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psychiatrie – The Conversation
2024-02-20T14:40:04Z
tag:theconversation.com,2011:article/223212
2024-02-20T14:40:04Z
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Les personnes souffrant de TOC ont une moins longue espérance de vie
<p>Une nouvelle étude a récemment révélé que les personnes atteintes de <a href="https://www.nhs.uk/mental-health/conditions/obsessive-compulsive-disorder-ocd/overview/">troubles obsessionnels compulsifs</a> (TOC) ont un <a href="https://www.bmj.com/content/384/bmj-2023-077564.full">risque accru de décéder plus tôt que les autres</a>, que ce soit de cause naturelle ou non naturelle.</p>
<p>De précédents travaux avaient déjà identifié des <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2484488">excès de mortalité chez les personnes souffrant de TOC</a>, mais les causes spécifiques de ces décès n’avaient pas été étudiées plus avant – à l’exception peut-être du suicide. Il avait notamment été découvert que les personnes souffrant de TOC avaient des <a href="https://www.nature.com/articles/mp2016115">taux de suicide similaires à ceux de personnes atteintes d’autres troubles mentaux</a>.</p>
<p><a href="https://www.psychiatry.org/patients-families/obsessive-compulsive-disorder/what-is-obsessive-compulsive-disorder">Les TOC affectent environ 2 % de la population</a>. Les personnes qui en souffrent expérimentent des pensées répétitives et intrusives qui les plongent dans la détresse (elles sont, par exemple, obnubilées par la peur d’être contaminées, ou de devenir agressive envers d’autres personnes). Afin de diminuer l’inconfort causé par ses pensées, elles accomplissent des rituels extrêmement chronophages : rituels de nettoyage, de répétition, de vérification…</p>
<p>Ce trouble dégrade significativement leur qualité de vie, affecte leurs relations ainsi que leurs activités sociales et, d’une façon générale, leur capacité à vivre normalement.</p>
<p>Mes collègues et moi-même, au Karolinska Institute en Suède, avons décidé d’essayer de comprendre comment les décès de cause naturelle ou ceux de cause non naturelle <a href="https://www.bmj.com/content/384/bmj-2023-077564.full">contribuent à la mortalité plus élevée constatée chez les personnes souffrant de TOC</a>.</p>
<p>Nous nous sommes pour cela appuyés sur les registres de population suédois, lesquels incluent des données administratives et de santé pour l’ensemble de la population du pays. Grâce à ces registres, nous avons pu comparer un groupe de 61 378 individus diagnostiqués comme souffrant de TOC avec 613 780 personnes non atteintes par cette pathologie.</p>
<p>Les données enregistrées dans ces bases nous ont permis de suivre ces deux groupes sur une période de plus de 40 ans, de 1973 à 2020. Nous avons ainsi découvert que les personnes atteintes de TOC mouraient à un âge moyen de 69 ans, contre 78 ans celles qui n’en souffraient pas.</p>
<p>Le risque de décès au cours de la durée couverte par cette étude était accru de 82 % dans le groupe des personnes ayant un TOC par rapport au groupe qui n’était pas atteint par cette pathologie.</p>
<p>Ce risque accru de décès s’est avéré attribuable à la fois à des causes naturelles (le risque est alors augmenté de 31 %) et à des causes non naturelles (risque augmenté de 230 %).</p>
<h2>Des causes spécifiques</h2>
<p>C’est la première fois que des travaux identifient les causes spécifiques à l’origine des décès « naturels » de personnes souffrant de TOC. Nos résultats révèlent que l’accroissement du risque de mortalité qui les concerne est dû à des risques accrus de maladie pulmonaire (73 %), de troubles mentaux et comportementaux (58 %), de maladie des tractus urinaires et génitaux (55 %), de maladies endocrines, métaboliques et d’origine nutritionnelle (47 %), ainsi que de maladies touchant les vaisseaux sanguins (33 %), le système nerveux (21 %) et le système digestif (20 %).</p>
<p>Curieusement, le risque de décès par cancer était inférieur de 13 % chez les personnes souffrant de TOC. La raison pour laquelle ce risque est moindre, à l’inverse des risques cités plus haut, n’est pas connue.</p>
<p>Parmi les causes de mort non naturelle, le principal contributeur à cette mortalité accrue s’est avéré être le suicide. Le risque de suicide est en effet cinq fois plus élevé chez les personnes atteintes de TOC que chez les autres. Les personnes avec TOC ont par ailleurs un risque 92 % plus élevé de mourir dans un accident, notamment dans des accidents de la route ou suite à des chutes.</p>
<p>La prise en compte de l’existence d’autres troubles mentaux, tels que l’anxiété, la dépression, ou des troubles liés à l’utilisation de substances n’a pas modifié ces résultats. Qui plus est, la comparaison au sein de fratries, de personnes souffrant de TOC avec leurs frères et sœurs qui n’en souffraient pas n’a pas non plus modifié ce résultat.</p>
<p>Ceci confirme que cette situation n’est pas attribuable à des facteurs annexes (environnementaux, génétiques, des troubles mentaux associés…), mais semble bien être lié aux TOC eux-mêmes.</p>
<h2>Des décès en grande partie évitables</h2>
<p>Ces résultats ne semblent pas particulièrement positifs pour les personnes souffrant de TOC. Cependant, il est important de noter qu’au sein du groupe étudié la proportion de personnes décédées de chacune des causes citées précédemment était relativement faible, même si par rapport au groupe ne souffrant pas de TOC, cela se traduit par un risque plus élevé.</p>
<p>Ainsi, au cours de la période sur laquelle s’étendait l’étude, 2,5 % des personnes atteintes de TOC sont décédées des suites de maladies cardiovasculaires (crises cardiaques, accidents vasculaires cérébraux…), un pourcentage plutôt faible. Ce pourcentage est néanmoins plus élevé que celui constaté dans le groupe sans TOC, qui est plutôt de 1,8 %.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, il n’est pas acceptable que les personnes atteintes de TOC aient à faire face à ces risques supplémentaires. Nous espérons que ces résultats contribueront à une meilleure prise en charge de ces patients, en incitant notamment les professionnels de santé à prendre conscience de cette situation.</p>
<p>Soulignons que la plupart des causes de décès pour lesquelles un risque accru a été démontré pour les personnes atteintes de TOC concernent des causes externes (telles que le suicide, les accidents) ou des maladies non transmissibles (maladies cardiovasculaires, diabète, maladies pulmonaires chroniques, troubles mentaux, troubles neurologiques…). Or, ces causes de décès sont généralement considérées comme évitables.</p>
<p>Les personnes atteintes de TOC doivent elles aussi être conscientes qu’elles sont concernées par l’augmentation de ces risques. Cela peut les motiver à modifier leurs comportements, en les incitant par exemple à faire davantage d’exercice et à adopter une alimentation plus saine, des pratiques qui peuvent jouer un rôle dans la prévention de ces maladies et des décès prématurés qui y sont associés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223212/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lorena Fernandez de la Cruz a reçu des fonds du Conseil suédois de la recherche pour la santé, la vie professionnelle et le bien-être (FORTE), de la région de Stockholm (fonds ALF), de la Société suédoise de médecine (Svenska Läkaresällskapets) et du Karolinska Institutet. Elle reçoit également des royalties pour sa contribution à UpToDate et Wolters Kluwer Health, ainsi que pour du travail éditorial pour Elsevier, qui ne concerne pas les travaux de recherche qu’elle soumet.</span></em></p>
Les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs ont un risque de décès accru par rapport aux autres, que ces décès résultent de causes naturelles ou d’accidents.
Lorena Fernández de la Cruz, Clinical Researcher, Psychiatric Epidemiology, Karolinska Institutet
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/220054
2024-01-02T16:25:57Z
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Attentats, agressions : comment l’injonction de soins peut-elle être utilisée par la justice ?
<p>Après <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/06/attentat-de-paris-le-terroriste-avait-initialement-prevu-d-attaquer-une-cible-juive_6204271_3224.html">l’attentat perpétré à Paris le 2 décembre dernier</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/debat/Faut-permettre-lEtat-delivrer-injonctions-soins-2023-12-04-1201293312">presse</a> et les <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/attaque-a-paris-gerald-darmanin-veut-que-les-autorites-puissent-demander-une-injonction-de-soins-66708d68-9201-11ee-8602-1e868188f4e2">politiques</a> se sont penchés sur une mesure pouvant être appliquée par les praticiens de la justice et de la santé : l’injonction de soins. En effet, le mis en cause venait d’arriver au terme de cette mesure après la fin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181747/">son sursis probatoire</a>.</p>
<p>La mesure d’injonction de soins, ordonnée par la justice, permet d’enjoindre une personne condamnée à suivre des soins de nature psychiatrique et/ou psychologique en dehors du milieu carcéral. Si la personne décide de ne pas suivre les soins, elle s’expose à sa réincarcération pour non-respect de ses obligations.</p>
<p>Cette mesure a été créée par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006094059">loi n°98-468 du 17 juin 1998</a> relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs. Alors qu’elle concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions et cadres procéduraux.</p>
<h2>Lutter contre la récidive</h2>
<p>La mesure d’injonction de soin a été créée par le législateur après la médiatisation de <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reclusion-a-perpetuite-pour-les-freres-jourdain-28-10-2000-2001724762.php">crimes sexuels</a> commis par des <a href="https://www.lemonde.fr/ete-2007/article/2006/08/23/guy-georges-le-tueur-de-l-est-parisien_805633_781732.html">individus déjà connus de la justice</a>. Elle répondait à la volonté de prévenir la récidive des auteurs d’infractions sexuelles, en leur imposant un suivi post-pénal de nature judiciaire et médico-social.</p>
<p>L’injonction de soins a été instaurée dans le cadre de la peine de suivi sociojudiciaire qui oblige le condamné à se soumettre à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006181732/">mesures de surveillance</a> et d’assistance une fois la peine de réclusion ou d’emprisonnement effectuée. Elle s’applique pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans dans le cadre d’une condamnation pour un délit et jusqu’à vingt ans pour une condamnation criminelle.</p>
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<p>L’objectif initial de cette loi était de mener des individus vers des opportunités de soins, alors qu’ils n’y auraient pas nécessairement recours eux-mêmes, de façon à limiter leur risque de récidive. Néanmoins, progressivement, les mesures prévues dans le cadre de la loi de 1998 ont été perçues comme insuffisantes.</p>
<p>Au début des années 2000, la médiatisation de faits divers dramatiques (le meurtre de <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/06/17/460209-assassinat-nelly-cremel-perpetuite-gateau-30-ans-mathey.html">Nelly Cremel</a> en 2005, l’enlèvement et le <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/viol-d-enis-evrard-condamne-a-30-ans-de-reclusion_245897.html">viol d’Enis</a> en 2007 et <a href="https://www.leparisien.fr/essonne-91/en-2009-l-effroi-apres-le-viol-et-le-meurtre-d-une-joggeuse-02-09-2016-6087131.php">l’assassinat de Marie-Christine Hodeau</a> en 2009), cristallise les débats publics autour de la prévention de la récidive et des soins ordonnés aux délinquants. En 2009, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice exprimait vouloir, en réponse à la délinquance sexuelle, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/02/nicolas-sarkozy-exige-de-nouvelles-mesures-contre-la-recidive-des-delinquants-sexuels_1248342_3224.html">« la castration chimique ou la prison »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CXr5puqLZLA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Nelly Cremel en 2005.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte social et politique, pas moins de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000249995">six lois</a> ont été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">adoptées</a> afin de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">prévenir</a> la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000017758194/#:%7E:text=Projets%20de%20lois-,Loi%20n%C2%B0%202007%2D1198%20du%2010%20ao%C3%BBt%202007%20renfor%C3%A7ant,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs&text=Communiqu%C3%A9%20de%20presse%20du%20Conseil,des%20majeurs%20et%20des%20mineurs">délinquance</a> entre <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000018162705">2004</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021954436#:%7E:text=LOI%20n%C2%B0%202010%2D242,proc%C3%A9dure%20p%C3%A9nale%20(1) %20 %2D %20L %C3 %A9gifrance">2010</a>. Le soin apparaît alors comme l’instrument par excellence de lutte contre la récidive.</p>
<h2>Une disposition progressivement élargie</h2>
<p>Bien que la <a href="https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-358.html">Commission des lois</a> rapportait l’opacité entourant la mesure d’injonction de soins et son application, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000801164">plusieurs</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000786845/#:%7E:text=%C2%AB%20La%20juridiction%20p%C3%A9nale%20ne%20peut,en%20%C3%A9tat%20de%20r%C3%A9cidive%20l%C3%A9gale">lois</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000615568">ont</a> <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/#:%7E:text=au%20sein%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202010%2D769%20du%209%20juillet%202010%20relative,derni%C3%A8res%20sur%20les%20enfants%20(1)">élargi</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043403203#:%7E:text=%E2%80%98inceste%20%E2%80%A6-,LOI%20n%C2%B0%202021%2D478%20du%2021%20avril%202021%20visant,de%20l%E2%80%99inceste%20(1)&text=Recherche %20simple %20dans %20le %20code %20Rechercher %20dans %20le %20texte%E2%80%A6">renforcé son cadre d’application</a>. Les dispositions légales du suivi sociojudiciaire se sont progressivement élargies à plusieurs faits de nature violente.</p>
<p>Désormais, l’injonction de soins peut concerner des personnes placées sous main de justice aux profils pluriels condamnées pour des faits d’atteintes à la vie, de violences conjugales, pour des actes de terrorismes et de destructions et dégradations par moyens dangereux. Ainsi, le domaine d’application de l’injonction de soins dépasse aujourd’hui le seul cadre de la peine de suivi sociojudiciaire puisque les personnes peuvent être soumises à cette mesure dans divers cadres légaux (mesures de sûreté, aménagements de peines, peines probatoires).</p>
<p>Pour être soumis à une injonction de soins, il faut qu’un expert psychiatre détermine qu’il est opportun que la personne entre dans un processus de soins.</p>
<p>Récemment, une <a href="https://repeso.hypotheses.org/">équipe de chercheurs</a> a procédé à l’analyse de rapports d’expertises et constate que les indications de soins « viennent en réponse à une question implicite qui serait : le prévenu ou l’accusé pourrait-il bénéficier de soins sous contrainte et ceux-ci contribueraient-ils à éviter, sinon limiter, une réitération d’actes similaires de sa part ? » Selon les auteurs, l’opportunité de soins ne serait pas toujours appréciée en fonction des pathologies ou des troubles de la personne, mais plutôt selon l’intérêt de la mesure de soins pénalement ordonnée pour limiter la récidive et accompagner l’auteur de l’infraction.</p>
<h2>Comment mesurer le véritable effet de cette mesure ?</h2>
<p>La mise en place de l’injonction de soins correspond à un enchevêtrement de différentes modalités d’application et à une articulation entre les acteurs de la chaîne pénale et du soin. En effet, la personne placée sous main de justice doit, en plus de ses soins, respecter diverses obligations et se soumettre à des mesures de contrôle. Tout manquement à ces obligations pourra conduire à son retour en détention. Afin de justifier l’exécution et le respect de ses obligations, elle doit rencontrer un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Ce dernier assure également le suivi de la personne dans les différents aspects de sa situation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731392072815436191"}"></div></p>
<p>Dans le cadre de la mise en œuvre de son injonction de soins, la personne doit rencontrer plusieurs fois par an un médecin coordonnateur. Il est désigné par le juge de l’application des peines pour faire le lien entre les professionnels de la santé et les professionnels de la justice. Le médecin coordonnateur a un double rôle de conseil. Il conseille la personne placée sous main de justice dans le choix du professionnel assurant sa prise en soins (nommé médecin ou psychologue traitant). Il conseille également le médecin psychiatre ou le psychologue traitant dans l’orientation et la mise en place des soins. Ce dernier professionnel n’a aucun contact avec les acteurs de la chaîne pénale. Toutes les informations relatives aux soins sont transmises au médecin coordonnateur, qui en assure la diffusion aux acteurs compétents.</p>
<p>L’application de cette mesure nécessite une articulation et un maillage important entre les professionnels du champ sanitaire et les professionnels du champ judiciaire, ce qui peut parfois engendrer des difficultés. Les acteurs en présence ne partagent pas nécessairement les mêmes objectifs dans la mise en œuvre de l’obligation judiciaire, qui s’applique pendant une durée relativement longue. En effet, les professionnels ont un rôle distinct dans l’accompagnement des personnes et l’application de cette mesure qui s’inscrit dans une double dimension de soins et de contrôle. De plus, le manque de moyens humains dans les différentes institutions peut avoir un impact sur le temps dédié aux échanges pluridisciplinaires.</p>
<p>À ce jour, aucune statistique publique ne permet d’analyser le nombre de recours à l’injonction de soins. Cette absence de statistiques et d’évaluation conduit à s’interroger sur l’impact des réformes successives sur le recours à l’injonction de soins et sur la diversification – ou non – du profil des personnes qui y sont soumises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lisa Colombier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’injonction de soins concernait initialement les auteurs d’infractions à caractère sexuel. Depuis, son champ d’application n’a cessé de s’élargir à d’autres infractions.
Lisa Colombier, Doctorante en sociologie et en droit, Université de Strasbourg
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tag:theconversation.com,2011:article/218102
2023-11-19T16:34:58Z
2023-11-19T16:34:58Z
Maltraitance infantile : comment la violence actuelle induit la violence future
<p>Selon Organisation mondiale de la Santé, au cours de l’année écoulée, on peut estimer que jusqu’à 1 milliard d’enfants âgés de 2 à 17 ans ont été <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/violence-against-children">victimes de maltraitance infantile</a>.</p>
<p>Derrière cette expression se cachent la maltraitance physique (coups et blessures infligées à des enfants), la maltraitance émotionnelle (atteintes à l’estime de soi), les abus sexuels et la négligence. À cela, il faut ajouter les enfants qui sont exposés à des traumas infantiles, liés à des situations de violence, comme un terrain de guerre. Ces diverses formes de maltraitance et de traumas infantiles sont malheureusement fréquentes : par exemple on estime qu’au niveau mondial <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1077559511403920">la prévalence est de l’ordre de 12.7 % rien que pour les abus sexuels</a>.</p>
<p>Or, les conséquences de ces maltraitances se font sentir durant des années, voire des décennies, et même se perpétuer au-delà de l’existence des victimes.</p>
<h2>La maltraitance infantile a des conséquences durables</h2>
<p>Les conséquences de la maltraitance infantile sont dévastatrices puisqu’elles induisent des altérations du fonctionnement émotionnel, cognitif et social des sujets, altérations qui persistent une fois que les victimes sont devenues adultes.</p>
<p>Les conséquences peuvent être non seulement des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37525603/">pathologies psychiatriques</a> telles que l’anxiété généralisée, la dépression, les états de stress post-traumatique, les addictions, mais aussi des pathologies métaboliques comme l’obésité. Ainsi, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27908895/">46 % des adultes souffrant de dépression reportent avoir été victimes de maltraitances dans leur enfance</a>, ce qui est un taux très élevé. Par ailleurs, certaines victimes de maltraitance reproduisent ce qu’ils ont subi enfant, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zPOZ0BZfqOk">deviennent à leur tour des prédateurs</a>.</p>
<p>De façon intéressante, ces altérations du fonctionnement psychologique ont été identifiées non seulement dans les cas où la maltraitance s’est traduite par des violences physiques (coups, viols), mais aussi dans les cas où les actes de maltraitance n’ont pas été associés à des atteintes physiques, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8339467/">comme c’est le cas avec les maltraitances émotionnelles ou la négligence</a>. Ces effets sont persistants sur le long terme <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31519507/">puisqu’elles peuvent se transmettre sur plusieurs générations</a>, en particulier au travers d’un déficit de l’attachement.</p>
<p>Dès lors, on peut se demander si les séquelles des diverses formes de maltraitance induisent des conséquences biologiques, en plus des conséquences psychologiques.</p>
<h2>La maltraitance infantile induit des conséquences biologiques</h2>
<p>Les faits concernant de potentiels effets biologiques des maltraitances infantiles sont bien documentés. On sait notamment que <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1783123/">la maltraitance et les traumas infantiles induisent une augmentation de marqueurs de l’inflammation</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26938439/">et des hormones du stress</a>. Ils sont aussi associés à des <a href="https://theconversation.com/les-maltraitances-de-lenfance-laissent-des-cicatrices-dans-ladn-157900">altérations de l’expression des gènes</a> qui persistent jusqu’à l’âge adulte.</p>
<p>En outre, des altérations cérébrales morphologiques et fonctionnelles cérébrales <a href="https://www.youtube.com/watch?v=80Bt6aICUXo&t=2s">ont également été constatées</a>, comme une <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6939135/">diminution du volume du cortex préfrontal</a> (une zone importante pour la régulation des émotions, la planification de l’action, la flexibilité cognitive) et de l’hippocampe (une zone importante pour la mémoire) ou une augmentation de l’activité de l’amygdale (une zone impliquée dans l’anxiété et le stress). Par ailleurs, une altération de la connexion entre le cortex préfrontal et l’amygdale a également été observée, ce qui explique probablement les difficultés de régulation émotionnelle.</p>
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<p>Les conséquences des maltraitances se traduisent également par des modifications sur le plan cellulaire, comme des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29158585/">altérations au niveau des oligodendrocytes</a> (les cellules qui forment la gaine entourant les faisceaux de fibres cérébrales) dans une sous-partie du cortex préfrontal, ce qui atteste à la fois du fait que la maltraitance induit des modifications morphologiques durables, et de leur impact fonctionnel.</p>
<p>Il est important de souligner que ces changements biologiques ne sont pas transitoires et limités à la période de l’enfance, mais qu’ils altèrent le développement du sujet et persistent jusqu’à l’âge adulte, voire bien au-delà, influant également sur les descendants des victimes.</p>
<h2>Des conséquences biologiques durables</h2>
<p>Il a été démontré que certaines des altérations biologiques résultant de maltraitances infantiles peuvent se transmettre aux générations suivantes, c’est-à-dire aux enfants, voire aux petits-enfants des personnes exposées à la maltraitance et à la violence. </p>
<p>C’est le cas par exemple des effets sur les hormones du stress, dont le niveau élevé est retrouvé <a href="https://research.rug.nl/en/publications/intergenerational-impact-of-childhood-trauma-on-hair-cortisol-con">chez les descendants de mères qui avaient subi un trauma pendant leur enfance</a> ; il en est de même <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-developmental-origins-of-health-and-disease/article/abs/maternal-childhood-maltreatment-associations-to-offspring-brain-volume-and-white-matter-connectivity/ECFC9E30F964F5F089B3422F2C03F4FF">pour certaines altérations cérébrales</a>. Par ailleurs, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=sHNXpDvKR70&t=32s">l’altération de l’expression des gènes peut quant à elle se transmettre sur plusieurs générations</a>. </p>
<p>Cela donne le vertige quand on pense à certains contextes familiaux, mais aussi aux situations de guerre, puisque le cercle vicieux de la violence peut ainsi se perpétuer de génération en génération, mettant en péril la cohésion sociale entre les personnes - et les peuples ? - dans un cycle sans fin.</p>
<h2>La situation est-elle sans espoir ?</h2>
<p>Fort heureusement, n’est pas totalement désespérée. Des mesures efficaces existent, qui permettent de stimuler la résilience, <a href="https://www.researchgate.net/publication/363186210_A_systematic_review_of_community-level_protective_factors_in_children_exposed_to_maltreatment">comme le support social à l’école ou lors des activités extrascolaires</a>. Certaines psychothérapies, comme les <a href="https://theconversation.com/connaissez-vous-les-therapies-comportementales-cognitives-et-emotionnelles-129883">thérapies cognitivo-comportementales</a>, ou la participation à des programmes inclusifs et à des <a href="https://www.researchgate.net/publication/342452242_Psychosocial_Interventions_for_Third-Generation_Palestinian_Refugee_Children_Current_Challenges_and_Hope_for_the_Future">interventions psychosociales impliquant des communautés entières</a>, ont aussi fait leurs preuves. </p>
<p>Il faut donc être vigilant à les rendre disponibles dans les communautés les plus à risque, en particulier dans des pays ayant été confrontés à des situations de violences armées. Ce pourrait être l’un des leviers pour arriver à une paix durable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Belzung coordonne la chaire Unesco « Maltraitance infantile » (<a href="https://unescochair-children-maltreatment.univ-tours.fr/version-francaise/accueil">https://unescochair-children-maltreatment.univ-tours.fr/version-francaise/accueil</a>).</span></em></p>
Les conséquences des traumas subits dans l’enfance peuvent persister durant toute l’existence, voire se transmettre à la descendance. Heureusement, il est possible de stimuler la résilience des victimes.
Catherine Belzung, Professor, Université de Tours
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tag:theconversation.com,2011:article/215609
2023-11-09T16:41:01Z
2023-11-09T16:41:01Z
Autisme : avoir un animal domestique est bon pour les enfants et leur famille
<p>Selon l’Organisation mondiale de la santé, un <a href="https://www.who.int/fr/news-room/questions-and-answers/item/autism-spectrum-disorders-(asd)">enfant sur 100 serait aujourd’hui diagnostiqué avec un trouble du spectre de l’autisme</a> (TSA).</p>
<p>Ce trouble entraîne des difficultés plus ou moins marquées à communiquer et à interagir avec autrui. Ces enfants peinent à reconnaître les émotions de l’autre, et à comprendre comment ils se sentent, ainsi qu’à entamer et maintenir une interaction, discuter, etc. </p>
<p>Ils manifestent aussi des comportements et des intérêts que l’on dit <a href="https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">« répétitifs et/ou restreints »</a> : ils peuvent devenir très experts dans un domaine qui leur plaît, préfèrent que leur environnement reste inchangé, ont des gestes répétitifs comme se balancer sur soi, battre des mains, sautiller, etc.</p>
<p>Les enfants avec TSA sont aussi souvent affectés par une hyper- ou une hyposensibilité sensorielle : ils peuvent alors être extrêmement sensibles et gênés par les stimulations de leur environnement, ou au contraire ne pas y réagir du tout.</p>
<p>Toutes ces difficultés leur posent des défis permanents, non seulement dans leur capacité à fonctionner et évoluer dans leur quotidien, mais aussi dans leur capacité à établir des relations avec les autres. Toutefois, l’adoption par la famille d’un animal pourrait améliorer la situation. Explications.</p>
<h2>Des bienfaits remarqués de longue date</h2>
<p>C’est dans les années 1950 que Boris Levinson, un pédopsychiatre américain, rapporte pour la première fois les <a href="https://psycnet.apa.org/record/1980-03089-001">bienfaits de la présence d’un chien lors des séances qu’il réalisait avec un jeune garçon avec TSA</a>.</p>
<p>Les recherches sur les apports des animaux pour les enfants avec TSA ne débuteront cependant <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2793790/">qu’à la fin des années 1980</a>. Depuis, les connaissances accumulées indiquent que les animaux peuvent effectivement jouer un rôle particulier pour ces enfants.</p>
<p>En effet, non seulement la plupart des enfants avec TSA montrent un attrait spontané envers les animaux, mais de plus, certaines des difficultés qu’ils rencontrent dans l’interaction avec l’humain <a href="https://www.cairn.info/revue-la-revue-internationale-de-l-education-familiale-2022-1-page-157.htm?ref=doi">ne se retrouvent pas avec l’animal</a>. C’est par exemple le cas des difficultés à initier l’échange, à regarder le visage, à effectuer des contacts « œil à œil », ou à <a href="https://theconversation.com/spectre-de-lautisme-quand-il-est-plus-facile-de-lire-les-emotions-chez-les-animaux-que-chez-les-humains-181913">reconnaître les émotions</a>.</p>
<p>L’intégration d’un animal dans le quotidien de l’enfant avec TSA, qu’il s’agisse d’un animal de compagnie ou d’un chien d’assistance peut avoir de nombreux effets positifs sur leur développement, résultant de la relation particulière que ces enfants peuvent entretenir avec lui.</p>
<p>Les études révèlent non seulement des apports similaires à ce qui est observé chez l’enfant sans TSA, mais également que ces bienfaits iraient au-delà. Nous pouvons les décliner en quatre sphères d’action principales : la communication et les interactions, le bien-être, les comportements problèmes, le jugement et les regards externes.</p>
<h2>Meilleures capacités de communication et d’interactions sociales</h2>
<p>Dans un premier temps, il nous faut évoquer les bienfaits sur la sphère des compétences de communication et d’interaction sociale de l’enfant, une sphère affectée par le TSA.</p>
<p>Similairement à tout enfant, grandir auprès d’un animal permet à l’enfant avec TSA d’évoluer avec un être <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25308197/">qui est un véritable partenaire d’interaction et avec qui il pourra établir une relation signifiante</a>.</p>
<p>La recherche nous montre également que la présence de l’animal peut être un amplificateur du développement de ces enfants. En effet, après l’arrivée d’un animal de compagnie dans la famille, les enfants avec TSA montrent une amélioration de la communication et du langage. Ils sont <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0041739">plus réciproques dans l’interaction</a>, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/00469580231195029?icid=int.sj-abstract.citing-articles.19">et montrent</a> plus de comportements <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33290937/">d’aide et de soutien envers l’autre</a>.</p>
<p>Dans une étude que nous avons publiée en 2022, en utilisant un système permettant l’enregistrement du regard, nous avons pu montrer que des enfants avec TSA vivant avec un chien d’assistance depuis plusieurs années ont de meilleures stratégies pour <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2022.869452/full">reconnaître l’émotion lorsqu’ils regardent les visages humains</a> (comparativement à des enfants avec TSA vivant sans chien d’assistance). Plus concrètement, cela signifie qu’ils ont notamment davantage tendance à regarder la bouche pour reconnaître la joie et les yeux pour la colère.</p>
<h2>Bien-être amélioré</h2>
<p>Les bénéfices pour le bien-être des enfants avec TSA constituent également un important apport de la vie avec un animal. Ils peuvent s’attacher à leur animal, et celui-ci sera une source de compagnie et de réconfort, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30259286/">réduisant leur solitude et leur détresse</a>. Mieux encore, les recherches démontrent même que les enfants avec TSA qui ont un animal ont non seulement une meilleure humeur générale, mais ont aussi <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s40489-020-00227-6">moins de problèmes d’anxiété et de symptômes dépressifs</a>.</p>
<p>On observe par exemple que dans les semaines qui suivent l’arrivée d’un chien d’assistance dans la famille, les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20189722/">taux de cortisol</a> – parfois aussi appelée « hormone du stress » – des enfants avec TSA diminuent. La présence d’un animal a également des effets <a href="https://pure.ulster.ac.uk/en/publications/experiences-of-family-life-with-an-autism-assistance-dog-3">sur la confiance en soi et l’estime de soi de ces enfants</a>.</p>
<h2>Comportements problèmes atténués</h2>
<p>Le TSA est très fréquemment associé à l’expression de « comportements défis », qui sont des comportements pouvant être dangereux pour l’individu ou son environnement, et/ou qui interfèrent sur sa capacité à pratiquer des activités de la vie quotidienne : crises, fugues, comportements d’opposition, auto-stimulations et stéréotypies (comportements tels que secouer ou agiter les mains, balancer le corps, se cogner la tête, se mordre, frapper certaines parties du corps, etc.).</p>
<p>L’expression de ces comportements est souvent liée à une difficulté à faire face à la situation, autrement dit une difficulté à la comprendre, ou à réagir face à un surplus de stimulations, à une frustration…</p>
<p>Il a pu être montré que l’arrivée d’un animal dans la famille, en particulier d’un chien d’assistance, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18955467/">a pour effet de</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22978246/">réduire l’expression de ces comportements</a>. Cette atténuation des comportements problèmes a par ailleurs des conséquences positives sur la qualité de vie de l’enfant.</p>
<h2>Modification du jugement et des regards extérieurs</h2>
<p>En raison de leurs comportements atypiques et de leurs difficultés à respecter les normes d’interactions, les enfants avec TSA sont souvent jugés et laissés à l’écart. La littérature scientifique révèle que la présence d’un animal au côté de l’enfant a pour effet d’attirer les autres personnes vers lui et de promouvoir des interactions sociales positives.</p>
<p>En outre, la cape ou le harnais distinctifs que portent les chiens d’assistance présentent aussi un autre bénéfice : ils permettent une identification du handicap invisible par les personnes alentour, ce qui diminue leur éventuelle propension à porter un jugement négatif et encourage la bienveillance vis-à-vis de l’enfant et de ses comportements atypiques.</p>
<h2>Des bénéfices pour l’ensemble de la famille</h2>
<p>Au-delà de ces quatre sphères d’effets sur l’enfant avec TSA (communication et interactions, bien-être, comportements problèmes, jugement et regards externes), les bénéfices de la présence de l’animal s’étendront également au reste de la famille.</p>
<p>Il est en particulier observé que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S155878781630034X">suite à l’arrivée d’un animal dans la famille</a> les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33069669/">parents ont moins</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27986514/">d’anxiété et de stress</a>. De manière plus générale, la présence d’un animal contribuerait aussi <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08927936.2015.1070003">à un meilleur fonctionnement familial dans les foyers d’enfants avec TSA</a>.</p>
<p>Malgré tous ces bienfaits potentiels, il est important de ne pas concevoir l’animal comme « une pilule magique ». En effet, différentes recherches nous indiquent que ces effets dépendraient directement de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32130592/">l’attachement et de la qualité de relation</a> <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0041739">que l’enfant avec TSA établit avec l’animal</a>.</p>
<p>Or à l’instar des enfants sans TSA, tous les enfants avec TSA n’ont pas le même attrait envers les animaux, tout comme, tous ne développent pas la même relation avec leur animal. Le type d’interaction qui se met en place, le degré d’attachement à l’animal ou l’autonomie de l’enfant à s’en occuper varient.</p>
<p>Ainsi, les familles d’enfants avec TSA souhaitant intégrer un animal auraient intérêt à s’assurer, avant de franchir le pas, de l’attrait ou de l’envie de leur enfant. Il serait aussi judicieux de vérifier que l’animal envisagé a bien un profil adéquat pour leur enfant, que ce soit en matière de comportements par rapport aux besoins de l’enfant ou de compatibilité de personnalités.</p>
<p>Cela maximiserait les chances qu’une relation forte s’établisse au sein du duo formé par l’enfant et son animal, optimisant ainsi les chances de succès et d’émergence de bienfaits.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215609/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Dollion a reçu des financements de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, la région Bretagne, l'Association Handi'Chiens et la Fondation Mira. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marine Grandgeorge a reçu des financements de différents organismes dont la Fondation AP Sommer, la Région Bretagne, l'association Handi'chiens, la Fondation MIRA, l'IFCE et l'université de Rennes. </span></em></p>
Les enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme vivant avec un animal voient s’améliorer leur bien-être et leur capacité à interagir, tandis que leurs comportements problèmes s’atténuent.
