tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/libertes-publiques-20968/articleslibertés publiques – The Conversation2021-11-21T16:51:36Ztag:theconversation.com,2011:article/1716222021-11-21T16:51:36Z2021-11-21T16:51:36ZVidéo-surveillance : où vont nos données ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/432350/original/file-20211117-23-1e9snl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C560%2C1899%2C1350&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ne souriez plus, vos données s'envolent et... vous ne pourrez pas les récupérez. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/imeuble-mur-structure-2598899/">Stocksnap/pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Remise au-devant de l’actualité récente sous la forme d’une <a href="https://www.lci.fr/justice-faits-divers/tirs-contre-la-police-a-lyon-darmanin-reclame-plus-de-cameras-de-surveillance-2200105.html">injonction au maire de Lyon</a>, la vidéosurveillance sur la voie publique ne s’est jamais aussi bien portée. Pour autant, quel est son encadrement juridique en France et quels en sont ses usages réels ?</p>
<p>Juridiquement, la possibilité d’installer des caméras de surveillance sur la voie publique (qu’il s’agisse de rues ou de routes voire autoroutes) ou dans les lieux publics (transports en commun, bâtiments administratifs, etc.) <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2517">relève de la compétence des autorités publiques</a>. La décision peut donc être prise par un maire, le président d’une communauté de communes, le directeur d’une prison ou le responsable d’un service de transports par exemple.</p>
<h2>Un cadre juridique restreint</h2>
<p>Si la caméra filme la rue, l’installation du système est subordonnée à une autorisation du préfet (valable cinq ans), et nécessite un avis de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037825998">« commission départementale de vidéoprotection »</a>, présidée par un magistrat. En cas d’urgence liée par exemple à un projet terroriste, cet avis peut être repoussé temporairement.</p>
<p>La mise en place de la vidéo-surveillance doit répondre de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041599395/">finalités prévues par la loi</a>. Celles-ci sont néanmoins, comme souvent en la matière, rédigées de manière particulièrement large : « protection des bâtiments et installations publics », « prévention des atteintes à la sécurité », etc.</p>
<p>Depuis 2011, les acteurs privés comme les commerçants peuvent également mettre en place de tels caméras aux abords immédiats de leur établissement, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041599395/">après autorisation du maire</a>.</p>
<p>Dans tous les cas, une limite importante se trouve dans l’interdiction formelle de filmer, même accidentellement, des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025505412">lieux d’habitation</a>. Les caméras doivent être orientées de telle manière à ne pas viser de maisons ou d’immeubles, ou, à défaut, équipées de système de floutage des façades.</p>
<p>La <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes">Loi Informatique et Libertés</a>, également d’application pour ces dispositifs lorsqu’ils permettent la collecte et l’enregistrement de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037825998">données identifiantes</a>, c’est-à-dire permettant de reconnaître des individus dans la rue ou dans les commerces, <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-videosurveillance-videoprotection-sur-la-voie-publique">impose également un processus particulier</a>, nécessitant parfois l’autorisation de la CNIL.</p>
<p>Les établissements privés ouverts aux publics (bars, restaurants, etc.) peuvent également mettre en place ces dispositifs à l’intérieur de leurs locaux mais selon des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000020150477/2009-01-25/">modalités plus rigoureuses</a>.</p>
<p>Enfin, en dehors de ces règles et même si ce n’est pas prévu par la loi, la Cour de cassation autorise la mise en place de <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/videosurveillance-sur-voie-publique-durant-l-enquete-conditions-d-autorisation">vidéo-surveillance spéciale et ponctuelle</a> pour les besoins d’une enquête judiciaire.</p>
<h2>Le développement d’une vidéo-surveillance parallèle</h2>
<p>Ces systèmes classiques de vidéo-surveillance par caméras installées se doublent aujourd’hui de nouveaux dispositifs qui ne répondent pas de cet encadrement juridique classique. Il s’agit d’une part de l’usage des drones, et d’autre part des caméras individuelles utilisées par les forces de l’ordre.</p>
<p>L’utilisation des drones comme dispositif de vidéo-surveillance par les forces de l’ordre fait l’objet d’une véritable saga juridique débutée notamment <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/278140-drones-de-surveillance-la-cnil-sanctionne-le-ministere-de-linterieur">lors du confinement</a>, passant par plusieurs interdictions données par le <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-18-mai-2020-surveillance-par-drones">Conseil d’État</a>, une intégration dans la loi <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/que-prevoit-la-loi-securite-globale-definitivement-adoptee-sur-les-drones-de-surveillance.N1082964">Sécurité globale</a> et enfin une censure par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021817DC.htm">Conseil constitutionnel</a>.</p>
<p>Si le gouvernement tient autant à autoriser le recours à ces dispositifs, c’est qu’ils permettent, désormais équipés de caméras de très haute résolution, une couverture virtuellement illimitée en vidéo-surveillance de tout le territoire. Leur usage, très périlleux pour les libertés fondamentales, doit néanmoins <a href="https://www.franceinter.fr/avec-une-nouvelle-loi-les-drones-pour-filmer-les-manifestations-reviennent-par-la-petite-porte">encore trouver un équilibre juridique</a>.</p>
<p>En parallèle, se généralise également le déploiement de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000043530293?r=0W5GS0kMVZ">« caméras-piétons »</a> qui équipent les forces de l’ordre et même les agents assermentés de sociétés de transport, autorisant l’enregistrement des images et du son de certaines interventions ou contrôles.</p>
<h2>Un devenir incertain des données</h2>
<p>Que deviennent toutes les images ainsi collectées, qu’il s’agisse des outils classiques de vidéo-surveillance sur la voie publique ou de celles des nouveaux dispositifs de captation vidéo ?</p>
<p>La première catégorie d’images est traitée par le service qui a demandé l’installation des caméras, qu’il s’agisse d’une <a href="https://www.lemonde.fr/fragments-de-france/article/2021/10/20/libourne-ville-sous-surveillance_6099190_6095744.html">municipalité</a> ou d’une autre structure publique. Cela doit être prévu explicitement, ainsi que la durée de conservation des images <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025505435">qui ne peut excéder un mois</a>.</p>
<p>Les vidéos collectées par les caméras individuelles des forces de l’ordre sont quant à elles transmises aux services de police ou de gendarmerie et conservées six mois.</p>
<p>Durant leur temps de conservation, l’ensemble de ces données peut faire l’objet de <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/642140/requisition-des-images-de-videoprotection-quelles-sont-les-regles/">réquisitions</a>, c’est-à-dire de demandes par les services de police ou de gendarmerie dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction. Dans ce cas, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025505435">plus de durée maximum</a> car les vidéos intègrent le dossier pénal.</p>
<p>Depuis l’adoption de la loi <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/15/les-principaux-articles-de-la-loi-securite-globale-definitivement-adoptee-par-l-assemblee-nationale_6076884_3224.html">Sécurité globale</a>, les images captées par les caméras individuelles des forces de l’ordre peuvent également, en parallèle de leur enregistrement, être transmises en flux direct au centre de commandement.</p>
<h2>Une exploitation limitée</h2>
<p>Comment assurer le traitement efficace de ces milliers d’heures d’enregistrement ? Si certaines villes décident de s’équiper de centres de traitement voyant <a href="https://www.nice.fr/fr/securite/le-centre-de-supervision-urbain">se relayer un personnel 24h/24</a>, la difficulté est bien réelle. Ce n’est pas tout d’avoir des caméras, encore faut-il avoir des humains derrière les écrans.</p>
<p>Cette problématique est-elle en passe de se voir résolue par les nouveaux usages de la vidéosurveillance, fondés sur les outils algorithmiques, la reconnaissance faciale voire l’intelligence artificielle ?</p>
<p>Le recours à de tels outils a en tout cas de quoi séduire les décideurs publics, et ce à l’ère des <a href="https://www.nicecotedazur.org/europe/ville-intelli/smart-city-innovation-center">« smart cities »</a> ou « villes intelligentes ». Pourtant, ils constituent bien davantage une forme nouvelle de <a href="https://technopolice.fr/">« techno-police »</a> et posent de vrais problèmes sur nos libertés fondamentales.</p>
<h2>De nouveaux usages problématiques</h2>
<p>Que penser en effet de la <a href="https://droit.developpez.com/actu/313581/France-les-senateurs-disent-non-a-un-amendement-visant-a-interdire-la-reconnaissance-faciale-via-des-cameras-embarquees-dans-le-cadre-de-la-proposition-de-loi-sur-la-securite-globale/">possibilité laissée</a> aux policiers et aux gendarmes d’utiliser leurs outils de reconnaissance faciale (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000025818428">prévus notamment dans le cadre du principal fichier de police</a>) sur les images obtenues par les caméras embarquées ?</p>
<p>Rien n’interdira ainsi que demain, lors d’une manifestation, les nombreux policiers présents, tous équipés de telles caméras (<a href="https://www.interieur.gouv.fr/fr/Actualites/Communiques/Gerald-Darmanin-confirme-le-deploiement-d-une-nouvelle-generation-de-cameras-pietons-a-compter-du-1er-juillet">qui ont vocation à être généralisées</a>) reçoivent dans leurs oreillettes, en direct, l’identité et les informations relatives aux personnes qui se trouvent en face d’eux, leur signalant tel ou tel individu déjà connu. Cette pratique se réaliserait en dehors du cadre juridique relativement contraint des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000006151880/#LEGISCTA000006151880">contrôles d’identité</a>.</p>
<p>De même, les expérimentations de recours à la <a href="https://www.franceinter.fr/reconnaissance-faciale-officiellement-interdite-elle-se-met-peu-a-peu-en-place">reconnaissance faciale</a> par les caméras de vidéosurveillance classiques se multiplient, même si la CNIL reste encore, heureusement, <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/reconnaissance-faciale-la-cnil-adresse-un-avertissement-a-la-ville-de-valenciennes.N1130989">très vigilante et si l’interdiction reste le principe</a>. La question de son utilisation lors des prochains Jeux olympiques de Paris <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-03-18/drones-reconnaissance-faciale-la-technologie-sera-au-c%C5%93ur-de-la-securite-des-jo-de-paris-en-2024-e0227705-48df-4593-806a-08acf3f66a1b">a d’ailleurs été évoquée</a>, même si elle semble <a href="https://www.20minutes.fr/sport/3146951-20211013-jeux-olympiques-paris-2024-securite-passera-reconnaissance-faciale">aujourd’hui écartée</a>.</p>
<p>La reconnaissance faciale n’est pas la seule technologique pouvant se nourrir des images de vidéosurveillance. L’utilisation de <a href="https://www.cnil.fr/fr/verbalisation-par-lecture-automatisee-des-plaques-dimmatriculation-lapi-la-cnil-met-en-garde">techniques de reconnaissance automatique de plaque</a> (LAPI) permettant la vidéo-verbalisation de nombreuses infractions et l’identification immédiate de véhicules est <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000020665029/">désormais possible dans notre droit</a> et tend, là aussi, à se généraliser.</p>
<p>Enfin, le recours à des formes d’intelligence artificielle, de « police prédictive », peut également contribuer à l’exploitation de ces données, au moins, pour le moment, en <a href="https://www.lemonde.fr/fragments-de-france/article/2021/10/20/libourne-ville-sous-surveillance_6099190_6095744.html">suggérant aux forces de l’ordre où regarder parmi le flux d’images</a>.</p>
<h2>Nombreux risques et faible efficacité</h2>
<p>Pourtant, ces outils constituent des risques très importants pour nos libertés individuelles, au premier rang desquels figure la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/23877-quest-ce-que-la-liberte-de-circulation-ou-liberte-daller-venir">liberté d’aller et venir</a>. Demain, en effet, la généralisation des caméras couplées à la reconnaissance faciale et à la lecture automatique des plaques pourra permettre, au moins virtuellement, la géolocalisation de tout individu sur le territoire. Or, l’exercice plein de cette liberté nécessite une forme d’anonymat : je n’irais en effet sans doute pas aussi librement rencontrer une personne ou me rendre à une réunion politique si je sais que mon déplacement peut être enregistré.</p>
<p>Tous les outils techniques sont déjà en place pour cela, même si l’encadrement juridique y fait encore, heureusement, en partie barrage. Le <a href="https://www.cnil.fr/fr/le-fichier-des-titres-electroniques-securises-tes">fichier des cartes d’identité et des passeports</a> contient ainsi une photographie de chacun d’entre nous, mais n’est pas accessible aux forces de l’ordre et n’autorise pas la reconnaissance faciale. Un simple texte réglementaire pourrait néanmoins modifier ce point, même si ce n’est, pour le moment, pas à l’ordre du jour.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/432355/original/file-20211117-21-1xsvjfo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">D’une solution miracle, la vidéo-surveillance, semble constituer l’illustration d’une technologisation des formes de contrôle et de surveillance, à l’efficacité douteuse, mais aux dangers réels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/mer-oc%c3%a9an-l-eau-vagues-nature-2560912/">Stocksnap/pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces transformations sont d’autant plus préoccupantes que l’efficacité réelle de la vidéo-surveillance sur la délinquance et la criminalité n’a jamais été démontrée. Une longue étude récente menée notamment par <a href="https://www.cairn.info/l-enseignement-universitaire-en-milieu-carceral%20--%209791034606399-page-254.htm">Laurent Muchielli</a> en atteste :</p>
<blockquote>
<p>« Les résultats soulignent la grande faiblesse de la contribution de la vidéosurveillance à la lutte contre la criminalité. »</p>
</blockquote>
<p>Au mieux, elle ne fait que <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/05/17/la-videosurveillance-est-elle-efficace_5300635_4355770.html">déplacer la délinquance</a> d’un quartier à un autre.</p>
<p>L’efficacité sur la résolution des enquêtes est également difficile à évaluer, mais semble marginale, comme le pointait l’année dernière la <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/703132/la-videosurveillance-dans-le-viseur-de-la-cour-des-comptes/">Cour des comptes</a> qui en dénonçait le prix exorbitant pour un résultat très limité. Cela est notamment dû à la quantité d’images et aux faiblesses structurelles des outils (<a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/02/12/une-etude-demontre-les-biais-de-la-reconnaissance-faciale-plus-efficace-sur-les-hommes-blancs_5255663_4408996.html">dont certains subissent même des biais racistes</a>).</p>
<p>D’une solution miracle, la vidéo-surveillance, <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Videoprotection">renommée habilement depuis quelques années déjà vidéo-protection</a>, semble ainsi constituer l’illustration d’une technologisation des formes de contrôle et de surveillance, à l’efficacité douteuse, mais aux dangers réels.</p>
<p>Elle incarne ce <a href="https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2018/06/02/videosurveillance-paradigme-du-technosolutionnisme/">« paradigme du techno-solutionnisme »</a>, plus empreint de considérations politiques et industrielles que de souci véritable du bien commun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171622/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le déploiement exponentiel des caméras conduit corrélativement à une production et à un enregistrement toujours plus important de données vidéo dont l’exploitation interroge.Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1525932021-01-07T20:12:08Z2021-01-07T20:12:08ZDébat : La pandémie a-t-elle eu raison de l’esprit des Lumières ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377585/original/file-20210107-19-szno1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C97%2C1170%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Anicet-Charles-Gabriel Lemonnier,
Une lecture de la tragédie de Voltaire "L'orphelin de la Chine" dans le salon de Madame Geoffrin, 1812.</span> </figcaption></figure><p>« On se rendra compte que les conséquences économiques, sociales, psychologiques de [la Covid] seront équivalentes à celles d’une guerre » déclarait le président de la République le 16 décembre 2020 en écho à <a href="https://www.lepoint.fr/video/interview-exclusive-emmanuel-macron-et-le-choix-des-mots-16-12-2020-2406195_738.php">son discours du 16 mars lorsqu’éclatait l’épidémie</a>.</p>
<p>À première vue, rien n’a changé, ou presque. L’économie est devenue la caricature d’elle-même : les inégalités ont explosé, les GAFAM, soit seulement cinq entreprises, représentent 7 300 milliards de dollars soit autant que <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/11/06/toute-fragilisation-des-gafam-menacerait-les-deficits-les-retraites-le-dollar_6058744_3234.html">l’ensemble des entreprises cotées de la zone euro</a>, la bourse américaine après avoir plongé est remontée en flèche et a dépassé son niveau d’avant Covid. Dans le même temps, des millions de travailleurs indiens dans une situation de pauvreté extrême ont rejoint leur état natal dans une migration dantesque, en avril et en mai, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-05-mai-2020">au début de la pandémie</a>.</p>
<p>Demain, le vaccin devrait nous sortir de cette crise sanitaire. Les conséquences se résumeront-elles à quelques changements d’habitudes, davantage de télétravail et moins de déplacements professionnels, ou est-ce vraiment un choc systémique du même ordre qu’une guerre comme l’indique le président de la République ?</p>
<p>Jean‑Luc Marion, <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jean-luc-marion.html">philosophe et phénoménologue</a> déclarait au micro de Guillaume Erner aux matins de France culture, le 25 décembre 2020, qu’il ne s’agissait pas d’abord d’une crise sanitaire, mais politique. Il soulignait que la maladie n’est pas la peste noire : les populations ne sont pas décimées à un tiers, ce n’est pas le choléra comme au XIX<sup>e</sup> siècle à Marseille. Ce qui est inquiétant, ce sont les effets induits. Et l’une des conséquences les plus incroyables de la pandémie : toutes les libertés individuelles auxquelles nous avons renoncé – certes pour la bonne cause. On a collectivement <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/croyances-de-linvention-de-dieu-a-la-modernite">lâché ces libertés individuelles sans protester</a> !</p>
<p>D’un point de vue phénoménologique, mais aussi juridique, ce qui s’est passé est, en effet, tout simplement stupéfiant ! Dans le monde, y compris le « monde libre », on a enfermé en un tournemain la moitié de l’humanité. Lorsque l’on se souvient, pour ne parler que de la France, des manifestations impressionnantes auxquelles ont donné lieu des discussions de lois plus ou moins techniques, du CPE à la loi El Khomri, pour ne citer que deux exemples (on pourrait en citer des dizaines), enfermer sans aucune protestation toute la population française semble relever de la science-fiction. Et tout ceci, au départ en tout cas, à périmètre juridique constant.</p>
<p>Lorsque le 16 mars 2020, la liberté d’aller et venir est supprimée du jour au lendemain c’est sur la base de deux articles de loi, donc sans besoin d’aucune loi supplémentaire : l’article 1 du code civil qui a simplement trait à la date d’entrée en vigueur des lois en général et l’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041868007/">L3131-1 du code de la santé publique</a> qui dispose qu’en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus.</p>
<p>Par la suite, le Conseil Constitutionnel validera à quelques détails près l’État d’urgence adopté postérieurement dans une décision du 11 mai 2020 (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020800DC.htm">n° 2020-800 DC</a>).</p>
<h2>Libertés en danger</h2>
<p>La pandémie révèle ce que nous ne voulons pas voir, la fin des Lumières, des libertés et le triomphe de l’ordre et de la société de surveillance.</p>
<p>En ce sens, cette épidémie peut effectivement avoir les mêmes conséquences que celles d’une guerre, car le monde d’après n’est plus celui d’avant. Les libertés que nous croyions inscrites dans le marbre peuvent s’envoler en une nuit avec la légèreté d’un songe. Même si elles reviennent demain, cette impression d’extraordinaire contingence demeurera.</p>
<p>La liberté est le socle sur lequel repose tout l’édifice juridique occidental. C’est ce que dit d’ailleurs Graham Allison, dans son ouvrage <em>Destined for War</em>, traduit en français par <em>Le piège de Thucydide</em>, qui met en exergue le fait que la valeur essentielle des États-Unis est la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/evenement/special-usa-tout-comprendre/vers-la-guerre_9782738147028.php">liberté et celle de la Chine, l’ordre</a>.</p>
<p>Léonard de Vinci, lorsqu’il dessine l’<em>Homme de Vitruve</em> vers 1490, ne se contente pas de célébrer le corps humain. En installant son homme « parfait » au centre du cercle, il marque le début de la Renaissance et du mouvement qui aboutira quelques siècles plus tard aux Lumières puis aux droits humains.</p>
<p>L’apport essentiel des Lumières a consisté à installer l’Homme plutôt que Dieu au centre de l’univers. Elles célèbrent la liberté et l’avènement de l’Individu. Cet humanisme est un prolongement du christianisme. La loi devient l’expression d’un contrat social théorisé par Jean‑Jacques Rousseau, contrat entre des individus – et non plus des groupes – et l’État.</p>
<p>Cette philosophie est directement à l’origine de deux des textes juridiques les plus fondamentaux du monde occidental : le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_unanime_des_treize_%C3%89tats_unis_d%E2%80%99Am%C3%A9rique">préambule de la Déclaration d’indépendance des États-Unis de 1776</a> et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.</p>
<p>Thomas Jefferson s’inspire directement des philosophes <a href="https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Alfred_F._Jones&action=edit&redlink=1">Alfred F. Jones</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Locke">John Locke</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_Home">Henry Home</a> lorsqu’il rédige le texte juridique le plus sacré des États-Unis.</p>
<p>La déclaration française doit beaucoup à son précurseur américain sous l’influence du groupe informel des « Américains », constitué des nobles envoyés en Amérique, comme officiers, par le roi Louis XVI pour soutenir la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27ind%C3%A9pendance_des_%C3%89tats-Unis">guerre d’indépendance américaine</a> et notamment du marquis de La Fayette <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9claration_des_droits_de_l%27homme_et_du_citoyen_de_1789">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>.</p>
<p>Ces deux déclarations diffèrent néanmoins. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen reconnaît quatre droits fondamentaux : la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression, le Préambule de la déclaration d’Indépendance mentionne, quant à lui, le droit à la vie et le droit au bonheur. Un seul droit est commun aux deux textes : la liberté.</p>
<p>C’est la pierre angulaire de l’ensemble du système. L’homme est au centre de l’Univers, il est libre. Il s’agit d’une liberté individuelle et non collective fondée sur la notion augustinienne de libre arbitre. Cette liberté est transférée à l’État avec parcimonie et dans le seul but de la faire respecter, notamment au regard du droit de propriété comme le développe John Locke dans son <em>Traité de gouvernement civil</em> (1690).</p>
<h2>Influence de la pensée confucéenne</h2>
<p>En cela, le système occidental diffère du système chinois.</p>
<p><a href="http://www.semazon.com/wp-content/uploads/2018/03/Cahier-Francois-Jullien.pdf">La thèse de François Jullien</a> fait de la Chine l’autre absolu de notre monde occidental construit notamment à partir de l’héritage grec. « Sa thèse que je ne discute pas, mais que je prends comme hypothèse de travail, est que le chinois est l’autre absolu du grec – que la connaissance de l’intérieur du chinois équivaut à une déconstruction par le dehors, par l’extérieur, du penser et du parler grec ».</p>
<p>L’individu en tant qu’être libre permet, dans une démarche ontologique, d’illustrer cet antagonisme.</p>
<p>Comme le rappelle Yuzhi Ouyang dans sa thèse <a href="http://www.barbier-rd.nom.fr/culture.chinoise.culture.occidentale.pdf">« La culture traditionnelle chinoise et la culture occidentale contemporaine »</a> : ce n’est pas que l’individu n’existe pas en Chine, mais « la Chine […] méprise l’individu, l’individualisme est une donnée fondamentale dans la culture occidentale, une composante tellement cardinale dans le système de valeurs occidentales que parfois les occidentaux en oublient l’importance […] Chez les Grecs jusqu’aux stoïciens, la vie avait en effet pour but le perfectionnement de l’individu. Mais le salut, le but de la foi chrétienne, est lui aussi l’individu. Je peux dire que, dans la culture occidentale, dès son origine, c’est l’individu qui prime. Par contre, dans la culture chinoise, dès son origine, c’est au contraire le collectif qui est valorisé. »</p>
<p>La <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/confucius-34-quest-ce-que-le-ren">notion de ren</a> (que l’on peut traduire comme « sens de l’humain ») permet de mieux approcher cette idée.</p>
<p>Comme <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/histoire-de-la-pensee-chinoise-anne-cheng/9782757844441">l’indique Anne Cheng</a>, Professeur au Collège de France, « le Ren est la grande idée neuve de Confucius, la cristallisation de son pari sur l’homme, c’est l’homme qui ne devient humain que dans sa relation à autrui ». C’est donc l’inverse de l’individualisme des Lumières. Le mot lui-même « est composé du radical “Homme” et du signe deux ».</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> et au XX<sup>e</sup> siècle, la pensée chinoise sera influencée par l’Occident. Anne Cheng évoque la relation de la pensée chinoise à l’individualisme. Selon l’autrice, la conception libérale occidentale consiste à faire de l’individu un être qui se définit de <em>manière externe</em> par rapport aux autres et à la société. La tradition éthique confucéenne définit l’individu de <em>manière interne</em> non par rapport à l’autre, mais par une morale de l’accomplissement de soi. Sous l’influence occidentale, cette notion va opérer un glissement. Ainsi, <a href="1884-1919">Liu Shipei</a> reprend l’idée de morale, mais au lieu de l’inscrire dans une démarche « interne » d’accomplissement de soi (la recherche du juste par opposition à l’intérêt), la fait glisser vers une autonomie externe (le sens de l’intérêt général par opposition à celui de l’intérêt particulier). L’individu est toujours moral (Confucius), mais le sens de la morale a évolué sous l’influence de la pensée occidentale.</p>
<p>On peut penser, au regard de ce que nous évoquons dans cet article, qu’un mouvement de balancier est en cours et qu’aujourd’hui c’est au tour du monde occidental d’être imprégné par la pensée confucéenne.</p>
<p>La facilité avec laquelle les libertés ont été suspendues au nom de l’intérêt général, en effet, révèle une tendance profonde qui pourrait mener aux valeurs du monde confucéen. Le recul des libertés relève d’un mouvement de fond. La peur de la mort est un moteur puissant. Mais d’autres causes font reculer la place centrale de l’être humain dans l’Univers : la liberté cède devant l’invention du capitalisme de surveillance des GAFAM <a href="https://www.zulma.fr/livre-lage-du-capitalisme-de-surveillance-572196.html">dénoncé avec brio par Shoshana Zuboff</a>.</p>
<p>Les conséquences de la Covid-19 s’annoncent aussi importantes que celles d’une guerre. Il semblerait que les Lumières n’aient pas besoin d’un conflit et qu’elles soient tout simplement, dans un consensus aussi général qu’indifférent, en train de s’éteindre d’elles-mêmes. Cette épidémie nous révèle que l’édifice juridique, moral et philosophique de l’Occident est en pleine transformation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152593/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Jacques Neuer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette épidémie nous révèle que l’édifice juridique, moral et philosophique de l’Occident est en pleine transformation.Jean-Jacques Neuer, Docteur en droit - Habilité à Diriger les Recherches. Avocat - Solicitor - Arbitre ICC, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1523992020-12-28T18:54:36Z2020-12-28T18:54:36ZPodcast : Avons-nous basculé dans la tyrannie des technologies ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376112/original/file-20201221-57996-1vgdnu9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=29%2C8%2C968%2C657&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Voilà déjà quelques années que tout le monde dans l’espace public ne vit que les yeux rivés sur son smartphone…
</span> <span class="attribution"><span class="source">Loreanto / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La montée en puissance du télétravail ou encore du e-commerce donne l’impression que nos sociétés vivraient finalement plus mal une coupure des réseaux Internet qu’une pandémie mondiale…</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5fe0be206d8e8a53b20a4e0a/episodes/avons-nous-bascule-dans-la-tyrannie-des-technologies?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376185/original/file-20201221-19-1hkrcnp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>L’année 2020 aura vu bon nombre de tendances s’accélérer dans un certain nombre de domaines : économiques, technologiques, sociales, géopolitiques, etc. Comme tout va de plus en plus vite, nous vous proposons de prendre le temps, en compagnie du philosophe Laurent Bibard (ESSEC), de revenir sur cette année si particulière et de tenter de dresser des perspectives pour 2021 à travers l’étude de 4 accélérations, dans le travail, la technologie, la post-vérité et la liberté d’expression, puis de réfléchir aux moyens de retrouver de la joie</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bibard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La montée en puissance du télétravail ou encore du e-commerce donne l’impression que nos sociétés vivraient finalement plus mal une coupure des réseaux Internet qu’une pandémie mondiale…Laurent Bibard, Professeur en management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519902020-12-15T19:50:10Z2020-12-15T19:50:10ZPour la Singularity University, la Covid-19 justifie un recours accéléré aux technologies… aux dépens des libertés ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374829/original/file-20201214-18-16d9br0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=296%2C0%2C699%2C471&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’organisme co-fondé en 2009&nbsp;par le directeur de l’intelligence artificielle chez Google explique qu’un plus grand recours à l’IA aurait permis de limiter les effets de la pandémie.</span> <span class="attribution"><span class="source">PopTika / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les différentes réactions face à l’épidémie de coronavirus interrogent profondément notre rapport à la liberté. À côté des limitations explicites de nos libertés par les mesures promulguées par le gouvernement – port du masque obligatoire, fermeture des commerces, couvre-feu, confinement –, une autre forme de contrôle a vu le jour, indirecte et plus insidieuse, liée à la diffusion d’une utopie technologique au sein de la société, visible pour le moment notamment via les applications de traçage de la pandémie.</p>
<p>Des organisations jouent un rôle clé dans la légitimation de ces nouvelles solutions technologiques. Leur recette : promouvoir des technologies telles que l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les nanotechnologies, comme des outils de lutte efficace contre la crise actuelle d’une part, mais surtout contre toutes les crises à venir.</p>
<p>J’ai pu observer l’une de ces organisations, la Singularity University, lors d’un voyage d’étude dans la Silicon Valley. Cette organisation hybride, à la fois think tank, incubateur et organisme de formation, a été créée en 2009 par le futuriste Ray Kurzweil, directeur de l’intelligence artificielle chez Google et Peter Diamandis, dirigeant et fondateur de la fondation X Prize.</p>
<h2>« Le vieux monde se meurt »</h2>
<p>Mi-2020, les experts de la Singularity University du monde entier se sont <a href="https://su.org/summits/covid-19-virtual-summit/">rassemblés virtuellement</a> alors que la pandémie a remis en question le format habituel de leur <em>summit</em> en Californie. L’ensemble de l’événement a été repensé autour des défis, des solutions et de l’influence future de cette pandémie sur nos sociétés. Ils expliquent notamment la défaillance des gouvernements actuels pour gérer cette catastrophe mondiale par l’exploitation largement insuffisante des nouvelles technologies. L’un d’eux résume assez bien leur pensée avec cette citation de l’écrivain italien communiste Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NGwHAmkxpu0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation de la Singularity University (en anglais).</span></figcaption>
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<p>À leurs yeux, le vieux monde se meurt et cette crise en serait le symbole ultime. Pour Jamie Metzl, futuriste et expert en géopolitique, associé du fonds d’investissement Cranemere LLC, les normes, les institutions et les valeurs anciennes étaient déjà mortes bien avant la crise :</p>
<blockquote>
<p>« On voit une convergence de ces technologies, et les outils que nous apportons à ce combat sont meilleurs que tout ce que nos ancêtres auraient pu imaginer. En fait ces outils, nos ancêtres les auraient attribués aux dieux, et c’est à propos de ça qu’est la révolution biotech. Nous avons aujourd’hui la capacité de lire, écrire et hacker le code de la vie ».</p>
</blockquote>
<p>C’est pourquoi, pour eux, les nouvelles technologies représenteraient le remède idéal pour faire face à la situation actuelle. La surveillance participative permise par les applications aurait d’après certains experts permis par exemple « de donner aux individus les moyens de demeurer en sécurité et en bonne santé dans leur communauté ».</p>
<p>L’idée de la surveillance participative revient en fait à créer un panoptique sans tour de contrôle : chacun rentre ses informations de santé sur une application reliée au cloud afin que le gouvernement prenne les décisions adaptées en temps réel. C’est ce que des pays comme la Corée du Sud ou Taïwan ont déjà choisi d’institutionnaliser tandis que d’autres comme la France se refusent encore à le faire.</p>
<p>Mais le nouveau monde tarde à apparaître. D’après les membres de la Singularity University, une meilleure utilisation des technologies aurait pu permettre d’endiguer la crise bien plus facilement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1277066709904568321"}"></div></p>
<p>Pour Bradley Twyham, spécialiste de l’intelligence artificielle qui travaille sur la réforme du système de santé australien, « l’intelligence artificielle n’a pas été exploitée là où c’était le plus important pendant la pandémie ». En effet, d’après lui, elle aurait dû être utilisée afin d’améliorer les décisions politiques, pour réaliser des prédictions basées sur des solutions en intelligence artificielle telles que BlueDot, pour assister les soignants ou même pour trouver de potentiels traitements plus rapidement.</p>
<p>Pour les experts, la crise sanitaire représenterait ce clair-obscur et les monstres seraient en fait nos gouvernements. Ils dénoncent aussi bien des dérives autoritaires que des institutions telles que l’Union européenne, perçues comme bien trop faibles pour faire face à la conjoncture actuelle.</p>
<p>Mais l’on peut se demander si les monstres qui surgissent dans ce clair-obscur ne sont pas ceux-là mêmes qui les dénoncent. À leurs yeux, la question de l’utilisation des nouvelles technologies semblerait en effet dépasser la situation présente. Ils sont unanimes sur la portée limitée de la pandémie en comparaison des crises à venir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Aurélien Acquier : L’innovation technologique à l’heure de l’anthropocène (Xerfi canal, septembre 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Bien que Jamie Metzl mette en évidence les prochains défis à venir tels que « le changement climatique, les océans, la réflexion sur le futur de l’intelligence artificielle et sur les robots tueurs », la réponse qu’il propose passe par le développement de technologies adaptées qui nous permettront de lutter efficacement contre ces nouveaux maux.</p>
<p>Il s’agit donc bien de présenter les nouvelles technologies comme le prince charmant qui va nous délivrer de tous nos maux. La Singularity University a même repris les 17 objectifs de développement durable de l’ONU sous son drapeau. Allier mission et rentabilité, intégrer le bonheur de l’humanité dans le capitalisme : telle est l’ambition affichée de ces nouvelles organisations.</p>
<h2>Opportunisme politique</h2>
<p>Avec la crise de la Covid-19 le discours a changé de nature. La pandémie actuelle représente une occasion unique de présenter les nouvelles technologies comme clé de sauvetage de l’humanité qui fait face à un futur menacé. Ce que ces experts présentent comme une simple avancée technologique est en fait leur vision idéale de la société future, en d’autres termes, un programme politique.</p>
<p>À leurs yeux, la menace actuelle révèlerait le rôle central de la technologie pour que l’humanité soit à même de faire face aux épreuves futures. Ces dernières seraient plus fortes, plus larges et plus puissantes encore. Dès lors, l’épidémie mondiale représenterait une opportunité de changement dans la « bonne direction ».</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/2IM1h9DDvBhNWvxs5XHOqx?si=kZIKmbv8T3u-k1DD9lHeWA"><img src="https://images.theconversation.com/files/237984/original/file-20180925-149976-1ks72uy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=268&fit=clip" width="268" height="82"></a></p>
<p><a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/podcast-la-tentation-de-la-servitude-volontaire/id1516230224?i=1000486711033"><img src="https://images.theconversation.com/files/233721/original/file-20180827-75984-1gfuvlr.png" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>La référence au bien commun, telle un masque séduisant, reste en effet omniprésente au sein des différents discours. Pour le docteur Tiffany Vora, spécialiste en biologie moléculaire, la question est « comment tirer profit de l’énergie de cette crise pour faire de ce monde un endroit meilleur ? ».</p>
<p>Et Christina Gerakiteys, directrice de la branche australienne de la Singularity University de répondre :</p>
<blockquote>
<p>« On prend le meilleur de la technologie que nous connaissons, et le meilleur de l’humanité, et nous atteindrons des objectifs ambitieux (« moonshots ») qui nous permettront de progresser et de sortir de cette situation ».</p>
</blockquote>
<p>Ces membres de la Singularity University capables de « prédire le futur » et de prodiguer des outils susceptibles de « solutionner cette pandémie » n’avaient pourtant pas vu se profiler cette crise. Toutefois, ils nous font sentir que tout est possible grâce aux nouvelles technologies et peuvent apparaître comme une lueur d’espoir dans une situation mondiale des plus désastreuse.</p>
<p>Certains experts proposent même de donner à la Singularity University un statut d’organisation internationale qui, à l’image de l’ONU ou de l’OMS, pourrait jouer un rôle clé dans la gouvernance mondiale. Peut-être que le véritable monstre ce ne sont pas tant nos institutions que cette croyance dans le pouvoir salvateur des nouvelles technologies.</p>
