tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/liberte-dexpression-26784/articlesliberté d'expression – The Conversation2024-01-28T16:07:53Ztag:theconversation.com,2011:article/2216272024-01-28T16:07:53Z2024-01-28T16:07:53ZL’inquiétante progression d’Israël dans le classement des pays par nombre de journalistes emprisonnés<p>Israël est désormais l’un des pays du monde qui comptent le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon une <a href="https://cpj.org/fr/reports/2024/01/recensement-carceral-2023-le-nombre-de-journalistes-emprisonnes-frole-un-niveau-record-forte-hausse-des-emprisonnements-en-israel/">étude</a> récemment publiée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.</p>
<p>Chaque année, cette organisation publie un rapport faisant état du nombre de journalistes se trouvant derrière les barreaux. Au 1<sup>er</sup> décembre 2023, ce nombre s’élevait à 320, soit le deuxième le plus élevé depuis que ce classement a été créé en 1992. D’un certain point de vue, la dynamique est encourageante : le record en la matière – 367 – avait été <a href="https://cpj.org/data/?status=Imprisoned&start_year=1992&end_year=2022&group_by=year">enregistré en 2022</a>.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que le fait qu’autant de représentants du secteur des médias soient en prison est profondément préoccupant. Leur emprisonnement porte atteinte à la liberté de la presse et, souvent, aux droits humains.</p>
<h2>La guère enviable première place de la Chine</h2>
<p>Avec ses 44 journalistes emprisonnés, la République populaire de Chine occupe la première position. Elle est suivie par le <a href="https://rsf.org/fr/un-de-r%C3%A9pression-contre-le-journalisme-en-birmanie-en-chiffres">Myanmar</a> (43), la <a href="https://rsf.org/fr/b%C3%A9larus-rsf-d%C3%A9voile-les-portraits-des-27-professionnels-des-m%C3%A9dias-emprisonn%C3%A9s">Biélorussie</a> (28), la <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/116944-000-A/journalistes-russes-en-danger-meme-en-exil/">Russie</a> (22) et le <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/vietnam-un-journaliste-independant-condamne-a-six-ans-de-prison-20230412">Vietnam</a> (19). Israël et <a href="https://rsf.org/fr/79-journalistes-arr%C3%AAt%C3%A9s-depuis-la-mort-de-mahsa-amini-une-r%C3%A9pression-terrifiante.">l’Iran</a> occupent conjointement le sixième rang (17 chacun).</p>
<p>Si la baisse par rapport à 2022 est indéniablement un phénomène positif, les statistiques révèlent quelques tendances inquiétantes.</p>
<p>Le CPJ ne se contente pas d’effectuer un simple décompte ; il examine également les accusations dont les journalistes font l’objet. En 2023, dans près des deux tiers des cas, les journalistes sont emprisonnés pour des faits que l’on peut globalement qualifier d’« atteinte aux intérêts de l’État » – une notion qui recouvre des inculpations pour espionnage, terrorisme, diffusion de fausses nouvelles, et ainsi de suite.</p>
<p>En d’autres termes, dans les pays concernés, les autorités considèrent le journalisme comme une sorte de menace existentielle qui doit être combattue à l’aide des lois protégeant la sécurité nationale.</p>
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<p>Dans certains cas, cela peut être justifié : il est en effet impossible d’examiner de façon indépendante chaque affaire. Mais ce qui ressort des observations du CPJ, c’est que, de plus en plus, les gouvernements perçoivent le domaine de l’information comme un champ de bataille. Dès lors, les journalistes se retrouvent dans une position précaire : ils sont vus, à leur corps défendant, comme des combattants engagés dans des affrontements souvent brutaux.</p>
<p>La première place de la Chine n’est guère surprenante. La RPC se classe en tête, ou juste en dessous, depuis plusieurs années. La censure rend extrêmement difficile une évaluation précise du nombre de personnes emprisonnées, mais on sait que, après la <a href="https://theconversation.com/hongkong-vitrine-de-la-democratie-a-la-chinoise-au-corps-defendant-de-ses-habitants-174297">répression des activistes pro-démocratie en 2021</a>, des journalistes de Hongkong se sont retrouvés enfermés pour la première fois. Près de la moitié des détenus chinois sont des Ouïghours du Xinjiang, région où Pékin a été accusé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/2022-08-31/22-08-31-final-assesment.pdf">violations des droits humains</a> dans le cadre de la répression permanente conduite à l’encontre des minorités ethniques de la région, majoritairement musulmanes.</p>
<p>Les autres membres du « top cinq » sont également des habitués des places de tête de ce sinistre classement ; mais, juste en dessous de ce quintette, deux changements majeurs ont surpris les observateurs.</p>
<p>L’Iran avait <a href="https://cpj.org/reports/2022/12/number-of-jailed-journalists-spikes-to-new-global-record">pris la première place en 2022</a>, avec 62 journalistes emprisonnés. Ce chiffre est passé en 2203 à 17, ce qui a valu au pays de reculer à la sixième place. Un rang où il est rejoint par Israël, où un seul journaliste emprisonné avait été recensé en 2022.</p>
<p>C’est une bonne nouvelle pour les journalistes iraniens, mais une très mauvaise pour Israël, qui ne cesse de répéter qu’il est l’unique démocratie du Moyen-Orient et le seul pays de la région qui <a href="https://www.jpost.com/opinion/article-709045#google_vignette">respecte la liberté des médias</a>. En outre, Israël pointe régulièrement du doigt le régime iranien pour ses attaques répétées à l’encontre de tous ses détracteurs.</p>
<p>Les journalistes emprisonnés par Israël sont tous originaires de Cisjordanie occupée, tous palestiniens, et tous ont été arrêtés après les effroyables attaques lancées par le Hamas depuis Gaza le 7 octobre. Mais très peu de choses sont connues sur les raisons de leur mise en détention. Leurs proches ont déclaré au CPJ que la plupart d’entre eux étaient placés sous ce qu’Israël qualifie de « détention administrative ».</p>
<h2>Israël : dix-sept arrestations en moins de deux mois</h2>
<p>L’euphémisme « détention administrative » signifie en réalité que les journalistes ont été incarcérés <a href="https://www.btselem.org/topic/administrative_detention">pour une durée indéterminée, sans procès ni inculpation</a>.</p>
<p>Il est possible qu’ils aient, d’une manière ou d’une autre, planifié des attaques (Israël utilise l’outil de la détention administrative pour arrêter les personnes qu’il accuse de préparer la commission d’un futur délit), mais les preuves justifiant ces mises en détention ne sont pas divulguées, et les raisons de ces arrestations n’ont pas été rendues publiques.</p>
<p>La place qu’occupe Israël dans la liste du CPJ met en évidence une situation paradoxale et complexe. La liberté des médias fait partie intégrante d’une démocratie libre. Des médias dynamiques, incisifs et parfois hargneux sont un moyen éprouvé de maintenir le débat public en vie et le système politique en bonne santé.</p>
<p>C’est souvent problématique, notamment pour les autorités, mais il ne peut y avoir de système démocratique fort si les journalistes ne remplissent pas librement et vigoureusement leur rôle. De fait, l’ampleur de la répression exercée par un gouvernement à l’encontre des médias est un bon moyen de savoir si une démocratie est en train de s’effondrer.</p>
<p>Pour autant, on ne saurait établir une équivalence entre Israël et l’Iran. Israël reste une démocratie et les médias israéliens <a href="https://www.timesofisrael.com/public-trust-in-government-scrapes-bottom-amid-criticism-for-inadequate-war-response/">critiquent souvent leur gouvernement avec véhémence</a>, d’une manière qui serait impensable à Téhéran.</p>
<p>Mais si Israël veut rétablir la confiance dans son engagement envers les normes démocratiques, il devra au moins faire preuve de transparence sur les raisons de l’arrestation de 17 journalistes en moins de deux mois, et sur les preuves retenues contre eux. Et s’il n’y a aucune preuve qu’ils représentent une véritable menace pour la sécurité d’Israël, ils doivent être libérés immédiatement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Greste est professeur de journalisme à l'université Macquarie et directeur exécutif de l'Alliance pour la liberté des journalistes. Il a également signé une lettre ouverte appelant à une couverture équilibrée du conflit entre Gaza et Israël et, en 2006, il a couvert la bande de Gaza pour la BBC.</span></em></p>La Chine trône en tête de ce classement, devançant plusieurs autres régimes autoritaires ; mais Israël occupe désormais la sixième place, aux côtés de l’Iran.Peter Greste, Professor of Journalism and Communications, Macquarie UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200782024-01-07T15:34:43Z2024-01-07T15:34:43ZEn Suède, la multiplication des autodafés du Coran met à l’épreuve le pari multiculturel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567329/original/file-20231225-19-xykc6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C313%2C2160%2C1807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’activiste et politicien dano-suédois Rasmus Paludan pendant un autodafé du Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm le 21&nbsp;janvier 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasmus_Paludan#/media/Fichier:Rasmus_Paludan_burning_the_Koran_2023-01-21_(2).jpg">Tobias Hellsten/ToHell.Wikipedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Entre l’enlisement de la guerre en Ukraine et les effets de l’embrasement de la bande de Gaza, l’année 2023 a été caractérisée, partout en Europe, par une dégradation du climat sécuritaire et par de brusques recompositions du cadre des relations diplomatiques. En Suède, des tensions sans précédent ont marqué l’actualité, assorties d’inquiétudes palpables et, hélas, justifiées, relatives à la sécurité des ressortissants suédois à l’étranger.</p>
<p>Cet été, à <a href="https://edition.cnn.com/2023/06/28/europe/sweden-quran-protest-intl/index.html">Ankara</a>, à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342756/coran-brule-en-suede-manifestation-devant-la-mosquee-al-amine-a-beyrouth.html">Beyrouth</a> et à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342773/pakistan-des-milliers-de-personnes-protestent-contre-lautodafe-dun-coran-en-suede.html">Islamabad</a>, des manifestants ont mis le feu au drapeau suédois ; en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230720-des-partisans-de-moqtada-al-sadr-ont-incendi%C3%A9-l-ambassade-de-su%C3%A8de-%C3%A0-bagdad">Irak</a> et au <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/liban-un-cocktail-molotov-lance-contre-l-ambassade-de-suede-20230810">Liban</a>, les désordres ont été suivis de violences contre les ambassades du pays.</p>
<p><a href="https://www.tf1info.fr/international/direct-belgique-deux-personnes-decedees-dans-une-fusillade-a-bruxelles-2273181.html">Le 17 octobre, à Bruxelles</a>, un islamiste se revendiquant de l’État islamique a abattu deux supporters de l’équipe suédoise de football venus assister au match Belgique-Suède. Cet attentat a confirmé le bien-fondé des craintes de Stockholm. Depuis l’été, le gouvernement avait en effet recommandé à ses ressortissants de se montrer très précautionneux lorsqu’ils se trouvent à l’étranger : un choc pour un pays identifié depuis des décennies à des politiques migratoires généreuses et au souci du dialogue interculturel.</p>
<h2>Provocations anti-islam et menaces d’attentats</h2>
<p>Cette flambée d’hostilité tient à une cause : les autodafés du Coran, d’abord <a href="https://www.euronews.com/2019/04/25/denmark-s-quran-burning-politician-gathering-support-for-election-candidacy">organisés au Danemark</a> depuis la fin des années 2010, et qui ont désormais la Suède pour théâtre habituel.</p>
<p>L’initiateur de cette modalité de provocation anti-islamique est un citoyen dano-suédois, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/05/31/rasmus-paludan-le-visage-danois-de-l-extreme-xenophobie_5469724_4500055.html">Rasmus Paludan</a>, avocat de profession, aujourd’hui âgé de 41 ans. Leader du parti danois « Ligne dure » (<em>Hart Stram</em>), Paludan a émergé il y a quelques années comme un pourfendeur de « l’islamisation des sociétés européennes » et du brassage des cultures. Sa formation a récolté 1,8 % des suffrages aux élections législatives danoises de 2019. Après que son parti s’est vu exclu de la vie politique du pays pour avoir manipulé les listes de signatures nécessaires pour déposer des candidatures, Paludan s’est tourné vers la Suède, où les <a href="https://information.tv5monde.com/international/suede-la-question-de-limmigration-au-coeur-des-legislatives-29998">enjeux liés à l’immigration se trouvent</a> au cœur des débats de société depuis une dizaine d’années. </p>
<p>Son premier exploit, en 2020, a eu pour cadre Rosengården, un quartier de Malmö dont près de 90 % des habitants sont d’origine étrangère, épicentre des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-39047455">révoltes urbaines des années 2015-2017</a>. L’action incendiaire de Paludan a entraîné une <a href="https://www.nst.com.my/world/world/2020/08/620385/riot-sweden-amidst-quran-burning-rally">recrudescence des violences</a>, ce qui lui a valu un arrêté d’interdiction de séjour sur le sol suédois. Sa condition de binational lui a toutefois permis de contourner la décision de justice et de concentrer son activité sur la Suède, où il a fait des émules, dont un réfugié irakien, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qui-est-salwan-momika-le-bruleur-de-coran-a-l-origine-d-une-crise-diplomatique-entre-la-suede-et-le-monde-musulman-20230721">Salwan Momika</a>.</p>
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<p>Les autodafés se sont vite multipliés, même si Paludan et Momika (qui s’est spécialisé dans la diffusion en direct des autodafés sur la plate-forme TikTok) restent les protagonistes les plus médiatisés de cette forme de contre-liturgie. Les sites où ils se déroulent sont choisis pour exacerber les tensions entre autochtones et immigrés : lieux de culte dédiés à l’islam, quartiers à haute concentration d’étrangers, ambassades de pays musulmans…</p>
<p>Au printemps 2022, Paludan s’est engagé dans une « tournée électorale » (d’après ses propres mots) à travers la Suède : une série de profanations dûment autorisées, qui ont occasionné d’une part des échauffourées violentes dans plusieurs villes, et d’autre part une dégradation de l’image du pays au Moyen-Orient. Une énième provocation, aux abords de l’ambassade de Turquie en janvier 2023, a suscité des réactions particulièrement virulentes d’Ankara, au point de compromettre le premier point de l’agenda de politique étrangère du gouvernement : l’adhésion à l’OTAN.</p>
<p>En effet, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/adhesion-de-la-suede-a-l-otan-un-coran-brule-a-stockholm-seme-la-zizanie">Parlement turc a réagi en demandant le rejet de la demande de la Suède</a>, formalisée sept mois auparavant (rappelons qu’un pays ne peut pas rejoindre l’Alliance atlantique si l’un des pays membres s’y oppose ; la Turquie, qui a intégré l’OTAN en 1952, peut donc bloquer à elle seule l’entrée de la Suède). Pendant quelques jours, l’Institut suédois (agence officielle de diplomatie culturelle) comptabilisera 350 000 interventions <em>par heure</em> sur les médias sociaux en turc, dénonçant l’affront à la foi musulmane effectué par Paludan sans que les autorités suédoises n’interviennent. La plainte contre Paludan déposée auprès de la police par un citoyen suédois sera classée sans suite.</p>
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<p>Pour autant, les provocateurs ne cessent pas leurs actions. En juin, à l’ouverture des festivités de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/qu-est-ce-que-l-aid-el-kebir-la-grande-fete-musulmane-28-06-2023-2526640_23.php">l’<em>Aid al-Adha</em></a>, un autodafé sous protection policière est organisé par Momika devant la grande mosquée de Stockholm. Il déclenchera un déluge de protestations, la Ligue des États arabes et l’Organisation de coopération islamique s’insurgeant contre l’intolérable… tolérance de la justice suédoise. Au Pakistan, en Iran et en Irak, où l’auteur d’un tel geste encourrait la peine de mort, des milliers d’individus manifestent pour exiger le boycott de la Suède, voire la vengeance à l’égard du pays.</p>
<p>Du fait de ces menaces, l’agence suédoise de contre-espionnage (SÄPO) a décidé au mois d’août de relever au niveau 4 (sur 5) le seuil d’alerte contre les attaques terroristes visant le pays : un retour au climat de 2016, lorsque la guerre en Syrie avait provoqué un bond historique du nombre des réfugiés en Suède, doublée de l’aggravation des tensions dans les banlieues. Et en octobre, nous l’avons dit, <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/attentat-a-bruxelles-deux-suedois-tues-le-suspect-abattu-la-france-renforce-sa-securite/">deux Suédois mouraient à Bruxelles</a> sous les balles d’un homme qui les avait visés expressément du fait de leur nationalité.</p>
<h2>Des causes endogènes, et une nouvelle fracture du spectre politique</h2>
<p>Bien que l’activisme anti-islam, y compris dans la forme de la profanation du Coran, soit le fait d’acteurs transnationaux, c’est en Suède qu’il se manifeste de la manière la plus voyante. Les tensions interethniques qui secouent le pays depuis la crise migratoire des années 2015-2016 et la prolifération des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-des-gangs-en-suede-des-victimes-toujours-plus-jeunes_6054725.html">règlements de comptes entre gangs</a>, ont participé à créer un terrain favorable. Selon le gouvernement, la Russie aurait également <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/26/russia-using-disinformation-to-imply-sweden-supported-quran-burnings">fait jouer ses réseaux</a> pour attiser les conflits entre Suédois installés de longue date et nouveaux arrivants, afin de déstabiliser ce pays qui a pris le parti de l’Ukraine depuis le début de la guerre en février 2022 et a mis fin à deux siècles de neutralité pour rejoindre l’OTAN.</p>
<p>La polémique sur l’islam s’inscrit surtout dans une période marquée par un tournant en matière de politique intérieure : la percée, en septembre 2022, du Parti populiste des <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n178/article/lessor-des-democrates-de-suede-ou-la-fin-de-lexception-suedoise">« Démocrates de Suède »</a> (SD), qui fait de la lutte contre l’immigration – sur la base du postulat de la guerre des civilisations – l’axe de son discours. Depuis l’installation de l’exécutif dirigé par le libéral-conservateur Ulf Kristersson, les SD lui assurent une majorité par leur appui externe, tout en s’efforçant d’insuffler dans l’action du gouvernement leurs thèmes de prédilection. Leur dernière proposition en date est la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/polemique-l-extreme-droite-suedoise-en-guerre-contre-les-mosquees">démolition de nombre des mosquées existant dans le pays</a>.</p>
<p>La généralisation des autodafés n’a fait qu’exacerber la préoccupation du monde islamique face à la banalisation de ce type d’agissements ; mais la cible de la colère des représentants des communautés musulmanes est avant tout l’indifférence des autorités, qui détonne avec le cas de la France – mais aussi de voisins scandinaves, tels que la Finlande – où de tels projets sont <a href="https://www.20minutes.fr/france/704393-20110411-france-il-brule-urine-coran-trois-mois-sursis-requis">immédiatement jugulés</a>. Comment expliquer la posture passive des responsables suédois face à ce phénomène, à l’heure où la situation en matière politique de sécurité apparaît (d’après le <a href="https://europeanconservative.com/articles/news/swedish-pm-delivers-a-grim-christmas-speech/">discours de Noël 2022 du premier ministre Kristersson</a>) comme « la pire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » ?</p>
<h2>Les raisons culturelles de l’inaction des autorités</h2>
<p>La cause technique le plus souvent invoquée pour expliquer la généralisation des autodafés en Suède est l’absence d’un arsenal juridique qui les interdit. Le blasphème et la diffamation de la religion ont été rayés des textes de loi il y a plus de 50 ans. C’est donc autour de l’enjeu de la possibilité formelle d’enrayer cette provocation, plutôt que sur ses causes, ou son bien-fondé, que la discussion s’est cristallisée.</p>
<p>À ce jour, les tribunaux ont rechigné à mobiliser deux articles pertinents du code pénal qui répriment, respectivement, « les comportements vexatoires » et « l’incitation à la haine raciale ». Le premier exige que l’impact choquant du geste soit avéré – et non seulement probable – alors que dans le second cas de figure, l’interprétation qui prévaut chez les magistrats est que l’injure à l’égard d’un culte n’est pas assimilable à la discrimination d’un groupe ethnique.</p>
<p>La pratique, et plus généralement une approche antinormative de la liberté d’expression, découragent finalement l’activation de ces dispositifs légaux. C’est pourquoi les cours administratives d’appel ont été amenées à annuler des interdictions policières prononcées contre les actions de Paludan ou de Momika.</p>
<p>Face à une indignation qui fédère <a href="https://www.europe1.fr/international/coran-brule-le-president-turc-erdogan-fustige-la-suede-4191624">Erdogan</a>, <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/poutine-le-non-respect-du-coran-est-un-crime-r%C3%A9prim%C3%A9-par-la-l%C3%A9gislation-russe-/2933734">Poutine</a> et <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/un-coran-brule-au-coeur-du-blocage-hongrois-pour-laccession-de-la-suede-a-lotan/">Orban</a>, mais aussi le <a href="https://www.letemps.ch/monde/le-conseil-des-droits-de-l-homme-condamne-les-autodafes-du-coran">Conseil des droits de l’homme de l’ONU</a>, l’opposition sociale-démocrate semble pencher vers un réajustement de l’arsenal juridique, alors que les déclarations des partis au gouvernement oscillent entre la critique des autodafés et le refus de « céder aux diktats étrangers ».</p>
<p>Il convient de rappeler que si le principe de la liberté d’expression représente depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle un pilier de l’identité nationale, une législation souvent poussée par des urgences politiques en a restreint la portée. Depuis 1933, par exemple, le port de vêtements révélant une appartenance politique est interdit aux citoyens suédois. En 1996, un homme ayant arboré, lors de la fête nationale, un drapeau suédois orné de figures mythologiques et du mot <em>Valhalla</em> avait ainsi été condamné en justice. En 2014, les collages de l’artiste Dan Park – mettant en scène la pendaison de trois individus de couleur, identifiés par leur nom, comme après un lynchage – <a href="https://hyperallergic.com/154676/sentenced-swedish-artist-dan-park-incited-against-an-ethnic-group/">lui valurent</a> une lourde amende, six mois de prison et la destruction de ses œuvres.</p>
<p>La réticence à modifier la loi s’explique aujourd’hui par le rejet de l’idée que la sphère du sacré puisse être l’objet de tutelles ou d’interdits <em>ad hoc</em>. S’attaquer à un « symbole » – a statué le parquet dans le cas de l’autodafé organisé devant l’ambassade turque – n’est jamais illégal, pour autant que la manifestation n’a pas pour cible des croyants en chair et en os. Cette position est au cœur de l’exception suédoise, par rapport à la France, au Royaume-Uni ou au Danemark – capable de défendre farouchement le droit au blasphème lors de l’épisode des caricatures de Mahomet (2005), mais qui vient d’adopter, le 7 décembre, une <a href="https://fr.euronews.com/2023/12/08/le-danemark-interdit-de-bruler-le-cora">loi</a> qui pénalise le « traitement inapproprié » (incendie ou profanation) de textes religieux dans l’espace public.</p>
<p>Dans un spectre politique polarisé, la querelle a contribué à raidir les positions. Si les SD y ont vu l’occasion de s’ériger en défenseurs d’une vertu nationale – la tolérance, étendue aux expressions extrêmes du droit de réunion – le gouvernement se livre à un équilibrisme périlleux : dénoncer l’instrumentalisation du thème de l’islamophobie par des puissances étrangères souvent fort peu démocratiques et tolérantes par ailleurs, tout en se dissociant d’une manifestation du rejet de l’Autre aussi repoussante.</p>
<p>Une enquête publique a été lancée en août pour examiner le pour et le contre de la révision des normes sur la liberté d’expression : elle rendra ses conclusions le 1<sup>er</sup> juillet 2024. En s’appuyant sur des dispositifs consensuels bien rodés, l’establishment tâche de sortir d’une impasse qui place la Suède dans une position excentrée – et inconfortable – par rapport à la manière dont la majorité des pays occidentaux conçoivent l’équilibre entre droit d’expression des individus et sensibilité des communautés de foi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Piero S. Colla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Suède, des activistes très hostiles à l’islam brûlent des Corans en public, ce qui vaut au pays des critiques véhémentes venues des pays musulmans mais aussi des menaces terroristes très réelles.Piero S. Colla, Chargé de cours à l’université de Strasbourg, laboratoire « Mondes germaniques et nord-européens », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175782023-12-06T17:45:34Z2023-12-06T17:45:34ZDe Twitter à X : un an après, les suprémacistes blancs sont-ils de retour ?<p>Le 28 octobre 2022, un jour seulement après avoir fait l’acquisition de Twitter, Elon Musk publie un message qui résume à lui seul sa vision pour le futur de la compagnie : « L’oiseau est libéré ».</p>
<p>Le bleu symbolique, partagé par les premiers réseaux sociaux, cède rapidement sa place au <a href="https://theconversation.com/desinformation-et-souverainete-des-continents-virtuels-de-linternet-113523">X noir du dark web</a> lorsque la X Corp., filiale de X Holdings Corp. et détenue par Elon Musk, prend le contrôle de Twitter. Dans la foulée, le milliardaire annonce la <a href="https://www.platformer.news/p/why-some-tech-ceos-are-rooting-for">restauration de 62 000 comptes préalablement suspendus</a>, y compris, ce qui fera les gros titres, de celui de Donald Trump.</p>
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<a href="https://theconversation.com/twitter-2-0-le-populisme-assume-delon-musk-195476">Twitter 2.0 : le populisme assumé d’Elon Musk</a>
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<p>De fait, le magnat de la technologie énonce clairement son dessein : métamorphoser Twitter en une plate-forme où la liberté de parole se rapprocherait de l’absolu. Il se place ainsi en <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/14/twitter-supprime-une-grande-partie-de-ses-capacites-de-moderation_6149773_4408996.html">rupture radicale</a> avec les dispositifs de modération encouragés par le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/27/facebook-twitter-et-google-devant-le-senat-americain-pour-repondre-de-leur-responsabilite-sur-les-contenus-publies_6057588_4408996.html">Congrès états-unien</a> pour tenter de contenir les discours haineux et de contrer l’épidémie de désinformation.</p>
<p>Cette nouvelle orientation engendre des réactions polarisées aux États-Unis. Certains craignent une montée de l’extrémisme, en particulier des mouvements suprémacistes, en raison de la possibilité de voir se propager et normaliser des <a href="https://www.tf1info.fr/international/elon-musk-accuse-de-faire-une-promotion-abjecte-de-l-antisemitisme-sur-x-twitter-par-la-maison-blanche-2276594.html">contenus à caractère raciste et antisémite</a>. Parallèlement, de nombreuses voix s’élèvent sur Twitter pour réclamer le rétablissement des comptes de leaders nationalistes blancs qui aspirent à retrouver leur place sur la plate-forme, appels manifestés par des interpellations directes faites à Musk.</p>
<p>Un peu plus d’un an plus tard, alors que, à l’occasion de l’anniversaire de son rachat, Musk a retweeté son message initial en l’agrémentant du mot « Freedom », quelle est la situation effective des comptes nationalistes blancs sur le réseau social, et quelles sont les implications prévisibles pour l’évolution de l’extrémisme dans le discours public ?</p>
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<h2>La suspension persistante des leaders nationalistes blancs</h2>
<p>Les équipes de X ont procédé à une première vague de restaurations des comptes suspendus <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/24/elon-musk-annonce-le-retablissement-des-comptes-suspendus-sur-twitter_6151502_4408996.html">à partir de novembre 2022</a>.</p>
<p>Parmi les comptes dont le retour était le plus craint se trouvent ceux de leaders nationalistes blancs suspendus de 2017 à 2021, lors de vagues de <a href="https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/deplatform">déplatforming</a> consécutives aux <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/aux-etats-unis-les-reseaux-sociaux-mobilises-contre-les-extremistes-blancs_115584">événements de Charlottesville</a> puis à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/direct-violences-au-capitole-twitter-suspend-le-compte-de-donald-trump-de-facon-permanente_4250747.html">l’assaut du Capitole</a>.</p>
<p>Avaient alors été suspendus les comptes de personnalités notoires comme la figure emblématique du Ku Klux Klan, <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/twitter-suspend-le-compte-de-david-duke-l-ancien-chef-du-ku-klux-klan_4063395.html">David Duke</a>. La mesure avait également concerné des individus moins médiatisés mais tout aussi importants, tels le théoricien du « réalisme racial » <a href="https://www.cnet.com/culture/white-nationalist-jared-taylor-american-renaissance-sues-twitter-for-account-suspension/">Jared Taylor</a>, fondateur du site suprémaciste blanc <a href="https://www.amren.com/">American Renaissance</a>, ou encore <a href="https://academic.oup.com/book/25370/chapter-abstract/192454202?redirectedFrom=fulltext">Greg Johnson</a>, éditeur du magazine nationaliste blanc <a href="https://counter-currents.com/">Counter-Currents</a>.</p>
<p>Contre toute attente, même avec l’arrivée de Musk, ces comptes sont demeurés inaccessibles. Ayant en commun la promotion organisée d’un État racial aux États-Unis, basé sur une identité blanche homogène, leurs contenus sont restés en contradiction avec les nouvelles règles de sécurité de la plate-forme X, qui interdisent les <a href="https://help.twitter.com/en/rules-and-policies/x-rules">associations avec les entités violentes ou haineuses</a>. D’autres comptes clés ont ainsi été désactivés par les équipes d’Elon Musk, comme celui du psychologue antisémite et nationaliste blanc <a href="https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/individual/kevin-macdonald">Kevin MacDonald</a> en avril 2023.</p>
<p>Si l’absence persistante de ces leaders prive un mouvement fragmenté de points de convergence idéologique, cela ne signifie pas pour autant que le racialisme anti-démocratique est absent de la plate-forme. De nombreux comptes de personnalités secondaires, déjà présents sur Twitter, sont parvenus à passer entre les mailles du filet des nouvelles règles de X et à exploiter la situation pour s’établir comme les nouvelles voix à suivre.</p>
<p>En outre, X a procédé à une deuxième vague de restaurations en janvier 2023. Sans rétablir les théoriciens du racialisme, des groupes que l’on peut qualifier d’adjacents au nationalisme blanc tels que les <a href="https://www.isdglobal.org/explainers/groypers/">Groypers de Nick Fuentes</a> ont ainsi tenté de réinvestir la plate-forme.</p>
<h2>Le dark web intellectuel ou l’authentique X de droite</h2>
<p>Le Twitter de Musk tend à ouvrir ses portes à une ligne essentialisante de <a href="https://intellectualdarkweb.site/">l’Intellectual dark web</a>, ensemble hétéroclite de personnalités médiatiques revendiquant leurs qualifications académiques pour se définir comme penseurs. Leur idéologie commune s’appuie néanmoins sur une conception biologique des genres, cristallisant des rôles traditionalistes qui confinent l’homme à une puissance masculine productive, tout en assignant à la femme une féminité délicate et protectrice du foyer.</p>
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<p>Le compte de l’influenceur Stefan Molyneux, qui a fait partie de la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/16/etats-unis-qu-est-ce-que-l-alt-right-et-le-supremacisme-blanc_5173096_4355770.html">mouvance alt-right</a>, est l’un de ceux qui ont été rétablis dès novembre 2022. Suivi par plusieurs centaines de milliers d’abonnés, il est connu pour ses prises de position libertariennes au sein des sphères de la <a href="https://unherd.com/2021/12/why-the-right-is-obsessed-with-masculinity/">« manosphère »</a>. Cette manosphère est une version particulièrement réactionnaire du masculinisme, largement caractérisée par une hostilité militante à l’encontre de tout ce qui relève, aux yeux de ses membres, du wokisme. Cette tendance idéologique a été confortée par la <a href="https://www.tvqc.com/2022/11/19/news/video/twitter-jordan-peterson-remercie-elon-musk-davoir-reactive-son-compte/">réactivation des comptes de Jordan B. Peterson</a> et de <a href="https://www.louderwithcrowder.com/james-lindsay-exclusive-part-one">James Lindsay</a>, deux figures controversées de ce mouvement.</p>
<p>La manosphère tend en outre à servir de porte d’entrée à d’autres groupes adjacents au nationalisme blanc. La synthèse identitaire est incarnée par le retour sur X de Bronze Age Pervert – dit « BAP » par ses followers – pseudonyme provocateur du philosophe roumano-américain <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2023/09/bronze-age-pervert-costin-alamariu/674762/">Costin Alamariu</a>. Son marketing repose sur une hiérarchie sexuelle explicite dominée par des mâles alpha amateurs de séductions éphémères. Il y rajoute également l’ambiguïté d’amitiés viriles marquées par une esthétique guerrière.</p>
<p>Depuis le feu vert offert par Elon Musk, le contenu proposé par « BAP » rencontre un public croissant qui dépasse désormais les 130 000 fidèles, soit une augmentation de deux tiers en un an. Sa présence a permis de rendre sa structure pyramidale à un mouvement qui se désigne couramment comme l’authentique Twitter de Droite (Right-Wing Twitter). Elle favorise en outre un glissement du libertarianisme anti-woke vers le néofascisme.</p>
<p>En effet, BAP n’est pas si différent des comptes nationalistes blancs pourtant inaccessibles sur X. <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/07/16/bronze-age-pervert-masculinity-00105427">Promoteur décomplexé d’un projet antidémocratique</a>, il souscrit à une philosophie néo-nietzschéenne qui oppose sa notion élitiste de la fraternité à des groupes ethniques qu’il décrit comme de simples « ferments ». Les rapports sociaux sont essentialisés à leur paroxysme : ils ne sont plus euphémisés, mais sublimés par l’illusion d’appartenir à une communauté basée sur la célébration d’une force qui se réalise dans la seule domination d’autrui.</p>
<h2>Vers une même cohérence politique masculiniste anti-woke, la mouvance NatCon</h2>
<p>Il peut de prime abord sembler paradoxal de refuser, comme le fait actuellement Twitter-X, la présence de comptes explicitement racialistes ou antisémites tout en admettant la présence et la croissance d’un réseau néofasciste adjacent. Plusieurs explications sont envisageables.</p>
<p>D’un point de vue sémiotique, cette faction de la droite extrême a développé ses propres codes de langage qui lui permettent de contourner les algorithmes de recommandation. Au niveau thématique, les discours masculinistes, qui se positionnent contre les théories du genre, semblent <a href="https://www.europe1.fr/people/elon-musk-une-biographie-depeint-les-obsessions-et-les-methodes-brutales-du-milliardaire-4203220">rencontrer les faveurs d’Elon Musk</a>. Celui-ci a en effet exprimé sans détour son opposition au « virus woke » quand il a rétabli le <a href="https://www.foxnews.com/media/the-babylon-bees-twitter-account-reinstated-elon-musk-suspension-transgender-joke-back">compte satirique Babylon Bee</a>. Enfin, les influenceurs de la droite extrême réadmis sur la plate-forme répondent à une cohérence idéologique qui tend à étayer un projet politique convergent.</p>
<p>En effet, ces acteurs gravitent autour de la mouvance NatCon, un <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">conservatisme nationaliste</a> rassemblant diverses branches politiques illibérales, <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">sous la houlette de Yoram Hazony</a>. Alors qu’il ne peut être catégorisé comme conservateur nationaliste, BAP a <a href="https://newrepublic.com/article/174656/claremont-institute-think-tank-trump">bénéficié dès 2019 du relais du Claremont Institute</a>, un think tank étroitement associé au réseau NatCon, pour la <a href="https://claremontreviewofbooks.com/are-the-kids-altright/">promotion de son ouvrage _Bronze Age Mindset</a>_.</p>
<p>Cette inclusion dans une organisation clé du conservatisme national établit un lien vers le <a href="https://reason.com/2020/08/02/wait-wasnt-peter-thiel-a-libertarian">libertaire Peter Thiel</a>, fondateur de Palantir, co-fondateur de Paypal et ancien associé d’Elon Musk, devenu l’un des principaux influenceurs du mouvement. La relation entre un magnat de la Silicon Valley et un philosophe masculiniste peut sembler ténue. Pourtant, Thiel est un important donateur du Parti républicain et n’a jamais caché son adhésion à une idéologie antidémocratique proche de la <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/28/opinion/marc-andreessen-manifesto-techno-optimism.html">pensée néo-réactionnaire de Curtis Yarvin</a>. Bénéficiant d’importants soutiens, le BAPtisme se situe à l’extrême du <a href="https://www.vanityfair.com/news/2022/04/inside-the-new-right-where-peter-thiel-is-placing-his-biggest-bets">continuum promouvant une « Nouvelle Droite »</a>. Cette New Right est une actualisation de la faction non racialiste de l’alt-right qui tente de gagner en prépondérance en utilisant la plate-forme X.</p>
<p>La question du nationalisme blanc peut donc se poser en termes stratégiques. Malgré une proximité idéologique, le refus des organisateurs des conférences NatCon d’accepter la présence des leaders du mouvement est justifié par le <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/rosiegray/national-conservatism-trump">souci de ne pas voir leur image liée à une mouvance aussi ouvertement extrême</a>. L’association avec ce qui est étiqueté « nationalisme blanc » est considérée comme dommageable à l’attraction d’une audience large et diversifiée. La mise en scène de son rejet permet au contraire de rassurer et de renforcer la respectabilité du NatCon.</p>
<p>Dans les salles de conférence comme sur X, le NatCon semble avoir entrepris de reconstruire un mouvement sur la base de nouveaux codes et de nouvelles figures. Ce sont ces choix qui détermineront si le projet antidémocratique peut être perçu comme acceptable par le plus grand nombre. Et si l’extrémisme masculiniste peut devenir la norme politique du Parti républicain. En 2022 déjà, le républicain Blake Masters, candidat malheureux à la fonction de Sénateur de l’Arizona, a su rassembler le soutien de la droite dure grâce à un programme à la fois traditionaliste et protectionniste.</p>
<p>L’oiseau Twitter est peut-être libéré, mais le X se montre sélectif. Un an après la prise de contrôle du réseau social par Elon Musk, il apparaît que les craintes sur la montée en puissance du nationalisme blanc ont plus que jamais besoin d’être contextualisées et rationalisées. L’étude des comptes influents effectivement actifs montre que les termes du débat risquent de passer de l’alt-right à la New Right. À l’approche des élections de 2024, ce cadre sera d’une grande importance pour analyser la résurgence de toutes les formes de suprémacisme aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Après la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk en octobre 2022, beaucoup s’inquiètent de la réapparition des comptes nationalistes qui avaient été suspendus auparavant.Sarah Rodriguez-Louette, Doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle, membre de la Chaire Unesco « Savoir Devenir à l'ère du développement numérique durable»., Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2095832023-07-26T18:17:39Z2023-07-26T18:17:39ZEn France ou ailleurs, couper l’accès aux réseaux sociaux pour couper court aux émeutes ?<p>La mort de Nahel, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/28/nanterre-un-policier-en-garde-a-vue-apres-la-mort-d-un-mineur-de-17-ans-incidents-entre-habitants-et-forces-de-l-ordre_6179501_3224.html">tué par un policier</a> à Nanterre lors d’un contrôle routier le 27 juin 2023, a déclenché en France une série de manifestations violentes qui se sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/07/la-cartographie-d-une-semaine-d-emeutes-en-france_6180894_3224.html">rapidement étendues</a> à tout le pays et ont même <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/haute-savoie/mort-de-nahel-des-violences-urbaines-et-des-arrestations-en-suisse-inspirees-par-les-emeutes-en-france-2806877.html">franchi les frontières nationales</a>.</p>
<p>Les réseaux sociaux ont joué un rôle déterminant dans cette affaire. Il n’est donc pas surprenant que ces plates-formes soient devenues l’une des cibles des autorités françaises, Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/07/05/emmanuel-macron-suggere-de-bloquer-les-reseaux-sociaux-pendant-les-emeutes_6180622_4408996.html">ayant évoqué la possibilité</a> de couper l’accès aux réseaux sociaux durant des périodes de violences urbaines.</p>
