tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/monarchie-36557/articlesmonarchie – The Conversation2023-08-17T15:59:29Ztag:theconversation.com,2011:article/2108402023-08-17T15:59:29Z2023-08-17T15:59:29ZGabon : comment les 56 ans de règne de la famille Bongo ont nui au pays et divisé l'opposition<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/543217/original/file-20230817-14573-2jsf13.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une personne manifeste, le 7 août 2009 à Paris, pour demander au candidat à la présidence Ali Ben Bongo de démissionner de son poste de ministre de la défense.</span> <span class="attribution"><span class="source">PIERRE VERDY/AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Le mercredi 30 août, deux événements se sont succédé au Gabon. Aux premières heures de la journée, le président Ali Bongo Ondimba (2009-aujourd'hui) a été <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cpw84w3j5plo">déclaré vainqueur</a> du scrutin présidentiel contesté.</p>
<p>Peu après, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230830-gabon-ali-bongo-r%C3%A9%C3%A9lu-pour-un-troisi%C3%A8me-mandat">un groupe d'officiers supérieurs</a> est apparu à la télévision et a annoncé qu'il avait pris le pouvoir. Ils ont déclaré que les élections générales du 26 août n'étaient pas crédibles. Ils ont annoncé l'annulation du résultat des élections, la fermeture de toutes les frontières et la dissolution de toutes les institutions de l'État, y compris l'organe législatif du gouvernement. </p>
<p>Ali Bongo aurait remporté 64,27% des suffrages exprimés lors d'une élection que l'opposition a qualifiée de simulacre. Selon l'arbitre électoral, le principal adversaire d'Ali Bongo, Albert Ondo Ossa, est arrivé en deuxième position avec 30,77 % des voix.</p>
<p>Le président Ali Bongo Ondimba (depuis 2009) <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20230709-gabon-ali-bongo-annonce-sa-candidature-%C3%A0-l-%C3%A9lection-pr%C3%A9sidentielle-pour-un-3e-mandat">se présente</a> à nouveau aux élections prévues le 26 août au Gabon. Il est, pour dire l'évidence, censé la gagner. La Constitution a en effet été modifiée plusieurs fois au cours des dernières décennies pour assurer la continuité du pouvoir des Bongo. </p>
<p>Premièrement, la <a href="https://lefaso.net/spip.php?article120442">limitation du nombre de mandats</a> a été supprimée de la Constitution. Ali Bongo pourrait ainsi être président à vie. </p>
<p>Deuxièmement, les scrutins traditionnels à deux tours ont été transformés en un scrutin à un tour, mettant ainsi le candidat sortant à l'abri d'un rassemblement de l'opposition en cas de second tour.</p>
<p>Troisièmement, ce n’est plus la majorité absolue mais la majorité relative, c’est-à-dire la pluralité, qui permettra d’être élu, et donc, selon toute vraisemblance à Bongo peut gagner les élections. Cela signifie qu'une majorité peut être inférieure à 50 %, tant que le vainqueur obtient le plus grand nombre de voix. S'il fallait obtenir la majorité des voix, Ali Bongo, avec <a href="https://www.universalis.fr/evenement/27-31-aout-2016-reelection-contestee-du-president-ali-bongo/">49,8 %</a> aux élections de 2016, ne serait pas président aujourd'hui.</p>
<p>Quatrièmement, en avril de cette année, le mandat présidentiel a été <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20230407-gabon-le-mandat-pr%C3%A9sidentiel-r%C3%A9duit-de-sept-%C3%A0-cinq-ans">réduit de 7 à 5 ans</a>, garantissant la simultanéité des élections présidentielle, législatives et locales. Dans le passé, après l'élection présidentielle, les partis d'opposition s'organisaient contre le parti au pouvoir de Bongo, père et fils, pour remporter des sièges aux élections législatives et locales. Désormais, toutes les institutions du pouvoir gouvernemental pourront être conquises par le président Bongo et son parti en un seul scrutin.</p>
<h2>Une opposition divisée</h2>
<p><a href="https://directinfosgabon.com/gabon-la-liste-officielle-des-19-candidats-retenus-pour-la-presidentielle-daout-2023/">Dix-neuf candidats</a> se présentent à la présidentielle. Parmi eux figurent l'ancien Premier ministre <a href="http://www.alibreville.com/qui/profil.asp?id=3">Raymond Ndong Sima</a>, l'ancien vice-président <a href="https://www.lenouveaugabon.com/fr/gestion-publique/2701-19433-presidentielle-2023-pierre-claver-maganga-moussavou-investi-candidat-pour-la-5e-fois-consecutive">Pierre-Claver Maganga Moussavou</a>, le chef de la coalition Union nationale des partis d'opposition qui a défié Bongo en 2016, <a href="https://www.gabonreview.com/presidentielle-2023-oui-je-suis-capable-assure-paulette-missambo/">Paulette Missambo</a>, et l'ancien ministre des Mines <a href="https://g9infos.com/hugues-alexandre-barro-chambrier-designe-candidat-du-rpm-lors-du-2eme-congres-extraordinaire-en-vue-des-elections-presidentielles-au-gabon/">Hughes Alexandre Barro Chambrier</a>. Depuis un an, ce dernier s’est efforcé de rallier les autres leaders de l'opposition à l'idée d'une candidature unique, sans succès. Chambrier est peut-être celui qui est le mieux placé pour rassembler le plus de voix contre Ali Bongo et le Parti démocratique gabonais (PDG), mais l'opposition gabonaise est, une fois de plus, <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230203-gabon-l-opposition-reste-divis%C3%A9e-sur-ses-futurs-repr%C3%A9sentants-au-centre-des-%C3%A9lections">divisée</a>.</p>
<p>Ali Bongo, fils de l'ancien président <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMBiographie?codeAnalyse=105">Omar Bongo</a> (1967-2009), est pour sa part soutenu par le <a href="https://pdg-gabon.org/">PDG</a> fondé par son père. Ce parti monopolise le pouvoir depuis plus d'un demi-siècle dans ce pays d'Afrique centrale riche en pétrole. Grâce aux institutions du gouvernement à parti unique, à la corruption néo-patrimoniale et à la parenté politique, le clan Bongo a conservé le pouvoir pendant 56 ans. </p>
<p>Pourtant le Gabon n'est pas une monarchie, mais une république, une “république dynastique”. La république dynastique est un oxymore, car, selon les mots du philosophe <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ciceron/">Ciceron</a>, une république est <em>res publica</em> : “la chose publique”, et non le patrimoine privé de ses gouvernants. La pratique généralisée du népotisme, en tant que gouvernance, viole l'idéal classique de la république. </p>
<p>Dans les républiques dynastiques, les présidents concentrent le pouvoir entre leurs mains et établissent des systèmes de gouvernement personnel avant de transmettre le pouvoir de l'État à leur famille et à leurs proches - non seulement fils et filles, mais aussi épouses, frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs, cousins, oncles et tantes, nièces et neveux (le terme népotisme dérive du latin <em>nepos</em> ou “neveu”), gendres et belles-filles, ex-épouses, enfants illégitimes, membres du ménage et ainsi de suite. </p>
<p>L'idéal classique d'un État légal-rationnel, où la position et le rang sont distribués en fonction du mérite, au nom du fonctionnement rationnel (efficient et efficace) des institutions du gouvernement, est ainsi corrompu.</p>
<h2>Une république dynastique</h2>
<p>Toutes les républiques dynastiques du monde (en 2023, Gabon, Guinée équatoriale, Togo, Syrie, Azerbaïdjan, Turkménistan, Corée du Nord et, plus récemment, Cambodge) ont institutionalisé le pouvoir familial traditionnel par le biais d'un outil moderne qu’est le parti. Il est essentiel de comprendre que personne ne règne seul. Ce n'est qu'avec un vaste appareil de parti qu'un homme et sa famille peuvent gouverner une république qui compte des millions de personnes.</p>
<p>Mais pourquoi l’élite (ou le “selectorate”) a-t-il toléré le pouvoir d'un homme et de sa famille ? La réponse est simple : ils ont besoin de lui pour conserver leurs propres positions.</p>
<p>L'économiste <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/107671/1/81962733X.pdf">Gordon Tullock</a> a émis l'hypothèse en 1987 que la succession dynastique attire les élites non familiales qui se méfient d'une lutte pour le leadership. Le professeur d'administration <a href="https://www.researchgate.net/publication/231991883_THE_RESILIENCE_OF_RULING_PARTIES_Jason_Brownlee_Authoritarianism_in_an_Age_of_Democratization_Cambridge_Cambridge_University_Press_2007_Pp_xiii_264_2399">Jason Brownlee</a> a testé cette hypothèse sur un ensemble de données de 258 autocrates non monarchiques (républicains) et a constaté qu’“en l'absence d'expérience préalable dans la sélection d'un dirigeant par le biais d'un parti, les élites du régime acceptaient les héritiers filiaux apparents lorsque le titulaire et son successeur étaient issus de leur parti”. </p>
<p>Les politologues <a href="https://books.google.co.uk/books/about/The_Dictator_s_Handbook.html?id=UBY5DgAAQBAJ&redir_esc=y">Bruno Bueno de Mesquita et Alastair Smith</a> soutiennent : </p>
<blockquote>
<p>les partisans essentiels (“selectorate”) ont bien plus de chances de conserver leur position privilégiée lorsque le pouvoir passe au sein d'une famille de père en fils, de roi en prince, que lorsque le pouvoir passe à un étranger au régime.</p>
</blockquote>
<p>Autrefois annoncé comme le <a href="https://bondsloans.com/news/gabon-a-step-in-the-right-direction">“Koweït de l'Afrique”</a> en raison de sa faible population <a href="https://www.worldbank.org/en/country/gabon/overview">2,3 millions d'habitants</a> et de ses grandes réserves de pétrole, le Gabon, petit pays riche en ressources, a une population qui s’appauvrit. </p>
<p><a href="https://www.worldbank.org/en/news/feature/2022/12/08/gabon-country-economic-memorandum-toward-greener-and-more-inclusive-growt">Le revenu par habitant</a> du Gabon de 12 800 dollars est démenti par une population où un tiers des citoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté, le chômage dépassant 20 à 35 % chez les jeunes. </p>
<p>Une réalité qui doit conduire à remettre en question les positions de ceux qui ne voient rien de mal à la règle dynastique.</p>
<p>Dans le passé, les élections étaient suivies de contestations sévèrement réprimées par les forces de sécurité. Mais la période postélectorale de 2023 peut être différente, car la publication des résultats a été suivie d'un coup d'Etat. </p>
<p><em>Note : Cet article a été actualisé suite à la publication des résultats des élections et d'un coup d'Etat militaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210840/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Douglas Yates does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Parti démocratique gabonais détient le palais présidentiel, la majorité à l'Assemblée nationale et au Sénat). Il contrôle également les tribunaux et les administrations municipales.Douglas Yates, Professor of Political Science , American Graduate School in Paris (AGS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096592023-07-16T15:28:27Z2023-07-16T15:28:27ZLa chute du gouvernement Rutte aux Pays-Bas : illustration des forces et faiblesses du régime parlementaire<p>Le 7 juillet 2023, une annonce officielle secoue l’un des États membres fondateurs de l’Union européenne. Aux Pays-Bas, le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/11/aux-pays-bas-la-demission-surprise-du-premier-ministre-mark-rutte-menace-les-liberaux-europeens_6181454_3210.html">gouvernement de Mark Rutte vient de chuter</a>. Le premier ministre, qui était à la tête de son quatrième gouvernement de coalition, se trouvait au pouvoir depuis douze ans, si bien qu’il avait été surnommé <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/10/mark-rutte-everyman-dutch-pm-whose-teflon-powers-finally-waned-netherlands">« Téflon »</a> par les commentateurs politiques (avec lui, les polémiques glissent sans laisser de taches). Pourtant, le débat de ce début d’été 2023 aura raison de son art du compromis.</p>
<p>Cette fois, Mark Rutte (VVD, parti libéral classé au centre droit) n’est pas parvenu à faire ce qu’il avait jusqu’alors toujours réussi : trouver un arrangement entre sa sensibilité et les autres partis membres de la coalition gouvernementale qu’il dirigeait (le D66, social-libéral, et les conservateurs chrétiens-démocrates du CDA et du CU) sur un sujet politique très clivant : « prendre des mesures pour limiter l’afflux de demandeurs d’asile ».</p>
<p>Les opinions des représentants de sa coalition se confrontaient sur la question – de fond davantage que d’actualité – du regroupement familial des immigrés et, plus spécifiquement, sur la question du quota d’enfants autorisés à rejoindre le pays pour y retrouver un parent (le quota mensuel de 200 enfants venait d’être dépassé). <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/pays-bas/pays-bas-le-gouvernement-de-mark-rutte-chute-apres-des-negociations-houleuses-sur-limmigration-7741a89c-1cf5-11ee-b2e8-5637fbb93cc6">Constatant son incapacité à trouver un terrain d’entente entre ses ministres</a>, Mark Rutte a décidé de présenter au roi Willem-Alexander la démission de son gouvernement.</p>
<h2>Le recours au chef de l’État face à la chute d’un gouvernement</h2>
<p>Le roi des Pays-Bas est en conséquence contraint de mettre fin à ses vacances en Grèce pour recevoir et conseiller son premier ministre. Comme dans presque tous les États européens, il faut en effet garder à l’esprit que le <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2005-1-page-6.htm">véritable chef du pouvoir exécutif est le premier ministre</a> (souvent également appelé « ministre président » en néerlandais) et non le chef de l’État. Ce dernier, en l’occurrence le monarque aux Pays-Bas, ne possède qu’un rôle protocolaire et de représentation.</p>
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<p>Ce système, qui est souvent présenté comme un folklore cantonné au Royaume-Uni et à quelques pays scandinaves, est en réalité le plus commun en Europe. Car, à l’exception notable de la France et de certains États d’Europe centrale, le chef de l’État, qu’il soit président de la République ou monarque, qu’il soit élu directement par les citoyens (Autriche, Finlande, Irlande, etc.) ou non (Allemagne, Italie, Suède, etc.), n’est que très marginalement à la manœuvre politique.</p>
<p>Son rôle principal – important toutefois – consiste à aider le premier ministre à s’entourer des bonnes personnalités au sein des différents ministères, puis à approuver formellement la création du gouvernement. Aux Pays-Bas, cela prend la forme d’une prestation de serment des ministres devant le roi. C’est en somme ce que l’on a coutume d’appeler un régime parlementaire, car si le chef de l’État est ainsi relégué à ce rôle de simple soutien, c’est parce que la légitimité électorale se concentre intégralement sur le Parlement.</p>
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<p>Le premier ministre tire alors sa légitimité et son pouvoir de la confiance que lui accorde son Parlement, au nom duquel il agit et auquel il doit obéir et rendre des comptes. De fait, pour obtenir la confiance du Parlement, la composition du gouvernement doit être un reflet fidèle des couleurs politiques dominantes dans l’hémicycle. La difficulté principale aux Pays-Bas, comme dans de nombreux autres États européens, est que le Parlement est élu selon le mécanisme du scrutin proportionnel, ce qui signifie qu’il n’existe que très rarement une majorité claire, et que les premiers ministres doivent parvenir à établir des coalitions.</p>
<h2>Les coalitions gouvernementales sont le modèle dominant en Europe, mais elles posent de nombreuses difficultés</h2>
<p>Le scrutin proportionnel est à la fois une force et une faiblesse pour la démocratie. Sa force principale est indéniablement le fait qu’il offre à tous les citoyens une chance d’être fidèlement représentés au sein du Parlement, puis plus tard à travers le gouvernement qui en sera le reflet, « à hauteur de ce qu’ils représentent effectivement dans la société ». C’est d’autant plus vrai dans les systèmes qui proposent une proportionnelle intégrale comme aux Pays-Bas.</p>
<p>Ainsi, un microparti comme le « Denk » (« Pense », gauche radicale) ou le « BBB » (<em>Mouvement agriculteur – citoyen</em>, divers centre) envoient des députés et des sénateurs au Parlement néerlandais malgré leur importance <a href="https://www.lepoint.fr/monde/aux-pays-bas-le-pouvoir-a-portee-de-fourche-des-national-farmers-08-07-2023-2527800_24.php">aujourd’hui encore modeste</a> dans l’échiquier politique.</p>
<p>La faiblesse d’un tel système est principalement de deux ordres. D’une part, le scrutin proportionnel peut offrir un poids important à des partis politiques populistes, voire antidémocratiques, ce qui représente un vrai risque aux Pays-Bas où le premier parti d’opposition est le <a href="https://www.lepoint.fr/europe/aux-pays-bas-geert-wilders-veut-desislamiser-la-societe-11-01-2021-2409064_2626.php#11">PVV</a> (<em>Parti pour la liberté</em>, extrême droite) de Geert Wilders.</p>
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<p>D’autre part, on l’a dit, le scrutin proportionnel offre rarement une majorité claire (plus de 50 % des sièges) à un seul parti politique. C’est le cas actuellement, puisque le parti de centre droit dont Mark Rutte était le chef (après sa démission, il a <a href="https://www.letemps.ch/monde/europe/apres-la-chute-de-son-gouvernement-le-premier-ministre-neerlandais-annonce-quitter-la-politique">annoncé la fin de sa carrière politique</a>) n’occupe que 22 % des sièges de l’hémicycle (une proportion comparable au poids politique du président Macron au premier tour de l’élection présidentielle française).</p>
<p>Il dispose du plus grand nombre de sièges, mais il est très éloigné des 50 % de sièges nécessaires pour obtenir une majorité. Il a donc été obligatoire pour Rutte après les élections de mars 2021 de chercher des alliés auprès d’autres formations, en l’occurrence chez les autres partis de droite, et de faire des compromis sur son propre programme. Ce processus peut s’avérer long (271 jours pour former la coalition qui vient tout juste de voler en éclats) et le risque d’une mauvaise entente qui peut mener à la chute plane toujours au-dessus d’un gouvernement de coalition…</p>
<h2>Malgré toutes les difficultés liées aux coalitions, il est possible que la démocratie y trouve son compte</h2>
<p>La question du remplacement du premier ministre démissionnaire est indissociable de l’élection d’un nouveau Parlement. S’il est possible pour un premier ministre de démissionner sans que cela entraîne une dissolution du Parlement, Mark Rutte a ici confirmé qu’il y aurait de nouvelles élections législatives en novembre 2023.</p>
<p>Dans un premier temps, il va donc rester en place et gérer, selon la formule consacrée, « les affaires courantes », sans être capable toutefois de prendre de décisions d’importance telle que la signature d’un traité international. En effet, dans la logique parlementaire, le gouvernement agit au nom du Parlement et risque à tout moment d’être renversé s’il n’agit pas dans le sens souhaité par la majorité des députés ; or il est impossible pour un gouvernement ayant déjà chuté de chuter à nouveau. Ces considérations nous replongent dans l’importance pour le droit constitutionnel de toujours rechercher l’équilibre et l’interdépendance des pouvoirs.</p>
<p>La chute des gouvernements est donc un problème. Elle est d’ailleurs souvent présentée comme une difficulté récurrente et insurmontable des III<sup>e</sup> et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/mai-1958-la-chute-de-la-ive-republique-7325983">IVᵉ</a> Républiques françaises. Pourtant, la situation qui existe aux Pays-Bas et dans de nombreux autres pays d’Europe au XXI<sup>e</sup> siècle peut laisser penser que, malgré l’échec du compromis gouvernemental et les divers coûts liés à de nouvelles élections, les mécanismes des régimes parlementaires peuvent tout de même s’avérer capables de répondre efficacement aux standards les plus élevés de la vie démocratique.</p>
<p>D’une certaine façon, la démission du gouvernement permet de remettre chaque acteur face à ses responsabilités. Les ministres tout comme les parlementaires prennent en effet à tout moment le risque de perdre leur siège s’ils refusent de jouer le jeu du compromis. La démission permet de poser une question au peuple, de lui permettre de trancher le différend politique que les membres du gouvernement n’ont pas su résoudre en interne : en l’occurrence, quelle politique migratoire souhaitez-vous ?</p>
<p>À la différence d’un référendum, la réponse qu’apporte une élection législative proportionnelle sera pleine de nuances. Elle ne sera pas simplement destinée à servir d’approbation ou de réprobation vis-à-vis de l’auteur de la question (comme c’est souvent le cas des référendums), mais obligera chaque citoyen à choisir le parti politique, petit ou grand, historique ou nouvellement créé, qui reflétera ses aspirations démocratiques du moment. Plutôt que de voir la politique en blanc et noir, en oui et non, ce système donne aux citoyens l’occasion d’apporter une réponse qui leur ressemble – subtile, complexe, multicolore.</p>
<p>Dans une période où les institutions de la V<sup>e</sup> République française sont si souvent remises en question, il paraît opportun de mieux comprendre quels sont réellement les points forts et les points faibles à l’œuvre dans les Constitutions de nos plus proches voisins européens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209659/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierrick Bruyas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du fait d’un désaccord sur la politique migratoire, la coalition gouvernementale néerlandaise a implosé. L’occasion de s’interroger sans a priori sur la pertinence des régimes parlementaires.Pierrick Bruyas, PhD in Law, postdoctoral researcher (Univ. of Strasbourg), guest researcher (Univ. of Aarhus, Denmark), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2057352023-05-24T17:31:30Z2023-05-24T17:31:30ZThaïlande : en avant vers la démocratie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526614/original/file-20230516-27-speuu1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C53%2C5991%2C3934&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pita Limjaroenrat lors du dernier grand meeting de campagne de son parti Move Forward à Bangkok, 13&nbsp;mai 2023. Le lendemain, cette formation démocratique d’opposition arrivera en tête des élections législatives.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Brickinfo Media/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://www.thailande-fr.com/politique/124597-resultats-preliminaires-des-elections-en-thailande">élections législatives tenues le 14 mai dernier</a> ont marqué un tournant dans l’histoire moderne de la Thaïlande. La victoire est revenue au parti progressiste de la jeune génération, Phak Kao Klai, souvent désigné sous son nom anglais Move Forward (<em>Aller de l’avant</em>), qui a obtenu 151 sièges sur les 500 que compte l’Assemblée législative, chambre basse du Parlement bicaméral du pays.</p>
<p>Le scrutin aura été une déconvenue pour Pheu Thai (<em>Pour les Thaïlandais</em>), l’autre grand parti d’opposition, fondé par l’ancien premier ministre <a href="https://www.cairn.info/idees-recues-sur-la-thailande--9791031802756-page-63.htm">Thaksin Shinawatra</a>, en exil depuis quinze ans et qui espérait pouvoir revenir au pays suite à ces élections. Pheu Thai, qui annonçait depuis le début de la campagne qu’il remporterait une victoire écrasante, est finalement arrivé en deuxième position, avec 141 sièges. </p>
<p>Les autres grands perdants de ces élections sont les partis conservateurs, monarchistes et militaristes. Associés au pouvoir militaire en place depuis le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-135.htm">coup d’État de 2014</a>, ils n’ont pas su séduire l’électorat. Ils avaient notamment basé leur communication sur un argument qui ne semble plus fonctionner chez les électeurs : il faut protéger la nation, la religion et le roi, plus que la démocratie.</p>
<p>Le peuple s’est exprimé : il souhaite la fin de l’hégémonie des militaires sur la politique thaïlandaise. Mais le régime sortant est-il prêt à l’entendre et à céder les rênes du pays ?</p>
<h2>Hier comme aujourd’hui, une armée omniprésente dans le jeu politique</h2>
<p>Dans les semaines qui ont précédé les élections, de nombreuses informations ont circulé concernant la possible dissolution des partis Move Forward et Pheu Thai, pour divers prétextes – parts dans des sociétés privées détenues par leurs dirigeants, supposés achats de votes, affiches non conformes…</p>
<p>En outre, il est également envisageable, même à ce stade, que les <a href="https://www.thaienquirer.com/49605/more-rumors-that-ec-wants-to-nullify-elections/">élections soient annulées</a> par la Commission électorale, pour de prétendues irrégularités, ce qui permettrait au gouvernement en place, conduit par le général Prayut Chan-ocha, premier ministre depuis le putsch de 2014, de rester en poste. Sans compter que, conformément à la <a href="https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/21500">Constitution de 2017</a>, adoptée sous les auspices de Prayut Chan-ocha, les 250 membres du Sénat votent au même titre que les 500 députés de l’Assemblée législative pour élire le premier ministre. Ces sénateurs, qui ont été désignés par le gouvernement de Prayut, pourraient faire pencher la balance en faveur du régime en place, au détriment des partis pro-démocratie arrivés en tête aux élections.</p>
<p>Enfin, le dernier recours envisageable est le coup d’État, <a href="https://asialyst.com/fr/2017/09/18/memo-coups-etat-thailande-10-points/">dans un pays qui en a connu 13 réussis</a>, ainsi que de nombreuses autres tentatives infructueuses, depuis la fin de la monarchie absolue en 1932.</p>
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<p>En 2001 et en 2005, le parti <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thai_rak_Thai">Thai Rak Thai</a> (le parti <em>Des Thaïlandais qui aiment les Thaïlandais</em>), du magnat milliardaire Thaksin Shinawatra, avait remporté les élections nationales. Cette formation étant considérée comme une menace pour le « double régime » de la monarchie et de l’armée, un coup d’État militaire a renversé le gouvernement en 2006. Thaksin Shinawatra vit depuis en exil, mais est toujours resté très actif en politique.</p>
<p>Après la dissolution de Thai Rak Thai, il a créé un nouveau parti, le Phak Phalang Prachachon (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/People%27s_Power_Party_(Thailand)"><em>Parti du pouvoir du peuple</em></a>). Celui-ci a remporté les élections nationales de 2007… avant d’être interdit par la Cour constitutionnelle. Mais Thaksin n’en est pas resté là et a alors lancé Pheu Thai, lequel a remporté les élections nationales de 2011, puis a été évincé par le coup d’État militaire de 2014. En Thaïlande, il est important d’avoir un « parti de rechange » : une dissolution est vite arrivée.</p>
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<p>Après sa prise de pouvoir en 2014, le général Prayut Chan-ocha a <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2018-2-page-85.htm">régné en tant que dictateur pendant cinq ans</a>. Des élections législatives ont ensuite eu lieu en 2019, remportées par Pheu Thai. Mais le parti Palang Pracharat (<em>Le pouvoir pour le peuple thaï</em>), dont Prayut Chan-ocha était le candidat pour le poste de premier ministre à l’époque, a pu rassembler suffisamment de sièges au Parlement, négociant avec différentes autres formations, pour former un gouvernement. Prayut a donc pu rester au pouvoir.</p>
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<span class="caption">Dernier meeting de campagne du parti Ruam Thai Sang Chart. Prayut Chan-ocha brandit le drapeau du parti.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Duncan McCargo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Ces élections de 2019 ont vu la montée en puissance d’un nouveau parti, Future Forward, représentant la jeune génération, qui a pris la troisième place, avec 81 sièges. Le parti a été dissous un an plus tard par la Cour constitutionnelle pour avoir <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/feb/21/thai-court-dissolves-opposition-party-future-forward">« violé les règles électorales en recevant un prêt d’argent illégal »</a>. Des accusations largement considérées comme politiquement motivées.</p>
<h2>Le peuple dans la rue, le peuple dans les urnes</h2>
<p>L’interdiction de Future Forward avait entraîné d’importantes manifestations, principalement à Bangkok, de 2020 à 2021. <a href="https://theconversation.com/les-etudiants-tha-landais-face-au-triangle-armee-constitution-royaute-145114">Dirigées par des groupes d’étudiants</a>, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour demander la démission du général Prayut, une nouvelle Constitution et une réforme de la monarchie. Pour la première fois depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, le peuple thaïlandais se mobilisait dans les rues.</p>
<p>Les manifestants exigeaient une réforme de la monarchie. Ils protestaient notamment contre <a href="https://freedom.ilaw.or.th/en/freedom-of-expression-101/QA-112">l’article 112</a> du code pénal, qui punit le crime de lèse-majesté et dont le régime soutenu par l’armée abuse pour faire taire les opposants, les dissidents, les médias et la jeunesse thaïlandaise.</p>
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<figcaption><span class="caption">Thaïlande : manifestations pro-démocratie à Bangkok (France 24, 14 octobre 2020).</span></figcaption>
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<p>Face aux gaz lacrymogènes, aux flashballs, aux canons à eau, mais aussi face aux poursuites judiciaires, déclenchées en vertu de l’<a href="https://freedom.ilaw.or.th/en/freedom-of-expression-101/QA-112">article 112</a> et de <a href="https://freedom.ilaw.or.th/en/blog/section-116-when-%E2%80%98sedition%E2%80%99-used-obstruction-freedom-expression">l’article 116</a> du code pénal (qui punit la « sédition »), les manifestations ont fini par se calmer.</p>
<p>L’opposition au gouvernement a néanmoins su se faire entendre, comme en témoigne l’élection du nouveau gouverneur de Bangkok en mai 2022, quand le <a href="https://thediplomat.com/2022/08/bangkoks-new-governor-is-sending-shockwaves-through-thailands-political-landscape/">candidat indépendant Chadchart Sittipun</a> a remporté une victoire écrasante. Les médias thaïlandais libéraux ont qualifié l’élection de Chadchart de <a href="https://www.khaosodenglish.com/opinion/2022/05/29/opinion-chadcharts-victory-gives-hope-to-not-just-bangkok-but-thai-democracy/">victoire pour la démocratie</a>.</p>
<h2>Le vote n’est que la première étape</h2>
<p>Rappelons que la Thaïlande est un régime <a href="https://www.senate.go.th/view/1/About/EN-US">parlementaire multipartite</a> avec 64 partis ayant concouru pour 500 sièges lors des élections de ce 14 mai.</p>
