tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/masculinite-33579/articlesmasculinité – The Conversation2024-03-21T15:42:38Ztag:theconversation.com,2011:article/2260942024-03-21T15:42:38Z2024-03-21T15:42:38Z#MeTooGarçons : « 80% des violences ont lieu ou commencent avant l’âge de 18 ans »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583163/original/file-20240320-30-k0hlnv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C4790%2C3491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Selon les chiffres de l'enquête Virage (2015) au cours de leur vie, 3,9 % des hommes interrogés ont subi des violences sexuelles, contre 14,5 % des femmes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/silhouette-de-l-homme-448834/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Les comédiens <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240227-metoogar%C3%A7ons-les-hommes-victimes-minoritaires-en-chiffres-et-minor%C3%A9s-dans-leurs-traumatismes-violences-agressions-sexuelles-tabou">Aurélien Wiick</a> puis Francis Renaud ont récemment révélé les abus à caractère sexuel dont ils auraient victimes plus jeunes de la part de réalisateurs ou producteurs de <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">cinéma</a>, donnant lieu à la première vague <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/metoogarcons-accuse-d-agressions-sexuelles-par-deux-hommes-dominique-besnehard-se-defend-20240302">#MeTooGarçons en France</a>.
Cette récente prise de parole s’inscrit dans un <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-familiales-la-triste-realite-des-donnees-154492">phénomène de plus grande ampleur</a> dénonçant les <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-sur-mineurs-pourquoi-la-question-dun-age-legal-de-consentement-fait-debat-153987">violences et agressions sexuelles commises sur mineurs</a>. La sociologue Lucie Wicky, doctorante à l’EHESS et l’Ined, interroge la spécificité des violences sexuelles subies par les hommes. Ses premiers résultats de recherche questionnent la conception même de l’enfance et de son statut dans la société.</em></p>
<hr>
<h2>Vous êtes la première chercheuse en France à vous intéresser en détail aux violences sexuelles commises sur des hommes. Comment avez-vous travaillé ?</h2>
<p>J’ai mobilisé <a href="https://virage.site.ined.fr/">l’enquête Virage, conduite en 2015 par l’Ined</a>, qui est la dernière grande enquête probabiliste de ce type en France, portant sur plus de 27,000 répondants (questionnaire téléphonique) de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine. On estime que l’échantillon est représentatif et la méthodologie – proche de la première enquête sur les violences envers les femmes qui date d’il y a 25 ans <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/docs/violences-envers-les-femmes-et-etat-de-sante-mentale-resultats-de-l-enquete-enveff-2000">(Enveff, 2000)</a> – intègre la question des violences subies sur les douze derniers mois ainsi que tout au long de la vie.</p>
<p>L’enquête interroge des éléments biographiques, traite les violences des plus énonciables aux plus intimes (psychologique, physique puis sexuelle) en investissant aussi bien les espaces de vie considérés comme publics (milieu scolaire, professionnel, espaces publics) que privés (couple, ancienne relation, famille et entourage). La méthodologie est très spécifique dans ce type d’enquêtes : les questionnaires ne mobilisent pas les termes de « violences » ou « viols », empreints de lourdes représentations, mais listent plutôt des faits et laissent à chaque répondant la possibilité de répondre par oui ou non, car beaucoup d’enquêtés n’ont pas identifié les violences comme telles.</p>
<p>Je me suis aussi appuyée sur l’enquête « Contexte de la sexualité en France » qui <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/2/Publications/Autres/CSF-dossierdepresse0307.pdf">date de 2006</a> pour explorer le rapport aux normes de genre et de sexualité des hommes qui ont déclaré des violences. Enfin, j’ai réalisé 50 entretiens biographiques avec des hommes qui avaient déclaré des violences sexuelles dans le cadre de l’enquête Virage et accepté un entretien complémentaire. J’ai aussi interrogé 10 femmes pour avoir un point de comparaison.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0oUmltD0XUw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">#MeTooGarçons, témoignage de l’acteur Aurélien Wiick (<em>C hebdo</em>, février 2024).</span></figcaption>
</figure>
<p>Il existe assez peu de données plus récentes du fait de l’investissement que ce type d’enquêtes nécessite, ce qui en dit aussi long sur la prise en compte de ces violences et de leurs poids par les pouvoirs publics. Les enquêtes de <a href="https://mobile.interieur.gouv.fr/Interstats/Sources-et-methodes-statistiques/Glossaire/Victimation">victimation du ministère</a> ou les sources judiciaires ne sont pas toujours fiables car les dépôts de plaintes et leur suivi ne sont pas représentatifs : peu de victimes déposent plainte et ces dernières ne donnent pas toujours lieu à des poursuites.</p>
<p>J’émets d’ailleurs l’hypothèse qu’avec l’émergence des mouvements #MeToo et une <a href="https://theconversation.com/violences-sexuelles-contre-les-hommes-une-prise-de-conscience-progressive-57325">certaine prise de conscience sociétale</a> vis-à-vis de ces violences, les chiffres seraient plus importants si l’enquête était reproduite aujourd’hui. Les différentes vagues du mouvement ont certainement participé à la prise de conscience des violences subies par les victimes elles-mêmes. Une partie de mes recherches se concentre justement sur cette question de la qualification des violences comme telles.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lopera-un-univers-propice-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-222421">L’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Dans quel sens ?</h2>
<p><a href="https://www.ined.fr/fr/recherche/chercheurs/Wicky+Lucie">Ma thèse</a> porte sur les violences subies par les hommes à différents moments de leur vie, enfants, adolescents ou adultes, et la façon dont ils les qualifient et les énoncent. En réalisant les entretiens, je me suis rendue compte que certains enquêtés ont du mal à qualifier de « violence sexuelle » les faits subis, et plus spécifiquement lorsque ces derniers ont été commis à l’adolescence ou à l’âge adulte.</p>
<p>En revanche, lorsque les faits sont survenus à l’enfance (principalement avant 11 ans), ils expriment plus « facilement » les choses une fois les faits qualifiés. Beaucoup parlent d’ailleurs des faits à la troisième personne pour les mettre à distance. La majorité décrit des violences sexuelles commises par d’autres hommes, généralement des adultes, toujours en situation de domination.</p>
<p>Cela m’a amené à retravailler la définition même de violence de genre et j’assume de requalifier certains faits décrits par les enquêtés comme étant des agressions sexuelles même lorsque ces derniers ne l’énoncent pas de cette façon. Leurs récits décrivent des pratiques sexuelles contraintes par des rapports de domination interactionnels et structurels, autrement dit, des dominations liées aux rapports de pouvoir : genre, statut social, âge, etc.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ce qui m’a aussi frappé, c’est l’intérêt public centré sur les faits en termes de gradation allant des attouchements aux viols, <a href="https://theses.fr/2011IEPP007">dans un carcan juridique plutôt hétéronormé</a> – c’est-à-dire où l’hétérosexualité est la norme – mais qui ne reflète pas forcément le ressenti et la gravité perçue. Ainsi, pour beaucoup d’enquêtés, c’est bien l’exposition aux violences par la répétition, la durée, leur fréquence, l’environnement, la proximité avec l’auteur – sans forcément qu’il y ait systématiquement violences avec pénétration – qui influence le sentiment de gravité.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/culture-pornographique-et-tele-realite-quand-linceste-envahit-nos-ecrans-220437">Culture pornographique et télé-réalité : quand l’inceste envahit nos écrans</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Comment expliquez-vous ce phénomène de « silenciation » et non de tabou que vous décrivez dans vos travaux ?</h2>
<p>Il faut distinguer « silenciation » et tabou. D’une part, les hommes ayant subi des violences sexuelles évoquent surtout des faits commis durant l’enfance et l’adolescence (80 % des violences sexuelles déclarées ont lieu ou ont commencé avant l’âge de 18 ans), moins une fois adultes. Pour les femmes, ce sont des violences qui existent et perdurent tout au long de la vie. Et quand elles déposent plainte, comme le montrait récemment une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1748895819863095">enquête parue au Royaume-Uni en 2019</a>, leurs paroles sont moins prises en compte que les hommes, pour qui la plainte mène plus souvent au procès.</p>
<p>Comme les femmes, les hommes parlent rarement de ces violences subies enfants, mais plutôt adultes. Toutefois, contrairement aux femmes, leur parole est plus facilement prise au sérieux lorsqu’ils énoncent les violences, ils sont plus soutenus par leurs proches, sauf lorsqu’ils sont homosexuels. Dans ces cas-là, comme pour les femmes, on leur incombe la responsabilité de leur agression, comme si leurs corps étaient, de fait, sexualisés, et on les rappelle à l’ordre hétérosexuel en les responsabilisant des violences sexuelles qu’ils ont subies. Autrement dit, la société considère que les « hommes sont des enfants avant 11 ans, alors que les femmes sont des “filles” quel que soit leur âge aux violences », sauf s’ils s’identifient comme gays.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S8H6xD-rP2w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Anne-Claude Ambroise-Rendu, « L’histoire de la reconnaissance de l’inceste subi par les garçons », 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Mais le dénominateur commun est bien que tous et toutes ont été agressés principalement par des hommes (adultes, parfois mineurs eux aussi, d’après les entretiens ils sont toujours plus âgés que les victimes mais les données ne permettent pas d’être aussi précis). À partir de là, je ne pense pas qu’on puisse parler de tabou mais en revanche on peut parler de silenciation.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4281">D’après mes résultats</a>, ces pratiques opèrent à différents niveaux. Structurellement tout d’abord, avec par exemple la création tardive d’un numéro, le <a href="https://www.allo119.gouv.fr/presentation">119</a>, gratuit depuis 2003, <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-16.htm">mais aussi des signalements</a> qui n’aboutissent pas et des <a href="https://www.cairn.info/viol--9782724624007.htm">plaintes qui ne donnent rien</a>.</p>
<p>Tout concourt à rappeler aux victimes que leurs récits n’aboutiront pas à des actes ou une répression des violences. Ces pratiques structurelles imprègnent l’institution familiale : lorsqu’il y a violence, on n’en parle pas, on ne réagit pas. Et bien sûr il y a le niveau de silenciation imposé par le ou les auteurs des faits. Très souvent ces derniers sont minorés ou intériorisés comme étant « normaux », y compris par les auteurs qui vont parler d’« initiation » à la sexualité ou de « jeux » par exemple.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inceste-la-fin-dun-tabou-politique-153666">Inceste : la fin d’un tabou politique ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Comment expliquer qu’aujourd’hui il existe une prise de parole aussi importante ?</h2>
<p>Je montre que ces violences sont tributaires d’un rapport de domination lié à l’âge, social ou biologique, mais aussi générationnel. Il y a eu plusieurs événements qui ont aidé à prendre la parole publiquement ; les premiers témoignages d’inceste de femmes dans les années 1980, avec le témoignage marquant d’<a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/l-incroyable-temoignage-d-eva-thomas-victime-d-inceste-vous-avez-eu-une-belle-histoire-d-amour-avec-votre-pere-vous-pourriez-etre-contente-2515632.html">Eva Thomas en 1986</a>, premier témoignage à visage découvert, puis les <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-pedophilie-9782213672328/ie-9782213672328/">affaires de pédocriminalité</a> dans les années 1990 où l’on voit émerger une certaine parole des hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-3-page-12.htm">L’affaire Outreau</a> en revanche a eu des conséquences lourdes quant à la prise en compte de la parole des enfants, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2016-2-page-59.htm">dans les années 2000</a>.</p>
<p>Je fais l’hypothèse que les années 2010/2015 marquent un tournant, avec la constitution d’associations comme <a href="https://colosse.fr/">Colosse pied d’argile</a> dans le rugby ou <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/a-lyon-la-parole-liberee-tourne-la-page-et-publie-un-livre-blanc-2010217.html">La Parole Libérée</a> dénonçant le silence dans l’Église et à l’origine de l’affaire Philippe Barbarin par exemple. Les violences sont dénoncées par « secteurs » où elles s’exercent : le sport, l’Église, la famille (avec <a href="https://www.liberation.fr/societe/familles/metooinceste-depuis-deux-ans-des-temoignages-par-milliers-et-des-enseignements-tires-20230921_UKJHZLZFWNDDRPS4PM3BHNX3Q4/">#MeTooInceste</a> par exemple), etc.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lNujudNLdHg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Association Colosse Pied d’Argile, présentation, YouTube.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’émergence des réseaux sociaux constitue de nouveaux espaces de prise de parole pour les hommes comme pour les femmes. Ces effets sociohistoriques et ceux de la légitimation de la parole impulsée plutôt par des personnalités, produit aujourd’hui une prise de parole plus importante que dans le passé, qui amène à une certaine visibilité, associée à une partielle prise de conscience sociale de la réalité des violences sexuelles, pourtant observée et décrite de longue date.</p>
<p>C’est là où l’effet générationnel joue aussi un rôle : les hommes ayant grandi dans les années 1950, jusqu’aux années 1980 environ, ont vécu dans l’idée qu’un enfant se tait et que sa parole n’a pas d’importance. À table, en public, avec les adultes… Un enfant ne parle pas, dans sa famille comme dans l’espace public.</p>
<p>La domination masculine et adulte s’illustre ici à travers la figure de l’homme tout puissant, le « chef de famille » au rôle hégémonique au sein du foyer. Ce dernier ne laisse alors pas d’espaces de parole possibles. C’était aussi constitutif de la façon dont on envisageait les masculinités, valorisée à travers une certaine forme de violence dans le passé, moins aujourd’hui. C’est d’ailleurs aussi pour cela que des hommes ayant subi des violences après le début de leur construction de genre – à l’adolescence ou jeune adulte – ont du mal à s’envisager comme victimes.</p>
<h2>Comment analysez-vous ces changements d’époque ?</h2>
<p>Mon travail de recherche questionne en filigrane le concept de l’enfance qui a été longtemps dominant : celui où la hiérarchie sociale et les besoins des adultes passent avant ceux des enfants.</p>
<p>La parole de ces derniers est déconsidérée, silenciée et leur corps n’est pas respecté. Quand on force un enfant à faire un bisou à un adulte, quand on le contraint physiquement, on lui rappelle que l’adulte a le contrôle de son corps, et que son corps ne lui appartient pas.</p>
<p>Or, ne pas parler aux enfants, ne pas leur apprendre que leur corps est à eux, ne pas prendre en compte leur parole, leur mobilisation (pensons aux <a href="https://basta.media/Mobilisation-reprimee-dans-les-lycees-et-facs-Une-volonte-de-museler-la-jeunesse-par-la-violence">grèves lycéennes</a> par exemple et la forte répression en réponse) entrave leur compréhension de la violence mais aussi leur autonomie et façonne ainsi leur mise en vulnérabilité.</p>
<p>Peut-être doit-on aujourd’hui repenser le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2023-3-page-14.htm">statut de mineur</a> et ce qu’il recouvre pour mieux protéger les enfants – et peut-être aussi envisager de les <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2020-1-page-106.htm">laisser se protéger eux-mêmes</a>.</p>
<hr>
<p><em>Propos recueillis par Clea Chakraverty.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucie Wicky a reçu des financements de l'Ined et l'Université de Strasbourg. </span></em></p>Les violences sexuelles à l’encontre des garçons relèvent de rapports de domination liés au genre, à l’âge mais aussi un effet générationnel, englobant une vision spécifique des enfants.Lucie Wicky, Doctorante, EHESS, Ined, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201852024-02-04T15:37:36Z2024-02-04T15:37:36Z« L’envers des mots » : Non-binaire<p>Depuis quelques années, le terme de <a href="https://theconversation.com/les-adolescents-et-les-jeunes-adultes-face-a-leur-identite-de-genre-215752"><em>non-binaire</em></a> a fait son entrée dans le langage courant. Qu’il s’agisse de personnages de films ou de séries comme <a href="https://television.telerama.fr/tele/serie/sort-of-1-193251405-saison1.php"><em>Sort of</em></a> ou bien encore de la controverse autour de l’accueil des minorités de genre à l’école, la non-binarité interroge le grand public comme les spécialistes. Quelles réalités cette nouvelle identité de genre recouvre-t-elle ?</p>
<p>La non-binarité et des termes équivalents comme <em>gender fluid</em> sont assez récents dans la littérature scientifique comme dans les récits de personnes concernées. Évacuons d’emblée les sondages méthodologiquement plus que douteux qui font état de <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2216083-20180221-no-gender-non-binaire-gender-fluid-nouvelles-identites-genre-bousculent-societe">« 36 % des jeunes de moins de 25 ans qui se reconnaissent comme non-binaires »</a> et regardons l’évolution démographique de cette population sur la base d’auto-déclarations dans des enquêtes nationales.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/visages-de-la-transidentite-dans-le-cinema-daujourdhui-96663">Visages de la transidentité dans le cinéma d’aujourd’hui</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2022-HS2-page-97.htm">Des études récentes</a> font état d’une surreprésentation de cette population chez les jeunes de moins de 25 ans (à hauteur de 2 % environ) et plus encore chez les <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/289697-jeunesse-de-nouvelles-identites-de-genre">jeunes appartenant à des minorités de genre</a> et de sexualité (14 % dans cette même tranche d’âge).</p>
<p>Observons le passé récent. En 2015, <a href="https://books.openedition.org/msha/4884">l’enquête « transphobie »</a> permettait aux personnes trans (toutes formes de transidentités confondues) de s’autodéfinir. Seules 2 % d’entre elles employaient des termes relatifs à la non-binarité. <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20230801.OBS76453/se-sentir-trans-par-un-effet-de-contagion-petite-histoire-de-cette-theorie-ultra-controversee.html">Cette évolution démographique n’est en rien un effet de mode</a>. On assiste plutôt, à la manière de l’homosexualité jadis, à une prise de conscience, par une partie de la jeunesse, que le genre peut se prononcer et se vivre autrement que dans la binarité et la fixité des normes de genre.</p>
<p>Cette identité de genre, si elle demeure récente et nouvelle dans les termes, n’est cependant pas inédite. <a href="https://www.telerama.fr/netflix-canal-play-amazon-sfr-play-nos-selections-svod/sur-netflix-eldorado-le-cabaret-honni-des-nazis-la-triste-fin-des-annees-folles-7027016.php">L’histoire des expressions de genre dissidentes</a>, les récits d’équilibres au genre singuliers, n’a pas attendus le XXI<sup>e</sup> siècle pour être documentée. Les travaux du sexologue <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-histoire-de-l-institut-de-sexologie-detruit-par-les-nazis-6649775">Magnus Hirschfeld</a> en attestent dès le début du XX<sup>e</sup> siècle, et certains historiens éclairent aujourd’hui des figures historiques <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/les-genres-fluides/">à l’aune de ces nouveaux concepts</a>.</p>
<p>Mais aujourd’hui, comme se caractérisent les expressions non-binaires ? Comment apparaissent-elles ? Tous les individus ont une identité de genre. Mais toutes les identités de genre ne demandent pas de réagencer son rapport aux modèles du « féminin » et du « masculin ». C’est le cas de la non-binarité que le sociologue <a href="https://theconversation.com/profiles/emmanuel-beaubatie-1195761">Emmanuel Beaubatie</a> définira comme des nouveaux « styles de féminité et de masculinité ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« L’envers des mots » : Dégenrer</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Plus concrètement, on observe trois façons de vivre la non-binarité, <a href="https://www.cairn.info/qu-est-ce-qu-une-femme%20--%209782373614084-page-93.htm">trois équilibres au genre</a>. La première renvoie à un retrait de la binarité. Il s’agit d’être « ni masculin.e/ni féminin·e » et de construire son genre dans des codes nouveaux. L’extrême imprégnation des normes de genre dans l’ensemble de nos actes comme de nos représentations rend fatalement cet exercice compliqué. Des tentatives de neutralisation des corps ou du langage (comme le <a href="https://theconversation.com/iel-itineraire-dune-polemique-172338">« iel »</a>) sont néanmoins proposées par les personnes concernées afin de s’extraire de la dyade « masculin/féminin ».</p>
<p>La seconde façon de vivre sa non-binarité renvoie plutôt au fait d’être alternativement d’un genre ou d’un autre : « masculin·e ou féminin·e ». Cette oscillation interpelle alors les institutions : combien de fois et à quelle fréquence un individu peut-il change d’identité de genre ? Si la France reste frileuse en la matière, l’Espagne (dans une récente <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/espagne-les-deputes-adoptent-la-loi-transgenre-fruit-dune-division-au-sein-de-la-gauche-et-des-feministes-20221222_LR3D3LXYLZAXHCTWUURDN7ZCLI/">« ley trans »</a>) a autorisé plusieurs changements de genre au cours d’une vie : une évolution juridique qui découle des revendications non-binaires !</p>
<p>Mais une troisième voie de non-binarité apparait : celle qui consiste à se situer simultanément du côté du féminin et du masculin. Ce qui se nommait jadis l’androgynie trouve ici une nouvelle forme d’expression.</p>
<p>Pour conclure, on assiste à une libéralisation du rapport au genre. Mais également à la possibilité d’un « droit à l’erreur de genre ». Dans cette perspective la non-binarité s’avère aussi être un sas expérimental, afin de saisir comment l’identité de genre s’équilibre, toujours singulièrement.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’intègre dans la série <strong><a href="https://theconversation.com/fr/topics/lenvers-des-mots-127848">« L’envers des mots »</a></strong>, consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?</em></p>
<p><em>De <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-validisme-191134">« validisme »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-silencier-197959">« silencier »</a>, de <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-bifurquer-191438">« bifurquer »</a> à <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">« dégenrer »</a>, nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-technoference-199446"><em>« L’envers des mots » : Technoférence</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-ecocide-200604"><em>« L’envers des mots » : Écocide</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-neuromorphique-195152"><em>« L’envers des mots » : Neuromorphique</em></a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/220185/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Alessandrin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, le terme « non-binaire » a fait son entrée dans le langage courant. Quelles réalités cette nouvelle identité de genre recouvre-t-elle ?Arnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201832024-01-23T16:37:34Z2024-01-23T16:37:34ZLes féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ?<p>Les féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ? Des magazines tels <em>Causeur</em> et <em>Valeurs actuelles</em> font leurs gros titres sur la <a href="https://www.causeur.fr/feminisme-lahaie-fourest-menard-vienet-33706">« terreur féministe »</a> et la radicalité des combats que des militantes <a href="https://www.journaldesfemmes.fr/societe/combats-de-femmes/2625279-valeurs-actuelles-alerte-les-feministes-sont-devenues-folles/">« devenues folles »</a> mèneraient contre le genre masculin. Le Rapport annuel 2024 sur l’état des sexismes en <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/actualites/article/6e-etat-des-lieux-du-sexisme-en-france-s-attaquer-aux-racines-du-sexisme">France</a> qui met en avant une augmentation des idées machistes chez les jeunes hommes de 24-35 ans déplace le pôle de la radicalité en question.</p>
<p>« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne », commente le rapport 2024. Ces débats sur le postulat de l’extrémisme féministe d’aujourd’hui et le constat de la montée concomitante des conservatismes masculins à l’égard des femmes intéressent assurément l’histoire et renvoient aux positionnements des <a href="https://www.puf.com/antifeminismes-et-masculinismes-dhier-et-daujourdhui">antiféminismes et masculinismes d’hier</a>.</p>
<p>Un exemple édifiant est la loi qui a permis aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire en France. Adoptée le 21 décembre 1880, sous la III<sup>e</sup> République, la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9844-la-loi-camille-see-ouvre-l-enseignement-secondaire-aux-jeunes-filles">« loi Camille Sée »</a> a révélé un masculinisme agitant le chiffon rouge de ce qui était perçu à l’époque comme de l’extrémisme féministe.</p>
<p>Tout à la fois, cette loi républicaine est novatrice et conservatrice.</p>
<p>Novatrice, car elle instaure pour les jeunes filles ce que le Second Empire n’a pas réussi à faire. Soucieux de promouvoir un enseignement secondaire féminin, le ministre de l’Instruction publique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Duruy">Victor Duruy</a> avait posé avec la circulaire du 30 octobre 1867 le projet de la création de Cours d’enseignement secondaire pour les jeunes femmes. Cette initiative avait soulevé une violente opposition de l’Église catholique qui contribuera à l’échec de cette entreprise. La politique scolaire du ministre se situait dans le contexte d’un Second Empire qui avait initié une ébauche d’instruction féminine dans le primaire, avec la loi Falloux qui permettait l’ouverture d’une école primaire pour les filles dans chaque commune de plus de 800 habitants et la loi de Victor Duruy du 10 avril 1867 qui abaissait ce seuil à 500. Ces mesures étaient des avancées au regard de la loi de juin 1833 de <a href="https://www.guizot.com/fr">François Guizot</a> qui, sous la monarchie de Juillet, avait obligé l’ouverture d’écoles primaires pour les garçons dans chaque commune de plus de 500 habitants, en faisant l’impasse sur l’instruction primaire des filles.</p>
<p>Cette loi républicaine du 21 décembre 1880 est aussi conservatrice car elle crée de façon volontaire un enseignement féminin qui n’a ni le même cursus, ni le même programme, ni le même diplôme que celui des garçons. Il se déroule en cinq ans, au lieu de sept pour eux. Il privilégie un enseignement ménager et de couture pour elles. Et il n’inclut dans son programme aucun cours de philosophie et de langues anciennes. Or, ces matières sont <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-du-baccalaureat-9782350770901.html">obligatoires au baccalauréat</a>. La fin du cursus donne accès non pas un baccalauréat, mais à un « diplôme de fin d’études secondaires » qui ne permet pas aux filles d’accéder à l’université. Les républicains ont donc profité du revers du Second Empire pour créer un enseignement féminin à leur convenance. Mais s’ils ont œuvré pour que la jeune fille ne soit plus élevée « sur les genoux de l’église », selon la formule chère à leur adversaire clérical, Monseigneur Dupanloup, ils ont aussi agi pour qu’elle soit élevée sur les genoux républicains du foyer familial.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cet inégalitarisme de scolarisation entre filles et garçons n’est pas le fait du hasard. Dans ce <a href="https://galeries.limedia.fr/histoires/les-stereotypes-de-genre-au-XIXe-si%C3%A8cle/">XIX<sup>e</sup> siècle masculiniste</a>, il résulte d’une peur que les hommes ont que les femmes puissent accéder à autre chose qu’un simple enseignement élémentaire. Cette <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">frayeur tourne autour d’une trilogie</a> que scandent législateurs et autres théoriciens de l’éducation dans les discours, ouvrages et articles dont ils sont les auteurs : les femmes studieuses seraient des femmes orgueilleuses, hideuses, dangereuses. Les délibérations qui se tiennent à la Chambre des députés en décembre 1879 et janvier 1880 ainsi qu’au Sénat en novembre et décembre 1880 permettent de bien rentrer dans le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">détail de ces émois</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Femmes studieuses, femmes orgueilleuses</h2>
<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Femmes_savantes/119250"><em>Les Femmes savantes</em></a> de Molière et <a href="https://www.livre-rare-book.com/book/20676660/12142"><em>Les Bas-Bleus</em></a> de Barbey d’Aurevilly sont dans toutes les têtes lors des débats parlementaires et sénatoriaux. Ces pédantes ridicules sans talent sont des repoussoirs absolus. Dans l’introduction à son projet de loi, le député Camille Sée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f84.image.r=Chrysale%20a">rassure</a> ses collègues parlementaires :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leurs ménages, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. » (ndlr, « bas-bleu » est expression péjorative pour désigner une femme cultivée)</p>
</blockquote>
<p>Pas plus par snobisme hautain que par surcroît d’intellectualité, il leur promet que la femme républicaine n’abandonnera les tâches culinaires qui lui reviennent :</p>
<blockquote>
<p>« L’économie domestique leur est indispensable ; Chrysale a raison : il faut songer au pot-au-feu. On le dédaignait par mondanité ; il ne faut pas qu’on le dédaigne par excès de capacité. »</p>
</blockquote>
<p>Sur les bancs de ces nobles assemblées, des cris fusent contre les « habits déchirés » que la femme, trop « occupée de hautes études » ne voudra plus recoudre pour son mari. Ils s’indignent aussi du « rôti brulé » et du « pot-au-feu manqué » qu’elle ne manquera pas de lui servir.</p>
<p>Toutes ces admonestations sur les « savantes », les « bas-bleus », les « ergoteuses » avec leur « mondanité », leur « capacité » et leurs « hautes études » sont des doigts sévèrement pointés sur celles qui sont perçues comme de futures orgueilleuses instruites et diplômées qui ne pourront que regarder de haut les tâches subalternes des habits à recoudre et du dîner à préparer. Même après la proclamation de la loi, les recommandations restent tenaces contre « l’orgueil » de la jeune fille instruite.</p>
<p>Tout ce qui relève du scientifique exacerbe particulièrement les élites de l’époque. Le 28 juillet 1882, l’ancien ministre de l’Instruction publique Jules Simon déclare lors d’une remise de prix à de jeunes lycéennes :</p>
<blockquote>
<p>« Je soutiens qu’il est parfaitement inutile d’enseigner la chimie et la physique aux filles […] »</p>
</blockquote>
<p>Le risque de ces sciences, continue-t-il, est de faire de ces jeunes femmes des mères infatuées qui ne s’abaisseront plus à nourrir leur progéniture. Elles utiliseront un langage châtié pour vérifier que leur servante ait bien mis du sucre dans le bouillon de leur petit. Jules Simon se moque du ridicule qu’aurait leur style ampoulé :</p>
<blockquote>
<p>« [Elles] ne manqueront pas […] de s’écrier en molestant la nourrice de leur enfant – car elles ne nourriront certainement plus elles-mêmes – “Avez-vous donné à mon fils son potage sacchariné ?” »</p>
</blockquote>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-hommes-qui-mexpliquent-la-vie-de-nouvelles-solutions-a-un-tres-vieux-probleme-120646">« Ces hommes qui m'expliquent la vie » : de nouvelles solutions à un très vieux problème</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Femmes studieuses, femmes hideuses</h2>
<p>La femme hideuse, c’est la « virago », cette mégère autoritaire aux allures masculines que généreront ces études secondaires. Trois jours après la séance sénatoriale du 22 novembre 1880, l’écrivain <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qui-etait-octave-mirbeau-3439692">Octave Mirbeau</a> dans le journal <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k523648k/f1.image"><em>Le Gaulois</em></a> s’étrangle de colère devant la politique républicaine en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce que j’apprends ? Et où allons-nous, mon Dieu ? Ne voila-t-il pas, maintenant, qu’ils veulent prendre nos filles pour en faire des hommes ! »</p>
</blockquote>
<p>Après quelques considérations sur « la barbe au menton » qu’elles ne manqueront pas d’avoir, il dénonce le sabotage d’identité qui se trame :</p>
<blockquote>
<p>« II s’agit de les déniaiser, de les savantiser, de les bas-bleuiser, de les garçonniser, de les viriliser. »</p>
</blockquote>
<p>Tous horizons politiques confondus, le « bas-bleu » n’est donc pas seulement une prétentieuse qui pérore à tout va. C’est aussi une femme qui trahit hideusement sa nature féminine. Un « homme manqué », un « hermaphrodite » qui s’échine à vouloir ressembler à son homologue masculin pour mieux le toiser. Charles Baudelaire, Georges Proudhon ou Jules Barbey d’Aurevilly se déchainent sur les affreuses métamorphoses à venir. En femme de plume célèbre, George Sand est une de leurs cibles favorites. Plus cyniques que jamais, les <a href="https://laffont.ca/livre/journal-des-goncourt-t-3-ne-a-paraitre-97822211t41267/">frères Goncourt</a> s’en prennent aussi à elle pour attester des mutations en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand […] on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parent de nos verges. »</p>
</blockquote>
<h2>Femmes studieuses, femmes dangereuses</h2>
<p>On s’effraie des « bas-bleus » dégénérés autant que des « bas-rouges » révoltés à venir. Le lendemain du vote en première lecture de la loi sur les lycées de jeunes filles, le journal catholique <em>L’Univers</em> <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k703581x">fait son miel</a> du péril imminent que préparent les savoirs et diplômes féminins. Les « futures doctoresses et avocates », élevées « sans religion » et « bourrées de cette science-frelatée » ne seront que les répliques des violences de 1848 et 1870 :</p>
<blockquote>
<p>« La haine de ces bas-rouges sera d’autant plus féroce que leurs appétits seront plus vastes ; elles voudront réformer une société où elles ne sauraient trouver place, et s’en iront, avec les Hubertine Auclert et les Louise Michel, courir les réunions publiques et réclamer les droits de la femme. »</p>
</blockquote>
<p>Lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi, le sénateur bonapartiste Georges Poriquet agite également l’épouvantail de l’émeutière communarde. « Même améliorée par la République », il ne veut pas de cette « femme savante, électeur et orateur, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_commune-9782707186805">Louise Michel</a> du présent et de l’avenir ».</p>
<p>Dangereuses pour les autres, les femmes studieuses le seraient aussi pour elles-mêmes. Ces littératures prédisent que, désœuvrées par ces nouveaux savoirs, elles se donneront « au premier homme qui passera », « qu’elles se tueront », qu’elles « deviendront folles »…</p>
<p>Les hommes du XIX<sup>e</sup> siècle ont eu peur des évolutions à venir. Et ils ont fait peur à leurs contemporains pour que ces progrès ne se fassent pas. Leur refus d’un enseignement secondaire à égalité avec celui des garçons a été extrême. Il a rejeté de toutes ses forces ces changements en dramatisant leurs enjeux. Il faudra attendre le décret de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_B%C3%A9rard_(homme_politique)">Léon Bérard</a> en 1924 pour que les filles puissent commencer à passer un baccalauréat identique à celui des garçons ; soit cent seize ans après le décret impérial du 17 mars 1808 de Napoléon 1er.</p>
