tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/ruralite-25015/articlesruralité – The Conversation2024-02-25T16:27:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2233872024-02-25T16:27:23Z2024-02-25T16:27:23ZComment la société française a appris à mépriser les « paysans » et leurs « patois »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/577081/original/file-20240221-20-u0u13t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C102%2C1537%2C960&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une chanson en patois limousin. Carte postale ancienne. </span> </figcaption></figure><p>Les manifestations récentes par lesquelles le monde agricole français a fait entendre ses protestations et ses revendications ont, une fois de plus, fait apparaître des différences profondes, voire des fractures, <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-malaise-des-agriculteurs-127862">entre le monde rural et le monde urbain</a> et plus encore entre des images valorisantes de l’urbanité et <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">dévalorisantes de la ruralité</a>.</p>
<p>La France moderne a été construite depuis <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-paris--9782707182623-page-39.htm">Paris</a>, <a href="https://www.cairn.info/sociologie-historique-du-politique--9782707196477-page-19.htm">lieu de la puissance politique</a>, en développant un sentiment de supériorité de la capitale sur « la province » (le singulier est significatif) et des villes (supposées modernes) sur les campagnes (supposées arriérées). Au lieu d’être fédérale, vu sa diversité, « la France est un pays dont l’unité a été construite à coups de cravache […] par l’autorité de l’État central », <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/lantisemitisme-de-laffaire-dreyfus-a-miss-france-en-passant-par-laffaire-epstein">selon Jean Viard</a>.</p>
<p>Les normes sociales valorisées ont donc été celles, urbaines, de la <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-paris--9782707182623-page-39.htm">ville-capitale</a> érigée en phare de l’État hypercentralisé. On le voit, par exemple, dans le fait qu’en français le mot <a href="http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?13;s=802211895;r=1;nat=;sol=2;">urbain</a> a le double sens « de la ville » et « poli, courtois » et que le mot <a href="http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?71;s=802211895;r=2;nat=;sol=0;">paysan</a> a le double sens de « rural, agricole » et « rustre, grossier ». Ce mode de relation est clairement confirmé par une analyse sociolinguistique plus large, comme on va le voir ci-après. En effet, la sociolinguistique a pour but d’étudier principalement deux choses : les effets de l’organisation d’une société sur les langues qu’on y parle et ce que la place faite aux langues révèle de l’organisation de cette société.</p>
<h2>Paris, ses bourgeois et leur langue érigés en modèle</h2>
<p>C’est en effet la langue de la capitale qui a été imposée notamment <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HIST_FR_s8_Revolution1789.htm">à partir de la Révolution française</a> à l’ensemble des populations progressivement rattachées à la France. Elle est considérée comme la <a href="https://theconversation.com/le-conseil-constitutionnel-a-deja-pris-des-decisions-plus-politiques-que-juridiques-lexemple-des-langues-dites-regionales-203771">langue « normale » en France</a>. Et c’est le français des classes supérieures parisiennes qui a été prescrit comme modèle d’expression. Ainsi le <a href="https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2018/01/Claude-Favre-de-Vaugelas.pdf">grammairien Vaugelas définissait-il ce « bon français » en 1647</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La façon de parler de la plus saine partie de la Cour […] Quand je dis la cour, j’y comprends les femmes comme les hommes, et plusieurs personnes de la ville où le prince réside. »</p>
</blockquote>
<p>La prétendue supériorité universelle du français, par opposition à toutes les autres langues et d’autant plus aux « patois régionaux », affirmée dès 1784 par le pamphlétaire <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81622t.image">Rivarol</a>, est régulièrement reprise dans les discours étatiques <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/30/inauguration-de-la-cite-internationale-de-la-langue-francaise-a-villers-cotterets">jusqu’à aujourd’hui</a>, par exemple par le président de la République lui-même lorsqu’il inaugure une <a href="https://blogs.mediapart.fr/philippe-blanchet/blog/141020/cite-de-la-langue-francaise-villers-cotterets-le-contresens-d-un-mythe-national">cité qui cultive les mythes</a> sur la langue française.</p>
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<p>Tout au long du XIX<sup>e</sup> siècle, la construction de la nation française passe par cette vision de la langue française, que l’école de la III<sup>e</sup> République (1870-1940) est chargée de mettre en œuvre de façon particulièrement offensive.</p>
<p>En 1951, le phonéticien Pierre Fouché poursuit cette vision suprémaciste de la langue de Paris et de ses classes dominantes en établissant pour l’enseignement une <a href="https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2015-1-page-7.htm">norme de prononciation du français</a> sur le modèle d’une « conversation soignée chez des Parisiens cultivés ».</p>
<h2>Les « patois pauvres et corrompus » des campagnes « provinciales »</h2>
<p>Quant aux autres <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/monde/langues_de_France.htm">langues de France</a>, comme on les appelle depuis 1999, elles ont, à l’inverse, été disqualifiées par le nom de « patois » au départ méprisant, par l’association au seul monde rural et à une arriération prétendue. L’origine du mot « patois » est discutée, mais il est très probable qu’il vienne du verbe « patoiller » qui veut dire soit « marcher dans la boue, barboter, patauger », soit « gesticuler, parler en faisant des signes avec les mains ». Dans les deux cas, c’est un terme péjoratif à l’origine.</p>
<p>Or, tout ceci est doublement faux : ces langues étaient aussi celles des villes (à Marseille par exemple le provençal était la langue générale jusque dans les années 1920) et d’intellectuels (Frédéric Mistral, licencié en droit, a reçu le prix Nobel de littérature pour son œuvre toute en provençal).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577083/original/file-20240221-30-6eyjyr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Frédéric Mistral.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais les préjugés sont fondés sur un aveuglement pour ne voir que ce que l’on veut voir. Ainsi, on lit dans <a href="http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/page/v12-p184/">l’Encyclopédie</a> (1765) :</p>
<blockquote>
<p>« Patois : Langage corrompu tel qu’il se parle presque dans toutes les provinces : chacune a son patois ; ainsi nous avons le patois bourguignon, le patois normand, le patois champenois, le patois gascon, le patois provençal, etc. On ne parle la langue que dans la capitale. »</p>
</blockquote>
<p>Le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3413126b">Dictionnaire de Furetière</a> (1690) précisait :</p>
<blockquote>
<p>« Langage corrompu et grossier tel que celui du menu peuple, des paysans, et des enfants qui ne savent pas encore bien prononcer. »</p>
</blockquote>
<p>À la création de la 1<sup>ere</sup> République française, ses responsables considéraient ainsi que dans les provinces on parlait « ces jargons barbares et ces idiomes grossiers » à « éradiquer » (<a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/barere-rapport.htm">Rapport Barrère</a>, publié en 1794). Pourquoi ? Parce que « nous n’avons plus de provinces et nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms » dont « deux idiomes très dégénérés » et parce que « l’homme des campagnes, peu accoutumé à généraliser ses idées, manquera toujours de termes abstraits » à cause de cette « inévitable pauvreté de langage, qui resserre l’esprit » disait le <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/gregoire-rapport.htm">Rapport Grégoire</a> (publié en 1794). Il ajoutait « les nègres de nos colonies, dont vous avez fait des hommes, ont une espèce d’idiome pauvre », ne mesurant pas le racisme linguistique de son propos. </p>
<p>Le mépris des provinciaux, des ruraux et de leurs langues, alimentés par ces préjugés conjugués, a été sans borne. Il a culminé au XIX<sup>e</sup> siècle sous la forme d’un véritable racisme, dont celui contre les <a href="https://hal.science/hal-00879629/document">Bretons</a> ou les <a href="https://www.codhis-sdgd.ch/wp-content/uploads/2020/11/Didactica-6_2020_Piot.pdf">Méridionaux</a>, bien attesté.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=986&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=986&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=986&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1238&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1238&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577084/original/file-20240221-22-7v1o6p.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1238&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le rapport de l’Abbé Grégoire.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’époque <a href="http://www.sociolinguistique.fr/">l’étude scientifique des langues</a> n’existait pas encore. La sociolinguistique, qui se développe à partir des années 1950-1970, a montré par la suite que toutes les langues sont égales (y compris celles dites « patois ») : aucune n’est supérieure ou inférieure à une autre en raison de ses caractéristiques proprement linguistiques. Ce sont les hiérarchisations sociales qui se reflètent en hiérarchisation des langues ou de leurs variétés locales ou sociales particulières.</p>
<p>Hélas, comme on l’observe trop souvent et encore plus à l’époque des « fake news », les connaissances scientifiques ont du mal à remplacer les croyances répandues dans l’opinion publique. C’est d’autant plus le cas quand il s’agit de langues en France, pays où a été instaurée une véritable <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/11/25/le-francais-religion-d-etat-par-bernard-cerquiglini_343309_1819218.html">religion nationale de la langue française</a> accompagnée d’une sorte d’excommunication des autres langues.</p>
<p>En conséquence, cette conception est encore présente de nos jours. Le <a href="http://atilf.atilf.fr/">Trésor de la Langue française</a> (CNRS) la décrit ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Patois : Parler essentiellement oral, pratiqué dans une localité ou un groupe de localités, principalement rurales. Système linguistique restreint fonctionnant en un point déterminé ou dans un espace géographique réduit, sans statut culturel et social stable […]. Langage obscur et inintelligible. Synonymes : baragouin, charabia, jargon. »</p>
</blockquote>
<h2>Le « plouc » et son parler aussi méprisés l’un que l’autre</h2>
<p>Aujourd’hui encore, le stéréotype du « plouc » est fortement voire principalement constitué de caractéristiques linguistiques (“phrase, accent, prononciation, langue”), comme le montre <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-de-communication-2018-1-page-55.htm?contenu=article">l’étude de Corentin Roquebert</a>, qui conclut :</p>
<blockquote>
<p>« On peut relever l’association forte entre des catégories et des objets plus ou moins valorisés socialement, ce qui favorise l’expression d’un jugement social positif ou négatif sur une population : le beauf comme personnage raciste et sexiste, le hipster branché et cool qui n’aime pas le mainstream, la prononciation et l’accent du plouc. »</p>
</blockquote>
<p>Les préjugés <a href="https://theconversation.com/lenvers-des-mots-glottophobie-219038">glottophobes</a> contre des « patois » supposés employés (uniquement) par des « paysans » <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/10/les-deux-bouts-de-la-langue-par-michel-onfray_1386278_3232.html">sont toujours là</a>. Et même quand les « paysans » et autres « provinciaux » ont finalement adopté le français, bon gré mal gré, on continue à stigmatiser les <a href="https://francaisdenosregions.com">traces de leurs “patois” dans leurs façons de parler français</a> : mots locaux, expressions, tournures, et <a href="https://www.lexpress.fr/societe/discrimination-a-l-embauche-moqueries-cette-france-allergique-aux-accents-regionaux_2126439.html">surtout accent</a>…</p>
<p>Le pseudo raisonnement, fondé sur des préjugés, est circulaire : les « patois » ne sont pas de vraies langues puisqu’ils sont parlés par des « paysans »/les « paysans » sont des rustres puisqu’ils parlent « patois ». Les deux stéréotypes négatifs projetés simultanément sur les « paysans » et sur les « patois » (ou les « accents » qu’il en reste), associés les uns aux autres, se renforcent réciproquement et produisent un mépris de classe renforcé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Blanchet est membre de la Ligue des Droits de l'Homme.</span></em></p>Comment s’est imposée la prétendue supériorité universelle du français, par opposition aux patois régionaux ?Philippe Blanchet, Chair professor, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241062024-02-25T16:26:54Z2024-02-25T16:26:54ZMobilisations agricoles : où (en) sont les femmes ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/21/colere-des-agriculteurs-gabriel-attal-annonce-un-nouveau-projet-de-loi-d-ici-l-ete-pour-renforcer-le-dispositif-egalim_6217681_823448.html">« Colère des agriculteurs »</a>, « Manifestation des agriculteurs », « Blocage des agriculteurs ». Ces titres de presse éclairent à double titre l’invisibilisation de la participation et de l’expression syndicale des femmes dans le <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">secteur agricole</a> : numériquement, en signifiant leur absence des scènes médiatiques et des terrains de la mobilisation, symboliquement, en renvoyant la <a href="https://theconversation.com/les-mouvements-de-contestation-des-agriculteurs-servent-ils-a-quelque-chose-221889">grogne</a> de la profession à des considérations uniquement portées par les hommes.</p>
<p>Les femmes représentaient en 2020 <a href="https://www.msa.fr/lfp/documents/98830/28556362/Population+f%C3%A9minine+en+agriculture+en+2020.pdf">26 % des chef·fe·s d’exploitation</a>, une part qui reste relativement stable. Elles sont majoritairement présentes en élevage et exercent davantage dans les filières de petits ruminants (caprins, ovins lait et viande), équine et avicole, qui généralement renvoient à des structures économiques de taille moyenne et petite.</p>
<p>Les <a href="https://www.oxfamfrance.org/app/uploads/2023/02/Oxfam_mediabrief_agriculture_Vdef.pdf">études</a> montrent que les femmes doivent se confronter à des représentations sociales qui peuvent décrédibiliser leur projet agricole : visions stéréotypées de ce qu’est « un exploitant agricole », remise en cause de la légitimité, remarques sexistes émanant des professionnel·le·s des instances agricoles telles que les commissions d’attribution des terres, banques, techniciens, bailleurs/futurs cédants, associations de développement agricole, etc. Plus généralement, des doutes persistent quant à la capacité d’une jeune femme à s’installer seule et les femmes sont soumises au test répété de leurs compétences.</p>
<p>Un constat qui par ailleurs contraste avec la féminisation des trois principales directions syndicales agricoles, à la tête desquelles œuvrent ou ont œuvré <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/christiane-lambert-lagricultrice-la-plus-courtisee-de-france-2076504">Christiane Lambert</a> (pour la FNSEA), <a href="https://www.lecese.fr/membre/veronique-le-floch">Véronique le Floch</a> (pour la coordination rurale) et <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/salon-de-l-agriculture-emmanuel-macron-prevoit-un-moment-de-discussion-un-peu-long-avec-avec-les-syndicats-lors-de-l-inauguration-selon-la-confederation-paysanne_6373798.html">Laurence Marandola</a> (pour la Confédération paysanne).</p>
<p>Comment éclairer ce paradoxe d’une profession qui continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance du monde agricole ?</p>
<h2>Des rôles genrés dans la mobilisation</h2>
<p>Une première manière de répondre à cette apparente contradiction est de s’intéresser à la place qu’occupe objectivement les femmes dans l’organisation des événements manifestants. Malgré l’accaparement de la parole par les hommes depuis le coup d’envoi de la mobilisation, les agricultrices n’en sont pas pour autant absentes mais les rôles attribués aux hommes et aux femmes ne sont pas les mêmes : aux premiers les actions commandos et coups de force médiatiques, aux secondes les opérations de sensibilisation.</p>
<p>Les agricultrices invoquent alors un style « manifestant » complémentaire à celui des hommes.</p>
<p>Elles se présentent comme celles qui « prennent la relève » des hommes mobilisés, comme dans le cas <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">du barrage gersois de Dému</a> le 28 janvier dernier où est organisé, à l’initiative des agricultrices du département, une <a href="https://www.ladepeche.fr/2024/01/27/colere-des-agriculteurs-les-femmes-prennent-la-releve-sur-le-barrage-de-demu-dans-le-gers-11725617.php">journée dédiée aux femmes et aux familles</a>. Elles se représentent aussi comme celles qui « prennent le relais » sur les exploitations, en apportant <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/temoignages-sur-une-exploitation-une-femme-c-est-primordial-conjointes-meres-exploitantes-les-femmes-soutien-indefectible-des-agriculteurs-2914130.html%C3%A0">leur soutien à l’arrière</a>, incarnant ainsi les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2013-3-page-99.htm">« épouses honorables et les gardiennes indéfectibles »</a> de la communauté familiale.</p>
<p>Leur prise de parole repose sur un <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=SR_024_0043">mode d’argumentation moral et humaniste</a>, plutôt que directement politique ou syndical. Tout autant qu’elle vise l’apaisement après les excès de violence masculins, leur participation, parce que rare, a comme objectif de convaincre l’opinion publique de la profondeur du <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">« malaise »</a> paysan. Produit d’une conception relativement traditionnelle des rôles de genre dans la profession, cette tactique de mobilisation (assurer l’arrière/prendre le relais/incarner une parole apaisante) est également un ressort de mobilisation stratégiquement encouragé par les organisations dominantes du gouvernement de l’agriculture et ses fractions les plus conservatrices.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</a>
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<h2>Observer plus finement les actions de basse intensité</h2>
<p>Une seconde réponse à apporter est de regarder autrement les façons de militer pour la profession agricole. Si les médias portent les coups de projecteurs sur des répertoires d’action à forte dimension protestataires, une analyse du travail syndical agricole attentive aux rapports de genre réclame que l’on dépasse ces seuls temps forts de mobilisation pour davantage envisager les actions de promotion professionnelle dites <a href="https://www.theses.fr/2017REN1G038">« de basse intensité »</a>.</p>
<p>Nous entendons par ce terme l’ensemble des événements festifs, ludiques et récréatifs où se construit « discrètement » la défense de la cause agricole. Très régulièrement en effet, les agricultrices, réunis en collectif, mènent des actions de promotion de leur métier destinées à qui repose sur l’ouverture au public de leur territoire professionnel.</p>
<p>On pense ainsi aux portes ouvertes sur les exploitations, l’accueil de groupes scolaires, l’organisation d’animations autour de l’agriculture lors de salons agricoles locaux, les manifestations sportives ou des festivals…</p>
<p>Rien de surprenant alors que l’opération baptisée « sur la paille », lancée par la Coordination rurale de la Vendée au lendemain de l’annonce des mesures par le premier ministre Gabriel Attal, soit venue <a href="https://www.challenges.fr/economie/les-agriculteurs-sur-la-paille-se-deshabillent-pour-repondre-a-attal_881579">d’une agricultrice</a>. Rompant avec les habituels feux de pneus et épandages de lisiers, les manifestants présents ont exprimé leur ras-le-bol en entonnant, dévêtus derrière une large banderole, des chants.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pZDi4oped0o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Premier week-end de mobilisation pour les agriculteurs de Vendée (TV Vendée Actu, 29 janvier 2024).</span></figcaption>
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<p>Un registre humoristique qui n’est pas nouveau : des agricultrices avaient déjà posé en maillot de bain en 2014 <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/rennes-35000/rennes-des-agricultrices-en-maillots-de-bain-pour-un-calendrier-2906455">pour la réalisation d’un calendrier</a> dont les bénéfices avaient été reversés à la recherche contre le cancer du sein.</p>
<h2>Les mandats agricoles de plus en plus tenus par des femmes</h2>
<p>Une autre forme d’engagement politique fort des femmes néanmoins peu analysée est leur place croissant au sein d’organisations professionnelles ou syndicales.</p>
<p>Certes le nombre d’agricultrices occupant des postes à responsabilité dans les organisations agricoles augmente tendanciellement. Ainsi, depuis 2012, les assemblées des chambres d’agriculture comptent un tiers de femmes. Globalement, les organisations agricoles cherchent à ce que leurs conseils d’administration soient composés d’au moins 30 % de femmes afin d’atteindre la représentation dite « miroir », c’est-à-dire <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2014-2-page-183.htm">descriptive</a>.</p>
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<p>Cependant, un très fort plafond de verre limite la progression des femmes dans la hiérarchie des mandats. Ainsi le nombre de femmes présidentes de chambres départementales d’agriculture reste très limité, <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-615/r16-61512.html">on en compte trois à ce jour</a> : Drôme, Lozère et Côtes-d’Armor.</p>
<p>C’est également un mur de verre qui contribue à une répartition stéréotypée des mandats entre, d’une part, une surreprésentation des femmes dans les fonctions relevant des domaines considérés comme typiquement féminins (le social, la communication, la diversification) et, d’autre part, leur quasi-absence dans les mandats économiques et techniques les plus prestigieux. Au sein des coopératives d’utilisation de matériel agricole mais surtout dans les grands groupes industriels qui pèsent pourtant dans les orientations stratégiques et économiques de la profession, les femmes sont encore très peu présentes.</p>
<h2>Le manque de ressources</h2>
<p>Un ensemble de facteurs expliquent cette dichotomie. D’abord, comme elles sont rarement héritières de leurs entreprises par transmission familiale, elles estiment que les connaissances clefs du « milieu » leur font défaut (maîtrise enjeux fonciers, des données techniques, faible familiarité avec l’environnement institutionnel de la profession) pour évaluer l’opportunité d’une proposition, trancher des litiges et être la porte-voix de leurs homologues.</p>
<p>Ensuite, comme elles se sentent moins habilitées à manier les référents idéologiques, à émettre un avis syndical et à le défendre et à s’exposer publiquement aux jugements des pairs, elles se sentent éloignées des deux composantes gestionnaire et protestataire centrales du répertoire syndical agricole et incarnent moins immédiatement le rôle du « parfait » militant doté d’ambition, de tonus, de hauteur de vue et de charisme. Enfin, comme elles sont moins habituées à endosser ces fonctions, quand elles franchissent le pas, elles partagent une définition exigeante l’engagement porteuse de stress et de sentiment d’inconfort.</p>
<p>Pourquoi alors, certaines agricultrices et paysannes font figure d’exceptions ? Parce qu’elles sont dotées de ressources familiales, culturelles et sociales qui répondent aux qualités attendues du « bon » syndicaliste. Soit elles sont elles-mêmes filles de syndicaliste et ont été dès l’enfance socialisées aux rôles de responsables agricoles, soit elles ont eu des expériences scolaires et professionnelles antécédentes à l’agriculture qui leur ont permis de nourrir une aisance oratoire et argumentative ou encore de se forger des habitudes des négociations avec les pouvoirs publics, à l’instar de Danielle Even, qui a été présidente de la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor.</p>
<p>Reste enfin une dernière hypothèse qu’il conviendrait de tester plus finement. <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2007-2-page-45.htm">Les recherches</a> montrent en effet que certains contextes organisationnels favorisent l’accession des femmes : lorsque la valeur des mandats décroît ou en cas de conflits politiques internes.</p>
<p>C’est par exemple les difficultés financières et l’épuisement militant que rencontre l’UDSEA, version finistérienne de la Confédération paysanne, après six années de gestion de la chambre d’agriculture, qui éclairent la nomination d’une femme à la tête du syndicat en 2001.</p>
<p>Dans ces cas, la concurrence pour l’accès aux postes est moindre et l’ascension militante des femmes facilitée. La situation de crise qui mine actuellement la profession agricole est-elle donc un terreau fertile à l’engagement des femmes ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plan-ecophyto-tout-comprendre-aux-annonces-du-gouvernement-223571">Plan Ecophyto : tout comprendre aux annonces du gouvernement</a>
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<p class="fine-print"><em><span>Clémentine Comer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le secteur agricole continue à se représenter au masculin alors que les femmes sont de plus en plus présentes dans les arènes décisionnelles et les instances de gouvernance. Décryptage d’une invisibilisation.Clémentine Comer, Sociologue, IRISSO, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230412024-02-19T14:55:37Z2024-02-19T14:55:37ZUne pauvreté invisible des jeunes en milieu rural ?<p>Si l’on pense pauvreté, une réalité urbaine vient à l’esprit. La grande ville, la banlieue, le péri-urbain. Seule exception dans cet imaginaire de pauvreté de béton : les agriculteurs. <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">Leur mobilisation</a> contre leur précarité grandissante est actuellement très médiatisée. Lorsqu’ils ne sont pas sur le devant de la scène, ils restent observés avec intérêt par les <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">chercheurs</a> et les <a href="https://theconversation.com/la-fnsea-syndicat-radical-derriere-le-mal-etre-des-agriculteurs-des-tensions-plus-profondes-222438">pouvoirs publics</a>. Trois raisons à cela : ils sont particulièrement subventionnés, le maintien de leur profession joue un rôle déterminant pour les espaces ruraux et les enjeux de <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">« souveraineté alimentaire »</a> cristallisent l’attention.</p>
<p>Mais en dehors de ce corps de métier, la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/pauvres-des-champs-les-oublies-9397038">pauvreté des espaces ruraux</a> à très faible densité de population est comme invisible. Les questions de précarité et d’exclusion sociale sont très peu médiatisées lorsque l’on parle de tous les autres habitants des campagnes.</p>
<p>Depuis une vingtaine d’années, la <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1653">pauvreté monétaire</a> sur le territoire national s’accentue (elle se définit par un revenu inférieur à 60 % du revenu médian. En 2023, ce seuil est fixé à un revenu disponible de 1 102 euros par mois pour une personne seule et de 2 314 euros pour un couple avec enfants). Alors qu’en 2004, 12,6 % de Français vivaient sous le seuil de pauvreté, en 2024, ils sont <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2408282">14,5 %</a>. La pauvreté monétaire est plus importante dans les grands centres-villes, c’est vrai.</p>
<p>Mais ensuite, c’est dans les communes rurales dites « isolées et hors de l’influence des villes » qu’elle est la plus forte. Celles-ci accueillent environ <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283639">5 %</a> de la population métropolitaine. Que sait-on de cette pauvreté rurale ? Qu’en est-il notamment chez les jeunes ?</p>
<h2>Que sait-on de la pauvreté des jeunes ruraux ?</h2>
<p>Tout d’abord, pourquoi s’intéresser particulièrement <a href="https://theconversation.com/18-25-ans-des-jeunes-etonnamment-optimistes-et-resilients-217935">aux jeunes</a> ? Il y a environ 9 millions de personnes en situation de pauvreté en France. Les jeunes de moins de 30 ans représentent à eux seuls la <a href="https://www.inegalites.fr/La-pauvrete-selon-l-age?id_theme=21">moitié de cet échantillon</a>. Ils sont <a href="https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5367857/tableau/30_RPC/33_PAU">deux fois</a> plus susceptibles de se retrouver dans une situation de pauvreté que ne le sont les personnes de plus de 65 ans. <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-la-jeunesse--9782200631352.htm">Cela s’explique</a> à la fois par un phénomène de reproduction sociale (qui exacerbe les inégalités au fil des générations) et par une redistribution des richesses et des places en défaveur des jeunes générations. La jeunesse est particulièrement hétérogène, mais elle fait face <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/pour-une-politique-de-la-jeunesse-camille-peugny/9782021492439">dans son ensemble</a> à un contexte de <em>marée montante de la précarité</em>. Cependant, les choses ne sont pas les mêmes que l’on soit un jeune vivant en ville ou à la campagne.</p>
<p>Lorsqu’on s’intéresse aux chiffres, la pauvreté en milieu rural semble moins importante qu’en ville. Les ménages ruraux représentent un tiers de la population, mais un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/7672092">quart des ménages pauvres</a>. Cela pourrait laisser penser que les espaces ruraux sont des espaces de « résistance » à la pauvreté, notamment chez les jeunes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1664648066094493696"}"></div></p>
<p>Ces chiffres sont trompeurs : ils dissimulent d’autres phénomènes. Le taux de pauvreté des urbains est supérieur à celui des ruraux, mais lorsque l’on s’intéresse aux actifs de moins de 30 ans, la pauvreté est <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198">très similaire</a>. Les retraités, eux, sont même plus touchés par la pauvreté dans les campagnes que dans les villes. La sociologue Agnès Roche dénonce dans son ouvrage <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres"><em>Des vies de pauvres</em></a> les écrans de fumée qu’imposent les catégories administratives et notamment le découpage géographique de l’Insee qui homogénéise les différents espaces ruraux (périurbain, rural « profond », etc.) en un ensemble parfois incohérent. Difficile alors d’étudier les phénomènes de pauvreté dans un flou territorial.</p>
<p>Ainsi, là où les travaux statistiques tutoient parfois leurs limites, les enquêtes qualitatives réalisées auprès des jeunes ruraux permettent de mieux comprendre ces phénomènes. Elles se révèlent particulièrement éclairantes sur les questions de non-recours aux aides sociales et mettent à jour une <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">pauvreté invisibilisée</a> et <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">stigmatisée</a> dans les campagnes.</p>
<h2>Un non-recours aux aides plus important</h2>
<p>On observe un <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">écart assez important</a> en fonction des territoires lorsque l’on étudie les jeunes à l’aune des aides qu’ils reçoivent. Dans le modèle français, une grande partie de la solidarité qui permet aux jeunes d’accéder à l’indépendance repose sur l’aide parentale. Ce système « familialiste » crée une <a href="https://www.cairn.info/politiques-de-jeunesse-le-grand-malentendu--9782353712908.htm">reproduction des inégalités</a> importante puisqu’il fait reposer l’avenir socioprofessionnel des jeunes sur les ressources de leurs parents, ressources inégales entre les familles et souvent en <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-ages-de-la-vie--9782200600501.htm">défaveur des territoires ruraux</a>. Pour autant, si la solidarité familiale est acceptée, les aides sociales sont en France particulièrement stigmatisées. Elles sont associées à l’hédonisme, à la fainéantise, à l’inaction, en bref, à <a href="https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2007-3-page-85.htm">l’imaginaire de l’assistanat</a>.</p>
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<p>Chez les jeunes ruraux, on observe un phénomène de <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">rejet plus prononcé</a> des aides sociales que chez les urbains. Le fait de vivre en milieu rural diminue d’ailleurs la probabilité de connaître de manière précise le RSA de <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-04/ER1263EMB.pdf">11,2 points</a>. Une opposition assez flagrante entre deux domaines symboliques se dessine dans le discours des jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus : d’une part, la figure du travailleur pauvre, et de l’autre, celle de l’assisté. Dans cette manière très manichéenne de percevoir son rapport à ces revenus, on tente de se placer du côté de ceux qui maîtrisent leurs expériences de vie par le travail. Être ou devenir « un assisté » devient une crainte telle qu’elle détourne souvent les jeunes d’aides auxquelles ils peuvent pourtant prétendre.</p>
<p>Plus que craindre pour l’image que l’on se fait de soi, c’est surtout le risque de stigmatisation que l’on craint. Être perçu comme un « assisté », c’est être localement « mal vu » et donc souffrir d’une mauvaise réputation. Dans des espaces où les réputations <a href="https://theses.fr/2016POIT5037">se font et se défont rapidement</a>, le fait d’être perçu comme « vivant aux crochets » des aides peut notamment limiter l’employabilité des jeunes. Ce non-recours aggrave la précarité des jeunes dans les campagnes. Il participe à une pauvreté plus silencieuse.</p>
<h2>Les jeunes femmes plus durement touchées</h2>
<p>Les jeunes ruraux sont plus souvent en <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">situation d’emploi que les urbains</a> mais ils sont également sujets à des phénomènes d’<a href="https://theses.hal.science/tel-03559941">exploitation dans le travail de manière récurrente</a>. Travailler sans contrat, être sous-payé, voire pas rémunéré du tout, est fréquent dans les parcours de vie de jeunes ruraux, en particulier chez les plus précaires. Parallèlement, les jeunes qui ne sont ni en emploi, étude ou stage (<a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/08/21/les-ni-en-emploi-ni-en-etudes-ni-en-formation-neet-en-france-un-defi-qui-reste-a-relever_6186039_1698637.html">NEET</a>) sont particulièrement nombreux dans les espaces ruraux. Ils représentent un <a href="https://pmb.cereq.fr/doc_num.php?explnum_id=2886">quart des 18-24 ans</a>, contre un cinquième en ville.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1306100862708854784"}"></div></p>
<p>Les écarts entre hommes et <a href="https://theconversation.com/comment-les-stereotypes-pesent-sur-linsertion-des-femmes-non-diplomees-en-milieu-rural-174412">femmes</a> sont bien plus importants dans les campagnes. Si les territoires ruraux sont hétérogènes, on peut trouver chez les 15-24 ans, 32 % des femmes sont en activité contre 47 % des hommes. En ville, c’est 33 % des femmes de 15-24 ans et 40 % des hommes. Le chômage féminin peut être jusqu’à <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_02_jeunesse_territoires_ruraux.pdf">deux fois supérieur</a> à celui des hommes dans certaines zones rurales.</p>
<p>Les inégalités territoriales, des politiques inadaptées et le manque d’intérêt jouent le jeu d’une pauvreté invisible et parfois trop silencieuse des jeunes en milieu rural. Leurs aspirations et leurs besoins semblent rarement pris en considération. Les politiques publiques à destination des jeunes sont urbanocentrées, et lorsque l’on s’intéresse aux habitants des territoires ruraux, il s’agit plus de « bricolage » administratif que de grands plans d’action adaptés et construits. On omet souvent la très grande hétérogénéité de ces espaces, et donc, de leurs besoins. Si la pauvreté semble numériquement plus faible dans les campagnes, elle cache d’autres phénomènes : « […] de stigmatisation, d’assignation territoriale et enferme dans une pauvreté silencieuse » comme le souligne <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2010-2-page-7.htm">Amélie Appéré De Sousa</a>, qui a collaboré avec l’Observatoire Régional de Santé Bourgogne. Il est nécessaire de ne plus penser les espaces ruraux comme en périphérie ou à la marge des réalités contemporaines. Ces espaces représentent plus des deux tiers du territoire français.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les jeunesses font face à une montée de la précarité. Les jeunes urbains sont particulièrement étudiés, mais qu’en est-il dans les campagnes ?Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227722024-02-07T15:43:50Z2024-02-07T15:43:50ZLa solitude des agriculteurs : retour sur l’ambivalence d’une notion<p>Ces dernières semaines la France, comme d’autres <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/03/colere-des-agriculteurs-ou-en-sont-les-mobilisations-en-europe_6214619_3234.html">pays européens</a>, a vu émerger une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/visuel/2024/02/02/aux-racines-de-la-crise-l-eprouvant-quotidien-des-agriculteurs_6214412_3234.html">mobilisation massive</a> d’agriculteurs et d’agricultrices. Réunissant des producteurs de filières différentes, une certaine solidarité dans la colère s’est rendue visible.</p>
<p>Dans le même temps, la journée mondiale des solitudes a eu lieu le 23 janvier dernier, se consacrant à la sensibilisation et à la mobilisation contre les solitudes. La solitude comme sentiment (se sentir seul) et comme pratique (être seul) comprend une histoire difficile à situer, ses significations sociales ayant évolué au fil du temps. On pourrait commencer l’entreprise par une tournure souvent proscrite car trop générale : de tout temps, les individus connaissent la solitude. Mais que signifie cette notion pour celles et ceux qui la vivent ?</p>
<p>Étudier le cas des professionnels du monde agricole peut permettre d’illustrer l’ambivalence de la solitude : la notion pouvant être tout à la fois bénéfique pour les professionnels, comme se révéler négative. Nous mêlons ci-dessous des résultats issus de deux terrains différents, au Canada (pour Mélissa Moriceau) et en France (pour Romain Daviere).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</a>
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<h2>Une solitude valorisée</h2>
<p>En pratique, la vie solitaire est restée longtemps interdite en société. L’historien français Georges Minois dans son <a href="https://www.fayard.fr/livre/histoire-de-la-solitude-et-des-solitaires-9782213670669/"><em>Histoire de la solitude et des solitaires</em></a> précise que dans les sociétés du Moyen Âge qui pensent l’individu depuis le collectif : nulle place pour la solitude, sinon comme une sanction à travers l’exclusion ou l’isolement qu’elle engendre.</p>
<p>Mais Georges Minois rapporte aussi que c’est à cette époque que la notion devient synonyme de pratiques spirituelles, faisant découvrir à nouveaux frais son sentiment. Au XIII<sup>e</sup>, à travers la promotion de la lecture silencieuse, il note également le renouveau de la solitude.</p>