<p>La question qu’il convient alors de se poser aujourd’hui est bien la tension entre liberté et nouvelles technologies. Si dans leur création, des technologies telles que l’ordinateur étaient appréhendées comme un vecteur d’émancipation individuelle, cette aspiration à la liberté semble s’éloigner toujours davantage, et ce d’autant plus avec la crise sanitaire. Surveillance participative, localisation des citoyens, prédiction des maladies : les crises à venir pourraient sacrifier la liberté sur l’autel des technologies au nom de la santé de la population.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été rédigé sous la supervision d’Aurélien Acquier, professeur à ESCP Business School</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151990/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yaëlle Amsallem a reçu des financements de ESCP Business School. </span></em></p>Les membres de cette organisation de la Silicon Valley, réunis en sommet mi-2020, voient dans le développement d’outils comme l’IA le remède à la crise actuelle comme des prochaines.Yaëlle Amsallem, Doctorante en sciences de gestion, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1498382020-11-24T22:08:11Z2020-11-24T22:08:11ZL’« éleucratie » : et si nous inventions un statut pour protéger la liberté de penser ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/371018/original/file-20201124-19-1vq79cn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C8%2C1908%2C1391&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le philosphe Pyrrhon d'Elis impassible dans la tempête. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scepticisme_(philosophie)#/media/Fichier:Petrarca-Meister_001.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le contexte actuel de violence religieuse-politique brouille nos points de repère à propos du régime souhaitable pour la libre expression dans l’espace démocratique.</p>
<p>Dans une contribution récente, Gérald Bronner évoquait la possible <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/gerald-bronner-l-impuissance-de-nos-rituels-collectifs-25-10-2020-2397897_1913.php">« impuissance de nos rituels collectifs »</a> et le risque de saturation de notre espace symbolique.</p>
<p>Il apparaît bien difficile d’apaiser le sociologue inquiet de la <a href="https://www.grasset.fr/livres/decheance-de-rationalite-9782246812807">déchéance de la rationalité</a> : la particularité de l’Europe moderne est d’avoir ouvert un espace voué à désacraliser toutes les causes, espace nommé tantôt démocratie, tantôt république.</p>
<h2>Créer un nouvel espace</h2>
<p>Dans la théorie politique, on distingue et parfois même on oppose les deux termes – le premier désignant la tradition libérale de la « liberté des modernes » qui, à partir des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_du_gouvernement_civil"><em>Traités du Gouvernement civil</em></a> de Locke (1690), valorise les droits individuels, le second la tradition républicaine qui, à partir des <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-de-Philosophie/Discours-sur-la-premiere-decade-de-Tite-Live"><em>Discours sur la première décade de Tite-Live</em></a> de Machiavel (1531), met en avant l’engagement civique et consacre la primauté de la cité sur l’individu, comme le faisaient les « Anciens » (Aristote et Cicéron pour ne citer qu’eux).</p>
<p>Le point commun à la démocratie et à la république est qu’elles ouvrent un même type d’espace favorable à la libre expression garantie par des lois.</p>
<p>Celles-ci, proposées puis débattues par des représentants élus et adoptées à la majorité, permettent aux citoyen.nes de jouir d’une condition dans laquelle toutes les formes et les contenus d’expression sont possibles, sauf ceux qui sont interdits par les mêmes lois.</p>
<p>On pourrait identifier cet espace comme « démo-public » : il n’est pas seulement démocratique, il est public parce que l’institution républicaine garantit la liberté d’expression comme un des éléments fondamentaux de la condition civile.</p>
<h2>Les particularités de l’espace démo-public</h2>
<p>Le problème posé par un tel espace tient à sa qualité même. Sa qualité, c’est de favoriser la coexistence de groupes sociaux dont les formes de vie (économique, sociale, spirituelle) sont très variées et potentiellement antagoniques. Son problème, c’est de se sacraliser assez pour qu’on le respecte lui-même.</p>
<p>Bien avant l’émergence de la notion de laïcité, l’état d’esprit conjoint de la démocratie et de la république tel que l’ont entendu les nations européennes a en effet ouvert un espace favorable aussi bien à l’expression publique des diverses croyances qu’à l’examen rationnel et critique de ces croyances, de leurs fondements comme de leurs revendications. De ce fait, c’est un espace politique naturellement agité.</p>
<p>Une telle ambivalence le rend à la fois dynamique et vulnérable. Dynamique parce que cet espace accueille les différences innombrables des forces sociales qui s’y expriment, vulnérable lorsqu’il est exposé à l’exposition véhémente de doctrines univoques et exclusives, ce à quoi on reconnaît le dogmatisme, de quelque bord qu’il soit.</p>
<h2>La filiation sceptique : une liberté de penser en excès</h2>
<p>Je voudrais souligner l’importance, dans la constitution de cet espace, de l’apport du courant intellectuel sceptique. On met rarement en avant la contribution sceptique au rationalisme occidental, en dépit du fait que cette affaire est bien connue des spécialistes.</p>
<p>On peut à ce propos se référer par exemple à la monumentale et remarquable <a href="https://agone.org/bancdessais/histoireduscepticisme/"><em>Histoire du scepticisme</em></a> de Richard Popkin (dernière édition 2003).</p>
<p>Le philosophe états-unien (1923-2005) a montré que la tradition sceptique, née en Grèce ancienne et réapparue en Europe à la fin du Moyen Âge, est au principe de la pensée moderne. Et qu’elle a joué un rôle considérable, lorsque, liée au mouvement de la Réforme à partir du XVI<sup>e</sup> siècle, elle a déclenché une véritable crise, sur le plan épistémologique mais également moral et politique, en reprenant les questions posées dans l’Antiquité par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyrrhon_d%27%C3%89lis">Pyrrhon d’Elis</a> et <a href="https://biospraktikos.hypotheses.org/4916">Sextus Empiricus</a>, à savoir en interrogeant à la fois les fondements de la connaissance humaine et les autorités garantes de ce qu’il est raisonnable de croire.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=811&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=811&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=811&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1019&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1019&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371019/original/file-20201124-13-e88m4a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1019&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sextus Empiricus, philosophe sceptique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Scepticisme_(philosophie)#/media/Fichier:Petrarca-Meister_001.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Le scepticisme moderne a fait de cet état d’esprit « critique » un formidable outil de science : on se souvient que la <a href="https://uk.ambafrance.org/La-Royal-Society">Royal Society</a>, fondée à Londres en 1660 et véritable fleuron de cette façon de voir le monde, avait choisi comme devise : « Ne croire personne sur parole » (en latin : <em>Nullius in Verba</em>).</p>
<p>Or, la « crise sceptique » décelée par Popkin n’est pas seulement à l’origine de la pensée moderne, elle constitue également un des ressorts des sociétés contemporaines, qui, fort naturellement, connaissent des épisodes de « crise sceptique ».</p>
<h2>Anti-Pères et anti-Saints</h2>
<p>Depuis les débuts de la modernité philosophique et scientifique, les auteurs sceptiques, ces éternels douteurs, ces <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/La_passion_de_lincertitude">aventuriers de l’incertain</a> – et, pour plusieurs d’entre eux, ces <a href="https://www.cairn.info/revue-raison-publique1-2016-1-page-59.htm">incorrigibles ironistes</a> –, sont en effet comme les Pères fondateurs ou les Saint Patrons de la socialité démo-publique : sans leur influence tutélaire, celle-ci n’existerait pas tout simplement pas. Pourtant la première qualification les aurait assurément fait sourire, la seconde, probablement hurler de rire.</p>
<p>Ni Pères ni Saints, mais bel et bien <em>anti-Pères</em> et <em>anti-Saints</em> – tels sont les étranges initiateurs de la forme de pensée qui préside typiquement à notre espace sociopolitique.</p>
<p>Ce n’est pas une question érudite pour historiens de la philosophie, on parle ici de l’ADN de notre espace commun de vie. Nourri par des maîtres en incertitude, l’espace social démocratique maintient éveillé un état d’esprit propice à la libre pensée. Aussi capables de démasquer et de critiquer toutes les formes de dogmatisme (que celui-ci soit religieux ou philosophique) que de discerner les degrés de la vraisemblance, les sceptiques se font les gardiens de la liberté par temps de <a href="https://www.2idhp.eu/actualites/394-quelques-conseils-pratiques-pour-se-premunir-des--fakenews-.html">fake news</a>.</p>
<h2>Une ligne difficile à tenir</h2>
<p>Or, il est incontestable que c’est une ligne bien difficile à tenir que d’assumer une telle liberté. Et cette difficulté concerne moins le régime de vie que le rapport à la vérité.</p>
<p>En apparence, tel qu’il a été transmis depuis l’Antiquité dans la modernité, le scepticisme a appelé à une forme de civilité modérée et assagie : Montaigne et Hume, plus près de nous <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/les-philosophes-par-eux-memes-24-autobiographie-de-bertrand">Bertrand Russel</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9m6CPt4pRlw">Clément Rosset</a>, tous authentiques sceptiques, ne vivaient pas comme des ascètes retirés du monde et intellectuellement radicaux, mais comme des observateurs attentifs et curieux de leur société et, pour certains, comme des citoyens engagés dans leur époque.</p>
<p>Mais leur exigence de douter de manière, disons, professionnelle (c’est-à-dire potentiellement hyperbolique), disposent aisément les sceptiques à renouer avec un certain esprit, celui qui est à l’origine de leurs « extravagantes suppositions » que dénonçait Descartes (<a href="https://dicocitations.lemonde.fr/blog/remarquant-que-cette-verite-je-pense-donc-je-suis-etait-si-ferme-et-si-assuree-que-toutes-les-plus-extravagantes-suppositions-des-sceptiques-netaient-pas-capables-de-lebranler-je-jugea/"><em>Discours de la Méthode</em>, IVᵉ partie</a>) lorsqu’il voulait les réfuter.</p>
<p>Ce qui signifie que cette exigence les assigne à l’exercice d’une discipline exigeante, toujours cruelle à l’encontre du désir de certitude qui, pour l’humaine condition, exprime souvent sa propre angoisse du néant. La filiation sceptique de l’espace démocratique voue donc ce dernier à défendre une liberté excessive, c’est-à-dire une liberté toute en excès à l’encontre de la tentation perpétuelle du désir de certitude. Elle promet une forme de vie fatalement intranquille, émaillée d’éclats permanents – et ce qui peut aux yeux des fidèles religieux passer pour du blasphème représente un de ces éclats.</p>
<p>Nietzsche, qui n’était pas le dernier à avoir personnellement souffert du dogmatisme, ne s’y était pas trompé : « Les grands esprits sont des sceptiques. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra">Zarathoustra</a> est un sceptique » (<em>L’Antéchrist</em>, § 54). C’est donc un esprit sceptique, judicieusement désigné par le philosophe allemand comme « l’Insensé » qui, à plusieurs reprises dans l’œuvre nietzschéenne, s’exclame que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu_est_mort_(Friedrich_Nietzsche)">« Dieu est mort »</a>.</p>
<h2>Penser la condition éleucratique</h2>
<p>Il est légitime de qualifier le sceptique qui annonce la mort de Dieu d’« Insensé », car, le moins qu’on puisse dire, c’est que même dans les sociétés modernes tout le monde n’est pas Zarathoustra. Ce qui, en soi, n’est pas grave du tout. Mais par suite, l’exigence sceptique, exprimée publiquement, fragilise ceux qui s’en reconnaissent en les exposant à l’ire de ceux qui ont de fortes convictions, elles-mêmes adossées à des dogmes vénérables. La sacralisation des croyances met en danger l’esprit sceptique. Les actes barbares récemment commis au nom de l’Islam politique le rappellent.</p>
<p>Or, parce qu’elle se trouve au fondement de notre socialité politique, l’audacieuse liberté de pensée des sceptiques constitue un bien. Un bien qu’il importe de préserver. Et si l’on veut y parvenir, sans doute ne faut-il pas s’en tenir aux formes héritées de la démocratie libérale des modernes et de la république des anciens, car l’actualité montre combien cette forme d’esprit est exposée. Il est aujourd’hui nécessaire d’innover en inventant une nouvelle posture, une forme sociale originale.</p>
<p>Mon propos ne vise pas à limiter l’expression possible dans l’espace démocratique, mais au contraire à la fortifier par l’invention d’un statut nouveau permettant de mieux en saisir la spécificité. Le régime favorable aux libertés dopées par l’exigence sceptique pourrait se nommer « éleucratie », en combinant les racines grecques anciennes : le substantif <em>éleuthéria</em> (qui désignait la <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/14202?lang=fr">liberté saisie dans le mouvement de sa propre puissance</a>, mais également le droit garanti par une loi civile) et le suffixe – cratie (« le pouvoir »).</p>
<p>L’éleucratie revient à accorder explicitement du pouvoir à la liberté de penser. On pourrait imaginer qu’une telle disposition puisse devenir la condition officielle de ceux qui acceptent pleinement l’exigence sceptique.</p>
<h2>Une manière de vivre</h2>
<p>Ainsi entendue, l’éleucratie ne désignerait pas un régime politique, mais une manière de vivre, une qualité d’expression officiellement reconnue et protégée par un statut.</p>
<p>La condition éleucratique ne serait pas accordée à des natifs ou à des migrants, comme le sont les droits nationaux, mais serait accordée, toute nationalité confondue, à ceux qui assument de considérer comme au-dessus de toute forme de sacralité la liberté de penser, la leur et celle des autres.</p>
<p>La condition éleucratique accorderait à ses bénéficiaires le fait d’avoir le droit de penser et de désacraliser toutes les formes d’autorité sans pour autant se montrer cyniques. C’est une bien rude tâche qui attend les éleucrates reconnus !</p>
<p>Et rêvons un peu, cette condition serait garantie par les États démocratiques disposant pour ce faire d’un label accordé par l’ONU et régulièrement contrôlé par des ONG. Ainsi présentée, la condition éleucratique, idée inspirée du scepticisme en tant qu’elle représente la modélisation dans notre époque de la « crise sceptique », constituerait également la base d’une évolution éthique et politique de ce courant de pensée.</p>
<p>Si, symboliquement parlant, on a besoin de mots d’ordre pour préserver une telle liberté de penser, qu’on se souvienne des héros morts pour cette patrie-là. On n’en manque pas, hélas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Ménissier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La particularité de l’Europe moderne est d’avoir ouvert un espace voué à désacraliser toutes les causes. Comment dans ce cadre protéger la libre expression ?Thierry Ménissier, Professeur de philosophie politique, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1451992020-09-08T18:47:31Z2020-09-08T18:47:31ZQuelles limites pour le traçage numérique ? StopCovid et au-delà<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356935/original/file-20200908-18-3r2lfk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C15%2C1280%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le traçage numérique est limité par des facteurs technologiques et humains, dans sa conception et son utilisation.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.piqsels.com/en/public-domain-photo-jjwch">Piqsels</a></span></figcaption></figure><p>Le traçage des contacts des personnes atteintes de la Covid-19 est un des <a href="https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/documents/Contact-tracing-Public-health-management-persons-including-healthcare-workers-having-had-contact-with-Covid-19-cases-in-the-European-Union%E2%80%93second-update_0.pdf">moyens les plus efficaces</a> pour casser les chaînes de transmission et ainsi freiner la diffusion du virus. Cela a amené l’État à favoriser le développement d’une application, <a href="https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/stopcovid">StopCovid</a>, et à mettre en place des équipes chargées de prévenir aussi rapidement que possible les contacts identifiés des personnes contagieuses.</p>
<p>Le but de l’opération est donc évident et positif, accepté par tous. Cependant, on remarque une situation paradoxale. D’une part, StopCovid est relativement inefficace, avec <a href="https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/stopcovid-l-application-n-a-envoye-que-72-notifications-alertes-depuis-son-lancement-7800732697">très peu d’alertes émises</a>. D’autre autre part, StopCovid est faiblement adopté, avec <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/stopcovid-2-3-millions-de-telechargements-et-seulement-72-notifications-envoyees-20200819">2,3 millions de téléchargements et de nombreuses désinstallations</a>. Enfin, lors des enquêtes des brigades sanitaires, il y a eu des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/08/24/coronavirus-en-france-le-tracage-des-contacts-peine-a-freiner-la-reprise-epidemique_6049761_3244.html">refus de communiquer sa liste de contacts aux enquêteurs</a>.</p>
<p>Au-delà des positions extrêmes en matière de traçage, du refus systématique à l’acceptation béate, fondée sur des arguments de type <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/bibliotheque-publique-dinformation/collectez-mes-donnees-je-nai-rien-cacher">« pourquoi refuser si on n’a rien à cacher ? »</a>, l’expérience en cours devrait pousser à s’interroger sur les technologies déployées. Le traçage est-il seulement un problème technique ? Pourquoi y a-t-il des réticences, si le suivi permet de stopper la maladie, comme on l’a parfois entendu ? Est-ce juste un <a href="https://www.larecherche.fr/chronique-%C3%A9thique/la-surveillance-de-la-pand%C3%A9mie-demande-une-%C3%A9thique-de-responsabilit%C3%A9">manque d’« éthique de responsabilité » de la part des Français</a> ?</p>
<h2>Le traçage, une technique encore très approximative</h2>
<p>Le point de départ est StopCovid, une application de traçage fondée sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bluetooth#:%7E:text=Bluetooth%20est%20une%20norme%20de,fr%C3%A9quence%20de%202%2C4%20GHz.">Bluetooth</a> et non sur la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9olocalisation#:%7E:text=La%20g%C3%A9olocalisation%20est%20un%20proc%C3%A9d%C3%A9,%E2%80%99espace%20%2D%20en%203D">géolocalisation</a> de l’utilisateur. Le Bluetooth permet seulement d’avoir accès aux contacts proches, tandis que la géolocalisation est une technologie plus intrusive, permettant de localiser le propriétaire du téléphone en temps réel. Le Bluetooth est moins intrusif, mais aussi relativement peu efficace, n’étant <a href="https://medium.com/personaldata-io/inferring-distance-from-bluetooth-signal-strength-a-deep-dive-fe7badc2bb6d">pas conçu pour estimer les distances</a>, surtout quand le téléphone est dans un sac ou au fond d’une poche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stopcovid-une-application-prometteuse-mais-qui-questionne-137092">StopCovid : une application prometteuse mais qui questionne</a>
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<p>Et surtout, l’accès au Bluetooth est fortement limité par Google (Android) et surtout Apple (iOS), suite à des <a href="https://la-rem.eu/glossary/trackers/">abus à répétition de la part de développeurs d’applications</a>.</p>
<p>Le gouvernement français s’est en fait engagé dans une <a href="https://www.numerama.com/tech/619446-stopcovid-vs-apple-pourquoi-la-france-sest-mise-dans-une-impasse.html">bataille perdue d’avance</a> pour obtenir l’accès aux données du Bluetooth « en arrière-plan », c’est-à-dire quand l’application StopCovid n’est pas active au premier plan. En effet, alors que l’État français souhaitait pouvoir centraliser les informations récoltées sur un seul serveur, afin de pouvoir mieux suivre l’évolution de l’épidémie, Apple et Google ont bien fourni une <a href="https://www.journaldunet.fr/web-tech/dictionnaire-du-webmastering/1203559-api-application-programming-interface-definition-traduction/">API</a> – une interface permettant l’accès à certaines informations de traçage – mais cette API était limitée, décentralisée, et non conforme aux demandes de l’État.</p>
<p>Cet épisode a souligné à quel point l’accès à ces données est soumis au bon vouloir et aux conditions des GAFA, en l’occurrence Google et Apple. Les États qui ont refusé d’utiliser l’API proposée ont alors dû développer des applications moins efficaces, du fait des limites imposées sur le Bluetooth – c’est le cas de la France – voire pour certains de changer leur fusil d’épaule et finir par se plier à la solution proposée par Google et Apple – c’est le cas du Royaume-Uni qui a ainsi <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/coronavirus-nos-voisins-britanniques-nouvelle-version-application-tracage-testee-au-royaume-uni-1862778.html">mis une première application à la poubelle du fait de son inefficacité liée au bridage du Bluetooth</a>.</p>
<h2>Le traçage est utile, mais pas suffisant, pour éliminer le virus</h2>
<p>Au-delà de la dépendance aux GAFA, le discours sur le traçage, et plus généralement la reconstitution des contacts et des chaînes de transmission, lui-même a été peu étudié. Le traçage permet de rompre les chaînes de transmission, mais seule une partie de la réalité est visible. En effet, il n’y a pas de bouton magique permettant d’identifier tous les malades à un instant <em>t</em>. On sait par ailleurs qu’il y a des malades asymptomatiques, d’autres qui ne se font pas connaître, etc. Enfin, les modes de transmission de la maladie, de même que la <a href="https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/hcp/duration-isolation.html">durée de la contagiosité</a>, restent encore aujourd’hui assez mal connus.</p>
<p>Ainsi, lorsque la France était en phase 2 en février 2020, le traçage des premiers malades connus, dans l’Oise notamment, visait à remonter au fameux « patient 0 » : il s’agit effectivement d’une pratique connue du monde médical, afin de comprendre comment une maladie s’est diffusée. Les reportages en forme d’enquête policière, en particulier les reportages télévisés de février 2020, <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/coronavirus-qui-est-le-patient-zero-de-l-oise-20200227">pouvaient laisser penser que l’identification du fameux patient 0 permettrait d’éradiquer complètement le virus</a>, comme l’identification du coupable permet de refermer une enquête policière.</p>
<p>On sait depuis que la maladie <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0924857920301643?via%3Dihub">circulait en fait déjà à bas bruit depuis la fin 2019 en France</a>. Or, il est assez évident que si tracer les contacts est utile, c’est loin d’être suffisant pour éliminer un virus invisible, dont les modes de transmission restent très imparfaitement connus. Par ailleurs, et on le voit davantage chaque jour, tracer implique d’agir rapidement, d’avoir des équipes disponibles, nombreuses et réactives, d’isoler les malades, etc. Choses simples en apparence, mais difficiles à mettre en place en pratique quand surviennent des milliers de nouveaux cas chaque jour et qu’on peine à joindre les contacts des personnes infectées.</p>
<h2>L’adoption du traçage dépend de manière fondamentale de facteurs humains</h2>
<p>Pourquoi seule une très faible minorité de Français a-t-elle installé l’application StopCovid ? Pourquoi ne pas installer une application ouverte, utile et gratuite dans un contexte d’angoisse quant à la situation sanitaire ? Pourquoi avoir peur du traçage alors qu’on sait que nos portables nous « tracent » en permanence dans tous nos déplacements ?</p>
<p>Peut-être, tout simplement, parce que l’application est, paradoxalement et à rebours de son but premier, <a href="https://www.aclu.org/report/aclu-white-paper-limits-location-tracking-epidemic?redirect=aclu-white-paper-limits-location-tracking-epidemic">anxiogène</a>. En effet, elle contribue à faire sentir à celui qui l’a installée qu’il court un risque à tout moment – risque de croiser un porteur de la Covid-19, de recevoir une notification, de se sentir traqué et toujours en sursis. Ne pas installer l’application peut être vu comme égoïste, dans la mesure où il s’agit, comme avec le masque, que « tout le monde protège tout le monde » en adoptant de nouvelles pratiques. En fait, au-delà des doutes sur l’efficacité de l’application et sur son caractère intrusif – même si les <a href="https://www.cnil.fr/fr/application-stopcovid-la-cnil-tire-les-consequences-de-ses-controles">données personnelles sont soigneusement protégées</a>, c’est probablement son caractère anxiogène qui est son principal frein. Sans omettre la peur d’être désigné comme celui qui a contaminé les autres : les garanties d’anonymat ne peuvent empêcher ce type de crainte, qu’elle soit rationnelle ou non.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/stopcovid-un-million-dutilisateurs-et-quelques-reserves-non-dissipees-140110">StopCovid : « un million d'utilisateurs » et quelques réserves non dissipées</a>
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<p>Évidemment, tout le monde souhaite que cette pandémie se termine, qu’il n’y ait plus ni malade ni mort et, même si on peut rêver à un « monde d’après » meilleur, le monde d’avant, où on pouvait se rencontrer et faire la fête, n’était pas si mal. Il ne s’agit donc pas ici de critiquer le traçage et l’idée de briser les chaînes de transmission du virus, mais de comprendre pourquoi le traçage n’est pas plus efficace et pourquoi il suscite parfois des réticences.</p>
<h2>Le traçage au-delà de la Covid-19</h2>
<p>La crise actuelle est une nouvelle occasion de nous interroger sur notre dépendance aux GAFA d’une part, et de souhaiter une meilleure prise en compte des facteurs humains dans les dispositifs techniques et les modèles scientifiques d’autre part.</p>
<p>Le traçage pose enfin d’autres problèmes, encore plus fondamentaux, en matière de <a href="https://theconversation.com/donnees-de-sante-larbre-stopcovid-qui-cache-la-foret-health-data-hub-138852">souveraineté</a>, et de libertés individuelles et collectives notamment : quelle information doit être partagée ? Avec qui ? À quelle fin ? Ces questions sont toujours d’une actualité brûlante, même si on a l’impression qu’en la matière, l’éthique court souvent après la technologie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145199/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Poibeau est membre de l'institut 3IA PRAIRIE (PaRis Artificial Intelligence Research InstitutE, <a href="http://prairie-institute.fr/">http://prairie-institute.fr/</a>). </span></em></p>Le traçage via nos smartphones est une technique encore approximative. En cause : des facteurs technologiques, commerciaux, et humains.Thierry Poibeau, DR CNRS, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1445882020-08-17T16:59:07Z2020-08-17T16:59:07ZBélarus : le début de la fin pour Loukachenko<p>Au <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/belarus-ou-bielorussie-une-question-tres-symbolique-un-enjeu-democratique">Bélarus</a>, la réélection du président sortant Alexandre Loukachenko pour son sixième mandat, prévue le 9 août 2020, devait se dérouler sans beaucoup de surprises. Après 26 ans au pouvoir, l’homme semblait parfaitement maîtriser le déroulement du processus électoral et paraissait assuré de s’imposer à nouveau avec un score triomphal. Mais un grain de sable a fait dérailler le mécanisme bien huilé de son régime autoritaire : une candidate de dernière minute, <a href="https://www.lci.fr/international/bielorussie-qui-est-svetlana-tikhanovskaia-candidate-de-l-opposition-face-au-president-alexandre-loukachenko-2161448.html">Svetlana Tikhanovskaïa</a>.</p>
<p>L’autorisation à concourir donnée à cette femme au foyer trentenaire, jugée totalement inoffensive et incapable de faire de l’ombre à l’homme fort de Minsk, s’est révélée une erreur fatale d’un président profondément misogyne. En l’espace de quelques semaines, la candidate quasi inconnue a su incarner le rejet massif de Loukachenko et est devenue le symbole du désir de changement d’une grande partie de la population bélarusse.</p>
<p>Pourquoi le scénario habituel de la réélection paisible de Loukachenko a-t-il échoué ? Que nous révèlent le succès inattendu de Tikhanovskaïa et <a href="https://www.voanews.com/europe/biggest-crowd-yet-protests-belarus">l’ampleur inédite des contestations</a> des profondes évolutions de la société bélarusse ? Et quelle implication ces événements auront-ils au niveau régional ?</p>
<h2>Les vieilles recettes de Loukachenko</h2>
<p>La tenue régulière d’élections fait partie de ces rituels que l’on tient à observer même dans des pays autoritaires comme le Bélarus, où <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13510347.2014.899585">l’opposition est marginalisée</a>, la compétition politique impossible dans le cadre des institutions officielles et <a href="https://muse.jhu.edu/article/675780/summary">l’alternance inenvisageable</a>. Les dirigeants en place se plient généralement de bonne grâce à la mise en scène d’élections non concurrentielles dont les résultats sont connus d’avance. Néanmoins, ils savent que cet exercice peut se révéler périlleux.</p>
<p><a href="https://www.nytimes.com/1994/07/11/world/populist-in-belarus-sweeps-to-a-presidential-victory.html">Élu en 1994</a> face à son imprudent rival, le chef du gouvernement de l’époque Viatcheslav Kebitch, lors de la première (et dernière à ce jour) élection présidentielle réellement démocratique et transparente, Loukachenko s’est assuré de ne pas commettre la même erreur. Il n’a jamais laissé échapper le contrôle du processus électoral, secondé par la fidèle Lidia Ermochina, inamovible présidente de la Commission électorale centrale depuis 1996. Le duo a déjà testé plusieurs moyens de minimiser les risques inhérents à chaque réélection (en 2001, 2006, 2010, 2015).</p>
<p>L’essentiel de ces moyens peut être classé en quatre grandes catégories : l’éviction des concurrents les plus sérieux ; le contrôle de la couverture médiatique ; le recours à la « ressource administrative » et à la falsification des résultats ; l’usage de l’intimidation et de la force si nécessaire. Toutes ces méthodes ont été mises à contribution en 2020.</p>
<p>Dans les premiers mois de 2020, les trois concurrents jugés potentiellement dangereux (Viktor Babariko, Sergueï Tikhanovskiï, Valeriï Tsepkalo) ont été <a href="https://theconversation.com/halte-au-cafard-en-bielorussie-un-president-bouscule-mais-en-route-vers-la-reelection-142804">écartés</a>, les deux premiers étant emprisonnés et le troisième contraint à fuir le pays. Les quatre candidats officiellement enregistrés (Andreï Dmitriev, Anna Kanopatskaïa, Sergueï Tcheretchen » et Svetlana Tikhanovskaïa) n’ont eu droit qu’à <a href="https://news.tut.by/society/693477.html">deux heures d’antenne dans les médias nationaux chacun</a>. Pendant ce temps, les activités du président en exercice ont bénéficié d’une ample couverture médiatique – à la tonalité extrêmement positive, cela va de soi. Son allocution traditionnelle aux membres du Parlement et à la nation, initialement prévue mi-avril, a été <a href="http://www.president.gov.by/ru/news_ru/view/poslanie-belorusskomu-narodu-i-natsionalnomu-sobraniju-24168/">reprogrammée au 4 août</a>, soit cinq jours avant le scrutin. Ce dispositif a été complété par une <a href="https://rsf.org/fr/actualites/violente-repression-contre-la-presse-au-belarus-rsf-demande-lue-de-prendre-des-sanctions?">répression violente visant les journalistes</a> et par une <a href="https://netblocks.org/reports/internet-disruption-hits-belarus-on-election-day-YAE2jKB3">coupure totale d’Internet le jour de l’élection</a>. Le nombre des lieux officiellement autorisés pour les rencontres des candidats avec les électeurs a été drastiquement réduit. Parallèlement, certains candidats ont fait part d’intimidations à l’encontre de leurs collaborateurs, et de nombreuses <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2020/06/belarus-bloggers-and-activists-arrested-in-purge-ahead-of-the-presidential-election-must-be-released/">arrestations arbitraires ont été signalées tout au long de la campagne</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1292171987050061825"}"></div></p>
<p>Les possibilités de supervision du processus électoral ont été largement diminuées : la seule mission étrangère d’observation était celle <a href="https://iacis.ru/News/IIMDD_IPA_CIS/ipa_cis_observers_monitor_voting_at_parliamentary_elections_in_belarus">déléguée par l’Assemblée interparlementaire de la CEI</a> (le contre-modèle des missions de l’OSCE), et l’accès des observateurs indépendants aux bureaux de vote a été délibérément rendu très difficile. En outre, la procédure de vote anticipé, régulièrement dénoncée comme un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/08/06/en-bielorussie-premiers-votes-et-premieres-fraudes_1796112">outil majeur des falsifications</a>, a été lancée cinq jours avant la date officielle du 9 août.</p>
<p>Le soir de l’élection, en prévision des manifestations de contestation, un imposant dispositif répressif a été mobilisé dans la capitale. Le <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/bielorussie-violence-contre-les-manifestants">déchaînement de violence de la part des forces de l’ordre</a> à l’égard des manifestants a dépassé de loin <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2011/01/06/apres-l-election-la-repression">celui de 2010</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DuwUApKSSmY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cependant, en dépit de tous ces moyens utilisés pour éviter la médiatisation et étouffer dans l’œuf toute tentative de contestation des résultats, l’élection a révélé au grand jour l’impopularité grandissante du président et la lassitude d’une importante partie de la population prête à se mobiliser pour soutenir une parfaite inconnue dès lors qu’elle incarne l’idée du changement.</p>
<h2>Ce que révèle le succès de Tikhanovskaïa</h2>
<p>Qui est donc cette Svetlana Tikhanovskaïa qui a défié le « dernier dictateur d’Europe » et <a href="https://www.challenges.fr/femmes/belarus-l-opposante-tikhanovskaia-se-dit-prete-a-devenir-le-leader-national_723316">se proclame aujourd’hui victorieuse</a>, depuis la Lituanie où elle s’est réfugiée ? Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une femme politique qui représente un parti d’opposition. Son engagement dans la campagne a été improvisé car c’est à la suite du <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/rejet-de-la-candidature-la-presidentielle-dun-opposant-emprisonne-au-belarus.afp.com.20200714.doc.1v62jx.xml">refus par les autorités d’enregistrer la candidature de son mari</a>, un blogueur populaire et détracteur pugnace de Loukachenko, emprisonné depuis le mois de juin, qu’elle s’est portée candidate.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1289945566755950592"}"></div></p>
<p>Sa brillante et originale campagne sur les réseaux sociaux et dans les médias alternatifs (comme le portail d’information tut.by ou la chaîne en bélarusse Belsat, financée par l’UE et hébergée en Pologne) a été menée grâce aux efforts réunis des équipes des trois candidats exclus de la course à la présidence. Leur appel aux trois autres candidats enregistrés et apparentés aux <a href="https://www.ldh-france.org/belarus%E2%80%89-lopposition-au-parlement-apres/">partis d’opposition</a> de se désister au profit d’une candidature unique face à Loukachenko n’a pas été suivi d’effet. D’ailleurs, la tentative de désigner un candidat unique représentant l’ensemble des partis et mouvements d’opposition lors des primaires organisées en février 2020 s’était déjà soldée par un échec. Finalement, ce ne sont pas les liens avec l’opposition historique, mais l’inventivité et l’usage des nouvelles technologies dans un pays <a href="https://datareportal.com/digital-in-belarus">plus connecté qu’on le croit</a> qui a fait la différence avec les campagnes précédentes.</p>
<p>L’originalité de la démarche de Tikhanovskaïa consistait à briguer le poste présidentiel non pas pour garder le pouvoir, mais pour organiser ultérieurement une nouvelle élection présidentielle, pleinement transparente cette fois. Sa campagne s’est articulée non pas autour des sujets socio-économiques mais autour des revendications de liberté politique et d’État de droit.</p>
<p>Ce positionnement a fortement résonné avec la volonté d’une partie grandissante de la société bélarusse de voir le pays s’engager sur la voie d’une modernisation politique, sociale et économique, et surtout d’en finir avec un régime autoritaire de plus en plus dépassé et déconnecté de la société.</p>
<p>La popularité de Loukachenko a été longtemps liée à sa capacité à garantir une stabilité socio-économique particulièrement prisée par des générations qui avaient mal vécu la disparition de l’URSS et étaient nostalgiques du modèle soviétique. La part de cet électorat âgé et essentiellement rural a progressivement diminué, au profit de nouvelles générations plus jeunes et urbaines. Tikhanovskaïa et ses alliées Veronika Tsepkalo (la femme du deuxième candidat écarté, Valériï Tsepkalo), et Maria Kolesnikova (la chef de campagne du troisième candidat évincé, Viktor Babariko), qualifiées par Loukachenko de « trois pauvres filles qui ne comprennent rien », ont parfaitement saisi et incarné les profonds changements qu’a connu la société bélarusse en un quart de siècle. Leur exigence de rendre sa dignité au peuple bélarusse a trouvé un écho bien plus large que les vaines promesses d’augmentation de salaire évoquées par le président, y compris auprès de son électorat traditionnel. Sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/31/coronavirus-la-bielorussie-le-pays-ou-l-epidemie-n-aura-pas-lieu_6035079_3210.html">gestion maladroite de la crise du coronavirus</a> n’a fait que souligner le caractère archaïque de son pouvoir.</p>
<p>Au-delà de ces évolutions de fond, Loukachenko paie également aujourd’hui deux erreurs majeures : l’annonce des résultats officiels lui attribuant un score <a href="https://belarusfeed.com/golos-platform-lukashenko-votes-scam/">hautement improbable</a> de 80 % des voix, et l’usage démesuré de la violence pour réprimer la contestation dans les jours qui ont suivi l’élection. En l’espace d’une semaine, l’ensemble de la population bélarusse, réputée jusque-là apolitique, s’est mobilisée à travers des manifestations très suivies malgré la répression, une <a href="https://www.lejdd.fr/International/Europe/en-bielorussie-loukachenko-face-a-la-greve-generale-3985915">grève générale</a> et de multiples actions de rue (chaînes de solidarité de femmes vêtues de blanc et portant des fleurs, klaxons des automobilistes, etc.) qui ont pris le régime de court. La société civile, dont l’opposition bélarusse avait si longtemps déploré l’absence, s’est révélée à elle-même et au monde entier.</p>
<h2>Un défi géopolitique inattendu</h2>
<p>Cette échéance électorale devait avoir lieu dans un contexte international plutôt favorable à Loukachenko. Si les libertés prises avec la Constitution de 1994 lors des multiples parodies de consultations électorales qu’il a organisées lui ont longtemps valu de fortes critiques de la part des pays occidentaux, accompagnées d’une série de sanctions, la situation s’était apaisée ces dernières années. Son retour en grâce auprès de la communauté internationale était lié à son habile positionnement de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2014/10/01/01003-20141001ARTFIG00382-le-retour-en-grace-de-loukachenko-l-autocrate-de-minsk.php">médiation lors de la crise ukrainienne</a>, et à quelques gestes d’ouverture à l’égard de l’opposition politique qui ont permis la <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/15/l-ue-leve-ses-sanctions-contre-la-bielorussie_4865782_3214.html">levée des sanctions européennes</a> et l’engagement de quelques projets de <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/22039-lunion-europeenne-la-bielorussie-et-le-defi-de-la-cooperation">coopération avec l’UE</a>. Sa réélection en 2015 n’a d’ailleurs suscité aucune réaction négative de la part de l’UE en dépit du score soviétique de 83 %. La visite du secrétaire d’État américain Mike Pompeo à Minsk, début 2020, laissait également entrevoir un réchauffement des relations avec les États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1223579048212779014"}"></div></p>
