tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/musique-20327/articlesmusique – The Conversation2024-03-29T07:47:45Ztag:theconversation.com,2011:article/2246682024-03-29T07:47:45Z2024-03-29T07:47:45ZAvec son album country, Beyoncé questionne la dimension raciale des genres musicaux aux États-Unis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/585197/original/file-20240329-18-d517ze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=392%2C181%2C3319%2C2378&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Paris, un affichage sauvage pour annoncer la sortie du nouvel album de Beyoncé, _Act II - Cowboy Carter_, le 29 mars 2024.</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo SZ / The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Un coup d’État musical. C’est ainsi qu’on pourrait décrire le succès des deux derniers titres de Beyoncé, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=238Z4YaAr1g">« Texas Hold'Em »</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hhKNjTb6U1Y">« 16 Carriages »</a>, <a href="https://www.npr.org/2024/02/11/1230788187/beyonce-new-music-texas-hold-em#:%7E:text=Hourly%20News-,Beyonc%C3%A9%20releases%20%22Texas%20Hold%20%27Em%22%20and%2216%20carriages,%2C%22%20promising%20more%20in%20March">sortis lors du SuperBowl</a>, en amont d’un <a href="https://pitchfork.com/news/beyonce-announces-act-ii-for-march-29/">nouvel album sorti le 29 mars (<em>Cowboy Carter</em>)</a>, et qui, depuis, caracolent <a href="https://www.officialcharts.com/songs/beyonce-texas-hold-em/">l’un</a> et <a href="https://acharts.co/song/191442">l’autre</a> en tête des <a href="https://www.forbes.com/sites/hughmcintyre/2024/02/13/beyoncs-has-two-new-singles-outand-one-of-them-is-clearly-the-winner/?sh=6f34ce0766af">classements des ventes</a> et des <a href="https://www.billboard.com/pro/beyonce-texas-hold-em-number-1-streaming-songs-chart/">écoutes en streaming</a>.</p>
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<p>Coup d’État, parce que ces premiers extraits de <em>Cowboy Carter</em> et les <a href="https://www.theguardian.com/music/2024/mar/19/beyonce-act-ii-album-cover-country-music">codes visuels qui l’entourent</a> indiquent clairement que le deuxième « acte » de la trilogie entamée en 2022 avec <a href="https://www.nytimes.com/2022/07/30/arts/music/beyonce-renaissance-review.html">l’éponyme <em>Renaissance</em></a> est une <a href="https://time.com/6900295/beyonce-album-cowboy-carter/">réappropriation de la country</a>, genre qu’on associe souvent à une Amérique <a href="https://www.researchgate.net/publication/237775430_Why_Does_Country_Music_Sound_White_Race_and_the_Voice_of_Nostalgia">blanche</a> <a href="https://virginiapolitics.org/online/2021/5/3/the-arranged-marriage-of-republicanism-and-country-music">conservatrice</a> et parfois même <a href="https://www.npr.org/2023/08/01/1191405789/how-racism-became-a-marketing-tool-for-country-music">raciste</a>, <a href="https://www.vox.com/culture/2023/9/19/23880804/maren-morris-country-music">sexiste et identitaire</a>.</p>
<p>Les réactions qui ont entouré cette sortie révèlent à quel point, aux États-Unis, les genres musicaux, unités structurantes de l’industrie musicale, comprennent une dimension raciale, ce qui explique que Beyoncé soit la seule femme noire à s’être hissée à la première place <a href="https://www.billboard.com/music/chart-beat/beyonce-texas-hold-em-number-1-hot-country-songs-chart-1235610582/">du Hot Country 100 du magazine <em>Billboard</em></a>.</p>
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<h2>Résistance de l’industrie musicale</h2>
<p>Il faut dire que l’arrivée de ces singles ne fut pas sans remous. Dès leur sortie, des internautes rapportaient sur Twitter que des <a href="https://www.nytimes.com/2024/02/14/arts/music/beyonce-oklahoma-radio-station.html">stations de radio spécialisées dans la country refusaient de les diffuser</a>, <a href="https://twitter.com/jussatto/status/1757444577416417579">malgré les demandes des auditeurs</a>, et que <a href="https://twitter.com/ChatterboxKeirn/status/1757061941615271944">nombre de plates-formes de streaming</a>, <a href="https://twitter.com/FakeNadine/status/1757421212601372762">blogs et magazines les avaient étiquetés comme « pop »</a>.</p>
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<p>Si le distributeur Sony a rapidement rectifié le tir, en <a href="https://twitter.com/BrianZisook/status/1757065106939084989">remplaçant « pop » par « country » comme genre principal de ces titres</a>, le flottement a suffisamment duré pour raviver de mauvais souvenirs. La première fois où Beyoncé s’était aventurée dans ce genre musical, avec <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6Mm9ae_qg9I">« Daddy Lessons »</a> en 2016 (rappelons qu’elle a grandi au Texas, comme son père), le comité des Grammys <a href="https://apnews.com/arts-and-entertainment-music-9770ad054e9d48aeba56cc40e12b3c84">avait refusé que le titre puisse concourir dans la catégorie « country »</a>– <a href="https://www.instagram.com/p/C4s6Zr7rlwA/">Beyoncé a d’ailleurs confirmé que ce rejet initial avait largement motivé la sortie de l’album</a>. Mais c’est surtout le <a href="https://www.theguardian.com/music/2019/apr/27/fight-for-your-right-to-yeehaw-lil-nas-x-and-countrys-race-problem">spectre de l’épisode « Old-Town Road » qui ressurgit</a>.</p>
<h2>Le précédent Lil Nas X</h2>
<p>Rappel des faits : fin mars 2019, ce morceau de Lil Nas X monte à la 19<sup>e</sup> place du classement country de <em>Billboard</em>, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-features/lil-nas-x-old-town-road-810844/">avant d’en être exclu abruptement</a>. Le magazine explique son geste dans un communiqué, arguant que la <a href="https://apnews.com/article/6045fec139204644b616afb63622c2d9">chanson ne « contient pas assez d’éléments de la country d’aujourd’hui » pour rester dans ce classement</a>.</p>
<p>La justification ne passe pas : depuis les années 2000, ce genre est très influencé par le rap, au point <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country-lists/a-history-of-hick-hop-the-27-year-old-story-of-country-rap-22010/blake-sheltons-boys-round-here-video-may-2013-224353/">que le country-rap, ou « hick hop »</a>, s’est glissé en <a href="https://theboot.com/florida-georgia-line-cruise-hot-country-songs-chart-record/">haut des charts</a> et dans les répertoires de stars comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JXAgv665J14">Blake Shelton</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Lb9q1ScC4cg">Jason Aldean</a>.</p>
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<p>Ce ne serait donc pas le rap qui « gênerait » musicalement, et la sortie <a href="https://www.youtube.com/watch?v=w2Ov5jzm3j8">d’une seconde version de « Old Town Road »</a>, dans laquelle Lil Nas X est <a href="https://www.menshealth.com/entertainment/a30736808/lil-nas-x-billy-ray-cyrus-like-family/">accompagné par le chanteur de country (et père de Miley) Billy Ray Cyrus</a>, fait son entrée sans aucun problème dans le classement des titres joués sur les radios country, <a href="https://www.theguardian.com/music/2023/oct/04/country-music-still-resistant-to-diversity">pourtant extrêmement allergiques à l’innovation</a>.</p>
<p>Cela semble suggérer que les rappeurs peuvent accéder aux charts country, à condition qu’ils soient <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/old-town-road-lil-nas-x-forcing-billboard-country-music-ncna992521">chaperonnés par un chanteur blanc</a>. L’historien Charles Hughes résume alors la situation dans le <em>Los Angeles Times</em> : <a href="https://www.latimes.com/entertainment-arts/music/story/2019-09-04/ken-burns-country-music-lil-nas-x">« Quand les gens se plaignent du fait que la country vire pop, ce qu’ils veulent souvent dire, c’est qu’elle est trop noire »</a>.</p>
<h2>Aux origines de la country</h2>
<p>Vue de France, cette déclaration pourrait paraître exagérée. Pourtant elle reflète tout à fait les mécanismes qui ont présidé à la création de la country comme genre musical <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/C/bo3625068.html">au début du XXᵉ siècle</a>. Ceux-ci sont inséparables de la mise en place d’une <a href="https://www.dukeupress.edu/segregating-sound">ségrégation musicale</a> entre, d’un côté, les « race records » regroupant les musiques « noires » (blues, gospel et jazz, entre autres) et, de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304422X04000324">l’autre, ce qui deviendra la country</a>, appelée alors « hillbilly music » ou <a href="https://www.jstor.org/stable/538356?seq=2">« old-time tunes »</a> présentée elle comme blanche, <a href="https://www.jstor.org/stable/23131534?seq=2">par opposition</a>.</p>
<p>Il faut bien comprendre <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/L/bo3622356.html">qu’il ne s’agit pas d’un état de fait, mais d’une construction</a>, orchestrée par deux groupes professionnels : les <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_inventeurs_de_l_i_american_folk_music_i_1890_1940_camille_moreddu-9782140301650-75541.html">folkloristes</a> et <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1675b9g">l’industrie musicale</a>.</p>
<p>Les premiers recherchent, dans des endroits qu’ils estiment reculés, la trace de traditions <a href="https://www.jstor.org/stable/41148022">préservées du monde moderne</a>, <a href="https://www.jstor.org/stable/541085">à l’image de l’Américain John Lomax</a> ou de l’Anglais Cecil Sharp, qui considérait que la musique des Appalaches avait mieux conservé le génie de la race anglo-saxonne (lire : « blanche ») que l’Angleterre industrielle de <a href="https://uncpress.org/book/9780807848623/romancing-the-folk/">la fin du XIXᵉ siècle</a>.</p>
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<p>Les seconds, après le succès financier inattendu du disque de Mamie Smith « Crazy Blues » en 1920, se lancent <a href="https://www.npr.org/2006/11/11/6473116/mamie-smith-and-the-birth-of-the-blues-market">à la conquête du public noir</a>, <a href="https://utpress.utexas.edu/9781477315354/">puis du public rural</a>, jusqu’alors négligés par <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/95017/tin-pan-alley-musique-populaire-americaine-steve-normandin">Tin Pan Alley</a>, la machine à hits new-yorkaise, entre la <a href="https://www.pearsonhighered.com/assets/samplechapter/0/2/0/5/0205956807.pdf">fin du XIXᵉ siècle et le début du 20ᵉ</a>.</p>
<p>A une époque où les disques servent avant tout à stimuler les ventes de phonographes dans les magasins de meubles, ségrégués, l’industrie musicale pense qu’elle augmentera ses bénéfices en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304422X04000324">concevant une offre racialement ciblée</a>.</p>
<h2>Les Afro-Américains exclus progressivement de la country</h2>
<p>Cela ne se fera qu’au prix de nombreuses manipulations. Les folkloristes les rêvent comme une population protégée de la modernité et de sa corruption, mais les musiciens ruraux du Sud, quelle que soit la couleur de leur peau, ont un répertoire très large et jouent souvent ensemble, <a href="https://www.jstor.org/stable/41148022">y compris la variété de l’époque</a>.</p>
<p>Qu’à cela ne tienne : comme les folkloristes, le personnel des maisons de disques fait le tri, n’enregistrant que ce qui semble traditionnel et correspond <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1675b9g">à l’origine ethnique des artistes</a>. Lorsque le morceau ne colle pas, mais qu’il est trop bon pour être rejeté, on maquille l’origine des artistes <a href="https://www.dukeupress.edu/hidden-in-the-mix">en leur donnant des pseudonymes</a>.</p>
<p>Progressivement, les diverses médiations de la musique – image, textes, pratiques – excluent les Afro-Américains de l’univers de la country, consolidant ainsi une division raciale arbitraire, à laquelle se conforment les musiciens par nécessité économique. Elle se poursuivra <a href="https://www.researchgate.net/publication/222028425_Charting_Race_The_Success_of_Black_Performers_in_the_Mainstream_Recording_Market_1940_to_1990">sous diverses formes</a>, <a href="https://shs.hal.science/halshs-03961617/document">plus discrètes</a>, après la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>C’est donc cette composante raciale du genre que taquine la sortie de <em>Cowboy Carter</em>, en réclamant le droit à la country des artistes afro-américains et, par là-même, leur légitimité à revendiquer une identité sudiste, mouvement associé au <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-features/welcome-to-the-yee-yee-club-bitch-805169/">« hee haw agenda »</a> – onomatopée qui imite le hi-han de l’âne et qu’on retrouve dans bon nombre de chansons country – <a href="https://www.highsnobiety.com/p/black-cowboy-culture-yee-haw-agenda/">dont on trouve un écho</a> dans la résurgence de la figure <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/092779-000-A/usa-black-cowboys-la-legende-oubliee/">du cowboy noir</a> et des productions culturelles récentes comme le film <a href="https://www.universalpictures.fr/micro/nope"><em>Nope</em> de Jordan Peele</a>.</p>
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<p>Il est un peu triste de penser qu’il aura suffi d’un coup de baguette magique de Beyoncé pour ouvrir le mainstream aux artistes afro-descendants et <a href="https://www.cnbc.com/2024/03/16/beyoncs-country-songs-are-boosting-streams-for-black-artists.html">surtout afro-descendantes</a> qui, depuis un mois, ont vu les chiffres de leur streaming <a href="https://www.billboard.com/music/chart-beat/beyonce-black-female-country-artists-streams-1235612581/">enfler considérablement</a>, <a href="https://www.nytimes.com/2021/02/17/arts/music/black-women-country-music.html">après des décennies d’efforts</a>.</p>
<p>Les choses avaient commencé à bouger sous l’influence du mouvement <a href="https://medium.com/@Pittelman/another-country-80a05dd7fc15">Black Lives Matter</a>, avec la création du <a href="https://blackbanjoreclamationproject.org/">Black Banjo Reclamation Project</a> par exemple, puis avec les prises de conscience entourant le <a href="https://www.ehess.fr/fr/carnet/apr%C3%A8s-george-floyd/s%C3%A9gr%C3%A9gation-musicale-et-%C3%A9galit%C3%A9-raciale-lapr%C3%A8s-george-floyd-country-music">meurtre de George Floyd en 2020</a> et, la même année, la <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country/charley-pride-dead-obit-192455/">mort de Charley Pride</a>, une des <a href="https://theconversation.com/charley-pride-country-music-has-obscured-and-marginalised-its-black-roots-151937">seules stars noires du genre</a>.</p>
<p>Sous cette impulsion, en 2021, la journaliste musicale et manager afro américaine autoproclamée « perturbatrice de la musique country » Holly G créait le <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country/black-opry-country-music-1301297/">Black Opry</a>, un <a href="https://www.blackopry.com/">site</a> dédié à <a href="https://www.npr.org/sections/pictureshow/2023/06/30/1183756191/photos-meet-the-emerging-americana-stars-of-the-black-opry-revue">augmenter la visibilité de la country noire</a>. Signe qu’une dynamique s’était mise en place, le <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/10/t-magazine/black-folk-musicians.html"><em>New York Times</em> consacrait un article</a> à la nouvelle génération d’artistes folk et country noirs en novembre dernier.</p>
<h2>En finir avec le mythe d’une country exclusivement blanche</h2>
<p>Aussi Beyoncé a-t-elle pris soin de s’entourer d’artistes reconnus dans le genre, dont certains militent depuis des années pour que le mythe <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-country/country-music-racist-history-1010052/">d’une country exclusivement blanche explose</a>. </p>
<p>En témoigne la présence de Robert Randolph à la <a href="https://www.washingtonpost.com/archive/lifestyle/2002/12/13/robert-randolph-man-of-sacred-steel/6221e370-ebb5-4490-8623-87de2f25c3e0/">guitare hawaïenne</a> sur « 16 Carriages » et de <a href="https://rhiannongiddens.com/">Rhiannon Giddens</a> au banjo et à l’alto sur <a href="https://www.facebook.com/100044403640493/posts/925096898980423/?paipv=0&eav=AfZcMsYTQnpQH2Z8AxcTXVVpofYJCu94NXJInyme1Bvm4Clw56Zzdsu3W_54-iDUOO0&_rdr">« Texas Hold Em »</a>.</p>
<p>Titulaire d’un <a href="https://www.pulitzer.org/winners/rhiannon-giddens-and-michael-abels">prix Pulitzer pour l’opéra <em>Omar</em></a> et de la très prestigieuse « Genius Grant » <a href="https://www.macfound.org/fellows/class-of-2017/rhiannon-giddens">de la MacArthur Foundation</a> pour son travail de <a href="https://rhiannongiddens.com/all-resources">vulgarisation historique</a>, cette multi-instrumentaliste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8RtT0obOS80">formée au chant lyrique</a> est devenue en une vingtaine d’années, depuis ses débuts avec les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bNaK_nBp2Yc">Carolina Chocolate Drops</a>, puis en <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/22912-freedom-highway/">solo</a> et au sein de <a href="https://www.npr.org/2019/02/14/693624881/first-listen-our-native-daughters-songs-of-our-native-daughters">Our Native Daughters</a>, la figure de proue du mouvement de réappropriation de la country noire, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RiP8Tfa8bB8">particulièrement du banjo</a>.</p>
<p>Créé dans les Caraïbes par les Africains <a href="https://www.hup.harvard.edu/books/9780674047846">réduits en esclavage</a>, cet instrument, lorsqu’il arrive aux États-Unis, est clairement identifié comme afro-américain et le reste <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EcS8swOv0BQ">jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle</a>, où les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/racisme-le-blackface-outil-de-la-suprematie-blanche-aux-etats-unis">minstrels blancs</a> s’en emparent pour caricaturer les noirs américains <a href="https://nmaahc.si.edu/explore/stories/blackface-birth-american-stereotype">dans leurs spectacles</a>en <a href="https://nmaahc.si.edu/explore/stories/blackface-birth-american-stereotype">blackface</a>.</p>
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<span class="caption">Henry Ossawa Tanner, The Banjo Lesson, 1893.</span>
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<p>A partir de ce moment-là, avant même la country, le banjo devient un signifiant du Sud blanc, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=pDlZLsJJkVA">chargé d’une histoire douloureuse</a>. La réappropriation du banjo par Giddens tient donc de l’exorcisme : elle joue elle-même <a href="https://www.youtube.com/watch?v=N7SWUCpHme8">sur la réplique d’un banjo de minstrel</a>, celui qu’on entend au début de « Texas Hold’Em », et grâce à elle, de nombreux artistes noirs comme <a href="https://indyweek.com/music/archives-music/talking-banjo-player-kaia-kater-director-s-cut/">Kaia Kater</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wrRfOzhM2AE">Jake Blount</a> et <a href="https://thebluegrasssituation.com/read/a-right-to-be-here-amythyst-kiahs-innovative-place-in-tradition/">Amythyst Kiah</a> ont réinvesti cet instrument, malgré les stéréotypes qui lui sont associés.</p>
<p>Reste à savoir si l’effet Beyoncé aura des répercussions durables sur la popularité des artistes country afro-descendants, en les installant une fois pour toutes dans le mainstream, et s’il débouchera sur des récompenses musicales dans ce genre dont les frontières sont si bien gardées. <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/26/arts/music/beyonce-country-music.html">Sachant que « Texas Hold’Em » et « 16 Carriages » ont plus de succès sur les plates-formes de streaming que sur les ondes des radio country</a>, les jeux ne sont pas encore faits, bien que les cartes soient déjà clairement sur la table.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Grassy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les réactions qui entourent la sortie du nouvel album de Beyoncé révèlent à quel point, aux États-Unis, les genres musicaux comprennent une dimension raciale.Elsa Grassy, Maîtresse de conférences en études états-uniennes, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224212024-03-06T16:14:15Z2024-03-06T16:14:15ZL’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580461/original/file-20240307-29-1r3uj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=155%2C0%2C6334%2C4281&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Opéra de Paris (Palais Garnier).</span> </figcaption></figure><p><em>Cet article a été écrit avec Soline Helbert (le nom a été changé), chanteuse lyrique, diplômée en droit des universités Paris I et Paris II.</em></p>
<hr>
<p>Dans le sillage du mouvement #MeToo, la question des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans les mondes de l’art – musique, cinéma, cirque, danse ou théâtre – s’est imposée avec force dans les débats publics, les médias ou encore les institutions publiques et privées. Les points de vue sont nombreux, les interventions sont variées, les solutions proposées sont multiples. Et pourtant, aucune enquête scientifique n’a été pour l’instant menée à son terme dans un monde de l’art en France, et ce alors même que les inégalités femmes/hommes <a href="https://ojs.letras.up.pt/index.php/taa/article/view/5037">ont fait l’objet de recherches sérieuses ces vingt dernières années</a>.</p>
<p>C’est tout le sens de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/sqrm/2021-v22-n1-2-sqrm07828/1097857ar.pdf">l’enquête scientifique</a> menée en 2020 dans le monde de l’opéra par deux universitaires spécialisées en sociologie des arts et du genre et par une chanteuse lyrique. L’enquête n’a pas été conduite au sein de structures spécifiques, mais au moyen d’un questionnaire en ligne (336 répondantes et répondants) et de dix-huit entretiens qualitatifs. Elle a saisi aussi bien la force des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans l’opéra français, quel que soit le lieu d’exercice, que ses conditions sociales de production, de légitimation et de non-dénonciation.</p>
<h2>Des agissements sexistes et sexuels omniprésents</h2>
<p>Une liste d’agissements sexistes et sexuels était soumise aux répondantes et répondants, du plus banal comme la blague sexiste au plus grave comme un acte sexuel non désiré (voir graphiques pour la liste des agissements et les principaux résultats statistiques).</p>
<p>Or, ces agissements sont récurrents d’après 75 % des répondantes et répondants, dont 25 % les jugent quasi permanents.</p>
<p>Quelle que soit la profession exercée (soliste, artiste de chœurs), les femmes sont surreprésentées parmi les victimes et les répondantes et répondants désignent à 74 % des hommes comme étant à l’origine des faits rapportés, les femmes n’étant autrices exclusives que dans quatre cas.</p>
<p>La personne qui est à l’origine des agissements sexistes est le plus souvent un homme qui a du pouvoir sur elles de manière directe, mais aussi dans une large proportion un collègue.</p>
<p><iframe id="GHhoa" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/GHhoa/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Un très faible niveau de dénonciation</h2>
<p>Interrogés sur leurs réactions face aux agissements sexistes et sexuels, les répondantes et répondants révèlent une difficulté à dénoncer les faits. Seuls 18 % confirment parfois rapporter les agissements à un supérieur hiérarchique et 6 % l’ont fait à une autorité extérieure.</p>
<p>Pourtant, l’impact psychologique de ces faits est important tel qu’un sentiment de honte et d’humiliation ou une perte de confiance. Et une partie des répondantes et répondants rapportent avoir subi des conséquences professionnelles en lien avec ces agissements sexistes et sexuels.</p>
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<p>La peur est le sentiment impliqué dans 3 des 4 causes de non-dénonciation cochées par plus de 30 % des répondants : « peur pour la suite de votre carrière » (32 %), « peur de passer pour chiante ou chiant » (34 %) ou « pour ne pas attirer l’attention, faire de vagues » (40 %) – qui suppose implicitement une peur d’être exposé.</p>
<p>Comment expliquer aussi bien l’omniprésence des agissements sexistes et sexuels que leur faible dénonciation malgré des conséquences négatives évidentes ?</p>
<p><iframe id="PtlZl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PtlZl/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Les conditions sociales de production et de faible dénonciation des agissements sexistes et sexuels</h2>
<p>La peur, qui est au cœur de la difficulté à dénoncer, prend tout d’abord racine dans le caractère saturé, concurrentiel et précaire des mondes de l’art. Les personnels de l’opéra craignent que chaque production dans un théâtre soit la dernière :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’on travaille sur une même production, bien sûr, on s’entend bien et il y a de l’entraide. Mais étant donné que le métier est très fortement concurrentiel, cela rend difficile le fait d’être vraiment solidaires. Chacune fait ce qu’elle peut pour mener sa carrière. » (Alice, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
</blockquote>
<p>Un deuxième phénomène favorise la production d’agissements sexistes et sexuels : le poids de la séduction physique dans les interactions sociales. Elle est au cœur des métiers de la scène, mais surtout elle conduit souvent à l’hypersexualisation des femmes. Ce phénomène semble rendre particulièrement difficile pour une partie des personnes concernées, notamment des hommes en situation de pouvoir, la construction de frontières « claires » entre les comportements professionnels de séduction attendus – liés notamment au jeu de scène – et les agissements sexistes ou sexuels dégradants et relevant des violences de genre.</p>
<p>De fait, les personnages féminins dans les œuvres sont souvent des femmes séduisantes et amoureuses, généralement impliquées exclusivement dans des enjeux amoureux ou sexuels. Et les mises en scène actuelles tendent à sexualiser encore davantage ces personnages féminins.</p>
<p>À la question de savoir si ses costumes mettent en valeur son sex-appeal, une chanteuse répond : « Oui, complètement. Sauf si mon personnage est une vieille dame, ou un personnage inspiré du dessin animé […]. Mais ces productions-là se comptent sur les doigts d’une main. Dans de nombreuses autres, on me met un porte-jarretelle, un mini short, alors que rien ne l’impose dans l’histoire ! » (Amanda, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
<p>Le port de ces tenues sexualisées semble encore transformer ces chanteuses en objets de désir disponibles. Cela peut expliquer que certains directeurs de casting privilégient des chanteuses sexuellement attirantes :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai entendu des metteurs en scène dire lors du choix d’une chanteuse qu’il fallait quand même qu’on ait envie de la baiser. » (Céline, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
</blockquote>
<p>Certains metteurs en scène, chanteurs ou responsables de production peuvent alors poursuivre ces femmes de leurs assiduités, leur « voler » des baisers après les répétitions, avoir des gestes ou des paroles déplacés. Les femmes chanteuses lyriques apprennent à <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/les-femmes-du-jazz/">« fermer la séduction »</a> afin d’éviter au mieux les violences sexuelles et les agissements sexistes. Ainsi, certaines choisissent des tenues peu suggestives ou des comportements distants : ne pas répondre aux SMS, ne pas sortir entre collègues, mettre en avant une relation stable, son rôle de mère. Cette nécessaire autoprotection démontre le poids de ces violences de genre sur leur quotidien.</p>
<p>Un dernier point montre enfin le caractère circulaire du sexisme à l’œuvre dans ce monde professionnel. Quand les femmes décident de dénoncer une violence sexuelle subie, elles se trouvent alors soumises à un paradoxe. Ayant été transformées en objets sexuels, elles ne peuvent qu’être la cause des violences subies, sauf preuves contraires. Elles doivent justifier d’un comportement exemplaire et le moindre écart est interprété comme la cause du comportement répréhensible de l’agresseur. Voici ce qu’en dit cette femme victime d’une violence sexuelle – embrassée de force à plusieurs reprises et harcelée par messages par son metteur en scène :</p>
<p>À notre question « Vous avez indiqué ne pas avoir parlé des choses que vous aviez subies par peur que l’on vous renvoie la faute », cette chanteuse répond : « J’ai une collègue qui a porté plainte, et je sais comment ça se passe. On analyse tes faits et gestes pour savoir si tu n’as pas provoqué la situation. C’est toujours pareil… des messages décalés des directeurs, parfois à une heure du matin. Au début, tu es toute jeune, tu te demandes ce qui va se passer si tu ne réponds pas, s’il ne va pas annuler ton contrat. Donc tu réponds. Et après on va te dire « si tu as répondu à minuit, il ne faut pas t’étonner qu’après… » À cause de ça, je n’ai jamais eu envie de me retrouver sous les feux de ce genre d’enquête ! » (Coline, chanteuse lyrique, 20-30 ans)</p>
<p>Pour finir, le « talent » supposé de l’agresseur tend à freiner toute velléité de dénonciation. Il justifierait d’accepter certaines « dérives » comportementales, et notamment les pratiques sexistes et sexuelles :</p>
<blockquote>
<p>« Ah oui, X – un metteur en scène reconnu –, c’était Minitel rose, il sautait l’administratrice […]. J’ai repris des gens au sujet de l’affaire Domingo dans des dîners qui disaient “quand même, attaquer un si grand artiste, qui n’a rien fait…” Non. Rien fait, vous ne savez pas. En fait je sais, mais on va dire qu’on ne sait pas ! » (Amélie, chanteuse lyrique, 50-60 ans)</p>
</blockquote>
<p><iframe id="ZMRvP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZMRvP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Précarité et incertitude professionnelles, hypersexualisation des chanteuses, prépondérance des capacités de séduction physique dans les critères de recrutement et dans les interactions sociales, tolérance des personnels vis-à-vis des « dérives » des grands noms du spectacle… Nombreux sont les éléments structurels participant à produire et à légitimer <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-17.htm?ref=doi">« un continuum »</a> des violences sexistes et sexuelles récurrentes et non dénoncées.</p>
<p>Les mondes de l’art gagneraient à ouvrir les portes aux chercheurs et aux chercheures afin de mieux identifier les agissements sexistes et sexuels à l’œuvre et, plus important encore, les conditions sociales de production de ces agissements afin de pouvoir envisager des réponses adaptées à ce phénomène à l’avenir.</p>
<p>Précisons enfin que depuis que l’enquête a été menée, en 2020, le recours à des coordinatrices et des coordinateurs d’intimité s’est développé sur les productions d’opéra, sans que l’on puisse se prononcer sur la capacité réelle de ces intervenantes à prévenir les dérapages lors de scènes intimes. <a href="https://www.radiofrance.fr/francemusique/menaces-les-artistes-lyriques-creent-le-collectif-unisson-et-appellent-l-etat-a-l-aide-7403286">Le collectif Unisson</a> joue également un rôle favorable dans la circulation de la parole sur le sujet. Si une prise de conscience semble se produire petit à petit, les résultats de l’enquête menée en 2020 semblent cependant toujours d’actualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222421/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête sociologique permet de mesurer la force des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans l’opéra français.Marie Buscatto, Professeure de sociologie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneIonela Roharik, Sociologue, ingénieure d’études, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2243902024-02-27T16:11:29Z2024-02-27T16:11:29ZMusique : « Y’a d’la rumba dans l’air » autour du rachat de Believe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577922/original/file-20240226-16-arnx1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1182%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’entreprise française Believe n’est cotée en bourse que depuis juin 2021.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/795492">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 12 février 2024, un consortium composé des fonds d’investissement TCV, EQT et de son PDG, Denis Ladegaillerie, ont annoncé vouloir racheter l’ensemble des actions de Believe, entreprise française de musique numérique et de services pour les artistes et les labels, ainsi que leur <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/musique-un-consortium-va-monter-au-capital-de-believe-retrait-de-la-bourse-en-vue-2075605">intention de retirer de la bourse la société</a>. Cela passe par le rachat déjà acté à hauteur de 75 % des participations des anciens actionnaires (TCV Luxco BD, Ventech, XAnge, le PDG et d’autres actionnaires) et le lancement d’une OPA sur le solde.</p>
<p>Le prix de l’offre a été fixé à 15 euros par action, soit une prime de 21 %. Le consortium précise également que la prime est de 43,8 % et 52,2 % par rapport à la moyenne pondérée par les volumes sur les 30 et 120 derniers jours. Le conseil d’administration de Believe a accueilli favorablement cette offre sous réserve de la confirmation par un expert indépendant du caractère équitable du prix de l’offre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756939740614361596"}"></div></p>
<p>Pourtant, les analystes de Stifel recommandent aux actionnaires de <a href="https://www.tradingsat.com/believe-FR0014003FE9/actualites/believe-believe-le-titre-bondit-pour-sa-reprise-de-cotation-1105401.html">ne pas apporter leurs actions à l’offre</a>, qui ne valoriserait pas l’entreprise à sa juste valeur. Comme l’indique le site spécialisé en finances Vernimmen, <a href="https://www.vernimmen.net/Lire/Posts.php">« Cherchez l’erreur »</a>…</p>
<h2>Un parcours boursier chaotique</h2>
<p>Selon son rapport annuel 2022, Believe accompagne aujourd’hui <a href="https://www.believe.com/fr/investisseurs/information-reglementee">1,3 million d’artistes</a> (comme Jul ou Benjamin Biolay), notamment en les connectant aux plates-formes de musique digitale (Spotify, Deezer, etc.). La société a été introduite en bourse le 10 juin 2021 au prix de 19,5 euros l’action dans le bas de la fourchette annoncée (19,5-22,5 euros) et a récolté à cette occasion 300 millions d’euros.</p>
<p>Dès le premier mois de cotation, le cours a perdu près de 30 % de sa valeur et a poursuivi sa descente aux enfers au cours du temps à part un timide et éphémère rebond fin 2021. L’annonce de son retrait prochain de la cote est donc à la fois surprenant par sa rapidité – l’entreprise sera restée cotée moins de 3 ans – et compréhensible car elle n’a jamais enregistré une performance boursière correcte.</p>
<p><iframe id="S0Kdg" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/S0Kdg/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Une activité en forte croissance</h2>
<p>Pourtant, Believe n’a cessé de croître au cours de cette période à la fois par des rachats de concurrents et par croissance organique. Le PDG indique d’ailleurs à l’occasion de l’annonce de l’opération :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons atteint <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/notre-offre-est-la-plus-attractive-possible-pour-les-actionnaires-dit-le-patron-de-believe-2075758">avec quasiment deux ans d’avance l’intégralité des objectifs</a> que nous nous étions fixés à l’époque de notre introduction en bourse. Nous avons surperformé de manière significative nos objectifs, tant au niveau opérationnel que sur celui des résultats financiers. »</p>
</blockquote>
<p>Et les prévisions de croissance pour les années à venir sont du même tabac selon la base de données financières Factset.</p>
<p><iframe id="y0Cuv" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/y0Cuv/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Des marges d’exploitation en progression</h2>
<p>À la faveur du développement de l’activité, la marge d’exploitation, qui mesure la viabilité d’une entreprise, s’améliore également au cours du temps et ce mouvement devrait se poursuivre à l’avenir.</p>
<p><iframe id="4mk55" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/4mk55/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’entreprise n’a par ailleurs aucun problème d’endettement avec une dette financière nette (dettes financières – trésorerie) négative de 271,9 millions d’euros au 31 décembre 2022.</p>
<p>Alors, comme se fait-il que la sortie soit prévue avec une telle décote par rapport à une introduction aussi récente ?</p>
<h2>Juges et parties</h2>
<p>Le conseil d’administration a émis un avis favorable sur l’opération. Mais pouvons-nous être surpris ? Si l’on regarde sa composition, la majorité des administrateurs sont parties prenantes à l’opération à la fois en en tant qu’acheteur et/ou vendeur. Il y a néanmoins quatre administrateurs indépendants dont <a href="https://www.believe.com/fr/investors/newsroom/un-consortium-compose-de-denis-ladegaillerie-fondateur-et-directeur-general-de">trois auront d’ailleurs la charge de travailler avec l’expert indépendant</a> sur le caractère équitable du prix de l’offre de sortie.</p>
<p>On pourrait certes tabler sur la déception de ceux qui vendent leur participation, mais il nous manque, sauf erreur de notre part, deux informations cruciales. D’une part, nous ne savons pas à quel prix ils sont rentrés historiquement dans le capital, et 15 euros n’est peut-être pas une si mauvaise affaire, même si elle est décevante.</p>
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<p>D’autre part, les fonds, en raison de leurs propres mécanismes de financement, sont souvent soumis à des échéances pour sortir de leurs investissements (ils utilisent par exemple des fonds fermés avec des échéances de clôture déterminées à l’avance et doivent solder leurs participations avant l’échéance avant de rendre l’argent à leurs investisseurs modifié des plus ou moins-values) et nous ne les connaissons pas non plus.</p>
<h2>Recherche de rendements excessifs</h2>
<p>Reste que, grâce aux 300 millions d’euros qui ont été levés en 2021 et conformément aux objectifs qui avaient été fixés à l’introduction, l’entreprise a financé avec réussite sa croissance interne et externe. Alors que des résultats positifs sont attendus, les investisseurs (non contrôlant) qui seraient entrés en 2021 et restés jusque-là repartent pourtant avec une forte moins-value de 23 %.</p>
<p>Nous verrons si tous acceptent de sortir alors que les perspectives sont au plus haut et si le prix actuel de l’offre permet de convaincre suffisamment d’actionnaires pour mettre en œuvre un retrait de la cote obligatoire (« squeeze-out ») comme souhaité par les promoteurs de l’opération.</p>
<p>Comme l’indique Vernimmen :</p>
<blockquote>
<p>« Soit le prix de l’introduction était bon et dans ce cas, le prix de sortie est sous-évalué, et on lira avec intérêt le rapport de l’expert indépendant (Ledouble). Soit il n’était pas bon et le prix de sortie est correct »</p>
</blockquote>
<p>Cela pose le problème de la valorisation lors des introductions et des sorties de la bourse, de la course aux mandats des banquiers, de la recherche de rendements excessifs des fonds d’investissement au détriment des investisseurs traditionnels, dont les particuliers. Enfin, cette situation interroge le rôle des organismes de surveillance de la place (l’Autorité des marchés financiers, AMF). Cela donne également une mauvaise image de la bourse en général et de la place de Paris en particulier. Comme le chanterait Alain Souchon, « Y’a de la rumba dans l’air » !</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZgDpyppaa74?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Alain Souchon, « Y’a de la rumba dans l’air ».</span></figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/224390/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Caby est Délégué Général de la FNEGE (Fondation Nationale pour l'Enseignement de la Gestion des Entreprises). Il détient à titre personnel des actions Believe achetées il y a deux ans. </span></em></p>La société de services et de distribution musicale a annoncé son intention de se retirer de la bourse de Paris malgré de bons résultats économiques. Pourquoi ?Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2240152024-02-22T15:47:08Z2024-02-22T15:47:08Z2024 (Taylor’s version) : Taylor Swift et les élections américaines<p>De quoi Taylor Swift n’est-elle pas capable ? Depuis deux ans, on ne compte plus les exploits de cette star devenue phénomène, et sa couverture dans les médias flirte avec l’obsession : les journaux recrutent désormais des <a href="https://www.nytimes.com/2023/11/17/learning/a-newspaper-chain-hired-a-dedicated-taylor-swift-reporter-is-it-ok-if-hes-a-swiftie.html">reporters experts es Taylor</a> et des <a href="https://variety.com/2023/music/news/mtv-vmas-exclusive-camera-feed-taylor-swift-1235721757/">caméramen attitrés la suivent</a> lors des cérémonies auxquelles elle participe, au point que la chanteuse a dû trouver des parades pour échapper à cette surveillance constante, comme lors des Grammy Awards du 4 février dernier, où elle a <a href="https://www.glamour.com/story/taylor-swift-brought-a-fan-to-the-grammys-shield-her-conversations-from-lip-readers">utilisé un éventail pour qu’on ne puisse pas lire sur ses lèvres</a>.</p>
<h2>L’« effet Taylor Swift »</h2>
<p>Il faut dire que chacun de ses faits et gestes est susceptible d’avoir des répercussions inédites, au point qu’on parle désormais d’un « effet Taylor Swift » : élue personnalité de l’année par <em>Time</em> magazine en décembre 2023, elle est capable de booster l’économie des villes où elle se produit (ce qui a donné naissance aux <a href="https://www.wsj.com/arts-culture/taylor-swift-taylornomics-concert-eras-tour-local-economy-9fa1d492">« Taylornomics »</a>), de redresser <a href="https://economictimes.indiatimes.com/magazines/panache/taylor-swifts-the-eras-tour-concert-film-expected-to-uplift-us-theatre-economy-following-hollywood-strike/articleshow/104242843.cms">tout un secteur en crise</a>, de provoquer des <a href="https://www.latimes.com/entertainment-arts/music/story/2022-10-21/taylor-swift-midnights-bonus-tracks-anti-hero-video-spotify">pannes</a> et des <a href="https://edition.cnn.com/2023/07/27/entertainment/taylor-swift-seismic-activity/index.html">tremblements de terre</a>, et même, prouesse hors du commun, de <a href="https://twitter.com/FoxNews/status/1751757687707115758">convaincre Fox News de l’importance du bilan carbone</a>. Mais pourrait-elle faire basculer le résultat de l’élection présidentielle américaine le 5 novembre prochain ?</p>
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<p>C’est du moins ce que semblent craindre les conservateurs américains. Il y a six ans, lorsque la chanteuse était <a href="https://thehill.com/blogs/in-the-know/in-the-know/410338-taylor-swift-breaks-silence-on-politics-supports-democrats-in/">sortie de sa réserve pour la première fois de sa carrière pour soutenir le candidat démocrate au poste de sénateur du Tennessee</a>, la droite américaine s’était amusée de ses prétentions au commentaire politique, et avait ridiculisé le poids électoral de ses fans. Mike Huckabee, ex-gouverneur de l’Alaska et ex-candidat aux primaires républicaines de 2016, s’était fendu d’un <a href="https://twitter.com/GovMikeHuckabee/status/1049280125106343936">tweet moqueur</a> : « Bien sûr, Taylor Swift a absolument le droit de parler politique, mais son impact sur l’élection sera nul, à moins qu’on ne donne le droit de vote aux filles de 13 ans ».</p>
<p>Petit calcul rapide : les filles qui avaient 13 ans en 2018 en ont aujourd’hui 19, et sont donc en âge de voter aux États-Unis. <a href="https://www.forbes.com/sites/marisadellatto/2023/03/14/more-than-half-of-us-adults-say-theyre-taylor-swift-fans-survey-finds/">Et elles ne sont pas les seules à écouter Taylor Swift</a>. Les conservateurs ne s’y sont pas trompés et prennent la menace au sérieux cette année, si l’on en juge par la machinerie médiatique mise en œuvre pour décrédibiliser la star, avant même qu’elle n’annonce un éventuel soutien à la réélection de Joe Biden : les théories du complot vont bon train sur les réseaux sociaux, si bien relayées par <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zK-eQswZxMA">Fox News et Newsmax</a> qu’un tiers des conservateurs y <a href="https://www.monmouth.edu/polling-institute/documents/monmouthpoll_us_021424.pdf/">souscrivent selon un sondage publié le 14 février</a>. La chanteuse, aux ordres de « l’État profond » (deep state), serait un <a href="https://www.politico.com/news/2024/01/10/pentagon-taylor-swift-fox-00134866">agent du Pentagone</a> formé aux techniques de manipulation psychologique. L’ancien candidat à la primaire républicaine Vivek Ramaswamy a même suggéré que le <a href="https://www.cbsnews.com/news/taylor-swift-travis-kelce-conspiracy-theories-chiefs-super-bowl/">couple qu’elle forme avec Travis Kelce aurait été créé de toutes pièces</a> pour gagner le vote des fans de football américain : la pop star était même censée déclarer son soutien à Biden lors de la <a href="https://www.wsj.com/us-news/taylor-swift-travis-kelce-super-bowl-false-conspiracy-theories-d3d21321">victoire « arrangée », bien sûr, des Kansas City Chiefs au Super Bowl</a>. La prophétie ne s’est cependant pas réalisée quand <a href="https://www.nytimes.com/2024/02/11/style/taylor-swift-super-bowl.html">l’équipe de Kelce a remporté le tournoi le 11 février</a>.</p>
