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Jeunes hommes manifestant dans une rue, l'un d'eux masqué
Des jeunes hommes protestent contre l'assassinat du président haïtien Jovenel Moïse près du commissariat de Pétion Ville à Port-au-Prince, le 8 juillet. (AP Photo/Joseph Odelyn)

Après l’assassinat de son président, Haïti a besoin plus que jamais de l’aide internationale

Depuis plus d’un siècle, Haïti n’avait pas connu l’assassinat d’un président de la République. Le dernier est celui de Vilbrun Guillaume Sam le 27 juillet 1915.

L’exécution de Jovenel Moïse dans sa résidence privée, le 7 juillet, renoue malheureusement avec un douloureux passé. Depuis la chute du dictateur Jean‑Claude Duvalier, le 7 février 1986, Haïti avait fait le choix de s’inscrire dans un processus démocratique, même si celui-ci n’a pas toujours été facile.

La constitution de 1987, qui est l’un des principaux symboles de ce nouveau départ, a instauré un cycle quinquennal de renouvellement du mandat présidentiel. Jovenel Moïse est arrivé au pouvoir le 7 février 2017 comme sixième président de la République, élu avec un mandat constitutionnel de cinq ans.

Des armes sont apposées sur une table, dont des machettes et des fusils d’assaut. Derrière, une rangée d’hommes assis
Les suspects de l’assassinat du président haïtien Jovenel Moise sont présentés aux médias, avec les armes et l’équipement qu’ils auraient utilisés lors de l’attaque du 8 juillet. (AP Photo/Joseph Odelyn)

J’ai travaillé comme fonctionnaire dans l’administration publique haïtienne pendant huit ans et je suis aujourd’hui doctorant à l’ENAP. Jean‑François Savard, mon co-auteur, a enseigné la conception et la mise en œuvre des politiques publiques en Haïti dans le cadre d’un projet du gouvernement fédéral canadien visant à renforcer les capacités de la fonction publique haïtienne. Les analyses et conclusions que nous présentons sont tirées de nos expériences professionnelles et de nos travaux de recherche.


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Les raisons qui expliquent le chaos actuel en Haïti

Les principales raisons du chaos que l’on observe présentement en Haïti se retrouvent sur les plans politique, institutionnel, économique et sécuritaire.

Jovenel Moïse, bien qu’ayant été élu au premier tour des élections présidentielles de novembre 2016, n’a pu récolter que 590 927 votes, ce qui ne représente qu’environ 10 % de l’électorat. Cela a fait de lui le chef d’État le moins populaire depuis 1986.

La légitimité de Moïse s’est davantage affaiblie à partir du 7 février dernier. Son mandat devait prendre fin, mais il s’est accroché au pouvoir, au grand dam de la classe politique et du peuple, qui réclamait son départ du palais national. De nombreuses manifestations ont eu lieu.

Moïse gouvernait par décrets depuis le 13 janvier 2020, lorsque le mandat des députés de la 50ᵉ législature et des deux tiers du Sénat a pris fin. L’Assemblée nationale a ainsi été dissoute et Jovenel Moïse n’a pas pris les dispositions nécessaires pour combler ce vide législatif. Il voulait faire approuver par référendum le 26 septembre prochain une nouvelle constitution qui aurait aboli le sénat et renforcé ses pouvoirs.

Avec la caducité du parlement, Moïse s’est ainsi donné les coudées franches pour nommer sans aucune limite des premiers ministres, des ministres et des directeurs généraux de façon intérimaire. L’appareil gouvernemental et administratif de l’État s’est donc davantage affaibli.

Le président d’Haïti, Jovenel Moïse et son épouse, Martine, marchent lors d’une cérémonie
Sur cette photo d’archive du 18 mai 2021, le président haïtien Jovenel Moise marche avec la première dame Martine Moise et le premier ministre par intérim Claude Joseph, lors d’une cérémonie marquant le 218ᵉ anniversaire de la création du drapeau haïtien à Port-au-Prince, Haïti. (AP Photo/Joseph Odelyn, File)

Crise économique et sécuritaire

En arrivant au pouvoir en février 2017, Jovenel Moïse ne disposait pas — ou peu — de certains leviers économiques dont bénéficiaient deux de ses prédécesseurs, soit Joseph Michel Martelly et René Garcia Préval. Ces derniers ont pu bénéficier de plus de 4 milliards de dollars du fonds PetroCaribe et d’une certaine largesse de la communauté internationale à travers la coopération. De son côté, Moïse disposait de faibles moyens de financement des projets de développement pour le pays.

D’un point de vue sécuritaire, le Conseil de sécurité des Nations unies a mis un terme au mandat de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) le 15 octobre 2017, soit huit mois après l’arrivée de Jovenel Moïse. Il faut rappeler que la mission était présente en Haïti depuis 2004 à la suite de l’exil contraint du président Jean‑Bertrand Aristide.

Avec le départ de la MINUSTAH et une Police nationale divisée et anémiée, Moïse s’est retrouvé avec un handicap majeur au niveau sécuritaire. En témoigne d’ailleurs les vagues d’enlèvement qui touchent toutes les franges de la société et qui ont contrait plusieurs institutions à limiter leurs activités ou à fermer leurs portes. Ces enlèvements ont d’ailleurs soulevé l’ire de la population, attisant encore plus les tensions sociales dans le pays.