<p>Les réactions à ces propos ont vite provoqué un rétropédalage du gouvernement, par l’intermédiaire de son porte-parole Olivier Véran, <a href="https://twitter.com/Elysee/status/1676531039127355392?s=20">qui a déclaré</a> que les restrictions pourraient se limiter à des suspensions de certaines fonctionnalités comme la géolocalisation. </p>
<p>Un débat qui agite aussi les instances internationales, comme l'ONU, qui s'interrogent sur le rôle des réseaux sociaux et sur la modération de contenus.</p>
<h2>Le rôle des réseaux sociaux</h2>
<p>Que les réseaux sociaux constituent, comme le soulignait déjà le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et expression de l’ONU en <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N11/449/79/PDF/N1144979.pdf">2011</a>, « un instrument de communication essentiel au moyen duquel les individus peuvent exercer leur droit à la liberté d’expression, ou […] de recevoir et de répandre des informations » est un fait indéniable. C’est d’ailleurs une vidéo largement diffusée en ligne qui a permis de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/28/nanterre-un-policier-en-garde-a-vue-apres-la-mort-d-un-mineur-de-17-ans-incidents-entre-habitants-et-forces-de-l-ordre_6179501_3224.html">remettre en cause</a> la version des faits sur la mort de Nahel initialement avancée par les policiers impliqués.</p>
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<p>Mais les réseaux sociaux ont ensuite beaucoup servi à partager des vidéos, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/violences-apres-la-mort-de-nahel-trois-questions-sur-l-usage-des-reseaux-sociaux-durant-les-emeutes_5924039.html">y compris d’épisodes violents</a>, ainsi qu’à organiser et à géolocaliser les mobilisations et les endroits visés par les dégradations ou affrontements. D’où la réaction du gouvernement français, qui a tenu une <a href="https://www.20minutes.fr/by-the-web/4043796-20230701-emeutes-apres-mort-nahel-gouvernement-met-pression-reseaux-sociaux">réunion avec les représentants de Meta, Snapchat, Twitter et TikTok</a> afin de les appeler à la responsabilité concernant la diffusion de tels contenus.</p>
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<p>Les plates-formes étant devenues les <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2937985">« nouveaux gouverneurs »</a> de la liberté d’expression, leurs politiques de modération ainsi que l’application de celles-ci se retrouvent scrutées de près. Or les règles en vigueur sont vagues et ne permettent pas une identification claire des contenus interdits ; en outre, l’usage de l’IA <a href="https://theconversation.com/ia-et-moderation-des-reseaux-sociaux-un-cas-decole-de-discrimination-algorithmique-166614">peut favoriser la discrimination</a>, alimenter des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-law-open/article/rethinking-rights-in-social-media-governance-human-rights-ideology-and-inequality/7DF50DD0BD3466FF3BD86909A2A6437A">inégalités sociales</a> et conduire soit à une suppression excessive de contenus soit, à l’inverse, à la <a href="https://www.ivir.nl/publicaties/download/AI-Llanso-Van-Hoboken-Feb-2020.pdf">non-suppression</a> de contenus qui vont à l’encontre du droit international des droits humains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/traquer-la-haine-sur-les-reseaux-sociaux-exige-bien-plus-quun-algorithme-123626">Traquer la haine sur les réseaux sociaux exige bien plus qu’un algorithme</a>
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<p>Parmi les exemples récents de l’incidence d’une modération de contenus opaque, citons le rôle de Facebook au Myanmar dans la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/13/l-onu-accuse-facebook-d-avoir-laisse-se-propager-des-discours-de-haine-contre-les-rohingya_5270181_4408996.html">propagation de discours haineux contre les Rohingya</a>, mais aussi aux États-Unis lors de <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2021/10/22/jan-6-capitol-riot-facebook/">l’assaut du Capitole</a> par les supporters de Donald Trump le 6 janvier 2021, suite à l’élection de Joe Biden.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fermeture-des-comptes-de-donald-trump-facebook-et-sa-cour-supreme-en-quete-de-legitimite-155064">Fermeture des comptes de Donald Trump : Facebook et sa « Cour suprême » en quête de légitimité</a>
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<p>Les réseaux sociaux ont, en vertu des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_fr.pdf">Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits de l’homme de l’ONU</a>, la responsabilité de veiller au respect des droits humains dans le cadre de leurs activités. L’appel à la responsabilité de la part du gouvernement français en matière de modération des contenus n’est donc pas, en soi, problématique.</p>
<h2>Le rôle des États</h2>
<p>Les États ont la possibilité, dans certaines circonstances, de mettre en place des mesures susceptibles de restreindre l’exercice des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, par exemple en imposant des règles strictes aux réseaux sociaux ; mais ces restrictions doivent être conformes à leurs obligations internationales.</p>
<p>La France ayant ratifié le <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights">Pacte international sur les droits civils et politiques</a>, toute restriction aux droits y énumérés doit correspondre aux dispositions établies dans ce traité.</p>
<p>Le Pacte précise que pour qu’une restriction à la liberté d’expression soit légitime, elle doit satisfaire trois conditions cumulatives : la restriction doit être « fixée par la loi » ; elle doit protéger exclusivement les intérêts énumérés à l’article 19 du Pacte (les droits ou la réputation d’autrui, la sécurité nationale ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques) ; et elle doit être nécessaire pour protéger effectivement l’intérêt légitime identifié, et proportionnée à l’objectif visé, ce qui signifie qu’elle doit compromettre le moins possible l’exercice du droit. Les mêmes conditions s’appliquent aussi aux restrictions aux droits à la liberté de réunion pacifique et libre association.</p>
<p>Or la proposition d’Emmanuel Macron peut précisément s’inscrire dans le cadre d’une restriction de la liberté d’expression, de la libre association et du droit à la réunion pacifique. Bien que cette idée soit présentée comme visant à protéger l’intérêt légitime du maintien de l’ordre public ou même de la sécurité nationale, de telles mesures ont été à plusieurs reprises jugées par les organisations internationales comme étant non conformes avec le droit international.</p>
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<p>Le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression de l’ONU a largement traité ce sujet. En <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G17/077/49/PDF/G1707749.pdf">2017</a>, il a souligné que les coupures d’Internet – qui peuvent être complètes ou partielles, c’est-à-dire n’affectant que l’accès à certains services de communication comme les réseaux sociaux ou les services de messagerie – « peuvent être expressément destinées à empêcher ou à perturber la consultation ou la diffusion de l’information en ligne, en violation […] des droits de l’homme » et que, « dans bien des cas, elles sont contre-productives ».</p>
<p>Le Rapporteur spécial sur la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a pour sa part <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/141/03/PDF/G1914103.pdf">précisé en 2019</a> que « les coupures de réseau constituent une violation flagrante du droit international et ne peuvent en aucun cas être justifiées » et que « bien que ces mesures soient généralement justifiées par des raisons d’ordre public et de sécurité nationale, ce sont des moyens disproportionnés, et la plupart du temps inefficaces, d’atteindre ces objectifs légitimes ».</p>
<p>En 2021, une <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/G21/173/57/PDF/G2117357.pdf">résolution</a> du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, dont le projet a notamment été porté par la France, condamne « fermement le recours aux coupures de l’accès à Internet pour empêcher ou perturber délibérément et arbitrairement l’accès à l’information en ligne ou sa diffusion ». La résolution demandait aussi au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR) de présenter une étude sur la tendance, observée dans plusieurs pays du monde, consistant à couper l’accès à Internet.</p>
<p>Le <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G22/341/56/PDF/G2234156.pdf">rapport</a> de l’OHCHR, présenté au Conseil l’année suivante, souligne que « la grande majorité des coupures sont justifiées officiellement par le souci de préserver la sûreté publique et la sécurité nationale ou par la nécessité de restreindre la circulation d’informations jugées illégales ou susceptibles de causer des préjudices ». Cela a pu être constaté, entre autres exemples, au <a href="https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2023/05/2022-KIO-Report-final.pdf">Burkina Faso</a> lors des manifestations de l’opposition en novembre 2021, qui ont mené à une coupure d’Internet d’abord, puis à une restriction d’accès à Facebook, au nom de la sécurité nationale, ou au <a href="https://www.accessnow.org/wp-content/uploads/2023/05/2022-KIO-Report-final.pdf">Sri Lanka</a> en avril 2022, quand le gouvernement à coupé l’accès à toutes les plates-formes suite à des protestations contre la mise en place d’un état d’urgence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sri-lanka-de-la-crise-economique-a-la-crise-politique-183157">Sri Lanka : de la crise économique à la crise politique</a>
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<p>Si ces restrictions ont généralement lieu dans des <a href="https://fr.statista.com/infographie/23813/carte-pays-qui-bloquent-reseaux-sociaux-et-applications-messagerie/">pays non démocratiques</a>, les justifications avancées par leurs gouvernements correspondent à celles avancées par le gouvernement français à présent.</p>
<p>Le rapport note aussi qu’un nombre important de coupures d’Internet ont été suivies par des pics de violences, « ce qui semble démontrer que ces interventions ne permettent bien souvent pas d’atteindre les objectifs officiellement invoqués de sûreté et de sécurité » mais aussi qu’« on ne saurait invoquer la sécurité nationale pour justifier une action lorsque ce sont précisément des atteintes aux droits de l’homme qui sont à l’origine de la détérioration de la sécurité nationale ».</p>
<p>Par ailleurs, les manifestations <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/07/statement-france-un-committee-elimination-racial-discrimination">trouvant leur origine dans les violences policières et le profilage racial</a>, des mesures visant à restreindre l’accès aux réseaux sociaux en les accusant d’être responsables des violences constituent « une manière de dépolitiser et délégitimer la révolte [et] de dénier aux émeutiers le droit de se révolter contre les violences policières », comme le souligne le chercheur en sciences de l’information <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/06/accuser-les-reseaux-sociaux-d-etre-responsables-des-violences-est-une-maniere-de-depolitiser-la-revolte_6180761_3232.html">Romain Badouard</a>.</p>
<h2>Une question d’équilibre ?</h2>
<p>Les États et les réseaux sociaux ont, les uns comme les autres, un devoir de protection et de respect des droits humains, mais comme nous l’avons vu, ils peuvent également porter atteinte à ces droits. Le cas présent montre que les deux centres de pouvoir, les États et les réseaux sociaux, peuvent, et idéalement devraient, <a href="https://scholarship.law.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=9654&context=penn_law_review">se contrebalancer</a>, afin d’assurer une meilleure protection des droits des individus.</p>
<p>C’est dans ce cadre qu’une approche de la modération des contenus en ligne fondée sur les droits humains se révèle nécessaire. Le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et expression de l’ONU avait déjà remarqué en <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/096/73/PDF/G1809673.pdf">2018</a> que « certains États […] recourent à la censure et à l’incrimination pour façonner le cadre réglementaire en ligne », mettant en place « des lois restrictives formulées en termes généraux sur l’"extrémisme", le blasphème, la diffamation, les discours “offensants”, les fausses informations et la “propagande” [qui] servent souvent de prétexte pour exiger des entreprises qu’elles suppriment des discours légitimes ». D’autre part, si les réseaux sociaux se présentent comme <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1369118X.2017.1289233?journalCode=rics20">promoteurs de droits</a> tels que la liberté d’expression, le Rapporteur spécial avait également relevé que la plupart d’entre eux ne se fondent pas sur les principes des droits humains dans leurs activités et politiques de modération de contenus.</p>
<p>Le cadre du droit international des droits humains offre non seulement aux individus la possibilité de contester les mesures prises par leurs gouvernements, mais il offre également aux réseaux sociaux un <a href="https://globalreports.columbia.edu/books/speech-police/">langage</a> permettant de contester les demandes illicites émanant des États et d’« articuler leurs positions dans le monde entier de manière à respecter les normes démocratiques ». Reste aux États comme aux plates-formes à se saisir pleinement de ces instruments. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209583/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefania Di Stefano est Project Officer pour la Geneva Human Rights Platform, un projet de l'Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève.</span></em></p>Les appels à la violence publiés en ligne pendant les émeutes consécutives à la mort de Nahel M. ont incité Emmanuel Macron à évoquer la possibilité d’un blocage des réseaux sociaux.Stefania Di Stefano, Doctorante en droit international, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044642023-05-15T09:53:10Z2023-05-15T09:53:10ZCameroun : la liberté de la presse mise à mal - voici comment y remédier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525882/original/file-20230512-27-28dwi7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une cérémonie d'hommage au journaliste Martinez Zogo.</span> <span class="attribution"><span class="source">Daniel Beloumou/AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Le journaliste camerounais <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/focus/20230503-au-cameroun-les-journalistes-vivent-dans-la-peur-depuis-l-assassinat-de-martinez-zogo">Martinez Zogo a été retrouvé mort</a> le 22 janvier, après avoir été enlevé le 17 janvier 2023, à Yaoundé. L'enquête de la police a abouti à l’<a href="https://rsf.org/fr/assassinat-de-martinez-zogo-au-cameroun-r%C3%A9cit-de-l-arrestation-de-l-un-des-commanditaires-pr%C3%A9sum%C3%A9s">arrestation</a> de plusieurs personnes de haut rang fortement soupçonnées d'être liées ou impliquées dans ce crime odieux. D'après le gouvernement, Martinez Zogo a subi <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/cameroun-assassinat-du-journaliste-martinez-zogo-le-gouvernement-annonce-l-ouverture-d-une-enqu%C3%AAte/2794972">“d'importants sévices”</a> au moment de sa mort. </p>
<p>Cet assassinat a suscité une <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2023/01/27/cameroun-meurtre-dun-eminent-journaliste-dinvestigation">condamnation générale</a> de la part des organisations de défense des droits humains et des militants de la liberté de la presse qui sont très préoccupés par la situation.</p>
<p>La liberté d'expression et la libre circulation de l'information sont des éléments essentiels au développement d'une société démocratique. Dans une telle société, les journalistes et les médias contribuent à la transparence et la responsabilité des autorités publiques et gouvernementales. </p>
<p>Les médias constituent également un forum de discussion et de débat, contribuent à l'élaboration d'un consensus social et donnent une voix à ceux qui n'en ont pas. Pour travailler efficacement, les journalistes ont donc besoin de <a href="https://uni.oslomet.no/mekk/conferences/safety-of-journalists-digital-safety-2019/paper-sessions/">sûreté et de sécurité, ainsi que d'un environnement de travail favorable</a>. </p>
<p>Or, de plus en plus de journalistes sont tués dans des pays qui ne sont pas en guerre, et de plus en plus souvent alors qu'ils enquêtent sur des questions sensibles telles que la corruption débridée, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/23743670.2020.1725777?journalCode=recq21">les détournements de fonds, le crime organisé et la mauvaise gouvernance</a>. </p>
<p>L'une des choses les plus dangereuses et les plus périlleuses que les journalistes puissent faire est de couvrir ou de rapporter les conflits, les abus de pouvoir et la corruption débridée dans leur pays d'origine. </p>
<p>Martinez Zogo a été délibérément pris pour cible pour avoir utilisé son émission de radio afin de dénoncer la corruption et les pratiques illégales impliquant des personnalités publiques. Martinez <a href="https://www.hrw.org/news/2023/01/27/cameroon-prominent-investigative-journalist-killed">a cité les noms de toutes les personnes soupçonnées</a> d'avoir commis des actes répréhensibles. Ce qui lui a valu la fureur et le marteau répressif de ceux qu'il a démasqués. </p>
<p>Dans cet article, j'analyse les obligations internationales contraignantes auxquelles le Cameroun a souscrit en matière de liberté d'expression et de presse. J'examine également les mesures pouvant atténuer les risques et la violence auxquels les journalistes sont confrontés, en tirant les leçons de l'assassinat de Martinez Zogo. </p>
<h2>Les médias comme chien de garde</h2>
<p>Martinez Zogo animait <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230121-cameroun-le-gouvernement-r%C3%A9agit-%C3%A0-la-disparition-du-journaliste-martinez-zogo">l'émission d'actualité “Embouteillage”</a> sur la radio <em>Amplitude</em>, où il abordait des sujets sensibles, notamment la corruption débridée et les pratiques illégales impliquant des personnalités publiques. Afin de préserver la contribution des médias au débat public, les journalistes sont censés travailler sans menace et devraient pouvoir compter sur un niveau élevé de protection et de sécurité. </p>
<p>Les médias camerounais sont l'un des moyens par lesquels les dirigeants politiques, les milieux d'affaires et l'opinion publique peuvent vérifier que les ressources de l'État sont dépensées conformément aux principes de transparence et de responsabilité, et ne sont pas utilisées pour enrichir certains individus. Ainsi, l'enlèvement et l'assassinat de Martinez pour ses critiques, les révélations concernant des agents publics ou l'exposition d'actes répréhensibles ou de corruption demeurent une violation flagrante et une ingérence dans la liberté d'expression et de la presse. Ils ont <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23743670.2019.1703776?src=recsys">un dangereux effet paralysant</a>, qui tend à dissuader les médias et leurs professionnels, les dénonciateurs et d'autres personnes de prendre part à la discussion sur des questions d'intérêt public. </p>
<h2>Marteau repressif de l'Etat</h2>
<p>Le cas de Martinez n'est pas nouveau. De nombreux journalistes camerounais ont subi la fureur et le marteau répressif de l'État pour avoir pratiqué un journalisme de surveillance ou utilisé les médias pour critiquer les institutions de l'État et leurs activités. Par exemple, en 2019, <a href="https://rsf.org/fr/cameroun-le-journaliste-samuel-wazizi-est-bien-mort-pendant-sa-d%C3%A9tention">Samuel Wazizi est mort </a>en détention à Yaoundé. Le 22 avril 2010, le rédacteur en chef de <em>Cameroon Expression</em>,<a href="https://www.jeuneafrique.com/154952/politique/le-journaliste-bibi-ngota-serait-il-d-c-d-suite-des-tortures/"> Ngota Ngota Germain</a>, est mort à la prison centrale de Kondengui. </p>
<p>De nombreux journalistes camerounais dont Mimi Mefo, Ahmed Abba et Mancho Bibix ont été arrêtés et détenus en vertu de la <a href="http://www.minjustice.gov.cm/index.php/fr/textes-lois/lois/382-loi-n-2014-28-du-23-decembre-2014-portant-repression-des-actes-de-terrorisme">loi antiterroriste de 2014</a> et de <a href="https://2019.landhumanrights.org/ponencia/the-trumping-effect-of-anti-terrorism-legislations-the-case-of-cameroon/">l'éclatement du conflit anglophone au Cameroun en 2016</a>. Le Cameroun est <a href="https://panafricanvisions.com/2023/01/cameroon-third-worse-jailer-of-african-journalists-in-2022-cpj/">le troisième pays d'Afrique qui emprisonne le plus de journalistes</a>, après l'Égypte et l'Érythrée. Le Cameroun est actuellement classé 135e sur 180 pays <a href="https://rsf.org/fr/pays-cameroun">classé 138e sur 180</a>. </p>
<p>Même dans les sociétés hautement démocratiques comme en Europe, les journalistes d'investigation comme du type Martinez Zogo sont attaqués. <a href="https://fr.euronews.com/2021/07/15/le-journaliste-neerlandais-peter-r-de-vries-a-succombe-a-ses-blessures-par-balles">Peter R. De Vries</a>, célèbre journaliste d'investigation et chroniqueur judiciaire néerlandais, a été abattu d'une balle dans la tête à Amsterdam. Il a succombé à ses blessures le 15 juillet 2021. Le journaliste grec spécialisé dans le crime organisé, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/09/george-karaivaz-journaliste-grec-specialise-dans-les-affaires-criminelles-abattu-a-athenes_6076237_3210.html">Giorgos Karaivaz, a été abattu en plein jour à Athènes le 9 avril 2021</a>. Daphné Caruana Galizia, écrivain, blogueuse, journaliste et militante anticorruption maltaise, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/05/assassinat-de-daphne-caruana-galizia-george-degiorgio-principal-suspect-affirme-avoir-tue-la-journaliste-maltaise_6133508_3210.html">est décédée </a>près de son domicile lorsqu'une voiture piégée a explosé. Une <a href="https://rsf.org/en/dutch-crime-reporter-fourth-journalist-murdered-many-years-european-union">vingtaine de journalistes</a> vivent actuellement sous protection policière permanente en Italie. </p>
<h2>Respect des obligations internationales</h2>
<p>Compte tenu de la pertinence et de l'importance de la liberté d'expression et de presse en tant qu'exigence et condition préalable au fonctionnement de la démocratie camerounaise, l'exercice de ces libertés ne dépend pas uniquement de l'impartialité de l'Etat. Elle <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23743670.2019.1703776?src=recsys">peut nécessiter</a> des mesures positives de protection formalisées dans un <a href="https://www.eods.eu/library/UN_ICCPR_1966_FR.pdf">cadre juridique</a>.</p>
<p>Le Cameroun a ratifié <a href="https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Treaty.aspx?CountryID=30&Lang=en">ce pacte le 27 juin 1984</a>. Il est donc tenu de remplir une série d'obligations positives, autrement dit de respecter des mesures juridiques, administratives et pratiques visant à assurer la sécurité des journalistes. En outre, le Cameroun, a ratifié la <a href="https://au.int/sites/default/files/treaties/36390-treaty-0011_-_african_charter_on_human_and_peoples_rights_f.pdf">Charte africaine des droits de l'homme et des peuples</a>, le <a href="https://achpr.au.int/en/state-reports/concluding-observations-and-recommendations-cameroon-2nd-periodic-report-200">20 juin 1989 </a>. Il est donc obligé de se conformer à la <a href="https://agp.africanlii.org/akn/aa-au/statement/resolution/achpr/2020/468/eng@2020-12-03">Résolution sur la sécurité des journalistes et des professionnels des média</a>. </p>
<p>Ainsi, le Cameroun a des obligations contraignantes en vertu du droit national (Constitution) et du droit international en ce qui concerne la sécurité et la protection des journalistes. Les États parties à ces traités doivent veiller à ce que leurs principes soient maintenus et respectés, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau universel. </p>
<h2>Comment atténuer les risques?</h2>
<p>Pour inverser cette tendance et en vertu de ses engagements, le Cameroun doit : </p>
<ul>
<li><p>respecter ses obligations internationales en matière de sécurité et de protection des journalistes;</p></li>
<li><p>renforcer les mesures de protection des journalistes et des autres professionnels des médias, en particulier ceux qui travaillent sur des questions liées au crime organisé et à la corruption. </p></li>
<li><p>mener des enquêtes approfondies sur les crimes commis à l'encontre de journalistes victimes du crime organisé, afin de s'assurer que les responsables soient traduits en justice.</p></li>
</ul>
<p>Des programmes intensifs de formation à la sécurité sont également nécessaires pour assurer la sécurité des journalistes lors des manifestations, des conflits et des guerres. Les organisations de médias, les ONG et les agences gouvernementales doivent veiller à ce que des programmes de formation réguliers sur la sécurité soient disponibles. Par exemple, les employeurs et les salles de rédaction peuvent proposer une formation à la sécurité pour les reporters et les équipes de journalistes, notamment en ce qui concerne les manœuvres d'évitement et l'élaboration d'un plan d'intervention standard en matière de sécurité. </p>
<p>Il est également essentiel d'aborder la formation à la sécurité psychologique (reconnaissance des traumatismes et techniques d'auto-assistance).</p>
<p>Les journalistes doivent être constamment assurés et bénéficier d'une sécurité physique, c'est-à-dire d'équipements tels que des gilets pare-balles, des casques, des trousses de premiers secours, etc. Le gouvernement, les employeurs et les salles de presse devraient fournir aux équipes de journalistes et aux journalistes une sécurité privée, une police permanente ou une protection.</p>
<p>Il convient d'insister sur la nécessité de renforcer la solidarité pour assurer la sécurité des journalistes au-delà des frontières nationales. La coopération et la collaboration transfrontalières, y compris le partage d'informations, de techniques et de stratégies de prévention, de bonnes pratiques avec les journalistes d'investigation et les salles de rédaction, pourraient contribuer à combattre ou à atténuer la culture de l'impunité à l'égard des journalistes au Cameroun.</p>
<p>Il faut mettre en place un comité national pour la protection et la sécurité des journalistes. Ce comité devrait être composé de représentants du gouvernement, des journalistes, des forces de l'ordre, du pouvoir judiciaire et de la société civile. Le comité devrait avoir pour objectif principal de travailler ensemble pour s'assurer que les journalistes du Cameroun travaillent dans un environnement exempt de menaces et de violence.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Les risques auxquels sont confrontés les journalistes d'Afrique subsaharienne dans l'exercice de leur profession ne se limitent pas à ceux qui apparaissent dans les classements des organisations internationales. Si les mécanismes coercitifs de l'État ou des fonctionnaires sont indéniables, une meilleure sécurité et protection des journalistes africains, <a href="https://intellectdiscover.com/content/journals/10.1386/jams.6.2.181_1">confrontés à des risques professionnels quotidiens</a>, nécessite une approche plus holistique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peter Tiako Ngangum does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Des programmes intensifs de formation à la sécurité sont nécessaires pour assurer la sécurité des journalistes lors des manifestations, des conflits et des guerres.Peter Tiako Ngangum, Chercheur en information et communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003252023-03-28T19:30:35Z2023-03-28T19:30:35ZRadios internationales : des outils de mobilisation du grand public en pleine transformation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516726/original/file-20230321-2602-d4qgd8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C1754%2C800&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La journaliste centrafricaine Merveille Noella Mada-Yayoro en reportage dans le camp de déplacés de Birao pour Guira FM, la radio de la mission de paix de l’ONU en République centrafricaine.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132247">Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA)</a></span></figcaption></figure><p>Partout dans le monde, les autorités politiques ont longtemps détenu le monopole aussi bien des radios locales et nationales que des <a href="https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/les-radios-internationales-9782729834241/">radios internationales</a>, ce qui leur permettait de faire passer les messages souhaités à leurs propres populations, mais aussi à celles des pays étrangers vers lesquels leurs radios diffusaient.</p>
<p>Nos recherches récentes montrent que <a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/2493">ce modèle ancien est désormais largement dépassé</a>.</p>
<p>La désétatisation de la radio et son internationalisation grâce à sa <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/alann-hery-la-radio-ou-la-singularite-detre-un-media-agile/">numérisation/webification</a> ont modifié les <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2509">rapports de force communicationnels</a>.</p>
<p>On distingue aujourd'hui trois types de radios de mobilisation. Les <em>radios étatiques de mobilisation</em> (REM) ont d’abord cédé du terrain face aux <em>radios civiles de mobilisation)</em> (RCM, lesquelles sont devenues, grâce à Internet, accessibles dans le monde entier, se muant donc en <em>radios civiles de mobilisation internationales</em> (RCMI). Ces trois types de radios cohabitent de nos jours dans un paysage médiatique qui n'a plus grand-chose à voir avec celui d'il y a une vingtaine d'années.</p>
<h2>Les monopoles nationaux des radios étatiques de mobilisation (REM) durant les guerres internationales</h2>
<p>La radio fut un enjeu politique dès l’origine : citons les <a href="https://www.editions-bartillat.fr/fiche-livre.php?Clef=369">causeries de Franklin D. Roosevelt</a>, les radios « blanches » et « noires » <a href="https://www.cairn.info/revue-historique-2014-3-page-629.htm">durant la « drôle de guerre »</a> – qui amorce la <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1986_num_10_1_1561_t1_0132_0000_1">« guerre des ondes »</a> –, les instructions aux résistants diffusées par <a href="https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/revue/radio-londres-une-arme-de-guerre">« Radio Londres »</a>…</p>
<p>Durant la guerre froide (et jusqu’à aujourd’hui pour certaines radios), les Alliés s’installèrent sur les ondes pour continuer leur travail hétéronomique (c’est-à-dire visant à imprégner les auditeurs de lois/normes politiques, sociales et culturelles). Par exemple, le gouvernement américain multiplia les stations : <a href="https://www.insidevoa.com/a/3794247.html">Voice of America</a>, <a href="https://riasberlin.org/en/history/">RIAS</a> (Radio in the American Sector, principalement tournée vers l’Allemagne de l’Est), <a href="https://pressroom.rferl.org/history">Radio Free Europe/Radio Liberté</a> et <a href="https://www.rfa.org/about/releases/rfa-celebrates-its-25th-anniversary">Radio Free Asia</a>, <a href="https://www.20min.ch/fr/story/radio-free-europe-interdite-par-les-talibans-743643332179">Azadi</a> (destinée à l’Afghanistan) ou encore <a href="https://www.courrierinternational.com/notule-source/radio-farda">Farda</a> (diffusant en farsi vers l’Iran)…</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516670/original/file-20230321-14-1m61s9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Nouvelle communication de Radio Farda, réalisée par l’agence Brand Real en 2011. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://brandreal.io/blog/folio/radio-farda-rebrand-and-a-new-website-launch/">brandreal.io/blog</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon la chercheuse <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1995_num_48_1_4421">Anne-Chantal Lepeuple</a>, toutes ces radios visaient à favoriser la diffusion des idées libérales au sein des peuples des pays ciblés, en mettant en place une « politique d’érosion graduelle » des régimes en place.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://www.rferl.org/">RFE/RL</a> diffuse en 27 langues et dans 23 pays « où la liberté de la presse est menacée et où la désinformation est omniprésente ». Elle joue son rôle de <a href="https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1992_num_10_53_1970#xd_co_f=YTYwY2YyN2QtZGU2MC00MjJlLWJhOGQtZGRlMTc2ZjEyODli%7E">« radio de substitution »</a>, selon l’expression de Jacques Sémelin désignant les radios qui se substituent aux radios locales et se distinguent des <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1997_num_62_1_4626_t1_0208_0000_3">« radios de représentation »</a> – celles qui promeuvent les États qui les financent, à l’instar de la <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/la-bbc-le-modele-anglais-au-rayonnement-international">BBC</a>, de <a href="https://www.arabmediasociety.com/wp-content/uploads/2017/12/20080928224559_AMS6_Carola_Richter.pdf">Deutsche Welle</a> ou de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/rfi-une-radio-mondiale-tournee-vers-lafrique-et-le-monde-arabe">RFI</a>.</p>
<h2>L’apparition des radios civiles de mobilisation après la fin des monopoles audiovisuels</h2>
<p>La démonopolisation des REM européennes (au <a href="http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1992_num_10_52_1945">Royaume-Uni</a>, en <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2569">Italie</a>, en <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-les-radios-libres-une-bataille-oubliee-163512">France</a>, en <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/philippe-caufriez-les-radios-locales-en-belgique-evolution-historique-et-perspectives-davenir/">Belgique</a>, etc.) les oblige désormais à coexister avec les radios civiles de mobilisation (RCM), même si l’action de ces dernières est souvent <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/thierry-lefebvre-locales-par-defaut/">limitée à un rayon local</a>.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/2257">Appuyées sur différentes stratégies</a>, les RCM peuvent procéder à deux types de « radiophonie de proximité » :</p>
<ul>
<li><p>Les RCM « hétéronomes » (<a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/2408">associatives</a>, <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2630">syndicales</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/07/12/la-redecouverte-miraculeuse-des-bandes-son-de-la-radio-pirate-de-francois-mitterrand_5488425_3232.html">politiques</a>), se voulant parfois (<a href="https://journals.openedition.org/communication/5933">contre-informationnelles</a>), peuvent se faire <a href="http://journals.openedition.org/communication/2294">polémiques</a>, révolutionnaires (on pense aux cas de radios <a href="https://www.iccmv.org/the-message-from-dublin-1916/">irlandaises</a>, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/revolution-russe-l-aurore-annonce-un-jour-nouveau-au-monde-entier-5367468">bolchéviques</a>, <a href="http://tenwatts.blogspot.fr/2011/04/radio-rebelde.html">cubaines</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2007-2-page-113.htm">portugaises</a>) et même génocidaires (comme dans le cas bien connu de <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/2395">Radio Mille Collines au Rwanda</a>).<br><br>Certaines menacent les pouvoirs en place, avec des conséquences directes pour leurs journalistes. Tout récemment, une <a href="https://theconversation.com/quatre-ans-apres-la-revolution-du-sourire-ou-en-est-la-jeunesse-algerienne-200391">journaliste franco-algérienne a dû fuir en Tunisie pour échapper à la prison</a>, quelques semaines après la saisie de sa radio et l’arrestation de son fondateur. Un journaliste camerounais, qui dénonçait à l’antenne la corruption, <a href="https://www.nova.fr/news/au-cameroun-martinez-zongo-un-journaliste-denoncant-la-corruption-dans-le-pays-vient-detre-retrouve-mort-et-mutile-213828-30-01-2023">a été retrouvé mort en janvier 2023</a>, deux ans après le <a href="https://rsf.org/fr/cameroun-le-journaliste-samuel-wazizi-est-bien-mort-pendant-sa-d %C3 %A9tention">décès en détention d’un de ses confrères</a>.</p></li>
<li><p>D’autres RCM font de la radiophonie « autonome » : elles ne visent pas à convaincre les auditeurs d'adhérer à certaines valeurs ou idées mais à diffuser des informations intéressant des catégories spécifiques de la population. Il s’agit de stations <a href="https://fr2.slideshare.net/SebastienPoulain/rapport-national-sur-les-medias-communautaires-en-france-pour-le-conseil-de-leurope">communautaires</a> (aussi bien <a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/1429">diasporiques</a> que <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/10250">religieuses</a> ou <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/pascal-ricaud-radios-locales-identites-territoires-nouveaux-acteurs-et-enjeux/">linguistiques</a>), mais aussi de stations locales (diffusant à l'échelle du <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2019/01/28/morgane-govoreanu-les-acteurs-de-la-radio-associative-paloise-r-p-o-97fm/">quartier</a>, de la <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/11/08/9-novembre-2021-les-40-ans-des-radios-libres-et-de-radio-amiens/">ville</a> ou de la <a href="https://www.persee.fr/doc/comin_1189-3788_1994_num_15_2_1692">région</a>) et, également, de stations éducatives (qu'elles soient <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2013-1-page-109.htm">scolaires</a>, <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2019/01/28/felix-paties-les-acteurs-des-radio-campus-le-cas-de-radio-campus-paris-1998-2018/">étudiantes</a>), <a href="http://arkenciel.blog/">culturelles</a>, <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2019/01/28/celine-urbaniak-faire-vivre-une-radio-locale-associative-une-%C5%93uvre-collective-lexemple-de-radio-zinzine-dans-les-annees-1980-et-1990/">coopératrices</a> ou <a href="https://fr.slideshare.net/SebastienPoulain/radio-ici-et-maintenant-pionnire-en-exprimentations">interactives</a>).<br><br>Deux exemples de leur action, parmi tant d'autres : au Burkina Faso, ces RCM ont aidé à <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2752">informer leurs auditeurs sur le Covid-19</a>. En Afghanistan, une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/afghanistan-radio-begum-fragile-bouclier-contre-la-ferule-des-talibans-20230122">radio</a> est utilisée dans sept provinces pour continuer à enseigner (en dari le matin, et en pachto l’après-midi) aux jeunes filles, alors qu’elles sont interdites d’école par les talibans.</p></li>
</ul>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1493528015292321794"}"></div></p>
<h2>La « webification» et l’apparition des radios civiles de mobilisation internationales</h2>
<p>La webification a multiplié le nombre de radios internationales, car chaque radio en devient automatiquement une dès lors qu’elle est <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/bernard-idelson-radios-locales-sur-le-web-nouveaux-acteurs-nouveaux-territoires-lexemple-de-radio-freedom-la-reunion/">diffusée sur le web</a>.</p>
<p>Les REM peuvent désormais atteindre tous les territoires connectés. Mais elles sont concurrencées par les RCM, <a href="https://gerflint.fr/Base/MondeMed5/smati.pdf">qui se déterritorialisent elles aussi</a>. D’où le qualificatif de RCMI. Grâce à sa souplesse économique et technique, le web permet de créer aussi bien des <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/sebastien-poulain-les-postradiomorphoses-des-radios-locales/">webradios locales</a> que des <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2701">podcasts internationaux</a>. Ainsi, des journalistes burundais peuvent <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2893">continuer leur travail depuis le Rwanda</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-liberte-de-la-presse-grande-victime-de-la-crise-au-burundi-141072">La liberté de la presse, grande victime de la crise au Burundi</a>
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<p>Il existe par ailleurs un genre de RCMI pour lequel la diffusion sur le web ne joue qu’un rôle secondaire : ce sont les radios onusiennes. Ainsi, la République démocratique du Congo a vu apparaître Okapi, une <a href="https://journals.openedition.org/radiomorphoses/2972">« radio de paix »</a> qui œuvre à la démocratisation/pacification du pays après un conflit armé qui a <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/pierre-nsana-bitentu-rdc-les-radios-locales-et-nationales-a-lepreuve-de-la-couverture-dun-conflit-arme-interne/">fortement impacté les médias</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/by5kb3H_lUI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les RCMI sont donc devenues internationales à maints égards : par leur diffusion, leurs financements, leurs personnels et intervenants (à l’image des <a href="http://journals.openedition.org/radiomorphoses/2804">diasporas qui interagissent à l’antenne des radios haïtiennes</a>).</p>
<h2>L’avenir des RCM et RCMI : se substituer aux radios étatiques ?</h2>
