tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/migrations-21808/articlesmigrations – The Conversation2024-03-18T15:34:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2249802024-03-18T15:34:22Z2024-03-18T15:34:22ZDissuader les candidats à la migration : pourquoi les campagnes de l’UE sont un échec<p>En septembre 2023, en réponse à l’arrivée de près de <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">10 000 migrants sur l’île de Lampedusa</a>, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/un-plan-en-10-points-pour-lampedusa-2023-09-18_fr">catalogue de dix mesures immédiates</a>. On y trouve notamment un appel à « augmenter le nombre des campagnes de sensibilisation et de communication afin de décourager les traversées de la Méditerranée », ainsi qu’à « intensifier la coopération avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ».</p>
<p>Cet épisode rappelle la place centrale des campagnes d’information et de dissuasion de l’immigration irrégulière dans les politiques européennes, ainsi que le recours aux organisations internationales pour leur mise en œuvre.</p>
<p>En 2022, le HCR lance dans plusieurs pays africains la campagne <a href="https://www.tellingtherealstory.org/en/">« Telling the Real Story »</a>, qui veut « raconter la véritable histoire », en insistant sur les terribles épreuves qui attendent les candidats à l’émigration irrégulière, comme le trafic et la traite d’êtres humains.</p>
<p>Quant à l’OIM, cela fait trois décennies qu’elle organise de <a href="http://www.reseau-terra.eu/article944.html">telles campagnes</a>, à l’instar de <a href="https://www.migrantsasmessengers.org/">« Migrants as Messengers »</a>, qui fait d’anciens migrants des « messagers » en leur donnant la parole afin qu’ils dissuadent les jeunes tentés de partir.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Telling the Real Story », un vidéo visant à dissuader les candidats à l’émigration.</span></figcaption>
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<p>L’argumentaire est toujours le même : les candidats à l’émigration en Afrique sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux ou migrer uniquement s’ils en ont le droit ; à cela s’ajoutent des messages sur les opportunités dans le pays d’origine et le devoir de contribuer au développement de l’Afrique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sauvetage-des-migrants-naufrages-en-mediterranee-comment-la-politique-de-lue-doit-evoluer-222453">Sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer</a>
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<h2>Des centaines de campagnes</h2>
<p>D’après un <a href="https://www.bridges-migration.eu/wp-content/uploads/2022/02/EU-funded-information-campaigns-targeting-potential-migrants.pdf">rapport</a> du <a href="https://www.bridges-migration.eu/">programme européen de recherche Bridges</a>, l’UE a dépensé plus de 23 millions d’euros depuis 2015 pour organiser près de 130 campagnes.</p>
<p>Si l’Europe est à la pointe, elle n’est pas la seule. L’Australie s’est illustrée par des <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/feb/11/government-launches-new-graphic-campaign-to-deter-asylum-seekers">messages particulièrement mordants</a>, avec des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/no-way-la-campagne-sans-concessions-de-l-australie-contre-les-migrants-clandestins_720529.html">campagnes</a> qui s’adressent aux personnes tentées par l’immigration irrégulière en leur disant « NO WAY. You will not make Australia home » (« IMPOSSIBLE. Vous ne ferez pas de l’Australie votre pays »). Cette stratégie a d’ailleurs suscité l’enthousiasme de <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7186189/Trump-praises-Aust-asylum-seeker-policy.html">Donald Trump</a>, alors Président des États-Unis.</p>
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<p>Outre l’OIM et le HCR, ces campagnes sont aussi organisées par des entreprises privées, comme <a href="https://seefar.org/">Seefar</a> qui proposent des services de <a href="https://seefar.org/services/strategic-communications/">« communication stratégique »</a>, et par des ONG, comme l’association espagnole Proactiva Open Arms, qui en plus de ses activités de sauvetage en Méditerranée organise des <a href="https://blogs.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2020/04/ngos-dilemma">campagnes de sensibilisation au Sénégal</a>.</p>
<p>Cependant, toutes ces initiatives et tous ces acteurs sont confrontés à un problème de taille : personne n’est en mesure de démontrer l’efficacité de ces campagnes. Et on ne sait presque rien de leur influence sur la décision de migrer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-sauvetage-en-mer-au-defi-de-la-securisation-des-frontieres-le-cas-de-la-manche-170238">Le sauvetage en mer au défi de la sécurisation des frontières : le cas de la Manche</a>
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<h2>Une efficacité difficile à évaluer</h2>
<p>À mesure qu’augmentent les budgets qui leur sont consacrés, certaines études ont cependant commencé à se pencher sérieusement sur l’impact des campagnes.</p>
<p>En 2018, une <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/evaluating_the_impact.pdf">étude de l’OIM</a> soulignait que les campagnes sont difficiles à évaluer car elles ont un double objectif : fournir de l’information, mais aussi réduire l’immigration irrégulière.</p>
<p>Il arrive que seul un des deux objectifs soit atteint : en 2023, une <a href="https://publications.iom.int/books/irregular-migration-west-africa-robust-evaluation-peer-peer-awareness-raising-activities-four">étude</a> consacrée à « Migrants as Messengers » montre que cette campagne a bien accru le niveau d’information, mais qu’elle n’a pas réduit les départs.</p>
<p>Mais alors qu’elle organise de telles campagnes depuis 30 ans, l’OIM n’a effectué que de rares et tardives études d’impact : il est en effet coûteux de mesurer sérieusement leur efficacité et il apparaît que les États européens préfèrent multiplier les campagnes plutôt que financer des évaluations.</p>
<p>Du côté de la recherche indépendante, une <a href="https://www.udi.no/globalassets/global/forskning-fou_i/rapport_11_19_web.pdf">étude de l’Institute for Social Research d’Oslo</a> en 2019 a porté sur des migrants d’Érythrée, de Somalie et d’Éthiopie, en transit au Soudan avec l’intention de continuer vers l’Europe.</p>
<p>Il s’agissait d’évaluer une campagne lancée en 2015 par la Norvège, intitulée <a href="https://www.sciencenorway.no/forskningno-immigration-policy-norway/social-media-campaign-for-asylum-seekers-draws-angry-trolls/1448896">« Stricter asylum regulations in Norway »</a>, qui avait recours à Facebook pour informer les migrants potentiels des faibles chances d’obtenir l’asile dans ce pays. Comme pour n’importe quelle publicité, l’algorithme de Facebook devait permettre d’identifier les internautes qui effectuent des recherches sur l’immigration, l’Europe ou les visas, et de leur proposer des messages de dissuasion ciblés.</p>
<p>L’étude a confirmé que les migrants sont connectés et qu’ils utilisent les réseaux sociaux pour s’informer et organiser leur migration. Mais s’ils ont parfois entendu parler des campagnes européennes, la plupart ne les ont pas vues. Invités à les visionner, ils dirent ne rien apprendre : ils sont au courant des terribles conditions de vie des migrants en Libye, par exemple, mais sans que cela ne les dissuade de partir pour échapper à l’impasse de leur situation.</p>
<h2>Des migrants expulsés d’Europe appelés à témoigner</h2>
<p>En 2023, une <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/why-information-campaigns-struggle-to-dissuade-migrants-from-coming-to-europe/">équipe de la Vrije Universiteit Brussel</a> a analysé l’information dont disposent les jeunes tentés par l’émigration en Gambie, et la manière dont les campagnes affectent leur décision de partir. Comme au Soudan, les informations sur les risques de l’immigration irrégulière correspondent à ce que ces jeunes savent déjà. Mais faute de perspectives au pays, ils partiront quand même, en toute connaissance de cause.</p>
<p>Une autre étude menée <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/a-comparative-study-on-the-role-of-narratives-in-migratory-decision-making/">auprès d’Afghans en transit en Turquie</a> a débouché sur des conclusions similaires.</p>
<p>Or, ces travaux ont aussi révélé un autre problème : les destinataires de ces campagnes ne les prennent pas au sérieux car ils les estiment biaisées par les objectifs politiques de l’Europe ; et ils préfèrent donc s’informer auprès de proches, ou même de passeurs.</p>
<p>Ce résultat a motivé de nouvelles stratégies. À l’instar de « Migrants as Messengers », les campagnes dites <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08865655.2022.2108111">« peer to peer »</a> (« de pair-à-pair ») prévoient que des migrants expulsés d’Europe parlent de leur expérience à <a href="https://jaspertjaden.com/policy/2019_migrants-as-messengers_the-impact-of-peer-to-peer-communication-on-potential-migrants-in-senegal/">ceux qui seraient tentés de les imiter</a>. Cela s’inscrit dans une technique dite de <a href="https://repository.law.umich.edu/articles/2611/">« unbranding »</a>, un concept issu du marketing qui désigne l’omission de la marque sur un produit afin de mieux le vendre : dans le cas des campagnes, cela revient à dissimuler les institutions européennes et internationales <a href="https://migrantprotection.iom.int/en/spotlight/articles/initiative/constantly-evolving-awareness-raising-campaign-aware-migrants">qui les financent</a>.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à ne pas cibler les migrants potentiels, mais les acteurs locaux qui influencent les perceptions des migrations, à commencer par les médias ou les artistes. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) travaille ainsi avec des <a href="https://theconversation.com/quand-la-lutte-contre-limmigration-irreguliere-devient-une-question-de-culture-112200">musiciens populaires auprès des jeunes Africains</a>, ainsi qu’avec des journalistes.</p>
<p>De même, <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/un-forum-dechanges-avec-des-journalistes-et-managers-de-medias-pour-une-narrative-diversifiee-et-de">l’Unesco</a> (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) forme des journalistes sénégalais à parler d’une manière qu’elle qualifie de « diversifiée » des migrations.</p>
<h2>Quel rôle pour les journalistes ?</h2>
<p>Dans un contexte de précarité des professionnels des médias et de la culture, le soutien des organisations internationales est bienvenu, mais pose la question de la liberté d’expression et de la liberté de la presse sur ce sujet politiquement sensible.</p>
<p>Au Maroc, le <a href="https://www.facebook.com/RMJMigrations/">Réseau des Journalistes marocains sur les migrations</a> s’est constitué pour traiter des migrations de manière indépendante ; ce qui n’empêche pas ces journalistes de participer à des activités de formation organisées par des organisations internationales, soutenues par des financements européens.</p>
<p>En Gambie, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08865655.2022.2156375">étude récente</a> a mis en évidence les dilemmes des journalistes locaux qui sont invités à diffuser des messages sur les dangers de l’immigration tout en essayant de conserver leur indépendance.</p>
<p>Aux yeux de leurs défenseurs, ces campagnes se justifient car les migrants qui meurent en Méditerranée seraient victimes des informations fallacieuses des passeurs. Informer permettrait alors de sauver des vies. Mais aucune étude ne vient étayer cette hypothèse : au contraire, il apparaît que les migrants partent en connaissant les risques auxquels ils s’exposent.</p>
<p>Face à cette réalité inconfortable, il est possible que les campagnes d’information ne servent qu’à donner aux responsables européens le sentiment qu’ils agissent pour prévenir les tragédies qui découlent de leurs propres politiques. Après tout, c’est en partie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1465116516633299">faute de possibilités de migrer</a> légalement que beaucoup de migrants tentent leur chance de façon irrégulière, avec tous les risques que cela implique.</p>
<p>La rareté des évaluations disponibles atteste que l’efficacité des campagnes n’est pas la priorité des États européens. Cet outil de politique migratoire aurait donc une valeur avant tout symbolique – comme preuve que l’Europe se préoccupe du sort des nombreuses personnes qu’elle ne veut pas accueillir sur son sol.</p>
<p>Mais cette stratégie politique n’en a pas moins des effets bien réels sur les acteurs locaux, et sur la capacité des sociétés du Sud à débattre de façon autonome des enjeux politiques majeurs que soulèvent les migrations internationales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélodie Beaujeu est membre de Désinfox-Migrations. Elle a reçu des financements de la fondation Porticus et de la fondation de France pour l'association Désinfox-Migrations. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’argumentaire est toujours le même : les Africains sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordMélodie Beaujeu, Consultante et chercheuse, affiliée à l'Institut Convergences Migrations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2244702024-03-04T16:58:50Z2024-03-04T16:58:50ZItalie : le « Plan Mattei », nouvelle politique africaine du gouvernement Meloni ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578718/original/file-20240228-18-vpmz5c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2496%2C1661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Giorgia Meloni (debout) s'adresse aux participants du sommet Italie-Afrique à Rome le 29 janvier 2024.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.giorgiameloni.it/gallery/italia-africa/">Site officiel de Giorgia Meloni</a></span></figcaption></figure><p>Le 29 janvier 2024, dans le cadre de la présidence italienne du G7, le gouvernement italien a organisé à Rome une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20240129-l-italie-accueille-un-sommet-avec-l-afrique-pour-y-pr%C3%A9senter-son-new-deal">conférence Italie-Afrique</a>. Ce sommet, qui a réuni 26 chefs d’État et de gouvernement africains ainsi que de nombreuses délégations, représente un succès notable pour le gouvernement de Giorgia Meloni, qui a réussi non seulement à s’assurer d’une bonne représentation des autorités africaines mais aussi à associer à la manifestation des responsables européens de premier plan, Ursula von der Leyen en tête, ainsi que les principales agences des Nations unies.</p>
<p>Mais au-delà de cet affichage réussi, il convient de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/plan-mattei-gouvernement-meloni-vers-une-politique-africaine-pour-italie-2024">se poser la question de la substance de cette politique africaine</a>.</p>
<h2>Une simple opération de communication ?</h2>
<p>Dès son discours d’investiture en octobre 2022, Giorgia Meloni avait surpris en annonçant un <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/plan-mattei-gouvernement-meloni-vers-une-politique-africaine-pour-italie-2024">« Plan Mattei pour l’Afrique »</a>, présenté comme un modèle vertueux de collaboration et de croissance entre l’Union européenne et les nations africaines.</p>
<p>L’évocation d’Enrico Mattei (1906-1962) comme figure tutélaire illustre la dimension de communication politique : en choisissant ce résistant démocrate-chrétien, fondateur d’ENI, l’entreprise publique italienne d’exploitation pétrolière et gazière, Giorgia Meloni effectue un travail de réécriture de son propre panthéon historique à travers la mise en avant d’une figure nationale consensuelle.</p>
<p>Cette annonce a été ensuite reprise lors de différentes manifestations, sans toutefois que des détails ne soient donnés au sujet du contenu de ce plan. Il faudra attendre la fin de 2023 pour qu’un décret organise une structure de coordination interministérielle chargée de le mettre en œuvre.</p>
<p>De fait, la conférence Italie-Afrique de janvier 2024 représente la première manifestation tangible de cette vision africaine : l’Italie y a annoncé 5,5 milliards d’euros d’investissements destinés au continent. Aucun détail n’a été donné lors de la conférence. Par la suite, selon certaines sources, il est apparu que les pays concernés par les projets seraient le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, l’Algérie, l’Éthiopie, le Kenya, le Mozambique, la République du Congo et la Côte d’Ivoire, mais les projets sont en cours de définition ; de même, aucune mesure concrète n’a été annoncée sur le sujet de l’immigration, hormis l’idée que le développement africain peut servir à traiter le problème à la source, Meloni déclarant : « L’immigration de masse ne sera jamais stoppée et les trafiquants d’êtres humains ne seront jamais vaincus si nous ne nous attaquons pas aux nombreuses causes qui poussent une personne à quitter son foyer ».</p>
<p>Cette somme de 5,5 milliards d’euros, soit dit en passant, est assez faible par rapport aux 150 milliards destinés à l’Afrique dans le cadre du <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/developpement/evenements-et-actualites-sur-le-theme-du-developpement/evenements-et-actualites-sur-le-theme-du-developpement-2023/article/qu-est-ce-que-la-strategie-europeenne-global-gateway">Global Gateway de l’Union européenne</a>, qui vise à contribuer au développement des pays partenaires émergents et en développement de l’UE, notamment dans les domaines du numérique, de l’énergie et de l’environnement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Giorgia Meloni présente son « Plan Mattei » au Sommet Italie-Afrique, TV5 Monde, 29 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>À première vue, cette initiative pourrait apparaître comme une simple opération de communication dont on entrevoit une série de faiblesses structurelles. Il faut cependant rappeler le contexte dans lequel elle intervient et les potentialités qu’elle recèle.</p>
<h2>L’Italie en Afrique : une présence économique, mais pas seulement</h2>
<p>Longtemps, l’Italie n’a pas eu de véritable politique africaine. Lorsqu’il arrive au gouvernement en 2016, Matteo Renzi va innover et se rendre trois fois en Afrique pour visiter 9 pays, illustrant pour la première fois une vision systémique des relations entre l’Italie et le continent.</p>
<p>Cette politique sera ensuite poursuivie pendant le gouvernement Gentiloni (2016-2018), avec d’un côté l’action du ministre de l’Intérieur Marco Minitti qui s’exprime en faveur du développement des pays africains pour tarir les flux d’immigration qui arrivent en Italie, et de l’autre l’envoi inédit d’un <a href="https://www.reuters.com/article/us-italy-diplomacy-niger-libya/italy-approves-military-mission-in-niger-more-troops-to-north-africa-idUSKBN1F6270/">contingent militaire de plus de 400 hommes au Niger</a>. Fait original, les Italiens acquièrent ainsi une profondeur stratégique sur le continent africain qui leur était largement inconnue jusqu’alors, et il convient de relever que malgré le <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">coup d’État survenu au Niger</a> en 2023, les militaires italiens sont toujours présents sur place, ce qui illustre leur bonne empreinte diplomatique.</p>
<p>L’initiative de Giorgia Meloni s’inscrit donc dans un cycle récent qui, depuis 2016, a poussé l’Italie à multiplier les actions en Afrique, en grande partie sous la contrainte migratoire. Il convient également de souligner l’importance des réseaux d’acteurs non gouvernementaux italiens en Afrique. Le premier d’entre eux est probablement <a href="https://www.jeuneafrique.com/1482581/economie-entreprises/apres-le-congo-eni-confirme-son-virage-gazier-au-nigeria/">ENI</a>.</p>
<p>Cette entreprise contrôlée par le ministère de l’Économie représente un joyau du capitalisme d’État italien et a toujours cultivé des relations privilégiées avec les pays fournisseurs d’hydrocarbures, ce qui rappelle d’ailleurs l’héritage historique de la politique d’Enrico Mattei dans les années 1950, lorsque ENI proposait des contrats plus favorables aux pays producteurs à ceux pratiqués par les « 7 sœurs », les grands groupes pétroliers occidentaux de l’époque.</p>
<p>L’action d’ENI contribuait alors au « néo-atlantisme », la ligne politique développée par Amintore Fanfani (ministre et président du Conseil entre la fin des années 1950 et le début des années 1960) lorsqu’il cherchait des espaces pour la politique italienne en Méditerranée, à la marge de l’opposition entre blocs dérivant de la guerre froide. Depuis, ENI apparaît comme un « État dans l’État », une entreprise capable de quasiment assurer une forme de politique étrangère pour promouvoir ses intérêts.</p>
<p>D’autres grandes entreprises publiques comme <a href="https://www.enelgreenpower.com/countries/africa">Enel</a>, <a href="https://www.leonardo.com/en/press-release-detail/-/detail/leonardo-grows-its-footprint-in-africa-with-new-air-traffic-control-systems-and-technology-upgrades">Leonardo</a> ou <a href="https://www.aceaafrica.org/">Acea</a> ont également des intérêts considérables en Afrique.</p>
<p>Il ne faut pas non plus sous-estimer les capacités du tissu italien de PME/PMI dont la vocation exportatrice s’exerce également en Afrique. À cet égard, il faut constater que depuis le début de la guerre en Ukraine les Italiens <a href="https://www.hellenicshippingnews.com/italys-russian-gas-imports-drop-to-2-4-of-total-algeria-rises-to-20-report/">n’importent plus leur gaz de Russie mais d’Afrique</a>, ce qui accroît le déficit commercial de la balance italienne avec le continent. Cette croissance des importations en provenance d’Afrique fournit également un cadre d’opportunité pour cultiver des relations commerciales qui contrebalancent les importations par une politique d’exportations plus incisive.</p>
<p>Par ailleurs, il convient d’évoquer la très grande importance que revêt la « galaxie catholique » dans les relations avec l’Afrique. Presque tous les diocèses italiens participent à des actions d’aide au développement sur le continent par le biais d’une multitude d’associations locales qui pratiquent le volontariat mais drainent également des sommes importantes. En ce qui concerne les ordres religieux, il convient de distinguer les <a href="https://www.comboni.org/fr/contenuti/101284">missionnaires comboniens</a> qui ont toujours développé une action privilégiée envers l’Afrique où ils ont développé un réseau qui contribue à nourrir les connexions italiennes avec différents territoires.</p>
<p>Enfin, il faut rappeler le rôle que joue la <a href="https://www.santegidio.org/pageID/30340/langID/fr/LES-ECOLES-DE-LA-PAIX-EN-AFRIQUE.html">Communauté de Sant’Egidio</a> dans le panorama italien. Cette association de laïcs, liée au Vatican, œuvre pour la paix en Afrique en mettant en avant ses remarquables capacités de médiation. Ce rôle a notamment été <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-3-page-9.htm">reconnu</a> lors de la résolution de la guerre civile au Mozambique en 1992 ; l’un des dirigeants de cette association, Andrea Riccardi, a été nommé au portefeuille de la Coopération dans le gouvernement Monti en 2011.</p>
<h2>Une clarification conceptuelle</h2>
<p>Le « Plan Mattei » présenté par Giorgia Meloni pouvait apparaître au départ comme une tentative de relance d’une politique suivant de manière plus ou moins consciente les lignes historiques du nationalisme italien, qui avait fait de la <a href="https://classe-internationale.com/2021/03/11/le-colonialisme-italien-en-afrique-petite-histoire-dun-imperialisme-oublie/">colonisation en Afrique</a> l’une de ses obsessions après l’unification de la péninsule.</p>
<p>À cet égard, il faut également rappeler la rivalité avec la France, avec laquelle les Italiens se perçoivent très souvent en compétition en Afrique, comme on l’a par exemple vu encore tout récemment <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2019/05/03/le-face-a-face-franco-italien-en-libye-un-piege-pour-leurope/">dans le cas libyen</a>. Mais les <a href="https://www.geo.fr/histoire/crimes-de-masse-et-colonisation-comment-mussolini-sest-constitue-un-nouvel-empire-romain-209372">exactions coloniales italiennes, dans la Corne d’Afrique ou en Libye</a>, sont tombées dans les oubliettes de l’histoire et ne constituent pas aujourd’hui un handicap pour un pays qui aime à se présenter comme « vierge » en matière de colonisation.</p>
<p>Au-delà de ces réflexes nationalistes, il faut mesurer l’évolution potentielle que représente l’émergence d’une politique africaine pour l’Italie. Le concept de politique africaine a l’avantage de clarifier l’action extérieure italienne en la matière. Longtemps, Rome a utilisé la notion de « Méditerranée » pour décrire sa projection vers la rive sud, dans une vision de triangle géographique dont l’Italie serait le sommet. Cette vision, très nationale, ne correspondait pas aux différentes définitions de politiques méditerranéennes que l’on rencontre au sein de l’Union européenne : pour l’UE, la politique méditerranéenne est soit une politique d’inclusion nord-sud, celle de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-l-union-pour-la-mediterranee/">l’Union pour la Méditerranée</a>, soit une politique de développement des régions du sud de l’Union. Ainsi, l’emploi de la seule notion d’« Afrique » représente une simplification utile pour rendre la politique étrangère italienne plus compréhensible et donc susceptible de créer des convergences internationales.</p>
<p>La conférence de janvier 2024 a largement mis en avant <a href="https://www.taurillon.org/le-plan-mattei-l-alternative-made-in-italy-aux-relations-euro-africaines">l’insertion de cette initiative dans le cadre européen</a>, une dimension par ailleurs souvent rappelée par le président de la République Sergio Mattarella. Elle a également réuni, nous l’avons dit, l’ensemble des institutions internationales, en particulier les différentes agences des Nations unies, ce qui montre une volonté louable de s’inscrire dans le cadre multilatéral existant. Enfin les représentants des acteurs italiens non étatiques (entreprises, Sant’Egidio) ont participé aux travaux de la conférence au Sénat.</p>
<h2>Une initiative utile à l’Europe ?</h2>
<p>D’un point de vue symbolique, il convient de souligner que les politiques européennes souffrent souvent d’un certain anonymat, d’un manque d’incarnation. L’Italie a utilisé les palais de la République pour mettre en scène une rencontre au sommet de facture classique, appréciée par les visiteurs. Enfin il faut noter que si le plan Mattei n’est qu’une méthode, il ne présente pas de solutions déjà ficelées – une flexibilité assez appréciée par les interlocuteurs africains présents à Rome, ouverts au dialogue. </p>
<p>À l’heure ou l’Afrique est un terrain difficile pour les pays européens, soumis à l’action de puissances extérieures agressives comme la <a href="https://theconversation.com/vers-un-imperialisme-chinois-en-afrique-102592">Chine</a> ou la <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Russie</a>, il convient de considérer cette initiative avec pragmatisme, quand bien même l’action de l’actuel gouvernement italien suscite parfois la controverse au niveau européen.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Darnis a reçu des financements publics de recherche par le biais des initiatives d'excellence IDEX.</span></em></p>Giorgia Meloni a accueilli à Rome 26 chefs d’État et de gouvernement africains et de nombreux représentants de la communauté internationale pour un sommet ambitieux.Jean-Pierre Darnis, Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d'Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur et membre du CISS de l'université LUISS de Rome, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213622024-02-27T15:41:23Z2024-02-27T15:41:23ZComment migrent les flétans ? Une petite structure dans leur crâne permet de mieux le comprendre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576890/original/file-20240220-18-5yndy5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C18%2C3953%2C2999&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les habitats utilisés tout au long de la vie du flétan et les mouvements effectués entre ceux-ci sont difficiles à caractériser.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Charlotte Gauthier)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Hausse des températures, modification des grands courants, diminution de l’oxygène en profondeur : le golfe du Saint-Laurent a subi de <a href="https://theconversation.com/lestuaire-maritime-du-saint-laurent-est-a-bout-de-souffle-180069">grands changements au niveau de ses conditions environnementales</a> dans les dernières décennies. Résultat ? De nombreuses espèces se retrouvent en difficulté et sont donc plus sensibles aux effets de la pêche.</p>
<p>Ces changements se font toutefois au profit de certaines autres espèces, comme le flétan de l’Atlantique, qui bat présentement des records d’abondance avec les valeurs les plus élevées des <a href="https://waves-vagues.dfo-mpo.gc.ca/library-bibliotheque/41206708.pdf">60 dernières années</a>.</p>
<p>Chercheuse en biologie, je propose d’apporter un éclairage sur certains mystères qui planent encore sur cette espèce qui détonne.</p>
<h2>Le flétan de l’Atlantique : champion du golfe du Saint-Laurent</h2>
<p>Le flétan de l’Atlantique est un poisson plat qui habite le fond des eaux du fleuve Saint-Laurent. Il est exploité pour sa chair blanche fine et ferme, très appréciée des consommateurs.</p>
<p>Le flétan peut atteindre des tailles impressionnantes de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/23308249.2021.1948502">plus de deux mètres</a>. En raison de la qualité de sa chair et de sa popularité dans les assiettes, il représente actuellement le poisson à la plus haute valeur commerciale de tout le golfe du Saint-Laurent.</p>
<p>Mais cette tendance n’a pas toujours été la même. Dans les années 1950, la portion adulte et exploitable des populations de flétan, que l’on nomme le stock, <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/73/4/1104/2458915?login=false">a subi un déclin majeur en raison de la surpêche</a>.</p>
<p>Dans l’idée de vouloir continuer d’exploiter cette ressource pour une période prolongée, il est impératif de ne pas répéter les mêmes erreurs que dans le passé. Pour y arriver, il est primordial d’avoir une bonne compréhension du cycle de vie du flétan et des effets que la pêche peut avoir sur le stock. Cependant, ce n’est pas complètement chose faite.</p>
<h2>Des enjeux pour une exploitation durable</h2>
<p>On connaît assez bien la biologie de base du flétan de l’Atlantique. Toutefois, les habitats utilisés tout au long de sa vie et les mouvements effectués entre ceux-ci sont plus difficiles à caractériser.</p>
<p>De <a href="https://academic.oup.com/icesjms/article/77/7-8/2890/5923787?login=false">récentes études</a> ont installé des étiquettes satellites sur des flétans pour enregistrer des données sur la profondeur et la température de l’eau où ils se trouvent et ainsi permettre de calculer précisément leurs déplacements. Grâce à cette méthode, les chercheurs ont pu identifier des trajectoires de flétans adultes sur une période d’un an et découvrir qu’ils se reproduisent en hiver dans les chenaux profonds du golfe.</p>
<p>Dans les différentes trajectoires annuelles, les chercheurs ont observé que, l’été, certains flétans demeurent dans les chenaux profonds, alors que d’autres entreprennent des migrations vers les zones moins profondes.</p>
<p>Même avec ces nouvelles informations, plusieurs questions demeurent, spécifiquement sur les plus jeunes stades de vie qui ne sont capturés que de façon anecdotique dans le golfe. Aussi, les étiquettes satellites fournissent des informations précises, mais uniquement sur une période d’un an, ce qui n’offre pas toute l’histoire pour un poisson qui peut vivre jusqu’à 50 ans.</p>
<p>C’est dans cette optique que l’utilisation d’un nouvel outil permettant d’étudier toute la vie des poissons devient fort pertinente.</p>
<h2>Les « os » des oreilles à la rescousse</h2>
<p>Tous les poissons osseux possèdent de petites structures calcaires dans leur oreille interne qu’on nomme otolithes, ou os d’oreilles, et qui remplissent des fonctions d’équilibre et d’audition.</p>
<p>Les otolithes se développent au tout début de la vie des poissons et grandissent au même rythme qu’eux. Les otolithes forment des cernes de croissance annuels qui sont comparables à ceux visibles dans le tronc des arbres.</p>
<p>Pour croître, les otolithes accumulent des éléments chimiques qui se retrouvent dans le milieu dans lequel baigne le poisson. Ainsi, lorsque le poisson se déplace, les éléments chimiques accumulés dans les otolithes seront différents d’un endroit à un autre. Chaque endroit est caractérisé par une combinaison unique de différentes concentrations d’éléments chimiques. C’est ce qu’on appelle une empreinte élémentaire. L’identification de ces empreintes peut donc nous fournir des informations cruciales sur les déplacements des poissons à différents endroits, et ce, tout au long de leur vie.</p>
<p>C’est cette méthode de caractérisation des éléments chimiques des otolithes que j’ai utilisée pour me pencher sur les patrons migratoires du flétan de l’Atlantique dans le golfe du Saint-Laurent.</p>
<h2>Un large spectre de stratégies migratoires</h2>
<p>Pour pouvoir savoir à quelles concentrations d’un élément chimique correspond le lieu de capture du poisson, on utilise l’empreinte de la marge de l’otolithe, c’est-à-dire la matière de la fin du cerne le plus à l’extérieur de l’otolithe, qui a été accumulée en dernier.</p>
<p>On considère que les concentrations des éléments qu’on y retrouve sont caractéristiques du lieu où le poisson a été capturé. En analysant les marges de près de 200 otolithes de flétans provenant d’un peu partout dans le golfe, j’ai pu distinguer deux empreintes élémentaires : une représentative des eaux de surface (moins de 100 mètres de profondeur) et une caractérisant les eaux plus profondes (plus de 100 mètres de profondeur).</p>
<p>Une fois ces empreintes identifiées, j’ai observé la concentration des éléments chimiques sur toute la vie des poissons pour pouvoir associer chaque moment de la vie soit à l’empreinte des eaux de surface, soit à celle des eaux profondes.</p>
<p>En ayant séparé la vie de chacun des individus entre moments passés en eaux de surface ou profondes, j’ai pu ressortir les patrons récurrents et les regrouper en trois stratégies migratoires différentes : les résidents, les migrants annuels et les migrants irréguliers.</p>
<p>Ainsi, j’ai pu observer que les flétans capturés dans le sud du golfe étaient majoritairement des migrants annuels, et donc qu’ils entreprennent des migrations entre les eaux profondes et peu profondes chaque année. Au contraire, dans la partie nord du golfe, on y retrouve une majorité de résidents. Les résidents correspondent à des poissons qui peuvent avoir migré au début de leur vie, mais qui ont fini par s’installer définitivement dans les eaux profondes avant d’avoir atteint la maturité. Les migrants irréguliers, quant à eux, montrent des migrations sur une fréquence plus sporadique, et se retrouvent en proportions similaires partout dans la zone d’étude.</p>
<h2>Sur la bonne voie pour une gestion optimale</h2>
<p>Mon étude est la première à offrir une vision globale des mouvements effectués par les flétans sur toute leur vie.</p>
<p>Ces nouvelles informations permettent de mieux comprendre la structure du stock et la diversité des stratégies migratoires qu’on peut y retrouver.</p>
<p>Considérant que ces stratégies sont réparties différemment selon les zones du golfe, on peut s’assurer de ne pas cibler de manière disproportionnelle les flétans utilisant la même stratégie migratoire et éviter la surpêche d’une seule composante du stock.</p>
<p>De cette manière, il est possible de conserver cette diversité qui bénéficie à la résilience du stock face aux différents changements qui peuvent survenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221362/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Gauthier a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et de la fondation de l'Université du Québec à Chicoutimi. </span></em></p>Le flétan de l’Atlantique revient en force dans le golfe du Saint-Laurent. Mais comment savoir où il se déplace pendant toute sa vie ?Charlotte Gauthier, Étudiante au doctorat, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224532024-02-08T16:57:47Z2024-02-08T16:57:47ZSauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer<p>Des voix <a href="https://defishumanitaires.com/2023/06/27/en-panne-ou-a-sec-une-discussion-necessaire-sur-le-deficit-de-financement-de-laide-humanitaire/">s’élèvent de toutes parts</a> pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement.</p>
<p>Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles de cette aide humanitaire internationale, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable », alors que c’est dans cette mer que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">presque 29 000 personnes</a>.</p>
<h2>Une obligation morale et juridique</h2>
<p>On ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-humanitaire-fr_cle8c1cde.pdf">stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027</a>. Il n’est toutefois pas trop tard.</p>
<p>Rappelons notamment que la France affirme dans cette stratégie qu’elle « défendra l’action humanitaire comme priorité européenne » (point 4.1.b du plan), et qu’elle portera une attention particulière aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, a fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (points 2.4 et 2.5 du plan). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants">au moins 2 300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire</a>. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/43037">moindre chance de survivre à la traversée que les hommes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/data">Organisation internationale pour les Migrations (OIM)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est le devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette obligation relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat, que ce soit au regard du <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">droit de la mer</a> ou du point de vue du <a href="https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies">droit international humanitaire</a>.</p>
<p>Dès lors, comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html">l’a réaffirmé la Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable aux plans moral, légal et politique.</p>
<p>Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522">publiquement appelé les États à « prendre leurs responsabilités »</a>.</p>
<h2>L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin du défaut de solidarité des pays européens</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2014-1-page-20.htm">Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa</a>, qui a coûté la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie. Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire baptisée <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-Italie-lance-la-mission-Mare-Nostrum-2013-10-16-1043279">Mare Nostrum</a>, destinée à la fois à secourir les migrants naufragés et à dissuader les passeurs.</p>
<p>Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère.</p>
<p>Le coût du déploiement militaire était élevé, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’UE n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.</p>
<p>Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l’effet inverse de celui recherché dans la mesure où elle aurait facilité le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d’acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l’aide d’un navire mère, avant de les abandonner à bord de petites embarcations, récupérées ensuite par les navires italiens opérant dans le cadre de Mare Nostrum.</p>
<p>Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l’arrêt de l’opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme de contrôle des frontières géré et financé par l’UE.</p>
