Mais il a pour mérite de contribuer à dynamiser une campagne et ramener aux urnes un électorat populaire démobilisé mais sensible à l’enjeu de représentation démocratique.</p>
<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> créé par une équipe de chercheurs et qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Gonthier a reçu des financements de l'ANR Les Gilets jaunes : approches pluridisciplinaires des mobilisations et politisations populaires (ANR-20-CE41-0010) </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Guerra a reçu des financements de l'ANR Les Gilets jaunes : approches pluridisciplinaires des mobilisations et politisations populaires (ANR-20-CE41-0010).</span></em></p>Les résultats d’une expérimentation réalisée pendant le mouvement des « gilets jaunes », montrent que les candidats préférés dans une élection sont ceux qui soutiennent le RIC.Frédéric Gonthier, Professeur de science politique, Sciences Po GrenobleTristan Guerra, Doctorant en science politique, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1823072022-05-10T21:49:28Z2022-05-10T21:49:28ZUne marée bleu Marine ? Plongée dans l’élection présidentielle du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais<p>Malgré ses <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1165877/article/2022-04-12/presidentielle-2022-dans-le-bassin-minier-le-candidat-macron-en-full-contact">déplacements</a> de l’entre-deux tours à Lens, Liévin et Carvin, Emmanuel Macron n’a pas su convaincre les habitantes et les habitants du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.</p>
<p>Lors du deuxième tour des élections présidentielles, les électeurs de la région ont assez largement plébiscité la candidate du <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1169918/article/2022-04-24/presidentielle-resultats-second-tour-nord-pas-de-calais">Rassemblement national</a>. Marine Le Pen arrive ainsi en tête dans la quasi-totalité des villes de ce territoire populaire en mutation sociale, économique et politique.</p>
<p>Mais ces résultats sont-ils le signe d’un basculement complet de cet ancien <a href="https://www.researchgate.net/publication/262892197_Le_bassin_minier_bastion_de_la_gauche">bastion de gauche</a> au profit de l’extrême droite ? Une analyse électorale fine permet de nuancer cette idée.</p>
<h2>Une dynamique bleu Marine qui s’accentue lors de ce second tour</h2>
<p>On pouvait s’y attendre, Marine Le Pen qui avait déjà réalisé de très <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/05/11/comment-le-pas-de-calais-a-bascule-du-ps-au-fn_1568912/">bons scores en 2017</a>, confirme et termine en tête dans le bassin minier du Nord Pas-de-Calais avec une <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/pas-calais/presidentielle-2022-les-gens-qui-votent-le-pen-se-sentent-seuls-et-oublies-de-l-aisne-au-bassin-minier-le-rassemblement-national-explose-ses-scores-2531416.html">moyenne de 60 % lors de ce deuxième tour</a> en progressant même de 5 % par rapport à 2017.</p>
<p>Elle réalise des scores encore plus élevés dans les deux communes frontistes de ce territoire que sont Hénin-Beaumont (67 %) et, plus récemment acquise, Bruay-la-Buissière (69 %). Mais on peut aussi observer de très bons scores dans des villes de gauche, jusque 77 % à Marles-les-Mines ou même 57 % à Lens, bastion socialiste. Ces résultats sont même souvent en hausse par rapport à 2017. Elle progresse ainsi de 130 000 voix dans le Nord-Pas-de-Calais. À Lens, par exemple, elle avait obtenu 7316 voix au deuxième tour de 2017 contre 7631 cette année. Même son de cloche pour Hénin-Beaumont où elle gagne 875 voix par rapport à 2017.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1488901990147047424"}"></div></p>
<p>Ces différentes percées se font au détriment du président sortant qui recule en partie dans ce territoire par rapport au second tour de 2017.</p>
<p>Dans le Nord-Pas-de-Calais il perd 65 000 voix et cette chute est encore plus forte dans les villes au cœur du bassin minier. À Lens il perd 796 voix et obtient 42 % des suffrages contre 46 % en 2017. Même à Valencienne, l’une des rares mairies de droite du bassin Minier et l’une des rares plaçant Emmanuel Macron en tête, il perd 708 voix passant de 63 % en 2017 à 58 % aujourd’hui.</p>
<p>Mais cette analyse ne saurait être complète sans porter une attention particulière à l’abstention, qui comme le vote pour Marine Le Pen est toujours plus élevée dans le bassin Minier que dans le reste de la France. Même si elle est moins spectaculaire que ce qu’on pouvait attendre elle est en moyenne à 28 % dans le bassin minier (+3 % par rapport à la moyenne nationale) et atteint des sommets dans certaines villes comme Lens avec 37 % (+2,5 % par rapport à 2017).</p>
<p>Ainsi, rapporté à cette abstention, ça n’est « que » une électrice ou un électeur sur trois qui a voté pour Marine Le Pen lors de ce second tour dans le bassin minier. De plus, ces résultats sont aussi à mettre en perspective du premier tour de ces présidentielles qui donne à voir d’autres nuances et forces politiques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Annonce des résultats à Hénin-Baumont.</span></figcaption>
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<h2>Un premier tour faisant émerger trois pôles politiques</h2>
<p>Si Emmanuel Macron perd des voix lors du second tour, les résultats du premier montrent une autre réalité. Dans le Pas-de-Calais il récupère ainsi la deuxième place, occupée par Jean Luc Mélenchon en 2017, et gagne 40 000 voix passant de 18 % en 2017 à 24 % cette année. Progression encore plus nette dans le Nord où il gagne 6 % entre 2017 et 2022 terminant ainsi à 26 %. Cette tendance s’observe aussi dans le bassin Minier, il gagne ainsi 4 points à Lens, 2 à Hénin-Beaumont et jusque 6 à Béthune.</p>
<p>Ces résultats peuvent se comprendre lorsque l’on regarde la chute des partis traditionnels qu’étaient Les Républicains et le Parti socialiste. Si, contrairement aux Républicains, le Parti socialiste a été très fort dans ce territoire, les deux partis observent une chute continue de leurs scores, Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ne dépassent quasiment jamais les 2 % dans le bassin minier. De par son positionnement politique, entre les deux candidates, c’est probablement le président sortant qui a le plus bénéficié de cette chute.</p>
<p>L’écologiste Yanick Jadot sous-performe lui aussi très fortement dans le bassin minier ne dépassant que très rarement les 2,5 % alors qu’il obtient 4,7 % des suffrages au niveau national. Quant au communiste Fabien Roussel, élu député dans ce bassin minier, il réalise de meilleurs scores dans ce territoire que dans le reste de la France dépassant régulièrement les 4 % avec un pic à plus de 12 % dans le fief communiste d’Avion.</p>
<p>À gauche, c’est Jean-Luc Mélenchon, qui comme au niveau national, se retrouve largement en tête. Pour autant il n’a pas convaincu dans le bassin minier autant qu’il a pu le faire à Lille par exemple ou il a recueilli 40,5 % des suffrages. Dans ce <a href="https://theconversation.com/des-terrils-bleu-marine-quelle-place-pour-le-rassemblement-national-dans-le-bassin-minier-164668">territoire encore fortement marqué par la gauche</a> l’insoumis souffre de la division avec le PCF et ne recueille que rarement plus de 20 % des suffrages (22 % à Lens et Carvin).</p>
<p>C’est bien Marine Le Pen qui termine en tête dès ce premier tour dans le bassin minier. Elle dépasse quasiment toujours les 40 % avec des pics très élevés dans ces fiefs, 51 % à Hénin-Beaumont et 52 % à Bruay-la-Buissière. Mais elle réalise aussi de très bons scores dans de plus petites villes comme Auchel avec 50 % des suffrages ou Noeux-Les-Mines avec 48 %. Dans ce territoire du bassin minier, elle a pu profiter du faible score de son concurrent à l’extrême droite, Éric Zemmour, qui y réalise des scores plus faibles que dans le reste de la France. Il dépasse rarement les 5 % et obtient ses meilleurs scores dans les très rares villes plaçant Emmanuel Macron en tête de ce premier tour comme Drouvin-le-Marais avec 8,5 % ou Vaudricourt avec 8 %.</p>
<h2>Une tendance qui pourrait s’inverser ?</h2>
<p>Les résultats de ces présidentielles dans le bassin minier sont sans grande surprise, ils s’insèrent dans des dynamiques profondes, de long terme et qui touchent l’ensemble du territoire : les percées de plus en plus fortes du Rassemblement national, la perte de vitesse du parti socialiste et une augmentation, plus légère que prévu néanmoins, de l’abstention.</p>
<p>Les éléments permettant d’expliquer ces tendances sont multiples et se jouent à plusieurs échelles, nous en retiendrons ici les plus saillants.</p>
<p>Dans un premier temps il faut se pencher sur la sociologie du bassin minier qui correspond assez bien à une partie de l’électorat Le Pen. On observe une surreprésentation d’ouvriers, d’employés, de personnes avec un faible niveau de diplôme et de salaire et on sait que Marine Le Pen réaliste de bons scores chez <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/rassemblement-national/les-classes-populaires-et-marine-le-pen-746462">ces franges de la population</a>.</p>
<p>Ces résultats s’expliquent ainsi plus par proximité sociologique, entre les profils des habitantes et des habitants du bassin minier et une partie de l’électorat RN, que par une supposée proximité idéologique plus forte dans le bassin minier qu’ailleurs. Cet électorat populaire permet aussi de comprendre les faibles scores d’Éric Zemmour qui réussit mieux dans des territoires <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/ce-que-revele-la-radiographie-d-un-electorat-zemmouriste-si-different-de-l-electorat-lepeniste-20220325">plus aisés et historiquement de droite</a>.</p>
<p>De même pour le candidat écologiste dont la base électorale se concentre bien plus dans les métropoles que dans les territoires populaires comme le bassin minier. C’est plus surprenant pour le candidat de la France insoumise qui semble avoir plus convaincu dans les territoires populaires proches des métropoles (52,5 % à Roubaix) que dans le bassin minier. Enfin, cette sociologie populaire permet de comprendre l’abstention dont on sait qu’elle touche <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/presidentielle-2022/pourquoi-les-classes-populaires-s-abstiennent-elles-davantage-745895">plus fortement les personnes les plus précarisées</a>.</p>
<p>Un autre élément important à prendre en compte pour comprendre ces scores, et les nuancer, relève du caractère national de la campagne. Au niveau local le bassin minier reste dirigé par la gauche, le RN ayant parfois du mal à présenter des <a href="https://www.lemonde.fr/blog/terrainscampagnes/2020/03/13/et-si-les-terrils-lensois-restaient-rouges/">candidats issus du territoire</a>. Cependant, les élections présidentielles s’apparentent à un autre contexte dans lequel les enjeux nationaux prennent le pas sur l’ancrage local. Ainsi, plusieurs électeur.ices que j’ai rencontrés lors de mon travail de thèse m’ont expliqué avoir voté à gauche pour les élections municipales à Lens, le candidat socialiste a été élu dès le premier tour, mais pour Marine Le Pen à ces élections présidentielles.</p>
<p>Dans un contexte de désunion des gauches, le Rassemblement national à su incarner une offre politique permettant de canaliser les différentes colères des habitantes et habitants du bassin minier dénonçant tour à tour les « élites » et « l’assistanat ». Mais l’enjeu pourra se révéler bien différent lors des élections législatives à venir.</p>
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<img alt="Jean-Luc Mélenchon s’exprime lors de la première convention de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (Nupes) à Aubervilliers, le 7 mai 2022" src="https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462035/original/file-20220509-13-zlfctm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Luc Mélenchon s’exprime lors de la première convention de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Julien de Rosa/AFP</span></span>
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<p>Si plusieurs circonscriptions de ce territoire ont été récupérées en 2017, cela s’est fait dans un contexte de division de la gauche, avec souvent une candidate ou un candidat distinct pour la France insoumise, le Parti socialiste et le Parti communiste. L’union des gauches qui semblent se dessiner pour les élections à venir pourrait inverser la tendance en présentant une candidate ou un candidat unique qui pourrait bénéficier de l’influence encore forte de la gauche au niveau local.</p>
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<p><em>Pierre Wadlow réalise actuellement une thèse sur la politisation des classes populaires du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au CERAPS, sous la direction de Carole Bachelot</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182307/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Wadlow ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les résultats de la présidentielle dans le bassin minier s’insèrent dans des dynamiques profondes, de longs termes : percée du RN perte de vitesse du PS et augmentation de l’abstention.Pierre Wadlow, Doctorant en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1823432022-05-04T18:42:26Z2022-05-04T18:42:26ZUnion des gauches : retour sur 50 ans d’alliances et de déchirements<p>En 2022, le printemps des gauches françaises a des allures de tempête. Si cette saison est difficile pour une partie de la classe politique, elle s’inscrit cependant à l’intérieur d’un cycle et la tempête n’a rien d’accidentel.</p>
<p>Les origines en sont connues. Vu la violence de l’orage, l’issue reste toutefois indéterminée et un naufrage toujours possible.</p>
<p>Alors que des coalitions se forment avant les législatives sans savoir ce que cela préfigure sur le long terme, quatre temps peuvent être distingués à l’intérieur de l’histoire de la gauche française au cours des cinquante dernières années.</p>
<h2>De l’union des gauches à la « gauche plurielle »</h2>
<p>Le premier temps fut celui de l’union de ses principales organisations politiques traditionnelles, socialiste, communiste et radicale. François Mitterrand et Georges Marchais mais aussi Robert Fabre, en furent les artisans en tant que signataires, en 1972, d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_commun">« programme commun »</a>. Les formations d’extrême gauche de même que la mouvance écologiste incarnée par René Dumont restaient exclues de cette association fragile qui permit à la descendance de la SFIO, Le Parti socialiste, de s’imposer sur ses partenaires comme parti à vocation présidentielle entre 1974 et 1995.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Yzk2TyBuD1M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En juin 1972, c’est la naissance de l’union de la gauche qui adopte un programme commun pour les élections présidentielles de 1974.</span></figcaption>
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<p>Le deuxième temps fut celui de la reconnaissance de l’irréductibilité du caractère pluriel de la gauche française. Les différentes composantes de celle-ci se rejoignent à la fin du siècle dernier a minima dans un attachement à des politiques redistributives et la recherche de la définition d’une qualité de vie en Europe que la seule liberté économique de produire et de consommer ne garantit pas.</p>
<p>La notion de « gauche plurielle » occupe alors une place centrale dans le vocabulaire de Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Le gouvernement dont il est le Premier ministre, alors que Jacques Chirac a accédé à la présidence de la république en 1995, ne bénéficie pas au Parlement que du soutien des partis socialiste et communiste ainsi que des radicaux de gauche. Il peut également s’appuyer sur les écologistes et le « mouvement des citoyens » inspiré par Jean-Pierre Chevènement.</p>
<p>L’alliance des composantes de la « gauche plurielle » ne résiste pas en 2002 à la consolidation, patiemment réalisée par Jean-Marie Le Pen, de l’implantation du Front national dans la plupart des régions du pays. La séduction d’un discours nationaliste, devenu également social, l’emporte sur une rhétorique progressiste, traditionnelle et essoufflée.</p>
