tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/journalistes-32661/articlesjournalistes – The Conversation2024-03-12T14:06:48Ztag:theconversation.com,2011:article/2247162024-03-12T14:06:48Z2024-03-12T14:06:48ZVoici comment les données d’audience façonnent le journalisme canadien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580776/original/file-20240308-18-9gbysh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4091%2C2733&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont les journalistes considèrent leur audience dans les salles de rédaction a beaucoup évolué. Ce changement est largement dû aux données d'audience.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les grands groupes médiatiques <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2024-02-08/bce-elimine-4800-emplois-vend-des-stations-de-radio-et-ecorche-ottawa.php">suppriment des emplois, réduisent leur programmation</a>, et des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2010982/medias-metro-cession-actifs-annonce">publications mettent fin à leurs activités</a>. Face aux défis de <a href="https://www.cem.ulaval.ca/publications/dnr-2023-canada-fr/">l’évitement des nouvelles et de la baisse de confiance</a> à l’égard du journalisme, c’est devenu une question de survie pour les journalistes que de trouver des moyens d’attirer, d’intéresser et de fidéliser leur public.</p>
<p>La manière dont ils considèrent leur public dans les salles de rédaction a beaucoup évolué. Ce changement est dû en grande partie aux <a href="https://j-source.ca/heres-how-metrics-and-analytics-are-changing-newsroom-practice/">données d’audience</a>, de plus en plus abondantes.</p>
<p>En effet, les journalistes reçoivent presque constamment des rétroactions sur le contenu qu’ils créent. Qu’ils travaillent en ligne, à la télévision, à la radio ou dans la presse traditionnelle, ils fournissent des informations à de multiples plates-formes. Ils sont donc exposés chaque jour à des données quantitatives (mesures du comportement de l’audience sur les sites web et les médias sociaux) et qualitatives (commentaires sur les médias sociaux).</p>
<p>Comme nous l’a dit un journaliste de télévision :</p>
<blockquote>
<p>On sait exactement jusqu’où quelqu’un fait défiler une page, combien de secondes il passe sur une page, quel appareil il utilise. Nous en savons tellement sur notre public, tout comme Google en sait sur le sien.</p>
</blockquote>
<p>Mais quel est l’impact de toutes ces données sur la façon dont les journalistes perçoivent leur public et le contenu qu’ils publient ? C’est ce nous explorons dans un <a href="https://doi.org/10.1080/17512786.2024.2310712">article récemment publié</a> sur le journalisme orienté vers l’auditoire.</p>
<h2>Le journalisme orienté vers l’auditoire</h2>
<p>Il implique trois rôles spécifiques :</p>
<ul>
<li><p>un rôle d’infodivertissement — utilisation de stratégies narratives et d’un style s’alignant sur des médias plus axés sur le divertissement ; </p></li>
<li><p>un rôle civique — contenus visant l’éducation des citoyens à leurs droits ou la défense de leurs revendications ; </p></li>
<li><p>un rôle de service — promotion de produits ou aide à la résolution de problèmes de la vie quotidienne.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="site web du Toronto Star" src="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577152/original/file-20240221-20-97keji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Trouver des moyens d’attirer, d’intéresser et de fidéliser un public est devenu une question de survie pour les professionnels de l’information.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons <a href="https://j-source.ca/a-global-study-on-pandemic-era-news-explores-the-gap-between-journalists-ideals-and-realities/">analysé plus de 3 700 articles</a> publiés en 2020, réalisé une enquête par questionnaire à 133 journalistes en 2020 et 2021, et interviewé 13 journalistes au cours de la même période. Les médias à l’étude sont TVA, CBC/Radio-Canada, <em>La Presse</em>, le <em>Toronto Star</em>, <em>Globe and Mail</em>, <em>National Post</em>, CTV, Global News et <em>HuffPost Canada</em>. Ayant nous-mêmes travaillé dans des salles de rédaction, nous avons pu contextualiser nos résultats en fonction de nos propres expériences.</p>
<p>Nous avons constaté que les données d’audience ont un impact important sur les pratiques des médias d’information canadiens. Au sein du défunt <a href="https://theconversation.com/bottom-up-audience-driven-and-shut-down-how-huffpost-canada-left-itsan-media-175805"><em>HuffPost Canada</em></a>, par exemple, l’audience était segmentée en types ou profils de lecteurs sur la base des données d’audience. Comme l’a expliqué un rédacteur en chef, « nous faisons X, Y et Z pour ce type d’article et pour ce type de personne ». En fait, la manière de rédiger un article était adaptée au profil de son destinataire.</p>
<p>Les journalistes sont également conscients de l’importance des données d’audience d’un point de vue commercial. Comme l’a fait remarquer l’un d’eux :</p>
<blockquote>
<p>Il s’agit d’algorithmes que je ne comprends pas tout à fait, mais qui aident nos experts à déterminer comment personnaliser l’expérience de l’utilisateur lorsqu’il se rend sur le site web. Il vous montre donc des choses qui vous intéressent, de la même manière que Facebook et Twitter, ce qui maintient l’intérêt des gens pour votre site web, ce qui signifie plus d’abonnés, ce qui signifie que je peux conserver mon emploi rémunéré.</p>
</blockquote>
<p>Les réponses à notre enquête confirment l’importance des données d’audience dans la sélection, le développement et la promotion des sujets, ainsi que dans la mesure de leur valeur. <a href="https://doi.org/10.1177/1464884913504259">D’autres études</a> ont montré que les journalistes peuvent minimiser <a href="https://doi.org/10.1177/1464884915595474">l’importance des données</a> dans leurs décisions éditoriales, de sorte que l’impact pourrait être encore plus important que ce que nous avons mesuré.</p>
<h2>Infodivertissement et sensationnalisme</h2>
<p>On déplore souvent que l’omniprésence des données dans les salles de rédaction favorise le clickbait ou les articles à sensation qui stimulent le trafic au détriment de reportages sur des enjeux plus importants — et <a href="https://doi.org/10.1080/21670811.2018.1504626">c’est parfois le cas</a>. </p>
<p>Le sensationnalisme fait partie de notre catégorie d’infodivertissement. Cependant, notre analyse de contenu a révélé qu’une grande partie de ce qui est qualifié d’infodivertissement dans le journalisme canadien implique des qualificatifs descriptifs et la présence de détails pertinents et personnels sur le sujet traité. Si cela est fait de manière appropriée, cela peut donner plus de nuances et de contexte à un article.</p>
<p>En outre, au Canada, l’infodivertissement est souvent associé à la partie « éducative » du rôle civique. Par exemple, un rédacteur en chef nous a expliqué qu’il cherchait à trouver l’aspect « plus amusant » (infotainment) d’un article qui peut constituer un « point d’entrée » pour informer le public sur des sujets tels que les règles parlementaires.</p>
<p>En outre, les rôles civiques et de service sont souvent combinés : par exemple, des informations pertinentes à la vie quotidienne peuvent aussi influencer la compréhension des processus politiques ou éclairer le public sur les droits des citoyens.</p>
<p>Près de 80 % des articles que nous avons sélectionnés comportaient au moins un rôle orienté vers le public, et près de 40 % en comportaient plus d’un. Cela prouve bien que les publics sont au centre des préoccupations dans les salles de rédaction. </p>
<p>Nos conversations ont également révélé que même si les rédactions ne sont pas toujours en mesure <a href="https://slate.com/technology/2021/03/imagined-audiences-journalism-analytics-intuition.html">d’interpréter avec précision</a> les attentes du public, elles consacrent beaucoup de temps et de ressources à essayer de le faire.</p>
<h2>L’importance des médias sociaux</h2>
<p>La plupart des journalistes avec lesquels nous nous sommes entretenus utilisent les médias sociaux, parce qu’ils les considèrent comme un outil important pour atteindre le public, trouver des sources et promouvoir leur travail. Plus de 78 % des journalistes interrogés reconnaissent qu’il s’agit d’un outil important pour entrer en contact avec le public.</p>
<p>Cependant, les journalistes ont également noté les inconvénients des médias sociaux, notamment en ce qui concerne la polarisation politique. Un journaliste de la presse écrite a déclaré : </p>
<blockquote>
<p>S’ils permettent de trouver un public, ce dont nous avons absolument besoin, ils ont aussi créé un forum où l’on peut attaquer les journalistes et la presse libre.</p>
</blockquote>
<p>Cet environnement hostile a poussé une autre journaliste à faire attention à son choix de mots afin de toucher un public plus large :</p>
<blockquote>
<p>Je fais délibérément des efforts pour essayer d’atteindre les gens qui essaient de m’ignorer. En fait, c’est le public cible que vous visez lorsque vous écrivez. Vous évitez donc d’utiliser inutilement des termes qui sont tournés en dérision, non pas parce que nous ne méritons pas d’utiliser ces termes… mais parce que ce que vous essayez de faire, c’est d’atteindre ces personnes.</p>
</blockquote>
<p>Même si les gens ne font pas confiance à l’information ou à un certain média, la recherche montre qu’ils peuvent reconnaître et apprécier le <a href="https://doi.org/10.4324/9781003257998">journalisme de qualité</a>. </p>
<p>Les journalistes canadiens doivent trouver des moyens de comprendre et d’atteindre un public qui ne veut pas toujours les écouter. Ils s’efforcent de le faire. Il reste à voir si cela fonctionne et quel impact durable auront leurs efforts sur les normes journalistiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224716/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicole Blanchett a reçu des financements de Mitacs, du Centre d'études sur les médias, du Journalism Research Centre de la Toronto Metropolitan University, de la Creative School de la Toronto Metropolitan University, de la Toronto Metropolitan University et du CRSH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Les travaux de Colette Brin sont financés en partie par le ministère de la Culture et des Communications du gouvernement du Québec et le Fonds de recherche du Québec - Société et culture. L'édition canadienne du Digital News Report est financée par Patrimoine canadien par l'intermédiaire de Médias d'info Canada. La professeure Brin est directrice du Centre d'études sur les médias, entité de recherche indépendante à but non lucratif hébergée à l'Université Laval en partenariat avec l'Université de Montréal et l'Université du Québec à Montréal. Elle est également présidente du Conseil consultatif indépendant sur l'admissibilité aux mesures fiscales pour le journalisme, en collaboration avec l'Agence du revenu du Canada. </span></em></p>Une nouvelle étude sur le journalisme canadien examine l’impact des données d’audience sur l’information dans les médias et la perception qu’ont les journalistes de leur public.Nicole Blanchett, Associate Professor, Journalism, Toronto Metropolitan UniversityColette Brin, Professor and Director, Centre d'études sur les médias, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216272024-01-28T16:07:53Z2024-01-28T16:07:53ZL’inquiétante progression d’Israël dans le classement des pays par nombre de journalistes emprisonnés<p>Israël est désormais l’un des pays du monde qui comptent le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon une <a href="https://cpj.org/fr/reports/2024/01/recensement-carceral-2023-le-nombre-de-journalistes-emprisonnes-frole-un-niveau-record-forte-hausse-des-emprisonnements-en-israel/">étude</a> récemment publiée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.</p>
<p>Chaque année, cette organisation publie un rapport faisant état du nombre de journalistes se trouvant derrière les barreaux. Au 1<sup>er</sup> décembre 2023, ce nombre s’élevait à 320, soit le deuxième le plus élevé depuis que ce classement a été créé en 1992. D’un certain point de vue, la dynamique est encourageante : le record en la matière – 367 – avait été <a href="https://cpj.org/data/?status=Imprisoned&start_year=1992&end_year=2022&group_by=year">enregistré en 2022</a>.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que le fait qu’autant de représentants du secteur des médias soient en prison est profondément préoccupant. Leur emprisonnement porte atteinte à la liberté de la presse et, souvent, aux droits humains.</p>
<h2>La guère enviable première place de la Chine</h2>
<p>Avec ses 44 journalistes emprisonnés, la République populaire de Chine occupe la première position. Elle est suivie par le <a href="https://rsf.org/fr/un-de-r%C3%A9pression-contre-le-journalisme-en-birmanie-en-chiffres">Myanmar</a> (43), la <a href="https://rsf.org/fr/b%C3%A9larus-rsf-d%C3%A9voile-les-portraits-des-27-professionnels-des-m%C3%A9dias-emprisonn%C3%A9s">Biélorussie</a> (28), la <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/116944-000-A/journalistes-russes-en-danger-meme-en-exil/">Russie</a> (22) et le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/vietnam-un-journaliste-independant-condamne-a-six-ans-de-prison-20230412">Vietnam</a> (19). Israël et <a href="https://rsf.org/fr/79-journalistes-arr%C3%AAt%C3%A9s-depuis-la-mort-de-mahsa-amini-une-r%C3%A9pression-terrifiante.">l’Iran</a> occupent conjointement le sixième rang (17 chacun).</p>
<p>Si la baisse par rapport à 2022 est indéniablement un phénomène positif, les statistiques révèlent quelques tendances inquiétantes.</p>
<p>Le CPJ ne se contente pas d’effectuer un simple décompte ; il examine également les accusations dont les journalistes font l’objet. En 2023, dans près des deux tiers des cas, les journalistes sont emprisonnés pour des faits que l’on peut globalement qualifier d’« atteinte aux intérêts de l’État » – une notion qui recouvre des inculpations pour espionnage, terrorisme, diffusion de fausses nouvelles, et ainsi de suite.</p>
<p>En d’autres termes, dans les pays concernés, les autorités considèrent le journalisme comme une sorte de menace existentielle qui doit être combattue à l’aide des lois protégeant la sécurité nationale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Tpubh9Eb3G0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dans certains cas, cela peut être justifié : il est en effet impossible d’examiner de façon indépendante chaque affaire. Mais ce qui ressort des observations du CPJ, c’est que, de plus en plus, les gouvernements perçoivent le domaine de l’information comme un champ de bataille. Dès lors, les journalistes se retrouvent dans une position précaire : ils sont vus, à leur corps défendant, comme des combattants engagés dans des affrontements souvent brutaux.</p>
<p>La première place de la Chine n’est guère surprenante. La RPC se classe en tête, ou juste en dessous, depuis plusieurs années. La censure rend extrêmement difficile une évaluation précise du nombre de personnes emprisonnées, mais on sait que, après la <a href="https://theconversation.com/hongkong-vitrine-de-la-democratie-a-la-chinoise-au-corps-defendant-de-ses-habitants-174297">répression des activistes pro-démocratie en 2021</a>, des journalistes de Hongkong se sont retrouvés enfermés pour la première fois. Près de la moitié des détenus chinois sont des Ouïghours du Xinjiang, région où Pékin a été accusé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/2022-08-31/22-08-31-final-assesment.pdf">violations des droits humains</a> dans le cadre de la répression permanente conduite à l’encontre des minorités ethniques de la région, majoritairement musulmanes.</p>
<p>Les autres membres du « top cinq » sont également des habitués des places de tête de ce sinistre classement ; mais, juste en dessous de ce quintette, deux changements majeurs ont surpris les observateurs.</p>
<p>L’Iran avait <a href="https://cpj.org/reports/2022/12/number-of-jailed-journalists-spikes-to-new-global-record">pris la première place en 2022</a>, avec 62 journalistes emprisonnés. Ce chiffre est passé en 2203 à 17, ce qui a valu au pays de reculer à la sixième place. Un rang où il est rejoint par Israël, où un seul journaliste emprisonné avait été recensé en 2022.</p>
<p>C’est une bonne nouvelle pour les journalistes iraniens, mais une très mauvaise pour Israël, qui ne cesse de répéter qu’il est l’unique démocratie du Moyen-Orient et le seul pays de la région qui <a href="https://www.jpost.com/opinion/article-709045#google_vignette">respecte la liberté des médias</a>. En outre, Israël pointe régulièrement du doigt le régime iranien pour ses attaques répétées à l’encontre de tous ses détracteurs.</p>
<p>Les journalistes emprisonnés par Israël sont tous originaires de Cisjordanie occupée, tous palestiniens, et tous ont été arrêtés après les effroyables attaques lancées par le Hamas depuis Gaza le 7 octobre. Mais très peu de choses sont connues sur les raisons de leur mise en détention. Leurs proches ont déclaré au CPJ que la plupart d’entre eux étaient placés sous ce qu’Israël qualifie de « détention administrative ».</p>
<h2>Israël : dix-sept arrestations en moins de deux mois</h2>
<p>L’euphémisme « détention administrative » signifie en réalité que les journalistes ont été incarcérés <a href="https://www.btselem.org/topic/administrative_detention">pour une durée indéterminée, sans procès ni inculpation</a>.</p>
<p>Il est possible qu’ils aient, d’une manière ou d’une autre, planifié des attaques (Israël utilise l’outil de la détention administrative pour arrêter les personnes qu’il accuse de préparer la commission d’un futur délit), mais les preuves justifiant ces mises en détention ne sont pas divulguées, et les raisons de ces arrestations n’ont pas été rendues publiques.</p>
<p>La place qu’occupe Israël dans la liste du CPJ met en évidence une situation paradoxale et complexe. La liberté des médias fait partie intégrante d’une démocratie libre. Des médias dynamiques, incisifs et parfois hargneux sont un moyen éprouvé de maintenir le débat public en vie et le système politique en bonne santé.</p>
<p>C’est souvent problématique, notamment pour les autorités, mais il ne peut y avoir de système démocratique fort si les journalistes ne remplissent pas librement et vigoureusement leur rôle. De fait, l’ampleur de la répression exercée par un gouvernement à l’encontre des médias est un bon moyen de savoir si une démocratie est en train de s’effondrer.</p>
<p>Pour autant, on ne saurait établir une équivalence entre Israël et l’Iran. Israël reste une démocratie et les médias israéliens <a href="https://www.timesofisrael.com/public-trust-in-government-scrapes-bottom-amid-criticism-for-inadequate-war-response/">critiquent souvent leur gouvernement avec véhémence</a>, d’une manière qui serait impensable à Téhéran.</p>
<p>Mais si Israël veut rétablir la confiance dans son engagement envers les normes démocratiques, il devra au moins faire preuve de transparence sur les raisons de l’arrestation de 17 journalistes en moins de deux mois, et sur les preuves retenues contre eux. Et s’il n’y a aucune preuve qu’ils représentent une véritable menace pour la sécurité d’Israël, ils doivent être libérés immédiatement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Greste est professeur de journalisme à l'université Macquarie et directeur exécutif de l'Alliance pour la liberté des journalistes. Il a également signé une lettre ouverte appelant à une couverture équilibrée du conflit entre Gaza et Israël et, en 2006, il a couvert la bande de Gaza pour la BBC.</span></em></p>La Chine trône en tête de ce classement, devançant plusieurs autres régimes autoritaires ; mais Israël occupe désormais la sixième place, aux côtés de l’Iran.Peter Greste, Professor of Journalism and Communications, Macquarie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2194142024-01-02T16:28:22Z2024-01-02T16:28:22ZVirginia Woolf ou l’histoire oubliée d’une émancipation par le journalisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566390/original/file-20231218-25-rn4t2f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C16%2C1142%2C569&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Virginia Woolf dans son cottage de Monk's House.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Virginia_Woolf_at_Monk%27s_house.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Si on connaît la Virginia Woolf romancière, essayiste et éditrice, son parcours de journaliste reste méconnu. Elle fut pourtant une digne représentante de la profession, dès 1904, à en croire la profusion de ses excellentes collaborations littéraires dans les journaux de l’époque et la modernité de ses articles les plus politiques, engagés en faveur du féminisme et du pacifisme.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566931/original/file-20231220-17-rrvdey.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’édition Gallimard du « Hye Park Gate News ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallimard</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’âge de 9 ans, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Virginia_Woolf">Virginia Woolf</a> écrit ses premiers articles pour le journal qu’elle a créé en 1891 avec sa sœur aînée, Vanessa. Le titre de l’en-tête du journal est <em>Hyde Park Gate News</em>, inspiré du nom de la rue où elles vivent, située dans le quartier chic de Kensington. Elles y écrivent de brèves chroniques manuscrites de la vie quotidienne, des devinettes, des histoires de famille et d’amis mais aussi des feuilletons, des fausses correspondances. Dans le premier numéro, elles présentent des caricatures de leurs frères et des anecdotes personnelles, parfois chargées de connotations satiriques. Cette aventure journalistique dure quatre ans. La famille Stephen a un autre journal rival : <em>The Talland Gazette</em>, édité par leur frère Adrian.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=805&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1011&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1011&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566912/original/file-20231220-23-1dr487.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1011&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Virginia Woolf et sa sœur Vanessa jouant au cricket, en 1894.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>La presse fait partie de l’univers familial. Son père, Sir <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Leslie_Stephen">Leslie Stephen</a>, est journaliste et écrivain. La petite Virginia, suivant les traces de la tradition paternelle, manifeste dès son enfance un penchant précoce pour l’écriture et l’inventivité. Elle se construit autour d’un amour inconditionnel à la lecture et à l’écriture. En 1904, elle note dans son journal : « Je ne peux pas m’empêcher d’écrire ». Cette année-là, le journalisme devient son premier métier.</p>
<h2>Transformer toute expérience en mots</h2>
<p><a href="https://data.bnf.fr/fr/11929398/virginia_woolf/">Virginia Woolf</a> possède l’art de transformer toute expérience en mots. Autodidacte, elle n’est jamais allée à l’école ni à l’université. Lectrice vorace, c’est dans la fabuleuse bibliothèque familiale qu’elle découvre les classiques et la grande littérature. Elle fait ses premiers pas dans l’écriture professionnelle grâce au journalisme. Woolf débute dans le métier en 1904, bien avant de devenir écrivaine et publier son premier roman <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Travers%C3%A9e_des_apparences"><em>La Traversée des apparences</em></a> (1915), à l’âge de 33 ans.</p>
<p>Avec un grand talent, Virginia Woolf rédige d’innombrables critiques littéraires et essais journalistiques tout au long de sa vie. Elle publie de nombreux articles dans divers médias – tant en Angleterre qu’aux États-Unis – principalement dans le <em>Guardian</em>, le <em>Times Literary Supplement</em>, <em>Nation & Athenaeum</em>, <em>Criterion</em>, <em>Academy and Literature</em>, <em>Atlantic Monthly</em>, la <em>Saturday Review of Literature</em>, le <em>New York Evening Post</em>, le <em>New Republic</em> et dans la presse populaire féminine avec <em>Good Housekeeping</em> et <em>Vogue</em>, entre autres.</p>
<h2>L’indépendance chevillée au corps</h2>
<p>Le journalisme littéraire reste sa principale source de revenus, un espace où elle forge sa plume, expérimente et élargit sa pensée. Dans son célèbre essai <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Une_chambre_%C3%A0_soi"><em>Une chambre à soi</em></a> (1929), elle affirme qu’« une femme doit avoir de l’argent et une chambre à soi si elle souhaite pouvoir écrire des histoires ». Et le métier de journaliste lui permet d’acquérir cette indépendance financière qu’elle a toujours désirée et défendue pour être une femme libre.</p>
<p>Dans une conférence qu’elle donne sur les « Professions pour les femmes » à la National Society for Women’s, le 21 janvier 1931 à Londres, l’écrivaine justifie à partir de sa propre expérience de journaliste l’importance de l’émancipation féminine :</p>
<blockquote>
<p>« Revenons à mon histoire – elle est simple. Il suffit d’imaginer une jeune fille assise un crayon à la main. Elle n’a qu’à faire glisser ce crayon de gauche à droite – de dix heures du matin à une heure. Puis il lui vient l’idée de faire quelque chose qui est, après tout, simple et peu coûteux – glisser quelques-unes de ces pages dans une enveloppe, y coller en haute à droite un timbre d’un penny, et jeter l’enveloppe dans la boîte aux lettres au coin de la rue. C’est ainsi que je devins journaliste ; et mes efforts furent récompensés le premier du mois suivant – quel jour heureux ce fut pour moi – par une lettre du directeur d’une revue contenant un chèque d’une livre, et une dizaine de shillings. »</p>
</blockquote>
<p>Ce texte montre à quel point Virginia Woolf assume son travail de journaliste, une profession oubliée dans la plupart des biographies qui lui sont dédiées. Si le journalisme lui permet de gagner sa vie, et contribue à façonner son style d’écriture, elle s’y consacre pleinement avant de se lancer dans la fiction. Un métier qu’elle exerce alors même qu’elle est déjà romancière reconnue, lui donnant la même importance que son œuvre narrative. La preuve : la romancière a publié une sélection de ses essais journalistiques en 1925 sous le titre « The Common Reader » (<a href="https://www.arche-editeur.com/livre/le-commun-des-lecteurs-404">« Le Commun des lecteurs »</a>, ce qui lui a valu une grande reconnaissance en tant que critique littéraire. La grande majorité de ses articles <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Andrew_McNeillie">ont été rassemblés en plusieurs volumes par Andrew McNellie</a>.</p>
<p>Seule l’universitaire Leila Brosnan, dans <a href="https://edinburghuniversitypress.com/book-reading-virginia-woolf-s-essays-and-journalism.html"><em>Reading Virginia Woolf Essais and Journalism</em></a> semble s’être penchée sérieusement sur la carrière journalistique de Woolf. Les études littéraires académiques ne la présentent généralement que comme une essayiste – toujours sous l’étiquette des « Essais de Virginia Woolf » – et à peine comme journaliste, peut-être parce que le journalisme est considéré comme un genre mineur. Il faut pourtant garder à l’esprit l’importance de la dimension journalistique de ses articles, qui sont marqués par l’actualité et destinés aux lecteurs de la presse écrite.</p>
<h2>Un premier article sur les sœurs Brontë</h2>
<p>À l’âge de 22 ans, Virginia Woolf publie son premier article dans le <a href="https://www.theguardian.com/gnm-archive"><em>Guardian</em></a>. Un âge auquel beaucoup des jeunes journalistes d’aujourd’hui sont encore stagiaires. Son amie Violet Dickinson l’a présentée à la rédactrice en chef du supplément féminin du journal – la seule porte d’entrée pour une femme aspirant au journalisme à l’époque – et Virginia lui propose d’y collaborer. Elle publie d’abord une critique d’une œuvre du romancier américain W.D. Howells, puis l’article, intitulé <a href="https://www.ecoledeslettres.fr/un-texte-inedit-de-virginia-woolf-au-pays-des-soeurs-bronte/">« Pèlerinage à Haworth »</a>, paraît le 21 décembre, non signé en décembre 1904. Virginia y raconte sa visite au presbytère de Haworth, <a href="https://www.bronte.org.uk/">où vivaient les sœurs Brontë</a>. C’est ainsi que commence sa carrière de journaliste.</p>
<p>Ses premières critiques dans le <em>Guardian</em> sont anonymes. Plus tard, elle contribue à d’autres publications prestigieuses telles que le <a href="https://www.the-tls.co.uk/"><em>Times Literary Supplement</em></a>- et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Nation_and_Athenaeum">magazine <em>Nation & Athenaeum</em></a>, dont les pages littéraires sont sous la responsabilité de son mari, <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/03/26/les-passions-de-leonard-woolf_6167035_3260.html">Leonardo Woolf</a>, avec qui elle fonde la maison d’édition Hogarth Press.</p>
<p>Il est regrettable que l’activité journalistique de Virginia Woolf ait été reléguée au second plan, notamment parce que le journalisme a joué un rôle important dans sa carrière littéraire et a contribué à façonner son style d’écriture. La romancière s’est principalement impliquée dans la critique littéraire mais a également écrit des articles plus politiques liés à l’actualité, dans lesquels elle défend la cause féministe, le pacifisme ou son soutien à la République pendant la guerre civile espagnole, où son neveu a perdu la vie en tant que membre des Brigades internationales. Fervente pacifiste, elle aborde dans son essai sociopolitique <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/08/trois-guinees-de-virginia-woolf_4244607_1819218.html"><em>Trois guinées</em></a> la question de <a href="https://www.rtbf.be/article/virginia-woolf-ecrire-dans-la-guerre-un-podcast-avec-valerie-bauchau-et-pascale-seys-11027483">« Comment éviter la guerre ? »</a>, dans lequel elle dénonce le fascisme, le bellicisme et la discrimination féminine dans la société patriarcale anglaise.</p>
<h2>L’art de l’essai journalistique</h2>
<p>Sa production journalistique, qui représente un corpus de plus de 500 articles, témoigne des passions et de l’engagement de Virginia Woolf. Deux types de textes se distinguent : d’une part, ceux qui sont attachés à l’actualité littéraire avec des critiques de livres. D’autre part, il y a des articles de fond, qui répondent au genre de l’essai journalistique, où l’écrivaine donne libre cours à sa réflexion sur la littérature et la création. L’essai journalistique lui permet d’établir un dialogue direct avec les lecteurs – où abondent les clins d’œil, parfois une certaine ironie –, mais aussi une confrontation entre tradition littéraire et culture. Elle révèle aussi parfois ses propres confessions, pénétrant même dans le territoire de la fiction en toute liberté. Dans un article intitulé « La décadence de l’essai » publié dans la revue <em>Academy and Literature</em> le 25 février 1905, Virginia Woolf pose les bases de sa conception et de son renouvellement de ce genre journalistique qu’elle qualifie d’« essai personnel » :</p>
<blockquote>
<p>« La plus marquante de ces innovations littéraires est l’invention de l’essai personnel. On ne saurait nier qu’il remonte en fait à Montaigne, mais nous pouvons aisément le ranger parmi les modernes. […] La forme particulière de l’essai sous-entend une substance particulière : cette forme nous permet de dire ce que nulle autre forme ne nous permet de dire avec autant de précision. »</p>
</blockquote>
<p>Pour l’écrivaine, l’essai journalistique, en tant que genre d’opinion, de commentaire, est « avant tout l’expression d’une opinion personnelle ».</p>
<p>On notera également dans sa production journalistique les biographies des grandes figures de la littérature, de ses auteurs fétiches tels que Dostoïevski, Montaigne ou Tolstoï, pour ne citer que quelques exemples, sans oublier Jane Austen, Kipling, Whitman ou Henry James… Dans un article publié dans le <em>Times Litterary Supplement</em> le 31 janvier 1924, elle rend hommage à Montaigne :</p>
<blockquote>
<p>« Cette manière de parler de soi-même, au gré de son inspiration, en donnant les méandres, le poids, la couleur et la mesure de son âme dans toute sa confession, sa bigarrure, son imperfection – cet art revient à un homme, un seul : Montaigne. […] Dire la vérité sur soi-même, se découvrir dans toute sa familiarité, n’est guère chose aisée. »</p>
</blockquote>
<h2>Un père autoritaire</h2>
<p>Justement, sur « L’art de la biographie », elle publie un article portant le même titre dans la revue <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Atlantic"><em>Atlantic Monthly</em></a> en avril 1939. Virginia hérite ce goût particulier pour la biographie que son père, Sir Leslie Stephen, rédacteur en chef du <a href="https://onlinebooks.library.upenn.edu/webbin/metabook?id=dnb"><em>Dictionary of National Biography</em></a>, cultivait si bien. Un père illustré et raffiné, qui, devenu veuf, devient autoritaire avec ses filles. Plus tard, Virginia avoue dans son journal intime, le 28 novembre 1928, à l’âge de 46 ans, comment sa mort l’a libérée pour écrire :</p>
<blockquote>
<p>« Anniversaire de père. Il aurait eu 96 ans, oui 96 ans aujourd’hui, 96 ans comme d’autres personnes que l’on a connues. Mais Dieu merci, il ne les a pas eus. Sa vie aurait absorbé toute la mienne. Que serait-il arrivé ? Je n’aurais rien écrit, pas un seul livre. Inconcevable. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ses articles de critique littéraire, Virginia Woolf s’enthousiasme pour les classiques et l’influence qu’ils ont exercée sur elle, en particulier la littérature française et russe. Par ailleurs, on y trouve plus d’auteurs disparus qu’actuels. Virginia Woolf a du mal à juger ses contemporains, un éternel dilemme pour les écrivains qui sont aussi critiques littéraires. Certains auteurs comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/E._M._Forster">E. M. Forster</a> font l’éloge de son style personnel, libre et inimitable. Dans une conférence donnée après la mort de Virginia, Forster loue ses qualités de critique littéraire, sa finesse d’analyse et sa pertinence. Cependant, il lui reproche sa difficulté à analyser ses contemporains. C’est le cas avec James Joyce, qu’elle qualifie après la publication d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/cinq-conseils-pour-parvenir-a-lire-ulysse-de-james-joyce-1068184"><em>Ulysse</em></a> de « catastrophe mémorable ».</p>
<p>Les journaux intimes de Virginia Woolf font souvent référence à ses contributions journalistiques au <em>Times</em>. Parfois, elle se plaint qu’on lui envoie des livres qu’elle n’a pas envie de critiquer, d’autres fois, c’est elle qui propose un auteur qui suscite un grand intérêt pour elle. L’écrivaine avoue son malaise face à la pression des lecteurs et craint d’être mal comprise dans ses prises de positions, comme elle l’avoue dans son journal intime le 15 avril 1920 :</p>
<blockquote>
<p>« Prétentieux, disent-ils ; et une femme qui écrit bien, et qui écrit aussi pour le <em>Times</em>, il n’y a plus rien à dire. »</p>
</blockquote>
<p>Son incessant travail journalistique l’accable parfois, car Virginia Woolf s’y consacre avec beaucoup d’énergie, comme elle le reconnaît dans une autre note de son journal, le 11 avril 1931 :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis très fatiguée de corriger mes propres écrits – ces huit articles – même si j’ai appris à écrire vite, ce qui signifie renoncer à la pudeur. Je veux dire que le style est libre ; mais corriger est un travail répugnant, ce qui me donne la nausée. Et la condensation et la coupe. Et ils me demandent des articles et encore des articles. Il faudrait que j’écrive des articles pour toujours. »</p>
</blockquote>
<p>Virginia Woolf élabore une théorie littéraire inspirée de sa propre pratique d’écriture et de ses préférences en tant que lectrice, comme elle l’évoque dans l’article « Comment écrire un livre », publié dans le <em>Times Literary Supplement</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Arracher une émotion, s’enivrer d’elle, se fatiguer et la jeter, c’est aussi courant en littérature que dans la vie. Mais si l’on distille ce plaisir chez Flaubert, le plus austère de tous les écrivains, il n’y a pas de limite aux effets enivrants de Meredith, Dickens et Dostoïevski, de Scott et Charlotte Brontë. »</p>
</blockquote>
<p>Dans d’autres articles, l’écrivaine aborde non seulement ses lectures, mais aussi la notion de bibliothèque, les frontières de la fiction… Le tout dans un langage très soigné, fluide et direct. Son style avant-gardiste l’amène même à pratiquer la liberté stylistique en jouant avec les conventions typographiques et la ponctuation. Les qualités journalistiques de Virginia Woolf mettent en évidence la grande clarté et l’agilité de la pensée dans sa réflexion littéraire, marquée par l’omniprésence du « je ».</p>
<h2>Féminisme et engagement politique</h2>
<p>Parmi ses articles d’actualité se détachent des écrits d’ordre plus politique et engagé, comme « Mémoires d’une coopérative de travailleuses », publié dans la <a href="https://yalereview.org/"><em>Yale Review</em></a> en septembre 1930. Sur un ton affirmé d’éditorialiste, Virginia Woolf fait un plaidoyer à la faveur de l’amélioration des conditions de vie des ouvrières. Avec de forts témoignages et une interpellation des responsables :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis une femme de mineur. Il vient juste de rentrer couvert de suie. Il doit tout d’abord se laver. Puis il doit prendre son dîner. Mais nous n’avons pas qu’un baquet à lessive. Mon fourneau est encombré de casseroles. Impossible de faire ce que j’ai à faire. Toute ma vaisselle est à nouveau couverte de poussière… Pourquoi, mon Dieu, ne puis-je pas avoir de l’eau chaude et l’électricité comme les femmes de la classe moyenne… ‘ Alors me je dresse et réclame ‘le confort domestique et une réforme de l’habitat’. Je me dresse en la personne de Mrs. Giles de Durham ; en la personne de Mrs. Philippe de Bacup ; en la personne de Mrs. Edwards de Wolverton ».</p>
</blockquote>
<p>Elle décrit la volonté d’émancipation des ouvrières et réclame le droit de vote des femmes :</p>
<blockquote>
<p>« Dans ce vaste public, parmi toutes ces femmes qui travaillaient, ces femmes qui avaient des enfants, ces femmes qui frottaient et cuisinaient et marchandaient sur tout et savaient au sou près ce qu’elles pouvaient dépenser, pas une n’avait le droit de vote. »</p>
</blockquote>
<p>Dans d’autres passages, elle revendique le droit au divorce, le droit à l’éducation, l’amélioration du salaire des femmes et appelle à une réduction de la journée de travail. Cet article s’appuie sur de nombreux faits dans sa dénonciation des conditions d’exploitation des travailleuses :</p>
<blockquote>
<p>« La plupart de ces femmes avaient commencé à travailler à sept ou huit ans, nettoyant les escaliers le dimanche pour un penny, ou portant leur repas aux hommes de la fonderie pour deux pence. Elles étaient entrées à l’usine à l’âge de quatorze ans. Elles travaillaient de sept heures du matin à huit ou neuf heures du soir et gagnaient entre treize et quinze shillings la semaine. »</p>
</blockquote>
<p>Engagée dans son temps, icône incontournable du féminisme – dans son combat pour libérer les femmes de la tyrannie du système patriarcal – Virginia Woolf utilise le journalisme pour exprimer ses positions sur les événements politiques et historiques de l’époque. Un terrain où elle déverse nombre des réflexions développées plus tard dans ses célèbres essais : <em>Une chambre à soi</em> (1929) et <em>Trois Guinées</em> (1938).</p>
<p>Sur fond de Seconde Guerre mondiale, tandis que Londres subit des bombardements incessants, la journaliste-écrivaine publie en 1940 l’article « Considérations sur la paix en temps de guerre » dans le magazine new-yorkais <a href="https://newrepublic.com/"><em>New Republic</em></a>, le 21 octobre 1940, un plaidoyer pacifiste contre la barbarie qui nous interpelle encore face aux conflits armés d’aujourd’hui :</p>
<blockquote>
<p>« Les Allemands ont survolé la maison ces deux dernières nuits. Et ils sont de retour. C’est une étrange expérience que d’être couchée dans le noir à écouter se rapprocher un frelon et de dire que sa piqûre peut à tout moment vous coûter la vie. C’est un son qui fait obstacle à toute méditation détachée et cohérente que nous pourrions avoir sur la paix. Et c’est pourtant – plus encore que les prières et motets – un son qui devrait nous encourager à penser à la paix. »</p>
</blockquote>