Nicolas Dollion, Maitre de conférences Psychologie du développement - chercheur au laboratoire C2S (EA 6391), Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)
Marine Grandgeorge, Ethologie, Relation Homme - Animal, Médiation Animale, Développement typique et atypique, Université de Rennes 1 - Université de Rennes
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tag:theconversation.com,2011:article/205531
2023-10-05T13:26:38Z
2023-10-05T13:26:38Z
La Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada : une mine d’or pour la recherche sur les maladies du cerveau
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/552342/original/file-20231005-26-rmh9lm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4000%2C1508&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les méthodes expérimentales à notre disposition aujourd’hui permettent ni plus ni moins de « déconstruire » le cerveau en ses composantes élémentaires afin d’en comprendre les fonctions et les dysfonctions.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le cerveau fascine les humains depuis toujours. </p>
<p>Mais nos connaissances scientifiques sur ces quelques 1,3 kg de substance fragile enchâssée dans la boîte crânienne ont longtemps été fragmentaires. Or, les percées techniques fulgurantes des dernières années ont inauguré en quelque sorte l’âge d’or des neurosciences moléculaires. </p>
<p>Ces percées ont aussi été permises grâce aux banques de cerveaux, qui conservent des cerveaux humains dans les meilleures conditions pour la recherche scientifique. Nous avons ici à Montréal l’une des plus importantes au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada (BCDBC), qui a été <a href="https://douglasbrainbank.ca/fr/a-propos">fondée en 1980 à l’Hôpital Douglas</a>. </p>
<p>La BCDBC, qui reçoit plusieurs cerveaux chaque mois, a récolté à ce jour plus de 3 600 spécimens. Son équipe traite chaque année des dizaines de requêtes de tissus provenant de scientifiques du Québec, du Canada, et de l’étranger, préparant ainsi environ 2 000 échantillons pour la recherche. </p>
<p>Ces efforts ont permis, au cours des 40 dernières années, un nombre considérable de découvertes sur différentes maladies neurologiques et psychiatriques. </p>
<p>Professeur titulaire au Département de psychiatrie de l’Université McGill, chercheur au Centre de recherche Douglas et directeur de la BCDBC depuis 2007, je travaille en étroite collaboration avec le <a href="https://douglas.research.mcgill.ca/fr/gustavo-turecki-2/">Dr Gustavo Turecki</a>, codirecteur de la BCDBC et responsable du volet consacré aux maladies psychiatriques et au suicide.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C2%2C1535%2C1231&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="hémisphère cérébral" src="https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C2%2C1535%2C1231&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552153/original/file-20231004-17-mdh992.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, qui reçoit plusieurs cerveaux à chaque mois, a récolté à ce jour plus de 3 600 spécimens.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Naguib Mechawar)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>Une petite histoire de la recherche sur le cerveau humain</h2>
<p>Ce n’est que vers la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle que les scientifiques commencent à identifier les éléments microscopiques qui composent le cerveau.</p>
<p>À cette époque, on le conserve pour la première fois dans le formol, une solution qui préserve les tissus biologiques afin de pouvoir les manipuler plus facilement et de les garder à long terme. </p>
<p>Parallèlement, on développe des instruments de précision et des protocoles permettant d’examiner les caractéristiques microscopiques du tissu nerveux. </p>
<p>Jusqu’au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, on se contente surtout de conserver des cerveaux de patients, prélevés à l’autopsie, dans le but d’identifier de possibles changements macroscopiques ou microscopiques en lien avec leurs symptômes neurologiques ou psychiatriques. </p>
<p>C’est notamment ce que fait le neurologue allemand Alois Alzheimer, qui analyse le cerveau d’une de ses patientes atteintes de démence. En 1906, il décrit alors, pour la première fois, les lésions microscopiques qui caractérisent la maladie portant aujourd’hui son nom. </p>
<p>Ainsi, jusqu’à la fin des années 1970, de nombreuses collections de spécimens de cerveaux conservés dans le formol se bâtissent dans des milieux hospitaliers, un peu à la façon des anciens cabinets de curiosités. </p>
<p>Vers la fin du XX<sup>e</sup> siècle, les approches expérimentales permettant l’analyse à haute résolution de cellules et de molécules au sein de tissus biologiques se multiplient. </p>
<p>Il devient alors nécessaire de recueillir et de conserver des cerveaux humains, obtenus grâce au consentement de la personne ou de sa famille, dans des conditions compatibles avec les techniques scientifiques modernes.</p>
<p>On se met à congeler l’un des hémisphères cérébraux afin, notamment, de pouvoir en mesurer les différentes composantes moléculaires. L’autre hémisphère est fixé dans le formol pour des études anatomiques macroscopiques et microscopiques.</p>
<p>C’est dans ce contexte que fut créée la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Les locaux de la BCDBC" src="https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552154/original/file-20231004-25-z5k7jp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">À Montréal se trouve l’une des plus importantes banques de cerveaux au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada, qui fut fondée en 1980 à l’Hôpital Douglas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Naguib Mechawar)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<h2>De nouvelles approches expérimentales qui portent fruit</h2>
<p>Des chercheurs de pointe de nombreuses universités à travers le monde bénéficient des échantillons de la BCDBC pour faire progresser leurs recherches. Cela inclut, il va sans dire, plusieurs équipes québécoises.</p>
<p>C’est ainsi que le <a href="https://douglas.research.mcgill.ca/fr/judes-poirier-2/">Dr Judes Poirier</a>, du Centre de recherche Douglas, affilié à l’Université McGill, et son équipe ont découvert que le gène APOE4 constitue un <a href="https://doi.org/10.1016/0140-6736(93)91705-Q">facteur de risque de la maladie d’Alzheimer</a>. Plus récemment, l’équipe du <a href="https://crhmr.ciusss-estmtl.gouv.qc.ca/fr/chercheur/gilbert-bernier">Dr Gilbert Bernier</a>, professeur au Département de neurosciences de l’Université de Montréal, a découvert que les lésions caractéristiques de cette maladie sont associées à une <a href="https://doi.org/10.1038/s41598-018-37444-3">expression anormale du gène BMI1</a>.</p>
<p>Du côté des maladies psychiatriques, et plus particulièrement de la dépression, des progrès importants ont été réalisés tout récemment par le <a href="https://douglas.research.mcgill.ca/fr/groupe-mcgill-detudes-sur-le-suicide/">Groupe McGill d’Études sur le Suicide</a>. </p>
<p>Ainsi, en utilisant des méthodes de pointe permettant d’isoler et d’analyser les cellules du cerveau humain, l’équipe du Dr. Turecki est parvenue à identifier précisément les types de cellules dont la fonction est affectée chez des hommes <a href="https://doi.org/10.1038/s41593-020-0621-y">ayant souffert de dépression majeure</a>, puis de découvrir que les types cellulaires en cause dans cette maladie diffèrent <a href="https://doi.org/10.1038/s41467-023-38530-5">entre les hommes et les femmes</a>. </p>
<p>Ces approches expérimentales donnent lieu à des ensembles de données gigantesques pouvant être interrogés dans le cadre d’études subséquentes. C’est le cas, par exemple, de travaux menés dans mon laboratoire et ayant identifié des signes de changements persistants dans la neuroplasticité au sein du cortex préfrontal de personnes ayant un historique de <a href="https://doi.org/10.1038/s41380-021-01372-y">maltraitance infantile</a>. En effet, les études citées ci-dessus nous ont permis de découvrir au moins un des types cellulaires impliqués dans ce phénomène. </p>
<p>En somme, les méthodes expérimentales à notre disposition aujourd’hui permettent ni plus ni moins de « déconstruire » le cerveau en ses composantes élémentaires afin d’en comprendre les fonctions et les dysfonctions.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Hémisphères cérébraux conservés dans le formol" src="https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/552155/original/file-20231004-27-62uc6y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des chercheurs de pointe de nombreuses universités à travers le monde bénéficient des échantillons de la BCDBC pour faire progresser leurs recherches.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Naguib Mechawar)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Identifier, prévenir, dépister et traiter</h2>
<p>C’est grâce au travail acharné et au dévouement de toute l’équipe de la BCDBC, ainsi qu’au soutien indéfectible de tous ses partenaires, de mécènes (souvent anonymes) et d’organismes subventionnaires, et particulièrement le FRQS et son <a href="https://reseausuicide.qc.ca/fr/">Réseau québécois sur le suicide, les troubles de l’humeur et les troubles associés</a>, que cette ressource inestimable a non seulement réussi à survivre, mais à se développer et à se hisser au rang des plus importantes banques de cerveaux au monde. </p>
<p>Il est permis de croire que la BCDBC aura dans les années à venir un rôle important à jouer dans l’identification de plus en plus précise des causes biologiques des maladies du cerveau, et donc de nouvelles cibles en vue de meilleures approches de prévention, de dépistage et de traitement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205531/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Naguib Mechawar a reçu des financements des IRSC, du CRSNG, de HBHL (Apogée) et du FRQS (ERA-NET NEURON et RQSHA). </span></em></p>
À Montréal se trouve l’une des plus importantes banques de cerveaux au monde, la Banque de cerveaux Douglas-Bell Canada. Elle permet des découvertes sur différentes maladies neurologiques et psychiatriques.
Naguib Mechawar, Neurobiologiste, Institut Douglas; Professeur titulaire, Département de psychiatrie, McGill University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/211757
2023-09-10T14:52:30Z
2023-09-10T14:52:30Z
Santé mentale des migrants : prévenir et agir est une question de santé publique
<p>Le drame d’Annecy a suscité une émotion nationale et fait ressurgir un sujet tabou : la <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20230615.OBS74538/apres-annecy-la-sante-mentale-des-migrants-en-question.html">santé mentale des migrants</a>. Le 8 juin 2023, un homme de nationalité syrienne, reconnu réfugié par les autorités suédoises et demandeur d’asile en France a poignardé huit personnes, dont quatre enfants. Comme lors des drames précédents de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/08/09/l-incendiaire-presume-de-la-cathedrale-de-nantes-avoue-le-meurtre-d-un-pretre-qui-l-hebergeait_6091019_3224.html">Saint-Laurent-sur-Sèvre</a> ou de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/08/31/agression-a-villeurbanne-un-mort-et-au-moins-six-blesses_5504983_3224.html">Villeurbanne</a>, l’actualité vient percuter le débat sur l’accueil des migrants, et devient propice à la <a href="https://www.humanite.fr/politique/attaques-au-couteau/attaque-au-couteau-annecy-l-enieme-recuperation-politique-indecente-de-la-droite-798322">récupération</a> par les détracteurs d’une politique migratoire jugée trop laxiste. Il est alors question de la possible dangerosité des migrants et de leur soi-disant manière de profiter du système de soin français, d’autant que ce dernier, notamment <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/040823/dans-la-sarthe-la-psychiatrie-publique-desertee-par-les-medecins-s-effondre">son secteur psychiatrique</a>, est exsangue.</p>
<p>Pourtant la recherche épidémiologique et clinique est unanime : les personnes migrantes et notamment primo-arrivantes, dont certaines ont vécu des violences extrêmes à l’origine de leur départ – emprisonnement, torture, viol, agression, etc. – ou lors de leur parcours migratoire, présentent un surrisque de développer des <a href="https://www.larevuedupraticien.fr/article/sante-mentale-des-migrants-des-blessures-invisibles">troubles psychiques</a>. Ces troubles sont largement aggravés par des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5f0455264.pdf">conditions d’accueil problématiques</a>, une <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21582">législation inadaptée</a> et la <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/2022/02/17/defacto-031-01/">difficulté d’accès au soin</a>.</p>
<p>Seule une politique sanitaire et sociale globale peut permettre de prévenir de tels drames, certes rares, et plus largement d’assurer une véritable prise en charge en santé mentale, aujourd’hui maillon faible de la politique d’accueil des migrants, alors qu’elle en est un pilier essentiel.</p>
<h2>Déconstruire le tabou de la santé mentale des migrants</h2>
<p>S’il n’y a pas de lien de causalité directe entre la migration et la santé mentale, il est en revanche avéré que plusieurs facteurs pré-migratoires, migratoires, mais aussi post-migratoires aggravent les risques de développer des <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-67712-1_2">troubles psychiques</a>. Ceux-ci sont par ailleurs plus fréquents et sévères que les troubles somatiques (des troubles physiques) à l’arrivée des migrants, dont <a href="https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/recos-pratique/migrants-en-europe-leur-sante-se-degrade-avec-le-temps">l’état de santé a tendance à se dégrader</a> lors de la suite du séjour dans le pays d’accueil.</p>
<p>Si la majorité des migrants ne développent donc pas de troubles de santé mentale, certains d’entre eux, notamment les demandeurs d’asile victimes de violences et demandant à être protégés des persécutions subies dans leur pays d’origine, représentent des <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2021/migrants-en-situation-de-vulnerabilite-et-sante.-le-dossier-de-la-sante-en-action-n-455-mars-2021">populations dites « vulnérables »</a> et susceptibles de développer des troubles.</p>
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<p>De récentes enquêtes montrent que les migrations contemporaines sont violentes : par exemple 78 % des demandeurs d’asile pris en charge par le <a href="https://www.comede.org/demandeurs-dasile/">Comité pour la santé des exilés (Comede)</a> en 2021 ont subi des violences et 27 % des tortures, tandis que 56 % des 396 patients reçus par le <a href="https://primolevi.org/app/uploads/2023/06/Centre-Primo-Levi-Rapport-Annuel-2022.pdf">Centre Primo Levi</a> (une association dédiée au soin et au soutien des personnes victimes de la torture et de la violence politique exilées en France) en 2022 disent avoir été victimes de torture.</p>
<p>Par ailleurs, les trajectoires migratoires, comme la traversée de la Lybie ou de la Méditerranée, occasionnent de nouvelles expositions à la mort, aux persécutions, aux pertes brutales, qui plongent les migrants dans un état de stress intense et ont de <a href="https://journals.openedition.org/e-migrinter/2459">fortes répercussions psychiques</a>.</p>
<p>Enfin la situation de précarité des primo-arrivants à leur arrivée, combinée à la barrière de la langue, au manque d’information, à la difficulté d’accéder aux soins, accroît leur vulnérabilité psychique. La vie à la rue ou dans les campements représente une épreuve qui peut détériorer la santé mentale. Certaines populations sont <a href="https://journals.openedition.org/popvuln/4121">particulièrement vulnérables</a>, par exemple les mineurs non accompagnés, les migrants LGBT+, ou les femmes seules, enceintes ou avec de jeunes enfants.</p>
<h2>Stress post-traumatique et dépression</h2>
<p>La recherche internationale documente les liens entre l’exposition à des évènements traumatiques et la <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4443952#">détresse psychologique</a>, exposition qui favorise l’apparition de troubles de stress post-traumatique (TSPT) dont les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/jts.2490050305">traumas complexes</a> lorsque les violences sont répétées.</p>
<p>Les personnes souffrant de psychotraumatisme font état de symptômes qui ont un impact considérable sur leur vie quotidienne : dissociations, troubles du sommeil majeurs, cauchemars, troubles cognitifs et de mémoire, etc. Ces troubles sont fréquemment associés à des épisodes dépressifs. Ainsi l’apparition des troubles psychiques a été mesurée par une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32956381/">équipe internationale de recherche</a> menée par la psychologue Rebecca Blackmore à partir d’enquêtes incluant 21 842 demandeurs d’asile et réfugiés dans 15 pays. Les TSPT et la dépression concernent 31,5 % des personnes étudiées, celle des troubles anxieux 11 %. Celle des troubles psychotiques est également avérée, mais nettement moindre : 1,5 %.</p>
<p>L’évolution de ces troubles est directement corrélée à la qualité de l’accueil et à l’accès aux soins. Comment stabiliser une personne souffrant de stress post-traumatique quand elle est sans domicile ? La vie à la rue peut favoriser un vécu de persécution et redéclencher des reviviscences traumatiques.</p>
<h2>Une offre de soin sous-dimensionnée</h2>
<p>Face à cette situation complexe, aggravée par les récentes lois sur l’immigration qui limitent le droit des exilés à la santé, l’offre de soins en santé mentale pour les migrants demeure largement <a href="https://journals.openedition.org/remi/10558">sous-dimensionnée en France</a>.</p>
<p>Rares sont les services de soin, notamment de droit commun, disposant d’une consultation de psychotraumatisme spécifiquement formée à la prise en charge des populations migrantes dont la demande déborde les services de psychiatrie classique. Ce sont alors les <a href="https://journals.openedition.org/cybergeo/24796">initiatives locales</a>, notamment associatives, qui pallient les manques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-a-la-sortie-de-prison-la-grande-oubliee-200623">Santé mentale à la sortie de prison : la grande oubliée</a>
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<p>Les migrants constituent une patientèle spécifique et difficile à atteindre, pour quatre raisons principales. Tout d’abord, les personnes en migration sont mobiles, elles se déplacent sur le territoire en fonction des aléas de leur parcours administratif, et donc peuvent ne pas adhérer aux soins sectorisés.</p>
<p>Plus encore, les personnes en souffrance psychique peinent à nommer des symptômes qui les inquiètent, comme les pertes de mémoire ou les reviviscences. Les dernières études montrent que le quotidien des primo-arrivants ne favorise pas la recherche de soins, bien au contraire. Consulter parce qu’on a des cauchemars peut leur sembler secondaire lorsqu’il faut d’abord s’occuper de « la galère de l’hébergement » ou des démarches administratives dans ce qui s’avère être un <a href="https://orspere-samdarra.com/rhizome/le-parcours-du-combattant-experiences-plurielles-de-la-demande-dasile-en-france/">véritable parcours du combattant</a>.</p>
<p>Enfin, la barrière de la langue constitue un obstacle majeur aux prises en charge. Or, malgré la reconnaissance officielle des besoins d’interprétariat par la <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_2746031/fr/interpretariat-linguistique-dans-le-domaine-de-la-sante">Haute Autorité de la Santé</a> depuis 2017, l’interprétariat professionnel demeure très insuffisant dans les services de santé, ce qui entrave la qualité des soins. <a href="https://aoc.media/opinion/2021/06/17/migrants-deni-des-langues-versus-hospibabelite/">Le déni des langues</a> est un des écueils majeurs de l’accueil des migrants, a fortiori lorsqu’ils sont en souffrance psychique.</p>
<h2>Renouveler radicalement l’offre de soin en santé mentale pour les migrants</h2>
<p>Un système de soin efficace doit donc prendre en charge l’ensemble des facteurs qui impactent la santé mentale. Dans la durée, cela suppose une prise en charge précoce car seule la prévention peut diminuer les troubles, les risques de décompensation et leur coût à long terme.</p>
<p>Sur le territoire, cela signifie une action coordonnée entre les acteurs du soin, sociaux et juridiques, institutionnels et associatifs, avec la présence d’interprètes médiateurs. <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/10-actions-pour-renforcer-prise-en-charge-demandeurs-dasile-et">Le plan vulnérabilité</a> mis en œuvre à parti de 2021 par le gouvernement propose des actions pour protéger les demandeurs d’asile et réfugiés dits « vulnérables », mais il est sous-doté, sous-dimensionné et ne garantit pas les <a href="https://www.federationsolidarite.org/actualites/publication-du-plan-vulnerabilites-relatif-aux-personnes-en-demande-dasile-et-refugiees-un-plan-attendu-qui-risque-de-ne-pas-etre-a-la-hauteur-des-besoins/">prises en charge effectives</a>.</p>
<p>Déstigmatiser la question de la santé mentale des migrants est le premier jalon pour une amélioration de leur situation. C’est donc une conscience renforcée de l’enjeu de santé publique, en partenariat avec tous les acteurs, qui peut permettre de replacer les problématiques à leur juste niveau, dans le respect du droit : par exemple l’aspect préventif de <a href="https://www.icmigrations.cnrs.fr/defacto/defacto-031/">l’aide médicale d’État</a> doit être défendu, de même que le <a href="http://www.gisti.org/spip.php?article6767">droit au séjour pour soin des étrangers malades</a>.</p>
<p>Au niveau clinique, il est avéré que la reconnaissance de la souffrance psychique et l’accompagnement sont essentiels pour limiter le risque d’apparition de troubles après un traumatisme. Ainsi, tandis que le débat se poursuit sur le risque, pourtant rare, de décompensation psychotique menant à un drame comme celui d’Annecy, d’autres demandes s’élèvent, numériquement bien plus importantes, mais médiatiquement moins spectaculaires, pour prendre en charge la souffrance psychique des migrants.</p>
<p>De la frontière du Calaisis où se multiplient les <a href="https://www.la-croix.com/France/Naufrage-Manche-mort-cinquantaine-migrants-secourus-2023-08-12-1201278616">naufrages</a> à celle du <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/51145/combien-de-temps-on-va-tenir--les-terrasses-de-briancon-depassees-par-lafflux-inedit-de-migrants-venant-ditalie">Briançonnais</a> où des familles de migrants traversent toujours plus nombreuses dans des conditions de stress intense, le besoin de soins en santé mentale des rescapés est immense. La capacité d’y répondre est une affaire de santé publique mais aussi de conscience éthique et politique, qui engage toute notre société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky a reçu des financements de L'Agence Nationale de la Recherche et du ministère de l'Education supérieure et de la Recherche. Elle est directrice de l'Institut Convergences Migrations (CNRS), membre du CSO du CN2R et membre du CA du Centre Primo Levi. </span></em></p>
Les migrants qui ont vécu des violences extrêmes présentent un risque de développer des troubles psychiques : une autre politique de santé mentale pour prévenir et soigner est nécessaire.
Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, Anthropologue, psychologue clinicienne, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
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tag:theconversation.com,2011:article/204300
2023-04-25T22:49:21Z
2023-04-25T22:49:21Z
Santé mentale et soins psychiques de l'enfant : les psychothérapies sont-elles vraiment efficaces ?
<p>La souffrance psychique des enfants est une problématique de santé publique majeure en France et au niveau international. De nombreux rapports publics pointent toutefois un <a href="https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf">déficit chronique de l’offre de soin, des difficultés d’accès aux pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales ainsi qu’une augmentation des prescriptions de médicaments psychotropes</a>.</p>
<p>Après avoir documenté la <a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-la-surmedication-depasse-toutes-les-bornes-scientifiques-201639">hausse de la consommation de médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent</a> ces dix dernières années, ainsi que les <a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-les-impasses-du-tout-biologique-202032">impasses des approches purement biomédicales de la souffrance psychique</a>, nous nous intéressons ici à l’efficacité des psychothérapies – recommandées en première intention dans le soin psychique des enfants comme des adultes par l’OMS.</p>
<h2>Psychothérapies : de quoi parle-t-on ?</h2>
<p>Le terme de psychothérapie regroupe une large diversité de pratiques. S’il est classique de les définir par les noms des différentes méthodes disponibles (psychanalyse, pratiques psychodynamiques, psychologie clinique, approche systémique, thérapies cognitives et comportementales (TCC), psychothérapie d’acceptation et d’engagement (ACT), méditation en pleine conscience, <em>Eye Movement Desensitization and Reprocessing</em> (EMDR)…), on peut aussi en donner une définition générique. Celle que propose le <a href="https://psycnet.apa.org/record/2001-00819-000">psychologue américain Bruce Wampold</a> est assez consensuelle :</p>
<blockquote>
<p>« La psychothérapie est un traitement à dominante interpersonnelle qui se fonde sur des principes psychologiques et implique un ou une thérapeute et une personne présentant un trouble mental, un problème ou une plainte. Il est conçu par le/la thérapeute pour y remédier, et est adapté ou singularisé pour cette personne spécifique et son trouble, problème ou plainte. »</p>
</blockquote>
<p>Combiner les psychothérapies est fréquent. Le soin psychique de l’enfant doit en effet prendre en compte la spécificité et la diversité des approches qui font sa richesse pour s’adapter à chaque cas. Il est adressé au plus près des lieux de vie du patient, qui est considéré dans sa parole, son histoire, son rapport au corps, au langage, aux autres – et dans le respect de ses droits. D’autant qu’il y a interaction entre la sensibilité, « le tempérament » de l’enfant, et la manière dont il va traiter les données de son contexte familial, culturel et social, ainsi que son état de santé ou celui de ses proches.</p>
<p>De manière générale, les psychothérapies impliquent un accueil, une présence, une protection, une écoute et un espace de parole, à partir desquels s’établit une conversation. Le cadre thérapeutique devient un espace lui offrant les moyens de témoigner et de mettre au travail sa souffrance, par sa parole comme ses non-dits, ses symptômes – y compris corporels.</p>
<p>Le travail du thérapeute consiste à permettre que s’installe la relation au sein de laquelle l’enfant doit parvenir à trouver ou inventer ses propres solutions. Le lieu, la séance (cadre thérapeutique) et le lien (relation thérapeutique) sont les bases opératoires minimales par lesquelles s’engagent les différentes formes de psychothérapies.</p>
<p>Les psychothérapies se fondent donc sur la prise en compte de la singularité de l’enfant. La complexité, les détours et le temps inhérents à ce travail impliquent de multiplier les regards sur la souffrance de l’enfant, en articulant des approches pluridisciplinaires et pluriprofessionnelles, afin de porter une lumière renouvelée sur ses difficultés et son parcours.</p>
<h2>L’évaluation des psychothérapies</h2>
<p>Les psychothérapies ont toujours disposé de modalités d’évaluation et d’exposition propres et en adéquation à leurs fondements théoriques et cliniques. Mais le déploiement de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_fond%C3%A9e_sur_les_faits">médecine fondée sur les preuves (ou <em>evidence-based medicine</em>)</a> et du <em>New Management</em> des institutions publiques a imposé la recherche d’une validation scientifique de leur efficacité.</p>
<p>Dès leur début, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) ont mis en avant le caractère scientifique de leur méthode. Une démarchefacilitée par leurs fondements expérimentaux et leur affinité avec le concept d’efficacité et la statistique.</p>
<p>Pour la psychanalyse ou les thérapies familiales et systémiques, cette démarche a été beaucoup plus tardive : ces approches ne sont pas fondées sur la statistique, et si les présentations cliniques constituent bien une méthode reconnue scientifiquement, elles n’emportent pas le même niveau de preuve que les études randomisées. Aujourd’hui, elles disposent cependant d’<a href="https://theconversation.com/fake-news-resultats-peu-fiables-comment-distinguer-bonne-et-mauvaise-recherche-biomedicale-195262">évaluations issues d’essais contrôlés randomisés (ECR)</a> qui leur permettent de revendiquer publiquement, avec les polémiques afférentes, une efficacité sur des bases scientifiques.</p>
<p>Pour autant, malheureusement, l’efficacité des psychothérapies mesurées selon les critères de la médecine dite factuelle reste faible.</p>
<h2>Une efficacité limitée</h2>
<p>Telle est la conclusion d’une importante étude de l’équipe de Falk Leichsenring (University of Giessen) dédiée à l’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wps.20941">efficacité des psychothérapies et des traitements médicamenteux en psychiatrie</a>, publiée fin 2022 dans la prestigieuse revue <em>World Psychiatry</em>. Ce travail vient en parachever de nombreux autres, menés au cours des dernières décennies.</p>
<p>Plus précisément, cette étude inclut 102 méta-analyses de 3782 ECR comparant l’efficacité des pharmacothérapies et des psychothérapies de 650514 adultes présentant un trouble mental (stress post-traumatique, insomnie, hyperactivité, troubles dépressifs, anxieux, obsessionnels compulsifs, alimentaires, liés à l’utilisation de substances, du spectre de la schizophrénie et bipolaires) face à des placebos ou à des traitements habituels.</p>
<p>Toutes ont été publiées après 2014, et leur présentation permettait une <a href="https://www.bmj.com/content/358/bmj.j4008">évaluation de la qualité</a> et des <a href="https://jbi.global/sites/default/files/2019-05/JBI_Critical_Appraisal-Checklist_for_Systematic_Reviews2017_0.pdf">risques de biais</a>. Ceci comprenait 26 comparaisons entre psychothérapies et placebo ou traitement habituel, 11 comparaisons de psychothérapies par rapport à des pharmacothérapies et 13 comparaisons de psychothérapies et pharmacothérapies combinées à une monothérapie.</p>
<p>L’ampleur de cette étude, et sa publication dans un journal prestigieux, en font une référence incontournable.</p>
<p>Toutes les études montraient une efficacité supérieure des traitements psychothérapiques par rapport au placebo, mais avec une <a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-la-surmedication-depasse-toutes-les-bornes-scientifiques-201639.">taille d’effet faible : la différence standardisée des moyennes était en moyenne de 0,34</a> – 0,31 pour la dépression, sachant que 20 % des études présentaient un faible risque de biais, et que, lorsque ces risques étaient pris en considération, les tailles d’effet étaient systématiquement plus faibles.</p>
<p>Seules les psychothérapies des syndromes de stress post-traumatique et des troubles limites de la personnalité obtenaient des scores légèrement supérieurs à 0,5, ainsi que celles des troubles obsessionnels compulsifs (légèrement supérieur à 1), ce dernier résultat étant cependant difficile à interpréter en raison de nombreuses co-prescriptions de psychotropes.</p>
<p>Concernant l’efficacité, pour la dépression, la rémission était obtenue chez 43 % des patients en thérapie, 33 % des patients en traitement habituel, et 23 % des patients dans un groupe placebo. Aucune différence significative n’a été mise en évidence entre les différents types de psychothérapies, un <a href="https://www.routledge.com/The-Great-Psychotherapy-Debate-The-Evidence-for-What-Makes-Psychotherapy/Wampold-Imel/p/book/9780805857092">résultat déjà connu</a> <a href="https://psycnet.apa.org/record/2008-07548-000">par ailleurs</a>.</p>
<p>Dans les comparaisons en face à face psychothérapie-pharmacothérapie, les tailles d’effet étaient globalement très faibles mais toutes en faveur des psychothérapies. Pour les troubles dépressifs, anxieux et des syndromes de stress post-traumatique, aucune différence n’était observée entre psychothérapies et pharmacothérapies.</p>
<p>S’agissant des traitements combinés psychothérapie-pharmacothérapie versus monothérapie, les tailles d’effet étaient à un nouveau uniformément faibles, et toutes en faveur des traitements combinés.</p>
<h2>Quel bénéfice clinique ?</h2>
<p>Ces chiffres sont difficiles à interpréter pour les non spécialistes. Des équivalences avec des échelles cliniques et l’interprétation des seuils à partir desquels les tailles d’effet peuvent être considérées comme significatifs ont donc été proposées, par exemple avec la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0197245689900056">MCID (<em>Minimal Clinically Important Difference</em>)</a>.</p>
<p>Pour la dépression, une amélioration est considérée comme cliniquement significative lorsqu’elle est supérieure à 7 sur l’échelle de Hamilton, qui mesure la symptomatologie dépressive sur un score allant de 0 à 52 (plus la note est élevée, plus la dépression est grave). Ceci correspond à une taille d’effets de 0,88, soit très au-delà des efficacités expérimentalement observées, tant pour les pharmacothérapies que pour les psychothérapies : les 0,3 à 0,5 observé correspondent à des scores Hamilton de 2 à 4 points, à peine décelables par les cliniciens (et sans grand effet pour les patients).</p>
<p>Quasiment tous les résultats pris en compte dans la somme publiée dans <em>World Psychiatry</em> pourraient être considérés comme « cliniquement non importants ». Et les auteurs concluent que leur étude met en évidence « un gain supplémentaire limité pour les psychothérapies et les pharmacothérapies […] ». Ils ajoutent qu’« un plafond semble avoir été atteint avec des taux de réponse inférieurs à 50 % et la plupart des différences standardisées des moyennes ne dépassant pas 0,40 ».</p>
<p>Pour autant, précisent-ils, « il ne faut pas y voir une conclusion nihiliste ou dédaigneuse, car il ne fait aucun doute que certains patients bénéficient des traitements disponibles ». On observe en effet une variabilité notable dans les résultats individuels, certaines personnes bénéficiant nettement plus que d’autres des approches thérapeutiques proposées.</p>
<h2>Vers un changement de paradigme ?</h2>
<p>Considérant la faible efficacité des résultats obtenus, Falk Leichsenring et ses collègues estiment qu’« un changement de paradigme dans la recherche semble nécessaire pour réaliser de nouveaux progrès ».</p>
<p>Ils ne sont pas les premiers. En 1976, le psychiatre britannique Robert Evan Kendell écrivait dans le <em>British Journal of Psychiatry</em> : « Au cours des cinquante dernières années, et particulièrement des vingt dernières, d’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/abs/classification-of-depressions-a-review-of-contemporary-confusion/CEE430E22758B2508E74792B9C8A7C82">innombrables classifications différentes</a> de la dépression ont été proposées, et plusieurs querelles couvent entre les protagonistes d’écoles rivales. » Le <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/classification-of-depression-are-we-still-confused/EC867D4D250FD51ADF417E8E7FA4C250">même constat de confusion était porté en 2008 par James Cole (King’s College London)</a>, qui ajoutait que « nos nosologies (partie de la médecine qui étudie les critères servant à définir les maladies afin de le classer) restent des “hypothèses de travail” et n’ont pas plus de validité que les définitions de la dépression qui existaient lorsque Kendell a écrit en 1976. Par conséquent, la “vraie” classification de la dépression reste aussi insaisissable qu’il y a 30 ans ».</p>
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<p>En 2019, ce constat était toujours d’actualité, comme le pointaient <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wps.20661">Pim Cuijpers</a> (professeur en psychologie clinique, Amsterdam Public Health Research Institute), ainsi que le <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp1910603">psychiatre Caleb Gardner (Cambridge) et le spécialiste en anthropologie médicale Arthur Kleinman (Harvard)</a> dans des travaux que nous avons cités dans notre précédent article : <a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-les-impasses-du-tout-biologique-202032">se baser exclusivement sur des altérations biologiques pour comprendre et traiter un trouble mental est une approche que l’on sait désormais trop limitée</a>.</p>
<p>Mais, souvent, « le message qui prévaut pour le grand public et une partie du corps médical, est encore que la solution aux troubles mentaux consiste à faire correspondre le bon diagnostic au bon médicament ».</p>
<p>Ces propos concernaient les pharmacothérapies… Mais ils valent tout autant pour les psychothérapies ! Car l’épistémologie des troubles qui prévaut dans ce champ repose majoritairement sur le même modèle biomédical que celui du médicament : faire correspondre le bon diagnostic à la bonne psychothérapie.</p>
<p>Or c’est précisément cette logique (cause biologique simple = traitement simple) qui pose problème.</p>
<p>La réalité des problématiques de souffrance et de soin psychique de l’enfant est complexe et multifactorielle. Elle implique les différentes facettes de l’enfant – sa personnalité, ses éprouvés et ses émotions, son rapport à lui-même, ses liens familiaux et son environnement, son parcours scolaire et ses attaches culturelles… D’où la faible efficacité mesurée des approches thérapeutiques simplistes de court terme, protocolisées, et mises en œuvre par des professionnels peu ou mal formés.</p>
<p>L’ontologie des troubles mentaux, qui est au principe de l’évaluation des psychothérapies, est contrainte par les méthodologies de la la médecine fondée sur les preuves, dont les exigences légitimes de preuves statistiques ont pour effet de bord malheureux qu’elles <a href="https://www.cairn.info/revue-topique-2013-2-page-23.htm">empêchent le développement même des approches efficaces qu’elles souhaitaient évaluer</a>. Autrement dit, les critères de la médecine basée sur les faits ne sont pas les outils les plus adaptés pour saisir la complexité à l’œuvre dans les pratiques de soin psychique à destination des enfants.</p>
<p>Ces limites inhérentes se doublent de critiques récurrentes : inconsistance des résultats de la recherche, qui plus est inapplicables aux pratiques <em>in situ</em>, biais scientifiques et médiatiques, conflits d’intérêts, collusion entre recherche, médecine factuelle et politiques de réduction des coûts de santé…</p>
<h2>Ouverture et perspectives : éduquer, accompagner, prévenir…</h2>
<p>Ce n’est rendre service à personne que d’écarter la complexité. Et les troubles mentaux sont irréductiblement complexes et singuliers… D’une part ils rassemblent de facteurs en interactions multiples au sein d’une même personne et, d’autre part, ils relèvent de plusieurs niveaux explicatifs : biologiques, psychologiques, biographiques, relationnels, contextuels, sociaux, environnementaux…</p>
<p>Les théories et les pratiques inhérentes aux pathologies et aux thérapeutiques psychiques doivent en tenir compte, pour ouvrir le champ des possibles. C’est ce qu’on voit émerger dans la littérature scientifique internationale autour d’approches plus personnalisées, reposant moins sur des protocoles standardisés, et tirant profit des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0005796722000675?via%3Dihub">nouvelles possibilités d’observation et d’évaluation offertes par des traitements statistiques et des outils technologiques innovants</a>.</p>
<p>De façon pragmatique, il faudra mettre en œuvre des dispositifs et des politiques de soin adaptés aux difficultés rencontrées par les enfants et les familles, et soutenir la diversité des pratiques thérapeutiques sérieuses. Ces approches sont mobilisables et leur bonne articulation serait à même de répondre à la complexité des problématiques de santé mentale.</p>
<p>Ayant pour point commun de mettre l’enfant, sa famille, son histoire et son environnement au cœur de l’offre de soin, elles devraient s’inscrire dans un temps qui ne serait pas déterminé à l’avance, mais établi selon la singularité des situations…</p>
<p>Autant de perspectives vers lesquelles, de <a href="https://www.who.int/fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care">l’avis même de l’Organisation Mondiale de la Santé en 2022</a>, l’effort doit désormais être porté.</p>
<hr>
<p><em>Tous les articles de la série « Santé mentale et soins psychiques de l'enfant » sont co-ecrits par Sébastien Ponnou et Xavier Briffault ; l'ordre des auteurs n'emporte aucune conséquence sur l'importance de leurs contributions respectives.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Ponnou est personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA. Il dirige plusieurs recherches pour lesquelles le CIRNEF et l'Université de Rouen Normandie ont perçu des financements d'organismes publics et de fondations mutualistes : Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme et Société (IRIHS), Fondation EOVI - Fondation de l'Avenir, FEDER - Région Normandie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Briffault est, en tant que sociologue et épistémologue de la santé mentale, personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA.</span></em></p>
Les psychothérapies recouvrent de nombreuses pratiques différentes, basées sur l’échange avec un thérapeute. Leur efficacité peut-elle être évaluée ? Et que disent les résultats ?