<p>Dans la bataille hétéronomique pour la documentation et l’interprétation du monde (accentuée par le <a href="https://fr.slideshare.net/SebastienPoulain/le-podcast-comme-outil-faustien-de-gafamisation-de-la-radio">web et les GAFAM</a>), les REM bénéficient de moyens économiques et politiques bien supérieurs à ceux des RCM et RCMI, qui leur permettent de financer leurs rédactions multilingues, leurs reporters multilocalisés et leurs puissants émetteurs.</p>
<p>Ainsi, les médias français RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya (MCD), héritiers de la <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/16448">radiophonie coloniale</a>, disposent en 2022 d’un budget <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/france-medias-monde-redoute-detre-marginalise-au-sein-de-la-future-holding-de-laudiovisuel-public-1155705">d’un peu moins de 260 millions d’euros</a>. En comparaison, les RCM/RCMI françaises – quelque 700 radios associatives – sont financées (40 % de leur budget) par un <a href="https://lesradioslibres.wordpress.com/2021/08/30/raphael-dapzol-le-financement-public-des-radios-associatives-par-le-fser/">fonds de soutien à l’expression radiophonique</a> doté de <a href="https://www.cbnews.fr/medias/image-budget-2023-du-ministere-culture-hausse-7-71619">34,8 millions d’euros</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Mais la faiblesse des REM se trouve dans la légitimité discutable de leurs interventions, que Frantz Fanon qualifiait de <a href="http://www.csprp.univ-paris-diderot.fr/IMG/pdf/mrenault-thesefanon.pdf">« technique de l’occupant »</a>. Les REM se concurrencent – par exemple avec des <a href="https://journals.openedition.org/norois/9420">Chinois de plus en plus actifs</a> – pour tenter d’influencer des pays où les publics manquent de diversité informationnelle et de moyens. Mais les autorités locales et leurs soutiens pourraient se lasser de faire l’objet de ce travail hétéronomique, lequel est <a href="https://lalibreville.com/emmanuel-macron-assume-d-utiliser-rfi-et-france-24-pour-faire-passer-les-messages-de-la-france-en-afrique/">assumé par les politiques</a> mais <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2010-2-page-119.htm">nié par les rédactions</a>.</p>
<p>Cela explique en partie <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/le-mali-veut-suspendre-la-diffusion-de-rfi-et-france-24%20--%2017-03-2022-2468652_3826.php">l’interdiction de la diffusion, en mars 2022, de RFI</a> par la junte au pouvoir au Mali. Celle au pouvoir au Burkina Faso <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20221203-burkina-faso-la-diffusion-de-rfi-suspendue-jusqu- %C3 %A0-nouvel-ordre-fmm-d %C3 %A9plore-cette-d %C3 %A9cision">a pris la même décision</a> en décembre 2022, avant d’<a href="https://www.20minutes.fr/monde/4029764-20230327-burkina-faso-junte-ordonne-suspension-diffusion-france-24">interdire France24 en mars 2023</a>.</p>
<p>Ce que d’aucuns n’hésiteraient pas à présenter comme une « décolonisation médiatique » pourrait être décidé un jour par des États plus démocratiques que les Mali et Burkina Faso actuels. Il faudrait alors que ces États soutiennent davantage leurs RCM locales pour qu’elles aient les moyens de se substituer aux REM étrangères et locales, ou du moins de coexister avec elles. C’est ainsi que les <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/25229">habitants de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) avaient transformé la REM belge en « phonographe collectif »</a> dans les années 1950…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200325/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les radios d’État internationales (RFI, BBC, Voice of America, etc.) ne détiennent plus le monopole sur les radios dites « de mobilisation ». Tour d’horizon d’un paysage médiatique riche et varié.Sebastien Poulain, Docteur en science de l'information et la communication, laboratoire Mica, Université Bordeaux Montaigne, enseignant dans plusieurs universités, spécialiste de médias, ESS, contre culture, Université Bordeaux MontaigneThierry Lefebvre, Secrétaire de la section « Sciences, histoire des sciences et techniques et archéologie industrielle » du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), École Nationale des ChartesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2023802023-03-27T16:51:24Z2023-03-27T16:51:24ZDerrière le cas de Pinar Selek, la recherche en danger en Turquie et ailleurs dans le monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/517861/original/file-20230328-452-k14h7p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1917%2C1063&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pinar Selek pendant une conférence à Paris en 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pinar_selek.jpg">Streetpepper/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Le combat de Pinar Selek se poursuit : réunie le 31 mars 2023, peu avant l'élection présidentielle de mai 2023, la cour d’assises d’Istanbul avait décidé de reporter l’audience au 29 septembre prochain et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230331-pinar-selek-cible-d-une-traque-judiciaire-en-turquie-nous-luttons-de-fa%C3%A7on-tr%C3%A8s-d%C3%A9termin%C3%A9e">confirmé le mandat d’arrêt</a> émis contre cette citoyenne française, l’entravant dans sa liberté de circuler et, de fait, dans sa liberté de recherche et d’enseignement.</em></p>
<p><em>Pınar Selek n’est malheureusement pas la seule à être menacée par le pouvoir turc. Son combat pour obtenir justice, qui se poursuit depuis plus de 25 ans, est plus que jamais emblématique des risques qui pèsent sur la liberté académique dans son pays d'origine et ailleurs aussi. Universitaires, étudiants, personnalités du monde littéraire, avocats, juristes, élus, journalistes, militants de tous pays continuent à lui apporter <a href="https://pinarselek.fr/actualites/26-27-29-septembre-2023/">un soutien sans faille</a> auquel il est toujours <a href="https://www.helloasso.com/associations/karinca/formulaires/1">possible de contribuer</a>. Nous vous proposons de relire cet article que ses collègues lui avaient consacré peu avant l’audience du 31 mars 2023.</em></p>
<p>Ce 29 septembre 2023 se tiendra à Istanbul le procès contre <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2018-2-page-5.htm">Pinar Selek</a>, sociologue, écrivaine, militante féministe, antimilitariste et pacifiste, exilée en France depuis fin 2011 et qui risque la prison à vie en Turquie.</p>
<p>Elle subit depuis 25 ans une <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-persecution-sans-fin-de-pinar-selek-refugiee-en-france-16-01-2023-2504973_24.php">persécution judiciaire constante de la part du pouvoir turc</a>. La moitié d’une vie. Motif : son refus de révéler l’identité des personnes qu’elle a interrogées lors d’une enquête qu’elle a conduite sur les mouvements kurdes.</p>
<p>Arrêtée en juillet 1998, elle est <a href="https://www.dailymotion.com/video/xgmcli">torturée</a> et emprisonnée pendant plus de deux années. Elle apprend en prison qu’elle est accusée d’avoir déposé une bombe qui aurait explosé sur le marché aux épices d’Istanbul, faisant 7 morts et 121 blessés.</p>
<p>Libérée fin décembre 2000, elle est acquittée en 2006, en 2008, en 2011 et en 2014, les expertises ayant toutes montré que ce drame était dû à l’explosion accidentelle d’une bouteille de gaz. Bien que la justice turque l’ait blanchie à quatre reprises, le procureur a déposé un recours après chaque acquittement. Après un silence de près de neuf années, la Cour suprême de Turquie a annoncé l’annulation de son dernier acquittement et donc ce nouveau procès, qui se déroulera en son absence.</p>
<p>Avant même l’audience du 31 mars, Pinar Selek fait l’objet d’un <a href="https://www.lalsace.fr/faits-divers-justice/2023/01/16/mandat-d-arret-international-contre-pinar-selek-une-farce-judiciaire">mandat d’arrêt international</a> en vue de son emprisonnement immédiat en Turquie. Difficile de ne pas lier le « réveil » de la justice turque, neuf ans après le dernier acquittement de la chercheuse, au fait que l’année 2023 sera cruciale pour la Turquie, en raison des élections présidentielles et législatives prévues en mai et de la célébration du centenaire de la République turque.</p>
<p>Au-delà du sort personnel de Pinar Selek, cet épisode est révélateur de la répression dont les universitaires font l’objet en Turquie depuis des années et qui s’est encore intensifiée après la tentative de coup d’État de 2016.</p>
<h2>La liberté scientifique en danger</h2>
<p>« Je ne lâcherai rien », promet la <a href="https://www.liberation.fr/portraits/pinar-selek-la-chercheuse-recherchee-20220728_3EG5AYRYKBBXVFPMCMSE54UOCY/">« chercheuse recherchée »</a> pour <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/30/que-la-turquie-cesse-de-harceler-pinar-selek_1824500_3232.html">« crime de sociologie »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=686&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517249/original/file-20230323-1627-a8jigg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=862&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image pour le Comité de soutien à Pinar Selek, Pays basque. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://blogs.mediapart.fr/fred-sochard/blog/080323/justice-pour-pinar-selek">Fred Sochard</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Depuis son arrivée en France en 2011, elle a soutenu une <a href="https://www.theses.fr/164430822">thèse de doctorat</a> en sciences politiques à l’Université de Strasbourg, <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pinar-Selek--140498.htm">publié de nombreux travaux scientifiques</a> et enseigne à l’Université Côte d’Azur depuis 2016. Après l’aide du Programme national d’accueil en urgence des scientifiques et des artistes en exil <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/programme-PAUSE">(PAUSE)</a> les deux premières années, l’Université Côte d’Azur a créé pour elle un poste pérenne d’enseignante-chercheure en 2022.</p>
<p>À travers elle, c’est aussi la liberté académique qui est en jeu. Les présidences des universités Côte d’Azur et de Strasbourg, ainsi que de nombreux laboratoires de recherche et d’autres instances universitaires et scientifiques ont <a href="https://pinarselek.fr/actualites/soutien-a-pinar-selek-la-mobilisation-sorganise/">publiquement pris position</a> en sa faveur. Des collectifs de soutien universitaires, étudiants et militants se sont également constitués. Elle a été nommée <a href="https://sociologuesdusuperieur.org/cat/pinarselek">présidente d’honneur de l’Association des Sociologues de l’Enseignement Supérieur</a>. Une délégation de <a href="https://pinarselek.fr/actualites/une-centaine-deuropeen%c2%b7nes-convergeront-a-istanbul-le-31-mars-prochain-au-proces-de-pinar-selek/">près d’une centaine de représentants français et étrangers</a> des mondes civils, associatifs, culturels, artistiques, politiques, juridiques, scientifiques, universitaires et étudiants se rendront à Istanbul pour assister à son procès, exiger la vérité et demander officiellement que justice lui soit rendue.</p>
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<p>Engagée dans un mouvement d’ouverture des sciences sociales sur la société et de critique des postures scientistes au service de l’ordre établi, Pinar Selek est une « scientifique en danger ». Même si elle a obtenu la nationalité française en 2017, elle continue à subir la violence politique d’un régime autoritaire qui s’attaque à <a href="https://theconversation.com/la-liberte-scientifique-en-danger-sur-les-cinq-continents-130624">l’autonomie du monde académique</a> – un phénomène dont la Turquie n’a pas le monopole. Nombre d’<a href="https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/les-chercheurs-etrangers-en-danger-ont-besoin-de-pause">universitaires</a> irakiens, syriens, afghans, égyptiens, turcs, iraniens et tant d’autres payent un <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-combat-de-fariba-adelkhah-est-le-combat-de-tous-139892">lourd tribut à la répression d’État</a>.</p>
<h2>Une situation qui s’est envenimée en Turquie depuis 2016</h2>
<p>La situation de Pinar Selek reflète la montée de l’autoritarisme en Turquie, particulièrement sensible depuis le renforcement des pouvoirs présidentiels consécutif au <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/16/le-premier-ministre-turc-proclame-la-victoire-du-oui-au-referendum-constitutionnel_5112199_3210.html">référendum d’avril 2017</a>.</p>
<p>Suite à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/retour-sur-le-putsch-rate-de-2016-en-turquie-4604024">tentative de coup d’État du 15 juillet 2016</a> au cours de laquelle des centaines de civils, de soldats, de policiers ont perdu la vie, un grand nombre d’universitaires ont été <a href="https://laviedesidees.fr/La-chasse-aux-intellectuels-en-Turquie.html">désignés comme cibles par le président de la République, Recep Tayyip Erdoğan</a>. Les signataires de la <a href="https://mouvements.info/des-universitaires-pour-la-paix-en-turquie/">pétition des universitaires pour la paix</a> ont été accusés de terrorisme, victimes d’ostracisme professionnel, de poursuites judiciaires et de lynchage médiatique.</p>
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<p>Parmi eux, <a href="https://barisicinakademisyenler.net/node/314">549</a> universitaires ont été forcés de démissionner ou de prendre leur retraite, licenciés, révoqués et bannis de la fonction publique en vertu des décrets-lois. Le cas des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/06/turkiye-free-the-gezi-7/">« sept de Gezi »</a> est emblématique de la répression massive des droits humains dans le pays. Parmi eux, l’éditeur et mécène Osman Kavala, emprisonné en 2017, a été condamné à la prison à vie pour avoir organisé et financé les manifestations de Gezi en 2013, sans possibilité de libération conditionnelle <a href="https://www.ldh-france.org/la-turquie-doit-liberer-sans-delai-osman-kavala/">après avoir été injustement reconnu coupable de tentative de coup d’État</a>. Même s’il y a eu une décision de la Cour constitutionnelle turque le 26 juillet 2019 les acquittant, ces universitaires ont perdu leur emploi et ont été victimes de harcèlement dans leur milieu professionnel. De plus, l’<a href="https://science-societe.fr/soutien-aux-universitaires-turcs-pour-la-paix/">Agence nationale de recherche turque</a> bloque leurs publications. Les accusations pour terrorisme continuent, en particulier en lien avec la question kurde. Ainsi, en octobre 2021, l’écrivaine Meral Simsek est condamnée à un an et trois mois d’emprisonnement pour <a href="https://actualitte.com/article/107920/international/turquie-l-autrice-et-editrice-kurde-meral-simsek-condamnee-en-appel">« propagande en faveur d’une organisation terroriste »</a>.</p>
<p>Les menaces pèsent également sur des chercheurs installés en France. En 2019, le mathématicien <a href="https://aoc.media/entretien/2019/11/15/tuna-altinel-mon-proces-na-aucune-raison-detre/">Tuna Altinel</a>, enseignant-chercheur à l’Université Lyon 1, accusé de propagande terroriste pour avoir participé, à Villeurbanne, à une réunion publique sur les crimes de guerre de l’armée dans le Sud-Est du pays, a été arrêté en Turquie. Libéré au bout de trois mois, il n’a pu récupérer son passeport et rentrer en France qu’en juin 2021, à l’issue d’une longue bataille <a href="https://blogs.mediapart.fr/amities-kurdes-de-lyon/blog/240522/trois-ans-apres-les-persecutions-contre-tuna-altinel-continuent">qui n’est pas terminée à ce jour</a>.</p>
<p>Des centaines d’arrestations abusives, des acquittements prononcés – le plus souvent annulés en appel par la Cour de cassation –, des affaires rejugées malgré les recommandations de la <a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/country-monitoring/turkey">Cour européenne des droits de l’homme</a>, émaillent ce sombre tableau. Mais les nombreuses épreuves auxquelles chercheurs et chercheuses ont dû faire face ont renforcé leur solidarité, ainsi qu’en témoignent leurs récits rassemblés dans le <a href="https://www.amnesty.be/evenement/projection-debat-documentaire-living-truth-eylem">documentaire <em>Living in truth</em></a> d’Eylem Sen.</p>
<h2>Au nom de l’inconditionnalité de la liberté d’expression des chercheurs</h2>
<p>« En condamnant Pinar Selek, c’est à l’indépendance de la recherche en sciences sociales que s’attaque le gouvernement turc », titre une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/12/en-condamnant-pinar-selek-c-est-a-l-independance-de-la-recherche-en-sciences-sociales-que-s-attaque-le-gouvernement-turc_6134424_3232.html">tribune</a> d’un collectif d’universitaires parue dans <em>Le Monde</em> en juillet 2022. Le combat de Pinar Selek nous rappelle la vulnérabilité des chercheurs et chercheuses face aux attaques qu’ils et elles subissent dans de nombreux pays.</p>
<p>Les conférences et déclarations internationales réaffirment régulièrement la protection des libertés académiques, mais le maintien de celles-ci nécessite des combats permanents de la <a href="https://contrelarepressionenturquie.wordpress.com/">communauté universitaire</a> et elles ne sont, de fait, <a href="https://www.cairn.info/liberte-de-la-recherche--9782841749485-page-71.htm">jamais pérennes</a> : les étudiants, professeurs et chercheurs sont toujours au mieux suspectés ou menacés ; au pire arrêtés, torturés et tués, quand s’installent des pouvoirs forts auxquels ils refusent de se soumettre.</p>
<p>« Militante de la poésie », comme elle aime à se définir, Pinar Selek, qui est aussi l’autrice de romans et de contes pour enfants, fait l’objet d’une violence politique qui ne pourra être combattue que par la dénonciation et l’annulation de sa condamnation à perpétuité. Son combat sans relâche contre les injustices, les oppressions, les atteintes à la liberté académique aujourd’hui fragilisée en de <a href="https://academia.hypotheses.org/30191">nombreux endroits du monde</a>, illustre celui de tous les scientifiques menacés <a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-aux-prises-avec-de-nouvelles-menaces-171682">dans les pays autoritaires, mais aussi dans les démocraties</a>. Notre solidarité avec elle constitue plus qu’un devoir moral. Elle s’inscrit dans une lutte partagée au service de la liberté de la recherche et de l’exercice d’une citoyenneté qui doit plus que jamais s’affirmer comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/25/face-a-l-acharnement-du-pouvoir-turc-contre-la-sociologue-pinar-selek-les-pays-europeens-doivent-cesser-de-regarder-ailleurs_6166957_3232.html">transnationale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Erlich est membre du Comité de soutien Université Côte d'Azur à Pinar Selek</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fanny Jedlicki est présidente de l'ASES. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascale Laborier a reçu des financements de l'Institut Convergence Migrations .
Elle est membre du comité de parrainage du programme PAUSE</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvie Monchatre est membre du collectif lyonnais de solidarité avec Pinar Selek</span></em></p>La sociologue turque Pinar Selek, réfugiée en France, est persécutée dans son pays depuis 25 ans. Son cas est emblématique des répressions visant les universitaires en Turquie – et ailleurs.Valérie Erlich, Maîtresse de conférences de sociologie, URMIS (Unité de recherche Migrations et Société), CNRS, IRD, Université Côte d’AzurFanny Jedlicki, Maîtresse de conférences de sociologie, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Innovations Sociétales (LIRIS), Université Rennes 2Pascale Laborier, Professeure de science politique, Institut des sciences sociales du politique (ISP), Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresSylvie Monchatre, Professeure de sociologie, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957492023-01-08T16:43:11Z2023-01-08T16:43:11Z« L’envers des mots » : Clivant <p><em>À mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies, notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ? De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », les chercheurs de The Conversation s’arrêtent deux fois par mois sur l’un de ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p>
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<p>Dans les dictionnaires usuels, l’adjectif <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/clivant/10910991">« clivant »</a> se définit comme « ce qui divise profondément l’opinion ». Ce sens aujourd’hui dominant a éclipsé le sens strict du verbe « cliver » qui désignait à l’origine une technique, et même un art : celui de fendre un diamant ou un minerai cristallisé « selon le sens de ses couches lamellaires », comme le précise le dictionnaire en ligne du Centre National de Ressources textuelles et lexicales (<a href="https://www.cnrtl.fr/">CNRTL</a>).</p>
<p>L’artisan doté de ce savoir-faire sur une matière première très précieuse était appelé « cliveur ». On retrouvait donc cette famille de mots techniques dans le <em>Dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers</em>, autrement dit <em>L’Encyclopédie</em> dirigée par Diderot et d’Alembert au temps des Lumières.</p>
<p>Apparu beaucoup plus tard, « clivant » est doté d’un sens sociopolitique n’ayant plus de rapport avec le vocabulaire matérialiste des diamantaires flamands. Plus qu’un mot, il est même devenu un véritable trope, une figure de style caractéristique de cet idiome des médias que le linguiste Gérard Genette nommait le <a href="https://www.la-nouvelle-quinzaine.fr/mode-lecture/gerard-genette-ou-les-saveurs-de-l-alphabet-140">médialecte</a>. En 2012, dans la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/04/clivant_1638963_3232.html">chronique « Juste un mot »</a> du <em>Monde</em>, le journaliste Didier Pourquery relatait sa diffusion rapide et quasi contagieuse dans la bouche des journalistes politiques. Notons que les deux exemples donnés alors de sujets considérés comme « clivants », l’Europe et la laïcité sont toujours à l’agenda dix ans plus tard.</p>
<p>L’envers de ce mot diabolique est qu’il se présente comme une étiquette descriptive et que son usage public s’avère d’une efficacité d’autant plus forte que celle-ci est estompée par le halo d’attitude protectrice qui la nimbe. Des propos « clivants » pourraient en effet susciter le malaise dans l’opinion soudain magiquement réunifiée : la vigilance est donc de rigueur ! Sur un plan plus général, « clivant » représente un acte de discours qui modifie la réalité, ce que l’on qualifie de <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/quand-dire-c-est-faire-john-langshaw-austin/9782020125697">performatif</a> en linguistique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-et-si-on-faisait-de-lecole-un-laboratoire-didees-172996">Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ?</a>
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<p>Voyons cela de plus près. « Clivant » opère en effet une mise en garde quasi sanitaire à propos de certains discours tout en souscrivant à la protection du bien public démocratique le plus précieux : la libre expression des opinions. De fait, l’étiquette « clivant » une fois qu’elle est attribuée à des auteurs heurtant des conceptions dominantes, ou à propos de questions dites aussi « vives » ou « sensibles » comme l’immigration, l’identité nationale ou l’islamophobie, revient à signaler un danger à l’opinion publique. La nature du danger restant tacite, l’alarme propage son potentiel anxiogène dans l’opinion ainsi interpellée.</p>
<p>Cette efficacité performative redoutable révèle à la réflexion un sérieux paradoxe. En effet, la démocratie étant par essence le régime reconnaissant la pluralité des opinions et protégeant la liberté d’expression tant qu’elle s’exerce dans le cadre de la loi, la suspicion à l’égard de discours qui respectent a priori les règles du débat n’aurait pas lieu d’être, si l’on se fonde sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 août 1789.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-la-pandemie-a-t-elle-eu-raison-de-lesprit-des-lumieres-152593">Débat : La pandémie a-t-elle eu raison de l’esprit des Lumières ?</a>
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<p>Car cela reviendrait alors à décider d’autorité, en dehors de toute loi établie et de toute instance légitime, en référence à un consensus aussi mythique que fallacieux, quels sont les discours jugés audibles et quels sont ceux qui ne le sont pas, comme y tendent les cas borderline suspects regroupés dans la catégorie « clivant ».</p>
<p>L’hypothèse de l’existence d’une norme idéologique tacite sous-tendant l’espace discursif public dont « clivant » serait l’expression codée et l’opérateur reviendrait donc à reconnaître l’exercice d’une censure morale dans le domaine de l’expression des idées et des convictions, ce qui contrevient radicalement aux principes de notre culture démocratique.</p>
<p>Ce qui vient à l’appui de cette hypothèse préoccupante est le glissement récent de « clivant » appliqué à des personnes et non plus à leurs propos publics. En effet, la controverse perd son sens même lorsque cette qualification est attribuée a priori à des intellectuels et des représentants du monde académique invités à s’exprimer. Aussi aurions-nous affaire à travers cet abus de mot non seulement à un dévoiement du débat sous influence de la culture du clash, mais à son empêchement sans violence apparente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195749/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle de Mecquenem ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Derrière l'usage de plus en plus fréquent de l'adjectif « clivant », assisterait-on à un dévoiement de la notion même de débat, sous l'influence de la culture du clash ?Isabelle de Mecquenem, Professeur de philosophie, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963712022-12-15T18:18:52Z2022-12-15T18:18:52ZLe football iranien, la Coupe du monde et la révolte<p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi pesant que l’Iran cette année.</p>
<p>Le football est très populaire en Iran, où il a supplanté la lutte, qui fut longtemps le sport national. Son organisation est <a href="https://www.academia.edu/20492477/football_en_Iran_un_re_ve_lateur_des_tensions_au_sein_de_la_socie_te_">fortement tributaire de l’idéologie politique dominante</a>. On a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines : la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde organisée au Qatar s’est déroulée dans un contexte marqué par le soulèvement en cours dans le pays, et le comportement des joueurs était scruté par les observateurs du monde entier.</p>
<p>Si certains d’entre eux ont cherché à exprimer leur soutien à leurs compatriotes révoltés contre le régime, ils ont rapidement été contraints de mettre leurs critiques en sourdine. Retour sur la place du football dans la République islamique, et sur les enseignements d’une compétition qui, pour les Iraniens, n’aura pas été comme les autres.</p>
<h2>Une passion nationale surveillée de près par le régime</h2>
<p>Pendant les années qui suivirent la révolution islamique de 1979, ponctuées par la longue guerre contre l’Irak (1980-1988), la crispation et le rejet de l’ordre international dominèrent la scène politique et sportive.</p>
<p>À partir des années 1995, une ouverture se profile. L’équipe nationale d’Iran se qualifie pour la Coupe du monde en 1998 (ce qui ne lui était plus arrivé depuis 1978), puis pour celles de 2006, 2014, 2018 et 2022. Malgré cette reprise des compétitions internationales, le pouvoir islamique continue d’exercer son influence sur le football : les stades, où se déroulent des compétitions d’hommes, sont <a href="https://www.letemps.ch/sport/iran-femmes-restent-aux-portes-stades">interdits aux femmes</a> (cette interdiction a duré 43 ans et <a href="https://edition.cnn.com/2022/08/26/football/iran-women-domestic-football-attendance-intl-spt/index.html">ce n’est qu’en août 2022 qu’elle a été suspendue</a>) ; la pratique féminine du football fait l’objet de controverses et ce n’est qu’en 2005 qu’est créée une équipe nationale féminine dont les membres ne peuvent cependant <a href="https://www.20minutes.fr/sport/966823-20120705-fifa-autorise-port-voile-feminin-pendant-matchs">jouer qu’entièrement couvertes</a>, y compris dans la chaleur de l’été.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">Le contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran</a>
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<p>Autres signes de cette inféodation au pouvoir politique : les stades où peuvent s’exprimer des revendications autonomistes (par exemple à Tabriz, dans la province d’Azerbaïdjan) sont étroitement surveillés ; et après la performance décevante de l’équipe nationale de football au Mondial de 2006 en Allemagne, le président de la fédération est démis de ses fonctions par le gouvernement. Cette mesure, symbolisant l’inféodation du sport au pouvoir politique, suscita les protestations de la FIFA qui <a href="https://www.tehrantimes.com/news/132164/FIFA-suspends-Iran-Football-Federation">suspendit temporairement la fédération iranienne de football en novembre 2006</a>, jusqu’à ce qu’une solution conforme aux statuts de la fédération internationale fût trouvée (ce qui <a href="https://www.hindustantimes.com/india/blatter-defends-iran-s-reinstatement-in-football/story-yqGKmGBC4Ls3wdldPaoE7J_amp.html">fut le cas en décembre 2006</a>).</p>
<p>Par ailleurs, des joueurs recrutés par des clubs étrangers et ayant accepté de disputer un match contre une équipe israélienne ont été <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/2017/08/10/27001-20170810ARTFIG00159-l-iran-radie-deux-joueurs-qui-ont-joue-contre-des-israeliens.php">sanctionnés par le gouvernement</a> ; d’autres ont été rappelés à l’ordre en raison de leur tenue : vêtements trop près du corps, <a href="https://www.eurosport.fr/football/coupedumonde/2006/karimi-sort-de-l-ombre_sto902981/story.shtml">coiffure en queue de cheval</a>…</p>
<p>Le football est donc un sujet éminemment politique, y compris pour les joueurs, <em>a fortiori</em> s’ils évoluent ou ont évolué à l’étranger et connu un autre régime politique. Ainsi, en juin 2009, pendant le match qualificatif contre la Corée du Sud, plusieurs joueurs, dont Ali Karimi – « le Maradona de l’Asie », qui avait joué au Bayern Munich – <a href="https://www.rtl.be/sport/football/football-etranger/plusieurs-joueurs-portent-un-bracelet-vert-lors-d-un-match-de-l-iran-481550.aspx">portèrent un bracelet vert</a> en signe de protestation contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejâd et de soutien au <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">« mouvement vert »</a> – une grande vague de contestation déclenchée après le scrutin. À leur retour en Iran, ces joueurs furent exclus à vie de leurs clubs par les autorités iraniennes mais réintégrés après une intervention de la FIFA. Ces exclusions-réintégrations <a href="https://www.sofoot.com/quand-l-iran-est-passe-chez-sosha-215025.html">rythment la vie footballistique en Iran</a>, et la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde au Qatar, en pleine révolte contre le régime de Téhéran, a évidemment été un événement particulièrement chargé de sens de ce point de vue.</p>
<h2>L’équipe nationale à la Coupe du Monde : soutien initial à la révolte, puis silence</h2>
<p>La politisation du sport est intensément plus vive et plus visible depuis que l’Iran est en proie aux manifestations déclenchées en réaction au tabassage à mort dans un commissariat de Téhéran, le 16 septembre 2022, de Mâhsâ Amini, qui avait été interpellée par la police des mœurs pour port incorrect du voile.</p>
<p>Le 27 septembre, à l’occasion d’un match amical contre le Sénégal en Autriche, les joueurs de l’équipe iranienne, dissimulant leur maillot sous une parka noire, refusèrent de chanter l’hymne national de la République islamique, <em>Sorud·e melli-ye jomhuri-ye eslâmi-ye Irân</em>.</p>
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<p>Sardâr Âzmoun, la vedette qui joue au Bayer Leverkusen, fut probablement le promoteur de cette initiative. Peu avant, il avait écrit sur son compte Instagram :</p>
<blockquote>
<p>« La [punition] ultime est d’être expulsé de l’équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d’une femme iranienne. Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n’ai pas peur d’être évincé. Honte à vous d’avoir si facilement tué le peuple et vive les femmes d’Iran. Si ces assassins sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle. »</p>
</blockquote>
<p>Cette prise de position courageuse n’entraîna pas l’exclusion d’Âzmoun, à la suite des interventions de la FIFA et de <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-les-joueurs-iraniens-ont-le-droit-de-s-exprimer-affirme-queiroz-20221115">Carlos Queiroz</a>, le sélectionneur de l’équipe. Toujours est-il que, contraints ou non, les joueurs <a href="https://fr.irna.ir/news/84943122/Le-pr%C3%A9sident-Ra%C3%AFssi-a-re%C3%A7u-les-membres-de-l-%C3%A9quipe-d-Iran-avant">serrèrent la main</a> du président conservateur, adepte de la répression, Ebrâhim Raïssi, avant leur départ pour le Qatar, tandis que le Guide suprême, Ali Khâmene’i, déclarait que l’équipe « ne devait pas manquer de respect » à l’Iran.</p>
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<p>Le 21 novembre, cependant, alors que la répression ne cessait de croître, l’équipe ne chanta pas l’hymne national avant le match contre l’Angleterre (2-6) et plusieurs joueurs manifestèrent leur solidarité avec les insurgés. La veille, en <a href="https://www.bbc.com/sport/football/63696125">conférence de presse</a>, le défenseur Ehsân Hâjsafi exprima ses condoléances aux familles des personnes tuées et dit espérer « que les conditions changeront selon les attentes des gens ».</p>
<p>L’équipe se fit plus discrète lors des matchs suivants : en ouverture d’Iran-Pays de Galles (2-0), et d’Iran-États-Unis (0-1), elle chanta l’hymne national et les joueurs ne s’exprimèrent plus sur les réseaux sociaux à propos du mouvement de révolte. Craignaient-ils des représailles à leur retour, contre eux et contre leur famille ? Sans doute. <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/11/30/coupe-du-monde-2022-dans-un-climat-suffocant-les-etats-unis-eliminent-l-iran_6152253_3242.html"><em>Le Monde</em> rapporte</a> que le dernier match fut beaucoup plus contrôlé, par des agents iraniens en particulier, que les précédents. Devant le stade, des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/iran-etats-unis-echauffourees-entre-supporters-iraniens-a-l-issue-du-match_AV-202211300046.html">échauffourées</a> éclatèrent entre partisans et opposants au régime. Des opposants furent frappés à la sortie du stade et un journaliste danois a été pris à partie par des supporters pro-régime alors qu’il les filmait attaquant des partisans du mouvement de contestation ; les forces de sécurité qataries <a href="https://www.independent.co.uk/tv/news/world-cup-qatar-police-denmark-iran-b2237116.html">l’ont brièvement arrêté</a> – le Qatar entretient de bonnes relations avec l’Iran – et lui ont demandé d’effacer la séquence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des heurts entre supporters iraniens en marge de la Coupe du monde (France 24, 30 novembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Les défaites de l’Iran suscitèrent des <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221130-manifestations-de-joie-en-iran-apr%C3%A8s-l-%C3%A9limination-de-la-s%C3%A9lection-nationale-du-mondial">manifestations de joie</a> dans plusieurs villes du pays. L’équipe nationale n’était-elle pas le symbole de la République islamique ? Mais il n’est pas sûr que dans un pays aussi patriote que l’Iran la défaite ait engendré une satisfaction unanime.</p>
<h2>Les leçons du Mondial</h2>
<p>L’attitude de l’équipe iranienne et les réactions qu’elle a suscitées illustrent le dilemme auquel est confrontée aujourd’hui la majorité de la population : se taire, exécuter les ordres… ou se rebeller au risque d’être sanctionné, emprisonné, <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20221212-r%C3%A9pression-en-iran-deuxi%C3%A8me-ex%C3%A9cution-li%C3%A9e-aux-manifestations">tué</a>. Certains assument, avec un courage exemplaire, leur révolte contre ce régime inique et répressif. Le gouvernement a ainsi c<a href="https://teknomers.com/fr/la-maison-de-lex-star-du-bayern-confisquee/">onfisqué la maison</a> que possédait à Téhéran Ali Karimi, désormais installé à Dubai, et qui soutient, comme par le passé, les manifestations et protestations contre l’État islamique.</p>
<p>Quant à Ali Daei, la grande gloire footballistique nationale, longtemps meilleur buteur, à l’échelle internationale, de l’histoire du football, il a décidé de <a href="https://www.sofoot.com/ali-daei-ne-se-rendra-pas-au-qatar-en-soutien-aux-manifestations-en-iran-521521.html">ne pas se rendre au Qatar</a> pour protester, à Téhéran même, contre la « répression meurtrière » des autorités iraniennes. Menacé à plusieurs reprises, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1320475/mise-sous-scelles-de-la-bijouterie-et-du-restaurant-dun-footballeur-contestataire.html">Daei a vu sa bijouterie et son restaurant placés sous scellés</a>, « à la suite de sa coopération avec des groupes contre-révolutionnaires » selon l’agence officielle Isna. </p>
<p>Et n’oublions pas, tout en risquant d’être incomplet, Voriâ Ghafouri, qui est kurde comme Mâhsâ Amini et est l’ancien capitaine d’Esteghlâl, un des deux clubs phares de Téhéran, qu’il fut contraint de quitter en raison de ses prises de position ; il dut rejoindre Fulâd, un club du Khouzistan, où <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221125-iran-arrestation-du-c%C3%A9l%C3%A8bre-footballeur-voria-ghafouri-critique-du-pouvoir">il a été arrêté</a>, le 24 novembre, « pour s’être livré à de la propagande contre l’État ». Décidément, le pouvoir islamique n’en a pas fini avec la mise au pas de ses footballeurs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bromberger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi lourd que l’Iran cette année.Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1946002022-11-21T19:34:15Z2022-11-21T19:34:15ZQu’est-ce que Mastodon ? Un expert des médias sociaux explique pourquoi ce n’est pas le nouveau Twitter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496465/original/file-20221121-25-3qwgv9.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C915%2C601&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mastodon est-il l'eldorado des déçus de Twitter?</span> <span class="attribution"><span class="source">Davide Bonaldo/SOPA Images/LightRocket via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>À la suite de la prise de contrôle bruyante de Twitter par Elon Musk, nombreux sont ceux qui ont cherché des alternatives à la plate-forme de microblogging de <a href="https://abcnews.go.com/Business/hate-speech-increased-twitter-elon-musk-takeover-study/story?id=92445797">plus en plus toxique</a>. Beaucoup se sont tournés vers <a href="https://joinmastodon.org/">Mastodon</a>, qui a attiré des <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-11-07/mastodon-struggles-to-keep-up-with-surge-of-new-users-fleeing-twitter">centaines de milliers de nouveaux utilisateurs</a> depuis le rachat de Twitter.</p>
<p>À l’instar de Twitter, Mastodon permet aux utilisateurs de publier des messages, de suivre des personnes et des organisations, d’aimer et de rediffuser les messages des autres.</p>
<p>Mais si Mastodon prend en charge un grand nombre de fonctions identiques à celles que Twitter propose, il ne s’agit pas d’une plate-forme unique. Il s’agit plutôt d’une fédération de <a href="https://instances.social/">serveurs interconnectés</a> et gérés indépendamment. Les serveurs Mastodon sont basés sur un <a href="https://opensource.com/resources/what-open-source">logiciel libre</a> développé par l’organisation allemande à but non lucratif <a href="https://joinmastodon.org/de/about">Mastodon gGmbH</a>. Les serveurs Mastodon interconnectés, ainsi que les autres serveurs qui peuvent « parler » aux serveurs Mastodon, sont collectivement appelés le <a href="https://www.fediverse.to/">« fédiverse »</a>.</p>
<h2>Mastodon U</h2>
<p>Un aspect clé du « fédiverse » est que chaque serveur est régi par des règles établies par les personnes qui le gèrent. Si vous considérez le « fediverse » comme une université, chaque serveur Mastodon est comme un dortoir.</p>
<p>Le dortoir dans lequel vous êtes initialement assigné peut être quelque peu aléatoire, mais il influence profondément le type de conversations auxquelles vous accédez et les relations que vous établissez. Vous pouvez toujours interagir avec les personnes qui vivent dans d’autres dortoirs, mais les chefs et les règles de votre dortoir déterminent ce que vous pouvez faire.</p>
<p>Si vous n’êtes pas satisfait de votre résidence, vous pouvez déménager dans une autre résidence – une sororité, un appartement – qui vous convient mieux, et vous emmenez vos relations avec vous. Mais vous êtes alors soumis aux règles du nouvel endroit où vous vivez. Il existe des centaines de serveurs Mastodon, appelés instances, où vous pouvez créer votre compte, et ces instances ont des règles et des normes différentes concernant les personnes qui peuvent s’y joindre et le contenu autorisé.</p>