<p>En 2019, 350 des 500 députés de l’Assemblée législative avaient été élus par les circonscriptions, et les 150 autres à la proportionnelle, sur des listes présentées par des partis. Le bon résultat enregistré cette année-là par le très populaire parti Future Forward, notamment grâce au scrutin de liste, avait suscité l’inquiétude des conservateurs au pouvoir, qui ont donc, nous l’avons dit, décidé de l’interdire. Mais les membres de Future Forward avaient un parti de rechange en cas de dissolution de leur parti : Move Forward. </p>
<p>Pour enrayer la montée de Move Forward, le pouvoir a décidé qu’aux élections de 2023, 400 députés seraient désignés via le vote dans les circonscriptions et les 100 autres à travers les liste de partis – un rééquilibrage qui visait à favoriser les puissants barons politiques régionaux, influents dans les circonscriptions, et à contrecarrer la montée en puissance de Move Forward, parti jeune dont l’implantation locale est moins forte. Pourtant, celui-ci est arrivé en tête le 14 mai. Mais gagner les élections ne garantit pas de pouvoir former un gouvernement. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528047/original/file-20230524-21-c7vzau.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pita Limjaroenrat s’adressant à la presse pendant la campagne électorale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Duncan McCargo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Comme en 2019, les 250 sénateurs non élus voteront aux côtés des 500 députés nouvellement élus pour désigner le prochain premier ministre. Lors des élections de 2019, ils ont soutenu à l’unanimité le général Prayut Chan-ocha, et la plupart d’entre eux restent ses fidèles partisans.</p>
<p>Si la Thaïlande s’est dotée d’une Constitution, d’un système électoral et d’un Parlement, les membres de l’establishment ne se sont pas dotés de valeurs démocratiques pour autant. Dans les coulisses, les différents barons de la politique s’affairent à trouver un subterfuge pour contrer la victoire de Move Forward. </p>
<h2>Des surprises à venir</h2>
<p>Fondé par le magnat des affaires Thanathorn Juangroongruangkit (né en 1978), Future Forward représentait un nouvel espoir démocratique pour les Thaïlandais, en particulier les jeunes. Après sa dissolution, Thanathorn et d’autres cadres du parti ayant été interdits de toute activité politique pendant dix ans, c’est un autre jeune magnat des affaires qui a pris la tête du Move Forward Party, <a href="https://www.nationthailand.com/thailand/40026043">Pita Limjaroenrat</a> (né en 1980). </p>
<p>Move Forward a fait campagne sur le thème du « changement », promettant un État-providence, la justice sociale et l’amendement du très controversé article 112. Cette posture de parti anti-régime a séduit le segment progressiste de la société et les jeunes électeurs. Mais elle inquiète l’establishment thaïlandais qui, répétons-le, tente d’empêcher le parti de former un gouvernement.</p>
<p>Actuellement, Move Forward cherche à former un gouvernement avec d’autres partis, y compris d’anciens partis d’opposition et des nouveaux partis. Le parti a besoin de 376 sièges pour pouvoir former un gouvernement et s’assurer que Pita soit premier ministre. Move Forward a donc besoin du vote des sénateurs et d’autres partis. </p>
<p>Certains partis de premier plan ont déclaré ne pas soutenir un gouvernement formé par Move Forward. C’est le cas du parti <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Bhumjaithai_Party">Bhumjaithai</a> (Parti <em>De la fierté thaïe</em>), arrivé en troisième position le 14 mai 2023. Bhumjaithai a déclaré que la position de Move Forward sur la monarchie et le crime de lèse-majesté était contraire à son projet, qui est de <a href="https://www.thaipbsworld.com/bhumjaithai-will-not-vote-for-move-forwards-pm-candidate-rejects-any-change-to-lese-majeste-law/">protéger la monarchie au mieux de ses capacités</a>. </p>
<p>L’histoire thaïlandaise l’a prouvé maintes fois, la démocratie n’est pas une option pour les conservateurs. Comme le parti du général Prayut l’a <a href="https://www.facebook.com/photo/?fbid=639599454879233&set=a.366191288886719">communiqué</a> lors de la campagne électorale : « Vous devez protéger le pays et non la démocratie. Le pays doit passer en premier, car s’il n’y a pas de nation, la démocratie n’est rien. »</p>
<p>Si Move Forward n’arrive pas à former un gouvernement, le choix se portera peut-être sur Pheu Thai. Dans les coulisses de la politique thaïlandaise, l’agitation bat son plein, mais pas forcément dans le sens d’une démocratisation. Mais que les politiques décident d’aller de l’avant ou de retourner en arrière, le peuple a parlé : c’est la démocratie qu’il a choisie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les élections qui viennent de se tenir en Thaïlande se sont soldées par la victoire de deux partis d’opposition. Les militaires au pouvoir risquent toutefois de refuser de s’effacer…Alexandra Colombier, Spécialiste des médias en Thaïlande, Université Le Havre NormandieDuncan McCargo, Directeur de l'Institut nordique d'études asiatiques et professeur de sciences politiques, University of CopenhagenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963252022-12-11T16:56:51Z2022-12-11T16:56:51ZQu’est-ce que le mouvement Reichsbürger, accusé de vouloir renverser le gouvernement allemand ?<p>25 personnes accusées de vouloir renverser le gouvernement allemand ont été arrêtées le 7 décembre lors d’une série de raids effectués par la police dans tout le pays.</p>
<p>Elles sont accusées d’avoir souhaité porter au pouvoir par la force Heinrich XIII, un <a href="https://lesactualites.news/monde/qui-est-le-prince-henri-xiii-de-reuss-explication-du-conspirateur-dextreme-droite-allemand/">descendant d’une famille royale de Thuringe</a>. Parmi les personnes arrêtées figurent des membres des Reichsbürger (un terme qui se traduit par « citoyens du Reich »), un mouvement disparate de groupes et d’individus, dont certains sont d’extrême droite.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que les Reichsbürger sont impliqués dans la <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-61106241">préparation</a> ou la <a href="https://www.dw.com/en/former-mister-germany-facing-life-in-prison-for-attempted-murder-of-policeman/a-40881234">commission</a> d’actions violentes, mais l’ampleur des projets dont ils sont cette fois accusés, et l’identité de certains conjurés présumés, suscitent des inquiétudes plus élevées que par le passé.</p>
<p>Birgit Malsack-Winkemann, ancienne députée au Bundestag en tant que représentante de la formation d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) de 2017 à 2021 – année où, après son échec à se faire réélire, elle a quitté le parti – fait partie des personnes interpellées. Elle était également <a href="https://newsingermany.com/disciplinary-proceedings-against-arrested-judge-malsack-winkemann/">juge jusqu’à peu après son arrestation</a>.</p>
<p>Plusieurs anciens soldats ont également été <a href="https://www.swr.de/swraktuell/baden-wuerttemberg/polizeiaktion-reichsbuerger-razzia-bw-100.html">arrêtés</a> dans le cadre de l’opération de police du 7 décembre. C’est une source de profonde préoccupation pour les forces de l’ordre, car cela révèle que des extrémistes potentiellement dangereux peuvent avoir accès à des armes et compter sur le soutien de personnes entraînées à leur maniement.</p>
<p>Au début de l’année 2022, la presse allemande avait rapporté que Heinrich XIII était proche des Reichsbürger et <a href="https://www.mdr.de/nachrichten/thueringen/ost-thueringen/saale-orla/bad-lobenstein-prinz-heinrich-reuss-xiii-distanziert-100.html">adepte des théories du complot</a>, ce qui a incité sa famille, la Maison de Reuss, à prendre publiquement ses distances avec lui.</p>
<p>L’homme n’était pas très célèbre, s’étant signalé jusqu’ici avant tout par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h3sqBkUM-kU">discours</a> prononcé en 2019 lors de la conférence WorldWebForum en Suisse, à la teneur antisémite et révisionniste. L’implication d’un aristocrate témoigne des motivations monarchistes de certains Reichsbürger, qui souhaitent rétablir un Kaiser à la tête de l’État.</p>
<h2>Que croient les Reichsbürger ?</h2>
<p>Les Reichsbürger n’ont pas de structure centralisée, mais on estime qu’ils comptent <a href="https://www.tagesspiegel.de/politik/reichsburger-szene-wachst-auf-mindestens-21000-menschen-8020021.html">au moins 21 000 partisans</a>. Leur principale conviction est que l’État allemand actuel (la Bundesrepublik ou République fédérale), ses institutions et ses représentants démocratiquement élus ne sont pas légitimes.</p>
<p>Les partisans du mouvement refusent d’adhérer à l’autorité de l’État, par exemple en payant des impôts. Ils ont fait parler d’eux au cours des premières années de la pandémie de Covid-19 pour <a href="https://www.aspeninstitute.de/wp-content/uploads/Covid-19-Pandemic-Conspiracy-Theories-Are-Taking-Over-German-Democracy.pdf">leur refus de se conformer aux restrictions sanitaires</a>.</p>
<p>Certains Reichsbürger considèrent que les passeports et cartes d’identité officiels allemands sont illégitimes. Si une partie d’entre eux <a href="https://www.bmi.bund.de/SharedDocs/topthemen/DE/topthema-reichsbuerger/topthema-reichsbuerger.html">cherchent à se procurer</a> un certificat officiel de citoyenneté (appelé <a href="https://ebrary.net/163408/geography/types_reich_citizens">gelber Schein ou certificat jaune</a>), d’autres fabriquent leurs propres passeports et permis de conduire illégaux. Ces documents indiquent souvent comme lieu de naissance d’anciens États allemands, tels que les royaumes de Bavière ou de Prusse. En 2021, un fonctionnaire allemand a été <a href="https://www.reuters.com/world/europe/germanys-reichsbuerger-searching-an-emperor-fascinated-by-guns-2022-12-07/">démis de ses fonctions</a> pour infraction à son obligation de respecter la Constitution allemande, pour avoir demandé à ce que le pays de naissance figurant sur son passeport soit le royaume de Bavière.</p>
<p>Les membres du groupe estiment en général que la version légitime de l’État allemand est une version antérieure à celle d’aujourd’hui, mais ils ne s’accordent pas toujours sur la définition de cette <a href="https://www.verfassungsschutz.de/SharedDocs/publikationen/EN/reichsbuerger-and-selbstverwalter/2018-12-reichsbuerger-und-selbstverwalter-enemies-of-the-state-profiteers-conspiracytheorists.pdf">« bonne » version de l’État</a>.</p>
<p>Certains pensent que la véritable forme de l’Allemagne est celle qui a existé entre 1871 et 1918, c’est-à-dire la période au cours de laquelle a existé le « Deuxième Reich » allemand, créé après <a href="https://www.britannica.com/place/Germany/Germany-from-1871-to-1918">l’unification de 1871</a> et dissous à l’issue de la Première guerre mondiale. D’autres citent la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/de1919.htm">Constitution de la République de Weimar</a> adoptée en 1919 comme étant celle de la véritable Allemagne. D’autres encore jugent que c’est en 1937 qu’ont été établies les <a href="https://www.ww2online.org/image/map-1937-germany-published-1945">frontières légitimes du territoire allemand</a>, qui comprenaient alors l’ancien royaume de Prusse, mais pas l’Autriche, qui a été annexée en 1938.</p>
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<img alt="Carte du Deuxième Reich, 1871-1918" src="https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/499781/original/file-20221208-7486-krmmcp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’une des visions de ce qu’est la « vraie » Allemagne largement partagées parmi les Reichsbürger remonte à avant la Première Guerre mondiale..</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Unification_of_Germany#/media/File:Deutsches_Reich_(1871-1918)-en.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une conviction que tous les Reichsbürger ont en commun est que l’État allemand actuel n’est pas réellement souverain. Ils considèrent que les alliés occidentaux (France, Royaume-Uni et États-Unis) ont conservé le contrôle du pays après la fin de leur occupation de l’Allemagne de l’Ouest en 1955. Par conséquent, certains <a href="https://www.bige.bayern.de/infos_zu_extremismus/aktuelle_meldungen/deutsches-reich-und-brd-gmbh-verschworungstheorien-in-der-reichsburger-und-selbstverwalter-ideologie/">affirment</a> que l’État allemand actuel est un régime fantoche qui ne défend pas les intérêts du peuple allemand.</p>
<p>Ils l’appellent parfois « Deutschland GmbH (Limited) », ce qui implique que cette entité n’a aucun pouvoir sur elle-même et n’existe que pour enrichir ceux qui la contrôlent. Le nom BRD GmbH est également utilisé, en référence au nom abrégé de l’Allemagne de l’Ouest (BRD, RFA en français) d’après-guerre.</p>
<h2>Révisionnisme historique et antisémitisme</h2>
<p>L’accent mis sur le révisionnisme historique et l’effacement de la souveraineté allemande favorise chez les Reichsburger une vision de l’Allemagne comme d’un pays irréprochable à la fierté intacte. En se concentrant sur les frontières d’avant-guerre et en négligeant l’histoire d’après-guerre, les Reichsbürger peuvent ignorer la défaite de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que son processus d’acceptation de son passé nazi et <a href="https://brill.com/display/book/edcoll/9789047401629/B9789047401629_s014.xml">colonial</a>. La suppression de ces moments sombres de l’histoire allemande permet aux partisans du mouvement de se concentrer sur leur propre victimisation en tant que sujets d’un État allemand qu’ils ne reconnaissent pas.</p>
<p>Un révisionnisme similaire est courant dans l’ensemble de l’extrême droite allemande, notamment chez certains membres du parti populiste <a href="https://rub-europadialog.eu/the-afd-and-the-commemoration-of-the-holocaust-the-power-of-the-past-to-shape-the-present">AfD</a>. La contestation de l’importance de l’Holocauste et l’accent mis sur les moments « positifs » de l’histoire allemande encouragent la relativisation de l’extermination des Juifs et l’antisémitisme.</p>
<p>Contrairement à l’AfD, qui a adapté sa rhétorique pour s’intégrer à la vie politique du pays, certains Reichsbürger ignorent totalement les lois allemandes actuelles interdisant la négation de l’Holocauste et la diffusion de la propagande nazie. Les membres du groupe diffusent souvent des <a href="https://www.verfassungsschutz.de/SharedDocs/publikationen/EN/reichsbuerger-and-selbstverwalter/2018-12-reichsbuerger-und-selbstverwalter-enemies-of-the-state-profiteers-conspiracytheorists.pdf">théories du complot antisémites</a> sur le pouvoir de la « haute finance », et se livrent régulièrement à un déni pur et simple de l’Holocauste. En mars 2020, la police allemande a <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-europe-51961069">saisi</a> de la propagande néonazie lors de descentes au domicile de certains membres du Reichsbürger.</p>
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<figcaption><span class="caption">Allemagne : des policiers membres des extrémistes des « Reichsbürger », 22 octobre 2016.</span></figcaption>
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<p>Ce révisionnisme historique peut toutefois brouiller les pistes. Bien que nombre de ses partisans soient antisémites et glorifient le passé colonial, le mouvement Reichsbürger ne peut pas être spécifiquement défini comme un groupe d’extrémistes de droite. En réalité, seule une <a href="https://www.kas.de/en/web/extremismus/rechtsextremismus/reichsbuerger">petite partie</a> de ses membres peut être désignée comme telle.</p>
<p>En effet, l’un des <a href="https://www.sv.uio.no/c-rex/english/groups/compendium/what-is-right-wing-extremism.html">critères essentiels pour définir l’extrémisme de droite</a> est le rejet de la démocratie. Or, si de nombreux Reichsbürger refusent de reconnaître la légitimité de l’État démocratique allemand actuel, l’absence de vision unifiée au sein du mouvement ne permet pas de déterminer quel système serait préférable à leurs yeux : la monarchie constitutionnelle de l’empereur Guillaume II, l’expérience démocratique de l’Allemagne de Weimar ou la dictature de l’Allemagne nazie ? Toutefois, en ce qui concerne le complot qui vient d’être déjoué, le rôle clé dévolu à Heinrich XIII implique que l’objectif était la remise en place d’une monarchie constitutionnelle comparable à celle du régime de Guillaume II.</p>
<h2>Une menace croissante ?</h2>
<p>Certains partisans des Reichsbürger commencent manifestement à s’engager dans la violence politique. Les dernières arrestations font suite à de multiples autres incidents. En 2016, un policier a été tué lors d’un <a href="https://www.dw.com/en/what-is-germanys-reichsb%25C3%25BCrger-movement/a-36094740">raid</a> visant à confisquer la collection illégale d’armes d’un membre du mouvement. En août 2020, des membres du Reichsbürger ont <a href="https://www.dw.com/en/german-leaders-slam-extremists-who-rushed-reichstag-steps/a-54758246">tenté de pénétrer</a> dans le parlement allemand pour protester contre les restrictions sanitaires visant à contenir l’épidémie de Covid-19.</p>
<p>La présence de militaires et d’une ex-députée parmi les 25 personnes arrêtées ce 7 décembre suggère que les Reichsbürger ne sont pas sans influence. L’AfD a longtemps <a href="https://www.rbb-online.de/kontraste/ueber_den_tag_hinaus/demokratie/Reichsbuerger-Gedankengut_in_der_AfD.html">nié</a> tout lien avec le mouvement, mais s’est déplacée de plus en plus vers la droite ces dernières années. En 2019, le ministère allemand de l’Intérieur a déclaré avoir <a href="https://www.handelsblatt.com/politik/deutschland/rechtsextremismus-bundesinnenministerium-sieht-reichsbuerger-bezuege-zur-afd/24006262.html">identifié</a> quelques connexions isolées entre les Reichsbürger et l’AfD.</p>
<p>Les Reichsbürger pourraient être considérés comme un groupe marginal, mais leurs idées plaisent manifestement suffisamment à certains pour les convaincre qu’un coup d’État est une entreprise valable. Des liens avec des organisations plus influentes les rendraient plus dangereux ; c’est pourquoi cette affaire a été autant prise au sérieux par les autorités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196325/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Burchett a reçu des financements du London Arts & Humanities Partnership.</span></em></p>Ce mouvement hétérogène classé à l’extrême droite, où l’on retrouve des monarchistes, des révisionnistes et divers complotistes, aurait cherché à réaliser un coup d’État en Allemagne.Claire Burchett, PhD candidate in European Politics, King's College LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1903742022-09-09T15:59:35Z2022-09-09T15:59:35ZQuel roi sera Charles III ?<p>Avec le décès de la reine Elizabeth II, l'Angleterre, mais aussi <a href="https://www.cs.mcgill.ca/%7Erwest/wikispeedia/wpcd/wp/e/Elizabeth_II_of_the_United_Kingdom.htm">l'ensemble des pays du Commonwealth</a> ont un nouveau roi. La <a href="https://www.bbc.com/news/uk-59135132">BBC a confirmé</a> que Charles prendra le nom royal de «King Charles III».</p>
<p>Charles a été désigné prince de Galles à l'âge de neuf ans en 1958, son investiture ayant eu lieu dix ans plus tard. Il était l'héritier royal qui a attendu le plus longtemps son accession au trône, alors que le règne de sa mère fut le plus long de tous les monarques britanniques.</p>
<p>Aujourd'hui, la question se pose pour celui que l'on connaissait jusque-là comme le prince Charles : quel roi sera-t-il ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/16-visits-over-57-years-reflecting-on-queen-elizabeth-iis-long-relationship-with-australia-170945">16 visits over 57 years: reflecting on Queen Elizabeth II's long relationship with Australia</a>
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<h2>Qui est Charles ?</h2>
<p>Avec la popularité de la série Netflix <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/the-crown-tous-les-fans-de-la-serie-ont-pense-a-la-meme-chose-apres-la-mort-d-elizabeth-ii_207514.html"><em>The Crown</em></a> et du film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=284654.html"><em>Spencer</em></a> de Pablo Larrain, mettant en scène Kristen Stewart, le monde est submergé par les représentations de Charles à l'écran.</p>
<p>Si l'on s'en tient à la réalité, c'est l'épisode de son mariage avec la princesse Diana qui a été le plus marquant et le plus révélateur de son tempérament. Bien qu'il soit marié à Camilla, duchesse de Cornouailles, depuis près de 16 ans, le faste de son union avec Diana et le divorce qui s'en est suivi sont toujours présents dans l'esprit du public.</p>
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<img alt="Le prince Charles et la princesse Diana à Canberra, en Australie" src="https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461677/original/file-20220506-17-lbek4c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La perception du prince Charles par le public a été considérablement façonnée par son mariage tumultueux, et finalement tragique, avec Diana.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP/AAP</span></span>
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<p>Outre les affaires de cœur, la carrière du prince Charles en qualité de membre de la famille royale a été entachée par d'autres scandales. La presse britannique s'est longtemps attardée sur ses <a href="https://www.theguardian.com/media/2012/oct/29/jimmy-savile-behaviour-prince-charles">relations avec Jimmy Savile, le présentateur de télévision accusé de pédophilie</a>. Plus récemment, des allégations ont été portées à l'encontre de sa fondation concernant de potentiels échanges de titres honorifiques décernés avec contrepartie financière <a href="https://www.abc.net.au/news/2022-02-17/police-probe-prince-charles-charity/100838324">«(cash for honours»</a>.</p>
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<p>Il a également entretenu des relations tumultueuses avec la presse, intentant en 2006 un <a href="https://www.theguardian.com/media/2006/mar/18/mailonsunday.associatednewspapers">procès contre le <em>Mail on Sunday</em></a> qui avait publié des extraits de son journal intime. Charles est aussi l'un des membres de la famille royale visés dans l'affaire du <a href="https://www.theguardian.com/media/2011/jul/11/phone-hacking-charles-camilla">piratage téléphonique</a> de <em>News of the World</em>.</p>
<p>À l'instar d'autres membres de la famille royale, Charles est le parrain de nombreuses associations caritatives.</p>
<p>Toutefois, la question qui lui tient apparemment le plus à cœur est celle de l'environnement. Il milite depuis longtemps pour un environnement durable et possède même sa propre <a href="https://www.princeofwales.gov.uk/what-duchy-originals-it-anything-do-duchy-cornwall">marque de produits biologiques</a> et a développé son projet de <a href="https://poundbury.co.uk/">village durable</a>.</p>
<p>En tant que monarque, Charles a le statut de chef d'État non partisan et impartial. Cependant, par le passé, il a souvent tenté d'influencer les politiques en soutenant différentes actions de <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/ng-interactive/2015/may/13/read-the-prince-charles-black-spider-memos-in-full">lobbying auprès de divers ministres du gouvernement</a>, le rendant plus interventionniste que ses prédécesseurs.</p>
<h2>Charles fera-t-il un «bon roi» ?</h2>
<p>Depuis 2019, le cabinet d'études de marché britannique YouGov tient à jour un suivi des sondages posant <a href="https://yougov.co.uk/topics/politics/trackers/will-prince-charles-make-a-good-king">cette même question</a>.</p>
<p>Les résultats dépeignent l'image même de l'ambivalence, avec 34% des personnes interrogées approuvant Charles en tant que roi, 33% d'avis contraires et 33% autres indécis.</p>
<p>Il est important de noter que, bien qu'il soit le deuxième membre de la famille royale le plus populaire, le prince William n'est pas nécessairement considéré comme un «roi potentiel». En fait, seuls <a href="https://yougov.co.uk/topics/politics/trackers/who-should-succeed-as-king-after-queen-elizabeth-ii">37 % des Britanniques ont exprimé une préférence</a> pour que le prince William dirige la monarchie plutôt que Charles.</p>
<p><a href="https://yougov.co.uk/topics/politics/trackers/has-the-queen-done-a-good-job-during-her-time-on-the-throne">Un sondage similaire</a> réalisé du vivant de la reine quant à l'exercice de son règne, a révélé que 59 % des personnes interrogées pensaient qu'elle faisait «du bon travail», contre seulement 4 % qui pensaient le contraire.</p>
<p>Mais qu'entendons-nous par un «bon roi» ou une «bonne reine» dans une monarchie constitutionnelle où le pouvoir politique appartient en grande partie au Parlement ?</p>
<p>Certes, nous ne devrions pas nier totalement la fonction politique du monarque – après tout, il peut toujours mettre fin aux fonctions du gouvernement. Mais aujourd'hui, l'idée d'un bon roi ou d'une bonne reine est davantage liée à leur pouvoir symbolique – qui vient non seulement de leur rôle cérémoniel, mais aussi de ce qu'ils représentent pour le citoyen ordinaire du Commonwealth.</p>
<p>Le long règne de la reine Élisabeth II a fait d'elle une icône de familiarité et de constance, en particulier dans les contextes tumultueux des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles.</p>
<p>En tant qu'héritier de longue date, Charles est lui parvenu à représenter la stabilité, sans globalement réussir à capter l'amour de ses sujets. Ainsi, même si Charles parvient à remplir certains critères objectifs pour devenir un «bon roi», il pourrait ne pas susciter la même ferveur que sa mère.</p>
<h2>Qu'est-ce que cela signifie pour le Commonwealth ?</h2>
<p>Si on prend l'exemple de l'Australie, cette dernière a sans doute une valeur sentimentale pour Charles. Il a passé un semestre de sa scolarité au <a href="https://www.nfsa.gov.au/collection/curated/prince-charles-school-australia">campus Timbertop du lycée de Geelong, dans l'état de Victoria</a>, et a même souhaité à un moment donné en devenir le directeur général.</p>
<p>Cependant, cette idée s'est avérée impopulaire auprès des Australiens <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2020/jul/14/australian-papers-reveal-queens-thoughts-on-charles-as-director-general">et de la reine</a>, bien que pour des raisons différentes.</p>
<p>Aujourd'hui, les attitudes modernes envers la monarchie et la question d'une république en Australie restent ambivalentes.</p>
<p>Un <a href="https://www.smh.com.au/national/no-sense-of-momentum-poll-finds-drop-in-support-for-australia-becoming-a-republic-20210125-p56wpe.html">sondage en ligne Ipsos</a> de 2021 a révélé que les tendances républicaines en Australie avaient diminué depuis leur pic de 1999, année de l'échec du référendum sur la république.</p>
<p>Seules 34 % des personnes interrogées étaient d'accord pour que l'Australie devienne une république, tandis que 40 % étaient contre cette proposition. Les 26% restants étaient incertains. Cette incertitude était la plus forte parmi les répondants âgés de 18 à 24 ans.</p>
<p>L'avenir de la monarchie est indubitablement une question liée à l'héritage historique et contemporain du colonialisme. Combinée à l'ambivalence personnelle que certains peuvent ressentir à l'égard de Charles, sa succession pourrait relancer les débats républicains.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/long-live-king-charles-an-australian-republic-is-in-turnbulls-hands-for-now-50764">Long live King Charles? An Australian republic is in Turnbull's hands for now</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Jess Carniel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec le décès de la reine Elizabeth II, l'Angleterre, mais aussi l'ensemble des pays du Commonwealth ont un nouveau roi. La BBC a confirmé que Charles prendra le nom royal de «King Charles III». Charles…Jess Carniel, Senior Lecturer in Humanities, University of Southern QueenslandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1903692022-09-09T15:59:30Z2022-09-09T15:59:30ZLa mort d’Elizabeth II ou la fin d’une « nouvelle ère »<p>Lorsque la reine Elizabeth II accède au trône en 1952, l’impact de la Seconde Guerre mondiale, qui s’est achevée seulement sept ans plus tôt, se fait encore fortement sentir au Royaume-Uni. Les travaux de reconstruction sont toujours en cours et le rationnement de produits essentiels tels que le sucre, les œufs, le fromage et la viande se poursuivra pendant encore un an environ.</p>
<p>Mais à l’austérité contrainte des années 1940 succède une décennie 1950 plus prospère. Il n’est donc peut-être pas étonnant que le couronnement de 1952 ait été salué comme l’annonce d’une <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/the-new-elizabethan-age-9781784531799/">nouvelle ère élisabéthaine</a>. La société était en train de changer, et avait désormais à sa tête une jeune et belle reine.</p>
<p>Soixante-dix ans plus tard, le pays n’est plus du tout le même. De tous les règnes de l’histoire britannique, c’est probablement celui d’Elizabeth II qui a vu le Royaume-Uni connaître l’expansion technologique la plus rapide et les changements sociopolitiques les plus spectaculaires. Examiner la vie d’Elizabeth II, c’est s’interroger non seulement sur l’évolution que la monarchie a connue durant cette période, mais aussi sur la profonde transformation du royaume lui-même au cours des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles.</p>
<h2>« Global Britain »</h2>
<p>Si le règne d’Elizabeth Ière (1559-1603) a été une période d’expansion coloniale, de conquête et de domination, le « nouvel âge élisabéthain » a été, au contraire, celui de la décolonisation et de la perte de l’empire.</p>
<p>Lorsque Elizabeth II monte sur le trône en 1952, les derniers vestiges de l’Empire britannique sont encore intacts. L’Inde a obtenu l’indépendance en 1947, et d’autres pays vont rapidement suivi dans les années 1950 et 1960. Bien qu’il existe depuis 1926, le Commonwealth fonctionne selon les principes de la <a href="https://thecommonwealth.org/london-declaration">Déclaration de Londres de 1949</a>, qui rend les États membres « libres et égaux ». Son existence même confère à la royauté un vernis de pouvoir colonial étant donné que tous ses pays membres <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/empires-new-clothes/">partagent une histoire commune liée à l’Empire britannique</a>, et la perpétuation du Commonwealth continue d’investir le monarque britannique d’un pouvoir symbolique.</p>
<p>Le Commonwealth occupe une place importante dans la cérémonie de couronnement de 1953 : de nombreux programmes télévisés montrent les célébrations organisées à cette occasion dans les pays du Commonwealth, et la <a href="https://www.harpersbazaar.com/uk/fashion/a32694961/norman-hartnell-queens-coronation-gown/">robe</a> portée ce jour-là par la reine est décorée des emblèmes floraux des pays membres. Tout au long de son règne, Elizabeth II <a href="https://www.royal.uk/commonwealth-and-overseas">portera toujours une attention particulière</a> au Commonwealth.</p>
