tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/maghreb-33564/articlesMaghreb – The Conversation2024-01-11T16:41:37Ztag:theconversation.com,2011:article/2200682024-01-11T16:41:37Z2024-01-11T16:41:37ZJapon, Inde, Haïti et ailleurs : ce que les toilettes publiques disent des sociétés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568829/original/file-20240111-17-fnevuh.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C7%2C2556%2C1216&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Scène issue de _Perfect Days_ de Wim Wenders, dont le personnage principal est un nettoyeur de toilettes publiques à Tokyo.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=kLYFBhcwYj4">Wim Wenders, « Perfect Days », Master Mind</a></span></figcaption></figure><p>Le 6 décembre dernier, sortait en salle le film de Wim Wenders <a href="https://www.perfectdays-movie.jp/en/"><em>Perfect Days</em></a>, qui met en scène le quotidien d’un employé municipal de Tokyo, Hirayama, chargé de nettoyer les toilettes publiques. Ce film met en évidence, s’il en était encore besoin, les différences sociales et culturelles dans les façons d’appréhender ce petit coin, sa visibilité dans l’espace public, mais également les questions d’<a href="https://theconversation.com/que-risque-t-on-en-sasseyant-sur-des-toilettes-publiques-105465">hygiène</a> et d’assainissement.</p>
<p>Il rend partiellement compte d’une expérience développée par le <a href="https://tokyotoilet.jp/en/">Tokyo Toilet Project</a> lancé par l’ONG <a href="https://www.nippon-foundation.or.jp/en/what/projects/thetokyotoilet">The Nippon Foundation</a>, qui vise à réhabiliter 17 toilettes publiques de l’agglomération de Shibuya en œuvres d’art, toutes gratuites et utilisables par tous et toutes indépendamment du sexe, de l’âge ou du handicap.</p>
<p>L’une d’entre elles, réalisée par <a href="https://tokyotoilet.jp/en/yoyogifukamachi_mini_park/">Shigeru Ban</a>, est d’ailleurs équipée de cabines colorées et transparentes qui deviennent opaques quand on ferme la porte. Un dispositif qui permet, selon l’architecte, de répondre à deux préoccupations que peuvent avoir les utilisateurs concernant les toilettes : vérifier leur état de propreté et s’assurer que personne ne se trouve déjà à l’intérieur.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1GcyTKfj_wQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Toilettes transparentes, Shibuya.</span></figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/26/les-toilettes-publiques-au-japon-des-sanctuaires-de-paix-et-d-hygiene_6207661_3210.html">En esthétisant les toilettes</a> et en en faisant un élément ostensible du décor urbain, c’est-à-dire un outil de requalification de certains îlots de l’arrondissement de la capitale, ce projet donne à voir la place singulière que ces dernières occupent dans la culture nippone.</p>
<p>Néanmoins, s’il a vu le jour, c’est parce ce qu’un certain nombre de stéréotypes (les toilettes publiques étaient considérées comme sombres, malodorantes et effrayantes) en limitaient l’utilisation. Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes hésitent à employer les commodités au Japon. Même au sein du pays leader des toilettes de haute technologie – où l’entreprise <a href="https://www.jstage.jst.go.jp/article/jmhr/1/1/1_118/_pdf/-char/ja">Toto</a> participe au rayonnement de cette expertise synonyme de soft power –, ces stratégies d’évitement expriment à des degrés divers des processus de différenciation et d’exclusion.</p>
<h2>Une préoccupation sociétale</h2>
<p>Cet exemple permet de soulever des questions essentielles qui dépassent la singularité japonaise. Quelles stratégies adopter en matière d’implantation des toilettes publiques ? Quels choix de localisation ? Quelles dialectiques du visible et de l’invisible – de ceux qui les utilisent, ceux qui les entretiennent et des flux qui y sont rassemblés puis dispersés – se jouent dans et à travers ces lieux ?</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cette perspective incite à dire que toute action envers les toilettes ne peut se contenter de se baser sur une seule unité géographique (comme un îlot ou un village), mais doit prendre en compte tous les effets que les toilettes, de leur localisation à leur entretien, ont sur la société. D’autant plus lorsque des toilettes, sublimées par l’art, en viennent à renforcer la centralité de Tokyo.</p>
<p>Partout dans le monde, les toilettes publiques témoignent de la complexité des espaces publics partagés. En Europe, les toilettes publiques sont souvent synonymes de saleté et de désagréments, et évoquent des <a href="https://journals.openedition.org/brussels/7154">espaces utilisés à des fins pour lesquelles ils n’ont pas été conçus</a> : consommation de drogues, supports de graffitis et de tags, rencontres sexuelles ou <a href="https://actu.fr/bretagne/vannes_56260/a-63-ans-vit-dans-toilettes-publiques-depuis-deux-ans_31502471.html">abris</a> (pour les personnes qui en sont privées), par exemple.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567460/original/file-20231229-27-h271tj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Size matters », centre commercial Palladium, Prague.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/marcussen/2744676587/">Erik Marcussen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce sont des espaces polyvalents qui matérialisent notamment des inégalités de genre. <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.18574/nyu/9780814759646.003.0006/html">Les femmes ont davantage besoin de se rendre aux toilettes que les hommes</a> (spécialement en période de grossesse et de menstruations) et elles y passent plus de temps, mais les toilettes fermées sont moins nombreuses que les urinoirs.</p>
<p>Par ailleurs, la présence de certaines catégories de populations (migrants, toxicomanes sans domicile fixe) peut susciter des <a href="https://www.heidi.news/explorations/la-revolution-des-toilettes/dans-les-toilettes-de-la-riponne-flambant-neuves-et-autonettoyantes">réactions des pouvoirs publics</a> donnant à voir des mécanismes de domination. Plus généralement, dans nos sociétés qualifiées de développées, savoir qui nettoie les toilettes au sein de la sphère domestique, sur le lieu de travail et dans l’espace public en dit souvent beaucoup <a href="https://lafabrique.fr/un-feminisme-decolonial/">sur les rapports de domination et la reproduction des rôles genrés</a>.</p>
<h2>Un tabou mondial ?</h2>
<p>La question des excréments est souvent <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-01-20-Le-tabou-des-excrements">taboue</a>. Pourtant, la préoccupation est telle que l’ONU célèbre depuis 2013 une <a href="https://www.un.org/fr/observances/toilet-day">« Journée mondiale des toilettes »</a>, rappelant qu’un tiers de la population mondiale ne bénéficie pas de lieu approprié pour ses besoins, ce qui engendre de nombreux problèmes : violences, exclusion d’activités sociales (notamment pour les femmes et les enfants), conséquences sanitaires (y compris la diffusion d’épidémies telle que le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/biologie-et-sante/cholera-haiti-2010-2018-histoire-d-un-desastre/">choléra)</a>. Une organisation spécialisée à but non lucratif promeut cette journée et de nombreux projets à travers le monde : la <a href="https://worldtoilet.org/">World Toilet Organization</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567461/original/file-20231229-17-b9o0q0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Campagne de sensibilisation contre la défécation en plein air (Kanadukathan, Tamil Nadu, Inde). En Inde, l’OMS a estimé qu’environ 520 millions de personnes déféquaient régulièrement à l’air libre en 2015. Le problème est particulièrement préoccupant dans les zones rurales, où 69 % des ménages ont déclaré ne pas posséder de latrines en 2011. Néanmoins, la situation s’est considérablement améliorée : le pourcentage de ménages pratiquant la défécation à l’air libre a diminué, passant de 39 % en 2015-2016 à 19 % en 2019-2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anthony Goreau-Ponceaud</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, les questions logistiques et techniques sont multiples : <a href="https://lepetitjournal.com/bombay/comprendre-inde/ramasser-les-excrements-est-hereditaire-base-sur-le-systeme-de-castes-293128">fosses septiques à évacuer</a>, façons dont on peut développer les toilettes sèches ou s’adapter au phénomène de défécation à l’air libre, systèmes de traitement et de recyclage des excreta, voire <a href="https://journals.openedition.org/rac/11042">réutilisation des excréments pour l’agriculture</a>…</p>
<h2>Le reflet de hiérarchies sociales</h2>
<p>Les attitudes envers les toilettes peuvent être le reflet de hiérarchies sociales (entre ceux qui les utilisent, ceux qui les nettoient, ceux qui évacuent les déchets). En Haïti, posséder des toilettes est devenu un signe de prestige, surtout après le séisme de 2010, quand de nombreuses ONG ont aidé à leur construction. Toutefois, leur entretien est dédié aux <a href="https://ayibopost.com/etre-bayakou-peut-rapporter-beaucoup-plus-que-vous-croyez/">bayakous</a>, des vidangeurs qui effectuent leur travail sans aucune mesure de sécurité ni d’hygiène, et qui sont particulièrement méprisés par la société – bien que ce métier indispensable leur permette de vivre, ainsi qu’à toute leur famille, a priori sans risquer le chômage.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567462/original/file-20231229-29-d5yz8p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Cité Soleil, agglomération de Port-au-Prince, Haïti. Ces toilettes installées par des ONG suite au séisme de 2010 ont été rapidement démontées pour être revendues ou reconverties en abris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alice Corbet, mai 2011</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans toute l’Inde rurale, l’évacuation manuelle des déchets reste la plus dégradante des pratiques. Alors même que l’interdiction de cette activité a été renforcée à travers une loi en 2013 (<a href="https://www.indiacode.nic.in/handle/123456789/2119?sam_handle=123456789/1362"><em>The prohibition of employment as manual scavengers and their rehabilitation Act</em></a>), cette profession, essentiellement réservée aux basses castes et Dalits (Scheduled Castes) et aux tribus répertoriées (Scheduled Tribes) perdure.</p>
<p>Depuis 1993, l’ <a href="https://www.indiacode.nic.in/bitstream/123456789/1581/1/199346.pdf">« Employment of Manual Scavengers and construction of Dry Latrines (prohibition) »</a> interdit la construction de toilettes sèches mais ces dernières existent toujours et sont même paradoxalement remises au goût du jour pour des raisons d’accessibilité dans les zones non connectées aux réseaux d’égouts, parfois par des ONG des Nords.</p>
<p>Les toilettes sèches permettent la séparation des flux, la valorisation de ressources perdues et des économies substantielles en eau. À ce titre, cet assainissement écologique et décentralisé incarne en Occident une certaine idée de la transition écologique. Pourtant, en Inde, le caractère problématique de leur gestion (évacuation des excreta) est loin d’être synonyme de transition pour les populations les plus marginalisées. Cet exemple soulève tout le paradoxe lié à la circulation des dispositifs d’assainissement.</p>
<p>En pratique, le nettoyage manuel des latrines (<a href="https://www.outlookindia.com/magazine/story/india-news-the-truth-about-manual-scavenging-in-india/305414">« manual scavenging »</a>) continue, avec l’aval des municipalités, dans les égouts bouchés des grandes villes. Les femmes, principalement, <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-67191131">continuent à utiliser leurs mains</a> pour nettoyer les matières fécales et les transporter loin des habitations. Le chemin de fer indien est l’autre grand employeur de femmes et hommes travaillant comme éboueurs manuels. En Inde, déféquer le long des rails est fréquent, notamment en ville.</p>
<p>Au sein des <a href="https://hal.science/hal-02477087">camps de réfugiés maliens</a>, au Niger, des toilettes collectives ont été installées par les <a href="https://reliefweb.int/report/niger/gestion-du-camp-de-r%C3%A9fugi%C3%A9s-d%E2%80%99abala-d%C3%A9partement-de-filingu%C3%A9-r%C3%A9gion-de-tillab%C3%A9ri-niger">ONG dès 2012</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567463/original/file-20231229-29-xh6giv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Latrine installée dans le camp de réfugiés d’Abala, au Niger. En raison des difficultés d’accès à l’eau, les latrines étaient rarement nettoyées mais bouchées une fois pleines puis déplacées, ce qui entraînait des problèmes d’hygiène et de contamination de la nappe phréatique. Lors de cette visite d’agents du UNHCR, les réfugiés demandaient d’adapter les latrines à leur culture, notamment en installant des patères pour que les habits ne traînent pas par terre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alice Corbet, août 2014</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elles ont été rapidement privatisées par les Touaregs nobles (Imajaghan) grâce à un cadenas sur les portes pour en interdire l’accès aux groupes sociaux moins valorisés. Toutefois, ces toilettes sont entretenues par les Bella (ou Iklan), considérés dans cette <a href="https://ruor.uottawa.ca/handle/10393/34649?mode=full">société très hiérarchisée</a> comme des esclaves ou des serviteurs ayant peu de droits et de rémunérations et qui, eux, vivent aux marges des camps et n’ont pas le droit de les utiliser. Ils vont faire leurs besoins dans le désert. Censées être accessibles à tous, ces toilettes qui visent à préserver l’hygiène du camp en toute équité sont donc récupérées pour reproduire les mécanismes d’exclusion et de domination.</p>
<h2>Des processus de hiérarchisation spatiale</h2>
<p>Les toilettes peuvent également donner à voir des processus de hiérarchisation spatiale entre quartiers centraux des métropoles et les périphéries, entre espaces urbains et espaces ruraux.</p>
<p>Par exemple, si les grandes métropoles, en étroite filiation avec la révolution hygiéniste, ont largement développé des réseaux techniques d’égouts, le paradigme des toilettes reliées à un réseau centralisé semble désormais inadapté à la morphologie des villes des Suds.</p>
<p>Trop étalées, trop morcelées, trop polycentriques, elles ont également pour particularité d’accueillir une importante population flottante qui occupe des zones d’habitats informels et qui n’a pas le « droit » à être raccordée aux réseaux d’égouts.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-villes-africaines-vont-elles-exploser-130581">Les villes africaines vont-elles exploser ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ces villes dépendent donc d’infrastructures décentralisées ou temporaires qui, finalement, se pérennisent via différents arrangements pour leur maintenance. Ou alors, à l’instar de la zone d’habitats spontanés (ou slum) de Kibera (Nairobi), ce sont d’autres pratiques qui se développent comme les <a href="https://www.aljazeera.com/features/2017/4/3/how-to-deal-with-kiberas-flying-toilets">« flying toilets »</a> qui consistent à se soulager dans des sacs en polyéthylène pour ensuite les jeter.</p>
<h2>Des lieux violents</h2>
<p>Les toilettes peuvent également être esquivées par crainte de violences ou d’insécurité, spécialement pour les <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/11/ESSITY_RAPPORT_Hygiene_des_toilettes_a_lecole.pdf">enfants</a> et les adolescents ou encore les femmes.</p>
<p>À travers le monde, l’absence de toilettes dans les écoles ou leur insalubrité excluent de nombreux enfants de l’éducation. C’est particulièrement vrai pour les filles qui, lors de leurs <a href="https://blogs.worldbank.org/fr/voices/les-menstruations-source-d-absenteisme-scolaire-dans-le-monde">menstruations</a>, ne peuvent se changer et restent chez elles, ce qui les exclut encore plus de la société. Le besoin d’uriner dans l’espace public pose également des enjeux autour du <a href="https://silogora.org/la-pratique-du-pipi-sauvage-dans-lespace-public-parisien-entre-representations-et-assignations-de-genre/?print-posts=pdf">corps des femmes</a>. Les femmes, ne peuvent pas aussi facilement que les hommes, uriner dans l’espace public. Lorsqu’elles le font, elles sont vulnérables, face au risque accru d’agressions sexuelles.</p>
<p>Entre l’espace privé ou public, quand elles sont partagées ou impensées comme dans le cadre des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7907573/">soins hospitaliers</a> – les effets sociaux et émotionnels de la défécation dans un contexte hospitalier sont tout aussi répugnants, tant pour les patients que pour les professionnels et autres prestataires de soins –, l’installation et la gestion des toilettes prennent une importance réelle et peuvent même également être des enjeux de richesse.</p>
<h2>Un enjeu hautement politique</h2>
<p>Au-delà des tabous, des non-dits ou encore des processus d’<a href="https://www.liberation.fr/livres/1998/07/02/alain-roger-tout-paysage-est-un-produit-de-l-art_242859/">artialisation</a>, les toilettes sont au cœur de nos pratiques quotidiennes mais aussi des politiques publiques. Elles constituent donc un objet d’étude qui, loin d’être anecdotique, se trouve au croisement des enjeux du corps et de l’intimité, des mécanismes de différenciation et de hiérarchisation sociale, d’économies importantes et de questionnements éthiques.</p>
<p>Qu’elles soient visibles ou non, de haute technologie ou rudimentaires, qu’on en parle au pluriel (« les toilettes »), de manière plus hygiéniste (« le sanitaire ») ou avec familiarité (le « petit coin »), la question des toilettes est à la fois universelle et encore peu envisagée par les sciences humaines, même s’il y a récemment eu une relative vivacité académique pour le sujet Nous pouvons citer par exemple un <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100723760">essai</a> sur les toilettes publiques, le <a href="https://www.leesu.fr/ocapi/">programme de recherche et action</a> sur les systèmes alimentation/excrétion et la gestion des urines et matières fécales humaines, ou encore <a href="https://calenda.org/1094070">l’appel à textes</a> pour un numéro spécial de la revue <a href="https://journals.openedition.org/suds/"><em>Suds</em></a>. Un début pour voir le petit coin plein de non-dits comme un grand témoin des enjeux de notre époque.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220068/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans les différents pays du monde, l’implantation des toilettes publiques se fait selon des modalités qui reflètent les rapports sociaux et économiques existants.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de BordeauxAlice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196282023-12-14T19:04:56Z2023-12-14T19:04:56ZComment le Maroc veut stimuler son économie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/564816/original/file-20231211-19-cgbr0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C7%2C1155%2C891&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comme de nombreux pays ayant un revenu intermédiaire en 1960, le Maroc n’a pas encore réussi à atteindre le statut d’économie avancée.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/370336">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Au cours de ces dernières années, le Maroc a été confronté à une série de chocs exogènes : épidémie de la Covid-19 en 2020, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/18/le-maroc-accable-par-une-secheresse-exceptionnelle_6114309_3212.html">sècheresse exceptionnelle en 2022</a>, ainsi qu’un séisme de magnitude 6,9 qui a frappé la province d’Al-Haouz dans le Haut Atlas, le 8 septembre 2023. Cette catastrophe naturelle a fait près de trois mille morts et a causé de nombreux dégâts matériels.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-consequences-economiques-du-tremblement-de-terre-au-maroc-213824">Les conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Quelques semaines seulement après le séisme se sont néanmoins tenues, à Marrakech, les assemblées semi-annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Dans leur sillage, le FMI a publié un <a href="https://www.imf.org/en/Publications/Books/Issues/2023/09/22/Moroccos-Quest-for-Stronger-and-Inclusive-Growth-525734">rapport</a> mettant en évidence la stabilité macroéconomique, la résilience institutionnelle et le cadre réglementaire avancé du Maroc. L’étude montre également la remarquable capacité du royaume à attirer les investissements directs étrangers (IDE), notamment dans l’industrie manufacturière à moyenne et haute technologie (automobile, aéronautique, électronique).</p>
<h2>Un ralentissement de la croissance</h2>
<p>Ces résultats ont été obtenus grâce aux investissements significatifs consentis dans les infrastructures, dont les exemples les plus emblématiques sont le mégaport de Tanger Med, et la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Tanger à Casablanca. C’est aussi le résultat d’une politique industrielle incarnée par le Plan d’accélération industrielle lancé en 2014. Les infrastructures routières, ferroviaires et portuaires du pays sont au même niveau de qualité que dans l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon l’institution basée à Washington.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2lRKrl8h9SI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tanger Med, le mégaport qui fait peur aux Espagnols (Lareleve.ma, 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Nonobstant ces acquis indéniables, auxquels on peut ajouter une <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=MAR&codeStat=SP.POP.IDH.IN">hausse continue du développement humain</a> (xxx) depuis 1990, l’économie marocaine connaît un ralentissement marqué de sa croissance depuis près d’une décennie. Cette dernière est en effet passée de 5 % en moyenne entre 2000 et 2009 à 3,5 % en moyenne entre 2010 et 2019.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/564811/original/file-20231211-21-my0vdp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=331&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le ralentissement de la croissance économique au Maroc au cours des 20 dernières années.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">Banque mondiale</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce ralentissement de la croissance économique s’est accompagné d’une baisse du contenu en emploi de la croissance, pratiquement <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">divisée par trois</a>, ainsi que d’une hausse concomitante du chômage des jeunes et d’un <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/939061643868052130/pdf/Moroccos-Jobs-Landscape-Identifying-Constraints-to-an-Inclusive-Labor-Market.pdf">recul de la participation au travail</a>, notamment celle des jeunes femmes âgées de 20 ans et plus.</p>
<p>Comme beaucoup d’autres pays émergents, le Maroc est confronté au « <a href="https://documents1.worldbank.org/curated/en/969991468339571076/pdf/WPS6594.pdf">piège du revenu intermédiaire</a> ». Ce concept élaboré par la Banque mondiale se fonde sur un constat empirique : seule une poignée de pays à revenu intermédiaire en 1960 ont réussi à atteindre le statut d’économie avancée en 2010. Si l’on excepte les pétromonarchies du Golfe, dont l’ascension est liée à la rente des hydrocarbures, le constat est encore plus sévère. Parmi les pays qualifiés en « première ligue économique », on trouve les bien connus « tigres et dragons » asiatiques, ainsi qu’une poignée seulement de pays situés hors d’Asie.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Selon le <a href="https://csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf">rapport</a> de la Commission spéciale modèle de développement (CSMD), le Maroc ne valorise pas suffisamment son capital humain, dans un contexte de faible transformation structurelle. Le secteur agricole emploie encore un tiers de la population active et l’emploi informel représente <a href="https://www.policycenter.ma/sites/default/files/2023-07/Rapport--L%27informelauMaroc.pdf">70 % à 80 % de l’emploi total</a>. Le rapport précité du FMI pointe également le problème des inégalités de genre, notamment dans l’accès à l’emploi, comme la cause principale du ralentissement de la croissance.</p>
<h2>La protection sociale étendue</h2>
<p>En 2020, en pleine épidémie de Covid-19, le roi Mohammed VI a annoncé un ensemble de politiques destinées à sortir du piège du revenu intermédiaire. Ce nouveau programme de réformes inclut un plan d’envergure pour généraliser la protection sociale et une réforme de l’État actionnaire, à travers la rationalisation des entreprises publiques existantes, et le lancement d’un Fonds stratégique destiné à investir dans les entreprises privées à fort potentiel de croissance.</p>
<p>Le <a href="https://www.cg.gov.ma/fr/conseils-de-gouvernement/le-chef-du-gouvernement-la-generalisation-de-la-protection-sociale-lancee">plan d’universalisation de la protection sociale</a>, votée en avril 2021, a été mis en œuvre par étape : tout d’abord à travers l’extension à tous les Marocains –, quel que soit leur statut social ou professionnel – de l’assurance maladie obligatoire (AMO) qui était réservée jusque-là aux salariés. Seconde étape : la mise en œuvre d’un programme ambitieux d’aides sociales directes ciblant 60 % des ménages non couverts par un régime de protection sociale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1383100381601918978"}"></div></p>
<p>Ces aides comprennent une allocation de subsistance avec un plancher mensuel de 500 dirhams (Dh) par ménage bénéficiaire, ainsi que des allocations supplémentaires pour les enfants, les handicapés et les personnes âgées. Au total, l’aide peut dépasser les 1000 Dh par mois, soit près d’un tiers du salaire minimum officiel.</p>
<p>Le financement de ces aides reposera à la fois sur la rationalisation des dispositifs d’aide existants, la mobilisation de ressources fiscales supplémentaires ainsi que la décompensation progressive des prix de certains produits de base encore subventionnés comme la farine de blé tendre, le sucre et le gaz de pétrole liquéfié (GPL).</p>
<h2>Nouveau paradigme</h2>
<p>Ces mesures, assimilables à un revenu minimum, visent à fournir un soutien immédiat au pouvoir d’achat des ménages pauvres et vulnérables. Ainsi, le programme cherche à briser la mécanique de la pauvreté et de l’exclusion à travers l’investissement dans le capital humain des enfants – la perception intégrale des aides est conditionnée à la scolarisation de ces derniers – et la libération des énergies individuelles – notamment celles des femmes non qualifiées, qui pourront prétendre à des emplois plus rémunérateurs que les emplois d’aide à la personne dans lesquels elles sont souvent cantonnées.</p>
<p>Ces aides directes devraient également soutenir la croissance économique dans les localités les plus pauvres du pays – en soutenant la demande des ménages – et favoriser la résorption de l’économie informelle.</p>
<p>Dans l’ère pré-Covid, pour sortir du piège du revenu intermédiaire, de nombreux pays – Maroc compris – avaient mis en œuvre une politique centrée sur l’offre, fondée sur des mesures d’inspiration libérale comme la dérégulation des marchés. Les bouleversements induits par la pandémie ont fait émerger au Maroc un nouveau paradigme en matière de politiques publiques, mettant davantage l’accent sur la complémentarité entre l’offre et la demande, entre l’État et le marché. Ce rééquilibrage peut désormais inspirer d’autres pays en développement en Afrique et ailleurs dans le monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219628/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Kateb fait partie de l'équipe de consultants qui a conseillé le gouvernement marocain pour l'élaboration de la réforme de la protection sociale.</span></em></p>Le royaume tente de stimuler son économie en mobilisant à la fois une politique de l’offre et de la demande, symbolisée par la récente extension de la protection sociale.Alexandre Kateb, Maître de conférence en économie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172232023-12-12T18:47:56Z2023-12-12T18:47:56ZLa vannerie, ou l’art de puiser de l’eau dans le désert sans métal ni plastique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558044/original/file-20231107-17-l80lty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C241%2C2159%2C2834&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au ksar de Tamtert dans la vallée de la Saoura, dans le Sahara algérien, en 1990.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tatiana Benfoughal</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Ce seau de puits a été photographié dans le Sahara algérien, dans la vallée de la Saoura. Oui, oui, il n’y a pas d’erreur, cette vannerie en fibres végétales est un <a href="https://sciencepress.mnhn.fr/fr/collections/natures-en-societes/les-palmes-du-savoir-faire">seau pour puiser de l’eau, connu dans les oasis du Sahara maghrébin sous le nom de « gnina »</a>.</p>
<p>De contenance moyenne d’une vingtaine de litres, les seaux tressés sont utilisés dans les puits dits puits à « balancier ». De profondeur maximum de 10 mètres, ces puits sont creusés là où la nappe phréatique est proche de la surface du sol, notamment au fond des vallées des oueds ou d’anciennes étendues lacustres (si la nappe est plus profonde, jusqu’à 20 ou 30 mètres, on optera pour des puits à poulie à traction animale, en utilisant alors un récipient en peau ou en caoutchouc).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/563905/original/file-20231206-21-e8vfgy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les vanneries de seaux de puits sont réalisées par des femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tatiana Benfoughal</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’eau puisée dans les puits à balancier sert à arroser de petites palmeraies de quelques dizaines de palmiers et surtout les plans de cultures sous-jacents de blé, d’orge, de sorgho ou de millet, ainsi que des légumes de première nécessité. Il s’agit d’un <a href="https://ulysse.univ-lorraine.fr/discovery/fulldisplay?docid=alma991000009339705596&context=L&vid=33UDL_INST:UDL">travail épuisant</a> car il demande un effort physique assez considérable pour abaisser la perche. Un homme ne peut dépasser le rythme de quelques seaux par minute et pas plus de trois heures d’affilée.</p>
<p>Dès la deuxième moitié du XX<sup>e</sup> siècle, avec l’arrivée dans les oasis des équipements hydrauliques modernes – motopompes, forages profonds, barrages – et l’agrandissement des parcelles de palmeraies à cultiver, les puits à balancier avec leurs seaux en vannerie sont de moins en moins utilisés et seulement pour les usages domestiques.</p>
<h2>Vous avec dit « étanche » ?</h2>
<p>L’étanchéité de ce seau est due à la fois aux fibres végétales et à la technique de tressage utilisées. C’est du palmier dattier (<em>Phoenix dactylifera L.</em>), plante reine dans les oasis du Sahara, du Proche et du Moyen-Orient, que l’on tire les matières pour réaliser les seaux de puits. Comme pour le tressage de l’ensemble des vanneries sont utilisés des folioles (petites feuilles fixées de part et d’autre de la palme), la hampe (branche qui tient le régime de dattes) et le fibrillum (bourre qui recouvre le stipe).</p>
<p>La technique de tressage est le « spiralé cousu » : le montant (tiges de hampe défibrée) forme l’âme de la vannerie en s’enroulant en spirale, et le brin (folioles) est un élément mobile et souple qui entoure le montant par des enroulements successifs et fixe les spires entre elles. Le fibrillum sert à tresser les cordes de suspension.</p>
<p>Cette technique, pratiquée <a href="https://www.cairn.info/les-objets-ont-ils-un-genre--9782200277130-page-207.htm">uniquement par les femmes, est utilisée pour fabriquer l’ensemble des vanneries dites « domestiques »</a> – plats, corbeilles, paniers, bols, seaux, couscoussières, etc. Les hommes, eux, sont spécialisés en technique du « tissée » utilisée pour les tressages des couffins, bissacs ou chapeaux indispensables pour le travail dans les palmeraies.</p>
<p>Quand le seau, au tressage toujours très serré, se remplit d’eau et que les fibres végétales gonflent, il devient encore plus étanche. Il est possible aussi, pour atteindre le niveau optimum d’étanchéité, de l’enduire de <a href="https://sciencepress.mnhn.fr/fr/collections/natures-en-societes/les-palmes-du-savoir-faire">goudron végétal</a> obtenu par distillation de morceaux de branches d’arbres (genévrier, sapin ou genêt). Ce goudron couvre la surface du seau (comme celle des bols pour boire), comme une sorte de résine épaisse et collante de couleur sombre qui, même après avoir durci, donne à l’eau un fort goût spécifique et bien apprécié. De plus, selon les croyances locales, le goudron protégerait l’eau de toute « souillure maléfique ».</p>
<p>Malgré l’ouverture des régions sahariennes vers le monde « moderne », malgré l’arrivée sur les marchés locaux des produits industriels et l’introduction de la matière plastique dans le tressage, la fabrication des seaux de puits comme d’autres vanneries se perpétue encore dans les oasis sahariennes. Les vanneries continuent à être utilisées dans leurs nombreuses fonctions quotidiennes, comme dans le contexte rituel, incarnant ainsi une tradition aussi valorisée que l’innovation.</p>
<p>Restant globalement une activité domestique, et même si le nombre d’hommes et de femmes qui pratiquent l’activité vannière a considérablement diminué aujourd’hui, le savoir-faire continue à se transmettre dans le cadre familial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tatiana Benfoughal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La vannerie accompagne les oasiens depuis des millénaires. Ce qui peut paraître surprenant, c’est qu’elle permet de réaliser des seaux… étanches.Tatiana Benfoughal, Attachée honoraire au Museum National d'Histoire Naturelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175802023-11-16T17:13:26Z2023-11-16T17:13:26ZImmigration : les Français y sont-ils aussi opposés qu’on le dit ?<p>Encore un <a href="https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/textes-legislatifs/la-loi-en-clair/projet-de-loi-pour-controler-limmigration-ameliorer-lintegration.html">projet de loi sur l’immigration</a> en débat au Parlement, c’est le 29<sup>e</sup> depuis 1980, soit en moyenne un tous les 17 mois. Cette prolifération est parfois due à la volonté de revenir sur des mesures adoptées par un autre gouvernement, mais elle montre aussi le <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">niveau de crispation atteint à l’égard des immigrés</a> dans nombre de partis politiques. Tout se passe comme s’il fallait prouver aux électeurs que le pouvoir mène des politiques efficaces contre l’immigration illégale et pour la sécurité publique. <a href="http://www.pergama.fr/2023/10/13/immigration-de-travail-france-deni/">De nombreux politiciens</a> semblent persuadés que les considérations négatives envers les immigrés prédominent dans l’opinion publique.</p>
<p>Qu’en est-il exactement ? Comment ont évolué les perceptions de l’immigration depuis 40 ans ?</p>
<p>Dans l’<a href="http://www.valeurs-france.fr">enquête sur les valeurs des Européens</a> (EVS), réalisée tous les neuf ans, une question sur la préférence nationale à l’embauche est posée dans les mêmes termes depuis 1990. Alors que 61 % des Français se déclaraient favorables à une préférence nationale à l’embauche en 1990, ils ne sont plus que 42 % à y être favorables en 2018. Il s’agit d’une évolution à la baisse très importante, là où on aurait pu s’attendre à une augmentation.</p>
<p>En effet, pendant la même période, depuis les années 1990, <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">l’extrême droite a progressé</a>. Mais ses succès sont loin d’être seulement dus à des discours anti-immigration. Ses demandes sur l’augmentation du pouvoir d’achat, sa critique de la classe politique, sont attrait pour des leaders autoritaires y sont aussi pour beaucoup. Même si la thématique de l’immigration est un enjeu qui marque constamment l’électorat du Rassemblement national, ce n’est pas le seul.</p>
<p>Au second tour de l’élection de 2022, <a href="https://www.cairn.info/le-vote-clive--9782706152979-page-225.htm">d’après un sondage Opinionway</a>, l’enjeu le plus déterminant pour l’électorat Le Pen était le pouvoir d’achat, l’immigration ne venant qu’en second, suivi par l’identité française et la délinquance. Et dans un <a href="https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2023/08/119689-Rapport-SR-N233.pdf">sondage IFOP d’août 2023</a>, la lutte contre l’immigration clandestine ne vient qu’en 5<sup>e</sup> position des enjeux prioritaires chez les personnes proches du Rassemblement national (<a href="https://www.ifop.com/publication/balise-dopinion-233-letat-desprit-des-francais-a-la-rentree-optimisme-et-enjeux-prioritaires/">et en 10ᵉ position pour l’ensemble des Français</a>).</p>
<h2>Des perceptions de l’immigration plus modérées qu’on ne le croit</h2>
<p>Les perceptions des immigrés en France et en Europe peuvent être analysées à travers les réponses à cinq questions de la dernière vague de <a href="https://www.atlasofeuropeanvalues.eu/maptool.html">l’enquête EVS (2018)</a>.</p>
<p><iframe id="IzdXG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/IzdXG/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les réponses montrent que les jugements sont plus mesurés qu’on pourrait le penser. L’effet de l’immigration sur le développement de la France n’est jugé mauvais que par un quart des Français. À peu près le même pourcentage le considère bon, alors que près de la moitié répondent « ni bon, ni mauvais ». L’idée que les immigrés prennent les emplois des gens du pays est aussi très minoritaire, beaucoup ayant probablement conscience que les <a href="https://theconversation.com/les-noires-sont-sales-par-contre-elles-font-de-bonnes-nounous-dans-lemploi-domestique-des-stereotypes-tenaces-150191">immigrés occupent des emplois peu demandés</a>. La préférence nationale à l’embauche quand les emplois sont rares, le stéréotype d’un <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-refugies-sont-ils-mieux-accompagnes-que-les-sdf-128596">effet néfaste pour la Sécurité sociale</a> et la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-lien-entre-immigration-et-delinquance-est-une-illusion-205603">criminalité</a> recueillent davantage de soutiens.</p>
<p>Ces cinq indicateurs très liés entre eux nous ont permis de construire un indice unique de perception des immigrés, découpé en deux parties à peu près égales : 45 % des Français partagent des jugements négatifs vis-à-vis des immigrés. C’est un tout petit plus que chez nos voisins d’Europe de l’Ouest (42 %) mais beaucoup moins qu’en Europe du Sud (51 %) et de l’Est (67 %). Les Scandinaves sont les plus ouverts (37 %).</p>
<h2>Pourquoi de telles différences selon les sociétés ?</h2>
<p>Les explications de ces fortes différences de perception des immigrés sont nombreuses. Le fait d’être très nationaliste joue beaucoup, tout particulièrement le nationalisme dit « nativiste » (qui valorise fortement le fait d’être né dans le pays ou d’y avoir des ascendants). Plus les Français et les Européens valorisent leur identité nationale, <a href="https://www.pug.fr/produit/2045/9782706151620/les-europeens-et-leurs-valeurs">plus ils tendent à avoir des orientations négatives à l’égard des immigrés</a>.</p>
<p>Jouent également fortement le niveau d’individualisation (vouloir être autonome dans tous les domaines de sa vie) et d’individualisme (être centré sur son intérêt personnel), ainsi que la position sociale et le positionnement sur l’échelle gauche droite, comme le montre les graphiques ci-dessous.</p>
<p>Le rejet des immigrés est nettement plus fort chez les personnes nationalistes, faiblement individualisées, fortement individualistes, appartenant à des catégories défavorisées et orientées à droite.</p>
<p><iframe id="Okie8" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Okie8/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On aurait pu penser que l’effet de la religion sur les perceptions des immigrés serait très important. Les grandes religions portent en effet un message clair d’accueil de l’étranger, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/23/le-pape-francois-citoyen-d-honneur-de-marseille-venu-crier-justice-pour-les-migrants-et-les-vulnerables_6190697_3210.html">comme le rappelle très souvent le pape François</a>.</p>
<p>Or quand on observe le niveau des perceptions négatives selon le degré d’intégration au catholicisme, les différences ne sont pas énormes. Les perceptions négatives vont de 54 % chez les catholiques non pratiquants à 43 % chez les pratiquants réguliers. Elles sont de 40 % chez les athées convaincus (et de 10 % chez les musulmans). Le message d’accueil porté par les religions est probablement freiné en France par le fort nationalisme des catholiques pratiquants.</p>
<p>Tous ces facteurs explicatifs n’annulent probablement pas l’effet que peuvent ou pourraient avoir les hommes politiques et les politiques publiques sur l’opinion. Or, depuis 1974, les <a href="https://www.migrationsenquestions.fr/question_reponse/1068-quelle-est-levolution-de-la-politique-migratoire-en-france-depuis-1945/">politiques migratoires se sont beaucoup durcies</a>. La France n’a pas vraiment pris sa part de l’accueil des migrants en Europe, eu égard à sa population et à sa richesse. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/07/immigration-le-grand-deni-un-salutaire-rappel-a-la-realite_6164503_3232.html">Ils sont pourtant économiquement plutôt bénéfiques pour notre économie</a>.</p>