<p>À l’inverse, les plates-formes de médias sociaux comme Twitter et Facebook placent tout le monde dans un seul et gigantesque dortoir. Au fur et à mesure que des millions ou des milliards de personnes se sont inscrites, les entreprises qui gèrent ces plates-formes ont ajouté des étages et des chambres. Tout le monde peut communiquer et, théoriquement, participer aux conversations des autres au sein du dortoir, mais tout le monde doit aussi vivre selon les mêmes règles.</p>
<p>Si vous n’aimiez pas ou ne suiviez pas les règles, vous deviez quitter le méga-dortoir, mais vous ne pouviez pas apporter vos relations avec vous dans votre nouveau logement – une plate-forme de médias sociaux différente – ou parler aux personnes qui étaient restées dans votre méga-dortoir initial. Ces plates-formes ont exploité la peur de manquer une information pour enfermer les gens dans un dortoir <a href="https://apnews.com/article/media-data-privacy-social-media-6a66d543701f0c792eaf8907e34a7a52">hautement surveillé</a> où leur comportement, par ailleurs privé, était exploité <a href="https://consumerfed.org/consumer_info/factsheet-surveillance-advertising-what-is-it/">pour vendre des publicités</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Capture d’écran d’une application de microblogging" src="https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494738/original/file-20221110-19-xykzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mastodon prend en charge toutes les fonctions habituelles des médias sociaux : poster, liker, reposter et suivre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/13/Mastodon_Single-column-layout.png">Eugen Rochko/Wikimedia</a></span>
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</figure>
<h2>Encourager les comportements vertueux</h2>
<p>Les grandes entreprises de médias sociaux vendent des publicités pour payer deux services principaux : l’infrastructure technique du matériel et des logiciels qui permet aux utilisateurs d’accéder à la plate-forme, et l’infrastructure sociale de la convivialité, de la politique et de la modération du contenu qui maintient la plate-forme en conformité avec les attentes et les règles des utilisateurs.</p>
<p>Dans la collection de serveurs Mastodon, si vous n’aimez pas ce que fait quelqu’un, vous pouvez couper les liens et passer à un autre serveur tout en conservant les relations que vous avez déjà établies. Cela élimine la crainte de manquer quelque chose qui pourrait enfermer les utilisateurs dans un serveur où ils devraient supporter le mauvais comportement d’autres personnes.</p>
<p>Il y a quelques facteurs qui devraient mettre les serveurs Mastodon sous forte pression pour modérer activement et de manière responsable le comportement de leurs membres. Tout d’abord, la plupart des serveurs ne veulent pas que les autres serveurs coupent complètement les liens, il y a donc une forte pression de réputation pour contrôler le comportement des membres et ne pas tolérer les trolls et les harceleurs.</p>
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<p>Deuxièmement, les gens peuvent migrer entre les serveurs relativement facilement, de sorte que les administrateurs de serveurs peuvent rivaliser pour offrir la meilleure expérience de modération, celle qui attire et retient les gens.</p>
<p>Troisièmement, les coûts techniques et financiers de la création d’un nouveau serveur sont beaucoup plus importants que les coûts de modération d’un serveur. Cela devrait limiter le nombre de nouveaux serveurs qui apparaissent pour échapper aux interdictions, ce qui éviterait le défi sans fin des comptes de spam et de trolls auquel les grandes plates-formes de médias sociaux doivent faire face.</p>
<h2>Un modèle qui comporte des défauts</h2>
<p>Le modèle de serveur fédéré de Mastodon présente également des inconvénients potentiels. Tout d’abord, il peut être difficile de trouver un serveur à rejoindre sur Mastodon, surtout lorsqu’un flot de personnes essayant de trouver des serveurs entraîne la création de listes d’attente, et que les règles et les valeurs des personnes qui gèrent un serveur ne sont pas toujours faciles à trouver.</p>
<p>Ensuite, il y a des défis financiers et techniques importants à relever pour maintenir des serveurs qui grandissent avec le nombre de membres et leur activité. Une fois la lune de miel terminée, les utilisateurs de Mastodon doivent se préparer à payer des frais d’adhésion, à participer à des campagnes de collecte de fonds ou à voir des publicités promotionnelles pour couvrir les coûts d’hébergement des serveurs, qui peuvent atteindre plusieurs centaines de dollars par mois et par serveur.</p>
<p>Malgré les appels lancés aux journaux, aux universités et aux gouvernements pour qu’ils hébergent leurs propres serveurs, il existe des questions juridiques et professionnelles compliquées qui pourraient sérieusement limiter les capacités des institutions publiques à modérer efficacement leurs « dortoirs ». Les sociétés qui disposent de leurs propres méthodes de vérification et de codes de conduite et établis pourraient être mieux équipées pour héberger et modérer les serveurs Mastodon que d’autres types d’institutions.</p>
<p>Autre problème, l’actuelle « option nucléaire » des serveurs qui coupent complètement les liens avec d’autres serveurs laisse peu de place à la réparation des relations et au réengagement. Une fois le lien entre deux serveurs rompu, il est difficile de le renouer. Cette situation pourrait entraîner des migrations d’utilisateurs déstabilisantes et renforcer les chambres d’écho polarisantes.</p>
<p>Enfin, il existe des tensions entre les utilisateurs de longue date de Mastodon et les nouveaux venus autour des avertissements de contenu, des hashtags, de la visibilité des messages, de l’accessibilité et du ton qui diffèrent de ce qui était populaire sur Twitter.</p>
<p>Malgré l’effondrement de Twitter et les problèmes persistants avec les principales plates-formes de médias sociaux, pour beaucoup de gens, le nouveau pays de Mastodon et du « fédiverse » n’est pas forcément idéal.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194600/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brian C. Keegan reçoit des fonds de la National Science Foundation.</span></em></p>L’agitation qui règne sur Twitter a poussé de nombreuses personnes à se tourner vers une alternative, Mastodon.Brian C. Keegan, Assistant Professor of Information Science, University of Colorado BoulderLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1946972022-11-20T16:00:35Z2022-11-20T16:00:35ZA-t-on le droit de s’exprimer contre son entreprise ? La justice semble hésiter<p>Deux affaires très récentes semblent se contredire à première vue. La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045940143">première</a>, tranchée par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 15 juin dernier, est venue confirmer le licenciement pour cause réelle et sérieuse d’une employée ayant tenu, hors de l’entreprise et en présence de tiers, des propos dénigrant contre son employeur. La <a href="https://www.courdecassation.fr/decision/632bfcdd6ed81805da0b014f#">seconde</a>, jugée par la même chambre le 21 septembre, invalide celui d’un salarié qui avait remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique au cours d’une réunion interne. Quand bien même cela eut des effets sur la santé de cette dernière.</p>
<p>Que cela signifie-t-il en termes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/liberte-dexpression-26784">liberté d’expression</a> du salarié ? Notre analyse en comprend qu’il faut rappeler la distinction qui existe entre le droit d’expression individuel et collectif du salarié dans le cadre d’une réunion et la liberté individuelle d’expression en dehors de l’entreprise. Les juges protègent de manière très étendue le droit d’expression, y compris celui de contestation directe des directives du manager, lorsque le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/salaries-51494">salarié</a> se trouve en réunion ; ils condamnent en revanche l’abus de liberté d’expression, y compris dans un cadre non professionnel.</p>
<p>Il s’en déduit que droit d’expression et liberté d’expression ont des champs d’application différents mais aussi que le principe de loyauté auquel le salarié est tenu envers son employeur, s’en trouve d’autant plus variable. Car ce qui est remarquable est que ces mêmes juges tendent à <a href="https://theconversation.com/jusquou-peut-aller-la-liberte-dexpression-des-salaries-sur-les-reseaux-sociaux-112260">protéger les propos tenus par le salarié sur les réseaux sociaux</a>, objet de nos <a href="https://www.annales.org/gc/2017/gc130/2017-12-06.pdf">travaux</a>, mais ne tolèrent pas des propos équivalents tenus en dehors des réseaux sociaux. Dans les deux cas, on se trouve pourtant hors de l’entreprise. Pour l’entreprise et pour le salarié, l’encadrement de cette liberté, ou la protection de celle-ci semblent ainsi devenir incertaines.</p>
<h2>S’exprimer en réunion, un droit très étendu</h2>
<p>Revenons sur les principes sous-jacents. Légalement, le droit d’expression individuel au sein de l’entreprise émane d’une logique distincte de la liberté d’expression. Le premier a un fondement légal ; la seconde, constitutionnel.</p>
<p>Le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000035653316/">droit d’expression</a> des salariés sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail provient ainsi du code du travail qui dispose que les opinions qu’ils émettent dans l’exercice de ce droit ne peuvent <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006901827/2022-11-15">pas motiver une sanction ou un licenciement</a>. C’est ce qui a été appliqué par la Cour de cassation le 21 septembre.</p>
<p>Dans cette affaire, un salarié a remis en cause les directives de sa supérieure hiérarchique en présence de la direction générale et de plusieurs salariés. Il aurait même tenté d’imposer au directeur général un désaveu public de sa supérieure. Deux jours plus tard, le médecin du travail a constaté l’altération de l’état de santé de celle-ci. L’employeur décide alors de licencier le salarié pour faute simple, licenciement que le salarié a contesté.</p>
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<p>Un acte d’insubordination et un dénigrement de la part du salarié à l’égard de sa manager constitutifs d’un motif réel et sérieux de licenciement ? Pas pour la Cour de cassation qui estime, au contraire, que le droit d’expression directe et collective du salarié doit ici être protégé. Elle considère que le salarié alertait son auditoire sur « la façon dont sa supérieure hiérarchique lui demandait d’effectuer son travail, qui allait à l’encontre du bon sens et surtout lui faisait perdre beaucoup de temps et d’énergie, ce qui entraînait un retard dans ses autres tâches et celles du service comptabilité fournisseurs pour le règlement des factures ».</p>
<p>Par ce droit institué par les lois Auroux de 1982, il s’agit, d’après une <a href="https://blog.osezvosdroits.com/wp-content/uploads/2017/04/circulaire-DRT-n%C2%B0-3-du-4-mars-1986.pdf">circulaire</a> adressée par le ministère du Travail aux directions régionales le 4 mars 1986, de permettre à chacun des salariés de s’exprimer en tant que membre d’une collectivité de travail au-delà du rapport salariat-hiérarchie.</p>
<p>Encadrée par le principe de loyauté auquel le salarié est tenu, l’appréciation de ce droit diffère selon le contexte. L’expression relative aux conditions de travail revêt par exemple une importance capitale dans la recherche de l’équilibre des nécessités de l’entreprise et de la santé des salariés. La dernière jurisprudence montre toutefois que ce droit est en fait très étendu.</p>
<h2>Des obligations à tenir hors de l’entreprise</h2>
<p>Consacrée au sein de l’article 11 de la <a href="https://www.education.gouv.fr/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-du-26-ao%C3%BBt-1789-10544#:%7E:text=Art.,Art.">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>, la liberté d’expression comprend, elle, la « libre communication des pensées et des opinions » et conduit à consacrer le droit de « parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».</p>
<p>Que dit par conséquent la loi sur les salariés en entreprise ? D’après le Code du travail, il ne peut être apporté aux droits et libertés des personnes « de restrictions qui ne seraient pas <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006900785">justifiées</a> par la nature de la tâche à accomplir ni <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006900785">proportionnées</a> au but recherché ». Il précise également que le contrat de travail doit être exécuté de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006900858">« bonne foi »</a>, d’où les juges ont déduit une <a href="https://www.village-justice.com/articles/obligation-loyaute-salarie,29556.html">obligation de loyauté</a> du salarié : il ne doit pas agir de façon à porter préjudice à son employeur.</p>
<p>L’appréciation des juges semble ici plus restrictive. D’après l’arrêt rendu en juin, cette obligation s’étend jusque dans la sphère non professionnelle et l’exercice de la liberté d’expression peut y déboucher sur un licenciement pour faute.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jusquou-peut-aller-la-liberte-dexpression-des-salaries-sur-les-reseaux-sociaux-112260">Jusqu’où peut aller la liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux ?</a>
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<p>Lors d’un évènement qualifié de divertissement familial, une salariée rencontre un de ses collègues, peintre en bâtiment. Ce dernier était accompagné de deux personnes, étrangères à l’entreprise. La salariée aurait critiqué leurs employeurs communs en énonçant qu’ils tenaient à l’égard du salarié peintre des propos, blessants et humiliants. Il serait « le plus mauvais peintre qu’ils avaient pu avoir dans l’entreprise ». En ayant eu vent, la direction a licencié pour cause réelle et sérieuse ladite salariée.</p>
<p>Au tribunal, les employeurs contestaient notamment avoir tenu de tels propos et la salariée n’en a pas rapporté la preuve. Selon les juges, une telle affirmation publique a constitué un dénigrement caractéristique d’une diffamation. La Cour de cassation en déduit un abus par la salariée de sa liberté d’expression et un manquement à son obligation de loyauté. Dès lors, son licenciement pour faute grave a été justifié.</p>
<h2>Contradiction ?</h2>
<p>Il ressort de la comparaison de ces deux récentes affaires que les libertés sont différemment appréciées selon qu’elles consistent à s’exercer en cours de réunion sur les conditions de travail en entreprise ou selon qu’elles concernent les critiques émises en dehors de l’entreprise sur le comportement de l’employeur. Le droit d’expression individuelle ou collective comprend la contestation des méthodes de travail.</p>
<p>Ce droit ne saurait déboucher sur une sanction disciplinaire, le salarié étant considéré comme membre de la collectivité de travail. En revanche, la liberté d’expression individuelle ne peut avoir pour effet de porter atteinte de manière démesurée à la dignité de l’employeur, y compris en dehors du travail, ce qui rend le licenciement justifié.</p>
<p>Par conséquent, le principe de loyauté comporte une variabilité selon les circonstances, en sachant par ailleurs que les propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux font l’objet d’une protection importante. De quoi apporter certaines incertitudes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194697/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brigitte Pereira ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le droit d’expression du salarié en entreprise se distingue de la liberté individuelle d’expression : le principe de loyauté est ainsi diversement apprécié selon les circonstances.Brigitte Pereira, Professeur de droit du travail, droit pénal des affaires et droit des contrats, HDR, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942172022-11-14T16:57:04Z2022-11-14T16:57:04ZEn voulant « libérer » l’expression sur Twitter, Elon Musk poursuit en vain une utopie dépassée<p>Après plus de six mois de péripéties qui ont jusqu’au dernier moment laissé planer le doute sur l’issue de ce processus, Elon Musk a pris le contrôle de Twitter le 27 octobre dernier. Les <a href="https://www.sudouest.fr/sciences-et-technologie/twitter-apres-six-mois-de-negociations-le-milliardaire-elon-musk-prend-le-controle-du-reseau-et-licencie-son-patron-12770730.php">soubresauts et revirements</a> qui ont caractérisé la phase d’acquisition de la plate-forme préfigurent-ils ce que sera désormais le quotidien de l’entreprise ?</p>
<p>Comme il l’a sans cesse répété, le nouveau propriétaire des lieux compte « rétablir » la liberté d’expression sur la plate-forme : il l’a réitéré dès qu’il a pris les commandes, dans un tweet proclamant que <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1585841080431321088">« l’oiseau est libre »</a>.</p>
<p>Pourtant, il réalise d’ores et déjà que sa marge de manœuvre dans ce domaine est, en fait, très limitée.</p>
<h2>Réseau social et modération sont indissociables</h2>
<p>Si elle se met en place comme souhaité par celui qui, le Jour J, se décrivait comme « Chief Twit » sur son profil Twitter, cette politique non interventionniste ne serait en réalité pas fondamentalement nouvelle pour la plate-forme : il s’agirait plutôt d’un retour aux sources, remontant à une époque où l’entreprise de l’oiseau bleu, dans la naïveté et l’idéalisme de ses jeunes années, se décrivait comme « <a href="https://twitter.com/tonyw/status/1318198195302801409?lang=en">l’aile en faveur de la liberté d’expression, au sein du parti de la liberté d’expression</a> ».</p>
<p>Or, si Twitter s’est progressivement écarté de cette posture initiale, c’est précisément parce qu’elle n’était pas tenable.</p>
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<p>Dans son ouvrage <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300261431/custodians-of-the-internet/"><em>Custodians of the Internet</em></a>, qui fait référence dans le domaine, le chercheur Tarleton Gillespie n’hésite pas à présenter la modération comme consubstantielle (« essentielle, constitutionnelle, définitionnelle ») aux plates-formes numériques : ce serait donc méconnaître leur nature même que de prétendre réduire cette activité à sa plus simple expression. Membre du Conseil Confiance et Sécurité (<em>Trust and Security Council</em>) de Twitter, la juriste Danielle Citron n’a pas exprimé autre chose lorsqu’elle a <a href="https://twitter.com/daniellecitron/status/1588163681791213568">interpelé</a> Elon Musk sur ce sujet, sur la plate-forme elle-même.</p>
<p>L’expérience confirme l’écart béant entre les promesses d’une expression sans garde-fous avancées par certaines plates-formes à leurs débuts et les pratiques qui finissent par prendre forme sur celles-ci. Créées au cours des dernières années, les plates-formes <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/2828779-20200725-quoi-reseau-social-parler-nouveau-repaire-extreme-droite">Parler</a>, <a href="https://www.pesesurstart.com/2022/02/23/gettr-ou-comment-un-reseau-social-sans-filtres-ni-moderateurs-est-impossible-1">Gettr</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/10/13/truth-social-le-reseau-social-de-donald-trump-devient-telechargeable-dans-la-boutique-google_6145560_4408996.html">Truth Social</a>, s’étaient d’emblée présentées comme étant un refuge pour la liberté d’expression. Dans les faits, elles se sont rapidement converties à un <a href="https://www.techdirt.com/2022/08/03/study-says-trumps-truth-social-is-much-more-aggressive-and-much-more-arbitrary-in-moderating-content/">filtrage intensif des contenus</a> publiés par leurs utilisateurs, par exemple s’agissant de posts dénonçant l’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021. En outre, ces décisions de retrait se prennent souvent sur la base de critères non transparents, puisque leurs conditions d’utilisation sont parfois extrêmement <a href="https://parler.com/documents/guidelines.pdf">succinctes</a> ou se limitent à des <a href="https://gettr.com/terms">formulations génériques</a> sur ce point.</p>
<h2>Même l’homme le plus riche du monde est soumis à des contraintes économiques</h2>
<p>Le jour même de la prise de contrôle, le nouveau patron a tenu à rassurer les annonceurs sur le fait que la plate-forme ne deviendrait pas « un enfer où tout est permis », reconnaissant de fait la nécessité de la modération.</p>
<p>Il ne peut en effet ignorer l’impératif économique de préserver la capacité d’attraction de cet environnement numérique pour l’utilisateur moyen, et donc pour les compagnies qui souhaitent y déployer leurs efforts publicitaires. Tout sauf un détail pour une entreprise qui, pour l’heure, <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/05/business/media/elon-musk-twitter-ads.html">tire 90 % de ses revenus de la publicité</a>.</p>
<p>Conscientes de la force de ce moyen de pression, plus d’une cinquantaine d’ONG ont récemment publié une <a href="https://www.freepress.net/sites/default/files/2022-11/coalition_open_letter_to_twitter_top_20_advertisers_final.pdf">lettre ouverte</a> adressée aux vingt entreprises qui investissent le plus en publicité sur Twitter, pour les enjoindre à exiger que soient conservées les « pratiques basiques de modération déjà en vigueur sur la plate-forme ». Plusieurs compagnies ont d’ores et déjà annoncé <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/04/technology/twitter-advertisers.html">suspendre</a> leurs dépenses de marketing sur le réseau social. Bien que Musk ait cherché à rassurer en rappelant que les règles et pratiques existantes restaient <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1586149451348910081">pour l’heure</a> toujours en place, il a également insisté le <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1589609169333948418">caractère provisoire</a> de cette situation.</p>
<p>D’autres motifs économiques sont susceptibles de réduire substantiellement la marge de manœuvre du multimilliardaire. La grande majorité de sa fortune est <a href="https://www.bfmtv.com/economie/elon-musk-l-homme-le-plus-riche-du-monde-n-a-quasiment-pas-d-argent_AN-202101080191.html">constituée d’actions Tesla</a>, qui ont perdu <a href="https://www.cnbc.com/2022/11/04/tesla-down-35percent-since-elon-musk-first-said-hed-buy-twitter.html">plus d’un tiers de leur valeur</a> depuis qu’il a annoncé son intention d’acquérir le réseau social. En outre, compte tenu de ce contexte et des volumes concernés, Musk ne peut massivement convertir ces actifs en liquidités sans aggraver cette tendance à la baisse. Il a donc dû <a href="https://datanews.levif.be/ict/actualite/des-banques-liberent-13-milliards-de-dollars-pour-le-rachat-de-twitter-par-elon-musk/article-news-1602593.html">emprunter 13 milliards de dollars auprès de banques</a>, ce qui le place dans l’obligation de générer un retour sur investissement, alors même que l’entreprise n’a été profitable qu’à <a href="https://www.statista.com/statistics/274563/annual-net-income-of-twitter/">deux reprises</a> au cours de la décennie écoulée.</p>
<p>Cette configuration place Musk en porte-à-faux avec ses propres déclarations d’avril dernier, lorsqu’il <a href="https://www.youtube.com/watch?t=5180&v=cdZZpaB2kDM">affirmait</a> que la future acquisition de Twitter n’était « absolument pas » une question économique. La visible précipitation dans laquelle près de la <a href="https://www.platformer.news/p/twitter-cut-in-half">moitié des employés ont été renvoyés</a>, ainsi que la subite <a href="https://www.reuters.com/technology/musk-says-twitter-will-charge-8-blue-tick-2022-11-01/">mise en vente des marques bleues de comptes vérifiés</a>, semblent au contraire révéler que le nouveau CEO ressent la pression de la rentabilité, ce qui ne paraît guère compatible avec un recul marqué de la modération des contenus, qui conduirait à un rétrécissement de sa base d’utilisateurs et des rentrées publicitaires.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le rachat de Twitter finalisé, Elon Musk licencie des dirigeants Euronews, 28 octobre 2022.</span></figcaption>
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<p>Une autre partie de son schéma de financement repose, à hauteur de 7 milliards de dollars, <a href="https://www.wsj.com/articles/the-19-investors-backing-elon-musks-twitter-deal-heres-the-list-11651754178">sur des apports d’une vingtaine d’investisseurs partenaires</a>, qui ont également des attentes en termes de rentabilité. Une partie de ces fonds dépend des gouvernements <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20221110-elon-musk-et-twitter-de-riyad-%C3%A0-p%C3%A9kin-itin%C3%A9raire-d-un-patron-sous-influence">du Qatar et de l’Arabie saoudite</a>, qui risquent fort de ne pas partager les vues de Musk en matière de liberté d’expression.</p>
<p>Enfin, les <a href="https://www.businessinsider.com/elon-musk-companies-tesla-spacex-boring-co-neuralink-twitter-2022-4">multiples intérêts industriels de Musk</a>, sources de revenus autant que de prestige personnel, pourraient être utilisés par divers gouvernements comme autant de moyens de pression pour que le chef d’entreprises prenne des décisions dans le sens désiré, y compris concernant les contenus disponibles sur ce qui constitue désormais « sa » plate-forme. Musk serait-il capable de ne pas donner suite à des exigences émanant de Pékin alors que la Chine est le second marché pour Tesla, qui vient d’ouvrir une usine géante à Shanghai ? Même si Twitter n’est pas autorisé en Chine, le gouvernement de Xi Jinping pourrait tenter d’exiger le retrait de certains contenus jugés inconvenants, du moment qu’ils sont disponibles sur la plate-forme dans le reste du monde.</p>
<h2>La modération des contenus : un sujet davantage régulé… et politisé</h2>
<p>Ironie du calendrier, le processus d’acquisition de Twitter par Musk et celui de l’adoption du <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act">« Digital Services Act »</a> (DSA), législation européenne qui régulera de façon inédite le secteur du numérique, ont à deux reprises franchi des étapes clés de façon synchronisée : en avril, l’annonce du projet de rachat de la plate-forme par le milliardaire avait coïncidé, à deux jours près, avec la conclusion d’un accord politique entre institutions communautaires sur ce texte.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-digital-services-act-un-frein-aux-ambitions-delon-musk-avec-twitter-en-europe-182063">Le Digital Services Act, un frein aux ambitions d’Elon Musk avec Twitter en Europe ?</a>
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<p>Six mois plus tard, l’acquisition est devenue effective au même moment où le texte législatif a été publié au Journal Officiel. Bien que fruit du hasard, cette concomitance a le mérite de souligner que limiter au strict minimum la modération sur Twitter n’est plus une option dans le cadre européen. Le Commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton a d’ailleurs souhaité le rappeler à Elon Musk, filant la métaphore que celui-ci avait amorcée un peu plus tôt.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1585902196864045056"}"></div></p>
<p>Aux États-Unis, la modération des contenus ne fait pas l’objet d’une régulation au plan fédéral, sauf pour les cas particuliers liés au copyright et à la pédopornographie. Cependant, la fameuse <a href="https://www.eff.org/fr/issues/cda230">« section 230 » du Communication Decency Act</a>, qui garantit aux plates-formes une très large marge de manœuvre en la matière, est au centre de <a href="https://publicknowledge.org/how-do-the-section-230-reform-proposals-rate-a-section-230-evaluation-scorecard/">débats législatifs</a> et pourrait être réformée à moyen terme dans un sens plus restrictif.</p>
<p>Dans le cadre étasunien, Musk est d’ores est déjà exposé aux effets produits par le haut degré de politisation la modération en ligne : les Démocrates poussent pour une plus grande intervention des plates-formes sur les contenus, à l’inverse des Républicains qui dénoncent une forme de « censure ». Dès lors, les décisions les plus emblématiques dans ce domaine sont systématiquement interprétées sous un angle partisan. Comme Musk est désormais le seul propriétaire de Twitter et qu’il a licencié l’ensemble de l’équipe dirigeante antérieure, ces mêmes décisions sont également vues comme les siennes.</p>
<p>Même s’il n’a jamais cherché à être perçu comme un acteur neutre – il ne fait maintenant guère <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1589639376186724354">mystère</a> de ses penchants conservateurs –, le nouveau capitaine a beaucoup à perdre de cette combinaison explosive entre politisation et personnalisation.</p>
<p>Pour échapper à ce statut peu confortable, il a annoncé la future création d’un « <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1586059953311137792">Conseil de modération de contenus</a> » : s’il est resté extrêmement vague à ce sujet, il ne fait pas de doute qu’il cherche par ce moyen à éviter de se retrouver lui-même au centre des controverses qui ne manquent pas de surgir dès qu’une décision est prise dans ce domaine, que ce soit dans un sens ou dans un autre.</p>
<p>En l’occurrence, ce nouvel organe très fortement inspiré de l’<a href="https://theconversation.com/fermeture-des-comptes-de-donald-trump-facebook-et-sa-cour-supreme-en-quete-de-legitimite-155064">« Oversight Board » de Meta</a> devra, une fois créé, délibérer pour confirmer ou annuler le choix fait par Twitter en janvier 2020 de <a href="https://blog.twitter.com/en_us/topics/company/2020/suspension">suspendre indéfiniment le compte de Donald Trump</a>.</p>
<p>Dans le même ordre d’idées, Musk s’est réuni en ligne le 1<sup>er</sup> novembre avec des organisations civiles de défense des droits, et leur a <a href="https://www.washingtonpost.com/technology/2022/11/02/musk-twitter-bans-trump/">garanti</a> que toute décision au sujet d’une éventuelle réintégration de Trump sur la plate-forme devra nécessairement être prise au terme d’un « <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1587669814188953601">processus clair</a> ». Il a également laissé entendre que le futur Conseil inclura des membres de ces ONG spécialisées contre la haine en ligne.</p>
<p>Cette stratégie de mise à distance des décisions sensibles, qui est <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/02/technology/musk-twitter-advertisers-civil-rights.html">loin d’être un fait nouveau</a> dans l’univers des réseaux sociaux, révèle que Musk est en train de découvrir les implications de sa prise de contrôle. Ces premières mesures, qui entament sérieusement la portée de ses engagements initiaux, préfigurent une gouvernance de Twitter qui sera caractérisée par des tensions insolubles entre les aspirations libertaires de Musk et les contraintes pratiques auxquelles toute plate-forme de réseau social est désormais exposée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194217/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Michalon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Elon Musk s’est engagé à « rétablir la liberté d’expression » sur Twitter. Mais, dans les faits, la modération reste incontournable.Barthélémy Michalon, Professeur au Tec de Monterrey (Mexique) - Doctorant en Sciences Politiques, mention RI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818892022-05-02T19:05:15Z2022-05-02T19:05:15ZUn manuel de survie numérique pour s’informer et éviter la censure en Russie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/460382/original/file-20220428-14-ymc57i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5463%2C3637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De très nombreux sites sont bloqués par la censure russe. Mais ce blocage n’est pas à toute épreuve.</span> <span class="attribution"><span class="source">FellowNeko/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dès le début de la guerre contre l’Ukraine en février 2022, la censure se renforce sur l’ensemble de l’espace numérique et informationnel en Russie. La surveillance et les interdictions pesant sur les citoyens et les médias, déjà <a href="https://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/issue/view/693">bien documentées</a> depuis plusieurs années, sont massivement mobilisées.</p>
<p>Aux nombreuses lois encadrant les contenus médiatiques adoptées depuis le début des années 2010 s’ajoute la <a href="http://publication.pravo.gov.ru/Document/View/0001202203040007">loi du 4 mars 2022 sur la censure militaire</a>. Son adoption est suivie d’une intensification des contrôles sur les médias, notamment par le biais d’<a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/02/28/russie-forte-hausse-de-la-censure-liee-la-guerre">« avertissements »</a> envoyés par l’autorité de régulation Roskomnadzor aux rédactions. La loi « interdit la diffusion de fausses informations sur les forces armées russes » et sur l’« opération militaire spéciale en Ukraine » ainsi que la discréditation des forces armées russes. Les contrevenants sont d’abord passibles d’une amende (de 700 000 à 1,7 million de roubles) puis d’une peine qui peut aller jusqu’à 15 ans de privation de liberté. Les autorités demandent aux médias russes de ne se baser que sur les informations officielles dans leur traitement de l’actualité militaire.</p>
<p>Dans ce contexte menaçant, qui voit la fermeture forcée de nombreux sites, journaux et stations de radio, <a href="https://rsf.org/fr/guerre-en-ukraine-poutine-termine-dachever-la-presse-independante-russe">russes</a> comme <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/russie-les-medias-etrangers-sur-le-qui-vive-1391477">étrangers</a>, les journalistes des médias indépendants s’interrogent sur la possibilité ou non de poursuivre leurs activités.</p>
<h2>Trois types de réactions</h2>
<p>Trois positions se dessinent. Les uns (comme la télévision <a href="https://www.rferl.org/a/russia-dozhd-tv-suspending-operations-ukraine/31734451.html">Dojd’</a>, la radio <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220303-ukraine-la-radio-russe-ekho-moskvy-se-saborde-apr%C3%A8s-avoir-%C3%A9t%C3%A9-interdite-d-antenne">Ekho de Moscou</a>, le journal <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/28/trop-de-pression-du-kremlin-le-media-independant-novaia-gazeta-cesse-de-paraitre">Novaïa Gazeta</a> ou le site <a href="https://interfax.com/newsroom/top-stories/75454/">Znak.com</a> par exemple) décident de renoncer à toute publication.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-fermeture-de-la-nova-a-gazeta-dernier-clou-dans-le-cercueil-de-la-liberte-dexpression-en-russie-170029">La fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie</a>
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<p>D’autres tentent de se conformer aux dispositions de la loi, en euphémisant leurs contenus (ne pas parler de « guerre » mais d’« opération spéciale ») pour continuer à publier et passer entre les mailles du filet.</p>
<p>Les derniers, enfin, refusent de se soumettre à la censure et continuent à travailler malgré l’interdiction de leurs sites, publiant des conseils à leurs lecteurs pour contourner les blocages (les sites d’information indépendants et militants <a href="https://meduza.io/en">Meduza</a>, <a href="https://zona.media/">Mediazona</a> ou encore <a href="https://holod.media/">Kholod</a>).</p>
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<figcaption><span class="caption">Le gendarme russe des télécoms bloque plusieurs médias, TV5 Monde, 18 mars 2022.</span></figcaption>
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<p>Souvent localisés hors des frontières de la Russie pour échapper aux menaces pesant sur leurs journalistes, ils publient depuis l’étranger, à destination du public russophone, qu’il vive hors de Russie ou en Russie même. Dans ce dernier cas, en élaborant des guides numériques de contournement des contraintes, ils participent à la dissémination de savoirs numériques alternatifs, conçus en collaboration avec les associations russes de défense des libertés numériques, contribuant à leur niveau à l’<em>encapacitation</em> de leurs lecteurs. Ces savoir-faire critiques, destinés à l’auditoire russophone, sont suffisamment universels pour mériter l’attention, au-delà des publics russes en difficulté.</p>
<h2>Conseils pratiques et savoir-faire numériques</h2>
<p>Les médias qui continuent à travailler malgré les blocages expliquent à leurs lecteurs résidant en Russie, où leurs sites sont normalement inaccessibles, comment contourner les interdictions, en s’appuyant sur l’expérience accumulée au fil des années.</p>
<p>Depuis le <a href="https://fr.globalvoices.org/2015/08/24/189566/">blocage de grani.ru en 2012</a>, la gamme des « savoirs-contourner » s’est élargie et enrichie. Les conseils techniques sont formulés dès le 25 février 2022 en coopération avec les associations de défense des libertés numériques (comme les organisations <em><a href="https://te-st.ru/about-en/">Teplitsa</a>, <a href="https://ozi-ru.org/">Obscestvo Zascity Interneta</a></em> et <a href="https://roskomsvoboda.org/about/en/"><em>Roskomsvoboda</em></a>) et leurs formateurs à la sécurité numérique. L’association de défense des libertés numériques Teplitsa publie ainsi un <a href="https://te-st.ru/2022/02/26/digital-security-at-war/">article</a> de Sergueï Smirnov, formateur en sécurité numérique, sur les bonnes pratiques à adopter dans le contexte de renforcement des contrôles et de la surveillance, qui donne les conseils suivants sur la sécurité numérique en temps de guerre :</p>
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<li><p><em>Porter un nouveau regard sur ses amis en ligne et nettoyer la liste de ses contacts</em>. Sergueï Smirnov souligne que « la sécurité est plus importante que l’amitié passée pour un camarade d’école. »</p></li>
<li><p><em>Cesser de publier des informations inutiles ou superflues sur soi et ses proches</em>. Les photos de personnes, les projets, les localisations peuvent être utilisés contre vous si vous êtes engagés dans des activités publiques.</p></li>
<li><p><em>Vérifier que vos mots de passe et vos dispositifs de double authentification fonctionnent sur vos appareils</em>. Dans un contexte de guerre, des intrus peuvent s’intéresser à vos comptes et à vos données.</p></li>
<li><p><em>Ne pas parler des thèmes importants, liés à la guerre, sur des messageries à la fiabilité douteuse</em>. Il vaut mieux éviter le Messenger de Facebook et passer sur <a href="https://signal.org/fr/">Signal</a>.</p></li>
<li><p><em>Éviter les services qui peuvent facilement transmettre vos données sous la pression de l’État</em>. Cela concerne surtout les mails et le cloud, il vaut mieux éviter mail.ru et Yandex.disk.</p></li>
<li><p><em>Nettoyer les ordinateurs et les téléphones pour supprimer les contenus inutiles, faire une copie de sauvegarde des données importantes et les chiffrer</em>. Une augmentation des perquisitions et des saisies de matériel informatique est à prévoir.</p></li>
<li><p><em>Utiliser des VPN (il renvoie vers un lien pour les trouver), s’habituer à utiliser <a href="https://www.torproject.org/fr/">Tor</a></em>. Nous nous acheminons vers un contexte où les informations sur les droits de l’homme ne pourront être publiées qu’anonymement, comme en Chine.</p></li>
<li><p><em>Vérifier les informations et ne pas les reposter trop vite.</em></p></li>
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<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504139761467985920"}"></div></p>
<h2>Sites miroir, réseaux sociaux, newsletters…</h2>
<p>Après leur blocage, les sites Meduza, Mediazona, OVD-info et Kholod invitent leurs lecteurs à les suivre sur différents supports et à les soutenir de diverses manières.</p>
<p>Le 26 février, Meduza publie un article intitulé <a href="https://meduza.io/feature/2022/02/26/kak-chitat-resursy-zablokirovannye-rossiyskimi-vlastyami">« Comment lire les contenus bloqués par le pouvoir russe. Les instructions simples de Meduza »</a>. Le site donne également des conseils pour se « préparer à la vie dans la nouvelle réalité internet ». Ces conseils sont aussi publiés dans un fichier google.doc pour les partager facilement. Ces instructions comportent plusieurs modalités de contournement des contraintes numériques, des plus ouvertes aux plus fermées, des plus simples aux plus complexes, pour avoir accès aux contenus qui sont publiés en ligne mais bloqués en Russie. Les conseils évoluent rapidement au fil des nouvelles contraintes imposées par les autorités de régulation.</p>
<p>Le 8 avril 2022, le média en ligne indépendant <em>Kholod</em> est bloqué à son tour par Roskomnadzor. Sa rédaction <a href="https://holod.media/2022/04/09/chto-delat-esli-holod-zapretyat-pismo-na-sluchaj-blokirovki/">écrit</a> alors :</p>
<blockquote>
<p>« <em>Salut ! C’est « Kholod », et voilà plus d’un mois que nous travaillons dans un pays qui fait la guerre. Ces dernières semaines, nous avons reçu deux avertissements de Roskomnadzor demandant à nos providers de limiter l’accès à certains de nos contenus si nous refusions de les modifier. Nous n’avons pas retiré les contenus en question. Aujourd’hui, nous avons reçu le troisième avertissement. L’administration exige la suppression de tous les contenus relatifs à la guerre sur notre site. Nous ne le ferons pas, bien sûr. Nous n’avons pas l’intention de nous soumettre à la censure, surtout à la censure militaire dans un pays qui ne reconnaît pas qu’il mène la guerre. Nous allons continuer à dire la vérité sur ce qui se passe en Russie et en Ukraine. Le pouvoir russe veut que les journalistes qualifient la guerre d’"opération spéciale". Il veut aussi que nous ne publiions que les informations fournies par les sources officielles. Respecter ces conditions conduirait à vous priver d’un traitement honnête et pluraliste des événements</em> ».</p>