Sébastien Ponnou, Psychanalyste, professeur des universités en sciences de l'éducation - CIRCEFT-CLEF, EA 4384, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/202032
2023-03-21T18:00:20Z
2023-03-21T18:00:20Z
Santé mentale et soins psychiques de l’enfant : les impasses du « tout biologique »
<p>Le récent rapport publié par le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge <a href="https://www.hcfea.fr/">(HCFEA)</a> alerte sur la <a href="https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf">souffrance psychique des enfants et des adolescents</a>, ainsi que sur le déficit chronique de moyens alloués aux dispositifs de soin, d’éducation et d’intervention sociale en France. Nous avons détaillé dans notre précédent article <a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-la-surmedication-depasse-toutes-les-bornes-scientifiques-201639">l’augmentation continue et inappropriée de la consommation de médicaments psychotropes en population pédiatrique en France</a>.</p>
<p>Nous analysons ici l’idée ancienne qu’un trouble mental peut être causé par une anomalie cérébrale. Et que, étant d’origine biologique, ce dysfonctionnement peut être solutionné par un traitement chimique, électrique ou mécanique. Une approche favorisée de longue date, mais dont les résultats demeurent limités. Car, de fait, des anomalies sont « associées » à des troubles mentaux… le problème porte sur leur causalité.</p>
<p>Ces prescriptions, souvent en dehors des consensus scientifiques internationaux et des dispositifs réglementaires (Autorisations de mise sur le marché et recommandations des agences de santé), viennent en contradiction avec les propos de l’OMS qui alertait, en 2022 encore, sur le fait que, « partout dans le monde […], les pratiques actuelles placent les psychotropes au centre de la réponse thérapeutique, alors que les <a href="https://www.who.int/fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care">interventions psychosociales et psychologiques et le soutien par les pairs</a> sont aussi des pistes à explorer, qui devraient être proposées ».</p>
<p>L’organisation internationale adopte sur le sujet une position forte, affirmant que « pour réussir à définir une approche de santé mentale intégrée, centrée sur la personne, axée sur son rétablissement et fondée sur ses droits, les pays doivent changer et ouvrir les mentalités, corriger les attitudes de stigmatisation et éliminer les pratiques coercitives ». Pour cela, ajoute-t-elle, « il faut absolument que les systèmes et les services de santé mentale élargissent leur horizon <a href="https://www.who.int/fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care">au-delà du modèle biomédical</a> ».</p>
<h2>Les impasses de la psychiatrie biologique</h2>
<p>La « psychiatrie biologique » est la transcription directe de ce paradigme biomédical.</p>
<p>Cette approche porte une conception biologique de la souffrance psychique : elle cherche des marqueurs (principalement neurobiologiques et génétiques) susceptibles de fonder les diagnostics psychiatriques et d’ouvrir la voie à des traitements essentiellement médicamenteux. L’organisation onusienne rappelle qu’elle a « dominé la recherche en santé mentale […] au cours des dernières décennies ». La recherche, mais aussi les politiques françaises ces vingt dernières années.</p>
<p>Si les institutions de santé internationales déplorent l’envahissement, et singulièrement chez les enfants, des approches biomédicales et leurs conséquences en termes de surprescription de psychotropes, ce n’est pas par dogmatisme. C’est parce qu’un état des lieux actualisé des résultats de la recherche témoigne, expérimentalement et empiriquement, des impasses des modèles inspirés par la psychiatrie biologique.</p>
<p>Les travaux en neurobiologie et génétique des troubles mentaux se sont multipliés de façon exponentielle ces quarante dernières années, soutenus par l’amélioration des technologies d’imagerie cérébrale et de séquençage génétique. Deux directions principales ont été explorées : la recherche d’une causalité organique des troubles mentaux d’une part, la mise au point de traitement médicamenteux d’autre part.</p>
<p>Malheureusement, leurs apports à la psychiatrie clinique demeurent limités et contradictoires.</p>
<p>La quasi-totalité des hypothèses de recherche sur les causes neurologiques et génétiques des troubles mentaux – a fortiori chez l’enfant – a été <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0895435605000235">réfutée par les études dites princeps (de référence) et des méta-analyses ultérieures</a>. Dans le meilleur des cas, divers paramètres ont pu être associés à des augmentations marginales des risques de présenter un trouble ou un autre, mais dans des conditions telles qu’elles ne permettent aucune conclusion solide. Elles n’ont donc guère d’intérêt pour les praticiens ou les patients.</p>
<p>Ainsi, malgré plusieurs décennies de recherches intensives :</p>
<ul>
<li><p>Aucun marqueur ni aucun test biologique n’a été validé pour contribuer au diagnostic des troubles mentaux ;</p></li>
<li><p>Aucune nouvelle classe de médicaments psychotropes n’a été découverte depuis 50 ans, au point que l’industrie pharmaceutique a quasiment cessé depuis 2010 ses recherches dans ce domaine. Les médicaments actuels ont été découverts dans les années 1950-1970 par sérendipité, ou en sont des dérivés obtenus en tentant d’en diminuer les effets indésirables. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wps.20941">Leur efficacité est par ailleurs considérée comme faible</a> par les dernières publications.</p></li>
</ul>
<p>Ces résultats s’appuient désormais sur une telle masse de travaux que l’idée de poursuivre sur les mêmes hypothèses neurobiologiques pose question. La probabilité de découvrir une cause biologique des troubles mentaux qui soutiendrait l’approche pharmacologique de la psychiatrie biologique ne cesse de diminuer à mesure que les études progressent.</p>
<p>Ce changement de perspective a commencé à <a href="https://esprit.presse.fr/article/gonon-francois/la-psychiatrie-biologique-une-bulle-speculative-36379">émerger dans le courant des années 2000-2010</a> et se trouve aujourd’hui largement soutenu par les spécialistes les plus renommés au niveau international.</p>
<p>Ainsi Steven Hyman, ancien directeur du <a href="https://www.nimh.nih.gov/">National Institute of Mental Health (NIMH</a>, l’institut américain de recherche en santé mentale), affirme par exemple que « même si les neurosciences ont progressé ces dernières décennies, les difficultés sont telles que la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29352030/">recherche des causes biologiques des troubles mentaux a largement échoué</a> ». De même, Thomas Insel, qui lui a succédé à la tête du prestigieux institut, admettait récemment que <a href="https://www.nytimes.com/2022/02/22/us/thomas-insel-book.html">« les recherches en neuroscience n’ont, pour l’essentiel, toujours par bénéficié aux patients »</a>, et que « les questions soulevées par la recherche en psychiatrie biologique n’étaient <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/670329/healing-by-thomas-insel-md/">pas le problème auquel étaient confrontés les patients</a> atteints de maladies mentales graves ».</p>
<p>Les plus prestigieuses revues scientifiques sont de plus en plus sur la même ligne. Le psychiatre Caleb Gardner (Cambridge) et le spécialiste en anthropologie médicale Arthur Kleinman (Harvard) écrivaient en <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMp1910603">2019 dans le New England Journal of Medicine</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Bien que les limitations des traitements biologiques soient largement reconnues par les experts en la matière, le message qui prévaut pour le grand public et le reste de la médecine, est encore que la solution aux troubles mentaux consiste à faire correspondre le bon diagnostic au bon médicament. Par conséquent, les diagnostics psychiatriques et les médicaments psychotropes prolifèrent sous la bannière de la médecine scientifique, bien qu’il n’existe aucune compréhension biologique approfondie des causes des troubles psychiatriques ou de leurs traitements. »</p>
</blockquote>
<p>De manière générale, les <a href="https://psycnet.apa.org/record/1994-98904-000">problèmes posés par l’approche biomédicale</a> de la santé mentale sont <a href="https://academic.oup.com/book/24345">solidement documentés</a> et <a href="https://nyupress.org/9780814736975/let-them-eat-prozac/">depuis longtemps</a>, dans de <a href="https://www.ithaque-editions.com/product-page/l-esprit-malade">nombreux ouvrages</a> par des auteurs issus de multiples champs disciplinaires – <a href="https://www.cairn.info/le-cerveau-n-est-pas-ce-que-vous-pensez--9782706117794.htm">neurosciences</a>, <a href="https://samizdathealth.org/children-of-the-cure/">psychiatrie</a>, <a href="https://www.ithaque-editions.com/product-page/neuroscepticisme">sciences humaines</a>, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1467-9566.2007.1078_4.x">histoire</a>, <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/fatigue-detre-soi_9782738108593.php">sociologie</a> et <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/medecine/psychiatrie/mecanique-des-passions_9782738141491.php">sciences sociales</a>…</p>
<h2>Des effets de stigmatisation</h2>
<p>Contrairement aux bonnes intentions des campagnes de dé-stigmatisation, qui pensaient que permettre aux personnes présentant des troubles mentaux d’affirmer « c’est pas moi, c’est mon cerveau » leur serait socialement et thérapeutiquement bénéfique, plusieurs études internationales ont montré que cela <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30444641/">augmentait le rejet social, la dangerosité perçue et le pessimisme vis-à-vis des possibilités de guérison</a>. Les soignants adhérant à cette conception faisaient de plus montre de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30444641/">moins d’empathie vis-à-vis des patients</a>. Les patients, enfin, seraient aussi plus pessimistes quant à l’évolution de leurs symptômes et plus enclins à s’en remettre aux médicaments.</p>
<p><a href="https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf">S’agissant plus spécifiquement des enfants</a>, les conceptions biomédicales ont sans aucun doute contribué à <a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-la-surmedication-depasse-toutes-les-bornes-scientifiques-201639">l’augmentation de prescriptions des psychotropes</a>. Elles sont, en parallèle, globalement défavorables aux pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales, pourtant largement documentées comme efficaces et recommandées en première intention.</p>
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<h2>L’exemple de l’hyperactivité et de la dépression</h2>
<p>En appui de son analyse, le HCFEA s’est particulièrement intéressé à la question du Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), qui est considéré comme le diagnostic le plus fréquent chez les enfants d’âge scolaire, ainsi qu’à celle de la dépression, qui peut être appréhendée à plusieurs problématiques de santé mentale chez l’enfant et l’adolescent.</p>
<ul>
<li><strong>Pas de résultats significatifs pour l’hyperactivité</strong></li>
</ul>
<p>Les études en imagerie cérébrale publiées dans les années 1990 suggéraient que les avancées en neurobiologie permettraient sous peu de valider des outils diagnostiques. Trente ans plus tard, aucun test pour le TDAH n’a encore été reconnu.</p>
<p>Des centaines d’études en imagerie cérébrale structurale et fonctionnelle ont certes mis en évidence des différences corrélées au TDAH, mais aucune ne correspond à des modifications cérébrales structurelles, et moins encore à des lésions : le TDAH ne peut donc formellement pas être qualifié de maladie ou de trouble neurologique. De plus, elles sont quantitativement minimes, contradictoires, et ne présentent <a href="https://journals.lww.com/hrpjournal/fulltext/2020/11000/messaging_in_biological_psychiatry_.4.aspx">pas d’intérêt du point de vue des pratiques diagnostiques, thérapeutiques ni des politiques de santé</a>. D’autres travaux suggéraient un déficit de dopamine ou un dysfonctionnement des neurones dopaminergiques à l’origine du TDAH, mais <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18986716/">cette perspective a été testée et réfutée</a>.</p>
<p>De manière générale, les hypothèses concernant l’étiologie neurologique du TDAH sont aujourd’hui scientifiquement faibles et datées.</p>
<p>Les études initiales faisaient également état d’une étiologie génétique forte. Ces associations ou leur incidence causale ont été réfutées. Actuellement, le facteur de risque génétique le mieux établi et le plus significatif est l’association du TDAH avec un allèle du gène codant pour le récepteur D4 de la dopamine. Selon une méta-analyse, l’augmentation associée du risque n’est que de 1,33. Plus précisément, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19506906/">cet allèle est présent chez 23 % des enfants diagnostiqués TDAH et seulement 17 % des enfants contrôles</a>. Ce qui ne présente aucun intérêt clinique.</p>
<p>Une revue récente de plus de 300 études génétiques conclut que « les résultats provenant des études génétiques concernant le TDAH sont <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24863865/">encore inconsistants et ne permettent d’aboutir à aucune conclusion</a> ».</p>
<ul>
<li><strong>La dépression : ni neurologique, ni génétique</strong></li>
</ul>
<p>En 2022, l’équipe de Joanna Moncrieff, des spécialistes reconnus au niveau international pour leurs travaux sur la dépression et les psychotropes, a publié une étude témoignant de <a href="https://www.nature.com/articles/s41380-022-01661-0">l’inconsistance des conceptions biomédicales et des traitements médicamenteux concernant la dépression</a>.</p>
<p>Cette publication, alliant revues et méta-analyses et portant sur un panel incluant de très nombreux patients, visait à produire une synthèse des principaux travaux ayant étudié les liens entre sérotonine et dépression au cours des trois dernières décennies. Leur conclusion est sans appel : ils n’ont trouvé <a href="https://theconversation.com/depression-is-probably-not-caused-by-a-chemical-imbalance-in-the-brain-new-study-186672">aucune preuve convaincante que la dépression soit liée à des concentrations ou une activité de sérotonine plus faibles</a>.</p>
<p>La plupart des études n’ont trouvé aucune preuve d’une réduction de l’activité de la sérotonine chez les personnes souffrant de dépression par rapport à celles sans dépression. De plus, les études génétiques de haute qualité et de bonne puissance statistique écartent également toute association entre génotypes associés au système sérotoninergique et dépression.</p>
<h2>Quelles conséquences sur les pratiques diagnostiques, de soin, et les politiques de santé ?</h2>
<p>En l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’existe aucun lien causal établi entre mécanismes biologiques, diagnostic et traitement dans le champ de la psychiatrie, a fortiori chez l’enfant. Un déficit de sérotonine ou de dopamine ne devrait donc plus servir à appuyer la prescription d’antidépresseurs ou de psychostimulants dans le cas de la dépression ou du TDAH. Ce qui est cohérent avec la faible efficacité des traitements biologiques constatée.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sante-mentale-et-soins-psychiques-de-lenfant-la-surmedication-depasse-toutes-les-bornes-scientifiques-201639">Santé mentale et soins psychiques de l’enfant : la surmédication dépasse toutes les bornes scientifiques</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="Couverture du DSM" src="https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=955&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/516385/original/file-20230320-1671-dzwi2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1200&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’American Psychiatric Association a tenté de classifier les troubles mentaux dans son Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (première édition, 1952 ; aujourd’hui DSM-5).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders -- APA</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De la même manière, il convient d’être prudent quant aux usages des catégories diagnostiques héritées des grandes nomenclatures comme le <a href="https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">DSM, le Manuel Diagnostique et Statistique</a> de la puissante American Psychiatric Association, référence au niveau international. En l’absence d’étiologie biologique, les catégories diagnostiques décrites dans le DSM ne disposent d’<a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2013-4-page-285.htm">aucune validité scientifique</a> : elles ne dénotent aucune entité naturelle identifiable qui pourrait être interprétée comme maladie. Il en va de même pour les diagnostics psychiatriques de la <a href="https://icd.who.int/browse10/2008/fr">CIM-10, la Classification internationale des maladies éditée par l’OMS</a>.</p>
<p>Cette absence de validité est manifeste dans la variabilité des diagnostics selon l’âge de l’enfant, la part élevée des comorbidités, et l’hétérogénéité des situations cliniques que les nomenclatures ne permettent pas de saisir finement – d’autant qu’en raison de leur épistémologie naturaliste, elles ont été <a href="https://www.cairn.info/actualites-sur-les-maladies-depressives--9782257207333-page-26.htm">construites pour être indépendantes des contextes d’occurrence des troubles</a>.</p>
<p>De plus, malgré ses évolutions, le DSM souffre toujours de problèmes de fiabilité : les décisions diagnostiques prises par deux médecins à propos du même patient sont trop souvent différentes, ce qui limite leur intérêt. Compte tenu de sa faiblesse sur le plan scientifique et considérant qu’il <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20299556/">« avait été un obstacle pour la recherche »</a>, le NIMH, principal financeur de la recherche en santé mentale à l’échelle mondiale, s’en est désolidarisé.</p>
<p>Le problème n’est pas seulement épistémique mais aussi politique : depuis les années 2000, la France a misé sur l’idée que ces diagnostics pouvaient fonder des recommandations standardisées de bonnes pratiques. Le résultat est décevant. Trente années de politiques de santé mentale orientées par les approches biomédicales n’ont pas empêché un accroissement de la souffrance psychique des enfants et des adolescents, une augmentation des taux de suicide, un déficit chronique de l’offre de soin, une mise à mal des institutions et des équipes de soin et d’éducation, un effet ciseau entre la demande et l’offre de soin, des délais d’attente insupportables, une augmentation continue de la consommation de médicaments psychotropes…</p>
<p>Tenir compte des avancées de la recherche, c’est aussi considérer l’absence de résultats probants comme une évolution des connaissances scientifiques à part entière, à même de réorienter les politiques publiques et les pratiques de recherche.</p>
<p>Le modèle actuel de la psychiatrie biologique n’a pas tenu ses promesses, du fait notamment d’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26934549/">application étriquée, voire dévoyée</a>,de l’approche <em>evidence-based</em> en médecine mentale – <a href="https://www.cairn.info/revue-topique-2013-2-page-23.htm">pratique fondée sur les preuves scientifiques</a> cherchant à appliquer les données issues de la recherche à l’expérience clinique du praticien.</p>
<p>S’il ne faut pas nécessairement en tenir rigueur à celles et ceux qui l’ont développé et soutenu, il faut désormais tenir compte de cet échec pour repenser les approches, les politiques et les dispositifs de soin, d’éducation ou d’intervention sociale. À cet égard, le rapport du HCFEA ne se limite pas à documenter le malaise et ses raisons : <a href="https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf">il propose de nouvelles approches</a> et détaille les stratégies psychothérapeutiques, éducatives et sociales susceptibles de contribuer à l’accompagnement et au soin des enfants, ainsi qu’au soutien des familles.</p>
<p>C’est là que doivent désormais porter les efforts en termes de recherche et de politique publique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Ponnou est personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA. Il dirige plusieurs recherches pour lesquelles le CIRNEF et l'Université de Rouen Normandie ont perçu des financements d'organismes publics et de fondations mutualistes : Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme et Société (IRIHS), Fondation EOVI - Fondation de l'Avenir, FEDER - Région Normandie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Briffault est, en tant que sociologue et épistémologue de la santé mentale, personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA.</span></em></p>
La surmédication des enfants s’adosse à la « psychiatrie biologique », qui cherche des causes neurologiques ou génétiques aux troubles mentaux… Ce qui ne semble pas étayé scientifiquement. Analyse.
Sébastien Ponnou, Psychanalyste, professeur des universités en sciences de l'éducation - CIRCEFT-CLEF, EA 4384, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/201639
2023-03-13T17:05:53Z
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Santé mentale et soins psychiques de l’enfant : la surmédication dépasse toutes les bornes scientifiques
<p>Le <a href="https://www.hcfea.fr">Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge</a> (HCFEA), chargé par le Premier ministre d’apporter une expertise prospective et transversale sur les questions liées à la famille et à l’enfance, vient de publier un <a href="https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/hcfea_sme_rapport_13032023.pdf">rapport sur la souffrance psychique des enfants et les moyens dont nous disposons pour y remédier</a>.</p>
<p>Ce travail s’inscrit dans un contexte particulièrement préoccupant, dans lequel on observe une aggravation des problèmes de santé mentale des jeunes, qui entraîne même une <a href="https://theconversation.com/suicide-des-adolescents-comment-prevenir-le-passage-a-lacte-162064">augmentation de la suicidalité</a>. La situation est arrivée à un point d’urgence tel que des collectifs soignants ont multiplié les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/08/en-france-en-2022-des-enfants-et-adolescents-meurent-de-souffrance-psychique-par-manque-de-soins-et-de-prise-en-compte-societale_6133925_3232.html">tribunes</a> et les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/24/oui-par-manque-de-moyens-la-pedopsychiatrie-doit-depuis-des-annees-trier-les-enfants_6151352_3232.html">alertes</a>.</p>
<p>Les trois dernières années, marquées par des politiques de lutte contre le Covid qui ont eu un impact sévère sur les jeunes, ont certes contribué à aggraver le problème. Mais celui-ci ne s’y limite pas, loin de là.</p>
<h2>Une prise en charge qui n’est pas à la hauteur des enjeux</h2>
<p>La santé mentale est une problématique de santé publique de première importance chez l’enfant, en France comme dans les pays occidentaux. Lorsqu’ils surviennent précocement, les troubles mentaux et la souffrance psychique impactent toute une vie : le développement de l’enfant, ses émotions, son rapport à lui-même, au langage et au corps, ses liens familiaux, amicaux, amoureux, sociaux, son parcours scolaire et son devenir professionnel sont bouleversés…</p>
<p>On s’attendrait dès lors à ce que tout soit fait pour y remédier. Or, le rapport du HCFEA met au contraire en évidence une impasse en termes de prises en charge. Il alerte en particulier sur le fait que, faute de soins adaptés, la consommation de médicaments psychotropes augmente de façon exponentielle, bien au-delà des cadres réglementaires et des consensus scientifiques internationaux.</p>
<p>Pourtant, en France comme dans la plupart des pays européens, les soins de première intention recommandés par les autorités de santé (Haute Autorité de Santé (HAS), Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM)) pour les troubles mentaux chez l’enfant ne sont pas pharmacologiques. Sont en effet prioritairement recommandées :</p>
<ul>
<li><p>Les pratiques psychothérapeutiques : psychanalyse, pratiques psychodynamiques et cliniques, thérapies cognitives et comportementales, thérapies familiales et groupales…</p></li>
<li><p>Les pratiques éducatives,</p></li>
<li><p>Les pratiques de prévention et d’intervention sociale.</p></li>
</ul>
<p>Pour certains cas seulement, un traitement médicamenteux peut être prescrit en deuxième intention, en soutien de l’accompagnement psychologique, éducatif et social de l’enfant et de sa famille. Et même alors, les consensus internationaux sont réservés et insistent sur l’importance de la surveillance et le rôle des agences de santé et de sécurité du médicament.</p>
<p>Ces réserves s’expliquent par la rareté d’études robustes sur l’efficacité des traitements médicamenteux chez l’enfant, par l’existence d’effets indésirables importants et par une balance bénéfice/risque souvent défavorable – ce qui conduit à un nombre limité d’Autorisations de mise sur le marché (AMM) pour les psychotropes en population pédiatrique. Lorsqu’un tel médicament est autorisé chez l’enfant, sa prescription est assortie de recommandations strictes.</p>
<h2>Une hausse continue de la médication</h2>
<p>Pour autant, et en contradiction flagrante avec ces exigences scientifiques et réglementaires, les données rapportées par le HCFEA, extraites d’études de l’<a href="https://ansm.sante.fr/">ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament)</a> et du <a href="https://www.epi-phare.fr/">groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE</a> spécialisé dans les études épidémiologiques des produits de santé, montrent une augmentation constante de la consommation de psychotropes chez l’enfant.</p>
<p>Pour la seule année 2021, la consommation chez l’enfant et l’adolescent a augmenté de :</p>
<ul>
<li><p>7,5 % pour les antipsychotiques,</p></li>
<li><p>16 % pour les anxiolytiques,</p></li>
<li><p>23 % pour les antidépresseurs,</p></li>
<li><p>224 % pour les hypnotiques.</p></li>
</ul>
<p>Plus largement, l’analyse de la consommation de 59 classes de médicaments psychotropes délivrés sur ordonnance en pharmacie chez les 0-19 ans pour l’ensemble des bénéficiaires du Régime Général montre que, pour chaque année entre 2018 et 2021, la consommation est supérieure à celle de l’année précédente et inférieure à celle l’année suivante. Ce qui suggère une augmentation continue de la consommation pour l’ensemble des médicaments.</p>
<p>Cette « surconsommation », qui est une « sur-médication », peut s’exprimer en termes de différence entre le nombre de délivrances observé et le nombre de délivrances attendu.</p>
<p>Cette augmentation concerne des dizaines de milliers d’enfants. Le nombre de délivrances de psychotropes en 2021 chez les 0-19 ans se chiffre en millions et il est aujourd’hui nettement plus élevé qu’en 2018, quelle que soit la sous-classe de médicament.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Pour l’année 2021, écart entre la consommation attendue et la consommation réelle de la consommation de psychotropes chez les jeunes de 0 à 19 ans" src="https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514785/original/file-20230311-3953-t58ci.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Délivrance de psychotropes observée (courbes bleues pleines) et attendue (pointillées) en 2021, par sous-classe de médicaments. Consommation de psychotropes chez les jeunes de 0 à 19 ans pendant l’épidémie de Covid-19, juillet 2022. Données extraites du système national des données de santé (SNDS).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Epi-phare -- GIS ANSM/CNAM</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces niveaux d’augmentation sont sans commune mesure avec ceux observés au niveau de la population générale adulte. Ils sont 2 à 20 fois plus élevés, alors même que le nombre d’AMM en population pédiatrique est très limité pour les médicaments psychotropes. Cette observation suggère que les enfants sont plus exposés que les adultes à la souffrance psychique, mais surtout qu’ils sont exposés à une médication croissante, et en l’occurrence inadaptée.</p>
<p>Ces phénomènes sont aggravés par la crise Covid, mais ils lui sont antérieurs. <a href="https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/open-medic-base-complete-sur-les-depenses-de-medicaments-interregimes/">En effet, l’analyse des bases de données de santé sur la période 2014-2021 montre déjà une augmentation continue</a> :</p>
<ul>
<li><p>+9,48 % pour les dopaminergiques,</p></li>
<li><p>+27,7 % pour les anticholinergiques,</p></li>
<li><p>+48,54 % pour les antipsychotiques,</p></li>
<li><p>+62,58 % pour les antidépresseurs,</p></li>
<li><p>+78,07 % pour les psychostimulants,</p></li>
<li><p>+155,48 % pour les hypnotiques et sédatifs.</p></li>
</ul>
<p>Seule la consommation d’anxiolytiques a légèrement baissé (-3,46 %) sur la période. Dans les années 2000-2010, plusieurs travaux ont montré que cette dernière était particulièrement élevée en France, notamment en population pédiatrique. Des <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_937781/fr/prise-au-long-cours-d-hypnotiques-anxiolytiques">rapports</a> et <a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2018-07/fiche_bum_benzodiazepines_anxiete_cd_27062018.pdf">recommandations des autorités de santé</a> demandèrent en conséquence une vigilance accrue quant à la prescription de ces molécules, en raison de leurs effets indésirables importants et de leur caractère addictogène. <a href="https://archiveansm.integra.fr/var/ansm_site/storage/original/application/28274caaaf04713f0c280862555db0c8.pdf">On peut penser que ces recommandations ont eu un effet sur la prescription, même si elle reste à un niveau élevé</a>. Mais il est possible qu’une partie de ces prescriptions se soient reportées sur les hypnotiques, qui partagent avec eux plusieurs propriétés pharmacologiques, et dont la consommation a très fortement augmenté sur la même période.</p>
<p>Le constat est identique si l’on raisonne en termes de prévalence de la consommation de psychotropes chez les 0-20 ans entre 2010 et 2021 (la prévalence étant la fréquence de survenue d’un phénomène de santé dans une population pour une période donnée) :</p>
<ul>
<li><p>De 2,01 % à 2,72 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques, soit une augmentation d’environ 35 %,</p></li>
<li><p>De 0,28 % à 0,60 % pour les antipsychotiques, soit une augmentation d’environ 114 %,</p></li>
<li><p>De 0,23 % à 0,57 % pour les psychostimulants, soit une augmentation d’environ 148 %,</p></li>
<li><p>De 0,29 à 0,81 % pour les antidépresseurs et les normothymiques, soit une augmentation d’environ 179 %.</p></li>
</ul>
<p>Les données Openmédic 2021 suggèrent que plus de 5 % de la population pédiatrique pourrait être concernée. Et dans la mesure où ces taux de consommation intègrent les données des 0-3 ans et des 3-6 ans, pour lesquels les prescriptions de psychotropes restent rares, la prévalence chez les 6-17 ans pourrait en fait être nettement plus élevée. Elle doit faire l’objet d’une attention et d’une mobilisation urgente des pouvoirs publics et des autorités de santé.</p>
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<h2>Des prescriptions hors de toute validation scientifique</h2>
<p>En effet, le rapport HCFEA insiste sur le non-respect des Autorisations de mise sur le marché et sur la transgression des recommandations des agences de santé et des consensus scientifiques. Déjà en 2009, une étude prospective montrait que <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929693X0900267X">68 % des prescriptions de psychotropes réalisées dans un hôpital pédiatrique parisien étaient hors AMM</a>. Ces prescriptions hors AMM touchaient 66 % des jeunes patients et concernaient essentiellement la prescription chez l’enfant de médicaments réservés à l’adulte.</p>
<p>À titre d’exemple, considérons le <a href="https://theconversation.com/trouble-de-lattention-tdah-la-dangereuse-explosion-du-traitement-medicamenteux-de-lenfant-178144">cas du méthylphénidate (Ritaline, Concerta…)</a> que <a href="https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Points-d-information-Points-d-information/Methylphenidatedonnees-d-utilisation-et-de-securite-d-emploi-en-FrancePoint-d-Information">le rapport du HCFEA documente de façon approfondie</a>. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S022296172200023X">Entre 2010 et 2019, la prescription de ce psychostimulant chez l’enfant a augmenté de 116 %</a>.</p>
<p>Cette augmentation de la consommation se double d’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36299551/">transgression systématisée des AMM et des recommandations de prescription</a> :</p>
<ul>
<li><p>Prescriptions avant l’âge de 6 ans.</p></li>
<li><p>Durées de traitement longues, alors que les études et les agences de santé recommandent des prescriptions de court terme : 5,5 ans pour les enfants de 6 ans ayant débuté un traitement par méthylphénidate en 2011, et 7,1 ans pour les enfants de 6 ans hospitalisés avec un diagnostic de TDAH en 2011 – et des durées en augmentation entre 2011 et 2019. Les enfants les plus jeunes sont ceux pour lesquels les durées de prescription sont les plus longues.</p></li>
<li><p>Prescriptions hors diagnostic ou dans le cadre de diagnostics psychiatriques pour lesquels le médicament ne dispose pas d’AMM chez l’enfant.</p></li>
<li><p>Co-prescriptions d’autres psychotropes, souvent réservés à l’adulte et très éloignées de leur zone d’AMM. 22,8 % des enfants sous méthylphénidate en 2018 ont reçu au cours des 12 mois suivants au moins un autre psychotrope appartenant à diverses classes pharmacologiques : neuroleptiques (64,5 %), anxiolytiques (35,5 %), antidépresseurs (16,2 %), antiépileptiques (11 %), hypnotiques (4,8 %) et antiparkinsoniens (3 %). Les principales molécules prescrites sont la rispéridone (10,6 %) l’hydroxyzine (6 %), la cyamémazine (3,9 %), l’aripiprazole (2,7 %), la sertraline (1,4 %), l’acide valproique (1,1 %), et la fluoxétine (1 %). Parmi ces enfants, 63,5 % ont reçu deux traitements, 20,8 % ont reçu trois psychotropes, 8,5 % en ont reçu quatre et 6,9 % se sont vu prescrire au moins cinq psychotropes dans les 12 mois suivant la première prescription de méthylphénidate. Ces co-prescriptions ne font l’objet d’aucune étude ni validation scientifiques.</p></li>
<li><p>Non-respect des conditions réglementaires de prescription et de renouvellement par des médecins spécialistes ou des services spécialisés : les recommandations d’initiation obligatoire en milieu hospitalier en vigueur jusqu’en septembre 2021 n’étaient pas respectées dans près d’un quart des cas. De plus, le renouvellement annuel de la prescription de méthylphénidate doit se faire lors d’une consultation hospitalière visant, au-delà du traitement, le suivi de l’enfant et l’accompagnement des familles. Ceci n’a pas été respecté pour près d’un enfant sur deux en 2015, 2016 et 2017.</p></li>
<li><p>Substitution des pratiques psychothérapeutiques, éducatives et sociales par des pratiques médicamenteuses : les bases de données de santé montrent qu’entre 2011 et 2019, sur l’ensemble des services hospitaliers prescripteurs, 84,2 % à 87,1 % des enfants traités n’ont pas bénéficié d’un suivi médical par le service hospitalier ayant initié le traitement. De plus, alors que la consommation de méthylphénidate n’a cessé de croître entre 2010 et 2019 (+116 %), le nombre de visites dans les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques des enfants recevant cette prescription a été divisé par quatre dans sur la même période.</p></li>
<li><p>Détermination scolaire de la prescription : les enfants et les adolescents français présentent 54 % de risques supplémentaires en moyenne de se voir prescrire un traitement psychostimulant s’ils sont nés en décembre que s’ils sont nés en janvier. De manière systématique entre 2010 et 2019, le nombre d’initiations augmente au fil des mois de l’année, pour retomber brutalement le mois de janvier de l’année suivante. Ceci suggère que la prescription n’est pas dirigée par une évaluation diagnostique rigoureuse, mais qu’elle résulte d’une interprétation erronée de l’immaturité psychologique plus importante des enfants plus jeunes, et de leurs capacités d’attention logiquement moindres.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le graphe montre que les enfants les plus jeunes d’une classe sont les plus concernés par les prescriptions ; et que le niveau de prescription générale monte tous les ans" src="https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449160/original/file-20220301-25-a0pizr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Enfants et adolescents ayant reçu une prescription de méthylphénidate selon leur mois de naissance en France entre 2010 et 2019 (cohorte de 144 509 enfants) : les natifs de décembre ont plus de risque d’être traités. Et le nombre de prescriptions augmente d’année en année.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S. Ponnou et coll., in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence (2022)</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<ul>
<li>Détermination sociale de la prescription : L’analyse des bases de données montre également l’impact des facteurs sociaux sur le risque de diagnostic d’hyperactivité et la médication. Ainsi, en 2019, 21,7 % des enfants recevant du méthylphénidate vivaient dans des familles bénéficiant de la CMU ou de la CMU-C, alors que, selon l’Insee, ces aides ne sont attribuées qu’à 7,8 % de la population française. Si l’on considère également les enfants consommateurs de méthylphénidate présentant un diagnostic de défavorisation sociale, le pourcentage d’enfants présentant des difficultés sociales parmi les consommateurs de méthylphénidate atteint 25,7 %.</li>
</ul>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trouble-de-lattention-tdah-la-dangereuse-explosion-du-traitement-medicamenteux-de-lenfant-178144">Trouble de l'attention (TDAH) : la dangereuse explosion du traitement médicamenteux de l'enfant</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Envisager un changement complet d’approche ?</h2>
<p>Si l’on dispose encore de peu d’études solides sur l’efficacité des traitements pharmacologiques dans les troubles mentaux de l’enfant, il n’en va pas de même chez l’adulte. Ce qui manquait jusqu’à présent, ce n’était pas des données, mais des synthèses complètes et solides. Une récente publication dans <em>World Psychiatry</em> est venue y remédier.</p>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/wps.20941">Cette méga-analyse synthétise les résultats de 102 méta-analyses, rassemblant 3782 essais contrôlés randomisés et 650 514 patients</a> – et concerne les évaluations d’efficacité des traitements pharmacologiques publiées entre 2014 et 2021 pour les onze principaux troubles mentaux.</p>
<p>Les résultats montrent que <a href="https://www.cambridge.org/core/books/essential-guide-to-effect-sizes/72C26CA99366A19CAC4EF5B16AE3297F">la différence des résultats entre les groupes traités et les groupes contrôles (placebo et traitements habituels) est très faible</a>. C’est un résultat que l’on peut, au risque de l’euphémisation, considérer comme peu satisfaisant.</p>
<p>La représentation graphique du décalage des distributions en apporte une <a href="https://rpsychologist.com/cohend/">compréhension plus intuitive</a> :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=334&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514789/original/file-20230311-22-an41bm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=420&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Entre groupes suivant un traitement par des psychotropes et contrôles (placebo…), il n’y a pas de différence forte de résultats.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kristoffer Magnusson</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les auteurs, ces résultats ne sont pas contingents. Investir davantage dans la même voie n’y changera rien : un plafond a été atteint dans l’efficacité des traitements pharmacologiques actuels. C’est la raison pour laquelle ils en appellent à un changement de paradigme dans la recherche en psychiatrie afin de pouvoir effectuer de nouveaux progrès.</p>
<p>Dans cette attente, il faut s’interroger sur la pertinence de laisser se poursuivre la lourde tendance à l’augmentation de la prescription des psychotropes chez l’enfant documentée ici, malgré une efficacité et une sûreté qui interrogent… D’autant que d’autres stratégies (psychothérapeutiques, éducatives, sociales), certes plus complexes, permettraient de mieux alléger leur souffrance psychique et d’en atténuer les conséquences si elles étaient véritablement mises en œuvre.</p>
<p>Une communication transparente s’impose sur la réalité de ce que peut vraiment faire un traitement pharmacologique. Leur surutilisation écarte souvent la possibilité de recourir à d’autres stratégies thérapeutiques, ce qui peut constituer une perte de chance inacceptable. Il est urgent d’aligner l’éthique, les données de la science, et la communication à destination des patients et du grand public dans ce domaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201639/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Ponnou est personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA. Il dirige plusieurs recherches pour lesquelles le CIRNEF et l'Université de Rouen Normandie ont perçu des financements d'organismes publics et de fondations mutualistes : Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme et Société (IRIHS), Fondation EOVI - Fondation de l'Avenir, FEDER - Région Normandie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Briffault est, en tant que sociologue et épistémologue de la santé mentale, personnalité qualifiée au sein du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence du HCFEA.</span></em></p>
Problématique majeure, la santé mentale de l’enfant est dans une situation dramatique en France. En témoignent les chiffres de la prescription de psychotropes, hors de toute préconisation scientifique.