<h2>Le paradoxe : une acceptation qui progresse, un milieu politique très frileux</h2>
<p>Un très grand nombre de sondages confirment qu’en France, l’acceptation des immigrés est plus forte qu’autrefois et que la xénophobie s’est affaiblie. Ainsi, en 2021, <a href="https://harris-interactive.fr/opinion_polls/le-regard-des-francais-sur-le-droit-de-vote-des-residents-etrangers-aux-elections-locales-baro-edition-2021/">67 % approuvaient que les étrangers puissent voter aux élections locales</a>, soit 13 points de plus qu’en 2013.</p>
<p>Alors que <a href="https://fr.statista.com/statistiques/661665/francais-adhesion-trop-immigres-france/">74 % jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés en France en 1995 et 65 % en 2005, il n’y en aurait plus qu’environ 60 % aujourd’hui</a>. <a href="https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-d-image-du-rassemblement-national/barometre-d-image-du-rassemblement-national-2022">Et selon un sondage Kantar Public sur l’image du Rassemblement national</a>, il n’y aurait même que 47 % des Français à le penser en 2022. Pour des raisons difficiles à expliquer, cette question, très souvent posée, donne des résultats un peu différents, même à des moments proches. Les réponses à cette question sont en tout cas très clivées selon l’orientation politique des sondés, allant de près de 90 % d’approbation à l’extrême droite à environ un tiers à gauche et même dans le camp présidentiel.</p>
<p>La presse cite beaucoup les résultats peu favorables à l’acceptation des immigrés mais peu des résultats plus positifs. Ainsi, environ <a href="https://observationsociete.fr/modes-de-vie/mdv-valeurs/valeurs_immigres-2/">70 % des Français</a> estiment aujourd’hui que <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/limmigration-une-source-denrichissement/00093576">« L’immigration est une source d’enrichissement culturel »</a>, ce qui est rarement souligné.</p>
<p>On observe donc un paradoxe entre ce que montrent les sondages – une <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/06/16/sur-les-questions-migratoires-une-opinion-de-moins-en-moins-crispee_6177918_3224.html">acceptation plus importante qu’autrefois de l’immigration</a>, des valeurs de compassion et de solidarité, qui contrebalancent en partie les craintes à l’égard des immigrés – et les discours des hommes politiques au pouvoir, allant d’un rejet absolu à des formes d’accueil extrêmement prudentes.</p>
<h2>Des politiques migratoires françaises de plus en plus répressives</h2>
<p>Le projet de loi actuellement en débat au Parlement vise <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/comment-la-loi-asile-et-immigration-changerait-elle-la-vie-des-travailleurs-sans-papiers-6745347">à durcir encore la législation des personnes en situation irrégulière</a>. Les personnes ayant fait l’objet d’une OTQF (obligation de quitter le territoire français) devraient pouvoir être expulsés plus facilement et plus rapidement. L’aspect novateur que comportait le projet : permettre des régularisations de personnes en situation irrégulière ayant un travail dans un « métier en tension » (cafés-restauration, santé, services à la personne, bâtiment…) et leur donner une carte de séjour d’un an a été quasi abandonné par le Sénat. La droite et l’extrême droite ont mené un combat très actif, craignant qu’une politique de régularisation selon des critères fixés, et non très limitatifs au cas par cas selon l’appréciation d’un préfet, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">ne génère un « appel d’air » à l’égard de nouveaux migrants</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/93zSCpj_XmU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pourtant le choix du pays européen par les arrivants sans visas tient avant tout à la présence antérieure de membres de leur famille, de leur réseau social ou au minimum d’une diaspora nationale déjà là pour aider à leur intégration. La connaissance de la langue joue aussi. De même que l’attractivité économique du pays. Or, à part pour les Maghrébins, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-vendredi-03-mars-2023-4894599">France apparaît assez peu attractive</a>. Elle l’est beaucoup moins que le Royaume-Uni ou l’Allemagne. <a href="https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/migrants-migrations-50-questions-pour-vous-faire-votre">Toutes les études</a> montrent depuis déjà longtemps qu’il n’y a pas de corrélation entre les politiques migratoires suivies par un pays et le nombre des arrivées. Les flux migratoires sont d’abord générés par les énormes problèmes existant dans les pays de départ et non par les politiques plus ou moins ouvertes des pays de réception.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217580/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement à ce que laisse penser l’actualité médiatico-politique, plusieurs études montrent que les Français acceptent de plus en plus les immigrés.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2138242023-09-20T16:10:49Z2023-09-20T16:10:49ZLes conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc<p>Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, le Maroc a connu <a href="https://medias24.com/2023/09/09/le-seisme-le-plus-puissant-de-lhistoire-recente-du-maroc/">sa plus grande catastrophe naturelle de l’époque moderne</a>, un séisme de magnitude 7 sur l’échelle Richter, d’un niveau supérieur au <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/maroc/maroc-il-y-a-60-ans-la-ville-d-agadir-etait-rasee-par-un-tremblement-de-terre_3849125.html">tremblement de terre d’Agadir de 1960</a>. Toute la région du <a href="https://www.bfmtv.com/international/afrique/maroc/seisme-au-maroc-la-province-d-al-haouz-compte-1351-morts-a-elle-seule_VN-202309100383.html">Haouz</a>, la ville de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/seisme-au-maroc-la-vieille-ville-de-marrakech-meurtrie-20230910">Marrakech</a> et l’arrière-pays montagneux ont été particulièrement affectés.</p>
<p>Dans l’état actuel des choses, le bilan humain s’élève à 3 000 morts et plus du double de blessés. 50 000 habitations auraient été détruites, certains villages étant complètement réduits en ruines. De nombreuses routes sont inutilisables. Une trentaine de monuments historiques – greniers villageois, ksours, mosquées – ont été détruits ou fortement endommagés. C’est le cas de la <a href="https://ledesk.ma/grandangle/quelle-renaissance-pour-la-mosquee-de-tinmel-apres-le-chaos/">mosquée de Tinmel</a>, à Talat N’Yaqoub, symbole de la dynastie des Almohades, qui était en restauration. C’est le cas aussi du <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/444/">grenier collectif du village d’Aït Ben Haddou</a>, qui est à présent partiellement en ruine.</p>
<p>Les dégâts s’étendent sur un large territoire, constitué essentiellement de zones rurales pauvres. Ils sont estimés à l’heure actuelle à environ <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/seisme-au-maroc-le-sinistre-pourrait-couter-9-milliards-deuros-au-pays-1479316">10 milliards d’euros</a>, soit 8 % du PIB du pays. Cela peut paraître considérable, mais il faut mettre ces chiffres en relation avec les transferts des Marocains de l’étranger, qui s’élèvent à une somme équivalente – 11 milliards en 2022.</p>
<p>Par ailleurs, le <a href="https://www.rtbf.be/article/economie-quelles-sont-les-forces-du-maroc-pour-reconstruire-apres-le-seisme-11254493">Maroc dispose de réserves de change d’un montant de 35 milliards d’euros</a>. Les infrastructures essentielles, notamment l’aéroport et la gare de Marrakech, n’ont pas été impactés, et l’essentiel des activités industrielles, qui se situent dans des régions éloignées du séisme ont été épargnées. Grace à son développement, le <a href="https://theconversation.com/pour-une-analyse-geographique-des-catastrophes-le-cas-du-seisme-du-8-septembre-au-maroc-213668">Maroc est donc en mesure de faire face à ce séisme</a>, d’autant qu’il s’accompagne d’une très forte solidarité publique et privée.</p>
<h2>Quel impact pour le tourisme ?</h2>
<p>Après la période de Covid, le Maroc a connu une <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/teoros/2020-v39-n3-teoros05803/1074905ar/">nette augmentation des entrées touristiques</a>, dans un mouvement de rattrapage de la situation antérieure à la pandémie. Au premier semestre 2023, ces entrées ont connu une augmentation spectaculaire de 92 %, ce qui était attendu après deux années particulièrement difficiles.</p>
<p>C’est d’autant plus important que la zone frappée dans la nuit du 8 au 9 septembre, à savoir la région du Haouz et la ville de Marrakech, est la plus touristique du pays. Si le <a href="https://www.europe1.fr/international/maroc-malgre-le-seisme-le-pays-mise-sur-le-tourisme-dici-les-prochaines-annees-4203678">tourisme représente 7 % du PIB marocain</a>, ce ratio est largement supérieur dans la région de Marrakech, qui ne compte pas beaucoup d’industries et qui vit essentiellement grâce aux recettes issues du tourisme. Nombre d’habitants de l’arrière-pays et de l’Atlas vivent aussi de l’artisanat que génère le tourisme, notamment la confection de tapis, paniers et autres.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YDt05VnDcxQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Il est cependant probable que le séisme n’ait pas d’impact majeur sur le tourisme. Même s’il retarde quelque peu le rattrapage en cours, les dégâts dans la ville de Marrakech sont minimes et ont principalement touché une partie de la médina. Les bâtiments historiques et, notamment, le minaret de la Koutoubia ont été épargnés.</p>
<p>Certains hôtels ou riads déplorent des fissures et doivent mener des expertises pour garantir la sécurité des bâtiments, mais très peu seront contraints de se lancer dans des travaux de consolidation d’envergure. Pour l’essentiel, la capacité d’accueil des infrastructures de Marrakech est préservée et la vie est normale dans la ville. De fait, le nombre d’annulations touristiques reste à ce jour très limité, même si le dernier trimestre 2023 sera moins bon que prévu.</p>
<h2>Le difficile accès aux assurances</h2>
<p>Dans l’arrière-pays, la situation est différente. Certains villages sont détruits et les infrastructures seront affectées pendant une longue période. Mais il s’agit de sites touristiques secondaires par leur fréquentation, même si les revenus générés sont substantiels pour les populations locales.</p>
<p>Cependant, un point mérite d’être souligné. Les conséquences pour les plus pauvres dans les zones rurales seront d’autant plus difficiles à supporter que les systèmes de couverture des risques sont pour l’instant assez peu adaptés à leurs situations. Il existe en effet un régime de <a href="https://lematin.ma/express/2023/details-regime-couverture-consequences-catastrophes/394071.html">couverture contre les conséquences d’évènements catastrophiques</a> (EVCAT), qui vise à indemniser les victimes des dégâts corporels et/ou matériels résultant des catastrophes naturelles.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703283174560649321"}"></div></p>
<p>La <a href="https://www.evcathimaya.ma/">loi 110-14</a> met en place un régime mixte d’indemnisation qui comporte un volet assurantiel et un volet allocataire. Ceux qui disposent d’un contrat d’assurance multirisque habitation, d’un contrat automobile ou d’assurance corporelle peuvent s’adresser à leur assurance. Mais encore faut-il que le contrat inclue effectivement la protection EVCAT. Or ce dispositif date de 2020 et, d’après le <a href="https://www.acaps.ma/sites/default/files/acaps_guide_assure_vf.pdf">guide d’information de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance</a> (ACAPS), « l’insertion de la garantie EVCAT concerne les contrats souscrits ou renouvelés depuis l’entrée en vigueur de ce régime ». EVCAT ne concerne donc qu’un nombre réduit de contrats. Par ailleurs, et c’est le point le plus essentiel, la plupart des victimes n’ont pas de contrat, notamment en milieu rural.</p>
<p>Pour ceux qui ne disposent pas de contrat d’assurance, il existe un <a href="https://www.quid.ma/national/dossier-:-pourquoi-le-fonds-de-solidarite-contre-les-evenements-catastrophiques-n%E2%80%99a-pas-(encore)%20(FSCE)-ete-actionne">fonds de solidarité contre les événements catastrophiques</a> qui couvre les dommages corporels et la perte de résidence principale. Il est financé par une contribution sur les contrats d’assurance. Mais il faut un arrêté du chef du gouvernement, publié au Bulletin officiel dans un délai maximum de trois mois après la survenue de l’événement catastrophique, pour activer ce régime. Cet arrêté doit préciser la zone sinistrée, la date de l’événement, la durée de l’événement catastrophique.</p>
<p>En outre, l’activation du régime ne suffit pas. En effet, l’indemnité liée à un préjudice corporel est déterminée par l’incapacité ou le décès. La première doit être établie par un médecin exerçant dans le secteur public et le second par la fourniture de l’acte de décès. Tout cela suppose que les victimes puissent aisément s’adresser aux administrations concernées, ce qui n’est pas le cas des zones rurales. Le capital de référence qui sert de base au calcul de l’indemnité dépend du salaire ou des revenus de la victime. Ces revenus doivent naturellement être documentés par des justificatifs. Or la plupart des habitants dans les régions pauvres ne disposent pas de revenus et, s’ils en disposent, les documents sont probablement enfouis sous les décombres.</p>
<p>En ce qui concerne l’indemnité pour perte de résidence principale ou pour privation de jouissance, les choses sont aussi compliquées pour les plus pauvres. L’allocation pour privation de jouissance est fixée à six fois la valeur locative mensuelle, déterminée par un comité d’experts et encadrée par l’administration après avis de l’ACAPS. La demande d’indemnisation repose sur un rapport d’expertise rédigé par le comité d’expertise. Si le dossier est accepté, le fonds de solidarité notifie la proposition d’indemnisation au demandeur, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie extrajudiciaire.</p>
<p>On mesure ici la difficulté des procédures pour les plus pauvres qui ne sont pas toujours en possibilité de comprendre et même de lire des documents administratifs dans des villages complètement détruits, qui peuvent aussi n’avoir ni domicile ni même d’adresse.</p>
<h2>Une note d’espoir</h2>
<p>On le voit : les dispositifs mis en place pour indemniser les victimes risquent de s’adresser en priorité aux populations urbaines, titulaires de contrats d’assurance pour des dégâts partiels sur leur habitation ou leur véhicule. Les plus pauvres en zone rurale, qui sont aussi les plus impactés, risquent donc de demeurer en dehors des dispositifs mis en place. C’est pourquoi il faut espérer que le <a href="https://medias24.com/2023/09/14/don-du-roi-mohammed-vi-au-fonds-special-seisme-un-milliard-de-dh/">Fonds spécial</a> créé sur instruction royale pourra s’adresser vraiment aux plus pauvres, et que certaines organisations apporteront un accompagnement dans les démarches.</p>
<p>Finissons sur une note d’espoir. La crise peut avoir des effets positifs. En focalisant l’attention sur le <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/catastrophes/seisme/seisme-au-maroc-des-tresors-dhistoire-lourdement-endommages-930bad7a-52f6-11ee-b5f9-9df59b291d64">patrimoine matériel très riche de la région</a> et sur la situation précaire des populations, une reconstruction des infrastructures en milieu rural pourrait s’accompagner de nouvelles stratégies de tourisme durable, incluant des éléments culturels qui seraient de nature à diversifier l’offre touristique. Les conséquences dépendront finalement de la capacité du Maroc à transformer l’épreuve en opportunité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213824/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Moisseron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La catastrophe affecte en premier lieu les habitants les plus pauvres de la région frappée. Pourront-ils bénéficier pleinement des indemnisations prévues ?Jean-Yves Moisseron, Socio-économiste Directeur de Recherche IRD/HDR, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2136682023-09-15T17:03:08Z2023-09-15T17:03:08ZPour une analyse géographique des catastrophes : le cas du séisme du 8 septembre au Maroc<p>Le terrible séisme survenu au Maroc dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023 nous rappelle la nécessité de procéder à une <a href="https://www.cairn.info/introduction-a-l-analyse-des-territoires--9782200293024-page-15.htm">analyse géographique</a> des catastrophes pour comprendre comment peut se déployer une aide d’urgence.</p>
<p><a href="https://www.liberation.fr/international/afrique/seisme-au-maroc-le-royaume-fait-le-tri-dans-laide-internationale-20230912_BRJHDBCVH5D7ZHMHTIIYZGBOBM/">La polémique stérile sur l’aide internationale</a> est venue masquer la réalité du territoire touché et les spécificités du déploiement des secours d’urgence en zone de haute montagne. L’émotion, les élans de générosité et l’incompréhension de réalités territoriales complexes ont nourri des discours particulièrement confus.</p>
<h2>Des montagnes en pleine transformation</h2>
<p>Avant toute chose, il s’agit de bien comprendre la transformation accélérée des territoires impactés. L’épicentre du tremblement de terre se trouve à quelque 70 km au sud de Marrakech, au cœur du Haut-Atlas marocain, une vaste zone de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres toujours décrite comme pauvre, reculée, oubliée, figée dans un présent ethnographique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=743&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548530/original/file-20230915-19-q11ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=934&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte des mouvements sismiques intenses qui illustre l’intensité des secousses.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Loin de <a href="https://journals.openedition.org/mediterranee/5427">l’iconographie coloniale qui nourrit aujourd’hui les imaginaires touristiques</a>, ces régions n’ont <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/3242">pas été oubliées par les autorités marocaines</a> et ont connu de profondes transformations.</p>
<p>Au cours des deux dernières décennies, l’État marocain a lourdement investi dans des infrastructures particulièrement coûteuses du fait des reliefs. La région a été dotée de routes rurales, de réseaux d’eau potable, de réseaux électriques, de barrages, d’écoles, de lycées, de dispensaires.</p>
<p>L’État a soutenu le développement d’une agriculture qui fait la part belle à l’arboriculture mais aussi d’un tourisme rural par la multiplication de gîtes et d’hôtels autour du massif du Toubkal et, depuis 2008, du <a href="https://lematin.ma/journal/2008/Activites-Royales_S-M--le-Roi-inaugure-a-Ouirgane-le-barrage-Yacoub-El-Mansour-au-coA-t-de-630-MDH/90965.html">barrage de Ouirgane</a>. L’Initiative nationale pour le développement humain <a href="https://www.maroc.ma/fr/content/indh">(INDH)</a> lancée en 2005 a permis aux communes de bénéficier d’importants soutiens financiers pour des projets spécifiques comme le transport scolaire, les ambulances mais aussi le développement de nombreuses coopératives et associations.</p>
<h2>Une profonde mutation de l’habitat</h2>
<p>Ces projets ont eu des effets complexes. En premier lieu, ils se sont traduits par des gains de productivité agricole et des transformations dans les pratiques culturales. Les cultures vivrières fortement demandeuses de main-d’œuvre ont été remplacées par des cultures plus rentables mais nécessitant beaucoup moins de main-d’œuvre, comme l’arboriculture.</p>
<p>En second lieu, les opportunités liées au développement des services, notamment dans le domaine du tourisme, n’ont pas compensé ces pertes d’emploi. Bien au contraire : de nombreuses activités (les agences, les entreprises de transport) se sont déplacées vers Marrakech, qui contrôle les flux touristiques.</p>
<p>Par ailleurs, le développement des établissements scolaires a attiré des jeunes fonctionnaires issus d’autres localités. La fécondité, encore forte au début des années 2000, s’est effondrée pour s’aligner sur des standards européens alors que l’espérance de vie a fortement progressé du fait de la chute de la mortalité infantile et maternelle du fait de la multiplication des dispensaires et des systèmes d’évacuation d’urgence.</p>
<p>Cependant, l’absence de perspectives d’emploi assombrit les horizons d’une jeunesse désormais très connectée. Les jeunes hommes s’engagent alors dans un <a href="https://www.ondh.ma/fr/publications/les-neet-au-maroc-analyse-qualitative">parcours professionnel marqué par une très forte mobilité</a>. Ils sont très nombreux à quitter le secondaire dès le cycle collégial lorsqu’ils ont des difficultés scolaires. Ils s’embauchent alors en ville pour des salaires très faibles, souvent autour de 120 euros par mois pour les mineurs, rarement au-dessus de 300 euros par mois pour les majeurs (le SMIG au Maroc est fixé à 300 euros). Ils doivent attendre d’avoir une situation économique suffisamment stable pour espérer se marier. Nombre d’entre eux espèrent s’installer en ville, mais d’autres privilégient la multiactivté, car profondément attachés à leur terre et à l’agriculture.</p>
<p>Les jeunes femmes sont plus durement touchées encore avec un taux de chômage record. Dès qu’elles arrêtent leurs études, elles se retrouvent à 92 % sans emploi. Les familles les découragent à partir en ville, sauf la toute petite minorité qui dispose d’un diplôme du supérieur permettant d’accéder à des emplois salariés déclarés avec une couverture sociale. L’écrasante majorité d’entre elles ne voit <a href="https://hal.science/hal-03311304/document">que le mariage comme horizon pour décohabiter et se construire une place sociale</a>. Se sentant oubliées, elles se marient désormais plus jeunes, souvent contre l’avis de leurs parents, en espérant fonder un foyer en ville à Amizmiz, Tahanaout ou Marrakech.</p>
<p>Par conséquent, la région est marquée par une profonde mutation de son habitat. Les demeures historiques au cœur de villages fortifiés ont été progressivement délaissées, ou conservées comme de simple bergeries ou étables. De nouvelles maisons ont été construites, plus près de la route et des établissements scolaires. Certains villages se sont vidés de leurs habitants, d’autres se sont développés. La population s’est concentrée dans les petites villes du piémont, comme Amizmiz, qui a connu une forte croissance démographique.</p>
<p>Les villages les plus isolés abritent souvent les doyens et surtout les doyennes attachées à leurs demeures, quelques ménages ayant maintenu une forte activité agricole, et de jeunes ménages dont l’époux qui travaille dans les plaines n’a pas les revenus suffisants pour s’installer en ville. Les médias ont fortement mis en scène ces figures emblématiques de femmes âgées vivant seules ou de jeunes mères avec de nombreux enfants, choquées et désemparées devant la catastrophe. Outre la puissance iconographique de la piéta, elles incarnent aussi une réalité sociale qui est celle de villages où les jeunes hommes sont souvent absents en dehors des récoltes.</p>
<p>Le développement des routes a accéléré les mobilités et la recomposition de l’habitat et des habitants. Au mois de septembre, plusieurs événements se conjuguent.</p>
<p>En zone de haute montagne, des ménages ont encore des pratiques pastorales importantes qui les amènent en altitude, dans les bergeries. C’est aussi la première semaine de rentrée scolaire. Les jeunes professeurs sont venus prendre leur poste. Les familles avec des enfants sont installées à proximité des écoles ou des arrêts des bus scolaires. Les collégiens et lycéens ont rejoint les internats. Mais ce n’est pas encore la rentrée universitaire ; les étudiants sont encore présents dans certaines localités, de même qu’un certain nombre de personnes originaires de ces vallées, travaillant ailleurs mais venues en vacances dans leur village d’origine. Enfin, de nombreux hommes hésitent entre partir à la recherche d’emploi sur les chantiers de construction dans les grandes villes ou attendre la fin des récoltes, selon les promesses des arbres fruitiers.</p>
<h2>L’information géographique préalable, indispensable au déploiement des secours</h2>
<p>Cette description des pratiques sociales peut paraître superfétatoire mais elle est essentielle pour comprendre la complexité du déploiement des secours.</p>
<p>Vu l’ampleur de la zone géographique touchée, pour intervenir efficacement les autorités doivent disposer des bonnes informations. Or, les premières estimations faisaient état de 55 localités (villages et hameaux, désignés par les termes de douars et sous-douars) à moins de 10 km de l’épicentre, 652 entre 10 et 30 km et un peu moins de 1 200 entre 30 et 50 km de l’épicentre.</p>
<p>Du fait du relief, de très nombreuses localités ne sont accessibles depuis les plaines de Marrakech au nord et de Taroudant au sud que par quelques routes principales particulièrement endommagées par le séisme.</p>
<p>Pour connaître l’ampleur du désastre, les autorités se sont appuyées sur le premier agent d’autorité, dénommé le moqqadem, qui est présent dans tous les villages. Il a pour mission principale le suivi de la population. Il est généralement le seul à connaître la réalité du nombre de personnes présentes dans le village. Il communique les informations au caïd, représentant de l’autorité à l’échelle d’une plusieurs communes, qui, lui-même, les transmet au gouverneur, lequel coordonne toutes les forces de sécurité.</p>
<p>Le Maroc a donc une structure assez efficace pour la remontée des informations. Malheureusement, dans certains villages, le moqqadem figure parmi les victimes. Le recours aux nouvelles technologies peut certes permettre d’estimer l’ampleur des dégâts matériels, mais cela n’indique que difficilement le nombre de victimes potentielles, du fait des importants flux de population au mois de septembre. Toutes ces caractéristiques ont compliqué la localisation des victimes et l’affectation des moyens d’urgence.</p>
<p>À cette complexité s’est ajoutée celle de la progression des secours. Même si le Maroc dispose de très nombreux engins de chantier, leur acheminement s’est avéré difficile car les vallées sont très profondes, avec des villages disséminés de part et d’autre. Les forces de sécurité ont été confrontées à l’urgence des premiers villages du bas de la vallée, qui sont souvent les plus peuplés, tout en devant dégager les routes et les pistes pour avancer, ce qui demande des moyens techniques assez importants.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/L6iFWw15qPk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce déploiement a été beaucoup plus difficile que s’il avait pu se faire dans une grande ville. Il se traduit alors mécaniquement par des effets d’engorgement mais aussi par l’incapacité de certaines équipes spécialisées à se déployer. Il est possible d’héliporter des sauveteurs et leurs chiens, mais impossible d’apporter dans les mêmes délais une pelleteuse.</p>
<p>Les autorités ont donc opéré des choix d’intervention dans les lieux où il y avait potentiellement plus de victimes et, surtout, la possibilité de développer une action efficace. Dans certains quartiers urbains et certains villages, les habitants étaient à même de s’organiser entre eux et disposaient des ressources suffisantes, notamment si le travail ne nécessitait pas l’intervention de pelleteuses mécaniques ou d’autres engins lourds. Le mot d’ordre a donc été que les habitants agissent sans attendre une potentielle aide extérieure pour gagner un temps précieux.</p>
<h2>Un déploiement national efficace, fruit des apprentissages de la crise Covid</h2>
<p>Les premières estimations portaient sur 18 000 familles ayant besoin d’une aide d’urgence. <a href="https://telquel.ma/instant-t/2023/09/14/reconstruction-relogement-indemnisation-ce-que-le-roi-prevoit-pour-les-victimes-du-seisme_1831548/">Le 14 septembre, les autorités ont estimé que 50 000 logements</a> pourraient nécessiter des travaux allant de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-vendredi-15-septembre-2023-8071990">la reconstruction complète à la reconstruction partielle</a>.</p>
<p>Cela représente moins de la moitié de la production annuelle de logements au Maroc, qui était de 118 620 en 2018, avant la crise Covid. À l’échelle du pays, cette situation ne dépasse pas les capacités des autorités marocaines, mais elle suppose une très forte coordination.</p>
<p>L’intervention internationale, dans ce contexte, n’est pas une garantie d’efficacité car elle rencontre des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/13/avec-les-sauveteurs-au-maroc-nous-ne-trouvons-plus-que-des-morts_6189175_3212.html">problèmes spécifiques reconnus par les professionnels eux-mêmes sur le terrain</a>. La langue : dans la zone touchée, très peu de gens parlent une autre langue que l’arabe dialectal marocain ou le <a href="https://centrederechercheberbere.fr/chleuh.html">tachelhit</a>. Les délais : sur les réseaux sociaux, les organisations internationales se disent toujours prêtes à intervenir, mais dans les faits, c’est différent. Les règles de déploiement : dans ces vallées, il faut mettre en place en aval un terrain pour déployer un hôpital et centraliser le matériel, ce qui nécessite une connaissance du relief et des infrastructures routières.</p>
<p>La volonté de collaborer et l’habitude de collaborer sont donc indispensables. Or seuls les Espagnols coopèrent régulièrement avec les Marocains, dans la lutte contre les incendies notamment. Enfin, la mobilisation nationale a généré un engorgement sans précédent de certains axes routiers, du fait des <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/maroc/video-seisme-au-maroc-des-convois-humainitaires-improvises-719e2389-f082-41d3-8a9d-acff14fcc203">multiples convois d’aide qui ont convergé de tout le pays</a> vers les zones sinistrées. Les ambulances et les engins de chantier ont connu des difficultés à circuler, ralentissant d’autant les opérations de dégagement et d’évacuation et obligeant les autorités à interdire l’accès à certaines routes. Le 14 septembre, les autorités provinciales de Taroudant ont demandé à ne plus recevoir de dons. Les forces de l’ordre ont fermé l’accès aux convois humanitaires aux routes stratégiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1700515906483318985"}"></div></p>
<p>En cinq jours, toutes les routes ont été dégagées, tous les blessés ont été pris en charge dans des hôpitaux de campagne ou à Marrakech, tous les ménages sinistrés ont été installés dans des camps de tentes où ils reçoivent aide alimentaire et biens de première nécessité. Surtout, le gouvernement a annoncé un protocole d’indemnisation d’urgence ainsi qu’un protocole de reconstruction.</p>
<h2>Aider à reconstruire : une aide budgétaire massive</h2>
<p>Il apparaît clairement que le Maroc, à l’instar de nombreux pays, a développé une forte capacité à gérer les crises, notamment après la crise Covid-19. Suite à l’effondrement de la solidarité internationale en quelques jours, nombre de pays avaient alors compris que la <a href="https://journals.uvic.ca/index.php/bigreview/article/view/19760">solution la plus efficace était l’auto-organisation</a>. Dans un contexte d’incertitude croissante du fait du réchauffement climatique, c’est une excellente nouvelle de voir émerger des pays à même de faire face rapidement à une catastrophe alors que d’autres sombrent dans les guerres civiles.</p>
<p>Les anciennes puissances coloniales souhaitent maintenir une aura humanitaire, mais la réalité est que de nombreux pays à revenus plus modestes ont désormais développé des capacités d’intervention particulièrement efficaces sur leur territoire et sont même capables d’intervenir en dehors de leurs frontières. Le Maroc fait partie de ces nouveaux acteurs régionaux de l’aide humanitaire d’urgence, pouvant apporter son soutien aussi bien à <a href="https://lematin.ma/express/2012/Extinction-des-incendies-aux--Canaries_Madrid-remercie-le-Maroc-pour-son-aide--/170318.html">l’Espagne</a> qu’au <a href="https://www.levert.ma/le-maroc-aide-le-portugal-a-combattre-les-feux-de-foret/">Portugal</a> mais aussi <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/Covid-19-le-retour-du-soft-power-marocain-en-afrique-subsaharienne-16-06-2020-2380253_3826.php">à d’autres pays d’Afrique</a>.</p>
<p>Désormais, la question est celle des modalités de la reconstruction. La solution la plus efficace sera l’aide budgétaire massive et sans condition à <a href="https://www.karthala.com/accueil/3370-tisser-le-temps-politique-au-maroc-9782811127657.html">l’État marocain</a>. Seul l’État est à même de reconstruire les routes, les réseaux d’eau potable, d’électricité, et les infrastructures agricoles.</p>
<p>Cette reconstruction pèsera très lourdement sur les finances publiques marocaines, qui sont actuellement dans une situation très difficile. <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/au-maroc-la-tension-sociale-monte-face-a-l-inflation-galopante-958277.html">L’inflation</a>, même si elle est plus modérée que dans d’autres pays de la zone, rogne le pouvoir d’achat des ménages. Le gouvernement maintient un équilibre fragile, principalement grâce aux remises des Marocains résidant à l’étranger et aux devises touristiques. Ces deux mannes permettent de réduire le déficit commercial, mais pas le déficit budgétaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Goeury a reçu des financements du Fonds National Suisse, dans le cadre du dispositif “Encouragement de projets en sciences humaines et sociales (Division I)” "Régénération des régions oasiennes. Vers une convergence des dimensions techniques, institutionnelles et écologiques des écosystèmes ?" (2022-2025) et de la ville de Paris, dans le cadre du dispositif de soutien à la recherche "Emergence(s)", pour le projet "Lieux d'histoires, lieux de mémoires interconfessionnels des communautés oasiennes. Maroc-Israël-Europe-Amérique du Nord" (2022-2026)</span></em></p>Pour analyser les effets du séisme et évaluer la réponse des autorités, il est indispensable de bien comprendre la réalité géographique, économique et sociale de la zone touchée.David Goeury, Géographe, membre du laboratoire Médiations / Sciences des liens, sciences de lieux, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106822023-08-27T19:01:03Z2023-08-27T19:01:03ZLe festival Sounds of Sahara, symbole éphémère d’une Tunisie novatrice et résistante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544894/original/file-20230827-94298-7jvzq5.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C9%2C2087%2C1418&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le set du groupe électro Jugurtha au festival Sounds of Sahara, en mars 2017. </span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran Youtube</span></span></figcaption></figure><p>Sous le régime autoritaire tunisien d’avant la révolution de 2011, l’organisation des manifestations culturelles n’échappait jamais au contrôle du pouvoir politique et ses institutions de tutelle. L’art et la culture étaient instrumentalisés pour promouvoir l’action politique du président déchu et de son parti. Comme nous l’avons montré dans <a href="https://www.theses.fr/2009TOU20031">nos travaux</a>, la scène culturelle et artistique était alors caractérisée par l’absence de manifestations avant-gardistes ou encore subversives en privilégiant celles à forte teneur politique et patrimoniale : festivals dédiés aux patrimoines historiques, culinaires, religieux et aux chants patrimoniaux. Citons à titre d’exemples le <a href="https://www.festivaldouz.org.tn/">festival international du Sahara</a> organisé à Douz depuis 1967 et le <a href="http://www.rtci.tn/festival-international-ksours-sahariens-tataouine-les-1819-20-mars-2023/">festival international des Ksour sahariens</a> né en 1979 à Tataouine dans le Sud tunisien.</p>
<p>Après la révolution, la vie culturelle du pays (du nord au sud) s’est ouverte à de nouveaux concepts à travers le foisonnement des <a href="https://mixmag.fr/feature/scene-electronique-tunisienne-assembl%E9e-17">festivals de musique électronique</a> ou encore de théâtre avec le <a href="https://www.tunisie.fr/1ere-edition-du-festival-international-du-theatre-au-sahara/">festival international de théâtre au Sahara</a>. Innovants, ces festivals cherchent à cultiver une image contemporaine, engagée et plus branchée.</p>
<h2>Les festivals de musique se multiplient</h2>
<p>Les festivals de musique rencontrent en Tunisie, comme dans d’autres pays du Maghreb (Maroc, Algérie), une croissance assimilable à une <a href="https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1992_num_57_1_1705">festivalomanie</a> qui touche autant les villes que les villages. Ces évènements, outre leur dimension artistique et culturelle, entretiennent un lien avec des territoires souvent fragiles et marginalisés. Ils participent à de nouvelles dynamiques sociétales et touristiques.</p>
<p>En février 2011, en plein couvre-feu décrété sur la capitale Tunis et sa région en raison de la situation sécuritaire incertaine après la chute de Ben Ali, le festival <a href="https://mixmag.fr/feature/scene-electronique-tunisienne-assembl%E9e-17">Under Couvre Feu</a> a été précurseur. Cette manifestation défiait les interdits : 1200 personnes se sont retrouvées pour danser afin de récolter des fonds pour venir en aide à l’hôpital de Sidi Bouzid, ville charnière dans la révolution populaire tunisienne suite à l’immolation par le feu du jeune Mohammed Bouazizi.</p>
<p>L’évènement a inspiré la création d’autres festivals de la scène électronique partout dans le pays grâce à des associations, à des collectifs d’artistes alternatifs, de passionnés et d’activistes engagés souhaitant rompre avec la censure et la répression qu’exerçait l’ex-président. Ces événements incarnent des formes d’engagement pour la valorisation du patrimoine et des paysages tunisiens (<a href="https://tunisie.co/web-tv/407/dunes-electroniques">Les dunes électroniques</a>, <a href="https://tunisie.co/article/5389/sortir/festivals/sounds-223115">Sounds of Sahara</a>) ou encore pour la protection de l’environnement (<a href="https://mixmag.fr/feature/fairground-festival-la-scene-electro-tunisienne-prend-son-envol">Fairground festival</a> à l’Ecovillage à Sousse au Nord-est et <a href="https://lexpertjournal.net/fr/dougga-fest-sound-of-stones-une-premiere-edition-unique-en-son-genre-en-tunisie/">Sound of stones</a> à Dougga au Nord-ouest). La première édition de ces festivals s’est déroulée respectivement à Tunis 2011, à Nefta 2014, à Sousse 2014, à Tozeur 2016, à Sousse 2016 et à Dougga 2017 avec l’appui de plusieurs instances et associations.</p>
<p>Pour faire face à la crise touristique, le ministère du Tourisme et de l’Artisanat tunisien, en collaboration avec les professionnels du secteur, prennent des mesures pour gérer et atténuer les dégâts provoqués par les deux attaques terroristes qui avaient visé le musée national de Bardo à Tunis le 18 mars 2015 et un hôtel dans la ville de Sousse. Ainsi, <a href="https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/2158">l’industrie touristique mise désormais sur l’événementiel</a> et l’exploitation de la culture sous toutes ses formes. Elle expérimente de nouvelles niches telles que les festivals de musique électronique.</p>
<h2>Résistance et engagement citoyen</h2>
<p>Le festival de musique électronique Sounds Of Sahara (S.O.S), qui s’est tenu en 2016 et en 2017, s’inscrit dans une dynamique festivalière faisant circuler divers discours, images et sonorités qui participent de la <a href="http://liseuse.harmattan.fr/978-2-343-19303-8">visibilité du territoire</a> au niveau national et international. Ce festival a investi la région du Jérid, vivant essentiellement de l’activité touristique, et qui souffre de l’instabilité politique du pays et des répercussions des attaques terroristes.</p>
<p>Conçu et mis en place suite à un appel au secours lancé par l’office du tourisme, le festival se présente selon son directeur comme un <a href="https://www.webmanagercenter.com/2017/03/13/404188/le-festival-de-musique-electronique-sounds-of-sahara-au-secours-du-tourisme-saharien-dans-les-decors-naturels-de-smaira/">SOS pour sauver la région</a> et plus largement la Tunisie dans un esprit de solidarité.</p>
<p>Ainsi, des collectifs d’artistes alternatifs, de passionnés et d’activistes engagés souhaitant rompre avec le contrôle qu’exerçait l’ex-président Ben Ali sur la culture et l’art et des stars internationales ont été invités pour soutenir la région et relever le défi : mixer en plein désert et en période d’état d’urgence proclamé dans tout le pays.</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.facebook.com/90minutes.TV/videos/1254422097926982/">DJ internationaux</a> ont répondu présents venus de France, Angleterre, Allemagne et Espagne. Attirés par l’occasion de mixer dans des décors mythiques, les DJ s’engagent dans un projet à forte connotation sociale : empêcher la fermeture des hôtels, source d’emploi pour plusieurs familles dans la région, et porter le regard vers cette destination touristique pour faire revenir les vacanciers.</p>