<p>D’un autre côté, les tensions récurrentes autour des questions commerciales et énergétiques avec Moscou, les <a href="https://theconversation.com/une-annexion-de-la-bielorussie-un-projet-de-poutine-pour-assurer-lapres-2024-118270">réticences de Minsk sur l’avancée du projet d’État unifié</a> et une certaine méfiance à l’égard des tentatives bélarusses de rapprochement avec les Occidentaux ne remettaient pas fondamentalement en question la priorité donnée à la coopération avec la Russie. Les Russes sont restés de marbre face aux provocations verbales du président bélarusse lors de sa campagne électorale et à <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/bielorussie-32-combattants-russes-arretes-ont-ete-remis-a-moscou-20200814">l’affaire Wagner</a>, montée de toutes pièces, qui a fait planer le soupçon d’une éventuelle intervention russe pour déstabiliser le régime de Loukachenko.</p>
<p>Ainsi, les principaux acteurs régionaux apparaissaient relativement neutres en amont de l’élection. Cette prudence était tout à fait compréhensible au regard des conséquences dramatiques de la crise ukrainienne. L’UE cherchait surtout à éviter de provoquer la Russie afin de ne pas lui donner le prétexte pour intervenir militairement, mais également pour ne pas compromettre le cheminement vers la normalisation qui se profile dans les relations russo-européennes. Personne n’avait intérêt à l’apparition d’un nouveau foyer d’instabilité en Europe.</p>
<p>Cette nouvelle « révolution de la dignité » a lancé un défi inattendu autant à l’UE, absorbée par la gestion de la crise du coronavirus et le Brexit, qu’à la Russie, plongée dans la <a href="https://www.bilan.ch/economie/leconomie-russe-sapprete-a-plonger-face-a-lepidemie-et-a-la-crise-petroliere">crise économique</a> suite à la chute des prix du pétrole.</p>
<p>La neutralité européenne est devenue difficilement tenable au lendemain de l’élection à cause de la violence excessive du régime ainsi que de l’ampleur et de la durée des manifestations. Les autorités de l’UE ont d’abord réagi par un <a href="https://reneweuropegroup.eu/fr/news/1588-bielorussie-renew-europe-condamne-la-repression-politique-a-l-issue-d-elections-truquees-et-demande-que-l-ue-prenne-des-sanctions-envers-les-responsables-bielorusses/">appel à stopper la violence</a> et à <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_presidentielle-en-bielorussie-l-ue-demande-un-decompte-exact-des-votes-et-condamne-la-repression?id=10558901">recompter les voix</a>, puis par des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/elections-en-bielorussie/bielorussie-l-union-europeenne-denonce-une-election-ni-libre-ni-equitable-et-menace-de-sanctions_4072705.html">menaces de sanctions à l’égard du régime</a> et une proposition de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/15/les-manifestations-se-poursuivent-en-bielorussie-loukachenko-s-est-entretenu-avec-poutine_6049023_3210.html">médiation</a>.</p>
<p>La demande des dirigeants de nombreux pays occidentaux, en premier lieu de la Pologne et des pays baltes, d’organiser de nouvelles élections, a poussé Loukachenko à faire volte-face et à revenir au scénario classique du <a href="https://www.msn.com/fr-ca/actualites/monde/des-forces-ext %C3 %A9rieures-d %C3 %A9stabilisent-la-bi %C3 %A9lorussie-selon-moscou/ar-BB17V5Ug">complot de l’Occident</a>. Ainsi, il a subitement oublié ses propres insinuations portant sur une menace de déstabilisation provenant de Russie, lancées en pleine campagne électorale avec l’affaire Wagner, et <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20200815-manifestations-en-bi %C3 %A9lorussie-loukachenko-s-est-entretenu-vladimir-poutine">appelé au secours Vladimir Poutine</a>. Celui-ci a promis le 16 août que Moscou « respectera ses engagements » dans le cadre du traité de l’État unifié Russie-Bélarus, et si nécessaire dans le cadre de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-153.htm">OTSC</a>, ce qui sous-entend la possibilité de l’envoi de forces armées.</p>
<p>La situation au Bélarus représente un véritable dilemme pour le Kremlin : d’un côté, les dirigeants russes sont las des revirements de Loukachenko et l’arrivée d’une nouvelle personne à la tête de l’État bélarusse ne comporte pas beaucoup de risque d’un changement brutal dans les relations russo-bélarusses : le pays s’éloigne politiquement de l’orbite russe depuis 2014 mais demeure économiquement dépendant vis-à-vis de la Russie. De l’autre côté, un changement de régime sous la pression de la rue au Bélarus pourrait donner une impulsion sans précédent à la montée des contestations politiques en Russie à la veille d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/ %C3 %89lections_infranationales_russes_de_2020">scrutin régional</a> qui s’annonce très tendu ; et, symboliquement, la chute de Loukachenko présagerait l’inexorable fin de Poutine. En revanche, ni la population bélarusse ni la population russe n’est favorable au scénario d’une intervention militaire. Poutine serait-il prêt à assumer une telle décision, aux conséquences géopolitiques et intérieures très lourdes, dans un contexte de récession économique ?</p>
<p>Enfin, que ferait l’UE dans l’hypothèse d’une intervention militaire russe ? Ses moyens d’action sont limités comme l’ont déjà montré les crises de 2008 en Géorgie et de 2014 en Ukraine. Serait-elle prête à franchir la ligne rouge et à intervenir de manière plus active cette fois ? La nouvelle « révolution de dignité » lance de nouveau un défi à la stabilité géopolitique au cœur de l’Europe ; elle représente probablement aussi une occasion d’envisager une nouvelle configuration où ce pays ne sera plus déchiré par le choix impossible entre les deux grands pôles de puissance que sont l’UE et la Russie…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olga Gille-Belova ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’explosion de mécontentement de la population du Bélarus après la récente présidentielle a pris de court l’inamovible dirigeant autoritaire Alexandre Loukachenko.Olga Gille-Belova, Maître de conférences au Département d'Études slaves, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1401102020-06-09T18:05:44Z2020-06-09T18:05:44ZStopCovid : « un million d'utilisateurs » et quelques réserves non dissipées<p>Disponible depuis le 2 juin, l’application StopCovid, qui avertit son utilisateur d’un éventuel contact avec une personne infectée par le coronavirus, a dépassé le « <a href="https://www.leparisien.fr/societe/l-application-stopcovid-a-ete-activee-plus-d-un-million-de-fois-en-moins-de-cinq-jours-06-06-2020-8330931.php">cap du million d’utilisateurs</a> », a annoncé le 6 juin Cédric O, secrétaire d’État au numérique. Lors de sa prise de parole, ce dernier a également précisé que ce chiffre correspondait à l’activation de l’application et non à son simple téléchargement.</p>
<p>Mais derrière cette adoption subsistent toujours des craintes liées à une dérive potentielle de son utilisation vers la surveillance de masse. De plus, des interrogations sur son utilité réelle persistent.</p>
<p>Notre analyse des commentaires spontanés laissés sur les sites de presse et les réseaux sociaux nous permet de constater que les réactions la concernant sont controversées. Ainsi, loin d’être consensuelle, l’application soulève questions et défis quant à son adoption par la population.</p>
<h2>Une efficacité liée au taux d’adoption</h2>
<p>Dès 2019, dans ses recommandations sur le recours aux technologies numériques pour améliorer la santé des populations, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) <a href="https://www.who.int/fr/news-room/detail/17-04-2019-who-releases-first-guideline-on-digital-health-interventions">soulignait</a> tout le potentiel des outils digitaux pour établir des relations plus personnalisées avec les patients.</p>
<p>Dans le contexte de déconfinement, les applications mobiles font partie des dispositifs possibles pour analyser, contrôler ou conseiller les individus, et ainsi éviter un rebond épidémique.</p>
<p>L’efficacité de ces applications « servicielles », qui construisent leur proposition de valeur sur l’utilité et la praticité et cherchent à faire de <a href="https://afmmarketingblog.wordpress.com/2019/07/11/des-smart-apps-qui-vous-veulent-du-bien-les-marques-sont-elles-des-coachs-legitimes-pour-leurs-clients/">« bons comportements »</a> par les individus, a été étudiée dans le domaine de la santé (lutte contre l’obésité, appropriation des solutions thérapeutiques) ou de la consommation durable (lutte anti-gaspillage).</p>
<p>Ces outils sont de deux natures : conseil ou contrôle. Dans le cas de la crise du Covid-19, selon le <a href="http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/958/original/Terra-Nova_Cycle_Covid-19_Quelle-reponse-numerique-face-a-la-crise-covid19_040420.pdf">think tank Terra Nova</a>, elles ont pour rôle de « permettre un suivi individualisé de l’épidémie et d’automatiser les contrôles jusqu’alors assurés manuellement par les autorités sanitaires ».</p>
<p>En effet, le « <a href="https://www.who.int/news-room/q-a-detail/contact-tracing">contact tracing</a> » (traçage des contacts) est un dispositif de santé publique utilisé dans la surveillance et la lutte contre la propagation des virus qui, à l’origine, repose sur le travail d’enquêteurs. Avec la pandémie de Covid-19, le débat s’est focalisé sur les applications mobiles pour automatiser ce contact.</p>
<p>Le principe est le suivant : une fois installée sur le smartphone, l’application mémorise les personnes croisées (à <a href="https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-maladies/2630463-stop-covid-application-tracing-contact-coronavirus-c-est-quoi-gouvernement-obligatoire-autorise-lancement-sortie-2-juin-disponible-telecharger-combien-fois-cnil-controle/">moins d’un mètre pendant 15 minutes</a>), volontairement ou non. Elle enregistre ainsi tous les contacts que chaque utilisateur a eus avec d’autres personnes équipées de l’application. Si un individu de la chaîne de contacts se déclare positif sur l’application, celle-ci informe ses membres via une notification.</p>
<p>Les personnes alertées peuvent se faire dépister et reçoivent des conseils sur le bon comportement à adopter, à savoir : s’isoler, limiter ses déplacements, porter un masque et consulter un médecin afin de briser les chaînes de transmission du virus.</p>
<p>Ainsi le succès de l’application est notamment conditionné à l’adoption massive de l’outil et à la bonne foi des utilisateurs (accepter de se déclarer positif au virus), ce qui pose les questions du caractère volontaire de son téléchargement et de la technologie utilisée (GPS, Bluetooth, stockage des données, etc.).</p>
<p>À ce jour, plusieurs pays ont étudié cette piste et mis en œuvre des solutions digitales de lutte contre la propagation du Covid-19. La <a href="https://medium.com/@mounir/tra%C3%A7age-des-donn%C3%A9es-mobiles-dans-la-lutte-contre-le-covid-19-e718b1e15dfb">note</a> de l’ancien secrétaire d’État Mounir Mahjoubi permet d’identifier quatre critères essentiels pour les distinguer :</p>
<ul>
<li><p>le caractère obligatoire ou non de leur utilisation ;</p></li>
<li><p>l’objectif poursuivi : cibler l’individu (gérer la contamination individuelle) ou le collectif (savoir où mener des campagnes de tests) ;</p></li>
<li><p>le comportement souhaité de l’utilisateur : rester confiné, se tester ou éviter les zones à risque ;</p></li>
<li><p>l’usage des données : transmission des informations à l’individu uniquement ou à des tiers.</p></li>
</ul>
<p>Le taux d’adoption de ces applications reste faible dans certains pays comme Singapour où seulement <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/e-sante/a-singapour-l-echec-d-une-application-mobile-de-distance-sociale_143778">19 %</a> des citoyens en sont équipés. De plus, il reste difficile d’établir le pourcentage auquel il devient efficace. En effet, malgré un taux de 40 % en Islande, <a href="https://www.technologyreview.com/2020/05/11/1001541/iceland-rakning-c19-covid-contact-tracing/">« cela n’a pas changé la donne »</a> ; pire, certaines tentatives se sont soldées par des <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/may/27/qatar-contact-tracing-app-1m-people-sensitive-data-at-risk-coronavirus-covid-19?utm_term=Autofeed&CMP=twt_gu&utm_medium&utm_source=Twitter%2523Echobox=1590597149">piratages</a>, comme au Qatar.</p>
<p>Le 25 mai dernier, Cédric O estimait néanmoins que l’application StopCovid se révèlerait efficace « <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/cedric-o-sous-reserve-du-vote-au-parlement-ce-service-pourrait-etre-disponible-des-ce-week-end-20200525">à partir de 10 %</a> de personnes qui l’utilisent dans un bassin de vie » du fait de son « efficacité systémique pour diminuer la diffusion de l’épidémie ».</p>
<h2>Quid de l’application « made in France » ?</h2>
<p>En France, ces dernières semaines, les médias se sont fait l’écho des débats politiques, des prises de parole des experts techniques évoquant les <a href="https://risques-tracage.fr/">dangers potentiels</a> de ces applications. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-cnil-rend-son-avis-sur-les-conditions-de-mise-en-oeuvre-de-lapplication-stopcovid">a estimé</a> que :</p>
<blockquote>
<p>« (Une application comme StopCovid) peut être légalement déployée dès lors qu’elle apparaît être un instrument complémentaire du dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et qu’elle permet des alertes plus rapides en cas de contact avec une personne contaminée, y compris pour des contacts inconnus. »</p>
</blockquote>
<p>Les craintes restent néanmoins vives et motivent des mouvements de résistance plus ou moins organisés. La quadrature du net, association de défense des libertés sur Internet, appelle ainsi à un <a href="https://www.laquadrature.net/2020/04/14/nos-arguments-pour-rejeter-stopcovid/">rejet total de l’application</a>. Sur Twitter, un <a href="https://twitter.com/StopCovidApp">compte parodique</a> reprend et détourne les <a href="https://twitter.com/StopCovidApp/status/1266046221493383169">codes de communication officiels</a> pour la promouvoir.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268178843501842440"}"></div></p>
<p>L’organisation non gouvernementale <a href="https://www.bayesimpact.org/">Bayes Impact</a> a conçu le site <a href="https://www.briserlachaine.org/accueil">Briser la Chaîne</a> pour « participer à préserver la santé de ses usagers tout en veillant à garantir leur droit au respect de la vie privée ». Elle propose un système d’accompagnement individuel pour aider le malade à se souvenir pas à pas des personnes avec qui il a été en contact durant sa période de contagiosité.</p>
<p>Ces initiatives témoignent du fossé entre le discours officiel et les réactions des internautes. L’analyse de ces réactions sur les réseaux sociaux et dans les commentaires d’articles de presse permet d’identifier trois types de freins à l’adoption de l’application : politiques, fonctionnels et liés aux préoccupations pour la vie privée.</p>
<p>Les discours font apparaître un manque de légitimité des autorités au niveau des compétences et des objectifs : quelles sont les intentions gouvernementales ? L’application restreint-elle les libertés ?</p>
<p>Les individus craignent donc d’être surveillés individuellement comme collectivement et perçoivent ces applications comme fortement intrusives, car elles supposent un contrôle de chacun et une collecte des données. De plus, elles possèdent un caractère culpabilisant, voire <a href="https://datacovid.org/covid-19-quand-culpabilisation-et-infantilisation-diminuent-lefficacite-de-lappel-a-la-responsabilite-individuelle/">infantilisant</a>.</p>
<p>Au-delà de ces considérations, des usagers se posent des questions quant à l’utilité et l’efficacité de ces applications dans la lutte contre le Covid-19.</p>
<p>Toutefois, il existe des internautes favorables à l’application, mais ces derniers mettent en balance ces freins avec des préoccupations d’ordre économique et sanitaire. Par peur de voir l’épidémie se poursuivre et la crise économique s’amplifier, certains sont prêts à accepter cet outil, mais seulement s’il permet de réduire véritablement les risques et les impacts encourus. Or, comment le leur garantir ?</p>
<h2>Répondre officiellement aux craintes</h2>
<p>Une solution digitale techniquement performante sur le papier peut se révéler inefficace si la population n’y adhère pas sur le principe. La prise en compte des aspects psychologiques est cruciale pour comprendre et anticiper le comportement des citoyens face à leur résistance aux <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jpim.12463">innovations technologiques</a>.</p>
<p>Ainsi, accompagner la mise en place d’une application de « contact tracing » implique de créer un environnement socioculturel favorable ainsi qu’une communication adaptée à son téléchargement.</p>
<p>Trois pistes d’arguments sont mobilisables dans une communication officielle :</p>
<ul>
<li><p>le bénéfice : la communication doit-elle mettre en avant un bénéfice individuel-égoïste (protéger sa propre santé) ou un bénéfice collectif-altruiste (éviter la propagation du virus) ?</p></li>
<li><p>les garde-fous technologiques : face aux préoccupations en matière de vie privée, comment garantir la transparence quant au devenir des données recueillies ?</p></li>
<li><p>la source de la solution technologique : l’analyse des discours en ligne montre l’importance de la fiabilité et de l’expertise de la source et donc de sa crédibilité. À quelle source faire confiance sans avoir peur d’être trompé ou manipulé ? Quelle source mettre en avant dans la communication pour l’adoption de l’application ?</p></li>
</ul>
<p>Ces arguments en matière de communication sont à prendre avec précautions, car une autre forme de résistance peut se manifester envers les messages publicitaires incitant à son adoption. Cette résistance à la publicité <a href="https://www.editions-ems.fr/revues/decisions-marketing/articlerevue/884-les-consommateurs-resistants-a-la-publicite-leurs-principales-actions-et-motivations.html">remettrait en cause</a> l’efficacité des modes de communication utilisés.</p>
<p>Ainsi, seule une analyse approfondie de la corrélation entre contenu des messages gouvernementaux et taux d’adoption réel de l’application StopCovid nous permettra de juger de l’efficacité de la communication contre la défiance actuelle des Français.</p>
<p>De plus, une analyse de l’évolution du nombre de téléchargements et de l’utilisation effective de l’application sur la durée restera nécessaire pour conclure sur la capacité du gouvernement à convaincre les résistants de la première heure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse des réactions des internautes indique l’existence de barrières d’ordre politique, fonctionnel et éthique quant à l’utilisation de cet outil de traçage.Béatrice Siadou-Martin, Professeur des universités en sciences de gestion, Université de LorraineChristine Gonzalez, Professeur des universités en sciences économiques et de gestion, Le Mans UniversitéInès Chouk, Enseignante-chercheuse à Paris Cergy Université / Résistance aux innovations technologiques, CY Cergy Paris UniversitéJean-Marc Ferrandi, Professeur Marketing et Innovation à Oniris, Université de NantesZied Mani, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1398922020-06-04T18:12:12Z2020-06-04T18:12:12ZPourquoi le combat de Fariba Adelkhah est le combat de tous<p><em>Nous apprenons avec joie <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/18/la-chercheuse-franco-iranienne-fariba-adelkhah-retenue-en-iran-depuis-2019-est-rentree-en-france_6195217_3210.html">le retour en France de la chercheuse Fariba Adelkhah</a>. Arrêtée en 2019 en Iran, son terrain de recherche depuis des années, condamnée à cinq ans de prison en mai 2020 pour atteinte à la sécurité nationale, elle avait bénéficié d’une « libération temporaire » en octobre 2020, avant d’être à nouveau incarcérée en janvier 2022, puis libérée en février dernier mais avec l'interdiction, jusqu'à hier donc, de quitter le territoire de la République islamique. Nous vous proposons à cette occasion de relire cet article que sa collègue Béatrice Hibou lui avait consacré un an après son arrestation.</em></p>
<p>5 juin 2019 – 5 juin 2020 : voilà un an que Fariba Adelkhah est détenue en Iran, à la tristement célèbre prison d’Evin, pour n’avoir fait que son travail de chercheuse.</p>
<p>Le 24 décembre, de pair avec <a href="https://www.lepoint.fr/monde/en-iran-le-supplice-de-kylie-moore-gilbert-06-05-2020-2374489_24.php">Kylie Moore-Gilbert</a>, sa collègue anglo-australienne détenue elle aussi, elle avait entamé une grève de la faim qui avait duré 49 jours pour dénoncer leur traitement mais aussi et surtout celui de tous les intellectuels détenus en Iran et dans les pays de la région pour n’avoir fait que leur travail. </p>
<p>Après son procès, à plusieurs reprises différé, qui s’est finalement tenu le 19 avril, elle a refusé de renoncer à sa recherche et à ses va-et-vient entre l’Iran et la France, comme ses geôliers l’y incitaient en lui promettant alors la liberté conditionnelle, un bracelet aux chevilles. </p>
<p>Pour Fariba, accepter ces conditions aurait signifié accepter l’ordre des Gardiens de la révolution, accepter donc de voir la recherche criminalisée ; mais également accepter de voir mis en danger tous les gens avec lesquels elle a travaillé, particulièrement en Iran et en Afghanistan. À la suite de son refus, elle a été condamnée le 16 mai 2020 à <a href="http://www.leparisien.fr/international/iran-la-chercheuse-fariba-adelkhah-condamnee-a-six-ans-de-prison-16-05-2020-8318307.php">six ans d’emprisonnement</a>.</p>
<p>Roland Marchal, son collègue et ami qui avait également été arrêté le 5 juin 2019 alors qu’il venait passer quelques jours avec elle, n’est quant à lui jamais passé devant un juge. Après neuf mois et demi de détention à Evin, il a été libéré le 20 mars 2020 lors d’un échange avec un ingénieur iranien, proche des Gardiens de la révolution, qui avait été arrêté en France sur mandat d’arrêt américain et jugé extradable par la justice française.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339151/original/file-20200602-133924-qh8xm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Miriam Perier</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Son <a href="https://faribaroland.hypotheses.org">comité de soutien</a> a lancé une opération de solidarité en diffusant, en ce triste anniversaire, une centaine de contributions audio et vidéo sur ce que signifie le combat de Fariba pour la défense de la liberté scientifique <a href="https://faribaroland.hypotheses.org/8498">(https://faribaroland.hypotheses.org/8498)</a>.</p>
<h2>Une prisonnière scientifique</h2>
<p>Fariba est <a href="http://fasopo.org/sites/default/files/adelkhah/adelkhah-portrait.pdf">anthropologue à Sciences Po</a>. Depuis trente ans, elle restitue au plus près du terrain les transformations de la société iranienne, mais aussi de la société afghane. Ses travaux, dont on trouvera une <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/cerispire-user/7123/537">liste non exhaustive</a> sur le site du CERI, font autorité par leur profondeur, par sa connaissance subtile de son pays d’origine qu’elle n’a jamais cessé de fréquenter, y effectuant constamment des terrains et des séjours plus ou moins longs, et par le regard original qu’elle porte sur tout ce sur quoi elle travaille : les femmes et <a href="http://www.karthala.com/867-la-revolution-sous-le-voile-femmes-islamiques-diran.html">leur place dans l’espace public</a> ; les <a href="http://www.karthala.com/1687-tre-moderne-en-iran.html">transformations profondes de la société derrière l’impression de conservatisme</a> ; les rapports entre <a href="https://journals.openedition.org/remmm/2913">religion et politique</a> ; la formation de l’État <a href="http://www.karthala.com/recherches-internationales/2558-les-mille-et-une-frontieres-de-l-iran-quand-les-voyages-forment-la-nation.html">par ses frontières</a> et ses rapports à ses voisins et plus largement à l’international ; la <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01293063/">guerre comme mode de vie</a>…</p>
<p>C’est en ce sens que Fariba est une prisonnière scientifique : elle est emprisonnée parce qu’elle a écrit, parce qu’elle a continué, envers et contre tout, à faire de la recherche, parce qu’elle a toujours pensé qu’elle n’avait rien à cacher, qu’il fallait débattre, discuter, confronter les idées, aussi différentes soient-elles de celles du régime ou de la majorité de la population, ici ou là-bas.</p>
<p>Elle est une prisonnière scientifique – et non une prisonnière politique – parce qu’elle n’a jamais fait de politique : critiquée aussi bien par le régime (qui l’a régulièrement arrêtée, lui a confisqué son passeport, l’a interrogée) que par les opposants (qui lui reprochent de ne pas prendre position contre le régime, parce que ce dernier serait par principe mauvais), elle a suivi avec une force de caractère impressionnante le chemin de la science dans un contexte très difficile.</p>
<p>Déjà, en 2009, elle avait montré son courage lorsqu’elle avait défendu <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2010/05/17/clotilde-reisse-une-passion-iranienne_1352821_3210.html">Clotilde Reiss</a>, une doctorante française qui avait été arrêtée par les autorités iraniennes. Elle avait écrit une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2009/09/10/contre-le-regime-de-la-peur-en-iran">lettre ouverte au président de la République islamique</a>, particulièrement forte, dénonçant un régime qui ne comprenait pas ce qu’était la recherche et considérait tout chercheur comme un espion. Une nouvelle fois, aujourd’hui, elle montre de façon éclatante son attachement aux valeurs de la recherche académique et elle incarne le combat pour la liberté scientifique.</p>
<h2>L’importance prépondérante de la recherche</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=908&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339161/original/file-20200602-133855-14z0o17.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1141&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fariba Adelkhah.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ray Clid</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La liberté scientifique, à laquelle Fariba tient tant, n’est pas une défense corporatiste de son métier. Ce qui est en jeu, c’est, bien sûr, la liberté de penser, la liberté de parler, la liberté d’expression. Mais c’est aussi le devoir de connaissance, un devoir d’autant plus important qu’il concerne des pays « lointains ». Ces derniers sont de moins en moins compris. Sur la scène intérieure, comme l’exemple de Fariba l’illustre tristement mais comme le rappellent aussi de nombreux autres cas partout dans le monde, la recherche est de plus en plus souvent vue avec suspicion quand elle n’est pas tout simplement considérée comme dangereuse et attentatoire à la sûreté nationale.</p>
<p>Mais sur la scène internationale aussi la recherche vit des jours sombres, pour au moins trois raisons : la remise en cause de la liberté de circulation et la montée des préoccupations sécuritaires ; l’isolement de certains de ces pays, fruit notamment de la politique d’excommunication conduite par les États-Unis et de l’incapacité européenne à s’en distinguer ; la politique de privatisation des universités qui acceptent que des pans entiers de leur recherche soient financés par des intérêts étatiques étrangers, comme l’illustrent une grande partie des centres spécialisés sur le Moyen-Orient désormais financés par les Saoudiens ou les Émiratis.</p>
<p>Cette stratégie de suspicion à l’encontre de la connaissance n’est pas sans conséquence : la désastreuse guerre en Irak, par exemple (mais on pourrait en dire de même des interventions en Libye, au Tchad, en République centrafricaine, en Somalie…), a été rendue possible par la mise à l’écart des spécialistes de la région, ouvrant la voie à l’idée d’un Grand Moyen-Orient et à l’intervention militaire.</p>
<h2>Le contre-pouvoir universitaire</h2>
<p>Le savoir universitaire agit comme un contre-pouvoir par rapport au savoir politique, au savoir journalistique, au savoir des intérêts économiques et financiers, parce que sa particularité est de mettre au cœur de sa raison d’être la distanciation, la dénaturalisation, le déplacement des limites de l’entendement. Le savoir universitaire nous apprend notamment à reconnaître des faits désagréables pour les autres comme pour nous-mêmes, et à procéder à une critique des jugements en montrant quels types de problèmes se cachent derrière des positions, des opinions, des décisions.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339513/original/file-20200603-130907-1itnljd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par sa manière de travailler, par sa conception de son métier, Fariba incarne admirablement ce contre-pouvoir : elle nous montre le caractère irremplaçable de la recherche de terrain, de la circulation des savoirs, de la collaboration entre universitaires de divers horizons, de la confrontation de traditions intellectuelles différentes, de l’indépendance de la recherche.</p>
<p>Le combat de Fariba nous touche car ce n’est pas seulement le sien. C’est le combat de nous tous, le combat pour la liberté scientifique, le combat pour la liberté tout court.</p>
<hr>
<p><em>Un livre intitulé <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100101060">« Pour Fariba Adelkhah et Roland Marchal. Chercheurs en périls »</a> qui évoque leurs différents travaux vient d’être publié par les Presses de Sciences Po (mai 2020). Sa lecture est une des manières de soutenir le courageux combat de notre collègue emprisonnée en faveur de la liberté scientifique.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Béatrice Hibou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Incarcérée en Iran depuis un an pour n’avoir fait que son travail de chercheuse, Fariba Adelkhah vient d’être condamnée à six ans de prison. Son combat pour la liberté scientifique est aussi le nôtre.Béatrice Hibou, Directrice de recherche au CNRS (Centre de recherches internationales de Sciences Po), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1349282020-05-24T17:07:16Z2020-05-24T17:07:16ZSortir de la pandémie, mais au prix de quels renoncements éthiques et juridiques ?<p>Du point de vue juridique, l’état d’urgence sanitaire créé par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746313&categorieLien=id">loi du 23 mars 2020</a> avait permis la mise en œuvre de divers dispositifs, certains profondément attentatoires à nos libertés. Tel est le cas des dispositifs prévus sanctionner la violation des mesures d’état d’urgence et du confinement. La situation d’urgence donnait alors à croire que le temps d’arbitrage des décisions, en matière d’éthique, n’était pas compatible avec les mesures imposées par la crise sanitaire. </p>
<p>Un nouveau délit de manquement aux limitations de déplacement a ainsi été créé, dans un flou juridique que l’urgence ne commandait pas, ce qui s’est parfois avéré contre-productif. La mise en oeuvre de cette infraction a en effet été paralysée, puisque le comptage des violations du confinement a nécessité <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/04/15/un-fichier-de-police-detourne-pour-reperer-les-recidivistes-qui-violent-le-confinement_6036662_1653578.html">le recours illégal à des fichiers de police</a> dans une finalité autre que celle ayant justifié leur constitution. </p>
<p>En dépit de ces incertitudes, le gouvernement a déposé un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/274230-loi-prolongation-etat-durgence-sanitaire">Votée par le Parlement après de substantielles modifications</a>, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041865244&categorieLien=id">loi n° 2020-546 du 11 mai 2020</a> inclut de nouvelles atteintes aux libertés fondamentales. </p>
<h2>Le secret médical n’est plus inviolable</h2>
<p>Cette loi prévoit un dispositif de police sanitaire pour préparer la sortie du confinement, débutée le 11 mai 2020. Les nécessités de contrôle épidémiologique, afin de limiter la propagation du virus, ont justifié la mise en place d’un système de détection et de suivi des personnes passant par le recueil personnalisé de données médicales. Ces dernières sont consignées dans des fichiers constitués à cette fin. </p>
<p>Cette démarche recourt en particulier au concours de <a href="http://www.slate.fr/story/190344/covid-19-confiance-brigades-anges-gardiens-contact-tracing-ethique-secret-medical-libertes">« brigades d’anges gardiens »</a>, des « brigades sanitaires » constituées notamment d’investigateurs n’appartenant pas tous au corps médical. Un point qui suscite nombre de réserves, notamment d’un point de vue éthique. Il signifie en effet que le secret médical sera provisoirement partagé avec nombre d’intervenants non médecins, qui plus est recrutés en dehors des professionnels de l’Assurance maladie. </p>
<p><a href="https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/pjl19-414-expose.html">Selon son exposé des motifs lors de la présentation au Sénat</a>, la loi permet au ministre chargé de la santé de</p>
<blockquote>
<p>« (…) mettre en œuvre un système d’information aux seules fins de lutter contre la prorogation de l’épidémie de Covid-19. Cette faculté est limitée à la durée de l’épidémie ou au plus tard à une durée d’un an à compter de la publication de la loi. » </p>
</blockquote>
<p>Il était aussi précisé que </p>
<blockquote>
<p>« Pouvant comporter des données de santé et d’identification, ces systèmes visent à identifier les personnes infectées ou susceptibles de l’être, à organiser les opérations de dépistage, à définir le cas échéant des prescriptions médicales d’isolement prophylactique et à assurer le suivi médical des personnes concernées, à permettre une surveillance épidémiologique et la réalisation d’enquêtes sanitaires, ainsi qu’à soutenir la recherche sur le virus. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, « l’article comprend une habilitation à prendre par d’ordonnance des ajustements complémentaires touchant à l’organisation et aux conditions de mise en œuvre de ces systèmes. » </p>
<p>Le texte désormais promulgué prévoit une circulation étendue des données de santé, afin de permettre la création d’un système d’information qui sera mis en œuvre par le ministre de la Santé. Ce système doit permettre d’assurer la traçabilité des contacts des personnes, la transmission des informations de santé pour celles atteintes par le Covid-19, la surveillance locale du virus, etc. </p>
<p>Mais les données de santé ne sont pas des données comme les autres.</p>
<h2>Les données de santé sont des données sensibles</h2>
<p>Les données de santé sont considérées comme « sensibles » dans la mesure où elles relèvent de l’intime et pourraient exposer à des indiscrétions ou à des dommages de nature à accentuer la vulnérabilité d’une personne dans la continuité de sa vie sociale. </p>
<p>Il n’est pas anodin d’évoquer à ce propos la revendication, par les personnes ayant été atteintes d’un cancer, d’un « droit à l’oubli » que rappelle <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000031923621&dateTexte=29990101&categorieLien=cid">l’article 1141-5 du code de la santé publique</a>. </p>
<p>Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est quant à lui particulièrement attentif au respect de la sphère privée et de la préservation de la confidentialité des données de santé. Or dans la loi du 11 mai 2020, les garanties proposées pour contenir la liste des personnes susceptibles d’accéder aux informations médicales personnelles sont faibles. Le nombre de professionnels qui peuvent y accéder est étendu, et malgré leur obligation au secret professionnel, les modalités de mise en oeuvre demeurent incertaines. Le Conseil constitutionnel a donc émis des réserves d’interprétation, tant <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2020-800-dc-du-11-mai-2020-communique-de-presse">quant au contenu des informations concernées que du fait des professionnels rendus compétents</a>. </p>
<p>Si, par ce système d’information, le législateur a entendu permettre le respect de l’objectif de protection de la santé, il conduit à une rupture de proportionnalité au regard des atteintes à la vie privée qu’il risque de provoquer. </p>
<p>Pire encore, ce texte vise expressément un autre texte, celui qui organise le secret professionnel. Pour y déroger, d’une part, et pour préciser, d’autre part, que cette transmission pourra être organisée <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2902_projet-loi">« le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées »</a>. </p>
<p>Nos concitoyens savent-ils réellement qu’une consultation en cas de suspicion de Covid-19 peut entraîner un partage de leurs données à des tiers inconnus ? Ont-ils compris que le consentement à l’acte médical et ses suites, qui figure à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000031972276&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160204">l’article L. 1111-4</a> du Code de la santé publique est donc privé d’efficacité malgré son importance juridique et éthique ? </p>
<p>Certes, le système d’information ainsi créé <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/274230-loi-prolongation-etat-durgence-sanitaire">ne peut être utilisé pour la mise en œuvre de l’application Stop-Covid en préparation</a>, puisque l’utilisation de cette dernière devrait être consentie par chacun. Néanmoins, le cadre de cette application demeure encore inconnu, alors que sa mise en service est prévue pour le 2 juin 2020. </p>
<h2>Le danger de la libre circulation des données de santé</h2>
<p>Le secret constitue l’un des attributs incontestables, et historiques, des professions de santé. Il n’y a pas de démocratie en santé sans respect de ce principe réaffirmé dans l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000036515027&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20180119">article 1110-4 du Code de la santé publique</a>, introduit par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000227015">loi n° 2002-303 du 4 mars 2002</a> relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. </p>
<p>Comme le prêtre et de même que l’avocat, le secret distingue celui qui, par nature, doit pouvoir intervenir auprès d’une personne dans le seul intérêt de cette dernière. Avec, pour le malade vulnérable, la certitude absolue qu’aucun jugement ne sera porté sur son état ou sur sa personnalité. </p>
<p>Le secret constitue une barrière à l’intrusion de la société dans le « colloque singulier », cette relation entre le médecin et son patient. Il est tout autant une garantie, pour le professionnel, de pouvoir intervenir librement. </p>
<p>Si le secret connaît évidemment des tempéraments, il représente le lien de confiance indépassable qui unit le professionnel et son patient. Il ne se contente pas de faire la preuve de la noblesse des hommes et des femmes de l’art, dont chacun sait qu’ils auront la décence de ne jamais exploiter les confidences et les constatations faites au cours de leurs consultations : il est aussi l’assurance de l’efficacité de leur intervention. </p>
<p>Les atténuations du secret conduisent en effet les patients à développer des stratégies de contournement de la relation de soins et de diminution de l’information transmise. Certains préfèrent taire leur maladie plutôt qu’avoir à subir des sanctions sociales. </p>
<p>Dès les premières annonces relatives au Covid-19, des manifestations de stigmatisation à l’égard de <a href="https://www.franceculture.fr/sociologie/simeng-wang-lepidemie-exacerbe-le-racisme-anti-asiatique">personnes ou de groupes</a> nous ont alerté de <a href="https://www.sudouest.fr/2020/05/15/coronavirus-le-defenseur-des-droits-alerte-sur-une-mise-a-l-ecart-des-enfants-de-soignants-7487095-10861.php">menaces possibles de discriminations</a>. </p>
<p>En période d’épidémie, il est donc plus que jamais indispensable d’assurer la conservation de la confidentialité.</p>
<h2>Des dérogations au cas par cas</h2>
<p>Dans les situations urgentes ou exceptionnelles, la réflexion éthique justifie d’envisager certaines dérogations aux principes généraux. Il convient de contextualiser certaines décisions, tenant compte d’une appréciation argumentée de la hiérarchisation des intérêts et des enjeux. </p>
<p>Le consentement de la personne dans l’incapacité de discernement peut alors ne pas s’imposer lorsqu’il y a menace pour elle ou un tiers, ainsi que le rappelle l’<a href="https://www.wma.net/fr/policies-post/code-international-dethique-medicale-de-lamm/">Association médicale mondiale</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Le médecin devra respecter le droit du patient à la confidentialité. Il est conforme à l’éthique de divulguer des informations confidentielles lorsque le patient y consent ou lorsqu’il existe une menace dangereuse réelle et imminente pour le patient ou les autres et que cette menace ne peut être éliminée qu’en rompant la confidentialité. » </p>
</blockquote>
<p>Mais cette rupture de la confidentialité ne se fait pas à n’importe quelles conditions et de manière désinvolte. Elle ne peut être systématique, et doit être envisagée au cas par cas, justifiée dans le cadre d’une délibération tracée dans un écrit, proportionnée et argumentée, réversible parce que régulièrement évaluée, accompagnée des mesures qui préservent l’intégrité de la personne, respectent ses droits et donc qui limitent tout préjudice possible.</p>