<p>La lecture de ces articles de Virginia Woolf est d’une grande pertinence dans un monde encore et toujours ébranlé par le désastre de la guerre, mais aussi par la nécessité de poursuivre le combat féministe pour la pleine égalité. Son travail continue de résonner dans notre conscience contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>María Santos-Sainz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Écrivaine engagée, icône du féminisme, Woolf fut aussi une journaliste engagée qui exprima ses prises de position sur la cause des femmes et le pacifisme.María Santos-Sainz, Maître de conférences (HDR), Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177362023-11-16T17:26:50Z2023-11-16T17:26:50ZL’intelligence artificielle va-t-elle tuer ou sauver les médias ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559353/original/file-20231114-29-4bhhx0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8000%2C3911&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les journalistes seront-ils tentés de donner la parole aux intelligences artificielles</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Recherche d’informations, production de contenu, traduction, détection de propos haineux… l’<a href="https://theconversation.com/topics/intelligence-artificielle-ia-22176">intelligence artificielle</a> (IA) générative promet d’importants gains de productivité dans l’univers des <a href="https://theconversation.com/topics/medias-20595">médias</a>.</p>
<p>Les médias nous accompagnent au quotidien et sont un support à la démocratie : ils ont la liberté de montrer différents points de vue et idées, de dénoncer la corruption et les discriminations, mais également de montrer la cohésion sociale et culturelle.</p>
<p>Alors que le public se tourne vers les médias pour s’informer, se cultiver et se divertir, les médias n’échappent pas aux soucis économiques et à la rentabilité d’une industrie mesurée en termes d’audimat et de vente. Dans ce contexte, l’IA générative amène de nouveaux outils puissants et sera de plus en plus utilisée.</p>
<p>Mais il faut crucialement rappeler que les IA génératives n’ont pas d’idées, et qu’elles reprennent des propos qui peuvent être agencés de façon aussi intéressante qu’absurde (on parle alors d’« hallucinations » des systèmes d’IA). Ces IA génératives ne savent pas ce qui est possible ou impossible, vrai ou faux, moral ou immoral.</p>
<p>Ainsi, le métier de journaliste doit rester central pour enquêter et raisonner sur les situations complexes de société et de géopolitique. Alors, comment les médias peuvent-ils exploiter les outils d’IA tout en évitant leurs écueils ?</p>
<p>Le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN) a rendu en juillet un <a href="https://www.ccne-ethique.fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique">avis général</a> sur les enjeux d'éthique des IA génératives, que j'ai co-coordonné, au ministre chargé de la Transition numérique. Il précise notamment les risques de ces systèmes.</p>
<h2>Des outils puissants au service des journalistes</h2>
<p>Les médias peuvent utiliser l’IA pour améliorer la qualité de l’information, lutter contre les fausses nouvelles, identifier le harcèlement et les incitations à la haine, mais aussi parce qu’elle peut permettre de faire avancer la connaissance et mieux comprendre des réalités complexes, comme le développement durable ou encore les flux migratoires.</p>
<p>Les IA génératives sont des outils fabuleux qui peuvent faire émerger des résultats que nous ne pourrions pas obtenir sans elles car elles calculent à des niveaux de représentation qui ne sont pas les nôtres, sur une quantité gigantesque de données et avec une rapidité qu’un cerveau ne sait pas traiter. Si on sait se doter de garde-fous, ce sont des systèmes qui vont nous faire gagner du temps de recherche d’information, de lecture et de production et qui vont nous permettre de lutter contre les stéréotypes et d’optimiser des processus.</p>
<p>Ces outils n’arrivent pas maintenant par hasard. Alors que nous sommes effectivement noyés sous un flot d’informations diffusées en continu par les chaînes classiques ou contenus accessibles sur Internet, des outils comme <a href="https://chatgpt-info.fr/">ChatGPT</a> nous permettent de consulter et de produire des synthèses, programmes, poèmes, etc., à partir d’un ensemble d’informations gigantesques inaccessibles à un cerveau humain en temps humain. Ils peuvent donc être extrêmement utiles pour de nombreuses tâches mais aussi contribuer à un flux d’informations non sourcées. Il faut donc les apprivoiser et en comprendre le fonctionnement et les risques.</p>
<h2>L’apprentissage des IA génératives</h2>
<p>Les performances des IA génératives tiennent à la capacité d’apprentissage auto-supervisée (c'est-à-dire sans être guidée par une main humaine, ce qui est un concept différent de l'adaptation en temps réel) de leurs modèles internes, appelés <a href="https://www.journaldunet.com/intelligence-artificielle/1522625-modeles-de-fondation-que-signifie-la-prochaine-ere-de-l-intelligence-artificielle/">« modèles de fondation »</a>, qui sont entraînés à partir d’énormes corpus de données constitués de milliards d’images, de textes ou de sons très souvent dans les cultures dominantes sur Internet, par exemple GPT3.5 de ChatGPT est nourri majoritairement de données en anglais. Les deux autres types d’apprentissage ont également été utilisés : avant sa mise à disposition fin 2022, ChatGPT a été optimisé grâce à un <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-les-defis-de-lapprentissage-profond-111522">apprentissage supervisé</a> puis grâce à un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-marcher-est-il-si-difficile-pour-un-robot-201996">apprentissage par renforcement</a> par des humains de façon à affiner les résultats et à éliminer les propos non souhaitables.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1640033915657232384"}"></div></p>
<p>Cette optimisation par des humains a d’ailleurs été très critiquée. Comment sont-ils formés ? Qui sont ces <a href="https://slate.com/technology/2023/05/openai-chatgpt-training-kenya-traumatic.html">« hommes du clic » sous-payés</a> ? Ces propos « non souhaitables », en outre, ne sont pas décidés par un comité d’éthique ou le législateur, mais par l’entreprise seule.</p>
<h2>Un apprentissage qui oublie les sources</h2>
<p>Durant l’apprentissage des modèles de fondation sur des textes, le système apprend ce que l’on appelle des <a href="https://theconversation.com/comment-fonctionne-chatgpt-decrypter-son-nom-pour-comprendre-les-modeles-de-langage-206788">« vecteurs de plongements lexicaux »</a> (de taille 512 dans GPT 3.5). C’est le système « transformers ». Le principe d’entraînement du modèle de fondation est fondé par l’hypothèse distributionnelle proposée par le linguiste américain John Ruppert Fith en 1957 : on ne peut connaître le sens d’un mot que par ses fréquentations (« You shall know a word by the company it keeps »). </p>
<p>Ces entités (« <em>token</em> » en anglais) font en moyenne quatre caractères dans GPT3.5. Elles peuvent n'être constituées que d'un seul et d'un blanc. Elles peuvent donc être des parties de mots ou des mots avec l’avantage de pouvoir combiner agilement ces entités pour recréer des mots et des phrases sans aucune connaissance linguistique (hormis celle implicite à l’enchaînement des mots), le désavantage étant évidemment d’être moins interprétable. Chaque entité est codée par un vecteur qui contient des informations sur tous les contextes où cette entité a été vue grâce à des mécanismes d’attention. Ainsi deux entités ayant le même voisinage seront considérées comme proches par le système d’IA.</p>
<p>Le système d’IA générative sur des textes apprend ainsi un modèle de production avec des mécanismes qui n’ont rien à voir avec la production humaine située avec un corps, pour autant <a href="https://theconversation.com/de-cambridge-analytica-a-chatgpt-comprendre-comment-lia-donne-un-sens-aux-mots-205534">elle est capable de l’imiter à partir des textes de l’apprentissage</a>. Ce fonctionnement a pour conséquence directe de perdre les sources d’où sont extraits les voisinages repérés, ce qui pose un problème de fond pour la vérification du contenu produit. Aucune vérification de la véracité des propos n’est produite facilement. Il faut retrouver les sources et quand on demande au système de le faire, il peut les inventer !</p>
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<p>Lorsque vous proposez une invite à ChatGPT, il va prédire l’entité suivante, puis la suivante et ainsi de suite. Un paramètre clé est celui de la « température » qui exprime le degré d’aléatoire dans le choix des entités. À une température élevée, le modèle est plus « créatif » car il peut générer des sorties plus diversifiées, tandis qu’à une température basse, le modèle tend à choisir les sorties les plus probables, ce qui rend le texte généré plus prévisible. Trois options de température sont proposées dans l’outil conversationnel Bing (GPT4) de Microsoft (plus précis, plus équilibré, plus créatif). Souvent, les hyperparamètres des systèmes ne sont pas dévoilés pour des raisons de cybersécurité ou de confidentialité comme c’est le cas dans ChatGPT… mais la température permet d’avoir des réponses différentes à la même question.</p>
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<h2>« Hallucinations » et autres risques</h2>
<p>Il est ainsi facile d’imaginer certains des risques de l’IA générative pour les médias. D’autres apparaîtront certainement au fur et à mesure de leurs utilisations.</p>
<p>Il paraît urgent de trouver comment les minimiser en attendant la promulgation pour l’Union européenne d’un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20230601STO93804/loi-sur-l-ia-de-l-ue-premiere-reglementation-de-l-intelligence-artificielle"><em>IA Act</em></a> en se dotant de <a href="https://iapp.org/news/a/ai-act-sets-rules-for-foundational-general-purpose-ai-models/">guides de bonnes pratiques</a>. L’<a href="https://www.ccne-ethique.fr/publications/avis-7-du-cnpen-systemes-dintelligence-artificielle-generative-enjeux-dethique">avis</a> du CNPEN sur les IA génératives et les enjeux d’éthique comprend, lui, 10 préconisations pour la recherche et 12 pour la gouvernance. Voici quelques-uns des risques identifiés pour les médias :</p>
<ul>
<li><p>Faire trop confiance aux dires de la machine sans recouper avec d’autres sources. Le croisement de plusieurs sources de données et la nécessité d’enquêter deviennent fondamentaux pour toutes les professions : journalistes, scientifiques, professeurs et autres. Il semble d’ailleurs fondamental d’enseigner la façon d’utiliser ces systèmes à l’école et à l’université et de <a href="https://theconversation.com/chatgpt-nous-rendra-t-il-moins-credules-197306">cultiver l’art de débattre pour élaborer ses idées</a>.</p></li>
<li><p>Comprendre que ChatGPT est construit avec des données majoritairement en anglais et que son influence culturelle peut-être importante.</p></li>
<li><p>Utiliser massivement ChatGPT de façon paresseuse dans les médias, en produisant énormément de nouvelles données artificielles non vérifiées sur Internet qui pourraient servir à entraîner de nouvelles IA. Ce serait dramatique qu’il n’y ait plus aucune garantie de vérité sur ces données reconstituées par la machine. Deux avocats américains se sont par exemple fait piéger en faisant référence au cours d’une procédure, sur les conseils de l’algorithme, à des <a href="https://www.reuters.com/legal/new-york-lawyers-sanctioned-using-fake-chatgpt-cases-legal-brief-2023-06-22/">jurisprudences qui n’existaient pas</a>.</p></li>
<li><p>Remplacer certaines tâches dans de nombreux métiers autour des médias par des systèmes d’IA. Certains métiers vont disparaître, d’autres vont apparaître. Il faut créer des interfaces avec des <a href="https://theconversation.com/peut-on-faire-confiance-aux-ia-148867">mesures de confiance</a> pour aider la coopération entre les humains et les systèmes d’IA.</p></li>
<li><p>Utiliser les systèmes d’IA et les démystifier devient une nécessité absolue tout en faisant attention de ne pas désapprendre et de pouvoir s’en passer.</p></li>
<li><p>Il est nécessaire de comprendre que ChatGPT fait de nombreuses erreurs, par exemple il n’a pas de notion d’histoire ni de compréhension de l’espace. Le diable est dans les détails mais également dans le choix des données utilisées pour créer le modèle. La loi sur l’IA réclame plus de transparence sur ces systèmes d’IA pour vérifier leur robustesse, leur non-manipulation et leur <a href="https://theconversation.com/apprentissage-profond-et-consommation-energetique-la-partie-immergee-de-lia-ceberg-172341">consommation énergétique</a>.</p></li>
<li><p>Il faut vérifier que les données produites n’empiètent pas sur le <a href="https://theconversation.com/copyright-droit-dauteur-quel-statut-juridique-pour-lia-dans-la-creation-audiovisuelle-215370">droit d’auteur</a> et que les données utilisées par le système sont correctement utilisées. Si des données « synthétiques » remplacent demain nos connaissances dans l’entraînement des futurs modèles de fondation, il sera de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux.</p></li>
<li><p>Donner accès à des systèmes d’IA (par exemple <a href="https://openai.com/dall-e-2">Dall-E</a> ou <a href="https://www.stable-diffusion-france.fr/">Stable Diffusion</a>) qui peuvent être utilisés pour créer de l’hypertrucage (<a href="https://theconversation.com/peut-on-detecter-automatiquement-les-deepfakes-212573"><em>deepfake</em></a> en anglais) pour produire des images. Le phénomène rappelle l’importance de vérifier non seulement la fiabilité des sources des articles, mais aussi des images et vidéos. Il est question de mettre des filigranes (ou <em>watermarks</em>) dans les textes, images ou vidéos produites pour savoir si elles ont été faites par des IA ou de labelliser les données « bio » (ou produites par des humains).</p></li>
</ul>
<h2>Laboratoire de l’IA sur les émergences et limites des IA génératives</h2>
<p>L’arrivée de ChatGPT a été un tsunami pour tout le monde. Il a bluffé experts comme non-experts par ses capacités de production de texte, de traduction et même de programmation informatique.</p>
<p>L’explication scientifique précise du phénomène d’« étincelle d’émergences » dans les modèles de fondation est un sujet de recherche actuel et dépend des données et des hyperparamètres des modèles. Il est important de développer massivement la recherche pluridisciplinaire sur les émergences et limites des IA génératives et sur les mesures à déployer pour les contrôler.</p>
<p>Enfin, if faut <a href="https://www.fondation-blaise-pascal.org/nos-actions/les-projets-de-la-fondation/capsules-ethique-du-numerique-pour-les-enfants/">éduquer à l’école sur les risques et l’éthique tout autant que sur la programmation</a>, et également former et démystifier les systèmes d’IA pour utiliser et innover de façon responsable en ayant conscience des conséquences éthiques, économiques, sociétales et du coût environnemental.</p>
<p>La France pourrait jouer un rôle majeur au sein de l’Europe avec l’ambition d’être un laboratoire de l’IA pour les médias en étudiant les enjeux éthiques et économiques au service du bien commun et des démocraties.</p>
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<p><em>Cette contribution à The Conversation France prolonge une intervention de l’auteur aux <a href="https://www.journeeseconomie.org">Jéco 2023</a> qui se sont tenues à Lyon du 14 au 16 novembre 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Devillers est présidente de la Fondation Blaise Pascal de médiation en mathématiques et en informatique. Elle a également une chaire en IA au CNRS HUMAAINE : Human-Machine Affective Interaction & Ethics. Elle est membre du CNPEN : Comité National Pilote d'Ethique du Numérique. </span></em></p>Même si les nouveaux outils d’intelligence artificielle sont puissants, ils ne savent pas identifier leurs sources d’information et inventent même parfois les propos qu’ils livrent.Laurence Devillers, Professeur en Intelligence Artificielle, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094812023-08-23T20:20:25Z2023-08-23T20:20:25ZLe vox pop, une pratique plus complexe qu'on le croit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540523/original/file-20230801-15-5f1zo2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C2%2C997%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vox pop est une pratique complexe et digne d'intérêt : l'assemblage de quelques interventions individuelles suffit pour faire allusion au public dans les médias. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Omniprésents dans les médias, les vox pop font souvent l’objet de rires, de critiques ou d’indifférence dans le discours populaire. Cette pratique complexe en mal d’amour et de reconnaissance se targue pourtant de « nous » représenter à divers degrés en tant que public dans les médias. </p>
<p>Et s’il était temps de lui accorder davantage d’intérêt et de soin ?</p>
<p>Le vox pop ou micro-trottoir est <a href="https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8365690/vox-pop?utm_campaign=Redirection%20des%20anciens%20outils&utm_content=id_fiche%3D8365690&utm_source=GDT">généralement défini</a> comme un sondage d’opinion informel réalisé auprès de membres du public pour être diffusé dans les médias, principalement dans un contexte journalistique. </p>
<p>Ce format, qui est tenu pour acquis collectivement, fait parfois l’objet de critiques ou de parodies. </p>
<p>Ces dernières années, le populaire <em>Bye bye</em> de fin d’année québécois s’est par exemple moqué des <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/149516/bye-bye-a-w-bienveillance-internautes-parodie-controverse-michel-olivier-girard">publicités de hamburgers de A&W</a> sous forme de micro-trottoir (2019) et des capsules de l’humoriste Guy Nantel (2018). </p>
<p>Les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=13b1CNHjZcc">vox pop produits par Nantel</a> à partir de mauvaises réponses de ses interlocuteurs à des questions de connaissances générales ont d’ailleurs soulevé une rare <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/medium-large/segments/entrevue/25163/guyn-nantel-voxpop-375e-anniversaire-montreal">réflexion publique</a> sur cette pratique, certains qualifiant sa démarche de <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/499872/le-mepris">méprisante</a>. </p>
<p>C’est afin de creuser les dessous fascinants de cette pratique plus complexe qu’il n’y paraît que j’ai consacré une thèse doctorale en communication au vox pop.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/86doxhkVB6c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’humoriste Guy Nantel a inclus des extraits de ses discussions de consentement à la participation dans un vox pop publié sur YouTube en septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>D’où viennent les vox pop ?</h2>
<p>Selon les dictionnaires, le vox pop tire son nom de l’expression latine <em>vox populi, vox Dei</em>, dont les <a href="https://www.press.jhu.edu/books/title/7794/vox-populi">premières traces</a> remontent au VIII<sup>e</sup> siècle. Cette formule, traduite par « la voix du peuple est la voix de Dieu », pourrait suggérer que cette prise de parole a une autonomie ou un pouvoir intrinsèque.</p>
<p>Les <a href="https://editions-metailie.com/livre/vox-populivox-dei/">études sur son usage</a> suggèrent que cette « voix » a plutôt été forgée sur mesure au fil des siècles afin de refléter les intérêts dominants du clergé, puis de la royauté. Il faudra attendre les grandes révolutions sociales du XVIII<sup>e</sup> siècle, ainsi que la montée subséquente des concepts de « classe ouvrière » et « d’opinion publique » avant que ces prises de parole issues de la population soient valorisées.</p>
<p>Le développement des médias a joué un rôle important dans l’émergence du vox pop, en particulier <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/016344379401600403">l’introduction vers 1860</a> d’une technique journalistique inédite : l’interview. En effet, il était jusque-là peu commun pour les journalistes de citer directement leurs sources. Cette technique a aussi favorisé la création d’enquêtes plus approfondies à travers la <a href="https://corpus.ulaval.ca/entities/publication/cd1b746f-d4ad-4dde-a893-4021999d441a">mise en série d’interviews</a> d’abord avec des personnalités connues, puis des personnes « anonymes ». </p>
<p>Rappelant les vox pop actuels, on rassemblait dorénavant plusieurs interventions sur un thème d’actualité, par exemple la controverse suscitée par le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k529229p/f2.item.zoom">port du pantalon chez les femmes à bicyclette</a> dans un article du Gaulois de 1895 !</p>
<p>Le vox pop a également été influencé par la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674027428">montée du marketing et des sondages d’opinion</a> au XX<sup>e</sup> siècle qui tentaient de définir ce qu’on considérait désormais comme le public de masse. On entend en effet communément que le vox pop s’adresse à des gens supposément « ordinaires » et qu’il représente l’opinion de « monsieur et madame Tout-le-Monde ».</p>
<h2>Quelques exemples précurseurs dans les médias</h2>
<p>Même si les conditions médiatiques et sociales d’existence des vox pop étaient présentes près d’un siècle plus tôt en Europe et en Amérique du Nord, mes recherches m’ont principalement permis de retracer des exemples concrets de vox pop à partir de 1930. Réalisé à Paris en 1932, le reportage photographique <a href="https://collections.museeniepce.com/fr/app/collection/7/author/9437/view?idFilterThematic=0">« Mesdames, voulez-vous voter ? »</a> accompagne chaque cliché de courts témoignages de passantes dont certaines semblent peu convaincues de la nécessité de permettre le vote aux femmes. </p>
<p>De 1932 à 1948, c’est au tour de l’émission radiophonique américaine <a href="https://archives.lib.umd.edu/repositories/2/resources/606">Vox Pop</a> de profiter des récentes avancées technologiques pour sortir ses microphones filaires du studio vers la rue et sonder le public sur toutes sortes de sujets. Au fil des années, les créateurs de l’émission travailleront consciemment à <a href="https://www.routledge.com/Radio-Reader-Essays-in-the-Cultural-History-of-Radio/Hilmes-Loviglio/p/book/9780415928212?gclid=CjwKCAjwq4imBhBQEiwA9Nx1Bh3Ircd1VhNThKmIbzu2tYV_9SfmHXGzEcaRJkuDgFjmOsfK-5KaTxoCx0EQAvD_BwE">représenter le public américain de façon exemplaire</a> et idéalisée à la radio, y compris lorsqu’il sera appelé à se mobiliser pendant la Deuxième Guerre mondiale. </p>
<h2>Un tour de force de représentation</h2>
<p>D’hier à aujourd’hui, l’une des particularités du vox pop est de faire appel à un échantillon limité de personnes triées sur le volet et d’amplifier leurs propos pour les amener à représenter plus largement le « grand public ». </p>
<p>Le linguiste américain <a href="https://www.cambridge.org/core/books/matters-of-opinion/D9DB315616B798ADCEC44621DEFDAB04">Greg Myers</a> écrira, dans son ouvrage <em>Matters of Opinion</em>, que pour le vox pop, </p>
<blockquote>
<p>La règle semble être qu’une seule personne ne peut pas parler au nom du « public », mais que n’importe quelle combinaison de trois personnes peut le faire. (traduction libre)</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux sondages d’opinion réalisés par des firmes professionnelles, la représentation qui est évoquée ici n’a rien de statistique. Cette citation résume cependant bien le pouvoir sous-estimé du vox pop et de ses créateurs et créatrices à générer des images plus ou moins déformées de certaines portions du public à destination d’auditoires médiatiques variés.</p>
<h2>Une pratique complexe et ses enjeux</h2>
<p>De ses origines à sa documentation, le vox pop est souvent associé à la pratique du journalisme. Ce format flexible qui permet de prendre le pouls de la population rapidement est fréquemment inséré dans les reportages. </p>
<p>Son utilisation est cependant plus problématique qu’il n’y paraît. </p>
<p>Les quelques études réalisées sur le vox pop journalistique nous apprennent qu’il est <a href="https://doi.org/10.1515/commun-2017-0040">malaimé des journalistes</a>, le plus souvent <a href="https://doi.org/10.1080/1461670X.2016.1187576">conçu de façon biaisée</a> et utilisé pour <a href="https://doi.org/10.1177/0267323118793779">soutenir le narratif du reportage</a> plutôt que l’expression autonome des opinions du public.</p>
<p>Le vox pop peut également être utilisé pour faire la promotion d’un produit ou de sa propre image de marque. Cet usage est particulièrement présent sur les réseaux sociaux. </p>
<p>Avec <a href="https://www.tiktok.com/tag/microtrottoir">7 milliards de vues associées au mot-clic #microtrottoir</a> à ce jour, les vox pop sont par omniprésents sur le réseau social TikTok du <a href="https://www.tiktok.com/@netflixfr/video/7099814861667896581?q=%40daetienne%20%23Netflix&t=1690489693841">jeu-questionnaire commandité</a> jusqu’à la <a href="https://www.tiktok.com/@jeremydruaux/video/7075397062832999686?is_copy_url=1">drague auprès de jeunes femmes</a> parfois en état d’ébriété.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Popularité du mot-clic #microtrottoir sur TikTok" src="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539858/original/file-20230727-17-hyvw1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=380&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">On dénombrait 7 milliards de visionnements associés au mot-clic #microtrottoir sur le réseau social TikTok en juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">TikTok</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La complexité du vox pop est manifeste lorsqu’on le considère comme <a href="https://voxpop.media/">pratique à part entière</a> portée par des créateurs et créatrices médiatiques d’horizons variés, allant de journalistes régis par un code de déontologie à des influenceurs sociaux peu encadrés. </p>
<p>Parmi les enjeux rencontrés sur le terrain, on dénote, sans pouvoir tous les nommer, le consentement de participation parfois absent, la déformation potentielle des propos, l’impossibilité de faire retirer des contenus problématiques ou encore leur risque de devenir viral. Sans suggérer que la participation à un vox pop se doit nécessairement d’être rémunérée, certains questionnements peuvent également être soulevés lorsque des contenus produits à partir de contributions d’inconnus sont monétisés.</p>
<p>La collaboration à des vox pop peut être une source de fierté, mais aussi potentiellement dommageable. Leur écho est aussi social puisque leur accumulation influence positivement ou négativement notre perception collective. À l’image de la maxime <em>vox populi, vox Dei</em>, les créateurs et créatrices médiatiques ont en effet un pouvoir énorme sur les propos et gestes qu’ils décident de mettre en scène, de récolter et de faire circuler dans l’espace médiatique.</p>
<h2>Pour des vox pop responsables</h2>
<p>À mon sens, il importe de valoriser une <a href="https://voxpop.media/hero">approche où la responsabilité collective des vox pop serait davantage partagée</a>. </p>
<p>Les créateurs et créatrices médiatiques sont d’abord invités à concevoir et réaliser leurs vox pop dans le respect des contributeurs à toutes les étapes et à faire preuve de plus de transparence sur leur démarche. </p>
<p>Les participants et participantes ont également un rôle clé à jouer : contribuer de façon assumée et mesurée aux vox pop ou exprimer leur refus si la démarche présentée ne leur convient pas. </p>
<p>Finalement, il incombe aux membres de l’auditoire de soulever des interrogations devant les contenus potentiellement problématiques et de donner de l’amour à ceux qu’ils jugent réalisés avec respect, quel que soit leur propos… </p>
<p>Oui, de l’amour, le vox pop en a bien besoin et il s’enrichit en sa présence !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209481/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cynthia Noury a reçu des financements des Fonds de recherche du Québec - Société et Culture, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Réseau international de recherche-création Hexagram.</span></em></p>Les vox pop sont omniprésents dans les médias. Ils sont cependant méconnus et souvent malaimés du public et médias.Cynthia Noury, Docteure en communication, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2042382023-06-08T16:08:26Z2023-06-08T16:08:26ZL'IA profite d'une couverture partiale des médias<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/523618/original/file-20230501-18-8b9nej.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C0%2C1902%2C1066&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Peu de voix critiques à l’égard de l’IA se font entendre dans la couverture des médias traditionnels sur le sujet.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les médias d’information jouent un rôle déterminant dans la perception qu’a le public de l’intelligence artificielle. Depuis 2017, année où Ottawa a rendu publique sa <a href="https://ised-isde.canada.ca/site/strategie-ia/fr">Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle</a>, <a href="https://yvesgingras.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/150/Note_2020-07_IA.pdf">l’IA est présentée et promue comme une ressource clé</a> pour l’économie canadienne.</p>
<p>Ayant engagé plus d’un <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4089932">milliard de dollars en financement public</a>, le gouvernement fédéral décrit l’IA comme un outil <a href="https://ised-isde.canada.ca/site/strategie-ia/fr">dont il faut impérativement tirer parti</a>. Certains organismes financés par l’État comme <a href="https://www.scaleai.ca/fr/">Scale AI</a> et <a href="https://forumia.quebec/">Forum IA Québec</a> existent pour faire la promotion de l’adoption de l’IA dans tous les secteurs de l’économie.</p>
<p>Au cours des deux dernières années, notre équipe de recherche <a href="https://www.shapingai.org/#media">Shaping AI</a> a étudié la couverture médiatique canadienne de l’IA. Nous avons analysé les articles de journaux publiés sur le sujet entre 2012 et 2021 et mené des entrevues avec des journalistes canadiens affectés à la couverture de l’IA durant cette période.</p>
<p><a href="https://espace.inrs.ca/id/eprint/13149/1/report_ShapingAI_verJ.pdf">Selon notre étude</a>, les articles de médias généralistes sur l’IA reflètent étroitement les intérêts des affaires et du gouvernement. La couverture de l’IA fait l’éloge de ses futurs avantages économiques et politiques. Elle aborde très peu les dynamiques de pouvoir qui sous-tendent ces intérêts.</p>
<h2>Les mêmes sources</h2>
<p>Notre étude révèle que les journalistes technos ont tendance à interviewer sans cesse les mêmes experts favorables à l’IA, en particulier des informaticiens. « Qui est la meilleure personne pour parler d’IA, si ce n’est celui qui la conçoit ? », nous expliquait un pigiste. Or, lorsque les journalistes font appel à un nombre restreint de sources, leurs reportages sont plus susceptibles d’omettre certaines informations importantes ou d’être partiaux.</p>
<p>Les informaticiens et les entrepreneurs oeuvrant dans le secteur technologique Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton, Jean-François Gagné et Joëlle Pineau sont sollicités outre mesure par les médias traditionnels. Le nom de Yoshua Bengio – pionnier de l’apprentissage profond et fondateur de l’<a href="https://mila.quebec/personne/bengio-yoshua/">Institut d’intelligence artificielle Mila</a> – <a href="https://1drv.ms/f/s!Agwflj4HlSHJ9GV2_kegBc8ijuIw?e=Oxrlbt">apparaît près de 500 fois</a> dans 344 articles journalistiques différents.</p>
<p>Seule une poignée de politiciens et de leaders du secteur des technologies, comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg, sont mentionnés plus souvent que ces experts dans les reportages canadiens sur l’IA.</p>
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<img alt="Deux hommes, l’un portant un veston et l’autre une tenue décontractée, sont assis et discutent.Des drapeaux canadiens apparaissent en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521370/original/file-20230417-1000-lgpo0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau rencontre Jean-François Gagné, cofondateur et à l’époque chef de la direction de la société Element AI, en marge du Fortune Global Forum, à Toronto, en octobre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Chris Young</span></span>
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</figure>
<p>Peu de voix critiques à l’égard de l’IA se font entendre dans la couverture des médias traditionnels sur le sujet. Les opinions critiques les plus fréquemment citées sont celles du regretté physicien Stephen Hawking, à qui on attribue 71 mentions. Les spécialistes des sciences sociales brillent par leur absence.</p>
<p>Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Joëlle Pineau sont des autorités dans leur domaine d’expertise, mais à l’instar d’autres scientifiques, ils ne sont pas neutres ni exempts de parti pris. En entrevue, ils <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/tout-un-matin/segments/entrevue/438367/moratoire-intelligence-artificielle-arrivee-nucleaire">font la promotion du développement</a> et du <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/media-8258004/entrevue-avec-yoshua-bengio?isAutoPlay=true">déploiement de l’IA</a>. Comme ils ont consacré leur vie professionnelle au développement du champ de l’IA, ils ont intérêt à favoriser son adoption.</p>
<h2>Chercheurs et entrepreneurs en IA</h2>
<p>Plusieurs scientifiques spécialisés en IA sont non seulement des chercheurs, <a href="https://doi.org/10.1080/0953732032000046024">mais aussi des entrepreneurs</a>. Ces deux rôles sont distincts : un chercheur produit des savoirs, tandis qu’un entrepreneur se sert de la recherche et du développement pour attirer les investissements et vendre ses innovations.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.1016/S0048-7333(99)00055-4">frontières entre l’État, l’industrie des technologies et le milieu universitaire sont de plus en plus poreuses</a>. Au Canada, au cours de la dernière décennie, les agences gouvernementales, les entreprises publiques et privées, les chercheurs et les industriels ont contribué à la mise en place d’un écosystème lucratif en IA. Les chercheurs du domaine sont étroitement intégrés à ce <a href="https://yvesgingras.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/150/Note_2020-07_IA.pdf">réseau tricoté serré</a>, partageant leur temps entre des laboratoires financés par l’État et des <a href="https://www.cs.mcgill.ca/%7Ejpineau/">géants de la technologie comme Meta</a>.</p>
<p>Les chercheurs en IA occupent des postes de pouvoir clés au sein des <a href="https://forumia.quebec/a-propos">organismes qui font la promotion de l’adoption de l’IA</a> <a href="https://ivado.ca/gouvernance/">dans toutes les industries</a>. De plus, un grand nombre d’entre eux occupent ou ont occupé des postes décisionnels à l’<a href="https://cifar.ca/fr/ia/">Institut canadien de recherches avancées (CIFAR)</a>, un organisme qui achemine des fonds publics vers des chaires de recherche en IA un peu partout au Canada.</p>
<p>Lorsque les informaticiens s’expriment dans les médias, ils le font non seulement à titre d’experts en IA, mais aussi en tant que <a href="https://shs.hal.science/halshs-00081741">porte-paroles de ce réseau</a>. Ils confèrent une crédibilité et une légitimité aux reportages sur l’IA en raison de leur expertise reconnue. Mais ils sont également en position de promouvoir leurs propres attentes relativement à l’avenir de l’IA, sans avoir à être imputable quant à la réalisation de ces visions d’avenir.</p>
<h2>Promotion de l’IA responsable</h2>
<p>Les experts cités dans les médias traditionnels abordent rarement les détails techniques de la recherche en IA. Les techniques d’apprentissage automatique – communément regroupées sous le terme parapluie IA – sont jugées trop complexes pour le grand public. « Il y a très peu d’espace consacré à l’approfondissement des aspects techniques », nous a dit un journaliste.</p>
<p>Les chercheurs en IA profitent plutôt de l’attention médiatique pour façonner les attentes et la compréhension du public en matière d’IA. La couverture récemment accordée à une <a href="https://futureoflife.org/open-letter/pause-giant-ai-experiments/">lettre ouverte réclamant un moratoire de six mois sur le développement de l’IA</a> en est un bon exemple. Les reportages ont surtout relayé des clichés alarmistes sur ce que l’IA pourrait devenir, citant de « <a href="https://www.nytimes.com/2023/03/29/technology/ai-artificial-intelligence-musk-risks.html">graves risques pour la société »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme d’âge moyen à la chevelure frisée fixe la caméra, le menton appuyé dans la main. À côté de lui se trouve un écran où l’on voit une tête humaine baignée dans une lumière bleue éclatante ; les mots « l’IA et l’apprentissage profond » apparaissent dans la partie supérieure de l’écran" src="https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521102/original/file-20230414-16-dbxzys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le professeur d’informatique Yoshua Bengio devant son domicile de Montréal, en 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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<p><a href="https://yoshuabengio.org/2023/04/05/slowing-down-development-of-ai-systems-passing-the-turing-test/">Yoshua Bengio</a>, qui a signé la lettre, avertit que l’IA a le potentiel de <a href="https://www.theglobeandmail.com/business/article-ai-pause-elon-musk/">déstabiliser la démocratie</a> et <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/tout-un-matin/segments/entrevue/438367/moratoire-intelligence-artificielle-arrivee-nucleaire">l’ordre mondial</a>.</p>
<p>Ces interventions ont façonné le discours sur l’IA de deux façons. Premièrement, elles ont associé les débats sur l’IA à des <a href="https://theconversation.com/lets-base-ai-debates-on-reality-not-extreme-fears-about-the-future-203030">visions alarmistes d’un futur lointain</a>. La couverture de la lettre ouverte réclamant un moratoire de six mois sur le développement de l’IA <a href="https://www.dair-institute.org/blog/letter-statement-March2023">a passé sous silence les dangers réels et bien documentés</a> liés à l’IA, comme ceux relatifs à <a href="https://academic.oup.com/book/5264">l’exploitation de la main-d’œuvre</a>, au <a href="https://proceedings.mlr.press/v81/buolamwini18a.html">racisme</a>, au <a href="https://youtu.be/E-O3LaSEcVw">sexisme</a>, à la désinformation et à la <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/shoshana-zuboff/the-age-of-surveillance-capitalism/9781610395694/">concentration du pouvoir entre les mains des géants de la technologie</a>.</p>
<p>Deuxièmement, la lettre présente la recherche en IA selon une <a href="https://www.britannica.com/topic/Manichaeism">dichotomie manichéenne</a> : la vision négative que « personne […] ne peut comprendre, maîtriser, prédire ou contrôler de façon fiable » et une vision positive – la soi-disant IA responsable. La lettre ouverte visait autant à façonner notre vision de l’avenir de l’IA qu’à <a href="https://www.latimes.com/business/technology/story/2023-03-31/column-afraid-of-ai-the-start-up-selling-it-want-you-to-be">vanter l’IA responsable</a>.</p>
<p>Mais si l’on en croit les normes de l’industrie de l’IA, ce qui a été jusqu’ici qualifié d’« IA responsable » consiste en des <a href="https://doi.org/10.1007/s43681-022-00209-w">principes vagues, volontaristes et non contraignants qui sont impossibles à mettre en œuvre dans le milieu des entreprises</a>. L’IA éthique n’est souvent qu’un <a href="https://time.com/6247678/openai-chatgpt-kenya-workers/">stratagème de marketing</a> à des fins de profit qui n’a pas grand-chose à offrir pour éliminer les systèmes d’exploitation, d’oppression et de violence déjà associés à l’IA.</p>
<h2>Recommandations de l’étude</h2>
<p>Notre étude comporte cinq recommandations visant à encourager un journalisme d’enquête critique en sciences et technologie ainsi que la mise en lumière des controverses de l’IA.</p>
<ol>
<li><p><strong>Promouvoir et investir dans le journalisme techno.</strong> Nous invitons les salles de rédaction et les journalistes à se méfier des cadrages économiques naïfs de l’IA et à enquêter plutôt sur les externalités qui sont généralement laissées de côté dans les reportages économiques : les exclusions sociales, les inégalités et les injustices créées par l’IA.</p></li>
<li><p><strong>Éviter de traiter l’IA comme une prophétie.</strong> Les projections futures de l’IA doivent être distinguées des réalisations actuelles.</p></li>
<li><p><strong>Suivre l’argent.</strong> Les médias canadiens ont peu couvert les proportions inhabituelles du financement gouvernemental gargantuesque qui a été consacré à la recherche sur l’IA. Nous conseillons aux journalistes d’examiner minutieusement les réseaux de personnes et d’organismes qui travaillent à la mise en place et au maintien de l’écosystème de l’IA au Canada.</p></li>
<li><p><strong>Diversifier les sources.</strong> Les experts en IA et leurs établissements de recherche occupent une place démesurée dans la couverture médiatique de l’IA au Canada, tandis que les opinions critiques y font cruellement défaut.</p></li>
<li><p><strong>Encourager la collaboration entre les journalistes, les salles de nouvelles et les équipes responsables des données.</strong> La prise en compte de différents types d’expertises aide à mettre en lumière les considérations sociales et techniques en matière d’IA. L’omission de l’une ou l’autre de ces expertises risque de rendre la couverture de l’IA déterministe, inexacte, naïve ou exagérément simpliste.</p></li>
</ol>