<p>Deux siècles plus tard, les conservateurs s’offusquent de l’extrémisme des féminismes d’aujourd’hui. Ces femmes seraient une fois encore <a href="https://www.entreprendre.fr/le-neo-feminisme-nouveau-totalitarisme-engendrant-des-monstres/">orgueilleuses</a>, <a href="https://mamanvogue.fr/bien-etre/enfants/psychologie-enfants/comment-le-feminisme-met-en-danger-la-feminite/">hideuses</a>, <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/le-neo-feminisme-une-ideologie-totalitaire-feministes-militants-societe-france-critiques-pensee-philosophie-revendications-jean-gabard">dangereuses</a>… Ce n’est rien de neuf sous le soleil noir des <a href="https://theconversation.com/il-faut-quon-parle-de-la-maniere-dont-on-parle-des-incels-182928">conservatismes sexistes</a> du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les féministes du XXIᵉ siècle sont parfois taxées d’extrémisme. L’Histoire nous montre que ce chiffon rouge est souvent agité notamment lors des débats sur l’accès des femmes à l’éducation secondaire.Jean-Michel Barreau, Professeur émérite en Sciences de l'éducation. Historien de l'école et de l'éducation. Spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172372024-01-09T17:55:29Z2024-01-09T17:55:29ZGay et militant au Rassemblement national : un engagement improbable ?<p>En début d’année 2023, le Rassemblement national lançait une association parlementaire pour <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-rn-lance-une-association-pour-combattre-le-poison-wokiste-qui-met-en-danger-la-civilisation-5323822">lutter contre le « wokisme »</a> et notamment, contre la « propagande LGBT dans les écoles ». Ces prises de position au sein du FN/RN sur les questions LGBT+ sont anciennes et elles renvoient l’image d’un <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-185.htm">parti « sexiste et homophobe »</a>.</p>
<p>La visibilité de <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">membres du parti ouvertement homosexuels</a> – pour l’essentiel des hommes gays – a donc souvent été perçue comme improbable ou, tout du moins, paradoxale.</p>
<p>La contradiction pourrait se résumer en ces termes : comment des hommes qui s’identifient comme gays peuvent-ils rejoindre un parti qui n’encourage pas les politiques en faveur des droits LGBT+, voire qui s’y oppose activement ?</p>
<h2>Un apparent paradoxe</h2>
<p>Dans un chapitre de l’ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national. Enquêtes de terrain</em></a>, j’ai cherché à dénouer les fils de l’apparent paradoxe entre l’orientation sexuelle et l’orientation politique des homosexuels frontistes.</p>
<p>Je me suis pour cela concentrée sur deux <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/portraits-sociologiques-dispositions-et-variations-individuelles">portraits sociologiques</a>, élaborés à partir d’entretiens approfondis avec des militants – Maxime, 23 ans au moment de l’enquête, et Julian, 27 ans – qui ont rejoint le parti après l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête.</p>
<p>Ces deux cas étudiés sont loin d’épuiser l’ensemble des trajectoires possibles d’engagement de gays au FN/RN, mais le choix de resserrer ainsi l’analyse permet d’entrer dans le détail des parcours individuels et dans le concret des expériences au sein du parti. Ils montrent que loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.</p>
<h2>Le conservatisme en héritage</h2>
<p>Maxime, étudiant en droit, est issu d’une famille des classes supérieures avec un père ingénieur et une mère universitaire qui a travaillé dans sa jeunesse pour Philippe de Villiers, le fondateur du parti souverainiste Mouvement pour la France. Il développe dès le plus jeune âge un intérêt pour la politique, avec des valeurs conservatrices de droite.</p>
<p>Dans la famille de Julian, la politique est également fortement valorisée : si son père avait un « devoir de réserve » en étant militaire dans la Marine nationale, sa mère a été attachée parlementaire auprès de députés de l’Union des Démocrates Indépendants (UDI) pendant quelques années.</p>
<p>Ses parents l’ont ainsi poussé à militer à son tour, ce qu’il fait, avant même d’être en âge de voter, en participant à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Bien que les membres de sa famille ne soutiennent pas directement le Front national, les valeurs conservatrices qu’ils véhiculent rendent probable l’adhésion de Julian à certaines des idées frontistes. Julian appartient en effet, selon ses mots :</p>
<blockquote>
<p>[à l’une de ces] « vieilles familles qui sont très croyantes, qui sont vraiment attachées à une terre, des familles très traditionnelles et conservatrices – on se le dit souvent : en cas d’épuration ethnique, on serait les derniers à rester avec les Le Pen ».</p>
</blockquote>
<h2>« peut-être que je finirai hétéro »</h2>
<p>L’importance de la religion catholique est un autre point mis en avant par les enquêtés pour expliquer leurs préférences politiques. Maxime dit par exemple que sa famille maternelle est proche de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X qui rassemble des catholiques qualifié·e·s de <a href="https://www.nouvelobs.com/education/20170719.OBS2319/integrisme-racisme-j-ai-ete-eleve-a-la-fraternite-saint-pie-x.html">« traditionalistes »</a>. Il passe sa scolarité dans une école privée catholique hors contrat où les sociabilités adolescentes rejoignent ses valeurs conservatrices :</p>
<blockquote>
<p>« Cathos tradi’, ils s’engagent pas politiquement, ils font plus de l’associatif, les trucs de la Manif pour tous et tout ça ».</p>
</blockquote>
<p>Avec ses camarades du lycée, il part ainsi manifester contre la « loi Taubira », <a href="https://www.gouvernement.fr/action/le-mariage-pour-tous">visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe</a>, au moment où elle est débattue à l’Assemblée en 2013. À cette période, il se définit comme hétérosexuel et n’a jamais eu de relation homosexuelle.</p>
<p>C’est à 19 ans, lors d’une soirée en boîte de nuit, qu’il a un premier rapport sexuel avec un homme alors qu’il est en couple avec une femme. Il quitte, peu de temps après, sa copine et entame des relations avec des partenaires de même sexe. Pour autant, son opposition au « Mariage pour tous » n’a pas varié :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mNQ3c-jl5KQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">KTO TV, 2013.</span></figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Je pense, et je le pense de plus en plus, que… les gays sont pas stables. Je vois le nombre de rapports sexuels que les gays peuvent avoir c’est… affreux ! […] pour un gosse je pense que c’est pas un bon modèle. Et le mariage entraîne la filiation. […] Je pense que le mode de vie aussi n’est pas sain. C’est pour ça aussi peut-être que je finirai hétéro. »</p>
</blockquote>
<p>La progressive définition de soi comme gay et la socialisation secondaire au sein d’espaces de sociabilité homosexuelle ne modifient donc pas fondamentalement les représentations qu’il avait auparavant de l’homosexualité.</p>
<h2>Défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay</h2>
<p>Certains <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_commerce_des_pissotieres-9782707152039">travaux déjà anciens</a> ont fait l’hypothèse que le conservatisme d’hommes gays serait dû à la recherche d’une « respectabilité sociale » pour « compenser » le stigmate attaché à l’homosexualité.</p>
<p>Dans le cas de nos enquêtés, les attitudes politiques ne sont pas tant une conséquence de leur sexualité minorisée que de leurs socialisations conservatrices qui les mènent, d’une part, à rejoindre le Front national, et, d’autre part, à défendre un ordre hétéronormé tout en étant gay.</p>
<p>Leur position au sein du parti n’apparaît pas subversive à cet égard puisqu’ils promeuvent des valeurs familialistes qui valorisent l’hétérosexualité :</p>
<blockquote>
<p>« La vie à deux, le couple se fait entre un homme et une femme », « des enfants j’en voudrais mais uniquement avec une femme… »</p>
</blockquote>
<p>Cela étant, ils ne s’attachent pas non plus à défendre, dans toutes les sphères de leur existence, des opinions et des pratiques conservatrices. Tout en <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-798.htm">considérant l’hétérosexualité comme supérieure</a>, ils s’identifient comme gays, participent plusieurs fois par semaine à des soirées avec d’autres homosexuels dans des bars ou des boîtes de nuit et ont de nombreuses relations sexuelles et affectives avec des hommes.</p>
<p>Leur rapport aux normes de genre est également ambivalent. En entretien, ils déprécient fortement les hommes « efféminés », dont ils cherchent à se distinguer, et disent préférer les <a href="http://iris.ehess.fr/index.php?2419">« gays très hétéros »</a>. Mais ils peuvent se révéler très différents au quotidien et dans la sphère intime. Ainsi, loin du <a href="https://www.liberation.fr/politique/lextreme-droite-obsedee-par-sa-virilite-20210613_JGSCXRLMP5ECFFQBJ5VF2M77OM/">stéréotype du militant viril d’extrême droite</a>, ils utilisent couramment des pronoms féminins pour se désigner ou encore affirment apprécier être « considéré comme la maîtresse, l’amante tu vois de ce mec-là ».</p>
<p>Cette ambivalence vis-à-vis de l’homosexualité et de la masculinité est parfois vécue sur le mode du <a href="https://www.politika.io/fr/article/habitus">« déchirement »</a> (« peut-être que je finirai hétéro » avec, dans « l’idéal », « une maison en pavillon, une femme, un 4x4, les gros chiens et… des enfants »), mais elle n’est pas tout le temps, ni systématiquement, source de tensions individuelles.</p>
<h2>Sociabilités gaies en milieu partisan</h2>
<p>L’engagement militant de gays au FN est lié à leurs dispositions politiques mais aussi au contexte partisan où il prend place. Leur expérience au sein du parti est notamment façonnée par l’existence de sociabilités gaies intrapartisanes auxquelles ils vont progressivement prendre part.</p>
<p>Maxime et Julian <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2011-1-page-7.htm">ne parlent pas de leur homosexualité</a> au moment où ils entrent dans le parti. Ils ne le font qu’une fois qu’ils y sont suffisamment insérés, après plusieurs mois pour l’un et un an et demi pour l’autre, et qu’ils constatent que l’homosexualité n’est pas un « problème » pour les militants qu’ils côtoient. Ils découvrent alors que la sphère militante donne accès à des espaces de sociabilité homosexuelle, à l’entre-soi gay lors de soirées en boîtes de nuit ou chez des militants par exemple.</p>
<p>Si cela ne constitue pas au départ une incitation à rejoindre le parti, cela contribue à inscrire leur engagement partisan dans la durée et s’apparente sous certains aspects à une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393715">rétribution de leur militantisme</a>.</p>
<p>Julian commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a plein de mecs qui sont gays, mais alors là, même dans les cadres et compagnie. Y’avait un cadre qui était venu dans la section, dont je citerai pas le nom, on avait passé deux jours dans sa suite au Pullman où y’avait d’autres cadres du Front national qui nous avaient rejoints, on avait fait que baiser ! Fin bon, y’a pas de soucis là-dessus ! »</p>
</blockquote>
<p>Soulignons qu’il ne s’agit-là ni d’une spécificité du FN ni des militants gays : les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0011392113486659">liens intimes</a> font pleinement partie des expériences partisanes, où qu’elles se situent sur le spectre politique, même si les liens relevant de la sexualité sont rarement mis en avant.</p>
<h2>Le relatif contrôle de la visibilité homosexuelle</h2>
<p>L’homosexualité et sa visibilité ne sont cependant pas acceptées dans toutes les sphères du FN : il s’agit d’un vecteur d’affinités tout autant que d’oppositions intra-partisanes. Maxime explique par exemple avoir été fortement critiqué dans certains espaces où son homosexualité était connue :</p>
<blockquote>
<p>« Donc [pour eux] j’étais dans la bande de Philippot soi-disant, alors que pas du tout, j’étais bien content qu’il s’en aille d’ailleurs, j’étais plutôt dans la ligne de Marion [Maréchal]… Mais du coup j’étais dans les “mignons” à abattre. »</p>
</blockquote>
<p>La visibilité gaie vient parfois alimenter des logiques d’appartenance à des sous-groupes partisans. Maxime continue par ailleurs de « cacher » son homosexualité dans sa fédération d’origine, implantée dans le département rural où vivent ses parents, qu’il considère comme plutôt hostile envers les gays et au sujet de laquelle il conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Y’a quand même plein de gens qui sont au Front national qui sont homophobes. »</p>
</blockquote>
<p>La publicisation de l’homosexualité à l’extérieur du parti est également fortement contrôlée. Ainsi Maxime a poursuivi en justice, avec le soutien du FN à l’époque, un journaliste qui l’a « outé » dans la presse, suite à sa participation à une manifestation contre le « Mariage pour tous ». L’enjeu du procès est alors, selon lui, de publiquement « affirmer qu’[il n’est] pas gay ».</p>
<h2>Les usages de l’homonationalisme</h2>
<p>Les expériences partisanes de Julian et Maxime sont également marquées par la progressive appropriation d’idées <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2013-1-page-151.htm">homonationalistes</a>. Ces idées reposent sur la stigmatisation de certaines populations, notamment racisées, en mobilisant de manière approximative et équivalente l’origine migratoire, l’appartenance religieuse, le lieu d’habitation, etc. Elles visent à les présenter comme étant intrinsèquement « homophobes » et les exclure de ce qui est pensé comme étant la « Nation française ».</p>
<p>Le parti est un lieu de production et de diffusion de l’homonationalisme, relayé par les cadres dans les <a href="https://www.liberation.fr/france/2010/12/20/pourquoi-marine-le-pen-defend-les-femmes-les-gays-les-juifs_701823/">discours officiels notamment depuis 2010</a> pour s’adapter aux normes de la compétition politique dans un contexte d’<a href="https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france--9782707154293-page-243.htm">acceptation croissante de l’homosexualité</a>.</p>
<p>Lorsque Julian et Maxime rejoignent le FN, ce n’est toutefois pas pour promouvoir des idées homonationalistes. Ils disent d’ailleurs n’avoir jamais connu de violences hétérosexistes de la part <a href="https://books.openedition.org/ined/14944">d’autres personnes que leurs proches</a>.</p>
<h2>Le souci de « la sécurité »</h2>
<p>L’homonationalisme n’est donc pas la cause de leur engagement politique mais les enquêtés vont, par la suite, le mobiliser comme une justification idéologique de leur affiliation au Front national.</p>
<p>Maxime commente ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que le vrai droit – et c’est pour ça qu’il y a autant de gays qui votent Front national, c’est impressionnant dans mon entourage, les gays, il doit y en avoir 60-70 % qui votent Front national – c’est la sécurité. Quand tu sors d’une boîte de nuit ou autre, tu tiens la main d’un gars et tu vas te faire agresser par la racaille du coin. […] j’ai pas forcément peur de l’islam. Mais la racaille qui interprète mal l’islam, ouais ouais c’est sûr ça peut faire peur ».</p>
</blockquote>
<p>Les militants participent, à leur tour, à diffuser ces idées sur la sécurité au sein de leur entourage ou via des supports de communication politique. Maxime poste régulièrement des tweets sur le sujet – comme celui disant que « les agressions homophobes sont causées par la montée de l’islamisme. Ne nous voilons pas la face » – qui sont ensuite « likés » par d’autres membres du parti.</p>
<p>La rhéthorique homonationaliste permet ainsi de justifier idéologiquement leur engagement en tant que gays et les conduit ponctuellement à donner une dimension politique à leur sexualité. Si l’expérience de l’homosexualité apparaît, au départ, marginale dans la formation de leurs préférences politiques, elle participe <em>in fine</em> à façonner leur engagement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217237/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maialen Pagiusco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin de s’opposer, homosexualité et militantisme frontiste s’articulent et se façonnent mutuellement.Maialen Pagiusco, Doctorante, ATER en science politique, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204822024-01-08T17:06:37Z2024-01-08T17:06:37ZAffaire Depardieu : « En France, il existe une immunité spécifique liée au culte du monstre sacré »<p><em>Professeure en esthétique et politique des arts vivants, Bérénice Hamidi est enseignante-chercheuse à l’Université Lumière Lyon 2. Elle nous livre aujourd’hui son analyse sur les freins à la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu artistique français.</em></p>
<hr>
<p><strong>Est-ce un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma ?</strong></p>
<p><strong>Bérénice Hamidi</strong> : Ce n’est pas du tout un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma. La notoriété et l’accès aux médias des personnes qui ont dit publiquement avoir été victime ont beaucoup participé à la visibilité du hashtag #MeToo. Si les milieux artistiques, et celui du cinéma en particulier, sont surexposés aux violences sexistes et sexuelles, c’est d’abord parce qu’une grande précarité touche les acteurs et actrices qui sont de facto, lorsqu’ils et elles cherchent à être retenus pour un film, dans un rapport de dominé/dominant avec les producteurs et réalisateurs.</p>
<p>On observe aussi dans ces milieux une forte confusion entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, et de plus, les connexions physiques et psychiques sont au cœur des processus de travail. Autre facteur de risque, ces milieux se voient peu comme des mondes du travail, et donc les usages habituels du droit de travail peinent à s’appliquer aussi bien du côté des victimes que des personnes qui commettent ces agressions. Tous ces facteurs, qui se cumulent et font système, expliquent que le cinéma, et plus largement les secteurs professionnels artistiques, sont fortement exposés aux violences sexuelles et qu’elles y sont plus impunies qu’ailleurs.</p>
<p><strong>Comment réagissez-vous au statut de « monstre sacré » ? Est-ce qu’en France il y a des personnes intouchables ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Il faut rappeler qu’avant tout, ces « monstres sacrés » sont des hommes de pouvoir qui cumulent un fort capital économique, symbolique, social, culturel et médiatique. Parmi les personnes qui disent ne pas avoir vu leurs actes, qui les minimisent voire qui les défendent, un certain nombre le fait aussi par peur d’être à leur tour blacklistées, exclues, comme les victimes le sont.</p>
<p>Les artistes auteurs de violence bénéficient également de l’« himpathy », cette empathie pour les hommes qui agressent, que la philosophe australienne Kate Manne a bien analysée. Dans nos sociétés encore largement sexistes, car structurées par des valeurs patriarcales, on autorise les hommes, ou plutôt les hommes qui honorent le « mandat masculin » consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l’égard des personnes et groupes en position dominée, en particulier les femmes. Cette autorisation sociale, le plus souvent inconsciente, passe par un refus collectif de croire qu’ils puissent commettre des violences et, quand ce n’est plus possible, par une tendance à euphémiser leurs actes et à les excuser au motif qu’ils seraient victimes de leur propre violence. Ces hommes captent donc l’empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées.</p>
<p>Mais, si le cinéma est particulièrement touché par ce phénomène, c’est aussi parce que les acteurs bénéficient d’une empathie spécifique, qui vient renforcer cette culture de l’excuse. Elle tient au fait que règne encore l’idée que la création artistique serait le fruit d’une connexion aux forces obscures de l’âme humaine, que les artistes auraient besoin de souffrance et de violence pour créer, ce qui vient redoubler une croyance encore prédominante dans notre société encore imbibée par la culture du viol, qui voudrait que l’amour fasse mal et que le sexe et le désir aient forcément partie liée avec la violence et la mort. Exemple frappant, les <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/commerce/luxe/johnny-depp-signe-un-contrat-dun-montant-record-avec-dior-en-tant-quegerie-masculine-b7a972f4-f322-11ed-91b9-949f1ff48cf9">ventes du parfum Sauvage ont augmenté</a> depuis les accusations de violences conjugales à l’encontre de son égérie, Johnny Depp. Les images du poète maudit, du bad boy, sont encore trop souvent glamourisées et représentées comme des figures d’hommes désirables.</p>
<p>En France, il existe enfin une immunité spécifique liée au culte de ces figures de l’artiste maudit et du monstre sacré. L’idée est la même : il faut transgresser pour créer, mais s’ajoute la croyance que les lois ordinaires qui valent pour le commun des mortels ne sauraient s’appliquer aux Grands Hommes, ces hommes extraordinaires. Cette idée s’est exprimée dans l’affaire Depardieu à travers certains témoignages, avec la formule rapportée dans l’article de Médiapart « ça va, c’est Gérard » ou dans le discours du Président de la République : « Depardieu c’est Cyrano […] c’est la fierté française ». L’échelle de valeurs est claire : la vie des femmes ne vaut rien face au talent d’un génie. Mais il y a autre chose, aussi, dans ce discours, presque une forme de transfiguration de ces personnes réelles en personnages hors de la réalité, et selon cette logique, ces êtres de fiction ne sauraient être soumis au système judiciaire qui vaut pour les personnes réelles.</p>
<p><strong>Est-ce que cette reconnaissance des violences sexistes et sexuelles est une question de génération ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Je suis assez nuancée sur cette question. D’abord, parce qu’il y a parmi les dénonciateurs de violences des femmes de plus de cinquante ans, qui payent un lourd tribut, qu’il s’agisse d’anonymes, de victimes ou d’actrices connues.</p>
<p>Ensuite, parmi les personnes qui soutiennent les agresseurs de façon systématique, on retrouve toutes les catégories d’âges. Le dernier <a href="https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/travaux-du-hce/article/rapport-2023-sur-l-etat-du-sexisme-en-france-le-sexisme-perdure-et-ses">rapport sur l’état du sexisme en France en 2023</a> invite d’ailleurs à un certain pessimisme puisque les hommes qui ont aujourd’hui entre 18 et 25 ans sont plus nombreux que leurs aînés à penser que quand une femme dit « non », elle pense « oui ». Il ne faut donc pas tout attendre des nouvelles générations car le cœur du problème c’est la culture du viol, et tant qu’elle reste la culture hégémonique dans laquelle nous vivons toutes et tous, elle continuera à se transmettre génération après génération.</p>
<p><strong>Justement, comment peut-on définir cette notion de culture du viol ?</strong></p>
<p>Cette notion, élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970 (Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974), est aujourd’hui mobilisée par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission <a href="https://www.unwomen.org/fr/news/stories/2019/11/compilation-ways-you-can-stand-against-rape-culture">« condition de la femme » de l’ONU</a>.</p>
<p>Elle se caractérise avant tout par un refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes. Cette phrase choque et parait difficile à croire. Pourtant, quelques chiffres suffisent à la prouver de manière difficilement discutable :</p>
<ul>
<li><p>en 2017, <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">219 000 femmes majeures</a> déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.</p></li>
<li><p>« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel/chiffres-de-reference-violences-faites-aux-femmes">est estimé à 94 000 femmes</a>. De la même manière que pour les chiffres des violences au sein du couple présentés ci-dessus, il s’agit d’une estimation minimale. Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. »</p></li>
<li><p>s’agissant des enfants, « <a href="https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/">60 000 enfants sont victimes</a> de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques.>></p></li>
<li><p>Du point de vue des auteurs des actes, il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hommes : <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">91 % des personnes mises en cause pour des actes sexistes</a> (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes.</p></li>
</ul>
<p>Il y a donc un décrochage énorme entre nos représentations et la réalité statistique. L’image la plus répandue du viol est celle d’un acte sauvage commis par un individu sanguinaire au fond d’un parking. Cette image est à la fois repoussante et rassurante, parce qu’elle exotise le viol comme un fait extraordinaire qui ne nous regarde pas (on ne connaît ni la victime ni l’agresseur) et qui ne nous concerne pas (on n’a rien fait – de mal – et on ne peut rien faire – donc on n’a pas à se reprocher notre inaction). La réalité statistique est bien différente : le viol est le plus souvent le fait d’un <a href="https://www.slate.fr/story/200742/violences-sexuelles-familiales-inceste-enfants-realite-donnees-chiffres-france">proche issu du cercle familial, affectif ou social</a>, ce qui fait que nous connaissons tous des victimes mais aussi des agresseurs, autrement dit, nous sommes directement impliqués dans la scène des violences et cela devrait nous impliquer directement dans la lutte contre ces violences.</p>
<p>La culture du viol n’est pas qu’une culture du déni, c’est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l’égard des femmes qui vont de formes d’humour humiliantes jusqu’aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/12/dans-l-intention-de-rabaisser-et-de-controler-les-femmes-un-continuum-de-violences_6145482_3232.html">continuum sexiste</a>, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu’aux stéréotypes sexistes. La culture du viol est une culture de l’euphémisation et de la déformation des faits de violences sexuelles (dire « main baladeuse » pour parler de ce qui est qualifiable par le droit comme une agression sexuelle ou parler de « drague lourde » au lieu d’outrage sexiste, un autre délit).</p>
<p>Le caractère systémique des violences, prouvé par les statistiques, s’explique en grande partie par ces représentations mentales que l’on peut synthétiser via l’expression culture du viol. Or, ces représentations mentales sont largement conditionnées par nos représentations culturelles, et particulièrement par la valorisation de l’asymétrie et des rapports de pouvoir, qui restent au cœur des scénarios de séduction et de relation amoureuses diffusés dans les œuvres, qu’il s’agisse de la pop culture ou du patrimoine classique, littéraire, pictural, cinématographique. Même les comédies romantiques perpétuent la culture du viol avec le schéma de l’homme qui conquiert et de la femme qui cède du terrain, la résolution de l’intrigue étant qu’elle finit par dire oui après avoir longtemps dit non. Changer nos représentations est donc essentiel, à la fois pour comprendre les défauts de prise en charge institutionnelle des violences sexistes et sexuelles, tant sur le plan juridique que judiciaire, thérapeutique et social, mais aussi pour espérer les améliorer. C’est cette articulation que la juriste Gaëlle Marti et moi avons mise au cœur du <a href="https://passagesxx-xxi.univ-lyon2.fr/activites/archives-des-manifestations/colloque-repair-violences-sexuelles-">programme de recherche-création interdisciplinaire REPAIR</a> « violences sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge », qui se déploie aussi sous la forme <a href="https://www.pointdujourtheatre.fr/saison/notre-proces">d’un procès fictif sur la culture du viol</a>.</p>
<p><strong>Le théâtre est-il aussi perméable que le cinéma face aux violences sexistes et sexuelles ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Le secteur du théâtre public est tout autant surexposé que celui du cinéma, et il n’existe aucune plus-value éthique ou déontologique au fait qu’il relève d’une <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjjvo2wwMODAxXBRKQEHc5qA5gQFnoECA0QAw&url=https%3A%2F%2Fwww.culture.gouv.fr%2Ffr%2FMedia%2FMissions%2Frapport-financement-du-spectacle-vivant.pdf&usg=AOvVaw3fO4xAJrLJHBNALYaE19MO&opi=89978449">économie largement subventionnée</a> et dont on pourrait attendre que la législation soit d’autant plus rigoureuse puisqu’il s’agit d’argent public, qui n’est pas censé servir des pratiques discriminatoires. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes évoqués concernant la surreprésentation des violences sexistes et sexuelles et cette même réticence à leur reconnaissance.</p>
<p><strong>Quelles sont les réponses des institutions culturelles aujourd’hui en France ? Sont-elles suffisantes ? ?</strong></p>
<p>Les choses sont quand même en train de changer dans les milieux artistiques depuis quelques années, du fait d’un certain volontarisme étatique et de certaines organisations professionnelles, qui aboutit à la mise en place de chartes, de cellules d’écoute, ou encore à la création du métier de <a href="https://www.cnc.fr/cinema/actualites/decryptage--questce-que-la-coordination-dintimite_2066812">coordinateur d’intimité</a>, encore très timide en France, mais qui s’est beaucoup développé aux États-Unis.</p>
<p>Il existe donc désormais toute une série d’outils. Mais ils ne suffisent pas en soi : il faut en utiliser plusieurs à la fois et surtout, il manque encore souvent une volonté sincère de les utiliser. Si je prends l’exemple des chartes et des cellules d’écoute, elles sont mises en place par les directeurs de lieux de production/diffusion ou d’écoles d’art parce qu’elles leur sont imposées, et ils n’y voient comme seul intérêt que la protection juridique de leur institution, parce qu’un élève ou un employé victime d’une agression pourrait se retourner non seulement contre son agresseur mais aussi contre l’institution qui aurait manqué à son devoir de protection.</p>
<p>Les cellules d’écoute servent trop souvent à externaliser le problème. Quant aux chartes, il y a parfois un discours d’invalidation par les instances qui les ont mises en place. Ce paradoxe vient du fait que les personnes qui aujourd’hui dirigent les institutions culturelles et sont donc en position de mettre en place ces outils et de changer les choses ont construit leur carrière dans un contexte où ces violences étaient à la fois normalisées et invisibilisées. Il est donc logique qu’elles aient du mal à accepter ces nouvelles politiques. Ce malaise aboutit d’ailleurs parfois à des formes de violences pédagogiques au sein des écoles.</p>
<p>Le droit du travail offre aussi toute une panoplie d’outils pour lutter contre les violences que les directeurs et directrices d’institutions ignorent souvent <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/des-fois-je-n-ai-pas-vu-des-directeurs-de-theatre-se-forment-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-6362142">avant de suivre des formations spécifiques</a>. On réduit trop souvent le droit au droit pénal, en brandissant le respect de la présomption d’innocence et la nécessité de laisser la justice faire son travail. Mais, pour toutes les accusations liées à des faits qui auraient été commis sur les plateaux, un des leviers de la lutte contre les violences sexuelles est l’obligation de l’employeur d’offrir un cadre de travail sécurisé à ses employés. De plus, le droit du travail n’obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d’indices concordants suffit, et parmi ces indices, il y a par exemple la multiplicité des accusations et des témoignages, qui peuvent suffire à éloigner une personne des tournages en raison d’un principe de prévention. Certaines expérimentations sont en cours, qui montrent qu’il est possible de combiner l’impératif de sécuriser le cadre de travail et le souci de finaliser un projet artistique déjà entamé <a href="https://www.telerama.fr/cinema/le-realisateur-samuel-theis-accuse-de-viol-enquete-sur-un-tournage-devenu-invivable-7018759.php">sans (trop) pénaliser l’ensemble d’une équipe pour le comportement d’un seul individu</a>.</p>
<h2>Où en est le mouvement #MeToo ?</h2>
<p><strong>B.H.</strong> : Si on considère que #MeToo est une révolution, alors je dirais qu’on est comme au XIX<sup>e</sup> siècle, dans un moment de conflit entre deux paradigmes qui s’affrontent : le paradigme de l’Ancien Régime qui continue à défendre le droit de cuissage et à légitimer la violence des puissants et un nouveau paradigme qui tente de mettre en place un ordre des choses démocratique et républicain, respectueux de notre devise « liberté, égalité, fraternité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérénice Hamidi a reçu des financements de l'IUF. </span></em></p>Au cours de cet entretien, Bérénice Hamidi évoque avec nous les freins à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les milieux artistiques français.Bérénice Hamidi, Professeure en esthétiques et politiques des arts vivants, , Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175742023-11-20T17:14:08Z2023-11-20T17:14:08ZLe lisse et le dru : ce que notre rapport à la pilosité dit de nous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560370/original/file-20231120-21-jkuiqn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=68%2C15%2C5031%2C3922&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fantaisie érotique montrant une femme nue portant un diadème, s'épilant le pubis sous le regard d'un angelot. 18e siècle. </span> <span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span></figcaption></figure><p>Dans l’histoire de l’Occident comme dans celle du monde méditerranéen et proche-oriental, le paradigme historique de la beauté associe la peau lisse, épilée, au genre féminin, tandis que la pilosité est réservée au genre masculin, à quelques exceptions près. Le cas de l’Iran est, à ce titre, exemplaire. La veille du mariage, la <em>bandandaz</em> (l’épilatrice), maniant avec dextérité fil, pâte dépilatoire à base de chaux, rasoir et cire transforme le corps poilu de fille en corps entièrement lisse de femme. L’épilatrice porte une attention particulière aux sourcils devant désormais former des arcs fins et parfaits. Aux « pattes de chèvre » (<em>pâtche bozi</em>) touffues des adolescentes se substituent deux courbes jugées plus harmonieuses.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1522259164575191041"}"></div></p>
<p>Dans le quotidien, l’état des sourcils des Iraniennes renseigne sur le statut de l’interlocutrice et invite d’emblée à employer tel terme d’adresse ou telle formule de politesse. Mais, dans leur souci d’émancipation, de jeunes filles intrépides brouillent ce code de reconnaissance ; anticipant sur le rite de passage et voulant se conformer aux canons de la beauté juvénile occidentale, elles se font épiler les sourcils, ce qui entraîne, dans les milieux conservateurs, la réprobation de leurs parents.</p>
<h2>Des pratiques fluctuantes</h2>
<p>Les exceptions historiques et ethniques à ce schéma général opposant le lisse au dru ne manquent pas. Le christianisme a prôné, avec plus ou moins de succès, le respect de la nature créée par Dieu, les poils ayant, en outre, pour vertu, de cacher les « parties honteuses », tandis que l’épilation du pubis et des aisselles est la norme, pour les deux sexes, dans les sociétés islamiques, les poils qui retiennent les sécrétions (le sang, l’urine, la sueur, les matières fécales) étant considérés comme impurs. On ne saurait, dans ces conditions, effectuer ses obligations religieuses couvert de poils et il est significatif que la pâte dépilatoire soit appelée en persan <em>vâjebi</em> (« obligatoire »).</p>
<p>En France, du Moyen-âge au XVI<sup>e</sup> siècle, les femmes aisées pratiquaient l’épilation intégrale, un usage qu’avaient découvert les Croisés en Orient. On comptait ainsi 26 bains chauds ou étuves à Paris en 1292. Puis, la pratique de l’épilation s’estompe pendant les siècles qui suivent la Renaissance ; l’eau, et surtout l’eau chaude, a alors mauvaise réputation ; elle est censée amollir les chairs et rendre les pores de la peau perméables aux microbes.</p>
<p>Malgré une réhabilitation partielle des bains chauds à la fin du XVIII<sup>e</sup> et au XIX<sup>e</sup> siècle, il faut attendre le XX<sup>e</sup> siècle pour que l’épilation retrouve une pleine légitimité : la disparition des robes longues, l’apparition des décolletés, le dénudement progressif des corps en période estivale, puis l’apparition des bas transparents en nylon en 1946 contribuent à ce retour, voire à une dictature du lisse (« a depilatory age », dit une historienne américaine), qui connote, en outre, la désanimalisation, le net, l’hygiénique et l’inodore. Franchissons l’océan atlantique : au Mexique, dans les zones de frontière ethnique, comme l’a démontré l’anthropologue Jimena Paz Obregon, les femmes d’origine espagnole mettent un point d’honneur à ne pas s’épiler les jambes pour se démarquer des Indiennes à la peau naturellement glabre. Le souci de manifester son appartenance ethnique l’emporte ici sur celui d’exhiber les signes de féminité communément admis en montrant des jambes lisses.</p>
