tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/publications-36798/articlespublications – The Conversation2022-11-27T15:57:25Ztag:theconversation.com,2011:article/1952622022-11-27T15:57:25Z2022-11-27T15:57:25ZFake news, résultats peu fiables… Comment distinguer « bonne » et « mauvaise » recherche biomédicale ?<p>En science, les conceptions évoluent en permanence. Ainsi, la recherche sur les drogues psychédéliques a fait récemment un retour spectaculaire suite à un mélange d’assouplissement des attitudes sociétales, d’attrait pour les opportunités commerciales, de doutes sur la « guerre contre les drogues » et de désir de développer de nouveaux moyens de traiter certains problèmes de santé mentale.</p>
<p>Vous avez peut-être lu par exemple que de nouvelles études montraient que la <a href="https://theconversation.com/comment-la-ketamine-agit-elle-sur-les-croyances-depressives-192370">kétamine pouvait agir sur la dépression</a>, la <a href="https://ichgcp.net/fr/clinical-trials-registry/NCT05562973">psilocybine sur le syndrome de stress post-traumatique</a> ou encore le <a href="https://i-d.vice.com/en/article/akz5m4/can-microdosing-lsd-or-mushrooms-help-creativity-productivity-and-mental-health">microdosage de LSD sur la créativité</a>…</p>
<p>Beaucoup d’annonces, mais finalement quelle recherche mérite votre intérêt et, surtout, votre confiance ? Tout dépend notamment de ce que vous cherchez, mais il faut être conscient que toutes les études ne se valent pas, quelle que soit la discipline scientifique considérée. Comment les distinguer ?</p>
<p>Je suis médecin, spécialisé dans la recherche de nouveaux médicaments et des essais cliniques. En tant que tel, je m’intéresse à la question de savoir si les <a href="https://www.inserm.fr/actualite/therapies-psychedeliques-une-panacee/">« thérapies psychédéliques »</a> peuvent être une nouvelle forme de médecine. Cette question nécessite des preuves et cela passe notamment par des essais cliniques solides. C’est ce sur quoi je vais me concentrer ici, et voici les précautions à prendre avant de donner du crédit à une information que vous avez vu passer.</p>
<p>Bien sûr, la majorité des principes et précautions que je vais développer dans cet article s’appliquent à la recherche médicale de manière plus large – essais cliniques pour les <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-infections-virales-ce-quil-faut-savoir-135339">molécules efficaces contre le Covid</a>, etc.</p>
<h2>Attention à la revue dans laquelle l’article a été publié</h2>
<p>D’abord, vérifiez votre source. Une recherche solide est le plus souvent publiée dans des revues scientifiques examinées par des pairs (les <em>peer-reviewed scientific journals</em>). L’examen par les pairs signifie que des experts indépendants ont lu et critiqué anonymement l’article. Il s’agit d’une forme importante et minutieuse d’examen. Si l’article que vous lisez fait référence à une revue qui n’a pas recours à cette relecture, méfiez-vous.</p>
<p>De plus, certaines revues prétendent être de qualité et publier des articles examinés par des pairs… mais sont en fait juste des <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-019-03759-y">montages destinés à faire de l’argent</a> (car généralement les auteurs paient pour être publiés dans une revue vérifiée par des pairs), qui publient tout ce qu’ils reçoivent sans vérification véritable. On parle de <a href="https://coop-ist.cirad.fr/publier-et-diffuser/eviter-les-revues-et-editeurs-predateurs/1-qu-est-ce-qu-une-revue-predatrice-ou-un-editeur-potentiellement-predateur">« revues prédatrices »</a>, dont plus de 10 000 ont été recensées en 2021. (<em>Près d’un <a href="https://blog.cabells.com/2020/07/15/cabells-top-7-palpable-points-about-predatory-publishing-practices/">tiers des revues prédatrices sont actives dans le domaine de la santé</a>. Des guides sont publiés pour faciliter leur identification par les auteurs, ndlr</em>)</p>
<p>Les traquer, c’est un peu comme chercher à repérer un spam ou un mail frauduleux. Une date de création récente du journal, une mauvaise grammaire, des fautes d’orthographe et de formatage, des sites web de qualité inférieure et des déclarations trop belles pour être vraies sont autant de signes révélateurs d’une revue qui ne laisserait pas une vérité trop complexe ou nuancée s’opposer à de bons honoraires de publication…</p>
<p>En revanche, les revues de bonne qualité sont généralement établies depuis longtemps, sont indexées dans des bases de données scientifiques telles que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/">PubMed</a> et ont généralement de bons <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Facteur_d%27impact">« facteurs d’impact »</a> (le rapport entre le nombre de citations reçues par une revue dans une année et le nombre d’articles publiés par cette revue au cours des deux années précédentes). Indiqué sur la page d’accueil de la revue, le facteur d’impact n’est certes pas une mesure parfaite, mais elle est utile en tant que guide. Un chiffre plus élevé est plus rassurant. (<em>Les deux prestigieuses revues Nature et Science ont des facteurs d’impact de plus de 40, The Lancet de plus de 50 et The New England Journal of Medicine de plus de 70. Les revues spécialisées de haut niveau ont, pour des raisons mécaniques, des facteurs d’impact inférieurs à 5 – ce qui reste bien dans ce cas de figure, ndlr</em>)</p>
<p>Vous référer à un journal de bonne tenue, c’est avoir déjà fait la moitié du chemin.</p>
<h2>Vérifier qui écrit l’article</h2>
<p>Avant de vous lancer dans votre lecture, cherchez ensuite à savoir qui sont les auteurs, où ils travaillent, ce qu’ils déclarent et quelles sont leurs sources de financement (cela est généralement indiqué à la fin de l’article). Des auteurs reconnus dans leur domaine ont, souvent, une excellente réputation…</p>
<p>Mais ils ont aussi plus à perdre si leurs résultats ne correspondent pas à leurs théories préalablement publiées. Ils sont également plus susceptibles d’être des consultants rémunérés par des entreprises cherchant à commercialiser de nouveaux traitements par exemple. Les conflits d’intérêts doivent être signalés.</p>
<p>Et ce n’est pas parce qu’une étude provient d’une institution pionnière et de grande qualité que vous devez lui accorder une confiance aveugle. Les équipes pionnières peuvent même être biaisées, pour diverses raisons. Par exemple, pourquoi se seraient-elles lancées dans un domaine contesté si elles n’avaient pas, à la base, une idée déjà fortement orientée et positive ?</p>
<p>Cela dit, les institutions et équipes de recherche qui ont une bonne réputation obtiennent cette dernière parce que leurs pairs ont confiance en leurs méthodes et résultats. Donc, dans l’ensemble, optez pour des auteurs respectés dans leur domaine (et publiant dans leur domaine…), tout en gardant à l’esprit les autres facteurs entrant potentiellement en jeu.</p>
<h2>Quelle qualité pour les données publiées</h2>
<p>Maintenant, <a href="https://theconversation.com/petit-guide-pour-bien-lire-les-publications-scientifiques-151158">intéressez-vous à l’article lui-même</a>. Pour la recherche clinique, l’<a href="https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8873376">essai multicentrique</a> (effectuée sur plusieurs centres, qui peuvent donc faire appel à des milliers de personnes, ce qui impose des protocoles bien calés), <a href="https://www.ligue-cancer.net/article/26170_quest-ce-quun-essai-randomise">randomisé</a> (l’intégration d’un patient à un groupe ou l’autre de l’essai se fait par tirage au sort) et contrôlé par placebo est roi.</p>
<p>Les premiers essais ont généralement lieu au sein d’une seule institution. C’est normal, mais ne dit encore rien sur l’efficacité du traitement en dehors de cette institution. Pour cela, il faut passer à l’essai multicentrique. Plus il y a de centres impliqués, mieux c’est.</p>
<p>Si le traitement fonctionne dans de nombreux centres, il y a déjà plus de raisons de penser qu’il fonctionnera aussi dans le monde « réel ». C’est ce qu’on appelle la « généralisation »… et c’est une étape encore sans certitude pour les psychédéliques notamment.</p>
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<p>Les études randomisées et contrôlées par placebo font référence à des participants répartis au hasard dans deux groupes ou plus, dont l’un est traité avec un placebo (pilule factice). Sans groupe de contrôle placebo avec lequel comparer, vous ne pouvez pas savoir si l’effet que vous observez dans le groupe ayant reçu le traitement n’aurait pas pu se produire tout seul.</p>
<p>De même, s’il n’y a pas de randomisation, tout effet observé peut être dû à quelque chose de commun à l’un des groupes et que les expérimentateurs n’ont pas vu.</p>
<p>Les premiers essais de psychédéliques n’étaient souvent ni randomisés ni contrôlés. Si bien que vous ne pouvez pas forcément conclure grand-chose de ces études pilotes. Elles montrent simplement que la recherche peut être effectuée. Pour l’heure, la majorité des recherches sur les psychédéliques ne sont ainsi pas (encore) à ce niveau.</p>
<h2>Quelle taille pour les essais</h2>
<p>Plus un essai compte de participants, nous l’avons évoqué précédemment, plus sa <a href="https://www.scribbr.com/statistics/statistical-power/">« puissance statistique »</a> est grande – et plus il est pertinent pour détecter un effet réel (ou son absence). Il faut souvent des centaines, voire des milliers de participants pour avoir une résultat significatif.</p>
<p>Cela coûte cher, c’est pourquoi de nombreux essais cliniques à grande échelle sont financés par des entreprises – c’est le seul moyen de réunir les fonds nécessaires. Mais ce n’est pas parce qu’un essai est « commercial » qu’il faut le négliger…</p>
<p>Oui, profit et soins de santé ne font pas bon ménage. Mais pour contrôler les risques, les essais commerciaux sont en fait beaucoup plus réglementés que les essais non commerciaux. Presque tous les médicaments que nous possédons aujourd’hui ont été homologués sur la base d’essais commerciaux.</p>
<h2>Quelle était l’hypothèse de départ de la recherche menée</h2>
<p>Tous les essais cliniques doivent avoir un « résultat primaire pré-enregistré ». Il peut s’agir d’un résultat de test sanguin, de neuro-imagerie ou d’une mesure de la dépression, etc. C’est autour de ce résultat que l’essai est conçu. Un essai sérieux doit donc <a href="https://www.academie-medecine.fr/lessai-clinique-controle-randomise/">avoir un objectif principal, qui est de confirmer ou d’infirmer une hypothèse préalable</a>.</p>
<p>Le préenregistrement s’effectue sur des sites web tels que <a href="https://clinicaltrials.gov/">clinicaltrials.gov</a> avant le début de l’essai. Si les chercheurs n’ont pas préenregistré leur hypothèse ou leurs méthodes d’analyse notamment, ils ont pu sélectionner a posteriori leurs résultats. Si vous <a href="https://www.wired.com/story/were-all-p-hacking-now/">triturez vos données suffisamment fort</a>, elles vous diront en effet presque toujours ce que vous voulez… C’est l’un des grands péchés de la recherche.</p>
<p>Si je tire à pile ou face encore et encore, je finirai par obtenir dix fois de suite le côté face, par hasard, et décider que c’est ce que je voulais avoir. C’est la même idée ici : plus je mets de mesures dans un essai, et plus je multiplie les façons d’analyser les données que je récolte, plus j’ai de chances d’obtenir un résultat « significatif » – en fait celui qui m’intéresse. D’où l’importance de toutes les règles posées pour bâtir et valider des protocoles de recherche, d’essais cliniques, etc. et ainsi permettre d’avoir les résultats les plus solides possibles.</p>
<p>Une dernière pensée avant de partir. Aucun essai clinique ni aucune recherche unique ne peut vous dire quoi que ce soit avec certitude : plus un résultat est reproduit par d’autres équipes, plus il devient crédible. C’est ainsi que la science et nos connaissances évoluent…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195262/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Rucker a reçu des financements du National Institute for Health Research, du Compass Pathfinder, Beckley PsyTech et de la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies.</span></em></p>Psychotropes, traitements anti-Covid, vaccins… Comment s’y retrouver dans les milliers d’études publiées sur des sujets délicats ? Petit guide pour faire le tri entre annonces parfois tonitruantes…James Rucker, Senior Clinical Lecturer & Consultant Psychiatrist, King's College LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1912252022-11-23T20:15:32Z2022-11-23T20:15:32Z« Peer Community In », un système alternatif de publication scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496709/original/file-20221122-14-yezqlc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C12%2C958%2C652&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le projet CPI a germé en 2016 suite à la prise de conscience des dérives du système de publication scientifique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Brendan Howard/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>En 2017, trois chercheurs d’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement), Denis Bourguet, Benoit Facon et Thomas Guillemaud, fondent <a href="https://peercommunityin.org/">Peer Community In</a>, un service de recommandation de preprints (le preprint ou prépublication est une version d’un article qu’un scientifique soumet à un comité de lecture) basé sur des évaluations par les pairs. Les articles validés ainsi que les évaluations et les données, codes et scripts afférents sont déposés en libre accès. PCI ouvre la voie à une réappropriation par les chercheurs de leur système d’évaluation et de publication et une plus grande transparence dans la chaîne de production des savoirs. </p>
<h2>Naissance du projet</h2>
<p>L’idée du projet a germé en 2016 suite à la prise de conscience des dérives du système de publication scientifique qui présente notamment deux problèmes importants : la majeure partie des publications ne sont pas libres d’accès et les frais de publication et d’abonnement <a href="https://doi.org/10.1080/1941126X.2011.601225">sont extrêmement onéreux pour les institutions</a>.</p>
<p>En effet, <a href="https://www.science-ouverte.cnrs.fr/le-mouvement-pour-la-science-ouverte/">même en France où le mouvement pour la science ouverte s’est accéléré ces dernières années</a>, la moitié des publications restent protégées par des droits d’accès. Elles ne sont donc pas librement accessibles pour les citoyens, les journalistes et tous les scientifiques qui dépendent d’institutions qui n’ont pas les moyens de s’abonner aux revues scientifiques. Cette entrave à la libre circulation de l’information scientifique est un frein à la circulation et au partage des connaissances scientifiques et des idées. </p>
<p>Par ailleurs, au niveau mondial, le chiffre d’affaires de l’industrie de publication d’articles scientifiques en science, technique et médecine <a href="https://www.stm-assoc.org/2018_10_04_STM_Report_2018.pdf">est d’environ 10 milliards de dollars US pour 3 millions d’articles publiés</a>. C’est considérable, d’autant plus que les marges bénéficiaires réalisées par les grandes maisons d’édition atteignent, en moyenne, <a href="https://digitalcommons.unl.edu/scholcom/99/">35 à 40 % ces dernières années</a>. Ayant pris connaissance de ces coûts et de ces marges, les fondateurs de PCI ont souhaité offrir aux scientifiques et aux institutions les moyens de se réapproprier le système de publication. Ainsi est née, en 2017, l’initiative Peer Community In (PCI). </p>
<h2>Auto-organisation des communautés scientifiques</h2>
<p>PCI organise des communautés de scientifiques qui évaluent et valident publiquement des preprints dans leur champs thématiques. L’évaluation se déroule comme dans des revues scientifiques classiques. Sur la base d’une évaluation par les pairs (peer review), les éditrices et éditeurs (dénommés « recommenders ») qui se chargent de l’évaluation d’un preprint soumis à une PCI décident, après un ou plusieurs séries d’évaluation, de rejeter ou d’accepter l’article. En cas d’acceptation, et à la différence de pratiquement toutes les revues traditionnelles, l’éditrice ou l’éditeur rédige un texte de recommandation, expliquant le contexte et les qualités de l’article. </p>
<p>Ce texte de recommandation, ainsi que tout le processus éditorial (reviews, décisions éditoriales, réponses des autrices et auteurs…), est publié sur le site de la PCI qui a organisé l’évaluation du preprint. Cette transparence est là aussi assez unique dans le système de publication actuel. </p>
<p>La version finale, validée et recommandée de l’article, est quant à elle déposée sans frais par les autrices et auteurs sur le serveur de preprint ou sur l’archive ouverte. Les articles validés, déposés sur les serveurs de preprints ou dans les archives ouvertes sont libres d’accès : tout le monde peut les lire.</p>
<h2>Une révolution dans la production scientifique</h2>
<p>PCI rend inutile la publication dans un journal. La version finale et recommandée du preprint, de facto validée par les pairs, peut en effet être citée dans la littérature. Les preprints recommandés par PCI sont d’ailleurs reconnus, notamment en France, par plusieurs institutions et comités d’évaluation et de recrutement au CNRS. En Europe, les preprints reviewés sont reconnus par la commission européenne, et plusieurs agences nationales de financement comme le Wellcome Trust, La fondation Bill et Melinda Gates, etc.</p>
<p>L’autre originalité de PCI est qu’il permet de séparer l’évaluation par les pairs de la publication. La validation/recommandation d’un preprint par PCI n’empêche pas les autrices et auteurs de soumettre ce preprint pour publication dans une revue scientifique. D’ailleurs, un grand nombre de revues se déclarent publiquement « PCI-friendly » dans le sens où, lorsqu’elles reçoivent des soumissions de preprints préalablement recommandés par PCI, elles tiennent compte des évaluations déjà réalisées par PCI pour accélérer leur décision éditoriale.</p>
<h2>2021, lancement de <em>Peer Community Journal</em> : une nouvelle étape</h2>
<p>Au départ, l’intention de cette initiative était de s’en tenir uniquement à l’évaluation et la recommandation de preprints par les PCIs. Malgré ça, il peut être frustrant de voir son preprint recommandé dans les serveurs de preprints (car ces preprints, pourtant évalués et recommandés, sont encore mal indexés et ne sont pas toujours reconnus comme de véritables articles) ou d’avoir à les soumettre pour publication dans des journaux avec le risque de repartir pour un tour d’évaluation. La création de <em>Peer Community Journal</em> permet ainsi de publier directement et sans condition un article recommandé par une PCI thématique.</p>
<p><a href="https://peercommunityjournal.org/"><em>Peer Community Journal</em></a> est une revue diamant, c’est-à-dire une revue qui ne fait pas payer de frais de publication aux autrices et auteurs et qui publie les articles systématiquement en accès ouvert. Les articles peuvent donc être librement consultés sur le site du journal sans abonnement et sans restriction d’accès. <em>Peer Community Journal</em> est une revue généraliste qui comprend pour l’instant 16 sections - correspondants aux 16 PCIs thématiques actuelles - dans lesquelles peuvent être publiés tout preprint recommandé par une PCI thématique. </p>
<h2>PCI : un modèle innovant en progression</h2>
<p>PCI a fait des émules : 16 PCIs thématiques ont été créés (par exempt <a href="https://evolbiol.peercommunityin.org/">PCI Evolutionary Biology</a>, <a href="https://ecology.peercommunityin.org/">PCI Ecology</a>, <a href="https://neuro.peercommunityin.org/">PCI Neuroscience</a>, <a href="https://rr.peercommunityin.org/">PCI Registered Reports</a>…) et d’autres PCIs sont en projet. Ces 16 PCIs regroupent 1900 personnes côté édition, 130 membres de comités éditoriaux et plus de 4000 scientifiques utilisatrices et utilisateurs. PCI et <em>Peer Community Journal</em> sont reconnus par 130 institutions et la moitié de ces institutions - dont l’Université de Perpignan Via Domitia - soutient cette initiative financièrement. La proportion d’universitaires français qui connaissent et/ou utilisent PCI est très variable suivant les communautés. Pour les communautés qui ont une PCI (par exemple, la communautés en écologie ou en biologie évolutive, avec PCI Ecology et PCI Evol Biol) la proportion est très élevée (probablement >50 % des scientifiques de ces communautés connaissent maintenant PCI). Pour les communautés qui n’ont pas encore de PCI, cette proportion reste très faible. À ce jour, >600 articles ont été reviewés par PCI. La biologie domine largement, mais d’autres disciplines émergent comme l’archéologie et les sciences du mouvement. La marge de progression est encore importante : l’enjeu est que ceux qui connaissent s’investissent encore davantage et que les scientifiques de champs disciplinaires non couverts par les 16 PCI créent une PCI dans leur domaine. </p>
<p>À l’échelle internationale, d’autres initiatives de science ouverte ont vu le jour, mais aucune ne ressemble véritablement à PCI. La plupart se limitent à des offres - souvent directement ou indirectement payantes - de peer reviews de preprints, mais sans décision éditoriale (comme <a href="https://www.reviewcommons.org/">Review Commons</a> ou <a href="https://prereview.org/">PreReview</a>) et ne viennent donc pas chambouler le système de publication actuel.</p>
<p>Si la dynamique de PCI est indéniablement croissante avec plus de 10000 visiteurs différents par mois sur l’ensemble des sites des PCIs, la création de <em>Peer Community Journal</em> montre que le système classique de publication reste d’actualité et risque sans aucun doute de perdurer à moyen terme, même si l’on peut espérer que la validation des preprints offerte par les PCIs devienne un modèle suffisant, car plus économe et transparent à tout point de vue. </p>
<p>En attendant, PCI et <em>Peer Community Journal</em> offrent une alternative crédible pour publier en accès ouvert diamant, sans frais pour les autrices et auteurs, et en accès gratuit. Les temps changent et de nombreuses institutions et universités, face à l’inflation démesurée et injustifiée des abonnements et des frais de publication, soutiennent la montée en puissance des journaux diamants. PCI et <em>Peer Community Journal</em> s’inscrivent dans cette dynamique en offrant à toutes les communautés scientifiques qui le souhaitent les moyens de se fédérer pour se réapproprier leur système d’évaluation/publication. </p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Bourguet est co-fondateur de Peer Community In et de Peer Community Journal et président de l'association Peer Community In.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thomas Guillemaud est co-fondateur et travaille au fonctionnement de Peer Community In et de Peer Community Journal. Peer Community In a reçu plus d'une centaine de financements d'organismes publics dont le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, de nombreuses universités et de nombreux organismes de recherche depuis 2016.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Etienne Rouzies ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Peer Community In » ouvre la voie à une réappropriation par les chercheurs de leur système d’évaluation et de publication et une plus grande transparence dans la chaîne de production des savoirs.Denis Bourguet, Directeur de recherches, InraeEtienne Rouzies, Conservateur des bibliothèques, Référent Science ouverte, Université de PerpignanThomas Guillemaud, Directeur de recherches, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1880172022-08-04T20:29:51Z2022-08-04T20:29:51ZDes livres de plus en plus voyageurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476893/original/file-20220801-44070-rlijfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Traduit en cinq cent cinq langues et dialectes différents, _Le Petit Prince_ est l'ouvrage le plus traduit au monde après la Bible et le Coran.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/august-23-2019-open-book-by-1486228700">Emilita /Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Qu’avez-vous lu cet été ? Je ne vous demande pas de citer un livre parmi les 100 millions de titres jamais publiés au monde, mais de préciser sa provenance. S’agit-il d’un livre numérique descendu du nuage ? Importé ou fabriqué en France s’il est imprimé ? En français langue originale ou traduit d’une langue étrangère ? Au moment même où la mondialisation marque le pas, le livre poursuit son internationalisation. Et c’est heureux ! <em>Le Petit Prince</em> a conquis le cœur de 200 millions de petits et de grands. « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! » se murmure désormais dans plus de 300 langues.</p>
<p>La planète compte également près d’une centaine de traductions d’<em>Harry Potter and the Philosopher’s Stone</em> (<em>Harry Potter à l’école des sorciers</em>) ou, pour rester dans le registre des aventures initiatiques, <em>d’O Alquimista</em> (<em>L’Alchimiste</em>) du Brésilien Paulo Coelho. Le livre voyage par traduction plutôt qu’en conteneur. La traduction est l’équivalent pour les textes du coût de transport des marchandises.</p>
<h2>C’est quoi un livre ?</h2>
<p>Le livre traverse les frontières, mais pour en prendre l’exacte mesure il faut s’accorder sur sa <a href="https://www.researchgate.net/publication/334580793_What_is_a_Book">définition</a>. En 1964, l’Unesco le décrit ainsi : une publication imprimée, non périodique, offerte au public, et comptant au moins 49 pages, pages de couverture non comprises est-il précisé.</p>
<p>Difficile à adopter à l’ère du livre numérique téléchargeable. Remarquez que même sans cela, cette définition écartait déjà les courts recueils de poèmes aussi bien que le livre audio. La définition de la poste américaine ne fait pas mieux même si elle retient un seuil de 22 pages en ajoutant qu’elles doivent être composées principalement de texte et ne pas comporter de publicité autre que celle pour d’autres ouvrages. Le type de texte dont il s’agit n’est naturellement pas spécifié. À propos, rappelons d’emblée qu’il ne faut pas confondre livre et littérature. En France, par exemple, cette catégorie éditoriale représente moins du quart des <a href="https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=sne+statistique+chiffres+%25C%203%A9dition+2021+synth%C3%A8se&ie=UTF-8&oe=UTF-8">ventes</a>.</p>
<p>Pour inclure sa version numérique, <a href="https://books.google.li/books?id=ziyBQgAACAAJ&hl=de">certains</a> ont proposé de définir le livre par sa composition : un titre, une couverture, des pages numérotées, des chapitres, etc. ; ou, de façon plus savante, par sa double nature d’objet matériel et de <a href="https://www.college-de-france.fr/site/roger-chartier/course-2009-10-22-10h00.htm">discours</a>.</p>
<p><a href="https://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/9416/7592">D’autres</a> ont mis l’accent sur la lecture que le livre réclame par opposition aux textes courts que nous parcourons chaque jour sur nos téléphones et tablettes – souvent d’ailleurs en regrettant d’y consacrer trop de temps. Une lecture longue dans tous les cas, immersive et absorbante pour certains livres comme les romans ou les bandes dessinées, approfondie lorsqu’il s’agit d’acquérir de nouvelles connaissances ou d’enrichir sa pensée ou son vocabulaire. Le support du livre, écran ou papier, n’est plus alors distinctif. À noter tout de même que les <a href="https://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/9416/7592">recherches</a> sur la lecture tendent à montrer une infériorité du numérique en termes de compréhension des textes longs…</p>
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<p>Ces difficultés de définition n’aident pas le recueil et l’agrégation de données sur le livre. De plus, dans de nombreux pays, les statistiques professionnelles et nationales sont lacunaires. Difficile d’avancer des chiffres exacts qui valent pour la planète. Donnons simplement trois ordres de grandeur. Nombre d’ouvrages parus : autour de 100 millions. Il est issu d’un comptage par Google qui aboutit précisément à <a href="http://booksearch.blogspot.com/2010/08/books-of-world-stand-up-and-be--counted.html">129 864 880</a>. Nombre de nouveaux titres publiés par an : de l’ordre d’un million ; une compilation de données nationales par Wikipedia conclut à un total de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Books_published_per_country_per_year">2,2 millions</a>, mais ce chiffre comprend les rééditions. Montant des ventes annuelles de livres : environ <a href="https://www.wischenbart.com/page-59">100 milliards de dollars</a>, soit plus que la musique ou le jeu vidéo. Impressionnant, non ?</p>
<h2>Un produit d’import-export ?</h2>
<p>Comme pour n’importe quelle marchandise, les douanes veillent à comptabiliser les entrées et sorties du territoire du livre physique, mais allez savoir pourquoi elles distinguent les atlas et les encyclopédies des <a href="http://www.centrale-edition.fr/fr/content/avant-propos">livres proprement dits</a>. La France exporte un peu moins d’ouvrages qu’elle n’en importe.</p>
<p>Attention toutefois, les sorties du territoire sont des livres destinés à l’étranger alors que les entrées sont des livres fabriqués à l’extérieur pour des raisons économiques, par exemple en provenance de Belgique et d’Italie, plus rarement d’Asie. Le livre, bon marché pour son poids, ne repose pas sur de longues chaînes d’approvisionnement. La Chine n’est pas devenue l’imprimerie du monde ! Le Royaume-Uni est le plus grand exportateur, juste <a href="https://www.frontier-economics.com/media/2242/contribution-publishing-industry-uk-economy.pdf">devant les États-Unis</a>. Ces deux pays bénéficient du vaste marché de la population anglophone de naissance (près d’un demi-milliard d’hommes et de femmes) ou formée à l’anglais par les <a href="https://www.journals.vu.lt/knygotyra/article/view/3612">études</a>.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dématérialisé, le livre électronique traverse les frontières à l’insu des douaniers. La numérisation facilite l’accès aux ouvrages venus d’ailleurs, mais elle empêche d’en connaître les flux pour qui veut rendre compte plus précisément du commerce international.</p>
<h2>Le voyage par la traduction</h2>
<p>Heureusement, l’échange d’ouvrages prend également une autre forme, plus importante sans doute, mieux comptabilisée en tout cas : le passage des frontières par la traduction. La traduction est en effet une autre façon de faire voyager et circuler le livre. Sans elle qui aurait lu en France <em>L’amica geniale</em> (<em>L’amie prodigieuse</em>) d’Elena Ferrante ou <em>Man som hatar kvinnor</em> (<em>Millénium Tome 1</em>) de Stieg Larsson ? Sans elle, la bande dessinée japonaise n’aurait pas quitté son archipel.</p>
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<p>La mondialisation du livre par la traduction a pu être finement pistée pendant quelques décennies de l’entre-deux siècles grâce à l’<a href="https://www.unesco.org/xtrans/bsstatexp.aspx?crit1L=5&nTyp=min&topN=50"><em>Index translationum</em></a>. Il recense près de 2 millions d’ouvrages traduits, de et vers, à peu près toutes les langues écrites de la planète.</p>
<p>On sait ainsi que le <a href="https://www.researchgate.net/figure/The-annual-number-of-books-translated-from-English-German-French-and-Russian_fig7_304184412">nombre total annuel de nouvelles traductions</a> a plus que doublé entre 1979 et 2007. L’évolution depuis n’est pas connue. La mise à jour de ce catalogue universel des traductions par l’Unesco a pris fin faute de moyens pour faire face à l’ampleur croissante de la tâche. C’est bien dommage, notamment car l’<em>Index translationum</em> a permis d’observer un début de retournement : à la fin des années 1990, la part des traductions de l’anglais, largement dominante, cesse de progresser ; elle <a href="https://www.npage.org/uploads/d8c3371f779dd882f602337ce0d952de4fba1d2c.pdf">diminue même légèrement</a>.</p>
<p>Cette tendance à une plus grande place des langues originales traduites autres que l’anglais s’est-elle poursuivie depuis ? Oui, si l’on se fie aux données disponibles de quelques pays d’Europe. Pour l’Allemagne, la France ou encore l’Espagne, la part des traductions à partir de <a href="https://www.npage.org/uploads/d8c3371f779dd882f602337ce0d952de4fba1d2c.pdf">l’anglais régresse</a>.</p>
<p>Phénomène remarquable : une partie de cette baisse s’explique par la croissance des traductions de textes de langues originales peu courantes. C’est le cas du japonais et du suédois. Un mouvement aidé bien sûr par l’essor des mangas et des polars scandinaves.</p>
<p>Un autre indice est fourni par la place de l’anglais d’origine parmi les livres traduits à succès. Elle décline aussi légèrement en tendance. Oui, mais ne partait-elle pas de très haut ? Eh bien non, les traductions de l’anglais représentent seulement le tiers des 20 best-sellers traduits répertoriés depuis 2006 dans les listes d’une petite dizaine de pays occidentaux. Comparaison instructive, la proportion des traductions de l’anglais dans tous les livres traduits, qu’ils aient connu un grand succès commercial ou non, est de l’ordre de deux tiers. Contrairement à des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00531868/document">craintes parfois exprimées</a>, la mondialisation n’est pas vouée à une marginalisation inexorable des livres de langue originale de l’Europe continentale.</p>
<p>L’internationalisation du livre par la traduction s’arrête néanmoins à la porte des États-Unis. Seuls 3 % des titres publiés outre-Atlantique <a href="https://www.altalang.com/beyond-words/why-are-so-few-translated-books-published-in-america/">proviennent de traductions</a>, soit dix fois moins que pour la France et près de vingt fois moins que pour l’Italie.</p>
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<p>Il est vrai qu’il est plus facile pour un éditeur français ou italien de lire un ouvrage en anglais avant de se décider à le publier que pour un éditeur américain d’aller au-delà du titre français ou italien. Le progrès de la traduction par les machines pourrait changer la donne. Il pourrait entraîner une formidable baisse de son coût et faciliter encore les échanges du livre. Les algorithmes ne remplaceront sans doute jamais totalement les cerveaux des traducteurs. C’est une évidence pour la littérature, moins cependant pour les textes de bandes dessinées ou de récits de vedettes.</p>
<p>Dans tous les cas les machines, par leur utilisation partielle et complémentaire, promettent des gains de productivité. Pour un texte simple comme celui que vous venez de lire par exemple, un passage initial par Google Translate réduit d’environ un tiers le temps nécessaire à sa traduction vers l’anglais.</p>
<p>Cet été, j’ai lu <em>Lonesome Dove</em> un roman western de Larry McMurtry en version papier, imprimé en France et traduit de l’américain par Laura Derajinsky. Je vous le recommande chaudement si vous avez envie de mener un troupeau dans la peau d’un Texas Ranger du Mexique au Montana et d’échapper aux Indiens sans quitter votre transat.</p>
<p>François Lévêque a publié chez Odile Jacob « <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global</a> ? ». Son ouvrage a reçu <a href="https://www.melchior.fr/note-de-lecture/les-entreprises-hyperpuissantes-prix-lyceen-lire-l-economie-2021">le prix lycéen du livre</a> d'économie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188017/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque à été consulté comme économiste académique dans le cadre du rapprochement entre Vivendi et Largardère.
