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Au chevet de la recherche en gestion : #AASG2019, episode 1

#AASG2019, Episode 1.

Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves Normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en Master Management Stratégique de l’Université Paris-Saclay) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisé par les étudiants de licence économie-gestion de l’ENS Paris-Saclay et de la faculté Jean Monnet (droit-économie-gestion) de l’Université Paris-Sud. Ce cycle est soutenu par la MSH Paris-Saclay.


Programs, Academic All-Star Game.

Ce lundi 21 janvier, la faculté Jean Monnet a accueilli le premier épisode de l’Academic All-Star Game 2018-2019 : « Recherche en stratégie et management : mort clinique ou renaissance ? ». L’objectif ? Rendre compte sur un cycle de 9 conférences de l’état actuel de la recherche en stratégie et management. En effet, le monde académique est en pleine introspection : la recherche en management a-t-elle pour vocation unique et principale à répondre aux besoins, aux attentes, du terrain ?

Pour les praticiens, il est certain qu’une recherche en management qui ne serait plus au service du terrain serait stérile. Dans le monde de la recherche, un véritable schisme s’opère. Pour certains, il est nécessaire que la recherche en gestion serve la pratique afin d’apparaître légitime. Pour d’autres, sans souhaiter une totale déconnexion avec la réalité de terrain, la recherche en management ne doit pas être asservie à la pratique pour être légitime.

Afin de débattre sur cette question, deux docteurs en sciences de gestion ont été convié à cet acte 1 de l’Academic All-Star Game qui s’est déroulé à guichet fermé. Philippe Lorino est professeur émérite à l’ESSEC. Il s’intéresse notamment aux situations de changement stratégique et au rôle des méthodes et outils de gestion durant ces dernières. Hervé Laroche est, quant à lui, professeur au département stratégie, Hommes et organisation à l’ESCP Europe. Ses travaux portent également sur les décisions stratégiques dans les entreprises mais aussi sur le rôle de la recherche en gestion.

Alors, c’est grave docteur ?

Si Philippe Lorino et Hervé Laroche ne partagent pas un même avis sur plusieurs questions propres à la recherche en management, un constat commun apparaît : la recherche en management a trop longtemps été guidée par une vision homogène. Cette approche dominante trouve ses fondements dans le rationalisme propre à la philosophie européenne dite cartésienne : la recherche se doit d’être rationnelle en s’émancipant de toutes impressions et expériences de terrain. La connaissance doit être fondée sur des vérités sûres issues de représentations mathématisables et en grande partie linéaires. La pensée est alors déconnectée de l’action.

D’après Hervé Laroche, qui n’est pas pour autant rationaliste, cette approche rationaliste a été adoptée dans la recherche en gestion afin notamment de trouver sa légitimité dans le caractère scientifique de sa démarche. L’importance donnée aux mathématiques dans la recherche en gestion a d’ailleurs été remise en question par Lorino dans l’article « À propos de l’emprise du chiffre ». D’après lui, les pratiques de chiffrage peuvent « faire perdre la connexion avec le réel ».

Le problème de la perte de connexion de la recherche en management avec le réel apparaît alors. Cette perte de connexion pourrait faire perdre sa légitimité à la recherche en management. De plus, le management étant l’étude des organisations, il est tentant d’illustrer les effets néfastes que peut avoir cette déconnexion avec le cas d’une organisation spécifique : l’État. Philippe Lorino a montré que la démarche cartésienne adoptée par le président Emmanuel Macron, qui prend la forme d’un refus catégorique de remettre en question ses décisions, peut, en partie, expliquer la crise des « gilets jaunes ».

Toutefois, s’il apparaît que la déconnexion entre la recherche en gestion et les pratiques de gestion soit issue de la dominance de l’approche rationaliste dans le monde académique, dévier de cette dernière pourrait permettre de lutter contre ce phénomène.

Un nouvel espoir

Par leurs deux interventions, ces chercheurs mettent en lumière des approches dissidentes et ce qu’elles peuvent apporter aux sciences de gestion compte tenu des enjeux actuels. Philippe Lorino nous parle du pragmatisme, opposé au rationalisme, et Hervé Laroche, quant à lui, de l’approche processuelle, en opposition à l’approche par la variance.

Le retour au pragmatisme, qui s’est opéré dans les années 1980, n’a touché que très tardivement les sciences de gestion, s’étonne Philippe Lorino. La principale caractéristique du pragmatisme est qu’il renoue la pensée et l’action, et replace l’activité située (c’est-à-dire inscrite dans un espace physique et social) au centre de la recherche en gestion.

Pragmatism and Organization Studies, de Philippe Lorino.

Ce rejet de la maîtrise de la pensée sur l’action est aussi défendu par Hervé Laroche. Ce changement de vision, que l’on retrouve dans l’approche processuelle, concerne également les organisations qui y sont vues comme des processus et des assemblages plutôt que comme des entités. Par ailleurs en rompant avec l’approche systémique, la théorie processuelle considère les événements partant du postulat que pour comprendre toute l’histoire, il faut en reconstituer le récit.

De plus, cette approche s’oppose à l’idée de réponse universelle. Là où la théorie variance part du principe que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, la théorie processus considère que les choses n’arrivent qu’une fois. La contingence est ainsi poussée à son extrême.

Moi, manager.

Cette critique de l’universalisme de certaines réponses apportées par les sciences de gestion est aussi soutenue par Philippe Lorino qui souligne les défauts de formation dans les grandes écoles et universités. Selon lui, les futurs dirigeants sont amenés à croire que l’activité se résume à une expertise purement technique et externe à l’entreprise. Ainsi, le pragmatisme et la théorie processuelle invitent à enrichir l’analyse des actions dans les organisations.

Se pose toutefois la question de l’accueil de ces approches par les managers. Sont-elles mieux perçues ? Bien que très proches de leur expérience de leur pratique réelle, elles s’opposent à leur idéologie, qui impose de penser avant d’agir, de tout parfaitement planifier. Ce paradoxe s’explique par les attentes des actionnaires et de la société en général qui souhaitent des individus qui maîtrisent, contrôlent les choses. Ainsi, le dirigeant doit donner une impression de maîtrise totale, il doit tout savoir, ce qui empêche tout processus de décision itératif.

Lors de ce premier épisode de l’Academic All-Star Game 2018-2019, la réponse à la question « Recherche en stratégie et management : mort clinique ou renaissance ? » semble être, et fort heureusement, la renaissance. En effet, si l’existence d’une démarche rationnelle dans le monde de la recherche en management met en péril sa légitimité, l’émergence ou la réapparition de nouvelles approches permettent d’insuffler un renouveau et surtout de réintégrer l’humanité (et non pas seulement l’humain) trop souvent oubliée dans l’étude des organisations.

Il faut toutefois relever, que si, Philippe Lorino et Hervé Laroche s’entendent sur le fait de repenser la recherche en gestion afin de se rapprocher de la réalité, une différence apparaît quant au degré de servitude de la recherche à la réalité. En effet, Hervé Laroche insiste sur le fait que si la recherche ne peut s’éloigner trop excessivement de la pratique, cette dernière ne doit pas « sculpter » la recherche en management.

L’interview d’Hervé Laroche et de Philippe Lorino par Zoé Allard et Léo Denis, élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay. La conférence est aussi disponible dans dans son intégralité.

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