<p>Mare Nostrum prit donc fin le 1<sup>er</sup> novembre 2014. En remplacement, Frontex mettra en place <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/">l’opération Triton</a>, bien moins ambitieuse, qui se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, n’ayant ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer.</p>
<p>L’abandon de Mare Nostrum traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE : l’absence de solidarité entre les pays membres, en particulier dans leur soutien à l’Italie ; une incapacité à mesurer la détermination de personnes voulant à tout prix échapper à la violence de leur pays d’origine ; et une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.</p>
<p>Ce repli est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2023/">l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence</a>.</p>
<h2>Le problème de la zone de recherche et de sauvetage libyenne</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le découpage de la Méditerranée en zones de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR).</span>
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<p>Une zone SAR (« Search and rescue ») est un espace maritime aux dimensions définies, où un État côtier assure des services de recherche et de sauvetage, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité.</p>
<p>Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/">assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer, et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés</a>. Un « lieu sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.</p>
<p>La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis, elle concentre des dysfonctionnements et des violences passés sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays.</p>
<p>Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et, surtout, d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, l’Italie avait alors élargi de fait – sinon en droit – son champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-29.htm">déclaré</a> auprès de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) sa zone « SAR » et son « Centre de coordination et de secours maritime » (Maritime Rescue Coordination Center, MRCC), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais aux Libyens.</p>
<p>Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois à renforcer les frontières de l’Union, à lutter contre l’immigration illégale et à améliorer les opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination. À ce budget étaient adjoints 1,8 million d’euros, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer">via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union</a>, sans que l’on connaisse précisément le contenu des demandes faites aux autorités libyennes pour qu’elles jouent ce rôle.</p>
<p>Malgré les <a href="https://fr.africanews.com/2023/07/11/libye-des-ong-denoncent-des-tirs-de-garde-cotes-lors-dun-sauvetage//">dénonciations récurrentes par les ONG</a> du comportement des garde-côtes libyens, l’UE <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/">se félicite des résultats obtenus</a>.</p>
<p>On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes aux comportements obscurs et violents, et – par transfert de mandat – d’ONG. Ces organisations sont pourtant régulièrement soumises par les autorités des pays riverains de la Méditerranée à des stratégies délibérées de harcèlement et d’empêchement à agir, sous le regard indifférents de l’UE.</p>
<h2>La stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et entraver ceux qui aident</h2>
<p>« Primum non nocere » (tout d’abord, ne pas nuire) : cette formule – familière pour les professionnels de santé – ne semble pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.</p>
<p>L’UE, malgré sa puissance économique et financière, se refuse à toute implication financière dans son soutien aux ONG œuvrant au large de ses côtes.</p>
<p>Elle cautionne les incessants et longs déplacements des bateaux et des rescapés pris en charge à leur bord pour leur permettre de débarquer dans des ports sûrs.</p>
<p>Ainsi, en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em>, navire affrété par SOS Méditerranée, a <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/">secouru 26 personnes</a>. Pour le débarquement des rescapés, c’est le port lointain de Livourne qui a été assigné au navire. Ce port se trouvait à plus de 1 000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu’il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage.</p>
<p>Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation, pour le débarquement, de Livourne, à 1 100 km du point de prise en charge <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/recap-ocean-viking-71-personnes-livourne/">d’un groupe de 71 personnes</a> (dont 5 femmes et 16 mineurs non accompagnés). Il résulte de ces désignations obligatoires, dont le contournement expose les sauveteurs à des sanctions immédiates, à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=566&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572895/original/file-20240201-27-cxlsxz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=711&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Port sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.</span>
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<h2>La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=369&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573090/original/file-20240202-27-rk6wh3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours. La quasi-totalité des navires <a href="https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/">était ainsi immobilisée à la mi-juin 2021</a>. Le <em>Geo Barents</em>, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’<em>Aita Mari</em> du collectif espagnol Maydayterraneo.</p>
<p>Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».</p>
<p>Le <em>Sea-Eye 4</em> de l’ONG allemande Sea-Eye fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’<em>Open Arms</em> (Proactiva Open Arms), le <em>Louise Michel</em> (Banksy), le <em>Mare Jonio</em> (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour <em>Sea-Watch 3</em> et 4 (Sea-Watch) et l’<em>Alan Kurdi</em> (Sea-Eye), immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne.</p>
<p>Cette stratégie d’immobilisations et de rétentions de navires s’est renforcée à partir de début 2023.</p>
<p>La législation italienne a alors intégré les effets du <a href="https://www.vuesdeurope.eu/italie-un-nouveau-decret-entrave-les-operations-de-sauvetage-en-mer-des-ong/">décret-loi « Piantedosi »</a>, qui limite la capacité des navires de recherche et de sauvetage appartenant à des ONG à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.</p>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong">L’interpellation du ministre italien</a> à l’origine du décret par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet.</p>
<h2>Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »</h2>
<p>Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/qu-est-ce-que-le-medicane-ce-cyclone-de-type-mediterraneen-qui-a-ravage-la-libye_6059961.html">« médicane »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Théodore Gudin, « Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d’Alger. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010055650">Musée national de la Marine, Paris</a></span>
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<p>On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d’un centre à cœur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes que celles d’un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent <a href="https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile">certaines caractéristiques proches</a>.</p>
<p>Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em> s’est non seulement vu attribuer un port de débarquement lointain, mais a aussi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, quand il a demandé à pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des trajectoires des médicanes recensés entre 2000 et 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Navigation-Mac</span></span>
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<p>Des mesures urgentes et concrètes sont dès lors impératives pour réaffirmer la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du <em>primum non nocere</em>.</p>
<h2>Les nécessaires évolutions dans l’organisation des secours en mer</h2>
<p>Il convient de rappeler le caractère intolérable au plan moral et politique de l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE devant les drames récurrents, et de mettre fin au cercle vicieux que provoquent les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, devenue aujourd’hui le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html">principal point de départ des tentatives de traversée</a>.</p>
<p>Une réaffirmation des éléments de droit international, européen et national concernant la mise en œuvre impérative des secours pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le droit de la mer et le Droit international humanitaire.</p>
<p>Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse – et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition, à l’impérative assistance à personnes en danger.</p>
<p>Il est également nécessaire d’accroître la transparence des mécanismes de soutien mis en œuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE, d’enquêter sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…), et de mettre en œuvre des <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/51021/tunisia-and-libya-share-responsibility-for-hundreds-of-migrants-at-border">mécanismes de redevabilité</a> efficaces.</p>
<p>Il faut, aussi, se doter de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html">tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés</a> dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées.</p>
<p>Plus généralement, la Méditerranée centrale, de même que d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, doit être reconnue comme <a href="https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/">espace humanitaire</a>.</p>
<p>Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (<a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">ECHO</a>), et multilatéraux (dont les Nations unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l’aide humanitaire internationale.</p>
<p>Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.</p>
<p>Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les États européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.</p>
<p>Les modalités d’assignation d’un « lieu sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages. L’assignation délibérée – non argumentée – de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.</p>
<p>Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.</p>
<p>L’ensemble de ces demandes a fait l’objet, en France, d’une <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration">déclaration en urgence de la CNCDH</a>, parue au <em>Journal officiel</em> le 23 octobre 2023.</p>
<p>Le dispositif <em>Mare Nostrum</em> continue de servir de repère. Les organisations humanitaires appellent de leurs vœux le réinvestissement solidaire et concret des <em>États européens</em> dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité <em>par défaut des politiques publiques de l’UE</em>, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.</p>
<p>La récente signature du <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">« Pacte sur les migrations et l’asile »</a> n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept d’« instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux États européens pour <a href="https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/">criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer</a>.</p>
<p>La composition du futur Parlement européen, que les prévisions donnent dominé par la droite, après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance.</p>
<hr>
<p><em>Pierre Micheletti a récemment publié <a href="https://langagepluriel.org/publications/tu-es-younis-ibrahim-jam/">« Tu es Younis Ibrahim Jama »</a>, roman inspiré de faits réels dont l’action se déroule entre le Soudan, le Tchad et la France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et administrateur de l'ONG SOS Méditerranée.</span></em></p>Quelque 29 000 personnes sont mortes en Méditerranée depuis 2014. Ce sont surtout des ONG qui portent secours aux naufragés, du fait de la politique restrictive de l’UE.Pierre Micheletti, Responsable du diplôme «Santé -- Solidarité -- Précarité» à la Faculté de médecine de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2225662024-02-06T14:38:38Z2024-02-06T14:38:38ZCoupe d’Afrique des nations : les diasporas, une aubaine pour le football africain ?<p>Qui remportera la <a href="https://theconversation.com/topics/coupe-dafrique-des-nations-can-137997">Coupe d’Afrique des nations</a> (CAN) dimanche prochain ? Ce mercredi, en demi-finales, le Nigeria s'est qualifié aux dépens de l’Afrique du Sud, et affrontera en finale le pays organisateur, la Côte d’Ivoire, venue à bout de la République démocratique du Congo.</p>
<p>À l’issue de <a href="https://www.theguardian.com/football/2022/feb/06/senegal-egypt-africa-cup-of-nations-final-match-report">l’édition précédente</a>, en 2022, c’est le capitaine du Sénégal, Kalidou Koulibaly, qui avait soulevé le trophée. En 2019, le capitaine Riyad Mahrez avait mené l’Algérie à la victoire. Aucun de ces deux joueurs n’est né en Afrique. En cas de victoire du Nigeria, le trophée ne serait, une fois de plus, pas soulevé par un natif du continent africain : <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Article/Troost-ekong-capitaine-du-nigeria-a-la-can-la-plus-belle-decision-de-ma-vie/1446178">William Troost-Ekong</a>, l’actuel capitaine des Super Eagles, est né aux Pays-Bas. Sur les <a href="https://www.thecitizen.co.tz/tanzania/news/sports/the-allure-of-the-diaspora-at-afcon-2024-4491490#">630 joueurs</a> convoqués, 200 sont nés en dehors du continent. La carte ci-dessous indique leurs lieux de naissance.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573538/original/file-20240205-25-o9305y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=536&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lieu de naissance hors Afrique des joueurs engagés à la CAN. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le pays non africain qui a vu naître le plus grand nombre de joueurs présents à la CAN est la France, avec 104 joueurs, suivie de l’Espagne avec 24 joueurs, puis du Royaume-Uni avec 15 joueurs. Des natifs de l’Irlande et de l’Arabie saoudite participent aussi au tournoi cette année.</p>
<p>L’équipe nationale marocaine était celle comptant le plus grand nombre de joueurs issus de la <a href="https://theconversation.com/topics/diaspora-72162">diaspora</a> : 18 d’entre eux sont nés hors du pays qu’ils représentaient, alors que seuls 9 membres de l’équipe sont nés dans le pays. La Guinée équatoriale et la République démocratique du Congo comptent, elles, respectivement 17 et 16 joueurs issus de la diaspora.</p>
<h2>Choix du cœur ou de la raison ?</h2>
<p>Une intense bataille visant à attirer les talents se dispute actuellement dans le monde du football. Elle implique souvent la <a href="https://www.migrationpolicy.org/article/international-athletes-world-cup-nationality">naturalisation de footballeurs</a>, qui se retrouvent parfois à jouer pour une équipe nationale alors qu’ils ont déjà joué pour une autre (ce qui est possible depuis 2020, avec toutefois des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/fifa-la-nouvelle-regle-pour-les-changements-d-equipe-nationale-a-ete-votee_AV-202009190237.html">restrictions importantes</a>). Certains États effectuent même un <a href="https://www.thenationalnews.com/fifa-world-cup-2022/2022/12/07/every-moroccan-is-moroccan-regraguis-fight-to-include-foreign-born-players-vindicated/">ciblage spécifique</a> de joueurs susceptibles de renforcer leur sélection nationale dans des pays du monde entier.</p>
<p>Le cas de l’Afrique reste cependant bien à part. Il reflète à la fois son passé colonial et l’importance de ses diasporas présentes en de nombreux points du monde. <a href="https://www.theguardian.com/football/2015/sep/12/leicester-city-riyad-mahrez-father-dream-algeria-world-cup">Riyad Mahrez</a>, par exemple, est né à Paris de parents d’origine algérienne et marocaine. La capitale française compte 331 000 Algériens et 254 000 Marocains. Les parents de <a href="https://onefootball.com/en/news/chelsea-defender-koulibaly-explains-choosing-senegal-over-france-35927795">Kalidou Koulibaly</a>, natif de Saint-Dié-des-Vosges, sont tous deux nés au Sénégal ; et les chiffres indiquent qu’il y a plus de 100 000 Sénégalais en France.</p>
<p>Il ne s’agit pas seulement d’une histoire française : l’attaquant nigérian <a href="https://dailypost.ng/2023/02/09/no-regrets-choosing-nigeria-over-england-lookman/">Ademola Lookman</a> est né à Londres ; le Ghanéen <a href="https://www.bbc.co.uk/sport/africa/62549049">Inaki Williams</a> a quasiment toujours vécu à Bilbao et a porté une fois le maillot de la sélection espagnole ; les Marocains <a href="https://blogs.lse.ac.uk/mec/2023/01/16/the-political-dimension-of-moroccos-success-in-the-world-cup/">Sofyan Amrabat et Hakim Ziyech</a> sont passés par les équipes de jeunes des Pays-Bas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1745694217509458131"}"></div></p>
<p>L’identité personnelle et la dynamique familiale comptent souvent parmi les raisons principales pour lesquelles les joueurs choisissent de représenter les équipes du lieu de naissance de leurs parents plutôt que celles du pays où ils sont nés eux-mêmes. <a href="https://www.irishtimes.com/sport/soccer/2022/12/10/hakim-ziyech-a-magician-at-the-heart-of-moroccan-love-story/">Hakim Ziyech</a>, par exemple, a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Le choix d’une équipe nationale ne se fait pas avec le cerveau mais avec le cœur. Je me suis toujours senti marocain, même si je suis né aux Pays-Bas. Beaucoup de gens ne comprendront jamais. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.goal.com/en-gb/news/inaki-williams-made-right-choice-ghana-over-spain/blt005c8219a89b044e">Inaki Williams</a> a, lui, évoqué l’influence de ses grands-parents :</p>
<blockquote>
<p>« Je n’étais pas sûr de mon choix, mais un voyage au Ghana m’a aidé à comprendre ce que mes grands-parents en pensaient. Tout m’a semblé plus simple en voyant les gens et ma famille m’encourager à devenir un Black Star. »</p>
</blockquote>
<p>Les cyniques affirment que certains de ces joueurs ne sont tout simplement pas assez bons pour être sélectionnés dans l’équipe nationale du pays où ils sont nés. Présenté dans ses jeunes années comme une future star du football anglais alors qu’il impressionnait sous les couleurs d’Arsenal, <a href="https://www.completesports.com/ex-everton-star-ball-iwobi-not-good-enough-to-play-for-toffees/">Alex Iwobi</a>, 27 ans, joue aujourd’hui pour Fulham, équipe de milieu de tableau, et compte 72 sélections avec le Nigeria.</p>
<h2>S’appuyer davantage sur les natifs du continent ?</h2>
<p>D’autres observateurs s’inquiètent néanmoins de l’impact négatif que le recours aux diasporas peut avoir sur le football africain. Pour eux, faire venir des talents d’Europe et d’ailleurs ne serait qu’une stratégie cherchant à obtenir des résultats immédiats au détriment du <a href="https://www.africanews.com/2018/09/11/is-africas-football-talent-finally-coming-back-home-football-planet/">développement à long terme du football sur le continent</a>.</p>
<p>Une telle stratégie peut effectivement porter ses fruits rapidement : lors de la Coupe du monde au Qatar en 2022, le Maroc est devenu la première nation africaine à atteindre les demi-finales du tournoi. Cette performance lui a permis d’obtenir la meilleure place jamais enregistrée par une équipe africaine dans le classement de la FIFA (13<sup>e</sup> place). Le Sénégal se trouve également dans le Top 20 mondial.</p>
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<p>Les performances récentes du Cap-Vert, éliminé aux tirs au but au stade des quarts de finale de la Coupe d’Afrique cette année, ont aussi montré que tout était possible, même pour des nations traditionnellement plus discrètes sur la planète football. L’équipe nationale de ce chapelet de dix îles de l’océan Atlantique, dont la population est inférieure à celle de la ville de Marseille, a terminé en tête d’un groupe difficile comprenant l’Égypte et le Ghana et a éliminé la Mauritanie en huitième de finale. Là aussi, de nombreux binationaux ont été <a href="https://www.flashscore.fr/actualites/football-can-pico-lopez-et-logan-costa-l-irlandais-et-le-toulousain-du-cap-vert-a-la-can-2024/AkwY50Ck/">remarqués et sollicités</a> par la fédération capverdienne.</p>
<p>L’ancien gardien de but du Cameroun et de l’Olympique de Marseille <a href="https://www.lemonde.fr/en/sports/article/2022/11/25/world-cup-2022-the-problem-with-african-football-is-the-leaders_6005649_9.html">Joseph-Antoine Bell</a> ne s’enthousiasme pas outre mesure. Selon lui, la possibilité d’avoir recours à de nombreux joueurs issus de la diaspora rend le travail des dirigeants, des managers et des entraîneurs du continent africain trop facile, ce qui provoquerait une forme de passivité. Il a ajouté que ce phénomène démotiverait les joueurs nés, éduqués et vivant en Afrique.</p>
<p>Bien que la pratique de la sélection de joueurs issus des diasporas semble <a href="https://www.versus.uk.com/articles/diaspora-fc-why-its-time-for-this-generation-to-go-back-to-their-motherlands">s’intensifier</a> (l’impact de la <a href="https://sports-chair.essec.edu/resources/research-reports/sport-and-national-eligibility-criteria-in-the-era-of-globalization">mondialisation</a> se faisant aussi ressentir), quelques pays continuent de s’appuyer fortement sur des joueurs nés et élevés sur le territoire national. L’Égypte, la Namibie et l’Afrique du Sud en sont des exemples. Joseph-Antoine Bell approuverait sans doute, lui qui a déjà appelé l’Afrique à développer des solutions internes en matière d’identification et de développement des talents. Le problème, c’est que cela demande du temps, de l’argent et de la patience – des denrées précieuses dans le football en général, et pas seulement en Afrique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>De nombreux joueurs des sélections africaines sont nés et ont grandi en Europe. Leur choix d’évoluer pour une nation africaine est-il un signe positif pour le football africain ?Simon Chadwick, Professor of Sport and Geopolitical Economy, SKEMA Business SchoolPaul Widdop, Associate Professor, Manchester Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202952023-12-28T17:16:51Z2023-12-28T17:16:51ZMigration irrégulière et passeurs, une interaction centrale et complexe<p>Un point du texte sur l’immigration récemment voté par les parlementaires français met en place des dispositions visant à réprimer davantage les <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">passeurs</a> en criminalisant cette activité (qui était considérée comme un délit jusqu’à présent). La Commission européenne elle aussi de son côté réfléchit à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/29/la-commission-europeenne-propose-de-durcir-la-legislation-contre-les-passeurs-de-migrants_6202886_3210.html">durcir sa législation</a> en la matière, en clarifiant le périmètre des infractions et en renforçant les peines encourues.</p>
<p>Le mardi 28 novembre, Ursula von der Leyen, sa présidente, recevait les représentants d’une soixantaine de pays pour lancer une alliance mondiale pour lutter contre les passeurs. En parallèle, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_23_6708">nouveau pacte sur la migration et l’asile ce 20 décembre</a>, qui doit être promulgué en avril 2024. Mais de quoi parle-t-on exactement ?</p>
<h2>Un tournant à partir de 2014</h2>
<p>La migration irrégulière vers le Vieux Continent s’est développée depuis les années 1980. Plus encore à partir de 2014, les États membres de l’Union européenne (UE) ont enregistré une <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/smuggling_report.pdf#page=119">augmentation du nombre de migrants irréguliers</a>, arrivant du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, révèle un niveau record de <a href="https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/ARA_2022_Public_Web.pdf">1 822 000 passages illégaux en 2015</a> (passages multiples inclus), au plus fort de la crise syrienne, une baisse pendant la période de Covid-19, suivie d’une augmentation des franchissements irréguliers des frontières après 2020.</p>
<p><iframe id="QcF5S" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/QcF5S/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La Commission Européenne précise que Syriens, Afghans, Tunisiens, Égyptiens et Bangladeshis représentaient <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr">60 % des 330 000 passages irréguliers des frontières en 2022</a>, alors que 15,7 % des franchissements de frontières ont été effectués par des personnes de nationalité non identifiée.</p>
<p>Selon les <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf">Nations unies</a>, il y avait en 2018 trois grandes routes migratoires vers l’Europe, toutes impliquant la traversée de la mer Méditerranée : la route de la Méditerranée centrale – de l’Afrique du Nord (principalement la Libye) à l’Italie (souvent en Sicile) ; la route de la Méditerranée orientale – de la côte turque à diverses îles grecques ; la route de la Méditerranée occidentale – du Maroc à l’Espagne. Frontex y ajoute une route d’Afrique de l’Ouest et une route terrestre des Balkans occidentaux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567082/original/file-20231221-19-z03ybo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des routes migratoires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Frontex (2020)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une étude du marché illégal des « passeurs »</h2>
<p>Quels leviers possibles pour les politiques publiques ? Pour répondre à cette question, nous avons développé une <a href="https://hal.science/hal-04316352v1">étude originale</a> du marché illégal du service de facilitation du passage des migrants clandestins. L’analyse s’intéresse essentiellement à la <a href="https://www.migrationdataportal.org/themes/forced-migration-or-displacement">migration forcée</a>, c’est-à-dire, aux migrants qui doivent quitter leur pays sous la menace pour eux ou leurs familles. Elle décrit les différentes étapes suivies par les migrants et les passeurs, depuis leur rencontre jusqu’au moment où la destination est atteinte. Une analyse en flux, dynamique, permet d’intégrer les différents risques auxquels passeurs et migrants sont confrontés en cours de route. Au cœur de notre étude se situe un <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w10655/w10655.pdf">modèle d’appariement</a> traditionnel, qui formalise le processus de rencontre entre les candidats à la migration et les passeurs.</p>
<p>Le modèle permet d’étudier les effets des politiques sur la probabilité pour un migrant de trouver un passeur, sur le prix du passage, sur le nombre de migrants déboutés qui retentent leur chance et sur le nombre de migrants qui risquent de mourir pendant le voyage. La résolution analytique est complétée par une simulation numérique.</p>
<p>Prendre en compte les diverses interactions et en particulier l’importance des flux de migrants stoppés en cours de route ou déboutés de l’asile qui retentent leur chance permet de mettre en évidence des impacts <em>a priori</em> inattendus de ces politiques. Ces politiques doivent également prendre en considération leur impact sur le bien-être de populations déjà grandement fragilisées.</p>
<h2>Pas de migration irrégulière sans passeurs</h2>
<p>Pratiquement tous les migrants qui empruntent les routes méditerranéennes dépendent des passeurs, notamment pour la traversée maritime. Un <a href="https://www.europol.europa.eu/cms/sites/default/files/documents/migrant_smuggling__europol_report_2016.pdf">rapport d’Europol</a>, rédigé immédiatement après le pic de 2015 de la migration irrégulière vers l’UE, montre que plus de 90 % des entrées de migrants ont été facilitées par des réseaux de passeurs. Les agents de Frontex ont interrogé des migrants nouvellement arrivés dans la région méditerranéenne et ont constaté que <a href="https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/Risk_Analysis_for_2019.pdf#page=9">84 % d’entre eux utilisaient les services de passeurs</a>, tandis que seulement 7 % d’entre eux sont arrivés en Europe sans leur aide. 11 700 passeurs ont été détectés chaque année en moyenne sur la période 2014-2022.</p>
<p><iframe id="rWjSH" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rWjSH/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Toujours en 2015, le chiffre d’affaires du marché européen du trafic de migrants était estimé entre 3 et 6 milliards d’euros. En 2019, le chiffre d’affaires de ce trafic sur les routes méditerranéennes seulement était estimé à environ <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2021/659450/EPRS_BRI(2021)659450_EN.pdf#page=5">190 millions d’euros</a>.</p>
<p>Sur le marché des passeurs en général, les <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf">petites entreprises et les entreprises familiales</a> côtoient des cartels criminels dotés d’une forte organisation hiérarchique. Les <a href="https://www.researchgate.net/publication/322650970_Out_of_Africa_The_organization_of_migrant_smuggling_across_the_Mediterranean">recherches ethnographiques</a>, basées sur des entretiens avec des migrants, indiquent que dans le cas de la migration irrégulière vers l’Europe, les passeurs sont largement indépendants et autonomes. Il s’agit de <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/ch18-migrant-smuggling-in-the-libyan-context.pdf">gens ordinaires</a>, vivant dans des zones frontalières le long des voies migratoires et dans des enclaves de migrants dans les villes côtières, qui se font concurrence pour fournir leurs services à un nombre limité de migrants potentiels. De nombreux passeurs sont des <a href="https://www.academia.edu/34427360/Methodological_approaches_in_human_smuggling_research_Documenting_irregular_migration_facilitation_in_the_Americas_and_the_Middle_East">anciens candidats à la migration</a> qui, une fois refoulés, utilisent leur expérience pour s’installer en tant que passeurs.</p>
<h2>Un prix négocié</h2>
<p>Sur le marché illégal du passage, passeurs et migrants se rencontrent par des canaux multiples, y compris via des annonces sur les réseaux sociaux. Ils <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf">négocient le tarif du passage en fonction des caractéristiques du voyage</a> : itinéraires, véhicules, niveau de sécurité et durée. Ces frais peuvent également varier en fonction du sexe, de l’âge et de la citoyenneté des migrants et des pays de destination.</p>
<p>Les Nations unies estimaient en 2018 que les migrants d’Afrique subsaharienne payaient environ <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf#page=60">1 000 dollars américains</a> pour être introduits clandestinement sous le pont d’un bateau reliant la Libye à l’Europe, tandis qu’un Syrien déboursait <a href="https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/glosom/GLOSOM_2018_web_small.pdf#page=50">2 500 dollars américains</a> ou plus pour un siège plus sûr. Selon Frontex, les migrants qui ont atteint l’Italie depuis la Turquie ont dépensé en moyenne <a href="https://www.frontex.europa.eu/assets/Publications/Risk_Analysis/Risk_Analysis/Risk_Analysis_for_2019.pdf#page=30">5 000 euros par personne</a> pour des services de passeurs.</p>
<p>Les informations sur la manière dont les frais sont négociés ou affichés par les passeurs sont rares. D’après la Commission européenne et les Nations unies, passeurs et migrants construisent une relation d’affaires permettant la négociation du prix du passage. Plusieurs <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10610-020-09459-y">études</a> ont ainsi révélé que les passeurs ont d’importantes préoccupations en matière de réputation, ce qui les empêche d’exploiter complètement les migrants. En général, les migrants vers l’Europe paient les frais à l’avance, avec des modalités de paiement qui peuvent être relativement sophistiquées, afin d’éviter les comportements opportunistes des deux côtés du commerce. Parfois, l’accord implique un paiement fractionné, ce qui augmente le risque que le passeur ne soit pas payé.</p>
<h2>L’UE cherche à endiguer la migration irrégulière</h2>
<p>La lutte contre le trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains a été présenté comme une <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/discours-sur-letat-de-lunion-2023-de-la-presidente-von-der-leyen-2023-09-13_fr">priorité absolue</a> pour l’UE par Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union 2023. Les 27 s’efforcent activement de s’attaquer aux flux de migrants irréguliers, en promouvant une stratégie européenne globale, en accélérant la gestion des demandeurs d’asile à l’intérieur des frontières de l’UE et en renforçant la coopération avec les gouvernements des pays d’origine et de transit tels que la Turquie, la Jordanie, la Tunisie ou la Libye.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1737773249000317183"}"></div></p>
<p>En 2015, l’UE a procédé à une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/MEMO_15_4544">révision complète de sa politique migratoire</a>, étudiant les ressources communes consacrées à l’amélioration de la situation des migrants ainsi qu’à la lutte contre le franchissement illégal des frontières. Dans le cadre de ce vaste ensemble de réformes, la Commission européenne a adopté un plan d’action de l’UE contre le trafic illicite de migrants visant à transformer le trafic illicite d’une activité à « profit élevé et faible risque » en une activité « à risque élevé et faible profit », tout en garantissant le plein respect et la protection des droits de l’homme des migrants. En septembre 2021, un <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52021DC0591">plan d’action renouvelé</a> de l’UE contre le trafic illicite de migrants (2021-2025) a été adopté par la Commission européenne.</p>
<p>Parallèlement, en 2020, l’UE a publié un nouveau <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_1706">pacte sur l’asile et la migration</a> dans le but de renforcer la coordination et la coopération avec les pays tiers, donnant un rôle renforcé à Frontex, créant un système commun de l’UE pour les retours, nommant un nouveau coordinateur de l’UE pour les retours et mettant en œuvre une stratégie de retour volontaire et de réintégration. C’est ce Pacte qu’ont récemment adopté le Parlement et le Conseil.</p>
<h2>Augmenter le risque et diminuer le profit pour les passeurs ?</h2>
<p>L’UE dispose de différents outils pour combattre la migration irrégulière. Elle peut notamment diminuer les incitations à migrer de façon irrégulière vers l’UE en jouant sur les bénéfices anticipés par les migrants potentiels ou cibler les passeurs en rendant leur activité plus risquée. Elle peut d’abord augmenter les voies légales de la migration (en délivrant des visas spécifiques aux réfugiés). Cela entraînerait, d’après notre modèle, une hausse des flux de migrants réguliers, pratiquement compensée par une baisse des flux de migration irrégulière. On observerait également une chute du nombre de passeurs, et une hausse du bien-être des migrants.</p>
<p>Les États membres peuvent également agir sur le taux d’acceptation des demandes d’asile. Or, il faut savoir qu’une majorité des personnes déboutées du droit d’asile tentent leur chance à nouveau, faisant encore appel aux passeurs pour traverser la Méditerranée. Cela explique qu’une trop forte hausse du taux de rejet entraîne <em>in fine</em> une hausse du nombre de personnes arrivant sur les côtes européennes. Cela entraîne également une baisse du prix du passage (car les migrants savent qu’ils ont moins de chance d’obtenir le statut de réfugié), entraînant alors une diminution du nombre de passeurs.</p>
<p>Enfin, faciliter l’intégration des migrants dans le pays d’accueil a tendance à augmenter le nombre de demandeurs d’asile et de passeurs, le prix du passage et le bien-être des migrants.</p>
<p>Du côté des passeurs, augmenter le coût de leur activité ou la peine subie lorsqu’ils sont arrêtés permet de diminuer leur nombre, tout en augmentant le prix du passage. De même, diminuer les opportunités de départ des côtes africaines (en augmentant les moyens des garde-côtes par exemple) et contrôler les moyens de communication des passeurs vers les migrants entraîne une baisse des entrées irrégulières et du bien-être des migrants, mais a des impacts différents sur le nombre de passeurs et le prix du passage. Enfin, augmenter la probabilité d’arrestation des passeurs diminue le nombre de passeurs et de migrants irréguliers, augmente le prix du passage et diminue également le bien-être des migrants.</p>
<p>Dans une <a href="https://thema.u-cergy.fr/IMG/pdf/2022-05.pdf">extension de ce travail</a>, nous étudions l’impact des politiques sur les migrants économiques, sachant que la démarcation économique/forcé peut être très fine. Lorsque les migrants arbitrent entre le bénéficie de la migration et le revenu sur place, les politiques d’aide au développement peuvent jouer un rôle très utile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Naiditch a reçu des financements de l'Institut Convergences Migrations.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Olivier Charlot et Radu Vranceanu ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Plusieurs leviers d’action sont envisageables pour lutter contre les passeurs et la migration irrégulière, avec des effets différenciés, comme le montre un modèle d’appariement.Claire Naiditch, Maître de conférences en économie, Université de LilleOlivier Charlot, Professor in Economics, CY Cergy Paris UniversitéRadu Vranceanu, Professeur d'économie, ESSEC Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199242023-12-21T17:42:22Z2023-12-21T17:42:22Z1882-1932 : les migrations vues à travers l’histoire des occupants du quartier de la Plaine-Saint-Denis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565838/original/file-20231214-23-ztwtum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1012%2C567&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Carte postale de la Plaine-Saint-Denis, avenue de Paris, quartier de l'Étoile. Vers 1900. Photo Neurdein.</span> </figcaption></figure><p><em>Fabrice Langrognet est historien des migrations à l’Université d’Oxford et à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur de l’ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/voisins_de_passage-9782348077463">« Voisins de passage – Une microhistoire des migrations »</a> (éditions La Découverte, 2023) dans lequel, à travers une impressionnante analyse d’archives, il retrace l’histoire des occupants des immeubles des 96-102, avenue de Paris (devenue l’avenue du Président-Wilson) à la Plaine-Saint-Denis, entre 1882 et 1932. En nous livrant ainsi une microhistoire de ces nouveaux arrivants, il nous éclaire sur leurs relations interpersonnelles et sur la place qu’occupaient l’origine et la nationalité dans leur quotidien.</em></p>
<hr>
<p><strong>Vous décrivez dans votre ouvrage les phénomènes de « francisation » qui s’opéraient chez les immigrés de la Plaine Saint-Denis. Peut-on pour autant parler d’assimilation à cette époque ?</strong></p>
<p><strong>F. L.</strong> : Du point de vue juridique, ce n’est qu’à partir de 1927 que les formulaires de naturalisation comportent des éléments d’appréciation relatifs à « l’assimilation » des étrangers et des étrangères qui aspirent à devenir des citoyens français. Ainsi, un formulaire de demande – parmi tant d’autres – renseigné à la Plaine-Saint-Denis en 1930 et signé par le commissaire de police du quartier indique, au sujet d’un ouvrier estrémègne d’une vingtaine d’années :</p>
<p>« Parle notre langue couramment/Est assimilé/Vit dans un milieu espagnol/Fréquente nos nationaux/Est susceptible d’une assimilation complète. »</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=981&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=981&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=981&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1233&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1233&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565822/original/file-20231214-25-mdlz5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1233&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Voisins de passage. Une microhistoire des migrations », de Fabrice Langrognet, paru le 28 septembre 2023 aux éditions La Découverte.</span>