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<p>L’histoire coloniale du Commonwealth <a href="https://www.penguin.co.uk/books/316/316672/the-new-age-of-empire/9780241437445.html">n’aura pas été sans influence sur les débats ayant précédé le vote sur le Brexit</a> et a souvent été invoquée dans les projets nationalistes portés par le camp du « Leave » – des projets dont l’historien <a href="http://cup.columbia.edu/book/postcolonial-melancholia/9780231134552">Paul Gilroy</a> estime qu’ils sont marqués par une forme de « mélancolie postcoloniale ». Elizabeth II était l’incarnation vivante du stoïcisme britannique, de « l’esprit du Blitz » et de la puissance impériale du Royaume-Uni – autant de concepts sur lesquels la <a href="https://discoversociety.org/2016/06/01/ukip-brexit-and-postcolonial-melancholy/">rhétorique du Brexit</a> reposait largement. Quel effet sa disparition aura-t-elle sur la nostalgie qui imprègne la politique de la droite britannique contemporaine ?</p>
<h2>Les médias et la monarchie</h2>
<p>Lors du couronnement d’Elizabeth II, Winston Churchill, alors premier ministre, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13619462.2019.1597710">se serait opposé</a> à l’idée de retransmettre la cérémonie en direct à la télévision, estimant que les « dispositions mécaniques modernes » nuiraient à la magie du couronnement et que « les aspects religieux et spirituels ne devraient pas être présentés comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre ».</p>
<p>La télévision était à l’époque une <a href="https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2013/sep/07/history-television-seduced-the-world">nouvelle technologie</a>, et l’on craignait que la télédiffusion de la cérémonie n’entre trop dans l’intimité de la famille royale. Malgré ces craintes, la retransmission du couronnement a été un grand succès. Le projet de recherche <a href="https://www.peoplescollection.wales/users/8777">« Media and Memory in Wales »</a> a révélé que le couronnement a joué un rôle formateur dans les premiers souvenirs que les gens ont de la télévision. Même les Britanniques qui n’étaient pas des monarchistes fervents pouvaient faire un récit détaillé de cette journée.</p>
<p>L’image royale a toujours été médiatisée, du profil du monarque sur les pièces de monnaie aux portraits officiels. Sous Élisabeth II, cette médiatisation a connu un développement radical, de l’émergence de la télévision aux réseaux sociaux et au journalisme citoyen (des processus liés à la démocratisation du pays et à la participation croissante des habitants à la vie publique), en passant par les tabloïds et les paparazzi. Jamais la monarchie n’aura été autant placée sous les projecteurs.</p>
<p>Dans mon <a href="https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526158758/">livre</a> <em>Running The Family Firm : How the monarchy manages its image and our money</em>, je soutiens que la monarchie britannique s’appuie sur un équilibre délicat entre visibilité et invisibilité pour reproduire son pouvoir. La famille royale peut être visible sous des formes spectaculaires (cérémonies d’État) ou familiales (mariages royaux, bébés royaux). Mais les rouages internes de l’institution doivent rester secrets.</p>
<p>Tout au long du règne de la reine, la monarchie a cherché à préserver cet équilibre. Un bon exemple en est donné par le fameux documentaire de 1969 de la BBC-ITV, <a href="https://www.bbc.co.uk/news/entertainment-arts-55853625">Royal Family</a>, qui utilisait les nouvelles techniques du <a href="https://www.britannica.com/art/cinema-verite">« cinéma-vérité »</a> pour suivre la monarchie pendant un an – ce que nous appellerions aujourd’hui de la « télé-réalité ». Ce documentaire de 90 minutes nous donne un aperçu intime de scènes domestiques, telles que des barbecues en famille ou un passage de la reine dans une confiserie avec le jeune prince Edward. « Royal Family » fut un grand succès d’audience, mais pour un certain nombre d’observateurs, le style voyeuriste risquait de nuire à la mystique propre à la monarchie. D’ailleurs, le palais de Buckingham a édité le documentaire, le rendant <a href="https://www.slate.fr/story/226997/royal-family-documentaire-windsor-famille-royale-britannique-royaume-uni-diffusion-interdiction-youtube">inaccessible au grand public pendant des années</a>, et 43 heures de séquences filmées sont restées inutilisées.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/meghan-and-harrys-oprah-interview-why-royal-confessionals-threaten-the-monarchy-156601">« confessions royales »</a>, inspirées de la « celebrity culture » et fondées sur la divulgation de détails intimes, ont hanté la monarchie au cours des dernières décennies. La plus marquante de ces confessions fut sans doute l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=wRH_YJTMHoM">interview de Diana dans le cadre de l’émission Panorama</a> en 1995, au cours de laquelle elle a parlé ouvertement d’adultère au sein de son couple avec Charles, des intrigues de palais dont elle faisait l’objet et de la détérioration de sa santé mentale et physique.</p>
<p>Plus récemment, dans une <a href="https://www.itv.com/hub/oprah-with-meghan-and-harry/10a1332a0001">interview accordée à Oprah Winfrey</a>, le prince Harry et son épouse Meghan Markle ont également tenu des propos très durs à l’égard de la famille royale, qu’ils ont notamment accusée de racisme. Ces interviews ont exposé les rouages de l’institution et rompu l’équilibre visibilité/invisibilité.</p>
<p>Comme le reste du monde, la monarchie a désormais des comptes sur la plupart des grandes plates-formes de réseaux sociaux britanniques. Le compte Instagram du duc et de la duchesse de Cambridge, géré au nom du prince William, de Kate Middleton et de leurs enfants, est peut-être l’exemple le plus évident du « familialisme » royal contemporain. Les photographies semblent naturelles, impromptues et informelles, et sont présentées comme l’« album de photos de famille » des Cambridge, offrant des aperçus « intimes » de leur vie quotidienne. Pourtant, comme pour toute représentation royale, ces photographies sont mises en scène avec précision.</p>
<p>Les réseaux sociaux ont donné à la monarchie accès à une génération plus jeune, plus encline à faire défiler les photos de la famille royale sur les applications téléphoniques qu’à lire les journaux. Comment cette génération va-t-elle réagir à la mort de la monarque ?</p>
<h2>Les royaux, personnalités politiques</h2>
<p>La reine a accédé au trône pendant une période de transformation politique radicale. Le parti travailliste de Clement Atlee avait remporté de façon écrasante les législatives en 1945, ce qui semblait indiquer que les électeurs souhaitaient un changement profond. En 1948, la création du National Health Service (NHS), élément central de l’<a href="https://www.theguardian.com/politics/2001/mar/14/past.education">État-providence d’après-guerre</a>, promettait aux Britanniques un soutien de l’État durant toute leur vie.</p>
<p>Le parti conservateur de Winston Churchill reprend la majorité au Parlement en 1952. Churchill s’adresse à un électorat plus traditionnel, impérialiste et farouchement monarchiste. Le contraste entre ces idéologies se manifeste dans les réactions au couronnement de la reine en juin 1953. Illustration parmi d’autres : une caricature du dessinateur David Low, intitulée <a href="https://www.theguardian.com/uk/2012/jun/01/queen-coronation-cartoon-outrage">« The Morning After »</a>, représentant les restes d’une fête somptueuse (banderoles, bouteilles de champagne…) et accompagnée de l’inscription « £100,000,000 dépensés », a été publiée dans le <em>Manchester Guardian</em> le 3 juin 1953. Le journal a rapidement reçu 600 lettres dénonçant le « mauvais goût » du dessin.</p>
<p>Dans les années 1980, le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher a entamé un démantèlement systématique de l’État-providence d’après-guerre, promouvant le libre-échange néolibéral, les réductions d’impôts et l’individualisme.</p>
<p>À l’époque des années « Cool Britannia » de Tony Blair, au début du nouveau millénaire, la reine était une femme âgée. La princesse Diana était la « princesse du peuple », dont l’« authenticité » mettait en évidence la « déconnexion » de la monarchie d’avec la société.</p>
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<p>En 2000, trois ans après la mort de Diana, le soutien à la monarchie était à son <a href="https://www.theguardian.com/uk/2000/jun/12/monarchy.alantravis">point le plus bas</a>. Le grand public estimait que la reine avait réagi de manière inappropriée, qu’elle n’avait pas trouvé le moyen de répondre à la douleur de ses sujets et qu’elle n’avait pas su « représenter son peuple ». On se souvient de cette <a href="https://www.independent.co.uk/news/the-queen-bows-to-her-subjects-1237450.html">manchette de <em>The Express</em></a> : « Montrez-nous que vous vous souciez de nous : les personnes en deuil demandent à la reine de mener notre deuil ».</p>
<p>Elle a fini par rompre le silence en prononçant un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4Xc8ta-AtEM">discours télévisé</a> dans lequel elle a souligné son rôle de grand-mère, occupée à « aider » William et Harry à faire leur deuil. Ce rôle de grand-mère, elle allait continuer de le jouer par la suite : sur les <a href="https://www.royal.uk/official-photographs-released-queens-90th-birthday">photographies publiées à l’occasion de son 90ᵉ anniversaire</a> en 2016, prises par Annie Leibowitz, elle est assise dans un cadre domestique, entourée de ses plus jeunes petits-enfants et arrière-petits-enfants.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>C’est l’image de la reine dont beaucoup se souviennent : une femme âgée, habillée de façon impeccable, serrant dans ses mains son sac à main emblématique et familier. Bien qu’elle ait été chef d’État au cours de nombreux changements politiques, sociaux et culturels sismiques des XX<sup>e</sup> et XXI<sup>e</sup> siècles, le fait qu’elle ait <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/25/world/europe/queen-elizabeth-brexit-britain.html">rarement</a> exprimé publiquement ses opinions politiques signifie qu’elle a réussi à entretenir toute sa vie durant la neutralité politique constitutionnellement imposée au monarque.</p>
<p>Elle a également veillé à rester une icône. Elle n’a jamais vraiment eu de « personnalité », <a href="https://theconversation.com/prince-charles-the-conventions-that-will-stop-him-from-meddling-as-king-106722">à la différence d’autres membres de la famille royale</a>, qui ont entamé une relation amour-haine avec le public parce que nous en savons de plus en plus sur eux.</p>
<p>La reine est restée une image : elle est en effet la personne la plus représentée de l’histoire britannique. Pendant sept décennies, les Britanniques n’ont pas pu faire un achat en espèces sans rencontrer son visage. Une telle banalité quotidienne démontre l’imbrication de la monarchie – et de la reine – dans le quotidien des habitants du Royaume-Uni.</p>
<p>La mort de la reine ne peut qu’inciter le pays à réfléchir sur son passé, son présent et son avenir. L’avenir nous dira ce que sera le règne de Charles III, mais une chose est sûre : le « nouvel âge élisabéthain » est révolu depuis longtemps. Le royaume se remet actuellement des récentes ruptures du statu quo auquel il était habitué – du Brexit à la pandémie de Covid-19, en passant par les appels continus à l’indépendance de l’Écosse.</p>
<p>Charles III hérite d’un pays qui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il était quand sa mère est montée sur le trône. Quel sera le poids de l’institution royale, avec Charles III comme nouveau souverain, dans le futur du Royaume-Uni ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190369/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Clancy a reçu des financements de l'ESRC et de l'AHRC.</span></em></p>Elizabeth II aura accompagné et, à certains égards, incarné, l’immense transformation sociale, politique et technologique que son pays a connue au cours des 70 dernières années.Laura Clancy, Lecturer in Media, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1902852022-09-08T18:04:56Z2022-09-08T18:04:56ZElizabeth II, une reine modernisatrice qui a fait entrer la monarchie britannique dans le XXIᵉ siècle<p>Lorsque l’historien britannique Sir Ben Pimlott s’est lancé dans sa <a href="https://harpercollins.co.uk/products/the-queen-elizabeth-ii-and-the-monarchy-ben-pimlott?variant=32555868946510">biographie</a> d’Elizabeth II en 1996, certains de ses collègues se sont étonnés qu’il considère la reine comme digne d’un tel travail de recherche. Pourtant, le jugement de Pimlott s’est avéré judicieux tellement la monarque a marqué son époque.</p>
<p>Le rôle politique de la monarchie a notamment fasciné le monde artistique. En 2006, le film <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/the-queen/"><em>The Queen</em></a>, de Stephen Frears, était consacré au dilemme auquel elle a été confrontée après la mort de la princesse Diana ; en 2013, la pièce de théâtre <a href="https://www.faber.co.uk/product/9780571304073-the-audience/"><em>The Audience</em></a> de Peter Morgan montrait ses réunions hebdomadaires avec ses premiers ministres. La pièce <a href="https://www.lapresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/theatre/201404/11/01-4756773-le-regne-imaginaire-du-futur-roi-charles-iii-au-theatre.php"><em>King Charles III</em></a> de Mike Bartlett (2014), qui imagine les difficultés qu’éprouverait son héritier au moment de lui succéder, et la série dramatique <a href="https://www.lemagducine.fr/critiques-series/the-crown-peter-morgan-10048334/"><em>The Crown</em></a>, diffusée à partir de 2016 sur Netflix, ont donné d’elle une image globalement positive et sympathique.</p>
<h2>La reine du peuple</h2>
<p>Le règne d’Elizabeth <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2022-3-page-5.htm">trouve ses origines</a> dans la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2016/12/09/26010-20161209ARTFIG00287-il-y-a-80-ans-le-roi-edouard-viii-abdiquait-par-amour.php">crise de l’abdication de 1936</a>, l’événement déterminant du XX<sup>e</sup> siècle pour la monarchie britannique. L’abdication inattendue d’Édouard VIII a propulsé sur le trône son jeune frère Albert, timide et bègue, sous le nom de George VI. Peu après, il allait devenir la figure de proue de la nation pendant la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>La guerre a été une expérience formatrice fondamentale pour sa fille aînée, la princesse Elizabeth, âgée de 14 ans alors que les bombes allemandes commencèrent à s’abattre sur Londres en août 1940.</p>
<p>Dans les derniers mois du conflit, elle travailla en tant que mécanicienne automobile au sein de l’ATS (<em>Auxiliary Territorial Service</em>, le service militaire féminin), ce qui signifie qu’elle pouvait légitimement prétendre avoir participé à ce que l’on a appelé « la guerre du peuple ». Dès lors, elle apparut naturellement plus proche de ses concitoyens que tous ses prédécesseurs sur le trône.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/483553/original/file-20220908-9399-87er71.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La princesse Elizabeth en uniforme de l’ATS en avril 1945.</span>
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<p>En 1947, quand Elizabeth épouse Philip Mountbatten – qui devient alors Duc d’Édimbourg –, son mariage égaye la vie d’une nation encore en proie à l’austérité et au rationnement de l’après-guerre.</p>
<p>Quelques années plus tard, le 6 février 1952, à la mort de son père, celle qui sera désormais nommée Élizabeth II hérite d’une monarchie dont le pouvoir politique n’a cessé de diminuer depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle, mais dont le rôle dans la vie publique de la nation semble, au contraire, avoir gagné en importance. Au XX<sup>e</sup> siècle, on attend des monarques qu’ils s’acquittent de leurs devoirs cérémoniels avec la gravité qui s’impose tout en sachant partager et apprécier les goûts et les intérêts des gens ordinaires.</p>
<p>La cérémonie du couronnement de la reine, en 1953, permet de concilier ces deux rôles. La tradition cérémoniale est rattachée aux origines saxonnes de la monarchie, tandis que sa retransmission télévisée la fait entrer dans le salon des gens ordinaires grâce à la technologie la plus récente. Ironie de l’histoire : c’est parce qu’il doit désormais être visible de tous que le cérémonial royal devient beaucoup plus chorégraphié et plus formel qu’il ne l’avait jamais été auparavant.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C3%2C2150%2C1510&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La Reine assise sur un trône avec tous ses atours, entourée d’évêques" src="https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C3%2C2150%2C1510&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428757/original/file-20211027-23-1urviap.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couronnement d’Elizabeth II à l’abbaye de Westminster, le 2 juin 1952.</span>
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<p>Plus tard, en 1969, la reine révolutionne la perception de la monarchie par le grand public lorsque, à l’instigation de Lord Mountbatten et de son gendre, le producteur de télévision Lord Brabourne, elle accepte de participer au documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PNgO31HUiFM"><em>Royal Family</em></a> de la BBC. Il s’agit d’un portrait remarquablement intime de sa vie domestique, la montrant au petit-déjeuner, en train de participer à un barbecue à Balmoral et faisant un saut dans les magasins locaux.</p>
<p>La même année, l’investiture de son fils Charles comme prince de Galles, autre événement royal télévisé, est suivie en 1970 de la décision de la reine, lors d’une visite en Australie et en Nouvelle-Zélande, de rompre avec le protocole et de se mêler directement à la foule venue la voir. Ces « bains de foule » deviennent rapidement un passage obligé de tout déplacement royal.</p>
<p>Le point culminant de la popularité d’Elizabeth II survient lors des célébrations du jubilé d’argent de 1977, qui voient le pays se parer de rouge, de blanc et de bleu lors de fêtes de rue semblables à celles du Jour de la Victoire en 1945. En 1981, le mariage à la cathédrale Saint-Paul du prince Charles et de Lady Diana Spencer sera également un événement extrêmement populaire.</p>
<h2>Le temps des troubles</h2>
<p>Les décennies suivantes se révèlent beaucoup plus éprouvantes. Au début des années 1990, la controverse sur <a href="http://news.bbc.co.uk/onthisday/hi/dates/stories/november/26/newsid_2529000/2529209.stm">l’exonération de l’impôt sur le revenu dont bénéficie la reine</a> oblige la Couronne à modifier ses dispositions financières afin que la famille royale s’acquitte de ses obligations fiscales comme tout le monde. À la même époque, des commérages et scandales éclatent autour des jeunes membres de la famille royale. Trois des enfants d’Elizabeth II vont divorcer : la princesse Anne en 1992, le prince Andrew en 1996 et, plus grave encore, le prince héritier Charles, également en 1996. La reine qualifie l’année 1992, celle de l’apogée des scandales, d’<a href="https://www.royal.uk/annus-horribilis-speech">« annus horribilis »</a>.</p>
<p>Les révélations sur les humiliations que la princesse Diana avait endurées dans son mariage avec Charles révèlent au public un aspect beaucoup plus dur et moins sympathique de la famille royale, dont l’image se dégrade encore lorsque la reine, de manière inhabituelle, évalue mal l’humeur de ses sujets après la mort accidentelle de Diana en 1997. Après le décès tragique de sa très populaire ex-belle-fille, elle se contente en effet de suivre le protocole, en restant à Balmoral et en gardant ses petits-enfants auprès d’elle.</p>
<p>Cette attitude semble froide et insensible à un public avide de manifestations d’émotions qui auraient été impensables dans les jeunes années de la Reine. « Où est notre Reine ? », demande le <em>Sun</em>, tandis que le <em>Daily Express</em> lui intime : « Montrez-nous que vous vous souciez de nous ! », insistant pour qu’elle rompe avec le protocole et mette en berne l’Union Jack qui flotte au-dessus de Buckingham Palace. Jamais, depuis l’abdication de 1936, la popularité de la monarchie n’était tombée aussi bas.</p>
<p>Brièvement prise à revers par ce brusque revirement de l’opinion publique britannique, la Reine reprend rapidement l’initiative, <a href="https://www.royal.uk/queens-message-following-death-diana-princess-wales">s’adressant à la nation à la télévision</a> et saluant de la tête le cortège funèbre de Diana au cours d’une cérémonie télévisée intelligemment conçue et chorégraphiée.</p>
<p>Son retour en grâce aux yeux de la majorité de la population se manifeste en 2002 par le succès colossal – et inattendu – de son jubilé d’or, inauguré par le spectacle extraordinaire de Brian May, le guitariste de Queen, exécutant un solo de guitare sur le toit du palais de Buckingham. Dix ans plus tard, quand Londres accueille les Jeux olympiques, la reine est suffisamment sûre d’elle pour accepter d’apparaître dans un mémorable caméo ironique lors de la cérémonie d’ouverture, où elle semble sauter en parachute dans le stade depuis un hélicoptère en compagnie de James Bond.</p>
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<h2>Le domaine politique</h2>
<p>Si la reine Elizabeth a toujours cherché à maintenir la couronne au-dessus des partis politiques, elle n’en a pas moins été pleinement engagée, toute sa vie durant, dans les affaires du monde. Croyant fermement au <a href="https://www.geo.fr/histoire/quest-ce-que-le-commonwealth-et-a-quoi-ca-sert-209498">Commonwealth</a>, en dépit du fait que ses propres premiers ministres avaient depuis longtemps perdu confiance dans cette organisation, elle a joué un rôle de médiatrice dans les conflits entre ses États membres et a apporté son soutien et ses conseils aux dirigeants du Commonwealth – y compris à ceux qui étaient fortement opposés au gouvernement britannique.</p>
<p>Ses premiers ministres ont souvent salué sa sagesse et ses connaissances politiques, résultat de ses années d’expérience et de sa lecture quotidienne assidue des journaux du pays. Harold Wilson <a href="https://www.shropshirestar.com/news/uk-news/2019/08/29/constitutional-problems-faced-by-queen-during-reign/">a confié</a> qu’assister à la traditionnelle audience hebdomadaire avec la reine sans être préparé lui donnait la même impression qu’être interrogé à l’école sans avoir fait ses devoirs. Il est par ailleurs de notoriété publique que la reine, de son côté, trouvait <a href="https://www.historyextra.com/period/20th-century/queen-elizabeth-ii-margaret-thatcher-relationship-prime-minister-disagree-friends-crown-netflix/">difficiles les relations avec Margaret Thatcher</a>.</p>
<p>La reine et le duc d’Édimbourg se sont même parfois opposés à l’utilisation politique dont ils pouvaient être l’objet. Par exemple, en 1978, <a href="https://www.harpersbazaar.com/uk/celebrities/news/a32649192/the-queen-hid-bush-buckingham-palace-avoid-guest/">ils n’ont pas dissimulé leur mécontentement</a> quand le ministre des Affaires étrangères de l’époque, David Owen, les a contraints à recevoir au palais de Buckingham le dictateur roumain Nicolae Ceausescu et son épouse. La reine a également souvent joué un rôle constructif dans la politique étrangère de Londres, donnant un aspect plus cérémonial et public en soutien du travail des ministres.</p>
<p>Par ailleurs, elle a établi de bons rapports avec plusieurs présidents américains, notamment Ronald Reagan et Barack Obama, et sa visite réussie en 2011 en République d’Irlande, au cours de laquelle elle a étonné ses hôtes en <a href="https://www.theguardian.com/uk/2011/may/19/queen-ireland-visit-respect-adams">s’adressant à eux en gaélique</a>, reste un modèle de l’impact positif que peut avoir une visite d’État.</p>
<p>Elle a même été capable de mettre de côté ses sentiments personnels concernant <a href="https://www.herodote.net/27_ao%C3%BBt_1979-evenement-19790827.php">l’assassinat en 1979 de Lord Mountbatten</a> (l’oncle maternel de son époux) et d’accueillir avec cordialité l’ancien commandant de l’IRA Martin McGuinness quand celui-ci a pris ses fonctions de vice-premier ministre d’Irlande du Nord en 2007.</p>
<p>En réalité, elle n’a exprimé ses propres opinions politiques qu’exceptionnellement, et toujours très brièvement. Ainsi, lors d’une visite à la Bourse de Londres après le krach financier de 2008, elle a demandé sèchement pourquoi personne n’avait vu venir la crise.</p>
<p>En 2014, son appel soigneusement formulé aux Écossais pour qu’ils réfléchissent bien à leur vote lors du référendum sur l’indépendance a été largement – et à juste titre – interprété comme une intervention favorable au maintien de l’Union. Et à l’approche de la conférence COP26 en 2021 à Glasgow, <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-59056725">à laquelle elle a dû renoncer de participer pour raisons médicales</a>, elle a exprimé <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-10-15/queen-is-irritated-by-world-leaders-lack-of-climate-action">l’irritation</a> qu’elle ressentait en constatant l’insuffisance des actions politiques face à l’urgence du changement climatique.</p>
<h2>Les dernières années</h2>
<p>Ces dernières années, alors qu’elle avait eu 95 ans le 21 avril 2021, elle avait enfin commencé à ralentir, déléguant davantage à d’autres membres de la famille royale ses fonctions officielles, y compris le <a href="https://lepetitjournal.com/londres/communaute/le-remembrance-sunday-ceremonie-que-reine-manque-cette-annee-324999">dépôt annuel de sa couronne au cénotaphe le dimanche du Souvenir</a>. En mai 2022, elle délègue au prince Charles sa fonction cérémoniale la plus importante, la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=OpNkWxlIAKc">lecture du discours du Trône</a> lors de l’ouverture officielle du Parlement.</p>
<p>Elle aura toutefois conservé jusqu’au bout sa capacité à faire face aux crises. En 2020, alors que la pandémie de Covid fait rage, la reine, contrairement à son premier ministre, a adressé à la nation – depuis Windsor, où elle est confinée – un message calme et fédérateur. Sa brève allocution combine la solidarité avec son peuple avec l’assurance que, selon une formule empruntée à la fameuse chanson de Vera Lynn datant de la Seconde Guerre mondiale, « We will meet again » – nous nous retrouverons.</p>
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<p>Cette dernière décennie lui a également apporté son lot de tristesse. Son petit-fils, le prince Harry, et l’épouse de celui-ci Meghan Markle, ont renoncé à leurs fonctions royales, ce qui a profondément blessé la famille régnante – blessure aggravée lorsque, dans une <a href="https://www.rtl.fr/culture/medias-people/interview-de-meghan-markle-et-harry-ce-que-l-on-sait-des-accusations-de-racisme-7900005986">interview accordée à la journaliste américaine Oprah Winfrey</a> qui fit le tour du monde, les Sussex ont accusé la famille royale de les avoir traités avec cruauté, dédain et même racisme.</p>
<p>Peu après le choc causé par l’interview, Elizabeth perdait son mari depuis 73 ans, le <a href="https://theconversation.com/prince-philip-dies-old-school-european-aristocrat-and-dedicated-royal-consort-84737">prince Philip</a>, mort le 9 avril 2021 à quelques mois de son 100<sup>e</sup> anniversaire. Lors de ses funérailles, organisées en petit comité du fait des exigences imposées par la crise sanitaire, la reine était apparue comme une silhouette inhabituellement solitaire, petite, masquée, assise à l’écart des autres personnes présentes. Dans les mois suivants, l’impact profond de cette perte n’est devenu que trop évident, sa santé déclinant progressivement.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deces-du-prince-philip-aristocrate-europeen-de-la-vieille-ecole-et-epoux-royal-devoue-158738">Décès du prince Philip, aristocrate européen de la vieille école et époux royal dévoué</a>
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<p>La douleur provoquée par l’éloignement des Sussex a été fortement aggravée par la disgrâce, peu après, du prince Andrew, son deuxième fils et, selon certains, son fils préféré, dont le nom est désormais étroitement associé à celui du pédophile américain Jeffrey Epstein. Le monde entier a vu un membre éminent de la famille royale accusé par un tribunal américain de relations sexuelles avec des mineurs ; en outre, Andrew a aggravé son cas en accordant une <a href="https://www.bbc.co.uk/news/uk-59874170">interview désastreuse à la BBC</a>.</p>
<p>La reine a réagi au scandale avec une détermination remarquable : elle a déchu son fils de tous ses titres royaux et militaires, y compris du très prestigieux « HRH » (Son Altesse Royale), le réduisant, de fait, au statut de simple citoyen. À ses yeux, personne, pas même ses plus proches, ne devaient saper par leur comportement tout ce qu’elle avait accompli au cours de son règne pour protéger et préserver la monarchie.</p>
<p>Le succès de son jubilé de platine, en 2022, montre à quel point elle a conservé l’affection de son peuple ; un moment fort, particulièrement bien accueilli, a été un charmant caméo la montrant prenant le thé avec l’ours Paddington, personnage de contes pour enfants.</p>
<p>Une idée très répandue dans le pays affirme que la <a href="https://www.pri.org/stories/2012-06-02/why-so-many-brits-want-have-high-tea-queen-elizabeth">reine apparaissait régulièrement dans les rêves des Britanniques</a> ; mais son contact le plus régulier avec ses sujets était son message annuel de Noël, diffusé à la télévision et à la radio. Cette allocution ne reflétait pas seulement son travail et ses engagements au cours de l’année précédente ; elle réaffirmait aussi, avec plus de franchise et de clarté que chez la plupart de ses ministres, sa foi chrétienne profondément ancrée.</p>
<p>En tant que chef de l’Église d’Angleterre, elle était elle-même un leader spirituel et ne l’a jamais oublié. Au fil des années, le message de Noël s’est adapté aux nouvelles technologies, mais son style et son contenu sont restés inchangés, reflétant la monarchie telle qu’elle l’avait façonnée.</p>
<p>Sous Elizabeth II, la monarchie britannique a survécu en changeant son apparence extérieure sans modifier son rôle public. Les détracteurs républicains de la monarchie avaient depuis longtemps renoncé à exiger son abolition immédiate et accepté que la popularité personnelle de la reine rende leur objectif irréalisable de son vivant.</p>