<h2>Des normes en voie de redéfinition</h2>
<p>Chez les femmes d’aujourd’hui, dans le sillon de la récente vague féministe initiée avec le mouvement #MeToo, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/le-sens-du-poil-9919696">rébellion contre le lisse</a> correspond au refus de se plier aux normes de genre et de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/a-l-origine-de-l-epilation-comme-injonction-feminine-6638853">consacrer du temps à des injonctions</a> liées au seul désir masculin dans un cadre hétéronormé, mais aussi au refus d’une forme d’infantilisation ou d’hypersexualisation… sans compter le caractère douloureux et coûteux de l’opération.</p>
<p>En France, les <a href="https://www.charles.co/blog/etudes-et-sondages/sondage-ifop-pratiques-depilatoires/">femmes qui ne s’épilaient pas</a> le pubis étaient 15 % en octobre 2013, contre 28 % en janvier 2021. Plus globalement, la proportion de femmes épilées diminue : 85 % en octobre 2013, contre 72 % en janvier 2021.</p>
<p>Mais la barbe, dira-t-on. Voilà un attribut pileux qui manifeste l’appartenance au genre masculin – quoiqu’elle puisse faire l’objet d’un jeu queer avec le genre, comme en témoigne le chanteur drag queen Conchita Wurst, gagnant de l’Eurovision en 2014. La barbe d’aujourd’hui n’a rien à voir avec la barbe des « poilus » de 1914, avec la moustache drue du temps passé que vantaient les héroïnes de Maupassant (dans un court texte intitulé « La moustache »). La barbe d’aujourd’hui n’est pas non plus celle, hirsute, du révolutionnaire mais une barbe entretenue avec une tondeuse à sabots – la « hype » autour des barbiers pointus en témoigne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559346/original/file-20231114-21-42im9u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Conchita Wurst lors de la conférence de presse des vainqueurs, juste après avoir gagné le Concours Eurovision de la chanson 2014 Copenhague.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Conchita_Wurst#/media/Fichier:ESC2014_winner's_press_conference_06.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La barbe est de nos jours un signe d’entrée dans la vie adulte (d’après l’enquête Opinion Way de 2018, 92 % des 24-35 ans la portent) alors que, négligée, ce fut longtemps un signe d’entrée dans la vieillesse. Ce qui frappe, c’est donc cette inversion des usages et des significations. Cette différence de génération se reflète aussi dans les appréciations des femmes : d’après la même enquête, les jeunes femmes en couple sont peu séduites par des visages complètement rasés (17 %), alors que 42 % des femmes de plus de 35 ans apprécient ce style. Autre témoignage de cette inversion : 44 % des plus de 50 ans se rasent tous les jours, 6 % seulement des moins de 35 ans.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1084850521196900352"}"></div></p>
<p>Nous sommes passés, chez les hommes, d’une génération au visage lisse à une génération valorisant le poil sur le visage, d’une esthétique faciale glabre à une esthétique pileuse – bien que domptée. Dans les années 1980-1990 caractérisées par un minimalisme esthétique et où dominaient les idéologies modernistes, tout était lisse : le glabre, le clean, la coupe rase des garçons, se sont accordés avec le gris froid de l’ordinateur, la simplicité lisse du mobilier et la nudité des façades ; seuls sur les visages une « mouche » ou quelques poils en bordure des lèvres rappelaient la différence de genre.</p>
<p>Chez les femmes aussi, cette idolâtrie du lisse semble avoir vécu – mais pouvons-nous prévoir l’avenir ? – et les mannequins les plus en vue n’hésitent pas à exhiber des aisselles velues, tandis que certaines influenceuses assument des jambes poilues. Ce mouvement fut initié par Julia Roberts et Milla Jovovich qui exhibaient fièrement en 1999 leurs aisselles dont elles avaient laissé repousser les poils. Serait-ce l’annonce d’un – improbable – retour vers <a href="https://www.nova.fr/news/salvador-dali-larchitecture-du-futur-sera-comestible-et-poilue-143384-26-05-2021/">« une esthétique poilue »</a>, une expression que Salvador Dali employait pour caractériser l’architecture de Gaudi ?</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/B06HuNWhGiX","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>La mise en relation de la manière d’entretenir ses poils et des dominantes stylistiques est manifeste à d’autres périodes de l’histoire. Ainsi à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle. L’exubérance des jardins baroques, la prolifération ornementale des chapelles de la même époque et les extraordinaires coiffures : perruques du règne de Louis XVI, ornées de plumes, de rubans, de bateau… participent d’un même schème esthétique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560462/original/file-20231120-17-gkbvzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Typologie des perruques présentée dans l’Encyclopédie méthodique, 1785.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Perruque#/media/Fichier:Perruques_-_Encyclop%C3%A9die_m%C3%A9thodique.png">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Scruter une société par ses recoins pileux peut paraître a priori bien futile. Mais ces jeux de l’apparence qui semblent détourner de l’essentiel nous y ramènent brutalement quand on considère les passions, les polémiques, les interdits, les violences qu’ils peuvent susciter. Comme souvent, l’accessoire (ici le lisse et le dru) est une fenêtre privilégiée pour humer l’air du temps.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin : Christian Bromberger, <a href="http://www.editions-creaphis.com/fr/catalogue/view/1093/les-sens-du-poil/">« Les sens du poil »</a>, Creaphis éd.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bromberger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les critères de beauté évoluent, et la pilosité n’échappe à la règle, nous renseignant au passage sur les rôles de genre dans la société.Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119762023-10-06T16:44:22Z2023-10-06T16:44:22ZDans « Le Grand bain », un bataillon de mâles à la dérive ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/547800/original/file-20230912-17-ir0a0a.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C979%2C634&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les nouveaux mâles du _Grand Bain_.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-235582/photos/detail/?cmediafile=21501831">Mika Cotellon/TF1/StudioCanal</a></span></figcaption></figure><p>Pour la première fois dans l’histoire des Jeux olympiques, les hommes seront autorisés à participer aux compétitions de natation artistique. Depuis l’introduction de cette discipline sportive aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, seules les femmes pouvaient jusqu’alors concourir. Si leur présence à Paris en 2024 sera en nombre limité (jusqu’à deux hommes dans une équipe de huit membres), c’est déjà une grande victoire pour les défenseurs de l’inclusion.</p>
<p>Simple avancée sociale ou fruit d’un long combat masculin, ce changement réglementaire n’est pas sans rappeler le film de Gilles Lellouche, <em>Le Grand bain</em>, sorti en 2018. Ce dernier raconte l’histoire de huit hommes quadragénaires et quinquagénaires qui, largués dans leur vie professionnelle ou affective, se lancent un défi : gagner la coupe du monde de natation synchronisée masculine.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Je3C1hvUCA8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les critiques du film, qui furent unanimement positives lors de sa sortie, renvoient incontestablement à cette actualité olympique en questionnant les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps/gender-studies-la-premiere-grande-enquete-philosophique-sur-l-origine-des-etudes-de-genre-et-leurs-consequences-aujourd-hui-7520974">gender studies</a> sous un angle trop peu abordé en France, celui des clichés associés à la virilité masculine dans le sport.</p>
<p>Ainsi peut-on lire qu’il s’agit d’une comédie « à la gloire des failles et faiblesses humaines » <a href="https://www.liberation.fr/cinema/2018/10/23/le-grand-bain-maillots-forts_1687303/">selon <em>Libération</em></a>, d’un film sociétal « qui met le collectif à l’honneur » <a href="https://www.lefigaro.fr/cinema/2018/11/08/03002-20181108ARTFIG00021-gilles-lellouche-les-10-millions-d-entrees-je-les-feterai-dans-une-piscine-de-champagne.php">pour <em>Le Figaro</em></a>, d’une « vérité humaine qui parle avec une infinie tendresse » <a href="https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/cinema/poelvoorde-amalric-katerine-katerine-ils-se-sont-jetes-dans-le-grand-bain-23-10-2018-7926504.php">d’après <em>Le Parisien</em></a>. La réflexion que mène le réalisateur – qui est également co-scénariste – se résume en effet par cette formule métaphorique prononcée en début de film par un narrateur extradiégétique : un rond peut-il entrer dans un carré ? Il sous-entend par-là qu’il est peut-être possible d’aborder le rapport entre sport et masculinité d’une tout autre façon que celle qui nous est imposée.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o_IGp7a1hyU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Gilles Lellouche propose à vrai dire un généreux portrait de ces individus abîmés par notre époque, celle du culte du corps, et qui trouvent leur salut dans un « sport de filles ». Éloge d’un épanouissement possible face à l’injonction généralisée de la réussite, triomphe de la solidarité sur celui de l’individualisme, affichage des ventres mous contre le culturisme ambiant, ce long-métrage apporte un souffle nouveau en déplaçant le topos de la thérapie de groupe dans des vestiaires sportifs.</p>
<p>Si le grand public français a été touché par l’histoire, c’est que le film lutte contre une certaine <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/21640629.2016.1198569">vision essentialiste</a> selon laquelle il existerait des différences innées entre les deux sexes. En caricaturant la virilité promue par le système patriarcal, certaines scènes témoignent de l’anti-héroïsme d’une génération d’individus en quête de sens. Ces derniers bousculent, en réaction à la classique <a href="https://journals.openedition.org/lectures/13753">« masculinité hégémonique »</a>, les représentations de l’homme occidental dans le « grand bain » de société française au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>A l’origine, un club de natation synchronisée suédois</h2>
<p>Inspiré de faits réels, le film de Gilles Lellouche s’inscrit dans une lignée de fictions décomplexées sur la soi-disant <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=OIE3DwAAQBAJ">« effémination »</a> de cette génération masculine qui ne se laisse plus enfermer dans ce modèle de virilité héroïque et conquérante.</p>
<p>Lors de l’écriture du film, si le réalisateur avait à l’esprit le film de Peter Cattaneo sur les Chippendales du monde ouvrier (<em>The Full Monty</em>, 1997), il s’est surtout inspiré de l’histoire vraie d’un club de natation synchronisée masculine suédois créé en 2003, le <a href="https://www.larepubliquedespyrenees.Fr/Societe/AFP/france-monde-societe/quadras-et-ventrus-ces-pionniers-de-la-natation-synchronisee-masculine-5148918.php">« Stockholm Simkonst Herr »</a>, un pays où les femmes ont acquis depuis longtemps une place égalitaire dans la vie politique et médiatique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ce club a d’ailleurs donné lieu à un documentaire et à maintes adaptations cinématographiques : <em>Allt flyter</em> de Måns Herngren (2008), <em>Men Who Swim</em> de Dylan Williams (2010), <em>Swimming with Men</em> d’Olivier Parker (2018). Ce sujet a aussi trouvé son public au Japon avec la comédie <em>Waterboys</em> de Shinobu Yaguchi et son adaptation éponyme chinoise réalisée par Song Haolin en 2021.</p>
<p>Le choix de la natation synchronisée, par sa singularité féminine (liée à son histoire et au succès des deux grandes nageuses de ballet du cinéma américain Annette Kellermann et Esther Williams), est sans doute la raison principale ayant poussé le réalisateur à choisir ce sport pour illustrer son propos.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Un0w7WyRgsc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Toutefois, on peut lire l’intrigue au deuxième degré ; la natation serait alors une métaphore des difficultés rencontrées par les personnages et leur volonté de s’en sortir. Cette théorie opère dès le titre, « le grand bain » dans lequel chacun doit se lancer et apprendre à survivre malgré les obstacles.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545325/original/file-20230829-19-hpibob.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Annette Kellermann, pionnière de la pratique de la natation synchronisée, au début du XXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/pictorial-post-card-miss-annette-kellermann-champion-lady-swimmer-and-diver-6c1193">State Library of New South Wales</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les nombreuses métaphores dans ce film, filant une diégèse tragi-comique, permettent de mieux percevoir la volonté du réalisateur de dépasser les stéréotypes pour mieux apprendre à s’accepter. En effet, l’eau peut d’abord revêtir un sens négatif : elle peut inonder, submerger voire noyer. Sans une main tendue, faute d’efforts suffisants, il est souvent difficile de sortir seul la tête de l’eau.</p>
<p>Cependant, à en croire Gaston Bachelard, l’eau nourricière et enveloppante peut <a href="https://www.jose-corti.fr/titres/eau-et-reves.html">être perçue dans un sens positif</a>. L’imaginaire de cet élément est communément lié à l’amour de la mère, par sa forme similaire à celle du liquide amniotique qui nous héberge pendant neuf mois, ou à celle du lait maternel qui nous nourrit. Pour Gilles Lellouche, la piscine est justement un « symbole très maternel » et représente dans le film <a href="https://www.parismatch.com/People/Le-Grand-bain-Gilles-Lellouche-Les-perdants-les-vainqueurs-pour-moi-ca-n-existe-pas-1583307">« un cocon où l’on est à l’abri du jugement des autres »</a>. Ainsi, les héros déçus par la vie, se jettent dans ce <a href="https://www.telerama.fr/cinema/films/le-grand-bain,519844.php">« grand bain amniotique »</a> pour enfin renaître en tant que groupe soudé et, pour reprendre les propos du réalisateur, sentir leur cœur qui se remet à battre.</p>
<p>À travers l’histoire de ces hommes ayant trouvé leur salut dans une activité historiquement connotée comme féminine, <em>Le Grand Bain</em> interpelle les spectateurs sur la nécessité de remettre en cause la masculinité hégémonique. Il s’inscrit dans des questionnements contemporains et permet, comme le dit le sociologue du cinéma Emmanuel Ethis, de <a href="https://www.lepoint.fr/culture/derriere-le-succes-du-grand-bain-un-desir-de-collectif-15-11-2018-2271647_3.php">« réfléchir à la construction et a fortiori à la reconstruction de nos identités »</a>. Pour tous les passionnés de sport ou celles et ceux que le sujet intéresse, ce film est incontestablement une invitation au voyage olympique à venir.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 6 au 16 octobre 2023 en métropole et du 10 au 27 novembre 2023 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « sport et science ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211976/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En plongeant ses héros dans une compétition de natation synchronisée, « Le grand bain » vient questionner la masculinité hégémonique et notre vision de la virilité.Thomas Bauer, Maître de conférences HDR en histoire du sport (STAPS), Université de LimogesSiyao Lin, Doctorante en culture sportive, Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2074862023-07-31T15:25:36Z2023-07-31T15:25:36ZLa Petite Sirène, une héroïne revendicatrice, indépendante, et complexe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538110/original/file-20230718-7745-eyn14g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3489%2C2321&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Halle Bailey assiste à la Première de La Petite Sirène à Londres, le 15 mai 2023. Le film de Disney présente une héroïne volontaire et indépendante.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Loredana Sangiuliano via Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>À sa sortie en mai, le très attendu <em>remake</em> du film <em>La Petite sirène</em>, dont l’annonce de l’actrice principale avait <a href="https://www.ledevoir.com/culture/cinema/791357/cinema-the-little-mermaid-la-sirene-le-prince-et-le-faux-scandale">suscité la controverse</a>, a été taxé par certains de présenter un modèle de féminité réducteur et <a href="https://torontosun.com/entertainment/celebrity/paloma-faith-slams-the-little-mermaid-not-what-i-want-to-be-teaching-next-gen-women">potentiellement néfaste pour les jeunes filles</a>. </p>
<p>Or, l’analyse des motivations de l’héroïne, de la chanson thème et des représentations de la masculinité dans le film permet de démontrer que la jeune sirène est un personnage plus indépendant qu’il n’y parait. </p>
<p>Doctorante en littérature et arts de la scène et de l’écran, mes recherches se situent à l’intersection des études féministes et audiovisuelles.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-servante-ecarlate-ou-lemergence-dun-regard-feminin-dans-les-fictions-audiovisuelles-158284">« La Servante écarlate », ou l’émergence d’un regard féminin dans les fictions audiovisuelles</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Ariel, anthropologue</h2>
<p>Dans les deux moutures du film, la protagoniste Ariel apparait pour la première fois à l’écran lors d’une scène d’exploration d’épave de navire, que la sirène fouille à la recherche d’artefacts humains. Au péril de sa vie (elle déjoue un requin), elle parvient à récupérer une fourchette qu’elle s’empresse de montrer à une mouette qui prétend (à tort) connaître la société humaine. Il est alors dévoilé que la péripétie de l’épave a fait rater à Ariel un concert organisé par son père Triton auquel elle avait promis de participer. </p>
<p>Les premières minutes du film servent à démontrer qu’Ariel détient une personnalité aventureuse, débrouillarde et indocile et qu’elle n’a que faire des activités protocolaires qui lui sont imposées par son statut de princesse. </p>
<p>Le public découvre ensuite que la jeune fille, fascinée par l’être humain, a aménagé une grotte secrète où elle entrepose une multitude d’objets dont elle tente de comprendre l’utilité. Les scénarios des deux films introduisent ainsi la protagoniste en la définissant par son engouement pour l’exploration et pour l’étude d’une culture étrangère, et ce, bien avant que la sirène ne fasse la rencontre d’un prince. À bien des égards, loin de se résumer à l’<a href="http://www.radio-canada.ca/util/postier/suggerer-go.asp?nID=4956174">héroïne naïve et stupide qui lui est parfois reproché d’être</a>, Ariel est en fait une anthropologue passionnée : la réduire à sa quête amoureuse ne rend pas compte de la complexité de sa personnalité. </p>
<h2><em>Part of Your World</em></h2>
<p>La chanson thème <em>Part of your World</em>, loin d’être une mielleuse déclaration d’amour à un jeune homme, est plutôt l’aveu d’une grande ambition : Ariel voudrait devenir humaine. </p>
<p>Une recension des verbes employés dans la chanson permet de constater la détermination d’Ariel. En plus des nombreuses répétitions du verbe “vouloir” (« Je veux »), les paroles dévoilent son agentivité : elle veut voir, confirmer des hypothèses, explorer, déambuler et dépenser son temps librement. Surtout, la chanson culmine sur une phrase où elle proclame se sentir prête à acquérir de nouvelles connaissances et obtenir de vraies réponses à ses questions.</p>
<p>De plus, plusieurs aspects des paroles sont susceptibles de susciter l’identification du jeune public à la détermination de l’héroïne. En plus des nombreux « tu » employés, les attitudes humaines qui l’émerveillent sont celles des enfants : sauter, danser, éviter de se faire gronder par ses parents. Les enfants peuvent se reconnaître dans ces situations et comprendre qu’Ariel envie leur autonomie. À la fin de la chanson, elle décrit les humaines comme de « brillantes jeunes filles prêtes à se tenir debout ». Ariel dépeint ainsi avec admiration les filles qui écoutent le film et témoigne d’une grande estime pour la ténacité qu’elle leur prête.</p>
<h2>Donner sa voix</h2>
<p>Le principal reproche adressé au conte <em>La Petite sirène</em> est que l’héroïne troque sa voix contre la possibilité de séduire le Prince Éric. La symbolique du sacrifice est indéniablement déplorable, d’autant que le <a href="https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/01/25/researchers-have-discovered-a-major-problem-with-the-little-mermaid-and-other-disney-movies/">temps de parole accordé aux personnages féminins de Disney</a> demeure très limité. </p>
<p>Toutefois, la perte et le regain de la voix d’Ariel témoignent d’une progression dans le récit. Dans les scènes de la première moitié du film (celles sous la mer où Ariel a sa voix), la sirène n’est pas du tout écoutée par les autres personnages qui monologuent ou lui coupent fréquemment la parole. </p>
<p>La version de 2023 du film montre efficacement qu’une fois sur terre, malgré son mutisme, Ariel et Éric réussissent à converser parce qu’elle est expressive et qu’Éric porte attention de décoder ses réactions. Pour la première fois, Ariel a trouvé quelqu’un qui accepte de répondre à ses interrogations sur le fonctionnement du monde et qui la prend au sérieux. Réciproquement, elle partage avec lui certaines connaissances sur l’océan. </p>
<p>Mais avant de mener le combat final, Ariel reprend sa voix que s’était appropriée Ursula : elle revendique la pleine possession de ses facultés et de son individualité.</p>
<h2>Sensible et attentif Prince Éric</h2>
<p>Dans le film de 1989, Éric est celui dont la quête est principalement amoureuse. Dès sa première apparition à l’écran et à plusieurs reprises, il réitère que son plus grand souhait est de trouver l’amour. Éric s’inscrit ainsi en dehors de certains stéréotypes de la masculinité répudiant la <a href="https://seejane.org/research-informs-empowers/if-he-can-see-it-will-he-be-it/">sentimentalité des hommes</a>.</p>
<p>C’est cette sensibilité qui, par ailleurs, semble éveiller l’intérêt d’Ariel. La première fois qu’elle l’aperçoit, elle constate son empathie puisqu’en plein naufrage, il est le dernier à quitter le bateau, tant il tient à s’assurer que tous (son chien Max inclus) réussissent à rejoindre un canot de sauvetage. Ariel découvre en Éric la bonté dont elle est la seule sirène à croire les humains capables : le jeune homme symbolise qu’une vie sur terre est possible pour elle, puisqu’elle pourrait y côtoyer des semblables.</p>
<p>Dans l’adaptation de 2023, une chanson chantée par Éric a été ajoutée et contribue à subvertir le stéréotype de la jeune fille en détresse. Dans <em>Uncharted Waters</em>, Éric confesse être chamboulé depuis son sauvetage des eaux par une jeune fille qu’il est désespéré de voir reparaître. Les verbes d’action, dans les paroles, sont attribués à Ariel (« Tu m’as trouvé », « Tu m’as secouru », « Viens me chercher »), de sorte qu’Ariel parait toute puissante et lui, offert.</p>
<p>Les rôles s’en trouvent inversés par rapport aux modèles culturels traditionnels qui assignent le <a href="https://seejane.org/research-informs-empowers/see-jane-2019/">masculin à l’actif et le féminin au passif</a>.</p>
<h2>Voir plus loin que la quête amoureuse</h2>
<p>Il convient de rappeler qu’en 1989, <em>La Petite sirène</em> marquait le retour des longs-métrages d’animation Disney après un long hiatus. Les autres princesses de Disney étaient alors Blanche-Neige (1937), Cendrillon (1950) et Aurore (1959), qui incarnaient des modèles féminins de douceur et de modestie en vogue dans les années 40 et 50. Aventurière et têtue, Ariel marquait le début d’une nouvelle ère par rapport à ce que les enfants avaient connu jusque-là. </p>
<p>Le fait de se questionner sur la figure qu’incarne Ariel en 2023 parait assez sain, puisque les modèles féminins forts se font encore <a href="https://realisatrices-equitables.com/wp-content/uploads/2021/11/etude-qui-filme-qui-2021.pdf">très peu nombreux</a> à l’écran et que la recherche atteste de <a href="https://seejane.org/research-informs-empowers/rewrite-her-story/">l’importance pour les enfants</a> d’avoir accès à des personnages de filles débrouillardes et complexes.</p>
<p>Néanmoins, il faut étendre ces exigences à l’ensemble des productions populaires et porter attention à ne pas tourner systématiquement en dérision les goûts des jeunes filles, faute de quoi on risque de nier les ambitions et le vécu complexe de plusieurs héroïnes jeunesse. Certaines analyses rendent compte, par exemple, du fait que réduire Cendrillon à sa quête amoureuse témoigne d’une incompréhension de certains <a href="https://www.youtube.com/watch?v=huLSdm6IH0g&t=7s">enjeux de la violence domestique</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207486/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches d'Anne-Sophie Gravel ont reçu du financements du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). </span></em></p>L’analyse des motivations de l’héroïne, de la chanson thème et des représentations de la masculinité dans la Petite Sirène permet de démontrer que le personnage est plus indépendant qu’il n’y parait.Anne-Sophie Gravel, Doctorante en littérature et arts de la scène et de l'écran (concentration cinéma), Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2103052023-07-25T17:53:29Z2023-07-25T17:53:29ZStéréotypes de genre : les hommes qui publient beaucoup sur les réseaux sociaux sont-ils vraiment « moins virils » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539278/original/file-20230725-17-hnflje.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=58%2C2%2C1718%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les hommes limitent-ils la fréquence de leurs publications en raison des préjugés sexistes? </span> <span class="attribution"><span class="source"> A-Digit/DigitalVision Vectors via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Malgré l’évolution des mentalités, une grande partie de nos activités sont encore classées selon des critères de genre : les magasins de vêtements ont des sections pour les hommes et les femmes, certains aliments sont considérés comme <a href="https://theconversation.com/how-steak-became-manly-and-salads-became-feminine-124147">plus masculins ou plus féminins</a>, et même les instruments de musique ont un genre.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1108/EJM-12-2022-0883">Nos recherches récemment publiées</a> montrent que même les médias sociaux sont un terrain propice à la propagation de stéréotypes sexistes rigides.</p>
<p>Plus précisément, nous montrons que les hommes qui publient souvent sur les médias sociaux sont considérés comme féminins, un phénomène que nous appelons le « stéréotype de la féminité associé à la publication fréquente ». Nous avons observé ce biais dans le cadre de quatre expériences auxquelles ont participé plus de 1 300 personnes aux États-Unis et au Royaume-Uni.</p>
<h2>Publier, c’est être perçu comme non masculin</h2>
<p>En tant que chercheurs en comportement des consommateurs, nous nous intéressons depuis longtemps aux contradictions, aux particularités <a href="https://doi.org/10.1037/a0029826">et aux restrictions</a> <a href="https://www.nytimes.com/2018/09/14/upshot/gender-stereotypes-survey-girls-boys.html">associées à la masculinité</a>.</p>
<p>Ces dynamiques ont des implications considérables dans le monde du marketing. Il est bien connu, par exemple, que le Coca Zéro a été créé pour remplacer le Coca Light, un produit dont les hommes se détournaient notoirement en <a href="https://www.forbes.com/sites/hbsworkingknowledge/2013/11/13/gender-contamination-why-men-prefer-products-untouched-by-women/?sh=4df9d0898f0b">raison de ses liens perçus avec les femmes désireuses de perdre du poids</a>. Il existe même une <a href="https://doi.org/10.1086/711758">tendance à penser qu’il n’est pas viril de dormir beaucoup</a>, car le besoin de repos est associé à la faiblesse et à la vulnérabilité.</p>
<p>Nous avons réfléchi à la manière dont certaines de ces notions peuvent entrer en jeu sur les médias sociaux. Les sondages suggèrent que les hommes et les femmes utilisent les plates-formes de médias sociaux de manière très différente : par exemple, les hommes ont tendance à être présents sur <a href="https://www.pewresearch.org/internet/fact-sheet/social-media/?tabId=tab-45b45364-d5e4-4f53-bf01-b77106560d4c">moins de plates-formes dans l’ensemble</a> et ne publient pas aussi souvent que les femmes sur des <a href="https://www.theatlantic.com/technology/archive/2016/06/why-are-more-women-than-men-on-instagram/485993/">applications comme Instagram</a>.</p>
<p>Nous nous sommes demandé si les préjugés sexistes avaient quelque chose à voir avec ces comportements. Les hommes sont-ils jugés différemment lorsqu’ils partagent des informations sur les médias sociaux ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, nous avons mené une série d’expériences dans laquelle les personnes interrogées devaient évaluer un homme qui publie fréquemment ou rarement sur les médias sociaux. Pour donner une image plus concrète, nous avons décrit cet homme comme quelqu’un qui publie en ligne pour le plaisir et qui a un nombre modéré de followers.</p>
<p>Les personnes interrogées ont systématiquement jugé l’homme plus féminin lorsqu’il était décrit comme un utilisateur fréquent des médias sociaux. Cela était vrai indépendamment des hypothèses faites sur l’âge, l’éducation, la richesse et la plate-forme de médias sociaux préférée de l’homme en question. Nous avons également contrôlé le sexe, l’âge, les convictions politiques et l’utilisation des médias sociaux des personnes qui ont participé à l’étude.</p>
<p>Nous avons utilisé un scénario identique pour décrire le comportement de publication d’une femme – et sa fréquence de publication n’a pas eu d’effet sur le degré de féminité que les gens lui attribuaient.</p>
<h2>Une aversion à montrer que l’on a besoin des autres</h2>
<p>Comment expliquer alors cet effet quelque peu inhabituel ?</p>
<p>Nous avons découvert que toute personne qui publie fréquemment, quel que soit son sexe, passe pour une personne qui recherche l’attention et la validation. Mais ce sentiment de besoin projeté ne se traduit par une perception connotée négativement uniquement lorsqu’il s’agit d’hommes.</p>
<p>Cela répond à une certaine logique. Après tout, la recherche a montré que le rejet de la féminité est crucial pour <a href="https://psycnet.apa.org/doi/10.1037/a0029826">celles et ceux qui s’attachent à une forme conventionnelle de virilité</a>, alors que l’évitement des marqueurs associés habituellement à la la masculinité n’est pas nécessairement crucial pour celles et ceux qui sont attachés à une forme conventionnelle de féminité.</p>
<p>En réalité, le « stéréotype de la féminité associée à la publication fréquente » s’est avéré encore plus tenace que nous l’avions prévu.</p>
<p>Deux de nos expériences ont tenté, sans succès, de réduire ce biais.</p>
<p>Tout d’abord, nous avons cherché à savoir si les hommes étaient jugés différemment lorsqu’ils partageaient du contenu sur d’autres personnes plutôt que sur eux-mêmes, l’idée étant que cette forme de publication serait considérée comme prévenante et non comme une recherche de validation. Ensuite, nous avons cherché à savoir si les influenceurs masculins, qui publient essentiellement pour des raisons professionnelles, étaient confrontés au même stéréotype.</p>
<p>Dans les deux cas, et à notre grande surprise, le fait de poster fréquemment a incité les participants à considérer ces utilisateurs de médias sociaux comme plus féminins.</p>
<h2>Élargir la définition de la virilité</h2>
<p>Il y a beaucoup de choses qui restent mystérieuses quant à la prééminence de ce préjugé.</p>
<p>Par exemple, on ne sait pas exactement dans quelle mesure le stéréotype de la féminité associée aux publications fréquentes affecte la manière dont les hommes sont jugés dans différentes cultures. Bien que les hommes du monde entier soient souvent considérés comme <a href="https://doi.org/10.1016/s0277-9536(99)00390-1">moins masculins lorsqu’ils réclament l’attention ou l’aide des autres</a>, notre recherche n’a porté que sur des participants du Royaume-Uni et des États-Unis.</p>
<p>Tout aussi important : comment en finir avec cette association entre l’affichage fréquent de publications et une forme de dévalorisation ? Nos recherches suggèrent que ce lien est durable et qu’il reflète une dynamique de genre persistante.</p>
<p>Néanmoins, il est intéressant d’étudier comment les plates-formes peuvent limiter ces préjugés par le biais de leur conception. Par exemple, <a href="https://www.insider.com/what-is-bereal-app-how-does-it-work-2022-4">BeReal</a> est une application qui invite les utilisateurs à partager rapidement une photo non éditée de ce qu’ils font à un moment aléatoire de la journée. De telles fonctions semblent mettre l’accent sur l’authenticité, la routine et la communauté. S’agit-il de la recette nécessaire pour modifier l’association entre l’affichage et la recherche de validation ?</p>
<p>Aujourd’hui, les hommes connaissent des <a href="https://www.americansurveycenter.org/research/the-state-of-american-friendship-change-challenges-and-loss/">taux historiques d’isolement social</a>, ce qui a des <a href="https://ofboysandmen.substack.com/p/some-news-i-cant-wait-to-share">conséquences désastreuses sur la santé mentale</a>. Cette crise est probablement exacerbée par des préjugés omniprésents qui donnent aux hommes l’impression qu’ils <a href="https://doi.org/10.1007/s11199-022-01297-y">ne peuvent pas parler de leurs problèmes ou demander de l’aide</a>. Le stéréotype de manque de virilité associé à la publication fréquente sur les réseaux sociaux révèle que les hommes sont jugés négativement lorsqu’ils tentent de s’exprimer et d’établir des liens sociaux – ce qui évidemment ne les incite pas à le faire.</p>
<p>Comme l’écrivait la correspondante du <em>New York Times</em> <a href="https://www.nytimes.com/2018/09/14/upshot/gender-stereotypes-survey-girls-boys.html">Claire Cain Miller</a> en 2018, en s’appuyant sur une étude qui s’intéressait aux adolescentes et adolescents, il y a « plusieurs façons d’être une fille, mais une seule façon d’être un garçon ».</p>
<p>Il est plus que temps d’élargir notre définition de la virilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210305/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une nouvelle étude montre que les hommes qui publient beaucoup sur les réseaux sociaux sont jugés négativement, révélant des stéréotypes de genre encore solidement ancrés dans notre société.Andrew Edelblum, Assistant Professor of Marketing, University of DaytonNathan B. Warren, Assistant Professor of Marketing, BI Norwegian Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1973232023-01-19T17:52:53Z2023-01-19T17:52:53ZCe que les différences de féminités et de masculinités disent du genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503320/original/file-20230105-2380-5skktu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un tiers des hommes se disent très masculins, alors que moins d’un quart des femmes se disent très féminines.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/YIjgPO1nLmY"> Alexander Grey / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Dans la vie quotidienne comme dans les enquêtes statistiques, le <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-degenrer-191115">genre</a> renvoie le plus souvent à une séparation des individus en deux groupes, celui des femmes et des hommes. Cette approche binaire a ses limites : des personnes non binaires ne s’identifient ni comme homme, ni comme femme, le genre des personnes trans ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. </p>
<p>Plus généralement, les individus peuvent se sentir plus ou moins féminins, plus ou moins masculins : il existe ainsi des variations de <a href="https://theconversation.com/peut-on-prevoir-le-genre-dun-enfant-119746">genre</a> internes au groupe de sexe. Celles-ci sont des pratiques et des perceptions de soi-même et d’autrui qui ne remettent pas nécessairement en question la bipartition des sexes, mais qui montrent que l’expérience du genre a plusieurs dimensions. De plus en plus d’enquêtes statistiques tentent de saisir les variations du genre, en particulier sous la forme d’échelles de masculinité et de féminité. C’est le cas de <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/violences-et-rapports-de-genre/">l’enquête Virage</a> qui a interrogé en France un échantillon de plus de 27 000 personnes représentatives de la population âgée de 20 à 69 ans en 2015.</p>