</span></em></p>Phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, la mondialisation du livre par la traduction permet la circulation des cultures et des imaginaires.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1741422022-03-20T17:49:13Z2022-03-20T17:49:13ZRecherche biomédicale : le mésusage des citations scientifiques peut avoir de graves conséquences en santé publique<p>Tout au long de l’année 2020, les résultats publiés par Didier Raoult et ses collègues ont été largement commentés dans la littérature scientifique ainsi que dans les médias grand public. Pourtant, un point semble avoir échappé à l’attention générale : le mésusage des citations scientifiques visant à appuyer les thèses défendues par le directeur de l’IHU Méditerranée Infection. Cela nous a incités à faire le point, de manière plus systématique, sur le mésusage des citations dans la littérature scientifique biomédicale. </p>
<p>Nos recherches indiquent qu’il s’agit d’un phénomène fréquent qui, dans certains cas, peut avoir de graves conséquences en santé publique. Nous avons également constaté que les études académiques évaluant l’usage des citations étaient peu nombreuses et mal connues. Nous présentons ici les grandes lignes de <a href="https://www.medecinesciences.org/articles/medsci/full_html/2021/09/msc200424/msc200424.html">notre synthèse</a>, en espérant attirer l’attention du public sur cet important problème.</p>
<h2>Qu’entend-on par « mésusage des citations » ?</h2>
<p>Les études académiques distinguent deux grandes formes de mésusage des citations : les biais de citations et les distorsions de citations. Même si ces deux formes de mésusage sont souvent combinées dans une même publication scientifique, il est préférable, par souci de clarté, de les décrire séparément.</p>
<p>Les biais de citation peuvent être de deux types. Le premier est lié à l’étude citée : celles qui rapportent un effet significatif sont plus souvent citées (+60 % en moyenne) que celles défendant une absence d’effet. Le deuxième biais dépend de l’article citant : il consiste, pour ses auteurs, à citer préférentiellement les travaux antérieurs en accord avec leur conclusion. Une compilation de 16 études analysant au total 15 828 citations a montré que ce biais en faveur des travaux favorables à la conclusion des auteurs atteint en moyenne +170 %. </p>
<p>Ces biais de citation expliquent la persistance dans la littérature biomédicale de dogmes non fondés. Par exemple, en 2003 le psychologue et neuroscientifique israélo-américain Avshalom Caspi et ses collaborateurs publièrent dans la très prestigieuse revue Science une étude concluant que les porteurs de la forme courte du gène codant pour le transporteur de la sérotonine sont plus vulnérables à la dépression s’ils sont exposés à des stress de vie. Cette conclusion a été <a href="https://journals.lww.com/hrpjournal/fulltext/2020/11000/messaging_in_biological_psychiatry_.4.aspx">contredite des 2006</a> par de nombreuses études ultérieures et trois méta-analyses publiées entre 2009 et 2017. </p>
<p>Pourtant, en 2019, 133 articles scientifiques ont encore cité la conclusion de Caspi et ses collaborateurs. Parmi eux, les deux tiers n’ont pas mentionné que cette vulnérabilité génétique était pour le moins controversée, et n’ont cité aucune des études la contredisant. On trouvera dans notre revue d’autres exemples de persistance de dogmes non fondés, comme le supposé effet protecteur de la vitamine E vis-à-vis des maladies cardio-vasculaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/petit-guide-pour-bien-lire-les-publications-scientifiques-151158">Petit guide pour bien lire les publications scientifiques</a>
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<p>La seconde grande forme de mésusage des citations scientifiques est la distorsion de citations. Il s’agit d’un écart de sens entre le message délivré par l’étude antérieure citée et ce qu’en disent les auteurs citant cette référence. Les études académiques portant sur cette question distinguent entre les erreurs mineures qui n’altèrent pas le sens général de l’étude citée et les distorsions majeures qui sont clairement trompeuses pour le lecteur.</p>
<p>Globalement, les distorsions majeures sont loin d’être rares. Une vingtaine d’études et deux méta-analyses ont permis d’en évaluer la fréquence : dans la littérature biomédicale, environ 10 % des citations présentent des distorsions majeures. Le cas de l’hydroxycholoroquine en est un exemple récent.</p>
<h2>Hydroxychloroquine et mésusage des citations scientifiques</h2>
<p>Entre fin mars et fin avril 2020, le professeur Didier Raoult et ses collègues ont publié dans des revues à comité de lecture trois études concernant la Covid-19 et concluant à l’efficacité antivirale d’un traitement combinant un antibiotique avec l’hydroxychloroquine. </p>
<p>L’étude publiée fin mars comparait six patients ainsi traités à 16 témoins. Considérant avoir ainsi fait la preuve de l’efficacité de leur traitement, les auteurs jugèrent inutile et non-éthique d’inclure un groupe témoin dans leurs deux études ultérieures. Ce choix leur imposait donc de comparer leurs cohortes de patients traités avec des résultats obtenus grâce à des cohortes de patients non traités, publiés antérieurement par d’autres auteurs. </p>
<p>Dans une étude détaillée des citations avancées par Didier Raoult et ses collègues à l’appui de leur thèse, nous montrons <a href="https://www.medecinesciences.org/articles/medsci/full_html/2021/09/msc200424/msc200424.html">que lesdites comparaisons n’étaient pas valables</a>. En effet, à leur inclusion dans les cohortes, les patients marseillais présentaient des symptômes modérés alors que les patients des cohortes de comparaison avaient été hospitalisés en raison de la gravité de leur état. Didier Raoult et ses collègues ont donc fait usage de citations trompeuses, biaisant l’interprétation de leurs résultats en faveur de leur thèse.</p>
<p>Par exemple, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/pmid/32289548/">la première des deux études sans groupe témoin</a> publiée par Didier Raoult et collègues le 4 avril 2020 <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/pmid/32199493/">cite une étude chinoise</a> publiée précédemment dans Lancet Infectious Disease qui, selon eux, fait le lien entre les prétendues propriétés antivirales de l’hydroxychloroquine et son intérêt thérapeutique. Il s’agit là d’un cas de distorsion de citation. En effet, l’étude chinoise, conduite chez des patients non traités à l’hydroxychloroquine, conclut : « Les patients ayant des symptômes modérés voient leur charge virale diminuer rapidement et 90 % d’entre eux deviennent négatifs au test PCR au bout de 10 jours. Par contre, les patients souffrant d’une forme sévère de l’infection sont encore positifs au bout de 10 jours. » Dans leur publication du 4 avril 2020, Didier Raoult et ses collègues se gardent bien de mentionner cette conclusion qui ruine l’interprétation de leurs résultats. </p>
<h2>Le cas emblématique de la crise des opioïdes</h2>
<p>Le cas le plus connu de mésusage des citations est celui qui est en partie à l’origine de la <a href="https://ajph.aphapublications.org/doi/epub/10.2105/AJPH.2007.131714">crise des opioïdes aux États-Unis</a>.</p>
<p>Cette crise correspond à une explosion de décès par overdose d’opioïdes prescrits par un médecin pour soulager en ambulatoire des douleurs chroniques non cancéreuses. Elle a été déclenchée à partir de 1996 par la promotion très agressive d’opiacés antalgiques par l’industrie pharmaceutique. Les promoteurs de ce traitement ont fait valoir que, selon une étude publiée en 1980 dans le New England Journal of Medicine (la plus prestigieuse des revues médicales), le risque d’addiction aux opiacés est minime. En fait, <a href="https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMc1700150">cette note de cinq phrases</a> rapportait que parmi 11 882 patients hospitalisés ayant reçus au moins une fois un opiacé, les auteurs n’avaient observé que quatre cas d’addiction. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-avant-le-covid-19-retour-sur-lepidemie-mortelle-des-opio-des-137664">Les États-Unis avant le Covid-19 : retour sur l'épidémie mortelle des opioïdes</a>
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<p>Au 30 mars 2017, elle avait été citée par <a href="https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmc1700150">608 articles scientifiques dont 439 adhéraient à sa conclusion</a> et ne mentionnaient pas les nombreuses études ultérieures la contredisant. De plus, 491 articles citant cette note omettaient d’informer le lecteur qu’elle concernait des patients hospitalisés et que sa conclusion n’était donc pas transposable aux patients en ambulatoire souffrant de douleurs chroniques. </p>
<p>En 2007 les compagnies pharmaceutiques impliquées ont été condamnées à verser une amende de 634 millions de dollars pour promotion abusive de ces opiacés antalgiques et de nouvelles poursuites sont en cours. Cependant, malgré des mesures prises pour limiter la prescription médicale d’opiacés, les décès par overdose restent nombreux aux USA et ont encore augmenté pendant la crise de la Covid-19.</p>
<p>Le mésusage des citations est donc un phénomène fréquent qui, dans certains cas, peut avoir de graves conséquences en santé publique. Au moindre doute, nous encourageons les lecteurs d’articles scientifiques à vérifier, dans les articles sources, la véracité des citations. De plus, les scientifiques chargés par les revues scientifiques d’expertiser les manuscrits (en anglais, les « reviewers ») devraient être beaucoup plus attentifs au bon usage des citations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174142/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Crise des opioïdes et controverse autour de l’hydroxychloroquine comme traitement du Covid-19 ont un point commun : elles trouvent en partie leur origine dans le mésusage des citations scientifiques.Francois Gonon, directeur de recherche émérite au CNRS, Université de BordeauxThomas Boraud, Directeur de Recherche CNRS, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1584862021-05-02T16:21:30Z2021-05-02T16:21:30ZComment les scientifiques s’organisent pour s’affranchir des aspects commerciaux des revues<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/397855/original/file-20210429-13-15yhrqw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C17%2C5946%2C3970&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les mathématiciens sont des pionniers dans la diffusion libre des connaissances scientifiques.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/G66K_ERZRhM">Moritz Kindler, Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’expression « évaluation par les pairs » a fait irruption dans les médias avec la crise du Covid-19 et l’on en mesure bien l’importance : pour être dignes de foi, les résultats d’une recherche doivent d’abord être examinés de manière critique par d’autres spécialistes du domaine, des « pairs ». De fait, ce <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89valuation_par_les_pairs">processus</a> est une pierre angulaire de la recherche scientifique, d’autant plus importante aujourd’hui où tout un chacun peut « poster » ses écrits sur Internet.</p>
<p>Son histoire est liée à celle des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Revue_scientifique">revues scientifiques</a>. La rigueur de l’évaluation par les pairs mise en œuvre par les éditeurs scientifiques d’une revue fait sa réputation. Une revue attire d’autant plus de bons articles qu’elle est sélective, ce qui entretient un cercle vertueux. À partir des années 1950, de nombreuses revues scientifiques furent <a href="https://www.theguardian.com/science/2017/jun/27/profitable-business-scientific-publishing-bad-for-science">reprises ou lancées</a> par des <a href="https://www.lefigaro.fr/sciences/le-business-tres-juteux-des-revues-scientifiques-20200612">groupes privés</a> : le nombre de revues publiées par Pergamon press, basé à Oxford, passa de 40 à 150 en six ans au début des années 1960, tandis qu’Elsevier n’en avait que 10. Puis, dans cet exemple, Elsevier racheta Pergamon Press (et au passage la fameuse revue <em>The Lancet</em>) en 1991, et publie aujourd’hui <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Elsevier">2500 revues</a>.</p>
<p>Cependant, depuis les années 2000, le développement d’archives ouvertes institutionnelles, comme <a href="https://arxiv.org/">arXiv</a> et l’analogue français <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/">HAL</a>, a changé la donne dans le monde de l’édition scientifique. Des scientifiques et en particulier des mathématicien·nes ont commencé à imaginer d’autres modèles de publication que les revues traditionnelles.</p>
<h2>Les mathématiciens initient la publication avant évaluation par les pairs</h2>
<p>Un premier fait marquant est venu en 2002 du mathématicien russe Grigori Perelman. Parvenu à des résultats qui résolvaient en particulier l’un des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Probl%C3%A8mes_du_prix_du_mill%C3%A9naire">problèmes du millénaire</a>, il déposa ses articles sur arXiv et laissa la communauté mathématique s’en emparer sans les soumettre à une revue. Le processus prit quelques années, comme cela arrive régulièrement en mathématiques. Il aboutit néanmoins à la reconnaissance de ses résultats par l’attribution de la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2006/08/23/maths-quatre-laureats-pour-la-medaille-fields_805596_3244.html">médaille Fields en 2006</a> et du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2010/03/24/01003-20100324ARTFIG00677-genie-des-maths-il-refuse-un-prix-d-un-million-de-dollars-.php">prix Clay en 2010</a>, des récompenses que Grigori Perelman refusa toutes les deux. Une évaluation rigoureuse par les pairs, et reconnue comme valide par ces distinctions, avait eu lieu sans passer par une revue.</p>
<p>En 2012, un autre mathématicien fut à l’origine d’une initiative retentissante : <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/02/14/le-mathematicien-timothy-gowers-un-combinatoricien-frondeur-au-college-de-france_6069938_1650684.html">Timothy Gowers</a> <a href="http://thecostofknowledge.com/">appela au boycott</a> des revues appartenant à Elsevier, dénonçant le « prix exorbitant » des abonnements et les « profits énormes » réalisés par le groupe. Il s’appuyait sur un texte intitulé <a href="https://gowers.files.wordpress.com/2012/02/elsevierstatementfinal.pdf">« The cost of knowledge »</a>, signé par 34 mathématicien·nes, dont huit basé·e·s en France.</p>
<p>Un dossier « Chercheurs, éditeurs : le débat » fut publié dans la Gazette d’avril 2012 de la <a href="https://smf.emath.fr/publications/la-gazette-des-mathematiciens-132-avril-2012">Société Mathématique de France</a>. La couleur est annoncée dans l’avant-propos : « les bibliothèques de mathématiques souffrent » et « les chercheurs s’interrogent sur le bien-fondé de la gestion actuelle par les éditeurs du processus de publication d’un article scientifique ». Ce dossier comprend une pétition concernant Springer, autre grand groupe de l’édition scientifique, aux côtés de la pétition concernant Elsevier, ainsi que la traduction en français du texte l’accompagnant : « Le Coût du savoir ».</p>
<h2>Pourquoi les scientifiques tiennent-ils tant à l’évaluation par les pairs ?</h2>
<p>Ce texte indique en particulier « des raisons importantes pour lesquelles les mathématiciens n’ont pas tout simplement abandonné la publication dans les revues » : « l’évaluation par les pairs », qui permet d’assurer la qualité des résultats publiés, et « l’évaluation professionnelle », en partie basée sur le prestige des revues dans lesquelles les chercheur·euses publient leurs travaux. Même si <a href="http://134.206.83.16/en/Publications/Gazette/2012/132/smf_gazette_132_72-86.pdf%20page%2076">« il n’est pas facile de créer une nouvelle revue […], car les mathématiciens ne voudront peut-être pas publier dans celle-ci et préféreront soumettre leurs articles à des revues dont la réputation est bien établie »</a>, plusieurs mathématiciens vont s’y atteler.</p>
<p>Un enjeu encore en filigrane en 2012 est celui du libre accès (« open access ») aux revues, que les groupes comme Elsevier et Springer proposent moyennant paiement par les auteurs de frais de publication, dits « article processing charges » ou APC en anglais. Jusque là, on était dans un système « lecteur-payeur », au sens où les bibliothèques payaient des abonnements aux revues et c’était ce qui en permettait l’accès à leurs lecteur·rices. Le système « auteur-payeur » consiste à faire payer l’auteur·rice pour qu’elle ou il soit publié·e et que son article soit en accès libre. La communauté mathématique <a href="http://134.206.83.16/en/Publications/Gazette/2012/132/smf_gazette_132_72-86.pdf">se dresse</a> alors contre ce système.</p>
<p>En 2014, le mathématicien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean%E2%80%91Pierre_Demailly">Jean‑Pierre Demailly</a> présente à l’Académie des sciences l’idée des <a href="https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_241014.pdf">« épijournaux »</a> : des <a href="https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/rads_241014.pdf">journaux scientifiques qui ajouteraient</a> l’expertise liée aux évaluations par les pairs sur des articles déjà postés par leurs auteur·rices dans une archive ouverte. Ce modèle des épijournaux préserve l’évaluation par les pairs tout en évitant les revues traditionnelles. En effet, les comités éditoriaux des épijournaux sélectionnent les articles et les fonts évaluer par des « referees » directement dans un ensemble d’articles ouverts à tous et toutes sur HAL ou arXiv.</p>
<p>Le résultat est que la plate-forme Épisciences accueille désormais des épijournaux créés de <a href="http://epiga.episciences.org/">toutes pièces</a>, mais aussi des <a href="https://gcc.episciences.org/">« transferts »</a>, c’est-à-dire des <a href="https://hrj.episciences.org/">revues</a> qui étaient précédemment publiées par des maisons d’édition commerciales. En 2016, Timothy Gowers fonde à son tour un épijournal <a href="https://discreteanalysisjournal.com/">basé sur arXiv</a>, et d’autres revues se créent de manière autonome, comme les <a href="https://annales.lebesgue.fr">Annales Henri Lebesgue</a>.</p>
<h2>De plus en plus de revues scientifiques « migrent » vers des plates-formes non commerciales</h2>
<p>Offrir un accès libre sans frais de publication est l’un des buts des mouvements de la science ouverte, <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">soutenus par l’État</a> et les organismes de recherche comme le <a href="https://www.science-ouverte.cnrs.fr/">CNRS</a>. En 2020, différentes initiatives permettent de soutenir les revues qui souhaitent migrer vers des plates-formes plus conformes à leurs idéaux. Le <a href="https://www.centre-mersenne.org/"><em>Centre Mersenne</em></a> en France en fait partie.</p>
<p>En 2020, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Comptes_rendus_hebdomadaires_des_s%C3%A9ances_de_l%27Acad%C3%A9mie_des_sciences"><em>Comptes Rendus de l’Académie des Sciences</em></a> ont quitté Elsevier pour le Centre Mersenne, afin de garantir un accès libre pour les lecteur·rices sans frais de publications pour les auteur·rices. En mathématiques, un autre événement retentissant a été le départ en bloc en 2017 du comité éditorial du <a href="http://www.ems-ph.org/journals/show_pdf.php?issn=1027-488X&vol=9&iss=109&rank=9">« Journal of Algebraic Combinatorics »</a> publié par Springer. Les membres de ce comité ont fondé dans la foulée une nouvelle revue en « libre accès diamant », avec le soutien de la <a href="http://www.mathoa.org/">Fondation MathOA</a>.</p>
<p>La Fondation MathOA œuvre pour la transition des revues vers des modèles de publication respectant les principes du <a href="https://www.fairopenaccess.org/the-fair-open-access-principles/">« libre accès juste »</a>. Cependant ses succès sont pour l’instant <a href="http://www.mathoa.org/journals/">limités à trois revues</a>.</p>
<h2>Comment financer ces revues ?</h2>
<p>Parallèlement, un nouveau modèle de publication émerge <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/04/13/s-abonner-pour-ouvrir-une-innovation-pour-les-revues-scientifiques_6076646_1650684.html">depuis la fin des années 2010</a>. Intitulé <a href="https://subscribetoopencommunity.org/">« Subscribe To Open »</a>, il consiste à ouvrir l’accès aux revues dès qu’un seuil suffisant d’abonnements par les bibliothèques est atteint. C’est un moyen d’éviter les écueils du système auteur-payeur, que la communauté mathématique rejette massivement, et une piste de modèle économique viable pour assurer la publication d’articles en accès libre. Car celle-ci a toujours un coût, aussi bien pour la gestion du processus d’évaluation par les pairs, que pour la mise en forme des articles et leur archivage.</p>
<p>En mathématiques, ce modèle « Subscribe To Open » suscite un intérêt certain. Il été adopté par la <a href="https://www.edpsciences.org/en/news-highlights/2072-successful-subscribe-to-open-pilot-paves-the-way-for-a-ground-breaking-roll-out-across-the-edp-sciences-maths-portfolio">maison d’édition EDP Sciences</a>, qui publie les revues de la <a href="http://smai.emath.fr/">Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles</a>, mais aussi par la maison d’édition de la <a href="https://ems.press/subscribe-to-open">Société mathématique européenne</a>. Enfin, le président de la Société Mathématique de France <a href="https://smf.emath.fr/publications/la-gazette-des-mathematiciens-165-juillet-2020">indiquait le considérer</a> en juillet 2020.</p>
<p>Les mathématicien·nes sont ainsi toujours en première ligne sur les évolutions de l’édition scientifique. L’avenir dira si elles et ils imaginent des modèles de publication vraiment différents des revues héritées de leurs ancêtres.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science en libre accès », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Benzoni-Gavage est présidente de l'Association Publications de l'Institut Henri Poincaré, administratrice du Fonds de dotation de l'Institut Henri Poincaré, administratrice de la Fondation MathOA et membre du Conseil scientifique du Centre Mersenne, le tout à titre bénévole. Elle est aussi membre des sociétés savantes EMS, SMAI et SMF.