Sébastien Ponnou, Psychanalyste, professeur des universités en sciences de l'éducation - CIRCEFT-CLEF, EA 4384, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis
Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
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tag:theconversation.com,2011:article/200623
2023-03-02T20:00:03Z
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Santé mentale à la sortie de prison : la grande oubliée
<p>Au 1<sup>er</sup> janvier 2023, la France comptait <a href="http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/les-chiffres-clefs-10041/statistiques-de-la-population-detenue-et-ecrouee-34731.html">72 173 personnes détenues pour 60 670 places de prison</a> réparties au sein de 184 établissements pénitentiaires.</p>
<p>En constante augmentation depuis la fin du <a href="https://theconversation.com/coronavirus-la-prison-en-etat-critique-134359">premier confinement de 2020</a>, les taux d’incarcération et de surpopulation <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/28/prisons-le-nombre-de-detenus-en-france-atteint-un-nouveau-record_6155891_3224.html">ne cessent de battre des records</a>.</p>
<p>Ces chiffres, régulièrement repris par les médias, ne donnent cependant qu’une vision « statique » de la population carcérale qui, en réalité, est en constant renouvellement du fait d’une <a href="http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/statistiques-trimestrielles-de-milieu-ferme-34262.html">surreprésentation des courtes peines</a>. Près de la moitié des incarcérations durent en effet moins d’une année.</p>
<p>Ainsi, le flux de personnes qui, chaque année, font l’expérience d’une peine de prison est autrement plus élevé. Ce sont environ <a href="http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/statistiques-trimestrielles-de-milieu-ferme-34262.html">65 000 personnes qui sont libérées annuellement</a> en France – un chiffre qui ne prend pas en compte certaines formes de libérations sous contrainte.</p>
<p>Bien que la libération soit souvent attendue avec impatience par celles et ceux qui ont enduré une incarcération, elle est rarement dénuée de difficultés matérielles ou administratives, qu’il s’agisse d’accéder à un emploi, à un logement, à des droits sociaux ou encore à des soins.</p>
<p>La sortie de prison est bien souvent une nouvelle épreuve sur le parcours des personnes détenues, en particulier lorsqu’elles souffrent de troubles psychiatriques graves. Or, l’<a href="https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/PIIS0140673610610537.pdf">état de santé mentale précaire de la population carcérale</a> n’est plus à démontrer.</p>
<h2>Une santé mentale dégradée en prison</h2>
<p>La <a href="https://bmcpsychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-244X-6-33">dernière étude nationale</a> visant à évaluer la prévalence des troubles mentaux des personnes détenues en France remonte à 2006.</p>
<p>Cependant, des <a href="https://theconversation.com/troubles-psychiatriques-a-lentree-en-prison-un-enjeu-de-sante-publique-153600">travaux récents menés dans les maisons d’arrêt du Nord et du Pas-de-Calais</a> ont clairement montré que, par rapport à la population générale de même âge et de même sexe vivant dans la même zone géographique, la population carcérale présente en moyenne, à l’entrée en détention, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-psychiatry/article/mental-disorders-on-admission-to-jail-a-study-of-prevalence-and-a-comparison-with-a-community-sample-in-the-north-of-france/FC6E46A5EC433BED8B2B0FC64E6B2923">trois fois plus de troubles psychiatriques et huit fois plus de troubles de l’usage de substance</a>. Ces deux types de troubles sont d’ailleurs <a href="https://www.karger.com/Article/Abstract/526079">fréquemment associés chez les personnes détenues</a>.</p>
<h2>Étudier la santé mentale à la sortie de prison</h2>
<p>Aucune étude ne s’était jusqu’à présent penchée sur la question de la santé mentale des personnes détenues au moment de leur libération. On sait pourtant que les personnes récemment libérées de prison connaissent une surmortalité importante.</p>
<p>En France, la mortalité dans les cinq années suivant la libération serait <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28688064/">multipliée par 3,6</a> par rapport à celle de la population générale. Les principales causes de décès identifiées sont <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmsa064115">l’overdose, les maladies cardiovasculaires, l’homicide et le suicide</a>.</p>
<p>C’est dans ce contexte que l’étude <a href="https://www.f2rsmpsy.fr/sante-mentale-population-carcerale-resultat-drune-nouvelle-etude-nationale-nouvelle-feuille-route.html">Santé mentale en population carcérale sortante</a> (SPCS) pilotée par la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale (F2RSM Psy) avec le soutien financier de la Direction générale de la santé (DGS) et de Santé publique France, a été menée entre septembre 2020 et septembre 2022.</p>
<p>Les troubles psychiatriques ont été évalués au moyen d’un questionnaire standardisé (<a href="https://www.psychiatrist.com/jcp/neurologic/neurology/mini-international-neuropsychiatric-interview-mini/">Mini-International Neuropsychiatric Interview, MINI</a>) auprès d’un échantillon de 586 hommes (dans 26 maisons d’arrêt) et de 131 femmes (dans 4 établissements pénitentiaires) au cours des semaines précédant leur libération.</p>
<p>Les résultats montrent que chez plus de deux tiers des hommes, au moins un trouble psychiatrique ou lié à une substance est retrouvé : 30 % présentent un trouble thymique (autrement dit, un trouble de l’humeur ou un trouble affectif), 32 % un trouble anxieux (dont 11 % un trouble de stress post-traumatique), 49 % un trouble lié à une substance (dépendance ou usage nocif, hors tabac) et 11 % un syndrome psychotique.</p>
<p>Chez les femmes, plus des trois-quarts de l’échantillon sont concernés par au moins un trouble : 53 % présentent un trouble thymique, 57 % un trouble anxieux (dont 27 % un trouble de stress post-traumatique), 60 % un trouble lié à l’usage de substance et 17 % un syndrome psychotique.</p>
<p>Au total, les chiffres sont éloquents : 32 % des hommes et 59 % des femmes ayant participé à l’étude sont considérés comme modérément à gravement malades.</p>
<h2>La place centrale des maltraitances subies</h2>
<p>Un autre résultat marquant de notre étude est la prévalence élevée des maltraitances vécues dans l’enfance (négligence émotionnelle et physique, abus émotionnel, physique et sexuel). La quasi-totalité des personnes interrogées a été confrontée à au moins l’une de ces cinq dimensions.</p>
<p>Les abus émotionnels, physiques et sexuels concernent respectivement 41 %, 38 % et 13 % des hommes. Ils touchent 63 %, 47 % et 37 % des femmes.</p>
<p>Ces chiffres confirment la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448722003754">place centrale du psychotraumatisme dans cette population</a>, offrant des pistes d’optimisation des prises en charge mais surtout des perspectives de prévention puisque le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/acps.13268">lien entre traumatismes infantiles et développement de troubles psychiatriques à l’âge adulte</a> est bien établi.</p>
<h2>Poursuivre la réflexion sur la santé mentale en prison</h2>
<p>L’étude SPCS fait, comme les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448722002669">travaux épidémiologiques menés en prison l’ayant précédée</a>, le constat d’un état de santé mentale particulièrement altéré chez les hommes et, plus encore, chez les femmes détenues.</p>
<p>En apportant des données inédites sur la santé avant la libération, elle montre aussi que la prévalence des troubles psychiatriques et addictologiques reste au moins aussi élevé en fin d’incarcération qu’à l’entrée en détention.</p>
<p>Ces résultats soulèvent des questions multiples à propos de l’effet de l’incarcération sur la santé mentale et de l’<a href="https://theconversation.com/quels-soins-psychiatriques-dans-les-prisons-francaises-58956">accès aux soins psychiatriques en milieu carcéral</a>. Ils devraient encourager une réflexion sur la formation des acteurs du soin et de la justice à ces problématiques, ainsi que sur les alternatives à l’incarcération pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques, à l’instar du programme <a href="https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/une-alternative-a-la-prison-experimentee-a-marseille-1539184560">Alternative à l’incarcération pour le logement et le suivi intensif (AiLSi)</a> actuellement expérimenté à Marseille. Ce programme expérimental, qui comprend un <a href="https://health-data-hub.fr/projets/etude-interventionnelle-randomisee-controlee-evaluant-limpact-dune-alternative">volet « recherche »</a>, propose à des personnes sans domicile présentant des troubles psychiatriques sévères un logement, ainsi qu’un accompagnement par un psychiatre et un addictologue en lieu et place d’une incarcération.</p>
<h2>Ouvrir la réflexion sur l’accès aux soins psychiatriques à la sortie</h2>
<p>Nos résultats mettent également en évidence la nécessité de repenser les soins psychiatriques dédiés à cette population non pas de manière circonscrite à l’environnement carcéral, mais plutôt dans une <a href="https://www.em-consulte.com/article/1568384/alertePM">perspective générale et intégrée aux dispositifs sanitaires de milieu libre</a>.</p>
<p>L’enjeu de l’identification des troubles psychiatriques avant la libération est crucial, puisque ces derniers sont associés non seulement à une surmortalité (par suicide notamment), mais aussi à la réitération des infractions, tout particulièrement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14789949.2011.634921?journalCode=rjfp20">lorsqu’aucune prise en charge n’a été initiée</a>.</p>
<p>Des dispositifs innovants sont expérimentés en ce sens à Lille et à Toulouse, sous la forme d’<a href="https://www.em-consulte.com/article/1575854">équipes mobiles transitionnelles</a> (EMOT), qui offrent un accompagnement pluridisciplinaire aux personnes souffrant de troubles psychiatriques sortant de détention. Ces équipes, composées de soignants et de travailleurs sociaux, proposent une prise en charge de six mois, initiée en amont de la libération. L’EMOT tente non seulement d’optimiser les prises en charge au décours immédiat de la sortie de prison, mais aussi de favoriser le relais de soins psychiatriques vers le droit commun.</p>
<p>Il s’agit d’aider ces personnes particulièrement vulnérables et, incidemment, d’éviter le phénomène bien connu des <a href="https://ajp.psychiatryonline.org/doi/full/10.1176/appi.ajp.2008.08030416">« portes tournantes de la prison »</a>. En effet, une proportion non négligeable des personnes sortant de prison sont condamnées à une nouvelle peine de prison ferme <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_Infostat_183.pdf">dans l’année de leur libération</a>. Rompre ce cercle vicieux suppose de repenser l’accueil que réservent les institutions publiques à celles et ceux qui tentent de trouver ou de retrouver un équilibre dans la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200623/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
La santé mentale des personnes détenues est dégradée et des dispositifs de soins psychiatriques se sont donc progressivement développés en prison. Mais qu’en est-il au moment de la libération ?
Thomas Fovet, Maitre de conférence en Psychiatrie de l'adulte à l'université de Lille, Centre hospitalier régional universitaire de Lille
Camille Lancelevée, Maîtresse de conférences en sociologie, laboratoire SAGE (UMR 7363), Université de Strasbourg, Université de Strasbourg
Marielle Wathelet, Médecin de santé publique - Épidémiologiste - Directrice adjointe et Coordonnatrice du pôle recherche F2RSM Psy, Centre hospitalier régional universitaire de Lille
Pierre Thomas, Centre hospitalier régional universitaire de Lille
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tag:theconversation.com,2011:article/197971
2023-01-31T15:13:35Z
2023-01-31T15:13:35Z
Le Canada devient un chef de file dans le traitement des troubles de santé mentale par des psychédéliques
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504771/original/file-20230116-12856-ajf04l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C1982%2C1308&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les drogues psychédéliques sont présentées comme une solution potentielle aux besoins croissants en santé mentale. Mais les champignons magiques ne sont pas une solution magique.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Peter Dejong)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1922804/reglement-drogues-psychedeliques-acces-expert-alberta">En Alberta</a>, il sera désormais possible d’ajouter la thérapie assistée par les psychédéliques à la liste des traitements offerts pour les troubles de santé mentale.</p>
<p>Les psychiatres et les législateurs albertains affirment prendre une longueur d’avance en créant une réglementation visant à garantir un usage sûr de substances hallucinogènes dans un cadre thérapeutique. Depuis le 16 janvier, les <a href="https://www.alberta.ca/psychedelic-drug-treatment-service-provider-licensing.aspx">psychiatres enregistrés et autorisés</a> de la province peuvent les prescrire.</p>
<p>Cette nouvelle politique albertaine pourrait constituer un premier pas vers l’acceptation des psychédéliques comme substances médicinales au Canada. Par le passé, ces drogues étaient principalement recherchées à des fins récréatives et non cliniques. Et, si le cannabis nous a appris quelque chose, c’est que la médicalisation peut mener directement à la décriminalisation et à la commercialisation.</p>
<p><a href="https://www.camh.ca/fr/info-sante/index-sur-la-sante-mentale-et-la-dependance/les-hallucinog%C3%A8nes">Les drogues psychédéliques</a> – comme le LSD, la psilocybine (champignons magiques), la MDMA (ecstasy) et la DMT (ayahuasca) – sont des substances criminalisées dans la plupart des juridictions du monde. Mais de nombreuses personnes pensent qu’on devrait les considérer pour un usage thérapeutique. À certains endroits, on envisage de <a href="https://bc.ctvnews.ca/stigma-against-psychedelics-could-fade-with-b-c-decriminalization-experts-say-1.6035470">décriminaliser complètement les psychédéliques</a>, car des plantes comme les champignons, même « magiques », ne devraient pas faire l’objet de restrictions sur le plan légal.</p>
<p>Après les réformes relatives au cannabis, les psychédéliques pourraient être la prochaine cible dans le démantèlement de la guerre contre les drogues. <a href="https://www.justice.gc.ca/fra/jp-cj/cannabis/">En décriminalisant le cannabis</a>, le Canada a joué un rôle de pionnier à l’échelle internationale. Mais ses citoyens sont-ils prêts à avoir le même rôle dans le cas des psychédéliques ?</p>
<h2>Premières recherches sur les psychédéliques</h2>
<p>Le Canada a déjà fait office de précurseur. Dans les années 1950 et 1960, des chercheurs ont lancé la première vague de la science psychédélique. Parmi eux se trouvaient des psychiatres canadiens qui ont <a href="https://www.mqup.ca/psychedelic-prophets-products-9780773555068.php">inventé le mot « psychédélique »</a> et fait la une des journaux avec des percées spectaculaires dans le <a href="https://doi.org/10.1093/shm/hkl039">traitement de l’alcoolisme par le LSD</a>.</p>
<p>Des thérapeutes de Vancouver ont également utilisé le LSD et la psilocybine des champignons pour traiter la <a href="https://www.anvilpress.com/books/the-acid-room-the-psychedelic-trials-and-tribulations-of-hollywood-hospital">dépression et l’homosexualité</a>. Si l’homosexualité était considérée à la fois comme illégale et comme un trouble de santé mentale jusqu’à la fin des années 1970, les thérapeutes psychédéliques ont lutté contre ces étiquettes, car les personnes qu’ils ont traitées pour une attirance envers le même sexe développaient une meilleure acceptation de soi – ce qui se trouvait en ligne avec le mouvement des droits des personnes homosexuelles.</p>
<p>Vers la fin des années 1960, malgré des rapports positifs sur leurs bénéfices cliniques, les psychédéliques étaient surtout réputés pour leur usage récréatif et pour avoir donné lieu à des abus sur le plan clinique. En effet, les drogues psychédéliques étaient passées du stade des essais pharmaceutiques à la culture populaire, et certains chercheurs s’étaient vu reprocher des <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/experiences-medicales-mkultra-a-montreal">pratiques contraires à l’éthique</a>.</p>
<h2>Réglementation et criminalisation</h2>
<p>La plupart des psychédéliques autorisés ont cessé de l’être dans les années 1970, en raison d’une série d’interdictions réglementaires et d’un ressac culturel. Dans les rapports de santé publique publiés depuis les années 1970, les psychédéliques ont été décrits comme des <a href="https://www.unodc.org/unodc/en/Resolutions/resolution_1968-05-23_6.html">objets de recherche non éthiques, entraînant des abus récréatifs et des risques personnels</a>, comprenant des blessures et même la mort.</p>
<p>Des chimistes clandestins et des consommateurs ont essayé de lutter contre cette image en déclarant que les substances psychédéliques donnent lieu à des révélations sur le plan intellectuel et spirituel et qu’elles <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-psychedelics-offer-artists-creative-boost">stimulent la créativité</a>.</p>
<p>Un peu partout dans le monde, on a criminalisé les psychédéliques, que ce soit pour la recherche clinique ou l’expérimentation personnelle. L’utilisation des plantes hallucinogènes par des <a href="https://doi.org/10.2307/20067845">Autochtones et des non-Occidentaux</a> remonte encore plus loin dans l’histoire. Elle a également fait l’objet <a href="https://www.encyclopedia.com/history/united-states-and-canada/north-american-indigenous-peoples/native-american-church">d’un contrôle juridique</a> en raison de l’effet conjugué des pressions coloniales visant l’assimilation et d’une guerre contre les drogues qui ne faisait pas de distinction entre pratiques religieuses et comportements toxicomanes.</p>
<h2>Le retour des psychédéliques</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Vue rapprochée de champignons à longue tige et au chapeau brun rougeâtre" src="https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503188/original/file-20230105-105030-6isavs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=508&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À l’heure actuelle, la recherche scientifique sur les psychédéliques accuse toujours un retard par rapport à l’enthousiasme que génèrent ces substances dans le grand public.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Peter Dejong)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au cours de la dernière décennie, les lois interdisant les psychédéliques ont commencé à s’assouplir. La Food and Drug Administration américaine a accordé le statut de traitement innovant à la <a href="https://maps.org/news/media/press-release-fda-grants-breakthrough-therapy-designation-for-mdma-assisted-psychotherapy-for-ptsd-agrees-on-special-protocol-assessment-for-phase-3-trials/">MDMA</a> et à la <a href="https://www.livescience.com/psilocybin-depression-breakthrough-therapy.html">psilocybine</a>, en se fondant sur les résultats d’essais cliniques portant respectivement sur le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et la dépression résistante.</p>
<p>Santé Canada a accordé des exemptions pour l’utilisation de la <a href="https://www.ledevoir.com/societe/sante/731412/sante-un-premier-patient-traite-avec-des-champignons-magiques-au-quebec">psilocybine chez les patients en fin de vie</a> souffrant d’anxiété et a approuvé des fournisseurs et des thérapeutes intéressés par la psychothérapie assistée par les psychédéliques. Des <a href="https://michener.ca/ce_course/fpp/">programmes de formation</a> en thérapie psychédélique font leur apparition partout au Canada, en prévision sans doute d’un changement de réglementation et étant donné le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1870503/psilocybin-sante-formation-essais-clinic-nouvelle-ecosse">manque de professionnels</a> qualifiés pour pratiquer dans ce domaine.</p>
<p>À l’heure actuelle, la recherche scientifique sur les psychédéliques accuse un retard par rapport à l’enthousiasme que génèrent ces substances dans le grand public. On peut trouver de nombreux <a href="https://www.smh.com.au/lifestyle/health-and-wellness/the-unparalleled-greatest-feeling-or-risky-drug-inside-the-celebrity-loved-psychedelic-20220331-p5a9oa.html">témoignages de célébrités</a> et <a href="https://open-foundation.org/hear-about-psychedelic-clinical-studies-from-the-perspective-of-patients/">récits de patients convaincus</a>.</p>
<p>Pendant ce temps, le fardeau des troubles de santé mentale continue de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1875096/sante-mentale-enveloppe-100-millions-liste-attente-prive">surcharger nos systèmes de soins de santé</a>. Les psychédéliques sont présentés comme une solution possible. Mais les champignons magiques ne sont pas des solutions magiques.</p>
<h2>Au-delà des besoins thérapeutiques</h2>
<p>Depuis toujours, les substances hallucinogènes ne sont pas faciles à classer : médicaments, stimulants spirituels, toxines, substances sacrées, drogues pour rave, etc. Que Santé Canada, ou la province de l’Alberta, choisisse ou non de considérer les psychédéliques comme des options de traitement, ces substances psychoactives continueront d’attirer les gens en dehors des cadres cliniques.</p>
<p>Le Canada a la possibilité de jouer un rôle de précurseur dans ce que certains appellent la renaissance psychédélique. Cela pourrait constituer une occasion d’investir dans des solutions durables de réduction des risques et dans l’inclusion des perspectives autochtones, plutôt que de nous précipiter pour introduire les psychédéliques sur le marché médical.</p>
<p><a href="https://www.culturalsurvival.org/publications/cultural-survival-quarterly/hallucinogenic-plants-and-their-use-traditional-societies">Les pratiques autochtones liées aux plantes sacrées</a> ne se limitent pas à la consommation de substances, elles comprennent aussi une préparation, une intention et une intégration, le tout souvent structuré dans un contexte rituel qui concerne autant la santé spirituelle que la santé physique ou mentale.</p>
<p>Cette approche est difficile à inscrire dans la loi canadienne, et il n’est pas évident de décider qui doit être responsable de la réglementation ou de l’administration de rituels qui se situent en dehors de notre système de soins de santé. Ces différences dans la façon dont nous concevons la valeur des psychédéliques offrent la possibilité de repenser la place du savoir autochtone dans nos systèmes de santé.</p>
<p>Nous sommes bien placés pour adopter une attitude sobre face à l’engouement pour les psychédéliques, qui a été motivé en grande partie par des intérêts financiers, et pour réfléchir aux aspects de l’expérience psychédélique que nous voulons préserver.</p>
<p>C’est peut-être le moment de réinvestir dans nos institutions publiques pour faire en sorte que les psychédéliques ne deviennent pas simplement une autre option pharmaceutique qui profite aux investisseurs privés. Cela peut aussi être l’occasion de réfléchir à la façon dont la guerre contre les drogues a nui aux individus et aux communautés et de trouver comment établir un meilleur rapport avec les produits pharmaceutiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197971/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erika Dyck est financée par le Social Sciences and Humanities Research Council. Elle est membre du conseil d'administration de l'institut américain à but non lucratif Chacruna Institute for Psychedelic Plant Medicines.</span></em></p>
En décriminalisant le cannabis, le Canada a joué un rôle de pionnier à l’échelle internationale. Mais ses citoyens sont-ils prêts à avoir le même rôle dans le cas des psychédéliques ?
Erika Dyck, Professor and Canada Research Chair in the History of Health & Social Justice, University of Saskatchewan
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tag:theconversation.com,2011:article/197239
2023-01-12T18:46:26Z
2023-01-12T18:46:26Z
« Le Seigneur des anneaux » : Gollum aurait-il été condamné à de la prison ferme par la justice française ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504051/original/file-20230111-22-t4yssf.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C2%2C873%2C530&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'abolition du discernement, si elle est retenue, est établie selon des critères très précis. </span> <span class="attribution"><span class="source">New Line Cinema</span></span></figcaption></figure><p>L’enseignement du droit pénal n’étant pas toujours chose aisée, j’ai opté, il y a plusieurs années déjà, pour la projection d’extraits de films illustrant les principes et infractions étudiées en cours. Devant le succès de ce nouveau mode d’apprentissage, nous avons décidé d’étendre l’<a href="https://univ-droit.fr/recherche/actualites-de-la-recherche/parutions/46405-le-droit-penal-fait-son-cinema">étude du droit pénal à travers l’analyse de 62 films</a>, permettant, notamment, de se demander si Gollum aurait été condamné par la justice française.</p>
<p>Récemment à Paris, l’irresponsabilité des auteurs d’infractions pénales a encore déchaîné les passions. Le meurtre de Sarah Halimi par Kobili Traoré, en 2017, en est l’un des exemples. Malgré le meurtre de cette retraitée par défenestration, Kobili Traoré a été reconnu irresponsable de ses faits par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour abolition du discernement, comme cela a déjà été analysé dans un <a href="https://theconversation.com/irresponsabilite-penale-comment-comprendre-la-loi-161698">précédent article</a>. La Cour a estimé que, si le prévenu avait bien pris volontairement et durablement des psychotropes le rendant responsable de son état psychiatrique, « les dispositions de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000043473408?isSuggest=true">l’article 122-1, alinéa 1ᵉʳ</a> du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement. ». <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/06/au-proces-troadec-la-perpetuite-requise-contre-hubert-caouissin-pour-le-quadruple-meurtre_6087244_3224.html">L’affaire Troadec</a> est un exemple tout aussi intéressant, car il concerne non pas l’abolition du discernement, mais son altération, concernant Hubert Caouissin, ayant tué quatre personnes dans ce qui a été qualifié de folie meurtrière.</p>
<p>Cette question d’irresponsabilité pénale pour abolition, ou altération, du discernement, qui représentait <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_RSJ_Penal_11_4%202020.ods">203 cas en 2020</a>, s’est à nouveau posée dans le cadre du meurtre de <a href="https://theconversation.com/quand-les-tueurs-denfants-ninteressaient-personne-193875">Lola Daviet</a> par Dahbia Benkired ; l’expertise psychiatrique a, finalement, conclu que si Dahbia Benkired souffrait d’« un trouble grave et complexe de la personnalité » et d’une « absence d’empathie et de culpabilité », elle ne souffrait « d’aucun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ».</p>
<p>L’abolition du discernement n’est qu’une des causes d’irresponsabilité. Le code pénal en prévoit <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006149818/2020-11-10/">six autres</a>. Et grâce à la fiction, il est bien plus aisé de les comprendre.</p>
<h2>La contrainte irrésistible</h2>
<p>Avant de devenir difforme et repoussant, dans <em>Le Seigneur des Anneaux</em>, Gollum était un hobbit du nom de <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=39187.html">Sméagol</a>. Alors qu’il pêchait avec son cousin Déagol, celui-ci trouva l’Anneau unique qui avait été perdu par Isildur. Son pouvoir d’attraction était tel que Sméagol demanda à Déagol de le lui donner. Celui-ci refusa. Pris d’une rage incontrôlable, Sméagol <a href="https://www.youtube.com/watch?v=KZkr--DHjic">l’étrangla</a> et lui vola <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7oVgkQ4iicQ">l’anneau</a>. Puis il se réfugia dans des cavernes afin de ne pas se le faire dérober ; l’anneau ne cessa, depuis, d’exercer son pouvoir de fascination.</p>
<p>Sméagol est-il responsable de son acte ? Tournons-nous vers une première cause d’irresponsabilité : la contrainte irrésistible. L’article 122-2 du code pénal dispose que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’emprise d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister ». Si l’infraction est bien présente, son auteur ne pourra voir sa responsabilité pénale engagée.</p>
<p>Il existe deux types de contrainte ou de force : physique ou morale. Chacune d’entre elles peut, également, être subdivisée : interne ou externe.</p>
<p>La contrainte physique externe est celle d’une force extérieure à l’auteur de l’infraction, qui le rend impuissant. Cela peut être le fait de la nature, d’un tiers… Il en va ainsi d’un militaire ne pouvant se rendre dans son régiment à l’heure impartie du fait d’une tempête. La contrainte physique interne est inhérente à l’agent. C’est le cas de l’automobiliste qui, du fait d’un problème cardiaque, perd connaissance et renverse un piéton. Dans tous les cas, la contrainte doit avoir été irrésistible et imprévisible, c’est-à-dire que l’auteur du fait doit avoir été dans l’impossibilité absolue (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k426056x/f49.item.r=%22Gaston%20Vidal%22.zoom">Crim. 8 fév. 1936</a>) de ne pas commettre l’infraction. Une faute personnelle ne doit, par ailleurs, pas être à l’origine de cette contrainte. Comme un marin qui ne pourrait se rendre sur son bâtiment avant appareillage, car il a été arrêté pour ivresse sur la voie publique.</p>
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<p>La contrainte morale peut également être externe ou interne. La contrainte morale externe peut prendre la forme d’un employé braqué et menacé d’une arme. Il n’a pas d’autre choix que de s’exécuter, pour ne pas l’être. La contrainte interne n’entraîne plus, en revanche, l’irresponsabilité. C’est le cas des crimes passionnels d’antan dans lesquels les prévenus arguaient du fait qu’une passion les avait contraints à commettre l’irréparable.</p>
<p>Mais revenons-en à Sméagol. Dans un monde rationnel, le meurtre qu’il a commis pourrait s’expliquer par un acte passionnel. Il est très peu probable qu’un juge admette son irresponsabilité au titre d’une force morale interne. Mais en Terre du Milieu, dans le monde fantastique de Tolkien, l’anneau exerce un pouvoir tel qu’on pourrait le qualifier de contrainte morale externe, présentant les caractères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité. Il suffit d’observer l’attitude de tous les personnages du Seigneur des Anneaux qui ont été en possession de celui-ci. Sméagol pourrait donc ne pas être reconnu irresponsable de ses actes.</p>
<h2>Le trouble psychique ou neuropsychique</h2>
<p>Un autre fondement juridique pourrait être mis en avant : celui du trouble psychique ou neuropsychique. Selon <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000029370748">l’article 122-1, al. 1ᵉʳ</a> du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Cette cause d’irresponsabilité nécessite qu’un trouble psychique ou neuropsychique ait privé l’individu de sa capacité de discernement.</p>
<p>Toute la difficulté réside dans la capacité du juge de déterminer si l’individu était, au moment des faits, incapable de saisir la portée de ses actes, de déterminer si le trouble dont il était atteint était d’une telle ampleur qu’il a supprimé intégralement sa capacité à juger le bien et le mal ; en somme que son discernement a été aboli. Le juge d’instruction fera, pour cela, appel un expert psychiatre. Une étape particulièrement délicate.</p>
<p>Dans l’hypothèse de la reconnaissance d’une abolition du discernement, le juge diligentera des contre-expertises, qui peuvent parfois se contredire. La reconnaissance définitive d’une telle abolition, par la chambre de l’instruction, entraîne l’irresponsabilité pénale de l’individu. Une altération du discernement ne fait pas disparaître la responsabilité pénale de celui-ci ; elle peut, en revanche, être invoquée par le juge dans la détermination de la peine.</p>
<p>Sméagol était-il atteint de trouble ayant aboli son discernement au moment des faits ? La réponse ne peut être apportée que par un expert psychiatre, après de nombreux entretiens – probablement rocambolesques – avec lui. Malheureusement, Tolkien n’a pas prévu ce scénario. Il est cependant possible de constater que son cousin et lui semblaient sains d’esprit au début de leur partie de pêche. Et que leur folie meurtrière est apparue concomitamment à la découverte de l’anneau. Folie qui s’est emparée des deux personnages, indistinctement. Une fois Déagol tué, Sméagol n’a d’ailleurs pas semblé récupérer ses esprits, ni son discernement ; devenant peu à peu Gollum.</p>
<p>On peut donc présumer qu’un expert psychiatre conclurait à une abolition du discernement de Sméagol, le rendant pénalement irresponsable mais entraînant son hospitalisation sous contrainte sans durée préétablie. Et sans son « précieux » anneau.</p>
<hr>
<p><em>Olivier Lasmoles est l’auteur de l’ouvrage <a href="https://univ-droit.fr/recherche/actualites-de-la-recherche/parutions/46405-le-droit-penal-fait-son-cinema">« Le droit pénal fait son cinéma, Le droit pénal français en 62 films analysés et commentés »</a>, paru en novembre 2022 chez LexisNexis.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197239/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Lasmoles ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Pour mieux comprendre les clauses d’irresponsabilité des auteurs d’infractions pénales, petit détour par la Terre du milieu.
Olivier Lasmoles, Associate Professor in Law - Skema, SKEMA Business School
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tag:theconversation.com,2011:article/192540
2022-11-21T19:25:57Z
2022-11-21T19:25:57Z
Troubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490394/original/file-20221018-8262-hh0fi5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C117%2C859%2C563&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le regard très normé que pose la société sur les personnes « différentes » reste très stigmatisant (œuvre brute d'August Natterer, ayant une schizophrénie, début XXe siècle).</span> <span class="attribution"><span class="source">August Natterer/Wikipedia</span></span></figcaption></figure><p>Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, un trouble mental se caractérise par une <a href="https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-disorders">altération significative de l’état d’une personne sur un plan qui peut être cognitif, émotionnel et/ou comportemental</a>. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse, de souffrance psychique et de difficultés dans la gestion du quotidien qui peut toucher les sphères relationnelles, professionnelles, personnelles, sociales, etc.</p>
<p>Objets d’intérêt de la médecine, les troubles mentaux sont aussi un champ d’intérêt public et sociétal, et les personnes concernées sont <a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/etude_sante_mentale_institut_montaigne.pdf">trop souvent (et encore) stigmatisées</a>. Bien sûr, d’autres personnes ayant une maladie ont eu à faire face au poids du regard : les personnes atteintes de cancer ou de certains virus tels le Sida ont connu des périodes marquées par la peur et la mise à l’écart. Pour autant, les troubles mentaux restent un modèle de longévité en matière de stigmatisation…</p>
<p>La stigmatisation est le processus par lequel un attribut, socialement ou culturellement dévalorisé et discréditant, est appliqué à un individu ou un groupe d’individus par un autre groupe. Ce dernier se distinguant du groupe marqué – il y a les « nous » et les « eux », <a href="https://www.simonandschuster.com/books/Stigma/Erving-Goffman/9780671622442">généralement réduits à ce seul signe considéré comme distinctif</a>, ainsi que le soulignait déjà en 1963 le sociologue précurseur Erwin Goffman.</p>
<p>D’où proviendrait cette si longue discrimination ?</p>
<p>Une rapide traversée de l’histoire française des troubles mentaux suffit à comprendre à quel point des représentations, parfois millénaires, imprègnent encore nos conceptions « modernes ». Une brève rétrospective sur cet héritage apparaît comme un préalable à tout chantier visant à diminuer cette stigmatisation.</p>
<h2>Expliquer « la folie » à travers l’histoire</h2>
<p>Au cours de l’Antiquité grecque, Hippocrate (460-370 av. J.- C.), « père de la médecine » occidentale, et ses continuateurs développent la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/quand-la-medecine-reposait-sur-la-theorie-des-humeurs-du-medecin-antique-hippocrate-8289260">« théorie des humeurs »</a> pour expliquer les maladies.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Le dessin montre les quatre humeurs : flegmatique, sanguin, etc." src="https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=804&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490152/original/file-20221017-6684-u96cve.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1010&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La théorie des quatre humeurs d’Hippocrate va marquer la conception de la santé, et de la santé mentale notamment, pendant plus de deux mille ans (gravure, XVIᵉ s.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">« Quinta Essentia », de Leonhart Thurneisser</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quatre substances (les humeurs), chacune liée à un élément et une qualité, auraient composé notre corps : la bile noire (liée à la terre, sèche et froide), la bile jaune (feu, sèche et chaude), le sang (air, humide et chaud) et la lymphe (eau, humide et froide). En chacun de nous dominerait l’une ou l’autre de ces humeurs – soit, d’une certaine façon, une première tentative de modélisation de la notion des tempéraments. Tout déséquilibre aurait provoqué un état de maladie, physique ou mentale.</p>
<p>L’imprégnation de cette conception, qui va rester en vigueur jusqu’au Moyen Âge, est telle qu’elle est encore perceptible de nos jours, deux mille ans plus tard. Lorsque nous associons un type de personnalité et un trouble mental, comme le pessimisme et la dépression par exemple, nous perpétuons ainsi à notre insu cette théorie aujourd’hui reconnue infondée.</p>
<p>Au Moyen Âge, d’autres types d’explication du trouble mental viennent s’ajouter. La conception religieuse sera la plus développée : selon saint Thomas d’Aquin, les personnes seraient comme sous l’emprise du démon qui les dépossède de leur raison, ce qui leur vaudrait l’attribut de « fou ». <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Histoire-de-la-folie-a-l-age-classique">Ils sont alors plutôt considérés comme étant du ressort de l’Église</a>. De nos jours, le qualificatif de « possédé » est encore employé par certains pour qualifier une personne au comportement considéré comme étrange ou rapportant des idées dites délirantes (hors réalité).</p>
<p>Le discours théologique s’empare notamment de la mélancolie. Déjà décrite par Aristote, elle était alors un apanage des êtres d’exception ; désormais, elle « attire le diable et le retient ». On parle de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-psychotherapies-2013-2-page-71.htm">acédie de certains moines</a>, qui tombent dans un état de profonde oisiveté et de désespoir. Le traitement est « priez et travaillez »…</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Tableau où différents personnages (moines, etc.) sont installés autour d’une table sur une petite barque avec un arbre" src="https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490147/original/file-20221017-11-ow2wz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le fou, qui agit hors des cadres sociaux, fascine et inquiète notamment au Moyen Âge (Nef des fous, J. Bosch, XVᵉ s.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Louvre</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Sans explication satisfaisante, le « fou », tel qu’on le nomme, dérange autant qu’il fascine si bien que la <a href="https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1977_num_98_392_2537">société médiévale hésite sur la façon de le considérer</a>.</p>
<p>Traité différemment sur le plan juridique, social ou relationnel, ses biens peuvent être gérés par ses proches, son droit au mariage limité ; il est également pénalement irresponsable. Parfois paria, il peut, à l’inverse, aussi être considéré comme celui qui a une liberté de parole, capable de crier ce que les autres taisent…</p>
<p>De plus, sans prise en charge adaptée, les manifestations des troubles mentaux pouvaient être aiguës et spectaculaires ce qui a, là encore, marqué durablement nos représentations collectives. Ne dit-on pas à un enfant qui s’agite ou à quiconque agit hors des normes sociales en vigueur : « Arrête de faire le fou » ?</p>
<h2>Vers une (lente) rationalisation</h2>
<p>L’explication psychologique des troubles mentaux émerge dès le XII<sup>e</sup> siècle, alors que certains savants proposent que les « passions de l’âme » puissent rendre « fou ». Il existe des écrits sur les causes (étiologie), l’expression, les mécanismes et l’évolution des troubles mentaux ; pourtant, la psychopathologie en tant que discipline (du grec <em>psukhê</em>, âme, et <em>pathos</em>, maladie, soit la « science de la souffrance psychique ») mettra encore plusieurs siècles à s’imposer…</p>
<p>Le discours médical commence à prendre de l’ampleur au XVII<sup>e</sup> siècle, alors que la perception de certains « états d’âme » est toujours très associée aux artistes, caractérisant ainsi nombreux peintres et écrivains. Cette association entre folie et créativité a traversé le temps et persiste dans les représentations actuelles (on parle de « l’artiste tourmenté », de « folie créative »…).</p>
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<p>Les connaissances médicales explosent toutefois, et les troubles mentaux deviennent des affections à soigner : on les étudie, on les inventorie, on les catégorise. Ainsi en 1798, le réputé <a href="https://blogs.univ-jfc.fr/vphn/figures-et-evenements/philippe-pinel-et-la-naissance-de-la-psychiatrie-2018/">aliéniste Philippe Pinel</a> publie sa <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k85084p">« Nosographie philosophique ou méthode de l’analyse appliquée à la médecine »</a>. Refusant à ce stade le questionnement étiologique (sur les causes), il s’exerce à classer les personnes, nommées cette fois les « aliénés », en recherchant des caractères distinctifs extérieurs pour tenter d’identifier différentes variétés de « folie » (hypochondrie, mélancolie, manie et hystérie).</p>
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<img alt="Pinel se tient debout au milieu des « fous » dans la cour de l’hôpital, qui le remercie" src="https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490151/original/file-20221017-25-rhj6tc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« [Philippe] Pinel, médecin en chef de la Salpêtrière, délivrant les aliénés de leurs chaînes en 1795 » (tableau de 1876).</span>
<span class="attribution"><span class="source">hôpital de la Pitié-Salpétrière</span></span>
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<p>Par sa méthode analytique et ses observations, Pinel a posé les premières pierres de ce qui serait l’étude scientifique des troubles mentaux et leur classification. Il faut attendre encore un siècle, en 1883, pour que soit publié le « Traité de psychiatrie » du psychiatre Emil Kraepelin. Dans sa classification des troubles mentaux, le fondateur de la psychiatrie scientifique moderne décrit la <em>dementia praecox</em> au côté de la psychose maniaco-dépressive – une entité clinique à part entière.</p>
<p>Si aujourd’hui la psychiatrie est bien reconnue comme une spécialité médicale, son lourd passé stigmatisant se traduit encore aujourd’hui par sa mise à l’écart du reste de la médecine. En France, de nombreuses villes ont d’ailleurs des centres hospitaliers psychiatriques qui ne sont pas intégrés au sein des centres hospitaliers dits généraux ou « somatiques ».</p>
<h2>De la « folie » à la « maladie »</h2>
<p>Alors que le « fou » ou « aliéné » devient un « malade », on va, à partir du XIX<sup>e</sup> siècle, le prendre en charge en asile psychiatrique.</p>
<p>Interné, isolé, l’aliéné est alors physiquement mis à l’écart de la société où persiste l’idée d’incurabilité. Il y est visité par les professionnels <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1037/a0014200">comme on visite un zoo</a>.</p>
<p>Les pratiques mises en place vont ici encore laisser des traces dans nos représentations par leur violence et les conséquences sur les personnes concernées, telles la lobotomisation (retrait d’une partie du cerveau) ou la contention forcée. « Se faire lobotomiser« et « être fou à lier » sont deux expressions communes issues de ces pratiques. Durant cette période asilaire (qui s’est étirée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale), des progrès médicaux sont certes réalisés, mais souvent au prix d’atteinte à l’éthique et aux personnes derrière les troubles.</p>
<p>Toutefois, les malades, considérés sous le prisme de la conception médicale, ont désormais des droits. La <a href="https://www.cnle.gouv.fr/le-XIXe-si%C3%A8cle-la-loi-de-1838-et-l.html">loi de 1838</a> stipule par exemple que leur admission en asile doit se faire sur certificat médical, et qu’ils doivent recevoir des soins – la possibilité de guérison, et donc de sortie, est également mentionnée.</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19766718/">Jean-Martin Charcot et Guillaume Duchenne</a> fondent la neurologie (étude des atteintes du système nerveux) et proposent de nouvelles formes de thérapie, fondée sur l’hypnose, l’électricité, etc. Ainsi, certaines de ces méthodes, par exemple les électrochocs, viennent colorer nos représentations de la psychiatrie. Pourtant ces pratiques d’hier ne reflètent plus celles d’aujourd’hui. L’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/electroconvulsive-therapy-for-depression-80-years-of-progress/EA419A2EDF02EB803D8417B437779060">électroconvulsivothérapie</a> (ECT ou sismothérapie, induction de convulsions par l’électricité chez le malade) souffre nettement de ce lourd héritage.</p>
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<img alt="Leçon clinique de Jean-Martin Charcot à la Pitié-Salpêtrière, qui tient une jeune femme sous hypnose" src="https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/490396/original/file-20221018-6087-jeph5g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le XIXᵉ siècle voit émerger de nouvelles formes de thérapie, comme l’hypnose, notamment promue par le neurologue Jean-Martin Charcot (ici, lors d’une séance à la Salpêtrière).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Université Paris Descartes</span></span>
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<p>Le poids de l’histoire des prises en charge des maladies mentales pèse encore aujourd’hui. Les services d’urgences psychiatriques accueillent toujours des personnes en état de détresse importante, n’ayant pas consulté auparavant par <a href="https://theconversation.com/les-soins-psychiatriques-sans-consentement-quels-enjeux-en-france-185943">peur d’être « internées »</a>… Beaucoup craignent d’être attachées physiquement, « assommées » chimiquement voire enfermées. La démarche de consulter un professionnel de santé mentale est donc lourde et associée à de nombreux freins.</p>
<p>Le difficile recours aux soins en santé mentale est un problème de santé publique. D’où l’importance de partager l’évolution des connaissances concernant la santé mentale au plus grand nombre – et de modifier les pratiques de soin et d’accompagnement des personnes en accord avec ces évolutions.</p>
<h2>Vers un retour dans la société ?</h2>
<p>Les traitements médicamenteux continuent d’évoluer et prouvent leur efficacité pour modifier, diminuer voire supprimer certaines manifestations des troubles (ou symptômes). Pour exemple, l’arrivée des neuroleptiques ou antipsychotiques de nouvelle génération vers 1950 a pu participer à améliorer l’état de santé psychique des personnes atteintes de schizophrénies, de manies ou de crises suicidaires. Des effets secondaires persistent néanmoins, souvent lourds mais de plus en plus pris en compte par les professionnels de santé mentale.</p>
<p>Les manifestations externes (et internes) des troubles amoindries, on assiste à un vaste mouvement de désinstitutionnalisation poussant à réintégrer les personnes concernées dans la société, en tant que citoyen à part entière. En atteste le développement des centres médico-psychologiques et d’hôpitaux de jour permettant de réduire les durées d’hospitalisation et d’inscrire la question de la santé mentale dans la cité.</p>
<p>Le risque serait de tomber dans l’objectif de rendre tout un chacun plus adapté à la société, plus dans la « norme » au sens de « comme la plupart des gens » (avoir un travail, une vie de famille, des enfants, etc.)… Et ce au détriment d’une recherche d’acceptation de l’autre par la société elle-même, fût-il différent, tout autant qu’une acceptation de soi-même.</p>
<p>On peut interroger ici le rôle des personnes indirectement concernées par le trouble mental. En effet, pour accepter quelqu’un dans son entourage proche (dans la famille, professionnellement, amicalement, etc.) ou encore considérer la personne derrière le trouble quand on est professionnel de santé mentale, il est plus facile de reconnaître en lui les caractéristiques qui nous sont familières.</p>
<p>Petit à petit, la conception médicale intègre aussi une conception psychosociale des troubles mentaux. Les prises en charge deviennent de plus en plus orientées vers une pratique de <a href="https://centre-ressource-rehabilitation.org/qu-est-ce-que-la-rehabilitation-psychosociale">réhabilitation psychosociale</a>, au-delà du traitement médicamenteux et en s’appuyant sur les compétences des personnes concernées par le trouble mental. Les besoins et projets des personnes sont considérés en faveur de leur <a href="https://theconversation.com/le-retablissement-en-sante-mentale-quand-les-patients-redeviennent-des-personnes-188263">rétablissement</a>. Ces conceptions de la personne au-delà du trouble mental offrent alors la nécessité de développer de nouvelles représentations collectives centrées sur l’individu.</p>
<h2>Revoir l’humain derrière le trouble</h2>
<p>Finalement, même au XXI<sup>e</sup> siècle, parler de trouble mental reste complexe. Évoquer les <a href="https://psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">troubles du spectre de la schizophrénie, les troubles bipolaires ou encore les troubles dépressifs</a>, c’est potentiellement activer un panel d’émotions allant de la peur à la fascination, en passant par la compassion, la colère, la pitié, le mépris ou encore la surprise.</p>
<p>Ces émotions qui peuvent parfois sembler légitimes sont malheureusement bien souvent basées sur nos représentations erronées des troubles, issues des conceptions et pratiques passées. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jasp.12323">Émotions comme représentations s’entretiennent</a> et se renforcent, ayant pour conséquence d’alimenter la stigmatisation.</p>
<p>Pour exemple, la peur ressentie à l’évocation d’une personne ayant une schizophrénie renverrait au sentiment de dangerosité infondé et véhiculé par les représentations collectives – notamment dans les médias. Ce qui renvoie au besoin de mise à l’écart existant à l’époque asilaire voire aliéniste.</p>
<p>Les ressentis sont pluriels mais ce qui est souvent commun c’est le sentiment d’étrangeté, au sens de différence de soi : le trouble mental parait loin de nous. Toute société est constituée de normes et de symboles favorisant le sentiment d’appartenance au groupe et guidant notre image de nous-mêmes et des autres. Ce qui parait en dehors des normes fait alors l’objet d’un traitement cérébral spécifique et nous impose de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11029900/">nous questionner sur l’attitude à avoir</a>.</p>
<p>Le processus de stigmatisation tend à réduire une personne à ses manifestations en décalage à la norme, jusqu’à lui <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224545.2019.1671301">retirer une part d’humanité</a>. Lutter contre la stigmatisation, c’est aider à percevoir l’autre de manière plus globale en tant que personne, à le réhumaniser en ne le réduisant plus à son trouble. Redevenu plus humain, c’est admettre qu’il est plus proche de soi-même.</p>
<p>Par conséquent, changer de regard serait accepter l’idée que l’on est en réalité tous concernés (directement ou par le biais d’un proche). Cela signifierait avoir moins peur de ce que l’on peut être, de ce que l’on peut voir, ressentir sur soi mais aussi pour l’autre. Pour mémoire, l’<a href="https://apps.who.int/iris/handle/10665/42390">OMS estime qu’une personne sur quatre connaîtra d’ailleurs un trouble psychique au cours de sa vie</a> et le <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2019/suicide-et-tentative-de-suicides-donnees-nationales-et-regionales">suicide reste un risque important</a>.</p>
<hr>
<p><em>Pour citer cet article : M’bailara, K., Munuera, C. et Follenfant, A. (2022). « Troubles mentaux : quand la stigmatisation d’aujourd’hui reflète les conceptions d’hier », The Conversation.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Munuera a reçu une bourse doctorale du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice Follenfant et Katia M'bailara ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Aucun trouble n’est aussi stigmatisé que le trouble mental. Pour comprendre l’origine de ce rejet lourd de conséquences pour les individus touchés, et le dépasser, un rappel historique est nécessaire…
Katia M'bailara, Maitresse de conférences et psychologue, Université de Bordeaux
Alice Follenfant, Enseignante-chercheure en psychologie, Université de Bordeaux
Caroline Munuera, Psychologue clinicienne spécialisée en Psychopathologie et doctorante en Psychologie, Université de Bordeaux
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/188193
2022-08-09T20:51:21Z
2022-08-09T20:51:21Z
Une IA remplacera-t-elle bientôt votre psychiatre ?