<p>La question suivante a été posée aux femmes :</p>
<blockquote>
<p>« On attend généralement des femmes qu’elles se comportent de façon féminine. Vous-même vous diriez vous : très féminine / plutôt féminine / pas très féminine / un peu masculine / très masculine / ne souhaite pas répondre / ne sais pas. »</p>
</blockquote>
<p>Pour les hommes, elle était formulée ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« On attend généralement des hommes qu’ils se comportent de façon masculine. Vous-même vous diriez vous : très masculin / plutôt masculin / pas très masculin / un peu féminin / très féminin / ne souhaite pas répondre / ne sais pas. »</p>
</blockquote>
<h2>Les catégories repoussoir varient selon le sexe</h2>
<p>La majorité des femmes <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">se disent</a> plutôt féminines et la majorité des hommes plutôt masculins. On enregistre sans doute ici le sentiment d’être « normal » du point de vue du genre : être une femme conduit le plus souvent à se dire féminine, ni trop, ni pas assez. Peu de femmes et d’hommes affirment un genre opposé à leur sexe : « un peu » et « très féminin » pour les hommes, « un peu » et « très masculine » pour les femmes sont des catégories repoussoir pour la majeure partie des individus.</p>
<p>Pour autant, les positionnements de genre ne s’organisent pas de la même manière selon le sexe : un tiers des hommes se disent très masculins, alors que moins d’un quart des femmes se disent très féminines ; un peu plus de 9 % des femmes se disent « pas très féminines », alors que seuls 2 % des hommes se disent « pas très masculins ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=647&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503300/original/file-20230105-2380-lmpfbn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=813&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Positionnement de genre selon le sexe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">Mathieu Trachman, 2022, Population et Sociétés n° 605,« Très masculin, pas très féminine. Les variations sociales du genre»</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce résultat peut être interprété à la lumière des valeurs que les personnes attribuent à la féminité et à la masculinité. Les variations du genre selon le sexe reflètent sans aucun doute une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-domination-masculine-pierre-bourdieu/9782020352512">dévalorisation du féminin par rapport au masculin</a> : les hommes s’identifient plus volontiers à une catégorie socialement valorisée, les femmes prennent leur distance vis-à-vis d’une catégorie discréditée.</p>
<p>Ces variations du genre peuvent également être l’indice d’une distanciation féminine par rapport à des <a href="https://agone.org/livres/desfemmesrespectables">normes de genre jugées illégitimes ou trop contraignantes</a> : celles qui concernent le corps, la tenue vestimentaire, les modes de vie conjugaux ou sexuels par exemple.</p>
<p>Chez les hommes comme les femmes, il peut s’agir de la reconnaissance d’un écart par rapport à une norme désirée ou l’expression d’un rapport conflictuel à une norme imposée. Pour saisir les significations sociales des variations de genre, il est possible d’analyser quels hommes se disent peu ou très masculins, quelles femmes peu ou très féminines.</p>
<h2>Sous le genre, la classe ?</h2>
<p>Le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle font nettement varier les positionnements de genre chez les hommes. <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">Plus les hommes sont diplômés, moins ils ont tendance à se dire très masculins</a> : certains se disent « pas très masculins », mais ils tendent à se reporter vers la catégorie « plutôt masculin ». Les catégories socioprofessionnelles reflètent pour une part cette tendance : les cadres et les professions intellectuelles supérieures se disent moins souvent très masculins que les ouvriers, les agriculteurs et les employés.</p>
<p>Il ne s’agit pas nécessairement d’une contestation des hiérarchies du genre, mais de l’affirmation d’une masculinité distinguée : ne pas se dire très masculin serait une manière de faire des distinctions de classe avec du genre, de tenir pour un peu fruste une affirmation masculine sans nuance. Cela n’est pas lié à une différence dans les pratiques de genre ou à une <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Les-habits-neufs-de-la-domination-masculine-Singly/8fa3f7456845884528c580bb5cc8219f5f210950">remise en cause de la hiérarchie du masculin et du féminin</a>. Les enquêtes sur la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1303232?sommaire=1303240">répartition des tâches domestiques</a>, qui montrent que les hommes appartenant aux classes supérieures ne s’investissent pas plus que ceux des classes populaires, en sont un indice.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-femmes-hommes-tout-ce-que-les-chiffres-ne-nous-disent-pas-171040">Inégalités femmes-hommes : tout ce que les chiffres ne nous disent pas</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">Chez les femmes</a>, les diplômes et les catégories socioprofessionnelles ont moins de poids : les positions et les espaces où se font les féminités et les masculinités ne sont pas les mêmes. Cependant, les femmes diplômées se disent moins souvent très féminines et surtout certaines professions conduisent les femmes à se dire « pas très féminines », en particulier les <a href="https://theconversation.com/comment-les-stereotypes-pesent-sur-linsertion-des-femmes-non-diplomees-en-milieu-rural-174412">agricultrices</a> et les ouvrières. </p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>On enregistre sans doute ici la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certaines-professions-restent-elles-si-largement-feminisees-141948">dimension genrée de certains métiers</a>, associés à la fois au masculin et aux classes populaires. Il semble que certaines positions professionnelles accentuent la difficulté pour les femmes à se sentir à l’aise avec la féminité qu’elles tiennent pour « normale », ou bien sont l’occasion pour certaines de mettre à distance les normes de féminité. Elles peuvent se sentir moins féminines parce qu’elles appartiennent à certains métiers, ou au contraire investir certains métiers parce qu’elles se distancient de certaines normes de féminité.</p>
<h2>Quid des personnes homosexuelles ou bi ?</h2>
<p>Certains <a href="https://theconversation.com/condition-des-lgbt-a-lechelle-mondiale-ou-en-sommes-nous-83453">groupes minoritaires</a> peuvent avoir un rapport spécifique au genre. C’est le cas des minorités sexuelles, dont le désir pour les personnes de même sexe a été historiquement constitué comme une inversion de genre. <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/la-loi-du-genre-9782213620428">Cette représentation a contribué à diffuser les figures</a> de la lesbienne masculine et du gay efféminé dans l’espace social.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Quelles différences entre sexe, identité, expression du genre et orientation sexuelle ?" src="https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=777&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=777&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=777&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=976&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=976&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503318/original/file-20230105-20-p5xycu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=976&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Quelles différences entre sexe, identité, expression du genre et orientation sexuelle ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.genderbread.org/resource/genderbread-person-v4-0">Sam Killermann</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les positionnements de genre des personnes qui s’identifient comme homosexuelles ou bisexuelles sont très différents de ceux des <a href="https://theconversation.com/education-a-la-sexualite-ou-education-a-lheterosexualite-67612">hétérosexuels</a>. <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">Ils varient</a> selon le sexe et l’identification sexuelle : « pas très masculin » reste une catégorie repoussoir pour les hommes, y compris gays, tandis que « pas très féminin » est une catégorie investie par certaines femmes, en particulier <a href="https://theconversation.com/marcher-dans-la-rue-double-peine-pour-les-lesbiennes-123021">lesbiennes</a>. Les femmes qui se disent bisexuelles sont plus nombreuses que les hétérosexuelles à se dire pas très féminines, mais elles se disent majoritairement plutôt féminines. </p>
<p>On peut faire l’hypothèse que la valorisation sociale du masculin explique son attrait pour certaines femmes, en particulier lesbiennes, et la difficulté à s’en distancer pour les hommes, même gays.</p>
<h2>Une dévalorisation du féminin</h2>
<p>Si <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/violences-et-rapports-de-genre/">l’enquête Virage</a> montre donc que la majorité des femmes se disent plutôt féminines et la majorité des hommes plutôt masculins, elle révèle aussi que les positionnements de genre ne s’organisent pas de la même manière selon le sexe. Comme on l’a vu, un tiers des hommes se disent très masculins, alors que moins d’un quart des femmes se disent très féminines ; un peu plus de 9 % des femmes se disent « pas très féminines », alors que seuls 2 % des hommes se disent « pas très masculins ». Les variations du genre selon le sexe reflètent sans aucun doute une dévalorisation du féminin par rapport au masculin, mais aussi des questionnements sur ce qu’est être une femme ou un homme.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est adapté d’un article publié par l’auteur dans Population et Sociétés n° 605, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2022-10-page-1.htm">« Très masculin, pas très féminine. Les variations sociales du genre »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197323/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Trachman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Combien de femmes se disent peu ou très féminines, combien d’hommes se disent peu ou très masculins, quelles sont-elles et quels sont-ils ? Comment comprendre ces positionnements ?Mathieu Trachman, Chargé de recherche, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1961572022-12-15T18:20:23Z2022-12-15T18:20:23ZLa littérature populaire, aux origines de la pop culture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/501333/original/file-20221215-27-fqnyye.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1481%2C1273&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La couverture de « Recel de malfaiteurs » d'André Héléna, Fleuve noir, 1967. </span> </figcaption></figure><p><em>L’histoire littéraire s’est construite sur un mensonge : elle a largement occulté sa part populaire et la conquête du grand public par l’édition, fruit d’une dynamique qui la place au cœur des industries culturelles. C’est cet autre visage de la littérature que ce livre donne à voir. Puisant dans des archives inédites, il retrace l’histoire chorale de celles et ceux qui, autour des Presses de la Cité et du Fleuve Noir, ont façonné à partir des années 1950 les genres majeurs de l’imaginaire contemporain : espionnage, policier, science-fiction, érotisme… Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux explorent cette histoire dans leur ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/aux_origines_de_la_pop_culture-9782348074738">« Aux origines de la pop culture. Le Fleuve noir et les Presses de la Cité au cœur du transmédia à la française, 1945-1990 »</a>, paru aux éditions La Découverte. En voici un extrait.</em></p>
<hr>
<p>Les règles implicites du roman noir des trente glorieuses définissent les rôles genrés : aux femmes sont échues la douceur ou la séduction érotique ; aux hommes la force virile et la volonté. Quand ce modèle est transgressé, la remise en ordre se doit d’être particulièrement cruelle. Parce qu’il n’est pas tout à fait un homme, le héros trompé par sa partenaire se retrouve humilié et abaissé – avant de se rebeller avec plus ou moins de succès.</p>
<h2>Héroïsme en crise</h2>
<p>Si le mari trompé est le plus souvent un minable, il entre en résonance avec d’autres figures de ratés : détectives à la petite semaine, artistes n’ayant jamais percés, employés médiocres… Le déclin ou l’échec social sont ainsi généralement associés à une mise en crise de la masculinité. Comme l’épouse du héros de <em>La Nuit du chat</em> (Adam Saint-Moore, 1967) le lui crie au visage au terme du récit : « Je ne voulais pas finir ma vie avec un minable incapable de me procurer l’existence que je méritais ! Je ne voulais pas finir ma vie dans un petit appartement miteux et rouler avec des bagnoles d’occasion payées à tempérament pendant que mes belles-sœurs et mes amies roulaient en Triumph et se payaient des croisières sur le France. » Il n’est pas anodin que cet homme humilié soit un ancien militaire ayant servi durant la guerre d’Indochine. Il incarne en effet l’héroïsme en crise de ses aînés, lui qui est condamné à une vie médiocre et sans perspective d’avenir. En restaurant l’ordre, il réaffirmera sa masculinité, envoyant sa femme droguée derrière les barreaux avec l’aide d’une très jeune fille qui reconnaîtra en lui l’homme que sa femme ne reconnaissait plus.</p>
<p>Sa situation n’est pas très éloignée de celle du héros de Pierre Vial, qui cherche à « vaincre enfin cette veulerie dont il [a] honte » et à « endosser une nouvelle peau », afin d’« obtenir son “certificat d’homme” » (<em>On ne tue pas n’importe qui</em>, 1962). Il s’agit explicitement de restaurer un ordre genré en réaffirmant une masculinité blessée, qui ne touche pas seulement à la sexualité (même si les métaphores d’impuissance sont courantes), mais également au rôle social : être un homme, c’est aussi réussir dans la société, subvenir aux besoins du foyer et pouvoir être admiré de sa compagne.</p>
<p>Dans les intrigues violentes des récits criminels, tout se passe comme si se mêlaient la question des rapports genrés et celle de la réussite sociale. Les travaux sur la virilité ont montré les liens qui se tissaient, depuis la Seconde Guerre mondiale, entre les <a href="https://www.persee.fr/doc/revss_1623-6572_2000_num_27_1_1873_t1_0153_0000_3">redéfinitions de la masculinité</a> et les transformations du champ social, avec le déclin des métiers physiques (définissant un modèle de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-tete-au-carre/le-corps-a-l-ouvrage-6419823">virilité ouvrière</a>) au profit d’emplois répétitifs ou bureaucratiques. Être un homme, c’est alors négocier entre une situation sociale et un <a href="https://shs.hal.science/halshs-01650604">idéal de masculinité</a> hérité des modèles antérieurs. Pour le héros du Fleuve noir, il s’agit de réaffirmer une masculinité archaïque dans un contexte où celle-ci n’a plus tout à fait sa place.</p>
<p>Dans cette perspective, on peut interpréter les nombreuses figures de gangsters et de « petites frappes » comme les vestiges de cette masculinité populaire en crise. Si ceux-ci reconduisent un modèle de virilité proche de celle du « dur à cuire », leur brutalité avec les femmes n’a plus l’attrait qu’elle avait dans les récits <em>hardboiled</em> (ce terme qualifie un genre littéraire proche du roman noir, où le protagoniste est typiquement un détective cynique, NDLR). Le casse de <em>Péril en la demeure</em> tourne au meurtre et toute la bande, sauf un, y laissera la vie (Roger Vilard, 1966) – c’est à peu près le sort qui attend les voyous apeurés qui tirent sur un agent de police dans les premières pages de <em>Recel de malfaiteurs</em> (André Héléna, 1967).</p>
<p>Le modèle incarné par ces voyous représente la figure inversée des maris et amants ratés : ils représentent une virilité incontrôlée qui les détruit. Leur violence envers les femmes qui les accompagnent (anciennes prostituées et filles faciles) participe de cette masculinité désuète qui n’a plus de place dans la France des années 1960. Le détective privé et l’espion du début des années 1950 qui tombaient les strip-teaseuses et les filles faciles dans les bars appartenaient à un imaginaire tout droit sorti d’un roman de Peter Cheyney, lequel se retrouve déjà dépassé dans les années 1960 sous l’effet des transformations sociales.</p>
<h2>L’espion, symbole de la nouvelle masculinité des trente glorieuses</h2>
<p>Les écueils du raté et de la petite frappe sont finalement conjurés dans une troisième figure masculine : celle de l’espion, qui combine une conception traditionnelle de la virilité et les nouveaux codes de la masculinité qui s’imposent après-guerre. Relativement indépendant, l’espion est une sorte d’aventurier produit par la société technocratique.</p>
<p>Il tient une position contradictoire : il est intégré dans l’appareil étatique mais indépendant, obéit à sa hiérarchie mais affirme une forme d’individualisme irréductible, ses voyages autour du monde apparaissent à la fois comme du travail et du loisir, et ses deux accessoires dominants sont le pistolet et le dossier confidentiel. Son autorité définit un profil, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Cadres-1947-1-1-0-1.html">celui du cadre supérieur</a> qui s’impose à l’imaginaire de la France des trente glorieuses.</p>
<p>Dans les années 1960, le cadre est une figure qui fait sens pour la collectivité : elle est associée aux imaginaires technologiques et technocratiques de la France de l’époque et voit <a href="https://editions.flammarion.com/rouler-plus-vite-laver-plus-blanc/9782082105408">ses valeurs</a> relayées par un ensemble de médias, comme <em>L’Express</em>. Or l’espion partage avec le cadre une forme d’expertise technique qui lui permet d’accomplir les tâches qu’on lui a confiées en professionnel capable de prendre des initiatives : ses missions s’inscrivent dans un projet plus large, décidé à un niveau supérieur, pour lequel il est un exécutant hautement qualifié ; il se situe à un niveau intermédiaire dans la hiérarchie, qui lui permet de disposer d’une forme d’autonomie par rapport à ses chefs et fait de lui un donneur d’ordres vis-à-vis de ses subordonnés. Il peut même se permettre de se plaindre de la bureaucratie, qui l’empêche d’agir avec l’efficacité souhaitée.</p>
<p>À bien des égards, les espions du Fleuve noir – ceux en particulier de Paul Kenny et de Claude Rank – possèdent des traits communs avec le cadre : ils ont le sérieux des ingénieurs en voyage qui s’autorisent une séance de séduction autour d’un verre le soir. Ils en partagent la technicité revendiquée des gestes et le souci de l’organisation. Même les gadgets qu’ils emploient ont quelque chose des signes extérieurs du pouvoir managérial qui s’affichent dans les publicités des magazines de l’époque – stylo, briquet, montre, attaché-case. Et lorsqu’au cours d’un briefing ils évoquent avec leurs responsables de nouveaux prototypes d’avion, des installations nucléaires secrètes ou quelque dispositif électronique, ils le font avec le sérieux d’un représentant détaillant une fiche de produit.</p>
<p>De même que le héros des romans d’aventures exotiques représentait au début du XX<sup>e</sup> siècle une forme superlative du soldat ou du colon, de même que le savant de Jules Verne (1828-1905) idéalisait le métier de l’ingénieur, l’espion des romans d’après-guerre apparaît comme une version sublimée du cadre, qu’il hybride avec les formes plus traditionnelles de la masculinité offerte depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle dans les romans d’aventures.</p>
<p>Une telle reconfiguration se joue surtout dans les scènes d’action, mais elle apparaît également dans sa relation aux femmes : l’espion est un séducteur et un consommateur, pour qui les personnages féminins comptent peu. Même s’il tombe régulièrement amoureux, son sens du devoir l’emporte toujours et il ne pleure jamais longtemps ses anciennes conquêtes lorsque celles-ci meurent au cours du récit. On peut dès lors le rapprocher de nouvelles figures de la masculinité apparues à la même époque, à l’instar du séducteur défini par l’éditeur de presse étatsunien Hugh Haffner Hefner (1926-2017), fondateur en 1953 du magazine <em>Playboy</em>.</p>
<p>Comme l’a montré la philosophe Beatriz Preciado (devenue Paul B. Preciado en 2015), le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pornotopie-paul-b-preciado/9782021483505">playboy</a> qui s’invente alors dans les pages du magazine américain est également un technicien, qui conçoit le plaisir (celui associé à la séduction, mais aussi aux loisirs, au bien-être et à la consommation) suivant des principes d’efficacité. Ces traits le rapprochent des cadres et de l’espion, avec lesquels il partage le goût du gadget, de la précision, mais aussi de l’élégance et des divertissements raffinés. Si l’espion est aussi un playboy, c’est que les figures de l’un et l’autre partagent un même idéal de masculinité pris dans les imaginaires techniques et consuméristes des années 1950 et 1960.</p>
<p>Cette nouvelle forme de masculinité qui s’incarne dans l’espion romancé s’inscrit plus largement dans l’imaginaire des trente glorieuses, lequel enregistre aussi les transformations du monde du travail et les imaginaires qui lui sont associés. Il n’est guère étonnant en ce sens que son audience ait décliné dès la fin des années 1960, comme le détective <em>hardboiled</em> avait mal résisté à la fin des années 1950. Mais la crise de l’espionnage imaginaire s’inscrit aussi dans un ensemble de mutations culturelles plus générales. Comme nous le verrons dans le chapitre 5, la littérature populaire prend en effet dans les années 1970 un tournant « contreculturel » qui contribue à marginaliser l’ensemble des produits du Fleuve noir.</p>
<p>Créée au lendemain de la guerre, puis développée avec le souci de coller aux nouvelles techniques de production et de consommation – au point d’inventer une sorte de modèle fordiste de l’édition populaire –, une maison comme le Fleuve noir a été conçue pour exprimer le monde qui l’a engendrée. Choisis pour leur capacité à se couler dans des formats standardisés et à en investir les stéréotypes, ses auteurs tendent naturellement à adopter les positions majoritaires véhiculées par les médias de masse et les partis de gouvernement. Visant à une consommation hédoniste par un lectorat masculin, ces romans offrent des intrigues susceptibles d’alimenter les désirs supposés des lecteurs.</p>
<h2>Culture transmédiatique à la française</h2>
<p>Les récits de conquête et de progrès et les romans d’action manichéens exaltant de nouveaux imaginaires de la virilité reflètent certes les représentations du temps, mais leur contenu est tout autant déterminé par les nouvelles logiques induites par les nouvelles modalités de production, distribution et consommation des ouvrages. De même en est-il de nouveaux modèles avec lesquels dialoguent les récits, ceux de cadres évoluant dans une France technocratique et dominés par un idéal de progrès.</p>
<p>Ces récits interagissent directement avec les représentations des trente glorieuses véhiculées par les médias et les discours sociaux, mais ils contribuent aussi à les réorganiser à partir de leurs logiques propres et des héritages avec lesquels ils négocient : ceux des romans d’aventures nationalistes de l’entre-deux-guerres et les valeurs qu’ils promeuvent. C’est bien parce que l’esthétique du Fleuve noir met en jeu des dynamiques éditoriales, des conditions de création des œuvres et des logiques de consommation finalement très datées que ses éditeurs et ses auteurs n’ont pas su prendre le tournant des imaginaires populaires dans les années 1970 et 1980, lesquels s’inscrivaient dans un tout autre contexte éditorial et culturel que le leur. Ce qui démontre l’influence décisive des successions générationnelles dans l’évolution de la créativité éditoriale…</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/501329/original/file-20221215-19-lyi8oe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Aux origines de la pop culture, Le Fleuve noir et les Presses de la Cité au coeur du transmédia à la française, 1945-1990 », Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux, éditions La Découverte.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais le succès ou le déclin des imaginaires véhiculés par les œuvres doit se lire dans une perspective culturelle plus large, en replaçant la littérature dans le contexte d’une culture médiatique à laquelle elle participe pleinement. D’autant que si les trente glorieuses voient triompher cinéma, radio puis télévision, la littérature populaire joue un rôle stratégique dans la circulation des fictions dans les médias de masse. Dès lors, loin d’être marginaux, éditeurs et auteurs sériels se révèlent des acteurs majeurs dans l’invention des imaginaires de ce qui apparaît comme un premier moment d’une culture transmédiatique à la française.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196157/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Espionnage, policier, science-fiction, érotisme… ces genres littéraires très populaires dans la France des années 1950 ont su conquérir le grand public et infuser la culture au sens large.Loïc Artiaga, Maître de conférences en histoire culturelle , Université de LimogesMatthieu Letourneux, Professur de littérature, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818962022-11-25T14:13:21Z2022-11-25T14:13:21ZQuatre figures tordues de la masculinité dominent l’industrie musicale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/497046/original/file-20221123-24-8n53lx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C986%2C666&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si nous devions rencontrer, dans la vie de tous les jours, l'un des héros des chansons d'amour industrielles, celui-ci nous inspirerait sûrement de la peur, de la pitié, du mépris ou même de l'aversion plutôt que de l'amour au sens conjugal du terme.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Par nature et vocation ludique, l’industrie musicale semble contribuer en masse à la désinformation des jeunes quant à la réalité de la vie adulte. Notamment, dans le registre des chansons d’amour, elle offre une image faussée, caricaturale et nuisible de la masculinité. Elle laisse dans l’esprit d’un auditoire essentiellement féminin, sans réelle expérience des relations amoureuses, l’idée trompeuse que les hommes sont puérils, faibles, mièvres et obsédés. Et qu’ils n’attendent qu’une jolie princesse pour les consoler.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/il-faut-se-mefier-des-chansons-damour-qui-sadressent-aux-jeunes-filles-163130">Il faut se méfier des chansons d’amour qui s’adressent aux jeunes filles</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans l’article qui suit, je montre comment les chansons d’amour industrielles – du moins celles qui déclenchent des millions, voire des milliards de « clics » – exposent le besoin frénétique des héros masculins d’obtenir réparation pour les différentes blessures narcissiques qui leur sont infligées par la société.</p>
<p>Je mène cette étude par l’exercice d’une <a href="https://journals.openedition.org/methodos/100">herméneutique critique</a>, c’est-à-dire d’une <em>recherche de sens</em> qui se veut <em>engagée</em> et qui s’inscrit dans le cadre de <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">mes fonctions universitaires à la Faculté des arts de l’UQAM</a>. Cet exercice vise principalement à exercer une pression sur les promoteurs du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Patriarcat_(sociologie)">patriarcat</a> en tant que culte professé par l’industrie musicale auprès d’un public de filles et de jeunes femmes en voie d’entrer dans leur vie conjugale active.</p>
<h2>Morphologie des histoires d’amour industrielles</h2>
<p>Aux fins de compréhension, il faut d’abord savoir que les créateurs de contenus œuvrant professionnellement dans l’industrie mondiale de la musique travaillent généralement à partir de quelques modèles dramaturgiques simples et classiques. De là, ils intègrent un nombre restreint de figures masculines, principalement celles qui font recette auprès de l’auditoire féminin. Autrement dit, la grande variété de chansons d’amour offertes par cette industrie (il y en aurait des millions) ne résulte pas de l’imaginaire bouillonnant de ses créateurs. Au contraire, elle découle d’un recyclage continuel des mêmes trois ou quatre scénarios de base, lesquels semblent délibérément inspirés par la littérature romanesque des siècles passés.</p>
<p>Les canevas les plus populaires respectent normalement la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Morphologie_du_conte">séquence narrative traditionnelle des contes de fées</a>. L’histoire va ainsi d’un préjudice subi par le héros masculin jusqu’à sa réparation, laquelle prend la forme symbolique d’une femme livrée à son contrôle.</p>
<p>L’examen critique des chansons d’amour industrielles révèle la présence de quatre blessures masculines assez douloureuses et béantes pour radicaliser les revendications d’un tel héros. Ce sont ces blessures et leur rattachement à une figure particulière de la masculinité qui font l’objet du modèle que je mets ici en place dans la perspective d’informer, au mieux, les jeunes auditrices et leurs parents bienveillants.</p>
<h2>La blessure d’humiliation</h2>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/S4asq3SicN0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Goodbyes, Post Malone.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_de_chevalerie#:%7E:text=Un%20roman%20de%20chevalerie%20est,e%20et%20XIII%20e%20si%C3%A8cles">littérature médiévale</a> (1100-1400) que les créateurs de contenus empruntent généralement le thème de l’amour obsessionnel et impossible envers lequel le héros est contraint, par serment chevaleresque, de pratiquer une dévotion excessive : c’est le modèle arthurien de la quête du Graal que j’appelle, pour ma part, le <em>modèle christique</em>.</p>
<p>La blessure qui motive ce récit est l’humiliation publique que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lancelot_ou_le_Chevalier_de_la_charrette">Lancelot</a> doit subir pour sauver la reine Guenièvre, l’épouse du Roi Arthur tenue prisonnière par le méchant Méléagant.</p>
<p>C’est sur ce motif que se construit la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=S4asq3SicN0">« Goodbyes » de Post Malone (2019)</a>, dans laquelle le héros masculin, un hors-la-loi solitaire, meurt poignardé sur la place publique sous les yeux d’une femme. Pour obtenir réparation, Malone ressuscite et revient la hanter pour la vie éternelle, faisant désormais de celle-ci son obsession réparatrice.</p>
<h2>La blessure d’exclusion</h2>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aHkwrs__Z6o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Room for 2, de Benson Boone.</span></figcaption>
</figure>
<p>On tire ensuite du <a href="https://www.cerveauetpsycho.fr/sr/autour-oeuvre/don-quichotte-l-homme-de-toutes-les-psychoses-1017.php">« Don Quichotte » de Cervantès</a> (1605-1615) le motif d’un héros troublé dont le délire le pousse à croire qu’il est follement aimé par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dulcin%C3%A9e">Dulcinée</a>, une inconnue qu’il utilise pour combler son manque affectif et se magnifier lui-même : c’est ce que j’appelle le <em>modèle psychotique</em>.</p>
<p>À partir de ce modèle, la deuxième blessure narcissique du héros des chansons d’amour lui est causée par sa mise à l’écart de la société en raison de ses comportements jugés déviants. On parle d’un délinquant, un paranoïaque, un paresseux, peut-être même un violeur, un pédophile ou un tueur en série.</p>
<p>C’est la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=aHkwrs__Z6o">« Room for 2 » de Benson Boone (2022)</a> qui illustre cette figure d’un homme perturbé séquestrant sa victime dans le coffre de sa voiture. Tel un Don Quichotte des temps modernes, Boone combat pour elle des dangers imaginaires et lui crie sa supériorité dans un désert sans écho :</p>
<blockquote>
<p>Je peux être tout ce que tu veux/I can be all you need</p>
</blockquote>
<h2>La blessure d’abandon</h2>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/olGSAVOkkTI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Falling, de Harry Styles.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est à Goethe qu’on emprunte par ailleurs le récit des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Souffrances_du_jeune_Werther">« Souffrances du jeune Werther »</a> (1774), un héros immature qui préfère se suicider plutôt que de subir la honte du rejet féminin : c’est ce que l’on identifie habituellement comme étant le <em>modèle romantique</em> « classique ».</p>
<p>La blessure narcissique qui affecte ce type de héros résulte d’un abandon cruel par sa mère à un âge où il était toujours sous sa dépendance physique, émotive et psychologique. C’est ce qui fait de lui un enfant perpétuel qui voit désormais toute femme comme une pourvoyeuse de soins, sans laquelle il ne peut survivre aux difficultés pragmatiques de la vie quotidienne. Sans elle, il tombe, il sombre, il boit à outrance ; éventuellement, il se noie dans ses larmes et dégrade, du même coup, son environnement social et matériel. Comme Werther, ses souffrances le conduiront au suicide.</p>
<p>C’est ce qu’illustre, presque sans subtilité, la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=olGSAVOkkTI"><em>Falling</em>, de Harry Styles (2020)</a>. La caractéristique essentielle de ce genre de tableau romantique est l’absence totale de cette femme qu’on accuse d’avoir abandonné son amant puéril, un être à jamais impuissant, par sa faute :</p>
<blockquote>
<p>Je suis dans mon lit, et tu n’es pas là/I’m in my bed, and you’re not here</p>
</blockquote>
<h2>La blessure de castration</h2>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GS-666L0VLE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéoclip de la chanson Thousand Miles, de The Kid LAROI.</span></figcaption>
</figure>
<p>Enfin, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Don_Juan">mythe moderne de Don Juan</a> (datant du XVII<sup>e</sup> siècle, mais largement repris au XX<sup>e</sup> siècle) fournit la trame de vie d’un héros libertin et abusif qui n’est motivé que par ses propres besoins impérieux : je range ce dernier sous la rubrique du <em>modèle machiavélique</em> pour souligner le fait que, pour un tel héros, la fin justifie toujours les moyens.</p>
<p>La blessure caractéristique de ce modèle est celle de la castration sociale qu’on lui impose par le frein puissant qu’appliquent à ses envies pressantes les règles de la bienséance et du consentement. Ce héros contemporain croit subir l’injustice inqualifiable de son émasculation psychologique par les effets d’un féminisme ambiant qu’il abhorre. Il voit celui-ci comme une menace constante et dissuasive planant sur sa virilité, ce qui génère en lui une frustration vive et intolérable.</p>
<p>Or, ce Don Juan n’est pas sans recours : c’est un séducteur abusif passé maître dans l’art de la duplicité, un manipulateur talentueux qui piège délibérément les autres afin d’obtenir ce qu’il désire. Et ça fonctionne, comme veut nous en convaincre The Kid LAROI dans sa chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GS-666L0VLE"><em>Thousand Miles</em> (2022)</a> :</p>
<blockquote>
<p>Je connais cette expression sur ton visage, tu vas venir à moi ce soir/I know that look on your face, You’re comin’ my way tonight</p>
</blockquote>
<p>Heureusement, ce luciférien aux cheveux bouclés a le réflexe de lancer, avant de sévir, cet avertissement lucide et charitable :</p>
<blockquote>
<p>Je ne changerai jamais. Si j’étais toi, je resterais à des kilomètres de distance…/I will never change. If I was you, then I would stay a thousand miles away…</p>
</blockquote>
<h2>A-t-on assassiné la virilité ?</h2>
<p>Dans leur étude de la psyché masculine, les auteurs <a href="https://www.masculinity-movies.com/articles/king-warrior-magician-lover">Moore et Gillette</a> affirment que nous vivons actuellement sous « la malédiction d’un infantilisme généralisé ». Pour ces auteurs comme pour moi, au sortir de mon examen des chansons d’amour industrielles, cela signifie que le patriarcat « n’est pas le règne de la maturité, mais plutôt celui de la puérilité masculine », une sorte de « puerarchie » dont les lois nous ordonnent d’assassiner la virilité au profit d’une immaturité à la fois attendrissante et scandaleuse.</p>
<p>Ce qui me semble clair, en tous cas, c’est que si nous devions rencontrer, dans la vie de tous les jours, l’un de ces héros des chansons d’amour industrielles, celui-ci nous inspirerait sûrement de la peur, de la pitié, du mépris ou même de l’aversion plutôt que de l’amour au sens conjugal du terme.</p>
