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Graines de soja. © Jing / Pixabay , CC BY-SA

Alimentation : comment consommer du soja sans risques pour la santé

Riche en protéines, en fibres et en acides gras oméga-6 et oméga-3, le soja est une légumineuse de grand intérêt nutritionnel.

Mais pour tirer parti des nutriments de cette plante, il faut limiter les risques pour la santé de certains de ses composés, notamment ceux du aux phytoestrogènes, des analogues d’hormones sexuelles féminines.

Comestible après cuisson

Pour résister à ses prédateurs herbivores, le soja a développé tout un arsenal de composés antinutritionnels (interférant avec l’absorption des nutriments), voire toxiques. Résultat : il n’est du reste que très peu attaqué par les rongeurs lors de son stockage, mais ces molécules ont réduit son intérêt à l’état cru : .

En Chine, où le soja est utilisé depuis au moins 4 000 ans dans les rotations des cultures, pour enrichir les sols en azote, on a cherché à le consommer en s’appuyant sur divers procédés – dont la cuisson et le trempage.

La chaleur de la cuisson détruit ou désactive en effet les inhibiteurs des protéases (qui réduisent la digestibilité des protéines), les hémagglutinines (qui font coaguler le sang), les lipoxygénases (qui oxydent les acides gras polyinsaturés), les saponines (qui altèrent les membranes cellulaires), les tannins (qui freinent l’absorption des minéraux et la digestion des protéines), etc.

Reste deux problèmes : celui des allergènes du soja (comme la glycinine ou la β-conglycinine), et celui des isoflavones – des substances que l’on classe parmi les phytoestrogènes. Le premier n’a pas vraiment de parade. Mais le second peut-être résolu par le trempage et la cuisson prolongée des recettes asiatiques traditionnelles – les isoflavones, solubles dans l’eau, sont ainsi éliminées pour une grande part.

En revanche, les procédés de transformation utilisés par l’industrie agroalimentaire depuis les années 1960, qui réduisent parfois la cuisson à quelques dizaines de secondes sous un jet de vapeur, n’éliminent pas les isoflavones. Or, celles-ci ont une activité biologique.

Des composés qui perturbent la fertilité

L’activité hormonale des isoflavones présentes dans le soja est avérée depuis les années 1940 en Australie. Ainsi des brebis que l’on faisait paître sur des champs de trèfle rouge ou souterrain (riches en isoflavones) développaient un syndrome d’infertilité. Le phénomène était spectaculaire. En l’espace de trois à quatre saisons sur ces pâtures, la fertilité des animaux s’effondrait. Il fut alors mis fin à un nombre important d’élevages.

Il fallut attendre la fin des années 1950 pour que des études vétérinaires expliquent enfin le syndrome des brebis : les isoflavones perturbent plusieurs mécanismes endocriniens, et notamment la sécrétion de la FSH et de la LH, des hormones de l’hypophyse contrôlant la reproduction.

Dans les années 1990, l’impact chez l’être humain finit par être envisagé. À l’époque, on considèrait les effets du soja sous un angle positif, en imaginant qu’il pourrait limiter la sécrétion d’estradiol et peut-être réduire le risque de cancer du sein. On a alors constaté, sur un petit nombre de jeunes femmes britanniques, que la consommation quotidienne de 60 g de soja (soit 45 mg d’isoflavones pendant un mois) peut allonger le cycle menstruel de 28 à 30 jours en réduisant la production de FSH et LH.

Quelques années plus tard, une étude d’intervention menée avec 40 jeunes étudiantes japonaises aboutit à des conclusions similaires : une consommation quotidienne de 20 à 40 mg d’isoflavones s’est traduite par des cycles menstruels plus irréguliers et plus longs que ceux des femmes occidentales (30 jours versus 28). En ajoutant à leur alimentation du jus de soja contenant 50 mg d’isoflavones, ledit cycle pouvait atteindre 32 jours.

Des travaux à mettre en perspective avec ceux d’une équipe américaine qui avait noté, dans les années 1970, que 60 % des plantes traditionnellement utilisées en occident pour leurs vertus contraceptives sont riches en isoflavones.

Premières recommandations

En 2005, répondant à une auto-saisine et à une saisine de la direction de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (aujourd’hui ANSES) se prononce sur la sécurité et les bénéfices des phytoestrogènes apportés par l’alimentation.

Son rapport préconise de ne pas utiliser les formules infantiles à base de soja contenant de fortes quantités de phytoestrogènes. Il déconseille par ailleurs aux femmes enceintes, tout comme à celles ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancers du sein, de consommer du soja. Enfin, il est demandé aux industriels d’indiquer les teneurs en isoflavones sur leurs produits, et recommandé de ne pas dépasser 1 mg/kg/jour.

Trois ans plus tard, le National Toxicology Program Américain, qui fait autorité au plan mondial, mettait en avant chez le rongeur la toxicité de la génistéine, principale isoflavone du soja, sur la reproduction. En soumettant quatre générations de rats à différentes doses de génistéine, cette étude révélait qu’une dose de 35 mg/kg/j provoquait des retards de croissance et l’apparition de malformations génitales chez les jeunes, tout en perturbant les cycles des femelles et en provoquant une baisse de la fertilité pour la deuxième génération exposée.

