tag:theconversation.com,2011:/africa/topics/sciences-de-gestion-27976/articlessciences de gestion – The Conversation2023-10-24T17:06:11Ztag:theconversation.com,2011:article/2143242023-10-24T17:06:11Z2023-10-24T17:06:11ZComment les sciences de gestion peuvent-elles préparer les organisations au monde qui advient ?<p>Nouvelles menaces sanitaires, effondrement de la biodiversité, révolutions technologiques… Si les mutations ne sont pas nouvelles, elles interpellent cependant par leur nombre et leur ampleur au cours des dernières décennies. Parce qu’elles bouleversent les sociétés et leurs modèles économiques aux échelles collective et individuelle, les mutations doivent être étudiées avec attention.</p>
<p>À l’échelle macroéconomique et macrosociale, ces mutations font l’objet d’incessants débats et de résolutions lors de conférences et sommets mondiaux : <a href="https://unfccc.int/fr/process/bodies/supreme-bodies/conference-of-the-parties-cop">Conférences des parties pour le climat</a>, pour la biodiversité, <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/274833-quest-ce-quun-sommet-de-la-terre">Sommets de la Terre</a>, Forum de Davos, assemblées de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Sommets de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/sommet-sur-la-transformation-numerique-l-ocde-appelle-a-plus-d-efforts-pour-reduire-les-fractures-numeriques-developper-les-competences-et-elargir-l-acces-aux-donnees.htm">transformation numérique</a>, Sommets du G7 et du G20, etc.</p>
<p>À l’échelle microéconomique et microsociale, les dirigeants pris dans ce tourbillon s’inquiètent aussi des répercussions sur leurs organisations : comment anticiper et s’adapter aux mutations sociétales, environnementales ou technologiques ? Sur ce point, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-de-gestion-27976">sciences de gestion</a> peuvent contribuer à cette réflexion et apporter des pistes de solution.</p>
<p>D’éminents collègues regrettaient d’ailleurs fin 2020 la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2020-3-page-11.htm?contenu=resume">relative absence des spécialistes de la gestion dans le débat sur la crise de la Covid-19</a>, comme si les spécialistes de l’organisation, du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> et de l’innovation, n’avaient rien à dire en pareilles circonstances !</p>
<p>Pourtant, cette discipline regorge de travaux sur les crises et les mutations. Ces études pourraient être mobilisées par les décideurs pour les aider à faire face aux défis qu’ils affrontent. Les sciences de gestion, grâce à leur fort ancrage dans les sciences humaines et sociales, offrent des grilles de lecture d’évolutions des comportements humains.</p>
<h2>Des critères autres que financiers</h2>
<p>Paru en 2023 aux éditions EMS, l’ouvrage collectif <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/mutations-societales-et-organisations/"><em>Mutations sociétales et organisations. Des repères théoriques et pratiques pour préparer les organisations au monde qui advient</em></a> se veut une réponse aux difficultés d’appropriation par les praticiens des connaissances scientifiques. Il présente des réponses concrètes et étayées fondées sur des études de cas, résultats d’enquête ou synthèses de la littérature académique dans une logique interdisciplinaire.</p>
<p>Ainsi, les chapitres sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-participative-crowdfunding-142378">financement participatif</a> (<em>crowdfunding</em>), les financements verts et l’investissement éthique offrent notamment des synthèses de la littérature académique qui permettent aux managers d’avoir un point de vue actualisé des travaux.</p>
<p>Par exemple, pour réduire les inégalités sociales ou professionnelles, les modes de gouvernance et management évoluent vers plus d’inclusivité ; et de nouveaux dispositifs de financement apparaissent. Des critères, autres que financiers, sont introduits à divers niveaux. Les objectifs financiers sont complétés par des paramètres tenant compte du respect de l’environnement ou des droits humains.</p>
<p>Ensuite, le chapitre sur le métier de contrôleur de gestion en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises (RSE)</a>, qui mesure la performance extrafinancière des entreprises, laisse entrevoir des tendances susceptibles d’inspirer les praticiens en quête d’une veille d’opportunités métier. Il présente une réflexion fondée sur une analyse d’offres d’emploi qui permet de repenser le métier de contrôleur de gestion dans une perspective de durabilité forte.</p>
<p>En rejetant l’idée de compenser les capitaux financier, social et naturel, ce nouveau contrôleur de gestion peut relever le défi de la mesure et du pilotage de la durabilité. Il répond à de nouvelles demandes des ressources humaines (prévention et suivi des risques psychosociaux, qualité de vie au travail, diversité, égalité femme/homme…) et environnementales (bilan carbone, budget vert, reporting extrafinancier, tableaux de bord verts, matrice de matérialité…).</p>
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<p>Ce nouveau type de contrôleur de gestion traite à la fois des données financières et non financières touchant à des domaines hétérogènes (air, eau, énergie, biodiversité, déchets, bruits, transport, formation, coûts environnementaux, etc.). Doté de compétences en gestion des paradoxes, il est facilitateur et garant de la cohérence entre les trois dimensions du développement durable. Un rattachement à la direction générale ou à la direction RSE semble plus propice pour garantir son indépendance vis-à-vis des clients internes.</p>
<p>Diverses mutations de l’environnement – au sens large – transforment aussi les marchés en profondeur. Par exemple, du côté de l’offre touristique, les crises terroristes, alimentaires, sanitaires et géopolitiques, couplées aux dérèglements climatiques, ont conduit à une véritable métamorphose des stratégies des opérateurs. Du côté de la demande, on observe une évolution des attentes des consommateurs liées à la prise de conscience des mutations en cours, entraînant à son tour une évolution des stratégies des producteurs comme des distributeurs. Les travaux en sciences de gestion permettent de mieux comprendre ces évolutions, voire de les orienter vers plus de durabilité et de responsabilité, sans occulter la dimension éthique d’une telle ambition.</p>
<p>Pour faire face au phénomène de désindustrialisation affectant leur économie, de nombreux pays ont lancé des plans visant la modernisation de leur outil industriel par le déploiement de nouvelles technologies numériques. En France, les plans « Usine du Futur » puis « Industrie du Futur » visaient ainsi à favoriser le déploiement d’une vingtaine de technologies au sein des usines comme la robotique, la réalité augmentée, le numérique, l’intelligence artificielle, l’impression 3D… Toutefois, pour de nombreux dirigeants, la transformation de leur usine en Usine du Futur est un véritable défi tant les enjeux sociaux et techniques sont nombreux et entremêlés. Le chapitre consacré à cette mutation industrielle peut aider les praticiens à conduire ces transformations en proposant une méthode de conduite du changement reposant sur l’intéressement des acteurs.</p>
<h2>Gérer la complexité</h2>
<p>Enfin et non des moindres, les sciences de gestion et du management peuvent aussi entrer dans les débats de société en évaluant l’efficacité de politiques, comme celles non pharmaceutiques pour lutter contre la Covid-19. Les résultats du chapitre d’ouvrage suggèrent une surprise. Chiffres à l’appui, les politiques jugées efficaces ne le seraient pas. Les fermetures de lieux de travail, les restrictions des rassemblements et déplacements internes et internationaux ne seraient pas associées à une baisse du nombre de morts.</p>
<p>Cependant, ces résultats surprenants pourraient être des artefacts, liés à l’application de ces politiques. Selon la sociologie des organisations, ces accidents pourraient donc être normaux compte tenu certes <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/bf02701322">du fort couplage et de la complexité de la situation à gérer</a>, mais surtout d’un choix politique en faveur de la rentabilité, au détriment de la santé publique…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1170&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1170&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1170&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-ems.fr/boutique/mutations-societales-et-organisations/">Éditions EMS</a></span>
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<p>Au travers de ces réflexions foisonnantes et souvent interdisciplinaires, il ne s’agit pas de faire des prédictions, mais bien d’offrir un état des techniques et pratiques difficiles à obtenir quand on est aux affaires, alors que l’universitaire peut faire ce travail de veille avec un accès à des bases plus larges et un horizon temporel plus long.</p>
<p>Au bilan, il faut souhaiter que l’ensemble des publications en sciences de gestion soient davantage lues par les décideurs d’aujourd’hui et employées dans la formation de ceux de demain. Pour cela, c’est à nous qu’il revient – en tant que chercheurs de la discipline – de faire les premiers pas. Nous pouvons participer à la vulgarisation de nos travaux en publiant sur des médias s’adressant à un public non composé uniquement d’universitaires comme cela est le cas du site The Conversation. Les chercheurs en sciences de gestion peuvent se rapprocher de décideurs pour organiser des événements communs (conférences, tables rondes, etc.) portant sur des enjeux de gestion auxquels ils sont confrontés. Nous pouvons aussi créer de manière plus systématique dans les grandes manifestations scientifiques de nos disciplines des espaces de discussion avec les décideurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La recherche en management peut apporter des réponses aux décideurs qui s’interrogent sur les mutations environnementales, sociétales ou technologiques en cours.Kirsten Burkhardt-Bourgeois, Maître de conférences, IAE Dijon, Université de Bourgogne – UBFCAdrien Bonache, Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion, Université de Bourgogne – UBFCAngèle Renaud, Professeure des universités, Directrice du CREGO, IAE Dijon - Université de BourgogneJérémy Vignal, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, IAE Dijon - Université de BourgogneYohan Bernard, Maître de conférences en Sciences de gestion et du management, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016442023-03-15T19:57:11Z2023-03-15T19:57:11ZRapport Meadows : pourquoi les alertes de 1972 ont été ignorées par les chercheurs en management ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514806/original/file-20230312-2942-nar6hk.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C52%2C1191%2C745&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Certaines hypothèses formulées il y a 50 ans par le Club de Rome se confirment aujourd'hui.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/eau-smog-navires-pollution-6675078/">Chris LeBoutillier/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En octobre 1972, le <a href="https://www.clubofrome.org/">Club de Rome</a>, groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des fonctionnaires et des dirigeants d’entreprises, publiait le célèbre <a href="http://www.donellameadows.org/wp-content/userfiles/Limits-to-Growth-digital-scan-version.pdf">rapport Meadows</a> qui alertait les dirigeants sur le caractère non durable des stratégies poursuivies par les entreprises occidentales.</p>
<p>Ce rapport s’appuyait sur les travaux réalisés par <a href="https://mitsloan.mit.edu/ideas-made-to-matter/professor-emeritus-jay-w-forrester-digital-computing-and-system-dynamics-pioneer-dies-98">Jay Forrester</a>, alors professeur au Massachusetts Institute of Technology (<a href="https://www.mit.edu/">MIT</a>) avec l’aide de ses collègues <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Donella_Meadows">Donella</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dennis_Meadows">Dennis</a> Meadows. La démarche de prospective développée par l’équipe du MIT s’articule autour de cinq variables principales : la population, la production industrielle, la production agricole, les ressources naturelles et la pollution. La conclusion des auteurs est sans appel car :</p>
<blockquote>
<p>« Si les tendances actuelles de croissance de la population mondiale, de l’industrialisation, de la pollution, de la production alimentaire et de l’épuisement des ressources se poursuivent sans changement, des limites seront atteintes au cours des cent prochaines années. Et en découlera vraisemblablement le déclin, rapide et incontrôlable, de la population et de la production industrielle. »</p>
</blockquote>
<p>Commandité par des dirigeants et destiné à éclairer la prise de décision, on aurait pu s’attendre à ce que le <a href="https://jancovici.com/en/readings/societies/the-limits-to-growth-donella-meadows-dennis-meadows-jorgen-randers-and-behrens-william-w-iii-1972/">rapport Meadows</a> impacte le champ académique du management et en particulier les travaux en stratégie d’entreprise. Or, les alertes ont été globalement ignorées. Deux raisons complémentaires peuvent expliquer ce rendez-vous manqué.</p>
<h2>Dérive académique</h2>
<p>Tout d’abord, la conjoncture économique des années 1970 va conduire à recentrer le monde académique sur des objectifs stratégiques de performance économique et non de développement durable. Ce qui fait alors problème n’est pas la pollution et les risques d’effondrement mais bien la situation économique qui se dégrade dangereusement.</p>
<p>En effet, le <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/chocs-petroliers">choc pétrolier de 1973</a> et la crise économique qui s’ensuivit a marginalisé les analyses du rapport Meadows.</p>
<p>L’urgence de la situation à court terme et la crise énergétique ont relégué au second plan les analyses de fond du rapport Meadows qui propose une prospective à l’échelle du siècle. L’internationalisation et la financiarisation de l’économie l’emporteront très largement sur les hypothèses du Club de Rome d’une fin du monde économique sous l’effet d’une croissance non maitrisée.</p>
<p>Soucieux d’être utiles aux dirigeants, les enseignants-chercheurs en management ont collé aux attentes générées par la crise économique en orientant le contenu de leurs recherches et leurs enseignements autour de ces enjeux. Les questions de compétitivité et de création d’un avantage concurrentiel l’emportent très largement comme le montre le succès des publications de <a href="https://www.hbs.edu/faculty/Pages/profile.aspx?facId=6532">Michael Porter</a> à partir des années 1980.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uky_oUmFVZ0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">1972, les alertes pour la planète du rapport Meadows (Franceinfo INA, 2022).</span></figcaption>
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<p>La deuxième raison est liée l’évolution de la recherche en stratégie d’entreprise au début des années 1980 et, en conséquence, à l’enseignement dispensé aux futurs dirigeants.</p>
<p>À la fin des années 1950, les business schools américaines ont en effet été bousculées par deux rapports : le <a href="https://www.jstor.org/stable/2390781">premier</a>, rédigé par les économistes Robert Gordon et James Howell, et le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08832323.1959.10116244?journalCode=vjeb19">second</a> par leur collègue Frank Pierson.</p>
<p>Ces études plaidaient pour une forme d’académisation du champ de la gestion sur le modèle des sciences « dures » (mathématiques, physique, etc.). Dans le même temps, ils préconisent que le cours de <em>business policy</em> reste quant à lui un cours structuré autour d’études de cas.</p>
<p>Si l’effet de ces deux rapports fut moins immédiat et visible que la crise pétrolière, ils ont toutefois conduit à une importante transformation des enseignements et des recherches en stratégie. Jugés trop empiriques et peu généralisables, les enseignements et les recherches en stratégie d’entreprises se sont par la suite développés sur la base d’un formalisme mathématique et de tests économétriques. La faisabilité d’une croissance infinie de la production industrielle dans un monde aux ressources limitées s’est alors éloignée des préoccupations des chercheurs et enseignants en stratégie d’entreprise.</p>
<p>À partir des années 1980, la légitimation du champ de la stratégie dans le concert des disciplines académiques a pris le pas sur l’analyse et la résolution de problèmes complexes auxquels les dirigeants étaient confrontés. La rigueur méthodologique et le raffinement des analyses sont progressivement passés au premier plan des préoccupations universitaires. Les chercheurs en stratégie se sont montrés de moins en moins soucieux d’engager des conversations avec les dirigeants et de s’intéresser à la stratégie telle qu’elle se pratique dans les entreprises.</p>
<p>Pourtant, un certain nombre de chercheurs en gestion, à l’instar de <a href="https://thinkers50.com/blog/thinkers50-hall-of-fame-sumantra-ghoshal/">Sumantra Ghoshal</a> et <a href="https://mintzberg.org/">Henry Mintzberg</a> à l’international et <a href="https://www.univ-lyon3.fr/martinet-alain-charles">Alain-Charles Martinet</a> en France, avaient très tôt souligné l’<a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/homo-strategicus-capitalisme-liquide-destruction-creatrice-et-mondes-habitables/">inutilité</a> voire la <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amle.2005.16132558">dangerosité</a> de certains travaux universitaires pour les entreprises et la société plus généralement.</p>
<h2>Quand les hypothèses de 1972 se confirment</h2>
<p>Dans un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jiec.13084">article</a> publié en 2020, la chercheuse néerlandaise Gaya Herrington proposait une actualisation des analyses du rapport Meadows. Elle arrivait à la conclusion que deux scénarios identifiés par les époux Meadows en 1972 se confirment : l’arrêt de la croissance de la population mondiale, de l’industrialisation et de la production alimentaire devraient ainsi intervenir d’ici 2030.</p>
<p>En parallèle, les phénomènes climatiques extrêmes de ces dernières années ont renforcé la prise de conscience d’une transformation sans précédent des équilibres du système Terre. Nous entrons dans l’ère géologique de l’<a href="https://www.editionsbdl.com/produit/refonder-lagriculture-a-lheure-de-lanthropocene/">Anthropocène</a>. Cette transformation est aujourd’hui largement documentée scientifiquement par de nombreuses disciplines reliées aussi bien aux sciences sociales (histoire, géographie, économie) qu’aux sciences fondamentales (climatologie, archéologie, physiques…).</p>
<p>Si les analyses du rapport Meadows pouvaient être considérées comme isolées dans les années 1970, les choses sont très différentes dans les années 2020 car les constats se recoupent et ils émanent de multiples disciplines. Plus personne ne peut aujourd’hui ignorer les synthèses que constituent les <a href="https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/">rapports</a> du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui sont sans équivoque.</p>
<p>La recherche en management et en stratégie d’entreprise ne peut donc plus rester sourde à ces alertes. Un des chercheurs phares de la discipline, le professeur américain Jay Barney, admet aujourd’hui qu’il serait souhaitable que les travaux, en particulier la <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/abs/10.1287/orsc.7.5.469">théorie des ressources</a> qu’il a contribué à développer, prennent mieux en compte les différentes parties prenantes de l’entreprise et plus singulièrement l’environnement naturel.</p>
<p>Un repositionnement des objets de recherche et des méthodes semble s’imposer aux enseignants-chercheurs en management et stratégie d’entreprise.</p>
<p>Ce repositionnement implique la construction de nouvelles théories, de nouvelles méthodes et de nouveaux supports de discussion et partage des connaissances. Ce travail prendra au moins une décennie et il est fort possible que d’autres disciplines académiques s’avèrent finalement mieux armées conceptuellement et méthodologiquement pour accompagner les dirigeants d’entreprises dans la construction et la mise en œuvre de nouvelles stratégies intégrant les limites planétaires.</p>
<p>Si ce sursaut épistémique n’est pas mis en œuvre rapidement, tout porte à croire que la légitimité des disciplines de gestion vont s’éroder plus vite encore que la biodiversité et autres déterminants biophysiques que les chercheurs en management se seront révélés incapable d’appréhender dans leurs recherches et enseignements.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est issu d’une <a href="https://www.ifge-online.org/lifge-celebre-les-50-ans-du-rapport-meadows-par-un-seminaire-online-le-2-fevrier/">conférence</a> organisée par l’<a href="https://www.ifge-online.org/">Institut français de gouvernement des entreprises</a> d’EM Lyon Business School ayant eu lieu le 2 février 2023 célébrant les 50 ans du rapport Meadows, avec comme invités Gaya Herrington, vice-president of ESG Research au sein du groupe Schneider Electric.</em></p>
<p>__</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201644/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La crise économique des années 1970 mais aussi la recherche de légitimité des sciences de gestion d’entreprise ont progressivement écarté les enjeux de durabilité des priorités.Guillaume Carton, Professeur associé en Stratégie, EM Lyon Business SchoolBertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, EM Lyon Business SchoolThomas Gauthier, Professeur, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1957602022-12-06T19:02:23Z2022-12-06T19:02:23ZDes mots du capitalisme aux maux de la terre : « Les Mille et Une Nuits du management »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/498475/original/file-20221201-20-z6c0dr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C5%2C1168%2C868&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Les Mille et Une Nuits_, de Vittorio Zecchin (musée d’Orsay, Paris).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/17333391312">Flickr/Jean-Pierre Dalbéra</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans la plupart des travaux d’économie, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/capitalisme-23342">capitalisme</a> est tout entier calcul instantané ou alors <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dialectique/25177">dialectique</a>. Dans le premier cas, le conflit se résout dans l’immédiateté d’un calcul : celui équilibrant offre et demande si les <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/concurrence-economie/1-le-marche-de-concurrence-pure-et-parfaite/">conditions de concurrence pure et parfaite</a> sont réunies. Dans le second cas, l’économique s’inscrit dans une temporalité plus incertaine et conflictuelle. Le prolétaire s’oppose au propriétaire. L’innovation frictionne avec les routines. L’exploration doit s’accommoder de l’exploitation. À certains moments, une synthèse ou une rupture radicale peuvent s’installer. Grand soir ou nouveau régime, elles incarnent alors un monde nouveau.</p>
<p>Pourtant, de plus en plus de recherches en économie et en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-de-gestion-27976">gestion</a> montrent la <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251452814/apocalypse-manageriale">nature surtout narrative de notre capitalisme</a>. Celui-ci n’est pas simplement une logique accouchant pas à pas d’un monde différent. Il n’est pas non plus une simple lutte binaire entre pôles à réconcilier. Il n’est pas davantage un pur calcul spéculatif ou une croyance. Il est une longue histoire d’histoires parfois entremêlées, souvent divergentes, incarnant le politique dans la force même des récits et des agencements. Depuis les années 1940, avec la rencontre entre marché et digital ou <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> et digital, le capitalisme est devenu un ensemble de processus organisationnels type <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/galland/mille-nuits"><em>Mille et Une Nuits</em></a>.</p>
<h2>Les Shéhérazade de nos propres vies</h2>
<p>Bien sûr, des innovateurs et des spécialistes de la communication ou du marketing promettent et fixent des habitudes pour mieux les défaire. Mais au-delà de cela, la matière même du capitalisme est une force sans cesse interrompue et incomplétée afin de nourrir les désirs d’après. Le capitalisme managérial nous raconte des histoires faites de mots mais également d’images, de gestes, de mélodies, de rythmes et d’objets plus ou moins matériels. Il pousse concrètement de l’avant vers l’arrière chacun des moments de notre vie. Il agence des désirs au cœur même de ses valeurs. Il programme et cultive l’obsolescence.</p>
<p>L’infinité temporelle de ses narrations suppose l’infinité de plus en plus problématique de la spatialité de notre terre. Comme le disait Bruno Latour, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-chemins-de-la-philosophie/les-chemins-de-la-philosophie-du-jeudi-24-mars-2022-4958723">cette terre est alors « américaine »</a> par l’étendue de son horizon et de son sol. Comme le suggérait également le sociologue-philosophe, il nous faut aujourd’hui questionner cette spatialité, la <a href="https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de-philo-histoire/766421/le-devoir-de-philo-penser-l-habitabilite-de-la-planete-au-lieu-de-son-exploitation">reconsidérer profondément dans sa fragilité et son habitabilité</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZDSpwjxZGf0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Leçon inaugurale du cours « Transformations du Travail et Numérique » (TTN) : « Les Mille et Une Nuits de nos apocalypses managériales » (Transformations du Travail, septembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Sur ce chemin, le management et ses processus doivent devenir ou redevenir des phénomènes pleinement politiques. Au-delà de la seule posture sacrificielle, il nous faut réinventer et réenchanter le monde en respectant tout ce qu’il a de vivant. Nous devons explorer un management producteur de sens et cultiver une <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251452814/apocalypse-manageriale">éthique véritable du voyage</a>, au travail et comme dans le management.</p>
<p>Nous avons trop souvent été les touristes de nos propres organisations. Nous avons trop systématiquement été des individus en attente de récits à consommer. À nous de travailler et de gérer en inscrivant nos histoires dans la fragilité des lieux où elles se déroulent. À nous d’être, ensemble, les Shéhérazade de nos propres vies.</p>
<h2>Collaborations inédites</h2>
<p>Au-delà de l’étrange compétition en cours entre les mieux-disants pour sauver le monde, il faudrait sans doute mettre en place de grands forums afin que les écoles de management et les universités collaborent véritablement à la construction de stratégies communes sur les futurs durables du travail. L’enjeu est de taille à l’heure où le management représente <a href="https://www.challenges.fr/education/le-succes-phenomenal-des-ecoles-de-commerce_835517">plus de 20 % de l’effectif des étudiants du supérieur</a> et la quasi-totalité de nos futurs décideurs économiques.</p>