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<p>Puis, à l’époque moderne, la notion devient surtout le produit d’un choix : une terminologie <a href="https://www.albin-michel.fr/solitude-volontaire-9782226397171">toujours à l’œuvre en philosophie</a>. Alors d’usage dans des communautés religieuses, philosophiques ou des créateurs, le sens de la solitude se transforme jusqu’à signifier une manière d’être qu’il faut adopter. Avec la retraite choisie, la solitude est l’occasion non seulement de se découvrir soi, mais également de critiquer la société tout en prenant du recul. On comprend alors l’émergence des fameux récits sur la solitude, de <a href="https://ebooks-bnr.com/ebooks/pdf4/rousseau_reveries_promeneur_solitaire.pdf">Jean-Jacques Rousseau</a> et ses rêveries au philosophe américain <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/Walden-ou-La-vie-dans-les-bois">Henry David Thoreau</a> et son projet politique mobilisateur.</p>
<h2>La naissance d’un mal qui inquiète</h2>
<p>Cependant, la solitude a moins bonne réputation qu’avant, en témoignent les dispositifs récents qui visent à lutter contre elle comme les <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/01/24/au-royaume-uni-une-ministre-de-la-solitude-pour-lutter-contre-l-isolement-social_5246449_3214.html">ministères de la Solitude</a> au Japon et au Royaume-Uni par exemple.</p>
<p>En France, selon le <a href="https://www.fondationdefrance.org/fr/les-solitudes-en-france/etude-solitudes-2024">dernier rapport de la Fondation de France</a>, 20 % de la population âgée de plus de 15 ans affirme se sentir seule.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Portrait du philosophe Alexis de Toqueville" src="https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573750/original/file-20240206-24-hpior.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Alexis de Tocqueville (1805,1859), philosophe auteur d’analyses du système démocratique, ses vertus, ses risques et de ses dynamiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Déjà, en 1849, le philosophe <a href="https://editions.flammarion.com/de-la-democratie-en-amerique-1/9782080703538">Alexis de Tocqueville</a> constate que les âmes sont plus inquiètes chez les peuples des nouvelles démocraties, avec le risque que le développement des sociétés individualistes « ramène sans cesse [l’individu] vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur ». Dans ce contexte, le sentiment de solitude gagne du terrain depuis le siècle dernier.</p>
<p>En sociologie, de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2018-v50-n1-socsoc04838/">nombreux travaux</a> étudient de <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2015-2-page-20.htm">manière inédite</a> ce fléau en le délimitant selon certains groupes sociaux (les personnes âgées, les femmes, celles et ceux qui vivent seuls, entre autres). La difficulté réside dans la compréhension des solitudes modernes, universelles, mais contingentes, selon la position dans l’espace social.</p>
<h2>Le solitude désirée des agriculteurs</h2>
<p>Entre volonté d’autonomie et désir de reconnaissance, l’exemple des agriculteurs bretons et québécois est révélateur des différents sens que peut recouvrir la solitude.</p>
<p>Elle se rapporte parfois à une expérience positive et désirable, notamment lorsqu’elle se lie à l’envie de passer son temps à <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2014-1-page-45.htm">prendre soin des animaux</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Ce que je préfère ? La liberté, être dehors. Les animaux. La nature quoi. Quand je dis dehors, c’est la nature. Personne sur mon dos. Juste moi et mes vaches. Je suis pas solitaire, mais faut prévenir si tu veux venir me voir. J’aime être seule » déclare Irène, 60 ans, éleveuse laitière en Bretagne quand on l’interroge sur son métier.</p>
</blockquote>
<p>Les entrées dans la profession d’agriculteur sont souvent justifiées par cette quête d’autonomie : « être son propre patron », « prendre seul ses décisions », « être indépendant », « être libre » constituent de puissants attraits de la profession permettant de (re)définir, pour soi, ses conditions de travail.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BbqdGmJPs7Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Agriculture en Europe : la colère est dans les prés (Arte Europe l’Hebdo).</span></figcaption>
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<p>Ce désir revendiqué d’autonomie, à la fois hiérarchique (mais aussi souvent alimentaire, voire énergétique), n’est pourtant pas synonyme d’autarcie. Loin d’être des ermites modernes, les producteurs agricoles cherchent à s’intégrer dans les communautés locales, que ce soit avec le voisinage ou la municipalité (au Québec comme en France) ou à travers l’installation à plusieurs, comme chez les agriculteurs français qui s’installent souvent <a href="https://www.decitre.fr/ebooks/famille-travail-et-agriculture-9782402465502_9782402465502_1.html">à l’aide d’un parent</a>. Au-delà des ressources qui deviennent accessibles (prêts de matériels, transmission des savoirs, entraide, etc.), l’effort vise à lutter contre le risque de l’expérience déplaisante de la solitude au travail.</p>
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<p>« Tu fais tes récoltes le matin, tu n’as pas dit un mot à personne, et là le soir arrive, et je me demande si j’ai dit un mot à voix haute dans la journée » témoigne Claudia, 47 ans, ancienne gestionnaire de bibliothèque devenue productrice de fleurs comestibles au Québec.</p>
<p>« Je trais le lait seul. Le midi, des fois, je suis tout seul à manger. Ce n’est pas drôle. Même le soir de Noël, il faut traire. Tu quittes le repas de famille pour aller traire tes vaches. Tu n’as pas de vie. » Octave, 46 ans, éleveur laitier en Bretagne.</p>
</blockquote>
<p>Expérience tantôt positive et valorisée, tantôt synonyme de souffrance au travail : la solitude expose déjà son ambivalence. Le sentiment d’isolement s’installant, celui-ci peut se conjuguer avec celui du manque de reconnaissance sociale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1753725650056237208"}"></div></p>
<h2>Un besoin de reconnaissance</h2>
<p>Les <a href="https://www.ifop.com/publication/le-barometre-dimage-des-agriculteurs-vague-19/">Français soutiennent majoritairement les professionnels</a> mais l’impression d’être mal jugé persiste, les agriculteurs et les agricultrices appuyant souvent la déconnexion qui réside entre eux et les autres travailleurs. Cette situation s’exprime par exemple depuis un décalage entre un sentiment d’auto-exploitation des agriculteurs pour produire à des prix accessibles et la dévaluation de la valeur des produits et, par extension, du travail de certains producteurs (comme celles et ceux en agriculture biologiques par exemple) :</p>
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<p>« Les agriculteurs s’exploitent beaucoup. On porte un espèce de fardeau. On travaille comme des dingues pour un salaire de crève-faim pour essayer d’offrir des produits le moins cher possible à des gens qui ne reconnaissent pas vraiment la valeur des produits qu’on leur offre. » (Anthony, 27 ans, ancien étudiant en communication maintenant producteur de fleurs au Québec)</p>
</blockquote>
<p>Or, en milieu agricole, le sentiment de reconnaissance évoqué constitue une source de rétribution majeure et un puissant facteur d’engagement au travail. Chez les agriculteurs, la reconnaissance participe à compenser les aléas et certains aspects négatifs du métier tels que l’isolement, la surcharge de travail, le stress, etc. <a href="https://psycnet.apa.org/record/1996-04477-003">La reconnaissance au travail</a> vient en effet rééquilibrer les efforts, les engagements et les sacrifices donnés dans le travail. C’est aussi ce que souligne la sociologue <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2005-2-page-311.htm">Catherine Négroni</a> : la souffrance n’est plus vaine lorsque les efforts et les doutes sont reconnus, laissant alors la place aux solitudes positives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’exemple des agriculteurs est révélateur des différents sens que peut recouvrir la solitude, parfois subie mais aussi recherchée car synonyme d'autonomie.Romain Daviere, Doctorant en sociologie, Sorbonne UniversitéMelissa Moriceau, Docteure en sociologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220662024-01-28T16:09:20Z2024-01-28T16:09:20ZColère des agriculteurs : « Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif »<p><em>Voici plusieurs mois qu’un mouvement de colère monte dans le monde agricole français. Cela a commencé par des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/13-heures/agriculteurs-en-colere-des-centaines-de-panneaux-retournes_6197664.html">panneaux de villes retournés</a>, censés évoquer un monde qui tourne à l’envers, puis ces dernières semaines, des actions plus traditionnelles ont pris le premier plan médiatique : blocage autoroutier, déversement de fumier, défilé de tracteurs.La composition de ce mouvement inédit, tout comme les causes qui l’ont fait naître, sont diverses. L’occasion pour The Conversation d’interroger la sociologie d’un monde agricole français fragmenté et à la croisée des chemins avec Gilles Laferté, chercheur en sciences sociales spécialiste des agriculteurs.</em></p>
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<p><strong>Médiatiquement, il est souvent question des agriculteurs, comme si ces derniers représentaient un groupe social unifié. Est-ce le cas ? </strong></p>
<p>D’un point de vue administratif, institutionnel, du point de vue de la description économique d’une tâche productive, « les agriculteurs », entendus comme les exploitants agricoles, ça existe. Mais d’un point de vue sociologique, non, <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/9560">ce n’est pas un groupe</a>. Les viticulteurs de régions canoniques du vin, ou les grands céréaliers des régions les plus productives, n’ont pas grand-chose à voir avec les petits éleveurs, les maraîchers ou ceux qui pratiquent une agriculture alternative. </p>
<p>Le sociologue aura dont plutôt tendance à rattacher certains d’entre eux aux catégories supérieures, proches des artisans, commerçants, chefs d’entreprises voire des cadres, et d’autres aux catégories supérieures des classes populaires. La plupart des agriculteurs sont proches des pôles économiques, mais une partie, sont aussi fortement dotés en capitaux culturels. Et, encore une fois, même dans les classes populaires, les agriculteurs y seront à part. C’est une classe populaire à patrimoine, ce qui les distingue de manière très décisive des ouvriers ou des petits employés. </p>
<p>Dans l’histoire de la sociologie, les agriculteurs ont d’ailleurs toujours été perçus comme inclassables. Ils sont autant du côté du capital que du travail. Car ils sont propriétaires de leur propre moyen de production, mais en revanche ils n’exploitent souvent personne d’autre qu’eux-mêmes et leur famille, pour une grande partie. Autre dualité dans leur positionnement : ils sont à la fois du côté du travail en col blanc avec un ensemble de tâches administratives de planification, de gestion, de projection d’entreprise sur le futur, de captation de marchés, mais ils sont aussi du côté du col bleu, du travail manuel, de ses compétences techniciennes. </p>
<p><strong>Comment expliquer alors qu’en France, ce groupe soit encore si souvent présenté comme unifié ?</strong></p>
<p>Cette illusion d’unité est une construction à la fois de l’État et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour un bénéfice mutuel historique : celle d’une co-gestion. Globalement, l’État s’adresse aux agriculteurs via ce syndicat dominant, pour tâcher de bâtir une politique publique agricole cohérente. Même si la co-gestion a été dépassée pour être plus complexe, cette idée que l’agriculture était une histoire entre l’État et les agriculteurs perdure comme on le voit dans les syndicats invités à Matignon, uniquement la FNSEA au début de la crise. La FNSEA a tenté historiquement de rassembler les agriculteurs pour être l’interlocuteur légitime. Mais cet état des lieux est aussi le fruit de l’action historique de l’État, qui a forgé une batterie d’institutions agricoles depuis la IIIème République avec le Crédit Agricole, une mutuelle sociale agricole spécifique, des chambres d’agriculture… Jusque dans les statistiques, les agriculteurs sont toujours un groupe uni, à part, ce qui est une aberration pour les sociologues. </p>
<p>Tout cela a produit l’image d’une existence singulière et unifiée du monde agricole, et dans le quotidien des agriculteurs, on trouve l’écho de cela dans des pratiques sociales communes instituées : l’immense majorité des agriculteurs va de fait à la chambre de l’agriculture, au <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-economique-2020-1-page-156.htm">Crédit Agricole</a> ou à Groupama, ils sont tous affiliés à la <a href="https://www.musee-assurance-maladie.fr/sites/default/files/users/user38/MSA.pdf">mutuelle sociale agricole</a>. </p>
<p><strong>Lorsqu’un agriculteur est présenté, c’est souvent par son type d’activité, la taille de son exploitation, son revenu, son appartenance syndicale. Ces critères sont-ils suffisants pour comprendre sa singularité ?</strong></p>
<p>Ces critères sont pertinents mais pas suffisants. D’abord, ils sont en général assez liés. Le type de culture, et ensuite la taille de l’exploitation sont très prédictifs du revenu, avec des filières particulièrement rémunératrices (céréales, viticulture), qui garantissent, avec un nombre d’hectares suffisants, des revenus, et, en bas de l’échelle, le lait, le maraîchage, beaucoup moins rémunérateur. Cette réalité est d’ailleurs assez injuste car les filières les moins rémunératrices sont aussi celles où l’on travaille le plus, du fait des contraintes de traite, de vêlage. </p>
<p>Ensuite, bien sûr, l’appartenance syndicale est très importante, elle situe l’univers de référence, le sens politique d’un agriculteur, son projet de société derrière son activité, avec par exemple une logique productiviste derrière la FNSEA ; une politisation bien à droite, aujourd’hui proche du RN, de plus en plus assumée ces derniers jours du côté de la Coordination Rurale ; et enfin des projets alternatifs, centrés autour de petites exploitations, d’accélération de la transition avec la Confédération Paysanne. </p>
<p>Mais ces critères sont loin d’être suffisants, ceux des générations et des origines sociales sont devenus également déterminants. </p>
<p>Car il faut garder en tête que le groupe agricole est aujourd’hui un groupe âgé, avec une moyenne d’âge d’actifs qui dépasse les cinquante ans en moyenne. Le monde agricole est donc traversé par un enjeu de renouvellement des générations. Ce même monde agricole est aussi un des groupes les plus endogames qui soient. Être agriculteur, c’est surtout être enfant d’agriculteur ou marié à un enfant d’agriculteur, avec des croisements d’alliances historiquement importants à l’échelle du village, du canton, qui fait que les agriculteurs d’aujourd’hui, sont le produit des alliances des agriculteurs d’hier. Ceux qui ont raté ces étapes matrimoniales ont déjà quitté les mondes agricoles. </p>
<p>Mais aujourd’hui, cette réalité est en train de se fissurer. Pour renouveler les groupes agricoles, il faut donc aller puiser dans d’autres groupes sociaux, et les enfants d’agriculteurs d’aujourd’hui ne feront plus l’écrasante majorité des agriculteurs de demain. Des enfants d’autres groupes sociaux sont également attirés par les métiers agricoles. À ce titre, un slogan du mouvement actuel est très intéressant : <a href="https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/les-agriculteurs-se-relaient-pour-bloquer-l-a20-et-maintenir-la-pression-2713594">« l’agriculture : enfant on en rêve, adulte on en crève »</a>. </p>
<p>Cette façon dont l’agriculture fait rêver est un vrai phénomène nouveau, non pas pour les enfants d’agriculteurs, qui sont socialisés à aimer leur métier très tôt, mais pour les groupes extérieurs aux mondes agricoles. L’agriculture incarne désormais quelque chose de particulier dans les possibles professionnels, un métier qui a du sens, qui consisterait à nourrir ses contemporains, avec des productions qui seraient de qualité, pour la santé de chacun, soit une mission très noble. C’est une sorte d’anti-finance, d’anti <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-interview-eco/les-bullshit-jobs-rendent-les-gens-malheureux-pour-lanthropologue-david-graeber_2912267.html">« bullshit jobs »</a> pour parler comme l’anthropologue <a href="https://theconversation.com/david-graeber-1961-2020-auteur-de-bullshit-jobs-anthropologue-et-chercheur-en-gestion-146446">David Graeber</a>. </p>
<p>Tout cela génère d’énormes écarts dans le monde agricole entre ceux qui partent et ceux qui arrivent, ceux qui croient en la fonction productiviste de l’agriculture pour gagner des revenus corrects, et ceux qui veulent s’inscrire dans un monde qui a du sens. On trouve ainsi beaucoup de conflits sur les exploitations agricoles entre générations, entre anciens agriculteurs et nouveaux arrivants mais aussi des conflits familiaux. Les nouvelles générations, plus elles sont diplômées d’écoles d’agronomie distinctives, plus elles sont formées à l’agroécologie et plus elles vont s’affronter au modèle parental productiviste. </p>
<p><strong>On entend beaucoup d’agriculteurs s’inquiéter que leur monde disparaisse, n’est-il pas seulement en train de changer ?</strong></p>
<p>Le discours de la mort de l’agriculture est tout sauf nouveau. Un des plus grands livres de la sociologie rurale s’appelle d’ailleurs <a href="https://www.actes-sud.fr/node/15658"><em>La Fin des paysans</em></a>. Il est écrit en 1967. Depuis lors, les <a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">paysans </a>se sont effectivement transformés en agriculteurs, et aujourd’hui, on parle de moins en moins d’agriculteurs et de plus en plus d’exploitants agricoles, voire d’entrepreneurs agricoles, à tel point que l’on pourrait écrire <em>La Fin des agriculteurs</em>. De fait, c’est la fin d’un modèle, d’une période de politique publique qui favorisait uniquement le productivisme. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y aura plus de grandes exploitations productivistes, mais c’est la fin d’un mono bloc concentré sur l’idée principale de la production, de développement maximum des intrants et de la mécanisation.</p>
<p>Aujourd’hui, il y a <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">d’autres modèles alternatifs</a>qui sont en place et qui aspirent, en incluant l’environnement, la santé des agriculteurs et des ruraux à un autre mode de vie, plus seulement fondé sur l’accumulation matérialiste.</p>
<p>Les agriculteurs en ont conscience, leur modèle est en pleine transformation, et d’ailleurs les agriculteurs d’aujourd’hui eux-mêmes ne veulent plus vivre comme leur parent. Ils revendiquent une séparation des scènes familiales et professionnelles, et aspirent donc à ne pas nécessairement vivre sur l’exploitation, pouvoir partir en vacances, avoir du temps à soi, un modèle plus proche du monde salarial en général. Donc si les agriculteurs crient à la fin d’un monde, ils sont aussi les premiers à espérer vivre autrement. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">Une vraie souveraineté alimentaire pour la France</a>
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<p>Et ceux qui sont en colère aujourd’hui ne le sont pas que contre l’Europe, l’État, la grande distribution, les normes, mais également contre eux-mêmes, leurs enfants, leurs voisins. Ils voudraient incarner la transformation mais ils n’ont pas les moyens d’accélérer le changement et subissent des normes qui vont plus vite qu’eux. </p>
<p>Ceux qui manifestent pour avoir du gazole moins cher et des pesticides savent qu’ils ont perdu la bataille, et qu’ils ne gagneront qu’un sursis de quelques années, car leur modèle n’est tout simplement plus viable. Ils sont aussi en colère contre les syndicats qui étaient censés penser pour eux la transformation nécessaire. La FNSEA ne maîtrise pas vraiment le mouvement. Ils savent qu’ils ne peuvent plus modifier la direction générale du changement en cours, ils souhaitent seulement être mieux accompagnés ou a minima, le ralentir.</p>
<p><strong>Si l’on revient à l’idée d’un monde agricole qui se meurt, difficile de ne pas penser également au <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/fiche4-10.pdf">nombre de suicides</a> parmi les agriculteurs, avec deux suicides par jour en moyenne.</strong></p>
<p>Ces chiffres dramatiques sont effectivement les plus élevés parmi les groupes professionnels. Ils sont aussi révélateurs des immenses changements du monde agricole depuis un siècle. L’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avoir-raison-avec-emile-durkheim/le-suicide-une-question-sociale-4844051">étude des suicides</a> est un des premiers grands travaux de la sociologie avec <a href="https://editions.flammarion.com/le-suicide/9782081219991">Émile Durkheim</a>. Or lorsque celui-ci étudie cette question, à la fin du XIXème siècle, le groupe agricole était alors celui qui se suicidait le moins. Il y avait peu de suicides car le monde agricole formait un tissu social très riche avec des liens familiaux, professionnels et villageois au même endroit.</p>
<p>Or aujourd’hui, on voit plutôt des conflits entre scène professionnelle et personnelle, une déconnexion avec le village et des tensions sur les usages productifs, résidentiels ou récréatifs de l’espace. Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif, provoquant un isolement des agriculteurs les plus fragiles dans ces rapports de force. La fuite en avant productiviste, l’angoisse des incertitudes marchandes, l’apparition des normes à rebours des investissements réalisés, l’impossible famille agricole entièrement consacrée à la production et les demandes sociales, générationnelles, pour le changement agricole, placent les plus fragiles dans des positions socialement intenables. Le sur-suicide agricole est en tout cas un indicateur d’un malaise social collectif, bien au-delà des histoires individuelles que sont aussi chacun des suicides. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-tant-de-suicides-chez-les-agriculteurs-162965">Pourquoi tant de suicides chez les agriculteurs ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/222066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Laferté ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si le syndicalisme et l'état français ont tâché de penser comme uni le monde agricole, celui-ci n'a en réalité jamais été uniforme. Il est, en plus de cela traversé par des conflits de générations.Gilles Laferté, Directeur de recherche en sociologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2218892024-01-28T16:09:03Z2024-01-28T16:09:03ZLes mouvements de contestation des agriculteurs servent-ils à quelque chose ?<p>Depuis une dizaine de jours, le mouvement de blocage de routes et de défilés d’agriculteurs en <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/24/agriculteurs-en-colere-gabriel-attal-tente-de-contenir-l-embrasement-sans-se-precipiter_6212641_823448.html">colère</a> connaît un écho retentissant. Après la Roumanie, les <a href="https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/en-europe-les-agriculteurs-sinvitent-sur-la-scene-politique-et-font-pression-sur-les-gouvernements/">Pays-Bas ou encore l’Allemagne</a>, la France a suivi sous l’impulsion du syndicat <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/qu-est-ce-que-la-fnsea-le-syndicat-qui-porte-la-colere-des-agriculteurs_6319698.html">FNSEA et des Jeunes Agriculteurs</a>.</p>
<p>Ces événements s’inscrivent dans un contexte inflammable : prochaines élections européennes, <a href="https://www.lexpress.fr/economie/agriculteurs-cette-taxe-du-gazole-non-routier-a-lorigine-de-la-colere-RFZSKQFDZBAOJAP4UUHLCNG2SI/">décisions politiques contestées</a>, <a href="https://agriculture.gouv.fr/concertation-sur-le-pacte-et-la-loi-dorientation-et-davenir-agricoles">projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles</a>…</p>
<p>Ajoutons à cela l’amplification et la récurrence de crises de tous bords, les conséquences des <a href="https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">changements climatiques</a>, les effets relatifs des <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/documents/60499">Lois Egalim</a> qui repensent la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/remuneration-des-agriculteurs-comment-fonctionnent-les-lois-egalim">manière dont les prix sont fixés</a>, et nous obtenons un <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/colere-des-agriculteurs-anatomie-dune-crise-qui-couve-depuis-longtemps-54e61b72-b9c4-11ee-9ea4-b02fbeb9c343">« ras-le-bol général »</a> couplé à un sentiment de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240123-d%C3%A9classement-endettement-normes-europ%C3%A9ennes-raisons-col%C3%A8re-agriculteurs-fran%C3%A7ais-agriculture-attal-france-mobilisation">déclassement</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-restaurer-la-nature-220297">Peut-on « restaurer » la nature ?</a>
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<p>Fin 2023 déjà, des agriculteurs avaient commencé à <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/11/30/on-marche-sur-la-tete-l-operation-retournement-des-agriculteurs-en-colere_6203095_4500055.html">retourner les panneaux d’entrées et de sorties des communes</a> pour protester contre <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/11/30/on-marche-sur-la-tete-l-operation-retournement-des-agriculteurs-en-colere_6203095_4500055.html">« l’excès de normes »</a> avec le slogan « On marche sur la tête ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0-zNqdRU9HM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mouvement « On marche sur la tête ».</span></figcaption>
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<p>En 2021, des agriculteurs biologiques se photographiaient nus dans leurs champs avec un panneau <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ddM797AoXX0">« La Bio à Poil »</a> pour protester contre <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">l’ambiguïté politique</a> autour des pratiques dites agroécologiques.</p>
<p>Si ces mouvements ne sont pas <a href="https://photo.capital.fr/la-colere-des-agriculteurs-en-10-dates-cles-15217#la-jacquerie-de-1961-barrages-sabotages-et-defiles-de-tracteurs-2">nouveaux</a>, leurs formes sont néanmoins de plus en plus <a href="https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/colere-des-agriculteurs-la-mobilisation-actuelle-est-la-plus-musclee-de-ces-dernieres-annees-20240124_SB5TNAGGP5EW3PKIDTWA2LPC7E/">musclées</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">Pesticides : les alternatives existent, mais les acteurs sont-ils prêts à se remettre en cause ?</a>
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<h2>Que comprendre de la colère des agriculteurs aujourd’hui ?</h2>
<p>D’une part, la <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2013-3-page-251.htm">cogestion</a> sur laquelle s’est construit notre modèle agricole contemporain s’est peu à peu affaiblie à mesure que le rôle de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est renforcé.</p>
<p>D’autre part, alors que la France est la première bénéficiaire de la <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/cap-overview/cap-glance_fr">Politique agricole commune</a> (PAC), les agriculteurs pointent un sentiment de <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/agriculteurs-en-colere-pourquoi-lunion-europeenne-est-pointee-du-doigt">« trop d’Europe »</a>, une agriculture bureaucratisée, un verdissement punitif de leurs <a href="https://www.terredetouraine.fr/manifestation-le-6-avril-oui-une-pac-incitative-et-non-punitive">pratiques</a> et une absence de stratégie nationale dans un contexte de crises <a href="https://books.openedition.org/pufc/5653">sanitaires et environnementales</a> croissantes.</p>
<p>Les attentes à l’égard des agriculteurs se sont multipliées en même temps que les responsabilités imputées à l’agriculture n’ont cessé de grossir.</p>
<p>En outre, si le mouvement de contestation actuel suggère une forme d’unité agricole et syndicale, la réalité témoigne de <a href="https://www.cairn.info/revue-anthropologie-des-connaissances-2008-2-page-291.htm">pratiques agricoles hétérogènes</a>, faites de <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-mondes-agricoles--9782200354404.htm">mondes agricoles</a> divers et <a href="https://www.bienpublic.com/economie/2024/01/24/colere-des-agriculteurs-il-faut-changer-de-modele-pour-la-confederation-paysanne">fragmentés</a>.</p>
<p>Ces mouvements de contestation visent alors à demander des changements profonds, en lien notamment avec les défis climatiques, comme le rappelle le Haut conseil pour le climat dans son <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/25/politiques-agricoles-et-alimentaires-le-haut-conseil-pour-le-climat-appelle-a-un-changement-de-cap_6212873_3244.html">récent rapport</a>.</p>
<p>Certes, les mobilisations suscitent soutien et sympathie, attirent l’attention du politique et des médias, mais les exemples passés montrent qu’elles peuvent rapidement tomber dans un <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/colere-des-agriculteurs-anatomie-dune-crise-qui-couve-depuis-longtemps-54e61b72-b9c4-11ee-9ea4-b02fbeb9c343">certain oubli</a>. On peut alors s’interroger : ces mouvements de contestation servent-ils à quelque chose ?</p>
<h2>Ce que ces mouvements disent de la condition agricole aujourd’hui</h2>
<p>Quel que soit leur mode de production, les agriculteurs font face à des dépendances fortes et des déséquilibres importants, suscitant des tensions contradictoires. Ainsi, comment concilier <em>en même temps</em> des conditions propres à garantir respect et <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2002-2-page-111.htm">bien-être animal</a> et favoriser l’accès à tous à une agriculture de <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/from-farm-to-fork/">proximité et de qualité</a> ?</p>
<p>Est-il possible de « nourrir la France » et « entretenir les paysages » en respectant un empilement de normes techniques et réglementaires <a href="https://www.tf1info.fr/societe/video-reportage-agriculteurs-en-colere-l-exemple-edifiant-du-millefeuille-des-normes-sur-les-haies-2283505.html">difficiles à suivre</a> ?</p>
<p>Comment faire face <em>en même temps</em> aux conséquences immédiates du gel, d’inondations, de sécheresse ou d’une <a href="https://agriculture.gouv.fr/mhe-la-maladie-hemorragique-epizootique">épizootie</a>, et s’adapter à long terme à leur inévitable récurrence ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/poulets-soldats-et-eleveurs-sentinelles-allies-dans-la-vaccination-contre-la-grippe-aviaire-207861">Poulets soldats et éleveurs sentinelles, alliés dans la vaccination contre la grippe aviaire</a>
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<p>Comment faire face à une attente sociétale de <a href="https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2023/09/Rapport-activite-2022_Agence-BIO.pdf">« plus de bio »</a> dans un contexte <a href="https://www.lafranceagricole.fr/agriculture-biologique/article/841135/le-marche-des-produits-bio-s-essouffle">d’inflation et de déconsommation</a>, alors que les processus de conversion prennent <a href="https://www.agencebio.org/questions/a-quoi-correspond-la-mention-en-conversion-vers-lagriculture-biologique/">plusieurs années</a> et engagent des moyens considérables ?</p>
<p>Comment permettre aux agriculteurs de s’engager dans la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-na-94-agroecologie-ao%C3%BBt.pdf">transition agroécologique</a> tout en leur procurant un revenu propre à <a href="http://journals.openedition.org/economierurale/9560">vivre de leur métier</a> ?</p>
<p>Dans ce contexte, comment assurer la <a href="https://agriculture.gouv.fr/actifagri-transformations-des-emplois-et-des-activites-en-agriculture-analyse-ndeg145">pérennité</a>, le <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-04/20230412-Politique-installation-nouveaux-agriculteurs.pdf">développement</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2022-3-page-40.htm">transmission de l’exploitation</a> dans des conditions tenables ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">Une vraie souveraineté alimentaire pour la France</a>
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<h2>Ce que les mouvements ont obtenu dans le passé</h2>
<p>Ces attentes disent combien l’agriculture est <a href="https://revues.cirad.fr/index.php/cahiers-agricultures/article/view/30369/30129">multifonctionnelle</a> et alors inévitablement, source de contradictions pour les agriculteurs. Il leur est difficile de répondre <em>en même temps</em> et de manière satisfaisante à toutes ces attentes et pratiquer une agriculture conforme à leurs valeurs et à leurs besoins.</p>
<p>Cette équation impossible les contraint à en faire « toujours plus ». Elle provoque une surcharge physique, psychologique et émotionnelle, et conduit à la <a href="https://www.francebleu.fr/emissions/5-minutes-avec/les-agriculteurs-d-occitanie-sont-percutes-par-un-cumul-de-crises-pour-un-sociologue-toulousain-2780313">crise morale et de confiance</a> que nous connaissons aujourd’hui. Reste qu’un détour par les réponses apportées aux précédents mouvements de contestation montre que la colère des agriculteurs est généralement entendue, partiellement du moins.</p>
<p>Le mouvement « La Bio à Poil » de 2021 a contribué à la mise en œuvre par le gouvernement d’ajustements réglementaires visant à mieux reconnaître les spécificités de <a href="https://www.fnab.org/communiques-presse/le-ministre-annonce-la-creation-dun-3e-niveau-a-linterieur-de-leco-regime-avec-une-aide-a-112e-ha-an-pour-la-bio/">« la bio »</a>. Les agriculteurs biologiques se sont dit alors satisfaits des <a href="https://www.bio-provence.org/IMG/pdf/gains_syndicaux_fnab_2022.pdf">avancées réalisées</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mouvement « La Bio à poil » le 2 juin 2021, Invalides, Paris.</span></figcaption>
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<p>Le mouvement « On marche sur la tête » a conduit au recul du gouvernement sur des <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/06/taxes-sur-les-pesticides-et-l-irrigation-le-renoncement-du-gouvernement-a-les-augmenter-suscite-les-critiques_6204274_3244.html">hausses de taxes</a>, satisfaisant les agriculteurs <a href="https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/agriculture-la-fnsea-obtient-l-abandon-de-la-hausse-de-taxes-sur-les-pesticides-et-l-eau-4081485">engagés dans le mouvement</a>.</p>
<p>Pourtant, ces concessions n’ont pas permis d’éteindre le feu qui couve depuis <a href="https://www.letelegramme.fr/finistere/douarnenez-29100/selon-cet-eleveur-laitier-de-douarnenez-le-feu-couve-depuis-des-annees-et-des-annees-6512009.php">longtemps maintenant</a>.</p>
<p>S’agissant du mouvement de colère actuel, des mesures seront sans doute annoncées et des crédits débloqués. Permettront-ils de résoudre à eux seuls et à long terme l’équation impossible à laquelle l’agriculture paraît tenue ?</p>
<p>En outre, de nouvelles mesures peuvent accroître les contradictions et la surcharge perçues par encore plus de <a href="https://www.cairn.info/revue-gouvernement-et-action-publique-2017-1-page-33.htm">« paperasse »</a>, et renforcer davantage leur colère.</p>
<p>Alors ces mouvements ont-ils tout de même un intérêt ?</p>
<h2>L’importance des stratégies menées aujourd’hui</h2>
<p>Les recherches que nous menons depuis 2019 auprès d’agriculteurs suggèrent l’importance des <a href="https://hal.science/hal-04253918">stratégies</a> mises en œuvre pour faire face aux tensions perçues, et les différents niveaux d’intérêts qu’elles présentent.</p>
<p>D’une part, ces mouvements permettent aux agriculteurs d’exprimer la <a href="https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C2894">colère</a> ressentie. Cette forme d’expression des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1269176308000254">émotions</a> permet ici de dire publiquement ce que d’autres finissent par taire. Car oui, l’anéantissement ultime que constitue le <a href="https://www.cairn.info/revue-sesame-2019-2-page-60.htm">suicide</a> touche aujourd’hui encore davantage les <a href="https://statistiques.msa.fr/wp-content/uploads/2022/10/Etude-mortalite-par-suicide_ok.pdf">agriculteurs</a> que la population générale.</p>
<p>Cela témoigne aussi d’une volonté des agriculteurs de s’unir et faire collectif pour parler d’une voix commune. Cette stratégie de <a href="https://iaap-journals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1464-0597.1993.tb00748.x">soutien social</a> leur rappelle qu’ils ne sont pas isolés dans leurs pratiques.</p>
<p>Justement, par-delà les désaccords syndicaux et professionnels, ces mouvements rappellent aussi que les agriculteurs forment une communauté de pratiques qui peut contribuer aussi de <a href="https://hal.science/hal-04150078">l’intérieur</a> à <a href="https://www.cairn.info/revue-le-travail-humain-2015-1-page-31.htm">construire, définir et redire</a> ce que peut être un modèle agricole soutenable pour chacun.</p>
<p>Pour les politiques, les citoyens et les consommateurs, c’est aussi une occasion de rappeler leur attachement au monde agricole et sans doute aussi <a href="https://www.cairn.info/revue-geographie-economie-societe-2013-1-page-67.htm">à une forme de ruralité</a>. Dans un contexte laissant craindre un <a href="https://reporterre.net/L-agribashing-une-fable-qui-freine-l-indispensable-evolution-de-l-agriculture"><em>agribashing</em> galopant</a>, c’est aussi redire aux agriculteurs <a href="https://hal.science/hal-03583047">qu’ils sont soutenus et essentiels</a>.</p>
<p>Ces mouvements rappellent enfin que l’agriculture n’est pas un secteur tout à fait <a href="https://agriculture.ec.europa.eu/common-agricultural-policy/cap-overview/cap-glance_fr">comme les autres</a>.</p>
<h2>Affronter nos propres contradictions</h2>
<p>Toutefois, ces mouvements ne constituent des stratégies efficaces qu’à la condition d’être complétés de mesures structurantes, globales et de long terme au bénéfice des agriculteurs. Autrement dit, ils ne sauraient exonérer les pouvoirs publics, les consommateurs et les citoyens de leurs propres contradictions. Comme le relève le <a href="https://www.ifop.com/publication/barometre-dimage-des-agriculteurs-3">baromètre IFOP</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les Français demandent plus de soutien financier des pouvoirs publics (56 %), mais notons tout de même une proportion élevée en faveur (25 %) du maintien en l’état actuel des aides aux agriculteurs. »</p>
</blockquote>
<p>Alors que faire ?</p>
<p>Il s’agit peut-être de <a href="https://www.france24.com/fr/france/20240123-d%C3%A9classement-endettement-normes-europ%C3%A9ennes-raisons-col%C3%A8re-agriculteurs-fran%C3%A7ais-agriculture-attal-france-mobilisation">« réarmer »</a> les agriculteurs et leur permettre de faire réellement le poids <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/colere-des-agriculteurs-la-confederation-paysanne-demande-une-interdiction-du-prix-d-achat-des-produits-agricoles-en-dessous-du-prix-de-revient_6321894.html">face aux distributeurs</a>.</p>
<p>C’est peut-être consommer local et au juste prix, et accepter une campagne dans laquelle l’agriculture est un <a href="https://hal.science/hal-03262804">métier</a> et pas seulement des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Tmw5qxcTFpM">paysages</a>. C’est peut-être enfin renforcer l’investissement dans la recherche et l’innovation afin de rendre la transition agroécologique possible.</p>