<p>Bâtie comme un cartel d’organisations politiques, la « gauche plurielle » néglige la construction d’une assise sociologique, c’est-à-dire les catégories sociales et professionnelles dont elle vise la représentation. Selon les termes du politologue <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070136407-le-sens-du-peuple-la-gauche-la-democratie-et-le-populisme-laurent-bouvet/">Laurent Bouvet</a>, elle tend à perdre le « sens du peuple ».</p>
<p>En outre, le Parti socialiste qui en demeurait le pôle principal échoue à convaincre que la méthode européenne est le seul choix politique réaliste pour réguler et dynamiser une économie de marché qui était minée par la stagflation avant la relance continentale favorisée par l’Acte unique en 1983 et le Traité de Maastricht en 1991.</p>
<h2>De la fracture à la recomposition/décomposition ?</h2>
<p>Le néo gaullisme de Jacques Chirac auquel succède Nicolas Sarkozy en 2007 rassure en même temps qu’il peut paraître plus cohérent dans l’articulation qu’il propose entre libéralisme et européisme. Le mandat de François Hollande est un sursaut entre 2012 et 2017, mais il n’inverse pas une tendance. La gauche plurielle se délite et le PS se divise.</p>
<p>Le troisième temps de la valse des gauches est donc celui de la fracture. Entre 2017 et avril 2022, les gauches françaises ne sont plus définies par leur pluralité mais par une double rupture. D’une part, Jean-Luc Mélenchon a confirmé son ambition d’incarner une stratégie alternative à l’européisme social-démocrate en bâtissant, à partir d’un Front de Gauche, le mouvement dit de la France Insoumise qui deviendra celui de l’Union populaire.</p>
<p>D’autre part, le ministre de l’Économie de François Hollande a misé sur l’obsolescence du parti socialiste pour lancer une entreprise social-libérale qui comprend l’avenir du pays dans les termes d’une modernisation fondée sur des politiques de l’offre et d’une participation à une Union européenne renforcée. En 2017, la victoire d’Emmanuel Macron est totale. À gauche, le Parti socialiste et la France Insoumise totalisent moins de 10 % des sièges de l’Assemblée nationale dans laquelle aucun élu d’une liste écologiste n’est présent.</p>
<p>Les tractations lancées en avril 2022 laissent présager un quatrième temps, celui d’une composition. Reste à voir, au fil du second mandat d’Emmanuel Macron, s’il s’agira d’une recomposition ou d’une décomposition.</p>
<h2>État des lieux provisoire</h2>
<p>À la veille des élections législatives du mois de juin, les débats au sein d’une gauche nationale fragmentée sont le produit d’une histoire d’au moins cinquante ans et non d’accidents récents.</p>
<p>La faiblesse, en avril, du mouvement écologiste dans lequel Olivier Faure voyait l’avenir du Parti socialiste confirme à la fois la centralité conservée par les préoccupations matérielles des citoyens et le peu de crédibilité depuis les années 1970, hormis en Allemagne, des Verts pour assurer la transition énergétique. Ce déficit de crédibilité et de représentation à l’échelle nationale contraste avec le statut de force politique de premier plan dans plusieurs grandes villes depuis les élections municipales de 2020. Dans la nuit du 1<sup>er</sup> au 2 mai, EELV a pourtant misé sur une alliance avec la France Insoumise dans une « Nouvelle union populaire écologique et sociale » plutôt que sur une lente conquête nationale basée sur ses bilans municipaux et la stimulation d’une « économie sociale » post-capitaliste dans les territoires.</p>
<p>Ensuite, les débats internes du PS rendent compte de la permanence d’un attachement à la contestation du bien-fondé du projet européen jalonné par les traités de Rome, Paris et Lisbonne. D’essence jacobine et notamment défendue par Jean-Luc Mélenchon avant qu’il ne quitte le parti, ses tenants prétendent pouvoir négocier d’autres traités que ceux qui ont été conclus.</p>
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<p>Enfin, une partie des orientations de la République en Marche reproduit les contenus du « socialisme de l’offre », dont il existe des variantes germaniques, anglo-saxonnes et scandinaves qui avaient déjà séduit une partie de l’électorat du PS en 2017. La question ouverte est de savoir dans quelle mesure Emmanuel Macron réussira en juin à conserver cet électorat, voire à l’étendre dans l’hypothèse d’une fédération de gauches par Jean-Luc Mélenchon. Le ralliement au Président de la République de Jean-Pierre Chevènement est un indice. Le choix des électeurs est toutefois plus incertain que celui des leaders. Et cette incertitude concerne notamment la proportion dans laquelle Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon réussiront respectivement à canaliser le mécontentement social. Car, de l’opposition à l’extension aux couples homosexuels du droit au mariage aux manifestations des « gilets jaunes », ce mécontentement frappe par son caractère pluriel.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, les élections législatives de juin 2022 ne seront qu’une étape dans la restructuration du paysage politique français et européen.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-pourra-t-elle-sinscrire-dans-la-duree-180978">La France insoumise pourra-t-elle s’inscrire dans la durée ?</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Christophe Sente contribue à différentes revues européennes et fondations, parmi lesquelles la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).</span></em></p>Avec l’union des gauches sous la banderole de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) assiste-t-on à une nouvelle étape dans la restructuration du paysage politique français ?Christophe Sente, Chercheur en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821782022-05-02T19:06:08Z2022-05-02T19:06:08ZPrésidentielle aux Antilles : « Le vote d’extrême droite était lié aux problèmes sociaux »<p><em>Après un plébiscite pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national (RN) a obtenu, deux semaines plus tard, près de 61 % des voix en Martinique et en Guyane, et même près de 70 % en Guadeloupe, réalisant son meilleur résultat dans ces départements où les scores de l’extrême droite sont habituellement faibles lors des scrutins locaux et nationaux. Fred Reno, chercheur en sciences politiques à l’Université des Antilles décrypte les logiques qui ont conduit à ces résultats.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?</strong></p>
<p><strong>Fred Reno :</strong> Les outre-mer ont voté en majorité pour la candidate Le Pen contre Macron. La question qui se pose est : comment des Noirs, des afrodescendants ont pu voter pour le Rassemblement national, un parti qui renvoie au racisme, aux discriminations… On peut réduire Le Pen à l’extrême droite mais les choses sont plus complexes que cela. Il faut relativiser ce vote en évitant d’en faire un vote d’extrême droite. C’est un vote pour Le Pen, contre Macron mais pas un vote d’extrême droite au sens où les gens auraient adhéré aux valeurs du RN.</p>
<p>Quand on interroge les gens qui ont voté Le Pen, ils répondent spontanément : « on a voté contre Macron et on a voté contre les élus locaux ». Le vote contre Macron est lié à des problèmes sociaux qui se posent dans le pays, la question vaccinale, l’insécurité, la délinquance… La critique qui est faite aux élus locaux est très forte. Pour beaucoup d’électeurs, les élus locaux ont failli et sont les principaux responsables de la situation parce qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre en charge les demandes sociales.</p>
<p><strong>TC : Les votes pour Marine Le Pen ne sont donc pas des votes d’adhésion mais plutôt des votes sanction ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Oui, pour analyser cela il faut partir du premier tour. Jean-Luc Mélenchon arrive largement en tête en <a href="https://www.leparisien.fr/resultats-elections/guadeloupe/guadeloupe/">Guadeloupe</a> (56,16 %) et en <a href="https://www.leparisien.fr/resultats-elections/martinique/martinique/">Martinique</a> (53,10 %). Marine Le Pen arrive en deuxième position en Guadeloupe avec près de 18 % des voix et en troisième en Martinique avec 13 %. Les électeurs ont d’abord voté Mélenchon, s’ils étaient fondamentalement lepeniste ou d’extrême droite ils auraient voté d’emblée Marine Le Pen. C’est donc par défaut qu’ils se sont prononcés pour Le Pen au deuxième tout parce que Mélenchon n’a pas été qualifié. Le vote n’a pas de consistance idéologique, c’est un vote de protestation, de colère. Je crois que les électeurs ont instrumentalisé ces candidatures pour adresser un gros message aux élus locaux et à Emmanuel Macron.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-comprendre-la-crise-sociale-en-guadeloupe-172885">Pour comprendre la crise sociale en Guadeloupe</a>
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<p><strong>TC : Marine Le Pen est donc perçue comme une candidate antisystème, pas comme une personne d’extrême droite ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Absolument, elle est dédiabolisée à l’évidence. Les électeurs disent : « on a tout essayé jusque là, essayons extrême droite cela ne nous coûte rien finalement c’est une candidate comme les autres avec un discours qui nous parle. Elle va remettre dans leur droit les employés suspendus par la crise sanitaire, elle va régler le problème de l’eau, tous les thèmes qui nous intéressent elle les prend en charge dans son discours. »</p>
<p><strong>TC : Le vote anti-Macron s’inscrit-il dans la continuité d’un rejet des institutions et de l’État français ?</strong></p>
<p>Je ne pense pas qu’il y ait un rejet de l’État français bien au contraire, je pense qu’il y un appel à l’État, à plus d’États. Dans le contexte de mondialisation, d’incertitude, il y a une demande de protection et de sécurité. Et le discours de Marine Le Pen qui renvoie à l’autorité, à la centralisation même puisqu’elle refuse le principe de l’autonomie, je pense que cela parle à tous ces gens. Je crois que le vote anti-Macron est un vote qui renvoie aux dossiers sociaux principalement, à tous les problèmes qui n’ont pas été réglés et que Macron avait promis de régler. Il y a le sentiment que rien n’a été fait par les représentants de Macron sur place. C’est par manque d’interventionnisme étatique qu’on a rejeté Macron.</p>
<p><strong>TC : Les mobilisations qui ont eu lieu suite à l’instauration de l’obligation vaccinale et du passe sanitaire ont aussi pu influencer ces votes de protestation ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Je crois que la question vaccinale est venue se greffer sur la question sociale et elle a joué comme un catalyseur. Cela a renforcé encore plus les oppositions. Il y a un élément qui intervient à la fin, c’est quand on a su que finalement la pandémie était en baisse et que le port du masque n’était plus nécessaire, qu’on allégeait les restrictions, beaucoup de gens ont cru que les employés suspendus allaient être rappelés et allaient pouvoir retrouver leur emploi mais ça n’a pas été le cas. Cela a été perçu comme une forme de mépris par beaucoup de gens.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-code-noir-au-chlordecone-comprendre-le-refus-de-lobligation-vaccinale-aux-antilles-francaises-172668">Du « Code noir » au chlordécone, comprendre le refus de l’obligation vaccinale aux Antilles françaises</a>
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<p><strong>TC : Durant sa campagne Jean-Luc Mélenchon s’est particulièrement adressé aux outre-mer. C’est ce qui explique qu’il soit arrivé en tête du scrutin au premier tour ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Mélenchon est l’homme politique qui a été le plus actif en Guadeloupe et en Martinique. Il a pris la parole sur des sujets importants ici, comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/martinique-les-coupures-deau-exasperent-la-population_4645133.html">l’eau</a> et le chlordécone. Pas seulement lui mais aussi ses émissaires, notamment Danièle Obono et Mathilde Panot. Cette dernière a fait un rapport avec d’autres députés sur la <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/trois-parlementaires-saisissent-la-defenseure-des-droits-sur-les-problemes-d-adduction-en-eau-en-guadeloupe-1180579.html">question de l’eau</a>. Elle eu une prise de parole qui a beaucoup plu ici, sur les réseaux sociaux notamment. Elle a été présentée comme celle qui faisait ce que ne font pas nos élus locaux.</p>
<p>Il y a un élément supplémentaire qui est la question de la <a href="http://www.slate.fr/story/216753/creolisation-concept-edouard-glissant-marotte-jean-luc-melenchon-france-insoumise">créolisation</a>. Mélenchon est le seul candidat a avoir donné une dimension culturelle à ses interventions politiques. Il a érigé la créolisation en réponse à la question du multiculturalisme en France. Même si tout le monde ne partage pas cette théorie, en se référant ouvertement à Édouard Glissant, Mélenchon parle de nous et fait de nous une référence.</p>
<p><strong>TC : Pensez-vous qu’en Guadeloupe et en Martinique les électeurs vont se mobiliser pour les élections législatives ?</strong></p>
<p><strong>FR :</strong> Il est certain qu’il y a une prise de distance avec nos élus locaux, une majorité d’entre eux ont appelé à voter Macron lors de la présidentielle. Je suis persuadé que pour les élections législatives peu de candidats vont faire référence à Macron mais je ne suis pas sûr que l’élection présidentielle va modifier en profondeur le paysage local. Je ne pense pas que la France insoumise ait une implantation locale suffisante pour avoir des députés. Ils semblent l’avoir compris parce que la FI, à la différence du RN, est en mesure de négocier avec d’autres partis de gauche comme le PCF ou le PS, et peut-être même une frange des nationalistes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182178/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Reno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment expliquer que les électeurs des régions d’outre-mer aient voté aussi massivement pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ?Fred Reno, Professeur de science politique, Université des AntillesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819082022-04-27T18:19:43Z2022-04-27T18:19:43ZLes citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460044/original/file-20220427-12-v2t50v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1440&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet présentent différentes caractéristiques : ils sont plus intéressés par la politique, plus diplômés, et plus jeunes que la moyenne. Sont-ils plus radicaux ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/m%c3%a2le-nuit-t%c3%a9n%c3%a8bres-l%c3%a9ger-t%c3%a9l%c3%a9phone-2013929/">KristopherK/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les usages électoraux d’Internet et des réseaux sociaux ont été particulièrement scrutés lors de la campagne <a href="https://usbeketrica.com/fr/article/il-ne-faut-pas-reduire-l-adhesion-pour-un-candidat-a-des-chiffres-d-engagement-marketing-sur-tiktok">d’avant premier tour</a>. De nouvelles plates-formes, telles que TikTok ou Twitch, ont été fortement investies afin de toucher les plus jeunes, et certains candidats semblent y avoir été plus performants que d’autres – notamment <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/29/sur-youtube-et-twitch-jean-luc-melenchon-et-eric-zemmour-parlent-plus-que-les-autres_6119618_4355770.html">Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour</a>. À cet égard, des études montrent que l’activisme sur Internet se structure souvent sur des <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=-FWO0puw3nYC">bases idéologiques</a> et est plus élevé aux <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=BBH7DAAAQBAJ">extrêmes de l’échiquier politique</a>. D’où une question : les citoyens actifs sur Internet sont-ils politiquement plus radicaux que l’ensemble des électeurs ?</p>
<h2>Les citoyens actifs sur Internet sont-ils plus radicaux ?</h2>
<p>En France, les usages électoraux d’Internet et des réseaux sociaux se sont développés depuis la présidentielle de 2012. Ils restent cependant relativement minoritaires. En témoignent les chiffres présentés en Figure 1 ci-dessous et récoltés lors de la première semaine de janvier :</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=263&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460519/original/file-20220429-24-nxnci9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=330&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Nombre de likes et de commentaires sur les publications Twitter et.