</blockquote>
<p>Le site publie des recommandations à ses lecteurs pour contourner la censure en ligne. Il s’appuie sur les guides et conseils produits par les militants de l’internet libre ou ses confrères d’autres médias bloqués, comme Meduza.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1503237041005514752"}"></div></p>
<p>Pour accéder aux sites des médias bloqués, les rédactions incitent d’abord à garder le lien vers les sites miroir pour continuer à accéder aux contenus publiés (par exemple <a href="https://mediazona.online/">mediazona.online</a>. Parmi les méthodes plus simples et classiques, les médias proposent à leurs lecteurs de s’abonner à leur liste de diffusion par mail. Kholod explique ainsi : « Il est beaucoup plus difficile d’interdire l’accès aux réseaux sociaux et aux boîtes mail qu’au site. C’est pourquoi, premièrement, inscrivez-vous sur nos réseaux sociaux : Telegram, Instagram, Twitter, Facebook. Ensuite, parlez à vos amis de notre liste de diffusion à laquelle on peut s’inscrire. » Meduza confirme : « Et bien sûr la bonne vieille poste électronique : le pouvoir n’a pas encore bloqué les listes de diffusion de nouvelles, même pour ceux qui utilisent des services mail russes (yandex.ru ou mail.ru) ».</p>
<p>Les journalistes invitent aussi leurs lecteurs à télécharger leurs applications (sur l’Appstore ou sur Google play si elle est disponible). Meduza explique qu’il faut « chercher les applications des médias bloqués (ou pas encore bloqués !). C’est le moyen le plus simple. Bloquer une application mobile est plus difficile que bloquer un site, surtout si ses concepteurs ont mis en place des instruments de contournement des blocages. »</p>
<p>Tous les médias invitent leurs lecteurs à les suivre sur les réseaux sociaux. Cependant, au fil du conflit, les possibilités d’accès aux réseaux sociaux se réduisent (suite notamment au <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/juges-extremistes-facebook-et-instagram-meta-desormais-interdits-en-russie-906627.html">blocage de Facebook et Instagram le 21 mars</a>). Si, au début des hostilités, Mediazona invite ses lecteurs à s’abonner à ses fils sur Twitter, Telegram, Facebook, Instagram, YouTube et Vkontake, la liste des réseaux accessibles se réduit quelques semaines plus tard à Telegram, VK et Twitter alors que YouTube est menacé.</p>
<h2>VPN et appels aux dons</h2>
<p>Dans ce contexte, le principal conseil consiste à installer des VPN. Comme l’explique Meduza, « installer un VPN, c’est le moyen universel de contournement des blocages. Certes, le pouvoir peut essayer de bloquer votre fournisseur de VPN. Dans ce cas, il faut chercher un autre VPN. Achetez un VPN qui promet de ne pas vendre vos données personnelles. Nous ne recommandons pas l’usage de VPN gratuits, à l’exception de proton.vpn. Après le blocage de Meduza, proton.vpn a proposé son aide, expliquant qu’il apporte depuis de nombreuses années son soutien aux citoyens des pays qui pratiquent la censure Internet : Turquie, Iran et Biélorussie. »</p>
<p>Les médias incitent aussi leurs lecteurs à recourir à Tor. Les autorités russes essaient de bloquer cet outil en Russie mais le projet Tor publie des instructions pour y accéder malgré tout. Les médias invitent également à « installer des extensions aidant à contourner les blocages, comme “Obkhod blokirovok runeta” qui aide à contourner les blocages de sites inscrits sur le registre des informations interdites dans la Fédération de Russie, ou encore <a href="https://censortracker.org/">Censor Tracker</a>, de Roskomsvoboda, qui indique si le site visité est considéré comme un “diffuseur d’information” (obligé de surveiller ses utilisateurs et de transmettre les informations les concernant à la demande du pouvoir, y compris l’ensemble du trafic chiffré) ».</p>
<p>Ces outils de contournement, initialement réservés aux initiés, connaissent une popularité croissante en Russie depuis plusieurs années. D’après la chaine Telegram de la Société pour la défense d’internet (OZI), le nombre d’utilisateurs du VPN Psiphon en Russie aurait été multiplié par 15 entre le 24 février et le 14 mars (passant de 49 000 à 737 000 utilisateurs). L’association estime que 10 à 20 millions de Russes auraient installé un VPN sur leurs appareils.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1504403444735614980"}"></div></p>
<p>Enfin, le modèle économique des médias en ligne est fortement affecté par la censure et met en péril leur avenir. Leurs rédactions lancent à leurs lecteurs des <a href="https://holod.media/2022/04/09/chto-delat-esli-holod-zapretyat-pismo-na-sluchaj-blokirovki/">appels aux dons</a>. Cependant, dans un contexte où les sanctions économiques empêchent les transactions bancaires, des procédures alternatives sont envisagées. Mediazona rappelle à ses lecteurs qu’ils peuvent faire un don « avec une carte de crédit ou en cryptomonnaies (ce moyen est peut-être le meilleur pour certains) ».</p>
<h2>Un modèle pour d’autres pays ?</h2>
<p>L’inventivité des pratiques de contournement de la censure dans l’espace numérique russe témoigne des dynamiques qui animent les médias indépendants en Russie et leur volonté de faire face aux menaces qui pèsent sur leurs publications. Il reste difficile, au-delà de leurs conseils techniques, de mesurer l’effet réel de ces recommandations sur les pratiques des lecteurs même si les données disponibles montrent un accroissement significatif des téléchargements de VPN par les internautes russes depuis le début de la guerre.</p>
<p>Des enquêtes approfondies seraient nécessaires pour en savoir plus sur ces nouvelles pratiques numériques et sur les usages médiatiques qui les accompagnent. Ces « savoirs-contourner » méritent cependant l’attention générale pour leur valeur universelle car, s’ils concernent au premier chef la Russie engagée dans une brutale guerre d’agression contre l’Ukraine, ils valent aussi pour tous les contextes où les violences se déploient et tentent de briser la critique.</p>
<p>Les exemples de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/18/bielorussie-le-principal-media-independant-vise-par-une-serie-de-perquisitions_6080589_3210.html">Biélorussie</a>, du <a href="https://fr.globalvoices.org/2019/09/24/240327/">Kazakhstan</a>, ou encore de l’<a href="https://www.accessnow.org/help-keepiton-iran/">Iran</a> sont instructifs en la matière.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olga Bronnikova a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (projet RESISTIC)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Françoise Daucé a reçu des financements de l'Agence nationale de la Recherche (ANR). </span></em></p>Certains médias interdits en Russie cherchent à échapper à la censure et expliquent à leurs lecteurs comment continuer de les lire. Des recommandations qui peuvent aussi se révéler utiles ailleurs…Olga Bronnikova, Enseignant-Chercheur à l'Institut des Langues et Cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4), Université Grenoble Alpes (UGA)Françoise Daucé, Directrice d'études, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820062022-04-27T18:20:02Z2022-04-27T18:20:02ZLes projets d’Elon Musk pour Twitter : un populisme de plate-forme ?<p>Le feuilleton à rebondissements lancé au début de ce mois a touché à sa fin : le 25 avril, les dirigeants de Twitter et Elon Musk annonçaient être parvenus à un accord pour que le patron de Tesla et SpaceX acquière le réseau social pour une somme de <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/elon-musk-va-bien-racheter-twitter-1402881">44 milliards de dollars</a>.</p>
<p>Bien que Twitter compte bien moins d’<a href="https://www.statista.com/statistics/272014/global-social-networks-ranked-by-number-of-users/">utilisateurs</a> que ses concurrents comme YouTube, Facebook, Instagram ou encore TikTok, Twitter est considéré comme un véritable outil d’influence, notamment du fait de son <a href="https://theconversation.com/six-ways-twitter-has-changed-the-world-56234">usage</a> par de nombreuses figures du milieu politique, artistique et médiatique. En outre, il est fréquent que les médias dits « traditionnels » reprennent et commentent sur leur propre support ce qui a été dans un premier temps publié sur la plate-forme de l’oiseau bleu, ce qui accroît la perception et la réalité de <a href="https://www.vox.com/recode/23025978/elon-musk-twitter-trump-free-speech-business-facebook-youtube">son importance pour le discours public</a>.</p>
<p><iframe id="7JQuN" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/7JQuN/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’examen des différentes déclarations de celui qui deviendra bientôt le nouveau propriétaire de Twitter révèle que son approche emprunte les codes du populisme, tel qu’il est usuellement conçu et pratiqué dans l’arène politique.</p>
<p>Le chercheur néerlandais Cas Mudde, un des principaux spécialistes du concept, souligne que, au-delà de la diversité des pratiques observables, le populisme <a href="https://www.veryshortintroductions.com/view/10.1093/actrade/9780190234874.001.0001/actrade-9780190234874-chapter-1">consiste</a> fondamentalement à s’adresser à un « peuple » pour lui promettre la mise en œuvre d’actions qui seraient conformes à ce qui est présenté comme une forme de « volonté générale », en rupture avec les intérêts d’une supposée « élite ».</p>
<p>Bien que Musk n’invoque aucun de ces mots-clés de façon directe, sa communication autour de sa prise de pouvoir épouse donc les contours de ce qui caractérise un discours populiste.</p>
<h2>Pour le « peuple », contre les « élites » dirigeantes…</h2>
<p>Ainsi, s’il n’invoque pas un « peuple » en tant que tel, Elon Musk a fait usage de l’outil qu’il s’apprêtait à acquérir pour s’adresser directement à la communauté d’utilisateurs de la plate-forme et recueillir son opinion sur différents sujets. Si certaines questions étaient d’ordre secondaire (comme le fameux « <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1511143607385874434?s=20&t=Q95WsfyfqqVY6LFyJkhnHw">bouton d’édition</a> » d’un tweet déjà publié), <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1507259709224632344?s=20&t=04I-wy-XeVR1Hhuhbxww9g">d’autres</a> touchaient au fonctionnement même de la plate-forme et à son impact sur la démocratie.</p>
<p>Ces consultations, qui ont logiquement mobilisé en premier lieu ses propres « abonnés », ont produit des résultats dans le sens désiré, ce qui lui a permis de se présenter lui-même comme le relais efficace d’attentes censées bénéficier d’un fort soutien. Une telle façon de procéder n’est pas sans rappeler la tendance, relativement marquée chez les formations politiques populistes, à <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0261379421001311">convoquer des référendums</a> ou à en promettre l’organisation dans leurs programmes électoraux.</p>
<p>Ces sondages en ligne, véritables défis lancés sur la place publique au <em>statu quo</em>, visaient également à exercer une pression notable sur ceux qui étaient alors à la tête de Twitter, ce qui est à relier à une autre composante du populisme, en l’occurrence le rejet de « l’élite » au pouvoir.</p>
<p>Musk est ensuite allé bien plus loin dans cette direction, en affirmant que la mise à l’écart de l’équipe dirigeante en place était une condition indispensable à la mise en œuvre des transformations d’ampleur promises sur la plate-forme. Selon ses dires, c’est cette intention qui a guidé sa décision de « transformer Twitter en une entreprise privée » (elle était alors une entreprise « publique » au sens anglo-saxon, car cotée en bourse), et donc d’en prendre le contrôle de façon directe. Dans son offre d’achat, il <a href="https://www.ndtv.com/world-news/elon-musks-letter-twitter-has-extraordinary-potential-ill-unlock-it-2888380">promettait</a> ainsi sans ambages : « je débloquerai le potentiel de Twitter ».</p>
<p>L’élite dirigeante était donc mise sur la touche au profit d’un seul décideur dans une position centrale : la présence d’un leader dont la personne incarne le pouvoir en place constitue justement un autre trait marquant du populisme.</p>
<h2>… et au nom d’une supposée « volonté générale »</h2>
<p>Afin de satisfaire cette supposée « volonté générale », qui comme nous l’avons vu est la troisième composante du populisme tel que défini plus haut, Musk a mis sur la table une série de propositions pour faire évoluer la plate-forme, notamment lors d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=cdZZpaB2kDM&t=5180s">conversation publique</a>, tenue le 14 avril dans le contexte de la conférence annuelle de TED. Tandis que ces mesures sont présentées comme répondant aux attentes de la base, les difficultés pratiques inhérentes à leur application sont passées sous silence, un décalage récurrent dans les discours populistes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cdZZpaB2kDM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Conférence TED2022 d’Elon Musk, le 14 avril 2022 (Ted).</span></figcaption>
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<p>Musk propose ainsi de supprimer les comptes automatisés (<em>bots</em>), faisant l’impasse sur le fait que nombre d’entre eux présentent une réelle <a href="https://www.bbc.com/news/technology-58510594">utilité</a>, par exemple pour relayer des messages d’alerte de façon immédiate. Il promet également d’éliminer les messages frauduleux (<em>scams</em>), qui visent à tromper leurs destinataires, à des fins économiques et/ou de piratage. Une intention sans nul doute louable, mais qui fait mine d’ignorer que ce <a href="https://transparency.twitter.com/en/reports/platform-manipulation.html">problème</a> protéiforme ne se règle pas en quelques lignes de code. Bien au contraire, ceux qui s’adonnent à ces pratiques sont en constante adaptation face aux moyens de lutte qui sont déployés contre eux.</p>
<p>Quant aux algorithmes de classement et de sélection des contenus, il les rendrait accessibles à tous les utilisateurs afin de leur offrir l’opportunité de les comprendre. Bien qu’un large <a href="https://algorithmwatch.org/en/governing-platforms-final-recommendations/">consensus</a> existe sur la nécessité d’une plus grande transparence dans ce domaine, cette façon en particulier de procéder serait difficilement applicable, du fait de l’extrême niveau de complexité des algorithmes en question, qui de plus reposent sur un usage croissant de l’intelligence artificielle. Même en supposant que ce soit du domaine du faisable, un tel degré de transparence serait-il pas avant tout un merveilleux <a href="https://hbr.org/2018/07/we-need-transparency-in-algorithms-but-too-much-can-backfire">cadeau</a> offert à ceux qui voudraient tirer parti du système pour obtenir une visibilité non méritée ?</p>
<p>Outre ces changements qui passent par des ajustements d’ordre principalement technique, Musk place au centre de son projet pour Twitter un net recul des règles qui encadrent la publication de contenus sur la plate-forme. Pour celui qui s’est ouvertement prévalu du statut d’« absolutiste de la liberté d’expression », cette plus grande latitude serait nécessaire au nom de la défense de la démocratie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499976967105433600"}"></div></p>
<p>Tout d’abord, la pratique du dirigeant lui-même permet de douter de la réalité de l’absolutisme qu’il revendique : ce principe ne l’a pas empêché de <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/apr/12/elon-musk-internet-twitter">bloquer</a> des utilisateurs qui ont tenu des propos critiques à son encontre ou de prendre des <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/26/rachat-de-twitter-par-elon-musk-pourquoi-la-liberte-d-expression-defendue-par-le-milliardaire-inquiete_6123757_4408996.html">mesures de représailles</a>, en ligne comme hors ligne, contre ceux qui ont exprimé leur désaccord avec lui.</p>
<p>Ensuite, réduire la modération des contenus sur la plate-forme exposerait d’autant plus les groupes considérés comme minoritaires, qui sont déjà les <a href="https://theconversation.com/twitters-design-stokes-hostility-and-controversy-heres-why-and-how-it-might-change-166555">premières victimes des comportements</a> en ligne les plus nocifs. S’il se concrétise, ce détricotage des quelques règles qui, bien que de façon imparfaite, visent aujourd’hui à protéger les minorités face au pouvoir de la majorité constituera une <a href="https://www.veryshortintroductions.com/view/10.1093/actrade/9780190234874.001.0001/actrade-9780190234874-chapter-5">manifestation additionnelle</a> des traits populistes de la démarche de Musk.</p>
<p>Enfin, si la liberté d’expression est sans nul doute un des piliers fondamentaux de la démocratie, il est tout aussi vrai que ne lui reconnaître aucune limite constitue un profond danger pour ce mode de gouvernement, à plus forte raison dans un contexte où la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1065912920938143">désinformation</a> ou les <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/06/us/politics/protesters-storm-capitol-hill-building.html">appels à la violence</a> peuvent circuler avec tant de vitesse et de facilité. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle plus la liberté d’expression est étendue, mieux la démocratie est défendue revient à ignorer, délibérément ou pas, les enseignements des dernières années.</p>
<h2>Une conception nébuleuse de la liberté d’expression</h2>
<p>Malgré cette emphase pour une liberté d’expression plus étendue sur la plate-forme, Musk semblait pris de court lorsque des questions plus précises lui ont été posées sur ce point, dans le contexte de la conférence du 14 avril mentionnée plus haut.</p>
<p>Pressé avec insistance sur ce sujet, il a reconnu que Twitter est et restera soumis aux lois nationales. Il a peu après introduit un autre facteur de limitation en admettant que la parole devrait y être libre « autant que <em>raisonnablement</em> possible », ce qui ouvre la porte à de possibles restrictions, sur la base de critères qui à ce stade demeurent mystérieux. Dans l’hypothèse, dans les faits très réaliste, où un propos se trouverait dans une « zone grise », Musk considère que celui-ci devrait être maintenu en ligne… ce qui coïncide étrangement avec la pratique actuelle des plates-formes existantes, et <a href="https://twitter.com/McCourtSchool/status/1184885409769082880">notamment Facebook</a> comme l’avait souligné son dirigeant Mark Zuckerberg en 2019.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1184885409769082880"}"></div></p>
<p>Lors de cette même conversation publique, il a indiqué que la liberté d’expression existe selon lui si « des personnes que l’on n’aime pas sont autorisées à exprimer des idées que l’on n’aime pas ». Le moins que l’on puisse dire est que, sous sa forme actuelle, Twitter satisfait d’ores et déjà très largement à cette attente, étant donné le ton et la teneur de bien des échanges. Même les sympathisants républicains aux États-Unis, dont beaucoup reprochent pourtant à la plate-forme d’être trop restrictive et <a href="https://www.nytimes.com/live/2022/04/14/business/elon-musk-twitter/republicans-elon-musk-twitter">se réjouissent</a> de sa prise de contrôle par Elon Musk, auraient bien du mal à l’accuser de ne pas permettre l’expression d’idées opposées aux leurs.</p>
<p>Un peu plus tard, cette fois <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1516483038242385928?s=20&t=04I-wy-XeVR1Hhuhbxww9g">sur son support numérique préféré</a>, il affirmait que « les politiques d’une plate-forme de réseaux sociaux sont bonnes si les 10 % les plus extrêmes à gauche et à droite sont également mécontents ». Là encore, il serait difficile de reprocher à Twitter de ne pas remplir cette condition, compte tenu des critiques contradictoires dont l’entreprise fait l’objet en provenance des deux bords.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516483038242385928"}"></div></p>
<p>Un seul point a fait l’objet d’une prise de position relativement claire de la part d’Elon Musk : celui-ci s’est exprimé contre les suspensions permanentes de comptes, disant préférer celles de caractère temporaire. En cela, il s’écarterait en effet de la pratique actuelle de Twitter, qui applique l’une ou l’autre de ces sanctions en fonction de la gravité des faits. Par conséquent, s’il arrive à ses fins et s’il maintient cette position, une de ses toutes premières décisions pourrait consister à rétablir le compte de l’ancien président américain Donald Trump, <a href="https://theconversation.com/medias-sociaux-apres-lexclusion-de-trump-la-question-de-la-censure-et-limperatif-devoluer-153247">suspendu pour « incitation à la violence »</a> après l’assaut lancé contre le Capitole le 6 janvier 2021.</p>
<p>Ce geste envers l’ex-locataire de la Maison blanche, duquel <a href="https://www.politico.com/news/2020/05/27/trump-musk-moon-space-283608">Elon Musk s’est rapproché ces dernières années</a>, serait perçu comme éminemment politique. Mais cela ne représenterait sans doute guère plus qu’un simple avant-goût des difficultés qu’il serait amené à affronter de façon récurrente s’il devait devenir le timonier d’une telle plate-forme. En effet, toute règle ou décision prise par Twitter serait immédiatement interprétée comme relevant de son fait à titre personnel. Dans un environnement aussi politisé que l’actuel, ce réflexe ne pourra que lui porter préjudice.</p>
<p>En somme, une fois ses déclarations générales mises de côté, le chef d’entreprise n’a en réalité que des notions bien vagues et peu novatrices pour développer ce qui est censé être la clé de voûte de son projet révolutionnaire pour Twitter. Ce qui pose, bien sûr, la question des mesures concrètes qu’il mettrait en œuvre au nom de la liberté d’expression, une fois aux commandes : marquerait-il une rupture aussi nette qu’il l’annonce avec force superlatifs ? Ou ces mots grandiloquents ne seraient-ils pas en porte-à-faux avec une pratique en fait peu différente de l’actuelle ? Compte tenu du tempérament du dirigeant, il y a fort à craindre qu’il écarte du revers de la main les politiques existantes de modération et décide de repartir d’une feuille blanche.</p>
<p>Évitons tout malentendu : la plate-forme en question est encore bien loin de gérer de façon satisfaisante les contenus dont elle permet la publication et la diffusion. Bien au contraire, les critiques contre elle et ses congénères restent <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2021-02-19/facebook-and-twitter-content-moderation-is-failing">abondantes</a>. Cependant, la prise de contrôle du groupe par Musk risque de balayer les progrès lentement réalisés en matière de modération des contenus au cours des ans et, bien souvent, sous la pression des événements. Il s’agirait alors de repartir de zéro – ou presque – et évoluer au fur et à mesure que les erreurs commises seraient reconnues comme telles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182006/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Michalon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La communication de l’homme le plus riche du monde autour de son rachat du réseau social présente de troublantes similitudes avec le populisme tel qu’il est pratiqué par certains acteurs politiques.Barthélémy Michalon, Professeur au Tec de Monterrey (Mexique) - Doctorant en Sciences Politiques, mention RI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1820632022-04-27T18:19:35Z2022-04-27T18:19:35ZLe Digital Services Act, un frein aux ambitions d’Elon Musk avec Twitter en Europe ?<p>En quelques jours, deux décisions distinctes prises de part et d’autre de l’Atlantique pourraient s’avérer déterminantes quant à l’avenir de Twitter en Europe. Le 25 avril, aux États-Unis, a été annoncé le rachat pour <a href="https://www.europe1.fr/economie/elon-musk-rachete-twitter-4107758">44 milliards de dollars du réseau social par Elon Musk</a>, patron de Tesla et SpaceX, et qui compte accessoirement près de 83 millions d’abonnés. Deux jours auparavant, soit le 23 avril, un accord était trouvé sur la législation sur les services numériques au sein de l’Union européenne.</p>
<p>Avec ce <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2022/04/23/digital-services-act-council-and-european-parliament-reach-deal-on-a-safer-online-space/">Digital Services Act</a> (DSA), l’Union européenne vise notamment un encadrement plus strict des réseaux sociaux et une protection renforcée de leurs utilisateurs, avec par exemple « une procédure de notification et d’action plus claire, qui permettra aux utilisateurs de <a href="https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/un-accord-provisoire-trouve-sur-le-digital-services-act-dsa-n181325.html">signaler du contenu illicite</a> en ligne et obligera les plates-formes en ligne à réagir rapidement ».</p>
<h2>Triple ambition</h2>
<p>Cette initiative pourrait ainsi venir contrecarrer les ambitions d’Elon Musk en matière d’évolution de Twitter. Si l’on en croit la communication de l’homme le plus riche du monde pendant les jours qui ont précédé l’officialisation du rachat, celles-ci semblent concerner trois dimensions :</p>
<ul>
<li><p>Une dimension <strong>business</strong> : on peut imaginer qu’en détenant un média aussi influent, Elon Musk disposera d’un outil bénéfique à ses affaires, dans l’aérospatiale avec SpaceX ou dans les véhicules électriques avec Tesla, voire dans ses autres projets comme les cryptomonnaies ou le controversé transhumanisme.</p></li>
<li><p>Une dimension <strong>ludique</strong> : jusqu’à présent, le chef d’entreprise né en Afrique du Sud et naturalisé Américain est resté laconique sur les moyens qu’il envisage pour monétiser Twitter qui, malgré près de 220 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, n’a pas été rentable lors des <a href="https://www.marketwatch.com/investing/stock/twtr/financials">deux derniers exercices comptables</a>. On peut donc penser que le chef d’entreprise, comme d’autres achètent des clubs de foot ou des médias traditionnels, accepterait de perdre de l’argent dans l’opération pour des raisons de prestige et d’influence. Si l’on se place une seconde du point de vue de personnes qui peuvent déjà tout s’offrir, il ne faut pas négliger le divertissement que peut représenter le pilotage d’un média, tout comme l’excitation que peuvent susciter des projets aussi fous et controversés que le transhumanisme, la colonisation spatiale… ou la transformation d’un des réseaux sociaux les plus influents du monde.</p></li>
</ul>
<p><iframe id="r8DWu" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/r8DWu/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<ul>
<li>Une dimension <strong>politique</strong> : Le 14 avril dernier, lors d’une conférence Ted, il avait notamment détaillé son ambition de faire du réseau social « une arène inclusive pour la liberté d’expression ». Le milliardaire estime en effet qu’une forme de censure à sens unique, imposée par la gauche américaine au détriment des conservateurs, s’est installée.</li>
</ul>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Conférence TED2022 d’Elon Musk, le 14 avril 2022 (Ted).</span></figcaption>
</figure>
<p>Cependant, une <a href="https://cdn.cms-twdigitalassets.com/content/dam/blog-twitter/official/en_us/company/2021/rml/Algorithmic-Amplification-of-Politics-on-Twitter.pdf">étude</a> scientifique a montré que la réalité était beaucoup plus nuancée, même si les censures les plus visibles ou emblématiques concernent le camp conservateur. La plus spectaculaire restant la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-Twitter-suspendu-compte-Donald-Trump-2021-01-09-1201133964">fermeture du compte de l’ancien président américain Donald Trump</a> (duquel Elon Musk s’est rapproché ces dernières années) pour « incitation à la violence » après l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021.</p>
<h2>Un bras de fer déjà engagé</h2>
<p>Ces ambitions d’ordre politique de celui qui se dépeint en « absolutiste de la liberté d’expression » paraissent largement prédominer dans la décision d’Elon Musk d’acquérir Twitter. Elles risquent toutefois de se heurter en Europe au <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/proposal_for_a_regulation_on_a_single_market_for_digital_services.pdf">Digital Services Act</a> sur lequel le Parlement et le Conseil de l’Union européenne viennent, hasard du calendrier, de trouver un accord.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499976967105433600"}"></div></p>
<p>En effet, le texte prévoit d’astreindre les plus grosses plates-formes numériques à de nouvelles obligations de moyens, de façon à lutter plus efficacement contre la désinformation et la haine en ligne. La mise en œuvre du DSA aura notamment pour conséquence d’augmenter les coûts des plates-formes liés à la modération ou à la couverture des nouveaux risques juridiques, mais aussi une mise en transparence des algorithmes qui pourrait nuire à leurs revenus tirés de la publicité intrusive ultraciblée.</p>
<p>Une fois par an, les plates-formes devront ainsi être auditées par des organismes indépendants placés sous la surveillance de la Commission européenne, et des amendes atteignant 6 % de leur chiffre d’affaires en cas d’infractions répétées pourront être prononcées.</p>
<p>Cet accord a fait dire au Commissaire européen Thierry Breton qu’avec l’accord conclu le 23 avril, « le temps des grandes plates-formes en ligne se comportant comme si elles étaient “trop grandes pour s’en soucier” <a href="https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/un-accord-provisoire-trouve-sur-le-digital-services-act-dsa-n181325.html">touche à sa fin</a> ». Le 26 avril, après l’officialisation du rachat de Twitter, il a assuré que le nouveau dirigeant « s’adaptera rapidement au DSA ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1518910089536716802"}"></div></p>
<p>Si Elon Musk va jusqu’au bout se sa logique, selon laquelle Twitter souffre d’un manque de liberté d’expression, des antagonismes risquent donc rapidement d’apparaître en Europe. Le bras de fer semble en tous cas engagé. En France, le secrétaire d’État au numérique Cédric O, a lui prévenu que le DSA « s’appliquera quelle que soit l’idéologie de son propriétaire ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1518691407703293954"}"></div></p>
<p>Certes, au sein de l’Union européenne, les géants du numérique ont jusqu’alors surtout eu affaire aux autorités fiscales et celles en charge de la concurrence. Cependant, si le DSA est effectivement appliqué, et que les utilisateurs s’en emparent pleinement pour signaler systématiquement les contenus non appropriés, il devrait quand même modifier les comportements… et par là même, l’avenir d’un réseau comme Twitter.</p>
<p>D’une part, parce que l’application du DSA pourrait dégrader un modèle économique, déjà peu robuste. L’augmentation des coûts liée aux exigences de modération pourrait se doubler d’une réduction des recettes, lesquelles reposent quasi exclusivement sur la publicité. L’attractivité de la régie publicitaire de Twitter pourrait souffrir de la lutte engagée contre l’exploitation de données sensibles, telles que les orientations sexuelles, politiques ou religieuses, particulièrement prisées des annonceurs. Un risque d’effet de ciseau, ou de réduction des marges, qui ne semble certes pas au cœur des préoccupations d’un milliardaire probablement enclin à ne pas gagner d’argent (du moins directement) avec son média.</p>
<p>D’autre part, si Elon Musk parvenait à ses fins en faisant de Twitter un espace de débat le plus ouvert possible, une partie des utilisateurs risquerait également de déserter le réseau social. Quel intérêt de recevoir des dizaines de messages d’insultes au moindre post ? Nous pourrions ainsi assister à une transposition, que nous avions détaillée dans un précédent <a href="https://theconversation.com/podcast-sur-les-reseaux-sociaux-aussi-la-mauvaise-monnaie-chasse-la-bonne-148240">podcast</a>, du précepte économique de la « mauvaise monnaie chasse la bonne » en « les mauvais utilisateurs chassent les bons ». Ne subsisteraient alors sur Twitter que les personnes en ayant une utilisation professionnelle, et les utilisateurs les moins modérés. Les autres pourraient se tourner vers d’autres espaces d’expression plus apaisés, mais aussi plus confidentiels, où paradoxalement, les obligations du DSA qui ciblent les plates-formes de plus de 45 millions d’utilisateurs actifs ne s’appliqueront pas.</p>
<p>Dans l’attente de pouvoir vérifier ces hypothèses, on pourra au moins avancer qu’avec le feuilleton de ce rachat, Elon Musk se met en scène comme le « <a href="https://theconversation.com/devenir-the-greatest-showman-la-construction-des-success-stories-91772">greatest showman</a> » du monde des affaires qui maîtrise le buzz et décrit le monde tel qu’il pourrait être. Une attitude au moins particulièrement appréciée des marchés financiers.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet du patron de Tesla pour le réseau social qu’il vient de racheter pourrait entrer en contradiction avec la nouvelle réglementation des services numériques européenne.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1819802022-04-26T19:48:22Z2022-04-26T19:48:22ZLe rachat par Elon Musk risque d’aggraver le problème de désinformation de Twitter<p>Elon Musk, la personne la plus riche du monde, <a href="https://www.wsj.com/articles/twitter-and-elon-musk-strike-deal-for-takeover-11650912837">a acquis Twitter</a> pour 44 milliards de dollars américains le 25 avril 2022, 11 jours après avoir fait son offre. Twitter a annoncé que l’entreprise, côtée à la bourse de New York depuis 2013, <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/04/26/elon-musk-rachete-twitter-ce-que-cela-pourrait-changer-pour-la-plateforme_6123662_4408996.html">passerait entièrement sous la propriété d’Elon Musk</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.sec.gov/Archives/edgar/data/0001418091/000110465922045641/tm2212748d1_sc13da.htm">dépôt auprès de la Securities and Exchange Commission</a> (SEC) des États-Unis, Elon Musk a expliqué : </p>
<blockquote>
<p>« J’ai investi dans Twitter car je crois en son potentiel d’être la plate – forme de la liberté d’expression dans le monde entier, et je pense que la liberté d’expression est un impératif sociétal pour une démocratie en bonne santé. »</p>
</blockquote>
<p>En tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=JpFHYKcAAAAJ">chercheuse spécialiste des réseaux sociaux</a>, je trouve que l’acquisition de Twitter par Elon Musk et les raisons qu’il a invoquées pour ce rachat soulèvent des questions importantes. Ces questions sont liées à la nature même des plates-formes de médias sociaux, qui se distinguent des plates-formes classiques.</p>
<h2>Ce qui rend Twitter unique</h2>
<p>Twitter occupe une place unique. Ses messages courts et ses fils de discussion favorisent les conversations en temps réel entre des milliers de personnes, ce qui le rend populaire auprès des célébrités, du monde des médias et des politiques.</p>
<p>Les analystes des médias sociaux prennent en compte la demi-vie du contenu sur ces plates-formes, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’un contenu atteigne 50 % de l’engagement qu’il aura totalisé à la fin de sa durée de vie, généralement mesuré en nombre de vues ou d’autres mesures de popularité. La demi-vie moyenne d’un tweet est <a href="https://www.business2community.com/social-media-articles/how-your-contents-half-life-should-drastically-impact-your-social-media-strategy-in-2020-02290478">d’environ 20 minutes</a>, contre cinq heures pour les publications Facebook, 20 heures pour les publications Instagram, 24 heures pour les publications LinkedIn et 20 jours pour les vidéos YouTube. Cette demi-vie beaucoup plus courte illustre le rôle central qu’occupe désormais Twitter en suscitant des conversations en temps réel, à mesure que se déroulent les évènements.</p>
<p>La capacité de Twitter à façonner le discours en temps réel, ainsi que la facilité avec laquelle les données, y compris les données géomarquées, peuvent être recueillies sur Twitter, en ont fait une mine d’or pour les chercheurs qui souhaitent analyser une variété de phénomènes sociétaux, allant de la santé publique à la politique. Les données issues de Twitter ont été utilisées pour prédire les <a href="https://ieeexplore.ieee.org/abstract/document/7045443">visites aux urgences liées à l’asthme</a>, mesurer la <a href="https://www.cs.jhu.edu/%7Emdredze/publications/2016_ossm.pdf">sensibilisation du public aux épidémies</a> et modéliser la <a href="https://doi.org/10.1080/1369118X.2016.1218528">dispersion de la fumée des feux de forêt</a>.</p>
<p>Les tweets qui constituent une discussion sont <a href="https://blog.twitter.com/en_us/a/2013/keep-up-with-conversations-on-twitter">affichés par ordre chronologique</a> et, même si une grande partie de l’engagement d’un tweet se fait en amont, les archives de Twitter <a href="https://blog.twitter.com/en_us/a/2015/full-archive-search-api">offrent un accès instantané et complet à tout tweet public</a>. Twitter permet ainsi <a href="https://twitter.com/sarahkendzior/status/1514590065674047488">d’enregistrer les évènements</a>, ce qui en fait, de facto, un outil pour « fact-checker » ce qui s’est réellement passé.</p>
<h2>Les projets d’Elon Musk</h2>
<p>Il est donc crucial de comprendre comment l’acquisition par Elon Musk de Twitter, ou plus généralement le contrôle privé de plates-formes de médias sociaux affectent le bien-être collectif. Dans une série de tweets supprimés, Elon Musk a fait plusieurs <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/moderation-services-payants-correction-des-tweets-ce-qu-elon-musk-prevoit-de-changer-chez-twitter-20220426">suggestions sur la façon de changer Twitter</a>, notamment en ajoutant un bouton d’édition pour les tweets et en accordant aux utilisateurs premium des badges distinctifs sur leur profil.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1511143607385874434"}"></div></p>
<p>Il n’existe aucune preuve expérimentale de la manière dont un bouton d’édition modifierait la transmission des informations sur Twitter. Cependant, il est possible d’extrapoler les analyses de recherches antérieures sur les tweets supprimés.</p>
<p>Il existe de nombreux moyens de <a href="https://www.tweettabs.com/find-deleted-tweets/">récupérer les tweets supprimés</a>, ce qui permet aux chercheurs de les étudier. Alors que certaines études montrent des <a href="https://www.aaai.org/ocs/index.php/ICWSM/ICWSM16/paper/viewPaper/13133">différences de personnalité significatives</a> entre les utilisateurs qui suppriment leurs tweets et ceux qui ne le font pas, ces résultats suggèrent que la suppression de tweets est un <a href="https://doi.org/10.1080/1369118X.2016.1257041">moyen pour les gens de gérer leur identité en ligne</a>.</p>
<p>L’analyse du comportement menant à ces suppressions de tweets peut fournir des indices précieux sur la <a href="https://ojs.aaai.org/index.php/ICWSM/article/view/14874">crédibilité et la désinformation en ligne</a>. De la même façon, si Twitter ajoutait un bouton d’édition, l’analyse des comportements menant à l’édition des tweets pourrait fournir des informations sur les intentions des utilisateurs de Twitter et l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes.</p>
<p>Des études sur l’activité des robots informatiques sur Twitter ont montré que <a href="https://www.npr.org/sections/coronavirus-live-updates/2020/05/20/859814085/researchers-nearly-half-of-accounts-tweeting-about-coronavirus-are-likely-bots">près de la moitié des comptes qui publient des tweets à propos du Covid-19 sont probablement des robots</a>. Étant donné les <a href="https://doi.org/10.1073/pnas.1804840115">clivages partisans et la polarisation politique dans les espaces en ligne</a>, permettre aux utilisateurs – qu’il s’agisse de robots informatiques ou de personnes réelles – de modifier leurs tweets pourrait devenir une nouvelle arme dans l’arsenal de désinformation utilisé par ces robots et les propagandistes. L’édition des tweets permettrait aux utilisateurs de déformer ce qu’ils ont dit, de manière sélective, ou de nier certains de leur propos, y compris les plus controversés, ce qui pourrait compliquer le traçage de la désinformation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1514590065674047488"}"></div></p>
<p>Elon Musk a également indiqué vouloir lutter contre les robots sur Twitter, ces comptes automatisés qui tweetent rapidement et de façon répétitive tout en se faisant passer pour de vrais utilisateurs. Il a appelé à <a href="https://twitter.com/elonmusk/status/1517215736606957573">authentifier les comptes gérés par de véritables êtres humains</a>.</p>
<p>Compte tenu des défis posés par les atteintes malveillantes à la vie privée en ligne, <a href="https://doi.org/10.1145/3131365.3131385">comme la pratique dite du « doxxing »</a> – la divulgation de données personnelles pour nuire à un individu –, il est nécessaire que les méthodes d’authentification respectent la vie privée des utilisateurs. Cela est particulièrement important pour les activistes, les dissidents et les lanceurs d’alerte qui sont menacés à cause de leurs activités en ligne. Des mécanismes tels que les <a href="https://www.ijert.org/decentralized-access-control-technique-with-anonymous-authentication">protocoles décentralisés</a> permettraient l’authentification tout en garantissant l’anonymat.</p>
<h2>La modération du contenu sur Twitter et son business model</h2>