<p>Le Salon international de l’Agriculture prévu le mois prochain constituera sans aucun doute une épreuve de force pour le gouvernement, les agriculteurs et leurs syndicats, une étape déterminante avec celle des élections européennes prévues au mois de juin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Benoist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la colère des mouvements agricoles et sur quelles stratégies reposent-ils ?Sandrine Benoist, Enseignante-chercheuse, Université d'Orléans, IAE OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202312024-01-09T17:56:58Z2024-01-09T17:56:58ZOrientation post-bac : pourquoi les lycéens ruraux s’autocensurent<p>Alors que se profile une nouvelle saison d’inscriptions sur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/parcoursup-55513">Parcoursup</a>, la plate-forme de <a href="https://www.parcoursup.gouv.fr/">candidature dans l’enseignement supérieur</a>, les critiques sur la sélection à l’université et la place des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/algorithmes-24412">algorithmes</a> dans l’orientation des lycéens ne faiblissent pas.</p>
<p>Si le poids de l’origine sociale sur les processus d’orientation et la <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2021-3-page-23.htm">reproduction des inégalités</a> qu’il implique concentre l’attention, il faut souligner aussi l’influence des ancrages territoriaux sur les choix des adolescents.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-les-eleves-des-territoires-ruraux-manquent-ils-vraiment-dambition-161112">Inégalités scolaires : les élèves des territoires ruraux manquent-ils vraiment d’ambition ?</a>
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<p>Les formations en France étant très largement <a href="https://www.liberation.fr/societe/les-jeunes-ruraux-sont-juges-a-partir-dun-modele-urbano-centre-20210520_SE4ALLVUABHOFNLE6FHR3EP7XA/">urbano-centrées</a>, il n’est alors pas surprenant que les jeunes venant des espaces ruraux se retrouvent à pâtir d’un modèle où le diplôme est la condition <em>sine qua non</em> de la réussite professionnelle et, <em>a minima</em>, une <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/zadig-apres-lecole-pourquoi-les-decrocheurs-scolaires-raccrochent-ils/">arme contre la précarité</a>.</p>
<h2>Une connaissance concrète de la carte locale de formations</h2>
<p>Bien que les espaces ruraux aient une composition plus « populaire » que les villes, les <a href="https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864">résultats des élèves à l’entrée au collège</a> y sont comparables, voire supérieurs, à ceux des jeunes urbains. Si ces résultats peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs (moindres effectifs scolaires, <a href="https://theconversation.com/primaire-pres-dun-eleve-sur-deux-est-scolarise-dans-une-classe-multi-age-111659">classes « multi-âge »</a>, meilleures relations parents-professeurs…), ils mettent surtout à mal la théorie d’un soi-disant <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">« déficit culturel »</a> chez les ruraux.</p>
<p>Cependant, les jeunes ruraux sont bien plus souvent orientés que les urbains vers des filières courtes et professionnalisantes. Notons à titre d’exemple que, parmi les étudiants ruraux qui poursuivent leurs études après le baccalauréat, <a href="https://journals.openedition.org/rfp/1260">47 % partent en BTS ou DUT contre 38 % des urbains</a>. De plus, <a href="https://books.openedition.org/enseditions/16279">60 % des élèves ruraux de troisième envisagent un baccalauréat général ou technologique</a> contre une moyenne nationale à 71 % sur le territoire métropolitain. Ajoutons enfin que les formations infra-bac sont plus fréquentes puisque les <a href="https://www.education.gouv.fr/mission-ruralite-adapter-l-organisation-et-le-pilotage-du-systeme-educatif-aux-evolutions-et-defis-2864">CAP représentent 11 % des formations en milieu rural contre 8 % en ville</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chemins d’Avenirs : des mentors pour les jeunes des territoires ruraux (FRANCE 24, décembre 2023).</span></figcaption>
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<p>Comment expliquer que de meilleures performances académiques se conjuguent à des cycles d’études plus courts ? Pour y voir plus clair, il faut prendre en compte la <a href="https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2009-1-page-33.htm">relation entre formation, emploi et territoire</a>.</p>
<p>En milieu rural plus qu’ailleurs, les jeunes ont une connaissance plus concrète des métiers que le territoire peut offrir. Les formations proposées sur place coïncident souvent avec le marché de l’emploi local, ce qui fait que les ruraux se dirigent plus facilement vers des cursus professionnalisants, sans qu’il s’agisse nécessairement d’un biais de disqualification. Ces choix leur semblent une voie plus directe vers l’emploi. Il ne faut pas y lire un manque de compétences et d’ambition, mais une conscience plus précise de leurs objectifs de formation.</p>
<h2>Une orientation influencée par le budget et le réseau personnel</h2>
<p>Pourquoi ne pas partir faire des études supérieures en ville, si ces formations, de manière générale, ouvrent plus de perspectives d’emploi ainsi qu’une résistance face à la précarité ? Rappelons que les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2429772">diplômés sortis de formation depuis 1 à 4 ans</a> sont 41 % à être au chômage pour les non-diplômés, 19 % pour les bacs-CAP-BEP et 8 % pour les bac+2 et plus.</p>
<p>Bien entendu, l’ambition individuelle et le choix du parcours scolaire ne sont pas uniquement construits par les individus, ils peuvent être influencés aussi par le milieu familial. S’orienter vers un monde professionnel connu est plus simple pour beaucoup de jeunes « poussés » par un <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Reproduction-1952-1-1-0-1.html">phénomène de reproduction sociale</a>. De plus, les études en ville peuvent impliquer des dépenses plus élevées pour le logement, la nourriture, les frais de scolarité, les déplacements (retour chez ses parents les week-ends et/ou les vacances).</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pour ce qui est du logement, l’UNEF note en 2022 que les loyers étudiants ont connu une hausse moyenne de 1,37 % et une <a href="https://unef.fr/wp-content/uploads/2022/08/Classement-UNEF-des-villes-universitaires-2022.pdf">hausse du coût de vie de 6,47 %</a>. Elle met également en lumière que le coût mensuel de vie dans des villes comme Paris, Bordeaux, Marseille, Lyon ou encore Lille est compris entre 1 000 et 1 350 euros par mois pour un étudiant. Ces coûts peuvent être des freins qui renforcent les inégalités entre ruraux et urbains. Ceux-ci peuvent plus facilement limiter les coûts de leur formation par la cohabitation parentale et, de manière générale, une entraide familiale facilitée par la proximité géographique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin »" (Livre politique 2020/LCP, Assemblée nationale).</span></figcaption>
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<p>Enfin, des a priori sur la ville peuvent jouer. Certains peuvent avoir la sensation d’un manque d’opportunités en dehors de leurs réseaux d’interconnaissance, d’autres ont plus largement un avis négatif. Le sociologue <a href="https://theconversation.com/profiles/benoit-coquard-862400">Benoît Coquard</a> revient par exemple sur <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-3-page-39.htm">ces préjugés sur les villes, tout particulièrement Paris</a>. Ces réticences peuvent être liées à une crainte de l’insécurité et de la violence dans les villes, renforcée par l’idée d’une vie stressante et d’un espace de vie pollué.</p>
<p>L’ensemble de ces réticences, craintes ou inégalités amène à une sélection des ruraux hors des centres urbains.</p>
<h2>S’éloigner de ses proches : un coût émotionnel à gérer</h2>
<p>Hormis le calcul rationaliste entre coûts et gains, il ne faut surtout pas omettre l’aspect relationnel et affectif qui est en jeu lors de l’orientation des jeunes. En effet, la poursuite d’études en ville implique, pour les ruraux, un choix parfois difficile : aller se former ailleurs et quitter son milieu de vie, ou rester sur place en acceptant une offre de formation souvent plus réduite.</p>
<p>Partir se former ailleurs peut avoir un <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">coût émotionnel</a> qui peut être trop lourd pour certains jeunes. Ces jeunes savent que partir en ville signifie généralement s’y insérer professionnellement et donc y rester à plus long terme. Ce choix n’est pas qu’un choix de formation. Il implique pour le jeune de se projeter dans une carrière, c’est-à-dire dans un milieu social et un espace de vie particulier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/choix-scolaires-une-orientation-heureuse-est-elle-possible-103295">Choix scolaires : une « orientation heureuse » est-elle possible ?</a>
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<p>Là où les liens familiaux sont forts, quitter la famille, les amis, son compagnon ou sa compagne, peut entraîner une séparation difficile et créer un sentiment d’isolement. Quitter son milieu de vie et ne pas savoir si l’on pourra y revenir peut avoir un coût social trop important pour pouvoir être considéré.</p>
<p>La sélection des jeunes ruraux n’est donc pas seulement le fruit d’un rapport plus direct entre formation-emploi-territoire, mais provient tout autant de limitations économiques, mais aussi affectives. Des dispositifs comme les <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-campus-connectes">campus connectés</a> ou bien encore les <a href="https://www.foyersruraux.org/pages_thematiques/les-universites-rurales-espaces-de-rencontre-de-reflexion-de-formation-de-proposition/">universités rurales</a> existent, mais ne peuvent pas à eux seuls compenser les inégalités territoriales dans l’accès à la formation.</p>
<p>Il est nécessaire de prendre en compte les différents freins relatifs à l’accès aux études tant que l’accès au diplôme restera un objectif central dans l’égalité des chances pour les jeunes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220231/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À résultats scolaires égaux, les adolescents des espaces ruraux s’orientent plus vers des filières courtes et professionnalisantes que les élèves de lycées urbains. Comment l’expliquer ?Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196522023-12-18T19:01:04Z2023-12-18T19:01:04ZInsécurité dans les campagnes : l’affrontement de deux mondes ?<p>Dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023 le <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtre-de-thomas-a-crepol/mort-de-thomas-a-crepol-ces-elements-de-l-enquete-qui-montrent-la-complexite-du-dossier_6223491.html">meurtre de Thomas</a> a laissé la France sous le choc. Le jeune homme de 16 ans a été poignardé lors d’une fête de village à Crépol, un petit village d’un peu plus de 500 habitants dans la Drôme.</p>
<p>Pour beaucoup, les campagnes semblaient exemptes de ces formes de violence. Or ce meurtre relance de nombreuses questions à la fois sur l’insécurité en milieu rural, sur l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains et semble – en définitive – cristalliser <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">des tensions politiques et sociales</a>. Derrière la question des violences dans ces territoires refont surface des tensions vis-à-vis de la polémique du <a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/le-racisme-anti-blancs-existe-t-il/">racisme anti-blanc</a> et <a href="https://theconversation.com/attaques-terroristes-conflits-comment-exister-face-aux-tragedies-du-monde-215719">des tiraillements « civilisationnels »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Zones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?</a>
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<h2>Des violences avant tout intrafamiliales</h2>
<p>La question de l’insécurité au sein des espaces ruraux est centrale et difficile à éclaircir avec les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Les rapports annuels sur l’insécurité et la <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites">délinquance</a> ne permettent pas bien de distinguer rural et urbain.</p>
<p>Les zones de gendarmerie (en opposition avec les « zones de police ») représentent la moitié de la population française dont les deux tiers sont urbains ou périurbains. D’autre part, il faut noter que ces chiffres doivent être considérés à l’aune de l’évolution de notre rapport au délit comme c’est notamment le cas avec le phénomène des <a href="https://books.openedition.org/pressesmines/8223?lang=fr">violences sexistes et sexuelles</a> avec l’ouverture de la parole et le travail de sensibilisation qui font que les victimes expriment plus facilement qu’avant ces violences.</p>
<p>Nous pouvons toutefois tirer de ces rapports l’augmentation de plusieurs types de délits dans les communes à faible densité de population. Les villes – c’est-à-dire les zones à forte ou très forte densité de population – bien qu’hétérogènes se distinguent vis-à-vis de la criminalité et notamment de la violence en campagne. Entre 2016 et 2022, les homicides ont stagné en France avec <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">0,08 ‱ contre 0,19 ‱</a> pour les zones urbaines. Ils ont même diminué à Paris sur cette période.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emeutes-en-france-des-films-pour-mieux-comprendre-le-conflit-208896">Émeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit</a>
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<p>Les vols avec et sans armes ont stagné (avec bien évidemment un taux très faible en 2020 du fait des confinements). Ce qui a pu augmenter sont les coups et violences volontaires ainsi que les violences sexuelles. Pour les violences volontaires, nous sommes passés dans les campagnes de 1,5 ‰ à 2,6 ‰ (4,5 à 6,5 dans les grandes villes) ; pour la très grande majorité des violences dans le cadre familial. Enfin, les violences sexuelles observées ont triplé, mais sont aussi le résultat de la libération de la parole notamment <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-metoo-quest-ce-qui-a-change-105225">à la suite du mouvement #MeToo</a>.</p>
<h2>Distinguer délinquance et sentiment d’insécurité</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que l’évolution de la délinquance ne correspond pas nécessairement <a href="https://www.cairn.info/vous-avez-dit-securite--9782353712397.htm">au sentiment d’insécurité</a>.</p>
<p>Puisque de nombreux délits et crimes ne créent pas toujours des victimes, et ne participent pas à l’évolution du sentiment d’insécurité sur un territoire là où des comportements d’incivilité risquent d’y contribuer sans qu’ils soient pour autant répréhensibles pénalement. L’impolitesse, la mobilisation de l’espace public ou encore le <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048/">« zonage »</a> des jeunes peuvent, par exemple, renforcer le sentiment d'insécurité.</p>
<p>Ce que l’on peut observer de manière générale c’est que les espaces ruraux connaissent moins de violences et de criminalité que le reste du territoire. Le Service Statistique du Ministère de la Sécurité Intérieure (SSMSI) rappelle ainsi que la majorité des actes délinquants reposent sur 1 % des communes sur le territoire national. Sans qu’il s’agisse d’une règle stricte, le rapport du SSMSI montre que la Creuse, département rural, connaît un taux de crime avec violence trois fois inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis, et que les communes sans criminalités sont toujours dans des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">espaces ruraux</a>. Est-ce à dire que l’on rencontre l’opposition de deux mondes ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-les-campagnes-pourquoi-les-jeunes-se-detournent-ils-des-lieux-publics-186540">Dans les campagnes, pourquoi les jeunes se détournent-ils des lieux publics ?</a>
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<h2>L’affrontement de deux mondes ?</h2>
<p>L’opposition entre les campagnes et les villes est un phénomène <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941/document">bien souvent exagéré</a>, par des visions folkloristes comme les <a href="https://www.les-bodins.fr/-Les-aventures-des-Bodin-s-.html">Bodin’s</a>, qui tend à effacer la nuance et l’hétérogénéité des territoires en France. Les différences économiques, en matière d’accès aux services sont à relativiser lorsque l’on observe, par exemple, une pauvreté présente principalement dans les zones urbaines « Quartiers Politiques de la Ville » (QPV) et au sein des espaces ruraux.</p>
<p>Dans les espaces ruraux, le <a href="https://www.theses.fr/2008TOU20042">discours récurrent</a> est celui de l’injustice de la centralisation et de l’urbanocentrisme des politiques. Alors que pour les quartiers politiques de la ville le discours fréquemment employé est celui de la marge que représentent les banlieues et de la stigmatisation de population dominées.</p>
<p>Le rural et l’urbain ne sont pas deux réalités opposées, le premier n’est pas le négatif de l’autre.</p>
<p>Puisque ce qui caractérise l’urbanité ou la ruralité est la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">densité de population</a>, nous pouvons alors facilement considérer que nous faisons face à un spectre de la ruralité et de la ville. Ce ne sont pas deux « mondes » ou deux « pôles » qui s’opposent, mais plutôt de nombreux espaces plus ou moins denses, plus ou moins éloignés des métropoles.</p>
<p>Des espaces urbanisés ou périurbains viennent se positionner – s’intercaler – entre ces territoires et nous permettent de considérer que nous ne sommes pas dans une opposition, mais dans un dégradé. De plus il faut garder à l’esprit que la ruralité comme l’urbanité ne sont pas des réalités homogènes.</p>
<p>Si cette considération est facile à avoir en tête lorsqu’on parle des villes, elle est plus difficile à prendre en considération lorsque l’on parle des campagnes. Si l’on accepte aisément que Neuilly-sur-Seine ne soit pas la même réalité que La Courneuve, on a souvent plus de mal à accepter que vivre sur l’île d’Oléron n’est pas la même chose que vivre dans un hameau dans les Alpes et que ce n’est pas non plus vivre au bord du bassin d’Arcachon ou au <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">centre de la Creuse</a>.</p>
<p>Ce qui persiste dans les imaginaires ce sont avant tout des prénotions que l’on peut avoir d’une part et d’autres de cette <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">hypothétique barrière</a>. Pour ce qui concerne les stéréotypes sur les ruraux : des idées préconçues sur le retard culturel, un entre-soi passéiste et xénophobe. Et pour les urbains, l’« ensauvagement », la violence et l’assistanat. Ainsi, bien avant toute autre chose, ce sont <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">nos représentations</a> qui viennent jouer sur la construction d’un sentiment d’opposition entre ces deux « mondes ».</p>
<h2>La cristallisation de multiples tensions</h2>
<p>Les contextes géographiques distincts cachent des réalités communes de domination. Pauvreté élevée, marginalisation, faible taux de service, difficultés liées à <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">l’emploi et à la formation</a>, les ressemblances sont sociologiquement bien plus structurantes des vécus que les ancrages géographiques et ce qui est vécu comme une diversité culturelle.</p>
<p>La ruralité et l’urbanité restent des marqueurs symboliques d’identités pour beaucoup de jeunes et derrière le drame qui a frappé les habitants de Crépol vient la peur de <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">« l’ensauvagement »</a> et de l’envahissement d’espaces qui semblent « préservés » de ces formes de violence.</p>
<p>Or, s’il y a un taux de criminalité avec violence plus « faible » en milieu rural qu’en ville, nous devons rappeler que cela ne signifie pas que les espaces ruraux sont exempts de toute forme de violence. Dans le <a href="https://www.nouvelle-aquitaine.fr/sites/default/files/2022-11/rapport%20rural%20der.pdf">rapport</a> sur les violences sexistes et sexuelles en milieu rural l’autrice rappelle que de nombreuses formes de violence sont passées sous silence et invisibilisées du fait de l’interconnaissance locale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-sous-silence-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-lampleur-des-feminicides-en-milieu-rural-189187">Violences sous silence : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle l’ampleur des féminicides en milieu rural</a>
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<p>En réalité, ce ne sont pas tant les questions de violences et/ou de criminalités qui font débat, mais un rapport à la politique et une récupération faite notamment par des mouvements d’extrême droite. À Bordeaux, Toulouse, Brest, Crépol ou encore Clermont-Ferrand des <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/manifestation/mort-de-thomas-a-crepol-plusieurs-manifestations-de-lultradroite-interdites-en-france-4d96699a-9056-11ee-b098-8644c47fd929">manifestations ont été interdites</a> par crainte de violences entre des groupes d’extrême droite et d’extrême-gauche. Pourtant, les élus locaux apportent une nuance importante sur leur territoire, mais souvent peu visible et peu mise en avant face <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-13-14/le-13-14-du-lundi-04-decembre-2023-5011742">aux instrumentalisations de ce drame</a>.</p>
<p>Aussi, s’il faut être prudent avec les données que l’on peut mobiliser, il est clair que des montées identitaires et politiques traversent de tels évènements comme cela a pu être notamment observé sur le réseau social X. On voit ici encore que la ruralité, bien loin d’être en marge des problématiques contemporaines, se retrouve en leur cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé est membre du CERTOP et du CED</span></em></p>Comment le drame de Crépol et l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains cristallisent des tensions politiques et sociales.Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162172023-12-06T14:34:42Z2023-12-06T14:34:42ZVieillir en milieu rural est un enjeu collectif qui doit être pris au sérieux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/560212/original/file-20231117-25-r47fsf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C994%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les personnes aînées vivant en milieu rural doivent composer quotidiennement avec la rareté des services de proximité, de longues distances à parcourir pour accéder aux services sans réelle alternatives à l’automobile et une pauvreté d’offres de logement adapté.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Au cours des deux prochaines décennies, toutes les régions du Québec connaîtront une <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2021/21-830-01W.pdf">augmentation de la proportion de leurs citoyennes et citoyens âgés de 65 ans et plus</a>. Les petites municipalités rurales seront toutefois les <a href="https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-x/2021002/98-200-x2021002-eng.cfm">plus touchées par cette tendance</a>.</p>
<p>Comment expliquer ce phénomène? En partie par l’exode des jeunes vers les villes, par l’attrait des milieux ruraux pour certaines personnes retraitées et par la nette préférence des personnes immigrantes pour les milieux urbains. </p>
<p>La plupart des personnes âgées souhaitent vivre le plus longtemps possible dans leur domicile ou, à tout le moins, dans leur communauté et <a href="https://bmcpalliatcare.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12904-022-01023-1">y décéder</a>. Or, la possibilité de demeurer chez soi jusqu’à la fin se révèle intimement liée au statut <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7314918/">socio-économique et à des facteurs en lien avec l’aménagement du territoire</a>.</p>
<p>Respectivement stagiaire postdoctorale, cotitulaire de la <a href="https://www.uqar.ca/recherche/la-recherche-a-l-uqar/unites-de-recherche/chaire-interdisciplinaire-sur-les-services-de-sante-et-sociaux-pour-les-populations-rurales/presentation-objectifs-et-mission-chaire-interdisciplinaire-sur-les-services-de-sante-et-sociaux-pour-les-populations-rurales">Chaire interdisciplinaire sur la santé et les services sociaux pour les populations rurales à l’Université du Québec à Rimouski</a> et interniste gériatre dans la région de Montmagny-L’Islet au <a href="https://www.cisssca.com/accueil">CISSS de Chaudière-Appalaches</a>, nous sommes trois des trois chercheures au sein du <a href="https://labvivantmosaic.ca/">laboratoire vivant MOSAIC</a> dans lequel s’impliquent plusieurs citoyennes et citoyens et chercheur.es du <a href="http://www.crcisssca.com/accueil-centre-de-recherche">Centre de recherche du CISSS de Chaudière-Appalaches</a>. Le laboratoire vivant MOSAIC vise à codévelopper des solutions innovantes pour soutenir le vieillir en communauté rurale dans cette région du Québec. </p>
<p>Dans cet article, nous introduisons le fonctionnement du laboratoire vivant MOSAIC.</p>
<h2>Portrait de la ruralité</h2>
<p>Les personnes aînées vivant en milieu rural doivent composer quotidiennement avec la <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2022/22-830-52W.pdf">rareté des services de proximité, de longues distances à parcourir pour accéder aux services, sans réelle alternative à l’automobile, et une pauvreté d’offres de logement adapté</a>. </p>
<p>Malgré ces contraintes, nombre de ces personnes affirment que certaines dimensions de la vie en milieu rural, telles que <a href="https://unece.org/fileadmin/DAM/pau/age/Policy_briefs/ECE-WG1-25.pdf">l’attachement à la communauté et au territoire, la participation sociale et la familiarité, créent un sentiment d’appartenance qui l’emporte largement sur les aspects plus négatifs</a>. </p>
<p>Pour implanter des solutions collectives, innovantes, adaptées aux besoins et aux priorités des personnes aînées vivant en milieu rural, il apparaît nécessaire de mobiliser la <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/ainee/F-5234-MSSS.pdf">collaboration intersectorielle et le dynamisme des communautés rurales</a>. </p>
<p>La collaboration intersectorielle vise à susciter des interdépendances entre une diversité d’actrices et d’acteurs issus de secteurs variés (société civile, communautaire, municipal, gouvernemental) afin de développer des réponses mieux adaptées à une problématique complexe. <a href="https://chairecacis.org/fichiers/intersectorialite_partenariat_2019.pdf">La mise en commun des différentes expertises et des ressources permet d’innover là où l’action d’un seul secteur serait jugée insuffisante</a>. </p>
<p>Pour favoriser cette collaboration intersectorielle, l’approche des laboratoires vivants s’avère prometteuse. En effet, les laboratoires vivants <a href="https://timreview.ca/sites/default/files/Issue_PDF/TIMReview_November2017.pdf">favorisent le développement d’innovations techniques et sociales durables, et ce, à grande échelle</a>.</p>
<h2>Le laboratoire vivant MOSAIC</h2>
<p>Le laboratoire vivant MOSAIC pour, avec et par les personnes aînées des milieux ruraux est actuellement en effervescence dans la région de Chaudière-Appalaches. <a href="https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3200274?docref=zW69gy-cg4bgW4VeViBQUw">Située sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, cette région s’étend sur 16 130 km²</a>, soit 34 fois la superficie de l’île de Montréal. </p>
<p>En 2023, les personnes âgées de 65 ans et plus représentent déjà 25 % de la population de Chaudière-Appalaches. Parmi ces personnes aînées, 56 % ont entre 65 à 74 ans, 32 % ont entre 75 à 84 ans et 12 % ont 85 ans et plus. <a href="https://www.cisssca.com/clients/CISSSCA/Surveillance_infogram/Documents/RAP_DSPu_Portrait%20aines_2023-10-23_VF.pdf">Près d’une personne aînée sur trois (31 %) de ce territoire ne détient aucun diplôme, 26 % habitent seules et 21 % jouissent d’un faible revenu</a>. </p>
<p>Le laboratoire vivant MOSAIC réunit des partenaires de quatre parties prenantes de même importance, soit des personnes aînées et leurs proches, des personnes représentantes des municipalités et de la collectivité, des organisations offrant des services aux personnes aînées (Centre intégré de santé et de services sociaux de la région, organismes privés ou communautaires) et des personnes du milieu de la recherche et de l’enseignement incluant étudiantes et étudiants de la relève en recherche. </p>
<p>Toutes et tous sont mobilisés afin de cibler et tester des solutions innovantes et inclusives favorisant le vieillir en milieu rural. </p>
<p>Le laboratoire vivant MOSAIC poursuit les objectifs suivants : </p>
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<li><p>Créer des opportunités de rencontres et des espaces de discussion sécuritaires pour explorer avec les personnes aînées des pistes de solutions à leurs besoins ; </p></li>
<li><p>Expérimenter des idées et solutions innovantes dans une approche de cocréation et en contextes de vie réels ;</p></li>
<li><p>Favoriser un dialogue durable entre les personnes aînées des milieux ruraux et les autres partenaires du laboratoire vivant MOSAIC.</p></li>
</ul>
<h2>Les cinq thèmes du laboratoire vivant MOSAIC</h2>
<p>Cinq grands thèmes favorisant le vieillir en milieu rural ont émergé dès les premiers échanges entre les parties prenantes à l’automne 2022, soit la participation sociale, les milieux de vie agréables et inclusifs, la réminiscence et la santé cognitive, les soins et services de santé et la préparation de la fin de vie.</p>
<p>Depuis l’hiver 2023, ces thèmes font l’objet de rencontres de groupes de travail tenues principalement en ligne et visant à dégager les besoins prioritaires, à cibler des pistes de solution innovantes et ultimement, à les tester et à les implanter en contextes de vie réels. À ce moment-ci de la démarche, les pistes retenues sont le développement d’un programme d’aide favorisant la maîtrise des technologies des communications en soutien à la participation sociale, la mise en place d’un réseau sécuritaire d’aide aux menus travaux, la création d’un réseau bien traitant pour dépister les personnes aînées vulnérables à domicile, un projet misant sur les technologies pour favoriser la santé cognitive via la réminiscence du quotidien en ruralité et des activités pour démystifier la fin de vie en milieux ruraux.</p>
<p>Des constats généraux se dégagent de ces premiers mois d’expérimentation, soit une forte mobilisation des personnes aînées, de leurs proches et des représentantes et représentants d’organismes communautaires, ainsi qu’un désir commun de (re)créer des relations de confiance durable entre les membres des communautés rurales de différentes générations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216217/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le laboratoire vivant MOSAIC est financé par les Fonds de recherche Québec- Santé</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lily Lessard est membre chercheure du Centre de recherche du CISSS de Chaudière-Appalaches et de l'Assemblée des chercheur.es du CISSS du Bas-St-Laurent. Elle est cotitulaire de la chaire interdisciplinaire sur la santé et les services sociaux pour les populations rurales (Chaire CIRUSSS). Elle est chercheure principale sur Laboratoire vivant MOSAIC (financé par le Fonds québecois de recherche-Santé-Plateforme vieillissement) avec la Dre Michèle Morin et superviseure principale du stage postdoctoral de mme Ariane Plaisance. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Michèle Morin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le laboratoire vivant MOSAIC pour, avec et par les personnes aînées vivant en milieu rural, a pour mission de développer des innovations sociales facilitant le vieillir dans la communauté d’attache.Ariane Plaisance, Stagiaire post-doctorale, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Lily Lessard, infirmière, Ph.D. santé communautaire, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Michèle Morin, Interniste gériatre, CISSS Chaudière-Appalaches ; Professeure agrégée de clinique, Département de médecine, Faculté de médecine, Université Laval; Directrice responsable scientifique, Centre d'excellence sur le vieillissement de Québec, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2139102023-09-20T16:13:19Z2023-09-20T16:13:19ZLes obstacles à « la reconquête du vote populaire rural » : discussion sur l’ouvrage de Cagé et Piketty<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/549342/original/file-20230920-27-1h1ztb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4608%2C3055&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Thizy, Rhône, 2021. Des commerces vides le long de la rue principale, signe de la désertification rurale et industrielle de ce bourg qui était autrefois un petit centre de production textile dans la campagne.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/51203465224/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-du-conflit-politique-julia-cage/9782021454543"><em>Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022</em></a> de Julia Cagé et Thomas Piketty, « la reconquête du vote populaire rural » est identifiée comme la « priorité absolue pour le bloc social-écologique » (p.741).</p>
<p>À l’issue de cet ouvrage qui déploie une analyse prolifique des inégalités sociospatiales en regard des comportements électoraux, Cagé et Piketty émettent un ensemble de propositions pour attirer à gauche les classes populaires rurales. Les deux économistes se risquent ainsi à un certain volontarisme politique sur la base d’un travail scientifique à la fois original, rigoureux et discutable par endroits. Ils invitent notamment à renforcer les services publics dans les espaces ruraux où dominerait, selon l’expression consacrée et maintes fois utilisée dans le livre, un fort « sentiment d’abandon » chez les classes populaires. Une autre de leurs idées est de faciliter, à l’instar du RN, l’accès à la propriété pour ces ménages sensibles aux inégalités de patrimoine et très attachés au fait de posséder leur chez-soi.</p>
<p>Mais par-delà l’adéquation a priori des mesures proposées, l’hypothèse de la « reconquête » des classes populaires rurales par la gauche n’a rien d’évident dans certains villages et bourgs où les idées d’extrême droite sont devenues hégémoniques face à l’absence d’opposition.</p>
<p>Il y a la difficulté pour un ouvrier ou une employée à se déclarer publiquement de gauche, tandis que se dire « de droite » ou « pour Le Pen », c’est déjà s’assurer un minimum de respectabilité en se désolidarisant des plus précaires taxés <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">« d’assistés »</a> par ces <a href="https://www.puf.com/content/Simples_militants">discours politiques dominants</a>.</p>
<p><em>Une histoire du conflit politique</em> peut intégrer par endroits ces éléments, mais l’équation générale laisse peu de place aux rapports sociaux concrets qui déterminent l’espace des possibles politiques.</p>
<p>Dans ce livre de 850 pages, les enquêtes de terrain qui permettent de mettre au jour de tels processus sont surtout mobilisées comme des recueils d’entretiens qui viennent illustrer la démonstration des chiffres. Alors certes, la notion de « classe géo-sociale » établie à partir d’un assemblage inédit d’indicateurs quantitatifs ouvre des perspectives de compréhension, <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-4-page-423.htm">dans le sillage des travaux</a> sur les <a href="https://www.ehess.fr/fr/ouvrage/mondes-ruraux-et-classes-sociales">dimensions locales de l’espace social</a>. Mais on peut s’interroger sur la capacité des catégories statistiques à saisir, à elles seules, <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">« les effets de lieu »</a> qui tiennent à la spécificité locale des rapports de classes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">Comment le ressentiment nourrit le vote RN dans les zones rurales</a>
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<h2>Des configurations défavorables à la gauche</h2>
<p>Cagé et Piketty font malgré tout plusieurs incursions vers une prise en compte de ces configurations, comme lorsqu’ils mentionnent que « le vote pour le FN-RN est devenu au fil du temps plus étroitement associé aux communes comptant la plus forte proportion d’ouvriers (principalement dans les bourgs et les villages). » Et ensuite que : « Ce vote a également toujours été une fonction croissante de la proportion d’indépendants. » (p.733)</p>
<p>Seulement, lorsque les deux économistes s’étonnent positivement de corrélations entre la structure de la population et les comportements politiques, ils ne vont jamais jusqu’à les appréhender frontalement, c’est-à-dire de manière relationnelle, en envisageant la construction réciproque des classes sociales par les rapports qu’elles entretiennent entre elles. À défaut, comment comprendre que dans certaines configurations du tissu économique local, les <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2020-2-page-4.htm?ref=">affinités sociales</a> et politiques des classes populaires jouent contre la politisation à gauche.</p>
<p>Il est fréquent qu’un ouvrier rural soit ami avec un artisan (ou un autre indépendant) et influencé politiquement (à droite) par lui. À l’inverse, les groupes sociaux qui portent typiquement le vote à gauche sont soit absents de ces villages et bourgs populaires, du fait notamment du départ des jeunes diplômés ne trouvant pas de débouchés sur le <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-2-page-135.htm">marché de l’emploi local</a>, soit dans un entre-soi ignoré des classes populaires locales.</p>
<p>Cette configuration a des implications sur les modèles de réussite considérés localement comme légitimes, sur la façon dont les gens se définissent et s’identifient à <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2016-2-page-21.htm;">« un nous »</a>, et donc sur les comportements électoraux.</p>
<p>Par conséquent, si l’approche de Cagé et Piketty permet mieux que jamais de répondre à la première partie de la question présente en 1<sup>ere</sup> ligne de leur livre, « Qui vote pour qui ? », le débat reste ouvert sur la seconde partie, « et pourquoi ? »</p>
<h2>Des affinités transclasses</h2>
<p>Les membres des classes populaires rurales ont tendance à dénigrer d’autres classes populaires associées dans leurs représentations à la ville, à l’immigration et à l’assistanat.</p>
<p>Tandis qu’ils cherchent à minimiser le sentiment anti-immigré des classes populaires rurales ailleurs dans l’ouvrage, Cagé et Piketty donnent une profondeur historique à ce rejet, en montrant qu’à chaque époque une somme de stéréotypes étaient mobilisés par les ruraux à l’encontre de leurs homologues des villes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549345/original/file-20230920-27-i1fd8m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Zone industrielle et commerciale, Chavelot-Golbey, Vosges, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jfgornet/16945119899/">Jean-François Gornet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Or cette sorte de « fausse conscience rurale » tient aussi au fait que dans certaines campagnes, ouvrier·e·s et employé·e·s aspirent largement au style de vie incarné dans leur monde proche par des artisans, des petits patrons, des propriétaires comme eux. Certes ces derniers sont davantage dotés en capital économique, mais ils les côtoient au quotidien, faisant parfois partie de leurs amis proches, de leurs familles, etc.</p>
<p>Ces affinités transclasses se comprennent logiquement si l’on a en tête le schéma de l’espace social proposé par <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html">Pierre Bourdieu</a>. Les ouvriers et ouvrières de petites PME, propriétaires de leur logement et évoluant dans des sociabilités relativement homogènes ont des aspirations caractéristiques <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2018-2-page-9.htm">du bas à droite » de l’espace social</a>, dans lequel se situent des individus au niveau de revenus et patrimoine différents, mais qui se rejoignent sur les valeurs, les goûts, la distance vis-à-vis du monde scolaire et du pôle culturel largement associé aux grandes villes.</p>