<p>Ce jour-là en revanche, dans un geste d’une rare mesure, Trump s’est démarqué des élucubrations complotistes de son camp en démontrant par A plus B que Taylor Swift <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/trump-says-taylor-swift-wont-endorse-biden-1234966286/">devrait logiquement lui apporter son soutien</a> puisque, sans lui, le <a href="https://blogs.loc.gov/copyright/2020/04/the-breakdown-what-songwriters-need-to-know-about-the-music-modernization-act-and-royalty-payments/">Music Modernization Act</a> ne serait jamais passé. Certes, Trump a bien signé en 2018 cette loi qui permet aux artistes de récolter plus facilement les revenus générés par leurs œuvres sur les plates-formes de streaming et de téléchargement, mais elle a été adoptée avec un large soutien bipartisan dans un pays, rappelons-le, où existe encore la séparation des pouvoirs et où <a href="https://variety.com/2024/music/news/trump-did-nothing-on-music-modernization-taylor-swift-1235907368/">l’exécutif ne peut s’arroger l’action du législatif</a>.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, on voit mal comment la chanteuse, défenseuse des droits des <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/taylor-swift-pride-month-eras-tour-chicago-1234746863/">minorités sexuelles</a> et <a href="https://twitter.com/taylorswift13/status/1270432961591205888">ethniques</a>, et attachée au <a href="https://twitter.com/taylorswift13/status/1540382753677627393">droit à l’avortement</a>, pourrait, si elle décidait de s’exprimer sur les élections, ne pas apporter son soutien au ticket Biden-Harris <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2020-election/taylor-swift-endorses-joe-biden-president-n1242483">comme elle l’avait fait en 2020</a>. La question reste de savoir si elle a bien, comme le pense la droite américaine, le pouvoir d’apporter la victoire aux Démocrates. Plusieurs études portant sur l’influence des pop stars sur les élections et sur la démographie des « Swifties » permettent d’avancer une réponse.</p>
<h2>Une influence plus quantitative que qualitative</h2>
<p>Tout d’abord, de quel type d’influence parle-t-on ? L’effet Taylor Swift sur les élections pourrait être quantitatif ou qualitatif, c’est-à-dire porter sur la participation ou sur le choix des électeurs. Pour ce qui est du quantitatif, c’est en bonne voie : en septembre dernier, lors du <a href="https://nationalvoterregistrationday.org/">National Voter Registration Day</a> (journée nationale pour promouvoir l’inscription sur les listes électorales, à laquelle <a href="https://www.politico.com/story/2012/11/celebs-get-political-to-spice-up-2012-083309">participent de nombreuses célébrités</a> depuis sa création en 2012), le site vote.org a enregistré une activité record <a href="https://www.npr.org/2023/09/22/1201183160/taylor-swift-instagram-voter-registration">suite à une story Instagram</a> de la chanteuse : <a href="https://www.usatoday.com/story/entertainment/celebrities/2023/09/22/taylor-swift-register-to-vote/70928578007/">35 000 inscriptions de plus qu’en 2022</a>, soit une hausse de 25 % et même de 115 % si on se limite aux personnes de 18 ans. Il faut comprendre qu’aux États-Unis, <a href="https://www.usa.gov/voter-registration-deadlines">on doit se réinscrire sur les listes à chaque élection</a> (à part dans le Dakota du Nord). La présidente de vote.org a précisé sur X que <a href="https://x.com/AndreaEHailey/status/1749475931838640391">80 % des inscriptions sur la plate-forme étaient suivies d’un vote</a>, aussi ces chiffres devraient se répercuter sur la participation en novembre.</p>
<p>Pour ce qui est du qualitatif, la hausse de la participation des Swifties devrait principalement récompenser les Démocrates : c’est l’affiliation politique que revendiquaient 55 % des fans <a href="https://pro.morningconsult.com/instant-intel/taylor-swift-fandom-demographic">dans une étude datant de mars 2023</a>, ce qui n’est pas très surprenant, car la majorité des Swifties sont jeunes (la moitié sont des milléniaux et 10 % appartiennent à la Génération X) – partie de l’électorat qui a tendance à voter à gauche – mais aussi parce que les prises de position de la chanteuse ont <a href="https://fortune.com/2018/10/09/taylor-swift-burn-merchandise-instagram-protests/">déjà fait le tri parmi ses auditeurs</a> depuis 2018. Cependant, si l’on en croit une étude de février 2024 menée par le même institut, <a href="https://pro.morningconsult.com/analysis/taylor-swift-biden-endorsement-2024-polling">64 % de Swifties ont l’intention de voter pour Biden</a>, ce qui suggère que la chanteuse a pu convaincre une partie des 45 % restants de fans qui se répartissaient en 2023 <a href="https://pro.morningconsult.com/instant-intel/taylor-swift-fandom-demographic">équitablement entre Républicains et indépendants</a>. La campagne n’étant pas finie, il est possible que ce nombre augmente, la conversion d’auditeurs non démocrates étant facilitée par le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15456870.2019.1704758">haut niveau d’attachement parasocial des fans de Taylor Swift</a>, en qui ils tendent à avoir une <a href="https://journal.transformativeworks.org/index.php/twc/article/view/1843">confiance à toute épreuve</a>.</p>
<p>Il n’empêche que, quand bien même Taylor Swift réussirait à mobiliser ses fans démocrates ou à convertir de nouveaux électeurs au vote Biden, elle n’aurait d’impact sur le résultat final des élections que si cette magie opérait dans les <em>swing states</em>, ceux qui ne sont pas déjà acquis à un parti. <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/10/29/quel-est-le-role-des-grands-electeurs-dans-l-election-americaine-comment-sont-ils-designes_6057747_4355770.html">L’élection présidentielle états-unienne</a> est la somme de 50 élections (une par État) où le candidat qui reçoit la majorité simple des suffrages remporte la totalité des grands électeurs de l’État (c’est le système dit <a href="https://ballotpedia.org/Winner-take-all">« winner-take-all »</a>. Une augmentation numérique des votes pour Biden n’aurait aucune répercussion si elle se concentrait dans les États traditionnellement démocrates, comme la Californie ou l’État de New York.</p>
<h2>Manque d’études fiables</h2>
<p>Cependant, peu d’études fiables ont été réalisées sur la répartition géographique des Swifties. <a href="https://www.msn.com/en-us/music/news/ohio-has-most-swifties-in-country-according-to-new-report/ar-AA1dzI9K">Une étude BetOnline sortie en juillet 2023</a> a analysé sur une période de 30 jours tous les tweets géolocalisés contenant un message positif sur Taylor Swift. Ses résultats, limités, ont identifié les États dans lesquels se trouvait la majorité des Swifties actifs sur X. Or, dans le top 10, on ne compte qu’un seul des six <em>swing states</em> susceptibles de déterminer l’élection <a href="https://thehill.com/opinion/campaign/3870203-these-6-states-will-determine-the-2024-presidential-election/">selon le site The Hill</a> : le Michigan. Malgré tout, rien n’exclut que des Swifties moins actifs sur les réseaux sociaux ne se mobilisent dans d’autres États clés où les résultats seraient serrés, comme ce fut le cas en 2020 en Arizona et en Géorgie, où Biden n’avait obtenu que 10 000 voix de plus que Trump.</p>
<p>Si l’influence quantitative de Taylor Swift sur les élections américaines semble d’ores et déjà indéniable, il faudra donc attendre le résultat d’études plus précises, et peut-être même celui des élections elles-mêmes, pour savoir si elle peut peser sur le résultat des votes. Reste que son implication dans la campagne aura eu, quoi qu’il arrive, un impact sur les préoccupations du Congrès : l’offensive conservatrice anti-Swift s’étant traduite par la <a href="https://www.nytimes.com/2024/01/26/arts/music/taylor-swift-ai-fake-images.html">circulation d’images pornographiques de la star générées par l’intelligence artificielle</a> (deepfakes) sur le réseau X (ex-Twitter), un groupe bipartisan de députés américains a présenté un projet de loi visant à criminaliser de telles pratiques dans tout le pays, initiative copiée au niveau des États, dont le Missouri, où le titre de la loi sera le <a href="https://www.kttn.com/taylor-swift-act-will-protect-against-unauthorized-deepfake-images/">« Taylor Swift Act »</a>.</p>
<p>De quoi faire d’ores et déjà de l’élection présidentielle 2024 la <a href="https://www.today.com/popculture/music/taylors-version-meaning-swift-rerecording-albums-rcna98513">« version de Taylor »</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Grassy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Taylor Swift a-t-elle le pouvoir d’apporter la victoire aux démocrates lors de l'élection présidentielle, comme le pense la droite américaine ?Elsa Grassy, Maîtresse de conférences en études états-uniennes, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2218222024-02-14T14:29:06Z2024-02-14T14:29:06Z« Johnny Hallyday, l’exposition », ou les enjeux de la postérité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575631/original/file-20240214-24-js6ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C7%2C2473%2C1650&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">3 000 m2 pour partir à la rencontre de Johnny, sa vie et son œuvre.</span> <span class="attribution"><span class="source">Tempora Expo/LR</span></span></figcaption></figure><p>Lorsque disparaît un artiste de l’envergure de Johnny Hallyday, une menace pèse sur l’homme, le chanteur et sur son œuvre : l’oubli. Comment le faire entrer dans la postérité, maintenir son souvenir, l’intégrer dans le patrimoine culturel ?</p>
<p>Pour y parvenir, plusieurs pistes se présentent : l’organisation d’évènements commémoratifs, de cérémonies, l’inauguration de plaques commémoratives et de lieux nouvellement baptisés du nom de la vedette, l’érection d’une statue, mais aussi la réédition d’un disque, la sortie de chansons inédites, la publication d’une biographie, la création d’une comédie musicale, ou encore la mise en ligne d’un site Internet dédié ou d’un blog, la production d’un documentaire, l’organisation d’une convention, d’une rétrospective, d’un festival, d’un colloque…</p>
<p><a href="https://www.johnnyhallydaylexposition.com/">« Johnny Hallyday, L’exposition »</a> qui se tient du 19 décembre 2023 au 19 juin 2024 au parc des expositions de la porte de Versailles participe à la construction de la postérité du chanteur populaire.</p>
<p>Sur près de 3 000m2, elle invite le visiteur à partir à la rencontre de Johnny, sa vie et son œuvre. On y (re)découvre le comédien, le rocker, l’artiste, sur scène, mais aussi dans l’intimité de ses maisons, de son bureau, de son ancienne chambre d’adolescent… Les dispositifs scénographiques et les technologies modernes favorisent une immersion et une expérience multisensorielle, avec, pour guider le visiteur, la voix de l’ami fidèle du chanteur, le comédien Jean Reno.</p>
<h2>Une exposition qui zoome sur l’artiste</h2>
<p>L’exposition a déjà été abondamment présentée et décrite, à l’occasion d’une promotion importante, riche en textes comme en images. Disons simplement ici qu’elle repose sur des reconstitutions (le bureau du chanteur dans sa maison de Marne-la-Coquette, sa chambre d’adolescent rue de la Tour des Dames, un bureau des locaux d’Europe 1…). Elle comprend également des projections de films (sur les « virées » motorisées de Johnny aux États-Unis, sur les funérailles princières du chanteur), et surtout de nombreux espaces et vitrines, organisés chronologiquement (l’enfance, les débuts au Golf Drouot, l’ascension, les années 70, les années 80, la gloire des années 90 et 2000…) ou thématiquement (la musique et les disques, la scène, l’Olympia, le cinéma, les États-Unis et les motos, la solitude, le succès médiatique et les paparazzis, les trophées et récompenses, les costumes de scène, les fans, les lieux phares, les funérailles et célébrations posthumes…).</p>
<p>La vie privée, les femmes, les enfants du chanteur sont très peu présents, l’exposition se focalisant véritablement sur Johnny Hallyday. Quantité de portraits de Hallyday sont présentés, de l’enfance aux derniers jours, et d’innombrables objets sont exposés, des costumes de scène aux guitares, des Harley-Davidson aux bijoux du chanteur, de ses peignes, paquet de Gitanes, flacons de parfum, à ses contrats, récompenses, papiers d’identité, ou DVD, de son juke-box à ses posters d’adolescent, de sa Cobra bleue aux affiches des films dans lesquels il a joué… Enfin, l’exposition propose des expériences immersives (un espace accueille les visiteurs, leur proposant de vivre l’expérience du concert).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575632/original/file-20240214-20-w24f3n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Blousons, santiags et casques pour évoquer les virées en moto de Johnny.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tempora Expo/LR</span></span>
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<h2>Fabriquer un récit héroïque</h2>
<p>« Johnny Hallyday L’exposition » raconte la vie et l’œuvre de Johnny. Ce récit est le résultat de choix, de tris, d’épisodes mis en avant, réécrits, ou passés sous silence, exagérés ou atténués, édulcorés. Il est le fruit d’un travail de sélection des éléments à conserver (les objets, les lieux, les épisodes biographiques…) caractéristique du <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-1994-4-page-15.htm">processus de patrimonialisation</a>.</p>
<p>Le récit qui nous est conté, via ces dispositifs, ces lieux reconstitués, ces images ou objets, et le texte, surtout, dit par Jean Reno, est conforme au récit idéal typique de <a href="https://theconversation.com/elvis-presley-a-travers-ses-biographes-la-malediction-de-la-rock-star-220711">la vie des rock stars</a>. On y retrouve l’ensemble des motifs et dimensions qui structurent et émaillent ce type de narration : enfance malheureuse, autodidaxie, exceptionnalité, incompréhension et rejet, amour, générosité et bonté, martyr, solitude, détresse, triomphes et exploits épiques, ferveur des fans, blessures intimes, démons, autodestruction, ascension, pression médiatique et revers de la gloire…</p>
<p>Au fil du parcours, on apprend que la vie du chanteur débute sous les pires auspices. « Né dans la rue », enfant malheureux, abandonné par ses parents, Hallyday est ensuite hué par le premier public (en première partie des spectacles de Devos à l’Alhambra), et raillé par la critique (Claude Sarraute, Boris Vian). Il connaît une ascension fulgurante et un succès précoce, qu’une tentative de suicide a cependant bien failli interrompre. La solitude ou la peur de celle-ci, le mal-être, les blessures intimes, le cynisme d’un père absent, mais destructeur le conduisent vers la dépression, aux abords du suicide, durant ces années de gloire qui sont également des « années noires ». « Les chanteurs sont des gens très entourés, mais seuls » entend-on de la bouche même de Johnny, artiste maudit aux multiples démons – l’alcool, la cocaïne, la vitesse…</p>
<p>A la malédiction s’ajoutent l’amour et la générosité. Johnny chante et donne de l’amour. Jean Reno dit son « amour des femmes, des amis, des enfants, de son public, des exclus de la société ». Il poursuit : « cet amour, il le prodiguait avec une extrême générosité, sans compter, sans mesure […] ». On apprend que Johnny était « d’une bienveillance et d’une humanité rare […] attentif à tous ». La place laissée aux fans et à leur message de reconnaissance achève de convaincre le visiteur que Johnny a beaucoup donné d’amour et qu’il obtient légitimement en retour une reconnaissance et une gratitude rares.</p>
<p>Johnny est raconté également et surtout comme un être extraordinaire. « Il avait quelque chose en plus. Il était très beau, un charisme exceptionnel sans rien faire », témoigne Line Renaud. Cela se traduit aussi par des exploits et une carrière hors normes : « 55 ans de carrière », est-il rappelé par Reno, « 40 disques d’or, 1110 titres enregistrés, 200 tournées ». Les mots sont secondés par les images, les vidéos, les affiches, les photos, les extraits de concerts (et notamment de ces entrées en scène si spectaculaires), qui témoignent de la beauté, de l’aura, de la grandeur de la star, mais aussi de la ferveur des fans et de leur dévotion, exceptionnelle, à la (dé) mesure de celui qui en est l’objet.</p>
<p>Les gros plans du visage du chanteur projetés sur plusieurs écrans géants, ou le découpage de sa silhouette le poing tendu vers le ciel, les plans larges sur les foules immenses et transportées, ou ceux, plus serrés, sur les visages de spectateurs dévastés par l’émotion racontent et amplifient cette grandeur et les effets qu’elle produisait. Ils invitent le visiteur à éprouver à son tour cette fascination et le placent, autant que possible, dans les conditions les plus favorables à cette expérience. La puissance de la voix, grâce aux moyens technologiques, qui emplit tout l’espace de cette salle dédiée aux concerts, participe de ce récit performatif sur l’être d’exception. Les vitrines renfermant les messages d’amour et de dévotion des fans rappellent également l’importance de la ferveur à l’égard du chanteur – attestant là encore « l’exceptionnalité » de Johnny Hallyday.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575634/original/file-20240214-18-zsxkqz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une reconstitution du bureau de Johnny à Marnes-la-Coquette.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tempora Expo/LR</span></span>
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<p>Le récit met en lumière la double nature de la vedette. Ce dernier, s’il est placé sur un piédestal, célébré, glorifié, héroïsé, est également présenté dans son rapport intime avec les fans. Sa proximité avec son public est abondamment mise en scène. Johnny lui-même témoigne : « il y a une photo de moi, au-dessus de la cheminée, parmi les photos des parents ». La relation de Johnny à son public est, selon Daniel Rondo, cité par Reno, « une cérémonie de l’échange ». Johnny donne de l’amour à ses fans qui le lui rendent bien, dans une relation de proximité, de complicité, d’intimité et d’affection, d’amour partagé, que résume bien cette citation de Johnny que les visiteurs découvrent, au terme de leur visite : « Merci d’avoir été là, je vous aime du fond du cœur », message ultime de « Jojo » (ainsi qu’il est parfois désigné affectueusement) à ses fans. Le récit combine ainsi la légende et l’intime, le mythe et le proche, l’être exceptionnel et inaccessible et le compagnon du quotidien, la vénération de l’idole et l’amour du proche.</p>
<p>Enfin, le récit de la vie de Johnny Hallyday est un récit ascensionnel. C’est l’histoire d’une destinée miraculeuse, qui comprend plusieurs phases : la pauvreté d’origine, l’ascension marquée par des rejets, incompréhensions et humiliations avant les conquêtes et les triomphes, la gloire phénoménale et le succès inégalé comme points d’orgue de cette « revanche sur le destin ». C’est également un récit qui dit, en quelques motifs, quelques mots ou quelques anecdotes, le rejet initial par un ordre établi et intellectuel (incarné par Sarraute ou Vian) d’un chanteur et d’un rock’n’roll à la fois déviant et novateur, puis une réconciliation (des fans et des élites), la reconnaissance unanime et enfin la célébration conformément au modèle de la sainteté et à la structure du récit de vie hagiographique.</p>
<h2>Au-delà de la fonction mémorielle</h2>
<p>L’exposition remplit d’abord une fonction mémorielle, en assurant la postérité de la vedette. Elle préserve le chanteur de l’oubli et le maintient parmi nous. Interrogé par un journaliste, un <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/johnny-hallyday/johnny-hallyday-une-exposition-porte-de-versailles-penetre-l-intimite-de-l-artiste_6261120.html">visiteur déclare, ému</a> : « Parfois, on a l’impression qu’il va apparaître quelque part, c’est beau ! »</p>
<p>Le récit proposé assure aussi une fonction pédagogique et didactique. Ils expliquent, précisent, racontent qui était Hallyday, ce qu’il a accompli, comment il a vécu, les obstacles qu’il a rencontrés, l’importance et les effets de son œuvre… L’exposition explique ce que l’on doit à Hallyday qui a « été le premier à populariser le rock en France » et la façon (le film de ses funérailles) dont la France lui rend hommage.</p>
<p>L’exposition remplit tout aussi bien une fonction célébrative, en proclamant la grandeur de Johnny et l’importance de son œuvre, en invitant à la célébration et à la dévotion. La vitrine dédiée aux fans, à leurs messages et hommages, est à la fois un éloge de ces fans (présentés comme des « gardiens de la mémoire »), et une célébration de la célébration. L’existence même de cette exposition conduit à faire pénétrer le chanteur et son œuvre dans le patrimoine culturel national, ce que confirment à leur tour les témoignages, extraits de discours et éloges funèbres proposés au visiteur.</p>
<p>« Johnny Hallyday, l’exposition » remplit également une fonction économique, invitant à une multitude d’actes d’achat, transformant le chanteur, sa vie, son œuvre, en marchandises, et la passion voire le culte des fans en monnaie sonnante et trébuchante. Ce dont témoigne de façon exemplaire la boutique qui accueille les visiteurs au sortir de leur visite ou plus exactement qui clôture cette visite. Et dans laquelle – elle déborde de marchandises (des ouvrages et disques au catalogue de l’exposition, des affiches aux objets à l’effigie du chanteur, des mugs aux coussins, des sacs aux figurines, de la montre à la bouteille de champagne, du pendentif à « l’authentique morceau de veste de Johnny ») – on peut se livrer sans entrave à cette consommation et satisfaire son besoin de marchandise, sa recherche d’objets mémoriels comme sa quête de reliques…</p>
<p>« Johnny Hallyday, L’exposition » remplit en outre une fonction politique et idéologique, même si elle n’est pas la plus manifeste. Il reste qu’elle célèbre et commémore une personnalité consensuelle et fédératrice, en témoignent ses funérailles « nationales » et l’unanimité des marques d’amour et de reconnaissance, en provenance de la plèbe comme des élites. Le héros de l’exposition est une figure tutélaire, qui rassemble la communauté et assure la cohésion d’une nation tout entière qui l’a aimée, pleurée et à présent la célèbre. Hallyday, comme « héros national », est porteur des valeurs, des idéaux de la société de consommation et de l’économie capitaliste, ambassadeur d’un ordre économique et marchand, symbole d’une « société sans classe », où règnent méritocratie et mobilité sociale, avec pour horizon idéologique et culturel les États-Unis, à leur tour idéalisés comme terre des libertés.</p>
<p>Cette exposition fait du visiteur à la fois un élève, un fidèle, un consommateur et un acteur de la lutte contre l’oubli, celui qui maintient en vie, assure la présence et l’éternité de Johnny Hallyday.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221822/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Segré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À la fois pédagogique, célébrative, économique, politique, mémorielle, l’exposition consacrée à Johnny Hallyday remplit de multiples fonctions.Gabriel Segré, Maître de Conférences HDR, Sociologie de l'art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2233912024-02-13T15:43:06Z2024-02-13T15:43:06ZBob Marley, chantre de l’émancipation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575052/original/file-20240212-24-ez1k2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1440%2C957&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'acteur Kingsley Ben-Adir se glisse dans la peau de l'idole.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-290882/photos/detail/?cmediafile=22056288">Allocine.fr</a></span></figcaption></figure><p><em>Bob Marley : One Love</em>. Nombreux seront sans doute celles et ceux à se rendre dans les salles de <a href="https://theconversation.com/topics/cinema-20770">cinéma</a> pour découvrir comment la vie de cet artiste iconique a été portée à l’écran par Reinaldo Marcus Green, et sous la supervision de son propre fils, Ziggy. Les fans pourront être sensibles aux nombreuses références et clins d’œil qui le parsèment, tandis que d’autres qui ne connaissent Bob Marley qu’à travers quelques titres comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CMB4I5HbOl4">« Jamming »</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=uf9DjrIEEwc">« Could You Be Loved »</a> ou <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IT8XvzIfi4U">« No Woman No Cry »</a> découvriront probablement l’ampleur et la complexité du personnage.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575065/original/file-20240212-16-awt63w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bob Marley en concert au Dalymount Park, le 6 juillet 1980.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bob-Marley_3.jpg">Eddie Mallin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Né en 1945 en Jamaïque, petit pays de l’archipel des Caraïbes, Robert Nesta Marley appartient, par son succès, au panthéon de la musique populaire internationale. Ses albums se sont vendus par centaines de milliers – 700 000 ventes pour <em>Exodus</em>, sorti le 3 juin 1977, opus que l’on retrouve au cœur du film et désigné en 1998 « meilleur album du XX<sup>e</sup> siècle » par le <a href="https://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,36533,00.html"><em>Time Magazine</em></a> ; <a href="https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.jamaicaobserver.com%2Fentertainment%2FMarley-still-climbs-the-charts_10685764">25 millions pour la compilation posthume <em>Legend</em></a>, album à la <a href="https://www.nostalgie.fr/artistes/bob-marley/actus/bob-marley-legend-lalbum-au-sommet-des-charts-70249610">longévité exceptionnelle</a> dans le classement de ventes d’albums du magazine <em>Billboard</em>, dont il atteint régulièrement le sommet, de sa sortie en 1984 jusqu’à aujourd’hui. Seul le <em>Dark side of the moon</em> de Pink Floyd fait mieux. Le <em>New York Times</em> a même considéré Bob Marley comme l’<a href="https://www.nytimes.com/2000/01/03/arts/critics-choices-albums-as-mileposts-in-a-musical-century.html">« artiste le plus influent de la deuxième moitié du XXᵉ siècle »</a>. Près de 20 ans après la mort de l’artiste, c’est avec son titre « One Love », <a href="https://www.theguardian.com/media/1999/dec/03/mondaymediasection.broadcasting">« hymne pour le millénaire »</a> que la BBC fête le passage à l’an 2000.</p>
<p>Et cet immense succès n’a été construit qu’en sept petites années sur la scène internationale (après dix ans sur la scène jamaïcaine), entre 1973 quand les Wailers (Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer) <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HwY7eY5I-9I">font découvrir au public britannique leur album <em>Catch a Fire</em></a>, et 1980 quand un cancer agressif interrompt brutalement la carrière de Bob, avant de l’emporter le 11 mai 1981. Sept ans durant lesquels il a parcouru les quatre coins du monde : l’Europe où il rassemblera par exemple 110 000 personnes dans le stade de San Siro à Milan (plus que le pape une semaine auparavant !) et <a href="https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2016/08/19/bob-marley-le-messie-qui-a-transporte-le-bourget_4985057_4497186.html">près de 50 000 en France au Bourget</a>, un record alors dans l’hexagone pour un concert payant, mais aussi les États-Unis, l’Australie, le Japon, l’Afrique – une tournée en Amérique latine était projetée, avant que la maladie ne se révèle.</p>
<p>Bob Marley est la première star de ce calibre à venir d’un pays du tiers monde, sans doute la seule jusqu’à ce que décolle dans les années 2000 la carrière de Rihanna, artiste native elle aussi des Caraïbes, de l’île de la Barbade. Mais Bob incarne une autre figure, déjà par son histoire : en 1945, à sa naissance, la Jamaïque est un pays extrêmement pauvre, toujours sous la domination britannique, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gCD6AG2yi5A">après des siècles de colonisation et d’esclavage</a>. Il en <a href="https://www.google.fr/books/edition/So_much_things_to_say_L_histoire_orale_d/5YFqDwAAQBAJ">vient des tréfonds</a> : vrai <a href="https://www.editions-allia.com/fr/livre/337/bass-culture">« country bwoy »</a>, gamin de la campagne, né d’une mère noire âgée de 18 ans et d’un père blanc de 65 ans qui ne l’a jamais considéré. Dans son village, il conduit les mules. Quand il arrive à Kingston, encore tout enfant, c’est à Trenchtown, quartier plus que populaire de la capitale, et on l’envoie apprendre la soudure plutôt qu’à l’école.</p>
<p>Bob Marley, c’est surtout – pour reprendre le slogan du biopic – une « icône », un « rebelle », une « légende ». Linton Kwesi Johnson, dub <em>poet militant</em>, le qualifie de <a href="https://www.google.fr/books/edition/So_much_things_to_say_L_histoire_orale_d/5YFqDwAAQBAJ">« Che Guevara de la culture populaire »</a>. Le titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=yxmsZXYhQCg">« Zimbabwe »</a>, sur l’album <em>Survival</em> était l’hymne officieux des <em>guerilleros</em> de ce pays en lutte contre un régime blanc de type apartheid, et dont l’artiste est venu fêter la victoire en 1980.</p>
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<p><em>Bob Marley & The Wailers célèbrent l’indépendance du Zimbabwe en 1980</em></p>
<p>Ses morceaux ont également été repris lors de la chute du mur de Berlin. On a même entendu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AeCHP-4iRbM">« Get Up, Stand Up »</a> et vu porter son portrait lors des manifestations de la place Tiananmen, en Chine, en 1989.</p>
<p>Comment ce petit garçon aux origines si modestes a-t-il pu atteindre le pinacle de la musique populaire internationale, et y incarner un chantre de l’émancipation ?</p>
<h2>Être une rock star rebelle… en parlant de la Bible ?</h2>
<p>Il y a certes d’abord la personnalité même de Bob Marley – qui a tout de l’étoffe des rock stars : beau, charismatique, d’une énergie apparemment inépuisable, un travailleur acharné derrière le fumeur de pétards, avec une volonté de fer, celle du « Tuff Gong », comme s’appelait son label, une expression bien difficile à traduire en français, mais qui dénote un « dur à cuire ». Il excelle comme auteur, comme compositeur, comme interprète. Il aime – <a href="https://dj.dancecult.net/index.php/dancecult/article/view/678/692">trait général et caractéristique de la musique populaire jamaïcaine d’ailleurs</a> – découvrir, expérimenter, maintenir sa musique en perpétuelle évolution. Il sera ainsi parfaitement à l’aise dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ysjaMz8oUBI">ska</a>, le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vDJFqoUVASI">rocksteady</a>, les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6O0wp-zJmUE">débuts du reggae</a>, comme dans ses variations plus tardives comme le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PImR07Vmong">rub-a-dub</a>. Mais il est aussi capable de grandes ballades romantiques à la <a href="https://m.youtube.com/watch?v=IT8XvzIfi4U">« No Woman No Cry »</a>, ou d’hymne guitare-voix à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B0xceHDpHcc">« Redemption Song »</a>. Rares sont les artistes à avoir traversé et développé une telle richesse et diversité musicales.</p>
<p>Ce qui est probablement le plus déterminant dans la carrure, l’aura et l’écho de Bob Marley, c’est la source de son inspiration, et le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/jamaica_jamaica_-9782707194282">cœur de son message</a>. Bob vient du plus profond d’une île, d’une société marquée par des siècles de colonisation et de racisme, par les intenses souffrances de l’histoire de la déportation et de l’esclavage, et leurs conséquences contemporaines. Il a grandi dans un monde empreint du message de <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/evenements/quelle-unite-pour-lafrique/">Marcus Garvey</a>, héros national jamaïcain, immense figure de la revendication et de l’affirmation de la fierté des Noirs descendants d’esclavisés, africains déportés aux Amériques. Puis Marley se convertit au rastafarisme dans les années 1960, un mouvement religieux qui reprend à son compte l’Ancien Testament, l’histoire d’un peuple élu, que Dieu ramène à la Terre promise après un exode de souffrance : ce peuple en exode ce sont les descendants d’esclavisés ; Dieu et sa figure messianique c’est Jah, Rastafari, l’empereur d’Éthiopie <a href="https://theconversation.com/fr/topics/haile-selassie-19813">Hailé Sélassié</a> ; la Terre promise c’est l’Afrique.</p>
<p>L’intensité et la profondeur – politiques, religieuses, mystiques – de cet héritage et de ce message donnent sans aucun doute à la voix de Bob Marley son souffle si puissant. Il semble lui-même porter quelque chose de prophétique, une aura <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UZfaIx57UqU">naturelle mystique</a>, lui qui avait annoncé tout jeune qu’il mourrait trois ans plus vieux que le Christ. Kingsley Ben-Adir, qui l’interprète dans le film, caractérise comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KmOn6LomXd0">« otherworldly » (« d’un autre monde ») la présence de Bob sur scène</a>.</p>
<iframe width="100%" height="415" src="https://www.youtube.com/embed/O5LMlB84BjY?si=jzKLqFCVUwi24Xcy&start=3600" title="Londres, Rainbow theatre en 1977 : sur son titre« Lively Up Yourself », Marley pose sa guitare et entame une danse « otherworldly »." frameborder="0" allow="accelerometer; autoplay; clipboard-write; encrypted-media; gyroscope; picture-in-picture; web-share" allowfullscreen=""></iframe>
<p><em>Londres, Rainbow theatre en 1977 : sur son titre « Lively Up Yourself », Marley pose sa guitare et entame une danse « otherworldly ».</em></p>
<p>Tout jeune enfant, le petit Nesta Marley était déjà réputé dans sa campagne pour son don de chiromancie. Une scène du film y fait un clin d’œil, lorsqu’on le voit regarder dans le creux de la main de sa femme Rita. C’est là un petit anachronisme : enfant, au retour d’un premier séjour à Kingston, il avait annoncé ne plus vouloir prédire l’avenir, mais jouer de la musique – comme si c’était dans la musique qu’il avait décidé de déployer dorénavant ses dons.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575283/original/file-20240213-16-ln0agz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Exodus</em>, désigné en 1998 « meilleur album du XXᵉ siècle » par le magazine <em>Time</em>.</span>
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</figure>
<p>Il pourrait sembler paradoxal qu’un tel message touche un si large public : l’« album du siècle », selon le <em>Times</em>, le premier immense succès de Bob Marley, c’est <em>Exodus</em>, le <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/2022-10/010055233.pdf">livre de l’Exode, l’Ancien Testament appliqué aux descendants d’esclavisés</a>. Dans le film de Reinaldo Marcus Green, un publiciste d’Island Records, qui produit et distribue l’album, pose explicitement la question : comment espérer vendre un album qui a pour titre un livre de l’Ancien Testament, qui plus est avec une pochette sans image, constitué juste d’un titre écrit avec des lettres étranges, en calligraphie amharique, l’écriture éthiopienne ? Comment penser que des jeunes s’intéresseront à des chansons qui évoquent la Bible ?</p>
<p>Et pourtant avec Bob Marley, ça marche, ça touche très largement : les 110 000 personnes qui viennent l’applaudir à Milan, ce ne sont pas 110 000 rastas. Même les guérilleros qui prennent « Zimbabwe » pour hymne ne connaissent pas le mouvement rastafari. Et plus fort encore : un des premiers publics non jamaïcains à écouter les Wailers et Bob Marley, à porter des T-shirts <a href="https://www.youtube.com/watch?v=b0DU5uhoq-4">Rastaman Vibration</a>, ce sont les <a href="https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/4740">premiers skinheads et punks britanniques</a>, qui ne sont pas vraiment réputés pour leur sensibilité religieuse.</p>
<h2>Une vibration universelle : l’émancipation</h2>
<p>Si Bob Marley parvient à donner toute sa puissance à cette voix, c’est qu’il sait en faire vibrer l’écho universel. Depuis son histoire particulière, il donne une voix à tous les « sufferers », tous ceux qui souffrent. Son message parle largement, parce qu’il est militant, mais pas partisan, parce qu’il est mystique, mais ni prosélyte ni sectaire.</p>
<p>Militant mais pas partisan, Bob Marley l’est parce que son expérience de la politique c’est celle de la Jamaïque des années 1960 et 1970, la <a href="https://journals.openedition.org/volume/5181">corruption et la violence</a>. Aucun parti ne semble avoir authentiquement à cœur les intérêts du peuple. Et le niveau de violence est tel que d’obscures motivations politiques pourraient être derrière la tentative d’assassinat dont Bob Marley a été victime en décembre 1976, scène qui ouvre son biopic. Quand, en 1978, après un long exil londonien pendant lequel il compose notamment l’album <em>Exodus</em>, il revient en Jamaïque pour le « One Love Peace Concert », ce n’est pas pour prendre parti : c’est pour réunir son île déchirée par les partis. Sur scène, face à une foule immense parsemée d’hommes armés, dans un moment historique, il joint les mains des deux adversaires politiques, Michael Manley et Edward Seaga.</p>
<p>Si Jah est omniprésent dans ses chansons, Bob ne cherche pas véritablement à convertir ni à détailler les principes et doctrines du mouvement rastafari. Il veut diffuser ce qu’il considère en être l’essence, le cœur du message : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zCgu_GSex0k">l’amour</a> (« One Love » !), la <a href="https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=B0xceHDpHcc">rédemption</a>, la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-JwL3lPBQ5E">lutte pour la justice</a> – pour que d’autres le reprennent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EHSQLU712iQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ziggy Marley, à l’avant-première du biopic qu’il produit : « Porter la vie de mon père sur le grand écran, c’est pour nous un moyen de plus de répandre au monde son message d’amour », Paris, Grand Rex, 1er février 2024.</span></figcaption>
</figure>
<p>C’est probablement « Redemption Song », dernière piste de son dernier album, un hymne guitare-voix dont le dépouillement et l’intimité sont uniques dans le répertoire de Bob, qui le résume le mieux :</p>
<blockquote>
<p>« Emancipate yourself from mental slavery<br>
None but ourselves can free our minds […]<br>
Won’t you help to sing these songs of freedom<br>
‘Cause all I ever have : Redemption songs, Redemption songs<br>
(« Emancipez-vous de l’esclavage mental<br>
Personne d’autre que nous-mêmes ne peut libérer nos esprits […]<br>
Ne m’aiderez-vous pas à chanter ces chants de liberté ?<br>
Parce que c’est tout ce que j’ai jamais eu : des chants de rédemption, des chants de rédemption »)</p>
</blockquote>
<h2>Le reggae, une musique de liberté</h2>
<p>Le vecteur du message, c’est un style musical spécifique, le reggae, une musique dont le premier objectif est de saisir le corps, de <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/Sonic-Dominance-and-the-Reggae-Sound-System-Session-Henriques/3d05ed941d87e2c961e9eefebba04e70be900d3e"><em>littéralement</em> faire vibrer physiquement</a> – comme Marley vibre de son histoire et du message qu’il veut transmettre. Dans les <em>sound systems</em> jamaïcains, on dit que si le son est bon, une bouteille de bière ne peut tenir debout.</p>
<p>Le reggae, c’est une musique profonde avec des basses lourdes, fondamentales dans le mix, des basses qui semblent manifester l’enracinement, les « roots ». Le reggae, c’est aussi ce côté syncopé, ce contretemps qui prend à contrepied, qui entraîne et qui déstabilise. Et c’est ce côté <a href="https://www.routledge.com/Vibe-Merchants-The-Sound-Creators-of-Jamaican-Popular-Music/Hitchins/p/book/9781032404257">« <em>raw</em> »</a>, un peu rude, « brut de décoffrage », qui accroche et peut-être grince un peu – comme la voix si singulière de Bob Marley. Dans le film, on voit les Wailers présenter au producteur Coxsone Dodd ce qui sera leur tout premier tube, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ysjaMz8oUBI">« Simmer Down »</a>, en 1964. Plusieurs prises du morceau ont été réalisées, et dans celle choisie par Coxsone pour être pressée et diffusée, il y a une erreur, un petit truc qui déraille : l’un des acolytes de Bob, Peter Tosh, se trompe et entame un refrain au mauvais moment. C’est probablement ce côté rugueux qui a séduit les skinheads et punks britanniques dans les années 60 et début 70.</p>
<p>La forme musicale même constitue ainsi un véhicule idéal pour ce message. D’ailleurs, partout où le reggae a porté, ceux qui l’ont entendu se le sont approprié, pour y poser leur propre volonté d’émancipation.</p>
<h2>Bob Marley, trop universel ?</h2>
<p>Mais Bob Marley aurait-il perdu en authenticité en cherchant à toucher le plus large possible, aux quatre coins du monde, avec un message plus universel et une forme de reggae « international » nourri d’influences extérieures ? Le film montre par exemple l’arrivée de Junior Marvin, un guitariste rock qui avait collaboré avec Stevie Wonder, aux cheveux lissés – loin des canons du reggae rasta jamaïcain ! – sur la suggestion du producteur Chris Blackwell, du label Island, celui qui propulse Bob Marley et les Wailers sur la scène internationale.</p>
<p>En 1974, pour la sortie du premier album international solo de Bob, il y a débat sur le titre : <em>Knotty Dread</em> ou <em>Natty Dread</em>, des dreadlocks « noueuses » ou « élégantes » ? Pour un Jamaïcain, cela se prononce pratiquement de la même manière, mais une fois porté à l’écrit, la connotation n’est pas la même… Dans les deux cas, Bob Marley tranche : oui pour Junior Marvin, pour accrocher un public qui vient du rock, et ce sera « Natty Dread » – des dreadlocks élégantes, certes, mais qui chantent <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bJ-yZ2WwXqk">« Revolution »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Survival » ou « Black Survival » ?</span></figcaption>
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<p>Une des meilleures illustrations de cette ouverture de Bob Marley à un large public sans compromission du message originel est probablement <a href="https://www.google.fr/books/edition/So_much_things_to_say_L_histoire_orale_d/5YFqDwAAQBAJ">l’histoire du titre et de la pochette de l’album <em>Survival</em></a>. Celui-ci devait originellement s’intituler <em>Black Survival</em>, mais Bob Marley a préféré lui donner une dimension plus universelle en omettant le « Black ». Cependant la pochette de l’album montre ce <em>Survival</em> écrit sur la représentation d’un navire négrier, encadré des drapeaux de tous les pays africains. Un message universel, oui, mais dont l’origine et la puissance proviennent d’une histoire et d’une souffrance particulières – celles des descendants des Noirs esclavisés déportés d’Afrique.</p>
<hr>
<p><em>Thomas Vendryes tient à remercier Audrey Bangou pour sa précieuse contribution à la conception et à la relecture de ce texte.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223391/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Vendryes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’occasion de la sortie du biopic « Bob Marley : One Love », retour sur la vie et l’œuvre d’un artiste qui a su transmettre un message universel, au-delà d’un fort ancrage politique et religieux.Thomas Vendryes, Maître de conférence au Département de Sciences Humaines et Sociales de l'ENS Paris-Saclay, Centre for Economics at Paris-Saclay (CEPS), École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211802024-02-07T15:41:40Z2024-02-07T15:41:40ZLa musique improvisée, laboratoire de la démocratie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574084/original/file-20240207-32-n3itj6.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C4%2C1034%2C681&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment concilier collectivement les choix individuels? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/download/124239/jazz-double-bass-music-concert-musical-instrument-drums-lectern-free-pictures-free-photos">Needpix</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’improvisation en musique, c’est la part d’imprévu laissée libre à l’expression des musiciens. Mais comment concilier collectivement les choix individuels ? Pour improviser ensemble, les musiciens recourent souvent à un référentiel commun qui structure le collectif dans le temps. Plus ce référentiel est générique, plus il offre de possibilités. Le degré de liberté qui en résulte dépend alors de la capacité des musiciens à s’appuyer sur ce référentiel. L’improvisation est particulièrement courante en jazz où ce référentiel est une grille harmonique qui décrit les accords successifs et leur durée. Cette grille est utilisée en boucle par les musiciens pour improviser.</p>