<p>Pour comprendre les intentions d’Elon Musk et ce qui attend les plates-formes de médias sociaux telles que Twitter, il est important de prendre en compte le gargantuesque – et opaque – <a href="https://warzel.substack.com/p/the-internets-original-sin?s=r">écosystème de la publicité en ligne</a>, qui comprend une variété de technologies utilisées par les réseaux publicitaires, les médias sociaux et les éditeurs qui proposent des espaces publicitaires. La publicité est la <a href="https://www.wsj.com/articles/social-media-may-have-to-embrace-the-musk-11649691208">principale source de revenus pour Twitter</a>.</p>
<p>Elon Musk a pour projet de <a href="https://www.zonebourse.com/barons-bourse/Elon-Musk-1364/actualites/Musk-propose-un-remaniement-de-l-abonnement-a-Twitter-Blue-quelques-jours-apres-avoir-divulgue-une-p--40016527/">générer les revenus de Twitter à partir des abonnements</a> plutôt qu’à partir de la publicité. En s’épargnant le souci d’attirer et de retenir les annonceurs, Twitter aurait moins besoin de se concentrer sur la modération du contenu. Twitter deviendrait ainsi une sorte de site d’opinion, pour des abonnés payants, dénué de contrôle. À l’inverse, Twitter s’est montré jusqu’à présent très actif <a href="https://www.techdirt.com/2021/02/10/content-moderation-case-study-twitter-attempts-to-tackle-covid-related-vaccine-misinformation-2020/">dans sa modération du contenu</a> afin de lutter contre la désinformation.</p>
<p>La description faite par Elon Musk d’une <a href="https://qz.com/2155098/elon-musks-twitter-bid-isnt-about-free-speech/">plateforme qui ne se préoccupe plus de modérer le contenu</a> est inquiétante en considération des préjudices causés par les algorithmes des médias sociaux. Des recherches en ont mis en évidence un grand nombre, comme les <a href="https://doi.org/10.1145/3468507.3468512">algorithmes qui attribuent un sexe</a> aux utilisateurs, les <a href="https://doi.org/10.1145/3287560.3287587">inexactitudes et biais potentiels des algorithmes</a> utilisés pour récolter des informations sur ces plates-formes, et les conséquences <a href="https://theconversation.com/biases-in-algorithms-hurt-those-looking-for-information-on-health-140616">pour la santé de ceux qui s’informent en ligne sur ce sujet</a>.</p>
<p>Le témoignage de la lanceuse d’alerte <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/qui-est-frances-haugen-la-lanceuse-d-alerte-de-facebook-431702">Frances Haugen</a>, ancienne employée de Facebook, et les récents efforts de réglementation, tels que le <a href="https://www.euractiv.fr/section/economie/news/les-legislateurs-britanniques-demandent-un-renforcement-du-projet-de-loi-sur-la-securite-en-ligne/">projet de loi sur la sécurité en ligne dévoilé au Royaume-Uni</a> ou les <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220423-l-union-europ %C3 %A9enne- %C3 %A9limine-les-zone-de-non-droit-sur-internet">futures législations de l’Union européenne</a>, montrent que le public est largement préoccupé par le rôle joué par les plates-formes technologiques dans la formation des idées de société et de l’opinion publique. L’acquisition de Twitter par Elon Musk <a href="https://www.mac4ever.com/divers/170524-twitter-elon-musk-devra-respecter-les-normes-de-l-ue-pour-son-paradis-de-la-liberte-d-expression">met en lumière toute une série de préoccupations réglementaires</a>.</p>
<p>En raison des autres activités d’Elon Musk, la <a href="https://www.nasdaq.com/articles/how-does-social-media-influence-financial-markets-2019-10-14">capacité de Twitter à influencer l’opinion publique</a> dans les secteurs sensibles de l’aviation et de l’automobile provoque automatiquement un conflit d’intérêts, sans compter les implications quant à la divulgation des <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/delit-d-initie-1348718">informations importantes</a> nécessaires aux actionnaires. En ce sens, Elon Musk a déjà été accusé de <a href="https://www.clubic.com/internet/twitter/actualite-418056-elon-musk-poursuivi-par-un-actionnaire-de-twitter-pour-avoir-fausse-le-cours-de-l-action-de-l-entreprise.html">retarder la divulgation de sa participation dans Twitter</a>.</p>
<p>Le <a href="https://blog.twitter.com/engineering/en_us/topics/insights/2021/learnings-from-the-first-algorithmic-bias-bounty-challenge">challenge lancé par Twitter aux hackers pour détecter les biais existants dans ses propres algorithmes</a> a montré qu’une approche communautaire était nécessaire pour créer de meilleurs algorithmes. Ainsi, le MIT Media Lab a imaginé un exercice très créatif consistant à demander aux collégiens de <a href="https://www.media.mit.edu/galleries/youtube-redesign/">réimaginer la plate-forme YouTube en tenant compte de l’éthique</a>. Il est peut-être temps de demander à Elon Musk de faire de même avec Twitter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anjana Susarla reçoit un financement de l'Institut national de la santé et de la chaire Omura-Saxena en AI responsable.</span></em></p>Twitter, plus que tout autre réseau social, permet de suivre et de commenter les événements en temps réel. L'acquisition de la plate-forme par Elon Musk pourrait radicalement changer la donne.Anjana Susarla, Professor of Information Systems, Michigan State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1713572022-01-12T15:30:37Z2022-01-12T15:30:37ZLes communautés universitaires sont essentielles pour protéger la liberté individuelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/434469/original/file-20211129-25-19pyso3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C0%2C3861%2C2566&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les universités doivent concilier l’équilibre nécessaire entre la protection des libertés de pensée, d’expression, d’enseignement et de recherche avec le respect de la diversité, l’équité et l’égalité. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le récent <a href="https://www.uottawa.ca/fr/comite-liberte-academique">rapport sur la liberté académique</a> du comité de l’Université d’Ottawa présidé par l’ex-Juge de Cour Suprême du Canada, Michel Bastarache, a mis le doigt sur un défi auquel le secteur universitaire fait face en Amérique du Nord et partout dans le monde : comment concilier l’équilibre nécessaire entre la protection des libertés de pensée, d’expression, d’enseignement et de recherche avec le respect de la diversité, l’équité et l’égalité.</p>
<p>Cependant le rapport est clair sur un principe fondamental : « Le Comité est de ce fait en désaccord avec l’exclusion de termes, d’ouvrages ou d’idées dans le contexte d’une présentation ou d’une discussion respectueuse de nature universitaire et dans un but pédagogique et de diffusion des savoirs ».</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434471/original/file-20211129-15-1ul7az5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ex-juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, a publié un rapport sur la liberté académique à l’Université d’Ottawa.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Colin Perkel</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce rapport fait suite à une série de polémiques à l’Université, dont celle impliquant la professeure Verushka Lieutenant-Duval, suspendue l’automne dernier <a href="https://www.ledroit.com/2021/11/04/rapport-bastarache-a-ludo--la-liberte-academique-et-dexpression-doivent-etre-protegees-4d3a4077730dbf955af2da41e34b810f">après que certains étudiants se soient plaints qu’elle ait prononcé le mot en « N » dans un contexte académique</a>.</p>
<p>Le cas du professeur iranien de physique, Qasem Exifirard, maintenant chercheur associé à l’Université d’Ottawa, illustre les conséquences du manque de liberté académique, dans un pays où l’autonomie universitaire n’existe pas. En compagnie de ma collègue Catalina Arango, nous avons interviewé le professeur Exirifard afin de mieux connaître son cas dans le cadre du travail de recherche et de divulgation sur la liberté académique dans le <a href="https://cdp-hrc.uottawa.ca/fr/research/scholars_at_risk">Centre de Recherche et Éducation sur les Droits de la Personne</a> en collaboration avec l’organisation internationale <a href="https://www.scholarsatrisk.org/">Scholars at Risk</a>, dédiée justement à la protection des professeurs et étudiants persécutés à cause de leurs activités universitaires.</p>
<h2>Une situation kafkaïenne</h2>
<p>Le professeur <a href="https://uniweb.uottawa.ca/members/4503">Qasem Exirifard</a> a été licencié de l’Université de technologie Khajeh Nasir Toosi en 2015, après que le Conseil suprême de la révolution culturelle en Iran, chargé d’évaluer les qualifications des universitaires pour continuer à enseigner, a décidé que sa voix était trop élevée et « efféminée ».</p>
<p>Toutes les politiques et réglementations relatives à l’éducation sont dirigées par le <a href="https://www.amnesty.org/en/documents/MDE13/015/2014/en/">Conseil suprême de la révolution culturelle (SCCR)</a>, un organe nommé par le Guide suprême iranien et relevant de lui. L’objectif principal de ce Conseil est de mettre l’éducation et l’enseignement en conformité avec ce qu’il considère être des principes islamiques authentiques. Un système de vigilance disciplinaire, de contrôle et de sanction a été mis en place dans chaque université du pays, dirigé par des unités de sécurité sur le campus et des comités de discipline pour se conformer efficacement aux « politiques stratégiques ».</p>
<p>C’est le système éducatif dans lequel le professeur Exirifard a commencé à enseigner à l’Université de technologie Khajeh Nasir Toosi de Téhéran en 2014. Après un an, son contrat n’a pas été renouvelé. La raison ? Le ton de sa voix conduirait au ridicule en classe. Aucun étudiant n’avait fait des commentaires à ce sujet.</p>
<p>Après avoir perdu son poste, il a commencé à enseigner la physique dans la rue ; entre 2015 et 2016, il a enseigné un total de 1400 heures à quiconque voulait en savoir plus sur les lois de l’univers, les quanta, la théorie de la relativité et d’autres sujets. C’était une forme de protestation, dans un pays où manifester n’est pas toléré. Il s’est également adressé aux tribunaux pour contester la décision du Conseil, mais comme les juges ne sont pas indépendants en Iran, le tribunal a tranché en faveur du SCCR. Il a été interdit d’enseigner. « J’ai fait tout ce que j’ai pu, mais je n’ai pas pu retrouver mon travail et j’ai risqué d’aller en prison à cause du fonctionnement du système ». Il a quitté le pays en 2019 pour aller d’abord en Italie, puis au Canada.</p>
<h2>Un homme prudent</h2>
<p>Le professeur Exirifard, maintenant associé de recherche au Département de physique de l’Université d’Ottawa, nous a raconté dans un entretien la situation kafkaïenne qu’il a vécue en Iran.</p>
<p>Il a insisté pour nous parler davantage de ses travaux actuels, ce qui a donné lieu à des publications comme celle qu’il a écrite avec d’autres de ses collègues de l’Université d’Ottawa, le professeur Ebrahim Karimi et un étudiant diplômé Eric Culf, intitulé <a href="https://www.nature.com/articles/s42005-021-00671-8">_Towards Communication in a Curved Spacetime Geometry</a>_.</p>
<p>Interrogé sur les détails et les implications de son licenciement, il a rappelé la réponse qu’il a donnée lorsqu’il a été interrogé sur ses croyances religieuses et la place de Dieu dans ses cours de physique lors d’une évaluation de morale et de religion par le Conseil : « Je ne suis qu’un physicien, un homme de connaissance, un scientiste. Je n’enseigne que la physique. Je ne suis pas un leader qui dit aux gens ce qu’ils doivent penser ».</p>
<p>Il est très prudent lorsqu’il s’agit de partager son point de vue sur la liberté universitaire au Canada ou les enjeux liés aux théories du complot qui circulent depuis le début de la pandémie de Covid-19. Il préfère également rester à l’écart de la polémique lorsqu’on l’interroge sur les attaques contre la liberté académique provenant de l’idéologie dite de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Justice_sociale">« justice sociale critique »</a>.</p>
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<img alt="Une vue du département des sciences sociales de l’Université d’Ottawa" src="https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/434472/original/file-20211129-71996-1qdip69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une vue du département des sciences sociales de l’Université d’Ottawa.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>De même, lorsqu’on parle de l’importance de la science et de la vérité scientifique dans un monde de pandémies et de changement climatique, il préfère rester prudent : « La science évolue et change constamment », dit-il. « Nous devrions nous appuyer sur des preuves, mais il n’y a pas de vérité définitive en science ». Il préfère parler plutôt des avantages de vivre dans une société démocratique comme le Canada, où les opinions peuvent être exprimées librement et débattues.</p>
<h2>Le rôle de la communauté universitaire</h2>
<p>Le cas du professeur Exirifard est incontestablement une violation de la liberté académique selon les <a href="https://undocs.org/A/75/261">normes internationales</a>. En effet, le gouvernement iranien a échoué dans son obligation de protéger les établissements d’enseignement supérieur en tant d’environnements sûrs pour faire la recherche, recevoir et transmettre des informations, et discuter des idées. L’autonomie universitaire est menacée en Iran en raison des contraintes d’un régime théocratique.</p>
<p>Le professeur Exirifard affirme avoir reçu « un énorme soutien » de collègues et d’étudiants au lendemain de son licenciement, mais « il y a une différence entre un soutien personnel et un soutien collectif », précise-t-il.</p>
<blockquote>
<p>À un moment donné, pendant le combat que j’ai mené au tribunal, j’ai eu besoin du soutien professionnel de la Société de physique d’Iran en confirmant que je pouvais effectivement enseigner la physique, mais la Société s’est abstenue de fournir son point de vue professionnel. Ils ne voulaient pas contredire l’évaluation de l’université, du Conseil et du ministère, même si j’étais un membre de longue date. S’ils m’avaient fourni ce soutien, j’aurais eu de bonnes chances de retrouver mon emploi.</p>
</blockquote>
<p>Lorsqu’une communauté universitaire est mise en danger, c’est la société qui en souffre. Les communautés universitaires sont essentielles pour protéger la liberté individuelle en raison de leurs capacités à remettre en question, à innover, à trouver des solutions, à faire la recherche et à débattre des idées. Et ceci est vrai en Iran, au Canada et partout dans le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171357/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isaac Nahon-Serfaty est membre de Scholars at Risk Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Catalina Arango ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les communautés universitaires sont essentielles pour protéger la liberté individuelle. Elles remettent en question, innovent, trouvent des solutions, font de la recherche et débattent des idées.Isaac Nahon-Serfaty, Associate Professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaCatalina Arango, Project Coordinator Scholars at Risk in the Americas, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1746232022-01-11T20:51:54Z2022-01-11T20:51:54ZJusqu’où peut-on invoquer la liberté académique ?<p>Ces derniers mois, la liberté académique a fait l’objet, de façon tout à fait inédite en France, d’une attention particulière. Cet intérêt soudain pour une liberté jusqu’à présent méconnue s’explique principalement par <a href="https://www.puf.com/content/Le_savoir_en_danger_Menaces_sur_la_libert%C3%A9_acad%C3%A9mique">l’émergence de diverses menaces</a> qui viennent aussi bien des sphères politiques, économiques que militantes. Ce climat de tension va à l’encontre de la nécessaire indépendance des universitaires dans leurs domaines de recherche et d’enseignement.</p>
<p>L’un des exemples les plus emblématiques a été donné par le débat sur « l’islamo-gauchisme » au cours duquel, en février 2021, la ministre chargée de l’enseignement supérieur <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/02/18/polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-de-l-enseignement-superieur-recadree-par-l-executif-et-les-chercheurs_6070388_823448.html">a sollicité un rapport</a> sur la diffusion de ce courant au sein des universités françaises. Cet évènement, s’il a logiquement suscité la stupeur d’une partie de la communauté universitaire, a paradoxalement eu le mérite de conduire le législateur à introduire, pour la première fois en droit français, la notion de « liberté académique ». <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042738047">L’article 15 de la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020</a> est en effet venu modifier le code de l’éducation qui énonce désormais que « les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1362021478489878542"}"></div></p>
<p><a href="https://signal.sciencespo-lyon.fr/article/811669/L-entree-dans-la-loi-des-libertes-academiques-une-occasion-manquee----n9">Le caractère imprécis</a> de la formule retenue, qui se manifeste notamment par l’utilisation du pluriel pour désigner « les libertés académiques », illustre cependant la méconnaissance qui entoure le concept de liberté académique en France.</p>
<p>Les universitaires eux-mêmes peinent à en saisir le contenu et la portée, ce dont témoigne <a href="https://twitter.com/franceinter/status/1473264448387305472?t=_QN0lGuZq7FL1P1DLvRgKA&s=03">l’affaire en cours au sein de l’IEP de Grenoble</a>. La liberté académique a été brandie pour contester la décision de suspension d’un professeur, alors qu’était en réalité en jeu la liberté d’expression de droit commun, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/04/la-liberte-academique-n-est-nullement-en-cause-dans-l-affaire-de-l-iep-de-grenoble_6108102_3232.html">comme l’a souligné</a> le professeur de droit public Olivier Beaud.</p>
<p>Cette affaire justifie que soient apportés quelques éléments de définition juridique sur le contenu et le champ d’application de la liberté académique : que recouvre-t-elle et jusqu’où trouve-t-elle à s’appliquer ?</p>
<h2>Un concept universel</h2>
<p>La liberté académique est consubstantielle à toute démocratie libérale. Elle n’a en effet d’autre objectif que de permettre la recherche et la transmission libres du savoir au sein des universités, non seulement au service des usagers de ce service public, mais aussi, plus largement, au profit de la société dans son ensemble.</p>
<p>Dès lors, la plupart des démocraties libérales définissent la liberté académique dans leur droit interne et ce, en des termes juridiques proches.</p>
<p>Inspiré de la définition proposée par le droit allemand, qui fut le premier à en préciser, par écrit, le contenu, la liberté académique est systématiquement définie comme un ensemble de libertés comprenant, d’abord, la liberté de la recherche et la liberté de l’enseignement, lesquelles comprennent la liberté d’expression. Ce premier ensemble de libertés constitue la dimension individuelle de la liberté académique en ce qu’il protège les universitaires.</p>
<p>La liberté académique comprend ensuite l’autonomie des universités qui, bien que garantissant <em>in fine</em> l’indépendance des universitaires, est un principe d’ordre institutionnel dans la mesure où il concerne l’organisation et le fonctionnement des établissements.</p>
<h2>Des spécificités françaises</h2>
<p>En France, ce n’est que depuis 2020 que l’expression de « libertés académiques » est expressément entrée en droit interne. Pour autant, les universitaires français – juridiquement qualifiés d’« enseignants-chercheurs » – jouissent bien, de longue date et bien avant l’adoption de loi du 24 décembre 2020, d’un ensemble de libertés qui étaient jusqu’à présent désignées sous l’expression de « libertés universitaires ».</p>
<p>Quelle que soit la dénomination retenue – qui importe finalement peu –, le contenu de ces libertés est proche de celui que l’on retrouve dans les autres démocraties libérales, sous réserve de quelques spécificités mineures propres au droit français. Dans sa dimension individuelle, la liberté académique est d’abord décrite comme comprenant la « pleine indépendance » et l’« entière liberté d’expression » des enseignants-chercheurs (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042813115/">article L.952-2 du code de l’éducation</a>).</p>
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<figcaption><span class="caption">La liberté académique est-elle en danger ? (Interview d’Olivier Beaud, France Culture, décembre 2021).</span></figcaption>
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<p>L’originalité française tient à ce que, d’une part, une place centrale est faite au principe d’indépendance des enseignants-chercheurs – dont la valeur constitutionnelle a même fini par être reconnue par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1984/83165DC.htm">Conseil constitutionnel en 1984</a> – et, d’autre part, à ce que l’existence des libertés de la recherche et de l’enseignement n’est pas expressément reconnue. Cependant, celles-ci sont couvertes, en grande partie, par la liberté d’expression.</p>
<p>Dans sa dimension institutionnelle, la liberté académique est ensuite consacrée de façon tout à fait classique à travers l’autonomie des universités (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042813221/">article L.711-1 du code de l’éducation</a>). Ainsi, quand bien même l’expression de « libertés académiques » n’est apparue que très récemment dans la loi, la France s’inscrit bien dans la lignée de ces démocraties libérales qui reconnaissent l’existence de la liberté académique. Il reste à en préciser le champ d’application : quand peut-elle être revendiquée et produire ses effets ?</p>
<h2>Quel champ d’application ?</h2>
<p>Pour délimiter le champ d’application de la liberté académique, il convient de s’intéresser à sa finalité même. Comme cela a déjà été relevé, la liberté académique n’a d’autre but que de servir la poursuite de la vérité sans aucune entrave ou contrainte. Or cet objectif ne peut être atteint que si les universitaires sont libres de mener leurs recherches et d’en partager, tout aussi librement, les résultats, notamment au cours de leurs enseignements.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-liberte-academique-des-enseignants-est-elle-en-danger-sur-les-campus-americains-156729">La liberté académique des enseignants est-elle en danger sur les campus américains ?</a>
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<p>Il en résulte que la liberté académique n’a de sens et ne trouve à s’appliquer que lorsque les professeurs exercent leurs activités de recherche et enseignent. C’est bien ce qu’énonce le droit écrit français : l’indépendance et l’entière liberté d’expression dont bénéficient les enseignants-chercheurs ne s’appliquent que dans « l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042813115/">article L.952-2 du code de l’éducation précité</a>).</p>
<p>En dehors, la liberté académique ne se justifie plus ; elle ne peut alors s’appliquer, ni être revendiquée. La plus haute juridiction administrative française a confirmé cette approche. Le Conseil d’État a en effet jugé que le fait, pour un universitaire, d’avoir eu « une attitude humiliante à l’égard de deux étudiants, comportant des allusions personnelles à caractère sexuel, de nature à porter atteinte à leur dignité […] devait être regardé comme détachable des fonctions d’enseignement de ce professeur » lequel ne pouvait, dès lors, « bénéficier de la protection de la liberté d’expression des enseignants-chercheurs garantie par l’article L.952-2 du code de l’éducation » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000038670512/">CE, 21 juin 2019, Req. n° 424582</a>).</p>
<p>S’il est évident que la liberté académique ne pouvait couvrir de tels propos, le lien entre l’expression d’un point de vue et les activités d’enseignement et de recherche est parfois plus difficile à établir. Il n’en demeure pas moins que la protection accordée par la liberté académique s’arrête bien aux frontières des missions universitaires.</p>
<h2>Règles de la fonction publique</h2>
<p>En dehors de leurs fonctions, les universitaires ne sont pas dépourvus de toute liberté ; ils jouissent en réalité des libertés de « droit commun » qui sont nécessairement limitées. Ainsi, ils sont d’abord soumis, comme n’importe quel citoyen et comme lorsqu’ils exercent leurs fonctions académiques, aux dispositions pénales sanctionnant les abus à la liberté d’expression : ils doivent par exemple s’abstenir de tenir des propos injurieux, diffamatoires ou racistes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1473264448387305472"}"></div></p>
<p>Ils sont ensuite soumis, en leur qualité de fonctionnaires d’État, aux règles issues du droit de la fonction publique, lesquelles imposent aux universitaires de respecter un certain nombre de contraintes et d’obligations en dehors des fonctions, telles que les devoirs de réserve, de neutralité, de loyauté, ou encore de discrétion professionnelle.</p>
<p>En cas de manquement à ces obligations professionnelles, les universitaires s’exposent à des sanctions disciplinaires. Cette hypothèse est loin d’être fictive et certains exemples emblématiques jalonnent l’histoire du droit universitaire.</p>
<p>On peut citer le cas de cet enseignant-chercheur, par ailleurs titulaire de mandats électifs, qui a été sanctionné de l’interdiction d’exercer toute fonction d’enseignement ou de recherche au sein de son université pour une durée de cinq ans pour avoir tenu des propos qui étaient « de nature à semer le doute sur l’existence des chambres à gaz » lors d’une rencontre avec la presse organisée dans sa permanence politique (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000018573319/">CE, 19 mars 2008, Gollnisch</a>).</p>
<p>Cet exemple – comme d’autres plus récents – met en évidence l’importance de cerner et d’assimiler le contenu et le champ d’application de la liberté académique. Pour que cette liberté, indispensable à toute société démocratique, préserve sa pleine légitimité, il convient de ne pas l’invoquer, tel un talisman qui autoriserait tout comportement, dans des circonstances où elle ne trouve manifestement pas à s’appliquer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174623/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Fernandes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour que la liberté académique préserve sa pleine légitimité, il convient de ne pas la brandir, tel un talisman, dans des circonstances où elle ne trouve manifestement pas à s’appliquer.Camille Fernandes, Docteure en droit public, membre du CRJFC, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700292021-10-20T19:30:09Z2021-10-20T19:30:09ZLa fermeture de la Novaïa Gazeta, dernier clou dans le cercueil de la liberté d’expression en Russie<p>L’information est tombée ce 28 mars : la <em>Novaïa Gazeta</em>, qui était l’un des derniers journaux russes indépendants et critiques envers le Kremlin, <a href="https://www.letemps.ch/monde/journal-novaia-gazeta-suspend-publication">vient de suspendre sa publication</a>, en raison d’un second avertissement du régulateur russe des communications, le Roskomnadzor. Le quotidien, qui tirait encore à 100 000 exemplaires, ne dissimulait pas son opposition à la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, pudiquement qualifiée d’« opération spéciale » par les autorités. Mais officiellement, c’est un manquement à l’obligation de signaler qu’une ONG citée dans l’un de ses articles avait été identifiée comme « agent de l’étranger » qui lui a valu ce second avertissement – dernière étape avant fermeture définitive. Le journal a donc décidé de prendre les devants.</p>
<p>Le monde entier avait découvert la <em>Novaïa Gazeta</em> il y a quelques mois, quand son rédacteur en chef, Dmitri Mouratov, avait été récompensé par le prix Nobel de la paix. On avait pu espérer, un temps, que cette notoriété internationale protégerait la « NG ». Cette protection n’a pas résisté à l’ambiance plus délétère que jamais qui règne en Russie depuis le début de l’invasion de l’Ukraine le 24 février.</p>
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<figcaption><span class="caption">Russie : le titre de presse indépendant Novaïa Gazeta suspend sa publication sous la pression (France 24, 29 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Que le Nobel de la Paix ait été décerné, en 2021, à deux journalistes – <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/17/maria-ressa-prix-nobel-de-la-paix-nous-sommes-entres-dans-l-ere-des-autoritarismes-numeriques_6098698_3210.html">Maria Ressa</a> (Philippines) et Dmitri Mouratov (Russie) – travaillant dans des pays très différents indique que c’est avant tout un type de combat qui a été salué : celui de journalistes luttant pour la liberté d’informer dans des États où cette liberté est de plus en plus réduite.</p>
<p>Dmitri Mouratov – troisième Russe à obtenir ce Nobel, après le dissident Andreï Sakharov en 1975 et Mikhaïl Gorbatchev en 1990, tous deux encore à l’époque soviétique – incarne ce combat en Russie, mais il insiste sur la dimension collective de la récompense. Le Nobel a été selon lui attribué « à la rédaction » de la <em>Novaïa Gazeta</em> (littéralement « Le Nouveau journal »), que Mouratov a cofondée en 1993 et dont il est le rédacteur en chef : <a href="https://meduza.io/feature/2021/10/08/eto-premiya-moih-pogibshih-kolleg-a-chto-pishut-v-sotssetyah-mne-pofigu">à l’en croire</a>, « 130 lauréats du prix Nobel parcourent ses couloirs ».</p>
<h2>Trente-cinq années de bouleversements dans le journalisme</h2>
<p>Au-delà de cette équipe, Mouratov est l’un des symboles d’une profession qui, dans la Russie des trente-cinq dernières années, a été particulièrement bousculée par les évolutions politiques, a aussi tenté d’influer sur celles-ci, s’est parfois laissé instrumentaliser et corrompre… et compte aujourd’hui ses <a href="http://www.owlapps.net/owlapps_apps/articles?id=10005698&lang=en">tués</a>.</p>
<p>La liberté de la presse a été l’un des enjeux et des succès de la <em>perestroïka</em> – on parlait de <em>glasnost’</em> (transparence) pour désigner cette possibilité nouvelle d’aborder les problèmes soviétiques les plus aigus, des crimes du stalinisme aux échecs économiques. Une nouvelle génération de journalistes est alors apparue, étonnamment compétente dans cette URSS finissante. Dans les années 1990, elle s’est heurtée à des crises économiques et sociales violentes, mais a aussi bénéficié de libertés inexistantes auparavant.</p>
<p>Dès son arrivée à la présidence en 2000, Vladimir Poutine – tout en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uourVV8tBSU">assurant</a> être « profondément convaincu qu’il ne [pouvait] y avoir le moindre développement en Russie et que le pays n’[aurait] pas le moindre avenir » si « les libertés civiques et la presse » y étaient victimes de pressions – cherche à prendre le contrôle des médias.</p>
<p>Les méthodes employées sont diverses : pousser à l’exil des oligarques-patrons de presse comme <a href="https://www.liberation.fr/planete/2001/02/19/un-magnat-russe-en-exil_355188/">Vladimir Goussinski</a> ou <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/03/24/oligarque-favori-sous-eltsine-et-banni-sous-poutine_890962/">Boris Berezovski</a> ; faire acquérir des médias par des proches, à commencer par <a href="https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/gazprom-etend-encore-son-empire-mediatique-en-russie-932369.php">Gazprom</a> ; effrayer les uns, acheter les autres, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2007/04/27/des-medias-de-plus-en-plus-controles_902723_3214.html">imposer des règles de plus en plus strictes</a>. Parallèlement, le développement d’Internet donne à une partie de la population accès à des informations démultipliées, et une jeunesse ayant à peine connu l’URSS se passionne à son tour pour le journalisme.</p>
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<figcaption><span class="caption">Oleg Kachine, journaliste russe passé à tabac (TV5 Monde, 9 novembre 2010).</span></figcaption>
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<p>Les pressions politiques se sont encore accentuées après l’échec des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2012/03/02/russie-manifestations-poutine-moscou-contestation_n_1316798.html">manifestations de 2011-2012</a>. De nouveau, des journalistes sont <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/04/05/97001-20120405FILWWW00787-une-journaliste-agressee-en-russie.php">attaqués physiquement</a>, interpellés <a href="https://www.lepoint.fr/monde/russie-un-journaliste-d-investigation-repute-arrete-07-06-2019-2317600_24.php">sous de faux prétextes</a>, voire accusés d’<a href="https://www.eurotopics.net/fr/243758/un-grand-journaliste-russe-arrte-pour-d-espionnage">espionnage</a>.</p>
<p>Si certains s’adaptent, de plus en plus émigrent et tentent de travailler dans des médias russophones basés à <a href="https://www.rferl.org/">Prague</a>, dans les <a href="https://meduza.io/en">pays baltes</a> ou à <a href="https://www.youtube.com/c/OstWestTV/videos">Berlin</a>. En Russie, une grande partie des médias indépendants a disparu et ceux qui persistent (comme la chaîne de télévision TV <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/08/kremlin-designates-dozhd-tv-foreign-agent-in-yet-another-attack-on-press-freedom-2/">Dojd’</a>) se voient accoler l’étiquette, aussi humiliante que fausse et dangereuse, d’« agents de l’étranger ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1349557185303502849"}"></div></p>
<p>Le classement de la Russie en matière de liberté de la presse est le reflet de ces évolutions. D’après l’ONG <a href="https://freedomhouse.org/sites/default/files/FOTP%202003%20Full%20Report.pdf">Freedom House</a>, la Russie a rejoint en 2003 le groupe des pays considérés comme « non libres », alors qu’elle faisait jusque-là partie des pays « partiellement libres ». Cette année-là, elle était 148<sup>e</sup> sur 166 dans le <a href="https://rsf.org/fr/deuxieme-classement-mondial-de-la-liberte-de-la-presse-octobre-2003.">classement établi par Reporters sans frontières</a>. En 2021, dans ce même classement, elle est <a href="https://rsf.org/en/ranking#.">150ᵉ sur 180</a>, coincée entre la République démocratique du Congo et le Honduras.</p>
<h2>La <em>Novaïa Gazeta</em>, une habituée des sujets risqués</h2>
<p>Entre tempêtes et tentations, la <em>Novaïa Gazéta</em> a <a href="https://www.facebook.com/novayafilm/videos/385621568810322">tenu le cap</a>. Sortant trois fois par semaine, elle vise un lectorat instruit et partisan d’une démocratisation. Peu diffusée dans sa version papier (environ 80 000 exemplaires), elle est surtout lue sur son site (<a href="https://www.la-croix.com/Dmitri-Mouratov-Novaia-Gazeta-enquete-journalistique-prix-sang-2021-10-08-1301179555">17 millions de visiteurs en septembre</a>). 76 % de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/10/09/les-journalistes-maria-ressa-et-dmitri-mouratov-un-double-prix-nobel-de-la-paix-pour-defendre-la-liberte-d-informer_6097701_3210.html">ses actions</a> appartiennent à la rédaction, 14 % à l’homme d’affaires Alexandre Lebedev et 10 % à Mikhaïl Gorbatchev.</p>
<p>La <em>Novaïa Gazeta</em> publie des enquêtes approfondies, parfois un peu austères, sur des sujets sensibles. Elle a ainsi dévoilé de nombreuses violations des droits de l’homme en Tchétchénie et notamment, en 2017, les arrestations, dans cette république, d’<a href="https://novayagazeta.ru/articles/2017/04/01/71983-ubiystvo-chesti">homosexuels</a>, enfermés dans une <a href="https://novayagazeta.ru/news/2017/10/16/136184-geroy-rassledovaniya-novoy-gazety-publichno-rasskazal-o-pytkah-v-sekretnoy-tyurme-dlya-geev-v-chechne">« prison secrète »</a> et <a href="https://novayagazeta.ru/news/2017/10/16/136184-geroy-rassledovaniya-novoy-gazety-publichno-rasskazal-o-pytkah-v-sekretnoy-tyurme-dlya-geev-v-chechne">torturés</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1083971912924123136"}"></div></p>
<p>C’est elle, aussi, qui a signalé en août 2014 que des parachutistes russes, basés à Pskov, venaient d’être <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2014/08/26/60865-desant">enterrés dans cette ville</a> : ils auraient été tués au combat en Ukraine, ce que les autorités militaires russes ont nié. Elle a continué à enquêter sur la <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2015/03/02/63241-voyna-obratnaya-svyaz">présence russe en Ukraine</a> pendant les années ayant précédé la guerre, et cherché à établir comment et par qui y avait été abattu l’avion du <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2021/07/18/vse-o-sbitom-malaziiskom-boinge.">vol MH17</a>. Elle a révélé des <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2019/11/20/82805-golovorezy-21">crimes commis par des mercenaires russes en Syrie</a> et suit sans relâche les actions de l’opposition russe, ainsi que les répressions subies par celle-ci. Et, jusqu’à hier, elle faisait son possible pour alerter ses lecteurs sur la réalité de la guerre en Ukraine.</p>
<p>La <em>Novaïa Gazeta</em> demande régulièrement aux autorités russes <a href="https://novayagazeta.ru/articles/2020/04/21/85017-golovorezy-2-0">d’enquêter sur des crimes qu’elle leur signale</a>, et cela a donné certains résultats dans le cas de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa. Mais elle fait souvent l’objet de menaces, notamment de la <a href="https://www.youtube.com/watch ?app=desktop&v=Pfbjnpfj3ZE">part de militaires tchétchènes</a>. Les six personnes tuées que Mouratov associe à son Nobel, en <a href="https://www.bbc.com/russian/news-58841807.">citant leurs noms presque dans chaque déclaration</a>, témoignent de la réalité de ces menaces.</p>
<h2>Anna Politkovskaïa… et les autres</h2>
<p>La plus célèbre d’entre elles est <a href="https://www.franceculture.fr/politique/je-dois-raconter-ce-que-jai-vu-anna-politkovskaia-aurait-eu-60-ans">Anna Politkovskaïa</a>, qui écrivait des articles remarquablement courageux sur la guerre de Tchétchénie et sur la dégradation des droits et libertés en Russie. Elle a été assassinée dans son immeuble à Moscou le 7 octobre 2006. Le 7 octobre 2021, à la veille de l’attribution du Nobel, la <em>Novaïa Gazeta</em> lui rendait une nouvelle fois hommage, en inaugurant dans ses locaux un <a href="https://twitter.com/FranceEnRussie/status/1446162733695737859">musée à son nom</a> et en rendant public un film de presque deux heures, <em>Comment ils ont tué Anna</em>, sur l’enquête menée par le journal pour découvrir les véritables commanditaires de ce meurtre.</p>
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<figcaption><span class="caption">The assassination of Anna Politkovskaya : The first detailed account of a murder investigation (Novaïa Gazeta, 7 octobre 2021, sous-titres anglais disponibles dans le player).</span></figcaption>
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<p>Ce film montre les faiblesses de l’enquête officielle et l’implication dans ce crime d’au moins un officier de police, ainsi que d’agents et d’officiers du FSB associés à des autorités criminelles. Mouratov y affirme que « l’État sait qui est le commanditaire de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa » et, aussi, qui a commandité le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/06/29/meurtre-de-boris-nemtsov-cinq-hommes-juges-coupables-mais-les-commanditaires-restent-dans-l-ombre_5153205_3210.html">meurtre de l’opposant Boris Nemtsov</a>.</p>
<p>Il faut un vrai et grand courage pour dire de telles choses, aujourd’hui, en Russie.</p>
<p>Parmi les six tués cités par Mouratov, il y a aussi :</p>
<ul>
<li><p>Le journaliste <a href="https://cpj.org/data/people/igor-domnikov/">Igor Domnikov</a>, battu à mort à coups de marteau par un tueur à gages à Moscou en 2000. Si l’assassin a été arrêté et condamné, les commanditaires (Domnikov enquêtait sur la corruption de plusieurs hauts fonctionnaires) n’ont jamais été réellement inquiétés malgré <a href="https://humanrightshouse.org/articles/new-investigation-into-murder-of-novaya-gazeta-journalist/">l’ouverture d’une enquête en 2009</a>, qui ne donnera rien.</p></li>
<li><p><a href="https://www.letemps.ch/monde/letrange-mort-dun-derniers-romantiques-politique-russe">Iouri Chtchekotchikhine</a>, journaliste et député, adjoint et ami de Mouratov, qui <a href="http://maxima-library.org/knigi/year/b/496260">explorait la corruption dans les structures du pouvoir</a> et du maintien de l’ordre. Il cherchait notamment à savoir ce qu’était devenu « l’or du PCUS » et si des membres du KGB n’avaient pas été chargés de transférer d’énormes sommes en Occident – un sujet au cœur du livre de la journaliste britannique Catherine Belton, <a href="https://us.macmillan.com/books/9780374238711">Putin’s People</a>, actuellement <a href="https://apnews.com/article/sports-government-and-politics-business-europe-russia-7d9a08ab67d7a3a14bfaa5c7a9ed478d">attaqué en justice</a> à Londres par l’oligarque Roman Abramovitch. Chtchekotchikhine a été « empoisonné par quelque chose comme du Novitchok », a <a href="https://echo.msk.ru/programs/personalno/2915882-echo/">rappelé Mouratov</a>. C’était en 2003. Avant Litvinenko. Avant Navalny.</p></li>
</ul>
<ul>
<li><p>L’avocat <a href="https://www.nytimes.com/2009/01/20/world/europe/20chechnya.html">Stas Markelov</a> qui enquêtait sur l’extrême droite russe et a péri d’une balle dans la tête en plein Moscou en 2009, aux côtés de la toute jeune journaliste de la « NG » <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/03/17/anatomie-d-un-crime_1494676_3214.html">Anastasia Babourova</a> qui a tenté de le protéger. Markelov recevait constamment des menaces de mort, mais ne bénéficiait d’aucune sécurité. L’assassin, un militant ultra-nationaliste, ainsi que sa compagne, ont été condamnés à de lourdes peines de prison quelques années plus tard.</p></li>