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<p>Il faudrait également que nos entreprises mettent en place des collaborations inédites au service d’une grande cause écologique suspendant les compétitions et leurs modes habituels de régulation. Que pourraient faire ensemble Google, Facebook, Amazon, Apple et d’autres pour aider l’humanité à faire face à la crise climatique ? Il faudrait également que les pouvoirs publics s’intéressent enfin au sujet du management en le considérant comme l’un des grands orchestrateurs des narrations consommatrices de ce monde.</p>
<p>Où est le monsieur ou la madame management de notre gouvernement ? Quelle place a le management dans les discussions de nos mairies, de notre assemblée nationale, de l’Union européenne, des Nations unies ou de l’Unesco ? Quel rôle joue-t-il dans les espaces plus participatifs, notamment les tiers lieux ? Faut-il s’en remettre à des chercheurs éclairés ou à des consultants en management pour discuter des modes de gestion de la crise de l’anthropocène et des formes de notre capitalisme ? Peut-être faut-il enfin faire du management l’un des modes d’existence ou de non-existence de nos démocraties…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195760/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-Xavier de Vaujany est président-élu du think tank RGCS, collectif étudiant et expérimentant des nouvelles formes ouvertes d'organisation du travail. </span></em></p>La recherche en économie et en gestion s’intéresse de plus en plus à la nature narrative de notre capitalisme, dont la forme actuelle résulte d’un entremêlement de divers récits.François-Xavier de Vaujany, Professeur en management & théories des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1551872021-02-16T19:26:28Z2021-02-16T19:26:28ZFaut-il rester à sa place en entreprise ? Des vertus de l’ultracrépidarianisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/384007/original/file-20210212-23-ft7laa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C0%2C1196%2C900&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fresque du salon de la Casa Vasari en Toscane : Apelle et le cordonnier.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casa_vasari_FI,_salone,_storie_di_apelle_02.JPG">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans le film <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=52316.html"><em>The Machinist</em></a> réalisé par <a href="http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=25177.html">Brad Anderson</a>, les spectateurs découvrent le personnage de Trevor Reznik joué par <a href="http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne_gen_cpersonne=8471.html">Christian Bale</a>. Reznik est ouvrier dans une usine où règne un bruit assourdissant et où le moindre moment d’inattention peut avoir des conséquences dramatiques. Une attention que Reznik a bien du mal à maintenir, car il est très fatigué. En effet, il n’a pas dormi depuis un an.</p>
<p>À la sixième minute du film, les spectateurs font la connaissance de M. Tucker, un contremaître qui joue les petits chefs et qui excelle dans les formules sarcastiques. Il incarne à merveille le « sale con certifié » analysé par le professeur de management <a href="https://www.gsb.stanford.edu/faculty-research/faculty/robert-i-sutton">Robert Sutton</a> dans son ouvrage <a href="https://journals.openedition.org/communicationorganisation/403"><em>Objectif zéro-sale-con</em></a>.</p>
<p>Alors que le contremaître menace un des ouvriers de récupérer des minutes de retard sur son salaire, Reznik le rappelle à l’ordre en invoquant le règlement de l’usine. Résultat : le contremaître balaie d’un revers de la main la législation et Reznik est directement « blacklisté ». Par conséquent, Reznik a osé sortir de son pur travail d’exécutant et finit vilipendé par son supérieur.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yEPGTD5K5kM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film <em>The Machinist</em> réalisé par Brad Anderson (Paramount Classics, 2004).</span></figcaption>
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<p>Dès lors, faut-il rester à sa place en entreprise ? Que faut-il penser du salarié qui expose à son manager une position divergente sur la gestion de son équipe ou plus largement sur ses choix stratégiques ? Ce salarié doit-il être remis à sa place par le manager ou doit-il lui laisser un espace de dialogue ouvert pour recueillir ses doléances ?</p>
<h2>L’obéissance comme principe de base au travail</h2>
<p>De prime abord, l’obéissance aux injonctions hiérarchiques fait partie des principes de base des relations entre les managers et leurs collaborateurs. L’existence d’un <a href="https://code.travail.gouv.fr/glossaire/lien-de-subordination">lien de subordination</a> est d’ailleurs un des critères essentiels pour définir une relation de travail. Il y a d’un côté ceux qui encadrent et de l’autre, ceux qui mettent à exécution.</p>
<p>En 1951, la philosophe <a href="https://www.franceculture.fr/personne-simone-weil.html">Simone Weil</a> évoquait déjà cette question dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-Condition-ouvriere"><em>La Condition ouvrière</em></a> lorsqu’elle distinguait le monde de la pensée du monde de l’automatisme manufacturier :</p>
<blockquote>
<p>« La pensée demande un effort presque miraculeux pour s’élever au-dessus des conditions dans lesquelles on vit [à l’usine]. Car ce n’est pas là comme à l’université, où on est payé pour penser ou du moins pour faire semblant ; là, la tendance serait plutôt de payer pour ne pas penser ».</p>
</blockquote>
<p>Cette dichotomie entre ceux qui pensent et ceux qui exécutent, entre ceux qui encadrent et ceux qui travaillent pose la question du respect des cadres, à la fois au sens des limites établies entre chaque métier et au sens des salariés investis d’une fonction de commandement ou de contrôle dans l’entreprise.</p>
<p>C’est en tout cas ce qu’interroge le philosophe <a href="https://www.franceculture.fr/personne/frederic-gros">Frédéric Gros</a> dans son ouvrage <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/desobeir-9782226395283"><em>Désobéir</em></a>. Pour lui, il semble opportun de désobéir uniquement par conviction ou par consentement plutôt que par habitude. En effet, il est nécessaire d’éviter de convertir l’insoumission en posture ou en règle de vie systématique afin de ne pas sombrer dans une désobéissance aveugle et sectaire.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/FPYKlOGEbxc?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un manager doit savoir désobéir (Ghislain Deslandes, 2018).</span></figcaption>
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<p>Finalement, le pas de côté, la sortie du rang doivent se faire avec finesse pour éviter le dérapage incontrôlé et inopérant. De nouvelles formes organisationnelles, comme les <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/lentreprise-liberee-9782213705408">entreprises libérées</a> ou des évolutions managériales, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2013-4-page-32.htm">évaluations à 360°</a>, semblent annonciatrices d’une plus grande porosité entre les savoir-faire et d’un espace de dialogue possible entre les fonctions organisationnelles. Dès lors, que faut-il penser de cette possibilité offerte aux collaborateurs de sortir de leurs domaines d’expertise ?</p>
<h2>La question de l’ultracrépidarianisme</h2>
<p>Dans son <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2820810"><em>Histoire naturelle</em></a>, l’écrivain romain Pline l’Ancien rapporte l’histoire du peintre <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/apelle/">Apelle</a> et de son cordonnier. Alors que le peintre était en train de représenter une chaussure, il demanda au cordonnier si celle-ci était correctement réalisée. Le cordonnier s’approcha et lui signala une erreur dans la représentation de la sandale. Le peintre corrigea aussitôt son œuvre. C’est alors que le cordonnier entreprit de critiquer le reste du tableau et le peintre lui assena : « sutor, ne ultra crepidam » (« cordonnier, pas plus haut que la chaussure »).</p>
<p>En 1819, le terme <a href="https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/ultracrepidarian">« ultracrepidarian »</a> fait son apparition sous la plume de l’essayiste britannique <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/william-hazlitt/">William Hazlitt</a> dans une lettre adressée à <a href="https://data.bnf.fr/fr/10396314/william_gifford/">William Gifford</a>, alors rédacteur en chef de la revue <a href="https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/oi/authority.20110803100357945"><em>The Quarterly Review</em></a>. Dans le même esprit que la citation latine originelle, l’ultracrepidarian désigne une personne qui émet un avis sur des sujets qui dépassent sa compétence.</p>
<p>Lors d’une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s4lF9ExiR8s">prise de parole</a> en juin 2020, l’essayiste français <a href="https://idrissaberkane.org/index.php/fr/">Idriss Aberkane</a> est revenu sur l’origine de ce mot pour en souligner la connotation majoritairement péjorative. De façon générale, l’ultracrepidarian est l’archétype de l’idiot qui sort de son champ de compétences pour débiter des absurdités. C’est en tout cas ce que stipule le philosophe des sciences <a href="https://www.youtube.com/watch?v=f89WVeqWe-M">Étienne Klein</a> qui présente l’ultracrépidarianisme comme le fait de « parler avec assurance de choses que nous ne connaissons pas ». Qu’en est-il réellement ? Existe-t-il un ultracrépidarianisme positif ?</p>
<h2>Retour à Molière</h2>
<p>Dans un article précédent intitulé « Le manager malgré lui », l’objectif était de s’appuyer sur la caricature des médecins du Grand Siècle réalisée par Molière dans <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/etonnants-classiques/theatre/le-medecin-malgre-lui"><em>Le Médecin malgré lui</em></a> pour penser la bêtise dans les organisations.</p>
<p>La pièce était l’occasion de distinguer deux formes de bêtise. Tout d’abord, une bêtise première et essentielle qui est celle de l’inculte, de l’ignorant et de l’incompétent. Si on suit la lettre du texte de Molière, cette bêtise première est incarnée par Sganarelle, ce bûcheron ivrogne converti en médecin pour échapper aux coups de bâton.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214013762610618369"}"></div></p>
<p>Tout au long de la pièce, il s’ingénie à dispenser de véritables consultations. Sa première patiente est la fille de Géronte. Feignant d’être souffrante pour échapper au mariage organisé par son père, la jeune femme se livre sans broncher à l’examen fantaisiste de ce faux médecin.</p>
<p>Pour comprendre le mutisme de sa fille, Géronte demande des explications à Sganarelle : « je voudrais bien que vous me pussiez dire d’où cela vient ». Sganarelle répond alors par un truisme : « il n’est rien plus aisé : cela vient de ce qu’elle a perdu la parole ». En pratiquant une médecine fantasque, Sganarelle incarne l’ultracrépidarianisme originel de l’ignare notoire qui sort de son domaine de compétence pour se complaire dans l’incurie la plus totale.</p>
<p>La deuxième forme de bêtise mise en lumière par Molière est beaucoup plus sournoise et pernicieuse. C’est celle de l’homme qui pense que l’intelligence est le meilleur moyen d’échapper à la bêtise. C’est ce que le philosophe <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-reel-et-son-double">Clément Rosset</a> appelle la « bêtise du second degré ». Il s’agit d’une bêtise intelligente mais foncièrement incurable puisque l’imbécile croit qu’il est déjà sauvé. Cette bêtise du second degré n’est plus une affaire de contenu mais bien une affaire de forme.</p>
<p>Dès lors, si on s’appuie sur l’esprit de la pièce de Molière, il faut dépasser le cas particulier de Sganarelle pour s’intéresser à la mentalité des médecins du Grand Siècle. Dans <em>Le Médecin malgré lui</em>, Molière pourfend tous ces médecins omnipotents qui brandissent les sentences latines comme gages de leur savoir inébranlable.</p>
<p>Les médecins de ce type n’hésitent pas à diviser le monde entre les élus qui savent et dont ils font partie et la masse grouillante des ignorants. Ce sont tous ces médecins qui traitent leurs patients de la même manière que le peintre Apelle rabroue son cordonnier. Lorsqu’un patient s’aventure à émettre des réserves ou à formuler des hypothèses divergentes, il se voit alors rétorquer la sentence ultime « mais vous n’êtes pas médecin ! ». Des formules de ce type ont d’ailleurs été brandies à tout-va pendant la crise du coronavirus.</p>
<p>En rhétorique, ce type de pratique s’appelle <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1760111">l’empoisonnement du puits</a>. Il s’agit de discréditer son interlocuteur pour ridiculiser tout ce qu’il va dire par la suite. La discussion devient alors impossible. Le médecin thaumaturge est en position de distribuer les bons ou les mauvais points intellectuels.</p>
<p>Face à ce type de pratiques, il n’est pas dit que l’ultracrepidarian qu’incarne le patient curieux soit un être stupide qui ferait mieux de rester à sa place. En effet, les médecins dénoncés par Molière n’ont pas saisi que la « vérité » scientifique qu’ils assènent est en réalité conjoncturelle et dépend avant tout de l’état des connaissances de leur époque.</p>
<p>Tel est le problème d’un ultracrépidarianisme pris au sens strict qui est intrinsèquement un dénigrement. Il s’agit de stipuler que toute personne qui s’exprime en dehors de son domaine ne peut qu’avoir tort.</p>
<h2>Vers un ultracrépidarianisme positif</h2>
<p>Dès lors, faut-il envisager le cas d’un ultracrépidarianisme positif ? Qu’il s’agisse de patients curieux ou de personnalités qui ont marqué l’Histoire, il semble que certaines personnes se soient exprimées en dehors de leurs domaines de compétence et eurent raison de le faire.</p>
<p>Ainsi, le cas de la mannequin et actrice austro-américaine <a href="https://www.letemps.ch/sciences/hedy-lamarr-letoile-dhollywood-inventa-bases-wifi-gps">Hedy Lamarr est devenu emblématique</a>. En effet, elle ne s’est pas seulement illustrée sur grand écran mais a également marqué l’histoire scientifique des télécommunications. En collaboration avec le pianiste <a href="https://www.francemusique.fr/emissions/relax/relax-du-mardi-24-septembre-2019-75897">George Antheil</a>, elle a inventé l’étalement de spectre par saut de fréquence qui est notamment utilisé aujourd’hui dans la technologie wifi.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/383873/original/file-20210211-15-v0hfsm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Publicité pour le film <em>Camarade X</em> avec les acteurs Hedy Lamarr et Clark Gable (1940).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pendant toute sa démarche, elle n’a évidemment pas été validée par ses pairs qui la catégorisaient comme une simple actrice. C’est seulement son résultat final qui a permis d’apporter quelque chose de significatif au monde scientifique.</p>
<p>Par conséquent, Hedy Lamarr a manifesté une véritable sortie de son territoire intellectuel et scientifique qui s’est avérée payante pour l’humanité. Telle est la leçon de ce cas d’ultracrépidarianisme positif : il ne faut pas nécessairement écouter les gens qui déclarent que la curiosité est un vice en soi et que toute prise de position en dehors de son domaine d’expertise est une tare.</p>
<hr>
<p><em>Article réalisé sous la supervision de Ghislain Deslandes, philosophe et professeur à ESCP Business School.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Et si la sortie du rang avait des vertus ? La réponse avec les leçons tirées du film de Brad Anderson, du Médecin malgré lui et de l’itinéraire surprenant d’Hedy Lamarr.Thomas Simon, PhD Scholar, chargé de cours en RH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1476922020-11-01T16:57:40Z2020-11-01T16:57:40ZComment le jeu d’échecs a inspiré un pionnier de l’intelligence artificielle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365767/original/file-20201027-15-o1ada3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C1435%2C829&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entre décisions rationnelles et intuition, les échecs ont inspiré le développement de l’intelligence artificielle.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/en/photo/792059">Pxhere</a></span></figcaption></figure><p>Qui dit « échiquier » pense « stratégie ». Et effectivement, le jeu d’échecs a fondamentalement inspiré, dès les années 50, les premières recherches sur l’automatisation des processus de décision. Et donc certaines fonctionnalités des intelligences artificielles.</p>
<p>Un des pionniers dans ce domaine, à la croisée des chemins entre le jeu d’échecs et l’IA, est Herbert A. Simon (1916-2001), économiste et sociologue américain. Lauréat du prix Nobel d’économie en 1978 pour son travail portant sur les processus de prise de décision dans les organisations économiques, il est aussi un des visionnaires à l’égard du développement de l’IA dans les contextes économique et organisationnel.</p>
<h2>L’échiquier comme laboratoire d’observation des processus et comportements de prise de décision</h2>
<p>Le jeu d’échecs a occupé une place incontournable dans les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Herbert_Simon">recherches de Simon</a>, en particulier sur l’IA – un enthousiasme <a href="https://www.researchgate.net/profile/Wolfgang_Bibel/publication/3420517_Al%27s_Greatest_Trends_and_Controversies/links/0c96051866ee0caba4000000/Als-Greatest-Trends-and-Controversies.pdf">loin d’être partagé</a>. Avec ses collègues, notamment <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Allen_Newell">Allen Newell</a>, Simon a observé les comportements des décideurs échiquéens et développé un des premiers programmes informatiques destinés à la pratique des échecs. Son but n’était pas tant d’améliorer la performance des joueurs, mais d’observer, d'analyser et d'explorer les processus de prise de décision humains.</p>
<p>Dans <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/bs.3830070402">l’approche de Simon</a>, lui-même joueur d’échecs, l’échiquier constitue un terrain d’observation pour comprendre comment les humains décident dans un contexte interactif et complexe. Simon analyse les notations des parties, que les joueurs effectuent lors des tournois officiels. Ces notations sont manuscrites sur une grille standardisée. Chacun des deux joueurs note, selon un système de notation universel, chaque mouvement de pièces effectué durant la partie.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=225&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=225&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=225&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=282&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=282&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/365777/original/file-20201027-21-ivn45r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=282&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La notation manuscrite et la notation informatisée d’une partie de simulation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Axel Delorme</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>D’un point de vue méthodologique, ces pratiques échiquéennes procurent du matériau d’observation permettant aux joueurs ou aux observateurs d’envisager l’émergence et le déroulement des pensées décisionnelles des joueurs. Cela permet également de disposer d’une description standardisée de ces processus, ce qui facilite à la fois des analyses sur les éléments antérieurs et d’éventuelles modélisations a posteriori, afin, nous l’espérons, de comprendre et expliquer <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02330350">d’un point de vue méthodologique</a> l’automatisation des processus de prise de décision par l’IA.</p>
<p>Illustrons ceci avec un exemple de la vie quotidienne : pour un achat important, nous passons de longs moments à identifier les alternatives d’achat à partir de critères plus ou moins objectifs (le prix, la couleur, la taille, etc.), les comparer et procéder finalement à un choix à un instant précis. A posteriori, il peut être difficile d’expliquer notre choix. Une description établie au fur et à mesure du raisonnement permet de retracer les embranchements de choix, notamment dans le cas où nous sommes dans un contexte interactif, par exemple quand les alternatives initialement définies ont été réévaluées après une interaction avec un vendeur. La description de ces processus est automatisable dans le cas d’achats en ligne et constitue pour les chercheurs une base d’observation, voire de futures modélisations des processus d’achat.</p>
<h2>« L’expertise échiquéenne » de l’IA, machine apprenante</h2>
<p>En essayant de développer les programmes informatisés permettant d’imiter les scénarios échiquéens, Simon a tenté de faire apprendre à ses programmes informatiques – les « joueurs-robots » – la théorie échiquéenne, mobilisant de plus en plus souvent ces joueurs-robots pour analyser les matchs joués par les joueurs humains. Ces exercices ont renforcé la capacité échiquéenne de ses joueurs-robots – ce qui a permis à Simon d’insister sur l’intérêt de développer la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/B9780080510545500066">capacité d’apprentissage de l’IA</a>.</p>
<p>Ainsi, dès 1958, il <a href="https://www.jstor.org/stable/167397?seq=1">annonçait</a> déjà que l’IA était capable de mémoriser et de reproduire le processus cognitif des joueurs humains, au travers de la codification des parties jouées et intégrant des arbres de logique dans l’analyse de situations complexes, et que cette intelligence pouvait générer de nouveaux processus cognitifs pour trouver des solutions à des questions complexes, parfois plus sophistiquées que les processus mémorisés issus de la cognition des humains. </p>
<p>Autrement dit, Simon pensait l’IA surpasserait de loin les joueurs humains sur l’échiquier. Comme nous le savons, cette hypothèse a été confirmée depuis, notamment par le match entre Deep Blue et Kasparov en <a href="https://www.kasparov.com/timeline-event/deep-blue/">1997</a>.</p>
<h2>La mémoire sans faille des IAs permet-elle d’allier « par cœur » et intuition échiquéenne ?</h2>
<p>Simon examine également les questions relatives à la mémoire dans la prise des décisions échiquéennes en s’intéressant plus spécifiquement à l’émergence de l’intuition. Dans la continuité des analyses de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Binet">Alfred Binet</a>, psychologue français, et d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Adriaan_de_Groot">Adriaan de Groot</a>, psychologue néerlandais, Simon s’intéresse notamment à la mémoire visuelle et à l’émergence de l’intuition sur l’échiquier. Il associe l’intuition à l’expertise en rappelant que si un joueur expert mémorise mieux une situation échiquéenne, cela serait plus dû à ses expertises qu’à sa capacité de mémorisation.</p>
<p>Nous pourrions nous appuyer sur les notions de la mémoire « sollicitée » et de la mémoire « enfouie » pour illustrer ces propos par les pratiques échiquéennes. La mémoire « sollicitée » concerne les débuts de parties que les joueurs d’échecs aguerris étudient méticuleusement, allant jusqu’à apprendre des centaines de coups par cœur, en fonction des réponses de l’adversaire. On appelle cela dans le jargon échiquéen « la théorie ». Elle s’applique la plupart du temps dans les premiers coups de la partie, bien qu’elle puisse également prendre une place non négligeable dans les fins de parties. Le joueur sollicite donc sans cesse sa mémoire, comme des gammes pour un musicien.</p>
<p>Dans un second temps, la mémoire s’applique sur un autre plan. Il s’agit de la mémoire visuelle et conceptuelle, qui se trouve « enfouie », si nous empruntons le terme du philosophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Ric%C5%93ur">Paul Ricœur</a> en l’introduisant dans le contexte échiquéen : le jeu d’échecs, comme le monde des affaires, voit du fait de sa complexité des situations nouvelles à chaque partie. Le joueur ne peut alors se baser sur ses connaissances apprises <em>par cœur</em>. Au sein de ces situations nouvelles, le joueur raisonne en fonction de situations qu’il a observées au détour d’une partie qu’il ne cherchait pas à apprendre par cœur. À la vue d’une situation « nouvelle », le joueur, devant son échiquier, va alors prendre certaines décisions, consciemment ou non, en fonction de sa mémoire « enfouie ». On considère que plus le joueur aura regardé de parties, si possible celles de grands champions, plus il aura de l’expérience et sera capable de répondre, grâce à cette mémoire, de la manière la plus optimale possible. Autrement dit, dans de nombreux cas, l’intuition est un processus implicite mobilisant nos mémoires plus ou moins « enfouies ».</p>
<p>Les joueurs-robots, avec une mémoire artificielle presque infaillible, pourraient probablement paraître moins intuitifs et encore moins créatifs, étant donné que, malgré la grande complexité des scénarios qu’ils pourraient produire, ils restent analysables et, d’une certaine façon, prédictibles.</p>
<h2>La rationalité limitée des décideurs : ce qui fait la beauté du jeu d’échecs pratiqué entre les humains</h2>
<p>Si Simon est bien un pionnier dans la recherche sur l’IA, il est également un des premiers qui insistent sur les soins que nous devons prendre à propos des capacités humaines dans le développement de l’IA. L’origine conceptuelle de ces pensées se situe en grande partie dans son concept de la rationalité limitée.</p>
<p>En économie, Simon est connu pour le concept de « rationalité limitée » : un individu ne peut disposer de toutes les informations nécessaires à sa prise de décision, d’une connaissance complète des alternatives directement ou potentiellement ouvertes, et encore moins d’une maîtrise complète des conséquences potentielles de chaque alternative : il est forcé de prendre une décision dont la rationalité est limitée.</p>
<p>Pour nous, ce concept de rationalité limitée explique aussi pourquoi les joueurs d’échecs humains préfèrent largement jouer entre leurs pairs et en face à face malgré les capacités surhumaines des joueurs-robots – l’émotion, les communications non verbales, les mémoires faillibles, les coups intuitifs inexplicables ainsi que tous facteurs imprévisibles rendent le jeu intellectuellement et humainement plus riche.</p>
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<p><em>Cet article est issu d’une recherche menée en étroite collaboration avec le grand maître international d’échecs Axel Delorme, que je remercie sincèrement pour son aide et sa contribution indispensables à la réalisation de cet article.</em></p>
<p>__</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147692/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hongxia PENG est membre de plusieurs associations de recherche en management. Depuis septembre 2018, elle fait partie du comité international de la division "Organizational Behavior" de l'Academy of Management - l'association réunissant plus de 10000 chercheurs en management dans le monde.