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<p>Dans cet exemple, le compositeur, pianiste et claviériste de jazz Antoine Hervé montre comment construire une phrase mélodique en s’appuyant sur une grille constituée de 8 accords successifs et issue de la chanson <em>Les feuilles mortes</em>.</p>
<p>Une telle grille est très générique, elle ne dicte pas aux musiciens ce qu’ils doivent jouer. Elle fournit juste un support, une trame. Si on comparait cette situation à l’improvisation théâtrale, la grille reviendrait à une succession de <em>didascalies</em> à partir desquelles les acteurs devraient improviser leur texte. Avec un tel support, impossible donc de prévoir ce que joueront les musiciens ou les acteurs. D’autant qu’un tel support n’a pas valeur de prescription, mais seulement de référentiel. Les musiciens peuvent l’interpréter à leur guise. Pour un accord donné, l’improvisateur pourra choisir justement de jouer les notes de cet accord, mais il pourra aussi faire le choix d’autres notes situées au-dessus ou au-dessous, en tenant compte des accords précédents ou suivants . L’improvisateur pourra encore préférer s’écarter de l’harmonie définie par la grille et recourir à des accords de substitution. Si la capacité à s’adapter à ce référentiel est caractéristique de tout bon improvisateur, celle de transcender la structure et la récurrence de ce bouclage pour en faire émerger une nouvelle structuration, spécifique à chaque improvisation, est souvent la marque des grands improvisateurs.</p>
<p>L’un des plus grands maîtres capables de dépasser la structure des grilles d’accord est assurément <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Coltrane">John Coltrane</a>, saxophoniste de jazz et compositeur américain (1926-1967). Une phrase musicale de Coltrane, recourant à des substitutions harmoniques, est étudiée dans l’exemple ci-dessous. Alors que la grille originale ne comporte que trois accords, suggérant dans le cas présent de ne recourir qu’à une seule couleur sonore (uniquement basée sur des notes blanches), Coltrane choisit de jouer huit autres accords dont certains sont très éloignés de la grille de référence (multiples notes noires). Les couleurs sonores qui en ressortent se superposent aux couleurs de la grille originale et donnent une impression tout à fait caractéristique et saisissante.</p>
<h2>Définir un référentiel</h2>
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<p>Malgré cette capacité à dépasser les contraintes d’un tel cadre, de nombreux musiciens se sont trouvés à l’étroit dans ce type de grille et ont cherché à explorer de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Hfs48_uvrtI">nouvelles approches</a> qui leur offriraient une plus grande liberté d’expression. <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_imaginaire_musical_entre_creation_et_interpretation_mara_lacche-9782296001282-21023.html">Le degré de liberté des approches improvisées</a> qui ont été explorées est de ce fait très variables. <a href="https://www.dacapopress.com/titles/derek-bailey/improvisation/9780306805288/">L’improvisation libre</a>, sans contraintes apparentes, s’est avérée très productive, mais d’autant plus périlleuse que les musiciens sont plus nombreux, conduisant certains d’entre eux à développer <a href="https://eud.u-bourgogne.fr/musicologie/652-electrique-miles-davis-9782364413160.html">d’autres approches pour structurer les improvisations en cours de performance</a>. Mais improviser explicitement la structure collective pose un problème fondamental : comment définir un référentiel et se le communiquer en cours de jeu ?</p>
<h2>Des informations visuelles</h2>
<p>Pour cela, les musiciens se sont souvent appuyés sur une information visuelle afin d’éviter d’interférer avec le son musical. C’est le cas notamment de la pièce <em>Cobra</em> introduite par John Zorn en 1984, tirant son nom du jeu de rôle éponyme, et basée sur un <a href="https://scholar.lib.vt.edu/ejournals/JRMP/2013/schyff.pdf">ensemble de pancartes gérées principalement par un musicien-prompteur</a> endossant le rôle de chef d’orchestre au sens littéral.</p>
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<p>Équipé de ses pancartes, le prompteur choisit et fait évoluer – en cours de jeu – les liens d’interactions entre participants sans plus de précisions sur ce qui doit être joué, offrant ainsi un certain degré de liberté individuelle aux instrumentistes. A sa discrétion, le prompteur peut déléguer temporairement la direction à un musicien, sur demande. Du point de vue esthétique, l’approche permet de sauter d’une ambiance musicale à une autre de manière très dynamique et souvent radicale. Les performances sont très interactives, parfois drôles, souvent inattendues. Le niveau de liberté individuelle qui en résulte est néanmoins assez limité car l’approche est extrêmement hiérarchique. C’est que le prompteur, ou son délégué temporaire, détiennent pleinement le pouvoir d’expression ou de silence sur son territoire sonore. De même, une délégation peut être annulée à tout instant par le prompteur en lançant une nouvelle consigne, ou en confiant la direction à un autre musicien du groupe qui l’aura sollicitée. La liberté individuelle est donc toute relative.</p>
<p>Dans cette vidéo, le <em>New England Conservatory</em> propose trois performances de <em>Cobra</em>, l’une des <em>game pieces</em> de John Zorn, par le <em>NEC Cobra Ensemble</em> dirigée par Anthony Coleman le 21 janvier 2015 :</p>
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<h2>Utiliser le langage des signes</h2>
<p>Introduite par Walter Thompson en 1974, le <em>Soundpainting</em> s’est beaucoup développé au cours des dix dernières années. Cette technique est basée sur un langage de signes dont le lexique dépasse aujourd’hui le millier. Les signes servent ici à prescrire l’action des musiciens de façon précise, en cours de performance, et permettent de construire des pièces complètes. L’approche donne les pleins pouvoirs au chef d’orchestre dont l’instrument de musique est l’orchestre au complet : le <a href="https://www.erudit.org/en/journals/circuit/2020-v30-n2-circuit05461/1071122ar.pdf"><em>soundpainter</em> improvise ainsi de l’orchestre comme on improviserait d’un instrument</a>. Une telle approche nécessite bien sûr un investissement collectif pour acquérir ce langage commun. Elle offre un très haut niveau de contrôle au soundpainter et permet de produire des performances remarquablement impressionnantes. Dans cette approche, la liberté individuelle est toutefois extrêmement réduite puisqu’elle concentre quasiment tous les pouvoirs musicaux sur le soundpainter : le musicien est totalement instrumentalisé, marionnettisé, comme dans cette performance de Soundpainting par le <em>Round Top Soundpaiting Orchestra</em> dirigée par Walter Thompson lors du festival Hill le 18 juin 2021 :</p>
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<h2>Construire le cadre au cours de l’improvisation</h2>
<p>Plus rares sont les approches qui se sont appuyées sur le son pour communiquer. En 1970, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Miles_Davis">Miles Davis</a> avait sommairement effleuré l’idée avec <em>Spanish Key</em>, l’un des morceaux de son album <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Bitches_Brew"><em>Bitches Brew</em></a>, mais n’avait pas cherché à l’approfondir. C’est que recourir au son fait ressortir de façon évidente le problème de communication : comment décrire et communiquer par un son-signe sans interférer avec le son-musique ? L’idée est paradoxale. C’est tout l’enjeu de <em>la grille ouverte</em> dont le terme <em>grille</em> fait référence à la succession d’accords évoquée plus haut.</p>
<p>Mais dans la grille ouverte, le cadre n’est plus défini à l’avance. C’est que l’objectif de cette approche est justement de s’appuyer sur un cadre qui ne soit pas figé, et, tout au contraire, de construire ce cadre en cours d’improvisation.</p>
<p>Et si cette grille est « ouverte » c’est en référence au concept d’<a href="https://www.babelio.com/livres/Eco-Loeuvre-ouverte/5017"><em>œuvre ouverte</em></a> introduit par Umberto Eco au début des années 1960 pour désigner des œuvres dont l’achèvement est volontairement laissé à l’interprète, au moment de la performance.</p>
<p>Umberto Eco voyait déjà en l’improvisation de jazz une forme ouverte. Mais l’idée de grille ouverte va plus loin en ouvrant également le cadre à l’improvisation. Plus qu’ouverte, Pierre Sauvanet y voit même une grille <a href="https://hal.ird.fr/ird-04035932"><em>ouvrante</em></a> parce qu’elle « ouvre le champ des possibles », et « dynamite, dans son principe même, les différents types de fermetures qui menacent tout processus d’improvisation en acte ».</p>
<p>Pour construire ce cadre en cours de performance, la grille ouverte est basée sur un ensemble de signes sonores que les musiciens pourront utiliser – en cours de jeu et par le son musical – pour définir le référentiel commun sur lesquels ils pourront s’appuyer pour improviser collectivement. En recourant à des signes musicaux, l’approche revient donc à <a href="https://hal.science/hal-02862598">« orienter l’improvisation à plusieurs […] de l’intérieur du discours musical »</a>. Il n’est pas non plus question ici d’un simple thème-signal qui annoncerait le passage d’une partie à la suivante mais d’un véritable langage expérimental, permettant la description détaillée d’un très large panel de référentiels.</p>
<p>La problématique de l’intégration de signes sonores au sein du son musique est complexe car les signes doivent pouvoir être perçus par les musiciens sans dénaturer la musique, devenir musique tout en restant détectables et intelligibles. Pour cela, les <a href="https://www.researchgate.net/publication/369771394_La_Grille_Ouverte">signes sont dotés de plasticité</a>. Dans les langages humains, cette plasticité résulte en partie de l’assemblage de consonnes et de voyelles qui assurent une redondance partielle de l’information contenue dans le signe et facilitent le transfert de cette information malgré les perturbations. Les mots, même largement déformés, restent en partie reconnaissable.</p>
<p>Pour s’en convaincre, on pourra prendre l’exemple du roman graphique <a href="https://www.dupuis.com/frnck/bd/frnck-tome-1-le-debut-du-commencement/66063"><em>Frnck</em></a> où le héros découvre un peuple qui s’exprime sans voyelle mais que l’on parvient tout de même à comprendre ; à l’inverse, on pourra penser au personnage Camille Chandebise dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Puce_%C3%A0_l%27oreille"><em>La puce à l’oreille</em></a> (1907) de Georges Feydeau, dont le parler est privé (et nous prive) de toute consonne. Voyelles et consonnes fournissent ainsi une redondance qui autorise un certain degré de déformation. En musique, on ne dispose ni de consonnes, ni de voyelles. Cette redondance doit donc être assurée par d’autres paramètres qui sont, pour la grille ouverte, le rythme et les modulations de hauteur.</p>
<p>Le lexique de grille ouverte est ainsi composé de <a href="https://www.europalingua.eu/ideopedia/index.php5">motifs sonores mélodico-rythmiques qui, associés les uns aux autres suivant une syntaxe prédéfinie, constituent un langage</a>. Plus précisément, il s’agit d’un métalangage puisque les signes offrent une grammaire descriptive, et dont l’objet est de définir le référentiel commun aux musiciens.</p>
<p>Contrairement aux approches qui l’ont précédé, le langage de grille ouverte est fondamentalement démocratique dans sa démarche. D’une part parce qu’il ne prescrit pas l’action des musiciens : il sert à proposer un référentiel générique commun. A eux de l’exploiter, mais éventuellement aussi de s’en écarter, ou de l’interpréter à leur convenance. D’autre part, parce que ce langage n’est pas nécessairement destiné à un chef qui serait l’unique dépositaire de l’autorité alors que les autres musiciens seraient privés d’influence explicite sur le collectif.</p>
<p>Le langage de grille ouverte est dans son principe utilisable par tous les musiciens, instruments à percussion inclus. Il offre ainsi, en puissance, la possibilité de construire démocratiquement le comportement collectif tout en préservant la liberté individuelle des participants. Il donne aussi la possibilité aux musiciens d’expérimenter des régimes aux libertés plus ou moins cadrées et leur confère la responsabilité à la fois individuelle et collective du résultat.</p>
<p>Les extraits suivants, issus d’enregistrements à <a href="https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb47104063g">grille ouverte</a>
donnent à entendre quatre énoncés suivis de transition : (1) le saxophone soprano dit « Fa », (2) la contrebasse dit « Mineur Do-dièse », (3) le saxophone soprano dit « mineur Mi-bémol », (4) le saxophone ténor dit « Majeur Ré ».</p>
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<p>Les deux improvisations à grille ouverte suivantes (GO-9 et G0-12) n’ont pas été coupées. Elle permettent donc de se faire une idée de l’utilisation du langage en conditions pratiques.</p>
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<p>Malgré les imperfections, dont certaines font pleinement partie du processus de création (incompréhensions, malentendus, sous-entendus, etc.), ces enregistrements montrent le potentiel de l’approche.
Les musiques improvisées peuvent être <a href="https://theconversation.com/limprovisation-programmee-le-jazz-le-planifie-et-lindetermine-61063">porteuses de sens, au-delà du milieu musical</a>. La grille ouverte a bien sûr une visée esthétique. Mais l’expression y joue autant que les questionnements qu’elle sous-tend. Au-delà de son intérêt sensible, et au-delà du domaine musical, son ambition est de donner à penser ou repenser le monde et la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221180/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Mangiarotti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand les différentes formes de musique improvisée permettent de réfléchir au fonctionnement d'un collectif.Sylvain Mangiarotti, Researcher at Centre d'Etudes Spatiales de la Biosphère (CESBIO), Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216402024-02-01T14:59:03Z2024-02-01T14:59:03ZEntre les Français et les tatouages en anglais, une véritable love story<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572881/original/file-20240201-29-4vlbkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=448%2C0%2C5782%2C4054&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les messages en anglais, un classique du tatouage. </span> </figcaption></figure><p>J’étudie les tatouages en France depuis 2019 – c’est l’un des grands thèmes de ma thèse de doctorat en études anglophones – et comme l’anglais est ma langue maternelle, je passe mes journées à observer la peau des Français autour de moi, cherchant les mots encrés sur leur corps. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/interception/interception-du-dimanche-22-octobre-2023-9760906">Selon le reporter Aurélien Colly, dans un podcast de Radio France</a>, en 2010, 10 % des Français étaient tatoués ; ils étaient <a href="https://drawtattoo.fr/blogs/drawmagazine/les-statistiques-du-tatouage-en-france">18 % en 2018</a>, et sont désormais 20 %.</p>
<p>Les tatouages peuvent être considérés comme une forme de <a href="https://www.acrwebsite.org/volumes/9065/volumes/v32/NA-32">mode</a>, et comme pour les modes vestimentaires, certaines tendances vont et viennent. Alors que les lettrages tendance ont longtemps été dominés par les <a href="https://hal.science/hal-01287038/file/rss44-muller.pdf">écritures asiatiques</a>, j’avance l’idée qu’aujourd’hui, ils sont détrônés par les tatouages en anglais. On pourrait y voir la simple continuité de l’histoire <a href="https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2021/07/alienor-daquitaine-la-reine-de-france-devenue-reine-dangleterre">d’amour historique et culturelle</a> entre le monde anglophone et la France.</p>
<p>Pour les besoins de ma thèse, j’ai publié un sondage sur les réseaux sociaux, auquel 1452 Français ont répondu ; 602 personnes ont indiqué qu’elles avaient choisi un mot, une phrase ou plusieurs pour leurs tatouages ; ces tatouages s’impriment sur les corps en plus de 19 langues, y compris l’anglais (en tout, 826 tatouages de lettrage figurent dans l’étude).</p>
<h2>Raconter sa vie</h2>
<p>Les tatouages qui contiennent un lettrage peuvent être considérés comme des <a href="https://www.academia.edu/en/5706527/J_ai_le_discours_dans_la_peau_Ou_L_%C3%A9nonciation_des_tatouages">« caractères biographiques »</a> racontant la vie, les avis, et les sentiments des porteurs. Par exemple, <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/mc-2018-0006/html">selon une étude menée en 2019</a>, des femmes atteintes du cancer du sein ou de l’endométriose portent des tatouages pour deux raisons : pour se situer dans la communauté des femmes atteintes d’une de ces maladies et pour représenter leur lutte contre la maladie ou la souffrance qu’elle engendre. Pour établir les thèmes présentes dans cette étude, nous avons suivi les méthodes de la <a href="https://www.groundedlab.org/la-theorie-ancree">théorie ancrée (grounded theory)</a> qui consiste à partir d’une collecte de données pour mettre en lumière les processus sociaux sous-jacents à l’expérience subjective, aux trajectoires et aux pratiques des personnes étudiées. Grâce aux données récoltées, j’ai pu identifier des thèmes récurrents.</p>
<h2>Les chansons comme source d’inspiration</h2>
<p>Le thème le plus courant fait référence à la culture populaire anglophone et principalement à des paroles de chansons en anglais. Cela n’est pas surprenant : selon le <a href="https://www.culture.gouv.fr/fr/Media/Medias-creation-rapide/Chiffres-cles-2022-Langues-et-usages-des-langues-en-France-Fiche.pdf">ministère de la Culture</a>, 83 % des Français écoutent de la musique dans une langue autre que le français, cela malgré les tentatives de la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/04/22/comprendre-les-quotas-de-chansons-francophones-a-la-radio_4907025_4355770.html">loi Toubon</a>, votée en 1994 puis modifiée en 2016, pour encourager les Français à écouter de la musique française.</p>
<p>Les 98 tatouages liés à la musique dénotent une grande variété d’inspiration et d’époques, de 1954 avec la chanson <em>Smile</em> de Charlie Chaplin jusqu’à la chanson <em>One More Light</em> de Linkin Park de 2017. La femme qui porte le tatouage « Smile » explique ainsi :</p>
<blockquote>
<p>Le mot « smile » pour me rappeler de sourire même si le cœur n’y est pas. En anglais car c’est le titre de la chanson de Charlie Chaplin qui est juste magnifique et représente bien ce que j’avais en tête.</p>
</blockquote>
<p>Dans une <a href="https://eric.ed.gov/?id=ED622744">étude similaire</a>, des chercheurs ont établi qu’au Mexique, les tatouages avec du lettrage contenaient souvent des paroles de chansons de rap et des prières. Dans mon étude, la phrase « Only God can judge me » apparaissait sur le corps de quatre femmes tatouées, mais aucune d’elles ne semblait savoir que la phrase vient de la chanson éponyme du rappeur nord-américain <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zykN1Vfcajs">Tupac</a>. Une des tatouées explique ainsi les raisons de ce choix :</p>
<blockquote>
<p>« Le tatouage rendait vraiment mieux en anglais. Sinon, c’est une phrase qu’énormément de monde a déjà faite en tatouage mais je trouve que c’est une très belle phrase. »</p>
</blockquote>
<p>Elle a ressenti une connexion avec la phrase et son contenu, mais elle fait partie des 178 participants au sondage qui ne parlent pas l’anglais – soit moins de 30 % des répondants. Chiffre qui fait écho aux gens qui se font tatouer des <a href="https://www.topito.com/top-tatouages-chinois-erreur">lettrages asiatiques</a> sans être capable de lire le message eux-mêmes : la chanteuse de pop nord-américaine <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/musiques/ariana-grande-epinglee-pour-un-tatouage-en-caracteres-japonais-avec-une-faute-6205640">Ariana Grande</a> en fait partie. Selon le <a href="https://www.culture.gouv.fr/fr/Media/Medias-creation-rapide/Chiffres-cles-2022-Langues-et-usages-des-langues-en-France-Fiche.pdf">ministère de la Culture</a>, seulement 31 % des Français déclarent maîtriser l’anglais malgré les programmes scolaires qui introduisent les langues étrangères dès la maternelle et permettent de poursuivre leur apprentissage <a href="https://www.education.gouv.fr/les-langues-vivantes-etrangeres-et-regionales-11249">tout au long de la scolarité</a>.</p>
<h2>Beaucoup de polyglottes</h2>
<p>Selon mon étude, les personnes qui ne parlent qu’une seule langue sont minoritaires, malgré le préjugé courant qui associe les personnes tatouées à des rebelles qui n’ont pas un haut niveau d’éducation, <a href="https://theconversation.com/tatouages-les-differentes-manieres-dhabiter-en-soi-122062">voire à des marginaux</a> ou encore à des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01639620802168817">personnalités déviantes</a>. Le sondage que j’ai mené montre que 73 % des tatoués parlent deux langues, et que la moitié en parle trois. Selon le <a href="https://www.culture.gouv.fr/fr/Media/Medias-creation-rapide/Chiffres-cles-2022-Langues-et-usages-des-langues-en-France-Fiche.pdf">ministère de la Culture</a>, 44 % des Français déclarent maîtriser une langue étrangère ; pour 31 %, donc la majorité d’entre eux, il s’agit de l’anglais.</p>
<p>Un tatoué, qui porte les tatouages « Nevermore » et « Forevermore » (« Jamais plus » et « À jamais ») dit connaître 20 langues :</p>
<blockquote>
<p>« Anglais, italien, mandarin, russe, et les autres langues étudiées en hobby je ne les parle plus : norvégien, arabe, hébreu, finnois, islandais, allemand, espagnol, néerlandais, japonais, commencé le danois pour le fun, après les éternels latin, grec, et des langues imaginaires de Tolkien – le quenya et le sindarin – et j’essaie en ce moment d’apprendre l’ojibwa. »</p>
</blockquote>
<p>Cela montre que certains des perceptions et préjugés sur les tatoués ne correspondent plus à la réalité – si tant est qu’ils aient jamais été fondés. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui maîtrisent la langue qu’ils choisissent de se faire tatouer.</p>
<h2>Une culture anglo-saxonne dominante</h2>
<p>Le groupe de participants au sondage était sélectionné selon deux critères : porter un tatouage en anglais et être de langue maternelle française. Il n’est donc pas surprenant que les résultats montrent que l’anglais est la langue la plus tatouée ou la deuxième la plus parlée. En revanche, l’étude révèle que moins d’un quart des participants portent un tatouage dans leur langue maternelle. Cela montre que les Français ont envie de porter des lettrages rédigés dans une langue autre que la leur.</p>
<p>Selon les résultats de cette étude, le choix de se faire tatouer en anglais est souvent lié à deux éléments : l’esthétique du tatouage (255 tatouages) et l’origine de la phrase du tatouage (193 tatouages).</p>
<p>Un tatoué m’a expliqué qu’il a choisi « Love » et « Hate » pour ses phalanges parce que le nombre de lettres correspond aux doigts, contrairement aux mots français « amour » et « haine » qui obligent à tatouer les pouces et rendent le tatouage moins percutant visuellement. Ce tatouage a pu être inspiré par le film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-4963/photos/"><em>La Nuit du chasseur</em></a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572495/original/file-20240131-29-j5ppew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un tatouage déjà visible dans le film _La nuit du chasseur_de Charles Laughton, en 1955, repris par de nombresues personnes depuis, sans forcément connaître la référence.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Selon Jean, un des tatoueurs interviewés, la simple présence de l’anglais dans le paysage linguistique en France influence le choix des tatouages :</p>
<blockquote>
<p>« En fait, les Français veulent un anglais qui se, qui se dégage du français. Ils veulent être différents du français. Donc du coup, ils font du texte en anglais… On ne peut pas enlever la culture graphique ou cinématographique qui nous a insufflés tout le, tout le contexte anglais. Aujourd’hui on est baignés dedans depuis 20 ans, 30 ans, on est baignés dans l’anglicisme. »</p>
</blockquote>
<p>Ce bain d’anglais crée une familiarité dans laquelle certains Français grandissent et correspond à une culture globale à laquelle ils s’identifient. Une des participantes, couturière de son état, porte cinq tatouages, dont trois qui contiennent de l’anglais : « Never forget your freedom », « Cry Baby », et « Handmade » (« N’oublie jamais ta liberté », « Pleurnicheuse », et « Fait main »). Elle explique que l’anglais l’a « toujours accompagnée » à travers les chansons qu’elle écoutait.</p>
<p>D’après Louisa, la phrase « Never forget your freedom », qu’elle a choisi de se faire tatouer sur le bras englobe plusieurs messages qui auraient été trop longs à exprimer en français : c’est donc les qualités de synthèse de la langue anglaise qui semblent l’avoir séduite.</p>
<p>Et vous, quelle phrase emblématique <em>would you choose</em> pour votre tatouage en anglais ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221640/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeni Peake ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’influence de la culture anglo-saxonne et la connaissance de la langue anglaise font partie des facteurs explicatifs, selon l’étude menée par cette chercheuse.Jeni Peake, English teacher (PhD in English studies), Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207112024-01-18T17:22:32Z2024-01-18T17:22:32ZElvis Presley à travers ses biographes : la malédiction de la rock star<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569905/original/file-20240117-21-6op8e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C13%2C2249%2C1479&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statue d’Elvis à Liverpool.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/644056">pjxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le film <em>Priscilla</em>, de Sofia Coppola, sorti tout récemment, s’appuie sur l’autobiographie de celle qui fut l’épouse du « King » pendant six ans, et dresse un portrait en creux du chanteur. Depuis sa disparition, en 1977, un récit notamment livresque a été élaboré et massivement diffusé, qui raconte la vie et l’œuvre d’Elvis.</p>
<p><a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Gloire_de_Van_Gogh-2109-1-1-0-1.html">Nathalie Heinich</a> a rendu compte de l’« hagiographisation de la biographie » du peintre Vincent Van Gogh. On observe un traitement très semblable de la vie de Presley.</p>
<p>Ce récit emprunte à la fois au récit héroïque, au récit légendaire et épique, au récit hagiographique, et le raconte en héros mythique et civilisateur, en saint, mais aussi – en dépit de sa gloire et de son succès – en artiste maudit, martyr et sacrifié.</p>
<p>Ce récit a pour auteurs des journalistes, des fans, des musiciens, des proches du chanteur (collaborateurs, coiffeur, cuisinière, gardes du corps, membres du cercle familial ou de la « cour » du chanteur, la fameuse Memphis Mafia…). L’étude de 55 biographies d’Elvis Presley m’a permis d’aller à sa rencontre, sans préjuger de sa réalité ou des libertés prises avec la réalité.</p>
<h2>Incompréhension et rejet</h2>
<p>Le malheur de Presley débute avec les persécutions, les rejets et les condamnations qui accompagnent les premiers pas du chanteur sur scène. Le rocker paie un lourd tribut au fait de rompre avec les canons esthétiques de l’époque, incarnés par les crooners. Leurs chansons sont douces, mélodieuses, romantiques, quand celles de Presley sont rythmées, agressives, voire violentes. La diction du jeune chanteur, à l’accent sudiste, qui avale certains mots, ahane, contraste avec celle, claire et nette des crooners. Son comportement sur scène – il se déhanche, se « tortille » – est aux antipodes de celui des chanteurs de l’époque, autrement plus sobre. La tenue de scène de Presley, avec ses vestes voyantes aux couleurs vives, rompt également avec le style vestimentaire strict et soigné des hommes de spectacle de l’époque, tout comme sa coupe de cheveux, qui fera des émules, mais occasionnera bien des sarcasmes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mcnXN01ZY4M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Presley voit se dresser sur sa route, avec une extrême véhémence, une série de juges et de contempteurs, parmi lesquels les critiques (journalistes, critiques spécialisés), les marchands (disc-jockeys, programmateurs radio, présentateurs TV) et une partie du public, ou encore les institutions politique, religieuse, judiciaire, scolaire.</p>
<p>Les plus virulents sont sans conteste les « critiques », dont les articles sont abondamment cités par les biographes. Ils dénoncent à la fois l’absence de sens musical, la diction défaillante, le style vocal de Presley, réduisant ses performances de chanteur à d’« horribles hurlements humains », des « reniflements », des « harangues de bas étage », et déplorant une <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">« agression pour les oreilles américaines »</a>.</p>
<p>Les journalistes soulignent de surcroît le caractère « obscène »,« monstrueux », « pornographique », « exhibitionniste », « scandaleux » des performances du chanteur, et érigent la non-conformité aux canons esthétiques de l’époque en perversion, en <a href="https://www.abebooks.fr/9782221009147/ELVIS-PHENOMENE-AMERICAIN-GOLDMAN-ALBERT-2221009142/plp">monstruosité obscène et scandaleuse</a>.</p>
<p>Marginaux, Elvis et sa musique deviennent menace dangereuse. La critique fustige le « délinquant », s’alarme du succès grandissant de cet « ennemi du peuple », « maniaque sexuel » et « antiaméricain », <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">qui corrompt la jeunesse</a>.</p>
<p>La condamnation s’étend à l’industrie musicale, elle aussi corrompue et corruptrice, coupable d’une « exploitation artificielle et malsaine » de la jeunesse, et surtout aux premiers admirateurs de Presley, obscènes, crédules, naïfs, médiocres, aliénés et incultes, à l’image de cet <a href="https://www.abebooks.fr/rechercher-livre/titre/le-monde-d-elvis/">« auditeur moyen [qui] commence à se tortiller comme les petites créatures grouillantes qu’on observe au microscope dans un jambon pourri »</a>.</p>
<p>L’ensemble du cercle des marchands (membres de l’industrie du disque, programmateurs de salles de concert, présentateurs d’émissions de radio et de télévision) rejette et dénonce le chanteur. Les termes de péché, de honte, d’indécence, d’obscénité, de pornographie, de bêtise, de perversion, de monstruosité, de scandale, d’exhibition témoignent de la virulence de la condamnation.</p>
<p>Certains animateurs de radio brûlent les disques d’Elvis, d’autres refusent de les programmer, d’autres encore lui conseillent d’abandonner toute velléité de poursuivre une carrière musicale. Il en est qui tentent de <a href="https://www.cdandlp.com/elvis-presley/la-biographie-de-elvis-presley-par-jerry-hopkins/livre/r118227960/">« créer une organisation destinée à éliminer les artistes de la décadence et du malheur »</a>. Dénonciations et condamnations s’accompagnent en effet de mesures restrictives et préventives, mais aussi de censures, d’interdictions, d’autodafés.</p>
<p>Les institutions, garantes de l’ordre moral et des règles établies, censurent le chanteur et engagent une vaste campagne de prévention contre les méfaits de son œuvre. Des municipalités interdisent à Presley de se produire dans leur enceinte. Des personnalités politiques, des sénateurs, des maires dénoncent publiquement et officiellement le caractère obscène, immoral, et dangereux du chanteur.</p>
<p>Les représentants de la sphère juridique et policière entrent en action. La brigade des mineurs menace Elvis et lui intime l’ordre de modifier son jeu de scène. Un juge déclare à propos de l’un des disques de Presley, qu’il <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">« portait jusque dans les foyers sa charge de crime, de violence et de sexe »</a>. Un concert d’Elvis est filmé par des policiers cherchant à réunir les preuves de son exhibitionnisme afin de le mettre en état d’arrestation. D’autres sont annulés.</p>
<p>L’institution scolaire condamne à son tour le chanteur. Certains directeurs d’établissement interdisent à leurs élèves de se rendre aux concerts de Presley et renvoient les récalcitrants. Des professeurs dénoncent publiquement le rocker et son influence néfaste sur les jeunes générations.</p>
<p>L’institution religieuse n’est pas en reste et développe dans sa condamnation les thèmes de l’immoralité, l’obscénité, la dangerosité[9]. Les déclarations véhémentes du corps clérical se multiplient ; elles vilipendent la « décadence spirituelle », la « pourriture morale », la « foi en la malhonnêteté, la violence, le vice et la dégénérescence » incarnés par Elvis Presley.</p>
<p>La singularité du chanteur est ainsi constituée en perversité, obscénité, pornographie, anti-américanisme, vice, folie, dégénérescence. Ses concerts sont comparés à <a href="https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/1177672656/elvis-presley-le-king-en-concert-de-robert-gordon.html">« ces abominables réunions sans frein que les nazis organisaient pour Hitler »</a>… son œuvre, <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">« musique de Nègre » et musique « communiste »</a>, est accusée de conduire la jeunesse américaine « sur le chemin de la dépravation, de la délinquance, du crime. La « déviance » du King le rend <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">victime d’une véritable persécution</a>, d’une campagne nationale de <a href="https://www.cdandlp.com/elvis-presley/la-biographie-de-elvis-presley-par-jerry-hopkins/livre/r118227960/">diabolisation et de dénigrement</a> particulièrement agressive : « […] À Nashville, on pendit Elvis en effigie. À Saint Louis, on le brûla in abstentia […] ».</p>
<p>Si les débuts sont difficiles, la suite ne l’est pas moins.</p>
<h2>Martyr et figure sacrificielle</h2>
<p>Les biographes de Presley racontent son existence comme un long calvaire et font état de son martyr, de sa souffrance, de son dévouement à autrui. La dimension pathétique, christique, qui caractérise la figure de la sainteté, apparaît clairement dans les récits consacrés à la vedette. La vie d’Elvis comme celle du Saint est tout entière transformée en <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">autosacrifice</a> : <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">« À la fin, Elvis avait tellement donné qu’il n’avait plus rien à donner »</a>.</p>
<p>Il sacrifie sa santé physique. Tournées incessantes, séances répétées d’enregistrement de disques, de tournage de films, Elvis mène <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">« une vie absolument folle, grisante, harassante. Pas le temps de dormir, pas le temps de manger, pas le temps d’aimer sérieusement. La route, les trains, les avions, les foules, l’hystérie »</a>. La vie sur la route, lors des tournées, est une vie dure, « exténuante », sans répit ni repos, avec trop de « pression », et trop peu de sommeil. La traversée des États-Unis, de ville en ville, de salle de concert en salle de concert, est décrite comme un véritable chemin de croix. <a href="https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/1177672656/elvis-presley-le-king-en-concert-de-robert-gordon.html">Ni la fièvre, ni la grippe</a>, ni les déchirures musculaires, ni les maux de gorge <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">ne parviennent à le détourner de sa « mission »</a>. Ni les médecins, ni son père ne peuvent s’opposer à son sacrifice pour des fans, éperdument reconnaissants. Épuisé, malade, le chanteur souffre d’hypertension, de problèmes digestifs, d’un glaucome, de maux de dos, présentés comme autant de symptômes d’un véritable martyr, d’une existence infernale, <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">d’une vie de « bagnard »</a> au service de son manager, de l’« entertainment business », mais surtout de ses fans.</p>
<p>Presley sacrifie également sa santé morale. Tournées et concerts répétés le condamnent aux dépressions et à la consommation de médicaments. Dévoué corps et âme à son public, consacré à son œuvre, il devient dépendant de produits toujours plus nombreux, <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">« esclave de la drogue », au bord de l’épuisement moral, voire de la folie</a>.</p>
<p>Il fait aussi le sacrifice d’une forme de normalité, de son aspiration à un bonheur tranquille : il ne peut assister aux offices religieux, ni emmener sa fille se promener dans un parc, ni flâner avec un ami, <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">ni même simplement développer avec ses contemporains des rapports normaux</a>. Il sacrifie son mariage qui ne <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">résistera pas aux tournées et aux succès</a> et sa vie privée, découvrant « que le prix à payer pour la gloire [est] une <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">absence totale et brutale de vie privée</a>. Où qu’elle aille, la star se [fait] assaillir par ses fans ». Presley ne peut plus être ni un époux, ni un père, ni un ami, ni un homme « normal », destiné à consacrer sa vie à ses fans et au rock’n’roll, comme le Saint dédiant son existence à Dieu.</p>
<p>Les succès et gloire d’Elvis Presley le condamnent au retrait du monde. Ce motif de l’isolement est omniprésent dans la vie du chanteur sous la plume de ses biographes. Dépeint comme un enfant solitaire, marginal, Elvis apparaît ensuite comme souffrant d’une profonde solitude. Entouré pourtant d’une immense cour, composée de proches, d’amis, de membres de sa famille, de collaborateurs, de personnels, la « Memphis Mafia », il affirme lui-même : <a href="https://www.payot.ch/Detail/elvis_presley-m_hendrickx-9789052321363">« Parfois je suis très seul. Je suis seul en plein milieu de la foule »</a>. Personne ne parvient à combler cette solitude, <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">ni sa femme, ni celle qui lui succédera</a>, pas davantage ses « millions de fans » <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">ni tous ceux qui l’aiment</a>.</p>
<p>La célébrité <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">et la gloire</a> de Presley sont évidemment responsables de son isolement, de « son existence de prisonnier ». <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">L’immense amour</a> dont il est l’objet le condamne à une vie d’ermite. Les fans à qui il a voué son existence <a href="https://www.etsy.com/fr/listing/1031609741/my-life-with-elvis-de-becky-yancey-cliff">sont les propres bourreaux malheureux du King</a>. Cette solitude, rançon de la gloire, participe de la vocation d’Elvis, et est responsable, selon certains biographes, de la fin tragique du chanteur, « mort d’une overdose de solitude », comme le soulignent plusieurs de ses biographes[36].</p>
<p>Elvis Presley est également présenté comme un être parfaitement inadapté à un monde auquel il n’appartient pas réellement. Irresponsable, incapable d’autonomie, trop sensible, trop fragile, trop hors du commun, trop génial, trop extraordinaire, il ne peut évoluer normalement dans un monde ordinaire. Tour à tour enfant immature, infirme impotent, fou pathologique, il est pris en charge par une succession de tuteurs et tutrices, sa mère, son manager le « Colonel Parker », les membres de la Memphis Mafia, les femmes de sa vie… Cette inaptitude à la vie sociale apparaît notamment <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">dans le portrait d’Elvis en enfant vulnérable et immature</a> : « il a un besoin éperdu d’amour. Très souvent, il la cherche (sa maîtresse) dans le noir. Il lui demande d’agir comme sa mère. Il l’appelle maman, et elle le traite comme un enfant, presque comme un bébé. Elle l’aide à s’habiller et elle le fait manger. Comme sa mère l’aurait fait s’il était malade ».</p>
<p>Le mal-être, l’inaptitude au bonheur et l’incapacité à mener une vie sociale normale se traduisent <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">par les nombreux accès de rage destructrice</a>. <a href="https://www.librairiememoire7.fr/livre/1465074-elvis-hommage-a-sa-vie-susan-doll-ramsay">Presley détruit</a> voitures, postes de télévision, <a href="https://www.cdandlp.com/elvis-presley/la-biographie-de-elvis-presley-par-jerry-hopkins/livre/r118227960/">bijoux, guitares, chambres d’hôtel</a>. Il constitue, armé de l’une de ses nombreuses armes, un véritable danger <a href="https://www.abebooks.fr/9782856201312/Roi-Elvis-Rogale-Jean-Yves-2856201318/plp">pour lui-même et pour ses proches</a>. Ses colères sont indescriptibles et particulièrement spectaculaires. Elvis est alors parfaitement incontrôlable : <a href="https://www.chasse-aux-livres.fr/prix/B000I17ZIQ/elvis-ou-le-roi-dechu-steve-dunleavy">« Il entrait dans des rages folles quand les choses ne marchaient pas comme il voulait. Il démolissait un plafond. Il tirait dans tous les coins »</a>. Cette folie destructrice se retourne contre lui. Le thème de l’autodestruction est récurrent et largement développé dans le récit biographique. Les auteurs dressent le bilan dramatique d’une vie tout entière consacrée aux autres et véritablement sacrifiée. Ils évoquent « l’échec d’une vie personnelle » ou encore <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">« une vie gâchée avant d’être vécue »</a>, <a href="https://www.eyrolles.com/Litterature/Livre/le-mystere-elvis-9782402630412/">« un long et douloureux suicide »</a>.</p>
<h2>L’archétype de la rock star</h2>
<p>La légende de Van Gogh est devenue, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Gloire_de_Van_Gogh-2109-1-1-0-1.html">explique N. Heinich</a>, le mythe fondateur de l’artiste maudit, dont « la déchéance présente atteste la grandeur future en même temps qu’elle témoigne de la petitesse du monde (la société) coupable de ne pas le reconnaître ». On relit l’histoire de l’art à travers les motifs de l’incompréhension et du martyr et on découvre que l’œuvre d’art naît au prix de terribles souffrances, qu’il existe « une rupture fatale entre le génie et la société », responsable des malédictions qui s’abattent sur les artistes, de Van Gogh à Rembrandt, de Goya à Delacroix, de Toulouse-Lautrec, à Utrillo… Ce paradigme s’applique à l’histoire du rock dont Elvis Presley est le premier grand « maudit » (même si son « destin tragique » intervient après celui d’autres figures du rock). On retrouve, dans sa biographie, les motifs propres aux artistes maudits, incompréhension, persécution et rejet, sacrifice, isolement, mal-être, autodestruction, qui donnent corps aux dimensions tragique, pathétique, sacrificielle de l’existence, comme aux topiques (mélancolie, pauvreté, persécution) <a href="https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_2006_num_36_133_6449_t14_0130_0000_147">constitutives du malheur</a>.</p>
<p>Les biographes transforment la vie de loisir de la star, dominée par la réussite, le succès, la gloire et la fortune (par ailleurs largement soulignés, documentés et illustrés), en une vie de souffrances et en un long calvaire parsemé d’épreuves.</p>
<p>Après le rejet et l’incompréhension coupable (injures, railleries, persécutions multiples, condamnations, autodafés, censures) d’une société injuste et aveugle, c’est le succès, la réussite, la fortune, l’adulation et la gloire qui sont causes du malheur et signes de la malédiction : <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">« Il y a un vieux cliché qui parle du piège du succès, et il est possible qu’Elvis ne puisse y échapper. Artiste accompli, il est rongé par sa propre image, par l’étendue de son public, par la dimension de sa gloire, par la mystique de sa propre présence »</a>.</p>
<p>C’est là une modernisation du motif du martyr opéré par le traitement biographique de Presley, qui meurt du trop-plein d’amour, de succès et de réussite, de gloire et de richesse. La bohème et le chemin de croix subissent également un changement significatif, avec pour décors les hôtels de luxe, les villas de millionnaires, renfermant pourtant la même souffrance. Le motif de l’isolement, propre au saint et à l’artiste maudit est lui aussi modernisé. <a href="https://www.lirandco.fr/elvis-presley-william-allen-harbinson/">La prison dorée, la cage de verre</a>, le palais-prison (la demeure d’Elvis à Graceland) remplacent le lieu exigu, la grotte de l’ermite, la cellule de l’ascète. On y retrouve les mêmes souffrances, la même solitude tragique, les mêmes frustrations et dépressions. Les lunettes noires, les limousines aux vitres teintées, les gardes du corps sont autant de déclinaisons de cet exil forcé.</p>
