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sacré – The Conversation
2023-01-26T18:12:41Z
tag:theconversation.com,2011:article/197469
2023-01-26T18:12:41Z
2023-01-26T18:12:41Z
Pas touche à la Coupe du monde : quand le sacré s’invite sur le terrain de foot
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506157/original/file-20230124-27-30bymz.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C5%2C770%2C575&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En touchant le trophée, le chef lui fait-il perdre son caractère sacré? </span> <span class="attribution"><span class="source">Youtube, capture d'écran. </span></span></figcaption></figure><p>La Coupe du monde de football masculin 2022 s’étant conclue avec la victoire de l’Argentine, de nombreuses images de célébration ont été diffusées tant sur les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux. Parmi ces images, une séquence a défrayé la chronique. Nusret Gökçe (alias SaltBae pour les intimes des réseaux sociaux), célèbre chef cuisinier du restaurant SaltBae à Dubaï <a href="https://www.huffingtonpost.fr/sport/article/coupe-du-monde-apres-la-victoire-de-l-argentine-salt-bae-s-est-incruste-pres-de-messi-et-ca-s-est-vu_211841.html">s’est introduit sur le terrain</a> lors de la finale afin de se faire prendre en photo en tenant le trophée de la Coupe du monde, auprès de l’équipe nationale d’Argentine.</p>
<p>Pourquoi ces images ont-elles suscité tant de réactions ? Ce chef, habitué des controverses mais jusque-là très apprécié des footballers les plus célèbres, aurait-il commis une transgression de trop ?</p>
<p>Le processus de <a href="https://www.jstor.org/stable/40370102">« désenchantement du monde »</a> selon la fameuse expression de Max Weber, a conduit nos sociétés à une mise à l’écart de la religion et du sacré dans les affaires sociales. Cet exemple met néanmoins en évidence la présence et l’importance du « sacré », qui prend désormais d’autres formes, au sein de nos organisations contemporaines.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-saints-des-derniers-jours-influencent-le-management-mondial-193561">Comment les saints des derniers jours influencent le management mondial</a>
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<h2>Le trophée comme objet sacré</h2>
<p>Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, David Beckham, Ronaldinho <a href="https://ng.opera.news/ng/en/food/6ee26b7e74ab29a521827157d201a76a">et de nombreuses autres stars du football</a> se sont un jour rendus dans le très prisé restaurant de SaltBae à Dubaï. La popularité de ce chef cuisinier au sein de la communauté des footballeurs est indéniable. Pourtant, son entrée sur le terrain lors de la finale de la Coupe du monde a créé le malaise tant <a href="https://www.huffpost.com/entry/salt-bae-world-cup-argentina-lionel-messi_n_63a21c58e4b0aeb2ace82d47">auprès des supporters</a> qu’<a href="https://nybreaking.com/argentina-players-react-awkwardly-as-salt-bae-invades-world-cup-celebrations-after-win-over-france/">au sein même de l’équipe d’Argentine</a>. La FIFA a également réagi en <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/finale/coupe-du-monde-2022-la-fifa-ouvre-une-enquete-sur-la-presence-de-salt-bae-le-cuisinier-star-lors-des-celebrations-apres-la-finale_5560029.html">ouvrant une enquête</a> sur la présence de SaltBae sur le terrain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1606239950713880577"}"></div></p>
<p>Au-delà des questions de sécurité liées au <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-l-intrusion-de-salt-bae-sur-le-terrain-apres-la-finale-n-a-pas-plu-a-la-fifa_AV-202212220510.html">contrôle d’accès</a> sur le terrain, ce qui a fait le plus réagir les internautes sur les réseaux, c’est le fait que le chef ait <a href="https://www.forbes.com/sites/zakgarnerpurkis/2022/12/23/salt-bae-world-cup-trophy-outrage-is-a-matter-of-taste/?sh=3a16fc46795c">touché au trophée</a> de la Coupe du monde. Ce trophée en or massif, propriété de la FIFA, est simplement prêté pendant quelques heures aux joueurs vainqueurs de la Coupe du monde, avant d’être retourné à l’association sportive.</p>
<p>Bien qu’<a href="https://digitalhub.fifa.com/m/469bb4d043dc77c5/original/FIFA-LEGAL-HANDBOOK-EDITION-SEPTEMBRE-2022.pdf">aucune règle écrite</a> ne stipule clairement qui a le droit de toucher ce trophée pendant la célébration, il semblerait que l’ensemble des parties prenantes à l’organisation footballistique – joueurs, membres de la FIFA, supporters, etc. – s’accordent à dire que seule une infime catégorie de personnes peuvent le faire. Ainsi, seuls les vainqueurs et anciens vainqueurs, les chefs d’État et les membres du staff de la FIFA auraient le droit de toucher au trophée.</p>
<p>Par cette nécessité de maintenir cet objet à distance du plus grand nombre, le trophée de la Coupe du monde semble s’apparenter à un objet sacré, ne pouvant être manipulé sans danger que par une catégorie restreinte d’experts.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-saints-des-derniers-jours-influencent-le-management-mondial-193561">Comment les saints des derniers jours influencent le management mondial</a>
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<p>Cette séparation du monde profane permet non seulement à l’objet de prendre un sens symbolique fort mais sacralise également les vainqueurs de la Coupe du monde, en leur reconnaissant un prestige et une position particulière au sein de l’organisation sociale du football. Un tel objet participe donc, par son sens symbolique partagé par les membres d’une organisation donnée, à maintenir l’ordre social de ladite organisation.</p>
<p>En touchant au trophée, SaltBae aurait alors perturbé cet ordre social et nui au prestige des vainqueurs. En entrant dans la sphère du profane, le trophée devient un simple objet, risquant de perdre sa force symbolique classificatrice. L’objet est ainsi « souillé », pour reprendre l’expression de l’anthropologue <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/de_la_souillure-9782707148117">Mary Douglas</a>, ce qui provoque l’outrage et le dégoût, comme on peut le lire dans les <a href="https://www.newsweek.com/salt-bae-slammed-holding-kissing-world-cup-trophy-1768420">commentaires</a> ayant suivi l’évènement.</p>
<h2>La transgression : une stratégie de communication délicate</h2>
<p>Si de nombreuses personnalités et organisations jouent avec la transgression pour augmenter leur <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9781503613904/html">notoriété</a>, il s’agit d’une stratégie très ambiguë et incertaine, pouvant aussi se traduire par un ternissement de leur réputation. Elon Musk, le célèbre entrepreneur, par exemple, défraye souvent la chronique et fascine tant par sa manière de se lancer dans des <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/elon-musk-l-homme-qui-reve-de-coloniser-mars-6853654">projets pharaoniques</a> que par son « mépris » des conventions et par ses <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/8-tweets-delon-musk-qui-ont-fait-polemique-1400758">prises de position controversées</a>.</p>
<p>Si ses actes et discours transgressifs participent à la construction d’une image héroïque de <a href="https://www.entrepreneur.com/business-news/genius-freak-opinions-on-elon-musk-vary-widely/367132">« génie incompris »</a> de l’entrepreneur, cela reste une stratégie de communication <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/elon-musk-ou-les-limites-de-la-transgression-1005812">risquée</a>. Par exemple, le rachat de Twitter par Elon Musk en avril 2022 dans le but d’octroyer une liberté d’expression absolue aux utilisateurs de ce réseau a été largement commenté et s’est notamment traduit par une frilosité des annonceurs à se positionner sur ce réseau, <a href="https://www.theguardian.com/technology/2023/jan/22/elon-musk-twitter-debt">dégradant davantage la situation financière de l’entreprise</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1519480761749016577"}"></div></p>
<p>Au-delà de ses effets potentiellement néfastes pour leurs auteurs, la transgression est néanmoins utile aux organisations et aux groupes sociaux, car elle leur permet de réaffirmer leurs valeurs communes à travers des expressions émotionnelles similaires (dans la joie, la répulsion, l’outrage, etc.).</p>
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<p>Dans le cas étudié, des amateurs de football à travers le monde partagent l’outrage de voir une personne lambda toucher le Trophée de la Coupe du monde, objet sacré que seuls les vainqueurs peuvent approcher. En s’offusquant de cette transgression et en dénigrant SaltBae, le public se solidarise dans la reconnaissance du prestige et de la singularité des vainqueurs, confirmant ainsi leur position.</p>
<p>Cela donne aussi l’occasion de réaffirmer les règles sociales de l’organisation et de fédérer autour de valeurs communes, solidifiant ainsi les liens au sein de la communauté des amateurs de football. Ainsi, la tristesse d’une défaite n’est plus le cœur du sujet : elle fait place à l’unification autour de la reconnaissance du prestige des vainqueurs et de ce qui les symbolise. Tout rentre dans l’ordre.</p>
<h2>Les nouveaux lieux du sacré dans les organisations</h2>
<p>À partir de cet exemple, il peut être utile d’analyser comment certains symboles, objets et discours peuvent s’apparenter aux dynamiques du sacré et y remplir les mêmes fonctions, dans n’importe quelle organisation. Toutes les organisations sont imprégnées de valeurs morales (implicites ou non) et de règles plus ou moins sacralisées qui permettent le maintien de leur ordre social.</p>
<p>Certains auteurs, comme <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347054">Keith Grint</a>, avancent que la notion de leadership est sacralisée dans nos organisations contemporaines. Les discours et les pratiques du leadership créent et maintiennent une séparation nécessaire à l’ordre social de l’organisation, entre les leaders et les suiveurs ; les leaders ayant notamment tendance à passer sous silence l’anxiété et la résistance des collaborateurs en valorisant la course vers le changement.</p>
<p>Avec l’arrivée du big data, l’accès facile et excessif à l’information détaillée peut également donner lieu à une certaine <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347054">fétichisation des données</a>. Dans des industries où le big data est au cœur de l’activité, la collecte de données peut devenir l’objectif même de la pratique organisationnelle, apportant à l’organisation concernée un certain prestige. Lorsqu’elle est excessive et sacralisée, la collecte de données ne permet pourtant pas l’apprentissage – qui nécessite le temps de l’analyse – et tend au contraire à maintenir une certaine <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347054">ignorance organisationnelle</a>, où l’accumulation de chiffres – plutôt que leur interprétation – devient une fin en soi.</p>
<p>De manière plus générale, les organisations tendent toutes à produire, à des degrés différents, des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-019-04266-w">histoires et des valeurs qui se sacralisent</a>. En formulant des « valeurs » distinctives au cœur de leur mission organisationnelle, les organisations formulent des principes et édictent des codes de conduite à tenir au sein et au nom de l’organisation, par tous les employés. Certaines valeurs se voient investies d’un caractère sacré lorsqu’elles deviennent des principes normatifs symboliques et inviolables, transcendant ainsi le domaine des pratiques. Cette sacralisation est utile à l’organisation car elle permet à ses membres de travailler ensemble et de maintenir une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840616685356">culture organisationnelle distincte</a>. Elle nourrit un sentiment d’appartenance qui tend à se réaffirmer face à des actes transgressifs.</p>
<p>Ainsi, loin d’avoir perdu de l’importance dans nos sociétés, le « sacré » semble prendre de nouvelles formes plus subtiles et s’inviter au sein de nos organisations, remplissant les mêmes fonctions de rassemblement et de maintien des structures et ordres sociaux à différentes échelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Farias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Quand un célèbre chef cuisinier s’empare quelques instants de la Coupe du monde sur le terrain de foot, c’est la notion de sacré qui fait irruption dans le réel.
Carine Farias, Associate Professor in Entrepreneurship and Business Ethics, IÉSEG School of Management
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/195408
2022-12-22T15:20:57Z
2022-12-22T15:20:57Z
Le père Noël dans l’imaginaire collectif : entre profane et sacré
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/502550/original/file-20221222-18-d432yn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C991%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour que l'idée d'un père Noël sacré survive dans l'esprit des enfants, il nous faut compter sur la complicité et la solidarité de tous les adultes, que ce soit à la maison, à l'école, dans les médias, dans les commerces ou dans les œuvres de culture populaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage <em>n’existe pas</em> ?</p>
<p>C’est une question à laquelle plusieurs parents trouveront certainement des réponses pertinentes dans les écrits de la <a href="https://naitreetgrandir.com/fr/etape/1_3_ans/viefamille/fiche.aspx?doc=bg-naitre-grandir-croire-pere-noel">psychologie pédiatrique</a>. En adoptant toutefois la perspective de l’<a href="https://www.cas-sca.ca/fr/a-propos-d-anthropologie/qu-est-ce-que-l-anthropologie">anthropologie culturelle</a>, ma question est un peu différente. Je me demande pourquoi nous acceptons tous, un jour ou l’autre, de nous faire les complices de ce mystère sur la réalité du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8re_No%C3%ABl">père Noël</a>, qu’on le voit comme un <a href="https://theconversation.com/coca-cola-is-coming-to-town-ou-lepopee-publicitaire-de-santa-128412">personnage fictif du soft power américain</a> ou plutôt comme une icône des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/No%C3%ABl">fêtes chrétiennes de la Nativité</a>.</p>
<p>Deux sous-questions doivent être formulées. La première concerne le besoin que nous, occidentaux, avons d’incarner l’esprit religieux de Noël sous la forme d’un vieillard costumé plutôt que de lui conserver son essence mythique originelle. Et la seconde concerne notre volonté encore plus naïve de sublimer l’image de ce personnage folklorique en feignant de ne pas remarquer ses écarts de conduite lorsqu’il s’en donne la licence morale, notamment dans les films ou les chansons pour enfants.</p>
<p>Dans une <a href="https://professeurs.uqam.ca/professeur/genest.sylvie/">perspective universitaire</a> et sur la base de mes intérêts pour la culture populaire et sa construction dans un contexte capitaliste, je me réfère principalement aux écrits du philosophe <a href="https://www.puf.com/Auteur:Jean-Jacques_Wunenburger">Jean-Jacques Wunenburger</a>, éminent spécialiste de l’image et du sacré, pour aborder ce thème de l’ambivalence qui caractérise notre expérience du père Noël.</p>
<h2>L’expérience infantile du « numineux »</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/C3UcwuX7VAo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des enfants prennent des photos, assis sur les genoux du père Noël.</span></figcaption>
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<p>Ce que nous enseigne d’abord Wunenburger, c’est que le sacré dispose fondamentalement d’un statut paradoxal. C’est-à-dire qu’en tant qu’il fixe un seuil entre le naturel et le surnaturel, le sacré constitue à la fois un « interdit à ne pas transgresser » et une « invitation à enfreindre les limites », notamment celles de la matérialité du monde. Devant ce paradoxe, il est normal d’être en proie à des sentiments ambivalents : d’un côté, nous ressentons une « peur panique devant la grandeur incommensurable de l’inconnu » ; et de l’autre, une « attraction irrésistible vers quelque chose de supérieur, de merveilleux et de solennel ». C’est ce que le théologien Rudoplf Otto a appelé l’expérience du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Numineux"><em>numineux</em></a>.</p>
<p>C’est sans doute ce que ressentent nos enfants lorsque nous, parents, les asseyons sur les genoux d’un père Noël inconnu en plein milieu d’un centre commercial. Par ce geste, nous les soumettons à ce type d’expérience en permettant que soit entretenue, en eux, une grande confusion de sentiments. D’une part, ils éprouveront une peur effroyable envers cet étranger flamboyant qui les empoigne ; et, d’autre part, ils nourriront cette espérance ardente à laquelle nous les raccrochons en leur faisant miroiter de jolis présents d’ordinaire inaccessibles.</p>
<h2>Sacraliser notre expérience du profane</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TjFhil4yHcc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le défilé du père Noël, à Montréal, en 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>Aussi, pour que l’étrange bonhomme soit <em>plus</em> qu’une image dans un cahier à colorier, il nous faut mettre en place des stratégies visant à en instituer le caractère sacré. Comme nous en instruit Wunenburger, il s’agit dès lors de structurer notre expérience « par le symbole, le mythe et le rite ».</p>
<p>Parmi les rites de Noël les plus pratiqués dans les métropoles industrielles, il y a celui qui consiste à assister, les enfants sur les épaules, à un long défilé de chars allégoriques au terme duquel l’apparition du père Noël produit généralement l’émoi escompté. D’autres rites plus intimes consistent par exemple à laisser des indices du passage du père Noël dans nos maisons, que ce soit en disposant des biscuits grignotés, des verres de lait à moitié bus ou des cadeaux sous le sapin, le tout à l’insu des enfants endormis.</p>
<p>Afin de donner au père Noël son caractère sacré, les créateurs de la fête capitaliste en ont par ailleurs engendré les mythes de sorte à lui octroyer des pouvoirs magiques, des connaissances secrètes et des privilèges merveilleux.</p>
<p>Quant aux symboles de la sacralité du père Noël, on les a empruntés au domaine du religieux. Il s’agit notamment de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crosse_%C3%A9piscopale">crosse épiscopale</a>, de la <a href="https://articlesreligieux.fr/vetements-du-clerge/2482-barrette-rouge-avec-pompon.html">barrette à pompon</a> et de la couleur pourpre portée par les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cardinal_(religion)">cardinaux</a>, un rouge flamboyant symbolisant le pouvoir, le prestige et l’autorité de ces hauts dignitaires de l’Église catholique.</p>
<h2>Profaner notre expérience du sacré</h2>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zGoISPHVTxU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Extrait du film The Santa Clause.</span></figcaption>
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<p>Dans son goût pour le paradoxe, l’industrie du divertissement ne craint pas, par ailleurs, d’avilir l’image de son père Noël en produisant des œuvres qui en exposent certains travers. Dans la scène où il boit du chocolat chaud préparé par une jeune elfe (ci-dessus), le père Noël en pyjama flirte librement avec elle : « je dois dire que tu es très bien pour ton âge ! » Cet extrait compte parmi les plus embarrassants qu’ait tourné Disney pour sa série <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Super_No%C3%ABl"><em>The Santa Clause</em> (ou Sur les traces du père Noël, en français)</a>.</p>
<p><em>The chimney song</em> (ci-dessous), interprétée par une fillette, est un autre exemple de propos à caractère pédophile exploitant la figure sacrée du père Noël.</p>
<blockquote>
<p>Il y a quelque chose de coincé dans la cheminée</p>
<p>et je ne sais pas ce que c’est, mais c’est resté là toute la nuit.</p>
<p>J’ai attendu le père Noël toute la nuit de Noël</p>
<p>mais il n’est jamais venu et ça ne semble pas normal…</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQS5nAesfGk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">The chimney song.</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’idée théorique du père Noël</h2>
<p>L’anthropologue Gregory Bateson a proposé une métaphore intéressante à propos du sacré et, surtout, de la place que celui-ci occupe dans l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/vers-une-ecologie-de-l-esprit-gregory-bateson/9782020532334#">écologie de l’esprit humain</a>. En comparant les idées à des êtres vivants, Bateson a montré comment celles-ci naissent, vivent, se reproduisent et meurent pour créer autour de nous un écosystème de communication à la fois riche, sensible et vulnérable. Comme les espèces qui luttent ou coopèrent pour leur survie dans des conditions qui leur sont parfois favorables, parfois hostiles, les idées s’assemblent, se coordonnent, s’embrouillent ou s’entrechoquent dans une compétition qui n’est pas toujours loyale.</p>
<p>Ainsi, pour que l’idée d’un père Noël sacré survive dans l’esprit des enfants, il nous faut compter sur la complicité et la solidarité de tous les adultes, que ce soit à la maison, à l’école, dans les médias, dans les commerces ou dans les œuvres de culture populaire.</p>
<p>En revanche, pour que ce mensonge reste socialement acceptable, il est nécessaire que les adultes se mentent à leur tour à eux-mêmes quant à la réalité obscène que recouvre le personnage fictif du père Noël. En tant que complices de cette manipulation du sacré, nous devons en quelque sorte fermer les yeux sur la licence morale qu’accorde au père Noël l’industrie du divertissement lorsqu’elle met en scène la réalité de l’<a href="https://www.youtube.com/watch?v=M8GcjB6WnPY">homme ordinaire qui en endosse le costume</a>.</p>
<p>Nous signons alors un pacte avec le diable en faisant semblant de croire en l’existence d’un père Noël capable de prendre des enfants sur ses genoux sans avoir de pulsions sexuelles ; de se montrer généreux avec eux sans ruiner leurs parents ; de leur promettre des cadeaux sans exiger quelque service en retour ; qui ne voit rien d’obscène à s’introduire dans l’intimité des familles en pénétrant leur cheminée trop étroite et pas assez profonde ; ni rien de louche à se trouver dans la chambre des tout-petits.</p>
<p>Or, c’est un secret de polichinelle que ce sont des hommes de chair et de sang qui donnent vie aux pères Noël. Considérant la dualité de la nature humaine, se rendre complice de leurs mauvais penchants ne me semble pas, dès lors, très avisé.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="représentation illustrée d’un père noël penché sur le lit d’une fillette endormie" src="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=379&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502549/original/file-20221222-18-98s46i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=476&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/195408/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Genest ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Doit-on laisser nos enfants croire au père Noël ou serait-il plus prudent de leur expliquer, dès leur plus jeune âge, qu’un tel personnage n’existe pas ?