<p>Il n’y a donc pas, à mon sens, de raison valable pour qu’une société égalitaire donne libre cours aux fantasmes de ces « petits garçons » aux corps d’adultes. Peut-on à tout le moins espérer que nos créateurs soient largement récompensés lorsqu’ils écrivent des romances exaltant la virilité assumée des hommes matures, sans rien sacrifier à leur art tout en s’élevant à la hauteur des attentes, des droits et du haut potentiel de nos inestimables princesses en processus de maturation sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181896/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans ses chansons d’amour, l’industrie mondiale du divertissement musical met en scène des héros masculins caractérisés par l’obsession, la psychose, l’immaturité et la duplicité.Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1902012022-09-08T19:20:23Z2022-09-08T19:20:23ZLe langage des fesses<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/483307/original/file-20220907-9663-z2zpwc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C24%2C1061%2C611&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Marché romain aux esclaves, Jean-Léon Gérôme, 1886. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d0/G%C3%A9r%C3%B4me%2C_Vente_d%27esclaves_%C3%A0_Rome%2C_1886_%285614092862%29.jpg">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Que nous disent les fesses magnifiées dans l’art, depuis la sculpture antique jusqu’aux clips des stars d’aujourd’hui ?</p>
<p>Entre fascination érotique selon le regard masculin, féminité idéale, revendication anti-maigreur, promotion commerciale, ou même message théologique, les fesses, qu’elles soient féminines ou masculines, <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/cultes-10-fesses-a-face-obsedants/">ont servi de support à bien des messages</a> à travers les siècles.</p>
<h2>La femme préhistorique au postérieur imposant</h2>
<p>Parmi les plus anciennes sculptures de l’histoire de l’humanité, on compte des figures féminines, produites au Paléolithique supérieur, il y a plus de 20 000 ans. Un certain nombre d’entre elles présentent des formes arrondies et des fesses imposantes, à l’image de la statuette dite « Vénus » de Lespugue.</p>
<p>Ces œuvres correspondaient-elles à un idéal féminin de nos ancêtres préhistoriques ? Leurs auteurs étaient-ils des hommes ou des femmes, ou bien les deux ?</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1019&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1019&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1019&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1280&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1280&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483309/original/file-20220907-9735-z2zpwc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1280&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La « Vénus » de Lespugue (Haute-Garonne). Musée de l’Homme, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:V%C3%A9nus_de_Lespugue_Gravettien_Mus%C3%A9e_de_l%27Homme_04022018_3.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il est malheureusement difficile de répondre à ces questions, car les artistes de la Préhistoire n’ont évidemment laissé <a href="https://www.athomic-wellness.com/fessologie-culte-de-la-fesse/">aucun texte ni commentaire</a> au sujet de leurs créations.</p>
<h2>De Néfertiti à Nicki Minaj</h2>
<p>En Égypte, au XIV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., ce sont les représentations de la reine Néfertiti qui témoignent, à leur tour, de l’importance accordée dans l’art aux fessiers féminins imposants. Une statue, aujourd’hui au Louvre, nous montre la pulpeuse souveraine, dotée d’une taille très svelte qui contraste fortement avec la largeur de ses hanches. L’œuvre traduit le rôle érotique officiel de Néfertiti qui doit plaire à son époux, le pharaon Akhenaton, afin qu’il ait l’envie de faire l’amour avec elle et soit ainsi en mesure de jouer son rôle procréateur.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483548/original/file-20220908-9399-n8uw2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1112&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Néfertiti, vers 1350 av. J.-C. Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010011420">Musée du Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon les canons du moment, la reine est l’incarnation de la femme attirante, dont le ventre, bien installé sur un puissant fessier, va être capable de mener à terme de nombreuses grossesses.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=987&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483549/original/file-20220908-9198-ek5bxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1240&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vase en forme de femme de Kaluraz (Iran), vers 800 av. J.-C., Musée du Louvre, Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/64/Statue_antropomorphic_container-AO_32565-P5280873-white.jpg">Musée du Louvre</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On retrouve cet idéal féminin au nord de l’Iran, entre le IX<sup>e</sup> et le VII<sup>e</sup> av. J.-C., comme en témoignent les vases en forme de femmes aux hanches très marquées, découverts à Kaluraz, dont un bel exemplaire est exposé au Louvre.</p>
<p>Cette fascination millénaire pour les grosses fesses trouve toujours ses disciples aujourd’hui, comme en témoignent les clips de la rappeuse Nicki Minaj, <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2013/08/28/bottom-up-le-twerk-entre-dans-le-dictionnaire_6000881_4832693.html">adepte du twerk</a>, par exemple avec le clip de la chanson « Anaconda », réalisé en 2014.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>Les photos de Kim Kardashian illustrent, elles aussi, cet idéal dont la recherche pousse certaines femmes à utiliser des <a href="https://www.slateafrique.com/669383/cote-divoire-mille-et-une-techniques-pour-se-grossir-les-fesses%5D">produits réputés « grossifesses »</a>, disponibles notamment sur les marchés en Afrique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LDZX4ooRsWs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le postérieur imposant y est vu comme un <a href="https://www.slate.fr/story/171822/culture-mode-venus-callipyges-prehistoire-corps-feminin-kim-kardashian">signe d’opulence et de santé</a>, garant de désirabilité sexuelle et de maternités réussies.</p>
<p>Ailleurs dans le monde, les influenceuses poussent de plus en plus de jeunes filles et de jeunes femmes à recourir au « BBL » pour Brazilian Butt Lift, <a href="https://www.slate.fr/story/166874/bbl-fesses-chirurgie-esthetique-mortelle-risque">opération de chirurgie esthétique particulièrement dangereuse</a>, dans l'espoir d'obtenir une silhouette « instagrammable » en forme de sablier. </p>
<h2>Une guerre des fesses ?</h2>
<p>La taille des fesses féminines serait même au cœur d’un conflit idéologique opposant les pays du Sud aux pays du Nord, selon le sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur d’un essai intitulé : <a href="https://www.babelio.com/livres/Kaufmann-La-guerre-des-fesses/528862"><em>La guerre des fesses : minceur, rondeurs et beauté</em></a>.</p>
<p>On assisterait, selon lui, à un « choc des civilisations par fesses interposées ». L’Occident a, de manière générale, voulu imposer un idéal de minceur comme norme de la beauté féminine dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle. En témoignent les premières poupées Barbie au physique longiligne, commercialisées à partir de 1959.</p>
<p>Les pays du Sud protesteraient à leur manière contre cette domination du Nord et les grosses fesses seraient un emblème de cette contestation. D’où aussi la reprise, cette fois dans les pays du Nord, de cette même tendance <a href="https://www.liberation.fr/sexe/2013/10/06/la-fesse-est-politique_937425/">par un nombre croissant de stars</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-femme-prehistorique-artiste-muse-et-modele-119358">La femme préhistorique : artiste, muse et modèle</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Mais cette revendication est ambiguë, car elle paraît aller à l’encontre de l’idéal d’émancipation des femmes. Le corps sexualisé à l’extrême de Nicki Minaj en fait un objet du désir masculin hétérosexuel, d’ailleurs <a href="https://paroles2chansons.lemonde.fr/paroles-nicki-minaj/paroles-anaconda.html">explicitement évoqué dans « Anaconda »</a>.</p>
<p>La chanteuse satisfait le regard masculin, répondant ainsi à un fantasme classique, voire banal, que partagent un grand nombre d’hommes, souvent depuis leur enfance. La vue de grosses fesses féminines serait même rassurante pour bien des garçons, <a href="https://www.doctissimo.fr/sexualite/desir-plaisir/fesses-sexy/fantasme-grosses-fesses">selon le psychologue Gérard Bonnet</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483550/original/file-20220908-9316-708cje.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nicki Minaj est une des femmes qui n'hésitent pas à exploiter ses fesses à des fins promotionnelles.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>De même que Néfertiti affichait ses formes pulpeuses dans un but propagandiste, Nicki Minaj, Kim Kardashian, Jennifer Lopez, Iggy Azalea, Doja Cat, et d’autres encore, <a href="https://antiquipop.hypotheses.org/6740">exploitent leurs fesses à des fins promotionnelles et commerciales</a>. Usant de cet appât vieux comme le monde, elles remportent un <a href="https://www.grazia.fr/people/13-paires-de-fesses-de-stars-for-your-eyes-only-714522">succès prévisible</a> et évident.</p>
<h2>La callipyge et le regard masculin</h2>
<p>C’est le regard masculin qui tient généralement lieu de référence dans la définition des « belles fesses » féminines, comme le montre une <a href="http://remacle.org/bloodwolf/erudits/athenee/livre12fr4.htm">ancienne fable grecque</a>, rapportée par Athénée de Naucratis (<em>Deipnosophistes</em> XII, 80).</p>
<p>Plus tard, Jean de La Fontaine en <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Page:La_Fontaine_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_-_Tome_2.djvu/46">tira un conte</a>, publié en 1665.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=516&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483313/original/file-20220907-14-u96ap1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=649&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y avait à la campagne, non loin de Syracuse, cité grecque de Sicile, deux jeunes sœurs qui possédaient des postérieurs d’une exceptionnelle perfection. Un jour, elles se mettent à les comparer et chacune proclame qu’elle en possède un plus beau que sa sœur. Le débat s’envenime. Elles se rendent alors en ville, y croisent un jeune citoyen et lui demandent de les départager en évaluant leurs fessiers. Puis elles relèvent leurs tuniques sous les yeux du juge improvisé qui, après les avoir bien observées, finit par rendre son verdict : les deux sœurs possèdent un extraordinaire postérieur, mais celui de l’aînée l’emporte à ses yeux.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483554/original/file-20220908-18-2l7ac2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Aphrodite Callipyge, Musée archéologique, Naples.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les filles acceptent ce jugement et s’en retournent dans leur ferme. De son côté, le jeune homme, profondément bouleversé, ne parvient plus à oublier la grande sœur et en tombe malade. Son père envoie alors son second fils à la campagne pour chercher la callipyge, seul remède aux souffrances de l’aîné. Il y est séduit par la petite sœur et ce seront finalement deux mariages qui seront célébrés.</p>
<p>C’est ainsi, nous dit cette édifiante histoire, que les deux modestes fermières devinrent les épouses de riches citoyens. Une promotion due à leurs fesses ! Devenues célèbres, elles n’oublièrent pas de remercier Aphrodite, déesse de l’amour, en <a href="https://www.babelio.com/livres/Schwentzel-Le-nombril-dAphrodite/1255490">faisant construire un temple en son honneur</a>, où elles placèrent une représentation de la déesse dite callipyge, c’est-à-dire « aux belles fesses ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nefertiti-passions-et-polemiques-autour-dune-icone-pharaonique-94042">Néfertiti : passions et polémiques autour d’une icône pharaonique</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>De « belles » fesses arrondies, comme le montre la statue d’Aphrodite, aujourd’hui au musée archéologique de Naples. Inspirée de la fable, à moins que ce soit la fable qui ait été inspirée par une statue de ce type, l’œuvre a été conçue comme l’image de la femme la plus excitante qui soit, c’est-à-dire la plus capable par son physique <a href="https://theconversation.com/sexe-et-erotisme-dans-lantiquite-greco-romaine-12616">d’éveiller le désir sexuel</a> chez le plus grand nombre de Grecs de l’Antiquité.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=840&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483555/original/file-20220908-22-bc4ikh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1056&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Hercule Farnèse. Gravure de Hendrik Golzius, 1591.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hercule_Farn%C3%A8se#/media/Fichier:GoltziusFarneseHerc.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Cul viril et bronzé</h2>
<p>Les Grecs de l’Antiquité ont aussi imaginé un modèle masculin de <a href="https://www.franceinter.fr/culture/bestmuseumbum-voici-notre-selection-des-10-plus-beaux-popotins-de-l-histoire-de-l-art">fesses idéales</a> : Héraclès, ou Hercule pour les Romains. Fils de Zeus, il est par excellence le héros viril de la mythologie.</p>
<p>La statue dite « Hercule Farnèse », découverte à Rome, aujourd’hui exposée au Musée archéologique de Naples, le montre totalement nu. Lorsqu’on fait le tour de l’œuvre, on découvre les fesses du héros que le sculpteur a voulu mettre en valeur. Elles sautent aux yeux du spectateur. Et ce n’est pas un hasard, car Héraclès était surnommé Mélampygos : « Cul noir ». La peau sombre était une caractéristique des athlètes qui passaient leur temps à s’entraîner nus au soleil, les fesses toujours à l’air. Héraclès « Cul noir » est le modèle même de cette virilité qui s’expose.</p>
<p>On racontait que son cul avait été noirci par l’haleine brûlante des monstres contre lesquels il avait combattu. Des fesses tannées par l’endurance, devenues dures comme du cuir, incarnant une force à laquelle nul sur terre ne peut résister. Le postérieur du héros nous délivre un message de virilité suprême. Héraclès a vraiment « du cul » !</p>
<h2>Les fesses de Dieu</h2>
<p>Au début du XVI<sup>e</sup> siècle, sur la voûte de la chapelle Sixtine, à Rome, Michel-Ange a peint <a href="https://www.lemonde.fr/blog/sexologie/2018/02/11/les-fesses-de-dieu/">Dieu, volant dans le Ciel</a>, lors de la création du monde. Une fresque inspirée de la Genèse.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Wikimedia" src="https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=344&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483552/original/file-20220908-9399-2822cg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=433&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dieu vu de dos lors de la Création, selon Michel-Ange. Fresque de la Chapelle Sixtine, Rome.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le spectateur, posté quelque 20 mètres plus bas, distingue clairement le <a href="https://www.lemonde.fr/blog/sexologie/2022/03/12/fesses-et-selfesses">postérieur divin</a> dans sa version chrétienne. Les fesses de Dieu symbolisent ici la puissance, comme pour Héraclès. Elles délivrent aussi un message théologique : elles rappellent que Dieu a créé l’homme à son image, c’est-à-dire doté de fesses.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel intervient dans le documentaire « L’Art du derrière, une folle histoire des fesses », de Valentin Mollette et Élise Baudouin, <a href="https://www.francetvpro.fr/contenu-de-presse/37566163">diffusé sur France 5, le 12 septembre 2022, à 21h</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190201/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Symboles d'une féminité exacerbée ou d'une virilité musclée, les fesses font l'objet d'une certaine fascination depuis des siècles.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1880332022-08-22T18:25:44Z2022-08-22T18:25:44ZGastronomie : quand les cheffes mettent du « care » en cuisine<p>En 2022, la France comptait 627 restaurants étoilés… dont 32 sont tenus par des femmes cheffes. Si leur représentation dans la gastronomie française tend à évoluer – en atteste par exemple la <a href="https://www.ouest-france.fr/medias/m6/top-chef-cinq-choses-a-savoir-sur-louise-bourrat-gagnante-de-la-saison-13-cbc431ed-a322-453d-8cdc-4198996530ad">consécration de Louise Bourrat lors de l’édition 2022 de l’émission Top Chef</a> – seuls 5 % de restaurants étoilés en France sont gérés par des femmes.</p>
<p>Qui sont ces femmes qui parviennent à la distinction Michelin, et quelle gastronomie celles-ci incarnent-elles dans un environnement qui leur est socialement hostile ? Existe-t-il une gastronomie différenciée selon le genre ?</p>
<p>Certaines de ces cheffes nous invitent à une relecture écoféministe de la gastronomie, ancrée dans les pratiques du care, comme une entrée en résilience face aux inégalités de genre.</p>
<h2>La cuisine, une affaire de femmes ?</h2>
<p>Si la cuisine est depuis toujours considérée comme l’apanage des femmes, c’est bien la professionnalisation de celle-ci qui est à l’origine de ces traitements de faveur différenciés. En effet, <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-1-page-127.htm">« le métier de cuisinier est lui une profession d’hommes qui s’est fondée sur des valeurs socialement “masculines” telles que la hiérarchie, le commandement, la force et la discipline »</a> [“]. C’est ainsi que <a href="https://www.google.fr/books/edition/La_Distinction/HO-fCwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0">Bourdieu écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les mêmes tâches peuvent être nobles et difficiles, quand elles sont réalisées par des hommes, ou insignifiantes et imperceptibles, faciles et futiles, quand elles sont accomplies par des femmes ; comme le rappelle la différence qui sépare le cuisinier de la cuisinière […], il suffit que les hommes s’emparent de tâches réputées féminines et les accomplissent hors de la sphère privée pour qu’elles se trouvent par là ennoblies et transfigurées. »</p>
</blockquote>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Un changement de cap balbutiant</h2>
<p>Il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour entrevoir les <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-1-page-127.htm">premiers balbutiements d’une nouvelle ère</a>. Avec l’essor du tourisme, certaines cuisinières de maisons bourgeoises deviennent propriétaires d’auberges ou de cafés : c’est le début des « mères lyonnaises ». En 1933, le Guide Michelin attribue pour la première fois ses étoiles, parmi lesquelles figurent deux femmes : la <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/on-n-est-pas-sorti-de-l-auberge/segments/entrevue/17121/gastronomie-lyon-femmes">Mère Brazier</a> et la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-histoire-a-la-carte-de-thierry-marx/l-histoire-a-la-carte-la-mere-bourgeois-une-des-premieres-3-etoiles_2942177.html">Mère Bourgeois</a>. Cependant, la persistance cette dénomination (« mère ») indique que, malgré la professionnalisation, elles restaient enfermées symboliquement dans la sphère domestique.</p>
<p>Cette première consécration féminine a du mal à trouver écho près d’un siècle plus tard. Malgré une réduction des inégalités du côté des tâches domestiques, le développement du travail féminin et l’amélioration des conditions de travail qui ne <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0278431920301213">permettent plus de justifier plus les inégalités de genre dans le monde de la gastronomie</a>, la haute cuisine reste une affaire d’hommes. La cuisine et le restaurant, en tant qu’« hospitality services » <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0278431920301213">sont particulièrement hostile aux femmes</a>, avec des conditions de travail précaires, des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/mon-chef-me-touche-les-fesses-les-eleves-des-ecoles-hotelieres-formes-contre-les-violences-en-cuisine-7628040">cas de harcèlement et d’agressions physiques</a>, des revenus instables en partie fondés sur les pourboires, et des horaires de travail décalés difficiles à allier avec leur vie privée, notamment quand elles ont des enfants.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-confreries-gastronomiques-sont-elles-depassees-172005">Les confréries gastronomiques sont-elles dépassées ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si les femmes sont bel et bien présentes dans le secteur des services, elles occupent surtout des positions subalternes le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15428052.2017.1289133">chemin menant au statut de cheffe étant semé d’embûches</a>. La nécessité de <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s12147-010-9086-8">gérer parallèlement carrière professionnelle et vie de famille constitue l’un des principaux obstacles</a> à leur évolution de carrière. Les femmes doivent ainsi développer leurs propres stratégies managériales pour être respectées dans une culture d’entreprise très masculine.</p>
<h2>Des pistes de renouvellement</h2>
<p>Malgré ces obstacles, certaines parviennent <a href="https://journals.openedition.org/sdt/36855">à l’excellence</a>. Ainsi, les pratiques de certaines cheffes étoilées (<a href="https://www.google.com/url?q=https://guide.michelin.com/fr/fr/article/people/les-cheffes-etoilees-en-france&sa=D&source=docs&ust=1657638651009588&usg=AOvVaw2zRTeuhB_wProS1lRqQvUQ">comme il n’en existe finalement que très peu</a>) invitent à une analyse sous ce même spectre du genre, incitant à se questionner sur une éventuelle approche féminisée de la cuisine gastronomique. En observant le discours de trois cheffes, <a href="https://www.aponem-aubergedupresbytere.fr/auberge">Amélie Darvas</a>, <a href="http://www.aubergelafeniere.com">Nadia Sammut</a> et <a href="https://clairevallee.com">Claire Vallée</a>, il émerge effectivement une volonté de pratiquer leur art différemment, aux antipodes des méthodologies traditionnelles.</p>
<p>Lorsque la parole leur est donnée, ces trois femmes évoquent le désir de s’éloigner d’un monde dans lequel elles ne se reconnaissent plus, que ce soit pour des raisons de santé ou d’éthique. Dans un <a href="https://lefooding.com/cheffes-de-bande/delivrez-nous-du-male">article au titre évocateur</a>, Amélie Darvas regrette par exemple que le milieu de la gastronomie française soit modelé par un « discours de mâle blanc dominant », qui stigmatise et empêche l’épanouissement de celles et ceux qui s’éloignent de ce modèle. Claire Vallée et Nadia Sammut, elles, évoquent un besoin de recentrer leurs pratiques pour qu’elles correspondent plus à des réalités <a href="https://guide.michelin.com/fr/fr/article/sustainable-gastronomy/rencontre-avec-claire-vallee-cheffe-du-premier-restaurant-vegan-etoile">écologiques</a> et <a href="https://www.lexpress.fr/styles/saveurs/nadia-sammut-le-sans-gluten-gastronomique_2007136.html">sanitaires</a>.</p>
<p>Toutes parlent finalement de s’éloigner d’un milieu gastronomique traditionnel dans une conscience à la portée parfois militante qui invite à repenser le monde culinaire dans son intégralité.</p>
<h2>Réinventer la gastronomie, loin du discours dominant</h2>
<p>La première étape du changement qu’elles entreprennent semble donc être de s’éloigner physiquement de cet espace masculin, une fuite que Darvas juge nécessaire alors qu’elle affirme <a href="https://lefooding.com/cheffes-de-bande/delivrez-nous-du-male">« c’était presque une question de vie ou de mort »</a>. Dans ces paroles, il est difficile de ne pas entendre une conscience féministe mais aussi écologique, pour des femmes qui évoluent dans un monde d’hommes, mais dont l’idéologie partagée est aussi partiellement <a href="https://www.ucsdclimatereview.org/post/toxic-masculinity-and-climate-change">responsable</a> <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277539515000321">du réchauffement climatique</a>.</p>
<p>Pour ces cheffes, cet éloignement s’incarne de la même manière : elles quittent les grandes villes et leur rythme effréné pour aller installer leur restaurant à la campagne, dans une temporalité différente, pour une démarche qui s’en trouve renouvelée. Pour <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pBOEy6yJ3B4">Claire Vallée</a>, cela s’illustre par l’ouverture de ONA (Origine Non Animale) en pleine nature, à Arès, afin de proposer une cuisine intégralement végétale. Nadia Sammut, elle, choisit d’ouvrir un écolieu où se mêlent permaculture, recherche et cuisine. De la même manière, Amélie Darvas et sa partenaire, Gaby Benicio, quittent leur restaurant parisien et ouvrent Äponem dans le presbytère d’un petit village, où elles décident de cultiver leurs produits en <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s13165-022-00394-2.pdf">biodynamie</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-c-comme-care-158918">« Les mots de la science » : C comme care</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ces départs vers des espaces ruraux, impulsés depuis quelques années par toute une génération de jeunes chef·fe.s, hommes et femmes, traduisent un désir de reconnexion à l’environnement et au produit, qu’elles souhaitent honorer tout au long du processus, comme l’exprime ici Sammut : <a href="https://guide.michelin.com/fr/fr/article/sustainable-gastronomy/nadia-sammut-la-premiere-cheffe-etoilee-d-un-restaurant-sans-gluten">« On ne peut plus nourrir quelqu’un […] sans respecter la terre, les saisons, les hommes… Il faut alors remonter à l’origine du produit qu’on va cuisiner, comprendre dans quel écosystème il est élevé, puis apprendre à écouter celui qui le produit et la façon dont ce dernier travaille pour que ce produit voie le jour, animal ou végétal »</a>, une philosophie partagée par ses consœurs, comme l’explique Darvas : <a href="https://guide.michelin.com/fr/fr/article/sustainable-gastronomy/amelie-darvas-l-etoile-verte-ajoute-une-reconnaissance-a-notre-travail">« c’est désormais le jardin qui dicte sa loi et les fruits et les légumes sont majoritaires dans l’assiette »</a>.</p>
<p>Proposer des produits respectueux de l’environnement, locaux et majoritairement végétaux, voilà ce vers quoi elles se sont tournées, transformant au passage la base de leur créativité. S’il ne s’agit pas d’essentialiser cette sensibilité en liant le genre de ces femmes et leur approche culinaire, elle naît en partie d’un rejet du système dominant, indiscutablement masculin tant par le nombre que par <a href="https://theconversation.com/meat-is-masculine-how-food-advertising-perpetuates-harmful-gender-stereotypes-119004">l’analyse genrée</a> que l’on peut faire de ses pratiques.</p>
<h2>Une gastronomie à portée philosophique</h2>
<p>De même, la philosophie de Nadia Sammut s’inscrit dans sa volonté de <a href="https://marcelle.media/nadia-sammut-la-calamity-jane-de-la-gastronomie-responsable/">soigner le corps comme la planète</a>, une démarche qui rappelle l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=ahs0FNiNeos">éthique du care</a>. Si le traitement de la matière première de ces cheffes en semble donc intégralement modifié, il apparaît dans leur discours qu’elles se positionnent également différemment vis-à-vis de la communauté qu’elles ont décidé d’intégrer, alors qu’elles prennent part à la vie rurale.</p>
<p>D’après leur discours, ces femmes se positionnent donc en marge d’un milieu à l’apparence rigide, à l’ADN marqué par une certaine vision de la masculinité, pour réinventer une gastronomie qui prend soin de soi, des autres comme de la planète. La pratique de ces cheffes peut donc, sans surprise, se lire comme écologique, mais aussi féministe, et par cet intérêt accru pour le soin, comme réminiscente de l’<a href="https://www.socialter.fr/article/jeanne-burgart-goutal-ecofeminisme-ecologie">écoféminisme</a>. Le choix de cultiver en <a href="https://theconversation.com/aux-origines-de-la-permaculture-86590">permaculture</a>, de privilégier des pratiques respectueuses des écosystèmes dans lesquels ces établissements culinaires s’inscrivent, comme de repenser la responsabilité des chef·fe.s dans leur communauté évoquent un réel changement paradigmatique, au potentiel créatif qui mérite d’être observé, et salué.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188033/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Quelle gastronomie les cheffes étoilées incarnent-elles dans un environnement dominé par des valeurs associées à une certaine vision de la masculinité, et où les femmes restent minoritaires ?Mathilde Jost, Doctorante en Sciences de Gestion, Université de StrasbourgChloé Bour--Lang, Doctorante en Etudes Culturelles, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1884022022-08-10T17:35:26Z2022-08-10T17:35:26ZComment le surf fabrique des stéréotypes de genre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/478303/original/file-20220809-17-kifdqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=32%2C24%2C5422%2C3606&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans l'imaginaire du surf, les femmes sont souvent hypersexualisées et correspondent à des normes esthétiques bien précises.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/_EBv1BKtbvs">Unsplash / Jeremy Bishop</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les incendies en Gironde rappellent aux vacanciers de la côte atlantique combien la canicule et la sécheresse marquent un inéluctable dérèglement climatique. Pourtant, la saison bat son plein dans le sud aquitain, berceau du surf européen, avec cette année des eaux aux températures quasi tropicales. L’odeur de menthe des mojitos se confond avec le parfum de la wax et du monoï. Les animations socioculturelles célèbrent la culture surf à travers des expositions, des festivals, des compétitions sportives, des actions de prévention liées aux menaces d’ordre écologique qui affectent l’intégrité environnementale des océans. La musique résonne et les surfeurs professionnels enchaînent, au cœur de décors paradisiaques, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OQGBN6s8EfE">tubes</a> et les <a href="https://ma.surf-report.com/videos/surf/albee-layer-alley-oop-540-aerial-526186895.html">aérials</a> sur les écrans de télévision des surf shops ou des établissements de nuit. Les stations balnéaires du littoral sud aquitain ont toutes revêtu leur costume californien.</p>
<p>Mais en marge des stéréotypes socioculturels liés à la mise en tourisme du surf qui constituent le paysage idyllique véhiculé sur les cartes postales et dans la plupart des médias nationaux – qui, chaque été, consacrent un reportage au surf sur la côte atlantique – quelles sont les limites de ce développement touristique articulé autour de la promotion d’une activité sportive ? En d’autres termes, quel est le revers de la médaille d’une discipline sportive désormais inscrite au panthéon des jeux olympiques ?</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les recherches en sciences sociales sur le surf se multiplient depuis les travaux précurseurs initiés en 1994 par <a href="https://books.openedition.org/msha/16041?lang=fr">Jean-Pierre Augustin</a>, professeur de géographie à l’Université Bordeaux Montaigne, décédé à Lacanau en juin 2022 et auquel il s’agit ici de rendre un vibrant hommage. Même si elles n’embrassent pas les mêmes cadres paradigmatiques, <a href="https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/actualites/nouvelles-publications/surf-a-contre-courant.html">ces recherches scientifiques</a> mettent en exergue, dans une <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_univers_du_surf_et_strategies_politiques_en_aquitaine_christophe_guibert-9782296017085-22413.html">féconde complémentarité</a>, le fait que la pratique du surf et les <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/histoire-du-surf/">cultures sportives</a> qui leur sont associées sont beaucoup plus complexes que la manière dont elles sont scénarisées dans les médias.</p>
<h2>Un sport esthétisé à l’extrême</h2>
<p>Le surf est une pratique sportive exigeante. Elle requiert une excellente condition physique, patience, abnégation, et une connaissance fine du milieu océanique. Pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire accomplir un <em>ride</em> sur la vague, le surfeur doit entrer en syntonisation avec la vague, s’immerger dans le mouvement provoqué par la houle, être placé au bon endroit ; au bon moment. Le surf est une rencontre, une <a href="https://www.surfersjournal.fr/surf-change-monde-itv-de-gibus-de-soultrait/">« opportunité opportune »</a> avec la vague. C’est ce que mettent en scène les vidéos consacrées au surf où les surfeurs atteignent une forme d’excellence tant sportive, qu’esthétique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-la-formation-des-vagues-et-comment-les-surfeurs-les-domptent-186414">Comprendre la formation des vagues, et comment les surfeurs les domptent</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cette esthétisation de la performance sportive suscite la fascination et le désir mimétique chez une grande partie des néo-pratiquants qui s’inscrivent auprès des écoles de surf pour prendre des cours. En revanche, les accomplissements éprouvés lors des leçons sont parfois loin de correspondre aux fantasmes qu’ils nourrissent.</p>
<p>En effet, en période estivale, les nouveaux pratiquants ne pourront s’initier que dans des vagues de bord, dans les mousses, qui atteignent rarement une taille qui va au-delà de leurs épaules. Ils n’ont pas les ressources physiques et la connaissance du milieu océanique nécessaire, et les moniteurs sont les garants de leur intégrité physique et psychologique. Ils seront également confrontés à la cohabitation avec d’autres néophytes, ainsi exposés à la surfréquentation des spots induite par la démocratisation du surf qui se caractérise par une très forte densité d’écoles de surf sur les spots les plus emblématiques comme à la côte des basques à Biarritz ou à la plage du Santocha à Capbreton.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RJrUoLE8bPU?wmode=transparent&start=90" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En d’autres termes, rares seront celles et ceux qui parviendront à expérimenter la glisse dans toute son intensité, goûteront les joies de reproduire les performances sportives accomplies par les professionnels dont ils s’abreuvent sur les réseaux sociaux. À défaut de vivre la glisse dans sa déclinaison sportive, ces néophytes, non sans manifester une frustration légitime auprès des moniteurs, se rattrapent, la nuit tombée, dans une <a href="https://www.editionslatableronde.fr/le-temps-des-tribus/9782710390305">tribalisation</a> des interactions sociales établies dans un contexte festif où la culture surf occupe une place hégémonique.</p>
<h2>Surfeur apollinien et surfeuse amphitrite</h2>
<p>Plus problématique encore, la mise en tourisme et la médiatisation du surf véhiculent des stéréotypes de genre. En effet, la mise en scène de l’excellence sportive est essentiellement réservée à la gent masculine. Elle s’orchestre par le biais des <a href="https://www.codezero.fr/le-sportif-mis-en-scene-par-lui-meme/">réseaux sociaux</a> ou des spots publicitaires.</p>
<p>Dans ce contexte, le surfeur se doit d’être performant, de répondre aux diktats de la réussite sportive. Il endosse ainsi les attributs de l’héroïsme sportif. L’Ulysse de la glisse doit se montrer courageux, fort, être musclé et développer une aptitude à affronter les éléments naturels. Il s’agit pour ce surfeur de fracasser, de déchirer la vague. Comme dans la plupart des univers sportifs, le monde du surf se fait ainsi l’écho de l’apologie d’une domination masculine où les faibles, les mélancoliques, les romantiques <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-1-page-161.htm?contenu=resume">n’ont pas leur place</a>. Dans ce contexte, les pratiques de surf se radicalisent. Les figures réalisées sur la vague se doivent d’illustrer l’animalité masculine alors, qu’originellement, le surf est une cosmogonie c’est-à-dire une consécration de la vague accomplie dans une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07053436.2014.881097">perspective ontologique</a>. Ainsi, plusieurs styles de pratiques du surf se superposent c’est-à-dire que certains surfeurs, inscrits dans une perspective méditative, privilégient la contemplation océanique, là où d’autres s’emploient à affronter la vague dans une approche compétitive et sportive.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-surfeurs-sauvent-des-vies-sur-les-plages-francaises-184091">Comment les surfeurs sauvent des vies sur les plages françaises</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>A ce rythme, les affrontements et les accidents se multiplient sur les spots. Les plus enclins à répondre à cette injonction lancinante à incarner une forme de suprématie sur la nature et sur les autres ne partagent pas la moindre vague, se montrent agressifs, s’évertuent à « scorer » toutes les vagues.</p>