<p>Avec la mise en récit de la vie de Presley s’élabore l’image archétypale et fondatrice de la rock star et plus globalement de la star « maudite ». Le « paradigme Presleyen » est appliqué à de nombreuses stars. <a href="https://www.livreshebdo.fr/livres/fans-de-sociologie-des-nouveaux-cultes-contemporains-armand-colin-9782200283117">En témoigne l’étude des biographies</a> de Dalida, Edith Piaf, Claude François, Michael Jackson, James Dean, Marilyn Monroe, Diana Spencer…</p>
<p>L’« enfance sacrifiée » est un motif récurrent. Le jeune âge est présenté comme une période de souffrance, marqué par la misère affective, économique, sociale, psychique, comme si le destin fabuleux, le talent et les qualités exceptionnelles trouvaient leur source dans les blessures de l’enfance (solitude, abandon, perte d’un parent, mauvais traitement, pauvreté, misère…). De cette enfance misérable et malheureuse, les vedettes conservent blessures et séquelles qui ne cicatriseront jamais, et expliqueront vulnérabilité et complexes, désespoir et mal-être, quête effrénée d’amour et vocation.</p>
<p>Puis le martyr se poursuit, succès et misère affective, gloire et épreuves font de ces stars des héros et héroïnes de tragédie et de leur vie un long calvaire, un chemin de croix sans fin. Les drames et les tragédies, les épreuves et malheurs, les pertes et abandons se succèdent dans ces existences pathétiques, ponctuées de nombreux sacrifices et marquées par l’inaptitude au bonheur et à la vie sociale, par les addictions, les dépressions, les accidents, les conduites autodestructrices, les tentatives de suicide, ou les suicides, la combinaison d’un récit ascensionnel et d’une tragédie avec le sacrifice, l’autodestruction et la mort pour résolution… On retrouve, de façon presque systématique, les rejets, persécutions et condamnations d’un corps social coupable, le drame de l’isolement nécessaire et de la profonde solitude.</p>
<p>Depuis le suicide de Marilyn Monroe, en 1962, on sait la star insatisfaite et dépressive, <a href="https://www.editionspoints.com/ouvrage/les-stars-edgar-morin/9782757853016">habitée par un « tourment intérieur</a>. Sa vie est une quête inassouvie, une errance dramatique. Avec James Dean, Marlon Brando, Marilyn ou Elvis, apparaissent les héros adolescents qui, devenus adultes, demeurent des « héros problématiques ». C’est dans la réussite sociale, mais dans « l’échec du vivre » qu’ils se détruisent ou se suicident, nous révélant la vanité de tout succès, la solitude que cache la gloire, le gouffre qui sépare le bonheur d’une vie de divertissements et de loisirs, nous invitant à relire les destins de stars comme autant de <a href="https://data.bnf.fr/temp-work/8348edb54ca7a5d5c419a643b2af3a30/">tragédies et de malédictions</a>.</p>
<p>Après Presley, le motif du rejet et de l’incompréhension combiné au succès précoce et spectaculaire domine les récits de vie des vedettes de rock, de Little Richard aux États-Unis ou de Johnny Hallyday en France, des Rolling Stones aux sages Beatles, de Bowie aux punks, de Madonna à Prince, des groupes de hard rock, de « grunge », de rap, aux groupes de techno…</p>
<p>La malédiction résume les existences de ces stars, comme semblent l’attester les morts prématurées de tant d’entre elles. Je citerais, à titre d’exemple, entre de nombreux autres, Buddy Holly, Eddy Cochran à la fin des années 1950, plusieurs des représentants du triste club 27 qui rassemble ces rock stars mortes à l’âge de 27 ans (parmi lesquelles Robert Johnson, Brian Jones, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin, puis Kurt Cobain, Amy Winehouse…) dans les années 1970, John Lennon, Sid Vicious (Sex Pistols), Bon Scott (AC/DC), Bob Marley, Ian Curtis (Joy Division), dans les années 1980, Michael Hutchence (INXS), Jeff Buckley, Tupac Shakur, Notorious Big, Freddie Mercury (Queen) ou Stevie Ray Vaughan dans les années 1990, ou plus récemment Michael Jackson et prince, jusqu’aux rappeurs des dernières années, qui incarnent le mieux à présent ces disparitions aussi tragiques que précoces (Marc Miller, Lil Peep, Aka, Juice Wrld, XXXTentacion, DMX, Prodigy, Nate Dogg…)</p>
<p>Plus que les disparitions précoces, ce sont les causes directes de nombre de ces décès qui paraissent témoigner de la malédiction dont souffrent les stars comme de leur martyr. Il s’agit en effet bien souvent d’actes d’autodestruction (excès d’alcool ou de drogue), ou de suicides, ou de plus en plus, avec les rappeurs, d’assassinats…</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est une synthèse remaniée d’un chapitre d’un ouvrage <a href="https://www.puf.com/le-culte-presley">« Le culte Presley »</a> publié aux PUF en 2003</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220711/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gabriel Segré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré un succès incommensurable et des millions de fans, l’histoire d’Elvis fut une succession de rejets et de sacrifices, à en croire ses biographes.Gabriel Segré, Maître de Conférences HDR, Sociologie de l'art, culture et médias, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2207292024-01-10T18:58:58Z2024-01-10T18:58:58ZGénération désenchantée : qui sont les fans de Mylène Farmer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568669/original/file-20240110-19-v1ibv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1585%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mylène Farmer en concert en septembre 2013. </span> <span class="attribution"><span class="source">Flickr/Isabelle B.</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Qui sont les fans de Mylène Farmer ? Que traduisent leurs pratiques de fans ? Et que révèlent les grands succès de la chanteuse, comme « Désenchantée » ?</p>
<p>Notre ouvrage, <a href="https://www.double-ponctuation.com/wp-content/uploads/2023/12/Dossier-de-presse-Sociologie-de-Mylene-Farmer.pdf"><em>Sociologie de Mylène Farmer</em></a> (éditions Double Ponctuation), consacre une étude fouillée portant non seulement sur la chanteuse mais aussi sur ses fans. À travers des témoignages, une enquête statistique ainsi qu’une immersion lors de sa tournée « Nevermore », débutée à l’été 2023, nous pouvons aujourd’hui porter un regard sensible autant que scientifique sur 40 ans de carrière de la <a href="https://www.mylene.net/modules/index.php?r=4&z=4547">chanteuse la plus appréciée des français·e·s</a>.</p>
<h2>Génération X vs « Désenchantée »</h2>
<p>Mylène Farmer sort « Désenchantée » en 1991. Les années 1990 imposent une nouvelle réalité : de la libre concurrence aux marchés financiers et à la libéralisation des biens et des cultures, des différentes crises économiques au chômage, du déclin du communisme et ses illusions perdues…</p>
<p>Ce single, « Désenchantée », pourtant, apparaît comme une bouffée de liberté plus qu’un fatalisme ; quelque chose qui parle à chacun d’entre nous. Plus de 800 000 exemplaires sont vendus. La chanson devient l’hymne de toute une génération : la génération X. Ce fameux X qu’elle reprendra sur des costumes dessinés par son ami Jean-Paul Gaultier.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mylène et Jean Paul Gaultier.</span></figcaption>
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<p>Dans la chorégraphie de « Désenchantée », ce X – écarlate – sera brodé dans le dos des costumes de ses danseurs et danseuses. Le clip quasi monochrome s’inspire du ghetto de Varsovie. Il est tourné à Budapest. Comment ne pas songer à cet autre signe, l’étoile jaune, que tout un peuple a été obligé de porter pendant la Seconde Guerre mondiale ?</p>
<h2>Un sentiment de colère partagé</h2>
<p>Cette génération désenchantée entend aussi le pape Jean-Paul II déclarer que le <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2007-2-page-213.htm">VIH/sida est une punition divine</a> en réponse à tous les péchés soi-disant commis par les minorités sexuelles. Sinead O’Connor décide alors de déchirer sa photo sur scène en signe de protestation.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sinead O’Connor, 1992.</span></figcaption>
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<p>Palpite alors dans cette génération un sentiment de colère, une envie de crier, de tout envoyer en l’air comme elle le fait dans le clip « Désenchantée ». Renverser les tables, les chaises, l’ordre établi. Un effet miroir s’établit entre ce public pris dans la tourmente des années 90 et de ses multiples crises et ce clip qui revendique l’universalisme de la rébellion quand tout semble pourtant perdu.</p>
<p>C’est la <a href="https://www.actupparis.org/2023/05/14/mfarmer/">génération Act-Up</a> (association pour qui Mylène Farmer dessinera un tee-shirt en 2023), partagée entre l’engagement et la tentation du repli. Dans un monde où tout semble sens dessus dessous, est-ce que cela vaut vraiment la peine de se battre ? Et pour qui ? Pour quel prétendu gourou ou sauveur ? À cela elle répondra :</p>
<blockquote>
<p>« Quand la raison s’effondre/À quel sein se vouer/Qui peut prétendre nous bercer dans son ventre ? »</p>
</blockquote>
<p>Alors, s’enfuir… Mais pour aller où ? Mylène Farmer ne donne jamais à une réponse simpliste. L’horizon à la fin de du clip de la chanson n’est pas une ligne de fuite. Ciel et terre glacée s’emmêlent dans un gris neigeux.</p>
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<figcaption><span class="caption">Désenchantée, 18 mars 1991.</span></figcaption>
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<p>La neige est-elle vraiment un symbole de pureté (pas plus que les enfants qui l’entourent !) ou évoque-t-elle plutôt un monde stérile ? Elle le dit :</p>
<blockquote>
<p>« Pourtant, je voudrais retrouver l’innocence/Mais rien n’a de sens, et rien ne va. »</p>
</blockquote>
<p>L’innocence n’est pas permise pour toutes et tous. Elle est un luxe dans un monde où ne cessent de pleuvoir les désillusions.</p>
<h2>Se construire comme fan</h2>
<p>Dans son article intitulé « La France désirable », la <a href="https://www.decitre.fr/revues/sciences-humaines-n-344-janvier-2022-la-france-d-apres-3663322118661.html">journaliste Cécile Peltier écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les chanteurs préférés des 18-24 ans s’appellent Aya Nakamura ou Gims quand leurs parents continuent de plébisciter Mylène Farmer. »</p>
</blockquote>
<p>Ce constat n’est pas sans rappeler le profil d’âge de nos répondants et répondantes qui, massivement, sont entrés dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2009-1-page-157.htm">« carrière »</a> de fans dans les années 1980 et 1990. Les expériences des fans sont ainsi situées à la fois dans des contextes de vie subjectives et <a href="https://www.cairn.info/revue-reseaux-2022-5-page-285.htm">d’apprentissage des prescriptions</a> faites à cette communauté (savoir reconnaître les chansons, les paroles, se renseigner sur l’artiste…).</p>
<p>Incontestablement, on ne se construit pas de la même façon en tant que fan de Mylène Farmer aujourd’hui et dans les années 1980.</p>
<p>Les témoignages recueillis dans le <a href="https://fr.surveymonkey.com/r/HYDXQ2X">questionnaire</a> attestent de ces parcours de fans à travers chaque décennie, comme en témoignent nos répondants :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les années 1980 ou 90, tu disais que tu étais fan de Mylène c’était directement être considéré comme “bizarre”, surtout pour un garçon. »</p>
<p>« Avant l’arrivée d’Internet, y’avait des magazines sur Mylène. J’étais abonné à L’"instant Mag" et à “Mylène Farmer Magazine”. C’était comme avant les sites et les applications de rencontre, on y passait des annonces pour échanger des objets ou pour rencontrer des fans. »</p>
</blockquote>
<p>Selon les chiffres de notre enquête, les fans de Mylène Farmer appartiennent plus à des minorités de sexualité (50 % dans notre étude) <a href="https://www.cairn.info/enquete-sur-la-sexualite-en-france--9782707154293.htm">que la moyenne des Français·e·s</a>. On parle aussi d’un public certes paritaire en genre mais d’un public qui a vieilli avec l’artiste, et cela se retrouve dans ses modes de consommations musicales, bien plus portées sur des supports physiques, dans une période ou le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/cd-vinyle-streaming-le-marche-de-la-musique-en-france-en-hausse-presque-au-niveau-d-il-y-a-15-ans-4089098">streaming domine</a> le marché de l’industrie musical.</p>
<h2>Nostalgie, adolescence et communauté de fans</h2>
<p>Mais Mylène est-elle présente pour tous les fans de la même façon, et de façon aussi centrale ?</p>
<p>Si, très massivement, les fans répondent que la chanteuse a été importante pour elles et eux (89 %), 11 % disent qu’elle n’est ou n’a pas été importante dans leur vie. Ces personnes sont d’ailleurs plus nombreuses à ne pas s’autoqualifier de « fans ». Elles sont aussi plus nettement hétérosexuelles que le reste des répondant·e·s et appartiennent quasi exclusivement à la catégorie des « cadres » ou des « professions intellectuelles supérieures ».</p>
<p>Quant aux fans qui témoignent de l’importance de Mylène Farmer dans leurs vies, ils ont très largement mis en avant la chanteuse en termes de « soutien » dans « des moments difficiles », à l’adolescence ou en référence à des souvenirs adolescents.</p>
<p>On lit dans ces témoignages que les chansons de Mylène Farmer sont des refuges émotionnels, en écho avec des instants de tristesse et qu’elles offrent des bulles de cognition (« En l’écoutant, je me retrouve »). Mais les instants de joie sont aussi mentionnés :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai fait mon coming-out et après je n’écoutais plus que du Mylène Farmer. »</p>
<p>« Ce sera la chanson d’ouverture de mon mariage en avril prochain. »</p>
<p>« Tu me mets “Sans contrefaçon” ou “Désenchantée” et je suis en transe. Depuis peu ça me fait ça avec “Oui mais non” aussi. »</p>
</blockquote>
<h2>Transmissions familiales</h2>
<p>À parler de « génération », un dernier élément nous interpelle : quelques-uns des témoignages relatent l’importance des transmissions intergénérationnelles, des émotions partagées avec les enfants et les parents. La pratique des fans se communique :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai toujours écouté Mylène et ma mère n’en pouvait plus. Maintenant, je l’amène avec moi en concert et elle adore. Je suis tellement content de partager ça avec elle. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, dans notre enquête, cette dimension sensible du rapport à la chanteuse s’est traduite sous forme de questions en lien avec les souvenirs ou les émotions qui connectent à Mylène Farmer.</p>
<p>Nous demandions d’abord quels mots décrivent le mieux la chanteuse selon ses fans. Des tendances nettes apparaissent. D’une part, des superlatifs : « majestueuse », « magnétique », « exceptionnelle », « incroyable ». On s’attendait à ce que ce champ lexical apparaisse. Mais loin des préjugés attribuant aux fans une série de comportements irrationnels, on observe que ces qualificatifs sont marginaux statistiquement. Majoritairement, on assiste à la constitution de deux ensembles de mots : ceux relatifs à l’attraction, au charisme ; et ceux relatifs au secret, au mystère et à la timidité.</p>
<p>Deux champs lexicaux supposément incompatibles mais qui nous donnent à voir des façons d’interpréter l’univers de la chanteuse d’une part, et le monde intime des fans d’autre part.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=852&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568667/original/file-20240110-23-b6ozpu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1071&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sociologie de Mylène Farmer est sorti le 11 janvier 2024 aux éditions (Double ponctuation).</span>
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</figure>
<p>Puis, au centre des mots qui reviennent le plus souvent, le terme de « mystérieuse », qui revient non seulement sous la plume des journalistes mais également dans les qualificatifs des fans, aussi bien des hommes que des femmes, des homosexuel·le·s que des hétérosexuel·le·s.</p>
<p>Ce mystère fait l’artiste, qui joue littéralement de toutes les facettes possibles sans jamais chercher à en donner une lecture lisse et complètement cohérente. <a href="https://www.double-ponctuation.com/wp-content/uploads/2023/12/Dossier-de-presse-Sociologie-de-Mylene-Farmer.pdf">Son univers est multiple</a>, il montre autant qu’il dissimule. Il réunit ce qui semble incompatible sans jamais les confondre. En somme, il est l’expression d’un rapport <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/poi%C3%A9tique/61977">poïétique</a> au monde : une énigme dont la réponse est sa propre énigme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220729/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Qui sont les fans de Mylène Farmer ? Que traduisent leurs pratiques ? Et que révèlent les grands succès de la chanteuse, comme « Désenchantée » ? Deux chercheurs publient une étude inédite.Marielle Toulze, Chercheuse en communication, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneArnaud Alessandrin, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178752024-01-08T17:06:13Z2024-01-08T17:06:13ZMusique : du streaming à l’Auto-Tune, comment le numérique a tout changé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/565221/original/file-20231212-25-66z0uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=90%2C18%2C5871%2C3944&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> </figcaption></figure><p><em>Quelle pourrait être la signature musicale des années 2000 ? Loin de voir émerger un mouvement caractéristique, elles sont plutôt marquées par le bouleversement des modes de production et de consommation, permis par l’avènement des outils numériques et d’Internet. Désormais, on « fabrique » plus facilement sa musique, et musiciens comme mélomanes puisent avec gourmandise dans l’immense catalogue des musiques passées mis à disposition. Le spectacle vivant trouve toute sa place dans cette évolution, en témoignent les impressionnantes tournées d’artistes comme Beyoncé ou Taylor Swift.</em></p>
<hr>
<p>De <a href="https://theconversation.com/a-la-recherche-du-systeme-daft-punk-155907">Daft Punk</a> au rappeur marseillais <a href="https://www.liberation.fr/apps/2017/12/jul-en-cinq-actes/?redirected=1">Jul</a>, qui a émergé bien plus tard, nombre de groupes et de musiciens emblématiques ont puisé dans les outils numériques pour réinventer la production musicale. Il faut dire que ces outils se sont démocratisés à la vitesse grand V dans les années 2000, décennie au cours de laquelle l’avènement d’Internet a facilité l’échange d’informations de nature diverse (texte, images, son) avec le monde entier. Le rapport à la musique des mélomanes âgés aujourd’hui de 30 à 45 ans, appartenant à la génération dite Y, en fut bouleversé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/random-access-memories-le-coup-de-maitre-des-daft-punk-fete-ses-10-ans-201222">« Random Access Memories » : le coup de maître des Daft Punk fête ses 10 ans</a>
</strong>
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<p>Durant la décennie précédente, d’autre évolutions majeures avaient eu lieu. Citons le disque compact (1982), permettant une fidélité de restitution du son enregistré supérieure aux disques vinyles ou cassettes audio, ou encore le synthétiseur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Q1Ha0MMT0aA">Yamaha DX7</a> (1983), s’appuyant sur la puissance de calcul des nouvelles puces numériques pour autoriser une nouvelle forme de synthèse par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Synth%C3%A8se_FM">modulation de fréquence</a>. On peut également mentionner la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Musical_Instrument_Digital_Interface">norme MIDI</a> (1983) faisant communiquer les instruments électroniques entre eux et (surtout) avec des ordinateurs personnels, et l’échantillonneur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QInuIGqp1Z8">Akai MPC 60</a> (1988), facilitant considérablement l’usage de fragments musicaux pour susciter de nouvelles œuvres.</p>
<h2>Avec le numérique, créer de la musique depuis chez soi</h2>
<p>Ces technologies ont permis de renouveler, en premier lieu, le hip-hop et la musique électronique, et plus largement, l’ensemble des musiques populaires.</p>
<p>L’art des DJ s’était alors déplacé de l’usage des platines (analogiques) à celui de l’échantillonneur (ou sampleur), que le philosophe Ulf Poschardt, l’un des premiers à étudier sérieusement la « culture DJ », qualifie de <a href="https://www.google.fr/books/edition/DJ_culture/P3XqUZ9CvLkC?hl=fr&gbpv=1&pg=PA245&printsec=frontcover">« caisse de disques numérique »</a>.</p>
<p>Le sampling s’était alors imposé, progressivement et non sans heurts, dans le paysage musical. Déclinaison technologique d’une longue tradition de l’emprunt musical, il consiste à créer de nouvelles œuvres à partir de fragments de musique enregistrée.</p>
<p>Lorsque la génération née dans les années 1980 se met à créer sa propre musique, elle dispose de ce nouvel environnement technologique. L’ordinateur personnel des années 2000 est devenu individuel, portable et plus puissant.</p>
<p>Il peut désormais intégrer tous les outils nécessaires à la création musicale. Les stations audionumériques, logiciels spécialisés en création musicale, permettent d’enregistrer, d’arranger, de jouer des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Instrument_virtuel">instruments virtuels</a>, d’appliquer des effets, de mixer et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mastering">masteriser</a>.</p>
<p>Il devient possible de réaliser chez soi toutes les étapes de la production d’une œuvre musicale enregistrée, quel qu’en soit le style, pour un coût et avec des compétences limitées – une entreprise jusque-là impossible ou très compliquée sans l’appui d’une maison de disques.</p>
<h2>Usage détourné d’Auto-Tune</h2>
<p>Le logiciel Auto-Tune, un effet virtuel destiné à être utilisé sur ces stations audionumérique, est l’un marqueurs sonores les plus caractéristiques de la musique des années 2000 et 2010. Commercialisé à partir de 1997 par Antares, Auto-Tune fut conçu à l’origine pour corriger discrètement les imperfections d’intonation vocale : en somme, il permet de chanter (plus) juste.</p>
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<p><em>Comment habiter ce monde en crise, comment s’y définir, s’y engager, y faire famille ou société ? Notre nouvelle série « Nos vies modes d'emploi » explore nos rapports intimes au monde induits par les bouleversements technologiques, féministes et écologiques survenus au tournant du XXIe siècle.</em></p>
<p><em>À lire aussi :</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/tous-en-salle-comprendre-lobsession-contemporaine-pour-les-corps-muscles-217329"><em>Tous en salle ? Comprendre l’obsession contemporaine pour les corps musclés</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/les-amis-notre-nouvelle-famille-217162"><em>Les amis, notre nouvelle famille ?</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/donnees-personnelles-comment-nous-avons-peu-a-peu-accepte-den-perdre-le-controle-218290"><em>Données personnelles : comment nous avons peu à peu accepté d’en perdre le contrôle</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/contraception-est-on-sorti-du-tout-pilule-219364"><em>Contraception : est-on sorti du « tout pilule » ?</em></a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/yoga-chamanisme-sorcellerie-etes-vous-ouvert-aux-nouvelles-spiritualites-217164"><em>Yoga, chamanisme, sorcellerie… Êtes-vous ouvert aux nouvelles spiritualités ?</em></a></p></li>
</ul>
<hr>
<p>Cette fonctionnalité s’est rapidement généralisée dans les studios professionnels, <a href="https://www.liberation.fr/musique/2011/09/03/comment-auto-tune-a-tue-les-fausses-notes_757750/">contribuant à accroître l’intolérance à la moindre fausseté</a> au risque d’aseptiser – encore davantage – la pop mainstream.</p>
<p>Mais Auto-Tune marque surtout son époque par un usage détourné, expérimenté d’abord par Cher dans quelques passages de sa chanson « <a href="https://youtu.be/nZXRV4MezEw?si=gsDLmDl5nBMs2Us0">Believe</a> », puis par les Daft Punk sur l’intégralité de leur tube « <a href="https://youtu.be/FGBhQbmPwH8?si=x7caNKv3twDWrxqL">One More Time</a> », sorti fin 2000 et enfin par le rappeur américain <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dBrRBZy8OTs">T-Pain</a> qui en a fait sa signature vocale et a contribué à populariser ce procédé.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fxzracJ9PFg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Auto-Tune : de Cher à PNL, le Photoshop de la voix | Arte.</span></figcaption>
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<p>En exagérant l’effet, ces artistes ont obtenu (et assumé) une déformation sonore typiquement numérique qui donne à la voix un son robotique comparable à celui d’un vocodeur (un instrument de synthèse vocale utilisé notamment par Kraftwerk ou les Daft Punk). Cette sonorité typique s’est généralisée, non sans controverse, jusqu’à devenir une norme dans le rap et la pop urbaine des années 2010.</p>
<h2>Génération nostalgique ?</h2>
<p>Mis à part l’Auto-Tune, les premiers sampleurs et les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Synth%C3%A8se_FM">synthétiseurs à modulation de fréquence</a>, peu d’outils musicaux numériques ont un son spécifique, révélateur de leur nature.</p>
<p>Une large part des applications du numérique consiste plutôt à « modéliser » ou « émuler », c’est-à-dire à imiter le son, l’interface et le comportement de machines classiques, souvent analogiques.</p>
<p>Un instrument comme le Clavia Nordstage, très répandu sur les scènes professionnelles des années 2000-2010, illustre bien ce paradoxe : sa conception numérique alliant modélisation et échantillonnage lui permet de jouer tous les sons « classiques » de la musique populaire des années 1950 à 1990, des <a href="https://youtu.be/8lMptvFzbSY?si=GtocRY1AxZ2XGsQv&t=169">orgues Hammond aux pianos Fender Rhodes en passant par les synthétiseurs Moog</a>, ainsi que quantité d’autres instruments électroniques ou acoustiques <a href="https://www.nordkeyboards.com/sound-libraries/nord-sample-library-30">mis à disposition des utilisateurs dans une bibliothèque en ligne</a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.slate.fr/story/48853/retromania-simon-reynolds-bonnes-feuilles">Retromania</a>, l’influent critique britannique Simon Reynolds regrette que les années deux mille, si longtemps demeurées le symbole de l’horizon futuriste, ne soient au final qu’une synthèse de « toutes les décennies précédentes à la fois ».</p>
<p>Le retour en grâce du disque vinyle et, dans une moindre mesure, de la cassette audio, illustrent bien cette nostalgie. En dénonçant l’« anarchivage », un archivage anarchique et systématique permis par des outils de stockage et de consultation en ligne comme YouTube, Reynolds met le doigt sur une autre caractéristique de la génération née dans les années 1980 : elle a grandi avec toutes les références musicales possibles à sa disposition, sur des CD-rom gravés, des disques durs puis directement en streaming.</p>
<p>La facilité d’accès et de manipulation de ces multiples fichiers musicaux a mené à un paroxysme de la culture de l’emprunt : le sampling et les remixes se sont généralisés, juxtaposant des sources toujours plus hétéroclites et improbables. Citons par exemple le goût inattendu de certains rappeurs pour Charles Aznavour, qui a été abondamment samplé !</p>
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<figcaption><span class="caption">De Dr Dre à Passi, quand le rap sample Aznavour.</span></figcaption>
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<p>De nouveaux instruments à interface percussive sont inventés : composés de nombreux pads jouables au doigt, ils sont couplés à un ordinateur pour « jouer » des fragments sonores comme on jouerait des notes sur un piano.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans ce clip qui a cartonné en 2011, le DJ français Madeon compile les samples de trente-neuf morceaux sur un « launchpad », une tablette conçue pour les concerts de DJ.</span></figcaption>
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<h2>Une nouvelle économie de la musique</h2>
<p>La génération Y a contribué à un ébranlement majeur de l’économie de la musique : la chute vertigineuse des ventes de disques entre 1999 et 2012. Les fondements de cette crise sont directement liés à la révolution numérique.</p>
<p>Le format de compression MP3, inventé en 1993, qui permet de réduire considérablement la taille des fichiers musicaux, le succès de <a href="https://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/12/02/fermeture-definitive-de-napster-le-pionnier-du-telechargement-en-p2p_1612728_651865.html">Napster</a>, l’un des premiers services de partage de fichiers de pair à pair (peer-to-peer) à partir de 1999, et la démocratisation de l’informatique personnelle et des connexions Internet à haut débit à la fin des années 1990, ont permis conjointement de généraliser le partage gratuit, incontrôlé et illégal de fichiers musicaux à grande échelle.</p>
<p>Cette génération a connu la joie de pouvoir découvrir n’importe quelle musique gratuitement après quelques minutes de téléchargement, de transporter partout l’équivalent d’une discothèque entière sur un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=X7FXa-0IKr0">iPod</a> ou autre lecteur MP3 de quelques centimètres – rendus obsolètes par les smartphones et le streaming –, d’archiver frénétiquement des centaines d’albums – parfois jamais écoutés – sur des CD gravés ou des disques durs.</p>
<p>Elle a vu également se multiplier les messages moralisateurs des pouvoirs publics et de l’industrie musicale dénonçant sans grands effets les affres du piratage. Malgré le semblant de compensation apporté par les faibles revenus du téléchargement légal puis des services de streaming par abonnement,le <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/universal-music-renforce-par-la-crise-du-disque">marché de la musique enregistrée a perdu plus de 40 % de sa valeur au cours des années 2000</a>.</p>
<p>Il s’est opéré de ce fait une inversion des pôles de l’industrie musicale. Jusqu’aux années 2000, les tournées de concerts étaient envisagées comme une forme de promotion du disque, véritable produit vendu par les artistes. Désormais, c’est la musique enregistrée, peu rentable, qui sert de produit d’appel au spectacle vivant, plus rémunérateur.</p>
<p>Au cours des dernières années, les entreprises exploitant le spectacle vivant musical ont acquis un pouvoir économique considérable, à l’instar du leader du marché <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2010/04/24/la-france-conquise-par-live-nation-no1-du-spectacle_1342192_3246.html">Live Nation</a>. Et pour cause : ce sont à la fois le nombre de places vendues (+10 %), leur prix (+5 %), et le chiffre d’affaires global des tournées de concert (+16 %) qui ont progressé rapidement au cours des années 2010, au point de représenter <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/grace-aux-concerts-la-vieille-garde-musicale-reste-la-plus-bankable-136800">80 % des revenus des 50 artistes les mieux rémunérés</a> (les chiffres donnés concernent uniquement l’année 2017).</p>
<p>Ainsi, cette année encore, la <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/musiques/taylor-swift-de-la-musique-au-cinema-la-popstar-mondiale-qui-bat-tous-les-records-71726286-65e2-11ee-a884-b3b8776af523#:%7E:text=Au%20total%2C%20ce%20sont%20pr%C3%A8s,de%20revenus%2C%20un%20record%20historique.">tournée de Taylor Swift a battu des records économiques historiques</a> et les ventes de places pour les concerts français de Beyoncé ont été soldées en quelques minutes.</p>
<p>Toujours sur le plan économique, la <a href="https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2014-1-page-50.htm">révolution numérique a favorisé l’émergence de l’artiste-entrepreneur</a>. Les progrès de l’informatique musicale ont permis à de nombreux musiciens des années 2000 et 2010 de produire leur musique en toute indépendance financière et artistique, mais aussi de se faire connaître et d’interagir avec le public directement sur Internet via de nombreuses plates-formes en ligne généralistes (MySpace, puis Facebook, Instagram, TikTok) ou plus spécialisées (SoundCloud, Bandcamp), de réaliser leurs projets les plus coûteux grâce au financement participatif, et de diffuser et vendre internationalement leur musique enregistrée en streaming ou en vente par correspondance. C’est par exemple ce qu’a fait Radiohead, <a href="https://www.slate.fr/story/236474/musique-prix-libre-radiohead-streaming-industrie-musicale-crowdfunding-artiste">proposant une participation libre pour son album In Rainbows</a>, en 2007. De nombreux artistes moins célèbres leur ont emboîté le pas.</p>
<p>Pour résumer, le rapport à la musique de la génération Y aura été marqué, comme bien d’autres aspects de leurs vies d’adultes, par le bouleversement de la révolution numérique.</p>
<p>Les technologies numériques ont engendré une révolution d’usage, plus que réellement esthétique : l’accessibilité facilitée à la quasi-intégralité de la matière sonore préexistante.</p>
<p>Alors que la critique guettait une révolution musicale comparable à celles du rock’n’roll et de la culture DJ dans les générations précédentes, les années 2000 ont créé la surprise en se tournant vers le passé, ou plutôt vers des passés mêlés, imbriqués et juxtaposés à l’outrance. Au paroxysme de la culture de l’emprunt, qui se décline visuellement dans les mèmes et les gifs des réseaux sociaux, c’est l’idée même de la modernité, une certaine conception de l’auteur unique et identifié, qui est mise à mal.</p>
<p>Dans le même temps, la création de musique enregistrée s’est libérée des contraintes économiques et démocratisée au point de devenir pour beaucoup un loisir. Elle a perdu au passage de sa valeur, une évolution qui a contribué à redessiner les contours de la filière musicale, recentrée sur le spectacle vivant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217875/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Lebray ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au cours des années 2000, la production et la consommation de musique ont été bouleversées par l’avènement du numérique.Sébastien Lebray, musique (populaire), Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2198962023-12-21T17:31:05Z2023-12-21T17:31:05ZVoici en quoi la vie, la poésie et les chansons de Leonard Cohen font de lui un prophète de l’amour<p>Leonard Cohen n’est pas exactement la première personne dont on songerait à faire un chantre du « vrai sens du temps des fêtes ».</p>
<p>En tant que chercheur en études religieuses <a href="https://theconversation.com/life-of-brian-terry-joness-legacy-of-a-surprisingly-historical-jesus-130582">se spécialisant dans les débuts du christianisme</a>, et <a href="https://www.cbc.ca/player/play/2279666243993">admirateur de Cohen issu d’un milieu chrétien</a>,je reconnais que le mot « festivité » ne colle tout simplement pas à cet artiste qui a toujours exprimé davantage une mélancolie narquoise qu’une jovialité à tout crin.</p>
<p>Or, le <a href="https://podcasts.apple.com/ca/podcast/a-conversation-with-matthew-r-anderson/id1650272494?i=1000637487270">défunt poète, romancier et auteur-compositeur-interprète juif bien-aimé de Montréal porte un regard pénétrant sur la lumière</a>. Ses mots doux-amers accompagnent bien les jours les plus courts et les plus sombres de l’année dans l’hémisphère nord, jours pendant lesquels ont lieu des fêtes religieuses où la lumière est à l’honneur.</p>
<h2>Tout devient pénombre</h2>
<p>Bien que les manières et les raisons de célébrer diffèrent considérablement, <a href="https://theconversation.com/hanukkahs-true-meaning-is-about-jewish-survival-88225">Hanoukka</a>, <a href="https://theconversation.com/apocalypse-booze-and-christmas-an-ancient-abc-172014">Noël</a>, <a href="https://theconversation.com/yule-a-celebration-of-the-return-of-light-and-warmth-218779">Yule</a> et, plus tôt dans l’année, <a href="https://theconversation.com/diwali-a-celebration-of-the-goddess-lakshmi-and-her-promise-of-prosperity-and-good-fortune-191992">Divali</a> sont toutes des fêtes faisant la part belle aux bougies et aux lumières scintillantes.</p>
<p>Qu’elles aient été imaginées dans cette optique ou non, à mesure que les nuits s’allongent à l’approche du solstice d’hiver, ces fêtes aident les gens à composer avec les journées courtes, l’obscurité extérieure et les intérieurs sombres qui causent la <a href="https://www.cbc.ca/news/health/sad-science-why-winter-brings-us-down-but-won-t-for-long-1.2981920">dépression saisonnière</a> et d’autres stress.</p>
<h2>Une année sous le signe de la morosité</h2>
<p>Bien que la violence ne connaisse jamais de répit, l’année qui s’achève a été particulièrement morose, marquée <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/hate-crime-record-levels-toronto-1.7037413">par des crimes haineux en forte hausse</a> la <a href="https://www.apa.org/monitor/2021/03/controlling-misinformation">désinformation, source de division</a> et des guerres. Voilà des propos où commence à poindre l’esprit de Cohen.</p>
<p>Les thèmes récurrents de l’échec, du regret, de la souffrance, de la violence et de la mortalité rendent l’œuvre de Cohen <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B6WnnZRSKYs">plus mélancolique encore que le Noël d’Elvis</a>. Néanmoins, mes récentes recherches sur l’imagerie religieuse dans sa poésie et sa musique m’ont permis de découvrir au moins quatre aspects de la vie et de la poésie de Cohen qui en font un <a href="https://www.mqup.ca/prophets-of-love-products-9780228018643.php">prophète de l’amour</a>.</p>
<p><strong>1. Cohen ne craignait pas de dire que la religion rythme la vie des gens partout dans le monde et que les symboles religieux ont du pouvoir</strong>. Supprimez les références religieuses des écrits de Cohen, et sa production se réduit comme peau de chagrin. Les titres de ses livres, du premier <em>Let Us Compare Mythologies</em> (1956), au dernier, <em>The Flame</em> (2018) montrent à quel point Cohen était <a href="https://www.firstthings.com/blogs/firstthoughts/2016/11/leonard-cohen-the-christ-haunted">conscient de la portée symbolique quasi universelle de la religion</a>.</p>
<p>La religion était un moyen pratique de parler de sexe pour Cohen. Mais il est tout aussi vrai que le sexe lui permettait de parler de religion. Pour lui, ces perspectives étaient liées au sentiment que chaque personne porte en elle une part de divin. Il observe : « Je crois que tous les êtres humains ont une vie spirituelle en phase <a href="https://books.google.ca/books/about/Leonard_Cohen.html?id=s8RbAgAACAAJ&redir_esc=y">avec leurs propres facultés divines »</a>.</p>
<p><strong>2. Cohen n’a jamais caricaturé les traditions religieuses.</strong> Il a souligné la richesse de nombreuses religions tout en affirmant sa propre position. Cohen savait que la compréhension des autres commence par la compréhension de soi. <a href="https://books.google.ca/books/about/Leonard_Cohen.html?id=s8RbAgAACAAJ&redir_esc=y">« Jamais je ne prétendrai que je ne suis pas juif »</a>, répétait-il constamment. </p>
<p>Le grand-père maternel de Cohen était un grand érudit féru de la lecture des écritures, et son arrière-grand-père paternel <a href="https://globalnews.ca/news/9707000/shaar-hashomayim-celebrates-century-in-westmount/">a contribué à fonder la congrégation montréalaise Shaar Hashomayim de Montréal</a>. Pourtant, bien qu’il ait été profondément enraciné dans le judaïsme, Leonard Cohen manifestait une vaste et profonde connaissance des autres religions.</p>
<p>Dans mes recherches, je montre <a href="https://atlanticbooks.ca/stories/im-your-saint-cohen-and-st-paul-studied-in-prophets-of-love/">l’importance de Jésus pour Cohen</a>, sans commettre l’erreur de prétendre qu’il était chrétien. J’explore comment le catholicisme a profondément marqué son enfance. Je note également que sa pratique du bouddhisme zen pendant des décennies, ses lectures sur le soufisme et son étude de l’hindouisme ont imprégné son œuvre.</p>
<p>Les <a href="https://www.theguardian.com/music/2021/oct/17/how-leonard-cohen-mined-sacred-texts-for-lyrics-to-his-songs">contes juifs tirés de la Mishna et du Talmud</a>, la <a href="https://www.heyalma.com/leonard-cohens-rabbi-reveals-the-jewish-theology-behind-the-music/">philosophie kabbalistique</a>, les anciennes légendes chrétiennes, les poèmes de Federico García Lorca et de Rumi, ainsi que ses <a href="https://www.npr.org/2016/10/21/498810429/leonard-cohen-on-poetry-music-and-why-he-left-the-zen-monastery">réflexions zen sur le désir</a>, l’attachement et la vacuité s’entremêlent tous dans son œuvre.</p>
<p><strong>3. Cohen était respectueux des croyances et spiritualités, mais il dénonçait l’hypocrisie religieuse.</strong> En 1984, <a href="https://books.google.ca/books/about/Leonard_Cohen.html?id=s8RbAgAACAAJ&redir_esc=y">il remarquait</a> : </p>
<blockquote>
<p>La mystification et la manipulation sont toujours possibles… Il y a dans le monde des forces du mal qui ont des visées impérialistes par rapport à la religion, mais j’ai confiance que les forces du bien prévaudront. </p>
</blockquote>
<p>Voilà des mots bien optimistes pour un homme qui a aussi écrit :</p>
<blockquote>
<p>Give me Stalin and St. Paul/I’ve seen the future, brother/It is murder (Rendez-moi Staline et Saint Paul/J’ai vu l’avenir, frère :/Il n’est que meurtre).</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LYzPVKg3wyo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Leonard Cohen’s « The Future. ».</span></figcaption>
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<p>Cohen était adulé et donc susceptible d’abuser de son pouvoir. Il a eu la chance de réussir à transformer <a href="https://web.archive.org/web/20201211115215/https:/www.theglobeandmail.com/arts/article-leonard-cohens-tales-of-seduction-look-different-through-a-metoo">ses relations en apparence misogynes avec les femmes</a> en chansons plutôt qu’en procès, en partie grâce à sa façon à la fois compliquée et désarmante de parler de regret, d’excuses et de pardon, et aussi en <a href="https://sharpmagazine.com/2018/11/06/how-do-we-come-to-terms-with-leonard-cohens-legacy-in-the-metoo-era/">raison de son âge grandissant, puis de son décès</a>.</p>
<ol>
<li>Et surtout, Cohen utilisait des histoires et des images religieuses pour trouver des causes rassembleuses et donner du courage à ses semblables pendant les périodes sombres. Ses paroles les plus célèbres sont sans doute ce passage de la chanson <em>Anthem</em> :</li>
</ol>
<blockquote>
<p>Ring the bells that still can ring/forget your perfect offering/There is a crack in everything/that’s how the light gets in (Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner/Oubliez vos offrandes parfaites/Il y a une brèche en toute chose/C’est ainsi qu’entre la lumière).</p>
</blockquote>
<p>Harry Freedman, dans <a href="https://www.bloomsbury.com/ca/leonard-cohen-9781472987273/"><em>Leonard Cohen : The Mystical Roots of Genius</em></a> a décelé de nombreuses références à la religion juive dans <em>Anthem</em>. J’en ai découvert d’autres. Cohen s’est donné comme mission (une <em>mission biblique</em> à ses yeux, il faut le souligner) de trouver et de mettre en évidence la lumière présente dans toute souffrance humaine. <a href="https://www.mqup.ca/prophets-of-love-products-9780228018643.php">Comme je l’ai écrit ailleurs</a>, « A crack in everything means especially a crack in human beings – une brèche en toute chose, ça signifie en particulier une brèche dans l’être humain. »</p>
<p>Dans ses dernières années, l’artiste a endossé progressivement le rôle évoqué par son patronyme, <a href="https://www.britannica.com/topic/cohen">celui de cohen, c’est-à-dire de prêtre</a>. Ainsi, des amis et collègues qui ont assisté à ses derniers concerts – certains étant croyants, mais de nombreux autres vivant une <a href="https://theconversation.com/what-does-it-mean-to-be-spiritual-87236">forme de spiritualité sans foi religieuse</a>, ont souligné l’ambiance de lieu sacré qui y régnait.</p>
<p>Les textes de Cohen parlent d’échecs humains, de regret et de violence. Or, selon sa collaboratrice Sharon Robinson, les <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-features/sharon-robinson-reflects-on-touring-with-leonard-cohen-194281/">tournées sont devenues « un genre de méditation » pour Cohen</a>, et il bénissait la foule à la fin de ses derniers concerts. Le titre de l’album <em>You Want It Darker</em> fait référence à la fois à ses admirateurs et à son dieu, ce qui est typique chez Cohen, qui n’admettait jamais qu’une phrase n’ait qu’un seul sens. Il <a href="https://jewishreviewofbooks.com/articles/2315/darkness-and-light-leonard-cohen-and-the-new-cantors-a-playlist-for-the-high-holidays/">y met le divin au défi tout en acceptant la fin</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Leonard Cohen’s « You Want it Darker. ».</span></figcaption>
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<h2>Une disparition comme un mauvais présage, une pertinence toujours grande</h2>