<p>Cette petite bourgeoisie économique qui influence les classes populaires rurales est fièrement de droite et d’extrême droite, se faisant le relais informel de partis politiques pourtant assez <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2020-2-page-70.htm?ref=doi">absents des sociabilités locales</a>.</p>
<h2>Réputation et conformisme politique</h2>
<p>Cette forme de bourgeoisie impose l’idée d’une méritocratie par le travail qui justifie à la fois le respect d’une hiérarchie sociale par le capital économique et la stigmatisation des plus précaires. Plus encore, ces groupes dominent les classes populaires au quotidien en distribuant les « bons points » des réputations des un·e·s et des autres sur le marché du travail et de là, dans toutes les scènes de la vie sociale, puisqu’en milieu rural, « tout se sait » et tout est lié.</p>
<p>Ces logiques réputationnelles sont omniprésentes dans mes enquêtes de terrain et forment la clé de voûte d’une analyse liant les conditions sociales et spatiales aux positionnements politiques.</p>
<p>C’est par exemple toute l’histoire d’Eric, cet ouvrier trentenaire qui a claqué la porte d’une petite PME. Son patron, qui était également un « pote », membre de son équipe de foot et partenaire occasionnel de chasse, l’a ensuite discrédité auprès des autres employeurs et plus largement de tout son entourage en le présentant comme un mauvais travailleur, surtout trop revendicatif. Plus tard, au cours d’une discussion avec plusieurs entrepreneurs locaux lors de laquelle des critiques lui sont adressées, Éric affirmera : « Moi, je suis bien de droite ».</p>
<p>La « sale réputation » dont il a souffert ne l’a pas mené à se politiser contre le patronat, mais bien à se revendiquer du « bon côté » de la frontière sociale avec « les bosseurs », contre lesdits « assistés », « cas sociaux » ou encore les « Mélenchons », comme on dit dans son entourage familial et amical pour désigner les personnes qui remettent en cause les inégalités.</p>
<h2>Des obstacles démographiques</h2>
<p>C’est pourquoi, pour jouer les pessimistes face à la démarche de Cagé et Piketty, on pourrait considérer que la « reconquête » des classes populaires rurales devrait avant tout passer par un bouleversement des dynamiques démographiques.</p>
<p>Ce dernier verrait les classes sociales plus marquées à gauche « s’établir » dans les campagnes industrielles et les bourgs en déclin. Une telle dynamique ne saurait cependant reposer sur le simple désir de verdure des citadins ou sur la volonté politique de quelques militants.</p>
<p>On pourrait à minima penser à la relocalisation d’emplois qualifiés dans les campagnes populaires qui permettrait aussi d’enrayer le départ des jeunes diplômés ruraux, notamment des <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100751100">jeunes femmes</a> issues des <a href="https://ladispute.fr/catalogue/des-femmes-qui-tiennent-la-campagne/">classes populaires locales</a> dont les <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2022-3-page-97.htm">qualifications scolaires</a> ne sont pas adaptées au marché de l’emploi local.</p>
<p>De ce point de vue, la proposition de renforcement des services publics que l’on retrouve chez Cagé et Piketty pourrait se coordonner avec une politique de recrutement des diplômé·e·s issu·e·s de ces territoires.</p>
<p>Mais à l’heure actuelle, la tendance générale reste la suivante : les campagnes qui attirent les potentiels électeurs de gauche ne sont pas celles où l’on retrouve les plus fortes proportions de classes populaires. Comme les autres groupes sociaux, les représentants du pôle culturel de l’espace social ont une attirance pour les lieux, urbains et ruraux, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/rester_bourgeois-9782707175656">où se concentrent déjà des personnes qui leur ressemblent</a>.</p>
<p>Plus les différences d’opportunités d’emplois locaux, de styles de vie, de comportements politiques se polarisent géographiquement (et donc socialement), moins les espaces ruraux marqués par une domination du vote RN ont de probabilité d’attirer des individus et des groupes sociaux marqués à gauche.</p>
<p>La droitisation se construit en partie ainsi et les réponses à y apporter diviseront probablement la gauche, à l’image de la ligne envisagée par François Ruffin, qui s’adresse à la fois aux classes populaires et à leurs proches artisans, auto-entrepreneurs, petits-patrons qui font office dans les sociabilités de <a href="http://cup.columbia.edu/book/the-peoples-choice/9780231197953">leader d’opinion</a>.</p>
<h2>Un « nous » à reconstruire</h2>
<p>Cagé et Piketty, tout au long de leur livre, font du « sentiment d’abandon » une clé d’explication du vote RN. Sans écarter ce cas de figure, mes enquêtes m’ont surtout amené à observer une attitude différente à partir du moment où les classes populaires rurales ne se voient pas imposer ce registre de réponse. Loin de se vivre en permanence comme <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-3-page-39.htm">« abandonnés » par Paris</a>, ces hommes et femmes ont accès à une reconnaissance locale et rejettent fortement le mode de vie urbain.</p>
<p>Alors qu’ils seraient plus anonymes en ville, les ouvrier·e·s et employé·e·s des villages sont pris dans des rapports de réciprocité intenses, où ce qui se passe ailleurs importe finalement moins. Les réduire, par une bienveillance située socialement, à cette image d’abandonnés ne ferait probablement que susciter chez eux le sentiment d’être incompris.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=503&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549387/original/file-20230920-27-mbibmg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=632&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">gilets jaunes au rond-point de l’autoroute, sortie Meximieux-Pérouges (A42). 26 septembre 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:Gilets_jaunes_au_rond-point_de_l%27autoroute,_sortie_Meximieux-P%C3%A9rouges_%28A42%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>C’est justement tout le succès du RN que d’avoir imposé ce registre de l’abandon dans le champ politique, tout en proposant à leur électorat un tableau cynique du lien social. Le RN vend aux classes populaires rurales une réification passéiste d’une prétendue tradition dans laquelle leur style de vie serait la norme universelle. Et plus encore, il promet une re-hiérarchisation des groupes sociaux de telle sorte que ces petits propriétaires s’assurent d’être toujours mieux traités que d’autres en dessous d’eux, ces autres issus de l’immigration avec qui la concurrence est présentée, de facto, comme inévitable.</p>
<p>Les ouvriers et employées des zones rurales désindustrialisées, qui font l’expérience de la concurrence pour l’emploi et s’accommodent assez largement des discours anti-immigrés, reconnaissent ainsi au RN d’être le porteur d’une vision intrinsèquement conflictuelle et donc honnête du monde social.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/zones-commerciales-peripheriques-de-leldorado-economique-au-peril-territorial-212478">Zones commerciales périphériques : de l’eldorado économique au péril territorial</a>
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<h2>Les classes populaires n’ont pas le luxe de l’individualisme</h2>
<p>Là où la gauche pourrait prendre appui, c’est sur le fait que cette conflictualité vécue va de pair avec un besoin de solidarité. Les classes populaires n’ont pas le luxe de l’individualisme. Parce ce que rien n’est complètement acquis pour éviter de « tomber plus bas », il faut compter sur la reconnaissance et le soutien des autres. Ce que dit le RN, c’est que cette solidarité ne saurait exister autrement qu’au prix de l’exclusion d’une partie du reste du monde, sur des critères non pas sociaux mais ethnoraciaux.</p>
<p>Ce positionnement a trouvé un écho facile chez les classes populaires rurales qui ont tendance à se revendiquer d’un « nous » sélectif, conflictuel, sous forme d’un « déjà nous » ou « nous d’abord » qui résonne avec les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2018-2-page-57.htm">préférences</a> proposées par l’extrême droite.</p>
<p>C’est par cette solidarité à petit rayon que l’on pense s’en sortir dans un contexte où il n’y a pas suffisamment de travail et de ressources pour que tout le monde s’assure une respectabilité. En l’état actuel des rapports de force sociaux et politiques, il est difficilement envisageable de voir ce « déjà nous » être transformé, par le simple fait d’un nouveau discours de gauche, en un <a href="https://www.penguin.co.uk/books/175505/the-uses-of-literacy-by-hoggart-richard/9780141191584">« nous les classes populaires »</a>.</p>
<p>Néanmoins, par optimisme, on peut se rappeler que malgré l’imprégnation des idées d’extrême droite, ce n’est pas contre les immigrés que les classes populaires rurales ont enfilé un gilet jaune. Il s’agissait bien de la nécessaire question de répartition des richesses face aux difficultés économiques vécues. Malgré son côté perfectible, c’est là tout l’intérêt du livre de Cagé et Piketty, que de vouloir recentrer le débat politique autour de ces questions, en apportant de l’empirique et du factuel à disposition de celles et ceux qui voudraient savoir de quoi il en retourne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213910/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoit Coquard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proposition dans ‘Une histoire du conflit politique’ de Cagé et Piketty de reconquérir les classes populaires rurales votant à droite et RN omet la complexité des liens sociaux sur ces territoires.Benoit Coquard, Sociologue, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2131102023-09-13T19:52:41Z2023-09-13T19:52:41ZComment le ressentiment nourrit le vote RN dans les zones rurales<p>La dernière élection présidentielle a réactivé des discussions sur l’existence de fondements géographiques à la fracture politique entre les Français. Il y aurait selon <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jerome-fourquet-l-etat-de-la-france-d-apres-05-05-2022-2474389_32.php">certains acteurs du débat public</a>, une opposition entre la France des grandes métropoles d’un côté et la <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/cadrage">France de la périurbanité</a> et de la ruralité de l’autre.</p>
<p>Cette problématique est au cœur des réflexions de nombreux partis politiques aujourd’hui, <a href="https://www.liberation.fr/politique/pourquoi-la-gauche-na-pas-le-rural-au-beau-fixe-20230806_B6DRIUHD4RDGZHT3N4RWW4OPZM/?redirected=1">notamment au sein de la gauche</a>, comme en témoigne la <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/la-france-des-beaufs-le-ps-epingle-par-darmanin-pour-l-intitule-d-une-table-ronde-de-son-universite-d-ete-20230825">polémique suscitée</a> par l’intitulé de l’une des tables rondes organisées par le Parti socialiste (<a href="https://www.youtube.com/watch?v=NYQ3ppOFbiw">« La France périurbaine est-elle la France des beaufs ? »</a>).</p>
<p>De <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">nombreuses études universitaires</a> montrent que le niveau de soutien pour le Rassemblement national (RN) est plus fort dans les territoires ruraux et périurbains que dans les grandes agglomérations, tandis qu’à l’inverse le niveau de soutien à LFI est bien plus faible sur ces territoires.</p>
<p>S’il existe un certain consensus sur ce constat descriptif – même si certains chercheurs dénoncent le caractère trop généralisant de ces catégories ou <a href="https://metropolitiques.eu/L-illusion-du-vote-bobo.html">nuancent l’ampleur</a> de la division –, il y a dissensus sur l’explication qu’on peut avancer pour rendre compte de ce phénomène. <a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Nous indiquions dans un précédent article</a> que ce soutien aux partis d’extrême droite n’était certainement pas réductible à la situation économique et sociale sur les territoires. Cet article pose que l’opposition entre les territoires ruraux et urbains comporte une dimension psychologique importante.</p>
<h2>La conscience rurale</h2>
<p>Les recherches en science politique à l’international mettent de plus en plus en évidence des facteurs de nature psychologique pour expliquer le comportement politique différencié des populations rurales. C’est le cas notamment des travaux qui mobilisent la grille d’analyse établie par la politiste Katherine Cramer pour saisir l’ascension politique d’un gouverneur <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo22879533.html">républicain populiste dans le Wisconsin</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/547726/original/file-20230912-4237-qa221i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’homme politique Scott Walker victorieux des élections primaires de septembre 2010 au Wisconsin, le 14 septembre 2010. Sa campagne très populiste a été documentée par la politiste Katherine Cramer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b9/Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg/1024px-Scott_Walker_primary_victory_2010.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Elle montre, en rendant compte des conversations entre les habitants, qu’il existe une véritable <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/abs/putting-inequality-in-its-place-rural-consciousness-and-the-power-of-perspective/A603EA36286F837AEB4F0CF250D4595A#">conscience rurale</a> basée sur l’identification sociale à un lieu de vie et un ressentiment vis-à-vis des habitants des zones urbaines qui revêt trois facettes.</p>
<p>Tout d’abord politique : les ruraux ont le sentiment que leurs préoccupations ne sont pas prises en compte par les dirigeants politiques et qu’ils sont insuffisamment représentés. Puis économique : ils ont l’impression d’être les derniers à bénéficier des ressources publiques. Enfin, culturelle : l’idée que leur mode de vie est radicalement différent de celui des urbains et qu’il est méprisé.</p>
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<p>Bien que le contexte américain soit différent à bien des égards, les concepts de Katherine Cramer nous semblent pertinents pour éclaircir le cas français pour deux raisons. D’une part, parce que les écarts de comportement électoral entre les ruraux et les urbains ne peuvent se résumer à la <a href="https://metropolitiques.eu/Une-opposition-politique-entre-les-grandes-agglomerations-et-le-reste-du.html">composition économique et sociale des territoires</a>. D’autre part, parce que des <a href="https://www.cairn.info/les-gars-du-coin--9782707160126.htm">travaux sociologiques</a> indiquent qu’il existe dans la <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">ruralité</a> une forte identification au lieu de vie liée à l’appartenance des habitants à des réseaux d’interconnaissances localisés et qui se <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">définissent en partie en opposition à d’autres groupes géographiques</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848">« Les mots de la science » : R comme ruralité</a>
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<h2>Un ressentiment géographique plus fort chez les ruraux</h2>
<p>Notre enquête par questionnaire pour le projet européen <a href="https://www.rudefrance.eu/">« Rural Urban Divide in Europe »</a> (RUDE) menée en France sur 4000 répondants en octobre 2022 fait apparaître un fossé géographique au niveau du ressentiment que les individus éprouvent vis-à-vis d’habitants d’autres zones géographiques.</p>
<p>La différence de niveau de ressentiment entre les ruraux et les urbains est particulièrement marquée en ce qui concerne le pouvoir politique. En effet, comme le montre la figure 1, 72 % des ruraux se sentent méprisés par les élites, contre près de moitié moins chez les urbains.</p>
<p>En outre, ce clivage est plus accentué encore sur la question de la représentation politique, puisque seulement 36 % des urbains pensent qu’il y a trop de députés ruraux qui ne représentent par les intérêts des habitants des zones urbaines, tandis qu’à l’inverse, 82 % des ruraux considèrent qu’il y a trop de députés issus des zones urbaines et qui ne représentent pas les intérêts des habitants qui vivent dans les zones rurales. Il est intéressant de noter que ce ressenti ne correspond pas à la représentativité effective des députés à l’Assemblée nationale où les <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/7353">zones rurales sont plutôt surreprésentées</a>.</p>
<h2>La perception de l’allocation des ressources publiques creuse le fossé</h2>
<p>Toutefois, c’est la mesure du niveau de ressentiment vis-à-vis de l’allocation des ressources publiques qui constitue le fossé le plus important entre ruraux et urbains. Les habitants des zones rurales ont le sentiment, assez marqué, d’être moins bien dotés en ressources publiques par rapport aux autres zones géographiques. 85 % des ruraux pensent que le gouvernement dépense trop d’argent pour le développement des zones urbaines, alors que le développement des zones rurales serait laissé de côté. En revanche, seulement 23 % des urbains sont d’accord avec l’affirmation inverse, confirmant ainsi l’existence d’un sentiment particulièrement prononcé chez les ruraux d’être abandonnés par les pouvoirs publics.</p>
<p>Là aussi, ce ressenti contraste fortement avec la réalité objective. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-etat-a-toujours-soutenu-ses-territoires-laurent-davezies/9782021451535">Les travaux de l’économiste Laurent Davezie</a> ont montré à plusieurs reprises que non seulement l’État investissait fortement dans ces territoires, mais qu’il y avait une forme de redistribution fiscale des habitants des grandes agglomérations vers les territoires ruraux. Enfin, ce clivage s’observe également concernant le ressentiment vis-à-vis des différences de mode de vie et valeurs selon les zones géographiques.</p>
<p>Pour le dire autrement, les habitants des zones rurales s’estiment en décalage et se sentent méprisés : 65 % des ruraux pensent que les personnes issues des zones urbaines ne respectent pas assez le mode de vie des personnes issues des zones rurales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/fractures-territoriales-et-sociales-portrait-dune-france-en-morceaux-112154">Fractures territoriales et sociales : portrait d’une France en morceaux</a>
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<h2>Un ressentiment géographique aux conséquences politiques lourdes</h2>
<p>L’ensemble de ces résultats rejoignent ceux du <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">sociologue Benoît Coquard</a> qui concluait son enquête auprès de jeunes ruraux de l’Est en considérant qu’ils estimaient « ne pas compter aux yeux du pays, ou de ceux qui les gouvernent ». Il semble assez évident que ce ressentiment géographique asymétrique puisse influencer le vote des habitants de la ruralité.</p>
<p>D’autres données issues de l’enquête RUDE, présentées ci-dessous (cf. figure 2), nous donnent un aperçu de ces conséquences politiques. Les ruraux sont d’autant plus enclins à voter pour le « Rassemblement national » à une élection prochaine qu’ils éprouvent du ressentiment vis-à-vis des urbains.</p>
<p>En effet, le score du Rassemblement national est déjà plus élevé de 10 points de pourcentage chez les ruraux par rapport à la moyenne, mais de plus de 22 points chez les ruraux qui éprouvent un ressentiment géographique. Ainsi, s’il y avait une élection prochainement, les ruraux avec du ressentiment géographique voteraient deux fois moins que la moyenne nationale pour le parti « Renaissance », mais deux fois plus pour le « Rassemblement national ».</p>
<h2>Plusieurs constats</h2>
<p>Ces résultats nous invitent à poser plusieurs constats. Tout d’abord, il convient de souligner l’importance du contexte géographique pour rendre compte des représentations politiques des individus. Ensuite, de constater l’existence, à l’instar des États-Unis, d’une certaine forme de « conscience rurale », fondée sur une « politique du ressentiment ». Enfin, ces résultats conduisent à mettre en avant un écart important entre la réalité des inégalités territoriales et la perception qu’en ont les individus.</p>
<p>Les représentations qu’ont les individus des territoires où ils vivent, en comparaison avec les autres, jouent un rôle essentiel. Or, il est probable qu’elles soient en partie façonnées par les discours médiatiques et politiques. À cet égard, le RN <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/803581/vote-des-villes-vote-des-champs-quen-est-il-exactement/">a réussi à convaincre une partie des électeurs ruraux</a> qu’il était le parti d’une ruralité abandonnée et méprisée.</p>
<p>Face à cela, il convient pour les autres forces politiques de prendre en compte cette forme de « conscience rurale », fondée sur le ressentiment, pour construire un autre discours, qui ne soit ni misérabiliste, ni condescendant, et qui fasse sens vis-à-vis des représentations des habitants des zones rurales.</p>
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<p><em>Cet article a été co-rédigé avec Blaise Mouton, étudiant en Master à Sciences Po Grenoble.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213110/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevin Brookes a reçu des financements de l'ANR "The rural-urban divide in Europe – RUDE" coordonnée par l'agence européenne NORFACE.</span></em></p>Les habitants des zones rurales se sentent méprisés sur les plans politiques, économique et culturel, une impression qui nourrit un vote de ressentiment.Kevin Brookes, Post-doctorant à Sciences Po Grenoble - Laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078442023-07-16T15:34:10Z2023-07-16T15:34:10ZL’héroïne en milieu rural en France : une réalité ignorée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535499/original/file-20230704-17-kolvrh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C5168%2C2902&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le trafic d’héroïne affecte particulièrement le nord-est de la France.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Cavaillon, Avignon, Valence, Villerupt, la vague de règlements de comptes liée aux trafics de drogues, qui touche actuellement les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/drogue/drogue-comment-enrayer-la-guerre-des-gangs-dans-les-villes-moyennes_5824271.html">villes moyennes</a>, pose la question de l’extension de leur offre en dehors des grandes métropoles.</p>
<p>Aujourd’hui, aucun territoire ne semble épargné, y compris les <a href="http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxmgvc.pdf">zones rurales</a>. Si celles-ci n’échappent pas au fort développement du <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/20102/Drugstore">marché des drogues</a> à l’œuvre depuis 20 ans, la consommation semble marquée par une spécificité, singulièrement dans les territoires du nord-est de la France : la forte présence de l’héroïne.</p>
<p>Même si on évoque souvent la cocaïne et les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/secrets-d-info/secrets-d-info-du-samedi-26-novembre-2022-6949741">drogues de synthèse</a>, l’ampleur, ces dernières années, des saisies d’héroïne témoigne de la persistance de la consommation de cette substance. Après 2020 et 2021, l’année 2022 a été marquée en effet par un nouveau record historique (1,4 tonne confisquée), qui place la France, avec les Pays-Bas, en tête des pays de l’Union européenne en matière de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/dossiers-de-presse/bilan-2022-de-lutte-contre-drogues">saisies</a>.</p>
<h2>Contre-culture et popularisation</h2>
<p>L’usage d’héroïne n’est certes pas une nouveauté. On peut même dire que la problématique a près d’un demi-siècle. C’est en effet à partir de la fin des années 1960 que la France va connaître un essor de la consommation, qui sera symbolisé par la surdose mortelle d’une adolescente de 16 ans à Bandol, laquelle va connaître un écho national et déboucher sur la <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-la-france-et-la-french-connection-retour-sur-les-origines-geopolitiques-de-la-loi-de-1970-152332">loi du 31 décembre 1970</a> qui durcit considérablement les peines contre les trafiquants et les usagers.</p>
<p>À cette époque, la consommation est plutôt circonscrite dans les milieux relevant de la contre-culture, née dans les années post-68, pour laquelle l’usage d’héroïne exprime une forme de contestation de la société. Ce n’est qu’à partir des années 1980, que l’héroïne va toucher d’autres milieux sociaux et notamment celui des jeunes des <a href="https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/11/20/heroine-histoire/">banlieues ouvrières</a> dans un contexte de crise et d’implosion du modèle économique hérité des Trente Glorieuses.</p>
<p>Une véritable épidémie se développe. Elle connaîtra son acmé au milieu des années 1990. Le nombre des consommateurs est alors estimé à près de <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-catastrophe-invisible/">160 000 personnes</a>, tandis que chaque année des centaines de personnes meurent à la suite de surdoses. En outre, les virus du sida et des hépatites, à travers la circulation des seringues, contaminent chaque année des milliers d’usagers.</p>
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<p>Ces réalités inciteront les pouvoirs publics à adopter des politiques plus pragmatiques fondées notamment sur la <a href="https://www.lecrips-idf.net/reduction-des-risques">réduction des risques</a> (RdR) et l’introduction massive à partir de 1995 des traitements de substitution à la méthadone et à la buprénorphine haut-dosage permettant aux personnes dépendantes de s’émanciper du produit et de sa quête quotidienne.</p>
<p>Les effets de cette politique sont spectaculaires. Très rapidement les surdoses décélèrent et le marché connaît un déclin brutal. À l’aube des années 2000, il semble que la dynamique du marché est brisée. L’héroïne passe à l’arrière-plan du paysage des drogues marquée plutôt par l’essor de la visibilité de la cocaïne et des stimulants de synthèse, drogues plus en phase avec <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/08/19/la-cocaine-star-de-la-mondialisation-et-drogue-phare-du-xxi-si%C3%A8cle_6138493_3451060.html">l’esprit du temps</a>.</p>
<h2>Dans les années 2000, une reprise de l’héroïne</h2>
<p>Pourtant, ce recul du marché de l’héroïne ne sera pas durable. Dès le milieu des années 2000, un certain nombre d’indicateurs montre une <a href="https://bdoc.ofdt.fr/doc_num.php?explnum_id=13098">certaine reprise</a>. Les saisies, portées par une <a href="https://theconversation.com/vingt-ans-de-guerre-a-lopium-en-afghanistan-retour-sur-une-deroute-americaine-167851">offre afghane</a> qui ne cesse d’augmenter, reprennent de même que les interpellations d’usagers et de trafiquants locaux.</p>
<p>En matière de consommation, entre 2005 et 2017, le nombre d’expérimentateurs passe de 350 000 à 500 000, tandis que le noyau actif des consommateurs est estimé à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Cela signifie-t-il pour autant un retour à la situation pré substitution ? Non. L’acquis de la RdR, de même que les traitements de substitution ont changé définitivement la donne. L’héroïne tue beaucoup moins que dans les années 1990 et surtout elle a perdu de sa centralité.</p>
<p>Dans un contexte où l’offre légale, voire illégale, de médicaments opioïdes est présente, il existe de multiples alternatives pour les usagers en cas de manque. L’héroïne s’inscrit désormais dans le paysage d’une consommation d’opioïdes très diversifiée. Les enquêtes <a href="https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2003-3-page-57.htm">ethnographiques</a> montrent qu’une partie des usagers sous substitution, ils sont près de 180 000 aujourd’hui en France, en prennent de temps en temps pour rompre la monotonie de leur traitement.</p>
<h2>Une demande dans les zones rurales et le nord-est particulièrement touché</h2>
<p>Mais ce qui a peut-être le plus changé réside dans le paysage sociologique des usages. Aujourd’hui, contrairement aux années 1990, l’héroïne, à l’exception de Lille, a quasiment déserté les métropoles. Les <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/tendances/profils-et-pratiques-des-usagers-recus-en-caarud-en-2019-tendances-142-decembre-2020/">usagers marginalisés</a>, quand ils ne consomment pas de la cocaïne basée, privilégient les sulfates de morphine, tandis que dans les couches plus aisées de la population la mode est plutôt à la cocaïne et aux drogues de synthèse.</p>
<p>Dès lors, d’où la demande du produit provient-elle ? La réponse se situe en partie dans les zones rurales et périurbaines.</p>
<p>Les statistiques des forces de l’ordre permettent de l’appréhender, notamment celles relatives à la part de la gendarmerie dans les saisies d’héroïne, qui est beaucoup plus élevée que pour les autres substances, et leur origine géographique.</p>
<p>Le trafic d’héroïne affecte particulièrement le nord-est de la France, les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Moselle et la Meurthe-et-Moselle faisant partie des dix premiers départements où les services de police saisissent le plus d’héroïne.</p>
<p>En 2009, les dernières données disponibles en matière d’interpellations d’usagers montraient que La Lorraine et le Nord-Pas-de-Calais, soit 10 % de la population française, concentraient près de 40 % du total des consommateurs interpellés en France avec une surreprésentation des ouvriers et des employés. Le cas de la <a href="https://vih.org/20160905/nord-de-la-meuse-lepidemie-dheroine-ignoree/">Meuse</a> et de la région de Verdun, situées en Lorraine, est emblématique de la diffusion de l’héroïne dans l’espace périurbain et rural depuis une dizaine d’années comme en témoigne le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">sociologue Benoît Coquard</a> évoquant cette fraction de la jeunesse rurale qui, faute de diplômes, n’a pu migrer dans les métropoles pour trouver du travail ou poursuivre des études : </p>
<blockquote>
<p>« [Je] parle dans le livre d’un mal, à mon avis, qui est un petit peu méconnu, bien que maintenant, il y a deux, trois reportages là-dessus, c’est la consommation de drogues dures, notamment d’héroïne. Si on prend les départements sur lesquels je travaille à la Meuse et la Haute-Marne, on est sur les départements avec les plus forts taux de consommation d’héroïne. »</p>
</blockquote>
<p>Outre l’usage autochtone, il existe aussi un usage alimenté par l’accélération des mouvements de population que connaît la France depuis une vingtaine d’années des métropoles en direction des zones périurbaines. Ces mouvements affectent bien évidemment les consommateurs eux-mêmes, souvent en situation précaire, qui viennent chercher des conditions de vie plus décentes que dans les grandes villes.</p>
<p>Un des facteurs qui expliquent également le fort ancrage géographique de l’héroïne tient à la proximité des Pays-Bas, le principal <a href="https://www.emcdda.europa.eu/publications/joint-publications/drug-markets_en">hub de redistribution</a> de l’héroïne en Europe occidentale. De multiples réseaux d’usager-revendeurs, issus des territoires ruraux, vont s’y approvisionner à raison de quelques dizaines de grammes. La ville de Maastricht, au sud des Pays-Bas, située à 250 km de la frontière française, propose une héroïne en gros à des prix très attractifs : en moyenne 7 000 euros le kg, soit 7 euros le gramme contre 40 euros en moyenne sur le marché de détail en France. Ce qui la rend accessible à des consommateurs à faible pouvoir d’achat. Les revendeurs en milieu rural, du fait des réseaux très denses d’interconnaissances n’éprouvent, en général, guère de difficultés à écouler leur produit.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouvelles-drogues-les-cathinones-de-synthese-circulent-de-plus-en-plus-en-france-187684">Nouvelles drogues : les cathinones de synthèse circulent de plus en plus en France</a>
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<p>En matière d’offre, la proximité avec le monde urbain, notamment dans les communes rurales dites <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1648">multipolarisées</a>, facilite un approvisionnement qui s’effectue essentiellement sur les mêmes marchés que ceux fréquentés par les citadins ou selon les mêmes modalités, notamment la livraison à domicile qui touche de plus en plus les zones rurales.</p>
<h2>Rhône-Alpes et mafia albanaise</h2>
<p>Mais, la mutation la plus spectaculaire en matière de trafic d’héroïne en France concerne l’implantation de la mafia albanaise au début des années 2010 dans la région Rhône-Alpes-Auvergne. Il semble que l’on ait assisté à un effet de déplacement de l’offre de la Suisse vers la France. De nombreux usagers d’héroïne de la région Rhône-Alpes avaient en effet l’habitude de s’y approvisionner, essentiellement à Genève, auprès de revendeurs d’origine kosovare et/ou albanaise, lesquels contrôlent en Suisse, et ce depuis une vingtaine d’années, le marché de l’héroïne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La photo montre des sacs contenant 700 kilos de résine de cannabis et 45 kilos d’héroïne saisis par la police dans la région Nord-Pas-de-Calais" src="https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=409&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535562/original/file-20230704-27-mucu0f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=514&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’année 2022 a été marquée par un nouveau record historique (1,4 tonne d’héroïne confisquée), qui place la France, avec les Pays-Bas, en tête des pays de l’Union européenne en matière de saisies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Philippe Huguen/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce trafic de fourmis, très peu visible, irriguait les régions situées à proximité de la Confédération helvétique comme le décrit <a href="http://www.editionsdelolivier.fr/catalogue/9782823609851-l-inconnu-de-la-poste">Florence Aubenas</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Montréal-la-Cluse, et les bourgades autour se trouvent sur la route des trafics, pile entre Lyon et la Suisse, à moins d’une heure de route des deux. Dans ce grand flot de la drogue, un peu d’écume est venue se déposer ici, sur les bords du lac. Des gens qui ont fait fortune dans la came, vous n’en trouverez pas : les dealers sont eux-mêmes des toxicos, qui paient leurs doses en vendant, un petit milieu d’une cinquantaine de personnes en tout. Ce n’est pas Mexico, mais ça fait du monde dans les villages. » </p>
</blockquote>
<p>Initialement implantées dans les villes moyennes de Savoie et de Haute-Savoie (Annecy, Annemasse, Cluses, etc.), les filières semblent se déployer désormais dans les départements plus ruraux comme l’Allier et le Puy-de-Dôme.</p>
<p>Alors, l’héroïne, aujourd’hui, est-elle devenue la drogue emblématique des perdants de la « mondialisation heureuse » ? Des territoires ruraux en déclin économique ? La question mérite d’être posée à l’aune de la <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-avant-le-Covid-19-retour-sur-lepidemie-mortelle-des-opio-des-137664">crise des opioïdes</a> qui dévaste les États-Unis. Une épidémie qui est partie du nord-est du pays dans les anciennes régions industrielles de la Rust Belt pour toucher des populations fragilisées par les nouvelles configurations productives du capitalisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Gandilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ampleur, ces dernières années, des saisies d’héroïne dans les villes moyennes et les zones rurales témoigne de la persistance de la consommation d’héroïne.Michel Gandilhon, Chargé d'enseignement au sein du master de criminologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048302023-05-04T09:47:01Z2023-05-04T09:47:01ZQuelle place pour l’écologie populaire dans la planification écologique ?<p>Emmanuel Macron a dévoilé lundi 25 septembre <a href="https://www.20minutes.fr/planete/environnement/4054389-20230924-planification-ecologique-va-bien-pouvoir-dire-plus-emmanuel-macron">les grandes lignes</a> de sa « planification écologique » tout en essayant de rassurer, notamment en rappelant l’attachement à des Français à la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/dans-son-interview-emmanuel-macron-a-leve-le-voile-sur-sa-planification-ecologique-a-horizon-2030_223519.html">« bagnole »</a>. Beaucoup ont vu là un appel du pied aux classes populaires. </p>
<p>Alors que la <a href="https://theconversation.com/sobriete-et-si-on-sinspirait-de-ceux-et-celles-qui-la-pratiquent-au-quotidien-198428">sobriété des comportements</a> et l’adoption de mesures environnementales ambitieuses s’imposent pour lutter contre la crise énergétique et le dérèglement climatique, comment justement caractériser les pratiques et attitudes de ces classes sociales à l’égard de l’environnement ?</p>
<p>Le <a href="https://hal.science/halshs-03255274/">discours écologique <em>mainstream</em></a> qui s’est développé depuis une quarantaine d’années repose sur une vision politique, globale, urbaine et conscientisée de l’engagement écologique.</p>
<p>Les classes populaires urbaines et rurales, fréquemment dépeintes comme sobres <a href="https://journals.openedition.org/ere/6954">« par nécessité »</a> du fait de fortes contraintes économiques qui modèlent leurs habitudes, sont-elles vouées à subir une transition coûteuse et des <a href="https://theconversation.com/la-sobriete-au-dela-du-progres-technique-et-des-changements-de-comportement-individuels-185019">mesures de sobriété</a> qui, pour elles, <a href="https://www.actes-sud.fr/catalogue/economie/vers-la-sobriete-heureuse">n’ont rien d’« heureuses »</a> ?</p>
<h2>Classes populaires, angle mort de l’écologie ?</h2>
<p>Intimement lié à <a href="https://hal.science/halshs-03255274/">l’écologie politique</a>, ce discours écologique dominant défend donc la politisation de l’enjeu écologique, l’adoption généralisée d’une conscience écologique individuelle, et le déploiement de politiques de régulation telles que la <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-3-page-13.htm">fiscalité verte</a>. Malgré les divergences, ce discours écologique a de commun qu’il considère l’intentionnalité des actions environnementales (la « conscience écologique ») comme centrale.</p>
<p>Or il semble à première vue que les classes populaires résidant en zone rurale ou en périphérie des villes rentrent difficilement dans ce cadre discursif. Pour elles, ce sont plutôt les impératifs de pouvoir d’achat, d’emploi et de logement qui sont régulièrement présentés par des <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/l-ecologie-politique-conduit-a-une-catastrophe-environnementale-20210205">éditorialistes</a> ou <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/enquete-climat-lopinion-dans-30-pays-focus-sur-leurope-le-royaume-uni-la-chine-et-les-etats-unis/">sondages</a> comme primordiaux. Les pratiques de sobriété sont donc <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/06/entre-sobriete-subie-et-sobriete-choisie-les-questions-ecologiques-s-installent-dans-les-quartiers-populaires_6164262_3224.html">souvent qualifiées de « subies »</a>, à rebours d’un engagement conscientisé et politique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Compte tenu du fait que la transition écologique mêle pratiques individuelles et politiques publiques, il est en outre intéressant de noter là encore que ces dernières, appliquées uniformément et sans adaptation, <a href="https://one.oecd.org/document/ENV/WKP(2021)20/en/pdf">imposent</a> un coût supérieur aux classes populaires. Une <a href="https://www.nature.com/articles/s41558-020-00971-x">étude confirme ainsi</a> que la majorité des instruments de décarbonation ont un impact distributif important. L’acceptabilité de ces politiques <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09644016.2022.2075155">baisse ainsi au sein des classes populaires</a>, mais aussi des classes moyennes rurales, qui craignent pour leur situation économique.</p>