<p>Elizabeth II, dont le règne de 70 ans aura été le plus long de toute l’histoire de la monarchie britannique, laisse à son successeur une sorte de république monarchique dans laquelle les proportions des ingrédients qui la composent – la mystique, le cérémonial, le populisme et l’ouverture – ont été constamment modifiées afin qu’elle reste essentiellement la même. Les dirigeants politiques et les commentateurs du monde entier reconnaissent depuis longtemps que la reine s’est acquittée de son rôle constitutionnel souvent difficile et délicat avec grâce… et avec une habileté politique remarquable.</p>
<p>Sa sagesse et son sens du devoir jamais pris en défaut lui ont valu d’être considérée avec un mélange de respect, d’estime et d’affection qui transcendait les nations, les classes et les générations. Elle était immensément fière du Royaume-Uni et de son peuple, mais en fin de compte, elle appartenait au monde, et le monde pleurera sa disparition.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190285/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sean Lang ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En plus de soixante-dix ans de règne, Elizabeth II aura toujours placé la préservation de la monarchie au premier rang de ses priorités. Mission accomplie, malgré des périodes plus dures que d'autres.Sean Lang, Senior Lecturer in History, Anglia Ruskin UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1591532021-04-22T18:20:34Z2021-04-22T18:20:34ZBrève histoire d’une longue défiance entre le peuple français et les élites<p>L’histoire de la France contemporaine peut se lire à divers prismes, mais l’un des plus pertinents est celui des relations tumultueuses entre le peuple et les élites. Sur le temps long qui va de la Révolution de 1789 à aujourd’hui les moments de communion entre celles-ci et celui-là sont rares : la <a href="https://www.gouvernement.fr/le-14-juillet-jour-de-fete-nationale-depuis-1880">Fête de la Fédération de 1790</a> (ancêtre du 14 juillet actuel), les <a href="https://histoire-image.org/fr/albums/revolution-1830-trois-glorieuses">Trois Glorieuses de 1830</a>, le <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-politique/1848-le-printemps-des-peuples-europ%C3%A9ens/1848-le-printemps-des-peuples-europ%C3%A9ens">printemps 1848</a>, <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/1914-1918/l-exposition-du-centenaire/le-parlement-s-ajourne-1914/4-aout-1914-la-naissance-de-l-union-sacree">l’Union Sacrée de 1914</a>, le <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Raymond_Poincar%C3%A9/138547">gouvernement Poincaré de 1926 à 1928</a>, le retour au pouvoir du général de Gaulle en <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2018/1er-juin-1958-declaration-d-investiture-du-general-de-gaulle">1958</a>.</p>
<p>Encore faut-il même préciser que dans chacun de ces cas, il y a, au sein du peuple d’une part et des élites de l’autre, des rétifs, des exclus et des boucs émissaires qui empêchent de parler d’une unanimité totale, successivement pour les secondes les émigrés, les légitimistes, les guizotistes (partisans de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guizot">François Guizot</a>, principal ministre de Louis-Philippe), les pacifistes, les hommes du Cartel des gauches (la coalition de gauche qui a gagné les élections législatives de 1924), les dirigeants de la Quatrième République…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur ce tableau de 1844 représentant le Conseil des ministres du 15 août 1842, le peintre Claudius Jacquand représenta Guizot debout, à gauche, derrière le roi auquel Soult présente la loi de Régence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guizot#/media/Fichier:Minist%C3%A8re_Soult.jpg">Claudius Jacquand</a></span>
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<p>En outre, ces rares « moments » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-elites-en-temps-de-crise-34-des-elites-si-peu-populaires-de-lancien-regime-a-nos-jours">suivent de graves crises</a> : celle de la monarchie absolue dans les années 1780, la crispation réactionnaire sous Charles X, la crise économique et sociale et l’aveuglement de Louis-Philippe et de son principal ministre Guizot dans les années 1840, l’entrée incertaine dans la Grande Guerre, la sortie douloureuse de celle-ci, la crise de la IV<sup>e</sup> République et la guerre d’Algérie.</p>
<p>La « parenthèse enchantée » se referme presque toujours rapidement, parce que les nouveaux dirigeants ne parviennent pas à résoudre la crise et/ou parce qu’ils donnent le sentiment au peuple qui leur a souvent permis de prendre le pouvoir de ne pas le comprendre, voire de trahir les espoirs qu’il avait placés en eux. Parfois, une fraction des élites ou une contre-élite contribue à refermer cette parenthèse plus vite. Il est rare qu’elles-mêmes profitent durablement de leur succès.</p>
<h2>Un écart entre le « pays légal » et le « pays réel »</h2>
<p>La séquence qui va de 1815 à 1848 est particulièrement emblématique de ce phénomène, même si elle nous paraît exotique et dépassée. Il s’agit de l’époque des <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=5008">monarchies censitaires</a>, de la Restauration puis de la monarchie de Juillet.</p>
<p>Aux élections nationales d’alors, seuls votent et sont éligibles ceux qui paient une certaine quotité d’impôt et l’écart entre le « pays légal » et le « pays réel » est très important (90 000 électeurs et 16 000 éligibles pour 29 millions de Français en 1816, respectivement encore seulement 248 000 et 56 000 pour 35,5 millions, trente ans plus tard).</p>
<p>Cette période est pourtant riche d’enseignements, car elle marque un changement au sein de l’élite dirigeante des grands notables, c’est-à-dire des plus importants propriétaires qui dirigent alors la France, mais sans satisfaire pour autant les masses.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Casimir Perier par Louis Hersent, Château de Versailles, 1827. Représenté en pair de France, tenant à la main ‘l'Opinion sur le budget’, rapport destiné à contrer la politique financière de Villèle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Casimir_Perier#/media/Fichier:Perier,_Casimir.jpg">Wikimedia/Louis Hersent — chateauversailles.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En effet, la noblesse foncière qui dominait la Restauration est emportée par la révolution des Trois Glorieuses de juillet 1830, réalisée par la bourgeoisie avec l’aide du peuple parisien, mais celui-ci se voit rapidement frustré de son soutien.</p>
<p>La monarchie de Juillet s’appuie principalement sur de hauts fonctionnaires et des bourgeois d’affaires – symboliquement représentés par les deux premiers chefs de gouvernement du régime, deux banquiers même si l’un incarne le Mouvement (Jacques Laffitte) et l’autre la Résistance (Casimir Perier).</p>
<h2>Les grands notables tiennent le pouvoir</h2>
<p>En février 1848, la monarchie bourgeoise et ses grands notables, magistralement étudiés par <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1966_num_13_3_2919">André-Jean Tudesq</a> sont renversés à leur tour par la petite bourgeoisie et par le peuple parisien. Las, ces derniers s’estiment de nouveau frustrés de leur victoire. Le renouvellement élitaire est très partiel comme le montrera bientôt un ouvrage collectif que nous dirigeons, le <em>Dictionnaire des dirigeants de 1848</em> (à paraître à Sorbonne Université Presses).</p>
<p>Dès le milieu de l’année, un tournant conservateur intervient et s’accentue encore après l’élection présidentielle de décembre suivant et les élections législatives du printemps 1849. Les élites dirigeantes d’hier reviennent au pouvoir.</p>
<p>L’histoire se répète à plusieurs reprises par la suite. La France a connu treize changements politiques majeurs depuis 1789 dont près de la moitié depuis 1848, avec cependant, il est vrai, deux régimes très longs (la Troisième République : près de soixante-dix ans et la Cinquième, déjà plus de soixante-deux), et pourtant il y a eu très peu de renouvellements élitaires majeurs, en dépit d’un indéniable mais lent processus de démocratisation.</p>
<p>La défiance à l’égard des élites n’est évidemment pas spécifique à la France, pas plus hier qu’aujourd’hui, ce que montrent, par exemple, les victoires populistes des dix dernières années en Grande-Bretagne, en Italie, dans les pays de l’est européen et aux États-Unis.</p>
<p>Les peuples se défient largement de leurs dirigeants car ils semblent avoir perdu le contrôle de la situation avec la mondialisation, les institutions supranationales, la puissance des GAFAM, la persistance de la crise économique et sociale… Leur mise en spectacle par les médias et par eux-mêmes depuis une quarantaine d’années et le regard hypercritique de réseaux sociaux qui ont pris une importance centrale depuis une décennie ne font rien pour arranger les choses.</p>
<h2>La défiance au cœur de l’État centralisé</h2>
<p>Cependant, si la France a semblé aller à contre-courant du populisme en élisant Emmanuel Macron contre Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017, sur la promesse, il est vrai, de l’avènement d’un « nouveau monde », de nouveaux visages et de nouvelles pratiques, la défiance n’a pas tardé à resurgir à grande échelle, comme en témoignent le mouvement des « gilets jaunes », les grèves massives face à la réforme des retraites ou, plus récemment, les records internationaux de mécontentement atteints par notre pays dans le traitement de la pandémie de Covid-19.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Hommage d’Édouard I à Philippe le Bel, considéré comme le premier monarque « moderne » d’un État puissant et centralisé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hommage_d%27Edouard_I_%C3%A0_Philippe_le_Bel.png">Grandes Chroniques de France (BNF, FR 2606)/Wikimedia</a></span>
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<p>Le mal français vient surtout de beaucoup plus loin : un État centralisé et hypertrophié et qui, de ce fait, endosse tout le poids des responsabilités, une administration puissante depuis les <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1969_num_2_1_1196">légistes de Philippe Le Bel</a> et dont la <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-02304839">technocratie du second XXᵉ siècle</a> est l’héritière, la formation quasi exclusive de cette élite dans un <a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">même moule</a> qui a évolué au cours du temps et qui présente des avantages mais aussi des travers majeurs et récurrents : une certaine déconnexion du terrain et une tendance à intellectualiser des problèmes que, parfois, le simple bon sens permettrait de mieux traiter.</p>
<h2>À chaque crise, une nouvelle formation</h2>
<p>À chaque crise majeure, cette formation est remise en cause et des réformes sont opérées : création des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01366484/document">grandes écoles sous la Révolution</a>, du Conseil d’État avec son auditorat destiné à devenir la pépinière de la haute fonction publique en 1800, de l’École nationale d’administration méritocratique en 1848, bien vite supprimée pour revenir au népotisme et au clientélisme antérieurs, de l’École libre des sciences politiques et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_sup%C3%A9rieure_de_guerre">l’École supérieure de guerre</a> au lendemain de la débâcle de 1870-1871, puis volonté de refonder une ÉNA sous le Front populaire qui aboutit finalement à la Libération avec l’ordonnance du 9 octobre 1945, en même temps que sont créés les Instituts d’études politiques et le corps des administrateurs civils.</p>
<p>Aujourd’hui, Emmanuel Macron décide de supprimer cette même ÉNA qui se serait coupée, au fil du temps des réalités, en particulier <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir-le-debat/c-ce-soir-le-debat-saison-1/2374113-suppression-de-l-ena-la-fin-des-elites.html">ses diplômés sortis dans les tout premiers</a> (« la botte »), mais qui ne constituent pourtant qu’une petite partie des énarques.</p>
<p>Il annonce son remplacement par un Institut du service public plus ouvert socialement et plus adapté aux besoins de la France et des Français. La recherche de boucs émissaires au sein des élites, ou prétendues telles, est aussi un travers très français : aujourd’hui, les énarques, sous la Révolution, les aristocrates et les prêtres, à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les parlementaires et les juifs, en 14-18, les profiteurs de guerre et les « planqués », dans les années 30 puis sous le régime de Vichy, de nouveau les parlementaires, les juifs et les <a href="https://www.challenges.fr/france/les-200-familles-mythe-persistant_718692">« 200 familles »</a>, toujours, les riches.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« La Haute-Banque contre la Nation. Pour l’application intégrale du programme, votez communiste », affiche du PCF stigmatisant les banquiers François de Wendel, Eugène Schneider, Jean de Neuflize et Édouard de Rothschild (élections cantonales de 1937).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Deux_cents_familles#/media/Fichier:La_Haute-Banque_contre_la_Nation._Pour_l'application_int%C3%A9grale_du_programme,_votez_communiste.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Par ailleurs, à l’heure de la médiatisation et de l’immédiateté extrêmes, la <a href="https://passes-composes.com/book/277">« défaite de l’intelligence »</a> est préoccupante. Le véritable débat intellectuel disparaît trop souvent au profit d’ersatz où dominent la « pensée unique » et désormais celle des offensés, aussi excessives l’une que l’autre.</p>
<p>Quel chemin parcouru ici des Lumières où Rousseau disait à d’Alembert : « Que de questions je trouve à discuter dans celles que vous semblez résoudre » et même de grandes disputes entre <a href="https://www.lexpress.fr/culture/livre/sartre-aron-destins-croises_809968.html">Jean‑Paul Sartre et Raymond Aron</a>, au grand confinement actuel des corps et des esprits.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qLVY8ucO8Tg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Eric Anceau, 4 novembre 2020, Sud Radio.</span></figcaption>
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<p>La disparition de l’une de nos plus grandes revues intellectuelles <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/04/avec-la-fin-de-la-revue-le-debat-c-est-l-intellectuel-francais-qui-disparait_6050912_3232.html">comme Le Débat</a> montre l’ampleur de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/04/ROBERT/63008">l’appauvrissement de la pensée</a> : car c’est aussi à cette élite qu’il appartient de montrer le chemin.</p>
<p>Les Français ne doivent pas être totalement dédouanés pour autant : n’ont-ils pas, en particulier depuis l’instauration du suffrage universel, les élites qu’ils méritent ?</p>
<p>C’est le constat de certains observateurs étrangers, à commencer par le politiste américain Ezra Suleiman, excellent connaisseur de notre pays où il a longtemps vécu. Il <a href="https://www.grasset.fr/livres/schizophrenies-francaises-9782246705017">diagnostique ainsi</a> « une tendance schizophrénique » chez les Français à réclamer quelquefois tout et son contraire : une aspiration à la verticalité d’un pouvoir qui se doit d’être exceptionnel, infaillible et vertueux et à la protection de l’État d’un côté, une passion pour l’égalité, une volonté de proximité des élites, une soif de liberté de l’autre.</p>
<hr>
<p><em>Éric Anceau a récemment publié <a href="https://passes-composes.com/book/277">« Les Élites françaises des Lumières au grand confinement »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159153/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Anceau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré treize changements politiques majeurs depuis 1789 la France a connu très peu de renouvellement parmi ses élites, en dépit d’un indéniable mais lent processus de démocratisation.Eric Anceau, Maître de conférences en histoire, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1573342021-03-24T19:31:12Z2021-03-24T19:31:12ZL’instauration des élections au Conseil de la Choura : petite révolution au Qatar<p>Une petite révolution se joue dans la région du Golfe. Elle n’est ni sanglante, ni commanditée par une superpuissance. Bien au contraire, elle s’insère pleinement dans les codes adulés des démocraties occidentales.</p>
<p>Le 3 novembre 2020, le chef de l’État du Qatar, l’émir Tamim Bin Hamad Al-Thani, a prononcé un <a href="https://www.thepeninsulaqatar.com/article/03/11/2020/Amir-announces-Shura-Council-elections-date">discours inattendu</a> devant le Conseil de la Choura, qui n’est autre que l’assemblée consultative nationale (article 76 de la <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/qa2003.htm">Constitution</a>). Il a annoncé qu’en octobre 2021, 30 des 45 membres de cette instance seront élus au suffrage direct, alors qu’ils étaient jusqu’ici tous exclusivement nommés par l’Émir.</p>
<h2>Une réforme fondée sur les promesses institutionnelles de l’émir</h2>
<p>Il était difficile pour les observateurs internationaux de dire si le chef de l’État qatari, en ouvrant solennellement la 49<sup>e</sup> session ordinaire du Conseil de la Choura, s’adonnait à un exercice de type présidentiel ou parlementaire. En effet, la portée de son allocution oscillait entre le discours sur l’état de l’Union de « type Congrès » et la déclaration de politique générale précédant le vote de confiance. </p>
<p>C’est que l’identité constitutionnelle du Qatar est <a href="https://oxfordbusinessgroup.com/overview/open-doors-maintaining-cultural-identity-while-welcoming-businesses-and-workers-around-world">unique</a> : elle vise à correspondre aux traditions de cet État récent – le Qatar est indépendant depuis 1971 et la Constitution actuelle est entrée en vigueur le 8 juin 2004 – où la dimension tribale est de première importance, tout en alignant régulièrement sa législation sur les standards économico-politiques internationaux. Si l’on sait désormais que la 50<sup>e</sup> session ordinaire du Conseil portera vers la lumière trente conseillers nouvellement élus sur un total de quarante-cinq, il reste à mesurer concrètement l’impact d’un tel tournant démocratique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326044427035561985"}"></div></p>
<p>Par le passé, le Conseil de la Choura avait déjà été salué par les plus hautes instances internationales pour sa capacité à se réformer. Ainsi, le 13 novembre 2017, Martin Chungong, secrétaire général de l’<a href="https://www.ipu.org/fr">Union interparlementaire</a> (UIP), qui est l’organisation mondiale des Parlements des États souverains, <a href="https://www.ipu.org/fr/actualites/actualites-en-bref/2017-11/luip-se-felicite-de-la-nomination-de-quatre-femmes-au-parlement-du-qatar">se félicitait</a> de la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/11/09/97001-20171109FILWWW00307-qatar-des-femmes-dans-un-organe-consultatif.php">nomination de quatre femmes</a> au sein du Conseil :</p>
<blockquote>
<p>« L’UIP est fermement convaincue que la participation des femmes à la prise de décision est vitale pour la démocratie et le développement. »</p>
</blockquote>
<p>Mais ce qui se joue aujourd’hui revêt une tout autre dimension, car il ne s’agit de rien d’autre que de l’accession à un point subtil de séparation des pouvoirs.</p>
<p>L’émir du Qatar, <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/07/05/qatar-le-prince-tamim-veut-s-afficher-en-ami-de-la-france_1664423/">francophile</a> et admirateur infaillible du siècle des Lumières dans son expression la plus glorieuse sur le Vieux Continent, privilégie autant que possible dans l’ordonnancement constitutionnel et législatif de l’État qu’il dirige les préceptes de la grande tradition du droit continental, au détriment de la <em>Common Law</em> (sauf en ce qui concerne les procédures judiciaires les plus libérales comme le recours à l’arbitrage). Lecteur des <em>Mémoires</em> du Général de Gaulle, dit-on, aussi bien que de Montesquieu, il ne peut ignorer que ce qu’il faut entendre par l’expression « séparation des pouvoirs » dans <em>L’Esprit des lois</em> s’apparente davantage à un équilibre qu’à un contrôle. Si la Constitution française de 1958 pose par son Parlement bicaméral un dialogue équilibré entre la Nation et les collectivités territoriales, le monocaméralisme qatari permet quant à lui une dialectique politique tout aussi équilibrée entre la représentation populaire et l’identité tribale, véritable <em>ADN</em> historique du pays. Désormais, au Qatar, la majorité absolue au sein de l’organe parlementaire sera l’apanage du peuple, et l’opposition constructive l’œuvre des représentants tribaux nommés par l’Émir.</p>
<p>Ainsi, en connaissant ses toutes premières élections, le Conseil de la Choura doit être en mesure, à l’instar du <a href="https://www.senat.fr/histoire/conseil_anciens.html">Conseil des anciens</a>, ancêtre du Sénat français datant de la Constitution thermidorienne de 1795, de favoriser la double émergence d’une loi mieux faite ainsi que d’une représentativité accrue des intérêts populaires. Par ailleurs, en consacrant publiquement la sensibilité de l’appareil d’État envers les réalités de terrain issues des circonscriptions, et en couplant ce nouveau dispositif avec les prérogatives constitutionnelles existantes du Conseil posées aux articles 105 à 110, il est possible d’imaginer que son nouveau rôle sera de porter à la connaissance du chef de l’État et du gouvernement des analyses parlementaires et d’autres travaux en commission du plus haut niveau. Assistera-t-on d’ici quelques années à l’émergence de missions, auditions et enquêtes parlementaires aussi médiatiques et incontournables qu’en France, vieille démocratie protectrice des droits humains ?</p>
<h2>Quelles implications pour le droit du travail ?</h2>
<p>Les discussions qu’ont générées les récentes <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/qatar-nouveau-salaire-minimum-a-un-euro-de-l-heure-20210320/">évolutions du droit du travail au Qatar</a> (lois n° 17, 18 et 19 de 2020) nous rappellent que, dans un monde de l’instantané où les discours politiques sont amplement commentés dès leur publication par les agences de presse et où les textes de loi sont passés au crible par les juristes dès leur promulgation, les observateurs internationaux cherchent souvent à relier l’introduction de la démocratie directe dans le fonctionnement politique de l’émirat et les dossiers faisant l’actualité du pays. En d’autres termes, que peuvent bien attendre de cette réforme annoncée les scrutateurs étrangers, mais plus encore la population du Qatar, en termes d’impact sur la vie quotidienne ?</p>
<p>À titre d’exemple, le nombre d’accidents parmi les travailleurs sur les chantiers est un phénomène mondial. Il touche même particulièrement la France qui, <a href="https://www.batiactu.com/edito/hausse-importante-nombre-deces-dans-btp-2019-60900.php">selon les rapports les plus récents</a>, fait face à une « forte augmentation » des décès ces dernières années. Mais alors que s’y prépare la Coupe du monde de football, il est tout naturel que <a href="https://apnews.com/article/europe-international-soccer-world-cup-migrant-workers-coronavirus-pandemic-5a3b0c7ccc5cd98535d0fb11224dbf2d">les projecteurs se braquent sur le Qatar</a>. Au-delà des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/mondial-2022-le-qatar-soupconne-de-minimiser-le-nombre-de-morts-sur-ses-chantiers_AN-202102230219.html">batailles de chiffres</a> qui ne résolvent jamais les débats, il faut signaler qu’une dynamique de sécurisation des droits et des contrats de travail <a href="https://oxfordbusinessgroup.com/analysis/qatar-implements-new-measures-improve-working-conditions">est en cours au Qatar</a>.</p>
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<p>Ainsi, le système de la <em>Kafala</em>, qui consiste à remettre temporairement son passeport à son employeur, est en pratique <a href="https://www.lalibre.be/international/asie/le-qatar-devient-le-premier-pays-du-golfe-a-abolir-la-kafala-5f526a719978e2322f6f4834">aboli</a> à compter de ce mois de mars 2021 en vertu de la loi n° 19 de 2020. Par ailleurs, un <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210320-qatar-entr%C3%A9e-en-vigueur-du-salaire-minimum">salaire minimum</a> s’applique désormais à tout travailleur sur le sol de l’État du Qatar, quels que soient sa nationalité, son secteur d’emploi ou son âge. </p>
<p>Ces aboutissements, dont <a href="https://www.ilo.org/beirut/projects/qatar-office/WCMS_754391/lang--en/index.htm">se félicite</a> le Bureau International du Travail (BIT), sont évidemment le fruit d’âpres discussions entre les autorités gouvernementales, le Conseil de la Choura et les autorités de tutelle des travailleurs. La vraie question à ce sujet porte donc à s’interroger sur l’extension des pouvoirs et de l’influence qu’aura sur le droit du travail un Conseil de la Choura désormais composé de manière plus démocratique. Un élément de réponse se situe peut-être dans les <a href="https://thepeninsulaqatar.com/article/22/02/2021/Shura-Council-makes-recommendations-on-change-of-employer-and-expat-worker%E2%80%99s-exit">dernières recommandations de l’organe parlementaire</a>, appelant vivement à la création d’une Commission permanente au sein du ministère du Travail et des Affaires sociales, afin de prendre en compte plus précisément les besoins des travailleurs sur le sol qatari.</p>
<h2>Quid du droit des femmes ?</h2>
<p>Par ailleurs, alors que l’objectif de développement durable numéro 5 édicté par l’Organisation des Nations unies à l’occasion du <em>United Nations Sustainable Development Summit</em> qui s’est tenu du 25 au 27 septembre 2015 à New York invite à améliorer dans toutes les régions du globe l’égalité homme/femme, des réponses sont attendues au Qatar comme ailleurs. Rappelons que l’article 34 de la Constitution qatarie pose le principe d’« égalité des citoyens en droits et en devoirs publics ». Le texte fondateur des institutions politiques nationales n’effectue aucune distinction de genre.</p>
<p>C’est donc dans la stricte application de la lettre constitutionnelle que s’inscrit le constat selon lequel la proportion de femmes effectuant des études supérieures au Qatar est l’une des plus hautes au monde <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.ENR.TERT.FM.ZS?locations=QA&most_recent_value_desc=true">selon les chiffres de la Banque mondiale</a>. Les autorités qataries estiment cependant que des efforts doivent encore être faits sur le thème du <em>Women Empowerment</em>. Les initiatives <a href="https://www.qf.org.qa/events/deans-lecture-series-empowering-women-in-business-and-entrepreneurship">se multiplient</a> donc pour que la féminisation des populations universitaires se traduise dans les faits par l’accession des femmes aux plus hautes fonctions dans les secteurs privés et publics. Toujours à titre d’exemple, l’une des personnalités de l’émirat les plus en vue actuellement n’est autre que la ministre de la Santé, Hanan Mohamed Al-Kuwari, dont l’action a été très remarquée dans la gestion nationale de la pandémie de Covid-19.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1258717439061344257"}"></div></p>
<p>Ainsi, ce n’est pas un mouvement nouveau en faveur des femmes qu’il faut attendre des prochaines élections directes au Conseil de la Choura, mais l’affirmation d’une tendance de long terme initiée depuis les années 2000. Rappelons que c’est en 2003 qu’une femme a accédé pour la première fois au rang de ministre au Qatar : <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/05/06/premiere-femme-ministre-au-qatar_319110_1819218.html">Sheikha Ahmed Al-Mahmoud</a>, alors ministre de l’Éducation. L’un des objectifs évoqués par le gouvernement du Qatar est justement de <a href="https://m.gulf-times.com/story/677938/Shura-Council-polls-to-enhance-role-of-women-in-Qatari-society">renforcer la représentation des femmes</a> dans les discussions sur les affaires publiques.</p>
<p>En définitive, quelles que soient les infirmations ou confirmations qui seront apportées dans les prochains mois aux analyses du moment par les péripéties constitutionnelles du Qatar, la voie privilégiée par l’émirat semble bien être celle d’un écho formel à la République française. Depuis 1789, la France a connu deux cycles successifs Monarchie-République-Empire ; le Qatar se dirige quant à lui vers la déclinaison du triptyque suivant : Émirat fonctionnel (1972), Émirat rationnel (2004), Émirat contrôlé (2021).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157334/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdulmehsen Fetais ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En octobre les Qataris éliront pour la première fois une partie de leurs représentants à l’assemblée consultative. Une évolution qui s’inscrit dans un contexte de réformes plus général.Abdulmehsen Fetais, Professeur de droit privé à la Qatar University, chercheur associé à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1567162021-03-08T19:37:40Z2021-03-08T19:37:40ZMeghan et Harry : ces « confessions royales » qui menacent la monarchie britannique<p>L’<a href="https://www.rtl.fr/culture/medias-people/meghan-markle-harry-et-oprah-les-coulisses-d-une-interview-a-7-millions-de-dollars-7900005867">interview que le duc et la duchesse de Sussex ont accordée à Oprah Winfrey</a> a fait l’effet d’une déflagration pour la monarchie britannique et n’a pas fini de faire couler de l’encre. </p>
<p>Meghan y révèle notamment les sentiments suicidaires qui l’ont habitée alors qu’elle était enceinte et affirme qu’une personne appartenant à la famille royale s’est inquiétée de savoir à quel point la peau d’Archie, le fils qu’elle a eu avec le prince Harry, serait sombre. </p>
<p>Dans de nombreux <a href="https://twitter.com/GMB/status/1368835040445104130">commentaires</a>, l’interview a été présentée comme une attaque contre la famille royale. Les royalistes exigent que Meghan et Harry « fassent profil bas ». Cette exigence renvoie à la longue histoire des « confessions royales » : les Sussex sont loin d’être les premiers à subir diverses intimidations au nom de la protection de l’institution monarchique.</p>
<p>L’interview de la princesse Diana à BBC One <a href="http://www.bbc.co.uk/news/special/politics97/diana/panorama.html"><em>Panorama</em></a> en 1995 est probablement la confession royale la plus emblématique. Diana a parlé à l’intervieweur Martin Bashir d’adultère au sein de son couple, des complots du palais contre elle et de la détérioration de sa santé mentale et physique. </p>
<p>Sa citation tristement célèbre, « Eh bien, nous étions trois dans ce mariage, donc c’était un peu encombré », en référence à la liaison du prince Charles avec Camilla Parker Bowles, est encore dans les mémoires près de 26 ans plus tard. Sir Richard Eyre, un ancien directeur du Théâtre national, <a href="https://www.independent.co.uk/life-style/royal-family/princess-diana-panorama-interview-martin-bashir-prince-charles-b1207193.html">a affirmé</a> que la Reine avait qualifié d’« effroyable » la décision de Diana de faire toutes ces révélations.</p>
