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Arrêts de travail et « ras-le-bol » managérial

Selon étude pour l’Institut Sapiens, l’absentéisme coûterait plus de 100 milliards d’euros par an en France. Huntstock/Shutterstock

Cet article a été co-écrit par Henri Savall, professeur émérite à l’IAE de Lyon et président-fondateur de l’ISEOR. Il s’appuie sur des éléments de l’étude sur l’origine et le coût de l’absentéisme en France pour l’Institut Sapiens.


Le baromètre Ayming-AG2R La Mondiale a révélé en septembre 2018 une hausse régulière de l’absentéisme salarié en France. Ainsi, pour l’année 2017, il a atteint 4,72 % des heures de travail, un chiffre en augmentation par rapport à 2016 et 2015. Par ailleurs, l’étude Sofaxis publiée en novembre 2017 montre que l’absentéisme a augmenté beaucoup plus (+28 %) dans le secteur public que privé depuis 2007, atteignant 8,34 %, soit supérieur de trois quarts à celui du secteur privé.

La recherche-intervention de l’ISEOR (Institut de socio-économie des entreprises et des organisations), qui porte sur l’identification des dysfonctionnements et des coûts cachés liés aux arrêts de travail, réalisée à partir de l’observation approfondie de 2 000 entreprises et organisations depuis 1974, de taille et de secteur très variés, converge avec les résultats des études citées supra.

Coût caché

Elle permet, en sus, de préciser les causes des arrêts de travail, leurs impacts économiques et des solutions pour les réduire. En premier lieu, le coût caché de l’absentéisme lié aux arrêts de travail, « caché » car celui-ci n’est jamais comptabilisé ou précisément identifié, ni dans les comptes de résultat, ni dans les budgets, est gigantesque.

Dans une étude pour l’Institut Sapiens, il apparaît qu’à l’échelle de la population active employée en France, l’absentéisme coûterait plus de 100 milliards d’euros par an (107,9 milliards soit 4,7 % du PIB), qui manquent aux entreprises, à l’État et, en bout de course, à la croissance française. En ordre de grandeur, c’est l’équivalent de 16 % des salaires versés annuellement en France. Nos recherches montrent qu’une fraction des arrêts de travail est incompressible, « normale », pourrait-on dire.

Cet absentéisme incompressible se situerait, en France, autour d’un tiers du taux complet d’absentéisme. Par exemple, des épidémies de grippes sont d’inévitables facteurs d’absentéisme dans les organisations. Prendre des mesures contre cet absentéisme aux causes exogènes est inutile pour les organisations. Néanmoins, celles-ci peuvent agir pour mieux réguler ses conséquences dysfonctionnelles endogènes.

Défauts de management

Les arrêts de travail évitables, quant à eux, ont pour cause, dans le privé comme dans le public, dans 99 % des cas, des défauts de management des personnes. Dans ce cas, les absences sont de convenance (pour des raisons liées à la vie privée par exemple), ou d’origine psychologique (burn-out par exemple) ou bien physique (troubles musculo-squelettiques par exemple). Les autres causes résiduelles de l’absentéisme, qui concernent moins de 1 %, des cas sont malheureusement celles le plus souvent médiatisées à savoir, dans un cas, un comportement déviant des dirigeants et des managers avec leurs équipes et, dans l’autre, un comportement chronique d’oisiveté de certains salariés.

Nos observations montrent que les modes de management répandus en France, dans les TPE comme les grandes entreprises, le public comme le privé, restent, en effet, consciemment ou non, infectés par l’utilisation anachronique actuelle des vieux modèles de Frederick Taylor, Henri Fayol et Max Weber, fondés sur une conception, d’un autre âge, centrée sur les procédures, dépersonnalisée et excessivement spécialisée du travail. Ce n’est donc pas un hasard si les pays qui connaissent un nombre d’arrêts du travail nettement plus faible qu’en France, à système social à peu près comparable, sont ceux qui se sont éloignés des vieux modèles managériaux, par exemple les Pays-Bas, la Suède ou le Canada.

Au plan général, les ouvrages La comédie (in)humaine. Comment les entreprises font fuir les meilleurs de l’économiste Nicolas Bozou et de la philosophe Julia de Funès, ou encore Bullshit Jobs : A Theory du sociologue américain David Graeber, confirment, du reste, l’existence de dysfonctionnements managériaux source d’une augmentation des arrêts de travail.

Recherche de l’équilibre acceptable

Dans le détail, nos recherches montrent que les dysfonctionnements managériaux, sources d’arrêts du travail, s’enracinent tout particulièrement dans six domaines qui sont les leviers de la qualité de vie au travail : les conditions de travail, l’organisation du travail, le triptyque communication-coordination-concertation, la gestion du temps, la formation intégrée et la mise en œuvre stratégique (tout particulièrement les politiques de rémunération et de carrière).

C’est sur ces six domaines qu’il faut donc agir, dans la proximité avec les collaborateurs, au sein de chaque entreprise ou organisation, afin d’améliorer la qualité de vie au travail et réduire, ainsi, les arrêts de travail. Comment ? Par des « négociations » périodiques, au travers d’un dialogue fréquent entre dirigeants ou managers et leurs équipes, portant sur un équilibre acceptable entre les objectifs de résultats et les ressources allouées dans les six domaines cités, de l’amélioration des conditions de vie professionnelle.

Concernant le sur-absentéisme du secteur public, nos recherches montrent, au regard du privé, qu’il a des causes similaires, mais qu’il est exacerbé par des lacunes plus importantes dans les modes de management, en raison d’une conception wébéro-tayloriste plus poussée de l’organisation et des rigidités supplémentaires induites par un statut de la fonction publique mal interprété.

Amélioration de la qualité du management de proximité

Selon nous, l’augmentation des arrêts de travail en France est, probablement, aujourd’hui, le signe d’un « ras-le-bol » managérial qui demande une véritable transition dans les entreprises et les organisations. En effet, la réduction des arrêts de travail évitables permettrait, entre autres progrès socio-économiques, une meilleure croissance et l’autofinancement d’augmentations substantielles des salaires. Pour impulser une telle transition, l’action des pouvoirs publics devrait consister à aider tout ce qui peut favoriser et stimuler l’amélioration de la qualité du management de proximité dans les organisations, par les dirigeants et les managers.

Notons que, pour le secteur public, ce « bon » management n’est pas une copie dudit management privé, de type « New public management » tel qu’il a pu être mis en œuvre dans certaines administrations, collectivités et hôpitaux avec des échecs cuisants notoires. Par exemple, les pouvoirs publics devraient mettre en œuvre des incitations à des enseignements et des formations pertinentes en la matière et adaptées aux enjeux du XXIe siècle et des mutations en cours. Ou bien une fiscalité incitative, en reversant une fraction des sursalaires économisés par la sécurité sociale aux entreprises et organisations ayant baissé le niveau d’arrêts du travail par une amélioration de leur management de proximité. Ou encore des amendements législatifs pertinents, comme celui du député Pierre-Alain Raphan à la loi Pacte, prévoyant un accompagnement des entreprises par BPI France pour des innovations managériales alliant performances économiques et satisfactions sociales.

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