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<p>Pour autant, il ne faudrait pas en tirer de conclusions hâtives qui pécheraient par anachronisme : à l’époque, ces considérations ne constituent <a href="https://www.theses.fr/2009EHES0059">pas encore des critères d’accession à la nationalité</a> ou au séjour sur le territoire national. L’analyse systématique des dossiers de naturalisation montre que ni une faible connaissance de la langue française, ni des fréquentations dans un milieu exclusivement étranger ne constituent alors des obstacles à la naturalisation.</p>
<p>Ce qui intéresse alors les autorités françaises, c’est <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2020-3-page-36.htm">avant tout le sexe et l’âge du demandeur</a> – en vue de son service militaire – et la circonstance qu’il ait ou non des enfants mâles, qui seront les futurs conscrits de la République. Il n’y a guère qu’un casier judiciaire particulièrement fourni qui puisse entraver le processus de naturalisation ; à supposer, bien entendu, que l’administration parvienne à retrouver la trace des condamnations de l’intéressé, ce qui est loin d’être toujours le cas.</p>
<p><strong>Votre livre souligne que la manière dont les gens venus d’ailleurs s’insèrent dans le tissu social du quartier que vous avez étudié ne se réduit pas à la seule question de la nationalité. Pouvez-vous dire un mot des logiques socioculturelles qui sont à l’œuvre ?</strong></p>
<p><strong>F. L.</strong> : Au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, l’insertion sociale des nouveaux venus – provinciaux, étrangers, coloniaux – dans cette banlieue industrielle en effervescence qu’est la Plaine-Saint-Denis n’est que très imparfaitement corrélée à la citoyenneté juridique, qui est somme toute un enjeu assez marginal… jusqu’à ce que la guerre en fasse une question de vie ou de mort.</p>
<p>Ce qu’explore notamment mon ouvrage, c’est précisément que la transformation des hommes, des femmes et des enfants migrants en « gens d’ici » est complexe, réversible et tient à des paramètres multiples : réseaux de solidarité, ancienneté sur place, respectabilité (familiale, professionnelle, commerçante, militaire à l’issue de la Première Guerre mondiale), mais aussi contrastes qui peuvent se faire jour avec d’autres familles, notamment celles qui sont plus fraîchement arrivées. Le statut social inférieur de ces dernières favorise, dans les hiérarchies sociales et les représentations, l’intégration symbolique relative de celles qui les ont précédées, lesquelles deviennent du même coup moins étrangères, plus locales – et ce, quelle que soit leur nationalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566341/original/file-20231218-19-y966zi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sortie des ouvriers de la verrerie Legras à la Plaine-Saint-Denis au début du XXᵉ siècle. Malgré des conditions de travail particulièrement rudes, l’usine offre alors une possibilité d’embauche à des centaines de nouveaux arrivants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Plaine_Saint-Denis.Verrerie_Legras.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Bien connu des sociologues et des anthropologues des migrations, <a href="https://www.fayard.fr/livre/logiques-de-lexclusion-9782818506745/">ce mécanisme</a> d’intégration relative n’est pas facile à documenter à plus d’un siècle de distance. Mais ces déplacements socioculturels sont essentiels car lorsqu’on combine leur analyse, comme je m’y suis employé, avec celle des déplacements des individus à travers l’espace, ils nous permettent d’enrichir et d’affiner notre compréhension des phénomènes migratoires de jadis, trop souvent réduits à des faits stylisés et désincarnés.</p>
<p><strong>Avez-vous identifié des tensions particulières entre les immigrés issus des colonies françaises et les occupants déjà installés à la Plaine-Saint-Denis ?</strong></p>
<p><strong>F. L.</strong> : Si des sujets coloniaux originaires du Maghreb, notamment kabyles, sont présents à Paris dès les premières années du XX<sup>e</sup> siècle (<a href="https://www.la-croix.com/Actualite/France/L-immigration-maghrebine-en-France-_NG_-2009-11-13-600867">où ils sont notamment employés au creusement des lignes du métro</a>), il faut attendre la Première Guerre mondiale pour que leur nombre s’accroisse de façon significative. Les autorités militaires françaises, comme au reste leurs homologues britanniques, recourent en effet largement à l’Empire pour se fournir en combattants, mais aussi pour <a href="https://www.histoire-immigration.fr/les-etrangers-dans-les-guerres-en-france/l-appel-aux-travailleurs-etrangers-coloniaux-et-chinois-pendant-la-grande-guerre">répondre aux besoins considérables de main-d’œuvre</a> d’une industrie de l’armement qui devient rapidement titanesque.</p>
<p>À la Plaine-Saint-Denis, en 1918, un dépôt de travailleurs tunisiens affectés au tri des vêtements militaires voisine avec les baraquements tout proches de recrues indochinoises chargées d’entretenir et de réparer les vois ferrées endommagées par les bombardements ennemis. Attestée par divers incidents, la <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2014-6-page-51.htm">xénophobie à l’égard de ces sujets coloniaux est réelle, mais elle ne doit pas être exagérée</a>. Comme le livre le souligne, les sources gardent la trace de nombreuses relations amicales et amoureuses qui se nouent entre les « Plainards » bien établis et ces migrants venus de plus loin qu’auparavant.</p>
<p>Un élément intéressant à relever ici est qu’en l’espèce, le gouvernement français met en œuvre à l’égard des ouvriers issus de l’Empire colonial une politique délibérée de « non-intégration », pour ainsi dire. Dans l’espace urbain, ces hommes sont en effet <a href="https://www.histoire-immigration.fr/integration-et-xenophobie/enregistrer-et-identifier-les-etrangers-en-france-1880-1940">ségrégués et soumis à un contrôle étroit</a> : il ne faut surtout pas que les ressortissants de l’Empire (auxquels les ouvriers chinois sont assimilés, à leur grand dam), dont le séjour n’a pas vocation à se prolonger au-delà de la fin du conflit, se mêlent à la population locale. Il s’agit d’abord d’éviter qu’ils ne goûtent à une liberté qui pourrait leur donner des idées d’émancipation politique après la guerre. Ensuite, on veut faire obstacle à leur promiscuité sexuelle avec les femmes françaises, une question particulièrement sensible qui fait rejouer en métropole des enjeux de race et de genre qui avaient été jusque-là cantonnés au contexte colonial.</p>
<p><strong>Vues comme rebelles vis-à-vis de l’autorité, les banlieues ont aujourd’hui une mauvaise image au sein de la société ; cela a-t-il toujours été le cas ?</strong></p>
<p><strong>F. L.</strong> : Ce n’est pas d’aujourd’hui que la banlieue fait l’objet de stéréotypes, souvent dépréciatifs. Mais il ne faut pas oublier qu’au XIX<sup>e</sup> siècle, ce sont longtemps les faubourgs parisiens de l’est et du sud qui cristallisent les peurs des élites, car c’est là que se hérissent régulièrement les barricades à partir de la Révolution française et que se concentre une population dense, migrante et très politisée, à laquelle on n’hésite pas à prêter toute une série de vices et de mœurs interlopes.</p>
<p>À partir de la construction des <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/2381?lang=fr">fortifications de Thiers</a> au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle et l’<a href="https://books.openedition.org/ined/1576?lang=fr">industrialisation de la petite couronne</a>, la banlieue parisienne commence à exercer une fascination nouvelle. Par exemple, <a href="https://theconversation.com/aux-frontieres-de-paris-apprendre-de-la-zone-et-de-ses-conflits-212287">l’association entre délinquance juvénile et banlieue parisienne</a> remonte au moins à la Belle Époque, lorsque les quotidiens nationaux décident de faire leurs choux gras des méfaits supposés de ceux qu’on appelle bientôt les « apaches ».</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=873&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566358/original/file-20231218-27-nolq7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1097&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une du supplément illustré du <em>Petit Journal</em>, « Mœurs d’apaches », 19 mai 1907.</span>
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<p>Les historiennes et les historiens ont depuis longtemps montré comment cette délinquance était largement surévaluée et participait d’une mythologie entretenue pour susciter la curiosité des lecteurs. Cette imagerie, qui perdura pendant de longues décennies – que l’on songe au fameux film <a href="https://www.telerama.fr/cinema/casque-d-or_cri-7030069.php">Casque d’Or, de Jacques Becker</a>, sorti en 1952 – se fondit après la Seconde Guerre mondiale dans de nouvelles représentations négatives, nourries par les bidonvilles puis la construction des grands ensembles de logements sociaux.</p>
<p>Sur ces questions, il faut renvoyer au travail précieux de l’<a href="https://www.amulop.org">Association pour un musée du logement populaire</a> qui tâche de restituer, par la microhistoire, l’expérience vécue des habitantes et des habitants de la banlieue populaire à rebours des caricatures.</p>
<p>En ce qui concerne les forces de l’ordre, rien dans les sources du début du XX<sup>e</sup> siècle que j’ai consultées ne permet de détecter des différences significatives de traitement à raison de l’origine des individus, au contraire d’éléments relatifs à l’hygiène, au travail et à la moralité (entendez par là le rapport à l’alcool et à la sexualité réelle ou supposée) qui, eux, suscitent quantité de biais défavorables chez les représentants du système policier et judiciaire.</p>
<p><strong>La nationalité a-t-elle une importance dans les revendications sociales des populations immigrées de l’époque ?</strong></p>
<p><strong>F. L.</strong> : Dans les diverses formes de protestation collective que l’on observe alors à Saint-Denis, l’origine géographique, ethnonationale ou raciale n’est jamais centrale, et encore moins revendiquée, au moins jusqu’à l’entre-deux-guerres et l’arrivée à Saint-Denis, à la toute fin des années 1930, de nombreux réfugiés républicains espagnols.</p>
<p>C’est là une différence intéressante avec l’histoire des migrations aux États-Unis, où l’origine ethnique joue par exemple un <a href="https://www.theses.fr/1991PA040167">rôle important dans les grandes grèves du textile du Massachusetts de 1912</a>.</p>
<p>En vérité, les questions identitaires auxquels les descendants d’immigrés sont aujourd’hui confrontés en France trouvent pour une bonne part leur matrice dans la décolonisation, qui n’intervient qu’après la Seconde Guerre mondiale. Les lectrices et les lecteurs peuvent à cet égard se tourner avec profit vers <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1977_num_15_1_2561">« Les trois “âges” de l’émigration algérienne en France »</a>, un texte d’Abdelmalek Sayad qui date des années 1970 mais demeure tout à fait fécond aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219924/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Langrognet est membre de l'Institut Convergences Migrations (Paris), du Global Public Policy Institute (Berlin) et de l'Association pour un Musée du Logement populaire.</span></em></p>Auteur d’un ouvrage de microhistoire, Fabrice Langrognet évoque avec nous l’histoire des occupants d’un immeuble de la Plaine-Saint-Denis au tournant du XXᵉ siècle.Fabrice Langrognet, Chercheur associé au Centre d'histoire sociale des mondes contemporains (CHS), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200882023-12-19T19:23:58Z2023-12-19T19:23:58ZLe casse-tête de la loi immigration : et si l’on se trompait d’interlocuteurs ?<p>Attendu depuis près d’un an, le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-projet-de-loi-immigration-integration-asile-2023">projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration</a>, objet d’un débat houleux, a provoqué une crise politique majeure pour la présidence d'Emmanuel Macron. Suite à son adoption par la commission mixte paritaire, saisie le lundi 18 décembre, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">Rassemblement National</a> a décrété <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2023/12/19/en-direct-projet-de-loi-immigration-la-commission-mixte-paritaire-trouve-un-accord-le-rn-annonce-qu-il-votera-le-texte_6206507_823448.html">« une victoire idéologique »</a> et le parti Les Républicains a montré que sa formation faisait désormais office de <a href="https://theconversation.com/rejet-de-la-loi-sur-limmigration-une-crise-previsible-et-fondamentale-219951">pivot</a> au sein du gouvernement.</p>
<p>Sur le fond, ce projet de loi ne se distingue pas beaucoup des 29 lois déjà adoptées sur le sujet depuis 1980. Mais il propose un tour de vis supplémentaire – en ayant envisagé par exemple la <a href="https://theconversation.com/loi-immigration-quel-sort-pour-laide-medicale-de-letat-ce-que-nous-dit-la-recherche-scientifique-219943">suppression de l’aide médicale d’État</a> et un accès plus compliqué aux allocations familiales – tout en cherchant <a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-des-etrangers-sert-les-agendas-politiques-217141">à combler la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs</a>, avec l’éventuelle régularisation de certains travailleurs sans-papiers.</p>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/grand-entretien-projet-de-loi-sur-l-immigration-les-flux-migratoires-ne-sont-pas-tellement-affectes-quelle-que-soit-la-legislation_6195285.html">Cette loi ne va sans doute pas affecter les flux migratoires</a>, et elle va encore moins résoudre <a href="https://theconversation.com/comment-la-double-peine-du-projet-de-loi-immigration-renforce-la-confusion-des-pouvoirs-219578">« les problèmes »</a> posés par l’immigration, ou <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/11/14/la-loi-immigration-dernier-element-d-une-longue-serie-de-117-textes-depuis-1945_6199984_4355770.html">apaiser les débats sur le sujet</a>.</p>
<p>Il est donc logique que les débats se soient concentrés sur la forme, c’est-à-dire sur le processus d’adoption de cette loi, et sur les difficultés éprouvées par le gouvernement à obtenir une majorité législative sans recourir à l’article 49.3.</p>
<p>Mais au-delà des <a href="https://theconversation.com/rejet-de-la-loi-sur-limmigration-une-crise-previsible-et-fondamentale-219951">péripéties de l’actualité politique</a>, ce laborieux processus invite à s’interroger plus largement sur la manière dont il conviendrait d’adopter une telle loi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-limmigration-en-france-quels-enjeux-218289">Dossier : l’immigration en France, quels enjeux ?</a>
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<h2>Une omniprésence du ministère de l’Intérieur</h2>
<p>Commençons par rappeler l’omniprésence du ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas une nouveauté : depuis les années quatre-vingt-dix, les lois sur l’immigration sont communément appelées du nom de ‘leur’ ministre de l’intérieur, depuis les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lois_Pasqua-Debr%C3%A9">lois Pasqua Debré</a> jusqu’à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_10_septembre_2018_pour_une_immigration_ma%C3%AEtris%C3%A9e,_un_droit_d%27asile_effectif_et_une_int%C3%A9gration_r%C3%A9ussie">loi Collomb</a> en passant par la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Circulaire_Valls">circulaire Valls</a> ou les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_24_juillet_2006_relative_%C3%A0_l%27immigration_et_%C3%A0_l%27int%C3%A9gration">lois Sarkozy</a>.</p>
<p>Mais il n’en a pas toujours été ainsi : jusque dans les années 80, <a href="https://www.histoire-immigration.fr/politique-et-immigration/1945-1984-legislation-et-politique-migratoire">c’est le ministère du Travail qui avait la main</a>. Ce dernier était d’ailleurs initialement impliqué dans le projet de loi actuel, mais <a href="https://www.liberation.fr/politique/olivier-dussopt-lhomme-invisible-du-projet-de-loi-immigration-20231121_JGPONZXHFVDUNG7UFNLNDBJBZA/">il a progressivement disparu</a> de la scène. Même remarque pour le ministère de la Santé, malgré l’important volet santé du projet de loi, et pour le ministère de l’Enseignement supérieur, alors que les étudiants étrangers représentent un enjeu crucial pour <a href="https://www.liberation.fr/societe/education/une-insulte-aux-lumieres-les-universites-francaises-sopposent-au-projet-de-loi-immigration-20231218_W7GUZKST7ZD2TDPGXDGKTYQU5E/">l’attractivité et la qualité des universités françaises</a>.</p>
<p>Par ailleurs, et comme son intitulé l’indique, le ministère de l’Intérieur ne traite pas du contexte international – malgré le caractère évidemment international des enjeux migratoires.</p>
<p>Rappelons que la France et le Maroc traversent une crise diplomatique depuis 2021, consécutive entre autres à la décision du gouvernement français de réduire l’accès aux visas pour les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/05/entre-la-france-et-le-maroc-les-frontieres-de-la-discorde_6192560_3212.html">citoyens marocains</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France-Maroc : fin d’une relation exceptionnelle ? Tel Quel, 2022.</span></figcaption>
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<p>De même, en septembre 2023, une <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/09/15/projets-culturels-avec-le-sahel-il-n-est-pas-question-d-arreter-d-echanger-avec-les-artistes-et-les-lieux-culturels-assure-la-ministre-de-la-culture_6189489_3246.html">polémique à propos de la venue en France d’artistes africains</a> a illustré à quel point le rayonnement culturel du pays dépend de la circulation des artistes du Sud, et donc de leur accès aux visas.</p>
<h2>Deux ministères aux abonnés absents</h2>
<p>Mais on cherche en vain la position des ministères des Affaires étrangères et de la Culture sur le sujet, de même que les débats n’ont fait aucune référence à l’Europe – alors que l’Union européenne est engagée depuis 2020 dans l’adoption du <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">Pacte européen sur la migration et l’asile</a>, un texte qui aura des implications pour tous les États membres, dont la France.</p>
<p>La mise en œuvre d’une politique migratoire requiert pourtant la coopération d’autres États. C’est par exemple le cas des expulsions de migrants en situation irrégulière : la France a le droit de les exclure de son territoire, mais il faut pour cela qu’ils soient réadmis par leur État d’origine. C’est pourquoi, du début des années 2000 jusqu’aux coups d’état de 2020 et 2021, la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/05/la-france-negocie-avec-le-mali-le-retour-des-migrants-irreguliers_5431822_3212.html">France négociait avec le Mali</a> un accord de réadmission destiné à faciliter l’expulsion des sans-papiers, lequel s’est toutefois heurté à la réticence du gouvernement malien.</p>
<p>De ce point de vue, c’est tout autant au Parlement malien qu’à l’Assemblée nationale que le gouvernement français doit trouver une majorité. Alors certes, la France est un pays souverain : elle est donc fondée à décider en toute autonomie de sa politique migratoire et c’est aux citoyens français (et à leurs représentants démocratiquement élus) de déterminer la manière dont ils souhaitent accueillir les étrangers.</p>
<p>Mais si cette approche fait consensus, elle pose aussi quelques problèmes. Dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0003122413487904">étude sur les sans-papiers mexicains aux États-Unis</a>, Emily Ryo montre par exemple que ces derniers violent les lois américaines, mais ne perçoivent pas cela comme une faute. À leurs yeux, la politique migratoire des États-Unis est injuste et peu crédible, car elle ferme les yeux sur le rôle essentiel des clandestins sur le marché du travail, tout en occultant la responsabilité des pays du Nord dans la situation économique du Mexique.</p>
<p>Si les pays occidentaux ont a priori le droit de gouverner l’immigration comme bon leur semble, la valeur morale ou politique d’une loi sur l’immigration n’en est pas moins importante, car elle contribue à sa crédibilité – et donc aux chances qu’elle soit respectée par les premiers concernés, c’est-à-dire les migrants eux-mêmes.</p>
<h2>Le principe des intérêts affectés</h2>
<p>Cela pose la question de la validité démocratique de décisions prises par un État, mais qui s’appliquent aux citoyens d’un autre État. Selon un <a href="http://editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/le-dilemme-des-frontieres/">principe de théorie politique dit « principe des intérêts affectés »</a> (ou <em>all-affected principle</em>), une décision n’est réellement démocratique que si toutes les personnes qui sont affectées par cette décision sont consultées.</p>
<p>En d’autres termes, tout le monde s’accorde sur les vertus de la démocratie, mais encore faut-il s’entendre sur le périmètre du <em>demos</em>, c’est-à-dire sur les personnes reconnues comme des citoyens et autorisées à prendre part aux décisions.</p>
<p>Ce n’est pas qu’une question théorique : certains serpents de mer du débat politique, comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/le-debat-sur-le-droit-de-vote-a-16-ans-relance-1300385">l’abaissement de la majorité à 16 ans</a> ou le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_vote_des_%C3%A9trangers_en_France">droit de vote des étrangers aux élections locales</a> (promis par le Parti socialiste depuis 1981), concernent précisément cette redéfinition du <em>demos</em>.</p>
<p>De façon plus générale, le personnel politique est aussi friand de mécanismes de démocratie dite <a href="https://www.decitre.fr/livres/pour-en-finir-avec-la-democratie-participative-9782845979864.html">« participative »</a>, dont l’objectif affiché est d’inclure le plus grand nombre dans la prise de décisions (conventions citoyennes, budgets participatifs, consultations en ligne, grands débats, etc.).</p>
<p>Ce souci d’inclusion ne s’applique manifestement pas aux politiques migratoires. Mais si on prend au sérieux le principe des intérêts affectés, alors il faut s’interroger sur le paradoxe qui les caractérise, et qui voit le peuple français prendre seul des décisions qui ne concernent pourtant que les non-Français et qui affectent la vie de millions de personnes dispersées aux quatre coins de la planète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratie-participative-une-enquete-inedite-livre-les-enseignements-du-grand-debat-national-212292">Démocratie participative : une enquête inédite livre les enseignements du grand débat national</a>
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<h2>Le déficit de crédibilité des politiques migratoires</h2>
<p>Et même si on conserve le principe de souveraineté sur les flux migratoires, il faut s’interroger sur le déficit de crédibilité des politiques migratoires, et sur l’impact de ce déficit sur des migrants peu enclins à respecter des lois qu’ils jugent édictées par l’Occident, et dans son seul intérêt.</p>
<p>Dans une version maximaliste du principe des intérêts affectés, il conviendrait donc d’organiser une consultation mondiale à propos du projet de loi sur l’immigration.</p>
<p>Cette consultation serait ouverte à toutes les personnes concernées – c’est-à-dire à tous les individus qui ont migré vers la France ou qui envisagent d’y migrer à l’avenir : toutes ces personnes sont, ou seront, affectées par les politiques migratoires françaises, et devraient donc faire partie du <em>demos</em>.</p>
<p>Une telle démarche paraît quelque peu irréaliste : le nombre de participants est potentiellement très important et on voit mal quelle instance pourrait se charger de cette consultation, et avec quelles modalités.</p>
<h2>Consulter les gouvernements des pays de départ ?</h2>
<p>On peut donc se rabattre sur une seconde option, qui consiste à ne pas consulter les populations, mais leur gouvernement. C’est nettement plus faisable, et c’est ce que font les États lorsqu’ils élaborent des principes communs de politique migratoire. En 2018, ils ont par exemple adopté, sous l’égide des Nations unies, un <a href="https://refugeesmigrants.un.org/sites/default/files/180711_final_draft_0.pdf">Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières</a> (dit aussi ‘Pacte de Marrakech’), qui définit les contours de ce que pourrait être une politique migratoire mondiale respectueuse des intérêts et des priorités de chacun (le développement du Sud, les droits fondamentaux des migrants, l’accès à la main d’œuvre étrangère au Nord, la sécurité de tous, etc.).</p>
<p>Cette démarche n’est pas sans intérêt, mais elle souffre de plusieurs faiblesses. Ces accords ne sont pas contraignants et leur formulation est suffisamment vague pour faire l’objet d’<a href="https://theconversation.com/le-pacte-mondial-pour-les-migrations-des-polemiques-et-des-avancees-108350">interprétations divergentes</a>. Rien ne dit par ailleurs que les États agissent dans l’intérêt de leur propre population : les discussions ont lieu dans des enceintes intergouvernementales assez déconnectées des populations et des mécanismes démocratiques en vigueur dans chaque pays.</p>
<p>Surtout, la sincérité du débat n’est pas garantie, tant les rapports de force entre États sont en défaveur de certains d’entre eux : pour reprendre l’exemple franco-malien, la France a réagi au refus du Mali en coupant certains programmes de développement, et il n’est donc pas simple pour les pays pauvres de dialoguer sur un pied d’égalité avec les pays riches.</p>
<h2>Les principes d’un « espace public » ?</h2>
<p>Si le débat international est difficile, une troisième option consisterait peut-être à appliquer à la prise de décision nationale les principes d’un « espace public ». Ce concept, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sph%C3%A8re_publique">généralement associé à Jürgen Habermas</a>, postule que les décisions démocratiques doivent s’insérer dans un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782073012289-espace-public-et-democratie-deliberative-un-tournant-jurgen-habermas/">débat public fondé sur la critique et la raison</a>, au sein duquel chacun peut défendre sa position et écouter celles des autres.</p>
<p>C’est en ce sens que des appels à une <a href="https://www.nouvelobs.com/debat/20231115.OBS80873/faut-il-organiser-une-convention-citoyenne-sur-l-immigration.html">« convention citoyenne sur la migration »</a> ont été lancés, afin de permettre des débats sereins et dépassionnés, sur le temps long, d’une manière qui ne serait pas instrumentalisée par les partis politiques, mais associerait l’ensemble des acteurs concernés (employeurs, société civile, experts, etc.).</p>
<p>Plus fondamentalement, cette exigence de débat et de raison oblige l’État à convaincre le plus largement possible de la pertinence de ses orientations politiques. Son droit de décider souverainement ne le dispense pas de justifier ses choix – et ce d’autant plus qu’en l’absence de conviction, la coercition est la seule manière de faire appliquer ses décisions.</p>
<p>Le contexte actuel, où le gouvernement n’est même pas capable de convaincre une poignée de parlementaires, pourrait donc être mis à profit pour répondre différemment, et mieux, à la question de qui doit adopter une loi sur l’immigration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le laborieux processus d’adoption de la loi immigration interroge la façon même dont la société s’empare de ce sujet.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173402023-12-06T17:40:01Z2023-12-06T17:40:01ZInterdiction des distributions alimentaires, quels moyens d’action pour les associations ?<p>Le 10 octobre dernier, journée internationale de lutte contre le sans-abrisme, a été cyniquement l’occasion pour la Préfecture de Police de Paris de prendre un <a href="https://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/sites/default/files/Documents/Arr%C3%AAt%C3%A9%20n%C2%B02023-01196.pdf">arrêté</a> qui a interdit les distributions alimentaires pour une période d’un mois dans certaines zones des X<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> arrondissements, connues pour abriter – à défaut d’accueillir – des lieux de vie informels d’exilés et demandeurs d’asile.</p>
<p>Cette pratique, récente et localisée, n’a été constatée qu’à Paris et Calais. Il n’est pas étonnant que la pratique ait commencé à Calais, <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=16846">« ville-laboratoire »</a> en ce qui concerne la « chasse » aux étrangers.</p>
<p>Le risque qu’elle se répande reste important malgré des <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/jur_ta-lille_2017-03-22_1702397.pdf">annulations prononcées par le juge</a>, surtout que les arrêtés n’ont pas toujours été annulés immédiatement, ce qui donne un signal positif aux autorités qui pourraient reprendre des moyens qui ont pu être, à un moment, acceptés par le juge.</p>
<h2>Les premiers arrêtés calaisiens</h2>
<p>L’historique des interdictions de distribution alimentaire commence à Calais. En réponse aux associations de défense des exilés qui réclamaient l’ouverture d’un lieu pour pouvoir distribuer des repas, la maire – <a href="https://www.europe1.fr/societe/la-maire-de-calais-veut-empecher-la-distribution-de-repas-aux-migrants-2992127">ouvertement hostile aux exilés</a> – a pris <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/arrete_2017-03-02_calais-maire.pdf">deux arrêtés</a> les <a href="https://gisti.org/IMG/pdf/arrete_2007-03-06_calais-maire.pdf">2 et 6 mars</a> 2017. Ils visent les distributions alimentaires en interdisant les « occupations abusives, prolongées et répétées », notamment dans la zone industrielle des Dunes, où, justement, les distributions conduisent quotidiennement à des rassemblements.</p>
<p>Les associations saisissent le 13 mars 2017 le tribunal administratif de Lille afin que l’arrêté soit annulé et que la commune de Calais leur fournisse « les moyens matériels au fonctionnement d’un service de distribution de repas ».</p>
<p>Pour les associations, les décisions attaquées sont en effet en contradiction avec les droits fondamentaux, notamment « à la liberté de réunion, à la liberté de manifester et à la liberté d’aller et venir ; elles violent le principe de dignité humaine posé par la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">Constitution de 1946</a> et consacré par le Conseil constitutionnel dans <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/la-dignite-de-la-personne-humaine">sa décision Bioéthique du 27 juillet 1994</a> et le principe de prohibition des traitements inhumains et dégradants posé par l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme ».</p>
<p>C’est d’ailleurs, pour elles, « d’autant plus grave que l’autorité municipale en est l’auteure ». En effet, en vertu de ses pouvoirs de police, la <a href="https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=RFDA/CHRON/2021/0152">maire est chargée d’assurer l’ordre public</a>, au rang duquel figure la préservation de la dignité de la personne humaine, alors qu’elle fait primer ici, pour des raisons politiques, des <a href="https://shs.hal.science/halshs-03276760">motifs sécuritaires</a>, en empêchant des personnes en situation de dénuement total de satisfaire leurs besoins élémentaires. Pour la municipalité, les distributions entraînent des débordements, rixes, et atteintes à l’hygiène à cause des déchets (à noter que cette même municipalité refuse de mettre à disposition des bennes à ordures).</p>
<p>Néanmoins, le juge annule <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/jur_ta-lille_2017-03-22_1702397.pdf">l’arrêté le 22 mars 2017</a> car la commune ne fait état d’aucun trouble lié aux distributions et que « la maire a porté une atteinte grave et manifestement illégale » aux libertés et droits fondamentaux des associations et exilés.</p>
<h2>Le renouveau à la faveur de la crise sanitaire</h2>
<p>C’est à la faveur de la crise sanitaire que l’interdiction renaîtra par un <a href="https://www.pas-de-calais.gouv.fr/contenu/telechargement/49220/294676/file/RAA%20-%20recueil%20sp%C3%A9cial%20n%C2%B058%20du%2010%20septembre%202020.pdf">arrêté préfectoral du 10 septembre 2020</a> justifié, entre autres par le non-respect des mesures sanitaires au cours des distributions. L’interdiction est accompagnée de sanctions (essentiellement des amendes, d’un montant de 135€).</p>
<p>Cette fois-ci, le juge sera moins protecteur des droits fondamentaux des exilés. En effet, par une <a href="http://lille.tribunal-administratif.fr/Actualites/Communiques/Arrete-interdisant-la-distribution-gratuite-de-denrees-et-boissons-dans-le-centre-ville-de-Calais">ordonnance du 22 septembre 2020</a>, il rejette la demande des associations d’annuler l’arrêté, solution qui sera confirmée par le <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-juge-des-referes-refuse-de-suspendre-en-urgence-l-interdiction-de-la-distribution-de-repas-aux-migrants-dans-le-centre-ville-de-calais">Conseil d’État</a>, et ce, malgré le soutien <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=33970">du Défenseur des droits</a> contre l’arrêté.</p>
<p>Le Conseil d’État n’y voit aucune atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux et considère que l’urgence n’est pas caractérisée : une association mandatée par l’État fait déjà des distributions – bien que manifestement <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=20107">insuffisantes</a> selon les requérants – et considère que les exilés peuvent toujours accéder aux distributions, même si « elles sont, il est vrai, distantes de plus de 3 kilomètres » du centre-ville où ils sont installés. Solution qui peut laisser perplexe et qui conduira au renouvellement quasi systématique des interdictions entre septembre 2020 et le 19 septembre 2022.</p>
<p>Elles n’ont, à ce jour, plus repris suite à une <a href="http://lille.tribunal-administratif.fr/Actualites/Communiques/Arrete-interdisant-la-distribution-gratuite-de-denrees-et-boissons-dans-le-centre-ville-de-Calais">décision</a> longtemps attendue du tribunal administratif de Lille du 22 octobre 2022 et qui conduit à l’annulation des arrêtés.</p>
<p>Écartant le motif tiré de la crise sanitaire, le juge considère les arrêtés comme disproportionnés, puisque les « troubles établis à l’ordre public sont épars, ponctuels, sans caractère de gravité et non liés à la distribution » et que par ailleurs, de nombreux exilés « dépendent directement des associations humanitaires requérantes pour leur approvisionnement en nourriture et en eau », les distributions assurées par l’État étant insuffisantes. Ainsi, pour le rapporteur public, les arrêtés ont seulement « pour effet de compliquer l’accès pour ces populations précaires à des biens de première nécessité ».</p>
<h2>La récidive parisienne</h2>
<p>Le 10 octobre dernier, la Préfecture de Police de Paris va suivre les (faux) pas de son homologue du Nord, en interdisant aux associations de distribuer des denrées aux exilés puisqu’elles contribueraient à « stimuler la formation de campements dans le secteur du boulevard de la Villette, où se retrouvent des migrants, des personnes droguées et des sans domicile fixe » selon la Préfecture. Cette dernière met aussi en avant l’aspect sécuritaire pour défendre son arrêté parlant d’« attroupements », de « débordements sur la voirie », de la présence de « toxicomanes » et de « troubles à l’ordre public ».</p>
<p><a href="https://www.ldh-france.org/17-octobre-2023-tribune-collective-interdiction-des-distributions-alimentaires-a-paris-nourrir-lerrance-et-lisolement-publiee-dans-mediapart/">La réaction des associations est immédiate</a>, et le tribunal administratif de Paris rend une <a href="http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Espace-presse/Distribution-de-repas-dans-un-secteur-delimite-des-dixieme-et-dix-neuvieme-arrondissements-de-Paris-l-arrete-du-prefet-de-police-du-9-octobre-2023-l-interdisant-du-10-octobre-au-10-novembre-2023-est-suspendu">ordonnance</a> le 17 octobre qui suspend provisoirement l’arrêté. En effet, il n’apparaît pas que la mesure soit nécessaire car la Préfecture ne prouve la réalité d’aucun trouble à l’ordre public.</p>
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<p>Par ailleurs, « compte tenu de la taille du périmètre d’interdiction et de la saturation des autres dispositifs d’aide alimentaire, cette mesure a pour effet de compliquer pour des centaines de personnes en situation de grande précarité l’accès à une offre alimentaire de première nécessité ».</p>
<p>Cette solution retenue en référé était prévisible (et souhaitable) vu l’arrêt rendu en 2022 par le tribunal de Lille.</p>
<p>Néanmoins, il est probable que des arrêtés similaires soient édictés, à Paris, Calais ou ailleurs. Dans ce cas, les associations et exilés concernés pourraient se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme en se fondant notamment sur les articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et 11 (qui protège la liberté d’association et de réunion) de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/Convention_FRA">Convention</a>.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il y a de nombreux demandeurs d’asile parmi les exilés présents dans les zones visées par les interdictions. Or, en vertu de la <a href="https://euaa.europa.eu/sites/default/files/public/reception-FR.pdf">directive européenne dite « Accueil »</a> de 2013, l’État est tenu de leur fournir – outre un hébergement et une allocation – de la nourriture. Il est donc assez ironique qu’il empêche des associations – dont beaucoup ne sont pas subventionnées – de pallier la carence de l’État.</p>
<h2>L’inscription de ces pratiques dans une politique migratoire répressive</h2>
<p>Cette nouvelle pratique s’inscrit dans une politique de criminalisation de la solidarité, comme l’illustre notamment l’amende de 135€ prévue pour les personnes solidaires des exilés qui auraient bravé l’interdiction. Aussi, si les interdictions portent en premier lieu atteinte aux droits fondamentaux des exilés, ils attaquent également le droit des associations de les aider. Or, en vertu <a href="https://blogdroitadministratif.net/2018/08/28/la-liberte-daider-autrui-dans-un-but-humanitaire/">d’une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel</a>, découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui dans un but humanitaire.</p>
<p>D’ailleurs, des députés ont déposé en 2022 une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5195_proposition-loi#D_Article_1er">proposition de loi</a> visant clairement à interdire les distributions alimentaires aux exilés.</p>
<p>Reste que les pouvoirs publics parviennent quotidiennement à entraver la solidarité, en dehors de textes juridiques. Ils ne manquent pas de créativité pour <a href="https://twitter.com/CalaisFoodCol/status/1570803256506613762/photo/1">gêner les associations</a> : <a href="https://utopia56.org/face-aux-entraves-a-la-solidarite-sur-les-campements-de-loon-plage-mobilisons-nous/">béton</a>, grillages, contrôles des bénévoles, privation des conteneurs d’eau…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1714608954632737199"}"></div></p>
<p>Cette démarche d’entrave à l’aide humanitaire s’inscrit dans le cadre de la « théorie » de l’appel d’air, <a href="https://crde-bearn.fr/appel-dair-un-mythe-venu-de-lextreme-droite/">largement démentie</a> : pour les autorités publiques, offrir des conditions de vie dignes aux exilés risque de les attirer.</p>
<p>Néanmoins ces arrêtés ne parviendront pas à stopper tout aide humanitaire : de façon assez pragmatique, il suffit aux associations de se déplacer de quelques mètres pour sortir de la zone prévue. Si cela complique leur action, ça ne suffira pas à les empêcher. D’ailleurs, à Paris, malgré l’interdiction et la menace de l’amende, les distributions ont repris dès le lendemain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713617075489460481"}"></div></p>
