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Alimentaire : circuits courts, une durabilité sous conditions

Des personnes au marché
Acheter des produits locaux, une pratique pas toujours écologique. Jean-Pol Grandmont, CC BY-SA

Les circuits courts bénéficient d’un contexte favorable à leur développement. Même si le déconfinement s’est en partie accompagné d’un retour aux pratiques antérieures, la crise liée au coronavirus a réactivé chez les consommateurs un intérêt pour l’alimentation locale et pour la vente directe.

L’image rassurante du produit agricole local, perçu comme sain, explique sans doute cet intérêt, de même que la volonté des consommateurs, pour des raisons sanitaires, d’éviter les lieux trop fréquentés et de privilégier la vente de proximité.

Ce contexte favorable s’accompagne d’une tendance de fond, liée à la réputation des circuits courts, considérés comme plus vertueux que d’autres circuits de distribution, sur le plan économique, social et environnemental.

La réduction du nombre d’intermédiaires et des distances sont en effet perçues comme des réponses aux attentes environnementales (limitation des distances parcourues donc des émissions de gaz à effet de serre), comme aux attentes économiques et sociales (meilleure répartition des gains le long de la chaîne de valeur, proximité relationnelle impactant positivement les pratiques agricoles et la satisfaction des agriculteurs par rapport à leur travail). La durabilité des circuits courts semble ainsi être un argument clé en faveur de leur développement.

Toutefois, se montrer à la hauteur de cette bonne réputation ne va pas de soi. Nous avons notamment conduit une enquête qualitative auprès de 16 acteurs des circuits courts dont les résultats – confirmés par d’autres travaux – montrent deux facteurs principaux conditionnant la durabilité de ces circuits.

Plus de travail pour le producteur

D’un point de vue économique, un nombre limité d’intermédiaires peut théoriquement augmenter la marge du producteur. De fait, nombre d’études montrent que ces circuits permettent souvent aux agriculteurs d’au moins stabiliser leurs revenus, voire de les augmenter. Les consommateurs déclarent également être prêts à payer plus cher un produit local.

Homme dans un champ
Produire local entraîne un effort supplémentaire pour l’agriculteur. Pixabay, CC BY

Mais cela peut aussi impliquer un travail supplémentaire. Assurer la commercialisation ne va pas nécessairement de soi pour les agriculteurs. Cela exige de mobiliser d’importantes ressources par exemple du temps de travail supplémentaire, ou des pratiques plus intensives en main-d’œuvre, mais aussi de s’équiper en conséquence. Le circuit court peut alors même s’avérer peu rentable au regard du travail fourni.

La réduction du nombre d’intermédiaires ne rend donc pas les circuits moins complexes, dans la mesure où l’ensemble des tâches à réaliser repose en grande partie sur le premier maillon de la chaîne, c’est-à-dire le producteur.

Au cœur du métier (produire), s’ajoutent des tâches logistiques et de transport (livrer, conditionner, prendre et préparer les commandes), des tâches de commercialisation, qui ne sont pas toujours au cœur de ses compétences, sont chronophages et bien souvent, coûteuses en ressources et en main d’œuvre.

Plus d’acteurs, plus de trajets

Les circuits courts ne se caractérisent pas seulement par le nombre d’intermédiaires. La définition de ces circuits peut être enrichie d’un critère géographique. L’échelle géographique peut varier de quelques dizaines de kilomètres à plusieurs centaines de kilomètres, notamment en fonction du type de produit. La notion de local ou de proximité est donc associée à ces circuits sans qu’il n’existe pour autant de consensus sur les distances maximales que cela suppose.

Comme les distances parcourues par les produits sont grandissantes depuis les années 1970, limiter les distances est un enjeu et semble entraîner de facto une moindre pression environnementale.

Cette causalité s’avère toutefois plus complexe qu’il n’y parait.

Premièrement, les deux tiers de l’empreinte carbone de l’alimentation en France sont liés à la production, le transport représentant 19 % des émissions de gaz à effet de serre, en comptant le transport de marchandises et les déplacements des consommateurs. L’enjeu de réduction et optimisation du transport est donc bien présent, mais le mode de production compte pour beaucoup dans le bilan environnemental d’un circuit alimentaire.

Camions
En France, le transport compte pour 19 % des émissions de gaz à effet de serre liés à l’alimentaire. Needpix, CC BY

Deuxièmement, en termes de tonne-kilomètre, les circuits les plus locaux ne sont pas nécessairement les moins polluants. La logistique de ces circuits reste spécifique, tant du point de vue des flux que du profil d’acteurs qui les génèrent.

Les flux sont en effet fragmentés en petits volumes. Ils sont générés par une multitude de fermes et à destination d’une multitude de points de vente. Cette fragmentation ne permet donc pas d’activer le levier de la massification et de fait, on voit se multiplier de nombreux trajets comprenant un faible taux de chargement. Reste cependant à savoir si les produits transportés sont comparables, sur le plan nutritionnel notamment, et donc si l’indicateur tonne-kilomètre est bien le plus pertinent.

Troisièmement, la gestion de ces flux n’est généralement pas faite par des professionnels mais par des agriculteurs ou salariés de dispositifs collectifs qui ont a priori peu d’expertise sur la logistique – le plus souvent formés sur le tas – et peu de moyens pour mettre celle-ci en œuvre, c’est-à-dire peu de capacité d’investissement ou de capacité de paiement de prestations.

Enfin, ne pas bénéficier de la massification et de la professionnalisation logistique implique aussi de se priver d’outils d’optimisation des flux : les standards de communication et de traçabilité issus des circuits longs (EDI, RFID, codes-barres, etc.) s’avèrent inadéquats et trop coûteux. Il en va de même pour les standards d’emballage et conditionnements de transport (caisses, cartons, etc.).

Des bienfaits liés à l’amélioration de la logistique

Les chaînes longues sont souvent décriées, pour la précarité des conditions de travail par exemple, mais elles n’en demeurent pas moins efficaces d’un point de vue logistique. Elles fournissent en effet le bon produit, au bon moment, au bon endroit, dans les bonnes quantités et à un coût maîtrisé.

Cette efficacité se fonde sur la professionnalisation des métiers de la logistique, le développement d’outils, de protocoles et de standards partagés par le plus grand nombre et la consolidation des flux, c’est-à-dire leur groupement afin d’accroître les volumes transportés et réaliser des économies d’échelle.

Les circuits courts bénéficient eux d’une bonne réputation. Pourtant, les travaux scientifiques montrent que les bienfaits ne sont pas systématiques. Et la logistique est plus difficile à améliorer et à rendre moins coûteuse que celle de la distribution en circuit long.

Finalement, la logistique des circuits de proximité n’est pas simplement de la logistique de circuit long à plus petite échelle, mais bien une logistique avec ses marges de manœuvre et ses contraintes propres. Le défi actuel est donc de trouver un équilibre entre l’optimisation des taux de chargement, la rentabilité de l’exploitation, l’impact environnemental, le développement de nouvelles pratiques (consigne, recours au vrac, etc.) et l’évolution des relations entre producteurs et consommateurs.

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