Facebook des candidats durant la première semaine de janvier 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Les commentaires à la suite de messages de candidats restent relativement peu nombreux tant sur Twitter que sur Facebook. Ainsi, si Jean-Luc Mélenchon récolte respectivement 23 491 et 126 465 commentaires, ce qui en fait le candidat le plus commenté, ces chiffres restent relativement modestes si on les rapporte au nombre d’inscrits sur les listes électorales, ou même au nombre de personnes inscrites sur les réseaux sociaux en France (40 millions d’utilisateurs mensuels de Facebook, 8 sur Twitter, 22 sur Instagram, 50 sur YouTube).</p>
<p>Surtout, certains candidats ne récoltent que quelques centaines de commentaires – ou même moins. Même si l’on regarde le nombre de likes, pratique moins coûteuse pour les internautes que le commentaire, les réactions aux messages des candidats restent relativement rares, a fortiori lorsqu’on les compare à leurs nombres d’abonnés. Pour ne prendre que quelques exemples, les likes recueillis par Emmanuel Macron sur Twitter durant la première semaine de janvier ne représentent que 2,6 % de ses abonnés, ceux reçus par Jean-Luc Mélenchon 4,4 %, ceux reçus par Marine Le Pen 1,8 %, et ceux reçus par Anne Hidalgo 0,8 %.</p>
<p>Reste que certains candidats suscitent plus de réactions que d’autres, et qu’à l’exception du cas particulier du président sortant, les candidats recueillant le plus d’interactions (likes et commentaires) sont les candidats d’extrême droite (Marine Le Pen, Eric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan) et Jean-Luc Mélenchon, ce qui tend à accréditer l’idée que les citoyens mobilisés sur Internet exprimeraient des choix électoraux plus radicaux et plus polarisés que la population électorale générale.</p>
<h2>Pourquoi de telles différences d’activité sur Internet ?</h2>
<p>On sait que les citoyens politiquement actifs sur Internet présentent différentes caractéristiques : ils sont plus intéressés par la politique, plus diplômés, et plus jeunes que la moyenne. Hormis en termes d’âge, ils ressemblent en réalité beaucoup aux citoyens actifs « hors ligne ». Ces pratiques politiques s’imbriquent d’ailleurs fortement : en 2012, par exemple, les électeurs ayant participé à un meeting étaient aussi parmi les plus actifs sur Internet.</p>
<p>Mais l’on sait aussi – et surtout – que, après avoir contrôlé par le sexe, l’âge, le niveau de diplôme, la situation professionnelle et l’intérêt pour la politique, les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-00973133">individus politiquement actifs sur Internet en 2012</a>, ceux qui ont consulté le site ou la page Facebook d’un candidat lors des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-elections/Elections-regionales-2015">élections régionales de 2015</a>, ou encore ceux qui ont suivi un candidat sur Internet lors de la <a href="https://cdsp.sciences-po.fr/fr/ressources-en-ligne/ressource/fr.cdsp.ddi.FES2017/">campagne présidentielle de 2017</a>, sont soit sensiblement plus à gauche, soit, pour une part plus faible, plus à droite, que le reste des citoyens. C’est en particulier le cas lorsque l’intensité de l’activisme sur Internet est plus faible, comme lors des régionales de 2015.</p>
<p>Le Tableau 1 ci-dessous complète ce portrait en montrant que, entre ceux qui se déclarent très à gauche et ceux qui se déclarent très à droite sur l’échiquier politique, des différences existent toutefois quant aux réseaux sur lesquelles ils choisissent d’être actifs :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=234&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/460283/original/file-20220428-22-ny5lwp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=294&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tableau 1. A consulté, partagé, « liké » ou commenté un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur les réseaux sociaux ces 7 derniers jours (en %). Dans les 7 derniers jours avant la passation du questionnaire, 9,4 % des individus se déclarant au centre ont consulté, « liké » ou partagé un contenu en lien avec la présidentielle 2022 sur un réseau privé (WhatsApp, par exemple).
Champ : ensemble des répondants (N = 1619)</span>
<span class="attribution"><span class="source">French Election Study 2022, vague 1 (novembre-décembre 2021), CDS</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si Facebook semble autant mobilisé à l’extrême droite que par les individus se déclarant très à gauche, on note cependant des différences concernant tous les autres réseaux sociaux, qui sont bien plus utilisés à l’extrême droite.</p>
<p>L’écart est très important sur Twitter : seuls 2,5 % des individus se déclarant très à gauche affirment avoir consulté, partagé, « liké » ou commenté du contenu sur cette plate-forme dans les sept jours précédant l’enquête. Ce chiffre est quatre fois plus élevé chez ceux qui se positionnent très à droite (12 %), soulignant possiblement en miroir l’activisme intense des soutiens d’Éric Zemmour sur cette plate-forme.</p>
<p>Notons, enfin, que la <a href="http://www.afsp.info/archives/congres/congres2009/sectionsthematiques/st7/st7.html">sociologie des organisations partisanes</a> offre une piste d’explication complémentaire à celle esquissée ci-dessus : contrairement aux partis structurés en courants ou tendances, les partis d’extrême droite, plus centralisés et constitués autour d’un leader charismatique, ont peut-être moins de difficulté à concevoir un discours unitaire et à le faire diffuser sur Internet par leurs bases militantes.</p>
<p>Sur la base de ces résultats, et bien qu’il faille relativiser l’influence des réseaux sociaux sur le résultat final d’une élection, on peut s’attendre à ce que les électeurs soutiens d’Emmanuel Macron se mobilisent moins fortement sur Internet que les électeurs d’extrême droite – alors même qu’il est le président sortant et que sa stratégie numérique tiendra compte de ce paramètre. De même, lors des élections législatives, on peut s’attendre à nouveau à un sur-investissement des réseaux sociaux par les citoyens exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Neihouser a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Felix-Christopher von Nostitz a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François Briatte a reçu, dans le cadre du projet de recherche PEOPLE2022, des financements de l'Université Catholique de Lille et de l'Université de Lille.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Giulia Sandri a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute a reçu des financements de ESPOL, de l'Université Catholique de Lille et du Ceraps.</span></em></p>On note un surinvestissement sur les réseaux sociaux de citoyens s’exprimant des préférences politiques plus polarisées que l’électorat dans son ensemble.Marie Neihouser, Chercheuse en science politique, Université Fédérale Toulouse Midi-PyrénéesFelix-Christopher von Nostitz, Research and Teaching Assistant in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)François Briatte, Assistant Lecturer in Political Science, Institut catholique de Lille (ICL)Giulia Sandri, Professeur en science politique, ESPOL, Université Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816692022-04-27T13:37:58Z2022-04-27T13:37:58ZPrésidentielle française : l’inexorable montée de la « droite radicale »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459883/original/file-20220426-16-ccqiod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8093%2C5403&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Marine Le Pen, du RN, prend la parole devant ses partisans après l'annonce des premiers résultats du second tour de l'élection présidentielle française, à Paris, le 24 avril 2022. Malgré sa défaite, la droite radicale poursuit sa montée, rejoignant des électeurs de toutes les classes sociales, et de toutes les régions.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Francois Mori)</span></span></figcaption></figure><p>Emmanuel Macron a été réélu président en récoltant <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/index.html">58,55 % des suffrages</a>, avec un écart de 17 % sur sa rivale Marine Le Pen du Rassemblement national (RN).</p>
<p>C’est un résultat moins serré que ce que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_sondages_sur_l%27%C3%A9lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_2022">laissaient entrevoir les sondages</a>. En termes de pourcentage du vote exprimé, l’appui à Macron est <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/vrai-ou-fake-presidentielle-emmanuel-macron-est-il-le-plus-mal-elu-des-presidents-de-la-ve-republique-comme-l-affirme-jean-luc-melenchon_5101528.html">parmi les résultats les plus élevés depuis 1965</a>.</p>
<p>En revanche, en pourcentage des électeurs inscrits, le résultat de Macron est seulement à <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284916-resultats-de-la-presidentielle-2022-emmanuel-macron-est-reelu">38,52 %</a>, ce qui est faible pour une présidentielle française. Ce résultat n’est pas une surprise. Les politiques de Macron, de la gestion de la crise des « Gilets jaunes » à celle de la Covid-19, ont accentué l’<a href="https://fr.statista.com/statistiques/729013/avis-des-francais-sur-emmanuel-macron/">impopularité</a> du président en exercice, surtout auprès des classes ouvrières. C’est donc <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">chez les soixante ans et plus et les cadres supérieurs</a> qu’il a reçu un appui le plus net, aux deux tours.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Emmanuel Macron le bras levé" src="https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459884/original/file-20220426-22-hlzvbr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le président français, Emmanuel Macron, salue ses partisans à Paris, France, au soir de l’élection présidentielle, le 24 avril 2022. Ses politiques, de la gestion de la crise des « Gilets jaunes » à celle de la Covid-19, ont accentué l’impopularité du président en exercice, surtout auprès des classes ouvrières.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Christophe Ena)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le RN a quant à lui récolté 41,45 % du suffrage exprimé. C’est son meilleur résultat aux présidentielles. La formation avait récolté 20 % contre Jacques Chirac en 2002 et 33 % contre Macron en 2017. Au deuxième tour, Le Pen a bénéficié sans surprise de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats">l’appui de 73 % de l’électorat qui a voté Zemmour au premier tour</a>. Elle a aussi profité de l’appui de <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats">près d’un électeur sur cinq qui avait voté pour La France Insoumise au premier tour</a>.</p>
<p>Une partie du vote RN semble être un vote « sanction » contre la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/france-presidential-election-le-pen-macron-melenchon/?utm_term=Autofeed&utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1649849970">politique de droite du président</a>. Il n’est donc pas facile de démêler ce qui relève du vote en faveur du RN d’une part, de ce qui relève du vote anti-Macron, anti-élites et antisystème de l’autre.</p>
<p>Le deuxième tour a enfin été marqué par l’abstention de près de 28,2 % des électeurs, dans un contexte de droitisation des débats. Ce taux est en croissance depuis <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-l-abstention-au-second-tour-avoisinera-les-28-soit-2-6-points-de-plus-qu-en-2017-selon-notre-estimation-ipsos-sopra-steria_5096371.html">2007</a>, mais ce n’est pas le plus élevé que la France ait connu. Les plus jeunes, en particulier, ont tourné le dos aux deux partis sortis vainqueurs du premier tour. Comme le <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/grand-entretien-presidentielle-2022-comment-interpreter-le-resultat-de-marine-le-pen-entre-banalisation-et-plafond-de-verre_5099893.html">souligne l’historien Nicolas Lebourg</a>, cet abstentionnisme peut induire une présentation « déformée » de la société française, alors que les enquêtes d’opinion font état d’une France globalement plus tolérante sur un ensemble de questions sociales.</p>
<p>En tant que chercheurs en sociologie politique, dont nous analysons les dynamiques au Canada et en Europe de l’Ouest, nous croyons essentiel de saisir les polarisations actuelles dans leur dimension politique, idéologique et sociohistorique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme passe devant des affiches de Jean-Luc Mélenchon" src="https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459885/original/file-20220426-14-a74ibi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme passe devant des affiches du leader d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon avant un meeting de La France Insoumise à Hendaye, dans le sud-ouest de la France, le 30 mars 2022. Le Pen a profité de l’appui de près d’un électeur sur cinq qui avait voté pour La France Insoumise au premier tour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bob Edme)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Droitisation » et enracinement de l’extrême droite</h2>
<p>L’extrême droite de l’échiquier politique réussit désormais à aller chercher des voix depuis <a href="https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/006/976/index.html">Mayotte</a> jusqu’au XVI<sup>e</sup> arrondissement de Paris, où Reconquête et le RN y cumulaient déjà <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/presidentielle-a-paris-dans-le-xvie-voter-le-pen-nest-pas-chic-alors-on-y-vote-maintenant-zemmour-11-04-2022-ZA562IQKXRHVPFHASYFS7RNJI4.php">23,28 %</a> des suffrages, un score plus élevé que dans le reste de la capitale.</p>
<p>Les formations de Le Pen et Zemmour ont ainsi ratissé aussi bien auprès des « déclassés économiques » (<a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat">ouvriers et petits employés</a>) qu’auprès des <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/radioscopie-du-zemmourisme/">classes les plus aisées</a> de la population française.</p>
<p>Le vote d’extrême droite est bien un vote interclasses. L’élection présidentielle a confirmé la consolidation pérenne d’un électorat de droite radicale en France.</p>
<h2>La signification du vote RN</h2>
<p>Les électeurs du RN s’inscrivent dans une fracture générationnelle. Ils sont plus présents chez les 34 à 59 ans que chez les 60 ans et plus. Ces derniers sont <a href="https://www.economist.com/europe/2022/04/16/thank-the-elderly-for-keeping-europes-extremists-out-of-power">très favorables à Macron</a>, tandis que les moins de 34 ans sont plus favorables à La France Insoumise. Les 50-59 ans sont les premiers à se trouver dans ce vote RN. La génération des primovotants est celle où le taux d’abstention est le plus élevé.</p>
<p>Il est tentant de lire l’élection à travers l’opposition entre les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/carte-resultats-presidentielle-2022-decouvrez-les-scores-du-second-tour-de-l-election-dans-votre-commune_5099896.html">centres urbains et les campagnes</a>. Cette opposition contribue à expliquer les clivages dont profite la droite populiste à plusieurs endroits. En France, par contre, l’opposition ne se vérifie pas exactement. Plus précisément, elle ne traduit pas <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160422/vote-le-pen-sortir-d-une-lecture-binaire-entre-urbain-et-rural">l’hétérogénéité du vote rural</a>.</p>