L'IAE de Rouen et le laboratoire NIMEC de l'université de Rouen Normandie ont financé une partie des activités relatives à une recherche dont le thème se trouve en lien avec le sujet de cet article. </span></em></p>Les joueurs d’échecs mobilisent différentes stratégies pour se souvenir de parties précédentes — une inspiration pour un des concepteurs de l’intelligence artificielle.Hongxia Peng, Maître de conférences en sciences de gestion, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1466112020-09-24T13:30:10Z2020-09-24T13:30:10ZDes sciences du vivant aux sciences de gestion : quand la fiction littéraire fait avancer la recherche scientifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359042/original/file-20200921-16-i1ly12.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C11%2C2396%2C1716&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alice joue au croquet avec un flamant rose et un hérisson.</span> </figcaption></figure><p>Lorsqu’on évoque la fiction littéraire, on la distingue à première vue de la recherche de la vérité. En effet, il est d’usage de présenter les sciences et les lettres comme deux champs disciplinaires bien distincts.</p>
<p>D’un côté, la démarche scientifique s’appuie sur des protocoles et des expériences, elle engage des savoirs et vise l’objectivité dans la construction de systèmes collectifs de représentations. D’un autre côté, la littérature apparaît comme une pratique d’ordre esthétique, un champ qui revendique la subjectivité de l’auteur dans l’élaboration d’une pensée.</p>
<p>Le philosophe <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/746767/filename/Art_SABOT_Que_nous_apprend_la_littA_rature.pdf">Philippe Sabot</a> le reconnaît lui-même : « il ne va pas de soi du tout que la littérature ait vocation à connaître ou à faire connaître quoi que ce soit. » Ainsi, certains écrivains « s’attachent d’abord et avant tout à écrire » pour écrire tandis que d’autres souhaitent « divertir leurs lecteurs […] pour les détourner un instant de la réalité du monde et de leurs préoccupations quotidiennes en les faisant entrer dans un monde fictif ou poétique. » Pourtant, l’histoire des sciences du vivant, des sciences de l’homme ou des sciences de gestion a été régulièrement ponctuée par l’incursion de fictions littéraires capables de donner une dimension nouvelle à certains phénomènes. Dès lors, que peuvent apporter les œuvres fictionnelles à la recherche scientifique ?</p>
<h2>Quand « Alice au pays des merveilles » éclaire les sciences du vivant</h2>
<p>Depuis le début de la pandémie de Covid-19, un personnage devenu emblématique défraie la chronique : <a href="https://twitter.com/raoult_didier?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor">Didier Raoult</a>, professeur de maladies infectieuses et directeur de l’IHU (Institut Hospitalo-Universitaire) de Marseille.</p>
<p>Parmi ses prises de position <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DZFN3DryH68">l’infectiologue a notamment fustigé l’usage des big data</a> comme éléments de preuve de l’inefficacité du traitement à l’hydroxychloroquine. Pour cet empiriste convaincu, la compréhension du réel passe d’abord par l’observation et par l’expérience et non par la manipulation de grandes bases de données complètement disparates.</p>
<p>En revanche, il défend l’usage des humanités et notamment de la littérature pour mieux comprendre certains phénomènes biologiques. Dans <a href="http://www.michel-lafon.fr/livre/2415-Epidemies_Vrais_dangers_et_fausses_alertes.html">son dernier ouvrage</a>, le professeur marseillais revient en particulier sur la façon dont <a href="https://gallica.bnf.fr/conseils/content/alice-au-pays-des-merveilles"><em>Les Aventures d’Alice au pays des merveilles</em></a> permettent de faire avancer la science. En s’appuyant sur un <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7135478/">article</a> qu’il a rédigé en 2016, il présente les conséquences de la transposition de ce roman dans le domaine des sciences du vivant. Grâce à une analogie, il développe ce qu’il appelle la « théorie du croquet vivant d’Alice ». Voici ce qu’il écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Alice joue au croquet, mais le bâton du croquet est un flamant rose et la boule, un hérisson. Trois êtres vivants dont les objectifs sont imprévisibles. Le flamant rose tourne la tête à droite ou à gauche, le hérisson se met en boule ou pas, leurs réactions sont trop variables pour qu’Alice puisse les deviner, donc la chance que le bâton frappe la boule et l’envoie sous l’arceau est proche de zéro. »</p>
</blockquote>
<p>Le professeur Raoult s’appuie notamment sur cette analogie « pour montrer que nous ne comprenons pas l’évolution de la résistance aux antibiotiques, parce qu’il ne s’agit pas de deux objets inertes manipulés par les humains, mais de trois dynamiques qui ont leur propre mode évolutif. » Sa théorie s’applique plus largement à l’impossibilité de prédire l’avenir lorsque des êtres vivants sont concernés, en particulier des êtres humains. En somme, Alice devient un moyen pour Raoult de mettre en lumière le caractère imprédictible du vivant.</p>
<h2>Le recours aux analogies en sciences de gestion</h2>
<p>Figure de style majeure en littérature, la métaphore permet d’extraire des structures et des outils conceptuels issus de certains champs disciplinaires pour les réutiliser dans d’autres contextes. En sciences de gestion, les professeurs <a href="http://www.ketokivi.fi/">Mikko Ketokivi</a>, <a href="https://www.mcgill.ca/desautels/saku-mantere">Saku Mantere</a> et <a href="https://www.rsm.nl/people/joep-cornelissen/">Joep Cornelissen</a> ont appelé à <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amr.2015.0322">raisonner par analogie</a> pour faire progresser la théorie gestionnaire. En effet, la théorie des organisations a déjà recours à de nombreuses analogies pour transmettre de nouvelles idées ou pour rendre compréhensibles des sujets complexes ou abstraits.</p>
<p>Dans le même esprit, le théoricien britannique <a href="https://www.rse-magazine.com/Gareth-Morgan-ou-les-images-de-l-organisation_a3798.html">Gareth Morgan</a> prône <a href="https://us.sagepub.com/en-us/nam/images-of-organization/book229704">l’usage des métaphores</a> afin de multiplier les angles d’approches et d’enrichir notre compréhension des phénomènes organisationnels. Il développe notamment son néologisme d’« imaginisation », qui désigne l’art de décoder les problèmes de l’organisation, un art où image et action ont un lien étroit pour mieux explorer les organisations dans leur complexité. Par conséquent, l’analogie devient une méthode comme une autre pour développer la recherche en management.</p>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/le-manager-malgre-lui-quand-moliere-eclaire-la-betise-organisationnelle-128718">article précédent</a>, nous avons proposé une analogie en nous appuyant sur la pièce de Molière <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/etonnants-classiques/theatre/le-medecin-malgre-lui"><em>Le Médecin malgré lui</em></a> pour penser la bêtise dans les organisations. La pièce est devenue un moyen pour distinguer deux formes de bêtise susceptibles de survenir en entreprise. Il y a tout d’abord la bêtise première et essentielle de Sganarelle, l’ivrogne devenu médecin qui débite des absurdités. C’est aussi celle du manager inculte, ignorant et incompétent qui multiplie les bévues. </p>
<p>Cependant, l’esprit de la pièce porte plus largement sur une caricature cinglante des médecins du Grand Siècle. Cette fresque satirique est alors l’occasion de mettre en lumière une deuxième forme de bêtise beaucoup plus sournoise et pernicieuse. C’est celle de l’homme qui pense que l’intelligence est le meilleur moyen de ne pas être bête. Cette seconde forme de bêtise n’est pas sans rappeler le cas du « sale con » ou <a href="https://www.littlebrown.co.uk/titles/robert-sutton/the-no-asshole-rule/9780749954031/">« asshole »</a> décrit par <a href="https://www.gsb.stanford.edu/faculty-research/faculty/robert-i-sutton">Robert Sutton</a> pour désigner tous ces managers toxiques et imbus d’eux-mêmes qui sévissent au cœur des organisations. Entre la satire de Molière et la diatribe « anti-sales cons » de Sutton, il n’y a qu’un pas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1214013762610618369"}"></div></p>
<h2>Des pouvoirs de la littérature</h2>
<p>Dans une certaine mesure, il apparaît finalement caduc d’opposer d’un côté les productions des scientifiques et de l’autre, celles des fabulistes. Comme le rappelle l’historienne des sciences <a href="https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=LICLA_085_0031&download=1">Frédérique Aït-Touati</a>, « l’intérêt pour les interactions de la science et de la littérature n’est pas nouveau. » En effet, le <a href="https://www.livredepoche.com/livre/de-la-nature-des-choses-9782253067580"><em>De Rerum Natura</em></a> du poète latin <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/lucrece/">Lucrèce</a> n’est rien d’autre qu’un poème scientifique, une rencontre saisissante entre le langage poétique et les sciences physiques. La forme poétique est ici la meilleure façon de rendre intelligible un sujet difficile d’accès.</p>
<p>Pour <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01909137">Bernard Roukhomovsky</a>, maître de conférences en littérature française à l’Université Grenoble Alpes, « Lucrèce inaugure la lignée de ces « passeurs » qui, de la révolution scientifique à la construction d’une modernité littéraire […] ne cessent de <em>faire le lien</em> entre culture scientifique et discours littéraire. » Dans le même esprit, Frédérique Aït-Touati rend un hommage au philosophe <a href="http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/michel-serres">Michel Serres</a> qui a « éclairé de nombreux aspects du développement parallèle des œuvres scientifiques, philosophiques et littéraires, faisant [notamment] du XVII<sup>e</sup> siècle l’un des « passages » privilégiés entre les sciences de l’homme et les sciences exactes. Ainsi, dans <a href="https://www.grasset.fr/livres/feux-et-signaux-de-brume-zola-9782246002581"><em>Feux et signaux de brume</em></a>, il affirme fortement la nécessité de dépasser les barrières posées entre la science et la littérature. »</p>
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<figcaption><span class="caption">Ghislain Deslandes : La haine de la littérature (Xerfi Canal, 2020).</span></figcaption>
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<p>En somme, la transposition des fictions littéraires dans le champ scientifique ou le recours aux formes poétiques en sciences font partie des stratégies essentielles pour expliquer de nombreux phénomènes. Si le professeur Raoult a choisi de convoquer <em>Alice au pays des merveilles</em> pour souligner l’imprévisibilité du vivant, c’est pour rendre compte avec subtilité de processus complexes, difficiles à saisir autrement que par la voie littéraire. Depuis Lucrèce jusqu’à Raoult, la littérature s’est donc toujours présentée comme une source de savoirs inépuisables.</p>
<p>Laissons les derniers mots à <a href="https://www.college-de-france.fr/site/william-marx/index.htm">William Marx</a>, professeur au Collège de France, qui précise dans <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Haine_de_la_litt%C3%A9rature-3180-1-1-0-1.html"><em>La haine de la littérature</em></a> que malgré les attaques dont elles font l’objet, « les œuvres littéraires n’en continuent pas moins à parler avec autorité, à dire une vérité, à proposer des modèles éthiques, à exprimer la volonté et les opinions des individus et des peuples. Elles parlent du monde, des hommes, des dieux, de la politique, du cœur et des sentiments, des souvenirs et du futur, de ce qui n’eut et n’aura jamais lieu, de ce qui pourrait tout de même advenir. […] Sans légitimité, sans méthode, sans façon. »</p>
<hr>
<p><em>Article réalisé sous la supervision de Ghislain Deslandes, philosophe et professeur à ESCP Business School.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146611/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En quoi la littérature peut-elle participer à la recherche scientifique ?Thomas Simon, PhD Scholar, chargé de cours en RH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464462020-09-22T20:48:40Z2020-09-22T20:48:40ZDavid Graeber (1961-2020), auteur de « Bullshit jobs » : anthropologue… et chercheur en gestion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359072/original/file-20200921-14-d3wday.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=581%2C241%2C5117%2C2791&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'anthropologue américain a établi le lien entre emplois « inutiles, superflus ou néfastes » et « dégâts moraux et spirituels profonds ».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David_Graeber_speaks_at_Maagdenhuis_Amsterdam,_2015-03-07_(16741093492).jpg">Guido van Nispen/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’Américain David Graeber, anthropologue à la <a href="https://www.lse.ac.uk/">London School of Economics</a>, est <a href="https://www.franceculture.fr/economie/lanthropologue-david-graeber-theoricien-du-bullshit-job-est-mort">mort le mercredi 2 septembre à l’âge de 59 ans</a>. Il laisse derrière lui un héritage important, souvent original, parfois controversé.</p>
<p>Radicaux, disruptifs et engagés, ses écrits, conférences et prises de position ont logiquement fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Son approche radicale et militante, si elle était adoptée strictement, omettrait fondamentalement le management et son impact sur l’organisation et ses acteurs. Néanmoins, au bilan, sa carrière aura « fait bouger » les lignes sur notre rapport au travail, ses pratiques et son utilité dans et pour l’organisation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bio Twitter de l’auteur qui témoigne de sa conception de son rôle de chercheur engagé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author Twitter account</span></span>
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<p>Les travaux de David Graeber ont ceci de particulier qu’ils ouvrent non seulement la possibilité d’une <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/musee-du-quai-branly-jacques-chirac/lanthropologie-anarchiste">anthropologie anarchiste</a>, mais soulignent aussi l’utopie des <a href="https://www.senscritique.com/livre/Bureaucratie/18126364">règles bureaucratiques</a>, insistent sur l’immoral qui peut devenir moral, abordent la question de l’esclavage, de <a href="https://www.senscritique.com/livre/Les_Pirates_des_Lumieres/39653491">la piraterie et de la flibusterie</a> et remettent en cause le paradigme capitaliste dominant de la valeur conférée aux différents postes de travail (ou plutôt métiers). Tout cela constitue une clé de compréhension tout à fait intéressante des enjeux et effets de la crise sanitaire, économique et sociétale actuelle.</p>
<h2>« Inutiles, superflus ou néfastes »</h2>
<p>Les conclusions de Graeber entrent ainsi en résonance avec la crise sanitaire de la Covid-19 qui aura montré qu’il existait des « emplois indispensables » et des « secteurs essentiels ». La filière médicale évidemment, la filière agroalimentaire, l’eau, l’énergie, le traitement des déchets, la distribution, les télécoms, le numérique et les forces de sécurité : toutes ont été considérées comme nécessaires, comme un retour aux besoins les plus tangibles, les plus fondamentaux.</p>
<p>La crise aura aussi montré que les travailleurs « en première ligne », si souvent invisibles en temps déconfinés, étaient indispensables à la société. Un épisode qui rappelle l’exercice proposé par David Graeber d’imaginer les conséquences désastreuses – que nous avons pu mesurer au printemps 2020 – d’un monde sans soignants, sans travailleurs régaliens, sans agriculteurs, ou encore sans transporteurs ni commerçants de proximité, dans son livre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kikzjTfos0s"><em>Bullshit jobs</em></a>, publié en 2018.</p>
<p>Ce livre fait suite au retentissement d’un article <a href="https://www.strike.coop/bullshit-jobs/">originel publié dans le magazine <em>Strike !</em></a> en 2013. Confronté aux nombreux témoignages validant son propos, David Graeber décide alors de poursuivre sa réflexion en décrivant et en théorisant ces emplois « inutiles, superflus ou néfastes ».</p>
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<figcaption><span class="caption">David Graeber : « Jamais la société humaine n’a passé autant de temps à remplir des formulaires » (France Culture, septembre 2018).</span></figcaption>
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<p>Parmi la liste non exhaustive d’emplois qu’il qualifie d’inutiles, il insiste sur les « consultants en ressources humaines, coordinateurs en communication, chercheurs en relations publiques, stratégistes financiers, avocats d’affaires » ou universitaires qui passent leur temps en commissions <em>ad hoc</em>.</p>
<p>Il classe ces « jobs à la con » en cinq catégories : les « faire-valoir », les « rafistoleurs », les « sbires », les « cocheurs de cases », et les « contremaîtres ». Les premiers seraient ceux pour qui la fonction a pour seule finalité la mise en valeur de leurs managers. Les deuxièmes seraient là pour résoudre des problèmes de gestion qui auraient pu être évités, tandis que les « sbires » ont un travail à dimension offensive, agressive, uniquement au profit de leur direction.</p>
<p>Les deux dernières catégories sont celles des emplois qui tentent de convaincre l’organisation qu’un problème est en cours de traitement alors que celle-ci n’a aucune intention de le résoudre, ou encore les petits chefs, qui ont sous leur surveillance panoptique des individus qui semblent pourtant avancer sans eux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bullshit Jobs : A Theory.</span>
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<p>Les travaux de Graeber montrent aussi que, en cohérence avec cette perception négative de leur propre contribution, les travailleurs – employés, cadres intermédiaires mais aussi cadres supérieurs – occupant ces « emplois à la con », présenteraient souvent un état de santé mentale dégradé.</p>
<p>Il évoque ainsi des « dégâts moraux et spirituels profonds » comme le stress, la souffrance au travail, la dépression, l’anxiété… Ces emplois entraînent également des maladies de type psychosomatique, et notamment des taux d’infections plus élevés que la moyenne, et ont des conséquences délétères beaucoup plus étendues, notamment sur la vie privée des travailleurs. Le coût pour la collectivité en termes de santé publique est donc non négligeable et à prendre en compte.</p>
<h2>Remettre le sens au cœur des dispositifs</h2>
<p>Son analyse se concentre sur un choix moral et politique. L’auteur voit dans ces « bullshit jobs » la volonté du capitalisme d’« occuper » la population. « Nous sommes devenus une civilisation fondée sur le travail, mais pas le travail “productif” : le travail comme fin et sens en soi », écrit-il – sans préciser le fait que cette vue fut paradoxalement celle aussi de Karl Marx.</p>
<p>Ainsi, selon l’approche capitaliste que souhaite pointer du doigt Graeber, une population heureuse et jouissant de temps libre apparaît comme un danger pour la sauvegarde du système économique existant, alors que la croissance des emplois inutiles aux tâches débilitantes favorise le maintien en place de celui-ci.</p>
<p>Pour l’anthropologue, seule la mise en place d’un <a href="https://theconversation.com/le-revenu-universel-comme-remede-a-la-crise-democratique-73168">revenu universel</a> permettrait, d’une part, de sortir de la vision du travail comme simple marchandise, de l’autre, de permettre aux travailleurs d’être réellement « utiles à quelque chose ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">David Graeber en conférence à Amsterdam aux Pays-bas, en 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David_Graeber_speaks_at_Maagdenhuis_Amsterdam,_2015-03-07_(16742157865).jpg">Guido van Nispen/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Au-delà de la question du travail, l’œuvre de David Graeber fait donc écho à de nombreux défis contemporains qui interrogent notamment ce que serait un management durable, utile, bienveillant et soutenable. Sa contribution au décryptage des pratiques organisationnelles apparaît donc d’autant plus essentielle que nos sociétés, à notre sens, n’ont jamais été aussi managériales qu’elles ne le sont aujourd’hui.</p>
<p>Penser l’activité « de travail » (ou de « travailler ») comme un vecteur de satisfaction, de fierté, en faire un ouvrage plus qu’un labeur, penser l’engagement des collaborateurs : l’héritage intellectuel que nous laisse David Graeber invite les décideurs et les managers à remettre au cœur de la réflexion la question du contenu du travail et du sens qui lui est donné. Réflexion point aisée, tant la double question <a href="https://www.revuegestion.ca/comment-justifiez-vous-votre-existence">« À quoi votre travail sert-il au juste ? Et à qui ? »</a> entraîne des réponses embarrassées !</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jobs-a-la-con-lennui-le-sens-et-la-grandiloquence-58382">« Jobs à la con » : l’ennui, le sens et la grandiloquence</a>
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<p>À la lecture de Graeber, plusieurs niveaux de management sont en effet implicitement conviés à une régénération. Ainsi, par la désacralisation des emplois de cadre, les directions générales sont questionnées sur leur propension à surdoter le management intermédiaire au détriment des salariés opérationnels.</p>
<p>De plus, par la mise au jour « d’emplois (ou à tout le moins de tâches) à la con », une perspective importante est ainsi ouverte. Elle renvoie à la transformation numérique et industrielle, non pas au service de la suppression d’emplois, mais au service de missions nouvelles – loin de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y-G7461XhMs">« remplir des formulaires »</a> – à valeur ajoutée plus largement humaine.</p>
<p>Ce contexte incite à penser de plus en plus la santé des entreprises par le travail et son contenu. C’est ce qui permettra de dégager plus clairement la raison d’être d’un collectif qui serait réuni autour d’un « pourquoi » plutôt que d’un « comment ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146446/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est membre de la section "sciences de gestion et management" du conseil national des universités</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Laure Boncori, Hugo Gaillard et Tarik Chakor ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les travaux du théoricien des « emplois à la con », décédé début septembre à l’âge de 59 ans, auront contribué à repenser le rapport au travail et son utilité.Tarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Anne-Laure Boncori, Professeur Associé, enseignant-chercheur en management et stratégie, INSEEC Grande ÉcoleHugo Gaillard, Docteur en Sciences de Gestion et enseignant en GRH, Le Mans UniversitéMarc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1434922020-07-28T17:20:13Z2020-07-28T17:20:13ZL’obligation de porter le masque, une application sanitaire de la méthode Toyota<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/349685/original/file-20200727-37-sdtqic.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La présence de règles entourant le port du masque n'est pas seulement liée aux conditions sanitaires, mais au type de gestion du système de santé d'un pays.</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les arguments en faveur ou contre le port du masque relèvent souvent du domaine médical. On parle de taux de mortalité, de degré de contagion, ou des séquelles de la Covid-19. Ces informations sont complexes, parfois contradictoires, et les connaissances sur le virus évoluent de jour en jour.</p>
<p>Lors des premiers cas de Covid-19 en Amérique du Nord, certains prônaient une transmission graduelle du virus afin de favoriser l’immunité de masse. Cependant, de récentes recherches démontrent que <a href="https://www.immunology.org/coronavirus/immunology-and-covid-19">l’immunité à la Covid-19</a> n’est pas garantie. Bref, le problème est complexe, car nous n’avons pas encore toute l’information.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/port-obligatoire-du-masque-le-principe-de-precaution-sapplique-142628">Port obligatoire du masque : le principe de précaution s'applique</a>
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<p>L’idée n’est pas de remettre en question l’importance du masque en cette période de crise sanitaire, mais mes recherches en relations industrielles m’amènent à offrir un point de vue différent de l’argumentaire entendu. Le port du masque peut être aussi vu sous l’angle des sciences de l’administration. En d’autres mots, la présence de règles entourant le port du masque n’est pas seulement liée à des considérations médicales, mais aussi au modèle de gestion du système de santé d’un pays.</p>
<p>On peut se demander plus précisément comment le <em>lean management</em>, très prisé depuis 20 ans dans les systèmes publics, peut influencer le choix des gouvernements dans l’adoption de règles sur le port du masque.</p>
<h2>La méthode Toyota</h2>
<p>Le <em>lean management</em>, aussi appelé Toyotisme, prône la réduction de la perte à son maximum dans un processus de fabrication. Ce mode de gestion est très intéressant pour les gestionnaires, car il permet un levier stratégique. À chaque étape de la fabrication d’un produit, ils se demandent : est-ce que cette étape créera une valeur ajoutée pour le client ? Si ce n’est pas le cas, le procédé doit être révisé ou retiré de la chaîne de montage.</p>
<p>Taiichi Ohno, fondateur du Toyotisme, indique <a href="https://theleanway.net/The-8-Wastes-of-Lean#">huit formes</a> de pertes devant être contrôlées par les directeurs d’usines. Il peut s’agir de problèmes de contrôle de qualité, de surproduction, de surstockage, de transport, déplacement, traitement ou mouvement inutiles (dans le procédé de fabrication), de temps d’attente ou de sous-utilisation des compétences. Selon le <em>lean management</em>, en contrôlant ces huit points de perte, l’entreprise peut accroître la valeur ajoutée de son produit.</p>
<h2>L’hôpital comme une usine</h2>
<p>Les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1016/j.jom.2014.09.002?casa_token=fsCl-JZsuq0AAAAA:dc3bn-LG77m2tOJSEVW7DR6-HZdXTELNqb3BB1id59NFyyP6gUG_uCKLLoy5WxN2K0d-TPkSSkZwTcMn">bien-fondés du <em>lean management</em> dans l’industrie manufacturière</a> sont bien connus. Plusieurs recherches ont vanté ses bienfaits en ce qui a trait à la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652613004290?casa_token=SpFz6AewmQUAAAAA:LGvzFfrpBLUxngQrB5YFyme1UpZQa4xKuHv1KXAzs6SyebHHuxkjjiilgh06WOd8vtGS8OvKC5vq">gestion des stocks</a>, des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/MD-01-2017-0045/full/html?casa_token=77ZwWJDXBoMAAAAA:t--adTQrybhjDNYObUtqHOUK28s0W_YVXn8wTFALI_zACiSKaKrpRQMjZM_jSf7a5t56dSrwOylWSNqQiX8qVyNDHbhAxPP73rlJNpvLyDAHvV7Hazmzng">compétences</a> et à son <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/01443570010332971/full/html?casa_token=0UYE-DeMn6sAAAAA:GZxDFu8C4uI7nhguWtGcxUyNOJqXP38PI2P9K5Dg5wZMcDD_WaXgBsD5UWLUJ1B9OBdL71BskUW-zzRtjHgPg93zvg-5Uoslvw9rDyFmq1tcFgEBrZK87Q">avantage compétitif</a>.</p>
<p>Le succès de ce modèle a intéressé plusieurs gestionnaires. Au début du 21<sup>e</sup> siècle, le <em>lean management</em> est entré dans plusieurs industries, jusqu’à s’immiscer dans les soins de santé. Cependant, son utilisation n’y fait pas l’unanimité. Bien que plusieurs études notent des <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/19355181211274442/full/html">effets</a> <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1754-9485.12090">positifs</a> pour le système de santé, d’autres notent une augmentation des conflits avec le <a href="https://www.academia.edu/9298544/">personnel</a> et la difficulté d’accès à certaines <a href="http://www.diva-portal.org/smash/get/diva2:656862/FULLTEXT01">ressources</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349736/original/file-20200727-19-1rkxtu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selon la logique fondamentale du <em>lean management</em>, un gestionnaire d’hôpital pourrait se demander en quoi la présence de lits non utilisés par des patients constitue une valeur ajoutée.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Lorsque le <em>lean management</em> est instauré sans flexibilité, des incohérences peuvent survenir. Par exemple, selon la logique de ce modèle, un gestionnaire d’hôpital pourrait se demander en quoi la présence de lits non utilisés constitue une valeur ajoutée. Dans la même lignée, il tentera de maximiser le temps de travail de ses infirmiers, médecins ou préposés et d’éliminer tout surplus (incluant le nombre d’employés).</p>