<p>Pendant les trois jours du festival, le Jérid tunisien est devenu l’objet de désir touristique, de consommation visuelle et sonore. Un public de quatre mille personnes en provenance essentiellement du Sud tunisien, du Nord-est et Nord-ouest ainsi que de l’Algérie et de France a contribué au succès de la manifestation et dynamisé les villes de Nefta et de Tozeur. Les hôtels menacés de fermeture ont accueilli les soirées DJ et hébergé les musiciens et festivaliers qui en ont profité pour visiter une « ville en fête ».</p>
<p>Aussi Sounds of Sahara traduit-il une forme de résistance face à la violence extrémiste. Le slogan de la deuxième édition « On n’arrête pas un peuple qui danse ! », comme nous l’a explique la chargée de communication du festival, est révélateur du souhait de lutter contre les idées intégristes hostiles à toute forme artistique : la musique, la danse, tout simplement la fête. Aussi, la médiatisation du festival par des <a href="https://tv-programme.com/le-supplement_magazine/le-supplement_e364728">chaînes de télévision étrangères</a>, telle que Canal+, met en exergue ces propos de résistance.</p>
<p>L’évènement s’est également construit autour de l’idée d’un « festival qui veut lutter contre Daesh » : symbole d’ouverture, de solidarité et de résistance d’un peuple face à la violence extrémiste qui a frappé la Tunisie, mais aussi des pays Européens.</p>
<h2>Un territoire en crise</h2>
<p>Le touriste est interpellé pour vivre une expérience sensorielle et émotionnelle unique dans l’espace désertique, de « voyager hors des sentiers battus » selon le directeur du festival. L’imagerie touristique du Sahara tourne autour de la découverte, de l’aventure, de la contemplation et de l’exploration. Mais le Jérid tunisien entretient également une relation forte avec le cinéma.</p>
<p>Depuis les années 70, le septième art fait partie de son histoire et ce à l’échelle internationale. En effet, la région héberge depuis 1976 le décor du tournage de la saga Star Wars où Georges Lucas avait construit la cité MOS ESPA, capitale de sa planète Tatooine. Ce décor a été construit spécialement pour le tournage en plein désert à 20 km de Nefta. A la fin du tournage, les autorités tunisiennes ont demandé à l’équipe du film de ne pas démonter ces décors. Déjà bien connu des habitants de la région et des touristes, ce site est un produit de marque territoriale mis en avant par Sounds of Sahara. Le comité d’organisation du festival a saisi l’opportunité que la région abrite ce décor ainsi que la sortie du 7e épisode de la Guerre des étoiles en décembre 2015 pour créer une harmonie magique entre la musique électronique et les vestiges de ce film de science-fiction.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VvYUmWhx9hE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>La soirée d’ouverture de la première édition 2016 s’est déroulée en plein décor « Mos Espa », aménagé pour accueillir des scènes de musiques électroniques non issues de la culture du désert. Utiliser la structure et l’imaginaire de ce site traduit la démarche artistique des organisateurs privilégiant des interactions entre lieu, expression et événement mettant ainsi le <a href="https://journals.openedition.org/geocarrefour/2155">public dans des situations inhabituelles, voire insolites</a>. Ce qui participe à la connaissance et à la valorisation de ce patrimoine cinématographique.</p>
<p>Les organisateurs souhaitaient concentrer les moments forts du festival dans cet univers imaginaire « Star Wars » qui joue la marque de la « lisibilité du territoire » hôte et suscite l’intérêt d’un visiteur à la recherche d’expérience. Il est in fine instrumentalisé afin de marquer le territoire et en créer une image qui dépasse le temps du festival. Cet univers a d’ailleurs fait l’objet d’une campagne participative de sauvegarde et de restauration lancée en 2010 par l’association de développement du tourisme oasien et saharien, financée par des fans du monde entier.</p>
<p>le festival offre un <a href="https://wildproject.org/livres/le-paysage-sonore">paysage sonore</a> favorisant l’interaction avec une culture musicale contemporaine et internationale (Funky, House et Tech music, Progressive, Trance, Hardtek, électro-jazz) dans une perspective d’innovation, de dialogue avec l’autre et d’aspiration à la liberté et au changement.</p>
<p>Sounds of Sahara a certes montré sa capacité de créer et d’exporter des images de sécurité, de fête et de résistance en faveur de la région dans un contexte de crise et d’insécurité, cependant il n’a pas su s’inscrire dans la durée. La troisième édition SOS 2018 prévue à Chott El-Jérid n’a pas eu lieu. Les organisateurs ont rencontré des difficultés d’ordre logistique et stratégique liées notamment à l’inaccessibilité des vols vers la région.</p>
<p>Aujourd’hui, les initiatives de création de nouveaux festivals en Tunisie sont nombreuses, reste à savoir comment les inscrire dans des stratégies de management et de développement territorial de manière à ce qu’elles ne soient pas réduites à des expérimentations éphémères. L’activité festivalière se diversifie en accueillant le festival <a href="https://lapresse.tn/142894/rouhaniyet-2022-le-grand-retour/">Rouhaniyat de musique soufie</a>, <a href="https://calendrier.tunisie.co/evenement/3076/le-tozeur-international-film-festival-du-6-au-11-decembre-133311/">Tozeur international film festival</a> ou encore les <a href="https://kapitalis.com/tunisie/2019/07/15/la-2e-edition-du-festival-les-ondes-du-desert-les-21-et-22-mars-2020-a-kebili/">ondes du désert</a>.</p>
<p>Certes, la démultiplication de festivals dans le Sud tunisien représente une opportunité pour renouveler et amplifier le fonctionnement touristique de la région. Cependant, ces manifestations gagneraient à s’inscrire amplement dans une réflexion culturelle et politique sur les possibilités de repositionnement du tourisme saharien par la culture en impliquant les acteurs étatiques, privés et associatifs ainsi que la population locale dans une approche festivalière durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210682/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nozha Smati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La démultiplication de festivals dans le Sud tunisien représente une opportunité pour renouveler et amplifier le fonctionnement touristique de la région.Nozha Smati, Enseignante chercheuse, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2050762023-06-07T19:38:42Z2023-06-07T19:38:42ZCharmeurs de serpents à Marrakech : quand le spectacle met à mal les aspirations à un tourisme plus durable<p>La légende raconte qu’un jour, Sidi Mohamed Ben Aïssa traversait le désert avec 40 de ses disciples torturés par la faim. Les disciples se plaignirent au maître qui, dans un premier temps, ne répondit pas. Il finit par leur dire d’avaler tout ce qu’ils trouveraient, y compris vipères, scorpions et autres espèces venimeuses.</p>
<p>Des dizaines de serpents et de scorpions furent ainsi consommés et, par miracle, les hommes survécurent, tant la parole du maître était puissante. Depuis ce jour, les descendants de Ben Aïssa seraient immunisés contre les morsures de serpents, protégés par une baraka vieille de quatre siècles. On les appelle les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/A%C3%AFssawa">Aïssaoua</a>.</p>
<p>Les charmeurs de serpents, ou Aïssaoua, font partie intégrante de la culture marocaine, leur activité a été reconnue avec l’inscription de la place Jemaa El-Fna sur la liste Unesco représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008.</p>
<p>Pourtant, cette activité a un impact sur la biodiversité et engendre de la souffrance animale que la notion même de développement durable devrait nous inciter à prendre en compte.</p>
<h2>Serpents de Jemaa El-Fna et baraka</h2>
<p>Les serpents sont des animaux qui suscitent en Occident de nombreuses légendes, tout aussi rocambolesques les unes que les autres. Du serpent qui boit du lait aux vipères lâchées par hélicoptère, le serpent fait peur, le <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-3-page-427.htm">serpent inquiète</a>.</p>
<p>Sa présence sur le caducée, symbole de la santé, ne parvient pas à nous faire oublier qu’il est celui qui a convaincu Ève de croquer la pomme.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pas étonnant que sur la place Jemaa El-Fna, les Aïssaoua capables de dompter cet animal fascinent. Le charmeur va poser le serpent au sol, et par de nombreuses provocations stressantes, va déclencher le comportement de défense du reptile, plongeant les visiteurs dans un émerveillement empreint de peur et d’exotisme, que le lieu, avec le son des flûtes, mais aussi ses odeurs et son ambiance, contribue à véhiculer.</p>
<p>Les visiteurs ont ainsi la sensation de vivre une expérience unique qui, malgré sa fugacité, participe à la notoriété de cet espace. Le charmeur doit démontrer son pouvoir ; c’est la magie, « la baraka », qui lui permet ses interactions avec le serpent. Le discours diffusé auprès des touristes a pour but de conforter le visiteur dans ces représentations négatives et insidieuses de l’animal, contribuant dans un même temps à renforcer la magie du spectacle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526836/original/file-20230517-21-2062yt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une vipère vient de mettre bas dans la caisse du charmeur, mais la moitié des jeunes sont morts.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdellah Bouazza</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le cobra ne danse pas</h2>
<p>Les charmeurs exhibent plusieurs espèces de serpents, notamment la vipère heurtante (<em>Bitis arietans</em>), la couleuvre de Montpellier du Sahara (<em>Malpolon monspessulanus saharatlanticus</em>) et le cobra d’Afrique du Nord ou cobra noir du Maroc (<em>Naja haje legionis</em>).</p>
<p>Le cobra est difficile à trouver dans la nature, mais il constitue l’espèce la plus recherchée par les charmeurs. Il se rencontre principalement dans le Sahara atlantique et parfois dans certaines oasis au sud du Haut Atlas.</p>
<p>À l’instar des autres serpents, le cobra ne possède pas d’oreille externe, ainsi il ne « danse » pas au son de la flûte des Aïssaoua. Il adopte plutôt une position de défense en « coiffant » sa tête et suit du regard les charmeurs, qui donnent ainsi l’illusion que le serpent bouge au son de l’instrument.</p>
<p>Cette attitude charismatique donne la sensation d’une provocation, au cœur du spectacle.</p>
<h2>Sécurité du touriste, souffrance du serpent</h2>
<p>Les serpents utilisés dans les spectacles des charmeurs de la place Jemaa El-Fna sont capturés directement dans la nature, notamment dans les habitats désertiques du Bas Draâ (Tan Tan-Guelmim). Vipères et cobras sont ensuite manipulés et bloqués au cou pour leur ouvrir la gueule et leur arracher les crochets.</p>
<p>Cette opération, réalisée sans précaution d’hygiène ni anesthésie, est censée garantir la sécurité des touristes et des charmeurs. Les serpents sont ensuite maintenus dans des caisses en bois, en attendant d’être vendus aux charmeurs de Marrakech qui à aucun moment ne se déplacent eux-mêmes sur le terrain.</p>
<p>Déshydratés, sans accès à de la nourriture ni à une température favorable pour se thermoréguler, certains meurent d’une infection due à l’opération, d’autres du fait des conditions de vie stressantes associées à une nourriture inadaptée et imposée de force, comme nous avons pu l’observer sur le terrain.</p>
<h2>Le spectacle à quel prix ?</h2>
<p>Le spectacle n’a en effet de sens que par la position de défense de l’animal, position qu’il est contraint de maintenir des heures durant pour répondre aux provocations du charmeur ; un processus qui, lentement, épuise l’animal.</p>
<p>Jugée cruelle, cette pratique a <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/video-les-charmeurs-de-serpents-entre-fascination-et-polemique_4097339.html">été interdite en Inde en 1972</a>, tandis qu’elle demeure encore utorisée au Maroc. Le développement touristique de la place Jemaa El-Fna a beau avoir induit des modifications, les charmeurs font malgré tout partie des activités qui suscitent le <a href="http://www.hesperis-tamuda.com/3/data/2010/4-Ouidad%20Tebbaa.pdf">plus d’attrait pour de nombreux touristes</a></p>
<p>Inconsciemment, ces derniers participent donc sans le savoir à la souffrance et à la disparition d’espèces sauvages, nous conduisant à nous poser la question suivante : la sauvegarde du patrimoine culturel est-elle toujours compatible avec les enjeux de développement durable qu’il sous-entend ?</p>
<hr>
<p><em><a href="https://www.linkedin.com/in/thomas-lahlafi-112a71117/?originalSubdomain=fr">Thomas Lahlafi</a>, naturaliste indépendant, et Salima SALHI (doctorante à l'Université d’Angers) ont contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jannot Laura a reçu des financements de SFR Confluence Angers </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abdellah Bouazza ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cette pratique qui fascine les touristes sur la place Jemaa El-Fna à Marrakech inflige de nombreuses souffrances aux serpents.Laura Jannot, Doctorante en géographie du tourisme, Université d'AngersAbdellah Bouazza, PhD in Herpetology and Conservation BiologyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2055012023-05-11T18:14:01Z2023-05-11T18:14:01ZEn Tunisie, des médias muselés par un pouvoir toujours plus autoritaire<p>« Chaque après-midi, avant de quitter le bureau, j’éteins mon téléphone et je retire la carte SIM. Je ne veux pas que les autorités puissent savoir à chaque instant où je me trouve. » Ayman (le prénom a été modifié) est l’un des rares journalistes à oser critiquer les autorités tunisiennes. Alors que son patron a été arrêté et interrogé en février, il redoute désormais d’être inquiété à son tour.</p>
<p>Loin sont les jours grisants ayant suivi la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-tunisie-marque-sous-tensions-les-10-ans-de-la-fuite-de-ben-ali-12-01-2021-2409164_24.php">chute de l’autocrate Zine el-Abidine Ben Ali</a> (1987-2011), lorsque le secteur des médias tunisiens a été profondément transformé en même temps que le <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-la-face-cachee-des-societes-civiles-au-maghreb-un-espoir-pour-demain-148064">reste de la société</a>. Le printemps arabe de 2011 avait entraîné, comme en Égypte, l’effondrement d’un régime autoritaire alors qualifié de véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2015-4-page-77.htm">État policier</a>. Puis, en très peu de temps, les Tunisiens étaient parvenus à mettre en place de nouvelles institutions démocratiques, notamment un Parlement fonctionnel, une présidence responsable et des tribunaux indépendants.</p>
<p>La révolution avait également favorisé le développement de <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/tunisie-medias-independants-presse-nawaat-inkyfada-alqatiba">nouveaux médias indépendants</a>, aussi bien des stations de radio que des chaînes de télévision et des journaux en ligne. La chaîne publique de télévision et de radio Al-Wataniyya a été restructurée pour devenir un radiodiffuseur public <a href="https://www.webmanagercenter.com/2011/09/21/110560/tunisie-medias-la-bbc-aux-commandes-du-chantier-de-transformation-de-la-wataniya/">sur le modèle de la BBC</a>. Le <a href="https://jamaity.org/association/syndicat-national-de-journalisme-tunisien/">syndicat des journalistes</a> s’est révélé un protecteur efficace des droits de la profession vis-à-vis des autorités. Les Tunisiens se sont ainsi rapidement habitués à une couverture critique de l’actualité et à des débats politiques animés à la télévision aux heures de grande écoute.</p>
<p>Aujourd’hui, tous ces acquis sont menacés… et les citoyens ne semblent pas s’en préoccuper outre mesure. Comment le pays en est-il arrivé là ?</p>
<h2>La face cachée des médias libres</h2>
<p>Depuis 2015, nous étudions les relations entre les médias et la politique en Tunisie dans le cadre d’un projet de recherche sur le <a href="https://www.nupi.no/en/projects-centers/journalism-in-struggles-for-democracy-media-and-polarization-in-the-middle-east">journalisme dans les luttes pour la démocratie</a>.</p>
<p>Au cours des sept dernières années, nous avons mené 55 entretiens, dont deux de groupe, avec des journalistes, des activistes et des politiciens tunisiens. L’objectif était de comprendre comment les journalistes gèrent l’instrumentalisation des médias et quel est leur rôle politique dans des contextes hybrides oscillant entre autocratie et démocratie. Notre dernière visite remonte à mars 2023, un an et demi après la <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220330-tunisie-le-pr%C3%A9sident-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-dissout-le-parlement-huit-mois-apr%C3%A8s-l-avoir-suspendu">brusque suspension du Parlement par le président Kaïs Saïed</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Mais revenons d’abord en 2011, lorsque la Tunisie est passée d’un État policier où les médias faisaient partie du système de propagande de Ben Ali à un environnement médiatique soudainement libre (et initialement chaotique).</p>
<p>Le remodelage de la scène médiatique s’est déroulé dans un contexte de troubles politiques : une <a href="https://edinburghuniversitypress.com/book-journalism-in-the-grey-zone.html">situation politique hybride</a> de démocratisation continuellement contestée dans laquelle les élites politiques et économiques étaient désireuses d’exploiter les médias à leurs propres fins.</p>
<p>Le cas de Nabil Karoui, un homme d’affaires (PDG de la société de relations publiques Karoui & Karoui World) ayant bâti sa fortune sur la production audiovisuelle, les médias numériques et la publicité urbaine, en est un exemple typique : du fait de sa position de propriétaire de la chaîne de télévision la plus populaire de Tunisie, Nessma, il a personnellement influencé ses politiques éditoriales tout en agissant en tant que conseiller en communication de l’ex-président <a href="https://theconversation.com/essebsi-le-defunt-maestro-de-la-realpolitik-tunisienne-121997">Beji Caid Essebsi</a> (2014-2019).</p>
<p>Karoui est également apparu dans la série documentaire <a href="https://www.nessma.tv/fr/khalil-tounes"><em>Khalil Tounes</em></a> – consacrée à la couverture des activités d’une association caritative qu’il avait créée pour lutter contre la pauvreté – en même temps qu’il fondait son propre parti et que ses ambitions présidentielles devenaient de plus en plus claires. Si Karoui est un exemple particulièrement flagrant d’instrumentalisation des médias, de nombreux autres politiciens, propriétaires de médias et personnalités publiques ont été impliqués dans des intrigues et des transactions obscures.</p>
<p>Les journalistes ont vu l’un des grands acquis de la révolution – la liberté des médias – fondre sous leurs yeux, les chamailleries des politiciens et les textes rédigés sur commande par des éditorialistes peu scrupuleux suscitant au sein de la population tunisienne une profonde méfiance à la fois envers le monde politique et envers les médias d’information.</p>
<h2>Populisme contre journalisme : le président Kaïs Saïed et les médias</h2>
<p>L’élection présidentielle de septembre 2019 a mis aux prises deux populistes convaincus. Tous deux représentaient un danger pour les médias libres et critiques, mais de manière très différente.</p>
<p>Nabil Karoui, nous l’avons dit, était un charismatique magnat des médias qui utilisait sa propre chaîne de télévision pour manipuler le climat politique. Le conservateur Kaïs Saïed, <a href="https://www.france24.com/en/20191014-conservative-kais-saied-elected-president-of-tunisia-with-72-71-percent-of-vote">a finalement été élu avec 72,71 % des suffrages</a>, était un ancien professeur de droit à l’université qui évitait complètement les médias d’information. Saïed était surnommé « Robocop » en raison de son style mécanique lors des interviews. Sa campagne ne s’est pas appuyée sur les médias, mais sur des militants de base faisant du porte-à-porte et organisant des réunions publiques dans tout le pays.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/n_pdIEjmcdg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Saïed traite les médias avec le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1367390/politique/tunisie-kais-saied-ou-la-pratique-personnelle-du-pouvoir/">même mépris que celui qu’il a manifesté à l’égard des partis politiques et du parlementarisme</a>. Les journalistes avec lesquels nous nous sommes entretenus en mars ont déclaré que la chaîne publique tunisienne avait été réduite à un organe de propagande. Saïed évite les relations avec les médias privés et préfère communiquer avec le public par le biais de messages postés sur Facebook, une plate-forme de communication très importante en Tunisie.</p>
<p>Lorsque les médias contactent le bureau du président pour obtenir des déclarations sur les affaires courantes, ils ne reçoivent aucune réponse. Il est révélateur que lors de l’ouverture du nouveau Parlement, le 13 mars, aucun journaliste des médias indépendants ou étrangers n’ait été autorisé à pénétrer dans le bâtiment afin d’éviter tout « <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/mar/13/press-banned-from-opening-session-of-new-tunisian-parliament-kais-saied">désordre</a> ».</p>
<h2>Le déclin du journalisme et la relativisation de la vérité</h2>
<p>L’antipathie du président pour les médias va de pair avec son intolérance à l’égard de toute critique et sa prédilection pour les théories du complot. Sa <a href="https://theconversation.com/tunisia-presidents-offensive-statements-targeted-black-migrants-with-widespread-fallout-201593">diatribe visant les Africains subsahariens</a>, en février, a fait couler beaucoup d’encre, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Plusieurs dirigeants de l’opposition ont été emprisonnés depuis mars, accusés de <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/02/tunisia-president-saied-must-immediately-stop-his-political-witch-hunt/">« conspiration contre la sécurité de l’État »</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/brT9to-sttY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Noureddine Boutar, directeur de la principale chaîne de radio indépendante de Tunisie, Mosaïque, a été arrêté en février pour <a href="https://www.mosaiquefm.net/fr/actualite-national-tunisie/1137635/detention-de-boutar-la-ligne-editoriale-de-mosaique-fm-derange">« atteinte au plus haut symbole de l’État et exacerbation des tensions dans le pays »</a>. Les journalistes que nous avons rencontrés en mars nous ont dit que simplement rapporter des faits sur les nombreux problèmes économiques et sociaux de la Tunisie pouvait leur valoir d’être accusés de répandre la peur au sein de la population (un crime désormais passible de poursuites pénales).</p>
<p>Il existe encore, dans le milieu des journalistes, des voix fortes qui s’élèvent contre les atteintes à la liberté d’expression. Les responsables du Syndicat des journalistes avec lesquels nous avons échangé se savaient surveillés, mais refusaient de céder aux intimidations : quelques jours avant notre rencontre, ils avaient pris part à une <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/3/5/tunisian-opposition-defies-protest-ban-with-rally">marche pour la liberté</a>.</p>
<p>Le tableau d’ensemble n’en reste pas moins très sombre. Les contenus politiques ont pratiquement disparu des chaînes de télévision, alors qu’ils y étaient autrefois omniprésents. Les journalistes désireux d’écrire ou de réaliser des émissions sur les questions politiques ont de plus en plus de mal à en vivre. De plus, Kaïs Saïed semble avoir réussi à persuader une grande partie de la population que les médias font partie d’une élite corrompue et ne sont pas dignes de confiance. En conséquence, les gens s’informent toujours davantage à partir de rumeurs sur Facebook. Comme nous l’a confié un chercheur spécialiste des médias :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu du mal à convaincre ma propre famille que les affirmations largement exagérées de Saïed sur le nombre d’immigrés subsahariens étaient forcément absurdes, parce qu’il n’y a plus d’autorités “épistémologiques”. Les annonces et les rumeurs sur Facebook ont remplacé les informations vérifiées comme source d’information. »</p>
</blockquote>
<p>La quasi-disparition de tout journalisme sobre et critique ne contribue en rien à réduire l’intense polarisation de la politique tunisienne entre le <a href="https://www.reuters.com/article/tunisia-politics-idCAKBN2RA05Z">président, les islamistes et le très réactionnaire Parti destourien libre</a>. Ils ont tous en commun de s’en prendre avec véhémence aux journalistes. Chaque camp construit sa propre réalité et s’attaque férocement à ceux qui remettent en cause ses affirmations en cherchant à diffuser des <a href="https://inkyfada.com/en/">informations objectives et critiques</a>.</p>
<p>Certes, la Tunisie n’est pas, loin de là, le seul pays où la situation de la liberté de la presse n’est pas idéale : celle-ci est en danger aussi bien <a href="https://rsf.org/en/classement/2022/americas">sur le continent américain</a>, que <a href="https://rsf.org/en/classement/2022/europe-central-asia">dans certains pays d’Europe et d’Asie centrale</a> ou encore, bien sûr, en <a href="https://rsf.org/en/country/russia">Russie</a> – liste non exhaustive. Le journalisme critique et factuel est menacé dans de nombreuses sociétés prétendument libres et pluralistes, et la Tunisie est actuellement l’un des points chauds. Ce constat n’aide toutefois en rien les journalistes tunisiens…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205501/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacob Høigilt a reçu des financements du Conseil norvégien de la recherche.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kjetil Selvik a reçu des financements du Conseil norvégien de la recherche.</span></em></p>La liberté d’expression, principal acquis de la révolution tunisienne de 2011, est aujourd’hui gravement menacée par le président Kaïs Saïed.Jacob Høigilt, Professor of Arab studies, University of OsloKjetil Selvik, Research Professor in political science, Norwegian Institute of International AffairsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010322023-03-21T17:48:59Z2023-03-21T17:48:59ZAlgérie : 60 ans plus tard, que reste-t-il des décrets de mars 1963 sur l’autogestion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515204/original/file-20230314-3238-7vd2qu.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1513%2C848&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Meeting de soutien aux décrets de mars 1963, Algérie, 1963.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Collection privée</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a tout juste 60 ans, fin mars 1963, la République algérienne à peine indépendante adoptait les fameux « décrets de mars » qui visaient à introduire dans certains secteurs de son économie un fonctionnement basé sur le principe de l’autogestion.</p>
<p>Une expérience aujourd’hui souvent méconnue, qui marqua pourtant son époque et eut un impact non négligeable dans de nombreux autres pays par la suite.</p>
<h2>De la propriété coloniale à la propriété algérienne</h2>
<p>Avec les <a href="https://mjp.univ-perp.fr/france/1962-1903evian.htm">accords d’Évian</a> signés le 19 mars 1962, s’ouvre une phase qui va aboutir à la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/305">proclamation de l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962</a>. Les accords prévoient, dans leur titre IV, des « garanties des droits acquis et engagements antérieurs », ce qui concerne notamment la propriété des « Européens » d’Algérie.</p>
<p>Il convient de rappeler à qui appartient le secteur agricole à l’époque, sachant que 87 % de la population vit de ce secteur, qui représente 33 % de la production brute et 67 % des exportations du pays. Les terres et les forêts s’étendent sur plus 20 millions d’hectares, dont près de la moitié appartiennent à l’État colonial, 3 millions à la propriété privée européenne et 10 millions aux Algériens. Mais, pour les deux tiers, les terres appartenant aux Algériens sont des terres improductives ou de maigres pâturages. 450 000 fellahs (petits paysans) possèdent moins de 10 hectares, alors que la surface moyenne des terres possédées par les colons est de 125 ha, sur lesquelles travaillent 450 000 ouvriers agricoles.</p>
<p>1 800 000 personnes avaient été déplacées par l’armée française dans des « camps de regroupement » pour vider des centaines de villages et rendre impossible le soutien des villageois aux maquisards. Enfin, plusieurs centaines de milliers d’Algériens sont des travailleurs émigrés à l’étranger, notamment en France, et 200 000 sont réfugiés de l’autre côté des frontières en Tunisie et au Maroc.</p>
<p>À l’indépendance, la situation est dramatique : pour plus de onze millions et demi d’habitants on compte un million de chômeurs ruraux, et un autre million est venu grossir la population urbaine, constituant une sorte de plèbe.</p>
<h2>Les biens vacants</h2>
<p><a href="https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/1962-lexode-des-francais-dalgerie">L’exode, entre mars et juillet, de la plupart des Français</a>, laisse un nombre important de biens vacants ou de matériel détruit par les propriétaires. Ainsi, alors que l’on dénombrait 5 600 tracteurs en 1956, il n’en reste que moins d’un millier en 1962. Les récoltes risquent d’être perdues. Il faudra attendre 1963 pour que la Yougoslavie de Tito (qui avait <a href="https://www.cairn.info/les-balkans-1945-1960%E2%80%939782130355137-page-191.htm">instauré l’autogestion en 1950</a> et par ailleurs largement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07075332.2015.1051569?journalCode=rinh20">soutenu le FLN pendant la guerre d’indépendance)</a> fournisse des engins agricoles en nombre à l’Algérie.</p>
<p>Le départ des Français se traduit, entre autres, par un déficit de l’encadrement, du fait du retour en métropole de 35 000 ingénieurs, 2 000 médecins et 20 000 enseignants. La Fédération de l’éducation nationale (syndicat majoritaire dans l’enseignement français) arrive toutefois à organiser l’arrivée de 8 000 enseignants dans l’Algérie nouvelle, et beaucoup d’autres Français viennent prêter main-forte, plutôt bien accueillis car pour beaucoup ils ont soutenu la lutte pour l’indépendance.</p>
<p>C’est dans ce contexte que l’on observe un fort mouvement d’occupation par des Algériens des logements, commerces et terres ayant anciennement appartenu aux Français. Dans les fermes de l’Algérois et d’Orléansville (aujourd’hui Chlef), des comités de gestion se mettent en place pour assurer d’urgence les récoltes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515211/original/file-20230314-4703-vmz4q8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Meeting de soutien aux décrets de mars 1963, Algérie, 1963.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Collection privée</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les nouveaux dirigeants du pays, qui craignent que de telles occupations fournissent à l’armée française un prétexte pour se maintenir afin de faire respecter les accords d’Évian, décident de protéger les biens vacants et prennent des mesures juridiques pour cela (<a href="https://www.lkeria.com/ordonnance-62-20-431">ordonnance du 24 août 1962</a>). Est constitué un <a href="https://www.joradp.dz/FTP/Jo-Francais/1962/F1962904.pdf">Bureau des biens vacants</a>. À son initiative, les comités de gestion sont légalisés le 22 octobre 1962 pour l’agriculture, puis en novembre pour l’industrie, le commerce et l’artisanat.</p>
<p>Ce même 22 octobre, les anciens propriétaires n’étant pas revenus, un décret transfère à l’État les propriétés européennes. Les achats effectués à bas prix par des Algériens nantis (commerçants, petits industriels, professions libérales) pendant la période de confusion des six mois précédents sont invalidés par un autre décret le 23 octobre 1962.</p>
<h2>Les décrets de mars 1963</h2>
<p>Le président Ben Bella, au départ réticent, constate la popularité du processus. C’est dans ces conditions que les « décrets de mars », adoptés les 18 et 22 mars 1963, instituent un secteur autogéré, sur la base des travaux et préconisations des membres du Bureau national d’animation du secteur socialiste (BNASS) qui a remplacé le Bureau des biens vacants, dans la perspective plus vaste d’une grande réforme agraire.</p>
<p>Cet organisme est composé d’Algériens, tel <a href="https://maitron.fr/spip.php?article138752">Mohammed Harbi</a>, mais aussi d’autres nationalités comme le juriste Français Yves Mathieu, mort dans un accident mystérieux, et dont la fille a réalisé un film, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6hWCynieEaQ"><em>L’Algérie du possible</em></a>, le trotskiste grec <a href="https://autogestion.asso.fr/michel-pablo/">Michel Raptis</a>, le surréaliste égyptien <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cpf07012208/interview-soliman-lotfallah">Lotfallah Soliman</a>, etc., qui se mettent « au service de la révolution algérienne ».</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515205/original/file-20230314-166-ijoe21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Journal officiel de la République algérienne portant publication des décrets du 22 mars 1963. Cliquer pour zoomer.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’architecture du système articule trois niveaux dans les entreprises concernées. Une assemblée des travailleurs, composée des ouvriers « permanents » ayant une ancienneté de six mois au moins (ce qui exclut les saisonniers) se réunissant chaque trimestre ; un conseil des travailleurs, désigné par l’assemblée générale, réunissant une fois par mois de 10 à 100 membres selon la taille de l’entreprise ; et enfin un comité de gestion de 3 à 11 membres, dont le président du comité, se réunissant chaque mois.</p>
<p>Dans l’agriculture, un organisme (ONRA, Office national de la réforme agraire) est chargé d’organiser la gestion des fermes abandonnées. À l’échelle du domaine, il désigne un chef d’exploitation doté d’une mission technique et un membre du comité de gestion. À une échelle locale, d’arrondissement, l’ONRA coordonne diverses activités, dont la réparation du matériel agricole, les coopératives d’écoulement et de commercialisation, et d’exportation des fruits et légumes.</p>
<h2>Les obstacles</h2>
<p>Dans la pratique, la mise en œuvre des décrets fut difficile. L’armée n’avait accepté l’autogestion qu’après avoir préempté pour elle-même 70 000 hectares des meilleures terres. Les enquêtes commandées par le BNASS ont révélé que dans beaucoup de cas, les ouvriers agricoles ont été expropriés au profit des anciens combattants appuyés par une administration non habituée à accepter des processus démocratiques. Le pouvoir politique lui-même n’a pas soutenu l’autogestion, tendant au contraire à accroître le contrôle du parti unique FLN sur les syndicats et les organisations sociales. Le nombre de travailleurs concernés fut limité ; le secteur autogéré en comptait environ 10 000 dans l’industrie, et 200 000 dans l’agriculture.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Toutefois, l’impact politique et symbolique fut important à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. À l’intérieur, le syndicat UGTA (Union générale des travailleurs algériens) avait lancé une grande campagne de soutien aux décrets de mars, avec une grande manifestation à Alger le 3 avril 1963. Dans les villes, des ouvriers et des étudiants, à l’appel de leur syndicat l’UNEA (Union nationale des étudiants algériens), organisaient des brigades de solidarité pour réparer les machines ou participer aux récoltes.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515206/original/file-20230314-24-cdz220.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une de « Révolution africaine » du 6 avril 1963. Cliquer pour zoomer.</span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://m.youtube.com/watch?v=30LfSuLxUQ0">L’hebdomadaire <em>Révolution africaine</em> dirigé par Mohammed Harbi</a> est un outil d’information et de formation, n’hésitant pas à faire état des difficultés et blocages. Des enquêtes de terrain sont confiées à des universitaires, dirigés par la Française <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jPQlcbRnpLA">Jeanne Favret-Saada</a> qui venait de remplacer Pierre Bourdieu à la faculté d’Alger. Les pressions et les menaces interrompent sa mission, son rapport de synthèse disparaît, mais beaucoup d’enquêtes de terrain ont pu être sauvées, et certaines récemment publiées dans un ouvrage de Mohammed Harbi, <a href="https://www.syllepse.net/l-autogestion-en-algerie-_r_76_i_879.html"><em>L’autogestion en Algérie : une autre révolution</em></a>.</p>
<h2>La renaissance de l’« utopie autogestionnaire »</h2>
<p>Quand Ben Bella est renversé en juin 1965 par le <a href="https://recitsdalgerie.com/coup-d-etat-boumediene/">coup d’État de Boumedienne</a>, on ne touche ni aux lois ni au vocabulaire de l’autogestion, bien que nombre de ses promoteurs soient arrêtés pour les uns, expulsés pour les autres. Il faut attendre 1971 pour que les termes changent ; on parle alors de « la gestion socialiste des entreprises », qui sont étatisées. À ce moment-là, le secteur dit autogéré recouvrait 80 % de la surface des cultures permanentes, assurait 60 % du revenu brut agricole utile, et 30 % net du revenu algérien, mais il n’avait plus, avec la bureaucratisation et les accaparements évoqués plus haut, d’« autogéré » que de nom.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=691&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=691&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=691&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515208/original/file-20230314-3609-qw6br.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une de « Sous le drapeau du socialisme », revue animée par Michel Raptis (Pablo). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour l’extérieur, le vocabulaire « socialiste » du <a href="https://autogestion.asso.fr/app/uploads/2012/11/le-programme-de-tripoli1.pdf">programme de Tripoli</a> élaboré par le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) en mai 1962 dans la perspective de l’indépendance et de la <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/algerie-charte_d%27alger1964.htm">« charte d’Alger »</a>, adoptée au congrès du FLN d’avril 1964, donne un cadre aux décrets de mars 1963. Tout cela répondait aux espoirs placés par une grande partie de la gauche dans une voie nouvelle qui ne soit ni le capitalisme, ni une économie étatisée comme celle des pays de l’Est.</p>
<p>En Italie, par exemple, des coopératives se mettent en relation avec des fermes autogérées algériennes. Le Parti communiste italien appuie l’autogestion, comme le fait en France, le Parti socialiste unifié (PSU). En mai 1967, le n°3 de la revue <em>Autogestion</em> y consacre un <a href="https://www.persee.fr/doc/autog_0005-0970_1967_num_3_1_908">numéro spécial</a>. En mai 1968, la CFDT adopte officiellement la perspective de l’autogestion.</p>
<p>Malgré ses limites, et même son échec politique, l’expérience algérienne a redonné un souffle à « l’utopie autogestionnaire » qui sera revendiquée en France et dans bien d’autres pays dans les années 1968.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Membre de l'Association autogestion et co-préfacier de "L'autogestion en Algérie: une autre révolution?".</span></em></p>En mars 1963, l’Algérie se lançait dans l’aventure de l’autogestion. Si l’expérience ne dura guère, elle n’en constitua pas moins une source d’inspiration pour d’autres pays, y compris européens.Robi Morder, Chercheur Associé au Laboratoire Printemps, UVSQ/Paris-Saclay, président du Groupe d'études et de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003912023-03-01T19:56:03Z2023-03-01T19:56:03ZQuatre ans après la Révolution du sourire, où en est la jeunesse algérienne ?<p><a href="https://www.cairn.info/hirak-en-algerie--9782358721929.htm">Le Hirak</a>, terme qui signifie en arabe tout simplement « mouvement », est né en février 2019, quand à travers des manifestations régulières, d’une ampleur inédite dans le pays, les Algériens ont massivement rejeté l’idée d’un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika, en poste depuis 1999 et pratiquement grabataire. </p>
<p>Ce mouvement résilient, novateur, non violent et innovant, largement porté par les jeunes, <a href="https://theconversation.com/algerie-quand-les-millennials-defont-le-trauma-avec-humour-et-imagination-113377">usant de slogans humoristiques incisifs</a>, ce qui lui a valu d’être surnommé <a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">« Révolution du sourire »</a>, a obtenu gain de cause puisque Bouteflika a <a href="https://www.europe1.fr/international/bouteflika-renonce-a-un-cinquieme-mandat-cest-un-moment-historique-pour-lalgerie-3872081">renoncé à son projet</a> et s’est retiré de la vie politique, avant de décéder en 2021.</p>
<p>Les protestataires n’ont pas souhaité s’arrêter là. Au-delà du seul cas de Bouteflika, ils aspiraient à une profonde démocratisation de l’Algérie et à un changement de génération à la tête du pays, exigence exprimée par le slogan <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Yetnahaw_Ga%C3%A2_!">« Yetnahaw ga3, qu’ils dégagent tous »</a>.</p>