<h2>Des confessions mal accueillies</h2>
<p>Le point commun à ces deux exemples est que ce sont des femmes qui ont eu recours à la pratique de la « confession royale » pour révéler leurs expériences.</p>
<p>La « confession » est un moyen souvent employé par les célébrités pour instaurer une forme d’intimité avec le public. En dévoilant quelque chose de profondément personnel, les célébrités révèlent leur « authenticité ». Cependant, comme le <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/sad-affect-judgement-emotional-labour-reality-television-viewing-helen-wood-beverley-skeggs-nancy-thumim/e/10.4324/9780203889633-16">soulignent</a> les chercheuses Helen Wood, Beverley Skeggs et Nancy Thumin, les confessions des célébrités masculines, blanches et appartenant à l’élite ont tendance à être traitées avec une gravité particulière. En revanche, les <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9783030446208">confessions des femmes</a> – en particulier des femmes de couleur ou celles associées à des « professions de basse culture » (ce qui est le cas d’une bonne partie des célébrités d’aujourd’hui) – sont trop souvent considérées comme étant inappropriées, excessives et narcissiques.</p>
<p>La confession de Meghan Markle, comme celle de Diana avant elle, sont largement présentées, dans les médias et sur les réseaux sociaux, comme des attaques contre la famille royale exposant de manière erronée et immorale les rouages de la monarchie. Des commentateurs tels que <a href="https://www.vanityfair.fr/pouvoir/medias/story/piers-morgan-l-homme-qui-voulait-faire-tomber-meghan-markle/13532">Piers Morgan</a> ont jugé l’interview des Sussex <a href="https://www.dailyrecord.co.uk/entertainment/celebrity/piers-morgan-slams-meghan-harrys-23610237">honteuse</a>, se demandant comment ils ont pu manquer de cœur au point de traiter la Reine et le Prince Philip de menteurs alors que Philip est actuellement hospitalisé.</p>
<h2>Protéger les puissants</h2>
<p>Les réactions qui s’insurgent de l’« immoralité » des confessions royales visent à protéger la monarchie et refusent de reconnaître qu’il est important de demander des comptes à une institution puissante. Dans mon <a href="https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526158758/">livre à paraître</a>, je soutiens que la monarchie britannique s’appuie sur un équilibre prudent entre visibilité et invisibilité pour reproduire son pouvoir. Il s’agit d’une institution ancienne qui fonctionne au cœur d’un système supposément démocratique ; dès lors, ne pas attirer l’attention sur ses contradictions est essentiel à sa survie. La famille royale peut être visible sous des formes spectaculaires (cérémonies d’État, par exemple) ou familiales (mariages royaux, bébés royaux). Mais le fonctionnement interne de l’institution doit rester secret.</p>
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<p>Comme Meghan, j’utilise l’expression « the Firm », mais je l’emploie pour décrire la monarchie comme une entreprise investie dans la reproduction de sa richesse et de son pouvoir, et dont les opérations doivent rester top secrètes. Toute exposition de ce qui se passe en coulisses – comme les récentes révélations parues dans <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2021/feb/08/royals-vetted-more-than-1000-laws-via-queens-consent"><em>The Guardian</em></a> sur les utilisations abusives de la procédure dite du « consentement de la Reine » pour influencer les lois affectant ses intérêts personnels – risque de déstabiliser la monarchie.</p>
<p>La monarchie s’est montrée trop visible en acceptant le tournage du documentaire intimiste de 1969 intitulé <a href="https://www.bbc.co.uk/news/entertainment-arts-55853625"><em>Royal Family</em></a> : les membres de la famille royale avaient alors été suivis pendant un an. Ce documentaire a été lourdement édité par le palais de Buckingham. Très probablement parce qu’il contenait trop de révélations sur les coulisses de la monarchie et menaçait de rompre le précieux équilibre entre visibilité et invisibilité. Comme l’a écrit le constitutionnaliste <a href="https://www.google.co.uk/books/edition/Bagehot_The_English_Constitution/A0-zcw0XYbYC?hl=en&gbpv=1&printsec=frontcover">Walter Bagehot</a> dans les années 1800 : « Nous ne devons pas exposer la magie à la lumière du jour. »</p>
<p>De même que les confessions similaires précédentes, les déclarations de Meghan et Harry concernant leur vie au sein de « the Firm » continuent d’être vues comme des attaques irrespectueuses, blasphématoires et immorales contre la Reine et sa famille. Mais peut-être devrions-nous plutôt nous poser cette simple question : pourquoi tant de gens, y compris la majeure partie des médias britanniques, semblent-ils avoir du mal à demander des comptes à l’une de nos plus puissantes institutions ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156716/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laura Clancy a reçu un financement de l'ESRC et de l'AHRC.</span></em></p>Les confessions royales perturbent l’équilibre prudent entre transparence et secret sur lequel s’appuie la monarchie.Laura Clancy, Lecturer in Media, Lancaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1451142020-08-27T18:51:12Z2020-08-27T18:51:12ZLes étudiants thaïlandais face au triangle Armée-Constitution-Royauté<p>Depuis mi-juillet, des <a href="https://www.thailande-fr.com/politique/106270-en-thailande-les-etudiants-defient-le-gouvernement#axzz6WDEfNXzl">manifestations étudiantes</a> secouent le royaume thaïlandais, allant jusqu’à rassembler plus de 10 000 personnes le 16 août.</p>
<p>Reste à comprendre de quoi il retourne. Ces manifestations font suite à la dissolution par la Cour constitutionnelle, le 23 février 2020, du parti « Nouvel Avenir » (Anakhot Mai, fondé en mars 2018), pour avoir enfreint la loi sur le financement des partis politiques, la Cour considérant le prêt de 5,5 millions € effectué par Thanathorn Juangroongruangkit, son chef de file milliardaire de 39 ans et ancien dirigeant du Thai Summit Group, comme une donation déguisée.</p>
<p>Disposant d’une large audience auprès des jeunes urbains instruits, Anakhot Mai avait obtenu <a href="https://www.constituteproject.org/constitution/Thailand_2017.pdf">31 des 350 sièges pourvus au suffrage universel direct aux législatives de mars 2019, plus 50 des 150 sièges de liste</a>.</p>
<p>Le lendemain, les étudiants investissent les campus : ceux de la prestigieuse université de Thammasat – où le secrétaire général d’Anakhot Mai, Piyabutr Saengkanokkul, enseignait le droit constitutionnel jusqu’en mars 2018 – comme ceux d’autres universités de Bangkok. D’autres leur emboîtent le pas sans pour autant que les manifestations, qui gagnent la province, dépassent le millier de participants. La fermeture des écoles et universités fin février, l’instauration de l’état d’urgence le 24 mars et le confinement partiel arrêtent ensuite le mouvement.</p>
<p>Le 4 juin, Wanchalearm Satsaksit, réfugié depuis 2014 à Phnom Penh, au Cambodge, était <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/10/nouvelle-disparition-d-un-critique-du-pouvoir-thailandais-en-exil_6042383_3210.html">enlevé</a> devant son domicile. Cet ancien chargé de communication de l’un des vice-premiers ministres du gouvernement (2011-2014) de Yingluck Shinawatra – <a href="https://www.forbes.com/profile/yingluck-shinawatra/">sœur cadette de Thaksin Shinawatra</a> et chef d’entreprises, dont la <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/06/03/le-coup-d-etat-une-specialite-thailandaise_4430619_3216.html">destitution par la Cour constitutionnelle en mai 2014</a> avait ouvert la voie au coup d’État –, avait été inculpé au titre de l’article 112 (lèse-majesté) du code pénal en 2015. C’est le neuvième cas de disparition d’un opposant thaïlandais en Asie du Sud-Est depuis 2016, sans que l’implication du gouvernement ait pu être établie d’une quelconque manière.</p>
<p>Le 24 juin, quelques centaines de jeunes se rassemblent à Bangkok pour l’anniversaire de la promulgation de la Constitution de 1932, qui avait constitué le premier apprentissage de la démocratie dans le royaume.</p>
<p>Il faut attendre la réouverture des commerces et des établissements d’enseignement, puis l’apparition de cas de Covid-19 dans le sillage de diplomates exemptés des restrictions imposées au commun des mortels, pour relancer le mouvement, le 18 juillet : un millier de contestataires illuminent l’emblématique Monument de la Démocratie (qui commémore la « révolution » de 1932) avec leurs téléphones portables et dénoncent le gouvernement. Le lendemain, l’agitation gagne les universités de province.</p>
<p>Si les revendications sont multiples (suppression des uniformes et autres codes vestimentaires à l’université, droits des LGBT, etc.), trois exigences-clés apparaissent : la démission du gouvernement ; la modification de la Constitution ; la fin du harcèlement des opposants.</p>
<h2>Que veulent les contestataires ?</h2>
<p>Le 3 août, l’avocat Arnon Nampa (36 ans et militant du Thai Lawyers for Human Rights, fondé en 2014) amorce une critique de la monarchie lors d’une manifestation de 200 personnes à proximité du Monument de la Démocratie.</p>
<p>Le 10 août, l’United Front of Thammasat and Demonstration (inconnu jusqu’alors) formule une <a href="https://prachatai.com/english/node/8709">proposition en dix points de réforme de l’institution royale</a>.</p>
<ol>
<li><p>la révocation de l’article 6 de la Constitution de 2017, qui rappelle la position de vénération dans laquelle doit être tenu le souverain ;</p></li>
<li><p>la révocation de l’article 112 du code pénal relatif au crime de lèse-majesté ;</p></li>
<li><p>la révocation du Crown Property Act de 2018, libérant le Crown Property Bureau (CPB) de la tutelle du ministère des Finances et faisant de ses actifs la propriété du Roi (et non plus de la Couronne), au titre de sa fonction ;</p></li>
<li><p>l’établissement de l’allocation budgétaire du souverain en fonction du contexte économique ;</p></li>
<li><p>la suppression des agences sous commandement du Roi ;</p></li>
<li><p>la suppression des dons des et aux fondations royales ;</p></li>
<li><p>l’abolition de l’inviolabilité du souverain (article 6) ;</p></li>
<li><p>l’arrêt de la célébration de la monarchie dans les administrations publiques et l’éducation ;</p></li>
<li><p>l’ouverture d’une enquête sur les morts de personnes ayant critiqué ou ayant eu des relations avec la Couronne ;</p></li>
<li><p>le non-entérinement des coups d’État par le Roi.</p></li>
</ol>
<p>L’atteinte à la monarchie entraîne la multiplication de contre-manifestations royalistes, de bien moindre ampleur et avec un public en moyenne plus âgé, essentiellement à Bangkok, autour de groupes d’étudiants suivant des formations techniques ou du People’s Democratic Reform Committee (PDRC, mouvance « jaune »), lequel organisa les manifestations contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra en 2013-2014.</p>
<p>Le 12 août, une centaine d’universitaires thaïlandais apporte son soutien aux dix propositions. À l’inverse, l’un des ex-leaders rouges du National United Front of Democracy Against Dictatorship (UDD), regroupant les partisans de l’ex-premier ministre Thaksin et opposé au coup d’État de 2006, Jatuporn Prompan, supplie les étudiants de s’en tenir aux trois demandes de juillet et de ne pas aborder la question de la monarchie.</p>
<p>Le 16 août, 10 à 20 000 étudiants réunis autour du Monument de la Démocratie réclament la dissolution du Parlement, la réécriture de la Constitution et l’arrêt du harcèlement des opposants.</p>
<p>Le 18, l’<a href="https://www.nationthailand.com/news/30393269">Assemblée des pauvres</a> (ONG rurale proche de Thanathorn, l’ancien président d’Anakhot Mai) annonce son soutien au mouvement des « Jeunesses libres ».</p>
<h2>Une agitation différente de celle des années 2006-2014</h2>
<p>L’agitation qui prévaut actuellement en Thaïlande relève d’un autre phénomène que les mouvements de masse des années 2006-2014, donc les participants étaient majoritairement d’âge moyen et qui opposaient les « royalistes » jaunes aux partisans « rouges » du premier ministre Thaksin. Cette bipolarité semble avoir aujourd’hui disparu de l’avant-scène.</p>
<p>Lancées à la dernière minute sur les réseaux sociaux, les actions restent pacifiques, ne sont pas coordonnées, mais sont devenues quasi quotidiennes et gagnent en audience. Leur symbolique relève d’une pop-culture mondialisée, que ce soit le salut à trois doigts des gladiateurs de Hunger Games, le détournement de la mélodie de la série japonaise Hamtaro (dessin animé) pour demander la dissolution de l’Assemblée ou les références à Harry Potter.</p>
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<p>On pourrait donc croire qu’il s’agit d’un banal conflit générationnel illustré par des panneaux comme « le premier lieu de la dictature est l’école », qu’alimenterait l’inquiétude face à une probable augmentation de 20 % du chômage des jeunes en 2020 (le taux de chômage des jeunes était en 2019 de 5,4 %) due à une contraction du PIB d’au moins 8 %, induite par la pandémie.</p>
<p>Toutefois, un sondage auprès des plus de 18 ans effectué dans les règles de l’art par le NIDA (National Institute of Development Administration, sur un échantillon de 1250 personnes) le 2 août <a href="https://www.bangkokpost.com/thailand/general/1961375/majority-agree-with-youth-demonstrations-poll">montre</a> que 34 % des personnes interrogées approuvent les manifestants ; 19 % sont en partie d’accord avec eux et 24 % les condamnent fortement.</p>
<p>Un <a href="https://www.bangkokpost.com/thailand/politics/1973067/majority-agree-with-free-people-groups-demands">questionnaire</a> mis en ligne du 16 au 21 août par l’université Suan Dusit Rajabhat, ayant obtenu 197 029 réponses, donne une lecture quelque peu différente : 59 % estiment que les demandes de réforme sont normales en démocratie et 41,7 % qu’il ne faut pas marcher sur les plates-bandes de la monarchie, deux réponses étant possibles par personne.</p>
<h2>Un gouvernement fragilisé</h2>
<p>Or suite à l’attribution de 21 sièges de liste à trois formations ayant obtenu entre 1 et 2,5 % des suffrages aux législatives de mars 2019, et de 17 sièges à 14 nano-partis (entre 0,1 et 0,6 % des suffrages), le gouvernement repose sur la coalition potentiellement précaire d’une vingtaine de partis. Fin 2019, les difficultés du vote du budget 2020 montraient déjà l’usure d’une équipe pour une large part aux commandes depuis le coup d’État de 2014.</p>
<p>La réponse du gouvernement, qui accepte le 20 août le principe d’une révision constitutionnelle et la fait en toute hâte inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée pour le 28 août, tout en précisant que le chapitre 2 traitant de la fonction royale ne sera pas modifié, confirme la gravité de la situation. Le 24 août, il ajoute que 10 représentants étudiants participeront au comité de 200 membres chargé de rédiger la nouvelle Constitution.</p>
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<p>Le point commun de la plupart des revendications de 2020 est en effet la refonte de la Constitution de 2017. Ses dispositions transitoires (§ 262-271) posent deux limites à l’exercice démocratique :</p>
<p>1°) les 250 membres du Sénat ont été choisis fin 2018 par le NCPO (National Council for Peace and Order, autrement dit la junte militaire), le ministre de la Défense, les commandants en chef des armées, des trois armes et de la police étant sénateurs de droit ;</p>
<p>2°) l’actuel premier ministre (le général Prayuth Chan-ocha, ancien président du NCPO et tête de proue du coup d’État de mai 2014) a été désigné à la majorité absolue des deux chambres (Assemblée législative et Sénat) réunies lors d’un vote à main levée.</p>
<p>S’y ajoute le flou des mécanismes d’attribution des sièges de liste (§ 91), notamment le seuil au-delà desquels les nano-partis ne pourraient obtenir de sièges.</p>
<h2>L’évolution de la monarchie depuis 2017</h2>
<p>Un autre paramètre est la monarchie. Comme en témoigne le nombre de portraits du roi Bhumibol (décédé en 2016) par rapport à ceux de l’actuel souverain brandis lors des manifestations royalistes de 2020, ce dernier ne bénéficie pas de la même aura que son père.</p>
<p>Faute d’un réel charisme personnel, Rama X a donc unifié la chaîne de commandement sous ses ordres. En 2017, il s’est fait remettre la supervision de quatre agences d’État (dont deux gérant la sécurité royale) et a fusionné deux d’entre elles (Secrétariat Privé du Roi et Bureau de la Maison royale). En 2018, la structure gérant les actifs personnels du roi a été regroupée avec le CPB (pour l’évaluation des actifs du CPB voir <a href="http://case.ehess.fr/index.php?2090">M-S de Vienne, Thaïlande, une royauté bouddhique aux XXᵉ et XXIe siècles</a>, pp. 106-114), lequel paie désormais l’impôt sur les sociétés. L’objectif de la manœuvre est de gérer ces fonds conformément aux souhaits du roi et en toute discrétion, en échappant au contrôle du ministère des Finances, d’où la loi de 2018, mentionnée plus haut dans le point 3 des 10 points de réforme de l’institution royale.</p>
<p>En octobre 2019, un décret d’urgence transfère les 1<sup>re</sup> et 11e divisions d’infanterie, jusque-là dépendantes du ministère de la Défense, sous le contrôle direct du roi, qui dispose en sus de l’unité des forces spéciales 904.</p>
<p>Le roi, auquel certains reprochent l’augmentation du budget afférant à la monarchie en période de récession, est constitutionnellement chef des forces armées, ce qui lui donne un droit de regard sur les nominations des officiers généraux.</p>
<p>Pour autant, ce n’est pas au roi, qui réside la plupart du temps en Bavière, que revient la charge de gérer la crise au quotidien, mais au gouvernement et aux forces de l’ordre. Or le haut commandement militaire est <a href="https://forsea.co/interview-paul-chambers-on-democracy-in-thailand">loin d’être homogène</a>. Il comprend traditionnellement plusieurs factions, et il n’est pas inenvisageable qu’un courant devenu majoritaire adopte un jour le même positionnement qu’en 1932 et pousse à une réforme de l’institution royale : les promoteurs de la démocratie n’avaient pu s’imposer alors que grâce à l’appui des « 4 tigres » (colonels), l’armée intervenant à nouveau en faveur de la démocratie en 1933.</p>
<p>Autant dire qu’il est difficile de se livrer à une prédiction quelconque en dehors d’une vraisemblable dissolution de l’Assemblée d’ici la fin de l’année, et qu’on ne peut exclure aucune hypothèse, y compris celle d’un nouveau coup d’État militaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/145114/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Sybille de Vienne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’où vient le mouvement de contestation que connaît aujourd’hui la Thaïlande ? Quelles sont ses exigences, et quelles sont ses perspectives ?Marie-Sybille de Vienne, Professeur, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1284822020-03-08T16:56:49Z2020-03-08T16:56:49ZAlbert de Mun, une figure catholique face à la séparation de l’Église et de l’État<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/318344/original/file-20200303-66064-1va89lj.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C39%2C796%2C482&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La crise des inventaires : l'inventaire de l'église Sainte-Clotilde à Paris. _Le Petit Parisien_, 18 février 1906.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9103170/f8.item">BnF/Gallica</a></span></figcaption></figure><p>La définition du modèle laïque est un thème récurrent de l’actualité. Ce modèle est un objet historique qui a subi une évolution complexe depuis son élaboration sous la III<sup>e</sup> République. Il plonge ses racines dans la politique de laïcisation entreprise par les républicains à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, qui culmine en 1905 avec la séparation de l’Église et de l’État. Il est utile à la compréhension du modèle laïque d’approfondir l’histoire de la loi de 1905 et des violentes controverses qu’elle a suscitées. Nous proposons ici d’explorer la réception de la loi par les catholiques à travers l’engagement du célèbre député Albert de Mun (1841-1914), <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18670/albert-de-mun-et-la-separation-de-l-eglise-et-de-l-etat-1904-1907">auquel nous avons récemment consacré un ouvrage</a>.</p>
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<h2>La mise à l’épreuve d’une figure majeure du catholicisme social et du ralliement</h2>
<p>Albert de Mun est une personnalité majeure de l’histoire politique, religieuse et sociale de la III<sup>e</sup> République. Il est principalement connu sous deux aspects. Il est d’abord l’une des figures majeures du catholicisme social en France. Ce mouvement est né dans la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle dans les milieux catholiques intransigeants, opposés au libéralisme politique, économique et religieux : il veut apporter une réponse à l’apparition du prolétariat en tentant de régénérer la société selon des principes contre-révolutionnaires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1111&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1111&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1111&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1396&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1396&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318339/original/file-20200303-66106-nb479w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1396&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Albert de Mun vers 1900.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:CFP_Comte_Albert_de_Mun_(1).jpg?uselang=fr">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En second lieu, Albert de Mun est l’un des chefs de file du « ralliement » de certains monarchistes catholiques à la République, à la suite des appels du pape Léon XIII dans les années 1890 : il s’agit pour les catholiques d’abandonner la défense à tout prix de la monarchie et d’accepter les institutions républicaines en suscitant des alliances politiques <a href="https://www.retronews.fr/eglise-institution/long-format/2018/04/06/le-toast-dalger-en-1890-et-le-ralliement-en-1892">avec les républicains modérés</a>. Le ralliement a lieu dans un contexte de pacification des relations entre la République et l’Église, après une décennie 1880 tendue par les mesures de laïcisation de l’enseignement <a href="https://www.historia.fr/gratuite-obligatoire-et-la%C3%AFque-la-sainte-trinit%C3%A9-de-jules-ferry">menées sous l’égide de Jules Ferry</a>.</p>
<p>Cependant, la réconciliation échoue à cause de l’affaire Dreyfus : l’engagement antidreyfusard de certains catholiques entraîne une reprise de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Dreyfus">la politique anticléricale</a>. Celle-ci conduit <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/24087-la-loi-du-1er-juillet-1901-relative-au-contrat-dassociation">à la loi de 1901</a>, qui proclame la liberté d’association <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/271400-la-loi-du-9-decembre-1905-de-separation-des-eglises-et-de-letat">mais soumet les congrégations religieuses à un régime restrictif appliqué avec brutalité, puis à la loi de 1905</a>.</p>
<p>Les débats qui entourent la loi de 1905 constituent donc, pour Albert de Mun, une mise à l’épreuve des principes du ralliement : comment, dans un contexte d’anticléricalisme plus violent que jamais, de Mun a-t-il appliqué l’esprit du ralliement ? n’a-t-il pas été tenté de l’abandonner ? Nous allons donner ici un aperçu de son engagement et de ses doutes : cette personnalité à la fois représentative du catholicisme intransigeant et originale par son parcours personnel permet d’explorer la complexité de la position des catholiques face à la loi de 1905.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318341/original/file-20200303-66060-dsfd5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fermeture de la Grande Chartreuse et expulsion des moines à la fin du mois d’avril 1903. Photo parue dans L’Illustration (mai 1903).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chartreux_expulsion_1903.jpg">Wikipedia</a></span>
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<h2>Un opposant absolu à la séparation de l’Église et de l’État</h2>
<p>Comment agit Albert de Mun en 1905 ? D’abord, il est député, membre du parti et du groupe parlementaire de l’Action libérale populaire, qui regroupe des catholiques « ralliés ». De Mun assiste à tous les débats mais, âgé et malade, il n’est plus en mesure de prononcer de discours. Il intervient donc surtout comme un meneur d’opinion dans le monde catholique, par voie de presse : il publie plus de 70 articles entre 1904 et 1905, dans <em>Le Gaulois</em>, <em>Le Figaro</em>, <em>La Croix</em> ; il participe ainsi aux débats qui accompagnent les débats de la <a href="https://www.retronews.fr/relations-entre-institutions-religieuses-et-letat-concordat/echo-de-presse/2018/04/25/la-loi-de">loi dans la presse française</a>. Enfin, de Mun est un acteur direct des événements au niveau local : président du conseil de fabrique de sa paroisse (l’organisme qui en gère l’administration matérielle avant 1905), Saint-Pierre-de-Chaillot, il est confronté à la <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/les-oubliettes-du-temps/les-oubliettes-du-temps-06-mars-2013">crise des inventaires en 1906</a>.</p>
<p>Albert de Mun s’affirme comme un opposant absolu à la séparation de l’Église et de l’État. Il défend le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9gime_concordataire_fran%C3%A7ais">concordat de 1801</a>, signé avec le pape à l’époque du Consulat, qui règle depuis lors les relations entre l’Église et l’État français. De Mun voit dans la loi de Séparation une dénonciation unilatérale du concordat, une « apostasie officielle » (par exemple <em>Le Figaro</em>, 13 mars 1905), une porte ouverte à la « spoliation » (<em>La Croix</em>, 8 décembre 1905) et à la « persécution » (<em>La Croix</em>, 28 mars 1906) de l’Église.</p>
<p>Le caractère authentiquement libéral qu’Aristide Briand, le <a href="https://www.europe1.fr/societe/qui-etait-aristide-briand-lhomme-qui-a-porte-la-loi-de-1905-3815837">rapporteur de la loi</a>, réussit à donner à celle-ci malgré le radicalisme de certaines positions à gauche, apparaît à de Mun comme une « illusion » dangereuse (par exemple <em>Le Figaro</em>, 8 janvier 1906).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=741&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=741&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=741&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=931&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=931&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318342/original/file-20200303-66099-4xmgzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=931&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Aristide Briand en 1905.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Aristide_Briand?uselang=fr#/media/File:Aristide_Briand_06.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>Tous les catholiques ne partagent pas la position de De Mun. À la Chambre des députés, les « abbés démocrates » – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules-Auguste_Lemire">Lemire</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hippolyte_Gayraud">Gayraud</a> –, premiers représentants de la « démocratie chrétienne », affirment qu’ils accepteront la loi si elle sauvegarde la liberté du culte. Ces abbés démocrates sont les bêtes noires de De Mun, qui multiplie les articles pour réfuter leurs thèses et s’étrangle en constatant que le pape ne condamne pas leurs positions.</p>
<h2>La loi de 1905 : une privatisation du statut juridique de l’Église</h2>
<p>En pratique, de Mun agit de manière modérée, marque son attachement aux principes du ralliement et son refus de la politique du pire. Il participe à l’élaboration d’amendements pour améliorer la loi, en particulier l’article 4. Celui-ci cristallise les débats sur la loi de 1905. La loi ne prévoit pas une sorte de réduction de l’expression religieuse dans la sphère privée, à laquelle on associe couramment le modèle laïque : ce que privatise la loi de 1905, c’est le statut juridique de l’Église. En effet, depuis le concordat de 1801, l’Église est organisée en « établissements publics du culte », de droit public, entretenus par un « budget du culte » qui salarie aussi les ecclésiastiques. L’article 4 de la loi de 1905 prévoit que l’ensemble des biens de ces établissements soient transmis à des « associations cultuelles », de droit privé, <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/20205-le-regime-de-separation-principe-des-relations-etat-et-les-cultes">fondées sur la loi de 1901</a>.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318347/original/file-20200303-66078-nml8s4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Première page de la loi de 1905.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www2.culture.gouv.fr/Wave/image/archim/Pages/04816.htm">Archives nationales</a></span>
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</figure>
<p>C’est cette transformation de l’organisation juridique de l’Église en un réseau d’associations qui constitue le cœur des controverses sur la loi de 1905. En effet, dans la rédaction originelle du projet de loi, rien n’assure la soumission des associations cultuelles paroissiales aux diocèses : rien n’empêche qu’une association cultuelle, après avoir reçu les biens de la paroisse, ne fasse scission. La peur d’une désorganisation dramatique de l’Église agite les milieux catholiques. Quelques députés catholiques s’entendent donc avec Briand pour élaborer la rédaction définitive de l’article 4, qui précise que les associations cultuelles doivent respecter « les règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice » : c’est en fait une reconnaissance implicite du droit canonique et de l’organisation de l’Église.</p>
<h2>Que faire face à la loi ? Résistances et tentatives d’accommodement</h2>
<p>Après le vote de la loi, de Mun s’exprime en faveur d’un refus complet, de la part de l’Église, de participer à son application. Comme beaucoup, il est très marqué par l’étendue de la résistance que les paroisses, à Paris mais surtout en province, opposent aux inventaires réalisés par l’administration, début 1906, pour préparer le transfert des biens vers les associations cultuelles. La crise des inventaires convainc de Mun que le peuple est opposé à la loi : les espoirs de la droite catholique se tournent alors vers les élections législatives prévues pour mai 1906, à l’issue desquelles elle espère pouvoir amender voire abolir la loi.</p>