<p><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041865244&categorieLien=id">La loi prorogeant l’état d’urgence</a> entend pourtant déroger à ce principe cardinal. </p>
<p>À l’occasion du traitement de la pandémie, l’obligation a visiblement supprimé le volontariat et donc la faculté d’appréciation personnelle, pour ne pas dire de responsabilisation de chacun. Par quelques lignes, le gouvernement propose de balayer une tradition de relation professionnelle faite de confidentialité, de confiance, de dialogue responsable, de soutien et de bienveillance. </p>
<p>La pratique médicale n’est acceptable et respectable que conditionnée à une déontologie incontestable. Celle-ci permet de surmonter les nombreux dilemmes liés à cet exercice, jusque dans l’intervention auprès d’un détenu victime d’actes de torture par exemple. Même dans cette situation, le médecin continue à veiller à respecter <a href="https://www.wma.net/fr/policies-post/resolution-sur-la-responsabilite-des-medecins-dans-la-documentation-et-la-denonciation-des-actes-de-torture-ou-des-traitements-cruels-inhumains-ou-degradants/">« le consentement éclairé et (éviter) de mettre en danger des individus (…) »</a>. Chaque médecin est garant de valeurs et de responsabilités dont il a mission d’examiner en situation les enjeux en concertation avec la personne directement concernée.</p>
<h2>Inquiétude des instances de surveillance des libertés</h2>
<p>Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), <a href="https://www.cncdh.fr/fr/publications/suivi-numerique-des-personnes-un-risque-datteinte-disproportionnee-aux-droits-et">Commission nationale consultative des droits de l’homme</a>, Comité national pilote d’éthique du numérique… : depuis des semaines, nombre d’instances émettent des réserves et appellent à la prudence en matière de mise en place d’un système de suivi numérique des personnes, notamment à propos des libertés publiques et des libertés individuelles.</p>
<p>Malgré tout, ce suivi sanitaire et administratif est imposé dans la précipitation, sans déterminer des modalités d’encadrement à ce jour effectives pour éviter les dérives possibles. </p>
<p>Certaines garanties ont été concédées, comme la destruction prévue de données trois mois après leur collecte ou encore la limitation des données concernées, du fait des diligences du Parlement qui a fortement encadré le projet soumis par le Gouvernement. L’essentiel demeure pourtant, fait de traçage et de dérogations non consenties au secret. <a href="https://www.lepoint.fr/societe/secret-medical-consentement-du-patient-toutes-les-digues-ont-cede-13-05-2020-2375278_23.php">À combien de renoncements devrons-nous encore assister</a>, au nom de la lutte contre l’épidémie ?</p>
<p>Le réalisme impose évidemment de considérer que l’urgence, en premier lieu, ainsi que la gravité de la situation, ensuite, doivent permettre le recours à des mesures exceptionnelles, ainsi que l’avait déjà fait la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746313&categorieLien=id">loi n° 2020-290 du 23 mars 2020</a> d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. </p>
<p>Mais en l’occurrence, s’est-on donné les moyens d’une réflexion justifiée par la complexité des enjeux ? L’avis du Comité national pilote d’éthique du numérique du 14 mai 2020, montre que la qualité d’une analyse approfondie permet <a href="https://www.ccne-ethique.fr/fr/actualites/cnpen-enjeux-dethique-concernant-des-outils-numeriques-pour-le-deconfinement">d’arbitrer utilement des choix éclairés</a>. Il est regrettable que la précipitation ait incité à mettre en oeuvre un « traçage humain » dépourvu des véritables garanties qu’on exigeait d’un dispositif numérique. Volontariat, respect de la vie privée, anonymat, transparence, usage temporaire des données et suivi dans le cadre d’une évaluation en continu sont les principes affirmés dans la prochaine mise en oeuvre de StopCovid. LA CNIL rend un dernier avis à ce propos le 25 mai.</p>
<h2>Les premiers effets ont déjà été constatés</h2>
<p>Au contraire des régimes autoritaires, notre démocratie est fondée sur l’absolue nécessité de limiter les atteintes aux libertés individuelles et aux droits de l’homme. Tel n’a pas toujours été le cas dans cette période.</p>
<p>Il a par exemple été décidé, par une simple circulaire, de prolonger de plusieurs mois les durées de détention préventive. Des personnes non encore jugées, encore innocentes, vont donc atteindre la fin de l’état d’urgence – prolongé – afin de connaître leur sort. Si une députée a courageusement su reconnaître l’erreur ainsi commise, combien de personnes sont, malgré tout, restées abusivement enfermées ? </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1258042315098198016"}"></div></p>
<p>Certains maires ont également édicté des arrêtés limitant la liberté d’aller et venir, qui pour encadrer à certains horaires les déplacements autorisés, qui pour limiter à 10 mètres de son domicile les sorties autorisées, etc. </p>
<p>De même, le contentieux d’interprétation des motifs de sortie figurant sur les attestations s’épanouit dans la liberté d’interprétation donnée à chaque agent des forces publiques, ou personne désignée à cet effet, de croire ou non la parole des personnes contrôlées. </p>
<p>Les mesures individuelles de quarantaine devaient être décidées par le préfet sur certificat médical. Une telle privation de liberté, sans possibilité de saisine du juge judiciaire, traditionnel gardien des libertés, prévue par l’article 66 de la Constitution, a conduit le Conseil constitutionnel <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2020-800-dc-du-11-mai-2020-communique-de-presse">à formuler une réserve d’interprétation de la loi</a> sur la prorogation de l’état d’urgence, et à censurer plus généralement d’autres mesures d’isolement. Cette réserve constitue une fragilité dans l’appréhension du respect des libertés par l’exécutif.</p>
<p>Aux multiples vulnérabilités déjà induites et révélées par ces semaines de pandémie, s’ajouteront celles liées à des procédures d’investigation improvisée sans concertation. Qu’en sera-t-il des personnes les plus exposées au virus, car les plus précaires, ainsi « tracées » avec un impact immédiat sur leurs conditions de survie et celles de leurs proches ? Rappelons que le nombre des personnes « sans domicile fixe » est estimé à 200 000 dans notre pays. </p>
<h2>Quelle évaluation des conséquences sociétales de la crise ?</h2>
<p>Déjà dans son avis n°106 du 5 février 2009 – <a href="https://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/questions-ethiques-soulevees-par-une-possible-pandemie-grippale">« Questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale »</a> – le Comité consultatif national d’éthique considérait qu’une pandémie grave </p>
<blockquote>
<p>« peut exiger des priorités d’accès aux moyens sanitaires, un effort de solidarité, un engagement des professionnels les plus exposés. Un consensus sur des valeurs éthiques partagées est indispensable pour préserver la cohésion de la société. » </p>
</blockquote>
<p>Qu’en est-il dans les faits, onze ans plus tard ? Si un « comité de contrôle » est bien prévu pour accompagner l’utilisation des données de santé dans la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, aucune instance dédiée à l’approfondissement de l’ensemble des aspects sociétaux de cette crise sanitaire n’est officiellement investie d’une mission dont l’opportunité s’imposait pourtant. </p>
<p>Est-ce ainsi qu’on renforcera notre confiance en une stratégie à trop d’égards approximative ? Celle-ci devrait associer notre intelligence collective, plus indispensable que jamais, au discernement politique. N’aurait-on pas gagné en vie démocratique et en capacité d’implication volontaire dans une dynamique de santé publique, en se donnant les moyens d’une concertation attendue et nécessaire, d’autant plus lorsque des mesures d’exception sont justifiables au regard d’intérêts supérieurs ? </p>
<p>Est-ce là le signe d’une défiance des autorités publiques à l’égard d’une société civile qui a pourtant démontré, depuis des semaines, une maturité et un esprit d’engagement dont certains politiques doutaient ? Il n’est pas assuré que cette analyse péjorative serve la juste intention de développer des stratégies responsables de lutte contre le Covid-19…</p>
<p>La dernière limite de l’intime, de protection de nos secrets et de certaines de nos libertés fondamentales est désormais légalement transgressée sans que n’ayons été ni consultés ni coresponsables des choix. Ceux qui ont reproché ces dernières semaines l’annexion de l’espace public par une logique sanitaire, voire l’expression d’un « biopouvoir » inconsidéré, se voient confirmés dans leurs positions. </p>
<p>Il faudra veiller à ce que les régimes d’exception qui sont actuellement mis en œuvre demeurent strictement temporaires, que l’arbitraire ne se substitue pas au devoir éthique d’arbitrage. Le temps de la pandémie ne saurait déborder sur celui de la paix retrouvée. À défaut, le prix à payer pour en sortir paraîtrait disproportionné.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Conformément à sa déontologie professionnelle, Benjamin Pitcho n'a aucun conflit à déclarer.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’état d’urgence sanitaire a été prolongé début mai. Malgré les réserves des instances chargées de surveiller l’état des libertés, les garde-fous prévus par le texte de loi semblent bien insuffisants.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayBenjamin Pitcho, Avocat à la Cour, maître de conférences en droit privé, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1381742020-05-14T18:40:24Z2020-05-14T18:40:24ZDéconfinement : le jeu délicat de la France avec les libertés de culte<p>Le 28 avril, le Premier ministre Edouard Philippe présentait devant l’Assemblée nationale son plan de déconfinement, annonçant que de nombreuses activités de vie collective pourraient reprendre à partir du 11 mai. Cependant, au cours de son allocution, le Premier ministre précisa que l’interdiction des cérémonies religieuses, à l’exception des obsèques, serait maintenue <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/11518-discours-de-m-edouard-philippe-premier-ministre-presentation-de-la-strategie-nationale-de">jusqu’au 2 juin</a>.</p>
<p>Cette prolongation des restrictions imposées sur le libre exercice des cultes suscita alors une vive réaction de la part des élus de droite et de l’Église catholique. La Conférence des évêques de France (CEF) exprimait son <a href="https://eglise.catholique.fr/espace-presse/communiques-de-presse/498364-suite-aux-annonces-premier-ministre-concernant-deconfinement/">« regret »</a> que la célébration des cultes en public ne puisse reprendre à partir du 11 mai, et 67 parlementaires signèrent une tribune dans <em>Le Figaro</em>, interpellant le gouvernement <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/la-liberte-de-culte-serait-elle-moins-importante-que-la-liberte-de-consommer-20200501">et l'invitant à revenir sur sa décision</a>.</p>
<p>Face à l’ampleur de cette fronde, le gouvernement révisa sa position : le 4 mai Edouard Philippe <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/11536-covid-19-discours-d-edouard-philippe-au-senat">s’est déclaré devant le Sénat</a> « prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai ».</p>
<p>Cependant, si cette date permettait aux églises d’accueillir des fidèles pour la messe de Pentcôte, elle n’a pas réussi à éteindre la controverse. En effet, elle fait l’impasse sur l’Aïd al-Fitr, fête de clôture du Ramadan, prévue le 24 mai, provoquant <a href="https://www.mosqueedeparis.net/fin-de-linterdiction-des-ceremonies-religieuses-avancee-pour-la-pentecote-lincomprehension-de-la-grande-mosquee-de-paris/">l’indignation</a> du Recteur de la Grande Mosquée de Paris.</p>
<p>Cette controverse est d’autant plus notable que, jusqu’ici, les restrictions en matière de libertés religieuses qu’impose l’État français n’avaient pas rencontré de forte opposition, ni de la part de la société civile ni de la part des élus.</p>
<p>Comment faut-il alors comprendre ce retournement de situation ?</p>
<p>L’annonce du plan de déconfinement annonce la sortie progressive d’une politique d’urgence, définie par une relative union nationale. Ce faisant, cette annonce marque aussi la reprise de la politique « normale », dans laquelle le conflit se trouve structuré autour des institutions et des pôles idéologiques. La contestation en matière de libertés religieuses s’inscrit dans ce mouvement plus large.</p>
<h2>Une application inédite des lois</h2>
<p>Le 15 mars, le gouvernement interdisait par arrêté tout rassemblement ou réunion de plus de 20 personnes au sein des établissements de culte, à l’exception des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/3/15/SSAS2007753A/jo/texte">cérémonies funéraires</a>.</p>
<p>Le 23 mars, le gouvernement renforça cette mesure, interdisant tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte sans critère de capacité maximale ; les cérémonies funéraires étaient à ce moment-là restreintes <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id">à un maximum de 20 participants</a>.</p>
<p>Ces restrictions furent promulguées dans le cadre du droit. En effet, tout comme de nombreux droits fondamentaux, la <a href="https://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_9_ENG.pdf">liberté religieuse n’est pas absolue</a>. Ainsi, l’article 9.2 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions sous certaines conditions, notamment en application de mesures nécessaires à la santé. En France, l’article 1 de la loi de séparation des églises et de l’État de 1905 conditionne la garantie du libre exercice des cultes à l’intérêt de l’ordre public.</p>
<p>Si les restrictions promulguées en mars n’entravaient pas au droit, leur application était inédite. Malgré cela, elles reçurent un large aval de la part des autorités religieuses – alors même que ces mesures tombaient à la veille des grandes fêtes monothéistes de Pessa’h, de Pâques, et du Ramadan.</p>
<h2>Une large adhésion des institutions religieuses</h2>
<p>Le Conseil national des évangéliques de France <a href="https://www.lecnef.org/articles/54203-les-evangeliques-et-la-question-du-deconfinement">estimait</a> ces restrictions « conformes à la loi, puisque justifiées, nécessaires et proportionnées pour des motifs de santé publique ».</p>
<p>De nombreux diocèses catholiques y adhérèrent aussi, dispensant leurs fidèles de l’obligation de participer à la <a href="https://www.vannes.catholique.fr/questions-a-mgr-centene-a-propos-des-mesures-liees-au-coronavirus/">messe dominicale</a>. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) appela les imams à remplacer la prière collective du vendredi par la diffusion <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/2020/03/20/dispositifs-de-substitution-aux-prieres-collectives">d’enregistrements audio-visuels</a>.</p>
<p>Si certaines voix dissidentes se sont manifestées par le biais de la presse <a href="https://www.valeursactuelles.com/societe/tribune-religion-et-confinement-le-gouvernement-ne-doit-pas-empecher-les-croyants-de-celebrer-leurs-grandes-fetes-117642">conservatrice</a> ou en organisant des <a href="https://www.la-croix.com/France/Covid-19-messe-pascale-clandestine-eglise-Saint-Nicolas-Chardonnet-2020-04-12-1301089130">réunions</a> en dépit de leur interdiction, comme à Saint-Nicolas du Chardonnet, la majorité s’est ralliée à la logique restrictiviste du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, comme nous l’avons vu, ce ralliement s’est précipitamment estompé après le 28 avril.</p>
<h2>Comment expliquer ce renversement de situation ?</h2>
<p>Cette contestation advient dans un contexte de défiance croissante envers la politique gouvernementale. Alors que le gouvernement avait réussi à mener une politique unilatérale en début de crise, son autorité vacille depuis fin avril.</p>
<p>Selon un sondage IFOP, le 20 mars le gouvernement bénéficiait de la confiance de 55 % de Français quant à sa capacité à <a href="https://www.ifop.com/publication/coronavirus-la-confiance-dans-le-gouvernement-pour-faire-face-a-la-crise-2/">gérer efficacement</a> la crise du coronavirus ; le 6 mai, ce taux avait chuté de 20 points pour <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/05/117000-Rapport-CN-SR-N95.pdf">atteindre 35 %</a>.</p>
<p>Le 28 avril, le gouvernement s’est vu contraint de reporter <em>sine die</em> un débat à l’Assemblée nationale sur l’application de traçage numérique <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/tracking-edouard-philippe-reporte-le-vote-sur-l-application-controversee-stopcovid-846376.html">StopCovid</a> (ce qui n’a pas empêché la <a href="https://www.franceinter.fr/economie/application-stopcovid-chronologie-d-un-tres-laborieux-developpement">poursuite de son développement</a>). Le 4 mai, le <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/deconfinement-le-senat-rejette-le-plan-du-gouvernement-182307">Sénat a rejeté le plan de déconfinement du gouvernement</a>. Et le 11 mai, le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020800DC.htm">Conseil constitutionnel a censuré des éléments du projet de loi</a> liés à l’isolement, et aux données médicales liées au traçage des malades infectés par le coronavirus.</p>
<p>De fait, ces indicateurs traduisent le pendant politique du déconfinement : le retour progressif de la politique « normale », dans laquelle les contre-pouvoirs institutionnels (le Parlement, le Conseil constitutionnel, les acteurs de la société civile) se réaffirment et les confrontations idéologiques reprennent le dessus sur les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/15/coronavirus-emmanuel-macron-cherche-son-union-nationale_6036620_823448.html">appels à l’unité nationale</a>.</p>
<p>Les religions, évoluant en interaction et en tension avec leur <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2003-2-page-248.htm">environnement socioculturel</a>, s’inscrivent aussi dans ce basculement hors de la trêve (relative) des hostilités politiques observé durant le pic de la crise.</p>
<h2>Des prises de position diverses</h2>
<p>Ce constat se confirme d’ailleurs si nous regardons de plus près les prises de position des différentes autorités religieuses. Comme nous l’avons déjà signalé, la CEF et la Grande Mosquée de Paris se sont opposées à la décision gouvernementale d’étendre les restrictions imposées aux libertés religieuses au-delà du 11 mai. Cependant, l’Église protestante unie de France et le Conseil national des évangéliques de France se sont abstenus de critiquer ouvertement le gouvernement par rapport à cette extension. Haïm Korsia, le grand rabbin de France, s’est montré <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/religions/coronavirus-l-hypothese-d-un-deconfinement-juste-apres-la-fin-du-ramadan-cree-des-remous-6826995">compréhensif</a> envers le gouvernement, jugeant qu’il fallait avant tout « s’assurer de la sécurité sanitaire ».</p>
<p>D’autres instances musulmanes, telle que l’Union des mosquées de France, ont aussi choisi <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/deconfinement-des-lieux-de-culte-divergences-de-vue-entre-instances-musulmanes_2125419.html">d’adhérer</a> au calendrier émis par le gouvernement.</p>
<h2>Diversité de réactions et de traditions</h2>
<p>Cette diversité de réactions traduit plusieurs éléments. D’une part, l’importance accordée aux rites, à la sacralité des lieux et des objets, et aux réunions physiques varient selon les traditions religieuses.</p>
<p>Ainsi, la centralité de l’eucharistie dans le catholicisme implique l’obligation de participer à la messe dominicale, alors que le christianisme évangélique donne la priorité à l’étude du texte biblique et à la proclamation par le verbe, des pratiques qui s’accommodent plus aisément des contraintes imposées par le confinement.</p>
<p>À cela s’ajoute la diversité des positionnements politiques et institutionnels des différentes autorités religieuses. L’Église catholique bénéficie d’une assise institutionnelle forte en France, en raison de son ascendance historique et de ses ressources internes. Elle s’inscrit aussi dans une relation historique de conflit avec les institutions républicaines.</p>
<p>A contrario, le protestantisme et le judaïsme sont issus d’une <a href="https://www.fayard.fr/juifs-et-protestants-en-france-les-affinites-electives-9782213619248">historiquement minoritaires en France</a>, se sont ralliés à la République.</p>
<p>Quant aux musulmans, leur absence de front commun <a href="https://journals.openedition.org/assr/1040?&id=1040&file=1">reflète des dissensions endiguées dans l’Islam français</a>. Celles-ci découlent de l’histoire migratoire et du projet controversé de rassembler les courants islamiques français sous l’égide d’une unique autorité représentative en dialogue avec l’État.</p>
<p>En sus des divergences internes aux traditions religieuses, ces divergences de positionnement dans la société française contribuent à expliquer les multiples réactions des autorités religieuses face à la politique gouvernementale. Si la polyphonie des réactions religieuses après l’annonce du plan de déconfinement reflète dans une certaine mesure les spécificités internes à ces religions, elle annonce aussi un retour à la politique « normale ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Artaud de La Ferrière is affiliated with the International Religious Liberty Association. </span></em></p>La controverse sur la date de réouverture possible des lieux de cultes est révélatrice des tensions habituelles qui agitent la gestion du fait religieux en France.Alexis Artaud de La Ferrière, Senior Lecturer in Sociology, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1370402020-04-23T17:27:44Z2020-04-23T17:27:44ZL’application StopCovid : évidence européenne ou paradoxe à la française ?<p>« Nous voulons être dépistés mais pas pistés », entend-on sur les ondes, formule qui illustre le débat passionné qui anime la presse et les réseaux sociaux.</p>
<p>Le projet d’application mobile de <em>contact tracing</em> (traçage numérique) <a href="https://stopcovid19.fr">StopCovid</a>, visant à permettre à ses détenteurs d’être informés en cas de contact « caractérisé » avec une personne infectée, donne lieu à des propos souvent clivants, opposant sans nuance l’absolue protection de nos libertés à la nécessité de tout mettre en œuvre pour tenter de sortir de la crise sanitaire.</p>
<h2>Face à cette crise globale, la réponse doit être globale</h2>
<p>La pandémie touche pour la première fois tous les pays du monde et tous les secteurs de la vie économique et sociale. Les moyens comme l’approche politique pour lutter contre la prolifération du coronavirus ne peuvent donc pas raisonnablement se limiter à l’échelle nationale. La Commission européenne n’a d’ailleurs pas manqué de soutenir les États membres dans leurs réflexions en publiant une <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020H0518&from=FR">boîte à outils commune</a> ainsi que des <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020XC0417(08)&from=EN">Orientations relatives aux applications soutenant la lutte contre la pandémie</a>. Le réseau <a href="https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/ehealth/docs/covid-19_apps_en.pdf">E-health</a>, qui assure la coopération entre les diverses autorités nationales de santé, a également contribué à cette réflexion globale.</p>
<p>Outre des outils communs de conception d’une application numérique, largement repris par le projet français, l’UE pose une contrainte technique, celle de l’interopérabilité des systèmes conçus dans chaque État membre, contraignant ces derniers à ne pas faire cavalier seul pour choisir et développer une technologie de contact tracing. Cette interopérabilité doit aussi être RGPD-compatible (conformément au <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016R0679">Règlement européen relatif à la protection des données du 27 avril 2016</a>), ce qui assure en principe un niveau de protection des droits individuels sans égal à ce jour dans le monde. Ce patrimoine juridique commun doit servir de base de réflexion pour chaque débat national.</p>
<p>Sans verser dans le <a href="https://www.fypeditions.com/resoudre-laberration-du-solutionnisme-technologique-evgeny-morozov/">« solutionnisme technologique »</a>, il ne fait nul doute que l’innovation numérique a toute sa place dans nos démocraties. En revanche, l’adoption d’une application de contact tracing devrait être conditionnée à l’existence d’un cadre juridique précis et surtout à une efficacité attendue au regard de finalités préalablement et précisément définies.</p>
<p>Le débat nous semble fondamental pour fixer les garde-fous juridiques et éviter que cette application ne devienne un prétexte ou un passeport sanitaire qui briderait trop fortement nos libertés.</p>
<h2>La faisabilité juridique d’une application numérique de contact tracing</h2>
<p>Le RGPD ainsi que la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=celex%3A32002L0058">Directive e-Privacy du 12 juillet 2002</a> (en cours de réforme au niveau européen) définissent le cadre juridique applicable à la collecte de données personnelles, y compris de santé pour le premier et de géolocalisation pour la seconde. Toute application doit donc d’abord et avant tout être conçue à partir de ces textes, pour protéger le droit des personnes à maîtriser leurs données.</p>
<p>Le gouvernement français ainsi que l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), chargé du développement de l’application, ont d’emblée affirmé vouloir retenir un niveau élevé de protection, garantie par une approche privacy by design, la contrainte du respect de la protection des données étant intégrée, nativement, dans la conception même de l’application.</p>
<p>Dans la logique européenne, l’utilisation de l’application serait fondée sur le consentement des individus, elle ne permettrait pas de connaître l’identité de la personne infectée croisée, pas plus que le tracking ou la géolocalisation des individus. Enfin, l’application serait supprimée à l’issue de la crise sanitaire. L’application numérique garantirait ainsi les principes européens de protection des données personnelles.</p>
<p>Pour être licite, tout traitement de données doit par ailleurs répondre à des principes bien déterminés à ce jour. Tout d’abord, il doit respecter le principe de transparence. L’INRIA a déjà communiqué sur la <a href="https://www.inria.fr/fr/contact-tracing-bruno-sportisse-pdg-dinria-donne-quelques-elements-pour-mieux-comprendre-les-enjeux">démarche paneuropéenne adoptée</a> et sur les contours du protocole de communication <a href="https://www.inria.fr/fr/publication-du-protocole-robert">« ROBERT » pour ROBust and privacy-presERving proximity Tracing</a>. L’institut a ensuite annoncé que l’application serait disponible en open source afin, notamment, de garantir son interopérabilité entre les différents pays européens. Les applications déployées seront en effet nationales mais disposeront de « briques » communes afin de pouvoir communiquer entre elles et permettre le contact tracing par-delà la frontière nationale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251549406484201472"}"></div></p>
<p>StopCovid doit aussi assurer l’information des futurs utilisateurs au moment où elle sera téléchargée sur leur smartphone. La finalité poursuivie et les fonctionnalités de l’application devront être clairement énoncées. Dans l’hypothèse où l’application pourrait intégrer différentes fonctionnalités (information, recherche de contacts, envoi d’avertissements, etc.), la Commission européenne a indiqué qu’un consentement spécifique pour chaque finalité serait nécessaire afin de permettre aux individus de conserver le contrôle de leurs données.</p>
<p>Le <a href="https://aeonlaw.eu/protection-par-defaut-minimisation-des-donnees-quelles-differences/">principe de minimisation</a> implique que seules les données strictement nécessaires à la réalisation de la finalité fixée devront être traitées. Par exemple, les données de proximité ne devront être traitées que s’il existe un risque réel de contamination, lequel dépend de l’étroitesse et de la durée du contact. Par ailleurs, la Commission européenne ainsi que la CNIL en France ont indiqué que seules les autorités sanitaires nationales détermineront les finalités et les moyens du traitement des données et que l’éventuelle divulgation et/ou accessibilité des données devra être <a href="https://www.cnil.fr/fr/crise-sanitaire-audition-de-marie-laure-denis-presidente-de-la-cnil-devant-la-commission-des-lois">strictement limitée</a>.</p>
<p>La Commission européenne insiste sur la nécessité de définir, au niveau de chaque État, une base juridique spécifique pour préciser la mise en œuvre nationale de ces principes. La loi devra ainsi définir la finalité de l’application, l’identité du responsable de traitement et des éventuels destinataires ainsi que les garanties juridiques offertes aux personnes concernées.</p>
<p>En outre, des mesures devront être prises pour minimiser la durée de conservation des données traitées via l’application. Le critère de « fin d’épidémie » invoqué lors des débats devant la commission parlementaire française semble peu satisfaisant et, en tout état de cause, une suppression automatique des données devra être envisagée.</p>
<p>Enfin, les mesures de sécurité font également débat, la technologie Bluetooth soulevant notamment des problématiques techniques car elle ne fonctionne, en principe, que <a href="http://www.leparisien.fr/societe/application-stopcovid-l-usage-du-bluetooth-point-de-blocage-du-cote-d-apple-21-04-2020-8303034.php">lorsque l’application est ouverte</a>. Débloquer ce paramétrage pourrait engendrer des failles de sécurité plus larges sur les smartphones des utilisateurs.</p>
<p>Le droit actuel peut donc être mis au service de la sécurité de l’utilisation de l’application numérique StopCovid par les citoyens. L’enjeu véritable se situe à d’autres niveaux : celui de son acceptation sociale et, peut-être plus encore, celui de son efficacité.</p>
<h2>Une application numérique comme outil de désescalade des mesures sanitaires ?</h2>
<p>Les institutions européennes et les autorités nationales considèrent que l’application numérique sera un outil de gestion du « déconfinement » et, plus largement, de la <a href="https://theconversation.com/la-frontiere-franco-allemande-au-temps-du-covid-19-la-fin-dun-espace-commun-136467">réouverture des frontières intérieures de l’UE</a>.</p>
<p>Les institutions européennes emploient la formule de <a href="https://www.consilium.europa.eu/en/policies/covid-19-coronavirus-outbreak-and-the-eu-s-response/timeline/">« désescalade des mesures de confinement »</a> et pas de « déconfinement ». Cette différence sémantique est centrale pour les politiques qui vont être déployées par la France à partir du 11 mai 2020. Si les États ont en majorité appuyé sur le bouton « off » pour stopper les chaînes de contamination, il ne suffit pas de trouver un bouton « on » pour revenir à la situation pré-Covid. La désescalade sera progressive dans le temps et dans l’espace. L’application de contact tracing peut être utile pour déterminer des décisions de confinement localisé et pour savoir quand reprendre la libre circulation des personnes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1244352725355282432"}"></div></p>
<h2>Mais le strict respect des libertés individuelles et la mise en place de garde-fous juridiques sont-ils conciliables avec l’efficacité de cet outil numérique ?</h2>
<p>Il est évident que l’application ne suffira pas à endiguer l’épidémie mais pourrait être un instrument de mise en œuvre d’une responsabilité collective, sous réserve de l’adhésion du plus grand nombre. L’efficacité de l’outil de traçage sera en effet fonction du nombre d’utilisateurs et de leur adhésion au principe – et donc au passage à l’échelle collective.</p>
<p>Si chacun a le droit de <a href="https://www.ladepeche.fr/2020/04/18/coronavirus-chaque-etre-humain-doit-pouvoir-prendre-le-risque-de-mourir-yann-moix-donne-son-avis-sur-le-confinement-et-cree-la-polemique,8852650.php">prendre le risque de mourir de ce qu’il veut</a>, cela ne l’autorise pas à mettre en danger les personnes qu’il croise dans sa vie sociale. C’est finalement toute la difficulté de ce minuscule virus, qui au fond met en évidence les limites d’une conception exclusivement individuelle des droits humains.</p>
<p>Par ailleurs, comme l’a rappelé le professeur Delfraissy, Président du CARE (<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/article/installation-du-comite-analyse-recherche-et-expertise-care">Comité d’Analyse Recherche et Expertise</a>, rattaché à l’Élysée pour conseiller le gouvernement sur la gestion de l’épidémie, y compris sur l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique de contact tracing), une telle application numérique ne peut fonctionner que s’il y a « de l’humain derrière le numérique ». L’identification de contacts positifs, pour être efficace, devra donc être associée à un arsenal de mesures préventives et/ou curatives, incluant des solutions de dépistage et de confinement individuel (notamment à l’hôtel). L’efficacité recherchée sous-tend ainsi l’alliance de la technologie et de l’humain comme prérequis nécessaires permettant de développer l’exercice effectif d’une responsabilité collective.</p>
<p>Ces questions sont fondamentales et doivent être débattues pour garantir la souveraineté numérique de l’Europe (et des États), l’acceptabilité sociale de l’application, gage de son efficacité en tant qu’instrument de lutte contre la propagation du Covid-19 et ce, dans le respect des droits des personnes.</p>
<p>Dans ce contexte extraordinaire de confinement général, où la liberté d’aller et venir, de commerce et d’autres encore sont largement limitées pour assurer la sauvegarde de notre santé publique, n’est-il pas paradoxal d’opposer l’efficacité d’une application numérique à la défense de notre vie privée ?</p>
<p>De la mesure avant toute chose… un arbitrage sera nécessaire. Les concessions individuelles et collectives devront s’accompagner de l’assurance d’une maîtrise juridique, technique et démocratique. Voilà ce qu’il faut attendre du débat public qui devrait avoir lieu à la fin du mois d’avril 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’application StopCovid suscite de nombreux débats qui portent aussi bien sur son efficacité que sur sa légalité et les atteintes aux libertés publiques que pourrait provoquer sa généralisation.Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg – Université de StrasbourgAurélie Klein, Avocat en droit des données et du numérique, Chargée d’enseignement, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1369872020-04-23T17:27:01Z2020-04-23T17:27:01ZL’utilisation des données des téléphones mobiles dans la lutte contre l’épidémie<p>Le 24 mars dernier a été mis en place le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/article/installation-du-comite-analyse-recherche-et-expertise-care">Comité d’Analyse Recherche et Expertise</a> (CARE), dont la mission est d’éclairer les pouvoirs publics sur les suites à donner aux propositions innovantes, notamment quant à l’opportunité de la mise en place d’une <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/24/medecins-chercheurs-et-scientifiques-mobilises-contre-le-covid-19">stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées</a>. Alors que le gouvernement français a annoncé, le 8 avril, la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/04/10/detection-des-contacts-des-malades-du-covid-19-utiliser-le-bluetooth-de-nos-smartphones-est-une-solution-technique-acceptable_6036212_4408996.html">mise en chantier de l’application « StopCovid »</a>, les enjeux juridiques soulevés par une telle technologie sont nombreux.</p>
<h2>Les stratégies déployées dans le monde</h2>
<p>C’est en Asie, berceau de l’épidémie, que se trouvent les pays les plus en avance sur ces questions. Certains États avaient été touchés par le SARS-CoV-1 en 2003 puis le MERS-CoV dix ans plus tard. En Corée du Sud, ces épisodes ont marqué la population ; depuis, la loi a autorisé la collecte des <a href="https://www.sciencemag.org/news/2020/03/coronavirus-cases-have-dropped-sharply-south-korea-whats-secret-its-success">données de géolocalisation des téléphones mobiles</a> et des cartes bancaires, ainsi que l’utilisation de la reconnaissance faciale afin de tracer les déplacements des personnes infectées. Leurs données sont mises à la disposition des citoyens grâce à une application qui les identifie d’un point de couleur différente en fonction du temps écoulé depuis leur dépistage positif. Ne pas se soumettre à ce suivi pour une personne positive est passible de deux ans d’emprisonnement, et briser le confinement est puni d’une amende de 2 300 €. Taïwan a adopté une stratégie de suivi similaire, en suivant les déplacements des personnes revenant d’une zone contaminée et en leur imposant un confinement strict et surveillé.</p>
<p>En Chine, à Wuhan, sortir de chez soi est conditionné par l’installation d’une application qui récupère, en plus de la géolocalisation, l’adresse postale, les numéros de téléphone et de pièce d’identité de l’utilisateur. <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/04/03/a-wuhan-la-liberte-toujours-suspendue-a-un-qr-code_1784160">L’application génère un QR code</a> dont la couleur varie en fonction de l’état de santé présumé de l’utilisateur, de ses déplacements et des personnes qu’il a croisées. Cette couleur conditionne l’accès aux transports et aux commerces, et peut amener à un isolement dans une structure désignée.</p>
<p>En Russie, le traçage par les opérateurs téléphoniques des personnes revenant de l’étranger a été organisé, afin de vérifier qu’elles respectent leur confinement.</p>
<p>Israël confie cette partie de la lutte contre l’épidémie aux responsables de la sécurité intérieure, afin d’utiliser les moyens de lutte anti-terroriste déjà en place pour suivre les déplacements des porteurs du virus, et identifier les personnes avec qui elles ont été en contact. Les données de circulation de malades sont publiques, et il est possible pour chacun de croiser ses propres déplacements avec celles-ci.</p>
<p>Enfin, au sein de l’Union européenne, en Pologne, les personnes revenant de l’étranger ont dû installer une application qui les géolocalise et peut leur demander un selfie, à envoyer sous 20 minutes, pour confirmer qu’elles respectent les consignes. En cas de retard, ou de refus de cette solution numérique, c’est la police qui vient effectuer les contrôles. L’Italie, quant à elle, envisage de s’inspirer de la Corée du Sud pour retracer les déplacements de diagnostiqués positifs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1242064185028014080"}"></div></p>
<p>Ces exemples sont tous teintés d’un certain autoritarisme et d’atteintes à la vie privée. Un contre-exemple est cependant à relever : celui de Singapour, où les autorités ont opté pour un logiciel open source, utilisé sur la base du volontariat, <a href="https://www.tracetogether.gov.sg/common/privacystatement">dont il est souligné qu’il traiterait un minimum de données personnelles</a> et anonymiserait les identifiants des utilisateurs. Basé sur le Bluetooth, il permet de constituer une liste de personnes qui se sont trouvées à proximité de la première. Si cette personne est diagnostiquée positive au virus, la liste sera contactée par les autorités afin que les personnes s’isolent et se fassent dépister. Ce même type d’application fait actuellement l’objet de recherches à l’Université d’Oxford et par le <a href="https://www.pepp-pt.org/">« Pan-European Privacy-Preserving Proximity Tracing »</a>, une organisation à but non lucratif formée de 130 membres européens (universités, instituts de recherche et entreprises) collaborant pour proposer et améliorer des solutions qui utilisent la détection de proximité sans renoncer à la vie privée.</p>
<h2>Quelles stratégies numériques en France ?</h2>
<p>Les opérateurs téléphoniques sont les premiers à avoir été sollicités : ils ont accès, grâce à nos téléphones mobiles, à nos données de géolocalisation. Indépendamment d’un service de détection de la position activé sur un smartphone, le simple fait de solliciter le réseau téléphonique via une antenne relais permet de donner la position approximative du téléphone. Plusieurs utilisations des données ainsi récupérées sont envisageables : mesurer le respect des mesures de confinement, repérer les rassemblements non autorisés d’un nombre de personnes, ou suivre les mouvements de la population.</p>
<p>Les données des opérateurs de téléphonie sont dites « anonymisées » et « agrégées » : le résultat obtenu n’est donc pas une localisation ou des déplacements individuels, mais des statistiques sur l’ensemble de la population. Il faut toutefois rester prudent en la matière face au terme d’« anonymisation ». Concernant la géolocalisation, il a ainsi été démontré que les parcours individuels étaient <a href="https://www.nature.com/articles/srep01376">ré-identifiables en connaissant seulement quatre points de géolocalisation approximative horodatés d’une personne</a>.</p>