<p>Sa connaissance de nombreuses religions, son regard scrutateur sur la condition humaine, son défi au divin de répondre aux tourments de l’humanité : voilà ce qui fait de Cohen un chantre improbable, mais lucide des jours sombres de l’hiver.</p>
<p>Si j’avais à choisir une <a href="https://www.msn.com/en-ca/news/canada/douglas-todd-leonard-cohen-may-help-us-find-hope-in-today-s-holy-broken-world/ar-AA1izeLe">chanson de Cohen pour les fêtes</a>, ce serait sans doute <em>Come Healing</em>. Voilà ce qui pourrait bien faire de Leonard Cohen, un homme au sujet duquel aucun film de Noël mièvre ne sera certainement jamais tourné, un puissant antidote contre l’obscurité cette année.</p>
<blockquote>
<p>And let the heavens falter/Let the earth proclaim/Come healing of the altar/Come healing of the name (Et que les cieux balbutient/Et que la terre proclame :/Que vienne la guérison de l’Autel/Que vienne la guérison du Nom).</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/219896/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthew Robert Anderson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mots doux-amers des chansons de Leonard Cohen accompagnent bien les jours les plus courts de l’année dans l’hémisphère nord, pendant lesquels ont lieu des fêtes où la lumière est à l’honneur.Matthew Robert Anderson, Adjunct professor, Theological Studies, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184862023-12-04T10:32:54Z2023-12-04T10:32:54ZIdylle Taylor Swift–Travis Kelce : cinq leçons de marketing en cinq chansons<p>Que se passe-t-il lorsque l’on réunit la plus grande pop star du monde et un double (et peut-être bientôt triple) champion du Super Bowl ? Beaucoup d’excitation, comme l’a montré la <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/people/4063337-20231121-travis-kelce-raconte-comment-histoire-amour-taylor-swift-nee">romance entre Taylor Swift et Travis Kelce</a>. Mais au milieu de toutes les acclamations et de tous les partages Instagram, la situation donne des indications utiles en matière de <a href="https://theconversation.com/topics/marketing-21665">marketing</a>. Voici en cinq titres de l’artiste, et à quelques heures du Super Bowl 2024, cinq leçons que la NFL (la ligue étatsunienne de football américain) et d’autres spécialistes du marketing expérientiel peuvent en tirer pour améliorer leurs marques et leur <a href="https://theconversation.com/topics/reputation-39873">réputation</a>.</p>
<h2>« Blank Space » : accepter l’élargissement de l’audience</h2>
<iframe style="border-radius:12px" src="https://open.spotify.com/embed/track/45wMBGri1PORPjM9PwFfrS?utm_source=generator" width="100%" height="352" frameborder="0" allowfullscreen="" allow="autoplay; clipboard-write; encrypted-media; fullscreen; picture-in-picture" loading="lazy"></iframe>
<blockquote>
<p>« Cause you know I love the players… And you love the game ! » (« Vous savez que j’aime les joueurs… Et vous aimez jouer », Blank Space, 2014)</p>
</blockquote>
<p>Les grands spécialistes du marketing du divertissement savent comment remplir un espace vide, un <em>blank space</em>. Taylor Swift a donné à la NFL une occasion unique d’étendre son attrait à un groupe démographique – les jeunes femmes – qui ne s’intéressait peut-être pas au football américain auparavant. Les « <em>Swifties</em> », comme on appelle les fans de la chanteuse, trépignent à l’idée de voir l’icône de la pop tomber amoureuse. Ainsi, chaque fois qu’elle se rend dans un stade pour encourager son nouvel amant, le star des Kansas City Chiefs qui évolue au poste de tight end, ce qu’elle a fait <a href="https://www.kansascity.com/news/local/article281904423.html">plusieurs fois</a> au cours des derniers mois, les médias s’en donnent à cœur joie. Le <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/musiques/taylor-swift/super-bowl-taylor-swift-affole-les-americains-assistera-t-elle-au-match-de-son-cheri-footballeur-bae98e72-c595-11ee-8011-b976796527e7">suspens</a> sur sa présence en tribune pour le Super Bowl, quelques heures après le concert qu'elle donne à Tokyo, reste entier d'ailleurs.</p>
<p>Alors que les fans de football sérieux souhaitent que l’attention reste concentrée sur le football, la ligue qui chapeaute la compétition est bien inspirée d’en tirer parti. Après tout, Swift est une star très populaire : elle a plus de chansons classées (212), de succès dans le top 10 (42) et de débuts de chansons en première position (5) dans le <a href="https://www.billboard.com/lists/taylor-swift-hot-100-billboard-200-chart-records-broken/">Billboard Top 100</a> que n’importe quelle autre musicienne de l’histoire.</p>
<p>Les Chiefs sont connus pour leurs victoires et les joueurs phares qu’ils attirent, et ils continuent de susciter l’engouement de leurs fans traditionnels. La présence de Swift a par-dessus cela donné un ton plus enjoué aux matchs. L’entraîneur des Chiefs, Andy Reid, d’ordinaire très sérieux, s’est mis à <a href="https://www.billboard.com/music/music-news/andy-reid-setting-up-taylor-swift-travis-kelce-joke-1235447334/">plaisanter à propos du couple</a> (« C’est moi qui leur ai arrangé le coup »). Le niveau monte d’un cran avec des memes sur Taylor Swift devant quitter le stade dans une <a href="https://www.tmz.com/2023/09/25/taylor-swift-travis-kelce-popcorn-machine-suite-swifties-fan-theory/">machine à pop-corn</a>, combinaison de culture pop participative, de célébrité et de sport.</p>
<p>Élargir l’audience est une tactique efficace pour les entreprises, à condition de ne pas se mettre à dos les anciens fans en s’ouvrant à de nouveaux. Jusqu’à présent, cette stratégie s’est avérée payante pour la NFL : les <a href="https://www.businessinsider.com/taylor-swift-travis-kelce-nfl-jersey-sales-game-fanatics-merchandise-2023-9">audiences</a> montent en flèche lorsque Taylor Swift assiste à un match, et les <a href="https://www.businessinsider.com/taylor-swift-travis-kelce-nfl-jersey-sales-game-fanatics-merchandise-2023-9">ventes de maillots de Travis Kelce</a> vont également croissante. Ce nouvel intérêt pour le sport est le bienvenu, au moment où les audiences télévisées de la NFL chez les 18-35 ans connaissaient un <a href="https://www.sportsmediawatch.com/nfl-tv-ratings-viewership-2023/">certain déclin</a>.</p>
<h2>« Wildest Dreams » : capitaliser sur les nombreuses motivations du fandom</h2>
<iframe style="border-radius:12px" src="https://open.spotify.com/embed/track/45wMBGri1PORPjM9PwFfrS?utm_source=generator" width="100%" height="352" frameborder="0" allowfullscreen="" allow="autoplay; clipboard-write; encrypted-media; fullscreen; picture-in-picture" loading="lazy"></iframe>
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<p>« Say you’ll see me again/Even if it’s just in your wildest dreams » (« Dis que tu me reverras, même si c’est juste dans tes rêves les plus fous », Wildest Dreams, 2014)</p>
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<p>Le rêve le plus fou des spécialistes du marketing sportif ou du divertissement est de pouvoir attirer toutes sortes de fans tout en répondant aux attentes personnelles de chacun. C’est pourquoi ceux-ci sont bien avisés de penser aux « données psychographiques » en plus des données démographiques. Cela signifie qu’au lieu de segmenter les publics en fonction de critères démographiques – comme les jeunes femmes ou les étudiants – ils adaptent leurs appels aux modes de vie, aux intérêts, aux activités et à la façon dont les consommateurs pensent.</p>
<p>Les <a href="https://doi.org/10.2501/S0021849906060430">recherches</a> que j’ai cosignées montrent que les amateurs de sport engagés sont motivés par des désirs psychologiques tels que l’évasion et le renforcement de l’estime de soi – tout le monde veut être associé à un gagnant. On retrouve également des motifs sociaux tels que le désir de renforcer les liens au sein d’un groupe et de participer à des traditions et à des rituels.</p>
<p>Le football est connu pour ses stratégies intenses, sa bravade masculine et ses coups violents. Le croisement avec Swift donne donc aux marketers de la NFL l’occasion d’attirer de nouveaux fans aux motivations différentes. Un bon exemple est la modification il y a quelques semaines par la NFL de sa biographie sur X (anciennement Twitter) en <a href="https://theathletic.com/4909874/2023/10/01/taylor-swift-travis-kelce-nfl-jets-chiefs/">« NFL (Taylor’s version) »</a>, un clin d’œil à l’identité et à l’humour du groupe Swiftie. L’artiste avait en effet réenregistré une partie de ses titres en leur apposant la parenthèse « Taylor’s version » prise dans une querelle de droit d’auteur et de diffusion avec son ancien label.</p>
<p>Les nouveaux fans, attirés par ce type d’appel, peuvent ensuite rester en raison d’une passion nouvelle développée pour le sport découvert par ce biais.</p>
<h2>« You Belong With Me » : faire en sorte que les consommateurs se sentent à leur place</h2>
<iframe style="border-radius:12px" src="https://open.spotify.com/embed/track/1qrpoAMXodY6895hGKoUpA?utm_source=generator" width="100%" height="352" frameborder="0" allowfullscreen="" allow="autoplay; clipboard-write; encrypted-media; fullscreen; picture-in-picture" loading="lazy"></iframe>
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<p>« If you could see that I’m the one who understands you, been here all along so, why can’t you see ? You belong with me » (« Si tu pouvais voir que je suis celle qui te comprend, que j’ai toujours été là, pourquoi ne le vois-tu pas ? Ta place est auprès de moi », You Belong With Me, 2008)</p>
</blockquote>
<p>Certaines personnes pensent que le sport n’est pas fait pour elles, et plus particulièrement encore lorsqu’il s’agit de football américain. La NFL et les Chiefs exploitent aujourd’hui une occasion unique de susciter l’intérêt soudain de ces personnes qui ne sont pas réputées être des superfans de la discipline. Pour les convertir en téléspectateurs réguliers toutefois, ils devront s’assurer que les nouveaux venus développent un sentiment d’appartenir à cet univers.</p>
<p>Un exemple subtil de ce type de sensibilisation a été donné lorsque les Chiefs ont utilisé les réseaux sociaux pour <a href="https://twitter.com/Chiefs/status/1706044628787462409?lang=en">accueillir Taylor Swift – et par extension, ses fidèles fans – au « Royaume des Chiefs »</a>. De même, la ligue a explicitement fait savoir que les Swifties étaient les <a href="https://theathletic.com/4909874/2023/10/01/taylor-swift-travis-kelce-nfl-jets-chiefs/">bienvenus dans les tribunes</a>, même si une cohorte de fans de la NFL, petite mais bruyante, préférerait qu’ils <a href="https://theathletic.com/4924355/2023/10/03/nfl-taylor-swift-fans-chiefs/">restent à l’écart</a>. Cette ouverture d’esprit est bonne pour les affaires.</p>
<h2>« Love Story » : tirer profit d’un double marquage humain et en appeler au plaisir et à la fantaisie</h2>
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<p>« You’ll be the prince, and I’ll be the princess/It’s a love story, baby, just say yes » (« Tu seras le prince et je serai la princesse/C’est une histoire d’amour, bébé, dis juste oui », Love Story, 2008)</p>
</blockquote>
<p>Mes <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11747-010-0221-6">travaux</a> portent sur les marques humaines – les personnes, connues ou émergentes, qui font l’objet de communications marketing, interpersonnelles ou interorganisationnelles. À l’ère des réseaux sociaux, l’image de marque humaine n’a jamais été aussi importante. Une marque personnelle forte est associée à un plus grand nombre de recherches sur Google, de ventes de marchandises et de billets. Taylor Swift et Travis Kelce récoltent donc les fruits de <a href="https://www.investopedia.com/terms/c/cobranding.asp">leur co-marquage humain</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1681544402559463424"}"></div></p>
<p>Qu’est-ce qui rend ces marques humaines si convaincantes ? De nombreux fans s’intéressent à la vie romantique de Taylor et l’encouragent à trouver l’amour et à choisir un jour une robe blanche. Cet intérêt et ce fantasme prennent la forme d’une relation <a href="https://doi.org/10.1080/00913367.2022.2066034">parasociale</a> – ou unilatérale – dans laquelle l’une des parties investit de l’énergie émotionnelle et du temps, tandis que l’autre personne ignore l’existence de la première. Bien que ces relations puissent potentiellement devenir nuisibles, dans la plupart des cas, les interactions parasociales sont une source d’évasion, d’amusement et de fantaisie.</p>
<p>Prise dans un torrent d’informations négatives et parfois angoissantes, une histoire amusante et divertissante peut s’avérer puissante. Les recherches menées dans notre livre sur la publicité et la stratégie de marque montrent que les spécialistes du marketing sportif sont désireux de <a href="https://www.amazon.com/Advertising-Integrated-Promotion-Angeline-Scheinbaum/dp/0357721403">tirer parti d’appels positifs</a>.</p>
<h2>« Exile » : ne vous contentez pas de penser localement</h2>
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<p>« You’re not my homeland anymore/So what am I defending now ? » (« Vous n’êtes plus ma patrie/Qu’est-ce que je défends maintenant ? », Exile, 2020)</p>
</blockquote>
<p>Une dernière idée pour les marques et les spécialistes du marketing est de ne pas être limité par la géographie. Avec le commerce numérique et les réseaux sociaux, les chercheurs s’intéressent de plus en plus aux « fans lointains » qui parcourent de longues distances pour assister à des événements. Dans une <a href="https://doi.org/10.2501/JAR-2022-001">étude récente</a> sur le parrainage d’événements sportifs par des cyclistes professionnels, mes collègues et moi-même avons constaté que les participants à ces événements qui venaient de loin s’investissaient davantage dans l’événement et étaient plus enclins à acheter des produits dérivés. </p>
<p>La relation Swift/Kelce, et le fait que la NFL l’ait mise en avant, est un exemple de la raison pour laquelle il est important de ne pas se laisser enfermer par la géographie. Une affiche brandie par un spectateur lors d’un récent match des Chiefs à Francfort en Allemagne le prouve bien :</p>
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<p>« Je suis venu du Texas : où est Taylor ? »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/218486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angeline Close Scheinbaum ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que Taylor Swift vive une idylle avec une star de football américain, c’est une aubaine pour la NFL afin de garnir les tribunes de nouveaux fans !Angeline Close Scheinbaum, Dan Duncan Endowed Professor of Sports Marketing.Associate Professor of Marketing, Clemson UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179752023-11-29T17:22:42Z2023-11-29T17:22:42ZLes superpouvoirs de la musique sur notre cerveau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562403/original/file-20231129-17-e9wab7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=45%2C0%2C6749%2C5100&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment la musique agit-elle sur notre mémoire et sur nos émotions? </span> </figcaption></figure><blockquote>
<p>« Quand j’entends la chanson <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KNZH-emehxA">“You’re Still the One”</a> de Shania Twain, cela me transporte comme par magie vers l’année de mes 15 ans. Je me vois sur le PC de mon père, après qu’il ait tenté de mettre fin à ses jours. Il avait écouté cet album peu avant sur son ordinateur et j’ai lancé le titre pendant que je rangeais ses dossiers. Chaque fois que j’entends cette chanson, je voyage dans le passé – la tristesse et la colère remontent à la surface. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi témoigne l’un des participants à nos recherches sur les pouvoirs de la musique.</p>
<p>Les pouvoirs de stimulation de la mémoire et les effets thérapeutiques de la musique font l’objet d’une fascination renouvelée. Cette résurgence peut être principalement attribuée aux récentes avancées de la recherche neuroscientifique, qui ont confirmé les propriétés thérapeutiques de la musique, telles que la régulation émotionnelle et l’engagement . Cela a conduit à une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10560-022-00893-x">intégration croissante</a> de la musicothérapie dans les traitements conventionnels de la santé mentale.</p>
<p>Il a déjà été démontré que de telles interventions musicales aident les personnes atteintes de <a href="https://www.proquest.com/openview/f42a82f350c32a106111ca17ac5db5fe/1">cancer</a>, de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29149141/">douleur chronique</a> et de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15401383.2012.685020">dépression</a>. Les conséquences du stress, telles que l’élévation de la tension artérielle et la tension musculaire, peuvent également être <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17437199.2020.1846580">atténuées par le pouvoir de la musique</a>.</p>
<p>En tant que mélomane de longue date et neuroscientifique, je pense que la musique a un statut spécial parmi tous les arts en termes d’ampleur et de profondeur de son impact sur les gens. L’un des aspects essentiels est son pouvoir de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0166432821005222">récupération de la mémoire autobiographique</a>, qui fait ré-émerger des souvenirs souvent très personnels d’expériences passées. Nous pouvons tous raconter un cas où une mélodie nous a transportés dans le passé, ravivant des souvenirs et les imprégnant souvent d’une gamme d’émotions puissantes.</p>
<p>Mais l’amélioration de la mémoire peut également se produire chez les patients atteints de démence, pour qui <a href="https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2023/sep/20/a-moment-that-changed-me-i-played-my-way-to-people-with-dementia-the-effect-was-magic">l’impact transformateur de la musicothérapie</a> ouvre parfois une fenêtre sur des souvenirs, qu’il s’agisse d’expériences chères de l’enfance, d’arômes et de saveurs de la cuisine maternelle, d’après-midi d’été passés en famille ou de l’atmosphère et de l’énergie d’un festival de musique.</p>
<p>On a pu le constater avec cette <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IT_tW3EVDK8">vidéo</a> virale, réalisée par l’<a href="https://musicaparadespertar.com/">Asociación Música para Despertar</a>, qui mettrait en scène la ballerine hispano-cubaine Martha González Saldaña (bien qu’il y ait eu une <a href="https://www.npr.org/2020/11/10/933387878/struck-with-memory-loss-a-dancer-remembers-swan-lake-but-who-is-she">certaine controverse</a> au sujet de son identité). La musique du Lac des cygnes de Tchaïkovski semble réactiver des souvenirs chers et même des réactions motrices chez cette ancienne danseuse étoile, qui est amenée à répéter certains de ses anciens mouvements de danse devant la caméra.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IT_tW3EVDK8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le Lac des cygnes de Tchaïkovski semble réactiver des réponses motrices inutilisées depuis longtemps chez cette ancienne ballerine.</span></figcaption>
</figure>
<p>Dans notre laboratoire de l’université de Northumbria, nous cherchons à exploiter ces récentes avancées neuroscientifiques pour approfondir notre compréhension du lien complexe entre la musique, le cerveau et le bien-être mental. Nous voulons répondre à des questions spécifiques telles que la raison pour laquelle la <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpain.2023.1210572/full">musique triste ou douce-amère</a> joue un rôle thérapeutique unique pour certaines personnes, et quelles parties du cerveau elle « touche » par rapport à des compositions plus joyeuses.</p>
<p>Les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1053811919301284">outils de recherche avancée</a> tels que les moniteurs d’électroencéphalogramme (EEG) à haute densité nous permettent d’enregistrer la façon dont les régions du cerveau « parlent » entre elles en temps réel lorsqu’une personne écoute une chanson ou une symphonie. Ces régions sont stimulées par différents aspects de la musique, de son contenu émotionnel à sa structure mélodique, de ses paroles à ses schémas rythmiques.</p>
<p>Bien entendu, la façon dont nous réagissons à la musique est profondément personnelle, c’est pourquoi notre recherche nécessite également que les participants à l’étude décrivent ce qu’ils ressentent à l’écoute d’un morceau de musique particulier, y compris sa capacité à encourager une profonde introspection et à évoquer des souvenirs significatifs.</p>
<p>Ludwig van Beethoven a proclamé un jour : « La musique est une entrée incorporelle dans le monde supérieur de la connaissance qui comprend l’humanité mais que l’humanité ne peut pas comprendre ». Avec l’aide des neurosciences, nous espérons contribuer à changer cela.</p>
<h2>Une brève histoire de la musicothérapie</h2>
<p>Les origines de la musique sont très anciennes, antérieures au langage et à la pensée rationnelle. Ses racines remontent à l’ère paléolithique, il y a plus de 10 000 ans, lorsque les premiers hommes l’utilisaient pour communiquer et exprimer leurs émotions. Les <a href="https://news.cnrs.fr/articles/the-sound-of-palaeolithic-music">découvertes archéologiques</a> comprennent d’anciennes flûtes en os et des instruments de percussion fabriqués à partir d’os et de pierres, ainsi que des marques indiquant <a href="https://www.sciencedaily.com/releases/2008/07/080704130439.htm">l’endroit qui sonne le mieux dans une grotte</a> et même des <a href="https://theconversation.com/how-the-music-of-an-ancient-rock-painting-was-brought-to-life-185475">peintures représentant des rassemblements musicaux</a>.</p>
<p>Au cours de l’ère néolithique qui a suivi, la musique a connu un <a href="https://theconversation.com/what-archaeology-tells-us-about-the-music-and-sounds-made-by-africas-ancestors-143809">développement important</a> dans le monde entier. Des fouilles ont permis de découvrir divers instruments de musique, notamment des harpes et des instruments de percussion complexes, soulignant l’importance croissante de la musique dans les cérémonies religieuses et les rassemblements sociaux au cours de cette période, ainsi que l’apparition de formes rudimentaires de notation musicale, comme en témoignent les <a href="https://www.asor.org/anetoday/2022/04/music-ancient-mesopotamia">tablettes d’argile de l’ancienne Mésopotamie</a>, en Asie occidentale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Quatre instruments de musique préhistoriques" src="https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=368&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557113/original/file-20231101-21-el7lrd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=463&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Instruments de musique préhistoriques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Musical_instruments_of_prehistory.jpg">Musée d’Archéologie Nationale/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les philosophes grecs de l’Antiquité, Platon et Aristote, ont tous deux reconnu le rôle central de la musique dans l’expérience humaine. Platon a souligné le pouvoir de la musique en tant que stimulus agréable et curatif, en déclarant : « La musique est une loi morale. Elle donne une âme à l’univers, des ailes à l’esprit, du souffle à l’imagination, et le charme et la gaieté à la vie ». De manière plus pratique, Aristote considérait que la musique avait le pouvoir de former le caractère.</p>
<p>Tout au long de l’histoire, de nombreuses cultures ont adopté les vertus curatives de la musique. Les anciens Égyptiens intégraient la musique à leurs cérémonies religieuses, la considérant comme une force thérapeutique. Les tribus amérindiennes, comme les Navajos, utilisaient la musique et la danse dans leurs rituels de guérison, s’appuyant sur les tambours et les chants pour promouvoir le bien-être physique et spirituel. Dans la médecine traditionnelle chinoise, des tonalités et des rythmes musicaux spécifiques sont censés équilibrer l’énergie du corps (qi) et améliorer la santé.</p>
<p>Au Moyen Âge et à la Renaissance, l’Église chrétienne a joué un rôle essentiel dans la popularisation de la « musique pour les masses ». Le chant des hymnes de congrégation a permis aux fidèles de s’engager dans une musique commune pendant les services religieux. Cette expression musicale partagée était un puissant moyen de dévotion et d’enseignement religieux, permettant à une population largement analphabète de se rapprocher de sa foi par la mélodie et les paroles. Le chant communautaire n’est pas seulement une tradition culturelle et religieuse, il a également été <a href="https://journals.co.za/doi/abs/10.4102/ve.v40i1.1910">reconnu comme une expérience thérapeutique</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Grey-haired man in jacket sitting at a desk reading," src="https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=604&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557117/original/file-20231101-25-aqs9xd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=759&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Benjamin Rush.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Benjamin_Rush_by_Sully.jpg">NYPL Digital Gallery/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aux XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles, les premières recherches sur le système nerveux humain ont été menées parallèlement à l’<a href="https://www.musictherapy.org/about/history/">émergence de la musicothérapie</a> en tant que domaine d’étude. Des pionniers tels que le médecin américain <a href="https://www.britannica.com/biography/Benjamin-Rush">Benjamin Rush</a>, signataire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776, ont reconnu le potentiel thérapeutique de la musique pour améliorer la santé mentale.</p>
<p>Peu après, des personnalités telles que Samuel Mathews (l’un des étudiants de Rush) ont commencé à mener des expériences explorant les <a href="https://collections.nlm.nih.gov/catalog/nlm:nlmuid-2562064R-bk">effets de la musique sur le système nerveux</a>, jetant ainsi les bases de la musicothérapie moderne. Ces premiers travaux ont servi de tremplin à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.2307/3345004">E. Thayer Gaston</a>, connu comme le « père de la musicothérapie », pour la promouvoir en tant que discipline légitime aux États-Unis. Ces développements ont inspiré des efforts similaires au Royaume-Uni, où <a href="https://academic.oup.com/mtp/article-abstract/36/1/1/4916024">Mary Priestley</a> a contribué de manière significative au développement de la musicothérapie en tant que domaine respecté.</p>
<p>Les connaissances acquises lors de ces premières explorations ont continué à influencer les psychologues et les neuroscientifiques depuis lors, y compris le grand neurologue et <a href="https://www.oliversacks.com/oliver-sacks-books/musicophilia-oliver-sacks/">auteur de best-sellers</a> Oliver Sacks, aujourd’hui décédé, qui a observé que :</p>
<blockquote>
<p>« La musique peut nous sortir de la dépression ou nous émouvoir aux larmes. C’est un remède, un tonique, un jus d’orange pour l’oreille. »</p>
</blockquote>
<h2>L’effet Mozart</h2>
<p>L’étude et la compréhension de tous les mécanismes cérébraux impliqués dans l’écoute de la musique et de ses effets ne sont pas l’apanage des neuroscientifiques. Notre équipe diversifiée comprend des experts en musique tels que Dimana Kardzhieva (citée ci-dessous), qui a commencé à jouer du piano à l’âge de cinq ans et a poursuivi ses études à l’École nationale de musique de Sofia, en Bulgarie. Aujourd’hui psychologue cognitive, sa compréhension combinée de la musique et des processus cognitifs nous aide à approfondir les mécanismes complexes par lesquels la musique affecte (et apaise) notre esprit. Un neuroscientifique seul risquerait d’échouer dans cette entreprise.</p>
<blockquote>
<p>« La musique est au cœur de ma profession, mais c’est aussi une quête spéciale et profondément personnelle. Elle m’a permis de faire face aux défis de la vie, en apprenant à canaliser mes sentiments et à les exprimer en toute sécurité. La musique m’a appris à prendre mes pensées, qu’elles soient agréables ou douloureuses, et à les transformer en quelque chose de beau. »</p>
</blockquote>
<p>Le point de départ de notre recherche est ce que l’on appelle « l’effet Mozart », c’est-à-dire l’idée que l’exposition à des compositions musicales complexes, en particulier des morceaux classiques, stimule l’activité cérébrale et, en fin de compte, <a href="https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED390733.pdf">améliore les capacités cognitives</a>. Bien que les résultats soient mitigés <a href="https://psycnet.apa.org/record/2018-20917-004">quant à la réalité de l’effet Mozart</a>, en raison des différentes méthodes employées par les chercheurs au fil des ans, ce travail a néanmoins permis des avancées significatives dans notre compréhension de l’effet de la musique sur le cerveau.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une étude a montré que l’écoute de la Sonate pour deux pianos en ré de Mozart améliorait les capacités cognitives.</span></figcaption>
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<p>Dans l’étude originale réalisée en 1993 par <a href="https://www.nature.com/articles/365611a0">Frances Rauscher et ses collègues</a>, les participants ont constaté une amélioration de leur capacité de raisonnement spatial après seulement dix minutes d’écoute de la Sonate pour deux pianos en ré de Mozart.</p>
<p>Dans <a href="https://psycnet.apa.org/record/2007-18075-020">notre étude de 1997</a>, qui utilisait la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=bEiYmeeV6sI">deuxième symphonie</a> de Beethoven et le morceau instrumental <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9IrWyZ0KZuk"><em>For the Love of God</em></a> du guitariste de rock Steve Vai, nous avons constaté des effets directs similaires chez nos auditeurs, mesurés à la fois par l’activité <a href="https://www.nhs.uk/conditions/electroencephalogram/">EEG</a> associée aux niveaux d’attention et à la libération de l’hormone <a href="https://www.health.harvard.edu/mind-and-mood/dopamine-the-pathway-to-pleasure">dopamine</a> (le messager du cerveau pour les sentiments de joie, de satisfaction et de renforcement d’actions spécifiques). Nos recherches ont montré que la musique classique en particulier renforce l’attention portée à la façon dont nous traitons le monde qui nous entoure, indépendamment de l’expertise ou des préférences musicales de chacun.</p>
<p>La beauté de la méthodologie EEG réside dans sa capacité à suivre les processus cérébraux avec une précision de l’ordre de la milliseconde, ce qui nous permet de distinguer les réponses neuronales inconscientes des réponses conscientes. Lorsque nous avons montré à plusieurs reprises des formes simples à une personne, nous avons constaté que la musique classique accélérait le traitement précoce (avant 300 millisecondes) de ces stimuli. Les autres musiques n’ont pas eu le même effet, pas plus que la connaissance préalable de la musique classique ou le goût pour celle-ci. Par exemple, les musiciens professionnels de rock et de musique classique qui ont participé à notre étude ont amélioré leurs processus cognitifs automatiques et inconscients en écoutant de la musique classique.</p>
<p>Mais nous avons également constaté des effets indirects liés à l’excitation. Lorsque les gens s’immergent dans la musique qu’ils apprécient personnellement, ils ressentent un changement radical de leur état d’éveil et de leur humeur. Ce phénomène <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/1467-9280.00345">présente des similitudes</a> avec l’augmentation des performances cognitives souvent liée à d’autres expériences agréables.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>Les Quatre Saisons</em> de Vivaldi en intégralité.</span></figcaption>
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<p>Dans une autre étude, nous avons exploré l’influence particulière de la <a href="https://www.britannica.com/art/program-music">« musique à programme »</a> – terme désignant la musique instrumentale « porteuse d’une signification extra-musicale » et dont on dit qu’elle possède une capacité remarquable à faire appel à la mémoire, à l’imagination et à la réflexion personnelle. Lorsque nos participants ont écouté les <em>Quatre Saisons</em> d’Antonio Vivaldi, ils ont déclaré avoir vécu de manière très vivante le <a href="https://psycnet.apa.org/doiLanding?doi=10.1027%2F1618-3169%2Fa000166">changement des saisons</a> à travers la musique, y compris ceux qui ne connaissaient pas ces concertos. Notre étude a conclu, par exemple, que « Le printemps » – en particulier le premier mouvement, bien connu, vibrant, émotif et exaltant – a la capacité d’améliorer la vigilance mentale et les mesures cérébrales de l’attention et de la mémoire.</p>
<h2>Que se passe-t-il dans notre cerveau ?</h2>
<p>Les qualités émotionnelles et thérapeutiques de la musique sont étroitement liées à la libération de substances neurochimiques. Un certain nombre d’entre elles sont associées au bonheur, notamment l’ocytocine, la sérotonine et les endorphines. Cependant, la dopamine est au cœur des propriétés stimulantes de la musique.</p>
<p>Elle déclenche la libération de dopamine dans les régions du cerveau consacrées à la <a href="https://rewardfoundation.org/brain-basics/reward-system/">récompense et au plaisir</a>, générant des sensations de joie et d’euphorie semblables à l’impact d’autres activités agréables telles que la consommation de nourriture ou les rapports sexuels. Mais contrairement à ces activités, dont la valeur est clairement liée à la survie et à la reproduction, l’avantage évolutif de la musique est moins évident.</p>
<p>Sa forte fonction sociale est reconnue comme le principal facteur du développement et de la préservation de la musique dans les communautés humaines. Cette qualité protectrice pourrait donc expliquer pourquoi elle fait appel aux mêmes mécanismes neuronaux que d’autres activités agréables.</p>
<p>Le système de récompense du cerveau est constitué de régions interconnectées, dont le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00276-014-1360-0">noyau accumbens</a> est la centrale. Il est situé profondément dans la région sous-corticale, et son emplacement laisse présager son implication significative dans le traitement des émotions, étant donné sa proximité avec d’autres régions clés liées à ce traitement.</p>
<p>Lorsque nous écoutons de la musique, que ce soit en jouant ou en écoutant, le noyau accumbens réagit à ses aspects agréables en déclenchant la libération de dopamine. Ce processus, connu sous le nom de voie de récompense de la dopamine, est essentiel pour éprouver et renforcer des émotions positives telles que les sentiments de bonheur, de joie ou d’excitation que la musique peut procurer.</p>
<p>Comme l’explique Jonathan Smallwood, professeur de psychologie à l’université Queen’s (Ontario), nous n’avons pas fini d’en apprendre sur l’impact de la musique sur les différentes parties du cerveau :</p>
<blockquote>
<p>« La musique peut être compliquée à comprendre du point de vue des neurosciences. Un morceau de musique englobe de nombreux domaines qui sont généralement étudiés séparément, tels que la fonction auditive, l’émotion, le langage et la signification. »</p>
</blockquote>
<p>Cela dit, nous pouvons constater que l’effet de la musique sur le cerveau va au-delà du simple plaisir. L’<a href="https://www.britannica.com/science/amygdala">amygdale</a>, une région du cerveau réputée pour son implication dans les émotions, génère et régule les réactions émotionnelles à la musique, qu’il s’agisse de la nostalgie réconfortante d’une mélodie familière, de l’excitation exaltante d’une symphonie qui va crescendo ou de la peur liée à une mélodie sinistre et obsédante.</p>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1053811920308363">La recherche</a> a également démontré que, lorsqu’elles sont stimulées par la musique, ces régions peuvent réveiller des souvenirs autobiographiques qui suscitent une réflexion positive sur nous-mêmes et nous font nous sentir mieux – comme nous l’avons vu dans la vidéo de l’ancienne ballerine Martha González Saldaña.</p>
<p>Nos propres recherches indiquent que l’<a href="https://www.britannica.com/science/hippocampus">hippocampe</a>, essentiel à la formation de la mémoire, est la partie du cerveau qui stocke les souvenirs et les associations liés à la musique. Simultanément, le <a href="https://neuroscientificallychallenged.com/posts/know-your-brain-prefrontal-cortex">cortex préfrontal</a>, responsable des fonctions cognitives supérieures, collabore étroitement avec l’hippocampe pour retrouver ces souvenirs musicaux et évaluer leur signification autobiographique. Pendant l’écoute de la musique, cette interaction entre les centres cérébraux de la mémoire et de l’émotion crée une expérience puissante et unique, élevant la musique au rang de stimulus distinctif et agréable.</p>
<p>Les arts visuels, comme les peintures et les sculptures, ne provoquent pas l’engagement temporel et multisensoriel de la musique, ce qui diminue leur capacité à former des connexions émotionnelles et mémorielles fortes et durables. Les autres formes d’art peuvent évoquer des émotions et des souvenirs, mais restent souvent ancrés dans l’instant. La musique, et c’est peut-être unique, forme des souvenirs durables, chargés d’émotions, qui peuvent ré-émerger quand on réécoute une chanson particulière des années plus tard.</p>
<h2>Perspectives personnelles</h2>
<p>La musicothérapie peut profondément changer la vie des gens. Nous avons eu le privilège d’entendre de nombreuses histoires et réflexions personnelles de la part des participants à notre étude, et même de nos chercheurs. Dans certains cas, comme les souvenirs de la tentative de suicide d’un père suscités par la chanson <em>You’re Still The One</em> de Shania Twain, il s’agit de récits profonds et profondément personnels. Ils nous montrent le pouvoir de la musique pour aider à réguler les émotions, même lorsque les souvenirs qu’elle déclenche sont négatifs et douloureux.</p>
<p>Face à de graves difficultés physiques et émotionnelles, un autre participant à notre étude a expliqué comment il avait ressenti une amélioration inattendue de son bien-être en écoutant un morceau qu’il avait adoré, malgré le contenu apparemment négatif du titre et des paroles de la chanson :</p>
<blockquote>
<p>« L’exercice a été crucial pour moi après un accident vasculaire cérébral. Au milieu de ma séance de rééducation, alors que je me sentais déprimé et souffrant, un vieux morceau favori, <em>What Have I Done To Deserve This ?</em> des Pet Shop Boys, m’a donné un coup de fouet instantané. Non seulement elle m’a remonté le moral, mais elle a aussi fait battre mon cœur avec excitation – je pouvais sentir les picotements de la motivation courir dans mes veines ».</p>
</blockquote>
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<figcaption><span class="caption">Les Pet Shop Boys ont donné une motivation supplémentaire à une séance de rééducation après un accident vasculaire cérébral.</span></figcaption>
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<p>La musique peut servir d’exutoire cathartique, de source d’autonomisation, permettant aux individus de traiter et de faire face à leurs émotions tout en leur apportant réconfort et apaisement. Un participant a décrit comment un morceau peu connu datant de 1983 sert d’inducteur d’humeur délibéré – un outil pour améliorer son bien-être :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque fois que je suis déprimé ou que j’ai besoin d’un remontant, je joue <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EXmABxvHTG4"><em>Dolce Vita</em> de Ryan Paris</a>. C’est comme un bouton magique qui génère des émotions positives en moi – il me remonte toujours le moral en quelques instants. »</p>
</blockquote>
<p>Comme chaque personne a ses propres goûts et ses propres liens émotionnels avec certains types de musique, il est essentiel d’adopter une approche personnalisée lors de la conception d’interventions de musicothérapie, afin de s’assurer qu’elles trouvent un écho profond chez les individus. Même les témoignages de nos chercheurs, comme celui de Sam Fenwick, se sont révélés utiles pour formuler des hypothèses en vue d’un travail expérimental :</p>
<blockquote>
<p>« Si je devais choisir une seule chanson qui me fait vibrer, ce serait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=UNjO3sZ-85w">“Alpenglow”</a>. Cette chanson me donne des frissons. Je ne peux m’empêcher de chanter et chaque fois que je le fais, j’en ai les larmes aux yeux. Lorsque la vie est belle, elle déclenche des sentiments de force intérieure et me rappelle la beauté de la nature. Lorsque je me sens mal, elle m’inspire un sentiment de nostalgie et de solitude, comme si j’essayais de résoudre mes problèmes toute seule, alors que j’aurais vraiment besoin de soutien. »</p>
</blockquote>
<p>Stimulée par ces observations, notre dernière étude compare les effets de la musique triste et de la musique joyeuse sur le cerveau, afin de mieux comprendre la nature de ces différentes expériences émotionnelles. Nous avons découvert que les mélodies sombres peuvent avoir des effets thérapeutiques particuliers, offrant aux auditeurs une plate-forme spéciale pour la libération émotionnelle et l’introspection significative.</p>
<h2>Explorer les effets de la musique joyeuse et triste</h2>
<p>En nous inspirant des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0031938418308576">études</a> sur les expériences cinématographiques émotionnellement intenses, nous avons récemment <a href="https://www.mdpi.com/2673-4087/4/2/14">publié une étude</a> mettant en évidence les effets de compositions musicales complexes, en particulier les <em>Quatre Saisons</em> de Vivaldi, sur les réponses à la dopamine et les états émotionnels. Cette étude a été conçue pour nous aider à comprendre comment la musique joyeuse et triste affecte les gens de différentes manières.</p>
<p>L’une des principales difficultés consistait à mesurer les niveaux de dopamine de nos participants de manière non invasive. L’imagerie cérébrale fonctionnelle traditionnelle est un outil courant pour suivre la dopamine en réponse à la musique – par exemple, la tomographie par émission de positrons (TEP). Toutefois, cette technique implique l’injection d’un radiotraceur dans la circulation sanguine, qui se fixe sur les récepteurs de dopamine dans le cerveau. Ce procédé présente également des limites en termes de coût et de disponibilité.</p>
<p>Dans le domaine de la psychologie et de la recherche sur la dopamine, une approche alternative et non invasive consiste à étudier la fréquence des clignements de paupières et la variation du rythme des clignements de paupières en fonction de la musique.</p>
<p>Le clignement des yeux est contrôlé par les <a href="https://www.britannica.com/science/basal-ganglion">ganglions de la base</a>, une région du cerveau qui régule la dopamine. Le dérèglement de la dopamine dans des conditions telles que la maladie de Parkinson peut affecter le rythme régulier de clignement des yeux. Des études ont montré que les personnes atteintes de la maladie de Parkinson présentent souvent des <a href="https://n.neurology.org/content/34/5/677">taux de clignement réduits ou une variabilité accrue des taux de clignement</a>, par rapport aux personnes en bonne santé. Ces résultats suggèrent que la vitesse de clignement des yeux peut servir d’indicateur indirect de la libération ou de l’altération de la dopamine.</p>
<p>Bien que la vitesse de clignement des yeux n’offre pas le même niveau de précision que les mesures neurochimiques directes, elle constitue une mesure de substitution pratique et accessible qui peut compléter les techniques d’imagerie traditionnelles. Cette approche alternative s’est révélée prometteuse pour améliorer notre compréhension du rôle de la dopamine dans divers processus cognitifs et comportementaux.</p>
<p>Notre étude a révélé que le sombre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ZPdk5GaIDjo">« Mouvement d’hiver »</a> suscitait une réaction dopaminergique particulièrement forte, remettant en cause nos idées préconçues et mettant en lumière l’interaction entre la musique et les émotions. On aurait pu s’attendre à une réaction plus forte au <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3LiztfE1X7E">Concerto de printemps</a>, familier et entraînant, mais cela n’a pas été le cas. Il s’est avéré que le mouvement d’hiver de Vivaldi suscitait une réponse dopaminergique particulièrement forte.</p>
<p>Notre approche est allée au-delà de la mesure de la dopamine afin de mieux comprendre les effets de la musique triste et de la musique joyeuse. Nous avons également utilisé <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10044923/">l’analyse du réseau EEG</a> pour étudier comment les différentes régions du cerveau communiquent et synchronisent leur activité lors de l’écoute de différentes musiques. Par exemple, les régions associées à l’appréciation de la musique, au déclenchement d’émotions positives et à la récupération de riches souvenirs personnels peuvent « parler » entre elles. C’est comme si l’on observait une symphonie d’activités cérébrales se dérouler, alors que les individus expérimentent subjectivement une gamme variée de stimuli musicaux.</p>