<p>À l’aune de ces éléments, une éventuelle « écologie populaire » semble plutôt rimer avec précarisation et difficultés d’adaptation. Il paraît surtout clair qu’elle ne s’inscrit pas dans les bornes fixées par le discours écologique dominant.</p>
<h2>Dépasser l’opposition entre « fin du mois » et « écologie »</h2>
<p>Loin des discours caricaturaux distinguant les <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2014/10/31/31003-20141031ARTFIG00338-natacha-polony-ecolos-des-villes-contre-ecolops-des-champs.php">« bobos écolos »</a> des centres-villes des périurbains et ruraux, trop préoccupés par leurs conditions de vie pour envisager l’enjeu écologique, une nouvelle écologie se dessine pourtant.</p>
<p>Certes, la précarité des classes populaires rend plus difficile l’adoption de certaines pratiques ou la formation d’opinions positives à l’égard des politiques environnementales. Mais c’est paradoxalement par cela qu’elles sont en train de réinventer une écologie relocalisée, sobre, et aux valeurs fondamentalement populaires, comme le démontrent <a href="https://laviedesidees.fr/Jaunes-et-verts">deux études de terrain</a> menées dans le contexte des <a href="https://theconversation.com/la-transition-ecologique-merite-un-nouveau-contrat-social-201268">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Ces citoyens des classes populaires urbaines, ou même de la classe moyenne rurale, proposent un modèle alternatif au discours dominant sur l’écologie.</p>
<p>Au cœur des conclusions de ces études réside l’idée que ce n’est pas parce que certaines de leurs pratiques sont contraintes que cela les rendrait moins écolos.</p>
<p>Qui a dit que l’écologie de conviction (et de discours) valait mieux que l’écologie de l’action ?</p>
<h2>Une « dépossession écologique »</h2>
<p>L’essence de cette critique se trouvait déjà <a href="https://www.e-elgar.com/shop/gbp/the-environmentalism-of-the-poor-9781840649093.html">chez Joan Martinez-Alier</a> lorsqu’il publiait son livre <em>The Environmentalism of the Poor</em> en 2002. Un nouvel écologisme était, selon lui, en train de naître sous nos yeux, en opposition aux dommages environnementaux subis par les populations pauvres du Sud global.</p>
<p>Vingt ans plus tard, c’est aussi une nouvelle écologie qui apparaît dans les pays du Nord, au sein de classes populaires urbaines et rurales ne se reconnaissant que rarement dans l’écologie <em>mainstream</em>, en témoigne par exemple la <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/les-ressorts-du-vote-eelv-aux-elections-europeennes/">sociologie du vote vert</a> en France. Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-3-page-23.htm">« dépossession écologique »</a> s’explique par des références et valeurs différentes, des impératifs quotidiens divergents et des pratiques et attitudes qui n’expriment pas un message tout à fait similaire à celui porté par le mouvement dominant.</p>
<p>Cela se manifeste également par une forte préoccupation économique, dont ces citoyens ne peuvent s’éloigner – raison pour laquelle le <a href="https://www.bostonreview.net/forum_response/the-degrowth-economy/">discours décroissantiste</a>, actuellement débattu au sein des mouvements écologiques, y fait moins recette.</p>
<h2>Réinventer l’imaginaire écologique</h2>
<p>Les « gilets jaunes », bien que longtemps caricaturés, ont dévoilé les bribes d’une écologie pensée hors des centres métropolitains. Leur imaginaire écologique, <a href="https://www.scienceshumaines.com/les-gilets-jaunes-sont-ils-verts_fr_43636.html">fondamentalement « populaire »</a>, insistait plutôt sur les valeurs morales de « non-gaspillage », de « modération », et de localisme.</p>
<p>C’était une <a href="https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2021-1-page-127.htm">écologie du soin</a>, du familier, du « moins », du local. Une écologie tournée vers son environnement proche, vers une manière d’habiter unique et relationnelle. Une <a href="https://journals.openedition.org/ere/6954">écologie parfois de la débrouille</a>, mais également du territoire, ancrée dans son quartier ou dans son village.</p>
<p>Au-delà des « gilets jaunes », l’écologie populaire <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-3-page-13.htm">cherche à démontrer</a> que « les “gens de peu” ne sont pas des riches auxquels il ne manquerait que l’argent ». Si les classes populaires ont un faible bilan carbone, ce n’est pas juste par contrainte budgétaire, c’est aussi parce qu’elles cultivent un imaginaire différent et ont d’autres modes de vie. Lors d’entretiens conduits hors des grands centres urbains, c’est le même message qui revient : les pratiques existent, ce sont les <a href="https://www.payot.ch/Detail/de_la_justification-luc_boltanski-9782070722549"><em>justifications</em></a> qui varient.</p>
<h2>Prendre au sérieux l’écologie populaire</h2>
<p>Loin d’une lecture binaire de l’écologie (<a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-022-00186-w">entre les « écolos » et les autres</a>), il s’agit d’envisager l’écologie dans sa pluralité. Les attitudes et pratiques divergent, les justifications aussi, mais dans une crise environnementale toujours plus vive, il serait bon de rappeler l’expression anglaise bien connue : parfois, « actions speak louder than thoughts » (les actions comptent plus que les idées) – <a href="https://www.bristol.ac.uk/fssl/events/2021/do-actions-speak-louder-than-thoughts.html">récemment remis au goût du jour</a>.</p>
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<img alt="achat de nourriture entre deux personnes dans une salle" src="https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523861/original/file-20230502-296-llui44.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’association Vrac, présente dans de nombreuses villes de France, rend accessible les aliments bio aux habitants des quartiers populaires et aux étudiants, comme ici à Lyon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nolwenn Jaumouillé</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Lorsqu’Anne (son prénom a été modifié), résidente d’un village dans l’est de la France, me déclare dans un entretien trier ses déchets organiques, car « elle a été élevée comme ça », car « on a toujours fait comme ça ici », elle ne rentre pas dans la case de l’écologie dominante. Elle ne déploie pas un discours performatif justifiant son action au nom d’un idéal environnemental plus grand, mais incarne plutôt une écologie rurale et populaire.</p>
<p>De la même manière, lorsque Franck critique les <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14587">zones à faibles émissions</a>, il ne néglige pas la protection de l’environnement. Il pointe davantage du doigt le poids déséquilibré que ce type de politiques fait peser sur les classes populaires périurbaines et rurales.</p>
<h2>Reconnaître une écologie populaire</h2>
<p>Le défi de cette écologie populaire se manifeste par la difficulté matérielle vécue par bon nombre d’Européens avec l’application de « principes » écologiques dans leur quotidien, à la fois pour cause de précarité ou par une impression de distance à l’égard des injonctions (et des politiques publiques) promues à Bruxelles, Paris ou Berlin.</p>
<p>Reconnaître une écologie populaire implique donc aussi bien l’adoption de nouveaux logiciels de pensée, ouverts à d’autres pratiques et attitudes, mais également l’adoption de politiques visant à éviter d’en arriver à l’impasse des « gilets jaunes ».</p>
<p>Cela passera sans doute par de la <a href="https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/les-zfe-fake-news-politiques-urgences-sanitaires-et-solutions-locales/">planification et de l’anticipation</a>, pour éviter de tomber entre le marteau de la sobriété subie et l’enclume de la transition éprouvée, mais aussi par un effort pour <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-022-00186-w">rebâtir la confiance</a> avec des classes populaires vivant un fort sentiment d’exclusion écologique.</p>
<p>En prenant au sérieux ces discours et pratiques écologiques populaires, il sera ainsi possible d’y <a href="https://journals.openedition.org/ere/6954">trouver des clés</a> pour construire la société de demain, plus sobre, tournée vers le soin et ancrée dans son territoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204830/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Theodore Tallent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’écologie populaire existe et doit être reconnue, même si elle n’entre pas dans le cadre du discours écologique dominant défendant la politisation de ces enjeux.Theodore Tallent, Chercheur doctorant en science politique au Centre d'Etudes Européennes et de politique comparée, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2014902023-04-10T19:24:09Z2023-04-10T19:24:09ZAu Bénin, ces enfants qui quittent l’école pour apprendre un métier<p>Au Bénin, les ménages populaires en milieu rural éprouvent de grandes difficultés à maintenir leurs enfants à l’école. Une partie des enfants de ces zones sont amenés à quitter le système scolaire avant la fin de l’école primaire ou dès les premières années du collège, même lorsque leurs résultats scolaires sont bons.</p>
<p>Malgré <a href="https://journals.openedition.org/ree/7368?lang=en">diverses mesures politiques prises depuis les années 1990</a> par les gouvernements successifs pour améliorer la qualité de l’offre scolaire et l’accès universel à l’enseignement de base, le pays a vu la proportion des élèves allant jusqu’au bout de l’école primaire passer de <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/SE.PRM.CMPT.MA.ZS?end=2021&locations=BJ&most_recent_year_desc=true&start=1971&view=chart&year=2017">85 % en 2016 à 68 % en 2019, avant de remonter à 77 % en 2021</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lafrique-est-forte-de-sa-jeunesse-mais-doit-investir-dans-leducation-79213">L’Afrique est forte de sa jeunesse mais doit investir dans l’éducation</a>
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<p>L’obligation scolaire pour tous les enfants entre cinq et onze ans, décrétée en 2006, n’a jamais été pleinement mise en œuvre. Par ailleurs, en 2015, 35,17 % des élèves ayant achevé le cycle primaire ont <a href="https://knoema.fr/atlas/B%c3%a9nin/topics/%c3%89ducation/%c3%89ducation-secondaire/Taux-dabandon-scolaire-pour-les-enfants-%c3%a0-l%c3%a2ge-dentr%c3%a9e-au-premier-cycle-de-lenseignement-secondaire">abandonné l’école à ce moment-là</a>.</p>
<p>En milieu rural, ce phénomène est encore plus marqué, car pour les ménages pauvres, il est souvent très compliqué de soutenir le coût d’une longue scolarisation, et les enfants apparaissent comme une potentielle force de travail : il peut sembler plus rationnel de leur apprendre au plus vite un métier manuel plutôt que les envoyer poursuivre leur scolarité. Certes, les classes populaires rurales ne sont pas homogènes : certains parents souhaitent voir leurs enfants poursuivre une bonne scolarité jusqu’à l’université et font leur possible pour cela. C’est toutefois au sein des ménages ruraux pauvres que le décrochage scolaire est le plus marqué.</p>
<p>Dans cet article, j’examine les conditions dans lesquelles les enfants quittent l’école avant la fin du cycle primaire ou dès les premières années du collège dans l’arrondissement rural de Tanvè (dans le sud du Bénin) où je mène des enquêtes de terrain depuis maintenant cinq ans. Comment expliquer que des enfants qui ont régulièrement de bonnes notes à l’école arrêtent leur scolarité pour apprendre un métier ? De quels métiers s’agit-il, comment se passe la formation et quelles sont les perspectives des enfants concernés ?</p>
<h2>Maintenir les enfants à l’école est une décision difficile</h2>
<p><a href="https://books.google.be/books?hl=en&lr=&id=YmkmDwAAQBAJ">Indépendamment du fait qu’ils proviennent d’un milieu très pauvre</a>, certains enfants progressent bien durant leur cursus à l’école primaire, occupant régulièrement un bon rang dans le classement scolaire. Néanmoins, il arrive qu’ils échouent à l’examen national du certificat d’études primaires (CEP), passé à la fin du cycle d’études primaires. Aussi banal qu’il puisse paraître, cet échec peut avoir des répercussions majeures sur la suite de la scolarité.</p>
<p>En effet, dans un contexte de précarité économique, où la finalité de la scolarisation n’est pas nécessairement d’accumuler des diplômes alors <a href="https://www.afrobarometer.org/wp-content/uploads/2022/02/ab_r7_policypaperno59_emploi_au_benin.pdf">qu’ils ne garantissent plus l’accès à un travail salarié</a>, le moindre accroc au parcours scolaire devient un argument pour arrêter l’école.</p>
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<p>On l’observe au sein de ménages vivant de travaux agricoles, dont les revenus sont saisonniers, et donc précaires. Ce contexte ajoute une difficulté au maintien des enfants à l’école, surtout lorsque le nombre d’enfants à charge est élevé. C’est le cas de Sylvain, âgé de 19 ans en 2021 au moment de notre rencontre, deuxième enfant d’une fratrie de neuf et ayant vécu avec ses deux parents agriculteurs au cours de sa scolarisation. Son père se souvient avec fierté des excellents résultats scolaires de son fils, qui a même été le meilleur élève de sa classe de CM2 :</p>
<blockquote>
<p>« On était aux champs, et la nouvelle est arrivée. Ses camarades disaient : c’est Sylvain ! C’est Sylvain le premier de la classe ! Nous, nous n’en savions rien à ce moment-là ; s’ils n’étaient pas venus annoncer cela, on n’aurait pas su que les résultats étaient arrivés. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré sa progression tout au long de l’année scolaire, il échoue à l’examen national du CEP. Les redoublements ne sont pas bien accueillis par certains parents, car cela implique un investissement infructueux pour des ménages déjà caractérisés par une certaine précarité. En effet, la mesure de <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20110225-gratuite-ecole-benin">gratuité de l’école primaire mise en place dès 2006</a> n’évite pas aux parents l’ensemble des charges liées à la vie scolaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-numerique-peut-il-reinventer-leducation-de-base-en-afrique-76871">Le numérique peut-il réinventer l’éducation de base en Afrique ?</a>
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<p>C’est ainsi qu’après cette expérience, Sylvain – alors âgé de 13 ans – décide de concert avec son père d’aller en apprentissage de maçonnerie. Cette formation, tout comme de nombreuses autres formations à des métiers manuels, présente l’avantage de permettre aux jeunes de s’émanciper rapidement. En effet, ils reçoivent une rémunération au cours des contrats de construction pour subvenir à leurs besoins quotidiens tandis que, durant les week-ends, ils font des petits boulots de réparation ici et là, grâce aux compétences qu’ils ont acquises, afin de gagner de l’argent pour leur propre compte.</p>
<p>Au moment où je rencontre Sylvain en 2021, il a terminé ses quatre années d’apprentissage et est en attente de son diplôme. La durée relativement courte des formations – entre trois ans et six ans selon le domaine choisi – est l’autre facteur qui motive les décisions liées à l’apprentissage d’un métier manuel. L’investissement est donc moins onéreux et l’entrée sur le marché du travail plus rapide.</p>
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<img alt="école primaire au Bénin" src="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C1381%2C1035&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514435/original/file-20230309-20-t3glwf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">École primaire publique de Dékanmey, située dans l’arrondissement rural de Tanvè au Bénin en 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tonaï Guedou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>S’il est difficile pour les ménages où les deux parents sont présents de maintenir leurs enfants à l’école, cela l’est encore davantage pour les ménages dirigés par une femme seule, car des <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2004-4-page-41.html">travaux menés sur la pauvreté au Bénin</a> ont montré que le faible niveau d’éducation, le secteur d’activité (informel) et la taille du ménage accroissent le risque de pauvreté des femmes cheffes de ménages en milieu rural.</p>
<p>La mère de Judi se retrouve dans cette situation. C’est une femme d’une quarantaine d’années, qui n’a jamais été scolarisée. Elle est veuve d’un premier mariage. Judi est l’un des enfants de ce premier mariage. Sa mère s’est remariée et a eu trois autres enfants, mais est désormais séparée de son mari. Quatre enfants, dont Judi, vivent avec elle à plein temps, et c’est sur elle que repose leur charge. Elle a une petite activité de fabrication artisanale de fromage de soja, mais peine à joindre les deux bouts.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KWaHVwOBQQE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré ces difficultés familiales, Judi réussit brillamment son CEP à l’âge de 13 ans. Il entame ensuite son année de sixième au collège et obtient à l’issue de cette année une moyenne générale de 14/20. Cependant, il arrête l’école peu après (en 2021) et entame un apprentissage de maçonnerie, comme Sylvain. Pour sa mère, le coût d’une longue scolarisation est insoutenable, d’autant qu’elle n’est pas assurée que son fils trouvera du travail plus tard. La question du financement d’une scolarisation qui se prolonge est un problème crucial pour les femmes cheffes de ménage, dont les ressources ne sont pas conséquentes, et qui ne peuvent pas planifier une telle prise en charge sur une longue durée avec leurs maigres revenus.</p>
<p>L’analyse de ces deux cas montre d’une part que dans ces milieux précarisés, un redoublement peut avoir des conséquences radicales sur la scolarité et, d’autre part, que les longues études sont parfois incompatibles avec les revenus des ménages, alors que la durée relativement courte des apprentissages de métiers manuels les rend plus attractifs. Par ailleurs pour certains jeunes, l’apprentissage est la meilleure option car les connaissances dispensées à l’école sont trop théoriques à leurs yeux.</p>
<h2>À l’école, des connaissances trop théoriques</h2>
<p>L’avantage de l’apprentissage pour les jeunes est qu’il s’agit d’une activité pratique, qui permet de créer et de toucher du doigt ce que l’on fait. Durant l’apprentissage, les jeunes développent une représentation de la réussite sociale qui s’appuie sur une forme de <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/arss_0335-5322_1978_num_24_1_2615.pdf">culture anti-école</a>. Une jeune couturière m’a présenté ainsi les raisons pour lesquelles elle a opté pour l’apprentissage :</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu vas à l’école, tu ne sais pas concrètement ce que tu apprends, ni ce que tu vas en faire. Or, quand tu apprends un métier, tu sais où tu en es, et ce que tu es capable de faire. »</p>
</blockquote>
<p>Ce besoin d’acquérir un savoir pratique afin de pouvoir en faire quelque chose immédiatement est largement partagé par les jeunes de ces milieux. Certains sont rapidement invités à travailler avec des équipes de construction d’infrastructures dans le village. Par exemple, plusieurs jeunes maçons et menuisiers locaux ont participé à la construction récente de la deuxième école publique du village. Voir leurs enfants travailler pour le village est un motif de fierté pour les parents, et la source d’un sentiment de réussite et d’accomplissement pour ces jeunes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-perspectives-pour-leconomie-africaine-en-2023-198047">Quelles perspectives pour l’économie africaine en 2023 ?</a>
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<p>En somme, les difficultés liées au financement d’une scolarité qui se prolonge, la difficulté à s’approprier des connaissances trop théoriques à l’école et la crainte de reporter le début de l’autonomie produisent une distance par rapport aux <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2001-2-page-5.htm">figures classiques de réussite</a>, au profit d’un apprentissage de métier manuel qui garantit une insertion professionnelle rapide et une autonomie personnelle.</p>
<h2>Avoir un capital scolaire pour apprendre un métier</h2>
<p>Avant d’aller en apprentissage de métier manuel, les jeunes évoqués ci-dessus sont passés par l’école. En effet, l’obligation et la gratuité de l’école primaire, même imparfaitement mise en œuvre, ont largement contribué à augmenter le taux de scolarisation, et même à maintenir les enfants à l’école un peu plus longtemps en fonction des moyens du ménage.</p>
<p>En outre, même si de nombreuses carrières scolaires en milieu rural restent relativement courtes, l’acquisition de quelques notions scolaires est malgré tout valorisée, voire indispensable pour faciliter l’assimilation des connaissances en apprentissage. Il est ainsi devenu important pour les populations rurales de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-1999-4-page-153.htm">posséder des rudiments scolaires</a> pour, une fois cet apprentissage terminé, pouvoir intégrer un marché du travail très mouvant et ne pas subir un déclassement social et professionnel dans leurs nouvelles professions, où une connaissance élémenentaire du français et des notions de mathématiques peuvent s’avérer bien utiles. In fine, les gains – même maigres – de l’éducation engendrent, pour ceux qui sont dans des professions indépendantes ou informelles, une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S014759670800070X">distinction et une plus-value</a> précieuses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201490/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tonaï Maryse Guédou a reçu des financements ULB, AUF et ARES </span></em></p>Entre une scolarisation qui se prolonge et l'apprentissage d'un métier, le choix de certains ménages ruraux au Sud du Bénin pour l'avenir de leurs enfants se porte souvent sur la seconde option.Tonaï Maryse Guédou, Doctorante en Sciences Politiques et Sociales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1997032023-02-14T20:36:18Z2023-02-14T20:36:18ZDéserts médicaux : l’accès réel des patients aux soins est aussi important que le nombre de médecins<p>En France, l’accessibilité aux soins et les difficultés qu’elle présente pour les citoyens sont tous les jours un peu plus au centre du débat public.</p>
<p>Les initiatives locales ou nationales destinées à l’améliorer sont nombreuses. Encore très récemment, une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0741_proposition-loi">proposition de loi contre les déserts médicaux déposée à l’Assemblée nationale</a> suggérait par exemple de contraindre l’installation des médecins dans des territoires sous dotés : cette dernière serait soumise, pour les médecins et les chirurgiens-dentistes, à une autorisation délivrée par les <a href="https://www.ars.sante.fr/">Agences régionales de santé (ARS)</a>.</p>
<p>L’accessibilité aux soins est, de manière générale, évaluée par l’<a href="https://www.irdes.fr/Publications/2012/Qes174.pdf">adéquation spatiale entre l’offre et la demande de soins</a>. Mais si, pour mesurer cette adéquation, l’offre de soins dans les territoires est relativement bien connue (notamment grâce à une bonne connaissance de la densité de médecins généralistes ou spécialistes et des temps d’accès des patients à ces praticiens), la demande de soins est souvent simplement estimée d’après le nombre potentiel de patients d’un territoire et leur âge.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reguler-linstallation-des-medecins-la-comparaison-avec-le-cas-allemand-197763">Réguler l’installation des médecins : la comparaison avec le cas allemand</a>
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<p>Or ces deux données préjugent assez peu de leurs besoins effectifs de soins ou de leurs contraintes de déplacement (logistiques, familiales, professionnelles…). Dès lors, dans des territoires qualifiés de « sous dotés », l’accès aux soins est très variable : il n’est pas systématiquement difficile… tout comme dans des territoires suffisamment dotés, il n’est pas automatiquement plus aisé.</p>
<p>Il convient donc de dépasser une lecture simplificatrice liant uniquement densité des ressources médicales et accessibilité.</p>
<p>Pour rendre compte des difficultés réelles d’accès aux soins, une lecture véritablement centrée sur le patient est préférable. C’est ce que permet l’étude du <a href="https://theconversation.com/hopital-financement-au-parcours-de-soins-lhumain-avant-loutil-101076">parcours de soins</a>, qui renvoie aux soins (soins hospitaliers et de ville) et aux services de santé connexes (pharmacie, radiologie, laboratoire) nécessaires à la prise en charge d’une pathologie. Il a l’avantage de fournir une description détaillée des besoins en soins, de questionner leur articulation et d’inclure la dimension spatiale indissociable de la notion de parcours.</p>
<h2>L’Accessibilité potentielle localisée (APL), un indicateur incontournable</h2>
<p>Les principales mesures des difficultés d’accès aux soins utilisées en France reposent essentiellement sur des indicateurs de densité médicale et de temps d’accès au professionnel de santé le plus proche.</p>
<p>Ces mesures ont l’avantage de fournir une information synthétique et claire. Cependant, elle présente des limites importantes : les données de densité fournissent un chiffre global, pour le territoire dans son ensemble, mais elles ne restituent pas la variabilité de l’accès aux soins sur ce territoire. En effet, le fait qu’un patient se trouve à moins de 10 minutes d’un médecin généraliste ne préjuge pas de sa capacité et possibilité réelle à accéder à cette ressource médicale.</p>
<p>Pour dépasser ces limites, la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et l’IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) ont développé l’indicateur d’accessibilité aux soins : l’<a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/lindicateur-daccessibilite-potentielle-localisee-apl"><strong>accessibilité potentielle localisée</strong></a> (APL).</p>
<p>Cet indicateur prend en considération la disponibilité des médecins généralistes libéraux sur un <a href="https://www.insee.fr/fr/information/6676988">« bassin de vie »</a>, défini par l’Insee comme le plus petit territoire au sein duquel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants. La France métropolitaine est ainsi constituée de 2 739 bassins de vie comprenant chacun en moyenne 23 300 habitants.</p>
<figure><a href="https://drees.shinyapps.io/carto-apl/" target="_blank"><img src="https://images.theconversation.com/files/509578/original/file-20230211-20-pkqd2k.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=1"><figcaption>Cartede la densité d’installation des médecins en France, territoire vie-santé (carte cliquable).</figcaption></a></figure>
<p>L’APL intègre une estimation de l’activité des médecins ainsi que des besoins en matière de santé définis notamment en fonction de l’âge de la population locale. Il est donc plus précis que les indicateurs de densité médicale ou de temps d’accès au médecin le plus proche. <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/lindicateur-daccessibilite-potentielle-localisee-apl">L’APL est exprimée en nombre d’ETP (équivalents temps plein)</a> de médecins présents sur un bassin de vie, et peut être convertie en un temps moyen d’accès à ces médecins (exprimé en minutes).</p>
<p>L’APL a été au départ principalement calculée pour les médecins généralistes libéraux, elle est <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0398762018314834">maintenant également déterminée pour chacun des autres professionnels de santé de premier recours</a> : infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, gynécologues, ophtalmologues, pédiatres, psychiatres et sages-femmes.</p>
<h2>Déserts médicaux : les chiffres « statiques »</h2>
<p>Les <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/dd17.pdf">« déserts médicaux »</a> constituent sans doute l’expression la plus visible, dans le débat public, des différents modes de calcul de l’APL. L’APL permet en effet de calculer, pour chaque bassin de vie, un nombre moyen de consultations annuelles accessibles (potentielles) pour chaque habitant en tenant compte notamment du nombre d’ETP de médecins présents sur le bassin de vie, du temps moyen d’accès et du recours moyen au service de ces médecins par les patients.</p>
<p>Pour qu’un bassin de vie soit qualifié de désert médical (ou « territoire sous dense » en offre de santé), la DREES retient un <strong>seuil minimum de 2,5 consultations accessibles par an et par habitant.</strong></p>
<p>Selon une estimation récente de la DREES, <strong>9 % de la population française réside dans des territoires « sous denses »</strong>, soit environ 6 millions de personnes. Mais il existe des disparités importantes selon les régions : 29 % de la population de la Guyane ou 25 % de celle de la Martinique vivent dans un désert médical, 16 % des habitants du Val-de-Loire, 15 % de la population corse contre seulement 4 % des habitants de Hauts-de-France et 3 % de ceux de la Provence-Alpes-Côte d’Azur.</p>
<p>Mesurer l’accessibilité aux soins à partir des ETP de professionnels de santé ou du temps d’accès à ces professionnels renseigne de manière assez exhaustive sur l’offre de soins présente sur un bassin de vie. En revanche, cela nous informe assez peu sur la demande de soins qui, elle, dépend des besoins réels des patients.</p>
<p>Dans deux articles récents, nous démontrons qu’aux côtés du calcul de l’APL, l’analyse fine des parcours de soins des patients contribue à mieux appréhender la demande réelle de soins. Nos travaux nuancent alors le découpage assez binaire de la carte de France en territoires « sous denses » d’un côté et « suffisamment denses » de l’autre.</p>
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<h2>L’analyse des parcours de soins : la clef pour accéder aux difficultés réelles des patients</h2>
<p>Dans un premier article de recherche, nous avons <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2021-3-page-397.htm">identifié le rôle du parcours de soins</a> en montrant en quoi il peut être révélateur de l’accentuation ou de la réduction des difficultés d’accès aux soins en proposant une lecture territorialisée de ce parcours et une première catégorisation des situations.</p>
<p>Les principales caractéristiques de ce parcours (types de soins, localisation des professionnels de santé, nombre de déplacements à effectuer, modes de déplacements accessibles) nous renseignent sur des contraintes complémentaires d’accessibilité aux soins auxquelles sont confrontés les patients.</p>
<p>Dans un deuxième article de recherche, à partir d’une méthodologie de cartographie géographique, nous avons croisé les données mobilisées pour le calcul de l’APL (densité médicale, activité des médecins et temps d’accès à ces professionnels) avec les données relatives aux parcours de soins d’une cohorte de 1800 patientes prises en charge pour un cancer du sein dans un établissement spécialisé de l’ex-région Auvergne.</p>
<p>Cette approche dynamise et enrichit l’analyse de l’accessibilité aux soins en démontrant notamment que les difficultés d’accès ne sont pas systématiquement concentrées dans des déserts médicaux plutôt situés en zones excentrées ou rurales.</p>
<p>Elle permet d’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277953620308777">identifier quatre principales catégories de parcours de soins</a>, pouvant apparaître dans des territoires « sous denses » en offre de santé comme dans des bassins de vie suffisamment « denses » :</p>
<ul>
<li><p><strong>Les parcours de soins aisés :</strong> dans les aires urbaines des grandes agglomérations et des petites villes proches, marquées par un accès aisé à l’ensemble des services de soins (classe 2).</p></li>
<li><p><strong>L’accessibilité aux hôpitaux :</strong> dans les aires urbaines des villes moyennes qui abritent un centre hospitalier pouvant prendre ponctuellement le relais de l’établissement spécialisé de la région (classe 1).</p></li>
<li><p><strong>L’accessibilité aux professionnels de santé :</strong> dans les territoires ruraux où la distance et/ou la fréquence des déplacements rendent malaisée l’accessibilité aux services hospitaliers, mais où l’accès aux services de proximité est bon (classe 3).</p></li>
<li><p><strong>Les parcours éloignés :</strong> dans les territoires ruraux ou périurbains où, selon les cas, la distance, la fréquence des déplacements ou la faiblesse des moyens de déplacement peuvent rendre malaisée l’accessibilité à l’ensemble des services de soins (classe 4).</p></li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="Carte montrant le côté mosaïque de l'accès aux soins" src="https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=652&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=652&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=652&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/509576/original/file-20230211-18-tgpzf2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=820&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte des parcours de soins en cancérologie du sein (ex région Auvergne et départements limitrophes). Les distances sont à vol d'oiseau, du domicile des patientes aux services médicaux (pharmacie, médecin généraliste, centre hospitalier disposant d'un service de cancérologie, CLCC Jean-Perrin).</span>
<span class="attribution"><span class="source">MC, UMR Territoires (2019)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Quelles perspectives pour l’amélioration de la prise en charge ?</h2>
<p>En intégrant les difficultés vécues par les patients, le croisement de données spatiales sur l’offre de soins avec celles provenant du parcours de soins permet une lecture plus dynamique de leur accès effectif aux soins.</p>
<p>Il en résulte une modification de la réalité de terrain au sein des territoires. Ainsi, dans l’exemple auvergnat étudié, l’accessibilité aux services de soins dans les Combrailles ou le Livradois peut être malaisée malgré la relative proximité de Clermont-Ferrand.</p>
<p>Cela pousse à nuancer l’efficacité de certaines solutions mises en œuvre pour réduire ces difficultés : aides financières ou contraintes à l’installation de médecins, exercice en maisons de santé, contrats de praticien territorial de médecine générale, télémédecine, téléconsultation… Ces solutions devraient intégrer une lecture du parcours du patient.</p>
<p>En effet, d’une part, les quatre catégories de parcours de soins identifiés dans notre étude montrent combien l’accessibilité peut être diffuse dans les territoires qu’ils soient « denses » ou « sous denses », et combien celle-ci est dépendante de caractéristiques médicales et socio-économiques des patients.</p>
<p>Cette constatation renforce l’idée que les territoires de santé ne peuvent pas être appréhendés d’une manière principalement comptable, trop abstraite. Il est nécessaire de les aborder comme des espaces vécus où besoins et offre de soins s’agencent à partir des caractéristiques du territoire et de sa patientèle.</p>
<p>D’autre part, ces résultats suggèrent d’associer aux nombreuses mesures politiques ou managériales appliquées la gestion des parcours de soins. Ce qui est déjà réalisé, de manière très étendue, dans de nombreux pays développés. Ce sont par exemple le cas avec les <a href="http://canadianoncologynursingjournal.com/index.php/conj/article/view/145/153">infirmières pivots</a> au Canada ou les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1365-2702.2009.02900.x">case managers</a> – gestionnaires de cas – aux États-Unis, en Suisse ou encore au Royaume-Uni.</p>
<p>Pour cela, en France, il y a probablement à penser la place que peuvent occuper certains professionnels de santé, situés au plus près de ces parcours, tels que les <a href="https://theconversation.com/reforme-de-lacces-aux-soins-comment-le-projet-pourrait-generer-une-crise-de-confiance-et-comment-leviter-199213">infirmier·e·s en pratiques avancées</a> exerçant en maisons de santé, hôpitaux ou établissements médico-sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199703/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mériade a reçu des financements de l'Université Clermont Auvergne (UCA) et du Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône Alpes (CLARA)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Corinne Rochette a reçu des financements de l'université Clermont Auvergne et du cancéropôle Lyon Auvergne Rhône Alpes</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Milhan Chaze et Éric Langlois ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>La notion de « désert médical » est désormais bien connue du grand public en France. Mais elle est encore trop souvent définie de façon statique… Comment avoir un rendu plus dynamique, et plus juste ?Laurent Mériade, Professeur des Universités en sciences de gestion - Titulaire de la chaire de recherche "santé et territoires" - IAE, Université Clermont Auvergne (UCA)Corinne Rochette, Professeure des universités en management public et de la santé HDR, Titulaire de la chaire de recherche Santé et territoires, IAE- Université Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)Éric Langlois, Ingénieur d'études en géomatique, docteur en géographie, UMR Territoires, Université Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)Milhan Chaze, Ingénieur de recherche en géographieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789592023-01-19T14:50:25Z2023-01-19T14:50:25ZLes défis d’être une personne proche aidante en milieu rural pendant la pandémie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/466426/original/file-20220531-16-hx3lis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C995%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les mesures liées à la pandémie ont eu des répercussions majeures sur la santé et le bien-être des PPA qui demeurent en région rurale.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Une personne proche aidante (PPA) <a href="https://www.publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003000/">se définit comme</a> « toute personne qui apporte un soutien à un ou à plusieurs membres de son entourage qui présentent une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre, peu importe leur âge ou leur milieu de vie, avec qui elle partage un lien affectif, familial ou non ».</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-laide-les-proches-aidants-sont-epuises-et-nous-en-payons-tous-le-prix-121420">À l'aide! Les proches aidants sont épuisés et nous en payons tous le prix</a>
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<hr>
<p>La pandémie vécue depuis mars 2020 a mené les PPA à <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2022-04-15/gerer-mon-risque.php">revoir leur rôle de soutien</a> dans le respect des consignes sanitaires émises par la santé publique. Pour plusieurs, cette situation a eu pour effet d’augmenter leurs responsabilités, exacerbant de ce fait leur niveau de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1704222/info-proche-aidant-covid-19-chsld-domicile-augmentation-demande">stress, d’anxiété, d’épuisement et de détresse</a>.</p>
<p>Leurs expériences varient en fonction de la nature du diagnostic de la <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003000/">personne aidée, de l’accompagnement requis, de l’aide et du soutien disponibles</a>, mais également <a href="https://doi.org/10.1177/23337214211025124">selon leur milieu (urbain ou rural) de vie</a>. À cet effet, des recherches suggèrent que l’accès aux services de soins est, de manière générale, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1837064/etude-iris-soins-sante-rural-outaouais-classement">moindre en région rurale qu’en région urbaine</a>.</p>