Sylvie Genest, Professeure à la Faculté des arts, Université du Québec à Montréal (UQAM)
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2021-01-06T19:18:00Z
2021-01-06T19:18:00Z
Avec la réalité virtuelle, la deuxième vie de Notre-Dame de Paris
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377417/original/file-20210106-13-md7bjy.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C185%2C1214%2C661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La société FlyView propose des visites de la cathédrale en réalité virtuelle.</span> </figcaption></figure><p>Pour célébrer 2021, la <a href="https://www.paris.fr/pages/le-concert-de-jean-michel-jarre-dans-une-notre-dame-virtuelle-16298">ville de Paris propose un concert</a> multimédia conçu et mis en scène par Jean‑Michel Jarre dans une réplique numérique de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Pour ce show intitulé « Bienvenue ailleurs », placé sous le patronage de l’Unesco, la légende de la musique électronique et son avatar évoluent dans une scénographie inventive. <a href="https://www.vrroom.buzz/vr-news/music/your-backstage-pass-jarres-vr-gig-notre-dame">La société VRrOOm a mis en œuvre de nombreuses innovations</a> technologiques pour que des milliers de spectateurs puissent assister simultanément au concert diffusé en « live », l’artiste se produisant depuis le studio Gabriel, son image étant mêlée aux images virtuelles de la cathédrale, avec son avatar « sur place ».</p>
<p>Retransmis en direct via plusieurs réseaux sociaux pour le passage à la nouvelle année, le show est désormais accessible sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=VKjFjFtKBRI">YouTube</a> et sur <a href="https://vrchat.com/home/launch?worldId=wrld_b4789ecc-8170-441b-ac6f-6e009aeb037a&instanceId=0&shortName=palm-julycommodore-bcc1c">VRChat</a>. Grâce à un casque de réalité virtuelle, il est possible d’assister à un spectacle son et lumière à 360 degrés avec des effets spéciaux qui donnent vie à une modélisation de Notre-Dame à la fois réaliste et futuriste. Les vitraux, les colonnes, les rosaces, les arcs, les voûtes, la façade, et les différents espaces sont mis en valeur dans une chorégraphie architecturale de matières, de formes, de textures et de couleurs.</p>
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<p>Les cathédrales ont toujours été des <a href="https://theconversation.com/cathedrales-numeriques-restaurer-et-visiter-notre-dame-grace-aux-nouvelles-technologies-116020">lieux d’expérimentation et d’innovation</a> technologique. Cela continue avec le numérique qui est utilisé pour la préservation des monuments et la médiation culturelle avec une dimension à la fois éducative, ludique, sociale et créative. Le visiteur devient acteur de sa propre visite et peut <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02388849/">interagir de manière naturelle</a> avec les autres visiteurs et avec le lieu qu’il visite en réalisant des quêtes ou en relevant des défis.</p>
<h2>Le numérique essentiel dans la restauration de Notre-Dame</h2>
<p><a href="https://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/notre-dame-premier-point-sur-lavancee-des-recherches">Le CNRS coordonne la restauration de Notre-Dame de Paris</a>, ce qui donne lieu à de nombreux projets scientifiques. Le désastre causé par l’incendie de la cathédrale permet aux chercheurs d’observer et d’étudier des éléments jusqu’alors inaccessibles. <a href="https://www.scientifiquesnotre-dame.org/">L’association des Scientifiques au Service de la Restauration de Notre-Dame de Paris</a> créée dès le lendemain de l’accident, rassemble les chercheurs qui souhaitent mettre leurs connaissances et leurs compétences à profit dans ce projet titanesque. Ils conseillent les autorités, contribuent aux programmes de recherche du CNRS, communiquent dans les médias et <a href="https://uploads.strikinglycdn.com/files/b6d980fb-6ca2-4f4d-aca6-74fb32901e58/Olivier%20Poisson%20chronologie%20ND.pdf">documentent les actions menées</a>.</p>
<p>Le CNRS s’appuie sur l’expertise de l’entreprise française <a href="https://www.artgp.fr/-releves-architecturaux-37-.html">Art Graphique & Patrimoine (AGP)</a> qui avait déjà modélisé en 3D le toit et les poutres pour les travaux prévus dans la cathédrale avant l’incendie. AGP a commencé à créer une nouvelle modélisation complète cinq jours après la catastrophe. Les mesures de l’intérieur de la cathédrale ont été prises avant qu’elle ne soit encombrée d’échafaudages. <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/informatique/scanner-notre-dame-de-paris-etait-une-urgence-absolue_137032">Cette démarche urgente</a> a nécessité plusieurs techniciens à l’intérieur du bâtiment 24 heures sur 24.</p>
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<p>Cependant, suite à l’incendie, les autorités ont constaté une <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/pollution-au-plomb-suite-lincendie-de-notre-dame-questions-reponses">contamination de l’air et du sol par le plomb</a> contenu dans la flèche de la cathédrale. Les techniciens ont donc dû prendre beaucoup de précautions et les <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/08/12/une-modelisation-3d-a-la-mesure-de-notre-dame-de-paris_1745058">travaux sur le chantier ont été très ralentis</a>. Des drones ont été utilisés pour la modélisation des parties supérieures et du toit du bâtiment. Le nouveau modèle numérique intégral sera comparé avec les modèles partiels réalisés entre 1995 et 2016.</p>
<p><a href="http://pages.vassar.edu/antallon/">Les travaux du scientifique américain Andrew Tallon</a>, ancien professeur d’art et d’architecture médiévale qui a mesuré plus d’un milliard de points à Notre-Dame avant son décès en 2018, seront également utilisés. C’est lui qui a <a href="https://actu.fr/societe/le-modele-3d-plus-precis-monde-notre-dame_22991246.html">convaincu le Vassar Institute de l’Université de New York</a> de financer une numérisation complète des voûtes de Notre-Dame par Art Graphique & Patrimoine.</p>
<h2>Une visite numérique différente et complémentaire</h2>
<p>L’accès à une copie virtuelle de la cathédrale permet de vivre une expérience <a href="https://theconversation.com/cathedrales-numeriques-restaurer-et-visiter-notre-dame-grace-aux-nouvelles-technologies-116020">qui présente de nombreux intérêts</a>. En effet, la fermeture prolongée de la cathédrale est très frustrante pour ceux qui y sont attachés pour des raisons personnelles, religieuses, culturelles, historiques ou scientifiques. La réalité virtuelle immersive permet donc de rester connecté à <a href="https://theconversation.com/je-vous-salue-notre-dame-de-paris-de-lemotion-a-la-reconstruction-dun-patrimoine-mondial-115575">ce lieu iconique et à sa puissance symbolique</a>. C’est aussi un moyen de faire visiter Notre-Dame aux adultes et aux enfants du monde entier qui la connaissent par les livres, les films et les dessins animés et qui ne pourront pas visiter la vraie pendant des années.</p>
<p>D’autres n’auront jamais accès à ce patrimoine mondial faute de ressources. Alors s’ils ne peuvent pas venir à Notre-Dame, Notre-Dame peut aller vers eux grâce à Internet. Partout dans le monde, une <a href="https://journals.openedition.org/pds/5617">visite virtuelle peut s’accompagner d’éléments culturels, éducatifs et ludiques</a> destinés à mieux faire connaître la cathédrale au public.</p>
<p>Chaque visiteur virtuel pourra ainsi établir une connexion personnelle avec le monument à travers sa réplique virtuelle. Il pourra même visiter certaines parties qui ne sont pas accessibles dans la réalité, voir avec beaucoup plus de précision certains détails, et <a href="https://www.erudit.org/en/journals/museo/2013-v6-n2-museo0857/1018927ar.pdf">bénéficier de conditions exceptionnelles de visite</a>, seul dans le monument, avec une luminosité parfaite, et la possibilité de s’approcher aussi prêt qu’il le souhaite de chaque élément. Il pourra flotter dans les airs et voir à quelques centimètres les vitraux, les <a href="https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/que-sont-les-mays-de-notre-dame-11119104/">grands Mays</a> ou les <a href="https://www.pariscityvision.com/fr/paris/monuments/notre-dame-de-paris/gargouilles">gargouilles</a>.</p>
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<p>Si le CNRS utilise la modélisation de la cathédrale dans un but scientifique pour sa restauration, sa préservation et sa compréhension, d’autres usages peuvent également être proposés. La société <a href="https://www.lepoint.fr/culture/quand-la-realite-virtuelle-permet-de-visiter-notre-dame-de-paris-23-07-2020-2385367_3.php">FlyView propose déjà de se téléporter dans la cathédrale</a> avant l’incendie grâce à des images filmées 360 degrés, puis de la voir dans son état actuel, partiellement détruite. Présentée comme fascinante et bouleversante, <a href="https://www.flyview360.com/revivre-notre-dame.html">cette visite en réalité virtuelle immersive</a> ne peut se faire que dans les locaux de FlyView, moyennant 19 euros, et selon un scénario de 18 minutes. C’est actuellement la seule visite possible de la cathédrale. On est encore loin d’un accès en ligne, gratuit, universel, illimité et où chacun est son propre guide.</p>
<h2>Le virtuel ne met pas en péril le sacré</h2>
<p>Bien que virtuelle, une réplique numérique de Notre-Dame de Paris, ou d’une autre cathédrale, peut très bien <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-2018-1-page-97.htm">accomplir elle aussi une mission spirituelle</a> et être un lieu de recueillement, de culte et d’étude religieuse. La pandémie de Covid-19 qui a entraîné la fermeture des lieux de culte partout dans le monde a révélé la <a href="https://theconversation.com/la-foi-chretienne-renouvelee-par-la-covid-19-150192">capacité des fidèles de toutes les religions à se réunir virtuellement</a> pour communier, prier, s’enseigner les uns les autres et exercer leur foi en accomplissant des <a href="https://www.academia.edu/697919/A_New_Forum_for_Religion_Spiritual_Pilgrimage_Online">cyber-rituels</a>. Si la technologie peut être une <a href="https://www.forbes.fr/management/intelligence-artificielle-levangelisme-numerique-ou-lavenement-de-la-religion-technologique/">menace pour les religions à travers le transhumanisme</a>, elle peut aussi être un <a href="https://www.lepoint.fr/societe/quand-le-numerique-vole-au-secours-du-religieux-14-06-2020-2379792_23.php">support qui la favorise et la renouvelle</a>.</p>
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<p>Certains mondes virtuels très réalistes sont terrifiants ou merveilleux. Ils peuvent aussi bien revêtir une dimension sacrée, sous une forme tout aussi intense. En effet, l’environnement numérique favorise la propagation du sacré, produit de nouvelles formes de syncrétisme et <a href="https://revistaseletronicas.pucrs.br/ojs/index.php/famecos/article/view/14128/0">amène à vivre une communion mystique</a>. Alors que des millions de personnes visitent la cathédrale Notre-Dame chaque année, y compris pendant les offices religieux, il serait possible de profiter de la cathédrale virtuelle de manière beaucoup plus paisible et dans un recueillement libéré de toute perturbation.</p>
<p>Les visiteurs pourraient avoir le privilège d’observer sous tous les angles les centaines d’objets sacrés numériques présents dans la cathédrale, dont des <a href="https://www.academia.edu/697919/A_New_Forum_for_Religion_Spiritual_Pilgrimage_Online">reliques virtuelles</a> et même de les manipuler, les vraies n’étant exposées qu’une fois par mois. Parmi ces reliques, on trouve la couronne d’épines, la tunique de Saint-Louis, l’ostensoir de Sainte-Geneviève, ainsi qu’un clou de neuf centimètres, un morceau de croix et une partie du fouet qui auraient été utilisés pendant la Passion du Christ. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/net-plus-ultra/net-plus-ultra-13-septembre-2018">La réalité virtuelle permet des reconstitutions de ces objets</a> tels qu’ils étaient à l’origine et de raconter leur histoire jusqu’à nos jours.</p>
<h2>Des alternatives multiples de visites thématiques</h2>
<p>De nombreux scénarios de visites virtuelles de Notre-Dame pourraient être proposés grâce à la réalité virtuelle : les <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=03YbQPKKt6U">différentes étapes de la construction</a> de la cathédrale, ses différentes évolutions, le déroulement de l’incendie, les travaux de restauration ou encore les <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=A7doMraDq4I">versions de Notre-Dame revisitée par des architectes du monde entier</a> qui lui ont rendu hommage après l’incendie.</p>
<p>Toutes ces visites virtuelles thématiques alternatives permettraient de toucher un plus large public et de disséminer la connaissance relative à Notre-Dame alors même que celle-ci est fermée. La réalité virtuelle immersive apparaît donc comme une solution pertinente et durable pour faire revivre la Cathédrale, en faire profiter ceux qui la connaissent déjà et à qui elle manque, et la faire découvrir à ceux qui n’ont pas pu la visiter et ne pourront pas avant longtemps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152764/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Visiter Notre-Dame de Paris, c’est possible grâce à la réalité virtuelle immersive qui permet de nombreuses expérimentations, comme le spectacle du réveillon de Jean‑Michel Jarre.
Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business School
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/143021
2020-10-11T16:43:57Z
2020-10-11T16:43:57Z
Khejri, l’arbre qui donne vie au désert
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/356264/original/file-20200903-24-1y0ped0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=46%2C54%2C5129%2C3391&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Khejri, Prosopis cineraria, désert semi-aride du Rajasthan, 2016.</span> <span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>Il n’est ni géant comme les baobabs africains, ni majestueux comme les flamboyants de Madagascar. Dépassant rarement les 5 mètres de haut, épineux, d’un tronc au diamètre modeste, il appartient à la famille des acacias. De prime abord, l’espèce ressemble même à s’y méprendre à n’importe quel autre arbre du même genre. Et pourtant, cet arbre préserve la vie dans les déserts. Son nom : le khejri.</p>
<p>Connu en latin sous le nom de <em>Prosopis cineraria</em>, cet épineux vit sur une aire de répartition naturelle qui s’étend des zones arides de l’Inde jusqu’au Yémen en passant par le Pakistan et l’Iran.</p>
<p>Bien que l’aridité y soit importante à extrême (on détermine le degré d’aridité en fonction de la pluviométrie), c’est une aire géographique qui n’héberge pas moins de <a href="https://www.un.org/development/desa/publications/world-population-prospects-the-2017-revision.html">500 millions de personnes</a> à ce jour en particulier au Pakistan et en Inde du Nord.</p>
<p>La végétation y est éparse et forme des assemblages boisés ouverts xériques (c’est-à-dire adaptés à la sècheresse permanente) qu’on qualifie de forêts sèches.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="La forêt dite « épineuse du désert" src="https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356263/original/file-20200903-22-1wh2su6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La forêt dite « épineuse du désert » qui couvre environ 7 % du territoire indien est un type de foret sèche où le khejri est l’une des espèces dominantes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les arbres indigènes adaptés au désert sont d’autant plus importants, car ils favorisent et soutiennent la diversité des espèces.</p>
<h2>Un arbre totem</h2>
<p>Dans l’état indien du Rajasthan, le « khejri » est l’arbre totem de la région. On le connait également sous le nom de « ghaf » dans les pays de la péninsule arabique.</p>
<p>Il est non seulement d’une robustesse incroyable face à des conditions arides extrêmes mais permet en plus, de par ses propriétés racinaires et foliaires, la création d’un îlot de ressources en nutriments du sol, formant des sortes de micro-oasis très précieuses à toute forme de vie dans le désert.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356266/original/file-20200903-14-1hk76gv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Felix Inden » caption « khejris en plein désert d’Arabie, 2019, Émirats arabes unis</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les feuilles permettent de maintenir un taux d’humidité sous la canopée même en plein été ce qui permet d’abaisser localement sous l’arbre la température, rendant l’air « plus vivable » à certaines plantes qui tolèrent moins la sécheresse. Mais, surtout, la racine pivotante du khejri (c’est-à-dire une grosse racine principale relativement droite et fuselée formant un pôle à partir duquel d’autres racines poussent latéralement, à la manière d’une très longue carotte) peut aller puiser de l’eau souterraine jusqu’à pas moins de 35 m de profondeur !</p>
<p>Par un phénomène physique appelé « ascension hydraulique », elle peut remettre à disposition localement l’eau profonde pour d’autres plantes ayant de plus petites racines.</p>
<p>Par ailleurs, le khejri joue un rôle clef pour l’apport en nutriments.</p>
<p>En effet, les nutriments du sol disponibles naturellement proviennent en majeure partie de la litière végétale, de la microfaune et de la microflore des sols, or dans un contexte de terres arides, du fait de l’aridité (stress hydrique important), il y en a moins.</p>
<p>Appartenant à la famille des plantes légumineuses (<em>Fabaceae</em>) comme les haricots, les lentilles ou les fèves, le khejri peut fixer l’azote par une association symbiotique avec des bactéries fixatrices d’azote au niveau des racines.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le rôle de l’azote" src="https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356803/original/file-20200907-22-4sa7uf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le rôle de l’azote.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’azote, dont les propriétés connues sont utilisées dans les engrais, est nécessaire à la croissance des plantes.</p>
<p>C’est donc à la fois cet azote, en association avec l’apport en eau local et la diminution de la température au sol sous la canopée, mais aussi la litière de feuilles mortes tombées au sol qui est naturellement riche en nutriments, qui encouragent la croissance des plantes associées à l’arbre. D’où le terme de « micro-oasis » autour de ces arbres.</p>
<p>Les autochtones le qualifient d’arbre miracle, car sa présence contribue au bon fonctionnement de l’écosystème, et par extension, à la survie de l’espèce humaine et animale.</p>
<h2>Un usage médicinal et agricole</h2>
<p>Cet arbre est considéré comme sacré dans de nombreuses <a href="https://www.worldcat.org/title/khejri-prosopis-cineraria-in-the-indian-desert-its-role-in-agroforestry/oclc/10056440/editions?referer=di&editionsView=true">croyances locales</a>.</p>
<p>On l’utilise en médecine ayurvédique (la médecine traditionnelle indienne à base de plantes) et en agroforesterie (pratique agricole associant sur des mêmes parcelles arbres et plantes cultivées pour optimiser de manière naturelle l’apport en nutriments du sol). Son fourrage riche en nutriments est également très apprécié des herbivores sauvages ou domestiques.</p>
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<img alt="Dromadaires domestiques se délectant de jeunes pousses de khejri" src="https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355329/original/file-20200828-16-1gc9j8u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dromadaires domestiques (<em>Camelus dromedarius</em>) se délectant de jeunes pousses de khejri près d’Ajmer, 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356273/original/file-20200903-22-1rt9utt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un mâle antilope nilgaut (<em>Boselaphus tragocamelus</em>) se frottant au tronc d’un khejri près de Jaipur en 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/355331/original/file-20200828-22-1ejmf3l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=513&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fermière rajasthanie attendant ses chèvres par temps de mousson dans la foret sèche d’une vallée de la chaîne des Aravallis près de Jaipur en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ruchi Sing Gaur</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>De nombreux documents ainsi que des rapports d’études <a href="http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.1071.2307&rep=rep1&type=pdf">ethnobotaniques</a> témoignent d’une panoplie d’influences culturelles du khejri dans les systèmes arides de son aire d’origine, et ont mis en évidence diverses interactions avec l’Homme depuis des temps immémoriaux.</p>
<h2>Une histoire culturelle ancienne</h2>
<p>En Inde du Nord, il est possible de retracer en partie l’influence culturelle du khejri au cours de l’Histoire.</p>
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<figcaption>
<span class="caption">Jodhpur, novembre 2015. Les gousses comestibles et riches en nutriments du khejri sont récoltées et séchées pour être cuisinées dans le plat traditionnel du Rajasthan appelé « Ker Sangri ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, les anciens écrits religieux issus de l’hindouisme regorgent de références sur l’espèce faisant état de l’utilisation importante de son bois à l’époque védique (environ 1500 à 500 ans avant notre ère), pour allumer le feu sacré (arani) lors du Yajna (cérémonie d’offrandes aux dieux).</p>
<p>Pour ce faire, on frottait un bâton en bois de figuier (<em>Ficus religiosa</em>) dans un bol en bois de khejri.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Peinture murale du XIXᵉ siècle illustrant la cérémonie védique du Yajna. Artiste inconnu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’arbre est même mentionné dans le Rig Veda, le plus ancien des quatre Vedas (textes sacrés de l’hindouisme).</p>
<p>Et dans le désert du Thar au Rajasthan, il est particulièrement important pour une <a href="https://sg.inflibnet.ac.in/bitstream/10603/206173/1/01_title.pdf">communauté rurale vishnouïte</a>.</p>
<h2>Les Bishnoïs</h2>
<p>Fondée par le guru Jambheshwar (1451-1485 apr. J.-C.), on appelle cette communauté Bishnoï (du rajasthani bish –, « vingt » et – noï, « neuf », en référence aux 29 principes édictés par leur guru).</p>
<figure class="align-left zoomable">
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<span class="caption">Temple Bishnoi sous un très vieux khejri..</span>
<span class="attribution"><span class="source">Image issue du livre de H. Brockmann et R. Pichler (2004), Paving the Way for Peace : The Living Philosophies of Bishnois and Jains</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les Bishnoïs confèrent aux animaux et aux arbres un caractère sacré. Compte tenu de l’importance primordiale du khejri dans l’écosystème semi-aride local, les Bishnoïs ont toujours vénéré cet arbre. Plusieurs sanctuaires dédiés aux divinités locales se retrouvent également sous la canopée du khejri.</p>
<p>De même, de nombreux autochtones du désert viennent prier sous ces arbres pour s’attirer leurs bons augures et attendent leur bénédiction avant de participer à d’importants événements sociaux et culturels.</p>
<h2>Aux racines d’un mouvement écologiste</h2>
<p>En 1730, un fait tout autant marquant que tragique a fait du khejri l’objet de l’un des premiers mouvements environnementalistes du monde dans le village Bishnoï de Khejarli près de Jodhpur. C’est un évènement triste de l’histoire du Rajasthan où 363 innocents ont perdu la vie.</p>
<p>Mais qu’a-t-il donc bien pu se passer à Khejarli, le village qui a gardé le nom du Khejri ?</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356269/original/file-20200903-22-14ezgzm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Peinture dans un camp près du village de Khejarli au Rajasthan représentant Amrita Devi Bishnoi et deux de ses filles donnant leur vie pour protéger le khejri en 1730 après J.-C’.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’origine, Amrita Devi Bishnoï, sage figure d’un village Bishnoï près de la ville de Jodhpur, s’est héroïquement opposée à l’armée du Maharaja régnant Abhay Singh qui avait reçu de ce dernier l’ordre d’abattre des arbres sur les terres du souverain afin de faire agrandir les écuries royales. Chez les Bishnoïs, toute vie doit être respectée au même titre et la coupe du khejri, arbre sacré, relève du sacrilège.</p>
<p>Enlaçant le tronc d’un khejri de son village, Amrita Devi offrit alors sa vie en l’échange de celle de l’arbre. L’officier en charge n’étant pas de nature à s’émouvoir, il la prit au mot et lui trancha la tête d’un coup de hache.</p>
<p>Cet acte barbare provoqua l’indignation de tous les villageois, Bishnoïs et non-Bishnoïs qui à leur tour offrirent leurs têtes pour sauver les arbres. 363 personnes (y compris Amrita Devi et ses 3 jeunes filles) périrent ainsi tragiquement. Honorant les sacrifices et le courage de la communauté Bishnoi, le souverain en charge Abhay Singh, s’excusa pour l’erreur irréparable commise par ses officiers et fit graver sur plaque de cuivre un décret royal stipulant strictement l’interdiction d’abattre des arbres verts et de chasser les animaux dans les limites des terres Bishnoï.</p>
<p>Suite à cet épisode, les dévots érigèrent un cénotaphe aux martyrs de Khejarli, morts pour protéger les arbres. Afin de saluer l’importance du khejri, la presse de sécurité du gouvernement indien publia 1500000 timbres le 5 juin 1988, journée mondiale de l’environnement, avec une image d’un arbre khejri imprimé dessus.</p>
<p>Cet évènement fut plus tard une source d’inspiration pour le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2014-1-page-34.htm">mouvement Chipko</a> débuté dans les années 1970 dans une autre région de l’Inde, l’Uttarakhand. Ce mouvement a été globalement reconnu comme un symbole de la non-violence et de la lutte contre la déforestation, dont la particularité fut qu’il a été mené par des femmes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retour sur le mouvement Chipko, des années 70 à aujourd’hui.</span></figcaption>
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<h2>Un symbole pour la protection de l’environnement</h2>
<p>Le khejri n’est décidément pas n’importe quel arbre, il est un véritable symbole de la vie dans le désert et de la lutte pour la protection de l’environnement.</p>
<p>Au Royaume de Bahreïn, un spécimen âgé de plus de 400 ans est connu sous le nom de « Shajarat-al-Hayat » (« Arbre de vie ») car il est le seul arbre poussant en plein désert à des kilomètres à la ronde.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bahrein, l’arbre de vie.</span></figcaption>
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<p>Ce seul arbre est devenu une importante attraction touristique dans la région depuis qu’il a été mentionné dans le film américain écrit par Steve Martin « LA Story », sorti en 1991.</p>
<p>Dans le désert du Thar à cheval entre l’Inde et le Pakistan, le khejri est étroitement associé aux « khadins », paysages culturels certifiés par l’Unesco. Les systèmes de culture en khadin sont un type d’agriculture par ruissellement perpétuée depuis le <a href="https://www.researchgate.net/publication/248568896_Khadin_cultivation_A_traditional_runoff_farming_system_in_Indian_Desert_needs_sustainable_management">XVe siècle</a>.</p>
<h2>Un arbre en danger</h2>
<p>Aujourd’hui, le khejri est en danger. <a href="https://indianexpress.com/article/research/khejri-the-tree-that-inspired-chipko-movement-is-dying-a-slow-death-4409701/">L’espèce est déjà en déclin</a> dans certaines zones comme la région Shekhawati au Rajasthan, notamment à cause du changement des pratiques agricoles et de la surexploitation des sols par l’agriculture moderne.</p>
<p>Aux Émirats arabes unis, des programmes éducatifs ont récemment commencé à <a href="http://www.giveaghaf.com">sensibiliser</a> le public au rôle fonctionnel du khejri dans l’écosystème aride.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356267/original/file-20200903-14-yw3isz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des paysans ont établi un camp sous des khejris près de Churu, Rajasthan, 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Myriam Baibout</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Néanmoins à ce jour, les politiques de préservation sont toujours très insuffisantes. Pour protéger l’équilibre des écosystèmes arides locaux et pour honorer la mémoire de cette incroyable espèce, il devient primordial d’implémenter des politiques de protection locales et à l’échelle de l’aire entière de répartition du khejri. Il serait alors également possible d’utiliser ces arbres pour aménager les paysages urbains au cours des prochaines décennies à la fois comme espèces ornementales, mais aussi dans le cadre de programmes de reboisement pour reverdir le désert avec des espèces forestières indigènes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143021/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Baibout Bahegne est doctorante en co-direction avec l'Université de Bordeaux, France et Amity University, Jaipur, Inde. </span></em></p>
Connaissez vous le khejri? De l'Arabie à l'Inde, cet arbre adapté aux conditions climatiques extrêmes est semeur de vie dans les déserts. Héritage sacré pour l’humanité, il est pourtant menacé.
Myriam Baibout Bahegne, doctorante en écologie (spécialité écologie végétale des zones arides, et génétique des populations), Université de Bordeaux
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tag:theconversation.com,2011:article/141093
2020-07-19T19:01:20Z
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L’image de Marie dans le Coran
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/347762/original/file-20200715-21-1lc5ijk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C3%2C720%2C524&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Annonciation, Miniature de Jami al-tawarikh de Rashid al-Din, 1314.</span> </figcaption></figure><p>Marie, Maryam en arabe, mère de Jésus, se trouve souvent mentionnée dans le Coran. On l’y trouve en <a href="https://fr.aleteia.org/2016/12/20/marie-plus-citee-dans-le-coran-que-dans-les-evangiles/">34 occurrences contre 19 dans les Évangiles et les Actes des Apôtres</a>. Mais sur ces 34 occurrences coraniques, son nom apparaît 24 fois intégré à la désignation de son fils en tant que Messie. En conséquence, Marie ne s’y trouve mentionnée par son nom et pour elle-même qu’à 11 reprises.</p>
<p>Seule femme à être mentionnée d’une <a href="https://www.la-croix.com/Archives/2002-08-29/Marie-et-les-grandes-dames-du-Coran-_NP_-2002-08-29-164465">manière directe dans le Coran</a>, elle est décrite comme un personnage au-dessus de tout soupçon, vierge, pure et purifiée par la grâce divine. Marie est également décrite dans le Coran comme l’unique femme consacrée à Dieu dès avant sa naissance par sa mère, et l’unique à être saluée avec vénération par les anges.</p>
<p>Le Coran accepte, sans hésitation, l’histoire de la fécondation miraculeuse de Marie par le Saint-Esprit. Néanmoins, il ne reconnaît ni la divinité de Jésus, ni la réalité de sa passion, de sa mort sur la croix, ni de sa résurrection. Selon le Coran, Jésus ne serait pas mort mais aurait été rappelé par Dieu auprès de lui <a href="https://theconversation.com/limage-de-jesus-dans-le-coran-130319">sans passer par les épreuves de la passion, ni par la mort</a>.</p>
<p>Outre des notations essentielles, mais éparpillées, le Coran consacre à Marie/Maryam deux récits continus et relativement longs, <a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1997_num_214_1_1188">très différents par le fond comme par la forme</a>. Le premier se trouve dans la sourate XIX qui porte son nom (<em>sûrat Maryam</em>) ; le second dans la sourate III qui aurait été révélée à Médine, donc à une époque tardive. En dehors de ces deux références principales, la figure de Marie/Maryam se trouve évoquée en quatre autres sourates (IV, 171 ; V, 75 ; XXI, 91 ; LXVI, 12).</p>
<p>Il faut noter que, concernant Marie/Maryam, le Coran n’adopte pas une <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Islam/Marie-dans-islam-2016-04-01-1200750561">forme proprement biographique</a>, à la différence des Évangiles et particulièrement celui de Luc. Le récit y a pour principale fonction de convoquer et d’assembler les signes majeurs de la révélation en une constellation significative par elle-même.</p>
<p>À vrai dire, le Coran ne cherche pas à inscrire Marie/Maryam dans l’histoire et les généalogies de la promesse, mais à en proposer la figure des signes qui surplombent l’histoire.</p>
<p>Néanmoins ce qui, de prime abord, peut surprendre, c’est le fait que Coran fond en une seule personne le personnage de Marie, mère de Jésus et celui de Marie, sœur de Moïse et d’Aaron. La répétition de ce schéma d’identification des deux figures dans plusieurs passages coraniques ne peut laisser de doute sur le mélange, dû sûrement à la ressemblance onomastique.</p>
<p>La narration coranique concernant Marie s’ouvre par un épisode qui ne figure pas dans les Évangiles : le vœu de sa mère qui consacre par avance à Dieu l’enfant qu’elle porte en son sein. Le texte coranique propose <a href="https://www.telegraph.co.uk/opinion/2018/04/27/sacred-mysteriesthe-koran-mary-annunciation/">deux versions de l’histoire de Marie/Maryam</a>, en deux sourates fort différentes par leur style de narration comme par leurs orientations respectives.</p>
<h2>Marie ou Maryam : un personnage et deux traditions</h2>
<p>La sourate XIX suit la même chronologie que l’Évangile de Luc, ouvrant sur l’annonce de Zacharie d’un fils, précédant la visite de l’ange à Marie. Quant à la sourate III, comme le laisse entendre son titre « Al-’Imran » (La famille de ‘Imran), elle met pour sa part en évidence l’articulation des deux testaments remontant à la conception de Marie et sa consécration par sa mère, désignée simplement comme épouse de <em>’Imran</em>, celui que le Livre des Nombres présente comme petit-fils de Lévi, de la tribu des Lévites, père de Moïse et d’Aaron.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=327&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/344360/original/file-20200626-104516-geo8mb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=411&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Miniature persane : Marie en train de cueillir des dattes.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’une des caractéristiques premières de la figure coranique de Marie/Maryam réside dans son silence. La seule fois où elle prend la parole, c’est lors de l’annonciation, pour s’adresser aux anges et non aux humains, et leur affirmer sa résolution de demeurer vierge, puis les interroger, en conséquence, sur les modalités de la réalisation du décret divin. Par la suite, même calomniée par les siens, elle ne leur répond pas et laisse la parole à son fils encore au berceau que le Coran présente comme « ‘Isa ibn Maryam » (Jésus fils de Marie).</p>
<p>En plus de cela, le Coran ne dit rien non plus des prophéties, miracles et autres événements qui, dans les Évangiles, précèdent et entourent la venue au monde de Jésus, <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-12-page-645.htm">jusqu’à l’adoration des bergers et des mages et la fuite en Égypte</a>. Il ne retient de la vie de Marie que les signes les plus transcendants, de sa conception jusqu’à la naissance de Jésus et la présentation de celui-ci à sa famille.</p>
<p>En effet, les renseignements sur Marie/Maryam issus du texte coranique correspondent, dans une grande partie, aux données fournies par les Évangiles canoniques, mais de nombreux éléments sont également empruntés aux Évangiles apocryphes. Selon le Coran, les douleurs de l’enfantement s’emparèrent de Marie/Maryam alors qu’elle était au pied d’un palmier. Ce passage correspond à un texte de l’Évangile apocryphe de Pseudo-Matthieu qui mentionne, lui aussi, que la naissance de Jésus s’est faite au pied d’un palmier qui se trouve juste à côté d’un ruisseau.</p>
<p>Le lecteur peut facilement constater par lui-même les similitudes et les divergences du Coran avec les textes évangéliques concernant la figure de Marie. Le texte coranique confirme par exemple la naissance virginale de Jésus, mais rejette le statut du <em>Theotokos</em> (mère de Dieu) attribué à la Vierge Marie, par la plume des évêques de l’Antiquité tardive.</p>
<p>Il peut bien sûr s’avérer très éclairant et précieux de relever, dans la perspective d’une lecture d’histoire comparative, les analogies et les différences du Coran avec les Évangiles, ainsi qu’avec les diverses traditions chrétiennes, à condition que l’on n’en fasse pas le centre d’un dispositif d’explication en termes d’influences et d’emprunts. En aucun cas une telle approche, en termes de dépendances, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/questions-dislam/defense-de-la-nation-et-entreprise-djihadiste">ne pourra ouvrir à la compréhension de l’originalité d’un texte, quel qu’il soit</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141093/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Arbi Nsiri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Marie, Maryam en arabe, mère de Jésus, se trouve souvent mentionnée dans le Coran. Mais comment y est-elle décrite, et quels épisodes lui sont associés ?