<p>Le mouvement a donc continué même après le départ de « Boutef » et l’élection en décembre 2019 d’un cacique du régime, <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Algerie-Abdelmadjid-Tebboune-elu-president-huees-2019-12-13-1201066362">Abdelmadjid Tebboune</a>, alors âgé de 74 ans. En dépit de la répression et de l’épidémie de Covid, qui a permis au pouvoir de justifier l’interdiction des grands rassemblements, le Hirak est toujours vivant aujourd’hui, mais sous une forme différente de celle qui était la sienne à l’origine : les <a href="https://fr.hespress.com/302992-algerie-hirak-quatre-bougies-et-peu-de-dents-contre-la-tyrannie.html">rues algériennes sont restées vides</a> en ce quatrième anniversaire.</p>
<h2>L’évolution du Hirak</h2>
<p>Début 2020, les mesures visant à endiguer la pandémie ont contraint les manifestants à <a href="https://www.algerie-eco.com/2020/03/16/coronavirus-les-appels-a-une-treve-du-hirak-se-multiplient/">observer une trêve dans la rue</a>. Le Hirak a alors mué en une sorte de « e-Révolution », l’essentiel de la contestation se déployant désormais en ligne.</p>
<p>Mais le pouvoir n’a pas tardé à réagir, se dotant de différents textes de loi permettant d’interpeller des individus <a href="https://rsf.org/fr/projet-de-loi-anti-fake-news-en-alg%C3%A9rie-comment-museler-un-peu-plus-la-libert%C3%A9-de-la-presse">pour des propos tenus sur les réseaux sociaux</a>. Plus généralement, selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), des <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/02/21/algerie-trois-ans-apres-le-debut-du-mouvement-du-hirak-la-repression-se-durcit">centaines de personnes ont été inquiétées depuis le début du Hirak</a> : hommes, femmes, figures connues et inconnues, journalistes, personnel politique, étudiants, chômeurs, salariés, chefs d’entreprise…</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/DPvoevcDpcQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Dès lors, devant ce risque diffus, une autocensure s’est instaurée. Le mur de la peur semble être de nouveau retombé sur les aspirations de la jeunesse algérienne. Celle-ci avait initié un mode de protestation qui a su, un temps, déstabiliser l’exécutif par la combinaison d’une projection vers le futur (codes du digital, culture de consommation globale, mixité, chanson et danse) et du maintien d’une filiation historique avec la guerre d’indépendance algérienne, puisque les manifestants réclamaient que ses idéaux s’appliquent.</p>
<p>La reprise des marches en février 2021, avant leur nouvelle interdiction en juin 2021, s’est faite selon des modalités moins festives. L’été 2021, marqué par une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/29/en-algerie-le-systeme-de-sante-est-submerge-par-le-variant-delta_6089865_3212.html">nouvelle flambée de Covid</a>, ainsi que par des incendies meurtriers qui ont suscité un <a href="https://theconversation.com/a-lepreuve-du-feu-et-de-la-pandemie-un-regain-de-solidarite-nationale-en-algerie-166119">regain de solidarité nationale</a>, a contribué au retour en force non pas des marches en tant que telles, mais de l’idée du Hirak.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Un drame dans le drame a marqué une partie de la jeunesse hirakiste : le <a href="https://www.algerie360.com/victimes-des-incendies-florilege-dhommages-artistiques/">lynchage à mort de Djamal Bensmail</a>, artiste venu prêter main-forte aux personnes luttant contre les incendies en Kabylie, dont la personnalité condensait les valeurs défendues par le Hirak.</p>
<h2>Des champs d’expression plus restreints</h2>
<p>La fin de l’année 2022 voit la mise sous scellés de Radio M et du site associé, Maghreb Emergent, l’un des derniers médias en ligne dont l’image était associée au Hirak, et <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1323137/ihsane-el-kadi-icone-de-la-presse-libre-en-algerie.html">l’incarcération de leur fondateur et directeur, le journaliste Ihsane El Kadi</a>.</p>
<p>L’ONG internationale Reporters sans Frontières <a href="https://rsf.org/fr/rsf-saisit-l-onu-apr%C3%A8s-l-incarc%C3%A9ration-d-ihsane-el-kadi-en-alg%C3%A9rie">saisit l’ONU</a> et publie une lettre ouverte signée de 16 patrons de rédactions de 14 pays, dont Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix, qui appellent à la libération de leur confrère Ihsane El Kadi. Sans succès. L’affaire El Kadi rappelle <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-appel-la-mobilisation-internationale-pour-le-journaliste-khaled-drareni-371023">l’incarcération pendant un an, en 2020-2021, du journaliste Khaled Drareni</a>, qui a été un animateur phare de Radio M, dont le cas avait suscité une vague de soutien international. *Aujourd’hui, dans le pays, le climat est plus frileux au vu de la multiplication de ces affaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1614973055796760576"}"></div></p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/01/en-algerie-la-dissolution-de-la-ligue-des-droits-de-l-homme-illustre-l-escalade-repressive-du-regime_6160088_3212.html">La ligue algérienne des droits de l’homme est dissoute</a> depuis peu, et son vice-président a fui en France. Le RAJ <a href="https://www.jeuneafrique.com/1421053/politique/en-algerie-dissolution-du-raj-une-ong-emblematique-du-hirak/">(Rassemblement actions jeunesse)</a>, une ONG emblématique du Hirak, a également été interdit. <a href="https://www.slate.fr/story/225879/presse-francophone-algerie-declin-liberte-soir-dalgerie-el-watan">La presse indépendante francophone est moribonde</a>, ce qui réduit encore les espaces d’expression libre.</p>
<p>Des frictions diplomatiques ont mis aux prises Alger et Paris autour de l’affaire Bouraoui. Cette gynécologue, militante déjà connue depuis 2014 pour le <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/barakat-le-mouvement-anti-bouteflika-peut-il-s-etendre-en-algerie_1506636.html">mouvement Barakat</a> contre le quatrième mandat de Bouteflika et animatrice d’un programme sur Radio M, qui faisait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire algérien, a rejoint la France sous protection consulaire française au vu de sa double nationalité. </p>
<p>En réaction, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230208-affaire-amira-bouraoui-l-alg%C3%A9rie-rappelle-son-ambassadeur-en-france">Alger a rappelé son ambassadeur</a>. Ce <em>Bouraouigate</em> a semble-t-il provoqué l’incarcération du journaliste <a href="https://cpj.org/2023/02/algerian-journalist-mustapha-bendjama-arrested/">Mustapha Bendjama</a>, exerçant au <em>Provincial</em> d’Annaba. Notons qu’un lanceur d’alerte, Zaki Hannache, décrit comme un pilier du Hirak, a obtenu un <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/02/17/je-suis-le-prochain-sur-la-liste-a-tunis-l-exil-intranquille-du-militant-algerien-zaki-hannache_6162243_3212.html">statut de réfugié en Tunisie depuis trois mois</a>. Il avait reçu un prix pour son engagement lors d’une cérémonie organisée par Radio M.</p>
<h2>Radio M, une caisse de résonance à la jeunesse dans la ligne de mire du pouvoir ?</h2>
<p>Plusieurs protagonistes sont reliés à l’espace Radio M, cette radio web qui offrait des programmes classiques de débats et d’informations.</p>
<p>Pour la jeunesse algérienne, deux programmes ont, pendant la crise sanitaire, représenté une sorte de continuité de l’esprit positif du Hirak. Ils étaient tous deux animés par le regretté <a href="https://www.dzairdaily.com/algerie-anis-hamza-chelouche-decede-journaliste-radio-m-plus/">Anis Hamza Chelouche</a>, dit AHC, décédé lors d’un photoreportage en mer en septembre 2021. Chelouche, qui était une sorte d’archétype de cette jeunesse d’avant-garde patriote, avait couvert toutes les marches. Polyglotte, progressiste, il avait vécu dans trois pays européens mais était rentré au pays pensant contribuer à l’ouverture du champ des possibles pour les jeunes.</p>
<p>Le premier programme, <a href="https://www.facebook.com/watch/live/?ref=watch_permalink&v=677656219575478">Maranach Saktine</a> (Nous n’allons pas nous taire), qui fait directement écho au slogan Maranach Habsin (Nous n’allons pas nous arrêter), a consacré de nombreux numéros à des sujets sociétaux tabous ou mis a la marge. Il se caractérisait par un ton très particulier, donnant la parole aux jeunes, y compris à ceux que l’on n’entend jamais, qui s’exprimaient avec leurs mots, dans toute leur diversité – un véritable prolongement du Hirak de la rue.</p>
<p>L’autre émission animée par AHC, <a href="https://m.youtube.com/playlist?list=PLYQuO64wrGlV2bXru70sPIMxsqsQIeB8w">Doing DZ</a>, était consacrée à l’entrepreneuriat. Elle représentait l’autre versant du Hirak, celui d’une société civile en mouvement, qui ne fait pas que marcher mais qui crée ses propres opportunités, souvent en adaptant au marché algérien des services disponibles à l’étranger et en promouvant le <em>made in Algeria</em>, avec une vision start up ou libérale, qui n’attend pas l’État et ses subventions pour agir. Le Hirak a concerné les jeunes de toutes classes sociales qui ont signifié à leurs aînés leur volonté de trouver leur place dans la société, et de s’émanciper vis-à-vis du pouvoir politique mais aussi de toutes les institutions qui semblent sclérosées et bloquées, inhibant l’initiative individuelle.</p>
<h2>Jeunesse algérienne : quelles perspectives ? Le départ ou le silence</h2>
<p>Quelles solutions pour cette jeunesse ? Si durant les premiers mois du Hirak, on ressentait une effervescence des Algériens de l’intérieur et de l’extérieur à l’idée de bâtir le pays, aujourd’hui le départ devient un une option fréquente. De plus en plus d’étudiants y aspirent. En outre, alors que le Hirak espérait que moins de <em>harragas</em> (clandestins) risqueraient de prendre la mer au vu de l’espoir suscité par le mouvement, il semble que leur flux reste constant. Le phénomène concerne parfois femmes et enfants, avec hélas, régulièrement, des <a href="https://observalgerie.com/2022/08/21/societe/parties-harraga-espagne-trois-femmes-algeriennes-decedent-mer/">issues tragiques</a>.</p>
<p>Un mur, <a href="https://www.jeune-independant.net/un-mur-controverse-pour-fermer-les-plages-aux-harraga/">bâti le long de la corniche oranaise</a> et censé dissuader les candidats au départ, avait provoqué l’indignation des habitants. Ce mur était perçu comme une <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/algerie-oran-harraga-mur-repression-enfermement-libertes">métaphore de l’enfermement et de la rétention</a> de la jeunesse algérienne dans les murs du pays.</p>
<p>Pendant la crise sanitaire, les frontières maritimes et terrestres algériennes avaient été drastiquement fermées. Le retour à la normale a été long, privant d’échanges familiaux les Algériens vivant des deux côtés de la Méditerranée. Le Hirak a également été un temps particulièrement fluide et collaboratif entre les Algériens de l’intérieur et la diaspora.</p>
<p>Ces dernières semaines, plusieurs mesures gouvernementales montrent un décalage du pouvoir avec le Hirak, dont l’exécutif se réclame, mais en le cantonnant à un Hirak originel (celui qui a duré jusqu’à l’élection présidentielle de 2019) et dont il incarnerait désormais officiellement les aspirations. Le ministère du Commerce a <a href="https://maghrebemergent.net/signes-et-couleurs-contraires-aux-valeurs-morales-de-la-societe-le-gouvernement-mene-la-guerre/">fait retirer les produits comportant l’arc-en-ciel</a> car ils constitueraient une atteinte aux mœurs. Les internautes n’ont pas hésité à railler une mesure jugée absurde en proposant l’interdiction de l’arc-en-ciel dans le ciel. Une limitation des importations de produits de mode a été évoquée pour encourager la production nationale.</p>
<p>Récemment, la ministre de la Culture a exigé des sanctions pour les chansons comportant du contenu <a href="https://www.algerie360.com/ministere-culutre-chansons-vulgaires/">offensant pour les bonnes mœurs algériennes</a>. Bien sûr, comme ailleurs, le rap algérien se développe, et l’art en général sert à exprimer des transgressions et un besoin d’évasion surtout dans un champ d’expression fermé. Le rap mais aussi les chants des supporters dans les stades ont notamment <a href="https://academic.oup.com/book/45355/chapter-abstract/389273637?redirectedFrom=fulltext">joué un rôle important pour le Hirak</a>. Aujourd’hui, dans un contexte économique qui n’offre aux jeunes guère d’opportunités de se réaliser, leurs codes culturels (tech, mode,arts) semblent scrutés et policés par les autorités. On l’aura compris : pour le moment,la jeunesse algérienne n’est pas récompensée pour le pacifisme, le civisme, le patriotisme et l’ouverture de sa Révolution du Sourire… </p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Apparu en 2019 avant de se voir relégué au second plan pendant la pandémie, le mouvement du Hirak cherche à subsister face à une répression gouvernementale qui s’intensifie.Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1970392023-01-30T19:03:44Z2023-01-30T19:03:44ZQuel avenir pour le populisme semi-autoritaire en Tunisie après les élections législatives ?<p>Avec la tenue des élections législatives des 17 décembre et 29 janvier, la Tunisie a franchi une nouvelle étape dans l’application de sa nouvelle <a href="https://www.jurisitetunisie.com/tunisie/codes/Constitution_2022/menu.html">Constitution de 2022</a>, adoptée <a href="https://www.cartercenter.org/news/pr/2022/tunisia-fr-010423.pdf">à l’initiative du président Saïed</a>, arrivé au pouvoir en 2019.</p>
<p>Ces élections étaient organisées neuf mois après la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/31/en-tunisie-la-dissolution-du-parlement-prolonge-la-crise-politique_6119915_3212.html">dissolution du précédent Parlement</a> par le président suite à l’échec du gouvernement Mechichi (2020-2021), soutenu par une coalition parlementaire menée par le parti islamiste Ennahdha, à <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/10400">faire face à la crise du Covid-19</a>. Elles ne peuvent pas être qualifiées de « non libres » ; pour autant, elles n’ont pas été pleinement libres et équitables.</p>
<p>Comme le dit le <a href="https://www.cartercenter.org/news/pr/2022/tunisia-fr-010423.pdf">Centre Carter</a>, l’une des ONG les plus fiables sur les questions électorales :</p>
<blockquote>
<p>« Si les élections ont été techniquement bien administrées, le processus qui les sous-tend a manqué de légitimité et n’a pas satisfait aux normes et obligations internationales et régionales. » </p>
</blockquote>
<p>Les électeurs l’ont compris en boycottant largement le scrutin. La très faible participation, qui s’est élevée à seulement <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/tunisie-11-22-de-participation-aux-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-anticip%C3%A9es-/2767824">11,22 % au premier tour</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230130-second-tour-des-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-en-tunisie-seulement-11-3-de-participation">11,3 % (chiffre provisoire)</a> au second, a représenté une abstention record et constitué un camouflet pour Kaïs Saïed puisqu’il souhaitait un taux de participation élevé – alors que la quasi-totalité des partis politiques du pays avaient <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/16/en-tunisie-lopposition-appelle-au-boycott-des-elections/">appelé les électeurs à ne pas se rendre aux urnes</a>). L’issue de ce processus électoral met à mal le système politique tunisien et fait peser des incertitudes sur l’avenir politique de Saïed, candidat potentiel à sa réélection en 2024.</p>
<h2>Un régime présidentiel qui réduit le Parlement à la portion congrue</h2>
<p>Ces élections ont mis en lumière à la fois la résilience et les limites du mode de gouvernance de président Saïed : de nature hybride, celui-ci s’apparente à ce que nous qualifions de <a href="https://merip.org/2021/10/populist-passions-or-democratic-aspirations-tunisias-liberal-democracy-in-crisis/">« populisme semi-autoritaire »</a>.</p>
<p>Un tel régime est porteur de certaines spécificités. En tête de celles-ci se trouve une approche individualiste de la politique, un style de gouvernement par décret, dans lequel peu ou pas de dialogue politique a lieu entre le décideur dominant, sorte de <em>caudillo</em> tunisien, et les corps intermédiaires. Cette approche individualiste est l’une des principales raisons pour lesquelles plusieurs grands partis – les islamistes d’Ennahdha, les sympathisants de l’ancien régime d’Addoustouri al-Hor, les sociaux-démocrates d’Attayar – ont boycotté les législatives, de la même façon qu’ils avaient <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/26/en-tunisie-les-tunisiens-approuvent-par-referendum-une-constitution-hyperpresidentialiste_6136168_3212.html">boycotté le référendum sur la nouvelle Constitution</a>. On assiste à l’érosion de l’espace concret de la politique au profit d’un seul acteur, sans pour autant que la liberté d’action politique soit totalement restreinte dans le pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1435171985458302978"}"></div></p>
<p>Dans l’actuel régime présidentiel, le chef de l’État ne peut être responsable devant le Parlement ou destitué, sauf dans des conditions exceptionnelles. Le nouveau Parlement issu des élections qui viennent de se tenir est paralysé du fait de certaines dispositions de la nouvelle Constitution : il lui est impossible de choisir le chef du gouvernement (celui-ci est désormais désigné par le président) et la représentation des partis est affaiblie.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En effet, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/09/16/en-tunisie-le-president-kais-saied-instaure-une-nouvelle-loi-electorale-marginalisant-les-partis-politiques_6141947_3212.html">nouvelle loi électorale</a>, publiée par Saïed le 15 septembre 2022 sous la forme d’un simple décret sans débat politique préalable, oblige les candidats à présenter leur candidature et à faire campagne individuellement et sans affiliation à un parti. En outre, le financement public des formations politiques est désormais interdit. Il est donc difficile pour l’électorat de distinguer les candidats affiliés à des partis et les très nombreux candidats qui se présentent comme indépendants. Le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/12/16/en-tunisie-lopposition-appelle-au-boycott-des-elections/">boycott des élections</a> par les partis politiques a conduit à l’entrée d’un nombre élevé de députés indépendants au Parlement, compliquant la formation de blocs politiques influents et donc d’une opposition crédible.</p>
<h2>Un autoritarisme partiel</h2>
<p>Une autre caractéristique majeure du populisme semi-autoritaire est l’équilibre délicat entre la restriction de la liberté d’expression et le maintien de certains espaces de liberté. Par exemple, les personnalités de l’opposition qui vont à l’encontre de la ligne promue par la télévision d’État, laquelle est désormais <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/tunisie-l%C3%A9gislatives-le-snjt-appelle-%C3%A0-ne-pas-soumettre-la-t%C3%A9l%C3%A9vision-nationale-aux-ordres-de-l-isie/2789939">totalement alignée sur le président</a> ne sont plus les bienvenues depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/26/en-tunisie-le-president-gele-les-activites-du-parlement-et-demet-le-premier-ministre-de-ses-fonctions_6089509_3212.html">coup de force du 25 juillet 2021</a> par lequel Kaies Saïed a proclamé l’état d’exception, suspendu le Parlement et s’est arrogé des prérogatives très élargies.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zYlDbUZKPUk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Très peu de débats politiques ont lieu à la télévision, notamment en raison de la pression exercée sur les propriétaires des chaînes de télévision privées. Un nouveau décret présidentiel, le <a href="https://www.letemps.news/2022/09/19/le-snjt-appelle-kais-saied-a-retirer-le-decret-n-54/">« décret n°54 »</a> (publié le 13 septembre 2022), menace la liberté d’expression en introduisant des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement pour ce qui pourrait être assimilé à de la « propagation de fake news ». Certains militants politiques font déjà l’objet d’une enquête en vertu de la nouvelle loi.</p>
<p>Cependant, on trouve fréquemment des critiques du président dans les émissions politiques à la radio, dans la presse écrite et numérique, et sur les réseaux sociaux. Les opposants politiques de Saïed sont régulièrement invités dans la seule grande émission politique quotidienne de la chaîne privée Attessia TV et dans les principaux programmes politiques à la radio.</p>
<p>La façon dont les autorités traitent les manifestations politiques publiques est un autre exemple de cette approche hybride. Elles autorisent fréquemment les <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/tunisie-manifestation-de-l-opposition-contre-kais-saied-une-semaine-avant-les-legislatives">manifestations de rue de l’opposition</a>, mais ont tendance à limiter l’accès des militants à ces rassemblements, en mettant en place une série de barrages sur les routes menant à la capitale et dans le centre-ville.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yVRaSMkUOM8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des milliers de Tunisiens manifestent contre le président Kaïs Saïed et la crise économique, France 24, 15 octobre 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Une telle approche hybride rend difficile la comparaison du règne de Saïed avec l’autoritarisme de Ben Ali (président de 1987 à 2011). Non seulement Saïed semble être jusqu’à présent exempt de pression majeure aussi bien en interne qu’au niveau de la communauté internationale, mais il ne veut pas être comparé à tout autre dirigeant antérieur dans l’histoire de la Tunisie. Lorsqu’il parle de son style de gouvernement, il met l’accent sur le fait que la Tunisie vit sous son mandat <a href="https://www.researchmedia.org/key-notes-of-kais-saied-first-presidential-speech/">« une révolution culturelle sans précédent »</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tunisie-avec-ka-s-sa-ed-la-percee-electorale-des-populistes-125438">Tunisie : avec Kaïs Saïed, la percée électorale des populistes</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le populisme semi-autoritaire est un défi de taille pour le militantisme démocratique, notamment dans le contexte politique tunisien actuel. L’opposition est divisée entre le Front du salut,n dirigé principalement par le parti islamiste Ennahda, les sympathisants de l’ancien régime par Addoustour al-Horr, et les sociaux-démocrates dirigés par un groupe de cinq partis. Mais elle est peu attrayante pour les Tunisiens, notamment en raison de la période 2011-2019 séparant l’ère Ben Ali de l’arrivée au pouvoir de Saied, pendant laquelle une élite inefficace a été au pouvoir et <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/pourquoi-la-tunisie-a-perdu-dix-ans">n’a guère satisfait les attentes de l’électorat</a> en matière de réformes économiques et sociales.</p>
<p>De plus, elle <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/tunisia-political-parties-and-democracy-crisis">refuse systématiquement</a> de faire une autocritique sérieuse et de se réconcilier avec sa base populaire. Saïed n’a pas besoin de mettre son opposition hors la loi et de devenir pleinement autoritaire tant que celle-ci ne sera pas politiquement capable de modifier l’équilibre des forces. C’est peut-être l’une des principales raisons qui expliquent la résilience de son régime.</p>
<h2>L’épée de Damoclès du FMI</h2>
<p>L’abstention record aux élections a cependant montré le désaveu populaire que subit Saïed et laisse augurer de menaces possibles sur son pouvoir.</p>
<p>Les prochaines « réformes douloureuses » qui seront introduites dans le sillage de l’accord final de la Tunisie avec le FMI, qui s’attarde encore au milieu d’une <a href="https://www.tap.info.tn/en/Portal-Economy/15847229-delay-in-reaching">incertitude grandissante</a>, pourraient se traduire par une forte contestation sociale.</p>
<p>Le principal paradoxe du populisme semi-autoritaire est la contradiction frappante entre ses déclarations (« le peuple est bon et l’élite est néfaste ») et ses politiques « anti-populaires ». Cette contradiction est flagrante dans le discours officiel sur les « réformes » à venir : d’une part, <a href="https://www.imf.org/fr/News/Articles/2022/10/15/pr22353-tunisia-imf-staff-reaches-staff-level-agreement-on-an-extended-fund-facility-with-tunisia">l’accord avec le FMI du 15 octobre 2022</a> négocié par le gouvernement déclare qu’il « supprimera progressivement les subventions qui incitent au gaspillage » et une privatisation éventuelle de certaines entreprises publiques est évoquée (comme l’a dit la directrice du FMI dans une <a href="https://thearabweekly.com/high-stakes-tunisia-after-imf-agreement">interview du 16 octobre 2022)</a> ; d’autre part, les déclarations répétées de Saïed refusent clairement la fin du système de subventions et la privatisation des entreprises publiques.</p>
<p>Ces contradictions pourraient mettre en danger le règne de Saïed, affaibli par le boycott généralisé des législatives, et qui doit probablement s’attendre, dans les prochains mois, à des troubles sociaux d’envergure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tarek Kahlaoui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le premier tour des législatives tunisiennes, en décembre, a été marquée par une abstention record, signe de la désaffection des citoyens à l’égard du régime hybride du président Saïed.Tarek Kahlaoui, Associate professor d'histoire et de relations internationales, South Mediterranean UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1972422023-01-08T16:38:46Z2023-01-08T16:38:46ZL’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale : une mémoire douloureuse parfois méconnue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503283/original/file-20230105-20-nc2xj9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C1022%2C725&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Soldats allemands dans une rue de Tunis, 1943.</span> <span class="attribution"><span class="source">Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Il y a un peu plus de quatre-vingts ans, en novembre 1942, les <a href="http://www.cerclealgerianiste.fr/index.php/archives/encyclopedie-algerianiste/histoire/histoire-militaire/la-seconde-guerre-mondiale/265-la-tunisie-sous-occupation-allemande">nazis occupaient la Tunisie</a>. Pendant les six mois qui suivirent, les Juifs et les musulmans tunisiens furent soumis au règne de terreur du Troisième Reich, ainsi qu’à sa législation antisémite et raciste. Les habitants vivaient dans la peur – « sous la botte des nazis », comme l’a écrit l’avocat juif tunisien Paul Ghez dans son <a href="https://www.fondationshoah.org/memoire/six-mois-sous-la-botte-paul-ghez?2022-09-18_091008_2539.html">Journal</a> pendant l’occupation.</p>
<p>Nous sommes respectivement <a href="https://sarahastein.com/">historienne</a> et <a href="https://www.aomarboum.com/">anthropologue</a>. Ensemble, nous avons passé une décennie à <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=32119">rassembler les voix</a> de diverses personnes qui ont enduré la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord, par-delà <a href="https://www.worldreligionnews.com/issues/the-triangular-affair-between-muslims-france-and-jews-interview-with-ethan-b-katz/">leur confession, leur classe sociale, leur langue et leur région d’origine</a>. Leurs lettres, leurs journaux intimes, leurs Mémoires, leurs poèmes et leur histoire orale expriment à la fois l’espoir et la détresse. Ils se percevaient comme étant piégés par la machine déchaînée du nazisme, de l’occupation, de la violence et du racisme.</p>
<p>Quand la plupart des Européens pensent au cauchemar de la guerre ou de l’Holocauste, ils pensent avant tout aux événements survenus sur le continent européen. Mais l’Afrique du Nord n’a pas été épargnée par ce déferlement de haine et de violence.</p>
<h2>L’Afrique du Nord aux mains des régimes d’Hitler, de Mussolini et de Pétain</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503082/original/file-20230104-129650-1ae668.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=868&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une famille juive à Tanger, au Maroc, en 1885. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LL/Roger Viollet via Getty Images</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/patrimoine/histoire/2500-annees-de-presence-juive-en-afrique-du-nord-un-monde-qui-s-eteint_3477857.html">L’histoire des Juifs installés en Afrique du Nord</a> commence dès le VI<sup>e</sup> siècle avant J.-C., après la destruction du premier temple de Jérusalem. Une autre vague importante d’immigrants a suivi l’Inquisition espagnole. Au début de la Seconde Guerre mondiale, une <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2015-3-page-71.htm">population juive nord-africaine variée d’environ 500 000 personnes</a> coexistait avec les voisins musulmans.</p>
<p>Ces Juifs d’Afrique du Nord parlaient de nombreuses langues, reflétant leurs différentes cultures et appartenances : l’arabe, le français, le tamazight – langue berbère – et le haketia, une forme de judéo-espagnol parlé dans le nord du Maroc. Alors qu’un grand nombre de Juifs d’Afrique du Nord, en particulier en Algérie, bénéficiaient des privilèges de la citoyenneté française et d’autres nationalités occidentales, la majorité restait soumise aux autorités locales.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503079/original/file-20230104-18-i31kod.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un groupe de jeunes filles juives à Debdou, au Maroc, vers 1915.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Millet E/Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Juifs détenteurs de la citoyenneté française en <a href="https://journals.openedition.org/assr/21080">ont été déchus</a>. Trois puissances européennes ont gouverné tout ou partie de l’Afrique du Nord pendant la guerre, toutes trois avec une immense brutalité : la France de Vichy, l’Italie mussolinienne et l’Allemagne nazie.</p>
<p>Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie furent pendant la majeure partie du conflit dominés par la France de Vichy. Toutes les <a href="https://books.openedition.org/pumi/17916?lang=fr">lois et politiques antisémites et racistes</a> que le régime de Vichy a imposées à la France métropolitaine ont été <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/article/anti-jewish-legislation-in-north-africa">étendues aux colonies françaises d’Afrique du Nord et de l’Ouest</a>, expulsant les Juifs de leurs emplois, les privant de la citoyenneté – s’ils la possédaient – et saisissant les propriétés, les entreprises et les actifs appartenant à des Juifs.</p>
<p>Le régime de Vichy a également poursuivi les <a href="https://journals.openedition.org/rh19/1762">politiques racistes initiées par la IIIᵉ République</a>, en imposant le <a href="https://www.cairn.info/histoire-militaire-de-la-france--9782262065133-page-485.htm">service militaire aux jeunes Noirs des colonies</a>, et en les exposant aux avant-postes les plus dangereux en temps de guerre : après l’occupation allemande de la France, de nombreux tirailleurs sont emprisonnés par les nazis. Beaucoup ont été libérés et remis aux autorités de Vichy qui les ont utilisés pour contrôler la population indigène dans les colonies nord-africaines et les camps d’Afrique du Nord. Ces recrues forcées venaient du Sénégal, de Guinée française, de Côte d’Ivoire, du Niger et de Mauritanie, des territoires français du Bénin, de la Gambie et du Burkina Faso d’aujourd’hui. Il y avait également parmi eux des musulmans du Maroc et d’Algérie.</p>
<p>Ainsi, en ces temps de guerre, les Français menèrent une campagne anti-musulmane et anti-noire, associant des formes de haine raciale de l’ère coloniale à l’antisémitisme. Celui-ci avait des racines profondes dans l’histoire française et coloniale, mais trouva une <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2022-06-27/ty-article-opinion/.highlight/how-north-african-jews-have-been-erased-from-holocaust-history/00000181-a4fe-dcbe-a19b-a5ff8fc40000">nouvelle vigueur</a> avec le nazisme.</p>
<p>La politique antisémite et anti-Noirs était également une composante de la politique du gouvernement fasciste de Benito Mussolini, qui a <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-libye-vue-ditalie-colonialisme-fascisme-et-histoire-cachee">régné sur la Libye pendant la guerre</a>. L’Italie a d’abord testé sa politique raciste dans ses colonies d’Afrique orientale, en séparant les populations locales noires des colons italiens. Le régime de Mussolini a ensuite adapté cette politique de haine raciale en Libye, où il a <a href="https://northafricanjews-ww2.org.il/fr/les-juifs-de-libye-pendant-la-seconde-guerre-mondiale">chassé les Juifs de la vie active et de l’économie</a>, saisi les biens de milliers de personnes et les a déportées vers des camps de travail et d’internement. Des Juifs – enfants, femmes et hommes – sont morts de faim, de maladie, et des suites de privations et du travail forcé.</p>
<h2>Des camps en terre africaine</h2>
<p>L’Allemagne nazie a occupé la Tunisie de novembre 1942 à mai 1943. <a href="https://www.sup.org/books/title/?id=32119">Pendant cette période</a>, les SS – le corps d’élite du régime nazi – ont emprisonné quelque 5 000 Juifs dans environ 40 camps de travaux forcés et de détention sur le front et dans des villes comme Tunis. Les troupes allemandes ont également terrorisé les filles et les femmes musulmanes et juives restées sur place.</p>
<p>Le Troisième Reich n’a pas déporté des Juifs d’Afrique du Nord vers ses camps de la mort en Europe de l’Est, mais des centaines de Juifs d’origine nord-africaine et certains musulmans qui vivaient en France ont connu ce sort. Ils furent déportés d’abord au camp d’internement de Drancy, aux portes de Paris, puis envoyés de là dans des camps de concentration et de la mort. Beaucoup sont morts à Auschwitz.</p>
<p>Il y avait aussi des camps en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. En plus des centres ouverts par les fascistes italiens en Libye, la France de Vichy et l’Allemagne nazie ont établi des camps pénitentiaires, des camps de détention et des camps de travail.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503106/original/file-20230104-129855-8pavdk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un prisonnier juif allemand du nom de Rosenthal pousse une charrette dans la carrière de pierres du camp de travail d’Im Fout au Maroc.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée du mémorial de l’Holocauste des États-Unis</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le régime de Vichy a construit à lui seul <a href="https://encyclopedia.ushmm.org/content/fr/gallery/camps-in-north-africa">près de 70 camps de ce type au Sahara</a>, insufflant une nouvelle vie au vieux projet colonial consistant à construire un chemin de fer transsaharien pour relier les côtes atlantique et méditerranéenne. Le régime de Vichy y voyait notamment un moyen d’envoyer un certain nombre de soldats sénégalais assurer la sécurité des camps sahariens de travaux forcés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.yadvashem.org/fr/shoah/a-propos/camps/les-camps-dafrique-du-nord.html">ces camps</a>, comme dans les camps nazis d’Europe de l’Est, la logique raciste complexe du nazisme et du fascisme s’est illustrée de manière très concrète. Les musulmans arrêtés pour activités anticoloniales ont été contraints à un travail épuisant aux côtés de Juifs et de chrétiens qui avaient fui l’Europe déchirée par la guerre avant d’être arrêtés en Afrique du Nord.</p>
<p>Ces hommes ont partagé le pain avec d’autres travailleurs forcés du monde entier, y compris des combattants qui s’étaient portés volontaires aux côtés de l’armée républicaine espagnole pendant la guerre civile. Ces Ukrainiens, Américains, Allemands, Juifs russes et autres avaient été arrêtés, déportés et emprisonnés par le régime de Vichy après avoir fui l’Espagne de Franco. Il y avait aussi des opposants politiques du régime de Vichy et du régime nazi, dont des socialistes, des communistes, des syndicalistes et des nationalistes maghrébins. Des enfants et des femmes ont également été emprisonnés.</p>
<p>Parmi ces prisonniers, beaucoup étaient des réfugiés ayant fui l’Europe, que ce soit en raison de leur judéité ou parce qu’ils étaient des adversaires politiques du Troisième Reich. Les détenus étaient encadrés par des soldats français de Vichy ainsi que par des <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2004-2-page-215.htm">autochtones marocains et des Sénégalais recrutés de force</a>, qui n’étaient souvent guère plus que des prisonniers eux-mêmes. Parfois, les prisonniers du camp interagissaient avec les populations locales : musulmans sahariens et juifs qui leur fournissaient des soins médicaux, des lieux de sépulture, de la nourriture et du sexe contre de l’argent.</p>
<p>Le nazisme en Europe reposait sur une matrice complexe d’idées racistes, eugénistes et nationalistes. La guerre – et l’Holocauste – apparaît encore plus complexe lorsque l’on prend en compte la logique raciste et violente des événements survenus alors en Afrique du Nord.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au début des années 1940, l'Afrique du Nord a été aux mains de la France de Vichy, de l'Italie fasciste et de l'Allemagne nazie. Une période tragique et douloureuse pour les populations locales.Sarah Abrevaya Stein, Professor of History, University of California, Los AngelesAomar Boum, Professor of Anthropology, University of California, Los AngelesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1907672022-10-05T15:17:08Z2022-10-05T15:17:08ZFamilles immigrées : le niveau d’éducation progresse sur trois générations mais les inégalités sociales persistent<p>Une nouvelle loi immigration a été annoncée par le président Macron. Un « grand débat » aura lieu en 2023 à l’Assemblée nationale et au Sénat pour discuter certaines mesures déjà annoncées par l’exécutif. <a href="https://teo.site.ined.fr/">L’enquête Trajectoires et Origines (Te02)</a>, réalisée par l’Ined et l’Insee, est riche d’enseignements sur les parcours des personnes immigrées et leurs descendants. Ses premiers résultats renseignent sur leurs niveaux d’éducation.</p>
<p>De façon générale, le niveau d’éducation augmente d’une génération à l’autre. Mais progresse-t-il autant dans les familles issues de l’immigration que dans les autres ? Nous examinons la question en analysant les différences de progression au sein des familles selon leur origine géographique et le sexe des enfants.</p>
<p>Les enfants réussissent-ils mieux que leurs parents et leurs ascendants ? Cette question classique des études de mobilité sociale se pose avec une acuité particulière pour les familles immigrées, dont le projet migratoire visait souvent à améliorer leur sort et celui de leurs descendants. Or, ce projet se heurte à de nombreux obstacles.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-france-est-elle-aujourdhui-un-grand-pays-dimmigration-170309">La France est-elle aujourd’hui un grand pays d’immigration ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans quelle mesure les familles issues de l’immigration parviennent-elles à les surmonter au fil des générations ? La deuxième édition de l’enquête Trajectoires et Origines (TeO2) permet, pour la première fois, de répondre à cette question en mesurant la <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-7-page-1.htm">progression du niveau d’éducation sur trois générations</a>, ainsi que son rendement sur le marché du travail.</p>
<h2>Forte élévation du niveau de diplôme dès la deuxième génération</h2>
<p>Au-delà de l’âge de 30 ans, quand les études sont généralement terminées, la progression la plus notable du diplôme s’observe entre les parents immigrés (1re génération ou G1) et leurs enfants nés en France (2<sup>e</sup> génération ou G2). Dans ces familles, quand on compare le plus haut diplôme des deux parents à celui des enfants, on observe que la proportion de diplômés du supérieur passe de 1 sur 20 à près d’un tiers (figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520206/original/file-20230411-18-d5dh19.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure reprise de Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon, 2022, Population & Sociétés, n° 602.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est encore loin des 43 % de diplômés du supérieur que comptent les descendants de natifs (les G4+ dans notre notation, qui n’ont pas d’ascendants immigrés avant la 4<sup>e</sup> génération). S’en rapprochent cependant les personnes nées en France de couples mixtes (G2,5) avec 43 % de diplômés du supérieur, et les petits-enfants d’au moins un immigré (G3) avec 44 %. Il suffit donc que l’un des parents soit né en France pour que le niveau de diplôme rattrape celui du reste de la population.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Si l’on considère maintenant la « mobilité éducative », en comparant les enfants à leurs propres parents (plutôt qu’en comparant les niveaux de diplôme de chaque groupe indépendamment des liens familiaux), ce sont les enfants d’immigrés qui accomplissent la distance la plus importante, en raison de la faiblesse du niveau scolaire initial : plus de 70 % obtiennent un diplôme plus élevé que celui de leurs parents. La marge de progression se réduit autour de 55 % quand l’un des parents n’a pas migré ou que la migration des ascendants est plus ancienne.</p>