</span></em></p>De plus en plus de revues scientifiques « migrent » vers des plates-formes non commerciales. Un enjeu majeur pour la recherche : préserver l’évaluation par les pairs.Sylvie Benzoni-Gavage, Professeur en mathématiques à l'Université Claude Bernard Lyon 1. Directrice de l'Institut Henri Poincaré, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1511582020-11-30T18:33:06Z2020-11-30T18:33:06ZPetit guide pour bien lire les publications scientifiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/372048/original/file-20201130-13-1f9oweo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=46%2C27%2C6136%2C4069&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour peu que l’on ait quelques notions d’anglais, une certaine détermination et un accès à Internet, lire une publication scientifique n’est pas forcément insurmontable.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/senior-stylish-woman-taking-notes-notebook-1533669275">Rido / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Il s’avère parfois difficile de comprendre les résultats obtenus par les chercheurs. En temps normal, nous comptons sur la parole des experts ou le travail des médias pour interpréter ou relayer les découvertes scientifiques les plus intéressantes. Mais la pandémie qui secoue la planète depuis le début de l’année a changé la donne.</p>
<p>Nous sommes désormais confrontés quotidiennement à des points de vue contradictoires, qui tous prétendent s’appuyer sur des « preuves scientifiques ». Comment, lorsqu’on n’est pas soi-même habitué de la recherche académique, vérifier la véracité de telles affirmations ?</p>
<p>Les résultats de la recherche scientifique sont habituellement communiqués sous forme d’articles, ou « publications scientifiques », qui paraissent dans des revues spécialisées. Afin d’en assurer l’exactitude, chacun d’eux est attentivement vérifié par les éditeurs desdites revues, qui les soumettent à des experts du domaine concerné, au cours d’un processus appelé « revue par les pairs » (« peer-review » en anglais). Bien que ce système de revue par les pairs <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1420798/">ne soit pas parfait</a>, les articles qui passent par ce crible ont sont plus fiables <a href="https://theconversation.com/when-to-trust-and-not-to-trust-peer-reviewed-science-99365">que ceux dont la publication suit une autre méthodologie</a>.</p>
<p>Le meilleur moyen de juger de la pertinence d’une preuve scientifique est donc de savoir lire et de parvenir à comprendre ces articles revus par les pairs. Cela peut sembler de prime abord compliqué (<em>ndlr : et nécessite d’avoir un niveau d’anglais correct, puisque cette langue est souvent utilisée au niveau international pour communiquer les résultats de recherche</em>), néanmoins il ne faut pas céder au découragement : en adoptant la bonne stratégie, ces textes s’avèrent souvent plus faciles à digérer qu’on ne l’imagine.</p>
<h2>1. Trouver la publication scientifique</h2>
<p>Lorsque de nouveaux travaux de recherche sont publiés, les médias résument souvent leurs résultats. Il est cependant très rare qu’ils fournissent également un lien vers <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1420798/">la publication scientifique originelle</a>, ce qui peut être particulièrement frustrant.</p>
<p>Pour mettre la main sur le texte en question, une bonne stratégie est de retrouver dans un premier temps le communiqué de presse publié par l’université ou la société à l’origine des recherches. Il est aussi possible de recourir à des moteurs de recherche spécialisés dans les travaux académiques, tels que <a href="https://scholar.google.com/">Google scholar</a> ou <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/">PubMed</a>. Ceux-ci permettent, en entrant le nom des scientifiques impliqués (lesquels sont généralement – mais pas toujours - cités par les journalistes) de retrouver leurs travaux de recherche.</p>
<p>Historiquement, les publications académiques ont longtemps été des articles payants. Cependant, depuis quelques années, un nombre croissant d’articles de recherche sont publiés sous forme gratuite : beaucoup sont désormais publiés en <a href="https://re.ukri.org/research/open-access-research/">« accès ouvert »</a> (« open access » en anglais) via des arrangements avec les éditeurs. Malheureusement, si un article n’est pas en open access, il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire pour le lire sans payer le montant requis par son éditeur.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Étagères couvertes de revues dans une librairie." src="https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=380&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371031/original/file-20201124-23-14v30lb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=477&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreuses revues publient encore des versions papier de leurs articles, mais la périodicité de ces dernières est souvent devenue trimestrielle. Pour lire les articles au fur et à mesure qu’ils sont disponibles, mieux vaut les consulter en ligne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/old-books-journals-library-165513596">Protasov AN/Shutterstock</a></span>
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<h2>2. Lire le résumé et regarder les figures</h2>
<p>Les articles de recherche sont longs et denses, et leur structure est très différente de celle des textes publiés dans les médias traditionnels. Ces derniers s’ouvrent généralement sur l’information la plus importante, puis le contexte et les informations complémentaires sont ajoutés au fil de l’article. </p>
<p>À l’inverse, les publications scientifiques débutent par une introduction qui décrit le contexte, puis viennent plusieurs sections. L’une est consacrée à la description des méthodologies utilisées au cours des travaux de recherche. La suivante présente les résultats obtenus. Vient ensuite une discussion destinée à souligner les points forts et les faiblesses des travaux, et enfin la conclusion de l’article, qui se résume souvent à quelques phrases en fin de publication. </p>
<p>Pour accélérer la lecture, un résumé (« abstract » en anglais) est fourni au début du texte. Celui-ci est le meilleur endroit pour commencer la lecture (qui plus est, il est presque toujours disponible gratuitement). Si vous n’êtes pas expert du sujet traité, soyez attentifs aux mots que vous ne comprenez pas, et veillez à en chercher la définition, car tout ce qui est mentionné à cet endroit est essentiel pour la compréhension du reste du texte. </p>
<p>Après avoir lu l’abstract, il est possible que vous ayez déjà toutes les informations que vous étiez venu chercher. Si ce n’est pas le cas, et que vous souhaitez en apprendre davantage, la seconde étape consiste à jeter un œil aux illustrations, schémas et autres graphiques (s’ils sont disponibles) afin de vous faire une petite idée des expérimentations sur lesquelles s’appuient ces travaux.</p>
<h2>3. Déterminer la qualité de la revue et le bagage de la personne qui a écrit l’article</h2>
<p>Après avoir lu le résumé de l’article, je regarde généralement qui sont les auteurs des travaux, pour quelle université ou société ils travaillent, et la qualité de la revue dans laquelle leurs résultats ont été publiés.</p>
<p>Si les auteurs sont des universitaires qui ont déjà produit d’autres articles de grande qualité, c’est plutôt bon signe. Le premier et le dernier auteur figurant dans la liste de la publication sont <a href="https://www.sciencemag.org/careers/2010/04/conventions-scientific-authorship">souvent ceux qui ont joué le plus grand rôle dans les recherches présentées</a>, ce sont donc eux qui doivent faire prioritairement l’objet de ces investigations.</p>
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<img alt="Des scientifiques travaillant dans un laboratoire" src="https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371040/original/file-20201124-17-1svz560.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les personnes figurant en première et dernière place dans la liste des auteurs sont généralement celles qui ont joué un rôle clé dans le développement et la supervision de la recherche.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/health-care-researchers-working-life-science-639884194">Matej Kastelic/Shutterstock</a></span>
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</figure>
<p>Le fait que les résultats soient publiés dans une bonne revue est également important, car les meilleures revues sont aussi celles qui ont accès aux relecteurs et éditeurs les plus expérimentés. Pour déterminer la qualité d’une revue, son <a href="https://researchguides.uic.edu/if/impact">« facteur d’impact »</a> (« impact factor » en anglais) est souvent cité : ce paramètre traduit le nombre de chercheurs qui citent les articles publiés dans cette revue. Plus il est important, meilleure la revue est censée être.</p>
<p>Cependant, ces dernières années l’emploi du facteur d’impact en tant que critère d’évaluation des revues scientifiques a fait l’objet de <a href="https://www.sciencemag.org/news/2016/07/hate-journal-impact-factors-new-study-gives-you-one-more-reason">vives critiques</a>, même s’il est aujourd’hui encore vrai que les meilleurs travaux de recherche sont publiés dans un nombre assez restreint de revues spécialisées. </p>
<p>Une alternative au facteur d’impact peut être de se renseigner sur l’opinion qu’ont les chercheurs d’un titre donné. Ces derniers passent en effet un temps considérable à débattre des meilleures revues : vous devriez sans peine et assez rapidement vous faire une idée de la qualité de celle où figure l’article qui vous intéresse.</p>
<h2>4. Lisez la discussion</h2>
<p>Si vous êtes arrivés jusqu’au niveau de la section qui discute des résultats (souvent appelée… « discussion »), il est probable que vous trouviez l’article intéressant, et que vous soyez prêt à faire un petit effort supplémentaire pour le comprendre. </p>
<p>Attaquez-vous donc à la lecture de ce passage en y consacrant toute votre attention, et en n’hésitant pas à revenir en arrière afin de consulter les sections consacrées à la méthodologie ou aux résultats, si vous avez l’impression d’avoir besoin de comprendre plus en détail la façon dont ont été menées les expérimentations. À nouveau, n’hésitez pas à chercher les définitions de tous les termes qui pourraient vous échapper.</p>
<h2>5. Lisez l’introduction et vérifiez certaines des références</h2>
<p>Une fois que vous vous êtes fait une idée de ce dont parle l’article, terminez votre lecture par l’introduction – cela permet généralement d’avoir une bonne vision de la raison pour laquelle ces recherches ont été conduites. Vous devriez maintenant avoir une idée claire de ce dont traite le texte et du contexte dans lequel il s’inscrit.</p>
<p>Si vous êtes particulièrement intéressé par le sujet, vous pouvez également regarder certaines des références principales citées dans la publication. S’il s’agit de travaux qui ne sont pas des plus récents, retournez sur votre moteur de recherche de publications afin de vérifier si d’autres articles scientifiques font référence au texte que vous êtes en train de compulser, et ce qu’ils en disent.</p>
<h2>6. Quand un article de revue scientifique n’est pas une publication scientifique</h2>
<p>Un mot d’avertissement pour terminer : tous les articles publiés dans des revues spécialisées ne sont pas des articles de recherche. Ces journaux contiennent en effet également des actualités, des articles d’opinion et des revues de littérature. Bien qu’étant également écrits pour un lectorat expert, ces formats passent rarement par un processus d’évaluation par les pairs avant d’être publiés. Ils ne sont pas considérés comme des articles majeurs.</p>
<p>Les publications au format « preprint » constituent le dernier point auquel il faut prêter attention. Ces articles de recherche sont publiés en amont (« in advance ») du processus de revue par les pairs (lequel peut parfois prendre jusqu’à un an). </p>
<p>Ces « preprints » peuvent s’avérer très utiles pour se tenir informé des derniers résultats scientifiques, comme ce fut le cas au début de la pandémie de Covid-19 par exemple. Il est cependant généralement clairement indiqué que les informations contenues dans ces articles ne doivent pas être considérées comme aussi fiables que celles qui figurent dans les publications scientifiques passées au crible de la revue par les pairs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Simon Kolstoe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Lire une publication scientifique n’est pas une tâche insurmontable, à condition de procéder étape par étape.Simon Kolstoe, Reader in Bioethics, University of PortsmouthLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1411692020-06-26T14:53:27Z2020-06-26T14:53:27ZEinstein vaut-il la moitié du Dr Raoult ? Pour en finir avec « l’indice h »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/344305/original/file-20200626-104522-1ejdwp2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une murale représentant Albert Einstein, dans une rue de Moscou. Si un indice h élevé peut en effet être associé à un Nobel, cela ne prouve nullement qu’un indice h peu élevé soit nécessairement associé à un « piètre » chercheur.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La controverse médiatique entourant le professeur <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-covid-19-les-etudes-publiees-ne-permettent-pas-de-prouver-son-efficacite-134838">Didier Raoult</a> fournit l’occasion de revenir sur l’omniprésent indice bibliométrique « h-index », inventé en 2005 par le physicien américain <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1283832/">Jorge Hirsch</a> (d’où le choix de la lettre « h » pour désigner cet indice).</p>
<p>L’« indice h », ou « facteur h », en français est devenu en l’espace de quelques années une référence incontournable chez de nombreux chercheurs et gestionnaires du monde académique.</p>
<p>Il est particulièrement promu et utilisé en sciences biomédicales, domaine où la massification des publications semble avoir rendu impossible toute évaluation qualitative sérieuse des travaux des chercheurs. Cet « indicateur » est devenu le « miroir aux alouettes de l’évaluation », devant lequel les chercheurs s’admirent ou ricanent en constatant le piteux « indice h » de leurs « chers collègues », mais néanmoins rivaux.</p>
<p>Bien que les experts en bibliométrie aient rapidement noté le <a href="https://www.ost.uqam.ca/en/publications/la-fievre-de-levaluation-de-la-recherche-du-mauvais-usage-de-faux-indicateurs/">caractère douteux de cet indicateur composite</a>, la plupart des chercheurs ne semblent pas toujours comprendre que ses propriétés sont loin d’en faire un indice valide pour évaluer sérieusement et éthiquement leur « qualité » ou leur « impact » scientifique.</p>
<p>Le plus souvent, ses promoteurs commettent d’ailleurs une erreur de logique élémentaire en affirmant que les lauréats de prix Nobel ont « en général » un indice h élevé, preuve qu’il mesure bien la qualité individuelle des chercheurs. Or, si un indice h élevé peut en effet être associé à un Nobel, cela ne prouve nullement qu’un indice h peu élevé soit nécessairement associé à un « piètre » chercheur. En effet, un indice h en apparence faible peut cacher un impact scientifique élevé, du moins si l’on accepte que l’unité de mesure habituelle de cette visibilité scientifique se reflète dans le nombre de citations reçues.</p>
<h2>Les limites de l’indice h</h2>
<p>Défini comme le nombre d’articles N d’un auteur ayant chacun reçu au moins N citations, on voit immédiatement que cet indice est borné par le nombre total d’articles. En d’autres termes, si une personne a vingt articles cités cent fois chacun, son indice h est de 20, tout comme une personne qui a aussi vingt articles, mais cités chacun seulement vingt fois, soit cinq fois moins ! Mais quel chercheur sérieux dirait que les deux sont « égaux » du fait que leur indice h est le même ? Or, si un indicateur n’est pas proportionnel au concept qu’il est censé mesurer, alors il est invalide.</p>
<p>Le plus ironique dans l’histoire de l’indice h est que son inventeur voulait au départ contrer l’usage du nombre de papiers, qui selon lui ne représentait pas bien l’impact scientifique d’un chercheur. Il pensait donc le « corriger » en le combinant au nombre de citations que les articles reçoivent. Pis, il s’avère que l’indice h est en fait très fortement corrélé (à hauteur d’environ 0.9) avec le nombre de publications ! En d’autres mots, c’est bel et bien le nombre de publications qui fait grimper l’indice h davantage que le nombre de citations, indicateur qui, malgré ses limites, demeure la meilleure mesure de l’impact des publications scientifiques.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=454&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343803/original/file-20200624-132978-11ah6so.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En ignorant les autocitations, l’indice h de Raoult a une valeur de 104 alors qu’Einstein obtient un indice h de 56.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Tout cela est connu des experts, mais peut-être pas des chercheurs, des évaluateurs et des journalistes qui se laissent impressionner par les personnages se pavanant avec leur indice h collé au front.</p>
<h2>Raoult vs Einstein</h2>
<p>Dans une récente enquête de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui">Médiapart</a>, une chercheure faisant partie du comité d’évaluation du laboratoire du Dr Raoult, avait confié au journaliste ne pas s’être laissée impressionner : « Ce qui m’a marqué, raconte-t-elle, c’est l’obsession de Didier Raoult pour ses publications. Quelques minutes avant que ne commence l’évaluation de son unité, c’est d’ailleurs la première chose qu’il m’a montrée sur son ordinateur, son facteur h. »</p>
<p>Le Dr Raoult avait lui-même affirmé en 2015 dans le magazine <a href="https://www.lepoint.fr/invites-du-point/didier_raoult/raoult-evaluer-la-recherche-mesurer-ou-tricher-04-10-2015-1970477_445.php">Le Point</a> qu’il fallait « compter le nombre et l’impact des publications des chercheurs pour évaluer la qualité de leur travail ». Examinons donc le fameux « facteur h » du Dr Raoult et regardons comment il se compare, disons, avec celui d’un chercheur qui est communément considéré comme le plus grand savant du dernier siècle : Albert Einstein.</p>
<p>Dans la base de données Web of Science (WoS), Didier Raoult compte 2053 articles publiés entre 1979 et 2018, ayant reçu un total de 72 847 citations. Son indice h calculé à partir de ces deux données est de 120. On sait cependant que la valeur de l’indice h peut être gonflée artificiellement grâce aux citations faites par un auteur à ses propres articles, ce que l’on appelle des autocitations. Or, le WoS indique que parmi les citations totales attribuées aux articles co-signés par Didier Raoult, 18 145 proviennent d’articles dont il est légalement cosignataire, ce qui équivaut à un taux d’autocitations de 25 %. En ignorant ces autocitations, l’indice h de Raoult baisse de 13 % à une valeur de 104.</p>
<p>Intéressons-nous maintenant au cas d’Albert Einstein. Ce dernier compte 147 articles recensés par le WoS entre 1901 et 1955, année de son décès, pour un total de 1564 citations reçues de son vivant. Sur ces 1564 citations, seules 27, soit un maigre 1,7 %, sont des autocitations. Si l’on rajoute les citations faites à ses articles après son décès, Einstein a reçu un total de 28 404 citations entre 1901 et 2019. À partir de ces données de publications et de citations, Einstein obtient un indice h de 56.</p>
<p>Si l’on doit se fier à la mesure dite « objective » de l’indice h, on est alors forcé de conclure que les travaux de Didier Raoult, avec son indice corrigé de 104, ont un impact et une portée scientifiques deux fois plus importants que ceux du père du photon, des relativités restreinte et générale, de la condensation Bose-Einstein et du phénomène de l’émission stimulée à l’origine des lasers. Peut-être vaudrait-il mieux en conclure, comme suggéré plus haut, que l’indicateur est tout simplement bidon ?</p>
<p>Notons également la différence importante du nombre de citations totales reçues par chacun des chercheurs au cours de leur carrière. Ils ont évidemment été actifs à des périodes très différentes, la taille des communautés scientifiques, et donc le nombre de potentiels auteurs citant, s’étant considérablement accru au cours du dernier demi-siècle. Il faut aussi tenir compte des différences disciplinaires et des pratiques de collaboration. Par exemple, la physique théorique compte beaucoup moins de contributeurs que la microbiologie, de même que le nombre de co-auteurs par article y est plus petit, ce qui influe sur la « productivité » et la mesure de l’impact des chercheurs et rend l’usage comparatif de l’indice h plus que problématique.</p>
<p>Enfin, il est important de noter que l’énoncé : « L’indice h de la personne P est de X », n’a en fait aucune signification, car la valeur de l’indice dépend du contenu de la base de données utilisée. Il faut plutôt dire « L’indice h de la personne P est de X, dans la base de données Z ». Ainsi, selon la base de données WoS, qui ne contient que des revues considérées comme sérieuses et assez visibles dans le champ scientifique, l’indice h de Didier Raoult est de 120. Par contre dans la base de données gratuite et donc facilement accessible de Google Scholar, qui contient toutes sortes de documents hétérogènes, y compris des documents « pdf » déposés sur divers sites Internet, ce même indice h — repris par la plupart des médias — monte à 179.</p>
<h2>Le fétichisme d’un chiffre</h2>
<p>La communauté scientifique voue un véritable culte à l’indice h. Et ce fétichisme pour un simple chiffre peut avoir des conséquences néfastes pour la recherche scientifique. La France, par exemple, utilise le Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques (SIGAPS) pour octroyer des fonds de recherches à ses laboratoires de sciences biomédicales, sur la base du nombre d’articles qu’ils publient dans les revues dites « à fort facteur d’impact ». Comme le rapporte <em>Le Parisien</em>, le rythme frénétique de publications du Dr Raoult permet à son institution de rattachement d’engranger <a href="https://www.leparisien.fr/societe/didier-raoult-une-frenesie-de-publications-et-des-pratiques-en-question-12-06-2020-8334405.php">entre 3 600 et 14 400 euros par an</a>, pour chaque article publié par son équipe.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etre-juge-et-partie-ou-comment-controler-une-revue-scientifique-140595">Être juge et partie, ou comment contrôler une revue scientifique</a>
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<p>L’aveuglement engendré par les <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/les-derives-de-levaluation-de-la-recherche/https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/les-derives-de-levaluation-de-la-recherche/">dérives de l’évaluation de la recherche</a> est intéressant et réclamerait des études sur la psychologie des chercheurs. Le biologiste Bruno Lemaître, a publié un <a href="http://brunolemaitre.ch/narcissism-science/book/">livre éclairant</a> sur le narcissisme des chercheurs. Il faudrait peut-être compléter cette étude par une analyse du syndrome du cerveau scindé, résultant de la déconnexion entre les deux hémisphères cérébraux : capables de déceler des erreurs mineures dans les publications de leurs collègues, de nombreux chercheurs semblent démunis lorsque confrontés aux déformations créées par leur « miroir aux alouettes de l’évaluation ».</p>
<p>Les bons usages de la bibliométrie, voire même le simple bon sens, devraient nous apprendre à nous méfier des indicateurs simplistes et unidimensionnels. Ralentir le rythme affolant des publications scientifiques — souvent d’utilité limitée en dehors du remplissage des CV académiques — conduirait certainement les chercheurs à se désintéresser de l’indice h. Plus important, il contribuerait à produire des connaissances certes moins nombreuses, mais assurément plus robustes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141169/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Gingras reçoit des fonds du CRSH et du FQRSC</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mahdi Khelfaoui reçoit des financements du CRSH. </span></em></p>Si un indice h élevé peut en effet être associé à un Nobel, cela ne prouve nullement qu’un indice h peu élevé soit nécessairement associé à un « piètre » chercheur.Yves Gingras, Professeur d’histoire et de sociologie des sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)Mahdi Khelfaoui, Professeur associé, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1357072020-06-22T17:13:31Z2020-06-22T17:13:31ZPourquoi les chercheurs ouvrent-ils leurs recherches ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/342447/original/file-20200617-94036-1uc9hk1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=156%2C0%2C6791%2C3968&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">On peut vouloir ouvrir pour partager les savoirs, être plus transparents, faire progresser la recherche plus rapidement... </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/freedom-concept-hand-drawn-man-flying-722190496">Drawlab19/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Aux origines de la science ouverte, il y a une convergence de la pensée des <a href="https://fr.scribd.com/doc/270306844/A-Note-on-Science-and-Democracy-by-Robert-K-Merton">intellectuels d’après-guerre</a> favorables à la libre diffusion des savoirs scientifiques vers la société, comme <a href="https://www.nsf.gov/od/lpa/nsf50/vbush1945.htm">rempart aux totalitarismes</a>. La science ouverte, ou <a href="https://journals.openedition.org/cdst/277"><em>open science</em></a> aujourd’hui, <a href="https://books.openedition.org/oep/1707">se présente</a> d’abord par des valeurs de partage, de collaboration, de libre circulation des savoirs, de reproductibilité, de libre débat d’idées, de transparence et d’intégrité scientifique.</p>
<p>Qualifiés par certains d’utopie, <a href="https://royalsociety.org/topics-policy/projects/science-public-enterprise/report/">ses principes deviennent possibles</a> grâce au développement sans précédent des outils de communication et infrastructures numériques de la recherche. Mais sa mise en œuvre par les chercheurs reste, sans mauvais jeu de mots, une question ouverte. Car entre l’engagement des chercheurs dans des pratiques ouvertes et la reconnaissance de ces dernières pour l’évolution de leur carrière par leurs instances scientifiques et institutionnelles, un chemin reste à parcourir.</p>
<h2>Une tension entre pratiques des chercheurs et critères d’évaluation</h2>
<p>La science ouverte est le lieu d’une tension entre les injonctions des décideurs de la recherche et les pratiques réelles des chercheurs. Elle est souvent présentée à partir d’une approche « top-down » : des managers recommandent, rédigent des politiques dédiées et développent des discours prescriptifs. La rhétorique ainsi construite permet de justifier les efforts consentis à la mise en place d’infrastructures numériques, nationales ou <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=ES_041_0177">européennes</a>, et permet de comprendre les <a href="https://www.wiley.com/en-fr/Re+Thinking+Science%3A+Knowledge+and+the+Public+in+an+Age+of+Uncertainty-p-9780745657073">dynamiques contemporaines complexes entre science et société</a>.</p>
<p>Une approche « bottom-up » décrit les pratiques des chercheurs dans leur travail quotidien. Elle prend en compte les intentions et les représentations individuelles ou collectives des chercheurs pour la mise en œuvre concrète de ce qu’ils estiment, eux, être une « science ouverte ». Car lorsqu’ils commentent les politiques en faveur de l’<a href="https://muse.jhu.edu/article/556221">« openness »</a>, les chercheurs pointent souvent des injonctions contradictoires : libérer la circulation des publications et des données peut s’opposer frontalement au principe de l’<a href="https://theconversation.com/chercheurs-_vs_-managers-la-guerre-des-mots-138384">évaluation des travaux de recherche</a> fondée sur la production de résultats originaux, positifs, exclusifs et publiés dans des revues de prestige. L’injonction à l’ouverture achoppe d’autant plus avec les domaines disciplinaires où la recherche repose sur des partenariats industriels (par exemple la chimie) requérant la confidentialité, tant pour les protocoles de recherche, les résultats et <em>a fortiori</em> les <a href="https://www.collexpersee.eu/projet/datacc/">données produites</a>.</p>
<h2>Au fondement des pratiques des chercheurs : éthique et intégrité de la science</h2>
<p>En Chine, en Europe et aux États-Unis, les premiers arguments avancés par les chercheurs pour expliquer leurs pratiques « ouvertes » sont d’ordre éthique. D’abord comme un contre-pied aux dérives provoquées par l’<a href="https://theconversation.com/chercheurs-_vs_-managers-la-guerre-des-mots-138384">hypercompétition</a> de la science, la course aux financements et la loi du <a href="https://theconversation.com/recherche-publish-or-perish-vers-la-fin-dun-dogme-128191"><em>Publish or Perish</em></a>. Les chercheurs présentent donc leurs pratiques d’ouverture comme une contribution à une science intègre et éthique : <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/leap.1169">ceux qui publient en Libre Accès</a> le font pour permettre à toutes et à tous d’<a href="https://theconversation.com/acces-a-la-litterature-scientifique-des-inegalites-encore-inacceptables-134848">accéder aux résultats de la recherche scientifique</a>, y compris dans les pays du Sud. Ceux qui décrivent de manière détaillée et exhaustive leur protocole de recherche le font pour en permettre la reproductibilité et donc le partage de leur expertise. Ceux qui participent à des processus d’évaluation ouverte (<a href="https://theconversation.com/science-ouverte-en-temps-de-coronavirus-publication-en-temps-reel-136397"><em>open peer reviewing</em></a>), ou acceptent de rendre publics leurs rapports, adhèrent à une vision transparente de la discussion scientifique.</p>
<p>Indifférents ou ignorants des arguments politiques faisant valoir la <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/amsterdam-call-for-action-on-open-science/">stimulation et l’accélération de l’économie</a>, les praticiens de la science ouverte sont soucieux d’une science « propre », qui véhicule des valeurs auxquelles ils s’identifient (diversité, accessibilité, reproductibilité, réutilisation). Dans ces cas de figure, les chercheurs ne se disent pas militer pour une science ouverte, mais pour une science intègre et éthique.</p>
<h2>La manufacture de la science ouverte</h2>
<p>Les disciplines ne sont pas homogènes en termes de pratiques ouvertes. Il existe des disciplines où l’ouverture se pose naturellement, car inscrite dans les structures et normes sociales de la communauté, par exemple la physique des hautes énergies est pionnière dans les pratiques de partage de pré-publications et de données de la recherche. <em>A contrario</em>, des disciplines plus « conservatrices », comme la chimie, qui en raison des enjeux économiques de ses avancées, accueille moins favorablement les invitations d’ouverture. Or, la recherche est aujourd’hui menée dans des collectifs, souvent pluridisciplinaires. L’observation des pratiques dans ces collectifs montre sur quels arguments la discussion – parfois l’âpre négociation – se fait pour intégrer des possibilités d’ouverture. Car les chercheurs disent ne pas décider de monter un projet de « science ouverte », mais faire « de la science » en y incluant de l’ouverture, là où c’est possible, sans compromettre leurs chances de reconnaissance scientifique.</p>
<p>Le projet de recherche est ainsi le creuset, la « manufacture », dans lequel sont mises en œuvre des pratiques d’ouvertures, dont certaines sont rodées (déposer une pré-publication dans une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Archive_ouverte">archive ouverte</a>) et d’autres sont plus expérimentales (mettre en place un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_de_gestion_des_donn%C3%A9es">plan de gestion de données</a>, apprendre à paramétrer un <a href="https://edutechwiki.unige.ch/fr/Cahiers_de_Laboratoire_%C3%89lectroniques">carnet de laboratoire numérique</a>). Quelle que soit leur discipline, les chercheurs acquièrent leurs pratiques d’ouverture <a href="https://content.iospress.com/articles/information-services-and-use/isu190069">toujours en regard d’une expérience</a>, dans l’interaction avec le collectif, et dans la contrainte circonscrite au projet.</p>
<h2>Des sciences ouvertes, et non une seule</h2>
<p>L’ouverture ne s’avère <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/5522">ni homogène ni pérenne</a> : certains favorisent l’ouverture dans <a href="https://jussieucall.org/">leurs modes</a> de communication scientifique (réseaux sociaux, archives ouvertes ou serveurs de pré-publications) ; d’autres se mobilisent autour des données (enrichissement par des métadonnées, partage sur des archives pour en permettre la réutilisation…), ou bien l’ouverture et de la mise à disposition des codes.</p>
<p>Selon le contexte de recherche, l’étape de leur carrière, le niveau de formation aux outils numériques, les chercheurs se spécialisent aussi dans leurs pratiques d’ouverture, comme ils se spécialisent dans un domaine scientifique. Ils <a href="https://www.talyarkoni.org/blog/2019/07/13/i-hate-open-science/">réfutent</a> donc souvent la dénomination <a href="https://content.iospress.com/articles/information-services-and-use/isu190069">estimée trop floue</a> d’« open scientists ».</p>
<p>L’exemple des données de la recherche est le plus illustratif : le chercheur peut opter pour des stratégies différentes pour « ouvrir » ses données selon le financement (ou son absence), l’objet de recherche, le collectif impliqué, l’avancement de sa carrière, le besoin de reconnaissance, le niveau de connaissance et de maîtrise des principes éthiques et techniques de l’ouverture des données. Et plus fondamentalement, selon la conviction du chercheur de la <a href="https://hdsr.mitpress.mit.edu/pub/jduhd7og/release/7">valeur de réutilisation de ses propres données</a>. Autant de paramètres qui entrent en compte dans la constitution de pratiques, qui se révéleront dans la forme et dans le temps.</p>
<h2>L’avenir de la science ouverte dépend de la reconnaissance des pratiques d’ouverture dans l’évaluation des carrières</h2>
<p>Même si des pratiques ouvertes se développent, le défi du déploiement de la science ouverte à large échelle relève encore du projet pour la plupart des domaines disciplinaires. Nos travaux nous apprennent que le chemin à parcourir ne dépend pas tant de la défense des valeurs de la science ouverte auxquelles les chercheurs adhèrent ou de la maîtrise des infrastructures numériques dans leur travail. Le chemin dépend surtout de la reconnaissance par les politiques d’évaluation de leurs <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/types-de-documents-productions-et-activites-valorisees-par-la-science-ouverte-et-eligibles-a-une-evaluation/">efforts pour l’ouverture</a> même s’il ne donne pas lieu à des résultats.</p>