<p>Finalement, ce n’est qu’une illustration de plus du jeu de chat et de la souris que mènent les pouvoirs publics aux associations et exilés.</p>
<p>À Calais, c’est désormais <a href="https://reporterre.net/A-Calais-la-mairie-empeche-les-refugies-de-boire">« une guerre de l’eau »</a> qui est menée, par le retrait régulier des sources en eau et conteneurs. Tandis qu’à Paris, le « nettoyage social » et l’entrave des associations risque de se poursuivre <a href="https://www.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/les-francais/plus-de-60-associations-alertent-sur-le-risque-de-nettoyage-social-des-rues-de-paris-pour-les-jo-de-2024_6152391.html">au moins jusqu’à la tenue des Jeux olympiques</a>. Reste à savoir qui le prochain tentera d’interdire les distributions alimentaires ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217340/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lilou Abou Mehaya ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les arrêtés pris pour freiner les distributions alimentaires n’ont pas pour le moment porté leurs fruits mais cela envoie un signal fort aux populations visées.Lilou Abou Mehaya, Doctorante en Droit Public - Droit d'asile, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179732023-12-05T16:53:22Z2023-12-05T16:53:22ZChangement climatique et politique migratoire : l’accord Australie-Tuvalu, un modèle pour la France et ses territoires du Pacifique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562167/original/file-20231128-21-q9upvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5304%2C2974&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les neuf îles qui constituent l'archipel de Tuvalu seront englouties au cours des prochaines décennies.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/undpclimatechangeadaptation/52387326768">TCAP/PNUD</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Lors de sa visite officielle en Australie le 4 décembre, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est dite <a href="https://apnews.com/article/french-colonna-australia-tuvalu-climate-change-b77617344c2deff169a1e1144d2f7adf">ouverte à examiner toute demande de réinstallation</a> émanant de petites nations du Pacifique Sud confrontées à la montée des eaux, s’alignant ainsi sur l’exemple de l’accord passé le 10 novembre dernier entre l’Australie et Tuvalu. Cet accord, conclu en marge de la 52<sup>e</sup> édition du <a href="https://www.forumsec.org/2023/11/09/reports-piflm52-communique-of-the-52nd-pacific-islands-leaders-forum-2023/">Forum des îles du Pacifique</a>, pourrait donc bien avoir des implications pour la France et ses territoires du Pacifique.</p>
<p>L’accord entre l’Australie et Tuvalu a été baptisé « Union Falepili ». Le terme « falepili », emprunté à la langue tuvaluane, incarne l’idée de « soutien mutuel entre voisins ». Souvent qualifié d’<a href="https://lepetitjournal.com/melbourne/rechauffement-climatique-australie-traite-historique-tuvalu-372713">historique</a> ou de fondateur, <a href="https://www.dfat.gov.au/geo/tuvalu/australia-tuvalu-falepili-union-treaty">ce traité</a> ouvre une voie migratoire innovante pour les Tuvaluans confrontés à l’élévation du niveau de la mer. Il souligne une prise de conscience croissante des vulnérabilités uniques des nations insulaires face au changement climatique, tout en établissant un modèle de coopération bilatérale pour aider ces populations.</p>
<h2>Pourquoi il est inexact de parler d’asile climatique d’un point de vue juridique</h2>
<p>Tuvalu, un archipel de neuf îles de faible altitude situé dans le Pacifique central, abrite environ 11 200 habitants. Ces îles sont parmi les plus exposées aux effets dévastateurs du changement climatique, en particulier à l’augmentation alarmante du niveau de la mer. Le pacte entre les deux nations reconnaît explicitement cette vulnérabilité et propose une réponse tangible : l’attribution chaque année de 280 visas de résidence permanente en Australie aux citoyens de Tuvalu.</p>
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<p>L’Union Falepili illustre un engagement sans précédent de Canberra envers les citoyens de Tuvalu, sévèrement impactés par la montée des eaux. Il survient dans un contexte où l’existence même de Tuvalu est en péril, et s’inscrit dans un cadre complexe de défis environnementaux et juridiques. Il est à noter que lors de la COP 27, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, a fait forte impression en annonçant la <a href="https://theconversation.com/tuvalu-menace-detre-englouti-par-les-eaux-cree-son-double-digital-195133">création d’une réplique numérique de son pays dans le Métavers</a>, envisageant ainsi une forme de survie virtuelle face à la menace d’une submersion réelle de son territoire.</p>
<p>Cependant, et contrairement aux qualificatifs employés dans nombre de médias nationaux et internationaux, il est essentiel de souligner que le type de visa offert par ce traité ne tend pas à donner <em>l’asile climatique</em> aux populations des Tuvalu car l’accord ne reconnaît pas, au sens juridique, les populations déplacées en tant que <em>réfugiés climatiques</em>.</p>
<p>Cette notion, de <a href="https://www.oxfamfrance.org/migrations/vers-une-augmentation-croissante-du-nombre-de-refugies-climatiques/">plus en plus évoquée dans les débats publics et académiques</a>, désignerait des individus et communautés obligés de quitter leur lieu de vie habituel en raison des effets directs ou indirects du changement climatique. Bien que de plus en plus pertinente et fréquemment utilisée dans le discours public, la catégorisation des réfugiés climatiques n’est pas encore reconnue dans le droit international. Elle n’est également pas évoquée dans les termes du traité de l’Union Falepili.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1729107878647058655"}"></div></p>
<p>En effet, selon la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de 1951 relative au statut des réfugiés</a>, un réfugié est défini comme une personne qui fuit la persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. Bien que l’interprétation de cette définition par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ait été étendue pour inclure les personnes fuyant des conflits armés généralisés, le changement climatique n’est donc pas (encore) reconnu comme un motif de persécution légitime en droit international. En conséquence, les populations déplacées de force par des catastrophes ou changements climatiques ne bénéficient donc pas de protection et d’assistance de la communauté internationale au regard du droit d’asile international.</p>
<p>En l’état actuel, faute d’un cadre juridique international établi et d’une jurisprudence correspondante, les concepts d’asile et de réfugiés climatiques demeurent des notions non reconnues en droit.</p>
<p>Bien que le terme de « réfugié climatique » n'ait pas de signification juridique, il existe certainement des réfugiés dont la situation est <a href="https://johnmenadue.com/a-different-kind-of-climate-movement-the-kaldor-centre-principles-on-climate-mobility-pic/">aggravée à cause du changement climatique</a>. Comme le révèle une <a href="https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2017/08/03052016_FR_Protection_Agenda_V1.pdf">étude de l’Initiative Nansen</a>, le changement climatique ne provoque pas à lui seul des déplacements, mais exacerbe d’autres facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques qui incitent les gens à quitter leurs foyers. Il amplifie les risques et les vulnérabilités, et rend les catastrophes plus fréquentes et/ou intenses. Ce phénomène engendre donc une multitude de mouvements, qu’ils soient forcés ou volontaires, temporaires ou permanents, à l’intérieur d’un pays ou au-delà des frontières – qui peuvent survenir dans le contexte du changement climatique et des catastrophes qu’il provoque.</p>
<p>Les complexités juridiques entourant ces termes sont illustrées par des affaires telles que celle de Ioane Teitiota en 2015. <a href="https://www.france24.com/fr/20131017-habitant-kiribati-reclame-statut-refugie-climatique">Ioane Teitiota</a>, un habitant de Kiribati, une nation insulaire du Pacifique, a sollicité l’asile en Nouvelle-Zélande, arguant que la montée du niveau de la mer et d’autres conséquences du changement climatique menaçaient sa vie et celle de sa famille. Toutefois, la Cour suprême de Nouvelle-Zélande a rejeté sa demande, estimant que les conditions de vie à Kiribati, bien qu’extrêmement difficiles, ne relevaient pas de la persécution au sens de la Convention de 1951.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"623368107676053504"}"></div></p>
<p>Cette décision a été ultérieurement confirmée par le <a href="https://www.ohchr.org/en/treaty-bodies/ccpr">Comité des droits de l’homme des Nations unies</a> en 2020, qui a cependant reconnu que le changement climatique pouvait entraîner des violations des droits humains si les personnes fuyant les effets du changement climatique étaient renvoyées dans leur pays d’origine (le concept de <em>refoulement</em>, proscrit en droit international) après avoir quitté leur territoire. Cette reconnaissance a été souvent interprétée comme pouvant <a href="https://theconversation.com/refugies-climatiques-une-decision-historique-du-comite-des-droits-de-lhomme-de-lonu-131348">ouvrir la voie à une future intégration des réfugiés climatiques dans le droit international</a>.</p>
<p>En effet, selon cette décision et comme reconnu par le HCR, compte tenu des évolutions du droit et de la menace climatique, les personnes qui fuient dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes <a href="https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=617aafa24">peuvent avoir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié</a> en vertu de la Convention de 1951 précédemment mentionnée. Il faudrait pouvoir justifier, entre autres, d’une peur fondée de subir des persécutions liées au changement climatique, si ce dernier interagit avec des vulnérabilités inhérentes, ou si les effets néfastes du changement climatique ou des catastrophes interagissent avec les conflits et la violence.</p>
<h2>Une avancée notable tout de même</h2>
<p>Bien que l’accord bilatéral entre l’Australie et Tuvalu ne s’inscrive pas encore dans une reconnaissance juridique des réfugiés climatiques, il marque néanmoins une avancée notable, créant un précédent international dans la mesure où il reconnaît concrètement cette problématique, et accorde aux Tuvaluans le droit de migrer en Australie avec des privilèges substantiels, tels que l’accès à l’éducation et au marché du travail.</p>
<p>Cette initiative traduit dans les faits une expansion de la politique migratoire australienne, visant à répondre de manière ciblée aux défis des déplacements forcés liés à l’environnement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage de la chaîne publique australienne ABC sur l’Union Falepili.</span></figcaption>
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<p>Compte tenu de la complexité de la reconnaissance, en droit international, du changement climatique comme motif de persécution, le centre Kaldor de droit international des réfugiés, basé à Sydney, et qui à salué les termes de l’Union Falepili, privilégie l’expression « mobilité climatique » pour décrire ce phénomène et élaborer des réponses politiques et juridiques adaptées. À cet égard, le centre a élaboré 13 <a href="https://www.unsw.edu.au/content/dam/pdfs/unsw-adobe-websites/kaldor-centre/2023-11-others/2023-11-Principles-on-Climate-Mobility_v-4_DIGITAL_Singles.pdf">Principes sur la mobilité climatique</a>, destinés à soutenir et à protéger les communautés affectées par la migration forcée liée aux problèmes environnementaux et à assurer leur sécurité, leurs droits et leur dignité tout en préservant leur patrimoine culturel et en favorisant une approche collaborative et durable.</p>
<h2>Des enjeux multiples</h2>
<p>Au-delà des réflexions sur la dichotomie voies migratoires/voies d’asile, cet accord entre les deux nations du Pacifique soulève donc également des questions essentielles, notamment concernant la préservation de l’identité culturelle de Tuvalu, tout en interrogeant la responsabilité des pays développés face aux communautés les plus touchées par les effets dévastateurs du changement climatique.</p>
<p>Une analyse réaliste indique que, si les termes actuels de cet accord perdurent, Tuvalu pourrait se retrouver entièrement dépeuplé dans les 40 prochaines années, ses habitants se réinstallant progressivement en Australie, par force bien plus que par choix, car comme le rappelle Jane McAdam, directrice du centre Kaldor, <a href="https://theconversation.com/australias-offer-of-climate-migration-to-tuvalu-residents-is-groundbreaking-and-could-be-a-lifeline-across-the-pacific-217514">la grande majorité des Tuvaluans ne souhaitent pas quitter leur pays pour l’Australie</a>.</p>
<p>Selon certaines prédictions, il est également concevable que la vie sur l’île de Tuvalu devienne invivable bien avant cette échéance. Comme le rappelait le premier ministre des Tuvalu <a href="https://webtv.un.org/en/asset/k1g/k1ggc33eht">à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2022</a> et selon un rapport du GIEC, les Tuvalu risquent d’être totalement submergés au cours de ce siècle et inhabitables d’ici 20 à 30 ans. Comment une diaspora progressivement relocalisée peut-elle préserver son héritage culturel à l’étranger ? Comment aborder les pertes et dommages associés à la mobilité climatique ? Cet accord, dans sa mise en œuvre pratique, et pour la première fois, met en lumière des défis cruciaux en termes de responsabilité, de souveraineté et d’identité culturelle, nécessitant une réflexion approfondie et une action soutenue de la part de la communauté internationale.</p>
<p>De plus, il souligne les <a href="https://press.un.org/fr/2023/ag12497.doc.htm">obligations des États à l’égard des changements climatiques</a>. En tant que grande <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-australie-decidee-a-continuer-a-extraire-son-charbon-malgre-les-avis-scientifiques-20210909">exportatrice de combustibles fossiles</a> et pays dont l’empreinte carbone est conséquente, l’Australie fait l’objet de critiques régulières concernant sa politique climatique et l’impact, direct ou indirect, de celle-ci sur les migrations forcées. Ce traité pourrait être interprété comme une reconnaissance de sa part des répercussions du changement climatique sur les nations insulaires, représentant une avancée vers une prise de conscience et une action environnementale plus résolues.</p>
<h2>Un accord au service des intérêts géopolitiques de Canberra ?</h2>
<p>Toutefois, l’accord bilatéral entre les deux nations revêt également une dimension géopolitique majeure, dépassant le simple cadre de l’assistance et intégrant des aspects de sécurité et de présence stratégique. L’Australie se voit ainsi octroyer des droits étendus sur le territoire des Tuvalu, y compris des droits d’accès, de présence, de survol, ainsi que le droit de s’opposer à des décisions en matière de sécurité qui pourraient contrarier ses intérêts. L’Union Falepili s’insère donc dans une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/influence-l-asile-climatique-le-cadeau-pas-si-desinteresse-de-l-australie-aux-citoyens-des-iles-tuvalu">stratégie géopolitique australienne</a> plus large, visant à renforcer sa présence dans une région qui est géopolitiquement importante. Cette approche reflète non seulement les préoccupations sécuritaires de l’Australie, mais aussi son désir d’étendre son influence dans le Pacifique, une zone qui attire de plus en plus l’attention de grandes puissances mondiales.</p>
<p>Cette dimension centrale du traité <a href="https://islandsbusiness.com/news-break/australia-deal-with-tuvalu/">soulève des interrogations</a> quant aux motivations réelles de Canberra. Bien que largement salué par la communauté internationale, il fait également l’objet de critiques, notamment concernant les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/24/l-asile-climatique-propose-par-l-australie-aux-habitants-des-tuvalu-suscite-la-controverse_6202058_3244.html">intentions altruistes</a>, de l’Australie, puisque révélant une tentative de cette dernière de contrebalancer l’influence chinoise, tout en améliorant ses propres capacités de sécurité et de défense dans le Pacifique.</p>
<h2>Un modèle pour la France et ses collectivités du Pacifique ?</h2>
<p>L’Union Falepili illustre donc l’interconnexion croissante entre les enjeux climatiques et les stratégies géopolitiques à l’échelle mondiale. Pas de <em>réfugiés</em> ni <em>d’asile climatique</em> donc, mais plutôt une <em>mobilité climatique</em> matérialisée par des accords bilatéraux mutuellement bénéfiques. Cette initiative pourrait donc inspirer d’autres nations comme la France, si l’on en croit Catherine Colonna.</p>
<p>Cependant, la ministre a souligné qu’elle préférerait « voir le changement climatique être contrôlé et maîtrisé », ajoutant qu’« une action préventive est peut-être meilleure que de prendre certaines mesures correctives quand il est trop tard ». Elle a par ailleurs rappelé que la taille du continent australien était bien plus propice à l’accueil de petits nombres de déplacés climatiques que le sont, par exemple, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, dont le système social et écologique pourrait se trouver mis à mal par un éventuel afflux de déplacés.</p>
<p>Autre point intéressant : en se concentrant sur une relocalisation envisageable dans les îles du Pacifique environnantes, la ministre semble pour l’instant écarter toute forme de mobilité climatique vers la France métropolitaine. Il est pourtant important de souligner que ces territoires insulaires sont eux aussi <a href="https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/06/27/ouvea-le-paradis-qui-ne-veut-pas-devenir-un-enfer_6179430_3244.html">confrontés aux défis du changement climatique</a>. Il est particulièrement manifeste en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Polynésie française</a>, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/nouvelle-caledonie-la-montee-des-eaux-menace-l-archipel_5971037.html">Nouvelle-Calédonie</a>, ainsi qu’à <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Wallis et Futuna</a>, où le risque de submersion marine ne cesse d’augmenter. Cette situation critique incite les autorités à adopter des mesures préventives, notamment en imposant des surélévations dans les constructions, et à mener des opérations de restauration des écosystèmes marin et côtier afin de faire face à cette menace grandissante.</p>
<p>Que les accords de mobilité climatique restent à l’état de propositions ou deviennent une réalité prochaine en France et/ou dans ses territoires insulaires, ils soulignent l’urgence d’une réponse globale et coordonnée. Cette approche est essentielle pour affronter efficacement les multiples aspects de cette crise climatique, en prenant en compte non seulement ses conséquences géopolitiques, mais aussi ses répercussions sociétales et humanitaires. Cela met en lumière la nécessité d’une stratégie intégrée et multidimensionnelle pour gérer ces enjeux complexes et interconnectés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Malafosse est affiliée au centre Kaldor de droit international des réfugiés</span></em></p>L’Australie va permettre aux habitants de Tuvalu, archipel voué à disparaître à cause de la montée des eaux, de migrer progressivement vers son territoire. Décryptage d’un accord aux multiples enjeux.Camille Malafosse, Doctorante, University of New South Wales, UNSW SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171412023-11-15T21:15:37Z2023-11-15T21:15:37ZComment le travail des étrangers sert les agendas politiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/559363/original/file-20231114-21-gdvid2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2592%2C1940&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les secteurs en tension, comme le BTP ont particulièrement recours au travail des étrangers, parfois sans papiers. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/900155">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Le texte du projet de loi « Contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », et son article 3 proposant la création d’un titre de séjour <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/claire-rodier/immigration-questions-pose-titre-metiers-tension/00106025">« Métiers en tension »</a>, divise depuis de nombreux mois très fortement la classe politique. Supprimé dans la nuit du 8 au 9 novembre 2023 par le Sénat, le vote de l’article 3 a pourtant été posé dès les débuts comme un enjeu fort pour la majorité.</p>
<p>L’article proposait d’inscrire dans la loi une voie d’accès juridique à la régularisation du séjour par le travail pour les personnes sans-papiers, c’est-à-dire démunies d’un titre de séjour en règle. Il s’agissait en partie pour les ministres de l’Intérieur et du Travail – Gérald Darmanin et Olivier Dussopt – d’assouplir l’application de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_norintk1229185c.pdf">circulaire du 28 novembre 2012</a>, dite aussi circulaire Valls.</p>
<p>D’abord, en rendant le droit à la régularisation par le travail opposable, c’est-à-dire qu’en cas de refus de délivrance du titre de séjour demandé, il aurait été possible de déposer un recours devant les tribunaux. En l’espèce, la circulaire Valls est une circulaire non impérative, elle n’est pas attaquable juridiquement. Ensuite, si cette circulaire laisse une partie du pouvoir de régularisation aux entreprises en leur demandant de fournir les documents employeurs (la promesse d’embauche dite « CERFA », et le certificat de concordance dans le cas de travail sous un autre nom), le nouvel article aurait permis aux travailleuses et travailleurs d’introduire leur demande sans l’aval d’un employeur.</p>
<h2>Une vision utilitariste de l’immigration</h2>
<p>Pourtant, l’article 3 présentait aussi une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2001-1-page-56.htm">vision utilitariste de l’immigration</a>, dénoncée par une partie de la gauche et de l’extrême gauche, car indexant la délivrance du titre de séjour aux besoins économiques. En récusant la réduction de l’immigration à sa dimension purement économique, ces élus ont pointé le fait que la régularisation, par définition, n’est pas qu’un geste économique : elle accorde aussi des droits sociaux.</p>
<p>Bien qu’il ne saurait racheter ou justifier la face répressive du projet, la création de ce titre constituait toutefois une <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/titre-de-sejour-metiers-en-tension-c-est-une-avancee-car-un-grand-nombre-de-travailleurs-sans-papiers-font-vivre-l-economie-estime-la-cgt_5454070.html">avancée sur le plan de la reconnaissance juridique du travail des sans-papiers</a>.</p>
<p>Pour des élus de droite et d’extrême droite, rejetant en bloc l’article 3, la création de ce titre aurait permis de légitimer les situations de séjour illégal, de « récompenser la fraude », pire encore, de provoquer un « appel d’air », concept tenant jusque-là plus de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html?fbclid=IwAR387rGn57HwJ58bj7jfHm3s_WTB2KSpT2cFN1FB8mlWAINn7zKYimiounA">mythologie que d’une réalité jamais démontrée</a>.</p>
<p>À l’heure où le ton se durcit considérablement sur la question de la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/immigration-le-senat-supprime-larticle-3-sur-la-regularisation-des-sans-papiers-dans-les-metiers-en-tension">régularisation des travailleurs sans-papiers</a>, sans doute convient-il de revenir sur les manières dont en France les politiques migratoires ont pensé le travail des étrangers, et celui des sans-papiers en particulier.</p>
<h2>Une vieille histoire</h2>
<p>En France, le recours à une main-d’œuvre étrangère s’enracine dans le processus d’industrialisation de l’économie française dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Durant le XX<sup>e</sup> siècle, les besoins de reconstruction et de rattrapage de croissance économique suscitent la création de l’Office National d’Immigration, censé organiser le recrutement d’une main-d’œuvre, d’abord issue des colonies, puis étrangère. Dans les années 1950, la France signe différentes conventions bilatérales pour encourager la migration de travail.</p>
<p>Cependant la crise économique liée au choc pétrolier de 1973 marque un tournant. Le 3 juillet 1974, le Conseil des ministres <a href="https://www.histoire-immigration.fr/les-50-ans-de-la-revue-hommes-migrations/juillet-1974-suspension-des-entrees-de-travailleurs-immigres-permanents">suspend officiellement l’immigration des travailleurs et de leurs familles</a>, remisant la question du travail des étrangers devenu par la suite angle mort des politiques migratoires.</p>
<p>Déclinée et soumise à conditions, elle réapparaît néanmoins dans le contexte des années 2000 : d’abord à travers <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-ires-2010-1-page-149.htm?contenu=article">l’opposition entre une immigration « choisie » (de travail et hautement qualifiée) opposée à l’immigration dite « subie »</a> (laquelle reste pourtant légale, qu’elle soit familiale, étudiante…), introduite par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000266495">loi Sarkozy II</a> du 24 juillet 2006.</p>
<h2>Une immigration utile et jetable ?</h2>
<p>Alors qu’elle cherche à limiter les flux d’immigration légale, la loi du 24 juillet 2006 réintroduit les cartes de séjour liées au travail. Si la volonté première est d’attirer les talents du monde entier par la création d’une carte « compétence et talents » (remplacée en 2016 par la carte « passeport talent »), la création de titres de séjour pour le travail renoue plus largement avec l’idée d’une immigration de travail.</p>
<p>Les travailleurs étrangers munis d’un contrat de travail peuvent désormais se voir délivrer une carte de séjour portant la mention « salarié » ou portant la mention de « travailleur temporaire ».</p>
<p>Organisant une immigration de travail en fonction des besoins économiques, cette loi soutient une <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2004-2-page-2.htm?contenu=article">conception utilitariste de l’immigration</a>. Les cartes de séjour mentionnent la région d’exercice et le métier occupé et sont délivrées pour une durée d’un an renouvelable ; ce que dénonceront par la suite des associations réunies sous le collectif Uni·e·s contre une immigration jetable.</p>
<h2>Le tournant 2006-2007</h2>
<p>Exclus de la nouvelle législation, les travailleurs sans-papiers, qui occupent pourtant des emplois déclarés par les employeurs, saisissent là le moyen de s’organiser.</p>
<p>En octobre 2006 et au printemps-été 2007, de premières grèves du travail éclatent. Sous la pression de ces grèves, la loi suivante sur l’immigration du 20 novembre 2007, dite <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000524004">loi Hortefeux</a>, introduit par son article 40 la possibilité d’une régularisation par le travail.</p>
<p>Dans le même temps, considérant les besoins des marchés du travail français, le 20 décembre 2007 est publiée une <a href="https://gisti.org/IMG/pdf/norimin0700011c.pdf">circulaire</a> visant à encourager la migration de travailleurs, d’abord européens.</p>
<p>Cette circulaire définit <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/norimin0700011c.pdf">deux listes de métiers en tension</a> pour lesquels la situation d’emploi n’est pas opposable. La première concerne 150 métiers peu qualifiés pour les ressortissants des nouveaux membres de l’Union européenne (UE) ; la deuxième est une liste de 30 métiers en tension établie par zone géographique pour les non-ressortissants de l’UE, mais ne recoupe pas les emplois occupés par la plupart des travailleurs étrangers. Ces deux listes seront traduites dans deux arrêtés en janvier 2008.</p>
<p>En parallèle, l’article 40 ne suffit pas à régulariser les travailleurs sans-papiers. Le dispositif est à la fois flou et complexe : aucun critère de régularisation n’est clairement défini.</p>
<p>De nouvelles grèves du travail éclatent. Entre 2008 et 2009, ils sont des <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-mouvements-sociaux-en-france--9782707169853-page-724.htm">milliers de sans-papiers à faire la grève du travail</a> et à revendiquer la régularisation de leur séjour.</p>
<p>En novembre 2012 paraît la circulaire Valls qui permet une régularisation du séjour sans opposabilité de l’emploi et sans référence à la liste des métiers en tension pour les non-ressortissants de l’UE.</p>
<h2>La reprise d’un discours récurrent sur l’étranger « indésirable »</h2>
<p>Après 2015, dans un contexte post <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2019-4-page-121.htm">« crise migratoire »</a> et post-attentat, le discours politique se durcit à l’encontre des étrangers, et notamment des travailleurs sans-papiers et réactive un discours de <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2006-2-page-4.htm">tri des étrangers</a>.</p>
<p>En novembre 2018, lors d’une cérémonie au fort de Douaumont, le président Emmanuel Macron répond à un ancien combattant <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/video-on-va-continuer-le-travail-emmanuel-macron-repond-a-un-ancien-combattant-lui-demandant-d-expulser-les-sans-papiers_3024013.html">qui l’interpelle</a> au sujet du renvoi des personnes sans-papiers :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux qui fuient leur pays, parce que c’est leur liberté [sic], il faut les protéger. Mais ceux qui viennent alors qu’ils peuvent vivre librement dans leur pays, il faut les raccompagner ».</p>
</blockquote>
<p>Opposant dans son discours différents types de migration, Emmanuel Macron souligne qu’il y aurait donc des raisons plus légitimes que d’autres à migrer ; certaines pourraient être même frauduleuses. Il propose ainsi de distinguer les « vrais » réfugiés des autres.</p>
<p>Les personnes étrangères, et sans-papiers en particulier, sont ainsi stigmatisées, rendues au rang de populations indésirables. La loi Collomb du 10 septembre 2018 renforce cette appréhension notamment en facilitant la procédure d’expulsion pour les personnes déboutées du droit d’asile.</p>
<h2>« On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent »</h2>
<p>C’est cette fois-ci dans une nouvelle ligne d’opposition que Gérald Darmanin <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/video-le-projet-de-loi-immigration-vise-a-mieux-integrer-et-mieux-expulser-selon-gerald-darmanin_5526795.html">déclarait</a> le 6 décembre 2022 : « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent ».</p>
<p>Défendant la proposition d’un article de loi destiné à privilégier une immigration pour soulager les secteurs en tension, le ministre de l’Intérieur affirme qu’il s’agit d’une mesure pour mieux intégrer ceux qui travaillent. Pour autant, comme ses prédécesseurs, le ministre apparaît instrumentaliser l’immigration en reprenant à son compte un discours sur les « indésirables ».</p>
<p>Difficilement conciliables, les positions qui s’opposent autour de l’article 3 s’entrecroisent pourtant. D’un côté, le recours à une conception utilitariste justifierait une immigration mesurée, quand de l’autre, la réactivation de <a href="https://www.cairn.info/revue-memoires-2022-1-page-14.htm">vieilles peurs et antiennes sur l’étranger</a> légitimerait les faces les plus répressives du projet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217141/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emeline ZOUGBEDE est fellow de l'Institut Convergences Migrations et affiliée au Centre de recherches sur les liens sociaux (CERLIS, UMR 8070).</span></em></p>Le durcissement des dispositions prévues sur la loi immigration par le Sénat illustre aussi la façon dont les politiques migratoires ont pensé le travail des étrangers.Emeline Zougbede, Chercheuse post-doctorale CNRS_IC-Migrations, Collège de France, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162932023-11-12T16:21:29Z2023-11-12T16:21:29ZÀ La Réunion, des Sri Lankais victimes des déficiences de la politique migratoire<p>Le 7 octobre, le jeune Sri-Lankais Rusgan est <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/rusgan-le-migrant-sri-lankais-expulse-par-erreur-a-ete-reconduit-par-avion-a-la-reunion-1434017.html">rentré par avion à La Réunion</a> après en avoir été <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/a-la-reunion-un-migrant-sri-lankais-renvoye-par-charter-vers-son-pays-avant-meme-son-passage-au-tribunal-1429223.html">expulsé le 18 septembre</a>, en compagnie de six autres migrants, via un vol spécialement affrété à destination de Colombo. </p>
<p>Ce cas illustre les défaillances d’une politique migratoire visant systématiquement les expulsions des migrants à La Réunion, peu en importe le <a href="https://imazpress.com/actus-reunion/migrants-sri-lankais-le-voyage-vers-leldorado-coute-cher-en-expulsion">coût</a>, et témoigne d’un flux migratoire inédit pour l’île.</p>
<p>Jusqu’en 2018, la question de l’asile dans l’outre-mer français de l’océan indien était mécaniquement associée à Mayotte. Selon le <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2023-07/OFPRA_RA_2022_WEB%20-%20m%C3%A0j%2007.pdf">rapport de l’OFPRA</a> de 2022, la demande d’asile dans l’océan Indien, qui représente 49 % de la demande outre-mer, est, en effet, en quasi-totalité accueillie à Mayotte. </p>
<p>Les Comoriens constituent plus de 50 % des demandeurs, suivis par les ressortissants malgaches (21 %) et, à hauteur de 25 %, ceux originaires de la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo). Les médias ont d’ailleurs progressivement fait des <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2020-1-page-39.htm"><em>kwassa-kwassa</em></a>, ces canots utilisés par les Comoriens pour rejoindre illégalement l’archipel, une image d’Épinal de ces flux.</p>
<p>La Réunion accueille certes des flux migratoires en provenance de Madagascar, des Comores et de Maurice (<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6536241/re_ina_74.pdf">parmi les immigrés, 43 % sont nés à Madagascar, 20 % à Maurice et 14 % aux Comores</a>), mais la part des étrangers et des immigrés au sein de la population reste significativement moins élevée que celle de la moyenne nationale et elle est inférieure à celles de toutes les régions françaises. Par ailleurs, en 2017, la Réunion n’avait reçu que 11 demandes d’asile : d’Afrique du Sud, du Burundi, des Comores, d’Inde et du Pakistan.</p>
<h2>La Réunion, nouvelle terre d’asile pour des migrants sri-lankais</h2>
<p>C’est l’arrivée d’un radeau rassemblant <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/6-marins-sri-lankais-secourus-au-large-reunion-571373.html">six Sri-Lankais</a>, sans doute mis à l’eau par un bateau au large de la station balnéaire de Saint-Gilles, qui a fait émerger la Réunion sur la carte des destinations d’asile en 2018.</p>
<p>Spectaculaire dans sa forme mais faible en nombre, cette arrivée par la mer a provoqué l’émoi mais peu d’oppositions concernant la nécessité d’accueil. Elle a été suivie de plusieurs bateaux qui effectuaient, selon les ports de départ, une traversée d’une durée de 18 à 21 jours. Accueillant principalement des hommes célibataires âgés de 25 à 35 ans, ces embarcations provenaient dans la plupart des cas de Sri Lanka, même si certaines avaient transité par Maurice ou par Diego Garcia, atoll de l’archipel des Chagos, quand d’autres étaient parties directement d’Indonésie.</p>
<p>L’image des bateaux de pêche – dont certains en bois – souvent surchargés, a eu un impact fort dans les médias locaux et dans les représentations des habitants. Certains médias nationaux ont même qualifié ces migrants de <a href="https://www.liberation.fr/societe/a-la-reunion-moult-ecueils-pour-les-boat-people-sri-lankais-20230305_H2K6JKR3TJDMVPZ4F3WAXVXIWA/">boat people</a>.</p>
<p>Entre mars 2018 et février 2023, ce sont au total 12 bateaux qui se sont succédé. Parmi eux, le 13 avril 2019, 123 personnes ont débarqué en provenance d’Indonésie, après 21 jours en mer, dont 120 personnes de nationalité sri-lankaise et 3 Indonésiens (le capitaine et les mécaniciens). Malgré un coup d’arrêt pendant la pandémie de Covid-19, ce sont finalement 484 Sri-Lankais qui sont arrivés à La Réunion, dont 267 ont été reconduits au sein de leur pays et 27 qui ont opté pour l’aide au retour volontaire (situation au 19 octobre 2023). Parmi les 190 Sri-Lankais encore sur le territoire fin octobre 2023, une minorité a vu leur demande d’asile accordée, d’autres sont en attente de décision car la procédure est en cours, et une dernière catégorie est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Au sein des familles auprès desquelles nous avons enquêté à la Réunion en octobre 2023, la stratégie migratoire décrite est souvent similaire : le chef de famille part en premier à Jakarta, tente de trouver un logement en colocation avec d’autres coreligionnaires, puis y fait venir sa famille.</p>
<p>Le déplacement s’effectue en avion, car il n’y a pas besoin de visa pour les ressortissants sri-lankais se rendant en Indonésie. Une fois à Jakarta, l’objectif est pour ces familles de pouvoir se faire enregistrer au sein du UNHCR afin d’obtenir une protection internationale et, à terme, le statut de réfugié : en 2021, le <a href="https://reporting.unhcr.org/sites/default/files/Indonesia%20Statistical%20Report%20June%202021.pdf">UNHCR</a> de Jakarta avait procédé à l’enregistrement de 468 Sri-Lankais. C’est d’ailleurs en face du bureau du UNHCR que les personnes enquêtées à La Réunion racontent avoir été approchées par un homme qui leur a parlé de l’existence d’un bateau qui quitterait le port pour la Nouvelle-Zélande et/ou l’Australie. Ce n’est qu’en mer et après avoir payé une somme importante (jusqu’à 10 000 euros pour les familles) que les migrants ont compris qu’elle serait leur véritable destination.</p>
<p>Rien ne préparait l’île de La Réunion, les institutions, les avocats et les associations à ce flux migratoire inédit quant à l’origine géographique des demandeurs d’asile, aux modes d’arrivée sur l’île et au type de bateau usité.</p>
<h2>Des vagues d’émotions simultanées et contradictoires</h2>
<p>En visibilisant les phénomènes migratoires, ces arrivées ont provoqué plusieurs vagues d’émotions, dont des <a href="https://freedom.fr/46-migrants-sri-lankais-reconduits-ce-vendredi-70-autres-pourraient-debarquer-ce-samedi/">réactions xénophobes</a> parfois <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/17/a-la-reunion-les-migrants-sri-lankais-sujets-de-tensions-locales-et-de-trouble-entre-france-et-royaume-uni_6158229_823448.html">instrumentalisées politiquement</a> sur les réseaux sociaux. Ces faits sont souvent intensifiés par un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6692469">taux de pauvreté</a> élevé sur l’île et par le sentiment que l’urgence n’est pas l’accueil de ces populations, mais ils ont tout de même mis en mouvement différentes associations de solidarité.</p>
<p>La <a href="https://www.lacimade.org/regions/ocean-indien/">CIMADE</a>, la <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/ile-de-la-reunion">Fondation Abbé Pierre</a>, le <a href="https://reunion.secours-catholique.org/">Secours catholique</a>, <a href="https://www.medecinsdumonde.org/">Médecins du monde</a> et l’<a href="http://www.anafe.org/">Anafé</a> se sont mobilisées, alors que s’organisaient des associations citoyennes telles que Ansamb Oi (ou ensemble océan indien), la Fédération des associations tamoules ou Réunion Solidarité Migrants, toutes bénéficiant de dons individuels ou d’aides organisées autour des temples hindous.</p>
<p>On aurait pu croire cette solidarité mécanique, du fait d’une part importante du peuplement d’ascendance indienne de la Réunion (environ ¼ de la population de l’île). Mais cette population d’origine indienne est elle-même <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2008_num_1275_1_5122">clivée</a> entre ceux qui revendiquent l’appellation de « Malbars » et ceux qui la rejettent car la jugent connotée par <a href="https://journals.openedition.org/oceanindien/1970">l’engagisme</a> et lui substituent celle de « Tamouls ».</p>
<h2>Une réaction tardive de l’État</h2>