<p>Lorsque cette réflexion est poussée encore plus loin, l’hôpital se transforme peu à peu en une « usine » où les systèmes prévisionnels dictent les ressources nécessaires à la production et le rendement attendu.</p>
<h2>Perte de flexibilité</h2>
<p>Le <em>lean management</em> a pour but de contrôler le processus de fabrication d’un produit, de sa conception jusqu’à sa vente. Cette idée est convenable et réalisable dans le domaine manufacturier, mais l’est-elle dans celui de la santé ?</p>
<p>Le principe de rationalisation et de maximisation des ressources en entreprise fonctionne bien lorsque l’on tente de prévoir le nombre de ventes d’automobiles, par exemple. Cependant, lorsque la même logique s’applique au domaine de la santé, nous assistons à une perte de flexibilité de la part de nos instances publiques.</p>
<p>Le principe qu’un gouvernement devrait être régi selon les mêmes règles qu’une entreprise offre certes certains avantages pour le contrôle des dépenses, mais ne permet pas une gestion de risque en fonction d’éléments <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0925527309003715?casa_token=CFM21fAV2jUAAAAA:Q9b5Pgsw_im7LHPfG5S3X_FzYABnkVymnVrX6wKinNnAN7XtEq7703cKSh6EsC6TKotAKPhco9zh">externes</a> qui dépassent largement le <a href="http://www.inrs.fr/risques/lean-management/exemples-risques-implantation-lean.html">contexte de l’entreprise</a>.</p>
<p>En d’autres mots, la Covid-19 n’affecte pas également une entreprise et tout un pays. Les variables affectant un pays sont multiples sont plus complexes comparativement à l’entreprise. Dans le pire des cas, l’entrepreneur peut cesser son service à la clientèle et fermer ses portes. Cette option n’est pas envisageable pour un pays.</p>
<p>À l’heure actuelle, aucun chercheur n’a étudié la corrélation entre les <a href="https://infogram.com/masques-covid-19-1h7k231v1ong4xr">modèles de gestion des systèmes de santé des pays et leur politique encadrant le port du masque</a>. Il est cependant intéressant de remarquer que les pays ayant une gestion des soins de santé dite de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Port-masque-Europe-est-obligatoire-2020-07-13-1201104773">rationalisation</a> semblent plus enclins à imposer le masque à leurs citoyens.</p>
<p>L’<a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjagfD8g-7qAhUCm-AKHaXhDFQQFjAAegQIARAB&url=https%3A%2F%2Fwww.iza.org%2Fpublications%2Fdp%2F13319%2Fface-masks-considerably-reduce-covid-19-cases-in-germany-a-synthetic-control-method-approach&usg=AOvVaw3Yt23BF7mDqc_8v8FqLQWN">Allemagne</a>, la <a href="https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Le-port-masque-obligatoire-lieux-publics-clos-semaine-prochaine-2020-07-16-1201105144">France</a>, l’<a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiCltqJhO7qAhVlc98KHZ1yAvsQFjAAegQIBxAB&url=https%3A%2F%2Fwww.euroweeklynews.com%2F2020%2F07%2F13%2Fobligatory-use-of-face-masks-in-spain-we-bring-you-the-latest-as-the-story-breaks%2F&usg=AOvVaw12KylVHUH7FiT1FQuXqofF">Espagne</a>, le <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiK86uUhO7qAhVFUt8KHcInAJsQFjAAegQIAhAB&url=https%3A%2F%2Fwww.bbc.co.uk%2Fnews%2Fhealth-51205344&usg=AOvVaw3JbqyClonZc46Z9Zj9kr1E">Royaume-Uni</a> et la <a href="https://www.thelocal.ch/20200702/coronavirus-everything-you-need-to-know-about-switzerlands">Suisse</a>, pour ne nommer que ceux-là, obligent le port du masque.</p>
<p>Bien que ces exemples soient européens, le système de santé de ces pays industrialisés est <a href="http://accessh.org/wp-content/uploads/2015/02/1802_Mossialos_intl_profiles_2014_v6.pdf#page=21">similaire</a> au <a href="https://europepmc.org/article/med/18271106">système canadien</a>. Au contraire, les pays scandinaves, reconnus pour leur <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1080/14034940600858433?casa_token=w1dKqz3iiwoAAAAA:A-2BihLUUOyLbMrDuS5nxLC_AQpaFEN1hi5PjRrkJNIPcJtr_M0FA84yusSwt3iIrjpcJSJSfLdISHNrUA">gestion collective</a> des soins de santé, n’ont jusqu’ici pas imposé le <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Port-masque-Europe-est-obligatoire-2020-07-13-1201104773">port du masque</a> à leurs citoyens.</p>
<h2>Enlever la pression sur les hôpitaux</h2>
<p>La gestion collective implique qu’on ne voit pas la santé (et ses institutions) comme un coût, mais plutôt comme un investissement à long terme de la société. Ce changement de paradoxe entraîne une vision moins managériale des hôpitaux. Le modèle scandinave <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1080/14034940600858433?casa_token=sNwJZX1UVwIAAAAA:V-B4KnytoR69rM3zRONwSsDv0Sz_JGHltLT3r4ACVOKxbrE89XDt9w-LCvzKSaA3CavAF1va8lzD40ATvQ">accepte le surplus</a>] et ne le considère pas comme une <a href="https://www.ingentaconnect.com/content/mcb/25/2008/00000022/00000004/art00001">perte</a>.</p>
<p>Les pays scandinaves investissent en moyenne <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11019-012-9414-8.pdf">deux fois plus</a> par habitant dans les frais de santé que la moyenne européenne. Ce financement public est beaucoup plus holistique ; l’hôpital n’est pas la seule option pour les malades. Les ressources sont <a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s11019-012-9414-8.pdf">diffuses</a> dans le système de santé, ce qui permet aux hôpitaux des pays scandinaves de ne pas soutenir à eux seuls la pression d’une pandémie.</p>
<p>Ces pays utilisent et <a href="https://www.nationmaster.com/country-info/compare/Sweden/United-States/Health">financent</a> diverses initiatives de santé qui favorise la participation citoyenne, qui ne sont pas vues comme des pertes à contrôler. Cela ce traduit par un accès <a href="https://academic.oup.com/jmp/article-abstract/19/4/343/893234">plus rapide</a> à un <a href="https://sciencenordic.com/culture-denmark-forskerzonen/how-does-denmark-have-better-healthcare-than-the-us-for-less-money/1451158">professionnel de la santé</a>, ainsi que l’<a href="https://www.kingsfund.org.uk/sites/default/files/Avoiding-Hospital-Admissions-Sarah-Purdy-December2010_0.pdf">accès à des lits</a>, notamment pour les <a href="https://link.springer.com/article/10.1186/1472-6963-11-126">personnes agées</a>.</p>
<p>Les compressions visant l’efficience des systèmes de santé ont entraîné une perte de flexibilité. Ainsi, nous ne portons pas un masque uniquement pour nous protéger d’un virus, mais aussi pour réduire la charge sur un système de santé qui ne sait plus s’adapter aux bouleversements. Le <em>lean management</em> appliqué au secteur de la santé ne permet plus à l’État de contenir des événements majeurs comme la pandémie actuelle.</p>
<p>L’utilisation par les gouvernements de modèles provenant des sciences de l’administration peut se justifier par de solides assises théoriques. Cependant, plusieurs gestionnaires du secteur public semblent oublier qu’il existe des différences fondamentales entre un gouvernement et une entreprise. La première étant l’impact d’une crise sanitaire sur leur système respectif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143492/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Desjardins ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nous ne portons pas un masque uniquement pour nous protéger du virus, nous le faisons pour réduire la charge sur un système de santé qui ne sait plus s’adapter en raison de son mode de gestion.Guillaume Desjardins, PH.D Candidate, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1412102020-06-28T16:07:38Z2020-06-28T16:07:38ZLe « management by design » : quand la philosophie du designer s’étend à toute l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/343194/original/file-20200622-54977-1mww3mj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C6%2C4203%2C2804&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Transposer des méthodes propres au design permet de résoudre des problèmes complexes en matière technique et fonctionnelle, mais aussi humaine et sociétale.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://images.unsplash.com/photo-1587440871875-191322ee64b0?ixlib=rb-1.2.1&ixid=eyJhcHBfaWQiOjEyMDd9&auto=format&fit=crop&w=751&q=80">UX Indonesia / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Dans sa définition primitive, le design représente une activité centrée sur un travail des formes, comme le design d’espace, le design de produit, le design de mode, ou comme celui des formes graphiques ou interactives. Mais celui-ci est passé en quelques décennies de la conception des objets qui nous entourent à la résolution des problèmes du monde.</p>
<p>Comme l’illustre son origine italienne <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/partout-ou-je-passe-les-memes-erreurs-9782416000225/"><em>disegno</em></a> qui signifie à la fois dessin et dessein, le design se situe à la croisée de la philosophie, de l’esthétique et de la technique, et en constitue ainsi la résultante. Additionné au marketing et à l’utilisateur, il compose également « l’expérience utilisateur » ou « User eXperience » à l’origine de l’acronyme « UX ».</p>
<p>Mais ce design-là, c’est le design du XX<sup>e</sup> siècle, fidèle compagnon de route du <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/marketing-mix/">« marketing mix »</a>. Longtemps mobilisé comme un outil au secours de la créativité, le design est aujourd’hui peu à peu considéré comme un véritable modèle au service de toute l’entreprise.</p>
<h2>Au service de l’Homme… sans oublier le client</h2>
<p>Le design du XX<sup>e</sup> siècle a connu trois grandes étapes. Le travail sur les formes et les couleurs, véritable ADN du design, explique à lui seul l’importance des considérations esthétiques dans le champ du design, et justifie l’indiscutable et obsessionnel attrait qu’il exerce sur la fonction marketing, si longtemps avide de conquêtes commerciales débarrassées de toutes considérations sociétales.</p>
<p>Compagnon d’armes du marketing des objets, il s’est très rapidement mis au diapason des prestations de service. Le géant du e-commerce Amazon a largement développé le design de service, dont un des plus emblématiques reste leur fameux et unique bouton « acheter en un clic », qui supprime tous les points de contact rébarbatifs, et simplifie l’ensemble des opérations associées. Le client économise ainsi son temps, et surtout sa « prise de tête » comme on dit, après avoir fait ses courses chez le leader mondial du commerce électronique.</p>
<p>Il est difficile de ne pas y voir une relation de cause à effet, car c’est à ce moment-là que les marketeurs se sont intéressés non seulement à l’objet lui-même, puis à son usage, mais depuis quelques années, à l’expérience vécue par les clients en situation d’usage. Apple est un adepte de l’UX, étant particulièrement attentif aux analyses des utilisateurs. Par exemple, si vous demandez à son robot Siri de l’iPhone de prévoir une heure de réveil pour demain matin, alors qu’il est minuit passé, Siri va vous demander de quel jour vous parlez.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343169/original/file-20200622-54977-1lryykq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les périmètres successifs d’application du design au XXᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Roland Stasia -- Hèrès Consulting</span></span>
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</figure>
<p>Alors que bien des penseurs offrent de le mettre au service de l’humain voire de l’humanité, il ne faudrait pas que le design en oublie le client.</p>
<p>Cette vision humaniste du designer est une réalité qui a l’âge des équipes pluridisciplinaires. Celles-ci sont au cœur du travail du designer, dont la culture se nourrit aussi bien des arts, des techniques, des sciences humaines, des sciences économiques ou des sciences de la nature.</p>
<p>Il est cependant une réalité implacable qui veut que seuls les clients soient à même de fournir aux entreprises le revenu nécessaire à leur pérennité. Celle-ci sera d’autant plus assurée que la profitabilité sera maximale.</p>
<h2>Mieux manager grâce au design</h2>
<p>Deux phénomènes permettent au design du XXI<sup>e</sup> siècle de dépasser son statut de métier des arts appliqués, pour accéder à celui de valeur managériale.</p>
<p>Le premier se situe dans sa propre sphère de préoccupations. De tout temps, le designer a considéré les dimensions non artistiques de son métier, car elles sont au cœur de son travail, faute de quoi aucun produit/service n’aurait été vendable ou désirable, ni même profitable.</p>
<p>De tous les grands métiers de la conception, comme l’architecte et l’ingénieur, le designer est probablement celui qui a la plus difficile des équations à résoudre. En médiateur naturel, il doit concilier un nombre important de contraintes particulièrement délicates, parfois en conflit, comme les contraintes fonctionnelles, techniques, environnementales, biologiques, juridiques, économiques, sociales et politiques, voire philosophiques.</p>
<p>Cet assemblage délicat des contraintes à réaliser avant la prise de décision s’apparente énormément au mode de gestion d’une équipe de direction, avec son comité de direction, dirigé par le directeur général, autour duquel les autres directeurs représentent les principales fonctions de l’entreprise : finance, ressources humaines, marketing, informatique, stratégie, technique, commercial, qualité, etc.</p>
<p>Le deuxième phénomène concerne l’élargissement considérable du périmètre d’application de ce design du XXI<sup>e</sup> siècle. En effet, il est en passe de devenir particulièrement contributif au bien-être de la société en général, et de ses peuples en particulier, grâce à trois forces :</p>
<ul>
<li><p>il est une démarche de projet qui place l’homme au centre des problèmes, c’est-à-dire partout ;</p></li>
<li><p>il est capable de résoudre très vite des problèmes multifactoriels grâce à son approche en « <a href="https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Design-thinking-308589.htm">design thinking</a> », terrain de jeu privilégié d’itérations originales, de mixage de compétences et de prototypages rapides ;</p></li>
<li><p>il sait amalgamer des contraintes techniques et fonctionnelles à des contraintes sociales et sociétales, transformant ainsi des questions parfois angoissantes en réponses rassurantes.</p></li>
</ul>
<p>Aussi le design du XXI<sup>e</sup> siècle entre au « panthéon du management », et vient s’insérer visuellement dans la roue des 5 modèles du management, à savoir l’approche rationnelle, les processus internes, les relations humaines et syndicales, les systèmes ouverts et enfin la contingence. Le nom de ce 6<sup>e</sup> modèle ? Le management by design.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/343190/original/file-20200622-55021-j9ndsp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Présentation des cinq modèles de management connus ainsi que du Management by design comme sixième modèle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Roland Stasia -- Hèrès Consulting </span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il existe au moins deux preuves d’existence de ce nouveau modèle de management.</p>
<p>La première se trouve à <a href="https://www.strate.design/formation/formation-mba-management-design">Strate</a>, une grande école de design qui a ouvert en 2015 un MBA nommé « management by design ». Il promet tout simplement de « designer » le management et non de manager le design. Le slogan de cette formation : « avec ce MBA,vous deviendrez peut être le Steve Jobs de demain ! »</p>
<p>La deuxième s’appelle Laurens van den Acker, « le styliste » de Renault qui, dès son arrivée à la tête du design de la marque au losange en 2009, a lancé une démarche de management by design, fondée sur le <a href="https://www.definitions-marketing.com/definition/storytelling/">« storytelling »</a> de la vie. Cette thématique inspirante et fédératrice a rayonné dans toute l’entreprise, et l’a amenée, en alliance avec Nissan et Mitsubishi, au <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/2017/07/28/20005-20170728ARTFIG00121-renault-nissan-premier-constructeur-automobile-mondial-au-premier-semestre-2017.php">premier rang mondial</a> des constructeurs automobiles, en juillet 2017.</p>
<p>La puissance de cette animation réside aussi dans sa capacité à faire émerger de nouveaux dirigeants, à la fois manager et leader, prêts à changer de posture et de méthodes, afin d’intégrer la philosophie du design dans leur management. Dans un monde qui a besoin de prendre soin de lui, il est temps de faire du design.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Roland Stasia préside hèRès conSulting, cabinet de conseil en management de la performance et en pilotage de l'innovation.Il est également membre du COMEX de l'IE-Club, think tank qui favorise le rapprochement entre startups et grands groupes</span></em></p>De plus en plus considéré comme un moteur d’innovation et une source de profits, ce processus devient progressivement un modèle de management en tant que tel.Roland Stasia, Professeur des universités associé à Paris Dauphine, en mesure et management de la performance, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1401782020-06-08T18:13:15Z2020-06-08T18:13:15ZWilliamson, une vie de recherche dédiée à la nature et aux frontières de l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/340028/original/file-20200605-176542-ztgoaa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C1118%2C789&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les travaux de l’économiste américain ont servi à démontrer la supériorité de la firme sur le marché en matière de création de valeur compte tenu de l’existence de coûts de transaction.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Oliver_E._Williamson.jpg">Siivetjasilmat / Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Oliver E. Williamson est un économiste américain, né le 27 septembre 1932 à Superior, une ville du Wisconsin et décédé le 21 mai 2020 à Oakland, près de Berkeley (sa ville de cœur où il était professeur), en Californie.</p>
<p>Il obtint aux côtés d’Elinor Ostrom le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2009 pour « son analyse de la gouvernance économique, et notamment des <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13501780902940729">frontières de l’entreprise</a> ».</p>
<p>Il fut un auteur prolifique de 1963 à 2016, bénéficiant d’une grande influence en économie, et tout particulièrement dans ces deux sous-champs disciplinaires que constituent l’<a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-institutional-economics/article/close-relation-between-organization-theory-and-oliver-williamsons-transaction-cost-economics-a-theory-of-the-firm-perspective/3E1944A19555DA0C019CEA24DB9D816F">économie des institutions et l’économie des organisations</a>, mais aussi en management, et dans une moindre mesure en science politique, en droit et en sociologie.</p>
<h2>De l’intérêt de l’entreprise</h2>
<p>La contribution majeure de Williamson consiste à proposer une analyse heuristique (qui s’intéresse à la manière de découvrir les faits) des structures de gouvernance que sont l’entreprise, le marché, et ce qu’il nommera plus tard les « <a href="https://www.jstor.org/stable/2393356?seq=1#metadata_info_tab_contents">formes hybrides</a> ».</p>
<p>Ces organisations hybrides ne sont ni des entreprises ni des marchés, mais une sorte de <a href="https://books.google.fr/books/about/Markets_and_Hierarchies.html?id=JFi3AAAAIAAJ&redir_esc=y">synthèse des deux</a>, à l’image des réseaux de coopération interfirmes.</p>
<p>Pour développer son analyse économique, il s’appuie sur le droit et notamment sur le courant américain dit du « pluralisme industriel » (avec l’idée qu’il existe plusieurs sources de droit dans la régulation des relations professionnelles) ainsi que sur la <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/theorie-des-organisations/">théorie des organisations</a>, qui s’étend des travaux d’Herbert Simon, prix Nobel d’économie en 1978 fondée sur la psychologie cognitive à l’analyse stratégique du Français Michel Crozier.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340039/original/file-20200605-176564-1rotk9z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans cet ouvrage, Williamson étudie la notion de coût de transaction et son impact sur l’existence et l’organisation de la firme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Free Press (1987)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’une certaine manière, l’approche williamsonienne cultive ce que l’on recherche de plus en plus en sciences sociales : la <a href="https://classiques-garnier.com/la-theorie-de-la-firme-comme-entite-fondee-sur-le-pouvoir-tfep.html">pluridisciplinarité</a>.</p>
<p>Ces travaux, qui ont fait l’objet de nombreuses études empiriques (c’est-à-dire s’appuyant sur l’expérience et les données) au niveau international, ont eu le grand mérite d’éclairer une question centrale en économie industrielle, celle des frontières de l’entreprise : quand un agent économique doit-il décider de ne plus utiliser le marché pour réaliser une transaction, mais recourir à l’intégration, c’est-à-dire à l’entreprise ?</p>
<p>Cette question cardinale des débats modernes en économie de l’entreprise a permis de proposer des <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Economic_Institutions_of_Capitalism.html?id=lj-6AAAAIAAJ&redir_esc=y">outils d’arbitrage rigoureux</a> entre la sous-traitance et la réalisation en interne d’une activité économique dans des économies développées fondées sur la spécificité des actifs (qu’ils soient physiques, humains ou immatériels).</p>
<p>Williamson s’est attaché à comprendre la supériorité de l’entreprise vis-à-vis du marché dans ces situations économiques où l’allocation optimale des ressources spécifiques n’est plus garantie en raison de la <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.5.2.25">rationalité limitée</a> (une multitude de facteurs cognitifs, organisationnels et environnementaux affectant la prise de décision) et du comportement potentiellement opportuniste des agents économiques.</p>
<p>L’entreprise émerge alors comme l’institution du capitalisme la plus efficace pour générer la création de valeur économique et minimiser ce que Williamson nomme « les <a href="https://creation-entreprise.ooreka.fr/astuce/voir/644129/couts-de-transaction">coûts de transaction</a> » (à savoir, dans ce cas précis, les coûts associés à l’internalisation des aléas contractuels comme les retards ou reports de délais, des dépenses supplémentaires ou les manques à gagner).</p>
<p>Ainsi Williamson élabore les bases constitutives d’une théorie de l’entreprise en tant que hiérarchie fondée sur le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00213624.2019.1573094">contrat de travail</a>.</p>
<h2>L’entreprise comme institution hiérarchique</h2>
<p>Ainsi « la subordination » justifie la supériorité de l’entreprise vis-à-vis du marché, notamment en matière juridique, car elle permet aux employeurs de bénéficier d’une autorité hiérarchique (en somme de pouvoir donner des directives légitimes aux employés avec une probabilité très forte d’acceptation et sans coûts supplémentaires) permettant d’allouer les ressources sans recourir au mécanisme des prix.</p>
<p>Pour Williamson, c’est la firme qui constitue la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Les_theories_economiques_de_l_entreprise-9782707176790.html">meilleure structure de gouvernance</a> pour assurer le bon déroulement de la transaction, lorsque les actifs sont générateurs de valeur, à travers la relation d’emploi.</p>
<p>Force est de constater que le rapport salarial est au cœur du capitalisme et que le contrat de travail, qui fait émerger le rapport formel de subordination, est une propriété invariante des entreprises modernes que l’on retrouve au cœur des régulations sociales des pays développés.</p>
<p>C’est ce qu’évoquent par exemple en France l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007035180">arrêt</a> de la Chambre sociale du 13 novembre 1996 et les interprétations jurisprudentielles associées ainsi que les débats récents suscités par les <a href="https://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/les-ordonnances-macron-une-revolution-ou-une-regression_1945612.html">ordonnances Macron</a> de 2017 sur la notion de subordination.</p>
<p>Ainsi la théorie de l’entreprise de Williamson dévoile une approche réaliste qui complète les travaux initiaux du prix « Nobel » d’économie 1991, Ronald Coase, lequel constitue aux côtés de John R. Commons l’un des économistes ayant le plus influencé l’œuvre williamsonienne.</p>
<p>L’analyse des structures de gouvernance ne doit pas être déconnectée de celle de l’environnement institutionnel – c’est-à-dire de l’ensemble des règles influant sur la production d’une nation –, car ces règles structurent les attributs des transactions qui, eux-mêmes, déterminent le type de contrat à mettre en œuvre.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/340030/original/file-20200605-176575-iby0nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour Williamson, l’entreprise est une institution où s’opère une régulation hiérarchique. Markets and Hierarchies : A Study in the Internal Organizations, 1975.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editeur : Free Press</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Williamson propose alors une théorie de la firme en tant qu’institution hiérarchique fondée sur un ordre privé interne, propre à l’entreprise. À la régulation marchande se substitue une régulation autoritaire.</p>
<p>L’autorité est source de valeur dans l’organisation. Elle permet de diviser et de diriger le travail de l’employé, mais aussi de régler les différends à moindres coûts. L’autorité fixe les règles du jeu à l’intérieur de la firme. Mais l’organisation ne s’arrête pas aux règles formelles.</p>
<p>La logique collective privée relève du domaine de la gouvernance, c’est-à-dire, pour Williamson, des moyens par lesquels la firme « transmet les ordres, remédie aux conflits et réalise des gains collectifs mutuels ».</p>
<p>Williamson est un penseur majeur de l’entreprise qui a influencé un grand nombre de chercheurs contemporains en économie des organisations, à l’image des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/19/nobel-d-economie-la-reconnaissance-d-un-nouveau-champ-disciplinaire_5016429_3232.html">travaux</a> des prix « Nobel » 2016 Oliver Hart et Bengt Holmström, qui développeront l’œuvre williamsonienne à travers ce que l’on appellera la formalisation des contrats incomplets et l’analyse des contrats incitatifs.</p>
<hr>
<p><em><a href="https://virgilechassagnonblog.wordpress.com/2020/05/25/nomination-pour-le-prix-2020-du-meilleur-jeune-economiste/">Virgile Chassagnon</a> a été nominé au « Prix 2020 du Meilleur Jeune Economiste ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140178/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virgile Chassagnon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le prix « Nobel » d’économie 2009, décédé en mai dernier, a notamment proposé des outils d’arbitrage entre la sous-traitance des activités (le marché) et leur réalisation en interne (l’entreprise).Virgile Chassagnon, Professeur des Universités en Economie (FEG-CREG), Directeur de l'Institut de Recherche pour l'Economie Politique de l'Entreprise, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1396882020-06-01T17:21:05Z2020-06-01T17:21:05Z« Travailler comme un chien » : de la ménagerie au management<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/338520/original/file-20200529-96736-m9p1yv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C5%2C3708%2C2085&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les analogies animalières nous renseignent sur les dérives et excès possibles de certains systèmes de gestion.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/britishvets/44319423511">BVA / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque les philosophes se penchent sur la question de savoir ce qui distingue l’homme de l’animal, certains soulignent le rôle cardinal de la main et de son pouce opposable, d’autres comme <a href="https://www.livredepoche.com/livre/les-parties-des-animaux-9782253089261">Aristote</a> présentent le rire comme le symbole distinctif du genre humain.</p>