<p>Les électeurs du RN s’inscrivent également dans une <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-second-tour-age-revenus-profession-qui-a-vote-pour-macron-ou-le-pen-24-04-2022-YBWF7LJUGBD7FI2RN7NNXTL6IY.php">fracture sociale</a>. Il canalise ainsi l’expression d’un vote de protestation. De manière symptomatique, les <a href="https://www.lepoint.fr/presidentielle/presidentielle-marine-le-pen-renverse-les-antilles-24-04-2022-2473201_3121.php">Outre-mers ont voté pour lui en 2022</a>. Cela est d’autant plus significatif que Macron y était arrivé en tête en 2017 sur un message de rupture avec la politique conventionnelle. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont placé la France Insoumise en tête au 1<sup>er</sup> tour, mais <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/24/presidentielle-2022-marine-le-pen-largement-en-tete-aux-antilles-et-en-guyane_6123517_823448.html">l’abstentionnisme au second, doublé d’un transfert de votes vers la droite, a favorisé le RN</a>.</p>
<p>Ce vote de protestation explique aussi une partie des transferts de la gauche vers la droite d’électeurs chez qui l’opposition aux élites et au système est devenue plus importante que l’axe gauche-droite. Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires a participé à ce <a href="https://theconversation.com/ladhesion-aux-complots-et-aux-populismes-une-question-deducation-174929">brouillage des cartes</a> qui a bénéficié aux complotistes ou aux défiants à l’égard de l’État central. Ainsi entre 2017 et 2022, plusieurs nouveaux gains du RN ont été effectués dans des régions comme le sud-est qui ont connu <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/pourquoi-la-defiance-vaccinale-est-elle-plus-forte-dans-le-sud-de-la-france/">d’importantes mobilisations contre la couverture vaccinale</a>.</p>
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<img alt="Des jeunes femmes portent une pancarte et un porte-voix lors d’une manifestation" src="https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459889/original/file-20220426-22-jx81iw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le passe vaccinal à Bayonne, dans le sud-ouest de la France, le 14 août 2021. Le mouvement de protestation contre les mesures sanitaires a participé au brouillage des cartes électorales traditionnelles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Bob Edme)</span></span>
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<h2>Comment catégoriser le Rassemblement national ?</h2>
<p>L’enracinement du RN, au-delà de sa base historique, pose l’enjeu de qualification de ce pôle à l’extrême droite de l’échiquier politique.</p>
<p>On peut parler d’une forme de national-populisme, telle qu’elle existe dans d’autres démocraties libérales représentatives. Il faut souligner qu’elle conserve des liens (organisationnels, financiers, idéologiques) avec l’extrême droite historique.</p>
<p>Tout au long de la campagne, la lutte politique entre les partis a été accompagnée d’une lutte classificatoire pour catégoriser le RN comme formation politique.</p>
<p>En France, le <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV13_GI_socialpopulisme_mars2022_V4.pdf">CEVIPOF</a> évoquait ainsi le « social populisme » de Le Pen et le « capitalisme populaire » de Zemmour. Ces catégories étaient censées rendre mieux compte du déplacement du programme politique de Le Pen vers « la gauche », car contenant davantage de mesures « sociales » ou « redistributives » qu’en 2017 et 2002.</p>
<p>S’il est vrai que la rhétorique du RN de 2022 a cherché à séduire un électorat populaire, les solutions envisagées par la formation à la crise du pouvoir d’achat restent néolibérales (baisse des impôts) et nativistes (appels contre le péril d’une « submersion migratoire »).</p>
<p>En effet, le RN affiche un programme de droite très classique sur le plan économique : soutien aux petites entreprises : baisse des taxes sur les produits énergétiques ; soutien à « la valeur travail » ; exonération d’impôt sur le revenu pour tous les moins de trente ans ; entrée précoce facilitée sur le marché du travail (dès 16 ans) ; baisse de l’impôt sur les successions ; <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/240322/le-vrai-faux-serieux-budgetaire-de-marine-le-pen">austérité budgétaire sur le plan fiscal</a>, non remise en cause de l’âge de départ à la retraite, etc.</p>
<h2>Nouvelles déclinaisons de l’extrême droite</h2>
<p>Plusieurs politologues, sociologues et historiens, de Cas Mudde et Pierre André Taguieff à <a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-03130579">Nicolas Lebourg et Jean-Yves Camus</a>, répertorient différentes vagues d’extrême droite depuis 1945 : populismes protestataires et identitaires, droite radicale, national-populisme, etc. Ces catégories visent à rendre compte du fait que l’extrême droite s’est transformée depuis l’après-guerre, une époque où elles revendiquaient ouvertement une filiation avec les partis fascistes, qu’elles ne cachaient pas leur volonté d’en finir avec la démocratie libérale.</p>
<p>Pour décrire les formations d’extrême droite contemporaines, plusieurs trouvent plus précise la catégorie de <a href="https://voxeurop.eu/fr/cas-mudde-nous-sommes-actuellement-dans-la-quatrieme-vague-de-lextreme-droite-dapres-guerre/">droite radicale</a>, qui prône le nativisme, l’autoritarisme et le populisme.</p>
<p>Ces formations reprennent généralement le <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/03/31/presidentielle-2022-derriere-la-normalisation-de-marine-le-pen-un-projet-qui-reste-d-extreme-droite_6119942_6059010.html">répertoire classique de l’extrême droite</a>. Mais elles s’en démarquent en cherchant à s’intégrer dans le jeu électoral classique et en incluant à leur répertoire d’actions une défense sélective des valeurs libérales (droits des femmes, égalité et liberté, par exemple), ce que ne faisaient pas les extrêmes droites historiques. Le RN correspond bien à cette catégorie.</p>
<p>Pour ces raisons, la catégorie de droite radicale nous paraît plus précise que celle de « social-populisme » qui ne décrit pas clairement le programme économique du RN, tout en entraînant un risque de confusion avec les formations de gauche populiste latino-américaines.</p>
<h2>Le RN : une formation de droite radicale nationale-populiste</h2>
<p>Le RN s’intègre plus largement dans un national-populisme. Ce dernier cadre la vie politique en fonction de deux axes de mobilisation.</p>
<p>Sur un axe vertical, il oppose le peuple aux élites. Le projet d’une « révolution référendaire » est un classique du <em>texbook</em> populiste qui y voit une façon de plébisciter un pouvoir exécutif fort en <a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">neutralisant les contre-pouvoirs</a>.</p>
<p>Sur un axe horizontal, il oppose les nationaux aux étrangers, en insistant sur la <a href="https://mlafrance.fr/programme">« priorité nationale »</a> pour l’accès aux droits sociaux : prestations familiales, propriété et logement. Les appels récurrents à la préservation de la « civilisation », une forme euphémisée des thèmes du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_remplacement">« grand remplacement »</a> agissent enfin comme des sifflets à chien pour capter l’électorat de Zemmour.</p>
<p>Si certains politologues estiment que le populisme a pu avoir comme effet positif de favoriser l’inclusion de voix au sein du processus démocratique dans certains pays, notre évaluation à long terme de son influence est moins optimiste. Dans sa phase actuelle, le national-populisme des droites radicales s’inscrit essentiellement dans un mouvement de dé-démocratisation et de remises en question des piliers de la démocratie libérale, des droits civils et sociaux, consolidés depuis la Seconde Guerre mondiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181669/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Djamila Mones est Responsable de la Recherche et du Contenu pour l'Institut d'études internationales de Montréal (IEIM).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Frédérick Guillaume Dufour ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le vote d’extrême droite est devenu un vote interclasses, présent en ville comme en campagne. L’élection présidentielle a confirmé la consolidation pérenne d’un électorat de droite radicale en France.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)Djamila Mones, Doctorante en Sociologie | PhD Candidate in Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819152022-04-25T21:28:19Z2022-04-25T21:28:19ZUne France en demi-teinte, fracturée dans ses territoires et sa société<p>Étrange climat au soir de ce deuxième tour de l’élection présidentielle française : nulle explosion de ferveur, de joie collective, d’enthousiasme ni de violente colère. Comme un profond et grave soupir de soulagement poussé par une large majorité, juste contrebalancé par la déception des vaincus qui ne perdent pourtant pas l’espoir d’une prochaine revanche.</p>
<p>La France a eu peur. La France s’est fait peur. Le <a href="https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2022/20220424.OBS57590/emmanuel-macron-reelu-president-une-campagne-eclair-sur-fond-de-front-republicain-fissure.html">front républicain</a> a beau avoir vécu : il reste de nombreux républicains résolus à faire barrage qui ont rejoint le camp d’Emmanuel Macron, l’aidant à remporter une belle victoire, nette et sans appel avec 18 779 641 suffrages. 17 points d’écart séparent les deux candidats, le président sortant emportant 5 482 000 voix de plus que son adversaire.</p>
<p>Dans un pays profondément fracturé, les clivages n’ont pas empêché les reports de jouer leur rôle de rééquilibrage : Emmanuel Macron recueille 8 994 063 de suffrages de plus qu’au premier tour (soit une progression de 92 %), Marine Le Pen, 5 161 391(+63,44 %). Certes, le président sortant n’atteint pas les 139 % de progression de 2017 ; mais on relèvera qu’à cette date, Marine Le Pen n’avait amélioré son score du premier tour que de 34,55 %.</p>
<h2>Moderato cantabile</h2>
<p>D’où provient alors ce paysage en demi-teinte qui se dessine aujourd’hui ? Le président réélu a lui-même modestement choisi le ton de la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/lrem/allocution-d-emmanuel-macron-avec-humilite-mais-pas-trop_2147979.html">modération</a> et assuré le service minimum dans son allocution au champ de Mars : un étonnamment bref <a href="https://www.letelegramme.fr/elections/presidentielle/discours-de-macron-l-allocution-a-suivre-ici-en-video-24-04-2022-12999921.php">discours</a> de remerciements à ses soutiens et à ses électeurs, une réaffirmation de sa volonté de représenter tous les Français. Et une confirmation de sa volonté de changement de méthode : « Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève… ».</p>
<p>C’est que ce scrutin, pour historique qu’il soit, n’a pas dissipé les brumes dans lesquelles notre pays est plongé. D’abord, il faut rappeler que pour la troisième fois en 20 ans, l’élection a été acquise contre une candidature d’extrême droite – à la différence de 1981 et 2012, où le sortant avait été battu par un adversaire inscrit dans les valeurs et la tradition républicaines.</p>
<p>Le choix, pour nombre d’électeurs n’était donc pas seulement entre deux projets politiques, mais entre <a href="https://www.lindependant.fr/2022/04/24/presidentielle-2022-macron-et-le-pen-deux-visions-de-la-france-10255522.php">deux visions de la République</a>. Ce qui introduit un biais dans la lecture du résultat et devrait inciter à la prudence quant aux comparaisons hâtives.</p>
<h2>Abstention et défiance</h2>
<p>Ce choix contraint en forme de refus vient grossir le phénomène de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220425-forte-abstention-%C3%A0-la-pr%C3%A9sidentielle-le-front-r%C3%A9publicain-n-a-plus-la-m%C3%AAme-puissance">l’abstentionnisme</a> : avec 28 %, son taux augmente de 3 points par rapport au second tour de 2017, et atteint presque le niveau du premier tour de 2002 (28,40 %). Sans toutefois égaler le record de 1969, où il avait été de 31,15 % pour le second tour opposant George Pompidou à Alain Poher. Contrairement, en effet, à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, « le plus mal élu des présidents de la République » n’est pas Emmanuel Macron, mais Georges Pompidou qui n’avait obtenu que 37,51 % des inscrits.</p>
<p>Outre son caractère récurrent depuis 20 ans, cette baisse tendancielle de la participation ne pouvait que se confirmer dans une France où l’écrasante majorité des électeurs déclarait depuis cinq ans qu’elle ne voulait plus d’un duel Macron/Le Pen et qui a dû aller boire de nouveau à cette fontaine.</p>
<p>Le rapprochement avec 1969 est d’ailleurs intéressant de ce point de vue : le deuxième tour se déroulait sans candidat de gauche et sous le signe du « bonnet blanc et blanc bonnet » proclamé alors par les communistes.</p>
<p>Autre symptôme de cette sorte de malaise face au vote : la formidable progression des votes blancs et nuls qui augmentent de plus de 286 % entre les deux tours, s’élevant à plus de 3 millions. Et qui viennent s’ajouter en soustraction des exprimés aux 831 974 abstentionnistes supplémentaires.</p>
<h2>L’expansion de l’archipel d’extrême droite</h2>
<p>Concomitant de la relative désaffection des urnes, et venant corroborer la défiance vis-à-vis de la représentation politique, il y a la <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Politique/L-extreme-droite-en-France-une-progression-constante-depuis-1953-1801337">progression régulière de l’extrême droite</a>. De 17,90 % au premier tour de la présidentielle de 2012, elle passe avec la seule Marine Le Pen à 21,30 % en 2017 avant d’atteindre 33,90 % avec le renfort d’Éric Zemmour ; on passe ainsi la barre remarquable des 30 % au premier tour, et Marine Le Pen finit à 41,46 % au second. On assiste donc à une ascension en forme d’enracinement, confirmée par un irrésistible grignotage du territoire profond.</p>
<p>La cartographie du second tour de l’élection présidentielle confirme l’érosion de territoires auparavant dévolus aux vieux partis de gouvernement. Dans 21 départements continentaux, Marine Le Pen franchit la barre des 50 % : elle consolide ses bastions dans le nord de la France, s’adjugeant le Pas-de-Calais et les trois départements de l’ancienne Picardie (avec un record au-delà de 59 % dans l’Aisne) ; dans l’Est rural également, elle confirme ses points forts (en Haute-Marne et en Haute Saône, par exemple) ; même réussite dans le Sud-Est et le pourtour méditerranéen. On la voit même circonvenir des départements du Sud-Ouest jusque-là rebelle au FN, comme le Tarn-et-Garonne ou le Lot-et-Garonne.</p>
<p>Vu des régions, l’enracinement se confirme : Marine Le Pen est en tête dans toutes les régions d’Outre-mer et en Corse (avec un record en Guadeloupe où elle devance Emmanuel Macron de 39 points !). Elle l’emporte également dans deux régions continentales : Hauts-de-France, où elle devance Emmanuel Macron de 4,5 points, et PACA (+1point). Si le président sortant l’emporte très nettement en Ile-de-France (+47 points) et en Bretagne (+33), l’écart devient plus mince en Bourgogne-Franche-Comté (+5,5), dans le Grand Est (+7) ou en Occitanie (+8).</p>
<h2>Et maintenant…</h2>