<p>L’adoption d’une attitude critique face à l’IA ne veut pas dire que l’on soit contre son développement et son déploiement. Cette posture a plutôt pour effet d’inciter les médias d’information et leur lectorat à s’interroger sur les dynamiques culturelles, politiques et sociales qui rendent l’IA possible, et à examiner les incidences globales de la technologie sur la société, et vice versa.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204238/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Dandurand est financé par le Conseil de recherche en sciences humaines.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fenwick McKelvey reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines et du Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jonathan Roberge reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines et des Fonds de recherche du Québec - Société et Culture (FRQSC).</span></em></p>La couverture médiatique de l’intelligence artificielle reflète davantage l’engouement du milieu des entreprises et du gouvernement que les opinions critiques.Guillaume Dandurand, Postdoctoral Fellow, Shaping AI, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Fenwick McKelvey, Associate Professor in Information and Communication Technology Policy, Concordia UniversityJonathan Roberge, Professor, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2058752023-05-28T15:33:16Z2023-05-28T15:33:16ZReporter de guerre : un métier nécessaire mais à haut risque<p>Un journaliste de l'agence de presse Reuters a été tué dans le sud du Liban le vendredi 7 octobre et six autres ont été blessés, après que les forces israéliennes ont bombardé cette zone suite à une « tentative d'infiltration ».</p>
<p>Le 9 mai 2023, un journaliste coordinateur vidéo de l’AFP en Ukraine avait été tué lors d’une frappe de roquettes russe à proximité de Bakhmout. Présent en Ukraine depuis quinze mois, il se rendait très régulièrement sur le front, en dépit des <a href="https://making-of.afp.com/sur-le-front-ukrainien-les-defis-dinformer">difficultés d’informer dans des conditions de guerre</a>.</p>
<p><a href="https://rsf.org/fr">Reporters sans frontières</a> dresse chaque année une <a href="https://rsf.org/fr/1-668-journalistes-tu%C3%A9s-en-20-ans-soit-80-par-en-moyenne-2003-2022">liste de ces journalistes tués</a> au service du public : le chiffre, en moyenne 80, dépasse parfois la centaine. Le <a href="https://www.prixbayeux.org/">prix Bayeux des reporters de guerre</a> décerne chaque année des distinctions aux correspondants de guerre, et les stèles du <a href="https://www.prixbayeux.org/presentation-fr/">mémorial</a> entretiennent la mémoire de plus de 2 000 journalistes tués dans l’exercice de leur métier.</p>
<p>Dans ce contexte dramatique, revenons brièvement sur l’histoire du journalisme de guerre et sur l’évolution récente de ce métier pas comme les autres.</p>
<h2>Les reporters de guerre</h2>
<p>En temps de paix, le journaliste peut aisément se situer : reporter ou enquêteur, il décrit les événements, fait passer de l’émotion, raconte la vie des autres à ses lecteurs ; éditorialiste ou chroniqueur, il prend position pour éclairer le public ou tenter de l’endoctriner. Mais en <a href="https://www.cairn.info/journalisme-international--9782807315747-page-205.htm">temps de guerre</a>, de quel côté est-il : du côté des guerriers ou du côté des victimes ? Dans quel camp se situe-t-il ? Est-il possible d’être entre les lignes et de maintenir l’équilibre entre les belligérants, entre l’arrière et le front, entre les politiques et les militaires ?</p>
<p>Le <a href="https://www.bnf.fr/fr/le-reportage-de-guerre-bibliographie">reportage de guerre</a> est apparu dans la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, lors de la guerre de Sécession aux États-Unis, de la guerre de 1870, mais il prend une place considérable au XX<sup>e</sup> siècle avec la guerre russo-japonaise, la guerre d’Espagne, les deux guerres mondiales, puis les guerres de décolonisation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/527280/original/file-20230519-7659-ris0qb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=708&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Alan Wood, correspondant de guerre du quotidien britannique <em>Daily Express</em>, rédige une dépêche pendant les combats à Arnhem, aux Pays-Bas, en 1944.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/War_correspondent#/media/File:War_correspondent_typing_his_despatch.jpg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>En temps de guerre, le journaliste risque souvent d’être considéré comme un espion ou comme un traître ; il peut alors être pris en otage, torturé ou tué. Durant la guerre russo-japonaise en 1904-1905, Ludovic Naudeau, envoyé spécial du <em>Journal</em>, est du côté des Russes ; il est arrêté par les Japonais pour espionnage. En 1917-1918, il couvre la révolution russe pour <em>Le Temps</em> ; il est arrêté en juillet 1918 à cause de la teneur antibolchévique de ses articles. Il est libéré à la fin de l’année en échange de la publication dans <em>Le Temps</em> d’un <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k243622g/f3.item">entretien avec Lénine</a>.</p>
<p>De nombreux journalistes sont morts pour avoir tenté de faire leur travail d’information, tels <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1955/08/23/andre-leveuf_1940775_1819218.html">André Leveuf</a>, tué au Maroc le 20 août 1955 ou <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Mort-reporter-de-guerre-Jean-Pierre-Pedrazzini-Budapest-Jean-Roy-Suez-1956-Photos-1768357">Jean-Pierre Pedrazzini et Jean Roy</a>, reporters pour <em>Paris Match</em>, tués à l’automne 1956, l’un à Suez, l’autre à Budapest.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1457734426620792848"}"></div></p>
<p>Durant la guerre d’Espagne, la presse française envoie près de deux cents reporters et photographes pour couvrir cette guerre civile annonciatrice de la Seconde Guerre mondiale : dans les premières semaines, les envoyés spéciaux circulent entre les deux camps ; mais bientôt, devant les menaces, les journaux d’information sont contraints d’envoyer deux équipes séparées pour couvrir les deux camps. Plusieurs correspondants meurent en Espagne, dans les combats ou par accident, et certains sont <a href="https://www.lexpress.fr/economie/espagne-des-restes-possibles-d-une-journaliste-francaise-fusillee-pendant-la-guerre-civile_2067583.html">fusillés</a>.</p>
<p>C’est à cette époque que la quête de l’image, fixe puis animée, prend une importance capitale pour apporter des preuves visuelles et conforter les reportages écrits. Il faut alors être au plus près : <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/fictions-perspectives-contemporaines-08-09/cycle-des-femmes-photographes-l-ombre-d-une-photographe-gerda-taro-de-francois-maspero-2-4-5141255">Gerda Taro</a> meurt en Espagne ; <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/robert-capa-4441850">Robert Capa</a>, qui a débarqué avec l’armée américaine le 6 juin 1944 en Normandie et a été tué au Tonkin en 1954, disait : « Si la photo n’est pas bonne, c’est que vous n’êtes pas assez près. »</p>
<h2>L’information, un enjeu dans la guerre</h2>
<p>La Première Guerre mondiale inaugure la « guerre totale », aussi bien militaire qu’économique ou idéologique. Afin de mieux contrôler l’information, les armées enrôlent des journalistes qui partagent la vie des soldats ; ce sont les <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7249/mg200rc">« embedded »</a>, selon la formule américaine. Mais, bien souvent, ils regimbent : ainsi, en 1918, Albert Londres quitte le groupe des reporters encadrés, les <a href="https://www.gregoiredetours.fr/XXe-si%C3%A8cle/grande-guerre/bernard-cahier-marcel-prevost-albert-londres-et-al-sous-le-brassard-vert-douze-journalistes-dans-la-grande-guerre-tome-1/">« brassards verts »</a>. C’est là un moyen d’éviter la censure militaire directe, que les journaux n’aiment guère. Photographes, cinéastes et journalistes officiels suivent ainsi les armées durant les deux guerres mondiales et les guerres coloniales.</p>
<p>La rupture intervient avec la guerre du Vietnam, lors de laquelle plus d’une centaine de journalistes sont tués, parce que l’armée américaine laisse plus de libertés aux très nombreux photographes et vidéastes (plus de 600 en 1968). Des reportages et des photographies, telle <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-culture-change-le-monde/la-petite-fille-au-napalm-de-nick-ut-une-photo-peut-elle-arreter-une-guerre-9572904">« la petite fille au napalm »</a> de Nick Ut (qui lui vaut le prix Pulitzer 1973), contribuent à discréditer la guerre auprès de l’opinion publique américaine. L’armée américaine reprendra le contrôle, notamment pendant la guerre du Golfe (1991), la dernière avant l’irruption d’Internet.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3rgDgSQlKIk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les reporters de guerre, bien qu’ils soient souvent instrumentalisés au service des diverses propagandes, sont « les yeux et les oreilles » des militaires, des populations civiles concernées par la guerre, mais aussi de l’opinion publique mondiale.</p>
<p>Albert Londres disait : « Nous allons voir pour vous. » Il s’agit de documenter, non de témoigner comme le font les civils ou les soldats engagés dans un conflit. Il s’agit aussi de raconter le vécu des civils et des soldats, pas simplement de filmer des explosions ou des ruines.</p>
<p>Se pose alors la question de ce qu’il faut montrer, ou pas, et pourquoi : dans l’invasion russe qui ravage l’Ukraine, les autorités ukrainiennes <a href="https://www.liberation.fr/checknews/est-il-vrai-que-les-autorites-ukrainiennes-interdisent-aux-journalistes-la-diffusion-dimages-de-la-guerre-20220330_62QUQA2Q4RBBTE2ISOYEWK7KXU/">imposent aux reporters</a> de ne pas montrer d’éléments susceptibles de permettre l’identification des lieux de tournage, car les Russes les regardent pour déterminer leurs cibles.</p>
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<p>Montrer des morts est aussi un dilemme très ancien : <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65227764"><em>Le</em> <em>Miroir</em>, le 8 octobre 1916</a>, affiche les corps enchevêtrés d’un soldat français et d’un soldat allemand. Dès 1862, Alexander Gardner publie des <a href="https://photoshistoriques.info/la-guerre-de-secession-en-photos-partie-2-1861-1865/">photos de la guerre de Sécession</a>. Les reporters contemporains ont souvent plus de pudeur avec les victimes : il n’est pas nécessaire d’exhiber le sang pour raconter une histoire qui intéresse le public, parce qu’il faut éviter le phénomène de lassitude qui gagne à mesure que se prolonge la guerre. C’est pourquoi les reporters, hommes et femmes, de <a href="http://cahiersdujournalisme.org/V2N5/CaJ-2.5-D021.html">plus en plus nombreuses sur les fronts</a>, varient les angles et les modes de récits.</p>
<h2>De la différence avec « tous reporters »</h2>
<p>Depuis 2005, les smartphones et les réseaux sociaux ont permis l’émergence de simples citoyens qui se présentent parfois comme reporters.</p>
<p><a href="https://www.liberation.fr/evenement/2005/08/20/quand-m-tout-le-monde-s-improvise-reporter_529787/">« Tous journalistes »</a>, mais aussi tous <a href="https://multimedia-ext.bnf.fr/pdf/10-Exposition%20Presse%20BnF_Tous%20journalistes.pdf">photographes</a> et tous vidéastes est un slogan qui a fait son apparition avec les nouvelles technologies de communication et de diffusion, en partie pour discréditer les médias traditionnels, qui seraient trop éloignés des réalités vécues.</p>
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<p>Pourtant, le slogan est trompeur : les journalistes, même les pigistes, sont insérés dans une rédaction, ce qui leur permet d’être épaulés, matériellement et intellectuellement : ils bénéficient de moyens de protection (casques, gilets pare-balles, etc.) et de relecteurs et vérificateurs qui corrigent, approfondissent et valident les reportages ; ils s’appuient également sur des <a href="https://cdjm.org/les-chartes/">règles déontologiques</a> reconnues par la profession qui encadrent les pratiques. Les plus importantes, dans un contexte de guerre, étant la fiabilité et le croisement des sources, la vérification et la contextualisation des informations, et enfin, la détection des liens d’intérêts et des manipulations éventuelles.</p>
<p><a href="http://journalismeetdeontologie.unblog.fr/2022/04/11/quelques-reflexions-sur-la-couverture-de-la-guerre/">Pierre Ganz</a>, un des spécialistes français de la déontologie journalistique, affirme :</p>
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<p>« Les documents qui circulent en très grand nombre sur les réseaux sociaux ne peuvent être repris par les médias sans recoupement et authentification par des méthodes journalistiques. L’analyse de ces renseignements [dits <a href="https://theconversation.com/invasion-russe-de-lukraine-lheure-de-gloire-de-losint-187388">OSINT</a>, pour open source intelligence en anglais] demande des équipes composées d’informaticiens et de journalistes, ou par des sites spécialisés comme <a href="https://fr.bellingcat.com/">Bellingcat</a>. » </p>
</blockquote>
<p>Le reporter de guerre n’est pas sur le front pour témoigner sans recul, mais pour documenter, afin que les opinions publiques aient une image claire, aussi proche que possible de la réalité et de la vérité du terrain, ainsi que du contexte de la guerre. C’est pourquoi le régime de Vladimir Poutine (comme <a href="https://theconversation.com/en-tunisie-des-medias-museles-par-un-pouvoir-toujours-plus-autoritaire-205501">d’autres régimes autoritaires</a>) mène de longue date une <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-le-tour-de-vis-radical-de-poutine-contre-les-medias-et-internet-20220305_PFVAFIZMHFBYFMGWS3Y6WBMSHQ/">guerre sans merci aux journalistes professionnels et aux médias indépendants</a>, ce qui lui permet de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/circulation-propagande-russie-kremlin-ukraine-complotisme-telegram-twitter-desinformation">diffuser massivement ses « fake news »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Eveno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le journaliste tué au sud du Liban vient s’ajouter à la longue liste des journalistes ayant trouvé la mort sur un théâtre de guerre.Patrick Eveno, Professeur émérite en histoire des médias, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014082023-04-18T15:37:51Z2023-04-18T15:37:51ZComment les médias peuvent influencer la signification d’une information ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517022/original/file-20230322-14-exf7p5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5000%2C3323&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les médias de masse relaient l'information entre les journalistes et les citoyens, ils renvoient à la société une représentation d'elle-même.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quand le média en ligne The Conversation publie un article <a href="https://theconversation.com/le-moment-est-venu-de-creer-un-revenu-dexistence-en-democratisant-la-monnaie-136872">sur le revenu d’existence par création monétaire</a>, il met en relation des chercheurs d’une université de province et des lecteurs de toute la francophonie. The Conversation établit une communication entre deux êtres qui ne sont pas dans le même espace. C’est ce que l’on appelle une médiation. Mais la médiation n’est pas neutre, elle est toujours active. Quand on fait appel à un médiateur pour régler un problème entre voisins, on espère que celui-ci va déployer une activité diplomatique suffisante pour permettre le rétablissement de bonnes relations.</p>
<p>Dans nos sociétés démocratiques, il existe une médiation singulière, celle des médias de masse : presse, radio, télévision. <a href="https://theconversation.com/les-ecosystemes-de-medias-approche-economique-et-institutionnelle-86667">Ces médias de masse</a> relaient l’information entre les journalistes et les citoyens, ils renvoient à la société une représentation d’elle-même.</p>
<p>Cette représentation n’est pas objective, elle est construite selon des règles qui ont été étudiées par les sciences de l’information et de la communication. Parmi toutes les notions explicatives, en voici trois.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pour-sinformer-les-jeunes-ont-ils-delaisse-les-medias-traditionnels-202457">Pour s’informer, les jeunes ont-ils délaissé les médias traditionnels ?</a>
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<h2>« le message c’est le médium »</h2>
<p>La première notion est celle de médium. Marshall McLuhan, philosophe canadien, a écrit un livre intitulé <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-comprendre-les-medias-marshall-mcluhan/9782757850145">« Pour comprendre les médias »</a> paru dans les années 1960. Dans ce livre, il affirme que « le message c’est le médium ». Cette affirmation signifie que le sens profond n’est pas à rechercher dans les mots, les images ou les sons transmis par les médias de masse, mais dans leur nature technique. Pour lui, les moyens de communication déterminent la société et la font évoluer. Nous étions, toujours selon ce penseur, dans les débuts de l’humanité, dans une civilisation dominée par la communication orale. Nous sommes, dit-il, grâce à l’imprimerie, rentrés, à la Renaissance, dans une civilisation de l’écrit qui au XX<sup>e</sup> siècle à laissé la place à une nouvelle civilisation, celle de l’audiovisuelle.</p>
<p>Cette idée que les médias déterminent le monde est au cœur de ce que certains nomment aujourd’hui la <a href="https://www.quebec-amerique.com/collections/adulte/litterature/hors-collection/la-revolution-internet-en-question-746">révolution Internet</a>. Or, cette idée est fausse. Elle ne repose sur aucune enquête de terrain. Elle ne rend pas compte de la complexité des relations entre la technique, l’économie, le politique et les croyances. Elle nie la réalité historique de la coexistence des différents médiums (la télévision n’a pas tué le livre et n’a pas été tuée par Internet). Elle confond le monde et l’Occident. Elle oublie le rôle des conflits dans l’histoire humaine, etc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/radios-internationales-des-outils-de-mobilisation-du-grand-public-en-pleine-transformation-200325">Radios internationales : des outils de mobilisation du grand public en pleine transformation</a>
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<p>Pourtant, cette théorie a eu le mérite de pousser à s’interroger sur un fait que l’on négligeait jusqu’alors : le médium n’est pas neutre. Le médium ne transmet pas le sens, il participe, de manière souvent invisible, à la compréhension de la signification. Envoyé un « Je t’aime » ou un « je te quitte » par SMS, le dire en vidéo ou l’exprimer en face à face ne sera pas compris avec la même sensibilité, n’aura pas la même force, ne provoquera pas le même effet.</p>
<p>Le médium n’est pas un support qui inscrit, sans la changer, la signification dans sa matérialité (du papier, un écran, du son), ce n’est pas davantage un moyen de communication qui fabrique, à lui tout seul, du sens, c’est une médiation matérielle qui transforme la signification.</p>
<p>Pour bien comprendre un message médiatique, il faut donc comprendre la nature de cette médiation singulière. Or, la plupart du temps, nous n’avons pas conscience de l’importance du médium dans la signification.</p>
<h2>L’importance du cadrage</h2>
<p>La seconde notion importante pour comprendre une communication médiatique est celle de cadrage. Dans le domaine des médias de masse, parler de « cadrage », c’est s’intéresser à la façon dont les médias représentent un sujet précis, en attirant l’attention sur tels points qu’ils jugent pertinents au détriment de tels autres que le destinataire pourrait pourtant juger tout aussi pertinents. Les médias ne se contentent pas d’attirer l’attention sur telle question plutôt que telle autre, ils proposent une définition particulière d’un problème qui est déjà une interprétation, une orientation de la réponse. Parler de l’accueil des migrants comme un problème politique, comme une nécessité morale ou comme un danger terroriste, c’est déjà orienter la compréhension de l’actualité.</p>
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<p>Dans ces opérations de cadrage, le titre et les illustrations sont des éléments clefs qui vont orienter la compréhension du message, même si celui-ci est plus nuancé, plus rationnel que le titre ou l’illustration choisie. Ce cadrage obéit à des logiques professionnelles (le spectaculaire plutôt que l’ordinaire), des logiques éditoriales – la suppression de l’impôt sur la fortune ne sera pas cadrée de la même façon dans <a href="https://www.humanite.fr/social-eco/ocde/l-europe-enterine-un-impot-plancher-sur-les-societes-775213"><em>L’Humanité</em></a> que dans <a href="https://www.lefigaro.fr/impots/declaration-de-revenus-2023-ces-7-erreurs-courantes-a-ne-pas-commettre-20230324"><em>Le Figaro</em></a>, puisque leur lectorat est idéologiquement opposé –, des logiques économiques (ne pas trop déplaire à un annonceur qui est sur la sellette), etc.</p>
<p>Ce cadrage obéit aussi à des logiques culturelles comme l’a montré Tourya Guaaybess, chercheure en communication internationnalement reconnue, dans un livre sur le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-cadrages_journalistiques_des_revolutions_arabes_dans_le_monde_tourya_guaaybess-9782343072739-48314.html">cadrage médiatique des révolutions arabes</a>. En Ukraine, par exemple, ces révolutions étaient lues par certains médias conservateurs comme des épisodes violents de foules en colère et menaçantes pour l’ordre public, alors que d’autres médias, plus progressistes, y voyaient, à l’image de la révolution orange, un peuple en train de se libérer de la tyrannie.</p>
<p>Loin de ces deux manières de cadrer la réalité révolutionnaire, les médias français insistaient plutôt sur le rôle des nouvelles technologies et faisaient référence au « printemps des peuples de 1848 ».</p>
<p>Dans ces conditions, comprendre pleinement un message médiatique demande de connaître le média qui a construit ce message afin de pouvoir décrypter le cadrage qu’il a mis en œuvre. Cela demande aussi de s’exposer à des médias non nationaux pour déconstruire le cadrage culturel de ce message. Autant de conditions qui ne sont que rarement remplies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/y-aura-t-il-encore-des-medias-dans-50-ans-66302">Y aura-t-il encore des médias dans 50 ans ?</a>
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<h2>Le rôle de l’énonciateur</h2>
<p>La troisième et dernière notion qui permet d’expliquer la difficulté de comprendre une communication médiatique est celle d’énonciateur. Les sciences du langage distinguent ce qui relève de la langue (code structuré par un ensemble de règles obligatoires comme l’accord du sujet et du verbe, par exemple) et l’énonciation qui est le style expressif utilisé par un locuteur.</p>
<p>L’énonciation met en œuvre au moins trois instances, un énonciateur (celui qui s’exprime, ici, le journaliste), un destinataire (l’auditeur, le lecteur, le téléspectateur), un énoncé (le message médiatique). Or, pour comprendre correctement un énoncé, il est souvent nécessaire d’identifier l’énonciateur. Par exemple, la phrase entendue à la radio « Les Belges n’ont pas d’humour » ne sera pas comprise de la même façon si elle est énoncée par l’animatrice belge de l’émission humoristique « Par Jupiter » sur France Inter que par un sondeur invité à commenter le rapport à l’humour de plusieurs habitants de l’Europe.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans l’émission <em>Par Jupiter</em>, France Inter.</span></figcaption>
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<p>Or, le problème est qu’identifier un énonciateur dans les médias de masse n’est pas chose aisée. En effet, ce n’est pas forcément celui qui parle qui est le véritable énonciateur. Par exemple, le présentateur du journal de TF1 peut lire un texte sur le prompteur qui est une dépêche d’agence, une information rédigée par le rédacteur en chef ou une citation d’un homme politique. Dans ce dernier cas, est-ce vraiment l’homme politique qui a tenu ce propos ? Un adversaire qui déforme sciemment son propos, un conseil en communication de l’homme politique ?</p>
<p>Ce qui est compliqué lorsqu’on s’efforce de comprendre un message d’un média bien déterminé devient, de nos jours, encore plus complexe puisque les nouvelles sont agrégées automatiquement, déformées et reformées par des centaines de personnes sur les réseaux sociaux, si bien que l’on ne sait plus qui est l’énonciateur du message. On ne peut plus alors le comprendre dans son intégralité, le soumettre au jugement critique de son libre arbitre. Quand l’énonciateur s’efface, la compréhension recule et la désinformation avance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201408/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Dacheux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les informations ne sont pas que des données rapportées, mais mises en formes en fonction de certaines règles. Lesquelles ?Éric Dacheux, Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2000142023-03-02T20:03:09Z2023-03-02T20:03:09ZFamille royale, showbiz et paparazzi : les tabloïds, une histoire 100 % british<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513200/original/file-20230302-20-konvfl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C398%2C4031%2C2619&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La presse à sensation fait toujours recette en Grande-Bretagne.</span> </figcaption></figure><p>Le documentaire <a href="https://www.netflix.com/fr/title/81439256"><em>Harry & Meghan</em></a> – sorti en décembre 2022 sur Netflix – et dans lequel le couple détaille les raisons de son conflit avec le reste de la famille royale, met en cause les médias britanniques et en particulier les tabloïds, taxés de harcèlement, et jugés en grande partie responsables du <a href="https://www.nytimes.com/2020/01/15/world/europe/harry-meghan-megxit-brexit.html">« Megxit »</a>. Mais à quand remonte l’apparition de ces journaux à sensation, quel est leur mode de fonctionnement, et pourquoi rencontrent-ils un tel succès outre-Manche ?</p>
<p>Les débuts de la presse britannique furent chaotiques, mais grâce aux progrès techniques, économiques et sociétaux, elle allait devenir une industrie puissante et influente, à tel point qu’on la surnomme le <a href="https://www.greelane.com/fr/sciences-humaines/probl%C3%A8mes/what-is-the-fourth-estate-3368058/">« quatrième pouvoir »</a>, allusion à sa place de contrepouvoir face à l’exécutif, au législatif et au judiciaire.</p>
<h2>Un peu d’histoire…</h2>
<p>Les premiers journaux paraissent en Écosse, en Angleterre et en Irlande avant la fin du XVII<sup>e</sup> siècle : le <a href="https://www.nls.uk/collections/rare-books/collections/newspapers/mercurius-caledonius/"><em>Mercurius Caledonius</em></a> à Édimbourg en 1660, puis la <a href="http://www.1-jour.fr/7-nov-1665-premiere-publication-du-london-gazette/"><em>London Gazette</em></a> en 1665, et en 1685, la <em>News Letter</em> à Dublin. En 1691, grâce aux progrès technologiques, l’Angleterre met en place un système postal national, ce qui facilite la publication quotidienne de certains titres.</p>
<p>Cependant, pour contrer le développement de la presse, le parlement britannique vote la loi <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Stamp_Act_1712">Stamp Act</a> en 1721. Cette taxation sur les journaux et autres publications, qui est une forme de censure imposée par l’état, est finalement abrogée en 1855.</p>
<p>Les innovations technologiques de l’imprimerie permettent alors la croissance rapide de la presse britannique, qui devient une industrie à part entière à la fin du dix-neuvième siècle et s’installe dans la vie quotidienne des Britanniques. En 1896, la <a href="http://www.1-jour.fr/4-mai-1896-sortie-du-journal-britannique-daily-mail/">première édition du <em>Daily Mail</em></a> paraît à Londres : c’est le premier journal du type « tabloïd, » un format qui allait littéralement bouleverser la place des journaux auprès des lecteurs ainsi que les attentes de ceux-ci.</p>
<p>On aurait pu croire que la <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/01/23/la-presse-ecrite-britannique-cherche-son-nouveau-modele-economique_4352821_3236.html">révolution numérique</a> sonnerait le glas de la presse britannique classique ; mais malgré la baisse considérable des tirages, les journaux britanniques arrivent à tirer leur épingle du jeu.</p>
<p>Cependant, le <a href="https://www.bing.com/ck/a?!&&p=aba44513ea1735a8JmltdHM9MTY3NTkwMDgwMCZpZ3VpZD0yMTYxNDI2My04MjVhLTZiZDItMTU1OC01MGQwODM1YzZhYTgmaW5zaWQ9NTQ0MQ&ptn=3&hsh=3&fclid=21614263-825a-6bd2-1558-50d0835c6aa8&u=a1L3ZpZGVvcy9zZWFyY2g_cT10cmFpbGVyK25ldGZsaXgraGFycnkrbWVnaGFuJnZpZXc9ZGV0YWlsJm1pZD1COUMxQUVCODA2NTYxNTU4ODQ0Q0I5QzFBRUI4MDY1NjE1NTg4NDRDJkZPUk09VklSRQ&ntb=1">départ des Sussex du Royaume-Uni</a> pour s’installer en Californie, en 2020, a mis en lumière de nombreuses pratiques peu éthiques de la part de certains journalistes.</p>
<h2>Les tabloïds en tête des ventes</h2>
<p>Pour mieux comprendre la presse britannique et ses lecteurs, il est important de connaître comment elle s’organise. La presse britannique peut être divisée en <a href="https://www.10differences.org/broadsheet-vs-tabloid/?utm_content=cmp-true">deux catégories distinctes</a> : d’une part les « broadsheets » (littéralement les feuillets larges), et d’autre part les tabloïds, de taille plus petite, avec beaucoup de photos, et donc plus faciles à manier et à lire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-fausses-nouvelles-une-histoire-vieille-de-2-500-ans-101715">Les fausses nouvelles : une histoire vieille de 2 500 ans</a>
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<p>Si les « broadsheets » proposent généralement des articles de qualité et une analyse approfondie de l’actualité (comme dans <em>The Guardian</em>, par exemple), c’est tout autre chose pour les tabloïds, avec un journalisme axé sur le sensationnalisme et la médiocrité, et qui suscite de très vives critiques de la part des « victimes » de la classe politique, la famille royale et d’autres personnalités du showbiz. Avec son surnom de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2011/jul/30/tabloids-british-phone-hacking">« the gutter presse »</a> (la presse du caniveau) les tabloïds défraient régulièrement la chronique, et ce depuis de très longtemps…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/the-crown-saison-4-un-soap-opera-cruel-envers-linstitution-monarchique-151264">« The Crown », saison 4 : un soap opera cruel envers l’institution monarchique</a>
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<p>Au niveau des tirages, parmi les <a href="https://www.newspapersland.com/united-kingdom/">titres nationaux</a> ce sont les tabloïds qui arrivent largement en tête des ventes. <a href="https://wikimonde.com/article/The_Sun"><em>The Sun</em></a>, journal fondé en 1964, reste le titre le plus vendu du pays, frôlant les quelques 1,2 million d’exemplaires quotidiennement. C’est le sensationnalisme qui fait vendre, avec une intrusion à outrance dans la vie privée de bon nombre de personnalités de la société britannique, dont la cible préférée des <a href="https://www.pointdevue.fr/royal/royaume-uni/diana-et-les-paparazzis-entre-amour-et-haine">paparazzis</a>, la famille royale. Les pratiques peu éthiques, et certains diraient franchement sordides, de ces derniers ont provoqué un tollé suite à la disparition de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/documentaires/the-princess-le-documentaire-inedit-sur-la-vie-tragique-de-lady-diana-25-ans-apres-sa-mort_5314465.html">Princesse de Galles, Diana</a>, dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma à Paris le 31 août 1997. Les circonstances de l’accident ont déclenché une prise de conscience collective chez les Britanniques, comprenant les conséquences potentielles de la course au scoop.</p>
<h2>Un droit de regard sur la famille royale</h2>
<p>Dix ans après la disparition tragique de la <a href="https://edition.cnn.com/2020/08/31/world/princess-diana-death-the-windsors-series/index.html">« people’s princess »</a>, Tony Blair, premier ministre à l’époque, <a href="https://youtu.be/0wcADoF4Jos">lançait un pavé dans la mare</a> en dénonçant une tendance préoccupante au « sensationnalisme » de la part des médias britanniques. <a href="https://www.courrierinternational.com/breve/2007/06/13/pourquoi-tony-blair-deteste-the-independent">Il déplorait que</a></p>
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<p>« les médias chassent de plus en plus en meute, comme des bêtes féroces qui mettent en pièces les gens et leur réputation ».</p>
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<p>Malgré de nombreuses plaintes déposées auprès des tribunaux britanniques (on peut citer les actions juridiques entamées récemment par le Duc et la Duchesse de Sussex contre les propos racistes publiés <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/08/world/europe/harry-meghan-netflix-media.html">dans les tabloïds</a>, ces derniers continuent à mener la vie dure des personnalités sans réfléchir à l’impact psychologique des articles pondus pour… booster les ventes.</p>
<p>Il est légitime à se demander pourquoi les Britanniques ont un appétit aussi féroce pour les tabloïds et le sensationnalisme à outrance, un phénomène qu’on ne trouve pas ailleurs, en tous cas pas à cette échelle. Pourquoi <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/17499755221092810">certains éditorialistes</a> s’acharnent à dévoiler la vie privée, par exemple, de la famille royale et de certains membres de celle-ci ? La <a href="https://www.societyofeditors.org/">Society of Editors</a>, organisme qui regroupe 400 membres de médias britanniques, a réfuté catégoriquement toute accusation de racisme de la part de Prince Harry et sa femme. Ces derniers affirment que la presse britannique est, en grande partie, responsable de leur départ « precipité ».</p>
<p>Selon la Society of Editors, les Britanniques ont un droit de regard sur la vie des « riches », y compris la famille royale. La question épineuse du coût de la monarchie et de l’existence même de l’institution est une constante source de débat d’outre-Manche. Si le contribuable britannique finance une partie de cette institution, est-il en droit de connaître la vie privée de certains de ses membres ? Pour la Society of Editors, la réponse est claire : oui. La monarchie, financée par l’argent public, doit rendre des comptes. Quant aux Sussex et à leur <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-56326807">refus de respecter certaines conventions</a> de la famille Windsor (la célèbre maxime « ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer »), avec notamment la diffusion sur Netflix de la série <em>Harry & Meghan</em>, il a peut-être renforcé cette frénésie de sensationnalisme.</p>
<p>On pourrait se demander si la mise en place de la <a href="https://www.ipso.co.uk/what-we-do/">Independent Press Standards Organisation</a>( IPSO) en 2014, qui a fait suite au scandale du <a href="https://youtu.be/52VQ3gSzqCE">piratage téléphonique par News International</a> (dont le propriétaire est Rupert Murdoch) a changé la donne. Mais à en croire les vives critiques à l’encontre de cet organisme, censé gérer les plaintes logées contre la presse, il semblerait qu’il reste encore un long chemin à faire.</p>
<p>Le Prince Harry, dans sa biographie, parue en janvier 2023, <a href="https://youtu.be/nRtzE658oSA"><em>Le Suppléant</em></a>,résume en quelques mots son ressenti concernant l’évolution de la presse à sensation :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde à l’époque [du décès de sa mère, NDLR] s’accordait à dire que la presse était une meute de monstres ; même ceux qui lisaient acceptaient leur part de responsabilité. Nous devions tous nous comporter mieux que ça, disaient la plupart des gens. Aujourd’hui, tant d’années plus tard, tout était oublié. L’histoire se répétait jour après jour… »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/200014/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwyn Jones ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi les Britanniques ont-ils un appétit aussi féroce pour les tabloïds ?Gwyn Jones, Etudes de civilisations britanniques, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950572022-11-29T16:14:32Z2022-11-29T16:14:32ZVos dons soutiennent notre indépendance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497067/original/file-20221123-18-3il8dy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=808%2C0%2C3780%2C3518&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Conversation - Vos dons soutiennent notre indépendance.</span> </figcaption></figure><p>A The Conversation, nous savons qu'un journalisme indépendant, basé sur la collaboration entre journalistes et enseignants-chercheurs, ne serait pas possible sans vos dons.</p>
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<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un journalisme indépendant basé sur la collaboration entre journalistes et enseignants-chercheurs, sans but lucratif, ne serait pas possible sans vos dons.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1846652022-06-13T19:13:35Z2022-06-13T19:13:35ZViolences sexuelles : quand les femmes journalistes se taisent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/468190/original/file-20220610-28309-iuo1va.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1917%2C1241&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De nombreuses femmes journalistes sont victimes d'abus sexuels ou de harcèlements dans leur pratique professionnelle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/nouvelles-journal-presse-m%c3%a9dias-4927976/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le 10 mai 2022, vingt femmes ayant déposé plainte ou témoigné dans l’enquête judiciaire ouverte contre Patrick Poivre d’Arvor – ex-présentateur star du JT de TF1 – ont participé à une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cnsKNvDplFo">émission spéciale de Mediapart</a>.</p>
<p>Cette affaire parmi d’autres est révélatrice des <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-inegalites-de-genre-dans-les-medias-restent-tenaces-171167">difficultés rencontrées par les journalistes femmes</a> lorsqu’elles dénoncent des violences de genre dans l’exercice de leur métier, malgré les mobilisations récentes comme #MeToo. Ces violences questionnent aussi les <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807336209-genre-et-journalisme">conditions de travail à l’œuvre dans le journalisme</a>.</p>
<h2>Des violences de genre nombreuses et documentées</h2>
<p>Nombreux sont les rapports d’ONG et d’associations, à l’image de l’Unesco, <a href="https://prenonslaune.fr/">Prenons la une</a>, ou encore <a href="https://www.letemps.ch/societe/femmes-journalistes-victimes-violences-40-pays">RSF</a>, <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/05/04/nous-femmes-journalistes-en-politique_1289357/">tribunes</a> et <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Pour-les-femmes-dans-les-medias-les-premiers-signataires-de-la-charte-temoignent">chartes</a> documentant le harcèlement et les agressions subies par les journalistes femmes au travail. Ces violences de genre englobent, <a href="https://www.cairn.info/encyclopedie-critique-du-genre--9782707190482-page-681.htm">comme le relève la chercheuse Ilaria Simonetti</a> :</p>
<blockquote>
<p>« l’ensemble des violences, qu’elles soient verbales, physiques ou psychologiques, interpersonnelles ou institutionnelles, commises par les hommes en tant qu’hommes contre les femmes en tant que femmes, exercées tant dans les sphères publiques que privée ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le journalisme, elles peuvent être perpétrées par des sources, des collègues, des supérieurs hiérarchiques, ou encore des tiers : agressions sexuelles lors de manifestations publiques y compris sur des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-etoile-du-jour/la-verite-finit-toujours-par-eclater-lucy-kassa-la-journaliste-qui-se-bat-pour-que-les-crimes-de-guerre-en-ethiopie-ne-restent-pas-impunis_5144074.html">terrains de conflits</a> où le recours au viol comme <a href="https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2020-4-page-80.htm">arme de guerre</a> est fréquent ou encore en <a href="https://cpj.org/fr/2011/06/lagression-sexuelle-contre-les-journalistes-le-cri/">représailles</a> de leur travail.</p>
<p>Les journalistes <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/la-journaliste-caroline-sinz-revient-sur-son-agression-place-tahrir_31577.html">Caroline Sinz</a> et <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/22/business/media/lara-logan-cbs-news.html">Lara Logan</a> évoquent de telles situations.</p>
<h2>L’ampleur du phénomène</h2>
<p>Un constat s’impose : l’ampleur du phénomène. La consultation en ligne #EntenduàlaRédac, menée par les collectifs Prenons la une, Nous toutes et Paye ton journal auprès de 1 837 personnes en 2019 en France, <a href="https://www.neonmag.fr/entendu-a-la-redac-une-enquete-revele-lampleur-du-sexisme-et-des-violences-sexuelles-dans-les-medias-524201.html">révèle</a> que « dans le cadre de leur travail, 46 % des répondantes ont été victimes de propos sexistes, 49 % de propos à connotation sexuelle, et 13 % d’agression sexuelle ».</p>