<p>Le second type d’utilisation des données est plus individualisé : sans aller jusqu’à montrer les personnes potentiellement contagieuses sur une carte, des applications mobiles proposent aux utilisateurs de collecter leurs positions et de les informer si l’une des personnes qu’elles ont croisées dans les 14 jours précédents a déclaré être atteinte du Covid-19. Le but recherché est que les personnes qui se savent potentiellement porteuses renforcent les mesures de précaution qu’elles emploient, et d’établir une carte de la dissémination. Du point de vue de la protection individuelle, l’efficacité de ce type de traçage GPS n’est pas prouvée.</p>
<p>La géolocalisation a ses limites : comment savoir si deux personnes qui se suivent sont à l’intérieur du même bus ou dans les habitacles séparés de deux voitures ? Les endroits où les personnes sont le plus à risque d’avoir des contacts proches et de toucher les mêmes objets, par exemple les supermarchés ou les transports en commun, sont aussi ceux où la géolocalisation ne permet pas d’être précis. La seconde fonction de ces applications, à savoir cartographier la propagation du virus a posteriori en suivant les personnes en contact qui s’avèrent positives à leur tour, semble plus réaliste.</p>
<p>Le hub IA France imagine une <a href="https://www.la-croix.com/France/Donnees-geolocalisation-contre-coronavirus-debat-couve-France-2020-03-25-1301086081">solution à code couleur</a>, qui n’est pas sans rappeler celle de la Chine : le téléphone de l’utilisateur lui attribue un code couleur différent en fonction des endroits dans lesquels il s’est rendu, et qui peuvent représenter des zones à risque. Une « zone à risque » serait, pour cette application, caractérisée par une prédiction basée sur les médicaments vendus dans les pharmacies de la zone, tels que les antipyrhétiques et les antitussifs, qui correspondent au traitement des symptômes du Covid-19.</p>
<p>S’ajoutent à ces stratégies la possible exploitation des données des GAFAM – <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/confinement-google-publie-des-donnees-de-geolocalisation-dans-131-pays-1191840">Google a par exemple diffusé des données en ce sens</a> – ou de la technologie Bluetooth sur le modèle singapourien, qui est au cœur du projet français.</p>
<h2>Quel cadre juridique pour la mise en œuvre de ces technologies ?</h2>
<p>Les technologies citées sont encadrées de différentes façons en France, au moyen de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32002L0058&from=FR">directive 2002/58/CE « e-Privacy », du RGPD</a>, et de la <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes">loi informatique et libertés</a>.</p>
<p>Le traitement de données personnelles – dont la géolocalisation – par des applications mobiles est réglementé par le RGPD. Dans le cas présent, les données pourraient être recueillies avec le consentement de l’utilisateur, mais le motif de la nécessité du traitement à « l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique dont est investi le responsable du traitement » (article 6-1 e) pourrait être invoqué dans le cas où une telle mission serait déléguée par les pouvoirs publics à un organisme, public ou privé. Les données de santé, de la même façon, ne peuvent être traitées que si la personne a exprimé son consentement explicite, ou si le traitement est « nécessaire pour des motifs d’intérêt public important », « aux fins de diagnostics médicaux, de la prise en charge sanitaire ou sociale, ou de la gestion des systèmes et des services de soins de santé », ou « pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique » (article 9-2 g, h et i).</p>
<p>Le traçage de la localisation des utilisateurs du réseau mobile grâce aux antennes relais est, lui, l’objet de la transposition de la directive ePrivacy dans le droit français. Ainsi, l’article L. 34-1 du Code des postes et des communications électroniques précise que « les opérateurs de communications électroniques […] effacent ou rendent anonyme toute donnée relative au trafic » et que « les données permettant de localiser l’équipement terminal de l’utilisateur ne peuvent ni être utilisées pendant la communication à des fins autres que son acheminement, ni être conservées et traitées après l’achèvement de la communication que moyennant le consentement de l’abonné, dûment informé des catégories de données en cause, de la durée du traitement, de ses fins, et du fait que ces données seront ou non transmises à des fournisseurs de services tiers ». Une donnée issue de ce type de localisation qui ne soit pas personnelle, donc anonyme, correspondrait par exemple à un comptage du nombre d’utilisateurs sollicitant le réseau à un endroit donné.</p>
<p>Dans le partenariat en cours entre <a href="https://presse.inserm.fr/les-statistiques-issues-du-reseau-de-telephonies-mobiles-au-service-de-la-lutte-contre-la-pandemie-de-covid-19/38831/">Orange et l’Inserm</a>, qui a pour but de mettre en relation les mouvements des personnes et des modèles épidémiologiques, les déplacements des téléphones mobiles sont analysés et regroupés par tranches d’âge des utilisateurs, appuyant le fait qu’il s’agit ici d’un suivi de terminaux identifiés et non d’un simple comptage des connexions aux antennes relais. Par conséquent, l’analyse statistique qui en est faite concerne des données personnelles, qui sont traitées sans le consentement des abonnés au service.</p>
<p>Le Comité européen de la protection des données (CEPD) estime dans son avis du 19 mars que les données de localisation des téléphones mobiles peuvent permettre de « générer des rapports sur la concentration d’appareils mobiles à un certain endroit (“cartographie”) » et <a href="https://edpb.europa.eu/our-work-tools/our-documents/other/statement-processing-personal-data-context-covid-19-outbreak_fr">enjoint les autorités publiques à n’utiliser que des données anonymes</a>. Le CEPD poursuit cependant en soulignant que ces obligations peuvent être contournées pour des motifs de sécurité nationale ou de sécurité publique, sous réserve que les mesures prises soient proportionnées.</p>
<p>Les États européens disposent donc dans le cadre du RGPD, de la Directive ePrivacy ou de leur droit national des moyens de mettre en place des technologies de suivi de la population présentant différents niveaux de respect de la vie privée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1243411968871903234"}"></div></p>
<p>C’est dans ce contexte que la CNIL a rappelé dès le 6 mars 2020 qu’en dehors de toute prise en charge médicale, la collecte de données de santé est limitée à des cas précis. <a href="https://www.cnil.fr/fr/crise-sanitaire-audition-de-marie-laure-denis-presidente-de-la-cnil-devant-la-commission-des-lois">Auditionnée le 8 avril</a> devant la commission des lois, la présidente de la CNIL a donné sa position : elle demande de privilégier le traitement de données anonymisées et non de données individuelles, lorsque cela permet de satisfaire l’objectif, et précise qu’un suivi individuel devrait être basé sur une démarche volontaire.</p>
<blockquote>
<p>« Si la France souhaitait prévoir des modalités de suivi non anonymes plus poussées, le cas échéant sans le consentement préalable de l’ensemble des personnes concernées, une intervention législative s’imposerait. <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/250320/surveillance-de-l-epidemie-la-cnil-met-en-garde-le-gouvernement">Il faudrait alors s’assurer que ces mesures législatives dérogatoires soient dûment justifiées et proportionnées</a> (par exemple en termes de durée et de portée) ».</p>
</blockquote>
<p>Passer par la loi pour autoriser un nouveau dispositif de traçage assure certains garde-fous : un amendement au projet de loi instituant l’état d’urgence autorisant pour une durée de six mois « toute mesure visant à permettre la collecte et le traitement de données de santé et de localisation » a ainsi déjà été rejeté. Il est cependant légitime de rester attentifs aux nouvelles atteintes aux libertés décidées durant l’état d’urgence. Nous avons déjà vu en France se pérenniser des systèmes qui avaient été mis en place lorsque le pays était en état de choc. Ainsi le plan Vigipirate s’est fondu dans le quotidien depuis plus de vingt ans, et certaines dispositions de l’état d’urgence de 1955, remis en application après les attaques terroristes de 2015, sont à présent inscrites dans le droit commun.</p>
<p>On comprend dès lors pourquoi le recours possible à un système d’application basé sur la technologie Bluetooth est présenté à l’heure actuelle comme fondé sur le volontariat (juridiquement le consentement des personnes concernées) et non comme une obligation, condition sine qua non à une liberté de circulation retrouvée, par exemple.</p>
<h2>Les technologies de traçage, réponse efficace à la pandémie ?</h2>
<p>La question de la possibilité d’utiliser un système de suivi ne doit en outre pas occulter celle de son utilité. Or, pour le moment, <a href="https://theconversation.com/evaluer-les-effets-des-differentes-mesures-de-lutte-contre-le-covid-19-mission-impossible-135060">évaluer l’efficacité des différentes mesures semble illusoire</a>.</p>
<p>Les modèles épidémiologiques prennent en compte les déplacements des populations pour mieux comprendre la diffusion des maladies infectieuses, avec pour but de permettre l’anticipation des foyers de contamination. Contacter les personnes ayant été en contact avec une personne atteinte du virus grâce à leur téléphone mobile semble être une <a href="https://science.sciencemag.org/content/early/2020/03/30/science.abb6936">piste sérieuse pour ralentir la propagation de l’épidémie</a> et la plus respectueuse de la vie privée en comparaison à la géolocalisation, mais, d’une part, elle repose sur des hypothèses d’acceptation issues de sondages ne donnant pas l’intégralité des possibles conditions de déploiement en vie réelle et, d’autre part, elle exclut les personnes les plus vulnérables, la population utilisant le moins de smartphones étant les personnes âgées.</p>
<p>L’efficacité de ces dispositifs dépend du nombre de participants et donc de l’adhésion de la population, or les critères d’acceptabilité sont nombreux : le type de données collectées, le statut de celui qui les collecte et qui a développé l’outil, la durée de conservation des données, les organismes qui vont y avoir accès, l’implication des pouvoirs publics dans la promotion de l’outil, la transparence sur l’hébergement des données et sur le code, par exemple grâce à un outil open source, les garanties de sécurité dont le stockage local, la simplicité d’utilisation, le caractère inclusif (en considérant notamment les personnes âgées), l’analyse en continu ou rétrospective uniquement pour les cas confirmés, le fait que les entrées dans l’application dépendent d’un professionnel de santé ou de l’utilisateur lui-même, la réutilisation des données ou leur suppression (si elles sont réutilisées, à quelles fins et par qui).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1251054957262000128"}"></div></p>
<p>Le succès <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/04/06/covid-19-singapour-force-de-se-confiner-a-son-tour_1784351">relatif</a> des solutions numériques en Asie dans la maîtrise de l’épidémie ne doit pas faire oublier que d’autres facteurs ont pu influencer le cours de l’épidémie. Le déploiement du dépistage systématique à grande échelle en dehors des hôpitaux, le fait de protéger les soignants, le port du masque par la très grande majorité de la population, ou le fait qu’un pays comme la <a href="https://data.oecd.org/fr/healtheqt/lits-d-hopitaux.htm">Corée du Sud dispose de 12,3 lits d’hôpital pour 1 000 habitants</a>, contre 6 en France, ont sans doute joué un rôle déterminant dans la gestion de la crise. De plus, l’émergence de nouveaux clusters et le <a href="https://www.sciencemag.org/news/2020/03/coronavirus-cases-have-dropped-sharply-south-korea-whats-secret-its-success">diagnostic de 20 % de cas dont on ne connaît pas l’origine</a> rappelle que l’efficacité des dispositifs de traçage n’est pas totalement prouvée.</p>
<p>En tout état de cause, quelle que soit leur efficacité réelle, de telles applications exercent un fort attrait sur le public. Dans ce contexte, et compte tenu de la nature sensible des données potentiellement collectées, mieux vaut peut-être une initiative publique juridiquement maîtrisée que des initiatives privées parfois hasardeuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136987/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Face au Covid-19, de nombreuses stratégies ont été mises en œuvre dans divers pays étrangers. Dans quelle mesure sont-elles applicables en France, et quelles en sont les implications juridiques ?Marcel Moritz, Maître de conférences HDR et avocat. Directeur du Master droit du numérique. Directeur du DU informatique et libertés, Faculté des sciences juridiques, Politiques et Sociales (FSJPS), Université de LilleAudrey Dequesnes, Doctorante en Droit, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1368012020-04-22T19:56:29Z2020-04-22T19:56:29ZPandémie : les Français de plus en plus réticents face aux mesures limitant les libertés publiques<p>De nombreuses mesures de limitations des libertés publiques ont été prises par les pays confrontés à la pandémie de Covid-19.</p>
<p>Dans les faits, cette crise a autorisé la mise entre parenthèses d’un certain nombre de valeurs essentielles pour les démocraties occidentales : libertés de circulation et d’entreprendre, libertés de réunion et de manifestation ainsi que, de façon indirecte, droit à la vie privée et familiale et droit à l’éducation.</p>
<p>En France, la théorie des circonstances exceptionnelles ou encore <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000006687867">l’article L. 3131-1 du code de la Santé publique</a> ont pu servir d’appui à ces mesures privatives de libertés avant le vote d’un état d’urgence sanitaire par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746313&categorieLien=id">loi du 23 mars 2020</a>.</p>
<p>L’une des traductions les plus spectaculaires de cette limitation des libertés réside probablement dans le confinement à domicile qui, au 7 avril 2020, concernait 4 milliards de personnes. Ce chiffre qui semblait pourtant difficile à imaginer il y a seulement quelques semaines interroge sur les formes de résilience des citoyens.</p>
<p>Dans cette configuration nationale et internationale particulière, il a semblé utile de s’intéresser aux attitudes des Français sur ces mesures privatives de libertés.</p>
<h2>Une enquête en huit vagues</h2>
<p>C’est ce à quoi nous nous sommes employés dans le cadre de l’enquête comparée « Attitudes des citoyens sur le Covid-19 », qui comprend désormais quatre vagues. La première a été réalisée les 16 et 17 mars 2020, la seconde les 24 et 25 mars, la troisième les 1<sup>er</sup> et 2 avril et la dernière en date du 7 et 8 avril.</p>
<p>L’échantillon représentatif de Français (2 016 personnes) a ainsi été interrogé par Ipsos sur un ensemble de mesures qui limitent les libertés traditionnellement considérées comme essentielles, comme celles d’aller et venir ou d’entreprendre en leur demandant notamment s’ils étaient favorables ou non à :</p>
<ul>
<li><p>La fermeture des transports publics ;</p></li>
<li><p>L’instauration d’un couvre-feu et d’un contrôle des déplacements par la police, la gendarmerie et l’armée ;</p></li>
<li><p>Le confinement général de la population avec interdiction de sortie du domicile, sauf pour raisons médicales (vagues 2 à 4) ;</p></li>
<li><p>La fermeture des commerces et entreprises non indispensables ;</p></li>
<li><p>Une quarantaine obligatoire pour les patients infectés hors du domicile ;</p></li>
<li><p>L’utilisation du téléphone portable pour contrôler les déplacements (vagues 2 à 4) ;</p></li>
<li><p>Un test de dépistage systématique du Covid-19 (vagues 3 et 4).</p></li>
</ul>
<h2>Des appréciations qui évoluent dans le temps</h2>
<p>De façon synthétique, la plupart de ces choix de politiques publiques recevaient une assez forte approbation de notre échantillon lors des trois premières vagues.</p>
<p>La situation évolue cependant de façon très nette lors de la vague 4. L’adhésion au couvre-feu est importante avec un avis favorable passant de 60,2 % pour la vague 1 à 79,6 % pour la vague 2 avant de retomber à 70,8 % lors de la dernière vague en date. La fermeture des commerces et entreprises non indispensables qui recueillait un très fort niveau d’approbation (plus de 80 % d’avis favorables pour les trois vagues avec un pic à 87,5 % lors de la seconde) s’écroule à 60,5 % (1).</p>
<p>La fermeture des transports publics qui faisait également l’objet d’une appréciation positive, certes moins marquée que pour les deux items précédents, connaît la même évolution. Alors que le maximum d’avis favorable sur cette question était de 63,3 % lors de la vague 2, on tombe à 53 % en vague 4.</p>
<p>Le cas de la question particulièrement sensible du confinement général suit la même tendance. Si ce point recevait une majorité d’avis favorables (57,6 % dans la vague 2 à partir de laquelle a été posée cette question), cette tendance s’érodait lors de la vague 3 pour tomber à 53,4 %. Lors de la vague 4 ; le taux d’approbation du confinement passe pour la première en dessous de la barre des 50 % (48,7 % exactement).</p>
<p>En contrepartie, les avis défavorables se rapprochent désormais du tiers de l’échantillon (29,3 % lors de la vague 4). La mesure privative de liberté par excellence est donc celle pour laquelle l’approbation, initialement forte, décroît rapidement pour tomber en dessous de la barre symbolique des 50 %.</p>
<h2>Exceptions et incertitudes</h2>
<p>Deux exceptions, pour lesquelles les taux d’approbation progressent, doivent cependant être relevées.</p>
<p>La première concerne la mise en place de test de dépistage systématique, pour lequel on passe de 85,4 % d’adhésion lors de la vague 3 à 86,1 % lors de la vague 4. Il faut ici souligner que cette mesure est plébiscitée alors même qu’elle n’est ni réalisée, ni, semble-t-il, réalisable pour le moment en France.</p>
<p>Cette décision adoptée dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche ou l’Estonie met évidence un taux de tests au moins deux fois supérieur (plus de 10 personnes testées pour 1000 hab. contre moins de 5 en France) à celui engagé par la France.</p>
<p><strong>Figure 1. Évolution des avis favorables entre la vague 1 et 4 (en %)</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329669/original/file-20200422-39205-1n1haj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1. Évolution des avis favorables entre la vague 1 et 4 (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Une autre évolution notable concerne l’utilisation des téléphones portables pour contrôler les déplacements. Si cette mesure est moins contestée avec le temps qui passe, le taux d’approbation reste cependant limité à 40,5 % (contre 34 % en vague 2) des répondants en vague 4 même si de nombreux débats ont lieu sur le sujet dans les médias et sur les réseaux sociaux.</p>
<p>De façon générale, si l’on excepte les deux sujets que l’on vient d’aborder, la vague 4 vient confirmer ce qui s’amorçait avec la vague 3. Pour la plupart des propositions une courbe en V inversé plus ou moins prononcée se précise. À l’acceptation maximale qui s’est manifestée à l’issue des dix premiers jours de confinement (vague 2), se substitue progressivement une lassitude, si ce n’est une impatience, plus ou moins marquée.</p>
<p>Dans certains cas, les contraintes fortes sur la vie quotidienne et économique amènent même des effondrements des taux d’acceptabilité. C’est par exemple le cas pour la fermeture des entreprises non indispensables pour lesquelles le taux d’opinions favorables recule de plus de 20 points.</p>
<p>C’est vrai également dans une moindre mesure s’agissant de la fermeture des transports publics ou encore s’agissant de la quarantaine obligatoire. Mais il est particulièrement révélateur de constater, comme nous l’avons déjà indiqué plus haut, le passage à moins de 50 % de l’approbation du confinement général de la population qui reste la mesure emblématique de lutte contre l’épidémie en France.</p>
<p>Une vraie différence se manifeste ici : alors qu’entre les vagues 2 et 3, les taux étaient toujours supérieurs aux pourcentages initiaux de la première vague, ce n’est plus le cas pour tous les items lors de la vague 4. Après trois semaines de confinement, le lourd bilan de décès annoncé tous les soirs n’a plus le même impact.</p>
<p>L’effet de légitimation des restrictions des libertés publiques associée à la forte prise de conscience de l’importance de la pandémie, qui se manifeste notamment par l’augmentation du nombre de morts, s’est estompé.</p>
<p>La forte incertitude sur le fonctionnement de l’économie de demain combinée à l’émergence de controverses (tels que l’usage et disponibilité des masques, l’emploi de l’hydroxychloroquine) autour de la gestion de la crise créent les conditions d’un flottement dans l’opinion sur la légitimité des décisions publiques.</p>
<p><strong>Figure 2. Évolution de la satisfaction sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus (en %)</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329670/original/file-20200422-39175-1fo48zu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 2. Évolution de la satisfaction sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p><strong>Figure 3. Évolution de la colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus entre la vague 1 et 4 (en %)</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329671/original/file-20200422-39165-1t115is.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 3. Évolution de la colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus entre la vague 1 et 4 (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Insatisfaction croissante</h2>
<p>Cette évolution intervient dans un contexte d’insatisfaction croissante sur la manière dont le gouvernement s’occupe de la pandémie de coronavirus (Figure 2).</p>
<p>Cependant, cette insatisfaction n’apparaît pas seulement comme le résultat d’une lassitude devant l’enlisement perçu de la situation. Elle est aussi le résultat d’une colère croissante (+16 points en 4 semaines) et majoritaire à ce stade (53 %) vis-à-vis de la manière dont l’exécutif gère la crise du coronavirus.</p>
<p>Sans surprise, plus on est en colère, moins on soutient des mesures de privation des libertés comme, par exemple, le traçage des téléphones portables (Figure 4).</p>
<p><strong>Figure 4. Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon le niveau de colère sur la manière dont le gouvernement gère le dossier du coronavirus lors de la vague 4 (en %)</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon le niveau de colère sur la manière dont le Gouvernement gère le dossier du coronavirus lors de la vague 4 (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Cette colère se double d’une défiance accrue dans la parole publique, qui est logiquement associée à l’opposition aux mesures restreignant les libertés publiques.</p>
<p><strong>Figure 5. Évolution de la réponse à la question « à votre avis, quelle est la probabilité que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus » entre la vague 1 et 4 (en %)</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329673/original/file-20200422-39160-h2zxit.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 5. Évolution de la réponse à la question « à votre avis, quelle est la probabilité que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus » entre la vague 1 et 4 (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Par exemple, sur le sujet particulièrement délicat du traçage des téléphones portables, plus les répondants doutent de la transparence du gouvernement, plus ils ont un avis défavorable sur un tel dispositif de surveillance de l’épidémie.</p>
<p><strong>Figure 6. Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon la probabilité que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus lors de la vague 4 (en %)</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329674/original/file-20200422-108502-d5zi46.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Attitudes vis-à-vis du traçage des téléphones portables selon la probabilité que le gouvernement cache des informations aux Français sur l’épidémie de coronavirus lors de la vague 4 (en %).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Enquête Attitudes des citoyens face à la pandémie Covid-19, CEVIPOF, 2020</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Après quatre semaines de confinement, les attitudes des Français oscillent entre résilience, lassitude et colère. L’accumulation soudaine de mesures sanitaires et de restriction de libertés individuelles, comprises et acceptées largement en début de crise, provoque aujourd’hui un choc de moindre acceptabilité sociale.</p>
<p>C’est à coup sûr un point de vigilance dans la gouvernance politique de la crise qu’il nous faut suivre au cours des prochaines semaines.</p>
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<p><em>(1) La question portant sur cet aspect a connu deux formulations, l’une a été utilisée lors de la première vague, l’autre lors des vagues 2 et 3. Lors de la première vague la question était « La fermeture des commerces non indispensables (bar, magasins hors alimentaires et santé, etc.) » lors des deux autres elle a été reformulée comme suit : « La fermeture de toutes les entreprises et institutions non vitales ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136801/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Martial Foucault a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche.
Les membres du projet « Citizens’ Attitudes under COVID19 Pandemic », dirigé par Sylvain Brouard, Michael Becher, Martial Foucault et Pavlos Vasilopoulos sont Vincenzo Galasso (Bocconi University), Christoph Hönnige (University of Hanover), Hanspeter Kriesi (European University Institute), Richard Nadeau (Université de Montréal), Vincent Pons (Harvard Business School) et Dominique Reynié (Sciences Po, CEVIPOF et Fondapol</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Éric Kerrouche est Sénateur des Landes depuis le 24 septembre 2017, Conseiller municipal de Capbreton, Membre de la communauté de communes Maremne Adour Côte-Sud, membre du Parti Socialiste.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvain Brouard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête montre que les attitudes des Français face aux mesures restrictives évoluent dans le temps, entre résilience, lassitude et colère.Martial Foucault, Professeur des universités à Sciences Po et directeur du CEVIPOF (UMR CNRS), Sciences Po Éric Kerrouche, Directeur de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), Sciences Po Sylvain Brouard, Directeur de recherche à Sciences Po, Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1349132020-03-27T14:46:49Z2020-03-27T14:46:49ZLa sauvegarde des libertés en temps de « guerre » contre le coronavirus<p>S’asseoir sur un banc dans un parc, rêver en regardant la mer sur la plage, dîner avec sa famille, ses amis, sortir faire ses emplettes, courir et respirer à pleins poumons… Être libre.</p>
<p>À vivre chaque jour ces libertés, peut-être en avait-on oublié leur caractère précieux. À les considérer comme acquises, peut-être avait-on occulté, aussi, qu’elles ne sont pas absolues. Aujourd’hui confinés, munis de nos attestations de sortie, nous expérimentons, ce que nombre d’entre nous, nés en temps de paix, dans un État de droit, n’avions encore que peu connu : les limites aux libertés.</p>
<p>Les droits de l’homme permettent à l’individu de se définir et d’agir en toute indépendance, d’être autonome au sein du groupe dont il fait partie. Pour autant, l’individu n’est pas placé hors du groupe : c’est seulement dans le cadre de la « communauté » que « le <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">libre et plein développement</a> de sa personnalité est possible ». C’est pourquoi l’individu doit exercer ses libertés dans le respect des droits d’autrui, en particulier des plus vulnérables, et de manière à « satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ». L’État, lui-même, peut – voire, doit, dans certains cas – <a href="https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx">limiter les libertés</a> individuelles, quand les circonstances l’imposent, en particulier pour des raisons sanitaires.</p>
<p>Ceci explique que même si chacun a, en principe, le droit de circuler librement, l’État a la possibilité de restreindre ou prohiber les déplacements pour éviter la propagation d’une épidémie telle que le coronavirus. C’est dans cet esprit que la France a adopté le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041728476&categorieLien=id">décret du 16 mars 2020</a> (puis ceux des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041737584&categorieLien=id">19</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id">23</a> mars) qui interdit à toute personne la sortie du domicile sauf exception.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 16 mars 2020, Christophe Castaner détaille les mesures de confinement contre le coronavirus. (Le Huffington Post/Youtube).</span></figcaption>
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<h2>L’état d’urgence n’est pas un blanc-seing</h2>
<p>Des entorses aux libertés sont ainsi possibles en situation d’urgence, mais elles sont strictement encadrées : une dérogation aux droits de l’homme n’est permise qu’« en cas de <a href="https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx">danger public exceptionnel</a> », lorsque l’existence même de la nation est en cause et « dans la stricte mesure où la situation l’exige ». Il peut s’agir d’un conflit armé, d’une catastrophe, de terrorisme ou d’une pandémie – <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/16/adresse-aux-francais-covid19">« guerre sanitaire »</a> contre un ennemi « invisible » – comme aujourd’hui, mais quoi qu’il en soit, la situation doit être particulièrement grave ; elle doit notamment menacer l’<a href="http://www.eods.eu/library/opendocpdfFR.pdf">intégrité physique</a> de la population.</p>
<p>L’État doit pouvoir justifier non seulement sa décision de proclamer un état d’exception, mais aussi et surtout chaque mesure concrète qui découle de cette situation. Ces mesures doivent remplir deux conditions : elles doivent être nécessaires, mais aussi strictement proportionnées, c’est-à-dire que l’intensité de l’atteinte aux libertés est fonction de la gravité de la menace. Pour être conforme aux <a href="http://www.eods.eu/library/opendocpdfFR.pdf">exigences internationales</a> en la matière, « chaque mesure doit être dirigée contre un danger réel, manifeste, présent ou imminent et ne peut être imposée par simple crainte d’un danger potentiel ». De plus et surtout, avant d’adopter toute mesure, les autorités doivent s’assurer que les autres moyens, moins liberticides, sont manifestement inefficaces. Ainsi, si le port de masques ou des dépistages massifs sont éventuellement susceptibles de prévenir la contagion, les autres mesures telles que les interdictions de sortie ne sont, en soi, pas fondées. La situation est donc problématique lorsque les moyens nécessaires ne sont pas mis à disposition.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sommes-nous-vraiment-en-guerre-contre-un-virus-133981">Sommes-nous vraiment en guerre contre un virus ?</a>
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<p>En général, en cas de danger exceptionnel, déroger à la liberté de mouvement et de réunion est suffisant : les autres libertés n’ont, en principe, pas à être impactées. S’agissant de la lutte contre le coronavirus, toutefois, le droit à une vie familiale normale se voit aussi limité puisque les rapports entre petits-enfants et grands-parents sont à éviter. Quant au droit au travail, il est soit aménagé (avec le télétravail), soit entravé selon les cas.</p>
<p>Certains droits, cependant, ne peuvent souffrir d’aucune limitation, y compris en situation d’urgence : tel est le cas, notamment, du droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants. À ce titre, il est <a href="https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx">strictement interdit</a>, même en cas d’épidémie, de soumettre une personne, sans son libre consentement, à une expérience médicale ou scientifique : ni la recherche – qui est, elle-même, une liberté – ni les préoccupations de santé publique ne justifient qu’un médicament soit testé sur une personne qui n’a pas donné son accord dans le seul but d’en vérifier les propriétés. Un tel procédé est contraire à la dignité humaine.</p>
<p>La liberté de conscience et de pensée est, elle-même, par essence, absolue même si la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut, elle, être restreinte, ce qui explique que les rassemblements liés au culte puissent être temporairement interdits.</p>
<p>L’état d’urgence ne confère ainsi nullement un blanc-seing à l’État. D’ailleurs, lorsqu’il adopte des mesures d’urgence et décide de déroger aux droits de l’homme, celui-ci est tenu de le déclarer formellement : il doit, selon les <a href="https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx">règles internationales</a>, adopter un « acte officiel » proclamant le danger public exceptionnel. Il est aussi tenu d’en informer aussitôt, entre autres, le Secrétaire général de l’ONU, et ainsi les autres États : il doit fournir au Secrétaire des explications circonstanciées sur ce qui l’a conduit à prendre ces mesures et sur les libertés ou droits qui sont suspendus. De la sorte, les organes de protection des droits de l’homme des Nations unies peuvent s’assurer que l’État respecte bien ses obligations en matière de droits de l’homme.</p>
<p>Si tel n’est pas le cas, l’individu dont les libertés ont été violées pourra adresser une <a href="https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/OPCCPR1.aspx">« plainte »</a> à ces organes, en particulier au Comité des droits de l’homme des Nations unies (organe qui s’apparente à une juridiction et qui ne doit pas être confondu avec le Conseil des droits de l’homme des Nations unies). Or si l’État n’a pas formulé de déclaration de dérogation, il lui est impossible d’arguer de la situation d’urgence pour justifier les violations de droits individuels en cas de « plainte ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/letat-durgence-sanitaire-une-innovation-qui-pose-question-134078">L’état d’urgence sanitaire : une innovation qui pose question</a>
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<p>Pour proclamer l’état de danger exceptionnel, l’État doit suivre « les <a href="http://www.eods.eu/library/opendocpdfFR.pdf">procédures prévues</a> par la loi nationale » ; des procédures qui doivent être « établies avant la survenance du danger ». Cette dernière précision est essentielle car il n’est jamais bon de légiférer sur les libertés pour l’avenir lorsque l’on vit une situation de crise.</p>
<p>En France, c’est par le <a href="https://beta.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=kdRvwoE6LswOjQsxQYyZiWtc_Fh71x9KoG_z3damffY=">décret du Premier ministre du 16 mars</a>, cosigné par le ministre de la Santé, que les libertés ont initialement été limitées. Il s’agissait donc d’un acte réglementaire, et non pas législatif, mais le décret s’appuie sur la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000461266">loi de 2007</a> relative aux menaces sanitaires de grande ampleur. Ce texte autorise le ministre de la Santé (et non pas directement le Premier ministre) à prendre « toute mesure » pour protéger la santé de la population. Les mesures en causes doivent être <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=B919652F5A98C220DE8C553919F0E449.tplgfr34s_3?idSectionTA=LEGISCTA000041748550&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20200327">« proportionnées »</a>, mais elles sont néanmoins susceptibles d’affecter une liste de droits et libertés « <a href="http://www.revuedlf.com/droit-administratif/covid-19-et-libertes-du-collectif-vers-lintime/#_ftn1">impressionnante</a> et presque sans limite ». De plus, « le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de covid-19 » comme l’a rappelé, le <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-22-mars-2020-demande-de-confinement-total">Conseil d’État</a>.</p>
<p>Reste qu’en réponse à la crise sanitaire, le choix a été fait de légiférer. Adopter ainsi une nouvelle loi, qui s’ajoute à celle du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence de droit commun, n’est pas en phase avec l’esprit des textes internationaux de droits de l’homme. Certes la finalité poursuivie est légitime puisqu’il s’agit d’associer le Parlement face à l’ampleur de la crise et de chercher à « <a href="http://www.senat.fr/leg/etudes-impact/pjl19-376-ei/pjl19-376-ei.html">concilier les impératifs</a> d’efficacité dans cet objectif de santé publique avec les droits et libertés », mais « toute législation d’exception porte des <a href="https://blogs.mediapart.fr/w-bourdon/blog/210320/etat-d-urgence-sanitaire-vigilance-face-une-logique-d-exception">risques de dérives</a> ».</p>
<p>La nouvelle <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746313&categorieLien=id">loi du 23 mars 2020 relative à l’épidémie de Covid-19</a> instaure un « état d’urgence sanitaire » (Titre I<sup>er</sup>). Elle autorise le Premier ministre à limiter les droits et libertés par de nombreuses mesures, qu’il s’agisse de « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret », d’« interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé » ou encore d’ordonner des mises en quarantaine.</p>
<p>Ces mesures doivent toutefois avoir pour « seule fin de garantir la santé publique ». Surtout, elles doivent être « strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu » ; et « il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ». En d’autres termes, des mesures prolongées alors que le contexte sanitaire ne l’impose plus constitueraient une atteinte grave aux libertés. De plus, la proportionnalité doit s’apprécier en fonction de la durée de la mesure : une dérogation à un droit, par exemple au droit au travail avec la fermeture des bars et restaurants, peut être proportionnelle un temps, mais ne plus l’être sur le long terme selon les circonstances.</p>
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<figcaption><span class="caption">Amendes, sport, marchés… Le 23 mars 2020, Edouard Philippe annonce le durcissement des règles du confinement. (Le Parisien/Youtube).</span></figcaption>
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<p>À ce jour, certains États ont d’ores et déjà indiqué à l’Organisation des Nations unies et au Conseil de l’Europe leur volonté de déroger aux conventions internationales des droits de l’homme. Tel n’est pas le cas de la France cependant. Il est vrai qu’outre les dérogations aux droits de l’homme, des restrictions aux droits et libertés sont aussi possibles. Alors que les dérogations conduisent à se dégager partiellement et provisoirement des engagements internationaux, les restrictions apparaissent davantage comme de simples aménagements : elles permettent à l’État de limiter les droits de l’homme tout en poursuivant l’application « normale » de la convention. Ainsi, la protection de la santé est un <a href="https://www.echr.coe.int/Documents/Library_Collection_P4postP11_STE046F_FRA.pdf">motif de restriction</a> de la liberté de circulation ; il en va de même s’agissant du droit à la vie privée et familiale.</p>
<p>De prime abord, s’inscrire dans le cadre, non pas de la dérogation, mais de simples restrictions aux droits de l’homme semble préférable car cette option est en phase avec l’objectif de normalité. Toutefois, un tel choix se discute, en particulier en cas de crise sanitaire. En effet, en notifiant la dérogation aux instances internationales compétentes, l’État peut ainsi manifester une volonté de transparence ; cela peut l’inciter, aussi, à ne pas inscrire une telle situation dans le long terme. </p>
<p>Au contraire, une distorsion importante entre la situation interne – à savoir celle d’un état d’urgence, qui conduit à assigner à domicile toute une population – et la situation internationale – celle d’une application « normale » des conventions de droits de l’homme – pourrait avoir des effets pervers : la « normalité » de la convention des droits de l’homme ne serait alors plus qu’apparente et dissimulerait, en réalité, des limitations importantes des libertés. Sachant qu’en toute hypothèse, tant les restrictions que les dérogations doivent être proportionnelles à la recherche de protection de la santé.</p>
<p>La Hongrie, d’ailleurs, n’a, pour l’instant, pas déroger aux conventions de droits de l’homme, <a href="https://opiniojuris.org/2020/04/06/covid-19-symposium-to-derogate-or-not-to-derogate/">ce qui suggère</a> que ceux qui abusent des pouvoirs d’urgence évitent cette procédure.</p>