<p>La génération des enfants a été scolarisée à une période et dans une société où les études supérieures sont plus fréquentes, ce qui explique pour partie ces différences entre générations. Mais la progression intergénérationnelle et la convergence avec les descendants de natifs varient sensiblement selon l’origine des familles.</p>
<h2>Familles européennes et maghrébines : une convergence scolaire après deux générations ?</h2>
<p>Un premier profil est celui des familles originaires du Maghreb et d’Europe du Sud (figure 2). Alors que les parents ont très rarement un diplôme du supérieur (moins de 3 %), plus d’un tiers des enfants en possèdent. D’où le pourcentage élevé d’enfants plus diplômés que les parents : respectivement 70 % et 80 %. Cette forte progression en une génération ne s’explique pas seulement par la faible diffusion de l’enseignement supérieur dans les pays d’origine, mais aussi par la forte mobilisation des parents immigrés en faveur de la <a href="https://www.puf.com/content/Les_enfants_dimmigr%C3%A9s_%C3%A0_l%C3%A9cole">réussite scolaire des enfants</a>. Le niveau atteint reste cependant en dessous de celui des descendants de natifs (43 %), sauf pour les enfants de couples mixtes. À la troisième génération, les descendants de la migration européenne sont au même niveau que les descendants de natifs.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520208/original/file-20230411-24-9exvac.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure reprise de Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon, 2022, Population & Sociétés, n° 602.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des familles d’Afrique subsaharienne et d’Asie surdiplômées</h2>
<p>Un deuxième profil est celui des familles originaires d’Afrique hors Maghreb et d’Asie. Les parents sont au moins aussi souvent diplômés du supérieur que les parents natifs : un quart pour ceux d'Afrique subsaharienne contre un cinquième pour les autres (figure 2). Ces proportions s’élèvent à 40 % en cas de couples mixtes. Ce résultat témoigne d’une <a href="https://books.openedition.org/ined/831?lang=fr">évolution des profils des immigrés en France</a> : la diversification des origines s’est accompagnée d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2017-2-page-1.htm">élévation des niveaux d’instruction</a>, liée à une sélection plus intense des émigrants par rapport à ceux qui restent au pays d’origine.</p>
<p>Dans ces conditions, la marge de progression par rapport aux parents est plus réduite. Les enfants de ces familles sont, du reste, plus souvent diplômés du supérieur que les descendants de natifs (43 % contre 50 % parmi les enfants d’un ou deux immigrés d’Afrique, 54 % pour les enfants de deux immigrés d’Asie, et même 64 % pour les enfants de couples mixtes dont un parent vient d’Asie). Si le succès des descendants d’immigrés asiatiques est régulièrement commenté, ce n’est guère le cas pour les descendants d’immigrés africains, en butte aux représentations péjoratives des migrations africaines.</p>
<h2>Familles de Turquie et du Moyen-Orient : un désavantage scolaire persistant</h2>
<p>Troisième profil : les familles originaires de Turquie et du Moyen-Orient. Elles combinent un faible taux de diplômés du supérieur chez les parents (5 %) et un taux encore limité chez les enfants (18 %) (figure 2). Si ces derniers ont souvent progressé par rapport aux parents (deux fois sur trois), ils n’en constituent pas moins le groupe issu de l’immigration le moins diplômé. La trajectoire parcourue ne suffit pas, dans ce cas, à compenser un point de départ très défavorisé.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/en-master-des-candidats-discrimines-sur-leurs-noms-de-famille-177294">En master, des candidats discriminés sur leurs noms de famille</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Avoir un diplôme supérieur à celui de ses parents : plus fréquent pour les filles que pour les garçons</h2>
<p>La plus grande réussite scolaire des filles est un fait général bien connu en France. Elle se vérifie aussi chez les filles d’immigrés (figure 3), qui dépassent plus souvent que les fils le niveau de diplôme des parents. Ces différences de genre dans la mobilité éducative d’une génération à l’autre s’observent de la façon la plus saillante au sein des familles originaires de Turquie ou du Moyen-Orient : 75 % des filles ont un diplôme plus élevé que celui des parents, contre 55 % des garçons. Cet avantage des femmes est moins marqué au sein des familles issues d’Afrique subsaharienne (57 % des filles sont plus diplômées que leurs parents, contre 49 % des garçons) et du Maghreb (73 % contre 70 %).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=692&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520209/original/file-20230411-26-qhrxwy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=870&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure reprise de Cris Beauchemin, Mathieu Ichou, Patrick Simon, 2022, Population & Sociétés, n° 602.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un moindre rendement du diplôme sur le marché du travail pour les descendants d’immigrés extraeuropéens</h2>
<p>Au fil des générations, les descendants d’immigrés tendent donc à se rapprocher des niveaux de diplôme des descendants de natifs. Mais à quelles professions conduisent ces diplômes, et en particulier quelle est la part des diplômés du supérieur qui accèdent aux professions intermédiaires ou supérieures ? Elle s’élève à 77 % pour les descendants de natifs et à 75 % pour les petits-enfants d’immigrés européens.</p>
<p>En revanche, les diplômés du supérieur nés d’un ou deux parents d’origine extraeuropéenne sont moins nombreux à accéder à des professions intermédiaires ou supérieures : 69 % pour les originaires du Maghreb, d’Asie et du reste de l’Afrique. Une part de l’explication de ces écarts selon l’origine tient aux <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2017-7-page-1.htm">discriminations à l’embauche régulièrement mesurées</a>. Dans tous les groupes, le rendement professionnel d’un diplôme du supérieur est moindre pour les femmes, notamment du fait de leur retrait plus fréquent du marché du travail.</p>
<p>Les descendants d’immigrés obtiennent des diplômes sensiblement plus élevés que ceux de leurs parents. Malgré cette progression, la deuxième génération ne rejoint pas le niveau des descendants de natifs, notamment chez les enfants d’immigrés originaires d’Europe du Sud, du Maghreb et surtout de Turquie. Le rattrapage s’observe, en revanche, chez les enfants de couples mixtes et parmi la troisième génération issue de la migration européenne. Qu’en sera-t-il des petits-enfants d’immigrés d’origine extraeuropéenne ? L’enquête TeO2 comporte un échantillon complémentaire pour cette population qui permettra, dans des études à venir, de répondre à cette question importante. Il reste que la détention d’un diplôme du supérieur ne garantit pas un accès égal au marché du travail selon l’origine migratoire. La mobilité éducative favorise la mobilité sociale mais ne la garantit pas.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est adapté d’un article publié par les auteurs dans Population et Sociétés n° 602, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-7-page-1.htm">« Familles immigrées : le niveau d’éducation progresse sur trois générations mais les inégalités sociales persistent »</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Simon a reçu des financements de l'ANR et de plusieurs ministères et organismes publiques (Défenseur des Droits et DilCRAH), notamment pour financer la réalisation de l'enquête Trajectoires et Origines . </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cris Beauchemin a reçu divers financements publics pour mener ses recherches (ANR, Commmission européenne...)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathieu Ichou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le niveau d’éducation augmente d’une génération à l’autre. Mais progresse-t-il autant dans les familles issues de l’immigration que dans les autres ?Patrick Simon, Chercheur associé à l'Observatoire Sociologique du Changement, Sciences Po; Co-responsable du master Migrations de l'Institut des Migrations (Paris 1 -Ehess), Institut National d'Études Démographiques (INED)Cris Beauchemin, Chercheur, Directeur délégué à la valorisation, Institut National d'Études Démographiques (INED)Mathieu Ichou, Chargé de recherche à l’Ined, co-responsable de l’unité Migrations Internationales et Minorités (MIM), Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1895812022-09-06T21:40:27Z2022-09-06T21:40:27ZPourquoi les jeunes Marocains préfèrent-ils l’anglais au français ?<p>Les jeunes Marocains sont de plus en plus nombreux à estimer que la maîtrise de l’anglais leur donnera accès à une meilleure éducation et accroîtra leurs chances d’obtenir un poste à l’étranger. Le français fait moins recette qu’auparavant.</p>
<p>Depuis <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ma1956.htm">son indépendance</a> en 1956, le Maroc entretient des <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2016-4-page-67.htm">liens</a> diplomatiques, économiques et culturels forts avec la France. <a href="https://www.amb-maroc.fr/_rm/maroc_oif.html">L’ancrage dans la francophonie</a> a longtemps semblé une évidence, un horizon indépassable. Sans être une langue officielle du pays, le français est la première langue étrangère des écoliers marocains et la langue privilégiée de l’enseignement universitaire, se lit sur les devantures des bâtiments privés et publics, et son usage est largement diffusé dans les administrations et le monde des affaires.</p>
<p>Toutefois, l’attachement à la langue française se délite chez une partie des Marocains, notamment les plus jeunes. <a href="https://www.britishcouncil.ma/en/shift-english">Une étude</a> du British Council publiée au printemps 2021 révèle qu’une majorité des jeunes serait favorable à la substitution du français par l’anglais. Ainsi 40 % des <a href="https://m.facebook.com/brutmaroc/videos/ces-jeunes-marocains-qui-veulent-parler-anglais-plut%C3%B4t-que-fran%C3%A7ais/517741339338118/">jeunes Marocains préféreraient apprendre l’anglais</a>, contre seulement 10 % le français. Un nombre croissant de jeunes se dit plus à l’aise et privilégiant l’anglais, tant dans les interactions quotidiennes que pour leur parcours académique. Dans le même temps, les rayons anglophones des librairies s’agrandissent au détriment de la littérature et des écrits francophones.</p>
<p>Pour comprendre les motifs du détachement des jeunes Marocains du français au profit de l’anglais, nous avons conduit des focus groups avec les étudiants de première année d’une école de commerce. Les groupes ont été composés de manière à refléter la diversité des étudiants en matière d’origine sociale (des étudiants issus des classes les plus aisées et des étudiants boursiers) et de maîtrise des langues française et anglaise (certains étudiants affichant une appétence particulière pour l’une ou l’autre des deux langues).</p>
<p>L’expression des jeunes révèle un rapport ambivalent à la langue française. Nous identifions trois motifs sociaux et politiques de leur préférence pour l’anglais :</p>
<ul>
<li><p>un rapport pragmatique et fonctionnel des jeunes à la langue étrangère ;</p></li>
<li><p>une transformation des élites ; </p></li>
<li><p>une gestion du stigmate de langue chez les classes populaires.</p></li>
</ul>
<h2>L’anglais, langue des opportunités mondiales</h2>
<p>Les jeunes Marocains, dont l’arabe reste très majoritairement la première langue d’usage, adoptent un raisonnement pragmatique en « coûts/bénéfices » concernant leur langue étrangère d’usage. Ils arbitrent en particulier entre la difficulté perçue d’apprentissage de la langue et les opportunités que celle-ci offre en matière de connaissances, d’ouverture au monde, de mobilité internationale et d’opportunités professionnelles.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YMbcGGtJPLY?wmode=transparent&start=21" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">21st Century Morocco Podcast: The shift to English in Morocco.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans ce match des « coûts/bénéfices », l’anglais l’emporte de plus en plus face au français dans l’esprit des jeunes Marocains.</p>
<p>D’abord parce que l’anglais est perçu comme accessible et aisé à apprendre, notamment grâce aux contenus culturels plus largement disponibles dans cette langue. Netflix, YouTube et les réseaux sociaux sont tout autant un moyen de divertissement qu’un outil d’apprentissage linguistique. Ensuite, parce que l’anglais est considéré comme la <a href="http://gerflint.fr/Base/Europe8/Hamel.pdf">langue internationale</a> qui ouvre les opportunités et les horizons les plus vastes en matière d’études, de voyages, d’affaires et d’échanges avec des personnes du monde entier.</p>
<p>A contrario, le français est décrit comme une langue qui, d’une part, est difficile à apprendre et, d’autre part, enferme dans un lien quasi exclusif avec la France et quelques rares pays francophones d’Europe et d’Afrique. Par pragmatisme et utilitarisme, bon nombre de jeunes Marocains ne s’embarrassent pas de maîtriser une <a href="https://revues.imist.ma/index.php/JALCS/article/view/22334">langue qui leur semble moins désirable</a> car moins porteuse d’opportunités.</p>
<h2>L’anglais, langue des nouvelles élites</h2>
<p>Les élites marocaines sont traditionnellement réputées francophones et francophiles. Le succès des établissements scolaires d’enseignement français, dits de la <a href="https://www.efmaroc.org/">mission française</a>, et le poids socio-économique des lauréats des grandes écoles françaises en attestent.</p>
<p>Mais cette élite se sent également trahie et se détourne d’un partenaire qui a multiplié les signes d’inimitié. Le premier remonte à la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/05/31/la-circulaire-gueant-sur-les-etudiants-etrangers-abrogee-ce-jeudi_1710020_823448.html">loi Guéant</a> qui, en 2011, interdisait l’accès à l’emploi en France aux jeunes lauréats étrangers des grandes écoles et universités françaises. Si la loi a été abrogée un an plus tard après le retour de la gauche au pouvoir, la blessure narcissique des élites marocaines est restée. De plus, l’irrésistible progression des discours xénophobes portés par l’extrême droite et, plus récemment, la baisse drastique du <a href="https://www.facebook.com/watch/?ref=search&v=604750691085700&external_log_id=f296e94b-8c6f-4caa-be47-0e1ff6357501&q=brutmaroc">nombre de visas français octroyés</a> aux ressortissants marocains ont ravivé le sentiment de rejet et les interrogations des élites marocaines quant à leur relation privilégiée avec la France.</p>
<p>De manière concomitante, le Maroc a vu émerger une nouvelle élite plus anglophone, formée sur les bancs des universités américaines, canadiennes et britanniques. Celle-ci promeut un usage plus intense de l’anglais dans les milieux d’affaires et universitaires et le renforcement des liens politiques et économiques avec le monde anglo-saxon.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le royaume a entrepris une politique de diversification de ses partenariats politiques et commerciaux. La France n’est plus perçue comme le partenaire économique privilégié et la destination rêvée des jeunes Marocains pour poursuivre leurs études. Entre 2012 et 2017, le <a href="http://archimedeconsulting.com/mobilite-internationale-des-etudiants-marocains-1-5-la-destination-france-reste-la-plus-prisee/">nombre d’étudiants marocains à l’étranger</a> a progressé de 16 % au Canada, de 35 % en Allemagne, de 179 % en Ukraine, et de seulement 3 % en France. Les universités marocaines participent à cette politique de diversification. Elles ont multiplié les <a href="https://ledesk.ma/encontinu/la-faculte-de-medecine-de-lum6ss-dotee-dune-filiere-anglophone/">cursus anglophones</a> et les programmes d’échanges avec les universités non francophones.</p>
<p>De telle sorte que le français n’est plus perçu par les jeunes comme la langue de la réussite académique et professionnelle.</p>
<h2>Gestion du stigmate : la revanche des classes populaires</h2>
<p>Au Maroc, la maîtrise de la langue française s’est transformée en <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=WfWKkl4GbLAC">marqueur social et de classe</a>, à mesure que la qualité de l’enseignement de la langue s’est dégradée au sein de l’école publique.</p>
<p>Une partie conséquente de la jeunesse issue des classes populaires porte sa faible maîtrise du français comme un <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/2572">stigmate</a>, c’est-à-dire un attribut social visant à dévaloriser certaines catégories de population qui sont censées s’écarter de la norme sociale dominante, tel que l’a décrit le sociologue américain Erving Goffman.</p>
<p>Chez les jeunes des classes populaires, le « shift to english » relève précisément de la gestion du stigmate. À défaut de maîtriser la norme sociale des élites, ils s’en éloignent encore plus et retournent le stigmate par leurs comportements et dans leur discours. Les plus modérés utilisent l’anglais parce qu’ils se sentent plus à leur aise dans cette langue et pour éviter les erreurs de français qui révèlent leur stigmate. Les plus radicaux en font une question d’identité et portent un discours de rupture avec <a href="http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/25/Benzakour%20Fouzia.pdf">l’ancienne langue coloniale</a>. Pour ces derniers, la francophonie du Maroc n’est que la queue de comète de la période coloniale. Ils s’en détournent et s’emploient à créer une nouvelle norme dominante.</p>
<p>Cette transformation de l’usage de la langue questionne l’avenir des liens économiques, politiques, éducatifs et culturels entre le Maroc et la France. Au-delà du Maroc, elle interroge sur le rôle de la francophonie comme outil d’influence de la France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189581/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre l’attrait croissant qu’exerce la langue anglaise sur les jeunes Marocains. Pour un ensemble de raisons, le français semble voué à reculer dans ce pays.Hicham Sebti, Directeur d'Euromed Fès Business School - Chercheur associé au Research Institute for European, Mediterranean, and African Studies (RIEMAS), Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMFHafsa El Bekri, Enseignante-chercheure en économie internationale, Université Euro-Méditerranéenne de Fès - UEMFLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1863272022-07-17T18:23:25Z2022-07-17T18:23:25ZCeuta et Melilla, pièges à migrants entre le Maroc et l’Espagne<p>Le vendredi 24 juin 2022, entre 23 et 37 personnes (selon les sources officielles du <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/incidents-melilla-le-cndh-presente-des-conclusions-preliminaires/">Conseil national des droits humains</a> et de l’<a href="https://ledesk.ma/encontinu/assaut-contre-melilla-le-bilan-passe-a-27-deces-chez-les-migrants-amdh-nador/">Association marocaine des droits humains section Nador</a>) ont trouvé la mort. Ils faisaient partie des centaines de migrants d’Afrique subsaharienne <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/06/27/a-melilla-une-tentative-d-entree-de-migrants-tourne-au-drame_6132174_3212.html">qui ont tenté de forcer les barrières grillagées au point de « Bario Chino »</a> séparant Nador au Maroc de Melilla, ville autonome espagnole encastrée en territoire marocain, tout comme Ceuta, située sur une presqu’île dans le détroit de Gibraltar, face à la pointe espagnole.</p>
<p>Ces enclaves constituent les seules frontières terrestres d’un pays membre de l’Union européenne (UE) avec le continent africain.</p>
<p>Depuis ce drame, chaque pays se renvoie la responsabilité. L’Espagne accuse les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/drame-de-melilla-l-espagne-denonce-les-mafias-et-une-attaque-contre-son-territoire-apres-la-mort-d-au-moins-18-migrants-dans-l-enclave_5220814.html">mafias</a>, tandis que les associations marocaines demandent une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20220626-drame-de-melilla-des-voix-au-maroc-r%C3%A9clament-une-enqu%C3%AAte-approfondie-madrid-accuse-les-mafias">enquête approfondie</a> afin de déterminer ce qui s’est passé, donnant lieu à des <a href="https://www.voaafrique.com/a/drame-de-melilla-ouverture-du-proc%C3%A8s-d-un-1er-groupe-de-migrants-au-maroc/6644744.html">récits contradictoires</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cartes des enclaves « espagnoles » au Maroc" src="https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/473826/original/file-20220713-2577-vea7q4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Zoom sur les enclaves de Ceuta et Mellila au Maroc et situation géographique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://img.freepik.com/vecteurs-libre/carte-ceuta-melilla_6487-306.jpg?w=2000">Freepik</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Comment expliquer la survenue de ce énième drame humain aux frontières de l’Europe ? Le royaume marocain fait-il du zèle sur ce dossier sensible ou bien n’est-il qu’un pion dans la politique européenne de frontiérisation <a href="https://www.lacimade.org/un-nouveau-charnier-aux-barrieres-de-melilla-les-massacres-racistes-et-limpunite-doivent-cesser-aux-frontieres-maroco-espagnoles/">aux conséquences souvent fatales</a> pour les populations ? Au cœur des enjeux de gestion migratoire par l’UE, ces deux villes de transit, aussi bien en termes de flux de population que de marchandises, sont aussi tributaires de leur passé colonial.</p>
<h2>Une survivance anachronique du colonialisme</h2>
<p>Selon l’expert <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-ceuta_et_melilla_histoire_representations_et_devenir_de_deux_enclaves_espagnoles_yves_zurlo-9782747576567-19258.html">Yves Zurlo</a>, ces deux enclaves constituent « une survivance anachronique du colonialisme en Afrique », qui explique en partie leur situation particulière. En effet elles n’ont jamais été <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/23847-ceuta-et-melilla-villes-espagnoles-ou-dernieres-colonies-en-afrique">rétrocédées</a> au Maroc après la fin de la colonisation (1956) <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1958/04/03/bull-rabat-obtient-de-madrid-la-retrocession-du-maroc-meridional-bull-tunis-reaffirme-sa-prevention-a-l-egard-d-un-controle-frontalier_3125988_1819218.html">à l’instar des autres territoires</a>.</p>
<p>Cette spécificité leur a, d’une certaine façon, permis de continuer à prospérer et de fonctionner <a href="https://journals.openedition.org/mcv/8025?lang=pt">comme les anciens comptoirs coloniaux</a> qu’elles ont été tout <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/4973">au long</a> des XVI<sup>e</sup>, XVII<sup>e</sup> et XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Ces deux « cités autonomes » jouissent d’une fiscalité très particulière (statut de port franc acquis en 1863) ce qui favorise un <a href="https://atalayar.com/fr/content/entrepreneurs-de-ceuta-et-melilla-les-douanes-sont-dans-linteret-de-lespagne-et-du-maroc">commerce important entre Espagne et Maroc</a> mais aussi de nombreux échanges plus ou moins licites.</p>
<p>Ainsi, s’il existe bien un impôt régional, les Ceutiens et les Mélilliens « ne payent pas de TVA sur les tabacs, les carburants et les combustibles » et bénéficient de nombreuses réductions de taxes. Par ailleurs, si l’Espagne revendique l’appartenance de ces enclaves à l’UE, ces dernières sont exemptées des <a href="https://taxation-customs.ec.europa.eu/ceuta-and-melilla_fr">droits de douane européens</a>.</p>
<h2>Des trafics de « pauvres à pauvres » aux relents coloniaux</h2>
<p>Ces spécificités financières ont favorisé les <a href="https://www.econostrum.info/Ceuta-et-Melilla-barometres-des-relations-entre-le-Maroc-et-l-Espagne_a27253.html">trafics frontaliers illégaux</a> et induisent une culture de l’illicite profondément ancrée sur ces territoires. La situation a perduré depuis les années 1960 avec une certaine complicité et tolérance du Maroc.</p>
<p>Après s’être libéré, le Maroc, fragilisé économiquement notamment <a href="https://orientxxi.info/magazine/quand-la-france-colonisait-le-maroc-par-la-dette,1709">par la domination coloniale</a> était dans l’incapacité logistique d’acheminer des marchandises d’importation sur l’ensemble de son territoire. Le royaume avait aussi besoin de faire vivre une partie des populations situées à proximité de ces enclaves, notamment dans la région du Rif qui a souffert longtemps d’un <a href="https://www.jeuneafrique.com/401822/societe/maroc-rif-histoire-dune-region-rebelle/">manque d’investissement étatique</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MQ6sGYzlaes?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les « femmes-mulets » de Ceuta et Mellila (France 24).</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est ainsi que s’est mis en place un commerce à grande échelle « de pauvres à pauvres » comme le nomme <a href="https://journals.openedition.org/remi/7558">Alain Tarrius</a> et ce, en dehors de tout cadre réglementaire européen. En témoigne par exemple l’exploitation des <a href="http://www.slate.fr/grand-format/femmes-mulet-maroc-espagne-photos-156479">« femmes mulets »</a>, des Marocaines transportant chaque jour sur leur dos <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2009/06/26/01003-20090626ARTFIG00339-ceuta-plaque-tournante-des-femmes-mulets-.php">jusqu’à 70 kilos</a> entre les enclaves et le Maroc. Pourquoi des femmes ? Choisies parce que mères, elles ont la réputation de revenir après avoir traversé… Elles passent sans visa et avec un laissez-passer, ce qui devrait exclure ces territoires de l’espace Schengen.</p>
<p>Interdiction de <a href="https://www.challenges.fr/monde/europe-le-droit-d-asile-doit-etre-respecte-a-ceuta-et-melilla_610994">passer pour les uns</a>, autorisation pour les autres lorsque cela profite aux intérêts de l’ancien comptoir colonial.</p>
<h2>Ceuta et Melilla, des routes migratoires réactivées</h2>
<p>En 1991, avec la création de l’espace Schengen, le renforcement des frontières extérieures européennes devient un <a href="https://ec.europa.eu/dorie/fileDownload.do;jsessionid=hwDhRwlNVGNvh14Bfq8SmWHLPW1mNnr2qyPQ1chyhh6pJ8RMbhpf!1503812395?docId=204859&cardId=204859">principe de gouvernance transnationale</a> pour l’UE, qui, se sentant menacée, se tourne vers des pays tiers limitrophes pour consolider sa sécurité aux frontières.</p>
<p>Cette politique ne fera qu’augmenter le <a href="https://fr.euronews.com/2022/07/09/drame-de-melilla-partenariat-renove-entre-lue-et-le-maroc-contre-la-traite-humaine">nombre des tentatives de passages</a> clandestins, accentuant alors des réponses toujours plus sécuritaires et entraînant l’UE dans une spirale répressive ponctuée de <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/pt/ip_19_6810">drames humains</a>.</p>
<p>En effet, la prohibition ne diminue pas les <a href="https://www.yumpu.com/fr/document/read/33603727/e-migrinter-2008-numacro-01-maison-des-sciences-de-lhomme-et-">circulations migratoires</a>. Les Africains désirant migrer dans un pays européen, par choix comme par obligation pour ceux qui fuient les guerres, ont dû s’adapter en cherchant de nouvelles portes d’entrée au Nord, comme, par exemple, ces deux enclaves encastrées dans le continent africain, produisant de nouvelles stratégies de contournement.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ils ont dû aussi prospecter de nouvelles destinations, renforçant ainsi les <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=MULT_049_0076&download=1">migrations Sud-Sud</a>, et faisant d’un pays d’émigration comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2013-3-page-139.htm">Maroc un pays d’installation et de passage vers l’Europe</a>.</p>
<p>Ainsi, en fonction des fermetures/ouvertures, contrôles stricts/souplesse de la surveillance, en lien très souvent aussi avec les relations diplomatiques maroco-espagnoles, les migrants, fins stratèges dans leur manière de circuler vont activer, voir <a href="https://www.cairn.info/revue-maghreb-machrek-2014-2-page-75.htm">réactiver certaines routes migratoires</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-logiciel-pour-redonner-un-visage-aux-migrants-disparus-173104">Un logiciel pour redonner un visage aux migrants disparus</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une crise frontalière permanente</h2>
<p>En 2002, après l’arrivée jugée trop importante de migrants marocains et d’Afrique subsaharienne sur la route de Ceuta et Melilla, l’UE a déployé en force un arsenal important (construction de grillages et de barbelés) aggravant une <a href="https://journals.openedition.org/conflits/19091#xd_co_f=NDM4NGUxMzAtMDEyYS00ZWUyLWEyNzgtMGY4NjY5MjhmMGJh%7E">crise frontalière désormais permanente</a>.</p>
<p>En dépit de ces dispositifs, les migrants continuent <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/291">d’emprunter ces voies</a> qui, espèrent-ils, leur permettront un <a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2661 ?lang=es">accès direct à l’Europe</a>. On note d’ailleurs une <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/western-routes">recrudescence de ces passages</a> et ce en dépit des nombreux risques qu’ils encourent.</p>
<p>Peu à peu, Ceuta et Melilla deviennent des villes de transit vers une Europe qui semble toujours plus lointaine et où les droits des migrants y sont moins garantis entraînant parfois des violences intolérables.</p>
<p>En 2005, les deux enclaves avaient connu l’assaut de centaines de migrants provoquant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2005/09/29/l-assaut-d-immigrants-sur-l-enclave-espagnole-de-ceuta-a-fait-cinq-morts_694052_3210.html">plusieurs morts</a>, suscitant <a href="https://www.gisti.org/spip.php ?article950">l’indignation internationale</a>. Dix ans plus tard, les associations décrivent des <a href="http://migreurop.org/IMG/pdf/fr_rapportconjoint_ceutamelilla_decembre2015.pdf">centres de tris humains à ciel ouvert</a>. Et en 2021, c’est un autre drame migratoire avec les tentatives de passage de [nombreux mineurs marocains] vers <a href="https://information.tv5monde.com/info/ceuta-une-majorite-de-mineurs-au-c%C5%93ur-de-la-vague-de-migration-409448">Ceuta</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/migrants-des-morts-au-nom-de-la-loi-101953">Migrants : des morts au nom de la loi ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>De nouvelles stratégies</h2>
<p>Comment faire face à ces enjeux ? Les <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2021-4.htm">recherches</a> montrent que de <a href="https://revues.imist.ma/index.php/GeoDev/article/download/22525/12058">nouvelles politiques s’élaborent</a>, aussi bien au sein de l’UE que du côté marocain.</p>
<p>Depuis plusieurs années, les pays de l’Union européenne <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2007-2-page-149.htm">négocient la sécurité de leurs frontières extérieures</a> avec les pays qui sont en bordure du continent (Turquie, Maroc et Libye par exemple). L’accord signé en 2016 entre l’UE et la Turquie a ainsi permis d’externaliser l’« accueil » des réfugiés en <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-2-page-30.htm">contrepartie</a> d’aide financière pour la Turquie et de facilitation de visas pour ses citoyens.</p>
<p>De la même façon, le partenariat pour la mobilité signé en 2013 entre l’UE et le Maroc doit <a href="https://cadmus.eui.eu/handle/1814/68776">faciliter</a> les <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ ?uri=LEGISSUM %3Al33105">accords de réadmission</a> et les formalités des visas. Or actuellement, l’offre de visas pour les Marocains est en baisse de la part d’un certain nombre de pays de l’Europe faisant des visas un <a href="https://www.maroc-hebdo.press.ma/refus-demandes-visas-schengen-consulaires-francais">véritable levier de négociation</a>.</p>
<p>Pour la chercheuse Nora El Qadim, bien que la négociation de la politique migratoire du Maroc et de l’UE soit asymétrique (une Union européenne forte face à un Maroc qui pourrait apparaître comme plus faible), le Maroc élabore une <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2010-2-page-91.htm">contre-stratégie</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/compter-les-morts-aux-frontieres-qui-comment-pourquoi-59095">Compter les morts aux frontières : qui, comment, pourquoi ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Levier diplomatique marocain</h2>
<p>Le Maroc négocie en effet des accords de <a href="https://medias24.com/chronique/accord-communautaire-de-readmission-une-approche-securitaire-europeenne-face-a-la-demarche-globale-du-maroc/">réadmission de ressortissants arrivés illégalement en Europe</a>. Ces mesures ont été prises pour le moment avec plusieurs pays européens dont la France. En parallèle le Maroc propose d’établir une surveillance et des accords de coopération policière sur son territoire et sur les enclaves de Ceuta et Melilla, tout en résistant à un accord global de réadmission au niveau de l’Union européenne.</p>
<p>Cette démarche a permis au royaume de se positionner diplomatiquement comme leader sur le sujet avec la création d’un <a href="https://au.int/sites/default/files/newsevents/workingdocuments/40515-wd-STATUTE_OF_THE_AFRICAN_MIGRATION_OBSERVATORY_IN_MOROCCO-FRENCH.PDF">observatoire africain des migrations</a>, tant <a href="https://www.un.org/fr/conf/migration/global-compact-for-safe-orderly-regular-migration.shtml">au niveau européen et mondial</a> qu’au sein de l’Union africaine. <a href="https://www.lecourrierdelatlas.com/le-rapport-du-roi-mohammed-vi-sur-la-migration-presente-a-lua/">Un rapport récent</a> a d’ailleurs été publié en ce sens en février 2022.</p>
<p>Mais la question migratoire demeure attachée à l’évolution des enjeux politiques au sein desquels les populations – migrants, habitants, passeurs, frontaliers, commerçants – n’ont aucune ou peu de prise. Le cas des deux enclaves Melilla et Ceuta en témoigne bien. <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2011-1-page-28.htm">Le durcissement du Maroc</a> ou, au contraire, sa souplesse relative, sera tributaire des tractations diplomatiques ou financières du moment.</p>
<p>Comme le rappelle un <a href="https://orientxxi.info/magazine/maroc-a-nador-les-morts-sont-africains-l-argent-europeen,5734">article récent</a> paru sur <em>Orient XXI</em> : « depuis 2007, l’UE a versé au Maroc 270 millions d’euros pour financer les différents volets sécuritaires de la politique migratoire marocaine ». Et de souligner que le « Maroc se positionne comme partenaire fiable de l’UE » avec une volonté de mieux coopérer sur le plan sécuritaire avec l’Espagne.</p>
<p>Une tendance qui s’illustre par les drames récents et réactive le postulat de nombreux observateurs : plus de répression aux frontières demeure en effet <a href="https://theconversation.com/compter-les-morts-aux-frontieres-qui-comment-pourquoi-59095">synonyme de plus de morts</a>. Et avec ce énième drame au point de passage <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/08/drame-de-melilla-comment-une-tentative-d-entree-en-europe-a-conduit-a-la-mort-de-dizaines-de-migrants_6134032_3212.html">« de Bario Chino »</a>, il s’agit pour l’Espagne de choisir qui circule tout en empêchant les migrants de passer, pris au piège par une frontière symbole des vestiges de la colonisation européenne en Afrique.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186327/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au cœur des enjeux de gestion migratoire pour l’UE, les villes de Ceuta et Melilla, portes entre l’Espagne et le Maroc, sont aussi tributaires de leur passé colonial.Chadia Arab, Géographe, chargée de recherche au CNRS, UMR ESO, Université d'AngersMehdi Alioua, Sociologue, Doyen de l’Institut d’Etudes Politiques de Rabat, UIR, Université internationale de Rabat (UIR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807982022-04-10T20:08:33Z2022-04-10T20:08:33ZLe terrorisme, un frein aux investissements étrangers en Afrique du Nord et au Moyen-Orient<p>Bien que le nombre de décès dus au terrorisme ait <a href="https://reliefweb.int/report/world/global-terrorism-index-2022">diminué de 14 % en 2021</a>, le nombre d’attentats terroristes dans les pays de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (MENA) reste élevé, et en conséquence, le terrorisme demeure une menace importante dans ces pays. Encore récemment, un attentat revendiqué des forces rebelles Houthis du Yémen a eu lieu à quelques kilomètres du site du <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/03/27/formule-1-grand-prix-sous-tension-en-arabie-saoudite_6119328_3242.html">Grand Prix de Formule 1 d’Arabie saoudite</a>, qui réunissait, fin mars, l’élite du sport automobile international.</p>
<p>Certes, les pays de la région restent attractifs, notamment en raison des <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/finance-and-investment/middle-east-and-north-africa-investment-policy-perspectives_6d84ee94-en">plus importantes réserves mondiales de pétrole et de gaz</a>, ainsi que d’autres ressources naturelles, dont disposent des États comme ceux du Golfe Persique (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Irak, etc.). Toutefois, comme nous le relevons dans un récent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S096959312200004X">article</a> de recherche publiée dans <em>International Business Review</em> et portant sur quinze pays de la région, ce terrorisme entraîne bien une dégradation de l’attractivité des pays pour les investisseurs étrangers.</p>
<h2>Répercussions à court et long terme</h2>
<p>Plus précisément, deux formes de terrorisme ont un impact négatif sur les entrées des investissements directs à l’étranger (IDE) dans la région MENA : les attaques visant directement les entreprises, ainsi que celles lancées contre des institutions publiques ayant pour objectif d’affaiblir les gouvernements.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/91bV9DJeH6c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Arabie saoudite : une attaque des rebelles houthis à quelques kilomètres du Grand Prix (France 24, 25 mars 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Lorsque l’acte terroriste cible les entreprises, cela constitue une menace imminente pour leurs activités pouvant conduire à la destruction ou à la dégradation de leurs installations, à la perturbation de leurs chaînes d’approvisionnement ou encore à l’enlèvement ou à l’assassinat de leurs employés ou de sous-traitants. Ces coûts économiques et humains encourus à la suite des attentats ont d’abord des répercussions à court terme, avec des frais de reconstruction des infrastructures endommagées et des coûts liés à la baisse de la productivité. À plus long terme, les entreprises subissent une augmentation du prix des contrats d’assurance et des dépenses de sécurité pour protéger des salariés ou des clients.</p>
<p>De plus, le stress ainsi que le sentiment d’insécurité ressenti par les cadres travaillant dans des pays exposés à un risque terroriste important affectent négativement leur motivation et rend ainsi le processus de recrutement de nouveaux expatriés plus difficile en raison de ce contexte de forte incertitude. C’est notamment le cas des compagnies pétrolières occidentales qui ont été attaquées par Daech dans plusieurs pays de la région MENA, en particulier l’Irak et la Syrie.</p>
<p>Par ailleurs, même si les attentats terroristes ciblant les institutions nationales n’impactent pas de manière directe les activités des entreprises, ils sont tout aussi perturbateurs. De fait, ils peuvent non seulement conduire à la destruction d’infrastructures stratégiques, mais aussi exacerber le vide institutionnel en particulier dans les pays en développement qui se caractérisent par un faible développement économique ainsi qu’un environnement politique et social incertain.</p>
<p>De plus, ces pays ne sont pas toujours en mesure de faire face aux menaces terroristes par manque de moyens spécialisés (par exemple du matériel de surveillance avancée). Ce contexte peut donc entraver la bonne conduite des activités des entreprises déjà présentes et avoir un effet dissuasif sur les investisseurs potentiels. En effet, les pays émergents et en développement apparaissent plus vulnérables au terrorisme que les pays développés, plus démocratiques.</p>
<h2>Capitalisme « de connivence »</h2>
<p>On considère généralement que les régimes politiques démocratiques offrent un climat d’investissement plus stable que les régimes dits autocratiques et sont de ce fait plus attractifs pour les investisseurs. Cependant, comme les IDE constituent des engagements capitalistiques sur le long terme, il pourrait être plus favorable d’investir dans des pays autocratiques puisqu’ils sont moins sujets aux changements politiques ce qui peut contribuer à une certaine stabilité de l’environnement d’investissement du pays.</p>