<p>Des proportions semblables à celles exposées par l’étude internationale <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000375136_fre">menée par l’Unesco</a> en 2020 dans laquelle « 73 % affirment avoir été victimes de violences en ligne et 20 % d’avoir souffert du prolongement de ces attaques dans leur vie réelle ».</p>
<p>Ces chiffres résonnent avec des accusations contre des journalistes français <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/07/14/un-rappel-a-la-loi-pour-le-journaliste-frederic-haziza-accuse-d-agression-sexuelle_1666520/">à LCP en 2018</a>, <a href="https://www.20minutes.fr/sport/2836107-20200807-stade-2-journaliste-france-tv-va-contester-licenciement-harcelement-apres-accusations-clementine-sarlat">trois reporters et un rédacteur en chef chez France TV la même année</a> et un célèbre animateur télévisé en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/17/jean-jacques-bourdin-vise-par-une-deuxieme-plainte-pour-agression-sexuelle_6114153_3224.html">2020</a>. Le premier a eu un rappel à la loi, France TV a été condamnée pour le licenciement abusif d’un des trois journalistes et la dernière affaire a été classée sans suite bien que le présentateur ait été <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/medias/jean-jacques-bourdin-ecarte-temporairement-des-antennes-de-bfmtv-et-rmc-902527.html">« temporairement »</a> écarté de deux antennes depuis.</p>
<h2>Une dénonciation difficile</h2>
<p>La dénonciation de ces violences n’aboutit pas systématiquement à une réparation pour les victimes. De fait, il existe un <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Insecurite-et-delinquance-en-2021-une-premiere-photographie-Interstats-Analyse-N-41">écart important</a> entre le nombre de femmes concernées et le nombre de plaintes déposées.</p>
<p>L’enquête RSF menée auprès de 112 journalistes (dans 130 pays, aux régimes politiques variés) en 2020, dénombre 35 % de <a href="https://rsf.org/sites/default/files/le_journalisme_face_au_sexisme.pdf">journalistes femmes</a> ayant subi des violences qui ne portent pas plainte, malgré le fait qu’elles soient dotées de ressources (diplômes universitaires, réseau…). Les dénonciations portées par les journalistes produisent même des effets ambivalents.</p>
<p>La prise en compte des plaintes par les institutions policières et judiciaires peut être un phénomène bloquant comme le montrent les <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2018-2-page-341.htm">travaux</a> d’Océane Perona qui explique que la qualification comme viol dépend de l’interprétation des faits par les policiers, qui s’appuie souvent sur une représentation stéréotypée où la victime doit s’opposer physiquement à son agresseur.</p>
<p>Il arrive aussi qu’aucune sanction ne soit décidée pour les personnes incriminées (ni disciplinaire, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/14/un-rappel-a-la-loi-pour-frederic-haziza-accuse-dagression-sexuelle-une-offense-pour-toutes-les-victimes-reagit-astrid-de-villaines_a_23481956/">ni pénale</a>) ou que les sanctions disciplinaires prises par l’entreprise médiatique <a href="https://www.lejdd.fr/Medias/harcelement-france-televisions-a-ete-condamne-aux-prudhommes-pour-licenciement-abusif-4099093">soient déboutées</a> par la justice. Dans d’autres cas, les enquêtes mettent les journalistes <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/04/16/harcelement-les-enquetes-a-la-radio-television-suisse-epargnent-le-journaliste-darius-rochebin_6077065_3234.html">hors de cause</a>, et certains donnent leur version de l’affaire <a href="https://www.femmeactuelle.fr/actu/news-actu/jean-francois-laville-journaliste-licencie-pour-harcelement-craque-en-evoquant-sa-confrontation-avec-son-fils-2120694">dans un ouvrage</a>.</p>
<p>Ainsi, dans 61 % des cas, les « violences n’ont entraîné aucune mesure spécifique au sein de la rédaction » (RSF, p.28).</p>
<h2>Effet boomerang</h2>
<p>Enfin, les dénonciations peuvent provoquer un effet boomerang sur la carrière des journalistes femmes. Des exemples montrent les différentes formes de représailles qu’elles peuvent subir, de la saisine de la justice à leur encontre (quand elles sont poursuivies pour <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/balancetonporc-eric-brion-perd-le-proces-en-diffamation-intente-contre-sandra-muller-9827164">diffamation</a>), à des <em>backlash</em> professionnels tels que la mise au placard, la mise à l’écart et les tentatives de <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/comprof/article/view/Mythe_de_la_salope_chez_les_journalistes_sportives_quebecoises">discrédit professionnel</a>.</p>
<p>Les journalistes enquêtées notent des répercussions professionnelles, jusqu’au licenciement ou au non-renouvellement de leur contrat pour 13 % d’entre elles toujours selon le <a href="https://rsf.org/sites/default/files/le_journalisme_face_au_sexisme.pdf">rapport de RSF</a>.</p>
<p>Ces répercussions conduisent parfois les journalistes à démissionner, à l’instar de l’une d’entre elles qui explique à nos co-autrices <a href="https://www.gemmaconference.com/wp-content/uploads/PANEL_12.pdf">Béatrice Damian-Gaillard et Eugénie Saitta</a> lors d’un entretien mené en 2021 (publication à venir) ne pas pouvoir côtoyer son agresseur présumé dans les bureaux de la rédaction, lorsque celui-ci est réintégré pendant l’enquête :</p>
<blockquote>
<p>« C’était horrible. C’était bizarre d’avoir une procédure judiciaire et d’être dans le même studio de télé »</p>
</blockquote>
<p>Une journaliste ayant été violée lors d’une mission à l’étranger raconte comment, à <a href="http://www.slate.fr/lien/65783/journaliste-caroline-sinz-viol-place-tahrir-france-televisions">son retour dans la rédaction</a>, elle est confrontée à la méfiance de ses collègues et au silence de ses encadrants, puis empêchée de repartir sur le terrain.</p>
<h2>Dénoncer : un acte préjudiciable à la réputation professionnelle</h2>
<p>La difficulté à dénoncer et sanctionner les violences de genre au sein des rédactions s’explique par des mécanismes structurels. Ceux-ci touchent à la fois à l’organisation du travail, aux choix éditoriaux et aux normes sociales (<a href="https://www.bookdepository.com/Gender-Journalism-Equity-Gertrude-J-Robinson/9781572736139">réseaux</a> et logiques de <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753580404/dirigeants-de-medias">cooptation</a> entre collègues).</p>
<p>Ces difficultés sont d’ailleurs renforcées lorsque les agresseurs présumés occupent des positions dominantes dans le champ journalistique (fonctions de direction ou personnalités publiques reconnues).</p>
<p>L’acquittement, en 2021, de Tarun Tejpal, <a href="https://www.letemps.ch/monde/chute-dune-icone-journalisme-indien-accusee-viol">« icône du journalisme indien »</a> accusé d’agressions sexuelles, et l’abandon de l’enquête, en 2017, à l’encontre du journaliste de télévision japonais, Noriyukien Yamaguchi, <a href="https://www.lesechos.fr/2017/11/cette-affaire-qui-embarrasse-le-japon-1117748">accusé de viol</a>, en attestent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cnsKNvDplFo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Médiapart a consacré une émission entière fin avril aux témoignages des femmes mettant en cause une ex-vedette de TF1.</span></figcaption>
</figure>
<p>La reconnaissance sociale acquise par ces hommes auprès de leurs pairs et/ou la notoriété publique légitiment davantage leur parole face à celles de consœurs les accusant de violences de genre. Dans un système dans lequel <a href="https://www.entremises.fr/livre/978-2-38255-027-4_hier-journalistes">elles peinent</a> à faire et à maintenir <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/rec/article/download/58043/54203">leur place</a>, ces journalistes n’ont alors pas intérêt à la risquer en entamant une procédure longue et à l’issue incertaine. Ainsi, parmi les raisons mentionnées dans le rapport RSF de ne pas porter plainte, <a href="https://rsf.org/sites/default/files/le_journalisme_face_au_sexisme.pdf">47 % des journalistes concernées</a> ont estimé que la procédure n’aboutirait pas (2020, p.31).</p>
<p>De plus, de la reconnaissance à la réputation, il n’y a qu’un pas et de celles-ci dépendent les opportunités professionnelles, surtout dans l’exercice d’un métier fondé sur l’image publique : celle des journalistes certes, mais aussi celle des médias pour lesquels elles travaillent. Les journalistes, sur injonction des rédactions, développent leur identité professionnelle sur les réseaux sociaux, relevant parfois de l’<a href="https://www.researchgate.net/profile/Arnaud-Mercier-2/publication/267982359_L %27identwite_des_journalistes_Etude_des_profils_Twitter_des_journalistes_francais_et_anglophones/links/545eb6750cf27487b44f0dbd/Lidentwite-des-journalistes-Etude-des-profils-Twitter-des-journalistes-francais-et-anglophones.pdf">egobranding</a>. Dès lors, les directions des médias peuvent être tentées de <a href="https://www.puf.com/content/Le_harc %C3 %A8lement_sexuel">faire pression</a> pour éviter la publicisation d’un cas de violence de genre qui risquerait de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/290522/violences-sexuelles-havas-la-fabrique-du-silence">nuire à l’image de marque de l’entreprise</a>.</p>
<p>De ce point de vue, l’affaire PPDA est emblématique d’un pouvoir fondé sur la position de présentateur du JT et une notoriété au service de l’image de marque de l’entreprise. <a href="https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/ep156-pas-salope-journaliste/">Celle de Pierre Ménès</a> illustre la manière dont une chaîne de télévision décide de protéger un journaliste vedette en censurant les passages d’un documentaire qui l’incriminent.</p>
<h2>La médiatisation des affaires, une nouvelle forme de violence ?</h2>
<p>La médiatisation des violences de genre tend à évoluer. Par exemple, la <a href="https://theconversation.com/de-faits-divers-a-fait-de-societe-comment-le-viol-est-peu-a-peu-devenu-un-sujet-politique-145744">couverture médiatique du viol</a> s’est à la fois intensifiée et politisée, ce crime passant du fait divers aux rubriques « société ».</p>
<p>Certaines rédactions ont d’ailleurs repensé l’éditorialisation des violences de genre via la création de postes de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/gender-editor-femmes-representation-medias">gender editors</a>, de groupes de travail spécialisés ou de <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-correctrices-et-correcteurs-de-mediapart/blog/250322/la-charte-de-la-communication-inclusive-mediapart">chartes</a>. Ce renouvellement doit toutefois être nuancé, d’abord du fait de la <a href="https://www-cairn-info.docelec-u-paris2.idm.oclc.org/revue-le-temps-des-medias-2021-1-page-156.htm">persistance médiatique de discours masculinistes</a>, mais aussi par la <a href="https://revue.surlejournalisme.com/slj/article/view/402/371">lutte que les journalistes</a> femmes doivent encore mener pour faire exister ces sujets et imposer des angles respectueux du vécu des victimes.</p>
<p>En outre, le traitement médiatique de ces violences reste empreint de stéréotypes touchant les journalistes femmes de manière spécifique. Celles-ci sont en effet la cible du <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/comprof/article/view/Mythe_de_la_salope_chez_les_journalistes_sportives_quebecoises">« mythe de la salope »</a> qui fait peser sur elles le soupçon de jouer de leur sexualité pour servir leur carrière. Ce stéréotype peut conduire à minimiser les violences qu’elles subissent, amoindrissant la crédibilité de leurs dénonciations et renversant la culpabilité. Cette logique d’inversion s’inscrit plus généralement dans la circulation médiatique de <a href="https://journals-sagepub-com.docelec-u-paris2.idm.oclc.org/doi/10.1111/j.1471-6402.1994.tb00448.x">mythes sur le viol</a> qui dédouanent les agresseurs et font porter le blâme sur les victimes. Ce traitement opère pour toutes les violences de genre, notamment les <a href="https://journals.openedition.org/semen/12324">féminicides</a>, encore qualifiés dans certains médias de « crimes passionnels » et justifiés par des arguments psychologisants.</p>
<p>Certains médias reprennent les logiques judiciaires du <a href="https://www-jstor-org.docelec-u-paris2.idm.oclc.org/stable/189718 ?seq=1">débat contradictoire</a>, lorsqu’ils traitent des <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/metoo-au-japon-une-victoire-contre-l-oubli-pour-shiori-ito-337711">plaintes pour diffamation</a> déposées par les agresseurs présumés. Au nom du respect de l’objectivité journalistique, ils s’approprient tels quels les arguments mobilisés par les parties, notamment ceux qui décrédibilisent les victimes de violences.</p>
<p>Ce manque de recul peut aussi être accentué par le fait que les journalistes n’ont pas toujours l’expertise et le temps nécessaire pour enquêter. Enfin, si les réseaux sociaux servent d’espace de dénonciation des agressions, ils participent aussi, lors de ces affaires, à la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03206449/">perpétuation de stéréotypes et de violences de genre</a> sous la forme de campagnes de <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2017-1-page-21.htm">cyber-harcèlement et de dénigrement</a> contre les victimes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les femmes journalistes évitent souvent de mentionner les violences dont elles sont l’objet pour préserver leurs carrières professionnelles.Sandy Montañola, Maîtresse de Conférences, Université de Rennes 1 - Université de RennesBéatrice Damian-Gaillard, Professeure des universités, Université de Rennes 1 - Université de RennesEugénie Saitta, Maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université de Rennes 1 - Université de RennesJeanne Wetzels, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818892022-05-02T19:05:15Z2022-05-02T19:05:15ZUn manuel de survie numérique pour s’informer et éviter la censure en Russie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460382/original/file-20220428-14-ymc57i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5463%2C3637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De très nombreux sites sont bloqués par la censure russe. Mais ce blocage n’est pas à toute épreuve.</span> <span class="attribution"><span class="source">FellowNeko/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dès le début de la guerre contre l’Ukraine en février 2022, la censure se renforce sur l’ensemble de l’espace numérique et informationnel en Russie. La surveillance et les interdictions pesant sur les citoyens et les médias, déjà <a href="https://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/issue/view/693">bien documentées</a> depuis plusieurs années, sont massivement mobilisées.</p>
<p>Aux nombreuses lois encadrant les contenus médiatiques adoptées depuis le début des années 2010 s’ajoute la <a href="http://publication.pravo.gov.ru/Document/View/0001202203040007">loi du 4 mars 2022 sur la censure militaire</a>. Son adoption est suivie d’une intensification des contrôles sur les médias, notamment par le biais d’<a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/02/28/russie-forte-hausse-de-la-censure-liee-la-guerre">« avertissements »</a> envoyés par l’autorité de régulation Roskomnadzor aux rédactions. La loi « interdit la diffusion de fausses informations sur les forces armées russes » et sur l’« opération militaire spéciale en Ukraine » ainsi que la discréditation des forces armées russes. Les contrevenants sont d’abord passibles d’une amende (de 700 000 à 1,7 million de roubles) puis d’une peine qui peut aller jusqu’à 15 ans de privation de liberté. Les autorités demandent aux médias russes de ne se baser que sur les informations officielles dans leur traitement de l’actualité militaire.</p>
<p>Dans ce contexte menaçant, qui voit la fermeture forcée de nombreux sites, journaux et stations de radio, <a href="https://rsf.org/fr/guerre-en-ukraine-poutine-termine-dachever-la-presse-independante-russe">russes</a> comme <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/russie-les-medias-etrangers-sur-le-qui-vive-1391477">étrangers</a>, les journalistes des médias indépendants s’interrogent sur la possibilité ou non de poursuivre leurs activités.</p>
<h2>Trois types de réactions</h2>
<p>Trois positions se dessinent. Les uns (comme la télévision <a href="https://www.rferl.org/a/russia-dozhd-tv-suspending-operations-ukraine/31734451.html">Dojd’</a>, la radio <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220303-ukraine-la-radio-russe-ekho-moskvy-se-saborde-apr%C3%A8s-avoir-%C3%A9t%C3%A9-interdite-d-antenne">Ekho de Moscou</a>, le journal <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/28/trop-de-pression-du-kremlin-le-media-independant-novaia-gazeta-cesse-de-paraitre">Novaïa Gazeta</a> ou le site <a href="https://interfax.com/newsroom/top-stories/75454/">Znak.com</a> par exemple) décident de renoncer à toute publication.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fermeture-de-la-nova-a-gazeta-dernier-clou-dans-le-cercueil-de-la-liberte-dexpression-en-russie-170029">La fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie</a>
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<p>D’autres tentent de se conformer aux dispositions de la loi, en euphémisant leurs contenus (ne pas parler de « guerre » mais d’« opération spéciale ») pour continuer à publier et passer entre les mailles du filet.</p>
<p>Les derniers, enfin, refusent de se soumettre à la censure et continuent à travailler malgré l’interdiction de leurs sites, publiant des conseils à leurs lecteurs pour contourner les blocages (les sites d’information indépendants et militants <a href="https://meduza.io/en">Meduza</a>, <a href="https://zona.media/">Mediazona</a> ou encore <a href="https://holod.media/">Kholod</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WC_HUYj0pZ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le gendarme russe des télécoms bloque plusieurs médias, TV5 Monde, 18 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Souvent localisés hors des frontières de la Russie pour échapper aux menaces pesant sur leurs journalistes, ils publient depuis l’étranger, à destination du public russophone, qu’il vive hors de Russie ou en Russie même. Dans ce dernier cas, en élaborant des guides numériques de contournement des contraintes, ils participent à la dissémination de savoirs numériques alternatifs, conçus en collaboration avec les associations russes de défense des libertés numériques, contribuant à leur niveau à l’<em>encapacitation</em> de leurs lecteurs. Ces savoir-faire critiques, destinés à l’auditoire russophone, sont suffisamment universels pour mériter l’attention, au-delà des publics russes en difficulté.</p>
<h2>Conseils pratiques et savoir-faire numériques</h2>
<p>Les médias qui continuent à travailler malgré les blocages expliquent à leurs lecteurs résidant en Russie, où leurs sites sont normalement inaccessibles, comment contourner les interdictions, en s’appuyant sur l’expérience accumulée au fil des années.</p>
<p>Depuis le <a href="https://fr.globalvoices.org/2015/08/24/189566/">blocage de grani.ru en 2012</a>, la gamme des « savoirs-contourner » s’est élargie et enrichie. Les conseils techniques sont formulés dès le 25 février 2022 en coopération avec les associations de défense des libertés numériques (comme les organisations <em><a href="https://te-st.ru/about-en/">Teplitsa</a>, <a href="https://ozi-ru.org/">Obscestvo Zascity Interneta</a></em> et <a href="https://roskomsvoboda.org/about/en/"><em>Roskomsvoboda</em></a>) et leurs formateurs à la sécurité numérique. L’association de défense des libertés numériques Teplitsa publie ainsi un <a href="https://te-st.ru/2022/02/26/digital-security-at-war/">article</a> de Sergueï Smirnov, formateur en sécurité numérique, sur les bonnes pratiques à adopter dans le contexte de renforcement des contrôles et de la surveillance, qui donne les conseils suivants sur la sécurité numérique en temps de guerre :</p>
<ol>
<li><p><em>Porter un nouveau regard sur ses amis en ligne et nettoyer la liste de ses contacts</em>. Sergueï Smirnov souligne que « la sécurité est plus importante que l’amitié passée pour un camarade d’école. »</p></li>
<li><p><em>Cesser de publier des informations inutiles ou superflues sur soi et ses proches</em>. Les photos de personnes, les projets, les localisations peuvent être utilisés contre vous si vous êtes engagés dans des activités publiques.</p></li>
<li><p><em>Vérifier que vos mots de passe et vos dispositifs de double authentification fonctionnent sur vos appareils</em>. Dans un contexte de guerre, des intrus peuvent s’intéresser à vos comptes et à vos données.</p></li>
<li><p><em>Ne pas parler des thèmes importants, liés à la guerre, sur des messageries à la fiabilité douteuse</em>. Il vaut mieux éviter le Messenger de Facebook et passer sur <a href="https://signal.org/fr/">Signal</a>.</p></li>
<li><p><em>Éviter les services qui peuvent facilement transmettre vos données sous la pression de l’État</em>. Cela concerne surtout les mails et le cloud, il vaut mieux éviter mail.ru et Yandex.disk.</p></li>
<li><p><em>Nettoyer les ordinateurs et les téléphones pour supprimer les contenus inutiles, faire une copie de sauvegarde des données importantes et les chiffrer</em>. Une augmentation des perquisitions et des saisies de matériel informatique est à prévoir.</p></li>
<li><p><em>Utiliser des VPN (il renvoie vers un lien pour les trouver), s’habituer à utiliser <a href="https://www.torproject.org/fr/">Tor</a></em>. Nous nous acheminons vers un contexte où les informations sur les droits de l’homme ne pourront être publiées qu’anonymement, comme en Chine.</p></li>
<li><p><em>Vérifier les informations et ne pas les reposter trop vite.</em></p></li>
</ol>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504139761467985920"}"></div></p>
<h2>Sites miroir, réseaux sociaux, newsletters…</h2>
<p>Après leur blocage, les sites Meduza, Mediazona, OVD-info et Kholod invitent leurs lecteurs à les suivre sur différents supports et à les soutenir de diverses manières.</p>
<p>Le 26 février, Meduza publie un article intitulé <a href="https://meduza.io/feature/2022/02/26/kak-chitat-resursy-zablokirovannye-rossiyskimi-vlastyami">« Comment lire les contenus bloqués par le pouvoir russe. Les instructions simples de Meduza »</a>. Le site donne également des conseils pour se « préparer à la vie dans la nouvelle réalité internet ». Ces conseils sont aussi publiés dans un fichier google.doc pour les partager facilement. Ces instructions comportent plusieurs modalités de contournement des contraintes numériques, des plus ouvertes aux plus fermées, des plus simples aux plus complexes, pour avoir accès aux contenus qui sont publiés en ligne mais bloqués en Russie. Les conseils évoluent rapidement au fil des nouvelles contraintes imposées par les autorités de régulation.</p>
<p>Le 8 avril 2022, le média en ligne indépendant <em>Kholod</em> est bloqué à son tour par Roskomnadzor. Sa rédaction <a href="https://holod.media/2022/04/09/chto-delat-esli-holod-zapretyat-pismo-na-sluchaj-blokirovki/">écrit</a> alors :</p>
<blockquote>
<p>« <em>Salut ! C’est « Kholod », et voilà plus d’un mois que nous travaillons dans un pays qui fait la guerre. Ces dernières semaines, nous avons reçu deux avertissements de Roskomnadzor demandant à nos providers de limiter l’accès à certains de nos contenus si nous refusions de les modifier. Nous n’avons pas retiré les contenus en question. Aujourd’hui, nous avons reçu le troisième avertissement. L’administration exige la suppression de tous les contenus relatifs à la guerre sur notre site. Nous ne le ferons pas, bien sûr. Nous n’avons pas l’intention de nous soumettre à la censure, surtout à la censure militaire dans un pays qui ne reconnaît pas qu’il mène la guerre. Nous allons continuer à dire la vérité sur ce qui se passe en Russie et en Ukraine. Le pouvoir russe veut que les journalistes qualifient la guerre d’"opération spéciale". Il veut aussi que nous ne publiions que les informations fournies par les sources officielles. Respecter ces conditions conduirait à vous priver d’un traitement honnête et pluraliste des événements</em> ».</p>
</blockquote>
<p>Le site publie des recommandations à ses lecteurs pour contourner la censure en ligne. Il s’appuie sur les guides et conseils produits par les militants de l’internet libre ou ses confrères d’autres médias bloqués, comme Meduza.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1503237041005514752"}"></div></p>
<p>Pour accéder aux sites des médias bloqués, les rédactions incitent d’abord à garder le lien vers les sites miroir pour continuer à accéder aux contenus publiés (par exemple <a href="https://mediazona.online/">mediazona.online</a>. Parmi les méthodes plus simples et classiques, les médias proposent à leurs lecteurs de s’abonner à leur liste de diffusion par mail. Kholod explique ainsi : « Il est beaucoup plus difficile d’interdire l’accès aux réseaux sociaux et aux boîtes mail qu’au site. C’est pourquoi, premièrement, inscrivez-vous sur nos réseaux sociaux : Telegram, Instagram, Twitter, Facebook. Ensuite, parlez à vos amis de notre liste de diffusion à laquelle on peut s’inscrire. » Meduza confirme : « Et bien sûr la bonne vieille poste électronique : le pouvoir n’a pas encore bloqué les listes de diffusion de nouvelles, même pour ceux qui utilisent des services mail russes (yandex.ru ou mail.ru) ».</p>
<p>Les journalistes invitent aussi leurs lecteurs à télécharger leurs applications (sur l’Appstore ou sur Google play si elle est disponible). Meduza explique qu’il faut « chercher les applications des médias bloqués (ou pas encore bloqués !). C’est le moyen le plus simple. Bloquer une application mobile est plus difficile que bloquer un site, surtout si ses concepteurs ont mis en place des instruments de contournement des blocages. »</p>
<p>Tous les médias invitent leurs lecteurs à les suivre sur les réseaux sociaux. Cependant, au fil du conflit, les possibilités d’accès aux réseaux sociaux se réduisent (suite notamment au <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/juges-extremistes-facebook-et-instagram-meta-desormais-interdits-en-russie-906627.html">blocage de Facebook et Instagram le 21 mars</a>). Si, au début des hostilités, Mediazona invite ses lecteurs à s’abonner à ses fils sur Twitter, Telegram, Facebook, Instagram, YouTube et Vkontake, la liste des réseaux accessibles se réduit quelques semaines plus tard à Telegram, VK et Twitter alors que YouTube est menacé.</p>
<h2>VPN et appels aux dons</h2>
<p>Dans ce contexte, le principal conseil consiste à installer des VPN. Comme l’explique Meduza, « installer un VPN, c’est le moyen universel de contournement des blocages. Certes, le pouvoir peut essayer de bloquer votre fournisseur de VPN. Dans ce cas, il faut chercher un autre VPN. Achetez un VPN qui promet de ne pas vendre vos données personnelles. Nous ne recommandons pas l’usage de VPN gratuits, à l’exception de proton.vpn. Après le blocage de Meduza, proton.vpn a proposé son aide, expliquant qu’il apporte depuis de nombreuses années son soutien aux citoyens des pays qui pratiquent la censure Internet : Turquie, Iran et Biélorussie. »</p>
<p>Les médias incitent aussi leurs lecteurs à recourir à Tor. Les autorités russes essaient de bloquer cet outil en Russie mais le projet Tor publie des instructions pour y accéder malgré tout. Les médias invitent également à « installer des extensions aidant à contourner les blocages, comme “Obkhod blokirovok runeta” qui aide à contourner les blocages de sites inscrits sur le registre des informations interdites dans la Fédération de Russie, ou encore <a href="https://censortracker.org/">Censor Tracker</a>, de Roskomsvoboda, qui indique si le site visité est considéré comme un “diffuseur d’information” (obligé de surveiller ses utilisateurs et de transmettre les informations les concernant à la demande du pouvoir, y compris l’ensemble du trafic chiffré) ».</p>
<p>Ces outils de contournement, initialement réservés aux initiés, connaissent une popularité croissante en Russie depuis plusieurs années. D’après la chaine Telegram de la Société pour la défense d’internet (OZI), le nombre d’utilisateurs du VPN Psiphon en Russie aurait été multiplié par 15 entre le 24 février et le 14 mars (passant de 49 000 à 737 000 utilisateurs). L’association estime que 10 à 20 millions de Russes auraient installé un VPN sur leurs appareils.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504403444735614980"}"></div></p>
<p>Enfin, le modèle économique des médias en ligne est fortement affecté par la censure et met en péril leur avenir. Leurs rédactions lancent à leurs lecteurs des <a href="https://holod.media/2022/04/09/chto-delat-esli-holod-zapretyat-pismo-na-sluchaj-blokirovki/">appels aux dons</a>. Cependant, dans un contexte où les sanctions économiques empêchent les transactions bancaires, des procédures alternatives sont envisagées. Mediazona rappelle à ses lecteurs qu’ils peuvent faire un don « avec une carte de crédit ou en cryptomonnaies (ce moyen est peut-être le meilleur pour certains) ».</p>
<h2>Un modèle pour d’autres pays ?</h2>
<p>L’inventivité des pratiques de contournement de la censure dans l’espace numérique russe témoigne des dynamiques qui animent les médias indépendants en Russie et leur volonté de faire face aux menaces qui pèsent sur leurs publications. Il reste difficile, au-delà de leurs conseils techniques, de mesurer l’effet réel de ces recommandations sur les pratiques des lecteurs même si les données disponibles montrent un accroissement significatif des téléchargements de VPN par les internautes russes depuis le début de la guerre.</p>
<p>Des enquêtes approfondies seraient nécessaires pour en savoir plus sur ces nouvelles pratiques numériques et sur les usages médiatiques qui les accompagnent. Ces « savoirs-contourner » méritent cependant l’attention générale pour leur valeur universelle car, s’ils concernent au premier chef la Russie engagée dans une brutale guerre d’agression contre l’Ukraine, ils valent aussi pour tous les contextes où les violences se déploient et tentent de briser la critique.</p>
<p>Les exemples de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/18/bielorussie-le-principal-media-independant-vise-par-une-serie-de-perquisitions_6080589_3210.html">Biélorussie</a>, du <a href="https://fr.globalvoices.org/2019/09/24/240327/">Kazakhstan</a>, ou encore de l’<a href="https://www.accessnow.org/help-keepiton-iran/">Iran</a> sont instructifs en la matière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olga Bronnikova a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (projet RESISTIC)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Françoise Daucé a reçu des financements de l'Agence nationale de la Recherche (ANR). </span></em></p>Certains médias interdits en Russie cherchent à échapper à la censure et expliquent à leurs lecteurs comment continuer de les lire. Des recommandations qui peuvent aussi se révéler utiles ailleurs…Olga Bronnikova, Enseignant-Chercheur à l'Institut des Langues et Cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4), Université Grenoble Alpes (UGA)Françoise Daucé, Directrice d'études, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1794252022-03-21T20:03:22Z2022-03-21T20:03:22ZLa presse au lycée : histoire d’une éducation pratique à l’actualité<p>La semaine de la presse à l’école organisée chaque année permet de sensibiliser les élèves à la lecture de journaux, d’entendre des journalistes évoquer leur métier et de comprendre l’intérêt d’une presse pluraliste. </p>
<p>C’est aussi l’occasion de découvrir les productions des élèves et les médias qu’ils développent dans leurs établissements. À l’occasion d’une exposition sur la presse lycéenne, <a href="https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr/page/exposition-deux-siecles-de-presse-lyceenne">organisée à la Maison de la Radio</a>, revenons sur quelques temps forts de son histoire. Sur deux siècles d’existence, ces supports sont en effet un miroir des préoccupations de la jeunesse et de son rapport à l’actualité, au politique et au monde qui l’entoure.</p>
<p>Les journaux lycéens apparaissent dès les années 1820. Nous en avons la preuve par des témoignages de contemporains, qui n’ont malheureusement pas été conservés. Les premiers qui ont été sauvegardés datent du Second Empire, dans les années 1860. Bien que ces journaux soient interdits, ils circulent dans les établissements scolaires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452798/original/file-20220317-12943-1xibtgn.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Un journal de 1868, <em>La jeunesse</em>, a un rédacteur en chef courageux, Alfred Sircos. Celui-ci, en dépit des obstacles, réussit la prouesse de faire paraître pendant plus d’une année ce bimensuel qui décrit l’univers scolaire, la dureté de l’internat, l’ennui pendant les cours et l’inquiétude des lycéens pour leur avenir.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=776&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452822/original/file-20220317-25-khalib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=975&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>À partir des lois de 1881 qui instaurent une véritable liberté de la presse, les <a href="https://twitter.com/Maisondelaradio/status/1503370994538487811">journaux lycéens se multiplient</a>. <em>Les Droits de la Jeunesse</em>, un hebdomadaire, fait date en 1882. Le journal s’adresse directement au ministre en charge de l’instruction scolaire, fait des propositions sur les contenus des programmes. Il interpelle les grands journaux en leur demandant de lui ouvrir une colonne hebdomadaire.</p>
<p>Le journal réussit à paraître à Paris et à Lyon, Marseille et Lille, en étant relayé par un Club lycéen national. Dans les années 1890, l’actualité s’impose dans les colonnes de la presse jeunesse avec un sujet d’actualité brûlant, l’innocence de capitaine Dreyfus.</p>
<h2>Une existence clandestine</h2>
<p>Au début du XX<sup>e</sup> siècle, la <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/182">presse lycéenne</a>, bien que n’ayant pas d’existence légale, continue de se diffuser et se multiplier dans toute la France. Au cours de la seconde guerre mondiale, des journaux clandestins paraissent, écrits par des étudiants et des lycéens dont certains rejoignent les rangs des résistants.</p>
<p>Cela a pour conséquence qu’après la Seconde Guerre mondiale, la moyenne d’âge des journalistes baisse. Des journalistes issus de la presse non professionnelle continuent l’aventure éditoriale une fois la Seconde Guerre mondiale terminée. Au sortir de la guerre, les jeunes rédacteurs revendiquent un journalisme indépendant et un engagement civique et citoyen.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5uY0AgT8S28?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La presse lycéenne à la conquête de ses droits (CLEMI).</span></figcaption>
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<p>Au cours des années 60, les comités d’action lycéens, créés en décembre 1967, réclament la liberté d’expression dans les lycées. Il en existe une cinquantaine en France, dont une vingtaine à Paris.</p>
<p>Les événements du printemps 68 vont accélérer la dynamique impulsée. En mai 68, des milliers de tracts et de journaux éphémères paraissent, rédigés par des étudiants et des lycéens. Pour les titres rédigés uniquement par les lycéens, la durée et les conditions d’existence demeurent très précaires. Les organes de presse sont interdits dans les lycées, ce qui permet à l’administration de sévir contre les équipes rédactionnelles quand elles sont connues.</p>
<h2>Un cadre légal</h2>
<p>La fin des années 80 redevient propice à la <a href="https://www.arenes.fr/livre/la-fabuleuse-histoire-des-journaux-lyceens/">prise de parole des lycéens</a> au sein de l’espace public. Des décisions politiques modifient en profondeur le statut des lycéens et permettent la reconnaissance légale de leurs organes de presse. En 1989, la loi d’Orientation institue le Conseil de la vie lycéenne (CDVL) ayant pour but de « donner son avis » et « formuler des propositions relatives à la vie et au travail scolaire ». La chute du mur de Berlin la même année enthousiasme la presse lycéenne.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452827/original/file-20220317-19-6vsii9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Les lycéens obtiennent le droit de réunion, le droit d’association et le droit de publication. Cette position de principe devient pragmatique par le décret du 18 février 1991, qui permet, dans le cadre scolaire, que soient diffusées librement des publications dirigées par des lycéens.</p>
<p>L’actualité retenue et traitée par la presse lycéenne se décline en trois strates. La première est liée à l’adolescence, caractérisée par la puberté, qui s’accompagne de changements corporels et psychiques importants. Cette actualité pubertaire est traversée de questionnements sur l’altérité, le désir, les relations sexuelles. Les articles peuvent adopter le ton de l’humour (des conseils sont donnés pour plaire à l’autre sexe), utiliser une forme poétique, ou aborder la question sous un angle sociétal, traitant la question de l’orientation sexuelle, des stéréotypes genrés ou de l’homophobie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452828/original/file-20220317-27-1dhyjwq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1067&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>L’actualité statutaire des adolescents lycéens se noue autour d’une actualité de proximité, marquée par la vie locale du lycée. À un premier niveau, l’actualité est celle de la classe. Il s’agit donc d’articles qui s’intéressent aux enseignants, à leurs bons mots, aux petits incidents qui rythment le quotidien attendu des lycéens. À l’échelle du lycée, les événements organisés concernent des lycéens de classes et de niveaux différents.</p>
<p>Les préoccupations concernant le baccalauréat et la poursuite des études dans le supérieur sont aussi largement traitées. Le champ des possibles à l’adolescence provoque un certain vertige. Les années de lycée sont déterminantes pour progressivement s’orienter. Au stress des épreuves du baccalauréat, s’ajoute l’angoisse de l’orientation post-bac.</p>
<h2>Agenda médiatique</h2>
<p>La troisième strate, l’actualité médiatique (entendue ici comme l’ensemble des informations traitées par les médias mainstream), s’avère extrêmement présente dans les journaux lycéens. Cette actualité – organisée par l’agenda médiatique et ce qui secoue ou intéresse le corps social et politique – captive les journalistes lycéens.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452829/original/file-20220317-27-iipsct.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1070&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Cette actualité n’est pas liée au vécu personnel des jeunes journalistes, mais se fonde sur leur expérience médiatique. Ce qui a été vu et entendu, en particulier par les médias qui proposent de l’audiovisuel, participe pleinement à leurs yeux de leur expérience de vie globale. Ces dernières années, on observe une montée en puissance de l’actualité internationale (élections américaines, crises migratoires, conflits armés, terrorisme), ainsi que le traitement des enjeux climatiques et des rencontres internationales concernant la protection de la planète.</p>
<p>Enfin, les médias eux-mêmes, leur fonctionnement, les nouveaux risques et défis liés au numérique (théories du complot, fake news, cyberhumiliation, discours haineux et violents) préoccupent les équipes rédactionnelles.</p>
<p>La création d’un média en milieu scolaire participe à l’éducation aux médias des jeunes journalistes pour plusieurs raisons. Rédiger des articles en tenant compte du lecteur, utiliser des outils graphiques, gérer un budget, un agenda de travail, les relations avec un imprimeur font partie des savoir-faire et des savoir-être qu’ils acquièrent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Y9BOD05vcUw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Rencontre régionales des journalistes jeunes à Limoges (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2018).</span></figcaption>
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<p>Mais surtout, ils se déclarent davantage sensibles à l’actualité et son traitement par les grands médias, désirent s’informer de manière accrue, se posent des questions sur la <a href="https://hal-univ-paris3.archives-ouvertes.fr/hal-01429518">fiabilité des sources</a>. En 2015, la ministre de l’éducation nationale <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/193605-declaration-de-mme-najat-vallaud-belkacem-ministre-de-leducation-natio">estimait</a> qu’« il n’y a pas de meilleure éducation aux médias que de fabriquer soi-même un média ». C’est d’autant plus vrai aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179425/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span> Laurence Corroy est commissaire de l’exposition « Deux siècles de presse lycéenne ».