<p>Qu’il s’agisse de restrictions ou de dérogations, on le voit, dans un tel contexte, les limites aux libertés sont largement tributaires du contexte sanitaire. C’est pourquoi il serait tentant pour les autorités de s’abriter derrière l’expertise scientifique. Or si l’expert permet d’identifier un risque pour la santé (et joue donc un rôle essentiel à ce titre), c’est pourtant au politique qu’il appartient d’arbitrer entre ce risque et les libertés. D’autant que ni le Conseil scientifique ni le CARE (Comité analyse recherche et expertise) ne comprennent de juristes, ce qui est regrettable.</p>
<p>En toute hypothèse, il faut <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/aux-quatre-vents-du-monde-mireille-delmas-marty/9782021185898">garder à l’esprit</a> que la sécurité absolue (y compris la sécurité sanitaire) est contraire à la condition humaine. Il n’y a pas de liberté sans sécurité, mais une « sécurité dénuée de liberté ne peut être l’objectif d’une démocratie ».</p>
<p>Or, il n’est pas certain que l’équilibre entre l’une et l’autre soit respecté dans la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/273943-loi-organique-durgence-pour-faire-face-lepidemie-de-covid-19-qpc">loi organique</a> qui sera prochainement promulguée. Selon celle-ci, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) n’a pas à être transmise et examinée par le Conseil constitutionnel d’ici le 30 juin. En situation d’état d’urgence, on ne peut que le regretter sachant que la QPC permet de s’assurer de la conformité d’une loi aux droits et libertés garantis par la Constitution. Même si les cours suprêmes ne peuvent se réunir en formation collégiale, on pourrait peut-être imaginer des alternatives pour pallier cette difficulté.</p>
<h2>Ni trop, ni pas assez : rechercher le juste milieu</h2>
<p>Les dérogations aux libertés prises en cas de situations d’exceptions ne doivent en aucun cas pécher par excès. Toutefois, elles ne doivent pas, non plus, pécher par insuffisance. En effet, l’État a l’obligation internationale de prendre toutes les mesures qui sont nécessaires pour sauvegarder les droits de l’homme. Cela signifie que sa responsabilité internationale peut être engagée (devant la Cour européenne des droits de l’homme notamment) non seulement s’il a, par son comportement, porté atteinte, de manière active, à un droit de l’homme, mais aussi, si, par sa passivité, il n’a pas pris les mesures qui s’imposaient. Sur les autorités nationales pèsent ce qu’on appelle des « obligations positives » de telle sorte que celles-ci peuvent être sanctionnées pour leur inertie ou leurs insuffisances. Ainsi, s’agissant du droit à la vie, l’État doit non seulement s’abstenir de porter atteinte de manière arbitraire à celle-ci, mais il doit aussi prendre toutes les mesures qui s’imposent pour la protéger à l’égard d’un individu déterminé ou de la population dans son ensemble.</p>
<p>Ni trop, ni pas assez : trouver le juste équilibre. Tel est, face à une pandémie, le devoir principal de l’État en matière de droits de l’homme, celui de la mise en balance qui est le propre de la justice.</p>
<p>C’est sur cet équilibre, fragile, entre libertés et préoccupations sanitaires que le Conseil d’État s’est prononcé le <a href="https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-22-mars-2020-demande-de-confinement-total">22 mars dernier</a>. Saisi en urgence (en « référé » dans le langage juridique) par le syndicat Jeunes Médecins, il lui a été demandé de prononcer un confinement total de la population. De l’avis du syndicat, les transports en commun devaient s’arrêter, de même que les activités professionnelles non vitales ; une interdiction absolue de sortie, sauf motif médical, devait être décidée et un ravitaillement de la population instauré. Pour les jeunes médecins, en s’abstenant de prendre de telles mesures, l’État portait atteinte au droit à la vie et à la santé de la population, en particulier du personnel soignant.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1240900948362477568"}"></div></p>
<p>Le syndicat a adressé cette demande au Conseil d’État dans le cadre d’un « référé-liberté ». Cette <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006449327&cidTexte=LEGITEXT000006070933&dateTexte=20010101">procédure</a> permet au juge d’ordonner, dans les 48 heures, « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale ». Certes, la situation peut sembler quelque peu paradoxale : alors que cette procédure a pour but, en principe de parer une atteinte aux libertés, le syndicat de jeunes médecins l’utilise ici pour demander une restriction plus importante de celles-ci, en particulier de la liberté d’aller et venir.</p>
<p>Pour comprendre une telle contradiction, il faut savoir que, pour le Conseil d’État, « le droit à la vie » est aussi une « liberté », notion qu’il entend largement ; il est donc possible de recourir à cette procédure pour protéger la vie, en particulier en cas de carence de l’autorité publique (au nom des « obligations positives » précédemment évoquées). Cette affaire le montre toutefois, le Conseil d’État gagnerait à clarifier la notion de liberté fondamentale : tous les droits de l’homme ne sont pas des libertés ; certains d’entre eux tels que le droit à la vie sont des droits à l’intégrité ; ils conditionnent, il est vrai, l’exercice de la liberté, mais sans en constituer une eux-mêmes. En somme, cette procédure s’apparente davantage à un « référé-droits de l’homme » plutôt qu’à un « référé-liberté » stricto sensu.</p>
<p>Or, dans le contexte actuel de pandémie, deux types de droits de l’homme sont en conflit : d’une part, les droits à la vie et à la santé, et d’autre part, les libertés de circulation et de réunion. Sur un plan international, ces deux types de droits ne sont pas tout à fait sur un pied d’égalité : alors qu’il est possible de déroger à la liberté de circulation en cas d’état d’urgence, le droit à la vie est, quant à lui, intangible : les privations arbitraires de la vie sont interdites en toute circonstance.</p>
<p>Confronté à ce conflit, le Conseil d’État fait preuve d’une grande prudence. Il ne donne pas suite à la demande de confinement total, mais il enjoint le gouvernement de « réexaminer le maintien de la dérogation « pour déplacements brefs, à proximité du domicile » compte tenu des enjeux majeurs de santé publique » et de « préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ». La pratique du jogging, en particulier, paraissait assez floue. C’est pourquoi, dès le lendemain de l’ordonnance du Conseil d’État, le 23 mars, Edouard Philippe a indiqué que l’activité sportive est désormais limitée à une heure par jour <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id">dans un rayon d’un kilomètre</a>.</p>
<p>Le Conseil d’État renvoie ainsi le gouvernement à ses responsabilités. En effet, la mise en balance des différents droits de l’homme est étroitement liée aux circonstances factuelles, en l’occurrence à la gravité du virus dans ses effets ou dans son mode de contagion. C’est pourquoi, en cas d’épidémie, recevoir des informations précises revêt un caractère crucial ; c’est d’ailleurs aussi une liberté. Si les autorités peuvent être tentées de minimiser la gravité de l’épidémie pour éviter des vents de panique ou, au contraire, de dramatiser pour justifier des mesures fortes, elles doivent garder à l’esprit que tout un chacun a le droit d’être informé précisément de manière à pouvoir s’assurer que ses droits sont bien protégés et à apprécier la légitimité des dérogations à ceux-ci. Ainsi, des informations détaillées sur le profil des victimes (en particulier leur âge, leur profil médical), sur les nouveaux foyers d’infection ou sur une mutation éventuelle du virus sont essentielles. Il en va de même s’agissant des traitements potentiels et leurs risques ou des mesures de prévention telle que l’intérêt du port des masques ou de gants même lorsque ces moyens ne peuvent pas être mis à disposition.</p>
<p>Outre le confinement, toute mesure doit être l’objet d’une mise en balance entre liberté et santé. Il en va ainsi notamment du « pistage numérique » envisagé pour lutter contre la propagation du Covid-19 comme cela se fait déjà <a href="https://theconversation.com/backtracking-comment-concilier-surveillance-du-covid-19-et-respect-des-libertes-134843">dans certains pays</a> : ces derniers jours, l’idée a été avancée d’identifier les personnes en contact avec celles infectées par le virus du Covid-19, en les géolocalisant grâce à leur téléphone. L’impact de ce projet sur les libertés et droits, en particulier le droit à la vie privée, sera fonction des options techniques retenues si ce projet est mis en œuvre, en particulier du traitement de données anonymisé ou non et du caractère volontaire ou imposée de la démarche pour la personne concernée.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/backtracking-comment-concilier-surveillance-du-covid-19-et-respect-des-libertes-134843">Backtracking : comment concilier surveillance du Covid-19 et respect des libertés ?</a>
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<h2>Respecter la règle d’or des droits de l’homme, l’égalité</h2>
<p>Par ailleurs, si l’État doit trouver le juste équilibre entre liberté et santé, il doit aussi respecter l’autre règle d’or des droits de l’homme : celle de l’égalité.</p>
<p>Or deux types de personnes sont susceptibles d’être particulièrement impactés face à l’épidémie. D’une part, ceux qui, en temps normal, sont déjà confinés puisqu’ils évoluent dans des lieux d’enfermement : il s’agit en particulier des <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/03/1065002">détenus</a> ; or, le <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-200446%22%5D%7D">30 janvier dernier</a>, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de la surpopulation carcérale et de conditions de détention indignes. D’autre part, ceux qui ne peuvent pas se confiner puisqu’ils sont <a href="https://www.sudouest.fr/2020/03/20/coronavirus-des-sdf-verbalises-pour-non-respect-du-confinement-7348866-10407.php">sans logement</a> : ces personnes doivent être mises à l’abri et, en aucun cas, elles ne peuvent être sanctionnées.</p>
<p>En toute hypothèse, l’état d’urgence implique de faire preuve de la plus grande vigilance car il est propice à la violation des droits de l’homme. Ainsi, les <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actualites/2020/03/covid-19-les-droits-de-lenfant-en-periode-de-confinement">enfants</a> ou femmes confrontés à des situations de violence au sein de leur famille sont d’autant plus exposés compte tenu du confinement.</p>
<p>Surtout, l’état d’urgence ne doit pas faire oublier que les droits de l’homme comportent aussi un volet économique et social : il ne s’agit pas de droits abstraits ou « purs » comme on se les représente parfois. Ils impliquent, entre autres, le droit pour tout un chacun d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail et de jouir d’un niveau de vie suffisant. Si des limites aux droits économiques et sociaux sont admises, l’État a néanmoins en tout circonstance « l’<a href="https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx ?symbolno=INT %2fCESCR %2fGEC %2f4758&Lang=fr">obligation fondamentale</a> minimum d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun des droits ». D’où l’importance des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do ?cidTexte=JORFTEXT000041746313&categorieLien=id">mesures d’urgence économiques</a> au bénéfice de tous ceux qui ont dû cesser leur activité ou l’ont vu ralentir, ou qui, sans emploi, n’ont pu se mettre en quête d’un travail.</p>
<p>C’est ainsi d’un point d’équilibre, constamment réajusté, réévalué, que découle la sauvegarde des droits de l’homme en période de pandémie comme en d’autres temps : entre libertés et santé, l’État doit rechercher le juste milieu. Avec toujours l’égalité en perspective. « J’appelle mesure, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/nicom%3Csup%3E2%3C/sup%3E.htm">disait</a> Aristote, ce qui ne comporte, ni exagération, ni défaut » ; la vertu « tient la juste moyenne entre ces deux extrémités fâcheuses ».</p>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Le Bris a été responsable de l'étude "Droits de l'homme et collectivités territoriales : entre le global et le local" (2014-2018) et a reçu des financements à ce titre de la part de l'Agence Nationale de la Recherche pour mener ce projet.</span></em></p>Aujourd’hui confinés, nous expérimentons, ce que nombre d’entre nous, nés en temps de paix, dans un État de droit, n’avions encore que peu connu : les limites aux libertés.Catherine Le Bris, Chargée de recherche au CNRS, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, Paris 1, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1306242020-01-27T17:10:35Z2020-01-27T17:10:35ZLa liberté scientifique en danger sur les cinq continents<p><em>Un rassemblement de soutien à Fariba Adelkhah et Roland Marchal se tiendra <a href="https://faribaroland.hypotheses.org/5450">ce mardi 11 février à 12h30, place du Trocadéro à Paris</a>. L'occasion de relire cet article qui revient sur leur situation et sur la liberté des chercheurs dans le monde au sens large.</em></p>
<p>Le 24 décembre, Fariba Adelkhah, anthropologue, emprisonnée en Iran depuis le 5 juin, co-signait une <a href="https://iranhumanrights.org/2019/12/imprisoned-french-australian-academics-call-for-christmas-eve-hunger-strike-iran/">lettre</a> avec sa collègue d’infortune, l’universitaire australo-britannique Kylie Moore-Gilbert, dans laquelle l’une et l’autre annonçaient qu’elles se mettaient en grève de la faim pour obtenir la reconnaissance de leur innocence et le respect des libertés académiques dans la République islamique et l’ensemble du Moyen-Orient. Kylie Moore-Gilbert a pour sa part été arrêtée en 2018, et condamnée à dix ans de prison pour « espionnage ». Fariba Adelkhah est détenue, on l’a dit, depuis le 5 juin 2019, avec son collègue et compagnon Roland Marchal. La justice a renoncé au chef d’inculpation d’espionnage à son encontre, mais continue de la poursuivre pour « atteinte à la sécurité nationale » et « propagande contre la République islamique ». Roland Marchal, qui n’est pas formellement inculpé, est soupçonné de « collusion » avec Fariba Adelkhah.</p>
<p>Ces trois universitaires sont des « prisonniers scientifiques », en ce sens qu’ils n’ont jamais eu d’activité politique en Iran, ou à propos de l’Iran, et que seuls leurs travaux servent de prétextes à leur incarcération. Leur cas est loin d’être isolé. On estime à une dizaine ou une quinzaine le nombre d’universitaires occidentaux détenus sur cette base arbitraire en Iran. Nombre approximatif, car tous les noms ne sont pas divulgués, de par la volonté des familles ou à la demande des diplomates qui espèrent mieux négocier à l’abri de la surenchère nationaliste en Iran ou de la pression des médias en Occident.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/312042/original/file-20200127-81411-99ss9t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=416&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Banderole accrochée au-dessus de l’entrée de l’Institut d’études politiques de Paris, 21 octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">CERI/Sciences Po</span></span>
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<h2>Le marchandage iranien</h2>
<p>En effet, il ne s’agit de rien d’autre, selon toute vraisemblance, que d’un marchandage, d’ordre financier, ou visant à obtenir un échange de prisonniers. L’Iran est coutumier du fait. En France, la doctorante <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2010/05/17/clotilde-reisse-une-passion-iranienne_1352821_3210.html">Clotilde Reiss</a> en avait fait les frais en 2009.</p>
<p>Les auteurs de ces prises de gages universitaires sont les Gardiens de la Révolution, une armée créée en 1979 pour doubler l’armée régulière tenue en suspicion, qui s’est illustrée pendant la guerre contre l’Irak, mais aussi en matière de sécurité intérieure, bien qu’elle soit politiquement divisée et qu’elle ne joue pas forcément un rôle majeur dans la répression des mouvements populaires (elle est en partie composée de conscrits qu’il est difficile d’engager contre la foule).</p>
<p>Les Gardiens de la Révolution dépendent directement du Guide de la Révolution, du point de vue constitutionnel ; mais, surtout, ils ont acquis une grande autonomie d’action, tout en étant parties prenantes du système de décision collégial qui caractérise la République islamique, au sein notamment du Conseil du discernement de la raison d’État et du Haut Conseil de sécurité nationale.</p>
<p>Dans le contexte des sanctions internationales contre l’Iran et du retrait unilatéral des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015, ils développent une réponse du faible au fort. Ils sont en quelque sorte les ennemis complémentaires des « faucons » de l’administration Trump avec laquelle ils déploient une chorégraphie bien réglée au bord du gouffre, comme l’ont illustré l’exécution extrajudiciaire par les États-Unis du général Soleimani, le commandant de leur force d’intervention extérieure, et leurs représailles soigneusement calculées à la suite de cet assassinat. Leur mode d’action suscite la désapprobation ou la colère du gouvernement de Hassan Rohani, et notamment du ministère des Affaires étrangères. Leur implication dans la destruction du Boeing ukrainien et leur gestion politique de cette tragédie ont révélé l’ampleur du <a href="https://www.nytimes.com/2020/01/26/world/middleeast/iran-plane-crash-coverup.html?nl=todaysheadlines&emc=edit_th_200126?campaign_id=2&instance_id=15303&segment_id=20664&user_id=82bdb678d5daa8fdfe6f3b01ca31c3f4&regi_id=573331990126">conflit au sein du régime</a>.</p>
<p>Il n’empêche que, sur le plan du droit international, l’Iran n’a qu’une seule voix légitime, celle de son gouvernement, reconnu par les Nations unies, et tenu par les déclarations, traités et conventions dont il est signataire. La République islamique ne peut constamment se défausser sur ses contradictions internes. L’impunité dont elle bénéficie en la matière doit cesser, et les milieux universitaires, au premier chef européens, doivent trouver une réponse adaptée.</p>
<p>Les scientifiques, et singulièrement les chercheurs en sciences sociales, sont en effet les idiots utiles de cette conception prédatrice des relations internationales. Au regard des opinions publiques du Moyen-Orient, que l’épisode colonial a traumatisées, ils sont toujours suspects d’être des espions, comme l’avait déploré Fariba Adelkhah elle-même, dans une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2009/09/10/contre-le-regime-de-la-peur-en-iran">lettre ouverte</a> prémonitoire adressée au président Mahmoud Ahmadinejad pour dénoncer, en 2009, le procès contre Clotilde Reiss. En outre, leur capacité de nuisance dans les médias et sur la scène internationale est moins grande que celle des journalistes, des humanitaires ou des diplomates. Ils fournissent donc un stock d’otages de basse intensité dont le marchandage peut paraître commode. Ils ne sont pas les seuls dans cette situation. Les petits hommes d’affaires et le personnel des ONG sont également bien pratiques, ainsi que le suggère la <a href="https://www.theguardian.com/news/2020/jan/23/zaghari-ratcliffes-ordeal-a-story-of-british-arrogance-secret-arms-deals-and-whitehall-infighting">détention</a>, depuis 2016, de la citoyenne iranienne et britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe, toujours sous cette accusation-valise d’espionnage.</p>
<h2>Répression contre les chercheurs, au Moyen-Orient et ailleurs</h2>
<p>L’Iran n’est pas le seul pays à prendre ses aises avec la liberté scientifique. Comme le rappellent Fariba Adelkhah et Kylie Moore-Gilbert dans leur lettre du 24 décembre, les universitaires payent un lourd tribut à la répression d’État dans l’ensemble du Moyen-Orient. En Égypte, en 2016, la police politique a même sauvagement torturé et assassiné un doctorant de l’Université de Cambridge, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/enquete-qui-tue-giulio-regeni">Giulio Regeni</a>, qui avait le tort de travailler sur les syndicats ouvriers indépendants. En Turquie, le gouvernement mène une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/13/la-turquie-condamne-des-universitaires-a-la-prison_5461461_3210.html">répression de masse contre l’Université</a>. Dans les Émirats arabes unis et autres pétromonarchies, l’ouverture d’annexes des plus grandes universités du monde occidental, dont la Sorbonne, ne peut cacher l’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Emirats-Arabes-Unis-universitaires-pression-2018-11-22-1200984842">étouffement des libertés académiques</a> derrière la vitrine. En Inde, le gouvernement ultranationaliste de Narendra Modi <a href="https://theconversation.com/inde-les-universites-face-au-pouvoir-129940">s’en prend lui aussi</a> à ces dernières.</p>
<p>La pression politique est patente dans les <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/hongrie/hongrie-sous-la-pression-d-orban-l-universite-soros-annonce-quitter-budapest-pour-vienne-6106085">démocraties « illibérales » d’Europe centrale et orientale</a>. Chose nouvelle, la recherche environnementaliste est désormais visée dans les pays démocratiques, aux États-Unis, au Brésil, mais aussi en France, sous prétexte de maintien de l’ordre et de lutte contre le terrorisme, à la faveur de la constitutionnalisation de diverses dispositions légales ou administratives jadis propres à l’état d’exception. Et, depuis le 11 Septembre, les travaux sur l’islam sont sous haute surveillance de par le monde.</p>
<p>Par ailleurs, le poids financier et commercial des pétromonarchies et de la Chine dans les institutions et les maisons d’édition universitaires occidentales placent celles-ci sous leur influence, voire leur censure. Un peu partout, les « procédures-bâillon » (Strategic lawsuit against public participation, SLAPP), à l’initiative des entreprises et à l’encontre des universitaires dont les travaux leur semblent menacer leurs intérêts, se multiplient. La menace de l’instauration d’un « climat de censure » généralisé est bien « globale », comme on dit désormais à tout-va, et comme le suggère la lecture du livre <a href="https://www.fabula.org/actualites/melanie-duclos-anders-fjeld-eds-liberte-de-la-recherche-conflits-pratiques-horizons_93217.php">Liberté de la recherche. Conflits, pratiques, horizons</a>, coordonné par Mélanie Duclos et Anders Fjeld (éditions Kimé, 2019).</p>
<h2>Comment réagir ?</h2>
<p>C’est pour réfléchir à ces risques qui pèsent sur l’exercice de la science, et aux mesures qu’il convient de lui opposer, que Sciences Po, durement frappé par la détention arbitraire de Fariba Adelkhah et Roland Marchal, tous deux membres de son Centre de recherches internationales (CERI), organise un <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/captifs-sans-motif-figures-contemporaines-du-prisonnier-et-de-lotage">grand colloque</a>, ce vendredi 31 janvier. Mais la réponse revient également aux gouvernements démocratiques qui s’avèrent démunis, impuissants ou indifférents, comme l’a révélé leur passivité indécente après l’assassinat de Giulio Regeni, alors même qu’ils entretiennent une coopération universitaire avec des régimes scientifiquement liberticides.</p>
<p>Le maintien ou la suspension de cette dernière, dans de telles circonstances, fait débat au sein même des milieux concernés. Il est en tout cas urgent de trouver des moyens d’action effectifs pour obtenir la libération des prisonniers scientifiques et éviter que ne se banalise, en toute impunité, cette mauvaise farce para-diplomatique dont les chercheurs sont les dindons. Il y va de notre liberté intellectuelle et de notre capacité à comprendre le monde au-delà de nos frontières.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130624/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Bayart ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La détention en Iran des chercheurs français Fariba Adelkhah et Roland Marchal n’est pas un cas isolé. Dans de nombreux pays du monde, la liberté des universitaires est en danger.Jean-François Bayart, Professeur et titulaire de la Chaire Yves Oltramare Religion et politique dans le monde contemporain, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283242019-12-09T11:32:39Z2019-12-09T11:32:39ZL’effet Hawthorne : les mensonges technologiques qui mettent en péril nos « démocraties » !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/305288/original/file-20191205-70116-2ut3jf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C7%2C792%2C591&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Je suis un menteur qui dit la vérité ... Menteur !</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/9315597066/">Jeanne Menjoulet / VisualHunt / CC BY-ND</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le déploiement de technologies dédiées à la surveillance (<a href="https://twitter.com/hashtag/TDS?src=hashtag_click">#TDS</a>) sur Internet comme sur la voie publique s’accélère. Qu’importe les régimes ! Sous couvert de protection des citoyens, il se profile, pas à pas, une société de contrôle des individus pour les individus et par la technologie !</p>
<h2>Problématiques relatives aux libertés publiques</h2>
<p>Dans nos démocraties – comme de par le monde – la menace terroriste – qui signe notre époque – légitimerait tant le développement d’algorithmes en charge de la surveillance des usagers du net que le développement de la vidéo surveillance sur la voie publique. Certains souhaitant, par ailleurs, systématiser le couplage de cette vidéo surveillance <a href="https://www.france24.com/fr/20191014-reconnaissance-faciale-cedric-o-videosurveillance-france-technologie">avec de la reconnaissance faciale</a>.</p>
<p>Nos démocraties font aujourd’hui face à un choix de société. Voulons-nous poursuivre la fuite en avant (et en aveugle) vers une société du contrôle ? Un choix kafkaïen : il s’agirait de faire cohabiter le mot « démocratie » en portant régulièrement atteinte à des libertés publiques fondamentales qui en sont le socle !</p>
<h2>Problématiques relatives à l’efficacité des TDS</h2>
<p>En 2016, Christian Estrosi avait déclaré – à propos des tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher : « Si Paris avait été équipée du même réseau (de caméras) que le nôtre, les frères Kouachi n’auraient pas passé <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2016/07/16/video-estrosi-videosurveillance-attentats-nice-paris_n_11032136.html">trois carrefours sans être neutralisés et interpellés</a> ». Il vous faut savoir que Nice est la ville la plus vidéosurveillée de France. (De 220 caméras en 2007, on était passé selon la ville à plus de <a href="https://www.nice.fr/fr/securite/le-centre-de-supervision-urbain">2 600 caméras au 15 mai 2019</a>). Faut-il rappeler que cet arsenal n’a en rien empêché l’attaque au camion bélier du 14 juillet 2016. Une tuerie – sous état d’urgence – qui a fait 86 morts et 468 blessés.</p>
<p>L’efficacité de la vidéosurveillance sur la voie publique – pour ce qui est du terrorisme – est-elle probante ? Les partisans d’une fuite en avant argumentent – et c’est leur droit – que l’efficacité de la vidéosurveillance doit passer par le couplage de la vidéo surveillance avec la reconnaissance faciale. Une piste qui – outre ce qui va suivre – contreviendrait à un droit essentiel en « démocratie » : la liberté d’aller et venir anonymement !</p>
<p>Un exemple – celui de l’attentat de Nice – ne peut permettre de tirer des conclusions hâtives. Cependant, lorsque les constats d’échec des TDS se multiplient nous sommes en droit de nous interroger !</p>
<p>En matière de reconnaissance faciale, certains faits sont édifiants. La MTA (Metropolitan Transportation Authority), qui avait initié en 2018 un projet de reconnaissance faciale des conducteurs traversant le pont Robert F. Kennedy à New York, a été bien malgré elle placée devant un échec cuisant.</p>
<p>Le Wall Street Journal, qui avait eu accès à un courrier électronique interne du MTA en date du 29 novembre 2018, titrait le 7 avril 2019 : « La première tentative du MTA dans la reconnaissance faciale à grande vitesse est un <a href="https://www.wsj.com/articles/mtas-initial-foray-into-facial-recognition-at-high-speed-is-a-bust-11554642000">fiasco</a> ». Titre péremptoire ? Vous apprendrez que ce mail évoquait un taux de réussite de « 0 % » pour identifier un visage « avec des paramètres acceptables ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1115235295035895808"}"></div></p>
<p>Comme le note la <a href="https://www.laquadrature.net/">Quadrature du Net</a>, en Chine, « la société <a href="https://www.sensetime.com/">SenseTime</a> se vante de pouvoir identifier un individu qui commet une « incivilité » dans la rue, afin d’afficher son visage sur des écrans géants et le soumettre au mépris public ». Le verbe « vanter » au regard de l’expérience désastreuse de la MTA est… pertinent ! La Quadrature du Net rappelle de nombreux événements où l’usage de la reconnaissance faciale <a href="https://www.laquadrature.net/2019/06/21/le-vrai-visage-de-la-reconnaissance-faciale">a montré ses limites</a> et a mené à des identifications erronées.</p>
<p>En matière de TDS, la reconnaissance faciale tente maladroitement de prendre pied en France au travers d’applications comme <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Alicem-la-premiere-solution-d-identite-numerique-regalienne-securisee">Alicem</a>. Il est étonnant que cette application gouvernementale – en l’état – s’autorise à violer allégrement les règles du règlement général sur la protection des données (<a href="https://www.cnil.fr/fr/comprendre-le-rgpd">RGPD</a>). En outre, en matière de TDS – si des boîtes noires ont été déployées par le pouvoir pour surveiller les internautes français, nous ne disposons à ce jour d’aucun bilan démontrant une efficacité tangible ! Mais in fine, que les TDS soient efficaces ou non, quelle importance au regard des impacts comportementaux que leur déploiement engendre, et va continuer à engendrer dans nos « démocraties » ?</p>
<h2>« L’effet Hawthorne » appliqué au TDS</h2>
<p>De 1924 à 1932 les sociologues Elton Mayo, Fritz Roethlisberger et William Dickson s’étaient attachés à étudier les effets d’une amélioration des conditions de travail – entre autres la lumière – sur la productivité dans l’usine Western Electric de Cicero : la <em>Hawthorne Works</em>, « l’effet Hawthorne ».</p>
<p>Il s’est avéré que lorsque les conditions d’éclairage s’amélioraient, la productivité progressait. Les résultats obtenus – après avoir informé les ouvrières qu’elles faisaient l’objet d’une expérimentation – tendent à prouver que « l’explication de résultats, positifs ou négatifs, ne sont pas dus aux facteurs expérimentaux, mais à l’effet psychologique d’avoir conscience d’<a href="http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/12/21/cercle_41450.htm#9loZ8cR8bX3oqseX.99">être le groupe étudié dans une recherche</a> ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305611/original/file-20191206-90557-16t8uyy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=278&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">The Western Electric Company, dans l’Illinois, en 1925.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Hawthorne,_Illinois_Works_of_the_Western_Electric_Company,_1925.jpg">Western Electric Company</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À travers le prisme de l’effet Hawthorne, ne pouvons-nous pas postuler que l’efficacité ou non des TDS est, in fine, « sans la moindre importance » ? Ne devrions-nous pas nous interroger sur leur impact sociologique ? Sur les divers changements comportementaux des citoyens qui se savent l’objet d’une surveillance algorithmique opaque <em>on</em> et <em>off</em> line ?</p>
<p>L’important n’est-il pas que le citoyen se sache épié ? Ne pouvons-nous pas émettre l’hypothèse que – dans le cadre des boîtes noires par exemple – les citoyens informés soient susceptibles de changer leurs usages et adopter des postures <em>hawthornienne</em> qui altèrent profondément un mode de fonctionnement démocratique ?</p>
<blockquote>
</blockquote>
<p>A : Cela ne peut-il pas générer de l’autocensure ?</p>
<p>B : Cela ne peut-il pas augmenter le recours systématique – par ceux qui disposent d’un savoir technologique suffisant – à des outils garantissant un anonymat relatif ?</p>
<p>C : Pour les plus fragiles – et je laisse là le soin aux psychiatres et aux psychologues de nous éclairer – la multiplication d’outils de surveillance des citoyens et de leurs comportements – que ces derniers soient fonctionnels ou pas – s’ils sont portés à connaissance du plus grand nombre est-elle une approche saine et sans conséquence sur les comportements et la santé mentale ? Cette approche – sous des couverts louables – n’est-elle pas susceptible de déclencher des pathologies latentes, voire de les aggraver chez les personnes les plus vulnérables : paranoïa, etc. ?</p>
<p>Merci de votre retour. yannick.chatelain@grenoble-em.com</p>
<p>« <em>À mesure que le monde devient de plus en plus étrange, une sorte de dictature de la normalité se met en place. Surtout sur le Web</em>. ». Tim Burton</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime. </span></em></p>Si vous ne connaissiez pas l’effet Hawthorne, il devient urgent que vous en preniez connaissance…Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1179442019-06-25T19:50:07Z2019-06-25T19:50:07ZDébat : Y a-t-il une laïcité à la sénégalaise ?<p>Rayanna Tall, proviseure de l’établissement catholique d’enseignement secondaire, l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc de Dakar, a informé par courriel, le 1<sup>er</sup> mai dernier, les parents d’élèves qu’à la rentrée prochaine la seule tenue autorisée pour les élèves serait « l’uniforme habituel avec la tête découverte aussi bien pour les filles que pour les garçons ». S’ensuivit une vive polémique sur le port du « voile » dans les écoles catholiques du Sénégal, chacun étant invité à soutenir ou condamner cette décision des sœurs de Saint-Joseph de Cluny qui, au fond, interroge le modèle sénégalais de laïcité.</p>
<h2>Plus laïc que l’État ?</h2>
<p>Il faut d’emblée, quand on parle de laïcité, rappeler qu’elle est plurielle. Il n’y a pas un seul et unique modèle de laïcité. En effet, la laïcité n’est qu’un modèle de sécularisation politique qui se distingue par la séparation des institutions religieuses et politiques d’une société. Il y a donc plusieurs modes de séparation de ces institutions qui dépendent forcément de l’histoire de leur relation. Si on polémique souvent sur la laïcité, c’est notamment parce que le laïcisme – doctrine excluant le religieux de l’espace public – en fait une valeur qui conduit à polariser le débat public.</p>
<p>Or, la laïcité <a href="https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2007_num_39_1_1251">n’est pas une valeur idéologique</a> à laquelle on adhère mais un principe politique que l’on respecte, quel que soit son rapport aux religions. Interdire ! C’est ainsi que les « laïcistes » veulent appliquer la laïcité comme les islamistes veulent appliquer la charia : à travers une atteinte des droits humains les plus élémentaires. Ce qui est comparable dans les deux attitudes prohibitionnistes, c’est l’empêchement à un droit par exemple celui de l’éducation quand il s’agit de lycéennes « voilées » en France ou de lycèennes « non-voilées » en Arabie saoudite, voire de lycéennes tout court en Afghanistan.</p>
<p>C’est parce que la laïcité est sacralisée qu’elle s’élève au rang de valeur servant à interdire ou à autoriser. Cette posture fait écho à l'affirmation de Jean Baechler selon lequel « le principe politique de laïcité […] n'est pas seulement une vérité politique, c'est aussi bien une vérité religieuse » (<em>En quête de l'Absolu. Vérités et erreurs religieuse</em>, Paris, Hermann, 2017, p. 39). Or la laïcité n’est pas sacrée, elle est un choix politique qui se respecte.</p>
<h2>Concilier droit à l’éducation et laïcité</h2>
<p>Ironiquement, les récentes évolutions de la laïcité en France trouvent leur pendant au Sénégal à travers cette école catholique l’Institution Sainte-Jeanne d’Arc de Dakar. Elle souhaiterait, comme les écoles publiques françaises, interdire aux élèves le port de couvre-chef qui parfois permet de signifier ostensiblement une identité religieuse. Pourtant, la République laïque du Sénégal n’interdit pas aux usagers, ni même aux agents d’ailleurs, des services publics de manifester leurs convictions religieuses.</p>
<p>En France, <a href="https://www.la-croix.com/Famille/Education/Loi-Blanquer-deputes-senateurs-trouvent-compromis-2019-06-13-1201028626">des parents d’élèves ont protesté et obtenu gain de cause</a> contre l’<a href="https://www.lexpress.fr/education/le-senat-vote-un-amendement-pour-interdire-les-signes-religieux-lors-des-sorties-scolaires_2078540.html">amendement</a> adopté par le Sénat, le 15 mai dernier, qui prévoyait l’interdiction du port de signes religieux aux parents accompagnateurs et bénévoles lors des sorties scolaires contre la loi en vigueur, comme le rappelait en <a href="https://www.observatoire-collectivites.org/IMG/pdf/Etude_du_Conseil_d_Etat_sur_la_laicite_rendue_le_19_Decembre_2013_sur_commande_du_Defenseur_des_droits.pdf">2013 le Conseil d’État</a>. En revanche, au Sénégal, il est permis aux élèves et même aux enseignants des écoles publiques du pays de porter des signes religieux.</p>
<p>Dès lors, il y a plusieurs manières de comprendre la laïcité à l’école qui va notamment dépendre de l’histoire des relations entre les établissements scolaires (publics ou privés) et l’État garant du droit fondamental et universel à l’éducation. Droit qui, comme on peut le voir, fait bien moins l’<a href="https://www.jeuneafrique.com/771857/societe/senegal-linterdiction-du-voile-par-linstitution-sainte-jeanne-darc-de-dakar-fait-polemique/">objet de polémique passionnée</a> !</p>
<p>Or la mission de l’école est une éducation sans discrimination. Elle a, en effet, le devoir d’accepter les élèves qui ont fait le choix ou non de vêtir leur corps d’une quelconque manière à condition toujours de respecter la dignité humaine.</p>
<p>En réalité, la laïcité oblige les établissements publics comme les établissements privés financés par l’État – et donc par le peuple – à fournir égalitairement une éducation de qualité à tous les élèves, quelle que soit la religion pratiquée ou non. Ce n’est pas uniquement un enjeu de laïcité, mais aussi une question de démocratie.</p>
<h2>De l’usage liberticide de la laïcité</h2>
<p>C’est ainsi que la laïcité à la française, <a href="https://www.jeuneafrique.com/528342/societe/en-afrique-la-laicite-a-la-croisee-des-chemins/">dont s’inspirent beaucoup de pays africains comme le Sénégal</a>, ne pouvait pas cibler légalement le voile. Même si les écoles françaises excluent les élèves portant « un signe religieux ostensible », <a href="https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/CCPR/Pages/CCPRIndex.aspx">Le Comité des droits de l’homme de l’ONU</a> a sévèrement critiqué l’<a href="https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/La-France-epinglee-a-l-ONU-sur-l-interdiction-du-turban-sikh-sur-les-photos-d-identite-2012-01-12-756978">exclusion d’un élève sikh en France</a>, en application de la loi du 15 mars 2004.</p>
<p>L’affaire concernait Bikramijt Singh, un jeune lycéen exclu de son établissement scolaire en 2004 pour avoir refusé de se « désenrubanner ». Et le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a déclaré en préambule, dans son avis que « l’attachement légitime des autorités françaises au principe de laïcité n’autorisait pas tout, et ne justifiait nullement que des élèves soient renvoyés au motif de leur foi » pour avoir porté des signes religieux. Une telle décision, selon cet organisme de l’ONU, « porte atteinte à son droit de manifester sa religion et constitue une violation de l’article 18 » du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a aussi demandé à la France de <a href="https://www.lemonde.fr/religions/article/2018/10/23/une-instance-de-l-onu-demande-a-la-france-de-reviser-sa-loi-contre-le-voile-integral_5373395_1653130.html">réviser sa législation contre le voile intégral</a>.</p>
<p>Plusieurs autorités académiques et études scientifiques – dont les travaux d’<a href="https://journals.openedition.org/revdh/2910">Elsa Bourdier</a>, d’une équipe de chercheures de l’<a href="https://vfouka.people.stanford.edu/sites/g/files/sbiybj4871/f/abdelgadirfoukajan2019.pdf">Université de Standford</a>, qui aborde la question d’un point de vue juridique, ou encore de l’universitaire <a href="https://www.20minutes.fr/societe/1322574-20140313-20140313-la-loi-linterdiction-signes-religieux-a-lecole-na-regle-problemes">Jean Baubérot</a> – ont montré que cette interdiction avait eu des effets réels stigmatisants, négatifs et durables sur l’autonomie, l’émancipation et l’insertion des jeunes filles musulmanes.</p>
<h2>Le modèle sénégalais</h2>
<p>Le Sénégal entretient une <a href="https://www.cairn.info/la-charia-aujourd-hui--9782707169969-page-209.htm">relation ambivalente</a> entre les institutions religieuses et l’État. C’est ce qui permet de faire de la laïcité, un instrument politique de régulation sociale du religieux dont les usages peuvent être contradictoires selon que la perspective soit démocratique ou non.</p>