<li><p><a href="https://www.hrw.org/fr/news/2019/07/15/russie-dix-apres-le-meurtre-de-natalia-estemirova-la-justice-na-toujours-pas-ete">Natalia Estemirova</a>, qui aidait Politkovskaïa pour ses enquêtes en Tchétchénie et a été assassinée dans le Caucase également en 2009. Douze ans plus tard, la Cour européenne a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-russie-condamnee-pour-manquement-dans-l-enquete-sur-l-assassinat-d-une-militante-des-droits-humains-20210831">condamné</a> la Russie pour « manque d’enquête appropriée » dans cette affaire qui, à ce jour, n’a donné lieu à aucune interpellation.</p></li>
</ul>
<h2>Des déçus du Nobel</h2>
<p>Que Mouratov reçoive le prix Nobel de la paix a surpris et ravi beaucoup de ses compatriotes. Certains ont toutefois été déçus : ils espéraient que ce prix récompenserait Alexeï Navalny ou la Biélorusse <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/06/en-bielorussie-la-figure-de-l-opposition-maria-kolesnikova-condamnee-a-onze-ans-de-prison_6093583_3210.html">Maria Kolesnikova</a>, tous deux en détention. Ils ont estimé que le Comité Nobel avait manqué de courage ; les mêmes ont parfois souligné amèrement que le Kremlin avait félicité Mouratov – pourtant, <a href="https://www.ndtv.com/world-news/kremlin-congratulates-courageous-russian-nobel-prize-winner-muratov-2568487">du bout des lèvres</a> – et que le journaliste promettait de remettre une partie de son prix à un <a href="https://www.bbc.com/russian/news-58841807">fonds d’aide aux enfants malades créé par Vladimir Poutine</a>. Il ne serait donc pas en si mauvais termes avec le pouvoir, ce qui expliquerait que ni lui, ni son journal n’aient été déclarés « agents de l’étranger », alors que <a href="https://www.rferl.org/a/russia-foreign-agents-clampdown/31443242.html">ce statut a été imposé à nombre d’autres médias</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1449117924908838912"}"></div></p>
<p>Un <a href="https://www.proekt.media/narrative/liberal-sergey-chemezov/.">article publié en 2019</a> a été de nouveau cité à cette occasion : selon Proekt, un site indépendant <a href="https://www.euronews.com/2021/07/15/proekt-russia-outlaws-investigative-media-outlet-and-labels-journalists-foreign-agents">dont cinq journalistes ont été qualifiés d’« agents de l’étranger » et qui a été labellisé « organisation indésirable » en Russie</a>, la <em>Novaïa Gazeta</em> a reçu des contributions financières mensuelles de la part de <a href="https://bivol.bg/en/the-insider-russian-millionaire-adoniev-investigated-by-fbi-for-trafficking-of-1-ton-of-cocaine.html">Sergueï Adoniev</a>, riche entrepreneur et mécène de projets artistiques d’avant-garde, qui a jadis été condamné aux États-Unis pour escroquerie, est soupçonné par le FBI d’avoir trafiqué une tonne de cocaïne et semble avoir le soutien de Poutine lui-même, ce qui pourrait expliquer l’origine obscure de sa fortune. Et, poursuit Proekt, certains au sein de la <em>Novaïa Gazeta</em> soupçonnent que les contributions d’Adoniev proviennent, en fait, de <a href="https://www.lecourrierderussie.com/2019/10/serguei-tchemezov-le-patron-du-complexe-militro-industriel/">Sergueï Tchemezov</a>, vieil ami de Poutine et patron de Rostec, entreprise publique qui coiffe le marché de l’armement russe – ce que réfute résolument Mouratov et que rien ne prouve formellement.</p>
<p>Si c’était vrai, cela signifierait que deux « anciens » officiers du KGB ont apporté des financements à la <em>Novaïa Gazeta</em>, l’un comme actionnaire (<a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7436901/Ex-KGB-colonel-turned-banker-ALEXANDER-LEBEDEV-making-billions-Putins-wild-west-Russia.html">Lebedev</a>), l’autre (Tchemezov) à travers un intermédiaire. Bref, comme le formulent presque tous ceux qui évoquent cet article de Proekt, la situation serait « complexe ».</p>
<p>Complexe, car des proches du régime aident parfois, semble-t-il, des activités de l’opposition, ne serait-ce que pour tenter de maintenir l’illusion d’une démocratie russe. Complexe car ces proximités s’expliquent aussi, dans certains cas, par des trajectoires individuelles qui, d’abord voisines, se sont ensuite éloignées. En tout cas, ce qu’expriment ces déçus du Nobel 2021, c’est le désarroi d’une partie de l’opposition russe, son sentiment d’être abandonnée et de ne pouvoir, au bout du compte, se fier ni « aux siens », ni à un Occident qui ne comprendrait rien à la situation.</p>
<p>Élégant, Dmitri Mouratov a déclaré que <a href="https://meduza.io/feature/2021/10/08/eto-premiya-moih-pogibshih-kolleg-a-chto-pishut-v-sotssetyah-mne-pofigu">lui-même aurait voté pour Alexeï Navalny</a> – lequel vient par ailleurs, ce 20 octobre, d’obtenir le <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20211014IPR14915/alexei-navalny-recoit-le-prix-sakharov-2021-du-parlement-europeen">prix Sakharov attribué par le Parlement européen</a>. Le 11 octobre, Navalny, depuis son camp, a félicité « de tout cœur Dmitri Mouratov et la <em>Novaïa Gazeta</em> » pour cette « récompense méritée », décernée au lendemain du quinzième anniversaire de l’assassinat d’Anna Politkovskaïa. Le soir même de l’annonce du Nobel, le Kremlin avait <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-58840084">rendu publics les noms de douze autres « agents de l’étranger »</a>, dont plusieurs journalistes. Mouratov et son équipe semblaient encore protégés. Mais le nouveau tour d’écrou imprimé par le régime vient d’avoir raison de ce dernier bastion de la liberté d’expression en Russie…</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170029/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié reçoit des financements - un salaire ! - de la part du ministère français de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, via l'Université Rennes 2. </span></em></p>Le prix Nobel de la paix récompense, à travers Dmitri Mouratov, l’ensemble des journalistes russes d’investigation, dont plusieurs sont morts assassinés.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606352021-05-20T18:13:05Z2021-05-20T18:13:05ZLe Conseil de surveillance de Facebook : l’arroseur arrosé<p>La récente <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-conseil-de-surveillance-de-facebook-confirme-l-interdiction-de-trump-sur-le-reseau-social-05-05-2021-2425189_24.php">décision du Conseil de surveillance</a> (Oversight Board) de Facebook a pu surprendre : le Conseil a estimé que le réseau social avait eu raison de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/01/07/twitter-et-facebook-suspendent-donald-trump-apres-les-violences-a-washington_6065433_4408996.html">suspendre indéfiniment le compte de Donald Trump</a>, mais il lui a également demandé de revoir sa copie en matière de sanctions et de délais car ses règles d’usage sont trop floues à ce sujet. Cela doit être fait dans les six mois. Le Conseil a procédé ensuite à une série de recommandations, comme une meilleure modération, des critères plus clairs concernant les contenus à risque, etc. Il demande que la pénalité soit proportionnelle à la gravité de la transgression et tienne compte des risques futurs (« prospect of future harm »).</p>
<p>En première analyse, cette décision entérine le fait que Facebook n’est pas un média mais un hébergeur, et ne remet pas en cause la <a href="https://siecledigital.fr/2020/10/06/section-230-liberte-expression/">section 230 du Telecommunications Act de 1996</a>. Elle ratifie également que Facebook est bien une entreprise privée, qui ne peut tomber sous le coup du Premier Amendement. Toute Cour de justice américaine aurait pu prendre une décision similaire.</p>
<p>Mais cette décision, qui semble renvoyer Facebook à ses devoirs, montre l’action d’une instance nouvelle qui légitime ainsi sa création (et son financement, à hauteur de 130 millions de dollars) par Facebook : cette démonstration d’indépendance et d’objectivité vise à démontrer que la création du Conseil de surveillance ne relève pas d’une simple opération de relations publiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1390003553473867777"}"></div></p>
<p>L’Oversight Board a agi de façon stratégique dans cette affaire très symbolique. Il botte en touche et renvoie la balle dans le camp de Facebook. Ce faisant, il fait preuve d’une certaine ingénuité, mais spécieuse, en demandant à Facebook (son créateur) de repréciser ses règles d’usage, car celles-ci autorisent déjà Facebook à supprimer des comptes de manière irrévocable et non ambiguë. Les sanctions prévues en cas de manquement indiquent bien que le média social se réserve le droit, le cas échéant, de <a href="https://www.facebook.com/terms.php">« supprimer le contenu illicite, imposer une période de suspension limitée dans le temps ou désactiver définitivement la page et le compte »</a>.</p>
<p>Par cette demi-rebuffade, le Conseil de surveillance donne à Facebook une manière de s’en sortir en lui laissant revoir les termes du contrat, qui aux États-Unis incluent toujours les conditions du divorce ou de la séparation, avec dommages et intérêts au besoin. Dans ses recommandations, non contraignantes, le Conseil met la pression sur les usagers plus encore que sur Facebook : pour se faire réintégrer, il faut qu’ils reconnaissent leurs torts et qu’ils appliquent les règles de la communauté (« users who seek reinstatement after suspension recognize their wrongdoing and commit to observing the rules in the future »). Dans le cas de Trump, une telle condition est inacceptable : il ne peut revenir sur son discours complotiste et clivant selon lequel <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Donald-Trump-C-etait-une-election-volee-1711190">l’élection lui a été volée</a>.</p>
<h2>L’importance des ambitions politiques futures de Donald Trump</h2>
<p>Donald Trump, il l’a fait savoir haut et fort, n’exclut pas de se présenter de nouveau à la présidentielle en 2024. Cette ambition politique constitue l’un des enjeux clés de la controverse actuelle, outre celui de l’autorégulation des médias. L’ex-président a longtemps bénéficié de la « newsworthiness allowance », à savoir d’une tolérance à ses incartades du fait de son statut officiel d’homme politique prééminent, faisant et défaisant l’actualité, et maintenant contre toute évidence son récit de l’élection volée.</p>
<p>À présent qu’il n’est plus un dirigeant politique prééminent, il redevient un usager lambda, qui se doit d’obéir aux règles de la communauté. Facebook en invoque deux ostensiblement : le réseau proscrit les « dangerous individuals and organisations » et les discours violents. Surtout, l’entreprise menace ses usagers de poursuites judiciaires s’ils la mettent en danger de telles poursuites (« if you create risk or legal exposure for us »). Elle se protège ainsi de toute responsabilité qui pourrait lui être imputée pour les graves événements survenus au Capitole le 6 janvier 2021. Et ce, pour ne pas se voir accusé d’y avoir contribué, même comme complice indirect, ce qui pourrait lui valoir de s’exposer à des poursuites de la part de toute entité qui se saisirait de la question, y compris Joe Biden ou Nancy Pelosi, les premières victimes potentielles de ce coup d’État manqué.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1347239428473970689"}"></div></p>
<p>Le Conseil donne à Facebook toute latitude pour évaluer la perspective de « risque futur » (prospect of future harm), avant une éventuelle réinstallation du compte de Trump. Ces conditions de retour sont donc contraignantes pour l’usager récalcitrant plus que pour Facebook. Elles vont faire jurisprudence même si les préconisations du Conseil de surveillance ne semblent s’appliquer qu’à Facebook. Les autres réseaux sociaux vont sans doute se sentir légitimés ou vont s’aligner à l’avenir sur cet effet Facebook, qui est l’un des grands configurateurs du champ (rappelons qu’il possède aussi Instagram et Snapchat).</p>
<p>Cette décision de Facebook, telle qu’entérinée implicitement par le Conseil, peut être vue comme une stratégie dictée par le contexte actuel. C’est une forme de concession aux Démocrates, sous des dehors de neutralité. Ils sont au pouvoir, ils préparent toute une batterie de lois, entre fin de monopole et loi antitrust, démembrement et imposition forte… Les amadouer peut être utile alors que le statut de Facebook en tant qu’hébergeur est remis en cause, que ses acquisitions antérieures vont être passées au crible des lois antitrust et que des impôts directs sur les sociétés se profilent à l’horizon.</p>
<h2>Censure ou pas censure ?</h2>
<p>Cette décision risque d’avoir un effet de dissuasion ou de gel de l’expression pour d’autres personnalités politiques, aux États-Unis et au-delà. Certains ont exprimé des inquiétudes par rapport à ce pouvoir unilatéral des plates-formes à décider de leur parole publique, d’<a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/2950867-20210112-pour-angela-merkel-la-suspension-du-compte-twitter-de-trump-pose-question">Angela Merkel</a> à <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-01-12/bolsonaro-eyes-alternative-to-twitter-facebook-after-trump-ban">Jair Bolsonaro</a>.</p>
<p>Mais le Conseil de surveillance a pris la précaution de faire référence à l’<a href="https://fr.humanrights.com/course/lesson/articles-19-25/read-article-19.html">article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme</a> et à <a href="http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2FPPRiCAqhKb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2BWPAXiks7ivEzdmLQdosDnCG8FaIrAe52sxDnAvPLlhVoGvFML3ewcPMK6fRYI%2BYkvgzp1xfm%2Fk4W2CfdYF9C9uBrul">l’Observation générale n°34 de l’ONU</a> qui précise que des limites nécessaires et proportionnées peuvent être appliquées à la liberté d’expression quand la sécurité publique est en jeu et met la nation en péril. Dans le cas de l’insurrection au Capitole, l’atteinte à la sécurité publique est avérée et patente… retransmise en direct sur Facebook et Instagram !</p>
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<p>En outre, dans le contexte américain, il n’y a pas réellement de censure dans la mesure où il n’y a pas de rareté des ondes, car d’autres services identiques existent dans la concurrence du marché… Donald Trump ne s’y est pas trompé, qui a <a href="https://www.businessinsider.fr/evince-de-twitter-et-facebook-donald-trump-lance-son-propre-blog-187422">lancé son blog</a> la veille de la décision du Conseil de surveillance, et qui fait courir le bruit qu’il va <a href="https://www.europe1.fr/medias-tele/donald-trump-veut-creer-son-propre-reseau-social-4033387">créer son propre réseau social</a>.</p>
<h2>In fine, quelle légitimité pour le Conseil ?</h2>
<p>Au-delà de la controverse politique liée au futur de Donald Trump, c’est l’avenir commercial et politique des réseaux sociaux qui est en jeu. Car la décision unilatérale de Facebook de créer son Conseil de surveillance (parfois présenté comme une <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/dans-les-entrailles-de-la-cour-supreme-de-facebook-1306784">Cour suprême</a> !) relève de l’autorégulation des médias. Facebook a créé son propre système de reddition de comptes ou Media Accountability System (MAS), une sorte de tradition aux États-Unis où les médias sont commerciaux et ne sauraient souffrir d’ingérence de l’État. Ce Conseil de surveillance, pour inédit qu’il soit dans le numérique, n’est pas loin d’autres MAS, comme les conseils de presse ou les médiateurs de l’information. Paradoxalement et implicitement, il met en jeu le statut d’hébergeur de Facebook car du coup la plate-forme se comporte… comme un média !</p>
<p>La composition du Conseil relève de l’autorégulation : on y retrouve des journalistes mais aussi des usagers et des personnalités, pas tous de nationalité américaine, dont l’intégrité morale est incontestable. Il a conduit une consultation ouverte sur le dossier Trump et a reçu plus de 9 000 réponses (dont celle de Trump, mais aussi de représentants républicains et démocrates). Elle fait apparaître la possibilité de tierces parties et accroît le sentiment d’indépendance et d’objectivité. Mais le Conseil émet des recommandations et pas des règles contraignantes ; en outre, il n’a pas de pouvoir de sanction et ne peut pas s’autosaisir. Il n’a pas la possibilité de peser sur le modèle d’affaires de Facebook. Son rapport sur le cas Trump mentionne d’ailleurs que le média social a refusé de répondre à 9 questions sur 46 questions, notamment sur la publicité politique, invoquant des motifs variés, comme la protection des données de clients, le secret professionnel ou encore l’impossibilité technique de fournir les informations demandées. Facebook garde ainsi ses pouvoirs discrétionnaires.</p>
<p>On l’aura compris : à bien des égards, cette forme d’autorégulation, qui préserve l’entreprise contre toute intervention extérieure, est une mascarade. Il s’agit d’une confiscation du juridique par une instance qui n’a de valeur que celle que lui reconnaît Facebook. L’habillage du langage en celui d’une cour de justice – y inclus les « avis minoritaires » (<em>minority reports</em>) et les mentions de légitimité et de proportionnalité de la sanction – révèle l’intention de contourner les institutions américaines et de supplanter leur pouvoir décisionnaire.</p>
<p>Ce qui se joue là est donc une question fondamentale de gouvernance mondiale d’Internet en articulation avec la souveraineté nationale des États. Laisser ce précédent s’installer crée une menace tant pour les États que pour les usagers. Il est plus que jamais temps de réfléchir aux biens communs de l’information, et de déterminer la façon de les gérer en se délivrant de l’ambiguïté de modèles d’affaires qui fondent leurs algorithmes sur la popularité et non l’intégrité de l’information.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Divina Frau-Meigs ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Facebook s’est doté d’un Conseil de surveillance qui vient de rendre sa décision sur la suspension du compte de Donald Trump. Un épisode qui pose bon nombre de questions…Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1567292021-03-11T17:53:41Z2021-03-11T17:53:41ZLa liberté académique des enseignants est-elle en danger sur les campus américains ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/389113/original/file-20210311-15-4lfi59.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=34%2C4%2C2841%2C2134&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'université de Californie du Sud, à Los Angeles.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_de_Californie_du_Sud#/media/Fichier:052607-016-BovardHall-USC.jpg">Bobak Ha'Eri/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Jamais les universités américaines n’avaient été autant prises à partie dans les débats publics français. Rares ont été les prises de parole, au cours de la polémique générée par les propos récents de la ministre de l’Enseignement supérieur sur les courants de recherche radicaux dans l’université française, qui ne se sont pas référées aux États-Unis en les « <a href="https://aoc.media/analyse/2021/02/22/un-vent-de-reaction-souffle-sur-la-vie-intellectuelle/?loggedin=true">diabolisant</a> ». En effet, selon bon nombre d’analyses, c’est d’outre-Atlantique que viendrait l’une des plus graves atteintes contemporaines à la liberté académique.</p>
<p>Cancel culture, Wokeness, Triggers warnings, Safe spaces… autant de concepts dont les médias se sont emparés pour décrire des campus américains qui seraient depuis quelques années les théâtres d’une restriction sans précédent de la liberté d’expression, au nom de la défense des minorités et d’un nouveau « droit à ne pas être offensés ». Nos universités françaises seraient, presque par contagion, elles aussi désormais menacées puisque, <a href="https://www.20minutes.fr/politique/2978507-20210216-universites-frederique-vidal-va-commander-enquete-cnrs-islamo-gauchisme">selon la ministre</a>, « des universitaires se disent eux-mêmes empêchés par d’autres de mener leurs recherches, leurs études ».</p>
<h2>La liberté académique, principe historique des universités américaines</h2>
<p>Pourtant, s’il est une pierre angulaire de l’espace académique et de recherche américain, c’est bien la liberté académique. Son fondement juridique est le premier amendement de la Constitution américaine de 1791, celui qui garantit la <a href="https://theconversation.com/le-culte-de-la-liberte-dexpression-aux-etats-unis-155577">liberté d’expression</a>, principe fondateur de l’identité nationale, contre toute restriction, notamment venant du pouvoir politique. Rappelons qu’en France, la liberté académique, au sens de l’indépendance et de la libre expression des enseignants et des chercheurs, est <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1984/83165DC.htm">garantie au niveau constitutionnel depuis 1984</a>.</p>
<p>Même si la jurisprudence constante de la Cour suprême rattache la liberté académique à ce premier amendement, la Constitution américaine ne mentionne toutefois pas explicitement la liberté d’enseignement et de recherche, ni le contexte spécifique des universités. Ce sont donc les universitaires eux-mêmes qui se sont donné les moyens de définir et de garantir l’exercice de cette liberté.</p>
<p>L’occasion leur en est donnée au début du XX<sup>e</sup> siècle par la mobilisation massive contre le licenciement jugé abusif car fondé sur un motif idéologique d’<a href="https://academeblog.org/2014/04/24/the-ross-case/">Edward Ross</a>, professeur d’économie à l’université Stanford. En 1915, un grand nombre d’universitaires se constituent alors en Association américaine des professeurs d’université (<em><a href="https://www.aaup.org/">American Association of University Professors</a>, AAUP</em>) et, sous l’impulsion du philosophe John Dewey, rédigent la première déclaration sur la liberté académique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1109095909013573632"}"></div></p>
<p>L’enjeu, pour ces universitaires, est une double émancipation. Il s’agit de réaffirmer la liberté académique comme une composante fondamentale de la liberté intellectuelle, à côté de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et de la liberté de religion. Mais il s’agit aussi de définir la nature de la liberté académique comme « la liberté de poursuivre la profession de savant selon les standards de cette profession » (<a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2010-4-page-291.htm">Finkin et Post, 2009</a>), c’est-à-dire une liberté dont les contours, les évolutions et le sens appartiennent aux universitaires eux-mêmes.</p>
<p>En plus d’un siècle, les principes de la charte de l’AAUP, réaffirmés en 1940 (liberté de recherche et de publication, liberté d’enseignement, liberté d’expression dans les murs de l’Université et en dehors) ont fait l’objet de révisions et interprétations successives, s’imposant aujourd’hui comme le texte de référence qui permet aux universités de remplir leur mission sociale fondamentale, c’est-à-dire la poursuite de la connaissance, en tant que « bien commun ». En effet, c’est par la garantie de la liberté académique que les enseignants et les chercheurs peuvent contribuer à l’avancée de la science et donc au progrès de la société (<a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2010-4-page-291.htm">Beaud, 2010</a>).</p>
<p>Ce sont donc les universités, dans une logique d’autorégulation et de contrôle par les pairs, qui gouvernent et défendent l’exercice de la liberté académique aux États-Unis. Contrairement aux Français, les Américains n’attendent pas du législateur qu’il encadre cette liberté par des interdictions et des sanctions pénales, car c’est la gouvernance même des universités qui est organisée en fonction de la préservation de la liberté fondamentale de chercher, dire, enseigner, débattre par-delà les orientations politiques, les idées, la confession religieuse, l’appartenance ethnique, le genre, et de ne pouvoir être jugé que par ses pairs sur un plan purement scientifique (<a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2009-4-page-99.htm">Compagnon, 2009</a>).</p>
<h2>Les universités comme lieu du débat démocratique</h2>
<p>Les campus américains, en dépit de la grande hétérogénéité du système, sont dans les faits des lieux de débat démocratique et de pluralité d’opinions.</p>
<p>Pour les quelque 16 millions d’étudiants inscrits en premier cycle, la formation, surtout dans les grandes universités de recherche, offre une palette de choix de cours et de disciplines sans commune mesure avec celle des universités françaises. La liberté de choisir, de tester et tâtonner, de changer d’avis, d’explorer différents champs du savoir et manières de voir pendant les quatre années du bachelor – la licence américaine – fait partie de la formation intellectuelle.</p>
<p>L’éclectisme des points de vue se reflète également dans la vie associative qui doit permettre à chaque groupe, à chaque minorité, à chaque communauté de promouvoir ses valeurs et ses intérêts à côté de ceux des autres. Car les universités considèrent que le pluralisme, le débat contradictoire, la confrontation entre écoles de pensées est ce qui les caractérise et les distingue d’autres organisations. Même des idées potentiellement dérangeantes doivent être présentées et débattues en classe et partout sur le campus à condition de garantir la même possibilité d’expression à tous.</p>
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<p>Pourtant, depuis une dizaine d’années, le maintien de la liberté académique, notamment dans sa dimension de liberté d’expression, est devenu un <a href="https://www.lopinion.fr/edition/politique/maintenir-free-speech-dans-universites-americaines-est-combat-201770">combat permanent</a> dans presque toutes les universités américaines.</p>
<h2>Le mouvement « woke » et les restrictions à la liberté d’expression</h2>
<p>La menace ne provient pas de l’ingérence des pouvoirs publics ni, comme autrefois, d’une quelconque autorité religieuse (<a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-1-page-7.htm">McCarthy, 2018</a>). Elle semble plutôt venir de l’intérieur même des campus, à savoir de la communauté étudiante.</p>
<p>Depuis les années 1970, afin de mieux refléter la composition de la société américaine, les universités ont progressivement instauré des <a href="https://theconversation.com/universites-vers-un-declin-de-lempire-americain-153215">« politiques de diversité »</a>. Sur chaque campus, les groupes historiquement sous-représentés, comme certaines minorités ethniques ou de genre, ou encore les anciens combattants, ont poussé vers davantage de pluralisme en exigeant une plus grande prise en compte de leur histoire et de leur singularité dans les programmes d’enseignement et les contenus des cours. C’est ainsi que beaucoup d’universités ont introduit des études dites « globales », indiquant par là des approches enfin non centrées sur l’Europe, prenant en compte des auteurs et des œuvres d’autres traditions culturelles que celles du monde occidental considéré comme historiquement dominant.</p>
<p>Paradoxalement, l’attention portée à la représentation de toutes les voix et cultures a fini par se retourner contre le principe même qui l’avait soutenue. Le respect du pluralisme, qui exige que tous les points de vue puissent être exprimés, étudiés et débattus, est entré en conflit avec le respect des sensibilités individuelles. Ainsi, la liberté académique, pourtant garantie par les institutions et bien vivante sur les campus, se heurte dans la pratique à la capacité des étudiants de la nouvelle génération des « éveillés » (en référence au <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/le-tour-du-monde-des-idees-du-mercredi-10-fevrier-2021">« <em>Woke</em> »</a>, état d’esprit d’éveil face à l’injustice) à entendre des opinons ou des récits contraires à leur système de valeurs ou jugés dépréciatifs envers l’identité qui les définit.</p>
<p>Au cours de la dernière décennie, de nombreux campus, tels que Chicago, Harvard, Pittsburgh, Brown, Georgia Tech, Michigan, Penn, ont été secoués par des affaires liées à la réaction de groupes d’étudiants, parfois encouragés par des professeurs, face à des propos jugés offensants, colonialistes ou blessants pour telle ou telle minorité. Ces réactions peuvent conduire au refus du débat sous toutes ces formes – d’où l’appellation de « cancel culture » ou culture de l’annulation – ou à l’introduction de messages préventifs (les « triggers warnings », qui visent à prévenir le public qu’il doit se préparer psychologiquement à ce que des sujets potentiellement dérangeants soient abordés).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1311608178841399298"}"></div></p>
<p>Elle peut aller parfois jusqu’à des demandes de licenciement, voire à de véritables lynchages médiatiques des enseignants, amplifiés par les réseaux sociaux. En juillet 2020, le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/retour-sur-le-suicide-dun-professeur">suicide d’un professeur de droit à l’Université de Wilmington, en Caroline du Nord</a>, a été interprété comme la conséquence directe du harcèlement dont il était la cible du fait de ses propos conservateurs et provocateurs sur des sujets sensibles comme l’avortement, la peine de mort et l’égalité des genres. L’ONG américaine Fire (<em>Foundation for Individual Rights in Education</em>), qui a pour mission la protection de la liberté d’expression sur les campus universitaires, a constaté une <a href="https://www.thefire.org/this-has-been-fires-busiest-summer-ever-what-happened/">augmentation sans précédent</a> du nombre de signalements de violations depuis l’été 2020.</p>
<p>Confrontées à une telle dérive du principe du « politiquement correct », certaines universités ont cherché une solution en créant des espaces de parole spécifiques, au sein desquels on consent à limiter la liberté d’expression pour que les personnes sensibles puissent se sentir « en sécurité ». L’utilité et la pertinence de ces espaces sûrs (<em>safe spaces</em>) ont fait l’objet de nombreux débats dans les enceintes universitaires et les médias. Pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/fare.12233">certains</a>, ces lieux doivent permettre l’expression de groupes historiquement dominés, puisqu’ils seraient exempts de discrimination, de racisme, de sexisme ou de tout autre comportement haineux ; pour <a href="https://www.psychologytoday.com/us/blog/college-confidential/201703/safe-spaces-can-be-dangerous">d’autres</a>, ils marginalisent davantage les opinions minoritaires car ils les <a href="http://features.columbiaspectator.com/eye/2015/09/29/what-are-you-afraid-of/">isolent</a> et les écartent des arènes du débat.</p>
<h2>L’argent, nerf de la guerre</h2>
<p>Au-delà de ces situations qui peuvent paraître extrêmes, l’aseptisation du discours public sur les campus est une tendance de fond qui est également liée à l’évolution plus générale de l’enseignement supérieur américain et de son modèle économique. Les universités, qu’elles soient privées ou publiques, dépendent aujourd’hui bien plus des frais de scolarité, voire de la générosité des bienfaiteurs individuels (anciens diplômés ou parents d’élèves), que des financements publics. Les étudiants, aujourd’hui des clients, sont les prescripteurs et les mécènes de demain. Ne pas froisser leur sensibilité est ainsi un enjeu de taille pour l’administration des universités. L’image des plus anciennes et prestigieuses d’entre elles peut être durablement ternie par des affaires liées à la liberté d’expression des enseignants, avec des conséquences non négligeables sur leurs capacités de financement. Le risque est d’autant plus élevé que l’établissement est réputé.</p>
<p>Dans une célèbre <a href="https://chomsky.info/20110406/">allocution</a> prononcée à l’université de Toronto en 2011, Noam Chomsky, professeur de linguistique au MIT et intellectuel engagé, alertait sur les effets que le « business model » des universités pourrait avoir sur la capacité de celles-ci à se maintenir en tant que lieux de réflexion et d’enquête créatifs et indépendants. Il disait à l’époque que la meilleure manière de résister aux pressions des financeurs serait de « simplement les reconnaître comme une réalité de la vie » pour les « combattre catégoriquement, à n’importe quel prix ». Un remède qui pourrait s’appliquer également aux dérives actuelles en matière de liberté d’expression…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, certains mouvements cherchent à encadrer la liberté d’expression dans le cadre universitaire, au nom de la protection des minorités.Alessia Lefébure, Directrice des études, sociologue des organisations, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1550642021-02-23T18:07:55Z2021-02-23T18:07:55ZFermeture des comptes de Donald Trump : Facebook et sa « Cour suprême » en quête de légitimité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/385626/original/file-20210222-15-1hqu5bz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C16%2C5590%2C3715&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'instauration du « Conseil de surveillance » vise à doter Facebook d'un organe de supervision indépendant.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/belgradeserbia-june-18th-2019-blind-folded-1427641268">Cryptographer/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>À la suite des événements du Capitole, plusieurs entreprises de réseaux sociaux se sont résolues à <a href="https://www.blogdumoderateur.com/facebook-twitter-suspendent-comptes-donald-trump-violences-washington/">fermer les comptes</a> de celui qui était encore le président des États-Unis, fondant leur décision sur les appels à la violence qu’il avait relayés sur leurs plates-formes. Que les commentateurs, analystes et membres de la classe politique approuvent ou non cet ostracisme numérique, ils se rejoignent sur un point : il existe un gouffre béant entre la portée de cette décision et la légitimité de ceux qui l’ont prise.</p>
<p>En soi, ce type de décisions n’est pas nouveau, puisque des millions d’utilisateurs ont déjà été bannis de ces espaces en ligne. Cependant, l’application de cette mesure à une figure politique de premier plan confère à ce cas précis une prééminence jusque-là inégalée.</p>
<p>Intensément débattues dès leur annonce, ces décisions ont mis en lumière une réalité qu’il était déjà difficile d’ignorer : le pouvoir considérable détenu par les entreprises qui contrôlent ces réseaux sociaux, notamment en matière de régulation du discours public en ligne. Même les dirigeants de <a href="https://twitter.com/jack/status/1349510784620003330">Twitter</a> et <a href="https://twitter.com/nick_clegg/status/1352302223330406400?s=20">Facebook</a> reconnaissent ouvertement que c’est une responsabilité qu’ils souhaiteraient ne pas avoir à assumer seuls.</p>
<p>C’est précisément dans le but de déléguer une partie de ce pouvoir décisionnel que Facebook a récemment créé une instance présentée comme indépendante et à qui reviendrait le dernier mot sur les questions les plus sensibles de modération de contenus sur sa plate-forme.</p>
<h2>Le « Conseil de surveillance » de Facebook, une expérimentation longuement mûrie et encore naissante</h2>
<p>Bien que les médias parlent souvent d’une <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/22/la-cour-supreme-de-facebook-va-commencer-a-recevoir-des-reclamations-des-utilisateurs_6057009_4408996.html">« Cour suprême »</a>, il s’agit en réalité d’un « Conseil de surveillance » (<em>Oversight Board</em>). Cette différence terminologique n’est pas innocente car ces expressions relèvent de champs lexicaux bien distincts (ceux de l’État de Droit et de l’entreprise), ce qui est révélateur des différentes perceptions et attentes qui existent à son égard.</p>
<p>Lancée en 2018 par Mark Zuckerberg, l’idée de créer une instance indépendante qui pourrait trancher les questions les plus sensibles en dernier recours a mis du temps à se matérialiser puisqu’elle n’a abouti qu’en <a href="https://oversightboard.com/news/833880990682078-the-oversight-board-is-now-accepting-cases/">octobre 2020</a>. Ce délai s’explique en partie par la longueur du processus de définition des règles et des contours de cette entité, accompagné de visibles <a href="https://about.fb.com/news/2019/06/global-feedback-on-oversight-board/">efforts de consultation</a> dans l’objectif d’en renforcer la légitimité et donc la capacité future à s’affirmer dans un rôle que Facebook n’a pas été en mesure d’assumer elle-même de façon satisfaisante.</p>
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<p>Ce Conseil est conçu comme une réponse aux injonctions contradictoires fréquemment émises contre cette plate-forme (et bien d’autres) : respecter la liberté d’expression de ses utilisateurs, tout en empêchant la diffusion de contenus jugés dangereux. Une quadrature du cercle d’autant plus difficile à résoudre que l’image de l’entreprise a été sérieusement <a href="https://guild.co/blog/complete-list-timeline-of-facebook-scandals/">écornée au cours des dernières années</a>. En outre, impossible de se reposer sur la simple application des lois en la matière, celles-ci brillant pour l’instant par leur fragmentation le long de lignes nationales, voire par leur absence pure et simple.</p>
<p>La création du Conseil s’inscrit dans la stratégie de Facebook, jusque-là hésitante, pour faire face à ce problème. En l’occurrence, il s’agit plutôt de le contourner, en le délégant à un organe susceptible de doter les décisions mises en œuvre par Facebook – et non plus nécessairement <em>prises</em> par la compagnie elle-même – d’une forme de légitimité basée sur le statut et la diversité de ses membres, la transparence des décisions adoptées ainsi que l’indépendance de la structure vis-à-vis de l’entreprise et donc des motivations qui lui sont propres. Implicitement, la compagnie cherche à mobiliser une légitimité alternative à la démocratique, qui est dans les faits du ressort des gouvernements nationaux, ou du moins de ceux qui se revendiquent de ce type de système.</p>
<p>Par le biais du Conseil, Facebook cherche ainsi à prendre ses distances avec une tâche ingrate et à se retrancher, à terme, dans une fonction qui s’assimilerait davantage à celle d’un hébergeur qu’à celle d’un éditeur.</p>
<p>« Idéalement » composé de quarante membres (article 1.4 de son <a href="https://about.fb.com/wp-content/uploads/2020/01/Bylaws_v6.pdf">statut</a>), le Conseil n’en compte pour l’instant que la moitié, signe qu’il se trouve encore en phase de démarrage. Le 28 janvier, il a rendu publiques ses toutes premières décisions sur les cinq cas qu’il avait sélectionnés début décembre, ordonnant l’annulation de la décision initialement prise par Facebook dans quatre de ceux-ci.</p>
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<h2>Les choix de Facebook parmi les différentes modalités de saisine</h2>
<p>Il existe deux canaux par lesquels un cas peut être présenté au Conseil : soit par un utilisateur faisant appel d’une première décision, soit par Facebook elle-même. Le Conseil est libre de donner suite ou non à ces sollicitations et sa décision aura une valeur obligatoire. Par ailleurs, Facebook peut également solliciter une « orientation politique » (<em>policy guidance</em>) au Conseil, qui n’aura, elle, qu’un statut de recommandation.</p>
<p>Le 21 janvier, deux semaines après avoir suspendu les comptes Facebook et Instagram de celui qui était encore président des États-Unis, l’entreprise californienne a décidé de <a href="https://about.fb.com/news/2021/01/referring-trump-suspension-to-oversight-board/">soumettre</a> ce cas à son Conseil de surveillance, sous la forme de <a href="https://oversightboard.com/news/175638774325447-announcing-the-oversight-board-s-next-cases/">deux points</a> : le premier demande de statuer sur le bien-fondé de cette décision, avec la possibilité de l’annuler, tandis que le second sollicite « des observations ou recommandations sur les suspensions lorsque l’utilisateur est un responsable politique ».</p>
<p>L’entreprise aurait parfaitement pu se limiter au second point, qu’elle aurait été libre d’appliquer à sa guise au cas précis des comptes de Donald Trump, au lieu de s’exposer au risque de se voir obligée de rétablir les comptes en question. Peut-être se sentait-elle confiante d’être confortée dans sa décision, comme suggéré par Nick Clegg, vice-président chargé des « Affaires globales » dans une <a href="https://twitter.com/nick_clegg/status/1352302223330406400?s=20">déclaration en ligne</a>. Les décisions du Conseil sur les cinq premiers cas ne se sont pourtant <a href="https://www.lawfareblog.com/facebook-oversight-boards-first-decisions-ambitious-and-perhaps-impractical">pas montrées tendres</a> avec Facebook, mais celles-ci n’ont été rendues publiques qu’une semaine après la saisine sur le cas Trump.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1352336793425891329"}"></div></p>
<p>Facebook a pu craindre que n’activer que le mécanisme non contraignant aurait été perçu comme une initiative trop timorée. À l’inverse, procéder à ce que certains analystes ont décrit comme un <a href="https://twitter.com/daphnehk/status/1352304464535842820?s=20">« pari »</a> est le signe que, cette instance existant désormais, il devient difficile de la maintenir à l’écart, ou dans un rôle mineur, une fois que surgissent des situations sensibles.</p>
<h2>La compétence du Conseil pour statuer sur la fermeture de comptes ne va pas de soi</h2>