<p>Tout dans ce résultat laisse à penser que la fracture territoriale et sociale reste entière, et ne laisse guère planer d’illusion sur la possibilité d’un état de grâce pour le président réélu. D’autant qu’à écouter les oppositions, nous sommes entrés dans une nouvelle phase, « l’entre-trois tours ». Voici que des deux côtés du bloc central, on trouve désormais des mérites au respect de la constitution de la V<sup>e</sup> République : on semble découvrir que le texte permet le fonctionnement d’un vrai régime parlementaire, où le gouvernement gouverne sous le contrôle du Parlement : étrange et tardive conversion à un fait juridique qu’il y a 20 ans, nous avions analysé à un moment crucial, dans le livre <em>Voter cohabitation ? La fin de la monarchie républicaine</em>.</p>
<p>Car, sous l’épaisse couche de vernis qu’on a superposée au dispositif initial, notre régime politique est un régime parlementaire rationalisé tempéré par un président de la République doté de puissants moyens d’arbitrage. Et voilà donc que l’on se prend à rêver d’une <a href="https://www.nicematin.com/politique/apres-la-reelection-demmanuel-macron-une-cohabitation-est-elle-possible-762549">cohabitation</a>, tant décriée naguère, qui permettrait de juguler la toute-puissance présidentielle. Faute de proportionnelle, et compte tenu de la force maintenue des vieux appareils politiques dans les circonscriptions, il va falloir constituer des blocs solides pour pouvoir s’imposer sur l’ensemble du territoire, en surmontant la logique réductrice du scrutin majoritaire.</p>
<p><a href="https://www.lesechos.fr/elections/presidentielle/legislatives-jean-luc-melenchon-pose-ses-conditions-au-reste-de-la-gauche-1402837">Jean-Luc Mélenchon</a> s’est déjà clairement engagé dans cet exercice, tandis que Marine Le Pen compte bien constituer à l’Assemblée nationale une force d’opposition à la mesure de son résultat du 24 avril. Dans les deux cas, cela va nécessiter des alliances parfois improbables et une surmobilisation de l’électorat, tant le mode de scrutin en vigueur, bipolaire par nature, s’accommode mal d’un jeu à trois.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, les deux prétendants malheureux devront compter avec le délai dont dispose Emmanuel Macron, d’ici les législatives, pour tracer les contours d’une pratique présidentielle élargie, seule susceptible de court-circuiter les tentatives de ses opposants. Là aussi, le chemin est étroit… et le moment est venu de se remémorer la belle phrase de Lessing : « La victoire est un résultat, ce n’est pas une preuve. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La victoire d’Emmanuel Macron montre aussi un pays divisé et sans élan. Avec de nombreux défis à relever pour le président réélu.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818412022-04-24T20:31:14Z2022-04-24T20:31:14ZLa réélection d’Emmanuel Macron : une victoire en trompe-l’œil<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/04/24/election-presidentielle-2022-en-direct-une-journee-de-vote-entre-perte-de-reperes-et-ressentiment-envers-le-gouvernement_6123433_823448.html">Le large succès d’Emmanuel Macron</a> contre Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, le 24 avril 2022, ne constitue pas une surprise. Depuis plus d’un an, il était annoncé par tous les sondages d’opinion – avec une avance qui, finalement, n’a pas été modifiée par une campagne pourtant peu avare en rebondissements.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/05/20/un-an-avant-une-presidentielle-les-sondages-sont-souvent-loin-du-compte_6080892_4355770.html">En avril 2021 déjà</a>, les principaux instituts (Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos) situaient le score final du président sortant dans une fourchette allant de 54 à 57 % des voix.</p>
<p>Ce succès s’inscrit en outre dans le prolongement des résultats du premier tour, qui avaient interrompu une dynamique semblant profiter, au début du mois d’avril, aux principaux opposants à Emmanuel Macron (Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) : avec 4,5 points et 1,6 million d’électeurs d’avance sur sa poursuivante, le président sortant abordait ce second tour en situation de ballotage favorable, d’autant qu’il pouvait compter sur le soutien d’un nombre plus important de candidats du premier tour (Pécresse, Jadot, Roussel, Hidalgo – contre Zemmour et Dupont-Aignan) ainsi que sur <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220410-pr%C3%A9sidentielle-jean-luc-m%C3%A9lenchon-appelle-%C3%A0-ne-pas-donner-une-seule-voix-%C3%A0-marine-le-pen">l’appel répété</a> de Jean-Luc Mélenchon à ne pas « donner une seule voix à Mme Le Pen ».</p>
<h2>Réélection hors cohabitation</h2>
<p>Avec cette victoire, Emmanuel Macron est le premier président de la V<sup>e</sup> République à avoir été élu à deux reprises au suffrage universel sans être en situation de cohabitation. <a href="https://www.franceculture.fr/politique/22-mars-1988-le-jour-ou-mitterrand-a-electrise-la-campagne">François Mitterrand en 1988</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4GTZxFMC4fg">Jacques Chirac en 2002</a> avaient abordé l’élection dans un contexte de cohabitation qui renforçait leur position arbitrale, en surplomb de la scène politique, et leur permettait de capter l’insatisfaction des électeurs face à l’action des gouvernements dirigés par des hommes (Chirac en 1988, Jospin en 2002) qu’ils ont pu ainsi facilement éliminer au second ou au premier tour du scrutin.</p>
<p>Quant au général de Gaulle, réélu en 1965 <a href="https://www.cairn.info/histoire-politique-de-la-v-e-republique--9782200346935-page-29.htm">dans une logique de continuité</a>, il avait été choisi sept ans plus tôt par un collège de 82 000 grands électeurs – et non par le suffrage universel. Emmanuel Macron échappe ainsi à cette malédiction du « vote-sanction » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-politique/emmanuel-macron-face-a-la-malediction-du-sortant">contre le président sortant</a> qui a expliqué les défaites de Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et de Nicolas Sarkozy en 2012 et a poussé François Hollande à ne pas se représenter à la présidentielle de 2017.</p>
<p>Ce succès valide, semble-t-il, la stratégie qu’il a engagée dès 2017 et qui visait à le faire apparaître comme le champion des « progressistes », c’est-à-dire des libéraux européens de droite et de gauche, contre les « populistes nationalistes », rassemblés autour de Marine Le Pen. L’action et le discours du président sortant, au cours de ces cinq années, consistaient bien à consolider cette bipolarisation qui avait assuré son succès au second tour de la présidentielle de 2017 et apparaissait comme le sésame en vue d’un second mandat.</p>
<h2>Une stratégie imparfaite</h2>
<p>Cette stratégie n’a qu’imparfaitement fonctionné. En effet, le paysage politique français est aujourd’hui <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">structuré autour de trois</a> – et non de deux – pôles. Le score de Jean-Luc Mélenchon, qui a gagné en cinq ans plus de voix que Marine Le Pen, <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">a été la plus grande surprise</a> du premier tour de scrutin – tant la capacité du dirigeant de la France insoumise à rassembler les électeurs de gauche hostiles au libéralisme macronien a été sous-évaluée, notamment par un président sortant tout occupé à capter à son profit l’électorat de la droite traditionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-droite-se-dechirera-t-elle-pour-ses-idees-166844">La droite se déchirera-t-elle pour ses idées ?</a>
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<p>L’attitude des électeurs de la gauche antilibérale a été l’enjeu principal de l’entre-deux-tours. Chacun des deux candidats en lice a cherché à attirer l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen en insistant sur le <a href="https://theconversation.com/le-programme-social-de-marine-le-pen-decrypter-le-vrai-du-faux-181307">caractère « social »</a> de son programme, Emmanuel Macron en reprenant la proposition d’une <a href="https://www.europe1.fr/politique/presidentielle-pourquoi-emmanuel-macron-a-t-il-effectue-un-virage-ecologique-4106120">« planification écologique »</a>. Sans convaincre pleinement ni faire bouger réellement les rapports de forces.</p>
<h2>Des comportements électoraux hétérogènes</h2>
<p>Les résultats du second tour semblent indiquer que les électeurs de gauche ne se sont pas comportés de façon mécanique et uniforme. Une proportion non négligeable a voté pour Marine Le Pen, notamment dans les campagnes, où Le Pen est désormais majoritaire, dans cette <a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique »</a> décrite par <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">Christophe Guilluy</a> ainsi que dans les <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/marine-le-pen-plebiscitee-par-les-guadeloupeens-les-saint-martinois-et-les-saint-barths-1276256.html">outre-mers</a> où la candidate du Rassemblement national recueille la plus grande partie des électeurs qui s’étaient portés en nombre au premier tour sur Jean-Luc Mélenchon : elle obtient ainsi près de 70 % des suffrages en Guadeloupe, où le dirigeant de la France insoumise avait recueilli 56 % des voix quinze jours plus tôt. Le vote lepéniste, majoritaire dans deux départements seulement (l’Aisne et le Pas-de-Calais) il y a cinq ans, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/decryptages/comment-en-trente-ans-le-vote-lepeniste-a-conquis-l-electorat-populaire-20210427">prévaut</a> désormais dans plus de vingt départements (principalement dans le nord, l’est et le sud-est de la France) et dans de nombreux territoires ruraux.</p>
<p>Une fraction un peu plus importante a voté pour Emmanuel Macron, notamment dans les grandes agglomérations où les électeurs de Mélenchon ont un profil sociologique assez proche de celui du président sortant : celui-ci conforte ainsi son ancrage dans la France des grandes villes.</p>
<p>Plus nombreux encore sont ceux qui ont refusé de choisir. Plus de 8.5 % des votants ont déposé un bulletin blanc ou nul, contre 2.2 % quinze jours plus tôt. Quant au <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">taux d’abstention</a> (28 %), il est aussi nettement supérieur à celui du premier tour de 2022 (26,3 %) et du second tour de 2017 (25,4 %), lequel était déjà élevé pour un scrutin présidentiel. </p>
<p>Seul le second tour de la <a href="https://www.politiquemania.com/presidentielles-1969-france.html">présidentielle de 1969</a> a enregistré un taux d’abstention supérieur (31,2 %) : comme en 2022, le premier tour de cette élection avait été dominé par trois candidatures, celle du gaulliste Georges Pompidou (44,5 %), du centriste d’opposition Alain Poher (23,3 %) et du communiste Jacques Duclos (21,2 %), lequel avait renvoyé dos à dos les deux candidats finalistes, qualifiés de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/bonnet-blanc-et-blanc-bonnet-vraiment-1401357">« blancs bonnets et bonnets blancs »</a>. Le score réalisé par Emmanuel Macron est d’ailleurs très proche de celui qu’avait obtenu Georges Pompidou lors de cette élection (58,2 %).</p>
<h2>Dispersion de l’électorat, érosion du front républicain</h2>
<p>La tripolarisation s’accommode décidément mal du scrutin majoritaire à deux tours : c’est ce qui explique la faible proportion de suffrages exprimés par rapport au nombre d’électeurs inscrits, en 1969 comme en 2022, où elle descend en-dessous de 66 % – ce qui constitue un record pour une présidentielle. C’est ce qui explique qu’Emmanuel Macron soit à la fois l’un des présidents les mieux élus de la V<sup>e</sup> République (derrière Chirac en 2002 et lui-même en 2017) si l’on rapporte son score aux suffrages exprimés et, avec Georges Pompidou en 1969, le plus mal élu si on le rapporte plutôt aux électeurs inscrits ((38 % contre 43.5 % pour lui-même en 2017).</p>
<p>La dispersion des électeurs de gauche, et dans une moindre mesure, de la droite traditionnelle explique le résultat obtenu par Macron, qui perd plus de 8 points et près de 2 millions d’électeurs par rapport au second tour de 2017. Cette baisse est sans précédent dans l’histoire des élections présidentielles : Giscard, en 1981, et Sarkozy, en 2012, avaient respectivement perdu 3 et 5 points par rapport à l’élection qui avait permis leur victoire. Il faut y voir moins un vote-sanction (la base électorale du président sortant, au premier tour, ayant assez nettement progressé) que la <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/06/25/de-la-sfio-aux-regionales-de-2021-la-lente-erosion-du-front-republicain-dans-le-monde_6085704_4500055.html">forte érosion</a> de la logique du « front républicain », qui avait fonctionné, pleinement en 2002, majoritairement en 2017 et plus partiellement en 2022, illustrant la façon dont le vote en faveur de Marine Le Pen s’est banalisé.</p>
<p>La victoire attendue d’Emmanuel Macron ne doit pas masquer les deux principaux enseignements du scrutin : l’extrême droite obtient un niveau jamais atteint lors d’une élection en France, grâce à sa capacité à rassembler assez largement au second tour un électorat hétérogène à dominante populaire ; le paysage politique français, structuré autour de trois pôles, est en décalage avec un mode de scrutin adapté à la bipolarisation, ce qui met en question la représentativité des élus, choisis au second tour par défaut plus que par adhésion, et, au-delà, le fonctionnement même des institutions démocratiques. Ce double constat rend d’autant plus incertaine l’issue des prochaines élections législatives, qui ne seront pas marquées par la même dynamique de changement qu’en 2017, 2012 ou même 2007.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181841/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard est président de l'Université Clermont-Auvergne.</span></em></p>Le succès d’Emmanuel Macron valide une stratégie visant à le faire apparaître comme le champion des « progressistes », mais elle n’a que partiellement fonctionné.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1814382022-04-24T20:31:12Z2022-04-24T20:31:12ZPourquoi les discours de défaite sont-ils (souvent) de bons discours<p>Avec 58,5 % des suffrages exprimés, Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentielle française face à Marine Le Pen. Cette dernière a pris la parole peu après 20 heures pour accepter sa défaite mais aussi pour livrer un discours combatif. Soulignant le <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/en-direct-resultats-du-second-tour-de-l-election-presidentielle-2022-emmanuel-macron-ou-marine-le-pen-qui-sera-president-20220424">score le plus élevé jamais réalisé</a> par son camp politique, elle a annoncé vouloir continuer son engagement politique, notamment lors des prochaines élections législatives. Son discours de défaite a rapidement muté en discours de lancement de campagne, le but avoué étant de faire du « courant national la véritable opposition ».</p>
<p>Avant Marine Le Pen, le discours de Jean-Luc Mélenchon à l’issue du premier tour avait également retenu l’attention. « Faites mieux, merci. » C’est avec émotion que le candidat de la France insoumise avait livré son discours de défaite. Une prise de parole qui s’était fait remarquer <a href="https://twitter.com/renaudpila/status/1514380565419638790">pour sa qualité</a> et qui restera (peut-être) dans nos souvenirs politiques.</p>