<p>Il faut bien garder à l’esprit que le Sénégal est un pays musulman dont l’État est laïc et le régime démocratique avec une <a href="https://www.globalpartnership.org/fr/blog/la-societe-civile-senegalaise-obtient-un-meilleur-siege-la-table-de-leducation">société civile particulièrement forte</a>. À ce titre, il se distingue à la fois des pays historiquement chrétiens où le combat laïc s’inscrivait dans un élan démocratique, et des autres pays musulmans, où la laïcité était privilégiée par des régimes autoritaires.</p>
<p>C’est – pourrait-on dire – tout l’inverse de l’histoire de la laïcité en Europe. Incarnée par l’institution ecclésiale, la religion imposait ses vues et ses règles avant de se voir successivement écartée de l’art, de la science, de la politique, du droit et aujourd’hui de la culture. C’est à la lumière de cette histoire européenne qu’on est en droit de parler d’un véritable pouvoir politique du religieux et de son institutionnalisation. Dans les pays d’islam, le religieux ne fut incarné que par diverses institutions religieuses au service du politique, exception faite du clergé chiite et de l’islam confrérique.</p>
<p>Toutefois, au Sénégal, les confréries religieuses se sont construites indépendamment de l’État, tout comme elles ne sont jamais conçues en tant que telles comme institution politique. Dès lors, autorités religieuses et pouvoirs politiques profitent les uns des autres sans jamais chercher à se substituer.</p>
<p>Outre la relation à la France, c’est cet arrière-fond socio-historique de la construction de la nation sénégalaise qui a doté ce pays religieux d’un État laïc, tandis que les États-Unis – qui font montre d’une sécularisation qui ne rejette pas l’influence sociale, culturelle et même politique des religions – se sont construits comme pays séculier mais pas laïc.</p>
<p>Ni française, ni américaine, la laïcité sénégalaise est à mi-chemin entre le modèle des États-Unis et celui de la France. La sécularisation politique du Sénégal intègre le religieux dans l’administration du pays, et les acteurs religieux et anti-religieux cherchent aussi à influencer l’État en leur faveur, mais sans jamais non plus aller jusqu’à porter atteinte à l’esprit du « vivre ensemble ».</p>
<p>Attachée à sa culture du pluralisme, la société sénégalaise est parfois agitée par des velléités intégristes laïques ou religieuses, et des polémiques le plus souvent importées, dans un mimétisme qui – jusqu’à présent – a confirmé la résilience politique du pays vis-à-vis de l’islamisme, mais aussi de l’occidentalisme, du laïcisme, des violences interethniques…</p>
<h2>La famille, un code laïc ou religieux ?</h2>
<p>L’exemple du Code de la famille sénégalais, avec la mise à contribution des guides religieux, n’entrave pas la laïcité de la République sénégalaise où les institutions religieuses et politiques ne se confondent pas. En revanche, il montre aussi très bien qu’il n’y a pas de séparation franche entre le religieux et l’État, car la famille est une question anthropologique qui repose sur des croyances autres que politiques.</p>
<p>Par exemple, l’adoption du mariage entre personnes de même sexe en France ou tout récemment à Taïwan, l’officialisation de la polygamie homosexuelle en <a href="http://www.rfi.fr/ameriques/20170614-colombie-mariage-trois-reconnu-officiellement">Colombie</a>, le mariage des enfants <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2017/11/17/01003-20171117ARTFIG00216-aux-etats-unis-la-plupart-des-etats-autorisent-toujours-le-mariage-des-enfants.php">aux États-Unis</a>, ou la non-pénalisation de l’inceste entre adultes consentants en <a href="https://www.senat.fr/lc/lc102/lc102.pdf">France</a>, reposent sur des conceptions de la vie où les religieux (clercs ou civils ordinaires) sont appelés à aider à la décision mais sans jamais la prendre.</p>
<p>Ce besoin social de sens est notamment pris en charge à travers la création de comités d’éthique et de déontologie, notamment pour des questions de biotechnologie ou d’euthanasie, dans lesquels siègent les représentants de religions. Avec qui et à quelles conditions peut-on donner la vie ? C’est à cette question que l’institution familiale s’est chargée de répondre, de manière quasi-exclusive jusqu’ici.</p>
<h2>Qui fait la loi au Sénégal ?</h2>
<p>Dès lors, il n’y a aucune entrave à la laïcité bien comprise lorsque les acteurs religieux contribuent à définir dans un cadre démocratique les lois du pays. Ce qui, par contre, ne serait pas laïc, c’est de confier institutionnellement à une confrérie donnée la décision politique. Or, c’est le législateur de la République du Sénégal qui a décidé du Code de la famille, tout comme c’est à lui qu’il appartient de le modifier, à souhait. Et libre à chacun, religieux ou non, de le convaincre.</p>
<p>En définitive, la sécularisation n’est pas la perte d’influence du religieux dans une société mais la perte d’évidence du religieux. Autrement dit, il n’y a rien d’évident à ce que le code de la famille sénégalais soit relativement conforme à des valeurs musulmanes, chrétiennes ou tiédos – guerriers des anciens royaumes ouest-africains et adeptes des croyances traditionnelles –, tout en s’accommodant avec la laïcité.</p>
<p>Dans le cas contraire, elle devient à son tour une valeur religieuse que d’aucuns réservent à l’athéisme et autre a-religion. C’est alors qu’intégrismes laïc et religieux ne manquent pas de s’affronter et que des « guerres de religion » se font au nom de divinités quelconques, qu’elles se nomment Lucifer, Bouddha, Yahvé, Jésus, Allah, Grand Architecte ou Laïcité !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/117944/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rachid Id Yassine does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Sénégal est-il vraiment un pays laïc ? Ou pourrait-on en douter tant le religieux influence la société sénégalaise ? Confréries, églises, franc-maçonneries, qui fait la loi au Sénégal ?Rachid Id Yassine, Maître de conférences en sciences sociales, Université Gaston BergerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1085492018-12-14T01:24:22Z2018-12-14T01:24:22ZLiberté d’in-expression : quand les États de l’Union européenne souhaitent sous-traiter la censure aux géants du web !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249729/original/file-20181210-76962-1wole0e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/truthout/35773836094/">Truthout.org/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><h2>Le texte européen le plus liberticide de cette décennie est en approche</h2>
<p>Hors un certain nombre de pays qui se sont opposés à ce texte, le Conseil de l’Union européenne vient d’acter un projet de loi au parfum pour le moins désagréable pour ce qui concerne les libertés publiques. Poussé par la gouvernance actuelle française, ce texte – peu médiatisé – pourrait s’avérer l’un des coups les plus violents jamais portés à la liberté d’expression dans les pays « démocratiques » de l’Union européenne. Le débat autour de ce texte va maintenant se poursuivre au parlement européen.</p>
<p>Il convient de préciser que le 12 décembre 2018 un premier rapport sur la lutte antiterroriste a été adopté à une très large majorité : sur 661 votants, 474 ont voté en faveur de ce dernier tel qu’il a été amendé, 112 voix contre, 75 votants se sont abstenus. Cette adoption était prévisible. Il faut toutefois noter qu’elle s’est déroulée dans un contexte très particulier : <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fusillade_du_11_d%C3%A9cembre_2018_11_Strasbourg">au lendemain du terrible drame de Strasbourg à proximité du marché de Noël</a>. Ce rapport sur <a href="http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&mode=XML&reference=A8-2018-0374&language=FR">« les observations et les recommandations de la commission spéciale sur le terrorisme »</a> est dans la même ligne. Ce rapport désormais adopté est un marchepied qui vient appuyer le texte à venir, texte qui recommandera entre autres mesures la sous-traitance de la censure aux géants de l’Internet.</p>
<h2>De quoi s’agit-il ?</h2>
<p>Usant toujours de la même argumentation – a priori- louable : la lutte contre le terrorisme, ce texte – que vous retrouverez sous l’intitulé : <a href="http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-15336-2018-INIT/fr/pdf">« Règlement du Parlement Européen et du Conseil relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne »</a> obligera tous les acteurs du Web à se soumettre aux outils de surveillance et de censure automatisés fournis par Facebook et Google. Quand la Quadrature du Net qui soulève le problème s’interroge : <a href="https://www.laquadrature.net/2018/12/07/une-loi-europeenne-pour-censurer-les-mouvements-sociaux-sur-Internet/">« Une loi européenne pour censurer les mouvements sociaux sur Internet ? »</a> La réponse apparaît tristement contenue dans la question au regard des éléments exposés ci-après et des mouvements sociaux qui se déroulent en France depuis quelques semaines.</p>
<p>Nonobstant un projet réalisé dans un timing empêchant tout débat public, ces alliances contre-nature associant des géants du Net à des États dans l’exercice de la censure sont préoccupantes.</p>
<h2>Pourquoi est-ce une dérive dangereuse ?</h2>
<p>Si le règlement européen franchit ici un nouveau cap, c’est qu’au-delà d’une exigence de retrait dans l’heure sous peine de sanctions financières des prestataires, ce projet de loi prévoit d’intégrer également des « mesures proactives ».</p>
<p>Il s’agit donc d’avoir recours à de la censure automatique préventive ! Pour faire simple, cette censure serait alors paramétrée par les autorités concernées et les géants du web.</p>
<p>Voici ci-dessous quelques extraits de ce que propose ce projet de règlement en terme de mesures proactives (article 6). Un règlement que je vous encourage à lire attentivement et dans son ensemble (<a href="http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-15336-2018-INIT/fr/pdf">Bruxelles,le 7 décembre 2018 : Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne</a>).</p>
<p><strong>Mesures proactives </strong></p>
<ul>
<li><p>Les fournisseurs de services d’hébergement prennent, selon le risque et le niveau d’exposition aux contenus à caractère terroriste, des mesures proactives pour protéger leurs services contre la diffusion de contenus à caractère terroriste. Ces mesures sont efficaces et proportionnées, compte tenu du risque et du niveau d’exposition aux contenus à caractère terroriste, des droits fondamentaux des utilisateurs et de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et d’information dans une société ouverte et démocratique.</p></li>
<li><p>Lorsqu’elle a été informée conformément à l’article 4, paragraphe 9, l’autorité compétente* visée à l’article 17, paragraphe 1, point (c), demande au fournisseur de services d’hébergement de soumettre, dans les trois mois suivant la réception de la demande, et ensuite au moins une fois par an, un rapport sur les mesures proactives spécifiques qu’il a prises, y compris au moyen d’outils automatisés.</p></li>
</ul>
<p>Lorsque il est évoqué la notion « d’autorité compétentes » qui seront habilitées à superviser ces mesures proactives elles sont « précisées » dans le point (37) :</p>
<blockquote>
<p>« (37) Aux fins du présent règlement, les États membres devraient désigner des autorités compétentes. L’obligation de désigner des autorités compétentes n’impose pas nécessairement la création de nouvelles autorités ; il peut en effet s’agir d’organismes existants chargés des fonctions prévues par le présent règlement. Celui-ci exige la désignation d’autorités compétentes chargées d’émettre les injonctions de suppression et les signalements et de superviser les mesures proactives, ainsi que d’imposer des sanctions. Il appartient aux États membres de décider du nombre d’autorités qu’ils souhaitent désigner pour remplir ces tâches ».</p>
</blockquote>
<h2>De la contestation à la sédition… jusqu’au terrorisme : le poids des mots, le choc de la censure !</h2>
<p>Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, quand le ministre de l’Intérieur dénonce <a href="https://www.lci.fr/politique/christophe-castaner-a-denonce-les-seditieux-parmi-les-gilets-jaunes-a-quoi-renvoie-ce-terme-2105592.html">« les séditieux »</a> parmi les gilets jaunes, on peut s’inquiéter fortement sur l’usage futur et dévoyé qui pourrait être fait par la gouvernance actuelle (et d’autres) d’une telle loi.</p>
<p>Les mots ont un sens, et les mots ne sont pas innocents ! Ils le sont d’autant moins lorsque l’on est aux responsabilités. Je rappelle donc qu’une sédition <a href="https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/sedition/">« est une forme d’émeute face à un pouvoir ou une autorité établie, dont le but ne serait pas uniquement de renverser les détenteurs d’une puissance, mais de rompre définitivement tout lien avec ce système »</a>.</p>
<p>La problématique est que de « sédition » à « criminel » puis à « terroriste » il n’y a qu’un pas qui pourrait être vite franchi pour justifier une censure totalement outrancière en cas de mouvement social contestataire s’exprimant demain sur Internet.</p>
<p>Aussi, et au regard du type de qualificatif qui a été utilisé lors du mouvement de contestation sociale massif qui se déroule actuellement en France, que ce qualificatif soit supposé désigner quelques individus ou un collectif est en définitive peu important… Le mot a été lâché ! Il laisse sous-entendre que sous une telle loi un mouvement de contestation du type des « gilets jaunes » – en France comme ailleurs – pourrait être traité comme un mouvement potentiellement séditieux et de fait être censuré au plus tôt par les autorités et leurs nouveaux alliés de la censure.</p>
<p>Cela entraînerait <em>ipso facto</em> (par exemple) une impossibilité d’usage du Net pour l’organisation de rassemblements. Que ces rassemblements soient pacifiques ou non, ils pourraient être rapidement mis « dans le même panier » ! Le couperet de la censure pourrait alors s’abattre de façon généralisée et préventive pour “tuer dans l’œuf” ce type de mouvement contestataire. Il sera nécessaire et suffisant de s’appuyer sur les comportements de quelques illuminés réellement dangereux… pour brandir le terme sédition et co-actionner la censure algorithmique adaptée ! Pour le bien de la sécurité nationale, évidemment…</p>
<blockquote>
<p>« Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple ». (Bertolt Brecht)</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>À suivre</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108549/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime</span></em></p>« Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » (Bertolt Brecht)Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1078582018-11-29T19:44:18Z2018-11-29T19:44:18ZConversation avec Monique Canto-Sperber : « La liberté en tant que frontière de notre sphère privée est en train de disparaître »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/247832/original/file-20181128-32197-7ve0vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C285%2C1909%2C1242&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Liquid Frontiers (Lille 2009)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/daffyduke/3394833314/in/album-72157615700083074/">Olivier Duquesne/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Invitée à la conférence « Le retour des frontières » dans le cadre des <a href="http://tribunesdelapresse.org/">Tribunes de la Presse 2018 à Bordeaux</a>, la philosophe Monique Canto-Sperber s’interroge sur le concept de frontière, ses différents aspects et son évolution au cours de l’histoire.</em></p>
<p><strong>Par le mot <em>frontières</em>, nous entendons souvent frontières physiques, et notamment entre États. Peuvent-elles cependant revêtir d’autres formes ?</strong></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=718&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=718&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=718&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=902&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=902&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/247962/original/file-20181129-170232-11i8z6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=902&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Monique Canto-Sperber.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Monique_Canto-Sperber#/media/File:Monique_Canto-Sperber_Forum_France_Culture_2015.JPG">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Monique Canto-Sperber : Oui, bien évidemment. Il est, selon moi, beaucoup plus intéressant de s’interroger sur la signification d’une frontière plutôt que sur sa réalité physique. Une frontière signifie une séparation, mais signifie aussi une protection. L’association de ces deux termes n’est donc, bien entendu, pas limitée aux frontières territoriales. Par exemple, les limites de l’usage de la force et de la violence sont aussi des frontières qui protègent, et qui séparent l’admissible de l’inadmissible.</p>
<p><strong>Les frontières ont-elles jamais réellement disparu ?</strong></p>
<p>Monique Canto-Sperber : Non, elles n’ont jamais disparu, mais il y a des époques de l’histoire où elles étaient beaucoup moins présentes que maintenant. Dans l’Antiquité, les frontières ne signifiaient pas grand-chose ; il n’y avait pas d’États, et donc pas de ligne pour les séparer. Les frontières linéaires délimitant un territoire ne sont pas apparues avant la création des États-nations.</p>
<p>Les années 85-95 ont vu deux phénomènes opposés se produire. D’abord, l’abolition progressive des frontières physiques. C’est le cas particulièrement en Europe, où les éléments tangibles de séparation ont disparu. C’était justifié par la volonté des peuples d’abolir ce genre de séparation.</p>
<p>Mais d’un autre côté, nous avons constaté, en particulier en Europe de l’Est, la multiplication des frontières avec l’apparition de nouveaux États. La Tchécoslovaquie s’est scindée en deux États distincts, la Yougoslavie en six. Pendant cette décennie, nous remarquons à la fois une volonté d’abolition de la frontière physique au sein de l’espace européen, mais également une volonté de redessiner les frontières étatiques héritées du communisme.</p>
<p><strong>Au-delà de la séparation, les frontières permettent-elles à un groupe d’affirmer son identité collective ?</strong></p>
<p>Monique Canto-Sperber : Oui, elles permettent à la fois l’ouverture et l’appartenance. Elles maintiennent une différenciation culturelle et une différenciation de langue. Ce n’est toutefois pas uniquement le fait des frontières physiques ; si nous abolissions demain toute frontière entre États européens, je doute que les langues européennes deviennent une.</p>
<p><strong>Le processus d’abolition des frontières économiques et commerciales, fruit de la mondialisation, va-t-il s’accompagner d’une disparition des frontières culturelles, religieuses ou sociales ?</strong></p>
<p>Monique Canto-Sperber : Non, je ne pense pas que ce processus entraînera la disparition des frontières culturelles. Nous avons pu au contraire observer un lien de concomitance entre une sorte d’homogénéisation culturelle, particulièrement technologique, et des affirmations identitaires que l’on croyait révolues. Il n’est donc pas sûr que cette homogénéisation entraîne la disparition des différences. Dans certains cas, elles peuvent au contraire les exacerber, et même les réinventer de toutes pièces ; souvent ces revendications ne s’appliquent à aucune réalité historique, et expriment un besoin désespéré d’identité. Les frontières qui définissent les États-nations ont, selon moi, un rôle salutaire à jouer dès lors que les États sont légitimes : elles permettent d’abord d’assurer la paix civile via une préemption de la violence, et d’organiser des systèmes de solidarité nationale, en particulier à l’égard des plus démunis. </p>
<p>Les États-nations se sont initialement édifiés comme la solution politique des conflits de croyance, et de religion qui ont déchiré l’Europe pendant presque un siècle. Le système qui a été trouvé était de faire coïncider un État et une religion. Ce système a cependant été, pour ainsi dire, sabordé de l’intérieur ; en effet, les dirigeants de ces États ont rapidement été contraints de reconnaître la diversité des croyances religieuses. Cette reconnaissance est significative à plusieurs égards. Elle reconnaît à l’individu une sphère personnelle, et la conception libérale de la liberté a découlé de cette affirmation résolue des limites de la puissance de l’État. L’autre conséquence de ce phénomène est l’effondrement de la conception divine du pouvoir royal. À partir de ce moment, nous sommes entrés dans un processus de démocratisation inévitable.</p>
<p><strong>À l’heure des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, nos frontières personnelles, notre individualité sont-ils menacés ?</strong></p>
<p>Monique Canto-Sperber : La liberté telle que nous l’avons connue, avec la protection absolue d’une sphère privée n’appartenant qu’à l’individu, est une notion en train de disparaître. Elle disparaît dans les faits, et bientôt elle disparaîtra dans les concepts, et peut-être même dans les aspirations des individus. La défense acharnée de la vie privée devient une cause oubliée, à cause de la propension des individus à exhiber tous les détails de leur vie, et de leur consentement aussi à la surveillance. L’usage de la virtualité permis par le monde numérique tend à dissoudre la notion de responsabilité personnelle. Il est possible que les mutations actuelles mènent à la disparition de ces notions.</p>
<p><strong>Si de telles frontières individuelles s’estompent, comment l’humain pourra-t-il préserver sa singularité ?</strong></p>
<p>Monique Canto-Sperber : Rien n’est inéluctable. Cependant, il est possible que dans ce cas, les individus se replient sur les notions de groupes, de tribus, de peuples. Mais il est possible aussi que les êtres humains se réinventent et créent d’autres types de normes. Troisième scénario, des mesures radicales et concrètes pourraient être prises pour renforcer par tous les moyens la liberté des individus, telles que le revenu d’existence, auquel je suis très favorable. Cette solution a le mérite de garantir à chacun des moyens matériels d’existence mais aussi la possibilité de repositionner la liberté et la responsabilité humaine comme priorité.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Antoine Maffray et Guillaume Ptak, étudiants du master journalisme de L’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) sous la supervision de Marie-Christine Lipani, maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’IJBA</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107858/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Christine Lipani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La philosophe s’interroge sur le concept de frontière, ses différents aspects et son évolution au cours de l’histoire.Marie-Christine Lipani, Maitre de conférences en Sciences de l’Information et de la Communication habilitée à diriger des recherches à l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1066352018-11-13T23:07:50Z2018-11-13T23:07:50ZDébat : Non, la liberté d’opinion n’a pas à être « fondée sur des faits »<p>Reporters sans frontières (RSF) vient de divulguer une <a href="https://rsf.org/fr/lespace-global-de-linformation-et-de-la-communication-un-bien-commun-de-lhumanite">« déclaration internationale sur l’information et la démocratie »</a>. L’intention est de poser les « principes fondamentaux de l’espace global de l’information et de la communication », notamment pour lutter contre la « désinformation massive en ligne ». C’est un projet louable, mais qui repose sur une conception inquiétante de la liberté d’opinion.</p>
<p>Cette conception est résumée dans la première phrase suivant le préambule de la déclaration :</p>
<blockquote>
<p>« La liberté d’opinion est garantie par l’échange libre des idées et des informations fondées sur des vérités factuelles. »</p>
</blockquote>
<p>Ce que signifie « garantie » n’est pas très clair, mais il faut sans doute entendre que « la liberté d’opinion n’a de sens que si elle est fondée sur des faits », comme le <a href="http://www.rfi.fr/video/20181102-christophe-deloire-secretaire-general-reporters-frontieres">soutenait récemment Christophe Deloire</a>, le secrétaire général de RSF.</p>
<h2>La liberté de dire des bêtises, le droit d’en lire</h2>
<p>La liberté d’opinion garde pourtant tout son sens lorsqu’elle n’est pas « fondée sur des faits ». On peut très bien avoir une opinion, et la liberté de l’exprimer, sur des choses qui ne sont que très indirectement factuelles : sur ce qui est beau ou ce qui est laid, bien ou mal, sur des valeurs ou sur des systèmes de valeur. Je suis libre d’avoir l’opinion que la peinture de Monet est supérieure à celle de Renoir (ou l’inverse) sans avoir à la fonder sur des « preuves » ou sur des « informations fiables ». Et j’ai bien le droit de le dire.</p>
<p>La liberté d’opinion n’est donc pas toujours fondée sur des faits, et surtout elle n’a pas à l’être. Une opinion qui n’est pas fondée sur des faits doit pouvoir être communiquée. C’est ainsi que l’on parvient à produire des informations fiables. Les rédacteurs de cette déclaration renversent l’ordre des choses en faisant de l’information fiable un point de départ, alors qu’elle est le point d’arrivée des échanges d’opinions. Il faut avoir la liberté de se tromper, et de dire des bêtises, pour arriver ensuite à se rapprocher autant que possible de la vérité.</p>
<p>La liberté d’opinion, c’est et cela doit être la liberté de dire que la foule ayant assisté à l’investiture du 45<sup>e</sup> président des États-Unis <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/01/22/dans-sa-bataille-contre-la-presse-l-administration-trump-sort-des-faits-alternatifs_5067129_3222.html?">est plus importante que celle présente pour l’investiture du 44ᵉ</a>, que <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Moon_landing_conspiracy_theories">personne n’a jamais marché sur la Lune</a> ou que 2+2 font 5, ou bien 4, ou bien 3, peu importe. Une opinion n’a pas besoin d’être vraie a priori, ni correctement établie, ni « rationnelle » ou « fondée sur de l’information fiable ». Elle a seulement besoin d’être émise puis discutée, et le cas échéant rejetée ou amendée.</p>
<p>Pour cette raison, le droit à l’information ne doit pas consister, comme le proposent les auteurs de la déclaration, en la « liberté de rechercher et de recevoir des informations fiables et d’y accéder ». Elle doit consister en la liberté de rechercher n’importe quelle information, fiable ou pas, pour s’y frotter, s’y piquer, et apprendre.</p>
<h2>Crispations paternalistes</h2>
<p>Cette déclaration semble trahir l’affolement des « faiseurs d’opinion », à commencer par les journalistes, face à ce qu’ils perçoivent (de manière discutable) comme une dangereuse invasion de « fake news ». Face au danger, le premier réflexe est de se crisper sur ce que l’on connaît : sur les notions de vérité, de faits et d’informations fiables, et sur l’idée que les journalistes, et les experts de toutes sortes, sont là pour produire ces informations fiables et pour protéger les « gens » des informations douteuses.</p>
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<p>C’est là une forme de <a href="https://www.jstor.org/stable/2026984">paternalisme</a> qui signale un singulier manque de confiance en l’intelligence collective, en la capacité de chacun, avec l’aide de tous, à faire la part du vrai et du faux. Il n’est pas question de nier l’importance des journalistes ou des experts. Mais ils ne sont qu’un élément d’un jeu épistémique collectif, et ils n’en sont ni les gardiens ni les arbitres. Ils n’ont pas de privilège a priori, leur autorité ne s’acquière ni par la naissance ni par le statut, mais par la démonstration concrète de leur habileté à produire des informations fiables.</p>
<p>Certes, il ne s’agit pas d’être naïf, de croire qu’il suffit de laisser les opinions s’entrechoquer pour que la vérité surgisse et s’impose à tous. La capacité collective à produire des croyances vraies, ou aussi proches de la vérité que possible, dépend de la manière dont les échanges sont organisés au sein de « l’espace global de l’information et de la communication ».</p>
<h2>« Faitichisme »</h2>
<p>Mais comment organiser cet espace ? Sûrement pas en en appelant à la vérité ou aux faits. Cela ne sert à rien. La vérité, c’est un peu comme Dieu : tout le monde est persuadé de L’avoir de son côté. Le dangereux hurluberlu qui a investi, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Pizzagate_conspiracy_theory#Comet_Ping_Pong_shooting">fusil à l’épaule</a>, une pizzeria de Washington pour y démanteler, façon <em>western</em>, un supposé réseau pédophile dirigé en sous-main par Hillary Clinton, était persuadé que tout cela était vrai. Lui suggérer de s’en tenir aux faits aurait donc sans doute été de peu d’effet sur sa conduite. Pour parler comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Latour">Bruno Latour</a>, répéter sans cesse qu’il faut respecter les faits, c’est du <a href="https://www.amazon.fr/Petite-r%C3%A9flexion-culte-moderne-faitiches/dp/2908602768">« faitichisme »</a>, et ça ne mène à rien.</p>
<p>Considérer, comme le font les auteurs de la déclaration, que la liberté d’opinion devrait être fondée sur des faits serait pire encore. S’il fallait censurer toutes les opinions malformées avant qu’elles ne soient discutées, c’est la discussion rationnelle elle-même qui serait menacée. Quant à vouloir ne rendre disponibles que les informations fiables, vouloir protéger le lecteur ou l’auditeur des informations douteuses, c’est l’empêcher d’apprendre à reconnaître le vrai du faux.</p>
<p>Renoncer à ce « faitichisme » ne conduit pas (malgré Bruno Latour) à renoncer à la vérité ou à la réduire à une simple histoire de conventions sociales. Il y a des vérités absolues, et il faut leur courir après, même si elles courent plus vite. Y renoncer, <a href="https://plato.stanford.edu/entries/relativism/#RelAss">c’est renoncer à parler</a>. Seulement voilà : une fois que l’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose. Tout le problème est de savoir comment faire pour les trouver, ces vérités.</p>
<h2>Un peu de modestie</h2>
<p>Chacun dans son coin a bien une réponse, mais le problème, c’est que l’on ne sait pas trop comment organiser ça collectivement. Bien sûr, il faut déjà s’occuper des malhonnêtes. Mais faut-il croire que la « désinformation » est surtout affaire de malhonnêteté ? Ce serait sans doute trop simple.</p>
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<p>Les producteurs de <a href="https://www.amazon.fr/Bullshit-Harry-G-Frankfurt/dp/0691122946">foutaises</a> sont souvent très bien intentionnés, et c’est bien là le problème. Que faire alors ? Une possibilité pourrait consister à rendre chacun responsable de la manière dont on forme les opinions que l’on diffuse. Ne pas censurer les opinions malformées, mais sanctionner les <a href="https://theconversation.com/loi-sur-les-fake-news-comment-sen-prendre-a-lorigine-du-mal-90760">« fautes épistémiques »</a>. Mais ça reste bien vague.</p>
<p>Sur ces questions, il n’y a encore aucune expertise bien solide, rien qui permettrait d’envisager, <a href="https://lemonde.fr/international/article/2018/11/05/des-prix-nobel-reclament-un-pacte-international-sur-l-information-et-la-democratie_5378824_3210.html?">comme le proposent les auteurs de la déclaration</a>, la mise en place d’un « groupe international d’experts sur l’information […] à l’image de ce qu’est le GIEC pour les questions climatiques ».</p>
<p>Les journalistes et les experts savent produire des informations fiables dans leurs domaines respectifs, mais cela ne leur donne aucune « méta-expertise » sur l’organisation collective de cette production. Il existe bien une discipline académique qui se propose de développer ce genre de méta-expertise : l’<a href="http://encyclo-philo.fr/epistemologie-sociale-gp/">épistémologie sociale</a>. Mais la route est sans doute encore longue avant qu’elle produise des résultats utiles. On peut tout de même s’étonner de l’absence, parmi les rédacteurs de la déclaration de RSF, des grands noms de cette discipline : un <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Alvin_Goldman">Alvin Goldman</a>, une <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Jennifer_Lackey">Jennifer Lackey</a> ou une <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Miranda_Fricker">Miranda Fricker</a> aurait sans doute eu des choses intéressantes à dire. Reste que les sciences de l’information fiable n’ont, à ce jour, pas donné le même genre de résultats que les sciences du climat, et en ce domaine la modestie est de mise.</p>
<p>En attendant que les épistémologues aient quelques connaissances positives à proposer, il serait donc sans doute sage de s’en tenir à ce qui a fait ses preuves. Il y a des hauts et des bas, mais globalement, le relatif laissez-faire des sociétés libérales en matière de production de connaissances a plutôt bien marché ces derniers siècles. Ce laissez-faire est déjà suffisamment menacé par la <a href="https://www.researchgate.net/publication/284657486_Bureaucratization_of_University_Research">bureaucratisation croissante de la science</a>. Évitons d’en rajouter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Lamy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>25 personnalités, dont quelques prix Nobel, veulent « établir des garanties démocratiques sur l’information et la liberté d’opinion ». Si l’intention est bonne, les propositions sont inquiétantes.Erwan Lamy, Associate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1067612018-11-13T01:03:54Z2018-11-13T01:03:54ZLe 13 novembre et nous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/245081/original/file-20181112-83596-lxibrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1270%2C804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Place de la République à Paris, le 15 novembre 2015.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/a6/Dozens_of_mourning_people_captured_during_civil_service_in_remembrance_of_November_2015_Paris_attacks_victims._Western_Europe%2C_France%2C_Paris%2C_place_de_la_R%C3%A9publique%2C_November_15%2C_2015.jpg/1280px-thumbnail.jpg">Mstyslav Chernov/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le calendrier des commémorations peut recéler des coïncidences éclairantes. Au moment même où nous invoquons le <a href="https://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2018/11/10/musee-d-orsay-philarmonie-arc-de-triomphe-macron-poursuit-les-commemorations-du-11-novembre_5381854_3448834.html?">souvenir des millions de morts de la Première Guerre mondiale</a>, nous commémorerons aussi les <a href="http://www.lefigaro.fr/culture/2018/11/10/03004-20181110ARTFIG00044-trois-ans-apres-les-attentats-du-13-novembre-le-bataclan-cherche-a-tourner-la-page.php">dizaines de victimes des attentats du 13 novembre 2015</a> à Paris.</p>
<h2>Du 11 novembre 1918 au 13 novembre 2015</h2>
<p>Aussi différents soient-ils par leurs contextes et leurs enjeux respectifs, ces deux événements nous créent nécessité d’articuler histoire et mémoire, de combiner analyse rationnelle des faits et examen des représentations collectives. Qu’importent les macabres comparaisons de bilan : ces deux événements font désormais partie de notre conscience commune. Tout comme les attentats du 11 septembre 2001 ont modifié l’<a href="https://thinkglobalschool.org/911-the-day-that-reshaped-the-american-identity/">identité nationale et la vision du monde des Américains</a>, les attaques du 13 novembre 2015 ont modifié la perception que la France a d’elle-même.</p>
<p>Ce qui se joue, dans la commémoration de l’armistice de 1918, c’est la <a href="http://www.lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18/2018/11/09/26002-20181109ARTFIG00123-la-premiere-guerre-mondiale-en-chiffres.php">fin d’une boucherie industrielle</a> où le continent entier s’est résolument dirigé vers le suicide. Ce qui est en jeu dans la commémoration du 13 novembre 2015, c’est l’impact du terrorisme djihadiste militarisé sur nos sociétés ouvertes. Si la France a laissé dans le premier conflit mondial une grande partie de sa jeunesse et de sa confiance en l’avenir, elle a perdu plusieurs de ses certitudes dans la séquence d’attentats de 2015 et 2016 à Paris, <a href="https://www.la-croix.com/France/Securite/Attentat-de-Nice">Nice</a> ou de la porte de <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/attaque-au-siege-de-charlie-hebdo/recit-porte-de-vincennes.html">Vincennes</a>.</p>
<p>Trois ans après le 13 novembre 2015, le choc de la violence s’est un peu éloigné. Mais nos questions fondamentales attendent toujours leurs réponses.</p>
<p>Qu’avons-nous vécu au juste ? Une série d’attentats supplémentaires particulièrement meurtriers ? Ou bien un véritable tournant dans notre récit collectif ? Et que sommes-nous finalement devenus ? <a href="https://www.nonfiction.fr/article-8780-entretien-la-guerre-civile-naura-pas-lieu-avec-david-djaiz.htm">Un peuple en guerre civile larvée ?</a> Ou bien une <a href="https://www.lepoint.fr/societe/en-direct-l-hommage-de-la-france-aux-victimes-des-attentats-du-13-novembre-27-11-2015-1985231_23.php">nation plus consciente, plus résiliente et plus soudée</a> ? Ces interrogations nous obsèdent. Elles nous habitent. Le 13 novembre nous a bouleversé. Reste désormais à savoir ce que nous pouvons faire, dans nos représentations collectives, du 13 novembre.</p>
<h2>Qu’avons-nous donc vécu ?</h2>
<p>Aux abords du Stade de France, les premières attaques suicides à l’explosif menées sur le territoire national. Dans les rues du XI<sup>e</sup> arrondissement de Paris, des mitraillages indiscriminés sur les passants. Et, dans la salle de concert du Bataclan, des assassinats méthodiques à l’arme automatique au fil d’une prise d’otage sanglante. Le bilan criminel nous a choqué. Il continue à nous soulever d’horreur. Ce qui nous est arrivé, c’est une <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-18-septembre-2017">des plus graves séries d’attaques terroristes perpétrées sur le sol européen</a> avec les attentats de Madrid en 2004.</p>
<p>Retracer le déroulement précis des attaques, établir les responsabilités et trouver les commanditaires, toutes ces missions incombent <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/11/10/trois-ans-apres-le-13-novembre-l-enquete-touche-a-sa-fin_5381687_1653578.html?">aux autorités judiciaires et aux services d’enquête</a>. Ces recherches sont indispensables. Mais elles ne suffiront pas pour la mémoire collective. Comme toujours en matière de terrorisme, l’effet social des attentats excède largement l’impact criminel direct.</p>
<p>C’est que l’attentat terroriste est tout à la fois une <strong>action directe</strong> et une <strong>stratégie indirecte</strong>. Un meurtre physique immédiat et un meurtre symbolique différé. Dans les attentats du 13 novembre, les premières victimes sont les 130 morts et les 413 blessés causés par les balles et les ceintures d’explosif. Mais les victimes indirectes sont l’ensemble de la population française et, par-delà, les opinions publiques à travers le monde.</p>
<p>Coordonner des attaques dans un temps réduit et un lieu circonscrit, créer un effet de choc puis de panique : tout cela concourt, dans la tactique terroriste, à créer un sentiment de « vulnérabilité généralisée » selon le concept de Michael Walzer dans <a href="http://lirsa.cnam.fr/medias/fichier/waltzer2__1262768604159.pdf"><em>Guerres justes et injustes</em></a> : n’importe qui peut être frappé n’importe où et n’importe quand. C’est du moins la conviction que les terroristes cherchent à répandre. Ils prennent en otage toute notre vie quotidienne.</p>
<p>En tuant dans les stades, une salle de spectacle, les restaurants et les rues, les terroristes du 13 novembre 2015 ont cherché à établir une panique durable et universelle dans la population française. Nul n’est à l’abri, pas même les musulmans. À faire de nous tous des victimes indirectes des attentats pour un temps indéfini, <a href="https://theconversation.com/la-lutte-contre-le-terrorisme-une-gouvernance-par-lincertitude-84713">celui de l’incertitude</a>. Et à nous faire douter de la solidité de nos institutions.</p>
<p>C’est toute la différence entre un coup d’État et un attentat : avec des moyens limités, les terroristes essaient de prendre le contrôle d’une société, non dans les faits mais dans les représentations. Daech n’a pas la capacité, loin s’en faut, d’établir un califat réel en Europe. Mais il a le pouvoir de nous y faire croire.</p>
<p>Qu’avons-nous donc vécu le 13 novembre 2015 ? Après coup, nous devons le voir clairement : <strong>une tentative d’intimidation collective visant la soumission psychologique.</strong> Mais pas une défaite réelle.</p>
<h2>Que sommes-nous devenus ?</h2>