<p>Membres de la Chaire interdisciplinaire sur la santé et les services sociaux pour les populations rurales à l’UQAR, <a href="https://www.uqar.ca/recherche/la-recherche-a-l-uqar/unites-de-recherche/chaire-interdisciplinaire-sur-les-services-de-sante-et-sociaux-pour-les-populations-rurales/axes-de-recherche-chaire-interdisciplinaire-sur-les-services-de-sante-et-sociaux-pour-les-populations-rurales">nous nous sommes intéressées</a> aux conséquences de la pandémie sur la santé physique et mentale des PPA demeurant en milieu rural et prenant soin d’une personne ayant un trouble de santé mentale, du spectre de l’autisme ou un problème lié au vieillissement. <a href="https://qualaxia.org/wp-content/uploads/2022/06/quintessence-vol-13-no-03.pdf">Une étude a été menée entre les mois de mars et août 2021, principalement dans quatre régions du Québec, auprès de 68 PPA et 14 acteurs communautaires (intervenants et directeurs d’organismes)</a>.</p>
<p>Les principales variables d’intérêt étaient la santé globale des PPA, les changements de responsabilités occasionnés par la pandémie et le statut rural-urbain. Il existe plusieurs définitions de la <a href="https://doi.org/10.1177/23337214211025124">« ruralité » en recherche sur la santé</a>. Deux principaux éléments de définition ont été retenus ici, soit la densité de la population (moins de 100 000 habitants) et le code postal.</p>
<h2>Détresse chez les PPA qui demeurent en milieu rural</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466856/original/file-20220602-14205-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=655&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">61,8 % des PPA et 92,8 % des acteurs communautaires considèrent que la pandémie a moyennement ou énormément fragilisé la santé globale des PPA.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les PPA estiment, dans une proportion de <a href="https://semaphore.uqar.ca/id/eprint/1913/">61,8 %</a>, que la pandémie a affecté leur <a href="https://www.infodimanche.com/actualites/actualite/402748/limpact-de-la-pandemie-sur-les-proches-aidants">santé physique et psychologique</a>. Depuis le début de la crise sanitaire, 35,5 % d’entre eux révèlent avoir vécu des symptômes s’apparentant à la dépression (tristesse, irritabilité, difficultés de concentration, découragement, sentiment d’inutilité) ou à l’anxiété (incertitude, peur de l’inconnu, sentiment de perte de contrôle).</p>
<p>Par ailleurs, 76,9 % des acteurs communautaires croient que la pandémie a engendré une grande détresse émotionnelle chez les PPA, particulièrement chez celles devant prodiguer des <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-06-01/l-epuisement-des-parents-fait-peur">soins soutenus</a> (en continu et sur du long terme), à un membre de leur entourage.</p>
<p>Les PPA qui rapportent avoir éprouvé une plus grande détresse psychologique indiquent aussi avoir ressenti davantage de symptômes physiques (courbatures, tensions musculaires, maux de tête, troubles digestifs). Celles qui prennent soin d’une personne présentant une autonomie fonctionnelle et un état de santé relativement stable ont été moins affectées par la crise.</p>
<p>Certaines ont pu conserver un soutien familial, social ou professionnel :</p>
<blockquote>
<p>Je parle au téléphone avec ma mère à tous les jours. J’ai aussi 4 sœurs, dont une qui s’implique beaucoup. Je sais que je peux l’appeler jour et nuit si j’ai besoin de quelque chose. Elle est vraiment touchée par ma situation et je sais que si j’ai besoin de quelque chose, je peux compter sur elle.</p>
</blockquote>
<p>D’autres ont pu maintenir ou adopter de saines habitudes de vie, leur permettant ainsi d’évacuer plus facilement leur stress et se changer les idées :</p>
<blockquote>
<p>Depuis le mois de mars, je me suis mise à faire de l’exercice, 1h de marche dehors, puis du tapis roulant, à peu près 30 minutes par jour et c’est très sain pour mon psychologique.</p>
</blockquote>
<h2>Portrait de la situation</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=346&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466855/original/file-20220602-9439-8dvu4g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=435&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un échantillon de 68 PPA, soit 56 femmes et 12 hommes, provenant de différentes régions du Québec, ont participé à la première phase de cette étude qui consistait à remplir un questionnaire en ligne.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’étude révèle que la pandémie et les restrictions sanitaires ont suscité de <a href="https://semaphore.uqar.ca/id/eprint/1912/">nouvelles inquiétudes</a> chez les PPA demeurant en milieu rural.</p>
<p>D’une part, celles dont la personne aidée demeure à l’extérieur (logement autonome, ressource de type familial (RTF), ressource intermédiaire (RI), centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD)) ont dû <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-04-24/chsld-les-proches-aidants-veulent-que-quebec-assouplisse-les-regles">restreindre leurs contacts</a> et n’ont pu assurer les mêmes soins et offrir le même soutien qu’avant la pandémie. Cette situation a généré de <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1697697/proche-aidant-chsld-quebec-appui-personne-agee-coronavirus">l’impuissance, de l’anxiété et des inquiétudes</a> chez les PPA, concernant la situation de leur proche.</p>
<p>D’autre part, les PPA qui <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1777960/quebec-vaccination-covid-19-handicape-autiste-deficience-ressource-supervisee">demeurent avec la personne aidée</a> ont vu leur charge de travail et leurs responsabilités s’accroître, particulièrement lors de la période de confinement :</p>
<blockquote>
<p>C’était d’organiser ses journées, de le surveiller pour ne pas qu’il passe 100 % de son temps sur l’ordi, de surveiller qu’il mange, qu’il prenne sa médic, qu’il se lave, qu’il s’habille, qu’il s’occupe de son chien, c’était tout ça. Donc c’était une surcharge de travail pour moi, vraiment une surcharge.</p>
</blockquote>
<p>Leur quotidien étant centré sur leur rôle de soutien, les PPA ont été privées des moments de répit ou de détente et ont vécu beaucoup d’isolement et de solitude. Ainsi, 40 % des PPA de l’étude croient que les mesures sanitaires les ont beaucoup ou énormément contraintes dans leur rôle d’aidants et 50 % estiment que ce rôle a présenté davantage de défis au quotidien.</p>
<h2>La particularité du milieu rural</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/466857/original/file-20220602-15259-brs9v3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">61,4 % des PPA et 71,4 % des acteurs communautaires croient que la proche aidance se vit différemment en milieu rural et en milieu urbain.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans les milieux ruraux, l’accessibilité réduite aux services de santé, en particulier aux services spécialisés, a été exacerbée par la pandémie. <a href="https://semaphore.uqar.ca/id/eprint/1916/">Les milieux ruraux sondés</a> ont été touchés par les mesures gouvernementales visant à limiter la propagation du virus : fermeture des ressources d’aide et de soutien, délestage de certaines activités et transitions de divers soins et services en mode virtuel.</p>
<p>Des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1816567/deficience-intellectuelle-pandemie-pertes-acquis-services">personnes vulnérables</a> ont été privées d’accès à plusieurs ressources pourtant essentielles à leur bien-être physique et psychologique, alourdissant de ce fait les responsabilités des PPA déjà éprouvées. Le tiers révèle avoir dû s’impliquer davantage auprès de la personne aidée pour <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/sante/2021-09-22/ruptures-de-services/c-est-pire-que-jamais.php">combler le manque de services sur leur territoire</a>.</p>
<blockquote>
<p>Mon fils s’est détérioré. Les difficultés qu’on a rencontrées à cause de la pandémie ont augmenté. Son anxiété, sa rigidité, son agressivité ont pris de l’ampleur. Il s’est mis à avoir des comportements inappropriés, des rituels, des obsessions, des choses comme ça. On n’avait plus les services pour l’aider. Tout reposait sur nous. On est exténués.</p>
</blockquote>
<p>Plusieurs d’entre elles évoquent aussi leur difficulté à composer avec le surcroît de responsabilités occasionné par le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1856012/sante-pandemie-delestage-penurie">manque de disponibilité et d’accessibilité des ressources</a>. Le passage à des services en mode virtuel a représenté un défi supplémentaire pour ces milieux, où les <a href="https://www.ledroit.com/2021/12/06/internet-en-zone-rurale-le-parcours-dun-combattant-e3f3181e7a09ea96312c47f51c0d6dd3">problèmes de connectivité</a> ont empêché une utilisation optimale des plates-formes de télécommunication. De plus, plusieurs PPA estiment que les rencontres virtuelles se sont avérées plus ou moins adaptées à leurs besoins et à ceux de leur proche, rendant davantage complexe une juste évaluation de la gravité des situations.</p>
<blockquote>
<p>Son éducatrice voulait me donner un coup de main par Zoom, mais devant l’écran, souvent le comportement de l’enfant change. C’est attractif. Ma fille fait une fixation sur tout ce qui est électronique, donc aussitôt qu’on faisait une rencontre Zoom, elle se métamorphosait complètement, son caractère changeait, donc c’était pas du tout la même façon d’intervenir. Ça été problématique.</p>
</blockquote>
<h2>Des pistes de solutions</h2>
<p>La <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2021/21-835-01W.pdf">première Politique nationale</a> pour les personnes proches aidantes (2021) et les mesures du <a href="https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2021/21-835-11W.pdf">Plan d’action gouvernemental</a> en découlant offrent déjà des pistes de réflexion intéressantes (reconnaissance des compétences et des connaissances des PPA, adoption d’une approche de partenariat, développement d’environnements conciliants, promotion des ressources).</p>
<p>Il convient toutefois d’examiner comment intervenir de façon plus ciblée en tenant compte de la diversité des contextes de proche aidance et des réalités spécifiques aux milieux ruraux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178959/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Hélène Morin a reçu des financements de Fond institutionnel de recherche de l'Université du Québec (FIR-UQAR); Réseau intersectoriel de recherche en santé de l'Université du Québec (RISUQ); Ministère de l'économie et de l'innovation (MEI). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Sophie Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a eu des conséquences sur la santé physique et psychologique des personnes proches aidantes qui prennent soin d’une personne demeurant en région rurale.Marie-Hélène Morin, Professeure travail social, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Anne-Sophie Bergeron, Agente de recherche, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1977632023-01-17T17:50:31Z2023-01-17T17:50:31ZRéguler l’installation des médecins : la comparaison avec le cas allemand<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/504325/original/file-20230112-60724-6kpasw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=13%2C0%2C3002%2C2038&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, la sous-densité en médecins est le problème principal. L'Allemagne, elle, a longtemps cherché à éviter la sur-densité.</span> <span class="attribution"><span class="source">Babsy</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans le débat actuel sur la liberté d’installation des médecins en France et les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2020-1-page-33.htm">« déserts médicaux »</a>, les expériences à l’étranger sont utilisées de manière très variable par les défenseurs comme les détracteurs d’une régulation plus stricte que celle qui existe aujourd’hui.</p>
<p>Concrètement, à l’heure actuelle, un médecin libéral en France peut s’installer où le veut. Néanmoins, l’« Accessibilité potentielle localisée » ou APL (établie selon le nombre de médecins généralistes jusqu’à 65 ans, le temps d’accès pour les patients, etc.) commence à être prise en compte au sein des « Territoires vie-santé » qui maillent le pays (voir la carte ci-dessous).</p>
<p>Il y a ainsi des incitations financières pour promouvoir une installation dans une <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/zonage-medecin">zone « sous-dense » en personnel médical</a>. En parallèle, l’idée de restreindre l’installation en zone « sur-dense » se développe et alimente des propositions parfois très discutées. Les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/20/la-regulation-a-l-installation-des-jeunes-medecins-n-est-pas-une-solution_6146641_3232.html">polémiques les plus récentes</a> concernent l’<a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/ajout-d-une-quatrieme-annee-au-diplome-d-etudes-specialisees-de-medecine">ajout d’une quatrième année à l’internat de médecine générale</a>, assortie de l’obligation de l’effectuer en cabinet de ville. Dans un Territoire de vie-santé sous-dense, un habitant a accès à <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1144.pdf">moins de 2,5 consultations par an</a> ; 3,8 millions de personnes étaient concernées en 2018, contre 2,5 millions en 2015.</p>
<figure><a href="https://drees.shinyapps.io/carto-apl/" target="_blank"><img src="https://images.theconversation.com/files/504324/original/file-20230112-24-q16kzu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=489&fit=crop&dpr=1"><figcaption>Carte de la densité d’installation des médecins en France, territoire vie-santé (carte clicable).</figcaption></a></figure>
<p>L’Allemagne, voisin le plus proche géographiquement, est doté d’un système de régulation de l’installation parmi les plus stricts au monde. Pourtant, il est très peu évoqué dans le débat français. Au-delà de la barrière linguistique, la <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/les-dossiers-de-la-drees/remedier-aux-penuries-de-medecins-dans-certaines-zones">faible diffusion de l’évaluation des politiques en place outre-Rhin</a> ne facilite pas les échanges d’expériences.</p>
<p>Cet article décrypte le système allemand actuel, et son historique, et donne un aperçu des effets. En outre, il discute la transférabilité de ces enseignements vers la France.</p>
<h2>Une politique ancienne qui s’est complexifiée</h2>
<p>Les bases de la « planification des besoins » (<em>Bedarfsplanung</em>) sont jetées en 1976 avec l’introduction de statistiques sur la répartition des praticiens sur le territoire. Une évolution majeure a lieu en 1993 avec le découpage du pays en 395 zones de planification et la fixation de « densités cibles » pour 14 catégories de médecins (généralistes, neurologues et psychiatres, etc.).</p>
<p>L’objectif est d’éviter les zones sur-denses en médecins. L’installation n’est possible que si ce seuil de densité n’est pas dépassé de plus de 10 %.</p>
<p>Depuis 2013, le calcul du seuil est plus fin et tient compte de la structure démographique (âge et sexe) de la population. L’objectif est désormais, aussi, d’éviter les zones sous-denses.</p>
<p>En 2021, est lancée une <a href="https://www.g-ba.de/themen/bedarfsplanung/bedarfsplanungsrichtlinie/">dernière évolution du mode de calcul</a>. Sont intégrés progressivement l’état de santé dans le territoire (basé sur les données administratives fournies par les médecins), les distances (en voiture) entre population et cabinets, puis la multiplication des zones de planification, notamment pour les généralistes (actuellement environ 883 zones).</p>
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<h2>Une large acceptation parmi les professionnels et des effets positifs</h2>
<p>Un point important est à souligner : cette politique contraignante est largement acceptée par les organisations de médecins. Il faut noter que, au sein des comités de pilotage régionaux (associations de médecins conventionnés et caisses d’Assurance maladie) et au niveau du cadrage fédéral (un comité regroupant essentiellement les médecins, les caisses et les hôpitaux sous supervision légale du ministère de la Santé), ces organisations contribuent à l’évolution du dispositif.</p>
<p>Depuis 1999, la régulation de l’installation est par ailleurs étendue aux psychologues exerçant en tant que psychothérapeutes dans le cadre de leur conventionnement avec l’Assurance maladie. À l’instar des médecins, en échange du bénéfice du remboursement de leur prise en charge, les psychothérapeutes acceptent certaines contraintes, y compris la limitation de l’installation.</p>
<p>Concrètement, en <a href="https://www.kbv.de/html/bundesarztregister.php">2021, 31 300 psychologues-psychothérapeutes et 152 000 médecins conventionnés étaient concernés</a> en Allemagne par ce système de maîtrise de l’installation.</p>
<p>Ce système a jusqu’ici donné de bons résultats qui, s’ils ne bénéficient pas d’évaluations scientifiques, sont basés sur des données assez robustes quant à ses effets. La discussion autour de cette politique est en effet essentiellement basée sur des rapports rédigés par des instituts privés et financés par les différentes parties prenantes.</p>
<p>Une <a href="https://www.hsm.bwl.uni-muenchen.de/forschung/gutachten/index.html">expertise approfondie et indépendante publiée en 2018</a> a conclu que l’accès est très bon pour la plupart des habitants en Allemagne : 99,8 % de la population est à moins de dix minutes de voiture d’un généraliste, et 99,0 % à moins de 30 minutes pour la plupart des spécialistes. Il s’agit, bien entendu, d’un indicateur d’accès purement géographique, en supposant qu’une voiture est à disposition. En ce qui concerne la disponibilité des médecins, la majorité des personnes interrogées ont répondu qu’elles obtiennent des rendez-vous en quelques jours seulement.</p>
<p>En France, une <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/les-dossiers-de-la-drees/deserts-medicaux-comment-les-definir-comment-les-mesurer">étude de 2017</a> a trouvé des chiffres relativement proches pour les généralistes : 98 % de la population est à moins de dix minutes en voiture. Faute de méthode identique, les autres données de ces deux études ne sont pas comparables. Il ne faut non plus occulter les différences systémiques entre les deux pays, qui empêchent de conclure que les résultats parfois divergents ne seraient dus qu’à la régulation de l’installation.</p>
<h2>Des différences systémiques avec la France</h2>
<ul>
<li><strong>Densité médicale et ruralité</strong></li>
</ul>
<p>Le débat sur le « manque » de médecins (<em>Ärztemangel</em>) est moins intense en Allemagne qu’en France. Et pour cause : s’il existe aussi des différences régionales, <a href="https://www.oecd.org/health/health-data.htm">l’Allemagne recensait, en 2020, 40 % de médecins de plus que l’Hexagone</a> – par rapport à la population et tous secteurs confondus (hôpital, ambulatoire, etc.) (voir tableau).</p>
<p>La question de la ruralité ne se pose pas non plus de la même manière dans les deux pays. Dans la « campagne profonde », en Allemagne, on n’est jamais très loin d’un centre urbain. Cela se traduit, schématiquement, par une densité de la population presque deux fois plus élevée qu’en France.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="L’Allemagne compte 4,5 médecins en exercice par 1000 habitants contre 3,2 pour la France dont la population est deux fois moins dense" src="https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=78&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=78&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=78&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=98&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=98&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504304/original/file-20230112-12-5p567l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=98&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Données clefs comparant la densité médicale et populationnelle, en 2020, en Allemagne et en France.</span>
<span class="attribution"><span class="source">OECD/Wikipedia</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par conséquent, un médecin s’installant dans la campagne allemande ne se sent pas (automatiquement) éloigné d’un certain nombre de services publics, culturels, etc. Cela renvoie à l’idée, dans le débat en France, que les « déserts médicaux » sont aussi, en partie, des <a href="https://www.europe1.fr/sante/un-desert-medical-cest-aussi-un-desert-de-services-publics-et-prives-3877247">« déserts de service public et privé »</a>.</p>
<ul>
<li><strong>Organisation interne et intégration institutionnelle</strong></li>
</ul>
<p>Il convient également de souligner que, si la limitation de l’installation n’est pas contestée, ce sont les médecins allemands eux-mêmes qui la mettent en œuvre.</p>
<p>Ils disposent en effet de larges compétences pour gérer l’organisation de leur exercice : de la formation (définition des cursus pour les études de médecine, etc.) à la permanence de soins, en passant par la distribution du budget ambulatoire. Ils sont en négociation quasi permanente avec l’Assurance maladie et sont bien représentés au niveau politique. <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2020-1-page-215.htm">L’intégration institutionnelle des médecins, par les organes les représentant, est donc forte</a>.</p>
<p>Cette intégration entraîne toutefois une grande complexité afin que le périmètre et les compétences de chaque partenaire (associations de médecins conventionnés, caisses d’Assurance maladie, Comité fédéral commun…) soit <a href="https://www.kvb.de/praxis/niederlassung/bedarfsplanung/bedarfsplan/">clairement défini</a>.</p>
<ul>
<li><strong>Un système de rémunération différent</strong></li>
</ul>
<p>En Allemagne, la rémunération repose essentiellement sur un système de capitation : une somme fixe pour chaque patient pris en charge par un médecin, par trimestre. S’y ajoute, en sus, une rémunération à l’acte, dont le montant baisse en fonction du nombre d’actes prodigués. On parle de « dégression » : plus il y a des actes, moins élevé est le prix par acte. Comme mentionné plus haut, ce sont les médecins eux-mêmes qui gèrent cette enveloppe dite « à moitié fermée ».</p>
<p>A contrario, en France, domine toujours la rémunération à l’acte qui est non dégressive, et donc à prix fixe.</p>
<h2>Des différences empêchant toute transférabilité ?</h2>
<p>A priori non, car il existe tout de même de nombreuses similitudes rendant les deux systèmes comparables dans une certaine mesure.</p>
<p>À la différence d’autres systèmes tels que celui en vigueur en Angleterre, France et Allemagne offrent un accès assez peu restreint à de nombreux spécialistes en dehors de l’hôpital. En France, cependant, le « parcours de soins » incite financièrement les patients à passer d’abord par un généraliste – hors gynécologues, ophtalmologues, psychiatres et stomatologues, qui sont accessibles directement sans pénalité financière.</p>
<p>Les deux pays introduisent aussi de plus en plus de dispositifs semblables, qui redessinent l’organisation du système de soins : des maisons ou centres de santé regroupant plusieurs professionnels, des soins plus coordonnés pour les patients atteints de maladies chroniques, l’usage de référentiels pour améliorer la qualité, etc.</p>
<p>Dans l’organisation du système de soins, on note également, en Allemagne comme en France, que l’État est de plus en plus pilote de ces politiques. Ce qui est lié à la notion de contrôle budgétaire, devenue une préoccupation primordiale et un moyen de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2020-1-page-215.htm">cadrer les changements du système de santé</a>.</p>
<h2>Limiter l’installation des médecins : une politique efficace mais complexe</h2>
<p>L’exemple allemand montre que la limitation de l’installation est une politique efficace… mais qui ne peut être mise en place qu’au prix d’un mille-feuille administratif assez épais. Chaque nouvelle modification, comme en 2021, venant ajouter (encore) des variables dans un modèle de planification déjà très complexe. Il faut donc multiplier la collecte, la remontée et l’analyse de données, les concertations, etc.</p>
<p>Mais il faut surtout retenir que cet outil a été mis en place (et a longtemps servi) pour « corriger » les zones sur-denses dans un pays plutôt bien doté en médecins et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/09514848221080691">lits d’hôpitaux</a>. Cette planification a été conçue afin de maîtriser les coûts et éviter une compétition trop élevée entre médecins qui opèrent avec le système d’enveloppe à moitié fermée. Cette trajectoire structure encore les débats et les actions en Allemagne.</p>
<p>Or, ce sont les zones sous-denses qui sont au cœur des débats en France. À titre d’exemple, la densité de médecins généralistes est de 46 % plus élevée dans la région la plus dotée (PACA), par rapport à la moins dotée (Centre), en 2021. Afin de pallier aux « déserts médicaux », il conviendrait plus de se pencher sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2020-1-page-33.htm">outils incitatifs</a>. Ceux qui existent sont par ailleurs assez similaires dans les deux pays : aide financière à l’installation, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/0142159X.2022.2151885">ouverture de sites de formation</a> ou d’antennes d’universités dans les territoires ruraux, incitation au recrutement d’internes, etc.</p>
<p>L’approche outre-Rhin apporte donc des pistes de réflexion qui méritent d’être analysées. Toutefois, afin de mener un débat éclairé, il est essentiel de distinguer les notions de zone sous- versus sur-dense, et de tenir compte des spécificités du système de notre voisin – proche… mais pas tout à fait similaire.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur remercie Lucie Kraepiel, doctorante au CSO (Centre de sociologie des organisations) et assistante de recherche à l’axe santé du LIEPP (Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques) de Sciences Po, pour sa relecture de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthias Brunn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les déserts médicaux sont un problème croissant en France. Les exemples de nos voisins européens peuvent-ils apporter des solutions ? Le système allemand est particulièrement intéressant. Décryptage.Matthias Brunn, Chercheur affilié en sciences politiques au LIEPP - Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865402022-10-05T15:23:35Z2022-10-05T15:23:35ZDans les campagnes, pourquoi les jeunes se détournent-ils des lieux publics ?<p>Des bourgs vides, des lieux publics que les nouvelles générations ne fréquentent plus, un esprit de village qui se perd : si ces images sont loin de correspondre tout à fait à la réalité, elles sont très présentes dans les discours qui circulent sur les campagnes. Avec une telle représentation s’impose l’idée que les jeunes fuiraient ces espaces publics. Or les choses sont bien plus complexes et, pour les saisir, il faut se pencher sur l’incompréhension sur laquelle elles reposent.</p>
<p>Si la jeunesse animait, il y a plusieurs décennies, l’espace public des bourgs et des campagnes, on ne la verrait plus beaucoup dans les cafés ni dans les bars, très peu également dans les lieux associatifs ou lorsque sont organisés des évènements politiques. C’est le constat que partagent de nombreux élus et habitants rencontrés dans le cadre d’une <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03559941/">thèse de sociologie portant sur les jeunes ruraux</a>, menée entre 2017 et 2021. On peut certes faire l’hypothèse que la fragmentation du marché de l’emploi en milieu rural a contribué à cette évolution, néanmoins, tout un faisceau d’autres raisons entre en ligne de compte pour expliquer ce phénomène.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linvisible-decrochage-scolaire-des-jeunes-ruraux-172811">L’invisible décrochage scolaire des jeunes ruraux</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans les politiques publiques actuelles, la jeunesse est envisagée comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-pour-2016-2-page-55.htm">ressource nécessaire à la survie des campagnes</a>. Sur ses épaules reposeraient l’avenir, l’emploi, la solidarité, le renouveau de « l’esprit de village » ; en bref, le domaine du possible. Dans cette perspective, leur non-implication dans la vie locale serait une problématique importante. Cependant, si la jeunesse est vue comme une promesse de jours meilleurs, elle n’est pas toujours accueillie à bras ouverts dans les campagnes et doit aussi faire face à une certaine méfiance. Elle serait synonyme de danger, de nuisances, soit d’un <a href="https://philpapers.org/rec/DUBLJE">« ensauvagement » de la société</a> et de ses mœurs.</p>
<p>Entre une ressource que l’on tient à garder « dans le coin » pour relancer ou pérenniser la vie locale et un groupe auquel on attache de nombreux stigmates négatifs, la jeunesse d’aujourd’hui doit faire face à une réelle restructuration des relations d’interconnaissances et à une mutation du sentiment de « chez-soi ».</p>
<h2>La place de l’emploi</h2>
<p>Le marché de l’emploi rural n’est plus celui d’une économie auto-centrée sur l’agriculture ou l’industrie. Au-delà des fermetures d’usines et de la technologisation d’une agriculture par conséquent moins demandeuse en main-d’œuvre, le secteur tertiaire, et plus particulièrement le domaine de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3197469">l’emploi peu qualifié</a>, se développe dans les espaces ruraux.</p>
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<p>Cette mutation de l’emploi implique plus de déplacements et limite l’entretien de relations au niveau local. Le rapport logique entre lieu de travail, lieu de résidence et lieu de sociabilité paraît de moins en moins évident. Le marché de l’emploi auquel accèdent les jeunes ne permet plus réellement de lier des relations « dans le coin » et de s’ancrer socialement dans son espace de vie.</p>
<p>Si les jeunes, et <a href="https://www.cairn.info/revue-formation-emploi-2018-2-page-99.htm">notamment les moins qualifiés</a>, s’insèrent avec plus de facilité à la campagne qu’en ville, l’emploi disponible se précarise et est de plus en plus dominé par l’instabilité.</p>
<p>Or, la difficulté croissante d’accès à un CDI et l’enchaînement de plus en plus fréquent de petites missions d’intérim et de CDD courts limitent tout autant l’insertion professionnelle qu’elle rend complexe le tissage de réseaux amicaux. L’instabilité professionnelle croissante en milieu rural empêche – ou du moins restreint – l’insertion dans ces réseaux professionnels et amicaux.</p>
<p>Alors que l’emploi s’étiole et se parsème sur l’espace de vie local de ces jeunes, les relations sociales de proximité et d’intimité se restructurent à leur tour en des « îlots de sociabilités ». Le domicile parental garde alors une place centrale puisqu’il peut être un espace de repli face à l’espace public souvent perçu comme stigmatisant.</p>
<h2>Des tensions générationnelles ?</h2>
<p>La restructuration de l’emploi, si elle concourt à remodeler le sentiment d’appartenance à l’espace local, n’est pas la seule dimension à prendre en compte pour expliquer l’évitement par les 16-25 ans de l’espace public. Le regard qu’on porte sur eux a également un rôle à jouer.</p>
<p>L’accès massif à Internet et aux réseaux sociaux a permis à un nombre important de <em>digital natives</em> de partager des manières de sentir, de penser et d’agir plus ou moins formalisées. Le fait que la jeunesse rurale soit largement influencée par cette <a href="https://books.openedition.org/pressesmines/4115">culture juvénile</a> urbaine dominante pourrait fragiliser les relations avec les habitants plus âgés des espaces au sein desquels ils vivent.</p>
<p>Cependant, si l’introduction de la musique urbaine, rap ou hip-hop, a pu être perçue comme un marqueur de rupture générationnelle, cela ne fut-il pas également le cas par le passé avec <a href="https://www.cairn.info/jeunesse-oblige--9782130566922-page-245.htm">l’arrivée des <em>blousons noirs</em> et des <em>hippies</em></a> chez les jeunes ruraux du quart de siècle des Trente Glorieuses ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Valoriser les enquêtes ethnographiques dans la profusion des discours sur la ruralité (EcoSocio, Inrae).</span></figcaption>
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<p>Si rupture récente il y a, il faudrait plutôt la chercher ailleurs que dans ces marqueurs de « sous-culture ». Ce n’est pas tant que les jeunes ont changé, mais que la société entière mute, et donc avec elle les espaces ruraux, au sein desquels vivent ces jeunes en question. Dans l’ensemble, les <a href="https://injep.fr/publication/accueillir-les-jeunes-en-milieu-rural/">jeunes ruraux</a> déclarent plutôt bien vivre dans ces espaces : 92 % d’entre eux en ont une vision positive, 87 % voudraient y habiter et 72 % y travailler.</p>
<p>Ainsi, s’ils partagent des manières d’être, de se présenter et de consommer proches de leurs camarades urbains, ils partagent ce qu’ils considèrent être des <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/03/02/camille-peugny-la-jeunesse-est-face-a-une-maree-montante-de-la-precarite_6115755_4401467.html">valeurs communes à leurs aînés</a> et portent bien souvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2016-3-page-39.htm">discours fort dépréciatif envers les villes</a>.</p>
<p>Si beaucoup évitent les espaces publics, ce n’est pas tant qu’ils s’en désintéressent, mais qu’une méfiance s’est installée. Cette défiance de l’espace public s’explique par crainte de ragots ou de commérages dans des espaces où l’interconnaissance est importante. Craignant d’être stigmatisés dans un espace où les réputations se font et se défont rapidement, les jeunes préfèrent rester dans le domaine privé. Les « débordements » de la jeunesse comme l’ivresse sur la voie publique, les fêtes ou bien encore les bagarres qui pouvaient autrefois être compris comme faisant partie de « l’ambiance » locale ou de <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048">« l’esprit du village »</a> sont plutôt perçus aujourd’hui comme des marqueurs d’un « ensauvagement » de la jeunesse et des risques qui lui sont liés.</p>
<p>Les jeunes – dans un ensemble informe et parfois fantasmé – sont alors présentés comme fainéants, sans motivation alors que l’on se demande parallèlement pourquoi ils ne participent pas à la vie de la commune. S’écarter de l’espace public est compréhensible puisqu’ils préfèrent éviter une potentielle stigmatisation dans des espaces où tout le monde se connaît, ne serait-ce que de réputation.</p>
<h2>Du public vers le privé</h2>
<p>Est-ce à dire que les jeunes n’ont plus de vie sociale dans les villages ? Si les jeunes ont une tendance générale à éviter l’espace public, cela ne veut pas pour autant dire que les sociabilités rurales n’existent plus. En réalité elles se déplacent et se réorganisent autour de trois formes : <a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2019-11-page-97.htm">« les uns chez les autres »</a> ; autour du domicile familial et par l’utilisation large des réseaux sociaux et d’Internet.</p>
<p>Le domicile familial reste encore très largement l’espace où sont entretenues les relations amicales chez les jeunes. Les bars sont perçus comme « vieillots », voire stigmatisants, et les rencontres se cristallisent plutôt dans le cadre privé avec un groupe d’amis choisis plutôt qu’induit par la seule proximité géographique.</p>
<p>Peu de ces jeunes se trouvent être <a href="https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2014-1-page-68.htm">« des enracinés »</a>, attachés simplement à une terre et la population qui y vit. Le sentiment de « chez-soi » est vécu entre de petits îlots de sociabilité privée plutôt que dans l’espace public proche. L’accès à la voiture devient un enjeu essentiel tant pour l’insertion professionnelle que pour <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-la-lcd-lutte-contre-les-discriminations-2020-3-page-71.htm">l’entretien et la pérennisation de son réseau amical</a>.</p>
<p>Les jeunes n’ont pas disparu des campagnes, mais ce sont l’ensemble de l’espace public et des mobilités qui doivent aujourd’hui être repensés pour les aider à se réapproprier une place dans l’espace public.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186540/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé a reçu des financements de la Région Nouvelle-Aquitaine</span></em></p>Avec la fragmentation de l’emploi et la montée d’une méfiance entre générations, les jeunes réorganisent leur sociabilité autour d’espaces privés, sans pour autant se désintéresser de leurs villages.Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1891872022-09-11T16:27:01Z2022-09-11T16:27:01ZViolences sous silence : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle l’ampleur des féminicides en milieu rural<p>Montargis, Saint-Brévin-les-Pins, Villeneuve-sur-Lot… Le huis clos estival a déjà donné lieu à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-effet-huit-clos-cet-ete-encore-les-feminicides-s-enchainent-partout-en-france-7803545">18 cas de féminicides comme le rapportent les associations</a>. Ces chiffres sont aussi à mettre en perspective avec une dimension moins connue de la lutte contre les violences faites aux femmes : l’importance du milieu rural. <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/presque-la-moitie-des-feminicides-se-passent-en-zone-rurale-rappelle-cecile-gallien-de-lamf">En France, 50 % des féminicides ont lieu dans ces territoires</a> où, selon les <a href="https://www.observationsociete.fr/territoires/linsee-change-de-methode-et-la-population-rurale-passe-de-25-a-33/">nouvelles définitions de l’Insee</a>, réside un tiers de la population, soit environ 22 millions de personnes, dont près de 13 millions de femmes.</p>
<p>Or, comme l’a montré le précédent état des lieux de l’Observatoire régional des violences en <a href="https://cri-adb.org/base/cri-adb/757">2020</a>, à l’instar des <a href="https://theconversation.com/handicap-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-quune-femme-sur-deux-a-subi-des-violences-sexuelles-170677">femmes en situation de handicap</a>, les habitantes en milieu rural cumulent les facteurs de risque d’agression.</p>
<p>C’est dans ce cadre que j’ai mené cette recherche en Nouvelle-Aquitaine de septembre 2021 à août 2022 pour l’Observatoire régional. J’ai travaillé à l’aide de questionnaires (mars à août 2022) et en m’appuyant sur plus de 50 entretiens individuels et collectifs auprès de professionnels et de femmes victimes ou anciennement victimes de violences dans dix départements différents de la Nouvelle-Aquitaine. Les résultats montrent que le principal facteur aggravant les violences est l’isolement de ces femmes. Un isolement géographique, mais surtout moral, accentué par des stéréotypes de sexe ancrés et un <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1960_num_1_2_1814">fort contrôle social</a> qui domine ces espaces.</p>
<h2>Premiers résultats</h2>
<p>D’après nos résultats, 70 % des répondantes sont des victimes de violences et la moitié des témoins sont aussi victimes. En 2021, 122 féminicides ont été recensés dans le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/26/les-feminicides-en-hausse-de-20-en-2021-par-rapport-a-2020_6139137_3224.html">silence assourdissant des témoins</a>. Ces données sont conformes aux enquêtes inhérentes au sentiment de discrimination où près de 85 % des témoins de violences <a href="https://livre.fnac.com/a15235412/Arnaud-Alessandrin-Le-role-de-la-ville-dans-la-lutte-contre-les-discriminations">n’interviennent pas</a>.</p>
<p>Le sexe de l’auteur est à 93 % un homme : les femmes autrices relèvent majoritairement de violences intrafamiliales (coups, maltraitances envers leur enfant).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/handicap-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-quune-femme-sur-deux-a-subi-des-violences-sexuelles-170677">Handicap : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle qu’une femme sur deux a subi des violences sexuelles</a>