<p>Pour Mélenchon, cette défaite électorale avait presque le <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/11/chez-jean-luc-melenchon-la-nouvelle-defaite-au-seuil-du-second-tour-a-pris-des-allures-de-victoire_6121584_6059010.html">goût d’une victoire politique</a>, celle de disputer la deuxième place à Marine Le Pen (à 421 420 voix près) et d’avoir récolté le plus de votes parmi les candidats de gauche.</p>
<p>Le candidat de l’Union populaire avait alors estimé qu’une « nouvelle page du combat s’ouvre » et lancé à la jeune génération militante le défi de faire mieux pour les prochaines échéances électorales. Celui-ci semblait, à première vue, prêt à signer un <a href="https://www.franceinter.fr/politique/maintenant-c-est-a-vous-de-faire-arrive-troisieme-melenchon-livre-un-discours-testamentaire">adieu politique</a>. Finalement, Jean-Luc Mélenchon a annoncé quelques jours plus tard <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I-d1YHVVnuU">qu’il visait désormais le poste de Premier ministre</a> lors des élections législatives de juin prochain.</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours de Jean-Luc Mélenchon le soir des résultats du premier tour de l’élection présidentielle.</span></figcaption>
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<h2>Marqueurs et place des émotions dans la science politique</h2>
<p>Les récits électoraux relèvent les discours de victoire comme le marqueur du début du mandat du candidat élu, où celui-ci incarne la fonction présidentielle à travers les symboles et le contenu du message, à l’image d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-elu-president-un-discours-solennel-devant-le-louvre_2181669.html">Emmanuel Macron</a> en 2017 au Louvre.</p>
<p>À l’inverse, la défaite électorale constitue un outil d’analyse intéressant des femmes et hommes politiques, mettant en lumière les émotions du candidat confronté à une réelle épreuve.</p>
<p>Alors, pourquoi les discours de défaite forment-ils des évènements politiques ?</p>
<p>Observer la défaite politique par la dimension discursive et émotionnelle permet de comprendre l’exercice rhétorique comme un bilan personnel et un passage de témoin où celui-ci marquera la fin d’une période politique.</p>
<p>L’observation des émotions en politique n’est pas nouvelle puisque dès l’Antiquité, Aristote (à propos de la <a href="https://www.livredepoche.com/livre/rhetorique-9782253056867"><em>Rhétorique</em></a>) ou Platon (dans <a href="https://www.livredepoche.com/livre/la-republique-9782253067207"><em>La République</em></a>) avaient déjà réfléchi à la nécessité de comprendre l’émotion pour explorer la nature humaine et les capacités politiques des individus.</p>
<p>Les émotions occupent tout un champ en science politique qui se divise en <a href="https://www.annualreviews.org/doi/full/10.1146/annurev.polisci.3.1.221">deux grandes catégories d’analyse</a>. La première constitue la vision la plus ancienne de la discipline et explique que l’émotion ancre le comportement et les attitudes. Elle s’intéresse à l’émotion en tant que personnalité et les chercheurs concentrent leurs travaux sur les leaders politiques.</p>
<p>La seconde catégorie d’analyse explore une autre compréhension de la réponse émotionnelle. Plutôt que de croire que les émotions proviennent des perceptions cognitives, elles pourraient s’expliquer par un processus mental distinct et indépendant. Cette analyse veut que la perception cognitive découle séparément des voies neuronales émotionnelles exécutant l’évaluation. En outre, elle cherche à expliquer pourquoi les individus réagissent aux circonstances contemporaines immédiates qui les entourent.</p>
<p>C’est avec cette deuxième approche que l’on peut comprendre pourquoi les discours politiques peuvent susciter des émotions dans leurs auditoires. En effet, une réaction contemporaine à une situation politique offre un aperçu de la façon dont les individus comprennent leur situation. Par exemple, les politologues américains <a href="https://scholar.google.com/scholar_lookup?hl=en&publication_year=1999&author=JM+Miller&author=JA+Krosnick&title=The+impact+of+policy+change+threat+on+grassroots+activism.">Joanne Miller et Jon Krosnick</a> fournissent la preuve qu’un sentiment de menace suscité par l’anticipation de mesures politiques auxquelles on s’oppose peut motiver l’action tel que l’engagement militant ou le don. Cette approche s’inscrit dans une <a href="https://www.jstor.org/stable/2175845?origin=crossref&seq=1">longue tradition en psychologie</a> selon laquelle l’affect est intimement lié à la mémoire, permettant de se rappeler des expériences passées en fonction de leur valence émotionnelle et de leur importance stratégique.</p>
<h2>La fonction du discours politique</h2>
<p>Le discours politique se produit sur une <a href="https://books.openedition.org/pur/30418?lang=fr">« scène politique »</a>, c’est-à-dire dans l’espace public où l’expression a une dimension persuasive. Le linguiste Patrick Charaudeau explique que cette scène « se caractérise par un dispositif qui est mis au service d’un enjeu de pouvoir » où réside la tension entre une instance politique (le candidat) qui a vocation à « agir sur l’autre », c’est-à-dire, sur l’instance citoyenne (l’électorat). </p>
<p>Pour y parvenir, le discours politique doit produire un effet émotionnel sur son auditoire. Là encore, il y a <a href="https://journals.openedition.org/mots/22434#tocfrom1n1">deux catégories d’analyse</a> <a href="https://journals.openedition.org/mots/22434#tocfrom1n1"></a> en science politique : les études portant sur l’analyse de l’effet des messages émotionnels sur les électeurs (<a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674868366">l’interférence du discours dans les décisions des électeurs</a>) ; et les études d’observation de la « persuasion émotionnelle » par les candidats (le <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/13699?lang=fr">discours comme structure discursive</a>).</p>
<p>Ajoutons enfin la <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2003-4-page-101.htm">dimension collective du discours politique</a>, renforcée en période électorale. Le discours occupe une fonction de représentation et affirme l’appartenance partisane. Dans un rapport double, il faut voir le candidat comme le porte-parole d’une doctrine et porteur d’une vision.</p>
<h2>Le discours de défaite comme rite de passage</h2>
<p>Mais alors, pourquoi les discours de défaite peuvent sembler être de bons discours ? La réponse se trouve peut-être dans le processus du <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/gennep_arnold_van/rites_de_passage/rites_de_passage.html">rite de passage</a> et précisément du rite de sortie.</p>
<p>Il y a d’abord le contexte. Les candidats arrivent en bout de course, après une épreuve intense. Mener une campagne présidentielle est un exercice coûteux physiquement, humainement et matériellement. Les candidats sont soumis à de nombreuses sollicitations (interview, débats, réunions publiques) menant <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/histoires-politiques/histoires-politiques-28-mars-2017">au stress et à la fatigue</a>. Parallèlement, ils sont appelés à réduire la manifestation de ses émotions (<a href="https://mediaclip.ina.fr/fr/i21280360-la-colere-de-segolene-royal-face-a-nicolas-sarkozy-qui-estime-qu-elle-perd-ses-nerfs.html">au risque de se faire discréditer par leurs adversaires</a>). Désormais battus, les candidats incarnaient jusqu’ici un projet collectif (le parti, le programme) assument désormais individuellement l’échec électoral (tel <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i12047486/lionel-jospin-j-assume-pleinement-la-responsabilite-de-cet-echec">Lionel Jospin en 2002</a> ou <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/election-presidentielle-2012/20120506.OBS4802/sarkozy-je-porte-toute-la-responsabilite-de-cette-defaite.html">Nicolas Sarkozy</a> en 2012).</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours de Lionel Jospin après sa non-qualification au second tour de l’élection présidentielle de 2002.</span></figcaption>
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<p>Il y a ensuite la qualité rhétorique et le registre de langue. Le sociologue Michel Cattla <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rechqual/2020-v39-n2-rechqual05669/1073509ar/">a analysé les discours de défaite des candidats</a> et montre une récurrence de mots de bienveillance, de remerciement ou encore porteur d’espoir envers les sympathisants. Ces candidats déchus s’adressent avec un « certain parler-vrai […] sans détour ni langue de bois [et] des émotions mises à nu ». Désormais, les candidats s’adressent non plus à l’ensemble de l’électorat mais à ses électeurs, de manière plus personnelle et naturelle.</p>
<p>Enfin, le discours de défaite constitue un marqueur émotionnel unique pour l’histoire politique. Il s’inscrit dans un rituel politique composé de symboles (le seul en scène, le parterre de militants, les longs applaudissements) chargé émotionnellement. Les candidats font le bilan de leur campagne et d’une projection personnelle et politique. Ils peuvent annoncer le point de départ d’une campagne à venir (<a href="https://www.lepoint.fr/video/le-discours-de-marine-le-pen-apres-sa-defaite-a-l-election-presidentielle-07-05-2017-2125510_738.php">comme Marine Le Pen en 2017</a>) ou être un <a href="https://www.cairn.info/emotions-mobilisation--9782724610994.htm">instrument de mobilisation</a> en suscitant l’espoir d’un avenir meilleur et du maintien du combat militant. En résumé, il n’y a pas de format particulier, « ces discours sont uniques » pour M. Cattla.</p>
<p>Lorsque le discours de défaite s’accompagne d’un retrait de la vie politique (comme Lionel Jospin), l’effet de deuil accentue la charge émotionnelle. Le candidat disparaît de notre vie politique, alors qu’il occupait l’espace médiatique, encore plus en temps de campagne. « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » (Lamartine).</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181438/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien ROBIN a reçu des financements du département de science politique de l'Université de Montréal.</span></em></p>Observer la défaite politique par les discours permet de comprendre l’exercice rhétorique comme un bilan personnel ou un passage de témoin qui peut marquer la fin d’une période politique.Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1815062022-04-20T09:57:32Z2022-04-20T09:57:32ZLes expériences du travail influencent-elles les choix de vote ?<p>La question de l’influence éventuelle de l’activité et des expériences professionnelles sur les comportements de vote n’est pas nouvelle en analyses électorales. Cependant, le « vote de classes », mis en évidence <a href="https://www.cairn.info/classe-religion-et-comportement-politique--9782724603873.htm">au cours des années 1970 pour la France</a> se serait érodé.</p>
<p>Peut-on pour autant conclure à la disparition de relations entre conditions de travail et d’emploi et pratiques électorales ? Rien n’est moins sûr.</p>
<p>Ainsi, la <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">participation électorale</a> serait encore en partie dépendante des caractéristiques socioprofessionnelles des électeurs (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité d’appartenance, type de contrat de travail, autonomie dans le travail…). Ce constat est particulièrement vrai si ces caractéristiques sont saisies finement, en ne se limitant pas à des <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2015-5-page-735.htm">nomenclatures dichotomiques (ouvriers/employés, outsiders/insiders…)</a> et en tenant compte à la fois de la profession, du statut d’emploi, de l’insécurité éventuelle de l’emploi, du niveau de rémunération, du niveau de satisfaction au travail, du niveau d’éducation, du caractère plus ou moins <a href="https://www.jstor.org/stable/3791160">routinier ou autonome du travail ou encore de la syndicalisation</a>.</p>
<p>Qu’en est-il aujourd’hui en ce qui concerne l’orientation du vote ? Faute de données encore robustes s’agissant du scrutin présidentiel de 2022, nous présenterons quelques résultats obtenus lors du précédent scrutin de 2017.</p>
<h2>Un choix de vote qui varie selon la catégorie socioprofessionnelle, le secteur d’activité et la taille de l’entreprise</h2>
<p>Loin de la disparition totale de tout « vote de classe », on observe encore des différences importantes en matière d’orientation de vote selon le groupe socioprofessionnel auquel appartiennent les électeurs. Ainsi, en 2017, selon la <a href="http://bdq.quetelet.progedo.fr/fr/Details_d_une_enquete/2014">French Election Study</a>, 27,8 % des cadres ont voté Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle contre respectivement 12,6 % et 12,3 % des employés et des ouvriers (voir tableau 1). De même, seuls 6,5 % des cadres ont voté pour Marine Le Pen contre 24,6 % des employés et 25 % des ouvriers. Ces différences ne sont toutefois pas toujours significatives, notamment si on tient compte du sexe, de l’âge, du niveau de diplôme et des autres caractéristiques socioprofessionnelles des répondants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458573/original/file-20220419-17-dbuglv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>D’autres clivages apparaissent particulièrement pertinents, par exemple en fonction du secteur d’activité (par exemple entre les salariés du bâtiment et du commerce). Néanmoins, les enquêtes post-électorales étant réalisées auprès d’échantillons de petite taille (rarement supérieurs à 3 000 personnes), elles ne permettent pas d’analyser finement les différences entre secteurs d’activité. Elles permettent toutefois d’observer des divergences entre salariés du secteur public et du secteur privé. En effet, comme l’ont observé <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=6261">Daniel Boy et Nonna Mayer dès le milieu des années 1990</a>, les salariés du public orientent davantage leur vote en faveur de la gauche que les salariés du privé. Ils votent aussi moins que les salariés du privé pour l’extrême droite.</p>