Problème : cette dose se traduit, chez les animaux, par des taux sanguins comparables à ceux d’un consommateur régulier de soja (deux portions quotidiennes d’aliments industriels à base de soja). Or en pratique, selon les règles qui permettent d’élaborer les limites à ne pas dépasser chez l’humain), la valeur toxique de référence doit être cent fois moins élevée que la dose active chez le rongeur (35 mg/kg/jour) : on ne devrait donc pas consommer plus de 0,35 mg/kg/jour (un steak de soja pour un adulte de 60 kg, un demi pour un enfant de 30 kg).

Qu’observe-t-on en population ?

Aujourd’hui, il semble que dans les pays asiatiques industrialisés, la fertilité est malmenée. Ces populations consomment depuis toujours du soja, mais suite à la généralisation des aliments transformés, elles sont exposées depuis deux générations, de façon régulière, à d’importantes quantités d’isoflavones. Le problème est que l’on ne dispose pas de populations témoins pour réellement relier l’exposition aux isoflavones aux problèmes de fertilité.

Pas moins de cinq études ont cependant révélé l’existence d’une corrélation entre les fortes teneurs en isoflavones des fluides biologiques et l’altération de la quantité et de la qualité du sperme chez l’homme. Aucune ne permet d’exclure des effets synergiques entre les phytoestrogènes et d’autres perturbateurs endocriniens de l’environnement. Mais ces derniers étant présents partout, ces études restent pertinentes.

Côté femmes, trois cas cliniques de surconsommation de soja ont été rapportés en 2008, avec des fibromes utérins, de l’endométriose, et pour celles qui étaient sous pilule contraceptive, un traitement perturbé. Tout est rentré dans l’ordre à l’arrêt du soja. Voilà sept ans, une étude menée auprès de 11 688 Américaines a montré qu’une consommation de 50 mg/jour d’isoflavones diminue la probabilité de donner naissance à un enfant. Des données confortées l’année suivante par le suivi d’un plus petit nombre de femmes. Il est alors observé un défaut de la phase lutéale, augmentant le risque de fausse couche, quand l’apport d’isoflavones s’accroit.

Qu’en est-il des enfants ?

S’agissant des enfants, et plus particulièrement des tout petits, on manque de données pour se prononcer. Si plusieurs équipes scientifiques se sont inquiétées des conséquences d’une alimentation à base de soja dans les premiers mois de vie, leurs résultats ne sont pas toujours probants.

Chez les petits garçons, il a par exemple été constaté une diminution du volume des testicules après qu’ils aient été nourris par du lait à base de soja plutôt que par du lait maternel. Mais c’était aussi le cas à la suite d’une alimentation infantile à base de lait de vache.

Chez les petites filles, il a été noté un comportement de jeu « moins féminin », mais aussi des différences dans la maturation des cellules vaginales et dans le volume utérin. Enfin, trois études américaines font état de règles plus douloureuses, plus longues et anarchiques, mais aussi d’éventuels fibromes de taille plus importante, chez ces petites filles devenues femmes.

Quelques conseils pour réduire les doses

Si les plantes produisent des phytoestrogènes, c’est avant tout pour limiter la reproduction de leurs prédateurs. La présence dans l’alimentation humaine de ces composés, qui ressemblent à la principale hormone sexuelle féminine - l’estradiol, n’est donc pas anodine.

Chez les jeunes femmes, les estrogènes sont utilisés à des fins contraceptives. Au moment de la ménopause, à condition que soit exclu tout risque de cancer du sein ou de l’utérus, ils permettent aussi de réduire les bouffées de chaleur et la perte osseuse. Toutefois, en pratique, ces hormones ou leurs analogues pharmaceutiques sont délivrés sur prescription médicale et ne sont pas laissés à la disposition de tous. Ce qui n’est pas le cas des phytoestrogènes…

Dans les faits, à travers une enquête de consommation conduite auprès de 270 femmes, et doublée de l’analyse des sources d’isoflavones dans l’offre alimentaire française, notre équipe a récemment conclu que 12 % des consommatrices de soja avaient un apport d’isoflavones dépassant 50 mg par jour, et donc susceptible d’allonger la durée des cycles menstruels. Dans ces conditions, nous estimons qu’il est prudent de revenir aux préparations traditionnelles du soja, pour limiter les risques et profiter de ses bienfaits.

Concrètement, avant de consommer des graines de soja, il s’agit de les faire tremper dans une première eau, puis de les blanchir en commençant la cuisson dans de l’eau froide, et enfin de jeter cette deuxième eau. On le fait d’ailleurs, pour toutes sortes d’autres graines (haricots, pois chiches…).

À ce propos, notons que certains industriels de l’agroalimentaire proposent déjà des produits à teneur réduite en isoflavones, qui conservent de bonnes qualités nutritionnelles et gustatives. Et l’on ne peut qu’encourager la consommation de ces nouveaux aliments, qui permettent de s’affranchir des limites imposées aux autres préparations.

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