<p>Dépassé par ces arrivées, l’État a été confronté à l’absence de tout dispositif national d’accueil (<a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Asile/Guide-du-demandeur-d-asile-en-France">DNA</a>). Ce dispositif doit accompagner les demandeurs d’asile dès leur inscription à la préfecture, en leur présentant le parcours qu’ils vont rencontrer et les différentes options qui vont s’offrir à eux, jusqu’à leur hébergement dans des structures de type Structure de Premier Accueil du Demandeur d’Asile (SPADA) ou de Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA), et à l’obtention – ou non – de documents leur permettant de rester sur le territoire national. Les avocats spécialistes du droit d’asile, également peu nombreux lors des premières arrivées, se sont progressivement structurés par la création de la « permanence des étrangers » au sein du barreau du chef-lieu de l’île, Saint-Denis, pour assurer la défense des requérants.</p>
<p>Lors d’échanges en octobre 2023, plusieurs de ces avocats nous ont dit rencontrer des obstacles pour mener à bien leur travail, que ce soit dans l’accès aux zones d’attentes qui ont été créées en urgence, en étant prévenus tardivement des interpellations de Sri-Lankais, ou encore en faisant face à des juges expéditifs qui les poussent à présenter de nombreux recours ou appels. Ils n’étaient alors toujours pas payés par le fond d’aide juridictionnelle, l’organe du ministère de la Justice voué à financer ce type de procédures.</p>
<p>Une autre difficulté a été liée à l’hébergement des demandeurs d’asile sri-lankais : jusqu’à présent, comme les demandes d’asile étaient peu nombreuses à La Réunion, c’est le SAMU social, l’organisme voué à trouver des logements d’urgence pour les personnes sans-abris via le numéro téléphonique 115, qui s’en occupait.</p>
<p>Avec l’arrivée des Sri-Lankais, la prise en charge des demandeurs d’asile, obligatoire pour l’État français (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000042772424/">Code de l’entrée et du séjour des étrangers du droit d’asile</a>) s’est faite dans le désordre.</p>
<p>En effet, une fois la décision de libération prise par le juge des libertés, les demandeurs d’asile ne sont plus sous la responsabilité du préfet, ce qui annule leur prise en charge dans la zone d’attente. C’est ainsi que des Sri-Lankais se sont retrouvés à la rue, sans biens personnels ni compréhension d’un environnement qu’ils ne connaissaient pas, parfois même sans chaussures.</p>
<p>Avec l’afflux du 14 décembre 2018, alors que la zone d’attente de l’aéroport était saturée et comme l’île ne disposait pas de SPADA ni de CADA, c’est finalement un gymnase et un hôtel qui ont été réquisitionnés par la préfecture.</p>
<h2>Bricolages au « 306 »</h2>
<p>Un élan citoyen et des associations se sont alors mobilisés, notamment structurées autour d’un local nommé « le 306 » en référence au numéro de la rue où il se situe. Des nuits d’hôtel ont été payées, des personnes ont été accueillies au domicile de volontaires, des cours de français et des animations ont été organisés. Ce sont aussi ces personnes de bonne volonté qui ont amené les ressortissants sri-lankais à la préfecture pour faire enregistrer leur demande d’asile, où ils recevaient une attestation déclenchant l’aide de l’État.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À l’intérieur du 306 rue Maréchal Leclerc à Saint-Denis, un véritable lieu de vie, où se retrouvent à la fois les Sri-Lankais et les bénévoles de toute l’île pour créer du lien social grâce à des échanges culturels, culinaires et linguistiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Egambarane et Naranma Sindraye/Ansamb Oi</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Ce bricolage mené par les associations et les avocats a permis d’accompagner les Sri-Lankais jusqu’à la création par les autorités d’un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) à la toute fin 2018. C’est donc une structure <em>ad hoc</em> qui a été mise en place, d’abord au sein d’un bâtiment collectif (un <a href="https://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/IMG/pdf/03_fiche_pratique_les-centres-d-hebergement-et-de-reinsertion-sociale-_chrs__mai_2021_cle2bb6b1.pdf">CHRS</a>). Géré par la Croix-Rouge, cet HUDA ne pouvait pas accueillir l’ensemble des demandeurs d’asile, notamment parce que les lits picots, installés dans l’urgence, n’étaient pas suffisants. La préfecture procéda alors à la réquisition de logements sociaux à Saint-Denis, et la Croix-Rouge à la location de deux logements dans le secteur privé à Saint-André, abandonnant progressivement l’idée d’un accueil collectif pour un ensemble de logements diffus (36 appartements).</p>
<p>Rapidement débordé et confronté à un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/croix-rouge-une-affaire-d-agression-sexuelle-etouffee-la-direction-outre-mer-mene-un-audit-a-la-reunion-1431497.html">personnel peu habitué à l’accueil</a> des demandeurs d’asile (aucune formation au droit d’asile et des étrangers, une très faible maîtrise de l’anglais et des <a href="https://parallelesud.com/episode-5-la-justice-reconnait-la-souffrance-psychologique-des-migrants-et-libere-le-capitaine/">lacunes dans l’accompagnement des personnes</a>, complétées par un important turn-over des salariés contractuels), cet HUDA a été vite saturé, laissant certaines familles dans l’expectative, désemparées ou principalement accompagnées par les associations citoyennes.</p>
<h2>Une expérimentation des mesures d’exclusions</h2>
<p>Au-delà de la question de l’HUDA, plusieurs dysfonctionnements permettent d’identifier que l’État ne s’est pas conformé aux procédures habituelles d’accueil des demandeurs d’asile.</p>
<p>L’un d’entre eux, administratif, se passe à la première étape de la demande d’asile : le document généralement présenté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n’est pas celui de la procédure “normale”, mais celui proposant une “procédure accélérée” dans lequel la case “Vous avez présenté de faux documents” est pré-cochée.</p>
<p>Cela induit que la procédure menée doit s’effectuer dans un délai de 15 jours, et non de 6 mois pour une procédure normale, et qu’un seul juge examine le recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) si la demande d’asile est rejetée (au lieu de 3 en procédure normale). Cette procédure accélérée peut également avoir un <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article5118">impact</a> sur les aides matérielles ou l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).</p>
<p>Les entretiens menés auprès de l’OFPRA, qui visent à comprendre la situation des demandeurs d’asile pour mieux statuer sur l’acceptation ou le rejet de leur accueil, se sont également effectués par visioconférence – l’administration ne disposant pas de bureau sur l’île – et via des traducteurs pour certains décriés, car peu compétents ou transcrivant des points de vue subjectifs ancrés dans les hiérarchies de pouvoir qui traversent <a href="https://cairn.info/revue-herodote-2015-3-page-219.htm">l’histoire sri-lankaise</a> (notamment entre Tamouls et Cinghalais).</p>
<p>Ces diverses entraves administratives, qui se concrétisent par de nombreux accrocs dans la procédure, nécessitent la vigilance des associations et l’intervention des avocats. Ces derniers déploient beaucoup d’énergie à contester ces façons de faire et à déposer des recours. Bien que les juges leurs donnent souvent raison, les lenteurs de la justice et l’amoncellement des difficultés pour suivre les dossiers leur demande un engagement chronophage et exigeant, surtout qu’ils sont peu nombreux.</p>
<h2>Une brigade de police inédite</h2>
<p>Au-delà de ces complications administratives, une brigade de police, baptisée Groupe de Recherche pour l’exécution des mesures d’éloignement (GRE), composée de six policiers, a aussi été créé début 2023. Cette unité spécifique de la Police aux frontières consacre son action vers l’ensemble des personnes sous Obligation à quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Unique en son genre, c’est la première fois qu’une telle brigade se déploie sur le territoire français, et <a href="https://parallelesud.com/oqtf-les-methodes-deloyales-du-nouveau-groupe-de-recherche-des-etrangers/">ses méthodes sont déjà beaucoup décriées</a>. En effet, les témoignages de personnes recherchées parlent par exemple de policiers qui se font passer pour des facteurs afin qu’elles sortent de leur résidence et puissent être arrêtées.</p>
<p>Mais c’est bien le fichage systématique, permettant des arrestations ciblées, qui pose question : des procès-verbaux relatant l’arrestation de personnes recherchées témoignent du fait que les policiers disposent non seulement de toutes leurs données personnelles, mais aussi de leurs photographies. Les avocats et les associations s’interrogent sur la légalité de tels documents tout comme la <a href="https://www.lacimade.org/le-groupe-de-recherche-pour-lexecution-des-mesures-deloignement-une-specificite-reunionnaise/">Cimade</a> qui souhaite aller en contentieux.</p>
<p>La GRE constitue un prolongement direct de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_2022-11-17.pdf">circulaire</a> du 17 novembre 2022 du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, intitulée « Exécution des obligations de quitter le territoire français et renforcement de nos capacités de rétention », et qui a été adressée aux préfets quelque temps après le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/04/affaire-lola-ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-dahbia-benkired_6148557_3224.html">meurtre de Lola</a>, une jeune fille de 12 ans tuée par une personne sous OQTF. Pourtant, ses méthodes singulières posent la question de leur légalité.</p>
<h2>Une gestion de l’asile à la Réunion qui questionne</h2>
<p>De manière générale, l’arrivée des bateaux sri-lankais et l’inorganisation de la réponse humanitaire et politique ont permis de pointer les déficiences de l’État dans la gestion de l’asile à La Réunion.</p>
<p>Ce sont les associations qui ont pallié les faiblesses de l’État en guidant les demandeurs d’asile dans leurs procédures, en leur trouvant des solutions de logement, en aidant aux soins (notamment psychiques), etc.</p>
<p>L’État est alors entré dans un rapport de force avec les acteurs de l’asile et les migrants, envoyant des signaux forts qui s’incarnent par maints bricolages administratifs. Or, comme le mentionne le préfet de la Réunion, Jérôme Filippini, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/migrants-sri-lankais-400-personnes-arrivees-en-5-ans-cela-ne-s-appelle-pas-une-invasion-selon-le-prefet-de-la-reunion-1357010.html">« la Réunion n’est pas une destination pour les migrations irrégulières »</a>. La nouvelle unité de police présente sur l’île interroge elle aussi : ne va-t-elle pas être répliquée dans d’autres régions françaises ?</p>
<p>En attendant, les Sri-Lankais, et tout spécifiquement les familles, dont certaines ont eu des enfants à la Réunion et ont scolarisé les aînés depuis leur arrivée en 2018, se retrouvent dans des situations d’incertitude complexes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice CORBET a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p>Depuis quelques années, l’île de la Réunion voit un afflux de migrants originaires de Sri Lanka, mais les procédures inédites mises en place à leur arrivée interrogent le cadre légal français.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de BordeauxAlice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2165612023-10-30T19:07:41Z2023-10-30T19:07:41ZSuisse et Pologne : des enjeux électoraux parfois proches mais des votes contrastés<p>Lors des élections fédérales du 22 octobre, les <a href="https://theconversation.com/topics/suisse-28580">Suisses</a> ont <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/suisse-la-droite-populiste-remporte-les-elections-legislatives-loin-devant-les-socialistes_6139815.html">renforcé</a> une majorité sortante populiste, au détriment des écologistes. L’enjeu phare du scrutin, cette fois, n’a pas été l’environnement, mais l’immigration. Elle avait aussi été l’un des thèmes principaux des législatives <a href="https://theconversation.com/topics/pologne-32416">polonaises</a> qui, une semaine plus tôt, ont donné une large et surprenante <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/18/le-message-le-plus-important-des-elections-legislatives-en-pologne-est-que-la-montee-du-populisme-de-droite-et-anti-europeen-peut-etre-stoppee_6195224_3232.html">avance</a> à la coalition centriste pro-européenne sur le parti conservateur populiste au pouvoir depuis 2015.</p>
<p>La Suisse n’est certes pas la Pologne, plus de quatre fois moins peuplée avec près de 9 millions d’habitants contre près de 38 millions en Pologne. C’est une économie avancée, très attachée à sa neutralité géopolitique, membre de l’Association européenne de libre-échange, mais pas de l’Union européenne qu’elle ne souhaite pas intégrer. La Pologne, elle, considérée comme la plus grande économie émergente de l’Union européenne par le Fonds monétaire international ; est un membre très engagé de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.</p>
<h2>Composer avec une démographie déclinante</h2>
<p>La Pologne et la Suisse ont cependant des traits communs, à commencer par une démographie déclinante. Leur taux de fécondité est similaire : respectivement 1,46 et 1,50 enfant par femme en 2021 selon les Nations unies. Cela se traduit, en Pologne, par un taux de croissance annuel moyen de la population négatif entre 2011 et 2021 (-0,08 % par an, contre +0,31 % en Europe et +1,12 % dans le monde).</p>
<p>Tandis qu’en Suisse, sur la même période, ce taux a crû de <a href="http://visualdata.cepii.fr/CountryProfiles/fr/?country=Suisse">+0,95 %</a> grâce à un flux constant d’immigration depuis plusieurs décennies, mais qui suscite désormais des <a href="https://www.rts.ch/info/suisse/14156289-une-suisse-a-dix-millions-dhabitants-ca-change-quoi-pour-vous.html">inquiétudes</a>. Selon l’Office fédéral de la statistique suisse, la part des résidents étrangers dans la population totale est passée de 14 % en 1980 à 26 % en 2022. 82 % d’entre eux sont issus d’Europe, d’abord d’Italie et d’Allemagne (14 % dans les deux cas), puis du Portugal (11 %).</p>
<p>De son côté, la Pologne, jadis pays d’émigration qui a alimenté les marchés du travail américain et européen, ne recourt que depuis peu à l’immigration – de façon <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/06/26/en-pologne-une-reforme-de-la-politique-dimmigration-en-cours/">sélective</a> – pour pallier son déclin démographique. Selon Eurostat, elle est devenue le pays de l’Union européenne qui délivre le plus de permis de résidence aux étrangers (Biélorusses, Russes et Turcs en tête) : 970 000 permis en 2021, soit plus d’un tiers du total accordé par l’ensemble des 27. En 2022, le pays a accueilli plus de 1,3 million d’Ukrainiens, en majorité des femmes et des enfants fuyant la guerre déclenchée par la Russie.</p>
<h2>Le pouvoir d’achat, l’autre enjeu majeur</h2>
<p>L’économie polonaise, étroitement liée aux <a href="https://theconversation.com/pologne-le-ralentissement-economique-se-traduira-t-il-dans-les-urnes-215613">chaînes de valeur allemandes</a>, est plus touchée par la récession chez sa grande voisine de l’Ouest (-0,5 % prévue en 2023) que la Confédération helvétique. Il faut dire que l’Europe, et l’Allemagne en particulier, compte moins pour la Suisse que pour la Pologne (graphique 1) : respectivement 46 % et 15 % en 2021 des exportations suisses y sont destinées, contre 83 % et 28 % de celles de la Pologne. Le FMI <a href="https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2023/October/">prévoit</a> une croissance du PIB en 2023 de 0,6 % en Pologne et 0,9 % en Suisse (respectivement 5,1 % et 2,7 % en 2022).</p>
<p><iframe id="OTKIx" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/OTKIx/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Toutefois, l’inflation, qui pèse sur le pouvoir d’achat, a plus augmenté en Suisse d’où elle part, il est vrai, de très bas : elle y a quasiment quintuplé (2,8 % en 2022 contre 0,6 en 2021) tandis qu’elle triplait en Pologne (14,4 % en 2022 contre 5,1 en 2021). À côté de l’immigration, le prix croissant des assurances maladie, toutes privées dans la Confédération helvétique, est ainsi <a href="https://www.bloomberg.com/news/newsletters/2023-10-20/swiss-election-health-care-costs-driving-voters?cmpid=BBD102023_prognosis&utm_medium=email&utm_source=newsletter&utm_term=231020&utm_campaign=prognosis">devenu</a> l’un des principaux thèmes de la dernière campagne électorale.</p>
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<p>La Suisse n’en reste pas moins l’un des pays avancés les plus riches au monde. Son PIB réel par habitant en parité de pouvoir d’achat a certes connu une baisse relative depuis 1960 (il était alors 6,5 fois supérieur à la moyenne mondiale). Il n’en dépasse pas moins, aujourd’hui encore, celui des États-Unis et se situe largement au-dessus de la moyenne européenne (graphique 2).</p>
<p><iframe id="P6vcn" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/P6vcn/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le maintien du haut revenu helvétique tient notamment à la spécialisation très dynamique du pays dans le commerce international (graphique 3). Celle-ci est marquée par un engagement fort dans les produits chimiques et électroniques. La Suisse y dégage des excédents croissants, surtout grâce à ses exportations de <a href="https://theconversation.com/les-produits-de-sante-une-filiere-de-poids-dans-les-echanges-internationaux-214276">produits de santé</a> : de produits pharmaceutiques d’abord, et, en amont, de produits de la chimie organique, ainsi que d’équipements de technologie médicale.</p>
<p><iframe id="hGa0y" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hGa0y/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autant d’observations qui attestent que les réalités économiques, en Europe comme ailleurs, ne priment pas toujours dans les choix électoraux.</p>
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<p><em>Pour approfondir la question de l’insertion internationale de l’économie suisse, voir les pages interactives <a href="http://visualdata.cepii.fr/">Les Profils du CEPII</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216561/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Deniz Unal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré des enjeux démographiques similaires, les récents scrutins suisses et polonais n’ont pas porté au pouvoir des majorités ayant les mêmes points de vue sur l’immigration.Deniz Unal, Économiste, rédactrice en chef du Panorama et coordinatrice des Profils du CEPII - Recherche et expertise sur l'économie mondiale, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159082023-10-22T15:16:29Z2023-10-22T15:16:29ZComment Lampedusa incarne les mythes migratoires européens<p>Le 3 octobre 2023 a marqué le dixième anniversaire du naufrage survenu au large de Lampedusa, qui a provoqué la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Naufrage_du_3_octobre_2013_%C3%A0_Lampedusa">mort de plus de 300 migrants en 2013</a>, et qui constitue encore aujourd’hui un des épisodes les plus meurtriers et emblématiques de la <a href="https://theconversation.com/mort-de-migrants-en-mer-la-veritable-responsabilite-incombe-aux-politiques-mises-en-place-par-les-etats-europeens-210371">crise des migrants et des réfugiés</a> en Méditerranée.</p>
<p>Ironie de l’histoire, quelques jours avant ce triste anniversaire, l’île a connu un nouvel épisode de crise migratoire lorsque, en septembre 2023, une <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">dizaine de milliers de migrants sont arrivé en quelques jours</a>, saturant les capacités d’accueil et provoquant l’habituelle série de réunions d’urgence, visites de responsables politiques, annonce de nouvelles mesures, etc.</p>
<p>Ce type d’événement relève désormais d’une forme de jour sans fin. À intervalles réguliers, les mêmes problèmes se posent, à Lampedusa ou ailleurs. Et à chaque fois, les États européens y réagissent dans l’urgence, en refaisant <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/00027642231182889">exactement la même chose que lors du précédent épisode de crise</a> : ils renforcent le contrôle des frontières, intensifient la coopération avec les pays tiers, durcissent leur législation, promettent de lutter contre les passeurs et <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/leffet-lampedusa-ou-comment-se-fabriquent-des-politiques-migratoires-repressives-20230917_23WCBIMHNBHOFJRRL3HLUXEEZU/">d’accroître les expulsions, etc.</a></p>
<p>En France, la même impression de surplace se dégage de l’actualité politique. Rappelons que le <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/immigration-29-lois-depuis-1980-pour-quel-bilan-20221215">gouvernement travaille actuellement à la 30ᵉ loi sur l’immigration depuis 1980</a> : au rythme de presque une nouvelle loi par an, le pays est engagé dans un processus continu et probablement sans fin, de nature sisyphéenne, qui voit une nouvelle loi chasser la précédente sans que le « problème » posé par les migrations ne soit d’une quelconque manière résolu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loi-immigration-pour-une-veritable-evaluation-de-notre-politique-dasile-213674">Loi immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile</a>
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<h2>« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »</h2>
<p>Il en va de même des discours politiques. En septembre 2023, <a href="https://www.leparisien.fr/politique/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-lhistoire-derriere-la-celebre-phrase-de-rocard-reprise-par-macron-24-09-2023-NZXNP7IPRFC2PFYEYZDCA2KWEA.php">Emmanuel Macron a repris la célèbre phrase prononcée par Michel Rocard en 1989</a> : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Laquelle phrase avait été déjà reprise par Manuel Valls en 2012, et par Macron lui-même à plusieurs reprises depuis 2017.</p>
<p>En 1989, François Mitterrand évoquait une politique migratoire alliant <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/137997-allocution-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-la">sévérité aux frontières et humanité</a>, soit presque la même expression (humanité et fermeté) que le gouvernement actuel emploie pour <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1263404/article/2022-12-06/loi-immigration-fermete-et-humanite-pari-du-camp-presidentiel-pour-seduire-l">justifier la nouvelle loi en cours d’élaboration</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554839/original/file-20231019-20-ctybq9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bateau de migrants à l’approche de Lampedusa, Italie. En septembre 2023 une dizaine de milliers de migrants sont arrivés en quelques jours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/194913085@N07/53201458968">Fellipe Lopes/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Cette répétition sans fin des mêmes propos est d’autant plus frappante qu’ils n’ont aucun sens. Personne n’a en effet jamais suggéré que la France accueille toute la misère du monde : on voit donc mal pourquoi il est nécessaire de continuellement exclure ce scénario. Et si on comprend à peu près en quoi consiste la fermeté des États, personne n’a jamais réussi à définir ce à quoi ressemblerait une politique migratoire ferme et humaine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-maternelle-les-femmes-migrantes-sont-plus-a-risque-y-compris-dans-leur-pays-daccueil-213090">Santé maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil</a>
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<h2>L’appel d’air, un vrai faux argument</h2>
<p>On pourrait faire la même observation à propos de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html">l’argument de l’appel d’air</a>, selon lequel un accueil décent des migrants et des réfugiés serait incompatible avec la maîtrise de l’immigration irrégulière car il les encouragerait à venir en France. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/04/francois-heran-sur-l-immigration-abandonnons-les-vieilles-rengaines-et-prenons-la-mesure-du-monde-tel-qu-il-est_6192352_3232.html">Cela n’a jamais été démontré</a>, mais le concept est devenu un mot magique, repris de manière pavlovienne par tous les gouvernements successifs de gauche comme de droite.</p>
<p>Les politiques migratoires reposent ainsi sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Du point de vue de la raison, c’est incompréhensible : un gouvernement qui constate l’échec de sa politique devrait, en toute logique, remettre en cause les postulats de son action et réévaluer sa stratégie.</p>
<p>Mais malgré l’échec de leurs politiques, les États européens continuent de croire dans ce qu’il faut bien qualifier de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/migrations-la-politique-europeenne-en-3-minutes/">monde imaginaire</a> : dans cet univers parallèle, les frontières sont bien contrôlées, la distinction entre migrants et réfugiés est claire pour tout le monde, les migrants économiques viennent docilement combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs dits « en tension », les pays tiers font preuve de bonne volonté pour aider l’Europe à prévenir l’immigration irrégulière, l’aide au développement est judicieusement allouée pour réduire la pression migratoire dans les pays du Sud, etc.</p>
<p>Il n’y a aucune chance que tout cela se produise dans le monde réel. Mais cet horizon inatteignable est tellement désirable qu’on ne cesse de l’invoquer en espérant le faire advenir. Il n’est donc pas surprenant que des responsables politiques prononcent exactement la même phrase à près de quarante ans d’intervalle : c’est précisément la manière dont les mythes fonctionnent, avec la répétition rituelle des mêmes mantras hérités de nos ancêtres, que chaque génération se répète et transmet à la suivante.</p>
<h2>Un rapport complexe à la réalité</h2>
<p>Rappelons que le mythe entretient un rapport complexe à la réalité. Il ne perd pas son pouvoir d’attraction, même lorsque la réalité ne cesse de le démentir. Dans la mesure où le mythe sert à unir et rassurer une société, il devient au contraire d’autant plus précieux et valable que cette réalité s’avère <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2006-2-page-427.htm">menaçante ou échappe au contrôle</a>. Chaque nouvelle « crise » migratoire constitue ainsi une raison de plus pour les sociétés européennes de réitérer leur croyance dans un horizon utopique qui les verrait atteindre leur objectif de <a href="https://www.vie-publique.fr/dossier/20160-la-politique-dimmigration-la-maitrise-des-flux-migratoires">« maîtrise des flux migratoires »</a>.</p>
<p>La croyance dans le mythe s’accommode aussi de quelques contradictions. Dans un livre célèbre, Paul Veyne se demande si les Grecs de l’Antiquité <a href="https://books.google.fr/books?id=ZX6BAAAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false">croyaient à leurs mythes</a> et il avance l’hypothèse qu’il existe différents « programmes de vérité », qui cohabitent au sein des sociétés et en chacun d’entre nous. Comme le malade qui espère un miracle à Lourdes mais n’en prend pas moins ses médicaments, cela nous permet tout à la fois de croire et de ne pas croire, ou de croire tout en adoptant des comportements peu conformes avec nos croyances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-des-migrants-prevenir-et-agir-est-une-question-de-sante-publique-211757">Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique</a>
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<h2>L’exemple italien</h2>
<p>C’est ainsi qu’en Italie, le gouvernement actuel se montre à la fois intransigeant et souple dans sa politique migratoire. Issue de l’extrême droite où l’immigration est systématiquement présentée comme une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230920-europe-pour-les-extr%C3%AAmes-droites-ue-doit-%C3%AAtre-un-outil-pour-juguler-les-crises-migratoires">« invasion »</a>, et élue sur la promesse d’un « blocus » maritime contre l’immigration irrégulière, Giorgia Meloni <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/24/italie-georgia-meloni-admet-qu-elle-esperait-faire-mieux-en-matiere-de-migration_6190785_3210.html">reconnaît ainsi que ses objectifs sont difficiles à atteindre</a>, sans pour autant changer de discours.</p>
<p>Par ailleurs, son gouvernement continue de régulariser des sans-papiers pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre dans un pays vieillissant, et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/crise-migratoire-a-lampedusa-qu-a-fait-giorgia-meloni-face-a-l-immigration-depuis-son-arrivee-au-pouvoir-en-italie_6073092.html">prévoit même d’accroître l’immigration de travail</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/2Q43VfCwWgo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Lampedusa, l’échec de Meloni ? France 24, septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>On peut n’y voir qu’un double discours, ou l’illustration du cynisme de dirigeants qui font des promesses électorales auxquelles ils ne croient pas eux-mêmes. La frontière ne serait alors plus qu’un théâtre, où les États européens mettent en scène leur volonté insincère de contrôle de l’immigration, à la seule fin de rassurer leurs concitoyens et de détourner leur attention.</p>
<h2>Concilier l’inconciliable ?</h2>
<p>Mais c’est oublier que les politiques migratoires soulèvent de véritables dilemmes, et qu’une des fonctions des mythes est précisément de dépasser les contradictions qui sont au cœur de l’expérience humaine. De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. La formule incantatoire « fermeté et humanité » promet ainsi de concilier ouverture et fermeture, générosité et sévérité, exclusion et solidarité, etc.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=904&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554841/original/file-20231019-21-p0kv97.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De même que le Minotaure est à la fois humain et animal, les mythes migratoires concilient l’inconciliable, du moins sur le plan symbolique. Astérion le Minotaure dans les rues de Toulouse, géant de la compagnie « La Machine » – (novembre 2018).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Le_Minotaure.jpg/1024px-Le_Minotaure.jpg">Mrniko/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>De façon plus fondamentale, l’Europe est l’héritière de deux croyances antinomiques. Depuis les Lumières, elle se pense comme le berceau <a href="https://institutdelors.eu/publications/de-quelle-universalite-les-valeurs-europeennes-sont-elles-le-nom/">des droits humains, de l’universalité, du progrès et de l’égalité</a> – d’où la référence à l’humanité. Mais de par son histoire coloniale, elle est de longue date structurée autour d’une opposition entre « eux » et « nous », qui fonde une différence structurelle de traitement entre Européens et non-Européens, et qui motive sa « rage à marquer sa différence contre le reste du monde », pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_postcolonie-9782348057502"><em>De la postcolonie</em></a>.</p>
<p>La contradiction réapparaît à chaque nouveau naufrage. L’Europe est choquée, elle se désole, se mobilise et exprime sa solidarité. Mais dans le même temps elle ne change rien à ses politiques, et s’accommode finalement de voir ses frontières transformées en une fosse commune pour non-Européens.</p>
<p>On conçoit que dans le monde réel il ne soit pas simple de concilier ces deux héritages, et qu’il est donc tentant de se réfugier dans un monde magique où la contradiction disparaîtrait. Cela se fait bien sûr au détriment d’une refondation pourtant nécessaire des politiques migratoires : mais après tout, de même que la religion est l’opium qui maintient le peuple dans le statu quo, les mythes tendent à être du côté de l’ordre établi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215908/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques migratoires semblent reposer sur des croyances inchangées depuis plusieurs décennies. Comment comprendre que ces dernières perdurent ?Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2130902023-10-03T16:34:08Z2023-10-03T16:34:08ZSanté maternelle : les femmes migrantes sont plus à risque, y compris dans leur pays d’accueil<p>Au cours des dix dernières années, le nombre de migrants dans le monde <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/9789264307216-en.pdf">a augmenté de 23 % selon l’OCDE</a>, du fait de la multiplication des conflits armés, des crises économiques ou encore des catastrophes naturelles.</p>
<p>Ces mouvements de populations impliquent fréquemment des femmes jeunes, et le nombre d’enfants nés de mères d’origine étrangère est en augmentation dans de nombreux pays. C’est le cas notamment en France, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414759?sommaire=5414771">où ce phénomène concerne une naissance sur quatre</a>.</p>
<p>La question de l’état de santé de ces femmes pendant la grossesse et dans ses suites a fait l’objet de différentes études scientifiques. Elle n’est pourtant pas réellement tranchée, car leurs conclusions divergent : certaines indiquent que les femmes migrantes courent un risque plus élevé, d’autres, non.</p>
<p>Pour comprendre l’origine de ces différences, nous avons effectué une revue systématique des travaux scientifiques portant sur la santé maternelle des femmes migrantes et non migrantes dans les pays à revenus élevés, doublée d’une méta-analyse, en nous focalisant sur les complications graves.</p>
<p>Nos travaux indiquent qu’il existe bel et bien des différences réelles de santé maternelle entre les femmes migrantes et non migrantes, qui varient non seulement en fonction du pays d’accueil, mais aussi du pays d’origine.</p>
<h2>Une question importante pour les politiques publiques</h2>
<p>Prendre en charge et suivre de façon optimale toutes les femmes enceintes représente un défi sur le plan organisationnel. La première étape pour le relever est de caractériser l’état de santé des femmes migrantes et de comparer leur niveau de santé au cours de la grossesse, pendant et après l’accouchement, à celui des femmes du pays d’accueil.</p>
<p>Lorsque de telles analyses sont menées, certaines études indiquent que le risque de mortalité maternelle et de morbidité maternelle grave (admission en unité de soins intensifs, hémorragie post-partum, crises d’éclampsie – des crises convulsives potentiellement fatales dans un contexte de <a href="https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/hypertension-arterielle-grossesse/definition">maladie hypertensive de la grossesse</a>, etc.) est plus élevé pour les femmes migrantes. D’autres travaux, en revanche, ne mettent pas en évidence de différence.</p>
<p>Jusqu’ici, on ne savait pas si cette hétérogénéité pouvait s’expliquer par des variations, selon les études, dans la définition de la catégorie « migrant » ainsi que dans la mesure des évènements graves de santé maternelle, ou bien si elle reflétait plutôt de réelles inégalités, selon le contexte des pays d’accueil. Avec, en creux, la question de savoir si certains contextes nationaux sont plus propices au développement d’inégalités de santé maternelle entre les femmes migrantes et non-migrantes, et si certains sous-groupes de femmes présentent aussi plus de risques.</p>
<p>Les réponses à ces interrogations sont importantes, car elles peuvent avoir des implications en matière de politiques publiques et de choix des mesures prioritaires à mettre en place pour favoriser un accès à des soins de qualité pour toutes les femmes.</p>
<h2>Différences selon les pays d’accueil et d’origine</h2>
<p>Pour prendre en compte le problème de l’hétérogénéité des définitions de la littérature scientifique, nous avons fait le choix de ne sélectionner que des études proposant une même définition du terme « migrantes » : des femmes nées dans un autre pays que le pays d’accueil où elles accouchent.</p>
<p>Les évènements de santé pris en compte dans notre analyse incluaient non seulement la mortalité maternelle, mais aussi les autres évènements graves de santé maternelle pendant la grossesse et jusqu’à un an après l’accouchement (en excluant les problèmes de santé mentale).</p>
<p>En analysant les 35 études incluses (sélectionnées à partir de l’examen de 2290 publications), nous avons constaté que le risque de mortalité maternelle ou d’évènements graves de santé touchant les femmes migrantes, par rapport aux femmes nées dans le pays, variait à la fois en fonction du pays d’accueil et de la région de naissance de la femme migrante.</p>
<p>Dans le détail, nous avons observé qu’en Europe, les femmes migrantes courent généralement un risque plus élevé que les femmes non migrantes, avec un taux de mortalité maternelle ou des problèmes de santé maternelle plus importants.</p>
<p>En revanche, ce risque ne diffère pas de manière significative aux États-Unis ou en Australie entre ces deux groupes. Il faut néanmoins souligner que dans ces pays, les inégalités de santé maternelle sont observées entre groupes ethniques, notamment entre populations noires et blanches aux États-Unis.</p>
<p>Notre travail montre par ailleurs que le terme de <em>migrante</em> recouvre une réalité complexe et multiple. Les femmes nées en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et dans les Caraïbes ou en Asie, présentent ainsi un risque de mortalité ou d’évènements graves de santé plus élevé que leurs homologues nées dans le pays d’accueil. En revanche, ce surrisque n’est pas retrouvé pour les femmes migrantes nées en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.</p>
<p>Nos résultats soulignent donc qu’il existe des inégalités réelles de santé maternelle entre les femmes migrantes et non migrantes. Mais quelles en sont les origines ?</p>
<h2>Différences dans l’accès aux soins : quelles hypothèses ?</h2>
<p>Pour mieux comprendre ces inégalités entre femmes migrantes et non migrantes, il est nécessaire d’interpréter les données à la lumière du contexte du pays d’accueil et de ses politiques migratoires et de santé publique. Tout en gardant à l’esprit le fait que les femmes migrantes ne constituent pas un groupe homogène.</p>
<p>Différentes hypothèses ont été soulevées pour expliquer les inégalités propres à chaque pays et groupe de femmes. L’une d’entre elles s’appuie sur le fait que les femmes migrantes nées en Afrique subsaharienne, en Amérique latine, dans les Caraïbes et en Asie <a href="https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/1471-0528.17124">vivent généralement dans le pays d’accueil depuis moins longtemps que les femmes migrantes originaires d’autres régions</a>.</p>
<p>De ce fait, elles sont plus souvent désavantagées par la barrière de la langue, l’absence de statut juridique, l’isolement social et les mauvaises conditions de logement. Ces facteurs pourraient se traduire par un accès plus difficile au système de santé, en particulier aux soins prénataux, dont on sait qu’ils sont plus souvent inadéquats, tant en quantité qu’en qualité, dans ces sous-groupes de femmes.</p>
<p>Une autre hypothèse est qu’il pourrait exister une discrimination à l’égard de certains sous-groupes de femmes migrantes, en raison de préjugés – conscients ou inconscients – chez certains professionnels de santé. Des femmes migrantes présentant des singularités physiques (par exemple, le fait d’avoir la peau noire) ou culturelles (signes religieux…) <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2468784722000320">pourraient ainsi être prises en charge différemment</a>. Par exemple, une certaine sémiologie culturaliste a pu attribuer, sans fondements scientifiques, aux personnes nées sur le pourtour méditerranéen une propension à manifester exagérément la douleur, phénomène qualifié de <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Discriminations-medecine-pieges-syndrome-mediterraneen-2022-02-14-1201200261">« syndrôme méditérranéen »</a>.</p>
<p>Si nous voulons favoriser un meilleur accès à des soins de qualité pour toutes les femmes, ces hypothèses doivent toutefois être rigoureusement testées et validées par des études conduites dans chaque contexte national, afin de pouvoir ensuite proposer des solutions pertinentes et adaptées.</p>
<p>Dans cette perspective, nous avons mené plusieurs travaux pour mieux comprendre la situation française et les mécanismes derrière les inégalités propres à notre pays.</p>
<h2>La situation en France</h2>