<p>Dans son <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/rousseau/discours-origine-inegalite/difference-homme-animal"><em>Discours sur l’origine de l’inégalité</em></a>, Jean‑Jacques Rousseau préfère quant à lui insister sur le libre arbitre et donc sur la capacité de l’homme à s’écarter de la règle qui lui est prescrite. Dès lors, « la nature commande à tout animal et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister ».</p>
<p>Plus près de nous, les théoriciens allemands Karl Marx et Friedrich Engels ont fait du travail l’élément le plus distinctif du genre humain. Voici ce qu’ils écrivent dans l’<a href="https://www.babelio.com/livres/Marx-Lideologie-allemande/939783"><em>Idéologie allemande</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence, pas en avant qui est la conséquence même de leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens d’existence, les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même. »</p>
</blockquote>
<p>C’est donc par son travail, en produisant ses propres moyens d’existence que l’homme se transforme lui-même et s’arrache aux conditions naturelles. Par conséquent, le travail serait le meilleur moyen pour l’homme de rompre avec le règne animal.</p>
<h2>Des analogies lourdes de sens</h2>
<p>Cependant, ce processus n’est pas irrévocable. En effet, lorsque le travail perd de son humanité en devenant aliénant, la sémantique animalière fait son grand retour.</p>
<p>Dans le cadre d’un travail de recherche en cours sur la façon dont les jeunes diplômés font face aux situations absurdes en entreprise, le champ lexical du monde animal a émergé au cours des entretiens.</p>
<p>Complètement désemparés, certains jeunes diplômés ont multiplié les références animalières pour exprimer leur expérience vécue du travail. Pour Jules, il fallait toujours « travailler avec des <em>deadlines</em> (échéances) comme un bœuf » tandis que la boss de Mélanie « considérait les stagiaires soit comme inexistants, soit comme ses chiens ». De son point de vue, elle était devenue « le chien de toute la boîte ».</p>
<p>En faisant appel à un réservoir d’images familières, ces références parlent d’elles-mêmes. En effet, il est facile de saisir l’analogie entre la besogne harassante et la bête de somme qu’est le bœuf et le rapport qu’il y a entre l’absence de considération et le chien recroquevillé, invisible et tapi dans un coin.</p>
<p>Bref, que nous disent toutes ces analogies sur les rapports qu’entretiennent l’humanité et l’animalité autour de la question du travail ?</p>
<h2>Faut-il voir l’entreprise comme une ménagerie ?</h2>
<p>Dans sa <a href="https://www.puf.com/content/Critique_de_la_condition_manag%C3%A9riale"><em>Critique de la condition managériale</em></a>, le philosophe <a href="https://theconversation.com/profiles/ghislain-deslandes-244034">Ghislain Deslandes</a> propose de revenir sur les différentes filiations du mot « management ».</p>
<blockquote>
<p>« Une première recherche étymologique autour du management nous conduit aux mots français <em>mesnagement</em> et manège, qui proviennent eux-mêmes du terme italien <em>maneggiare</em> (conduire), lié quant à lui au terme latin <em>manus</em> (main) ».</p>
</blockquote>
<p>Si on en croit l’étymologie, le bon manager, c’est donc celui qui a une bonne main, qui est apte à conduire et à piloter avec agilité. Invité en 2015 dans l’émission <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-014080/philosophie/"><em>Philosophie</em> sur Arte</a>, Ghislain Deslandes est revenu sur les évolutions du mot « management » en rappelant que le terme apparaît dans la langue française avec le vocable de « ménagerie ».</p>
<p>En effet, l’<em>oikonomía</em> des philosophes <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/580-economique">Xénophon</a> et <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/581-economique">Aristote</a>, cette loi du foyer est traduite par l’écrivain Étienne de La Boétie par la « ménagerie » avec une préface de Montaigne. Ce lien de parenté entre management et ménagerie est aussi étrange qu’intrigant.</p>
<p>La ménagerie, c’est ce lieu où sont rassemblés des animaux rares, soit pour l’étude, soit pour la présentation au public. Est-ce à dire que l’entreprise serait une ménagerie dans laquelle les salariés seraient semblables à des troupeaux d’animaux ?</p>
<p>C’est en tout cas ce que laisse penser Charlie Chaplin dans son film <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=1832.html"><em>Les Temps Modernes</em></a>. En effet, sa vision du <a href="https://www.henryford.fr/fordisme/taylorisme/">taylorisme</a> passe par une analogie entre humanité et animalité.</p>
<h2>Quand déshumanisation rime avec animalisation</h2>
<p>Le film <em>Les Temps Modernes</em> s’ouvre sur l’image d’un troupeau de moutons qui est ensuite transformé en horde de chapeaux qui sortent d’une bouche de métro, c’est-à-dire en ouvriers affublés de couvre-chefs qui se rendent à l’usine. La métaphore est d’une clarté évidente : les ouvriers sont assimilés à du bétail.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ksoq50iYzc8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Générique du film <em>Les Temps Modernes</em> réalisé par Charlie Chaplin (United Artists, 1936).</span></figcaption>
</figure>
<p>Dès lors, le film devient un pamphlet féroce contre le taylorisme et la déshumanisation du travail. Chaplin s’oppose frontalement à l’idée qu’un individu puisse être réduit au geste répétitif qu’il accomplit toute la journée. Ces ouvriers qui convergent vers l’usine ne s’interrogent plus sur leur propre destinée.</p>
<p>Ainsi, le retour au stade animal passe par la négation de tout libre arbitre qui caractérise l’humanité selon Rousseau. Les ouvriers deviennent prisonniers de leur condition, incapables de prendre la moindre distance avec leur activité professionnelle.</p>
<p>Par conséquent, le management peut chercher à libérer du temps pour assurer aux ouvriers des temps de loisir, mais il peut également être un asservissement dans la mesure où le temps gagné sur l’activité productive est réinvesti dans une autre activité productive sans fin, dans une sorte de cercle vicieux.</p>
<p>Le film de Chaplin illustre à merveille cette deuxième option : le management de l’usine n’est rien d’autre qu’un art d’augmenter les cadences.</p>
<p>Plus récemment, le sociologue <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Cw8YMrs-6KI&t=255s">David Courpasson</a> a relancé l’analogie animalière en présentant les rapports sociaux au travail comme des <a href="https://www.bourin-editeur.fr/fr/books/cannibales-en-costume">actes de cannibalisme</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1184913584704442368"}"></div></p>
<p>Sous la <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lentreprise-au-xxi-siecle-un-monde-de-cannibales-en-costume-124903">plume</a> de Courpasson, les salariés deviennent des cannibales en costume qui n’attendent qu’une seule chose : pouvoir se dévorer entre eux comme des animaux.</p>
<h2>Reconquérir son humanité</h2>
<p>Si on revient aux premières images des <em>Temps Modernes</em>, il faut d’emblée remarquer la présence d’un mouton noir au milieu de tous les moutons blancs qui se ruent les uns contre les autres. Ce mouton noir qui détonne dans le paysage uniforme, c’est Charlot au milieu des autres ouvriers.</p>
<p>Ce héros, noirci par les saletés de l’usine, est différent des autres : un peu rêveur, pas très travailleur, il n’arrive pas à s’insérer dans cette entreprise qui mise sur l’accélération des cadences pour accroître sa productivité.</p>
<p>En somme, cet élément perturbateur qu’incarne Charlot est déjà contenu en germe dans les premières images du film avec ce mouton noir, symbole d’une différence assumée et d’un destin d’ilote déjà tout tracé.</p>
<p>On retrouve cette attitude à contre-courant de la société utilitariste chez Sébastien, l’anti-héros du film <a href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=221488.html"><em>Libre et assoupi</em></a> qui n’a qu’une seule ambition dans la vie : ne rien faire.</p>
<p>Collectionnant les diplômes sans vraiment vouloir rentrer dans la vie professionnelle, il est à rebours des jeunes actifs de son âge qui enchaînent les stages et les petits boulots.</p>
<p>Son attitude est mise en scène à plusieurs reprises lorsqu’il se distingue en marchant à contre-courant de la masse grouillante des cadres en costumes gris qui partent travailler. Sébastien, c’est le petit mouton noir du début des <em>Temps Modernes</em> qui ne suit pas la meute et en appelle à une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lnvA3PNHQAo">« éthique du déraillement »</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/338529/original/file-20200529-96723-tz523j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sébastien marche à contre-courant dans le film <em>Libre et assoupi</em> réalisé par Benjamin Guedj.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.lecinemaestpolitique.fr/wp-content/uploads/2014/11/libreetassoupi12.jpg">Gaumont, 2014</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La stratégie de Charlot et de Sébastien pour ne pas vivre à genoux ou à quatre pattes passe par une reconquête de leur subjectivité et par l’affirmation de leur volonté individuelle.</p>
<p>Ils tentent alors de réintroduire leur propre désir dans la mécanique organisationnelle. Soit la mécanique se grippe et c’est l’emballement ou la catastrophe, c’est Charlot qui finit par avaler les boulons de l’usine. Soit la mécanique rejette et c’est la mise au rebut, c’est Sébastien qui est exclu du monde professionnel et qui vit comme un excentrique.</p>
<p>Qu’il s’agisse de Charlot ou de Sébastien, ils souhaitent tous les deux cultiver leur différence afin d’exercer leur réflexivité. En quête d’autonomie, les deux protagonistes cherchent à remettre en cause leurs propres conditions d’existence.</p>
<p>Par leurs attitudes extravagantes, ils sortent du cadre, dérangent et déstabilisent les organisations. On voit ici à quel point les exemples littéraires, philosophiques ou cinématographiques permettent de prendre du recul et de questionner les pratiques en vigueur.</p>
<p>Et si finalement la reconquête de sa propre humanité passait par les humanités ? C’est en tout cas ce que propose l’économiste et professeur émérite à Stanford, <a href="https://www.gsb.stanford.edu/newsroom/school-news/james-g-march-professor-business-education-humanities-dies-90">James March</a>.</p>
<p>En effet, ce professeur a marqué des générations d’étudiants en délaissant les classiques « études de cas » pour travailler à partir d’<a href="https://www.gsb.stanford.edu/insights/james-march-what-don-quixote-teaches-us-about-leadership">œuvres littéraires</a> comme <em>Guerre et Paix</em> ou <em>Don Quichotte</em>. Penser le monde du travail sur <a href="https://www.youtube.com/watch?v=zYwOqXD3lY4&t=48s">d’autres modèles</a> que les schémas gestionnaires est une façon parmi d’autres d’ouvrir des possibles. Ce sont les conditions d’une éthique professionnelle qui sont en jeu.</p>
<hr>
<p><em>Article réalisé sous la supervision de Ghislain Deslandes, philosophe et professeur à ESCP Business School.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139688/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le travail serait le meilleur moyen pour l’homme de se distinguer du monde animal… à condition qu’il ne mène pas à son aliénation.Thomas Simon, PhD Scholar, chargé de cours en RH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1363092020-04-15T17:06:10Z2020-04-15T17:06:10ZLe coronavirus est-il moral ? Savant et politique face à la pandémie<p>Le Président de la République a cité les scientifiques à cinq reprises pour justifier ses décisions dans ces discours des 12 et 16 mars. Ils étaient absents de son discours du 13 avril. <a href="https://www.franceculture.fr/politique/emmanuel-macron-et-son-conseil-scientifique-histoire-secrete-dune-crispation">La lune de miel serait-elle terminée ?</a> Comment s’articule la relation complexe entre scientifiques et politiciens ? La parole scientifique peut-elle aller outre les convictions, l’idéologie, le jeu politique ?</p>
<p>Nous trouvons quelques clefs de lecture avec l’éminent sociologue allemand du début XX<sup>e</sup> siècle <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Weber">Max Weber</a> et notre contemporain le philosophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Comte-Sponville">André Comte-Sponville</a>.</p>
<p>Le premier nous éclaire sur ce qui différencie les politiques des scientifiques, et le second, sur la signification de la soumission de l’un sur l’autre : l’angélisme ou la barbarie.</p>
<h2>Neutralité axiologique</h2>
<p>Dans <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant_et_le_politique.pdf"><em>Le savant et le politique</em></a> (paru en 1919) Max Weber décrit les qualités essentielles du scientifique : <em>spécialisation dans son domaine, le travail, la passion, l’inspiration, l’intuition</em>. Weber y expose notamment la <em>neutralité axiologique</em> (ou <a href="https://agone.org/bancdessais/lascienceprofessionetvocation/">« non-imposition des valeurs »</a>) qui exige des scientifiques la plus grande neutralité. Il s’agit pour lui d’une condition fondamentale de l’activité scientifique sans quoi « il n’y a plus [de] compréhension intégrale des faits ».</p>
<p>Les qualités essentielles de l’homme politique sont quant à elles : <em>la passion, le sentiment de responsabilité et le coup d’œil</em>. Si le politique doit être mû par la passion, il doit garder la tête froide pour ne pas se laisser submerger par ses émotions. Aussi appelé homme d’action il fait face à :</p>
<blockquote>
<p>« une conjoncture singulière et unique, choisit en fonction de ses valeurs et introduit dans le réseau du déterminisme un fait nouveau ».</p>
</blockquote>
<p>C’est ici que Weber distingue deux formes d’éthique, bien résumées par le philosophe et sociologue Raymond Aron dans la préface de l’ouvrage :</p>
<blockquote>
<p>« [Dans l’éthique de conviction] j’obéis à mes convictions […] sans me soucier des conséquences de mes actes, [dans l’éthique de responsabilité] je me tiens pour comptable de ce que je fais, même sans l’avoir directement voulu, et alors les bonnes intentions et les cœurs purs ne suffisent pas à justifier les acteurs. »</p>
</blockquote>
<h2>Distinction d’accord mais hiérarchisation ?</h2>
<p>Nous avons vu avec Weber les valeurs propres aux mondes scientifique et politique. Mais comment qualifier les relations de pouvoir entre les deux ? André Comte-Sponville nous donne des clefs pour répondre à la question dans son livre <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-capitalisme-est-il-moral-9782226192912"><em>Le capitalisme est-il moral ?</em> (2004)</a>. Au préalable, il clarifie quatre domaines distincts (qu’il appelle des ordres) hiérarchisés entre eux.</p>
<ul>
<li><p>L’ordre techno-scientifique distingue le possible/impossible et le vrai/faux. L’économie en fait partie. Mais la techno-science a besoin d’être limitée car elle progresse selon ses propres règles comme le dit l’ingénieur et physicien Dennis Gabor <a href="https://www.philolog.fr/la-technique-est-elle-une-activite-neutre/">« ce qui peut être fait le sera »</a> ;</p></li>
<li><p>L’ordre juridico-politique distingue le légal/illégal et s’incarne dans la loi et l’État. Deux risques se posent s’il n’est pas limité de l’extérieur : au niveau individuel, le risque du « salaud légaliste » car aucune loi n’interdit le mensonge ou la méchanceté, et au niveau collectif celui d’un peuple qui aurait tous les droits ;</p></li>
<li><p>L’ordre moral distingue le bien/mal : « l’ensemble de nos devoirs, l’ensemble des obligations et des interdits que nous nous imposons a priori à nous-même » (Emmanuel Kant, <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/kant_emmanuel/fondements_meta_moeurs/fondem_meta_moeurs.pdf"><em>Fondement de la métaphysique des mœurs</em></a>). Mais il manquerait l’amour à celui qui suivrait à la lettre la morale sans y croire et sans réfléchir ;</p></li>
<li><p>L’ordre éthique distingue la joie/tristesse : tout ce qui se fait par amour. Cet ordre pourrait être limité par l’ordre divin.</p></li>
</ul>
<p>Que se passe-t-il si un ordre dicte sa loi à celui du haut ou du bas ? <a href="https://studylibfr.com/doc/3440853/la-hi%C3%A9rarchie-des-ordres-d-andr%C3%A9-comte">Barbarie et angélisme</a> répond Comte-Sponville.</p>
<h2>Barbarie ou angélisme : retour sur l’affaire Lyssenko</h2>
<p>La barbarie technocratique (ou tyrannie des experts) outrepasse la souveraineté du peuple au prétexte de sa non-compétence. L’angélisme politique prétend annuler les contraintes de l’ordre technico-scientifique par la volonté politique ou la loi.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328013/original/file-20200415-153302-1jzztcr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait de Trofim Lyssenko, 1938.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trofim_Lyssenko#/media/Fichier:Trofim_Lysenko_portrait.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Prenons un exemple célèbre : <a href="https://www.larecherche.fr/lyssenko-ou-la-science-au-service-du-pouvoir">l’affaire Lyssenko</a>, qualifiée par Jacques Monod, prix Nobel de biologie d’« épisode le plus étrange et le plus navrant de toute l’histoire de la Science ».</p>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trofim_Lyssenko">Trofim Lyssenko (1898-1976)</a> était un scientifique soviétique qui affirmait pouvoir modifier les caractères d’une plante selon son milieu (théorie plus compatible avec la dialectique marxiste) et refusait la génétique de l’hérédité aux motifs qu’elle était une « science bourgeoise ». Il reçut le soutien de Staline et devint le maître de l’agronomie en URSS avec des conséquences désastreuses pour le monde intellectuel et scientifique ainsi que pour l’agroéconomie de l’époque. Jusqu’en France, le <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/3346">PCF somma les scientifiques de défendre la génétique prolétarienne</a>. Ceux qui refusaient « de <a href="https://books.google.fr/books?id=l_3ADwAAQBAJ&pg=PA95">politiser les chromosomes</a> », expression du chercheur Jean Rostand, ont fini au Goulag. L’expression <a href="https://www.liberation.fr/sciences/2013/03/28/le-cnrs-menace-de-lyssenkisme_892063">lyssenkisme</a> désigne aujourd’hui une science corrompue par l’idéologie.</p>
<h2>Quand le politique se défend d’avoir le pouvoir</h2>
<p>L’actualité nous donne des exemples de tels angélismes. Quand le Président Bolsonaro annonce que le Covid-19 n’est qu’une <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/confinement/covid-19-twitter-supprime-deux-tweets-du-president-bresilien-jair-bolsonaro-contre-le-confinement-6795302">petite grippe sans égard pour les résultats scientifiques</a>, le Président Trump remet en cause l’injonction des chercheurs <a href="https://www.liberation.fr/direct/element/trump-veut-voir-les-eglises-pleines-pour-paques_111222">au confinement long pour lutter contre l’épidémie</a>.</p>
<p>En France, le Président Macron a créé le conseil scientifique (12 mars) et le comité « analyse, recherche et expertise » (24 mars) pour éclairer sa décision. Mais « Le président a été très clair, ces comités ne doivent pas conduire à la République des experts » confie un proche du chef de l’État cité par le journal <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/26/coronavirus-comment-macron-s-appuie-sur-les-experts-pour-gouverner-en-temps-de-crise-sanitaire_6034458_823448.html"><em>Le Monde</em></a>.</p>
<p>Pourtant, le Président affirmait dans son allocution télévisée du 12 mars :</p>
<blockquote>
<p>« Un principe nous guide pour définir nos actions […] : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent. »</p>
</blockquote>
<p>Pour certains, le <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/societe/eric-zemmour-quand-le-politique-se-cache-derriere-le-savant-afin-de-dissimuler-ses-propres-carences-20200410">politique cache ainsi ses carences</a> et se dédouane de ses responsabilités. Pour d’autres, il cherche une forme de légitimation car il ne peut pas s’appuyer sur son seul <a href="https://www.franceculture.fr/politique/benjamin-morel-il-appartient-toujours-au-politique-de-trancher-les-consequences-du-debat">crédit politique</a>. L’évolution des discours du Président montre un certain désenchantement du politique dans sa capacité à asseoir une décision en se fondant sur les seuls scientifiques. Les attentes de la population envers la sphère politique (donner un sens collectif) et la sphère scientifique (expliquer le monde objectivement) diffèrent. Ces derniers n’embrassant que les enjeux de leurs sphères (vrai/faux).</p>
<h2>Une opposition qui peut mener à la catastrophe</h2>
<p>La France a connu plusieurs décisions politiques allant contre les scientifiques. Comme la décision politicienne d’arrêter le prototype de réacteur nucléaire surgénérateur <a href="https://www.senat.fr/rap/l97-4392/l97-439230.html">Superphénix (capable de régénérer son combustible) en 1997</a> sur l’autel de l’alliance du PS et des Verts ou encore la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/entre-les-politiques-et-les-scientifiques-rien-ne-va-plus-783409.html">contre l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)</a>.</p>
<p>Dans certains cas, l’opposition entre le décisionnaire (politique) et l’expert (technique) ont mené à de véritables catastrophes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La navette <em>Challenger</em>, le 28 janvier 1986, CNN.</span></figcaption>
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<p>Ce fut le cas aux États-Unis, avec <a href="http://www.annales.org/gc/1998/gc09-98/69-77.pdf">l’explosion de la navette Challenger</a> le 28 janvier <a href="https://www.maxisciences.com/challenger/la-nasa-commemore-les-25-ans-de-l-explosion-de-la-navette-challenger_art12177.html">1986</a>. Le soir avant le lancement se tient une téléconférence tendue. Certains ingénieurs (technique) de l’entreprise Thiokol fabriquant les propulseurs de la navette souhaitent repousser le lancement alors que le manager (politique) de la NASA veut le maintenir : « Mon Dieu, Thiokol, quand voulez-vous que je lance, en avril ? ».</p>
<p>C’est alors que le vice-président (politique) de Thiokol dit à son ingénieur (technique) récalcitrant, cette phrase célèbre :</p>
<blockquote>
<p>« Enlève ta casquette de technicien, ta casquette d’ingénieur, et mets ta casquette de manager : tu vas comprendre qu’il faut avoir une position bien différente ».</p>
</blockquote>
<p>Nous en connaissons les conséquences : explosion de l’engin, décès des sept membres de l’équipage, émoi international, deux ans et demi de gel du programme spatial <a href="https://www.lepoint.fr/monde/il-y-a-trente-ans-la-navette-challenger-explosait-au-decollage-28-01-2016-2013651_24.php">et enfin perte de prestige international pour la NASA</a>.</p>
<h2>Un dialogue indispensable</h2>
<p>Pour gérer la complexité du monde, le dialogue, fut-il difficile, <a href="https://theconversation.com/le-dialogue-entre-scientifiques-et-politiques-difficile-mais-indispensable-89324">est indispensable</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"960254559674425349"}"></div></p>
<p>Alors que diraient Weber et Comte-Sponville aujourd’hui ? Weber a <a href="https://agone.org/bancdessais/lascienceprofessionetvocation/">hésité toute sa vie entre les deux mondes</a>. Il figure parmi les universitaires les plus engagés dans la vie publique au travers de la presse et en raison de sa participation à la création du « parti démocratique allemand » (<em>DDP</em>) en novembre 1918 et à la genèse de la future Constitution de Weimar. Dès <em>Le savant et le politique</em>, il écrivait qu’un scientifique peut défendre :</p>
<blockquote>
<p>« des positions politiques […] la possession du savoir objectif, si elle n’est peut-être pas indispensable, est à coup sûr favorable à une action raisonnable ».</p>
</blockquote>
<p>N’appellerait-il pas à plus de vocations de <a href="https://theconversation.com/face-aux-crises-lavenement-du-chercheur-militant-127759">chercheurs-militants</a> ? Par exemple les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/20/l-appel-de-1-000-scientifiques-face-a-la-crise-ecologique-la-rebellion-est-necessaire_6030145_3232.html">1000 chercheurs français appelant à la rébellion</a> face à l’urgence écologique et climatique contre l’inaction des politiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1201280417346785280"}"></div></p>
<p>Quant à André Comte-Sponville, le plus efficace est encore de l’écouter. Le philosophe intervenait ce 14 avril sur <a href="https://www.franceinter.fr/idees/le-coup-de-gueule-du-philosophe-andre-comte-sponville-sur-l-apres-confinement">France Inter</a> avec l’alerte suivante : « Attention à ne pas faire de la santé la valeur suprême de notre existence ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marius Bertolucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment clarifier la relation complexe entre scientifique et politique ? Max Weber et André Comte-Sponville peuvent éclairer notre compréhension sur ce qui différencie fondamentalement ces postures.Marius Bertolucci, Maître de conférences spécialisé en management public. Membre de la Société de Philosophie des Sciences de gestion (SPSG), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1287182020-01-05T18:43:29Z2020-01-05T18:43:29Z« Le manager malgré lui » : quand Molière éclaire la bêtise organisationnelle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/306322/original/file-20191211-95130-1z0kid1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C524%2C1182%2C806&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Illustration de Pierre Brissart pour une édition de 1682 du _Médecin malgré lui_.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Moli%C3%A8re_le_M%C3%A9decin_malgr%C3%A9_lui.jpg">Wikimedia commons</a></span></figcaption></figure><p>Dans un essai intitulé <a href="https://profilebooks.com/the-stupidity-paradox.html">« The stupidity paradox »</a>, les professeurs Mats Alvesson et André Spicer mettent en garde les managers des institutions bureaucratiques qui ne laissent aucune place à l’expression de l’intelligence humaine. À cet égard, ils parlent d’un phénomène de « stupidité fonctionnelle ». Au cœur de leur paradoxe, ils dénoncent l’affectation des salariés les plus compétents aux tâches les plus stupides.</p>
<p>Le plus édifiant dans l’ouvrage d’Alvesson et Spicer, c’est la manière dont ils démontrent l’attrait suscité par cette stupidité fonctionnelle sur le court terme. En effet, l’absence de remise en question et la conservation de structures processuelles séculaires assurent une certaine stabilité et des économies de moyens conséquentes. Cependant, lorsqu’elle est pensée sur le long terme, la stupidité fonctionnelle devient dévastatrice. Elle est marquée par l’imitation de la concurrence et la poursuite d’objectifs spécieux. Cette stupidité pérenne devient alors la plus pure illustration de la bêtise.</p>
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<figcaption><span class="caption">La paradoxe de la stupidité (Ghislain Deslandes, 2017).</span></figcaption>
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<h2>La littérature comme réservoir de motifs</h2>
<p>Quatre siècles avant Alvesson et Spicer, Molière s’intéressait lui aussi à la bêtise, mais dans un tout autre contexte que celui des organisations. En observateur acerbe de la société de son temps, Molière a mis en scène la plupart des travers humains : l’avarice, l’hypocrisie, l’infidélité et surtout la bêtise. Dans <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/etonnants-classiques/theatre/le-medecin-malgre-lui"><em>Le médecin malgré lui</em></a>, le dramaturge français nous offre une caricature sans concession des médecins du Grand Siècle. Dès lors, l’écriture satirique du dramaturge apparaît essentielle pour mieux comprendre les rouages subtils de la bêtise humaine.</p>
<p>Et si finalement Molière devenait un auteur tout aussi incontournable qu’Alvesson et Spicer pour penser la bêtise dans les organisations ? Il s’agirait alors de considérer la littérature comme un réservoir de motifs dans lequel on viendrait puiser des éléments de réflexion pour mieux comprendre ce qui se joue dans les organisations.</p>
<p>Cette invitation à un dialogue entre les deux champs disciplinaires a notamment été initiée par l’économiste et professeur émérite à Stanford, James Gardner March. En effet, ce professeur a marqué des générations d’étudiants en délaissant les classiques « études de cas » pour <a href="https://www.gsb.stanford.edu/insights/james-march-what-don-quixote-teaches-us-about-leadership">travailler à partir d’œuvres littéraires</a> comme « Guerre et Paix » ou « Don Quichotte ».</p>