<p>L’observatoire international des pratiques que nous avons mené a permis de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01973467/document">pointer ce nœud gordien</a> de manière particulièrement prégnante <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/leap.1284">chez les jeunes chercheurs</a>. Alors que ces derniers adhèrent et partagent les valeurs de la science ouverte, alors qu’ils montrent une réelle maîtrise des infrastructures numériques associées et qu’ils en voient le potentiel, ils n’envisagent pas d’y souscrire tant que les critères d’évaluation ne changent pas. L’avenir réaliste de la science ouverte dépend donc de l’intégration des pratiques et principes d’<em>openness</em> par les instances d’évaluation officielles et institutionnelles de la recherche.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chérifa Boukacem-Zeghmouri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les motivations des chercheurs pour ouvrir leurs recherches sont multiples, mais les jeunes s’interrogent sur la prise en compte de ces pratiques dans l’évaluation, en particulier à l’embauche.Chérifa Boukacem-Zeghmouri, Professeure des Universités, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1405952020-06-21T20:24:00Z2020-06-21T20:24:00ZÊtre juge et partie, ou comment contrôler une revue scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/342484/original/file-20200617-94036-1092buu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C272%2C2308%2C1509&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le système de revues scientifiques peut être détourné au bénéfice d'une communauté.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-vector/hand-open-door-390600865">Jamesbin / shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis la fin du XVII<sup>e</sup> siècle, les nouvelles connaissances scientifiques se diffusent surtout par le biais des revues savantes, habituellement contrôlées par des chercheurs eux-mêmes regroupés au sein de sociétés savantes, comme la Royal Society de Londres et sa revue fondée en 1665. La revue est alors gérée par un comité de rédaction qui définit sa politique éditoriale et contrôle le processus d’évaluation et de révision indépendant des articles qui lui sont soumis. Bien qu’il existe de nombreuses revues savantes nationales, leur contenu a généralement une visée internationale, ce qui se reflète dans la composition internationale des comités éditoriaux.</p>
<p>Surtout après la Seconde Guerre mondiale, les revues scientifiques ont crû en nombre et en diversité de manière exponentielle et des entreprises privées y ont vu un marché très lucratif. Des firmes comme Elsevier, Springer ou Wiley sont ainsi devenues des géants de l’édition savante qui monopolisent, peu ou prou, la plupart des revues les plus reconnues au plan international. Tout le travail proprement scientifique y est encore effectué gratuitement par les chercheurs, mais les profits générés par la vente de ces revues aux bibliothèques universitaires sont privatisés par ces conglomérats.</p>
<p>Tout cela est relativement bien connu. Ce qui l’est moins cependant est le fait que certains parmi les chercheurs ont aussi compris l’intérêt de proposer à ces géants de l’édition de nouvelles revues savantes qu’ils se proposent alors de « gérer » pour faire prospérer leur activité et leur domaine de recherche.</p>
<h2>Le cas El Naschie</h2>
<p>Un exemple d’un tel dérapage, que l’un de nous (Y.G.) avait découvert au hasard de ses recherches bibliométriques il y a une quinzaine d’années, concerne l’ingénieur égyptien Mohamed El Naschie qui était rédacteur en chef de la très spécialisée revue de physique théorique <em>Chaos, Solitons & Fractals</em>. Cette revue avait été créée par El Naschie lui-même en 1991 et était alors publiée par le groupe Pergamon, éditeur racheté par Elsevier en 1992.</p>
<p>Nous avions été frappés par le fait qu’ El Naschie avait publié, entre 1991 et 2008, près de 269 articles dans cette seule revue, soit plus de 85 % de sa production scientifique totale durant cette période. De plus, selon les données du Web of Science, ses articles n’ont été à peu près jamais été cités en dehors de la revue elle-même. Nous n’avions pas jugé utile d’alerter le monde savant et avions seulement trouvé le cas curieux. Des chercheurs ont toutefois fini par découvrir le pot aux roses et un scandale éclata en 2008 dans la revue <em>Nature</em>. Cette année-là seulement, El Naschie avait signé 53 articles dans <em>Chaos, Solitons & Fractals</em>, soulevant ainsi de sérieux doutes sur son processus d’évaluation. En effet, rappelons ici qu’aucune revue sérieuse ne publie dans une seule année autant d’articles de son rédacteur en chef. Celui-ci y exposait essentiellement les résultats d’une théorie qu’il avait lui-même développée, voulant que l’univers comporte un nombre infini de dimensions. Les spécialistes appelés à se prononcer sur cette théorie l’ont qualifiée <a href="https://blogs.sciencemag.org/pipeline/archives/2008/12/22/publish_your_work_the_easy_way">soit d’incohérente, soit de « numérologie truffée de buzzwords impressionnants »</a>.</p>
<p>Face au tollé de protestations soulevé par les scientifiques, Elsevier annonça que El Naschie prendrait sa retraite en 2009 – une façon élégante de le « remercier » – et <a href="https://www.nature.com/news/2008/081126/full/456432a.html">qu’un nouveau rédacteur en chef serait trouvé</a> pour relancer la revue sur de nouvelles bases. El Naschie a ensuite poursuivi <em>Nature</em> devant les tribunaux pour diffamation, mais <a href="https://www.nature.com/news/nature-publishing-group-wins-long-running-libel-trial-1.10965">fut débouté en cour en 2012</a>.</p>
<h2>Prendre le contrôle d’une revue peut faciliter les publications d’un groupe de chercheurs</h2>
<p>Cet exemple, peu connu, nous éclaire sur des façons de prendre le contrôle d’une revue pour faciliter les publications d’un groupe de chercheurs. El Naschie l’a fait de manière très visible, et même simpliste, au titre de rédacteur en chef. Toutefois, on peut aussi le faire plus subtilement, sans apparaître officiellement au comité éditorial, mais en faisant partie d’un réseau scientifique local qui domine le comité éditorial et, de fait, contrôle ainsi la revue, via le rédacteur en chef et son rédacteur-adjoint.</p>
<p>Or, une <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/070420/chloroquine-pourquoi-le-passe-de-didier-raoult-joue-contre-lui">enquête récente de Médiapart</a> a attiré notre attention sur la revue <a href="https://www.sciencedirect.com/journal/new-microbes-and-new-infections"><em>New Microbes and New Infections</em></a>, dont certaines caractéristiques s’apparentent à la revue de Mohamed El Naschie. Nous avons donc effectué une analyse bibliométrique de cette revue, recensée dans la base de données Scopus produite par Elsevier (qui édite aussi la revue). Fondée seulement en 2013 – une période qui voit la multiplication des nouvelles revues par les grands groupes, dans le but d’accroître leurs revenus et de diversifier leur portefeuille savant – <em>New Microbes and New Infections</em> a publié, au 10 juin 2020, 743 articles. Ce qui frappe pour une revue <a href="https://www.sciencedirect.com/journal/new-microbes-and-new-infections/about/aims-and-scope">affirmant « couvrir presque l’entièreté du monde scientifique »</a> est le fait que les pays qui y publient le plus sont les suivants : France (N=373), Arabie saoudite (N=115), Iran (N=48), Sénégal (N=46), Italie (N=44). Suit une queue de pays contribuant avec très peu d’articles depuis la création de la revue.</p>
<p>La France représente donc 50 % du total des articles, alors que ce pays n’a produit qu’environ 7 % des publications mondiales en virologie entre 2013 et 2020, contre 41 % pour les États-Unis. Ainsi, contrairement à ce que suggère le contenu de la revue <em>New Microbes and New Infections</em>, la France est loin de dominer le champ international de l’étude des microbes et des infections virales. Penchons-nous à présent sur ces publications françaises. On observe d’abord que 337 contiennent au moins une adresse institutionnelle de chercheurs basés à Marseille, soit 90 % du total français. En augmentant la focale, on trouve ensuite que 234 d’entre-elles, soit les deux-tiers, sont co-signées par le chercheur Didier Raoult. On observe aussi une montée en puissance rapide de cet auteur dans la revue : d’un seul article publié l’année de naissance de la revue en 2013, il passe à un pic de 77 articles pour la seule année 2017. En date du 10 juin, il en compte déjà 12 en 2020, alors que l’année n’en est qu’à sa moitié (Figure 1). Par ailleurs, l’éditeur-en-chef adjoint de la revue, Pierre-Edouard Fournier, y compte également 170 publications.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/342478/original/file-20200617-94054-5rlfdy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 1 : Nombre de publications annuelles co-signées par le chercheur Didier Raoult dans la revue New Microbes and New Infections.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Comme les publications scientifiques sont normalement évaluées par des pairs et que la décision relève d’un comité scientifique supposé indépendant, regardons maintenant de plus près la composition du comité éditorial de la revue. Le rédacteur en chef est basé à Marseille, et parmi les six autres membres français du comité éditorial associé, composé de quinze membres, on retrouve cinq chercheurs de Marseille et un de Paris. Le caractère « international » de la revue est tout de même assuré par la présence sur ce comité de neuf autres membres provenant des États-Unis (4), d’Algérie (1), de Chine (1), de Suisse (1), d’Australie (1) et du Brésil (1). Bien que toutes les publications soient censées être évaluées par des spécialistes indépendants et extérieurs, mais choisis par les responsables de la revue, il demeure que la forte composant locale – soit près de la moitié du total – du comité de direction de la revue, peut contribuer à expliquer la domination des publications très locales dans cette revue dite « internationale ». On ne connaît en effet pas de revues scientifiques prestigieuses qui acceptent que presque la moitié de son comité scientifique éditorial soit concentré dans une même ville.</p>
<h2>Garder un regard critique</h2>
<p>Cette rapide étude bibliométrique de la dynamique des publications montre d’abord que l’analyse scientifique des publications peut aller beaucoup plus loin que les usages très problématiques qui en sont faits pour « évaluer » les chercheurs et calculer leur « indice h » censé, pour les naïfs, « mesurer » leur « qualité ».</p>
<p>Un bon usage de la bibliométrie nous éclaire en effet de manière unique sur la sociologie des sciences. Elle permet ainsi de suggérer que les journalistes qui couvrent les recherches en santé, et plus largement en sciences, ne devraient pas se contenter de répéter l’expression convenue « paru dans une revue scientifique », mais devraient scruter davantage la nature de la revue qui annonce les résultats qui auront l’honneur de figurer dans les médias de masse. Ils devraient ainsi vérifier si ces revues sont le fait de sociétés savantes indépendantes (par exemple, la revue <em>Science</em> est la propriété de AAAS, l’American Association for the Advancement of Science) ou de groupes privés cotés en bourse, et se demander si le but visé par la publication rapide de certains articles n’est pas simplement de maximiser la visibilité de la revue et d’accroître ses abonnements auprès des bibliothèques universitaires.</p>
<p>On peut aussi s’interroger sur la pertinence de créer constamment de nouvelles revues scientifiques, alors que les meilleures revues existantes suffisent à faire connaître les résultats les plus robustes, utiles et intéressants d’une discipline. En conservant de hauts standards de sélection, celles-ci contribuent en effet à écarter les études douteuses, car bâclées ou effectuées à la va-vite pour s’assurer une priorité, un renouvellement de poste ou d’octroi de crédits de recherche. En se montrant sélectives, elles contribuent aussi à ralentir le rythme des publications – devenu délirant en cette période de pandémie. On constate cependant que les grands éditeurs de revues ont trouvé le moyen de monétiser des articles refusés par leurs titres les plus sélectifs, en les acceptant dans de nouvelles revues, souvent en « accès libre » et donc payées par les auteurs et leurs laboratoires. Ainsi, les articles refusés par une revue A prestigieuse, mais recyclés dans une revue C moins regardante, tombent encore dans l’escarcelle de l’éditeur, contribuant alors davantage à son profit économique qu’au profit de la science.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Gingras reçoit des financements du CRSH et FRQSC.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mahdi Khelfaoui ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les revues scientifiques sont dirigées par des chercheurs, experts de la discipline, qui travaillent, dans ce cadre, pour les maisons d’édition scientifique. Deux cas de dérives du système.Yves Gingras, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Mahdi Khelfaoui, Professeur associé, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1348482020-05-11T19:29:48Z2020-05-11T19:29:48ZAccès à la littérature scientifique : des inégalités encore inacceptables<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332755/original/file-20200505-83751-ol44t4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C5%2C3650%2C2371&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/closeup-portrait-woman-healthcare-professional-stethoscope-199235993">AshTproductions / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’accès à des informations de qualité est essentiel pour assurer le progrès scientifique et le développement. L’accès à l’information afin de faciliter des soins de santé adéquats est également considéré comme un droit de l’homme.</p>
<p>Cependant, selon les disciplines scientifiques, entre 60 % à 80 % des articles scientifiques sont disponibles uniquement sur abonnement payant sur les sites web des éditeurs. Pour les chercheurs et cliniciens, l’accès à ces articles est donc dépendant du fait que leurs institutions aient souscrit et payé ces abonnements.</p>
<h2>Des accès inégaux à la littérature scientifique à travers le monde</h2>
<p>Nous avons <a href="https://peerj.com/articles/7850/">évalué</a> les inégalités d’accès à la littérature scientifique dans des institutions de recherche de 27 pays, dans le domaine de l’ophtalmologie. En nous basant sur la littérature existante, nous avons évalué que le nombre d’articles accessibles via un abonnement payant auxquels les chercheurs en biologie ou en médecine doivent accéder annuellement pour se documenter de manière satisfaisante est de l’ordre de 115, puis montré que dans les 27 institutions incluses dans notre étude, les chercheurs peuvent accéder en moyenne à seulement 54 de ces articles, soit moins de la moitié.</p>
<p>Cette valeur moyenne cache des disparités énormes : certains chercheurs et cliniciens ont accès à très peu de ces articles, voire aucun, notamment dans des pays à faibles revenus ; tandis que d’autres ont accès à près de 95 % des articles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/324214/original/file-20200331-65547-rmoc29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Proportion de textes intégraux d’articles sur abonnement disponibles pour chacune des 27 institutions incluses dans l’étude.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://doi.org/10.7717/peerj.7850/fig-1">Christophe Boudry et collaborateurs/Peer J</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces inégalités d’accès montrent que de nombreuses institutions de recherche sont incapables de souscrire les abonnements aux revues nécessaires afin que leurs chercheurs puissent pratiquer une recherche de qualité. Elles sont <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0266666916671080">sérieusement entravées</a> par les restrictions budgétaires et le manque d’intérêt et de moyens des états pour soutenir la recherche et l’accès aux ressources scientifiques.</p>
<p>Pour accéder aux articles qui leur manquent, les chercheurs et cliniciens peuvent utiliser des moyens alternatifs légaux : recherche de l’article sur Internet ou en demandant directement aux auteurs des copies de l’article (dénommées demande de « tirés à part »). Ces méthodes alternatives permettent d’augmenter le pourcentage moyen d’articles auxquels il leur est possible d’accéder : environ 64 %, réduisant les inégalités d’accès sans les faire disparaître, car un nombre relativement important de chercheurs ont encore seulement accès à moins d’un tiers des articles sur abonnement.</p>
<h2>Des accès insuffisants aux articles sur abonnement qui incitent à recourir à des moyens illégaux</h2>
<p>Face à cette situation encore trop souvent défavorable, beaucoup de chercheurs dans le monde n’hésitent pas à recourir à des moyens illégaux, en particulier en utilisant le site Sci-Hub. Celui-ci permet de télécharger un nombre important d’articles scientifiques disponibles sur abonnement. Nos données montrent que l’utilisation complémentaire de ce site illégal permet aux chercheurs et cliniciens d’accéder à une fraction satisfaisante des articles sur abonnement dont ils ont besoin, 95,5 % en moyenne, réduisant de fait drastiquement les inégalités d’accès entre chercheurs. Ces données montrent que Sci-Hub peut aider les chercheurs et cliniciens en ophtalmologie travaillant dans des institutions ou des pays moins favorisés en leur permettant d’obtenir les informations essentielles dont ils ont besoin pour répondre de manière appropriée aux besoins de soins des patients. Sans cette option, ils ne seraient pas en mesure de faire face aux exigences de leur profession.</p>
<h2>Un remède pire que le mal ?</h2>
<p>L’utilisation de Sci-Hub est cependant loin d’être une solution satisfaisante : d’une part son utilisation est rigoureusement interdite dans la plupart des pays du monde (incluant la <a href="https://theconversation.com/qui-veut-la-peau-de-sci-hub-114794">France</a>). D’autre part, ce site pourrait perturber l’ensemble du système de publication académique, car il nuit aux éditeurs en raison des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0266666917728674">pertes de profits</a> générées par son utilisation. Afin de limiter ces pertes, les éditeurs pourraient être tentés d’augmenter le prix de leurs abonnements, entraînant très probablement une réduction du nombre d’abonnements, avec pour effet d’accentuer encore les inégalités.</p>
<p>Les éditeurs pourraient également généraliser le modèle de la <a href="https://bu.u-bourgogne.fr/EXPLOITATION/oa-voie-doree.aspx">« voie dorée »</a> du libre accès : dans ce modèle de publication, les articles sont accessibles librement sur le site de l’éditeur sans qu’il soit nécessaire de souscrire un abonnement, mais les auteurs doivent le plus souvent payer des frais de publication dont le montant <a href="https://doaj.org/toc/2214-109X?source=%7B%22query%22%3A%7B%22filtered%22%3A%7B%22filter%22%3A%7B%22bool%22%3A%7B%22must%22%3A%5B%7B%22terms%22%3A%7B%22index.issn.exact%22%3A%5B%222214-109X%22%5D%7D%7D%2C%7B%22term%22%3A%7B%22_type%22%3A%22article%22%7D%7D%5D%7D%7D%2C%22query%22%3A%7B%22match_all%22%3A%7B%7D%7D%7D%7D%2C%22size%22%3A100%2C%22_source%22%3A%7B%7D%7D">peut atteindre plusieurs milliers d’euros</a>. Ce modèle de l’<em>auteur-payeur</em> s’oppose directement au modèle <em>lecteur-payeur</em> des revues accessibles via un abonnement. Une généralisation de la voie dorée s’accompagnerait hélas très certainement d’une augmentation importante du montant des frais de publication payés par les auteurs afin compenser la baisse du nombre d’abonnements souscrits, dans l’objectif de maintenir les revenus des éditeurs. Ceci aurait pour conséquence immédiate de générer de nouvelles inégalités entre les auteurs qui ont les fonds pour payer ces frais de publication et ceux qui n’en ont pas, et ceci malgré l’existence d’éditeurs accordant des remises ou même la gratuité aux auteurs se situant dans les pays les moins favorisés (les critères pris en compte par les éditeurs pour accorder ces remises ou la gratuité des frais de publication se basent sur des paramètres socio-économiques tels que l’index de développement humain du pays des auteurs ou l’appartenance à la catégorie des pays à revenu faible ou intermédiaire). Les auteurs se situant dans ces pays les moins favorisés pourraient alors voir émerger une nouvelle barrière financière infranchissable pour publier leurs travaux de recherche dans les revues ne proposant pas ces remises. De plus, ce modèle favorise l’existence d’<a href="https://coop-ist.cirad.fr/publier-et-diffuser/eviter-les-editeurs-predateurs/1-qu-est-ce-qu-une-revue-predatrice-ou-un-editeur-potentiellement-predateur">éditeurs prédateurs</a>, dont l’objectif majeur est de générer des profits en publiant des articles à la seule condition que les auteurs payent les frais de publication demandés, sans se soucier de critères de sélection, de qualité, ou d’intégrité scientifique.</p>
<p>Certains éditeurs ont réagi en intentant des poursuites pénales contre Sci-Hub afin de tenter de fermer ce <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sci-Hub">site</a>. Jusqu’à présent, ces tentatives ont échoué, et il est probable que les futures tentatives aboutiront au même résultat. Il semble que Sci-Hub cessera de fonctionner uniquement si et quand les conditions qui le rendent indispensables à beaucoup de chercheurs et cliniciens pour se documenter disparaîtront.</p>
<h2>Quelles solutions alors ?</h2>
<p>Pour cela plusieurs voies peuvent être empruntées. Par exemple, il serait possible inclure plus de pays dans les programmes d’aides internationales, comme le programme <a href="http://www.who.int/hinari/fr/">HINARI</a> de l’Organisation mondiale de la santé, qui offre un accès en ligne gratuit ou à très faible coût à la littérature biomédicale à des institutions sans but lucratif dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.</p>
<p>Il serait également possible d’augmenter la fraction des articles consultables en libre accès (40 % environ en <a href="http://dx.doi.org/10.1016/j.jemep.2017.02.021">biologie/médecine</a>) en promouvant davantage l’archivage des articles dans des archives ouvertes, par exemple en France <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/">HAL</a>, et en mettant en place des politiques internationales, nationales et institutionnelles en matière de libre accès, comme cela a été fait récemment en Europe sous la forme du Plan S, en France avec la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033202746&categorieLien=id">loi pour une République numérique</a> et la mise en place du <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/presentation-du-comite/">Comité national pour la science ouverte</a> en 2019.</p>
<p>La mise en œuvre de services offrant un accès par abonnement individuel à tous les articles de toutes les bases de données à un prix « abordable » pour la plupart des scientifiques du monde entier, comme cela a déjà été fait dans d’autres domaines, en particulier celui de la musique, pourrait également être une piste à explorer.</p>
<p>En tous cas, quelles que soient les solutions choisies, il est urgent que la communauté scientifique, ainsi que les décideurs, se mobilisent de manière encore plus importante pour limiter les inégalités d’accès à la littérature scientifique dans le monde décrites dans cet article, et qui prennent une résonnance toute particulière en cette période d’épidémie de COVID-19. Cette crise, espérons-le, aura pour conséquence d’accélérer la prise de conscience du besoin impérieux de lever toutes les barrières à l’accès à l’information scientifique dans le monde.</p>
<p><em>Remarque : Les lecteurs doivent noter que, dans de nombreuses juridictions et en particulier en France, l’utilisation de Sci-Hub peut constituer une violation de la loi. Les utilisateurs de Sci-Hub le font donc à leurs propres risques. Cet article n’est pas une approbation ni un encouragement à l’utilisation de Sci-Hub, et son auteur décline toute responsabilité en cas d’utilisation de Sci-Hub par son lectorat.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134848/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Boudry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les inégalités d’accès à la littérature scientifique entravent sérieusement la pratique d’une recherche de qualité, y compris dans le secteur médical. Données, analyse et propositions de solutions.Christophe Boudry, Enseignant/chercheur, Université de Caen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1363972020-05-03T17:44:19Z2020-05-03T17:44:19ZScience ouverte en temps de coronavirus : publication en temps réel<p>Qui n’a pas un avis sur l’<a href="https://tools.wmflabs.org/pageviews/?project=en.wikipedia.org&platform=all-access&agent=user&redirects=0&range=latest-90&pages=Hydroxychloroquine">hydroxychloroquine</a> ? Les développements récents des dernières recherche à Marseille sur les potentialités de cet antipaludéen pour réduire la charge virale du SARS-CoV-2 passionnent. Évidemment, la pandémie actuelle est une crise sanitaire soudaine et inédite par son ampleur. Qui dit soudaineté et ampleur dit panique généralisée : la science est sommée de trouver des solutions au plus vite. Mais au fait, à quelle vitesse va la science ? L’exemple de la <a href="https://doi.org/10.1016/j.ijantimicag.2020.105949">publication</a> du groupe de Didier Raoult nous permet de mettre en lumière une évolution des pratiques d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89valuation_par_les_pairs">« évaluation par les pairs »</a>, c’est-à-dire le processus censé valider les publications scientifiques, une évolution qui permet de nous interroger sur ce que signifie être « ouvert » en science.</p>
<h2>L’évaluation par les pairs, processus-clef de validation de la science</h2>
<p>Les études concernant l’évaluation de médicaments durent des années, voire des décennies. Le procédé de publication qui suit prend généralement des mois, voire des années : il est de <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/09/26/l-evaluation-par-les-pairs-un-processus-defaillant-dans-la-recherche_5191770_1650684.html">plus en plus difficile</a> pour les revues scientifiques de trouver des rapporteurs – les pairs, experts chargés de lire l’article et de rédiger un rapport – et de faire en sorte que le rapport soit rendu rapidement. Le travail est contraignant, car le volume des manuscrits soumis augmente exponentiellement, il est anonyme et bénévole, et est à haute responsabilité puisque le rapport est censé être le garant de la validité de la publication. À titre d’exemple, l’auteur de ces lignes attend toujours des nouvelles des rapporteurs d’un manuscrit soumis en novembre… 2017.</p>
<p>Mais en temps de crise urgente, avec des moyens, on peut faire une <a href="https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.16.20037135v1">étude préliminaire</a> en 15 jours <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0924857920300996">et la publier très rapidement</a>. En soumettant son manuscrit à un journal le 18 mars, on peut obtenir des rapports pour publier… le 20 mars ! À situation exceptionnelle, temps de publication exceptionnel. Les deux rapporteurs ont donc analysé la publication et <a href="https://www.isac.world/news-and-publications/official-isac-statement">rendu leur rapport</a> en moins de deux jours. La science semble capable d’aller très vite quand il y a urgence.</p>
<p>Ce qu’il y a de nouveau, c’est que la critique de la science peut elle-même aller très vite. En temps de panique mondiale, les publications qui traitent de potentiels traitements concernant le coronavirus sont scrutées par un lectorat attentif et nombreux. Parmi eux, des collègues, des concurrents, des médecins, des pharmaciens, des microbiologistes, des statisticiens, des bioinformaticiens, des curieux, des enthousiastes, des malveillants : une myriade de rapporteurs potentiels d’horizons divers, contrairement aux rapporteurs désignés par les revues, qui sont rarement éloignés thématiquement.</p>
<p>Pour les revues scientifiques, l’évaluation par les pairs joue à la fois le rôle de <a href="https://www.eosc-portal.eu/sites/default/files/KI0518070ENN.en_.pdf">certification</a> (l’article mérite-t-il d’être publié ?) mais aussi d’évaluation proprement dite (l’article est-il assez bon pour telle ou telle revue ?). L’effet pervers est qu’un article est considéré comme bon ou pas selon le prestige de la revue dans lequel il paraît, au détriment de l’évaluation de son contenu proprement dit.</p>
<h2>Ouvrir l’évaluation des articles scientifiques</h2>
<p>PubPeer est une <a href="https://pubpeer.com/static/about">plateforme web</a> créée en 2012, dont le but est de potentiellement ouvrir un forum de discussion à propos de n’importe quel article. Elle a été imaginée par ses créateurs comme la version en ligne d’un <em>journal club</em> (une réunion de laboratoire <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Journal_club">au cours de laquelle on critique des publications</a>). Née de la frustration qui découle de la quasi-impossibilité de critiquer les articles dans le cadre des revues elles-mêmes, PubPeer est une forme d’évaluation par les pairs après la parution de l’article, dite « post-publication ». Elle est radicale au sens où n’importe qui peut commenter, y compris anonymement. Le principe « tout le monde peut contribuer » ressemble à Wikipédia – où une contribution peut effectivement être critiquée ou annulée par n’importe qui – à la différence que dans PubPeer, on commente les articles mais on ne les modifie pas.</p>
<p>Et comme dans Wikipédia, les articles les plus affectés sont ceux <a href="https://pubpeer.com/publications/B4044A446F35DF81789F6F20F8E0EE">sous le feu médiatique</a>. Qui dit commentaires d’horizons différents dit critique multi-angle. Dans le fil PubPeer dédié à l’article de notre exemple, on trouve pêle-mêle des critiques sur le processus de publication, la conformité à l’état de l’art, l’éthique médicale, la méthodologie statistique, le traitement statistique. On y trouve aussi, et c’est nouveau, des <a href="https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.31.20048777v1">réanalyses</a>, c’est-à-dire que le commentateur.trice a extrait des <a href="https://ars.els-cdn.com/content/image/1-s2.0-S0924857920300996-mmc1.docx">données fournies par les auteur.es</a>. Pour en faire de nouvelles courbes, de nouveaux graphes, de nouvelles interprétations et mettre sur le gril les conclusions de l’article (notons que la mise à disposition de données par les auteur·e·s est loin d’être systématique). La publication devient vivante et non plus figée, de même qu’un article de Wikipédia n’est, par définition, jamais fini.</p>
<p>PubPeer est de cette façon en quelque sorte un réseau social : les critiques, les réanalyses, les éventuelles réponses des auteurs sont discutées, débattues. Le rapport d’une publication devient lui même vivant. En temps de crise, c’est même un bouillonnement. La publication du groupe de Didier Raoult a été décortiquée en moins de temps qu’il n’a fallu pour la publier : une <a href="https://pubpeer.com/publications/16FA317CB5E5E33232F7E929C86BB0">centaine de commentaires</a> sur PubPeer entre mi et fin mars fait ressembler l’article à une publication « en temps réel ».</p>
<h2>Qui peut commenter et critiquer un travail scientifique ?</h2>
<p>PubPeer est critiquée chez les scientifiques pour son anonymat et (parfois à raison) pour son <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/23/pubpeer-le-site-par-qui-le-scandale-arrive_5373342_1650684.html">atmosphère de dénonciation</a>… exactement comme l’anonymat dans Wikipédia est critiqué. Dans les deux cas, l’anonymat est vu comme une garantie de fonctionnement par la communauté (puisqu’il permet d’échapper aux pressions) et comme une lâcheté par le public extérieur hostile. Comme le <a href="http://www.cairn.info/revue-zilsel-2019-2-page-164.htm">soulignent</a> Michel Dubois et Catherine Guaspare, la tension réside dans ce qui constitue un « pair ». Comment libérer la parole des commentateurs dans un monde de la recherche hiérarchisé et compétitif, tout en protégeant les auteurs d’attaques malveillantes ? Comme dans Wikipédia, PubPeer <a href="https://pubpeer.com/static/faq">possède ses règles</a> pour veiller à ce que l’attention soit portée sur le contenu plutôt que sur l’interlocuteur, mais comme dans Wikipédia, les attaques malveillantes existent, y compris envers les commentateurs.</p>
<p>Une autre critique de PubPeer et Wikipédia concerne l’omniprésence de <a href="http://www.plantphysiol.org/content/169/2/907.full">l’obsession pour les détails techniques</a> (comme la retouche d’images) plutôt que le fond des articles. Ce qui se passe sur PubPeer est aussi performatif : les contributeurs et contributrices y jouent un rôle <a href="https://www.cairn.info/revue-zilsel-2019-2-page-149.htm">d’entrepreneur de morale</a> en définissant par les commentaires ce qui est acceptable ou déviant. En quelque sorte, la diversité thématique des commentaires concernant la publication de Didier Raoult redonne ses lettres de noblesse de <em>journal club</em> à PubPeer. C’est l’avantage d’un accès inclusif à la possibilité de critiquer, combiné à la situation d’urgence planétaire : des commentatrices et commentateurs d’horizons très divers s’intéressent subitement à l’hydroxychloroquine. La situation permet l’émergence d’un <em>journal club</em> globalisé et en temps réel.</p>
<p>Il serait naïf de voir PubPeer comme le monde enchanté de la science qui progresse par le débat, mais symétriquement, il serait tout autant naïf de penser que le système de publications tel qu’il existe se prête volontiers à la critique constructive. Dans leur grande majorité, les articles dans les revues ne peuvent pas être commentés ; la fonction d’une publication est plus de marquer la primauté que d’engager un débat, que la structure conservatrice des revues scientifiques <a href="https://peerj.com/articles/313/">décourage</a>.</p>
<p>De fait, PubPeer a mauvaise presse dans les institutions scientifiques. Ces dernières <a href="http://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/notre-objectif-100-de-publications-en-libre-acces">encouragent les chercheur.es</a>. à publier <em>ouvert</em>, à rendre accessibles leurs données, mais <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/11/20/le-plan-du-cnrs-pour-lutter-contre-les-tricheurs_5385828_1650684.html">critiquent</a> les initiatives <em>ouvertes</em> qui échappent à leur contrôle. Tout le monde veut de la science ouverte, mais la communauté scientifique a du mal à se rendre compte que l’encouragement à l’ouverture des données (au nom de l’exigence de transparence) a comme conséquence la réutilisation possible de ces données donc, entre autres, l’ouverture à la critique post-publication, quasi inexistante jusqu’à présent.</p>
<h2>Cette vision de l’ouverture de la science chamboule les règles établies</h2>
<p>Il existe des revues scientifiques qui changent les règles de l’évaluation par les pairs. Plusieurs axes concourent à séparer l’évaluation de la certification : rapport avant ou après la publication, rapport confidentiel ou ouvert, invité ou spontané, anonyme ou identifié. Certaines pratiques éditoriales nouvelles <a href="https://www.eprist.fr/wp-content/uploads/2020/03/EPRIST_I-IST_Note-Synthese_Evaluation-ouverte_Mars2020.pdf">transforment</a> une <em>version of record</em> (une version de référence) en <a href="https://mediastudies.hypotheses.org/867">un</a> <em>record of versions</em> (un enregistrement de plusieurs versions). Malheureusement, les revues les plus prestigieuses, celles qui font et défont les carrières les plus brillantes, sont souvent adeptes du <em>status quo</em>.</p>