<p>Ces gouvernements auraient également tendance à adopter des mesures antiterroristes très strictes. Par ailleurs, sous ces régimes autocratiques, les investisseurs tissent des liens avec les dirigeants au pouvoir afin de servir leurs intérêts. Ce <a href="https://theconversation.com/printemps-arabes-le-capitalisme-de-connivence-a-coute-cher-aux-grandes-entreprises-familiales-158649">capitalisme « de connivence »</a> (<em>crony capitalism</em>) reste ainsi très répandu dans les pays de la région MENA, où le succès en affaires dépend souvent des relations et des liens personnels établis et entretenus avec les représentants de l’État. C’est un système de favoritisme ayant conduit à des accords individuels entre les acteurs du régime et les entreprises leur donnant accès à des subventions gouvernementales ou bien à des réductions d’impôts.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/printemps-arabes-le-capitalisme-de-connivence-a-coute-cher-aux-grandes-entreprises-familiales-158649">« Printemps arabes » : le capitalisme de connivence a coûté cher aux grandes entreprises familiales</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Depuis le « printemps arabe » de 2011, on a observé une montée du terrorisme dans les pays MENA après la chute des régimes autoritaires. Certains de ces pays sont entrés dans un processus de transition démocratique, connu sous le concept d’anocratie. Or, dans ces régimes hybrides, les effets négatifs sur l’attractivité des IDE du terrorisme ciblant les entreprises tendent à se renforcer.</p>
<p>Compte tenu du changement politique, les relations et les liens développés par les investisseurs deviennent alors un obstacle, comme en témoigne la <a href="https://www.economist.com/business/2014/10/09/friends-in-high-places">confiscation de plus de 214 entreprises</a> appartenant au clan du président tunisien Ben Ali après sa chute en 2011, ainsi que la saisie de nombreuses entreprises qui étaient proches du pouvoir de dirigeant Hosni Moubarak en Égypte.</p>
<p>Dans le cas où le terrorisme vise des institutions et des infrastructures publiques, la présence d’un régime hybride tend à nouveau à renforcer l’impact négatif de ce type d’attentats sur les IDE. En effet, depuis le « printemps arabe », de tels régimes ont moins de capacités de répondre aux attaques car ils allouent peu de ressources publiques à la protection et à la reconstitution des infrastructures, d’où la baisse de l’attractivité de ces localisations aux yeux des investisseurs.</p>
<p>Pour conclure, les différentes cibles du terrorisme, entreprises ou institutions, constituent des facteurs dissuasifs pour les investisseurs dans le contexte spécifique des pays MENA. Plus important encore, nous observons que, dans les régimes politiques hybrides, les attentats tendent à impacter davantage les comportements des investisseurs qui doivent donc impérativement prendre en compte la situation politique dans leurs stratégies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180798/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le « printemps arabe » de 2011, la multiplication des attaques diminue l’attractivité des pays de la région quelles que soient les cibles, institutions ou entreprises.Dora Triki, Professeur associé en management international, ESCE International Business SchoolAlfredo Valentino, Associate Professor, ESCE International Business SchoolAnna Dimitrova, Professeur associé en Affaires internationales, ESSCA School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1783352022-03-22T19:44:08Z2022-03-22T19:44:08ZCe que change l’accord de coopération sécuritaire entre le Maroc et Israël<p>Le 24 novembre dernier, le Maroc et Israël ont signé un <a href="https://information.tv5monde.com/info/le-maroc-et-israel-signent-un-accord-de-cooperation-securitaire-433753">accord de coopération sécuritaire</a>. Cet accord, qui prévoit un volet sur la coopération dans l’industrie militaire, pourrait donner un avantage technologique et militaire au Maroc <a href="https://www.liberation.fr/international/le-maroc-signe-un-accord-securitaire-avec-israel-et-irrite-lalgerie-20211126_C2BKJKTKJVGX5KOZ42WQ2PHUZM/">par rapport au voisin algérien</a>, d’autant que son budget militaire (12,8 milliards de dollars) pourrait surpasser celui de l’Algérie dès 2022.</p>
<p>L’accord fait suite <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/13/resurgence-du-conflit-israelo-palestinien-les-nouveaux-allies-arabes-d-israel-sur-la-corde-raide_6080102_3210.html">aux accords d’Abraham</a> de novembre 2020 qui avaient scellé les relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv en échange de la reconnaissance par l’administration Trump de la <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/conflit-du-sahara-occidental-la-reconnaissance-de-la-souverainete-marocaine-par-trump-n-rien">« marocanité » du Sahara occidental</a>. Depuis, Rabat a aussi créé une <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/02/22/le-maroc-cree-une-region-militaire-a-sa-frontiere-avec-l-algerie_6114729_3212.html">nouvelle région militaire</a> le long de sa frontière orientale avec l’Algérie, augmentant ainsi la présence d’armes et de soldats des deux côtés de la frontière.</p>
<p>La signature de l’accord a encore dégradé les rapports, déjà très tendus, entre le Maroc et l’Algérie. En août dernier, Alger a <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210824-l-alg%C3%A9rie-rompt-ses-relations-diplomatiques-avec-le-maroc-ministre-alg%C3%A9rien-des-affaires-%C3%A9trang%C3%A8res">rompu ses relations diplomatiques</a> avec Rabat, suite à une escalade d’incidents émanant du Makhzen (le pouvoir marocain). Parmi ces incidents, on retrouve notamment les écoutes d’officiels algériens à l’aide du <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/23/l-algerie-condamne-l-utilisation-par-le-maroc-de-pegasus-et-se-dit-profondement-preoccupee_6089282_3212.html">logiciel espion israélien Pegasus</a> ou l’appel de l’ambassadeur du Maroc aux Nations unies en faveur de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210719-les-propos-d-un-responsable-marocain-sur-la-kabylie-f%C3%A2chent-l-alg%C3%A9rie">l’autonomie de la Kabylie</a> – une ligne rouge pour Alger.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/j6fddeJh2Lw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Analyser l’accord israélo-marocain à travers le seul prisme algéro-marocain serait toutefois une erreur d’appréciation. En réalité, les pays du pourtour méditerranéen, à commencer par l’Espagne, sont eux aussi concernés.</p>
<h2>La bonne image internationale du Maroc va-t-elle s’éroder ?</h2>
<p>Jusqu’à présent, le Maroc a <a href="https://www.maghreb-intelligence.com/parlement-francais-le-maroc-constitue-un-pole-de-stabilite-malgre-la-persistance-de-tensions-socio-economiques/">bénéficié d’une image d’allié fiable</a> auprès de la communauté internationale, en dépit du fait qu’il soit le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2997127-20210312-premier-producteur-mondial-haschich-maroc-veut-legaliser-cannabis-therapeutique">premier exportateur mondial de cannabis</a> et que son occupation du Sahara occidental depuis le retrait de l’Espagne de ce territoire en 1975 soit <a href="https://www.icj-cij.org/en/case/61">illégale au regard du droit international</a>.</p>
<p>La nouvelle <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/maroc/le-maroc-achete-un-systeme-de-defense-israelien-en-pleine-tension-avec-l-algerie_4857375.html">coopération militaire</a> en devenir entre Rabat et Tel-Aviv pourrait bien changer la donne.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rfBXRyWoK8Q?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le ministre israélien de la Défense Benny Gantz au Maroc pour une visite historique (France 24, 24 novembre 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>En effet, enhardi par ses nouvelles relations avec Israël et, par ricochet, avec Washington, le Maroc pourrait bien se montrer encore plus agressif dans son <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/tensions-entre-lespagne-et-le-maroc-sur-la-question-du-sahara-occidental-1320094">face-à-face avec l’Espagne</a>.</p>
<p>Rappelons que, avant même la signature de cet accord, le Makhzen n’avait pas hésité, en mai 2021, à envoyer près de 8 000 jeunes Marocains, dont des bébés, inonder l’enclave espagnole de Ceuta, ce qui avait incité les autorités espagnoles à dénoncer une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/20/migrants-a-ceuta-l-espagne-accuse-le-maroc-d-agression-et-de-chantage_6080868_3210.html">« agression » et un « chantage »</a>. Selon bon nombre d’observateurs, cette opération marocaine était avant tout due à la <a href="https://ecfr.eu/article/this-time-is-different-spain-morocco-and-weaponised-migration/">volonté du pouvoir de Rabat de faire diversion</a> auprès de sa propre population, en proie à de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/18/nous-n-avons-plus-aucun-revenu-l-arret-de-la-contrebande-plombe-l-economie-du-nord-du-maroc_6070448_3212.html">graves difficultés socio-économiques</a>.</p>
<p>Comme le soulignait justement le politologue José Ignacio Torreblanca dans le quotidien espagnol <a href="https://www.elmundo.es/opinion/2021/05/18/60a3e4a2fc6c83a70e8b4575.html"><em>El Mundo</em></a>, rappelant le précédent de la <a href="https://www.lopinion.ma/Marche-Verte-Chronologie-d-une-epopee-fondatrice-du-patriotisme-marocain_a20489.html">« marche verte » de 1975</a>, lorsque 350 000 civils et militaires marocains avaient, déjà, marché jusqu’au Sahara occidental afin de l’occuper, le Makhzen n’en était pas à son coup d’essai dans son utilisation de sa population à des fins de politique nationale et de renforcement du trône.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Pi17UmOu44s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Crise migratoire Maroc/Espagne : retour au calme à Ceuta, tensions entre Rabat et Madrid, France 24, 21 mai 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette crise des migrants rappelait aussi que l’interdépendance créée par la globalisation peut être détournée et utilisée comme une stratégie de <a href="https://ecfr.eu/special/connectivity_wars/">« guerre de connectivité »</a> au lieu de contribuer au développement. La Turquie de Recep Erdogan avait utilisé les <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/les-migrants-sont-devenus-les-armes-de-guerre-non-letales-du-regime-turc-estime-le-politologue-ahmet-insel_3849539.html">mêmes méthodes</a> en laissant passer des milliers de migrants en Europe, exerçant ainsi une pression sur les pays européens mais démontrant aussi l’interdépendance entre l’UE et la Turquie. Plus près de nous, les sanctions économiques imposées à la Russie par l’UE, les États-Unis et les Nations unies soulignent elles aussi que la globalisation a rendu les pays profondément interdépendants et donc, aussi, plus vulnérables.</p>
<p>Les Espagnols, qui n’ont pas oublié par ailleurs l’intrusion d’éléments militaires marocains [sur l’île espagnole de Perejil en juillet 2002], ne sont pas les seuls à avoir eu maille à partir avec Rabat ces dernières années. Ce fut également, et récemment encore, le cas des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/d-ou-vient-la-crise-diplomatique-entre-l-allemagne-et-le-maroc-20210304">Allemands</a> et des Français, qui auraient eux aussi été <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/l-enquete-des-matins-du-samedi/scandale-pegasus-l-embarras-francais-vis-a-vis-du-maroc">espionnés par le Maroc à l’aide du logiciel Pégasus</a>.</p>
<h2>La nécessaire mise à jour du logiciel géopolitique européen</h2>
<p>L’incident de Ceuta en mai 2021 avait mis en évidence « la réalité d’un pouvoir à l’inquiétante régression autoritaire » comme l’avait souligné à l’époque l’éditorial du journal <em>Le Monde</em>, qui invitait à <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/21/crise-des-migrants-a-ceuta-il-est-temps-de-sortir-d-une-certaine-naivete-dans-le-regard-porte-sur-le-maroc_6081001_3232.html">« sortir d’une certaine naïveté dans le regard porté sur le Maroc »</a>.</p>
<p>Les différentes <a href="https://www.bladi.net/maroc-manifestations-accord-militaire-israel,88495.html">manifestations dans les rues marocaines</a> condamnant la venue au Maroc du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, en novembre dernier, révèlent, pour leur part, un profond fossé entre le peuple et le palais royal. Illustration de ce fossé : des manifestants sont allés jusqu’à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-oWBzmp0FGg">jeter des pierres sur un portrait géant de Mohammed VI</a>. Geste impensable au Maroc il y a encore peu !</p>
<p>Les <a href="https://lvsl.fr/repression-des-mouvements-du-rif-par-letat-marocain-aux-origines-de-la-fracture/">manifestations</a> récurrentes pour la liberté et la dignité, dans la région du Rif, économiquement délaissée par le pouvoir central de Rabat, pourraient elles aussi s’accentuer. La réponse des autorités marocaines consistant à multiplier les poursuites et les arrestations contre les manifestants ne fait que renforcer le mouvement, qui ne plie pas. Plus encore, la nouvelle alliance avec Israël risque fort d’être la goutte qui fait déborder le vase, non seulement pour le Rif mais pour de nombreux Marocains, aux yeux desquels ce rapprochement entre Rabat et Tel-Aviv constitue une <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210513-le-maroc-embarras%C3%A9-par-les-manifestations-anti-isra%C3%A9liennes-dans-le-pays">trahison de la cause palestinienne</a>. La continuation des manifestations du Rif pourrait bien <a href="https://www.courrierinternational.com/article/maroc-la-revolte-du-rif-sinvite-la-fete-du-tron">déstabiliser le trône chérifien</a> et susciter une répression sanglante, qui déboucherait inévitablement sur une vague de migration marocaine vers l’Europe.</p>
<p>Sur le plan régional, l’accord avec Israël risque également d’avoir des conséquences importantes. Le Maroc étant mieux armé et donc davantage susceptible d’entrer dans un conflit militaire, même minime, <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2021/12/26/le-risque-en-2022-dun-conflit-entre-lalgerie-et-le-maroc/">avec l’Algérie</a> ou avec le Front Polisario au Sahara occidental, le Maghreb, mais aussi le Sahel et l’Afrique francophone dans sa globalité, pourraient se voir entraînés dans une spirale d’instabilité dont les ondes de choc se feront sentir jusqu’au cœur de l’Europe à moyen et long terme. Car une déstabilisation de l’Afrique du Nord aura pour conséquence inévitable une vague migratoire vers l’Europe d’une ampleur jamais vue précédemment. De plus, du fait de l’importance de la communauté franco-maghrébine vivant en France, un conflit armé algéro-marocain, même de basse intensité, ne pourrait que se répercuter dans l’Hexagone.</p>
<p>Par ailleurs, cet armement marocain aux portes de l’Europe qui <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20211204-spain-concerned-about-israel-morocco-rapprochement/">inquiète Madrid</a> risque aussi de créer des tensions diplomatiques et des divisions au sein même de l’Union européenne entre les pays qui soutiennent systématiquement Rabat, comme la France, et d’autres, comme l’Allemagne, qui souhaiteraient voir plus de fermeté vis-à-vis du Maroc.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1368864229382578177"}"></div></p>
<p>Si leur attention est actuellement rivée sur l’Ukraine, il serait sans doute judicieux pour les Européens, et spécialement pour la France, de s’interroger si la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2011/04/26/la-diplomatie-de-connivence-de-bertrand-badie_1513006_3260.html">politique de connivence</a> décrite par le politologue Bertrand Badie est toujours justifiée à l’égard du Maroc. Paris, tout spécialement, pourrait se positionner comme un interlocuteur et un partenaire crédible dans tout le Maghreb s’il mettait un terme à son soutien inconditionnel à l’occupation marocaine du Sahara occidental. Une évolution qui serait d’autant plus utile que, à l’heure où les Européens cherchent une alternative au gaz russe, <a href="https://www.algerie360.com/lalgerie-peut-elle-remplacer-le-gaz-russe-en-europe/">l’Algérie</a> peut se révéler un allié précieux dans ce domaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdelkader Abderrahmane est senior researcher a I'institut d'études de sécurité (ISS) et non-resident fellow au sein de l'Atlantic Council. </span></em></p>Cet accord, qui renforce le Maroc face à l’Algérie, a fait naître quelques inquiétudes dans plusieurs pays d’Europe.Abdelkader Abderrahmane, Senior researcher, Institute for Security StudiesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751232022-02-13T19:58:40Z2022-02-13T19:58:40ZAu nord comme au sud de la Méditerranée, les quartiers populaires face à la métropolisation<p>Dans de nombreux pays du monde, les processus de mondialisation et de métropolisation à l’œuvre depuis plusieurs décennies ont entraîné une profonde mutation des villes, plus ou moins inspirée de <a href="https://metropolitiques.eu/Villes-contestees.html">logiques néo-libérales</a>.</p>
<p><a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">Nos analyses</a> portent sur des quartiers de diverses villes du bassin méditerranéen abritant des <a href="https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20110913_schwartz.pdf">classes populaires</a>, directement ou indirectement confrontées aux transformations urbaines (éradication des bidonvilles, requalification des centres, rénovation des grands ensembles et régularisation/restructuration des quartiers non réglementaires) et à un urbanisme de grands projets (commerciaux, immobiliers, touristiques ou à finalité patrimoniale) dont l’objectif essentiel est de valoriser le foncier.</p>
<p>Ces dynamiques provoquent des <a href="https://metropolitiques.eu/Renovation-urbaine-et-trajectoires-residentielles-quelle-justice-sociale.html">déplacements contraints</a>, qui se conjuguent aux effets de la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_privatisation_des_services_urbains_en_europe-9782707155566">« privatisation » des services urbains</a>, de la réduction des budgets publics d’équipement des quartiers et des difficultés de transport. Ces effets enclenchent des processus de marginalisation qui exacerbent les inégalités sociospatiales.</p>
<p>Nos <a href="https://marges.hypotheses.org/">travaux de terrain</a>, conduits dans des quartiers représentatifs de ces mutations dans cinq villes au nord de la Méditerranée (Cagliari, Turin, Barcelone, Grenade et Marseille) et sept villes au sud (Rabat, Casablanca, Fès, Alger, Tunis, Istanbul, Ankara) ont mis en évidence la circulation de modèles de gouvernance, de régulations sociales et politiques, et de modes de mobilisation et de résistance aux transformations imposées d’en haut.</p>
<iframe width="100%" height="300px" frameborder="0" allowfullscreen="" src="https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/carte-sans-nom_705163?scaleControl=false&miniMap=false&scrollWheelZoom=false&zoomControl=true&allowEdit=false&moreControl=false&searchControl=null&tilelayersControl=null&embedControl=null&datalayersControl=true&onLoadPanel=undefined&captionBar=false"></iframe>
<p><em>Cliquer sur les villes pour des informations sur leur superficie et leur démographie</em>.</p>
<h2>La marginalisation par la stigmatisation</h2>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons employé la formule « marges urbaines » : nous entendons par là ces <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01609138">quartiers populaires</a>, qu’ils se trouvent dans le centre ou en périphérie, qui font l’objet de pratiques de marginalisation et de <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/9204?lang=fr">stigmatisation</a> mises en œuvre par les acteurs urbains dominants. La stigmatisation apparaît comme une violence symbolique particulièrement humiliante, qui affecte la dignité des personnes. Beaucoup d’entre elles finissent par l’intérioriser, certaines par la détourner et d’autres par la combattre.</p>
<p>Souvent, le langage est un premier élément de compréhension, et les expressions utilisées pour <a href="https://passansnous.org/evenements/">désigner ces quartiers</a> reflètent les processus qui, de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, fabriquent les valeurs socioculturelles et les registres idéologiques de leurs habitants.</p>
<p>Plusieurs systèmes langagiers participent à une sémantique de la stigmatisation de la marge : les langages savants, administratifs, techniques, juridiques – en un mot, les registres normatifs –, mais tout autant les langages courants, ordinaires, dialectaux ou vernaculaires, créolisés… Lorsqu’elle émane des acteurs dominants – ou de ceux qui n’habitent pas de tels espaces –, la sémantique construit la marge comme problème, en marquant son « a-normalité » et en en écartant toute possibilité de la considérer comme une ressource. Mais, dès lors qu’elle est saisie « de l’intérieur », à partir des paroles et images de ses habitants, la marge se révèle comme un <a href="https://journals.openedition.org/cdlm/729">espace d’appartenance</a>, une ressource, voire un espace d’autonomie normative et politique.</p>
<p>Les langues « administrantes » édictent une vision normative de l’espace. S’y opposent les parlers ordinaires, qui peuvent, selon les cas, intégrer, s’approprier, modifier, contester, inverser ou délégitimer ces discours « d’en haut ». Ces tensions posent la question des liens entre <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Surveiller-et-punir">savoir et pouvoir</a> et, plus explicitement, du rapport entre <a href="https://www.pur-editions.fr/product/ean/9782753559035/frontieres-en-tous-genres">domination et dénomination</a>.</p>
<h2>Des quartiers à problèmes aux quartiers à potentiels</h2>
<p>Face aux mutations provoquées par la mondialisation et plus particulièrement par les transformations urbaines, le quartier populaire apparaît comme un <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/46385">territoire-ressource</a> qui prend corps autour des réseaux de sociabilité et de solidarité, ainsi qu’autour des constructions identitaires et mémorielles que ceux-ci génèrent.</p>
<p>Ces constructions assurent la force du quartier et en font, de ce fait, un cadre privilégié de résistance à la marginalisation et d’action politique des habitants.</p>
<p>Le quartier doit régulièrement s’opposer à des politiques publiques qui, quels qu’en soient les objectifs affichés, apparaissent le plus souvent comme des facteurs de déstructuration sociale contrariant les dynamiques d’intégration des populations. L’intégration renvoie ici à un processus, où les individus et leur famille tentent de conjuguer une certaine stabilité économique par le travail et des relations sociales au sein des réseaux de protection rapprochée procurés par le voisinage ou d’autres plus larges. L’objectif pour les ménages étant de s’écarter de la vulnérabilité et de la désaffiliation sociales. L’intégration se joue également à l’échelle du quartier, à travers les <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/les-metamorphoses-de-la-question-sociale-9782213594064">stratégies déployées par les populations</a>, pour la reconnaissance de ce territoire.</p>
<p>Les correspondances entre les trajectoires sociospatiales des ménages et les transformations de leurs territoires montrent comment les mutations de ces espaces pèsent sur l’intégration sociale et/ou la marginalisation des habitants. Par exemple, lee déménagement contraint de ménages après la rénovation de leur quartier enclenche des dépenses d’installation et de transport qui fragilisent leur budget.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/d2P61eQNqxw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pour les habitants, les changements subis se répercutent sur leurs espaces de vie et leur rapport à la ville, au point qu’ils sont souvent ressentis comme une remise en cause de leur citoyenneté.</p>
<p>Dans les contextes étudiés, la mise en œuvre (matérielle et idéelle) de l’urbanisation plus ou moins néo-libérale, les bouleversements, voire les traumatismes, qu’elle provoque auprès des citadins les moins dotés économiquement et socialement (classes populaires qui ont perdu l’espoir d’ascension sociale et classes moyennes inférieures en situation de déclassement) font qu’ils la ressentent comme l’expression d’une extrême violence, matérielle et/ou symbolique.</p>
<p>Confrontés à ces situations, les habitants des quartiers marginalisés contestent et résistent pour tantôt refuser les évolutions qu’ils estiment leur être imposées, tantôt composer avec les acteurs de ces transformations, qu’ils soient privés ou publics.</p>
<h2>Le long chemin de la reconnaissance de la citoyenneté</h2>
<p>Les habitants défient « l’ordre » de manières multiples, à travers des émeutes, des manifestations, des occupations de lieux publics – soit toutes les actions qui se « donnent à voir » parce qu’elles se déploient dans des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/pourquoi_se_mobilise_t_on_-9782707152503">arènes publiques</a> – et expriment le mécontentement d’individus, de petits groupes, de communautés spécifiques et généralement limitées à l’échelle du quartier.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S6QqMHNkNF0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>La <a href="https://archive-ouverte.unige.ch/unige:4324">géographie des résistances</a> met en évidence des évolutions qui se sont traduites par une diversification des modalités d’action, mais aussi, dans des cas particuliers, par des convergences susceptibles d’alimenter des révoltes de grande ampleur, voire des « révolutions ». En Algérie, par exemple, le Hirak a été alimenté en partie par des populations qui avaient déjà manifesté contre leur éviction des bidonvilles ou pour obtenir des logements décents.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/algerie-la-revolution-du-sourire-pacifique-persiste-et-signe-157615">Algérie : la « Révolution du sourire pacifique » persiste et signe</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Mais, d’un autre côté, nombre de contestations conduisent leurs initiateurs à des impasses : la résistance peut échouer, soit qu’elle est réprimée plus ou moins violemment, soit qu’elle se délite pour des raisons multiples (y compris des conflits internes).</p>
<p>La recherche de négociations, d’arrangements et de compromis entre les habitants des quartiers populaires et les pouvoirs politiques éclaire sur la fabrique de l’ordre politique. Dans leurs rapports avec l’action des institutions, les acteurs populaires « pénètrent le système », non pas à des fins subversives ou de renversement, mais pour y saisir des opportunités ou pour se protéger contre les risques que la précarité de leur habitat (et de leurs revenus) leur fait courir.</p>
<p>Les mobilisations collectives restructurent l’espace en modifiant les perceptions sociales, culturelles et politiques des habitants. Même lorsqu’elles n’ont pas de réponses aux revendications, elles consolident l’idée du « nous » et débouchent souvent sur des actions collectives du type nettoyage, embellissement, réparation d’une conduite d’eaux usées, etc. Les mobilisations de la période récente sont à replacer dans une filiation, un héritage ou encore une continuité mémorielle.</p>
<p>La <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100717390">mémoire protestataire</a> est un moteur particulièrement efficace des luttes, qu’il s’agisse de la mémoire des événements qui les ont composées, des « héros » qui les ont animées ou des hauts lieux où elles se sont déployées. Mais ces luttes visibles, fortement médiatisées et bien étudiées ne doivent pas masquer les résistances qui, pour être plus ordinaires, plus discrètes, plus quotidiennes, n’en contiennent pas moins une prise de risque importante pour ceux qui osent les mettre en œuvre.</p>
<p>Ces mobilisations sont contrariées par le renforcement – à quelques exceptions près – de l’autoritarisme, l’échec des transitions politiques vers la démocratie et la répression de toute contestation politique d’un côté de la Méditerranée et par la montée des extrémismes sur l’autre rive. Ces mobilisations sont pourtant à l’origine de processus d’apprentissage et de politisation ainsi que de chemins singuliers de construction de la citoyenneté au sein des quartiers populaires méditerranéens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nora Semmoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Conclusions d’une récente étude conduite dans les quartiers défavorisés de plusieurs villes du pourtour méditerranéen.Nora Semmoud, Professeur des universités, classe exceptionnelle Directrice de l'UMR 7324 CITERES Membre suppléante nommée de la section 24 du CNU, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1724302021-12-05T17:16:17Z2021-12-05T17:16:17ZAlgérie-Maroc : la rupture est consommée<p>Les tensions entre les deux grands États du Maghreb, qui se sont <a href="https://www.iris-france.org/162907-algerie-maroc-de-la-brouille-au-conflit/">nettement envenimées ces dernières semaines</a>, si bien que certains observateurs redoutent que le conflit actuel <a href="https://www.lopinion.fr/international/lalgerie-est-prete-a-faire-la-guerre-au-maroc-sil-le-faut">dégénère en guerre ouverte</a>, ne datent pas d’hier.</p>
<p>En réalité, elles remontent à la fin de la guerre d’indépendance algérienne. La question des frontières <a href="https://lygeros.org/wp-content/uploads/root/21701.pdf">dessinées par le colonisateur</a>, qui avantagent l’Algérie au détriment des autres pays de la région, suscite un profond différend entre Rabat et Alger, qui connaîtra de multiples rebondissements, sous des formes diverses et avec un abcès de fixation récurrent au <a href="https://www.cairn.info/les-conflits-dans-le-monde--9782200272715-page-79.htm">Sahara occidental</a>. Un retour historique s’impose pour comprendre les données de la dégradation à laquelle on assiste en ce moment.</p>
<h2>Un conflit ancien</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435085/original/file-20211201-17-kihtg0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Sahara occidental d’après la carte du World Factbook de la CIA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lorsque le Maroc devient <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ma1912.htm">protectorat français en 1912</a>, l’administration française délimite les deux territoires algérien et marocain. Mais le tracé est très peu précis et varie d’une carte à l’autre.</p>
<p>Pour la France, il ne s’agit pas à proprement parler de frontières, la zone qui va de <a href="https://www.google.com/maps/dir/colomb+bechar/Tindouf,+Alg%C3%A9rie/@29.1347596,-8.1906065,5.5z/data=!4m14!4m13!1m5!1m1!1s0xd855f5061ac9881:0x97206fd4229749af!2m2!1d-2.2162443!2d31.6238098!1m5!1m1!1s0xdc8f543a42dd5fb:0x77f07f133f79f497!2m2!1d-8.1398003!2d27.6719159!3e2">Colomb-Béchar à Tindouf</a> et correspond à l’Ouest algérien étant inhabitée.</p>
<p>Le regard sur ce territoire allait fondamentalement changer à partir de 1952, date à laquelle la France y <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00919268/document">découvre un gisement de pétrole et des minerais (fer et manganèse)</a>. Ces terres sont alors intégrées à l’Algérie. Pour la France, il s’agit de les inclure dans son territoire sur le long terme, <a href="https://www.cairn.info/algerie-des-evenements-a-la-guerre--9782846703949-page-121.htm">l’Algérie étant française</a> alors que le Maroc n’est qu’un protectorat appelé à s’affranchir de la tutelle de Paris.</p>
<p>Mais dès son indépendance, en 1956, le Maroc <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1956/07/05/tindouf-colomb-bechar-et-la-mauritanie-font-partie-du-grand-maroc-que-veut-realiser-si-allal-el-fassi_2251800_1819218.html">revendique ce territoire</a>, affirmant qu’il fait partie du Maroc historique.</p>
<p>La France répond à cette demande en proposant à Rabat un marché : cette bande Ouest de l’Algérie pourrait être restituée au Maroc en contrepartie de la mise en place d’une <a href="http://alger-roi.fr/Alger/cdha/textes/55_organisation_regions_sahara_cdha_60.htm">« Organisation commune des régions sahariennes »</a> (OCRS), qui serait chargée d’exploiter les gisements miniers du Sahara algérien, au bénéfice commun du Maroc et de la France.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jk797TdQuXM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’offre de Paris est assortie d’une demande : celle de ne pas abriter d’insurgés algériens. Rabat rejette cette proposition, préférant discuter directement avec les Algériens.</p>
<p>En juillet 1961, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMBiographie?codeAnalyse=26">Hassan II</a>, qui vient d’accéder au trône, reçoit à Rabat <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/abbas-abbas/">Farhat Abbès</a>, le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne. <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1965_num_15_4_392877">Une convention est signée</a> au terme de la rencontre, et une commission algéro-marocaine est créée pour régler cette question du Sahara algérien « dans un esprit de fraternité et d’unité maghrébines ».</p>
<p>Selon l’accord, une fois l’indépendance de l’Algérie acquise, le statut de la zone serait renégocié. Mais à l’indépendance de l’Algérie, et avant même que l’accord de Rabat ait pu être ratifié, une coalition menée par Ahmed Ben Bella et soutenue par l’Armée de libération nationale (ALN) <a href="https://www.djazairess.com/fr/elwatan/1298789">évince Farhat Abbas du gouvernement</a>. La nouvelle équipe au pouvoir à Alger refuse de rétrocéder au Maroc un territoire « libéré avec le sang de tant de martyrs ».</p>
<p>Hassan II se sent trahi par la nouvelle classe politique algérienne, et <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Istiqlal/125318">l’Istiqlal</a>, le parti marocain qui porte la question nationale et en devient le phare, se dit indigné par l’« ingratitude » des Algériens. Le Maroc historique auquel se réfèrent les acteurs politiques marocains allait être matérialisé par une carte du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1956/07/05/tindouf-colomb-bechar-et-la-mauritanie-font-partie-du-grand-maroc-que-veut-realiser-si-allal-el-fassi_2251800_1819218.html">« Grand Maroc »</a> que l’Istiqlal fait dessiner et publier dans son hebdomadaire <em>Al-Alam</em> en mars 1963.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1353422945947947008"}"></div></p>
<p>Selon cette carte, les frontières du pays se définissent en fonction des allégeances qui ont été faites aux sultans du Maroc à travers les âges. Le Grand Maroc comprendrait un bon tiers du Sahara algérien, le Sahara occidental colonisé par l’Espagne (1884-1976), la Mauritanie et une partie du Mali.</p>
<p>Entre « territoire acquis par le sang des martyrs » et « droit historique », deux conceptions du droit et de l’histoire allaient donc s’affronter, donnant lieu, en septembre 1963, au déclenchement d’un conflit armé : la <a href="https://www.cairn.info/les-100-portes-du-maghreb--9782708234345-page-171.htm">Guerre des sables</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Z3Z9Xdoh4rA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ayant pour théâtre la région de Tindouf, ce conflit oppose le Maroc à une Algérie fraîchement indépendante et aidée par l’Égypte et Cuba. Les combats, dont le bilan humain est encore controversé, cessent en février 1964, quand l’Organisation de l’unité africaine (<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/organisation-de-l-unite-africaine/">OUA</a> – l’ancêtre de l’Union africaine) obtient un cessez-le-feu qui laisse la frontière inchangée : la zone contestée demeure algérienne.</p>
<p>Mais le contentieux entre les deux États allait se prolonger, se nourrissant de l’irrédentisme marocain autour de la question du « Grand Maroc » et du refus de l’Algérie indépendante de reconsidérer les frontières héritées de l’ère coloniale. Un différend dont l’intensité ne peut se comprendre qu’à l’aune de la sourde rivalité pour le leadership régional qui oppose les deux pays.</p>
<h2>Le conflit du Sahara occidental : abcès de fixation des tensions entre les deux pays</h2>
<p>À partir de 1975, l’appui apporté par l’Algérie au Front Polisario, ce mouvement indépendantiste mis en place en 1973 et qui revendique le Sahara occidental au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, viendra nourrir la tension désormais permanente entre Alger et Rabat. En effet, le Maroc revendique cette ancienne colonie espagnole et s’engage donc dans une lutte durable contre le Front Polisario. Pour l’Algérie, qui s’abrite derrière le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/269898-quest-ce-que-le-droit-des-peuples-disposer-deux-memes">droit des peuples à l’autodétermination</a>, un conflit de basse intensité a l’avantage d’affaiblir le Maroc. Les deux pays allaient donc s’affronter par Front Polisario interposé.</p>
<p>Deux conflits s’additionnent et se superposent : l’opposition territoriale entre l’Algérie et le Maroc, d’une part, et le conflit de décolonisation entre Sahraouis et Marocains, qui n’aurait pu se prolonger pendant près d’un demi-siècle si le contentieux algéro-marocain n’avait pas lourdement pesé sur son déroulement.</p>
<p>En accueillant les réfugiés sahraouis à Tindouf, symboliquement, après l’installation du Maroc sur ce territoire, en mettant sa diplomatie au profit du Front Polisario et en l’armant, l’Algérie donnait un autre aspect à <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/697">ce dernier conflit de décolonisation d’Afrique</a>.</p>
<p>L’imbrication des deux conflits, entre Algérie et Maroc d’abord, entre Sahraouis et Marocains ensuite, pèse lourdement sur l’attitude des acteurs. Chacun des deux camps souhaite une victoire totale sur l’adversaire, au point que toute négociation devient impossible. L’impuissance des Nations unies, en charge du règlement de ce conflit saharien <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minurso">depuis 1991</a> est sans doute à lire à travers ce prisme.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KVGquNmTRvQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Série documentaire sur le conflit du Sahara occidental, 1ᵉʳ épisode.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’implication de l’Algérie dans le dossier saharien provoque une rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc entre 1976 et 1988. Pour autant, la reprise des relations ne contribue pas à dissiper la conflictualité.</p>
<p>En 1994, Driss Basri, ministre marocain de l’Intérieur, a laissé entendre que les services secrets algériens pouvaient avoir commandité <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/08/30/maroc-arrestations-apres-l-attentat-contre-un-hotel-a-marrakech_3821195_1819218.html">l’attentat terroriste</a> qui s’est produit dans un hôtel de Marrakech, faisant deux victimes espagnoles. Il instaure des visas et organise une campagne d’expulsion d’Algériens résidant au Maroc sans carte de séjour. La riposte d’Alger est immédiate : la fermeture de la frontière terrestre.</p>
<p>Abdelaziz Bouteflika, président de l’Algérie à partir de 1999, a tenté de rompre cette spirale de tensions et de ruptures, sans succès. Il s’est heurté à la l’intransigeance de l’état-major de l’armée algérienne qui gère le dossier des frontières, la relation avec le Maroc et bien plus encore, tant l’armée est <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2010-4-page-19.htm?contenu=resume">impliquée dans la vie politique algérienne</a>.</p>
<p>La brouille aura des effets majeurs sur les échanges commerciaux et culturels <a href="https://www.medias24.com/2014/08/24/vingt-ans-apres-la-fermeture-de-la-frontiere-maroc-algerie-limmense-gachis/">entre les deux pays</a>.</p>
<p>La coopération est quasi inexistante, exception faite du <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2014-4-page-362.htm?contenu=plan">gazoduc qui relie l’Algérie à l’Europe</a> en passant par le Maroc. Le différend bloque toute interaction au niveau horizontal et rend impossible l’intégration de la région, c’est-à-dire la mise en place de <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/1938">l’Union du Maghreb arabe (UMA)</a>, qui a pourtant été signée en 1989. Le conflit du Sahara occidental s’en est trouvé gelé, la coopération entre les pays quasi nulle et l’UMA une véritable <a href="https://maghrebarabe.org/fr/">coquille vide</a>.</p>
<h2>L’axe Washington/Tel-Aviv/Rabat rebat les cartes</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/22/le-maroc-et-israel-concretisent-leur-normalisation-diplomatique_6064261_3210.html">L’accord du 22 décembre 2020</a> passé entre le Maroc et les États-Unis, qui stipule que Rabat normalise ses relations avec Israël en contrepartie de la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a créé un déséquilibre dans le rapport des forces entre l’Algérie et le Maroc.</p>
<p>Pour Alger, un Maroc appuyé par Israël ne pouvait être que plus puissant, d’autant que le pays a donné de lui-même l’image d’un partenaire incontournable pour les États occidentaux, notamment <a href="https://www.courrierinternational.com/article/analyse-le-maroc-fer-de-lance-de-la-lutte-contre-le-djihadisme-en-afrique">dans la lutte contre le djihadisme</a>, ou en matière de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Immigration-lUnion-europeenne-menage-Maroc-2020-12-03-1201128079">contrôle de l’immigration</a> venue des pays subsahariens.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/r2HG7oSTyE4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Relations Maroc/Israël : les deux pays vont ouvrir réciproquement des ambassades, France 24, 13 août 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Un an après la <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20201210-donald-trump-annonce-la-normalisation-des-relations-entre-le-maroc-et-isra%C3%ABl">déclaration de Donald Trump</a>, l’administration Biden a d’une certaine manière confirmé cette reconnaissance, même si le chef de la diplomatie américaine a exprimé son désir de respecter le droit international. Les Algériens, qui continuent d’appuyer inconditionnellement le Front Polisario, savent que c’est une question de temps et que, tôt ou tard, le Maroc verra sa souveraineté sur ce territoire être reconnue par l’ONU, au mépris d’un processus de résolution du conflit saharien confié à la même organisation depuis 1991. Le silence éloquent de l’Union européenne sur ce dossier les conforte dans leur conviction.</p>