</span></em></p>Voilà plus de deux siècles que les lycéens créent des journaux pour s’exprimer sur l’actualité et leurs préoccupations. Mais la reconnaissance de ces supports dans les établissements a pris du temps.Laurence Corroy, Professeure des universités, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789642022-03-10T10:55:16Z2022-03-10T10:55:16ZThe Conversation France lance son application mobile !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/451312/original/file-20220310-27-15r0qme.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C1595%2C900&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Vous rêviez de lire nos articles et d’écouter nos podcasts dans les transports, en marchant dans la rue ou quand vous en avez envie ? C’est désormais possible avec l’application The Conversation France.</p>
<p>Vous pouvez la télécharger dès maintenant sur Apple Store et Google Play. Comme notre site, elle est entièrement gratuite.</p>
<p><a href="https://apps.apple.com/app/the-conversation-france/id1605111879"><img src="https://images.theconversation.com/files/448291/original/file-20220224-33175-19qvpui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1»alt=" width="200;» height="></a> <a href="https://play.google.com/store/apps/details?id=fr.the.conversation"><img src="https://images.theconversation.com/files/448292/original/file-20220224-13-1fp5btu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1»alt=" width="200;» height="></a></p>
<p>Pour notre média, c’est une étape supplémentaire dans notre mission du partage du savoir : l’application que nous vous proposons offre un plus grand confort de lecture et d’écoute sur téléphone mobile ou tablette. Elle nous permet aussi de rendre nos analyses de l’actualité accessibles à un plus large public.</p>
<p>L’application The Conversation France a été conçue pour vous accompagner au mieux au quotidien dans votre consommation de l’actualité. </p>
<p>Grâce à un onglet « Sélection », vous pourrez constituer votre collection d’articles personnalisés afin de les lire plus tard. Vous pourrez naviguer dans chaque rubrique, et accéder plus facilement à nos podcasts. Enfin, des notifications vous seront envoyées pour vous signaler les publications les plus importantes.</p>
<p>Notre objectif reste le même : vous permettre de mieux décrypter les grands enjeux de la planète grâce à nos articles issus de la collaboration entre journalistes et chercheurs. Sur tous les supports possibles !</p>
<p>Depuis le lancement le 10 mars, une première mise à jour a été réalisée afin améliorer quelques points : </p>
<ul>
<li>Une option pour le partage des articles,</li>
<li>Une meilleure présentation des podcasts,</li>
<li>Une meilleure ergonomie sur tablettes.</li>
</ul>
<p>Vous êtes déjà plus de 10 000 à avoir téléchargé notre app, merci pour vos nombreux retours enthousiastes !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178964/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Téléchargez la nouvelle application de The Conversation France sur Apple Store ou Google Play.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724222021-12-15T20:40:47Z2021-12-15T20:40:47ZDébat : Les sciences sociales face à l’instrumentalisation politique de l’islam<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/438075/original/file-20211216-21-1ozij1d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C24%2C1245%2C1684&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Différentes unes de magazines français.</span> </figcaption></figure><p>L’instrumentalisation de l’islam à des fins politiciennes atteint des sommets aujourd’hui au sein des médias <em>mainstream</em>. Depuis longtemps déjà, des <a href="http://editionsdelaube.fr/catalogue_de_livres/la-peur-de-lislam-2/">chercheurs</a> ont analysé cette <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fascination_de_l_islam-9782707172631">fascination</a> comme étant pathogène, et ce, bien avant les attentats djihādistes sur notre sol.</p>
<p>N’ayons pas peur des mots, il s’agit maintenant d’une véritable <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-mediatique/les-medias-face-a-lislam-a-quoi-jouent-ils">obsession</a> qui transcende les courants politiques. Comme le soulignait récemment un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ip93-LXMib4">chroniqueur humoristique</a>, certains « parlent plus d’islam qu’un imam ». Désormais, nul besoin d’être spécialiste du fait religieux, tout le monde se croit autorisé à en disserter doctement, monsieur Jourdain est devenu docteur en islamologie.</p>
<p>Dans cette cacophonie, les spécialistes de l’étude scientifique de l’islam (ou « islamologues ») sont pris de court face à tant de fake news touchant leur domaine de compétences. Ils ont déjà été écartés des débats publics de par le délabrement progressif des <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2016-1-page-4.htm">études classiques arabes</a> portées notamment par quelques départements universitaires. Certains se sont aussi autocensurés, suivant en cela une ligne radicalement anti-médias inspirée par le sociologue <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1996/04/BOURDIEU/5425">Pierre Bourdieu</a> en se réfugiant dans le strict champ de leur spécialisation.</p>
<p>Des politologues spécialistes des mouvements fondamentalistes de l’islam ont certes investi la parole publique en livrant leurs <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/le-terrorisme-en-face">analyses</a> <a href="https://www.liberation.fr/debats/2016/04/14/olivier-roy-et-gilles-kepel-querelle-francaise-sur-le-jihadisme_1446226/">contradictoires</a> mais eux-mêmes sont désormais largement dépassés par des éditorialistes et chroniqueurs « toutologues », peu aptes à respecter le laborieux travail des universitaires. Comme le rappelle fort justement <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f89WVeqWe-M">Étienne Klein</a> : « pour se rendre compte qu’on est incompétent, il faut être compétent ».</p>
<p>Une nouvelle <a href="https://www.ozap.com/actu/charles-consigny-s-eleve-contre-la-nouvelle-doxa-incarnee-par-les-editorialistes-de-cnews/610419">doxa médiatique</a> ultra réactionnaire semble désormais se dessiner sous nos yeux, avec ses ayatollahs et ses nécessaires boucs émissaires. Pour pasticher Gilles Kepel, cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/12/histoire-du-jihadisme-d-atmosphere-par-gilles-kepel_6069672_3232.html">« haine d’atmosphère »</a> nous place <em>de facto</em>, nous, chercheurs du temps long, dans une forme de dissidence. Pourquoi ? Non pas car nous serions des militants, ou que notre rôle serait de défendre une communauté en particulier, mais parce que la recherche scientifique vise justement à lutter contre le simplisme et les visions binaires partisanes.</p>
<p>En fait, les sciences humaines et sociales visent à déconstruire <em>tous</em> les édifices de certitude, qu’ils proviennent de l’extrême droite ou de n’importe quelle idéologie, même progressiste. Notre travail consiste à mettre au jour les mécanismes sous-jacents de tout discours dominant, en dévoilant les aspérités que ce dernier cherche à gommer ; gymnastique indispensable à l’esprit critique au cœur même du projet démocratique. Raison pour laquelle les régimes autoritaires cherchent toujours à domestiquer les universités et ses chercheurs, l’exemple récent me venant à l’esprit étant celui de la Hongrie de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/120920/la-methode-orban-pour-prendre-le-controle-des-universites?onglet=full">Viktor Orban</a>.</p>
<h2>La thèse du clash/choc des civilisations</h2>
<p>À ce titre, exerçons ce regard critique en « tordant le cou » pour le moment à deux fausses évidences fort répandues désormais : la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/choc-des-civilisations_9782738156211.php">thèse du « choc/clash des civilisations »</a> et l’équation dangereuse <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4RASDjtfef0">islam = « islamisme »</a>. Il y en a d’autres mais l’espace qui est le nôtre ne nous permet pas d’en traiter davantage et ces deux idées reçues structurent le discours complotiste autour de l’islam de manière centrale.</p>
<p>Le professeur de sciences politiques états-unien Samuel Huntington a effectivement popularisé la thèse du choc des civilisations dans un article devenu ensuite son célèbre ouvrage mais il n’est pas le père de cette notion. Il l’a empruntée à un collègue islamologue célèbre, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2018-3-page-265.htm">Bernard Lewis</a>.</p>
<p>Les partisans de cette théorie ignorent qu’ils partagent en cela la vision du monde binaire des théoriciens du <em>djihād</em> offensif qui y croient eux aussi fermement et poussent des individus perméables aux rhétoriques belliqueuses à prendre part à cette soi-disant guerre civilisationnelle. Bien entendu, les termes utilisés pour la présenter ne sont pas identiques, les djihādistes manipulent des notions de l’islam classique telles que <em>dār al-ḥarb</em> (territoires de la guerre) face à un <em>dār al-islām</em> (territoires de l’islam) assiégé, toutefois, le résultat est identique, c’est toujours la guerre du bien (fantasmé) contre le mal (fanstasmé).</p>
<p>Huntington considérait dans son ouvrage que la religion était la matrice de neuf « civilisations » qu’il croyait déceler mais il se trouve que même à une époque où les religions structuraient bien plus qu’aujourd’hui la vie des populations, à l’apogée par exemple des trois puissants empires islamiques (ottoman, perse et moghol), la France de François 1<sup>er</sup> était déjà l’alliée de l’Empire ottoman sunnite contre les Habsbourg pourtant chrétiens. Et quant aux Portugais, chrétiens eux aussi, ils étaient alliés avec l’Empire perse chiite (contre les Ottomans).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cartographie des trois empires islamiques au XVIᵉ siècle" src="https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=361&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435273/original/file-20211202-13-vollgk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cartographie des trois empires islamiques au.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/File:Islamic_Gunpowder_Empires.jpg">Pinupbettu/WikiCommons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les intérêts stratégiques furent bien plus à l’origine des alliances entre les empires que la propagande religieuse. Le célèbre réalisateur Ridley Scott a fait de ce constat basique un beau et divertissant film sur les croisades <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Kingdom_of_Heaven">Kingdom of Heaven</a>, on peut utilement bien sûr, et de manière plus scientifique, consulter sur ces questions des <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/V/bo5956520.html">ouvrages</a> <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/de-lautre-cote-des-croisades-lislam-entre-croises-et-mongols">savants</a>.</p>
<p>En réalité, il n’existe pas de choc des civilisations car il n’existe aujourd’hui plus qu’une seule civilisation capitalistique néo-libérale qui règne sans partage et au sein de laquelle musulmans, juifs ou encore Chinois confucéens participent pleinement. Et au sein de cette civilisation, les fondamentalismes religieux sont paradoxalement très à l’aise avec l’<a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/les-neo-freres-musulmans-et-le-nouvel-esprit-capitaliste-entre-rigorisme-moral-cryptocapitalisme-et-0">idée de marché</a> <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_double_impasse-9782707182913">transnational dérégulé</a>.</p>
<p>Que dire alors de notre temps, depuis que la sécularisation s’est répandue au XX<sup>e</sup> siècle en Europe mais aussi dans le monde, et ce, jusqu’au plus intime, la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-rendez-vous-des-civilisations-youssef-courbage/9782020925976">maîtrise de la fécondité</a> ? Où classer d’après les catégories huntingtoniennes, l’<a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/dr-saoud-et-mr-djihad-la-diplomatie-religieuse-de-larabie-saoudite">Arabie saoudite</a>, pays d’obédience salafiste, qui reste l’allié le plus fidèle des USA pourtant protestants, après avoir été l’allié des Britanniques jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle ?</p>
<p>Ces catégories de « civilisations » sont une supercherie qui masque la complexité du monde, elles confondent les religions historiques avec les fondamentalismes religieux qui en sont issus. Ne perdez pas votre temps avec Huntington, lisez plutôt <a href="https://www.grasset.fr/livres/le-dereglement-du-monde-9782246681519">« Le dérèglement du monde »</a>, cet essai utile et toujours aussi actuel d’Amin Maalouf.</p>
<h2>L’inquiétante équation : islam = « islamisme »</h2>
<p>Pour ce qui concerne maintenant l’équation islam = « islamisme », les <a href="https://iremmo.org/publications/bibliotheque-de-liremmo/lislamisme-decrypte/">spécialistes</a> des <a href="https://www.fayard.fr/pluriel/genealogie-de-lislamisme-9782818500842">mouvements politico-religieux</a> de l’islam reprennent souvent ce terme placé ici entre guillemets, ils parlent également de « courants fondamentalistes » ou d’« <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/comprendre_l_islam_politique-9782707192134">islam politique</a> ». Ce faisant, ils désignent par là des mouvements précis par exemple, le salafisme saoudien, les Frères musulmans ou encore le mouvement missionnaire du tablīġ.</p>
<p>À ma connaissance toutefois, aucun spécialiste digne de ce nom n’aurait l’imprudence de réduire l’islam (religion) et l’Islam (civilisation) à ces courants fondamentalistes. Ce serait aussi incongru que d’affirmer que l’on pourrait réduire le judaïsme et sa grande histoire à n’importe quel mouvement messianique israélien contemporain.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas confondre ces mouvements fondamentalistes avec les <a href="https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/271020/cet-islam-qui-assassine-et-rend-fou">organisations qui appellent à la violence</a> et au crime de masse, ce que l’on a désormais coutume de qualifier de djihādistes ou de terroristes car, malgré quelques points communs d’ordre théologique, ce sont des réalités bien distinctes.</p>
<h2>L’émergence d’un islam réformé</h2>
<p>À l’instar des autres monothéismes, l’islam est en train de faire émerger en son sein, de manière discrète mais inéluctable, un <a href="https://theconversation.com/imamat-feminin-une-tradition-meconnue-de-lislam-124056">« islam réformé »</a> ou « progressiste » (<em>iṣlāḥī</em>/<em>taqaddumī</em>). C’est un courant pour le moment minoritaire mais tout comme l’était le <a href="https://www.editions-hermann.fr/livre/9782705688929">mouvement juif réformé</a> en Allemagne à ses débuts au XIX<sup>e</sup> siècle avant que ce courant devienne aujourd’hui majoritaire aux USA.</p>
<p>Affirmer que l’islam ne pourrait être que fondamentaliste c’est donner raison à l’extrême droite religieuse du monde musulman tels que les idéologues de Daech qui prétendent à cette hégémonie, c’est valider leur vision du monde.</p>
<p>Ces points de crispations, et d’autres encore, sont devenus des <a href="https://www.liberation.fr/politique/toujours-plus-a-droite-ciotti-croit-la-theorie-complotiste-du-grand-remplacement-20211109_MFDGHLKGUNEH7CVWHJZHOSTVLM/">sujets récurrents</a> dans les débats politiques <em>mainstream</em>. Ils sont un symptôme d’une société où l’expertise scientifique n’irrigue plus ses citoyens, ni ses élites, il s’agit bel et bien d’une <a href="https://cessp.cnrs.fr/Comment-sommes-nous-devenus-reacs">hégémonie culturelle</a> qui s’installe, un nouveau « politiquement correct » avec ses nouveaux ayatollahs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172422/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Steven Duarte ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’islam devient un sujet prégnant dans le débat public et le champ médiatique, l’apport des sciences sociales et de l’Histoire permet de relativiser les discours inquiétants et menaçants.Steven Duarte, Maître de conférences arabe / islamologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1729762021-12-13T18:32:48Z2021-12-13T18:32:48ZDébat : Peut-on en finir avec la « crise » des migrants dans les médias ?<p>Le 24 novembre 2021, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-8-h/journal-de-08h00-margot-delpierre-du-jeudi-25-novembre-2021">27 personnes meurent</a> dans un naufrage au large de Calais alors qu’elles espéraient traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre.</p>
<p>Dans les heures qui suivent, l’événement fait la une et les journalistes se mettent à la recherche d’« experts » à inviter à la radio et à la télévision. Rebelote quelques jours plus tard, cette fois pour commenter l’annonce du ministre de l’Intérieur d’appeler en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/direct-crise-des-migrants-suivez-la-conference-de-presse-de-gerald-darmanin_4863487.html">renfort Frontex</a>, l’agence européenne de contrôle des frontières.</p>
<p>Il se trouve qu’à l’instar de nombre de mes collègues, je fais partie des chercheurs et universitaires considérés comme « spécialistes des migrations ». C’est à chaque fois pareil : les journalistes cherchent un invité pour parler durant quelques minutes ; il y a urgence car l’émission est prévue pour le soir même, ou le lendemain matin au plus tard ; et comme tout le monde prévoit de parler de Calais, les « spécialistes » sont sur-sollicités, renvoient à d’autres collègues, les journalistes enchaînent les coups de fil, l’agitation croît au fil de la journée – parfois jusqu’à l’absurde.</p>
<h2>Nous disons tous la même chose</h2>
<p>Les collègues qui finissent par passer à l’antenne disent tous la même chose. Non, les passeurs ne sont pas les seuls responsables de ces drames, ce sont les États qui condamnent les migrants à prendre des risques insensés. Non, le traitement inhumain infligé aux migrants, que ce soit à Calais, ailleurs en Europe ou encore en Libye, ne décourage personne, mais ne fait que perpétuer une impasse qui aboutit aux tentatives les plus désespérées. Oui, il est possible d’accueillir décemment ces exilés, en garantissant leur droit de demander l’asile ou en reconnaissant qu’ils occupent les emplois dont personne ne veut. Et non, une telle politique ne créerait pas l’appel d’air tant redouté, mais ne ferait que respecter les principes les plus élémentaires d’un continent qui se prétend un <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/150/an-area-of-freedom-security-and-justice-general-aspects">« espace de liberté, de sécurité et de justice »</a>.</p>
<p>De telles séquences ne sont malheureusement pas nouvelles. Depuis des décennies les migrants meurent <a href="https://theconversation.com/compter-les-morts-aux-frontieres-qui-comment-pourquoi-59095">aux frontières</a> de l’Europe. Et depuis des décennies les États européens accusent les passeurs et renforcent le contrôle des frontières. Qui se souvient qu’au début des années 2000, l’Espagne réclamait déjà <a href="http://migreurop.org/article1073.html">« bateaux et avions »</a> pour empêcher les arrivées de migrants sur les îles Canaries ?</p>
<p>Certains chercheurs font donc le tour des plateaux, pour l’adrénaline du direct et le narcissisme inhérent à l’exercice, bien sûr, mais aussi pour de très bonnes raisons : apporter un éclairage au débat public, valoriser l’utilité des sciences sociales, défendre des valeurs, et contrer les propos xénophobes qui saturent <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/frederique-matonti-il-ny-a-plus-de-digues-pour-empecher-lextreme-droite-dimposer-sa-vision-du-monde-20211107_PZ77IOQ4H5F2DDENAZEIDXS5BU/">l’espace public</a>, a fortiori en ce début de campagne présidentielle.</p>
<p>D’autres chercheurs sont plus hésitants. Question de tempérament, d’expérience des médias, et aussi de rigueur car force est d’avouer qu’on ne connaît pas toujours grand-chose du sujet du jour, et qu’on a de toute manière pas le temps de se préparer. Pour ma part, bien que « spécialiste des migrations », je n’ai jamais étudié la situation à Calais et n’ai aucune connaissance particulière sur le sujet (de même que je connais pas grand-chose non plus sur la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-des-migrants-a-la-frontiere-pologne-bielorussie/">frontière entre la Pologne et la Biélorussie</a>, sujet sur lequel mes collègues et moi-même sommes aussi sollicités).</p>
<p>Ce n’est pas vraiment un problème car je maîtrise bien les quelques généralités qu’on me demande d’énoncer. Mais cette superficialité n’en est pas moins un peu insatisfaisante, voire parfois aliénante. Et puis il y a le problème de la disponibilité, avec des émissions de très bon matin ou vers 19-20 heures, quand ce n’est pas le dimanche à midi – autant dire des horaires défavorables à la vie de famille.</p>
<h2>Des questions de fond</h2>
<p>Au-delà de ces petits débats entre collègues, le traitement médiatique des migrations pose des questions de fond. Avec la crise des migrants et des réfugiés en Europe, la manière dont la presse couvre des événements comme les naufrages en Méditerranée a fait l’objet de beaucoup de réflexions. On s’accorde à considérer que les médias jouent un rôle clé et qu’ils ont une responsabilité particulière. L’Unesco, par exemple, <a href="https://fr.unesco.org/themes/medias-situation-crise-catastrophe/couverture-mediatique-migration">travaille avec les médias</a> pour qu’ils fournissent « des informations vérifiées, des opinions éclairées ainsi que des récits équilibrés ».</p>
<p>De même, Amnesty International déconseille l’usage de termes qui <a href="https://www.amnesty.fr/migration-analyser-les-discours-des-medias">« déshumanisent »</a> les migrants comme : clandestins, illégaux, ou flux migratoires.</p>
<p>On se souvient aussi qu’en 2015 la chaine Al Jazeera <a href="https://www.aljazeera.com/features/2015/8/20/why-al-jazeera-will-not-say-mediterranean-migrants">écartait le terme de migrant</a> et ne parlait que de réfugiés, pour insister sur les raisons impérieuses et légitimes qui motivent leur départ (là où de nombreux médias européens faisaient le contraire).</p>
<p>Il existe également un <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804163730-couvrir-les-migrations">manuel</a> destiné aux journalistes qui travaillent sur le sujet, tandis que l’association France Terre d’asile organise des séances de formation à <a href="https://www.france-terre-asile.org/actualites/actualites-choisies/comment-ameliorer-le-traitement-de-la-question-migratoire-par-les-medias">leur intention</a>.</p>
<p>C’est là aussi le sens des invitations aux « spécialistes des migrations », lesquels fourniraient un éclairage aux journalistes (et, à travers eux, à leur public). Mais on peut s’interroger sur ce besoin d’instruire les médias. Les quelques journalistes que j’ai eu l’occasion de rencontrer connaissent tout aussi bien que moi les arguments sur les impasses des politiques migratoires actuelles. S’ils m’invitent, ce n’est donc pas pour mes connaissances. Ce n’est pas étonnant : à force d’inviter des chercheurs, les journalistes sont devenus familiers de leurs explications. Le « spécialiste » ne fait donc que redire ce que tout le monde sur le plateau sait déjà.</p>
<h2>Une médiatisation qui renforce le climat de crise</h2>
<p>Ce que je constate surtout, c’est que les interactions entre médias et « spécialistes » sont pernicieuses car elles renforcent paradoxalement le climat de « crise » qui caractérise la perception des migrations.</p>
<p>En ce qui me concerne, j’expliquerais volontiers qu’un naufrage comme celui de Calais ne relève pas d’une « crise », mais d’une forme de routine – une routine certes tragique et inacceptable, mais une routine quand même. Cette routine est la conséquence directe de la manière dont les États gouvernent les migrations, et il ne faut donc pas s’en étonner. C’est là le travail des universitaires (et des sciences sociales) : prendre du recul par rapport à l’actualité brûlante, mettre l’événement en perspective, rappeler des précédents historiques, etc.</p>
<p>Mais comment exposer de tels arguments si, précisément, on ne parle des migrations qu’à l’occasion de naufrages ? En matière de communication, la forme prend souvent le pas sur le fond. Et naturellement, plus on évoque les migrations sous l’angle d’une crise, plus les responsables politiques seront fondés à ne présenter les naufrages que comme des événements imprévus et tragiques, et à les traiter à grands coups de réunions d’urgence et de mesures ad hoc – perpétuant ainsi un cycle de crise et d’urgence qui dure depuis près de trente ans.</p>
<p>On objectera que les lamentations sur les biais médiatiques sont aussi anciennes que les médias eux-mêmes, et que face à l’urgence il faut se lancer dans l’arène sans hésitation ni cynisme, et avec toute l’indignation qui sied aux circonstances. Éternel débat, auquel il n’existe probablement aucune réponse satisfaisante. Mais tout de même, comment se fait-il qu’en 2021, alors que la barre des <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/03/1063431">20 000 décès</a> de migrants en Méditerranée a été franchie depuis 2020 déjà, on continue à solliciter en urgence des « spécialistes » à chaque naufrage, pour qu’ils interviennent le soir même et commentent un événement qui, hélas, n’en est pas un ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172976/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’instar de nombreux collègues, je suis régulièrement invité par les médias comme « spécialiste des migrations ». Nous disons tous la même chose mais rien ne change. Pourquoi ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700292021-10-20T19:30:09Z2021-10-20T19:30:09ZLa fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie<p>L’information est tombée ce 28 mars : la <em>Novaïa Gazeta</em>, qui était l’un des derniers journaux russes indépendants et critiques envers le Kremlin, <a href="https://www.letemps.ch/monde/journal-novaia-gazeta-suspend-publication">vient de suspendre sa publication</a>, en raison d’un second avertissement du régulateur russe des communications, le Roskomnadzor. Le quotidien, qui tirait encore à 100 000 exemplaires, ne dissimulait pas son opposition à la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, pudiquement qualifiée d’« opération spéciale » par les autorités. Mais officiellement, c’est un manquement à l’obligation de signaler qu’une ONG citée dans l’un de ses articles avait été identifiée comme « agent de l’étranger » qui lui a valu ce second avertissement – dernière étape avant fermeture définitive. Le journal a donc décidé de prendre les devants.</p>
<p>Le monde entier avait découvert la <em>Novaïa Gazeta</em> il y a quelques mois, quand son rédacteur en chef, Dmitri Mouratov, avait été récompensé par le prix Nobel de la paix. On avait pu espérer, un temps, que cette notoriété internationale protégerait la « NG ». Cette protection n’a pas résisté à l’ambiance plus délétère que jamais qui règne en Russie depuis le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février.</p>
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<figcaption><span class="caption">Russie : le titre de presse indépendant Novaïa Gazeta suspend sa publication sous la pression (France 24, 29 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Que le Nobel de la Paix ait été décerné, en 2021, à deux journalistes – <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/17/maria-ressa-prix-nobel-de-la-paix-nous-sommes-entres-dans-l-ere-des-autoritarismes-numeriques_6098698_3210.html">Maria Ressa</a> (Philippines) et Dmitri Mouratov (Russie) – travaillant dans des pays très différents indique que c’est avant tout un type de combat qui a été salué : celui de journalistes luttant pour la liberté d’informer dans des États où cette liberté est de plus en plus réduite.</p>
<p>Dmitri Mouratov – troisième Russe à obtenir ce Nobel, après le dissident Andreï Sakharov en 1975 et Mikhaïl Gorbatchev en 1990, tous deux encore à l’époque soviétique – incarne ce combat en Russie, mais il insiste sur la dimension collective de la récompense. Le Nobel a été selon lui attribué « à la rédaction » de la <em>Novaïa Gazeta</em> (littéralement « Le Nouveau journal »), que Mouratov a cofondée en 1993 et dont il est le rédacteur en chef : <a href="https://meduza.io/feature/2021/10/08/eto-premiya-moih-pogibshih-kolleg-a-chto-pishut-v-sotssetyah-mne-pofigu">à l’en croire</a>, « 130 lauréats du prix Nobel parcourent ses couloirs ».</p>
<h2>Trente-cinq années de bouleversements dans le journalisme</h2>
<p>Au-delà de cette équipe, Mouratov est l’un des symboles d’une profession qui, dans la Russie des trente-cinq dernières années, a été particulièrement bousculée par les évolutions politiques, a aussi tenté d’influer sur celles-ci, s’est parfois laissé instrumentaliser et corrompre… et compte aujourd’hui ses <a href="http://www.owlapps.net/owlapps_apps/articles?id=10005698&lang=en">tués</a>.</p>
<p>La liberté de la presse a été l’un des enjeux et des succès de la <em>perestroïka</em> – on parlait de <em>glasnost’</em> (transparence) pour désigner cette possibilité nouvelle d’aborder les problèmes soviétiques les plus aigus, des crimes du stalinisme aux échecs économiques. Une nouvelle génération de journalistes est alors apparue, étonnamment compétente dans cette URSS finissante. Dans les années 1990, elle s’est heurtée à des crises économiques et sociales violentes, mais a aussi bénéficié de libertés inexistantes auparavant.</p>
<p>Dès son arrivée à la présidence en 2000, Vladimir Poutine – tout en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uourVV8tBSU">assurant</a> être « profondément convaincu qu’il ne [pouvait] y avoir le moindre développement en Russie et que le pays n’[aurait] pas le moindre avenir » si « les libertés civiques et la presse » y étaient victimes de pressions – cherche à prendre le contrôle des médias.</p>
<p>Les méthodes employées sont diverses : pousser à l’exil des oligarques-patrons de presse comme <a href="https://www.liberation.fr/planete/2001/02/19/un-magnat-russe-en-exil_355188/">Vladimir Goussinski</a> ou <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/03/24/oligarque-favori-sous-eltsine-et-banni-sous-poutine_890962/">Boris Berezovski</a> ; faire acquérir des médias par des proches, à commencer par <a href="https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/gazprom-etend-encore-son-empire-mediatique-en-russie-932369.php">Gazprom</a> ; effrayer les uns, acheter les autres, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2007/04/27/des-medias-de-plus-en-plus-controles_902723_3214.html">imposer des règles de plus en plus strictes</a>. Parallèlement, le développement d’Internet donne à une partie de la population accès à des informations démultipliées, et une jeunesse ayant à peine connu l’URSS se passionne à son tour pour le journalisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Oleg Kachine, journaliste russe passé à tabac (TV5 Monde, 9 novembre 2010).</span></figcaption>
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<p>Les pressions politiques se sont encore accentuées après l’échec des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2012/03/02/russie-manifestations-poutine-moscou-contestation_n_1316798.html">manifestations de 2011-2012</a>. De nouveau, des journalistes sont <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/04/05/97001-20120405FILWWW00787-une-journaliste-agressee-en-russie.php">attaqués physiquement</a>, interpellés <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-un-journaliste-d-investigation-repute-arrete-07-06-2019-2317600_24.php">sous de faux prétextes</a>, voire accusés d’<a href="https://www.eurotopics.net/fr/243758/un-grand-journaliste-russe-arrte-pour-d-espionnage">espionnage</a>.</p>
<p>Si certains s’adaptent, de plus en plus émigrent et tentent de travailler dans des médias russophones basés à <a href="https://www.rferl.org/">Prague</a>, dans les <a href="https://meduza.io/en">pays baltes</a> ou à <a href="https://www.youtube.com/c/OstWestTV/videos">Berlin</a>. En Russie, une grande partie des médias indépendants a disparu et ceux qui persistent (comme la chaîne de télévision TV <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/08/kremlin-designates-dozhd-tv-foreign-agent-in-yet-another-attack-on-press-freedom-2/">Dojd’</a>) se voient accoler l’étiquette, aussi humiliante que fausse et dangereuse, d’« agents de l’étranger ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1349557185303502849"}"></div></p>
<p>Le classement de la Russie en matière de liberté de la presse est le reflet de ces évolutions. D’après l’ONG <a href="https://freedomhouse.org/sites/default/files/FOTP%202003%20Full%20Report.pdf">Freedom House</a>, la Russie a rejoint en 2003 le groupe des pays considérés comme « non libres », alors qu’elle faisait jusque-là partie des pays « partiellement libres ». Cette année-là, elle était 148<sup>e</sup> sur 166 dans le <a href="https://rsf.org/fr/deuxieme-classement-mondial-de-la-liberte-de-la-presse-octobre-2003.">classement établi par Reporters sans frontières</a>. En 2021, dans ce même classement, elle est <a href="https://rsf.org/en/ranking#.">150ᵉ sur 180</a>, coincée entre la République démocratique du Congo et le Honduras.</p>
<h2>La <em>Novaïa Gazeta</em>, une habituée des sujets risqués</h2>
<p>Entre tempêtes et tentations, la <em>Novaïa Gazéta</em> a <a href="https://www.facebook.com/novayafilm/videos/385621568810322">tenu le cap</a>. Sortant trois fois par semaine, elle vise un lectorat instruit et partisan d’une démocratisation. Peu diffusée dans sa version papier (environ 80 000 exemplaires), elle est surtout lue sur son site (<a href="https://www.la-croix.com/Dmitri-Mouratov-Novaia-Gazeta-enquete-journalistique-prix-sang-2021-10-08-1301179555">17 millions de visiteurs en septembre</a>). 76 % de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/09/les-journalistes-maria-ressa-et-dmitri-mouratov-un-double-prix-nobel-de-la-paix-pour-defendre-la-liberte-d-informer_6097701_3210.html">ses actions</a> appartiennent à la rédaction, 14 % à l’homme d’affaires Alexandre Lebedev et 10 % à Mikhaïl Gorbatchev.</p>
<p>La <em>Novaïa Gazeta</em> publie des enquêtes approfondies, parfois un peu austères, sur des sujets sensibles. Elle a ainsi dévoilé de nombreuses violations des droits de l’homme en Tchétchénie et notamment, en 2017, les arrestations, dans cette république, d’<a href="https://novayagazeta.ru/articles/2017/04/01/71983-ubiystvo-chesti">homosexuels</a>, enfermés dans une <a href="https://novayagazeta.ru/news/2017/10/16/136184-geroy-rassledovaniya-novoy-gazety-publichno-rasskazal-o-pytkah-v-sekretnoy-tyurme-dlya-geev-v-chechne">« prison secrète »</a> et <a href="https://novayagazeta.ru/news/2017/10/16/136184-geroy-rassledovaniya-novoy-gazety-publichno-rasskazal-o-pytkah-v-sekretnoy-tyurme-dlya-geev-v-chechne">torturés</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1083971912924123136"}"></div></p>
<p>C’est elle, aussi, qui a signalé en août 2014 que des parachutistes russes, basés à Pskov, venaient d’être <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2014/08/26/60865-desant">enterrés dans cette ville</a> : ils auraient été tués au combat en Ukraine, ce que les autorités militaires russes ont nié. Elle a continué à enquêter sur la <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2015/03/02/63241-voyna-obratnaya-svyaz">présence russe en Ukraine</a> pendant les années ayant précédé la guerre, et cherché à établir comment et par qui y avait été abattu l’avion du <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2021/07/18/vse-o-sbitom-malaziiskom-boinge.">vol MH17</a>. Elle a révélé des <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2019/11/20/82805-golovorezy-21">crimes commis par des mercenaires russes en Syrie</a> et suit sans relâche les actions de l’opposition russe, ainsi que les répressions subies par celle-ci. Et, jusqu’à hier, elle faisait son possible pour alerter ses lecteurs sur la réalité de la guerre en Ukraine.</p>
<p>La <em>Novaïa Gazeta</em> demande régulièrement aux autorités russes <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2020/04/21/85017-golovorezy-2-0">d’enquêter sur des crimes qu’elle leur signale</a>, et cela a donné certains résultats dans le cas de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa. Mais elle fait souvent l’objet de menaces, notamment de la <a href="https://www.youtube.com/watch ?app=desktop&v=Pfbjnpfj3ZE">part de militaires tchétchènes</a>. Les six personnes tuées que Mouratov associe à son Nobel, en <a href="https://www.bbc.com/russian/news-58841807.">citant leurs noms presque dans chaque déclaration</a>, témoignent de la réalité de ces menaces.</p>
<h2>Anna Politkovskaïa… et les autres</h2>
<p>La plus célèbre d’entre elles est <a href="https://www.franceculture.fr/politique/je-dois-raconter-ce-que-jai-vu-anna-politkovskaia-aurait-eu-60-ans">Anna Politkovskaïa</a>, qui écrivait des articles remarquablement courageux sur la guerre de Tchétchénie et sur la dégradation des droits et libertés en Russie. Elle a été assassinée dans son immeuble à Moscou le 7 octobre 2006. Le 7 octobre 2021, à la veille de l’attribution du Nobel, la <em>Novaïa Gazeta</em> lui rendait une nouvelle fois hommage, en inaugurant dans ses locaux un <a href="https://twitter.com/FranceEnRussie/status/1446162733695737859">musée à son nom</a> et en rendant public un film de presque deux heures, <em>Comment ils ont tué Anna</em>, sur l’enquête menée par le journal pour découvrir les véritables commanditaires de ce meurtre.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Pfbjnpfj3ZE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">The assassination of Anna Politkovskaya : The first detailed account of a murder investigation (Novaïa Gazeta, 7 octobre 2021, sous-titres anglais disponibles dans le player).</span></figcaption>
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<p>Ce film montre les faiblesses de l’enquête officielle et l’implication dans ce crime d’au moins un officier de police, ainsi que d’agents et d’officiers du FSB associés à des autorités criminelles. Mouratov y affirme que « l’État sait qui est le commanditaire de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa » et, aussi, qui a commandité le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/06/29/meurtre-de-boris-nemtsov-cinq-hommes-juges-coupables-mais-les-commanditaires-restent-dans-l-ombre_5153205_3210.html">meurtre de l’opposant Boris Nemtsov</a>.</p>