<p>En ce sens, la plate-forme PubPeer ne se contente pas de saper le conservatisme des revues scientifiques. En remettant en cause le procédé d’évaluation par les pairs, elle questionne l’utilité même du concept de publication et de revue scientifique. Même sans aller jusqu’aux cas extrêmes de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Retraction_Watch">rétractation</a>, la publication risque de voir son rôle de document de référence gravé dans le marbre battu en brèche, et la revue scientifique, son rôle de gardien du temple. Cette vision de l’<em>open</em> est une forme d’ouverture qui place l’inclusivité au centre de ses préoccupations. Elle pose des problèmes (comme la question de la légitimité) en essayant d’en résoudre d’autres, mais elle a le mérite de faire prendre conscience que certaines façons d’être ouvert sont plus complexes et remettent en cause plus de choses que l’on imagine… <a href="https://theconversation.com/enseigner-wikipedia-par-les-anecdotes-73537">comme Wikipédia</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136397/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hocquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Est-il possible de faire de la science dans l’urgence ? Les règles établies de validation des avancées scientifiques sont bouleversées par l’utilisation d’outils ouverts au grand public.Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1147942019-04-03T20:20:51Z2019-04-03T20:20:51ZQui veut la peau de Sci-hub ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/267281/original/file-20190403-177167-71h55t.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C0%2C1315%2C718&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La home de Sci-Hub</span> <span class="attribution"><span class="source">Sci-hub</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le site Sci-hub ne répond plus pour les personnes abonnées à l’un des quatre gros fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français. Il ne s’agit pas d’un problème technique mais d’une <a href="https://www.numerama.com/sciences/477218-sci-hub-et-libgen-luttent-pour-la-diffusion-gratuite-du-savoir-scientifique-la-france-ordonne-leur-blocage.html">décision de justice</a> du Tribunal de grande instance de Paris.</p>
<p>Sci-hub est un site web frugal <a href="https://engineuring.wordpress.com/">créé en 2011</a> par une jeune scientifique kazakhstanaise, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Sci-Hub">Alexandra Elbakyan</a>, dont le principe est simple : on entre l’identifiant standard d’un article scientifique (son <a href="https://www.doi.org/">DOI</a>) et on obtient un fichier PDF de l’article scientifique en question. Pas d’inscription, pas d’identification nécessaire, pas de publicité, le site, maintenu par une seule personne, vit de donations.</p>
<p>L’existence de Sci-hub permet donc aux chercheurs du monde entier (et de fait à n’importe qui) d’obtenir gratuitement et immédiatement des articles scientifiques qui sont, normalement, pour la plupart vendus (très chers) par des <a href="https://www.theguardian.com/science/2017/jun/27/profitable-business-scientific-publishing-bad-for-science">éditeurs scientifiques</a> internationaux, soit aux bibliothèques universitaires sous forme d’abonnement, soit directement aux particuliers. Ces éditeurs scientifiques constituent une industrie aux marges indécentes, particulièrement depuis l’abandon progressif du papier comme support.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WnxqoP-c0ZE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Sci-hub constitue donc selon les éditeurs une atteinte à leurs profits, un peu comme le streaming pour l’industrie du divertissement. Les plus gros éditeurs ont donc plusieurs fois poursuivi en justice Alexandra Elbakyan et Sci-hub dans divers pays, obtenant aux États-Unis sa condamnation à des <a href="https://www.nature.com/news/us-court-grants-elsevier-millions-in-damages-from-sci-hub-1.22196">millions de dollars</a> de dommages et intérêts et la forçant à vivre en cachette pour ne pas risquer l’extradition. Le site est lui souvent bloqué et réapparaît régulièrement sous d’autres adresses.</p>
<p>L’hiver dernier, les deux plus grands éditeurs, Elsevier et Springer Nature, ont attaqué en justice les quatre plus gros FAIs français afin d’obtenir le blocage en France de Sci-hub et la décision de justice en mars leur a été favorable.</p>
<p>D’après le <a href="https://torrentfreak.com/images/scihuborder.pdf">jugement</a>, l’activité de Sci-hub est illégale parce qu’elle constitue une contrefaçon « contre l’avis des auteurs » (en fait contre l’avis des éditeurs : personnellement, je suis pour que mes articles soient disponibles librement mais j’ai signé un transfert de copyright pour que l’article puisse être publié).</p>
<p>Il s’agit donc d’un de ces cas de « protection de droit d’auteur » où l’avis de l’auteur importe peu. Notons, même si c’est un élément de rhétorique récurrent chez les éditeurs, qu’il ne s’agit aucun cas de vol : personne n’est volé quand on télécharge un article gratuitement. Il s’agit tout simplement d’un manque à gagner pour celui qui espère le vendre. Notons aussi que l’accusé, dans ce procès, n’est pas le site lui même mais les « principaux FAIs français » (mais pas tous), comme dans le cas du <a href="http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets">procès de The Pirate Bay</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/267295/original/file-20190403-177190-xnmeqs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La bataille du copyright.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christopher Dombres/Wikimedia</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourquoi la communauté scientifique <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/mar/04/the-guardian-view-on-academic-publishing-disastrous-capitalism">s’émeut elle</a> de ces interdictions ? C’est que la situation d’oligopole des grands éditeurs et leurs politique de marges gigantesques implique une situation d’étranglement de plus en plus de bibliothèques universitaires dans le monde, contraignant même les <a href="https://www.sciencemag.org/news/2019/02/university-california-boycotts-publishing-giant-elsevier-over-journal-costs-and-open">mieux dotées</a> d’entre elles à l’arrêt des abonnements : les articles deviennent de plus en plus inaccessibles, même pour les chercheurs de pays riches.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/267292/original/file-20190403-177167-185cljz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Alexandra Elbakyan en 2010.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Apneet Jolly/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour nombre d’entre eux, la popularité de Sci-hub exprime une <a href="https://www.theverge.com/2018/2/8/16985666/alexandra-elbakyan-sci-hub-open-access-science-papers-lawsuit">« héroisation »</a> à la Robin des bois d’Alexandra Elbakyan (comme <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/The_Internet%27s_Own_Boy">Aaron Swartz</a> avant elle). Sci-hub reprend aux riches pour redistribuer aux pauvres. En outre, sa simplicité d’utilisation est telle que, même pour un chercheur dont la bibliothèque est abonnée à la revue contenant l’article qu’il cherche, il est plus rapide de faire appel à Sci-hub. Le site rend accessible la recherche scientifique cachée derrière un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paywall">paywall</a>.</p>
<p>Il y a en en effet un rapport avec « l’open access » (c’est-à-dire le libre accès aux publications scientifiques). Ce mouvement de révolte de la communauté scientifique a atteint les institutions : De plus en plus de gouvernements considèrent que les fruits de la recherche publiques devraient être accessibles au public. Le <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid132529/le-plan-national-pour-la-science-ouverte-les-resultats-de-la-recherche-scientifique-ouverts-a-tous-sans-entrave-sans-delai-sans-paiement.html">plan pour la science ouverte</a> en France (et surtout le <a href="https://www.coalition-s.org/">plan S</a>, une initiative internationale) consiste à encourager les chercheurs à rendre accessibles leurs publications, ce qui est perçu comme une menace de perte de marché par les éditeurs.</p>
<p>Ces énormes enjeux financiers conjuguée à la pression de l’open science font que le tout petit site Sci-hub est un gros acteur de ces enjeux géopolitiques, et c’est la raison de ces nombreux procès intentés contre lui.</p>
<p>Pourquoi les éditeurs attaquent-ils en France et pourquoi maintenant ? les <a href="https://twitter.com/Calimaq/status/1111940809392300032">enjeux de négociations</a> entre gros éditeurs et les pays sont en cours : Non seulement des négociations sur les tarifs d’abonnements, mais aussi des négociations sur la construction du futur « open access » : contre les éditeurs (les gouvernements souhaiteraient atténuer leur oligopole), mais aussi avec eux (imaginer avec eux un <em>business model</em> à base <a href="https://theconversation.com/debat-l-open-science-une-expression-floue-et-ambigue-108187">d’exploitations de données</a> en contrepartie de renoncer à leurs marges sur les textes des articles).</p>
<p>Dans ce contexte géopolitique, le jugement du TGI est une péripétie. Le <a href="https://remy.grunblatt.org/la-censure-de-sci-hub-et-libgen-vue-depuis-le-reseau-ripe-atlas.html">blocage</a> est facile à contourner (il n’est même pas besoin de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tor_%28r%C3%A9seau%29">Tor</a> et encore moins d’acheter un VPN, puisqu’un simple <a href="https://www.fdn.fr/actions/dns/">changement de résolveur</a> DNS suffit). Surtout <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_national_de_t%C3%A9l%C3%A9communications_pour_la_technologie,_l%27enseignement_et_la_recherche">Renater</a> (le réseau des Universités qui est une infrastructure d’État) n’est pas affecté : on peut toujours accéder à Sci-hub à l’université ! En effet, les éditeurs n’ont pas porté plainte contre Renater. La situation ubuesque est donc que les FAIs sont condamnés par la justice à bloquer un site mais qu’il serait <a href="http://blog.fdn.fr/?post/2014/12/07/Filtrer-The-Pirate-Bay-Ubu-roi-des-Internets">probablement illégal</a> que Renater bloque ce même site.</p>
<p>Le fait que Renater ne soit pas concerné laisse penser que les enjeux du procès sont plus médiatico-politiques que juridico-commerciaux. Les éditeurs adoptent la technique du coup de pression dans les négociations avec le gouvernement, plutôt que de caresser un espoir réel d’éradication de Sci-hub.</p>
<p>Sci-hub, avec pourtant une infrastructure minimale est donc à la fois, le héros rebelle des chercheurs militants pour l’open access, le symptôme de la situation oligopolistique abusive des éditeurs et l’aiguillon qui permet au grand public de percevoir les enjeux financiers de la publication scientifique, un peu comme <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Napster">Napster</a> il y a vingt ans avait forcé l’industrie musicale à revoir sa façon de faire du business.</p>
<p>Ceci dit, Sci-hub est en pratique <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5832410/">alimenté en articles</a> par des chercheurs militants faisant profiter de leurs abonnements à des bibliothèques qui ont accès aux abonnements payants. Ironiquement, si toutes les bibliothèques arrêtaient de s’abonner, on ne pourrait plus alimenter Sci-hub !</p>
<p>De ce point de vue, se reposer sur Sci-hub c’est aussi ne pas remettre en cause le système actuel. C’est un peu comme <a href="https://twitter.com/gouttegd/status/1113208981562982405">pirater des copies</a> de <em>MS Office</em> plutôt que d’utiliser un traitement de texte libre : on entretient la suprématie du système propriétaire et on freine le développement d’alternatives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114794/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hocquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un tribunal français a obligé les fournisseurs d’accès à Internet à bloquer le site Sci-hub qui permet un accès libre aux publications scientifiques. Qu’est-ce que cela veut dire ?Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Visiting fellow at the Science History Institute, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1081872018-12-05T22:23:59Z2018-12-05T22:23:59ZDébat : L’« open science », une expression floue et ambiguë<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249034/original/file-20181205-186058-1flclxt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1997%2C1194&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au Centre de Recherche Interdisciplinaire, à Paris, un lieu où l'on plaide en faveur de l'open science.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://research.cri-paris.org/workshops/open-science-of-learning/">Site du CRI</a></span></figcaption></figure><p>Les journées de la <a href="https://jnso2018.sciencesconf.org/">« science ouverte »</a> au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sont organisées – du 4 au 6 décembre 2018 – dans le cadre du <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid132529/le-plan-national-pour-la-science-ouverte-les-resultats-de-la-recherche-scientifique-ouverts-a-tous-sans-entrave-sans-delai-sans-paiement.html">plan national</a> pour la science du même nom. Il est lui même l’application au domaine de la science de principes d’ouverture exposés dans la <a href="https://scinfolex.com/2018/11/23/quel-cadre-juridique-pour-la-science-ouverte-un-apercu-des-evolutions-recentes/">loi pour une République numérique</a> de 2016. Mais qu’est ce que cette « science ouverte » qu’il serait désirable d’atteindre ? En quoi la science actuelle est elle « fermée » et qu’est ce que cela signifie d’« ouvrir la science » comme l’indique le slogan des journées ?</p>
<p>De fait, le flou caractérise ce qui est « open » en général. Qu’est-ce qui fait qu’un logiciel revendiqué « open source » soit considéré par certains comme un logiciel libre mais pas par d’autres ? Github <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-du-mercredi-07-novembre-2018">par exemple</a>, un des symboles de la communauté du libre, est un service basé sur une grande part logicielle ouverte mais ses <a href="http://tom.preston-werner.com/2011/11/22/open-source-everything.html">« core business values »</a> sont propriétaires. Github peut être considéré comme open ou pas selon qu’on s’intéresse à la communauté, au service, à la partie « git » ou la partie « hub ».</p>
<h2>Au commencement, la doctrine ultra-libérale</h2>
<p>Pour essayer de tracer une rapide généalogie de ce désir d’« open », il est à noter qu’un premier avocat d’une société « ouverte » est le philosophe des sciences Karl Popper, qui voit dans une société individualiste, ouverte à la critique (en un mot une démocratie occidentale), la meilleure garantie contre une société totalitaire (<a href="https://www.theguardian.com/books/2016/sep/26/100-best-nonfiction-books-karl-popper-open-society-its-enemies"><em>The Open Society and its Enemies</em></a>, 1942). Cette doctrine de l’open a été immédiatement enrôlée par les théoriciens de l’ultralibéralisme de la <a href="https://www.letemps.ch/culture/renouveau-liberal-se-preparait-montpelerin">société du mont Pélerin</a> comme Friedrich Hayek. Or, les premiers contestataires venant du monde du logiciel réclamant plus d’« open » dans les années 80 s’opposaient précisément à ce modèle de <a href="http://www.ephemerajournal.org/contribution/open-source-open-government-critique-open-politics-0">société libérale « ouverte"</a>, qui avait paradoxalement engendré des monopoles et des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_des_enclosures">« enclosures »</a>.</p>
<h2>Le cas des publications scientifiques</h2>
<p>Dans la même veine, la situation oligopolistique des grands éditeurs scientifiques révèle un monde fermé au cœur de la science. Le développement quantitatif spectaculaire de l’activité scientifique post deuxième guerre mondiale a contribué à l’inflation exponentielle du nombre de publications. Les éditeurs en profitent pour vendre leurs abonnements aux bibliothèques à des prix tellement prohibitifs que ces dernières en sont obligées à réduire leurs collections. Face à cette tendance, les gouvernements, forts de l’idée que les résultats de la recherche publique financée par les citoyens devraient être accessibles à tou.te.s promeuvent l’« open access ». Le <a href="https://www.coalition-s.org/">« plan S »</a> est une initiative impliquant de nombreuses agences de financement européennes affirmant leur volonté que les recherches financées publiquement devraient être lisibles par tou.te.s, soit en publiant dans des revues qui proposent un accès libre, soit en déposant une version d’auteur de leurs articles dans un dépôt d’archives ouvertes.</p>
<p>Mais pourquoi les chercheurs sont-ils si peu nombreux à déposer leurs publications en archives ouvertes quand ils en ont la possibilité ? C’est que les scientifiques ne publient pas pour être lus. Ils publient pour être <a href="https://eric.ed.gov/?id=EJ625036">récompensés</a>. La science en tant qu’institution fonctionne grâce à ce système de récompense qui est aussi un système d’évaluation. En ce <a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/full/10.1108/AJIM-07-2017-0168">sens mertonien</a>, l’activité scientifique est une « coopération compétitive » : le but est d’être le premier (à publier) et d’être reconnu comme tel par toute la communauté qui peut ensuite bénéficier des résultats. Dans cet ordre idée, il est plus important de publier dans un journal de haut prestige pour espérer être cité. Et les journaux de haut prestige appartiennent quasiment tous aux gros éditeurs privés.</p>
<p>Il existe de fait une catégorie de chercheurs <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-018-07386-x">opposés au Plan S</a> : ils estiment qu’en les contraignant, on les empêchera de publier dans les revues les plus prestigieuses, bridant ainsi leur compétitivité. Cette idée choque ceux qui brandissent la « reproductibilité » (des résultats scientifiques) comme valeur essentielle. Les historiens des sciences savent depuis longtemps que la question de la <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/8268025">reproductibilité est complexe</a> et que la simple lecture d’une publication ne garantit en rien qu’on puisse en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/030631277400400203">reproduire les expériences</a>. Au-delà d’une vision naïve des conditions de reproductibilité, le système biséculaire de la publication avec évaluation est aujourd’hui de plus en plus critiqué. L’évaluation par les pairs des articles soumis, par exemple, est une tâche ingrate, anonyme, non récompensée et épuisante à cause de l’inflation exponentielle des articles à juger. Les problèmes de crédibilité qu’elles posent (mais aussi les <a href="https://peercommunityin.org/">initiatives « open »</a> pour y remédier) montrent qu’il n’y a pas qu’un problème de domination économique des grands éditeurs. Il y a aussi un problème de confiance dans le système.</p>
<p>L’open access <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3220">est flou</a> : peut-on parler d’« open » quand l’auteur paye pour publier dans une revue qui ouvre gratuitement l’accès à ses articles (gold open access) ? Quand une revue à abonnement payant propose aux chercheurs de payer pour que leur article soit en accès ouvert (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Hybrid_open-access_journal">hybrid open access</a>) ? Quand une revue décide d’ouvrir l’accès seulement à une certaine tranche d’articles (embargo) ? Les réponses <a href="https://poynder.blogspot.com/2018/05/six-questions-about-openness-in-science.html">varient</a> selon les interlocuteurs… et selon les disciplines dont les usages bibliographiques peuvent être très différents. L’open access part de loin tant l’"enclosure" par les grands éditeurs est généralisée. Ce flou est aussi le résultat de négociations ardues entre éditeurs et gouvernements : la situation actuelle est captée par les éditeurs et la transition, même accompagnée d’un volontarisme politique, va être longue.</p>
<h2>Des données socialement construites</h2>
<p>Ce volontarisme politique actuel s’empare d’un autre volet de la science ouverte : L’open data, qui consiste à rendre accessible (dans la même logique que les textes des articles) les données de la recherche qui ont permis aux chercheurs d’arriver à leurs conclusions pour la <a href="http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid132531/plan-national-pour-la-science-ouverte-discours-de-frederique-vidal.html">« mutualisation, le croisement et l’appariement des données pour produire de nouvelles connaissances »</a>, selon les mots de la ministre.</p>
<p>Pour les historiens des sciences, cette rhétorique naïve des données comme « pétrole du XXI<sup>e</sup> siècle » pose un problème : les données ne sont PAS données, elles sont obtenues, pour citer le jeu de mots de Latour. Cela veut dire qu’elle ne sont pas une représentation objective de la réalité des expériences du chercheur, <a href="https://theconversation.com/quand-la-data-joue-au-football-60218">elles portent en elles les a priori</a> des théories, ceux des méthodes, des instruments, des négociations… Elles sont aussi produites localement et les <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/D/bo24957334.html">« voyages de données »</a> étudiés par Leonelli montrent en quoi leur réutilisation est tout sauf naturelle.</p>
<h2>Capitalisme des plates-formes</h2>
<p>En revanche, le big data représente bien une sorte de pétrole pour le commerce, et si les grands éditeurs sont prêts à lâcher du lest sur leurs profits sur les textes, c’est que l’open data représente pour eux une formidable opportunité.</p>
<p>La position oligopolistique des grands éditeurs leur permet de <a href="https://scholarlykitchen.sspnet.org/2016/05/17/elsevier-acquires-ssrn/">racheter les initiatives</a> « open », soit pour les étouffer, soit pour les englober, comme le font les grandes <a href="https://www.wiley.com/en-us/Platform+Capitalism-p-9781509504862">plateformes du capitalisme</a> GAFAM et autres.</p>
<p>Le capitalisme des plates-formes de données est leur prochaine étape. En ce sens, la libération (de plus en plus obligatoire) des données par les chercheurs est une bonne nouvelle pour eux. De ce point de vue, l’open data risque d’être une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0306312718772086#_i1">ouverture très néo-libérale</a>, captée par le capitalisme des plates-formes, et cette captation risque de survenir non pas par « l’enclosure », mais par la puissance financière et la capacité d’investissement dans l’infrastructure et les services. Le succès des réseaux sociaux privés comme <a href="https://www.courrierinternational.com/article/justice-des-millions-darticles-pourraient-disparaitre-de-researchgate">Researchgate</a> par rapport à des dépôts publics en donne un avant goût : ils fonctionnent sur la captation du chercheur (si c’est gratuit, c’est lui le produit) par le réseau social en échange de services bibliométriques, de diffusion ou de socialisation.</p>
<p>C’est ce qui fait conclure à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0306312718772086#_i1">Mirowski</a> que « le but est en fait de réaligner la science sur le capitalisme des plates-formes sous la bannière trompeuse de la science ouverte pour les masses ». Sans aller jusqu’à jouer les cassandres, il est certainement nécessaire d’adopter une attitude critique vis a vis de ce qu’est et ce que peut être le monde de l’« open » pour accompagner l’ouverture de la science dans le monde du capitalisme des plates-formes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hocquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’est-ce que la « science ouverte » ? En quoi la science actuelle est elle « fermée » et que recouvre l’expression « ouvrir la science » comme l’indique le slogan des journées ?Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en Histoire des Sciences, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055352018-11-08T12:30:01Z2018-11-08T12:30:01ZDébat : Comment renforcer la place des sciences sociales dans l’espace public<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242945/original/file-20181030-76413-59eah7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1000%2C606&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les enseignants-chercheurs doivent réfléchir à de nouveaux modes de diffusion s'ils veulent toucher le grand public et peser dans les débats d'actualité. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les universitaires ont un rapport magique à l’espace public. Ils pensent que le livre, la revue ou l’article qu’ils ont patiemment composé pendant des mois, voire des années, va mécaniquement trouver ses lecteurs une fois publié. La pression se relâche donc une fois que l’écrit existe, sauf que c’est là que tout le travail de diffusion doit commencer… Car l’espace public est saturé.</p>
<p><a href="https://www.letemps.ch/sciences/2017/09/19/publish-or-perish-science-met-chercheurs-pression">L’incitation à publier</a> multiplie les travaux de recherche, qui entrent en concurrence avec des écrits journalistiques et d’autres « biens culturels ». Si on s’arrête, par exemple, sur Wikipedia comme vitrine encyclopédique, largement consultée, et que Google affiche dans ses pages de résultats, on constate que le moindre disque ou épisode de série, voire le moindre personnage de fiction, y fait facilement l’objet d’une notice sérieuse et détaillée, tandis qu’un travail scientifique d’importance n’y sera pas mentionné.</p>
<h2>Une production très riche mais peu visible</h2>
<p>Dans le milieu académique, l’attachement aux revues scientifiques est fort. Les articles qui les composent ont nécessité une recherche et une écriture au long cours. Ils sont soumis à l’évaluation des pairs, avec un système complexe de relectures anonymes, qui garantit, sur le papier, une vérification de qualité et une neutralité par rapport aux accointances personnelles. Ces revues sont primordiales aux yeux des universitaires, mais elles ont une existence publique très faible. Formellement même, leur aspect souvent austère, sans image de couverture ou avec des mises en page désuètes, les plombe terriblement face aux sites d’informations chatoyants.</p>
<p>Surtout, quel est le nombre de lecteurs de ces périodiques ? Les revues distribuées en librairies annoncent des tirages importants. La <a href="https://www.revue-etudes.com/">revue <em>Etudes</em></a>, par exemple, tire à 15 000 exemplaires. Les chiffres demeurent cependant énigmatiques pour les périodiques spécialisés moins bien distribués. Il n’est donc pas certain que l’effort fourni pour faire paraître un papier soit « récompensé » par une large diffusion. C’est même plutôt le contraire, car la masse d’articles publiés annuellement empêche en pratique toute possibilité d’en prendre connaissance, même pour les publics concernés. Aux États-Unis, <a href="https://www.smithsonianmag.com/smart-news/half-academic-studies-are-never-read-more-three-people-180950222/">50 % des 1,8 million</a> de papiers publiés dans les 28 000 périodiques existants ne sont jamais lus par personne. Et <a href="https://staff.aub.edu.lb/%7Elmeho/meho-physics-world.pdf">90 % d’entre eux</a> ne seront jamais cités. Dans la course au « publish or perish », c’est surtout la pensée qui périt.</p>
<p>À quoi rime une telle accumulation de connaissances, si elle ne sert pas ? D’autant qu’il y a certainement une demande sociale pour comprendre le monde qui nous entoure. À part pour quelques auteurs « stars », morts de préférence, l’immense majorité des écrits de sciences sociales demeurent invisibles. Pour des cohortes d’universitaires dynamiques et originaux, l’anonymat sera hélas la seule postérité.</p>
<p>Le problème n’est donc ni l’accessibilité des papiers, qui sont désormais souvent mis en ligne, ni le travail colossal fourni par les chercheurs, mais celui de faire exister les œuvres. Pour ceux qui souhaitent s’adresser au plus grand nombre, et croient en une valeur sociale de la science, tout reste à faire pour exister dans l’espace public. <a href="http://emmanueltaieb.fr/2018/06/5-propositions-pour-valoriser-les-sciences-sociales/">Voici cinq propositions en ce sens</a>.</p>
<h2>Préférer les livres aux articles</h2>
<p>Récemment, lors d’un comité de sélection pour recruter un Maître de conférences, un collègue avait indiqué que dans l’examen des dossiers des candidats, un livre « comptait moins » que des articles. Il arguait du fait que le livre ne bénéficiait pas des mêmes vérifications scientifiques qu’un article. Faut-il tant mépriser le format livre ? D’une part, nombre d’éditeurs scientifiques procèdent à des évaluations externes de la qualité scientifique du manuscrit avant sa publication. En outre, le protocole d’enquête déployé par l’auteur sera visible dans le livre lui-même, donc vérifiable par ses lecteurs critiques.</p>
<p>D’autre part, le livre permet des développements analytiques sans commune mesure avec ce qu’un article peut accueillir. Il est unitaire, disponible, achetable, traduisible entièrement. Il « fait œuvre », à rebours d’une pensée totalement dispersée dans des articles indépendants, invisible pour les profanes.</p>
<h2>Adopter des formes d’écriture accessibles</h2>
<p>L’écriture universitaire est complexe, sérieuse, référencée, éventuellement technique ou adressée à des lecteurs avertis. Souvent, les universitaires considèrent que l’adoption d’un mode d’écriture plus accessible serait une trahison. Or, accessibilité et simplification ne se confondent pas. Une forme lisible d’écriture ne retire rien à la complexité d’une pensée.</p>
<p>Le politiste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Lagroye">Jacques Lagroye</a> disait à ses étudiants en amphi : « Faire de la sociologie, c’est raconter une histoire ». On peut garder en tête ce mot d’ordre, pour privilégier, dans l’écriture comme dans la lecture, ce qui relève de la mise en récit du monde social. Aujourd’hui, la centralité d’une écriture narrative est au cœur, par exemple, des travaux de l’anthropologue <a href="https://vimeo.com/243337419">Boris Petric</a>, qui dirige la Fabrique des écritures innovantes en sciences sociales. Elle est à la première personne du singulier dans l’entreprise d’ego-non-fiction portée par <a href="https://ecrirehist.hypotheses.org/144">Ivan Jablonka</a>, qui ouvre aussi l’atelier de l’historien pour voir comment la science se fait.</p>
<p>On pourrait aussi imaginer qu’un chercheur mette en ligne une version facilement lisible de ses travaux, tout en proposant à côté une version plus élaborée du même travail. Dans tous les cas, le renouvellement des modalités d’écriture n’enlèverait rien au plaisir d’écrire, voire le dynamiserait, au profit, pourquoi pas, du plaisir de lire !</p>
<h2>Devenir le média</h2>
<p>Faut-il fébrilement attendre que les médias ouvrent leurs colonnes aux universitaires ? Nombre de collègues ont répondu par la négative à ces questions, et animent des blogs hébergés sur des sites journalistiques pour publier rapidement et contrôler ce qu’ils diffusent. Ça reste cependant limité, et la structure des médias en France est une contrainte délicate à dépasser. Ainsi, il n’existe aucune émission consacrée aux livres de sciences humaines à la télévision. Quelle absence… Comment faire exister les travaux de sciences sociales dans des médias qui pensent que « livre » rime avec « roman » ?</p>
<p>Le seul moyen est d’aller plus loin encore et de devenir le média ! Cela signifie rappeler aux médias l’importance de l’agenda de la recherche. S’assurer que les journalistes suivent nos travaux, sur les réseaux sociaux par exemple, et non pas qu’ils nous contactent, en urgence, parce qu’on vient de leur passer une commande. Il faut investir bien davantage la télévision et la radio : Radio Campus, les radios associatives, les webradios, forger nos propres sons et les rendre disponibles sur une plate-forme comme Soundcloud. Et pourquoi pas aussi France Culture ! Les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-lundis-de-lhistoire"><em>Lundis de l’Histoire</em></a> sont animés depuis des années par d’éminents universitaires, et ça aurait dû faire école depuis bien longtemps.</p>
<h2>Assurer un « service après-vente » des publications</h2>
<p>Il faut publiciser toute parution au-delà du seul moment où elle a lieu. Il faut en organiser le « service après-vente », en considérant que la publication n’est pas l’achèvement mais bien le premier jour du reste de la vie d’une œuvre de l’esprit. Il faut la faire exister, par les envois presse appropriés, mais surtout en assurant sa visibilité : pour un livre, par exemple, obtenir des <em>reviews</em> sur les grands sites marchands.</p>
<p>Surtout, il convient de s’assurer de sa distribution auprès des libraires. Si les romans et les essais sont bien distribués, les ouvrages universitaires sont perçus comme relevant d’une littérature spécialisée, et d’une niche, quand ils ne sont pas confondus avec des manuels scolaires, et les portes de nombreuses librairies leur restent fermées.</p>
<p>Il faut faire du livre même un événement, sous la forme d’un lancement dans un lieu dédié, ou sous la forme d’une « offre de service » aux libraires, par exemple en leur proposant une rencontre avec des lecteurs. Toute une professionnalisation de la publicisation reste à pratiquer et à inventer.</p>
<h2>Changer l’économie des laboratoires de recherche</h2>
<p>Dans ces nouvelles tâches, les universitaires ne sauraient être seuls. Les laboratoires auxquels ils sont rattachés doivent leur prêter main-forte. Cela implique un changement fondamental de leur économie : d’une économie surtout interne, destinée à gérer les cours, les contrats de recherche et les activités dédiées, les labos doivent passer à une économie qui les fait entrer de plain-pied dans la cité.</p>
<p>Ils pourraient ainsi se doter de véritables attachés de presse qui feraient vivre la recherche au-delà des petits cercles d’initiés. Cela nécessite aussi des personnels capables d’investir Internet, en rédigeant par exemple les notices Wikipedia de leurs membres, et en animant des réseaux de lecteurs. Lors des congrès, qui rassemblent des centaines de chercheurs dans des dizaines d’ateliers, il faudrait tenir des blogs pour en assurer la visibilité, ou s’associer avec des organes de presse pour diffuser les derniers résultats de la science. Enfin, pour les traductions en anglais ou en espagnol, c’est aux laboratoires de trouver des pools de traducteurs, et négocier aussi avec des éditeurs étrangers, pour soulager les chercheurs de cette quête solitaire. L’ère du labo 2.0 est là.</p>
<p>Plusieurs collègues m’ont dit leur appréhension à l’idée d’intervenir dans la presse, ou d’exposer leurs travaux à de larges publics. De fait, le nouveau temps médiatique – celui des réseaux sociaux, des vidéos qui tournent en boucle, des lynchages en ligne – n’incite pas à s’exposer au-delà de l’audience des pairs. Mais proposer une science à guichets fermés n’est pas non plus une option, pas plus que ne l’est le renforcement de la posture parfois monacale des universitaires. Ceux d’entre eux qui estiment que leurs travaux sont utiles ou importants savent qu’en matière de valorisation des sciences sociales un mouvement d’ampleur reste à impulser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105535/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Taïeb a reçu des financements de l'Institut Universitaire de France.