<p>Ainsi, en 2017, 22 % des salariés du public ont voté Jean-Luc Mélenchon contre 18,7 % de ceux du privé. À l’inverse, seuls 16,9 % des salariés du public ont voté pour Marine Le Pen contre 20,4 % de ceux du privé (voir tableau 2). Cela peut s’expliquer par leurs identités professionnelles spécifiques ou encore par la présence syndicale plus importante dans le secteur public. Les écarts relativement réduits tendraient toutefois plutôt à accréditer la thèse d’un brouillage du clivage entre salariés du privé et du public, du fait notamment de la diversification des statuts dans le secteur public, de l’affaiblissement des identités professionnelles ou encore de la moindre conflictualité sociale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=206&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=206&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=206&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458574/original/file-20220419-11-uagqhs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau 2.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<p>Une autre relation a été plus récemment documentée, notamment à l’échelle européenne par <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3589627">Christoph Arndt et Line Rennwald</a>, entre la taille des établissements de travail et l’orientation du vote. Les salariés des petits établissements voteraient davantage que le reste des salariés pour la droite et l’extrême droite. On retrouve ce résultat en France : en 2017, 24,3 % des salariés d’établissements de 10 salariés ou moins et 23,8 % des salariés des établissements de 11 à 24 salariés ont ainsi voté pour Marine Le Pen contre 19,3 % de l’ensemble des salariés (voir tableau 3). Selon ces auteurs, cette relation s’exppiquerait par la plus faible syndicalisation dans les petits établissements, par une satisfaction au travail plus importante, par un climat social moins tendu et par des relations entre employeurs et employés basées sur la proximité et l’informalité.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=242&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=242&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=242&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=304&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=304&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458577/original/file-20220419-26-trkexv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=304&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 3.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Précarité de l’emploi et vote à l’extrême droite : une relation à géométrie variable</h2>
<p>Une importante littérature au niveau international, mobilisant la distinction sur le marché du travail entre les « insiders », bénéficiant d’un emploi stable et contractuellement protégés, et les « outsiders », assignés aux contrats courts et à l’insécurité de l’emploi, conclut que ces derniers orienteraient davantage leur vote à <a href="https://journals.openedition.org/ress/2997">l’extrême droite</a>.</p>
<p>D’autres travaux, comme ceux de <a href="https://ejpr.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1475-6765.12027">Paul Max</a>, font néanmoins plutôt état d’une préférence partisane des salariés précaires davantage orientée vers la gauche radicale, voire écologiste. Dans le cas français, il y a, en 2017, un survote des salariés précaires en faveur de l’extrême droite (+5,7 points par rapport aux salariés stables), mais aussi un léger survote en faveur de Jean-Luc Mélenchon (+2 points), même si là encore les écarts restent peu significatifs (voir tableau 4).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=200&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=252&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=252&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458581/original/file-20220419-24-8ihdvd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=252&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 4.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La divergence apparente des travaux scientifiques relatifs aux effets électoraux de la précarité de l’emploi semble s’expliquer par la nécessité d’articuler cette précarité de l’emploi avec d’autres variables.</p>
<p>Nonna Mayer a ainsi montré que, en 2012, le vote FN est plus présent parmi les ouvriers précaires que parmi les ouvriers non précaires, mais aussi plus présent parmi les employés non précaires que parmi les employés précaires : l’influence de la précarité sur l’orientation du vote varierait donc selon le <a href="https://www.cairn.info/les-inaudibles--9782724616958-page-201.htm">groupe socioprofessionnel d’appartenance</a>. De la même manière, les chercheurs du <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-votes-populaires-176305">Collectif Focale</a>, qui ont réalisé une enquête par questionnaire à la sortie des urnes dans deux villes populaires, observent deux relations entre vote et précarité de l’emploi très différentes dans ces deux villes.</p>
<p>À Méricourt, commune du bassin minier, le fait d’être en contrat stable va de pair avec un vote plus affirmé en faveur de Jean-Luc Mélenchon alors que le fait d’être en contrat précaire va de pair avec un vote plus affirmé pour Marine Le Pen. À l’inverse, à Villeneuve-Saint-Georges, le vote pour le FN est plutôt le fait de « petits stables » alors que les salariés précaires se tournent massivement vers Jean-Luc Mélenchon.</p>
<p>Pour comprendre ces filières de vote différentes, les auteurs proposent ainsi de saisir l’impact de la précarité en tenant compte de la féminisation des emplois, des trajectoires migratoires mais aussi des trajectoires résidentielles. Ils montrent ainsi que la précarité de l’emploi, articulée à un moindre niveau de diplôme et à une plus grande exposition à la concurrence internationale, favorise, parmi les immigrés d’Afrique du Nord, un vote pour Jean-Luc Mélenchon alors que, parmi les personnes non racisées, elle favorise le vote FN.</p>
<h2>Déclin de l’autonomie au travail et progression de l’extrême droite… et de la gauche radicale</h2>
<p>Pour terminer, de récents travaux se sont attachés à dépasser la seule prise en compte du type de contrat de travail en s’intéressant aux conditions objectives et subjectives de travail et notamment à l’autonomie dont disposent les salariés dans leur travail. Cette autonomie est mesurée par l’économiste Thomas Coutrot en observant le caractère répétitif ou non du travail ainsi que la possibilité ou non de déroger à un respect strict des consignes, de faire varier les délais, d’interrompre son travail quand on le souhaite ou <a href="https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/190222/macron-melenchon-jadot-le-pen-et-le-travail">encore d’apprendre des choses nouvelles</a>. Or, cette « autonomie » tendrait à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0143831X13484606">décliner depuis plusieurs décennies</a>.</p>
<p>Si plusieurs travaux convergent autour du constat d’un lien entre autonomie au travail et participation électorale, les salariés les moins autonomes dans leur travail ayant tendance <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">à davantage s’abstenir</a> que le reste des salariés, Thomas Coutrot suggère également, à partir de données agrégées, qu’une faible autonomie irait de pair, y compris à catégorie socioprofessionnelle égale, avec un vote davantage en faveur de l’extrême droite et de la gauche radicale et avec un moindre vote pour le <a href="https://blogs.mediapart.fr/thomas-coutrot/blog/190222/macron-melenchon-jadot-le-pen-et-le-travail">centre, la droite et la gauche sociale-démocrate et écologiste</a>.</p>
<h2>Un sentiment de résignation, d’humiliation ou d’injustice favorise les votes radicaux</h2>
<p>S’il est difficile de reproduire cette analyse à partir d’enquêtes post-électorales, les conditions de travail des répondants n’étant pas toujours finement documentées, on peut toutefois observer que, en 2017, les salariés considérant comme très probable que leur travail puisse un jour être assuré par des robots ou des machines (positions 9 ou 10 sur une échelle de 0 à 10, soit 7,7 % des répondants salariés) sont bien plus nombreux que l’ensemble des salariés à avoir voté pour Marine Le Pen (31,9 % contre 19,3 %) ou même pour Jean-Luc Mélenchon (25,6 % contre 19,7 %) (voir tableau 5).</p>
<p>Dans le cas du vote FN, cette différence apparaît significative y compris lorsqu’on tient compte des caractéristiques sociales et des autres caractéristiques professionnelles des répondants. Selon Thomas Coutrot, la négation du pouvoir d’agir dans le travail créerait un sentiment de résignation, d’humiliation ou d’injustice, vecteur soit d’abstention, soit d’un vote en faveur de l’extrême droite ou de la gauche radicale. Cela ne signifie pas pour autant que les salariés votant pour Jean-Luc Mélenchon et pour Marine Le Pen se ressemblent : s’ils sont plus nombreux à vivre une condition commune de déni de pouvoir d’agir au travail, ils ont toujours des profils sociaux très différents.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=230&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/458582/original/file-20220419-25-ej9w7z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=289&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 5.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En France comme dans d’autres pays, il existe encore des relations fortes entre les caractéristiques professionnelles des salariés (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité, taille des établissements, conditions de travail et d’emploi) et l’orientation de leurs votes aux scrutins politiques.</p>
<p>Dès lors, les mutations du travail et de l’emploi, qu’il s’agisse de la précarisation de l’emploi, de l’atomisation des collectifs de travail, de l’individualisation du rapport salarial ou encore de l’affaiblissement de la capacité de négociation des salariés, produisent des filières de vote. Toutefois, le caractère encore parcellaire et parfois contradictoire des résultats présentés ici pour décrire ces filières de vote ne peut qu’inviter à la prudence et à explorer plus finement ces relations à partir de nouvelles données. Alors que la question du pouvoir d’achat et de manière corollaire celle de la rémunération du travail ont occupé une place centrale dans la campagne présidentielle de 2022 et alors que le paysage électoral s’est structuré, lors du premier tour, autour de 3 principaux candidats, il serait particulièrement intéressant de comprendre en quoi les expériences du travail peuvent expliquer ces segmentations électorales.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec <a href="https://poliverse.fr">Poliverse</a> qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181506/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment les conditions de travail et les catégories socio-professionnelles jouent-elles sur le vote ? Analyse à partir du scrutin de 2017.Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1811882022-04-13T18:41:37Z2022-04-13T18:41:37ZLe vote métropolitain et ses fractures : l’exemple de Montpellier<p>Comment décrypter la carte des communes qui ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête du premier tour de l’élection présidentielle ? Les bons résultats du candidat Insoumis, en particulier dans les quartiers populaires – <a href="https://actu.fr/ile-de-france/villetaneuse_93079/carte-presidentielle-jean-luc-melenchon-ecrase-la-concurrence-en-seine-saint-denis-au-premier-tour_50129144.html">par exemple 93 % en Seine-Saint-Denis</a> ainsi que <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/grand-paris/election-presidentielle-15-34-de-participation-a-midi-a-paris-pour-le-premier-tour-2522196.html">dans d’autres régions</a> – interrogent la façon dont les grandes métropoles ont réagi aux élections et illustrent un clivage politique profond, que l’action civique et politique peut analyser.</p>
<p>Ainsi une ville comme Montpellier s’est imposée comme la métropole leader du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon en France. Le candidat de la France Insoumise y obtient 40,7 % des suffrages exprimés. À titre de comparaison, dans les autres métropoles où il arrive en tête, Jean-Luc Mélenchon atteint 31,1 % à Marseille, 33,1 % à Nantes, 35,5 % à Strasbourg, 36,9 % à Toulouse et 40,5 % à Lille, seule autre métropole où son score avoisine celui réalisé à Montpellier.</p>
<h2>L’identité sociologique de la ville</h2>
<p>On peut d’abord expliquer le vote Mélenchon par <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2016-1-page-73.htm">l’identité sociologique de la ville de Montpellier</a>, avec son <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=COM-34172">taux de pauvreté de 27 % selon l’Insee en 2019</a>, soit près du double de la moyenne nationale, qui entre en résonance avec la dimension sociale revendiquée par le candidat.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=621&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=621&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=621&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=780&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=780&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457910/original/file-20220413-13-qowt0m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=780&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 1ᵉʳ tour des élections présidentielles 2022 dans la région de Montpellier (candidat arrivé en tête dans la commune).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce constat se renforce à l’examen des votes bureau par bureau. S’il est vrai que les électeurs des quartiers populaires ont moins voté que la moyenne – il existe parfois des écarts de 20 points entre les quartiers où l’on vote le moins et ceux, plus bourgeois, où l’on vote le plus – leur mobilisation a dépassé les attentes, avec une participation supérieure à 50 % le plus souvent.</p>
<p>Dans ces quartiers, Jean-Luc Mélenchon <a href="https://www.20minutes.fr/elections/3269423-20220411-resultats-presidentielle-2022-montpellier-grande-ville-france-o-melenchon-explose-records">est hégémonique</a>. Par exemple, il atteint 77 % des voix dans le quartier emblématique du Petit Bard, avec 63 % de participation. Ce premier constat est conforté par le maintien, lui aussi inattendu, du vote jeune au cours de cette élection. En considérant la part considérable que Jean-Luc Mélenchon occupe dans le vote des 18-34 ans, on peut en déduire assez logiquement que, dans la jeune capitale héraultaise, il soit en position de force.</p>
<h2>Un travail de médiation efficace</h2>
<p>Cependant, ces variables n’ont rien de spécifiquement montpelliéraines et peinent à expliquer le surcroît de soutien en sa faveur. D’une part, les quartiers relevant de la politique de la ville ont fait l’objet, au cours de cette campagne, d’un intense <a href="https://www.midilibre.fr/2022/04/11/presidentielle-pourquoi-montpellier-est-championne-de-france-du-vote-melenchon-10229623.php">travail de mobilisation</a>. La proximité entre une situation vécue et un programme n’a rien d’automatique. Pour se transformer en motivation, il faut développer tout un travail de médiation, notamment territoriale, qui a porté ici ses fruits.</p>
<p>Ensuite, on peut noter que la campagne mélenchoniste, au-delà du travail dans les quartiers, s’est appuyée sur des ressources considérables : au meeting à l’Arena à Montpellier, le 13 février 2022 (8000 participants environ) s’est ajoutée une présence physique et symbolique importante dans l’espace public.</p>
<p>Cette hyper-présence a rendu légitime à Montpellier, peut-être de façon plus évidente qu’ailleurs, la <a href="https://theconversation.com/la-dynamique-spectaculaire-du-vote-utile-181044">voie du vote « utile »</a> pour un électorat de gauche beaucoup plus composite que ne le supposent l’étiquette et le programme de la France Insoumise. Avec 40,7 % des voix, le 10 avril 2022, il atteint pratiquement le total des voix de gauche de l’élection présidentielle de 2017. Alors que le maire, Michael Delafosse, <a href="https://www.humanite.fr/politique/anne-hidalgo/presidentielle-2022-michael-delafosse-anne-hidalgo-est-libre-elle-nest-pas-la">avait pris fait et cause</a> pour Anne Hidalgo, celle-ci ne recueille que 2,3 % des voix, un score certes meilleur que sa moyenne nationale, mais calamiteux tout de même.</p>
<h2>Une autre réalité dans l’Hérault</h2>