<p>Il faut un vrai et grand courage pour dire de telles choses, aujourd’hui, en Russie.</p>
<p>Parmi les six tués cités par Mouratov, il y a aussi :</p>
<ul>
<li><p>Le journaliste <a href="https://cpj.org/data/people/igor-domnikov/">Igor Domnikov</a>, battu à mort à coups de marteau par un tueur à gages à Moscou en 2000. Si l’assassin a été arrêté et condamné, les commanditaires (Domnikov enquêtait sur la corruption de plusieurs hauts fonctionnaires) n’ont jamais été réellement inquiétés malgré <a href="https://humanrightshouse.org/articles/new-investigation-into-murder-of-novaya-gazeta-journalist/">l’ouverture d’une enquête en 2009</a>, qui ne donnera rien.</p></li>
<li><p><a href="https://www.letemps.ch/monde/letrange-mort-dun-derniers-romantiques-politique-russe">Iouri Chtchekotchikhine</a>, journaliste et député, adjoint et ami de Mouratov, qui <a href="http://maxima-library.org/knigi/year/b/496260">explorait la corruption dans les structures du pouvoir</a> et du maintien de l’ordre. Il cherchait notamment à savoir ce qu’était devenu « l’or du PCUS » et si des membres du KGB n’avaient pas été chargés de transférer d’énormes sommes en Occident – un sujet au cœur du livre de la journaliste britannique Catherine Belton, <a href="https://us.macmillan.com/books/9780374238711">Putin’s People</a>, actuellement <a href="https://apnews.com/article/sports-government-and-politics-business-europe-russia-7d9a08ab67d7a3a14bfaa5c7a9ed478d">attaqué en justice</a> à Londres par l’oligarque Roman Abramovitch. Chtchekotchikhine a été « empoisonné par quelque chose comme du Novitchok », a <a href="https://echo.msk.ru/programs/personalno/2915882-echo/">rappelé Mouratov</a>. C’était en 2003. Avant Litvinenko. Avant Navalny.</p></li>
</ul>
<ul>
<li><p>L’avocat <a href="https://www.nytimes.com/2009/01/20/world/europe/20chechnya.html">Stas Markelov</a> qui enquêtait sur l’extrême droite russe et a péri d’une balle dans la tête en plein Moscou en 2009, aux côtés de la toute jeune journaliste de la « NG » <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/03/17/anatomie-d-un-crime_1494676_3214.html">Anastasia Babourova</a> qui a tenté de le protéger. Markelov recevait constamment des menaces de mort, mais ne bénéficiait d’aucune sécurité. L’assassin, un militant ultra-nationaliste, ainsi que sa compagne, ont été condamnés à de lourdes peines de prison quelques années plus tard.</p></li>
<li><p><a href="https://www.hrw.org/fr/news/2019/07/15/russie-dix-apres-le-meurtre-de-natalia-estemirova-la-justice-na-toujours-pas-ete">Natalia Estemirova</a>, qui aidait Politkovskaïa pour ses enquêtes en Tchétchénie et a été assassinée dans le Caucase également en 2009. Douze ans plus tard, la Cour européenne a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-russie-condamnee-pour-manquement-dans-l-enquete-sur-l-assassinat-d-une-militante-des-droits-humains-20210831">condamné</a> la Russie pour « manque d’enquête appropriée » dans cette affaire qui, à ce jour, n’a donné lieu à aucune interpellation.</p></li>
</ul>
<h2>Des déçus du Nobel</h2>
<p>Que Mouratov reçoive le prix Nobel de la paix a surpris et ravi beaucoup de ses compatriotes. Certains ont toutefois été déçus : ils espéraient que ce prix récompenserait Alexeï Navalny ou la Biélorusse <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/06/en-bielorussie-la-figure-de-l-opposition-maria-kolesnikova-condamnee-a-onze-ans-de-prison_6093583_3210.html">Maria Kolesnikova</a>, tous deux en détention. Ils ont estimé que le Comité Nobel avait manqué de courage ; les mêmes ont parfois souligné amèrement que le Kremlin avait félicité Mouratov – pourtant, <a href="https://www.ndtv.com/world-news/kremlin-congratulates-courageous-russian-nobel-prize-winner-muratov-2568487">du bout des lèvres</a> – et que le journaliste promettait de remettre une partie de son prix à un <a href="https://www.bbc.com/russian/news-58841807">fonds d’aide aux enfants malades créé par Vladimir Poutine</a>. Il ne serait donc pas en si mauvais termes avec le pouvoir, ce qui expliquerait que ni lui, ni son journal n’aient été déclarés « agents de l’étranger », alors que <a href="https://www.rferl.org/a/russia-foreign-agents-clampdown/31443242.html">ce statut a été imposé à nombre d’autres médias</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1449117924908838912"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.proekt.media/narrative/liberal-sergey-chemezov/.">article publié en 2019</a> a été de nouveau cité à cette occasion : selon Proekt, un site indépendant <a href="https://www.euronews.com/2021/07/15/proekt-russia-outlaws-investigative-media-outlet-and-labels-journalists-foreign-agents">dont cinq journalistes ont été qualifiés d’« agents de l’étranger » et qui a été labellisé « organisation indésirable » en Russie</a>, la <em>Novaïa Gazeta</em> a reçu des contributions financières mensuelles de la part de <a href="https://bivol.bg/en/the-insider-russian-millionaire-adoniev-investigated-by-fbi-for-trafficking-of-1-ton-of-cocaine.html">Sergueï Adoniev</a>, riche entrepreneur et mécène de projets artistiques d’avant-garde, qui a jadis été condamné aux États-Unis pour escroquerie, est soupçonné par le FBI d’avoir trafiqué une tonne de cocaïne et semble avoir le soutien de Poutine lui-même, ce qui pourrait expliquer l’origine obscure de sa fortune. Et, poursuit Proekt, certains au sein de la <em>Novaïa Gazeta</em> soupçonnent que les contributions d’Adoniev proviennent, en fait, de <a href="https://www.lecourrierderussie.com/2019/10/serguei-tchemezov-le-patron-du-complexe-militro-industriel/">Sergueï Tchemezov</a>, vieil ami de Poutine et patron de Rostec, entreprise publique qui coiffe le marché de l’armement russe – ce que réfute résolument Mouratov et que rien ne prouve formellement.</p>
<p>Si c’était vrai, cela signifierait que deux « anciens » officiers du KGB ont apporté des financements à la <em>Novaïa Gazeta</em>, l’un comme actionnaire (<a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7436901/Ex-KGB-colonel-turned-banker-ALEXANDER-LEBEDEV-making-billions-Putins-wild-west-Russia.html">Lebedev</a>), l’autre (Tchemezov) à travers un intermédiaire. Bref, comme le formulent presque tous ceux qui évoquent cet article de Proekt, la situation serait « complexe ».</p>
<p>Complexe, car des proches du régime aident parfois, semble-t-il, des activités de l’opposition, ne serait-ce que pour tenter de maintenir l’illusion d’une démocratie russe. Complexe car ces proximités s’expliquent aussi, dans certains cas, par des trajectoires individuelles qui, d’abord voisines, se sont ensuite éloignées. En tout cas, ce qu’expriment ces déçus du Nobel 2021, c’est le désarroi d’une partie de l’opposition russe, son sentiment d’être abandonnée et de ne pouvoir, au bout du compte, se fier ni « aux siens », ni à un Occident qui ne comprendrait rien à la situation.</p>
<p>Élégant, Dmitri Mouratov a déclaré que <a href="https://meduza.io/feature/2021/10/08/eto-premiya-moih-pogibshih-kolleg-a-chto-pishut-v-sotssetyah-mne-pofigu">lui-même aurait voté pour Alexeï Navalny</a> – lequel vient par ailleurs, ce 20 octobre, d’obtenir le <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20211014IPR14915/alexei-navalny-recoit-le-prix-sakharov-2021-du-parlement-europeen">prix Sakharov attribué par le Parlement européen</a>. Le 11 octobre, Navalny, depuis son camp, a félicité « de tout cœur Dmitri Mouratov et la <em>Novaïa Gazeta</em> » pour cette « récompense méritée », décernée au lendemain du quinzième anniversaire de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa. Le soir même de l’annonce du Nobel, le Kremlin avait <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-58840084">rendu publics les noms de douze autres « agents de l’étranger »</a>, dont plusieurs journalistes. Mouratov et son équipe semblaient encore protégés. Mais le nouveau tour d’écrou imprimé par le régime vient d’avoir raison de ce dernier bastion de la liberté d’expression en Russie…</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié reçoit des financements - un salaire ! - de la part du ministère français de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, via l'Université Rennes 2. </span></em></p>Le prix Nobel de la paix récompense, à travers Dmitri Mouratov, l’ensemble des journalistes russes d’investigation, dont plusieurs sont morts assassinés.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692712021-10-05T19:14:32Z2021-10-05T19:14:32ZBonnes feuilles : « Le monde à la une »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424690/original/file-20211005-29-voz5jp.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C2%2C1547%2C1017&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les crieurs de journaux, 1848.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/les-crieurs-de-journaux-et-le-marchand-de-journaux-ambulant#infos-principales">Musée Carnavalet</a></span></figcaption></figure><p><em>Dans l’ouvrage « Le monde à la une. Une histoire de la presse par ses rubriques » (sous la direction de Marie-Eve Thérenty et Sylvain Venayre), paru le 30 septembre aux éditions Anamosa en coédition avec la petite Égypte, les meilleurs spécialistes nous font parcourir près de deux siècles de presse française, tout en s’interrogeant sur la manière dont les supports informent leurs lectrices et lecteurs des événements du monde. Nous vous proposons ci-dessous deux extraits du livre : Nejma Omari se penche sur le « premier-Paris » du « Constitutionnel », en 1853, tandis que Sylvain Venayre analyse un article de la rubrique Environnement du « Monde », paru en janvier 2020.</em></p>
<hr>
<h2>« Paris, 5 janvier. La paix et la guerre », <em>Le Constitutionnel</em>, 5 janvier 1853</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=653&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424774/original/file-20211005-25-8cw9v0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« Paris, 5 janvier. La paix et la guerre », <em>Le Constitutionnel</em>, 5 janvier 1853.</span>
<span class="attribution"><span class="source">BNF, Gallica</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
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<p>Le « premier-Paris », c’est-à-dire le premier article de lourde et longue dissertation sur la politique intérieure ou extérieure de la France, est l’une des rubriques du journal les plus malaisées à fabriquer (et à lire) au XIX<sup>e</sup> siècle. C’est un véritable jargon ! Mais un jargon nécessaire. Car que seraient les feuilles politiques sans cette « tartine » liminaire, cette œuvre capitale de la presse parisienne où l’on déblatère contre et plaide pour, chaque jour avec la même force d’âme ?</p>
<p>Soupçonnées de complaisance envers l’ennemi politique, ou pire d’ignorance – la plus grave injure que l’on puisse faire aux feuilles politiques étant de douter qu’elles sachent tout –, elles perdraient sans doute la considération de l’abonné, irrité par ce criminel silence. « Il faut à l’abonné un premier-Paris comme il lui faut son café, son chocolat, ses pantoufles, ses lunettes, son déjeûner [sic] » (<em>Le Figaro</em>, 10 juillet 1832), voilà tout.</p>
<p>C’est donc en tête des journaux de la capitale que ce cher premier-Paris organise son siège, à la suite des « Nouvelles étrangères » ou avant elles, selon les époques et l’importance accordée aux sujets traités. Si sa place est quelque peu flottante jusqu’à la fin du Second Empire, vous le distinguerez aisément à sa phraséologie sonore et à son indication topo-chronologique : « Paris », centre des opérations et du monde (peut-on d’ailleurs seulement avoir une opinion politique extra-muros ?), suivi le plus souvent de la date de la veille, afin d’authentifier le sacro-saint moment de la rédaction.</p>
<p>Héritier des mercures, de la presse révolutionnaire et des discours publics, le premier-Paris se hisse à la tribune du journal pour y commenter l’événement politique du jour, avec plus ou moins de retenue en fonction du régime politique en place. Ce rhéteur hors pair, qui manie à la perfection l’ithos et le pathos, pérore à coups de métaphores et de prosopopées, multiplie les interjections et les questions oratoires et n’hésite pas à déployer si nécessaire son arsenal auxiliaire : la citation étrangère et la signature de député. La citation exotique, d’abord, confère au premier-Paris un cachet de vérité, un timbre de certitude, car si nul n’est prophète en son pays, le journal étranger se fait volontiers vaticinateur de la nation : Le <em>Sun</em> fait les réflexions suivantes […] : </p>
<blockquote>
<p>« La chambre des pairs a triomphé, mais elle s’est suicidée par ce triomphe. […] d’après tout ce qui arrive aujourd’hui en France, un enfant pourrait annoncer le sort réservé à la dynastie d’Orléans. » (<em>La Quotidienne</em>, 22 décembre 1834)</p>
</blockquote>
<p>En plus de donner du relief à ses opinions, la citation étrangère a l’avantage d’exister de toutes les couleurs politiques, pour les affections et les haines de toutes les nuances. La signature de député, quant à elle, vaut brevet d’éloquence et de science infuse, c’est à la fois une aubaine pour le journalisme – car il n’est pas rare qu’un tel article soit repris et commenté par la presse tout entière – et un honneur pour le lecteur, choisi comme dépositaire des sentiments politiques d’un législateur.</p>
<p>Mais les tournures argumentatives élaborées du premier-Paris, son vocabulaire technique et la profusion des figures de style qui le composent en font un objet rigide et poussiéreux, qui tranche, tant du point de vue du fond que de la forme, avec les innovations du journal. Ainsi, alors qu’Eugène Sue s’intéresse à la condition ouvrière et prêche pour l’organisation du travail dans son roman <em>Le Juif errant</em>, publié en feuilleton dans le rez-de-chaussée du Constitutionnel (1844-1845), le premier-Paris du même journal ne cesse de répéter l’absurdité de ces « théories inapplicables » qui causeraient « la ruine de la richesse nationale ».</p>
<p>Faut-il toujours que ces socialistes « exagèrent la misère et [inventent] des calamités qui n’existent pas » ? (<em>Le Constitutionnel</em>, 15 janvier 1844.) Il y a donc bien conflit d’intérêts entre la politique sociale du feuilleton et celle d’un premier-Paris immobile et arriéré, morgué par son influent voisin du dessous. Et lorsque la doctrine défendue par le journal est opposée à celle du gouvernement, c’est à un antagoniste autrement plus redoutable que l’article de tête doit se confronter : la surveillance de la presse. Mais alors, comment le premier-Paris évolue-t-il en milieu hostile durant près d’un siècle ?</p>
<p>De 1815 à 1852, la polémique du premier-Paris de l’opposition est un mélange aigre-doux, une mixture de miel et de vinaigre savamment dosée pour éviter les ciseaux d’Anastasie. Si les débuts de la monarchie de Juillet permettent aux journaux de s’attaquer de manière très frontale au régime sans trop de représailles – les célèbres « Poires » de Philipon en sont témoins –, cette « campagne de l’irrespect », comme l’ont baptisée les historiens de la presse, prend fin avec la loi de 1835.</p>
<p>Le premier-Paris doit alors baisser sa voix et trouver des alternatives aux philippiques contre la monarchie. Heureusement, l’actualité diplomatique lui offre une source intarissable de discussions : la question belge, la question algérienne, la question italienne, la question portugaise, la question turque – et toutes espèces de questions cosmopolites que l’on peut imaginer débattre – sont dépecées, rongées, sucées jusqu’à l’os tous les matins et tous les soirs, sous toutes les bannières politiques.</p>
<p>Si les rédactions sont particulièrement pointilleuses quant à l’expertise des premiers-paristes en la matière – on raconte qu’aucun d’entre eux ne fut par exemple autorisé à disserter sur la question turque sans avoir lu le <em>Bourgeois Gentilhomme</em> –, les journalistes sont encouragés à prophétiser : « Nous allons évacuer Ancône ! », « Nous nous rendrons à Alger ! »… Ces Calchas en puissance disent la bonne aventure sans craindre le démenti des faits, puisque le premier-Paris vit au jour le jour. Alors que les devins des journaux ministériels prédisent quiétude et sérénité, les nécromanciens de l’opposition inventent des moulins à affronter, augurent l’anéantissement d’une nation frappée d’anathème.</p>
<p>Mais aussi passionnantes que soient ces excursions politico-géographiques, elles ne font pas le poids face à la matière législative, largement reproduite et commentée par les journaux. Les longs procès-verbaux de séance, les interminables débats sur le sens d’une adresse que chacun s’efforce de détourner à son profit ou encore les commentaires assaisonnés des dernières roueries électorales éclipsent les nouvelles à plus faible potentiel, désormais reléguées au second ou au troisième Paris.</p>
<p>Au début du Second Empire, la restriction brutale de la publicité des débats parlementaires est donc une perte incommensurable pour l’article de tête. Plus généralement, la mise sous tutelle de la presse – en particulier sous l’Empire autoritaire – l’empêche de s’opposer de front au régime, sous peine de suppression du titre. Pour le premier-Paris bonapartiste, ce musellement de l’opposition est une bénédiction ! À lui les sempiternels panégyriques sur la politique impériale et le prestige retrouvé de notre glorieuse Nation ! Ces éloges sans fin – à l’image de l’article ci-dessus, signé par le rédacteur en chef du Constitutionnel, Amédée de Césena – se succèdent sans rencontrer de véritable résistance.</p>
<p>Car le premier-Paris de l’opposition, phtisique à un degré presque incurable, est trop occupé à lutter pour sa survie et à trouver des subterfuges pour masquer le vide. Ex nihilo nihil fit : rien ne vient du néant, et surtout pas les abonnés !</p>
<p>Muselé en ce qui concerne la politique du gouvernement, le premier-Paris est condamné à se tourner vers le passé et à s’abandonner au recyclage : ce bon fripier publiciste rhabille deux ou trois vieilles idées, les drape d’une casaque à peu près actuelle et présente un décalque fidèle des impressions des années précédentes.</p>
<p>Aussi, on ne compte plus, durant l’année 1853, le nombre d’articles consacrés aux formes de gouvernement précédentes. Mais une fois ce regrattage épuisé, la matière ressassée et retournée, le premier-Paris, au désespoir, est forcé de se rendre à l’évidence, il doit demander de l’aide à la littérature, ou bien accepter son triste sort, en attendant des jours meilleurs. Si certains journaux d’opinion, trop fiers pour céder, se bornent à conserver tant bien que mal leur colonne politique en l’alimentant de reproductions du <em>Moniteur</em>, de discussions creuses et de commentaires stériles, d’autres renoncent à cette tribune pour lui préférer la chronique ou le feuilleton, espaces où peuvent éventuellement se glisser, sous le masque de l’ironie, des attaques discrètes contre la politique impériale.</p>
<p>Dans l’avant-propos de son premier numéro, <em>Le Petit Journal</em> assume ce parti pris et confirme son intérêt pour « tout ce qui est de nature à satisfaire la curiosité et à nourrir l’intelligence » en dehors des considérations politiques : </p>
<blockquote>
<p>« Le Petit Journal ne saurait concevoir de hautes prétentions, aussi se hâte-t-il d’avouer qu’il n’aspire ni à modifier l’ordre social, ni même à donner des leçons au pouvoir, assez d’autres s’imposent cette tâche ingrate. » (<em>Le Petit Journal</em>, 31 janvier 1863)</p>
</blockquote>
<p>Sous la III<sup>e</sup> République, les journaux d’information et la presse populaire font eux aussi le choix de l’éclectisme et du divertissement en proposant une pléthore de formes et de sujets dans leur première colonne : interviews, chroniques parisiennes ou scientifiques, billets d’humeur, tout est bon pour séduire, fédérer et accrocher les lecteurs. Ainsi peut-on retrouver en tête de <em>L’Écho de Paris</em> une lettre de Zola (1er décembre 1887), une interview de Frédéric Febvre par Mirbeau (septembre 1891), ou encore des chroniques amusantes signées Lepelletier sur « les pipes de porcelaine » (12 septembre 1887) ou « la bigamie » (20 novembre 1887). C’est qu’il peut finalement être plaisant, ce cher premier-Paris !</p>
<p>Mais l’atmosphère est tout autre dans les journaux d’opinion qui profitent de la libéralisation de la presse pour faire de leur article de tête le lieu de l’invective sanglante et de l’éreintement. Ce premier-Paris à l’âme belliqueuse, qui porte la moustache et se plaît à la fusillade, abandonne des années de froide éloquence et de discours raisonnés pour fustiger l’ennemi politique. Le polémiste Henri Rochefort, connu pour ses opinions radicales, s’illustre notamment dans ce registre en multipliant les attaques contre le gouvernement : </p>
<blockquote>
<p>« De quoi diable peuvent bien se plaindre les opportunistes ? Ils sont au pouvoir ; à eux les places, les honneurs et même les pots-de-vin. Ils règnent, gouvernent et encaissent. » (L’Intransigeant, 26 septembre 1883)</p>
</blockquote>
<p>Finalement, au XX<sup>e</sup> siècle, le premier-Paris est supplanté par une forme qui nous est familière et qui tente de synthétiser les visées argumentatives et phatiques de son prédécesseur : l’éditorial, court article-vitrine dans lequel le directeur de publication expose la position du journal sur une question d’actualité. La tartine a donc été grignotée par les exigences d’un journalisme qui vise désormais la brièveté et l’efficacité, pris dans une course effrénée à l’actualité chaude.</p>
<p><em>Nejma Omari</em></p>
<h2>Rubrique Environnement : « 2019, deuxième année la plus chaude de l’histoire », <em>Le Monde</em>, 15 janvier 2020</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424843/original/file-20211005-33828-2wp02a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dans la rubrique « Planète » du <em>Monde</em> le 15 janvier 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Le Monde</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Au milieu d’une plaine caillouteuse, qui est en fait un lac asséché au Chili, une vache beige et blanche fixe l’objectif du photographe. Emprunté à l’agence Reuters, le cliché pris un an plus tôt illustre l’article consacré par <em>Le Monde</em> à cette information du 15 janvier 2020 : l’année 2019 a été la deuxième plus chaude de l’histoire.</p>
<p>En France métropolitaine, souligne le journal, 2019 se place au troisième rang, derrière 2018 et 2014. Les lecteurs sont d’ailleurs invités à se rappeler les terribles canicules de l’été précédent. Le 28 juin, un record absolu de chaleur n’a-t-il pas été établi à Vérargues, dans l’Hérault, avec 46 °C ?</p>
<p>À l’échelle du monde, c’est donc encore pire. L’Australie a enregistré des pics de chaleur à 50 °C. Depuis plusieurs semaines, les « mégafeux » qui la ravagent font l’objet d’innombrables articles. D’immenses incendies ont également été déplorés en Amérique du Sud, en Indonésie, en Sibérie, en Alaska. En Afrique du Sud, les longues sécheresses ont fait que 12,5 millions de personnes sont en insécurité alimentaire. Dans les océans, les dix dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Et ces phénomènes n’épuisent pas les conséquences du réchauffement planétaire. D’importantes inondations ont dévasté l’Iran, l’Argentine et l’Uruguay, cependant que l’hémisphère Nord enregistrait en six mois 66 cyclones tropicaux, soit 10 de plus que la moyenne habituelle. Une partie des Bahamas a été détruite, le Japon, le Mozambique, le Malawi, le Zimbabwe, sévèrement touchés. À cause de ces catastrophes, on estime que, pendant le premier semestre 2019, 7 millions de personnes ont dû être déplacées.</p>
<p>Une telle actualité, résolument mondiale, a envahi toutes les rubriques des journaux. Si elle n’était pas aussi cruellement à propos, la métaphore du raz-de-marée s’imposerait. De l’éditorial à la météo en passant par les reportages, les lettres ouvertes et toutes les formes de l’illustration, les préoccupations environnementales submergent en effet le journal, d’un bout à l’autre de ses pages, au fur et à mesure que les questions écologiques gagnent en importance dans le débat public. Certains diront qu’en rendant compte de phénomènes dont les conséquences n’ont jamais été aussi graves, la presse fait son travail. D’autres diront qu’en s’accordant aux angoisses de l’opinion publique, elle cherche à vendre du papier. La polémique pourrait ainsi redoubler celle qui oppose, depuis une vingtaine d’années, les partisans et les adversaires de la thèse du changement climatique anthropique.</p>
<p>L’histoire de la rubrique « Environnement » (que le <em>Monde</em> appelle « Planète ») permet de mesurer exactement les enjeux de cette controverse désormais plus médiatique que scientifique. La rubrique est récente. En France, <em>Les Échos</em> ont été en 1998 le premier quotidien à désigner un journaliste spécialiste de l’environnement. Quatre ans plus tard, <em>Le Point</em> a été le premier hebdomadaire à mettre en place une rubrique consacrée à la question. Les grands quotidiens emboîtèrent le pas, <em>Libération</em> en 2003, puis <em>Le Monde</em> en 2005. Trente ans après la création du premier ministère de la Protection de la nature et de l’environnement français (1971), il était devenu évident que les nouvelles de l’environnement pouvaient nourrir une rubrique quotidienne.</p>
<p>Ce triomphe est pourtant extraordinairement ambigu. Au sein des rédactions, les journalistes qui travaillent sur l’environnement ont le vif sentiment d’être dominés. Fait significatif, ce sont souvent – comme dans l’exemple que j’ai retenu – des femmes. En 2007, elles représentaient 55 % du total des journalistes « environnement », contre 43 % pour l’ensemble de la profession (la moitié d’entre elles travaillant du reste pour la presse magazine). Or les vieilles lois de la sociologie demeurent en grande partie vraies : la féminisation d’une activité révèle souvent son moindre prestige social. On n’embrasse pas la profession de journaliste avec l’ambition de se spécialiser dans la rubrique « Environnement ». Résultat : les hommes ne s’y attardent pas.</p>
<p>Surtout, un soupçon plane sur la rubrique. Celles et ceux qui la font ne seraient-ils pas d’abord des militants ? Depuis la fin des années 1960, les journalistes qui se sont intéressés à l’environnement ont été animés par le souci de l’écologie. Créée en 1969, l’Association des journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie était liée à la Fédération française des sociétés de protection de la nature. En 1974, elle a participé activement à la campagne du premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, René Dumont. Les choses ont certes un peu changé depuis. En 1989, la création du magazine Reporterre manifestait le désir d’un engagement respectueux des règles du journalisme. Depuis 1994, la nouvelle Association des journalistes de l’environnement exige que ses membres soient titulaires d’une carte de presse. </p>
<p>Il n’empêche que la rubrique demeure suspecte de faire passer l’engagement politique avant l’exactitude des informations. À <em>Libération</em>, rapporte Jean‑Baptiste Comby, qui a étudié la question, la page « Terre » nouvellement créée était surnommée « la page des ONG ». Dans les couloirs du <em>Monde</em>, le titulaire de la rubrique (ancien fondateur de Reporterre) était surnommé « l’ayatollah vert ». Longtemps, leurs sujets ont semblé moins rigoureusement construits que ceux des titulaires des autres rubriques – et tout particulièrement de la rubrique qui semblait se rapprocher le plus de leurs préoccupations : la rubrique scientifique.</p>
<p>Pour lutter contre ce soupçon, les journalistes « environnement » ont donc multiplié les références aux travaux les plus savants. Dans le cas présent, Audrey Garric rappelle que les chiffres qu’elle donne proviennent de l’Organisation météorologique mondiale, dirigée par le Finlandais Petteri Taalas – et qu’ils n’ont de sens que depuis qu’existent les premiers relevés, c’est-à-dire 1850. Elle cite une étude de la revue savante <em>Advances in Atmospheric Sciences</em>. Elle explique dans un encadré de quelle façon la NASA, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique et les services météorologiques britanniques mesurent la température globale de la Terre. Elle invite le directeur adjoint du très sérieux Institut Pierre-Simon-Laplace à détailler leurs calculs pour les lecteurs français.</p>
<p>La rubrique environnementale tend ainsi à se rapprocher des critères de la rubrique scientifique, parée de l’auréole de l’objectivité savante. D’ailleurs, certains journalistes passent désormais d’un espace rédactionnel à l’autre (d’autant plus volontiers que la crise de la presse les contraint à être des spécialistes successifs). On pourrait croire que c’est une bonne chose, que les pages « Environnement » des journaux sont en train de devenir cette utile chambre d’écho des anxiétés les plus aiguës du monde actuel, le lieu où l’on pourrait faire connaître des solutions pour l’avenir.</p>
<p>Ce serait trop simple. Bien sûr, les journalistes des rubriques « Environnement » ont contribué à lutter victorieusement contre les « climatosceptiques », pour qui les causes du réchauffement planétaire ne seraient pas d’origine humaine. En se réclamant des travaux scientifiques, à commencer par ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé en 1988, ils ont progressivement diffusé les preuves du changement climatique anthropique. Ils ont multiplié à ce propos les fact-checkings (comme lorsqu’il s’est agi de réfuter l’idée selon laquelle les « mégafeux » australiens de 2020 seraient moins graves que les incendies de 1974-1975 dans le même pays). Nul ne peut plus prétendre, à la lecture des rubriques « Environnement » des grands journaux, que le réchauffement climatique anthropique n’existe pas. Le discours climatosceptique a été relégué dans d’autres espaces du journal, à commencer par les pages politiques, où l’on commente les propos souvent ahurissants sur la question des présidents états-unien et brésilien ou du Premier ministre australien.</p>
<p>Mais justement : pour échapper à la tradition militante de la rubrique et pour se rapprocher de l’objectivité revendiquée de la rubrique scientifique, les journalistes hésitent maintenant à charger la rubrique « Environnement » d’un contenu social et politique trop marqué. Ils imputent certes la responsabilité du réchauffement climatique aux activités humaines, mais les causes économiques et politiques de ces activités sont souvent passées sous silence. Lorsqu’elle évoque « le pire des scénarios, celui d’une croissance économique rapide alimentée par des énergies fossiles », la journaliste du <em>Monde</em> sous-entend que l’avenir de la planète dépend des décisions collectives à venir – mais l’examen de ces décisions relève rarement des rubriques « Environnement ». </p>
<p>Au contraire, ces dernières détaillent volontiers les modestes initiatives individuelles susceptibles de lutter contre le réchauffement, selon une logique qui rappelle le mot d’ordre de la « chasse au gaspi », consécutif au choc pétrolier des années 1970. En mettant l’accent sur la responsabilité de chacun, elles tendent à évacuer la question pourtant centrale de la responsabilité des acteurs politiques et économiques – et aussi celle de l’inégalité sociale devant les conséquences du changement climatique.</p>
<p>Pourquoi ? Le fait que cela concerne de la même façon l’ensemble des journaux, quelles que soient leurs opinions politiques, invite à regarder ce problème comme les historiens du fait divers ont considéré le succès médiatique des récits de crimes. Ces récits communs à l’ensemble de la presse pouvaient être horribles, ils n’en étaient pas moins profondément moraux, célébrant l’ordre social (et même, jusqu’à une date récente, la peine de mort) et s’abstenant de poser le problème des causes sociales de la délinquance et de la criminalité (résumées à des figures folkloriques, tels les « apaches » de la Belle Époque). </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=972&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424781/original/file-20211005-23-mf8r2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1221&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Le monde à la une » est sorti le 30 septembre 2021 aux éditions anamosa, en coédition avec la petite Egypte.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Anamosa</span></span>
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<p>Au fond, les atteintes à l’environnement font l’objet d’un traitement semblable : en célébrant une consommation verte, respectueuse tout à la fois de la nature et du capitalisme (ce dont se félicitent les annonceurs, de plus en plus soucieux de « green washing »), les articles sur l’environnement s’adressent à la communauté la plus étendue possible, celle des humains de bonne volonté, par-delà les clivages politiques et sociaux. Par ce geste intéressé, permettant de toucher le plus large lectorat, ils nous invitent moins à réagir collectivement qu’à suivre chaque jour, en spectateurs sidérés, le récit haletant mais lointain du crime contre la planète.</p>
<p><em>Sylvain Venayre</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169271/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans l’ouvrage « Le monde à la une, Une histoire de la presse par ses rubriques », les meilleurs spécialistes nous font parcourir près de deux siècles de presse française.Marie-Eve Therenty, Professeur de littérature française, Université Paul Valéry – Montpellier IIINejma Omari, Doctorante en Littérature française, professeure de Lettres Modernes, Université Paul Valéry – Montpellier IIISylvain Venayre, Professeur d'histoire contemporaine, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1609572021-05-19T13:42:48Z2021-05-19T13:42:48ZIA dans les salles de nouvelles : une question de gros sous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/401430/original/file-20210518-13-1gcje19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C6%2C4582%2C2637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le _Globe and Mail_, le seul quotidien national au Canada, est celui qui exploite le plus les outils de l’IA dans la collecte, la production et la diffusion de l'information.</span> <span class="attribution"><span class="source">LA PRESSE CANADIENNE/Adrian Wyld</span></span></figcaption></figure><p>Le journalisme est fortement influencé par les innovations technologiques. L’histoire montre que les médias se sont constamment réapproprié les innovations pour les intégrer à leurs pratiques. Ce fut le cas avec la radio, la télévision, l’Internet et maintenant, l’intelligence artificielle (IA).</p>
<p>Devant l’emprise des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les médias doivent revoir leur modèle d’affaires et innover pour survivre et compenser la perte de revenus publicitaires qu’ils subissent au profit de ces géants.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/facebook-senrichit-grace-aux-medias-canadiens-mais-donne-peu-en-retour-145497">Facebook s’enrichit grâce aux médias canadiens, mais donne peu en retour</a>
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<p>Les outils liés à l’intelligence artificielle gagnent en popularité dans les salles de nouvelles, un peu partout dans le monde. L’un des objectifs de son utilisation est d’aider les journalistes à se libérer de tâches routinières, comme le souligne un spécialiste de l’IA en journalisme, <a href="https://theprint.in/world/covid-has-been-hard-on-journalism-ai-can-help-without-taking-your-job/422765/">Francesco Marconi</a>.</p>
<p>Constatant ce phénomène, nous nous intéressons depuis mai 2020 aux usages et aux perceptions de l’IA dans les salles de nouvelles au Québec et dans le reste du Canada.</p>
<p>À l’automne 2020, nous avons envoyé un questionnaire à 13 des plus grands médias canadiens, ou faisant des affaires au Canada, dans tous les secteurs (télé, radio, web, journaux, agences de presse) afin de connaître leurs usages de ces outils. Ils ont tous répondu.</p>
<p>Il faut savoir que la <a href="https://blogs.lse.ac.uk/polis/2019/12/12/7-things-to-consider/">recherche sur les outils liés à l’IA</a> répertorie trois champs d’applications de la technologie : la collecte et l’analyse d’informations, la production de nouvelles et la distribution des nouvelles.</p>
<p>Essentiellement, deux constats découlent de notre recherche : une disparité dans les usages et un manque d’expertise quant à l’élaboration de ces outils, et ce, malgré une bonne connaissance de ceux-ci. De plus, la majorité des répondants (9 sur 13) ont requis l’anonymat. Nous interprétons ces demandes d’anonymat comme un reflet de l’intense concurrence entre les médias au pays.</p>
<h2>Les médias les plus riches</h2>
<p>Tout d’abord, l’utilisation des outils liés à l’IA au pays varie énormément selon le média. En effet, outre le <em>Globe and Mail</em> et La Presse Canadienne/The Canadian Press, qui en font une utilisation poussée, six autres répondants l’utilisent de façon limitée et les cinq autres mentionnent ne pas du tout en faire usage.</p>
<p>Ces résultats montrent que les moyens financiers ainsi que la portée du média semblent jouer un rôle dans l’intégration ou non de cette technologie. Le <em>Globe and Mail</em>, le seul quotidien national au Canada, utilise fortement des outils liés à l’IA, tant dans la collecte que dans la production et la diffusion d’informations. Le quotidien utilise un outil qu’il a lui-même conçu appelé <a href="https://www.sophi.io/">Sophi.io</a>, qui gère les contenus de la page d’accueil du site et maximise les abonnés numériques (personnalisation du contenu et des modes d’abonnement en fonction des données perso).</p>
<p>À l’opposé, le quotidien <em>Métro</em>, propriété de Métro Média, à Montréal, n’utilise pas de système intégrant l’IA. Ce dernier ainsi qu’un autre de nos répondants ne croient pas non plus qu’ils feront usage d’outils en IA dans les cinq prochaines années.</p>
<p>De même, La Presse Canadienne utilise pour sa part un outil nommé Ultrad pour traduire des dépêches provenant de l’Associated Press ou de la Canadian Press, avec l’intervention d’un éditeur. L’agence de presse automatise aussi certains résultats sportifs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), de même que des résultats électoraux et des données tirées de Statistique Canada.</p>