<p>Dans deux études, nous nous sommes par exemple intéressés au statut légal des femmes migrantes, et à l’association entre ce statut et le suivi prénatal d’une part et la morbidité maternelle sévère d’autre part.</p>
<p>Nos travaux révèlent que les <a href="https://obgyn.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1471-0528.17124">femmes sans-papiers constituent le sous-groupe de migrantes le plus exposé</a> au risque de complications maternelles graves, alors même que la prévalence des facteurs de risque somatiques ne semble pas plus élevée dans ce sous-groupe. Cette observation suggère que leur interaction avec les services de soins maternels pourrait ne pas être optimale, comme en témoigne le fait qu’elles ont <a href="https://academic.oup.com/eurpub/article/33/3/403/7165277">plus de deux fois plus de risque d’avoir un suivi prénatal sous optimal</a></p>
<p>Nous avons également publié des travaux explorant l’hypothèse d’une différence de soins non médicalement justifiés entre femmes migrantes et non migrantes, en matière de césarienne et de dépistage prénatal. Nous avons <a href="https://bmcpregnancychildbirth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12884-019-2364-x">constaté que les accouchements par césarienne</a> étaient beaucoup plus fréquents chez les femmes d’Afrique subsaharienne, sans qu’aucune raison médicale ne puisse l’expliquer. En ce qui concerne le dépistage prénatal de la trisomie 21, nous avons constaté dans une autre étude que les femmes nées hors de France, y compris celles bénéficiant d’un accès aux soins régulier, <a href="https://bmcpregnancychildbirth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12884-021-04041-8">reçoivent moins d’informations et ont moins l’opportunité de faire un choix éclairé</a>.</p>
<p>Afin de poursuivre dans l’exploration de ces inégalités et d’expliquer ces soins différenciés, nous sommes actuellement en train de finaliser un travail visant à <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35181544/">étudier le rôle des biais implicites</a> raciaux des professionnels de santé dans le champ de la périnatalité.</p>
<p>À l’heure où des dispositifs comme <a href="https://www.srlf.org/article/suppression-laide-medicale-detat-ame">l’aide médicale d’état</a> (le dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière et présents sur le territoire depuis plus de trois mois de bénéficier d’un accès gratuit aux soins, pour maladie ou maternité) sont remis en cause en France, et où les politiques migratoires se durcissent en Europe, il est selon nous important de mener ce type de recherche. En effet, seule l’obtention de données rigoureuses sur l’accès aux soins et la santé des femmes enceintes migrantes permettra d’éclairer les politiques publiques, afin d’éviter que des inégalités déjà importantes ne se creusent encore davantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213090/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Deneux Tharaux a reçu des financements de Ministère de la Santé DGOS, ANR, Santé Publique France, ARS Ile de France, ANSM, ATIH. Elle est membre de l'association Utopia56. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Elie Azria et Maxime Eslier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Pendant la grossesse, la santé des femmes migrantes est plus à risque que celle des autres femmes qui vivent dans le même pays qu’elles. Une méta-analyse récente éclaire les causes de cette situation.Catherine Deneux Tharaux, Directrice de recherche, Centre of Research in Epidemiology and StatisticS (CRESS - Inserm/Université Paris Cité/Inrae), équipe ÉPOPé (Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique) - coordinatrice de l’axe «Morbidité maternelle sévère», InsermElie Azria, Professeur des Universités - Praticien hospitalier – Chercheur au Centre of Research in Epidemiology and StatisticS (CRESS - Inserm/Université Paris Cité/Inrae), équipe ÉPOPé (Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique), InsermMaxime Eslier, Doctorant au Centre of Research in Epidemiology and StatisticS (CRESS - Inserm/Université Paris Cité/Inrae), équipe ÉPOPé (Épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique) et Gynécologue-Obstetricien à Polyclinique du Parc, Caen, France, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2115552023-08-22T20:47:49Z2023-08-22T20:47:49ZLe Tchad à l’épreuve d’un nouvel afflux de réfugiés soudanais<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/543016/original/file-20230816-23-o65x9h.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1014%2C768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cette famille récemment arrivée d’El-Geneina, capitale du Darfour occidental, est accueillie dans un camp de réfugiés à Adré, ville de l’est du Tchad. Photo prise le 24&nbsp;juin 2023.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 15 avril 2023, au Soudan, de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230816-guerre-au-soudan-comment-au-5e-mois-la-situation-est-devenue-d%C3%A9sastreuse-et-l-aide-internationale-insuffisante">violents affrontements</a> opposent les forces de l’armée régulière, dirigées par le chef de la junte, le général Abdel-Fattah Al-Burhan, aux Forces de Soutien Rapide (FSR), anciennes milices paramilitaires arabes Janjawids (ou Janjaouids) commandées par le général Mahamat Hamdan Dagalo, alias Hemetti (parfois orthographié <a href="https://theconversation.com/conflit-au-soudan-hemedti-le-seigneur-de-guerre-qui-a-cree-une-force-paramilitaire-plus-puissante-que-letat-204057">Hemedti</a>).</p>
<p>Ces <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2012-2-page-387.htm">Janjawids</a> ont été mis sur pied dès février 2003 sous forme de mouvement contre-insurrectionnel de tribus arabes nomades lors de la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-4-page-357.htm">terrible crise ethno-foncière du Darfour</a> qui les a opposées aux populations africaines de la région.</p>
<p>Les FSR ayant fait du Darfour leur base arrière, les forces de l’armée régulière ont entrepris d’y armer les communautés noires. En effet, au Darfour, les FSR terrorisent les populations noires locales ; celles-ci sont à leur tour armées par Khartoum pour affronter les FSR. Ce contexte incite de nombreux habitants du Darfour à fuir vers le Tchad voisin.</p>
<p>Or il y a vingt ans, des dizaines, voire des centaines de milliers de réfugiés avaient déjà rejoint le Tchad ; ces gens s’y trouvent encore à ce jour. L’afflux actuel de migrants propulse cette longue crise quasi oubliée dans une nouvelle catastrophe, alors que les besoins des « anciens réfugiés » restent loin d’être couverts. L’épuisement des maigres ressources locales aggrave la vulnérabilité quotidienne de la communauté hôte et accroît le risque d’embrasement de ce conflit.</p>
<h2>Le Tchad, première victime du conflit soudanais</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543076/original/file-20230816-23-1nqlbg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1132&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les régions administratives du Tchad. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>Partageant avec le Soudan une frontière de 1 360 km, le Tchad connaît une <a href="https://reliefweb.int/report/chad/lafflux-des-refugies-soudanais-provoque-une-crise-humanitaire-au-tchad">exacerbation de la crise humanitaire</a> dans l’Est du pays, où douze camps de réfugiés sont installés depuis 2003. Les provinces de Sila, du Ouaddai et de Wadi Fira voient quotidiennement arriver des milliers de personnes. Les conséquences de cette crise sont d’ordre sécuritaire, économique, environnemental et politique.</p>
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<p>Sur le plan sécuritaire, le Tchad doit sécuriser sa longue frontière avec le Soudan. En matière économique, les échanges commerciaux se sont estompés, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230508-tout-vient-du-soudan-les-prix-grimpent-en-fl%C3%A8che-%C3%A0-l-est-du-tchad-%C3%A0-cause-du-conflit">entrainant une flambée des prix</a>, ce qui accélère l’extrême fragilité des communautés hôtes. L’environnement subit des pressions, à l’instar du bois de chauffe, qui reste la seule source d’énergie disponible. Et sur le plan politique, le Tchad, en <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">transition politique</a>, redoute un potentiel transfert du conflit soudanais sur son territoire. Dans les principales villes de l’Est du Tchad, beaucoup de familles, déjà en grande précarité, accueillent des proches venus du Soudan.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543017/original/file-20230816-23-7rtxgm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 17 juin 2023, au lycée Issakha Haroun d’Adré, lieu d’accueil spontané de réfugiés, de jeunes membres d’une famille font de l’ombre avec un pagne pour protéger les plus âgés, majoritairement des femmes avec bébés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Une crise tchado-soudanaise plus sévère que celle de 2003</h2>
<p>Par rapport à 2003, la crise actuelle a des répercussions économiques inattendues sur le Tchad. La première crise n’avait pas empêché les échanges commerciaux entre les deux pays, l’Est du Tchad dépendant beaucoup du Soudan en termes d’approvisionnement en produits de première nécessité. La livre soudanaise y est privilégiée dans les transactions commerciales.</p>
<p>En revanche, la crise de 2023 menace de rompre la chaîne d’approvisionnement à partir du Soudan. En 2003, la <a href="https://www.hrw.org/report/2006/01/19/sudan-imperatives-immediate-change/african-union-mission-sudan">mission d’interposition de l’Union africaine (AMIS)</a> avait été déployée, atténuant la crise avant l’arrivée de la <a href="https://peacekeeping.un.org/fr/mission/minuad">MINUAD</a> (opération hybride Union africaine – Nations unies au Darfour), dont le mandat s’est achevé le 31 décembre 2020, laissant ainsi le champ libre à toutes les parties guerrières. Depuis, les forces mixtes tchado-soudanaises se vouent à sécuriser la frontière commune, négligeant la protection des civils à l’intérieur du territoire soudanais. L’absence d’une autorité interne forte et d’une force d’interposition laisse présager un afflux colossal de réfugiés sur le sol tchadien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543029/original/file-20230816-19-doyywg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Distribution de produits alimentaires au quartier Massalit d’Adré par la Commission Nationale d’Accueil et de Réintégration des Réfugiés et Rapatriés) (CNARR) et l’ONG Planète Urgence, le 22 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En six semaines de conflit, en date du 19 juin 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) avait dénombré 115 980 personnes déplacées, majoritairement des femmes et des enfants. À cette date, le nombre de réfugiés estimés par l’organisation <a href="https://www.ohchr.org/fr/statements/2023/06/sudan-high-commissioner-calls-end-sea-suffering">dépassait les 150 000</a>. La porosité de la frontière complique la tâche des différents acteurs de l’humanitaire, confrontés aux difficultés liées à la saison des pluies, qui risquent d’épuiser les moyens de subsistance des populations.</p>
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<p>Dans ce contexte, le danger de famine au sein de cette population, déjà très fortement affectée par la malnutrition infantile aiguë, nécessite une mobilisation accrue de tous les acteurs. Des milliers de Soudanais, de Tchadiens revenant du Soudan et d’autres migrants continuent de traverser la frontière. Tous les ingrédients d’une <a href="https://www.voaafrique.com/a/au-darfour-l-histoire-se-r%C3%A9p%C3%A8te-et-avec-elle-les-crimes-de-guerre-/7158173.html">nouvelle catastrophe humanitaire</a> semblent réunis.</p>
<h2>La communauté internationale en retrait du conflit</h2>
<p>Face à cette tragédie, la communauté internationale adopte une <a href="https://www.unicef.fr/article/soudan-la-communaute-internationale-na-plus-dexcuse/">attitude questionnable de spectatrice</a>, traduisant une négligence habituelle qui tranche radicalement avec le vif engouement manifesté pour la guerre en Ukraine. Les Nations unies se limitent à des condamnations et des mises en missions d’envoyés spéciaux. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543733/original/file-20230821-27-sc92en.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des personnes vulnérables et des blessés en attente de la distribution des kits contenant des produits non alimentaires (NFI) et des rations alimentaires dans le quartier Massalit d’Adré, le 22 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Se cantonnant dans une diplomatie passive, l’Union africaine (UA) est déclassée sur le terrain par <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230717-guerre-au-soudan-vers-une-reprise-des-pourparlers-en-arabie-saoudite">l’Arabie saoudite</a>, mieux écoutée par les belligérants du fait de sa capacité d’accompagnement matériel et financier, ainsi que de ses liens multiples avec les belligérants d’ordre culturel, de formation militaire, etc.</p>
<p>Par ailleurs, l’UA adopte des démarches peu lisibles, à l’instar de la <a href="https://www.jeuneafrique.com/1454403/politique/une-mediation-de-paix-africaine-arrive-a-kiev/">mission de médiation</a> qu’elle a conduite le 15 juin 2023 entre la Russie et l’Ukraine alors que des Africains étaient massacrés au Soudan.</p>
<h2>L’urgente nécessité d’une aide humanitaire</h2>
<p>Le défi majeur pour mettre en place une aide humanitaire efficace est de mobiliser la communauté internationale autour de la crise. Pour rappel, le Tchad accueille déjà plus de 400 000 réfugiés soudanais ; or leurs besoins ne sont pas financés à hauteur de ce qu’ils devraient être, loin de là. Seuls 20 % des financements attendus pour le Tchad en 2022 dans le <a href="https://reliefweb.int/report/chad/tchad-plan-de-r-ponse-humanitaire-2022-mars-2022">Plan de Réponse Humanitaire</a> mis en œuvre par l’ONU avaient été mobilisés. Les principaux défis humanitaires s’articulent autour de trois points : la mobilisation, la protection et la coordination. </p>
<p>En termes de mobilisation, un engagement financier des donateurs est très attendu. Sur le plan de la protection, il convient, d’une part, de mettre à l’abri des violences les personnes ayant franchi la frontière et d’installer des abris d’urgence pour héberger les réfugiés qui se trouvent en pleine nature, vulnérables face aux intempéries ; d’autre part, de protéger les acteurs humanitaires. Enfin, il est nécessaire de mettre en place un système de coordination entre les divers acteurs présents sur le terrain (organisations humanitaires, organisations internationales, autorités centrales et régionales du Tchad, etc.) pour leur permettre d’optimiser leurs actions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543046/original/file-20230816-21-u3r3bh.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un groupe d’enfants réfugiés jouant entre les abris de fortune dans le quartier Massalit d’Adré, site d’accueil spontané, le 24 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Quatre hypothèses</h2>
<p>Quatre hypothèses se dégagent aujourd’hui : 1) la poursuite de la confrontation actuelle, ce qui impliquera une accélération des diverses exactions ; 2) une victoire des forces armées soudanaises, qui se traduirait par un repli des FSR sur le Darfour, dont les forces de Burhan, avant tout préoccupées par la sécurisation de Khartoum et de ses environs, leur abandonneraient le contrôle ; 3) une situation où les FSR prendraient le dessus – les Darfouris ne pourraient alors aucunement compter sur la protection du nouveau gouvernement central ; 4) La quatrième hypothèse, moins dramatique pour ces populations, repose sur une éventuelle intervention de la communauté internationale, option qui semble pour l’heure lointaine malgré la récente <a href="https://presidence.td/cooperation-la-sga-des-nations-unies-recue-par-le-chef-de-letat/">venue au Tchad de la secrétaire adjointe de l’ONU</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543038/original/file-20230816-22-j4h51j.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jeune fille blessée au cours des combats, prise en charge à l’hôpital d’Adré et amputée de la jambe, rapportant les scènes de la violence subie, le 9 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les <a href="https://www.voaafrique.com/a/au-darfour-l-histoire-se-r%C3%A9p%C3%A8te-et-avec-elle-les-crimes-de-guerre-/7158173.html">crimes de masse</a> commis dans le cadre du conflit sont d’une telle ampleur que la Cour pénale internationale a pu, à juste titre, <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20230713-soudan-la-cour-p%C3%A9nale-internationale-ouvre-une-nouvelle-enqu%C3%AAte-pour-crimes-de-guerre">se saisir du dossier</a>. Sur le plan sécuritaire, un cessez-le-feu suivi du déploiement d’une force d’interposition avec mandat doit être imposé par l’ONU.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543045/original/file-20230816-19-hy87ze.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Afflux autour des camions du Programme alimentaire Mondial (PAM) transportant des vivres à Ambilia le 24 juin 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Sur le plan logistique, les différents mécanismes d’urgence doivent être rapidement mis en action afin de mobiliser les fonds nécessaires pour garantir l’assistance humanitaire. Sur le plan judiciaire, et à l’instar de l’actuelle initiative de la CPI, les juridictions pénales internationales doivent se saisir de la question face aux violations des conventions du droit international humanitaire (Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux internationaux - <a href="https://www.irmct.org/fr/le-mecanisme-en-bref#:%7E:text=Le%20M%C3%A9canisme%20international%20appel%C3%A9%20%C3%A0,ex%E2%80%91Yougoslavie%20(TPIY).">MTPI</a>-,juridictionshybrides,mécanismesd’enquêtepré-juridictionnels).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/543044/original/file-20230816-23-hgy6z1.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Réfugiés initialement installés à Adré, relocalisés dans un nouveau camp, à Ourang, à 30 km au sud-ouest d’Adré, et accueillis dans des hangars communautaires de transit, 10 juillet 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Abdel Hakim Tahir</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Enfin, sur le plan politique, un agenda de sortie de crise doit être assorti d’une mise sous embargo préalable du Soudan en ce qui concerne la circulation des armes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211555/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des dizaines de milliers de Soudanais fuient la guerre civile vers le Tchad, où résident déjà des centaines de milliers de réfugiés soudanais ayant fui le Darfour au cours des 20 dernières années.Pierre Kamdem, Professeur des universités en Géographie, Université de PoitiersAbdel Hakim Tahir Arim, Doctorant en géographie à l'Unité de Recherche RURALITES, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091762023-08-15T21:08:38Z2023-08-15T21:08:38ZL’Accord franco-algérien de 1968 est-il en sursis ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537482/original/file-20230714-15-gbkiou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C7404%2C4632&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président français Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune à Alger, le 27 août 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ludovic Marin / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Une nouvelle fois tenu pour <a href="https://www.fondapol.org/etude/politique-migratoire-que-faire-de-laccord-franco-algerien-de-1968">« cause de l’échec »</a> de la gestion de l’immigration algérienne, l’<a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/L-accord-franco-algerien">Accord franco-algérien</a> de 1968 a aussi été récemment <a href="https://www.lexpress.fr/politique/exclusif-edouard-philippe-immigration-subie-algerie-delinquance-on-creve-des-non-dits-UKTIL7AR4RFF7CJ4MN3ALWAMIE/">brocardé</a> par l’ancien Premier ministre Édouard Philippe qui, début juin, annonçait envisager sa dénonciation.</p>
<p>Né de circonstances historiques particulières liées aux <a href="https://theconversation.com/19-mars-1962-une-fin-de-la-guerre-qui-nen-finit-pas-74822">Accords d’Évian</a>, l’Accord de 1968 vise à <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/104/Publications%20FR/Diffusion/KS_Algeriens_Migration.pdf">réorganiser</a> la circulation postindépendance des personnes entre les 2 pays. Le Conseil d’État en a constaté le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007735276/">caractère spécifique</a> et conclu que sur les sujets dont il traite, les règles générales du droit commun regroupées dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ne s’appliquent pas aux ressortissants algériens. Pour autant, l’Accord de 1968 n’a pas échappé à l’influence du Ceseda au fil des 3 avenants qu’il a intégrés.</p>
<p>Quels droits si exorbitants ouvre-t-il aujourd’hui qu’il faille en finir ? L’hypothèse, grosse de sérieuses difficultés diplomatiques et humaines, est-elle juridiquement réalisable ?</p>
<h2>Des intérêts mal identifiés à l’origine, vite redéfinis</h2>
<p>Les <a href="https://peacemaker.un.org/sites/peacemaker.un.org/files/DZ-FR_620319_AccordsEvian.pdf">Accords d’Évian</a> du 18 mars 1962, énoncent : « sauf décision de justice, tout Algérien muni d’une carte d’identité est libre de circuler entre l’Algérie et la France ». Ces Accords garantissent aux « Pieds-noirs » qui choisissent la nationalité algérienne le droit de circuler librement entre les deux pays. Les départs massifs de l’été 1962 en ont décidé autrement. <a href="https://theconversation.com/en-1926-les-entraves-a-la-migration-tuaient-deja-en-mediterranee-162483">La libre circulation, qui ne leur a pas toujours été accordée</a> bien que sujets puis nationaux français, profitait finalement et essentiellement aux Algériens “ex-indigènes”.</p>
<p>Débuta en 1963 une politique de <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article3864">contingentement</a> du nombre de travailleurs algériens se rendant en France. Accord est conclu en 1964 pour en limiter le volume. Décidée par consentement mutuel des 2 pays (accord contractuel) pour une durée déterminée, la limitation ne porte que sur la main-d’œuvre salariée. Cet accord est dénoncé en 1966.</p>
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<p>S’ensuit la signature le 27 décembre 1968 de l’Accord franco-algérien relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles.</p>
<h2>Une tendance à la baisse du niveau de protection</h2>
<p>L’Accord vise à réduire <a href="https://theconversation.com/limmigration-represente-t-elle-une-menace-pour-les-salaires-et-lemploi-113502">l’immigration de la main d’œuvre salariée</a>. Il fixe un contingent annuel révisable de 35 000 travailleurs, chacun devant, pour bénéficier d’un titre de séjour de 5 ans, trouver un emploi sous 9 mois. Un « certificat de résidence d’Algérien » (CRA), d’une validité de 5 ans pouvant être réduite en cas de chômage, est délivré aux travailleurs salariés ou non-salariés et aux Algériens résidant en France disposant de ressources suffisantes. Un CRA de 10 ans est délivré aux Algériens déjà présents depuis 3 ans. Il préserve la libre circulation des Algériens « se rendant en France sans intention d’y exercer une activité professionnelle salariée ».</p>
<p>En septembre 1973, l’Algérie décide l’<a href="https://journals.openedition.org/hommesmigrations/11417">arrêt de l’émigration de travail</a> vers la France. En 1974, la France décide de <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2008-2-page-69.htm">suspendre toute immigration</a>. Dans la foulée, le renvoi de 500 000 Algériens sur 5 ans entre dans l’agenda gouvernemental. Les <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article3863">difficiles négociations de 1978-1979</a> restreignent cet objectif. Sont prises, sans grande efficacité, des mesures de « retour volontaire ». En 1983, un nouvel accord restreint la libre circulation pour visite privée ou familiale.</p>
<p>En 1985, est signé le premier avenant à l’Accord de 1968. Son niveau de protection est quasiment calqué sur le droit commun des étrangers de l’époque. L’avenant en transpose la durée des titres de séjour : 1 an et 10 ans. La liberté d’établissement pour les professions non-salariées et la liberté de circulation des touristes sont maintenues. Cet avenant marque pourtant le point de départ de l’érosion progressive de l’Accord de 1968.</p>
<p>L’instauration en 1986 du visa d’entrée en France lui porte un coup sévère. Celle-ci déclenche, par réciprocité, l’instauration d’un visa d’entrée en Algérie. La <a href="https://theconversation.com/migration-comment-se-distribue-le-privilege-de-libre-circulation-197155">« libre circulation »</a> est dès lors dépendante de la politique des visas.</p>
<p>L’avenant de 1994, complété par échange de lettres, limite l’absence du territoire à 3 ans sous peine de péremption du CRA. Les visites privées et familiales sont soumises, outre le visa, à la production d’un certificat d’hébergement, d’un justificatif de ressources et d’un billet de transport aller-retour.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0XZAULuySyo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En 2001, un dernier avenant aligne l’Accord sur la loi Chevènement de 1998 globalement plus favorable aux étrangers. Il fige le <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/np_53_statut_des_algeriennes_et_des_algeriens_en_france.pdf">statut des Algériens</a> dans l’état d’alors. L’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence relance les critiques et, fin 2010, un projet de quatrième avenant, resté sans suite, est discuté.</p>
<h2>Un niveau de protection affecté par le Ceseda</h2>
<p>Si l’Accord de 1968 reste le mètre-étalon des règles régissant les immigrés algériens, il ne les soustrait pas pour autant aux <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007981929">règles de procédure</a> du Ceseda applicables à tous les étrangers. Leur sont aussi applicables mesures d’éloignement, contrôles et sanctions et droit d’asile car non inclus dans l’Accord de 1968.</p>
<p>Que reste-t-il de l’Accord de 1968 qui justifierait <a href="https://theconversation.com/peut-on-etre-contre-limmigration-et-pour-lheritage-chretien-152040">critiques sévères</a> et appels à le dénoncer ?</p>
<p>Sans être exhaustif, on relèvera quelques <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-international/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/L-accord-franco-algerien">avantages spécifiques</a> non-négligeables. Ainsi, de la liberté d’établissement. Un Algérien porteur d’un projet commercial ou artisanal n’a pas à prouver, préalablement à l’obtention du premier titre de séjour, la viabilité de son activité. Ce n’est pas le cas pour les étrangers relevant du Ceseda. Un Algérien peut obtenir un titre de séjour de 10 ans après 1 an de séjour régulier quand il en faut 3 pour l’étranger relevant du Ceseda. Le conjoint·e algérien de Français·e peut obtenir un titre de séjour dès lors qu’il entre en France muni d’un visa de court séjour. Le Ceseda exige un visa de long séjour.</p>
<p>En contrepoint, certains avantages induits des lois votées depuis 2004 ne bénéficient que par exception aux Algériens. Il en va ainsi de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000021191574/">« régularisation par le travail »</a> des sans papiers ou de la régularisation pour “motifs humanitaires” de la loi de 2004. L’étudiant algérien doit renouveler son titre de séjour chaque année, ne pouvant prétendre au titre pluriannuel du Ceseda. S’il se retrouve dans l’irrégularité, 15 ans de présence sont nécessaires pour une hypothétique régularisation, contre 10 ans pour les autres étrangers. En termes d’emploi étudiant, la durée de travail qui lui est autorisée est inférieure à celle du Ceseda. Dans le regroupement familial du Ceseda, le visa long séjour du membre rejoignant vaut titre de séjour de 1 an. L’Algérien rejoignant porteur du même type de visa doit se rendre à la préfecture dans les 2 mois de son arrivée pour demander délivrance du premier titre de séjour.</p>
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<p>Globalement, l’Accord franco-algérien, s’il conserve quelques avantages, n’est plus si protecteur, son contenu originel ayant été érodé au fil des avenants et de la complexité croissante des procédures spécifiques au Ceseda qui s’imposent aussi aux Algériens. Son intérêt réside en ce que les règles de fond régissant les Algériens ne peuvent être modifiées unilatéralement. En cela, il n’est pas différent des autres <a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/Les-accords-bilateraux-avec-certains-%C3%89tats-d-Afrique-subsaharienne">accords bilatéraux</a> conclus en la matière à la différence notable que ces derniers ne portent que sur quelques points particuliers.</p>
<h2>Une dénonciation juridiquement mal assurée</h2>
<p>Selon le principe <em>pacta sunt servanda</em>, les parties à un traité sont tenues de l’exécuter. Un traité peut être légalement dénoncé exclusivement si les conditions <em>sine qua non</em> sont remplies. L’existence d’une clause qui en prévoit la dénonciation en est la principale. L’Accord de 1968 ne contient pas cette clause.</p>
<p>En revanche, il contient un article 12 créant une commission mixte franco-algérienne. Celle-ci est chargée de suivre l’application de l’Accord et d’en résoudre les difficultés. Ses négociateurs ont voulu que toute difficulté soit réglée par cette commission. C’est donc sciemment que la clause de dénonciation n’a pas été incluse.</p>
<p>La dénonciation fondée sur la nature du traité, qui implique son « extinction naturelle » une fois ses objectifs atteints, n’est pas moins hasardeuse. Ce texte tire en effet sa source des Accords d’Évian. De ce fait, il participe à la poursuite de relations bilatérales conçues par les signataires pour être pérennes.</p>
<p>Enfin, sa dénonciation aurait pour conséquence de rétablir le <em>statu quo ante</em>, c’est-à-dire les droits issus des Accords d’Évian, donc, en droit… la libre circulation des Algériens entre l’Algérie et la France ! Quel bénéfice alors à dénoncer cet accord, sauf à poursuivre un objectif politique singulier ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hocine Zeghbib ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En perspective, une autre loi sur l’immigration. En onde de choc, des appels à mettre fin à l’Accord franco-algérien sur la circulation et le séjour. Est-ce indispensable et juridiquement faisable ?Hocine Zeghbib, Maître de conférences HDR honoraire, Université Paul-Valéry- Montpellier IIII, chercheur au CREAM- Faculté de droit, Université Montpellier, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073352023-07-05T17:32:12Z2023-07-05T17:32:12ZBordeaux : l’exode urbain dans la région n’est-il qu’un mythe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531620/original/file-20230613-27-u9zbno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3606%2C2213&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La rue Condillac dans le centre ville de Bordeaux.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis l’arrivée de la Covid-19, les interrogations sur les conséquences de l’exode urbain ont été nombreuses. Il est désormais clair que l’exode urbain post-Covid n’a pas eu lieu. De façon plus explicite, à l’échelle de la France, la <a href="https://popsu.archi.fr/sites/default/files/2022-02/PopsuTerritoires-exodeurbain_v12.pdf">crise sanitaire n’a pas entraîné de flux massifs de population</a> des grandes villes vers les territoires ruraux.</p>
<p>Loin de ce bouleversement territorial, la pandémie a plutôt confirmé et accéléré des <a href="https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/dp_exodeurbain_bd.pdf">tendances préexistantes à la crise</a> (telles que la métropolisation, la périurbanisation ou encore « la renaissance rurale »).</p>
<p>Dans ce cadre, les <a href="https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/dp_exodeurbain_bd.pdf">recherches</a> sur cette question soulignent « la nécessité de regarder chaque territoire dans son contexte pour l’accompagner au mieux ». <a href="https://www.aurba.org/">L’Agence d’Urbanisme Bordeaux Aquitaine</a> a ainsi mené des travaux à l’échelle du territoire girondin pour s’interroger sur les dynamiques au sortir de la crise du Covid-19.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avez-vous-change-votre-maniere-de-vous-deplacer-depuis-la-pandemie-205662">Avez-vous changé votre manière de vous déplacer depuis la pandémie ?</a>
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<p>Département fort de 1 625 000 habitants et au solde migratoire (solde entre les entrants et les sortants) le plus élevé de France métropolitaine avec 22 300 nouveaux habitants <a href="https://www.aurba.org/productions/lattractivite-de-la-gironde/">au recensement 2019</a>, la Gironde présente des enjeux particuliers. L’attractivité des territoires voisins de la métropole est en question, puisque, en 2019, les deux tiers des arrivants s’installaient dans Bordeaux Métropole.</p>
<p>Dans ce contexte, y a-t-il un profil type d’individus qui déménagent en raison de la crise sanitaire en Gironde ? La crise sanitaire a-t-elle pu jouer en faveur d’un rééquilibrage des flux entre la métropole et le reste du territoire girondin ?</p>
<h2>9 000 « nouveaux voisins » interrogés</h2>
<p>L’enjeu principal pour répondre à ces questions est de réussir à faire de la</p>
<p><a href="https://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/dp_exodeurbain_bd.pdf">« prévision immédiate »</a>, c’est-à-dire de décrire un phénomène en train de se produire ou qui s’est produit tout récemment, car les bases de données du recensement imposent aux chercheurs et aux techniciens des collectivités territoriales un décalage des millésimes. Il faut donc d’autres sources.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532191/original/file-20230615-29-kx510b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue sur la place de la Comédie et le célèbre bâtiment du Grand Théâtre de la ville de Bordeaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Une enquête postale a été réalisée entre juin et septembre 2022 en Gironde, à partir de la base « Nouveaux voisins » de La Poste. Environ 9 000 questionnaires ont été envoyés à des personnes ayant déménagé et fait réacheminer leur courrier pour s’installer dans le département, quel que soit leur lieu d’origine.</p>
<p>723 personnes de plus de 30 ans ont répondu au questionnaire dont 141 qui affirment que la crise sanitaire est la raison principale ou une des raisons principales de leur déménagement. Pour des enjeux de représentativité, les résultats sont pondérés en distinguant Bordeaux Métropole du reste de la Gironde par tranche d’âge.</p>
<h2>Une diversité de profils d’individus qui déménagent</h2>
<p>En première analyse, les résultats convergent avec ceux à l’échelle nationale. Ils montrent la grande diversité des profils des individus qui déménagent en raison de la crise.</p>
<p>Après le confinement, les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/10/25/pendant-le-confinement-on-s-est-sentis-etouffes-le-mouvement-de-nombreux-citadins-vers-la-campagne_6057284_3244.html">publications grand public</a> ont rapidement échafaudé un profil type des individus qui bougeraient en réaction à la crise sanitaire et aux confinements. Ce portrait-robot correspondrait à des individus-cadres et diplômés d’un bac +5 qui quittent la ville pour changer de cadre de vie, dans une forme de rejet de la métropole.</p>
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<p>En Gironde, les analyses statistiques dessinent un profil qui est celui d’individus de moins de 45 ans (70,7 % des individus qui déménagent en raison de la crise sanitaire contre 63,3 % dans la population totale) et en emploi (87,1 % des individus qui déménagent en raison de la crise sanitaire contre 80,7 % dans l’ensemble de la population).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique présentant l’influence de la crise sanitaire sur les déménagements, selon les âges" src="https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532632/original/file-20230619-29-ig170g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique présentant l’influence de la crise sanitaire sur les déménagements, selon les âges.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces résultats s’inscrivent dans la continuité des <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/inscriptions-scolaires-ces-jeunes-couples-qui-quittent-les-metropoles">travaux</a> menés par l’économiste Olivier Bouba-Olga, à partir des données d’inscriptions scolaires, qui suggèrent que ce sont surtout des ménages jeunes qui réalisent ce type de mobilités résidentielles.</p>
<p>En ce qui concerne la catégorie socioprofessionnelle (CSP) et le niveau d’études, le profil type de « l’exodeur » en Gironde est plus nuancé que celui présenté dans la presse. Les analyses statistiques mettent en évidence que le niveau de diplôme ou encore la CSP ne joue pas sur le fait de déménager pour ce motif. Aussi bien les cadres que les ouvriers déménagent en raison de la crise sanitaire (voir le graphique ci-dessous basé sur un modèle de régression logistique). De plus, les bacs +5 ont une probabilité de déménager proche de celle des individus peu ou pas diplômés.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Facteurs associés aux déménagements en raison de la crise sanitaire" src="https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532174/original/file-20230615-29-45iygu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Facteurs associés aux déménagements en raison de la crise sanitaire. Pour chaque caractéristique des individus (signifiée par des couleurs différentes), plus le point est à droite, plus la probabilité de déménager par rapport à la référence (le point de la même couleur le plus haut) est élevée ; plus le point est à gauche, plus la probabilité de déménager par rapport à la référence est faible. Les barres horizontales représentent les marges d’erreur pour chaque résultat (IC 95 %). BM = Bordeaux Métropole ; HorsBM = Gironde hors Bordeaux Métropole ; Hors Gironde = extérieur du département.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette diversité des profils en termes de CSP converge avec les travaux de sociologie de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/02/17/les-nouveaux-ruraux-une-diversite-de-profils-loin-de-se-resumer-aux-cadres-parisiens-en-teletravail-autour-de-moi-tout-le-monde-veut-un-camion_6162180_3224.html">l’équipe POPSU Territoires</a>. Les chercheurs décrivent un kaléidoscope de ménages (des profils précaires, des préretraités ou encore des dynamiques nouvelles « d’investissement en milieu rural »), à partir d’une série d’entretiens.</p>
<h2>La métropole après la crise : des arrivées et des départs</h2>
<p>En Gironde, la crise du Covid-19 semble confirmer et accentuer les arrivées dans la métropole bordelaise. 11,7 % des déménagements en lien avec la crise sanitaire quittent la métropole pour rejoindre le reste de la Gironde contre 9,2 % parmi l’ensemble des déménagements.</p>
<p>Néanmoins, les déménagements à l’intérieur de la métropole (37 % des déménagements) et de l’extérieur de la Gironde vers la métropole (27,4 % des déménagements) en lien avec la crise sanitaire confirment plutôt un maintien des flux à destination de la métropole.</p>
<p>Autrement dit, les flux à destination de la métropole ne semblent pas être réorientés vers le reste de la Gironde à la faveur de la crise sanitaire. Les résultats des analyses suggèrent même plutôt un renforcement des flux depuis l’extérieur de la Gironde vers la métropole.</p>
<p>Ainsi, ces déménagements s’inscrivent probablement plus dans un fonctionnement territorial classique, que dans des effets propres à la crise sanitaire. Il reste, en effet, difficile de différencier des trajectoires classiques d’éventuelles spécificités des mobilités résidentielles liées au Covid-19.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207335/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elise Thouron est doctorante Cifre à l'Agence d'Urbanisme Bordeaux Aquitaine. Dans le cadre de ses travaux de thèse, elle reçu des financements de l'ANRT.