<p>Parallèlement, les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article/comments?id=10.1371/journal.pone.0110490">rapports d’expériences subjectives</a> nous ont donné un aperçu de l’impact personnel de chaque morceau de musique, y compris le cadre temporel des pensées (passé, présent ou futur), leur orientation (soi ou les autres), leur forme (images ou mots) et leur contenu émotionnel. La catégorisation de ces pensées et émotions, et l’analyse de leur corrélation avec les données cérébrales, peuvent fournir des informations précieuses pour de futures interventions thérapeutiques.</p>
<p>Nos <a href="https://www.mdpi.com/2673-4087/4/2/14">données préliminaires</a> révèlent que la musique joyeuse suscite des pensées orientées vers le présent et l’avenir, des émotions positives et une attention portée aux autres. Ces pensées sont associées à une activité cérébrale frontale accrue et à une activité cérébrale postérieure réduite. En revanche, les musiques tristes provoquent une réflexion sur les événements passés, ce qui s’accompagne d’une activité neuronale accrue dans les zones du cerveau liées à l’introspection et à la récupération de la mémoire.</p>
<p>Pourquoi la musique triste a-t-elle le pouvoir d’influer sur le bien-être psychologique ? L’expérience immersive des mélodies sombres offre une plate-forme pour la libération et le traitement des émotions. En évoquant des émotions profondes, la musique triste permet aux auditeurs de trouver du réconfort, de plonger dans l’introspection et de gérer efficacement leurs états émotionnels.</p>
<p>Cette compréhension constitue la base du développement de futures interventions ciblées de musicothérapie destinées aux personnes confrontées à des difficultés de régulation émotionnelle, de rumination et même de dépression. En d’autres termes, même la musique triste peut être un outil de développement personnel et de réflexion.</p>
<h2>Ce que la musicothérapie peut offrir à l’avenir</h2>
<p>Sans être une panacée, l’écoute de musique a des effets thérapeutiques considérables, ce qui pourrait conduire à une adoption accrue des séances de musicothérapie parallèlement à la thérapie par la parole traditionnelle. L’intégration de la technologie dans la musicothérapie, notamment par le biais de services applicatifs émergents, est sur le point de transformer la manière dont les gens accèdent à des interventions musicales thérapeutiques personnalisées et à la demande, offrant ainsi une voie pratique et efficace pour l’amélioration de soi et le bien-être.</p>
<p>À plus long terme, l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) pourrait révolutionner la musicothérapie. L’IA peut adapter les interventions thérapeutiques de façon dynamique, en fonction de l’évolution des réactions émotionnelles d’une personne. Imaginez une séance de thérapie où l’IA sélectionnerait et ajusterait la musique en temps réel, en fonction des besoins émotionnels du patient, créant ainsi une expérience thérapeutique hautement personnalisée et efficace… Ces innovations sont prêtes à <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/frai.2020.497864/full">remodeler le domaine de la musicothérapie</a>, en libérant tout son potentiel thérapeutique.</p>
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<img alt="Femme écoutant de la musique avec des écouteurs sans fil" src="https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557136/original/file-20231101-17-6t5sr7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La technologie du neurofeedback pourrait créer des cartes cérébrales musicales individuelles qui faciliteraient l’auto-thérapie ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Woman_listening_to_music_with_wireless_headphones_neon_light_(50810419882).jpg">Vu Hoang/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>En outre, une nouvelle technologie appelée <a href="https://www.britannica.com/science/neurofeedback"><em>neurofeedback</em></a> s’est révélée prometteuse. Le neurofeedback consiste à observer l’EEG d’une personne en temps réel et à lui apprendre à réguler et à améliorer ses schémas neuronaux. La combinaison de cette technologie avec la musicothérapie pourrait permettre aux gens de « cartographier » les caractéristiques musicales qui leur sont les plus bénéfiques et de comprendre ainsi comment s’aider au mieux.</p>
<p>Lors de chaque séance de musicothérapie, les participants apprennent tout en recevant des informations sur l’état de leur activité cérébrale. L’activité cérébrale optimale associée au bien-être et à des qualités musicales spécifiques – telles que le rythme, le tempo ou la mélodie d’un morceau – est apprise au fil du temps. Cette approche innovante est développée dans <a href="https://www.urncst.com/index.php/urncst/article/view/345">notre laboratoire et ailleurs</a>.</p>
<p>Comme pour toute forme de thérapie, il est primordial de reconnaître les limites et les différences individuelles. Cependant, il existe des raisons de croire que la musicothérapie peut conduire à de nouvelles percées. Les récentes <a href="https://www.mdpi.com/2076-3425/8/6/107">avancées dans les méthodologies de recherche</a>, en partie grâce aux contributions de notre laboratoire, ont considérablement approfondi notre compréhension de la manière dont la musique peut faciliter la guérison.</p>
<p>Nous commençons à identifier deux éléments essentiels : la régulation émotionnelle et le lien puissant avec les souvenirs autobiographiques personnels. Nos recherches en cours se concentrent sur l’élucidation des interactions complexes entre ces éléments essentiels et les régions cérébrales spécifiques responsables des effets observés.</p>
<p>Bien entendu, l’impact de la musicothérapie va au-delà de ces nouveaux développements dans le domaine des neurosciences. Le simple plaisir d’écouter de la musique, le lien émotionnel qu’elle favorise et le réconfort qu’elle procure sont des qualités qui vont au-delà de ce qui peut être mesuré uniquement par des méthodes scientifiques. La musique influence profondément nos émotions et nos expériences fondamentales, transcendant les mesures scientifiques. Elle s’adresse au cœur de notre expérience humaine et a des effets qu’il n’est pas facile de définir ou de documenter.</p>
<p>Ou, comme l’a si bien dit l’un des participants à notre étude :</p>
<blockquote>
<p>« La musique est comme cet ami fiable qui ne me laisse jamais tomber. Quand je suis au plus bas, elle m’élève avec sa douce mélodie. Dans le chaos, elle me calme avec un rythme apaisant. Ce n’est pas seulement dans ma tête ; c’est une [magie] qui fait vibrer l’âme. La musique n’a pas de frontières : un jour, elle me remonte le moral sans effort, et le lendemain, elle peut agrémenter chaque instant de l’activité dans laquelle je suis engagé. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217975/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leigh Riby ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La musicothérapie connaît un regain d’intérêt. Nos recherches visent à déterminer quelles parties du cerveau sont affectées par différents types de musique.Leigh Riby, Professor of Cognitive-Neuroscience , Department of Psychology, Northumbria University, NewcastleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171302023-11-06T17:00:47Z2023-11-06T17:00:47ZLa musique des Beatles, une longue histoire d’amour avec la technologie<p>Ces dernières semaines, Paul McCartney était en tournée en Australie. Au programme de ces concerts, trois heures de nostalgie – des hits des Beatles et des Wings aux morceaux en solo, en passant par des morceaux plus inattendus.</p>
<p>Parmi les moments les plus émouvants de ces concerts, il y eut l’enchaînement de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RuuOAA9ekbg">« In Spite of All the Danger »</a> (la première chanson que le groupe a enregistrée sous le nom de The Quarrymen) et celle de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=12R4FzIhdoQ">« The End »</a> – l’une des dernières chansons que les Beatles ont enregistrées ensemble.</p>
<p>Le rappel comprenait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fTZ804WxpGg">« I’ve Got a Feeling »</a>, dans laquelle McCartney et son défunt compagnon de groupe John Lennon « chantent ensemble », tandis que défilent sur l’écran des images de la « rooftop performance » dans le documentaire de Peter Jackson, <a href="https://theconversation.com/the-beatles-get-back-review-peter-jacksons-tv-series-is-a-thrilling-funny-and-long-treat-for-fans-172404"><em>Get Back</em></a>. Entendre la voix actuelle de McCartney mêlée à celle de Lennon dans les années 1960 est poignant, tant pour le public que pour McCartney.</p>
<p>La sortie du nouveau, et dernier, single des Beatles, « Now and Then », s’inscrit dans cette même logique, en « ressuscitant » la voix de Lennon.</p>
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<p>« Now and Then » est l’une des quatre chansons d’une cassette démo de Lennon fournie par Yoko Ono et offerte à Paul McCartney en 1994, avec un titre manuscrit : « For Paul ». Les autres Beatles ont complété les démos de Lennon sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ODIvONHPqpk">« Free as a Bird »</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ax7krBKzmVI">« Real Love »</a> pour la sortie de l’album <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Beatles_Anthology"><em>Anthology</em></a> en 1995.</p>
<p>Bien que ces chansons aient manqué un peu de la magie originale, la voix de John semblant plus distante et moins présente que celle de Paul, la rareté du nouveau matériel a permis aux fans d’apprécier les chansons, malgré leurs imperfections. À l’époque, « Now and Then » avait été jugé trop difficile à achever, la voix de John étant enfouie dans le mixage mono de son piano enregistré à la maison. Il est resté enfoui pendant 28 ans.</p>
<p>En 2021, un nouvel outil d’intelligence artificielle mis au point par le cinéaste Peter Jackson pour séparer les sources audio dans le documentaire <em>Get Back</em> pouvait être utilisé sur la vieille démo de Lennon. La voix de John est désormais claire, présente et libre d’être intégrée de manière transparente dans n’importe quel nouvel arrangement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1720109663079793148"}"></div></p>
<p>Sa voix sonne de façon naturelle, et l’on sent qu'elle a été capturée au moment encore balbutiant et spontané d'une démo. </p>
<p>La prise de guitare acoustique de George – archivée – a été ajoutée, tandis que Paul a mis à jour le piano, la guitare slide et la basse. Ringo a ajouté sa touche distinctive à distance depuis Los Angeles. </p>
<p>Giles Martin, fils de George en charge de la production, apporte un arrangement de cordes digne des Beatles qui reprend de nombreux traits stylistiques appréciés de son père. </p>
<p>On y entend des montées insistantes de pulsations sur un rythme régulier, des mélodies à la sitar, et un passage final de quatre temps à trois temps dans une mesure, qui rappelle <em>The End</em> de l'album <em>Abbey Road</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1719994413957468302"}"></div></p>
<h2>Est-ce une chanson des Beatles ?</h2>
<p>En raison de l'utilisation d'outils d'intelligence artificielle pour terminer « Now and Then », et du fait que la chanson a été enregistrée sans que les Beatles ne soient réunis dans une pièce, certains peuvent se demander s'il s'agit vraiment d'une chanson des Beatles.</p>
<p>Avec la sortie de <em>Get Back</em>, le public a pu ressentir l'ébullition créative au sein du groupe, observer les idées des Beatles se former, les voir plaisanter et rire, mais aussi percevoir les tensions qui surviennent dans un groupe d'artistes qui ont vécu beaucoup de choses ensemble.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/the-beatles-get-back-review-peter-jacksons-tv-series-is-a-thrilling-funny-and-long-treat-for-fans-172404">The Beatles: Get Back review – Peter Jackson's TV series is a thrilling, funny (and long) treat for fans</a>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les quatre Beatles devant Big Ben" src="https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557379/original/file-20231103-25-tvzm08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">‘Les quatre musiciens jouant ensemble : une donnée qui semble indispensable à la qualité de leur son.’</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/search/the-beatles">Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>La première version cinématographique de ces séquences, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Let_It_Be_(1970_film)"><em>Let It Be</em></a>, réalisé par le réalisateur Michael Lindsay-Hogg, est sortie brièvement en 1970, en même temps que l’album du même nom, montrant les derniers jours du groupe comme une période sombre et acrimonieuse, donnant à Yoko Ono le rôle de « méchante » présumée dans l’histoire des Beatles.</p>
<p>La nouvelle version de <em>Get Back</em> par Peter Jackson a changé la perception habituelle de la séparation des Beatles, des relations entre les membres survivants et de l’héritage qu’ils ont laissé. Dans les années 1990, le film et les albums <em>Anthology</em> ont conquis une nouvelle génération de fans adeptes de la Britpop, et la sortie du documentaire <em>Get Back</em> et du titre « Now and Then » pourraient jouer le même rôle pour une autre génération.</p>
<p>La présence des « Fab four » dans une pièce, jouant ensemble, semble essentielle à leur son. Cependant, les Beatles ont toujours été fascinés par la technologie de l’enregistrement – de l’inversion des boucles dans « Taxman », à l’utilisation de la voix de Lennon à travers une enceinte Leslie pour « Tomorrow Never Knows », en passant par la musique concrète « Revolution 9 ».</p>
<p>L’utilisation des technologies musicales a toujours fait partie de la créativité du groupe, et avec « Now and Then », les Beatles continuent à utiliser la technologie pour faire de la nouvelle musique, même si c’est d’une manière légèrement différente.</p>
<p>Ce titre restera-t-il dans les mémoires avec la même force que les autres chansons du groupe ? Difficile à dire. Mais ce n’est pas là l’essentiel. John et George sont partis, mais il reste Ringo et Paul sont toujours là, et ils ont pu compléter cette nouvelle et dernière chanson des Beatles.</p>
<p>Par-delà le temps passé, la distance géographique et l’usage de la technologie, « Now and Then » conclut une conversation longue et sinueuse qui a commencé au début des années 1960 et qui s’achève aujourd’hui de manière musicale.</p>
<p>Un titre qui permet aux fans de relire la lettre d’amour de John à Yoko comme un message à Paul, au groupe et même aux fans du groupe.</p>
<p>C’est peut-être ce qui fera sa valeur sur le temps long : « Je sais que c’est vrai… Et si je m’en sors, c’est grâce à toi ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217130/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les Beatles ont sorti un nouveau morceau, grâce à une nouvelle technologie qui a permis d’extraire la voix de Lennon d’une vieille cassette démo. Un futur classique ?Jadey O'Regan, Lecturer in Contemporary Music, Sydney Conservatorium of Music. Co-author of "Hooks in Popular Music" (2022), University of SydneyPaul (Mac) McDermott, Lecturer in Contemporary Music, Sydney Conservatorium of Music, University of Sydney, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150322023-10-30T13:54:59Z2023-10-30T13:54:59ZApprendre le piano en ligne, est-ce possible ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555660/original/file-20231024-23-y1e3u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C994%2C646&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les moyens d'apprendre le piano sont nombreux et diversifiés.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Apprendre le piano, ou tout autre instrument de musique, n’est pas facile et demande une grande discipline. </p>
<p>Mais en faire l’apprentissage en ligne, est-ce possible ? </p>
<p>Avec la pandémie, les musiciens en herbe, enfants, adolescents ou adultes, se sont tournés vers des méthodes moins traditionnelles pour apprendre la musique. </p>
<p>Nous sommes un groupe de chercheurs en éducation dont les intérêts de recherche touchent notamment la littératie, la culture, la formation à distance et la technologie éducative. </p>
<p>Le thème de l’apprentissage du piano en ligne, qui fait l’objet de cet article, touche ces quatre domaines.</p>
<h2>Les différents modes de fonctionnement</h2>
<p>Les moyens d’apprendre le piano sont nombreux et diversifiés. </p>
<ul>
<li><strong>En personne</strong></li>
</ul>
<p>Apprendre le piano en personne est, bien entendu, la façon la plus traditionnelle d’apprendre cet instrument. </p>
<p>Les professeurs demandent normalement à leurs élèves de pratiquer quotidiennement, de manière autonome, quelques mesures, de peaufiner une partition déjà apprise, puis de présenter le fruit de leurs efforts lors du cours suivant. </p>
<p>Selon les approches préconisées par les professeurs, il peut y avoir une alternance entre les exercices techniques, les gammes, le solfège et les pièces musicales au fil des séances.</p>
<ul>
<li><strong>Par correspondance, avant l’avènement des cours à distance</strong></li>
</ul>
<p>Dans les dernières décennies, de nombreux cours ont été donnés à distance, par correspondance, y compris pour apprendre à jouer d’un instrument de musique. Ainsi, les personnes qui n’avaient pas accès à un professeur de piano pouvaient tout de même l’apprendre. Dans ce cas, elles recevaient leurs partitions de musique et leurs cassettes/DVD à écouter par la poste et pratiquaient individuellement. Après avoir suffisamment pratiqué de manière autonome, elles s’enregistraient afin de retourner une cassette à leur professeur et ainsi obtenir de la rétroaction sur leurs nouvelles cassettes de consignes. </p>
<ul>
<li><strong>En mode synchrone, par visioconférence</strong></li>
</ul>
<p>Durant la pandémie de Covid-19, divers types d’apprentissages relevant de la sphère des loisirs ont été proposés en ligne tels que des <a href="https://theconversation.com/la-danse-en-ligne-une-bouee-de-sauvetage-pour-les-danseurs-148968">cours de danse</a>, d’arts martiaux ou de musique. Ainsi, des cours de piano ont commencé à être donnés de façon synchrone, c’est-à-dire en direct, par l’entremise de la visioconférence. Pour certaines personnes, revoir leur professeur de piano fut bénéfique et motivant. Pour d’autres, la <a href="https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/260/200">visioconférence fut une barrière au côté humain et relationnel</a>. </p>
<p>À l’écran, la rétroaction donnée par le professeur de piano peut être plus difficile à cerner pour les élèves puisque le non verbal semble plus ardu à comprendre. Il est aussi plus difficile d’indiquer à l’élève comment placer ses mains adéquatement. Le professeur doit alors modéliser encore plus, et de façon différente, en fonction de cette situation d’apprentissage atypique. Le but est que l’élève pianiste puisse bien comprendre ce que le professeur est en train d’expliquer de l’autre côté de l’écran pour pouvoir finalement le reproduire.</p>
<p>L’enseignement par visioconférence peut être très déstabilisant : le professeur a moins de contrôle sur la situation. <a href="https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/201/198">L’effet enseignant est donc primordial ici, mais il est tout de même « dilué »</a> ; en effet, les rétroactions explicites et le renforcement positif peuvent s’avérer encore plus importants qu’en présentiel en raison de la distance physique. Les attentes du professeur doivent aussi être adaptées à la situation d’enseignement-apprentissage à distance. </p>
<p>Avec l’essoufflement de la pandémie, certains professeurs de piano ont proposé un mode de fonctionnement hybride, alternant le présentiel et le virtuel.</p>
<p>En visioconférence, le mode de fonctionnement pour l’élève reste cependant le même qu’en personne : pratiquer chaque jour et présenter le fruit de ses efforts la semaine suivante.</p>
<ul>
<li><strong>En mode asynchrone</strong></li>
</ul>
<p>Avec la pandémie, les cours de piano en ligne, de façon asynchrone, sont devenus populaires. Nous vous présentons ici l’exemple de l’<a href="https://www.academiegregory.com/">Académie Gregory</a>. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="des enfants jouent du piano en regardant une vidéo sur une tablette" src="https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Apprendre le piano en ligne, c’est bien possible.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Isabelle Carignan)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>En 2017, bien avant l’arrivée de la Covid-19 dans nos vies, l’artiste aux multiples talents et pianiste Gregory Charles a créé une académie en ligne. Il s’agit d’une plate-forme pour les personnes qui désirent apprendre le piano à leur rythme. Son slogan : <em>tout ce qu’il nous faut pour jouer d’un instrument, ce sont des oreilles, des doigts et un cœur</em>. </p>
<p>Ce slogan peut sembler simpliste, mais il est surtout réaliste. Pourquoi ? Parce que la méthode utilisée par Gregory Charles (le <em>Gregory Piano System</em>) permet d’apprendre le piano de manière intuitive, sans savoir lire la musique. </p>
<p>La méthode traditionnelle liée à l’apprentissage de la musique demande d’abord d’apprendre à lire la musique sur une portée, en clé de sol et en clé de fa, de comprendre les notions de durée des notes, le rythme et les annotations musicales de base. Le fait de ne pas connaitre cette « littératie musicale » est souvent ce qui freine les gens à apprendre à jouer d’un instrument de musique.</p>
<p>L’Académie Gregory propose des cours pour débutants, intermédiaires ou avancés pour les enfants et les adultes. La structure proposée : 100 capsules de leçons vidéos par session et une pratique de 10 minutes par jour. <a href="https://youtu.be/ecHC9-skAaA">De petites bandelettes descendantes montrent sur quelles notes jouer</a> et comment jouer à partir des pièces musicales composées par l’artiste. Cette approche imite en quelque sorte le célèbre jeu <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Guitar_Hero_(video_game)">Guitar Hero</a>, créé en 2005, où les joueurs jouent de la musique en suivant les signaux lumineux. Ce mode de fonctionnement existe également sur YouTube ou sur différents sites web comme l’application <a href="https://yousician.com/lp/yousician">Yousician</a>. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ecHC9-skAaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">De petites bandelettes descendantes montrent sur quelles notes jouer et comment jouer à partir des pièces musicales composées par l’artiste.</span></figcaption>
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<p>Pour ceux qui savent déjà lire la musique, les partitions de toutes les pièces apprises pendant la session sont disponibles. Des capsules audios permettent également d’entendre intégralement les pièces. Il s’agit donc d’une méthode qui permet à qui le souhaite d’apprendre la musique, peu importe son âge ou son niveau. </p>
<p>Les principaux avantages du mode asynchrone sont la possibilité de regarder les capsules vidéos à toute heure de la journée (horaire flexible) et de les revoir autant de fois que désiré pour répéter. De plus, les cours asynchrones (par correspondance ou en ligne) permettent aux apprenants d’être moins stressés dans leur pratique puisque personne ne les regarde jouer.</p>
<h2>Apprendre le piano en ligne… est-ce possible ?</h2>
<p>Oui, à condition de faire preuve d’autonomie et d’assiduité dans ses apprentissages. </p>
<p>Une astuce pour éviter la procrastination peut être de mettre son cours ou sa pratique dans son emploi du temps et d’essayer de ne pas en déroger, car l’<a href="https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/334">autorégulation</a> et la <a href="https://www.puq.ca/catalogue/livres/perseverance-abandon-formation-distance-4047.html">persévérance</a> sont les clés de tout apprentissage à distance. </p>
<p>Rappelons-nous que la musique apporte de nombreux bienfaits, peu importe l’âge. </p>
<p>Enfin, pour progresser en piano, que ce soit en présentiel ou en <a href="https://www.hellovirtuoso.com/blog/cours-piano-ligne">ligne</a>, il est nécessaire de pratiquer au moins 10 minutes par jour. Par contre, à ce jour, aucune recherche sérieuse ne semble avoir été réalisée pour savoir quel mode de fonctionnement prioriser. Il n’est donc pas possible de déterminer quelle <a href="https://www.hellovirtuoso.com/blog/methode-piano-debutant#:%7E:text=La%20m%C3%A9thode%20Alfred%20d%E2%80%99apprentissage,qui%20compl%C3%A8te%20l%E2%80%99apprentissage%20pratique">méthode</a> peut permettre d’apprendre le piano plus facilement ou de façon plus efficace. </p>
<p>Mais il s’agit certainement d’une question qui pourrait faire l’objet de l’une de nos recherches à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215032/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serge Gérin-Lajoie est professeur à l'Université TÉLUQ. Il y a agi à titre d'expert en formation à distance et y réalise des projets de recherche financés par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cathia Papi, Isabelle Carignan, Ph.D. et Marie-Christine Beaudry ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Apprendre le piano en ligne, est-ce possible ? Avec la pandémie, enfants, adolescents et adultes se sont tournés vers des méthodes moins traditionnelles pour apprendre la musique.Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire en éducation, Université TÉLUQ Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ Marie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)Serge Gérin-Lajoie, Professeur, Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088922023-09-20T16:09:05Z2023-09-20T16:09:05ZBreak-dance aux JO : dans l’Antiquité, sport, musique et danse étaient déjà étroitement liés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/536828/original/file-20230711-17-dna08l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=304%2C0%2C3616%2C2302&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Haltérophiles et flûtiste sur une amphore grecque, 510 av. JC.</span> </figcaption></figure><p>Lors des prochains Jeux olympiques de Paris en 2024, une nouvelle compétition est inscrite au programme, <a href="https://www.paris2024.org/fr/sport/breaking/">celle du breaking (ou break-dance)</a> : cet événement est l’illustration la plus frappante d’un phénomène qui semble connaître un développement très rapide, celui de l’alliance entre le sport et la danse, sans oublier un troisième partenaire essentiel : la musique.</p>
<p>Dans un article récent, on n’a pas manqué de rappeler les performances chorégraphiques qui <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/06/24/entre-la-danse-et-le-sport-un-nouveau-pas-de-deux_6179102_3246.html">ont accompagné les finales de Roland-Garros</a> sur des musiques de Bizet et Ravel. Et l’<a href="https://www.paris2024.org/fr/olympiade-culturelle/">Olympiade culturelle</a>, qui doit trouver sa place à côté des jeux proprement sportifs, regroupe bien d’autres manifestations du même type « mêlant les deux univers » pour reprendre le sous-titre de l’article cité.</p>
<p>Cet aspect culturel des Jeux <a href="http://www.salondesbeauxarts.com/pentathlon-muses-snba-jeux-olympiques/">répondait à la volonté de Pierre de Coubertin</a> : il y a d’ailleurs eu plusieurs concours artistiques olympiques en rapport avec le sport (en peinture, sculpture, littérature, musique et architecture) pendant les premiers Jeux olympiques de 1912 à 1948, sous le nom de « pentathlon des arts ». Un fait d’autant plus étonnant que les jeux (les concours, devrait-on dire) antiques d’Olympie n’ont jamais connu que des compétitions proprement sportives, athlétiques et hippiques : mais il est vrai que d’autres concours, à Delphes en particulier (les Jeux pythiques, les plus importants des Jeux panhelléniques après ceux d’Olympie), avaient à leur programme des épreuves musicales et artistiques.</p>
<p>Sans même évoquer le patinage artistique qui s’inscrit dans les Jeux d’hiver, le fait de mêler dans un même spectacle ou une même épreuve les mondes du sport, de la musique et de la danse n’a donc rien de très nouveau. L’Antiquité nous en offre plusieurs exemples, et on n’en sera pas étonné quand on se souvient que la musique était omniprésente dans les cités antiques, comme elle le sera encore d’ailleurs à l’époque médiévale : aussi retrouve-t-on naturellement des musiciens dans les gymnases et sur les stades de la Grèce antique.</p>
<h2>Flûte et saut en longueur</h2>
<p>Ces musiciens avaient sans doute divers rôles mais, pour s’en tenir au déroulement des épreuves sportives elles-mêmes, le saut en longueur était accompagné par un joueur d’auloi (ou <em>tibiae</em> en latin) : on traduit en général cet instrument à deux tuyaux par « flûte » ou « double flûte », <a href="https://archive.org/details/musiciensromains0000baud">mais c’est une traduction erronée</a>. Il s’agit en effet d’un « instrument à anche, et sans doute à anche double, ancêtre direct du chalumeau du Moyen Âge, et de nos différents hautbois et clarinettes… ».</p>
<p>Cette pratique est bien attestée sur les images de plusieurs vases attiques du VI<sup>e</sup> et du V<sup>e</sup> s. avant notre ère, mais elle est aussi décrite par différents auteurs grecs, dont Pausanias : « … un homme debout au milieu d’eux joue de la flûte (sic), de même qu’on a coutume de le faire actuellement, lorsque ceux qui disputent le prix du pentathle en sont à l’exercice du saut. » (5, 17,10) C’est l’occasion de signaler que le saut en longueur grec ne se disputait que dans le cadre du pentathlon, que les athlètes tenaient des haltères dans les mains et qu’il était certainement un saut sans élan – et sans doute un quintuple saut sans élan si l’on en juge par deux indications de performances exceptionnellement conservées (plus de 50 pieds, et donc autour de 15m). Et pour un saut sans élan – les premiers Jeux olympiques modernes ont connu cette épreuve – le rythme donné par le musicien pouvait fournir une aide précieuse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549311/original/file-20230920-25-l14zqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le saut en longueur sans éaln : Benjamin Adams aux Jeux olympiques de 1912.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Saut_en_longueur_sans_%C3%A9lan#/media/Fichier:1912_Benjamin_Adams.JPG">Wikimedia</a></span>
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<h2>Musique et boxe étrusque</h2>
<p>Mais on voudrait surtout s’attarder sur la boxe étrusque. Beaucoup de domaines de la civilisation étrusque restent mal connus car notre documentation est insuffisante, et c’est pourquoi on a souvent parlé et à tort du « mystère » étrusque. Mais il est un sujet sur lequel nos sources sont relativement nombreuses et c’est celui des jeux, du sport étrusque : ces sources sont d’abord iconographiques, car nous avons la chance d’avoir retrouvé des fresques funéraires décorant les hypogées, en particulier à Tarquinia, à 100 km au nord de Rome. Les peintures, situées dans le sous-sol, ont été conservées : Stendhal parlait de ces « petites caves peintes du Père-Lachaise de Tarquinia ». Or, les jeux funéraires sont un des thèmes principaux de ces fresques, et la boxe ou pugilat apparaît, au VI<sup>e</sup> et au V<sup>e</sup> siècle avant notre ère comme le sport favori des Étrusques, à côté des courses de chars.</p>
<p>C’est si vrai que, de façon tout à fait exceptionnelle car il y a bien peu de données textuelles sur les Étrusques, plusieurs auteurs grecs, dont Aristote, ont livré un renseignement sur l’alliance entre la boxe et la musique chez ce peuple. Ainsi d’Eratosthène qui écrivait au III<sup>e</sup> siècle avant notre ère : « Eratosthène, dans le premier livre de ses Olympioniques, affirme que les Étrusques accompagnent leurs combats de boxe au son de la « flûte » (aulos) » (Athénée de Naucratis, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Deipnosophistes">Deipnosophistes</a>, 4, 154a). Et la plupart des images étrusques, qu’il s’agisse de fresques, de reliefs, de peintures sur vases, confirment la pratique en question.</p>
<p>Cet accompagnement musical est signalé dans deux autres textes pour deux autres activités, pétrir le pain et fouetter les esclaves : ce rapprochement montre bien que la musique était là pour rythmer les assauts des athlètes, qu’elle était un adjuvant comme elle peut l’être pour des rameurs lors de joutes nautiques scandées par un petit orchestre, ou même pour insuffler du courage aux soldats marchant au combat.</p>
<p>Mais voilà qu’un autre texte grec, celui d’Alcimos, insinue que cette alliance entre boxe et musique était due à la « truphê » des Étrusques : il faut entendre par là un mode de vie fait de mollesse, de luxe et de volupté. Dans ces conditions, la boxe étrusque n’aurait-elle été qu’une boxe mimée, une danse de la boxe où le rythme comptait beaucoup, comme dans la capoeira brésilienne ? Il n’en est rien : si l’on se tourne maintenant vers la boxe thaïlandaise, on voit bien que la présence d’un orchestre traditionnel n’empêche absolument pas ce sport de connaître une extrême violence ! En réalité on sait que la truphê était un cliché souvent utilisé par les Grecs pour ruiner la réputation des Étrusques et masquer leurs propres échecs en Méditerranée par exemple sur le plan commercial : il ne faut en tenir aucun compte dans les interprétations que nous pouvons donner de la boxe étrusque en tant que compétition sportive.</p>
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<p>Boxe, musique… et danse : les Étrusques n’ont pas ignoré ces « danses de la boxe » comme on l’a bien montré à propos cette fois d’un relief sur pierre de Chiusi – une cité étrusque proche du lac Trasimène. Ce relief, conservé au musée archéologique de Florence, a été interprété à juste titre comme un ballet de trois pugilistes : avec la garde haute – mais dans l’Antiquité les coups n’étaient portés qu’à la tête – ils suivent un aulète, le musicien jouant des auloi (la « double flûte »), et il est clair qu’ils boxent et dansent en cadence. </p>
<p>On pense évidemment au <a href="https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/kok">magnifique ballet de la chorégraphe Régine Chopinot</a> intitulé <em>K.O.K</em> et datant de 1988 ou plus récemment, au <em>Boxe Boxe</em> de Mourad Merzouki. Il faudrait encore citer dans ce même cadre les orchestopalarii (ou orchistopalarii) – que l’on connaît surtout à l’époque romaine et qui étaient des lutteurs-danseurs, pratiquant, selon l’expression de Louis Robert, une sorte de « combinaison de danse pantomimique et de lutte. »</p>
<p>Les <a href="https://madparis.fr/Mode-et-sport">créateurs de mode</a>, eux aussi, sont de plus en plus sollicités en lien avec les pratiques sportives. La nudité athlétique grecque ne permettait sans doute pas d’aller très loin dans ce domaine, mais il suffit de voir la célèbre mosaïque romaine de Piazza Armerina aux jeunes femmes en bikini pour comprendre que la préoccupation existait : les jeunes femmes en question étant en réalité des athlètes. D’hier à aujourd’hui, de la gestuelle sportive au ballet, le tout en musique : c’est le mouvement des corps athlétiques et artistiques qui est au cœur de ces activités et de ces créations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208892/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Paul Thuillier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'introduction du break-dance aux JO de Paris 2024 invite à penser les liens entre la danse et le sport. Dans l'Antiquité, ces disciplines étaient souvent indissociables.Jean-Paul Thuillier, Directeur du département des sciences de l’Antiquité, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106822023-08-27T19:01:03Z2023-08-27T19:01:03ZLe festival Sounds of Sahara, symbole éphémère d’une Tunisie novatrice et résistante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/544894/original/file-20230827-94298-7jvzq5.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C9%2C2087%2C1418&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le set du groupe électro Jugurtha au festival Sounds of Sahara, en mars 2017. </span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran Youtube</span></span></figcaption></figure><p>Sous le régime autoritaire tunisien d’avant la révolution de 2011, l’organisation des manifestations culturelles n’échappait jamais au contrôle du pouvoir politique et ses institutions de tutelle. L’art et la culture étaient instrumentalisés pour promouvoir l’action politique du président déchu et de son parti. Comme nous l’avons montré dans <a href="https://www.theses.fr/2009TOU20031">nos travaux</a>, la scène culturelle et artistique était alors caractérisée par l’absence de manifestations avant-gardistes ou encore subversives en privilégiant celles à forte teneur politique et patrimoniale : festivals dédiés aux patrimoines historiques, culinaires, religieux et aux chants patrimoniaux. Citons à titre d’exemples le <a href="https://www.festivaldouz.org.tn/">festival international du Sahara</a> organisé à Douz depuis 1967 et le <a href="http://www.rtci.tn/festival-international-ksours-sahariens-tataouine-les-1819-20-mars-2023/">festival international des Ksour sahariens</a> né en 1979 à Tataouine dans le Sud tunisien.</p>
<p>Après la révolution, la vie culturelle du pays (du nord au sud) s’est ouverte à de nouveaux concepts à travers le foisonnement des <a href="https://mixmag.fr/feature/scene-electronique-tunisienne-assembl%E9e-17">festivals de musique électronique</a> ou encore de théâtre avec le <a href="https://www.tunisie.fr/1ere-edition-du-festival-international-du-theatre-au-sahara/">festival international de théâtre au Sahara</a>. Innovants, ces festivals cherchent à cultiver une image contemporaine, engagée et plus branchée.</p>
<h2>Les festivals de musique se multiplient</h2>
<p>Les festivals de musique rencontrent en Tunisie, comme dans d’autres pays du Maghreb (Maroc, Algérie), une croissance assimilable à une <a href="https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1992_num_57_1_1705">festivalomanie</a> qui touche autant les villes que les villages. Ces évènements, outre leur dimension artistique et culturelle, entretiennent un lien avec des territoires souvent fragiles et marginalisés. Ils participent à de nouvelles dynamiques sociétales et touristiques.</p>
<p>En février 2011, en plein couvre-feu décrété sur la capitale Tunis et sa région en raison de la situation sécuritaire incertaine après la chute de Ben Ali, le festival <a href="https://mixmag.fr/feature/scene-electronique-tunisienne-assembl%E9e-17">Under Couvre Feu</a> a été précurseur. Cette manifestation défiait les interdits : 1200 personnes se sont retrouvées pour danser afin de récolter des fonds pour venir en aide à l’hôpital de Sidi Bouzid, ville charnière dans la révolution populaire tunisienne suite à l’immolation par le feu du jeune Mohammed Bouazizi.</p>
<p>L’évènement a inspiré la création d’autres festivals de la scène électronique partout dans le pays grâce à des associations, à des collectifs d’artistes alternatifs, de passionnés et d’activistes engagés souhaitant rompre avec la censure et la répression qu’exerçait l’ex-président. Ces événements incarnent des formes d’engagement pour la valorisation du patrimoine et des paysages tunisiens (<a href="https://tunisie.co/web-tv/407/dunes-electroniques">Les dunes électroniques</a>, <a href="https://tunisie.co/article/5389/sortir/festivals/sounds-223115">Sounds of Sahara</a>) ou encore pour la protection de l’environnement (<a href="https://mixmag.fr/feature/fairground-festival-la-scene-electro-tunisienne-prend-son-envol">Fairground festival</a> à l’Ecovillage à Sousse au Nord-est et <a href="https://lexpertjournal.net/fr/dougga-fest-sound-of-stones-une-premiere-edition-unique-en-son-genre-en-tunisie/">Sound of stones</a> à Dougga au Nord-ouest). La première édition de ces festivals s’est déroulée respectivement à Tunis 2011, à Nefta 2014, à Sousse 2014, à Tozeur 2016, à Sousse 2016 et à Dougga 2017 avec l’appui de plusieurs instances et associations.</p>
<p>Pour faire face à la crise touristique, le ministère du Tourisme et de l’Artisanat tunisien, en collaboration avec les professionnels du secteur, prennent des mesures pour gérer et atténuer les dégâts provoqués par les deux attaques terroristes qui avaient visé le musée national de Bardo à Tunis le 18 mars 2015 et un hôtel dans la ville de Sousse. Ainsi, <a href="https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/2158">l’industrie touristique mise désormais sur l’événementiel</a> et l’exploitation de la culture sous toutes ses formes. Elle expérimente de nouvelles niches telles que les festivals de musique électronique.</p>
<h2>Résistance et engagement citoyen</h2>
<p>Le festival de musique électronique Sounds Of Sahara (S.O.S), qui s’est tenu en 2016 et en 2017, s’inscrit dans une dynamique festivalière faisant circuler divers discours, images et sonorités qui participent de la <a href="http://liseuse.harmattan.fr/978-2-343-19303-8">visibilité du territoire</a> au niveau national et international. Ce festival a investi la région du Jérid, vivant essentiellement de l’activité touristique, et qui souffre de l’instabilité politique du pays et des répercussions des attaques terroristes.</p>
<p>Conçu et mis en place suite à un appel au secours lancé par l’office du tourisme, le festival se présente selon son directeur comme un <a href="https://www.webmanagercenter.com/2017/03/13/404188/le-festival-de-musique-electronique-sounds-of-sahara-au-secours-du-tourisme-saharien-dans-les-decors-naturels-de-smaira/">SOS pour sauver la région</a> et plus largement la Tunisie dans un esprit de solidarité.</p>
<p>Ainsi, des collectifs d’artistes alternatifs, de passionnés et d’activistes engagés souhaitant rompre avec le contrôle qu’exerçait l’ex-président Ben Ali sur la culture et l’art et des stars internationales ont été invités pour soutenir la région et relever le défi : mixer en plein désert et en période d’état d’urgence proclamé dans tout le pays.</p>
<p>Plusieurs <a href="https://www.facebook.com/90minutes.TV/videos/1254422097926982/">DJ internationaux</a> ont répondu présents venus de France, Angleterre, Allemagne et Espagne. Attirés par l’occasion de mixer dans des décors mythiques, les DJ s’engagent dans un projet à forte connotation sociale : empêcher la fermeture des hôtels, source d’emploi pour plusieurs familles dans la région, et porter le regard vers cette destination touristique pour faire revenir les vacanciers.</p>
<p>Pendant les trois jours du festival, le Jérid tunisien est devenu l’objet de désir touristique, de consommation visuelle et sonore. Un public de quatre mille personnes en provenance essentiellement du Sud tunisien, du Nord-est et Nord-ouest ainsi que de l’Algérie et de France a contribué au succès de la manifestation et dynamisé les villes de Nefta et de Tozeur. Les hôtels menacés de fermeture ont accueilli les soirées DJ et hébergé les musiciens et festivaliers qui en ont profité pour visiter une « ville en fête ».</p>
<p>Aussi Sounds of Sahara traduit-il une forme de résistance face à la violence extrémiste. Le slogan de la deuxième édition « On n’arrête pas un peuple qui danse ! », comme nous l’a explique la chargée de communication du festival, est révélateur du souhait de lutter contre les idées intégristes hostiles à toute forme artistique : la musique, la danse, tout simplement la fête. Aussi, la médiatisation du festival par des <a href="https://tv-programme.com/le-supplement_magazine/le-supplement_e364728">chaînes de télévision étrangères</a>, telle que Canal+, met en exergue ces propos de résistance.</p>
<p>L’évènement s’est également construit autour de l’idée d’un « festival qui veut lutter contre Daesh » : symbole d’ouverture, de solidarité et de résistance d’un peuple face à la violence extrémiste qui a frappé la Tunisie, mais aussi des pays Européens.</p>
<h2>Un territoire en crise</h2>
<p>Le touriste est interpellé pour vivre une expérience sensorielle et émotionnelle unique dans l’espace désertique, de « voyager hors des sentiers battus » selon le directeur du festival. L’imagerie touristique du Sahara tourne autour de la découverte, de l’aventure, de la contemplation et de l’exploration. Mais le Jérid tunisien entretient également une relation forte avec le cinéma.</p>
<p>Depuis les années 70, le septième art fait partie de son histoire et ce à l’échelle internationale. En effet, la région héberge depuis 1976 le décor du tournage de la saga Star Wars où Georges Lucas avait construit la cité MOS ESPA, capitale de sa planète Tatooine. Ce décor a été construit spécialement pour le tournage en plein désert à 20 km de Nefta. A la fin du tournage, les autorités tunisiennes ont demandé à l’équipe du film de ne pas démonter ces décors. Déjà bien connu des habitants de la région et des touristes, ce site est un produit de marque territoriale mis en avant par Sounds of Sahara. Le comité d’organisation du festival a saisi l’opportunité que la région abrite ce décor ainsi que la sortie du 7e épisode de la Guerre des étoiles en décembre 2015 pour créer une harmonie magique entre la musique électronique et les vestiges de ce film de science-fiction.</p>