<p>« Bonjour Monsieur. Je vous en prie, installez-vous. Alors… comment allez-vous depuis la dernière fois ? »</p>
<p>Et si, dans quelques années, cette phrase anodine n’était plus prononcée par un psychiatre en chair et en os mais par une IA, une Intelligence artificielle ? Avec la <a href="https://theconversation.com/covid-19-quelles-consequences-sur-la-sante-mentale-137242">résurgence récente de la psychiatrie dans le débat public</a>, <a href="https://theconversation.com/comment-la-crise-sanitaire-affecte-la-sante-mentale-des-etudiants-163843">notamment en raison de la crise sanitaire</a>, l’idée de proposer des systèmes de suivi de la santé mentale intégrant des IAs a ressurgi.</p>
<p>Elle est, soyons honnête, loin d’être nouvelle puisqu’on trouve la <a href="https://dl.acm.org/doi/pdf/10.1145/365153.365168">première trace d’un chatbot (programme de dialogue) dédié à la psychiatrie, nommé ELIZA, dès 1966</a>. Ces dernières décennies, les avancées en Intelligence artificielle ont permis la montée en puissance des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0706743719828977">chatbots</a>, « robots thérapeutes » ou autres <a href="https://theconversation.com/votre-etat-de-sante-dans-votre-voix-152111">systèmes de détection de l’état de santé à travers la voix</a>.</p>
<p>Il existe aujourd’hui <a href="https://academic.oup.com/jamia/article/25/9/1248/5052181">plus d’une vingtaine de robots-thérapeutes</a> <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0706743720966429">validés par des études scientifiques en psychiatrie</a>. Plusieurs de ces travaux avancent que les patients pourraient <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/bjpsych-open/article/digital-mental-health-apps-and-the-therapeutic-alliance-initial-review/84D2BF70EEA1EAD7E681FF012651B55E">développer de véritables relations thérapeutiques avec ces technologies</a>, voire que certains d’entre eux se sentiraient même plus à l’aise avec un chatbot qu’avec un psychiatre humain.</p>
<p>Les ambitions sont donc grandes… D’autant que, contrairement à leurs homologues humains, ces « professionnels » numériques promettraient des décisions objectives, réplicables et dénuées de tout jugement – et d’être disponibles à toute heure.</p>
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<img alt="Page de dialogue d’ELIZA, avec extrait d’un échange sur le petit ami de l’interlocutrice du robot-thérapeute" src="https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477664/original/file-20220804-26-8qekbh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier logiciel de dialogue ou chatbot est ELIZA, conçu en 1966 pour simuler un psychothérapeute.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
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<p>Il faut cependant noter que, même si le nom de « robot-thérapeute » évoque l’image d’un robot physique, la plupart sont basés sur du texte, éventuellement des vidéos animées. En plus de cette absence de présence physique, importante pour la majorité des patients, beaucoup ne parviennent pas à reconnaître toutes les difficultés vécues par les personnes avec qui ils conversent. Comment, alors, fournir des réponses appropriées, comme l’orientation vers un service d’assistance dédié ?</p>
<h2>Diagnostic et modèle interne chez le psychiatre</h2>
<p>Le psychiatre, dans son entretien avec son patient, est, lui, capable de percevoir des signaux importants trahissant l’existence d’idées suicidaires ou de violences domestiques à côté desquels peuvent passer les chatbots actuels.</p>
<p>Pourquoi le psychiatre surpasse-t-il encore sa version électronique ? Lorsque ce spécialiste annonce « Vous avez un trouble déficit de l’attention », ou « Votre fille présente une anorexie mentale », le processus qui l’a conduit à poser ces diagnostics dépend de son « modèle interne » : un <a href="https://theconversation.com/lesprit-est-il-une-machine-predictive-introduction-a-la-theorie-du-cerveau-bayesien-173707">ensemble de processus mentaux, explicites ou implicites, qui lui permettent de poser son diagnostic</a>.</p>
<p>De même que l’<a href="https://theconversation.com/ce-petit-robot-qui-navigue-sans-gps-comme-une-fourmi-116700">ingénierie s’inspire de la nature pour concevoir des systèmes performants</a>, il peut être pertinent d’analyser ce qu’il se passe dans la tête d’un psychiatre (la façon dont il conçoit et utilise son modèle interne) lorsqu’il pose son diagnostic pour ensuite mieux entraîner l’IA chargée de l’imiter… Mais dans quelle mesure un « modèle interne » humain et celui d’un programme sont-ils similaires ?</p>
<p>C’est ce que nous nous sommes demandé dans notre <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyt.2022.926286/full">article récemment paru dans la revue <em>Frontiers in Psychiatry</em></a>.</p>
<h2>Comparaison Homme-Machine</h2>
<p>En nous appuyant sur de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1600-0447.2011.01737.x">précédentes études</a> <a href="https://journals.lww.com/academicmedicine/fulltext/2009/08000/a_universal_model_of_diagnostic_reasoning.14.aspx">sur le raisonnement diagnostic en psychiatrie</a>, nous avons établi une comparaison entre le modèle interne du psychiatre et celui des IAs. La formulation d’un diagnostic passe par trois grandes étapes :</p>
<p>● <strong>La collecte d’informations et leur organisation.</strong> Lors de son entretien avec un patient, le psychiatre assemble de nombreuses informations (à partir de son dossier médical, de ses comportements, de ce qui est dit, etc.), qu’il sélectionne dans un second temps selon leur pertinence. Ces informations peuvent ensuite être associées à des profils préexistants, aux caractéristiques similaires.</p>
<p>Les systèmes d’IA font de même : se basant sur les données avec lesquelles ils ont été entraînés, ils extraient de leur échange avec le patient des caractéristiques (en anglais <em>features</em>) qu’ils sélectionnent et organisent suivant leur importance (<em>feature selection</em>). Ils peuvent ensuite les regrouper en profils et, ainsi, poser un diagnostic.</p>
<p>● <strong>La construction du modèle.</strong> Lors de leur cursus de médecine, puis tout au long de leur carrière (pratique clinique, lecture de rapports de cas, etc.), les psychiatres formulent des diagnostics dont ils connaissent l’issue. Cette formation continue renforce, dans leur modèle, les associations entre les décisions qu’ils prennent et leurs conséquences.</p>
<p>Ici encore, les modèles d’IA sont entraînés de la même manière : que ce soit lors de leur entraînement initial ou leur apprentissage, ils renforcent en permanence, dans leur modèle interne, les relations entre les descripteurs extraits de leurs bases de données et l’issue diagnostique. Ces bases de données peuvent être très importantes, voire contenir plus de cas qu’un clinicien n’en verra au cours de sa carrière.</p>
<p>● <strong>Utilisation du modèle.</strong> Au terme des deux précédentes étapes, le modèle interne du psychiatre est prêt à être utilisé pour prendre en charge de nouveaux patients. Divers facteurs extérieurs peuvent influencer la façon dont il va le faire, comme son salaire ou sa charge de travail – qui trouvent leurs équivalents dans le coût du matériel et le temps nécessaire à l’entraînement ou l’utilisation d’une IA.</p>
<p>Comme indiqué précédemment, il est souvent tentant de penser que le psychiatre est influencé dans sa pratique professionnelle par tout un ensemble de facteurs subjectifs, fluctuants et incertains : la qualité de sa formation, son état émotionnel, le café du matin, etc. Et qu’une IA, étant une « machine », serait débarrassée de tous ces aléas humains… C’est une erreur ! Car l’IA comporte, elle aussi, une part de subjectivité importante ; elle est simplement moins immédiatement perceptible.</p>
<p><em>[Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<h2>L’IA, vraiment neutre et objective ?</h2>
<p>En effet, toute IA a été conçue par un ingénieur humain. Ainsi, si l’on veut comparer les processus de réflexion du psychiatre (et donc la conception et l’utilisation de son modèle interne) et ceux de l’IA, il faut considérer l’influence du codeur qui l’a créée. Celui-ci possède son propre modèle interne, dans ce cas non pas pour associer données cliniques et diagnostic mais type d’IA et problème à automatiser. Et là aussi, de nombreux choix techniques mais reposant sur de l’humain entrent en compte (quel système, quel algorithme de classification, etc.)</p>
<p>Le modèle interne de ce codeur est nécessairement influencé par les mêmes facteurs que celui du psychiatre : son expérience, la qualité de sa formation, son salaire, le temps de travail pour écrire son code, son café du matin, etc. Tous vont se répercuter sur les paramètres de conception de l’IA et donc, indirectement, sur les prises de décision de l’IA, c’est-à-dire sur les diagnostics qu’elle fera.</p>
<p>L’autre subjectivité qui influe sur le modèle interne des IAs est celle associée aux bases de données sur lesquelles celle-ci est entraînée. Ces bases de données sont en effet conçues, collectées et annotées par une ou plusieurs autres personnes ayant leurs propres subjectivités – subjectivité qui va jouer dans le choix des types de données collectées, du matériel impliqué, de la mesure choisie pour annoter la base de données, etc.</p>
<p>Alors que les IAs sont présentées comme objectives, <a href="https://theconversation.com/comment-lintelligence-artificielle-reproduit-et-amplifie-le-racisme-167950">elles reproduisent en fait les biais présents dans les bases de données sur lesquelles elles sont entraînées</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Schéma synthétisant où les facteurs subjectifs jouent dans l’établissement d’un diagnostic : chez le psy, mais aussi chez les codeurs, ingénieurs, etc" src="https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/477724/original/file-20220804-7860-qales6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La subjectivité intervient non seulement chez le psychiatre humain, mais aussi chez les IAs thérapeutiques à travers les choix faits par les ingénieurs, codeurs… qui les ont conçues.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Vincent Martin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les limites de l’IA en psychiatrie</h2>
<p>Il ressort de ces comparaisons que l’IA n’est pas exempte de facteurs subjectifs et, de ce fait notamment, n’est pas encore prête à remplacer un « vrai » psychiatre. Ce dernier dispose, lui, d’autres qualités relationnelles et empathiques pour adapter l’utilisation de son modèle à la réalité qu’il rencontre… ce que l’IA peine encore à faire.</p>
<p>Le psychiatre est ainsi capable de souplesse de la collecte d’informations lors de son entretien clinique, ce qui lui permet d’accéder à des informations de temporalité très différentes : il peut par exemple interroger le patient sur un symptôme survenu des semaines auparavant ou faire évoluer son échange en temps réel en fonction des réponses obtenues. Les IAs restent pour l’heure limitées à un schéma préétabli et donc rigide.</p>
<p>Une autre limite forte des IAs est leur manque de corporéité, un facteur <a href="https://theconversation.com/de-la-depression-a-la-maladie-de-parkinson-le-pouvoir-curatif-de-la-danse-128740">très important en psychiatrie</a>. En effet, toute situation clinique est basée sur une rencontre entre deux personnes – et cette rencontre passe par la parole et la communication non verbale : gestes, position des corps dans l’espace, lecture des émotions sur le visage ou reconnaissance de signaux sociaux non explicites… En d’autres termes, la présence physique d’un psychiatre constitue une part importante de la relation patient-soignant, qui elle-même constitue une part importante du soin.</p>
<p>Tout progrès des IAs dans ce domaine <a href="https://theconversation.com/lintelligence-artificielle-ne-peut-se-comparer-a-lhomme-elle-na-ni-corps-ni-masse-91861">est dépendant des avancées en robotique</a>, là où le modèle interne du psychiatre est déjà incarné dans celui-ci.</p>
<p>Est-ce à dire qu’il faut oublier l’idée d’un psy virtuel ? La comparaison entre le raisonnement du psychiatre et celui de l’IA est malgré tout intéressante dans une perspective de pédagogie croisée. En effet, bien comprendre la façon dont les psychiatres raisonnent permettra de mieux prendre en compte les facteurs intervenant dans la construction et l’utilisation des IAs dans la pratique clinique. Cette comparaison éclaire également le fait que le codeur amène lui aussi son lot de subjectivité dans les algorithmes d’IA… qui ne sont ainsi pas à même de tenir les promesses qu’on leur prête.</p>
<p>Ce n’est qu’à travers ce genre d’analyses qu’une véritable pratique interdisciplinaire, permettant d’hybrider l’IA et la médecine, pourra se développer à l’avenir pour le bénéfice du plus grand nombre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188193/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Martin a reçu des financements du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christophe Gauld ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les robots-thérapeutes sont aujourd’hui légion… Mais avec quel bénéfice pour les patients ? Sont-ils si objectifs ? Entrez dans la psyché de ces psychiatres numériques et de leurs confrères humains.
Vincent Martin, Docteur en informatique, Université de Bordeaux
Christophe Gauld, Pédopsychiatre et médecin du sommeil, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/185943
2022-07-19T17:53:44Z
2022-07-19T17:53:44Z
Les soins psychiatriques sans consentement : quels enjeux en France ?
<p>Par un arrêt du 17 juin 2022, la Cour d’appel de Bordeaux a infirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) du 9 juin 2022 autorisant le transfert de <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/pyrenees-atlantiques/pau/romain-dupuy-schizophrene-qui-avait-tue-deux-soignantes-defend-son-transfert-dans-une-unite-psychiatrique-classique-2562936.html">Romain Dupuy</a> de l’Unité pour malades difficiles (UMD) du centre hospitalier de Cadillac (Gironde) à une autre unité fermée de soins psychiatriques. La Cour d’appel a déclaré incompétent le JLD pour statuer sur cette demande.</p>
<p>Le cas de Romain Dupuy, âgé aujourd’hui de 39 ans, avait connu un large écho fin 2004 lors du « Drame de Pau ». Le jeune homme, atteint de schizophrénie, avait alors tué deux soignantes de l’hôpital psychiatrique de Pau. Jugé irresponsable pénalement en appel, il est depuis 2005 hospitalisé à l’UMD de Cadillac. Son placement dans ce service est régulièrement contrôlé par le JLD. Il demandait son déplacement dans une autre unité fermée du CH de Cadillac, mesure refusée par le préfet de Gironde.</p>
<p>Cette affaire fait ressurgir dans l’actualité la question de l’hospitalisation sans consentement en hôpital psychiatrique. Très médiatisée, cette cause d’admission en UMD n’est toutefois pas unique – ni majoritaire.</p>
<p>S’il existe dix unités pour malades difficiles en France (dont trois sont en mesure d’accueillir des femmes), capables de recevoir environ <a href="https://www.psycom.org">530 patients</a>, elles ne constituent qu’une <a href="https://theconversation.com/liberez-britney-spears-hospitalisation-sous-contrainte-tutelle-et-sante-mentale-155394">petite partie des unités psychiatriques accueillant des patients hospitalisés sans consentement</a>.</p>
<p>Quelques chiffres permettent de se rendre compte de la méconnaissance de la réalité des soins psychiatriques et des maladies mentales dans l’Hexagone. Le regard du grand public sur ces sujets est donc <a href="https://theconversation.com/la-place-des-malades-psychiatriques-est-a-lhopital-pas-en-prison-82670">particulièrement biaisé</a>.</p>
<p>En 2014, une étude réalisée par l’entreprise de sondage <a href="https://www.fondation-fondamental.org/sites/default/files/rapport_ipsos_fondamental_1.pdf">Ipsos</a> pour la fondation FondaMental montrait ainsi que 55 % des Français étaient incapables d’estimer la fréquence des maladies mentales au regard des autres maladies au sein de la population – 71 % sous-évaluaient leur prévalence.</p>
<p>Dans les faits, une personne sur cinq sera un jour touchée par une maladie psychique. Ces pathologies sont ainsi classées au troisième rang des plus fréquentes en France, après les cancers et les maladies <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_laforcade_mission_sante_mentale_oct_2016.pdf">cardiovasculaires</a>.</p>
<h2>Le soin psychiatrique</h2>
<p>Il est nécessaire de rappeler que, en principe, chacun est libre d’accepter ou de refuser des soins et que le médecin est tenu de respecter ce choix.</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000041721056/">Code de la Santé publique, Art. L1111-4, 2020</a>)</p>
</blockquote>
<p>Ce qui signifie que l’on est libre de demander son admission en soins psychiatriques, en vertu du principe de consentement aux soins.</p>
<p>En France, les soins psychiatriques sont organisés en secteurs. Chacun d’entre eux couvre une zone d’environ 80 000 habitants. À titre d’exemple, dans le département de la Gironde, les soins psychiatriques sont organisés autour de <a href="https://www.unafam.org/gironde/la-psychiatrie-en-gironde">trois centres hospitaliers</a>.</p>
<p>L’un d’entre eux, le <a href="https://www.ch-perrens.fr/sites/default/files/files/Etablissement/Chiffres%20cl%C3%A9s/RA%202020%20juillet%202021.pdf">centre hospitalier de Charles Perrens, comporte quatre pôles cliniques adultes, un pôle universitaire de pédopsychiatrie et un pôle d’addictologie interétablissement</a>. Selon les pôles, on retrouve des unités d’hospitalisation à temps plein, des hôpitaux de jour, des centres médico-psychologiques, etc. La prise en charge peut donc être à temps complet dans le cadre d’une hospitalisation, ambulatoire ou la journée dans le cas des hôpitaux de jour.</p>
<p>L’admission en soins psychiatriques dits « libres » est une modalité d’hospitalisation dans laquelle le consentement de la personne est requis ; et la personne qui est à l’origine de son hospitalisation est également libre d’y mettre fin à tout moment. Par opposition, on trouve l’admission en soins « sans consentement ». Dans ce cas de figure, tel celui de Romain Dupuy, le patient n’est libre ni de son entrée ni de sa sortie.</p>
<p>Le soin des maladies mentales a connu une évolution importante au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle avec la <a href="https://www.cnle.gouv.fr/le-XIXe-si%C3%A8cle-la-loi-de-1838-et-l.html">loi du 30 juin 1838 sur les aliénés, dite loi Esquirol</a>. Cette dernière avait incité, dans chaque département, à la création d’un asile. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, diverses réformes seront promulguées.</p>
<p>L’une des dernières, datée du 5 juillet 2011, est relative aux droits à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement et aux modalités de leur prise en charge ; elle a notamment remodelé les conditions d’entrée dans ce cas de figure.</p>
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<h2>Le cadre actuel des soins psychiatriques sans consentement</h2>
<p><a href="https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2021-04/programme_de_soins_psychiatriques_sans_consentement._guide.pdf">En 2018, 96 000 personnes</a> en France étaient concernées par une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Attention, parmi elles, seule une minorité a commis un crime.</p>
<p>Ce mode d’hospitalisation se décline en trois volets, prévus dans le Code de la santé publique :</p>
<ul>
<li><p>L’admission à la demande d’un tiers (une personne suffisamment proche du patient souffrant de troubles mentaux, parents par exemple, et justifier de liens importants avec lui),</p></li>
<li><p>L’admission à la demande du représentant de l’État,</p></li>
<li><p>L’admission pour péril imminent.</p></li>
</ul>
<p>Concernant l’admission sur demande d’un tiers, le patient doit présenter un trouble mental rendant impossible son consentement ainsi que d’un état de santé justifiant une surveillance constante et des soins immédiats – la seule demande d’un tiers ne suffit pas, par exemple.</p>
<p>La demande doit de plus être associée à deux certificats médicaux, qui devront être datés de moins de 15 jours avant l’admission. L’un des deux au moins devra émaner d’un médecin qui n’appartient pas à l’établissement considéré.</p>
<p>La mesure d’hospitalisation fera ensuite l’objet d’un contrôle. Deux nouveaux certificats, l’un après 24 heures et l’autre après 72 heures, devront faire état de la nécessité de maintenir la mesure de soins. Par la suite, le juge des libertés et de la détention statuera sur le bien-fondé et la régularité de la décision.</p>
<p>Les patients sont généralement hospitalisés en unités psychiatriques au sein de centres hospitaliers spécialisés. Nous avons déjà mentionné l’UMD, l’Unité pour malades difficiles. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006072816/">Y est hospitalisé tout patient dont l’état de santé requière une vigilance importante et qui représente un potentiel danger pour autrui</a>. Son admission se fait sur arrêté du préfet de département sur proposition du psychiatre du patient, avec l’accord du psychiatre de l’UMD, sur la base d’un dossier comprenant un certificat médical motivé et éventuellement une ou plusieurs expertises médicales.</p>
<p>Il existe d’autres types de structures, que nous avons évoquées. Les différentes modalités de prise en charge sont le meilleur moyen de s’adapter à la pathologie et à la situation de la personne atteinte par ces troubles.</p>
<p>Ces soins sans consentement peuvent ainsi prendre une autre forme que l’hospitalisation complète : il peut s’agir de soins ambulatoires ou à domicile dispensés par un établissement, ou encore de séjours de courte durée <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043499459">(art L3211-2-1 I du CSP)</a>.</p>
<p>Le véritable enjeu ici concerne la protection de la liberté individuelle, qui sera assurée par le <a href="http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/lordre-judiciaire-10033/juge-des-libertes-et-de-la-detention-25302.html">juge de la liberté et de la détention</a>. Ce processus complexe a été pensé pour assurer le respect et la sécurité de la personne et éviter tout internement abusif – et actuellement, la jurisprudence ne semble effectivement pas connaître de tels exemples.</p>
<p>Il est à noter que la France n’est pas le seul pays à disposer d’un système de soins sans consentement : nos voisins belges, par exemple, ont, eux, mis en place deux régimes de prise en charge en soins psychiatriques sous contrainte. La première dite « internement » concerne les personnes ayant commis des crimes ou délits. La seconde, nommée « mise en observation », concerne les personnes atteintes d’un trouble psychique grave nuisant à leur santé, à leur sécurité ou à celle d’autrui.</p>
<h2>Un large panel de pathologies mentales concerné</h2>
<p>Il n’existe pas de patient avec une « pathologie type » admis en soins psychiatriques sans consentement. Pour l’UMD de Cadillac, le <a href="http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2018/04/Rapport-de-la-deuxi%C3%A8me-visite-dunit%C3%A9-pour-malades-difficiles-UMD-de-Cadillac-Gironde.pdf">contrôleur général des lieux de privation de liberté</a> rapporte, dans son rapport de visite de 2016, que les pathologies les plus représentées dans cette unité étaient les schizophrènes paranoïdes pour 53 % des patients, les autres schizophrénies (9 %) puis l’autisme (9 %).</p>
<p>Pourtant, ces chiffres ne sont pas représentatifs des pathologies des personnes hospitalisées en soins sans consentement dans les autres unités psychiatriques en France ou encore dans les autres unités pour malades difficiles de France : addiction, dépression ou encore troubles du comportement alimentaires graves peuvent conduire à une hospitalisation sous contrainte (hors UMD), tant que les conditions prévues par le Code de la santé publique et évoquées ci-dessus sont remplies.</p>
<p>Si la maladie mentale est un sujet tabou, l’hospitalisation sans consentement l’est tout autant. Il est donc nécessaire de continuer à diffuser des éclairages techniques et opérer une prévention sur ce sujet.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Drouillard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La question de l’hospitalisation sans consentement en hôpital psychiatrique a fait, il y a peu, l’actualité. Complexe et méconnue, elle est strictement encadrée. Voici comment en France.
Marie Drouillard, Doctorante en Droit de la santé, Université de Bordeaux
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tag:theconversation.com,2011:article/184264
2022-06-08T17:48:02Z
2022-06-08T17:48:02Z
La « folie » de Vladimir Poutine : un mauvais procès ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467444/original/file-20220607-15494-t2a8tv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C4929%2C3293&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation à Berlin, le 27&nbsp;février 2022.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Photelling Images/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.tf1info.fr/international/guerre-ukraine-russie-boris-johnson-denonce-la-folie-historique-de-vladimir-poutine-2218582.html">« Folie »</a>, <a href="https://www.lepoint.fr/monde/vladimir-poutine-la-paranoia-d-une-vie-01-03-2022-2466556_24.php">« Paranoïa »</a>, <a href="https://desk-russie.eu/2022/02/25/la-fabrication-de-lhysterie.html">« Hystérie patriotique »</a>… autant de vocables dont on a pu affubler Vladimir Poutine depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.</p>
<p>L’usage de ces termes pour qualifier le président russe a tôt fait d’être <a href="https://peacediplomacy.org/2022/03/30/sur-la-folie-de-vladimir-poutine/">contesté</a> : cela reviendrait à psychiatriser la question ou, au moins, à la psychologiser, et le recours à ce champ de compréhension ne serait ici pas légitime.</p>
<p>C’est pourtant pour de mauvaises raisons qu’on lui dénie toute pertinence, comme si la moindre référence à la dimension psychique ne pouvait que nous reconduire à une psychologisation douteuse qui n’aboutirait <em>in fine</em> qu’à déshistoriciser et à dépolitiser la question.</p>
<h2>Folie et logique</h2>
<p>Le refus catégorique d’employer ce registre lexical emprunté à la psychopathologie repose pourtant sur une curieuse compréhension de la folie, assimilée à l’irrationalité, par là même inintelligible – on le sait, il en va en quelque sorte toujours de la folie comme d’un tabou. Le présupposé serait le suivant : convoquer la « folie » de Poutine consisterait à renoncer à produire du sens, à considérer que ses actes sont totalement dépourvus de cohérence, imprévisibles et même absurdes. Bref : il ne serait pas possible de chercher à les <em>comprendre</em> en exhumant leurs <em>raisons</em>, en leur donnant du sens.</p>
<p>Or, comme cela a été souligné maintes fois, <a href="https://www.unige.ch/campus/numeros/124/invite/">Poutine est tout sauf incohérent</a>. Pour les observateurs de sa politique intérieure comme de sa politique extérieure, cette guerre avait en réalité <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/280222/la-guerre-en-ukraine-commence-en-2014">commencé depuis un moment</a> : Poutine disait depuis longtemps exactement ce qu’il était en train de faire. Ce à quoi nous avons assisté relève bien plus d’une accélération (certes sidérante) que d’un changement brutal de stratégie géopolitique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1499308058652155904"}"></div></p>
<p>Cette lecture doit-elle exclure toute référence à des traits psychopathologiques ? Il y aurait là, me semble-t-il, une confusion que la moindre attention aux pathologies de la <em>psychê</em> vient défaire : le discours et les actes du « fou » – et en l’occurrence, puisque c’est de cela qu’il s’agirait, du « paranoïaque » – sont tout sauf irrationnels et absurdes. Ils sont même, de ce point de vue, ultra-signifiants. <a href="https://www.cairn.info/psychopathologie-de-la-paranoia--9782200613037-page-59.htm">Le délire obéit à une logique parfaite</a>, et c’est d’ailleurs bien cette absence de faille qui le constitue comme délire, parce qu’elle signe sa parfaite imperméabilité aux raisons de l’autre, constitué en ennemi. Le réel n’a aucun effet sur le délire. Pis : il est refusé, dénié.</p>
<h2>Qualifier Poutine de fou, est-ce injurier les personnes souffrant de troubles psychiques ?</h2>
<p>Mais on pourrait aussi considérer qu’en faisant référence à ce type de catégorie psychiatrique, il s’agirait indûment de poser un diagnostic, de faire de la psychiatrie « sauvage » (bien que non adressée au premier concerné), au mépris des règles déontologiques qui définissent la clinique, et même au mépris de ces patients atteints de troubles psychiatriques, qui se retrouveraient identifiés bien malgré eux à un criminel.</p>
<p>Ce serait là faire un mauvais procès. D’abord parce qu’il semble difficile d’identifier des patients la plupart du temps extrêmement vulnérables du fait de leurs pathologies à un homme assez responsable pour choisir de se rendre coupable de crimes de guerre. Qu’éthiquement parlant on ne puisse poser un diagnostic à distance, personne ne le conteste, mais est-ce de cela qu’il est question ? À l’évidence, non.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’une accusation (sauf à considérer que ces termes psychiatriques ne sont que des anathèmes – en serions-nous encore là ?), mais bien plutôt de mots qui pointent sinon une « structure » psychique, du moins une caractérisation de la dynamique psychique d’un individu, celle qui peut éclairer comment un sentiment d’humiliation se transforme en haine dont en l’occurrence, parce que son auteur est en position de déclarer une guerre, tout un peuple fait les frais.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496931226451595277"}"></div></p>
<p>Ces termes ont donc une fonction heuristique : ils cherchent à donner à penser ce qui précisément résiste à une certaine compréhension (cette fameuse « rationalité » poutinienne voire russe que peinerait à saisir la « rationalité » occidentale).</p>
<h2>Folie et idéologie</h2>
<p>Au-delà de la géopolitique poutinienne, il s’agit aussi de produire du sens devant les scènes d’horreur dont nous sommes les témoins : « justifier » <em>ce qui ne peut l’être</em>. Nous butons en fait sur un problème philosophiquement très classique, celui de la rationalisation du mal. Et il ne faut pas en conclure trop vite qu’il s’agirait de psychologiser la question ou, pis, de « faire de la morale ». Tout se passe là encore comme si prendre le parti d’éclairer ce qui du psychisme et de ses méandres peut, dans des circonstances historiques et politiques bien déterminées, <em>fabriquer</em> un dictateur et un criminel, revenait à réduire des violences génocidaires au statut d’acte isolé d’un « fou ». Comme si un « fou » n’avait pas de logique, n’avait pas <em>sa</em> logique.</p>
<p>Ce type d’objection conduit étrangement à dissocier la folie de l’idéologie, à refuser d’interroger comment l’« intellectuel » se nourrit toujours aussi de l’affectif. Encore faut-il concéder que nos actes admettent des ressorts psychiques qui engagent aussi, sinon d’abord, des dynamiques psychiques, d’aucuns diraient existentielles. Car nous avons aussi à penser la force de l’idéologie, celle qui conduit un homme à faire le choix du faux et celui de la haine, comme le soulignait Sartre à propos de l’antisémite, dans un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070322879-reflexions-sur-la-question-juive-jean-paul-sartre/">texte à l’actualité redoutable</a>.</p>
<p>Il me semble à cet égard qu’il est urgent de sortir de la monomanie des enquêtes : la guerre ukrainienne qui nous confronte, encore aujourd’hui et malgré notre histoire, à l’impensable, pose aux humains que nous sommes une question qui n’est pas réductible à une analyse géopolitique, ni à celle de la permanence du mythe tsariste de la Grande Russie : elle nous oblige aussi à penser cela même qui travaille à cet éternel retour du tragique de l’Histoire, ce qui de l’humain le rend toujours possible et probable. Elle nous oblige à penser cette <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/vladimir-poutine-ou-la-passion-de-la-malfaisance-20220225_PPYRYBMPERDAHBGM4DTJTL7CVQ/">« passion de la malfaisance »</a> qui habite Poutine, mais aussi celle qui conduit de (très) jeunes hommes à la barbarie, comme en témoignent les exactions commises en Ukraine.</p>
<p>Penser non seulement la guerre, mais la violence et la cruauté, à l’échelle d’un homme, à celle d’une armée. À cet égard, si <a href="https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2017-2-page-233.htm">Arendt s’est sans doute égarée en prenant un peu trop au mot Eichmann</a> qui affirmait ne pas avoir agi « par idéologie », elle n’en pointait pas moins un problème essentiel qui se repose <em>mutatis mutandis</em> aujourd’hui : au-delà du conditionnement de la propagande, qu’est-ce qui conduit des hommes à cesser de <em>penser</em>, à adhérer à un mensonge, voire à commettre des crimes en son nom ?</p>
<h2>Le psychique et le politique</h2>
<p>Le ressentiment, la haine, la vengeance, et la manière dont ils se trouvent façonnés par une histoire individuelle ne sont donc pas des écrans qui nous condamneraient à ne pas penser « sérieusement » les racines de la guerre. Au contraire, ce n’est qu’en nous attelant à l’humain dans toutes ses dimensions que nous pourrons donner du sens à l’Histoire : en ce sens-là, le psychique est déjà politique. C’est ce que réussit à montrer le remarquable documentaire d’Antoine Vitkine <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-du-mercredi-23-mars-2022">« La vengeance de Poutine »</a> qui reconstruit la temporalité de cette nécessité passionnelle individuelle implacable jusqu’à l’épisode tragique que connaît aujourd’hui le peuple ukrainien (ce documentaire avait été originellement réalisé en 2018, et l’on ne peut à cet égard qu’être frappé par sa teneur prophétique…).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jIZk7Dx1MBc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« La vengeance de Poutine » d’Antoine Vitkine.</span></figcaption>
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<p>Chercher à comprendre le psychisme humain pour penser le risque constitutif de la barbarie, c’est aussi poursuivre cette tâche infinie de la culture et du droit par laquelle il nous faut tenir à distance la violence qui réside en chacun de nous – processus toujours à rejouer qui, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/domaines-de-l-homme-cornelius-castoriadis/9782020372336">comme le soulignait Castoriadis</a> après Freud en des temps déjà troubles, relève à chaque fois du miracle.</p>
<p>Maintenir coûte que coûte la validité essentielle de ce partage entre la culture et la violence, c’est échapper à ce qu’Arendt avait nommé la <a href="https://www.cairn.info/revue-sud-nord-2016-2-page-25.htm">banalisation du mal</a>, ce régime psychique où cette frontière ne fait plus sens. En ce sens-là, n’en déplaise à celles et ceux qui se refusent à convoquer les « valeurs », Poutine fait bien aussi la guerre à la démocratie, ce régime où l’institution s’érige comme garde-fou aux fantasmes de toute-puissance avec lesquels nous n’en aurons jamais fini, ce régime qui constitue la violence et la haine en tabou.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184264/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Bourbon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Faut-il exclure tout questionnement sur la psyché du président russe pour analyser rationnellement ses actes ?