<p>Mais la carte nous montre une autre réalité, au-delà des limites de la ville de Montpellier. Toujours dans l’Hérault, Jean-Luc Mélenchon arrive également en tête dans trois communes proches : Grabels, dont le maire René Revol est un proche de longue date du candidat, et où il atteint près de 30 % ; Juvignac, une ville longtemps typique d’un vote national, où une nouvelle population de locataires, jeunes, s’est récemment établie ; Murviel-lès-Montpellier, plus excentrée, gouvernée par une gauche écologiste, et marquée par d’importants combats en ce sens par le passé et plus récemment.</p>
<p>Sociologiquement, nous ne nous situons pas ici dans le cœur de cible citadin, jeune et populaire de LFI.</p>
<p>Trois motifs jouent pour l’ensemble du phénomène Mélenchon : la généralisation du vote utile de gauche en sa faveur ; l’existence de conditions objectives qui rendent le chemin plus évident qu’ailleurs ; la mobilisation des acteurs de terrain.</p>
<p>Ces facteurs expliquent aussi pourquoi le vote Mélenchon apparaît assez homogène d’une classe sociale à l’autre. C’est la grande différence avec le vote Le Pen. Sa pénétration dans les catégories supérieures, que l’on devine à son succès dans certains beaux quartiers montpelliérains – voisine avec un impact fort dans les quartiers populaires et jusque dans les communes éloignées de la capitale, ainsi qu’on le voit sur la carte, au nord. Trois territoires, trois sociologies qui expliquent la prouesse électorale de Jean-Luc Mélenchon LFI.</p>
<h2>Une géographie électorale limpide</h2>
<p>Trois territoires, cette fois pour trois candidats, c’est également ce que donne à voir la carte des candidats arrivés en tête au sein des communes de l’aire urbaine montpelliéraine. À côté du vote Mélenchon, les votes Macron et Le Pen dessinent une géographie électorale pour le moins limpide.</p>
<p>Le président de la République arrive ainsi en tête au sein de presque toutes les communes de la périphérie directe de Montpellier et plus au nord. Marine Le Pen déploie ses zones de force essentiellement au sud et à l’est de la ville, au sein des communes du littoral méditerranéen. Ces communes rassemblent pour l’essentiel un électorat âgé de petits propriétaires où le vote de droite et en particulier celui en faveur du Rassemblement national est très ancré. <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2019-1-page-49.htm">La corrélation</a> entre les scores réalisés par Marine Le Pen au premier tour des élections présidentielles 2017 et 2022 à l’échelle des communes de l’aire urbaine montpelliéraine, très élevée (R=0,90), laisse transparaître la très grande stabilité des zones de force de la candidate d’extrême droite.</p>
<p>À l’opposé, au sein des communes de la première couronne périphérique se côtoient un électorat aisé, propriétaire et anciennement installé et un électorat plus jeune, résidant en habitat collectif récemment bâti pour répondre à l’expansion démographique de la métropole.</p>
<h2>Un clivage interne à ces communes</h2>
<p>Le profil de ces électorats correspond bien à ce que l’on connaît de la sociologie du vote Macron. L’analyse de la carte fait par ailleurs apparaître un clivage interne à ces communes. Si les villes situées au nord de Montpellier, dans sa périphérie directe, placent Jean-Luc Mélenchon en seconde position, Marine Le Pen le devance à mesure que l’on s’éloigne de la capitale régionale.</p>
<p>Ces zones recoupent le flot des primo-accédants à la propriété qui n’ont plus les moyens d’habiter la <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2012-1-page-73.htm">capitale, ni sa première couronne</a>.</p>
<p>On observe également derrière ce clivage l’influence des dominantes politiques locales. Emmanuel Macron réalise des scores élevés au sein de communes gérées de longue date par la droite, comme à Castelnau-le-Lez – ville où l’ancien édile, le sénateur LR Jean-Pierre Grand, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/exclu-du-groupe-lr-du-senat-jean-pierre-grand-est-choque-par-le-sectarisme-de">s’est prononcé en sa faveur</a>.</p>
<p>La Grande-Motte, commune où le maire Stéphan Rossignol est pourtant le président de la fédération LR de l’Hérault et soutien de Valérie Pécresse, est la seule ville du littoral montpelliérain qui place le président sortant devant Marine Le Pen. Comme Jean-Luc Mélenchon à gauche, Emmanuel Macron profite sans nul doute du vote « utile » à droite : la corrélation de ses scores avec ceux de François Fillon au premier tour de la dernière présidentielle semble confirmer cette idée (R=0,55).</p>
<p>S’il reste faible à Montpellier, Emmanuel Macron profite néanmoins de la reconfiguration du vote de droite pour progresser au sein de l’électorat de la périphérie aisée montpelliéraine. Des trois candidats arrivés en tête, il est celui dont les scores progressent dans le plus grand nombre de villes de l’aire urbaine montpelliéraine.</p>
<p>Notre double focale sociale et politique permet donc d’invalider deux thèses complaisamment entretenues à propos du vote urbain : les populismes de gauche et de droite se renverraient dos-à-dos auprès d’un même électorat ; le vote périphérique serait géographiquement homogène.</p>
<p>Si l’on voit que le vote Mélenchon n’occupe pas les mêmes zones de force que le vote Le Pen, c’est parce qu’ils sont sociologiquement et politiquement distincts.</p>
<p>L’autre enseignement, valable à Montpellier comme dans les autres métropoles, est le décalage abyssal entre la politique nationale et la politique territoriale, pour l’essentiel gouvernée par des partis en déroute.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181188/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quels facteurs socio-politiques expliquent la prédominance du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon à Montpellier?Emmanuel Négrier, Directeur de recherche CNRS en science politique au CEPEL, Université de Montpellier, Université de MontpellierJean-Paul Volle, Professeur émerite, Université de MontpellierJulien Audemard, Associate research scientistStéphane Coursière, Ingénieur de recherche, cartographe, CEPEL, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1812092022-04-13T18:37:08Z2022-04-13T18:37:08ZLe socialisme est-il mort ?<p>Le socialisme semble à l’agonie. Après le <a href="https://theconversation.com/les-resultats-du-premier-tour-une-stabilite-apparente-une-reconfiguration-profonde-181046">premier tour de l’élection présidentielle</a> française du 10 avril, si l’on s’en tient au score du parti qui porte encore son nom, on peut même le considérer en voie de disparition. Et le faible score du Parti communiste français semble conforter la marginalisation des courants issus du « socialisme historique ».</p>
<p>Ce « socialisme historique », <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-pourra-t-elle-sinscrire-dans-la-duree-180978">Jean-Luc Mélenchon</a> s’en réclamait lorsqu’il a quitté le Parti socialiste en 2008 pour fonder le Parti de gauche.</p>
<p>Il a ensuite pris radicalement ses distances avec le clivage gauche/droite et l’adjectif socialiste en fondant la « France insoumise » en 2016. Jean-Luc Mélenchon et ses proches théorisent alors sa disparition : seul importe désormais le clivage populiste entre « élites » et « peuple ».</p>
<p>Pourtant, alors que le candidat de la « France insoumise » répétait en 2017 qu’il ne fallait plus se réclamer de la gauche pour parler au « peuple » et élargir son assise, les raisons de son succès en 2022 semblent résulter de son appel au « vote efficace » avec une référence appuyée à la « gauche » dans la dernière ligne droite.</p>
<h2>L’envers du capitalisme</h2>
<p>Le référent de gauche a refait ainsi spectaculairement surface chez ceux qui le conspuaient encore quelques mois plus tôt. La gauche existerait-elle finalement, même affaiblie ? Nous faisons le pari que le « socialisme » et ses héritages, même lorsqu’il est nommé autrement, constitue l’envers du capitalisme.</p>
<p>L’exploitation capitaliste et les différents modes de domination qu’elle implique provoquent nécessairement des conflits, des luttes, et donc l’émergence de projets alternatifs, <a href="https://www.puf.com/content/Histoire_globale_des_socialismes_XIXe-XXIe_si%C3%A8cle">qu’ils soient modérés ou radicaux</a>.</p>
<p>En ce sens continuera à exister un socialisme, plus ou moins nourri des expériences passées, porté par des courants politiques divers, tant que le capitalisme existera. C’est une des thèses centrales qui traverse notre ouvrage collectif, co-dirigé avec Stéphanie Roza et Razmig Keucheyan, <a href="https://www.puf.com/content/Histoire_globale_des_socialismes_XIXe-XXIe_si%C3%A8cle"><em>Histoire globale des socialismes</em></a>.</p>
<p>Mais comment expliquer un tel effondrement du « socialisme » sous la forme du parti qui porte son nom ? Sortons un instant de France ; les choses sont alors autrement plus complexes.</p>
<p>Il y a 20 ans, les partis socialistes ou sociaux-démocrates <a href="https://journals.openedition.org/lectures/13432">gouvernaient la majorité des pays de l’Union européenne</a>. Puis ils ont presque tous traversé de profondes crises. Leur affaiblissement a donné lieu à des pronostics de disparition à plus ou moins court terme. La mort annoncée n’a pourtant pas eu lieu.</p>
<p>On peut certes discuter de l’orientation politique de ces partis par rapport à ce qu’ils défendaient il y a encore une trentaine d’années. Ainsi du SPD en Allemagne qui a vu sa base sociale, notamment ouvrière, s’éroder avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2005-1-page-155.htm">réformes libérales de Schröder</a>.</p>
<p>L’émergence d’une gauche radicale autour de <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2008-1-page-129.htm">« Die Linke »</a> puis la montée en puissance des écologistes avait un temps semblé sortir de l’histoire le plus vieux parti ouvrier d’Europe.</p>
<p>Celui-ci est finalement revenu au pouvoir récemment, à la tête d’une coalition nouée fin 2021 entre le parti social-démocrate (SPD), les Verts et les libéraux, rassemblée autour du chancelier <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/olaf-scholz-le-chancelier-allemand-a-la-tete-d-8217-une-coalition-inedite_2165225.html">Olaf Scholz</a>, successeur d’Angela Merkel.</p>
<p>En Espagne et au Portugal, le Parti socialiste gouverne également en position dominante. Dans ces trois pays, la gauche radicale était forte, tout particulièrement en Espagne. <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_alternative__podemos_mouvements_sociaux_et_renouveau_politique_en_espagne-9782348036125">Podemos</a> fut longtemps le modèle revendiqué de la « France insoumise »… tant que l’organisation remportait des succès éclatants.</p>
<p>Mais Podemos n’a pas réussi à briser l’hégémonie du Parti socialiste espagnol. À Lisbonne, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">socialistes ont remporté triomphalement les élections</a>, faisant tomber les formations de gauche radicale à un niveau historiquement bas.</p>
<p>En Allemagne, suite à une crise interne de Die Linke, le bastion ouvrier de la Sarre leur a complètement échappé à des élections intermédiaires : le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/allemagne-le-spd-de-scholz-remporte-largement-son-premier-test-lors-d-une-election-regionale_5048122.html">SPD a remporté triomphalement les élections régionales</a>, avec 43 % des suffrages.</p>
<p>Enfin, si le Parti travailliste britannique est largement en crise, il est loin d’avoir atteint à des élections nationales des scores aussi bas que son alter ego en France.</p>
<p>Ajoutons que l’adjectif socialiste lui-même peut connaître des fortunes étonnantes comme aux États-Unis où, quasiment tabou depuis la guerre froide, il est devenu à la mode dans l’aile gauche des démocrates autour de Bernie Sanders depuis une dizaine d’années.</p>
<h2>L’exception française ?</h2>
<p>Le socialisme existe donc encore. Dans ce contexte, l’élection présidentielle française fait presque figure d’anomalie. La différence clef – même si elle n’explique pas tout – réside dans un <a href="https://theconversation.com/quel-mode-de-scrutin-pour-quelle-democratie-179124">mode de scrutin</a> très particulier.</p>
<p>L’élection présidentielle favorise à l’extrême la personnalisation, bien plus que dans la quasi-totalité des autres pays du continent. À l’heure de la crise des partis politiques, ce scrutin accroît encore le fossé entre les élections intermédiaires et locales – où les partis parviennent toujours à tirer leur épingle du jeu – et l’élection à la fonction suprême.</p>
<p>Le résultat apparaît en effet déformant, avec de grands partis totalement laminés. À gauche, il est frappant de constater que, depuis 2017, LFI n’a réussi nulle part à s’imposer, à aucune élection intermédiaire locale, même lorsqu’il y avait une portée nationale comme aux élections européennes.</p>
<p>Qui plus est l’organisation a été traversée par des crises fortes, a changé de paradigme sur des questions essentielles (notamment sur la laïcité) à distance de la campagne de 2017.</p>
<p>Parallèlement, là où LFI a pu obtenir des élus et un score honorable, comme aux élections régionales en Île-de-France, on constate qu’il s’agit d’une très classique union de la gauche qui lui a permis d’avoir des élus.</p>
<p>La personnalité de Jean-Luc Mélenchon, ses talents oratoires et la véritable « machine de guerre » construite habilement par des cadres maîtrisant parfaitement tous les codes de la présidentialisation à outrance (en mobilisant dans la dernière ligne droite le vote « utile » ou « efficace ») a permis d’écraser, comme en 2017, la totalité de ses concurrents de gauche.</p>
<p>Cela donne l’impression – et la probable illusion – que vient de se former un « bloc populaire » puissant. Sera-t-il en capacité de structurer une alternative durable ?</p>
<p>Si se répète un processus similaire avec les mêmes acteurs de ces dernières années, on peut légitimement en douter. Certes, on ne manquera pas d’arguments en soulignant que les deux autres grands blocs, autour de LREM et du RN, parviennent à dominer la vie politique malgré leur déficit d’implantation.</p>
<p>Mais la comparaison trouve vite ses limites, car le libéralisme politique et élitiste d’un Macron n’a pas besoin d’une importante base militante pour s’imposer, à la différence de la gauche et des formations issues des idéaux du mouvement ouvrier. Défendre les dominés implique une structure pérenne et démocratique pour pouvoir s’affronter aux puissants.</p>
<p>Une gauche devient forte lorsqu’elle a acquis une implantation, qu’elle a mené une guerre de positions durable. Si les modalités de la vie politique ont assurément changé, rien n’indique que l’on puisse définitivement se passer de ce lent travail de structuration, qui permit par le passé d’importantes victoires pour les partisans du socialisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Numa Ducange a reçu des financements pour des publications scientifiques des Fondations Jean-Jaurès et Gabriel-Péri. Il est expert en histoire pour la Fondation Jean-Jaurès et membre du Conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri. Il a apporté son soutien à Fabien Roussel lors de la campagne présidentielle.
</span></em></p>Les partis issus de la gauche historique se sont effondrés au premier tour de la présidentielle. Mais le socialisme est-il mort pour autant ?Jean-Numa Ducange, Professeur des Universités, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.