<p>Cette utilisation favorisée par les moyens financiers ainsi que la portée du média semble rejoindre les tendances observées à l’étranger ; les médias les plus riches se permettent davantage d’intégrer ce type d’outils, étant donné leur capacité à assumer les risques économiques. D’ailleurs, ceux ayant intégré l’intelligence artificielle dans leurs pratiques sont majoritairement de gros acteurs comme le <em>New York Times</em>, l’Agence France-Presse, l’AP, Reuters, le <em>Wall Street Journal</em>, le <em>Washington Post</em>, <em>Le Monde</em>, le <em>L.A. Times</em>, le <em>Financial Times</em> et autres.</p>
<h2>Des usages multiples</h2>
<p>Nous avons constaté que les usages de cette technologie sont multiples dans les médias. Des systèmes intégrant l’IA sont utilisés, entre autres, pour optimiser la rentabilité des contenus en ligne en proposant du contenu payant. Ils permettent d’actualiser le contenu de la page d’accueil en intégrant automatiquement les nouvelles les plus pertinentes ou personnalisées.</p>
<p>Certains médias utilisent aussi l’IA pour détecter les fausses nouvelles, grâce aux algorithmes, ou recommander des contenus intemporels ou d’archives selon les intérêts du lecteur. D’autres outils sont aussi utilisés pour transcrire des entrevues ou créer automatiquement des sous-titres à une capsule vidéo.</p>
<h2>Un manque d’expertise</h2>
<p>Notre deuxième constat permet d’établir que, dans l’ensemble, nos répondants possèdent une connaissance de base des outils de l’IA ainsi que leur champ d’application, mais qu’ils ne possèdent pas l’expertise pour concevoir les outils.</p>
<p>Ils sont conscients des avantages que peut leur apporter cette technologie, surtout quant à l’économie de temps, mais en même temps, certains perçoivent l’IA comme n’ayant pas de bénéfice tangible pour eux. Voilà qui peut sembler contradictoire. Or pour les médias qui n’en ont pas les moyens financiers, le simple fait de penser à une possible intégration d’IA apparaît futile.</p>
<p>Cela laisse croire que les médias n’ont possiblement pas le temps d’innover. Plusieurs d’entre eux sont en mode survie et ne sont pas capables de dégager une marge de manœuvre financière suffisante pour le faire.</p>
<h2>Remplacés par des « robots » ?</h2>
<p>Il y a une tendance populaire à croire que la technologie va remplacer le journalisme. Cette croyance est causée en partie par l’usage fréquent du mot « robot » au lieu des termes « programme informatique » ou « outils liés à l’IA » chaque fois que ces innovations sont abordées dans les médias ou dans les travaux universitaires.</p>
<p>Par ailleurs, certains journalistes craignent peut-être aussi de subir le même sort que les employés des portails d’informations <a href="https://lesecrans.ca/au-quebec-aussi-msn-remplace-ses-editeurs-par-un-algorithme/">MSN Québec et MSN UK, en 2020</a>, où les éditeurs ont été licenciés et remplacés par des systèmes automatisés d’IA.</p>
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<img alt="Un homme travaille devant un écran affichant un site de nouvelles" src="https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/401438/original/file-20210518-21-nw1wm9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les travailleurs des médias qui sont les plus menacés par l’émergence des outils liés à l’IA sont ceux qui font des tâches répétitives ou ayant peu de valeur ajoutée, comme la mise en ligne des nouvelles et la mise à jour des sites web.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>En fait, le pourcentage de travailleurs des médias à risque de voir leurs postes automatisés varie de 8 % pour les éditeurs/journalistes à 11 % pour les reporters sur le terrain et les correspondants, selon les estimations de deux chercheurs de l’Université d’Oxford <a href="https://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/The_Future_of_Employment.pdf">Carl Benedikt Frey et Michael Osborne</a>.</p>
<p>Les travailleurs des médias les plus menacés sont ceux qui font des tâches répétitives, comme ceux qui compilent des statistiques sportives, de même que les édimestres qui mettent à jour l’information sur les sites web par exemple. Selon nous, les pertes d’emploi pourraient être évitées en déplaçant ce petit pourcentage de travailleurs touchés vers des tâches à plus forte valeur ajoutée. Leurs compétences techniques pourraient être utiles lors d’enquêtes plus poussées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lintelligence-artificielle-a-la-rescousse-du-journalisme-135387">L’intelligence artificielle à la rescousse du journalisme</a>
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<p>Les médias pourraient créer des postes de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Journalisme_de_donn%C3%A9es">journalistes de données</a> et de <a href="https://www.ledevoir.com/culture/medias/579173/medias-le-journalisme-de-solutions-gagne-des-adeptes">journalistes de solutions</a> pour approfondir des dossiers et répondre aux besoins des lecteurs <a href="https://www.pug.fr/produit/1761/9782706146619/le-journalisme-de-solutions">pour des contenus moins polarisants et négatifs</a>. Ils pourraient aussi produire des infolettres spécialisées et de longs balados.</p>
<p>Somme toute, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3840582">notre recherche</a> recommande davantage de collaboration entre les différents départements dans les médias, entre les médias eux-mêmes, ainsi qu’avec les universités et les <em>start-up</em> dans le but de faciliter l’intégration des nouvelles technologies et d’évaluer leurs impacts.</p>
<p>L’exemple du programme <a href="https://www.lse.ac.uk/media-and-communications/polis/JournalismAI/Collab">JournalismAI</a>, un groupe de réflexion et d’action sur l’IA dans les médias à la London School of Economics, produit durant la pandémie en Europe est un point de départ.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160957/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick White a reçu des financements de l'UQAM, de Mitacs et de Patrimoine canadien. Il est membre de la Fédération professionnelles des journalistes du Québec (FPJQ)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas St-Germain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les résultats d’une étude montrent que les moyens financiers ainsi que la portée du média semblent jouer un rôle dans l’intégration ou non des technologies liées à l’IA.Patrick White, professeur de journalisme , Université du Québec à Montréal (UQAM)Nicolas St-Germain, Étudiant à la maîtrise en communication profil études médiatiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1457362020-09-13T15:20:21Z2020-09-13T15:20:21ZÊtre ou ne pas être Charlie ? Parcours d’un hashtag devenu argument<p>L’attentat perpétré contre <em>Charlie Hebdo</em> a provoqué des réactions massives dans le monde, sûrement comparables à celles d’un événement comme le 11/9 mais bien plus visibles par la proximité avec laquelle nous l’avons vécu sur les réseaux sociaux numériques.</p>
<p>La réponse épidermique au choc a été incarnée par le slogan « Je suis Charlie », par lequel une énorme quantité d’internautes a témoigné sa solidarité à travers le monde (le 9 janvier 2015, le hashtag #JesuisCharlie avait été utilisé <a href="https://www.elle.fr/Societe/News/JeSuisCharlie-le-hashtag-aux-5-millions-de-tweets-2875698">5 millions de fois</a> sur Twitter).</p>
<p>Le slogan a également été décliné sous différentes formes dans les manifestations citoyennes des 10-11 janvier, juste après l’attentat à l’Hypercacher : « Je suis policier, Je suis juif, Je suis musulman », démontrant sa viralité, sa plasticité et sa capacité à condenser une multitude d’identifications. Depuis, de nombreux attentats à travers le monde ont provoqué une nouvelle circulation du slogan avec le nom de la ville en lieu et place de <em>Charlie</em>. Sa <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2016/01/06/je-suis-charlie-hebdo-attentats-13-novembre-paris-slogan-terrorisme-reseaux-sociaux_n_8909352.html">reformulation</a> a été à la hauteur de sa circulation massive, jusqu’à devenir un <a href="https://imgflip.com/memegenerator/27134203/Je-suis-Charlie">meme</a>.</p>
<h2>La plume contre l’épée</h2>
<p>Le slogan exprimait à la fois le choc devant l’immensité barbare de l’événement et la solidarité envers les victimes, avec lesquelles l’énonciateur s’identifiait en se mettant à leur place et en partageant leur drame. Cette « dynamique identificatoire » a transformé le <em>je</em> en <em>nous</em>, comme l’écrivait <a href="https://www.mediologie.org/jesuischarlie-ou-le-medium-identite">Louize Merzeau</a>.</p>
<p>Sa signification s’est nourrie des discours ainsi que des images qui ont circulé massivement en hommage à la rédaction décimée de Charlie, à la caricature, à la liberté d’expression.</p>
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<img alt="Graff en hommage aux victimes de l’attentat perpétré contre Charlie Hebdo" src="https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356782/original/file-20200907-18-1fvs216.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Graff en hommage aux victimes de l’attentat perpétré contre <em>Charlie Hebdo</em> (Poitiers,18 janvier 2015).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Graff_%C3%A0_la_m%C3%A9moire_de_Charlie_Hebdo_(16120363170).jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2211695816300721">étude</a> sémiotique, nous avons montré que ces dessins très nombreux, réalisés par des dessinateurs et dessinatrices partout dans le monde, étaient basés sur les mêmes métaphores et images : la plume contre l’épée, le combat des idées contre l’obscurantisme, le journaliste comme héros et la renaissance perpétuelle malgré la barbarie.</p>
<p>Mais comme toute <a href="https://journals.openedition.org/aad/1482">« phrase sans texte »</a> (c’est ainsi que le linguiste Dominique Maingueneau désigne ces formes brèves), le slogan peut recouvrir une multitude de significations en fonction des positionnements des énonciateurs qui l’utilisent.</p>
<h2>Des représentations divergentes de l’événement</h2>
<p>Si le hashtag #JeSuisCharlie a été créé le 7 janvier à 12:59 pour accompagner la diffusion de l’<a href="https://journals.openedition.org/ceg/2258">iconotexte</a> créé par le graphiste Joachim Roncin, <a href="http://ceur-ws.org/Vol-1395/paper_12.pdf">#JeNeSuisPasCharlie</a> est apparu pour la première fois à 13:46 le même jour.</p>
<p>Les différentes manières d’appréhender l’événement se sont ainsi matérialisées dans une intervention sur le slogan même, qui devenait le terrain d’une bataille idéologique. Ces voix discordantes brisaient l’apparente homogénéité de l’hommage à <em>Charlie Hebdo</em> et évoquaient une dissociation avec les valeurs que l’énoncé était censé représenter.</p>
<p>Les contre-slogans ne sont pas un phénomène rare (pensons à « All lives matter », réponse des pourfendeurs de l’antiracisme à « Black lives matter »), mais il faut dire que la forme linguistique de la phrase ouvrait la porte à des reformulations telles que « je ne suis pas X », « je suis toujours/encore X » ou « je ne suis plus X ».</p>
<h2>Le slogan invite à une adhésion totale</h2>
<p>Mais c’est surtout le sens de l’énoncé en discours qui autorisait la reformulation négative, dans la mesure où celui qui dit « je » est libre de décider à qui il ou elle veut s’identifier. Ici, la structure attributive de « Je suis Charlie » engage l’énonciateur dans une identification inconditionnelle avec le journal satirique, car il donne un choix binaire, être ou ne pas être. Cependant, elle ne spécifie pas à quoi on adhère exactement, le nom propre de la publication renvoyant à une multitude de référents et de représentations. Un autre contre-slogan construit sur un nom propre, <a href="http://oro.open.ac.uk/51166/3/51166.pdf">JeSuisKouachi</a>, ne laisse au contraire aucun doute quant à la signification de la formule, qui fait l’apologie du terrorisme.</p>
<p>Si le cri d’empathie « Je suis Charlie » s’est chargé des images archétypales de la lutte pour la liberté et contre l’obscurantisme, « Je ne suis pas Charlie » s’est raccroché à des débats plus divers où les crispations étaient à leur comble, notamment sur la <a href="https://theconversation.com/les-manifestations-charlie-hebdo-etaient-elles-anti-musulmans-70933">représentation du prophète et de l’islam</a>, sur la comparaison avec les dessins antisémites, sur les limites de la liberté d’expression.</p>
<h2>Quand les slogans deviennent arguments</h2>
<p>Une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01251253/document">étude</a> de Romain Badouard sur la circulation du hashtag a montré que le contre-slogan recouvrait notamment trois attitudes : une critique « de gauche » qui dénonçait les récupérations politiques de l’événement, les dérives sécuritaires et une certaine stigmatisation des musulmans ; une critique conservatrice et identitaire qui se levait contre l’esprit libertaire de <em>Charlie Hebdo</em> et, enfin, une voix émanant plutôt des Français musulmans accusant le journal d’islamophobie.</p>
<p>Les cas d’apologie du terrorisme sont, selon les études citées plus haut, minoritaires.</p>
<p>Si le bon sens n’a jamais abondé dans ces discussions, la transformation des slogans en argument n’a pas aidé dans le dialogue de sourds. On peut noter que le premier énoncé porte sur des valeurs universelles alors que le second renvoie à des problématiques plus conjoncturelles ; dans ce sens, on pourrait très bien à la fois être et ne pas être Charlie.</p>
<h2>Forte polarisation des débats</h2>
<p>Un des effets de la circulation de ces deux slogans a été une forte polarisation des débats. Si on ne peut, bien sûr, pas attribuer au slogan même cette polarisation, il est clair que la forme attributive de l’énoncé a favorisé la représentation d’un affrontement entre deux camps radicalement différents : ceux qui sont quelque chose contre ceux qui ne le sont pas, occultant des positionnements plus nuancés dans lesquels les individus adhéraient à une série de valeurs fondamentales sans pour autant adhérer à la manière dont la rédaction de Charlie avait par moments énoncé ces valeurs.</p>
<p>Les énoncés tels que « je serai toujours/ne je serai jamais Charlie » n’ont fait que renforcer l’idée de groupes idéologiques antagonistes, de même que l’idée selon laquelle <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/charlie-hebdo-trois-ans-apres-l-esprit-charlie-s-est-erode-7791735078">« l’esprit Charlie se perd »</a>, opérant une identification entre la défense inconditionnelle de la liberté d’expression et de la laïcité et le discours du journal.</p>
<p>On peut également penser que la polarisation a été à la mesure de l’événement traumatique, mais la circulation de ces slogans jumeaux a provoqué un appauvrissement flagrant des débats, ramenant celles et ceux qui débattaient à des idéologies élémentaires.</p>
<h2>Faux dilemme ou grand malentendu ?</h2>
<p>La dynamique de ces discussions s’est reproduite lors d’un autre événement similaire, celui appelé <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EdGIcThIG_o">« Affaire Mila »</a>, où le slogan « Je suis Mila » ralliant le camp des Charlie s’opposait au contre-slogan « Je ne suis pas Mila » rassemblant le camp des anti.</p>
<p>D’autres polémiques ont pourtant montré qu’il est possible de s’associer à l’indignation collective sans pour autant adhérer aux idées de la personne défendue.</p>
<p>Très récemment, devant le dessin de Danièle Obono en esclave, de nombreuses voix se sont levées pour dénoncer le dessin de <em>Valeurs Actuelles</em>, tout en se dissociant de la prise de position de la députée lors de l’attentat de 2015, de son rapprochement avec le Parti des indigènes de la république et sa défense de personnalités controversées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1299636874315735040"}"></div></p>
<p>Des années après le massacre, une partie de la rédaction de Charlie a regretté le « je suis Charlie, mais » de certains, sans considérer que dit comme ça, l’énoncé est bien plus violent qu’une argumentation qui expliquerait une adhésion aux valeurs de la liberté de presse et d’expression, une empathie sur les événements vécus et une condamnation de la terreur mais un désaccord sur des opinions, ce qui est tout à fait cohérent avec la liberté d’expression et de pensée. Il ne faut pas oublier, par ailleurs, qu’il y a aussi eu des « Je ne suis pas Charlie mais », montrant la limite des slogans pour exprimer des positionnements complexes.</p>
<p>Tout cela fait penser qu’il s’agit d’un faux dilemme ou d’un grand malentendu, et qu’il serait temps d’abandonner les phrases sans texte pour retrouver le goût du débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Calabrese ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment le cri d’empathie « Je suis Charlie » est devenu le fer de lance de débats tendus occultant des positionnements plus nuancés.Laura Calabrese, Professeure d’analyse de discours et communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1432112020-07-30T20:40:53Z2020-07-30T20:40:53ZEt si les médias anglo-saxons contribuaient (sans le savoir) à la réélection de Donald Trump ?<p>Imaginons qu’il faille, en ces temps pour le moins troublés de pandémie mondiale, choisir un dirigeant pour la planète, et que trois options s’offrent à vous :</p>
<ul>
<li><p>Le premier travaille avec des politiciens véreux, consulte des astrologues, a deux maîtresses, fume plusieurs paquets par jour et boit entre 8 et 10 martinis par jour.</p></li>
<li><p>Le second a déjà été renvoyé deux fois, ne se lève pas avant midi, a fumé de l’opium à l’université et boit une bouteille de brandy tous les soirs.</p></li>
<li><p>Le troisième, végétarien et non-fumeur, a été décoré pour faits de guerre. Il ne boit que très occasionnellement de la bière, et n’a jamais eu d’histoires extra-conjugales.</p></li>
</ul>
<p>À lire ces descriptions, le choix du troisième paraît assez évident, n’est-ce pas ? Et pourtant… Le premier est <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Franklin_Delano_Roosevelt">Franklin D. Roosevelt</a>, le deuxième est <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Winston_Churchill">Winston Churchill</a>, tandis que le troisième n’est autre qu’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Adolf_Hitler">Adolf Hitler</a>…</p>
<p>Cette petite devinette, que certain·e·s d’entre vous connaissaient certainement déjà (elle n’est pas nouvelle et est aisément trouvable sur le Net), est révélatrice de ce que l’on appelle les biais cognitifs.</p>
<p>Cette expression renvoie à la distorsion de traitement à laquelle une information peut être sujette, et qui donne lieu à des interprétations non-rationnelles et non-logiques de celle-ci. Ces interprétations peuvent être liées à des informations dont la présentation elle-même sera (délibérément ou non) biaisée et/ou incomplète – comme c’était d’ailleurs le cas dans notre énigme introductive, volontairement orientée et incomplète pour donner l’impression d’une prise de décision rationnelle.</p>
<h2>Des biais cognitifs aux multiples conséquences</h2>
<p>En d’autres termes, un biais cognitif conduira tout acteur (individu ou organisation) à interpréter de manière (quasi-) systématique une information et à la retranscrire à l’aune de son propre filtre. Ces biais amènent donc un acteur à surpondérer l’importance de certains événements par rapport à d’autres, ou à y chercher des motivations ou des explications que d’autres ne verraient pas.</p>
<p>Ces biais et leurs conséquences sont bien documentés et font l’objet de publications dans des champs aussi divers que les <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/41613529.pdf">désordres émotionnels</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0004370218305988">l’intelligence artificielle</a> (quelle éthique dans la conception et l’utilisation d’algorithmes ?), <a href="https://jpm.pm-research.com/content/27/1/72.abstract">l’analyse de la performance des marchés financiers</a> ou encore la <a href="https://www.researchgate.net/publication/222181122_Cognitive_biases_risk_perception_and_venture_formation_How_individuals_decide_to_start_companies">perception du risque par les entrepreneurs</a>.</p>
<p>Il en existe une <a href="https://inertian.wixsite.com/codexbiais">quantité impressionnante</a>, dont les plus connus sont certainement les biais de confirmation. Ceux-ci résultent d’un enfermement dans un système de croyances qui tendra à s’auto-renforcer si l’on s’expose toujours au même type d’informations – typique de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/04/24/comment-les-reseaux-sociaux-accentuent-l-enfermement-dans-ses-idees_5289874_4408996.html">ce qui se passe sur les réseaux sociaux</a>, où se développent des bulles de filtre.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les bulles de filtres et biais de confirmation dans les réseaux sociaux.</span></figcaption>
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<h2>L’impact des biais cognitifs des journalistes sur l’élection de Trump en 2016</h2>
<p>Dans les heures qui suivirent la victoire de Trump à l’élection présidentielle américaine de 2016, le <em>Washington Post</em> publia un <a href="https://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/the-media-didnt-want-to-believe-trump-could-win-so-they-looked-the-other-way/2016/11/09/d2ea1436-a623-11e6-8042-f4d111c862d1_story.html">éditorial</a> saignant de réalisme quant à la manière dont les médias anglo-saxons, et tout particulièrement américains, avaient traité la campagne de Trump.</p>
<p>Cet éditorial, au titre révélateur (« The media didn’t want to believe Trump could win. So they looked the other way » – « Les médias ne voulaient pas croire que Trump pouvait gagner. Ils ont donc regardé dans l’autre direction »), listait un ensemble d’erreurs révélatrices des multiples biais cognitifs auxquels avaient cédé les journalistes.</p>
<p>Ils avaient ainsi eu tendance à accorder trop d’importance à certaines informations et à en négliger d’autres contraires à leurs croyances (<a href="http://changingminds.org/explanations/theories/focusing_effect.htm">effet de focalisation</a>), comme celles révélant le <a href="https://www.cairn.info/revue-l-europe-en-formation-2017-1-page-9.htm">désarroi des classes moyennes inférieures blanches et non ou peu diplômées</a>.</p>
<p>Leur type et niveau de formation, leur lieu de résidence et leurs orientations politiques les ont aussi amenés à avoir les mêmes convictions et attentes vis-à-vis de l’élection, lesquelles ont affecté leur traitement de l’information (<a href="https://www.businessinsider.fr/us/cognitive-biases-affect-decisions-2015-8">biais de perception sélective</a>). De même, ces traits communs ont généré un <a href="https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2019/10/28301-les-6-biais-qui-impactent-le-plus-vos-decisions/">biais d’excès de confiance</a> dans leur capacité à prévoir les résultats de l’élection. Dernier exemple, enfin : ils n’étaient bien sûr pas conscients de leurs biais cognitifs (ou les réfutaient), ce qui est un biais en soi (biais dit de <a href="https://www.sceptiques.qc.ca/dictionnaire/biasblindspot.html">la tache aveugle</a>).</p>
<p>Si cruelle, mais juste, analyse accompagnée d’une telle <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/hillary-clinton/hillary-clinton-a-perdu-l-election-mais-a-battu-donald-trump-de-plus-de-2-millions-de-voix_1935567.html">surprise électorale</a> – rendue possible également, ne l’oublions pas, au système électif du président américain, basé sur un <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/01/elections-americaines-les-grands-electeurs-comment-ca-marche_5023509_4355770.html">collège électoral de grands électeurs</a> – laissait supposer que toutes les leçons avaient été retenues et que pareilles erreurs ne sauraient survenir à nouveau. C’est oublier à quel point il est difficile de se départir de ses biais cognitifs – dont, rappelons-le, on ne s’aperçoit généralement pas.</p>
<h2>Des techniques pour prendre conscience de ses biais</h2>
<p>Si certaines techniques peuvent aider à prendre conscience de ses biais au plan individuel, le mieux reste cependant de les <a href="https://www.cebma.org/wp-content/uploads/Kahneman-et-al-2001-Before-you-make-that-big-decision-60781382.pdf">affronter de manière collective</a>. Il faut pour cela s’entourer de personnes aux profils et idées suffisamment diversifiés afin de limiter le risque de biais. Or, il est permis de douter que ce soit le cas. Mi-juillet, Bari Weiss, éditorialiste au <em>New York Times</em>, a <a href="https://www.bariweiss.com/resignation-letter">quitté le journal avec fracas</a> en y dénonçant la radicalité et l’homogénéité des idées de la rédaction, dans laquelle il était devenu impossible d’exprimer des opinions contraires. Quelques heures plus tard, Andrew Sullivan annonçait son <a href="https://www.washingtonpost.com/media/2020/07/14/bari-weiss-resigns-new-york-times/">départ du <em>New York Magazine</em></a> pour des raisons similaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FZJwRRsmeyY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Comment éviter les biais cognitifs pour prendre les bonnes décisions.</span></figcaption>
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<p>De plus, la lecture de plusieurs médias anglo-saxons au cours de ces derniers mois soulève quelques interrogations. Sous couvert de fact-checking, certains n’hésitent pas à critiquer Trump quand bien même il prendrait des décisions allant dans le sens de leur propres préconisations (par exemple les live de l’édition américaine du <em>Guardian</em>) et ferait ce qu’ils lui reprochaient de ne pas faire (campagnes de testing, port des masques, etc.).</p>
<h2>Une nouvelle « trumpisation » de l’info</h2>
<p>En outre, la crise du Covid-19 les amène aussi à donner à Trump une exposition maximale quelques mois avant l’élection. Bien qu’elle soit le plus souvent négative, elle semble pourtant lui avoir plutôt bénéficié jusque maintenant.</p>
<p>Cette surexposition se fait au détriment de Joe Biden, dont les idées sont relativement peu mises en avant. Cela rappelle ce qui s’était passé pour Hillary Clinton en 2016, phénomène qui avait <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/oso/9780190923624.001.0001/oso-9780190923624">contribué à l’élection de Trump</a>.</p>
<p>À ce stade, les médias américains semblent pris au piège. Analyser et mettre en avant – à raison ! – les erreurs et mensonges de Trump (par exemple cette <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2020/04/26/us/politics/trump-coronavirus-briefings-analyzed.html">analyse de ses briefings sur le coronavirus</a> par le <em>New York Times</em>) ne fait qu’accroître son exposition médiatique. Le tout ne contribuant finalement que peu à la prise de conscience desdits mensonges – les lecteurs du journal étant pour la plupart anti-Trump, tandis que les biais cognitifs des pro-Trump les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2211368116301838">renforcent dans leurs croyances</a> dès lors qu’il sont exposés à des faits, certes avérés, mais contraires à leurs croyances.</p>
<p>Une prise de conscience semble donc nécessaire pour éviter qu’une majorité de médias américains ne se réveille de nouveau avec la gueule de bois au lendemain de l’élection de 2020. Mais le peuvent-ils seulement dans la situation actuelle ? <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/medias-americains-couverture-mediatique-politique-trump-biden-coronavirus">Cela ne semble pas évident</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Plé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les médias anglo-saxons avaient fait leur autocritique à l’issue de la victoire inattendue de Donald Trump en 2016. Mais quatre ans plus tard, ne sont-ils pas retombés dans leurs travers ?Loïc Plé, DIrecteur de la Pédagogie - Associate Professor, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1171192019-05-21T07:07:14Z2019-05-21T07:07:14ZFaire du journalisme à l’ère des fake news : leçons du Brésil<p>Peut-on encore faire correctement son métier de journaliste dans des états influencés par une idéologie populiste ?</p>
<p>L’attaque d’un cameraman de la BBC par un partisan de Donald Trump à El Paso (Texas) en <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-47208909">février 2019</a>, l’<a href="https://www.thelocal.it/20190108/two-journalists-attacked-by-far-right-extremists-in-rome">attaque de journalistes à Rome par des militants d’extrême droite en janvier</a>, l’impossibilité pour les journalistes de <a href="https://www.ifj.org/media-centre/news/detail/category/press-releases/article/journalists-attacked-and-blocked-in-kashmir-india.html">couvrir les événements au Cachemire</a>, permettent d’en douter.</p>
<p>Dans le rapport <a href="https://rsf.org/en/rsf-index-2018-journalists-are-murdered-europe-well">RSF Index 2018</a>, l’ONG Reporters sans frontières soulignait à quel point les médias étaient confrontés à une « rhétorique anti-média » constante émanant des hommes politiques et répandue dans le monde entier. Avec de telles attaques, les stratèges politiques d’extrême droite tels que Steve Bannon cherchent à discréditer les médias légitimes et à mettre en avant les médias sociaux – là où les « informations » peuvent plus facilement échapper à un contrôle éditorial et à la responsabilisation – pour devenir la principale source d’informations pour le public.</p>
<p>Les médias traditionnels ne sont bien sûr pas irréprochables – les cas de reportages biaisés ou d’informations non vérifiées sont légion, en particulier avec la <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199987238.001.0001/acprof-9780199987238-chapter-18">concentration croissante des médias</a> ainsi que des relations politiques et commerciales douteuses dans des pays tels que le <a href="https://rsf.org/en/reports/brazil-country-thirty-berlusconis">Brésil</a>, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Nouveaux_Chiens_de_garde">France</a>, l’<a href="https://theconversation.com/factcheck-is-australias-level-of-media-ownership-concentration-one-of-the-highest-in-the-world-68437">Australie</a>, entre autres.</p>
<p>Néanmoins, les tendances montrent que les principales victimes de la violence à l’encontre des médias sont les journalistes qui couvrent les faits politiques racistes ou xénophobes. Certains hommes politiques les ciblent systématiquement en tant que porteurs de « fake news ». Le Brésil a maintenant emboîté le pas de cette pratique avec ses <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/17/opinion/brazil-election-fake-news-whatsapp.html">propres dirigeants populistes</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/how-jair-bolsonaro-used-fake-news-to-win-power-109343">How Jair Bolsonaro used ‘fake news’ to win power</a>
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<p>Dans ce contexte, comment les journalistes et les professionnels des médias peuvent-ils renouer avec la confiance et leur image d’objectivité ? Dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1350508418759185?journalCode=orga">étude récente</a>, nous avons examiné un groupe de journalistes brésiliens qui s’efforçaient d’échapper aux restrictions imposées par les médias traditionnels et de créer une nouvelle identité pour les journalistes. Ils sont devenus des blogueurs dans une ère pré-Bolsonaro et leur expérience unique peut être instructive pour les autres.</p>
<h2>Les blogueurs brésiliens s’insurgent</h2>
<p>Selon de nombreux posts de journalistes brésiliens, leur accession à l’indépendance a commencé par la couverture biaisée et parfois ouvertement fausse de la candidate à l’élection présidentielle Dilma Rousseff, ancienne secrétaire d’État de Lula. Un exemple célèbre est le cas d’un <a href="https://www.researchgate.net/figure/Fake-criminal-record-published-by-newspaper-Folha-de-Sao-Paulo-involving-president-Dilma_fig8_277716206">prétendu casier judiciaire</a> : au cours de la campagne, Folha de São Paulo, l’un des plus grands journaux nationaux du Brésil, a publié les registres de Dilma datant de la période du régime militaire brésilien. En fin de compte, il a été découvert que la « preuve » était un faux provenant d’un <a href="http://observatoriodaimprensa.com.br/imprensa-em-questao/folha-publicou-ficha-falsa-de-dilma/">spam</a>.</p>
<p>Fin 2006, alors que Dilma Rousseff venait de <a href="https://www.slate.fr/story/34411/dilma-rousseff-difference-lula-bresil">remporter les élections</a> contre José Serra, le candidat de droite favori des médias, les journalistes ont décidé d’accroître leur présence en ligne pour promouvoir une perspective différente du journalisme.</p>
<p>Ce mouvement a été principalement initié par quatre journalistes qui ont abandonné ou ont été exclus des médias traditionnels après les élections de 2006 : Luis Nassif, Luiz Carlos Azenha, Rodrigo Vianna et Paulo Henrique Amorim. Leurs blogs s’appelaient respectivement « Luis Nassif Online », « Viomundo », « Escrevinhador » et « Conversa Afiada ».</p>
<p>Ils défendaient des valeurs différentes de celles prétendument défendues par les principaux organes de presse, souvent liés aux politiciens de droite et soutenus par une publicité payée par le gouvernement. Les blogs étaient des propriétés privées et dépendaient de dons et de bannières publicitaires, qui ont finalement été abandonnées par certains blogs pour laisser entendre qu’ils étaient indépendants des intérêts économiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266858/original/file-20190401-177190-1jm1evv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Escrevinhador.</span>
</figcaption>
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<h2>La découverte de relations malsaines</h2>
<p>Les journalistes indépendants ont adopté une tradition de journalisme critique, révélant des relations de pouvoir dans le journalisme où ceux qui détiennent les médias nationaux. Selon le rapport de <a href="https://rsf.org/en/reports/brazil-country-thirty-berlusconis">Reporters sans frontières</a>, les médias au Brésil sont possédés par « une dizaine de grandes entreprises » appartenant à quelques familles. Ils distribuent les informations dans tous les points de vente d’un pays de plus de 200 millions d’habitants, ainsi que des médias internationaux.</p>
<p>Les blogueurs ont également réinventé les pratiques des journalistes et tiré parti du libre accès et des outils participatifs des médias sociaux. Par exemple, beaucoup de ces blogueurs ont commencé à afficher ouvertement le processus de fabrication de l’information. Ils déconstruisaient la manière dont les médias traditionnels cachaient les manipulations et les biais sous l’apparence d’un journalisme soi-disant « objectif et neutre ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=317&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266857/original/file-20190401-177171-1ydo21j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=398&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le blog Viomundo.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.viomundo.com.br/">Viomundo</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les blogueurs progressistes ont également invité les utilisateurs à suivre les étapes au fil des enquêtes et à assister à la création de rapports journalistiques. Le blog piloté par le journaliste Luis Nassif affichait un <a href="https://jornalggn.com.br/em-observacao/">pavé graphique dédié intitulé « en observation »</a> pour des histoires qui méritaient l’attention du public mais ne disposaient pas encore de preuves suffisantes pour garantir leur véracité. Les journalistes ont également invité les lecteurs à publier des vidéos et des images susceptibles de prouver ou d’infirmer leurs propos. Un cas concernait un candidat de droite qui affirmait avoir été frappé et blessé par un « objet contondant ». Des vidéos ont prouvé que l’objet était en fait une <a href="https://jornalggn.com.br/eleicoes/bolinha-de-papel-a-farsa-politica-desmascarada/">petite boule de papier</a>.</p>
<h2>L’incitation aux commentaires</h2>
<p>Une autre pratique des blogs consistait à inciter les lecteurs à s’engager dans le processus de production d’informations en republiant leurs commentaires en renforçant ou en critiquant un article d’actualité original. Il s’agissait d’une pratique répandue, certains utilisateurs affirmant que leurs commentaires critiques étaient bloqués et d’autres suggérant la présence de trolls rémunérés.</p>
<p>Ces trolls étaient constamment dénoncés et confrontés par les utilisateurs eux-mêmes. Tous les blogs de journalistes ont consacré une <a href="https://www.viomundo.com.br/voce-escreve">rubrique dédiée aux utilisateurs</a>, comme « Outras palavras » (En d’autres termes) et « Você escreve » (Vous écrivez).</p>
<p>Avec ces pratiques, les blogueurs progressistes ont essayé de créer une nouvelle façon de faire de l’information. Alors que le discours sur les « fake news » n’était pas aussi présent qu’aujourd’hui, leurs efforts suggèrent que certaines réponses existent déjà. Certains ont été reproduits par certains journalistes travaillant aujourd’hui pendant que d’autres évoluent encore sous le radar.</p>
<p>Ces journalistes continuent toujours leur travail de pionnier. <a href="https://www.viomundo.com.br/voce-escreve">Azenha</a> et <a href="https://www.conversaafiada.com.br/">Amorim</a> entretiennent leurs blogs, tandis que Vianna est hébergée par un <a href="https://www.revistaforum.com.br/blogs/rodrigovianna/">magazine alternatif</a> et que Nassif a créé sa propre <a href="https://jornalggn.com.br/eleicoes/bolinha-de-papel-a-farsa-politica-desmascarada/">agence de presse</a>. Néanmoins, ils ont tous été davantage marginalisés par la surveillance accrue et le harcèlement des militants de droite et de leurs trolls, et par la dépendance croissante à l’égard du soutien financier de leur public.</p>
<p>Une réponse à l’attaque mondiale contre la légitimité des journalistes pourrait donc consister à ouvrir le processus d’information pour aider les publics actuels à comprendre, contribuer et reconnaître à nouveau l’importance et la force du vrai journalisme.</p>
<hr>