Mohamed Arbi Nsiri, Doctorant en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/133458
2020-03-12T18:11:08Z
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Pourquoi le blasphème est-il passible de la peine capitale dans certains pays musulmans ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319838/original/file-20200311-116245-1tygi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C4%2C2977%2C2002&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des islamistes pakistanais protestent contre la clémence de la Cour suprême à l'égard d'Asia Bibi, une chrétienne pakistanaise accusée de blasphème, à Karachi, le 1er février 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/pakistani-islamists-march-to-protest-against-the-supreme-news-photo/1091981702?adppopup=true">Asif Hassan/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Junaid Hafeez, professeur d’université au Pakistan, était emprisonné depuis six ans quand il a été <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pakistan-peine-de-mort-pour-un-professeur-d-universite-accuse-de-blaspheme-21-12-2019-2354361_24.php">condamné à mort</a> en décembre 2019 pour blasphème, plus précisément pour avoir « insulté le prophète Mahomet » sur Facebook.</p>
<p>Selon la <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Blasphemy%20Laws%20Report.pdf">Commission américaine sur la liberté religieuse internationale</a>, la législation punissant le blasphème en vigueur au Pakistan est la deuxième la plus stricte au monde après celle de l’Iran.</p>
<p>Hafeez, dont la condamnation à mort fait actuellement l’objet d’un <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20191221.AFP1021/pakistan-peine-de-mort-pour-un-professeur-d-universite-accuse-de-blaspheme.html">appel</a>, est l’un des quelque <a href="https://herald.dawn.com/news/1154036">1 500 Pakistanais</a> à avoir été inculpés pour blasphème ou pour « propos sacrilèges » au cours des trois dernières décennies. Jusqu’ici, aucun d’entre eux n’a été exécuté.</p>
<p>Mais depuis 1990, <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-46465247">70 personnes ont été assassinées</a> par des foules ou des justiciers autoproclamés les accusant d’avoir insulté l’islam. Plusieurs de leurs défenseurs ont également été tués, y compris <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pakistan-enferme-depuis-2014-pour-blaspheme-amnesty-denonce-une-parodie-de-justice-20190925">l’un des avocats de Hafeez</a> et <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pakistan-le-ministre-des-minorites-religieuses-assassine-02-03-2011-1301290_24.php">deux responsables politiques de haut niveau</a> qui s’étaient publiquement opposés à la condamnation à mort d’Asia Bibi, une chrétienne inculpée pour avoir verbalement insulté le prophète Mahomet. Bien que Bibi ait été <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/11/02/au-pakistan-des-islamistes-se-mobilisent-contre-l-acquittement-de-la-chretienne-asia-bibi_5378213_3216.html">acquittée en 2019</a>, elle a dû fuir le Pakistan.</p>
<p>En février 2020, Bibi a été reçue par Emmanuel Macron, qui a annoncé que <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/asia-bibi-remercie-emmanuel-macron-pour-son-accueil-et-sa-chaleur_2119660.html">« la France est prête » à accepter sa demande d’asile</a>. Une décision qui coïncidait avec une autre déclaration du président français – <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/12/affaire-mila-emmanuel-macron-reaffirme-le-droit-au-blaspheme_6029272_3224.html">« La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions »</a> – faite en réponse <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/29/affaire-mila-la-ministre-de-la-justice-accusee-de-vouloir-legitimer-le-blaspheme_6027715_3224.html">à la polémique née de l’« affaire Mila »</a>.</p>
<h2>Blasphème et apostasie</h2>
<p>32 des <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Legislation%20Factsheet%20-%20Blasphemy_3.pdf">71 pays</a> où le blasphème est considéré comme un crime sont majoritairement musulmans. Le degré d’application de ces lois et le niveau des sanctions prévues sont très <a href="https://www.loc.gov/law/help/blasphemy/index.php">variables</a>.</p>
<p>Le blasphème est puni de mort en Iran, au Pakistan, en <a href="https://www.loc.gov/law/help/blasphemy/index.php#Afghanistan">Afghanistan</a>, à <a href="https://www.nytimes.com/2019/04/03/world/asia/brunei-stoning-gay-sex.html">Brunei</a>, en <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Africa%20Speech%20Laws%20FINAL_0.pdf">Mauritanie</a> et en <a href="https://berkleycenter.georgetown.edu/essays/national-laws-on-blasphemy-saudi-arabia">Arabie saoudite</a>. Pour ce qui concerne les pays non musulmans, c’est en <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Blasphemy%20Laws%20Report.pdf">Italie</a> que la loi est le plus sévère : la peine maximale prévue est de trois ans de prison.</p>
<p>La moitié des 49 pays à majorité musulmane possèdent également des lois <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/07/29/which-countries-still-outlaw-apostasy-and-blasphemy/">interdisant l’apostasie</a>, ce qui signifie que leurs citoyens peuvent être <a href="https://www.loc.gov/law/help/apostasy/index.php">jugés pour avoir abandonné l’islam</a>. Tous les pays dont la législation comporte des lois réprimant l’apostasie sont à majorité musulmane, à l’exception de <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/07/29/which-countries-still-outlaw-apostasy-and-blasphemy/">l’Inde</a>. L’accusation d’apostasie <a href="https://www.loc.gov/law/help/blasphemy/index.php">accompagne souvent celle de blasphème</a>.</p>
<p>Ces lois religieuses sont largement soutenues par la population dans certains pays musulmans. D’après un <a href="https://www.pewforum.org/2013/04/30/the-worlds-muslims-religion-politics-society-overview/">sondage du Pew Research Center</a> effectué en 2013, près de 75 % des répondants d’Asie du Sud-Est, du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud sont favorables à ce que la charia, c’est-à-dire la loi islamique, soit la loi officielle de leur pays.</p>
<p>Parmi les partisans de la charia, environ 25 % des habitants d’Asie du Sud-Est, 50 % des Moyen-Orientaux et des Nord-Africains et 75 % des habitants d’Asie du Sud souhaitent « l’exécution de ceux qui quittent l’islam » – c’est-à-dire qu’ils soutiennent les lois punissant l’apostasie de mort.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Usine incendiée par une foule en colère à Jhelum, dans la province du Pendjab, au Pakistan, après qu’un de ses employés ait été accusé d’avoir profané le Coran, 21 novembre 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/pakistani-firefighters-stand-in-a-burnt-out-factory-torched-news-photo/498134476?adppopup=true">AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les oulémas et l’État</h2>
<p>Mon livre paru en 2019, <a href="https://www.cambridge.org/us/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/islam-authoritarianism-and-underdevelopment-global-and-historical-comparison?format=PB"><em>Islam, Authoritarianism, and Underdevelopment</em></a> montre que les lois sur le blasphème et l’apostasie dans le monde musulman remontent à une alliance historique entre les érudits islamiques et le gouvernement.</p>
<p>Vers l’année 1050, certains juristes et théologiens sunnites, appelés les « oulémas », ont commencé à travailler en étroite collaboration avec les <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/V/bo5951736.html">dirigeants politiques</a> pour combattre ce qu’ils voyaient comme l’influence sacrilège des <a href="https://www.fulcrum.org/concern/monographs/s1784m135#toc">philosophes musulmans</a> sur la société.</p>
<p>Au cours des trois siècles précédents, des philosophes musulmans avaient apporté des contributions majeures aux <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691135267/the-crest-of-the-peacock">mathématiques</a>, à la <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/T/bo28119973.html">physique</a> et à la <a href="http://press.georgetown.edu/book/georgetown/medieval-islamic-medicine">médecine</a>. Ils avaient notamment développé la <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/305233/the-house-of-wisdom-by-jim-al-khalili/">numération arabe</a> utilisée à ce jour partout en Occident et inventé un <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674050044&content=toc">précurseur de l’appareil photo d’aujourd’hui</a>.</p>
<p>Les oulémas conservateurs ont estimé que ces philosophes étaient influencés de manière inappropriée par la <a href="http://cup.columbia.edu/book/a-history-of-islamic-philosophy/9780231132206">philosophie grecque</a> et par <a href="https://archive.org/stream/renaissanceofisl029336mbp/renaissanceofisl029336mbp_djvu.txt">l’islam chiite</a>, aux dépens de la foi sunnite. <a href="https://www.ghazali.org/books/laoust.pdf">Ghazali</a>, un érudit brillant et respecté mort en 1111, est considéré comme le penseur le plus important de cette période de consolidation de l’orthodoxie sunnite.</p>
<p>Dans plusieurs <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/A/bo16220536.html">livres ayant eu une grande influence</a> et encore énormément lus de nos jours, Ghazali déclara que deux grands philosophes musulmans alors décédés depuis longtemps, <a href="https://fonsvitae.com/product/hardback-al-ghazali-deliverance-error-al-munqidh-min-al-dalal-works-copy/">Farabi et Ibn Sina</a>, étaient des apostats du fait de leur vision non orthodoxe de la puissance divine et de la nature de la résurrection. Selon Ghazali, leurs adeptes étaient <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/I/bo3624354.html">passibles de mort</a>.</p>
<p>Les historiens contemporains, comme <a href="https://uncpress.org/book/9780807856574/the-politics-of-knowledge-in-premodern-islam/">Omid Safi</a> et <a href="https://global.oup.com/academic/product/al-ghazalis-philosophical-theology-9780195331622 ?cc=us&lang=en&">Frank Griffel</a>, estiment que, à partir du XII<sup>e</sup> siècle, les propos de Ghazali ont servi de justification aux sultans musulmans souhaitant <a href="https://www.iep.utm.edu/ibnrushd/">persécuter</a> – voire <a href="https://www.britannica.com/biography/as-Suhrawardi">exécuter</a> – des <a href="https://criticalmuslim.com/issues/12-dangerous-freethinkers/abbasid-freethinking-humanism-aziz-al-azmeh">penseurs</a> perçus comme des menaces pour leur règne basé sur le conservatisme religieux.</p>
<p>Cette « alliance entre les oulémas et l’État », <a href="https://www.google.com/books/edition/Islam_Authoritarianism_and_Underdevelopm/xjCdDwAAQBAJ ?hl=en&gbpv=1&bsq= %22ulema-state %22">comme je l’appelle</a>, est née <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/V/bo5951736.html">au milieu du XI<sup>e</sup> siècle</a> en <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691165851/lost-enlightenment">Asie centrale</a>, en <a href="https://www.worldcat.org/title/continuity-and-change-in-medieval-persia-aspects-of-administrative-economic-and-social-history-11th-14th-century/oclc/16095227">Iran</a> et en <a href="https://www.sunypress.edu/p-3207-a-learned-society-in-a-period-o.aspx">Irak</a>, avant de s’étendre un siècle plus tard à la <a href="https://www.cambridge.org/us/academic/subjects/history/middle-east-history/knowledge-and-social-practice-medieval-damascus-11901350 ?format=PB">Syrie</a>, à l’<a href="https://www.cambridge.org/core/books/muslim-cities-in-the-later-middle-ages/02685655C9C18404192B9FE3E43E75D5">Égypte</a> et à l’<a href="https://www.worldcat.org/title/muqaddimah-an-introduction-to-history/oclc/307867">Afrique du Nord</a>. Dans ces régimes, la remise en question de l’orthodoxie religieuse et de l’autorité politique ne relevait pas seulement de la dissidence mais de l’apostasie.</p>
<h2>Dans la mauvaise direction</h2>
<p>Certaines parties de <a href="https://www.cambridge.org/us/academic/subjects/history/european-history-general-interest/rise-western-world-new-economic-history ?format=PB">l’Europe occidentale</a> étaient dirigées par des alliances similaires entre l’Église catholique et les monarques. Là aussi, la liberté de penser était réprimée. Pendant l’Inquisition en Espagne, du XVI<sup>e</sup> au XVIII<sup>e</sup> siècle, des <a href="https://lup.lub.lu.se/search/publication/2150452">milliers de personnes</a> furent torturées et mises à mort pour apostasie.</p>
<p>Des lois réprimant le blasphème sont longtemps restées en vigueur dans plusieurs pays d’Europe, bien qu’elles n’étaient que rarement invoquées. <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/quran-burner-denmark-facebook-blasphemy-laws-repeal-a7771041.html">Le Danemark</a>, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/oct/27/ireland-votes-to-oust-blasphemy-ban-from-constitution">l’Irlande</a> et <a href="https://www.timesofmalta.com/articles/view/20160714/local/repealing-blasphemy-law-a-victory-for-freedom-of-speech-says-humanist.618859">Malte</a> n’ont abrogé ces lois que tout récemment.</p>
<p>Mais de telles lois existent toujours en de nombreux points du monde musulman.</p>
<p>Au Pakistan, le dictateur <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/sacrilege-et-politique-religieuse-au-pakistan">Zia ul Haq</a>, qui dirigea le pays de 1978 à 1988, a fait adopter des lois anti-blasphème particulièrement dures. Allié des <a href="https://nation.com.pk/14-Oct-2016/10-things-you-need-to-know-about-pakistan-s-blasphemy-law">oulémas</a>, Zia <a href="https://www.refworld.org/pdfid/565da4824.pdf">a remis au goût du jour des lois réprimant le blasphème</a> – initialement instaurées par le colonisateur britannique pour éviter les conflits interreligieux – de façon à protéger spécifiquement l’islam sunnite, les personnes reconnues coupables encourant désormais la peine de mort.</p>
<p>Des années 1920 à l’avènement de Zia, ces lois n’avaient été appliquées <a href="https://nation.com.pk/14-Oct-2016/10-things-you-need-to-know-about-pakistan-s-blasphemy-law">qu’une dizaine de fois</a>. Depuis, elles sont devenues un outil privilégié par le pouvoir pour s’en prendre à ses adversaires.</p>
<p>Beaucoup de pays musulmans ont connu des <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof :oso/9780199812264.001.0001/acprof-9780199812264">processus similaires</a> au cours des quatre dernières décennies, notamment <a href="https://www.nytimes.com/2004/06/29/world/iran-drops-death-penalty-for-professor-guilty-of-blasphemy.html">l’Iran</a> et <a href="https://www.newsweek.com/egypt-atheism-illegal-crackdown-non-believers-religion-islam-772471">l’Égypte</a>.</p>
<h2>Des voix dissidentes au sein de l’islam</h2>
<p>Les oulémas conservateurs fondent leurs arguments en faveur des lois réprimant le blasphème et l’apostasie sur quelques paroles du prophète Mahomet (hadiths), principalement : <a href="https://www.google.com/books/edition/Freedom_of_Religion_Apostasy_and_Islam/MrhBDgAAQBAJ ?hl=en&gbpv=1&dq=apostasy+hadith+change+religion+kill&pg=PT87&printsec=frontcover">« Celui qui change de religion, tuez-le »</a>.</p>
<p>Mais de nombreux <a href="https://english.kadivar.com/2006/09/29/the-freedom-of-thought-and-religion-in-islam-2/">érudits de l’islam</a> et <a href="https://www.nytimes.com/2015/01/14/opinion/islams-problem-with-blasphemy.html">intellectuels musulmans</a> rejettent cette vision des choses, qu’ils jugent <a href="https://yaqeeninstitute.org/jonathan-brown/the-issue-of-apostasy-in-islam/#.XjcRFy2ZNKN">radicale</a>. Ils rappellent que Mahomet <a href="https://yaqeeninstitute.org/jonathan-brown/the-issue-of-apostasy-in-islam/#.XjcRFy2ZNKN">n’a jamais fait exécuter quiconque pour apostasie</a> et <a href="https://archive.org/details/MuhammadAndTheJewsAReExaminationByBarakatAhmad_201702">n’a jamais appelé ses partisans à le faire</a>.</p>
<p>De même, la criminalisation du sacrilège ne repose pas sur le texte sacré de l’islam, le Coran, qui contient au contraire <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/9781315255002">100 versets</a> promouvant la paix, la liberté de conscience et la tolérance religieuse.</p>
<p>Dans le verset 256 de la sourate 2, le Coran proclame : « Il n’y a pas de contrainte en religion ». Le verset 140 de la sourate 4 invite seulement les musulmans à ne pas participer à des conversations blasphématoires : « Lorsque vous entendez qu’on renie les versets d’Allah et qu’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là. »</p>
<p>Pourtant, en utilisant leurs connexions politiques et leur <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691130705/the-ulama-in-contemporary-islam">autorité historique</a> en matière d’interprétation de l’islam, les oulémas conservateurs ont marginalisé les <a href="https://oneworld-publications.com/progressive-muslims-pb.html">voix plus modérées</a>.</p>
<h2>Réactions à l’islamophobie dans le monde</h2>
<p>Les débats en cours au sein du monde musulman sur les lois punissant le blasphème et l’apostasie sont largement influencés par la situation internationale.</p>
<p>En de nombreux points du monde, les minorités musulmanes, comme les <a href="https://www.hrw.org/world-report/2019/country-chapters/israel/palestine">Palestiniens</a>, les <a href="https://www.nytimes.com/2019/12/10/world/europe/photos-chechen-war-russia.html">Tchétchènes</a> en Russie, les <a href="https://www.hrw.org/news/2019/09/16/india-free-kashmiris-arbitrarily-detained">Cachemiris</a> en Inde, les <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/rohingya-crisis ?gclid=CjwKCAiAsIDxBRAsEiwAV76N8zrlJqhi65w6DzRLwTrDYleM8U7DFswwKp61f3Oiav1Bq4schYpKzhoCfh4QAvD_BwE">Rohingya</a> au Myanmar et les <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2019/11/16/world/asia/china-xinjiang-documents.html">Ouïghours</a> en Chine, subissent des persécutions. Aucune autre religion n’est aussi largement prise pour cible dans autant de pays différents.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les Rohingya du Myanmar sont l’une des nombreuses minorités musulmanes persécutées dans le monde. État de Rakhine, Myanmar, 13 janvier 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/rohingya-people-who-were-arrested-at-sea-in-december-walk-news-photo/1193446518?adppopup=true">AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En outre, il convient également de rappeler l’existence dans les pays occidentaux de certaines <a href="https://www.dw.com/en/german-court-allows-courtroom-headscarf-ban/a-42857656">lois</a> discriminatoires à l’égard des musulmans, telles que l’interdiction du <a href="https://www.cambridge.org/9781108476942">voile à l’école</a> ou la décision de l’administration Trump de ne pas autoriser les ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane à accéder au territoire américain.</p>
<p>Ces lois et politiques <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2014/10/is-islamophobia-real-maher-harris-aslan/381411/">islamophobes</a> peuvent créer l’impression que les musulmans sont <a href="https://news.gallup.com/poll/157082/islamophobia-understanding-anti-muslim-sentiment-west.aspx">assiégés</a> et <a href="https://lb.boell.org/en/2012/08/15/muslim-political-theology-defamation-apostasy-and-anathema">justifier</a> aux yeux de certains d’entre eux l’idée que réprimer le blasphème serait un acte de protection de la foi.</p>
<p>De mon point de vue, c’est plutôt l’existence de règles religieuses aussi strictes qui nourrit les <a href="https://deadline.com/2014/10/ben-affleck-comes-to-blows-with-bill-maher-over-his-opinions-toward-islam-video-845912/">stéréotypes anti-musulmans</a>. Plusieurs membres turcs de ma famille m’ont même déconseillé de travailler sur cette question, de crainte que cela n’alimente l’islamophobie.</p>
<p>Mais mes recherches montrent que la criminalisation du blasphème et de l’apostasie est de nature politique plus que religieuse. Ce ne sont pas les versets du Coran mais les dirigeants autoritaires qui exigent le châtiment des blasphémateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133458/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ahmet T. Kuru est l'auteur de "Islam, Authoritarism and Underdevelopment: A Global and Historical Comparison" (Cambridge University Press, 2019).</span></em></p>
Au Pakistan, en Iran et en Arabie saoudite, le blasphème est passible de la peine de mort. Ces lois n’ont pas seulement des motifs religieux : elles répondent aussi à des préoccupations politiques.