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<p>Cette enquête relève que 40 % des victimes interrogées ont déposé plainte auprès de la gendarmerie, alors qu’on en recense seulement un tiers au numéro national dédié : le 3919. C’est aussi deux fois plus que lors des précédentes enquêtes, ce qui indique que le recours aux forces de sécurité est plus important que la moyenne nationale tous territoires confondus. Les victimes de violences parlent davantage des violences à leur famille et aux forces de sécurité. Seules 18 % n’en ont jamais parlé contre 25 % lors des deux recherches que j’ai récemment conduites.</p>
<p>Les résultats du questionnaire montrent une plus grande exposition aux violences physiques et des enfants directement victimes de violences physiques (presque deux fois plus que lors des deux précédentes enquêtes menées lors des deux recherches pré-citées).</p>
<p>L’hypothèse d’un plus grand isolement coïncide avec la stratégie des auteurs de violence conjugale. Cela renforce ainsi leur sentiment d’impunité et la vulnérabilité des victimes potentielles. Cet isolement est d’autant plus efficace que que le <a href="https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/kiosque/2021-egalite-05-le-risque-detre-touchees-par-le-chomage-et-la-precarite-est-plus-fort-pour">risque de chômage et de précarité est plus important pour les femmes en milieu rural</a> :</p>
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<h2>Comment les hommes isolent les femmes</h2>
<p>Au travers des entretiens, un élément clef témoigne de l’emprise des maris sur leur femme : le <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2021-3-page-49.htm">contrôle des kilométrages</a>. Étant donné que les victimes <a href="https://www.publicsenat.fr/emission/senat-en-action/violences-conjugales-en-ruralite-la-double-peine-189185">sont éloignées des structures</a>, le compagnon peut plus facilement voir le nombre de kilomètres effectués.</p>
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<p>« J’ai une petite voiture, mais je ne l’utilise jamais car mon compagnon garde les clés de la voiture ».</p>
</blockquote>
<p>En milieu rural, les habitations les plus proches peuvent parfois se retrouver à 500 mètres, donnant un sentiment d’isolement encore plus fort car le fait de sentir une présence proche rassure (même si pour leur grande majorité, les voisins <a href="http://www.slate.fr/france/86391/non-intervention-agression">n’interviennent pas</a>).</p>
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<p>« Alors séparée en attente du divorce, j’ai déménagé temporairement plus loin, mais dans un lieu isolé hélas ! Je recevais un couple d’amis, il surveillait du coin de la rue. Il a attendu que je me retrouve seule. Il a tout détruit chez moi, et ensuite m’a tapée jusqu’à me laisser inconsciente sur le sol et est reparti par la fenêtre. Personne ne l’a vu ni entendu les cris ! Mes enfants (1 et 2 ans) dormaient dans la pièce d’à côté. Je les ai réveillés en pleine nuit et suis partie avec eux… ».</p>
</blockquote>
<p>À ce risque d’isolement s’ajoutent les difficultés qu’ont les femmes à réunir des témoignages, avec parfois des alliances entre voisins et familles pour décrédibiliser la parole de la femme, quand ce n’est pas la peur des représailles qui empêche de prendre parti et de témoigner. À l’instar du <a href="http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-060-1-notice.html">rapport du Sénat</a>, la présence d’armes, omniprésente, intensifie la peur des victimes et de l’entourage (proches comme voisins).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-casse-tete-de-la-dependance-automobile-en-zones-peu-denses-168902">Le casse-tête de la dépendance automobile en zones peu denses</a>
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<h2>Des néo-rurales ostracisées</h2>
<p>On observe ici deux types de femmes en milieu rural : celles qui sont natives et connaissent tout le monde, et celles qui ont quitté leurs proches pour suivre leur compagnon, qui lui, connaît tout le monde. De manière différente, le piège se referme sur les deux catégories.</p>
<p>La moitié des femmes interrogées ont tout quitté pour vivre avec leur compagnon en milieu rural : amis, entourage, famille, spécialistes, parfois même leur emploi, avec l’espoir d’en retrouver. Aucune des femmes interrogées n’a pu retrouver un emploi et toutes se sont très vite retrouvées isolées et extrêmement dépendantes de leur conjoint. La situation après le départ peut perdurer lorsque la personne retourne auprès de ses proches éloignés car les moyens de pression peuvent persister, comme en témoigne cette dame de 42 ans :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai vécu 13 ans avec mon ex-conjoint que j’ai rejoint à la campagne, loin de ma famille. Ça a commencé par l’isolement de ma famille, mes amis, qui étaient très loin puis une gifle, puis les brimades verbales, le chantage affectif, j’ai connu les rapports non consentis, les pratiques sexuelles non désirées, si je ne me donnais pas à lui, c’est les enfants qui prenaient des coups. Un jour, je me suis interposée entre lui et mon aîné, et j’ai pris le coup. Ça m’a décidée à partir. Depuis, après un divorce catastrophique où il a tout fait pour récupérer les enfants, j’en bave toujours. Mes enfants sont à 600 kilomètres de moi, et je suis toujours à sa merci pour les trajets, il valide les dates au dernier moment, fait du chantage pour les conduire à l’aéroport, m’obligeant à acheter les billets les plus chers… Sept ans de divorce et toujours pas en paix… »</p>
</blockquote>
<p>Ces témoignages montrent l’extrême violence et l’isolement que subissent ces femmes. Arrivant « d’ailleurs » pour reprendre un vocable récurrent, elles sont très vite isolées par leur conjoint, mais aussi souvent ostracisées par les riverains, car « tout le monde se connaît » et « tout le monde » prend le parti du conjoint « que tout le monde connaît » ainsi que sa famille.</p>
<p>Certaines femmes ayant un habitus urbain sont parfois même insultées et si elles ont le malheur d’en parler à un entourage/voisinage, le conjoint est aussitôt prévenu. C’est ce qui explique que ces dernières préfèrent se rendre directement à la gendarmerie pour déposer plainte lorsqu’elles ont des enfants, ou fuir lorsqu’elles n’en ont pas.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vers-un-tournant-rural-en-france-151490">Vers un tournant rural en France ?</a>
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<h2>Des rurales qui connaissent tout le monde et que tout le monde connaît</h2>
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<p>« Tout le monde le connaissait et tout le monde le trouvait merveilleux ! J’ai déménagé ailleurs avec ma mère car tout le monde le défendait ! »</p>
</blockquote>
<p>Pour les femmes originaires de la même commune que leur compagnon, elles subissent aussi des pressions familiales avec parfois une connivence de certains représentants des institutions qui côtoient l’auteur :</p>
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<p>« Ma sœur avait déposé plainte mais l’auteur des faits n’a rien pris. Les gendarmes le connaissaient bien et le défendaient. Je déplore toutes ces incitations aux victimes à déposer plaintes quand on voit comment c’est traité derrière ! »</p>
</blockquote>
<p>Ces femmes consultent <a href="https://journals.openedition.org/sds/1686">aussi peu ou pas de spécialistes</a> en raison d’une part d’un manque criant de médecins dans les zones rurales, mais aussi de <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2021/2021_10_parcours_soin_psychiatrie.pdf">la stigmatisation du suivi psychologique</a> (« je ne suis pas folle »), un point récurrent en <a href="http://theses.unistra.fr/ori-oai-search/notice/view/uds-ori-101236?height=500&width=900">milieu rural</a>. Ainsi, beaucoup de femmes restent seules avec leur traumatisme, même après une séparation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/contraindre-ou-inciter-lepineuse-gestion-des-deserts-medicaux-167955">Contraindre ou inciter, l’épineuse gestion des déserts médicaux</a>
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<h2>Stéréotypes sexistes très ancrés</h2>
<p>Les entretiens menés ainsi que les réponses au questionnaire montrent par ailleurs un profond ancrage des rôles sexués entre les femmes et les hommes. Si ces derniers concernent <a href="https://journals.openedition.org/osp/8510">tous les territoires</a>, en milieu rural, il apparaît plus accentué.</p>
<p>Certains hommes considèrent ainsi que la place de la femme est dans son foyer, très peu autorisée <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-1-page-178.htm">à investir l’espace public</a>, en dehors des courses et des enfants.</p>
<p>Tout écart de comportement est noté : comme l’indique la chercheuse <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-1-page-57.htm">Clémentine Comer</a> « les formes d’interconnaissances existantes dans le monde rural peuvent contribuer à enfermer la femme dans la cellule conjugale », permettant un <a href="http://www.jstor.org/stable/40619">contrôle des femmes</a> plus important qu’ailleurs.</p>
<p>Enfin, cette difficulté à préserver l’anonymat en milieu rural pèse aussi sur la libération de la parole. Lorsque certaines femmes victimes de violences sont obligées de rester dans la même commune après la séparation, elles peuvent basculer de l’isolement à la solitude et à l’ostracisme.</p>
<h2>Une relégation étatique ?</h2>
<p>Les préconisations issues de cette recherche prennent majoritairement en compte le contrôle social. Comme on l’a vu, il ne suffit pas d’avoir un permis de conduire et un véhicule pour penser la sortie de l’isolement, car le contrôle du conjoint renforcé par le contrôle collectif peuvent être la cause de ces empêchements. La <a href="http://eso.cnrs.fr/fr/manifestations/pour-memoire/faire-campagne-pratiques-et-projets-des-espaces-ruraux-aujourd-hui/les-solidarites-en-milieu-rural.html">solidarité observée dans ces territoires</a> peut parfois se retourner contre les victimes.</p>
<p>Par ailleurs, la politique d’attribution de logement social priorise les personnes qui ont un emploi près des <a href="https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_2003_num_17_4_1473">centres urbains</a>, éloignant encore plus celles éloignées de l’emploi en prenant en compte les revenus d’activité et <a href="https://onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Travaux2003-2004-2-1-3-logement_menagespauvres-Driant.pdf">« la solvabilité des ménages »</a>. Il serait souhaitable d’effectuer des régimes d’exception afin de faciliter le parcours de sortie des violences, car certaines femmes interrogées finissent par se résigner, sans autre aide extérieure.</p>
<p>À l’issue de cette recherche, une analogie peut être établie entre l’isolement géographique, et l’isolement étatique, qui peut être comparable avec la relégation opérée dans les quartiers prioritaires de la ville. Néanmoins, on relève un élément supplémentaire pour les femmes victimes de violence en milieu rural : l’isolement moral. En effet là où l’on observe une forme de solidarité <a href="https://www.academia.edu/42832679/Femmes_des_quartiers_populaires_%C3%A0_l%C3%A9preuve_du_racisme_du_sexisme_et_des_discriminations">entre femmes dans les quartiers prioritaires de la ville</a>, la solidarité en milieu rural isole et renforce une <a href="https://metropolitiques.eu/Celles-qui-restent-jeunes-filles-en-milieu-rural.html">certaine culture du silence</a>.</p>
<p>Les recherches demeurent embryonnaires sur ce sujet en France, contrairement par exemple <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ref/2016-v22-n2-ref02947/1038975ar">au Canada</a> ou <a href="https://www.nationalruralcrimenetwork.net/news/captivecontrolled">au Royaume-Uni</a>. L’état, dans une logique d’équité territoriale, devrait être davantage présent sur <a href="https://www.lafranceagricole.fr/actualites/egalite-41-projets-contre-les-violences-faites-aux-femmes-en-milieu-rural-1,3,1563819947.html">ces territoires</a> surtout au regard du fait que la précarité financière vient par ailleurs fragiliser la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-la-lcd-lutte-contre-les-discriminations-2020-3-page-87.htm">situation de femmes en milieu rural</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette recherche a été effectuée en tant que directrice de recherche pour l'Observatoire Régional des violences sexistes et sexuelles de Nouvelle-Aquitaine, soutenu par l'état et la Région Nouvelle-Aquitaine. </span></em></p>Les habitantes en milieu rural cumulent les facteurs de risque d’agression. Résultats d’une enquête inédite en Nouvelle-Aquitaine.Johanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1896092022-09-01T17:48:05Z2022-09-01T17:48:05ZZones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?<p>À la suite des élections présidentielle et législatives de 2022, de nombreux commentateurs ont mis en avant le clivage entre les ruraux et les urbains pour rendre compte des résultats du vote. Ce discours médiatique est produit principalement par des commentateurs qui pointent depuis des années, cartes à l’appui, le fossé – croissant – entre le vote des grandes villes et le vote d’une <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">« France périphérique »</a>. Il y aurait une <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/jerome-fourquet-l-etat-de-la-france-d-apres-05-05-2022-2474389_32.php">opposition politique</a> entre une France des métropoles, multiculturaliste, gagnante de la mondialisation et une France éloignée des grands pôles urbains, perdante de la mondialisation, subissant un déclin industriel et économique.</p>
<p>Mais existe-t-il véritablement deux France opposées sur le plan électoral ? Si tel est le cas, l’origine de cette fragmentation est-elle essentiellement liée au contexte économique local ou à la composition de ces territoires ?</p>
<h2>Dispersion des populations selon les territoires</h2>
<p>Il est vrai que les cartes et les données sur les gradients d’urbanité semblent <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/04/13/50-cartes-pour-lire-le-premier-tour-de-la-presidentielle-de-2022/">corroborer cette hypothèse</a>. Cependant, d’autres géographes minimisent au contraire <a href="https://metropolitiques.eu/Apres-les-elections-geographies-plurielles-d-une-France-en-desequilibre.html">l’effet prédictif de cette opposition géographique</a>. Pour eux, derrière les espaces de vie, se cacherait une réalité sociale plus complexe de nature à impacter le vote.</p>
<p>En effet, certains politistes et géographes mettent en avant depuis des années le rôle de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2017-6-page-1041.htm">composition sociodémographique à un niveau très local</a> pour rendre compte du vote.</p>
<p>La variation du vote en fonction du lieu de vie lors des derniers scrutins serait d’abord le résultat d’une dispersion de <a href="https://blogs.univ-poitiers.fr/o-bouba-olga/tag/gradient-durbanite/">populations dotées de certaines caractéristiques</a> comme l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle, l’âge, le niveau de diplôme ou le revenu. Le lieu de vie ne serait alors que l’arbre qui cache la forêt.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Une nouvelle classification des communes</h2>
<p>Pour contribuer à cette discussion, nous utilisons une <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">nouvelle typologie de l’Insee</a> (2020) qui répartit les communes en six territoires.</p>
<p>Elle distingue les communes rurales – soit 33 % de la population – en quatre catégories suivant leur densité et leur dépendance à un pôle d’emploi correspondant à une aire de plus de 50 000 habitants. Celle-ci est mesurée par les trajets domicile-emploi. Deux catégories du rural correspondent à la péri-urbanité (dépendant d’un pôle d’emploi) et deux à la ruralité <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">(autonome)</a>.</p>
<p>Par exemple, en région parisienne, dans le département des Yvelines, Versailles est classée comme de l’« urbain dense », Rambouillet comme de « l’urbain intermédiaire », Montfort l’Amaury comme du « rural sous forte influence d’un pôle » (donc du péri-urbain), et il faut aller plus à l’Ouest, dans l’Eure-et-Loir pour trouver des communes rurales sous faible influence d’un pôle ou autonomes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-r-comme-ruralite-159848">« Les mots de la science » : R comme ruralité</a>
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<h2>Deux espaces de compétition électorale</h2>
<p>En croisant cette typologie avec le score des principaux candidats au premier tour de l’élection présidentielle obtenu au niveau des communes, nous constatons qu’il existe deux espaces de compétition électorale distincts en France : celui des communes à dominante urbaine et les autres – rurales et péri-urbaines (cf. figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Score des principaux candidats au premier tour de l’élection présidentielle par zone de résidence (moyenne de l’ensemble des communes par catégorie)" src="https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=328&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/481812/original/file-20220830-33445-95ihm2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=412&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1 – Score des principaux candidats au premier tour de l’élection présidentielle par zone de résidence (moyenne de l’ensemble des communes par catégorie).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022 -- Résultats définitifs du 1ᵉʳ tour ; ANCT, Observatoire des territoires, Catégories du rural et de l’urbain(https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/categories-du-rural-</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans les grandes villes et leur proche couronne, la compétition s’est jouée entre Emmanuel Macron – qui y a fait ses meilleurs scores – et Jean-Luc Mélenchon. On retrouve Marine Le Pen loin derrière les deux premiers candidats dans ces territoires. La compétition prend une autre forme dans la péri-urbanité et la ruralité puisque le premier tour s’est joué, quant à lui, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.</p>
<p>Le Président sortant a récolté moins de suffrages à l’extérieur des communes denses, tout en se maintenant à un niveau relativement élevé, mais plus faible que celui de sa rivale. La candidate du RN a obtenu ses meilleurs scores dans les communes rurales sous faible influence d’un pôle urbain. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a vu son score baisser drastiquement de 10 points de pourcentage hors des communes urbaines denses.</p>
<p>Ce fossé électoral entre l’urbain dense – dans lequel résident 37,9 % des Français – et le reste des espaces est souvent expliqué par des variables socio-économiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-vote-metropolitain-et-ses-fractures-lexemple-de-montpellier-181188">Le vote métropolitain et ses fractures : l’exemple de Montpellier</a>
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<h2>Un déclassement social et économique ?</h2>
<p>Selon plusieurs hypothèses, certains territoires auraient été <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">délaissés</a> par les pouvoirs publics et les investisseurs privés qui leur préféreraient les « villes-monde ». Derrière ce que l’on présente parfois comme le <a href="https://www.revuepouvoirslocaux.fr/fr/article/periurbain-le-choix-n-est-pas-neutre-617">choix individuel</a> d’habiter dans la péri-urbanité, se cacherait en réalité un double déclassement social et culturel : ces habitants résideraient dans les espaces péri-urbains en raison de la contrainte économique imposée par l’augmentation du coût des loyers dans les métropoles et par une <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">stratégie d’évitement</a> de certaines populations issues de l’immigration. Tout ceci générerait un mécontentement social qui se traduirait dans les urnes avec une plus grande propension à voter pour des partis protestataires.</p>
<p>La limite de ces explications a été cependant mise en évidence par l’économiste <a href="https://livre.fnac.com/a15606204/Laurent-Davezies-L-%C3%89tat-a-toujours-soutenu-ses-territoires">Laurent Davezies en 2021</a>. Selon lui, la France, un état centralisé, investit massivement dans ses territoires et assure une solidarité fonctionnelle. Les métropoles contribuent plus au budget de l’état qu’elles ne reçoivent et inversement les territoires ruraux sont des nets bénéficiaires de l’argent public.</p>
<p>Bien que la mondialisation, puis la crise économique de 2008, aient <a href="https://journals.openedition.org/lectures/14875">affecté de manière disproportionnée</a> les territoires loin des grandes agglomérations, il nous semble ainsi exagéré de parler d’« abandon » ou de prendre quelques cas de délocalisations d’entreprises pour généraliser une opposition binaire entre une France heureuse et une France malheureuse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-peripherique-abstention-et-vote-rn-une-analyse-geographique-pour-depasser-les-idees-recues-175768">« France périphérique », abstention et vote RN : une analyse géographique pour dépasser les idées reçues</a>
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<h2>Pas de gouffre territorial sur le plan économique</h2>
<p>La lecture de données économiques et sociales par catégories d’habitation nous invite aussi à être dubitatifs face à la thèse opposant deux France (cf. tableau 1 ci-dessous).</p>
<p>En effet, on constate que c’est dans les grandes villes (urbain dense) que le niveau du revenu médian est le plus élevé, mais qu’il ne diffère pas de manière importante des communes des espaces péri-urbains. Néanmoins, il existe un écart relativement important entre les espaces ruraux éloignés des grands pôles urbains et celui de l’urbain dense – 3000 euros par an.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Indicateurs socio-économiques par catégorie d’habitation (moyenne par commune)" src="https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=208&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=208&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=208&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=261&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=261&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482067/original/file-20220831-4982-9t9z6y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=261&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tableau 1 – Indicateurs socio-économiques par catégorie d’urbanisation (moyenne par commune).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Insee, Statistiques locales -- Indicateurs : cartes, données et graphiques et ANCT, L’Observatoire des Territoires (observatoire-des-territoires.gouv.fr). Données téléchargées le 10/08/2022</span></span>
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<p>De même, le taux de chômage est plus élevé dans les espaces urbains que péri-urbains ou ruraux. Le taux d’emploi précaire est le plus faible dans la péri-urbanité, le plus élevé dans les zones rurales autonomes, mais l’écart avec les villes n’est pas immense (deux à trois points de pourcentage). Il y a un certain écart dans le niveau de création d’entreprises, mais là encore, pas de gouffre territorial. La part des familles monoparentales, indicateur parfois utilisé pour <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/le-puzzle-francais-un-nouveau-partage-politique/">mesurer l’exclusion sociale</a>, est plus importante dans les grandes villes par rapport aux communes rurales. Enfin, le nombre d’allocataires du RSA est plus élevé dans les grandes villes que dans les communes péri-urbaines ou rurales, sauf dans les communes peu denses et éloignées des pôles d’emploi.</p>
<p>La fracture territoriale qu’on observait dans les urnes ne semble pas se retrouver sur le plan économique et social, à la lecture des données ci-dessus. De manière générale, ce ne sont pas les espaces où le RN a fait son meilleur score (péri-urbanité) que la situation économique et sociale est la plus dégradée (cf. tableau 1 ci-dessus).</p>
<p>Par exemple, dans le département du Nord, Marine Le Pen obtient de bien meilleurs scores dans les zones péri-urbaines (37 % dans le rural sous faible influence d’un pôle) où le revenu médian est plus élevé et le chômage plus faible que dans les grandes villes du département (22 100 euros vs 20 800). En effet, son score est plus faible dans les grandes villes du département comme Lille (12 %), Dunkerque (30 %), Douai (28 %) ou Valenciennes (25 %).</p>
<h2>Rester prudent face aux discours ambiants</h2>
<p>La présentation de ce faisceau d’indicateurs nous invite donc à considérer avec prudence les discours opposant une France bien lotie des villes d’un côté, et une France abandonnée des campagnes et de la péri-urbanité de l’autre. Un sondage pilote réalisé dans le cadre du projet dont nous faisons partie, <a href="https://www.norface.net/project/rude/">« Rural Urban Divide in Europe »</a> (RUDE), indique également que les ruraux et les péri-urbains sont plus satisfaits de leur lieu de vie que les urbains (87 % des ruraux sont d’accord avec l’affirmation « mon lieu de vie me rend heureux » contre 72 % des urbains).</p>
<p>Alors, si l’écart dans l’attitude électorale des citoyens issus d’espaces géographiques divers ne se fonde pas principalement sur le contexte économique et social, d’où pourrait-il provenir ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">Coq Maurice et autres « bruits de la campagne », une vision fantasmée de la ruralité</a>
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<h2>Une politique du ressentiment</h2>
<p>Il nous semble que la <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03393105">crise des « gilets jaunes »</a> dont les premières manifestations étaient concentrées dans la France du péri-urbain et des villes moyennes, a mis en lumière au sein de cette population le sentiment d’être laissée pour compte et loin des prises de décision.</p>
<p>Un sondage pilote sur un échantillon restreint mené dans le cadre du projet « RUDE » nous invite à développer cette hypothèse (<em>cf. Figure 2</em>).</p>
<p>Même s’il n’y a pas d’écarts socio-démographiques flagrants entre les villes d’un côté, et les communes péri-urbaines et rurales de l’autre, en termes de niveau de vie, il y a un écart de perception au niveau du ressentiment de ces populations vis-à-vis des urbains. Dans la lignée des <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/P/bo22879533.html">travaux pionniers de Katherine Cramer</a> sur la polarisation entre les électeurs ruraux et urbains du Wisconsin, on pourrait parler dans le cas français ce qu’elle décrit comme une « politique du ressentiment ».</p>
<p>Celle-ci prend quatre formes : la conscience d’appartenir à un lieu de vie spécifique et distinct des autres, le sentiment d’être moins bien doté en ressources publiques que les autres, d’avoir moins d’attention de la part des décideurs politiques, et de ressentir que son mode de vie n’est pas respecté par les élites urbaines. Le second graphique présente l’opinion des répondants à un sondage pilote en fonction de leur auto-identification à un lieu de vie.</p>
<p>Les réponses font apparaître, chez les personnes issues des zones rurales, un plus grand sentiment d’appartenance à leur zone géographique : sept ruraux sur dix déclarent avoir des valeurs similaires aux autres ruraux, seulement cinq sur dix pour les urbains. Les trois quarts des ruraux considèrent que les enjeux qui touchent leur lieu d’habitation sont ignorés par les responsables politiques, soit moitié plus que les urbains. L’écart est encore plus prononcé sur la question des ressources publiques : 84 % des ruraux considèrent qu’ils sont les derniers à profiter des dépenses publiques contre 31 % des urbains. Enfin, il existe un fort sentiment chez les ruraux que leur mode de vie n’est pas respecté par les urbains. La réciproque n’est pas vraie, seul un quart des urbains ont le sentiment que les ruraux ne respectent pas les spécificités liées à leur mode de vie.</p>
<h2>Prendre en compte la perception des individus</h2>
<p>Cette brève analyse de données descriptives ne clôt aucunement le débat sur le lien entre les lieux de vie et le vote et ne fournit pas une « preuve » que la composition socio-économique des territoires n’influe aucunement le comportement politique des électeurs à un niveau plus localisé. Elle invite à prendre en considération d’autres pistes d’explication. Elle montre l’utilité, en complément des cartes, de recourir aux données mises à disposition par l’Insee au niveau des communes, mais également à des enquêtes d’opinion prenant en compte l’appartenance objective et subjective à un lieu, pour comprendre les dynamiques électorales.</p>
<p>Surtout, elle nous invite également à prendre au sérieux le clivage entre l’urbanité d’un côté et la ruralité et la péri-urbanité de l’autre en y intégrant une dimension éminemment subjective : la perception que les individus ont de leurs intérêts et de leur situation locale par rapport à celle des autres.</p>
<p>La mise en évidence de ce clivage dans les représentations peut non seulement constituer une variable explicative du comportement électoral, mais potentiellement une source d’explication de la crise de la confiance dans la démocratie libérale que l’on observe depuis maintenant des années.</p>
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<p><em>Marion Mattos, Étudiante en Master « Progis », Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes, a contribué de manière significative à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189609/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevin Brookes a reçu des financements de l'ANR "The rural-urban divide in Europe – RUDE" coordonnée par l'agence européenne NORFACE. </span></em></p>L’origine de la fragmentation du vote est-elle essentiellement liée au contexte économique local ou à la composition de ces territoires ?Kevin Brookes, Post-doctorant à Sciences Po Grenoble - Laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1809242022-04-26T19:48:50Z2022-04-26T19:48:50ZAu volant à 20 ans : la conduite, un rite initiatique et citoyen<p>Sur la route, les jeunes sont-ils les héritiers de leurs parents ? En clair, reproduisent-ils forcément les comportements qu’ils ont observés quand ils étaient enfants, depuis leurs sièges de passagers ? </p>
<p>Tiennent-ils compte des conseils qui leur sont prodigués quand ils prennent pour la première fois la route ? Par leur contenu ou leur forme, cette transmission familiale imprime sans doute en partie les attitudes des nouveaux conducteurs, leur procurant ou non le sens des limites, le souci de l’autre ou du respect des codes sociaux.</p>
<p>Cependant, l’influence parentale est loin de se donner en toute évidence. Dans l’enquête qualitative <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4833/les-jeunes-au-volant"><em>Les jeunes au volant</em></a> que nous venons de publier, la plupart des jeunes interrogés différencient la conduite de leur père et celle de leur mère, parfois en louant l’une au détriment de l’autre ou en les contestant l’une et l’autre. Certains reconnaissent avoir beaucoup appris à leurs côtés, même si les parents sont parfois perçus comme un peu dépassés et promoteurs de mauvaises habitudes.</p>
<h2>Transmissions croisées</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/les-jeunes-au-volant--9782749272085-page-17.html">La transmission n’est jamais linéaire</a> : en permanence un filtre affectif s’interpose entre les enfants et leurs parents, des identifications à l’un ou à l’autre, ou une volonté farouche de se distinguer… Le style contrasté des parents et l’ambivalence à leur égard font que le jeune se construit plutôt dans un bricolage intime où il est difficile de mêler les influences.</p>
<p>En outre, l’idée d’une transmission directe des parents vers l’enfant qui en ferait une sorte de miroir sans fin oublie que nous ne sommes pas immuables dans nos attitudes mais d’abord dans une relation spécifique à un moment particulier. Même quand le jugement sur la conduite des parents est positif et l’influence reconnue, trop de nuances, trop de variables viennent interférer.</p>
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<figcaption><span class="caption">1961 : Trop jeunes pour avoir une voiture ? | Archive INA.</span></figcaption>
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<p>La contradiction est banale des comportements enseignés par les parents mais contredits par leur pratique : « Fais ce que je dis mais pas ce que je fais ». Communication paradoxale qui amène le jeune à la réflexivité, à une position plus personnelle devant les situations. L’ambivalence règne et perturbe les approches trop simples qui feraient des enfants des clones de leurs parents en termes de conduite. Rouler avec les frères, les sœurs, les grands-parents, les oncles, les tantes, les amis, parfois les beaux-parents, etc., brouille également l’idée d’une influence parentale linéaire.</p>
<p>Les moniteurs jouent également un rôle important dans les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-territoriaux/sociologie-de-la-jeunesse-en-voiture">modalités de conduite</a> du jeune conducteur. Ils sont perçus comme des modèles supplantant largement les parents. Nombre de jeunes soulignent leur impact positif. Ils sont parfois l’objet de critiques, mais plutôt pour leur absence de pédagogie, d’écoute, leur rotation trop fréquente, voire leurs incivilités. D’autres jeunes se démarquent en toute conscience des modèles qu’ils ont eus sous les yeux et déclarent n’avoir aucun exemple de conduite.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/trouver-un-emploi-le-garder-et-gagner-sa-vie-les-attentes-des-jeunes-des-classes-populaires-149606">Trouver un emploi, le garder et gagner sa vie : les attentes des jeunes des classes populaires</a>
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<p>La conduite accompagnée est plébiscitée comme un métissage équilibré entre le sérieux et la rigueur des moniteurs d’auto-école, et l’implication trop affective, souvent conflictuelle des parents. À leurs yeux, elle relativise la conduite des uns et des autres, ils voient les différences d’approches de leur père et de leur mère, première source de recul réflexif, et plus tard celles des moniteurs. Ils sont en mesure de les comparer, de s’approprier les apprentissages qui résonnent le mieux en eux.</p>
<h2>Norme sociale</h2>
<p>La conduite automobile est toujours dépendante d’un contexte précis, elle ne se donne jamais comme un bloc univoque. Au volant, le jeune n’est pas le même selon les moments du jour, les circonstances de sa vie personnelle (s’il sort d’une fête après avoir bu ou rentre chez lui après une journée de travail, etc.), la présence ou non de passagers, les routes parcourues, son degré de vigilance à ce moment…</p>
<p>L’attention scrupuleuse au code de la route et à la civilité est parfois relâchée à cause d’un souci personnel, d’une urgence, d’un agacement, etc. Elle dépend de l’affectivité du moment (détente, colère, frustration, séparation, deuil…), de l’expérience de la conduite, de la présence ou non des autres à ses côtés, de l’urgence ou de la tranquillité du déplacement, du contexte matériel de la conduite (être resté longtemps coincé dans un embouteillage, conduire sous la chaleur, etc. Il n’existe pas de conduite tout à fait routinière mais des contextes de conduite qui amènent chacun à des variations de comportements.</p>
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<figcaption><span class="caption">En Savoie, les délais pour passer le permis de conduire explosent à cause de la crise du Covid-19 (France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, juin 2021).</span></figcaption>
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<p>Nul ne conduit éternellement de la même manière, mille données ne cessent d’interférer dans la relation à la route. L’usage du téléphone portable s’est répandu de manière fulgurante et massive chez les jeunes générations qui confessent dans leur majorité répondre au téléphone ou envoyer des SMS tout en sachant que leur conduite est dangereuse, mais l’objection est repoussée. « C’est plus fort que moi ».</p>
<p>Brevet de bonne citoyenneté, le permis est une norme sociale, validée par un examen qui mobilise un moment la presque totalité de la jeunesse. Tous souhaitent l’obtenir. Sans lui un individu reste dans un statut de mineur, il ne dispose pas de ce qui est considéré comme le droit le plus élémentaire de circuler à sa guise. Son obtention <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03245910/document">ouvre à une liberté de mouvement</a> et à celle de se mêler à la communauté. Elle revêt une valeur incontestable aux yeux des jeunes, signe statutaire renvoyant à la reconnaissance sociale d’une légitimité personnelle et d’un passage irréversible vers l’âge d’homme ou de femme.</p>
<p>Annoncé triomphalement aux membres de la famille, l’événement se fête souvent avec les proches traduisant sa valeur sociale unanime. Le permis est sans doute la dernière scansion symbolique majeure qui donne au jeune le sentiment d’avoir franchi un seuil et d’accéder à la cour des grands.</p>
<h2>Saturation urbaine</h2>
<p>Les jeunes conducteurs sont partagés sur l’usage de leur voiture et sur la liberté de circuler que leur octroie leur permis. Les jeunes ruraux roulent énormément car <a href="https://theconversation.com/le-casse-tete-de-la-dependance-automobile-en-zones-peu-denses-168902">ils n’ont guère le choix</a>. Certains utilisent leur voiture, même en ville, mais ils sont minoritaires au regard de ceux qui en ont un usage mesuré et qui ne la prennent que pour certains déplacements où elle leur semble nécessaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">David Le Breton, <em>Les jeunes au volant</em> (Editions ERES, 2022).</span></figcaption>
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<p>Pour eux, le train ou les transports en commun sont plus commodes, ils évitent les soucis de stationnement, les risques d’accidents ou de tôles froissées, le coût des assurances. Quelques-uns sont même férocement critiques, et voient la voiture comme un miroir aux alouettes, suscitant nettement plus de problèmes que d’avantages et coûteuse en assurance, en essence et en entretien, sans compter ses nuisances écologiques et les embarras de conduire en ville.</p>
<p>Les jeunes Parisiens confrontés à une saturation de la circulation automobile sont réticents à passer leur permis ou à conduire. Les embouteillages, la difficulté de se garer sont d’autant plus dissuasifs que le réseau des transports en commun leur suffit le plus souvent. À leurs yeux, le coût du permis et de l’entretien d’une voiture ne se justifie pas. Cependant, certains jeunes de banlieues plus lointaines n’ont pas le choix quand il faut se rendre au travail dans un lieu mal desservi ou quand le permis de conduire est exigé pour postuler à un emploi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180924/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Le Breton a reçu pour l'étude "Les jeunes au volant" des financements de la Fondation VINCI Autoroutes. </span></em></p>Le permis de conduire est l’un des derniers rites initiatiques vers l’âge adulte. Comment les jeunes vivent-ils cet apprentissage de la route à l’heure où se redéfinit la place de la voiture ?David Le Breton, Professeur de sociologie et d'anthropoligie, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1802592022-04-07T19:10:00Z2022-04-07T19:10:00ZPouvoir « vivre dignement », une doléance absente de la campagne présidentielle<p>À rebours des thèmes de la campagne présidentielle, les enquêtes d’opinion montrent de fortes attentes citoyennes sur des <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/six-priorites-francais-oubliees-campagne-presidentielle/00102291">questions de santé, d’emploi et d’environnement</a>.</p>