<p>L’année 2021 a été émaillée de vexations et de provocations qui sont allées crescendo jusqu’à l’été passé. La tension devient très vive en juillet dernier, suite aux révélations selon lesquelles le Maroc aurait eu <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/07/27/projet-pegasus-ces-elements-techniques-qui-attestent-de-l-implication-du-maroc_6089711_4408996.html">recours au logiciel israélien Pegasus</a>, commercialisé par <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/de-l-affaire-pegasus-a-la-plainte-d-apple-la-descente-aux-enfers-de-nso-group_2163005.html">l’entreprise israélienne NSO</a>, pour espionner « des responsables et des citoyens algériens ». L’enquête a révélé que des milliers de numéros de téléphone algériens ont été ciblés, dont certains appartenant à de hauts responsables politiques et à des militaires.</p>
<p>La tension monte d’un cran lorsque, au cours d’une réunion des Non Alignés à New York (13 et 14 juillet) Omar Hilale, l’ambassadeur du Maroc à l’ONU a distribué une note stipulant que <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/nouveau-coup-de-chaud-diplomatique-entre-alger-et-rabat-1333040">« le vaillant peuple de Kabylie mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination »</a>.</p>
<p>Un mois plus tard, c’est <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210602-isra %C3 %ABl-ya %C3 %AFr-lapid-guid %C3 %A9-par-les-r %C3 %AAves-de-son-p %C3 %A8re-vers-le-poste-de-premier-ministre">Yaïr Lapid</a>, le ministre israélien des Affaires étrangères, en visite à Rabat, qui <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/diplomatie-en-visite-au-maroc-le-ministre-israelien-yair-lapid-ravive-les-tensions">déclarait</a>, en présence de son homologue marocain <a href="https://www.diplomatie.ma/fr/biographie-de-m-nasser-bourita">Nasser Bourita</a>, qu’il était « inquiet du rôle joué par l’Algérie dans la région, du rapprochement d’Alger avec l’Iran et de la campagne menée par Alger contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’UA ».</p>
<h2>La riposte algérienne</h2>
<p>Le 24 août, l’Algérie annonce la <a href="https://www.lci.fr/international/l-algerie-annonce-la-rupture-de-ses-relations-diplomatiques-avec-le-maroc-2194558.html">rupture de ses relations diplomatiques</a> avec le Maroc. Le haut conseil de sécurité algérien, présidé par le chef de l’État Abdelmajid Tebboune, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210925-avec-la-rupture-des-relations-entre-l-alg %C3 %A9rie-et-le-maroc-le-maghreb-durablement-fractur %C3 %A9">ferme l’espace aérien du pays</a> à tout appareil civil ou militaire immatriculé au Maroc.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lalgerie-a-t-elle-rompu-ses-relations-diplomatiques-avec-le-maroc-et-quelles-en-sont-les-consequences-pour-lavenir-168179">Pourquoi l'Algérie a-t-elle rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc et quelles en sont les conséquences pour l'avenir ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Évidemment, la frontière étant fermée depuis 1994, l’impact de cette rupture des relations est politique. Elle met néanmoins un terme au seul cas de coopération entre les deux pays : le fameux <a href="https://telquel.ma/2021/11/05/gazoduc-maghreb-europe-le-gaz-de-la-discorde_1742135">gazoduc Maghreb Europe (GME)</a>.</p>
<p>Le gaz est, ici comme ailleurs, utilisé comme un moyen de pression. Le contrat qui liait les deux pays pour alimenter le Maroc en gaz et pour le transit a été <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/le-president-algerien-coupe-le-robinet-du-gaz-au-maroc-430682">interrompu le 31 octobre</a>.</p>
<p>Difficile de croire le Maroc qui affirme, par un communiqué de l’Office national de l’électricité et de l’eau (<a href="http://www.one.org.ma/">ONEE</a>), que l’impact de cette décision sur le système électrique marocain est « insignifiant », le pays ayant pris ses dispositions.</p>
<p>Car, depuis 1996, le Maroc est un pays de transit pour le gaz algérien exporté en Espagne et au Portugal. 10 milliards de mètres cubes sont ainsi transportés chaque année et le Maroc perçoit des droits de péage en gaz et le reste de sa consommation est facturé à des tarifs très avantageux.</p>
<p>La réponse marocaine s’inscrit dans le prolongement du conflit, puisque l’ONEE affirme que même si les deux centrales électriques qui fonctionnent grâce au gaz algérien venaient à s’arrêter, le consommateur marocain ne s’en rendrait pas compte car, pour compenser la perte, le Maroc dispose de plusieurs options : les alimenter en charbon, en produits pétroliers ou bien importer plus d’électricité.</p>
<p>Le premier ministre <a href="https://www.courrierinternational.com/article/maroc-aziz-akhannouch-un-premier-ministre-milliardaire-au-service-de-sa-majeste">Aziz Akhannouch</a> est en <a href="https://fr.le360.ma/economie/gazoduc-maghreb-europe-phase-decisive-des-negociations-entre-le-maroc-et-lespagne-pour-linversement-247911">négociation avec Madrid</a> au sujet du renvoi du gaz algérien à partir de l’Espagne. Ce dernier pays serait quant à lui toujours alimenté par l’Algérie par voie sous-marine, à travers le gazoduc Medgaz.</p>
<p>Toutefois, ce pipeline est aujourd’hui au maximum de sa capacité, 8 milliards de mètres cubes y transitant chaque année. Pour compenser la différence, il faudrait élargir le pipeline, ou transporter le gaz liquéfié par méthaniers. Autant de moyens qui impliquent un coût qui ne peut que se répercuter sur le consommateur, qu’il soit espagnol ou marocain.</p>
<p>L’énergie est donc la dernière arme qu’a choisi d’utiliser l’Algérie dans sa guerre sans fin contre le Maroc. Mais les armes conventionnelles pourraient aussi parler, les deux pays étant les plus grands <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-maroc-que-pesent-leurs-forces-militaires-431591">acheteurs d’armes</a> en Afrique après l’Égypte…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Khadija Mohsen-Finan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le conflit qui oppose l’Algérie au Maroc depuis des décennies risque aujourd’hui de dégénérer en véritable guerre. Pour en comprendre les causes, un retour historique s’impose.Khadija Mohsen-Finan, Politologue, enseignant-chercheur, spécialiste du Maghreb & du Monde Arabe, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1687412021-09-29T18:19:49Z2021-09-29T18:19:49ZLibye : fragiles espoirs de paix…<p>La Libye est-elle – enfin – sur le chemin de la stabilisation, dix ans après la guerre civile et l’opération militaire franco-britannique <a href="https://www.liberation.fr/planete/2011/11/05/operation-harmattan-terminee_772643/">« Harmattan »</a> qui a provoqué la chute du colonel Mouammar Kadhafi ?</p>
<p>C’est ce que les Libyens et la communauté internationale espèrent, alors que s’est mis en place, depuis février, un <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/libye/en-libye-le-gouvernement-de-transition-officiellement-installe-7187714">gouvernement d’union nationale</a> (GUN), étape préalable à des élections « inclusives » qui <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/13/libye-accord-sur-des-elections-en-decembre-2021-selon-l-onu_6059696_3212.html">devraient se tenir en décembre prochain</a>.</p>
<p>Contrairement au précédent gouvernement (gouvernement d’accord national – GNA – mis en place en mars 2016), ce gouvernement de transition est non seulement reconnu par l’ensemble de la communauté internationale, mais semble contrôler davantage de territoires que le précédent. Composé de représentants des trois parties de la Libye (Tripolitaine à l’ouest, Cyrénaïque à l’est et Fezzan au sud), des différentes sensibilités (milices, Frères musulmans…) et ethnies de la scène politique libyenne (touaregs, toubous, arabes, Beni Fezzan, Libous…), ce gouvernement dirigé par le premier ministre Abdelhamid Dabaiba et présidé par Mohammed el-Menfi constitue un fragile espoir de paix et de réconciliation.</p>
<h2>Un conflit à la fois local…</h2>
<p>La Libye est devenue, au cours des dix dernières années, le théâtre de la plus grande concentration d’intérêts conflictuels en Méditerranée. Le conflit qui a succédé à la chute de Mouammar Kadhafi en 2011 s’est peu à peu internationalisé, au point que désormais, la stabilisation du pays semble dépendre à la fois d’une mobilisation internationale et d’une appropriation locale, doublée d’une plus forte implication des États limitrophes.</p>
<p>Pour comprendre la nature et raison de la convoitise exogène pour la Libye, peut-être faut-il aussi rappeler qu’elle possède les plus importantes réserves pétrolières d’Afrique (48 milliards de barils de réserves estimées) et que la mer Méditerranée, notamment dans sa partie orientale, recouvre d’importants gisements gaziers (50 milliards de mètres cubes de gaz naturel)…</p>
<p>Le conflit, qui oppose les Libyens entre eux (milices proches des Frères musulmans constituant encore le principal soutien du GUN sis à Tripoli ; forces loyales au maréchal Khalifa Haftar, formant l’Armée nationale libyenne à Benghazi), implique aussi militairement et diplomatiquement de nombreuses puissances extérieures (Turquie, Qatar, Émirats arabes unis, Égypte, Russie, France, Italie…) et illustre, par le tragique, l’importance stratégique de la Méditerranée orientale.</p>
<p>Désormais, ce sont de fragiles espoirs qui émergent à travers les différentes médiations onusiennes, régionales et internationales, à l’instar de la désignation en février 2021, à Genève, sous l’égide du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210628-libye-%C3%A0-gen%C3%A8ve-le-forum-de-dialogue-politique-discute-du-mode-d-%C3%A9lection-du-futur-pr%C3%A9sident">Forum pour le Dialogue politique libyen</a> (ardemment soutenu par l’ONU), du GUN dirigé par un Conseil présidentiel, lequel est présidé par Muhammad Al-Menfi. Ce dernier fut jusqu’à sa désignation comme président, en mars 2021, l’ambassadeur de Libye en Grèce ; il est originaire de la ville de Tobrouk, où siège le Parlement, présidé par l’autre « homme fort » de l’est libyen, Aguila Salah Issa.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5-81gzFQUPk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Libye : Mohammed Menfi rencontre les dignitaires de l’est (Medi1TV Afrique, 13 février 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Un référendum – <a href="https://www.aps.dz/monde/125393-libye-le-referendum-sur-la-nouvelle-constitution-pourrait-avoir-lieu-avant-les-elections">théoriquement prévu en octobre</a> – doit permettre de réformer la Constitution. Celle-ci fut élaborée sous la forme d’une déclaration constitutionnelle provisoire en août 2011, à la suite de la chute du régime de Mouammar Kadhafi ; elle fait toujours office de référence constitutionnelle, quoiqu’il faille la réformer en profondeur, notamment quant aux modalités de fonctionnement des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif.</p>
<p>Le toilettage de cette Constitution « provisoire » va aussi de pair avec un ardu mais indispensable travail de recensement des futurs votants. Cette étape préalable à la tenue en décembre 2021 d’élections inclusives laisse enfin espérer que les Libyens retrouvent la paix et la stabilité, et parviennent ainsi à éviter les ingérences étrangères, à empêcher le retour des cellules de Daech, à juguler le rôle néfaste des milices et à trouver, enfin, une issue à la question migratoire qui a largement contribué à affaiblir le pays depuis dix ans.</p>
<h2>… et international</h2>
<p>Emmanuel Macron, lors de son <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/275608-emmanuel-macron-13072020-politique-de-defense">discours aux armées du 13 juillet 2020</a>, avait d’ailleurs fortement insisté sur les « nouveaux jeux de puissances » qui s’y déploient à 250 km des côtes italiennes et donc de l’UE. Le président français et son ministre des Affaires étrangères, Jean‑Yves Le Drian, n’ont eu de cesse, depuis, de fustiger l’activisme politico-militaire de la Turquie en Libye.</p>
<p>La <a href="https://www.lefigaro.fr/international/le-courbet-navire-francais-au-large-de-la-libye-vise-par-une-manoeuvre-turque-extremement-agressive-20200617">confrontation</a> en juin 2020, entre la frégate française Courbet et un bâtiment turc, dans le cadre des opérations de maintien de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU en 2011 et mis en application par l’OTAN (<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_136233.htm">opération « Sea Guardian »</a>) et l’UE (<a href="https://www.operationirini.eu/">opération Eunavfor Med « Irini »</a>), est venue confirmer la montée des tensions entre Paris et Ankara sur le dossier libyen. En évoquant la responsabilité <a href="https://www.lefigaro.fr/international/libye-macron-condamne-la-responsabilite-historique-et-criminelle-de-la-turquie-20200629">« historique » et « criminelle »</a> de la Turquie, Paris semble néanmoins oublier la participation tout aussi active des Émirats arabes unis, de l’Égypte, ou encore de la Russie et du Qatar.</p>
<p>Les Émirats arabes unis prêtent militairement main-forte au maréchal Khalifa Haftar, qui, sous couvert de son Armée nationale libyenne, forte de 25 000 hommes, a refusé de reconnaître le gouvernement internationalement reconnu (GNA) de Tripoli et livre, désormais, une guerre plus feutrée contre le GUN, depuis son fief de Benghazi (Cyrénaïque, dans l’Est du pays), bien que son offensive sur Tripoli lancée en avril 2019 ait <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/04/05/haftar-l-offensive-de-trop-en-libye_1719723/">échoué</a>.</p>
<p>Les EAU et leur prince hériter, Mohamed Ben Zayed (MBZ), fournissent au maréchal libyen des drones, des véhicules blindés anti-mines et des avions de combat qui ont effectué des centaines de frappes selon les Nations unies. Bien que les EAU cherchent le moyen de rester influents en Libye, ils visent, aussi, à répondre aux demandes insistantes de la part de Washington de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210304-sous-pression-des-etats-unis-les-emirats-rebattent-leurs-cartes-en-libye">ne pas être aussi actif en Libye</a>.</p>
<p>La Russie, présente par l’intermédiaire des <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-58173286">mercenaires de la société militaire privée Wagner</a>, a apporté son soutien au maréchal Haftar jusqu’au printemps dernier, puis a délaissé le terrain militaire pour se concentrer sur le théâtre diplomatique afin de <a href="https://portail-ie.fr/analysis/2676/la-libye-typologie-dune-guerre-dinfluence-russo-turque">contrer les ambitions un peu trop voyantes de la Turquie</a> sur les gisements de gaz offshore de la Libye en Méditerranée orientale. La Russie parle directement à la Turquie, sans se soucier outre mesure des positions des autres acteurs impliqués en Libye, persuadée que, le moment venu, le rapport de force sur le terrain dictera l’issue et non l’inverse.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1187297201409712129"}"></div></p>
<p>La Turquie a pris fait et cause pour le GNA de Tripoli, par le truchement du « mémorandum d’accord » en vue de la protection de leur souveraineté, leurs droits diplomatiques et économiques en mer Méditerranée orientale, signé entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan et l’ancien premier ministre libyen, Fayez el-Sarraj, le 27 novembre 2019, afin de favoriser l’installation d’un pouvoir islamique sur le modèle de ce que Recep Tayyip Erdogan a mis en place à Ankara.</p>
<p>Les Turcs ont été directement responsables, via la livraison d’armes, l’encadrement des milices libyennes soutenant le GNA par leurs services spéciaux (Millî İstihbarat Teşkilatı, MIT) et l’apport de combattants venus de Syrie, des récents revers infligés par le GNA aux troupes du maréchal Haftar qui viennent conforter l’échec de l’opération « Tempête de paix » lancée par ce dernier contre Tripoli en avril 2019. Erdogan bénéficie, pour mettre en œuvre sa politique, de l’appui du Qatar, lequel soutient généralement les Frères musulmans dans toute la région.</p>
<p>L’assistance apportée par la Turquie et le Qatar au GNA a bien entendu suscité l’ire de l’Égypte, qui partage avec la Libye une frontière longue de 1 115 km, et dont l’actuel président Abdel Fatah al-Sissi a muselé le mouvement des Frères musulmans, brièvement au pouvoir au Caire de 2013 à 2014.</p>
<p>Les États-Unis ont, quant à eux, pris leur distance avec ce conflit sous la présidence de Barack Obama et plus encore sous le mandat de Donald Trump. Ils ont toutefois soutenu efficacement (et officieusement) le maréchal Haftar – qui <a href="https://fanack.com/faces-en/general-haftar%7E41201/">vécut une vingtaine d’années aux États-Unis</a>, à deux pas du quartier général de la CIA à Langley, en Virginie – dans sa lutte contre les milices islamiques, supplétives du GNA. L’enjeu initial, pour eux, se limitait à éradiquer le terrorisme islamique dans la région. La nouvelle administration Biden semble nettement plus encline à jouer un rôle politique dans la résolution de la crise libyenne, comme en témoigne la désignation d’un envoyé spécial pour la Libye, le diplomate chevronné <a href="https://ly.usembassy.gov/our-relationship/our-ambassador/">Richard Norland</a>, qui était déjà ambassadeur en Libye depuis 2019.</p>
<p>Aujourd’hui, les Américains voudraient voir les hostilités cesser afin que la production et l’exportation de pétrole puissent reprendre, ce qui donnerait un semblant de normalité à la situation et ouvrirait la voie à une sortie de conflit, tout en ne lésant aucune partie.</p>
<p>L’Union européenne n’est pas absente de l’échiquier mais son rôle et sa posture restent ambigus. Officiellement, elle participe aux opérations de maintien de l’embargo sur les armes aux côtés de l’OTAN. Au sein de l’UE, l’Italie, qui a soutenu activement le gouvernement du GNA, soutient désormais bien évidemment le GUN.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OpbztzBF2kM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Quel rôle pour l’Europe en Libye ? (Arte, 5 juin 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Il en va de même pour la France. Derrière ces deux pays, ce sont les intérêts pétroliers des compagnies Eni (Italie) et Total (France) qui sont défendus. L’Allemagne, qui abrite désormais une très importante communauté turque sur son territoire (2,7 millions de personnes), semble renouer avec ses alliances passées et se refuse à critiquer les provocations d’Ankara.</p>
<p>Étant elle-même membre de l’OTAN, la Turquie soutient officiellement l’embargo sur les armes mis en place en février 2011 – un embargo que ses navires bafouent ostensiblement. De sorte qu’alliés et adversaires, puissances régionales et superpuissances se confrontent et se côtoient en Libye, par acteurs intermédiaires.</p>
<h2>Quelques pistes de solutions</h2>
<p>Il convient désormais de consolider l’embargo des Nations unies sur les armes imposé à la Libye, en renforçant l’opération maritime de l’UE en Méditerranée Irini tout en exigeant une extension de l’embargo par voie aérienne, compte tenu de l’accélération des vols ayant amené hommes et matériels des deux côtés, notamment ceux issus des milices syriennes, qui se font face désormais en Libye comme ils le faisaient il y a peu en Syrie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1262694256440819712"}"></div></p>
<p>Il faudra également exhorter toutes les parties à participer pleinement aux pourparlers de cessez-le-feu de Genève, sous l’égide de la Commission militaire mixte (CMM) et aux plus récentes négociations internationales et régionales – à l’instar de l’initiative de dialogue engagée par le Maroc depuis juillet 2019, à <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/libye-de-berlin-a-bouznika-la-solution-politique-gagne-du-terrain-06-10-2020-2395101_3826.php">Bouznika</a>, qui a permis aux représentations parlementaires concurrentes de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque de réengager le dialogue entre elles, en vue de la tenue d’élections d’ici à décembre 2021.</p>
<p>La paix et la stabilité dépendront, bien sûr, aussi de l’approfondissement de l’indispensable dialogue intra-libyen, comme cela a été possible, à travers le Forum de dialogue politique libyen (LPDF) tenu en novembre 2020 à Tunis, à l’initiative de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL).</p>
<p>Le constat d’un indéniable blocage libyen issu tant de l’aventurisme militaire, soutenu par certains de nos alliés du Golfe persique et de la péninsule arabique, que des relations diplomatiques contradictoires – en apparence – de nos autres alliés européens, offre, paradoxalement à la France l’opportunité unique mais limitée dans le temps de mettre en exergue une position d’équilibre.</p>
<p>Du reste, le début d’un processus de dialogue entre les présidents Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, tout comme le récent processus de réconciliation entre le Qatar et le « Quartette » (Égypte, Arabie saoudite, EAU et Bahreïn) devrait – enfin – permettre de voir l’horizon libyen avec moins d’écueils…</p>
<h2>La vision européenne</h2>
<p>C’est à l’aune de cette perspective que l’institut de sondage Opinion Way et le Centre d’étude et prospective stratégique (CEPS) se sont associés pour sonder les 705 parlementaires européens quant à leur perception de la situation et du rôle qu’ils entendent jouer pour la stabilisation politique de la Libye.</p>
<p>Ce <a href="https://ceps-oing.org/ouvragesenquetes/les-parlementaires-europeens-et-la-situation-en-libye/">sondage</a>, présenté fin juin dernier, est particulièrement instructif à plus d’un titre. Il conforte l’idée que la normalisation institutionnelle et politique viendra, en Libye, d’une incarnation et d’une personnification du pouvoir qui a été l’objet, jusqu’ici, de guerres fratricides entre Libyens et aussi – et peut-être surtout – d’importation des conflits d’acteurs extérieurs.</p>
<p>Parmi les grandes tendances que ce sondage met en exergue, celle de la lutte contre le terrorisme et les réseaux criminels – qui jouent sur la désespérance des milliers de migrants subsahariens désireux de traverser la mer Méditerranée – apparaissent nettement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o-ow_sQZNoM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Libye : Amnesty dénonce le sort des migrants (TV5 Monde, 15 juillet 2021).</span></figcaption>
</figure>
<p>Les <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/01-Politiquefederale/-/2484108">deux réunions intra-libyennes tenues à Berlin</a> (janvier et juin 2021) ont suscité un espoir certain en vue de la tenue de l’élection présidentielle prévue en décembre prochain. L’annonce de la tenue d’une <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210921-la-france-accueillera-une-conf%C3%A9rence-internationale-sur-la-libye-le-12-novembre">nouvelle conférence intra-libyenne à Paris, le 12 novembre prochain</a>, confirmera-t-elle cette trajectoire « raisonnablement » optimiste ?</p>
<p>Rien n’est moins sûr, alors que les forces turques et émiraties, ainsi que les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner et les « supplétifs » (syriens, yéménites, tchadiens, soudanais, turkmènes…) que chaque camp emploie, rendent la tenue de ces élections fortement improbables…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168741/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Dupuy est Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Il enseigne également à la Faculté catholique de Lille.</span></em></p>Les dix dernières années ont été pour la Libye, celles d’un long et sanglant conflit civil dans lequel se sont impliqués de nombreux acteurs extérieurs. Un faible espoir émerge toutefois actuellement.Emmanuel Dupuy, Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), enseignant à IS International Business School,, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673042021-09-05T16:57:07Z2021-09-05T16:57:07ZLa Tunisie, aux frontières de la légitimité démocratique<p>Depuis le 25 juillet 2021, date du coup de force du président tunisien Kaïs Saïed qui lui a permis, en utilisant l’article 80 de la Constitution, de congédier le gouvernement, de geler les travaux du Parlement et de s’arroger les pleins pouvoirs, le chef de l’État a affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y aurait <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/pr%C3%A9sident-tunisien-il-ny-aura-pas-de-retour-en-arri%C3%A8re/2343079">« pas de retour en arrière »</a>.</p>
<p>Le 24 août 2021, Kaïs Saïed a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/tunisie-le-president-kais-saied-prolonge-le-gel-du-parlement-et-garde-les-pleins-pouvoirs-20210824">reconduit le régime d’exception et conservé ses pleins pouvoirs</a>. La réaction des organisations nationales de la société civile ne s’est pas fait attendre. Le 26 août, un <a href="https://www.businessnews.com.tn/des-organisations-nationales-a-kais-saied--les-bonnes-intentions-ne-suffisent-pas,520,111549,3">communiqué commun de six organisations représentatives</a> – syndicats de magistrats et de journalistes, associations féministes et groupes de défense des droits humains – a dénoncé des <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210827-en-tunisie-les-craintes-d-une-d%C3%A9rive-de-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-vers-un-r%C3%A9gime-pl%C3%A9biscitaire">« pratiques arbitraires qui menacent les valeurs de citoyenneté, de démocratie et de droits humains »</a>.</p>
<p>Depuis, une question centrale préoccupe les esprits : sommes-nous en train d’assister à la fin du régime démocratique et à une restauration autoritaire en Tunisie ? Le pays cède-t-il vraiment aux sirènes de l’homme fort, ou réalise-t-il plutôt la volonté populaire d’en finir avec un régime parlementaire corrompu, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/27/la-tunisie-berceau-des-printemps-arabes-cede-aux-sirenes-de-l-homme-fort_6089618_3212.html">tenu responsable de la crise politique et économique</a> ?</p>
<h2>La volonté populaire, un objet non encore identifié</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il est important de rappeler qu’il existe un consensus assez large en Tunisie sur les <a href="https://orientxxi.info/magazine/tunisie-kais-saied-sauveur-ou-tyran,4948">origines de la crise politique</a> : revendications sociales et économiques de la révolution non satisfaites ; désaffection des citoyens à l’égard de leurs représentants jugés corrompus et, plus largement, de la classe politique dans son ensemble ; ingérence des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/decryptages/lalliance-argent-medias-pouvoir-une-menace-serieuse-pour-lavenir-democratique-de-la">puissances économiques et politiques</a> dans les processus électoraux ; déclin du militantisme partisan ; affaiblissement des corps intermédiaires ; délitement de l’État… Si le contexte tunisien ne fait que confirmer la crise de la démocratie libérale qui touche de nombreux systèmes représentatifs un peu partout dans le monde, il n’en demeure pas moins que des divergences persistent quant au sens à donner au coup de force du 25 juillet 2021.</p>
<p>Depuis le début de cette nouvelle séquence politique, nous assistons à l’affrontement de trois lectures des enjeux politiques en Tunisie :</p>
<ul>
<li><p>Une première lecture, reprenant les <a href="https://nawaat.org/2021/08/01/tunisia-and-the-obsolete-western-political-imaginary/">représentations orientalistes les plus désuètes</a>, persiste à voir le peuple tunisien comme une masse uniforme, inerte et homogène largement manipulable, au pire par un leader charismatique et au mieux par les puissances régionales et occidentales.</p></li>
<li><p>Une deuxième lecture fidèle aux diktats de la « transitologie démocratique » assimile démocratie et représentation. Elle fait du système représentatif l’expression absolue et indiscutable de la volonté du peuple, feignant d’oublier que l’idée d’après laquelle le Parlement représente parfaitement le peuple est <a href="https://lafabrique.fr/en-quel-temps-vivons-nous/">pour le moins discutable</a>. Cette analyse qui s’en tient à un respect minutieux de la Constitution, supposée être garante de la démocratie et de la volonté populaire, interprète la situation actuelle en Tunisie comme un <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/tunisie-coup-etat-kais-saied-inconstitutionnel">coup d’État</a> préjudiciable à l’avenir politique du pays.</p></li>
<li><p>Une troisième lecture défendue par le mouvement social extra-parlementaire qui a porté Kaïs Saïed au pouvoir interroge les frontières du politique en usant du slogan de la révolution <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2016-1-page-72.htm">« le peuple veut la chute du régime »</a>. Dans cette lecture, le désir de communauté incarné par la formule « le peuple veut » ne peut qu’être conflictuel et en opposition frontale aux institutions politiques classiques, dont le Parlement, largement dominé par le parti islamiste <em>Ennahdha</em>.</p></li>
</ul>
<p>La normalisation des relations d’<em>Ennahdha</em> avec les anciens du régime, sa course effrénée vers l’accaparement des rouages de l’État – afin de garantir sa survie politique dans un mépris total des revendications de la révolution – et le désir maintes fois exprimé par les Tunisiens de moralisation de la vie politique sont au centre du conflit entre <a href="https://orientxxi.info/magazine/tunisie-pour-le-president-kais-saied-la-democratie-peut-etre-une-idee-neuve,3391">ce mouvement extra-parlementaire</a> et l’élite gouvernante, bien plus que le rapport à l’islam politique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EMv2VI2rdWY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tunisie : heurts devant le Parlement sur fond de crise politique • France 24, 26 juillet 2021.</span></figcaption>
</figure>
<h2>La redéfinition récurrente des frontières de la légitimité démocratique</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois en Tunisie que les frontières de la légitimité démocratique et, plus globalement, les frontières du politique sont redéfinies. Face aux différentes crises qui se sont succédé depuis la fuite de Ben Ali et à la fluidité de la conjoncture politique s’est esquissée une ouverture sans cesse renouvelée des cadres de la légitimité politique, autorisant des projets de « politique autrement » ou « ailleurs » sous des formes souvent très diverses, voir contradictoires.</p>
<p>Ces ouvertures ont été tout autant à l’initiative des élites politiques et économiques que des acteurs des mouvements sociaux. Elles s’incarnent par exemple dans les luttes sociales qui, sans forcément chercher à subvertir volontairement les modes de fonctionnement préétablis, créent de nouveaux espaces politiques autonomes permettant de mettre en place des <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/en-tunisie-le-peuple-au-chevet-de-l-etat-dans-la-lutte-contre-le-coronavirus_2125317.html">réseaux d’entraide sociale pour gérer la crise pandémique</a> face à la défaillance de l’État ou favorisant l’appropriation des territoires et espaces longtemps confisqués par le pouvoir central. Ces expériences nous invitent non seulement à analyser le moment politique actuel à travers le prisme d’activités politiques électorales, partisanes et gouvernementales, mais aussi à prendre en considération les acteurs à la marge de la politique institutionnelle, leurs discours, leurs pratiques et les représentations qui tendent à renouveler les contours de l’espace politique et à déplacer les frontières.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1354759449873932295"}"></div></p>
<p>Mais ces différents coups portés au système sont-ils suffisants pour mettre totalement fin au régime politique et économique qui a gouverné la Tunisie pendant plus de cinquante ans ? La réponse est évidemment non.</p>
<p>L’expérience tunisienne de ces dix dernières années révèle que le <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Bertrand-Badie-Bilan-dix-ans-apres-les-Printemps-arabes.html">système a une capacité de résilience insoupçonnée</a> et que l’élite politique et économique gouvernante trouve le moyen de s’arranger avec les anomalies et les monstres qu’elle crée.</p>
<h2>Kaïs Saïed peut-il gouverner seul ?</h2>
<p>Le recours populaire à la « bonne autorité » incarnée par Kaïs Saïed – supposé, dans un même mouvement, réhabiliter l’ordre moral et faire écouter les revendications révolutionnaires – est d’abord symptomatique de l’incapacité des partis classiques de l’opposition existants et des différentes structures intermédiaires à <a href="https://blog.mondediplo.net/retour-d-une-conflictualite-radicale-en-tunisie">prendre en main l’affrontement démocratique contre la classe gouvernante</a>.</p>
<p>Les attentes élevées placées par le peuple dans le président risquent d’être rapidement déçues au regard de la capacité du système économique et politique qui a gouverné la Tunisie pendant plus de cinquante ans à se régénérer.</p>
<p>À cet égard, rappelons que la Tunisie n’a jamais été gouvernée par un seul homme. Elle a été historiquement sous l’emprise d’un parti-État policier soutenu par des pouvoirs économiques veillant selon les époques à maintenir un contrat social assurant un minimum de redistribution des richesses.</p>
<p>En l’absence de cette configuration, la grande inconnue porte sur la nature des alliances que Kaïs Saïed va devoir négocier avec ceux qui détiennent le pouvoir économique d’un côté et ceux qui continuent à maîtriser les rouages de l’État et notamment le ministère de l’Intérieur de l’autre.</p>
<p>Va-t-il réussir à faire les concessions nécessaires pour se maintenir au pouvoir sans trahir les attentes très élevées de larges franges de la population tunisienne ? Plus généralement, la question omniprésente est de savoir si, et comment, il va mettre fin à cette phase transitoire et aux mesures exceptionnelles qui vont avec.</p>
<h2>La sortie de crise : changer les institutions ou les personnes ?</h2>
<p>Là aussi, les avis divergent sur la bonne manière de sortir de cette phase institutionnelle censée être exceptionnelle.</p>
<p>Certains craignent la restauration autoritaire et proposent l’organisation d’élections anticipées pour faire élire un nouveau Parlement et nommer un nouveau gouvernement en espérant voir l’émergence de nouvelles personnes à la hauteur des défis politiques actuels. D’autres considèrent que c’est le régime politique actuel qui est la source de tous les dysfonctionnements et défendent la nécessité de <a href="https://www.leaders.com.tn/article/32213-comment-entrer-rapidement-dans-la-troisieme-republique-democratique-deux-feuilles-de-route-et-deux-scenarios-pour-la-tunisie">passer à la troisième république</a>, avec une nouvelle Constitution et un nouveau régime politique qui neutraliserait les dérives actuelles.</p>
<p>Or, les différentes crises politiques vécues en Tunisie montrent que les enjeux d’un changement institutionnel ne peuvent pas se réduire uniquement à un problème de personnes ou à la nature des défis politiques et socio-économiques auxquels une société est confrontée. Il s’agit donc de passer d’une approche techniciste dans la mise en place des changements institutionnels à une approche socio-culturelle qui intègre les attentes locales d’un « bon gouvernement » des hommes et dont dépend la légitimité des institutions et leur <a href="https://www.afd.fr/fr/ressources/redessiner-les-relations-etatcollectivites-locales-en-tunisie-enjeux-socio-culturels-et-institutionnels-du-projet-de-decentralisation">appropriation par les populations locales</a>.</p>
<p>Loin de toute opposition réductrice entre d’un côté un fétichisme du principe démocratique désincarné et, de l’autre, la peur d’un inconscient collectif qui serait par essence épris d’autoritarisme, ce qui caractérise le processus révolutionnaire tunisien, c’est son extraordinaire capacité à inventer des institutions officielles ou parallèles et son travail continuel de réélaboration des possibles du « politique », au sens large de l’art de gouverner. Cette imagination politique collective renforce l’idée que la seule manière de préparer le futur est de ne pas l’anticiper, de ne pas le planifier, mais de consolider pour elles-mêmes les formes d’organisation de la vie à l’écart et en dépit du régime politique et économique dominant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hèla Yousfi est membre du Cercle des économistes arabes.</span></em></p>Plus qu’un changement de dirigeants ou de Constitution, le peuple tunisien semble réclamer une réinvention du « politique », au sens large de l’art de gouverner.Hèla Yousfi, Maître de conférences, DRM-MOST, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670022021-08-31T18:50:42Z2021-08-31T18:50:42ZTunisie, vers un bonapartisme libéral ?<p>Comment qualifier le moment historique par lequel passe actuellement la Tunisie sinon par le recours au concept universel de bonapartisme, qui désigne le gouvernement d’un État républicain et centralisé, dirigé par un chef concentrant tous les pouvoirs entre ses mains ?</p>
<p>Au-delà des jugements de valeur amenant à prendre parti pour ou contre tel ou tel type de gouvernement, la tâche des intellectuels critiques est de produire une théorie politique à même de <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2016-4-page-7.htm">« s’élever au-dessus de la banalité […] et de penser avec les grands auteurs »</a>.</p>
<p>De ce point de vue, trois éléments plaident en faveur d’une analyse théorique de la séquence tunisienne actuelle en termes de moment bonapartiste : le tournant historique du 25 juillet 2021 ; le besoin irrésistible d’un leader ; et l’interrogation à propos d’un éventuel retour à l’autoritarisme, sur un modèle s’inspirant partiellement de l’Égypte de al-Sissi.</p>
<h2>Le tournant historique du 25 juillet</h2>
<p><a href="http://kapitalis.com/tunisie/2021/07/29/le-25-juillet-2021-un-virage-historique-a-saisir-pour-remettre-la-tunisie-sur-les-rails/">L’histoire retiendra cette date symbolique</a> qui a permis d’écarter du pouvoir les islamistes et leurs alliés qui avaient, durant 10 ans, <a href="https://www.webmanagercenter.com/2021/06/16/469329/presentation-a-tunis-de-louvrage-tunisie-la-transition-bloquee/">mené le pays vers la déroute financière, politique et morale</a>. La raison invoquée pour le gel des activités du Parlement ainsi que le limogeage du gouvernement est celle de « péril imminent menaçant les institutions de la nation et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (Article 80 de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/tn2014.htm">Constitution de 2014</a>).</p>
<p>Aucune force politique issue des partis ou de la société civile n’aurait pu déloger les islamistes des positions privilégiées qui ont permis à leurs élus d’exercer leur domination, au prix du délitement de l’État et de l’éclatement d’un lien social mis à mal par la <a href="https://www.jeuneafrique.com/508376/politique/tunisie-les-manifestations-contre-la-cherte-de-la-vie-tournent-a-laffrontement-violent/">cherté de la vie</a> et la montée de l’<a href="https://lapresse.tn/46315/insecurite-que-faire-face-au-brigandage-urbain/">insécurité</a>. Das ce contexte, le subterfuge conjoint de l’État et de la société, dont la résilience est profondément ancrée, fut de recourir à un « coup de force », en se référant à l’article 80 pour neutraliser les menaces encourues par l’édifice étatique et l’ordre social.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1426218388876111877"}"></div></p>
<p>Cet épisode <a href="https://www.marianne.net/monde/afrique/tunisie-le-coup-detat-de-kais-saied-et-larmes-de-crocodile-des-commentateurs">ne peut pas être qualifié de coup d’État</a> puisque le maître d’œuvre du tournant historique – le président de la République – est un personnage civil disposant d’une <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/presidentielle-en-tunisie-victoire-ecrasante-de-kais-saied_2103197.html">forte légitimité électorale</a> et que cet épisode s’est déroulé sans effusion de sang. Les arrestations qui ont eu lieu et se poursuivent portent uniquement sur des affaires de malversations ou d’agressions. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Par exemple, la production de phosphates a repris, à la suite de l’arrestation ordonnée par la présidence des responsables des <a href="https://www.jeuneafrique.com/1159483/politique/tunisie-a-gafsa-lintrouvable-solution-a-la-crise-du-phosphate/">10 ans de blocage</a> de ce secteur, dont un <a href="https://www.businessnews.com.tn/arrestation-du-depute-lotfi-ali-pour-blaniment-dargent-et-enriissement-illicite,520,111393,3">député</a> connu pour sa responsabilité personnelle dans cette affaire.</p>
<p>Aucun homme politique n’a été jusqu’ici arrêté pour ses convictions politiques et idéologiques – plusieurs députés <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/tunisie-arrestation-d-un-depute-critique-du-president-indique-son-parti_2155853.html">affirment avoir été interpellés pour ces raisons</a>, mais leur arrestation est en réalité consécutive à des <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/08/02/en-tunisie-plusieurs-deputes-arretes-apres-la-levee-de-leur-immunite-parlementaire_6090283_3212.html">plaintes pour des agressions</a> et insultes à l’encontre des forces de sécurité.</p>