Ahmet T. Kuru, Professor of Political Science, San Diego State University
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/122073
2019-09-16T19:06:52Z
2019-09-16T19:06:52Z
Une vie avant la recherche : un militaire face à l’éthique
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292210/original/file-20190912-190016-61mkyj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C22%2C3786%2C2475&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alpha Jet, Patrouille de France, armée de l'air, 2016.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/25535162@N02/29516308916">Martin Wippel Airpower 16/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p><em>Emmanuel Goffi, chercheur en relations internationales, s’est intéressé aux questions d’éthique en philosophie notamment dans le contexte militaire. Il revient pour The Conversation sur sa carrière dans l’armée de l’Air, déterminante pour ses réflexions universitaires.</em></p>
<hr>
<p>Entré dans l’armée l’Air française en 1992 comme sous-officier électrotechnicien, je n’imaginais pas que mon parcours militaire m’amènerait vers le monde universitaire. Fils d’un immigré italien, mon engagement répondait à une volonté de rendre à la France ce qu’elle m’avait donné. Poursuivant des études au lycée en électrotechnique, je m’étais tourné vers l’armée de l’air qui offrait alors d’opportunités de carrières dans le domaine.</p>
<p>Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que l’armée est un formidable milieu d’apprentissage. Surtout pour qui est capable de prendre du recul sur la mythologie qu’elle véhicule et qui l’entoure. Mythologie au cœur d’un microcosme qui a élevé la Nation en dieu séculier et construit toute une liturgie autour de la <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/chris_0753-2776_1985_num_6_1_1011.pdf">« religion civile à la française »</a>. L’obéissance, le sens du devoir, le courage, le <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/7cduvpmlul90bqdbdadafigsfe/resources/2015iepp0041-goffi-emmanuel.pdf">sacrifice suprême</a>, le service désintéressé, la subordination à l’autorité politique, sont autant d’éléments constitutifs du mythe militaire.</p>
<h2>L’individu n’est rien, le groupe est tout</h2>
<p>L’entrée dans l’armée c’est avant tout l’intégration de l’idée que l’individu n’est rien et que le groupe est tout. C’est d’ailleurs le sens des formations militaires initiales qui visent à fondre l’individualité dans la communauté de manière à ce que le tout ainsi formé avance d’un même pas dans une direction imposée par l’autorité. C’est aussi l’apprentissage du dépassement de soi et de la mise en sommeil, pernicieuse parce qu’inconsciente, de son libre arbitre.</p>
<p>La carrière militaire est ainsi faite d’une acculturation à l’obéissance, à la <a href="http://reseau-multipol.blogspot.com/2018/04/point-de-vue-la-culture-du-silence-dans.html">culture du silence</a>, à l’idée que le militaire est la propriété de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071307&idArticle=LEGIARTI000032920705">Nation au service de laquelle il se place</a> et que la mission ultime et sacrée que représente sa défense, passe avant tout et justifie tous les sacrifices. Si certains y trouvent leur compte d’autres s’accommodent difficilement de <a href="http://www.inflexions.net/la-revue/22/dossier/goffi-emmanuel-expression-libre">l’arbitraire et de l’obéissance passive</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292591/original/file-20190916-19030-6z6cxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’armée c’est aussi une mythologie : élèves de l’École de l’air pendant le défilé du 14 juillet 2007 sur les Champs-Élysées.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6f/Ecole_Air_Bastille_Day_2007.jpg">Marie-Lan Nguyen/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un monde à part</h2>
<p>Affecté comme sous-officier électrotechnicien au 1<sup>er</sup> Groupement de missiles stratégiques d’Apt, je découvre les affres de la vie militaire mais surtout un univers de cohésion, de rigueur et de valeurs spécifiques.</p>
<p>C’est dans cet univers que je décide de faire progresser ma carrière pour devenir officier et c’est en préparant un baccalauréat littéraire option langue en candidat libre que je découvre mon appétence pour les études. Le bac en poche et muté sur Bordeaux, je prépare le concours d’entrée à l’École militaire de l’air de Salon de Provence, que j’intègre à l’été 2000.</p>
<p>Mon séjour à ce salon me fait prendre conscience du décalage entre la volonté de l’armée de former des officiers aux sciences humaines pour leur permettre de comprendre le monde dans lequel ils vont être amenés à exercer, et le besoin de limiter cette formation pour ne pas obérer l’exigence d’obéissance.</p>
<p>C’est pourtant en suivant avec intérêt le cours de Géopolitique Histoire Géographie du <a href="https://www.diploweb.com/_Patrice-GOURDIN,244_.html">professeur Patrice Gourdin</a>, que je découvre à la fois le vaste et complexe domaine des relations internationales et la passion de l’enseignement.</p>
<p>De retour en unité, je mesure l’écart entre les possibilités infinies de réflexions en relations internationales et l’étroitesse d’une pensée militaire peu encline à l’introspection et enfermée dans des analyses étroites et souvent passéistes.</p>
<p>Ce constat sera renforcé lors de mon passage par Sciences Po Paris de 2005 à 2007. Mon champ des possibles s’ouvre au fur et à mesure que ma curiosité grandie, m’éloignant peu à peu de la pensée institutionnelle que je questionne.</p>
<p>C’est aussi à Sciences Po, en suivant le cours d’éthique des relations internationales d’<a href="http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/cerispire-user/7154/530">Ariel Colonomos</a>, que je m’initie à la réflexion philosophique sur la guerre.</p>
<h2>Repenser le phénomène guerrier</h2>
<p>Objet central du métier des armes, trop souvent approché de manière superficielle et traditionnelle dans l’institution de défense, le phénomène guerrier prend pour moi une dimension nouvelle grâce à l’éthique. Fortement façonnée par ce que certains auteurs appellent « l’ombre du passé », la <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/pol%C3%A9mologique">pensée polémologique</a> (c’est-à-dire l’étude de la guerre) est dans les armées arc-boutées sur une lecture pratico-pratique et caractérisée par un structuralisme tant conceptuel qu’historique.</p>
<p>En d’autres termes, le phénomène guerrier s’inscrit dans une mythologie héritée du passé qui structure la pensée militaire et conditionne les perceptions et donc les actions au travers de <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2008-2-page-81.htm">doctrines</a>.</p>
<p>Les références incessantes au théoricien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_von_Clausewitz">Carl Von Clausewitz</a> ou l’application en Afghanistan des réflexions de l’officier et penseur <a href="https://www.defense-et-republique.org/1Fichiers/bibliographie/2008_galula.pdf">David Galula</a>, montrent que l’histoire reste le prisme principal de l’analyse militaire du phénomène guerrier.</p>
<p>La philosophie réinvestira la matière au travers des réflexions éthiques entourant l’<a href="http://dynamiques-internationales.com/publications/numero-8-juillet-2013/">emploi des drones</a> suite aux <a href="https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/attaques-de-drones-americaines-pays-europeens-impliques">excès américains</a> en Afghanistan.</p>
<h2>Réflexions sur l’emploi des drones</h2>
<p>Au même moment les <a href="https://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/analyses-iris/20140114_np_iris-cicde_aspects-juridiques-ethiques-frappe-distance-cibles-humaines.pdf">interrogations liées au développement des systèmes de drones</a> se font jours en France.</p>
<p>L’éthique du recours aux systèmes inhabités, opérés à distance, devient alors un sujet en vogue tant hors que dans l’armée.</p>
<p>En interne la crainte de voir ces systèmes remplacer les pilotes de chasse suscite d’abord une certaine réserve rapidement levée par un discours ciselé par la communication de la Défense. À l’extérieur, les considérations sont plus absconses et renvoient aux risques juridiques et moraux que représentent ces systèmes d’armes opérés à distance. Face à une levée de boucliers de la part de certaines <a href="https://www.stopkillerrobots.org/">organisations non gouvernementales</a>, d’<a href="http://noelsharkey.com/">observateurs</a> et d’intellectuels, les armées se résolvent à investir le sujet.</p>
<p>Ainsi, se construit un discours en faveur des drones répondant aux inquiétudes portées par leurs détracteurs, et décliné en éléments de langages repris par les institutionnels jusque dans les réunions de la <a href="https://www.un.org/disarmament/fr/le-desarmement-a-geneve/convention-sur-certaines-armes-classiques/">Convention sur certaines armes classiques</a>.</p>
<p>C’est ce manque d’objectivité général qui m’a incité à proposer une approche philosophique nuancée reposant le <a href="https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/1856/PLAF29.pdf">principe de responsabilité</a>.</p>
<h2>L’enseignement comme ouverture au monde</h2>
<p>Affecté à l’École de l’Air à ma sortie de Sciences Po pour y enseigner notamment les relations internationales et le droit des conflits armés, j’ai découvert les joies du partage et de l’échange de connaissances et de points de vue avec les étudiants. J’y ai enseigné et conduit mes travaux de recherche, avec ce souci constant d’<a href="http://www.inflexions.net/la-revue/22/dossier/goffi-emmanuel-expression-libre">ouvrir les esprits et de favoriser l’esprit critique</a>, avec la volonté d’entrer avec le plus d’objectivité possible dans la complexité de l’éthique militaire.</p>
<p>Les échanges avec les étudiants, en France comme au Canada, ont toujours été une source inépuisable d’apprentissage, de remise en question et d’ouverture sur de nouvelles perspectives. Ils ont été aussi le révélateur des différences d’approches entre les universités et le système militaire dont les étudiants diffèrent sur plusieurs aspects : bagage intellectuel, orientation politique, vision du monde, objectifs professionnels, ouverture d’esprit…</p>
<p>Ils m’ont également permis de maintenir un lien entre le monde souvent théorique de la recherche et la réalité quotidienne telle que vécue par tout un chacun. Ce contact m’a bien souvent imposé de revoir mes analyses et de questionner mes convictions. Il m’a surtout introduit aux notions d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Intersubjectivit%C3%A9">intersubjectivité</a> puis de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Constructivisme_social">constructivisme social</a>, qui m’aideront à comprendre la formation des idées et des normes et leur impact sur nos comportements.</p>
<h2>Le sacrifice suprême</h2>
<p>C’est d’ailleurs cette voie que j’ai empruntée pour ma <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/7cduvpmlul90bqdbdadafigsfe/resources/2015iepp0041-goffi-emmanuel.pdf">thèse</a> sous la direction d’Ariel Colonomos. Associant la philosophie, la sociologie et les relations internationales à mon environnement professionnel, je me suis intéressé à la question délicate et hautement mythologique du sacrifice suprême, partant que tout est lié et que nos comportements ne sont que les résultantes de nos apprentissages.</p>
<p>Les entretiens, conduits dans le cadre de ma thèse, avec des militaires ayant été confrontés à la question de la mort au combat ont été un révélateur de l’importance fondamentale de l’esprit critique, même dans des situations à forte implication émotionnelle.</p>
<p>Réussir à cloisonner mon empathie pour celles et ceux qui servent la France et ma volonté d’étudier un phénomène symbolique avec le plus d’objectivité possible a été le grand défi de mon doctorat.</p>
<p>Ce cheminement m’aura permis de trouver ma voie et de m’ouvrir l’esprit, que je revendique critique et libre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122073/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel R. Goffi is affiliated with Initiative Démocrate. </span></em></p>
« L’armée est un formidable lieu d’apprentissage pour qui est capable de prendre du recul sur la mythologie qu’elle véhicule » un ancien militaire devenu spécialiste en éthique raconte.
Emmanuel R. Goffi, Professeur à l'Institut Libre d'Étude des Relations Internationales (ILERI), Institut libre d'étude des relations internationales (ILERI)
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tag:theconversation.com,2011:article/110834
2019-02-18T16:43:37Z
2019-02-18T16:43:37Z
Quels liens entre mythes et religions ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259580/original/file-20190218-56240-pq710n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C791%2C529&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La création d'Adam par Michel-Ange, chappelle Sixtine, Vatican. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Michelangelo_-_Creation_of_Adam.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Il faudrait beaucoup d’audace pour prétendre traiter en quelques lignes un sujet aussi vaste et aussi complexe que celui du rapport entre le mythe et la religion. Aussi ai-je choisi de circonscrire doublement la matière. Des quelque mille ans qui composent l’histoire de la pensée religieuse, je me limiterai à quelques exemples. D’autre part, plutôt que d’aborder la question dans toute son ampleur, je ferai choix d’un thème limité, mais néanmoins central, celui de l’omniprésence du mythe dans les expériences du sacré.</p>
<h2>Mythe et religion</h2>
<p>D’un point de vue psychanalytique, Jean Bergeret propose de définir la religion comme étant un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-1997-3-page-877.htm?contenu=resume">phénomène forcément multifactoriel et qui n’a souvent rien à voir avec notre conception habituelle de la logique</a>.</p>
<p>Cette lecture rationaliste du religieux oublie les problèmes que rencontrent ceux qui étudient l’historicité du fait. Qu’il me suffise de rappeler, par exemple, les difficultés auxquelles est confronté un archéologue lorsqu’il doit établir si tel monument est de l’ordre de l’usage profane ou sacré. Il en va de même quand il s’agit de juger le caractère religieux d’une mosaïque ou d’une inscription, d’un mot ou d’un énoncé. Comment savoir si un récit ou un poème appartiennent à l’ordre du religieux ? Nombreuses sont les narrations anciennes qui mettent en jeu des dieux ou des figures divines. Bref, en quel sens un hymne, par exemple, appartient-il ou non à l’ordre religieux ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, il faut commencer tout d’abord par une définition linguistique de ce qui est la religion.</p>
<p>L’étymologie du terme est incertaine et sa sémantique pose aujourd’hui problème aux spécialistes. En effet, la littérature latine de l’Antiquité nous a transmis deux origines pour ce concept. La première est liée au verbe « relegere », signifiant <em>relire</em> alors que la deuxième est plutôt attachée au verbe « religare » qui se traduit par <em>relier</em>. Ainsi, selon l’origine du mot, le religieux est, soit celui qui <em>relit</em> les rites effectués lors d’un culte. Soit celui qui <em>relie</em> l’humain aux forces divines.</p>
<p>Si la religion est donc comprise comme quelque chose qui se rapporte surtout à des éléments divins, <a href="https://www.letemps.ch/culture/religion-un-mythe-autres-0">on est contraint de reconnaître qu’il ne reste plus grand-chose pour établir un lieu propre au mythe</a>. Dans pareille perspective, tout mythe appartient à l’ordre du religieux : le mythe serait le reflet d’un rite ou d’un culte, ou l’inverse. Une telle homologie entre le mythe et le rite a longtemps été la condition <em>sine qua non</em> pour décortiquer la mentalité prérationaliste.</p>
<p>Ainsi l’historien <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/2006-v62-n2-ltp1452/014284ar/">Mircea Eliade</a> a pu écrire :</p>
<blockquote>
<p>Le mythe exprime plastiquement et dramatiquement ce que la métaphysique et la théologie définissent dialectiquement.</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, le mythe ne transpose pas une vérité déjà possédée sous forme savante. La conscience mythique a, en général, une double préoccupation : abolir le temps profane et parvenir ainsi à une régénération totale. L’un et l’autre desseins ont un nom bien connu de la philosophie religieuse : surmonter le devenir, c’est accéder à l’éternité ; tout renouveler et se renouveler, c’est se convertir, devenir un homme nouveau dans un monde nouveau.</p>
<p>C’est ce que note expressément Eliade :</p>
<blockquote>
<p>Dans l’aspiration de recommencer une vie nouvelle au sein d’une Création nouvelle – aspiration manifestement présente dans tous les cérémoniaux de fin et de début de l’année – perce ainsi le désir paradoxal d’arriver à inaugurer une existence anhistorique, c’est-à-dire de pouvoir vivre exclusivement dans un temps sacré. Ce qui revint à projeter une régénération du temps entier, une transfiguration de la durée en « éternité ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=470&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=470&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=470&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/256996/original/file-20190204-193226-13mj4ah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=591&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Tour de Babel de Pieter Brueghel l’Ancien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée Boijmans Van Beuningen (Rotterdam)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Qu’est-ce que la pensée mythique ?</h2>
<p>La religion est-elle un mythe ? Formule de scandale, formule polémique. C’est pourquoi la réponse sera double : oui et non, car il y a du mythe dans certaines couches de la pensée religieuse. Ce sera là le rôle premier des mythes qui sont pour Eliade le socle de toute représentation sacrée :</p>
<blockquote>
<p>Le mythe est considéré comme une histoire sacrée, et donc une « histoire vraie », parce qu’il se réfère toujours à des réalités. Le mythe cosmogonique est « vrai » parce que l’existence du monde est là pour le prouver ; le mythe de l’origine de la mort est également « vrai » parce que la mortalité de l’homme le prouve, et ainsi de suite.</p>
</blockquote>
<p>Cela étant dit, il ne faudrait pas croire que dans le monde des humains, certaines choses sont sacrées et que d’autres sont profanes en elles-mêmes : rien de ce qui peuple notre monde n’est en soi sacré ou profane : <a href="https://www.persee.fr/doc/assr_0003-9659_1967_num_24_1_2639">tout ce qui est sacré à un certain moment de l’histoire humaine peut très bien devenir profane et inversement</a>.</p>
<p>L’<em>homo religiosus</em> semble ainsi s’inspirer, d’une façon ou d’une autre, de la pensée mythique, c’est-à-dire d’une réalité métahistoire. La religion n’est pas une théorie abstraite qui résiste à la raison. Elle est justifiée parce qu’elle émerge d’un discours lointain, suprahistorique, qui formera la base de son développement historique antérieur.</p>
<p>La quête de repères et de sens, l’interrogation sur le mal, la souffrance, la justice et la mort ont poussé l’humain a absorber une partie de la pensée mythique pour la réutiliser, même en partie, dans le quotidien. La diversité des religions pourrait donc s’expliquer par la diversité des structures mythiques. Mais, en dépit de cette diversité, <a href="https://www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2005-1-page-81.htm">il existe une certaine conception du sacré acceptée par toutes les religions</a>.</p>
<p>Il semblerait ainsi que le sacré soit l’acmé du mythe métamorphosé en une réalité socio-historique. Dès lors, la rythmicité sacrée du mythe s’illustre tout particulièrement dans les rituels, dans la périodicité d’un geste paradigmatique à travers lequel quelque chose se révèle comme durable dans le flux universel. Cette rythmicité sacrée est alors proche de la litanie, du leitmotiv. En conséquence, le temps social se présente comme une durée précaire, qui mène à la mort en tant qu’elle est une perte, <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1971_num_26_3_422428">alors que le temps mythique, parce qu’il est sacré, permet de penser une circularité sans perte, puisque la mort est toujours pensée comme renaissance</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110834/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Arbi Nsiri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Une exploration de l’omniprésence du mythe dans les expériences du sacré.