<p>Ce décalage ne peut que surprendre au regard des demandes exprimées lors du mouvement social des Gilets jaunes et du Grand Débat censé y répondre. Dès le mois de novembre 2018, des doléances sont recueillies par des Gilets jaunes sur <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-5-page-869.htm">les ronds-points et lieux d’action</a> de ce mouvement. Les maires ruraux de France <a href="https://www.amrf.fr/wp-content/uploads/sites/46/2019/01/Synth%C3%A8se-Globale-V2.pdf">reprennent cette initiative</a> entre le 8 décembre et le 11 janvier 2019.</p>
<p>Enfin, le gouvernement a demandé aux maires de laisser des cahiers d’expression libre entre le 15 janvier 2019 et le 15 mars, en parallèle du « Grand débat ». </p>
<p>Mais contrairement aux engagements pris par le chef de l'Etat, les entreprises privées qui ont numérisé une partie des contributions n'ont pas rendu<a href="https://lesjours.fr/obsessions/cahiers-doleances-grand-debat/"> ces fichiers publics</a>. La Bibliothèque nationale de France où ils seraient conservés n'a toujours pas donné l'accès aux équipes de recherche publique et les Archives nationales de France, qui ont les inventaires des fonds numérisés, ont refusé de nous les communiquer. Nous avons donc fait le choix de numériser et transcrire nous-mêmes ces cahiers de doléances dont les originaux sont conservés aux Archives départementales.</p>
<h2>Une recherche citoyenne</h2>
<p>L’ensemble des cahiers, hormis ceux tenus distinctement par des Gilets jaunes, a été versé en février 2019 aux services de la Préfecture puis classés et rendus accessibles aux Archives départementales, conformément aux règles en vigueur. Les Cahiers des Gilets jaunes étaient ouverts sur les ronds-points, tandis que ceux des maires ruraux ou du gouvernement étaient ouverts en mairie ou dans les permanences parlementaires et déposés aux archives du département.</p>
<p>C’est ainsi que notre équipe, composée de citoyennes et citoyens – Gilets jaunes ou non – et d’universitaires, a pu dépouiller l’intégralité des cartons communicables au public. Après anonymisation, numérisation et transcription des documents, nous avons obtenu un corpus de 1996 contributions étudiées à l’aide d’un logiciel libre <a href="http://iramuteq.org">IraMuteQ</a>. Cette analyse permet de distinguer des « classes » de mots, autant d’ensembles thématiques qui dessinent des sous-groupes d’attentes convergentes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456155/original/file-20220404-17-vx4fdo.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1030&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Archives départementales, [5999W92]</span>
<span class="attribution"><span class="source"> ANR GILETSJAUNES - Doléances</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L'examen des cahiers ouverts en Gironde où <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03622949">nous avons conduit nos recherches </a> révèle les demandes en matière de niveau de vie, de fiscalité, de service public ou encore de transition écologique, que nous avons désignées sous l'expression «pouvoir de vivre». Le terme de pouvoir d'achat focalise sur la consommation, or les doléances portent davantage sur la satisfaction de besoins que le désir de consommation et d'achat.</p>
<p>Nous avons mis en évidence l’importance de nombreuses préoccupations peu évoquées jusqu'à présent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/02/presidentielle-2022-comment-le-pouvoir-d-achat-a-redessine-la-fin-de-la-campagne_6120256_823448.html">dans la campagne électorale</a> à partir d’une enquête basée sur des méthodes <a href="https://giletsjaunes.hypotheses.org/480">quantitatives et qualitatives</a>. Dans les dix classes différentes que nous avons identifiées, le thème de la justice sociale apparaît majeur, confirmant <a href="https://www.sudouest.fr/gironde/blasimon/dans-les-cahiers-de-doleances-le-recit-d-une-fracture-sociale-2859219.php">les observations de maires et journalistes locaux</a>.</p>
<h2>La justice sociale au cœur des revendications girondines</h2>
<p>La revendication de pouvoir vivre dignement de son travail ou de sa retraite est la plus citée (15,4% du corpus). Elle passe par l’augmentation des salaires comme le propose cet homme de St Germain du Puch « Que le travail trouve sa juste rémunération » ; ou l’accès à l’emploi pour cette femme de Cenon « du travail en CDI pour les jeunes ». À Libourne, l’« augmentation du SMIC, même les ‘gens de rien’ ont besoin de vivre dignement » est réclamée. Un Audengeois demande aussi « l’indexation des retraites sur l’inflation ».</p>
<p>Les conséquences du désengagement de l’État dans les politiques sociales renforcent les inégalités. La prise en charge de la dépendance par des groupes privés pose question pour cette Blanquefortaise « La vieillesse n'est pas une notion qui s'achète. Les EHPAD devraient tous être en loi 1901 ». « La santé voit ses moyens diminuer drastiquement. Il n'y a pas d'économie à faire sur la santé » pour ce couple d'Audenge.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/prise-en-charge-des-personnes-agees-quel-role-pour-les-departements-177410">Prise en charge des personnes âgées : quel rôle pour les départements ?</a>
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<p>Le pouvoir de vivre aborde aussi la solidarité. Ainsi cette demande de Blaye sur la « revalorisation des salaires, des retraites, des pensions d’invalidité et de reversion ». La doléance de cette mère de famille de Blaye reflète le besoin de solidarité envers les personnes ou leurs proches en situation de handicap : </p>
<blockquote>
<p>« Je demande juste de pouvoir vivre dignement avec notre salaire et avoir un peu plus de moyens et encadrement pour les familles, comme moi, qui ont un enfant en situation de handicap ».</p>
</blockquote>
<p>Alors que le quinquennat s’est ouvert sur <a href="https://www.huffingtonpost.fr/christophe-robert/macron-sest-engage-a-atteindre-lobjectif-zero-sdf-mais-la-realite-est-tout-autre-pour-les-personnes-sans-abri_a_23495350/">la promesse</a> de reloger les personnes <a href="https://theconversation.com/a-paris-les-personnes-sans-domicile-et-en-situation-de-handicap-exclues-de-lurgence-sociale-170999">sans abris</a>, cette autre femme de Parempuyre va plus loin et demande de « construire de nouveaux centres d’accueil temporaire des SDF […] car la France doit être le pays des droits de l’homme et montrer l’exemple ». </p>
<p>L’accès au logement est évoqué régulièrement, comme à Montussan où on plaide pour « le rétablissement et l'extension de l'encadrement des loyers pour accéder à un toit dans des conditions décentes ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">Portrait(s) de France(s) : Alerte sur l’aggravation des inégalités françaises</a>
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<h2>Mieux répartir la fiscalité pour mieux redistribuer</h2>
<p>La fiscalité (13,1% du corpus) constitue un des leviers de la justice sociale. Dans les doléances, la suppression de l’ISF est un symbole très fort de l’injustice ressentie. Ce Blayais demande comme beaucoup d’autres « le rétablissement de l’ISF ». On dénonce l’évasion fiscale des grandes entreprises qu’il « faut combattre avec férocité au lieu de s’attaquer aux classes pauvres et moyennes » pour cet homme de Bouliac et l’absence de solidarité des plus fortunés. </p>
<p>Sur le rond-point d’Audenge sur le Bassin d'Arcachon, les Gilets jaunes étaient mobilisés et ont recueilli des doléances. On propose la « Suppression du CICE qui avantage fiscalement les grandes sociétés », de « Taxer les dividendes à la source, les plus- values boursières, les GAFA. Lutter contre les paradis fiscaux ». Se profile une conscience de classe : « Est-il légitime que les méga riches (+ de 10M€ de biens, capitaux, actions etc) participent de moins en moins au pot commun ? Ce qui implique une participation plus importante des couches sociales inférieures » pour cet anonyme de Blaye. </p>
<p>La justice fiscale est indissociable de la question environnementale pour cette personne de 74 ans à Saint-Ciers-sur-Gironde, qui évoque la « nécessité de maintenir une fiscalité écologique pour financer la transition énergétique et lutter contre le réchauffement climatique en mettant en pratique le principe pollueur. Certaines contributions proposent de manière très détaillées des mesures concrètes et témoignent d'un connaissance approfondie de certains sujets, sans qu'il soit possible de déterminer l'origine de ces informations - expertise professionnelle, savoir militant, information lues dans la presse ou en ligne. L’augmentation des dépenses contraintes et des prélèvements (CSG) est perçue comme une injustice : « restituez-nous la CSG que vous nous avez indûment prélevée » écrivent ce Mérignacais et cette Cubzacaise. Le même grief est formulé à l’encontre de la TVA, « le taux de TVA n’est pas juste, trop élevé pour les produits de première nécessité, pas assez haut sur les produits de grand luxe » écrit une personne de Gradignan.</p>
<h2>Développer les services publics</h2>
<p>Les services publics doivent pallier <a href="https://objectifaquitaine.latribune.fr/politique/2019-02-26/bordeaux-metropole-la-gironde-et-les-gilets-jaunes-807395.html">aux inégalités sociales et territoriales(14% du corpus)</a>. À Artigues, on enjoint de continuer à: </p>
<blockquote>
<p>« financer l’éducation, la santé, la sécurité […], la justice, la recherche, les arts, la culture, le service public est le vrai moyen pour niveler les inégalités sociales ». </p>
</blockquote>
<p>Leur privatisation inquiète cet homme de Le Temple « Arrêt des privatisations des services publics »,tout autant que leur disparition pour cette personne d'Avensan « Par pitié maintien des services publics ». Ils concernent aussi l’aménagement du territoire « Recréer les Services Publics pour que ne meurent pas les petites communes et villes moyennes » suggère ce Blayais, pointant la disparité entre métropole et ruralité. Le pouvoir de vivre s'exprime aussi par le souhait d’une « vraie démocratie participative, écologique et sociale pour l'avenir de nos enfants sur la planète Terre »(St Girons d'Aigues Vives).</p>
<p>Certaines de ces demandes appartiennent aux revendications habituelle de la gauche - la défense des services publics, la défense de l'impôt comme instrument de redistribution ou le développement des transports publics. D'autres sont spécifiques au mouvement des Gilets jaunes et transcendent le clivage gauche/droite, comme le Référendum d'initiative citoyenne, la reconnaissance du vote blanc, repris dans différents programmes électoraux en 2022. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« Gilets jaunes » : quelle démocratie veulent-ils ?</a>
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<h2>Où sont les doléances dans la présidentielle ?</h2>
<p>Aujourd'hui, ce n'est qu'au terme d'une campagne jugée atone et démobilisante, que la question centrale du pouvoir de vivre apparaît dans les programmes, confirmant le scepticisme des citoyennes et citoyens. </p>
<p>Tout en participant aux «cahiers de doléances», ils étaient partagés sur l’efficacité de la démarche. Les <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-alerte-sur-laggravation-des-inegalites-francaises-175539">inégalités se sont creusées</a> et l’exécutif est loin d’avoir satisfait cette demande de « pouvoir de vivre ». En revanche, s’exprimait une confiance plus forte dans les maires pour écouter les attentes: « Merci de m’avoir lu, votre tâche est difficile mais vous êtes les élus du peuple, nos représentants, faites nous honneur » enjoignait il y a trois ans ce Ruscadien.</p>
<p>La demande d'écoute de la part <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">des représentantes et représentants politiques</a> semble davantage satisfaite par les élus locaux du fait de leur plus grande proximité. A la veille de l’élection présidentielle, les personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de notre enquête ne peuvent que constater la difficulté des candidats et candidates à porter ces demandes et la faible attention médiatique sur certaines d’entre elles.</p>
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<p><em>Danielle & Gilbert Lefebvre, Stéphane Mestre, Marcel Guilhembet, membres d’On-the-Ric ont contribué à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180259/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Magali Della Sudda participe à l'équipe de recherche doléances - ANR GILETS JAUNES</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nicolas Patin participe à l'équipe de recherche doléances - ANR GILETS JAUNES.</span></em></p>Une enquête inédite auprès de membres des « gilets jaunes » et d’habitants en Gironde montre une forte demande citoyenne pour plus de justice sociale et écologique exprimée à travers le pouvoir de vivre.Magali Della Sudda, Politiste et socio-historienne, Sciences Po BordeauxNicolas Patin, Historien, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770762022-02-23T18:38:01Z2022-02-23T18:38:01ZAvec la Caravane de l’agroécologie au Sénégal : dans la zone des Niayes pour aborder la gestion de l’eau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/447076/original/file-20220217-13-1tomqg6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Irrigation à la lance à Mboro, dans la zone des Niayes. L'eau est mise sous pression grâce à une motopompe et déversée en abondance sur la parcelle.</span> <span class="attribution"><span class="source">Raphael Belmin / Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Pour sa première semaine d’itinérance, la <a href="https://theconversation.com/au-senegal-la-grande-caravane-de-lagroecologie-reprend-la-route-176575">grande caravane de la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal</a> (DyTAES) a parcouru la zone horticole des Niayes (située le long du littoral entre Dakar et Saint Louis) en s’arrêtant dans trois communes : Bambilor, Mboro et Thiès. Les populations consultées sont unanimes : il est urgent d’agir face au déclin des ressources hydriques.</p>
<p>Lundi 7 février 2022, l’équipe d’organisation s’est retrouvée à Bambilor, lieu de la première étape de la caravane. Tout le monde s’affaire dans une atmosphère joyeuse, après des mois de préparation à distance. Sous la tente, on déploie banderoles et kakémonos, on déballe les cartons de T-shirts et casquettes floqués aux couleurs de la caravane 2022.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447740/original/file-20220222-19-hfodfv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Retrouvailles dans la joie pour les caravaniers, à Bambilor. Ici, l’équipe de l’association Cicodev Afrique, organisatrice de cette première étape.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447085/original/file-20220217-21-1yuzijz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’équipe de l’ONG Eclosio, co-organisatrice avec Agrecol Afrique de l’étape de Thiès, découvre les T-shirts de la caravane.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Malgré l’excitation, un léger doute plane : y aura-t-il du monde pour cette journée de lancement ? Hasard de calendrier, la veille au soir, les Lions du Sénégal ont remporté leur première Coupe d’Afrique des nations. Le Sénégal tout entier vibre football et le président Macky Sall a fait de ce lundi un jour férié…</p>
<p>Mais la tente se remplit et le maire de Bambilor, Ngagne Diop, peut donner le go :</p>
<blockquote>
<p>« Tout le monde a le droit de bien manger, quel que soit son niveau de revenu […]. Nous allons pouvoir porter ce plaidoyer avec la DyTAES. »</p>
</blockquote>
<p>Se succéderont au micro les représentant·e·s du Conseil départemental de Rufisque, du ministère de l’Agriculture et de l’Équipement rural, du représentant des producteurs et de plusieurs organisations membres de la DyTAES. Des journalistes de la presse nationale sont au rendez-vous pour couvrir l’événement.</p>
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<span class="caption">De haut en bas et de gauche à droite : ouverture officielle de la caravane par le maire de Bambilor. Prise de parole de Selbe Faye, de la Calebasse verte, lors de l’étape de Thiès. Présentation de la DyTAES par Mamadou Sow, membre du Comité technique de la DyTAES au démarrage de l’étape de Mboro. Lors de la journée d’ouverture de la caravane, la presse nationale interviewe de Fatou Ndoye, représentante du Conseil départemental de Rufisque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad, Malick Djitte/Fongs</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Un moment crucial pour l’agriculture sénégalaise</h2>
<p>Bambilor constitue la première d’une série de 14 étapes au cours desquelles la DyTAES a entrepris de consulter les ruraux du Sénégal. Chaque étape se déroule sur 1 à 3 jours, émaillés de discours officiels, de conférences de presse, d’ateliers en salle et de visites de terrains.</p>
<p>À chaque fois, une soixantaine d’acteurs représentatifs d’un territoire sont rassemblés : agropasteurs, consommateurs, transformateurs, formateurs, chercheurs, élus, services techniques, médias locaux, ONG…</p>
<p>Cette caravane intervient à un moment crucial de l’agenda politique du pays. Le gouvernement étant en train d’élaborer le plan Sénégal émergent (PSE) vert, principal cadre qui va orienter l’action publique en matière d’environnement et d’agriculture pour les 15 prochaines années. La DyTAES, invitée à participer à la structuration de ce plan, compte s’appuyer sur cette campagne de consultation pour être force de proposition.</p>
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<span class="caption">Les travaux de groupe sont organisés pour recueillir des recommandations politiques opérationnelles pour alimenter plusieurs cadres de concertation : PSE Vert, Forum mondial de l’eau, COP15 sur la désertification. Le travail est axé sur 4 thématiques : la protection et la restauration des sols ; l’accès et gestion durable de l’eau ; la réintroduction de l’arbre dans les systèmes de production ; la réduction de la dépendance aux intrants chimiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<span class="caption">Dans les travaux de groupe, les participants commencent par identifier les options techniques et organisationnelles permettant de mieux gérer les ressources naturelles comme l’eau et les sols. Ils définissent ensuite, pour chacune des options proposées, les rôles et responsabilités de l’État et des acteurs locaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Au cœur des débats, l’avenir de l’eau dans les Niayes</h2>
<p>Les premières étapes de la caravane se sont déroulées à Bambilor, Mboro et Thiès, trois communes de la zone horticole des Niayes. Située entre Dakar et Saint Louis, cette bande côtière très peuplée est constituée de dunes et de dépressions inter-dunaires où se développent le maraîchage (oignon, pomme de terre, tomate, choux, etc.), l’arboriculture fruitière (mangue, agrumes, papaye, anacarde) et l’élevage de volailles et de petits ruminants.</p>
<p>En tant que premier bassin de production horticole du Sénégal, la zone des Niayes revêt une importance majeure pour l’économie et la sécurité alimentaire du pays.</p>
<p>Les témoignages recueillis ont mis l’accent sur les changements profonds qui questionnent la disponibilité et la qualité des ressources en eaux. La prolifération des forages entraîne une surexploitation des eaux souterraines et, par endroits, une avancée du biseau salin issu de la nappe maritime. À Mboro, Thierno Sarr, agriculteur, se souvient :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a vingt ans, cette cuvette maraîchère était encore une mare permanente. »</p>
</blockquote>
<p>Entre changement climatique, surpompage et pollution chronique, les agricultrices et agriculteurs des Niayes assistent impuissants à la disparition programmée de leur eau si précieuse.</p>
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<span class="caption">Le trou dans lequel se trouve cet agriculteur de Mboro est une mare asséchée depuis une dizaine d’années. À cause du surpompage, les producteurs maraîchers des Niayes doivent pomper de plus en plus profond pour atteindre la nappe phréatique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<span class="caption">Ces ouvriers agricoles de Mboro raccordent des tuyaux pour guider l’eau d’irrigation à travers la parcelle. L’eau est pompée dans la nappe superficielle, stockée dans un bassin de décantation puis mise sous pression grâce à une deuxième motopompe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<h2>Créer une émulation au niveau local</h2>
<p>Partout au Sénégal émergent des initiatives prometteuses, proposant des manières alternatives de produire, échanger et consommer. Fédérés autour de la caravane 2022, les acteurs de la DyTAES se sont fixé de répertorier, documenter et valoriser ces projets.</p>
<p>Lors des trois premières étapes de la caravane, des présentations orales et des visites de terrain ont été organisées pour mettre en lumière des projets innovants dans les domaines du maraîchage, de l’élevage, de la transformation et de la distribution des produits. Il s’agissait de présenter ces pionniers comme autant d’exemples à suivre pour créer une émulation au niveau local. Avec, pour objectif à terme, de faire apparaître des groupes autonomes comme autant de Dynamiques pour une transition agroécologique locale (DyTAEL).</p>
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<span class="caption">Visite par la DyTAES du périmètre maraîcher agroécologique de Pout Ndoff (région de Thiès) dont l’objectif est de freiner l’exode dans les territoires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<span class="caption">De haut en bas et de gauche à droite : visite d’une unité de transformation agroalimentaire pilotée par le groupe de femmes Takku Liguey, à Mboro. Centre polyvalent de promotion des personnes vivant avec un handicap à Mont-Rolland (Thiès), où sont formées des jeunes et des femmes à la fabrication de produits artisanaux et agroalimentaires, à la couture et à l’agroécologie. Au centre de formation Seddo Ndam à Darou Ndiaye (commune de Touba Toul), on forme des jeunes à la modernisation de l’élevage caprin et on les soutient dans leur projet d’installation. Visite du marché de producteurs bio du REFABEC à Thiès.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thierno Sall/Enda Pronat, Raphaël Belmin/Cirad</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Pour ses prochaines étapes, la caravane trace sa route vers le nord, en direction de la zone sylvopastorale à Linguére, puis dans la vallée du fleuve Sénégal à Podor. Dans ces territoires, le changement climatique et la pression anthropique déstabilisent le mode de vie des cultivateurs et des communautés d’éleveurs nomades.</p>
<hr>
<p><em>Marie-Liesse Vermeire (Cirad), Mame Farma Ndiaye Cissé (Isra), Banna Mbaye (Isra), Dienaba Sall Sy (Isra), Jean-Michel Sene (Enda Pronat), Laure Brun Diallo (Enda Pronat), Thierno Sall (Enda Pronat), Mamadou Sow (Enda Pronat), Fatou Diouf (Eclosio), Alice Villemin (Avsf), Malick Djitté (Fongs), Khady Thiané Ndoye (Cicodev Afrique) sont co-autrices et co-auteurs de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les trois étapes de la caravane mentionnées dans cet article ont été organisées par les membres de la DyTAES avec le soutien financier des projets Fair (Union européenne, AFD), Costea (AFD), Feeding urbanization (FAO), Yessal Sunu Mabye (CEDEAO, AFD), Apsu (Enabel, Union européene), programme Renforcer l’Agroécologie et la Résilience des Communautés d’Afrique de l’Ouest (Vibrant Village Fondation), Agenda Transformateur 2030 (Union européenne), Sewoh (MISEREOR), PMA/TAE (WFD). Raphael Belmin accompagne le développement de la DyTAES en tant que scientifique et photographe.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Liesse Vermeire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du 7 février au 12 mars 2022, la grande caravane de l’agroécologie fait le tour du pays pour rencontrer les populations rurales et développer d’autres façons de produire, échanger et consommer.Raphaël Belmin, Chercheur en agronomie, photographe, accueilli à l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA, Dakar), CiradMarie-Liesse Vermeire, Chercheuse en écologie du sol, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744122022-01-25T19:40:22Z2022-01-25T19:40:22ZComment les stéréotypes pèsent sur l’insertion des femmes non diplômées en milieu rural<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/441581/original/file-20220119-21-4pmv75.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C2%2C985%2C591&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur les postes dans le secteur de l'aide à la personne, les jeunes femmes non diplômées sont en concurrence avec des femmes titulaires de qualifications professionnelles.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le marché de l’emploi dans les <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100261570">territoires ruraux</a> est en mutation, avec une croissance du tertiaire et des <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3197469">postes peu qualifiés</a>. Un changement qui pourrait a priori laisser plus de place aux femmes non diplômées. Pourtant, leur insertion est bien loin de profiter de ce boom. Elles se retrouvent en fait confrontées à de nouvelles épreuves, qu’il s’agisse de concurrence dans l’accès à l’emploi ou d’indépendance financière dans le couple.</p>
<p>Plusieurs travaux soulignent ce constat : le chômage des jeunes femmes est <a href="https://institut-du-genre.fr/these/sauver-l-honneur-appartenances-et">jusqu’à deux fois plus important</a> que celui des hommes en milieu rural et les femmes sont plus touchées par des situations de pauvreté, avec une <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2017/2017_02_jeunesse_territoires_ruraux.pdf">insertion plus fragile et plus tardive</a>.</p>
<h2>Concurrence masculine</h2>
<p>Quels sont donc les freins à une participation plus grande des femmes non diplômées au marché de l'emploi en milieu rural ?</p>
<p>La première difficulté est celle de la concurrence masculine sur un marché encore très fortement marqué par une vision viriliste de l’emploi. En effet, les postes les moins qualifiés comprennent une forte proportion de postes d’exécution qui font appel – dans les représentations traditionalistes genrées – à des hommes plutôt que des femmes. La pénibilité du travail ou les tâches « manuelles » ou « physiques » sont souvent perçues comme masculines, même si les filles sont représentées parmi les candidats de cette frange la moins demandeuse en qualification par le diplôme.</p>
<p>En se penchant sur l’accès à l’emploi des classes populaires rurales, les sciences sociales se sont d’ailleurs <a href="https://cs.iut.univ-tours.fr/index.php?lvl=notice_display&id=249675">très largement concentrées</a> sur la situation des hommes, en laissant les femmes de côté. On parle ainsi bien plus volontiers de travailleurs ou d’ouvriers hommes en se concentrant sur des <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1982_num_87_1_2895">notions</a> comme le capital d’autochtonie (c’est-à-dire l’accès à certaines ressources locales par le fait d’être reconnu comme « quelqu’un du coin »), initialement perçu comme une notion masculine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1468491293760311298"}"></div></p>
<p>La grande difficulté de ces jeunes femmes est avant tout un problème de considération provenant d’une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/eloge_du_carburateur-9782707160065">opposition</a> entre postes « manuels » et postes « intellectuels ». En associant le domaine du masculin à une supposée plus grande capabilité physique on renforce les oppositions professionnelles genrées.</p>
<p>Ainsi, on favorise – plus ou moins tacitement – l’embauche des hommes à des postes perçus comme « manuels » (et donc « masculins »), comme chauffeur, ouvrier d’usine, ouvrier dans le bâtiment, mécanicien, là où les emplois tertiaires, et notamment ceux du service et du care, <a href="https://www.cairn.info/des-formations-pour-quels-emplois--9782707146939-page-221.htm">seront pensés</a> comme des postes destiné aux femmes.</p>
<h2>Concurrence de jeunes diplômées</h2>
<p>Malgré de timides changements vis-à-vis de l’aspect genré du recrutement, l’embauche resterait donc favorable aux hommes sur les postes non qualifiés classiques, dont le nombre tend à se stabiliser. Mais, comme mentionné plus haut, les espaces ruraux connaissent depuis les années 90 une progression de l’emploi tertiaire avec notamment une croissance des postes dans les services à la personne. Ces emplois étant traditionnellement associés à des représentations féminines, on pourrait penser qu’ils favorisent l’embauche de ces jeunes femmes non diplômées.</p>
<p>Or dans les domaines du « care » et des relations sociales, les attentes en matière de diplomation sont plus fortes qu’ailleurs. Les représentations genrées poussent donc ces candidates vers des domaines où postulent aussi des jeunes femmes titulaires de CAP, bacs pros, BTS ou encore licences pros. Ainsi, tenter son insertion dans le service à la personne, le domaine du soin ou encore la vente, c’est devoir faire face à une concurrence diplômée… quand la pratique d’une activité n’est tout simplement pas interdite par l’absence de diplôme, c’est le cas par exemple pour les emplois d’aides-soignantes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/travailleur-e-s-a-domicile-envisager-une-vraie-protection-au-dela-de-la-crise-134833">Travailleur·e·s à domicile : envisager une vraie protection au-delà de la crise</a>
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<p>Si les différences <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2018-2-page-87.htm">entre peu ou pas diplômés</a> dans le rapport à l’emploi s’amoindrissent, cela est bien plus vrai chez les hommes que chez les femmes. Cela ne veut bien entendu par dire que ces jeunes femmes non diplômées n’arrivent jamais à décrocher un poste ni même que les employeurs refusent toutes les candidatures féminines, mais qu’une épreuve genrée supplémentaire vient s’ajouter dans l’accès à l’emploi et la stabilisation professionnelle de ces jeunes femmes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460161050947600389"}"></div></p>
<p>En s’évinçant de ces filières où l’absence de diplôme est plus grave qu’ailleurs, ces femmes se dirigent fréquemment vers des situations de vulnérabilité socioéconomique puisque le plus bas niveau d’attente sur le marché de l’emploi rural est lui aussi genré.</p>
<h2>Une vulnérabilité exacerbée</h2>
<p>On voit que les stéréotypes de genre mettent les non-diplômées à la marge de postes que l’on considère comme masculins et les pousse vers des postes féminins où l’attente en matière de diplomation est plus importante.</p>
<p>Beaucoup, à la suite de successions d’échecs dans leurs tentatives d’insertion et de stabilisation dans l’emploi, finissent par se détourner du marché du travail ; souvent portées par une volonté de s’investir dans une « carrière de maternité » en attendant que la recherche d’emploi finisse par déboucher sur quelque chose.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sur-le-web-les-jeunes-meres-se-connectent-aux-autres-mais-restent-isolees-169769">Sur le web, les jeunes mères se connectent aux autres… mais restent isolées</a>
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<p>En s’installant avec un partenaire généralement plus âgé et déjà inséré professionnellement, beaucoup tombent alors dans un système de dépendance au conjoint pouvant amener à des <a href="https://www.cairn.info/revue-agone-2013-2-page-131.htm">situations de tension</a> voire d’enfermement autour du couple et de l’enfant pour la jeune femme n’ayant ni diplôme, ni expérience, ni revenu.</p>
<p>De plus, la maternité implique une tension temporelle forte et vient alors limiter encore plus leur employabilité. Ce n’est donc pas uniquement une question de difficulté face à l’emploi qu’implique cette épreuve de l’insertion professionnelle, mais également un principe de dépendance envers son conjoint pouvant – dans certains cas malheureux – engendrer isolement et vulnérabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174412/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les stéréotypes de genre mettent les non-diplômées à la marge de postes que l’on considère comme masculins et les poussent vers des postes où l’attente en matière de diplômes est plus importante.Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1700412022-01-16T17:14:59Z2022-01-16T17:14:59ZPortrait(s) de France(s) : Campagnes en tension<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/437994/original/file-20211216-25-snqokg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1908%2C1077&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Présidentielle 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock/Pexels/AFP/Pixabay</span></span></figcaption></figure><p><em>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous thématique réunissant articles inédits, cartographies et podcasts, pour aborder les grands enjeux de l’élection présidentielle de 2022.</em></p>
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<p><strong>L’édito de Cécile Détang-Dessendre</strong></p>
<p>Entre homogénéisation des modes de vie et spécificité des territoires vécus, des enjeux politiques prennent forme et des mouvements, à l’image de celui des « gilets jaunes », témoignent d’une fracture latente entre une France des villes et une France des champs.</p>
<p>Les inégalités d’accès au marché du travail et aux services publics, le vivre ensemble et le partage du territoire : autant de sujets qu’il faudra aborder les mois prochains dans la campagne présidentielle au risque de laisser un tiers des Français sur le bord de la route.</p>
<p>C’est cette ruralité que nous explorons dans la troisième livraison de notre newsletter spéciale « Portrait(s) de France(s) », toute dédiée aux grands enjeux de l’élection à venir.</p>
<p>« La campagne », « le rural », viennent tour à tour désigner un espace de production agricole, un lieu pourvu d’aménités naturelles ou encore un espace de relégation, loin des services publics et des marchés du travail dynamiques. Quel que soit le sujet abordé, éducation, activité et emploi, consommation ou encore aménagement du territoire, les chercheurs s’accordent sur un point, le pluriel s’impose et les espaces ruraux se différencient selon leur position dans l’armature urbaine, mais aussi selon leur trajectoire culturelle, économique et sociale.</p>
<p>D’après la définition des espaces ruraux de l’Insee de 2020, basée sur un critère de densité, ces espaces réunissent 88 % du territoire métropolitain et près de 33 % des habitants. L’intensité des <a href="https://theconversation.com/le-casse-tete-de-la-dependance-automobile-en-zones-peu-denses-168902">déplacements domicile-travail</a> précise l’influence urbaine dans leurs dynamiques. S’esquisse alors le portrait en mosaïque de ces territoires.</p>
<p>Même si le poids économique de l’activité agricole a fortement diminué, elle reste un marqueur des espaces ruraux, <a href="https://theconversation.com/comprendre-la-carte-de-la-france-agricole-168029">façonnant les paysages</a>. Il en va de même du secteur industriel, en perte de vitesse sur l’ensemble du territoire, mais résistant mieux dans les territoires ruraux. Ces deux activités structurent, au moins pour partie, les <a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">groupes sociaux des résidents</a>, leur sentiment d’appartenance à leur territoire et <a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-les-eleves-des-territoires-ruraux-manquent-ils-vraiment-dambition-161112">leurs attentes</a>.</p>
<p>L’ensemble de ces enjeux économiques et sociaux doit interpeller la classe politique pour construire une politique d’aménagement du territoire cohérente et ambitieuse.</p>
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<h2>Loin de « l’éternel paysan », la figure très paradoxale de l’agriculteur français</h2>
<p>Ni bourgeois, ni prolétaire, détenteur de ses moyens de production mais n’exploitant finalement que lui-même et/ou sa famille, l’agriculteur résiste à la polarisation sociale du capitalisme.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">>> Lire l’article</a></p>
<h2>Coq Maurice et autres « bruits de la campagne », une vision fantasmée de la ruralité</h2>
<p>Contrairement aux idées reçues, les conflits de voisinage comme celui, très médiatisé, autour du coq Maurice, ne sont pas si fréquents.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">>> Lire l’article</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C1911%2C1201&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424770/original/file-20211005-13-zoepjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les alternatives à l’automobile demeurent encore trop peu appliquées ou pensées notamment dans les zones rurales et périphériques.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/rue-confiture-ville-trafic-vue-3738298/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le casse-tête de la dépendance automobile en zones peu denses</h2>
<p>Dans les zones dites peu denses, plus des trois quarts des déplacements se font en voiture. Comment remédier à cette dépendance automobile ?</p>
<p><a href="https://theconversation.com/le-casse-tete-de-la-dependance-automobile-en-zones-peu-denses-168902">>> Lire l’article</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C14%2C4795%2C3422&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/402854/original/file-20210526-15-v91hoe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les jeunes ruraux sont souvent très attachés à leurs territoires et cherchent à préserver ces liens de proximité.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/woman-looking-up-smiling-135013/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
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<h2>Inégalités scolaires : les élèves des territoires ruraux manquent-ils vraiment d’ambition ?</h2>
<p>S’ils réussissent aussi bien en classe que les élèves des villes, les jeunes ruraux s’orientent moins souvent vers des filières sélectives. Faut-il y voir un réflexe d’autocensure ?</p>
<p><a href="https://theconversation.com/inegalites-scolaires-les-eleves-des-territoires-ruraux-manquent-ils-vraiment-dambition-161112">>> Lire l’article</a></p>
<h2>L’infographie</h2>
<iframe title="Trois exemples de spécialisation agricole" aria-label="Map" id="datawrapper-chart-NzZco" src="https://datawrapper.dwcdn.net/NzZco/6/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="674" width="100%"></iframe>
<p><a href="https://theconversation.com/comprendre-la-carte-de-la-france-agricole-168029">>> Lire l’article</a></p>
<h2>Le podcast</h2>
<iframe frameborder="0" width="100%" height="110px" style="overflow:hidden;" src="https://podcasts.ouest-france.fr/share/player_of/mode=broadcast&id=12775">Wikiradio Saooti</iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-610" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/610/72c170d08decb232b562838500852df6833297ca/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Portrait(s) de France(s), un rendez-vous thématique pour aborder les grands enjeux de la présidentielle 2022. Dans cet épisode, focus sur des territoires ruraux traversés de multiples tensions.Cécile Détang-Dessendre, Directrice de recherche en économie, InraeAmaël André, Professeur des universités, sciences de l’éducation, Université de Rouen NormandieAndré Torre, Directeur de recherche en économie à INRAE, AgroParisTech – Université Paris-SaclayCatherine Delarue-Breton, Professeure des universités, Université de Rouen NormandieFrédéric Héran, Économiste et urbaniste, Université de LilleGilles Laferté, Directeur de recherche en sociologie, InraeVincent Chatellier, Ingénieur de recherche à INRAE, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.