Il est membre du think tank Renaissance Numérique.</span></em></p>Si les sciences sociales ont beaucoup à apporter aux débats d’actualité, les travaux des enseignants-chercheurs restent invisibles du grand public. Cinq propositions pour changer la donne.Emmanuel Taïeb, Professeur de Science politique -Membre de l'Institut Universitaire de France (IUF), Sciences Po LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1047522018-10-14T18:10:33Z2018-10-14T18:10:33ZChine : comment les multinationales étrangères s’arment pour ne pas perdre la guerre des talents<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240144/original/file-20181010-72121-15atxlu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C931%2C570&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entre 2000 et 2014, le nombre de diplômés chinois en sciences et ingénierie est passé de 359 000 à 1,65 million. </span> <span class="attribution"><span class="source">Jenson/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>« La Chine est sur le point de devenir une super puissance scientifique et technologique », soulignait le <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/chinas-breathtaking-transformation-into-a-scientific-superpower/2018/01/21/03f883e6-fd44-11e7-8f66-2df0b94bb98a_story.html?utm_term=.231f4cd09b18"><em>Washington Post</em></a> à la suite de la publication des indicateurs en science et technologie » du <a href="https://www.nsf.gov/statistics/2018/nsb20181/">National Science Board</a> (NSB) des États-Unis en janvier 2018.</p>
<p>Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2017, la Chine a dépassé pour la première fois les États-Unis en termes de publication d’articles scientifiques. Elle est aussi devenue le second pays au monde pour les dépenses de R&D, juste derrière les États-Unis. Entre 2000 et 2014, le nombre de diplômés chinois en sciences et ingénierie est passé de 359 000 à 1,65 million, dépassant là encore les Américains.</p>
<p>L’ambitieux projet du gouvernement chinois de passer du « made <em>in</em> China » au <a href="https://www.france24.com/fr/20161125-record-brevets-made-china-chine-economie-ompi-innovation-contrefacon">« made <em>by</em> China »</a> s’accompagne d’une politique volontariste en faveur de l’innovation, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. Les chiffres cités plus haut semblent indiquer que cette politique commence à porter ses fruits. Mais de nombreux défis restent à relever, notamment en matière de gestion des ressources humaines.</p>
<p>Ce tournant impacte d’abord les stratégies d’innovation des entreprises multinationales, qui comptent aujourd’hui pas moins de 1 200 centres de R&D dans l’empire du Milieu.</p>
<h2>Fierté nationale</h2>
<p>Les entreprises multinationales reprochent souvent aux jeunes diplômés chinois de manquer d’expérience et d’indépendance de pensée. Mais après quelques années d’expérience, ces employés juniors ont acquis les compétences qui leur manquaient – aisance à l’oral en anglais, capacité à travailler en équipe – et deviennent très recherchés par les cabinets de chasseurs de tête.</p>
<p>Le fort besoin en talents de l’économie chinoise entraîne en effet une forte mobilité : plus d’un employé sur deux quitte son entreprise dans les deux premières années. Mais c’est surtout le départ des plus expérimentés que craignent les entreprises étrangères. La situation est encore plus cruciale en R&D, où le risque de voir partir un collaborateur à la concurrence s’accompagne de la crainte de voir des compétences clés diffusées chez le concurrent et d’enjeux de propriété intellectuelle.</p>
<p>Dans cette guerre des talents, les multinationales étrangères doivent aussi et surtout faire face à la concurrence des sociétés chinoises. Les nouveaux géants, comme Alibaba, Tencent, Huawei, Haier sont souvent plus attractifs sur le plan salarial et offrent une progression de carrière plus rapide pour les employés chinois. Il peut y avoir également un sentiment de fierté nationale à travailler pour une entreprise chinoise et à participer à l’expansion de la Chine à travers le monde.</p>
<h2>Innovation incrémentale</h2>
<p>La Chine est reconnue pour sa capacité à innover de façon <a href="http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Innovation-incrementale-242060.htm#x4PrjSKWL6oPWrQt.97">incrémentale</a> et pour ses cycles de prototypage rapides de développement produit. Pour <a href="http://europe.chinadaily.com.cn/epaper/2016-05/27/content_25487221.htm">George Yip</a>, professeur à Imperial College de Londres, l’innovation en Chine ne cherche pas l’innovation radicale, mais elle est « pragmatique, rentable et orientée client ». Ce rapport différent à l’innovation est source de tensions pour les multinationales étrangères.</p>
<p>Pour ces dernières, il est en effet parfois difficile d’accepter des produits « assez bons » pour le marché local mais qui ne répondent pas entièrement aux exigences de qualité des marchés occidentaux et qui peuvent, en conséquence, dégrader l’image de la marque. Ainsi, le rôle des filiales R&D chinoises dans les chaînes globales d’innovation reste relativement limité. La plupart des sites se concentrent sur les opportunités commerciales locales plutôt que sur le développement d’innovations pour le marché mondial.</p>
<p>Accorder un mandat global à la Chine en termes d’innovation a aussi des conséquences stratégiques et politiques pour le siège de la multinationale : contrôle plus éloigné de certains actifs clés, possible réduction des projets et des effectifs de la R&D du pays d’origine, etc.</p>
<h2>Réussir « à garder les bons »</h2>
<p>Nous présentons ici une brève synthèse d’échanges autour du thème de la rétention des talents techniques au travers trois témoignages de grands groupes européens recueillis lors d’un séjour à Shanghai en mai dernier.</p>
<p>Ce sont en premier lieu, les compétences managériales que les multinationales rencontrées cherchent à développer et à retenir. Étant donné le grand nombre de diplômés chinois qui arrivent sur le marché du travail chaque année, il est relativement facile de les attirer. Les difficultés consistent plutôt à « garder les bons ».</p>
<p>Parmi les pratiques repérées, une entreprise s’appuie sur l’analyse des données RH afin de dresser le portrait type des talents qui quittent l’entreprise et d’agir avant qu’il ne soit trop tard.</p>
<p>D’autres entreprises cherchent à fidéliser leurs salariés en développant un sentiment de loyauté et de reconnaissance. Période d’intégration, transparence et harmonisation des pratiques RH, développement des compétences, communication sur la mobilité interne, qualité de vie au travail, et fierté de contribuer au projet d’entreprise sont autant de leviers mobilisés.</p>
<h2>Frilosité des firmes occidentales</h2>
<p>Aux États-Unis et en Europe, la réponse à la question de l’attractivité des métiers R&D est le plus souvent la <a href="https://www.cairn.info/revue-@grh-2016-1-p-11.htm">double échelle de carrière</a>. Ce dispositif cherche à valoriser les carrières scientifiques et techniques à l’égal des carrières managériales. La filière technique propose de reconnaître les experts (la plupart du temps des ingénieurs R&D) selon des critères de rareté de la connaissance, de valeur stratégique pour l’entreprise, de rayonnement scientifique et de capacité à communiquer et transférer les connaissances. La reconnaissance est en partie de nature intrinsèque : temps dédié, rayonnement par les publications et les conférences scientifiques.</p>
<p>En Chine, les dispositifs de double échelle de carrière se heurtent à l’ancrage des filiales R&D dans une activité d’exploitation des compétences. Étant donné, la jeunesse de la R&D en Chine et le niveau de technicité des projets confiés, le statut d’expert international reste le plus souvent réservé aux chercheurs des pays matures. Perspective peu motivante pour de jeunes ingénieurs chinois qui attendent également une reconnaissance de nature extrinsèque…</p>
<p>Face aux ambitions grandissantes du gouvernement chinois en termes d’innovation, il convient donc de s’interroger sur cette prudence des multinationales occidentales à intégrer pleinement les filiales chinoises dans les chaînes d’innovation globale, et à développer l’expertise locale. La complexité du contexte chinois, la crainte de perte de contrôle sur les savoirs clés de l’entreprise, tout comme des « préjugés dépassés sur la capacité d’innovation des talents chinois » (<a href="https://www.emeraldinsight.com/doi/abs/10.1108/IJoEM-11-2013-0182">Yip et McKern, 2014</a>), peuvent conduire les sièges à privilégier le développement d’opportunités strictement commerciales. Mais le potentiel du marché chinois et ses promesses de gains à court terme ne devraient pas se faire au détriment d’une stratégie d’innovation sur le long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Corbett-Etchevers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La politique du gouvernement en faveur de l’innovation oblige les entreprises occidentales à déployer des stratégies de rétention des compétences face à la concurrence des firmes locales.Isabelle Corbett-Etchevers, Enseignant-chercheur en gestion des ressources humaines, Grenoble IAE Graduate School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1046472018-10-10T16:33:59Z2018-10-10T16:33:59ZDigital : mais de quoi parle-t-on vraiment ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239892/original/file-20181009-72121-1tt6il2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=263%2C184%2C4318%2C2895&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le digital serait-il un OUNI (Objet utilisable non identifié) ?</span> <span class="attribution"><span class="source"> REDPIXEL.PL / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le terme <em>digital</em> est partout. Y compris dans les publications des revues scientifiques, où il est cité sous une forme ou une autre, sans réelle rigueur scientifique. C’est ce qu’il ressort de notre analyse d’un grand nombre de ces publications dans plusieurs disciplines. Il n’est nullement question ici ni de dévaloriser ni de dénigrer ces publications, mais d’informer, d’alerter sur les risques de dérapage et de rendre compte à la communauté scientifique d’une certaine réalité.</p>
<p>Le digital suscite aujourd’hui un intérêt croissant dans toutes les composantes de la société, mais il ne faut pas oublier d’où il vient. À l’origine de l’abondance sur le marché de divers dispositifs digitaux, il y a les progrès constants réalisés par les recherches fondamentales et appliquées en Science de l’informatique depuis plus d’un demi-siècle. Les innovations ont ensuite connu un coup d’accélérateur au début des années 1990 avec l’avènement d’Internet, grâce au web développé par le <a href="https://home.cern/fr/about">CERN</a> (Conseil européen pour la recherche nucléaire) sis à Meyrin, un canton de Genève.</p>
<h2>Vocable mal défini</h2>
<p>Jadis, la dénomination « économie digitale » désignait les activités et modèles économiques s’inscrivant dans le secteur de la technologie de l’information uniquement. Désormais, elle se réfère à toutes les activités économiques, sociétales et même politiques. Dans le même temps, on a vu se généraliser dans le langage l’usage du néologisme désigné par un vocable mal défini, « le digital ».</p>
<p>Bien sûr, l’utilisation massive de ces dispositifs digitaux a provoqué la disruption de nombreux secteurs d’activités. Les processus des entreprises se sont transformés par leurs déploiements. Cela a entraîné une mutation des systèmes des valeurs économiques, sociétales, culturelles, comportementales, relationnelles, politiques… Dans ce contexte, de nouvelles pratiques et comportements ont émergé, et les différentes parties prenantes ont été contraintes de redéfinir la manière de considérer « le digital » en termes d’investissement, de stratégie, d’organisation, de fonctionnement et d’usage.</p>
<h2>Intentions marketing et commerciales</h2>
<p>Cela a conduit à l’émergence de nouvelles formes d’affaires, de <em>business models</em>, qualifiées à tort de modèles digitaux puisqu’ils ne correspondent pas à un objet bien défini. Le terme a néanmoins rapidement séduit aussi bien les académiques que les professionnels, si bien que de nombreux chercheurs, ingénieurs, consultants, directeurs, ou encore chefs d’entreprise n’ont pas tardé à le décliner sous d’autres formes : le management digital, le marketing digital, l’usage digital, le service digital, la gouvernance digitale, la banque digitale, la pédagogie digitale, l’enseignement digital, l’approvisionnement digital, etc.</p>
<p>Pourtant, il n’y a toujours pas eu d’études, ni théoriques ni empiriques, permettant d’appréhender convenablement ce terme de « digital ». Le néologisme a davantage été utilisé pour exprimer des intentions marketing et commerciales. Il a ainsi engendré, durant cette dernière décennie, des pseudo-concepts tels que « l’entreprise digitale », « l’usine digitale », « l’organisation digitale », « la santé digitale », « la fracture digitale », « l’art digital », « le territoire digital », « l’université digitale », « France digitale », « Maroc digital », etc. ; alors que même la désignation « transformation digitale » reste, pour le moment, indéfinissable de façon claire et concrète.</p>
<p>Il est à noter aussi que, la plupart des domaines d’activités économiques, sociétaux et politiques prétendent se digitaliser. Victime de son succès, le terme « digital » est ainsi devenu de plus en plus galvaudé. Il est utilisé à tort et à travers, souvent sans signification réelle et concrète. Serait-il un objet utilisable non identifié, un OUNI ? Et ce OUNI désignerait-il un phénomène que certains professionnels et académiques non avisés qualifieraient de « révolution digitale » ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104647/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Az-Eddine Bennani ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À ce jour, aucune étude scientifique n’a permis d’appréhender convenablement ce que recouvrait le terme de « digital ». Ce qui n’empêche pas son utilisation à tort et à travers…Az-Eddine Bennani, Professeur en digital, stratégie, management, économie, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/995462018-07-09T20:49:17Z2018-07-09T20:49:17ZDoctorants et chercheurs en gestion… « quand on est con, on est con ! »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/226571/original/file-20180707-122256-661p51.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=149%2C38%2C981%2C643&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">George Brassens : le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est con, on est con…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=LTwlyromCLI">YouTube</a></span></figcaption></figure><p>Un débat s’est récemment instauré via The Conversation sur l’attitude des doctorants français en sciences de gestion. Certains collègues trouveraient en effet que ces aspirants chercheurs ne seraient plus très <a href="https://theconversation.com/rocknroll-ou-pas-les-thesards-en-sciences-de-gestion-daujourdhui-94064">« rock and roll »</a>.</p>
<p>Soumis au diktat du <em>publish or perish</em>, les doctorants ne seraient plus passionnés par leurs sujets. Face à un marché du travail de plus en plus précaire, ils n’auraient plus comme obsession que de produire le plus vite possible des articles (co-signés avec leurs directeurs de thèse), pour pouvoir être ensuite recruté par des universités ou des business schools.</p>
<p>Dans le cadre de cet univers compétitif, cela en serait fini des collectifs joyeux de thésards qui faisaient de la rédaction d’une thèse une expérience épanouissante sur le plan humain. Les relations entre doctorants en seraient désormais réduites au strict minimum, chacun étant obsédé dès sa première année de thèse par le fait de cracher de la publication.</p>
<p>À quoi tient cette mort annoncée du rock chez les thésards ? Pour ces collègues, si les directeurs de thèse et le marché ont une part de responsabilité, le vrai fautif ne serait à trouver que dans le doctorant lui-même. Et ceux-ci d’inviter ces derniers à faire leur crise de la quarantaine et à adopter l’attitude rock and roll (en référence au navet réalisé par Guillaume Canet).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226563/original/file-20180707-122268-oi4dsl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Quelques appréciations…</span>
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<h2>Résilience hip-hop versus <em>I love rock and roll</em></h2>
<p>Ne se retrouvant pas dans cette description critique faite par d’anciens combattants du doctorat en gestion (auxquels, je dois bien le confesser, j’ai pu en partie me joindre <a href="https://theconversation.com/face-a-levaluation-par-etoiles-chercheurs-en-gestion-revoltons-nous-86968">ici</a>), un groupe de doctorants et de jeunes docteurs a <a href="https://theconversation.com/etre-jeune-chercheur-e-en-gestion-aujourdhui-la-resilience-hip-hop-95897">vertement répliqué</a>.</p>
<p>S’ils soulignent ressentir la pression à la publication et la précarité qui entoure aujourd’hui leur carrière, ils affirment que ce portrait fait d’eux en machine à publier n’est en aucun cas conforme à ce qu’ils vivent ou ont vécu. Désirant mettre un terme à ce « docto-bashing », ils rappellent qu’ils ont choisi leur carrière de chercheur par passion, au détriment de carrières toutes tracées dans le privé.</p>
<p>Ils soulignent que les collectifs au sein desquels ils font ou ont fait leur thèse, justement parce que la pression à la publication qui déshumanise le métier est forte, ont eu une importance vitale à leurs yeux et sont des lieux essentiels pour eux. Plutôt que de revenir en arrière et d’être replongé dans la naphtaline au sein <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qXW6bjsdNC0">« d’un bon vieux rock and roll »</a>, ils répondent à leurs aînés en leur disant que, bon le rock and roll, c’était peut être à la mode dans les années 1960, mais qu’aujourd’hui, on est dans l’ère du hip-hop, popularisé en management par <a href="https://theconversation.com/columns/jean-philippe-denis-191179">qui l’on sait</a>.</p>
<p>C’est ainsi plutôt dans cette musique, qui permet d’exprimer à la fois des injustices vécues et la joie du quotidien, qu’ils annoncent trouver leur inspiration. Ils défendent ainsi une résilience hip hop, consistant à construire des espaces de liberté dans ce système contraignant et stupide du <em>publish or perish</em>. Et en appellent à la communauté, pour lui demander d’arrêter la critique et plutôt de les soutenir face au système.</p>
<h2>Écoutez la chanson bien douce…</h2>
<p>C’est au sein de ce débat que je souhaiterais faire entendre ici ma petite musique. Sans nier l’intérêt de la rock-and-roll attitude ou de la résilience hip-hop (car moi aussi j’aime les Stones, les Pixies, le Wu-tang Clan et Kendrick Lamar), il me semble que c’est aussi et surtout auprès d’un troisième genre musical que les doctorants en sciences de gestion devraient s’inspirer : celui de la chanson française.</p>
<p>Non, je ne parle pas ici de la chanson française au feu Jean‑Philippe Smet… mais de la seule et unique chanson. Celle qui puise son inspiration dans les troubadours du moyen-âge, et dans nos grands poètes (de Villon à Aragon), et qui est le fait d’auteurs-compositeurs-interprètes.</p>
<p>Celle qui sous sa forme moderne s’est développée en France dans les années 1930 à la suite du génial Charles Trenet. Celle qui a été perpétuée dans les années 60 par les monstres sacrés que sont Brassens, Ferré, Barbara, Gainsbourg, Bobby Lapointe, Nougaro. Celle qui a ensuite vu l’avènement d’Alain Souchon, Renaud, Mano Solo, Jacques Higelin, Manset, et qui loin d’être morte et enterrée, continue aujourd’hui à nous réjouir quand elle est signée Dominique A, Bertrand Belin, Barbara Carlotti, Katerine, La Féline, Pain-Noir, Nesles, Alex Beaupain, Bastien Lallement, Mathieu Boogaerts, etc.</p>
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<h2>Ce mortel ennui…</h2>
<p>J’entends déjà les sceptiques : il critique le rock and roll des années 1950 pour nous ressortir Charles Trenet… Qu’est-ce qui ferait donc de la bonne vieille chanson française un modèle à suivre, alors qu’il est encore plus daté que le rock and roll ?</p>
<p>D’abord le fait que la chanson, à l’inverse du rock, qui s’inscrit dans un « groupe », ou du hip-hop, qui se pense dans un « collectif » ou une « bande », est un genre qui célèbre l’individu dans sa créativité et sa splendide solitude. La chanson française, dans sa version canonique, est en effet par nature le fait d’un auteur-compositeur-interprète, qui la bricole seul, et n’a besoin que de sa chambre à soi, et d’une guitare pour la jouer à qui veut l’entendre. Hors du monde et du temps, l’artisan qui crée des chansons fait tout ou presque de A à Z (même si des duos sont possibles, qu’on songe à Souchon et Voulzy). Un tel modèle fait que les chansons sont reconnaissables entre mille. Du Brassens n’est pas du Brel, du Barbara pas du Ferré !</p>
<p><strong>Or, c’est clairement d’une dérive collectiviste et standardisatrice dont la recherche en sciences de gestion souffre au niveau mondial.</strong> Pour soutenir la course à la publication, les articles sont publiés à trois, quatre, cinq auteurs, selon les principes de la division du travail. Par ailleurs, afin qu’il soit diffusé le plus largement et ait le maximum d’impact, les revues obligent les auteurs à respecter en terme d’écriture une forme donnée.</p>
<p>Au final, les articles se ressemblent tous, ce qui conduit la communauté à éprouver à leur lecture un mortel ennui ! La chanson offre à l’opposé un modèle artisanal et intégré, qui valorise la singularité de chaque auteur : originalité et innovation, c’est justement ce qu’on est en droit d’attendre d’un doctorant !</p>
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<h2>C’est une chanson, qui nous ressemble…</h2>
<p>Ensuite le fait que ce genre de la chanson, et bien il est par définition nôtre, il appartient à notre histoire, et nous ressemble. Alors que le rock and roll et le hip-hop, je ne vous apprends rien, c’est américain. Cette origine américaine n’est pas un problème, bien au contraire, d’autant plus que ces deux genres sont tous deux issus d’une contre-culture, mais se référer à cette musique nous place encore une fois en imitateur des Américains.</p>
<p>Or, c’est justement là le problème de la recherche en gestion : que l’on soit en train de copier le modèle américain qui ne valorise que la publication d’articles étoilés ! Car une telle stratégie est évidemment perdante. Comment dépasser les Américains qui de toute façon ont par définition plus d’étoiles que nous dans leur drapeau ?</p>
<p>Souvenons-nous de La Fontaine et de sa fable de la grenouille et du boeuf. À tenter de devenir aussi gros qu’un boeuf américain dopé aux hormones et nourri d’OGM, nous grenouilles allons finir par éclater et repeindre d’un vert affreux les jolies peintures de l’académie athénienne. Que faire si nous ne voulons pas rester pour toujours, des suceurs de roue qui jamais ne gagneront le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0oLwEeqwPVs">critérium</a> ?</p>
<p>Comme le soutenait durant la semaine du management de la FNEGE Bertrand Collomb, l’enjeu pour nous chercheurs français en gestion, c’est d’innover et d’inventer un autre modèle. Ce qui suppose d’arrêter de copier les autres, pour se tourner vers nos propres traditions dans le but de se les réapproprier et les réinventer. La chanson apparaît ainsi comme la métaphore du modèle de recherche alternatif que nous pourrions défendre contre celui des États-Unis !</p>
<p>Elle l’est d’autant plus qu’en termes de musique, et j’en suis sincèrement désolé pour mes collègues, ce sont les chansons françaises comme nos merveilleuses feuilles mortes qui sont connues dans le monde et non nos artistes de rock (Jean‑Philippe Smet…) ou bien de hip-hop ! Même, il se trouve que nos artistes de rock ou de hip-hop sont les plus originaux et intéressants quand justement ils puisent leur inspiration dans la tradition de la chanson. Ainsi de Booba, dont de nombreux critiques soulignent qu’il s’inscrit <a href="https://www.lesinrocks.com/2018/05/27/actualite/booba-est-il-le-dernier-grand-poete-francais-111082727/">dans la lignée de Rimbaud</a> (mais pas <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NsB_r9YEENE">Alain Finkielkraut</a>).</p>
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<h2>Du principe d’exception culturelle au principe d’exception scientifique</h2>
<p>Bref, vous l’aurez compris, j’invite ici les doctorants en sciences gestion à revenir à leurs classiques, et à prendre le temps de produire seul une thèse originale plutôt qu’à penser production d’articles. Oui, mais me répondront ces derniers, pour notre recrutement et notre carrière, comment fait-on ? Et c’est là encore qu’il est de bon ton de se tourner vers la chanson française.</p>
<p>Car comment cette tradition de la chanson a-t-elle été préservée en France, notamment au moment de l’arrivée des radios libres ? En réservant comme on le sait des quotas aux artistes de création française sur les radios, de façon à ce que nos oreilles ne soient pas inondées par les mêmes refrains anglo-saxons. Comment de tels quotas ont-ils été justifiés ? En référence à un principe d’exception culturelle, selon lequel la culture ne saurait être soumise à la seule logique de marché.</p>
<p>Pour soutenir les doctorants et que ceux-ci puissent à l’avenir pousser la chansonnette librement, il nous faut donc limiter la marchandisation de la recherche et adopter collectivement des règles contraignantes. Et inventer ce qu’on pourrait appeler un principe d’exception scientifique, qui s’inspirerait du principe d’exception culturelle tout en étant adapté aux spécificités de la science. Un tel principe affirmerait que la recherche ne peut être évaluée uniquement en comptant les citations, tout comme la qualité d’un film ne se réduit pas au nombre d’entrées qu’il a faites au box-office.</p>
<p>Il défendrait l’idée que la recherche possède des spécificités qui font que les modèles des pays doivent être défendus. Il pourrait nous conduire à imaginer plusieurs mécanismes de régulation, en s’inspirant de ceux qui régissent la musique (quotas), le livre (prix unique), le cinéma (avance sur recettes).</p>
<p>On peut par exemple penser à l’obligation pour les producteurs et utilisateurs de listes de revues d’intégrer des revues francophones au plus haut niveau et d’arrêter de systématiquement les déclasser. Aujourd’hui, la section 37 du CNRS, qui ne comprend que des chercheurs français, <a href="https://sites.google.com/site/section37cnrs/Home/revues37">classe plus d’une centaine de revues au rang 1 et 1* et aucune n’est française</a> ! La communauté est vraiment masochiste… On peut également penser à une obligation pour les écoles et universités françaises de recruter un pourcentage de docteurs détenant des thèses de doctorat qui ne soient pas des thèses « sur article ». De tels mécanismes devraient aller de pair avec une réflexion collective sur la manière dont nous pourrions essayer de mieux faire rayonner la recherche en gestion française à l’international. Car l’enjeu n’est évidemment pas de garder nos résultats pour nous, mais de les diffuser largement !</p>
<p>Nous pourrions par exemple éditer une revue qui traduirait en langue anglaise une sélection des meilleurs articles français, débloquer des fonds pour traduire en anglais une sélection de livres francophones, etc. Nous pourrions aussi arrêter de gommer les références à des articles français dans nos articles publiés en langue anglaise, et adopter à l’inverse la politique de citer ces travaux qui nous ont inspirés !</p>
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<h2>Qui pour penser et mettre en œuvre une régulation collective ?</h2>
<p>Ce ne sont évidemment là que quelques idées et de nombreuses pistes sont bien sûr envisageables. Car fondamentalement, c’est à la collectivité d’imaginer ces règles qui nous permettraient de promouvoir un réel modèle français de recherche en sciences de gestion.</p>
<p>Pour cela, une possibilité serait de s’appuyer sur l’institution qui est la plus légitime dans le paysage de la gestion : la FNEGE, qui a fêté cette année ses cinquante ans, et qui a tant oeuvré pour la reconnaissance en France de notre discipline. Elle nous a permis de rattraper notre retard sur les Américains notamment en envoyant toute une série de jeunes docteurs aux États-Unis : la FNEGE pourrait contribuer désormais à nous aider à les dépasser ! Mais comme le souligne <a href="https://theconversation.com/a-quoi-servent-les-associations-academiques-en-management-conversation-avec-yoann-bazin-99088">Yoann Bazin</a>, il n’est pas sûr qu’elle puisse endosser un tel rôle…</p>
<p>Une autre possibilité serait ainsi que les enseignants-chercheurs français, qu’ils travaillent en IUT, à l’université, dans les IAE, dans les écoles de commerce, qu’ils soient chercheurs en stratégie, marketing, ressources humaines, etc., se prennent en main et inventent une action collective pour défendre une certaine idée de leur métier. Un tel mouvement n’aurait rien d’utopique, l’histoire étant peuplé de mouvements collectifs portés par une profession, y compris dans le monde de la musique d’ailleurs ! La SACEM est ainsi née de la volonté des auteurs et compositeurs de musique de faire en sorte que l’utilisation de leur travail soit rétribuée…</p>
<p>La tâche ne serait toutefois pas facile, car s’il y a dans la communauté des sciences de gestion des esprits avides de changements, celle-ci est également peuplée par définition d’un certain nombre de cons : des petits cons de doctorants, des vieux cons de professeurs, des cons d’âge intermédiaire, des cons masculins et féminins, des cons qui travaillent dans les universités ou des business schools, des cons d’un âge intermédiaire qui écrivent pour des revues étoilées… ou sur la chanson pour The Conversation. Car comme le chante le grand Georges, en matière de connerie, le temps (et l’institution) ne fait rien à l’affaire… Alors, face à la connerie, doctorants, chercheurs et professeurs, sortons nos guitares et faisons des chansons !</p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/99546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélien Rouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sans nier l’intérêt du rock and roll attitude ou de la résilience hip-hop, il semble que les doctorants en sciences de gestion devraient plutôt s’inspirer de la chanson française. Dont Brassens.Aurélien Rouquet, Professeur de logistique et supply chain, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/973552018-06-17T20:20:50Z2018-06-17T20:20:50ZQuand les chercheurs se libèrent des revues scientifiques au coût exorbitant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/223536/original/file-20180618-85863-cnd1ch.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les serveurs informatiques : nouvelle bibliothèque du chercheur.</span> <span class="attribution"><span class="source">Rémi Malingrey</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le chercheur d’aujourd’hui, au moins dans les domaines des sciences dites « dures », ne va plus beaucoup dans les bibliothèques pour accéder aux travaux de ses collègues. Il trouve quasiment tout en ligne sur Internet et peut utiliser de multiples sources de données numériques. Par ailleurs, le nombre de publications dans chaque domaine est devenu considérable.</p>
<p>La recherche scientifique mondiale produit ainsi un nombre croissant de publications : à titre d’exemple entre 2008 et 2014 le nombre d’articles scientifiques inclus dans l’index de citations scientifiques de <a href="http://mjl.clarivate.com/cgi-bin/jrnlst/jlresults.cgi?PC=D&ISSN=1533-0028">Thomson Reuters</a> (Science Citation Index of Thomson Reuters’ Web of Science) a <a href="https://fr.unesco.org/node/252295">augmenté de 23 %</a>, passant de 1 029 471 articles à 1 270 425.</p>
<p>Face à cette multiplication des données issues de la recherche, et des sources de données, le chercheur est confronté au problème de l’identification des publications pertinentes pour un thème de recherche donné. On peut aussi souligner la question de l’accès à ces données, la plupart du temps payant, qui représente des sommes considérables au profit des éditeurs.</p>
<h2>Payer pour lire ses propres articles…</h2>
<p>Ainsi le chercheur doit financer ses travaux de recherche avec des contrats, ce qui lui permet de publier ses résultats, qui deviennent la propriété des éditeurs de journaux scientifiques, à qui il doit ensuite payer un droit d’accès à ses propres travaux !</p>