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<p>La soirée d’ouverture de la première édition 2016 s’est déroulée en plein décor « Mos Espa », aménagé pour accueillir des scènes de musiques électroniques non issues de la culture du désert. Utiliser la structure et l’imaginaire de ce site traduit la démarche artistique des organisateurs privilégiant des interactions entre lieu, expression et événement mettant ainsi le <a href="https://journals.openedition.org/geocarrefour/2155">public dans des situations inhabituelles, voire insolites</a>. Ce qui participe à la connaissance et à la valorisation de ce patrimoine cinématographique.</p>
<p>Les organisateurs souhaitaient concentrer les moments forts du festival dans cet univers imaginaire « Star Wars » qui joue la marque de la « lisibilité du territoire » hôte et suscite l’intérêt d’un visiteur à la recherche d’expérience. Il est in fine instrumentalisé afin de marquer le territoire et en créer une image qui dépasse le temps du festival. Cet univers a d’ailleurs fait l’objet d’une campagne participative de sauvegarde et de restauration lancée en 2010 par l’association de développement du tourisme oasien et saharien, financée par des fans du monde entier.</p>
<p>le festival offre un <a href="https://wildproject.org/livres/le-paysage-sonore">paysage sonore</a> favorisant l’interaction avec une culture musicale contemporaine et internationale (Funky, House et Tech music, Progressive, Trance, Hardtek, électro-jazz) dans une perspective d’innovation, de dialogue avec l’autre et d’aspiration à la liberté et au changement.</p>
<p>Sounds of Sahara a certes montré sa capacité de créer et d’exporter des images de sécurité, de fête et de résistance en faveur de la région dans un contexte de crise et d’insécurité, cependant il n’a pas su s’inscrire dans la durée. La troisième édition SOS 2018 prévue à Chott El-Jérid n’a pas eu lieu. Les organisateurs ont rencontré des difficultés d’ordre logistique et stratégique liées notamment à l’inaccessibilité des vols vers la région.</p>
<p>Aujourd’hui, les initiatives de création de nouveaux festivals en Tunisie sont nombreuses, reste à savoir comment les inscrire dans des stratégies de management et de développement territorial de manière à ce qu’elles ne soient pas réduites à des expérimentations éphémères. L’activité festivalière se diversifie en accueillant le festival <a href="https://lapresse.tn/142894/rouhaniyet-2022-le-grand-retour/">Rouhaniyat de musique soufie</a>, <a href="https://calendrier.tunisie.co/evenement/3076/le-tozeur-international-film-festival-du-6-au-11-decembre-133311/">Tozeur international film festival</a> ou encore les <a href="https://kapitalis.com/tunisie/2019/07/15/la-2e-edition-du-festival-les-ondes-du-desert-les-21-et-22-mars-2020-a-kebili/">ondes du désert</a>.</p>
<p>Certes, la démultiplication de festivals dans le Sud tunisien représente une opportunité pour renouveler et amplifier le fonctionnement touristique de la région. Cependant, ces manifestations gagneraient à s’inscrire amplement dans une réflexion culturelle et politique sur les possibilités de repositionnement du tourisme saharien par la culture en impliquant les acteurs étatiques, privés et associatifs ainsi que la population locale dans une approche festivalière durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210682/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nozha Smati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La démultiplication de festivals dans le Sud tunisien représente une opportunité pour renouveler et amplifier le fonctionnement touristique de la région.Nozha Smati, Enseignante chercheuse, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109112023-08-03T21:33:46Z2023-08-03T21:33:46ZSinead O’Connor, une vie de quête spirituelle à travers la musique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541037/original/file-20230803-27-los2z2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C1815%2C1231&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La chanteuse au Paradiso, à Amsterdam, en mars 1988. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-performs-at-paradiso-amsterdam-news-photo/997813120?adppopup=true">Paul Bergen/Redferns via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 juillet 2023, alors qu’on apprenait la <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-66318626">mort de la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor</a>, des anecdotes sur un célèbre incident ont refait surface.</p>
<p>Il y a 31 ans, après une interprétation envoûtante de la chanson « War » de Bob Marley, Sinead O’Connor avait déchiré une photo du pape Jean-Paul II en direct à la télévision, déclarant : « Combattez le véritable ennemi », en référence <a href="https://theconversation.com/the-catholic-church-sex-abuse-crisis-4-essential-reads-169442">aux abus sexuels commis par des ecclésiastiques</a>. Pendant les mois qui ont suivi, elle a été bannie, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/sinead-o-connor-booed-pope-bob-dylan-concert-1176338/">huée et moquée</a>, rejetée comme une rebelle et une folle.</p>
<p>Les commémorations qui ont suivi sa mort ont cependant jeté une lumière très différente sur cet épisode. Sa déclaration-choc au <em>Saturday Night Live</em> est désormais considérée comme « revigorante » <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/26/arts/music/sinead-oconnor-snl-pope.html">écrit le critique pop du <em>New York Times</em></a> et comme « un appel aux armes pour les dépossédés ».</p>
<p>Les mentalités ont beaucoup changé depuis 1992, que ce soit à l’égard du catholicisme, du sexe et du pouvoir, que ce soit à New York ou à Dublin, la ville natale d’O’Connor. Aux yeux de nombreuses personnes, la crédibilité morale de l’Église catholique dans le monde <a href="https://news.gallup.com/poll/245858/catholics-faith-clergy-shaken.aspx">s’est effondrée</a>, et la confiance dans les institutions religieuses, quelles qu’elles soient, est <a href="https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx">au plus bas</a>. Les abus sexuels, dont on ne parlait autrefois qu’à voix basse, sont aujourd’hui évoqués ouvertement.</p>
<p>Je me joins au chœur des voix qui affirment aujourd’hui qu’O’Connor était en avance de plusieurs décennies sur son temps. Mais si l’on s’en tient à cela, on passe à côté de quelque chose de profond quant à la complexité et à la profondeur de son imagination religieuse. Sinead O’Connor était sans doute l’une des artistes les plus sensibles à la spiritualité de notre époque. </p>
<p>Je suis une <a href="https://www.fordham.edu/academics/departments/theology/faculty/brenna-moore/">spécialiste du catholicisme à l’époque moderne</a> et je m’intéresse depuis longtemps à ces personnages – les poètes, les artistes, les chercheurs – qui errent en <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/K/bo90478851.html">marge de leur tradition religieuse</a>. Ces hommes et ces femmes déçus par les représentants du pouvoir religieux, mais dont l’imagination artistique et l’inspiration tiennent beaucoup à la spiritualité.</p>
<p>Tout au long de sa vie, O’Connor a défié les étiquettes religieuses, explorant de multiples croyances. L’exquise liberté de sa musique ne peut pas être dissociée de l’amour qu’elle porte à la religion.</p>
<h2>« Sauver Dieu de la religion »</h2>
<p>La religion est souvent considérée comme une affaire intime et personnelle : on est croyant ou on ne l’est pas. Mais en réalité, c’est rarement aussi simple.</p>
<p>L’Église catholique avait une forte emprise sur la société irlandaise à l’époque où Mme O’Connor grandissait – une « théocratie », comme elle l’a qualifiée <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/sep/10/sinead-oconnor-pope-visit">dans des interviews</a> et dans ses mémoires, <a href="https://www.penguin.co.uk/authors/126006/sinead-oconnor"><em>Rememberings</em></a> – et pendant de nombreuses années, elle a <a href="https://www.reuters.com/article/us-oconnor/singer-sinead-oconnor-demands-pope-steps-down-idUSTRE5BA39Y20091211">alerté et appelé à plus de responsabilité</a> au sujet des abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Mais elle aimait ouvertement d’autres aspects de la foi, même si c’était souvent de manière peu orthodoxe. Elle s’est fait tatouer Jésus sur la poitrine et a continué à critiquer l’Église tout en apparaissant à la télévision avec un collier de prêtre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe violette, au crâne rasé et au grand tatouage coloré, embrasse une femme blonde" src="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sinead O’Connor, avec son tatouage de Jésus, embrasse la chanteuse Deborah Harry lors du gala Inspiration 2011 de l’amfAR à Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/singers-sinead-oconnor-and-deborah-harry-attend-the-the-news-photo/130660855?adppopup=true">Jeff Vespa/Getty Images for amfAR</a></span>
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<p>Dix ans après sa prestation au SNL, O’Connor a suivi des cours dans un séminaire de Dublin avec un prêtre dominicain catholique, le révérend Wilfred Harrington. Ensemble, ils lisaient les prophètes de la Bible hébraïque et les Psaumes : des écritures sacrées dans lesquelles les paroles de Dieu sont exprimées.</p>
<p>Inspirée par son professeur, elle lui a dédié le magnifique album <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xncY5WP12BQ"><em>Theology</em></a>. L’album est un mélange de certaines de ses propres chansons inspirées par la Bible hébraïque – comme <a href="https://www.youtube.com/wat,h?v=Kf24-rgyOeI">« If You Had a Vineyard »</a>, inspirée par le Livre d’Isaïe, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Jh7s5BKphw8">« Watcher of Men »</a>, qui s’inspire de l’histoire biblique de Job – et d’autres morceaux qui sont essentiellement des versions chantées de ses psaumes préférés.</p>
<p>Dans une <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">interview de 2007</a> pour la station de radio WFUV de l’Université Fordham, O’Connor a déclaré qu’elle espérait que l’album pourrait montrer Dieu aux gens lorsque la religion elle-même leur avait bloqué l’accès à Dieu. Il s’agissait en quelque sorte de « sauver Dieu de la religion », de « sortir Dieu de la religion ». Plutôt que de prêcher ou d’écrire, « la musique est le petit moyen que j’ai de le faire », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je dis cela en tant que personne qui a beaucoup d’amour pour la religion ».</p>
<h2>Lire les prophètes</h2>
<p>Ce faisant, elle s’inscrit dans la longue lignée de la tradition prophétique. Le livre <a href="https://www.harpercollins.com/products/the-prophets-abraham-j-heschel?variant=40970012721186"><em>Les prophètes</em></a> du grand penseur juif, le <a href="https://www.myjewishlearning.com/article/abraham-joshua-heschel-a-prophets-prophet/">rabbin Abraham Joshua Heschel</a> commence par cette phrase : « Ce livre traite de certaines des personnes les plus troublantes qui aient jamais vécu ». À maintes reprises, la Bible montre les prophètes comme des êtres humains.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une poignée de personnes tiennent des pancartes de protestation rouges, blanches et noires devant un bâtiment, avec une grande photo d’une femme déchirant une photographie devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une photo de Sinead O’Connor déchirant la photographie du pape Jean-Paul II se trouve lors d’une manifestation à Cracovie, en Pologne, en 2023, accusant la hiérarchie de l’église d’avoir dissimulé des abus sexuels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/banners-are-seen-during-a-protest-next-to-the-bishops-news-photo/1248867957?adppopup=true">Beata Zawrzel/NurPhoto via Getty Images</a></span>
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<p>Pour de nombreux catholiques horrifiés, l’apparition de Mme O’Connor dans le <em>SNL</em> et ses nombreuses autres critiques de l’Église étaient blasphématoires ou servaient juste à attirer l’attention sur sa personne. D’autres fans, en revanche, y ont vu une condamnation prophétique. Il ne s’agissait pas seulement d’une critique de la maltraitance, mais aussi d’une critique de la prétendue compassion des responsables de l’Église pour les enfants, tenant des propos moralisateurs <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/nov/26/catholic-church-ireland-child-abuse">alors qu’ils couvraient la maltraitance</a>.</p>
<p>En dénonçant tout cela et bien d’autres choses encore, O’Connor a souvent été considérée comme dérangeante : pas seulement à cause de l’incident de la photo du pape, mais en raison de son androgynie, son crâne rasé, son ouverture sur ses propres luttes contre la maladie mentale. Mais pour de nombreux admirateurs, comme le montre le documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-VLy1A4En4U"><em>Nothing Compares</em></a>, tout cela montrait qu’elle était libre et, comme les prophètes d’autrefois, qu’elle n’avait ni honte ni peur de provoquer.</p>
<h2>Du rasta à l’islam</h2>
<p>En même temps, l’imagination religieuse d’O’Connor représentait bien plus qu’une relation complexe avec le catholicisme. La religion autour d’O’Connor était éclectique et intense.</p>
<p>Elle était profondément influencée par les <a href="https://theconversation.com/reggaes-sacred-roots-and-call-to-protest-injustice-99069">traditions rastafari</a> de la Jamaïque, <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">qu’elle décrivait</a> comme « un mouvement spirituel antireligieux, mais massivement pro-Dieu ». Elle considérait le premier album de Sam Cooke avec les Soul Stirrers comme le meilleur album de gospel jamais réalisé. Elle compte parmi ses héros spirituels Muhammad Ali – et <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-45987127">s’est convertie à l’islam en 2018</a>, changeant son nom en Shuhada’ Sadaqat.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe à carreaux et coiffe chante avec passion devant des lumières violettes" src="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">O’Connor se produit lors d’un concert à l’Admiralspalast de Berlin en décembre 2019, après sa conversion à l’islam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-aka-shuhada-sadaqat-performs-news-photo/1187273491?adppopup=true">Frank Hoensch/Redferns/AFP</a></span>
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<p>Pourtant, la vision d’O’Connor n’était pas fragmentée. Le miracle de Sinead O’Connor, c’est que tout est cohérent, d’une certaine manière, dans les mots d’une artiste qui refuse de mentir, de se cacher ou de ne pas dire ce qu’elle pense.</p>
<p>Interrogée sur la spiritualité, O’Connor a dit un jour qu’elle préférait la chanter plutôt que d’en parler – comme elle le fait dans de nombreuses chansons, depuis <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XkP-0rnr_Gw">son chant lumineux de l’antienne</a>, un hymne marial chanté lors des services de Pâques, jusqu’à son album inspiré par les Rasta, <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/5945-throw-down-your-arms/"><em>Throw Down Your Arms</em></a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=haYbyQIEgQk">« Something Beautiful »</a>, un morceau de l’album <em>Theology</em>, O’Connor s’adresse à la fois à Dieu et à l’auditeur : « Je veux faire/Quelque chose de beau/Pour toi et de toi/Pour te montrer/Je t’adore ».</p>
<p>Et c’est bien ce qu’elle a fait. Être ému par son art, c’est ressentir une transcendance, un regard sur une forme lumineuse de spiritualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210911/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brenna Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’emblématique chanteuse irlandaise s’est toujours imprégnée de spiritualité, tout en critiquant les institutions religieuses.Brenna Moore, Professor of Theology, Fordham UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2099332023-07-30T11:10:19Z2023-07-30T11:10:19ZLe Niger adopte un nouvel hymne pour refléter son imaginaire démocratique et son identité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539625/original/file-20230726-21-s03smy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les joueurs du Niger s'alignent pour l'hymne national avant la Coupe du Monde U-17 de la FIFA, Inde 2017;</span> <span class="attribution"><span class="source">Photo : Mike Hewitt - FIFA/FIFA via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>Le Niger a officiellement <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/le-niger-adopte-un-nouvel-hymne-national-pour-en-finir-avec-les-anciennes-paroles-coloniales_5882255.html">adopté un nouvel hymne national</a> : “Pour l’honneur de la patrie”. Assurément, l’hymne précédent, chantant un paternalisme déférent sur une musique et des paroles composées par trois ressortissants de l’ancienne puissance coloniale, portait en lui des faiblesses structurelles qu’il fallait changer. Mais que peut-on déceler du contexte historique, social, et politique dans lequel ce changement a eu lieu ? Est-ce un événement isolé ou est-ce lié à un bouleversement plus profond ? À la vue des défis sécuritaire, énergétique, économique, et institutionnel auxquels le Niger fait face, cet investissement culturel peut-il apporter plus qu’une intervention symbolique ?</p>
<p>Pour comprendre les motivations de ce bond en avant, il faut regarder en arrière. </p>
<h2>Pourquoi réformer l'hymne national</h2>
<p>Depuis plus d’une décennie, le Niger a vu son intégrité politique s’effriter par la dégradation de sa situation interne – d’abord avec le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2010/02/19/niger-coup-d-etat-militaire-dans-un-pays-en-crise-politique-depuis-des-mois_1308338_3212.html">coup d’Etat de 2010</a> puis lors de la <a href="https://www.jeuneafrique.com/312110/politique/niger-mahamadou-issoufou-reelu-9249-suffrages-selon-resultats-provisoires/">réélection de Mahamadou Issoufou en 2016</a>. De plus, l’aggravation des tensions dans le Sahel en raison non seulement des campagnes de terreur <a href="https://www.iris-france.org/note-de-lecture/aqmi-lindustrie-de-lenlevement/">d'Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI)</a> et de Boko Haram, mais aussi des pressions migratoires transsahariennes exacerbées par le changement climatique (sécheresse et famine) poussent la nation dans ses limites. </p>
<p>Dans ces conditions, la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/contre-le-souvenir-de-la-colonisation-le-niger-va-changer-d-hymne_155354.html">réforme de l’hymne national annoncée en 2019</a> constitue un moyen peu onéreux de prévenir un effritement politique et social supplémentaire tout en renforçant un sentiment national mis à rude épreuve. Lorsque la chanteuse <a href="https://www.studiokalangou.org/12413-forum-zarma-projet-modification-hymne-national-niger-motivations-enjeux">Aichatou Ali Soumaila dite “Dan Kwali”</a> explique qu’il manque à l’hymne “un air musical qui reflète la culture nigérienne”, la critique porte tout autant sur les connotations coloniales que sur son rôle de cohésion nationale.</p>
<p>Si l’hymne de 1961 était intitulé <a href="https://www.hymne-national.com/fr/hymne-national-niger/">“La Nigérienne”</a>, quelque soixante ans plus tard, la question se pose : qu'est-ce qui constitue un citoyen nigérien ? À l’heure des indépendances, la réponse reposait sur l’évincement du colonisateur, la France, comme dénominateur commun. Mais déjà dans les années 1970, la souveraineté nationale apparaissait comme plus fluide, plus complexe, plus fragile. </p>
<p>L'adoption d'un <a href="https://www.lesahel.org/nouvel-hymne-de-la-republique-du-niger-lhonneur-de-la-patrie/">nouvel hymne</a> est importante pour deux raisons. D’une part, les paroles ont été écrites par un “groupe d’experts nationaux”. D’autre part, comme son titre le suggère, il invite le peuple à défendre la “patrie” dont l’honneur est attaqué de dehors (terrorisme) comme dedans (corruption). Bien sûr, le mot “Niger” apparaît six fois dans le nouvel hymne – contre trois fois dans l’ancien. Mais “l’Afrique” fait son apparition trois fois dans le nouvel hymne et invite à s’ancrer dans le cadre national pour mieux le dépasser et réaliser ce vieux rêve qu’est le panafricanisme. </p>
<p>Pour reprendre le mot du ministre de la Renaissance culturelle, Assoumane Malam Issa, la “liberté nouvelle” évoquée en 1961 n’est “plus du contexte”. Au contraire, il faut “construire ensemble” un monde de justice dans lequel le Niger est “la fierté de l’Afrique”. </p>
<p>Construit sur les vestiges de l’ancien, le nouvel hymne garde l’appel “en avant” mais c’est “l’Afrique qui avance”. Il continue “d’être debout” mais pas seulement à Niamey : “dans le ciel d’Afrique et dans tout l’univers”. Coïncidence, c’est à Niamey qu’en 2019, le projet de <a href="https://au.int/fr/treaties/accord-etablissant-la-zone-de-libre-echange-continentale-africaine">Zone de libre-échange continentale africaine</a> (ZLECA) a été lancé lors de la 18ème session de la Conférence de l’Union africaine.</p>
<p><strong>Vers une redéfinition de l'identité nationale</strong></p>
<p>S’il y a donc un changement symbolique dans la politique du Niger, il est en direction d’une renaissance africaine. Et le succès de cette renaissance repose sur la redéfinition des identités nationales. La réforme de l’hymne ouvre ainsi un espace dans lequel cette redéfinition peut s’opérer. Elle donne au citoyen nigérien l'opportunité de trouver sa place dans une nouvelle vision de l'identité nationale non pas en compétition mais en collaboration avec la construction continentale de “l’Afrique qui avance”.</p>
<p>En lui seul, l’hymne ne change rien. Mais associé à un réseau de symboles – drapeau, devise, traditions, etc. – il contribue à la réforme d’institutions nationales (notamment le système éducatif et juridique) engagée par le nouveau gouvernement du président Mohamed Bazoum. Ainsi, lors de la <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/niger-visite-historique-danthony-blinken-niamey-2103315">visite du secrétaire d’État américain</a>, Anthony Blinken en mars 2023, le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massoudou a déclaré : “Le Niger est un nouveau pays”, sans renier sa riche histoire millénaire. </p>
<p>Les paroles et la musique du nouvel hymne ne font pas que représenter la nation, elles participent à sa (re)formation en donnant au peuple qui la constitue le matériel (mots, musique), l’opportunité (unissonnance) et la direction (thème) pour vivre un nouveau projet étatique avec pour horizon la construction de structures institutionnelles où les voix qui le chantent pourront être entendues démocratiquement. </p>
<p>Comme <a href="https://laviedesidees.fr/Stuart-Hall-pionnier-des-Cultural-Studies">Stuart Hall</a> et <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/benedict-anderson/">Benedict Anderson</a> nous l’ont suggéré, la nation elle-même est une construction symbolique qui, comme tout symbole, invite à la contestation – aucun symbole n’est éternel. La réforme de l’hymne national du Niger participe donc à cette expérience démocratique de contestation et de changement. Cela dit, elle révèle aussi la complexité de constructions identitaires culturelles et politiques au sein des nations qui s’identifient comme postcoloniales. </p>
<p>N’est-ce pas légitimer la résilience de l’ancien colonisateur que de réécrire l’hymne en français ? Mais l’écrire en Haoussa (langue parlée par plus de la moitié de la population) ou en Zarma (langue parlée majoritairement autour de la capitale, Niamey), n’est-ce pas exclure un groupe ethnique au profit d’un autre et prolonger les divisions d’une nation multiethnique et multilinguistique ? </p>
<p>Si “Pour l’honneur de la patrie” ne peut résoudre tous les problèmes du Niger, il a le mérite de placer ces questions au centre du débat et d’ouvrir à la population un espace où elle peut, en miroir de son nouvel hymne, exercer son imaginaire démocratique pour construire la vision de son avenir – l’inverse de l’idéologie coloniale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209933/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yohann C. Ripert does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le nouvel hymne ne peut résoudre tous les problèmes du Niger. Mais il a le mérite d’ouvrir à la population un espace où elle peut exercer son imaginaire démocratique.Yohann C. Ripert, Assistant Professor of French and Francophone Studies, Stetson University Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2098902023-07-27T19:38:38Z2023-07-27T19:38:38ZLes Afro-Américains et le cognac : histoire d’un mythe romantique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539610/original/file-20230726-23-xvbm96.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C6%2C2104%2C1501&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le rappeur Puff Daddy dans le clip du titre de Busta Rhymes « Pass the Courvoisier II » en 2002. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=p56tbkJCa2I&ab_channel=REMASTEREDHIPHOP%E2%99%AA">Youtube/ Capture d'écran</a></span></figcaption></figure><p>C’est dans une charmante rue pavée de la ville de Cognac, au bord de la Charente, que se trouve le Musée des savoir-faire du Cognac. Il narre l’histoire de l’emblématique liqueur française.</p>
<p>La production du cognac remonte au début du XVII<sup>e</sup> siècle. Le musée couvre tous les aspects de cette longue histoire, des crus façonnant le terroir au minutieux processus de fabrication des fûts dans lesquels vieillit le breuvage.</p>
<p>Il présente le cognac comme « un produit particulièrement apprécié des classes moyennes d’origine afro-américaine ou latine ». Une description qui ne fait pas vraiment état de la réalité – à savoir que les États-Unis sont de loin le plus grand marché du cognac et qu’à l’intérieur du pays, les Afro-Américains représentent la plus grande part des consommateurs.</p>
<p>Comment cela se fait-il ? Selon les médias grand public et le folklore de l’industrie, cette consommation du cognac par les Afro-Américains remonte à l’un des conflits mondiaux, voire aux deux. Les soldats noirs américains, alors envoyés dans le sud-ouest de la France, étaient autant tombés amoureux de cette liqueur que d’un pays qu’ils jugeaient résolument moins raciste que le leur. Des journalistes font d’ailleurs le récit de cette histoire dans <a href="https://slate.com/human-interest/2013/12/cognac-in-african-american-culture-the-long-history-of-black-consumption-of-the-french-spirit.html"><em>Slate</em> en 2013</a>, et dans <a href="https://zora.medium.com/hennything-is-possible-how-the-french-cognac-found-a-home-in-the-black-community-f5aeb83d1a8a">Medium en 2020</a>.</p>
<p>Certains comptes très suivis sur les réseaux sociaux ont soutenu ce même argument : si le cognac attirait les soldats noirs, c’est parce qu’il symbolisait la liberté et la reconnaissance de leur humanité qu’ils ne retrouvaient pas aux États-Unis. Par ailleurs, si les déclarations sur Internet ne sont pas toujours fiables, l’histoire du cognac dépasse la pratique du « clickbait » puisqu’elle a également été reprise par de grands journaux. Cette année, <em>Le Monde</em> a publié un article sur la <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-passe-a-table/article/2023/03/01/les-flows-de-cognac-dans-le-rap-americain_6163774_6082232.html">popularité du cognac parmi les rappeurs américains</a>, reprenant la même genèse du temps de guerre.</p>
<h2>Un récit centenaire</h2>
<p>Tout ceci est une bien belle histoire… mais elle n’est pas vraie. Rien ne permet d’affirmer la vraisemblance de ce mythe romantique.</p>
<p>Pourquoi les soldats noirs se seraient-ils spécifiquement épris du cognac et non du vin, pourtant bien plus consommé par les Français ? Pourquoi seraient-ils seuls à succomber au charme de la liqueur, ou du moins davantage que leurs homologues blancs ? Et pourquoi aurait-il fallu attendre un déploiement militaire à travers l’océan pour découvrir ce breuvage ? Le cognac a été exporté pour la première fois aux États-Unis au XVIII<sup>e</sup> siècle, mais le récit qui se rapporte aux guerres du XX<sup>e</sup> siècle raconte que les Afro-Américains ne l’ont découvert que 200 ans plus tard.</p>
<p>En réalité, les Afro-Américains ont connu, servi, étudié, bu et vendu du cognac déjà 100 ans au moins avant la Seconde Guerre mondiale, voire avant la Première. Cato Alexander, ancien esclave propriétaire d’une taverne à Manhattan, n’est qu’un exemple parmi d’autres témoignant que les Afro-Américains connaissaient déjà le cognac. Avant 1811, dans un établissement situé près des actuelles 54<sup>e</sup> rue et 2<sup>e</sup> avenue, Alexander s’est hissé au sommet de sa <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-oxford-companion-to-spirits-and-cocktails-9780199311132?cc=us&lang=en&#">profession de barman</a>.</p>
<p>Bénéficiant d’un respect dont peu d’Afro-Américains jouissaient, il fut célèbre pendant près de 40 ans pour sa cuisine, et <a href="https://revelry.tours/cocktails/cato-alexander/">plus encore pour son art du cocktail (aujourd’hui, on parlerait de mixologie)</a>. Outre Alexander, les récits de personnes réduites en esclavage montrent clairement que, même avant le XIX<sup>e</sup> siècle, le cognac, comme d’autres alcools, faisait partie de la vie de cette communauté.</p>
<p>Alors, que se cache-t-il derrière ce lien contemporain entre les Afro-Américains et le cognac ? L’histoire selon laquelle les soldats noirs américains auraient découvert le cognac au prisme de la philosophie française – liberté, égalité, fraternité – est séduisante, mais l’explication la plus rationnelle demeure celle d’une fine stratégie publicitaire. Les distributeurs des secteurs de l’alimentation et de la boisson ont longtemps cherché à attirer les Afro-Américains avec des campagnes de publicité exclusivement conçues pour <a href="https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2015/06/casual-racism-and-greater-diversity-in-70s-advertising/394958/">capter ces potentiels consommateurs</a> à une époque où la part de marché était relativement faible.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"607508501619961856"}"></div></p>
<p>La restauration rapide s’est ainsi initiée à ce marketing ciblé au début des années 1970 ; dans les années 2000, des entreprises comme McDonald’s avaient mis en place des sites web entièrement consacrés à des segments de consommateurs <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/white-burgers-black-cash">basé sur la race et l’appartenance ethnique</a>.</p>
<h2>Hip hop et cognac</h2>
<p>Il n’en demeure que la publicité traditionnelle pour le cognac destinée aux buveurs noirs américains a commencé relativement tard, au début des années 1980. La presse écrite et les panneaux publicitaires étaient les principaux outils de ces campagnes ciblées. Parmi les magazines, <em>Ebony</em> était une pièce maîtresse de cette stratégie de marketing. Fondé en 1945 par John H. Johnson en tant que premier magazine à tirage national destiné à mettre en lumière la réussite des Afro-Américains, ses pages ont contribué à positionner le cognac comme un parfait symbole de la prospérité de la communauté.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Publicité pour le cognac Martell dans le numéro de décembre 1983 du magazine Ebony" src="https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537131/original/file-20230712-26-ldl9dz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le numéro de décembre 1983 du magazine <em>Ebony</em> comportait une publicité pour le cognac Martell, fondé en 1715.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://books.google.fr/books?id=0tgDAAAAMBAJ&pg=PA82&dq=martell&hl=en&sa=X&redir_esc=y#v=onepage&q=martell&f=false">Ebony Magazine/Google Books</a></span>
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<p>Ces publicités sont probablement passées inaperçues auprès des enfants noirs qui feuilletaient les magazines posés sur la table basse de leurs parents – loin de se douter que certains d’entre eux deviendraient les plus grands promoteurs de cette industrie.</p>
<p>En 2012, Jay-Z s’est <a href="https://www.terredevins.com/actualites/cognac-dusse-comment-la-marque-de-jay-z-a-bati-son-succes">associé à la marque d’Ussé du groupe Bacardi</a>. Cette initiative s’inscrit dans le sillage de l’irruption de la liqueur sur la scène hip-hop entre les années 1990 et le début des années 2000. Les artistes faisaient référence au spiritueux, allant de la simple mention à la construction de chansons entières autour de lui.</p>
<p>Nas affirme être l’initiateur de cette tendance – par exemple avec son titre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ImSoA_fAVL4">« Memory Lane (Sittin’ in da Park) »</a> issu de son album <em>Illmatic</em> sorti en 1994. Une série d’artistes suit alors le mouvement. Parmi eux figurent Busta Rhymes, Pharell Williams et P. Daddy dont le morceau <a href="https://www.youtube.com/watch?v=o4ZUaxyPoZ8">« Pass the Courvoisier »</a> (2001) a changé la donne. La chanson aurait été à l’origine d’une <a href="https://www.editions-ellipses.fr/accueil/10598-cognac-la-culture-de-la-qualite-9782340040267.html">hausse de 30 % des ventes aux États-Unis</a> tandis que Busta Rhymes a toujours nié avoir été payé pour créer le morceau.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/o4ZUaxyPoZ8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Busta Rhymes, « Pass the Courvoisier Part II » (YouTube).</span></figcaption>
</figure>
<p>Nas est quant à lui devenu l’ambassadeur d’Hennessy et <a href="https://www.rizzoliusa.com/book/9780847847525/">décrit ce partenariat comme suit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous nous sommes trouvés mutuellement… Je n’aurais jamais imaginé aller en France, à Cognac, et boire du cognac de cent ans d’âge directement au sortir du tonneau… Au début, je ne savais même pas que le cognac était fait à partir de raisins ! »</p>
</blockquote>
<p>Pour être honnête, la majeure partie du plus grand marché au monde du cognac – les États-Unis – ne sait pas non plus que le cognac est fabriqué à partir de raisins. C’était également mon cas, jusqu’à ce que je commence mes recherches. Le cognac occupe une place particulière dans la culture américaine : il est très présent dans la culture pop, a un grand cachet gastronomique, mais demeure peu connu et mal compris. Et bien, qu’il soit originaire du sud-ouest de la France, il peut sembler plus américain qu’international.</p>
<p>C’est peut-être cette toile presque vierge qui est à l’origine de ce récit mythique évoqué ci-dessus. Et s’il n’est sûrement pas exact, son charme est lui évident. Cette histoire présente le cognac comme un membre de la famille, un marqueur de liberté et un moyen de répudier le racisme américain. Et pour cela, l’esprit de l’un des spiritueux français les plus vantés perdure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Naa Oyo A. Kwate ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La légende raconte que les soldats afro-américains seraient tombés sous le charme du spiritueux après avoir servi en France durant le second conflit mondial. En réalité, l’histoire est toute autre.Naa Oyo A. Kwate, Associate Professor, Rutgers University, DEA Fellow, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH), Rutgers UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075172023-06-13T18:00:28Z2023-06-13T18:00:28ZLe Hellfest : un sacré festival ?<p>C’est officiel : en France, la saison des festivals de l’été est ouverte.</p>
<p>Le <a href="https://www.hellfest.fr/">Hellfest Open Air</a> est devenu en 16 ans l’un des plus grands festivals de musique « metal » d’Europe, accueillant près de 200 000 festivaliers en 2023. C’est aussi et surtout le rendez-vous annuel de la communauté metal (les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Metalhead">metalheads</a> qui se retrouve mi-juin chaque année à Clisson à quelques kilomètres de Nantes pour écouter leurs artistes favoris dont des groupes mythiques tels que Kiss, Metallica, Deep Purple, Motorhead, etc.</p>
<p>Un pèlerinage auquel tous les fans n’ont pas la possibilité de participer. Les places pour le festival sont en effet vendues en quelques heures dès l’ouverture de la billetterie, mi-octobre, alors que la programmation n’est pas encore annoncée. Cette rareté augmente la valeur perçue de l’expérience du festival, et de fait sa dimension exceptionnelle voire sacrée.</p>
<h2>Un festival de plus en plus populaire</h2>
<p>Ainsi, ce rite annuel <a href="https://www.cairn.info/nos-modes-nos-mythes-nos-rites--9782847694727.htm">est devenu un mythe</a>, si bien que sa notoriété mais aussi son image ont fortement évolué ces dernières années. Non seulement le Hellfest n’a plus cette image de rassemblement de satanistes que <a href="https://www.tourisme-espaces.com/doc/8668.festival-hellfest-clisson-retombees-economiques-musique-metal-plus-fortes-stigmatisation.html">certaines associations ont voulu lui attribuer</a>, mais pour certains, il est même devenu « the place to be ».</p>
<p>Il attire ainsi un public de plus en plus large comme le montrent les récentes études de <a href="https://actu.fr/pays-de-la-loire/clisson_44043/styles-de-musique-age-consommation-le-public-du-hellfest-en-pleine-mutation_59638749.html">Corentin Charbonnier</a> et de <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/hellfest-davantage-de-femmes-et-de-cadres-3491639">Christophe Guibert</a> et notamment des nouveaux festivaliers n’appartenant pas à la communauté « core » (au sens de noyau) metal.</p>
<p>Or, les codes communautaires très forts présents au Hellfest en font un festival à part. Les codes sociaux, les normes, la manière de communiquer, de se comporter, de vivre l’événement (ce qu’on appelle en marketing les logiques de consommation) observés lors d’une étude ethnographique pendant l’édition 2022 montrent qu’ils sont sensiblement différents de ceux observés dans d’autres festivals de musique lors d’autres études que j’ai pu mener (Musilac, Paléo Festival, <a href="https://theconversation.com/les-darons-en-festival-electro-choc-des-generations-a-tomorrowland-201036">Tomorrowland</a>, Jazz à Vienne, etc.).</p>
<p>Se pose alors la question de l’acculturation de ces nouveaux entrants dans la communauté du Hellfest – à défaut de l’être dans la communauté metal – afin de ne pas dénaturer la particularité de ce festival aux codes bien ancrés et respectés. Même si les observations montrent une forte appropriation des règles et normes sociales par les novices, certains comportements importés par les festivaliers « mainstream » peuvent transformer l’expérience spécifique Hellfest.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-festivals-nous-manquent-vraiment-160409">Pourquoi les festivals nous manquent vraiment</a>
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<h2>Un rituel sacré aux codes spécifiques</h2>
<p>Même si des différences sont observables en fonction des scènes (donc des styles de musique), au Hellfest l’expression des émotions, très codifiée, se fait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zkGa_BItnag">par la voix</a> (cris gutturaux) mais surtout par la posture.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=269&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=338&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=338&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531458/original/file-20230612-119811-ns2rka.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=338&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Horns up, le symbole des metalheads/Hellfest 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nico Didry</span></span>
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<p>Soit en levant le <a href="https://www.rocknfolk.com/stories/mais-au-fait-dou-vient-le-signe-des-cornes/286099">poing, index et auriculaire levés</a>, (le « horns up », symbole de l’appartenance à la communauté) soit en hochant la tête plus ou moins fort (« headbanging »), soit en bousculant les autres, (le « pogo »). Martin, habitué du Hellfest, en témoigne : « quand je kiffe, que je suis content, je pousse les autres ». D’une manière générale, il n’y a pas d’intermédiaire entre le headbanging et le pogo : soit le festivalier est statique et bouge uniquement la tête, soit il se déplace en bousculant les autres. Le fait de danser ou sauter sur place – à l’exception des scènes underground, hardcore ou rock celtique – fait moins partie des normes culturelles de la communauté metal que pour d’autres cultures musicales.</p>
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<figcaption><span class="caption">Headbanging et densité sociale sur la mainstage du Hellfest 2022.</span></figcaption>
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<p>Alors que les drapeaux nationaux ou régionaux fleurissent et s’agitent de plus en plus dans le public des festivals de musique « grand public », on n’en trouve pas au Hellfest. La revendication d’appartenance territoriale n’est pas de mise ici, c’est à la communauté metal que l’on appartient.</p>
<p>Les tenues sont d’ailleurs soigneusement choisies en fonction des codes de son style de musique préféré (hardcore, death metal, stoner, etc.). Porter le tee-shirt de son groupe préféré, un kilt, ou arborer un look gothique suscite des interactions sociales entre festivaliers fans du même groupe, par exemple. Porter un tee-shirt ou une casquette d’une édition précédente du Hellfest permet aussi de montrer son adhésion à la communauté en marquant son attachement à la marque « Hellfest ».</p>
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<p>Les stands de merchandising sont d’ailleurs pris d’assaut dès le premier jour et il faut parfois attendre plus de 30 minutes pour garder un souvenir de ce pèlerinage. Le soin apporté au choix de la tenue vestimentaire est aussi révélateur de la sacralisation du moment, équivalent de la tenue du dimanche pour la messe. Pour les festivaliers plus âgés (plus de 40 ans), elle est prise très au sérieux. Pour les plus jeunes, des formes plus ludiques apparaissent avec parfois un détournement des codes.</p>
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<span class="caption">Tenues de festivaliers détournant les codes de la communauté métal au Hellfest 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nico Didry</span></span>
</figcaption>
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<h2>Le concert, moment de communion</h2>
<p>Le concert de metal, c’est du sérieux : on est là pour communier avec l(es) artiste(s) sur scène, profiter à fond de ce moment.</p>
<p>À l’exception du « pit » (la zone du pogo, qui ne concerne que quelques centaines de personnes sur les 30 ou 40 000 présentes pour un concert sur la scène principale), on observe peu d’interactions entre les spectateurs pendant les concerts. Les échanges émotionnels entre spectateurs, riches et nombreux, ont lieu en dehors des scènes.</p>
<p>Le concert s’apparente à un sermon que l’on écoute religieusement en répondant de manière docile et attentionnée aux injonctions des artistes (taper dans les mains, crier, faire un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Circle_pit">« circle pit »</a>, sans prendre d’initiative (ou très peu), contrairement à ce qui peut se produire dans d’autres concerts ou d’autres festivals.</p>
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<p><a href="https://www.francebleu.fr/emissions/podcast-clisson-rock-city-bienvenue-au-hellfest/les-publics-hellfest-un-reflet-metal-de-la-societe">Le metalleux</a> (hormis celui qui décide de « pogoter » devant la scène) n’est pas très proactif. L’étude de la foule montre que la majorité de ses actions sont des réactions aux demandes des artistes. Les mouvements du public du type « taper dans les mains en rythme » s’essoufflent assez vite dès lors que les artistes ne les sollicitent plus. Cette attitude réactive voire peu active diffère des données collectées sur d’autres terrains (électro, pop, jazz…).</p>
<p>L’organisation spatiale du public répond aussi au besoin du spectateur de vivre le moment de manière quasi religieuse. Ainsi la densité sociale du public est faible, même si pour la scène principale, elle augmente sur les 20 mètres devant la scène. Le spectateur n’est donc pas gêné par les autres. Selon Bertrand, habitué du Hellfest : « C’est hyper facile de circuler, c’est comme si on avait mis des points au sol pour chacun des festivaliers, pour qu’il ait sa zone de sécurité ».</p>
<p>Contrairement à ce qui se produit généralement au cours des concerts pop-rock, rap ou encore électro, les portables sont peu dégainés pour filmer le concert. Il se vit dans le présent. Cela s’explique aussi par la moyenne d’âge plus élevée que sur des concerts de rap par exemple. Mais ce n’est pas dans la culture metal, et dès lors que certains festivaliers ne respectent pas les codes, cela perturbe les autres comme le dit Rose lors d’un concert black metal de la scène Temple :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais devant la scène au 2<sup>e</sup> rang, et devant moi des gens soit discutaient, soit filmaient, je savais qu’ils n’étaient pas dedans, et cela m’a pourri, ambiance émotionnellement complètement gâchée. »</p>