Mohamed Arbi Nsiri, Doctorant en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/91122
2018-02-06T20:35:43Z
2018-02-06T20:35:43Z
La consommation sans honneur
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/204698/original/file-20180204-19933-72fse4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Se battre pour un pot de…bonheur (en promotion) ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/enricomatteucci/4341159281/in/photolist-7BBzpP-dnkWnU-ouZE1-bpeYkX-28GtV-mR16kR-ejtbmX-9hgWWs-5ffuGA-33sac-bedBSz-eUjG7J-azz1sw-reyGX8-dNAxoR-6957V8-aP4ufx-bNYnZP-eZ3TmV-qGsXrL-cFetUu-mWLMrT-cMmKWY-jP19Qx-8quA4R-foBnhC-jMbyV8-ayR8oX-9UmTyj-W9fcnm-mj7NKP-cR5m1E-otzoTr-4rjZuR-ebdVd6-KbtY6A-77k6Ah-cR6AN7-bxuGtg-nGY5CZ-c3VuMW-6VZVmt-9Bb3zU-2kJnW-jeQ371-fQP3kp-dVbu5K-7AR45T-a2N6Dt-9hdNKv">Enrico Matteucci/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Nous consommateurs serions donc prêts à nous battre pour un pot joufflu de pâte à tartiner lors d’une vaste opération promotionnelle. Cet épisode ne fait que mettre à jour un tabou monumental d’une société matérialiste qui se caractérise par le fait qu’on y accorde davantage d’importance aux biens marchands qu’à nos semblables. Comme si en définitive les biens comptaient plus que les liens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"956562064033665025"}"></div></p>
<p>Plutôt que de s’en émouvoir vainement, repensons à cette phrase d’Apollinaire :</p>
<blockquote>
<p>« J’aime les hommes, non pour ce qui les unit, mais pour ce qui les divise, et des cœurs, je veux surtout connaître ce qui les ronge. »</p>
</blockquote>
<p>Le marketing que l’on réduit souvent à un art de la manipulation symbolique a profondément transformé notre société, et ce de plusieurs façons. Il se fonde sur l’idée qu’un produit ou une marque n’existe que dans l’esprit du consommateur. C’est ce que l’on appelle le positionnement. En se départant de l’idée d’une réalité ontologique, stable et objective le marketing n’est rien d’autre qu’une technique de subjectivation de la réalité.</p>
<h2>Valeur de simulacre et addiction</h2>
<p>Ainsi, un produit a beau être une bombe calorique et écologique, des millions de consommateurs le perçoivent comme une référence incontournable pour un petit déjeuner sain et équilibré. En construisant des perceptions et en niant finalement une quelconque ontologie de la marchandise qui est toujours enfermée dans sa valeur de signe, voire de simulacre, le marketing n’a pas attendu Donald Trump pour inventer les <em>fake truths</em>.</p>
<p>Des années de labourage des cerveaux adossées à des budgets considérables ont permis de construire une citadelle psychologique imprenable permettant de créer une marque iconique de la société de consommation d’après-guerre. Créée dans les années 1940 comme un produit de substitution dans une période de pénurie de cacao, la fameuse pâte à tartiner est devenu le symbole d’une société de compensation et d’abondance rompue à une quête effrénée du plaisir.</p>
<p>Le marketing s’appuie d’ailleurs sur un tour de passe-passe récurrent qui est de vendre du plaisir en ne parlant que de bonheur. Ce faisant, comme l’a montré Robert Lustig dans son ouvrage, <a href="http://bit.ly/2hzF8SM"><em>The Hacking of the Amercan Mind</em></a>, le marketing active le circuit de la dopamine qui est largement addictologique plutôt que celui de la sérotonine qui est celui de la sérénité, du contentement et de l’apaisement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EKkUtrL6B18?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview du Dr Lustig sur les différences entre le plaisir et le bonheur.</span></figcaption>
</figure>
<p>D’où ce paradoxe qui consiste pour une marque à parler de « bonheur à tartiner » afin de mieux vendre des substances addictives qui sont à la félicité ce que Coca Cola est à la gastronomie. Le marketing est une technique qui s’appuie essentiellement sur le client ; non pas sur ses désirs ou ses attentes, comme on tente souvent de nous le faire croire, mais en le transformant en média, voire en produit.</p>
<h2>Instrumentalisation… et promotion</h2>
<p>Peut-on d’ailleurs espérer meilleure communication pour une enseigne que la médiatisation de gens s’étripant dans un magasin pour économiser quelques euros sur l’achat d’une pâte à tartiner ? L’étalage de cette violence physique et symbolique n’a d’autre conséquence que d’aiguiser le désir consommatoire.</p>
<p>Mais les marques ne se contentent pas d’instrumentaliser leurs clients ; elles manipulent les esprits en inventant les catégories par lesquelles nous percevons le monde. D’où l’importance des néologismes dans la communication des marques, qu’il s’agisse de « j’optimisme » ou encore de « je positive ».</p>
<p>La notion de pouvoir d’achat a par exemple été inventée par les enseignes dans les années 1970 pour asseoir un discours marketing et un positionnement leur permettant d’endosser un rôle d’Arsène Lupin. Ce faisant, elles ont réduit la rhétorique marchande à la seule question du prix, ce qui contribue à crisper toujours plus les relations entre les acteurs du marché et à détruire toujours plus de valeur économique et d’emplois à terme.</p>
<p>Faire une promo prix spectaculaire est une arme stratégique pour une enseigne permettant de montrer son pouvoir à l’égard d’une marque incontournable, mais aussi sa capacité de s’affranchir de la loi d’interdiction de vente à perte dont on peut désormais dire qu’elle a vécu. De manière générale, les grandes marques se sont toujours évertuées d’être au-dessus des lois (pas seulement fiscales), ce qui explique pourquoi elles représentent une véritable force politique qui remet notamment en cause la légitimité des États.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"956575471474528257"}"></div></p>
<h2>Le prix du sacré</h2>
<p>Mais pourquoi une baisse de prix promotionnelle affectant une marque emblématique remue-t-elle les corps et échauffe-t-elle les esprits à ce point ? Qu’a-t-on pu à ce point transgresser avec une vulgaire promo prix ? Et bien tout simplement le résidu de sacré qui reste dans une société de consommation qui est par définition sécularisée (c’est-à-dire qui a justement perdu le sens du sacré).</p>
<p>Toute l’histoire de la société de consommation est structurée par un jeu permanent entre ce qui relève du sacré et ce qui échoit au profane. Le libre-service a fait disparaître la barrière symbolique du comptoir, réduisant à néant l’intercession humaine des vendeurs et devenant une vaste machine à profaner la marchandise.</p>
<p>Tout y est accessible instantanément (c’est l’utopie amazonienne) alors que le prix n’est plus une référence stable. Chacun y allant de sa carte de fidélité ou de son carnet de coupons, le prix devient une variable customisée dans un champ commercial qui ne cesse de le piétiner, comme si c’était là le seul moyen d’attirer des clients.</p>
<p>Mais dans cette culture de dévoiement permanent des biens, il est néanmoins possible de distinguer du sacré. Car le sacré n’est-il pas finalement le seul moteur possible d’une telle effervescence ? Le sacré est d’abord lié à une question d’ordre. Les Grecs le considéraient déjà comme une menace à la sophrosyne apollinienne, la tempérance, la modération, la maîtrise de soi. Il représentait un retrait de l’ordre, une violation de l’harmonie et signait une introduction du chaos dans le cosmos, empêchant l’individu et la communauté d’accomplir leurs fins naturelles.</p>
<p>Dans sa célèbre conférence donnée en 1938 au Collège de sociologie intitulée <a href="http://bit.ly/2nH2Xrb">« Le sacré dans la vie quotidienne »</a>, Michel Leiris cherche de « l’extraordinaire dans l’ordinaire », à savoir « des sources de merveilleux, non dans ce qui le dépayse, mais dans la « réalité nue » de la vie la plus ordinaire. Ainsi, tout ce qui est sacré est objet de respect et tout sentiment de respect se traduit, chez lui qui l’éprouve, par des mouvements d’inhibition. Le sacré serait donc lié à une forme d’intensité, ce qui conduit à l’idée d’une domestication du sacré.</p>
<p>C’est de ce caractère d’intimité du sacré dont Leiris parle quand il écrit : « ce qui est sacré, c’est ce que j’aime ». C’est ce qu’ont fort bien compris ces marques qui se targuent d’être des <em>lovebrands</em>, des marques susceptibles de susciter des réactions passionnelles.</p>
<h2>Le processus d’investissement émotionnel</h2>
<p>N’importe quel objet marchand peut en fait devenir sacré pour son possesseur parce que la sacralisation résulte essentiellement d’un processus d’investissement émotionnel. Cela rejoint l’idée que le sacré en soi n’existe pas comme une réalité substantielle. Autrement dit, rien n’est sacré par nature et tout peut le devenir. On peut d’ailleurs penser que le luxe est justement la caractérisation de ce sacré dans une société marchande vouée à la profanation perpétuelle des biens.</p>
<p>Le luxe tire son pouvoir de réintroduire du désir et de la distance dans une société de la pure accessibilité. C’est pourquoi le luxe mesure tout simplement la capacité d’une marque à soustraire un bien marchand de l’ordre profane en accroissant son prix de vente bien au-delà du prix de référence du marché.</p>
<p>Le fait de massacrer le prix d’une marque sacrée n’est donc rien autre qu’un acte de profanation symbolique. Il nous renvoie à un monde dans lequel toutes choses ayant perdu leur magie, sont devenues égales, indifférentes, profanes et comme dépourvues de vertu.</p>
<p>Faute de raison d’agir et affranchi de tout pacte, l’homme sans honneur ne participe à rien qui ne soit de sacré. Faute d’aimer quiconque, il n’a droit à l’amitié d’aucun. C’est pourquoi cette recherche de l’honneur est cet anneau perdu à partir duquel il nous faut repenser une société de consommation qui ne pourra jamais faire décemment fi du sacré.</p>
<hr>
<p><em>Dernier ouvrage de Benoît Heilbrunn : <a href="http://bit.ly/2nGPjV3">« Médi(t)ations marchandes »</a>, Le Bord de l’eau, 2018</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91122/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
N’importe quel objet marchand peut devenir sacré pour son possesseur parce que la sacralisation résulte essentiellement d’un processus d’investissement émotionnel. Jusqu’à des « émeutes Nutella » ?