<p>Le pape Pie X, frappé lui aussi par l’ampleur de la résistance, sort en février 1906 du silence qu’il observe depuis le début des débats pour condamner solennellement la <a href="http://www.vatican.va/content/pius-x/fr/encyclicals/documents/hf_p-x_enc_11021906_vehementer-nos.html">séparation par l’encyclique <em>Vehementer nos</em></a>. Ce que refuse Pie X, c’est la transformation de l’Église en associations.</p>
<p>Pour autant, ce texte n’indique pas ce que doit faire en pratique l’Église de France : elle risque, si aucun compromis n’est trouvé, de perdre la majeure partie de ses biens et des églises. La publication de <em>Vehementer nos</em> ouvre donc un débat passionné sur l’application de la loi, qui doit entrer en vigueur en décembre 1906. La plupart des évêques sont favorables à l’élaboration d’associations dites « canoniques et légales », conformes à la fois au droit canonique et à la loi. Ils sont soutenus par les milieux intellectuels, notamment les académiciens catholiques, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cardinaux_verts">surnommés « cardinaux verts »</a>. Albert de Mun dénonce radicalement leur position : il accuse ses adversaires « d’affaiblir » la condamnation de Pie X et d’être déconnectés des aspirations du peuple.</p>
<p>La défaite électorale de mai 1906 est une douche froide pour la droite. Voyant approcher l’échéance fatidique de l’application de la loi, de Mun finit par se rallier à la solution « canonico-légale ». Cependant, celle-ci est condamnée par Pie X, au grand soulagement de De Mun, dans une seconde encyclique en août 1906. L’Église de France refuse donc de collaborer à l’application de la loi : faute de créer des associations cultuelles, elle perd la majorité de ses biens.</p>
<p>La situation est réglée après la mort de De Mun, en 1924 : le pape Pie XI accepte la création d’une seule association par diocèse, sous l’autorité de l’évêque. Quoi qu’il en soit des mesures qui viennent compléter la loi dès 1907, l’exploration de l’engagement d’Albert de Mun, lui-même évolutif, montre la complexité de la réception de la loi par les catholiques en 1905-1906, et permet d’identifier les points cruciaux du débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Edouard Coquet a reçu des financements de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université et de l'École française de Rome. </span></em></p>Le modèle laïque plonge ses racines dans la politique de laïcisation entreprise par les républicains à la fin du XIXᵉ siècle, qui culmine en 1905 avec la séparation de l’Église et de l’État.Edouard Coquet, Doctorant en histoire contemporaine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1297382020-01-11T09:59:41Z2020-01-11T09:59:41ZLe prince Harry et Meghan Markle : pourquoi il est impossible d’appartenir à moitié à la famille royale<p>Le prince Harry et son épouse Meghan Markle ont annoncé qu’ils renonçaient à leurs fonctions royales. Certains observateurs se sont empressés de proclamer que la monarchie britannique était en crise ; mais, en réalité, c’est le couple Harry-Meghan qui pourrait être le grand perdant de l’histoire.</p>
<p>Les membres de la famille royale se trouvent dans une position complexe. Ils mènent une vie extrêmement privilégiée, mais sont dans le même temps privés de certaines libertés fondamentales : ils ne sont pas libres de choisir leur voie professionnelle ; ils ne peuvent pas s’exprimer librement ; et ils ont une liberté limitée en ce qui concerne la vie privée et familiale. Autant de restrictions qui ne concernent aucunement le reste de la population.</p>
<p>Harry et Meghan ne sont pas les seuls à trouver cela frustrant. Le prince <a href="https://www.wmagazine.com/story/prince-laurent-belgium-allowance">Laurent de Belgique</a> est lui aussi visiblement malheureux dans son rôle.</p>
<p>La dure réalité est que, dans une monarchie héréditaire, les fils cadets sont, en fin de compte, des personnages superflus : seuls comptent ceux qui se trouvent en ligne directe de succession. Les cadets sont soumis aux mêmes restrictions personnelles que les héritiers directs, mais sans la perspective de succéder un jour au monarque et sans la liberté de développer des carrières vraiment indépendantes.</p>
<p>D’autres monarchies européennes (encouragées par des gouvernements et des parlements parcimonieux) ont appris à restreindre significativement le noyau dur de leur famille royale. Celle-ci peut n’être composée que de quatre personnes seulement – c’est le cas en Norvège et en Espagne, où seuls le roi, la reine, l’héritier et le ou la conjoint·e de celui-ci relèvent de la famille royale. En 2019, sous la pression du Parlement, le roi de Suède a retiré cinq petits-enfants de la famille royale pour réduire sa taille et son coût.</p>
<p>Le Royaume-Uni a une population plus importante – plus de dix fois celle de la Norvège – et on pourrait donc soutenir qu’il est logique que sa famille royale soit plus nombreuse pour accomplir les tâches qui lui incombent, d’autant plus que la monarchie britannique doit également être présente dans les <a href="https://www.ucl.ac.uk/constitution-unit/sites/constitution-unit/files/170.pdf">États membres du Commonwealth</a> : la reine est le chef d’État de <a href="http://www.commonwealthofnations.org/sectors/government/governor_general/">15 pays autres que le Royaume-Uni</a>, et le prince Charles et ses fils se rendent régulièrement dans des pays tels que l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande. Au total, 15 membres de la famille royale britannique ont effectué près de 4 000 engagements royaux au cours de la seule année 2019.</p>
<h2>Réduire la voilure</h2>
<p>On dit que le prince Charles souhaite une <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7743661/Prince-Charles-cut-royal-family-just-William-Harry-wives-children-Andrew-scandal.html">monarchie plus petite et plus rationnelle</a>, peut-être restreinte à un noyau constitué de la reine, de Charles et Camilla, et de William et Kate : mais, mécaniquement, une famille royale plus petite s’impliquerait dans nettement moins d’œuvres de bienfaisance et ses membres ne pourraient pas s’engager dans autant de projets qu’aujourd’hui. Dans quelle mesure le prince Charles a-t-il évalué cet aspect des choses, et dans quelle mesure Harry et Meghan ont-ils réfléchi aux conséquences que leur retrait aura pour les autres membres de la famille ?</p>
<p>Les médias ont présenté cette situation comme une crise pour la monarchie, et il s’agit effectivement d’une crise familiale ; mais la monarchie en tant qu’institution ne subira aucun dommage grave ou durable. Les sondages d’opinion montrent constamment que <a href="https://whorunsbritain.blogs.lincoln.ac.uk/2017/10/14/public-opinion-and-the-future-of-the-monarchy/">70 à 80 % de citoyens sont favorables au maintien</a> de la monarchie – une cote de popularité dont les hommes politiques ne peuvent même pas rêver.</p>
<p>Ce sont Harry et Meghan eux-mêmes qui pourraient le plus pâtir de leur décision. Ils n’ont peut-être pas saisi à quel point leur célébrité est dépendante de leur statut royal. Leurs projets consistant à se forger un « nouveau rôle progressiste » et à « travailler pour devenir financièrement indépendants » ont été jugés irréalistes par la plupart des commentateurs.</p>
<p>Un <a href="https://yougov.co.uk/topics/politics/survey-results/daily/2020/01/09/f8082/1">premier sondage</a> a montré que le grand public éprouvait une certaine sympathie pour leurs objectifs mais une forte objection à ce qu’ils continuent de recevoir de l’argent public. Les fonctionnaires de la Couronne ont été chargés de trouver un compromis, mais on voit mal comment le couple pourrait être à moitié dans la famille royale et à moitié hors de celle-ci (d’autant qu’il entend résider régulièrement à l’étranger).</p>
<h2>Est-il vraiment possible de partir ?</h2>
<p>Il existe deux niveaux de difficulté. Le premier est le partage du fardeau. Tous les membres de la famille royale qui exercent des fonctions publiques le font au nom de la reine, et doivent être prêts à assumer leur juste part des tâches qui leur sont assignées. Le second est le risque que l’indépendance financière que Harry et Meghan recherchent implique l’exploitation de leurs titres et de leurs relations royales à des fins commerciales. Les autres membres de la famille – qui, eux, acceptent les contraintes – se sentiront naturellement lésés si Harry et Meghan sont autorisés à choisir ce qui leur convient.</p>
<p>Les Sussex méritent néanmoins notre sympathie. Dans une étude comparative des monarchies européennes, qui sera publiée dans notre prochain livre <a href="https://www.bloomsburyprofessional.com/uk/the-role-of-monarchy-in-modern-democracy-9781509931033/"><em>The Role of Monarchy in Modern Democracy</em></a>, nous soutenons qu’il devrait être possible pour les membres mineurs de la famille royale de quitter la cage dorée s’ils trouvent les restrictions trop pesantes. Mais l’exclusion devrait être totale : ils renonceraient non seulement à leurs devoirs publics mais aussi à leur financement public, à leurs titres royaux et à leur protection, s’efforçant autant que possible de devenir des personnes privées.</p>
<p>Il ne serait pas facile de procéder à un changement de mode de vie aussi complet. Et cela pourrait tout simplement se révéler impossible : il est possible que la population continue de considérer Harry et Meghan comme un couple royal, et que les médias persistent à les présenter comme tels, les gardant sous les feux de la rampe, qu’ils le veuillent ou non…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129738/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les membres de la famille royale ne peuvent pas avoir « un pied dedans et un pied dehors », car une telle posture mixte soulève trop de problèmes.Robert Hazell, Professor of British Politics and Government & Director of the Constitution Unit, UCLBob Morris, Honorary Senior Research Associate, Constitution Unit, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1226722019-08-29T19:08:29Z2019-08-29T19:08:29ZLa turbulente histoire des rapports entre la monarchie et le Parlement<p>La reine Elizabeth II a consenti <a href="https://theconversation.com/boris-johnson-suspends-parliament-what-does-it-mean-for-brexit-and-why-are-mps-so-angry-122574">à suspendre le Parlement</a> comme demandé par Boris Johnson. Cet acte a été perçu comme une attaque sur démocratie britannique.</p>
<p>Depuis plusieurs siècles, les pouvoirs résiduels encore détenus par la monarchie anglaise ont été utilisés avec parcimonie. Pendant longtemps, ces pouvoirs sont restés en retrait de la scène publique. Or la suspension possible de la Chambre des communes met fin à cet équilibre.</p>
<p>Cette décision nous rappelle que le Royaume-Uni est toujours une monarchie, même si parlementaire. Or si un gouvernement à très faible majorité fait usage du pouvoir monarchique à ses fins, en contournant le mandat démocratique nécessaire à la légitimité de son acte, alors la démocratie est gravement menacée.</p>
<p>Au sein de la société civile, de nombreuses voix se sont élevées afin d’empêcher la suspension du Parlement. On compte ainsi l’ancien premier ministre, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2012/06/22/les-riches-heures-du-retraite-john-major_1723330_3210.html">John Major</a>, la militante, philanthrope et femme d’affaires opposée au Brexit <a href="https://www.bbc.com/news/uk-politics-37861888">Gina Miller</a>, ainsi que de nombreux députés issus de différents partis. Ils perçoivent, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/29/royaume-uni-la-decision-de-johnson-un-acte-de-vandalisme-constitutionnel-pour-la-presse_5503950_3210.html">à l’instar de la presse</a> et d’une grande partie du public, la demande de Johnson comme une mesure conçue pour faire adopter un Brexit sans accord.</p>
<p>L’histoire récente témoigne cependant que ces voix peuvent être entendues. Ainsi, déjà en 2017, Gina Miller avait obtenu l’appui de la <a href="https://www.supremecourt.uk/cases/docs/uksc-2016-0196-judgment.pdf">Cour suprême</a> pour s’assurer que Theresa May, alors première ministre, ne pourrait pas s’appuyer sur les pouvoirs monarchiques pour imposer un accord vers le Brexit sans obtenir le consentement du Parlement au préalable. <a href="https://www.theguardian.com/politics/2019/aug/28/gina-millers-lawyers-apply-to-challenge-boris-johnson-plan">Des discussions sont en cours</a> afin de saisir de nouveau la cour.</p>
<h2>Pouvoirs obscurs et révolutions</h2>
<p>Comment cependant comprendre le recours à ce pouvoir monarchique ?</p>
<p>Au Royaume-Uni, l’usage de ces pouvoirs résiduels par un monarque pour « contourner » les contraintes liées à l’exercice démocratique n’a en réalité jamais été réellement abrogé. Ces options de gouvernance demeurent en coulisse, attendant le moment opportun pour réémerger aux mains de l’exécutif.</p>
<p>Les monarques sont cependant bien conscients que ces pouvoirs doivent être utilisés avec d’extrêmes précautions au risque de susciter des mouvements dramatiques et révolutionnaires. L’histoire est là pour le leur rappeler.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=752&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289931/original/file-20190828-184222-12sdn3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=945&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président John Finch.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/John_Finch,_1st_Baron_Finch#/media/File:John_Finch,_1st_Baron_Finch_by_Sir_Anthony_Van_Dyck_lowres_color.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>En mars 1629, le roi <a href="https://theconversation.com/brexit-boris-johnson-would-prorogue-parliament-at-his-peril-just-ask-charles-i-120293">Charles I</a> se lassa d’un parlement qui ne voulait pas soutenir d’une quelconque façon, y compris financière, ses erreurs désastreuses et coûteuses en termes de politique étrangère. Il ordonna alors la dissolution du Parlement. Lorsque le président John Finch annonça la clôture de la session, les députés furent tellement furieux qu’ils s’assirent sur lui.</p>
<p>Le maintenir sur son fauteuil l’empêchait ainsi, de façon aussi littérale que figurée, de quitter son siège, et donc de lever la session. Tandis qu’il se débattait sous au moins cinq membres, les députés adoptèrent une série de motions condamnant les politiques du roi.</p>
<p>Devrait-on considérer ce type de réponse face aux mesures prises par Boris Johnson ?</p>
<p>L’actuel président John Bercow a d’ores et déjà <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/29/brexit-l-outrage-constitutionnel-de-boris-johnson_5504161_3232.html">qualifié</a> la décision du premier ministre comme constituant un « outrage constitutionnel ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1166650542967447552"}"></div></p>
<p>Il semble donc peu probable que des députés aient besoin de s’asseoir sur lui.</p>
<h2>Règne extra-parlementaire</h2>
<p>La suspension du Parlement en 1629 conduit à 10 ans de règne extra-parlementaire en Angleterre et au Pays de Galles – connu sous le nom de « Règle personnelle » de <a href="https://www.parliament.uk/about/living-heritage/evolutionofparliament/parliamentaryauthority/civilwar/overview/personal-rule/">Charles Iᵉʳ</a> ou de la Tyrannie des Onze ans.</p>
<p>En Écosse, les citoyens eux aussi rejetèrent l’utilisation du pouvoir exécutif par le roi en novembre 1638 quand ce dernier <a href="http://www.bbc.co.uk/history/scottishhistory/union/features_union_covenanters.shtml">essaya de fermer les assemblées écossaises</a>.</p>
<p>Personne ne s’assit sur personne mais le représentant de l’assemblée, le marquis de Hamilton, tenta de suspendre la session en quittant les lieux. Il trouva la porte verrouillée et la clef disparue. La réunion ne put prendre fin. En revanche, les pouvoirs du roi furent sévèrement mis à mal par cet épisode.</p>
<p>En 1640 le parlement de Westminster se réunit à nouveau suite à la crise écossaise qui avait mené <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Premi%C3%A8re_r%C3%A9volution_anglaise#Le_r%C3%A8gne_de_Charles_Ier_jusqu%E2%80%99en_1642_:_la_marche_vers_la_guerre_civile">à deux guerres</a>, perdues par le gouvernement extra-parlementaire de Charles I<sup>er</sup>, ruinant le pays.</p>
<p>Bien qu’il ait de nouveau utilisé ses prérogatives pour fermer la première législature de 1640 après seulement trois semaines, la situation s’aggrava. La deuxième législature constituée cette même année adopta deux lois visant à assurer sa position dans la Constitution. La première, appelée <a href="https://www.britannica.com/topic/Triennial-Act-England-1641">Loi triennale de février 1641</a> mit fin au droit d’un monarque de convoquer les chambres de Parlement. Une seconde loi ultérieure l’empêcha ensuite de fermer ou de proroger un parlement sans le consentement de ce dernier.</p>
<p>Le parlement écossais s’aligna peu après. L’érosion de la confiance entre le parlement et l’exécutif dans les îles britanniques précéda la révolution et la chute de la monarchie exécutive – qui vit littéralement tomber la tête de Charles I – <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Commonwealth_d%27Angleterre">quelques années plus tard</a>.</p>
<h2>Qu’en est-il de la prorogation chez les Français ?</h2>
<p>La menace que représentaient les pouvoirs « prérogatifs » et qui pesaient sur les institutions de l’époque, résultant en des mesures drastiques, ne se confinait pas au seul contexte britannique.</p>
<p>En juin 1789, il était clair que le « parlement » français, l’État général, le premier réuni depuis 1614, ne saurait être contrôlé par l’exécutif. Sous prétexte de travaux de rénovation du bâtiment d’assemblage, le roi Louis XVI tenta d’empêcher sa tenue. Ses membres déménagèrent alors dans une ancienne salle de jeu de paume, ancêtre du tennis, et tinrent un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_du_Jeu_de_paume">engagement solennel</a> afin de ne pas se séparer avant l’élaboration d’une Constitution.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=392&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289932/original/file-20190828-184192-3oo3o2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=493&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Serment du Jeu de Paume, par Jacques-Louis David.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Tennis_Court_Oath#/media/File:Le_Serment_du_Jeu_de_paume.jpg">Wikipedia</a></span>
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</figure>
<p>Si la date est antérieure à celle de la prise de Bastille, le mois suivant, la décision de rester en session limita radicalement le pouvoir du roi et scella le sort de la monarchie française. Le Serment du Jeu de Paume fut le véritable point de départ de la Révolution française.</p>
<h2>Lieux alternatifs</h2>
<p>Face à la tenue ou non du Parlement s’est posée la question de sessions alternatives ainsi que de lieux d’implantation des parlements autres que les lieux traditionnels, comme l’avait d’ailleurs fait Charles I<sup>er</sup> à Oxford, par exemple.</p>
<p>C’est pour cela qu’aujourd’hui certains députés évoquent la possibilité d’un <a href="https://www.theguardian.com/politics/2019/aug/27/mps-pledge-form-alternative-parliament-prorogation-church-house-declaration-brexit">parlement alternatif</a> afin qu’il se réunisse pendant la « Règle personnelle » de Johnson.</p>
<p>Celui-ci pourrait être mis en scène dans le palais de Westminster même, comme certains députés le suggéraient, à l’instar de leurs <a href="https://www.mirror.co.uk/news/politics/clive-lewis-says-police-remove-19021405">prédécesseurs en 1629</a> Et ils pourraient bien avoir comme figure de proue John Bercow.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1166653670844510208"}"></div></p>
<p>Prorogations et dissolutions surviennent en temps de crise. Les conséquences sont aujourd’hui catastrophiques pour l’Angleterre : la livre sterling est en chute libre, une récession se profile à l’horizon et la position internationale de la Grande-Bretagne est à son plus bas niveau depuis Suez.</p>
<p>Au-delà de ces signes inquiétants, c’est l’utilisation même du pouvoir monarchique dans le contexte actuel qu’il faut observer. Car il existe un lien réel entre l’utilisation de ces pouvoirs et un effondrement complet du gouvernement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122672/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Martyn Bennett a reçu des financements dans le passé de l'AHRC et de la British Academy, ce qui n'est plus le cas à l'heure actuelle.</span></em></p>Au Royaume-Uni, le recours au pouvoir monarchique pour contourner les contraintes de la démocratie doit être fait avec d’extrêmes précautions. L’histoire est là pour le rappeler.Martyn Bennett, Professor of Early Modern History, Nottingham Trent UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1166202019-05-07T12:41:13Z2019-05-07T12:41:13ZNotre-Dame de Paris, cathédrale ou musée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/272820/original/file-20190506-103057-jvi1h0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5463%2C3637&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Notre-Dame, un musée et un lieu de culte</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/de-de/foto/architektur-beten-dom-fenster-369214/">Magda Ehlers, pexels</a></span></figcaption></figure><p>En évoquant Notre-Dame de Paris, après l’incendie du 15 avril 2019, de quoi parlons-nous ? D’un lieu de culte ou d’un musée ? Lorsque j’enseignais l’histoire de l’art médiéval à l’ ISAM, université d’art et d’histoire de Gabès (Tunisie), la question m’était souvent posée par les étudiants « est-ce que Notre-Dame est un musée ? ». Lorsque je répondais « c’est une église », leur mine s’allongeait. « Alors on ne pourra pas y entrer, notre religion nous l’interdit ». Ma réponse était, et serait toujours la même après plus de 15 ans, « c’est une église et c’est un musée ». En effet, comme une église peut être un musée, un musée peut être un sanctuaire. </p>
<p>Vues sous ces angles, les réflexions suscitées autour d’une restauration « à l’identique et encore plus belle » de Notre-Dame, permettent de renouveler les questions posées par la destruction par le feu, le 2 septembre 2018, du <a href="http://theconversation.com/apres-lincendie-du-museu-nacional-de-rio-que-faire-maintenant-10411">Museu Nacional de Rio</a>. Si les pertes matérielles sont loin d’être aussi considérables à Notre-Dame de Paris qu’au musée de Rio, tous reconnaissent la place éminente de Notre-Dame au « kilomètre zéro » de la connaissance de la France à l’étranger, mais aussi du <a href="http://theconversation.com/notre-dame-de-paris-la-cathedrale-des-archeologues-115794">roman national</a> qui s’échafaude autour de cette cathédrale du XII<sup>e</sup> siècle, dite <a href="https://www.grandpalais.fr/fr/article/lart-gothique">« Gothique »</a> selon les critères des études stylistiques.</p>
<h2>Une certaine idée du (des) Moyen Age(s)</h2>
<p>« Gothique » : ce qualificatif, reçu et employé par tous, historiens, artistes, grand public, reposerait, selon les sources, sur une relecture de l’architecture médiévale dans son ensemble au temps de la Renaissance italienne. Traumatisé, comme nombre d’artistes italiens, par le sac de Rome (1527), Giorgio Vasari, artiste et biographe, lui-même qualifié de « maniériste » par l’historiographie, juge sans appel les édifices du <a href="https://journals.openedition.org/crm/13765">Moyen Age</a>, qu’il nomme de « style Gothique ». Dans son introduction à la partie architecturale des <em>Vite</em>, en 1568, Vasari juge que l’on doit fuir comme <a href="https://clio-texte.clionautes.org/renaissance-les-arts-peinture-sculpture-architecture.html">« monstrueux et barbare »</a>, le style de ces édifices voûtés sur arcs en ogive.</p>
<p>Également appelé « art français » (<em>Opus francigenum</em>) l’art « Gothique » fut, en France du XIXe jusqu’au début du XXe siècle, un symbole de l’<a href="https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1991_act_20_1_1512">identité culturelle nationale</a>. Lorsqu’en 1831, Victor Hugo publie son roman <em>Notre-Dame de Paris</em>, il souhaite <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/hugo/dame-paris/dame">éveiller les consciences</a> de ses contemporains à la dégradation par l’histoire récente de cet édifice, de 1789 à 1830 :</p>
<blockquote>
<p>« Si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant des dégradations, des mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière. »</p>
</blockquote>
<p>Lassus et Viollet-le-Duc, les architectes de sa restauration, voulaient « rétablir dans un état complet » la cathédrale de Paris » qui, pour eux, est celle de Maurice de Sully ; car <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Lassus,_Viollet-le-Duc_-_Projet_de_restauration_de_Notre-Dame_de_Paris.djvu">« à partir du XIII e siècle ce n’est plus, pour l’église Notre-Dame, qu’une suite de mutilations, de changements sous prétexte d’embellissements. »</a>. Alors, à présent que voit-on vraiment à Notre-Dame ?</p>
<h2>Art « Gothique » et sauvagerie</h2>
<p>Le stryge à l’angle de la tour Nord, est le symbole reconnaissable entre tous, d’une époque, le Moyen Âge et d’un édifice, Notre-Dame. Avant la photographie, la gravure était l’art de multiplier et transmettre une image, en témoigne <a href="https://journals.openedition.org/lha/257">celle de Méryon</a> (1853-1854) pour l’édition de Hugues (1877) du <a href="http://aronvinegar.net/wp-content/uploads/2016/05/ebook_complet_fr_18ViolletleDuc.pdf">roman de Victor Hugo</a>. Au premier plan veille le stryge, une image gothique et sauvage que l’on peut penser authentiquement médiévale, tant elle fait corps avec l’image médiatisée de Notre-Dame. Une image tant reproduite, depuis la photographie de Charles Nègre de 1853, jusqu’à celles de Brassaï en 1933 et tous les produits dérivés vendus aux abords de la cathédrale. Or, en mille ans (VIe-XVe siècles) le Moyen Âge occidental n’a pas été une (longue) période unifiée de l’histoire, sauf dans l’esprit de certains qui le rêvent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272827/original/file-20190506-103063-rzbprt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>Paris, Notre-Dame, Les Chimères, Le Stryge</em>, eau-forte de Charles Pinet (série Paris 44).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:PARIS_44_Notre-Dame_Les_Chim%C3%A8res,_Le_Stryge.jpg">Wikipédia</a></span>
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</figure>
<p>En outre ces monstres hybrides, si caractéristiques de cette période, mais si éloignés du Beau idéal laissé par l’Antiquité, n’ont pas toujours fait l’unanimité même aux temps qui les ont vu naître. En témoignent les paroles de saint Bernard (1090-1153) abbé de Clairvaux, contemporain de Maurice de Sully (1105-1196) :</p>
<blockquote>
<p>« Que signifient là où les religieux font leurs lectures, ces monstres ridicules, ces horribles beautés et ces belles horreurs ? […] Ici on y voit une seule tête pour plusieurs corps ou un seul corps pour plusieurs têtes : là c’est un quadrupède ayant une queue de serpent et plus loin c’est un poisson avec une tête de quadrupède […] ou qui a la tête d’un animal à cornes et le derrière d’un cheval […] Grand Dieu ! si on n’a pas de honte de pareilles frivolités, on devrait au moins regretter ce qu’elles coûtent. »</p>
</blockquote>
<p>(<a href="http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bernard/tome02/guillaume/guillaume.htm">Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, 1123-1127</a>)</p>
<p>Le goût pour le merveilleux et la brutalité que l’on prête au Moyen Âge, ne s’est pas éteint avec le XIX e siècle, le Moyen Âge ne cesse d’être réinventé par le cinéma et les romans appartenant au genre <em>Fantasy</em>. Alors que la série HBO <em>Games of Thrones</em> (tirée des romans de Georges R.R. Martin, <a href="https://journals.openedition.org/crm/11092"><em>A Song of Ice and Fire</em></a>) connaît un succès mondial, de nombreuses études universitaires tentent d’en décrypter les sources, d’en démêler les éléments du vrai « rapiécé » avec le faux, afin de dépister les erreurs et de tracer des parallèles avec notre époque. L’idéal de beauté antique survit dans nombre d’images actuelles (films et publicités telle celle <a href="https://www.tendance-parfums.com/invictus-paco-rabanne-publicite.html">d’Invictus de Paco Rabanne</a>), mais il ne cesse de se heurter à l’attrait d’un Moyen Age, rêvé et brutal. Des images médiévales éloignées de leur vérité historique puisque vidées du contenu spirituel et du rôle de l’Église dans leur apparition.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=326&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/272829/original/file-20190506-103053-14ev85y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=409&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nicolas Jean Baptiste Raguenet, Une vue de Paris et l’île de la Cité, 1763.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Nicolas-Jean-Baptiste_Raguenet,_A_View_of_Paris_with_the_%C3%8Ele_de_la_Cit%C3%A9_-_Getty_Museum.jpg">Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le musée est un sanctuaire et l’Église « l’amie des arts »</h2>
<p>Dès le XIXe siècle, les églises sont devenues des musées alors que les musées se transforment progressivement en sanctuaires laïques. « Le sacré fait aujourd’hui un retour inattendu au musée » alors que le monde des intellectuels est habitué à raisonner dans un cadre qui exclut l’expérience de la foi religieuse » (Jean‑Hubert Martin catalogue de l’exposition <em>La mort n’en saura rien</em>, octobre 1999-janvier 2000, Paris, MAAO). Comme un écho Roseli Pellens et Philippe Grandcolas écrivent, <a href="http://theconversation.com/apres-lincendie-du-museu-nacional-de-rio-que-faire-maintenant-104115">au sujet de l’incendie du Museu Nacional de Rio</a>, « Dans la culture occidentale, le musée est une sorte de lieu (rendu) <em>sacré</em> par l’Art ou par la Science ». </p>
<p>De son côté, l’Église, au XX<sup>e</sup> siècle, a pris conscience d’un divorce avec l’art de son temps, elle peine à retrouver sa place de mécène des arts, alors que le rôle historique d’enseignement dévolu à l’art religieux s’est perdu. Pour ce faire, le Magistère de l’Église catholique n’a cessé, depuis Pie X et tout au long du XXe siècle, de s’adresser aux artistes, pour rappeler, selon les termes de Paul VI, <a href="https://docplayer.fr/399339-Paul-vi-l-eglise-et-l-art-chapelle-sixtine-le-jeudi-7-mai-1964-messe-du-jour-de-l-ascension-a-l-intention-des-artistes.html">« l’amitié »</a> qui les lie à l’Eglise. </p>