<p>Dans son article 2, la <a href="https://oversightboard.com/governance/">Charte</a> du Conseil insiste lourdement sur le fait que sa mission est axée sur les <em>contenus</em>. Or, la fermeture des comptes de Trump n’entre pas dans ce cas de figure : il n’est pas ici question de statuer sur le rétablissement ou non des messages de Trump que Facebook a considérés comme <a href="https://about.fb.com/news/2021/01/responding-to-the-violence-in-washington-dc/">enfreignant ses règles contre l’incitation à la violence</a>, mais de déterminer si la publication des contenus en question est de nature à justifier une exclusion de la plate-forme pour une durée indéterminée. En d’autres termes, la décision ne porte pas sur les <em>contenus</em> eux-mêmes, mais sur les <em>conséquences</em>, pour l’utilisateur, de leur publication.</p>
<p>Pourtant, c’est <a href="https://oversightboard.com/news/236821561313092-oversight-board-accepts-case-on-former-us-president-trump-s-indefinite-suspension-from-facebook-and-instagram/">sans la moindre réserve</a> que les membres de l’organe ont accepté d’examiner ce cas, le jour même de la saisine, soulignant même que « le Conseil de surveillance a été lancé précisément pour traiter des problèmes à fortes implications comme celui soulevé par cette affaire ». Aucune allusion n’est faite à l’élargissement du champ de compétences que cela suppose : cette tendance expansionniste, qui se présente dans toute organisation investie d’une mission propre, n’aura en l’occurrence pas tardé à se faire jour.</p>
<p>En transmettant le cas au Conseil selon les modalités qu’elle a choisies, l’entreprise californienne pense sans doute prendre un risque calculé : certes, elle s’expose à l’éventualité de voir une de ses décisions annulées et de devoir faire marche arrière. Mais les enjeux sont désormais moindres, car la suspension du compte avait été décidée « pour une durée indéterminée et pour au moins deux semaines », c’est-à-dire jusqu’au terme du mandat de Trump.</p>
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<p>Ce n’est pas une coïncidence si la saisine est intervenue à l’expiration de cette période que Facebook considérait comme la plus sensible, soit pour les risques réels que représentait l’utilisateur Trump alors qu’il occupait encore la Maison Blanche, soit pour les procès en irresponsabilité dont elle aurait été la cible. À l’heure actuelle, la présence ou non sur son site de celui qui n’est désormais plus président est devenue une question secondaire, raison pour laquelle l’entreprise préfère devoir mettre en œuvre n’importe quelle décision issue d’un organe indépendant que prendre elle-même cette décision et devoir en assumer les retombées.</p>
<p>Cependant, à plus long terme les implications de cette décision peuvent s’avérer plus risquées, car Facebook transmet ce cas si sensible à une institution qui pourrait s’en trouver fragilisée.</p>
<h2>Un Conseil rapidement soumis à son baptême du feu</h2>
<p>L’organe indépendant dispose d’un maximum de 90 jours pour émettre son verdict. Dans les faits, un panel de cinq membres désignés aléatoirement délibérera sur le sujet puis présentera sa décision au Conseil dans son ensemble, où une majorité devra l’approuver. Si ce n’est pas le cas, un nouveau panel sera désigné avec la même mission.</p>
<p>Au vu du nombre de réactions suscitées, sur les médias « sociaux » comme sur les traditionnels, par la fermeture des comptes de Trump, il ne fait aucun doute que le cas d’espèce est particulièrement sensible. Le statut du personnage, ainsi que ce qui est en jeu (la présence en ligne, non pas d’un simple contenu, mais d’un influent utilisateur) place ce cas dans une catégorie distincte de ceux traités jusqu’à présent, qui avaient moins de poids pour eux-mêmes que pour la série de contenus semblables représentés par chacun d’entre eux.</p>
<p>Quelle qu’elle soit, toute décision sur un sujet aussi polémique ne manquera pas d’attirer de vives critiques d’un côté ou de l’autre, d’autant plus qu’à ce stade de sa courte existence le Conseil ne peut se prévaloir d’une autorité et d’une légitimité amplement reconnues. À supposer qu’il les acquière un jour, cela ne saurait être que le produit d’une période prolongée au cours de laquelle il aura fait la preuve de sa compétence, de son impartialité et de sa respectabilité. Devoir prendre position sur un sujet aussi brûlant et clivant n’est sans doute pas la meilleure des façons de s’engager dans ce long processus.</p>
<p>S’il valide la fermeture des comptes de façon définitive, le Conseil sera dépeint comme une simple chambre d’enregistrement. Dans le cas contraire, il sera accusé de chercher à afficher son indépendance, en rejetant par principe les décisions de Facebook. Il est donc fort probable qu’il opte pour une voie médiane, par exemple en validant la fermeture des comptes sur la période écoulée tout en remettant en cause son caractère indéterminé dans le temps. Ce qui ne le protégerait pas non plus des critiques, cette fois pour sa supposée tiédeur.</p>
<p>Dans tous les cas, le verdict du Conseil aura un écho certain, ce qui contribuera à augmenter sa propre notoriété. Avec le risque cependant de se voir accoler, dans une opinion publique peu encline à la nuance, une étiquette pro ou anti-Trump bien éloignée du fond de son raisonnement.</p>
<h2>Les effets à longue portée de la décision à venir : des retombées au-delà de Facebook et de Trump</h2>
<p>En prenant position sur le traitement réservé à Trump sur les plates-formes de Facebook, le Conseil aura également, par ricochet, un impact sur la légitimité des mesures de même nature prises par de nombreuses autres entreprises numériques à l’encontre de l’ex-président.</p>
<p>Même si celles-ci ont agi sur la base de leurs propres conditions d’utilisation, elles ont toutes invoqué la dangerosité, en particulier pour la vie des personnes, des messages diffusés. Il serait donc inconfortable, pour des compagnies comme Twitter ou YouTube, de maintenir un ban contre l’ex-dirigeant si le Conseil de surveillance de Facebook se prononçait contre cette mise à l’écart. La portée de ses conclusions est d’autant plus susceptible de s’étendre aux pratiques d’autres corporations qu’il est composé de personnalités neutres et reconnues pour leurs compétences.</p>
<p>Une forme d’« extraterritorialité » serait donc en cours d’émergence dans le cyberespace, si les normes produites par cette entité indépendante mise sur pied par Facebook venaient à irriguer de façon informelle les processus de prise de décision d’autres compagnies numériques – du moins sur les sujets pour lesquels les règles applicables sont censées être similaires.</p>
<p>Il n’est d’ailleurs pas à exclure qu’à terme la compétence du Conseil de surveillance soit étendue à d’autres plates-formes qui choisiraient d’avoir également recours à ses services : c’est même une hypothèse <a href="https://www.nytimes.com/2021/01/24/business/media/trump-facebook-oversight-board.html">ouvertement suggérée</a> par Nick Clegg. Une telle éventualité semble aujourd’hui lointaine mais elle pourrait sembler inévitable si l’extraterritorialité évoquée plus haut venait à prendre corps à la suite de plusieurs décisions sur des sujets du même acabit que l’actuel.</p>
<p>D’autre part, la portée de ce cas dépasse la situation particulière de Trump car il n’a été ni le premier ni le seul dirigeant à diffuser en ligne des messages qui vaudraient une suspension à tout utilisateur moyen. Jusqu’à présent, la valeur informative (<em>newsworthiness</em>) des déclarations des décideurs permettait de justifier le maintien en ligne de contenus violant pourtant de façon franche les règles propres du réseau social.</p>
<p>Au même titre que les autres plates-formes, Facebook a éprouvé les pires difficultés à gérer les discours politiques outranciers, se limitant dans le meilleur des cas à les accompagner de légendes d’avertissement. Il aura fallu que Trump procède ouvertement à un appel à la violence et à l’insurrection – et que celles-ci se matérialisent sous nos yeux incrédules – pour qu’une ligne rouge soit enfin déclarée franchie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1363180366945800192"}"></div></p>
<p>Il apparaît donc clairement qu’un équilibre reste à trouver entre la valeur informative des propos tenus par les dirigeants politiques, qui semble surpondérée, et le respect des conditions d’utilisation – voire des droits de l’homme.</p>
<p>Facebook a bien conscience des limites de sa propre légitimité pour statuer sur le cas particulier de Trump et pour établir la règle générale applicable à l’expression des gouvernants sur sa plate-forme. D’où le transfert de ces questions à une instance censée être mieux équipée en la matière. C’est en effet un pari : d’abord pour le Conseil lui-même, et donc indirectement pour Facebook, qui a tout intérêt à ne pas voir son initiative compromise dès sa mise en place.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Michalon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Facebook a mis en place un « Conseil de surveillance » censé veiller aux droits de ses utilisateurs. Peu de temps après sa création, cette instance doit trancher une question des plus sensibles.Barthélémy Michalon, Doctorant en Sciences Politiques, mention Relations Internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1555772021-02-18T20:30:06Z2021-02-18T20:30:06ZLe culte de la liberté d’expression aux États-Unis<p>Les questions soulevées par le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/02/13/le-proces-en-destitution-de-donald-trump-risque-de-se-prolonger-avec-la-convocation-de-temoins_6069866_3210.html">second procès en destitution de Donald Trump</a>, qui vient de s’achever comme on s’y attendait par l’acquittement de l’ancien locataire de la Maison-Blanche, s’inscrivent dans la suite logique d’une présidence qui a repoussé les limites du système juridique américain.</p>
<p>Les avocats de l’ex-président – accusé d’incitation à l’insurrection – ont largement usé de l’argument de la liberté d’expression, garantie par le <a href="https://www.law.cornell.edu/constitution/first_amendment">Premier amendement de la Constitution</a>. Selon eux, cet amendement couvrirait les propos tenus par Donald Trump le 6 janvier, jour où des milliers de ses partisans prirent d’assaut le Capitole, ainsi que sa contestation répétée du résultat de la présidentielle.</p>
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<p>Pour de <a href="https://int.nyt.com/data/documenttools/first-amendment-lawyers-trump-impeachment-defense/7fc3e63ae077f83d/full.pdf">nombreux professeurs de droit constitutionnel</a> il s’agit d’un argument « juridiquement futile » puisque, dans ce procès en destitution, la question n’est pas de savoir si l’ancien président a commis un crime, mais s’il a violé son serment de protéger la Constitution. C’est en revanche une ligne de défense tout à fait classique que pourraient reprendre les avocates du citoyen Trump dans un procès civil ou pénal.</p>
<p>Au-delà de cette affaire, la question de la liberté d’expression, de la tolérance pour les contenus subversifs comme pour les discours de haine, aux États-Unis, doit être posée si l’on veut comprendre l’actualité américaine récente. Par exemple, les manifestations racistes à <a href="http://www.slate.fr/story/150030/charlottesville-armes-liberte-expression">Charlottesville en 2017</a>, ou celles contre la police des <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/etats-unis-les-violences-policieres-contre-les-manifestants">mouvements anti-racistes Black Lives Matter</a> ou <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-le-mouvement-antifa-fait-debat">Antifa</a> en 2019 et 2020, ou encore l’insurrection du 6 janvier. L’actualité a également rappelé la grande popularité qu’ont connue deux personnages provocateurs et controversés, qui se présentaient chacun à leur façon comme chantres de la liberté d’expression, et qui viennent de disparaître : l’animateur de radio de droite conservatrice <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/17/rush-limbaugh-animateur-de-radio-et-figure-de-la-droite-conservatrice-americaine-est-mort_6070327_3382.html">Rush Limbaugh</a> et le magnat de la pornographie <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/02/11/larry-flynt-magnat-du-porno-americain-est-mort_6069520_3382.html">Larry Flynt</a>.</p>
<h2>La liberté d’expression : un concept unique mais contesté</h2>
<p>Pour de nombreux Américains, la liberté, et particulièrement la liberté d’expression, est l’un des principes fondateurs de leur identité, qui contribue à l’exceptionnalisme de leur pays.</p>
<p>Il est vrai que les États-Unis se distinguent des autres démocraties par ce qui pourrait être considéré comme une <a href="https://scholarship.law.upenn.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1660&context=jcl">vision absolutiste</a> de la liberté d’expression. Ainsi, dans le droit américain, même le discours de haine est protégé et la Cour suprême a plusieurs fois affirmé qu’il n’y avait pas d’exception pour les discours de haine dans le Premier amendement (<a href="https://www.oyez.org/cases/1940-1955/343us250">Beauharnais v. Illinois</a>, 1952 ; <a href="https://harvardlawreview.org/2017/11/matal-v-tam/"><em>Matal v. Tam</em></a>, 2017).</p>
<p>Comme le <a href="https://law.stanford.edu/publications/reflections-on-charlottesville/">rappelle l’ancien conseiller juridique de l’American Civil Liberties Union (ACLU) Steven Shapiro</a>, sur ce point, les États-Unis sont uniques et en contradiction avec le cadre juridique international défini par le <em>Pacte international relatif aux droits civils et politiques</em> de 1966 (<a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx">article 20</a>) qui oblige les signataires à interdire les discours de haine et que les États-Unis ont signé en 1992, précisément avec des réserves sur ce point.</p>
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<p>Malgré une vénération quasi religieuse du Premier amendement, la question de la liberté d’expression fait parfois polémique au sein même des États-Unis, notamment dans la période actuelle où l’on assiste à une montée du populisme, à l’intensification de la polarisation politique et à une hausse des discours provocateurs et extrémistes sur les réseaux sociaux. Selon les mots de la <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/17pdf/16-1466_2b3j.pdf">juge Kagan, qui siège à la Cour suprême</a>, la liberté d’expression est devenue une arme politique. C’est notamment le cas à droite et <a href="https://www.macleans.ca/opinion/how-the-alt-right-weaponized-free-speech/">à l’extrême droite</a>.</p>
<p>Paradoxalement, face à la montée de certaines expressions radicales, comme le nationalisme blanc de plus en plus visible, c’est au sein de la <a href="https://jmrphy.net/blog/2018/02/16/who-is-afraid-of-free-speech/">gauche modérée</a> et dans la <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/11/20/40-of-millennials-ok-with-limiting-speech-offensive-to-minorities/">génération dite des « millennials »</a> que l’on commence à constater un <a href="https://www.theguardian.com/news/2018/may/31/how-the-resurgence-of-white-supremacy-in-the-us-sparked-a-war-over-free-speech-aclu-charlottesville">soutien à une plus grande restriction de la liberté d’expression</a>.</p>
<h2>Une histoire mouvementée</h2>
<p>Le droit à la liberté d’expression est ancien puisqu’il est inscrit dans le Premier amendement, ratifié en 1791 :</p>
<blockquote>
<p>« Le Congrès n’adoptera aucune loi […] pour limiter la liberté d’expression, de la presse. »</p>
</blockquote>
<p>À l’origine, ce texte ne concernait donc que les lois votées par le Congrès. C’est au fil du temps que la Cour suprême a étendu cette protection à d’autres organes du pouvoir gouvernemental, qu’il soit fédéral, étatique et local, législatif, exécutif ou judiciaire. On note au passage que ce droit ne concerne donc pas les entités privées, comme les réseaux sociaux qui <a href="https://theconversation.com/medias-sociaux-apres-lexclusion-de-trump-la-question-de-la-censure-et-limperatif-devoluer-153247">peuvent appliquer leur liberté de commerce comme elles l’entendent</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1348263180783509504"}"></div></p>
<p>Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’interprétation libérale actuelle du Premier amendement est relativement récente. Pendant longtemps, il existait de nombreuses restrictions à la liberté d’expression, en partie en raison de normes sociétales différentes, notamment en termes de moralité sexuelle (les <a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1038/comstock-act-of-1873">lois Comstock</a>), mais aussi pour des raisons politiques perçues comme liées à la préservation des intérêts de l’État (l’<a href="https://www.mtsu.edu/first-amendment/article/1045/espionage-act-of-1917">Espionage Act de 1917</a>). Tout particulièrement, lors les deux guerres mondiales et au début de la guerre froide, la Cour suprême a soutenu des jugements contre des dissidents qui s’opposaient à la conscription ou qui préconisaient le socialisme révolutionnaire ou le communisme (comme dans les arrêts <a href="https://www.oyez.org/cases/1900-1940/249us47"><em>Schenck v. United States</em></a>, 1919 ou <a href="https://www.oyez.org/cases/1940-1955/341us494"><em>Dennis v. United States</em></a>, 1951).</p>
<p>C’est lorsque la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1969_num_19_2_393153">Cour fut présidée par Earl Warren</a> (1953-1969) que tout a changé, dans un contexte de plus grande tolérance envers les discours séditieux liés aux droits civiques et à la guerre contre le Vietnam.</p>
<p>L’interprétation libérale du Premier amendement a aussi permis de protéger le discours de haine du Ku Klux Klan, comme le stipule en 1969 l’arrêt <a href="https://mtsu.edu/first-amendment/article/189/brandenburg-v-ohio"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a> – une décision qui fait jurisprudence encore aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1359863754255597570"}"></div></p>
<p>Depuis lors, la liberté d’expression est généralement présumée protégée, y compris le discours de haine, sauf exception spécifique. L’une des leçons de l’histoire de la liberté d’expression aux États-Unis est qu’elle n’est donc pas inscrite dans le marbre, que les normes changent et pourraient à nouveau changer.</p>
<h2>Le marché des idées</h2>
<p>Le droit américain reconnaît toutefois certaines restrictions à la liberté d’expression. Les catégories de discours qui sont moins ou pas du tout protégées par le Premier amendement concernent en particulier l’obscénité, la diffamation, l’incitation à l’émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d’auteur ou les brevets.</p>
<p>A contrario, le discours politique est l’une des catégories les plus protégées. La Cour suprême va même jusqu’à considérer que limiter les dépenses de campagne est une violation de la liberté d’expression car cela restreint les moyens financiers permettant d’exprimer une opinion, comme l’affirmait d’abord l’arrêt <a href="https://www.oyez.org/cases/1975/75-436"><em>Buckley v. Valeo</em></a> (1976), puis, de façon plus radicale encore et controversée l’arrêt <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Citizens_United_v._Federal_Election_Commission"><em>Citizens United</em></a> (2010).</p>
<p>Si les <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/feb/16/trump-giuliani-lawsuit-capitol-riot-bennie-thompson-naacp">poursuites déjà engagées</a> contre Donald Trump en lien avec l’insurrection au Capitole vont jusqu’à un procès, les questions de l’incitation à l’émeute et du Premier amendement seront au cœur des plaidoiries. La cour, civile ou même pénale, devra alors examiner jusqu’à quel point sa rhétorique du 6 janvier est protégée par le Premier amendement. Selon l’arrêt <a href="https://mtsu.edu/first-amendment/article/189/brandenburg-v-ohio"><em>Brandenburg v. Ohio</em></a>, évoqué plus haut, la liberté d’expression permet « l’appel à l’usage de la force » et même à « des actes illégaux », sauf s’il s’agit d’une « action illégale imminente qui est susceptible de se produire ». Il y a donc une grande part de subjectivité et c’est l’évaluation du contexte qui permettra de déterminer si la rhétorique incendiaire de Trump visait à commettre un crime et à préconiser une infraction à la fois imminente et susceptible de se produire. C’est ce qui est appelé le <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/brandenburg_test">test de Brandenburg</a>.</p>
<p>La décision Brandenburg permet, par exemple, à des néo-nazis de défiler en toute légalité, en brandissant des croix gammées et en criant leur haine des Juifs, comme on l’a vu à Charlottesville en 2017. Elle a également permis des décennies durant à <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/17/business/media/rush-limbaugh-dead.html">Rush Limbaugh</a> d’utiliser un langage misogyne, homophobe, raciste et conspirationniste.</p>
<p>Cette décision est basée sur le principe que la concurrence des idées dans un discours public libre et transparent permettra au peuple de décider librement ce qu’il veut croire. Cette philosophie est illustrée par la métaphore libérale du <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Marketplace_of_ideas">« marché des idées »</a>, utilisée dans une <a href="https://www.law.cornell.edu/supremecourt/text/345/41">décision de la Cour suprême en 1953</a>, et devenue depuis une <a href="https://ideas.dickinsonlaw.psu.edu/dlr/vol123/iss2/6/">analogie courante dans le droit américain</a>.</p>
<p>Or ce qu’implique également cette métaphore est que, comme pour tout marché, celui des idées est façonné par des déséquilibres de pouvoir, particulièrement concernant l’inégalité raciale et financière. Comment la voix de Donald Trump peut-elle être équivalente à celle du citoyen moyen ? Comment les algorithmes biaisés des réseaux sociaux permettraient-ils l’existence d’un marché équitable et libre des idées ? De nombreux Américains ne font pas confiance à leur gouvernement pour réguler ce marché des idées. Pourtant, les contre-exemples offerts par l’<a href="https://fra.europa.eu/fr/eu-charter/article/11-liberte-dexpression-et-dinformation">Union européenne</a> ou le <a href="https://www.cliquezjustice.ca/vos-droits/liberte-d-expression-peut-vraiment-tout-dire">Canada</a> montrent que davantage de restrictions à la liberté d’expression ne sont pas nécessairement incompatibles avec les principes démocratiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Premier amendement de la Constitution des États-Unis protège la liberté d’expression des Américains, à un point tel que même les discours les plus haineux ont droit de cité.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1550102021-02-15T21:55:10Z2021-02-15T21:55:10ZCensure à l'université : les limites de l'universalité de la littérature<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/384289/original/file-20210215-21-xjlh0t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6016%2C3998&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il y aurait péril en la demeure académique. Un péril que ces professeurs, et avec eux de nombreux chroniqueurs et commentateurs, ont entrepris de révéler.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Nous assistons depuis quelques semaines à plusieurs sorties publiques de professeurs qui <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2021-01-29/les-mots-tabous-encore.php">dénoncent l’apparition de mots tabous à l’université</a>. La controverse a enflé au point de voir le premier ministre du Québec François Legault <a href="https://www.facebook.com/400223946701308/posts/3855424881181180/?d=n">prendre position publiquement</a>. Tout cela n’est pas sans rapport avec une certaine conception de la littérature, censée pouvoir toucher à l’universel.</p>
<p>Ce que l’on peut maintenant appeler <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1742721/professeure-universite-ottawa-controverse-communaute-noire">« l’affaire Lieutenant-Duval »</a>, à l’Université d’Ottawa, a conduit plusieurs professeurs de littérature à signer des textes d’opinion. L’un de ces textes, intitulé <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/12567465-803c-4d4a-a2c4-765230c8c883__7C___0.html">« Université, censure et liberté »</a>, estime que le « principe » même de l’enseignement est en jeu, un principe qui ne saurait être « négocié » ou « galvaudé ».</p>
<p>Sous le titre <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/594493/point-de-vue-ou-et-quand-tout-cela-s-arretera-t-il">« Où et quand tout cela s’arrêtera-t-il ? »</a>, cet autre collègue s’inquiète de ne plus pouvoir enseigner à l’avenir certains classiques des littératures française et québécoise parce qu’ils contiennent la version française du mot en n. </p>
<p>Il y aurait péril en la demeure académique. Un péril que ces professeurs, et avec eux de nombreux chroniqueurs et commentateurs ont entrepris de révéler. Un péril qui m'apparaît, en tant que professeur de littérature française, lié à la conception que l'on se fait des oeuvres d'art. </p>
<h2>L’apparent consensus</h2>
<p>Dans le tourbillon médiatique de l’affaire Lieutenant-Duval, de <em>tweets</em> en éditoriaux, de statuts Facebook en lettres ouvertes, s’est dégagée une impression de consensus : les professeurs de littérature seraient désormais soumis à la tyrannie de l’opinion étudiante et n’auraient d’autres choix que de lui résister ou de s’écraser devant elle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1360589047845048325"}"></div></p>
<p>Ce consensus n’existe pas. Sans doute, celles et ceux qui ont été plus déboussolés qu’indignés par l’affaire des « mots en n- » (en anglais et en français), qui en ont tiré plus de doutes que de certitudes, ont-ils moins pris publiquement la parole dans les médias francophones. Ont-ils eu peur de recevoir les invectives que certains de leurs collègues ? Ont-ils fait le choix de ne pas intervenir publiquement pour ne pas, une fois de plus, <em>prendre</em> la parole aux personnes racisées et minorées, au moment même où elle s’élève ? Quoi qu’il en soit, leur silence ne veut pas dire que ces personnes aient adhéré passivement aux déclarations d’indignation de leurs collègues.</p>
<h2>Une certaine culture française</h2>
<p>Il n’est pas anodin que ces textes polémiques émanent de départements de langue et littérature françaises. C’est là que « l’affaire » a commencé. C’est aussi là que s’exerce l’influence de la vision, dominante en France, de la communauté humaine fondée sur des principes transcendants, surplombants, universellement valables, comme la République, les Droits de la personne et la Laïcité. La France se targue de faire prévaloir ces grands principes sur les accommodements individuels, y compris dans les salles de classe. Les débats qui font rage en France (autant que ceux qui agitent les États-Unis) ont des répercussions au Québec, particulièrement chez les spécialistes de la culture française.</p>
<p>Des textes publiés par les professeurs de littérature de langue française ressort une double crainte : celle de ne plus pouvoir enseigner les grandes œuvres littéraires qui contiennent l’un des mots interdits, et celle de ne plus pouvoir eux-mêmes, en tant qu’enseignants-chercheurs, continuer à parler librement de ces mêmes œuvres.</p>
<p>Dans les deux cas, on met en opposition l’expérience individuelle de l’étudiant et un discours à prétention universelle. Les œuvres littéraires, et surtout les grands classiques de la littérature, ont ceci de particulier qu’elles dépassent l’expérience de leur autrice ou de leur auteur pour toucher à l’universel. C’est bien pour cela que l’on continue à les étudier. Cela nous donne aussi à nous, enseignants-chercheurs en littérature, une responsabilité importante.</p>
<h2>La prétention à l’universel</h2>
<p>Quand nous enseignons <em>Candide</em> de Voltaire, <em>Le père Goriot</em> de Balzac ou <em>L’Amant</em> de Duras, nous confirmons, après tant d’autres, que ces œuvres valent la peine d’être enseignées. Par l’intermédiaire des œuvres que nous étudions et faisons étudier, nous aussi, professeurs, prétendons à un petit morceau d’universel.</p>
<p>Cette prétention à l’universel provient de notre statut d’enseignants et de chercheurs. Passés nous-mêmes par les épreuves formatrices de l’Université, soumis à l’évaluation des pairs à chaque publication ou communication, nous avons vu nos perspectives, nos méthodes, nos objets de recherche et d’enseignement validés par les institutions académiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/384288/original/file-20210215-17-qk13kc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette prétention à l’universalité a été mise en cause à l’Université d’Ottawa : les étudiants se sont élevés contre l’usage d’un des « mots en n- » et ont fait savoir à l’enseignante que ce qui, pour elle, semblait toucher à l’universel pouvait venir les heurter personnellement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Tant nos recherches que notre enseignement sont donc légitimés par l’institution où ils ont cours. Nous commentons, critiquons, comparons, interprétons les faits et les textes littéraires et, ce faisant, nous confirmons que ces faits et ces textes méritent d’être étudiés.</p>
<p>Or c’est justement cette prétention à l’universalité qui a été mise en cause à l’Université d’Ottawa : les étudiants qui se sont élevés contre l’usage d’un des « mots en n- » ont fait savoir à l’enseignante que ce qui, pour elle, semblait toucher à l’universel (les mots, les idées, les images, les formes de l’œuvre littéraire), et à l’impassible beauté, pouvait venir les heurter personnellement. Plus généralement, ces étudiants, qui ne disposent pas de la légitimité de l’enseignant, lui ont fait savoir qu’un mot, même passé au tamis savant de la contextualisation, continue à leur faire violence.</p>
<h2>L’illusion de l’universalité</h2>
<p>Cette révélation a quelque chose de douloureux parce qu’elle signifie que notre prétention à l’universel et celle des œuvres littéraires dont nous transmettons l’intérêt sont, et ont toujours été, illusoires. Notre universalité n’est pas, à la lecture de ces mots interdits, celle de la personne à qui nous enseignons. Blessure d’orgueil pour le professeur, certainement, mais il ne gagne rien à comparer la violence ressentie individuellement par l’étudiant à la grandeur des œuvres littéraires, au premier rang desquelles les classiques de la littérature, dont les professeurs sont les interprètes privilégiés.</p>
<p>Le présent texte, d’un autre homme blanc, professeur titulaire dans une université, n’a pas pour objectif de minimiser les dangers relevés par mes collègues : censure et autocensure, pressions et menaces sur les enseignants, climat de méfiance dans la classe, particulièrement dans un contexte d’enseignement en ligne qui, souligne cet autre collègue dans son texte <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-02-02/liberte-d-enseignement/les-victimes-de-zoom.php">« Les victimes de Zoom »</a>, ne favorise pas la discussion sur des sujets complexes.</p>
<p>L’affaire Lieutenant-Duval nous rappelle ce que nous n’avions pas voulu l’entendre jusque là : comme professeurs, nous ne saurions décider si telle ou telle œuvre littéraire, qui nous semble parler à tous, fait violence ou non à autrui. À tout le moins, devons-nous maintenant faire preuve d’écoute, accepter de ne pas avoir toutes les réponses et veiller à ne pas invalider les affects et les réflexions des lecteurs au nom de notre idée de la Littérature.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155010/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Glinoer a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du Fonds de Recherche du Québec - Société et Culture. </span></em></p>La polémique sur la censure émane de départements de littérature française. C’est là que s’exerce la vision dominante en France d'une communauté humaine fondée sur des principes universels.Anthony Glinoer, Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’histoire de l’édition et la sociologie du littéraire. Professeur à l’Université de Sherbrooke (Québec), Université de Sherbrooke Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1527882021-01-22T15:17:45Z2021-01-22T15:17:45ZUn préambule pourrait assurer la liberté d’expression en milieu universitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/378605/original/file-20210113-23-10u0gqo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un tract agrafé à un tableau d'affichagel sur le campus de l'Université Berkeley, en Californie. Il est de plus en plus difficile sur certains campus universitaires d'apporter un point de vue jugé «offensant» ou «dérangeant» par certains étudiants.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Ben Margot, File)</span></span></figcaption></figure><p>Comme de nombreux universitaires du Québec, le professeur Alain Roy, de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, a été surpris d’apprendre, en octobre 2020, qu’une professeure de l’Université d’Ottawa, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1742721/professeure-universite-ottawa-controverse-communaute-noire">Verushka Lieutenant-Duval, avait été suspendue pour avoir utilisé le mot en n en classe</a>.</p>
<p>Cette histoire faisait écho à une situation similaire, survenue un an plus tôt, lorsque la professeure Catherine Russell, de l’Université Concordia, avait déclenché une polémique <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1743124/concordia-apporche-differente-mot-n">après avoir prononcé à deux reprises dans son cours de cinéma le titre de l’essai de Pierre Vallières <em>Nègres blancs d’Amérique</em>.</a> Face à cette situation, le professeur Roy a ajouté un préambule à ses plans de cours de l’hiver 2021 :</p>
<blockquote>
<p>Le cours que vous vous apprêtez à suivre soulève de nombreux enjeux sensibles. Les étudiant·e·s, le professeur et les intervenant·e·s expert·e·s seront appelé·e·s à débattre de plusieurs questions difficiles et controversées. Tous les points de vue sont recevables, pour autant qu’ils soient exprimés dans le respect et avec l’ouverture qui s’imposent. Chaque étudiant·e doit être conscient·e que certaines questions sont susceptibles de heurter ses convictions personnelles, quelles qu’en soient la nature et la source, et de provoquer de l’inconfort, des malaises, et peut-être même de la détresse. Les étudiant·e·s qui, après avoir été dûment avisé·e·s de ces conditions d’apprentissage, demeurent inscrit·e·s au cours, sont présumé·e·s y adhérer en toute connaissance de cause.</p>
</blockquote>
<p><a href="https://nouvelles.umontreal.ca/article/2020/12/16/un-pas-de-plus-est-franchi-vers-la-reforme-du-droit-de-la-famille/">Au cours d’un entretien qu’il m’accordait il y a quelques semaines</a>, le professeur Roy me confiait qu’il avait rédigé ce préambule pour éclaircir les choses dans ses groupes avant même d’entamer le trimestre. Il ne pensait pas devoir en venir à proposer une telle chose dans ses syllabus un jour. « Mais, étant donné le contexte, je trouve important d’assurer le principe de la liberté académique très clairement. Si des personnes ne sont pas à l’aise avec ce principe, elles peuvent se désinscrire », a-t-il dit.</p>
<p>À titre de chargé de cours universitaire —, j’enseigne le journalisme à l’Université de Montréal en plus de mes études de doctorat en communication à l’UQAM – il me semble essentiel de pouvoir aborder tous les sujets possibles dans une classe en employant les mots adéquats. Les sujets que nous abordons en journalisme sont très souvent sensibles et prêtent à controverse. Que doit-on rendre public et quoi taire dans un reportage ? Ce genre de questions est au centre de la déontologie journalistique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-mots-blessent-les-uns-et-pas-les-autres-cest-une-question-de-memoire-discursive-146803">Pourquoi certains mots blessent les uns et pas les autres… C’est une question de mémoire discursive</a>
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<h2>Non à l’index</h2>
<p>Sur sa page Facebook, Alain Roy a affirmé le 19 octobre qu’« aucun mot ne peut et ne doit être mis à l’index dans un contexte universitaire, à moins qu’on en fasse usage avec l’intention de blesser ». Il ajoutait qu’à titre de professeur, il se faisait un devoir de « favoriser les débats d’idées, et tous les points de vue sont les bienvenus ».</p>
<p>Cette position lui a valu des <a href="https://www.droit-inc.com/article27580--n-Un-prof-de-droit-suscite-un-tolle-sur-Facebook">réactions très vives</a> de dizaines de personnes, dont certains étudiants. Parmi les réactions les plus outrées, figure celle de Safi Nsempba qui reproche à son ancien professeur de n’avoir pas su assurer en milieu universitaire un « espace sensible et sécuritaire ». Elvia Valeska Garcia Vera affirme que « le mot en n ne doit jamais au grand jamais être prononcé. C’est irrespectueux et le monde devrait commencer à savoir le pourquoi […] La communauté noire en a assez du manque de respect, racisme et des blessures qui s’en suit depuis des générations ».</p>
<p>Il faut réfléchir un instant sur ce que signifie cette notion inspirée du mouvement gai américain des années 1980 qui voulait lutter contre l’homophobie. Le symbole, un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Symboles_LGBT">triangle rose inversé</a> imprimé sur un aimant, illustrait « l’acceptation universelle » dans un lieu précis. Là où ces images étaient distribuées, les personnes s’engageaient à n’utiliser aucun propos homophobe ou sexiste.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378602/original/file-20210113-19-1a97b89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La question des « safe spaces » est d’abord apparue dans le mouvement contre l’homophobie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Le mouvement s’est par la suite élargi pour inclure plusieurs discours identitaires issus des minorités (bisexuels, transgenres, personnes racisées). Il a fait tache d’huile dans les universités où on a voulu créer des « safe spaces » pour garantir aux communautés l’absence de propos blessants. Principalement présent aux États-Unis et au Canada anglais, le mouvement s’impose plus lentement au Québec. En France, on en a vu une timide <a href="https://www.buzzfeed.com/fr/mariekirschen/les-reunions-non-mixtes-cest-quoi">expression</a> durant le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nuit_debout">mouvement Nuit debout</a>, en 2016, où on a tenu des rencontres « interdites aux Blancs ». Dans les universités québécoises francophones, les manifestations de ce mouvement se font de plus en plus sentir depuis 2018.</p>
<p>L’affaire Lieutenant-Duval, bien que survenue en Ontario, a créé une véritable onde de choc au Québec à l’automne 2020. À preuve, la publication du professeur Roy du 19 octobre a suscité plus de 221 réactions sur Facebook. Le 20 octobre, pas moins de neuf articles du journal <em>Le Devoir</em> faisaient état de la crise : trois nouvelles, trois textes d’opinion, deux chroniques et un éditorial.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=385&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/378606/original/file-20210113-15-t8ztsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=483&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des étudiants ont allumé un feu, à l’Université Berkeley, en Californie, afin de protester contre la venue sur le campus d’un conférencier d’allégeance conservatrice.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ben Margot, File</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un contrat de liberté !</h2>
<p><a href="https://leger360.com/fr/sondages/sondage-hebdomadaire-de-leger-27-octobre-2020/">Un sondage Léger réalisé en octobre 2020 en collaboration avec l’Association d’études canadiennes</a> révélait que 57 % des répondants soutenaient plutôt la professeure que les étudiants dans l’affaire Lieutenant-Duval. Mais surtout, 75 % des répondants affirmaient que nous « devrions protéger à tout prix la liberté d’expression dans nos institutions d’enseignement universitaire afin de permettre un libre échange des idées et des opinions ».</p>
<p>Est-ce que l’ajout de quelques lignes dans un plan de cours peut aider à préserver les dérives menant, par exemple, des gens à divulguer des informations personnelles d’un professeur pour inciter des gens à des actes d’intimidation ?</p>
<p>Difficile à dire. Mais cette initiative peut aider à mettre en place un climat d’ouverture à la nécessaire liberté d’expression dans une salle de classe – même virtuelle.</p>
<p>Un plan de cours, c’est en quelque sorte un contrat entre étudiant et professeur. Il est livré plusieurs semaines avant le début du trimestre et discuté au premier cours. Ajouter aux balises sur le plagiat, l’évaluation et l’absentéisme une précision adéquate sur les conditions d’apprentissage peut-il permettre de tenir un débat sain et respectueux ? Pour le professeur Roy, cet outil ne peut pas tout régler, mais il peut permettre aux étudiants et étudiantes de savoir dans quoi ils et elles s’engagent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152788/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu-Robert Sauvé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Faut-il que les professeurs d’université instaurent un préambule dans leurs plans de cours afin d’assurer la liberté académique ?Mathieu-Robert Sauvé, Journaliste, auteur, doctorant en communication. Chargé de cours, Université de Montréal. Dernier livre paru: Le journaliste béluga (Leméac), 2020., Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.