Marion Bourbon, Agrégée et Docteure en Philosophie, Chercheuse associée à l'Université Bordeaux Montaigne, Enseignante à l'Université Bordeaux Montaigne et à l'Université de Bordeaux, Université Bordeaux Montaigne
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tag:theconversation.com,2011:article/183393
2022-05-26T18:58:18Z
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Bonnes feuilles : « Addicts. Comprendre les nouvelles addictions et s’en libérer »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465002/original/file-20220524-16-kadbp9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=116%2C3%2C1798%2C894&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans cette scène du film « Le Loup de Wall Street », le trader Mark Hanna (Matthew McConaughey) explique à Jordan Belfort (Leonardo DiCaprio) que la cocaïne lui permet d’être plus affuté et plus rapide.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm-127524/photos/detail/?cmediafile=21061129">« Le Loup de Wall Street », de Martin Scorcese / Metropolitan FilmExport</a></span></figcaption></figure><p><em>La consommation de cocaïne est en hausse depuis les années 1990. Ce psychostimulant est particulièrement prisé dans certains secteurs d’activité, où il est vu considéré par certains salariés comme un moyen de « doper » ses performances. Avec quelles conséquences ? Médecin psychiatre dans le service d’addictologie de l’hôpital Saint Antoine (AP-HP), à Paris, le Dr Jean-Victor Blanc répond à cette question dans son nouvel ouvrage « Addicts : comprendre les nouvelles addictions et s’en libérer », aux éditions Arkhé. En voici un extrait.</em></p>
<hr>
<h2>Se droguer plus pour travailler plus</h2>
<blockquote>
<p>« – Vous pouvez vous défoncer en journée et rester opérationnel ?<br>
– Comment faire autrement ? Cocaïne et putes, mon ami […]. Deuxième clé du succès dans ce trafic : ce bébé. La cocaïne. Ça booste entre les oreilles. On numérote plus vite. Et devine quoi ? C’est bon pour moi tout ça. »</p>
</blockquote>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GT9UfSqBz9o"><em>Le Loup de Wall Street</em></a>, de Martin Scorsese, Jordan Belfort (Leonardo DiCaprio) va appliquer scrupuleusement le conseil inaugural de son supérieur. Le film, inspiré d’une histoire vraie, suit la grandeur et la décadence d’un trader dans les années 1980. Le milieu de la finance y est mis en scène, dans un cocktail de masculinité toxique (concours de jetés de nains inclus) et de cocaïne. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y0CVT5fmFZs">On sniffe la poudre blanche</a> pour se divertir, faire l’amour, travailler et supporter tout ça à une cadence infernale. Jordan mélange coke, alcool et médicaments détournés de leur usage. Il navigue dans un état second, au gré de ses arnaques et autres malversations financières, jusqu’au naufrage qui le laisse ruiné.</p>
<p>Le milieu du travail peut favoriser la consommation de drogues, de manière plus ou moins volontaire et fréquente. Ce qui paraît étonnant, dans cet univers, c’est l’usage « professionnel » que les courtiers font de cette substance, proche du dopage. « Tout le monde en prend pour tenir le rythme, sans ça je vais me laisser distancer » m’expliquait angoissée cette patiente qui débutait dans un prestigieux cabinet de conseil.</p>
<h2>L’usage de psychotropes au travail est contre-productif</h2>
<p>La drogue qui donnerait des ailes aux travailleurs est une idée reçue répandue, c’est ce qu’énonce d’ailleurs le N+1 de Jordan. C’est en réalité l’inverse qui advient. L’usage de substances au travail diminue la productivité, favorise l’absentéisme et les risques d’accidents. Et, dans un <em>material world</em>, on sait que cela coûte des centaines de milliards d’euros chaque année dans le monde. 16 milliards de dollars <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31792845/">partent ainsi annuellement en fumée</a> à cause de la baisse de productivité liée au <em>pot</em> (<em>cannabis, ndlr</em>) et autres drogues au Canada.</p>
<p>Il n’y a pas que les cols blancs et les mannequins qui font usage de stupéfiants pour travailler, bien au contraire. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16834510/">Aux États-Unis, 10 % des femmes et 30 % des hommes de moins de 30 ans ont déjà pris de la drogue sur leur lieu de travail</a> dans l’hôtellerie-restauration, la construction, les médias et les arts et spectacles. On manque de données précises sur le sujet en France, mais rien n’indique que la situation y soit très différente.</p>
<p>Plusieurs raisons expliquent la fréquence de cet usage dans certains secteurs. Pour les métiers physiques, les substances sont un moyen de tenir sur le court terme. La surcharge de travail, l’insécurité de l’emploi, la pénibilité, les horaires irréguliers et décalés sont autant de facteurs associés à la consommation sur le lieu du travail. Sont ainsi concernés 20 % des employés dans le secteur de l’hôtellerie/restauration et du bâtiment, la substance la plus consommée restant l’alcool.</p>
<p>Mais les stupéfiants n’ont évidemment rien de la potion magique qui permet aux ouvriers de finir le palais de Numérobis en un temps record dans Astérix et Cléopâtre. L’usage de l’alcool sur les chantiers est au contraire à l’origine de nombreux accidents. Il est pourtant <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxcpva.pdf#page=4">souvent sous-déclaré dans les enquêtes</a>, ce silence témoigne de la difficulté à aborder le sujet. Ces tabous ne profitent à personne et, pour les employés ayant un problème d’addiction, c’est la double peine.</p>
<p>Car, s’il est parfois permissif vis-à-vis de la consommation en elle-même, le monde du travail n’est pas tendre avec les collaborateurs dont le trouble se répercute sur la productivité. Dans la série « Succession », Kendall Roy (Jeremy Strong) est considéré comme peu fiable par les pontes du conglomérat familial. Tout fils de milliardaire qu’il soit, son problème avec la cocaïne semble le discréditer dans son projet d’occuper la tête tant convoitée de la compagnie.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ja94XSFlXTo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Se droguer pour travailler plus est toléré, mais les problèmes qui vont de pair avec la consommation sont, eux, priés de rester sur le seuil de l’entreprise. Ces injonctions contradictoires dictent des attitudes intenables et renforcent le mal-être des travailleurs souffrants d’addiction.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Enjoy Cocaïna</h2>
<p>Ce puissant psychostimulant a vu sa popularité grimper en flèche depuis la chute des prix dans les années 1990. C’est aujourd’hui le deuxième produit illicite le plus consommé en France après le cannabis 89. La poudre blanche procure une sensation d’acuité intellectuelle, d’euphorie et d’indifférence à la fatigue. Le revers de la médaille, c’est la descente, une tristesse, une anxiété, une violente mésestime de soi et une profonde irritabilité lorsque les effets stimulants s’estompent. Cette séquence <em>up and down</em> peut induire une dépendance psychique, car la cocaïne suscite un fort effet de <em>craving</em> (<em>envie irrésistible de consommer, ndlr</em>).</p>
<p>Lorsqu’elle est consommée sous forme de crack, les effets sont encore plus intenses, rapides, mais aussi fugaces. Ce mode de consommation entraîne un rapprochement des prises, avec des conséquences dramatiques. Ces effets ont été fustigés, en connaissance de cause, par Keith Haring dans son œuvre Crack is Wack (« le crack c’est nul »). La formule fut reprise en interview par Whitney Houston quelques années plus tard. Elle semblait alors davantage vexée qu’on la suspecte de consommer un produit à l’image « cheap » que de consommer tout court. C’est dire si « l’épidémie du crack » a durablement marqué les esprits dans la communauté afro-américaine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464053/original/file-20220518-16-5reprg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La fresque de Keith Harring, « Crack is Wack ».</span>
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<p>Le magnifique film Moonlight met en scène ses ravages à travers l’histoire de Chiron dont la mère est dépendante du crack. Aujourd’hui, ce produit reste associé en France à une grande précarité, visible au quotidien dans les rues du quartier de Stalingrad à Paris. Le fait qu’il s’agisse de cocaïne de mauvaise qualité est souvent méconnu et l’idée (fausse) qu’on ne développe pas d’addiction à la cocaïne est encore très répandue.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/crack-que-faut-il-savoir-sur-cette-drogue-169338">« Crack » : que faut-il savoir sur cette drogue ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les risques de la consommation pour la santé physique sont cardiologiques (infarctus cardiaques), neurologiques (accidents vasculaires cérébraux) et esthétique, la cloison nasale étant endommagée lors de la prise. La cocaïne peut aussi induire des épisodes délirants et des troubles du comportement parfois violents.</p>
<p>Lorsque les montagnes russes liées au stress professionnel se télescopent avec les fluctuations mentales provoquées par les psychotropes, le cocktail est dévastateur. Dans le film Netflix « Le Beau Rôle », Drew Barrymore interprète Candy Black, une actrice très populaire, qui déteste les comédies abêtissantes dans lesquelles elle joue. La star sniffe des quantités massives de cocaïne pour s’anesthésier l’esprit. Dans un état de fureur cocaïnique, elle se donne un jour tristement en spectacle en s’en prenant à sa partenaire de jeu. La scène est filmée à son insu et aussitôt diffusée sur les réseaux sociaux.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rgo0tZgJ3H0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce profil fort peu flatteur jeté en pâture au public qui l’adule pour ses rôles comiques, signe sa mort médiatique. C’est alors que sa doublure, Paula, lui propose de prendre sa place, tout d’abord en cure de désintoxication, puis dans sa vie publique. Paula y prend un plaisir fou, elle qui appelle de tous ses vœux la célébrité honnie par Candy Black.</p>
<p>Au-delà de la peinture des ravages de la cocaïne et de l’alcool dans le milieu du cinéma, l’un des principaux intérêts du film est d’être produit et interprété par Drew Barrymore. Son charme et son humour n’occultent en rien la vision cynique qui est donnée de l’industrie du divertissement, faisant peu cas de la santé mentale. L’actrice a d’ailleurs raconté combien, en lien avec son histoire personnelle, elle avait mis d’elle-même dans ce rôle.</p>
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<h2>Vers une nouvelle éthique du travail</h2>
<p>Au-delà des aspects liés à la pénibilité du travail, l’attitude de l’environnement professionnel vis-à-vis des produits va peser sur la consommation. Comme pour Jordan Belfort, la consommation peut être perçue comme un moyen d’identification dans l’entreprise. Si un N + 1 ou N + 2 incite à consommer, cela peut être perçu comme corporate de l’imiter. Les plus jeunes, ou les derniers arrivés, sont alors priés de suivre ces role models en acceptant ce qu’on leur propose.</p>
<p>Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’environnement est compétitif, comme celui de la série « Industry ». On y suit l’arrivée de jeunes stagiaires aux dents longues dans le monde impitoyable de la finance londonienne. Tous les coups sont permis, et les impétrants sont soumis au harcèlement et aux discriminations, le tout bien arrosé d’alcool et de drogues.</p>
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<p>Une culture d’entreprise valorisant les substances peut pousser les plus jeunes à la consommation et aggraver la vulnérabilité des plus fragiles. Comme dans la banque d’investissement d’Industry, c’est souvent le reflet d’une ambiance de travail toxique, pour tous les employés. Un environnement professionnel permissif vis-à-vis des drogues est vécu comme moins sûr, plus stressant et provoquant davantage de souffrance morale, même pour les abstinents.</p>
<p>Une amélioration globale des conditions de travail dans les secteurs les plus touchés permettrait de diminuer la consommation de produits. Il est révoltant qu’il soit indispensable de prendre des substances pour supporter des conditions de travail délétères. L’information et l’éducation des collaborateurs sur leur santé est donc primordiale. Pour les manageurs, repérer des signes de vulnérabilités et savoir comment réagir sans moraliser ni banaliser est aujourd’hui indispensable.</p>
<p>[…]</p>
<p><strong>LES RED FLAGS</strong> <em>(signaux d’alerte, ndlr)</em><strong> :</strong></p>
<ul>
<li><p>Avez-vous déjà consommé une substance psychoactive avant ou pendant votre journée de travail ?</p></li>
<li><p>Étiez-vous seul ?</p></li>
<li><p>Avez-vous déjà eu un problème (accident, trouble du comportement, absentéisme) sur votre lieu de travail en rapport avec la consommation de substances psychoactives ?</p></li>
<li><p>Avez-vous déjà été absent au travail parce que vous aviez trop consommé ?</p></li>
<li><p>Avez-vous déjà ressenti un besoin violent et irrépressible de prendre une substance pendant une journée de travail à la suite d’une contrariété ?</p></li>
</ul>
<h2>Le cas de Giacomo</h2>
<p>Giacomo est serveur dans un établissement huppé de la capitale. Lors de notre première consultation, il m’a raconté quel était son menu quotidien dans le « monde d’avant » : cocaïne en début de service pour être en forme, verres avec collègues et les habitués pendant le service et cannabis seul chez lui pour faire redescendre la pression. Après 10 ans de ce régime, il est exténué. C’est suite au premier confinement qu’il fait la démarche de consulter. Les habitudes qu’il avait prises et la dépendance qui en résultait ne pouvaient alors plus se fondre dans le décor branché du milieu dans lequel il travaillait. Il se retrouve seul dans son appartement parisien, sans excuse du type « coup de feu en cuisines ».</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Couverture de l’ouvrage « Addicts : comprendre les nouvelles addictions et s’en libérer », de Jean-Victor Blanc, aux éditions Arkhé" src="https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1093&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1093&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/464058/original/file-20220518-3314-1wssqq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1093&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Nous avons alors établi une cartographie de ses consommations : les produits, les fréquences, et un classement en fonction de ceux qui posaient le plus de problèmes. Au chômage partiel, Giacomo prenait de la cocaïne le matin pour se « donner de la force », puis buvait de la bière tout au long de la journée pour se détendre et « ne pas penser à ses soucis ». Cette période de mise à l’arrêt forcée, propice à l’introspection, est particulièrement difficile pour lui, qui vivait auparavant dans un tourbillon de travail, de fêtes et de voyages.</p>
<p>L’enjeu du suivi est de progressivement arrêter la cocaïne et de diminuer l’alcool. Ceci fait, son amélioration psychique lui permet désormais d’envisager la suite de sa vie professionnelle. Il prend conscience qu’évoluer de nouveau dans la restauration, où les produits circulent beaucoup, peut poser problème. Il ne supporte plus ce stress, et ne veut plus se détruire la santé en consommant. Il s’engage actuellement dans une reconversion professionnelle dans le secteur de la santé, ce qui est courageux de sa part. Au-delà des efforts phénoménaux d’un patient pour ne pas consommer, des réaménagements supplémentaires sont parfois nécessaires à son rétablissement. Se réinventer ainsi est très exigeant, et me rend particulièrement admiratif.</p>
<hr>
<p><em><strong>Pour en savoir plus :</strong></em><br></p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=881&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512285/original/file-20230225-1996-vykri1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1107&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>● Blanc, JV. (2022) « Addicts : comprendre les nouvelles addictions et s’en libérer », collection Vox, éditions Arkhé ;<br>
● Blanc, JV. (2021) « Pop & psy : comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », éditions PLON ;<br>
● Cycle de conférences dans les <a href="https://www.mk2.com/evenements/7895-culture-pop-psychiatrie">cinéma Mk2 Beaubourg tous les mois</a> et <a href="https://www.lebrady.fr/">ciné club mensuel au Brady</a>._</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183393/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Victor Blanc est membre du conseil scientifique de la start up Kwit. </span></em></p>
Dans l’imagerie populaire, la cocaïne est associée à la notion d’augmentation des performances, non seulement festives, mais aussi professionnelles. Mais la réalité est beaucoup moins reluisante.
Jean-Victor Blanc, Psychiatre, praticien hospitalier, chargé de cours en faculté de médecine, Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/173707
2022-03-27T17:27:00Z
2022-03-27T17:27:00Z
L’esprit est-il une machine prédictive ? Introduction à la théorie du cerveau bayésien
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452175/original/file-20220315-27-14j4kt1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1278%2C1015&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La théorie du cerveau bayésien vise à expliquer le fonctionnement de notre esprit.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nichd/21086425615/">NICHD/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La théorie du cerveau bayésien est une conception innovante en neurosciences et en philosophie proposant des hypothèses pour comprendre le fonctionnement de l’esprit. Selon cette théorie, le cerveau utilise des croyances (définies comme des estimations de probabilité) pour traiter les informations sensorielles et décider les actions à réaliser.</p>
<p>Émergeant à partir d’un riche héritage philosophique et scientifique avec des prémisses dans les œuvres d’Emmanuel Kant, William James, ou encore <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14560724/">Hermann von Helmholtz</a>, cette théorie met principalement en jeu deux concepts fondamentaux : la <em>croyance</em> et la <em>hiérarchie</em> ; et quatre principes associés : la <em>prédiction</em>, l’<em>erreur de prédiction</em>, la <em>précision</em>, et la <em>mise à jour</em>.</p>
<p>Bien que ces concepts soient utilisés fréquemment en psychologie, ils prennent un sens bien différent pour cette théorie, participant à sa complexité.</p>
<h2>La croyance, cœur de la théorie bayésienne</h2>
<p>Le premier fondement de la théorie est la notion de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35012898/">croyance</a>. En philosophie, la croyance est souvent définie comme l’acceptation qu’une proposition est vraie, ou comme la justification pour la réalisation d’une action. Elle est alors assimilée à un état catégorique et binaire : je crois ou je ne crois pas.</p>
<p>La croyance bayésienne a un sens plus spécifique et désigne une estimation probabiliste à propos d’un phénomène. Par exemple, notre cerveau peut estimer qu’il y a une faible probabilité qu’un éléphant soit observé dans les rues de Paris, et une probabilité moyenne qu’une guerre mondiale éclate au cours des dix prochaines années. La croyance est alors une histoire de probabilité.</p>
<p>Ce concept alternatif de croyance est directement associé au <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23744934/">théorème de Bayes</a>, un théorème proposé initialement par le révérend Thomas Bayes au XVIII<sup>e</sup> siècle permettant de calculer la vraisemblance d’une nouvelle information en fonction de données préexistantes.</p>
<h2>Croire, c’est prédire</h2>
<p>Appliqué au cerveau, le théorème de Bayes permet ainsi de représenter la manière dont les croyances probabilistes (données préexistantes) influencent le traitement des informations sensorielles (nouvelles informations), puis sont modifiées au fil des expériences (enregistrement de nouvelles données).</p>
<p>Ces croyances probabilistes permettent au cerveau de générer des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33584461/">prédictions</a> à propos des entrées sensorielles. Ainsi, la croyance que l’on est au bord de l’océan facilitera la prédiction du parfum résineux des pins, du bruit des vagues qui se brisent sur plage, ou encore de la caresse douce du sable sous les pieds.</p>
<p>Ces croyances probabilistes peuvent aussi biaiser la perception du monde en favorisant les entrées sensorielles que le cerveau s’attend à recevoir. Ainsi, si je crois que ma tasse de café est chaude, je peux sentir la sensation tactile de chaleur lorsque je m’en saisis, même si elle ne contient que du café froid.</p>
<h2>Toujours plus de hiérarchie</h2>
<p>La théorie du cerveau bayésien suppose également que ces croyances sont organisées sous la forme d’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25823866/">hiérarchie</a>. Cette hiérarchie de croyances fonctionne comme une hiérarchie d’hypothèses : à chaque niveau de la hiérarchie, les croyances de niveau supérieur sont ainsi utilisées pour faire des hypothèses sur les informations de niveau inférieur.</p>
<p>Par exemple, chaque signal sensoriel mobilise une cascade bidirectionnelle de traitement de l’information, confrontant des signaux montants générés à partir du traitement des entrées sensorielles, et des signaux descendants issus des aires corticales de plus haut niveau associatif, impliquées par exemple dans le sentiment d’agence, le raisonnement logique, ou encore la métacognition.</p>
<p>L’influence de ces signaux descendants générés à partir des croyances probabilistes est flagrant pour la perception : la croyance que l’on est en forêt favorise la perception d’un arbre, alors même qu’il ne s’agit que d’une antenne téléphonique. De la même manière, lorsque nous entendons furtivement une conversation indistincte, la croyance que l’on est en train de nous médire favorise la perception de paroles malveillantes, parfois de manière totalement artificielle !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Chemin de sable dans la pinède, un pin se dresse à droite de l’image, on voit la mer à l’arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452180/original/file-20220315-23-9si0v8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Croire que l’on se promène dans la pinède facilite la prédiction de l’odeur du pin et (peut-être) celle du bruit des vagues au loin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/51839301@N00/50231812366/in/photostream/">Hans Pohl/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette hiérarchie d’hypothèses permet au cerveau de traiter les signaux sensoriels par étapes, en utilisant les croyances de plus haut niveau sémantique pour traiter des signaux sensoriels complexes, et des croyances perceptuelles basiques pour traiter les signaux sensoriels plus élémentaires. La perception consciente d’un stimulus dans l’environnement est alors le fruit de cet équilibre fragile entre croyance et entrées sensorielles.</p>
<h2>Tout est une question de précision</h2>
<p>La théorie suggère enfin que la différence entre les prédictions et les informations sensorielles génère des <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33955106/">erreurs de prédiction</a>. Par exemple, si nous pensions sentir la chaleur sur notre main lorsque nous saisissons la tasse de café, mais que nous constatons qu’elle est froide, une erreur de prédiction est générée par le cerveau. Ce message d’erreur remonte dans la hiérarchie et est utilisé pour <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26674857/">mettre à jour les croyances</a>.</p>
<p>Cette mise à jour n’est toutefois pas aléatoire et dépend de la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23658161/">précision</a> des prédictions et des erreurs de prédictions. Des prédictions précises seront difficiles à mettre à jour même lorsqu’elles sont contredites par les entrées sensorielles. Inversement, des erreurs de prédictions précises provoqueront des mises à jour plus importantes.</p>
<p>Cette précision est vitalement modulée par le cerveau en fonction de notre environnement : lorsque nous marchons dans la pénombre, les informations visuelles sont codées avec peu de précision, tandis que la précision des informations tactiles et proprioceptives augmente.</p>
<p>Ce processus permet d’éviter que le tigre en peluche dont on perçoit les contours ne génère la croyance qu’un tigre en chair et en os est prêt à nous sauter dessus pour nous dévorer. Inversement, les mêmes stimuli visuels dans une jungle tropicale auront un haut degré de précision, et généreront plus facilement la croyance qu’il nous faut fuir le plus vite possible.</p>
<h2>Rivalité dans la vision</h2>
<p>Plusieurs recherches ont aussi montré que notre perception visuelle est produite par un équilibre entre les prédictions sur ce que le cerveau s’attend à percevoir, et une combinaison des informations sensorielles issues de nos deux rétines. L’un des exemples les plus frappants de ce phénomène est la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18649876/">rivalité binoculaire</a> : elle se produit lorsque deux formes différentes sont présentées simultanément devant chaque œil. Ainsi, lorsqu’une image d’un tigre est présentée à l’œil droit et celle d’un éléphant à l’œil gauche, nous voyons alternativement un tigre et un éléphant, plutôt qu’une combinaison des deux animaux : il y a rivalité.</p>
<p>En réalité, nos neurones essayent constamment de combiner les informations issues de chacune des rétines pour unifier la perception visuelle. Toutefois, à l’exception des chimères et des animaux de science-fiction, nous ne sommes pas habitués à voir un tigre et un éléphant fusionnés. Cette vision déclenche une série d’erreurs de prédictions (prédiction d’un tigre, et observation d’un éléphant ; puis prédiction d’un éléphant, et observation d’un tigre) et des mises à jour répétées des croyances : l’hypothèse visuelle la plus probable se déplace alors successivement du tigre vers l’éléphant au fil des erreurs de prédictions dans la hiérarchie de croyances.</p>
<p>De la même manière, la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27870614/">théorie bayésienne</a> permet d’expliquer comment le cerveau réussit à maintenir une image stable du monde malgré le mouvement des yeux et du corps. En prédisant à l’avance les informations sensorielles les plus probables après la réalisation d’une action, le cerveau peut anticiper comment les formes qu’il perçoit vont évoluer au fur et à mesure du déplacement des yeux, et corriger en retour ces prédictions en fonction des entrées sensorielles. Ce système d’anticipation permet de maintenir des perceptions unifiées malgré les mouvements du corps, et de percevoir correctement notre environnement lorsque nous exécutons des gestes quotidiens. Il se retrouve toutefois brouillé lorsque nous le mettons à l’épreuve, par exemple lors de la chute d’un saut à l’élastique, ou de looping de montagnes russes.</p>
<h2>L’émotion, une erreur de la prédiction</h2>
<p>Ces prédictions ne sont pas limitées à la vision : notre cerveau prédit constamment le rythme de nos battements cardiaques, le degré de contraction de nos viscères intestinaux, la chaleur de notre peau, ou encore la dilatation de notre vessie. Ces prédictions sont la base de l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33378658/">intéroception</a>, désignant la perception des signaux venant de l’intérieur du corps, et pourraient être cruciales pour un grand nombre de processus cognitif et affectif, dont l’émotion !</p>
<p>En réalité, les prédictions intéroceptives sont constamment couplées avec l’activité motrice, c’est-à-dire que lorsque l’organisme réalise un mouvement programmé, les prédictions intéroceptives s’adaptent automatiquement à l’action et ne génèrent pas d’erreurs de prédiction. Par exemple, si nous débutons un jogging, les prédictions sur notre rythme cardiaque vont s’adapter progressivement à l’augmentation des battements de notre cœur, et notre cerveau ne sera pas surpris par ces changements : le cerveau et le corps s’harmonisent.</p>
<p>Au contraire, des stimuli imprévus provoquent des changements intéroceptifs non programmés dans le corps. Ainsi, si nous découvrons un cobra dans notre appartement, notre rythme cardiaque s’accélère brusquement alors que notre cerveau ne l’avait pas prédit. La tachycardie inattendue génère des erreurs de prédictions sur le rythme cardiaque, qui sont automatiquement traitées par le cerveau comme un signal d’alerte : ces signaux sont aujourd’hui considérés dans la théorie du cerveau bayésien comme le fondement élémentaire de l’<a href="https://direct.mit.edu/neco/article/33/2/398/95642/Deeply-Felt-Affect-The-Emergence-of-Valence-in">émotion</a> et de l’<a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6340107/">humeur</a> !</p>
<h2>Des perspectives pour l’avenir</h2>
<p>En médecine, cette théorie permet aussi de mieux comprendre les troubles psychiatriques et neurologiques, comme les hallucinations dans la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28338845/">psychose</a>, l’humeur triste dans la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28678984/">dépression</a>, l’exaltation dans la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26545853/">bipolarité</a>, ou encore le craving dans la <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/fullarticle/2767299">toxicomanie</a>. De nouvelles hypothèses commencent à être testées concernant les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25442941/">troubles du spectre autistique</a> ou encore l’<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35076888/">anorexie mentale</a>, et pourraient aussi bouleverser la compréhension de ces troubles.</p>
<p>La compréhension du lien entre l’intéroception et les troubles psychiatriques est aussi au premier plan, notamment dans les troubles de l’humeur ou la psychopathologie périnatale. La grossesse est par exemple une période de bouleversements majeurs de l’intéroception, et ces changements pourraient être impliqués dans des phénomènes pathologiques comme la dépression du post-partum. Enfin, ces hypothèses offrent un nouveau regard sur l’association entre les symptômes dépressifs et les pathologies intestinales chroniques comme le syndrome de l’intestin irritable.</p>
<p>Malgré ces perspectives prometteuses inspirées par notre fantastique architecture cérébrale, il reste à définir précisément comment les croyances probabilistes sont encodées par le cerveau et modifiées par nos expériences. Une meilleure compréhension de ces phénomènes nous permettrait de développer des traitements plus efficaces contre les troubles neuropsychiatriques, et d’ouvrir des hypothèses nouvelles sur la genèse des croyances sociales, politiques, ou religieuses.</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus sur la théorie du cerveau bayésien, se référer à : « The Predictive mind : An introduction to Bayesian Brain Theory » de Hugo Bottemanne, Yannick Longuet et Christophe Gauld (Encéphale, Paris, 2022).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Bottemanne travaille pour l'Institut du Cerveau (ICM) de Paris & à l'AP-HP Sorbonne Université</span></em></p>
Selon la théorie du cerveau bayésien, notre cerveau fait sans cesse des prédictions sur ce qui l’entoure pour traiter les informations sensorielles et décider des actions à réaliser.
Hugo Bottemanne, Psychiatre à la Pitié-Salpêtrière & chercheur à l'Institut du Cerveau, Sorbonne Université
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/179398
2022-03-16T21:04:27Z
2022-03-16T21:04:27Z
Pandémie, guerre en Ukraine, situation économique… Comment gérer son anxiété face à l’actualité ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/452563/original/file-20220316-8391-3i9rz0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C2991%2C1967&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les jeunes sont particulièrement touchés par l’anxiété en cette période troublée.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/rXrMy7mXUEs">Joyce Kelly / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p><em>L’actualité ukrainienne est venue ajouter de l’incertitude à un quotidien déjà compliqué par deux ans de pandémie et de crise sanitaire. Professeur de psychiatrie à l’Université Paris Est Créteil et chef du service de psychiatrie sectorisée au CHU Henri-Mondor, Antoine Pelissolo nous explique comment faire face à l’anxiété qui peut résulter de ce contexte difficile.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation : Quelles sont les répercussions sur la santé psychique des populations de la situation actuelle ?</strong></p>
<p><strong>Antoine Pelissolo :</strong> L’incertitude et le stress qui ont résulté de la situation sanitaire, ainsi que la perception d’une menace potentielle pour la santé et l’avenir, ont contribué à augmenter le niveau d’anxiété général, qui reste encore aujourd’hui élevé.</p>
<p>La majorité d’entre nous est capable de faire face à ce type de contexte, développant une forme d’habituation voire de résilience. Cependant, 10 à 15 % des individus présentent une forte sensibilité initiale au stress, du fait de pathologies préexistantes, et 25 à 30 % d’autres finissent par être fragilisés par ces situations lorsqu’elles durent. Cela se traduit par des crises d’angoisse, des troubles du sommeil, de l’épuisement.</p>
<p>S’il ne s’agit pas toujours d’atteintes particulièrement graves, ces états peuvent générer une souffrance significative qui doit être prise en compte. Et ce d’autant plus qu’environ une personne sur cinq peut développer un état dépressif réel, du fait de prédispositions et/ou de facteurs de stress de ce type.</p>
<p><strong>The Conversation : Est-ce que certains individus sont plus concernés que d’autres ?</strong></p>
<p><strong>Antoine Pelissolo :</strong> Les consultations de jeunes de 15 à 30 ans sont en très nette augmentation. Cela s’explique par plusieurs facteurs. Il s’agit d’une tranche d’âge où l’on a plus de fragilités psychologiques. À cette situation se sont ajoutées les difficultés liées à la pandémie. La fermeture des universités a notamment accru les difficultés de certains à mener correctement leur année scolaire, voire y a mis un coup d’arrêt. Or pour un jeune adulte de 18 ans, qui a tout à construire, une année n’a pas la même valeur que pour une personne de 50 ans. Cela peut entraîner une rupture dans la trajectoire de vie et une forme de désespérance.</p>
<p>Celle-ci a pu être aggravée par la perte des repères sociaux dus aux confinements, aux couvre-feux, à la fermeture des lieux de sociabilisation (théâtres, cinémas, salles de sport…), à l’éloignement d’avec ses proches… Ces situations compliquées se sont ajoutées à des questionnements générationnels sur le devenir du monde, l’état de la planète, l’avenir professionnel… Ce cumul fait que certains se retrouvent fragilisés, avec l’impression qu’ils n’ont plus grand-chose à quoi se raccrocher. Ce qui est inquiétant, c’est que l’on a aussi vu des jeunes dont l’entourage était présent finir par craquer eux aussi.</p>
<p>Le problème est qu’il est actuellement très difficile d’avoir accès à des consultations, l’offre psychologique et psychiatrique est très largement inférieure aux besoins.</p>
<p><strong>T.C. : Le déclenchement de la guerre en Ukraine n’a pas dû améliorer les choses…</strong></p>
<p><strong>A.P. :</strong> Il est encore un peu tôt pour en prendre la mesure, mais effectivement, cela ne peut qu’aggraver la situation, être à l’origine de décompensations.</p>
<p>Nous n’avons pas tous les mêmes sujets de préoccupation : la survenue d’un motif d’angoisse supplémentaire pourrait élargir le spectre des personnes touchées par l’anxiété. Des gens qui n’avaient jusqu’ici peu été que peu affectées par l’actualité pourraient se sentir davantage concernées, en raison de variables personnelles.</p>
<p><strong>T.C. : Comment se protéger ?</strong></p>
<p><strong>A.P. :</strong> Le premier conseil, le plus évident, est de ne pas s’exposer en permanence aux sources d’angoisse que constituent, par exemple, les chaînes d’actualités en continu ou les réseaux sociaux. Le risque est en effet d’amplifier la perception de la menace et le sentiment d’impuissance.</p>
<p>Il est important de mettre en place une forme de rationalité face à des peurs qui sont souvent débordantes : par exemple se souvenir que, si dramatique que soit la situation en Ukraine, nous ne sommes pas nous-mêmes exposés à la guerre sur notre sol, et donc pas en danger proche.</p>
<p>Le principal moteur d’angoisse est l’incertitude, notamment face à l’avenir à long terme. Certaines personnes ont tendance à « se préparer au pire », comme si c’était un moyen de l’éviter. Ce faisant, elles tentent d’anticiper des événements qui n’arriveront jamais, au prix d’une angoisse importante, et finissent par ne plus pouvoir relativiser en termes de risque et de gravité.</p>
<p>D’une manière générale, l’idée est plutôt de gérer au jour le jour, de s’ancrer dans le moment présent. Il ne s’agit pas de déni, mais plutôt d’avancer par petits pas, au fur et à mesure : garder à l’esprit qu’il faudra peut-être affronter des problèmes plus complexes le jour venu, mais en restant concentré sur les éléments du présent, sur lesquels on peut agir.</p>
<p><strong>T.C. : Existe-t-il des pratiques qui permettent de mieux gérer son stress ?</strong></p>
<p><strong>A.P. :</strong> Les moyens habituellement mis en œuvre pour lutter contre le stress et l’anxiété, quelles qu’en soient les causes, fonctionnent évidemment aussi dans cette situation : la relaxation, les exercices de respiration, le sport, le yoga, la marche, la méditation, les activités artistiques… Autant de moyens auxquels certains ont déjà eu recours pendant la crise sanitaire. Ces approches, si possible en contact avec la nature, réduisent le niveau de stress moyen et génèrent des émotions positives qui favorisent le bien-être.</p>
<p>Il est aussi important de mettre en place un rythme de vie que l’on maîtrise, au moins en partie : s’accorder des temps de pause ou de distraction qui ne sont pas seulement dictés par l’actualité et la nécessité. </p>
<p>Enfin, la socialisation est également efficace pour gérer son stress : échanger avec les autres, partager son ressenti peut être une source de bien-être. </p>
<p>S’investir dans des actions d’entraide, de solidarité, permet aussi de lutter contre son sentiment d’impuissance. Mais il faut trouver le bon degré, tout le monde n’a pas forcément cette disponibilité, et il ne faut pas non plus culpabiliser si l’on n’en est pas capable. Tout comme il ne faut pas culpabiliser si l’on ressent davantage le besoin de s’occuper de soi. Faire ce qu’il faut pour se sentir bien permet aussi de mieux s’ouvrir aux autres.</p>
<p>L’important est de réussir à canaliser son ressenti : il faut éviter le débordement émotionnel, l’excès, qu’il soit positif ou négatif. Rediriger le flux vers des espaces plus gérables. La méditation peut aider à transformer un sentiment d’impuissance en compassion et en altruisme, par exemple.</p>
<p><strong>T.C. : Comment faire pour apaiser l’angoisse des enfants ?</strong></p>
<p><strong>A.P. :</strong> Il faut avant tout ne pas hésiter à répondre à toutes leurs questions, et à entamer le dialogue, quel que soit leur âge, s’ils en font la demande. Même chez les plus petits : dès 4 ou 5 ans, ils perçoivent déjà énormément de choses. Il faut leur dire les choses telles qu’elles sont, tout en adaptant bien entendu son langage pour qu’il soit compréhensible et non anxiogène.</p>
<p>Il est notamment important de leur fournir des éléments de réassurance : leur expliquer que nous ne sommes pas directement concernés en France, que la guerre se passe dans un autre pays… Les enfants ont toujours peur de ce qui peut leur arriver, ou de ce qui peut arriver à leurs parents.</p>
<p>Et comme pour les adultes, il est important de leur procurer des moments de distraction, de participer à des activités avec eux, de les aider à se relaxer, notamment au moment du coucher.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179398/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pelissolo est membre du Parti socialiste (secrétariat national) et 1er adjoint au Maire de Créteil.</span></em></p>
Ces derniers temps, chaque semaine semble apporter son lot de mauvaises nouvelles. Comment ne pas se laisser submerger par l’anxiété ? Le psychiatre Antoine Pelissolo nous donne quelques pistes.
Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/176877
2022-03-02T19:42:10Z
2022-03-02T19:42:10Z
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les addictions sexuelles
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/449774/original/file-20220303-21-1xqbuj5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1288%2C914&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2008, l’acteur David Duchovny (ici en compagnie d’Andy Baldwin dans le cadre de l’émission de télé-réalité « The Bachelor »), a rendu publique son addiction au sexe.</span> <span class="attribution"><span class="source">Robyn Beck / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Quel est le point commun entre les Américains David Duchovny, Michael Douglas, Tiger Woods, et Charlie Sheen ? Outre leur célébrité, tous ont défrayé la chronique en raison de leur addiction au sexe.</p>
<p>Nymphomanie, Don Juanisme, comportements sexuels compulsifs et impulsifs, perte de contrôle sexuel, trouble de l’hypersexualité ou encore trouble comportemental sexuel compulsif… La littérature médicale ne manque pas de termes pour qualifier l’addiction sexuelle. </p>
<p>Et pour cause : la sexualité pathologique existe depuis toujours. Jusqu’à présent, elle n’était pourtant pas spécifiée officiellement dans les classifications des maladies. Mais les choses sont en train de changer, puisque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) va prochainement inclure, dans sa 11e classification internationale des maladies, le diagnostic du « trouble du comportement sexuel compulsif », basé sur des critères identiques à ceux proposés pour identifier <a href="http://www.alcoologie-et-addictologie.fr/index.php/aa/article/view/794">une addiction sexuelle</a>.</p>
<p>Alors que les demandes de prise en charge augmentent ces dernières années, la recherche explore ce trouble qui se caractérise par un appétit sexuel hors-norme. La réalité qu’elle met en lumière est complexe. Que sait-on exactement ?</p>
<h2>Cliniquement, qu’est-ce que l’addiction sexuelle ?</h2>
<p>Les comportements sexuels excessifs toucheraient entre 3 et 6 % de la population générale aux États-Unis, et 2 à 4 % en Nouvelle-Zélande. La prévalence du trouble serait plus élevée chez les adultes jeunes. L’âge moyen de début du trouble serait de 19 ans, avec un sex-ratio de 3 à 5 hommes pour 1 femme (il existe toutefois une sous-représentation féminine dans les données ; plus de 3 % des femmes seraient touchés par l’hypersexualité pathologique). Notons que les activités sexuelles en ligne non pathologiques concerneraient quant à elles 90 % des hommes et 51 % des femmes. </p>
<p>L’addiction sexuelle s’inscrit <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24001295/">dans un cycle</a>, qui débute par un facteur déclenchant peu spécifique, tel que la réception d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle par exemple. S’ensuivent des préoccupations sexuelles obsédantes, comme l’envie de regarder de la pornographie, un corps nu, un acte sexuel. Les pensées sont parasitées par des images sexuelles, le sujet se livre à des rituels sexuels, des comportements compulsifs en lien avec de multiples activités sexuelles, telles qu’aller sur un site de streaming pornographique, engager des échanges érotiques par messagerie, rechercher des partenaires sexuels dans le monde virtuel ou réel, etc. </p>
<p>Ce dernier point différencie ce trouble des paraphilies (déviances sexuelles caractérisées par l’attirance envers une personne ou un objet inadapté aux pratiques classiques : voyeurisme, pédophilie, frotteurisme…), dans lesquelles l’excitation sexuelle est exclusive. </p>
<p>Le cycle s’achève par une triade comprenant la honte, la culpabilité et le désespoir une fois l’acte sexuel terminé. Il se répète et peut se déclencher n’importe quand. </p>
<p><br></p>
<iframe allow="autoplay *; encrypted-media *; fullscreen *" frameborder="0" height="175" style="width:100%;max-width:660px;overflow:hidden;background:transparent;" sandbox="allow-forms allow-popups allow-same-origin allow-scripts allow-storage-access-by-user-activation allow-top-navigation-by-user-activation" src="https://embed.podcasts.apple.com/fr/podcast/olivia-le-sexe-pour-obsession/id1589756300?i=1000538640101" width="100%"></iframe>
<p><br></p>
<p>Pour qu’un comportement soit qualifié de trouble comportemental sexuel compulsif (selon la classification CIM-11 de l’OMS), il faut retrouver, pendant au moins 6 mois, différents signes : </p>
<ul>
<li>Perte de temps importante en lien avec des comportements sexuels qui interfèrent avec la vie quotidienne. C’est le cas quand regarder de la pornographie devient par exemple une activité centrale ;</li>
<li>Avoir de façon répétée des activités sexuelles en réponse à des évènements de vie stressants ;</li>
<li>S’engager de façon répétée dans des activités sexuelles en réponse à un état émotionnel dysphorique (intenses sentiments négatifs, tristesse, anxiété, irritabilité…). C’est par exemple le cas lorsque l’activité sexuelle est devenue une stratégie rigide pour réguler son humeur ;</li>
<li>Tentatives infructueuses de réduire ou d’arrêter son comportement sexuel ;</li>
<li>Perte de contrôle après plusieurs jours d’arrêt ;</li>
<li>Poursuite du comportement sexuel malgré les risques physiques et/ou émotionnels et/ou sociaux ;</li>
<li>Comportements sexuels fréquents et intenses ;</li>
<li>Dysfonctionnement personnel significatif dans différentes dimensions de la vie.</li>
</ul>
<p>Il existe diverses formes cliniques de cette pathologie, qui peut s’exprimer par des activités comme la masturbation excessive (le nombre de fois par jour dépendant des habitudes masturbatoires de chacun), les activités cybersexuelles, et différents types de comportements sexuels avec des adultes consentants en live ou en virtuel comme le sexe par téléphone, la fréquentation excessive de clubs, de saunas, de salon de massage, et la séduction compulsive.</p>
<h2>Facteurs de risque et origine</h2>
<p>Avant tout, il est important de souligner un point capital : ce trouble n’est pas induit par l’usage de substances (cocaïne ou autres) ou de médicaments (antiparkinsoniens par exemple). Il n’est pas non plus le résultat d’un trouble bipolaire (épisode maniaque ou hypomaniaque) ou d’une paraphilie (pédopornographie par exemple). </p>
<p>Dans l’histoire des personnes malades, certains éléments sont fréquemment retrouvés : des antécédents familiaux d’addiction à des substances ou à des comportements, une expérience sexuelle débutée à un âge précoce, des structures familiales séparées, une fréquence et une diversité élevée de comportements sexuels. Les hommes auraient plus d’insatisfaction dans leur vie sexuelle, davantage de problèmes relationnels et consulteraient plus pour des problèmes en lien avec la sexualité. Les femmes seraient moins vulnérables que les hommes.</p>
<p>Sur le plan cérébral, il existe des microanomalies du lobe frontal (induisant une désinhibition comportementale), du lobe temporal (induisant une conduite sexuelle excessive). On constate aussi une atteinte du striatum ventral, la structure impliquée dans le mouvement volontaire, centre de la motivation, qui s’active davantage lorsqu’on mêle activité physique et effort mental ; celle-ci induit une envie irrépressible de sexe (« craving »). Le cingulum antérieur dorsal, qui joue un rôle dans les états affectifs, est aussi touché, ce qui induit une atteinte de la motivation à faire les choses par une altération des affects. </p>
<p>Des anomalies sont aussi constatées au niveau de l’amygdale, ce qui entraîne une atteinte de la mémoire et de l’apprentissage (l’amygdale joue un rôle dans la modulation émotionnelle de la mémoire : cette structure du cerveau est essentielle à notre capacité de ressentir et de percevoir chez les autres certaines émotions, comme la peur et toutes les modifications corporelles qu’elle entraîne). Enfin, le corps calleux, qui assure donc le transfert d’informations entre les deux hémisphères et ainsi leur coordination, présente aussi des anomalies structurelles (or les abus sexuels ont pu être associés à de telles anomalies du corps calleux). </p>
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<p>Sur le plan physiologique, il existe des anomalies de l’axe du stress, des taux de sérotonine, impliquée dans la régulation des comportements alimentaires et sexuels, le cycle veille-sommeil, la thermorégulation, la douleur, l’anxiété ou le contrôle moteur).
Enfin, on constate sur le plan émotionnel et relationnel une baisse de l’affirmation de soi, de l’estime sexuelle, de la satisfaction et du contrôle sexuel, des altérations de l’attachement. Les personnes concernées sont beaucoup plus sujettes à l’anxiété et la dépression.</p>
<p>Un certain nombre d’études sur la génétique et les comportements sexuels ont été menées, mais les résultats sont encore insuffisants pour pouvoir tirer des conclusions en ce qui concerne la question de l’addiction sexuelle.</p>
<p>L’environnement joue également un rôle important, en particulier Internet et les activités sexuelles en ligne. </p>
<p>Le médecin et psychiatre britannique <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18996300/">John Bancroft et ses collègues</a> ont évoqué <a href="http://www.alcoologie-et-addictologie.fr/index.php/aa/article/view/794">2 types de comportements sexuels à risque de perte de contrôle</a> : la masturbation et l’utilisation excessive d’Internet à la recherche d’une gratification sexuelle. Un certain nombre d’hommes et de femmes utilisent Internet en ce sens. Outil disponible, anonyme, il permet d’avoir des supports sexuels en ligne rapidement pour les hommes alors que pour les femmes, les interactions cybersexuelles sont aussi indirectes. On constate d’ailleurs une augmentation de la prévalence du trouble addictif depuis l’apparition d’Internet et des nouveaux marchés de l’industrie pour adultes.</p>
<h2>Un trouble en augmentation avec l’émergence d’Internet</h2>
<p>Soumise aux lois du marché, aux règles du marketing, initialement dominée par tout ce qui avait trait au business des films, l’industrie du sexe est devenue un marché lucratif. </p>
<p>De nos jours, 90 % de la pornographie américaine légale sont tournés dans la vallée de San Fernando en Californie, la « Porn Valley », mais d’autres états américains aussi produisent du contenu sexuel, ainsi que de nombreux pays européens. Les « GAFA du sexe », à savoir Pornhub, Tukif, Xhamster, Xvideos et Xnxx, figurent parmi les sites Internet les plus visités annuellement, les deux derniers étant dans le top 15 mondial. Les tendances et les thématiques varient en fonction des résultats des analyses statistiques, et les produits sont diffusés et vendus par tous les « e-moyens », dont le <a href="https://theconversation.com/darknet-darkweb-deepweb-ce-qui-se-cache-vraiment-dans-la-face-obscure-dinternet-128348">Darknet</a>.</p>
<p>La liste des supports et produits pornographiques, utilisés isolément ou en association par les personnes atteintes de ce trouble, est longue et variée : revues, K7 VHS, DVD, Blu-Ray, vidéo à la demande, streaming, jeux en ligne, conversations téléphoniques érotiques, love store en ligne, webcams, prostitution en ligne, clubs ou saunas échangistes, salons de massages, sexodrome (formule hôtelière all inclusive pour adultes), utilisation sexuelle des réseaux sociaux, sites ou applications de rencontre…</p>
<p>L’exposition à des milliers de nouvelles images et à de nouvelles expériences sexuelles est aujourd’hui démultipliée à l’infini. Les productions de l’industrie du sexe sont le principal moteur des addictions sexuelles pour les personnes vulnérables, en raison de leur capacité à générer de nouvelles formes de gratification immédiate grâce aux nouvelles technologies.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/du-plaisir-a-laddiction-que-se-passe-t-il-dans-notre-cerveau-148701">Du plaisir à l’addiction, que se passe-t-il dans notre cerveau ?</a>
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<h2>De nombreuses conséquences et maladies associées</h2>
<p>Les conséquences de l’addiction sexuelle sont similaires à celles retrouvées dans les autres types d’addiction. Il existe des risques d’infections sexuellement transmissibles liés à des rapports sexuels non protégés (VIH, chlamydiose, gonococcie, syphilis…), des risques de grossesse non désirée. </p>
<p>Les patients souffrant d’addiction sexuelle peuvent également avoir des co-addictions au tabac, à l’alcool ou à des drogues illicites (par exemple, cocaïne, <a href="https://theconversation.com/drogues-le-gbl-a-remplace-le-ghb-mais-les-risques-restent-les-memes-171904">gamma-butyrolactone ou GBL</a>, nouveaux produits de synthèse…). Le recours au <a href="https://theconversation.com/chemsex-les-dessous-de-lalliance-dangereuse-du-sexe-et-des-amphetamines-157804">chemsex</a> doit aussi être recherché par le praticien lors de la consultation. Chez les hommes, <a href="http://www.alcoologie-et-addictologie.fr/index.php/aa/article/view/794">addictions aux jeux de hasard et d’argent sont particulièrement prévalents</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chemsex-les-dessous-de-lalliance-dangereuse-du-sexe-et-des-amphetamines-157804">« Chemsex » : les dessous de l’alliance dangereuse du sexe et des amphétamines</a>
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<p>L’addiction sexuelle est également associée à des pathologies psychiatriques telles que trouble de l’humeur, trouble anxieux, trouble de la personnalité, ou trouble obsessionnel compulsif.</p>
<h2>Êtes-vous concerné ?</h2>
<p>Pour déterminer si sa conduite sexuelle est problématique, il est possible de s’autoévaluer grâce au questionnaire PEACCE (Pensées-Entourage-Aide-Conséquences-Contrôle-Emotions). Il suffit pour cela de répondre par oui ou non aux questions ci-après :</p>
<p>1) Trouvez-vous que vous êtes souvent préoccupé par des pensées sexuelles ? (Pensées) ;<br>
2) Cachez-vous certains de vos comportements sexuels à votre entourage (partenaire de vie, famille, ami(e)s proches…) ? (Entourage) ;<br>
3) Avez-vous déjà recherché de l’aide pour un comportement sexuel que vous n’appréciez pas de faire ? (Aide) ;<br>
4) Est-ce que quelqu’un a déjà été heurté émotionnellement à cause de votre comportement sexuel ? (Conséquences) ;<br>
5) Vous sentez-vous contrôlé par votre désir sexuel ? (Contrôle) ;<br>
6) Vous sentez-vous triste après être passé à l’acte sexuellement (rapports sexuels, Internet, autres) ? (Émotions).</p>
<p>Si plus de 3 réponses positives ont été obtenues, il est conseillé de se faire évaluer par un spécialiste. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à consulter, que ce soit en se rendant dans un CSAPA (centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie), dans un service hospitalier, ou en consultant un psychiatre, un psychologue ou un sexologue.</p>
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<p><em>Le Dr <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Lowenstein">William Lowenstein</a>, spécialiste en médecine interne, addictologue et président de <a href="http://sos-addictions.org/l-association/comite-scientifique/dr-william-lowenstein">SOS Addictions</a>, a participé à la rédaction de cet article.</em>
<br></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=956&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/449609/original/file-20220302-25-58rnfy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1201&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<em><strong>Pour aller plus loin :</strong></em></p>
<p><em>- Le <a href="https://podcasts.audiomeans.fr/addiktion-98e77f1dfa06">podcast ADDIKTION</a> ;</em></p>
<p><em>- Karila L. (2022) <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/na-quune-vie-9782213716664">« On n’a qu’une vie ! »</a>, Fayard.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176877/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Karila est Porte Parole de l'Association SOS Addictions et membre de la Fédération Française d'Addictologie. Il a reçu des honoraires des laboratoires Ethypharm, Zentiva pour des conférences de formation médicale continue.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et addictologie, président de la Fédération Française d'Addictologie, AP-HP</span></em></p>
Chez certains, l’attrait pour le sexe peut devenir obsédant, au point d’envahir la vie quotidienne et de mener à des conduites à risque. Une véritable addiction, en augmentation à l’ère d’Internet.
Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-Saclay
Amine Benyamina, Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et addictologie, président de la Fédération Française d'Addictologie, AP-HP
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/171459
2021-12-06T22:34:07Z
2021-12-06T22:34:07Z
Dépression et inflammation : le rôle émergent du système immunitaire en psychiatrie
<p>La dépression est une maladie mentale fréquente, et mal comprise. Selon les critères du <a href="https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">DSM-5</a> (le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, publié par l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Association_Am%C3%A9ricaine_de_Psychiatrie">Association américaine de psychiatrie</a>) ; elle est caractérisée par des symptômes tels qu’une tristesse persistante, un manque de motivation à effectuer des tâches habituelles, une perte d’intérêt et de plaisir, une grande fatigue, des troubles du sommeil, une perte d’appétit… mais également un sentiment de désespoir, qui peut mener jusqu’à des pensées et gestes suicidaires.</p>
<p>Pendant longtemps, nous n’avons pas disposé de traitements adaptés. Jusqu’à ce que, dans les années 1950, on découvre fortuitement que certains médicaments, des inhibiteurs de l’enzyme de dégradation de la sérotonine testés jusque-là dans d’autres indications (comme antituberculeux), <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25643025/">avaient des effets positifs sur « l’humeur »</a>…</p>
<p>Cette observation a contribué à l’élaboration de l’hypothèse selon laquelle la dépression pouvait être une maladie causée par un déséquilibre biochimique de neurotransmetteurs, ces substances libérées entre cellules nerveuses.</p>
<p>Un neurotransmetteur particulièrement suspecté fut la <a href="https://theconversation.com/non-la-serotonine-ne-fait-pas-le-bonheur-mais-elle-fait-bien-plus-109280">sérotonine, dont il a été montré qu’il intervient dans la modulation des émotions</a>. En effet, la plupart des médicaments qui agissent comme antidépresseur ont pour effet de renforcer la disponibilité de la sérotonine, notamment en inhibant sa récupération par les neurones. Ces médicaments, de <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/prozac-8447.html">type Prozac©</a>, sont ainsi devenus la classe d’antidépresseurs la plus fréquemment prescrite.</p>
<p>Cependant, environ 30 % des patients souffrant de dépression ne voient pas leur état s’améliorer par ces traitements. La recherche de nouveaux mécanismes neurobiologiques a donc été élargie.</p>
<h2>L’inflammation : une nouvelle piste prometteuse</h2>
<p>Le rôle de l’inflammation a, dans ce cadre, connu un intérêt grandissant pour les perspectives thérapeutiques qu’il permettrait d’ouvrir. Encore imparfaite, cette hypothèse s’appuie toutefois sur de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10442164/">multiples observations biologiques</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32150310/">et cliniques</a> telles que :</p>
<ul>
<li><p>Les patients souffrant de maladies inflammatoires chroniques présentent une prévalence élevée de troubles dépressifs ;</p></li>
<li><p>Des malades traités par immunothérapie avec des cytokines (petites protéines pro-inflammatoires) développent fréquemment un syndrome dépressif sévère ;</p></li>
<li><p>Des biomarqueurs de l’inflammation (cytokines pro-inflammatoires, protéine C-réactive ou CRP) sont souvent en quantité plus élevés dans le sang des patients présentant un épisode de dépression majeure. Un trait qui semble corrélé avec un profil clinique d’anhédonie (perte de la capacité à ressentir le plaisir) et de troubles cognitifs, et est souvent associé à la non-réponse aux médicaments antidépresseurs ;</p></li>
<li><p>Certains anti-inflammatoires réduisent l’état dépressif <em>per se</em> ou potentialisent l’effet clinique des antidépresseurs ;</p></li>
<li><p><a href="https://us.macmillan.com/books/9781250318145/theinflamedmind">L’état inflammatoire modifie le comportement et la connectivité cérébrale</a>, en particulier dans le système de récompense du cerveau, entre striatum ventral et le cortex frontal (circuit qui gère les émotions positives de bien-être).</p></li>
</ul>
<p>Ces observations établissant un lien entre pathologie mentale et inflammation sont suffisamment solides pour permettre l’émergence d’une nouvelle discipline : la psycho-neuro-immunologie ou immuno-psychiatrie. <a href="https://www.scimagojr.com/journalsearch.php?q=20695&tip=sid">Plusieurs journaux scientifiques internationaux de grande notoriété publient désormais des travaux dans ce champ émergent</a> et une <a href="https://t.numblr.net/pic/enc/cHJvZmlsZV9iYW5uZXJzLzE5NTExNzk3OTkvMTQ4ODg4ODc4NS8xNTAweDUwMA==">société internationale de neuro-immunologie a été fondée</a>.</p>
<h2>De multiples pistes à explorer</h2>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32150310/">L’hypothèse d’une composante inflammatoire dans la maladie mentale</a> a ceci d’intéressant qu’elle conduit à reconsidérer le trouble comme une pathologie de l’organisme entier et non comme exclusivement cérébrale : ce qui permet de dépasser une approche trop dichotomisante entre pathologies de l’esprit (maladies mentales) et pathologies somatiques (du corps).</p>
<p>La recherche dans ce domaine n’en est qu’à ses débuts, et l’origine de l’inflammation qui accompagne les pathologies mentales reste mal comprise. En effet, une inflammation est habituellement une réponse immunitaire non spécifique et transitoire en réaction à l’exposition à un corps étranger ou à un agent infectieux. Dans le cas de la maladie mentale, l’origine de l’inflammation doit être recherchée au niveau de l’organisme.</p>
<p>La responsabilité d’un glucocorticoïde (le cortisol), hormone du stress, a été également évoquée. Un stress chronique est en effet souvent un facteur déclenchant d’une pathologie dépressive.</p>
<p>On s’interroge aussi sur les mécanismes de dispersion de cellules immunitaires (macrophages) et des médiateurs de l’inflammation (interleukines pro-inflammatoires) du compartiment sanguin vers l’intérieur du cerveau. Cette entrée des macrophages est vraisemblablement la conséquence d’une modification de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique, qui sépare les compartiments sanguin et cérébral.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28373688/">Des travaux expérimentaux</a> chez l’animal suggèrent que cette modification pourrait être la conséquence du stress mécanique induit par la circulation sanguine – une hypothèse désormais <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21349153/">bien documentée</a> en <a href="https://www.nature.com/articles/npp2017113">clinique humaine</a> (par de nouvelles techniques d’imagerie par ultrason par exemple.</p>
<p>L’intérêt de cette nouvelle approche est qu’elle est compatible avec le modèle biochimique préexistant. Un lien entre déficit de la transmission de la sérotonine et inflammation a en effet été trouvé : le chaînon manquant entre ces deux voies semble être la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30844963/">voie métabolique dite « Tryptophane/kynurénine/acide quinolinique »</a>.</p>
<p>Le tryptophane est un amino-acide qui nous est apporté par l’alimentation et est le précurseur de la sérotonine. Or, en cas d’inflammation ou de stress, les réactions biologiques de métabolisation du tryptophane sont détournées vers une autre molécule, la kynurénine, et d’autres produits ayant des propriétés oxydantes ou <a href="https://www.sciencedirect.com/topics/neuroscience/excitotoxicity">excito-toxiques</a> (toxiques pour les neurones) comme l’acide quinolinique.</p>
<h2>Au cœur des réactions biologiques impliquées</h2>
<p>Selon certains auteurs, 85 % des synapses de notre cortex cérébral utilisent un neurotransmetteur appelé glutamate – qui y serait ainsi le principal neurotransmetteur excitateur. Cela signifie que toute modification de l’activité des synapses « glutamatergiques » aura un impact élevé sur l’activité cérébrale. Or l’acide quinolinique est capable de se fixer sur les mêmes récepteurs que le glutamate pour en potentialiser l’effet (effet agoniste). Leur excès de stimulation conduit à un phénomène d’excito-toxicité, aboutissant à de la mort neuronale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La barrière hémato-encéphalique (H-E), entre compartiment sanguin et cérébral, est constituée, en partie, d’astrocytes, qui transportent TRP, KYN et 3–HK. Lorsque le métabolisme du TRP est dévié vers KYN, la sérotonine (5-HT) cérébrale baisse. Nous pensons que l’équilibre 5-HT/QUIN/KYNA joue un rôle majeur dans la dépression.</span>
<span class="attribution"><span class="source">d’après Troubat et coll., European Journal of Neurosciences</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette hypothèse de l’implication de la neuro-inflammation et de la voie métabolique des kynurénines excito-toxique dans la dépression est congruente avec l’hypothèse du rôle du glutamate dans la dépression. D’autant que des études pharmacologiques ont montré, chez l’humain, qu’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10686270/">autre molécule capable cette fois de concurrencer le glutamate sur ses récepteurs (effet antagoniste), la kétamine, a des propriétés antidépressives puissantes et rapides</a>.</p>
<p>Mais ce n’est pas le seul intérêt de ce modèle : la découverte des liens entre système impliquant la sérotonine et inflammation permet aussi de mieux comprendre les liens entre dépression et pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer.</p>
<p>Il a en effet été démontré en clinique humaine que la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/affective-disorders-and-risk-of-developing-dementia-systematic-review/343C1DA7C277F28256A0B4F0264CEE76">survenue d’épisodes dépressifs augmente la probabilité de développer, plus tard, un trouble comme la maladie d’Alzheimer</a>, ce qui suggère des mécanismes communs à ces deux pathologies.</p>
<p>Il a également pu être mis en évidence, chez l’animal, que le stress chronique perturbe certaines voies métaboliques dans des régions du cerveau impliquées dans la dépression chez l’humain – telles que l’amygdale (qui a un rôle de système d’alerte) et serait une des <a href="https://livre.fnac.com/a1652564/Joseph-Ledoux-Le-Cerveau-des-emotions">structures du circuit de la peur</a>.</p>
<p>L’inflammation et l’état de stress chronique conduisent aussi à l’accumulation de composés favorisant là encore la mort neuronale, qui caractérise les pathologies neuro-dégénératives de type Alzheimer.</p>
<p>On le voit, la prise en considération de la composante inflammatoire ouvre un champ de recherche prometteur. Elle permet non seulement d’envisager de nouvelles pistes thérapeutiques pour les maladies mentales comme la dépression, mais aussi de mieux comprendre leurs relations avec d’autres pathologies – neuro-dégénératives notamment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171459/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Esther Belzic a reçu des financements pour une bourse de thèse par la Fondation Recherche Alzheimer</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Negar Ahmadi a reçu une bourse de la part de labex (Laboratoire d’excellence) financée par l’ANR (l’agence national de la recherche) dans le cadre de sa thèse à l’IGF (institut génomique fonctionnelle) du CNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Camus a reçu des financements DGOS AAP en recherche clinique.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascal Barone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La dépression reste mal comprise, malgré les avancées diagnostiques et thérapeutiques. Bien des cas restent encore sans traitement. La découverte du rôle de l'inflammation ouvre des pistes inédites.
Pascal Barone, Maître de conférences en Neurosciences, UMR iBrain, imagerie et cerveau, univ-Tours/INSERM, laboratoire de psychiatrie neuro-fonctionnelle, Tours, France, Université de Tours
Esther Belzic, PhD à Neurosciences Paris Seine à l'institut de Biologie Paris Seine, CNRS UMR 8246, Inserm U1130, Sorbonne Université
Negar Ahmadi, PhD à Institut de Génomique Fonctionnelle, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Vincent Camus, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Université de Tours & INSERM U1253, CHRU de Tours, Université de Tours
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tag:theconversation.com,2011:article/172163
2021-11-18T21:32:30Z
2021-11-18T21:32:30Z
Pourquoi il faut développer les suivis psychologiques en centre d’hébergement d’urgence
<p>« Centres d’hébergement d’urgence » : l’expression évoque les lieux destinés à accueillir à la nuitée les personnes en grande précarité, afin de les mettre à l’abri, leur procurer des soins d’hygiène, de la nourriture, etc. La dimension d’assistance psychologique n’est pas la première qui vient à l’esprit lorsque l’on pense à ce type de structures. Et pour cause : comme le soulignait le chercheur en sociologie politique <a href="https://doi.org/10.3917/soco.063.0105">Patrick Bruneteaux en 2006</a> : « dans tous les centres d’hébergement d’urgence de nuit, quelles que soient les associations, aucun professionnel de l’écoute n’est présent ». </p>
<p>Ce constat était également valable dans le Centre d’hébergement d’urgence et d’accueil des personnes sans abris (CHAPSA) de Nanterre au sein duquel a pris place l’étude clinique de terrain dont les résultats sont présentés dans cet article. Ce travail, qui s’est déroulé d’avril 2020 à mai 2021, dans des conditions très particulières, alternant confinement et déconfinement, visait à évaluer l’impact du suivi psychologique sur la situation psychosociale des personnes hébergées dans ce centre.</p>
<p>Voici ses conclusions.</p>
<h2>Un fonctionnement modifié par la pandémie</h2>
<p>La situation sanitaire exceptionnelle que nous avons vécue a fortement modifié le fonctionnement du CHAPSA de Nanterre, où j’ai débuté mon travail en tant que psychologue bénévole auprès des usagers confinés. </p>
<p>Disposant de 217 places, ce centre fonctionne habituellement en nuitées. Les personnes hébergées y sont orientées par la brigade d’assistance aux personnes sans-abri (qui dépend de la préfecture de police de Paris), le service intégré d’accueil et d’orientation (une composante du dispositif départemental de veille sociale) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP). </p>
<p>De mars 2020 à juin 2021, le centre a fonctionné pendant 11 mois en confinement (de mars à juin 2020, d’octobre à novembre 2020, de février à juin 2021). Durant ces périodes, la même population, réduite à 144 usagers, conservait sa place la nuit. L’activité de la consultation médicale du CHAPSA, qui accueille de façon inconditionnelle toute personne en demande, a donc été impactée par cette configuration particulière. </p>
<p>Si mon activité de psychologue clinicienne, débutée en avril 2020, s’est maintenue lors des périodes de confinement, le nombre de premières rencontres lors desdites périodes s’est vu réduit, sans toutefois altérer la possibilité des suivis psychologiques débutés lors des périodes de fonctionnement normal (les usagers pouvaient venir de l’extérieur sur rendez-vous afin de continuer leur suivi). </p>
<h2>Prise en charge psychologique : des effets variables selon la population considérée</h2>
<p>De mai 2020 à avril 2021, j’ai mené 467 entretiens psychologiques, dans le cadre de 52 suivis hebdomadaires d’une durée de 1 à 6 mois, auprès de 138 personnes. Toutes les personnes rencontrées ont pu bénéficier d’un accompagnement médical auprès de la consultation, et d’un accompagnement social auprès d’assistants sociaux (du centre ou extérieurs).</p>
<p>Nous avons réparti la typologie clinique des personnes rencontrées selon 4 catégories de troubles de premier plan (à partir de quoi s’effectue la demande ou l’adresse) : stress post-traumatique (30 %, soit 41 usagers), addictions (15 %, soit 21 usagers), troubles psychiatriques graves (22 % soit 30 usagers), anxiété/dépression (33 % soit 46 usagers). </p>
<p>Que nous apprennent ces entretiens ? </p>
<iframe title="Pourcentage d’usagers qui ont accédé à
une stabilisation psychosociale (logement pérenne, mieux-être psychologique)
selon la typologie clinique, la mise en place d’un suivi psychologique et le
genre" aria-label="table" id="datawrapper-chart-XlCiY" src="https://datawrapper.dwcdn.net/XlCiY/5/" scrolling="no" frameborder="0" style="border: none;" width="100%" height="536"></iframe>
<p><br></p>
<p>Concernant la population rencontrée et à partir des chiffres du tableau ci-dessus, nous pouvons remarquer que :</p>
<ul>
<li><p>Le nombre de personnes s’inscrivant dans un suivi psychologique hebdomadaire est nettement plus important auprès des personnes présentant au premier plan un trouble de stress post-traumatique (S 86 %), où il y a une légère majorité de femmes, et c’est aussi auprès de ces personnes que l’accès à une stabilisation psychosociale est la plus élevée (S 56 %, NS 10 %). </p></li>
<li><p>À l’inverse, la population présentant au premier plan des addictions s’est nettement moins engagée dans un suivi psychologique hebdomadaire (S 28 %), dont la grande majorité est masculine et pour laquelle, avec ou sans suivi psychologique, l’accès à une stabilisation psychosociale est le plus bas. En ce qui concerne les personnes présentant des troubles psychiatriques, homme comme femme, l’accès à un suivi psychologique hebdomadaire est aussi faible (S 30 %), parfois parce qu’il y a déjà un suivi à l’extérieur, d’autre fois du fait de la méfiance associée aux suivis antérieurs ; mais l’accès à une stabilisation sociale est médian (S20 %, NS 6 %). </p></li>
</ul>
<p>Enfin, concernant les personnes présentant des troubles anxio-dépressifs, homme comme femme, l’engagement dans un suivi psychologique hebdomadaire est médian (S41 %), et l’accès à une stabilisation psychosociale est élevé avec ou sans suivi psychologique (S35 %, NS22 %).</p>
<p>Nous pouvons conclure que l’impact du psychologue en centre d’hébergement d’urgence en matière de stabilisation psychosociale est limité dans les cas de troubles de l’addiction et de troubles psychiatriques majeurs. Il est en revanche bénéfique pour la population souffrant de troubles anxio-dépressifs, et indispensable pour les personnes souffrant de syndrome de stress post-traumatique.</p>
<h2>Quelques exemples cliniques</h2>
<p>Que ce soit par les événements qui les ont amenés à la précarité (familial, professionnel, accidentel, culturel, migration…) ou la vie dans la rue elle-même, nous pouvons affirmer que la très grande majorité des personnes rencontrées en centre d’hébergement d’urgence <a href="https://doi.org/10.3917/dunod.tarqu.2019.02.0235">ont vécu des épisodes traumatiques complexes</a>, plus ou moins longs, plus ou moins lointains, et qui n’ont pas été pris en charge psychologiquement. </p>
<p>Ainsi, M. Z., 35 ans, qui m’a été adressé par une personne du centre, a vécu des violences et assisté à des meurtres de sa famille, est resté emprisonné et a subi des tortures. Arrivé récemment sur le territoire français, il n’a bénéficié d’aucun suivi. Lorsque je l’ai rencontré, il dormait parfois à la Défense, parfois au CHAPSA, et souffrait de stress post-traumatique. Il passait très régulièrement par des phases d’agressivité, se battait souvent, ne parvenait pas à dormir, avait des reviviscences, se perdait régulièrement, ne pouvait se concentrer. Il lui arrivait aussi de confondre les personnes qu’il croise avec les membres de sa famille tués devant lui. Pour oublier, il prenait parfois des substances. </p>
<p>J’ai suivi M. Z. avec un des médecins de la consultation médicale du CHAPSA afin de lui apporter en parallèle de la psychothérapie une aide médicamenteuse et un suivi somatique. M. Z. a également participé, au cours de la thérapie, à un groupe d’entraide que j’ai conduit avec d’autres personnes ayant vécu des violences et étant isolées sans famille ni amis. Après 6 mois de suivi hebdomadaire, Mr Z. n’a plus de symptomatologie traumatique, il est capable de faire des choix dans ses démarches, il a retrouvé son humour et ses capacités physiques et cognitives, il est sociable et n’a plus de réactions agressives, il a réduit son traitement et ne consomme aucune substance addictive, il a un logement pérenne, et bien qu’il n’ait pas encore accédé à une régularisation de sa situation, il a pu trouver un travail.</p>
<p>Mme D., 31 ans, est quant à elle venue me voir alors qu’elle était hébergée au CHAPSA. Elle a été victime de violences conjugales en France durant plusieurs années et, suite à sa troisième grossesse, elle a été internée en psychiatrie pendant un mois et demi. À sa sortie, elle n’est pas retournée au domicile conjugal, son conjoint ayant mis ses enfants chez sa mère et refusant qu’elle les voit. Au début du suivi, Mme D. est encore sous emprise : dans la culpabilisation, elle est perdue et vit dans la peur permanente de ne pas revoir ses enfants. Elle craint de ne pas être écoutée, du fait de son passage en psychiatrie, son ex-conjoint utilisant cet argument afin de rejeter la faute sur elle. </p>
<p>Au bout de 5 mois de suivi, Mme D. a compris le mécanisme d’emprise et l’épuisement physique et moral qui l’a conduite à son hospitalisation. Elle est sortie de la culpabilité et a retrouvé sa vitalité et son identité. Elle a trouvé un logement pérenne, entreprend auprès d’une avocate les démarches pour acter le divorce et avoir la garde de ses enfants, a commencé un travail à temps partiel et s’est resocialisée.</p>
<p>Âgé de 25 ans, M. K. est venu en consultation suite à une agression. Il se sent persécuté par des personnes qui le rechercheraient, et a établi un délire paranoïaque selon lequel les personnes qui l’ont aidé le délaisseraient, car elles supposeraient qu’il a amené la Covid-19 en France (puisqu’il souffre de problèmes pulmonaires). M. K. a été abandonné dans son enfance : sa mère est morte à sa naissance et son père l’a rejeté. Il n’a pu trouver de figure affective sécurisante et a provoqué des conflits avec des personnes dépositaires d’autorité. Il ne vient pas régulièrement en thérapie et ne parvient pas à s’inscrire dans une démarche de stabilisation, chaque échec rejouant le rejet initial. Il erre régulièrement dans les rues et fume beaucoup ; il craint de se faire du mal et de faire du mal aux autres. Malgré le traitement psychiatrique mis en place, son errance se poursuit et l’antériorité de ses troubles rend très difficile toute prise en charge globale.</p>
<p>On le voit, les troubles dont souffrent les personnes qui sont accueillies en hébergement d’urgence peuvent s’installer <a href="https://doi.org/10.3917/mem.073.0005">« durant des mois, des années voire toute une vie en l’absence de prise en charge »</a> et amener à d’autres pathologies et comorbidités qui rendront non seulement plus difficile l’accès à la guérison du trauma, mais compliqueront aussi la prise en charge médico-sociale, ainsi que la mise en place d’un lien de confiance. Avec d’importantes conséquences non seulement pour l’individu, mais aussi pour les autres, comme cela a été bien documenté dans la littérature scientifique, en particulier dans le cas du stress post-traumatique.</p>
<h2>L’importance de la prise en charge du trouble post-traumatique</h2>
<p>Le lien entre <a href="https://www.cairn.info/les-psychotraumatismes--9782100705207-page-119.htm">trouble post-traumatisme non pris en charge et addiction a été vérifié</a>, l’addiction étant un des moyens utilisés par les personnes souffrant de traumatisme <a href="https://doi.org/10.3917/dunod.lopez.2016.01.0308">pour en atténuer les symptômes</a>, ce qui favorise aussi de nouvelles prises de risque et ainsi <a href="https://doi.org/10.3917/chime.085.0189">de nouveaux traumas</a>. </p>
<p>Le lien entre trouble post-traumatique installé et troubles psychiatriques sévères <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807307834-le-traumatisme-psychique-chez-l-enfant">a aussi été confirmé</a>, donnant lieu à l’isolement, l’agressivité, augmentant la précarité, les comportements agressifs, <a href="https://doi.org/10.1684/ipe.2016.1552">favorisant les démences chez les personnes âgées</a> et rendant ainsi d’autant plus difficile toute tentative de prise en charge médico-psychosociale.</p>
<p>Dans tous les cas, les troubles post-traumatiques amènent <a href="https://doi.org/10.3917/dunod.lopez.2016.01.0296">des symptômes anxio-dépressifs</a> avec troubles du sommeil et méfiance sociale qui risquent de s’ancrer dans le fonctionnement neuropsychique en l’absence de suivi, nécessiter un traitement médicamenteux à long terme voire des tentatives de suicides, des comportements hétéro et auto agressifs. Ces syndromes limitent la possibilité de se réinsérer, l’intégration dans un cadre (comme un nouvel emploi, une formation, etc.), et ils « sont souvent associés à des troubles de la concentration, de l’attention et/ou de la mémoire. Ces derniers sont d’autant plus invalidants qu’ils peuvent avoir <a href="https://doi.org/10.3917/mem.073.0005P.8.">un impact sur l’apprentissage d’une nouvelle langue, sur les démarches administratives à effectuer »</a>. </p>
<p>Même chez la personne qui arrive à améliorer sa situation sociale sans soins psychiques, le post-trauma peut laisser des traces, faisant courir le risque d’un retour des symptômes enfouis <a href="https://doi.org/10.3917/inpsy.8203.0231">auprès de la génération suivante ou lors de réactivations (grossesse, paternité, décès d’un proche, maladie…)</a>.</p>
<p>Enfin, pour la majorité, l’ancrage dans la précarité, le désespoir et <a href="https://doi.org/10.3917/dunod.tarqu.2019.02.0235">l’altération de la relation au monde et aux autres</a> peuvent mener conjointement à des comportements <a href="https://doi.org/10.3917/dunod.lemit.2012.01.0113">antisociaux et délinquants (vols, agressions)</a>, des réseaux de <a href="https://doi.org/10.3917/cohe.232.0053">prostitution (par mise sous emprise, dévalorisation, répétition de la stratégie de l’agresseur)</a>, des trafics de drogue (pour diverses raisons : c’est une façon de <a href="https://doi.org/10.3917/nrp.015.0207">« réintégrer le système qui les a refoulé » en se rendant visible et puissant</a>, c’est le seul univers connu <a href="https://doi.org/10.3917/psyt.073.0031">où la personne se sent acceptée</a>, c’est la <a href="https://www.cairn.info/je-n-existais-plus--9782348065101-page-225.htm">répétition de l’emprise</a>, ou seulement un moyen pour répondre à ses besoins), et/ou de radicalisation (là pour plusieurs raisons : <a href="https://doi.org/10.3917/rhiz.069.0034">haine généralisée</a>, reconstruction identitaire via le fantasme <a href="https://doi.org/10.3917/ctf.063.0037P.15-20">d’une parenté imaginaire ou récits de rédemption</a>.</p>
<p>C’est donc auprès des primo-arrivants (dans l’abandon, dans la précarité, dans le pays, dans la rue…) souffrant au premier abord de stress post-traumatique que le suivi psychologique est non seulement le plus évident à mettre en place, mais aussi le plus pertinent du point de vue des résultats. </p>
<p>L’intégration du psychologue clinicien dans les centres d’hébergement d’urgence est un atout majeur, préventif et thérapeutique, autant du point de vue psychopathologique, que de ses retombées médicales, économiques et sociopolitiques. L’obtention de réussites thérapeutiques nécessite un suivi psychologique conjoint à une prise en charge sociale et médicale, qui doit être mené par des psychologues prêts à <a href="https://doi.org/10.3917/jdp.312.0023">se remettre régulièrement en cause</a>, <a href="https://doi.org/10.3917/psyt.254.0023">faire preuve d’inventivité et ne pas craindre l’engagement personnel</a>. </p>
<p>Il serait à ce titre intéressant de développer la présence de psychologues en centre d’hébergement d’urgence et, quand il n’y a pas de présence médicale la journée, d’expérimenter un dispositif lors duquel le psychologue peut être présent les soirs, afin d’aller au-devant des personnes hébergées. Cela permettrait de créer le premier lien dont on sait qu’il est central dans l’engagement thérapeutique, conjointement à celui effectué avec les équipes qui sont confrontées à cette charge psychique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172163/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adèle Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les conséquences de la non prise en charge psychologique des personnes accueillies dans les centres d’hébergement d’urgence peuvent être graves, pour elles et pour les autres. Enquête de terrain.