Benoit Heilbrunn, Professeur de marketing, ESCP Business School
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tag:theconversation.com,2011:article/90469
2018-01-23T22:57:12Z
2018-01-23T22:57:12Z
Pouvoir, société, culture : pourquoi faut-il relire Georges Balandier
<p>Quand on évoque les grands noms de l’anthropologie, le grand public connaît bien souvent ceux de Claude Lévi-Strauss ou encore <a href="https://theconversation.com/ce-que-les-hommes-aussi-doivent-a-francoise-heritier-87557">Françoise Héritier, récemment disparue</a>.</p>
<p>Rares sont celles et ceux qui citeront spontanément <a href="http://www.bibliotheque.sorbonne.fr/biu/IMG/pdf/georges_balandier.pdf">Georges Balandier</a>.</p>
<p>Cet éminent spécialiste de l’Afrique, <a href="http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/10/05/la-mort-de-georges-balandier-sociologue-specialiste-de-l-afrique_5008603_3382.html">décédé le 5 octobre 2016</a>, a pourtant marqué l’histoire de l’anthropologie de son <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/balandier_georges/balandier_georges_photo/balandier_georges_photo.html">empreinte</a>.</p>
<h2>Comprendre le changement</h2>
<p>Mais à la différence de celle de Claude Lévi-Strauss, son œuvre est moins portée par l’ambition disciplinaire de redéfinir l’<a href="http://www.ethnographiques.org/2010/Sahlins">objet et les méthodes de l’anthropologie</a> que par celle d’en faire une science de l’Homme dans la modernité, attentive aux contingences, aux indéterminations, au désordre et à l’événement plus qu’aux permanences et aux symétries. Rien n’est plus étranger à la pensée de Balandier que les notions d’invariant, de structure ou d’homologie.</p>
<p>Il s’agit pour lui avant tout de faire l’analyse d’une situation, c’est-à-dire d’un certain état de la société indissociable de rapports de forces changeants, qui sont aussi des rapports de sens. Si l’on considère l’instabilité comme l’état normal des collectifs humains, alors il est vain de chercher des armatures pérennes qui en garantiraient l’existence.</p>
<p>De ce point de vue, Balandier pratiquait ce qu’on appelle une anthropologie dynamique, laquelle entretient une certaine affinité avec la sociologie de Pierre Bourdieu, affinité inattendue car ce dernier se réclamait explicitement, non de l’anthropologie dynamique, mais de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2011-4-page-6.htm">héritage structuraliste</a> en mettant en avant la notion de « champ » qui n’est rien d’autre qu’une structure sociale déterminant les comportements individuels.</p>
<p>L’un et l’autre ont toujours navigué entre <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/9453">sociologie et anthropologie</a>, et ils ont aussi l’un et l’autre placé au cœur de leurs analyses l’idée que les luttes sociales sont aussi des luttes de significations, ou mieux, des luttes pour la définition de la réalité sociale.</p>
<h2>Une vision inversée du monde</h2>
<p>Dès 1953, Balandier montre comment la contestation de la colonisation va de pair avec la promotion d’une vision du monde inversée, les colonisés africains sont dans le vocabulaire religieux les élus d’un Dieu qui parle par la bouche de leurs <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/balandier_georges/messianismes_nationalismes/messianismes_nationalismes.html">prophètes</a>. Il en conclut ainsi que l’anticolonialisme s’exprime dans des catégories messianiques qui réinterprètent complètement la situation de domination. Aujourd’hui encore, un mouvement comme <a href="https://blog.courrierinternational.com/afrikarabia/2008/03/26/rdc-kinshasa-interdit-le-mouvement-politico-religieux-bundu-dia-kongo-bdk/">Bundu dia Kongo</a> (en français « Réunion du Kongo »), en RDC (ex-Zaïre) est de nature à la fois politique et religieuse. Ne Muanda Nsemi, le chef du mouvement, est ainsi un <a href="http://www.rfi.fr/emission/20141019-afrique-mouvement-bdk-bundu-kongo-identite-religion-politique">leader messianique et un chef de guerre</a>, qui conteste les découpages territoriaux de la colonisation et veut rétablir l’empire du Kongo dans ses frontières du XV<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Remarquons que Bourdieu utilise explicitement le concept de « situation coloniale » dans son premier livre en 1960 : <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2001-1-page-9.htm">Balandier a forgé l’expression en 1951</a>. « C’est en référence à la situation coloniale qu’il importe de saisir le style de vie propre aux Européens, leur système de valeurs et le type de rapport qu’ils entretiennent avec les colonisés », écrit ainsi Bourdieu dans <a href="https://www.cairn.info/sociologie-de-l-algerie--9782130521754.htm"><em>Sociologie de l’Algérie</em></a>). Certaines catégories utilisées par le jeune Bourdieu (« équilibre dynamique », « interpénétration culturelle », « réinterprétation partielle »…) s’apparentent ainsi à la sociologie telle que la conçoit Balandier en parallèle avec Roger Bastide, l’un des plus grands spécialistes de la société et de la culture brésilienne, très proche <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/bastide_roger/bastide_roger.html">sur le plan théorique de Balandier</a>.</p>
<p>Son <a href="http://journals.openedition.org/etudesafricaines/21523">hommage</a> dans le numéro des <em>Cahiers d’études africaines</em>, revue d’ethnologie africaniste dont il a été membre, témoigne bien de l’influence de Balandier à la fois dans les sciences humaines et sociales et du caractère pionnier de ses analyses qui ont transgressé les frontières des disciplines.</p>
<p>Ainsi, bien qu’elles s’inscrivent dans le champ particulier de l’anthropologie politique, ses réflexions, certes, articulées autour de la notion de pouvoir, ont surtout invité à étudier les sociétés et les cultures dans leur dynamisme, de manière exhaustive et extensive, abordant les religions, le sacré et le rite, l’économie et le travail ou encore la parenté et le genre.</p>
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<figcaption><span class="caption">Entretien avec Bénédicte Goussaut, dans le cadre de la collection « L’ethnologie en héritage » (Teaser).</span></figcaption>
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<h2>Ouvrir le dialogue entre « ordre » et « désordre »</h2>
<p>Ses premiers travaux sur la ville congolaise de Brazzaville et la « situation coloniale » (lire notamment <a href="https://www.puf.com/content/Sociologie_actuelle_Afrique_noire"><em>Sociologie actuelle de l’Afrique Noire</em>, 1955</a>) ont marqué une rupture dans la tradition anthropologique.</p>
<p>Ils ont en effet contesté les approches culturalistes, formalistes et matérialistes qui se développaient après la Seconde Guerre mondiale. Ces approches minoraient l’importance du changement social en se concentrant sur l’analyse du folklore ou des mythes, ou alors, comme les marxistes, prenaient seulement en compte la lutte des classes et les forces productives pour comprendre le changement social.</p>
<p>Pour Balandier, il s’agissait alors de se démarquer du structuralisme, du marxisme mais aussi d’une grande partie de l’anthropologie britannique et nord-américaine qui s’intéressaient certes au changement culturel (l’<a href="http://cnrtl.fr/definition/acculturation">acculturation</a>), mais sans le rapporter aux cadres sociaux dans lequel il se produit.</p>
<p>Dans ce contexte, Georges Balandier a développé une pensée très originale, fondée sur l’élaboration d’une anthropologie généralisée et comparative, soucieuse de comprendre et de saisir les dynamiques historiques déterminant les formations sociales et culturelles. Cette perspective dynamiste a renouvelé les fondements épistémologiques de l’anthropologie. En proposant de s’interroger sur le rapport entre « tradition » et « modernité » puis en élaborant la dialectique de l’ordre et du désordre, elle a mis en cause l’anhistorisme des travaux de ses prédécesseurs.</p>
<h2>Un autre regard sur la parenté</h2>
<p>La parenté constitue un objet extrêmement significatif de cette approche. Il s’agit bien d’un objet d’étude secondaire dans la réflexion de Georges Balandier, si on le compare à la place que la <a href="http://journals.openedition.org/lectures/23470">parenté occupe dans l’anthropologie classique et dans le travail de Lévi-Strauss</a>. Marginales dans l’œuvre foisonnante de Balandier, les analyses de la parenté permettent pourtant de retracer l’évolution de la définition du pouvoir dans son œuvre.</p>
<p>La parenté est d’abord définie comme une relation de domination dont la forme a été soumise à des reconfigurations historiques par l’intrusion d’une puissance étrangère, puis comme un modèle de « mutation » exemplifiant les origines interne et externe du <a href="http://www.cargo.canthel.fr/fr/manetta-delphine/">changement</a>. Or, si « l’imaginaire » et le « symbolique » permettent d’identifier les dynamiques du pouvoir au sein des liens parentélaires, la parenté n’en demeure pas moins déterminée par la géographie comme Balandier l’a brillamment montré dans sa <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-brazzavilles-noires--9782724605241.htm"><em>Sociologie des Brazzavilles noires</em></a>. L’anthropologie dynamiste propose au fond une vision triadique du politique, associant le pouvoir, le symbolique et l’espace.</p>
<h2>De la possession au pouvoir</h2>
<p>On peut émettre aussi l’hypothèse que l’expérience directe de rites de possession et de divination en Afrique est à l’origine d’une <a href="http://www.cargo.canthel.fr/wp-content/uploads/2017/12/Cargo6-7_Dianteill.pdf">certaine fascination de Balandier pour la religion</a>, au-delà de la seule sociologie des institutions religieuses. Georges Balandier a en effet été frappé – comme <a href="http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Leiris/">Michel Leiris</a> – écrivain, poète, ethnologue, auteur de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/L-Afrique-fantome"><em>L’Afrique fantôme, 1934</em></a> – par les émotions que déchaînent les rites.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/T4aYBrGBWYY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Olivier BARROT, en 1996, dans un décor africain, présente « Miroir de l’ Afrique » de Michel LEIRIS en édition Gallimard/Quarto qui rassemble ses écrits africanistes. Images d’archive INA.</span></figcaption>
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<p>Ce sont en effet des épreuves corporelles, subjectives et existentielles qui permettent de mieux comprendre les dynamiques de domination et de résistance. Ainsi s’explique le fait que Georges Balandier porte son attention sur le <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1959_num_9_3_403015">rôle politique des mouvements religieux dans le contexte des décolonisations</a> et, enfin, sur le caractère volatile du sacré dans la « surmodernité » lorsqu’il apparaît en dehors des institutions religieuses.</p>
<p>Il s’agit donc aussi d’une <a href="http://journals.openedition.org/rsa/350">anthropologie qui engage l’anthropologue</a>, loin des analyses purement logiques du structuralisme. L’anthropologie dynamique est donc aussi une anthropologie engagée, non pas au sens politique, mais au sens existentiel : l’engagement subjectif du chercheur sur son terrain oriente ses analyses autant que les données objectives qu’il peut collecter.</p>
<p>Parce que toute société et toute culture ont pour caractéristique commune d’être soumises à la contingence et aux « turbulences », l’anthropologue doit décrire les ambiguïtés et les contradictions déstabilisant l’ordre social et culturel. « Tension », « conflit », « évènement » et « situation » composent un dispositif méthodologique que Georges Balandier a su faire dialoguer en dehors des limites disciplinaires. Or, c’est bien aujourd’hui la condition nécessaire d’une bonne compréhension du pouvoir, des sociétés et des cultures en mouvement dans la haute modernité.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/202818/original/file-20180122-46216-1s48hhp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Paris Descartes/Canthel</span></span>
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<p><em>Les auteurs viennent de coordonner un dossier spécial sur Georges Balandier dans le dernier numéro de la revue cArgo, <a href="http://www.cargo.canthel.fr/fr/cargo6-7-memoires-et-violences-extremes-balandier/">« L’anthropologie de Georges Balandier, hier et aujourd’hui »</a> et animeront le <a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/hommage-balandier-cargo-cea-bu/">23 janvier à partir de 18h une journée-hommage ouverte au grand public</a> (entrée gratuite sur inscription) à la bibliothèque universitaire de l’Université de SHS Paris Descartes.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erwan Dianteill a reçu des financements de IUF. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Delphine Manetta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’œuvre de Georges Balandier est indissociable de l’anthropologie moderne. Ses travaux sur le changement au sein des sociétés humaines sont désormais incontournables pour mieux comprendre notre monde.
Erwan Dianteill, Directeur du CANTHEL, anthropologue, Université Paris Cité
Delphine Manetta, Ethnologue, Docteure, Canthel, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/86565
2017-11-02T20:51:32Z
2017-11-02T20:51:32Z
Podcast : Islam, christianisme, judaïsme : retour sur les lieux saints partagés de l’Europe à la Méditerranée
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192429/original/file-20171030-18730-1dkt4ut.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Musulmane priant dans le Caveau des Patriarches, Hébron, 2014
</span> <span class="attribution"><span class="source">© Manoël Pénicaud / Le Pictorium</span></span></figcaption></figure><p>A l’occasion de l’exposition « Lieux saints partagés, coexistences en Europe et en Méditerranée » – <a href="http://www.histoire-immigration.fr/lieux-saints-partages">actuellement au Musée de l’histoire de l’immigration (Paris)</a> jusqu’au 21 janvier 2018 – Dionigi Albera, anthropologue, et co-commissaire, revient pour The Conversation sur la genèse de ce projet mêlant vidéos, photographies, bandes sonores, archives.</p>
<p>Il explique comment des années d’enquêtes en Italie, au Maghreb, en Grèce, en France, en Israël et en Turquie tendent vers une certaine universalité dans les croyances à travers des lieux historiques et sacrés, qui traduisent à leur tour une spiritualité du quotidien, permettant la rencontre et le partage des trois grands monothéismes.</p>
<hr>
<p><em><strong>Montage</strong> : Antoine Faure, <strong>interview</strong> : Clea Chakraverty**.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86565/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Diogini Albera est co-commissaire de l'exposition 'Lieux Saints Partagés'.</span></em></p>
Retour sur l’exposition « Lieux saints partagés » du 24 octobre 2017 au 21 janvier 2018, Musée de l’histoire de l’immigration.
Dionigi Albera, Anthropologue, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/81730
2017-09-14T20:42:19Z
2017-09-14T20:42:19Z
Les animaux sacrés, une espèce en voie de disparition ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/185130/original/file-20170907-9570-jl5pog.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ours et hyène de la Grotte Chauvet. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grotte_Chauvet#/media/File:20,000_Year_Old_Cave_Paintings_Hyena.png">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Nuit Sciences et Lettres : « Les Origines », qui se tiendra le 7 juin 2019 à l’ENS, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez le programme complet <a href="http://www.nuit.ens.fr/">sur le site de l’événement</a>.</em></p>
<hr>
<p>Si l’on cherchait à dresser la liste des animaux sacrés, le présent article ne parviendrait pas à contenir la myriade de créatures qui peuplent depuis des siècles l’histoire de l’humanité. Et, plus on remonte dans le temps, plus les figures animales associées à une divinité semblent abonder. Chat, ibis ou chacal égyptiens ; ours, loup et aigle des contrées scandinaves et sibériennes ; chien, jaguar ou <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/pas-si-betes-la-chronique-du-monde-sonore-animal/la-blatte-de-madagascar">quetzal</a> méso-américains ; vache, éléphant ou cobra des civilisations hindouistes ; cerf, <a href="http://www.liberation.fr/ecrans/2009/06/24/zoom-testicules-de-tanuki_949298">tanuki</a>, macaque japonais, etc.</p>
<p>Si l’on définit les animaux sacrés comme des êtres qui participent à une vision magico-religieuse du monde et qui sont l’objet de vénération, de craintes et de superstitions, ils sont plus nombreux dans les religions polythéistes ou dans les <a href="https://www.scienceshumaines.com/l-animisme-est-il-une-religion-entretien-avec-philippe-descola_fr_15096.html">systèmes animistes</a> que dans les monothéismes qui ont façonné les sociétés occidentales et orientales. Le judaïsme, le christianisme et l’islam n’ont guère laissé de place à l’animal (même si des exceptions existent). Le dieu, unique et tout puissant, ne pouvait guère s’accommoder de la présence vaine d’un être vivant.</p>
<p>La longue durée, soit l’étude d’un phénomène culturel sur plusieurs siècles, est à l’historien ce que la longue vue est au marin. <a href="http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1958_num_13_4_2781">Chère à Fernand Braudel</a>, elle a surtout été utilisée par les historiens médiévistes, notamment <a href="http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1988_num_28_108_369059">Robert Delort</a> et <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/les-animaux-ont-aussi-leur-histoire">Michel Pastoureau</a>, deux pionniers de l’histoire animale, un domaine de recherche en pleine effervescence depuis quelques années. La longue durée permettra de poser ici quelques jalons de compréhension sur les relations anthropozoologiques.</p>
<p>Précisons d’emblée deux choses. D’une part, il y a souvent un écart entre les fonctions symboliques attribuées à un animal et les relations pratiques que l’homme entretient avec telle ou telle espèce. D’autre part, ce n’est pas parce qu’un animal est considéré comme sacré qu’il est pour autant protégé – à l’instar du chat dans l’Égypte des pharaons. Les animaux sacrés furent aussi sacrifiés et consommés. Pour éviter les écueils dus au maniement de catégories trop englobantes, on se limitera ici à trois cas : le poisson dans le monde chrétien, l’ours dans le monde germanique et le chien chez les Aztèques.</p>
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<span class="caption">Poisson gravé sur une stèle dans les catacombes de la basilique de Domitille à Rome.</span>
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<h2>Le poisson, cette exception monothéiste</h2>
<p>Le poisson, exemple <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/faut-il-y-croire/faut-il-y-croire-01-avril-2017">bien connu</a>, fait figure d’exception au sein des monothéismes. Il était l’emblème de ralliement des premiers chrétiens à l’époque des persécutions, du I<sup>er</sup> au IV<sup>e</sup> siècle de notre ère. Représenté sous une forme extrêmement stylisée, on en trouve de nombreux graffitis dans les catacombes.</p>
<p>Selon saint Augustin, le mot grec <em>ichtus/ikhthús</em> est l’acronyme des initiales de « Jésus-Christ fils de Dieu, le Sauveur » (<em>Ιêsoûs Khristòs Theoû Uiòs Sôtếr</em>). Au début de notre ère, le symbole du poisson renvoyait en réalité à une grande variété d’espèces aquatiques, des petits pélagiques aux mammifères marins, tels les dauphins reproduits sur les mosaïques de la basilique de Saint-Vital à Ravenne.</p>
<p>Plus concrètement, le poisson est alors un aliment essentiel d’un régime méditerranéen peu carné. Chez les chrétiens, il est consommé au cours des repas sacrés, à commencer par la <a href="https://fr.Wikimedia.org/wiki/C%C3%A8ne#Institution_et_comm.C3.A9moration_de_l.27Eucharistie">Cène</a>. Le poisson est l’animal pur, qui évolue dans des eaux translucides, celles qui servent à baptiser les nouveaux fidèles. C’est l’animal dont la reproduction, mystérieuse, se fait sans coït, et donc sans péché. Dans la Bible, leur abondance permit à Pierre, Jacques et Jean, les futurs apôtres, de se livrer à des <a href="https://www.biblegateway.com/passage/?search=LUKE%205:1-11&version=LSG;BDS">« pêches miraculeuses »</a>, et finalement de se convertir.</p>
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<span class="caption">« La Pêche miraculeuse » peinte par Raphaël au XVIᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3AV%26A_-_Raphael%2C_The_Miraculous_Draught_of_Fishes_(1515).jpg">Wikimédia</a></span>
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<h2>Sacré et consommé</h2>
<p>Sur le plan alimentaire, la consommation de poisson est autorisée par les pères de l’Église pendant les périodes de jeûne – les cent jours du carême – car la digestion de sa chair, aisée, n’entrave pas l’ascèse. Au Moyen Âge, les communautés monastiques constituent des stocks grâce à la création de viviers, inventant la pisciculture. Une première gestion de la ressource halieutique est alors en place.</p>
<p>Plus tard, la pêche massive de harengs fait la fortune des Hollandais qui en contrôlent la salaison, le conditionnement et le commerce. C’est grâce à sa commercialisation dans toute l’Europe qu’Amsterdam devient, au XVII<sup>e</sup> siècle, une ville-monde. Au XX<sup>e</sup> siècle, la pêche industrielle prend le relais avec une telle intensité que les réserves ne parviennent plus à se reconstituer.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185137/original/file-20170907-9573-bnom0j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=588&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Flipper le dauphin, objet de sacralisation profane.</span>
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<p>Le poisson, vecteur de commerce avec le divin, devient, au fil du temps, un objet de commerce entre les hommes. L’emblème chrétien s’efface progressivement des mentalités : on a glissé du sacré au profane. Les poissons en chocolat de Pâques seraient les ultimes avatars de cette évolution. D’une certaine façon, l’amour actuel pour les dauphins et les baleines, popularisé à la télévision et au cinéma par <em>Flipper le dauphin</em> et <em>Sauvez Willy</em>, relève d’une nouvelle forme de sacralisation – profane et non plus divine – alors même que jusqu’au XX<sup>e</sup> siècle, les mammifères marins étaient considérés comme des monstres ou des « nuisibles » à exterminer.</p>