<p>Et si ce que les médias rangent derrière le <a href="https://blog.surf-prevention.com/conseils-surf-prevention/localisme-et-psychopathie/">terme de localisme</a> était l’expression d’un mal être existentiel de surfeurs masculins pris au piège de leur stéréotype de genre, pas encore assurés qu’il existe d’autres espaces d’expression, plus sensibles, plus pacifiques, pour incarner la figure du mâle ?</p>
<p>Quant aux surfeuses, elles sont circonscrites dans un périmètre au sein duquel seul leur capital érotique compte. Au risque de verser dans un registre plus trivial, la plupart des surfeuses sont successivement passées du rôle de muse à <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2011-3-page-521.htm">celui de fille facile, hypersexualisée</a>. En effet, là encore, la médiatisation du surf féminin met en scène les attributs corporels de celles qui répondent aux canons esthétiques de la beauté non sans convoquer des <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rf/2019-v32-n1-rf04777/1062228ar/">imaginaires érotiques</a>. Pour toutes celles qui n’entrent pas dans ces standards de beauté, et malgré le fait qu’elles accomplissent des <a href="https://www.lequipe.fr/Adrenaline/Surf/Actualites/Surf-xxl-awards-justine-dupont-remporte-le-trophee-de-la-meilleure-performance-de-l-annee/1159813">performances sportives remarquables</a>, il est très difficile d’occuper une place sur la scène médiatique ou bien encore d’obtenir un soutien financier de la part des <a href="https://www.lepoint.fr/sport/surf-johanne-defay-une-pepite-reunionnaise-sans-sponsor-04-10-2015-1970620_26.php">principaux sponsors</a> qui gravitent dans l’économie du surfwear.</p>
<h2>Des corps discriminés</h2>
<p>Là encore, les observations ethnographiques engagées sur les plages de la côte atlantique mettent en évidence que ce processus d’érotisation de la surfeuse trouve une résonance dans les <a href="https://www.payot.ch/Detail/sur_la_plage-jean_didier_urbain-9782228889827">sociabilités plagiques</a>, c’est-à-dire que, par mimétisme, de manière insidieuse, sont plébiscitées une sensualité et une érotisation des corps dont sont exclus toutes celles et tous ceux dont l’apparence physique pose la question de <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2017-3-page-10.htm?contenu=resume">la légitimité</a> de leur présence sur la plage. Dans ce contexte, les stéréotypes de genre véhiculés dans le monde du surf fondés sur la célébration d’un surfeur apollinien et sur la sexualisation d’une amphitrite contemporaine à la merci du désir masculin introduit des processus discriminatoires au cœur des logiques sociales propres à l’univers de la plage initialement établies sur l’émergence, au dix-neuvième siècle, <a href="https://editions.flammarion.com/le-territoire-du-vide/9782081423831">du désir de rivage</a>, sur la contemplation, la rêverie, le romantisme. Or, ces dispositions sociales initiales des usages de la plage sont situées aux antipodes d’un paradigme érotico-sportif des espaces maritimes qui traduit aujourd’hui l’incapacité de ceux qui se considèrent comme habilités à jouir de l’océan à dépasser l’appropriation nombriliste de leurs territoires de pratique.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VhzW7hxDljw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Le surf est donc peut-être devenu une discipline sportive à part entière dans la mesure où il dispose d’un pouvoir d’aliénation des masses confrontées à une réelle difficulté quant au fait d’élaborer des logiques d’émancipation vis-à-vis des normes de la <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2021-4-page-103.htm">bicatégorisation sexuée</a>. Et si le potentiel réenchantement du caractère contre-culturel du surf résidait, et aussi paradoxal que ce choix sémantique puisse le laisser entendre, dans l’émergence d’une glisse plus « terrienne » pour reprendre une expression latourienne, c’est-à-dire davantage située dans la connivence océanique afin que le surf puisse renouer avec sa puissance de transformation de l’être-au-monde ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188402/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Falaix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les fantasmes liés à l’imaginaire du surf transforment la pratique en compétition, contraignent les corps et reconduisent des stéréotypes de genre souvent caricaturaux.Ludovic Falaix, Maître de conférences, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1806222022-04-06T21:17:30Z2022-04-06T21:17:30ZLe poutinisme à toute épreuve de Donald Trump et de ses partisans<p>Si une <a href="https://edition.cnn.com/2022/02/28/politics/cnn-poll-russia-ukraine-us-aid/index.html">grande majorité de citoyens des États-Unis</a>, quelles que soient leurs sympathies politiques, condamnent sans ambages l’invasion de l’Ukraine lancée par Moscou et soutiennent les sanctions adoptées par l’administration Biden contre le régime russe, l’unanimité n’est pas totale, spécialement au sein du camp républicain : Donald Trump et une bonne partie de ses partisans <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/feb/27/donald-trump-defends-calling-putin-smart-hints-at-2024-presidential-bid">continuent d’afficher leur respect</a> envers Vladimir Poutine.</p>
<p>Comment expliquer la constance de cette posture, déjà <a href="https://edition.cnn.com/2019/11/17/politics/trump-soft-on-russia/index.html">largement observée</a> pendant le mandat de Trump (2016-2020) ? Et quelles peuvent en être les conséquences en vue des élections de mi-mandat qui auront lieu dans quelques mois ?</p>
<h2>Un moment d’unité politique aux États-Unis ?</h2>
<p>Jusqu’à l’agression russe lancée le 24 février, seule une minorité de Républicains (<a href="https://fr.scribd.com/document/557651509/20220207-Yahoo-Tabs-Ukraine">42 %</a>) avaient pris parti pour l’Ukraine dans le conflit qui l’oppose à la Russie depuis 2014. En <a href="https://morningconsult.com/2017/05/24/republicans-warming-russia-polls-show/">2017</a>, 49 % des Républicains considéraient même la Russie comme un allié tandis que 32 % avaient une opinion favorable de Poutine.</p>
<p>Ils sont désormais <a href="https://fr.scribd.com/document/561708803/20220228-yahoo-tabs-abb-1">58 % à soutenir l’Ukraine</a>, (contre 57 % pour l’ensemble de la population) et plus que <a href="https://poll.qu.edu/poll-release?releaseid=3837">6 %</a> à avoir une opinion favorable de Poutine. Quant aux Démocrates, leur soutien à l’Ukraine, toujours majoritaire, n’a fait que croître, passant de <a href="https://fr.scribd.com/document/557651509/20220207-Yahoo-Tabs-Ukraine#download">58 %</a> à <a href="https://fr.scribd.com/document/561708803/20220228-yahoo-tabs-abb-1#download">70 %</a> depuis l’invasion du 24 février.</p>
<p>L’existence de cet ennemi commun que semble désormais représenter Poutine suffira-t-elle à reconstruire l’unité nationale autour de valeurs partagées comme cela a <a href="https://books.google.fr/books/about/Defining_Americans.html?id=GqntAAAAMAAJ&redir_esc=y">déjà pu être le cas</a> dans l’histoire des États-Unis ? Il est permis d’en douter.</p>
<p>Tout d’abord parce que les troupes américaines ne sont pas, à ce stade, impliquées dans la guerre : il n’y a donc pas de ralliement autour du drapeau. Pas de ralliement non plus <a href="https://www.ipsos.com/en-us/news-polls/why-hasnt-biden-felt-rally-round-flag-effect">autour du président Biden</a>, dont le taux d’approbation, en chute depuis le retrait d’Afghanistan en août 2022, reste au plus bas (<a href="https://news.gallup.com/poll/390953/biden-job-rating-tepid-covid-russia-handling.aspx">42 %</a>). Les Républicains ont d’ailleurs su saisir cette occasion pour <a href="https://www.nytimes.com/2022/03/17/us/politics/republicans-biden-ukraine.html">accuser Joe Biden</a> de « faiblesse » face à Poutine, et d’avoir fait « trop peu, trop tard ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501263610835873799"}"></div></p>
<p>Surtout, un mois après l’invasion russe, les électeurs semblent <a href="https://poll.qu.edu/poll-release?releaseid=3841">davantage préoccupés par l’inflation</a> – une inflation qu’ils attribuent à la politique économique de l’administration Biden (41 %) plus qu’à la guerre en Ukraine et aux sanctions prises contre la Russie (24 %).</p>
<h2>La réaction du camp Trump</h2>
<p>La guerre de Poutine a mis en exergue les tensions au sein d’un Parti républicain travaillé entre, d’une part, ses tendances nationalistes (« America First », slogan cher aux trumpistes), voire parfois isolationnistes et, d’autre part, ses courants internationalistes, plus interventionnistes. Si les chefs des groupes républicains au Sénat et à la Chambre des représentants ont tous deux condamné Poutine, les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-nord/guerre-en-ukraine-le-parti-republicain-gene-par-les-accents-pro-poutine-des-trumpistes_2169939.html">partisans de Donald Trump</a>, eux, cherchent un récit alternatif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499459566962106375"}"></div></p>
<p>Face aux possibles retombées politiques de l’invasion russe, le camp pro-Trump s’est <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2022/04/02/trump-conservatives-emergency-meeting-gop-russia-00022419?s=03">réuni en urgence dans un hôtel de Washington</a> pour élaborer un contre-récit remettant en cause l’idée exprimée par Joe Biden d’une guerre au long cours entre <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/03/26/remarks-by-president-biden-on-the-united-efforts-of-the-free-world-to-support-the-people-of-ukraine/">« autocratie et démocratie, entre liberté et répression »</a>. Quitte à affirmer que la guerre a été causée en premier lieu par les États-Unis et l’OTAN, et à refuser toute intervention à l’encontre de la Russie.</p>
<h2>Le soutien de Trump et de ses alliés à Poutine</h2>
<p>Donald Trump fait traditionnellement <a href="https://www.thedailybeast.com/donald-trumps-praise-of-vladimir-putin-comes-after-applauding-hussein-kim">preuve de complaisance</a> à l’égard des leaders étrangers qu’il considère forts, charismatiques et autoritaires, y compris Vladimir Poutine.</p>
<p>Certes, son administration s’était <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/21/nord-stream-2-trump-signe-la-loi-imposant-des-sanctions-contre-le-gazoduc-qui-doit-relier-la-russie-et-l-allemagne_6023691_3234.html">opposée à la construction du gazoduc Nord Stream 2</a> et avait voté <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-50875935">l’envoi d’une aide militaire à l’Ukraine</a>). Mais Trump avait tout au long de son mandat fait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GjpGfjzheeo&t=1s">l’éloge du président russe</a>, notamment pour des raisons d’intérêt personnel : rappelons qu’une procédure de destitution avait été initiée contre Trump en 2019 après qu’il eut <a href="https://www.franceinter.fr/monde/impeachment-voici-la-retranscription-de-l-appel-telephonique-entre-donald-trump-et-le-president-ukrainien">tenté de contraindre</a> son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky d’annoncer publiquement l’ouverture d’une enquête sur les <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2019/09/26/ce-que-lon-sait-sur-les-activites-dhunter-biden-en-ukraine">activités en Ukraine</a> d’Hunter Biden, le fils de Joe Biden.</p>
<p>Le 23 février 2022, l’ancien président <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gNxvSxaGeDE">qualifiait encore Poutine</a> de « génie ». Ce n’est que du bout des lèvres qu’il a par la suite exprimé, dans le quotidien conservateur <a href="https://www.washingtonexaminer.com/news/campaigns/im-surprised-trump-didnt-think-putin-would-order-ukraine-invasion"><em>The Washington Examiner</em></a>, sa surprise quant à l’invasion de l’Ukraine.</p>
<p>Mais Donald Trump n’est que le fer de lance d’un mouvement plus profond. De nombreuses personnalités politiques et médiatiques à l’extrême droite du Parti républicain soutiennent Poutine depuis des années. Le très influent animateur de Fox News, Tucker Carlson, en est l’illustration la plus visible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=690&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456383/original/file-20220405-14259-r9mhfs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=867&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Tucker Carlson sur la chaîne américaine d’information en continu Fox News. Le texte russe dit : « Si on nous avait dit que l’administration américaine a non seulement financé des laboratoires biologiques secrets en Ukraine… » Tucker Carlson répète ici une théorie complotiste martelée par la propagande russe liant Hunter Biden à des laboratoires de bio-ingénierie ukrainiens au sein desquels des virus visant spécifiquement les Russes (sic) auraient été développés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran YouTube/Fox News</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2019, Carlson avait déjà appelé à <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2022/02/25/tucker-carlson-russia-views-evolution/">soutenir la Russie</a> dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine. Et en 2022, alors même que les troupes russes pénètrent en Ukraine, il minimise le conflit en invitant ses spectateurs à se demander pourquoi ils détestent Poutine et en <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/03/11/how-right-embraced-russian-disinformation-about-us-bioweapons-labs-ukraine/">relayant la désinformation russe</a> sur l’existence de laboratoires d’armes chimiques en Ukraine, supposément financés par Le Pentagone.</p>
<h2>Une guerre culturelle plutôt qu’une guerre pour la démocratie</h2>
<p>Le Parti républicain, qui soutenait autrefois, notamment sous les deux mandats de Ronald Reagan (1980-1988), une approche musclée, missionnaire et moraliste du rôle des États-Unis dans le monde, est aujourd’hui bouleversé par un nationalisme davantage préoccupé par les enjeux culturels que par les valeurs démocratiques.</p>
<p>Le mouvement de la « guerre culturelle » avait été initié dès la fin de la guerre froide par Pat Buchanan, qui avait aussi repopularisé le slogan « America First ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gDkQaRFxsVU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pat Buchanan s’en prend aux Démocrates lors de la Convention nationale des Républicains en 1992.</span></figcaption>
</figure>
<p>Cette nouvelle droite considère Poutine comme un allié en tant que figure hypermasculine, autoritaire, défendant les valeurs traditionnelles face aux revendications féministes, LGBTQ et musulmanes, et face à la décadence religieuse censée gangrener la société occidentale. Une fascination pour l’autocrate russe qui existe d’ailleurs également <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/pourquoi-vladimir-poutine-est-devenu-le-super-heros-de-lextreme-droite-europeenne_1981369.html">au sein des extrêmes droites européennes</a>.</p>
<p>Poutine joue très bien sur les divisions occidentales. Ce n’est pas par hasard si, en pleine guerre, il a <a href="https://www.reuters.com/world/europe/putin-says-west-trying-cancel-russian-culture-including-tchaikovsky-2022-03-25/">comparé</a> l’ostracisme de la Russie à celui subi par l’auteure des livres <em>Harry Potter</em>, accusée de « transphobie » :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’y a pas si longtemps, l’écrivaine pour enfants J.K. Rowling a également été annulée parce qu’elle […] ne plaisait pas aux fans de la soi-disant liberté de genre. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ces controverses liées au corps, au genre et à la sexualité, Joe Biden, marqué par son âge et enclin au bégaiement et aux gaffes, incarne davantage la faiblesse de l’Occident, tandis que Poutine et Trump se mettent en scène depuis des années de façon à incarner la force, l’hypermasculinité et la virilité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456388/original/file-20220405-12-dxwski.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Donald Trump s’associe au champion de catch Bobby Lashley.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Voxcatch</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La droite chrétienne, qui vote très largement pour le Parti républicain, voit également la Russie comme un allié de poids dans son combat pour un retour à un passé nostalgique et fantasmé et contre la laïcisation et la décadence morale et sexuelle de la société. La proximité de <a href="https://religionnews.com/2022/03/21/franklin-graham-russia-and-the-moralist-international/">l’influent Franklin Graham</a>, le fils du pasteur Billy Graham, avec Poutine et le Patriarche Kirill, qui a fait de l’Église orthodoxe russe une <a href="http://www.slate.fr/story/95027/cyrille-patriarche-poutine">arme de promotion des « valeurs familiales traditionnelles »</a> en Russie et sur la scène internationale n’est pas une surprise. Pour les militants culturels pro-Trump, l’ennemi est davantage la gauche démocrate progressiste aux États-Unis que Poutine en Russie.</p>
<h2>Les positions pro-Poutine du camp Trump peu gênantes pour sa popularité</h2>
<p>Si aujourd’hui <a href="https://poll.qu.edu/poll-release ?releaseid=3841">54 %</a> des États-Uniens pensent que les personnalités publiques nationales qui expriment leur admiration pour Vladimir Poutine font preuve d’antipatriotisme, une majorité (<a href="http://harvardharrispoll.com/wp-content/uploads/2022/01/HHP_March2022_Key-results.pdf">58 %</a>) considère aussi que Poutine n’aurait pas envahi l’Ukraine si Donald Trump était président. Le <a href="http://harvardharrispoll.com/wp-content/uploads/2022/01/HHP_March2022_Key-results.pdf">même sondage Harvard-Harris de mars 2022</a> révèle que Donald Trump devancerait aussi bien Joe Biden que Kamala Harris à l’élection présidentielle de 2024 s’ils étaient candidats.</p>
<p>Preuve en est que la rhétorique pro-Poutine de Trump et de ses alliés dans le Parti républicain ne constitue pour eux une véritable menace politique. Alors que la guerre sévit en Ukraine, Donald Trump n’a pas vu d’inconvénient à s’adresser directement au président russe pour demander, à l’instar de sa conversation avec Zelensky en 2019, des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/trump-a-un-message-pour-poutine-mais-ca-na-rien-a-voir-avec-la-guerre-en-ukraine_fr_6244021ce4b0742dfa58c691">informations compromettantes</a> sur Hunter Biden.</p>
<p>En se gardant de tout pronostic prématuré, il ne faut pour autant pas exclure l’hypothèse d’un Congrès et d’une Maison Blanche, respectivement en 2023 et 2025, bien plus conciliants à l’égard de Poutine. Les primaires qui ont lieu de <a href="https://www.270towin.com/2022-election-calendar/">mars à décembre 2022</a>, ainsi que les élections de mi-mandat en novembre 2022, diront si les trumpistes ont réellement pris le contrôle du Parti républicain. Elles pèseront donc d’un grand poids sur la façon dont, à l’avenir, Washington se positionnera sur le dossier russe…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180622/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au sein du camp républicain, Donald Trump conserve une influence majeure. Comme durant son mandat, et malgré la guerre en Ukraine, il se montre très compréhensif vis-à-vis de Vladimir Poutine…Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1775072022-03-30T14:26:23Z2022-03-30T14:26:23ZLe deuil chez les hommes : cinq mythes à déboulonner<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/449026/original/file-20220228-27-2ihugm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1000%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lors d'un deuil, certaines réactions émotives apparaissent appropriées pour une femme alors qu’elles sont perçues comme étant inappropriées pour un homme.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les normes sociales influencent la manière dont nous composons avec les différentes situations de la vie et comment les membres de notre entourage interagissent avec nous.</p>
<p>C’est ainsi que <a href="https://scholar.utc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1465&context=mps">certaines réactions apparaissent appropriées pour une femme alors qu’elles sont perçues comme étant inappropriées pour un homme</a>. On sait par exemple que <a href="https://psycnet.apa.org/record/2002-06952-002">l’expression de certaines émotions « négatives » comme la peur et la tristesse</a> est découragée chez les jeunes garçons, et tolérée chez les jeunes filles, qu’on socialise à être patientes, sensibles et empathiques.</p>
<p>Lors d’un décès, l’entourage peut s’interroger sur la normalité des manifestations de chagrin selon qu’il est exprimé par une femme ou par un homme. Des préjugés existent en effet en fonction du genre. En tant que chercheurs en socio-anthropologie sur le deuil et intervenant en santé bien-être des hommes, nous essayons de comprendre le vécu derrière chaque deuil, dans ses particularités individuelles. Menant actuellement le <a href="https://www.uqac.ca/covideuil/">projet COVIDEUIL</a>, nous constatons que le vécu des répondants masculins est très éloigné des croyances populaires.</p>
<p>Voici cinq mythes que nous désirons démystifier sur le deuil des hommes.</p>
<h2>Mythe #1 : les hommes sont moins affectés par le deuil</h2>
<p>On entend souvent que les <a href="https://www.socialworktoday.com/archive/exc_0816.shtml">hommes sont moins affectés par le deuil</a>. Ce type de mythe prend racine dans <a href="http://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/lhomme_en_deuil">l’éducation sociale de l’homme</a>. On attend de lui qu’il soit « fort » et « solide », donc <a href="https://www.albin-michel.fr/vivre-le-deuil-au-jour-le-jour-9782226438423">« qu’il manifeste peu ou pas d’émotions en public et se montre ni trop éploré, ni trop vulnérable »</a>. La culture peut ainsi rendre difficile l’expression de leur souffrance morale. De plus, les deuils « symboliques » tels que la perte d’un emploi, la fin d’une relation amoureuse ou une importante perte financière touchent grandement les hommes, car ils se définissent souvent par ce qu’ils font et ce qu’ils ont. Ce type de deuil entraîne une grande souffrance chez les hommes, <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/148324/2140451"> </a><a href="https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/281-EpidemiologieSuicide.pdf">qui peut les conduire, plus souvent que les femmes, au suicide</a>.</p>
<h2>Mythe #2 : les hommes expriment moins leur deuil</h2>
<p>S’il est vrai que certains hommes sont moins portés à utiliser la parole pour exprimer leur deuil, <a href="https://www.fcfq.coop/chroniques/homme-deuil-231/">ils mobilisent des stratégies davantage axées sur l’agir et le mouvement</a>. En effet, les hommes sont davantage portés à vivre leur deuil à travers l’action et à <a href="https://www.fcfq.coop/chroniques/homme-deuil-231/">l’exprimer dans des contextes plus informels</a>, comme une conversation entre amis. C’est que plusieurs hommes sentent qu’ils doivent vivre dans <a href="https://promundoglobal.org/resources/man-box-study-young-man-us-uk-mexico/">ce qu’on appelle un « Man Box »</a>, un construit rigide représentant l’identité masculine. L’expression verbale du deuil peut alors être perçue comme un signe de faiblesse. Il est alors faux de dire que les hommes expriment moins leur deuil : ils l’expriment autrement – notamment par le silence – et davantage par des actions – comme la violence ou l’isolement – que par des mots.</p>
<h2>Mythe #3 : le deuil des hommes est moins long</h2>
<p>La « durée » d’un deuil ne peut être calculée précisément. En effet, chaque trajectoire ne saurait être réduite à un début et une fin clairement définis. Nous savons que le <a href="https://search.informit.org/doi/abs/10.3316/INFORMIT.339916590087229">genre peut influencer les « styles » de deuil</a>, en mobilisant par exemple des stratégies centrées sur <a href="https://www.socialworktoday.com/archive/exc_0816.shtml">« l’intuition » (émotions) ou sur « l’instrumentalisation »</a> (expression physique et cognitive), mais que la durée varie d’un individu à l’autre plutôt que d’un genre à l’autre.</p>
<p>Il existerait cependant pour les hommes une pression pour « reprendre une vie normale rapidement » qui <a href="http://madd.ca/media/docs/Les-hommes-et-le-deuil.pdf">se traduirait par un retour au travail rapide, une prise d’action pour se tenir occupé et un vécu du deuil dans le secret</a>. Il s’agit autant d’une pression sociale qu’une manière de vivre le deuil qui implique de lui donner du sens par le retour à une vie « normale ». Ces aspects pourraient laisser croire que le deuil des hommes est moins long et qu’ils auraient moins besoin de ressources que les femmes, alors que ce n’est pas le cas.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="un homme, assis, se tient le menton entre les mains" src="https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449027/original/file-20220228-27-13w6czj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Il y a pour les hommes une pression pour reprendre une vie normale rapidement, alors que chaque trajectoire ne saurait être réduite à un début et une fin clairement définis.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Mythe #4 : les hommes ont besoin d’être seuls pour vivre leur deuil</h2>
<p>Pour certains hommes, la solitude peut être bénéfique dans le cheminement du deuil. Mais cela ne signifie pas que c’est le cas tout le temps et pour tous les hommes. En fait, les <a href="https://promundoglobal.org/wp-content/uploads/2017/03/TheManBox-Full-EN-Final-29.03.2017-POSTPRINT.v3-web.pdf">jeunes hommes sont plus enclins à rapporter qu’ils offrent du soutien à d’autres que de rapporter qu’ils sont émotionnellement vulnérables</a>. Les hommes craindraient d’aller chercher du soutien dans leur entourage, non pas parce qu’ils n’en ont pas besoin, mais parce que cette pratique ne cadre pas avec les attentes sociales liées au genre masculin.</p>
<p><a href="https://promundoglobal.org/wp-content/uploads/2017/03/TheManBox-Full-EN-Final-29.03.2017-POSTPRINT.v3-web.pdf">L’étude de Promundo</a> portant sur l’identité masculine aux États-Unis, en Grande-Bretagne et au Mexique révèle que lorsque les hommes demandent du soutien, ils le font le plus souvent auprès des femmes dans leur vie. Il ne serait donc pas question d’un « besoin d’être seul », mais davantage de cadrer avec la « nécessité » de ne pas perdre la face. Il s’agit même parfois d’une difficulté a percevoir son propre besoin d’aide.</p>
<h2>Mythe #5 : les hommes souffrent moins de perturbations du deuil</h2>
<p>Si l’expression des émotions fait émerger un <a href="http://madd.ca/media/docs/Les-hommes-et-le-deuil.pdf">sentiment dévalorisant pour l’homme</a>, il est possible que celui-ci décide de se renfermer sur lui-même et d’intérioriser la souffrance qu’il vit en lien avec un décès. <a href="https://www.chumontreal.qc.ca/sites/default/files/2020-02/CHUM-2020-Prevention-du-suicide-TREMBLAY.pdf">La honte, émotion forte et dominante dans un tel contexte</a>, peut renforcer l’idée qu’il vaut mieux cacher la détresse.</p>
<p>Cela rend les manifestations anxieuses et dépressives plus difficiles à discerner pour l’entourage, pouvant donner l’impression que les hommes souffrent moins de perturbations du deuil. Alors que dans la réalité, les perturbations ne sont pas forcément là où on les attend : l’irritabilité, le surmenage et l’automédication en sont des exemples. <a href="https://www.suicideinfo.ca/resource/les-hommes-et-le-suicide/#leshommes">Deux suicides sur trois en 2018 concernaient des hommes</a>, alors que les femmes sont 4 fois plus nombreuses à faire des tentatives de suicide.</p>
<p><a href="https://www.cpsquebec.ca/saviez-vous-que/">Un deuil récent peut amplifier la fragilité d’une personne</a>, en créant un déséquilibre dans sa vie. Il ne faudrait pas, en ce sens, assumer qu’un homme est moins à risque de développer des perturbations du deuil sur la seule base de son genre.</p>
<h2>Connaître le vécu des hommes pour déconstruire les mythes</h2>
<p>Les associations entre genre et deuil sont ancrées dans les représentations sociales et ne sauraient représenter l’ensemble des trajectoires de deuil de chaque homme ou femme. Comme nous l’écrivions dans un <a href="https://theconversation.com/les-etapes-du-deuil-de-kubler-ross-sont-un-mythe-il-y-a-plus-quune-facon-de-faire-son-deuil-157504">précédent article</a> sur les étapes du deuil de Kubler-Ross, chaque deuil est particulier.</p>
<p>À cet égard, nous réalisons en ce moment une importante étude sur le vécu du deuil en temps de pandémie. Or, les hommes participent peu aux études sur le deuil. Nous souhaiterions mieux connaître leur vécu et les invitons à nous le faire connaître en y participant : <a href="https://www.uqac.ca/covideuil/">covideuil.ca</a>.</p>
<p>C’est par les connaissances scientifiques que l’on peut le mieux combattre les mythes et ultimement prendre en compte l’expérience singulière des trajectoires de deuil de chacun, au-delà des idées reçues et des stéréotypes de genre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177507/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geneviève Gauthier est auxiliaire de recherche pour le projet Covideuil et a reçu des financements de Mitacs pour réaliser la recherche Covideuil. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jacques Cherblanc a reçu des financements des IRSC, du RISUQ et de Mitacs pour réaliser la recherche Covideuil. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gwenaël Granal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les attentes de la société lors d’un deuil diffèrent s’il s’agit d’un homme ou d’une femme qui le vivent. Les hommes doivent être forts, peu émotifs et ils ne doivent pas montrer leur vulnérabilité.Geneviève Gauthier, Candidate au doctorat sur mesure en sciences sociales et travailleuse sociale, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Gwenaël Granal, Intervenant Social, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Jacques Cherblanc, Professeur, anthroposociologie et éthique, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1776492022-03-09T19:16:46Z2022-03-09T19:16:46ZLes hommes qui travaillent en crèche sont-ils plus progressistes que les autres ?<p>La mixité des métiers évolue lentement et s’observe d’abord dans les professions de cadres et les publics très diplômés ; ainsi, 20 % des ingénieurs et cadres techniques d’entreprises <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2013-1-page-201.htm">étaient des femmes</a> en 2008.</p>
<p>À l’inverse de ce mouvement, le secteur de la petite enfance demeure très féminisé, avec seulement <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/3429/l-egalite-des-filles-et-des-garcons-des-la-petite-enfance">2 % à 4 % d’hommes en crèche</a> et 10 % en maternelle. C’est le cas aussi du secteur des services, ainsi que des emplois peu qualifiés relevant du <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2008-2-page-243.htm">triptyque <em>care, cure, clean</em></a>, soit les métiers du service à la personne, du soin et de l’entretien ménager.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En dépit des objectifs européens en faveur d’une plus grande mixité professionnelle, l’entrée des hommes en maternelle ou en crèche reste donc discrète et mérite que l’on s’y intéresse si on veut en comprendre les freins et les obstacles. Parmi ceux-ci, il faut compter avec le poids d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=22qmyUvq4bs">héritage patriarcal</a>, assignant les femmes au rôle de maternage et les hommes aux métiers rémunérateurs et de pouvoir.</p>
<p>Beaucoup se satisfont de cet état de fait considérant que c’est dans l’ordre des choses, entendons par là dans l’ordre établi des genres où chaque sexe devrait être à une place inégale qui serait définie par la tradition et la nature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460879058355511297"}"></div></p>
<p>D’autres souhaitent une société plus ouverte à la complémentarité entre les sexes, <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/publications/Revue_Travail-et-Emploi/pdf/74_3320.pdf">comprise comme un atout</a> dans la division sexuée du travail au sein de collectifs professionnels mixtes : les qualités « naturelles » de chacun et chacune enrichissant le collectif, les hommes pouvant apporter leurs goûts et compétences en informatique ou dans certaines activités sportives par exemple, et les femmes déployer leurs aptitudes maternantes.</p>
<p>Au nom du principe égalitaire et en <a href="https://www.centre-hubertine-auclert.fr/article/le-genre-et-le-sexisme-expliques-en-3-min">référence aux Droits humains</a>, au droit à la liberté et à la démocratie, d’autres encore cherchent à inventer une société nouvelle, où la distinction entre hommes et femmes n’est plus un repère valable pour distinguer des types de tâches ou de postes de travail.</p>
<p>Comme on peut le voir la pertinence de la question ne va pas de soi pour tout le monde et la manière d’en fonder la visée n’est pas toujours partagée en regard du principe d’égalité.</p>
<h2>Masculinités plurielles</h2>
<p>Alors que la mixité professionnelle dans tous les secteurs est encouragée par les politiques publiques et considérée comme un levier pour faire avancer l’égalité entre les sexes, il s’agirait ici d’évaluer si ces hommes travaillant dans un secteur féminisé, la petite enfance en l’occurrence, penchent plutôt pour une conviction égalitaire. Cette enquête s’inscrit dans un <a href="http://irihs.univ-rouen.fr/fr/projets-de-recherche/mixprim">large programme de recherche, MIXPRIM</a>.</p>
<p>Les résultats de notre enquête reposent sur l’analyse de 75 entretiens biographiques menés auprès d’hommes exerçant en crèche ou en maternelle. Leur profil sociologique révèle des masculinités plurielles, moins cantonnées aux injonctions à la virilité. Leur socialisation familiale a été suffisamment ouverte pour leur permettre de s’orienter vers la petite enfance.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1284018890356531200"}"></div></p>
<p>Pour les plus jeunes, qui ont choisi d’emblée un parcours de formation pour accéder à ces métiers, cela constitue une manière de réussir. Pour les plus âgés s’étant reconvertis, ce secteur représente une voie de sortie de métiers plus typiquement « masculins », jugés plus durs et plus compétitifs, comme le bâtiment, le commerce ou l’ingénierie. Ils disent y trouver un havre de paix, un univers enfantin où ils apprécient la relation humaine et le « care ».</p>
<p>Compte tenu de ces caractéristiques plus ouvertes sur les progrès de l’égalité entre les sexes, et du fait d’un contexte politique national et européen très favorable, on pouvait s’attendre à observer une réelle évolution dans les attitudes et les discours de ces hommes. Si c’est en partie vrai, leurs manières de vivre les situations de travail restent toutefois prisonnières des stéréotypes de genre. Par exemple, il n’est pas rare d’y rencontrer encore des jugements dépréciatifs du type : « Une crèche c’est un nid de vipères ! Quand on est un homme, tous ces petits trucs nous passent au-dessus de la tête. »</p>
<h2>Représentations clivées</h2>
<p>De plus, l’horizon masculin est celui de la complémentarité « naturelle » entre les sexes : leur réflexion se déploie à partir de représentations très clivées du genre conçu sur le mode dichotomique homme/femme. La force physique, les manifestations de l’autorité sont souvent convoquées comme autant d’atouts naturels des hommes : « Le fait que ce soit un directeur homme ça peut faciliter les choses avec les parents parce que voilà c’est un homme, il peut être méchant ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1436200261916270594"}"></div></p>
<p>Des représentations partagées par leurs collègues femmes qui les accueillent à bras ouverts : « Pendant un remplacement dans une crèche on m’a dit : un homme enfin ! Tu vas pouvoir crier très fort pour que les enfants se calment. » L’équilibre entre les sexes représente un idéal à atteindre : « Dans ma classe, ça fait un peu couple, on reproduit le modèle familial papa-maman. »</p>