<p>Dans l’ouvrage collectif <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=58601&razSqlClone=1"><em>Littérature et management</em></a> paru en 2018, les professeurs Fabien de Geuser et Alain Max Guénette saluent eux aussi les potentialités offertes par la littérature pour enrichir les modèles gestionnaires. Dès lors, littérature et sciences de gestion ne doivent pas être envisagées comme deux champs hermétiques mais bien comme deux domaines qui s’interpénètrent mutuellement.</p>
<h2>Les deux formes de la bêtise</h2>
<p>On distingue traditionnellement deux formes de bêtise. Il y a tout d’abord une bêtise première, une bêtise essentielle qui est l’apanage de l’inculte, de l’ignorant et de l’incompétent. Elle résulte de l’absence d’études approfondies ou d’un manque de compétences techniques. Même si elle peut se révéler dangereuse, cette première forme de bêtise est curable grâce à l’injection soutenue des connaissances qui font défaut.</p>
<p>Cependant, s’il suffisait d’être intelligent pour ne pas être bête, autrement dit si la bêtise n’était qu’une affaire d’inculture ou d’ignorance alors l’espoir serait permis. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples.</p>
<p>Loin d’endiguer la bêtise, l’intelligence peut avoir pour effet de donner à l’imbécile la conviction littéralement confortable que la bêtise ne le concerne pas. C’est ce que le philosophe Clément Rosset appelle la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-reel-et-son-double">« bêtise du second degré »</a>, c’est une bêtise intelligente mais foncièrement incurable puisque l’imbécile croit qu’il est déjà sauvé. L’homme bête brandit alors sa culture comme un parafoudre oubliant par là même qu’il suffit de croire qu’on échappe à la bêtise pour tomber dedans.</p>
<p>Dans ces conditions, la bêtise n’épargne personne, c’est une menace incessante et cette menace, l’imbécile y succombe d’autant plus aisément qu’il se croit à l’abri. Dès lors, cette bêtise du second degré n’est pas tant une affaire de contenu qu’une affaire de forme. La bêtise n’est pas du tout comme on le croit habituellement une chute ou une rechute dans l’animalité ou dans l’anormalité, elle n’est pas irrationnelle, c’est au contraire l’affirmation d’une raison suffisante, d’une raison outrecuidante, imbue d’elle-même et qui se réclame des grands principes de la logique.</p>
<h2>Quand le costume ne fait pas le manager</h2>
<p>Il faut ici rappeler que dans les « entreprises, le management fait souvent partie des <a href="http://www.strategies.fr/blogs-opinions/idees-tribunes/4011352W/devenir-manager-n-est-pas-la-seule-evolution-possible-en-entreprise.html">propositions d’évolution</a> ». On serait ici tenté de pasticher Simone de Beauvoir, dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/Le-deuxieme-sexe2"><em>Le deuxième sexe</em></a> en affirmant qu’« on ne naît pas manager, on le devient ».</p>
<p>Il suffirait alors de quelques cours reçus en MBA ou de quelques séminaires de coaching pour faire du salarié lambda un encadrant crédible. Si le costume ne fait pas le manager, le titre fonctionne encore moins comme un <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/quand-dire-c-est-faire-john-langshaw-austin/9782020125697">énoncé performatif</a>. Il ne suffit pas de décréter un salarié manager pour qu’il le devienne effectivement. L’ancienneté et quelques conseils reçus sur le tas ne permettront pas nécessairement de faire d’un bon technicien un manager digne de ce nom.</p>
<p>C’est là où Molière nous donne de précieuses leçons avec sa pièce « Le Médecin malgré lui ». En effet, on y découvre le personnage drolatique de Sganarelle, un bûcheron et ivrogne notoire converti en médecin pour échapper aux coups de bâton. En enfilant les vêtements des médecins du XVII<sup>e</sup> siècle, Sganarelle multiplie les ruses et prend sa nouvelle fonction très au sérieux. Tout au long de la pièce, il s’ingénie à dispenser de véritables consultations. Si on suit le sens littéral du texte, l’attitude de Sganarelle déguisé en faux médecin relève avant tout d’une bêtise du premier degré, c’est-à-dire de l’incurie de celui qui ne sait pas vraiment ce qu’il fait.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306316/original/file-20191211-95149-9hgh1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=579&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Le malade imaginaire » (Honoré Daumier, autour de 1860).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/Der_eingebildet_Kranke">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
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<p>Tout comme on ne s’improvise pas médecin, on ne s’improvise pas manager non plus. La négociation, l’intelligence relationnelle ou encore le leadership sont des qualités essentielles qui oscillent entre innéité et acquisition. On peut aisément transposer le ridicule provoqué par l’imposture de Sganarelle à certaines situations managériales. Le nouveau manager se retrouve alors parachuté du jour au lendemain dans un rôle qui n’est pas le sien par un simple mécanisme de promotion. Il devient manager malgré lui.</p>
<h2>Le cas du « sale con »</h2>
<p>Le « sale con » ou <a href="https://www.littlebrown.co.uk/titles/robert-sutton/the-no-asshole-rule/9780749954031/">« asshole »</a> pour reprendre le terme du professeur Robert Sutton que l’on peut rencontrer dans les organisations est l’archétype de ce que Rosset appelle la bêtise du second degré. Tel Moïse sauvé des eaux, le « sale con » pense échapper à la bêtise en brandissant un pseudo-vernis managérial en guise de paratonnerre.</p>
<p>Malgré le caractère frivole de la sémantique utilisée par Sutton, le sujet est très sérieux voire même capital pour les organisations. Pour ce théoricien du management, il apparaît indispensable d’analyser le comportement des individus pour en comprendre les conséquences organisationnelles. Sutton établit notamment une distinction entre le « sale con occasionnel » et le « sale con certifié ». Le premier a pu se laisser aller ponctuellement à un comportement déplacé tandis que le second use en permanence d’une attitude toxique envers ses subordonnés. Même si le premier doit faire l’objet d’une surveillance, le second représente un véritable danger pour les organisations.</p>
<p>Chez Molière, il faut se hisser au-delà du discours de Sganarelle et des protagonistes pour comprendre la portée globale de la pièce. Il s’agit alors de dépasser la lettre du texte à proprement parler pour en comprendre l’esprit. Dans « le Médecin malgré lui », Molière nous propose plus largement une satire de la médecine de son temps qui reste encore valable de nos jours.</p>
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<figcaption><span class="caption">Acte II, scène 4 du <em>Médecin malgré lui</em> : Sganarelle « ausculte » Lucinde (Théâtre Hatier, 2015).</span></figcaption>
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<p>Le jargon pédantesque employé par Sganarelle est un moyen efficace pour élaborer une critique acerbe des théories et des pratiques médicales en vigueur. Si le cas particulier de Sganarelle relève davantage d’une bêtise du premier degré en raison de son inculture scientifique, le cas plus général des médecins est la parfaite illustration d’une bêtise du second degré. Molière fustige ici le mythe du médecin thaumaturge capable d’accomplir des miracles. En réalité, le praticien ne fait que reprendre les dires des Anciens, sans les contrôler par l’expérience. L’honneur est sauf tant que la théorie est respectée.</p>
<p>Le recours systématique aux sentences latines est aussi une des caractéristiques de l’art médical de l’époque. Que personne n’y comprenne rien importe peu, l’essentiel pour le médecin, c’est de se comprendre lui-même. Une telle attitude est le symptôme aigu d’une autosuffisance identitaire qui refuse de s’ouvrir à autrui, de dialoguer et d’argumenter. Dès lors, Molière s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la satire des médecins. On les moque, on rit d’eux pour dénoncer leur inefficacité ainsi que leur vanité et leur insupportable superbe. Le « sale con » évoqué par Sutton est ici esquissé en filigrane.</p>
<h2>« Vouloir conclure »</h2>
<p>Difficile de trouver le mot de la fin sur un tel sujet. En effet, Flaubert rappelle dans sa <a href="https://flaubert.univ-rouen.fr/correspondance/edition/">« Correspondance »</a> que : « la bêtise consiste à vouloir conclure ». C’est la volonté qui est importante ici. En effet, toute conclusion n’est pas bête. C’est la volonté de conclure, c’est-à-dire d’avoir le dernier mot, le mot de la fin qui relève d’une bêtise profonde. Risquons-nous malgré tout à quelques mots de conclusion. En mettant en scène un bûcheron grossier devenu médecin, Molière nous invite plus que jamais à débusquer les imposteurs et autres charlatans qui peuplent nos existences.</p>
<p>Pour le philosophe <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Idees/Breviaire-de-la-betise">Alain Roger</a>, nul doute que la bêtise absolue résulte d’un ego surdimensionné et d’une confiance en soi inébranlable. Autosuffisance, pédanterie et sentiment insulaire, tels sont les signes de celui qui se prend pour l’unique but de ses actions. En somme, qu’il s’agisse des médecins ou des managers, tous feraient mieux d’admettre qu’ils ne sont pas omniscients, ils en seraient bien plus respectables.</p>
<hr>
<p><em>Article rédigé sous la supervision de Ghislain Deslandes, philosophe et professeur à ESCP Business School.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128718/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’œuvre du dramaturge du XVIIᵉ siècle et plus largement la littérature classique offrent un éclairage inédit sur les concepts managériaux.Thomas Simon, PhD Student, chargé de cours en RH, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1288742019-12-13T09:25:57Z2019-12-13T09:25:57ZVidéo : Comment la contre-culture bouscule les codes de la communication<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/306821/original/file-20191213-85422-1gixfgv.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=79%2C0%2C680%2C423&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Romain Pigenel, directeur de la stratégie, de la communication et des relations extérieures à l'IMA, sur le plateau de Xerfi canal.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>Dans cette lettre <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40M1P7bkIBDOh3yibQzWtmr1ho%2Fknp7ZF1EalnUX30Vr0%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG071219">« IQSOG – Fenêtres ouvertes »</a>, datée du 7 décembre 2019, Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm"><em>Revue française de gestion</em></a>, reçoit Romain Pigenel, directeur de la stratégie, de la communication et des relations extérieures à l’Institut du Monde Arabe, pour parler des liens entre la contre-culture et de la communication.</p>
<p>Retrouvez toutes les émissions de la lettre du 7 décembre en cliquant <a href="https://www.xerficanal.com/iqsog/emission/Romain-Pigenel-La-contre-culture-fait-basculer-la-communication-VT-Version-Integrale_3748022.html?utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG071219">ici</a>.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/374361250" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<hr>
<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG – Fenêtres ouvertes »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’heure où tous les contenus sont accessibles en ligne, se met en place un « darwinisme informationnel » qui va privilégier l’offre culturelle et médiatique la plus adaptée au contexte.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1278252019-11-28T19:28:55Z2019-11-28T19:28:55ZTerminologie et enseignement : le double paradoxe des « soft skills »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/303696/original/file-20191126-112484-1wq7fki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1000%2C658&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pas toujours si soft, les « soft skills »...</span> <span class="attribution"><span class="source">Artur Szczybylo / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Elles sont à la mode. Mais méfions-nous des tendances ; « être dans le vent, une ambition de feuille morte » écrit Gustave Thibon, une idée largement reprise par les <a href="http://www.contre-info.com/etre-dans-le-vent-lambition-dune-feuille-morte-gustave-thibon-explique-par-la-science">thèses du conformisme</a>. Car ce qui fait une tendance c’est justement sa fin annoncée. Et il serait dommage que les « soft skills » ne perdurent pas comme critères susceptibles de distinguer un profil professionnel d’un autre. Mais si l’on adhère à cette idée, alors deux paradoxes émergent qui devraient nous faire réfléchir.</p>
<p>Dans la même logique que celle qui a poussé les linguistes à distinguer les « sciences dures » (mathématiques, physique, chimie, mécanique) des « sciences molles » (gestion, communication, RH, marketing), on a soudain revalorisé ces terminologies. Ainsi, les « sciences molles » sont devenues des « sciences douces », « sociales », « humaines », et les « soft skills » sont venues s’inscrire en opposition aux « hard skills » avec la délicate traduction de « savoir-être » par opposition au « savoir-faire ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1153516001356668930"}"></div></p>
<p>Quoi qu’il en soit, si les terminologies restent discutables, ce qui ne l’est pas ce sont les concepts qu’elles véhiculent et leurs façons de cohabiter. Car si les entreprises ont longtemps privilégié l’embauche de compétences techniques (i·e·hard skills), elles s’orientent aujourd’hui bien plus vers la détection de compétences humaines, parmi lesquelles l’agilité intellectuelle, l’adaptabilité, l’esprit d’équipe, l’initiative, la créativité et l’esprit critique sont les fers de lance.</p>
<p>La plupart des sites Internet traitant de recrutement (<a href="https://www.cadremploi.fr/editorial/conseils/conseils-candidature/entretien-embauche/detail/article/soft-skills-quelles-sont-celles-que-les-entreprises-s-arrachent.html">Cadremploi</a>, <a href="https://www.sciencespo.fr/executive-education/pourquoi-les-soft-skills-deviennent-incontournables">Sciences Po Executive Education</a>, <a href="https://challengeme.online/les-softs-skills/">ChallengeMe</a>, <a href="https://www.monster.fr/conseil-carriere/article/5-points-a-retenir-sur-importance-soft-skills">Monster</a>, etc.) arrive ainsi à des conclusions convergentes : les entreprises recherchent de plus en plus de qualités humaines individuelles, les manques techniques pouvant être compensés par des formations ad hoc.</p>
<p>Ce qui nous amène au premier paradoxe : si ces « douces compétences » sont tellement importantes pour les organisations, pourquoi le terme de « soft » est-il encore utilisé ? Car il continue de transmettre l’acception d’une importance toute périphérique alors que, manifestement, ce type de compétence est devenu central.</p>
<h2>Condition nécessaire mais pas suffisante</h2>
<p>Parlons maintenant de la formation de nos étudiants. En sciences de gestion, les enseignants-chercheurs insistent de plus en plus auprès de leurs étudiants sur l’importance de développer leurs soft skills, souvent présentés sous la terminologie de « savoir-être ». Déontologie, éthique, responsabilité sociétale des entreprises (RSE) associent ainsi autant de problématiques comportementales génériques que d’éléments basiques tels que le fait de ne pas utiliser son téléphone en cours ou d’arriver à l’heure en classe. Difficile ainsi pour nos étudiants de distinguer les soft skills recherchés par les organisations des éléments fondamentaux qui animent les relations sociales de type « politesse » et « respect ». Car sans ces derniers, nulle chance de trouver un emploi. Mais la seule présence de ceux-ci n’est pas suffisante pour assurer au candidat de promouvoir un profil suffisamment différenciant.</p>
<p>Nous sommes ici dans le cas de la condition nécessaire mais non suffisante, ce qui nous amène au second paradoxe : si ces « douces compétences » sont tellement importantes pour les enseignants-chercheurs, pourquoi les programmes universitaires ne sont-ils pas structurés autour de celles-ci ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=819&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/303693/original/file-20191126-112531-11h9k7n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1029&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Turgaygundogdu / Shutterstock</span></span>
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<p>Cela fait plus de cent ans que cette problématique a été identifiée. En effet, en 1918, la Fondation Carnegie a publié un essai de Charles Riborg Mann intitulé <a href="https://archive.org/details/studyofengineeri00mannuoft/page/n3">« A Study of Engineering Education »</a>. Dans ce document, on apprend en <a href="https://archive.org/details/studyofengineeri00mannuoft/page/n121">page 107</a> que les répondants ont considéré dans 94,5 % des cas que les qualités humaines d’une personne étaient les plus à même de mener une organisation au succès, devant les capacités d’évaluation, d’efficacité, de compréhension, de connaissances et de maîtrise technique.</p>
<p>Et malgré cette connaissance dormante, les programmes universitaires de management continuent de privilégier l’enseignement technique sur celui du savoir-être. Pour répondre à ces deux paradoxes, l’Université devrait donc remettre au centre de l’échiquier la question des soft skills et surtout de leur positionnement. En effet, la recherche et la rétention des talents est désormais au cœur de tous les défis. Et ce qui caractérise le plus un « talent » est justement cette capacité à maîtriser les agilités, ce qui place de facto les soft skills au cœur des priorités des recruteurs.</p>
<h2>Un « savoir-être » bien mal nommé</h2>
<p>Sur le plan terminologique, l’Université devrait donc se questionner sur une modification de leur représentation. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, on soulève de plus en plus souvent le <a href="https://joshbersin.com/2019/10/lets-stop-talking-about-soft-skills-theyre-power-skills/">problème</a>, un constat accompagné de la recommandation de désormais appeler les soft skills des <a href="https://hackernoon.com/call-them-power-skills-not-soft-skills-e9e39bb7f338">« power skills »</a>. Cette évolution est de grande importance car, par la terminologie, elle replace cette nature de compétences au cœur des préoccupations managériales. En France, il serait donc propice de développer cette réflexion afin de remplacer l’anglicisme « soft skills » et son équivalent français de « savoir-être » par une terminologie plus représentative de ce que sont ces compétences et de ce à quoi elles servent. Par exemple, nous pourrions envisager de les appeler « agilités » (au pluriel) ou de créer le pendant humain du concept économique « d’élasticité ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/303694/original/file-20191126-112522-1qajwha.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Shutterstock.</span>
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<p>Quant au plan pédagogique, ces « agilités » <a href="https://www.forbes.com/sites/anantagarwal/2018/10/02/data-reveals-why-the-soft-in-soft-skills-is-a-major-misnomer/#24a32d3e6f7b">peuvent être enseignées</a>. Mais avant d’en arriver là, il est en préambule important de repenser les contenus pédagogiques des programmes universitaires. Ainsi, une solution pourrait résider dans l’architecture suivante : années 1 & 2, apprentissage des fondements thématiques ; année 3, spécialisation ; année 4, enseignement des techniques permettant aux étudiants de mettre à jour leurs connaissances acquises en année 3 afin de ne jamais être en reste techniquement ; et année 5, enseignement des sources et des ressources d’agilités. Dans ce dernier cas, il serait sans doute utile d’inviter la psychologie dans l’enseignement des sciences de gestion afin de parler d’empathie ou de solutions de socialisation, et de mobiliser des ressources afin d’apprendre à nos étudiants comment créer, intégrer ou animer un réseau, développer l’adhésion à un projet ou encore renforcer une culture d’entreprise.</p>
<p>Si l’avenir de la performance des organisations réside dans leur capacité à recruter des talents humanistes, alors l’Université doit reconquérir sa place de créatrice de <a href="https://philosciences.com/philosophie-generale/la-philosophie-et-sa-critique/17-edgar-morin-complexite">complexité</a> et ajouter la troisième dimension de l’agilité à celles de créatrice de compétences et d’ascenseur social qu’elle valorise déjà si bien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Mouillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les compétences relatives au « savoir-être », outre une dénomination qui atténue leur importance, restent enseignées à la marge des programmes alors qu’elles sont présentées comme décisives.Philippe Mouillot, Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion, IAE de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1273522019-11-19T11:39:30Z2019-11-19T11:39:30ZIQSOG – Fenêtres ouvertes : l’open access, une erreur fatale en sciences sociales !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/302410/original/file-20191119-111640-1ew40bc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C571%2C589&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« IQSOG Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 9 novembre 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40iWB6faWr2XaukPgmb86be99IcZizg6GP2EBBpt1t65w%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG091119">lettre datée du 9 novembre 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Jean‑Philippe Denis évoque les risques de l’open access dans le domaine des sciences sociales en général, et des sciences de gestion en particulier.</p>
<p>Bon visionnage de ces sept nouvelles conversations, en partenariat avec « IQSOG/Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
<hr>
<h2>A la une</h2>
<p><strong>L’open access est une erreur fatale en sciences sociales ! Conversation avec Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud (interview menée par Mounia Van de Casteele)</strong></p>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>Une autre histoire de l’édition française, conversation avec Jean‑Yves Mollier, professeur émérite à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines</strong></p>
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<p><strong>Au-delà de Granovetter : le lien faible coopératif, conversation avec Marc Lecoutre, professeur à ESC Clermont</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/368217929" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Les méthodes de recherche du DBA, conversation avec Françoise Chevalier et Martin Cloutier, respectivement professeur à HEC Paris et professeur à l’UQAM</strong></p>
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<p><strong>L’impact de la recherche en sciences de gestion, conversation avec Jacques Igalens, professeur à l’université de Toulouse et coordinateur des États Généraux du management de la FNEGE 2016</strong></p>
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<p><strong>Prix Consult’in France : accélérer la transformation digitale, conversation avec Aurélien Rouquet et Daniel Baroin, respectivement professeur à Neoma Business school et senior Advisor carewan by KPMG et administrateur chez Consult’in France et la FNEGE</strong></p>
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<p><strong>Faire de la recherche en contexte international, conversation avec Liliana Mitkova, professeur à l’université d’Evry</strong></p>
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<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127352/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les éditions EMS et le Business Science Institute sont membres du cercle des partenaires de l'émission Fenêtres Ouvertes sur la Gestion. </span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. Cette semaine : open access, édition et transformation digitale.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1265252019-11-06T09:55:58Z2019-11-06T09:55:58ZIQSOG – Fenêtres ouvertes : inviter les professeurs dans les conseils d’administration des entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/300432/original/file-20191106-12481-1a66e1i.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C569%2C660&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« IQSOG Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 2 novembre 2019.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40kVtNP2eoCWfihQFE9Hn%2Fp%2BqStz1OaDTPJO5zmLD1eus%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG021119">lettre datée du 2 novembre 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Michel Mariton, conseiller pour le développement socio-économique à l’Université Paris-Saclay évoque la pertinence et même la nécessité d’inviter les professeurs dans les conseils d’administration des entreprises.</p>
<p>Bon visionnage de ces sept nouvelles conversations, en partenariat avec « IQSOG/Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
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<h2>A la une</h2>
<p><strong>Entreprises : mettez plus de professeurs dans vos conseils ! Conversation avec Michel Mariton, conseiller pour le développement socio-économique, Université Paris-Saclay</strong></p>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>Le « partenariat fiscal » : la nouvelle doctrine de Bercy, conversation avec Jean‑Pierre Lieb, ancien Directeur des services juridiques de la DGFIP, avocat associé EY Tax & Law</strong></p>
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<p><strong>Les processus stratégiques : repenser l’élaboration de la stratégie, conversation avec Thomas Durand et Sakura Shimada, professeurs au CNAM</strong></p>
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<p><strong>Raison d’être de l’entreprise : que doivent en penser les actionnaires ? Conversation avec Jean‑Florent Rérolle, associé chez Morrow Sodali</strong></p>
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<p><strong>L’énigme du processus d’innovation, conversation avec Armand Hatchuel, professeur Mines ParisTech,</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/180040879" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Management de l’innovation collective, conversation avec Raphaël Suire et Anne Berthinier-Poncet respectivement professeur à l’IAE de Nantes et maître de conférences au CNAM</strong></p>
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<p><strong>L’entrepreneur et la transgression des règles établies, conversation avec Romain Laufer, professeur émérite à HEC</strong></p>
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<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126525/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mines ParisTech et les éditions EMS sont membres du cercle des partenaires d'IQSOG. </span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine : inviter les professeurs dans les conseils d’administration.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1256892019-10-23T19:55:52Z2019-10-23T19:55:52ZFenêtres ouvertes sur la gestion : pourquoi il faut repenser toute l'évaluation de la recherche<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/298170/original/file-20191022-55645-llp4nc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C571%2C605&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« IQSOG Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 19 octobre 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40ISv5%2Fe7tpqZR1vaZa2sJGtF6CD3OgEsBnlReFmtpHL0%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG191019">Capture d'écran.</a></span></figcaption></figure><p>À l'affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40ISv5%2Fe7tpqZR1vaZa2sJGtF6CD3OgEsBnlReFmtpHL0%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG191019">lettre datée du 19 octobre 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l'Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Jean‑Philippe Denis décrypte les limites de l'évaluation actuelle de la recherche et esquisse la feuille de route pour en changer !</p>
<p>Bon visionnage de ces sept nouvelles conversations, en partenariat avec « IQSOG/Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
<hr>
<h2>A la une</h2>