Adèle Clément, Psychologue clinicienne, docteur en psychologie clinique et psychopathologie, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/170122
2021-10-27T20:42:02Z
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Les addictions : à quoi sont-elles dues, comment les repérer ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/428845/original/file-20211027-19-1hujypy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C0%2C5301%2C2993&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plus la consommation de substances au potentiel addictif est précoce, plus le risque d’addiction est grand.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/siM_YaIGrzU">Mikail Duran / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Addiction à l’alcool, au tabac, au cannabis, au sexe, au shopping, aux jeux vidéo, voire au téléphone portable… Aujourd’hui, il semblerait que l’on puisse devenir « addict » à tout et n’importe quoi. Si l’omniprésence de ce terme relève probablement d’un effet de mode langagier, elle ne doit pas faire oublier que l’addiction est une réelle maladie, correspondant à des critères précis.</p>
<p>Cliniciens et chercheurs tentent d’élucider les mécanismes de cette pathologie cérébrale qui touche des millions de personnes en France, afin de mieux la prendre en charge et d’éviter les rechutes. Petits rappels.</p>
<h2>Un peu d’étymologie</h2>
<p>Le terme « addiction » sous-entend une absence d’indépendance, de liberté, comme en témoigne son étymologie : en droit romain, « addicere » désignait la <a href="https://www.cairn.info/les-addictions--9782130652359-page-9.htm">condition d’esclave pour dettes</a>. Incapable de payer son créancier, le sujet débiteur devenait « addictus », « adonné à » : il était dès lors dévoué à ce dernier, lequel avait le droit de disposer entièrement de sa personne ; la contrainte par le corps était évoquée.</p>
<p>De nos jours, pour signifier qu’une personne est « accro » à quelque chose, sans en être forcément malade, on utilise communément les termes anglo-saxons « addiction » ou « addict ». Une tendance qui pourrait faire oublier que l’addiction est bel et bien une authentique maladie !</p>
<p>Cette pathologie peut concerner non seulement le fait d’être accro à des substances psychoactives, qu’elles soient licites (tabac, alcool, tranquillisants…) ou illicites (cannabis, cocaïne, MDMA, opiacés, nouveaux produits de synthèse…), mais aussi à des comportements, tels que les activités sexuelles, les jeux de hasard et d’argent, la consommation de sucre, l’utilisation des réseaux sociaux, la pratique des jeux vidéo, de l’exercice physique, ou même le shopping.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Gros plans sur des mains tenant un smartphone" src="https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428847/original/file-20211027-13-w9wa6v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le smartphone a aussi un potentiel addictif.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/889Qh5HJj4I">Pradamas Gifarry/Unsplash</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le smartphone, cordon ombilical psychosocial, à la fois « e-doudou » et extension de notre « I-Soi », constitue lui aussi une matrice intermédiaire de l’addiction potentielle à tout ce qui peut se passer sur les écrans, de la prise de « selfies » à la consultation de sites pornographiques en passant par les jeux ou la communication sur les réseaux sociaux.</p>
<h2>Repérer une addiction : les « 5C »</h2>
<p>L’addiction est un processus pathologique récurrent, comprenant dans un premier temps un phénomène de consommation répétée, d’intensité variable selon les personnes. Celui-ci s’accompagne d’une installation progressive de signes de manque et/ou d’accoutumance. La personne perd le contrôle ; saisie d’une envie irrésistible de consommer (appelé « craving » en anglais), elle est en recherche de produit(s) et/ou de comportement(s) addictif(s), en dépit de risques médicaux, psychologiques, psychiatriques et sociaux dont elle a néanmoins conscience (le déni est une des caractéristiques de l’addiction).</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment sortir de l’addiction ? (Laurent Karila, Renaud Hanston, Pour une meilleure santé, PuMS).</span></figcaption>
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<p>L’addiction traduit un déséquilibre permanent de l’échelle personnelle du plaisir. Lorsqu’elle se sent mal, la personne qui souffre d’addiction va consommer pour tenter de rééquilibrer les choses, sans y parvenir. Et il en va de même lorsqu’elle se sent bien : elle va consommer, sans que cela n’arrange le déséquilibre de son échelle du plaisir. Le caractère chronique de la maladie, ainsi que l’évolution par rechutes, sont caractéristique de ce trouble.</p>
<p>Pour se souvenir des caractéristiques qui définissent les addictions, et ainsi mieux les repérer, on peut recourir à un moyen mnémotechnique simple, basé sur cinq mots en « C ». Une addiction se caractérise en effet par : perte de contrôle, craving (envie irrépressible de consommer une substance ou de s’adonner à un comportement), usage compulsif, usage continu, conséquences sur la santé. Si ces problèmes durent sur une période d’au moins 12 mois, on peut parler d’addiction. Mais quelles en sont les raisons ?</p>
<h2>Que se passe-t-il dans notre cerveau lorsque l’on est « addict » ?</h2>
<p>En temps normal, lorsque l’on consomme une substance ou lorsque l’on s’adonne à un comportement qui nous procure du plaisir, quatre circuits cérébraux s’activent : le circuit archaïque de la récompense, le circuit de la mémoire et de l’apprentissage, le circuit de la motivation (attention, il s’agit bien du circuit de la motivation, pas de la volonté !) et le circuit du contrôle, qui est impliqué dans le fait d’être capable de répondre de manière adaptée à des situations sociales adaptées ou inadaptées (la réaction extrême étant l’impulsivité).</p>
<p>Dans les addictions aux substances ou aux comportements, ces circuits sont désynchronisés, c’est-à-dire que les circuits de récompense et de mémoire-apprentissage vont fonctionner de leur côté, isolément, tandis que le circuit de la motivation et celui du contrôle vont faire de même. L’addiction est la traduction clinique de cette désynchronisation de la circuiterie cérébrale ; elle correspond à une recherche enregistrée et apprise de récompense immédiate, accompagnée d’une perte de motivation et de contrôle.</p>
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<img alt="Shots d’alcools flambés, sur un bar" src="https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428854/original/file-20211027-19-t9snyi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Consommer un produit addictogène ne signifie pas qu’on va forcément devenir « accro ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/8v3RSMpzBuM">Jia Jia Shum/Unsplash</a></span>
</figcaption>
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<p>Un point important à comprendre est que ce n’est pas simplement parce qu’une personne rencontre un produit – ou adopte un comportement – potentiellement addictogène (c’est-à-dire capable de déclencher une addiction), dans un environnement donné, qu’elle va développer une addiction ! En effet, les facteurs de risque sont multiples.</p>
<h2>On ne devient pas addict comme ça !</h2>
<p>Le risque d’addiction est la résultante d’une équation complexe, qui fait intervenir non seulement des facteurs ayant trait au développement personnel, mais aussi des caractéristiques neurobiologiques, cérébrales, psychologiques, comportementales et environnementales. La génétique joue aussi un rôle (dans 40 à 70 % des cas), mais n’explique pas tout à elle seule.</p>
<p>Parmi les facteurs qui influent sur le risque d’addiction, citons la précocité de l’usage d’une substance : plus une consommation démarre tôt dans la vie, plus le risque de consommation excessive et/ou d’installation d’une addiction est élevé, surtout si l’usage se répète.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/alcool-tabac-cannabis-ou-en-est-la-consommation-des-jeunes-francais-152138">Alcool, tabac, cannabis… Où en est la consommation des jeunes Français ?</a>
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<p>La consommation à visée autothérapeutique (effet tranquillisant, hypnotique, antidépresseur) constitue un autre type de consommation à risque d’addiction. Dans cette situation, le fait que la consommation devienne régulière et solitaire doit alerter, car il s’agit d’un indicateur de risque.</p>
<p>Le cumul des consommations aggrave lui aussi le risque d’intoxication psychologique et sociale, et ce quel que soit l’objet addictogène. Une quatrième modalité d’usage à risque est la recherche d’excès, qui peut se traduire par un désir d’anesthésie, une envie de « défonce ».</p>
<p>Enfin, la répétition des modalités de consommation est généralement le point de départ de quelque chose de problématique.</p>
<h2>Une évolution anarchique nécessitant une prise en charge globale</h2>
<p>Une maladie addictive est rarement restreinte à une substance ou à un comportement. En outre, elle est fréquemment associée à d’autres atteintes, qu’elles soient psychiatriques (dépression, trouble anxieux…), somatiques (problèmes cardiaques, hépatiques…), cognitives (troubles de la mémoire, de la concentration, de l’attention, de la prise de décision) ou sociales.</p>
<p>L’évolution de la maladie n’est pas rectiligne dans le temps, elle est plutôt sinusoïdale et anarchique : on ne passe pas d’un état de « tout problématique » à la disparition des addictions. La rémission, la guérison peuvent être longues.</p>
<p>Pour ces raisons, le traitement d’une addiction ne doit pas se focaliser sur la substance ou sur le comportement, mais sur la personne dans sa globalité, à savoir le psychologique, le physique, l’addiction et l’environnement.</p>
<p>L’approche la plus efficace consiste à combiner des traitements médicamenteux avec différents types de psychothérapie, des participations à des groupes de parole ou des associations d’anciens malades. Le statut <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2020/12/medsci200206s/medsci200206s.html">patient expert</a> peut aussi être bénéfique (<em>forts d’une connaissance fine de leur maladie chronique acquise au fil du temps, les patients experts collaborent avec les soignants pour améliorer les interventions en santé, ndlr</em>).</p>
<p>Enfin, dans la lutte contre l’addiction comme dans n’importe quelle autre maladie, les premières pierres à apporter à l’édifice du succès thérapeutique sont une bonne alliance avec l’équipe qui nous suit, l’adhésion à son traitement, et l’endurance psychique.</p>
<hr>
<p><strong>Pour en savoir plus :</strong><br>
● <em>Le <a href="https://open.spotify.com/episode/3rxhUnuOxGUdzQWXT4hOBn">podcast</a> du <a href="https://www.deezer.com/fr/show/3046532">professeur Laurent Karila</a> <a href="https://podcasts.apple.com/fr/podcast/laurent-karila-addiktion/id1589756300">« Addiktion »</a> consacré aux addictions</em>.</p>
<p><strong>Les ouvrages ayant servi de référence à cet article :</strong><br>
● <em>Karila, L. <a href="https://www.editionsleduc.com/produit/2090/9791028517236/l-alcoolisme-au-feminin">« L’alcoolisme au féminin »</a>, éditions Leduc, 2020.</em><br>
● <em>Karila, L. ; Benyamina, A. <a href="https://pdf.sciencedirectassets.com/276884/1-s2.0-S0761842519X00029/1-s2.0-S0761842518310118/am.pdf">« Addictions »</a>, Rev Mal Respir, 2019.</em><br>
● <em>Karila, L. <a href="https://www.mangoeditions.com/9782317019654-addictions-dites-leur-adieu.html">« Les addictions. Dites leur adieu ! »</a>, Mango éditions, 2019.</em><br>
● <em>Karila, L. <a href="http://www.lecavalierbleu.com/livre/25-idees-recues-addictions/">« 25 idées reçues sur les addictions »</a>, éditions Le Cavalier Bleu 2017.</em><br></p>
<hr>
<p><em>Cet article a été écrit en partenariat avec la chaîne santé de l’université de Paris, <a href="https://www.youtube.com/pumsuniv">Pour une meilleure santé</a> (PuMS).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170122/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Karila est porte-parole de SOS Addictions et membre de la Fédération Française d'Addictologie.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Boris Hansel est associé de la société d'informatique médicale IRIADE. Il participe à des projets de recherches financés par la fondation AP-HP.</span></em></p>
Le mot « addiction » est employé à tort et à travers, au point d’en oublier qu’il s’agit d’une réelle maladie, d’évolution complexe. Comment repérer les usages et les comportements problématiques ?
Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-Saclay
Boris Hansel, Médecin, Professeur des universités- Praticien hospitalier, Inserm U1148, Faculté de Santé, Université Paris Cité
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tag:theconversation.com,2011:article/165220
2021-10-05T13:23:08Z
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La thérapie par Instagram, ou l’utilisation des réseaux sociaux comme soutien en santé mentale pour les femmes
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/415734/original/file-20210811-27-w3ru6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C44%2C5973%2C3943&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La popularité d'Instagram en fait une ressource précieuse pour le soutien à la santé mentale, en particulier pour les femmes.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les femmes représentent la <a href="https://www.camh.ca/en/driving-change/the-crisis-is-real/mental-health-statistics">majorité des personnes atteintes de troubles de l’humeur au Canada</a>. Cependant, il manque toujours de ressources et de traitements adaptés pour répondre à leurs besoins. De nombreuses femmes en quête de solutions se tournent donc vers les réseaux sociaux, dont Instagram.</p>
<p>Pour comprendre le phénomène appelé <a href="https://greatist.com/connect/instagram-therapists-and-second-hand-therapy">« thérapie par Instagram »</a>, j’ai interviewé en 2020 une vingtaine de femmes utilisant Instagram pour prendre soin de leur santé mentale. J’ai constaté que ces femmes se tournaient vers la plate-forme pour pallier le manque de ressources. Instagram leur permet en effet de s’attaquer à des questions liées à l’identité de genre, de créer des liens avec des personnes dont l’expérience est semblable à la leur et, finalement, de se sentir moins seules.</p>
<p>Même si la sensibilisation en matière de santé mentale s’est améliorée, particulièrement pendant la pandémie, la stigmatisation, les attentes et les préjugés fondés sur le genre <a href="https://www.who.int/teams/mental-health-and-substance-use/gender-and-women-s-mental-health">nuisent au bien-être des femmes dans une proportion sans cesse croissante</a>.</p>
<h2>Hystéries historiques</h2>
<p>Ces questions sont un legs de <a href="https://time.com/6074783/psychiatry-history-women-mental-health/">la psychiatrie du XIXe siècle</a>. Souvent décrites comme hystériques ou « folles », les femmes étaient à l’époque surreprésentées parmi les « malades mentaux », ce qui laissait croire que la folie était inhérente à la nature féminine.</p>
<p>Par conséquent, elles étaient non seulement plus susceptibles que les hommes de recevoir un diagnostic de « folie », mais également de voir leurs expériences généralisées par la psychologie traditionnelle — qui ne tenait pas compte de la façon dont l’appartenance à un genre était vécue différemment selon la race, l’identité sexuelle et d’autres déterminants sociaux. À l’heure actuelle, même si des années de recherche infirment le lien entre les femmes et la folie, les normes de genre continuent de nuire au bien-être des femmes et à leur accès à des soins adéquats.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une gravure d’un homme tenant une femme qui s’est évanouie alors qu’il s’adresse à une salle pleine d’étudiants masculins" src="https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=471&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413063/original/file-20210726-25-l2xtbg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Gravure (1888) de Jean‑Martin Charcot montrant l’hystérie chez une patiente hypnotisée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://wellcomecollection.org/works/qrkb3myu">(A. Lurat/Wellcome Collection)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Sentiment de validation et de communauté</h2>
<p>Pour les femmes que j’ai interviewées, Instagram devient un outil leur permettant d’affronter ces normes et de trouver un sentiment de validation et de communauté. Si certains considèrent la thérapie par Instagram comme <a href="https://www.refinery29.com/en-gb/2021/01/10237732/mental-health-therapy-instagram-accounts">dangereuse</a>, mon étude montre plutôt que le réseau aide les femmes à poursuivre leur rétablissement. En effet, elles peuvent s’y renseigner et y créer des liens qu’elles ne noueraient pas autrement.</p>
<p>Cécile, étudiante en philosophie, s’est décidée à demander de l’aide pour son trouble alimentaire tout juste avant la pandémie. Elle se souvient qu’au début du confinement, son fil Instagram était une succession de mèmes sur la prise de poids pendant la pandémie, ce qui était particulièrement troublant. Plutôt que de quitter Instagram, un des derniers espaces où elle pouvait encore interagir avec des gens, elle a commencé à suivre des mots-clics liés à la diversité corporelle, comme #bodypositivemovement, et à parler de son parcours de rétablissement dans ses publications.</p>
<p>Cécile utilise ses publications pour changer le discours sur les régimes et fournir des liens vers différentes ressources. Ce faisant, elle estime qu’elle « aide les femmes à se sentir moins seules et contribue à créer un sentiment de solidarité ».</p>
<p>Émilie, une femme métisse souffrant d’anxiété généralisée, ne parle pas de son parcours personnel sur Instagram. Par contre, elle se sert du contenu de comptes comme <a href="https://www.instagram.com/browngirltherapy/">@browngirltherapy</a> et <a href="https://www.instagram.com/letterstoblackwomen/">@letterstoblackwomen</a> dans son processus de rétablissement. En entrevue, elle m’explique que sa santé mentale est indissociable du racisme quotidien qu’elle subit comme femme noire ; le contenu qu’elle suit sur Instagram lui permet d’aborder cette dimension.</p>
<p>« Cela me permet de valider des choses qui ne font pas nécessairement l’objet d’une discussion en thérapie ou dont je n’ose pas parler avec les gens de mon entourage. »</p>
<p>Par exemple, c’est grâce à ces comptes qu’Émilie a pris conscience des nombreuses microagressions qu’elle subissait et de leur effet sur son bien-être.</p>
<h2>S’attaquer à l’écart entre les genres</h2>
<p>Pourtant, l’idée qu’Instagram puisse contribuer à réduire l’écart entre les genres en santé mentale n’est certes pas la première qui nous vienne à l’esprit lorsqu’on associe santé mentale et réseaux sociaux. En effet, les chercheuses et chercheurs qui étudient les réseaux sociaux ont démontré qu’Instagram pouvait favoriser l’autonomisation, mais par ailleurs avoir un effet nocif en perpétuant les <a href="https://doi.org/10.1080/13573322.2019.1613975">attentes irréalistes fondées sur le genre</a>.</p>
<p>L’algorithme d’Instagram structure nos interactions sur le réseau de manière à promouvoir certains contenus et à en occulter d’autres, ce qui entretient des définitions normalisées de la féminité et de l’autogestion de la santé.</p>
<p>Par exemple, Instagram promeut des modèles de rétablissement relevant de l’esthétique, comme les bains moussants et les chandelles parfumées, ce qui fait encore une fois porter la responsabilité de leur bien-être aux femmes plutôt qu’aux institutions sociales. Ainsi, les femmes sont incitées à utiliser Instagram non seulement pour pallier le manque de ressources en santé mentale, mais également pour réaliser la promesse de croissance personnelle, d’autonomisation et de transformation que la plate-forme fait miroiter.</p>
<h2>Réorienter le discours</h2>
<p>Quelle que soit la diversité des répercussions des réseaux sociaux sur la santé mentale, les récits de mes participantes ont néanmoins mis en évidence la nécessité de réorienter le discours sur les réseaux sociaux et la santé mentale. Si on a eu tendance à se concentrer sur les effets néfastes d’Instagram sur la santé mentale des femmes, il semble urgent de reconnaître que celles-ci se tournent également vers cette plate-forme pour s’informer sur des enjeux de santé et se sentir reconnues.</p>
<p>Cette réorientation est particulièrement importante lorsqu’on sait qu’à l’heure actuelle, Instagram contrôle le contenu lié à la santé mentale d’une manière <a href="https://www.wired.com/story/opinion-the-perils-of-moderating-depression-on-social-media/">néfaste à ces communautés</a>. Nous devons d’abord reconnaître qu’Instagram n’a pas toujours un effet nocif sur la santé mentale pour ensuite tenir la plate-forme responsable de sa stigmatisation accrue des femmes. En fait, il devrait incomber à Instagram de veiller à ce que les femmes continuent de créer et d’utiliser du contenu et des communautés essentielles sans être censurées.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/CEUsBeCn0-Q","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Enfin, le contenu publié en ligne représente un vaste corpus de connaissances que nous devons prendre au sérieux si nous espérons un jour concevoir des ressources mieux adaptées aux besoins des femmes. Tenir compte de l’utilisation complexe que les femmes font d’Instagram nous permettra de mieux comprendre les limites et les possibilités des soins de santé numériques dans un contexte où la santé est de plus en plus liée aux applications mobiles.</p>
<p>Le gouvernement du Canada <a href="https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/communiques/2020/05/03/premier-ministre-annonce-des-outils-virtuels-matiere-de-soins-et">élabore actuellement une plate-forme de services de santé virtuels</a> pour aider les gens à composer avec les problèmes de santé mentale. Ces outils numériques seront conçus pour aider les utilisatrices et utilisateurs à communiquer avec des intervenantes et intervenants en santé mentale et à obtenir de l’information fiable afin de réduire la pression exercée sur le réseau de la santé.</p>
<p>Étudier la façon dont les femmes utilisent les plates-formes et les réseaux existants, notamment Instagram, permettra d’adapter ces technologies pour répondre à leurs besoins et, éventuellement, réduire l’écart entre les genres.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165220/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fanny Gravel-Patry a reçu des financements de l'Université Concordia et du Fonds de recherche du Québec - Société et culture. </span></em></p>
Pour lutter contre le manque de ressources en santé mentale, des femmes se tournent vers le réseau populaire de partage d’images Instagram pour accéder à des informations.
Fanny Gravel-Patry, Ph.D. Candidate and Public Scholar, Communication Studies, Concordia University
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tag:theconversation.com,2011:article/165715
2021-08-13T12:16:53Z
2021-08-13T12:16:53Z
Contrôle et mise sous tutelle : Britney Spears et Camille Claudel, même combat ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/415547/original/file-20210810-15-h9edew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1080&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les cas de la sculptrice Camille Claudel (1864-1943) et de Britney Spears révèlent des situations où des femmes talentueuses ont été déclarées mentalement inaptes après des interventions familiales.
</span> <span class="attribution"><span class="source">(Wikimedia Commons/CP PICTURE ARCHIVE/Paul Chiasson)</span></span></figcaption></figure><p>L’actualité récente concernant la <a href="https://www.ctvnews.ca/entertainment/britney-spears-files-to-remove-her-father-as-conservator-of-her-estate-1.5524424">contestation judiciaire par Britney Spears du contrôle exercé par son père sur ses biens — une « tutelle administrative » que la chanteuse a qualifié d’« abusive »</a> — fait penser au sort réservé à la sculptrice <a href="http://www.museecamilleclaudel.fr/fr/collections/camille-claudel-biographie">Camille Claudel</a>. Sa liberté a également été limitée par des membres de sa famille il y a plus d’un siècle.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=609&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=609&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=609&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=765&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=765&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413410/original/file-20210727-13-wiafah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=765&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un supporter de Britney Spears lors d’un rassemblement « Free Britney », le 14 juillet 2021, à Washington. Des fans ont organisé des manifestations depuis que la pop star s’est exprimée contre sa mise sous tutelle au tribunal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Jose Luis Magana)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Certains supporteurs de la campagne #FreeBritney <a href="https://ew.com/music/britney-spears-conservatorship-case-update-after-testimony">sont choqués</a> que la famille de Britney Spears ait pu maintenir l’artiste sous tutelle pendant 13 ans. Dans le cadre de cette tutelle, la vedette affirme avoir été abusée, exploitée, médicamentée et contrôlée.</p>
<p>Mais de tels arrangements juridiques ont été <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199579358.001.0001">imposés à des femmes artistes</a> auparavant. Ils reflètent des croyances biaisées sur les capacités des femmes à gérer leur vie et leurs activités professionnelles.</p>
<p>Claudel, qui est décédée en 1943, a été confrontée à un arrangement similaire à celui décrit par Spears. À une époque où il était très inhabituel pour une jeune femme de travailler comme sculpteur, Claudel a eu une carrière réussie. Elle a d’abord étudié avec le sculpteur <a href="http://www.museecamilleclaudel.fr/fr/node/8">Alfred Boucher</a> avant de devenir l’élève, puis l’assistante, la collaboratrice et la partenaire romantique du sculpteur <a href="https://www.musee-rodin.fr/ressources/vie-de-rodin">Auguste Rodin</a>. En 1913, la famille de Claudel l’a fait admettre à un asile.</p>
<h2>Des attentes d’une vie conventionnelle</h2>
<p>La relation de Claudel avec Rodin a continué de façon intermittente de 1884 à 1896. C’étaient sans doute des années stimulantes pour la sculptrice, mais elles étaient aussi difficiles. Sa famille conservatrice de classe moyenne voulait qu’elle mène une vie conventionnelle — une vie où la sculpture figurait uniquement comme un passe-temps, et qui n’incluait certainement pas une relation extra-conjugale avec un homme beaucoup plus âgé. La famille de Claudel s’attendait à ce qu’elle se marie, comme la plupart des femmes de sa classe sociale.</p>
<p>Rodin était lié à sa compagne <a href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/207493">Rose Beuret</a> et ne voulait pas la quitter pour Claudel. <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2004-2-page-131.htm">Une lettre du frère de Claudel</a>, le dramaturge et poète <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Claudel">Paul Claudel</a>, suggère que la sculptrice a été enceinte de Rodin et a subi au moins un avortement pendant leur relation.</p>
<p>Lorsque leur relation tumultueuse a pris fin, Claudel s’est d’abord remise sur pied et a commencé à sculpter des œuvres très différentes de celles de Rodin. Elle utilisait des <a href="https://www.musee-rodin.fr/en/musee/collections/oeuvres/wave-or-bathers">matériaux différents</a>, ses œuvres étaient <a href="http://www.museecamilleclaudel.fr/collections/les-causeuses">plus petites</a> et ses sujets étaient plus contemporains.</p>
<p>Mais elle a eu du mal à obtenir des commandes pour ses œuvres et à gagner sa vie. Ses voisins ont commencé à se plaindre de son comportement étrange. Ses lettres révèlent qu’elle a commencé à devenir paranoïaque que <a href="https://www.editions-hazan.fr/livre/camille-claudel-sa-vie-9782754102643">« la bande de Rodin »</a> lui vole ses idées et l’empêche de vendre ses statues.</p>
<h2>Diagnostic d’une « psychose paranoïaque »</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Sculpture représentant quatre femmes blotties dans un coin en train de discuter" src="https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413420/original/file-20210727-27-k2osf4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les Causeuses, (Les commères) de Camille Claudel. Bronze et marbre teinté (ou albâtre).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/">(Pierre André Leclercq/Flickr)</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="http://www.museecamilleclaudel.fr/fr/node/12">Le 7 mars 1913</a>, la famille de Claudel entame les démarches pour la faire admettre à l’asile de Ville-Evrard, où on l’amène quelques jours plus tard.</p>
<p>Le médecin-en-chef de l’asile diagnostique Claudel d’une <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199579358.001.0001">psychose paranoïaque</a>. Cela confirmait les observations d’un autre médecin, le voisin de la sculptrice, qui avait préparé le certificat médical nécessaire à la demande de sa famille.</p>
<p>Sa famille était préoccupée par la santé mentale de Claudel depuis plusieurs années. À peine une semaine après la mort de son père, elle a décidé de l’institutionnaliser. Le père de Claudel l’avait soutenue, moralement et financièrement, malgré la très forte désapprobation de sa carrière et de ses choix de vie de la part de sa mère. En vertu de la <a href="https://www.cnle.gouv.fr/le-XIXe-siecle-la-loi-de-1838-et-l.html">« loi sur les aliénés » de 1838</a>, une fois diagnostiquée comme « aliénée », Claudel acquiert un statut légal équivalent à celui d’une mineure. Sa famille a le pouvoir de l’interner et de prendre des décisions en son nom.</p>
<p><a href="http://www.museecamilleclaudel.fr/fr/node/12">En 1914</a>, lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Claudel est transférée à une seconde institution, l’asile de Montdevergues, près d’Avignon, plus loin du soutien qu’elle avait toujours à Paris. Claudel est restée à l’asile de Montdevergues jusqu’à sa mort, près de 30 ans plus tard.</p>
<h2>Campagne de libération</h2>
<p>Dans un premier temps, <a href="http://www.groupenotabene.com/publication/risques-et-regrets-les-dangers-de-l%C3%A9criture-%C3%A9pistolaire">comme le montre la spécialiste en littérature française Anna Norris</a>, le cousin de Claudel, Charles Thierry, écrit à sa famille et fait campagne pour sa libération. Mais sa famille refuse d’en entendre parler.</p>
<p>Elle a plutôt obtenu que l’asile empêche Camille Claudel d’envoyer et de recevoir des lettres. Ne sachant pas que ses lettres ne sortaient pas, sauf aux membres de sa famille à qui l’institution les envoyait, elle a continué à écrire.</p>
<p>Des chercheuses comme Norris et la professeure d’études françaises <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199579358.001.0001/acprof-9780199579358-chapter-6">Susannah Wilson</a> ont étudié les lettres que Claudel a écrites de l’asile pour mieux comprendre sa santé mentale. (Aujourd’hui, nous pouvons constater un intérêt populaire similaire pour l’analyse du compte Instagram de <a href="https://britneysinstagram.libsyn.com/">Britney Spears</a>).</p>
<h2>La famille désapprouve</h2>
<p>Norris <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-camille_claudel_a_montdevergues_histoire_d_un_internement_michel_deveaux-9782296994812-38479.html">et le psychiatre Michel Deveaux</a> écrivent tous les deux que dans les années 20, les médecins estimaient que Claudel pouvait être réintégrée à la société. Mais sa famille l’a gardé à Montdevergues et ce, malgré le désir de Claudel de partir. Cette tentative de contrôle n’était pas due au fait qu’ils profitaient de son travail (ainsi que Spears <a href="https://www.newyorker.com/news/american-chronicles/britney-spears-conservatorship-nightmare">a accusé sa famille</a>), mais plutôt, comme l’affirme Norris, parce qu’ils désapprouvaient de sa vie et avaient honte de ses choix.</p>
<p>Je me suis demandé si la famille de la sculptrice ne pensait pas aussi qu’elle entraverait la carrière d’écrivain de son jeune frère, <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/paul-claudel">Paul Claudel</a>, au moment où elle commençait à prendre son envol.</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer de « Camille Claudel 1915. ».</span></figcaption>
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<h2>Liberté et autonomie menacées par d’autres</h2>
<p>Depuis les années 1980, la vie et l’œuvre de Claudel ont été redécouvertes par des chercheurs travaillant dans les domaines de l’histoire de l’art, des études féministes, des études culturelles et de l’<a href="https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/couv/aplat/9782296994812.pdf">histoire de la psychiatrie</a>.</p>
<p>Les artistes, en particulier en France, ont produit une foule d’œuvres populaires à son sujet. Des <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/une-femme-camille-claudel-9782213601212">livres</a>, des <a href="https://www.theatreonline.com/Spectacle/Camille-Claudel-1864-1943/21346">pièces de théâtre</a> et des <a href="https://www.imdb.com/title/tt0094828/">films</a> se sont penchés sur sa relation avec Rodin et, plus récemment, <a href="https://www.imdb.com/title/tt2018086/">sur son placement en institution</a>.</p>
<p>Comme pour Britney Spears, tous les faits concernant Claudel ne sont pas toujours faciles à interpréter. Ce qui est clair, c’est que ces deux femmes de talent ont perdu le contrôle de leur vie, ont été isolées et <a href="https://www.newyorker.com/news/american-chronicles/britney-spears-conservatorship-nightmare">déclarées incapables par des professionnels de la santé après l’intervention de leur famille</a>. Dans les deux cas, les systèmes médicaux ou juridiques ont échoué à aider ces femmes artistes à reprendre le contrôle de leur vie ou à améliorer leur santé mentale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/165715/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margot Irvine a reçu des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>
Il y a cent ans, des médecins ont estimé que la sculptrice Camille Claudel pouvait être libérée de l’asile, mais sa famille a refusé. Son histoire rappelle celle, contemporaine, de Britney Spears.
Margot Irvine, Associate Professor, School of Languages and Literatures, University of Guelph
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