<p>C’est dans cette mouvance que Mgr Jean‑Marie Lustiger, archevêque de Paris, a fait réaliser par Marc Couturier, en 1994, la croix dorée et sa gloire <a href="http://www.narthex.fr/reflexions/le-sens-des-images/combat-dans-les-ruines-la-tristesse-l2019esperance-et-la-gloire-a-notre-dame-de-paris">dont le socle est la « Pietà »</a> de Nicolas Coustou (1723), formant le centre du groupe du « vœu de Louis XIII ». L’art ancien servant, d’une certaine façon, de « fermentum » pour le nouveau. Si les visiteurs ne font pas toujours la part de l’histoire, Notre-Dame, synthèse rendue harmonieuse par la patine des siècles, est une église que l’on peut visiter comme un musée, mais un musée vivant d’art sacré, toujours porté par la foi qui conduit à voir, là, l’invisible dans le secret des consciences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116620/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Bethmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dès le XIXe siècle, les églises sont devenues des musées alors que les musées se transforment progressivement en sanctuaires laïques.Sylvie Bethmont, Enseignante en iconographie biblique, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1000002018-07-15T21:29:05Z2018-07-15T21:29:05ZLa Constitution entre dégénération et régénération<blockquote>
<p>« Nous refusons de périr en joignant au malheur d’être victimes, le ridicule d’être dupes. » (Albert de Broglie, 1873)</p>
</blockquote>
<p>Serions-nous condamnés, pour sortir du XX<sup>e</sup> siècle, à faire un rétro-plongeon dans le XIX<sup>e</sup> ? On pourrait le croire quand, non seulement les chantres du néo-libéralisme, faisant passer l’intérêt avant toute mystique, tentent de restaurer une liberté économique sans frontières ni limites étatiques, et lorsque le socle constitutionnel se délite chaque année un peu plus : voici en effet que pour la vingt-cinquième fois, on va se livrer à l’exercice impromptu de la révision du texte fondamental. Sans, une fois de plus, remédier à l’essentiel et clarifier les principes de fonctionnement institutionnel.</p>
<p>« Et toujours le même Président », <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uu-CZlXAUsw">disait la chanson</a>. Un bricolage de plus, comme si, faute de vouloir changer <em>de</em> Constitution, il suffisait de changer <em>la</em> Constitution ! Chaque réforme ajoute un peu plus à la confusion initiale. Manière de désintégration inéluctable de l’assiette juridique du pouvoir politique.</p>
<h2>Président en Chambre</h2>
<p>Une fois de plus, le diable se niche dans les détails : le président de la République, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-a-versailles-plus-pres-des-etoiles-99693">devant le Congrès</a>, déclare qu’il restera lors de sa prochaine allocution pour entendre les présidents des groupes et répondre à leurs propos. Ce qui implique une modification de l’article 18 de la Constitution de 1958, lequel, depuis 2008, prévoyait :</p>
<blockquote>
<p>« Sa déclaration peut donner lieu, hors de sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote. »</p>
</blockquote>
<p>Voilà que, sans avoir l’air d’y toucher, on franchit un nouveau pas, symboliquement et pratiquement très fort, dans le détricotage du régime parlementaire. Depuis la brèche ouverte par la révision du 6 novembre 1962 instaurant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, consolidée par l’introduction du quinquennat le 2 octobre 2000, renforcée en 2001 par l’inversion du calendrier électoral et confirmée par la <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-revisions-constitutionnelles/loi-constitutionnelle-n-2008-724-du-23-juillet-2008.16312.html">loi de Modernisation des institutions du 23 juillet 2008</a>, on brouille toujours plus les cartes, sans pour autant faire émerger un véritable régime présidentiel.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ArcLgvnEsM0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Au contraire. Et paradoxalement, les Insoumis qui faisaient de cette présence présidentielle active une limite au monarchisme travaillent à l’affirmer encore plus : ils renforcent le statut de décideur unique du chef de l’État, au détriment du premier ministre. Quand la confusion des genres rejoint la confusion des sentiments…</p>
<h2>Les bases du régime parlementaire démocratique</h2>
<p>Trop de bruit pour rien, diront certains. Voir ! Le rétablissement en 2008 du droit d’intervention directe du Président devant les chambres, complété par la proposition d’Emmanuel Macron, constitue un spectaculaire renversement des bases du régime parlementaire à la française.</p>
<p>Il met fin à une mesure fondatrice remontant à 145 ans : la loi du 13 mars 1873, dite <a href="https://lemonde.fr/politique/article/2009/06/22/adophe-thiers-et-le-ceremonial-chinois_1209794_823448.html">« Constitution de Broglie »</a>. Thiers, président provisoire d’une République qui l’était aussi, cumulait les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement. La majorité monarchiste de la Chambre, craignant son ascendant sur l’Assemblée, décida de lui retirer ce moyen de pression, en lui fermant l’accès au Parlement devant lequel il était responsable : désormais, il devait communiquer par messages lus par un ministre.</p>
<p>Loi de circonstances, donc, qui n’empêcherait pas l’Assemblée de recourir au renversement de Thiers deux mois plus tard. Mais loi fondatrice en ce qu’elle jetait les bases du régime parlementaire qui allait être installé en France à partir de 1875 : en effet, cette séparation de l’exécutif et du législatif impliquait dissociation entre un chef de l’État, incarnant la continuité, arbitrant les rapports entre le gouvernement et le Parlement, irresponsable politiquement devant celui-ci, et un chef du gouvernement qui allait devenir le président du Conseil, qui assumait la politique et les actes du Président par le système du contreseing.</p>
<p>C’est cette dissociation, inaugurée deux siècles auparavant par les Britanniques, qui permet de rendre compatible le régime parlementaire démocratique aussi bien avec la République qu’avec la monarchie. Et qui, pour cette raison, sera adoptée comme principe par la Troisième République.</p>
<h2>Monarchie républicaine et République monarchique</h2>
<p>Il y a à réfléchir sur les indéniables ressemblances entre le moment constitutionnel de 1875 et celui de 1958. Les deux ont servi de cadre aux régimes qui ont connu la plus grande longévité : respectivement 65 et 60 ans ; les deux étaient parmi les textes constitutionnels les plus imprécis, par leurs silences et leurs ambiguïtés. Ironie juridique : le texte le plus pensé techniquement et le plus fondé idéologiquement, la Constitution de 1791, ne s’appliquera même pas un an !</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=758&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=758&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=758&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/227681/original/file-20180715-27015-18wd1fo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=952&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Constitution de 1958 flanqué du sceau présidentiel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4d/Constitution_sceau.jpg/475px-Constitution_sceau.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les deux étaient le résultat d’un compromis difficile : entre partisans du rétablissement de la monarchie et partisans de la République pour 1875, entre le maintien du régime parlementaire et l’affirmation de la primauté du chef de l’État en 1958. Gambetta a fait République de velours, les monarchistes royauté républicaine. Les deux ont donné une position très forte au chef de l’État. C’est d’ailleurs à ce statut initial très favorable du Président de la III<sup>e</sup> République que se référeront les constituants de 1958 en réaction contre la IV<sup>e</sup>.</p>
<p>Ainsi a-t-on, en 1875, accouché d’une monarchie républicaine qui ne se nomme pas, et en 1958, d’une république monarchique qui ne s’avoue pas. Comme tout compromis politique, les deux moments comportent une part importante d’arrière-pensées, de dessein caché. Chaque camp entendait bien aller au-delà : les monarchistes, en installant un roi à la place du Président au moment opportun ; de Gaulle, en consacrant l’hégémonie du Président dans l’État par son onction au suffrage universel direct.</p>
<h2>Cartes sur et sous table</h2>
<p>S’ouvre donc, dans les deux cas, au cours des années qui suivent immédiatement les textes constitutionnels, une manière de partie de poker découvert : les cartes parlementaires sont ouvertes sur la table, tandis que la carte présidentielle ou monarchique reste cachée. Mac Mahon retourne la sienne le 16 mai 1877, en révoquant le Président du Conseil ; de Gaulle, le 20 septembre 1962, en annonçant la révision de la Constitution.</p>
<p>La partie s’engage, violente. L’issue toutefois sera diamétralement inverse : la crise du 16 mai 1877 se soldera par la défaite cuisante des monarchistes, celle de 1962 par la victoire totale du général de Gaulle. Avec l’élection de Jules Grévy, la III<sup>e</sup> République va s’orienter définitivement vers un régime parlementaire moniste, où le Président abdique l’effectivité de ses pouvoirs qui glissent entre les mains du Président du Conseil. Au contraire, forte de la victoire au référendum de 1962, la V<sup>e</sup> s’affirme comme un présidentialisme domestiquant le Parlement et transformant le premier ministre en ventriloque de l’Élysée !</p>
<p>Et pourtant, dans les deux cas, rien n’est changé à l’économie générale des textes initiaux : autour des principes parlementaires cardinaux – irresponsabilité du chef de l’État, droit de dissolution, responsabilité du gouvernement – se dessinent au fil du temps deux figures opposées de l’équilibre des pouvoirs : l’une centrée sur le Parlement, l’autre sur le Président.</p>
<p>Mais peut-être est-ce précisément là que réside la clef de leur longévité : parce qu’ils sont ambigus, voire ambivalents, les textes constitutionnels ouvrent le passage à des pratiques qui, à l’usage, se substituent aux normes de départ. On ne fait pas mentir le droit, on le contourne.</p>
<p>Craint-on un retour à la lettre de la Constitution du fait des cohabitations ? Voilà qu’on ramène la durée du mandat présidentiel à celle du mandat parlementaire, et qu’on inverse le calendrier électoral afin de rendre impossible toute dissociation des majorités parlementaire et présidentielle.</p>
<h2>Presidential dry</h2>
<p>Mais au bout du compte, de pratiques en révisions, on parvient à constituer un objet juridique, non seulement non identifié : pire, non identifiable. On parle, ici ou là, d’un régime mi-présidentiel, mi-parlementaire. C’est ce qui s’appelle confondre hybridité et hétérogénéité.</p>
<p>Certes, notre régime emprunte des éléments au système américain : mode de désignation du Président par le suffrage universel, contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, message sur l’État de l’État… Mais ces emprunts coexistent avec les dispositions inhérentes au régime parlementaire (responsabilité, dissolution, dualité de l’exécutif…). Le problème tient à ce que celles-ci sont incompatibles avec l’économie du régime présidentiel. Et que si, par certains aspects, notre système a des couleurs de ce régime, lui ressemble en apparence, il ne relève pas du même ordre.</p>
<p>L’affaire ne se ramène pas à une querelle terminologique. Elle ne soulève rien moins qu’une mise en cause des principes avancés par Montesquieu, qu’on a traduit sommairement par <em>séparation des pouvoirs</em>. Nul n’est prophète en son pays, et le fameux principe n’a souvent été interprété que comme un moyen d’abaisser un pouvoir en faveur d’un autre, tantôt législatif, tantôt exécutif. Or, les pères fondateurs de la Constitution américaine de 1787, eux, l’ont parfaitement assimilé et appliqué.</p>
<p>En effet, l’objectif de Montesquieu, on le sait, est de faire en sorte que, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » D’où sa distinction entre les trois moments de l’action politique : l’édiction des lois (pouvoir législatif), l’exécution des lois (pouvoir exécutif), leur application aux particuliers (pouvoir judiciaire) :</p>
<blockquote>
<p>« Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des nobles ou du peuple exerçaient ces trois pouvoirs. » (Esprit des lois, Livre XI, chap.VI).</p>
</blockquote>
<p>Il s’agit donc non pas de les séparer, mais de distribuer les pouvoirs en interdisant le cumul des trois fonctions, et en créant trois organes indépendants ne pouvant se détruire l’un l’autre. Cette séparation des organes n’interdit pas, au contraire, que ceux-ci collaborent entre eux. Montesquieu entend les lier, en leur donnant les moyens de s’empêcher mutuellement :</p>
<blockquote>
<p>« Ces trois puissances devraient former un repos, une inaction. Mais comme, par le mouvement nécessaire des choses elles sont contraintes d’aller, elles seront contraintes d’aller de concert. » (Idem)</p>
</blockquote>
<h2>Retrouver l’équilibre</h2>
<p>Le régime américain a parfaitement intégré ce système subtil de poids et de contrepoids. La France en est loin et le seul frein au pouvoir de l’exécutif, c’est l’échéance du mandat présidentiel qui tranche brutalement dans le vif. Au risque d’une instabilité dangereuse et de retournements incertains.</p>
<p>Le système hétérogène élaboré au fil des années a fait de notre démocratie celle où le pouvoir exécutif dispose de la plus grande puissance d’action. À la différence des autres pays, point n’est besoin de négocier des ententes, de tergiverser dans des tractations.</p>
<p>Cette situation peut apparaître propice, dans un moment où il s’agit d’impulser des réformes profondes, et l’on peut comprendre que le président de la République ne renonce pas à un dispositif favorable dont il a hérité. Mais, passé ce moment, il y aurait danger à ne pas dissiper les ambivalences, à garder le trompe-l’œil d’institutions qui ne sont pas ce qu’elles prétendent être.</p>
<p>Il faudra bien un jour arrêter cette partie de poker menteur et redonner au régime les moyens d’un véritable équilibre. L’excès de puissance est illusoire, comme le remarquait Talleyrand :</p>
<blockquote>
<p>« On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/100000/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rétablissement en 2008 du droit d’intervention du Président devant les chambres, complété par la proposition de Macron, constitue un spectaculaire renversement des bases du régime parlementaire.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/903242018-01-21T21:06:15Z2018-01-21T21:06:15ZDe Louis XVI à Emmanuel Macron, l’héritage monarchique de la Vᵉ République<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/202488/original/file-20180118-158550-suq1cb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron à Versailles, le 3 juillet 2017, lorsqu'il a convoqué en Congrès le Parlement. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.sudouest.fr/2017/12/29/2017-emmanuel-macron-le-nouveau-monarque-republicain-4071764-710.php">Etienne Laurent/AFP</a>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort[…] » <a href="http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-plus-royaliste-que-socialiste-07-07-2015-1943115_20.php">Emmanuel Macron</a></p>
</blockquote>
<p>Cette réflexion provient d’une interview donnée par Emmanuel Macron en 2015. Depuis lors, le candidat Macron s’est mué en un monarque républicain qui accueille Vladimir Poutine à Versailles au détour d’une exposition sur le Tsar Pierre le Grand. Les commentaires ont fusé sur le style présidentiel et la dimension symbolique de l’Ancien Régime. Pourtant derrière cette communication, il existe des réalités juridiques.</p>
<p>La V<sup>e</sup> République n’assume pas seulement une continuité culturelle avec l’Ancien Régime comme, par exemple, à travers l’utilisation des châteaux et hôtels particuliers au profit des hauts dignitaires de la République. La nature même du régime se fonde sur une ambiguïté institutionnelle permanente.</p>
<h2>Le droit de grâce</h2>
<p>Sous l’ancien régime, « toute justice vient du roi. » Les tribunaux comme les parlements qui jugent en appel n’exercent qu’une justice déléguée au nom du monarque, qui peut donc se saisir de toutes affaires judiciaires, c’est le pouvoir d’évocation. Le justiciable peut aussi se tourner vers le roi après épuisement de tous les autres recours, c’est son pouvoir de cassation.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=275&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202487/original/file-20180118-158546-1qoauvs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=346&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Saint Louis rendant la justice sous le chêne, G. Rouget, 1826.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p><a href="http://www.slate.fr/story/116193/hollande-gracie-jacqueline-sauvage-saint-louis">Le droit de Grâce</a> et les <a href="http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2011/05/21/01006-20110521ARTFIG00599-mythe-et-realites-des-lettres-de-cachet.php">lettres de cachet</a> s’inscrivent dans la même logique. Le roi peut aussi bien dispenser un de ses sujets d’exécuter une peine d’un de ses tribunaux, qu’il peut l’emprisonner arbitrairement.</p>
<p>Quand François Hollande <a href="http://www.sudouest.fr/2016/12/29/grace-de-jacqueline-sauvage-le-justice-ne-decolere-pas-contre-francois-hollande-3064591-4697.php">gracie Jacqueline Sauvage</a>, la décision provoque un tollé chez les magistrats. Ces derniers avaient auparavant rejeté la demande de libération conditionnelle de la requérante, mais cette sentence fut balayée d’un <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/29/qu-est-ce-que-la-grace-presidentielle_5055426_4355770.html">revers de main présidentiel</a>.</p>
<h2>La subordination du parquet à la Chancellerie</h2>
<p>En France, la justice n’est pas un pouvoir mais une autorité, c’est-à-dire que la légitimité appartient au pouvoir exécutif, qui daigne la transmettre à « l’autorité judiciaire ». Certes, la justice est réputée indépendante, mais c’est au Président – à travers l’article 64 de la Constitution – qu’il convient de garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire.</p>
<p>Lors de l’audience solennelle de <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180115.OBS0630/discours-de-macron-chantiers-de-belloubet-le-gouvernement-lance-sa-reforme-de-la-justice.html">rentrée de la Cour de cassation</a>, Emmanuel Macron, fidèle à son fameux « en même temps », a déclaré souhaiter que le parquet soit à la fois le relais de la politique pénale du gouvernement, tout en prétendant garantir l’indépendance du ministère public. Ces deux exigences semblent contradictoires : si le parquet était véritablement indépendant du pouvoir exécutif, les magistrats seraient alors libres de porter la politique pénale qu’ils souhaiteraient dans le respect de la loi.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hFgYhJ-C5hQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>D’ailleurs, depuis l’Ancien Régime, la position du procureur demeure ambiguë. Comme le dit l’adage : « La plume est serve, mais la parole est libre ». En effet, si le parquet est subordonné au ministère de la Justice, il existe une <a href="http://www.ca-poitiers.justice.fr/ca/dynic/stdcont33p.php?Dtopic=11&idart=9&fpage=9&PHPSESSID=52878e66e5be757f1dea905cbd21cc81">exception</a> : lors des réquisitions à l’audience, où un magistrat du parquet reste libre de s’exprimer comme il l’entend, y compris en contradiction avec les pièces qu’il a précédemment versées à la procédure. <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/01/15/reforme-de-la-justice-macron-souhaite-que-le-parquet-reste-attache-a-la-garde-des-sceaux_5241961_823448.html">Contesté par les magistrats</a>, ce lien constitue un héritage régalien de plus au sein de la République.</p>
<h2>Le statut juridictionnel du Président</h2>
<p>Le Président ne peut être tenu responsable devant la justice ordinaire pour des actes commis durant son mandat. <a href="http://www.lepoint.fr/presidentielle/quel-est-le-statut-juridictionnel-du-president-et-du-candidat-01-03-2017-2108400_3121.php">Cette irresponsabilité</a> vaut aussi bien dans le domaine politique, pénal, civil qu’administratif. Seule exception prévue par la Constitution : « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat » et devant la Cour pénale internationale (CPI).</p>
<p>Cette irresponsabilité correspond également à un héritage régalien : en effet, le roi n’était pas lié par les lois ordinaires. Il possédait une « immunité législative », étant à l’origine des lois du royaume.</p>
<h2>Une monarchie encadrée par des droits fondamentaux</h2>
<p>Si le monarque n’était pas soumis aux lois ordinaires, il l’était en revanche aux <a href="https://www.cairn.info/les-constitutions-de-la-france--9782130546085.htm">lois fondamentales du royaume</a>. Son pouvoir étant de droit divin, la puissance du clergé, véritable contre-pouvoir, l’obligeait à respecter cette fondamentalisation du droit.</p>
<p>Pareillement, le Président ne peut aller à l’encontre des droits fondamentaux reconnus par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et accolée à la Constitution via son préambule. La <a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/approfondissements/conseil-constitutionnel-protecteur-droits-libertes-citoyens.html">décision</a> du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 consacre cette valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution.</p>
<h2>Les pleins pouvoirs</h2>
<p>Les constitutionnalistes préfèrent souvent utiliser le terme de <a href="http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/approfondissements/pouvoirs-exceptionnels-du-president.html">« pouvoirs exceptionnels du président de la République »</a>. Pourtant, le terme de « pleins pouvoirs » qualifie mieux l’article 16 de la Constitution et sa nature monarchique.</p>
<p>L’idée de cette disposition est qu’en période de crise, le Président retrouve la « plénitude de ses pouvoirs ». Cela se traduit par un cumul des pouvoirs exécutifs et législatifs, à l’instar du roi sous l’ancien régime.</p>
<h2>Du lit de justice au 49-3</h2>
<p><a href="https://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20150217tribb876a9181/l-article-49-3-de-la-constitution-c-est-quoi.html">Le 49.3</a> est une disposition constitutionnelle qui permet à l’exécutif de faire adopter une loi sans que les parlementaires ne puissent l’amender, sauf à renverser le gouvernement. Durant le dernier quinquennat, son utilisation a été dénoncée comme <a href="https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwiUs6-v4-DYAhWDIMAKHRCUAI8QFghBMAQ&url=http%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr%2Fles-decodeurs%2Farticle%2F2015%2F02%2F17%2Fle-recours-au-49-3-un-usage-repandu-sous-la-ve-republique_4578324_4355770.html&usg=AOvVaw1dCY26_LAghpJLfKGXaieT">« une sorte de coup d’État ».</a></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=427&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202490/original/file-20180118-158516-1mz6hqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=537&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lit de justice tenu par Louis XV en la Grand’Chambre du Parlement de Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pierre Louis Dumesnil</span></span>
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<p>Cette pratique renvoie à une autre propre à l’Ancien Régime, le <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2011-1-page-59.htm">lit de justice</a>. Lorsque les parlementaires refusaient d’enregistrer un texte, le roi venait présider en personne la séance du Parlement. Suivant l’adage « adveniente principe, cessat magistratus » (« quand le Prince arrive, les magistrats se taisent »), ces derniers perdaient alors leur rôle de juge pour redevenir de simples conseillers et devaient adopter le texte tel quel, sans pouvoir faire usage de leur droit de remontrance.</p>
<h2>La dissolution</h2>
<p>L’article 12 de la Constitution de 1958 offre au Président le pouvoir discrétionnaire de dissoudre l’Assemblée nationale. Son utilisation à sens unique – l’Assemblée ne peut renverser que le gouvernement et non le Président – a souvent créé la polémique, rappelant plusieurs dissolutions des régimes antérieurs.</p>
<p>Le 12 avril 1771, Louis XV et son <a href="http://www.canalacademie.com/ida5119-Le-chancelier-de-Maupeou-une-reforme-de-la-justice-manquee.html">chancelier Maupeou</a> décident le renvoi et l’exil des Parlements, des institutions datant du Moyen âge qui exerçaient un pouvoir de justice délégué au nom du roi. Cette décision représente un acte fort de la monarchie, très décrié par la population. Si Louis XV avait affirmé lors de l’évènement : « Je ne changerai jamais », son successeur Louis XVI rappellera les <a href="https://www.cairn.info/revue-parlements1-2011-1-page-44.htm">Parlements</a> lors de son accession au trône.</p>
<p>En 1830, Charles X tentera d’utiliser par deux fois l’article 14 de la charte de 1814 qui permet la <a href="http://www.lepoint.fr/histoire/evenements/les-ordonnances-de-1830-un-abus-de-pouvoir-au-gout-de-revolution-15-08-2013-1714270_1616.php">dissolution</a> du Parlement, rejetant ainsi le verdict des urnes et la logique parlementaire. Cette décision sera un échec et provoquera la Révolution des trois Glorieuses qui aboutira à la Monarchie de Juillet. Il en résultera l’adage : « Dissolution ne vaut qu’une fois. »</p>
<p>Le 16 mai 1877, le Président Mac Mahon utilise son pouvoir de <a href="http://www.vie-publique.fr/questions/dissolution-assemblee-nationale-arme-presidentielle.html">dissolution</a> à l’encontre d’une chambre élue l’année précédente, l’opposition crie alors au coup d’État. Convoqués, les électeurs renforcent leur précédent vote ; et Gambetta appelle le Président à « se soumettre ou se démettre. »</p>
<h2>La question du régime : le véritable clivage gauche-droite</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=446&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202486/original/file-20180118-158516-1n9hc7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=561&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le procès de Louis XVI.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de la Justice</span></span>
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<p>La question du régime est historiquement à l’origine du clivage gauche-droite depuis le vote qui décida de l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793. Dans l’hémicycle, les partisans de la République se répartirent à gauche, tandis que ceux qui souhaitaient sauver la royauté vinrent à droite.</p>
<p>Pour la gauche, la légitimité du pouvoir est populaire, <a href="https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2007-4-page-463.html">comme le défend Jean‑Jacques Rousseau</a> dans le <em>Contrat social</em>. Concrètement, cela s’est souvent traduit par une instabilité parlementaire que dénonçait Charles de Gaulle en juin 1946 dans son discours de Bayeux, à l’origine de la V<sup>e</sup> République.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uqYqT6Xs04c?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-4-page-53.htm">Le général défendait l’ordre et un parlement rationalisé</a>. Ces idées correspondent à celles de la monarchie avec lesquelles renoue la V<sup>e</sup> République. Le rôle du Président a, depuis, été renforcé par l’élection au suffrage universel du président de la République, ainsi que le <a href="https://docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupversions/475fc2e2-87a9-4365-8462-2a55af034fda">passage au quinquennat</a> qui assure systématiquement la majorité au chef d’État nouvellement élu.</p>
<p>Ainsi, la V<sup>e</sup> n’est pas tout à fait « un régime parlementaire », sans être pas non plus un « régime présidentiel ». <a href="http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1974_num_39_2_1826_t1_0245_0000_1">Selon les mots célèbres du professeur de droit Maurice Duverger</a>, elle s’apparente plutôt à une « monarchie républicaine ».</p>
<p>La V<sup>e</sup> République, a dès sa création, fait l’objet de critiques : en 1964, François Mitterrand publiait à son encontre un véritable réquisitoire, <a href="http://www.mitterrand.org/Le-coup-d-Etat-permanent-465.html">« Le coup d’État permanent »</a>. Lors de la dernière présidentielle, <a href="http://www.rtl.fr/actu/politique/melenchon-hamon-valls-ces-candidats-qui-pronent-une-vie-republique-7786402403">Jean‑Luc Mélenchon et Benoît Hamon</a>, entre autres, militaient pour son abolition et la proclamation d’une VI<sup>e</sup> République,. A l’inverse, Emmanuel Macron reste attaché à V<sup>e</sup>, comme une permanence du clivage originel.</p>
<p><a href="http://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-plus-royaliste-que-socialiste-07-07-2015-1943115_20.php">Dans l’interview de 2015</a> précédemment cité, l’actuel locataire de l’Élysée estimait que « la Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! » Selon Emmanuel Macron, « ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction ».</p>
<p>À moins que la prochaine échéance présidentielle ne vienne lui rappeler la précarité d’un règne en République.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Bagard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Vᵉ République n’assume pas seulement une continuité culturelle avec l’ancien régime, la nature même du régime se fonde sur une ambiguïté institutionnelle permanente.Guillaume Bagard, Doctorant contractuel chargé d'enseignement en Droit, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/756552017-04-05T22:38:24Z2017-04-05T22:38:24ZValeurs de droite et valeurs de gauche : de la Révolution française aux élections de 2017<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/164068/original/image-20170405-14636-mb68f8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"> Panorama de l'hémicyle de l'Assemblée nationale.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Panorama_de_l%27h%C3%A9micyle_de_l%27assembl%C3%A9e_nationale.jpg">Richard Ying et Tangui Morlier</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les appellations « droite » et « gauche » sont anciennes puisqu’elles prennent leur origine dans l’histoire de la Révolution française. En 1789, l’Assemblée constituante s’interroge pour savoir si, dans les nouvelles institutions politiques de la France, le roi doit ou non avoir un droit de veto sur les nouvelles lois et si ce droit doit être absolu ou simplement suspensif, pour un temps.</p>
<p>Au moment du vote, les partisans du veto absolu se mettent à droite du président, le côté noble de l’assemblée selon beaucoup d’usages d’origine chrétienne : il est honorifique d’être à la droite du père comme à la droite de Dieu. Ceux qui veulent un veto très limité se rangent à gauche. La géographie de la salle prend ainsi un sens politique : à droite les partisans d’une monarchie qui conserve au roi beaucoup de pouvoirs, à gauche ceux qui veulent les réduire.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, l’utilisation de ce vocabulaire imagé pour classer les positions politiques des parlementaires s’est progressivement développée. Ce sont des formules qui ont le grand avantage d’être simples, et donc de réduire la complexité des idées politiques à une dichotomie. Celle-ci permet aussi, souvent, pour le locuteur de ce vocabulaire, d’identifier le camp du bien auquel il appartient et le camp du mal qu’il dénonce.</p>
