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Après le Brexit, garder ou ne pas garder l’anglais comme langue officielle de l’UE

« Parliament of Birds », de Carl Wilhelm De Hamilton (1668-1754).

Alors que la Grande-Bretagne n’a pas encore notifié officiellement son retrait de l’Union européenne, le vote en faveur du « Leave » a créé des soubresauts xénophobes contre les Polonais de l’autre côté de la Manche et le rejet de la langue anglaise de ce côté-ci. Les souverainistes français mettent en effet en cause son statut au sein de l’Union européenne, évoquant une « puissance molle ».

Des sources anonymes citées par le Wall Street Journal affirment que, désormais, la Commission va privilégier le français et l’allemand. Jean-Claude Junker, son président, ne devait intervenir qu’en allemand et en français au Parlement européen. Mais, le 28 juin 2016, il n’a pas pu s’empêcher de s’énerver – en anglais – contre la présence provocatrice du leader du parti UKIP à Bruxelles lors de la session extraordinaire du Parlement convoquée après le référendum britannique.

L’anglobal, une langue mineure ?

Du jour au lendemain, la langue globale (l’anglobal pour reprendre la formulation de Jean-Christophe Rufin dans Globalia) a perdu quelque peu son éclat au sein de l’Union. Par une singulière ironie de l’histoire, l’anglais est devenu une langue mineure ! L’ancien Empire britannique était connu comme un espace où le soleil ne se couchait jamais. Mais le fait que Nigel Farage a salué le 23 juin 2016 comme le jour de l’indépendance de la Grande-Bretagne est symptomatique.

Pourquoi un pays dominateur se verrait-il en pays dominé ? Ce n’est pas tant le fait d’être opprimé par la bureaucratie européenne ou « envahi » par des vagues de migrants qui semble être à l’origine de ce sentiment. Après la perte de l’Empire, il a fallu trouver faire son deuil pour retrouver une forme d’optimisme et de gaieté. La « dévolution » (les pouvoirs accordés à l’Assemblée galloise, aux Parlements écossais et irlandais) a suscité des craintes sur une possible désunion. La mort de la princesse Diana en 1997 n’a fait que prolonger le deuil de cette grandeur. Et la célébration récente du 90e anniversaire de la reine n’a pas fourni le contrepoids escompté.

Finalement, c’est un rite laïc et démocratique qui a fourni l’occasion au peuple britannique de se rassembler : ce n’est pas tant le résultat que le taux de participation (72,2 %) qui en témoigne. Les électeurs se sont sentis très concernés. Analyser le résultat en faveur de la sortie de l’UE uniquement comme étant ringard (lié au vote des plus âgés, des personnes peu instruites et habitant la campagne) ne peut susciter que davantage de divisions au sein d’une population désireuse de s’ériger en communauté joyeuse.

Le réveil des vieux démons

Le Commissaire européen à l’économie numérique, Günther Oettinger, a défendu la langue anglaise avec certains arguments. L’anglais n’est pas parlé qu’au Royaume uni, a-t-il souligné. L’anglophonie existe traditionnellement dans d’autres États membres (Irlande, Malte). C’est aussi la langue internationale parlée par tous les Européens.

Néanmoins, seule la Grande-Bretagne a institué l’anglais comme langue officielle. Dès lors, Danuta Huebner, la présidente de la commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen, pense que le Brexit aura pour conséquence le retrait de l’anglais de la liste officielle des 24 langues de l’Europe.

Ce débat politique qui réveille les vieux démons de l’anglophobie, notamment en France, aura un impact certain sur le choix des langues vivantes dans les écoles des États membres. Les étudiants qui partent en échange universitaire choisiront peut-être davantage des « auberges espagnoles ».

Depuis l’instauration de top-up fees (frais de scolarité), il était déjà devenu difficile d’initier des échanges avec les universités anglaises. De 3 000 livres (plus de 3 500 euros) en 2006, ces frais ont grimpé jusqu’à 9 000 livres (environ 10 500 euros) depuis 2010. Un étudiant français, Dany Bidar, a même porté plainte contre le Royaume-Uni pour discrimination par rapport à un prêt subventionné accordé aux étudiants en guise d’aide.

Lutte linguistique

Au-delà des effets de conjoncture, le Brexit interroge le rapport des citoyens européens avec leur langue maternelle et d’autres langues, européennes et non-européennes. Comme le remarque, à juste titre, Salman Rushdie dans son livre Patries imaginaires, la lutte linguistique est le miroir d’autres luttes sociétales.

Que signifie ce débat sur la place de l’anglais dans les institutions européennes ? Il nous rappelle le rapport de forces existant entre l’anglais et l’espagnol aux États-Unis et l’anglais et le français dans les anciennes terres coloniales. Une reconnexion avec le Commonwealth pourrait bien être à l’ordre du jour après le Brexit. Quant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), elle se réjouit : grâce à l’Afrique, il y aura 760 millions francophones à l’horizon de l’année 2060, et la langue française sera alors la deuxième ou troisième langue au niveau international.

Carte de la francophonie : à l’horizon 2060, le français sera dans les langues les plus parlées au monde. jplille/Flickr, CC BY-SA

De leur côté, le linguiste français Claude Hagège et le défenseur des langues indiennes tribales Ganesh Devy (Inde) dénoncent la disparition de langues et déplorent la perte de la diversité linguistique sur la planète sous l’effet de « l’impérialisme culturel ». La menace de la disparition d’une langue, disent-ils, est toute aussi grave que celle d’une espèce.

Une présence de l’absence des Britanniques

Une chose est sûre : il n’est pas nécessaire de faire disparaître l’anglais comme langue officielle de l’UE à cause du coût que représenterait le maintien des traductions dans cette langue. Celle-ci pourra rester comme une présence de l’absence du peuple britannique, une trace de la mémoire dans l’histoire de l’UE.

Par ailleurs, le Royaume-Uni n’a pas quitté le Conseil de l’Europe dont les États de l’UE sont également membres. Sous la houlette de David Patrick Maxwell Fyfe, les juristes anglais ont apporté leur pierre à l’édifice de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le Royaume-Uni est, par ailleurs, un partenaire incontournable dans les échanges commerciaux, dans les relations internationales et dans la lutte contre le terrorisme, comme l’a récemment souligné David Cameron.

Les valeurs démocratiques héritées de l’histoire britannique, inscrites dans la langue anglaise, figurent en outre dans les traités européens. Pour les pays tiers qui ont besoin de comprendre les valeurs qui animent l’UE, l’anglais demeure un outil indispensable. Il est donc fallacieux de comparer le Brexit à un divorce. L’UE ne peut rayer d’un trait de plume la langue anglaise comme on liquide une communauté de biens. L’anglais représente bien plus que le bien symbolique d’un peuple.

Julia Kristeva à qui on doit des travaux approfondis sur la notion d’étranger soutient que la traduction est la véritable langue de l’Europe. Ce sont les écrivains francophones qui ont relevé le mérite singulier de la langue anglaise en faisant l’éloge de sa capacité à se libérer « de son pacte exclusif avec la nation ».

Le maintien de l’anglais et l’inclusion progressive d’autres langues que parlent les citoyens des États-membres ne feront qu’enrichir cette langue commune de la traduction, tout en comblant le fossé qui sépare les peuples et préservera l’Union des crises ultérieures. Cette conversation est primordiale pour la qualité de la démocratie.

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