<p>La terreur crée souvent son antidote. Du moins à court terme. Face aux attentats, les autorités politiques, la société civile et l’opinion publique se sont instantanément mobilisées dans un esprit de résistance. À l’échelon national et à l’échelon international. Trois ans après, on se souvient avec émotion des discours de solidarité et <a href="https://www.letemps.ch/opinions/symboles-13-novembre-renaissent-twitter">des symboles de résilience</a>. Trois ans après, la guerre civile visée par l’organisation État islamique a-t-elle été évitée ? Ou bien son risque est-il toujours présent ?</p>
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<p>L’objectif de l’organisation État islamique, le 13 novembre 2015, a été d’ouvrir une ligne de front au cœur même de la paix civile française et européenne. D’installer l’idée que les champs de bataille syriens et les rues parisiennes appartenaient au même espace-temps. Tout a été fait pour <strong>brouiller la frontière entre la guerre et la paix.</strong> Le but du terrorisme, comme l’avait bien dénoncé Kant, c’est de plonger les esprits dans un état de guerre perpétuelle.</p>
<p>Les criminels ont agi avec les armes automatiques et les explosifs utilisés sur les théâtres syrien, irakien et turc. Ils ont soigneusement mis en scène des attaques coordonnées dans le temps et concentrées dans l’espace. Au Bataclan et dans les revendications sur Internet, ils ont explicitement lié leurs actes avec les opérations de l’armée française au Moyen-Orient dans le cadre de l’opération Chammal. À Paris comme ailleurs, les terroristes ont essayé de faire passer des attentats pour des offensives militaires et de <a href="https://theconversation.com/les-djihadistes-homegrown-soldats-bien-reels-dune-nation-virtuelle-50166">se faire passer pour des soldats</a>. Cette tactique n’est pas l’apanage du terrorisme contemporain. C’est bien souvent le détour pris par un adversaire inférieur militairement et politiquement pour prendre un ascendant symbolique sur une population.</p>
<p>Toutefois, trois ans après les attentats, nous devons raison garder. Les attentats ont voulu installer l’illusion d’un conflit sur le territoire national et la crainte d’une guerre civile. Ce n’est aujourd’hui pas le cas, quelles que soit l’ampleur des risques sécuritaires et des tensions dans notre société. Nous ne sommes pas entrés dans la période de division et de fractionnement que les terroristes ont prophétisés pour la faire advenir. Nous ne sommes pas devenus plusieurs nations au sein d’une même société. Nous ne vivons pas un état de guerre permanent.</p>
<h2>Que pouvons-nous faire ?</h2>
<p>Le choc est passé. Le deuil continue. Aujourd’hui, notre première obligation est de nous souvenir. Les autorités politiques, les associations de victimes et les médias rempliront leur office mémoriel pour mobiliser la société civile. Mais nous devons nous garder de revivre l’angoisse de ces attentats. Le temps de la <em>catharsis</em> est venu. Nous devons aujourd’hui nous souvenir sans revivre. Voilà la contrepartie de ce premier devoir de mémoire.</p>
<p>Malgré leur horreur, les attentats du 13 novembre n’ont pas bouleversé en profondeur notre vie collective. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/12/23/de-l-etat-de-droit-a-l-etat-de-securite_4836816_3232.html?">Giorgio Agamben</a> a beau le redouter et <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2001/12/CHOMSKY/8234">Noam Chomsky l’annoncer</a>, les sociétés contemporaines n’ont pas basculé dans un état d’exception permanent. L’état d’urgence a pris fin et la société civile a veillé à préserver les droits fondamentaux au fil des législations antiterroristes adoptées en nombre dans le sillage des attentats.</p>
<p>En dépit des efforts des terroristes, les meurtres n’ont pas ouvert un front dans notre société. Le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses inspirations est toujours potentiellement présent dans notre pays. En raison de son agitation politique et sociale séculaire, en raison de son passé colonial, en raison de sa posture stratégique active, la France et les Français subissent des attaques terroristes depuis plus de deux siècles.</p>
<p>Des attentats anarchistes des années 1890 avec Ravachol aux attentats d’ultra-gauche des années 1980 avec Action directe et des attentats indépendantistes algériens, corses ou basques aux massacres perpétrés par Al-Qaida, la population française sait que son mode de vie et son mode d’être au monde l’exposent à des attentats terroristes. Il ne s’agit ni du prix à payer pour rayonner dans le monde ni de la « juste rétribution » d’une attitude néocoloniale. Il s’agit d’une confrontation à l’ordre du monde où les tactiques indirectes, les tentatives d’intimidation collectives et les effets de terreur font partie intégrante de la vie quotidienne.</p>
<p>Notre seconde obligation est de prendre conscience : oui, nous sommes exposés. Non, nous ne sommes pas démunis. Face aux attentats, nous ne nous soumettons pas à la domination par la terreur. Nous avons accepté de modifier certains aspects de notre existence quotidienne en supportant contrôles et vérifications, palpations et fouilles. Mais nous ne tolérerons pas de mettre en cause nos idéaux de liberté et d’autonomie.</p>
<p>Le 13 novembre fait partie de nous : il constitue un jalon dans notre prise de conscience collective. Mais le 13 novembre n’est pas nous car nous ne réglons pas notre existence commune sur lui.</p>
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<p><em>L’auteur a récemment publié « Qu’est-ce que le terrorisme » (éditions Vrin, Paris, 2018).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106761/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’avons-nous vécu au juste ? Une série d’attentats supplémentaires particulièrement meurtriers ? Ou bien un véritable tournant dans notre récit collectif ? Et que sommes-nous finalement devenus ?Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/953832018-05-22T20:45:02Z2018-05-22T20:45:02ZDéfinitions de la liberté en islam contemporain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219652/original/file-20180520-42245-193j3nk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C17%2C1902%2C1250&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le saint Coran de Jérusalem.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/le-saint-coran-j%C3%A9rusalem-coran-3006944/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p><em>Constance Arminjon est intervenante au séminaire <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/liberte-de-religion-et-de-conviction-en-mediterranee-les-nouveaux-defis">« Liberté de religion et de conviction en Méditerranée : les nouveaux défis »</a> du Collège des Bernardins.</em></p>
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<p>Le droit musulman classique, qui informe dans des mesures variables les droits étatiques des États musulmans contemporains (droit de la famille, droit constitutionnel, droit pénal), admet la liberté de culte et l’accorde aux communautés reconnues par l’islam (judaïsme, christianisme, zoroastrisme). Mais il sanctionne la liberté de pensée, de conviction ou de croyance si elle prend la forme d’un abandon de l’islam (apostasie) ou d’une doctrine considérée comme une hérésie.</p>
<p>De plus, l’hérésie est généralement confondue dans le droit pénal avec l’apostasie au sens strict. La liberté de conscience ne fait pas partie de la terminologie juridique islamique. Dans le droit musulman, la notion de liberté de pensée recouvre la liberté de conscience.</p>
<h2>Une controverse récente autour des droits de l’Homme</h2>
<p>Dans les réflexions des penseurs sunnites et chiites sur les droits de l’Homme, la liberté sous ses différentes formes occupe une place variable et est définie de manières diverses. Tantôt absente de la réflexion, tantôt réaffirmée conformément aux doctrines du droit musulman classique, la liberté représente, au contraire, chez certains penseurs sunnites et chiites le pivot de doctrines visant à refonder le droit musulman et la théologie.</p>
<p>Avant de constater ces variations, il faut rappeler le décalage chronologique entre l’adhésion des États musulmans à la Déclaration universelle des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies en 1948 et l’émergence de la question des droits de l’Homme dans la pensée islamique tant sunnite que chiite. Si presque tous les États musulmans indépendants en 1948 adoptèrent la Déclaration universelle, ce texte ne fit pas d’emblée l’objet de débats. En islam sunnite comme chiite, les controverses sur les droits de l’Homme débutèrent seulement dans les années 1970 et s’amplifièrent à partir des années 1990.</p>
<p>Dans les années 1970, les textes écrits sur les droits de l’Homme consistaient principalement en apologies polémiques du droit musulman. Les libertés n’y étaient pas examinées, car les questions concernant l’égalité retenaient seules l’attention. À partir des années 1990, la question de l’accord entre droit musulman et droits de l’Homme a motivé de substantielles reformulations des doctrines juridiques. Chez les savants religieux aussi bien que chez les penseurs laïcs, la place de la liberté a considérablement varié.</p>
<h2>La liberté de conviction, une question parfois négligée</h2>
<p>Parfois, la question même de la liberté est négligée. Ainsi, dans une réfutation des fondements philosophiques des Déclarations des droits de l’Homme, l’ayatollah iranien Javâdî Âmolî récuse le principe de l’autonomie mais ne traite pas des libertés. Plus récemment, le Grand Ayatollah chiite iranien Sânecî a consacré quatre ouvrages aux droits de l’Homme dans lesquels il élabore une nouvelle méthodologie en vue de modifier certains préceptes inégalitaires du droit pénal et du droit familial. Mais il n’examine aucune question afférente aux libertés.</p>
<p>La plupart du temps, les penseurs musulmans appréhendent la liberté de conviction dans les termes du droit musulman classique. Dans une tonalité souvent apologétique, ils mettent en avant la tradition historique de reconnaissance limitée des minorités religieuses tout en négligeant la question de la liberté de conviction. Parmi les penseurs sunnites, des auteurs laïcs (au sens statutaire du terme) et des savants religieux ont examiné les libertés dans le cadre de catalogues de droits qui s’apparentent par la forme et le contenu aux Déclarations des droits de l’Homme faites au nom de l’islam, et particulièrement à la Déclaration du Caire proclamée en 1990 par l’Organisation de la conférence islamique. En islam chiite, les clercs qui adoptent une démarche analogue abordent également la liberté dans le cadre de catalogues de droits.</p>
<p>En Tunisie et en Iran, pays qui sont avec l’Égypte les principaux pôles des controverses doctrinales sur les droits de l’Homme, quelques penseurs éminents font de la liberté et de l’égalité deux critères majeurs de leur critique de l’héritage juridique islamique. Outre les piliers de la liberté et de l’égalité, la raison subjective occupe une place décisive et se trouve érigée au même rang que la Loi révélée. Ces penseurs font prévaloir une conception de la foi centrée sur la conscience individuelle libre, sur la conception classique qui informe encore dans une grande mesure les droits étatiques, dans laquelle la dimension collective de l’identité religieuse est prépondérante.</p>
<p>Dans le monde chiite, les critiques les plus vigoureuses de la tradition juridique islamique sont le fait de clercs. Au contraire, dans le monde sunnite, ceux qui contestent les restrictions des libertés et veulent refonder le droit en accordant une place centrale à la liberté de conviction et de conscience, ont été jusqu’à présent des penseurs laïcs.</p>
<h2>La liberté de se soumettre à Dieu seul</h2>
<p>Au lieu d’examiner la notion de liberté religieuse, certains penseurs sunnites formulent des positions dogmatiques sur la foi et la nature de la croyance. Selon leur conception, l’apostasie est la plupart du temps une manière voilée de se rebeller contre les cultes, les traditions, les lois religieuses et les lois civiles, voire contre le fondement de l’État. Sans déterminer toujours la sanction de l’apostasie, ils considèrent celle-ci comme un crime, conformément au droit musulman classique.</p>
<p>Parmi les auteurs chiites qui ont abordé les droits de l’Homme, certains revendiquent une différence entre l’islam et les autres traditions à propos de la liberté. En islam, la liberté consisterait à se soumettre à Dieu seul, tandis que dans les autres traditions, la liberté signifierait la capacité de choisir toute chose. Or l’islam condamne le refus de la religion.</p>
<p>D’autres clercs assimilent la liberté de pensée et la liberté d’expression et considèrent que la liberté de changer de pensée est incluse dans la liberté de pensée. Cette liberté est toutefois circonscrite, car nul n’a le droit d’offenser la croyance des autres ni de ce qu’ils considèrent comme sacré. De plus, ces auteurs justifient les restrictions des libertés religieuses dévolues aux non-musulmans en invoquant les droits de la majorité musulmane dans les États musulmans.</p>
<h2>Un islam du for intérieur</h2>
<p>À rebours de ces vues apologétiques, quelques juristes laïcs sunnites et quelques clercs chiites déplorent les restrictions des libertés de pensée et de conscience prévalant en islam. Avec précision, le juriste tunisien Yadh Ben Achour discerne ainsi les conflits potentiels entre les libertés de conscience, d’expression et de religion : la liberté de conscience peut se trouver en conflit avec la liberté de religion, celle-ci étant entendue comme la liberté d’une communauté religieuse donnée d’appliquer ses règles au mépris de la liberté de conscience.</p>
<p>Ben Achour montre également les ambiguïtés de la notion de « diffamation des religions », qui peut compromettre la liberté de conscience. Conjointement, il promeut l’émergence d’un « islam du for intérieur », car il est convaincu que la liberté de conscience a une place centrale dans la conception moderne des droits de l’Homme.</p>
<p>En islam chiite, deux clercs ont développé des doctrines comparables. Selon Mohsen Kadîvar, il faut respecter le droit de chacun de choisir sa religion et de changer de religion, et passer de « l’islam de contrainte » à un « islam de conviction ». Dans le même sens, Mohammad Mojtahed Shabestarî soutient que la liberté est inhérente à la foi. À partir de cette redéfinition de l’expérience religieuse, ils œuvrent à une refondation du droit et de la théologie islamiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95383/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Constance Arminjon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le droit musulman classique admet la liberté de culte et l’accorde aux communautés reconnues par l’islam, tout en sanctionnant la liberté de pensée ou de croyance si elle s’écarte de l’islam.Constance Arminjon, Maître de conférences sur la chaire d'islam contemporain, École pratique des hautes études (EPHE)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/942522018-04-10T19:39:27Z2018-04-10T19:39:27ZTerrorisme : les trois impensés du débat sur les « fichés S »<p>Les attaques terroristes sont toujours imprévisibles. Les polémiques sur l’antiterrorisme, elles, le sont beaucoup moins. Malheureusement. Elles se répètent souvent à l’identique <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/03/28/attentats-dans-l-aude-portraits-des-victimes_5277638_1653578.html">d’une vague d’attentats à l’autre</a>.</p>
<p>Les meurtres perpétrés, le 23 mars 2018, dans l’Aude ont ravivé plusieurs débats que les attentats de 2015 avaient lancés. Faut-il priver de la nationalité française les auteurs d’actes terroristes au risque de créer des apatrides ? Faut-il <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/26/laurent-wauquiez-reclame-le-retablissement-de-l-etat-d-urgence-a-la-suite-des-attaques-dans-l-aude_5276470_823448.html">adopter de nouvelles lois</a> au risque d’alourdir un corpus juridique déjà fourni ? Ou encore, faut-il <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2018/03/27/l-internement-des-fiches-s-un-debat-recurrent-mais-une-mesure-impossible_5276995_1653578.html">incarcérer les nationaux français</a> et expulser les ressortissants étrangers faisant l’objet d’une fiche S (pour « Sûreté de l’État ») au sein des personnes répertoriées dans le Fichier des personnes recherchées (FPR) ?</p>
<p>L’auteur des meurtres de Carcassonne et de Trèbes ne faisait-il pas l’objet d’une telle fiche ? Tous comme avant lui, en 2015 les auteurs de l’attaque contre <em>Charlie Hebdo</em>, le Bataclan et l’Hyper Cacher ? Cette mesure n’est-elle pas un moyen évident de réduire le risque d’attentat comme le soutiennent les responsables politiques qui reprennent cette idée de 2015, tels Manuel Valls, Laurent Wauquiez, Marine Le Pen ou encore Nicolas Dupont-Aignan ?</p>
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<p>Par-delà les <a href="https://www.lesechos.fr/16/11/2015/lesechos.fr/021483138073_police---comment-fonctionne-le-fichier-s.html">clarifications administratives</a>, les <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/28/fichier-s-faut-il-legiferer_5277604_3232.html">rappels juridiques</a> et les évaluations policières de cette mesure, toutes hautement nécessaires, il est indispensable de mieux cerner les enjeux de l’utilisation des fiches S, en particulier et de la lutte contre le terrorisme en démocratie en général.</p>
<p>En effet, les attentats plongent les démocraties <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-1-page-183.htm">dans un « stress » permanent</a> destiné à paralyser les capacités de réflexion des citoyens. Pour réagir efficacement contre le terrorisme sans renier les principes démocratiques, il faut renoncer à la pensée automatique, prisonnière d’un scientisme naïf, d’un déterminisme béat et d’un anti-libéralisme qui s’ignore. Interner ou expulser les personnes faisant l’objet de telles fiches est non seulement un non-sens policier et un abus de pouvoir administratif mais également une illusion sur la nature du terrorisme et sur les objectifs de la lutte antiterroriste.</p>
<h2>Le culte des fichiers repose sur un scientisme naïf</h2>
<p>La première illusion porte sur le statut des fichiers de police en général et sur ceux de l’antiterrorisme en particulier.</p>
<p>À chaque attentat, le dilemme est résumé sous la forme d’une alternative : soit les services de renseignement font leur travail sérieusement, soit ils ne le font pas. S’ils ne le font pas, leurs fichiers ne servent à rien contre les terroristes. Ce qui est contredit par l’expérience. Soit ces administrations remplissent leur office et donc nul ne fait l’objet d’une fiche S sans le mériter et présenter un danger grave pour l’ordre public.</p>
<p>Ultime conséquence : les mesures d’incarcération et d’expulsion automatiques seraient donc justifiées pour réduire le risque d’attentat. Et ce raisonnement peut s’appliquer à d’autres fichiers et d’autres catégories de fiches dans ces fichiers, par exemple, le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) de l’UCLAT (Unité de Coordination de Lutte anti- terroriste).</p>
<p>Drapé dans un bon sens inexpugnable, ce raisonnement repose sur une illusion scientiste qui érige en science exacte la collecte d’informations éparses, variables, éphémères. Or, à partir de tels éléments, dans des conditions de temps et de moyens matériels nécessairement limités, les services de police ne peuvent parvenir à déterminer avec certitude une loi gouvernant les actes des individus surveillés.</p>
<p>Un fichier administratif, qu’il serve à de l’antiterrorisme ou à la lutte contre le trafic de drogue, n’est qu’un outil de recherche et de vigilance, un registre imparfait, évolutif et nécessairement partiel. Ce n’est pas un jugement élaboré grâce à des preuves parfaitement établies. C’est la différence avec une condamnation judiciaire, et c’est pour cette raison que le Conseil d’État a rappelé, dans son <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Avis/Selection-des-avis-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Mesures-de-prevention-du-risque-de-terrorisme">avis de 2015</a> que seule l’autorité judiciaire peut prononcer des mesures d’incarcération.</p>
<p>En constituant des fichiers, les policiers réduisent quelque peu le champ de la surveillance raisonnable à moyens finis. En aucun cas, ils ne dressent une liste des futurs coupables. Un fichier énumère, à un instant donné, les personnes pour lesquelles mettre en place une surveillance a un sens, au sein d’une enquête ou d’une collecte de renseignement. Un fichier répertorie des traces, des indices, des signes et permet de constituer une mémoire administrative pour les équipes du renseignement. Mais c’est à l’autorité judiciaire qu’il reviendra de décider si ces éléments établissent ou non une culpabilité et permettent de prononcer des sanctions.</p>
<p>Ceux qui préconisent des mesures d’internement et/ou d’expulsion automatique sur la base des fichiers de police prêtent à ceux-ci la vertu quasi magique de <a href="https://theconversation.com/et-sil-etait-possible-de-predire-les-attentats-51428">désigner par avance les prochains coupables</a>. Ils confondent l’enquête avec la conclusion, la recherche avec la démonstration. Un fichier administratif est un registre évolutif d’indices et de signes. Ce n’est pas une table dépositaire de la science du comportement humain.</p>
<h2>L’imprévisibilité, dimension essentielle du terrorisme</h2>
<p>La deuxième illusion porte sur la nature du terrorisme. Comme le terme est utilisé dans tous les contextes où on souhaite discréditer son adversaire, quel qu’il soit, le terrorisme passe aujourd’hui pour indéfinissable, en dépit de la <a href="https://www.un.org/sc/suborg/fr/subsidiary/1566/resolutions">résolution 1566 du Conseil de sécurité</a>.</p>
<p>Loin d’être indéfinissable, le terrorisme a des constantes malgré les évolutions historiques. C’est une tactique aux buts politiques qui compense la faiblesse militaire par l’utilisation de technique de guérilla : attaques-surprises, action clandestine, meurtres de non-combattants, etc. afin de remporter la victoire non par la puissance des armes mais par l’<a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2009-1-page-31.htm">instauration de la terreur dans une société ou un État</a>.</p>
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<span class="caption">« Le Péril Anarchiste », à la Une du Figaro (1894).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_P%C3%A9ril_Anarchiste.png">Bibliothèque nationale/Wikimedia</a></span>
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<p><a href="https://sites.google.com/site/sisnelinea/guerres-justes-et-injustes-argumentation-mor-5075458">L’imprévisibilité est au cœur de la terreur</a>. Au niveau collectif, le terrorisme ne peut en effet instiller la terreur qu’en suscitant la stupeur devant l’inattendu et la panique devant l’imprévu. Que ce soient les révolutionnaires russes des années 1880, les anarchistes des années 1890, les mouvements de lutte anti-coloniale en Indochine dans les années 1940 et 1950, etc., tous ces mouvements en commun de diffuser un sentiment de vulnérabilité généralisée dans une population : n’importe qui, n’importe quand, n’importe où peut être l’objet d’une violence exercée par un quidam.</p>
<p>Cela limite par avance la confiance à placer dans des mesures automatiques à partir de fichiers. Le choix des moyens d’action (explosifs, véhicules, etc.), des victimes (passants, voyageurs, etc.), du lieu et du temps : tout doit paraître arbitraire pour installer ce sentiment de vulnérabilité généralisée. Assurément, les fichiers répertoriant matériaux et individus, lieux et calendriers sont utiles pour réduire le champ de la surveillance <em>a priori</em> et de l’enquête <em>a posteriori</em>.</p>
<p>Mais les terroristes intègrent les méthodes et les moyens de la lutte antiterroriste dans leurs tactiques. Or non seulement une mesure automatique à partir d’un fichier repose sur un déterminisme du comportement humain discutable, mais en outre, elle sera bien vite intégrée dans les stratégies de clandestinité.</p>
<p>Argument supplémentaire : l’organisation État islamique est aujourd’hui en mutation. Au moment de son essor, elle s’est affirmée face à Al-Qaida par <a href="https://www.huffingtonpost.fr/cyrille-bret/de-alqaida-a-Daech-3-evolutions-terrorisme-djihadiste_b_8635798.html">son ambition étatique et territoriale</a>. Après ses défaites militaires, elle se tourne vers un terrorisme d’imitation qui suscite des émules loin des grands centres et des champs de bataille du Moyen-Orient (Libye, Afghanistan, provinces, etc.). Il ne s’agit plus ni d’une pyramide militaire centralisée comme ETA et IRA ni d’un système de franchises comme Al-Qaida.</p>
<p>Contre ce terrorisme viral basé sur les médias sociaux, ne surestimons pas les mesures automatiques basées sur des fichiers administratifs : contre l’imprévisible organisé, n’instaurons pas une mécanique facilement prévisible par les candidats au terrorisme. C’est le sens de bien des propos d’anciens de l’antiterrorisme aujourd’hui.</p>
<h2>Des banques de données à la société des suspects</h2>
<p>La troisième illusion repose sur l’oubli des objectifs de l’antiterrorisme : préserver les sociétés ouvertes et les démocraties. Les terrorismes mettent les démocraties devant l’alternative tragique entre efficacité et fidélité. Face aux attentats, elles seraient soit efficaces en étant contraintes de limiter les libertés individuelles, soit fidèles à leurs principes et donc vulnérables. C’est le véritable objectif destructeur du terrorisme : soit les démocraties sont faibles faute d’antiterrorisme réaliste, soit elles se suicident par un antiterrorisme qui a perdu sa finalité.</p>
<p>Déclencher des campagnes de répression et inciter à adopter des mesures automatiques fait partie de la stratégie terroriste pour discréditer les démocraties. C’était le cas de la « propagande par le fait » des anarchistes du XIX<sup>e</sup> siècle : en assassinant Sadi Carnot en 1894, Caserio souhaitait pousser la Troisième République à se démasquer et à révéler son caractère oppressif pour, ultimement, susciter une révolte contre les autorités.</p>
<p>De même, dans plusieurs islamismes djihadistes, la stratégie indirecte se répète : il s’agit de pousser les autorités à établir une « société des suspects » et ainsi à instiller la défiance entre la population et son État. En somme, tout terroriste rêve de campagnes antiterroristes tyranniques pour forcer les démocraties à se renier.</p>
<p>La constitution de fichiers de renseignement n’est pas en elle-même totalitaire, pour peu qu’elle soit encadrée par la loi et contrôlée par les juridictions. C’est le cas pour le FPR. Mais prendre pour base les banques de données pour adopter des mesures automatiques anticipant la commission de crimes orienteraient vers « société des suspects » dont la Terreur de 1793 (lire, à ce sujet, l’article sur la Terreur de François Furet dans le <a href="https://www.persee.fr/doc/ahrf_0003-4436_1990_num_279_1_1298_t1_0106_0000_2"><em>Dictionnaire critique de la Révolution française</em></a> et les purges staliniennes <a href="http://www.etudes-camusiennes.fr/wordpress/1951/09/19/l%E2%80%99homme-revolte-1951/">(L’homme révolté de Camus)</a> ont donné des exemples historiques effroyables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Interner ou expulser les « fichiers S » est un non-sens policier et un abus de pouvoir administratif, doublé d’une illusion sur la nature du terrorisme et sur les objectifs de la lutte antiterroriste.Cyrille Bret, Maître de conférences, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935072018-03-27T22:22:00Z2018-03-27T22:22:00ZSécurité : qui en veut plus ?<p>La sécurité dans l’espace public est un thème très important du débat depuis une quarantaine d’années. Celle-ci, entend-on, semblerait de moins en moins assurée, il faudrait donc davantage protéger son logement, mais aussi assurer davantage de présence policière dans la rue, et mettre à nouveau en place une police de proximité, désormais baptisée <a href="https://theconversation.com/police-de-proximite-mode-demploi-82923">« police de sécurité du quotidien »</a>.</p>
<p>L’insécurité ressentie est aussi, ces dernières années, liée aux attentats terroristes qui ont frappé plusieurs pays, et tout particulièrement la France, avec notamment <em>Charlie-Hebdo</em> et l’Hyper Cacher en janvier 2015, le Bataclan en novembre de la même année, Nice en juillet 2016, Trèbes et Carcassonne ces derniers jours. Au total, depuis janvier 2015, le terrorisme se solde par près de 250 morts et plusieurs centaines de blessés.</p>
<p><a href="http://www.issp-france.fr">À partir d’une enquête récente</a>, cet article analyse si les principales mesures protectrices proposées sont facilement acceptées par l’opinion publique. Jusqu’où peuvent aller les atteintes aux libertés individuelles pour mieux assurer la sécurité des personnes et des biens ?</p>
<h2>Sérénité dans son environnement quotidien, peur généralisée du terrorisme</h2>
<p>Selon la très sérieuse enquête « Cadre de vie et Sécurité », réalisée chaque année depuis 2007 par l’Insee et l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP), le sentiment d’insécurité est très stable ces dernières années : environ 20 % de la population se sent – souvent ou parfois – en insécurité soit à son domicile, soit dans son quartier ou village. C’est plutôt dans les décennies antérieures – à partir des années 1970 – que le sentiment d’insécurité avait augmenté, en <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1998_num_48_2_395269">lien avec la montée de la délinquance et des incivilités</a>.</p>
<p>Si le sentiment d’insécurité personnelle dans son environnement quotidien est aujourd’hui relativement limité, les craintes liées à la menace terroriste sont, à l’inverse, très répandues. Selon le baromètre IFOP de la menace terroriste (réalisé depuis 2010), environ 95 % de la population jugent la menace élevée depuis janvier 2015, date des attentats contre <em>Charlie Hebdo</em> et l’Hyper Cacher, alors qu’ils n’étaient qu’environ 75 % de 2012 à 2014, et de l’ordre de 60 % auparavant.</p>
<p>Face à ce défi terroriste, environ 80 % se disent prêts à accepter « davantage de contrôles et une certaine limitation de [nos] libertés ». Cette enquête ne détaille pas quelles sont les restrictions qu’il est ou serait légitime de mettre en place.</p>
<h2>Quels types de contrôle pour améliorer la sécurité ?</h2>
<p>Un certain nombre de contrôles possibles de la population, aussi bien pour lutter contre le terrorisme que pour assurer la sécurité publique, sont testés dans l’enquête <em>International Social Survey Programme</em> (ISSP), réalisée en France (comme dans une cinquantaine de pays) en 2016.</p>
<p>On mesure d’abord si la vidéosurveillance dans les lieux publics et le contrôle des courriels et d’Internet sont considérés comme des mesures légitimes que les pouvoirs publics peuvent mettre en œuvre (sans préciser la finalité de ces contrôles). Une échelle composée de 11 positions permet aussi de voir si les Français préfèrent que les autorités publient toutes les informations en leur possession (selon un principe de nécessaire transparence) ou s’ils veulent, au contraire, que l’accès aux informations dont disposent les autorités pour des raisons de sécurité publique soit limité.</p>
<p>Puis, au nom de la « sécurité nationale », la légitimité du recueil d’informations sur toutes les personnes vivant en France ou tous ceux qui vivent à l’étranger, est testée. Ensuite, pour prévenir les attentats, trois questions – déjà posées en 2006 – visent à savoir si, aux yeux des enquêtés, les autorités peuvent retenir sans limite des individus en détention, faire des écoutes téléphoniques, arrêter au hasard les gens dans la rue. Les tableaux ci-dessous présentent les résultats obtenus.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/210769/original/file-20180316-104645-lh9i2h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Forte acceptation d’une limitation des libertés par crainte des attentats</h2>
<p>Ce qui ressort de ces résultats est assez cohérent. Nombre de mesures qui limitent les libertés individuelles sont considérées comme légitimes pour faire face aux différents dangers qui menacent la sécurité publique. Mais avec des niveaux différents d’acceptation.</p>
<p>Ainsi l’utilisation de la vidéosurveillance est très largement admise, alors que le contrôle des courriels et des informations échangées sur Internet n’est jugé légitime qu’à peine par une personne sur deux. Cet écart se comprend aisément : à la différence des espaces publics, la correspondance par messagerie concerne la vie privée des individus, qu’ils ne souhaitent pas normalement étaler sur la place publique.</p>
<p>Le recueil d’informations sur tous les Français, sans qu’ils le sachent, est considéré comme légitime par près de 6 personnes résidant en France sur 10 pour améliorer la sécurité nationale. De manière plus étonnante, le recueil des informations sur les personnes vivant à l’étranger apparaît moins justifié (46 % d’approbation).</p>
<p>Sur l’échelle permettant de voir ce que les Français préfèrent – la transparence des informations pour tous ou leur limitation au nom de la sécurité publique –, le résultat est très clair : peu de gens revendiquent une transparence permettant de connaître tout ce que les fichiers comportent sur soi et sur les autres. Au nom de la sécurité publique, la nécessité du secret des informations est très bien acceptée. Alors qu’elle est souvent dénoncée pour d’autres domaines, qu’il s’agisse de la vie des hommes politiques ou du secret des affaires.</p>
<p>Pour prévenir les attentats, les écoutes téléphoniques sont massivement plébiscitées. La détention indéfinie sans jugement est aussi acceptée par un enquêté sur deux. Seules les arrestations arbitraires dans la rue sont largement contestées, probablement parce qu’elles apparaissent trop irrationnelles et injustes.</p>
<p>Depuis dix ans, l’acceptation des trois mesures anti-attentats est croissante. Par crainte des attentats terroristes, la majorité de l’opinion accepte donc de fortes limitations aux libertés fondamentales, notamment au droit au respect de sa vie privée et à la « liberté d’aller et de venir ». Mais, évidemment, cette tendance n’est pas également partagée par l’ensemble de la population.</p>
<h2>Comment expliquer les attitudes sécuritaires ?</h2>
<p>Pour mieux comprendre cette attitude d’acceptation des restrictions aux libertés fondamentales, deux indices ont d’abord été construits (après étude des interrelations entre tous les indicateurs). Le premier concerne les contrôles par vidéosurveillance et pour Internet, le second les mesures anti-attentats.</p>
<p>On isole ainsi 53 % de personnes globalement assez favorables aux contrôles dans la rue et sur la toile, et 42 % qui soutiennent le plus les mesures anti-attentats. Ces deux indices sont liés : plus on est favorable aux contrôles, plus on est demandeur de mesures de prévention du terrorisme. Mais ils ne sont pas complètement redondants comme le montre le tableau qui analyse la plus ou moins forte propension sécuritaire des différentes catégories de population.</p>
<p>S’il n’y a pas de différence de propension aux contrôles selon le genre, les hommes se révèlent plus demandeurs de mesures antiterroristes que les femmes. Les demandes de politiques sécuritaires sont un peu plus fréquentes chez les personnes âgées que chez les jeunes. Mais, parmi ces derniers, on observe en fait que ce sont les 25-34 ans qui sont les moins « sécuritaires », alors que les 18-24 ans sont très proches de la moyenne de la population.</p>
<p>L’explication en est difficile. On peut penser que les plus jeunes n’ont souvent pas encore fini leurs études et qu’ils restent davantage dépendants de leur entourage familial – ce qui pourrait peut-être expliquer leur niveau un peu plus fort de demandes sécuritaires.</p>
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<p>Sur un autre plan, les personnes faiblement diplômées, qui sont en moyenne plutôt âgées, sont beaucoup plus favorables aux mesures anti-terroristes que les personnes diplômées. En revanche, en ce qui concerne les contrôles, l’écart selon le niveau de diplôme est nettement plus faible.</p>
<p>Pour les deux indices, mais là encore de manière plus clivante pour les mesures de prévention des attentats, les cadres supérieurs apparaissent beaucoup moins sécuritaires que les catégories populaires et les travailleurs indépendants.</p>
<p>Ceci est probablement lié au niveau scolaire des catégories professionnelles : quand on a fait des études longues, on est moins demandeur de mesures sécuritaires ou plutôt plus soucieux du respect des libertés individuelles.</p>
<h2>Des attentes plus fortes en milieu rural</h2>
<p>Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les attentes sécuritaires sont plus fortes pour les personnes vivant en zone rurale que dans les grandes villes, alors que ce sont bien les urbains qui sont objectivement les plus exposés aux risques sécuritaires, aussi bien en ce qui concerne la violence et la délinquance que les actes terroristes.</p>
<p>C’est donc les craintes subjectives liées à un système de valeurs et de représentations, plutôt que la menace objective, qui explique la propension sécuritaire.</p>
<p>Cet effet du lieu de résidence est confirmé quand on observe les résultats selon la région : malgré les attentats de Paris en 2015, c’est en île de France qu’on est le moins demandeur de mesure anti-terroristes ! Peut-être que la proximité avec la violence objective diminue la crainte, parce qu’on s’y est habitué et qu’on maîtrise mieux son inquiétude qu’à distance.</p>
<p>Le croisement de nos indices avec le vote à l’élection présidentielle de 2012 (fin du précédent tableau) confirme une explication en terme de valeurs : les demandes sécuritaires sont très fortes à droite et à l’extrême droite, beaucoup plus faibles chez les candidats de gauche et du centre.</p>
<h2>Deux variables très structurantes : diplôme et orientation politique</h2>
<p>Dernière étape de notre analyse : sachant que plusieurs dimensions qui favorisent les attitudes sécuritaires sont liées entre elles, nous avons réalisé des analyses de régression pour mieux apprécier l’influence respective des différentes dimensions.</p>
<p>Toutes choses égales par ailleurs, seules deux dimensions tendent à expliquer la structuration de l’opinion publique en matière sécuritaire. De toutes les variables sociodémographiques, seul le niveau de diplôme – donc le niveau culturel – influe sur les attitudes sécuritaires. L’apparent effet de l’âge, du groupe socioprofessionnel et du lieu de résidence est dû, en réalité, au diplôme. Les personnes ayant fait des études longues sont plus jeunes, vivent plus souvent dans les villes, appartiennent en général à la catégorie des cadres. Le niveau de diplôme est en fait la variable la plus déterminante.</p>
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<p>Mais l’orientation politique, mesurée ici par un vote antérieur important, est presque aussi influente. Ainsi si une personne faiblement diplômée a environ trois fois plus de chances d’adopter des positions sécuritaires que quelqu’un de très cultivé, le rapport est aussi de un à trois entre la gauche et la droite. Ce qui peut aussi se lire sur le tableau de la demande sécuritaire selon ces deux dimensions (tableau ci-dessus).</p>
<h2>L’éducation, un élément fondamental</h2>
<p>L’éducation est donc bien un élément fondamental des sociétés contemporaines : elle aide à maîtriser les peurs sociales, elle permet d’éviter de tomber trop facilement dans les explications simplistes, elle favorise l’ouverture sur le monde et le respect des libertés publiques.</p>
<p>Le processus civilisationnel et de pacification de la violence dont parle Norbert Elias doit beaucoup au développement progressif de la formation pour une grande partie de la population. Mais l’éducation n’a pas d’effet mécanique sur les représentations et les valeurs. Celles-ci ont leur autonomie. Et le fait d’avoir adopté et structuré des valeurs de droite ou de gauche est un élément important qui se combine avec l’éducation.</p>
<p>Si le clivage gauche-droite perd une partie de son sens pour analyser les politiques mises en œuvre par les gouvernants, il reste ainsi un marqueur très important pour différencier les opinions publiques.</p>
<hr>
<p><em>L’enquête ISSP est pilotée en France par le CNRS depuis le laboratoire de sciences sociales PACTE, avec le soutien de la TGIR PROGEDO et de l’ADISP/CMH. Elle porte chaque année sur un sujet différent mais répliqué environ tous les dix ans. Échantillon aléatoire auto-administré postal. 1 501 réponses en 2016. Résultats détaillés des enquêtes annuelles sur <a href="http://www.issp-france.fr">issp-france.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93507/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quelles mesures sont légitimes pour assurer la sécurité publique et lutter contre la menace terroriste ? Analyse d’une étude sur les attentes des Français en la matière.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.