<h2>L’ours brun, ancien roi des animaux</h2>
<p>À l’opposé du poisson, l’ours brun, animal sacré pour de nombreuses populations païennes en Europe, a lui été la cible du christianisme triomphant. L’ours fut l’objet de cultes très anciens. Que l’on songe à l’art pariétal et à la place qu’occupe l’ours dans les peintures rupestres étudiées par le préhistorien <a href="http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/auteur/jean-clottes">Jean Clottes</a>, notamment à la <a href="http://archeologie.culture.fr/chauvet/fr/">grotte Chauvet</a>, où l’ours est le seul animal à être représenté de face. Très tôt, il fut associé à des rituels magico-religieux, comme en témoigne la statue de l’ours du site de Montespan (-20 000 ans), sans doute la plus ancienne représentation polymorphe de l’humanité.</p>
<p>Omniprésent chez les Celtes et les Grecs, dans les cosmogonies et les récits mythologiques, l’ours brillait jusque dans le ciel : les constellations de la Grande et de la Petite Ourse seraient le produit, par Zeus, des <a href="https://fr.Wikimedia.org/wiki/Callisto_(mythologie)">métamorphoses de Callisto et de son fils Arcas</a>. Dans les mondes germaniques et scandinaves, l’ours était divinisé. C’était le roi des animaux. Comme l’a bien montré <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-animaux-ont-aussi-leur-histoire">Michel Pastoureau</a> dans <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-ours-michel-pastoureau/9782020215428"><em>L’ours. Histoire d’un roi déchu</em></a>, il était célébré pour sa force, son courage et sa capacité de résistance au froid et à la faim.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"619786984978976768"}"></div></p>
<p>Les hommes cherchèrent alors à en capter les forces ou à attirer sa protection. Des griffes et des canines, mises au jour par l’archéologie, étaient portées en talisman par les guerriers. Les représentations ursines abondent dans le haut Moyen Âge sur les casques, les épées ou les armures, et l’[onomastique] en est alors toute emprunte (Bern-, Bero-, Born-, Björn). En français, l’ours est à l’origine du mot <em>baron</em> : il était l’emblème du chef et du seigneur.</p>
<h2>Un concurrent pour l’accès au divin</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1119&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185139/original/file-20170907-9570-1514p5o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Saint Gall et son ours.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Wetti_de_Reichenau#/media/File:St_Gallen_Wandgem%C3%A4lde_St_Gallus_bei_der_Steinach_crop.jpg">Andreas Praefcke/Wikimédia</a></span>
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<p>Dès le IX<sup>e</sup> siècle, la sacralisation de l’ours se heurta aux coups de boutoir portés par les hommes d’Église, qui voyaient dans le plantigrade un concurrent pour l’accès au divin. Ils lui livrèrent une guerre sans merci dans l’objectif du déchoir de son trône. L’histoire commence en Germanie avec les grands massacres d’ours orchestrés par Charlemagne dès les années 780. Fait révélateur, les battues accompagnèrent les campagnes d’évangélisation des populations païennes dans les marges de l’Europe occidentale. La lutte fut aussi portée, sur le plan symbolique, dans les récits hagiographiques, qui s’évertuèrent à faire de l’ours un être inférieur, obéissant et soumis : il devint le compagnon du saint-ermite, par exemple <a href="http://www.diocesedegeneve.net/index.php?option=com_content&task=view&id=134">saint Gall</a>, toujours célébré en Allemagne.</p>
<p>Parallèlement, avec l’invention des bestiaires médiévaux, l’ours fut assimilé, comme le loup, le serpent et le dragon, à un nuisible. Michel Pastoureau nous raconte l’histoire de cette longue désacralisation de l’ours comme un « levier symbolique pour marquer la séparation entre l’homme et l’animal ».</p>
<p>À partir du XII<sup>e</sup> siècle, il est significatif que l’ours ait disparu des armoiries : il y a progressivement été remplacé par le lion, moins dangereux sur le plan symbolique – car plus éloigné morphologiquement de l’homme – et, surtout, absent du continent européen. Dans les villes, l’ours au naseau percé, enchaîné, humilié, accompagnait les bateleurs. Le roi des animaux fut transformé en une bête de foire. Au XX<sup>e</sup> siècle, il devint la peluche préférée des enfants.</p>
<h2>Chez les Aztèques, l’animal au centre de la conception du monde</h2>
<p>Traversons l’Atlantique, cap sur le Mexique ancien. Dans les civilisations préhispaniques, en <a href="http://www.archam.cnrs.fr/aires-culturelles/la-mesoamerique/">Méso-Amérique</a>, les animaux étaient pleinement associés aux conceptions du monde des Mayas et des Aztèques. À Tenochtitlan, capitale de l’empire aztèque, les élites guerrières étaient formées de deux ordres : les Aigles et les Jaguars, deux animaux situés au sommet de la chaîne alimentaire de cette région. Les soldats parvenant à capturer vivants des ennemis avaient alors le privilège de revêtir leurs attributs, panaches de plumes et costumes en peau.</p>
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<span class="caption">La page 3 du Tonalamatl Aubin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tonal%C3%A1matl_de_Aubin_(folio_3).jpg">FAMSI/Wikimédia</a></span>
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<p>Ces deux animaux sacrés se retrouvent par ailleurs dans les calendriers divinatoires. Le <em>tonalamatl</em> est un calendrier de 260 jours qui combine vingt signes et treize jours. Les prêtres en tiraient des présages et les signes du calendrier marquaient la naissance des individus pour la vie. Parmi les 20 idéogrammes, la moitié était constituée d’animaux : crocodile, lézard, serpent, chevreuil, lapin, chien, singe, jaguar, aigle et vautour.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/181573/original/file-20170809-32211-8c9fqe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sculpture aztèque d’une tête de Xolotl, exposée au Musée national d’anthropologie de Mexico.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Adamt/Wikimédia Commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le chien jouait un rôle particulier dans la société aztèque, et avait une place fort différente que celle qui lui était assignée dans la culture chrétienne. Dixième signe du <em>tonalamatl</em>, il était également une divinité, <a href="http://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1996_num_213_3_1204">Xolotl</a>, jumeau du serpent à plumes <a href="http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Quetzalc%C3%B3atl_ou_Serpent_%C3%A0_plumes/180529">Quetzalcóatl</a>, dont on trouve de multiples représentations dans la statuaire monumentale, ainsi qu’au musée d’anthropologie de Mexico.</p>
<h2>Le chien psychopompe</h2>
<p>Dans les <a href="http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/codex/34872">codex</a>, le chien est souvent peint comme un truchement entre le ciel et la terre. Il est l’animal porteur du feu et de la civilisation. Il est, enfin, un être psychopompe, c’est-à-dire un intermédiaire entre le monde des morts et celui des vivants. Il conduit le défunt sur son dos pour lui faire passer le fleuve de l’inframonde et lui faire rejoindre le Mictlan, le royaume des morts.</p>
<p>Le chien de la tradition méso-américaine n’avait donc pas la même importance symbolique que dans la tradition chrétienne où, au mieux, il était associé à la fidélité, un trait davantage loué par la noblesse que par les prélats. « Chien » n’est-il pas d’abord une <a href="https://lhomme.revues.org/25104">insulte</a> dans l’ère méditerranéenne ?</p>
<p>Les choses se compliquent avec la conquête espagnole (1521) et la colonisation. Celle-ci, comme ailleurs, s’employa à désacraliser les éléments de la culture autochtone, et en particulier la figure du chien. Dans le même temps, les vrais chiens se reproduisaient avec une vitalité étonnante dans la capitale de la Nouvelle-Espagne. Le premier métis du continent américain fut d’ailleurs probablement un chiot, croisé d’un chien espagnol et d’un chien méso-américain !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185140/original/file-20170907-9538-4iitf5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=610&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Planche tirée du Codex Laud où l’on voit un chien conduire le défunt à Mictlantecuhtli, dieu de la mort. Le codex est conservé à la Bodleian Library d’Oxford.</span>
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<h2>Un canicide à Mexico</h2>
<p>Les canidés vaquaient en liberté et proliféraient, au point de poser des problèmes de sécurité (attaques, morsures, épidémies). Comme dans les villes européennes à la même époque, les autorités de la ville de Mexico, le vice-roi en tête, décidèrent d’éradiquer tous les chiens errants. Durant les années 1790, près de 35 000 chiens furent ainsi éliminés, assommés ou empoisonnés, une opération que nous avons qualifiée, dans une étude récente, de <a href="http://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2015-3-p-107.htm">canicide</a>.</p>
<p>Les réactions du voisinage ont été violentes, en particulier dans les faubourgs indigènes de la ville. Les résistances aux tueurs de chiens dégénérèrent parfois en émeutes. Faisant fi de la dimension sacrée du chien aztèque, qui perdura bien au-delà de la conquête, les autorités coloniales avaient réduit le canidé à un simple nuisible, alors qu’il était beaucoup plus qu’un animal vagabond ou de compagnie.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=542&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=542&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=542&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=681&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=681&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/185141/original/file-20170907-9603-18mqtrf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=681&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le chien roi dans son enclos avec jeux, Parque, México, juin 2017.</span>
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<p>Aujourd’hui, les chiens errants ont quasiment disparu de la mégapole mexicaine, le port de la laisse et l’enfermement des chiens s’étant finalement imposés. En revanche, les chiens de compagnie font l’objet d’un engouement inégalé. Dans le parc México, situé au sein de la Colonia Condesa – un quartier chic fréquenté par de nombreux Européens –, le chien est l’objet de tous les soins. Des entraîneurs canins les promènent, les dressent et les gardent à la journée. Des salons de toilettage et des cliniques canines ont fleuri aux abords du parc.</p>
<h2>Une re-sacralisation ?</h2>
<p>Finalement, le poisson, l’ours et le chien nous enseignent que la désacralisation de certains animaux fut, dans le monde occidental, un processus de fond, pluriséculaire. La revendication de droits pour les animaux, la prise de conscience qu’ils sont des êtres sensibles et le développement récent d’un courant <a href="http://lhomme.revues.org/23292">« animalitariste »</a> sont sans doute des effets de ce long processus. Les religions monothéistes, dont le fondement repose sur une séparation entre l’homme perfectible et l’animal mû par son instinct, ont très certainement joué dans ce déclassement.</p>
<p>D’autres phénomènes ont également contribué à détacher les animaux du divin :</p>
<ul>
<li><p>L’éloignement progressif des hommes de leur milieu naturel, des forêts aux champs, puis des champs aux villes, et enfin à l’intérieur même des villes, où la présence animale fut de plus en plus réglementée par la législation policière.</p></li>
<li><p>Les progrès des sciences naturelles, qui, au XVIII<sup>e</sup> siècle, de <a href="http://www.lefigaro.fr/sciences/2007/05/26/01008-20070526ARTFIG91008-buffon_contre_linne_au_museum_national_d_histoire_naturelle.php">Linné à Buffon</a>, ont généré de nouvelles classifications du vivant et placé l’homme tout en haut de la pyramide.</p></li>
<li><p>Enfin, les progrès technologiques de la domestication animale, qui ont donné naissance à des zootechnologies propices à une <a href="http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/r%C3%A9ification/67739">réification</a> des bêtes.</p></li>
</ul>
<p>Cependant, au terme de ces siècles parcourus au galop, il serait un peu hâtif de conclure à une totale disparition des animaux sacrés. Plus exactement, la sacralisation – envisagée ici comme une forme de respect absolu qui serait déconnectée du divin – de certains animaux de compagnie aurait pris des formes nouvelles : attention portée à l’éducation et à la qualité de la nourriture, soins donnés au pelage et aux accessoires, surinvestissement sentimental des maîtres. Certains animaux sauvages tendent également à être re-sacralisés, notamment par des urbains en quête d’une nature à la virginité improbable mais fantasmée : le <a href="http://www.projetsdepaysage.fr/editpdf.php?texte=842">castor</a> ou le <a href="http://www.unicaen.fr/homme_et_loup/">loup</a> en sont d’excellents exemples.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/81730/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Exbalin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La fin des religions polythéistes a contribué à désacraliser les animaux. Retour sur trois cas emblématiques : le poisson chrétien, l’ours germanique et le chien aztèque.
Arnaud Exbalin, Maître de conférence, histoire, Labex Tepsis – Mondes Américains (EHESS), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
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tag:theconversation.com,2011:article/48844
2015-10-21T04:41:15Z
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L’écospiritualité, qu’est-ce que c’est ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/98725/original/image-20151017-25107-rrqiji.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">DR</span></span></figcaption></figure><p>Parallèlement au mouvement d’écologisation du religieux, on assiste depuis les années 1980 à une spiritualisation croissante de l’écologie. De nombreuses voix s’élèvent pour dépasser le dualisme nature/culture, l’idée d’une nature-objet-ressource et le paradigme dominant de l’anthropocentrisme ; il s’agit de reconnaître une valeur intrinsèque, et donc des droits, à la nature, qui devient désormais sujet. En invitant l’homme à renouer avec son milieu de vie non-humain et à réhabiter la Terre, en communion avec elle et non contre elle, un certain nombre d’intellectuels et d’écologistes militants semblent vouloir intégrer une dimension spirituelle dans l’écologie.</p>
<p>L’hypothèse Gaïa, selon laquelle la Terre serait un être vivant, un vaste système naturel, dynamique et autorégulé, incluant la biosphère et favorisant la vie, témoigne – comme l’indique la référence à « Gaïa », le nom de la déesse de la mythologie grecque personnifiant la Terre – de l’influence des religions de la terre. Plusieurs universitaires ont souligné la teneur religieuse de cette théorie. Certains considèrent que <a href="http://archives.lesechos.fr/archives/2007/Enjeux/00235-055-ENJ.htm">James Lovelock</a> cherche à retrouver dans cette vision de la nature (d’ailleurs contestée sur le plan scientifique) une union mystique avec la Terre-Mère (voir Anne Primavesi, <em>Gaïa’s Gift</em>, 2003). D’autres rapprochent les théories Gaïa (ainsi que l’écologie radicale dans son ensemble) du néopaganisme, dont l’une des caractéristiques serait le panthéisme, à savoir l’idée d’une communion avec la nature, avec la Terre en tant qu’entité spirituelle (voir Yannick Cahuzac et Stéphane François, « Panthéisme, néopaganisme et antichristianisme dans l’écologie radicale »,_ Politica Hermetica_, 2013).</p>
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<h2>Sacralisation de la nature</h2>
<p>L’approche écospirituelle imprègne également l’éthique environnementale, qui devient une discipline académique aux États-Unis au début des années 1970. D’aucuns se demandent si, en accordant une valeur en soi – intrinsèque ou morale – à la nature, elle ne contribue pas à la sacraliser (voir Bérengère Hurand et Catherine Larrère, <em>Y-a-t-il du sacré dans la nature ?</em>, 2014). Elle semble en tout cas marquée par la recherche d’une sagesse, d’une écosophie, et comme toute éthique vécue, elle interpelle chaque personne dans l’intimité de son rapport au monde. En ceci, elle serait sans doute incomplète sans un horizon spirituel.</p>
<p>D’après le philosophe américain <a href="http://www.nonfiction.fr/article-1196-entretien_avec_holmes_rolston_iii.htm">Holmes Rolston</a>, « la vue de la Terre depuis l’espace délivre en tant que telle un impératif éthique, et elle est apparentée, en ce sens, à une expérience épiphanique, c’est-à-dire la révélation d’une transcendance qui inspire un sentiment de crainte respectueuse mêlée d’admiration – ce sentiment paralysant d’être dépassé par une puissance créatrice supérieure, qui nous enveloppe en nous assignant une position au sein de la création ». Cette révélation « donne l’impulsion au mouvement de conversion intérieure qui conduit, selon les mots de Saint Paul, à “se dépouiller du vieil homme” (les oripeaux du maître et possesseur) et à “revêtir l’homme nouveau” (la figure du protecteur et du gardien bienveillant de la création » (Hicham-Stéphane Afeissa, <em>Écosophies. La philosophie à l’épreuve de l’écologie</em>, 2009).</p>
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<p>Différente de l’éthique environnementale, l’écologie profonde du norvégien <a href="http://www.franceculture.fr/emission-l-essai-et-la-revue-du-jour-arne-naess-revue-le-rouge-le-blanc-2013-04-12">Arne Naess</a> est une écosophie holiste et biocentrique, développée à la fin des années 1970, notamment à partir de l’éthique spinoziste et de l’éthique non violente de Gandhi (<em>ahimsa</em>) ; elle pose que toutes les espèces sont dotées d’un droit à l’existence égal et que l’existence de chaque espèce est une fin en soi : « Le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non humain pour nos intérêts humains » (Arne Naess, <em>Écologie, communauté et style de vie</em>, 2012 [1976]).</p>
<p>Pour certains intellectuels, l’écologie profonde s’apparente à la religion en ce qu’elle repose sur un « culte de la vie » et « en vient à considérer la biosphère comme une entité quasi divine, infiniment plus élevée que toute réalité individuelle, humaine ou non humaine » (Luc Ferry, <em>Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme</em>, 1992). D’autres la considèrent comme une religion de type gnostique accordant une grande importance à l’« auto-réalisation » et imprégnée d’un sacré ésotérique (voir Giovanni Filoramo in <em>Religion et écologie</em>, 1992), voire comme une forme de néopaganisme fondée sur la sacralisation de la nature.</p>
<h2>À la recherche d’une relation symbiotique</h2>
<p>Sujet, et même sujet de droit, la nature doit aussi l’être pour le philosophe Michel Serres, qui estime nécessaire « la passation d’un contrat naturel de symbiose et de réciprocité » (<em>Le contrat naturel</em>, 1992). La terre a, selon lui, besoin de la sagesse de l’homme, et il est urgent, face à la menace de mort collective, que l’humanité passe, à l’instar du contrat social, <a href="http://www.lefigaro.fr/debats/2007/11/16/01005-20071116ARTFIG00321-environnement-pour-un-retour-au-contrat-naturel.php">un contrat tacite</a> avec les objets inertes et les êtres vivants (en bref, tout ce qu’on appelle la nature) pour les déclarer sujets de droit ; ainsi seulement pourrait être fait justice à la nature. C’est que la terre, par ses limites et sa vulnérabilité, devient l’horizon commun aux êtres humains ; elle est ce qui les relie. Cette perspective d’une relation symbiotique inédite entre l’humanité et la planète Terre semble bien relever d’un projet spirituel.</p>
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<p>Dix ans plus tard, un autre penseur français, le philosophe des sciences Jean-Pierre Dupuy, constate notre incapacité à penser la catastrophe (<em>Pour un catastrophisme éclairé</em>, 2002) et met au jour l’illusion de la gestion optimale des risques. Influencé à la fois par <a href="http://www.liberation.fr/portrait/2003/01/04/book-emissaire_426772">la théorie mimétique</a> du philosophe français René Girard (<em>La violence et le sacré</em>, 1972) et par l’éthique de la responsabilité du philosophe allemand Hans Jonas, pour lequel seule une ascèse de la modération peut permettre à l’humanité d’éviter les catastrophes environnementales <a href="http://www2.ac-toulouse.fr/philosophie/forma/jonas_principe_responsabilite1.html">rendues possibles par la technique</a> (<em>Le principe responsabilité</em>, 1979), Jean-Pierre Dupuy juge indispensable que les sociétés humaines anticipent ces catastrophes afin qu’elles ne se produisent pas, en fixant des limites à l’extérieur d’elles-mêmes grâce à leur capacité d’« auto-transcendance ». Pour cela, le sacré – que pourtant nos sociétés modernes refoulent – serait indispensable en ce qu’il n’est pas discutable, venant d’un au-delà du social (<em>La marque du sacré</em>, 2009).</p>
<p><em>Retrouvez ce texte dans son intégralité en consultant l’ouvrage collectif <a href="http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100453190">« Guide des humanités environnementales »</a> (édité par Aurélie Choné, Isabelle Hajek et Philippe Hamman, Presses universitaires du Septentrion, 640 p., 40 €).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/48844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélie Choné ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
De l’hypothèse Gaïa de James Lovelock aux thèses du philosophe des sciences Jean-Pierre Dupuy, on assiste depuis les années 1980 à un rapprochement entre écologie et spiritualité.
Aurélie Choné, Maître de conférences en études germaniques, Université de Strasbourg
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.