<p>Cela permet aussi de justifier l’entrée des hommes dans ces métiers selon une posture de réparation de ce qui serait néfaste aux enfants, comme les familles monoparentales. Un paternalisme débonnaire qui n’empêche pas ces hommes de se dire favorables à l’égalité entre les sexes et d’être pétris de bonnes intentions. « Nous en tant qu’hommes, on a cette place de régulateur on va dire » ; « La mixité, ça évite les histoires de bonnes femmes. Avec un homme on rigole plus. »</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/infirmieres-et-docteures-hero-nes-en-series-134627">Infirmières et docteures, héroïnes en séries</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Ainsi, les hommes promeuvent la mixité mais ils le font sur la base de la complémentarité et non de l’égalité, autrement dit ils ont intérêt à démontrer qu’ils apportent des compétences et « qualités » spécifiquement masculines dont la petite enfance a besoin.</p>
<p>Ils bénéficient de bonnes opportunités pour accéder rapidement à des postes de direction, reproduisant alors la hiérarchie sexuée des statuts plus élevés pour les hommes. C’est ce que Christine L.Williams de l’université du Texas nomme « l’escalator de verre » par opposition au « plafond de verre » qui bloque les carrières ascendantes des femmes vers des postes à responsabilités.</p>
<h2>S’inscrire dans un héritage</h2>
<p>Sans soutien institutionnel ni formation spécifique des équipes, ils explorent avec leurs collègues femmes aussi désarmées qu’eux un nouvel univers mixte de travail avec les cadres anciens de pensée, et tentent de bricoler une pratique professionnelle encore soumise aux rôles sociaux de sexe. En sorte que cette politique de mixité se révèle en l’état peu propice au développement de l’égalité professionnelle.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pedagogie-montessori-les-ressorts-dun-engouement-qui-dure-105269">Pédagogie Montessori : les ressorts d’un engouement qui dure</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Tant que les hommes entreront en crèche et en maternelle en étant persuadés qu’ils apportent des compétences et des « qualités » spécifiquement masculines dont la petite enfance a besoin, l’éducation restera bloquée dans la différence entre les sexes au sein des équipes et comme modèle renvoyé aux jeunes enfants.</p>
<p>Au contraire, ils devraient comme leurs collègues femmes être formés à s’inscrire dans l’héritage de la longue histoire pédagogique de la petite enfance forgée par les pionnières, notamment Pauline de Kergomard et Maria Montessori. Et au même titre que les femmes, contribuer à une éducation égalitaire. En somme, l’ouverture de la petite enfance aux hommes est une bonne chose, mais à la condition qu’elle soit accompagnée par un programme de formation aux études de genre solide.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177649/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Devineau a reçu des financements de :
Contrat de recherche de la Région Normandie (2016-2019).</span></em></p>Seuls 2 % à 4 % des professionnels en crèche et en maternelle sont des hommes. Travailler dans un secteur très féminisé en fait-il des hérauts de l’égalité des sexes ? La réalité est plus complexe.Sophie Devineau, Professeure des universités en sociologie, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1719812021-11-23T20:05:48Z2021-11-23T20:05:48ZNelly : « Est-ce que c'est la testostérone qui fait que les hommes ont plus de force que les femmes ? »<p>On entend souvent dire que si les hommes sont plus costauds que les femmes, c’est à cause d’une hormone appelée la testostérone. Mais qu’est-ce qu’une hormone ? C’est une substance chimique qui est fabriquée par une glande et libérée dans le sang, de telle sorte qu’elle va pouvoir agir sur différents organes du corps.</p>
<p>C’est bien le cas de la testostérone qui a des effets multiples sur les muscles, les os, les graisses, les poils, les organes génitaux, etc. La testostérone stimule en particulier la fabrication des protéines par les cellules musculaires et aussi la production de globules rouges qui apportent l’oxygène à l’ensemble du corps.</p>
<p>En conséquence, l’organisme est plus fort pour faire des exercices physiques, et cela concerne aussi bien les hommes que les femmes. Il y a cinquante ans, dans les compétitions sportives, la testostérone a été utilisée pour augmenter artificiellement les performances des athlètes. Cette pratique du dopage est désormais interdite parce qu’elle est injuste et contraire aux règles de la compétition sportive, et aussi parce que la testostérone à forte dose a des effets toxiques pour le cœur et le foie.</p>
<p>Naturellement, d’où vient la testostérone ? Chez les hommes, la testostérone est principalement fabriquée par les testicules et chez les femmes par les ovaires. Mais il existe aussi d’autres sources de testostérone à partir des glandes surrénales (situées au-dessus des reins) et du tissu adipeux (les graisses).</p>
<p>En moyenne, la concentration de testostérone dans le sang est environ deux fois forte chez les hommes que chez les femmes. Mais cela ne signifie pas obligatoirement que les hommes ont toujours plus de force que les femmes.</p>
<p>En effet, la fabrication de testostérone varie beaucoup en fonction de l’âge et des modes de vie de chacun, alimentation, consommation de tabac et d’alcool, exercice physique, etc. De plus, l’environnement social et psychologique influence aussi la production de testostérone. Par exemple, on a observé qu’après une partie de tennis, le gagnant a fabriqué plus de testostérone que le perdant, alors qu’il n’y avait pas de différence avant le match. De même, en regardant un match de football, les supporters produisent plus de testostérone quand leur équipe gagne que quand elle perd !</p>
<p>En fait, la testostérone est davantage fabriquée dans une situation de compétition chez les hommes et aussi chez les femmes. Cette réaction permettrait à l’organisme de se préparer à se défendre en cas de menace en mobilisant plus de force et d’énergie. Mais attention cela ne signifie pas que la testostérone est responsable des comportements agressifs, qui eux sont liés au contexte de vie et à l’état psychique de la personne.</p>
<p>Des enquêtes réalisées chez des garçons de 13 à 16 ans montrent que la concentration de testostérone qui augmente à la puberté n’est pas associée à des comportements agressifs ou de prise de risque, souvent présents bien avant l’adolescence. Chez les hommes auteurs d’actes de délinquance, le taux de testostérone n’est pas corrélé avec le degré de violence des comportements. Ce n’est pas non plus la testostérone qui incite les hommes à conquérir le pouvoir, à faire la guerre ou à exercer des violences sur les femmes.</p>
<p>L’explication est à chercher dans l’histoire de l’humanité, dans les croyances traditionnelles et religieuses qui attribuent aux hommes le pouvoir dans la société, dans la politique et l’éducation, alors que les femmes sont réduites au rôle de mère au foyer. Heureusement, dans les pays démocratiques, les mentalités et les lois évoluent vers plus d’égalité entre les hommes et les femmes, mais hélas ce n’est pas encore le cas dans l’ensemble des pays du monde.</p>
<hr>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171981/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Vidal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La testostérone est une hormone produite à fois chez les hommes et les femmes. Les hommes en produisent plus, mais cela ne signifie pas forcément qu’ils sont toujours plus forts que les femmes.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1688282021-11-12T14:40:33Z2021-11-12T14:40:33Z« OD dans l’Ouest » : remue-ménage des modèles pour les gars et les filles<p>Chaque automne, la téléréalité <em>Occupation Double</em> accapare l’attention médiatique. Cette année encore, elle figure dans les <a href="https://fr.numeris.ca/media-and-events/tv-weekly-top-30">30 émissions de télévision les plus regardées</a> au Québec. C’est qu’avec sa nouvelle mouture, mise en place en 2017, l’émission s’est considérablement modernisée : nouvelle équipe de production, animation moins protocolaire, montage cynique et décomplexé.</p>
<p>Alors que la grande finale d’<em>OD dans l’Ouest</em> est à nos portes, l’heure est à la rétrospective.</p>
<p>L’édition actuelle a débuté dans le scandale avec le renvoi d’un candidat au comportement problématique. En mettant en dialogue plusieurs événements marquants de la saison, force est de constater que bouillonne à <em>OD</em> une certaine dualité entre des modèles archaïques et renouvelés de féminité et de masculinité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue de la ville de Vancouver, montagnes Rocheuses à l’arrière-plan, avec logo de l’émission Occupation double dans l’Ouest" src="https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425960/original/file-20211012-15-1cjb8lu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une saison qui fait couler beaucoup d’encre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bell média</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Doctorante en littérature et arts de la scène et de l’écran, mes recherches se situent à l’intersection des études féministes et audiovisuelles.</p>
<h2>Autoreprésentation des filles d’OD lors des auditions</h2>
<p>« Tu me gosses depuis le début », « Tu es tellement belle, c’est cave » : deux formulations employées par des candidats pour signifier leur intérêt amoureux. Comme si l’attachement naissant envers une femme devait être ramené à l’accusation, ou qu’un compliment ne pouvait être exprimé sans s’assortir d’une insulte déguisée.</p>
<p>Le discours envers les filles d’<em>OD</em> a, en début de saison, été empreint d’une certaine dépréciation, et pas uniquement de la part des garçons. Pour se présenter en auditions, plusieurs filles se sont décrites en des termes à connotation négative : « fatiguante », « attachiante », « comme un drink au goût amer ». En ce qui a trait à leur niveau d’intensité, elles se sont dites jalouses et intransigeantes : « Je n’ai aucune zone grise, que du noir et du blanc » ; « Si tu es avec moi, tu ne sors pas avec tes amis. Je suis autoritaire, possessive ».</p>
<p>Puisqu’au fil des épisodes, nous avons plutôt découvert des femmes complexes et nuancées, affirmées, mais pas déraisonnables, il est possible de supposer que les candidates jouent délibérément avec le lexique de l’intensité pour augmenter leurs chances d’être sélectionnées. Une promesse de « faire un bon show ».</p>
<p>Par contre, ce type de discours simpliste qui assimile les femmes à la possessivité, à la radicalité et aux émotions mal contrôlées réactualise une vision archaïque de la féminité que certains <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1149349/celibataires-involontaires-incels-fifth-estate">regroupements masculinistes dangereux</a> récupèrent d’ailleurs à leur compte.</p>
<h2>Dynamiques de séduction paradoxales</h2>
<p>En audition, plusieurs filles expriment ne pas être « chasseuses », préférant plutôt « être chassées ». Cette association entre séduction et prédation rejoint un script sexuel vulgarisé par Lili Boisvert dans <a href="http://www.edvlb.com/principe-cumshot/lili-boisvert/livre/9782896497171">« Le principe du cumshot »</a> : dans les scénarios sexuels dominants, le rôle des filles serait de se rendre attrayantes, offertes au regard des hommes à qui il revient de prendre les devants. Dans cette dynamique, le masculin est associé à l’actif et le féminin au passif.</p>
<p>Paradoxalement, les questions des juges en audition encouragent les filles à se décrire comme des séductrices intempestives, mais, lorsqu’une candidate fait les premiers pas ou démontre un intérêt pour plusieurs partenaires, les reproches du public et des candidats fusent : « Elle est chasseuse » ; « Juste de voir qu’elle passe pour la fille affamée du groupe, ça m’a refroidi beaucoup ». La pétillante Jenny, autoproclamée « la femme fatale du Québec », a d’ailleurs été sacrifiée dès la première élimination parce que son caractère séducteur semblait menacer l’étiquette de gentil garçon de Luca.</p>
<p>L’aventure de Sabrina, éliminée à la mi-saison, aura aussi beaucoup fait couler d’encre. Son parcours a été entaché par un baiser échangé avec un autre candidat que celui avec qui elle s’était initialement liée, Nicolas. Sabrina n’a pas été en mesure de rattraper son jeu, multipliant ensuite sans succès les tentatives de séduction. Une partie du public a alors <a href="https://showbizz.net/tele/od-dans-louest-le-public-a-pris-sabrina-en-grippe">sévèrement critiqué</a> l’attitude de Sabrina, semblant oublier qu’embrasser se pratique à deux, d’autant que Nicolas était lui aussi en « couple <em>OD</em> » avec une autre candidate.</p>
<p>Le jeune homme est pourtant resté dans les bonnes grâces du public, un double standard qui fait sourciller : le <a href="https://csf.gouv.qc.ca/article/publicationsnum/bibliotheque-des-violences-faites-aux-femmes/slutshaming/">slutshaming</a>, qui a teinté plusieurs commentaires, démontre que l’auditoire tend à se montrer assez rétrograde envers les <em>joueuses</em> d’<em>OD</em> qui déploient ce type de stratégie, en dépit du potentiel de séduction valorisé en audition.</p>
<h2>La masculinité en conflit</h2>
<p><a href="https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/633924/occupation-double-montre-la-porte-a-un-candidat-trouble">Le cas d’Alexandre</a> dévoile une autre faille dans la stratégie de mise en scène qui consiste à sélectionner des candidats pour leur potentiel à créer la confrontation. Son attitude était plus qu’une simple façade : plusieurs femmes ont par ailleurs témoigné sur les réseaux sociaux de leur expérience négative après l’avoir fréquenté.</p>
<p>Pour décrire la rudesse d’Alexandre, et parce qu’ils semblaient marcher sur des œufs en sa présence, les gars et les filles d’<em>OD</em> ont d’abord employé les termes « sensible » et « proche de ses émotions ». Alexandre manifestait plutôt une franche intolérance au rejet et un besoin irrépressible de contrôle, assortis d’une incapacité à exprimer sainement ses émotions. La sensibilité suppose un degré d’attention aux autres, alors qu’Alexandre, lui, cherche des coupables à son insécurité, au point de se sentir visé même lorsqu’il n’est pas concerné. En sa présence, les autres candidats étaient dès lors privés de célébrer leurs propres victoires, et toutes leurs énergies étaient dédiées à l’apaiser en vain.</p>
<p>Audrey, sa préférée, ayant exprimé sa préférence pour Nicolas, Alexandre a fulminé : « La seule qui me plaît est vendue à Nicolas, <em>vendue</em> ! », sous-entendant que la jeune femme serait dénuée d’esprit critique et de discernement. Pour Alexandre, si une femme ne le choisit pas, c’est forcément qu’elle est corrompue et n’est pas en mesure de reconnaître sa valeur, qu’elle est une « mauvaise fille » (épisode 6). Il s’agit d’un propos violent et dangereux rejoignant la ligne de pensée misogyne des <em>incels</em>.</p>
<h2>Tendresse, tendresse</h2>
<p>En revanche, plusieurs garçons d’<em>OD</em> se sont dévoilés sensibles et empathiques, dévoilant un autre modèle de masculinité. C’est notamment le cas d’Antoine, qui a traversé plusieurs remises en questions. Le <a href="https://showbizz.net/tele/lun-des-fils-de-messmer-a-occupation-double-dans-louest">jeune hypnotiseur</a> a été capable de s’autoanalyser et de mettre des mots sur son insécurité. Sa détresse ne s’est pas tournée vers autrui, et il a accueilli les accolades réconfortantes de ses colocataires : l’insécurité d’Antoine fait la démonstration d’un modèle de masculinité où le sensible n’est pas en opposition avec la force.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Quatre hommes habillés en partisan de football" src="https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425958/original/file-20211012-17-tz4f4t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les candidats de la première aventure (Patrice, Frédérick, Luca et Antoine) au party tailgate de l’émission OD dans l’Ouest. Certains garçons ont, heureusement, dévoilé leur côté sensible et empathique, mettant en lumière la dualité des modèles de masculinité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bell média</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, la tendresse des candidats les uns pour les autres s’est exprimée ouvertement tout au long de la saison : les nombreux « je t’aime », « t’es cute » et les accolades ont contribué à présenter des jeunes hommes souvent attendris et émotifs. Soulignons l’un des moments forts de la saison, où l’athlète Stevens a fondu en larmes après avoir verbalisé sa déception de ne pas avoir été choisi pour les Olympiques. Pendant plusieurs minutes, les garçons l’ont écouté, ont pleuré avec lui, se sont étreints longuement.</p>
<p>Notons également la demande des garçons de recevoir, comme les filles, l’équipement nécessaire pour se faire des manucures. Jay Du Temple est lui-même, par ailleurs, connu pour <a href="https://www.mondedestars.net/nouvelles/jay-du-temple-inspire-de-jeunes-garcons-a-porter-du-vernis-a-ongles">son style flamboyant</a> qui inclut bijoux et ongles multicolores. Même si les représentations vestimentaires sont loin d’être toujours subversives à <em>OD</em> (les déguisements des soirées thématiques incarnent fréquemment des fantasmes stéréotypés), l’adhésion des gars d’<em>OD</em> à la mode du vernis à ongles au masculin dévoile les prémisses d’un encourageant brouillage des normes sexuées.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Jay Du Temple, animateur de l’émission Occupation double dans l’Ouest, pose pour la caméra dans un costume coloré" src="https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425957/original/file-20211012-23-1yotpo9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Jay Du Temple offre, depuis 2017, une animation moins protocolaire et davantage décomplexée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bell média</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’agente double, arroseuse arrosée</h2>
<p>On se désole cependant que la production ait si peu mis à profit son concept « d’agente double ». Ce rôle laissait présager que la candidate choisie, Alexandra, recevrait des avantages lui permettant d’ajuster sa stratégie. Outre son premier voyage et un récent sursis de quelques jours, elle n’a reçu que quelques missions et une vidéo de ses proches (un maigre privilège si l’on considère que Clodelle a reçu la visite en chair et en os de son ex-conjoint et de son chihuahua !).</p>
<p>Alors qu’Alexandra a été impliquée dans un déchirant triangle amoureux dont elle est ressortie blessée, la production a raté l’occasion de lui permettre un degré supplémentaire d’agentivité. En manquant de l’informer plus tôt des remises en question de Robin (on lui a pourtant montré d’autres extraits inédits de discussions entre les garçons), la production l’a privée de modifier sa stratégie à son avantage.</p>
<p>On a plutôt multiplié les occasions d’assister à la déconfiture de la jeune femme : on a même imposé à Robin d’élire devant tout le monde laquelle de ses deux conquêtes embrassait le mieux. Robin, qui a avoué ouvertement avoir tenté de préserver sa relation avec Alexandra uniquement pour rester dans l’aventure, semble par contre toujours avoir une option sur la victoire. Alors qu’il use de manigances avant de choisir Marilou, il se victimise et fustige la présence d’Alexandra : « Mais qu’est-ce que tu fais encore là ? », s’écrie-t-il devant une vidéo de la résiliente agente-double, comme si c’était elle qui nuisait à son parcours.</p>
<p>Néanmoins, le soutien apporté à Alexandra de la part des filles aura contribué à mettre de l’avant une touchante représentation télévisuelle de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/04/la-sororite-n-est-elle-qu-une-fraternite-au-feminin_6031727_3232.html">sororité</a>. Alexandra, qui se défendait en audition de ne pas être une « fifille » et disait préférer la compagnie soi-disant plus naturelle des garçons, aura été servie en termes d’amitiés féminines positives.</p>
<h2>Pas un simple jeu</h2>
<p>Si la téléréalité est un divertissement sensationnaliste, c’est néanmoins au spectacle de notre société auquel on assiste, <a href="https://www.ledevoir.com/culture/ecrans/644649/television-occupation-double-comme-prisme-de-notre-societe">pouvait-on lire dans une analyse publiée récemment</a>. La brutalité sous-latente à certains éléments de cette saison d’<em>OD</em> est le triste reflet de plusieurs enjeux de société, notamment les violences faites aux femmes.</p>
<p>Par contre, plusieurs éléments prometteurs annoncent qu’un certain renouvellement des représentations est amorcé. Souhaitons qu’<em>Occupation Double</em> redouble d’efforts lors d’une prochaine édition qui pourrait proposer une plus grande diversité sexuelle et corporelle, et s’assurer d’offrir davantage de temps d’antenne aux personnes racisées. Le racisme dans les représentations à <em>OD</em> est en effet <a href="https://podcasts.apple.com/ca/podcast/s4-%C3%A9pisode-6-robin-boyhood/id1481297366?i=1000540915465">pointé du doigt</a> par plusieurs personnalités publiques militant pour davantage de diversité au petit écran.</p>
<p><em>Pour des analyses féministes d’Occupation Double, voir le balado hebdomadaire <a href="https://podcasts.apple.com/ca/podcast/les-ficelles/id1481297366?l=fr">Les Ficelles</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168828/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Sophie Gravel est membre de Réalisatrices Équitables. Sa recherche doctorale est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Alors qu’elle a débuté sous le signe de la violence, l’édition actuelle d’« Occupation Double » met en lumière une certaine dichotomie prévalant au sein des modèles de féminité et de masculinité.Anne-Sophie Gravel, Doctorante en littérature et arts de la scène et de l'écran (concentration cinéma), Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692112021-10-22T16:07:37Z2021-10-22T16:07:37ZL’automobile est toujours là, et encore pour longtemps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/427556/original/file-20211020-15-orvug2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C9%2C3224%2C1822&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Porsches installées sur le rassemblement dominical du parking public des Moulins à Villeneuve d'Ascq, fin 2018.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gaëtan Mougin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Peut-on se passer de voiture ? À l’heure où certains candidats à l’élection présidentielle mobilisent de nouveau cet objet du quotidien dans leurs discours (sortir de la dépendance à l’automobile, augmenter la taxe au carburant ou au contraire la baisser, favoriser l’achat de voitures d’occasion, etc., etc.), les enquêtes ethnographiques montrent à quel point l’automobile occupe encore une place de choix dans notre quotidien.</p>
<p>Et comment pourrait-il en être autrement quand on sait qu’à partir du moment où l’on sort des grandes aires urbaines densifiées, elle s’impose de fait comme le moyen de transport le plus adapté. En réalité, l’automobile continuera encore longtemps à nous accompagner dans nos cheminements quotidiens et même dans nos parcours de vie ; d’autant plus qu’elle est à n’en pas douter autre chose qu’un simple moyen de transport pour certains (beaucoup ?) de nos contemporains.</p>
<p>Parce qu’on habite son automobile, qu’on lui parle, qu’on y passe des moments décisifs à jamais inscrits dans notre psyché, qu’on l’associe à des moments singuliers, il est possible, à partir d’entretiens de recherche patients, de rendre compte d’un attachement certain à cet objet épais de ce qu’on projette sur lui.</p>
<h2>Le premier espace habité pour beaucoup</h2>
<p>Cela est par exemple vrai pour les jeunes qui n’ont pas encore quitté le domicile familial, la voiture représente le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-un_sociologue_au_volant_le_rapport_de_l_individu_a_sa_voiture_en_milieu_urbain_herve_marchal-9782360850532-43563.html">tout premier espace habité</a> qu’ils possèdent et qu’ils peuvent aménager à leur guise.</p>
<p>Elle signe une étape importante du processus qui consiste à devenir adulte, en s’aménageant des espaces et des moments qui échappent complètement à la surveillance parentale. Ce fut particulièrement le cas d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, Tony, qui vivait encore chez ses parents, et avec qui nous avons pris la route à <a href="https://hal-univ-bourgogne.archives-ouvertes.fr/hal-03286852/document">plusieurs reprises</a>. Son automobile disposait d’une multitude d’espaces destinés à accueillir des affaires personnelles.</p>
<p>Son coffre était compartimenté en différents espaces permettant de stocker ici des denrées alimentaires, là quelques vêtements, une petite glacière servait de bar à alcool à l’arrière gauche tandis que le siège arrière droit servait d’établi pour ses outils destinés au bricolage automobile. La boite à gants, enfin, accueillait un ensemble de petits effets très personnels suggérant que sa voiture devenait de temps à autre la scène d’activités intimes : on y trouvait notamment du tabac, des friandises et des préservatifs. Pour Tony, l’automobile est ainsi le seul espace qu’il maîtrise totalement, pour lequel il décide qui rentre ou non, et qui lui permet à la fois de voguer à son gré entre ses amis et différents lieux festifs ou de travail.</p>
<p>Si les trajets en voiture semblent relever, au premier abord, d’une ineptie en ville, il n’en reste pas moins qu’elle demeure généralement chez les plus jeunes le meilleur moyen de se déplacer au-dehors et pour de plus longs trajets. Moyen de transport populaire d’autrefois, le train devient de moins en moins accessible, notamment du fait que ses tarifs basés sur l’offre et la demande font exploser le coût de leurs trajets de début et fin de semaine.</p>
<p>Parallèlement, l’offre de covoiturage permet à la fois aux conducteurs de réduire le coût de leurs trajets et à leurs passagers d’accéder à leurs déplacements. En ce sens, le covoiturage présenté comme solution écologique participe sans aucun doute à intensifier les flux routiers voire, pour certain, des incitations à acquérir un véhicule.</p>
<h2>Une image viriliste</h2>
<p>Une fois cela dit, comment ne pas faire remarquer que le marketing automobile a réussi le tour de force de solidifier une image viriliste de cet objet technique tout en suivant le processus d’accès des <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2014-2-page-119.htm">femmes</a> à l’autonomie.</p>
<p>La voiture demeure en effet un outil privilégié de construction de l’identité masculine, notamment parce qu’elle confère aux jeunes hommes une autonomie qui devient un outil de séduction. Elle est aussi une manière de se mesurer aux autres hommes, par sa dimension socialement distinctive toujours intense, mais aussi au travers de confrontations de leur capacité à piloter.</p>
<p>L’observation des « runs », courses urbaines ayant généralement lieu la nuit, permet d’observer aussi bien des rivalités qu’une camaraderie masculine. Elle renvoie enfin aux hommes leur capacité à conduire leur famille, et ce dans toutes les <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/17327">acceptions possibles</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rrqhQbgtVfI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Publicité Audi.</span></figcaption>
</figure>
<p>D’ailleurs, soulignons dans cette veine combien les mondes de la collection et du loisir automobile révèlent particulièrement cette inclination masculine pour la passion : elle se transmet généralement de père en fils et les quelques femmes qui prennent part à ces activités ne cessent de rappeler leur spécificité d’être des « femmes dans un milieu d’hommes » (Sandrine, 45 ans, membre du Mustang Club de France) ou encore des « garçons manqués » (Sandra, 40 ans, passionnée de VW Coccinelle).</p>
<h2>L’espoir de « s’en sortir »</h2>
<p>Par ailleurs, il faut également noter que les populations les plus fragiles subissent une forte injonction à la mobilité pour l’accès à l’emploi, dans la mesure où l’acquisition d’une automobile, généralement d’occasion et à prix modeste, représente un espoir certain de « s’en sortir ». Avec la hausse des prix du foncier dans les centres urbains, les individus les moins bien dotés se trouvent bien souvent relégués dans les zones périurbaines ou rurales qui demeurent par ailleurs mal desservies par les transports collectifs.</p>
<p>En ce sens, les ménages qui ne possèdent pas d’automobile sont contraints à mettre en œuvre un ensemble de <a href="https://esprit.presse.fr/article/jacques-donzelot/la-ville-a-trois-vitesses-relegation-periurbanisation-gentrification-7903">stratégies d’accessibilité</a> ; (relocalisations résidentielles, utilisation des transports en commun, réduction spatiale des relations sociales et des accès aux services, aux commerces locaux et aux emplois…), stratégies se révèlant <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/26697">particulièrement coûteuses</a> en temps et en renoncements.</p>
<p>Être privé d’automobile peut être le privilège des franges supérieures urbaines, mais à l’autre bout du spectre, c’est vivre concrètement une dépossession matérielle propre à une <a href="https://journals.openedition.org/revss/6082">situation de déclassement social</a>. En ce sens, toute injonction à la transition écologique par l’abandon de l’automobile peut être vécue comme une écologie punitive, une violence sociale de la part des mieux dotés, volontiers renvoyés à leur centralisme parisien.</p>
<p>Il n’est d’ailleurs pas anodin de rappeler que c’est une augmentation du prix de l’essence qui a mis le feu aux poudres et a fait éclater la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/44111">crise des « gilets jaunes »</a>. Loin de tout fétichisme, l’attachement à l’automobile relève avant tout ici d’une volonté de conserver espoir et dignité.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427571/original/file-20211020-14-1u7cbk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Photographie prise lors du rassemblement automobile des Moulins, Villeneuve d’Ascq, un dimanche de novembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gaëtan Mangin, blogterrain.hypotheses.org</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela étant précisé, comment ne pas rappeler qu’en France, notamment, de plus en plus se dessinent les contours d’un urbanisme dual soucieux, d’une part, de rendre la tranquillité oubliée des centres-villes en limitant le plus possible la circulation, le stationnement et la vitesse des automobiles, et d’autre part, d’aménager l’espace (aires de stationnement, rocades, autoroutes…) en fonction de l’omniprésence de l’automobile dans la vie de celles et de ceux qui ne vivent pas au sein des villes-centre et qui peuvent consacrer, pour les plus modestes d’entre eux, jusqu’à 20 % de leur budget rien que pour le carburant. Car en campagne la chose est entendue, la voiture s’impose :</p>
<blockquote>
<p>« C’est toujours trop loin. Vous savez, sept kilomètres en parcours vallonné… En règle générale je vais me déplacer à pied pour faire des courses, on rentre à la maison avec un sac à dos plein de trucs, mais ça devient dur, dur, hein… Prendre la voiture, c’est vite fait […] le vélo, c’est bien en urbain et périurbain. Mais ici, dans la cambrousse… et pis vous savez, moi j’ai… de mon domicile à ici, c’est la départementale 977, vous avez des 35 tonnes toutes les trente secondes ! » (homme, 62 ans, chômeur de longue durée)</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Cet article a été publié dans le prolongement d’une version plus longue publiée sur Carnets de Terrain – Le blog de la revue Terrain, <a href="https://blogterrain.hypotheses.org/17327">« Jouir de sa bagnole. L’automobile de collection comme soupape existentielle »</a> Gaëtan Magin effectue sa thèse sous la direction d’Hervé Marchal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gaëtan Mangin est membre du LivingLab Territorial pour la Transition Sociale et Écologique hébergé par la Maison des Sciences de l'Homme de Dijon qui perçoit des financements de la part de la DREAL (ministère de la Transition écologique et solidaire et ministère de la Cohésion des territoires), du PUCA (Ministère de la Transition et Ministère de la culture) et de la Région Bourgogne Franche-Comté.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marchal a reçu des financements de Région Bourgogne-Franche-Comté. </span></em></p>Parce qu’on habite son automobile, qu’on lui parle, qu’on y passe des moments décisifs, il est possible de rendre compte d’un attachement certain à cet objet épais de ce qu’on projette sur lui.Gaëtan Mangin, Doctorant en sociologie, Université Bourgogne Franche-Comté (UBFC)Hervé Marchal, Professeur des universités en sociologie, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700502021-10-21T21:12:03Z2021-10-21T21:12:03ZBonnes feuilles : « Des soutanes et des hommes »<p><em>Alors que le publication du <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église</a> dresse un état des lieux accablant des violences sexuelles au sein de l’Église catholique française en évoquant un phénomène « massif » et « systémique », Josselin Tricou, qui a lui-même participé à l’<a href="https://presse.inserm.fr/en/sociologie-des-violences-sexuelles-au-sein-de-leglise-catholique-en-france-1950-2020-une-enquete-inserm-pour-eclairer-le-rapport-de-la-ciase/43884/">enquête de l’Inserm</a> fait paraître une enquête sociologique sur la masculinité des prêtres catholiques. Extraits choisis.</em></p>
<hr>
<p>Dès le début de son pontificat, le corps de Jean-Paul II avait été mis en valeur à travers la diffusion par le service de presse du Vatican de photographies d’avant son élection – reprises et commentées par les médias du monde entier – où on le voyait faire du ski ou encore se raser en pleine nature. C’était un corps viril qui était présenté au public. Jusque dans la mise en scène médiatisée de sa maladie et de son agonie, il est apparu comme combatif.</p>
<p>Cette image d’un corps résistant, y compris dans l’épreuve, n’était-elle pas en congruence avec le grand récit du pape vainqueur du communisme ? Jean Paul II n’était-il pas aussi celui qui a su remettre en état de marche un catholicisme en crise depuis la fin des années 1960 et, ce faisant, incarner une <a href="https://www.maremagnum.com/libri-antichi/europe-revue-mensuelle-n-32-miguel-de-unamuno-la-virilite-de/148878646">« virilité de la foi »</a> retrouvée ? Cette représentation a sans doute été construite par contraste avec – et peut-être pour contrer – celle d’un Paul VI (pape de 1963 à 1978) qui, au contraire, fut décrit sur la fin de sa vie comme un intellectuel distant, impuissant à mettre un terme à la <a href="https://doi-org.inshs.bib.cnrs.fr/10.3917/dec.renne.2021.01.0534">« crise catholique » des années 1960-1970</a>, et, qui fut dénoncé par certains médias – y compris catholiques – comme un homosexuel torturé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Jean-Paul II fait du ski dans les montagnes des Abruzzes à l’est de Rome en janvier 1981" src="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427572/original/file-20211020-15-1kv02jg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Jean-Paul II, au centre habillé en noir, fait du ski dans les montagnes des Abruzzes à l’est de Rome, janvier 1981.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.aleteia.org/slideshow/en-images-saint-jean-paul-ii-comme-vous-ne-lavez-jamais-vu-1451/16/">Bettman/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces quelques remarques sur les papes antérieurs à ceux de la période qui nous intéresse dans ce livre servent à convaincre la lectrice ou le lecteur – dont le regard est possiblement imprégné par une sorte de catholic gaze.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Le « catholic gaze »</h2>
<p>Le « catholic gaze » (« to gaze » signifie « regarder fixement », « contempler ») est inscrit dans la culture occidentale, de la même façon qu’ il existe un <a href="https://www.debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif">« male gaze »</a> regard hétérosexuel érotisant et objectifiant le corps des femmes, critiqué <a href="https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table/male-gaze-ce-que-voient-les-hommes/?uri=male-gaze-ce-que-voient-les-hommes%2F">ces récentes années</a> notamment dans les arts visuels.</p>
<p>J’utilise ainsi l’expression « catholic gaze » pour évoquer la construction historique d’un regard collectif catholique dégenrant en partie et désexualisant le corps des clercs en le sacralisant, alors même que l’aspect genré (la masculinité), mais aussi sexualisé (les préférences sexuelles supposées) du pape, comme de tout prêtre, apparaissent bel et bien comme un enjeu politique et communicationnel à l’ère médiatique.</p>