<p>Par ailleurs, les abonnements aux ressources électroniques ne cessent d’augmenter. Ainsi en 2017, le coût des abonnements électroniques aux revues a atteint 2,1 millions d’euros pour l’Université de Lorraine. Cette main mise des éditeurs de revues sur les données de la recherche est aujourd’hui remise en question. L’accès libre aux données de la recherche est fortement revendiqué, avec le développement de revues en accès libre, d’archives ouvertes, ou le refus d’organismes (CNRS) ou d’universités (Universités de Montréal, Danemark) d’accepter l’augmentation des budgets de documentation scientifique, qui a récemment conduit à une rupture d’accès aux revues de <a href="https://www.springer.com/fr">Springer</a> à partir d’avril 2018 : soit une perte de presque 3 000 titres !</p>
<p>Afin de réaliser une bibliographie pertinente, de qualité et d’exploiter de grosses masses de données dans un domaine scientifique donné, le chercheur utilise des outils, comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Web_of_Science"><em>web of science</em></a> ou <em>google scholar</em>, mais d’autres outils de fouille de données se développent également pour les exploiter au mieux. Ils permettent de réaliser des analyses par mots-clés, par auteur, par année, par pays, et d’analyser l’ensemble du texte et de pouvoir bénéficier ainsi d’indicateurs précieux sur une thématique pour analyser l’état des connaissances mais aussi, par exemple, envisager des collaborations pertinentes.</p>
<p>Dans le cadre d’un projet financé par le programme national PIA (<a href="https://www.gouvernement.fr/pia3-5236">Programme d’Investissements d’Avenir</a>) des chercheurs et enseignants-chercheurs de l’Université de Lorraine et du CNRS s’intéressent aux Ressources stratégiques du XXI<sup>e</sup> siècle (<a href="http://www.univ-lorraine.fr/LabEx-ressources-21">LabEX Ressources 21</a>), depuis la compréhension de la formation des gisements jusqu’à l’impact environnemental de leur exploitation.</p>
<p>Parmi ces métaux stratégiques figurent les terres rares. Dans la classification périodique des éléments, les terres rares sont des éléments qui ont un numéro atomique entre 57 et 71, auxquels on ajoute l’Yttrium et le Scandium, et qui ont des propriétés électroniques, magnétiques, optiques très intéressantes pour l’industrie. Elles comportent 17 éléments dont les besoins ont augmenté dans de nombreux secteurs industriels. Elles font aujourd’hui partie de notre quotidien, puisqu’elles sont utilisées dans de nombreuses technologies modernes : batteries des téléphones portables, éoliennes, ampoules basse consommation, batteries de véhicule électrique. Ainsi, la demande en terres rares est croissante, et représente un enjeu stratégique en termes d’approvisionnement, car leur production est faible et la quasi-totalité de la production mondiale est en Chine (risque de rupture ou de pénurie), mais aussi en termes de recyclage.</p>
<h2>De nouvelles solutions pour publier</h2>
<p>Avec le soutien du programme d’investissement d’avenir <a href="http://www.istex.fr">ISTEX</a> (Initiative d’excellence de l’information scientifique et technique), OTELo a réalisé une application d’exploration des données bibliographiques accessible à la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le thème des terres rares et de visualisation sur une carte des pays impliqués. Un travail de développement informatique de traitement des affiliations des auteurs mené par Pierre-Yves Arnould et Anthony Guiot a permis la mise en œuvre de l’application <a href="https://carto.istex.fr">carto-istex</a>.</p>
<p>Celle-ci permet aujourd’hui d’explorer l’ensemble des publications (21 millions) de la plate-forme bibliographique ISTEX et de produire des cartographies d’informations sur les pays, laboratoires et auteurs qui publient sur la thématique des terres rares. Cette visualisation des données a permis de montrer que sur la période de 1882 à 2015 les pays qui publient des travaux de recherche sur les terres rares sont les États-Unis, suivis de l’Allemagne, de l’Angleterre, puis le Japon et la France, alors que la Chine arrive en 6<sup>e</sup> position. Si l’on s’intéresse à l’impact environnemental des ces terres rares, qui concerne seulement environ 10 % des publications précédentes, la Chine est alors en 3<sup>e</sup> position, mais la prise en compte de cet impact environnemental lié à l’exploitation des terres rares est sans doute en augmentation depuis 2015.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=629&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=629&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220927/original/file-20180530-120505-t5yz0w.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=629&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Figure 1 : Nombre de publications scientifiques avec le mot-clé « terres rares » par pays d’après la base de données ISTEX (1973-2013).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Corinne Leyval</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Au-delà de l’intérêt scientifique sur une thématique définie, cette application présente un intérêt pour la valorisation des publications scientifiques des chercheurs et des collaborations entre chercheurs. La récente loi pour une république numérique portant sur une politique d’ouverture des données et des connaissances encourage les universités et organismes de recherche à utiliser et développer des archives ouvertes.</p>
<p>Ainsi, l’Université de Lorraine a choisi les archives ouvertes pluridisciplinaires <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/">HAL</a> pour archiver ses publications. Le module de cartographie qui a été développé et associé à HAL permet de visualiser sur une carte les collaborations internationales des chercheurs et enseignants-chercheurs d’un laboratoire, d’un <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/OTELO-UL/">Pôle scientifique d’une Université</a>, ou de <a href="https://hal.univ-lorraine.fr">toute une Université</a>. Et cette application est en libre accès.</p>
<p>Devant ces nouveaux enjeux, que fera le chercheur de demain ? L’accès libre aux publications scientifiques est un objectif qui pourrait sans doute être atteint, mais la capacité à analyser toutes ces données restera un challenge…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/220928/original/file-20180530-120487-9kkjjo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Illustration de la cartographie des publications et des collaborations internationales (exemple de l’Université de Lorraine).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Corinne Leyval</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/97355/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pour obtenir des financements, les chercheurs doivent publier, pour publier ils doivent payer des éditeurs, un problème ?Corinne Leyval, Directrice de recherche au CNRS, directrice d'OTELo (Observatoire Terre et Environnement de Lorraine), Université de LorrainePierre-yves ARNOULD, Responsable des systèmes d'informations d'OTELo (Observatoire Terre Environnement de Lorraine), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/958972018-05-06T20:10:50Z2018-05-06T20:10:50ZÊtre jeune chercheur·e en gestion aujourd’hui : la résilience hip-hop<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/217662/original/file-20180503-83693-1unhgbv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C1914%2C1115&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Hip-hop !</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/hip-hop-danse-cool-style-motion-3256398/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>Des articles récents s’intéressent à l’évolution de la recherche en gestion et la montée <a href="https://bit.ly/2HMOnr2">d’une course à la publication</a>. Certains pointent les effets de tels changements sur les doctorant·e·s qui n’exprimeraient plus assez leur liberté, leurs passions et leur curiosité. La voix des doctorant·e·s et jeunes chercheur·e·s, premier·e·s concerné·e·s, manque au débat. Ainsi, si ces discussions sont nécessaires pour notre discipline, nous ne nous reconnaissons pas dans la <a href="https://bit.ly/2I0tOYR">description qui est faite des doctorant·e·s actuel·le·s</a>.</p>
<p>Nous avons conscience d’être de jeunes académiques moins exposé·e·s à la précarité car issu·e·s d’une grande école de commerce française, et en cela notre parole n’engage pas tou·te·s les doctorant·e·s. Néanmoins, notre point de vue pourrait apporter des éléments supplémentaires sur ce qu’est le travail et la vie de doctorant·e en sciences de gestion (au sens large, nous représentons ici plusieurs disciplines) aujourd’hui.</p>
<p>Ainsi, à travers cet article, nous souhaitons évoquer notre quotidien, le sel et le goût de la vie des jeunes académiques, leur résistance silencieuse et leur engagement à faire œuvre de créativité, malgré les doutes, les peurs et les angoisses, dans un contexte social et institutionnel qui impose de nouvelles règles, pressions et de nouveaux indicateurs.</p>
<h2>Défendre une vision commune de la recherche</h2>
<p>Se poser la question du sens de notre métier nous paraît essentiel : pourquoi avons-nous choisi de faire ce métier ? Qu’est-ce que cela signifie d’être enseignant·e-chercheur·e en gestion aujourd’hui ? Nous partageons certains constats faits par nos aîné·e·s : nous allons vers une recherche aseptisée, très « orientée publication », qui pourrait entraver la pensée complexe, le goût du risque et l’immersion de long terme sur le terrain.</p>
<p>Soumis·es à ces normes, les jeunes chercheur·e·s semblent parfois s’empêcher de penser en dehors du cadre. Il faut donc les encourager à s’ouvrir aux autres, à prendre le temps de s’étonner, à débattre, bref à profiter de cette période unique qu’offre le doctorat pour se créer une identité propre de chercheur·e et d’enseignant·e.</p>
<p>Certain·e·s chercheur·e·s plus expérimenté·e·s avancent que la course à la publication et les pressions associées seraient intériorisées par les doctorant·e·s qui se fermeraient au monde et abandonneraient tout esprit de camaraderie pour se soumettre à ces normes dans la crainte imaginaire de ne pas être en mesure de trouver un poste dans le milieu académique féroce. La généralisation de ce propos fait des doctorant·e·s les premier·e·s responsables de leur situation. À travers le récit de notre expérience de la vie doctorale et de jeunes académiques, nous souhaitons témoigner d’une autre réalité doctorale et postdoctorale.</p>
<h2>Une pression systémique réelle</h2>
<p>Il serait réducteur de dire que la pression des doctorant·e·s est uniquement auto-infligée et il nous semble important de ne pas sous-estimer les effets concrets d’un système de plus en plus violent envers les jeunes chercheur·e·s non titularisé·e·s.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217577/original/file-20180503-138586-bnscrn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Doc-solitude.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/4304386471/bc0f9f89c0/">Tico/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La néo-libéralisation de l’éducation supérieure, particulièrement en sciences de gestion, n’est pas le fruit de notre imagination mais bien un phénomène largement documenté par les académiques eux-mêmes sous l’idée d’un <em>jeu</em> de la publication, imposé par un capitalisme académique (<a href="https://bit.ly/2wdttQw">Jessop, 2018</a>), et qui pousse à l’auto-contrôle par effet panoptique (<a href="https://bit.ly/2FEN7UV">Prasad, 2013</a>).</p>
<p>Si cette néolibéralisation touche prioritairement les pays anglo-saxons, la France n’en reste pas épargnée. L’injonction à la publication dans des revues européennes et américaines de premier rang est manifeste. Lors des entretiens de recrutement, les professeur·e·s en font l’objet central de la discussion.</p>
<p>En parallèle, les programmes doctoraux ont des moyens de plus en plus réduits et s’adaptent à cette pression ambiante : pressés par des indicateurs qui jugent la qualité d’un programme doctoral par sa capacité à faire soutenir ses thésard·e·s en trois ans, les programmes doctoraux poussent de plus en plus leurs jeunes chercheur·e·s vers des formats de thèse les plus courts possibles.</p>
<h2>Postdoc, tenure, CDD : le langage de la précarité des jeunes académiques</h2>
<p>La précarité des doctorant·e·s et jeunes docteur·e·s est également indéniable. Et encore, les doctorant·e·s sont mieux loti·e·s en sciences de gestion qu’en sciences physiques ou en sociologie. On pourrait dire qu’il ne faut <em>que</em> cinq ans à un·e jeune docteur·e pour trouver un emploi stable. Mais cinq ans de précarité après quatre ans de précarité doctorale, cela fait tout de même neuf ans de précarité au total… cela à un âge où certain·e·s d’entre nous souhaitent peut-être s’installer et/ou avoir des enfants, sans parler des sacrifices de ceux et celles d’entre nous en reconversion.</p>
<p>Nous pouvons qualifier notre situation de « précaires privilégié·e·s ». Nous avons la chance de pouvoir partir faire un postdoc à l’autre bout de la Terre en nous déracinant, en nous coupant de nos proches et en mettant notre couple en danger parce que les grandes écoles de commerce françaises ne souhaitent embaucher que des profils « internationaux » (comme elles aiment tant dire) avec deux articles de rangs A publiés.</p>
<p>Si certain·e·s semblent dire que c’était déjà comme cela avant, d’autres au contraire font souvent le récit d’un poste trouvé avant la fin de la thèse, il y a 10, 20 ou encore 30 ans. D’autres encore n’hésitent pas à nous dire qu’ils ne se recruteraient pas eux-mêmes aujourd’hui ! Sur ce point, nous nous disons également que, finalement, « c’était mieux avant » !</p>
<p>Alors, sommes-nous là par hasard ? Ne sommes-nous que des premier·e·s de la classe qui auraient oublié de se demander : est-ce que je souhaite réellement faire cela ? Qu’est-ce qui m’anime dans ce métier ? Démarrer une thèse en gestion plutôt que de trouver un emploi dans une banque ou dans un cabinet de conseil, c’est faire le choix de baisser son salaire, c’est faire le choix de l’incertitude, c’est faire le choix de la vulnérabilité. C’est aussi – et surtout – faire le choix de la passion, de l’excitation, de la pensée, de l’engagement, de l’amusement, de l’exploration, de l’aventure !</p>
<p>Pour plusieurs d’entre nous, c’était tout sauf le choix évident. Au contraire, la continuité aurait été de faire comme 99 % de nos camarades de promotion et de poursuivre nous aussi une carrière en entreprise. Il ne faudrait pas minimiser les difficultés rencontrées par les doctorant·e·s ou présenter leurs problèmes comme imaginaires au risque d’accentuer les difficultés et risques psychosociaux qui pèsent déjà sur certain·e·s d’entre eux.</p>
<p>Nous reconnaissons plutôt que tous ces éléments peuvent avoir des conséquences néfastes sur les doctorant·e·s. On peut effectivement s’inquiéter de voir les jeunes académiques transformé·e·s en machines préoccupées uniquement par la publication académique.</p>
<h2>Après le rock’n’roll, place au hip-hop ?</h2>
<p>Face à ce constat, comment décrire la vie de doctorant·e ou jeune chercheur·e en sciences de gestion ? Une vision individualiste et déshumanisée des jeunes académiques ne nous semble pas décrire notre situation, certes loin d’être universelle. Au contraire, notre quotidien nous évoque curiosité et collectif.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217576/original/file-20180503-153891-ysk2l0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Résilience hip hop.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/prefvotuporanga/16499216837/in/photolist-r8YNkP-bGALQe-6G8kN7-6caotB-ohu7Qk-mjHaN1-5ChvCv-kAhjTh-cTpAsA-nZZGtQ-bXs9sE-eLMb3-m4o82Y-m2YF9Z-qeKNpt-9SArPw-9Sxr1a-9SADTE-9SAg71-ojfguP-r8YLsv-f5iFp9-5CmVGL-9BWmYh-e9jUJh-5CmUnu-6G8kZs-btFZCm-nZZFDK-7NbMHG-mjFCG4-Kiz1V-ehNEp6-nZZJ5M-bGiRqc-f53fMZ-5Cn2zN-budCWu-f5h4To-bGiRa2-btFYeh-bH6LDe-m4nj3N-f5gWhY-btG1eW-btFYQL-5CmZnQ-5CinPH-VjdYqz-8Fi4ot">ASCOM Prefeitura de Votup/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>En ce sens, le hip-hop nous semble bien mieux décrire notre réalité que le rock. <a href="https://bit.ly/2FqeLJX">Le hip-hop</a>, c’est la musique comme moyen d’exprimer les injustices vécues par une partie de la population, mais c’est aussi un art musical repris pour exprimer la joie de vivre dans un quotidien, aussi hostile soit-il. Conscients que nous ne sommes <em>pas né·e·s sous la même étoile</em>, nous ne restons pas prostré·e·s dans l’auto-lamentation mais cherchons plutôt à créer des espaces de liberté pour pouvoir continuer à faire preuve de ténacité et à <em>danser le Mia</em> (sans oublier de payer notre loyer).</p>
<p>Si nous avons eu vent de parcours doctoraux solitaires, souvent subis, ce n’est et ne fut pas notre cas, et pour cela nous nous estimons chanceux/ses. Pour nous, le collectif a une place prépondérante dans notre réussite, bien au-delà des moments de rire et de partages évidents. Du fait des pressions actuelles, le collectif s’avère plus nécessaire que jamais !</p>
<p>Notre collectif a constitué et constitue toujours un espace de résistance infiniment vital durant ces années de thèse. Il est aisé pour nous de nous en souvenir, tant ces discussions étaient vives, parfois sur le ton de l’humour, de l’ironie, du débat, de la taquinerie : autour de nos objets de recherche qui nous passionnent, de nos étudiant·e·s, du monde académique, du sens de la recherche, de notre mission pédagogique, des meilleures recettes d’apéros ou de desserts, toujours avec la parole, la foi, la pensée et le cœur exalté·e·s.</p>
<p>Toutes ces discussions nous permettent de faire évoluer notre pensée, de l’amener à maturité, de la déconstruire, de la retricoter, de la nourrir des idées des autres, si bien que nous avons tou·te·s joué un rôle important dans les thèses des un·e·s et des autres, et dans la construction collective de notre identité de chercheur·e et d’enseignant·e. Si l’adversité fait partie de notre quotidien, et cela sous toutes ses formes – rejet d’un article, reviews peu tendres, employabilité réduite –, nous étions tou·te·s concerné·e·s par les défaites et les réussites de nos camarades.</p>
<p>Nous avons toujours pris le temps de mélanger nos expertises naissantes, nos méthodologies si différentes, nos anecdotes disciplinaires, afin d’apporter du soutien à un·e camarade doctorant·e. Nous avons illuminé des sujets de nos approches parallèles, et nous nous sommes écharpé en parlant épistémologie (et aussi politique !). Nous avons répété des soutenances, relu des mails, et partagé de longues soirées devant l’écran.</p>
<p>Nous n’avons jamais hésité à prendre deux heures de pause pour <em>débriefer</em> le cours fraîchement donné par l’un d’entre nous et encore moins à aller tou·te·s prendre une bière pour fêter un texte déposé sur la plateforme d’une revue académique. Ce sont ces blagues plus diffuses, telle cette parodie de Martine ne finissant (jamais) sa thèse, trônant dans notre salle de travail, qui créent une atmosphère singulière et un esprit de groupe. Un groupe qui continue par la suite d’exister en dehors du lieu de travail dans les crêperies et les bars des alentours dès qu’une occasion se présente de fêter un événement quelconque.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217561/original/file-20180503-153891-1ci9jpy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Martine rédige sa thèse et la finit (peut-être) en 2015 (ou en 2016, ou plus tard).</span>
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<h2>Nul besoin de <em>docto-bashing</em>, mais de soutien</h2>
<p>Selon nous, négliger les effets concrets d’un système de pressions engendrant la précarisation des doctorant·e·s et l’accentuation de l’incertitude sur leur avenir, c’est prendre le risque d’un <em>docto-bashing</em> gratuit au moment où nous avons le plus besoin de soutien et non de mépris. C’est également pointer les jeunes académiques comme (presque) uniques responsables de leur situation : ils et elles n’auraient pas compris que ce n’est pas le marché de l’emploi qui se crispe, mais uniquement leur imagination.</p>
<p>Malgré un environnement de plus en plus difficile et compétitif, nous sommes capables de faire un pas de côté, de rendre compte de notre rapport au monde et, plus particulièrement, au monde de la recherche en gestion, notamment en écrivant et en pensant collectivement.</p>
<p>Ce texte se veut donc être une trace modeste de notre expérience de jeunes académiques où, face à de nouveaux défis et de nouvelles normes produites par nos aîné·e·s, nous puisons notre énergie des expériences académiques propres à notre génération, très certainement aux antipodes de l’insouciance du rock and roll et des années yéyé.</p>
<p>Voici la réponse d’une nouvelle génération de chercheuses et chercheurs qui ne souhaitent pas se résigner, mais défendre, s’engager et contribuer, autant que possible, à la beauté et l’utilité de leur métier.</p>
<p>Pour ne pas conclure, attaché·e·s à la tradition académique et scientifique, nous imaginons (peut être en utopistes !) la poursuite de ce débat, critique et constructif, avec tou·te·s ceux et celles qui seraient intéressé·e·s à l’idée d’enrichir cette réflexion autour d’un verre, d’une guitare ou encore d’un bon gros hip-hop !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95897/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Témoignage de doctorants en sciences de gestion sur leur quotidien, leurs aspirations et les obstacles qu’ils doivent surmonter.Nora Meziani, Postdoc, HEC MontréalAlban Ouahab, Doctorant en Sciences de Gestion, ESCP Business SchoolArthur Petit-Romec, Professeur Assistant de Finance, SKEMA Business SchoolCaroline Rieu Plichon, Doctorante en Management, ESCP Business SchoolEmmanuelle Garbe, Enseignant-chercheur en management et GRH, ISTECPénélope Van den Bussche, Doctorante en Sciences de Gestion, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/779252017-06-18T19:55:38Z2017-06-18T19:55:38ZL’expertise en sciences ou comment se décide ce qui est publiable : noblesse et dérives<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/174265/original/file-20170617-11462-4n9e20.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Publications EASE, European Association of Science Editors. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:EASE-publications.jpg">Sylwia Ufnalska/wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Quand Einstein découvre le système du rapporteur anonyme… </p>
<p>Vers 1935, un calcul un peu hâtif conduit Einstein à penser que les ondes gravitationnelles ne pouvaient exister dans le cadre de sa relativité générale (leur observation, en 2016 seulement, a été une consécration de sa théorie). <a href="http://www.geology.cwu.edu/facstaff/lee/courses/g503/Einstein_review.pdf">L’histoire de la publication</a> s’avérera plus riche que l’erreur (subtile) de calcul qui était derrière…</p>
<p>Pour la première fois, Einstein était confronté au système d’évaluation du manuscrit par un rapporteur anonyme, choisi par la prestigieuse <em>Physical Review</em>. Ce fin relecteur, dont l’identité n’a été révélée que vers 2005, avait repéré une erreur. Einstein s’indigna que l’éditeur fasse lire et critiquer son travail sans autorisation. Il envoya son travail à une autre revue, qui l’accepta. Mais au moment de relire les épreuves d’imprimerie pour éviter des erreurs typographiques, il remania de fond en comble son article. Cette histoire, exemplaire et exceptionnelle, révèle assez la relation complexe des scientifiques aux publications.</p>
<h2>L’expertise au quotidien dans les publications scientifiques</h2>
<p>Les revues allemandes, dans lesquelles Einstein avait publié jusque-là, ne refusaient alors que très peu des travaux soumis, quitte à ouvrir ensuite leurs colonnes à d’assez saines controverses scientifiques. Depuis, l’immense croissance de l’activité scientifique a fait que tous les journaux scientifiques ont adopté le modèle <em>Physical Review</em>, avec un ou deux (trois parfois) relecteurs anonymes.</p>
<p>Ce sont eux qui décident en pratique, plus que l’éditeur « responsable » de la sélection des publications, si le travail est valide et mérite le prestige, assez subjectif, associé à une parution dans la revue en question. Ceci n’interdit pas la parution occasionnelle (sous contrôle d’expertise) d’un « commentaire », et de l’éventuelle « réponse des auteurs ».</p>
<p>Un relecteur pressenti doit rapidement indiquer s’il accepte d’évaluer le « manuscrit » – parfois au vu du seul résumé. Il dispose de quelques semaines – voire moins – pour donner un avis circonstancié. Ce travail bénévole reste anonyme (sauf exception).</p>
<p>De ma propre expérience, la durée nécessaire varie d’une heure à trois jours. La noblesse de la relecture, c’est que s’opère parfois, au prix d’allers-retours entre manuscrit initial et soumission du texte final par les auteurs, une véritable « co-production » entre l’auteur et l’expert anonyme : aide à une meilleure lisibilité ou pédagogie du travail, suggestion d’ouverture à des perspectives négligées par les auteurs, et bien sûr rectification d’erreurs, pas toujours de détail, mais qui n’invalident pas l’originalité…</p>
<h2>Trouver de bons experts, une tâche difficile</h2>
<p>Trouver un relecteur disponible est compliqué pour l’éditeur. Les experts qualifiés et capables d’avoir du recul dans un domaine précis sont peu nombreux. Souvent très sollicités, ils acceptent mieux un surcroît de travail pour décortiquer un manuscrit paraissant brillant, que pour un travail routinier de spécialiste, dont il faut surtout vérifier qu’il est correct. Les scientifiques plus jeunes peuvent aussi avoir la satisfaction de collaborer à cette « évaluation par les pairs », au coeur d’un système où ils veulent s’intégrer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174020/original/file-20170615-23574-i6z8up.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur le site d’une bonne revue d’optique : la publication, dont je suis co-auteur, a paru en avril 2017. Au final : « reviewer 2 » aura écrit un rapport ; la publication a lieu avant l’avis de « reviewer 3 » ; « reviewer 1 » n’aura jamais répondu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Daniel Bloch</span></span>
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<p>De plus en plus de manuscrits sont soumis pour publication, et l’éditeur est bien loin de connaître vraiment (scientifiquement, et moralement) les experts auxquels il fait appel, d’où divers biais. Les auteurs sont souvent encouragés à suggérer à l’éditeur de possibles relecteurs. Pour un journal de bonne tenue, cette indication aide à cerner le sous-domaine précis où chercher des experts reconnus.</p>
<p>Il est courant, et salutaire pour le système, qu’un expert sollicité et qui ne s’estime pas assez bon spécialiste, identifie pour l’éditeur des experts soigneusement ciblés, que l’éditeur seul n’aurait su identifier. À rebours, dans des revues de moindre valeur, l’éditeur suit un peu paresseusement les recommandations des auteurs, au risque d’être orienté vers des spécialistes « amis » – ou dans les cas scandaleux, vers les auteurs eux-mêmes, déguisés sous des <em>alias</em> électroniques !</p>
<p>L’anonymat de l’expert n’a pas que des avantages : comme une légende urbaine, on connaît toujours quelqu’un dont l’article a été refusé, et dont l’idée originale réapparaît miraculeusement sous la signature d’un collègue suggéré comme expert. Désormais, le dépôt en ligne du manuscrit sur des sites dédiés évite ce genre de pratique. Les « coquetteries », souvent transparentes de l’expert, insistant pour que tel ou tel travail soit cité restent assez communes.</p>
<h2>Des journaux de qualité… aux revues « prédatrices »</h2>
<p>La pression institutionnelle à publier (le sempiternel <em>Publish or Perish</em>), et les aléas naturels à toute expertise, font qu’un manuscrit sans erreur grossière finit toujours par être publié, même après un ou plusieurs refus. Ceci n’est pas forcément anormal, et génère une hiérarchie des journaux. Comme un hommage du vice à la vertu, arrivent désormais, à cause du coût faible de la mise en ligne, des <a href="http://www.nature.com/nature/journal/v544/n7651/full/544416b.html">revues « prédatrices »</a>, heureusement assez facile à identifier, prétendant à l’incontournable « évaluation par les pairs ». Moyennant finances, elle « publie » en ligne tout article soumis, en adressant un vague « rapport de relecture ».</p>
<p>Ces revues douteuses trouvent une clientèle car à l’échelle mondiale, il y a forte croissance de l’éducation universitaire. Pour des universitaires en lointaine périphérie du monde académique, publier, souvent aux frais de l’université, s’avère « rentable » pour la reconnaissance et la carrière. Cette problématique se repère aussi dans le <a href="http://www.nature.com/news/peer-review-activists-push-psychology-journals-towards-open-data-1.21549">microcosme des sciences humaines</a>, où il a été expérimenté que des textes intentionnellement abscons <a href="http://zilsel.hypotheses.org/2548">peuvent passer le filtre</a> de la « relecture ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/174263/original/file-20170617-16217-1uwepjm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un canular autour du « pénis conceptuel ». Exemple d’article <em>nonsense</em> qui a passé le filtre du « peer review » dans <em>Charlie Hebdo</em>, accompagné de la « rétractaction » formelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">_Charlie Hebdo_ et Cogent</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Quelques pistes d’évolution</h2>
<p>En conclusion, « l’évaluation par les pairs », en un sens global, reste indispensable à la vie scientifique. Le modèle des publications avec relecteurs est cependant bousculé par la mise en ligne et par l’inflation de publications. <a href="http://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/avis131216.pdf">Diverses pistes</a> pourraient être explorées pour améliorer le système :</p>
<ul>
<li><p>La mise en ligne des rapports des relecteurs peut aider à une contextualisation du travail, comme le fait toute « critique » d’une oeuvre. Cette pratique est désormais <a href="https://www.nature.com/articles/ncomms10277">en cours d’expérimentation</a>. Elle peut aussi témoigner de la qualité du journal, en montrant que l’éditeur a su choisir des experts vraiment qualifiés.</p></li>
<li><p>À rebours de l’anonymat du relecteur, des revues de prestige ont envisagé un dépôt électronique provisoire, ouvert à une critique « collégiale », avant l’éventuelle validation en « publication ». Celle-ci n’interviendrait que si des lecteurs volontaires, et bien reconnus, font des commentaires favorables. Un tel système ne peut sans doute fonctionner que pour des travaux très sélectifs, attirant des lecteurs prestigieux, enclins à commenter un bel article.</p></li>
<li><p>Imposer une traçabilité des soumissions successives éviterait la publication des travaux trop insignifiants. Actuellement, un article initialement refusé d’une revue arrive vierge de critiques lorsqu’il est envoyé à un autre journal – sauf transfert du dossier à des journaux du même groupe éditorial. Montrer que l’on a su répondre à des critiques qui ont conduit au refus de l’article n’est pas dégradant. Comme auteur, il y a certains cas où je souhaiterais pouvoir le faire. Actuellement, et de façon regrettable, cela pourrait sembler attenter à la « propriété intellectuelle » du premier journal et de son expert.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/77925/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Daniel Bloch a reçu des financements de recherche publique (nationale, européenne ou de collaborations internationales bilatérales) </span></em></p>Comment un article scientifique est-il accepté pour publication ? Quel est le rôle des pairs ? Quelles sont les dérives du système ?Daniel Bloch, Directeur de recherche au CNRS, physicien, spécialiste d’optique, lasers et nanotechnologies, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/779862017-05-21T19:48:17Z2017-05-21T19:48:17ZQu’est-ce qu’une revue scientifique ? Et… qu’est-ce qu’elle devrait être ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/169985/original/file-20170518-12263-oq0k4h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Imprimer le passé ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/32581836784/8224844591/">BLMOregon/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Qu’est-ce qu’une revue scientifique ? Avons-nous encore besoin de revues scientifiques ? Ou encore : à quels besoins pourrait répondre une revue scientifique pour qu’elle puisse encore avoir un sens dans l’environnement numérique ?</p>
<p>Je propose ici quelques réflexions sur les revues scientifiques en sciences humaines et sociales liées au travail que je mène avec mon équipe autour de la revue <a href="http://sens-public.org/">Sens public</a> (fondée en 2003 par Gérard Wormser). Ces réflexions sont issues en particulier du dialogue avec Emmanuel Château-Dutier, Jean‑Claude Guédon (<a href="http://septentrio.uit.no/index.php/nopos/article/view/3619">cf. notamment l’article Crystals of knowledge</a>), Servanne Monjour, <a href="http://nicolassauret.net/carnets/">Nicolas Sauret</a> et Gérard Wormser.</p>
<h2>La mission prétendue des revues scientifiques</h2>