</blockquote>
<h2>La « violence bienveillante » du pogo</h2>
<p>Le pogo, cette pratique issue du mouvement punk qui consiste à se bousculer par les épaules, se retrouve sur chaque scène (hormis death metal et stoner). Ce sont les festivaliers qui sont dans le « pit » – zone devant la scène – qui s’adonnent à cet échange, ce partage d’émotions qui lui aussi est codifié. Rose, 50 ans, qui aime pogoter, en témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« Les mecs qui ne partagent pas dans le pogo, c’est des gros connards, ça ne se passe pas bien, tu peux te faire mal, il y a de la violence dans le pogo, mais il y a de la bienveillance, mais les mecs qui sont là pour chercher la baston, ça va pas, et ceux-là ils se font vite sortir ».</p>
</blockquote>
<p>Quand quelqu’un tombe ou perd sa chaussure, un cordon de sécurité est directement mis en place par les autres « pogoteurs » pour sécuriser la personne. <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2022-2-page-358.htm">De plus en plus de femmes s’adonnent à cette danse de contact physique</a>.</p>
<p>Il n’y a d’ailleurs aucune zone tampon entre l’espace des pogoteurs et les autres spectateurs. La rupture est nette entre leur agitation et l’immobilisme du reste des spectateurs, que personne ne vient déranger. Cette « violence bienveillante » est caractéristique des pogos de la scène metal. Cela les différencie des pogos sans codes ni bienveillance que l’on voit apparaître récemment dans des concerts de rock ou de rap, avec des publics plus jeunes et quasi exclusivement masculins.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oDxjaPhBhRE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Avec sa dimension très codifiée, le Hellfest, tel un village gaulois, résiste pour l’heure aux tendances sociétales observées dans les festivals mainstream ou moins communautaires.</p>
<p>Vivre le moment présent, en segmentant les activités (un temps pour échanger, un temps pour communier, etc.) en est un des fondements. La condition du maintien de cette expérience sacrée réside dans le respect de ces codes communautaires <a href="https://www.youtube.com/watch?v=olFO-F-85-A">« authentiques »</a>.</p>
<p>Même si le Hellfest n'échappe pas <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/clisson/hellfest-2023-les-coulisses-d-un-festival-d-enfer-2791782.html">aux problématiques liées au harcèlement moral ou aux violences sexistes et sexuelles</a>, les valeurs de partage, de respect des règles et des autres, la solidarité et la bienveillance sont des fondamentaux du festival de metal : une dimension « sacrée » qui en fait toute la singularité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nico Didry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Hellfest est l’un des plus grands festival de musique « metal » d’Europe. Un pèlerinage très codifié qui attire de plus en plus de festivaliers, qui ne connaissent pas toujours les règles du jeu.Nico Didry, Maître de conférences en ethnomarketing, Stratégies Economiques du Sport et du Tourisme, CREG, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2069732023-06-11T16:18:46Z2023-06-11T16:18:46ZComment la musique permet de lutter contre les effets de la maladie de Parkinson<p>Battements de notre cœur, flux d’air dans nos poumons, prosodie de notre voix ou mouvements de nos jambes… Notre corps est une mer de rythmes différents. Aucun des systèmes biologiques qui les génèrent n’est isolé : chacun interagit avec son environnement, constitué d’autres systèmes à l’intérieur ou à l’extérieur de notre corps qui ont leur propre rythmicité.</p>
<p>Le mouvement est un bel exemple d’interactions entre rythmes. Le simple fait de marcher, pas après pas, est en effet une construction complexe ! Que cette construction se grippe, et le mouvement en pâtit. D'où cette question : peut-on redonner du rythme à ceux qui le perde ? Oui, suggèrent certaines recherches. Petite explication, en partant des fondamentaux…</p>
<p>Si notre cerveau est à la manœuvre, tout un ensemble de structures nerveuses gouverne les cycles associés : des réseaux situés dans la moelle épinière insufflent les alternances d’activations musculaires nécessaires à sa genèse, mais ce sont les centres cérébraux supérieurs qui amènent la plasticité puisque c’est à leur niveau que se planifie l’initiation du mouvement ou la prise en compte des conditions de sa bonne exécution (évitement d’obstacles, etc.).</p>
<p>Le programme de base issu des réseaux de la moelle épinière est ainsi remodelé en fonction des exigences de l’environnement, retranscrites par nos sens… S’opère ce que les neuroscientifiques appellent le <a href="https://theconversation.com/musique-danse-comment-cerveau-et-corps-se-mettent-en-rythme-205796">« couplage perception-action »</a> : parce qu’il commande nos muscles et intègre les informations auditives ou visuelles, le système nerveux est capable de coupler nos sens à nos comportements.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-la-marche-a-la-danse-comment-cerveau-et-corps-se-mettent-en-rythme-205796">De la marche à la danse, comment cerveau et corps se mettent en rythme</a>
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<p>C’est ce qui se passe lorsque nous jouons de la musique en groupe, où la coordination temporelle de nos gestes avec ceux de nos partenaires nous permet d’être à l’unisson. Cette synchronisation est possible par l’ajustement entre les rythmes auditifs/perçus et moteurs/exécutés. Cela signifie que les structures plutôt dédiées à la perception et celles plutôt dédiées au mouvement voient leurs liens se renforcer, formant un réseau fonctionnel dans le cerveau.</p>
<p>En d’autres termes, les structures cérébrales qui nous font bouger sont aussi celles qui nous font percevoir. Lors de l’écoute de morceaux de musique, qui combinent des séquences structurées de durées, de timbres et d’accents, la <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/R/bo24515499.html">perception de la pulsation est l’événement psychologique qui revient le plus régulièrement</a>.</p>
<h2>Quand la maladie fait dérailler la machine</h2>
<p>Des pathologies peuvent entraver la production de ces rythmes. C’est le cas de la maladie de Parkinson pour laquelle les difficultés à se déplacer sont le premier handicap rapporté.</p>
<p>Les patients sont sujets à un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/1736161/">« gel de la marche »</a>, c’est-à-dire une difficulté dans son initiation et sa progression à l’approche d’un obstacle ou d’un virage. Ces deux séquences majeures du mouvement sont affectées par la perte progressive des neurones sécrétant de la « dopamine » – un neurotransmetteur, soit une molécule assurant la transmission de l’information entre les cellules nerveuses.</p>
<p>Une structure cérébrale dite profonde, car enfouie sous les hémisphères cérébraux, les ganglions de la base (ou noyaux gris centraux), est particulièrement touchée. Or ils gèrent la transition d’une étape à l’autre d’un mouvement : l’altération de leur fonctionnement va donc affecter toute la <a href="https://academic.oup.com/brain/article/135/3/656/263693">production de mouvements rythmiques</a> en perturbant les rythmes cérébraux nécessaires au déclenchement des sous-mouvements qui composent une action.</p>
<p>Une marche hachée est symptomatique de cette difficulté de passer d’un sous-mouvement à l’autre. Si un <a href="https://movementdisorders.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/mds.23530">patient dont la marche est irrégulière peut continuer à pédaler de façon plus fluide</a>, c’est parce que le <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnhum.2016.00061/full">pédalage est moins dépendant du traitement séquentiel des informations sensorielles</a>.</p>
<p>Le cycle de marche exige en effet la prise en compte de nombreuses informations sensorielles (par le cortex prémoteur) qui rendent compte tant des contraintes de l’environnement que de la bonne exécution du mouvement en cours : ce processus porte le nom d’intégration. La bonne connexion entre cortex et ganglions de la base permet l’adaptation de la marche aux spécificités de l’environnement – virage à anticiper, escalier à négocier, rue à traverser…</p>
<p>La perte des neurones à dopamine inhérente à la maladie de Parkinson empêche l’établissement de ces connexions (on parle de circuitopathie). Un large spectre d’effets moteurs en est la manifestation, de la locomotion à l’élocution.</p>
<h2>Les effets de la musique</h2>
<p>Pourtant ce déficit peut être surmonté par une stratégie simple : en tirant simplement profit de l’appétence du cerveau pour des rythmes « pertinents », ceux avec lesquels nous pouvons synchroniser nos mouvements.</p>
<p>L’utilisation d’une horloge externe fournissant des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/136140969300700103">repères réguliers, comme des stimulations auditives périodiques</a>, permet de compenser les difficultés d’initiation et de maintien du mouvement en redonnant une structure temporelle aux actions. Cette stratégie est appelée « <strong>indiçage</strong> ».</p>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1191/0269215505cr906oa">Les patients bénéficient de cet indiçage qu’il soit visuel, tactile ou auditif</a> – ce dernier permettant plus facilement de discriminer les rythmes envoyés. En témoigne une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0149763413001930?via%3Dihub">augmentation de la cadence et de la longueur des pas ainsi qu’une correction des asymétries de la démarche</a>. Le patient marche plus vite et sa stabilité accrue <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0269215518788615">réduit le risque de chute</a>. Cette amélioration traduit le meilleur couplage entre flux auditif et appareil locomoteur au niveau du cerveau. Ces bénéfices se prolongent au-delà des séances de marche en musique.</p>
<p>Il y a deux explications possibles (qui ne sont pas exclusives) à ces améliorations :</p>
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<li><p>l’activation résiduelle des ganglions de la base,</p></li>
<li><p>la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0306452207004629?via%3Dihub">mise en place de mécanismes compensatoires qui reposeraient sur le cortex et le cervelet</a>. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0306452210000138?via%3Dihub">L’hyperactivation du cervelet a d’ailleurs été rapportée</a> chez des patients lors de tâches de coordination sensori-motrice.</p></li>
</ul>
<p>Un élément majeur a été émis en évidence : la précision de la perception du rythme détermine la force du couplage entre la locomotion et la musique.</p>
<p>Des tests ont été développés pour <a href="https://link.springer.com/article/10.3758/s13428-016-0773-6">évaluer nos capacités de perception d’une part, et nos capacités de synchronisation de nos mouvements avec la musique d’autre part</a>. Par exemple remarquons-nous le décalage entre un métronome désynchronisé et les pulsations de la musique ? Sommes-nous capables de battre la mesure de morceaux à la rythmicité plus ou moins évidente ?</p>
<p>La précision de la perception du battement et de sa régularité est représentative des capacités de coordination, et peut être comparée à des normes établies. Ce qui permet d’en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19027895/">quantifier l’altération</a> et peut parfois de servir d’<a href="https://movementdisorders.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/mds.28894">aide au diagnostic</a>.</p>
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<h2>Une rééducation possible</h2>
<p>Il existe une apparente contradiction entre l’influence bénéfique de l’indiçage et la détérioration de la perception des patients.</p>
<p>L’évaluation concomitante des capacités de perception et de la démarche sous l’influence de stimulations auditives a permis de clarifier ce point. <a href="https://www.nature.com/articles/s41531-018-0043-7">Les patients qui bénéficient le plus de l’indiçage sont ceux qui ont préservé leurs capacités perceptives</a>. Cela renforce l’hypothèse de la primauté de la force du couplage audio-moteur pour prédire les bénéfices de l’indiçage.</p>
<p>Les conséquences de la dégradation de la perception ne sont cependant pas une fatalité. Un réentraînement est possible grâce à des <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnhum.2017.00273/full">jeux sérieux au cours desquels le patient réapprend à se synchroniser avec la musique</a>, à la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30958312/">danse qui est une activité de synchronisation sensorimotrice par excellence</a>, etc.</p>
<p>Si la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/136140969300700103">marche est améliorée par des indices auditifs délivrés au bon tempo</a>, l’interactivité de ces stimulations est aussi un facteur essentiel à considérer pour améliorer la force du couplage.</p>
<p>Nous avons montré que le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31180717/">contrôle en temps réel la relation entre les pulsations musicales et les pas du patient</a>, par l’adaptation en continu du tempo musical, garantit un couplage audio-moteur idéal. Associés aux effets positifs de la musique, neurochimiques par la libération des hormones du plaisir, et psychologiques par le sentiment d’évasion qu’elle procure, les effets de la stimulation sur la marche sont immédiats. Les bénéfices de l’indiçage s’en trouvent encore améliorés.</p>
<p>L’un des défis actuels est d’évaluer les effets à long terme d’une telle approche.</p>
<h2>Des perspectives à moyen et long termes</h2>
<p>La pleine perception de la musique passe par des structures motrices : n’a-t-on pas besoin de mettre tout notre corps en mouvement pour battre la mesure d’un morceau difficile ? Le recouvrement entre les structures de notre cerveau qui nous permettent de percevoir, et celles qui nous font bouger, ouvre une opportunité thérapeutique.</p>
<p>La rééducation du mouvement par la musique renforce en effet les liens entre la perception auditive rythmique et le comportement moteur. La musique s’immisce dans les réseaux moteurs du cerveau et peut compenser certains déficits créés par la maladie de Parkinson. Cette approche peut contribuer à améliorer la qualité de vie des patients et à réduire leur dépendance aux médicaments. Il s’agit donc d’un puissant outil de rééducation complémentaire de la thérapie pharmacologique.</p>
<p>D’autres pathologies présentant des déficits de la motricité sont également concernées. Sclérose en plaques, suite d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore diabète de type II sont en cours d’études au sein de notre équipe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Damm a été employé comme chercheur sur des projets de recherche dédiés à l’étude des synchronisations musique-mouvement financés par la commission européenne. Il est co-fondateur de l'entreprise BeatHealth.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Benoît Bardy a reçu des financements de la commission européenne, de la région Occitanie et de la SATT AxLR pour ses projets de recherche sur les synchronisations musique-mouvement. Il est conseiller scientifique de l'entreprise BeatHealth.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valérie Cochen de Cock a reçu des financements de la commission européenne et de la SATT AxLR pour ses projets de recherche clinique sur les synchronisations musique-mouvement dans la maladie de Parkinson. Elle est conseillère médicale de l'entreprise BeatHealth.</span></em></p>Notre corps vit en rythme, mais certaines maladies comme Parkinson viennent bouleverser la fluidité de ce fonctionnement… Comment la musique peut-elle aider les malades ?Loïc Damm, Postdoctoral Researcher, Université de MontpellierBenoît Bardy, Professeur en Sciences du Mouvement, fondateur du centre EuroMov, membre de l'Institut Universitaire de France (IUF), Université de MontpellierValérie Cochen de Cock, Docteure en neurologie, chercheuse HDR au sein de l’unité EuroMov Digital Health in Motion, Université de Montpellier - IMT Mines Ales, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2065222023-06-09T09:36:08Z2023-06-09T09:36:08ZMonstres et génies… Comment faire la part entre l’homme et l’artiste ?<p>Claire Dederer est l’autrice d’un livre sur le réalisateur Roman Polanski. Il y a quarante-cinq ans, Polanski a fui les États-Unis après avoir plaidé coupable pour relations sexuelles illégales avec une mineure.</p>
<p>Samantha Galley (aujourd’hui Geimer), qui avait 13 ans en 1977 lorsqu’elle a déclaré <a href="https://www.abc.net.au/news/2022-07-19/roman-polanski-case-new-testimony/101250020">avoir été droguée et violée par le réalisateur</a>, a raconté sa version de l’histoire à de nombreuses reprises, notamment dans ses mémoires de 2013 <a href="https://www.amazon.com.au/Girl-Life-Shadow-Roman-Polanski/dp/1476716846">_La fille : ma vie dans l’ombre de Roman Polanski _</a>.</p>
<p>Geimer a pardonné à Polanski. Et le mois dernier, <a href="https://www.indiewire.com/features/general/roman-polanski-rape-victim-samantha-geimer-defends-director-1234828246/">dans une interview</a> avec la femme du réalisateur, Emmanuelle Seigner, elle a réaffirmé « ce qui s’est passé avec Polanski n’a jamais été un gros problème pour moi ». Ce qui lui pèse, c’est d’avoir à en parler, encore et encore.</p>
<p>Claire Dederer, qui a commencé sa vie d’autrice en tant que critique de cinéma, est une admiratrice de Polanski depuis longtemps. Mais pour elle, Polanski représente un gros problème. Car, plus que tout autre personnage contemporain, affirme Dederer, c’est Polanski qui rassemble comme personne les forces de « l’absolu de la monstruosité et de l’absolu du génie ».</p>
<p>Elle savait qu’écrire un livre sur Polanski serait compliqué – c’est justement pour ça qu’elle s’est lancée dans l’aventure. Mais en cours de route, son projet s’est transformé en <a href="https://www.hachette.com.au/claire-dederer/monsters-a-fan-s-dilemma"><em>Monsters : A Fan’s Dilemma</em></a> (<em>Monstres : le dilemme d’une fan</em>, non traduit en français, NDLR). Un ouvrage passionnant de critique culturelle féministe essentiel pour celles et ceux d’entre nous qui se débattent avec les questions éthiques liées à ces artistes problématiques.</p>
<p>Tout le monde peut citer au moins une idole déchue, quelqu’un il ou elle admirait et dont l’œuvre est désormais devenue « infréquentable ».</p>
<p>Dederer reconnaît le génie de Polanski, oui, mais savoir ce qui est arrivé à Geimer a également changé sa façon de considérer ses œuvres. Dans son essai, elle s’intéresse aussi au terme « génie » et à l’expression « culture de l’annulation », en explorant leurs limites.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/friday-essay-barry-humphries-humour-is-now-history-thats-the-fate-of-topical-satirical-comedy-117499">Friday essay: Barry Humphries' humour is now history – that's the fate of topical, satirical comedy</a>
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<h2>« Je me sentais comme Woody Allen »</h2>
<p>Parmi mes propres idoles déchues, il y a le réalisateur Woody Allen, qui est aussi l’une des idoles de Dederer. « Quand j’étais jeune », se souvient-elle, « je me sentais comme Woody Allen. J’avais l’intuition ou la conviction qu’il me représentait à l’écran. Il était moi. C’était l’un des aspects particuliers de son génie – cette capacité à se substituer au public ».</p>
<p>J’ai moi aussi eu un jour l’impression d’être Woody Allen – j’étais une adolescente vivant dans la banlieue ouest de Sydney, et lui était un New-Yorkais juif d’âge moyen qui jouait de la clarinette dans un club de jazz tous les lundis soirs. Mais d’une certaine manière, comme Dederer, je m’identifiais à lui. J’aspirais également à vivre un jour à Manhattan dans un appartement rempli de livres à proximité de Central Park. Ma vie future serait pleine de dîners, de liaisons amoureuses, de séances de psy et de répliques brillantes.</p>
<p>Pour Dederer, les révélations sur la relation d’Allen avec la fille adoptive de sa femme d’alors, Mia Farrow, Soon-Yi Previn, ont été vécues comme une « terrible trahison à [son] égard ». Il était passé du statut de « l’un de nous, l’impuissant » à celui de « prédateur ».</p>
<p>Mes propres sentiments étaient plus flous, et ça m’arrangeait bien que la qualité de ses films commence à se dégrader en même temps que sa réputation. Lorsque le récit de sa fille Dylan Farrow sur les abus sexuels qu’il aurait commis sur elle a commencé à être largement diffusé – Allen a <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-56563149">longtemps nié ces allégations</a> – je n’étais plus fan du réalisateur.</p>
<p>Entre la <a href="https://archive.nytimes.com/kristof.blogs.nytimes.com/2014/02/01/an-open-letter-from-dylan-farrow/?mcubz=1">Lettre ouverte</a> de Dylan Farrow sur Allen, publiée dans le <em>New York Times</em> en 2014 (et toujours disponible en ligne, avec plus de 3500 commentaires), et la série documentaire de HBO <a href="https://www.imdb.com/title/tt13990468/"><em>Allen v. Farrow</em></a>, diffusée pour la première fois début 2021, le phénomène #MeToo est devenu viral.</p>
<p>Le fils de Woody Allen et frère de Dylan, Ronan, a été l’un des <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/from-aggressive-overtures-to-sexual-assault-harvey-weinsteins-accusers-tell-their-stories">journalistes qui ont contribué à exposer</a> l’ampleur stupéfiante des abus perpétrés par le producteur de cinéma Harvey Weinstein, qui purge aujourd’hui de multiples peines de prison.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525333/original/file-20230510-4877-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ronan Farrow, le fils de Woody Allen, (photographié avec sa mère Mia) a contribué à dénoncer Harvey Weinstein.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Chris Pizello/AP</span></span>
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<h2>La tache</h2>
<p>Dans ce contexte, le livre de Dederer peut être considéré à la fois comme tombant à pic et un peu tardif. Pourtant, comme le montre son article de 2017 dans la <em>Paris Review</em> <a href="https://www.theparisreview.org/blog/2017/11/20/art-monstrous-men/">« Que faire de l’art des hommes monstrueux ? »</a>, elle a commencé à explorer la question bien avant que #MeToo ne devienne viral.</p>
<p>En mêlant mémoires, critique culturelle et analyse féministe, Dederer propose une forme hybride encore plus ambitieuse, glissante et compliquée que la réflexion ébauchée dans ce premier article.</p>
<p>Sentant dans le « théâtre psychique de la condamnation publique » des célébrités disgraciées une « sorte de détournement élaboré » ou de déviation, Dederer préfère tourner son regard vers le public, à commercer par elle-même.</p>
<p><em>Monsters</em> suit une logique intuitive, guidée par le sens changeant qu’a Dederer de son propre projet. Au début, elle revoit les films de Roman Polanski, un exercice qui confirme son talent mais ne soulage pas sa conscience. « Polanski ne poserait aucun problème au spectateur, note-t-elle, si les films étaient mauvais. Mais ils ne le sont pas ».</p>
<p>D’emblée, la question « peut-on séparer l’art de l’artiste ? » en ouvre d’autres, plus intéressantes : qui est-ce « on » qui sous-entend qu’une telle séparation est possible, ou souhaitable ?</p>
<p>Lorsque Dederer revient sur <a href="https://www.imdb.com/title/tt0075686/?ref_=fn_al_tt_1"><em>Annie Hall</em></a> (1977), le film d’Allen qui a remporté plusieurs Oscars, elle déclare qu’il s’agit du « plus grand film comique du vingtième siècle » – une évaluation critique dont elle se moquera plus tard pour sa grandiloquence, car elle n’est pas ce genre de critique.</p>
<p>Il n’est pas surprenant que l’autre « classique » de la période de gloire d’Allen, <a href="https://www.nytimes.com/2018/03/01/style/woody-allen-manhattan.html"><em>Manhattan</em></a> (1979) – dans lequel Isaac, le personnage d’Allen, aime l’adolescente Tracy, jouée par Mariel Hemingway – ne s’en sort pas aussi bien.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525326/original/file-20230510-21-hjguta.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manhattan, le film dans lequel Woody Allen vit une romance avec une adolescente, est devenu problématique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MGM/IMDB</span></span>
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<p>Ses amies partagent ses sentiments et ses émotions « compliquées ». Pour de nombreux hommes blancs plus âgés qu’elle, <em>Manhattan</em> reste une œuvre de génie sans équivoque, qui n’est pas entachée par sa proximité avec la vie réelle du réalisateur.</p>
<p>Dès les premiers chapitres sur Polanski et Allen, Dederer s’engage dans toutes sortes de directions productives. Presque immédiatement, elle sape son propre titre, en présentant des arguments convaincants en faveur de la métaphore de la « tache » comme une alternative plus appropriée au « monstre » débordant de rage.</p>
<h2>Vénérer les rock stars</h2>
<p>La catégorie toujours masculiniste du « génie », incarnée par exemple par Pablo Picasso et Ernest Hemingway, est examinée par l’autrice en tant que produit des médias de masse, dont l’héritage est particulièrement évident dans la vénération des rock stars, pour la plupart des hommes blancs.</p>
<p>À plusieurs reprises, Dederer évoque David Bowie, qui, dans sa vie (et maintenant à titre posthume), a largement échappé à l’atteinte à sa réputation pour avoir <a href="https://www.salon.com/2016/01/13/the_dark_side_of_david_bowie_as_the_mourning_goes_on_we_cant_ignore_his_history_with_underaged_groupies_in_70s/">potentiellement eu des relations sexuelles</a> avec des groupies mineures. Elle le fait par curiosité et non pour le condamner, et avec le sentiment de sa propre complicité en tant que fan.</p>
<p>Des stars du rock comme Bowie, Jimmy Page de Led Zeppelin et Mick Jagger – qui ont tous <a href="https://www.thrillist.com/entertainment/nation/i-lost-my-virginity-to-david-bowie">apparemment couché avec</a> l’adolescente Lori Mattix dans les années 1970, pour ne citer qu’un exemple très médiatisé – ont, bien sûr, souvent été excusés pour leur mauvais comportement en invoquant le fait qu’il s’agissait d’une époque différente.</p>
<p>Cet argument repose sur l’hypothèse selon laquelle nous vivrions dans un présent plus éclairé, mais il est permis d’en douter ; il faut du moins y réfléchir.</p>
<p>Claire Dederer met également en lumière les souches persistantes d’antisémitisme et de racisme, y compris l’amnésie historique concernant des personnages tels que <a href="https://www.smh.com.au/entertainment/books/virginia-woolfs-anti-jew-diatribe-20030616-gdgxsg.html">Virginia Woolf</a>, dont les journaux intimes étaient « truffés » de « remarques antisémites désinvoltes ». Lorsque Dederer parle de Woolf avec une amie juive, celle-ci lui répond : « Si nous abandonnons les [artistes] antisémites, nous devrons abandonner tout le monde ».</p>
<p>Le féminisme de l’autrice, au départ, est un féminisme vertueux, critique et punitif – ou blanc, libéral et carcéral. En conséquence, elle décrit son féminisme et son désir d’être « manifestement bonne » comme « entrant en conflit » avec son désir d’être une « citoyenne du monde de l’art » et ses convictions politiques « de plus en plus à gauche ». Cependant, si ces distinctions peuvent être aveugles à la longue histoire du féminisme de gauche (par exemple), elles se dissolvent également au fur et à mesure que le livre avance.</p>
<h2>La revendication du « je » dans la critique</h2>
<p>Dans le chapitre le plus important du livre, Dederer partage sa propre histoire en tant que critique culturelle. Il s’agit d’une contribution importante à la critique féministe, notamment parce que Dederer remet en question le modèle phallocentrique du critique, cette « sorte de prêtre » qui dispense des « déclarations critiques » comme s’il s’agissait d’un évangile.</p>
<p>C’est contre cette posture, dans l’esprit de critiques comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vivian_Gornick">Vivian Gornick</a>, qu’elle revendique le « je », la critique comme « implacablement, fièrement subjective ». Les défis féministes de ce type ne sont pas nouveaux, mais les idées de Dederer sont fraîches, bienvenues et bien formulées.</p>
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<p>Les critiques qui dissimulent leurs opinions sous « l’habit de l’autorité », nous rappelle-t-elle, font partie du problème. « La consommation d’une œuvre d’art », conclut Mme Dederer, implique « la rencontre de deux biographies : celle de l’artiste, qui peut perturber l’observation de l’œuvre, et celle du spectateur, qui peut façonner l’observation de l’œuvre ».</p>
<p>Un autre chapitre remarquable se concentre sur sa relecture du roman le plus célèbre de Vladimir Nabokov, <a href="https://theconversation.com/lolita-why-this-vivid-illicit-portrait-of-a-pervert-matters-at-a-time-of-endless-commodification-of-young-girls-189688"><em>Lolita</em></a> (1955). Si <a href="https://www.avclub.com/reminder-pablo-picasso-was-a-bit-of-an-asshole-1836674197">Picasso</a> et <a href="https://bookninja.com/2021/04/12/on-great-writers-who-are-terrible-people-hemingway-edition/">Hemingway</a> ont été largement épargnés, de leur temps, par l’amalgame entre l’art et l’artiste, Nabokov n’a pas eu cette chance. En écrivant du point de vue de Humbert Humbert, « le violeur d’enfants », l’auteur a été largement considéré comme étant lui-même un « monstre ».</p>
<p>Dederer a lu <em>Lolita</em> pour la première fois à l’âge de 13 ans et en a été « horrifiée », notamment parce que Lolita elle-même ne semblait pas être un « vrai personnage », mais seulement une « absence ». L’adulte Dederer finit par comprendre que c’est peut-être précisément le but recherché, que Lolita est « le portrait de l’anéantissement d’une jeune fille ». Dederer ne renie pas pour autant l’adolescente qu’elle était, qui, après tout, était sur la bonne voie.</p>
<p>Elle prend également au sérieux les enfants qui ont grandi en étant obsédés par <a href="https://theconversation.com/rethinking-harry-potter-twenty-years-on-86761"><em>Harry Potter</em></a> et les observations de ses enfants et de leurs amis. Elle remarque que ses enfants ne sont pas torturés par le cas Picasso de la même manière qu’elle, voire pas du tout. Lors d’une exposition de ses œuvres organisée pour raconter l’histoire de « Picasso en tant que trou du cul », ils demandent à partir.</p>
<h2>« Peut-être que je ne suis pas assez monstrueuse »</h2>
<p>La maternité est un thème central dans <em>Monsters</em>. Douée pour l’autobiographie, Dederer s’appuie sur ses précédents livres <a href="https://www.bloomsbury.com/au/poser-9781408817827/"><em>Poser : My Life in Twenty-three Yoga Poses</em></a> (2010) et <a href="https://www.clairedederer.com/love-and-trouble"><em>Love and Trouble : A Midlife Reckoning</em></a> (2017) pour partager son expérience d’« écrivain-mère » et les dilemmes qui en découlent.</p>
<p>Contemplant sa carrière d’écrivain, Dederer se dit « Peut-être que je ne suis pas assez monstrueuse. Toutes les mères écrivains que je connais se sont posé la question : Si j’étais plus égoïste, mon travail serait-il meilleur ? »</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=938&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1178&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1178&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525334/original/file-20230510-21-5490sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1178&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Joni Mitchell a confié son bébé à l’adoption.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Suzanne Plunkett/AP</span></span>
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<p>La version féminine du monstrueux artiste masculin, prédateur sexuel, nous dit Dederer, c’est la mère qui abandonne ses enfants – et ces « monstres féminins » sont beaucoup moins nombreux. Dederer raconte cinq semaines conflictuelles passées dans une retraite d’artistes à Marfa, au Texas, et associe ce séjour aux « mères abandonnantes » : l’écrivaine Doris Lessing (qui, à 23 ans, <a href="https://slate.com/culture/2022/04/doris-lessing-abandoned-children-motherhood-letters.html#:%7E:text=Lessing%20said%20to%20have,been%20both%20vilified%20and%20celebrated.">a laissé ses deux bambins</a> derrière elle dans ce qui était alors la Rhodésie, aujourd’hui le Zimbabwe, pour s’installer à Londres) et l’autrice-compositrice-interprète Joni Mitchell, qui, alors qu’elle était une chanteuse de folk sans ressources, a confié sa petite fille en adoption. Dederer encourage ainsi les lecteurs à contempler les résistances culturelles tenaces et les obstacles à la liberté artistique des femmes.</p>
<p>Dederer crée un espace pour l’ambivalence maternelle et revendique l’ambition féminine. Ces chapitres sur la maternité sont parsemés de perles – comme l’évocation cinématographique de Jane Campion dans son biopic de 1990 <a href="https://www.imdb.com/title/tt0099040/"><em>Un ange à ma table</em></a> sur l’écrivaine Janet Frame (qui n’a pas eu d’enfants) se complaisant dans sa solitude d’écrivain après des années passées dans un hôpital psychiatrique. Mais pour moi, ces passages sont plus prévisibles, moins convaincants et même étrangement rétrogrades par endroits, d’autant plus que la notion binaire mère/non-mère n’est pratiquement pas évoquée.</p>
<p>J’aurais aimé que Dederer ait élargi son champ d’investigation (Sylvia Plath – encore ?) et qu’elle ait davantage remis en question certaines de ses propres hypothèses. Les vies de Toni Morrison ou de Cate Blanchett, par exemple – des mères-artistes de génie – jetteraient certainement un nouvel éclairage sur les dilemmes que Dederer considère comme endémiques et perpétuels chez les « mères-écrivains » comme elle et ses amies.</p>
<p>L’ambition féminine, par exemple, est-elle encore si largement et uniformément découragée ? Et qu’en est-il des modèles moins hétéronormatifs de maternité et de parentalité qui offrent des alternatives et qui sont attaqués partout aux États-Unis par des conservateurs qui les jugent monstrueux ?</p>
<h2>Nos propres monstres</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, <em>Monsters</em> est, dans son ensemble, une lecture merveilleusement riche, renforcée par la subjectivité sans équivoque de Dederer. Mais il ne se limite pas non plus à sa vision du monde ou à son canon d’idoles déchues ou « souillées ». Ses artistes préférés (anciens ou actuels) ne correspondent peut-être pas aux vôtres, mais la lecture de <em>Monsters</em> vous fera certainement penser à vos propres « idoles ».</p>
<p>Après avoir lu le chapitre sur Woody Allen, je me suis retrouvée à parcourir les étagères à la recherche de mon exemplaire de <a href="https://www.goodreads.com/book/show/55386.Getting_Even"><em>Getting Even</em></a> (1971), son recueil classique de nouvelles comiques. Il comprend <a href="http://thisrecording.com/today/2009/7/1/in-which-woody-recalls-his-roaring-twenties.html">« A Twenties Memory »</a>, dans lequel Allen se moque allègrement de certains des « génies » dont il est question dans le livre de Dederer : Picasso et Hemingway, entre autres. Mais je ne l’ai pas retrouvé – j’ai dû le jeter, comme les personnes décrites dans <em>Monsters</em> qui ont fait de même avec leurs livres et films d’Allen.</p>
<p>Tout au long de l’ouvrage, Dederer s’associe à d’autres personnes qui ont dû affronter leurs réactions émotionnelles contradictoires face à l’art et à la vie d’hommes monstrueux bien-aimés, comme <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1993-08-30-vw-29516-story.html">Pearl Cleage sur Miles Davis</a> (musicien qui, comme le note Dederer, « a écrit franchement » dans son autobiographie de 1989, qu’il battait ses femmes). Le livre trabscrit des conversations et les inspire aussi. Depuis que je l’ai lu, j’ai parlé à un certain nombre d’amis de nos sentiments mitigés à l’égard de Woody Allen – y compris des hommes. Il était très populaire auprès de la génération X, tout comme Johnny Depp (mais je ne m’étendrai pas sur ce sujet…).</p>
<p>Et puis il y a Morrissey, l’ancien chanteur des Smiths (le plus grand groupe du 20e siècle !). Il n’est pas mentionné par Dederer, mais il est – pour moi, et au moins cinq autres personnes que je connais – notre « monstre » le plus aimé.</p>
<p>Dans le cas de Morrissey, ce ne sont pas les abus sexuels qui ont « entaché » sa réputation et l’héritage des Smiths, mais son virage néo-fasciste d’extrême droite (bien que j’aie découvert depuis, après une rapide recherche, que « Moz », comme on l’appelait affectueusement, a également <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-42050512">blâmé les victimes</a> qui auraient été abusées par Kevin Spacey et Harvey Weinstein).</p>
<p>Le musicien anglais <a href="https://www.theguardian.com/music/2019/may/30/bigmouth-strikes-again-morrissey-songs-loneliness-shyness-misfits-far-right-party-tonight-show-jimmy-fallon">Billy Bragg</a> a saisi une part du désespoir et de la rage ressentis par les fans de Morrissey lorsqu’il a décrit le chanteur comme « l’<a href="https://www.konbini.com/biiinge/oswald-mosley-peaky-blinders-portrait/">Oswald Mosley</a> de la pop », un artiste qui a trahi ses fans et donné du pouvoir « aux personnes mêmes auxquelles les fans des Smiths s’opposent ».</p>
<p>La nuit où j’ai appris la mort de la reine Élisabeth II, j’ai fait quelque chose que je n’avais pas fait depuis longtemps : j’ai visionné sur You Tube la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YS3UMjNUqFM">vidéo réalisée par Derek-Jarman</a> de la chanson <em>The Queen Is Dead</em> des Smiths. Puis j’ai envoyé un message à un ami : « J’ai le droit d'écouter The Smiths ce soir ! » Depuis, je les écoute régulièrement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/YS3UMjNUqFM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Zora Simic s’est sentie « autorisée » à écouter la chanson <em>The Queen is Dead</em> des Smiths après la mort de la reine Élisabeth II, malgré la réputation « souillée » de Morrissey.</span></figcaption>
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<p>Pour Dederer, il faut accorder du répit aux fans torturés, en rappelant que dans un monde capitaliste, nos choix de consommation culturelle « ne résoudront rien ». Nous « n’avons pas besoin d’avoir une grande théorie unifiée sur Michael Jackson », écrit-elle. J’ai gloussé en lisant ce passage, me souvenant de ma récente redécouverte du catalogue des Smiths et de la joie contradictoire qu’elle m’a procurée.</p>
<p>Pour moi, ce qui a été le plus gratifiant dans la lecture de <em>Monsters</em>, c’est que Dederer décrit et comprend le plaisir et la douleur mêlés d’être un fan, une féministe, un critique et une personne avec son histoire unique et son imaginaire.</p>
<p>De manière plus générale, <em>Monsters</em> nous rappelle que des dilemmes tels que la manière dont nous devons nous souvenir de Picasso ne seront jamais entièrement résolus – ni par la « pensée », ni par un calcul moral qui pèserait les différentes variables de l’équation.</p>
<p>Ce à quoi nous pouvons prêter attention, cependant, c’est à la manière dont les affirmations péremptoires de « génie » continuent de s’imposer en cette prétendue époque de <a href="https://theconversation.com/friday-essay-joanna-bourke-the-nsw-arts-minister-and-the-unruly-contradictions-of-cancel-culture-189377">« cancel culture »</a>.
“</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206522/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Zora Simic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que faire des œuvres que nous aimons quand le comportement de leurs auteurs est moralement répréhensible ?Zora Simic, Senior Lecturer, School of Humanities, UNSW SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2067192023-05-30T16:11:35Z2023-05-30T16:11:35ZEst-ce que c’est bien d’écouter de la musique en étudiant ?<p>Pour résumer, on pourrait dire que la musique améliore notre humeur, ce qui nous permet de mieux étudier, mais elle peut également nous distraire, ce qui nous empêche de bien travailler.</p>
<p>Par conséquent, si vous voulez étudier efficacement avec de la musique, vous devez réduire l’effet de distraction de la musique et profiter de notre bonne humeur.</p>
<h2>La musique peut nous rendre de meilleure humeur</h2>
<p>Vous avez peut-être entendu parler de l’effet Mozart, c’est-à-dire de l’idée qu’écouter du Mozart rendrait plus « intelligent ». Cette idée se fonde sur des <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1038/365611a0.pdf">recherches</a> qui ont montré que l’écoute de musique classique complexe, comme celle de Mozart, améliorait les résultats de certains tests. Selon le chercheur, cette théorie repose sur la capacité de la musique à stimuler les parties de notre cerveau qui jouent un rôle dans les capacités mathématiques.</p>
<p>Toutefois, d’autres recherches ont permis de réfuter la théorie de l’effet Mozart : il n’y avait pas vraiment de rapport avec les mathématiques, mais les scientifiques ont montré que les meilleurs résultats étaient dus au fait que nous étions de meilleure humeur grâce à la musique.</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1196/annals.1360.013">Des recherches</a> menées dans les années 1990 ont mis en évidence un « effet Blur » : les enfants qui écoutaient le groupe de BritPop Blur semblaient obtenir de meilleurs résultats aux tests. En fait, les chercheurs ont constaté que l’effet Blur était plus important que l’effet Mozart, simplement parce que les enfants appréciaient davantage la musique pop comme Blur que la musique classique.</p>
<p>Le fait d’être de meilleure humeur signifie probablement que nous faisons un peu plus d’efforts et que nous sommes prêts à nous atteler à des tâches difficiles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296814/original/file-20191014-135509-xpdud2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lorsque vous étudiez, vous utilisez votre « mémoire de travail », c’est-à-dire que vous conservez et manipulez plusieurs informations à la fois dans votre tête.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shuttrstock</span></span>
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<h2>La musique peut nous distraire</h2>
<p>D’un autre côté, la musique peut être une source de distraction dans certaines circonstances.</p>
<p>Lorsque vous étudiez, vous utilisez votre « mémoire de travail », c’est-à-dire que vous conservez et manipulez plusieurs informations à la fois dans votre tête.</p>
<p>Les recherches montrent clairement que lorsqu’il y a de la musique en arrière-plan, et en particulier de la musique avec des voix, notre mémoire de travail <a href="http://dx.doi.org/10.1080/14640748908402355">se détériore</a>. Cela aura pour conséquence une moins bonne compréhension de lecture par exemple.</p>
<p>Un chercheur australien, Bill Thompson, et ses collègues ont réalisé un <a href="https://doi.org/10.1177/0305735611400173">travail</a> très intéressant pour déterminer l’effet relatif de ces deux facteurs concurrents : l’humeur et la distraction.</p>
<p>Ils ont demandé à des participants d’effectuer une tâche de compréhension assez exigeante et d’écouter de la musique classique, soit lente, soit rapide, soit douce, soit forte.</p>
<p>Ils ont constaté que la seule fois où les performances diminuaient réellement, c’était lorsque les personnes écoutaient de la musique à la fois rapide et forte (c’est-à-dire à la vitesse de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nfWlot6h_JM">Shake It Off</a> de Taylor Swift, à un volume équivalent à celui d’un aspirateur).</p>
<p>Même si cela a entraîné une baisse des performances, cette baisse n’était pas si importante que cela. D’autres <a href="https://doi.org/10.3389/fpsyg.2017.01902">recherches similaires</a> n’ont pas non plus mis en évidence de grandes différences.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296816/original/file-20191014-135529-1oicid3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une étude a révélé une diminution des performances de compréhension lorsque des personnes écoutaient de la musique à la fois rapide et forte. Mais cette diminution n’était pas si importante.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<h2>Alors, faut-il écouter de la musique en travaillant ?</h2>
<p>En résumé : les études suggèrent qu’il n’y a probablement pas de mal à écouter de la musique pendant que vous étudiez, à quelques conditions près.</p>
<p>C’est mieux si :</p>
<ul>
<li><p>elle vous met de bonne humeur</p></li>
<li><p>elle n’est ni trop rapide ni trop forte</p></li>
<li><p>elle n’est pas trop « verbeuse » (le hip-hop, où les paroles sont rappées plutôt que chantées, serait encore plus distrayant)</p></li>
</ul>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Timothy Byron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon son type, la musique peut avoir des effets positifs ou négatifs sur notre capacité à étudier efficacement.Timothy Byron, Lecturer in Psychology, University of WollongongLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.