<p><strong>Evaluation de la recherche : il faut tout repenser, conversation avec Jean‑Philippe Denis (une interview menée par Mounia Van de Casteele)</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/365048775" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>La bulle des Business schools : vers une « crise des subprimes » ? Conversation avec Jean-Michel Catin, auteur du blog <a href="http://universites2024.fr">Universités 2024</a></strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361249541" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Entrepreneur à l'université, conversation avec Michel Kalika, professeur émérite à l'IAE Lyon School of Management et Président du Business Science Institute</strong></p>
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<p><strong>Finance carbone et finance verte : la nécessaire évolution des pratiques, conversation avec Yves Rannou, professeur à ESC Clermont</strong></p>
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<p><strong>Retour aux sources des normes et des techniques de gestion, conversation avec Armand Hatchuel, professeur Mines ParisTech et membre de l'Académie des technologies</strong></p>
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<p><strong>Faire de la recherche en lien avec les entreprises, conversation avec Nathalie Fabbe-Costes, professeur à l'Université d'Aix-Marseille et Directrice du laboratoire CRET-LOG</strong></p>
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<p><strong>Les ligues de sport professionnel : un modèle pour l'enseignement supérieur de management ? Conversation avec Gilles Paché, professeur à Aix-Marseille Université</strong></p>
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<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125689/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le groupe ESC Clermont et Mines ParisTech / PSL sont membres du Cercle des Partenaires de l'émission Fenêtres Ouvertes sur la Gestion.</span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l'Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine : les limites de l'évaluation et comment les dépasser.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234732019-10-22T18:43:40Z2019-10-22T18:43:40ZAcademic All-Star Game, épisode VIII : Innovation financière et recherche en finance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/292209/original/file-20190912-190021-istvr1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C393%2C776%2C440&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Laurent Deville et Fabrice Riva.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p><em>Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/fr/formation/master/management-strategique#mention">master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay</a>) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’<a href="http://ens-paris-saclay.fr">ENS Paris-Saclay</a> et de la <a href="http://www.jm.u-psud.fr/fr/index.html">faculté Jean‑Monnet</a> (droit, économie, gestion) de l’<a href="http://www.u-psud.fr/fr/index.html">Université Paris-Sud</a>. Ce cycle est soutenu par la <a href="http://msh-paris-saclay.fr">MSH Paris-Saclay</a>.</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Programme complet de l’Academic All-Star Game.</span>
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<p>La huitième conférence de l’Academic All-Star Game a pris place le jeudi 11 avril. À peine cet épisode clos que déjà nous voyons apparaître un brin de nostalgie à la sortie d’une salle à l’ambiance intacte.</p>
<p>Cet acte 8 du cycle de conférences a engagé un tournant radical dans les sujets traités. En effet, ce nouvel épisode a été porté par Laurent Deville et Fabrice Riva, tous deux chercheurs en finance. Jusque-là, aucun des invités n’avait traité de cette thématique.</p>
<p>Laurent Deville est professeur à l’EDHEC et chercheur au CNRS. Il est spécialiste de finance et des marchés financiers. Fabrice Riva est professeur à l’Université Paris-Dauphine et dirige actuellement le Master « Finance d’Entreprise et Ingénierie Financière ». Il est spécialiste des marchés financiers et de la modélisation financière.</p>
<p>Prenant notamment appui sur <a href="https://www.cairn.info/revue-finance-2019-1-page-53.htm">leurs travaux communs</a>, Laurent Deville et Fabrice Riva ont donc décidé de nous éclairer sur les innovations financières et les enjeux liés à ces dernières. Mission difficile pour les deux chercheurs car à peine la conférence commencée qu’une question un brin « politique » était posée : « finalement, les marchés financiers sont-ils efficients ? ».</p>
<h2>L’innovation financière : l’exemple des ETF</h2>
<p>Le fil rouge de cette conférence fût les ETF : des raisons de leur apparition à leurs conséquences en passant par la recherche qui y est associée. En effet, ces derniers mettent en lumière bon nombre d’interrogations que les marchés financiers ont soulevé ces dernières décennies auprès du grand public, des régulateurs mais aussi dans une moindre mesure des chercheurs.</p>
<p>N’étant pas tous des aficionados de la finance, revenir sur ce que sont les ETF est une nécessité. Le terme d’abord : ETF, comprendre <em>Exchange Traded Fund</em>, qui se traduit en français par fond indiciel coté. Leur principe est simple, à comprendre tout du moins, puisqu’il s’agit de construire un fond d’investissement dont la valeur va tenter de répliquer celle d’un indice boursier préalablement choisi. Pour cela, le fond indiciel va en reproduire la composition. Fabrice Riva prend l’exemple d’un ETF qui voulant répliquer l’indice CAC 40 va acheter des titres de l’ensemble de 40 entreprises qui constituent cet indice. La grande différence avec un fond classique réside dans le fait qu’un ETF est lui-même coté.</p>
<p>Comme toute innovation, qu’elle soit financière ou non, les ETF sont une réponse à un besoin, issu des imperfections du marché : friction, manque de liquidité, incomplétude des instruments financiers… Ainsi la promesse des ETF est-elle, au-delà d’offrir aux investisseurs un placement liquide, de permettre d’acheter une part d’un fond relativement diversifié, et donc de détenir un titre dont le risque est plus ou moins égal au risque de marché. Reprenant l’exemple de CAC 40, Fabrice Riva résume : « en une seule action vous avez une exposition au risque égale à celle de CAC 40 ». Et ce à moindre frais, d’autant plus qu’il s’agit d’une gestion de portefeuille passive. Il faut par ailleurs noter que les frais de gestion des ETF sont relativement faibles puisque les gestionnaires de ces fonds se rémunèrent principalement via le prêt des titres qui constituent leurs fonds.</p>
<p>Les ETF sont le reflet, d’une certaine manière, de la complexification des instruments financiers. Apparus outre-Atlantique dans les années 1990 et introduit en Europe au début des années 2000, les ETF se sont davantage complexifiés avec le développement des ETF synthétiques. Cette fois pour répliquer un indice, le fond indiciel ne va pas chercher à en reproduire la constitution, mais va par un jeu d’assurance se couvrir sur l’écart, positif ou négatif, entre le rendement du fond réel et celui de l’indice.</p>
<p>Laurent Deville a fortement insisté sur l’absence de compréhension, de maîtrise des conséquences dues à l’introduction d’une innovation, notamment financière. Car si l’on sait pourquoi on introduit un changement, il reste difficile d’en prévoit pleinement la portée. Ainsi, prenant l’exemple des stratégies d’assurance de portefeuille développées dans les années 1980, il rappelle que celles-ci sont soupçonnées d’être en partie responsable de la crise de 1987.</p>
<p>Pour ce qui est des ETF, Fabrice Riva et Laurent Deville ont observé que les ETF, s’ils ont bien permis un gain d’efficience et une diminution des frictions pour leurs détenteurs, ont aussi provoqué une dégradation de la qualité de l’information des titres qui leurs sont sous-jacents, ainsi qu’une baisse de leur liquidité.</p>
<p>Se pose donc la question du rôle des régulateurs face aux innovations financières. Face aux risques qu’ils font planer, à tort ou à raison, les ETF synthétiques ont été interdits aux États-Unis en 2011, mais toujours pas en Europe. De manière globale, les régulateurs semblent être toujours à la traîne en ce qui concerne les innovations financières et leurs actions régulièrement contournées par de nouveaux instruments… Alors, à quoi bon ?</p>
<h2>Publication… et manipulation ?</h2>
<p>Après avoir présenté l’innovation financière via l’exemple des ETF, Laurent Deville et Fabrice Riva ont décidé de porter notre attention sur ce qu’est la recherche en finance.</p>
<p>Tout d’abord, Laurent Deville rappelle que faire de la recherche, notamment en finance, bien au-delà de l’objet d’étude, c’est faire porter l’attention sur les conséquences d’un phénomène. Toute la difficulté de la recherche s’inscrit donc dans l’étude de ces conséquences et plus exactement dans l’anticipation de ces dernières. Et en effet, il apparaît extrêmement compliqué de prévoir tous les effets et toutes les dérives émanant des innovations financières.</p>
<p>Le second point présenté par le chercheur, et que l’on a très souvent retrouvé tout au long de l’Academic All-Star Game, est celui de la transdisciplinarité. L’idée est toujours la même : faire de la recherche en gestion suppose d’opter pour un regard transdisciplinaire afin de tirer profit des apports d’autres sciences. Toutefois, cette fois-ci les chercheurs vont plus loin dans leur démarche.</p>
<p>En effet, au-delà de la pétition de principe selon laquelle il est important d’adopter une approche transdisciplinaire, Laurent Deville et Fabrice Riva ont par exemple mis en pratique ces recommandations en utilisant une méthode issue de la biologie : l’<a href="https://academic.oup.com/rof/article-abstract/11/3/497/1597929">« accelerated failure time »</a>. Laurent Deville a par ailleurs étudié les ETF d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2015-1-page-22.htm">point de vue sociologique</a> avec Mohamed Oubenal.</p>
<p>Enfin, les chercheurs ont souhaité nous indiquer que la recherche concernant les ETF n’avait rien d’évidente dans la communauté des chercheurs en finance. En effet, pour certains il ne s’agit pas d’une innovation financière : les ETF n’impliquent pas un changement de paradigme. Cela induit de fortes difficultés en ce qui concerne la publication d’articles sur les ETF.</p>
<p>Néanmoins, Laurent Deville et Fabrice Riva insistent sur le fait que l’étude des ETF engendre l’émergence de nouvelles approches et méthodologies ; nous pouvons alors nous demander si l’objectif de publication (induisant nécessairement la notion de création) inhérent au métier de chercheur ne peut pas conduire parfois à des formes de manipulation des objets de recherche afin d’en faire des sujets d’étude pertinents. Nous retrouvons donc ici une forme de performativité de la recherche en finance, telle qu’elle a pu être étudiée lors d’une <a href="https://theconversation.com/academic-all-star-game-episode-vii-la-geopolitique-nouvelle-frontiere-des-sciences-de-gestion-123471">précédente conférence</a>…</p>
<h2>Redorer le blason de la finance</h2>
<p>Après la logistique, l’idéologie néoclassique, les discours de stratégie ou encore l’intelligence économique, place a donc été donnée à la finance, un pan des sciences de gestion quasiment absent de ces conférences jusqu’alors. Un point intéressant y a été soulevé : l’éthique des innovations financières, dont les ETF. Ce qui ne manque pas d’être un enjeu majeur dans l’acceptation du système financier par le grand public et les questions posées aux intervenant s’en sont faites l’écho.</p>
<p>Cette question semble parfois se résumer à un simple calcul coûts/avantages pour le système financier : est éthique, en finance, ce qui permet globalement d’améliorer l’allocation des ressources. En toute naïveté peut-être, on peut alors se demander si l’éthique ne serait pas justement une invitation à sortir des modèles de maximisation purement économique puisque, par essence, elle n’est pas mathématisable, ni même quantifiable…</p>
<p>« L’éthique » ce n’est pas « le mieux », ni même « le bien », c’est finalement définir une grille de lecture pour analyser une action. Introduire l’éthique en finance conduirait alors à s’interroger moins sur les stricts bénéfices en termes d’allocation des ressources que sur une meilleure compréhension du rôle de la finance. Cela reviendrait potentiellement à redéfinir son rôle et donc à changer de modèle mental, comme diraient peut-être certains autres intervenants de cet Academic-All Star Game…</p>
<p>Le débat est donc ouvert… Qu’il aurait été passionnant qu’il se poursuive avec une rencontre, en direct, de l’ensemble des intervenants !</p>
<hr>
<p><strong>À visionner, l’intégralité de l’épisode 8 de l’Academic All-Star Game avec Laurent Deville et Fabrice Riva.</strong></p>
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<p><strong>À voir également, l’interview de Laurent Deville et Fabrice Riva.</strong></p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/123473/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le cycle de conférences Academic All-Star Game est soutenu par la MSH Paris-Saclay.</span></em></p>Les conséquences de la recherche en finance et de l’innovation financière, un sujet essentiel à l’affiche de ce nouvel épisode du cycle de conférences-débats.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1254682019-10-18T07:42:29Z2019-10-18T07:42:29ZValoriser la recherche française plutôt que singer le modèle américain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297551/original/file-20191017-98670-j95xbt.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C571%2C675&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« IQSOG Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 12 octobre 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran</span></span></figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40Q%2BrdnTfazoioCiv9KyFUQ4TfL8gyUHxjwKVjV5xVS8k%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=FG121019">lettre datée du 12 octobre 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Jean‑Philippe Denis explique pourquoi la recherche francophone aurait tout intérêt à cesser de copier le modèle américain…</p>
<p>Bon visionnage de ces sept nouvelles conversations, en partenariat avec « IQSOG/Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
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<h2>A la une</h2>
<p><strong>Valoriser la recherche française plutôt que singer le modèle américain, conversation avec Jean‑Philippe Denis (une interview menée par Mounia Van de Casteele)</strong></p>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>Recherche qualitative en sciences sociales, conversation avec Jean‑Luc Moriceau et Richard Soparnot, respectivement professeur à Institut Mines-Télécom Business School et Directeur académique et professeur de stratégie d’entreprise au Groupe ESC Clermont</strong></p>
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<p><strong>Classement des revues scientifiques 2019 de gestion : droit de réponse de la revue Politiques et Management Public, conversation avec Alain Burlaud et Patrick Gibert, respectivement professeur émérite du Conservatoire national des arts et métiers et professeur émérite à l’université Paris-Ouest</strong></p>
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<p><strong>Penser dans un monde complexe avec Edgar Morin, conversation avec Ousama Bouiss, doctorant à l’université Paris-Dauphine</strong></p>
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<p><strong>L’acceptabilité des décisions publiques : une comparaison France – Québec, conversation avec Corinne Gendron, professeur à l’UQAM, Montréal</strong></p>
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<p><strong>Anthropocène et management des organisations, conversation avec Alexandre Monnin, professeur à ESC Clermont</strong></p>
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<p><strong>Impacts et impasses des « discours » stratégiques, conversation avec Valérie Chanal, professeur en management de l’innovation à l’IAE de Grenoble</strong></p>
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<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125468/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le groupe ESC Clermont et les éditions EMS Management & Société sont membres du cercle des partenaires de l'émission Fenêtres Ouvertes sur la Gestion.</span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine : pourquoi la recherche francophone doit s’assumer.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1247212019-10-16T19:37:42Z2019-10-16T19:37:42ZLa délicate gestion de crise dans les entreprises qui font tout pour les éviter<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296852/original/file-20191014-135521-1qh1n7y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C40%2C955%2C615&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'objectif du « zéro défaut » recherché par les avionneurs les détourne de la réflexion sur la gestion de crise en cas de problème.</span> <span class="attribution"><span class="source">Steve Mann / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Depuis plusieurs années, résilience et agilité sont les maîtres mots de l’industrie. Derrière cette terminologie parfois passe-partout se cache la volonté de mettre en place des mécanismes de prévention des crises. Cependant diminuer les risques ne signifie pas éliminer les crises et parfois cela contribue même à en accroître les effets.</p>
<p>Si l’on revient un peu dans le temps, on note que le XX<sup>e</sup> siècle a été l’ère de l’industrialisation de masse. Sa seconde moitié a notamment vu croître la technique en matière de gestion de la qualité. Du <a href="https://www.henryford.fr/fordisme/toyotisme/">toyotisme</a> aux fusées envoyées dans l’espace, le management s’est emparé de la réduction des risques.</p>
<p>Plus proche de nous, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, on va plus loin pour s’intéresser à la mise en place d’organisations qui ont la capacité à s’adapter et à répondre à l’évolution rapide de l’environnement d’affaires, notamment en matière de risque. On a ainsi vu tout un pan de la recherche en gestion s’intéresser aux organisations dans leur réponse aux risques. Tout d’abord à l’<a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=ZZT-DQAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT3&dq=agilit%C3%A9+r%C3%A9duction+des+risques&ots=gP1ujQObh-&sig=5a0wyKKDn5HNww7D7BNB0A_Ckao#v=onepage&q=agilit%C3%A9%20r%C3%A9duction%20des%20risques&f=false">agilité</a> des entreprises, c’est-à-dire à leur capacité de répondre aux changements de l’environnement ; puis à la fameuse <a href="https://journals.openedition.org/developpementdurable/11010">résilience</a> qui est une capacité pour l’organisation à résister aux chocs, à rebondir, à retrouver sa forme après une crise.</p>
<h2>Cultiver des capacités spécifiques</h2>
<p>Les organisations de haute fiabilité (HRO) sont ainsi des organisations qui cherchent à éviter autant que faire se peut les crises. Elles sont souvent dans des secteurs où la survenue d’une crise peut avoir un impact très fort, comme l’aéronautique, le médical ou la chimie. De telles organisations cultivent <a href="http://pnrs.ensosp.fr/Plateformes/Management/Fiches-pratiques/Pilotage-des-Organisations/Les-Organisations-de-Haute-Fiabilite-High-Reliability-Organizations-HRO/(print)/1">cinq principales capacités</a> vertueuses que sont :</p>
<ul>
<li><p>Une préoccupation constante pour les défaillances et les erreurs qui ne sont d’ailleurs pas intéressantes en soi, mais comme symptômes d’une potentielle défaillance systémique. Le reporting est l’un des moyens de travailler sur ces signaux faibles.</p></li>
<li><p>Une réticence à la simplification qui s’interdit de vouloir interpréter des faits sur la base d’hypothèses ad hoc. Concrètement cela correspond à réduire au maximum les a priori et les conclusions hâtives.</p></li>
<li><p>Une sensibilité aux opérations qui permet d’avoir à la fois une connaissance du terrain et une vue d’ensemble du système, donc des liens de causalités transverses aux silos qu’une organisation traditionnelle peut générer. C’est une capacité à prendre du recul.</p></li>
<li><p>Un engagement vers la résilience car il est impossible d’éviter les crises et il faut nourrir au sein de l’organisation la capacité à continuer à fonctionner malgré de menues défaillances.</p></li>
<li><p>Une déférence à l’expertise plutôt qu’à la hiérarchie de l’organisation, car ce qui est important c’est le savoir, plus que la chaîne de commandement, pour pouvoir comprendre avant de prendre des décisions. Cette capacité est parfois plus complexe à mettre en place dans des organisations avec une forte distance hiérarchique ou dans des entreprises paternalistes et des start-up qui fondent leur réussite sur l’omniscience du patron.</p></li>
</ul>
<p>Pourtant si ces organisations HRO font tout pour éviter les crises, ces dernières ne sont pas toujours évitables. Surtout, lorsqu’elles surviennent, leur totale imprévisibilité désempare l’organisation. En effet, quand on fait tout pour éviter les crises, on est rarement prêt à affronter ce qui arrive, car on ne l’avait pas prévu. Une centrale nucléaire japonaise est prête pour résister aux tremblements de terre et aux tsunamis, mais pas aux <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/seisme-et-tsunami-au-japon-en-2011_1492023.html">deux en même temps</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296853/original/file-20191014-135509-abrje8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La risque d’un séisme doublé d’un tsunami n’avait pas été anticipé par les exploitants de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée en 2011.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Smallcreative/Shutterstock</span></span>
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<h2>Manque de pratique</h2>
<p>L’industrie aéronautique est un autre bon exemple. Cette industrie travaille selon le principe du « zéro défaut » avec des armées d’ingénieurs qualifiés ceinture noire <a href="https://www.lescahiersdelinnovation.com/la-methode-six-sigma/">« Six Sigma »</a>, c’est-à-dire des experts parmi les experts en matière de qualité. Pourtant des crises peuvent survenir. La preuve en est le récent double accident du Boeing 737 Max avec les <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/assurance/boeing-737-max-probablement-le-plus-gros-sinistre-de-l-histoire-de-l-assurance-827029.html">graves conséquences humaines et financières qu’on lui connaît</a>.</p>
<p>Dans le cas des constructeurs aéronautiques, ce qui est intéressant c’est qu’ils ne sont pas, la plupart du temps, les entreprises qui communiquent lorsqu’il y a un sinistre : ce sont les compagnies aériennes, les aéroports, la direction de l’aviation civile, voire le ministère de l’Intérieur selon le type de crise. D’ailleurs, lors d’appels d’offres de mise en concession d’assistance en escale dans les aéroports, la partie gestion de crise et contingence compte pour une part importante du savoir-faire de l’assistant en escale. La méconnaissance ou le manque de pratique chez un constructeur de la communication de crise renforce la crise dans un monde où la gestion est pour beaucoup de la communication.</p>
<p>Face à ces problématiques de crise dans les industries qui font tout pour les éviter, il existe <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/16258312.2018.1484250?scroll=top&needAccess=true&journalCode=tscf20">des modèles de gestion de crise</a>. On peut ainsi, tout en se fondant sur les solides bases que procure la prévention des risques en matière d’agilité et de résilience, construire une culture qui prépare à répondre de manière adéquate à la crise.</p>
<p>Ensuite, l’approche réseau permet de construire une cellule de crise flexible qui va se concentrer sur trois éléments essentiels : en premier lieu, une vue d’ensemble des problématiques qui permet de travailler rapidement, efficacement et avec les partenaires idoines lorsqu’une crise survient ; en deuxième lieu, une vision des impacts pour l’ensemble des partenaires qu’ils soient économiques ou simples parties prenantes du projet en crise. En troisième lieu, une cellule de crise multifonctionnelle qui va se reposer sur une équipe regroupant les experts de la gestion de crise au sein de l’organisation (cellule communication, cellule compliance, cellule juridique, membres du comité de direction) et des experts techniques liés au problème spécifique de la crise.</p>
<p>Les <a href="https://www.la-croix.com/France/Lubrizol-pourquoi-defiance-diminue-pas-2019-09-30-1201051029">réticences des parties prenantes</a> (riverains, ONG, grand public, etc.) face au cas récent de crise liée à l’<a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/27/incendie-a-rouen-un-nuage-noir-une-etrange-pluie-de-suie-et-une-odeur-d-enfer_6013242_3244.html">incendie de l’usine Lubrizol</a>, montrent un manque de maîtrise de ce type d’outils, malgré la très probable maîtrise des risques au sein de cette usine à haute fiabilité classée Seveso. On notera que l’on peut être très performant dans la maîtrise des risques tout en n’étant pas aussi performant dans la gestion de la crise si d’aventure, elle survient. Or, le risque, c’est une fonction de la probabilité de survenue d’un événement et de son impact. Ce n’est pas parce qu’on minimise la probabilité qu’il faut délaisser l’impact.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1180018434417016834"}"></div></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124721/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Lavissière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les organisations de « haute fiabilité » que l’on retrouve dans la chimie ou l’aéronautique se focalisent tellement sur la limitation des risques qu’elles sont désemparées lorsqu’un problème survient.Alexandre Lavissière, Professeur de Logistique, CESIT - Centre d'Excellence Supply Chain - KEDGE, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1249472019-10-09T18:53:05Z2019-10-09T18:53:05ZIQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion : plaidoyer (désespéré) pour la recherche francophone en gestion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/296051/original/file-20191008-128665-1x7fl2i.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C577%2C621&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« IQSOG Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 5 octobre 2019.</span> </figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40BlAUVWjZ9QuR0LUZCNr9fGMlJ6SBpDmrUvC6Q1a9%2FhE%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=">lettre datée du 5 octobre 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Jean-Philippe Denis explique pourquoi et surtout comment il est possible de défendre la recherche francophone en gestion. </p>
<p>Puis il aborde avec ses invités des sujets aussi variés que la logistique du grand Paris et plus généralement la stratégique logistique nationale, la suppression des classements des revues académiques et les effets du classement de Shanghaï ou encore le rôle du Conseil National des Universités en sciences de gestion.</p>
<p>Bon visionnage de ces sept nouvelles conversations, en partenariat avec « IQSOG / Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
<hr>
<h2>À la une</h2>
<p><strong>Plaidoyer (désespéré) pour la recherche francophone en gestion, conversation avec Jean-Philippe Denis (une interview menée par Mounia Van de Casteele)</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361071630" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>Pourquoi il faut supprimer les classements des revues académiques, conversation avec Sébastien Damart, professeur des universités à l’Université Paris-Dauphine</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361248094" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>La transformation numérique et les patrons, conversation avec Christophe Deshayes, conférencier, essayiste et animateur du séminaire Transformations numériques de l’École de Paris du management</strong></p>