<p>De plus, les islamistes parlent librement dans les médias et <a href="https://www.jeuneafrique.com/1208574/politique/tunisie-kais-saied-soctroie-le-pouvoir-executif-ennahdha-denonce-un-coup-detat/">dénoncent le « coup d’État »</a> sans être inquiétés. Ils ne sont pas les seuls à verser dans cette thèse, qui est <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20210827-en-tunisie-les-craintes-d-une-d%C3%A9rive-de-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-vers-un-r%C3%A9gime-pl%C3%A9biscitaire">également développée</a> par nombre de juristes et d’intellectuels de l’opposition libérale. Sur ce plan, l’islamisme trouve des alliés objectifs en dehors de son champ de cooptation et d’influence. Cependant, nulle part ailleurs, les représentants de l’islamisme n’ont été écartés avec autant de tact politique. En cela, le pays sert toujours de laboratoire pour les nouvelles expériences, hier comme aujourd’hui.</p>
<p>Parce qu’elles se réfèrent à la légitimité plus qu’à la légalité, les mesures du 25 juillet 2021 constituent un tournant plus important que celui du 14 janvier 2014 ayant permis de mettre fin au régime policier de Ben Ali.</p>
<p>Bref, la Tunisie est en train d’écrire une nouvelle page de son histoire, en accueillant un changement politique substantiel, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/en-tunisie-le-president-aux-pleins-pouvoirs-kais-saied-est-critique-mais-tres-populaire_4704611.html">soutenu par une majorité absolue de l’opinion publique nationale</a> qui a fêté, dans la liesse populaire, l’acte d’émancipation collective qu’est la clôture officielle de la parenthèse islamiste.</p>
<h2>Le besoin irrésistible d’un leader charismatique</h2>
<p>Depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1987/11/10/tunisie-apres-la-destitution-du-president-habib-bourguiba_4072867_1819218.html">déposition de Bourguiba par le général Ben Ali en 1987</a>, le peuple tunisien est devenu comme « orphelin » d’un chef qui préside à sa destinée. Telle est la perception collective découlant d’un <a href="https://lapresse.tn/106538/abdelhamid-largueche-professeur-dhistoire-conseiller-en-patrimoine-ancien-membre-du-comite-du-patrimoine-mondial-a-lunesco-a-la-presse-si-le-bras-de-fer-continue-l/">imaginaire historique dominé par la figure du « chef juste »</a> – figure équivalente au niveau symbolique à celle de « l’émir » ou de « l’imam juste » en islam.</p>
<p>C’est dans ce sens que la mémoire du bourguibisme fut réactivée lors du règne de la « Troïka » (2011-2014) – c’est-à-dire la coalition au pouvoir durant cette période, au sein de laquelle des libéraux tels que le Congrès pour la République de Moncef Marzouki ou le parti Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar côtoyaient les islamistes d’Ennahdha. Ces derniers dominaient largement ladite coalition, et imposèrent un discours et des pratiques néo-salafistes en rupture avec le style de vie national dit <a href="https://brill.com/view/journals/melg/8/2-3/article-p131_2.xml?language=en">« tunisianité »</a> – ce mélange de pragmatisme, de compromis et de « joie de vivre ».</p>
<p>À cela s’ajoute une <a href="https://www.aa.com.tr/fr/afrique/inlucc-la-majorit%C3%A9-des-tunisiens-estime-que-la-corruption-s-est-aggrav%C3%A9e-depuis-2011/2194491">généralisation de la corruption durant les dix dernières années</a> qui créa l’anomie au sein d’une société dominée par l’idéologie de l’égalitarisme alors même qu’elle assistait, impuissante, à la montée du favoritisme et de l’enrichissement illégal des nouveaux dirigeants. D’où la demande pressante d’un homme fort qui soit capable d’instaurer l’ordre et la sécurité. C’est à ce titre que le candidat « outsider » Kaïs Saïed fut élu comme président puis acclamé, lors de son discours du 25 juillet, comme étant le héros national, l’homme providentiel.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1415211692712206339"}"></div></p>
<p>L’anti-parlementarisme ambiant n’est que l’expression de la nostalgie d’un État fort et d’une identité structurante du lien social. L’émergence d’un chef charismatique résulte, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_domination-9782707174918">comme l’a montré Max Weber</a> d’une relation sociale ayant des traits spécifiques, à savoir la reconnaissance du charisme par les gouvernés, l’imposition de nouvelles règles juridiques et une communautarisation émotionnelle dont la cohésion découle d’un attachement personnel au chef et à ses proches. De facto, la Tunisie est engagée de plain-pied dans la (re)production du pouvoir d’un chef charismatique, en tant que réponse à l’incapacité des groupes politiques d’assurer le commandement et l’autorité nécessaires à la survie de l’ordre social.</p>
<h2>Retour à l’autoritarisme vs république libérale</h2>
<p>La concentration des pouvoirs entre les mains d’un président plébiscité par le peuple est de nature à provoquer le <a href="https://www.cerclegermainedestael.org/tunisie-une-democratie-en-crise-et-la-tentation-du-retour-a-lautoritarisme/">retour à l’autoritarisme</a>, selon des analystes critiques des mesures du 25 juillet. Le prolongement de l’état d’exception pourrait transformer l’État de droit en un État de police, voire d’arbitraire.</p>
<p>De telles craintes pourraient être justifiées s’il n’y avait pas eu le formidable acquis démocratique de la révolution libérale de 2011 qui a réussi, au terme d’une dizaine d’années, à instaurer une sphère publique de débat et d’exercice des libertés. Phénomène remarquable, les institutions de l’État sont empreintes de continuité malgré les changements opérés au niveau de l’exécutif, aussi bien en 2011 lors de la « révolution de la dignité » qu’en 2021, à l’occasion des mesures présidentielles. Un des secrets de cette continuité, c’est que l’armée se veut républicaine et au service du pouvoir civil, et non l’inverse.</p>
<p>À la différence de l’Égypte, la Tunisie n’est pas une société militaire et il existe un équilibre politique assuré par la société civile dont le pivot est la <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2012-1-page-71.htm">Centrale syndicale</a>, partenaire social privilégié de l’État et acteur incontournable de la gouvernance. Ce phénomène est unique dans le monde arabe.</p>
<p>Il y aurait besoin de rappeler, concernant le moment bonapartiste partagé par les deux pays phares des révolutions arabes que sont l’Égypte et la Tunisie, la différence entre le bonapartisme autoritaire et le bonapartisme libéral. En témoigne, toutes proportions gardées, le <a href="https://www.lhistoire.fr/de-napol%C3%A9on-%C3%A0-de-gaulle-la-tentation-bonapartiste">vécu français</a> au cours du Second Empire (1852-1870) et lors du retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958.</p>
<p>En restaurant l’autorité de l’État face à l’anarchie parlementaire rejetée par le peuple dans sa majorité absolue, le président Saïed se veut, en tant que figure de leadership, plus proche de De Gaulle que de Napoléon III. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il <a href="https://www.espacemanager.com/kais-saied-ce-nest-pas-cet-age-que-je-vais-commencer-une-carriere-de-dictateur.html">reprit récemment à son compte</a> un fameux mot de De Gaulle :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas à cet âge que je vais commencer une carrière de dictateur. »</p>
</blockquote>
<p>L’espoir est que le changement opéré ne se déroule pas selon le schéma hégélien où les grands faits de l’histoire universelle adviennent deux fois ; la première fois comme une tragédie et la seconde fois comme une farce, <a href="https://editions.flammarion.com/le-18-brumaire-de-louis-bonaparte/9782081204959">selon la formule de Karl Marx</a>.</p>
<p>Cet espoir se nourrit de l’existence d’une société civile structurée et du rôle décisif des femmes dont la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1138537/politique/serie-tunisie-ichraf-chebil-saied-la-tres-discrete-epouse-du-chef-de-letat-3-3/">première dame</a> – juge de fonction – est une illustration éloquente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167002/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Kerrou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récents événements tunisiens invitent à convoquer la notion de bonapartisme – l’action du président Saïed semblant à cet égard relever du bonapartisme libéral plus que du bonapartisme autoritaire.Mohamed Kerrou, Professeur de sciences politiques, Université de Tunis El ManarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1661192021-08-17T18:02:15Z2021-08-17T18:02:15ZÀ l’épreuve du feu et de la pandémie, un regain de solidarité nationale en Algérie<p>En cet été 2021, l’Algérie est confrontée à une double épreuve : d’une part, une <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1050663/article/2021-07-29/covid-19-en-algerie-le-pays-manque-d-oxygene-en-temoigne-une-video-et-un-appel-l">pénurie d’oxygène dans les hôpitaux</a> en pleine troisième vague de cas de Covid due à la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/29/en-algerie-le-systeme-de-sante-est-submerge-par-le-variant-delta_6089865_3212.html">rapide propagation du variant delta</a> dans un pays encore peu vacciné ; d’autre part, et depuis moins longtemps, des incendies d’une violence inédite, qui ont provoqué <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/08/14/algerie-des-incendies-continuent-de-ravager-le-nord-du-pays-le-bilan-s-alourdit_6091449_3212.html">plusieurs dizaines de morts</a>.</p>
<p>Les réseaux sociaux, où la solidarité s’organise, étaient déjà submergés d’images poignantes d’hôpitaux saturés et de médecins épuisés, qui paient d’ailleurs un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/algerie/covid-19-en-algerie-plus-de-260-medecins-emportes-par-la-pandemie_4728337.html">lourd tribut</a> à l’épidémie. S’y ajoutent désormais d’impressionnantes images apocalyptiques qui révèlent l’étendue du désastre humain, matériel et environnemental provoqué par des incendies colossaux qui semblaient <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/algerie/algerie-la-plupart-des-incendies-sont-maitrises-annonce-la-protection-civile_4739041.html">maîtrisés au 16 août</a>. Selon, les autorités, ces incendies étaient de nature criminelle : le 12 août, le président de la République a annoncé <a href="https://www.challenges.fr/monde/algerie-le-president-annonce-l-arrestation-de-22-pyromanes_776765">l’arrestation de 22 pyromanes</a>.</p>
<h2>La lenteur des secours</h2>
<p>Les villageois, avant tout en Kabylie, région particulièrement touchée, ont dû <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/algerie/reportage-en-algerie-la-kabylie-reduite-en-cendres-657f1c78-fac1-11eb-ba79-96c5b236843d">affronter le feu</a> avec des moyens rudimentaires.</p>
<p>Les renforts de la protection civile et de l’armée ont été accueillis positivement par la population, mais jugés tardifs et insuffisants face à la magnitude du désastre. Très vite, les citoyens ont <a href="https://www.lavantgarde-algerie.com/article/actualites/le-collectif-sos-la-kabylie-est-calcinee-appelle-louverture-dune-voie-pour-une-aide-internationale">exhorté l’État à accepter l’aide internationale</a> : au vu de l’ampleur de la catastrophe, l’enjeu de la fierté nationale devait passer au second plan. L’envoi de <a href="https://www.jeuneafrique.com/1217151/politique/incendies-en-algerie-comment-la-france-a-envoye-deux-canadair-en-kabylie/">deux Canadairs</a> fournis par l’Union européenne a pris trois précieux jours car le pouvoir algérien, soucieux de sauver la face, a tenu à signer pour cela un accord commercial de location avec l’UE.</p>
<p>Entretemps, avec l’humour de résistance <a href="https://theconversation.com/algerie-quand-les-millennials-defont-le-trauma-avec-humour-et-imagination-113377">que l’on connaît aux Algériens</a>. les internautes avaient comparé l’équipement en Canadairs des pays voisins, chiffré le coût d’un Canadair et de la formation du personnel, et comparé ces sommes relativement réduites au budget démesuré dévolu aux dépenses militaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=801&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416517/original/file-20210817-23-1gf4nay.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Montage posté par l’ONG Info Béjaïa 24 sur son compte Facebook.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/199486740662525/photos/a.199497037328162/896309224313603">Page Facebook Info Béjaïa 24</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Particulièrement touchée par les incendies, la Kabylie est connue pour son irrédentisme matérialisé par un <a href="http://www.slate.fr/story/208763/algerie-elections-legislatives-anticipees-kabylie-tension-abstention-mak">boycott récurrent des élections</a>, y compris les législatives de mai dernier, ce qui constitue, de fait, un défi lancé à un pouvoir central qui a classé en mai 2021 comme <a href="https://www.elwatan.com/a-la-une/haut-conseil-de-securite-le-mak-et-rachad-classes-organisations-terroristes-19-05-2021">terroriste</a> le mouvement autonomiste Kabyle (MAK), minoritaire dans la région. La répression qui vise le mouvement pacifique du Hirak, lancé début 2019 et dont les marches hebdomadaires ont été <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/algerie-marches-interdites-le-hirak-se-refugie-sur-les-reseaux-sociaux-20210604">interdites</a>, a conduit certains à ironiser sur le fait que le pouvoir use largement de canons à eau pour disperser les manifestants, mais que ces mêmes canons sont introuvables lorsqu’il faut secourir les populations.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1425077435045974021"}"></div></p>
<p>La population a pris l’habitude de largement remettre en cause la gouvernance du pays sur les réseaux sociaux, espace d’expression majeur du pays, qu’il s’agisse de crise sanitaire ou d’incendie, de pénurie d’oxygène, mais aussi de liquidités, de semoule, d’huile, de lait, d’eau ou encore de coupures d’électricité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1425929168789848068"}"></div></p>
<p>Aussi, l’annonce d’un <a href="https://www.dzairdaily.com/algerie-deuil-national-3-jours-incendies/">deuil national de trois jours</a> pour commémorer les civils et militaires décédés du fait des incendies a irrité la toile au moment où les feux continuaient de s’étendre. Les internautes n’ont pas manqué de souligner qu’il aura fallu trois jours avant que des officiels ne se présentent aux victimes pour déclencher un fonds spécial d’indemnisation et six jours au chef de l’État pour visiter deux hôpitaux. Le sentiment d’abandon de la population ne s’est pas éteint lorsque le 12 août au soir, le président de la République a déclaré que la demande d’aide internationale avait été exprimée par l’Algérie dès le 9 août mais que <a href="https://www.facebook.com/fildalgeriedz/photos/a.1769586323150169/3942045275904252/">celle-ci était indisponible en raison des incendies en Grèce</a>. Deux Canadairs attendus d’Espagne le 13 août 2021, et un de Suisse le lendemain, a annoncé le président. Bon nombre d’internautes se sont étonnés que ces procédures aient tant duré, au vu de l’urgence, et déploré que les autorités algériennes n’aient pas accepté l’aide proposée par le Maroc voisin, avec lequel les relations diplomatiques sont tendues.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1425555471608467456"}"></div></p>
<h2>Les Algériens, champions de la solidarité sociale</h2>
<p>Sans attendre, dès le 9 août au soir, s’est mise en mouvement une solidarité phénoménale, transcendant les divisions entre régions et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/algerie-la-diaspora-en-premiere-ligne-face-aux-feux-et-a-la-crise-sanitaire-20210812">largement appuyée par la diaspora</a> – une mobilisation en continuité de celle toujours à l’œuvre pour faire face à la pénurie de moyens sanitaires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=607&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=607&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=607&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=763&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=763&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416522/original/file-20210817-6755-1m61vl2.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=763&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Les Algériens se mobilisent pour la Kabylie », dessin de Dilem.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://kabyle.com/image/vivement-letat-kabyle">Kabyle.com</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des appels à agir avec responsabilité et unité pour aider les zones sinistrées ont inondé la toile, un facilitateur important. On se souvient qu’en mars 2020, à l’avènement du coronavirus, ce sont les citoyens, avant l’État, qui ont mis fin aux marches du Hirak, par responsabilité au vu de la crise sanitaire – les Algériens avaient d’ailleurs été distingués par des médias internationaux comme <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/face-au-coronavirus-les-algeriens-champions-de-la-solidarite">« champions de la solidarité »</a> ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1425887467895463937"}"></div></p>
<p>En très peu de temps, le Hirak avait <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-peuple-algerien-aspire-au-prix-nobel-de-la-paix-134499">mobilisé ses codes de collaboration solidaire</a> au travers des réseaux sociaux pour compenser, dans la mesure du possible, la fragilité du système sanitaire.</p>
<p>Cet été, un élan de générosité massif a traversé le pays. Depuis l’ensemble du territoire, des convois de dons interminables ont afflué notamment vers la Kabylie, zone la plus sinistrée, signant <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/algerie-face-a-l-apocalypse-de-feu-une-massive-solidarite-s-organise-11-08-2021-2438586_3826.php">l’union du peuple dans l’adversité</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=849&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416523/original/file-20210817-23-5l14am.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’un des nombreux messages de ce type relayés sur Facebook par de nombreux internautes.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Des appels pour lister les besoins, les associations fiables par village, les denrées nécessaires, les lieux de dépôt, itinéraires de départ depuis les principales villes ont été très relayés sur les réseaux. Parallèlement, des centaines de jeunes de différentes régions sont allés spontanément prêter main-forte aux locaux dans les villages reculés. On y note des scènes de fraternité émouvantes, parfois entre personnes ne parlant pas la même langue (kabyle/arabe), qui contrastent heureusement avec le racisme et les discriminations dont les réseaux sociaux algériens sont souvent le terrain d’expression.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1425168612025831429"}"></div></p>
<h2>La Kabylie, inspiration des théories de la solidarité sociale</h2>
<p>En Kabylie, la solidarité en provenance de l’ensemble du pays a été spectaculaire. Hôtels, foyers, salles des fêtes <a href="https://www.facebook.com/CulturArtKabyle/photos/a.2628991823783073/5025433327472232/">ont ouvert leurs portes aux familles sinistrées</a>, maintenant un principe d’hospitalité ancestral.</p>
<p>Dans cette région, les systèmes de gouvernance de structures ancestrales qui comportent plusieurs niveaux telles les jemaà (« assemblées villageoises » <a href="https://www.berose.fr/article2013.html">étudiées par Pierre Bourdieu</a>) se mêlent aux institutions modernes formelles (autorités locales, associations, entreprises…) pour constituer des collectifs agiles et à fort <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1980_num_31_1_2069">« capital social »</a>, identifiant vite les besoins. Les familles, délibérant ensemble sur les décisions à prendre, organisent l’action et solutionnent les conflits. Cette fois, les Kabyles ont également utilisé les réseaux sociaux pour communiquer, facilitant l’apport et la répartition de l’aide. Ainsi, quand un village déborde de dons, il parvient à éviter le gaspillage (thématique moderne), conciliant cette tradition avec une vraie agilité en matière d’usage des outils de communication et de management des dons.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/exJ8C0mQ8GM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>C’est après avoir lu des travaux sur l’organisation sociale en Kabylie (notamment <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1565270-la-kabylie-et-les-coutumes-kabyles-premiere-pa--adolphe-hanoteau-aristide-letourneux-association-atout-kabylie-europe">ceux d’A. Letourneu et A. Hanoteau</a>) que le père de la sociologie Émile Durkheim a forgé la problématique des <a href="http://www.education-populaire.fr/solidarite-mecanique-organique/">solidarités mécanique et organique</a>. Historiquement, selon Hanoteau et Letourneux, qui écrivaient en 1893, toute la société kabyle est imprégnée de « l’esprit d’association et de solidarité » et « partout, on retrouve, à ses divers degrés, l’association solidaire, aussi bien dans les moindres intérêts de la vie privée que dans les relations de la famille, du village et de la tribu ». Bourdieu soulignait à cet égard qu’« à l’imperfection des techniques répond une perfection hyperbolique du lien social, comme si la précarité de l’ajustement à l’environnement naturel trouvait contrepoids dans l’excellence de l’ajustement social […] ». <a href="https://www.facebook.com/farid.alilat/posts/10226359761449880">Cette contribution</a> récente du journaliste Farid Allilat illustre l’actualité de ce propos.</p>
<p>Bourdieu élaborera dans cette même Kabylie les principaux concepts de sa théorie, notamment ceux du « capital social » et de la « violence symbolique », en relation directe avec le sentiment de l’honneur qui n’épargne aucune société.</p>
<h2>Une ombre au tableau de la solidarité : une tragédie dans la tragédie</h2>
<p>Le 11 août dernier, Djamel Ben Ismaïl, un jeune bénévole venu en Kabylie depuis la ville de Miliana, située à des centaines de kilomètres de là, pour participer à la lutte contre les incendies, a été <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/le-lynchage-a-mort-de-djamel-ben-ismail-accuse-a-tort-de-pyromanie-choque-l-algerie_2156657.html">lynché</a> dans la ville kabyle de Larbaâ Nath Irathen.</p>
<p>Soupçonné par la foule d’être l’un des auteurs des incendies, il a été littéralement immolé sur la place publique, en présence de policiers. Une enquête est ouverte, de nombreux <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/lynchage-dun-innocent-en-algerie-36-suspects-arretes-15-08-2021-WDQRWMYTLNG5DLPIS5ODRL2OHM.php">suspects arrêtés</a> grâce aux vidéos prises par les badauds.</p>
<p>Une <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/l-algerie-meurtrie-par-le-lynchage-d-un-jeune-en-kabylie-15-08-2021-2438933_3826.php">onde de choc</a> d’indignation et de refus de la barbarie a traversé tout le pays (et au-delà, via la diaspora). Ce crime sauvage pourrait recristalliser des divisions (entre Arabes et Kabyles) que la solidarité nationale transcende. Dans ce contexte, la réaction majestueuse du père de la victime, qui a appelé à la fraternité, à l’humanisme et à l’union entre tous les Algériens a forcé le respect dans l’ensemble du pays. Quand diverses assemblées représentatives de la société kabyle lui ont demandé pardon, il a déclaré « J’ai perdu un fils, j’ai gagné des enfants. Vous êtes tous mes enfants », éteignant ainsi d’autres feux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1426492994920849411"}"></div></p>
<p>Dans l’urgence, sur le lieu du drame, les comités de village et citoyens ont publié ce communiqué. Dès à présent, le principe de réparation ancestral s’organise, avec des <a href="https://www.facebook.com/photo/?fbid=4559717567392105&set=gm.1759531057582023">appels aux dons</a> depuis la Kabylie pour soutenir la famille de la victime et sa région, Miliana.</p>
<p>La solidarité inter-régions et l’union ont continué massivement malgré ce sombre épisode. Djamel Ben Ismaïl, artiste, bénévole, hirakiste, célébré sur la toile, viendra longtemps hanter la conscience des Algériens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La région la plus sinistrée par les incendies est la Kabylie, la solidarité du peuple algérien uni a démenti tout spectre de divisions régionales comme ressort de la vie politique du pays.Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1618502021-06-14T17:20:03Z2021-06-14T17:20:03ZCharia, droit musulman, constitutions : comment faire du droit avec l’islam ?<p>La charia, c’est, littéralement, « le chemin terrestre qui mène à Dieu ». Ce chemin, comme pour toutes les religions révélées, comporte une dimension normative, c’est-à-dire une série de prescrits et d’interdits. La charia est donc une Loi avec un L majuscule, parce qu’elle est d’essence divine. Ceci étant dit, il reste à explorer les sources desquelles dérivent la Loi, leur hiérarchie, les interprétations qui en sont faites, la façon dont savants et croyants s’en sont emparés et la forme que cela peut prendre dans le contexte contemporain.</p>
<p>Parmi toutes les acceptions possibles de la charia, il en est deux qui, bien qu’antinomiques, se répondent l’une à l’autre comme dans un jeu de miroirs déformants. L’une fait de la charia une abstraction vertueuse, un modèle de comportement et une norme intangible pour le croyant. L’autre la tient pour l’incarnation d’un islam arriéré, porteur de valeurs intrinsèquement opposées à la civilisation moderne. Ces deux visions ont en commun de réifier la charia, d’en faire une chose en soi, une essence, avec ce paradoxe que ce ne sont pas tant les sources dans lesquelles ces deux visions antagonistes puisent qui diffèrent que la valeur qu’on leur attribue. Autrement dit, ces deux versions sont les deux faces d’une même pièce, solidaires et indissociables, alors même qu’elles se situent littéralement aux antipodes l’une de l’autre. Qu’en est-il, plus précisément ?</p>
<p>Ce qu’on appelle le <a href="https://www.researchgate.net/publication/297565584_The_Invention_of_Islamic_Law_A_History_of_Western_Studies_of_Islamic_Normativity_and_Their_Spread_in_the_Orient">« droit musulman »</a> ne correspond pas à une réalité aussi ancienne que l’islam lui-même. Le contenu normatif de l’islam est composé de l’Enseignement divin, ou charia, et de la doctrine, ou fiqh. Si la charia peut être définie comme la Loi divine, le fiqh en constitue la doctrine humaine, l’élaboration doctrinale développée à travers l’histoire pour tenter de faire sens de cette Loi. La transformation de cette norme islamique en droit positif, et particulièrement en droit codifié, est le résultat d’une invention. Celle-ci plonge ses racines dans l’irruption européenne sur la scène musulmane.</p>
<h2>Le droit musulman, une création moderne</h2>
<p>Elle est aussi le fruit d’un idéal de rationalité généralisée et d’une ambition de contrôle systématique des sociétés. Ce sont les savants orientalistes et les administrateurs coloniaux, d’une part, et les gouvernants musulmans et les nouvelles élites modernisatrices, de l’autre, qui ont cherché dans la doctrine juridique islamique ce qui était susceptible d’être coulé dans le moule d’un droit positif, inspiré le plus souvent du modèle napoléonien. Cette greffe a fait souche : aujourd’hui, la notion de droit musulman fait partie de l’horizon ordinaire de la pensée politique et juridique dans les sociétés à majorité musulmane. Elle est également présente là où une forte minorité musulmane s’est affirmée.</p>
<p>La plupart des pays arabes se sont dotés d’un système de droit positif, c’est-à-dire d’un droit conçu de manière systémique, adossé à un État-nation, très souvent rédigé sous forme de codes prétendant à un quadrillage complet de la vie économique, sociale et politique d’une société vivant sur un territoire déterminé, avec une hiérarchie d’institutions judiciaires en charge de son application. Cette évolution a naturellement connu des cours différents, selon que l’adoption du modèle français était indirecte, comme en Égypte, ou bien le fait de la domination coloniale, comme au Maghreb ou au Levant.</p>
<p>Dans ce contexte général, la place de la norme islamique a également évolué, bien qu’à un rythme décalé. D’un côté, la part du droit musulman, cette invention du XIX<sup>e</sup> siècle, n’a cessé de rétrécir. De l’autre, on a pu observer, dans les domaines encore régis officiellement par la norme islamique, une tendance à adopter des techniques juridiques nouvelles. À première vue, on pourrait croire que ce ne sont que des changements de forme, qui laissent intact le cœur de la normativité islamique. C’est en réalité <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_charia-9782707182548">tout le contraire qui s’est produit</a>.</p>
<h2>Des expériences éclatées selon les pays</h2>
<p>La diversité des expériences juridiques est manifeste dès lors qu’on s’intéresse aux pays d’Asie où l’islam est démographiquement majoritaire. De la Turquie à la Malaisie, en passant par l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, le Bangladesh et l’Indonésie, ce sont les expériences nationales qui déterminent étroitement la forme prise par la référence à l’islam, qu’il s’agisse de la laïcité, du fédéralisme ou du républicanisme islamique. Selon les cas, la place réservée à la normativité islamique peut s’avérer à peu près nulle, sinon de manière très indirecte, ou, tout au contraire, centrale, même si cette centralité n’est que symbolique. Ainsi la Turquie contemporaine ne fait-elle aucune place à la charia dans sa constitution, alors même que le pouvoir en place est de nature islamo-conservatrice. La constitution du Bangladesh, quant à elle, proclame le caractère séculier de l’État alors que la vie politique du pays semble rythmée par diverses conceptions de l’islam et de sa place institutionnelle.</p>
<p>À ce tableau contrasté viennent s’ajouter tous les pays où la présence musulmane est minoritaire mais significative. Ainsi en va-t-il de l’Inde, où l’une des plus grandes populations musulmanes au monde est confrontée à un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/02/26/a-l-origine-des-violences-un-nationalisme-hindou-d-etat_1779767/">nationalisme hindou agressif</a>, ou de la Thaïlande, où la <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210413-dans-le-sud-de-la-tha%C3%AFlande-un-ramadan-discret-pour-les-musulmans">revendication musulmane ne cesse de s’affirmer</a>. En Chine, la question régionale et minoritaire, particulièrement dans le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/22/sayragul-sauytbay-formatrice-dans-un-camp-de-reeducation-du-xinjiang_6081101_3210.html">Xinjiang</a>, est également brûlante. La place faite à la charia est, dans tous ces cas, extrêmement dépendante du caractère pluraliste ou non de l’État, de sa reconnaissance ou non de la <a href="https://www.doc-du-juriste.com/droit-prive-et-contrat/droit-civil/dissertation/personnalite-lois-447935.html">personnalité des lois</a> (particulièrement dans le domaine de la famille) et de son adhésion aux grands principes relatifs aux droits humains (liberté de conscience, liberté de culte, liberté d’association).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KKx0WXkyuBs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les expériences africaines, dans le Sahel et au sud du Sahara, sont, elles aussi, variées. L’héritage colonial a évidemment beaucoup à voir dans cette diversité, avec un contraste marqué entre les pays influencés par la <a href="https://ppp.worldbank.org/public-private-partnership/principales-caracteristiques-des-systemes-de-common-law-et-de-droit-civil">Common Law britannique</a> et ceux qui s’inscrivent dans la descendance napoléonienne, entre ceux dont le fédéralisme autorise une extrême diversité juridique, comme au Nigéria, et ceux dont le centralisme se veut essentiellement laïque, comme au Sénégal.</p>
<h2>Derrière les différences, le triomphe du droit positif moderne</h2>
<p>Toutes ces expériences, aussi contrastées qu’elles soient, attestent de l’apparition et de la consolidation du droit positif. Même dans les situations où la normativité islamique se trouve placée au centre du système, cela se fait selon des modalités totalement différentes de celles de la période précoloniale. Même les relations familiales, qui sont pourtant au cœur des structures anthropologiques des sociétés musulmanes et donc l’objet d’une attention particulière de la charia et du fiqh, ont été largement codifiées. Mariage, divorce, filiation et héritage sont la plupart du temps l’objet de législations et de codes spécifiques, amendés plus ou moins régulièrement, comme en 2000 en Égypte ou en 2004 au Maroc.</p>
<p>Il en va de même du domaine de la finance islamique, qui se fonde sur <a href="https://www.cairn.info/la-banque-et-la-finance-islamiques--9782804167042-page-7.htm">l’interdiction de l’usure</a> (riba). On observe ici le développement de mécanismes normatifs nouveaux sur des sujets qui sont évoqués, souvent allusivement, dans les textes sacrés. Dans tous les cas, la revendication d’islam n’est jamais un retour effectif à l’« âge d’or » de ses débuts, de l’époque dite des califes bien guidés au califat abbasside de Bagdad (7e-IX<sup>e</sup> siècle), mais un jeu de référence à la norme islamique qui s’adapte aux contraintes du monde globalisé.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Yl8lXsgb2eQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce même phénomène de transformation des normes islamiques en droit positif des États à majorité musulmane s’observe <a href="https://www.google.fr/books/edition/Constitutionalism_Human_Rights_and_Islam/msSSDAAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0">au niveau des constitutions</a>. On y trouve des dispositions faisant de l’islam la religion étatique, stipulant la confession islamique du chef de l’État ou faisant de la normativité islamique la source d’inspiration du droit positif. Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas de codifier la Loi islamique mais d’y faire référence pour qu’elle inspire le travail des législateurs.</p>
<h2>Invoquer la charia dans la constitution : trois exemples</h2>
<p>En Égypte, la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/eg1971i.htm">constitution de 1971</a> introduisit pour la première fois une référence à la norme islamique (art. 2) en disposant que les principes de la charia sont une des sources de la législation. Celle de 1980 rehaussa encore le rang accordé à la normativité religieuse, en en faisant la source principale de la législation.</p>
<p>Sur cette base, de nombreux recours ont été introduits devant la Haute Cour constitutionnelle par des individus considérant que la loi égyptienne était contraire à la charia. Après avoir longtemps évité de s’engager sur ce terrain, la Cour a finalement précisé ce qu’il y a lieu d’entendre par charia. Elle a ainsi distingué les principes absolus de la charia, qu’il faut suivre à la lettre, et les principes relatifs, qui peuvent être interprétés et adaptés. Ainsi, tout en reconnaissant une valeur juridique à la charia, la Cour a, en réalité, limité ses effets.</p>
<p>Une nouvelle constitution a été promulguée en <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/eg2012.htm">Égypte en 2012</a>, qui reprend l’article 2 évoqué précédemment, tout en ajoutant une nouvelle disposition précisant que les principes de la charia englobent ses sources scripturaires (Coran et tradition prophétique), les règles du fiqh et de ses fondements, et l’ensemble des sources prises en considération par les écoles doctrinales sunnites (art. 219). La formulation alambiquée de cet article et son insertion en fin de texte témoignent du caractère précipité de l’adoption de la constitution égyptienne. Mais cet ajout reflète également la volonté de circonscrire les pouvoirs de la Cour constitutionnelle en définissant à sa place ce qu’il y a lieu d’entendre par les « principes de la charia ». </p>
<p>La constitution ne dit rien, en revanche, sur le type de contrainte que ces principes exercent sur le législateur égyptien et, partant, sur la Cour constitutionnelle. Avec le coup d’État de juillet 2013, une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/eg2013b.htm">nouvelle constitution</a> fut mise en chantier. Celle-ci, adoptée par référendum en janvier 2014, reprend à nouveau l’article 2, mais exclut l’article 219, marquant ainsi la volonté d’en rester à la jurisprudence établie de la Haute Cour constitutionnelle et de faire table rase de l’épisode islamo-démocrate du pays.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HlLv8mrVM2k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En Tunisie, avec le mouvement de transition initié par le <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/en-tunisie-les-fleurs-fanees-de-la-revolution-du-jasmin">renversement du régime en janvier 2011</a>, et la mise en chantier de nouveaux textes constitutionnels, la place de la charia a pris une nouvelle actualité. Celle-ci s’est trouvée renforcée par la victoire dans les urnes de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/11/en-tunisie-les-deboires-du-parti-islamo-conservateur-ennahda_6079904_3212.html">partis islamo-conservateurs</a>. Le souci de consensus politique semble pourtant l’avoir emporté sur le désir d’hégémonie religieuse, et le pragmatisme idéologique, avoir prévalu sur l’idéal utopique. Une des raisons permettant d’expliquer la facilité avec laquelle cette tendance pragmatique s’est imposée tient sans doute à la plasticité même du référent islamique, dont la géométrie est variable en fonction des circonstances.</p>
<p>Dans ce pays, aucun texte ne fait de la norme islamique une source formelle du droit. Toutefois, dans la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/tn1959i.htm">constitution de 1959</a>, l’article premier stipule que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la République ». Cette formulation, adoptée à l’initiative de Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante (1957-1987), assortie à un préambule qui invoque également l’islam, a ménagé des interstices dans lesquels n’a pas manqué de s’engouffrer une frange conservatrice du pouvoir judiciaire, dans le but de donner à la charia le statut de source subsidiaire.</p>
<p>Cette ambiguïté est accentuée dans la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/tn2014.htm">constitution de 2014</a>, qui fait suite à la révolution de 2011. Si l’article 1<sup>er</sup> de la constitution reproduit la formule de 1959, l’article 141 parle de « religion de l’État ». En outre, l’article 6 investit l’État de la « protection de la religion », ce qui, dans un État dont la religion est constitutionnellement l’islam, revient à ouvrir la possibilité de recourir au référent islamique et à son corollaire, la charia.</p>
<p>Le cas du Maroc s’avère également intéressant. <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ma2011.htm">La constitution de 2011</a>, la première à faire suite aux « printemps arabes », fait de l’islam, « religion de l’État », un référentiel avant tout national, à côté de l’unité du pays, de l’intégrité territoriale et de la monarchie. Les articles de la constitution qui se réfèrent à la religion musulmane mettent en exergue les principes de tolérance et d’ouverture, ainsi que la liberté des cultes.</p>
<p>Dans le système constitutionnel marocain, l’identification de la normativité islamique comme référent constitutionnel est superflue. Distinguant les « deux corps du roi », celui de chef de l’État et arbitre suprême (art. 42), et celui de commandeur des croyants, <em>amir al-mu’minin</em> (art. 41), la constitution souligne à quel point, au Maroc, c’est <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/monarchies-au-pied-du-mur-44-au-royaume-du-maroc-un-calme-de-facade">l’ordre monarchique</a> qui détermine l’extension de la norme religieuse.</p>
<p>Aujourd’hui, lorsque l’on parle de droit dans les pays musulmans, c’est à un <a href="https://www.google.fr/books/edition/Positive_Law_from_the_Muslim_World/h1ctEAAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=Positive+Law+from+the+Muslim+World&printsec=frontcover">droit positif appuyé sur l’État</a> que l’on fait référence. Ce phénomène de « positivisation » ne se limite pas au droit, loin s’en faut. Il touche aussi les normes techniques, managériales, de gouvernance. Il a déclenché un bouleversement conceptuel et pratique complet. Qu’on appelle cette dynamique « islamisation de la modernité » ou « modernisation de l’islam », la manière de concevoir la norme islamique et de la pratiquer a suivi une trajectoire fondamentalement distincte de celle qui prévalait auparavant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161850/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Baudouin Dupret a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR), de la Région Nouvelle-Aquitaine et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). </span></em></p>La charia est souvent opposée à la modernité. Pourtant, depuis deux siècles, loin d’être en conflit, le droit positif des pays musulmans et la norme religieuse s’accommodent de bien des manières.Baudouin Dupret, Directeur de recherche au CNRS, Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.