<p>Je vais commencer par identifier ce qui semblerait être les fonctions de base d’une revue scientifique – si l’on s’en tient du moins au discours des éditeurs et à l’imaginaire collectif des auteurs.</p>
<p>Selon un modèle un peu naïf, on pourrait diviser les phases de la diffusion des résultats de la recherche en trois points : d’abord la production, ensuite la mise en forme et la validation et finalement la diffusion.</p>
<p>Selon ce modèle – qui, nous le verrons, est très loin de la réalité des pratiques et n’est plus aucunement souhaitable – il y aurait d’abord une phase de production du savoir scientifique qui serait prise en change par les chercheurs : pour faire simple, les chercheurs écrivent des textes. C’est seulement après cette phase qu’interviendraient les revues pour remplir deux missions principales :</p>
<ul>
<li><p>Évaluer, valider et mettre en forme les contenus. Concrètement, les revues reçoivent des articles, les font évaluer par les pairs, discutent avec l’auteur pour améliorer l’article, le mettent en forme, le corrigent.</p></li>
<li><p>Rendre ces contenus publics et accessibles : en un mot de les <em>diffuser</em>. Concrètement, l’article est imprimé ou mis en ligne pour qu’il soit public.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=152&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=152&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=152&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=191&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=191&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170024/original/file-20170518-12242-1esdqqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=191&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Revues savantes…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/6961051384/5dc494bcc1/">Tobias von der Haar/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La réalité de l’activité des revues</h2>
<p>Or ce modèle est loin de correspondre à la réalité des pratiques. Aucune de ces phases ne décrit ce qui se passe vraiment dans le monde de l’édition actuelle. La vérité est plutôt que :</p>
<p><strong>Les revues ne se chargent pas de l’évaluation</strong>. L’évaluation est prise en charge par les chercheurs, qui évaluent gracieusement les articles. La quasi-totalité des comités des revues est composée par des universitaires dont l’activité n’est pas rémunérée par les revues, mais par leur institution d’appartenance. Même le travail de mise en forme – correction de la langue par exemple – est très souvent pris en charge par des universitaires – professeurs ou étudiants.</p>
<p>Par ailleurs, le système d’évaluation par les pairs est loin d’être satisfaisant et il sert davantage à promouvoir la médiocrité qu’à garantir la qualité scientifique – mais cette question n’est pas au centre de mon propos ici et devra faire l’objet d’un autre billet.</p>
<p><strong>Les revues, dans la plupart des cas, ne diffusent pas les contenus, mais elles les prennent plutôt en otage en en limitant la circulation.</strong> Là où il suffirait de mettre un contenu sur un blog (ou le signaler sur The Conversation)pour qu’il soit accessible à tous gratuitement, plusieurs revues impriment les textes et les vendent tout en empêchant leur diffusion libre. Si l’impression a pu être dans les siècles passés un excellent moyen de diffusion, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Accéder à un texte imprimé est beaucoup plus compliqué et coûteux qu’accéder à un texte numérique.</p>
<p>Mais pour continuer à promouvoir ce modèle papier (pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la qualité scientifique des articles – mais qui relèvent bel et bien du capital symbolique de l’imprimé), les revues font résistance à la circulation numérique de leurs contenus. Même quand elles sont obligées de mettre leurs contenus en version numérique, elles essayent d’en limiter l’accessibilité avec toutes sortes de barrières – version payante, embargo, barrières mobiles ou fixes, etc.</p>
<p>Bien sûr, il y a des exceptions : toutes les revues qui font du vrai accès libre – à savoir celles qui mettent à disposition gratuitement leurs contenus sans demander ni aux lecteurs ni aux auteurs de payer.</p>
<p>Ces deux aberrations ne sont pas les seules à caractériser l’activité des revues : à cela s’ajoute une idée réductrice et nuisible de ce qu’est la production des contenus et un fétichisme inutile et limitant de la forme article.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170030/original/file-20170518-12263-154m84o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La grande conversation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/%C3%A9change-d-id%C3%A9es-d%C3%A9bat-discussion-222789/">Pixabay</a></span>
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<p>L’idée selon laquelle la production serait une phase complètement séparée de la diffusion repose en effet sur une idéalisation naïve qui dénature la réalité de la recherche. La recherche est d’abord basée sur <strong>la discussion et l’échange</strong> : on ne peut produire un contenu scientifique qu’en dialoguant avec les autres chercheurs. Aussi, la diffusion est le pivot sur lequel devrait se baser cet échange.</p>
<p>En second lieu, la forme article – née des caractéristiques spécifiques au format papier – est trop contraignante et ne répond pas – ou pas toujours – aux besoins de ce que Jean‑Claude Guédon appelle <strong>« la grande conversation scientifique »</strong>. L’environnement numérique nous donne la possibilité de mettre en place d’autres formes d’échange, beaucoup plus fluides et fructueuses : pourquoi se borner à une forme d’écriture dont le besoin n’est plus inscrit dans la matérialité du support que nous utilisons ?</p>
<p>En conclusion, les revues scientifiques sont aujourd’hui une véritable aberration. Elles produisent des effets opposés à ceux qu’elles seraient supposées produire. C’est pourquoi je cautionne complètement le point de vue d’Olivier Ertzscheid, qui affirmait en mai 2016 qu’il ne publierait <a href="http://www.affordance.typepad.com/mon_weblog/2016/05/pourquoi-je-ne-publierai-plus-dans-des-revues-scientifiques.html">plus dans des revues scientifiques</a>.</p>
<p>Pour résumer, il y a au moins trois bonnes raisons de suivre Olivier et d’arrêter de publier dans des revues scientifiques :</p>
<ul>
<li><p>Les revues ne sont pas capables de répondre à leur première mission supposée : celle de rendre les contenus visibles et accessibles.</p></li>
<li><p>Elles sont trop coûteuses et sont souvent basées sur des <a href="http://bit.ly/1krVtoS">modèles économiques aberrants</a>.</p></li>
<li><p>La circulation des contenus qu’elles mettent en place est beaucoup trop lente pour être acceptable : entre la soumission d’un article et sa publication, on doit compter parfois plus qu’un an lorsque l’on pourrait avoir des échanges sur les sujets de la recherche de façon quasi immédiate en ayant recours à un blog ou à une autre forme de publication numérique.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=373&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=373&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170028/original/file-20170518-12250-1ljzbau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=373&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ouvrez-vous !</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/5755763574/95ac67b5b8/">opensourceway/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Pourquoi existent-elles encore ?</h2>
<p>Malgré toutes ces aberrations, non seulement les revues scientifiques continuent d’exister, mais en plus elles prolifèrent. On compte aujourd’hui de plus en plus de revues, lesquelles parviennent à mobiliser de plus en plus d’argent – pensons à la croissance incroyable des chiffres d’affaires de groupes comme Elzevier (<a href="http://bit.ly/2pZQyO4">cf. études de Vincent Larivière</a>).</p>
<p>Comment expliquer ce phénomène ? Selon ce que je viens de démontrer, les revues auraient déjà dû disparaître. La raison de leur permanence est avant tout institutionnelle : les revues bénéficient encore d’un important capital symbolique qui fait en sorte que les chercheurs sont poussés à leur confier leurs articles. En particulier, comme le souligne souvent Jean‑Claude Guédon, l’évaluation des curricula est basée presque exclusivement sur les noms des revues dans lesquelles les chercheurs ont publié. Cela permet de ne pas se concentrer sur la qualité de la production académique, mais seulement sur le nom des revues qui la cautionnent.</p>
<p>Pour faire simple : il est préférable de publier un article stupide et inutile dans une revue que personne ne lit, mais dont le nom est connu, que publier un texte intelligent et qui sera lu par beaucoup de chercheurs, mais dans un blog qui n’a pas de valeur symbolique.</p>
<p>Au vu de ces considérations, il est clair qu’il est nécessaire de changer de modèle.</p>
<p>Mais comment ? La seule solution est-elle le boycott que propose par Olivier Ertzscheid ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170027/original/file-20170518-12221-2ek8q2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ouvrir l’accès.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/5537915034/c8ec2c3f47/">opensourceway/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Virtualiser les revues</h2>
<p>Pour répondre à cette question, il me semble nécessaire de faire un pas en arrière. Plus précisément, je propose de « virtualiser » les revues scientifiques dans le sens que donne à ce mot Pierre Lévy dans son célèbre <a href="http://bit.ly/2pWY115"><em>Qu’est ce que le virtuel ?</em></a> Selon Lévy, virtualiser signifie partir d’une solution pour revenir au problème auquel la solution tente de donner une réponse. Il faut donc se poser la question : à quel problème les revues essayaient-elles de répondre lors de leur naissance ? Une fois ce problème identifié, on pourra comprendre quelle pourrait être aujourd’hui la mission des revues et comment les repenser.</p>
<p>Le besoin auquel les revues offraient une réponse était <em>la communication scientifique</em>. La technologie de l’imprimé permettait de rendre plus fluides, plus rapides et plus larges dans l’espace les discussions scientifiques. Au lieu qu’être bornées aux possibilités données par l’échange en présence, les revues rendaient possibles des échanges entre des chercheurs éloignés et permettaient en plus de rendre ces échanges publics en élargissant le nombre de personnes qui pouvaient y prendre part. Les revues permettaient donc de créer des communautés en virtualisant l’espace dans lequel <strong>ces communautés pouvaient se rencontrer</strong>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Créer des communautés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f/photo/404815138/bc6060f5bd/">Divine in the Daily via Visualhunt.com</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est donc là la mission des revues et c’est à ce problème qu’elles doivent répondre : comment peut-on produire des espaces où puissent se former des communautés capables de converser et d’échanger sur des sujets scientifiques ?</p>
<p>Les revues ne doivent pas se concentrer sur la diffusion, car la diffusion n’est qu’un moyen de répondre à un besoin : celui de former des communautés. Une revue doit être avant tout un réseau d’intelligences – comme je le disais <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/12963">dans un article il y a quelques années</a>.</p>
<p>Le problème est que, jusqu’à aujourd’hui, la plupart des acteurs de la production et de la diffusion des connaissances (chercheurs, éditeurs, etc.) ont davantage essayé de protéger le modèle économique sur lequel sont basées les revues que leur véritable mission. On conserve donc une solution en oubliant le problème pour lequel cette solution a été créée. Voilà où se trouve l’aberration.</p>
<p>Les technologies numériques nous demandent de virtualiser les revues pour revenir au problème auquel elles sont appelées à répondre.</p>
<h2>La véritable mission des revues</h2>
<p>On peut identifier cette mission en la divisant en trois points :</p>
<ul>
<li><p><strong>Permettre la création de communautés.</strong> Les revues doivent créer des espaces où puissent se rencontrer et discuter des communautés. C’est ce que Jean‑Claude Guédon appelle des « territoires » : à savoir des espaces organisés par des moyens de communication. Cf. cette conférence</p></li>
<li><p><strong>Mettre la conversation au centre.</strong> L’objectif des revues ne doit pas être celui de diffuser des contenus, mais plutôt de créer des espaces de dialogue. À la limite, la présence de textes publiés n’est qu’accessoire. Ces textes peuvent se trouver ailleurs (par exemple sur des blogues, ou sur des portails de diffusion comme Érudit ou revues.org). La revue est le lieu où on échange des idées et les textes ne sont qu’un des outils possibles pour mettre en place la conversation. Les formes que ces textes peuvent prendre sont diverses et hétérogènes : il peut s’agir d’article, mais aussi de formes beaucoup plus courtes ou beaucoup plus longues.</p></li>
<li><p><strong>Créer des modèles de semi-stabilisation des connaissances.</strong> C’est ce que Jean‑Claude Guédon appelle des <a href="http://septentrio.uit.no/index.php/nopos/article/view/3619">cristaux de connaissance</a>. La discussion arrive parfois à des moments de stabilité et laisse émerger des contenus (plus ou moins fragmentaires) qui semblent s’imposer comme des connaissances. Ce sont ces cristaux qui portent les résultats de la recherche.</p></li>
</ul>
<p>Dans ce sens, les phases de production, de validation et de diffusion des connaissances sont entremêlées. Les revues créent les conditions de la production du savoir en produisant des territoires où les communautés peuvent converser ; la diffusion et la validation sont des processus qui s’entrecroisent avec l’écriture et la production. Cela implique évidemment un changement des modèles institutionnels d’évaluation des curricula : un chercheur devra être évalué pour sa contribution à l’avancement de la recherche, laquelle qui pourra se faire sous différentes formes : l’écriture d’un commentaire, la participation à une discussion, la correction de certaines informations…</p>
<p>Dans le cadre de la refonte du modèle éditorial de la revue <em>Sens public</em> que je dirige, nous travaillons – avec Nicolas Sauret, Gérard Wormser et Servanne Monjour, à mettre en place un paradigme de ce type (<a href="http://nicolassauret.net/carnet/2017/05/17/communication-au-colloque-la-publication-savante-en-contexte-numerique-acfas/">cf. ce billet de Nicolas Sauret</a>). Selon nous, l’ensemble des informations présentes dans les textes de la revue sera utilisé pour produire un territoire : les personnes citées dans un texte, par exemple, seront invitées à le commenter ; d’autres textes disponibles sur le web seront mis en relation avec les articles de la revue, avec l’objectif de créer une base commune de discussion qui aille au-delà du simple texte ; les annotations, les commentaires et les discussions seront mis en avant sur le site à la place des articles.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Vm50iaR0a8s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les technologies numériques – et en particulier les outils du web sémantique – doivent être au centre de ce travail : pour que cette création de territoire soit possible, il faut être en mesure d’identifier les personnes, les mots-clés, les entités nommées pour les mettre en relation. Le territoire émerge de ces relations.</p>
<p>Des outils comme l’API de <a href="http://rechercheisidore.fr/">rechercheisidore.fr</a> seront fondamentaux pour réaliser ce projet. En interrogeant l’API, on sera en mesure, par exemple, de récupérer des informations sur un auteur cité dans le texte, de récupérer ses autres articles ainsi que des informations sur ses comptes dans les réseaux sociaux. La conversation ne peut exister que si elle accepte la décentralisation : elle ne se fera pas seulement sur un site, mais dans un territoire qui comprendra plusieurs plateformes que le site devra agréger.</p>
<p>Ce type de projet est chargé d’enjeux institutionnels : comment ces activités de recherche seront-elles comptabilisées dans l’évaluation des CV ? Est-ce que les organismes subventionnaires reconnaîtront ces formes de production, de validation et de circulation du savoir ? Quels modèles mettra-t-on en place pour attribuer aux chercheurs leur travail de recherche ?</p>
<p>Le pari est de taille, mais il est nécessaire de le relever si l’on veut trouver encore un sens aux revues scientifiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Marcello Vitali-Rosati a reçu des financements du CRSH et du FRQSC. </span></em></p>Étude critique de la place des publications scientifiques traditionnelles dans le système du savoir actuel. Et comment s’en passer… ou les dépasser.Marcello Vitali-Rosati, Professeur agrégé au département des littératures de langue française, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/769232017-05-04T22:15:15Z2017-05-04T22:15:15ZPlanète science : Beijing, New York, Tokyo, grands producteurs de « publis »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/167987/original/file-20170504-21637-nh29ny.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Earth</span> <span class="attribution"><span class="source">stux/pixabay</span></span></figcaption></figure><p>Dans nos sociétés dites de la connaissance, la mesure de l’activité scientifique revêt une dimension politique certaine. Pour éviter des interprétations caricaturales, comme celles issues des lectures du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Classement_acad%C3%A9mique_des_universit%C3%A9s_mondiales_par_l'universit%C3%A9_Jiao_Tong_de_Shanghai">« classement de Shanghai »</a>, nous proposons d’envisager le monde scientifique à partir des publications des chercheurs. Nos cartes restent à analyser avec précaution, car focalisées sur un seul indicateur issu du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Web_of_Science"><em>Web of Science</em></a>, la plus ancienne et la plus complète des bases de données bibliographiques mondiales sur la science (plus de 1,5 million d’articles en 2012).</p>
<p> <br><strong>Combinaison d’une représentation en anamorphose et d’une projection Dymaxion (voir plus bas).</strong></p>
<iframe id="infographie-ID1228" src="https://data-tc.com/iframe/?infography=1228" width="100%" height="450" frameborder="0" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p><em>Conception et réalisation : M. Baron et L. Jégou pour <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/">Géoconfluences</a>. D’après <a href="https://www.thomsonreuters.com/en.html">Thomson-Reuters</a> Web of Science 2015, <a href="http://www.naturalearthdata.com/">Natural Earth Data</a>, 2016.</em></p>
<p>La superficie de chacun des pays est ici proportionnelle au nombre d’articles scientifiques publiés en 2010-2011. Cette information est complétée par la localisation et le poids de chacune des 100 premières villes « scientifiques ». Apparaît alors une planète de la recherche très déformée et plutôt polarisée. 130 pays, dont beaucoup de pays africains, ne regroupent que 1 % des articles publiés dans le monde. En parallèle, les 100 plus grandes villes de la science concentrent à elles seules plus de 57 % de l’activité scientifique mondiale.</p>
<p>Elles sont situées, pour un premier tiers, en Amérique du Nord (New York et Boston respectivement au 2<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> rang mondial), pour un deuxième tiers en Europe (Londres et Paris 4<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup>) et pour 20 % en Chine et au Japon (Beijing, 1<sup>er</sup>, Tokyo et Osaka, 3<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup>). Les États-Unis sont de très loin le premier contributeur, avec près de 325 000 articles (plus du quart de l’ensemble mondial). Reste l’image d’un monde scientifique très « étroit ».</p>
<p> <br><strong>Anamorphose</strong></p>
<iframe id="infographie-ID1223" src="https://data-tc.com/iframe/?infography=1223" width="100%" height="450" frameborder="0" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p>L’anamorphose correspond à une transformation du fond de carte en fonction du nombre de publications scientifiques (voir la petite carte annexe sur le choix de l’anamorphose). Plus précisément, cette technique consiste à déformer la géométrie des pays d’un fond de carte classique pour obtenir des surfaces proportionnelles à une quantité, tout en préservant au mieux la position respective des pays sur le planisphère et la continuité des frontières. La superficie de chacun des pays est ainsi proportionnelle au nombre d’articles scientifiques publiés. On limite la surreprésentation de pays dont la superficie est importante comme la Russie.</p>
<p> <br><strong>Projection Dymaxion</strong></p>
<iframe id="infographie-ID1219" src="https://data-tc.com/iframe/?infography=1219" width="100%" height="420" frameborder="0" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p>L’utilisation d’une projection Dymaxion, inventée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Buckminster_Fuller">R. Buckminster Fuller</a> en 1954, se justifie par la volonté de ne pas présenter le monde selon une orientation nord/sud et une coupure par le Pacifique, pratiques certes habituelles en Europe, mais utilisées par convention, sans justification scientifique précise. Comme nous tentons d’identifier les foyers concentrant les publications recensées dans le WoS, une des meilleures façons d’y parvenir est de sélectionner ce type projection. Enfin, la Dymaxion est équivalente : elle ne déforme pas les surfaces des continents, qu’elle présente comme une grande île centrale. Elle permet ainsi une comparaison plus aisée entre les pays.</p>
<hr>
<p><em>Ces visualisations ont été initialement publiées par <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/carte-a-la-une-le-monde-selon-web-of-science">Géoconfluences</a>. Pour en savoir plus : le <a href="http://mappemonde-archive.mgm.fr/dos_science.html">dossier de la revue M@ppemonde</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76923/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La planète science est plutôt restreinte : les 100 plus grandes villes « scientifiques », situées essentiellement en Occident, en Chine et au Japon concentrent plus de 57 % de l’activité mondiale.Myriam Baron, professeur des universités en géographie humaine, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Laurent Jégou, Maître de conférences en géographie, Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/745032017-03-14T22:18:24Z2017-03-14T22:18:24ZLa course d’obstacles des « publis »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/160695/original/image-20170314-10727-11zzuq5.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C32%2C1096%2C705&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Publish or perish.</span> </figcaption></figure><p>La rédaction d’un article scientifique constitue l’aboutissement naturel de tous les travaux de recherche. Les contributions soumises aux revues primaires passent par une étape dite de <a href="https://www.elsevier.com/reviewers/what-is-peer-review">relecture et révision par les pairs</a> ; c’est-à-dire que d’autres chercheurs du domaine, sous une garantie d’anonymat et en l’absence de conflit d’intérêt, se portent garants que les travaux proposés à la publication respectent les standards de qualité attendus par la communauté scientifique.</p>
<p>Le processus de révision par les pairs <a href="https://f1000research.com/articles/4-1244/v1">n’est pas parfait</a>, mais les chercheurs, les acteurs du monde socio-économique et une partie croissante de l’opinion publique reconnaissent son importance pour la bonne marche de la science et son intégration dans les décisions politiques.</p>
<p>La révision par les pairs n’est cependant qu’une étape dans le long processus qui transforme une hypothèse de recherche en un article scientifique publié. Comment tout cela se passe-t-il ?</p>
<h2>Upfront rejection : le premier obstacle à la publication</h2>
<p>Tout chercheur souhaitant voir son travail publié dans une revue à comité de lecture doit préalablement l’organiser dans un document formaté selon les instructions de la revue qu’il a ciblé, et le soumettre pour considération et évaluation en utilisant une plateforme web dédiée. À ce stade, les éditeurs et les services éditoriaux effectuent une évaluation préliminaire des soumissions. Certaines, parmi elles, seront envoyées dans le circuit de la révision par les pairs. D’autres seront retournées directement aux auteurs. En anglais, cette deuxième possibilité du processus prend le nom d’<em>upfront rejection</em>. On peut la traduire par « rejet de l’article en amont du processus de publication ».</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=597&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=597&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=597&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160696/original/image-20170314-10735-1wdlaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dossier incomplet…</span>
<span class="attribution"><span class="source">ijarbs.com</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Une telle décision de rejet ne juge pas (nécessairement) de la qualité scientifique d’une soumission. Elle se préoccupe avant tout de vérifier au préalable qu’elle soit en phase avec les attentes des lectrices et lecteurs du journal sollicité. De ce fait, certains articles peuvent être refusés sans révision par les pairs, simplement pourquoi ils ne rentrent pas dans les objectifs et les champs d’intérêt de la revue en question.</p>
<p>D’autres raisons éditoriales pour un tel refus sont aussi valables. Par exemple, un article avec un niveau d’anglais trop mauvais (la langue anglaise étant la plus communément utilisée dans les revues internationales) ne pourra pas être correctement évalué pour son contenu scientifique. De plus, cette pratique d’<em>upfront rejection</em> peut décourager <a href="https://ori.hhs.gov/avoiding-plagiarism-self-plagiarism-and-other-questionable-writing-practices-guide-ethical-writing">certaines pratiques scientifiquement discutables</a> telle que le <em>salami slicing</em> (on divise un travail scientifique dans deux ou plusieurs contributions) ou les articles multiples (la répétition d’un même travail avec des changements minimes, par exemple de modèle biologique ou de contaminant). La pression pour publier rapidement le plus grand nombre de travaux possible peut en effet inciter les auteurs à se laisser tenter par ces pratiques afin d’augmenter (ou plutôt, enfler) leur productivité et leur <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/H-index">index-h</a> (il s’agit d’une mesure du nombre de citations des travaux d’un auteur dans d’autres publications).</p>
<p>Au final, l’<em>upfront rejection</em> préserve le temps des réviseurs (qui sont aussi des chercheurs donnant volontairement et gratuitement une partie de leur temps) : il s’agit en effet de leur laisser du temps pour les soumissions davantage susceptibles d’apporter de nouvelles connaissances.</p>
<h2>Attention aux dérives</h2>
<p>Hormis les raisons scientifiquement fondées discutées ci-dessus, des articles expliquent aussi aux auteurs comment éviter une <em>upfront rejection</em> en choisissant « des titres attrayants » ou encore de « raconter une histoire (scientifique) excitante et convaincante ». Ces types de recommandations relèvent de la communication plutôt que de la science proprement dite. L’attirance de certains éditeurs pour ces aspects journalistiques (la connotation n’est ici pas négative) de l’écriture scientifique découle, du moins en parti, du désir (ou peut-être de la nécessité) de maintenir ou augmenter le facteur d’impact d’une revue scientifique.</p>
<p>Or, bien qu’un article bien écrit soit sûrement plus agréable à lire, les scientifiques ne possèdent pas toujours une facilité d’écriture dans une langue autre que la leur. De plus, des résultats scientifiques solides et importants doivent recevoir toute l’attention qu’ils méritent pourvu qu’ils soient communiqués de façon intelligible. Ce type d’exigences de la part des éditeurs peut conduire les auteurs à choisir pour leurs travaux des titres attractifs qui, souvent, exagèrent ou, pire, déforment la portée des résultats. Ceci dans le seul but de faire une impression favorable sur les éditeurs et de pouvoir passer à l’étape de révision par les pairs.</p>
<p>Le rejet d’une soumission suite à un non-respect des instructions de format doit aussi être l’objet de débat puisqu’il revient à transférer une partie du travail des sociétés de publications (le plus souvent des organisations commerciales à but lucratif ; même dans le domaine de l’accès ouvert) sur les auteurs. Or, ces derniers travaillent dans les institutions de recherche qui paient déjà pour l’accès aux contenus de ces mêmes revues… La compétition accrue pour l’espace disponible pour les publications oblige aussi les auteurs à respecter des limites de nombres de pages très strictes (sinon, ils risquent une <em>upfront rejection</em> ou des frais supplémentaires de publication). Hélas, des travaux d’envergure et des interprétations approfondies des résultats (deux aspects très appréciés, aussi bien par les éditeurs que par les lecteurs) demandent inévitablement plus d’espace.</p>
<p>Au-delà de ces points de vigilance, la plus mauvaise raison pour une <em>upfront rejection</em> a été formulée de la façon suivante (ma traduction à partir de l’anglais) : « Des contributions ayant peu de probabilité d’être citées seront retournées aux auteurs sans révision par les pairs même si elles constituent des bons exemples de recherche ».</p>
<h2>L’intrusion du marché dans le processus de publication</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/160698/original/image-20170314-10755-ljxnhr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un article scientifique sur le rejet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://journals.ametsoc.org/doi/abs/10.1175/2009BAMS2908.1">AMS</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En d’autres mots, le potentiel de marché (c’est-à-dire le nombre de citations attendu) d’un travail peut déterminer s’il faut investir du temps et de l’énergie pour le rendre disponible à la communauté scientifique. Cette situation est extrêmement regrettable étant donné que le potentiel de marché d’un travail dépend aussi des modes, transitoires, dans la recherche, et des politiques éditoriales des revues elles aussi, périodiquement révisées.</p>
<p>Malgré le manque de fondements scientifiques pour certaines décisions d’<em>upfront rejection</em>, il faut aussi souligner que certains chercheurs envoient systématiquement leurs contributions aux revues avec le plus fort facteur d’impact possible. Cette stratégie (scientifiquement non éthique) repose sur l’espoir qu’une contribution puisse passer à travers les mailles du processus de révision par les pairs en apportant davantage de prestige aux auteurs et à leurs institutions. Les personnes s’adonnant à ces pratiques font normalement de la recherche de bonne qualité, mais elles cèdent à la pression d’essayer de « vendre leur travail à de revues avec les facteurs d’impact les plus élevés » au lieu de soumettre directement leur travail à un journal plus approprié. Ceci est un abus qui occupe le temps des éditeurs et aussi des auteurs qui, à chaque refus avant ou après révision par les pairs, doivent préparer à nouveau une soumission pour un autre journal.</p>
<h2>Auteurs et éditeurs ensemble pour des « publis » de qualité</h2>
<p>Au vu de ces considérations, cet instrument d’<em>upfront rejection</em> est carrément une étape importante dans le processus de la publication scientifique. Les éditeurs (qui sont aussi souvent des scientifiques donnant gratuitement de leur temps) ne doivent pas être critiqués trop durement pour les erreurs de jugement qu’ils peuvent commettre. D’autre part, la communauté scientifique doit maintenir une certaine pression sur l’industrie de la publication pour en limiter les dérives possibles. Il s’agit de garantir que des raisons de marché (comprendre une évaluation (subjective) du nombre potentiel de citations qu’un article pourrait attirer), des questions de format et de style, ou encore la capacité des auteurs de présenter leur recherche ne soient pas utilisés comme critères pour présélectionner la recherche qui est soumise à l’évaluation par les pairs en vue de sa publication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/74503/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Davide VIGNATI ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La publication scientifique est une étape importante de la vie d’un chercheur. Pourquoi certaines sont-elles refusées ?Davide VIGNATI, Chargé de recherche au CNRS, Chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.