<p>Avec très vite, cependant, des sous-catégories pour situer sur une sorte de dimension allant de la droite à la gauche l’ensemble des acteurs politiques, la question étant alors de savoir si tel parti est plus ou moins à gauche ou à droite qu’un autre. On va bientôt parler de « coalitions des droites », de « bloc des gauches », de « centre droit » et de « centre gauche », d’« extrême gauche » et d’« extrême droite »…).</p>
<h2>« Le combat des deux France »</h2>
<p>Au fil des décennies, les questions qui sont au cœur de la vie politique ont évolué. Sur chaque problème en débat, on a pu repérer une ou plusieurs positions de gauche, une ou plusieurs positions de droite, avec aussi des positions de centre et des indécis. Si au début du XIX<sup>e</sup> siècle, ce clivage entre gauche et droite oppose, essentiellement, les tenants de la royauté absolue aux partisans d’une monarchie constitutionnelle, il va ensuite mettre aux prises les partisans de la monarchie aux Républicains, puis les tenants d’une République conservatrice aux adeptes d’une République moderne qui fait adopter les grandes lois de la III<sup>e</sup> république : liberté de la presse, libertés syndicales, divorce, liberté associatives…</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> et au début du XX<sup>e</sup> siècle, le débat entre droite et gauche va très largement recouper l’opposition entre défenseurs du catholicisme et partisans de la laïcité de l’État – ce qu’on appellera souvent le « combat des deux France », la France catholique et la France anticléricale. À partir des années 1930, le clivage économique devient dominant, la gauche défendant le socialisme et la droite le libéralisme.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164071/original/image-20170405-28300-4qf2tb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le mariage pour tous à Strasbourg, en février 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b3/Strasbourg_manifestation_contre_le_mariage_pour_tous_2_f%C3%A9vrier_2013_01.jpg/640px-Strasbourg_manifestation_contre_le_mariage_pour_tous_2_f%C3%A9vrier_2013_01.jpg">Claude Truong-Ngoc/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Aujourd’hui les enjeux du débat politique sont peut-être moins ciblés sur une question unique. Le débat économique clive toujours entre gauche et droite, même si les solutions libérales et socialistes ne sont plus exactement les mêmes que par le passé. Le débat sur le libéralisme des mœurs est devenu important depuis les années 1970, avec des débats récurrents sur l’avortement, le divorce, l’homosexualité, le mariage pour tous, l’euthanasie. Il en est de même pour les questions autour de l’immigration et de l’ouverture sur le monde plutôt que la fermeture sur l’univers national, le protectionnisme économique et la défense des traditions culturelles.</p>
<h2>Plusieurs droites et plusieurs gauches…</h2>
<p>Déjà René Rémond, historien de la politique, parlait <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Droites_en_France">dans un ouvrage célèbre</a> de trois droites : une droite légitimiste et contre-révolutionnaire, une droite libérale, une droite bonapartiste. On peut discuter pour savoir si ces trois droites existent encore.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=919&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164077/original/image-20170405-14636-1lv7ugp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1155&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Sarkozy, en 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Flickr_-_europeanpeoplesparty_-_EPP_Summit_October_2010_(105).jpg">Parti populaire européen/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Demeure incontestablement une différence importante entre une droite conservatrice, plus autoritaire, favorable à une économie où l’État conserve un rôle régulateur et protecteur, et une droite libérale en économie qui veut déréguler, libérer le travail et les dynamiques entrepreneuriales, très présente chez Les Républicains, de Raffarin à Sarkozy. La droite bonapartiste, autrefois rapprochée du gaullisme, peut aujourd’hui en partie l’être du Front national qui maintient le culte du chef, de l’ordre et du patriotisme.</p>
<p>Sur chacun des grands domaines qui structurent les débats politiques, on distingue en fait au moins deux droites et deux gauches. Sur les valeurs familiales et le mariage homosexuel, on voit bien qu’il y a à droite une minorité ouverte à une permissivité croissante et à gauche une minorité assez réticente à certaines évolutions. Sur les enjeux migratoires, il en est de même. Les politiques restrictives à l’égard de l’accueil des migrants ne convainquent pas toute la droite et les politiques ouvertes sont loin de faire l’unanimité à gauche.</p>
<h2>… sans oublier le centre</h2>
<p>Les positions centristes sont souvent difficiles à caractériser car ceux qui se revendiquent du centre politique sont parfois sur des positions intermédiaires concernant un grand enjeu politique, parfois plutôt à gauche sur un enjeu et à droite sur un autre. Les radicaux du début du siècle ont souvent été considérés comme défenseurs de la laïcité et des libertés fondamentales, de ce fait adeptes du « cœur à gauche mais du portefeuille à droite », leurs positions économiques étant plutôt libérales. Alors que les centristes issus de la démocratie chrétienne sont adeptes de politiques sociales, favorables au dialogue entre patrons et salariés, opposés au libéralisme économique débridé mais conservateurs en matière familiale.</p>
<p>Même si on peut repérer des droites, des centres et des gauches qui constituent comme des familles de pensée sur le long terme, les solutions politiques proposées sont donc très différentes d’une période à l’autre. Il n’y a pas véritablement de contenu universel et pérenne associé à ces catégories géographiques.</p>
<p>On ne peut même pas dire, aujourd’hui, que la droite est pour l’ordre et la gauche pour le mouvement, comme on l’a parfois prétendu. Par rapport à l’État providence, c’est la droite qui est réformatrice alors que la gauche est pour la défense des acquis sociaux. Mais à chaque période, gauche, centre et droite sont des repères qui permettent de classer les partis, les hommes politiques et les idées qu’ils défendent.</p>
<h2>Des présidentielles qui ravivent les clivages</h2>
<p>Les primaires citoyennes ont permis de bien saisir les <a href="https://theconversation.com/primaires-le-programme-commun-de-la-droite-67089">écarts qui séparent droite et gauche</a> mais, à l’intérieur de chaque camp, on a pu aussi identifier des positions plus à droite et d’autres plus à gauche, les seconds tours des primaires le montrant clairement : à droite entre <a href="https://theconversation.com/alain-juppe-victime-de-la-peur-du-chirac-bis-69181">François Fillon et Alain Juppé</a>, à gauche entre Benoît Hamon et Manuel Valls.</p>
<p>Et il est à parier qu’une grande partie des téléspectateurs du premier débat télévisé avant le premier tour de la présidentielle classent de manière assez semblable, en fonction de leurs compétences politiques, les cinq candidats sur une échelle allant de la gauche à la droite.</p>
<p>Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise incarne une forme de protestation sociale qui refuse les alliances avec la gauche de gouvernement et propose un programme nettement plus en rupture sur les institutions, sur l’Europe, sur la politique économique que Benoît Hamon, représentant de la social-démocratie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164092/original/image-20170405-14626-3bod5u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la protestation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Melenchon,_6%C3%A8me_R%C3%A9publique_-_MG_6549.jpg">Pierre-Selim/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Emmanuel Macron, qui a inspiré une bonne partie de la politique économique du président Hollande, propose des politiques de <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-plus-proche-de-juppe-que-de-hollande-dans-les-urnes-virtuelles-60402">type centriste</a>. Partisan affiché de politiques économiques libérales, il est favorable à des mesures de protection sociale, d’intégration des immigrés et de non-discrimination à l’égard des minorités. Tout comme François Bayrou en 2007 et 2012, il essaye d’attirer à la fois des électeurs de la droite de la gauche et de la gauche de la droite. Autrement dit : les socialistes qui trouvent Benoît Hamon trop à gauche et Les Républicains ou les centristes qui trouvent François Fillon trop à droite. Et les différences sont, bien sûr, nettes entre cette droite affirmée et l’extrême droite populiste, protectionniste et anti-européenne.</p>
<h2>Pas de bonnet blanc et de blanc bonnet</h2>
<p>L’affirmation selon laquelle gauche et droite, ce serait la même chose, est donc erronée, mais il est intéressant d’essayer de comprendre ce qui explique cette fréquente impression. Elle apparaît nettement dans les sondages d’opinion dès les années 1980. Un nombre croissant de personnes affirment que gauche et droite n’ont plus de sens. Et pourtant, les mêmes personnes, dans les mêmes sondages, acceptent de se situer sur une échelle allant de la gauche à la droite, revendiquant une certaine identité politique en termes de droite et de gauche. Et, selon leur position sur cette échelle, les individus répondent aussi différemment à de nombreuses questions politiques.</p>
<p>Ce paradoxe peut s’expliquer. Beaucoup se sentent plutôt de droite ou plutôt de gauche en fonction de ce qu’ils pensent, tout en estimant que les gouvernants mettent en œuvre des politiques semblables lorsqu’ils sont au pouvoir. Ils attendent donc des programmes politiques clairs, résumables en propositions de droite ou de gauche. Mais ils sont déçus par les réalisations.</p>
<p>Cette difficulté à mettre en œuvre un programme lorsqu’on est aux affaires tient en fait à plusieurs raisons :</p>
<ul>
<li><p>Les conjonctures changent en cours de mandat et il faut s’adapter aux événements (crise financière, attentats…).</p></li>
<li><p>De nombreux groupes de pression se font entendre pour contester la mise en œuvre de certaines propositions, pressions qui s’avèrent assez souvent efficaces.</p></li>
<li><p>Le Conseil constitutionnel retoque parfois une loi (par exemple sur une tranche très haute d’impôts pour les salaires très élevés).</p></li>
<li><p>Dans un contexte de mondialisation et d’interdépendance des économies, un gouvernement peut difficilement mettre en œuvre une politique trop décalée. Déjà en 1983, François Mitterrand en avait fait l’expérience lorsqu’il préféra le « tournant de la rigueur » plutôt qu’une sortie du système monétaire européen.</p></li>
<li><p>Certaines promesses peuvent être faites en fonction de leur rentabilité électorale supposée, en oubliant la difficulté de leur mise en œuvre. Autrement dit, vendre des idées de droite ou de gauche dans une campagne, c’est aussi faire au moins un peu rêver au détriment des réalités niveleuses.</p></li>
</ul>
<p>Les programmes des candidats – tels qu’on peut les lire ou les entendre <a href="https://theconversation.com/debattre-cest-combattre-69443">dans les débats</a> – sont souvent assez techniques mais, au-delà des chiffres et des mécanismes annoncés, les valeurs qui les inspirent sont assez facilement repérables. Certaines différences opposent les radicaux – protestataires – aux modérés, mais beaucoup d’autres renvoient encore et toujours à des valeurs de droite (économie libérale, défense de l’ordre et de la conformité, nationalisme…) opposées à des valeurs de gauche (économie réglementée, défense des libertés individuelles, ouverture sur le monde…).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nombre d’électeurs se sentent plutôt de droite ou plutôt de gauche, tout en estimant que les gouvernants mettent en œuvre des politiques semblables lorsqu’ils sont au pouvoir.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/752782017-03-30T20:20:50Z2017-03-30T20:20:50ZMitterrand et Poutine contre Hollande et Eltsine, ou comment « incarner » la fonction de dirigeant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/163320/original/image-20170330-4565-1u8cxjq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vladimir Poutine reçoit François Hollande, le 26 novembre 2015, au Kremlin.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Vladimir_Putin_and_Fran%C3%A7ois_Hollande_(2015-11-26)_03.jpg">Kremlin/Wiikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>On reproche souvent aux dirigeants politiques de mal incarner leur fonction. Le chef doit cacher son corps, ses sentiments, sa vie privée, sa sexualité. François Mitterrand ou Vladimir Poutine y sont remarquablement parvenus, tandis que François Hollande ou Boris Eltsine ont, au contraire, fait preuve d’une certaine légèreté en la matière.</p>
<h2>Les deux corps du Président</h2>
<p>En janvier 2014, François Hollande se fait <a href="http://www.lepoint.fr/politique/closer-revele-une-liaison-entre-francois-hollande-et-julie-gayet-09-01-2014-1778737_20.php">photographier sur un scooter</a>, en train d’aller rendre visite à sa compagne, Julie Gayet. Épisode désastreux pour celui qui prétendait incarner une présidence « normale ». Rien de plus anormal, en effet, aux yeux de l’opinion, que l’image d’un Président exhibant sa vie intime.</p>
<p>François Hollande n’a pas tiré les leçons de l’essai de l’historien Ernst Kantorowicz sur les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Deux_Corps_du_roi">deux corps du roi</a>.</p>
<p>Le chef, à partir du moment où il est investi de sa fonction de commandement, se dédouble : il est à la fois lui-même et l’institution qu’il incarne. Ne dit-on pas justement « incarner » ? La métaphore est révélatrice : la fonction du Président est vue comme un deuxième corps se superposant à celui de l’être humain. Une figure de style qui nous permet aussi de bien comprendre ce que le groupe social attend de son dirigeant.</p>
<p>Les deux corps ne sont jamais mis au même niveau : une fois intronisé ou élu, le chef doit dissimuler son corps humain, soumis au vieillissement physique et à tous les aléas de la nature au profit du corps institutionnel, censé être inaltérable, qui l’enrobe et le transfigure. L’homme devenu Président n’est plus, dès lors, un simple individu, mais l’incarnation du groupe ; il est revêtu de majesté.</p>
<p>C’est pour cette raison que les sujets du roi comme les concitoyens du Président condamneront toujours l’individualisme du chef, mais loueront, au contraire, comme des qualités, ses efforts au service de la communauté. Le chef sachant incarner sa fonction gagne une forte légitimité, souvent doublée d’une réelle popularité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=387&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/163270/original/image-20170330-15578-fo8cks.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Caricature de Louis XIV par Thackeray (1840), intitulée : « Ce qui fait le roi » (« What makes the king »).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1840_engraving_depicting_Louis_XIV_of_France_entitled_%22What_makes_the_King%3F%22_by_William_Makepeace_Thackeray,_The_Paris_Sketchbook.jpg">DR</a></span>
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<p>François Hollande n’y sera vraiment parvenu qu’une seule fois au cours de son quinquennat : après les attentats de janvier 2015. Il endosse alors pleinement le rôle présidentiel et enregistre aussitôt un fort gain de popularité. Mais, depuis, il a replongé dans une anormalité suicidaire. Le livre intitulé <em>Un président ne devrait pas dire ça</em>, publié en octobre 2016, le fait plonger au plus bas niveau de confiance jamais atteint par un président : 4 %. Deux mois plus tard, il est obligé de renoncer à briguer un second mandat.</p>
<p>Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait déjà ouvert la voie vers ce type de renoncement à la majesté présidentielle. En janvier 2008, il prononce sa petite phrase autodestructrice, devenue fameuse, lors d’une conférence de presse : « Avec Carla, c’est du sérieux ! ».</p>
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<p>Le président se met à nu et, de surcroît, en public, devant 600 journalistes ! Il expose sa vie privée, au détriment, forcément, de l’institution qu’il devrait incarner et à l’opposé de ce que la majorité des citoyens attendent du chef de l’État.</p>
<h2>Les apparences comptent</h2>
<p>De ce point de vue, la culture politique française demeure très imprégnée de l’héritage de la monarchie : comme à l’époque de Louis XIV, les apparences comptent. Le chef n’est pas n’importe qui. François Mitterrand l’avait parfaitement compris ; c’est pourquoi, jusqu’à la fin de sa présidence, il dissimula scrupuleusement l’existence de sa fille, née hors mariage.</p>
<p>Ironie de l’histoire : dans son allocution maladroite, Nicolas Sarkozy faisait justement référence à François Mitterrand, pour le critiquer et se distinguer de lui ; il souhaitait s’inscrire « en rupture avec une tradition déplorable de notre vie politique : celle de l’hypocrisie ». Grossière erreur : l’hypocrisie en question est une nécessité politique, inscrite dans la définition même du chef depuis au moins cinq mille ans. C’est un invariant de l’histoire humaine. Les normes qui ont permis de fabriquer les premiers chefs en Mésopotamie et en Égypte, à l’aube de l’histoire de l’humanité, sont toujours en vigueur aujourd’hui. Nicolas Sarkozy va payer cher son refus de se conformer à cette très ancienne règle implicite.</p>
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<p>Plus grave encore que la bourde de Sarkozy ou la sortie en scooter d’Hollande, l’affaire Monica Lewinsky, en 1998, a été désastreuse pour Bill Clinton, obligé d’évoquer de manière très crue ses relations sexuelles. Déshabillé, le président en est réduit à devenir l’acteur, bien malgré lui, d’une sorte de film pornographique dégradant. Clinton parvint néanmoins à échapper à la procédure de destitution lancée à son encontre.</p>
<p>Plus tard, le candidat pressenti à l’élection présidentielle française de 2012, Dominique Strauss-Kahn, fera lui aussi les frais d’une mise à nu qui le condamna d’avance à ne plus pouvoir incarner la fonction de chef de l’État.</p>
<h2>Corps athlétique contre corps malade : Poutine face à Eltsine</h2>
<p>La Russie offre un intéressant cas d’école à travers l’opposition entre le corps de Boris Eltsine et celui de son successeur Vladimir Poutine. Le premier, dans les années 1990, fait figure de président indigne : alcoolique, blagueur et bouffon, incapable de se tenir en public. Il titube lors des cérémonies officielles ; il s’effondrerait même s’il n’était pas retenu in extremis par des membres de son entourage. De nombreux Russes se sentent humiliés par cet affichage d’un corps malade et ridicule.</p>
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<p>Vladimir Poutine va s’employer, au contraire, à diffuser une image radicalement opposée et, par la même occasion, conforme à la figure intemporelle du chef. Ses biographes officiels racontent l’histoire de son corps ; Poutine a commencé à s’adonner au sport dans sa jeunesse, à Saint-Pétersbourg, afin de s’imposer à la tête d’une meute d’enfants d’ouvriers qui jouaient dans la cour de son immeuble. À cette époque, le futur Président était chétif ; sa démarche était mal assurée. Et pourtant, le jeune homme parvient à transcender ses défauts initiaux qui auraient pu mettre son avenir en péril ; il remodèle lui-même son corps et s’impose une démarche droite. Sous-entendu : il est désormais qualifié pour les plus hautes fonctions.</p>
<p>Dans cette histoire, le corps régénéré de Poutine symbolise l’État russe, précédemment affaibli et corrompu, que le Président a pour mission de redresser et de renforcer. D’où les nombreuses images de Poutine, sportif et athlétique, diffusées en Russie. En parallèle, le président russe ne dit rien de sa vie privée, laissant la presse mondiale fantasmer sur ses relations réelles ou supposées.</p>
<p>Le chef ne peut pas faire n’importe quoi. Corps et comportement lui sont dictés par des attentes inscrites dans la culture politique de ses concitoyens ou de ses sujets. Il doit adopter une certaine tenue, maintenir des apparences ; sa fonction est codifiée par des stéréotypes aussi vieux que l’histoire humaine.</p>
<p>C’est aussi ce qu’a rappelé, à ses dépens, François Fillon : on n’imagine pas « le général de Gaulle mis en examen ». Pas plus qu’Alexandre le Grand vaincu au combat, ni Ramsès II n’honorant pas les grands dieux de l’Égypte. La « normalité », quand elle incarnée par le chef est source d’une autorité solide et durable</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a récemment publié <a href="http://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/christian-georges-schwentzel/la-fabrique-des-chefs-christian-georges-schwentzel/"><em>La Fabrique des chefs, d’Akhenaton à Donald Trump</em></a>, éditions Vendémiaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75278/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le chef ne peut pas faire n’importe quoi. Corps et comportement lui sont dictés par des attentes inscrites dans la culture politique de ses concitoyens ou de ses sujets. En France comme en Russie.Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/739732017-03-16T21:44:57Z2017-03-16T21:44:57ZImposer son pouvoir, une simple affaire de stratégie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/159622/original/image-20170306-20767-vtrn2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans _Game of Thrones_.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bagogames/16632632814">BagoGames/Wikimedias</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Pourquoi obéir à l’autorité ? En général, on obéit à un gouvernant juste, sage, traditionnel ou à qui l’on reconnaît des vertus particulières. C’est ce que l’on appelle la légitimité, la <a href="https://www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/dossiers-de-lecture/31-langage-et-pouvoir-symbolique?showall=&start=3">« méconnaissance de l’arbitraire »</a> au fondement de tout pouvoir.</p>
<p>On s’intéresse souvent aux résistances, mais l’Histoire est surtout composée d’obéissance. Comment l’obtenir ? Comment un conquérant ou un usurpateur peut-il faire taire l’opposition ? Pourquoi ce qui fonctionne souvent échoue quelquefois ?</p>
<p>Ces vastes questions ont récemment intéressé un <a href="https://www.academia.edu/28356848/Programme_journ%C3%A9e_d%C3%A9tudes_Construire_la_l%C3%A9gitimit%C3%A9_politique_de_lAntiquit%C3%A9_%C3%A0_nos_jours_">groupe interdisciplinaire de jeunes chercheurs</a> : il s’agissait alors de s’interroger sur les stratégies et sur leur réception (acceptation ou contestation). Le mot-clé n’était pas celui de « légitimité », qui suggérerait une réalité transcendante, mais « légitimation », qui souligne la construction progressive et largement inconsciente de l’acceptation.</p>
<h2>Une boîte à outils à manier prudemment</h2>
<p>Premièrement, la légitimation n’est pas souvent méthodique ; on a pu parler de « bricolage empirique ». La légitimité n’est jamais acquise ; elle se conquiert, mais elle doit se conserver dans le temps. <a href="http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/">C’est un enjeu de lutte permanent</a>.</p>
<p>Le vocabulaire participe du processus. Nommer « opposition » les partis politiques situés hors du pouvoir les réduit en situation minoritaire et permet de prendre sur eux un ascendant symbolique. À l’inverse, une appellation valorisante accroît inconsciemment l’acceptation : « combattant de Dieu » ou « résistant » au lieu de terroriste, par exemple.</p>
<p>Ensuite, la légitimité s’incarne dans les rites du pouvoir. Par exemple, la fête révolutionnaire est un moment de manifestation de l’attachement populaire aux régimes issus de 1789 ; au XIX<sup>e</sup> siècle, elle se charge d’émotion pour susciter l’admiration. Aujourd’hui, le 14 juillet est l’occasion d’une mise en scène du président de la République comme chef des armées. L’usage de ce statut guerrier a permis en 2015 à <a href="http://www.latribune.fr/economie/france/francois-hollande-chef-de-guerre-inattendu-510012.html">François Hollande de remonter dans les sondages</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160457/original/image-20170313-19266-y6wcc1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fontainebleau, écrin du pouvoir royal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">http://www.all-free-photos.com</span></span>
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<p>L’impression de force est donc importante. Aussi, la monarchie française a eu recours, en temps de crise, à certains lieux « chargés » de légitimité royale, songeons aux châteaux de Blois ou de Fontainebleau. C’est ce que l’on appelle la « dramaturgie royale », qui profite également des fêtes périodiques ou ponctuelles pour créer la splendeur. Pour reprendre les mots de Christian Le Bart, le pouvoir possède « l’<a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00179929/en/">art d’être là</a> » : présent parmi le peuple pour se montrer populaire ou démocratique, au palais pour montrer sa puissance, aux armées pour devenir chef de guerre, et grâce aux médias aujourd’hui, partout.</p>
<p>En démocratie, la mise en scène s’accompagne en effet d’un impératif temporel : les élections. Il faut plaire rapidement et, pour ce faire, s’inviter dans le quotidien des électeurs. Des internautes <a href="http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/insolites/2016/12/12/25007-20161212ARTFIG00184-le-final-criard-de-macron-inspire-les-internautes.php">se sont moqués des hurlements d’Emmanuel Macron</a>, mais cette image d’un homme combatif a circulé ; les moqueries elles-mêmes ont véhiculé l’image voulue par le candidat. À l’inverse, un scandale peut rapidement atteindre la légitimité et ruiner les prétentions, comme l’expérimente actuellement François Fillon. Celui-ci tente alors de <a href="http://www.bfmtv.com/politique/en-direct-francois-fillon-l-entente-autour-de-sa-candidature-s-effrite-740.html">jouer sur cette image de force pour revenir</a>.</p>
<h2>Les acteurs de la légitimation</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=284&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160458/original/image-20170313-19263-1eld82x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=357&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Monnaie romaine portant la légende SECURITAS, justification du pouvoir impérial.</span>
<span class="attribution"><span class="source">https://www.cngcoins.com</span></span>
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<p>Toutefois, l’impression produite ne suffit pas. Il faut que la population croie trouver un intérêt. Ainsi Napoléon III s’exclamant « l’Empire, c’est la paix ! » joue sur l’argument déjà exploité par l’Empire romain. La République française prône la liberté, l’égalité et la fraternité. Aujourd’hui, Donald Trump promet de rendre l’Amérique « great again », attirant à lui <a href="https://theconversation.com/trump-comment-en-est-on-arrive-la-72015?utm_medium=e-mail&utm_campaign=Des%20nouvelles%20de%20The%20Conversation%20pour%203%20fvrier%202017%20-%2066714857&utm_content=Des%20nouvelles%20de%20The%20Conversation%20pour%203%20fvrier%202017%20-%2066714857+CID_cb15d86de312e051493793fd32d40768&utm_source=campaign_monitor_fr&utm_term=Trump%20%20comment%20en%20est-on%20arriv%20l">tous les déçus qui voient en son succès leurs propres intérêts</a>. Le peuple est donc pleinement acteur du processus.</p>
<p>Le succès est atteint lorsque l’ordre est intériorisé. La croyance que le pouvoir vient de Dieu est un puissant facteur de droit. Depuis le Moyen-Âge, le rôle de l’archive n’est plus négligeable : ainsi Édouard I<sup>er</sup> d’Angleterre au XIII<sup>e</sup> siècle avait fait rechercher des documents pouvant justifier sa souveraineté sur l’Écosse. L’archiviste (ou le fonctionnaire) a remplacé le clerc médiéval comme « expert », parfois inconscient, du discours officiel.</p>
<p>L’artiste partage cette casquette, qu’il agisse sous commande ou s’exprime personnellement. Songeons au portrait de Vigée-Lebrun qui donne de Marie-Antoinette l’image d’une femme plutôt que d’une reine… Tentative de modernisation de l’image royale qui fit scandale à l’époque.</p>
<h2>Aléas extérieurs</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=751&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=751&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=751&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=944&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=944&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/159278/original/image-20170303-16344-h99zma.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=944&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Marie-Antoinette en chemise ou en gaulle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://images.telerama.fr/medias/2015/09/media_131978/elisabeth-louise-vigee-le-brun,M259297.jpg">Wikipédia</a></span>
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<p>L’échec ne vient que rarement des stratégies : une série d’aléas extérieurs entre en compte. La légitimation reste une expérimentation ; il n’y a pas de recette, il faut cumuler des outils bien choisis, une conjoncture favorable et une part d’aléatoire. Mais globalement, quand un concurrent est populaire, la légitimité est une donnée finalement secondaire, qui se construit avec le temps. Ce n’est que plus tard que l’opposition peut souligner le manque de droit du gouvernant.</p>
<p>Des actes anodins prouvent le succès. Quiconque emploie de la monnaie exprime sa confiance dans l’autorité qui en garantit la valeur. Quiconque vote se montre confiant dans le système électoral. Quiconque proclame son opinion est sûr d’être libre de le faire et de pouvoir être entendu, il croit donc à l’État de droit. L’intériorisation de l’ordre social reste, en définitive, le meilleur garant de la légitimité ; les candidats n’ont qu’à utiliser au mieux la boîte à outils et espérer que le contexte leur sera favorable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Girardin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On s’intéresse souvent aux résistances, mais l’Histoire est surtout composée d’obéissance. Comment l’obtenir ? La légitimation est tout un art.Michaël Girardin, ¨Doctorant en histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.