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<p><strong>Quelle logistique pour le grand Paris ? Conversation avec Aurélien Rouquet, professeur à Neoma Business school</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361250941" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>La logistique est une affaire d’État, conversation avec Laurent Livolsi et Christelle Camman, respectivement maître de Conférences en Sciences de Gestion, directeur-adjoint du CRETLOG et responsable de la chaire SNCF Logistics en supply chain management et maître de Conférences en Sciences de Gestion, chercheur au CRETLOG, chef du département Gestion Logistique et Transport</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/275072970" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Le classement de Shanghaï comme technologie invisible, Conversation avec Jean Charroin, directeur général d'EDC Paris Business School</strong></p>
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<p><strong>À quoi sert le Conseil National des Universités en sciences de gestion ? Conversation avec Véronique des Garets, présidente du Conseil National des Universités et professeur en Sciences de Gestion à l'IAE Tours-Université</strong></p>
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<hr>
<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124947/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine : la recherche en gestion francophone.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1245242019-10-02T17:53:23Z2019-10-02T17:53:23ZIQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion : changer les règles du mercato des chercheurs et professeurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/295012/original/file-20191001-173393-evr0zn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C575%2C605&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« IQSOG Fenêtres Ouvertes sur la Gestion » : les émissions de la lettre du 7 septembre 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Capture d'écran.</span></span></figcaption></figure><p>À l’affiche de cette <a href="http://t.crm.xerfi.com/nl/jsp/m.jsp?c=%40BlAUVWjZ9QuR0LUZCNr9fGMlJ6SBpDmrUvC6Q1a9%2FhE%3D&utm_source=Mod%E8le%20diffusion%20Xerfi%20Canal&utm_medium=email&utm_campaign=">lettre datée du 28 septembre 2019</a>, sept nouvelles conversations à retrouver, comme chaque semaine, avec les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur de sciences de gestion à la faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion.htm">Revue française de gestion</a>.</p>
<p>Cette semaine, à la une : Jean-Philippe Denis explique pourquoi il faut changer les règles du mercato des chercheurs et des professeurs dans l'enseignement supérieur. </p>
<p>Puis il aborde avec ses invités des sujets aussi variés que l'état de l'enseignement supérieur et la sclérose de la recherche après dix années d'investissement, le futur de l'enseignement au management et l'Afrique, les tiers lieux et l'économie collaborative.</p>
<p>Bon visionnage de ces sept nouvelles conversations, en partenariat avec « IQSOG / Fenêtres ouvertes sur la gestion » !</p>
<hr>
<h2>À la une</h2>
<p><strong>Enseignement et recherche : il faut changer les règles du mercato ! conversation avec Jean-Philippe Denis (une interview menée par Mounia Van de Casteele)</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361070288" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Et aussi…</h2>
<p><strong>10 ans d'investissement dans l'enseignement supérieur et de recherche : le décrochage, conversation avec Jean-Michel Catin, auteur du blog Universités 2024</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361246541" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Collaborer pour innover : le cas Square Paris, conversation avec Nathalie Rey, co-Fondatrice et responsable du Square - Renault Innovation Lab</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/361247610" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Management des organisations : des alternatives africaines ? Conversation avec Jean-Michel Plane, professeur à l'Université Paul-Valéry Montpellier 3</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/344326639" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Une technologie invisible : le cas de la sclérose de la recherche, conversation avec Michel Berry, directeur de recherche au CNRS, ingénieur général des Mines, École de Paris du Management</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/337991581" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>Quel futur pour l’enseignement supérieur de management ? Conversation avec Stéphanie Dameron, professeur des universités à l'Université Paris-Dauphine et Rectrice de l'Académie d'Amiens</strong></p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/275064496" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>L'économie collaborative : promesses et paradoxes, conversation avec Aurélien Acquier, professeur de management à ESCP Europe</strong></p>
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<hr>
<p><em>Toutes les émissions <a href="https://www.xerficanal.com/fog/">« IQSOG Fenêtres ouvertes sur la gestion »</a> peuvent être consultées sur Xerfi canal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124524/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retrouvez les invités de Jean‑Philippe Denis, professeur à l’Université Paris-Sud et rédacteur en chef de la RFG. À la une cette semaine, le mercato des enseignants-chercheurs.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234712019-09-27T02:20:05Z2019-09-27T02:20:05ZAcademic All-Star Game, épisode VII : la géopolitique, nouvelle frontière des sciences de gestion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/294077/original/file-20190925-51414-lnrpyg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C15%2C1253%2C703&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Laurent Livolsi et Stéphanie Dameron.</span> </figcaption></figure><p><em>Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/fr/formation/master/management-strategique#mention">Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay</a>) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’<a href="http://ens-paris-saclay.fr">ENS Paris-Saclay</a> et de la <a href="http://www.jm.u-psud.fr/fr/index.html">faculté Jean‑Monnet</a> (droit, économie, gestion) de l’<a href="http://www.u-psud.fr/fr/index.html">Université Paris-Sud</a>. Ce cycle est soutenu par la <a href="http://msh-paris-saclay.fr">MSH Paris-Saclay</a>.</em></p>
<hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Programme complet de l’Academic All-Star Game.</span>
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<p>Jeudi 28 mars, Faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud : c’est toujours dans la même salle Georges Vedel, aux fauteuils noirs, que prend place la septième conférence de l’Academic All-Star Game. L’enjeu, faut-il le rappeler, est de s’interroger sur l’avenir des sciences de gestion… Vaste sujet !</p>
<p>Le thème de cette septième conférence : La place des sciences gestion, non plus de manière générale et un peu abstraite, mais dans le cas concret de la géopolitique. Quels apports en termes d’analyse, d’anticipation pour les organisations, en particulier pour les États ? Ainsi, au-delà des modifications de l’économie mondiale, des différences de conception de l’intelligence économique entre les nations ou du rôle des États, deux chercheurs ont tenté de montrer que les sciences de gestion ont un avenir sur le terrain de la géopolitique. Finalement, en filigrane, ils parlent de leurs attentes, de leurs espoirs pour les sciences de gestion et bien évidemment des chercheurs de demain.</p>
<h2>Présentation des intervenants</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=851&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294079/original/file-20190925-51457-1smvuyv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1069&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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<p>Professeure à l’Université Paris-Dauphine, docteure en sciences de gestion, membre du conseil scientifique permanent de l’<a href="http://www.euram-online.org">European Academy of Management</a>, ancienne présidente de la <a href="https://sfmwebsite.jimdo.com">Société Française du Management</a> et auditrice du Cycle des Hautes études pour le développement économique (CHEDE), Stéphanie Dameron travaille notamment sur les problématiques de coopération, inter et intra-organisationnelles, leurs impacts sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-4-page-27.htm">processus de décision stratégique</a>, ainsi que sur les systèmes d’enseignement supérieur en management. Elle a été nommée <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/somme/amiens/nouvelle-rectrice-academie-amiens-1705942.html">rectrice de l’Académie d’Amiens</a> en Conseil des Ministres, le 24 juillet 2019.</p>
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<p>Laurent Livolsi est directeur-adjoint du Centre de recherche sur le transport et la logistique (CRET-LOG). Ses travaux se focalisent sur les enjeux de la logistique et la supply chain (châine logistique) pour les organisations mais aussi sur le rôle qui en découle pour les institutions en termes de politiques publiques. Il a publié récemment avec Christelle Camman l’ouvrage : « La logistique, une affaire d’État ? ». Il a coordonné avec Nathalie Fabbe-Costes (Aix-Marseille Université) et Sabine Sépari (ENS Paris-Saclay) le numéro spécial de fin d’année 2018 de la Revue française de gestion sur le thème du <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2018-8.htm">Supply Chain Management</a>.</p>
<h2>Géopolitique : allô Maman, bobo…</h2>
<p>Quelle place de l’entreprise dans la société ? Quelle articulation avec les enjeux de puissance nationale ? Si beaucoup de travaux se sont penchés sur ces questions, Stéphanie Dameron relève qu’ils s’inscrivent dans ce contexte économique si particulier et plus vraiment d’actualité qu’est celui de la guerre froide. Nouvelle bipolarisation États-Unis/Chine, ruptures technologiques, coopétition, hyper-concurrence… Tous ces changements, opérés pour beaucoup depuis plusieurs décennies, appellent à repenser les modèles d’analyse stratégique. Car dans un monde ou la domination n’est pas tant militaire qu’économique, les affrontements entre les nations sur l’échiquier mondial passent par leurs entreprises. Charge donc aux États de soutenir leurs entreprises et leurs tissus économiques, via l’intelligence économique notamment.</p>
<p>Or, force est de constater qu’en la matière les nations ont des positions et des capacités bien différentes. Là où les États-Unis maintiennent leur compétitivité par une incitation et un soutien constant à l’innovation, là où l’Allemagne met au profit de ses entreprises des informations économiques collectées via son réseau diplomatique, la France, elle, adopte une posture centrée sur la protection des actifs stratégiques de son territoire. La question, ici, n’est pas de se demander laquelle d’une conception offensive ou défensive est la meilleure, mais bien de ne pas oublier qu’il n’y pas une seule et unique forme d’intelligence économique et surtout de constater, comme l’a rappelé Laurent Livolsi, que l’État a un rôle majeur dans la création, le développement et le maintien d’écosystèmes favorables aux entreprises, et ce en particulier en matière de logistique.</p>
<p>Cependant, différents exemples d’échecs d’entreprises françaises face aux enjeux géopolitiques, poussent les deux chercheurs à s’interroger sur la capacité actuelle de l’État français à avoir une compréhension pleine des stratégies d’influence des nations. Récemment, l’entrée surprise de l’État néerlandais au <a href="https://theconversation.com/podcast-air-france-sur-la-mauvaise-pente-115005">capital d’Air-France KLM</a>, semble avoir mis la France en défaut. De même, les ambitions géopolitiques de la Chine, que cela soit en Afrique ou son grand projet de nouvelle route de la soie, relèvent d’enjeux extrêmement important pour les nations : faut-il, à l’image de l’Italie, soutenir ce projet ? À quelles conditions, et pour quels gains ? Il y a un besoin crucial d’outils d’analyse pour guider les décideurs politiques, outils que les sciences économiques ou politiques ne sont pas pleinement capables de fournir. Ainsi, pour paraphraser Machiavel : qui pour conseiller le prince ?</p>
<h2>Le gestionnaire, indispensable conseiller</h2>
<p>S’il apparaît que la géopolitique dans sa dimension économique semble être difficilement appréciée par les États, et ici plus particulièrement par l’État français, mais aussi par les entreprises, une solution existe pour pallier cette situation : la gestion. Et en effet, Stéphanie Dameron rappelle que les sciences de gestion sont nécessaires pour acquérir une pleine compréhension des stratégies d’influence des nations et des États. Il est alors possible de présenter plusieurs remèdes à ce mal.</p>
<p>Tout d’abord, Laurent Livolsi rappelle qu’il faut intégrer davantage d’agilité dans les entreprises françaises pour intégrer la question géopolitique et faire face, voire anticiper des situations inattendues (cf. cas Air France-KLM). L’agilité, pourtant nécessaire, n’en demeure pas moins difficile à mettre en place. Pour la faciliter, Laurent Livolsi rappelle qu’il est nécessaire d’avoir en tête qu’une organisation est une construction, fruit notamment d’une culture. Cet historique ne doit donc pas être occulté, mais il ne doit pas non plus constituer un obstacle. L’agilité doit intégrer les spécificités de l’organisation sans chercher à les figer.</p>
<p>Par la suite, Stéphanie Dameron a rappelé que la gestion disposait d’outils permettant d’intégrer cette dimension géopolitique. Mais comme nous l’avons déjà vu dans une conférence précédente (voir la chronique sur l’épisode n°5 de l’Academic All-Star game), les chercheurs souffrent parfois d’amnésie…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/academic-all-star-game-episode-v-la-renaissance-des-sciences-de-gestion-122387">Academic All-Star Game, épisode V : la renaissance des sciences de gestion</a>
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<p>Il convient alors de redécouvrir et de se réapproprier ces outils en les adaptant au contexte actuel. À titre d’exemple, Stéphanie Dameron cite Igor Ansoff, professeur russo-américain en stratégie réputé du XX<sup>e</sup> siècle, et sa <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/igor-ansoff-de-planification-management-strategique/00036788">théorisation de la planification</a> intégrant pleinement la « surprise ». La pensée systémique d’Ansoff inclut la notion des <em>issues</em> (problématiques) et la capacité de l’entreprise ou de l’État à rebondir, nécessitant, entre autres, une réflexion sur les vulnérabilités de son plan stratégique. Pour faire face à ces surprises il faut également porter son attention sur ce que la chercheuse nomme l’<em>antestratégie</em>. L’<em>antestratégie</em>, c’est penser la stratégie au-delà de sa simple dimension économique. Il s’agit de repérer les pratiques sociales, politiques qui vont influencer une décision. En avoir pleinement conscience permet alors de s’adapter à des ruptures, des bifurcations de marché.</p>
<p>Ainsi, il existerait des solutions pour faire face à la problématique géopolitique, la gestion détenant les outils nécessaires à l’appréhension et à la compréhension des phénomènes.</p>
<h2>À l’assaut !</h2>
<p>Cette septième conférence a donc adopté un ton irrémédiablement positif. Mais au-delà du fait que la gestion produirait des solutions aux écueils géopolitiques, les chercheurs ont présenté l’avenir de la gestion sous un profil favorable. En fondant notamment sa force sur la transdisciplinarité, en (re)prenant connaissance des théories déjà existantes mais également en ne sous-estimant pas la valeur de la gestion dans la sphère politique (les gestionnaires sont de plus en plus sollicités dans les think tanks), tout laisse à penser que le futur de la gestion est éminemment radieux, à condition de repenser et d’élargir les points d’impact de la recherche en gestion. Les chercheurs actuels sont en train de reconstruire la base des sciences de gestion et il appartiendra à la jeune génération de tirer profit de cette réflexion.</p>
<p>De plus, lors de cette septième conférence nous avons ressenti une réelle cohérence émanant de l’ensemble des interventions de l’Academic All-Star Game. En effet, les chercheurs ont parlé ce jeudi de la redécouverte de certaines théories gestionnaires, d’impact de la gestion dans la sphère politique, ou encore de performativité. Ces idées avaient déjà été présentées lors de conférences précédentes. Il convient donc visiblement de conclure que l’union fera la force de la gestion dans un futur (très) proche…</p>
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<p><strong>À visionner, l’intégralité de l’épisode 7 de l’Academic All-Star Game avec Stéphanie Dameron et Laurent Livolsi.</strong></p>
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<p><strong>À voir également, l’interview de Stéphanie Dameron et Laurent Livolsi.</strong></p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/123471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le cycle de conférences Academic-All Star Game est soutenu par la MSH Paris-Saclay.</span></em></p>La recherche en management peut éclairer les stratégies d’influence des nations et des États. Un nouveau champ d’action s’ouvre ainsi pour les chercheurs de demain.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1234692019-09-24T08:48:11Z2019-09-24T08:48:11ZAcademic All-Star Game, épisode VI : la recherche, entre performance et performativité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293010/original/file-20190918-187962-1ktp2m8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C7%2C1017%2C678&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Aude Deville et Hervé Dumez à la Faculté Jean-Monnet de l'Université Paris-Sud, pour l'épisode VI de l'Academic All-Star Game. </span> </figcaption></figure><p><em>Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/fr/formation/master/management-strategique#mention">Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay</a>) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’<a href="http://ens-paris-saclay.fr">ENS Paris-Saclay</a> et de la <a href="http://www.jm.u-psud.fr/fr/index.html">Faculté Jean‑Monnet</a> (droit, économie, gestion) de l’<a href="http://www.u-psud.fr/fr/index.html">Université Paris-Sud</a>. Ce cycle est soutenu par la <a href="http://msh-paris-saclay.fr">MSH Paris-Saclay</a>.</em></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260852/original/file-20190225-26168-15hq8mh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Programme complet de l’Academic All-Star Game.</span>
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<p>Le jeudi 21 mars s’est déroulée la sixième conférence de l’Academic All-Star Game. Cet événement organisé par les étudiants de la Faculté Jean‑Monnet et de l’ENS Paris-Saclay, a pour objectif, rappelons-le, de traiter la problématique suivante : « recherche en stratégie et management : mort clinique ou renaissance ? ». Aux deux tiers de ce cycle de conférences, nous avons toujours autant d’entrain à venir assister aux interventions des chercheurs en gestion ayant répondu présents à l’invitation.</p>
<p>Lors de cette sixième conférence, Aude Deville et Hervé Dumez sont tous deux venus nous faire part de leur réflexion sur la problématique posée par l’Academic All-Star Game.</p>
<h2>Présentation des intervenants</h2>
<p>Aude Deville est professeur des universités à l’IAE de Nice, Université Côte d’Azur. Elle est spécialiste en contrôle de gestion. Son domaine de prédilection est la <a href="https://www.cairn.info/revue-comptabilite-controle-audit-2010-2-page-97.htm">performance</a>. Elle a été corédactrice en chef de la revue <a href="https://www.cairn.info/revue-comptabilite-controle-audit.htm">« Comptabilité-Contrôle-Audit »</a> et elle a coordonné récemment un dossier spécial de la Revue française de gestion sur le thème du <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2018-7.htm">management des coopératives</a>.</p>
<p>Hervé Dumez est professeur à l’École Polytechnique et directeur de recherche au CNRS. Il dirige le Centre de Recherche en Gestion (<a href="https://portail.polytechnique.edu/i3_crg/fr">CRG</a>) de Polytechnique ainsi que l’Institut interdisciplinaire de l’innovation (<a href="http://i3.cnrs.fr">i3</a>). Il a été visiting professor au MIT. Hervé Dumez est chevalier de l’Ordre du mérite. Le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2013-8-page-171.htm">chercheur</a> travaille notamment sur les méta-organisations, la performativité ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Il dirige une revue électronique bien connue des chercheurs en gestion : « le <a href="http://i3.cnrs.fr/evenement/parution-du-libellio-de-lete-2019/">Libellio d’AEGIS</a> ».</p>
<h2>Un dur labeur</h2>
<p>Aude Deville a décidé lors de cette conférence, puisqu’il s’agit finalement de parler de la recherche en management, de présenter ce qu’est le métier de chercheur en sciences de gestion. La chercheuse a tout d’abord rappelé que la recherche c’est participer à une conversation, contribuer aux savoirs d’un domaine : il faut donc prouver qu’on apporte quelque chose à la littérature existante.</p>
<p>Aude Deville a par la suite insisté sur les trois messages qu’elle souhaitait véhiculer concernant ce qu’est la recherche en sciences de gestion :</p>
<ul>
<li><p>Premièrement, du fait de son objet d’analyse la gestion est une science de l’action. La recherche en sciences de gestion est donc quelque chose qui se pratique, il convient de s’approprier le contexte d’analyse, les données et surtout avoir une connaissance pointue de la littérature.</p></li>
<li><p>Deuxièmement, il faut avoir en tête que ce n’est pas une approche qui définit un chercheur mais ses préoccupations. Aude Deville a d’ailleurs abordé la performance à travers diverses méthodes : normative, explicative ou encore exploratoire. Elle note que la posture normative est difficilement acceptée par la communauté de chercheurs, mais qu’elle apprécie pour sa part d’aborder le thème de la performance sous différents prismes.</p></li>
<li><p>Enfin, faire de la recherche n’est ni régulier, ni linéaire. L’unique chose régulière est le travail fourni au quotidien. En effet, le travail de chercheur est un travail de fourmi et nécessité une rigueur importante. La publication des articles constitue donc l’aboutissement de ce travail de longue haleine, et bien plus encore, elle est l’une des uniques (si ce n’est l’unique) formes de reconnaissance de ce dur labeur. C’est d’ailleurs pour affronter ces écueils que le chercheur en gestion doit absolument aimer son sujet et se battre pour celui-ci.</p></li>
</ul>
<p>Pour conclure, Aude Deville a indiqué que le chercheur devait être ouvert d’esprit et donc à même d’accepter ce qu’elle nomme le « fait surprenant », c’est-à-dire le résultat auquel on ne s’attendait pas, celui qui peut être en contradiction avec la littérature, ou encore celui qui peut remettre en question l’intuition sur laquelle reposait par exemple un projet d’article.</p>
<h2>La recherche en stratégie et la question du langage</h2>
<p>Hervé Dumez a, pour sa part, davantage traité de la notion de stratégie, et plus exactement de la stratégie vue comme discours et action. Sa présentation s’est donc focalisée sur l’analyse de la stratégie. Son propos a moins porté sur la stratégie en elle-même, son élaboration, ses tenants ou ses aboutissants que sur la manière pour un chercheur d’observer celle-ci.</p>
<p>Dans le cas de Hervé Dumez, il s’agit donc d’étudier d’abord le lien entre discours et action. Ainsi est-il question d’analyser, dans un premier temps, la stratégie comme discours. Via des logiciels le chercheur et ses collègues ont tenté de relever les mots, les expressions et donc les thèmes qui reviennent le plus dans les discours des PDG d’entreprises. Se pose cependant une question cruciale : y-a-t-il un lien entre discours et actions ? En effet, le discours managérial a aussi une vocation communicationnelle, dont l’enjeu en termes d’image et de motivation des acteurs n’est pas à négliger.</p>
<p>L’idée n’est donc pas de réduire la stratégie qu’à des mots, ni à l’opposé qu’à une réalité économique à savoir la structure des marchés. Au contraire, il y a interaction entre les deux, entre discours et action. Le discours ne fait pas que rendre compte d’une réalité, il peut l’influencer, la transformer : c’est ce que l’on nomme la performativité.</p>
<p>Un discours est dit performatif quand, par sa simple énonciation, il conduit la réalité à s’accorder à son énoncé.</p>
<p>Pour clarifier ce concept un exemple « canonique » s’impose : le « je vous déclare mari et femme » prononcé par l’officier d’état civil lors d’un mariage. Par cette phrase, les époux sont considérés comme mariés (ce n’était pas le cas avant, cela le devient après). Le discours, par sa simple énonciation, modifie donc le réel. Appliqué au discours managérial, et ce n’est pas sans rappeler le concept de <em>sensemaking</em> cher à <a href="http://www.sietmanagement.fr/decision-contextuelle-rationalite-de-la-construction-de-sens-enaction-gestion-de-crise-k-weick/">Karl Weick</a>, cela conduit à s’interroger sur la traduction en actes des discours des PDG.</p>
<p>Hervé Dumez énonce d’autres éléments d’interrogation quant aux liens entre discours et action. Le premier est temporel : le discours précède-t-il l’action, ou bien est-ce l’inverse ? Bien évidemment la réponse est complexe, la relation est toujours récursive.</p>
<p>La seconde interrogation porte sur l’analyse de la métaphore. Comme le rappelle Hervé Dumez, le langage est métaphorique et par les analogies qu’il crée, les champs lexicaux auxquels il renvoie, il rend compte de la vision de celui qui l’émet : « la métaphore est un programme », disait <a href="https://journals.openedition.org/apliut/4302">Schön</a>.</p>
<p>Enfin, et parce que l’objet de la recherche en gestion est mouvant, le chercheur a développé l’usage d’un nouveau support pour l’analyse du discours : le PowerPoint. En effet, peut-on aujourd’hui imaginer une présentation sans PowerPoint ? Il ne semble guère péremptoire d’affirmer que non. Cependant, étudier ce type de support est compliqué. Tout d’abord, il n’est ni un texte écrit, ni un texte oral, et dans le cadre d’une analyse qualitative, du propre aveu du chercheur, son codage est impossible. Ainsi n’analyse-t-on pas les éléments d’un PowerPoint un à un mais l’on se concentre sur le tout, sur la forme. Aux critiques récurrentes, pour lesquelles les diaporamas sont très pauvres en termes d’analyse on objectera que ces présentations sont du discours visant l’action, et qu’ils s’inscrivent à ce titre parfaitement dans l’étude du lien discours-action, même si ce discours ne se suffit pas à lui-même.</p>
<h2>Une dose de Prozac pour la gestion ?</h2>
<p>Cette conférence, bien loin de l’optimisme sans faille de la précédente, s’est achevée sur une note en demi-teinte. On peut déplorer, tout comme Aude Deville, qu’avoir une approche différente, comme peut l’être l’approche normative, est tout sauf encouragé par les pairs. Or, au risque de paraître naïf, la recherche en gestion n’aurait-elle pas tout à gagner à multiplier les visions et les approches ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/academic-all-star-game-episode-v-la-renaissance-des-sciences-de-gestion-122387">Academic All-Star Game, épisode V : la renaissance des sciences de gestion</a>
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<p>De plus, à la fin de cette conférence, Hervé Dumez a semblé des plus pessimistes quant à la place de la gestion par rapport aux autres sciences humaines. Sur le plan médiatique un économiste ou un sociologue semblent bien plus légitimes (oserions-nous dire « scientifiques » ?) qu’un chercheur en gestion. Il en va de même pour l’opinion publique. Ainsi, les chercheurs en gestion, et leurs discours, sont-ils bien souvent inaudibles. Or, une science qui ne participe pas, ou peu, au débat public, a-t-elle de l’avenir ? C’est toute la question posée aujourd’hui à la communauté même des chercheurs en gestion…</p>
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<p><strong>À visionner, l’intégralité de l’épisode 6 de l’Academic All-Star Game avec Aude Deville et Hervé Dumez.</strong></p>
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<p><strong>À voir également, l’interview d’Aude Deville et Hervé Dumez.</strong></p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/123469/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Le cycle de conférences Academic All-Star Game est soutenu par la MSH Paris-Saclay.</span></em></p>La recherche et les chercheurs, la performance et la performativité. Découvrez le sixième épisode de l’Academic All-Star Game, avec Aude Deville et Hervé Dumez.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.