<p>Non pas que ces aspects ne l’étaient pas auparavant, mais cet enjeu apparaît démultiplié dès lors que la communication institutionnelle se voit redoublée par le travail d’interprétation que produisent les médias du monde entier. En ce sens, si le genre – tant comme structure sociale que comme performance individuelle – a toujours été <a href="https://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1759">« une façon première de signifier les rapports de pouvoir »</a>, la mise en place d’un nouveau régime de l’information de masse et, plus encore, la dynamique récente de politisation des questions de genre et de sexualité dans l’espace public – appelée <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/linversion-de-la-question-homosexuelle-2/">« démocratie sexuelle »</a> par Éric Fassin – exercent une pression sur l’Église catholique.</p>
<h2>Le genre devient un enjeu dans la représentation politique</h2>
<p>Cette pression apparaît encore renforcée par le grand mouvement de dévoilement de <a href="https://www.ciase.fr/rapport-final/">violences sexuelles</a> commises par ses représentants. Or, une telle dynamique conduit nécessairement le pape, mais aussi tous les membres du clergé, à redoubler de réflexivité sur la manière dont ils vivent et performent leur genre et leur sexualité. Elle infléchit également les regards extérieurs portés sur leur atypie en la matière, d’autant plus que l’« exculturation » croissante du catholicisme en Occident – c’est-à-dire la déliaison à laquelle on assiste depuis les années 1950-1960 entre la <a href="https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2003_num_83_4_1053_t7_0495_0000_2">culture catholique</a> et l’univers civilisationnel qu’elle a contribué à façonner pendant des siècles – joue en faveur d’une multiplication des manières d’appréhender une identité sacerdotale à la fois raréfiée dans la réalité et exotisée, voire dévaluée dans les représentations sociales.</p>
<p>Dès lors, on observe dans le cas des clercs de l’Église catholique ce que le chercheur <a href="https://journals.openedition.org/gss/2686?lang=en">Clément Arambourou</a> note, s’agissant des individus cherchant à incarner des rôles de pouvoir dans le champ politique, à savoir que « ce qui relève des rapports de genre et de sexualité ne ressortit plus au domaine de l’évidence », mais constitue désormais « un des enjeux du travail de représentation politique ».</p>
<h2>L’aveuglante évidence du masculin sacerdotal</h2>
<p>En interrogeant la masculinité des prêtres, j’ai adopté et appliqué, une perspective de genre sur un objet particulièrement bien étudié par ailleurs, mais le plus souvent dans des perspectives <em>genderblind</em> – aveugles au genre. Si le statut des prêtres et religieux catholiques a inspiré des analyses fondamentales pour la sociologie, de <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/economie-et-societe/9782266132442">Max Weber</a> à <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1971_num_12_3_1994">Pierre</a> <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1982_num_43_1_2159">Bourdieu</a>, il a également suscité un nombre non négligeable d’enquêtes sociologiques en tant que telles.</p>
<p>La masculinité des prêtres n’a été qu’effleurée par la sociologie du catholicisme et totalement ignorée par la sociologie du genre. Il faut dire qu’<a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/4423">études de genre</a> et <a href="https://www.cairn.info/encyclopedie-critique-du-genre--9782707190482-page-559.htm">sociologie des religions</a> – du catholicisme surtout – se sont longtemps ignorées. Mais plus encore, le « catholic gaze » fonctionnait encore il y a peu, dans l’Église bien sûr, mais aussi dans la société française malgré sa sécularisation avancée, et chez nombre de sociologues à certains égards.</p>
<p>L’idéal sacerdotal continuait à projeter son ombre portée sur les représentations contemporaines. Et la sociologie du catholicisme, tout particulièrement, semblait en ce sens atteinte par une sorte de persistance rétinienne, témoignant, en retour, de la force d’imposition de cet idéal par l’institution ecclésiale.</p>
<h2>Un angle mort de la sociologie du catholicisme</h2>
<p>L’analyse de la masculinité afférente à cet idéal sacerdotal a donc longtemps été un angle mort de la sociologie du catholicisme. À titre d’exemples, les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Vocation_(La)-2270-1-1-0-1.html">deux derniers</a> <a href="https://www.puf.com/content/Pr%C3%AAtres_diacres_la%C3%AFcs">travaux sociologiques d’envergure</a> sur le clergé catholique français ne cessent de la croiser et de la recroiser sans jamais l’aborder frontalement.</p>
<p>Même en 2012, quand je commence à soumettre à l’évaluation d’universitaires mon projet de thèse à l’origine de cet ouvrage, certain·e·s me rétorquent encore que je devrais plutôt m’intéresser à la place des femmes dans l’Église. C’est dire la rémanence de l’aveuglante évidence du masculin, cet objet longtemps resté le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-marges_du_masculin_exotisation_deplacements_recentrements_maxime_cervulle_patrick_farges_anne_isabelle_francois-9782343075037-48481.html">« neutre invisible »</a> et construit comme tel par un androcentrisme généralisé, y compris dans le regard des <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sous_les_sciences_sociales_le_genre-9782707154507">sciences sociales</a>.</p>
<p>Pourtant, objectiver les enjeux contemporains touchant à la masculinité sacerdotale, soit la masculinité censée être incarnée par les agents de l’appareil catholique romain, c’était affronter une des rares institutions occidentales qui oppose encore une fin de non-recevoir à toutes revendications d’égal accès des femmes aux postes de pouvoir.</p>
<p>A contrario, la majorité des grandes institutions se sont converties bon gré mal gré à l’égalité des sexes, fût-ce à reculons. Il apparaissait dès lors difficile de ne pas apercevoir le <a href="https://journals.openedition.org/sdt/16426?lang=en">« plafond de vitrail »</a> (l’équivalent religieux du fameux « plafond de verre ») désormais imposé explicitement aux femmes par l’Église catholique romaine sans justifications convaincantes et son envers, le maintien de l’homosociabilité du corps clérical et sa <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/15431">patriarcalité</a> décomplexée.</p>
<p>Il faut reconnaître néanmoins, qu’une fois certains enjeux de ma recherche explicités – notamment la potentielle <a href="https://doi-org.inshs.bib.cnrs.fr/10.3917/dec.renne.2021.01.0534">« fonction de placard »</a> que peut recouvrir la prêtrise, c’est-à-dire la fonction de dissimulation, voire de protection pour des hommes non-hétérosexuels en contexte hétéronormatif –, l’évidence d’appliquer un tel prisme sautait aux yeux de mes interlocteur·trice·s.</p>
<p>Mais jusque-là, dans la plupart des cas, la masculinité sacerdotale apparaissait consubstantielle à l’institution catholique. Elle était à leurs yeux tout à la fois omniprésente et cachée. C’est bien en ce sens, et avec humour, quel’anthropologue <a href="http://docplayer.fr/138345880-Notes-pour-une-definition-sociologique-des-categories-de-sexe.html">Nicole-Claude Mathieu</a> écrivait en 1971, même si son propos visait au-delà de la seule Église :</p>
<blockquote>
<p>« La catégorie homme se caractérisait, tel le Christ dans l’hostie, par une présence réelle mais cachée. »</p>
</blockquote>
<p>Or c’est aujourd’hui une prise de conscience qui s’est diffusée au-delà d’un petit cercle de chercheuses et militantes féministes, y compris au sein d’un public croyant.</p>
<h2>Le catholicisme, un « bougé » du genre</h2>
<p>C’est que la structuration institutionnelle du catholicisme produit une variante de la manière dont les sociétés occidentales distinguent et ordonnent les sexes et les sexualités. Ce « bougé » catholique du genre – comme on dit d’une photographie floue – est lié au double paradoxe qu’induit l’idéal sacerdotal que l’Église a imposé à ses clercs, <a href="https://journals.openedition.org/assr/3345">« qui dicte leur conduite et la justifie à leurs propres yeux »</a></p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427258/original/file-20211019-23-1mxw4ly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Ce texte est issu de l’ouvrage « Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres » qui vient de paraître aux PUF.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Alors que l’Église se présente plus que jamais comme la grande défenseuse de la complémentarité des sexes et de la vocation universelle à l’hétérosexualité des êtres humains, elle a institutionnalisé deux modèles de masculinités : celle du laïc marié correspond à ce discours et se trouve donc présentée comme naturelle ; celle des prêtres échappe « surnaturellement » à cette vocation universelle et à la division entre les rôles de sexes traditionnels. Rien que par cette pratique, l’Église vend la mèche – comme le dirait Bourdieu – sur cette naturalisation qu’elle opère en discours.</p>
<p>Par ailleurs, et tout aussi paradoxalement, l’Église institutionnalise ce faisant une hiérarchie des masculinités inversée par rapport à celle qui structure les sociétés dans lesquelles elle s’imbrique : elle fait prévaloir sur la masculinité laïque jugée normale la masculinité sacerdotale pourtant atypique au regard des modèles culturellement dominants de masculinité.</p>
<p>Or, dans le regard de nos contemporain·e·s, ce « bougé » du genre est de plus en plus perçue comme étrange. Il est devenu un « trouble dans le genre », pour reprendre le fameux titre de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/trouble_dans_le_genre-9782707150189">Judith Butler</a>. C’est sa plausibilité même qui est remise en cause aujourd’hui au sein des sociétés occidentales.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://www.puf.com/content/Des_soutanes_et_des_hommes">« Des soutanes et des hommes. Enquête sur la masculinité des prêtres »</a>, de Josselin Tricou, est paru le 22/09/2021 aux Presses universitaires de France</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Josselin Tricou a reçu des financements de l'Université Paris 8 pour mener à bien sa recherche dans le cadre d'un contrat doctoral.</span></em></p>Après une enquête au sein de l'Eglise catholique française, Josselin Tricou nous livre les Bonnes feuilles de son ouvrage qui explore un impensé des études sociologiques : la masculinité des prêtres.Josselin Tricou, Maître assistant en sociologie, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1663832021-08-22T16:35:48Z2021-08-22T16:35:48ZPlongée dans le monde perverti des Incels, masculinistes frustrés et haineux<p>En tentant de comprendre pourquoi un homme a tiré sur <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-england-devon-58197414">sept personnes à Plymouth</a>, au Royaume-Uni – peut-être la tuerie de rue la plus importante dans le pays depuis une décennie – l’enquête fait émerger de probables liens entre l’auteur de ces actes et la communauté « Incel ». Il s’agit d’une contre-culture ayant émergé sur Internet, dont les membres (majoritairement des hommes) se disent condamnés à être célibataires, ou « célibataires involontaires », en anglais <em>involuntary celibates</em> (in-cel).</p>
<p>Selon l’enquête, le suspect Jake Davidson aurait tout d’abord abattu sa mère avant de tirer sur plusieurs personnes, en tuant quatre autres, puis aurait retourné l’arme contre lui. Sa plus jeune victime avait trois ans. Dans ses déclarations précédent les attaques, il se serait comparé aux <a href="https://metro.co.uk/video/plymouth-shooter-jake-davison-clarifies-himself-as-an-incel-in-youtube-rant-2480403/">« Incels »</a> par le biais de vidéos sur YouTube et dans différents <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2021/aug/13/plymouth-shooting-suspect-what-we-know-jake-davison">forums</a>.</p>
<p>Dans les vidéos publiées, ses discours montraient qu’il était obsédé par le fait <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2021/08/14/plymouth-shooting-gunman-said-terminator-final-youtube-video">d’être encore vierge</a> et en souffrait. Ainsi, en référence directe avec l’idéologie incel, Jake Davidson se serait décrit comme <a href="https://metro.co.uk/2021/08/14/plymouth-shooting-what-is-an-incel-and-what-does-black-pill-mean-15090940/">« blackpilled »</a>, soit, dans le jargon de la communauté, celui qui aurait pris la pilule noire. Cette expression détourne un concept propre au film <em>Matrix</em>, dans lequel les protagonistes ont le choix entre la pilule bleue, qui mène au chemin consensuel – celui de la vie sous l’ordre des machines – et la pilule « rouge », permettant « l’éveil », la rupture avec la Matrice, voie que suit d’ailleurs le héros du film, Néo.</p>
<p>L’idéologie Incel <a href="https://www.numerama.com/pop-culture/624814-elon-musk-sassocie-a-la-pilule-rouge-ce-meme-conspirationniste-qui-a-detourne-le-message-de-matrix.html">s’est appropriée</a> cette allégorie en présentant l’image de la « pilule bleue » comme celle d’une société déviante dans laquelle les féministes et les femmes sont omniprésentes et auraient pris le pouvoir. Certains Incels lui opposent une option masculiniste, « la pilule rouge » donc, où il s’agit de se réaffirmer comme « homme » et lutter pour reconquérir sa « juste » place.</p>
<p>La version de la « pilule noire » est plus nihiliste. Elle est convoquée par certains individus Incel depuis 2016 pour signifier qu’ils ont perdu tout espoir d’entrer dans une relation amoureuse ou physique, qu’ils ont adhéré à une forme de fatalisme, de cynisme et qu’ils sont éventuellement prêts à recourir à la violence (contre eux-mêmes ou d’autres).</p>
<p>Se dire « blackpilled » équivaut aussi à se penser obsolète sur le « marché » amoureux. Jake Davidson, à seulement 22 ans, se croyait trop vieux pour « trouver l’amour » ou du moins être dans une relation sexuelle consensuelle.</p>
<h2>Qu’est ce un Incel ?</h2>
<p>Les Incels refusent ou nient toute responsabilité concernant leur manque affectif, émotionnel ou relationnel. Ils se persuadent que leur incapacité à attirer les femmes font d’eux des victimes et des opprimés.</p>
<p>Comme d’autres groupes s’inscrivant dans de nombreuses communautés misogynes virtuelles, connues sous le nom de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2021-1-page-172.htm">« manosphère »</a>, ils adhèrent ainsi à la théorie de la <a href="https://www.theguardian.com/technology/2016/apr/14/the-red-pill-reddit-modern-misogyny-manosphere-men">« pilule rouge »</a>.</p>
<p>Ils se considèrent comme des victimes d’une oppression de genre, que la domination masculine a été usurpée par un féminisme dont le seul but est d’asservir les hommes.</p>
<p>La « pilule noire » constitue l’ultime recours : « l’avaler » revient à accepter que cette oppression est inéluctable et insurmontable, conduisant les individus y adhérent à envisager des solutions radicales, comme le suicide ou la tuerie de masse.</p>
<h2>Une vision essentialiste de la société</h2>
<p>Les Incels croient que la société doit être organisée selon une hiérarchie génétique et essentialiste.</p>
<p>Au sommet se trouveraient les « chads », les hommes musclés, sportifs, très attractifs, que les femmes désireraient par « nature ». En dessous se trouvent différentes strates d’hommes qualifiés de « betas ». Les Incels se placent au plus bas de cette hiérarchie : leur seul point commun affiché étant ne pas pouvoir attirer de femmes.</p>
<p>Parmi les différentes catégorisations qu’on trouve à travers les sites et forums fréquentés par les Incels on trouve les définitions suivantes liées à des « problèmes » définis comme tels par les individus : « taille-cels », ceux qui sont trop petits, « squelette-cels » qui se plaignent de leur structure osseuse ou musculaire, « poignets-cels » qui pensent que leurs poignets minces jouent en leur défaveur… et la liste continue.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2MC4gPMtLCI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Plongée chez les Incels, documentaire.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Cibler et haïr les femmes</h2>
<p>Les Incels tiennent les femmes (et dans une moindre mesure les « chads ») responsables de cette hiérarchie et de leurs échecs affectifs ou sexuels. Ils estiment que les femmes sont des êtres émotionnels et irrationnels qui cèdent à leurs seuls impératifs biologiques.</p>
<p>Ils se persuadent par exemple que les femmes choisissent des partenaires masculins différents en fonction de ce qu’ils peuvent leur apporter : un <em>beta</em> pour la sécurité financière qu’elles tromperont allégrement avec un « <em>chad</em> » pour assouvir leurs désirs.</p>
<p>Ainsi les Incels considèrent les femmes comme des prédatrices psychopathes et qu’une société dominée par les femmes conduira naturellement à la marginalisation l’oppression des hommes à grande échelle.</p>
<p>Parmi les différentes idées <a href="https://www.newamerica.org/political-reform/reports/misogynist-incels-and-male-supremacism/mass-violence-and-terrorism-since-santa-barbara/">disséminées ça et là</a> par les Incels, la frustration et la haine se traduisent en manifestes politiques. Par exemple certains proposent que les droits des femmes leur soient retirés ou bien que l’État les forcent à devenir des « petites copines officielles ». Pour d’autres les individus « alphas » de type <em>chad</em> devraient être éliminés. Pour d’autres encore, les femmes réticentes devraient être incarcérées dans des camps.</p>
<h2>Mort et violence</h2>
<p>Étant donné que l’alternative est de vivre misérable dans un sentiment d’oppression permanente, l’idéologie incel légitime la violence contre pratiquement n’importe quelle cible. Les forums incel glorifient ainsi le suicide tout en justifiant la <a href="https://www.vox.com/the-highlight/2019/4/16/18287446/incel-definition-reddit">violence extrême contre les femmes</a> comme traduisant leur mal-être mais aussi une noble réaction à leur (supposée) domination. La violence est aussi une réponse idéologique ; un moyen de <a href="https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/ideology/male-supremacy">punir les femmes</a> pour leurs crimes perçus et de récupérer ce qui a été usurpé.</p>
<p>L’idéologie incel est nécessairement violente car il n’y a pas d’espoir, seulement de la vengeance.</p>
<h2>Tueries, fusillades</h2>
<p>Pendant un certain temps, le monde a instinctivement rejeté ce qui est, il est vrai, une idéologie puérile, basée sur des stéréotypes grossiers et des concepts absurdes. Malheureusement cette idéologie prend désormais une tournure trop inquiétante pour être ignorée. Plymouth n’est pas la première fusillade liée aux Incels.</p>
<p>Le Californien Elliot Rodger, qui se décrivait comme un « puceau du baiser », a tué six personnes en 2014 <a href="https://schoolshooters.info/sites/default/files/rodger_video_1.0.pdf">pour se « venger »</a> de toutes celles ayant refusé ses avances. Il s’est suicidé au terme de la tuerie. Depuis, de nombreux membres de la communauté Incel vénèrent Rodger comme un <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-us-canada-4389218">saint</a>.</p>
<p>À Toronto, au Canada, Alek Minassian a été <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-56269095">condamné</a> pour le meurtre de dix personnes avec une camionnette en 2018. Il a <a href="https://edition.cnn.com/2018/04/25/us/incel-rebellion-alek-minassian-toronto-attack-trnd/index.html">salué</a> Rodger en ligne quelques minutes avant l’attaque. Des attaques récentes au <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-us-canada-52733060">Canada</a>, en <a href="https://eu.azcentral.com/story/news/local/glendale/2020/05/23/westgate-shooting-who-armando-hernandez-jr/5237382002/">Arizona</a> et en <a href="https://www.insider.com/hanau-terrorist-manifesto-shows-non-white-hatred-incel-trump-theft-2020-2">Allemagne</a> ont également été liées à des Incels, tandis qu’une <a href="https://www.nytimes.com/2021/07/21/us/incels-ohio.html">attaque planifiée</a> dans l’Ohio a été découverte quelques jours seulement avant celle de Plymouth. Les exemples sont nombreux, et certains <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/police-urged-to-clamp-down-on-incel-movement-after-plymouth-shooting-0nppjxhj8">demandent</a> que la fusillade de Plymouth soit classée comme un acte de terrorisme.</p>
<h2>Assujettir, punir, dominer</h2>
<p>Bien qu’elle ne soit pas manifestement politique, l’idéologie incel s’articule autour de l’idée d’assujettissement, et la violence est censée avoir un impact social considérable. Rodger espérait <a href="https://www.documentcloud.org/documents/1173808-elliot-rodger-manifesto.html">« porter un coup dévastateur »</a> qui secouerait les femmes jusqu’au « cœur de leur méchant cœur ». Minassian a fantasmé sur une <a href="https://news.sky.com/story/alek-minassian-trial-incel-who-killed-10-people-in-toronto-van-attack-pleads-not-guilty-to-murder-12129597">« révolution incel »</a> qui renverserait l’ordre social « corrompu » et remettrait les femmes « à leur place ».</p>
<p>Peu d’Incels croient que ce type de projets soient réalistes, néanmoins leur volonté <a href="https://www.dps.texas.gov/sites/default/files/documents/director_staff/media_and_communications/2020/txterrorthreatassessment.pdf">d’user de violence</a> à ces fins et de cibler les femmes est réelle. C’est pourquoi l’extrême violence de la communauté incel <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1057610X.2020.1751459">doit être considérée comme du terrorisme</a>.</p>
<p>Ce terrorisme incel a connu un pic au cours de la dernière décennie et tout indique que cette <a href="https://www.hsaj.org/articles/16835">communauté est en pleine expansion</a>. Cette attaque récente, si réellement motivée par l’idéologie incel, doit alerter. Malgré leurs conceptions et leurs visions du monde pour le moins perverties et une véritable incohérence idéologique, les Incels constituent une menace qui doit être prise au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166383/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlie Tye a reçu des financements de the Morrell Centre for Legal and Political Philosophy. </span></em></p>La tuerie de Plymouth commise par un homme de 22 ans enquête fait émerger de probables liens avec la communauté masculiniste et misogyne « Incel ».Charlie Tye, PHD Candidate, York Law School, University of YorkLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1632132021-06-24T17:30:50Z2021-06-24T17:30:50Z« Les mots de la science » : T comme testostérone<p>Anthropocène, intersectionnalité, décroissance… Ce jargon vous dit quelque chose, bien sûr ! Mais parfois, nous utilisons ces mots sans bien savoir ce qu’ils veulent dire. Dans les Mots de la Science, on revient donc sur l’histoire et le sens de ces mots clés avec des chercheuses et chercheurs capables de nous éclairer.</p>
<p>L’épisode du jour est dédié à la testostérone, une hormone très souvent associée à des comportements dits masculins voire virils et convoquée pour expliquer l’agressivité, l’appétit sexuel, ou encore la compétition. Pour comprendre enfin ce qu’est la testostérone, ce qu’on en sait vraiment, comment elle influence nos corps et nos comportements, nous recevons la neurobiologiste Catherine Vidal.</p>
<p>Catherine Vidal est directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur et membre du comité d’éthique de l’Inserm. Depuis toujours intéressée par les rapports entre science et société, les questions de déterminisme en biologie, les rapports entre cerveau, sexe et genre, elle a écrit de nombreux ouvrages sur ces sujets dont <a href="https://www.belin-editeur.com/cerveau-sexe-et-pouvoir#anchor1"><em>Cerveau, sexe et pouvoir</em></a> (Belin, 2015), et <a href="https://www.belin-editeur.com/nos-cerveaux-tous-pareils-tous-differents#anchor1"><em>Nos cerveaux, tous pareils, tous différents</em></a> (Belin, 2017).</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/5f63618a37b1a24c4ff25896/60b88d3ee24996001a14b7f8?cover=true" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-580" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/580/79c5a87fdceb1b0efb535b241695d9bb89f1bb67/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Bonne écoute !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Hormone dite de l’agressivité, de la compétition… La testostérone a du mal à s’extraire de ces mythes ! Il est temps de faire le point sur ce que la science a vraiment mis à jour.Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, InsermIris Deroeux, journaliste , The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1613652021-05-21T11:03:57Z2021-05-21T11:03:57ZCorps à corps à l’Eurovision<p>Le Concours Eurovision de la Chanson (<em>Eurovision Song Contest</em>) est de retour ! </p>
<p>Finie la post-Eurovision depression, qui affecte les fans les plus assidus au lendemain de la finale du concours. La déprime aura duré près de vingt-quatre mois. </p>
<p>Cette année, en effet, l’Union européenne de Radio-Télévision avait anticipé les dernières restrictions sanitaires à travers plusieurs scénarios d’organisation (notamment en enregistrant au préalable chacune des prestations concurrentes, les live-on-tape) afin de maintenir l’événement à Rotterdam.</p>
<h2>Piqûre de rappel</h2>
<p>L’ESC est l’un des plus anciens produits culturels d’ambition internationale de l’ère des radio-télécommunications. Il a été <a href="http://www.eurovision-fr.net/histoire/histoire.php">lancé en 1956</a> par une poignée de pays désireux de jouer du <em>soft power</em> pour redonner aux populations meurtries par les guerres la curiosité de l’autre et retrouver du même coup le goût du respect des traditions de chaque zone, pays ou région euro-occidentaux. Le concours a survécu aux différentes révolutions techniques et politiques de l’espace européen, entendu dans une acception à la fois large et fluctuante.</p>
<p>Événement à la fois musical et linguistique dans les attentes qu’il suscite, radiophonique et télévisuel – et largement amplifié par le moyen du web – dans sa médiatisation et sa réception, politique et pop-culturel dans sa singularisation, l’ESC est également de plus en plus théâtralisé. En tant que « spectacle vivant », il est désormais un moment attendu par des milliers de fans qui se font l’écho de centaines de millions de radio et téléspectateurs et qui, par leur présence en chair et en os pendant que d’autres suivent les performances à distance, ancrent l’onde d’activités sur les réseaux sociaux dans une réalité indispensable.</p>
<p>De fait, le concours était autrefois traversé par la puissance du folklore, et pour cela fut considéré comme ringard après quelques décennies. Mais ces mêmes archaïsmes esthétiques ont été assumés et ont procuré une nouvelle force au programme, porté aujourd’hui tout autant par le goût assumé du kitsch que les excès de <a href="https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/07/19/mode-le-style-camp-emerge-la-ou-la-droite-conservatrice-domine_5491212_4497319.html"><em>camp style</em></a>. Désormais, cet espace de choix, qui profite d’un nouveau souffle boosté par un marketing calibré depuis une quinzaine d’années, constitue un écrin incomparable pour l’expression des diversités (sociales, de genre, communautaires…).</p>
<h2>La voix du corps</h2>
<p>Que ces jeux eurolympiques de la chanson suscitent, en fonction des pays ou des années, la moquerie ou l’encensement importe peu à ceux qui s’y intéressent de près. Pour comprendre le phénomène, les apports des <a href="https://journals.openedition.org/volume/7457"><em>cultural studies</em></a> et des <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/23451">études statistiques ou linguistiques</a> restent, au même titre que les approches théâtrales ou musicales, fort utiles. Mais on peut aussi se focaliser simplement sur la place conférée à un élément pendant le concours pour y voir plus clair : le corps. Le sujet, parcouru par les <a href="https://hull-repository.worktribe.com/output/377834/introduction-gender-and-geopolitics-in-the-eurovision-song-contest"><em>gender studies</em></a>, permet d’une part de sonder le pouvoir d’identification que comporte un tel produit médiatique à dimension globale, et d’autre part de percevoir les enjeux politiques qui se scellent derrière certains choix techniques, artistiques ou performatifs.</p>
<p>En l’occurrence, le corps a été l’un des grands perdants de la période pandémique, confiné comme il est/fut dans son petit pré carré d’intimité, c’est-à-dire aux antipodes de l’écho planétaire du programme ESC. Dans ce qu’il dit d’une identité, le corps se révèle comme l’un des objets principaux du concours Eurovision, au même titre que la voix des artistes. Fièrement costumé, savamment dénudé, canonisé ou justement altéré jusqu’à la monstruosité, le corps se présente comme un support d’engagement politique de première importance et se voit chargé d’incarner des thèmes brûlants : droits de chacun, acceptation de soi, lutte pour l’égalité entre les sexes, les âges…</p>
<h2>« Mix & Switch »</h2>
<p>Au cours de l’ESC 2019 (la dernière version « régulière », qui se tint à Tel-Aviv), une nouvelle séquence s’est définitivement installée dans le spectacle final : le « Mix & Switch », ou <a href="https://eurovision.tv/video/switch-song-with-conchita-wurst-maans-zelmerloew-eleni-foureira-verka-serduchka-eurovision-2019">« Switch Song »</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/M1cjEuT_uvg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce moment doit être considéré comme fondateur dans la construction du mythe <em>in progress</em> du concours, au même titre que les cartes postales de présentation des pays ou que les présélections nationales, justement parce qu’il mélange sujets politiques et monstration des différences, à travers la variété des corps et des styles, tout en étant détaché de la compétition qui a lieu.</p>
<p>Placé au moment de l’<em>Interval act</em>, c’est-à-dire après l’ensemble des prestations chantées des concurrents de la finale, et juste avant le lancement de la longue et mythique session de vote, le « Switch Song » a vu cinq artistes interpréter des chansons désormais considérées comme des tubes dans le domaine ESC – ce qui au passage a enfoncé le clou d’un répertoire propre à l’Eurovision : l’autrichienne Conchita Wurst, qui triompha au concours à Copenhague en 2014 ; le suédois Måns Zelmerlöw, vainqueur l’année suivante à Vienne avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=5sGOwFVUU0I"><em>Heroes</em></a> ; Eleni Foureira, favorite des bookmakers pour l’édition 2017 (finalement remportée par la représentante israélienne, Netta), lors de laquelle elle représenta Chypre avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vyDTbJ4wenY"><em>Fuego</em></a> ; Verka Serduchka, autre incontournable de la galaxie eurovision, interprète de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hfjHJneVonE"><em>Dancing Lasha Tumbai</em></a> qu’il présenta pour l’Ukraine en 2007 ; et Gali Atari, qui avait remporté le concours en 1979 avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=W75kmzHkm8o"><em>Hallelujah</em></a>.</p>
<p>Le choix des cinq artistes répondait à une double nécessité : représenter un panel des pays concourant à l’Eurovision (du nord au sud, d’est en ouest) ; promouvoir l’ouverture à la différence et au respect, thèmes dont les artistes qui font délégation se font les chantres.</p>
<p>Par ailleurs, le Switch Song de 2019 a instauré un système d’échange qui voyait un chanteur réinterpréter stylistiquement le tube de son acolyte, comme un hommage autocentré où le travestissement musical faisait écho à la transgression corporelle devenue norme. Ce système du mélange mettait en branle un subtil jeu de liens nouveaux, un tuilage des formes et des combats, qui renforce l’ESC dans son rôle d’espace apolitique-politisé. </p>
<p>La question du corps a été déterminante dans le choix des interprètes. Par exemple, C. Wurst et V. Serduchka sont deux personnages symboliques : la première est incarnée par le chanteur et drag queen Thomas Neuwirth, la seconde est un travesti qui prend les traits d’une femme forte vêtue de lumière et d’acier. Dans le Switch Song de 2019, Conchita était justement recouverte d’un tulle transparent, offrant ainsi sa masculinité féminisée au public qui l’avait découverte en madone barbue dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SaolVEJEjV4">« Rise Like a Phoenix »</a>, tandis que Verka conservait l’accoutrement cosmique et les formes généreuses qui font sa renommée.</p>
<p>Ces caractéristiques étaient contrebalancées par les variations corporelles bien plus conformistes des trois autres artistes participant au Switch Song. Zelmerlöw est un parfait bellâtre venu du nord, qui fait la une des magazines et envahit les médias nordiques depuis des années. La Gréco-Albanaise Foureira exposait une peau et une chorégraphie parfaitement huilées, alternant mouvements endiablés et déhanchés propres à réunifier un pays. Le tout exécuté dans un costume réduit au minimum, fait de trois étoiles érotiquement et stratégiquement placées.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/402117/original/file-20210521-19-o0t42b.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La séquence Switch Song, en 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, Gali Atari (née en 1953) donna au public un bel exemple de longévité à toute une génération de fans et participants de l’Eurovision : au milieu des quatre artistes précédemment cités, elle semblait la plus jeune du lot : miracle de l’esthétique en terre promise !</p>
<p>Le corps fut donc célébré dans tous ses retranchements, d’autant que les rondeurs revendiquées de Netta (gagnante du concours en 2018), puis l’intemporalité ostentatoire de l’indétrônable icône de la pop music Madonna, complétèrent le tableau de ce (trop) long entracte. </p>
<p>L’Eurovision est définitivement passée de la période post-Abba – qui a traîné jusqu’à la fin du siècle dernier – à l’ère de la corpo-choralité.</p>
<h2>Voilà 2021</h2>
<p>De l’hymne aux corps de Tel-Aviv, nous avons sauté à pieds joints dans le corps des hymnes de Rotterdam. Le slogan (un autre aspect marketing hautement significatif du concours) de cette édition était « open up » : un appel à l’ouverture, des oreilles, des yeux, des portes et des bras. En somme, une invitation à la différence qui devait, une nouvelle fois, ravir les communautés qui au cours des dernières décennies ont trouvé dans l’ESC un espace d’exhibition et d’expression, à l’échelle mondiale, et à leur mesure.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VJuD7AnV-uw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Occasion rêvée pour les artistes qui, plutôt que de porter un message autre (bien que tout message politique soit interdit au concours, toute thématique engagée obtient souvent les faveurs du public et du jury) ont été invités à parler d’eux-mêmes. Oui, les artistes aussi ont vécu leur diaspora cette année à travers la crise du Covid. Pire, parmi eux, les chanteurs ont fait particulièrement les frais des restrictions anti-gouttelettes. Que d'hommages à la profession du spectacle au moment où chacun des représentants des jurys nationaux a annoncé ses préférences, au terme de la soirée !</p>
<p>Il y avait de quoi donner des ailes à la délégation française qui, portée par la jeune Barbara Pravi, entendait bien, dans son hymne piafesque, embrasser le corporatisme du <a href="https://www.eurovision-france.fr/eurovision-2021-le-turquoise-carpet-ouvre-le-concours/">« Turquoise Carpet »</a>, et dire bravo et merci à tous les artistes qui manquent à nos quotidiens et ne demandent qu’une chose : se mettre à nu.</p>
<p>La chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kTaOHpWz3og"><em>Voilà</em></a> a été plébiscitée, mais elle a été devancée d'un cheveu par l'envie de pogo incarnée par Zitti e buoni (littéralement « Chut ! Couchés ! ») des Italiens Måneskin.
Enfin, on s'attendait à un nouveau Switch Song en 2021 : hélas, il n'en fut rien, même si cette édition nous a réservé son lot de surprises (profusion des plumes, retour de l'esthétique des années 80, effets vidéos à couper le souffle). Probablement les conditions spéciales de réalisation du concours (l'ancien lauréat, Duncan Laurence, par exemple, a dû renoncer au prime au tout dernier moment) ont freiné les ambitions de mise en scène. Néanmoins, même si les prestations en live, et en groupe, ont visiblement été entravées, le répertoire ESC a été célébré comme il se doit. Nul doute que le format du Switch Song reviendra à Rome l'année prochaine, d'autant que les vainqueurs auront à cœur de remettre leur corps à rude épreuve en dialogant avec deux autres figures légendaires : Toto Cutugno et Gigliola Cinquetti.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161365/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Resche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le concours de la chanson est devenu au fil du temps un écrin incomparable pour l’expression des diversités.Stéphane Resche, PRAG (PhD) / Associate researcher, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.