</span></em></p>Les déménagements dans la région bordelaise semblent davantage s’inscrire dans un fonctionnement territorial classique, que dans des effets propres à la crise sanitaire.Elise Thouron, Doctorante en urbanisme, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2081372023-06-25T15:00:53Z2023-06-25T15:00:53ZNaufrage au large de la Grèce : des morts et des questions<p>Ils sont des dizaines, tournés vers le ciel, les bras tendus : difficile de concevoir un signe de détresse plus universel. Sur la <a href="https://apnews.com/article/migrants-shipwreck-rescue-greece-coast-guard-c160027a00d1ad2f859b97e3e8e7643d">photo</a> communiquée par garde-côtes grecs (Hellenic Coast Guards, HCG), prise le 13 juin 2023, le chalutier densément chargé se détache de l’eau bleue de la mer Ionienne, à environ 80 km au sud-ouest de Pylos.</p>
<p>Dans la nuit qui suit, alors qu’un navire des HCG se trouve à proximité, le bateau coule, emportant avec lui un grand nombre de ses occupants. Seuls 104 hommes ont survécu, et 81 corps ont été <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/49775/grece--trois-nouveaux-corps-repeches-le-bilan-du-naufrage-passe-a-81-victimes">récupérés</a>. Entre les premiers appels de détresse, reçus en début de journée du 13 juin, et le naufrage du navire, quatorze heures se sont écoulées. Pourquoi les 750 personnes à bord de ce navire n’ont-elles pas été secourues ? Pourquoi le navire, en route depuis 5 jours, a-t-il chaviré à ce moment-là ?</p>
<p>Plusieurs jours après ce drame, les questions s’accumulent et leurs réponses se contredisent. Dans les mailles de ces interrogations se dessinent des marqueurs d’une gestion européenne des frontières migratoires maritimes, où la sûreté humaine vient après la <a href="https://brill.com/view/journals/emil/21/4/article-p459_3.xml?language=en">sécurité des frontières</a>.</p>
<p>Pour sortir du <a href="https://doi.org/10.1111/1758-5899.12401">« spectacle singulier »</a> constitué autour de chaque naufrage – leur fréquence particulière <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/04/1134157#:%7E:text=Le%20projet%20%C2%AB%20Migrants%20disparus%20%C2%BB%20de,en%20de%C3%A7%C3%A0%20de%20la%20r%C3%A9alit%C3%A9.">depuis le début de l’année 2023</a> nous y oblige – il est nécessaire de replacer le naufrage de Pylos dans un contexte structurel. Que dit-il de la politique mortifère de dissuasion qui se joue en mer ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lexil-ou-la-mort-pour-une-politisation-de-la-question-migratoire-166707">L’exil ou la mort ? Pour une politisation de la question migratoire</a>
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<h2>Un départ de l’est libyen pour l’Italie : contourner les pushbacks</h2>
<p>Près de 750 personnes syriennes, palestiniennes, pakistanaises, afghanes et égyptiennes ont embarqué dans ce bateau de pêche le 9 juin, <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/49754/greece-questions-continue-mounting-over-final-hours-before-migrant-ship-sank">à l’est des côtes libyennes</a>. Pourquoi des personnes originaires d’Asie centrale et du Moyen-Orient se trouvent-elles en Libye pour rejoindre l’Europe ?</p>
<p>Face aux <a href="https://ecre.org/wp-content/uploads/2017/04/Policy-Papers-01.pdf">restrictions de visas</a> mises en place dans l’espace Schengen depuis les années 1990, la plupart des personnes fuyant ces pays n’ont d’autre choix que de se déplacer de manière irrégulière, pour la <a href="https://www.unhcr.org/refugee-statistics/">petite part</a> qui cherche à rejoindre l’Europe. Or les contrôles sur les routes migratoires se sont particulièrement durcis. Entre la Grèce et la Turquie, le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1068/d13031p">déploiement de surveillance</a> par les autorités grecques, turques et l’agence <a href="https://theconversation.com/frontex-une-administration-decriee-dans-la-tourmente-183468">Frontex</a> a mené les personnes traversant à passer successivement par les routes de la mer Égée, ou de la région terrestre d’Évros.</p>
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<p>Depuis mars 2020, les pratiques de <a href="https://aegeanboatreport.com/"><em>pushbacks</em></a>, ou refoulement, par les autorités grecques se sont intensifiées : interceptés par les HCG, en mer ou à terre, des groupes de personnes migrantes sont tractés et repoussés vers les eaux turques, parfois placées dans des <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/leiden-journal-of-international-law/article/weaponizing-rescue-law-and-the-materiality-of-migration-management-in-the-aegean/068B225CF16390CCBA5FFD10FC3CEF8C">radeaux de survie</a>, sans moteurs, <a href="https://counter-investigations.org/investigation/drift-backs-in-the-aegean-sea">à la dérive</a>.</p>
<p>Ces pratiques sont sont illégales mais rendues possibles par des réglementations européennes qui font des pays d’Europe du Sud une <a href="https://nearfuturesonline.org/wp-content/uploads/2016/03/Heller_Pezzani_Ebbing_2016.pdfer_Pezzani_Ebbing_2016.pdf">« couronne intérieure de contrôle »</a>, et sont tolérées, sur le plan politique : en mars 2020, la présidente de la Commission européenne remerciait la Grèce d’être le <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_20_380">« bouclier » européen</a>, sans faire référence ni aux obligations de la Grèce et de Frontex en termes de respect des droits fondamentaux à la frontière, ni aux témoignages de <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Migration/pushback/MareLiberumSubmission.pdf">cas de <em>pushbacks</em></a> qui émergeaient alors.</p>
<p>Le départ de Tobruk pour les Calabres, en Italie, permettait ainsi d’éviter l’Ouest libyen et ses gardes-côtes, eux-mêmes <a href="https://www.washingtonpost.com/world/eu-continues-training-libyan-partners-despite-migrant-abuses/2022/01/25/6cf9ac4c-7db2-11ec-8cc8-b696564ba796_story.html">financés et entraînés</a> par l’Union européenne pour intercepter les personnes fuyant leurs côtes, et la mer Égée. 750 personnes se sont donc embarquées sur une longue route, dans des <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jun/18/pakistanis-were-forced-below-deck-on-refugee-boat-in-greece-disaster?CMP=Share_iOSApp_Other">conditions de traversée terribles</a> imposées par les passeurs l’organisant. Après 4 jours de navigation, elles se sont trouvées dans l’endroit qu’elles voulaient éviter : la zone de recherche et de sauvetage grecque.</p>
<h2>Le traitement sécuritaire du SAR (search-and-rescue)</h2>
<p>Revenons brièvement sur la chronologie du naufrage (les horaires sont données sur le fuseau EEST) : à 10h35, <a href="https://www.ccme.org.ma/fr/marocains-du-monde/43563">Nawal Soufi</a>, travailleuse sociale et militante sicilienne d’origine marocaine, <a href="https://www.eldiario.es/desalambre/ultimas-horas-pesquero-naufragado-jonico-siento-ultima-noche-vida_1_10299007.html">reçoit des appels</a> de détresse en provenance du navire de pêche, qu’elle transmet aux autorités italiennes, maltaises et grecques. Le navire de pêche est localisé par un avion Frontex à 11h47, qui quitte rapidement la zone, faute de carburant (<a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-statement-following-tragic-shipwreck-off-pylos-dJ5l9p">d’après l’agence</a>). </p>
<p>Les autorités grecques entrent en contact avec le navire qui ne demande pas d’assistance selon elles. En parallèle, d’autres appels au secours sont adressés au numéro d’urgence du collectif de soutien aux personnes migrantes <a href="https://alarmphone.org/en/2023/06/14/europes-shield/">Alarm Phone</a>. Ce n’est qu’à 15h35 (4h après l’alerte de Frontex) qu’un bateau des HCG part pour la zone, depuis la Crète. Les HCG sollicitent les bateaux commerciaux environnants pour surveiller le navire. Ceux-ci seront chargés de distribuer de l’eau et des vivres aux personnes embarquées. Les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/23/naufrage-au-large-de-la-grece-les-failles-des-secours_6178832_3210.html">bateaux</a> quittent la zone, et de <a href="https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/393777_i-ekdohi-toy-yp-naytilias-gia-nayagio-me-toys-prosfyges-anoihta-tis-pyloy">22h40 à 1h40</a>, le patrouilleur des HCG reste à proximité du navire de pêche, sans, selon eux, intervenir.</p>
<p>Par l’absence d’urgence dans le déploiement de moyens de secours prêts à réaliser une opération de sauvetage, il semble que les HCG n’aient pas traité ce cas comme un cas de détresse, mais comme un incident relevant de la sécurité de la frontière : l’opération de sauvetage n’aurait débuté qu’au moment où le navire a chaviré, d’après le <a href="https://www.efsyn.gr/ellada/koinonia/393777_i-ekdohi-toy-yp-naytilias-gia-nayagio-me-toys-prosfyges-anoihta-tis-pyloy">communiqué de presse</a> du Ministère de la Marine marchande.</p>
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<figcaption><span class="caption">Naufrage du bateau de migrants : les familles affluent à la recherche de survivants en Grèce. France 24.</span></figcaption>
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<h2>Un navire en détresse</h2>
<p>Pour justifier l’absence d’action des HCG, l’ancien ministre grec <a href="https://twitter.com/nmitarakis/status/1669605669077483526">Notis Mitarachi</a> se réfère à la <a href="https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_e.pdf">Convention de l’ONU sur le droit de la mer</a>, et non aux conventions sur le sauvetage. Il argumente que « les garde-côtes ont le droit d’arrêter un navire, de l’inspecter pour vérifier qu’il n’y a pas d’activité illégale dans les eaux territoriales », et que le bateau de pêche se trouvait en haute mer, ne permettant donc pas de contrôle. Or le bateau était bel et bien dans la zone de recherche et de sauvetage (SAR) grecque, région maritime où, d’après la <a href="https://treaties.un.org/doc/publication/unts/volume%201405/volume-1405-i-23489-english.pdf">convention SAR de 1979</a>, l’État se doit de mettre en place des services pour coordonner les opérations de sauvetage.</p>
<p>Selon le ministère de la marine marchande, le bateau n’était pas en détresse le long de la journée du 13 juin : d’une part, il avançait de manière continue, et d’autre part, ses occupants ne demandaient pas assistance, souhaitant se rendre en Italie. Pourtant, au regard du droit maritime international, ces éléments ne suffisent pas à caractériser l’absence de détresse, tel qu’expliqué par la juriste <a href="https://wearesolomon.com/mag/focus-area/migration/they-are-urgently-asking-for-help-the-sos-that-was-ignored">Nora Markard</a>, ainsi que par un ancien officier des HCG, car il y avait des raisons objectives de considérer cette embarcation en détresse : le nombre de personnes à bord, l’état du navire, et les appels de détresse reçus.</p>
<p>L’agence Frontex et ses moyens se sont eux aussi tenus largement éloignés de la localisation de l’embarcation, <a href="https://frontex.europa.eu/media-centre/news/news-release/frontex-statement-following-tragic-shipwreck-off-pylos-dJ5l9p">après l’avoir repérée</a>. Elle a ainsi limité son rôle à une action de détection, laissant ensuite libre cours à l’action des forces d’intervention grecques <a href="https://academic.oup.com/bjc/advance-article-abstract/doi/10.1093/bjc/azac009/6546429?redirectedFrom=fulltext">(un mode opératoire récurrent)</a>.</p>
<p>Cette relégation du sauvetage à un second plan semble s’inscrire dans une politique installée, qui se traduit notamment dans des investissements différenciés : d’après une <a href="https://wearesolomon.com/mag/focus-area/migration/just-007-of-819m-border-budget-to-greece-earmarked-for-search-and-rescue/">enquête du média grec Solomon</a>, seuls 0,07 % du budget alloué à la Grèce pour sa gestion de la frontière par l’Union européenne est destiné au SAR (<em>search and rescue</em>, recherche et sauvetage).</p>
<h2>La culture du secret aux frontières</h2>
<p>Le déroulé du naufrage de l’embarcation fait aujourd’hui l’objet d’importants dissensus, entre d’une part, les communiqués des HCG et ministres grecs, et d’autre part, les appels de détresse, les témoignages des personnes survivantes et les enquêtes journalistiques en cours. Les dissonances entre les récits ont amené les autorités à égrener davantage d’informations et de justifications dans les jours faisant suite au naufrage.</p>
<p>Premièrement, le fait que le navire de pêche avançait d’une vitesse stable et continue le long de la journée du 13 juin est remis en question par deux analyses journalistiques : celle des <a href="https://www.news247.gr/koinonia/nayagio-stin-pylo-ta-stigmata-diapseydoyn-to-limeniko-to-alieytiko-itan-11-ores-sto-idio-simeio.10084007.html">positions du bateau</a> relayées au fur et à mesure de la journée, et celle des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65942426">données AIS</a> (<a href="https://doi.org/10.4000/netcom.1943">données émises automatiquement</a> qui transmettent notamment des informations sur la localisation du bateau) des bateaux intervenus pour porter assistance.</p>
<p>Deuxièmement, d’après les garde-côtes grecs, le bateau de pêche aurait coulé très brusquement, après un arrêt de son moteur à 1h40. Or plusieurs témoignages des survivants accusent les accusent d’avoir provoqué le naufrage, en <a href="https://www-mediapart-fr.ezproxy.normandie-univ.fr/journal/international/170623/apres-le-naufrage-des-survivants-denoncent-les-gardes-cotes-grecs-et-frontex">tentant de remorquer</a> le navire hors de la zone SAR grecque.</p>
<p>Les changements de version des officiers des HCG à ce propos mettent en question la transparence de leurs témoignages : le 15 juin, un porte-parole des HCG, Nikolaos Alexiou, niait entièrement le fait qu’il y ait eu amarrage entre le navire de pêche et le patrouilleur. Dans un article publié le lendemain, un responsable des HCG <a href="https://www.documentonews.gr/article/nayasio-stin-pylo-to-limeniko-gyrise-to-ploio-an-den-mas-eixe-travixei-etsi-de-tha-eixe-pethanei-oyte-enas-anthropos-sygklonistikes-martyries/">contredit cette version</a> : un amarrage aurait été réalisé aux alentours de 23h, soit bien avant le naufrage, et il aurait été rapidement délié par des personnes à bord. Les garde-côtes continuent à nier tout remorquage.</p>
<p>Troisièmement, la diligence des HCG dans la conduite du sauvetage des naufragés à l’eau est remise en question par des témoignages de survivants. Des hommes parlent d’une longue attente en mer avant d’être récupérés, et de garde-côtes peu équipés pour réaliser du sauvetage la nuit, et de <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/afc261c6-0d31-11ee-aa7c-6e26d8c3ad9b?shareToken=704a366a80bbc6967f02243ddedc5284">mauvais traitements infligés</a> après leur récupération. Ces accusations sont balayées par le porte-parole des garde-côtes grecs <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/afc261c6-0d31-11ee-aa7c-6e26d8c3ad9b?shareToken=704a366a80bbc6967f02243ddedc5284">Nikos Alexiou</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Nous avons agi immédiatement. C’est des conneries. Les garde-côtes grecs ont sauvé des milliers de vies et été engagés dans des centaines d’opérations. Ces accusations sont des mensonges. »</p>
</blockquote>
<p>Tous ces éléments pointent vers l’importance de la réalisation d’une enquête approfondie. D’autant plus que la Grèce a récemment été condamnée par la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22languageisocode%22:%5B%22FRE%22%5D,%22appno%22:%5B%225418/15%22%5D,%22documentcollectionid2%22:%5B%22CLIN%22%5D,%22itemid%22:%5B%22002-13739%22%5D%7D">Cour européenne des Droits humains</a> pour des faits remontant à 2014 : une embarcation de 28 personnes avait coulé alors qu’elle était remorquée par les HCG en direction des eaux turques.</p>
<h2>La rhétorique humanitaire au service de la dissuasion mortifère</h2>
<p>Dans un ballet écrit d’avance, les jours suivants le naufrage ont vu les divers acteurs impliqués de près ou de loin dans le naufrage faire part de leur deuil et de leur tristesse à l’égard des personnes disparues. Pour <a href="https://twitter.com/LeijtensFrontex/status/1669371393115316227">Hans Leitjens</a>, directeur exécutif de Frontex depuis mars 2023, « sauver des vies sera toujours [leur] priorité ». Ce principe moral est repris et revendiqué, quand bien même il est en décalage criant avec les actions entreprises, et par des acteurs qui s’opposent au sauvetage en mer. De plus en plus explicitement, la dissuasion est présentée comme une action humanitaire. Itamar Mann, à propos de dissuasion, <a href="https://www.cambridge.org/core/books/humanity-at-sea/D6E3356B4F910FCE8E3D602F33BE2E04">écrivait</a>, en 2016 :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un terme poli pour l’idée que certains migrants doivent souffrir pour empêcher d’autres migrants de chercher des solutions. »</p>
</blockquote>
<p>Dans une sorte de retournement orwellien, laisser mourir… sauve des vies.</p>
<p>Or tandis que le nombre de morts aux frontières s’accumule, les tentatives d’entrées irrégulières dans l’Union continuent. La liste des morts de réfugiés de <a href="https://unitedagainstrefugeedeaths.eu/wp-content/uploads/2014/06/ListofDeathsActual.pdf">UNITED</a>, actualisée chaque année et publiée le 7 juin 2023, est déjà obsolète : autour de 600 noms – leur nombre et leur identité demeureront peut-être incertains – doivent déjà la rallonger.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Martel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des témoignages de survivants divergent des communiqués des autorités grecques sur le déroulé du drame.Camille Martel, Doctorante en géographie, UMR IDEES, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014352023-06-15T07:11:27Z2023-06-15T07:11:27ZLe réchauffement climatique modifie la forêt boréale et la toundra canadiennes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515587/original/file-20230315-2597-i6ezz2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5447%2C3059&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les effets des changements climatiques sur la forêt boréale canadienne sont complexes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le réchauffement climatique a des effets sur la forêt boréale – l’évolution de la situation dépendra du climat, de la végétation et de la fréquence et de l’intensité des feux de forêt. Le Nord peut connaître différents changements, comme une augmentation et une diminution de la croissance des feuilles, appelées <a href="https://www.nature.com/articles/s41558-019-0688-1">verdissement et brunissement arctiques</a>, une <a href="https://www.arctictoday.com/shrubification-mean-arctic/">croissance accrue des arbustes</a> et un <a href="https://doi.org/10.1007/s11629-020-6221-1">déplacement de la limite des arbres</a>. C’est l’interaction entre le feu, le climat et le temps qui détermine la nature de la toundra forestière d’aujourd’hui et la façon dont elle évolue en réponse à la variabilité climatique.</p>
<h2>Paysages qui s’enflamment et fronts météorologiques</h2>
<p>Les incendies constituent un élément important de la région boréale, car ils brûlent les vieux arbres et permettent la régénération de la forêt. Après un feu, les arbustes et les arbres feuillus poussent rapidement et forment la canopée, avant d’être remplacés par des épinettes à croissance plus lente. Il en résulte un paysage constitué d’une mosaïque de parcelles, chacune de la taille d’un incendie.</p>
<p>Une augmentation du nombre d’incendies pourrait faire en sorte qu’une plus grande partie du paysage se trouve à un stade précoce de la croissance post-incendie, avec notamment des arbustes et des arbres feuillus qui sont moins inflammables. À l’heure actuelle, la forêt est davantage inflammable, car le passé récent fait en sorte que le paysage est majoritairement dominé par les épinettes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="une rangée d’arbres sur une colline" src="https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513485/original/file-20230304-2482-h5a5e1.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">On peut voir à l’arrière-plan les séquelles d’un incendie récent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Konrad Gajewski)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La nature de la toundra forestière dépend de la variabilité de la position du front arctique et de l’historique des feux de forêt de la région, mais aussi de son histoire des derniers millénaires.</p>
<h2>La toundra forestière québécoise</h2>
<p>La limite des arbres, c’est-à-dire l’endroit où la forêt rencontre la toundra, peut s’étendre sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres. Son emplacement correspond à la <a href="https://doi.org/10.1002/joc.1940">position moyenne du front arctique</a> – une zone de transition entre une masse d’air arctique froide et de l’air plus chaud.</p>
<p>Dans le nord du Québec, la <a href="https://doi.org/10.1641/0006-3568(2001)051%5B0709:TSFTTS%5D2.0.CO;2">zone de toundra forestière est vaste</a>. Dans la <a href="https://cwfis.cfs.nrcan.gc.ca/renseignements/fueltypes/c1">pessière à lichens</a>, les arbres croissent sur l’ensemble du territoire. Après un incendie, les arbres repoussent, car la saison de croissance est suffisamment longue pour permettre aux jeunes plants de survivre.</p>
<p>Plus au nord, le sommet des collines n’a plus d’arbres et l’altitude où commence la végétation de la toundra est de plus en plus basse, couvrant de plus en plus le paysage. Les arbres poussent encore à basse altitude et se régénèrent après un incendie.</p>
<p>Si on continue vers le nord, la toundra couvre encore davantage le paysage, et les épinettes ne poussent plus qu’autour des lacs ou dans les vallées. Elles prennent une forme rabougrie, qu’on appelle <a href="https://doi.org/10.2307/3673062">krummholz</a>, car leur croissance est ralentie par les conditions froides et venteuses. Les épinettes adoptent cette forme arbustive lorsqu’elles sont soumises à un stress, les branches restant près du sol et seules quelques pousses dépassant le niveau de la neige.</p>
<p>Une petite colonie de krummholz peut se maintenir pendant des siècles dans des conditions qui ne sont pas optimales. Après un incendie, les épinettes meurent et il n’y a pas de reproduction, de sorte qu’au fil des siècles, cette zone devient progressivement déboisée. Toutefois, si le climat change favorablement, les arbres reprennent une croissance normale et peuvent établir de nouvelles populations par le biais de graines.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="un groupe d’épicéas poussant de manière rabougrie" src="https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513483/original/file-20230304-26-58pqx7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Épinettes dans une colonie de krummholz dans le nord du Québec.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Konrad Gajewski)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Histoire des changements climatiques</h2>
<p>De longues périodes de refroidissement ou de réchauffement entraînent le déplacement de différentes zones vers le sud ou vers le nord. Quand le climat se réchauffe, les arbres poussent plus au nord, ce qui n’est pas le cas pendant les périodes froides.</p>
<p>Lorsque la calotte glaciaire qui recouvrait la quasi-totalité du Canada a fondu, il y a entre 20 000 et 6 000 ans, les plantes ont migré vers le nord. Dans la région du delta du Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest, la glace s’est retirée relativement tôt et les arbres sont arrivés il y a plus de 10 000 ans.</p>
<p>À mesure que la calotte glaciaire poursuivait sa fonte, dénudant le centre du Canada, le <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloplacha.2015.02.003">climat se refroidissait dans le nord du Yukon et dans la région du delta du Mackenzie, mais se réchauffait dans le centre du Canada</a>, il y a entre 8 000 et 5 000 ans. Les arbres ne pouvant survivre dans la région la plus au nord du delta du Mackenzie, la limite des arbres s’est déplacée vers le sud. Dans la partie centrale du Canada, les arbres pouvaient désormais pousser plus au nord. Plus tard, lorsque la glace a disparu au Québec, les arbres y ont migré vers le nord. Ce mouvement a été rapide, et les changements dans les différentes régions se sont produits de manière synchronisée, mais déphasée.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="ALT" src="https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509571/original/file-20230211-14-z6pigq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La toundra forestière (limite des arbres) dans le nord du Québec. En haut à gauche : forêt à lichens. En haut à droite : sous-zone arborée du sud de la toundra forestière. En bas à gauche : sous-zone arbustive du nord de la toundra forestière. En bas à droite : toundra arbustive.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Konrad Gajewski)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Migration des plantes et déplacement de la limite des arbres</h2>
<p>La migration des plantes en réponse aux changements climatiques fonctionne de deux façons. Le réchauffement peut occasionner une lente migration vers le nord. Les graines sont dispersées loin de la plante mère et, si les conditions climatiques sont favorables, chaque génération peut s’établir un peu plus au nord. Comme le climat est toujours variable, ce phénomène se produit par à-coups.</p>
<p>Un deuxième mécanisme – plus important – est la migration sur une longue distance. Le transport de graines ou d’arbres entiers par les rivières, la neige ou la glace, ou par des oiseaux ou des animaux, permet une migration pouvant aller jusqu’à des milliers de kilomètres en très peu de temps. <a href="https://doi.org/10.1016/j.gloplacha.2015.09.006">C’est ce qui semble s’être produit dans le passé</a>, et ce processus assure une migration rapide vers de nouvelles zones sous l’effet d’un réchauffement climatique.</p>
<h2>Réchauffement actuel</h2>
<p>Au cours des 4 000 dernières années, un refroidissement de longue durée, appelé néoglaciation, est <a href="https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2018.12.025">à l’origine de la nature de la toundra forestière d’aujourd’hui</a>. Auparavant, les populations d’arbres étaient plus abondantes dans le nord du Québec. Avec le refroidissement, les arbres sont devenus des arbustes et ont cessé de se reproduire. Les incendies en ont éliminé une partie et, comme il n’y avait pas de reproduction, la région a pris son aspect actuel.</p>
<p>Aujourd’hui, à mesure que le climat se réchauffe, les krummholz vont s’étendre, croître et se reproduire. Il existe donc une vaste zone que les arbres peuvent coloniser, ce qui laisse supposer que la limite des arbres pourrait se déplacer rapidement vers le nord. Le transport de graines sur de longues distances dans le nord du Canada permettra également une migration rapide.</p>
<p>Il convient toutefois de tenir compte de l’incidence relative du réchauffement climatique et de l’augmentation des incendies. Ainsi, le réchauffement actuel du nord du pays aura des effets complexes sur la végétation nordique, les régions n’y réagissant pas toutes de la même façon, certains processus se produisant rapidement et d’autres beaucoup plus tard.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201435/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Konrad Gajewski a reçu des financements du CRSNG.</span></em></p>La forêt boréale canadienne est affectée par le réchauffement de la planète, le changement climatique et la fréquence des feux de forêt.Konrad Gajewski, Professor, Geography, Environment and Geomatics, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2053572023-05-15T18:04:57Z2023-05-15T18:04:57ZOpération « Wuambushu » : comme souvent à Mayotte, la question migratoire occulte la question sociale<p>L’opération « Wuambushu » lancée le 24 avril dernier par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a de nouveau braqué les projecteurs sur la pression migratoire à Mayotte. Cette petite île française de l’océan Indien compte <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3713016">près d’un habitant sur deux qui est étranger</a>, essentiellement de nationalité comorienne.</p>
<p>L’action militaro-policière ainsi engagée a pour objectif la destruction de bidonvilles, l’expulsion de 10 000 étrangers en situation irrégulière et le démantèlement de bandes criminelles, établissant en creux un lien direct entre immigration et insécurité.</p>
<p>Cette présentation des faits – l’État va mettre de l’ordre ! – occulte la part de responsabilité que ce dernier a lui-même dans la genèse de ce désordre.</p>
<h2>Le département français le plus pauvre et le plus inégalitaire</h2>
<p>Ancienne colonie de l’empire français (1841-1946), <a href="https://www.karthala.com/hommes-et-societes/3217-le-combat-pour-mayotte-francaise-1958-1976-9782811118716.html">l’île de Mayotte a accédé en 2011 au statut de département</a> qu’elle réclamait depuis plus de cinquante ans.</p>
<p>Douze ans après, l’île offre le tableau d’une société des plus fragmentées. Le développement économique exogène porté par la création d’emplois publics profite pour l’essentiel aux métropolitains « expatriés » et à une fraction diplômée de la population mahoraise.</p>
<p>En 2018, le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4622454#:%7E:text=En%202018%2C%20les%2010%20%25%20les%20plus%20ais%C3%A9s,nettement%20moins%20fortes%20%28rapport%20de%201%2C8%20en%202018%29.">taux d’emploi</a> était de 23 % pour les natifs de l’étranger, 38 % pour les natifs de Mayotte et 80 % pour les natifs de France métropolitaine. De fait, les inégalités entre ménages sont quatre fois plus importantes qu’en France métropolitaine et 77 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté national.</p>
<p>Rapporté au revenu médian calculé à Mayotte, le seuil de pauvreté se situe à 160 euros par mois. Les femmes et les jeunes faiblement qualifiés sont particulièrement affectés par le chômage, le sous-emploi et la pauvreté dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-6-page-82.htm">contexte de faible déploiement des politiques sociales</a>. Les étrangers, qui plus est sans-papiers, cumulent les processus de relégation sociale dans un contexte de forte répression de l’immigration.</p>
<h2>La fermeture des frontières dans un espace de circulations</h2>
<p>L’incorporation de Mayotte à la République française s’est accompagnée d’une production croissante de la frontière, de la clandestinité et de l’altérité à l’endroit des ressortissants comoriens.</p>
<p>La frontière politique séparant Mayotte des îles comoriennes voisines (Grande Comore, Anjouan et Mohéli) naît en 1975 à la suite du référendum pour l’autodétermination des Comores où seuls les Mahorais votent contre l’indépendance. <a href="https://theconversation.com/mayotte-pourquoi-ce-departement-francais-est-il-revendique-par-les-comores-192758">La France décide de conserver Mayotte à rebours de la position de l’ONU</a> qui reconnaît la souveraineté du jeune État comorien sur les quatre îles de l’archipel. Dans les faits, <a href="https://afriquexxi.info/Mayotte-une-societe-disloquee">cette frontière reste peu contraignante au cours des vingt années suivantes</a> ; les Comoriens continuent de circuler librement d’île en île pour des raisons principalement économiques et familiales.</p>
<p>La fermeture de la frontière franco-comorienne date véritablement de 1995 avec l’instauration du visa Balladur qui est presque impossible à obtenir en pratique. Elle se poursuit à partir de 2005 sous l’effet d’une politique migratoire répressive visant à expulser en masse les sans-papiers. Avec plus de 26 000 personnes en moyenne annuelle qui transitent au Centre de rétention administrative et quasiment autant d’expulsés, la <a href="https://www.lacimade.org/publication/rapport-2022-sur-les-centres-et-locaux-de-retention-administrative/">politique migratoire mise en œuvre à Mayotte bat tous les records à l’échelle nationale</a>.</p>
<p>Dans la même optique, l’État multiplie les dérogations pour <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2019-1-page-41.htm">minorer le droit des étrangers</a> et le <a href="https://theconversation.com/mayotte-comment-la-france-a-fragmente-le-droit-de-la-nationalite-139373">droit de la nationalité appliqués à Mayotte</a>. L’opération « Wuambushu » est le dernier exemple en date <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/operation-wuambushu-les-juges-contre-le-gouvernement-1389714.html">d’une politique migratoire qui s’arrange avec le droit avant que celui-ci ne lui soit rappelé</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une personne considérée par l’État comme immigrée clandestinement détenue dans un centre de rétention temporaire à Mamoudzou, sur l’île de Mayotte, le 26 avril 2023" src="https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525632/original/file-20230511-25-gcqzsg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une personne considérée par l’État comme immigrée clandestinement détenue dans un centre de rétention temporaire à Mamoudzou, sur l’île de Mayotte, le 26 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Patrick Meinhardt/AFP</span></span>
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<p>Malgré les efforts démultipliés pour enrayer la pression migratoire, Mayotte est aujourd’hui le nouveau territoire attractif de la région, comme l’ont été précédemment Zanzibar, Madagascar et La Réunion. Ceux que l’on nomme des « migrants clandestins » sont en réalité des <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2011-1-page-181.htm">« insulaires voyageurs »</a> qui ont toujours circulé dans l’archipel au gré des opportunités économiques et des mariages interîles.</p>
<p>Encore aujourd’hui, et malgré l’exaspération d’une partie croissante de la population mahoraise vis-à-vis de l’immigration, nombre de Comoriens présents à Mayotte trouvent à s’intégrer par le mariage (musulman) et par le travail (informel). Ici réside toute l’ambivalence de la société mahoraise qui, tour à tour, intègre <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/25/a-mayotte-les-comoriens-ne-sont-pas-des-etrangers_6170923_3212.html">ces étrangers si familiers</a> et les rejette dès lors qu’ils sont tenus pour être responsables de tous les maux de la société locale, et de l’insécurité en premier chef.</p>
<h2>L’insécurité civile comme symptôme d’une société fragmentée et désorganisée</h2>
<p><a href="https://www.francetvinfo.fr/france/mayotte/operation-wuambushu-a-mayotte-la-priorite-c-est-l-arrestation-des-bandes-criminelles-qui-terrorisent-les-francais-declare-gerald-darmanin_5783960.html">L’opération « Wuambushu »</a> s’est donnée comme objectif de démanteler les 40 à 60 bandes criminelles que compte le territoire d’après les dires du ministre de l’Intérieur. Il est indéniable que l’insécurité civile et la délinquance juvénile ont augmenté de manière significative ces <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763061#consulter">20 dernières années</a>, avec une multiplication par onze des délits constatés pour une population qui a doublé sur la même période.</p>
<p>En revanche, et contrairement au discours de certains élus locaux, la délinquance juvénile n’est pas le seul fait des enfants d’étrangers. Elle témoigne plutôt des phénomènes contemporains d’exclusions qui affectent singulièrement les nouvelles générations. Les moins de 25 ans représentent 60 % de la population et connaissent des niveaux de pauvreté, de déscolarisation et de chômage particulièrement élevés. En l’absence d’emplois, de formations professionnelles, de structures d’insertion ou d’animation socioculturelle, ces jeunes se regroupent entre pairs et investissent l’espace public. Certains ont quitté le domicile familial à la suite d’un conflit ou de l’expulsion d’un parent, d’autres pour soulager leur mère isolée et paupérisée. Les conduites déviantes trouvent leur origine dans des logiques multiples (et souvent cumulées) de survie économique, de lutte contre l’oisiveté ou de réparation d’un ordre social excessivement inégalitaire.</p>
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<p>Parmi eux, les enfants d’immigrés et de sans-papiers cumulent depuis leur plus jeune âge les processus de relégation sociale et de précarisation juridique visant les étrangers. Ainsi, les mineurs isolés à la suite de l’expulsion d’un ou de leurs deux parents portent le stigmate de leur groupe d’appartenance et d’une cellule familiale brisée. Cette politique d’inimitié les conduit à intégrer progressivement le label de surnuméraire qui leur est renvoyé et, pour certains, à nourrir leur motivation déviante. À leurs yeux, la violence juvénile n’est autre qu’une réponse à la violence d’un État qui détruit des habitats, expulse des parents et grève tout espoir de naturalisation.</p>
<p>Une autre interprétation du désordre social associé aux jeunes générations tient aux transformations brutales de la société mahoraise sous l’effet de l’assimilation et de l’occidentalisation. Les institutions religieuses et villageoises qui organisaient la socialisation juvénile (école coranique, classes d’âge, médiations coutumières, éducation partagée, etc.) sont moins efficaces tandis que les nouvelles institutions exogènes (école publique, justice, parentalité, etc.) ne le sont pas encore pleinement. La société apparaît ainsi comme faiblement intégrée, dépossédée de ses règles et de son organisation, et la déviance juvénile comme l’un de ses symptômes majeurs alors qu’elle était presque inexistante jusqu’au début des années 1990.</p>
<p>La pression migratoire et l’insécurité civile sont des préoccupations légitimes à Mayotte. Toutefois, en présentant les populations les plus vulnérables comme seules responsables de la crise actuelle, on occulte la part de responsabilité d’un État périphérique et <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/une-situation-postcoloniale/">d’une gouvernance postcoloniale</a> qui accentuent les divisions sociales et régionales et provoquent des ruptures brutales sous l’effet d’une mise aux normes françaises de la société locale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205357/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Roinsard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Présenter les populations les plus vulnérables comme seules responsables de la crise actuelle, occulte la part de responsabilité de l’État français.Nicolas Roinsard, Sociologue, maître de conférence, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039662023-05-15T18:00:52Z2023-05-15T18:00:52ZMigrations africaines : et si on relisait Jean-Christophe Rufin ?<p>En 1991, alors que l’URSS était sur le point de disparaître, l’écrivain, politologue et diplomate Jean-Christophe Rufin, entré depuis à l’Académie française, publia un ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1992_num_57_1_4109_t1_0169_0000_2">qui fit date</a> et dont le titre, <a href="https://www.hachette.fr/livre/lempire-et-les-nouveaux-barbares-9782709623360"><em>L’Empire et les nouveaux barbares</em></a>, ferait sans doute froncer les sourcils aujourd’hui. Il n’y avait pourtant aucune raison d’y voir malice puisque son essai se voulait « une longue métaphore latine » inspirée du regard de l’historien romain <a href="https://journals.openedition.org/etudesanciennes/131">Polybe</a> sur la chute de Carthage.</p>
<p>« L’affrontement Est-Ouest est mort ; l’affrontement Nord-Sud le remplace », proclamait Rufin en 1991. Cet affrontement Nord-Sud lui apparaissait inévitable du fait des dynamiques démographiques contrastées des deux zones.</p>
<p>Le livre comportait notamment une carte en noir et blanc intitulée « L’équateur démographique ». « Il suffit de représenter sur une carte les taux d’accroissement annuels de la population : un équateur humain apparaît », constatait l’auteur. En effet, de part et d’autre d’une limite fixée en fonction du taux naturel d’accroissement de la population à plus ou moins 15 ‰ (en 1988) se révélaient deux hémisphères, distinguant ainsi un Sud et un Nord.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524387/original/file-20230504-17-jm9y9g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=530&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’Équateur démographique (selon Jean-Christophe Ruffin, 1991). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Christophe Ruffin</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons entrepris de redessiner cette carte à partir des <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/tous-les-pays-du-monde-2022/">données de 2022</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte du monde de la croissance démographique en 2022" src="https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521290/original/file-20230417-18-p3z5dv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Croissance démographique des pays du monde en 2022. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Bouquet</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Il en ressort qu’il n’y a plus véritablement d’équateur marquant la limite des 15 ‰, mais une sorte d’îlot continental (en vert) centré sur l’Afrique et affichant pour certains pays des taux d’accroissement naturel supérieurs à 30 ‰ (jusqu’à 37 ‰ au Niger).</p>
<p>Un certain nombre de pays, notamment en Amérique latine et en Asie, ont changé de catégorie et sont passés (en rouge) de l’autre côté de ce que J.-C. Rufin appelle le <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/430/"><em>limes</em></a>, terme évoquant les frontières du monde romain à l’Antiquité. Géographiquement, il ne s’agit donc plus tout à fait d’un équateur, et le « Sud » de l’auteur est aujourd’hui circonscrit dans des limites plus étroites qu’en 1991. Pour autant, l’idée de <em>limes</em> qui lui sert de fil rouge tout au long de son ouvrage peut demeurer d’actualité.</p>
<p>L’intérêt de relire <em>L’Empire et les nouveaux barbares</em> trente ans après sa première publication vient précisément du fait que J.-C. Rufin, avec son regard croisé de géopolitologue et d’humanitaire, avait pressenti que la « menace communiste » allait être remplacée, aux yeux des pays capitalistes du Nord, par une « menace migratoire » que les pays riches chercheraient à toute force à juguler :</p>
<blockquote>
<p>« Le nouveau <em>limes</em> contemporain entre Nord et Sud marque l’avènement en douceur d’une morale de l’inégalité, d’une sorte d’<em>apartheid</em> mondial. Dans l’idée de <em>limes</em>, il y a plus ou moins implicitement l’intention de définir et de protéger la civilisation du Nord. »</p>
</blockquote>
<p>Cette frontière entre le rouge et le vert symbolise non seulement l’écart entre les taux d’accroissement naturel mais aussi, et surtout, le creusement des inégalités entre le Nord et le Sud – ce qui suscite, chez un certain nombre d’habitants du Sud, la tentation de la migration vers le Nord.</p>
<h2>Le Nord a-t-il entretenu un « malthusianisme naturel » ?</h2>
<p>L’essai de J.-C. Rufin souligne l’impact qu’a eu, deux siècles durant, <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2007-2-page-253.htm">l’œuvre du philosophe britannique Thomas Malthus (1766-1834)</a>. Malthus craignait le déséquilibre qui pourrait s’établir si la population croissait plus vite que les ressources nécessaires à sa subistance. Une vision qui a été remise au goût du jour au XX<sup>e</sup> siècle au vu de l’accroissement rapide de la population africaine.</p>
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<p>Rufin lui-même avait à la fin des années 1980 failli être expulsé d’Éthiopie pour avoir proposé, en sa qualité de responsable d’Action contre la Faim, d’intégrer un volet « planification familiale » dans l’aide d’urgence apportée à ce pays frappé par des famines récurrentes et engagé dans une longue guerre contre l’Érythrée. Dans son texte de 1991, il pointait le risque que les pays du Nord, effrayés par la croissance démographique de ceux du Sud, décident de laisser les « fléaux malthusiens » (c’est-à-dire les maladies, les famines et les guerres) décimer ces populations sans intervenir pour leur prêter assistance.</p>
<p>Cette crainte qu’il exprimait en 1991 a été souvent remise en avant depuis, notamment au sein des pays du Sud.</p>
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<p>Ainsi, la gestion de la pandémie du sida a prêté le flanc à la critique quand, en 2001, les laboratoires pharmaceutiques du Nord ont intenté une <a href="https://www.msf.fr/actualites/pretoria-chronique-d-un-mauvais-proces">action en justice</a> pour tenter d’interdire à ceux du Sud de fabriquer des traitements à bas prix pour les pays les plus touchés, dont l’Afrique du Sud. La pression de l’opinion internationale a toutefois fini par faire céder les grands laboratoires qui ont accepté en avril 2001 de vendre aux pays du Sud en situation d’urgence sanitaire leurs traitements à prix coûtant.</p>
<p>D’autres graves épidémies ont frappé l’Afrique, notamment Ébola, qui a causé la mort d’au moins 20 000 personnes en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Mais dans ce cas précis, le Nord <a href="https://ebolaresponse.un.org/fr/action-contre-ebola">n’a pas ménagé ses efforts</a> pour aider à juguler ce fléau.</p>
<p>De même, la pandémie du Covid (2020-2022) a donné lieu à une vaste opération de solidarité coordonnée par l’OMS pour la distribution gratuite de plus d’un milliard de doses de vaccins (<a href="https://www.who.int/fr/initiatives/act-accelerator/covax#:%7E:text=Le%20COVAX%20est%20co%2Ddirig%C3%A9,%2C%20%C3%A0%20l%E2%80%99%C3%A9chelle%20mondiale.">initiative COVAX</a>). Le continent africain a d’ailleurs été <a href="https://theconversation.com/epidemie-de-Covid-19-en-afrique-quelles-specificites-192046">relativement peu touché par le virus</a>.</p>
<p>En termes de « malthusianisme naturel », il est vrai que les guerres en Afrique ont causé des millions de morts (2 millions au Biafra, 6 millions en RD Congo, <a href="https://www.20minutes.fr/monde/2328747-20180831-afrique-1995-2015-guerres-tue-5-millions-enfants-moins-cinq-ans">plus de 5 millions d’enfants en vingt ans</a>). Par ailleurs, il est clair que les famines n’épargnent pas le Sud. Dans certaines régions – le Sahel, la Corne de l’Afrique, le sud de Madagascar –, elles sont récurrentes. Mais, là encore, la communauté internationale se mobilise assez vite, de même que lors des catastrophes naturelles (cyclones, inondations). Les interventions sont parfois rendues compliquées par les guerres, mais il est tout à fait excessif d’accuser le Nord d’avoir, dans toutes ces situations, « traîné » pour résoudre les problèmes.</p>