Par ailleurs, avec des querelles internes au sein de son propre parti, le Parti haïtien Tèt Kale (PHTK) et des conflits avec des oligarques du secteur privé et la majeure partie de la classe politique, le président s’isolait de plus en plus.

Un vide politique abyssal

Quel est l’avenir de Haïti à la suite de l’assassinat de son président ?

Dans l’histoire récente du pays, jamais n’a-t-on connu un tel vide institutionnel. L’actuel premier ministre, Claude Joseph, et tous les membres de son gouvernement ont tous été nommés de façon intérimaire. Par ailleurs, pour complexifier encore davantage la situation, Jovenel Moïse a nommé un autre premier ministre un jour avant son assassinat. Ce nouveau premier ministre aurait eu, entre autres, la mission de former un gouvernement.

On se retrouve ainsi avec deux premiers ministres qui se disputent actuellement la présidence.

Le premier ministre par interim d’Haïti, Claude Joseph
Le président par interim Claude Joseph s’exprime lors d’une conférence de presse à sa résidence à Port-au-Prince, le 8 juillet. Joseph, qui a pris la tête d’Haïti avec l’appui de la police et de l’armée après l’assassinat du président Jovenel Moise, a demandé à la population de rouvrir les commerces et de retourner au travail et a ordonné la réouverture de l’aéroport international. (AP Photo/Joseph Odelyn)

Dans la version amendée de la constitution de 1987, il est indiqué que le premier ministre assure la présidence du pays en cas de vacance, en attendant l’organisation des élections. Il y a fort à parier que l’actuel premier ministre ne pourra remplir une telle fonction avec un tel déficit de légitimité.

Par ailleurs, l’actuel Conseil électoral provisoire (CEP) est peu crédible pour organiser des élections. Ses actuels membres n’ont jamais prêté serment selon les prescrits constitutionnels. La Cour de cassation au niveau du Pouvoir judiciaire est l’autre organe qui aurait permis de combler cette vacance présidentielle. Cependant, avec le décès du président de cette Cour récemment et le renvoi de trois juges par Jovenel Moïse en raison de leur présumée proximité avec l’opposition, le problème demeure donc entier.

Haïti a besoin d’une aide internationale crédible

La communauté internationale pourrait-elle jouer un rôle ? Elle ne dispose pas d’interlocuteurs formels, et ce, en raison de l’absence de dirigeants légitimes à la tête de l’État. Par ailleurs, cette communauté manque de crédibilité. Ses interventions en Haïti, à travers l’aide internationale notamment, se sont toujours soldées par des échecs. L’incapacité de la Police nationale d’Haïti (PNH) à remplir sa mission en est le plus récent exemple. La communauté internationale s’est désengagée prématurément.

En effet, alors que le pays commençait à peine à se relever à la suite du séisme de 2010, plusieurs acteurs internationaux, dont le Canada, ont diminué leurs interventions en Haïti. À cet égard, la déclaration du premier ministre canadien, Justin Trudeau, à la suite de l’assassinat de Moïse, et selon laquelle « le Canada fait preuve d’un engagement profond et de longue date envers Haïti, et nous sommes prêts à lui offrir toute l’aide qui pourrait être nécessaire », paraît incongrue.


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Ce désengagement de la communauté internationale n’a fait qu’enliser le pays dans un marasme sur le plan politique, économique et social. Haïti semble donc revenir à une situation similaire à celle qui prévalait en 2003 et 2004. On a alors assisté à des affrontements entre les autorités gouvernementales et des factions civiles qui ont plongé le pays dans un chaos similaire.

Comment se relever intelligemment dans un tel contexte ?

D’abord, par un engagement citoyen, responsable et désintéressé des acteurs de la société civile et de la classe politique. Cela passe aussi nécessairement par un dialogue franc impliquant les principaux acteurs de la vie nationale et surtout ceux du secteur économique, afin de définir une nouvelle vision. Par exemple, un mécanisme populaire qui a été maintes fois proposé en Haïti et qui pourrait être éventuellement utilisé est l’organisation d’une Conférence nationale souveraine. Elle est en fait un grand forum qui réunit les acteurs sociaux et économiques pour discuter des solutions que l’État peut adopter aux problèmes endémiques que vit le pays.

Cette vision devra intégrer les intérêts et les besoins de chaque Haïtien. L’approche partisane et exclusive qui a toujours prédominé depuis l’assassinat de Jean‑Jacques Dessalines, en 1806 (premier chef d’État après la révolution haïtienne de 1791 à 1804) doit définitivement cesser. Ensuite, la communauté internationale devra adopter un nouveau type de soutien au pays. Il ne s’agira plus d’imposer des directives, mais d’être à l’écoute et de conseiller au besoin sur les meilleures interventions.

Face à la situation économique chaotique, un retour de l’aide internationale est incontournable, mais elle devra être plus cohérente, coordonnée et acheminée à travers un seul canal afin d’assurer un plus grand effet de levier. L’appui de la communauté internationale devra également s’inscrire dans une perspective de plusieurs décennies en espérant ainsi que la démocratie s’installe pour de bon en Haïti.

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