<p><em>Traduction par le Prospective et MediaLab de l’Info, en co-publication avec France TV Info.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marcos Barros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans un contexte de défiance à l'égard des médias, comment les journalistes peuvent-ils regagner la confiance du public ? Le Brésil en donne quelques exemples.Marcos Barros, Associate professor, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1155102019-04-22T20:43:47Z2019-04-22T20:43:47ZLes aides à la presse peuvent-elles contribuer à promouvoir le journalisme d’intérêt public ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269340/original/file-20190415-147480-15ni0fn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C5%2C992%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Près de 6 milliards d’euros d’argent public sont investis chaque année dans les médias en France, soit près de 90 euros par habitant.</span> <span class="attribution"><span class="source">Hadrian/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le débat sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fake-news-38582">fake news</a> a permis de remettre à l’agenda politique depuis quelques mois la question de la qualité de l’information dont dispose le public et donc du type de médias et de journalisme dont une société a besoin. On ne peut que se réjouir de voir disparaître avec ce débat le temps des arguments simplistes consistant à blâmer les médias de manière indifférenciée à tout propos ou à entretenir le mythe selon lequel des amateurs reliés par une application en ligne pourraient un jour remplir le rôle des journalistes. Mais il est aussi nécessaire de prendre la mesure de la crise que traverse aujourd’hui le journalisme d’intérêt public, si essentiel au bon fonctionnement de la démocratie. <a href="https://www.theguardian.com/media/2016/jul/12/how-technology-disrupted-the-truth">Comme le déclarait en 2016 Katharine Viner</a>, la rédactrice en chef du <em>Guardian</em> : </p>
<blockquote>
<p>« De nombreuses rédactions courent le danger de perdre ce qui importe le plus en matière de journalisme : le dur labeur, précieux, civique, qui consiste, en arpentant les rues, en passant des bases de données au tamis ou en posant des questions dérangeantes, à dévoiler des choses que quelqu’un ne veut pas que vous sachiez. »</p>
</blockquote>
<p>La première raison de cette crise est financière. Les plates-formes de partage de contenus entre pairs (comme Facebook ou YouTube) et les moteurs de recherche (comme Google) capturent aujourd’hui l’attention publique et les ressources publicitaires dont bénéficiaient jusque-là les médias traditionnels. Ce sont ces ressources qui ont longtemps permis de financer les longues enquêtes et les reportages de terrain qui ont alimenté la discussion publique sur le fonctionnement de notre société. Leur diminution a conduit toute l’industrie des médias au bord du précipice financier et a sévèrement limité les moyens disponibles pour le journalisme le plus coûteux en temps et en compétences.</p>
<p>La question de l’emploi des journalistes illustre assez bien la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le nombre de journalistes professionnels ne cesse de baisser depuis plusieurs années en <a href="http://www.ccijp.net/article-148-statistiques-ccijp.html">France</a>, comme <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2018/07/30/newsroom-employment-dropped-nearly-a-quarter-in-less-than-10-years-with-greatest-decline-at-newspapers/">ailleurs dans le monde</a>. Dans le même temps de nombreux médias recourent de plus en plus fréquemment à l’emploi d’amateurs, comme dans la presse locale et régionale en France, à des formes d’emploi non salarié (autoentrepreneuriat, droits d’auteur, etc.), à la multiplication de CDD d’usages, de contrats de piges ou à la sous-traitance de leurs contenus à des entreprises fabriquant à bas prix des articles à faible valeur d’information. Nombreux sont aussi ceux qui sacrifient l’enquête et le reportage au profit de formats moins coûteux comme la publication de dépêches d’agences de presse, de communiqués de presse ou les débats d’éditorialistes assis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269342/original/file-20190415-147499-tgmqcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les plates-formes captent aujourd’hui une partie des ressources publicitaires dont bénéficiaient jusque-là les médias traditionnels.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cifotart/Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Est-il possible de changer les choses ? Dans de nombreux pays, le débat sur le financement des médias au service du pluralisme et de la qualité de l’information a déjà commencé. Des idées nouvelles émergent pour enrayer le déclin du nombre de journalistes, améliorer le contenu des médias d’information et essayer de reconstruire la relation vertueuse entre journalisme d’intérêt public et démocratie. </p>
<p>En Australie, où a été mis en place en 2017 un <a href="https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Senate/Future_of_Public_Interest_Journalism/PublicInterestJournalism"><em>Public Interest Journalism Committee</em></a>, au Canada où de nouvelles aides <a href="https://www.budget.gc.ca/fes-eea/2018/docs/statement-enonce/chap02-en.html#s2">viennent d’être votées</a> pour soutenir le journalisme indépendant, au <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/779882/021919_DCMS_Cairncross_Review_.pdf">Royaume-Uni</a> où l’idée de considérer les médias d’intérêt public comme des <em>charities</em> gagne du terrain, au Luxembourg, en Autriche et même aux États-Unis, la question de l’intervention des pouvoirs publics ou de fondations dans les médias <a href="https://www.freepress.net/news/press-releases/new-study-finds-investment-public-media-around-world-leads-better-news">revient sur le devant de la scène</a>.</p>
<h2>Des aides opaques, injustes et inefficaces</h2>
<p>À part quelques <a href="https://www.lesinrocks.com/2015/02/06/web/actualite/julia-cage-il-faut-sauver-les-medias-et-se-battre-pour-ce-bien-public/">remarquables exceptions</a>, on ne trouve malheureusement pas trace de débats aussi importants en France où, pourtant, l’arsenal des aides à la presse est très développé. Le montant annuel total de ces aides est en effet estimé par la Cour des comptes à <a href="https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/aides-a-la-presse-classement-des-titres-de-presse-aides/">1,8 milliard d’euros</a>. Si l’on inclut dans les dépenses de soutien aux médias la contribution de l’État au budget de l’audiovisuel public, comme le font de nombreux pays, ainsi que la contribution à celui de l’Agence France Presse, c’est plus de 4 milliards supplémentaires qu’il convient de prendre en compte. Au total, près de 6 milliards d’euros d’argent public sont donc investis chaque année dans les médias en France soit près de 90 euros par habitant et 0,8 % des dépenses publiques hors sécurité sociale.</p>
<p>Ce système d’aides publiques souffre de nombreux défauts. Le premier est l’opacité créée par le très grand nombre de ces aides auxquelles s’ajoutent régulièrement des mesures discrétionnaires. Le fait qu’elles sont attribuées par le gouvernement participe aussi à créer le sentiment d’une action selon le bon vouloir de l’État. Le travail mené par la Cour des comptes depuis plusieurs années pour évaluer le montant des aides et leurs effets a certes poussé les pouvoirs publics à <a href="http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Presse/Aides-a-la-presse">plus de transparence</a>. Mais la situation reste loin d’être satisfaisante.</p>
<p>Le second défaut de ce système est son caractère inégal. La Cour des comptes a régulièrement signalé l’aléa moral et fiscal introduit par le fait que ces aides ont longtemps profité exclusivement à certains titres en fonction de leur périodicité ou de leur support de publication. Des progrès ont certes été accomplis dans ce domaine, notamment à la suite de la <a href="https://www.spiil.org/20170918/panorama-aides-2016">mobilisation des éditeurs de médias en ligne</a>, mais le dispositif des aides reste dans son ensemble orienté massivement vers la presse papier.</p>
<p>L’efficacité des aides est enfin questionnable dans la mesure où elles ne sont pas accompagnées d’exigences particulières des pouvoirs publics à l’égard des bénéficiaires, ni d’un contrôle très poussé sur leur utilisation. Là encore, la lecture du <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-01/12-aides-presse-ecrite-Tome-2.pdf">rapport de la Cour</a> des comptes de février 2018 est édifiante. « Les indicateurs, s’étonne la Cour, sont devenus plus globaux et moins susceptibles de permettre d’établir un rapport clair entre les aides et leurs effets ». Dans le langage feutré des comptables publics, on peut difficilement faire critique plus cinglante.</p>
<p>Il est aisé de comprendre les raisons qui poussent la Cour des comptes à critiquer régulièrement ces aides. Tous les signaux alertant sur la possibilité que cette politique publique puisse être dévoyée de ses objectifs en matière de pluralisme et de qualité de l’information sont aujourd’hui au rouge. Les aides à la presse, telles qu’elles sont actuellement conçues, dissuadent l’innovation et la recherche de nouveaux marchés en ligne. Elles produisent une forme de dépendance à l’égard des pouvoirs publics qui n’est en aucun cas souhaitable dans une démocratie. Elles abondent principalement des acteurs en place du marché de l’information, parfois en situation de monopole comme à l’échelle locale. Enfin, elles alimentent les comptes de grands groupes industriels qui sont devenus propriétaires de médias et peuvent être soupçonnés de les utiliser dans un objectif d’<a href="https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/aides-a-la-presse-classement-des-titres-et-groupes-de-presse-aides/">optimisation fiscale</a>.</p>
<h2>Quelle réforme pour les aides à la presse ?</h2>
<p>En l’état actuel, comme le suggère la Cour, la définition restrictive de la presse dite « information politique et générale » qui reçoit une grande part des aides, constitue une barrière à l’entrée pour de nouveaux médias qui, pourtant, participent aussi à la « vie de la cité » dans un sens élargi qui pourrait à l’avenir servir de <a href="https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-01/12-aides-presse-ecrite-Tome-2.pdf">base pour l’attribution des subventions publiques</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269344/original/file-20190415-147522-1dc0jzs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans ses rapports, la Cour des comptes critique régulièrement le système actuel des aides à la presse.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cour des comptes/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cependant, on peut aussi aller plus loin pour que le système des aides à la presse remplisse vraiment son rôle en matière de défense du pluralisme des médias et de qualité de l’information. Pour ce faire, il semble notamment inéluctable de rompre le lien direct que les aides créent entre l’État et les médias et de conditionner ces aides à l’engagement des rédactions dans les formes de journalisme les plus utiles à la société. Six grandes mesures pourraient contribuer à la réalisation de cet objectif :</p>
<ul>
<li><p>Limiter au maximum les aides directes à la presse qui sont les plus susceptibles de porter atteinte à l’indépendance des médias. Les aides directes devraient être réservées au service public d’information, aux organisations médiatiques à but non lucratif qui s’engagent à produire de l’information journalistique d’intérêt public et à la diffuser librement, et enfin au financement des activités de recherche et de développement permettant de progresser dans l’invention des nouveaux formats journalistiques sur le web et la diffusion de l’information dans les parties de la population les plus coupées des médias traditionnels.</p></li>
<li><p>Simplifier le régime des aides indirectes, aujourd’hui trop peu lisible, et en faire le moyen principal d’intervention publique dans le financement des médias. Pour cela l’adoption d’un taux de TVA à 0 % sur l’ensemble des produits des entreprises de presse pratiquant le journalisme d’intérêt public, quel que soit le support, serait un signal fort.</p></li>
<li><p>Remplacer les aides au portage et à la diffusion de la presse papier par une aide unique à la diffusion fondée sur le critère du nombre d’abonnés du média, qu’il s’agisse d’abonnés papier ou en ligne. Le soutien à la diffusion de la presse papier monopolise une <a href="http://www.senat.fr/rap/a18-151-42/a18-151-421.pdf">part très importante des aides à la presse</a>, au détriment du soutien au journalisme, comme l’a montré récemment la décision discrétionnaire d’affecter pendant 4 ans la moitié du Fonds stratégique pour le développement de la presse au refinancement des messageries de presse.</p></li>
<li><p>Conditionner les aides au respect par les entreprises de presse d’engagements chiffrés en matière de journalisme d’intérêt public et d’emploi journalistique. L’obtention des aides à la presse devrait a minima être conditionnée à l’existence d’une équipe rédactionnelle suffisante pour garantir un travail de qualité eu égard à la quantité d’information produite et à la diffusion. Cette équipe devrait être composée majoritairement de journalistes titulaires de la carte de presse employés de façon stable et ayant été formés au journalisme, ce qui est <a href="https://data.metiers-presse.org/overview.php#course/firstrequests/2017/none">loin d’être le cas aujourd’hui</a>.</p></li>
<li><p>Supprimer à terme l’abattement fiscal forfaitaire dont bénéficient les journalistes. Celui-ci protège certes les journalistes les plus précaires mais il permet aussi aux entreprises de maintenir une pression à la baisse sur les salaires et il contribue à alimenter les doutes de l’opinion sur l’indépendance des journalistes à l’égard du pouvoir politique. Les conditions posées plus haut pour l’obtention des aides en termes d’emploi et de rémunération des journalistes permettraient de rendre caduc ce dispositif en garantissant de meilleures conditions d’emploi aux journalistes.</p></li>
<li><p>Confier enfin à un organisme indépendant l’instruction des dossiers de demande d’aide et les décisions d’attribution afin de couper court au soupçon d’ingérence politique. Cet organisme pourrait à terme devenir un lieu de réflexion sur la question du journalisme d’intérêt public et financer des recherches dans ce domaine qui profiteraient à tous les médias et au public.</p></li>
</ul>
<p>Une telle réforme des aides à la presse permettrait de réintroduire de la transparence, de la justice et de l’efficacité dans le financement public des médias. Elle répondrait aussi à une exigence démocratique. Comme l’a montré une <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/ce-nest-pas-tant-lactualite-que-les-journalistes-qui-font-levenement">étude récente</a>, la capacité d’un média à publier des informations originales est en effet positivement corrélée au nombre de journalistes qu’il emploie. En conditionnant l’obtention des aides à la presse à l’emploi de journalistes qualifiés en nombre suffisant dans chaque rédaction l’État enverrait donc un signal fort aux entreprises de presse et au public sur son implication dans le soutien au journalisme d’intérêt public dont notre société a besoin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115510/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Bastin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les aides publiques aux médias, d’un montant très élevé, sont opaques, injustes et peu efficaces. Elles pourraient être réorientées vers la défense et la promotion du journalisme d’intérêt public.Gilles Bastin, Professeur de Sociologie à Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1127422019-03-05T19:59:32Z2019-03-05T19:59:32ZDéfense : les journalistes écrivent, les généraux aussi<p>L’automne et l’hiver ont été marqués par une avalanche de publications signées par d’anciens chefs militaires ou parlant des chefs militaires, et plus largement de la place des armées en France. Elles sont le signe d’une parole militaire qui prend timidement une place plus grande dans l’espace public mais aussi d’un légitime besoin de mieux expliquer le rôle, trop souvent caricaturé, que jouent ceux qui conduisent des guerres au nom de leurs concitoyens.</p>
<h2>Les généraux prennent la parole</h2>
<p>Parmi les multiples signes de la place nouvelle qu’occupent les questions militaires dans la vie publique française, le nombre de livres parus depuis l’automne dernier sur le sujet mérite donc analyse.</p>
<p>Une première catégorie de publications regroupe des livres écrits par des généraux en deuxième section (à la retraite) auxquels le parcours et le travail confèrent une légitimité. Le général Pierre de Villiers, après <em>Servir</em>, qui avait suivi sa fracassante démission, poursuit sur sa lancée <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/quest-ce-quun-chef-9782213711669">avec <em>Qu’est-ce qu’un chef ?</em></a>.</p>
<p>Le prolixe général Vincent Desportes publie un nouvel ouvrage intitulé <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/entrer-en-strategie/9782221217924"><em>Entrer en stratégie</em></a>. Enfin, le général Henri Bentégeat, qui fut chef d’état-major des armées entre 2002 et 2006, plus discret depuis qu’il a quitté ses fonctions, signe chez Perrin <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/chefs-detat-en-guerre/9782262049331"><em>Chefs d’État en guerre</em></a>.</p>
<p>La prise de parole publique constructive et instructive de militaires qui pensent à partir de leur expérience n’est pas nouvelle. Elle trouve en revanche un écho nouveau, en étant diffusée par des canaux éditoriaux capables de toucher un public au-delà des seuls aficionados des questions de défense et grâce à des médias qui leur ouvrent assez largement leurs portes.</p>
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<p>Cette parole ne peut occuper à elle seule le champ de la parole militaire dans l’espace public mais a le mérite, aux côtés d’écrits d’un autre type, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Jonquille">plus littéraires</a> ou plus directement consacrés à l’<a href="https://www.tallandier.com/livre/sous-le-feu/">analyse du combat</a>, de donner à voir des militaires qui réfléchissent, loin des chemins politiques caricaturaux qui leur sont parfois prêtés (ou sur lesquels certains anciens, il est vrai, cheminent parfois avec imprudence sans toutefois rencontrer d’écho réel dans la société française).</p>
<h2>Les « valeurs militaires » à la mode</h2>
<p>À ces écrits, se sont ajoutés deux livres de journalistes : celui de Nathalie Guibert, d’abord (par ordre chronologique) <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/qui-cest-le-chef/9782221218082">intitulé <em>Qui c’est le chef ?</em></a>, suivi par <a href="http://www.editions-jclattes.fr/le-reveil-des-armees-9782709662468"><em>Le Réveil des armées</em></a>, d’Isabelle Lasserre. La première couvre les questions militaires et de défense au <em>Monde</em> ; la seconde officie au service étranger du <em>Figaro</em>.</p>
<p>Dans <em>Le Réveil des armées</em>, Isabelle Lasserre vient faire un point sur la situation des armées en France aujourd’hui, en balayant très large, de l’état des menaces et du monde aux enjeux budgétaires, en passant par les si fameuses valeurs militaires. Celles-ci, entend-on partout, auraient le vent en poupe – ce qui mérite débat et ne suffit pas, en tout cas, à comprendre la complexité des relations entre les Français et leurs armées 100 ans après la victoire de 1918 et 50 ans après mai 1968, alors même que la société ne constitue pas un bloc monolithique dont il serait possible de cerner les attentes.</p>
<p>Si ces valeurs fascinent en effet, pour une part, elles ne sont que très rarement définies et encore moins articulées avec ce qui les fondent : la finalité combattante de l’engagement militaire. Elles deviennent aussi un argument de vente, et ce faisant sont inévitablement perverties, donc de plus en plus mal comprises. À ce titre, les <a href="https://theconversation.com/garde-a-vous-quand-un-docu-realite-rencontre-un-mythe-54751">docu-réalités passés</a> et <a href="http://www.toutelatele.com/marius-le-sens-de-l-effort-m6-j-ai-ete-impressionne-par-le-physique-de-certains-gamins-107391">présents</a> de la chaîne M6, en surfant sur la mode kaki, sont emblématiques.</p>
<h2>La complexité des relations politiques-militaires</h2>
<p>Avec Nathalie Guibert, le lecteur plonge dans un sujet trop peu exploré dans des publications accessibles au grand public : celui des relations entre le monde politique et les chefs militaires. Il est heureux que la journaliste ait pris le soin d’écrire ce livre : depuis les années 1990, aucun ouvrage grand public n’était paru sur le sujet.</p>
<p>En 1990, le journaliste Jean Guisnel avait publié <em>Les généraux</em> <em> : enquête sur le pouvoir militaire en France</em> (La Découverte, 1990), suivi de peu, en 1994, par celui du chercheur Samy Cohen intitulé <em>La défaite des généraux</em> (Fayard, 1994). Et puis… ce fut un grand vide.</p>
<p>Si des universitaires ont continué de labourer le champ des relations politico-militaires, et parmi eux, en particulier Jean Joana (<em>Les Armées contemporaines</em>, Sciences Po, 2012) et le jeune politologue, décédé en 2013, Bastien Irondelle (<em>La réforme des armées en France</em>, Sciences Po, 2011), leurs travaux sont souvent restés connus des seuls milieux savants.</p>
<p>Il n’y a rien d’anodin à ce que Nathalie Guibert publie aujourd’hui un livre écrit avec la précision et la nuance que connaissent bien les lecteurs de ses articles : la démission du général Pierre de Villiers a fait se tourner les yeux vers une relation trop souvent caricaturée et qui demeure marquée par les héritages douloureux du XX<sup>e</sup> siècle, et de la guerre d’Algérie en particulier.</p>
<p>Depuis la professionnalisation, on a raconté aux Français l’histoire de chefs militaires réduits à la conduite technique des opérations. Lors de l’opération Serval, au Mali (2013-2014), le président de la République, François Hollande, s’est affiché en chef de guerre et Jean‑Yves Le Drian ainsi que certains de ses conseillers comme les meneurs de l’opération. Les chefs militaires qui se sont exprimés <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6i04Dq3MUjc">dans certains documentaires</a> n’ont eu à raconter que les modalités de mise en œuvre de décisions prises dans les couloirs du ministère, modalités réduites à des choix techniques.</p>
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<p>L’opération Serval, en raison de son contexte et du rôle particulier qu’a joué le cabinet de Jean‑Yves Le Drian pendant cinq ans, constitue un point d’acmé de la mise en scène caricaturale des relations politico-militaires. Cette acmé, pour autant, était cohérente avec la longue histoire qui précède et qui se déploie depuis 1962. Or, en ne donnant pas à voir les réalités complexes de ces relations, cette histoire est aussi le nid des fantasmes de ceux qui veulent voir dans les officiers d’états-majors d’éternels putschistes en puissance autant que de ceux qui prétendent que les militaires sont absolument méprisés par les politiques.</p>
<h2>Une diversité heureuse</h2>
<p>Face à l’actuelle et relative centralité du fait militaire dans la vie politique et sociale française, deux options s’offrent à ceux qui analysent ces questions pour leurs concitoyens. Une première permet de conclure que les armées sont de retour, qu’on les voit partout, que les militaires sont aimés et que les « valeurs », éventuellement caricaturées, dont ils seraient les porteurs exclusifs irriguent une société qui attend tout d’elles. Pour les uns, cette lecture est source d’inquiétude, pour les autres de grand enthousiasme. Dans les deux cas, ces analyses ne rendent justice ni au temps long qui vient expliquer ce processus à l’œuvre ni à sa complexité.</p>
<p>Une deuxième option consiste à donner à voir la subtilité d’un état de fait qui ne peut être compris que dans le temps long de l’histoire. C’est pour cette raison qu’il faut saluer la parution d’ouvrages qui sortent des cercles savants et rendent accessible la complexité du lien qui unit les Français et leurs armées, et leurs politiques et les chefs militaires. C’est par tous les angles que ces réalités méritent d’être disséquées et expliquées, et la diversité des auteurs – militaires, journalistes et chercheurs – est heureuse.</p>
<p>Il y a parfois contradiction entre les conclusions des uns et des autres, parfois des écarts de vue substantiels. Reste qu’à l’arrivée, les Français ne peuvent que devenir mieux informés de la manière dont s’élaborent des décisions, parfois tragiques et qui sont prises en leur nom, autant que du sort de celui qui – au bout de la chaîne hiérarchique – au Moyen-Orient ou dans la bande sahélo-saharienne, tue en leur nom au risque de sa propre intégrité physique et psychique.</p>
<hr>
<p><em>L’autrice a récemment publié <a href="https://www.armand-colin.com/le-soldat-meconnu-les-francais-et-leurs-armees-etat-des-lieux-9782200622978">« Le Soldat méconnu »</a> (Armand Colin).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112742/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Chéron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La parole militaire prend timidement une place plus grande dans l’espace public, reflétant le besoin de mieux expliquer le rôle joué par ceux qui mènent des guerres au nom de leurs concitoyens.Bénédicte Chéron, Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1118572019-02-19T23:39:01Z2019-02-19T23:39:01Z« Ligue du LOL » : une affaire qui interroge les écoles de journalisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259733/original/file-20190219-43258-1hsarar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=289%2C28%2C5851%2C3458&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les écoles de journalisme reconnues ont engagé une réflexion collective pour transmettre une culture de l'égalité à leurs étudiants.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le début du mois de février, les témoignages affluent au sujet de la « ligue du LOL » – un <a href="https://www.liberation.fr/checknews/2019/02/08/la-ligue-du-lol-a-t-elle-vraiment-existe-et-harcele-des-feministes-sur-les-reseaux-sociaux_1708185?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1549644438">groupe Facebook</a> réunissant de jeunes professionnels des médias, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/12/ligue-du-lol-cinq-questions-pour-comprendre-l-affaire-et-ses-enjeux_5422639_4355770.html">accusés d’avoir harcelé</a> entre 2009 et 2012 sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter, d’autres journalistes et membres de la blogosphère. Ces révélations interrogent la responsabilité des rédactions, mais également celle des écoles de journalisme. Elles montrent également la difficile introspection d’une profession qui se voit « naturellement » éduquée et humaniste.</p>
<p>Car les médias qui ont employé ou emploient les journalistes mis en cause se situent dans le camp des médias dits progressistes, plutôt de gauche, et qui se sont particulièrement investis ces dernières années sur des sujets comme le sexisme, le racisme, l’homophobie ou encore l’antisémitisme.</p>
<p>De nombreux articles ont pointé un phénomène de <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/culture/2448695-20190211-ligue-lol-boys-club-ultra-sexiste-organise-maniere-fraternites-americaines">« boys club »</a>, qui, sous couvert d’humour, en écartant certaines personnes minorisées ou minoritaires, comme les femmes, les personnes racisé·e·s ou les hommes ne correspondant pas à un schéma viriliste, permettait à ces membres de s’assurer une carrière et l’accès à des postes de responsabilité.</p>
<p>Dans un deuxième temps s’est posée la question de la responsabilité des écoles de journalisme, lieu où certaines des personnes incriminées aujourd’hui s’étaient rencontrées. Peut-on imaginer qu’elles fabriquent, même inconsciemment, de la violence, dans la mesure où elles accueillent des jeunes futurs journalistes après un parcours souvent exigeant, pour les préparer à un métier dont l’<a href="https://www.ojim.fr/barometre-social-des-assises-du-journalisme-par-jean-marie-charon-moins-de-monde-plus-de-precarite/">accès se restreint</a> ?</p>
<p>Voilà qui reviendrait à penser qu’en intériorisant ce qui les attend après leur diplôme, des étudiant·e·s, consciemment ou inconsciemment, préparent le terrain pour s’assurer les plus grandes chances de réussir. Quels moyens les écoles mettent-elles alors en place pour garantir l’égalité et le respect des personnes dans leur organisation ?</p>
<h2>Une éthique considérée comme « naturelle »</h2>
<p>Les écoles de journalisme, comme les journalistes, sont extrêmement vigilantes quant à leur indépendance et à leur liberté pédagogique pour les premières, éditoriales pour les seconds. Pour de bonnes raisons : l’indépendance de la presse est la garantie de la démocratie. Dans le débat actuel, il a été ainsi reproché aux écoles de s’être opposées à l’introduction, dans le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/28/loi-egalite-hommes-femmes-le-coup-de-gueule-des-ecoles-de-journalisme_4355870_3224.html">projet de loi de 2014</a> sur l’égalité entre les hommes et les femmes, de l’article 16 bis, faisant obligation à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur du journalisme de modifier leurs programmes pour dispenser un enseignement sur l’égalité entre les sexes et la lutte contre les stéréotypes sexistes.</p>
<p>Cette réaction a été en partie due au fait que les responsables pédagogiques des écoles de journalisme reçoivent en permanence des sollicitations de groupes, associations ou autres, demandant à intervenir au sein des écoles pour sensibiliser les étudiants à la façon dont il faudrait traiter tel ou tel sujet. On comprend qu’elles soient extrêmement vigilantes. Un autre argument a été avancé : pourquoi cette obligation relèverait-elle des seules formations au journalisme, et non celles de la publicité, des ressources humaines ou encore du marketing ?</p>
<p>Pour autant, les écoles de journalisme ne doivent pas s’abstenir de s’interroger sur les questions de respect entre les personnes ou encore le traitement médiatique de certaines catégories de population. La littérature académique abonde d’ailleurs, en ce qui concerne les traitements médiatiques biaisés et stéréotypés, comme le montrent les travaux de <a href="http://www.lcp.cnrs.fr/spip.php?article47">Marlène Coulomb-Gully</a> sur le traitement médiatique des femmes ou <a href="https://durkheim.u-bordeaux.fr/Notre-equipe/Chercheur-e-s-et-enseignant-e-s-chercheur-e-s/CV/Eric-Mace">Éric Macé</a>, sur la diversité à la télévision.</p>
<p>S’il est si difficile aux entreprises de presse comme aux écoles de journalisme – où les postes à responsabilité sont souvent occupés par d’anciens journalistes – de s’interroger sur leur pratique, c’est parce qu’elles sont souvent dans un mythe, celui de l’éthique et de la déontologie qui sous-tend la formation au journalisme que la pratique de ce métier. Éthique née des principes fondateurs de la charte de 1918 du SNJ (Syndicat national des journalistes), remaniée en 1938 et <a href="http://www.snj.fr/content/charte-d%E2%80%99%C3%A9thique-professionnelle-des-journalistes">réactualisée</a> en mars 2011. Mais, comme le fait remarquer Éric Neveu dans son ouvrage <em>Sociologie des médias</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce sentiment d’appartenance à une déontologie partagée se heurte aux limites de l’absence de mécanismes corporatifs de sanction lorsqu’il y a atteinte aux principes ce cette déontologie. »</p>
</blockquote>
<h2>Une prise de conscience dans les écoles</h2>
<p>Si toutes les écoles de journalisme ont pris conscience de ces questions, on peut considérer qu’une véritable réflexion collective a émergé des travaux et tables rondes de la <a href="http://www.cnmj.fr/">CNMJ</a> (Conférence nationale des métiers du journalisme), en janvier 2018. Baptisé « Hommes-femmes mode d’emploi dans les médias », l’<a href="http://www.cnmj.fr/2018/11/femmes-hommes-modes-demploi-dans-les-medias-les-actes-de-la-conference-2018/">événement</a> s’est penché aussi bien sur l’organisation des rédactions que le traitement médiatique des sujets. <a href="http://www.cnmj.fr/wp-content/uploads/FemmesHommesModesDEmploiDSmedias_WEB_planches.pdf">Une enquête</a> sur la base d’entretiens a été menée auprès des 14 écoles reconnues par la profession (composant la Conférence des écoles de journalisme), ainsi que l’ESJ Pro de Montpellier a permis de soulever deux points en particulier :</p>
<ul>
<li><p>Tout d’abord, les écoles pensaient que « naturellement » les étudiant·e·s savaient qu’ils ou elles pouvaient les solliciter en cas de problème. Or la parole ne se libère pas facilement sur ces sujets, en particulier si une personnalité de l’école est concernée, dans la mesure où une personne référente n’est pas clairement désignée et une procédure d’alerte communiquée.</p></li>
<li><p>Par ailleurs, les responsables d’école évoquaient aussi l’inutilité de sensibiliser leurs intervenant·e·s extérieur·e·s, bien souvent des journalistes, au regard qu’ils et elles « partageaient les valeurs de l’école ». Ce qui nous renvoie à la question évoquée plus haut concernant l’éthique et la déontologie, vécues comme une évidence par la profession.</p></li>
</ul>
<p>Suite à ces résultats, la Conférence des écoles de journalisme a engagé une réflexion sur ces sujets. Sandy Montanola, responsable de formation à l’IUT de Lannion, et moi-même avons été missionnées pour accompagner les écoles sur la mise en place de référent·e·s, de cellules d’écoutes et autres actions garantissant l’égalité pour toutes et tous, et la lutte contre toutes formes de discrimination.</p>
<h2>Vers un management de la diversité</h2>
<p>L’approche proposée est celle qui a été adoptée au sein de l’Institut Pratique du Journalisme de Paris-Dauphine, à savoir celle d’un management de la diversité, ayant conduit à un audit de l’Afnor et à une labellisation « Egalité et diversité ». <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychosociologie-de-gestion-des-comportements-organisationnels-2017-55-page-205.htm?contenu=resume">Une approche</a> qui, au-delà de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, vise à l’inclusion de tous dans une organisation. Jusqu’à présent, les travaux de recherche sur la mise en place et le management d’une politique de diversité se sont le plus souvent intéressés aux <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2006-1-page-23.htm#">entreprises</a>.</p>
<p>Peu d’études en sciences de gestion se sont intéressées à la mise en œuvre d’un management de la diversité dans un domaine aussi spécifique que celui de l’enseignement supérieur. C’est la raison pour laquelle, <a href="https://www.esc-clermont.fr/professeurs/sabrina-perugien-professeur-de-grh-et-de-management/">Sabrina Pérugien</a> a mené, à partir de 2010, dans le cadre de sa thèse, un travail de recherche-action au sein d’une école de management, l’EM Strasbourg, qui a obtenu le label « Diversité ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/grandes-ecoles-la-parite-des-promotions-rempart-aux-inegalites-103793">Grandes écoles : la parité des promotions, rempart aux inégalités ?</a>
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<p>C’est la même démarche qui a été adoptée à IPJ Dauphine | PSL, afin de repenser l’ensemble de l’organisation au regard de l’égalité, tant dans le recrutement des enseignants que dans la formation. Un comité de pilotage « Diversité », représentatif des corps professionnels de l’école, a été constitué. La première démarche a été consacrée à dresser un état des lieux sur les risques de discrimination, à partir d’un questionnaire envoyé aux étudiants, aux salariés permanents et aux enseignants vacataires.</p>
<h2>Agir sur tous les risques de discrimination</h2>
<p>Sous l’égide du comité de pilotage Diversité, d’une chargée de mission Egalité des chances et d’une chargée de mission Handicap, un plan d’action sur deux ans a été mené. En voici les principaux axes :</p>
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<li><p>Dans le cadre du concours d’entrée, et en particulier pour les jurys d’admission, des grilles d’évaluation par compétences ont été élaborées et les membres des jurys ont été sensibilisés aux questions d’égalité et de discrimination.</p></li>
<li><p>Le cursus pédagogique intègre des cours sur les stéréotypes, leur impact dans les médias et les étudiants sont régulièrement mis en situation de reportages au regard de ces questions. Par ailleurs, des grilles d’évaluation pour les enseignements ont été élaborées, afin de ne tenir compte que des compétences (savoir-faire et savoir-être) des étudiant·e·s sans qu’aucune considération discriminatoire puisse interférer dans la notation, comme dans tout choix pédagogique (stage, sélection pour les prix et les bourses…).</p></li>
<li><p>Une sensibilisation aux questions de discrimination est dispensée dès la rentrée pour les étudiant·e·s et les enseignant·e·s. Elle est présentée oralement et accompagnée d’un document qui la décrit précisément et rappelle l’existence d’une cellule d’écoute indépendante pouvant être saisie par toute personne s’estimant victime de discrimination.</p></li>
</ul>
<p>Instaurer une culture de l’égalité relève d’un engagement permanent. Tous les ans, les étudiant·e·s sont amenés à répondre de façon anonyme à un questionnaire sur les risques de discrimination dans le cadre de l’école et ont la possibilité de décrire les situations vécues ou observées. L’équipe pédagogique peut ainsi identifier des problématiques particulières et agir en connaissance de cause. Ces procédures ne garantissent pas d’éviter tous les comportements et paroles inappropriés, mais elles posent un cadre clair et envoient un signal fort.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111857/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascale Colisson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les révélations sur la « ligue du LOL » interrogent la responsabilité des médias et des écoles, pointant aussi la difficile introspection d’une profession qui se voit « naturellement » humaniste.Pascale Colisson, responsable des Master 1 à l'Institut pratique du Journalisme (IPJ), Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.