<p>Pour autant, ces fléaux ont pu alimenter des théories du « complot blanc » pour exterminer les populations africaines. On n’a d’ailleurs pas oublié que <a href="https://www.liberation.fr/france/2014/05/20/jean-marie-le-pen-craint-le-remplacement-des-populations-francaises-par-l-immigration_1022863/">Jean-Marie Le Pen, en 2014, avait évoqué « Monseigneur Ébola »</a> pour résoudre l’explosion démographique. La diffusion de ces théories du complot s’appuie également sur le détournement de certains propos tenus par des personnalités notables du Nord, comme <a href="https://observers.france24.com/fr/afrique/20210115-que-montre-r%C3%A9ellement-cette-vid%C3%A9o-d-un-m%C3%A9decin-pr%C3%A9tendant-que-bill-gates-veut-%C3%A9liminer-3-milliards-d-humains">Bill Gates</a>.</p>
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<h2>Des « zones tampons » face aux mouvements migratoires Sud-Nord ?</h2>
<p>L’abandon du Sud craint par J.-C. Rufin aurait pu passer, selon ses termes, par « une politique sélective consistant à n’assister que les États-tampons, ceux qui sont situés le long du <em>limes</em> et doivent assurer sa stabilité ».</p>
<p>Plusieurs décisions pourraient apparaître comme des illustrations de cette prévision. Un premier exemple est venu de <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2017-3-page-23.htm">l’accord signé entre l’Union européenne et la Turquie en 2016</a> afin de « bloquer » les migrants désireux de demander l’asile en Europe. La Turquie apparaissait donc bien comme un État-tampon, à qui l’Europe a versé deux fois 3 milliards d’euros, accordé de larges facilités pour l’obtention de visas, et promis un examen bienveillant de sa demande d’adhésion à l’UE. Ce Pacte migratoire a été renouvelé en 2021.</p>
<p>En 2010, l’Italie avait failli conclure un accord similaire avec la Libye. Mais le pays est devenu depuis un État failli et l’UE a entrepris de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gkvJRPtQ5dc">« repousser ses frontières au sud du Sahara »</a>.</p>
<p>C’est ainsi qu’à Agadez (Niger), ville considérée comme l’une des plaques tournantes des migrations subsahariennes, l’UE a obtenu des autorités qu’elles punissent les passeurs de façon drastique. Pour compenser le « manque à gagner » (car les populations de cette région vivaient du trafic de migrants), elle a débloqué en 2017 un <a href="https://www.iom.int/fr/news/loim-au-niger-aide-plus-de-10-000-migrants-rentrer-chez-eux-en-2017">premier programme d’aide (30 millions d’euros</a>.</p>
<p>Parallèlement, le HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés) et l’OFPRA (Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides) ont délocalisé leurs antennes au Niger et dans d’autres pays sahéliens, notamment au Tchad, pour instruire les dossiers de candidats à l’asile dans ce qui pouvait effectivement apparaître comme une nouvelle « zone-tampon ».</p>
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<p>Il est également un territoire du Sud qui n’est pas géographiquement un État-tampon mais qui a été démarché par un pays du Nord pour accueillir des migrants : le Rwanda. <a href="https://theconversation.com/envoi-de-tous-les-migrants-indesirables-au-rwanda-quand-le-royaume-uni-bafoue-le-droit-dasile-197626">L’accord passé le 14 avril 2022 entre le Royaume-Uni et le Rwanda</a> (et validé par la Haute Cour de Londres le 19 décembre 2022) prévoyait que toute personne entrée illégalement dans le pays pourrait être relocalisée au Rwanda, moyennant un financement de 120 millions de livres (144 millions d’euros). Qualifié de scandaleux par de nombreuses associations de défense des droits humains, ce programme n’est pas très éloigné de ce qui avait été mis en place en Turquie, au Niger et au Tchad.</p>
<h2>L’apartheid mondial ?</h2>
<p>Sur le terrain de la croissance démographique, il a fallu attendre assez longtemps après l’ouvrage de J.-C. Rufin pour voir d’autres auteurs briser le tabou du malthusianisme. Avec des titres qui ont alimenté les controverses, Serge Michailof, dans <a href="https://www.iris-france.org/66253-africanistan-lafrique-en-crise-va-t-elle-se-retrouver-dans-nos-banlieues/"><em>Africanistan. L’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?</em></a> (2015) puis Stephen Smith dans <a href="https://www.grasset.fr/livres/la-ruee-vers-leurope-9782246803508"><em>La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent</em></a> (2018) allaient dans le même sens. Leurs textes ont soulevé les protestations de certains chercheurs qui les ont <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20180209.OBS1958/la-jeunesse-africaine-est-elle-un-danger-pour-l-europe.html">accusés de faire « le jeu de l’extrême droite »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-ruee-vers-leurope-nest-pas-inscrite-dans-la-demographie-africaine-112564">« La ruée vers l’Europe » n’est pas inscrite dans la démographie africaine</a>
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<p>Pourtant ni l’un ni l’autre, pas davantage que Rufin, ne peuvent être suspectés de soutenir la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/28/le-grand-remplacement-genealogie-d-un-complotisme-cameleon_6111330_3232.html">théorie du « grand remplacement »</a>. Ils sont simplement dans leur rôle de chercheurs et ils exercent leur métier avec la rigueur et les nuances que l’on attend d’eux.</p>
<p>On en revient alors à « l’apartheid mondial », dont Rufin parlait en début d’ouvrage, ce creusement abyssal des inégalités entre le Nord et le Sud qui entraîne des tentations migratoires toujours plus sensibles.</p>
<p>De part et d’autre du nouveau <em>limes</em> qui a remplacé son « équateur démographique », ces « différences » ne cessent de s’accroître depuis trente ans et justifieront peut-être une révision de la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de Genève</a> qui élargirait le droit d’asile aux migrants économiques (voire climatiques). Il n’est pas sûr que les opinions publiques du Nord y soient prêtes…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203966/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 1991, Jean-Christophe Rufin annonçait que le Nord allait tout faire pour se fermer aux migrants cherchant à le rejoindre depuis les pays du Sud. Une prophétie que les faits n’ont pas démentie.Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2044742023-05-03T18:07:23Z2023-05-03T18:07:23ZColonisation de l’Europe par Homo sapiens : une nouvelle étude rebat les cartes<p>L’annonce par mes équipes en 2022 de la <a href="https://theconversation.com/decouverte-des-plus-anciens-hommes-modernes-en-europe-et-ce-que-cela-change-de-ce-que-lon-pensait-de-ses-relations-avec-neandertal-176919">découverte d’installations <em>sapiens</em></a> datées d’il y a 54 000 ans, et reculant de 12 millénaires les premières migrations de ces populations sur le continent européen, laissait entendre que des éléments fondamentaux de la première colonisation de l’Europe nous avaient échappés.</p>
<p>Je publie ce mercredi 3 mai une <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0277444">vaste étude</a> dans la revue scientifique <em>PlosOne</em> qui expose une réécriture profonde de ce moment clef de l’histoire européenne en démontrant que la colonisation de l’Europe par <em>sapiens</em> se serait établie suivant 3 grandes vagues de peuplements entre les 54<sup>e</sup> et 42<sup>e</sup> millénaires avant aujourd’hui.</p>
<p>La vague du 42<sup>e</sup> millénaire qui fut longtemps considérée comme la première vague de colonisation du continent ne serait en réalité… que la dernière… L’ultime pulsation d’un processus bien plus ancien reliant l’Europe depuis l’Orient méditerranéen et dont la compréhension nous aurait totalement échappé, impactant profondément nos conceptions de la colonisation de ce continent et l’histoire des populations aborigènes néandertaliennes dont l’extinction semble coïncider assez précisément avec la troisième vague <em>sapiens</em>, marquant la fin d’un processus très long, s’étalant sur plus de 12 millénaires, et dont nous ne commençons qu’à entrevoir les grandes inflexions historiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=563&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524070/original/file-20230503-25-1ecqyl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=707&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Représentation des trois vagues de migration de <em>sapiens</em> vers l’Europe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>La première vague</h2>
<p>Jusqu’en 2022 <a href="https://www.nature.com/articles/s41559-021-01443-x">il semblait établi</a> que les premières migrations <em>sapiens</em> vers l’Europe s’établissaient entre 45 et 42 000 ans, s’installant sur des territoires occupés exclusivement, et depuis des centaines de millénaires, par Néandertal. Mais <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496">notre article de 2022</a> révélait la présence de <em>sapiens</em> dès le 54<sup>e</sup> millénaire. </p>
<p>L’étude présentait l’analyse de neuf dents découvertes dans la Grotte Mandrin en vallée du Rhône, démontrant que toutes ces dents étaient néandertaliennes, mais que l’étonnante culture du Néronien, fondée sur l’obtention systématique de petites pointes de silex étonnamment standardisées devait être associée à des <em>sapiens</em> archaïques. J’avais reconnu ces traditions du Néronien dès 2004, notant leur caractère remarquablement moderne du point de vue des techniques, mais sans pouvoir alors en analyser l’origine précise ni qui de Néandertal ou <em>sapiens</em> pouvait en être l’auteur.</p>
<p>L’étude de 2022 relevait aussi de puissantes connexions dans les traditions artisanales entre ces populations <em>sapiens</em> du Néronien de la vallée du Rhône et l’<em>Initial Upper Paleolithic</em> (IUP, littéralement le Paléolithique Supérieur Initial) reconnu dans le Levant méditerranéen (Moyen-Orient).</p>
<p>Après un séjour d’étude de plusieurs mois sur Harvard en 2016 j’avais été confronté à ces fameuses collections de l’IUP de l’Est de la méditerranée. J’y étudiais l’immense séquence archéologique de Ksar Akil localisée sur les flancs du mont Liban qui, avec ses 22 mètres d’enregistrements archéologiques, représente l’enregistrement le plus complet d’Eurasie quant à la question des derniers néandertaliens et des premiers <em>sapiens</em>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524122/original/file-20230503-14-wz6t4t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Dégagement des niveaux archéologiques à la Grotte Mandrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Confronté aux artisanats <em>sapiens</em> je découvrais avec stupéfaction leurs similarités techniques vis-à-vis de mon Néronien. Ma confrontation avec les traditions techniques de ces <em>sapiens</em> orientaux n’offrait qu’une conclusion possible ; le Néronien et l’IUP levantin représentent une unique tradition technique, marquant ici une avancée <em>sapiens</em> très ancienne vers l’Europe occidentale.</p>
<p><a href="https://www.researchgate.net/publication/329876131_For_a_cultural_anthropology_of_the_last_Neanderthals">Je publiais</a> cette conclusion dès mon retour de Harvard, en 2017 et 2019, cinq années avant que nous ne publions l’analyse de ces fameuses neuf dents découvertes à la Grotte Mandrin, mais surtout deux années avant que Clément Zanolli (chercheur CNRS UMR PACEA) n’ait la première de ces dents entre ses mains pour analyse. <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abj9496">Les conclusions</a> de l’anthropologie physique établies par ce chercheur rejoignaient alors, de manière totalement indépendante, celles de l’analyse comparée des systèmes techniques suivant le principe d’une analyse en double aveugle.</p>
<p>Cette proposition d’une présence <em>sapiens</em> très ancienne reposait ainsi à la fois sur la découverte remarquable de dents humaines anciennes, et sur une approche structurale, globale, croisant l’analyse des traditions artisanales néandertaliennes et <em>sapiens</em> à des études comparées transméditerranéennes.</p>
<p>Nous avons donc ici la première vague <em>sapiens</em> vers l’Europe, montrant l’existence de migrations anciennes qui atteignent l’ouest du continent dès le 54<sup>e</sup> millénaire.</p>
<h2>La troisième vague</h2>
<p>La troisième vague est reconnue depuis plusieurs décennies. Elle était jusqu’à peu considérée comme la première grande vague <em>sapiens</em> vers l’Europe. Nous sommes désormais quelque part autour du 42<sup>e</sup> millénaire. Cette vague concerne les traditions dites aurignaciennes dont les plus anciennes expressions sont communément distinguées sous l’appellation de Protoaurignacien.</p>
<p>Leur attribution ne repose à nouveau que sur une poignée de dents humaines mais le rattachement de ces traditions de l’Aurignacien à <em>sapiens</em> ne fait ici aussi guère de doute ces industries connaissant, comme pour le Néronien, des équivalents très précis dans le Levant méditerranéen où ces ensembles sont individualisés sous l’appellation d’Ahmarien ancien. Dans ce jeu de corrélations entre Orient et Occident les impressionnants enregistrements archéologiques de Ksar Akil jouent à nouveau un rôle important.</p>
<p>Lors de mes recherches sur Harvard au Peabody Museum en 2016 j’étudiais l’ensemble de ces collections. À nouveau, stupéfaction. Les corrélations établies depuis une vingtaine d’années entre Orient et Occident, entre Protoaurignacien et Ahmarien ancien de Ksar Akil, étaient clairement erronées.</p>
<p>Ces connexions avaient été établies principalement sur des bases bibliographiques et avec peu de retours directs sur ces collections. Ce que je voyais à Ksar Akil ne ressemblait en rien au Protoaurignacien européen. Toutefois, à Ksar Akil, un Protoaurignacien très classique pouvait effectivement être reconnu mais dans des niveaux archéologiques bien plus récents que ceux envisagés jusqu’alors par notre communauté scientifique. Bien. Admettons. Nous n’aurions ici qu’un recadrage des connexions pressenties entre Europe et Levant.</p>
<p>Mais quelque chose de bien plus intéressant se dessinait. À Ksar Akil, entre l’Initial Upper Paleolithic, le Néronien levantin donc, et l’équivalent du Protoaurignacien, il y a quelque chose. Ce ne sont pas moins de 8 niveaux archéologiques qui séparent l’IUP (ma première vague) de Ksar Akil des éléments archéologiques correspondant à ma troisième vague. Dans cette séquence archéologique, des chronologies très fines sont rarement accessibles du fait d’une moindre qualité de préservation des vestiges osseux dans ces régions climatiquement chaudes, mais ces huit niveaux archéologiques ont ici tout lieu de concerner une temporalité de plusieurs millénaires.</p>
<p>Et ces collections-là nous offrent un regard inattendu sur ce qui semble bien correspondre aux traditions culturelles d’une seconde vague <em>sapiens</em> vers le continent européen.</p>
<h2>La deuxième vague</h2>
<p>À Ksar Akil, entre l’IUP et l’équivalent du Protoaurignacien, des milliers de silex nous montrent des artisanats fondés sur la production de « pointes à dos abattu ». Ces niveaux archéologiques levantins appelés Early Upper Paleolithic (EUP, littéralement Paléolithique Supérieur Ancien) de Ksar Akil, avec leurs pointes à dos abattu, évoquent techniquement, très précisément, et de manière remarquable, ce que nous appelons en Europe occidentale le Châtelperronien, des traditions bien attestées de la Bourgogne à l’Espagne et généralement attribuées… à Néandertal.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=440&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524074/original/file-20230503-18-pfh37z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=553&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Similarités des silex entre les sites de Mandrin et de Ksar Akil. Dessins Laure Metz et Ludovic Slimak.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Slimak</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le Châtelperronien est l’une de ces industries dites « de transition » qui marqueraient l’entrée dans la modernité des populations néandertaliennes, avec lames, lamelles et parures d’os ou d’ivoire. Mais les restes humains ici aussi sont rares et différents chercheurs ont déjà relevé que cette attribution néandertalienne était incertaine, sans pouvoir en explorer l’origine précise (<em>sapiens</em> ? populations métisses ?) et sans être en mesure d’établir des connexions techniques, géographiques ou culturelles précises entre le Châtelperronien et les traditions <em>sapiens</em> reconnues ailleurs en Eurasie.</p>
<p>La confrontation aux données levantines du gisement de Ksar Akil crée pour la première fois ce pont très précis entre Châtelperronien et <em>sapiens</em> replaçant ces industries dans un contexte culturel bien défini et propre aux populations <em>sapiens</em> de l’orient méditerranéen. La proximité entre le Châtelperronien européen et l’EUP de Ksar Akil permet finalement de proposer une origine culturelle et géographique bien circonscrite, et en rien néandertalienne, au Châtelperronien européen.</p>
<p>Nous avons ici, avec le Châtelperronien, notre deuxième vague <em>sapiens</em>.</p>
<h2>Repenser la structure des basculements d’humanité en Europe</h2>
<p>Cette distinction de trois vagues <em>sapiens</em> vers l’Europe affecte l’ensemble de nos cadres interprétatifs raffinés à travers le XX<sup>e</sup> siècle mais dont la structure historique assez simple (Néandertal, puis <em>sapiens</em> avec une phase supposée d’acculturation néandertalienne entre les deux) était restée inchangée dans son ossature depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cette étude de PlosOne montre aussi que sur le Levant ces 3 traditions artisanales levantines passent très progressivement, à travers les millénaires, de l’IUP à l’EUP et enfin à l’équivalent du Protoaurignacien, nous confrontant ici aux évolutions graduelles d’un même groupe culturel.</p>
<p>Les trois pulsations migratoires vers l’Europe représenteraient donc des mouvements de <em>sapiens</em> à partir d’un unique substrat culturel levantin.</p>
<p>Quant à Néandertal la proposition de réattribution du Châtelperronien à certaines populations <em>sapiens</em> dont les traditions sont bien définies et de racines levantines impacte profondément notre regard même sur l’organisation des sociétés néandertaliennes au moment de l’arrivée de <em>sapiens</em> en Europe. C’est ici aussi une réécriture profonde de nos schémas et de notre compréhension de ces populations humaines fossiles. Peut-être que, finalement, les néandertaliens disparurent sans ne jamais rien changer, fondamentalement, à ce que furent leurs manières ancestrales d’être au monde.</p>
<p>Nous vivons un moment enthousiasmant de remodelage profond des connaissances permettant non seulement de repenser des moments clefs de l’histoire de notre continent mais aussi, plus profondément, de nous confronter à ce que signifie être humain face à la longue histoire des humanités autres, et désormais éteintes.</p>
<hr>
<p><em><strong>Pour aller plus loin :</strong></em><br>
<em>● Ludovic Slimak, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/neandertal-nu_9782738157232.php">« Néandertal nu, comprendre la créature humaine »</a>, Odile Jacob, 2022.</em><br>
<em>● Ludovic Slimak, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/archeologie-paleontologie-prehistoire/dernier-neandertalien_9782415004927.php">« Le dernier néandertalien, comprendre comment meurent les hommes »</a>, Odile Jacob, 2023.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Slimak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La colonisation de l'Europe depuis l'Orient s'est faite en trois vagues. Ce que l'on pensait être la première était en réalité la dernière.Ludovic Slimak, Archéologue, penseur et chercheur au CNRS, Université de Toulouse III – Paul SabatierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1974802023-05-03T13:38:17Z2023-05-03T13:38:17ZMigrer sans pattes ni ailes ? Le défi de la migration assistée des arbres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510177/original/file-20230214-24-as6jr0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C992%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">S'il est vrai que les arbres individuels sont immobiles, à l’échelle de l’espèce ils peuvent se déplacer et migrer aussi bien que les oiseaux, mais sur une période différente.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>S’il est vrai que les arbres individuels sont immobiles, à l’échelle de l’espèce ils peuvent se déplacer et migrer aussi bien que les oiseaux ! Mais sur une fenêtre temporelle différente. </p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523895/original/file-20230502-16-gbwpsg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><strong>Cet article fait partie de notre série <a href="https://theconversation.com/ca-fr/topics/foret-boreale-138017">Forêt boréale : mille secrets, mille dangers</a></strong></p>
<p><br><em>La Conversation vous propose une promenade au cœur de la forêt boréale. Nos experts se penchent sur les enjeux d’aménagement et de développement durable, les perturbations naturelles, l’écologie de la faune terrestre et des écosystèmes aquatiques, l’agriculture nordique et l’importance culturelle et économique de la forêt boréale pour les peuples autochtones. Nous vous souhaitons une agréable – et instructive – balade en forêt !</em></p>
<hr>
<p>C'est ce que nous allons approfondir dans cet article, le premier de notre nouvelle série estivale. En tant que chercheurs en écophysiologie forestière, nous étudions le fonctionnement des arbres en relation avec des dynamiques écologiques à plus large échelle. Le climat en rapide changement présente de nombreux défis à affronter pour assurer la durabilité des écosystèmes forestiers. Face à ces nouveaux problèmes, nous cherchons de nouveaux outils. Parmi ceux-ci, la migration assistée des arbres. </p>
<p>Et pour nous inspirer, cet extrait d'une chanson de notre poète national, Gilles Vigneault. </p>
<blockquote>
<p>J’ai planté un chêne au bout de mon champ,</p>
<p>perdrerai-je ma peine ?</p>
<p>perdrerai-je mon temps ?</p>
</blockquote>
<p>Débarrassons-nous d’abord des définitions : la migration assistée réfère au <a href="https://pubs.cif-ifc.org/doi/10.5558/tfc2011-089">« mouvement d’espèces, assisté par l’humain, en réponse aux changements climatiques »</a>. Nous avons l’habitude d’associer le terme « migration » au déplacement des personnes ou aux vols saisonniers des oiseaux. </p>
<p>Il peut donc paraître étrange d’associer la migration aux arbres, qui sont typiquement enracinés au sol et ne bougent pas. Mais est-ce vraiment le cas ?</p>
<h2>La forêt mouvante</h2>
<p>La migration des arbres se produit par la dispersion des semences, la germination, puis l’établissement de nouveaux semis. Ceux-ci, après un certain temps, produisent de nouvelles semences et contribuent à une lente expansion géographique.</p>
<p>Les stratégies de migration peuvent différer selon les espèces d’arbres : les <a href="https://www.zoom-nature.fr/les-samares-des-erables-des-autogires-tres-performants/">samares d’érable</a>, transportées par le vent, peuvent voyager plus vite et plus loin que les glands d’un chêne, limitées par leur poids imposant. Cependant, les nouveaux semis ont besoin d’années, souvent de décennies, pour pousser et produire des semences qui peuvent migrer plus loin que leurs parents.</p>
<p>Ce mouvement, qui se met en place à l’échelle des siècles, généralement trop lent pour notre conception du temps, peut <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1752-4571.2007.00013.x">devenir limitant</a> face aux changements rapides induits par l’homme dans les systèmes climatiques.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="glands de chêne" src="https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510181/original/file-20230214-1870-o5vnke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les samares d’érable, transportées par le vent, peuvent voyager plus vite et plus loin que les glands d’un chêne, limités par leur poids imposant.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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</figure>
<h2>Changements rapides, arbres lents</h2>
<p>Les changements climatiques actuels induisent des <a href="https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-ii/">modifications rapides</a> des conditions environnementales ; <a href="https://www.nature.com/articles/ngeo2681">aucun événement</a> de réchauffement naturel du passé ne s’est produit à une vitesse comparable. Ces changements climatiques exercent ainsi de fortes pressions sur les écosystèmes forestiers, notamment en modifiant les conditions des habitats.</p>
<p>La grande majorité des arbres ont des vitesses de migration <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ddi.13630">inférieures à la rapidité de déplacement des habitats favorables</a>. Cela signifie que leur migration vers de nouveaux habitats favorables (par exemple, des régions froides devenant plus chaudes au nord) ne pourra pas compenser la perte d’habitats dans d’autres zones (par exemple, des régions chaudes devenant plus sèches au sud).</p>
<p>Ce décalage entre la modification des conditions d’habitats et la migration naturelle des arbres entraîne une perte de vigueur des forêts. Pour beaucoup d’espèces, <a href="https://academic.oup.com/bioscience/article/57/11/939/234280">on prévoit un déclin</a> qui peut compromettre les écosystèmes forestiers locaux.</p>
<h2>Aider les arbres à migrer</h2>
<p>Nous sommes appelés à trouver des stratégies pour harmoniser les forêts aux nouvelles conditions climatiques. Cela motive les chercheurs et les gestionnaires à envisager de nouvelles approches pour solutionner ce problème, en recourant par exemple à la <a href="https://doi.org/10.5849/jof.13-016">migration assistée</a>. </p>
<p>Le déplacement artificiel et la plantation de semences peuvent accélérer le processus de migration naturel et aider à surmonter les barrières géographiques, telles que les chaînes de montagnes ou les grandes surfaces d’eau.</p>
<p>La migration assistée peut donc être appliquée pour maintenir des écosystèmes forestiers fonctionnels dans le futur. Ce n’est pas seulement important pour la conservation des espèces, mais aussi pour le maintien de l’ensemble des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780080983493000244">services</a> offerts par les forêts, par exemple la production du bois ou la séquestration du carbone de l’atmosphère.</p>
<p>En général, les transferts sur de courtes distances sont plus faciles à réaliser, tandis que la migration sur de plus longues distances nécessite une planification plus minutieuse. Comme cette dernière présente des risques écologiques plus élevés, elle n’est généralement considérée <a href="https://pubs.cif-ifc.org/doi/10.5558/tfc2011-089">que pour des actions de conservation</a>. </p>
<p>Mais assez parlé de théorie, passons à des exemples concrets.</p>
<h2>Un exemple canadien</h2>
<p>L’érable à sucre (<em>Acer saccharum</em>) est une espèce d’arbre emblématique au Canada. À mesure que les changements climatiques s’intensifient, les érablières méridionales (au sud) <a href="https://esajournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1890/ES15-00238.1">souffrent d’une concurrence accrue</a> de la part des arbres qui tolèrent mieux les conditions plus chaudes et sèches, comme le hêtre d’Amérique (<em>Fagus grandifolia</em>).</p>
<p>Parallèlement, des chercheurs ont constaté que les régions au nord de l’aire de répartition de l’érable deviennent de <a href="https://academic.oup.com/forestscience/article/67/4/446/6270781">plus en plus propices à cette espèce</a>. Dans ce cas, la migration assistée pourrait favoriser une adaptation plus rapide des forêts nordiques aux nouvelles conditions, et rendre des services appréciés des propriétaires forestiers locaux, comme la production de sirop d’érable. Alors, pourquoi ne pas simplement aller de l’avant avec cette technique ?</p>
<h2>Pionniers</h2>
<p>En 2019, l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a établi une plantation expérimentale d’érable à sucre à la limite nord de son aire de répartition, dans la région du Saguenay, au Québec. L’expérience est menée en partenariat avec une entreprise agricole familiale de la région, qui a choisi de consacrer une partie de ses terres à la recherche scientifique et à sa vision d’une érablière productive pour les générations futures.</p>
<p>La plantation, qui compte environ 500 jeunes arbres issus de plusieurs populations du Québec et des États-Unis, fêtera sa quatrième année de vie au printemps 2024. D’ici quelques décennies, de l’excellent sirop d’érable pourrait être produit, en plus des précieuses données scientifiques recueillies jusqu’alors.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="érable à sucre" src="https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/510184/original/file-20230214-14-v0cnk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">À mesure que les changements climatiques s’intensifient, les érablières méridionales (au sud) souffrent d’une concurrence accrue de la part des arbres qui tolèrent mieux les conditions plus chaudes et sèches, comme le hêtre d’Amérique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Essais de migration</h2>
<p>Des études similaires ont été réalisées par le réseau de recherche <a href="https://dream-forests.org/membres/">DREAM</a>, un projet du gouvernement du Québec (MRNF), du USDA Forest Service et de l’Université Laval. Les essais, incluant une dizaine d’espèces d’arbres plantées en mélange, se situent dans la région de Portneuf au Québec et au Wisconsin (États-Unis). On y teste les effets des différents facteurs, tels que le microclimat, le broutement et la concurrence végétale, sur l’acclimatation des plants. De plus, on compare la performance des plants de populations méridionales, adaptées à des conditions similaires aux prédictions du climat futur, à celle des populations locales.</p>
<p>Réaliser ce type d’étude expérimentale permet d’obtenir des informations précieuses sur les caractéristiques qui peuvent aider ou nuire à la réussite des projets de migration assistée. Par exemple, on peut comprendre quelles espèces ou populations sont plus sensibles aux <a href="https://academic.oup.com/bioscience/article/58/3/253/230872">évènements de gel tardif</a> ou au <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s40725-021-00148-5">broutement des herbivores</a>.</p>
<p>La mise en place d’essais scientifiques aujourd’hui peut aider à bien comprendre les dynamiques et les risques liés à la migration assistée, afin que nous puissions faire les meilleurs choix d’aménagement forestier pour les années et les générations futures. </p>
<p>Les changements climatiques progressent vite et les forêts ne poussent pas au même rythme : il est donc important de commencer à planter aujourd’hui les forêts de demain. </p>
<hr>
<p><em>Les auteurs remercient Emilie Champagne de la Direction de Recherche Forestière du Québec (Ministère des Ressources Naturelles et des Forêts) pour les contributions et commentaires au texte écrit et les Jardins Gobeil pour la collaboration et l’aide matérielle avec le maintien de la plantation expérimentale.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197480/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudio Mura a reçu des financements du Conseil de Recherches en Sciences Naturelles et en Génie du Canada (CRSNG) dans le cadre du projet Alliance-Érable, partenaires le gouvernement du Québec (ministère des Ressources naturelles et des Forêts), le Centre Acer, les Productrices et Producteurs acéricoles du Québec, le Syndicat des Producteurs de bois du Saguenay Lac-Saint-Jean et l'Université du Québec en Outaouais (UQO). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Patricia Raymond est membre de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (QC, Canada). Elle a reçu du financement du Plan pour une économie verte du Ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Gouvernement du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sergio Rossi est membre de l'Ordre des Ingénieurs Forestiers du Québec (QC, Canada) et de l'Ordine dei Dottori Agronomi e Forestali di Padova (Italie).
Sergio Rossi a reçu des financements par des programmes publiques: le Fonds de recherche du Québec - Nature et technologie (FRQNT) et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG)</span></em></p>Le climat en rapide changement présente de nombreux défis à affronter pour assurer la durabilité des écosystèmes forestiers. La migration assistée est un outil qui permet de faire face à ces enjeux.Claudio Mura, PhD student in Forest Ecophysiology, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Patricia Raymond, Chercheuse scientifique et professeure associée, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Sergio Rossi, Professor, Département des Sciences Fondamentales, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009282023-04-03T17:52:50Z2023-04-03T17:52:50ZLe Costa Rica, au cœur des migrations sur le continent américain<p>Ce 3 novembre 2022, comme tous les jours, Ronaldo, jeune adolescent, est posté en compagnie de sa mère à un carrefour non loin du centre de San José, la capitale du Costa Rica. Une pancarte de fortune autour du cou les identifie comme Vénézuéliens. Ils vendent des bonbons pour gagner de quoi manger. Pour arriver ici, ils viennent de traverser, à pied et en bus, la Colombie, le Panama (via le Tapón del Darién, une jungle auparavant aux mains des narcotrafiquants et désormais entre celles des passeurs) et une partie du Costa Rica.</p>
<p>Les images de migrants vénézuéliens mendiant à tous les coins de rue du centre de San José ou dormant dans des campements de fortune ont fait le tour des médias nationaux. On trouve parmi eux des familles entières, mais aussi beaucoup de femmes seules avec des enfants. Fuyant un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/billet-retour/20220218-venezuela-une-crise-sans-fin">pays en situation de crise profonde</a>, dénués de ressources, sans idée claire sur la suite de leur parcours, ils espèrent rejoindre les États-Unis. Mais le 12 octobre 2022, le gouvernement Biden, au nom d’un programme d’immigration humanitaire temporaire, a de fait <a href="https://www.courrierinternational.com/article/immigration-washington-ouvre-la-porte-a-24-000-venezueliens">durci sa politique migratoire</a>. Résultat : les migrants vénézuéliens de San José sont coincés au Costa Rica, créant une situation inédite de « crise migratoire » subite dans ce petit pays de 5 millions d’habitants.</p>
<p>Selon le Service national des migrations du Panama, 133 726 personnes ont été enregistrées comme transitant par le Panama en 2021, pour 248 284 en 2022. Le plus probable est qu’elles ont ensuite passé la frontière avec le Costa Rica, mais ce pays n’est pas en mesure, aujourd’hui, de produire ses propres données, signe de son impréparation face à l’ampleur des flux migratoires actuels. Ces chiffres augmentent fortement depuis le début de l’année 2023. Ces migrants venaient très majoritairement du Venezuela en 2022, de Haïti et de Cuba en 2021. Mais on compte aussi de plus en plus de migrants d’Afrique ou d’Asie.</p>
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<p>Le 30 novembre 2022, le président du Costa Rica, le populiste Rodrigo Chaves, modifie les conditions d’obtention de l’asile dans son pays en adoptant deux décrets qui créent une catégorie migratoire spéciale pour les migrants du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba. Le ton est donné : face aux plus de 220 000 demandes d’asile reçues depuis 2018, le <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20220316-les-%C3%A9tats-unis-et-le-costa-rica-signent-un-accord-pour-renforcer-l-int%C3%A9gration-des-migrants">gouvernement conditionne l’accueil de ces migrants au soutien financier international</a> et met en cause la légitimité de leurs demandes d’asile politique. Ces mesures sont un tournant. Jusqu’ici, le Costa Rica se positionnait comme un pays d’accueil pour les migrants. L’adoption des décrets est un tel choc que la Cour constitutionnelle a invalidé, le 14 février 2023, celui concernant l’asile.</p>
<p>Comment le Costa Rica est-il devenu l’un des centres du phénomène migratoire sur le continent américain, et comment expliquer l’évolution de ses politiques dans ce domaine ? Les travaux de deux chercheurs de l’Universidad du Costa Rica, <a href="https://eccc.ucr.ac.cr/docentes/carlos-sandoval/">Carlos Sandoval</a> et <a href="https://vinv.ucr.ac.cr/sigpro/web/researchers/114190096">Guillermo Navarro</a>, permettent de mieux comprendre les tendances actuelles et de les replacer dans un contexte socio-historique plus large.</p>
<h2>Du Nicaragua vers le Costa Rica : une migration ancienne, précaire et indispensable</h2>
<p>8 % de la population du Costa Rica est originaire du Nicaragua voisin – un chiffre qui rappelle l’importance des <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/5835?lang=fr">migrations Sud-Sud</a>. La vague migratoire actuelle en provenance du Venezuela, très médiatisée et politisée, n’efface pas cette migration structurelle plus ancienne, précaire et invisibilisée.</p>
<p>Les migrants nicaraguayens occupent en effet principalement des postes de travailleurs agricoles, d’agents de sécurité, d’ouvriers de la construction et d’employées domestiques. L’agriculture intensive (ananas, café, canne à sucre) a fortement recours à cette main-d’œuvre bon marché. Le modèle économique costaricien ne correspond pas toujours à la carte postale envoyée au niveau international (<a href="https://www.lefigaro.fr/voyages/au-pays-du-tourisme-responsable-20220204">écotourisme</a>, énergies renouvelables, reforestation) et s’appuie également sur des pratiques destructrices de l’environnement et des sociétés (voir les travaux de Rodríguez Echavarría et Prunier sur <a href="https://hal-univ-montpellier3-paul-valery.archives-ouvertes.fr/hal-03114105/">l’ananas</a>, dont le Costa Rica est le premier producteur mondial).</p>
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<p>Aujourd’hui, la dictature du couple Ortega-Murillo au Nicaragua conduit à des départs de plus en plus nombreux, bien souvent pour demander le statut de réfugié politique.</p>
<p>La loi sur la migration adoptée en 2009 met en avant l’hospitalité, l’intégration et le respect des droits humains. Néanmoins, le diable se cache dans les détails : « En termes de procédure, les exigences et les coûts de la régularisation sont très élevés et laissent de nombreuses personnes sur le carreau. Le problème n’est pas que la loi n’est pas appliquée, mais qu’elle est inaccessible », <a href="https://repositorio.iis.ucr.ac.cr/handle/123456789/735">explique Carlos Sandoval</a>, qui souligne que, au-delà d’un texte très généreux, le coût et la complexité de la procédure violent les droits fondamentaux des personnes concernées. Un grand nombre des migrants nicaraguayens vivent ainsi sans le statut de résident auquel ils pourraient avoir accès.</p>
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<p>Le statut des Nicaraguayens au Costa Rica renvoie à l’idée bien ancrée dans le pays d’un <a href="https://www.theses.fr/179743538">exceptionnalisme costaricien</a> : la stabilité politique, l’état social de droit, le pacifisme seraient liés à <a href="https://www.revistas.una.ac.cr/index.php/historia/article/view/12397">l’homogénéité ethnique et même à la « blancheur » de la population</a>, au cœur du récit national sur une population d’origine européenne. Il est dès lors difficile de penser un « autre de l’intérieur », qu’il soit nicaraguayen, indien ou afrodescendant. L’altérité minimale (même langue, même religion, même histoire) des Nicaraguayens n’en est que plus menaçante. Surtout, la fermeture des frontières liée à l’épidémie de Covid a alimenté le rejet de l’autre, vu comme responsable de la circulation du virus.</p>
<p>L’autre trait marquant la migration nicaraguayenne est son invisibilité. Carlos Sandoval rappelle que près de 20 % des nouveau-nés au Costa Rica aujourd’hui ont un père ou une mère originaire du Nicaragua. Cette deuxième génération et les couples mixtes sont absents des récits sur l’identité nationale, de la littérature, des espaces interculturels et des mémoires familiales. L’instabilité migratoire et la xénophobie ordinaire font ainsi de l’origine nicaraguayenne un « secret de famille bien gardé. Cette expérience binationale se vit mais ne se raconte pas ».</p>
<h2>Migrations planétaires et adaptation des politiques migratoires</h2>
<p>Les migrations actuelles modifient radicalement la situation : nombreuses, multiples, souvent très visibles, il s’agit essentiellement de migrations de transit.</p>
<p><a href="https://estudiossociologicos.colmex.mx/index.php/es/article/view/2177">Guillermo Navarro</a> fait remonter le début de ces nouvelles migrations aux années 2000. Ce flux migratoire continu devient subitement visible en 2015, lorsque le Nicaragua, pays de passage vers les États-Unis, ferme sa frontière avec le Costa Rica. Des milliers de migrants se retrouvent alors bloqués au Costa Rica. La petite ville de La Cruz, dans le nord du pays, devient malgré elle le lieu d’arrivée et d’immobilisation forcée de migrants cubains, tout d’abord, puis africains et haïtiens.</p>
<p>Si la migration cubaine a laissé le souvenir d’une solidarité culturelle et politique, les migrations africaine et haïtienne qui lui succèdent ont provoqué des situations de tension, de peur, de rejet, face à des populations à la fois différentes (religion, langue, pratiques alimentaires) et inconnues, faisant l’objet de stigmatisation raciale.</p>
<p>Le gouvernement du Costa Rica met alors en place des centres d’accueil. La question migratoire devient un problème public et l’État adapte ses politiques en créant un permis de transit temporaire pour traverser rapidement le Costa Rica. « Cela a conduit l’État à se mobiliser, précisément en mettant en avant le récit de la crise migratoire. Entre 40 et 44 abris ont été ouverts, gérés par les communautés, les gouvernements locaux et le gouvernement central », selon Guillermo Navarro.</p>
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<span class="caption">Centro de Atención Temporal a Migrantes (CATEM), La Cruz, 29 septembre 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Dirección General de Migración y Extranjería Costa Rica</span></span>
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<p>Ces nouvelles trajectoires migratoires sont longues et complexes. Les Cubains commencent leur voyage en prenant l’avion jusqu’au Nicaragua, qui les accueille sans visa. Les Haïtiens ont souvent passé des années dans le cône Sud (notamment le Brésil de Lula et l’Équateur de Rafael Correa) avant de reprendre la route vers l’Amérique du Nord, suite au ralentissement des économies nationales ou au renforcement des contraintes migratoires. <a href="https://doi.org/10.24201/es.2022v40n120.2177">Les Africains cherchent à traverser en bus au plus vite le Costa Rica</a>. Ces nouvelles migrations touchent maintenant pratiquement tous les pays d’Afrique, mais aussi la Syrie, le Népal, l’Afghanistan, le Bangladesh, etc., sans que l’on connaisse précisément les motivations de ces migrants (crises économiques et politiques, fermetures de frontières, migrations par étapes, etc.) et leurs routes migratoires qui les emmènent en Amérique latine pour une destination finale qui reste les États-Unis.</p>
<p>Avec le Covid, les frontières du Costa Rica se ferment en avril 2020 et le gouvernement démantèle le système de soutien aux migrants qu’il avait mis en place. Les flux ne s’arrêtent pas mais deviennent clandestins. Lorsque les frontières s’ouvrent à nouveau et que les migrations reprennent plus fortement, le Costa Rica n’a plus d’outils et d’infrastructures.</p>
<p>Les hésitations du gouvernement Chaves et son discours répressif, mais aussi la politique erratique du Nicaragua, favorisent le développement de réseaux de passeurs, le racket des migrants et la stigmatisation de la migration. Un nouveau système de contrôle est progressivement instauré, qui passe par la construction de centres d’accueil pérennes, dont Guillermo Navarro souligne l’influence internationale (formation des fonctionnaires de migration, circulation des idées et des personnes) et la contribution financière des États-Unis et de l’UE. Les agences spécialisées (OIM, <a href="https://www.unhcr.org/costa-rica.html">HCR</a>) et les bailleurs de fonds internationaux (<a href="https://www.iadb.org/en/countries/costa-rica/overview">Banque interaméricaine de développement</a>) sont désormais bien présents.</p>
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<p>« Le Costa Rica est actuellement un laboratoire en train d’expérimenter le contrôle et le soutien humanitaire. L’Amérique centrale entre dans le système mondial migratoire, non seulement pour expulser et recevoir les migrants, mais aussi gérer la migration », constate Navarro.</p>
<p>18 février 2023. Ronaldo et sa mère ont réussi à économiser suffisamment d’argent pour payer le bus jusqu’au Panama puis l’avion vers le Venezuela. Retour à la case départ, où les attend la même situation de pauvreté extrême, même s’ils ne seront plus désormais des migrants illégaux contraints à la mendicité…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200928/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Élisabeth Cunin a reçu des financements de IRD, ANR. </span></em></p>Soumis aux décisions politiques des pays de destination et de transit, de nombreux migrants de différentes origines se retrouvent bloqués au Costa Rica.Élisabeth Cunin, Anthropologue, directrice de recherche à l'Unité de Recherche Migrations Et Société (URMIS), chercheuse associée à l'Université du Costa Rica, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.