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Jeune femme prenant un selfie
La saga Sunwing a mis en évidence le rôle des influenceurs, pour le pire dans ce cas. Néanmoins, ils sont perçus comme des modèles en qui leurs abonnés se reconnaissent ou auxquels ils aspirent à rassembler. (Unsplash/Mateus Campo Felipe), CC BY-NC-ND

Au-delà de la saga Sunwing, comment comprendre le phénomène des influenceurs ?

Début janvier, la saga des influenceurs québécois faisant la fête de l’année à bord d’un avion Sunwing en défiant les restrictions sanitaires a fait les manchettes, tant au Québec, qu’au Canada et à l’étranger et bien sûr, sur les médias socionumériques. Jusqu’au premier ministre du Canada, Justin Trudeau, qui a qualifié leurs agissements « d’ostrogoths ».

Cette affaire m’a particulièrement intriguée, car ma thèse de doctorat porte sur la relation d’engagement entre les abonnés et les influenceurs sur les médias socionumériques. Alors, comment on explique l’omniprésence du phénomène ?

Pour visionner les images prises dans l'avion de Sunwing, cliquez-ci.

Les médias socionumériques : la maison des influenceurs

Avec plus de 4,2 milliards d’usagers, la consultation des médias socionumériques est l’activité en ligne la plus répandue et l’outil de recherche d’information le plus employé. J’utilise cette expression (médias socionumériques) puisqu’elle fait référence à ceux sur les plates-formes en ligne comme Facebook, tandis que médias sociaux est un terme plus large ne spécifiant aucun environnement particulier.

Selon une étude réalisée en 2021 par la chercheuse Guyonne Rogier et ses collègues de la Faculté de médecine et de psychologie de l’Université Sapienza en Italie, le contexte d’isolement imposé par la pandémie accroît la dépendance aux médias socionumériques.

Miroir des interactions sociales et de l’identité personnelle, ils comblent des besoins affectifs et d’informations (obtenir des conseils ou des recommandations). Compte tenu de la masse d’informations en circulation (vraies ou fausses), 90 % des consommateurs se fient à l’opinion d’une personne qu’ils considèrent fiable plutôt qu’à celle d’un média officiel. D’où la popularité des influenceurs.

Les résultats de mes recherches m’ont permis de définir l’influenceur comme un leader d’opinion très actif sur les médias socionumériques où il partage ses intérêts et son quotidien avec sa communauté. Il est perçu comme un modèle en qui ses abonnés se reconnaissent ou auquel ils aspirent à rassembler.

Ainsi, l’influenceur utilise sa marque personnelle, sa human brand, pour relayer de l’information et, potentiellement, orienter l’attitude et le comportement de sa communauté. C’est la raison pour laquelle les entreprises font appel à eux pour présenter leur marque. D’ailleurs, selon Influencer Marketing Hub, le marketing d’influence devrait atteindre 13,8 milliards de dollars cette année.

La relation d’engagement des abonnés envers les influenceurs

Les influenceurs ont tendance à se présenter comme des personnes ordinaires et la publication quotidienne de leur vie les rendent authentiques et crédibles aux yeux de leurs abonnés. Ainsi, à force de suivre un influenceur, une relation parasociale s’installe, menant à une augmentation de l’engagement de l’abonné et de l’influence de l’influenceur. À titre d’exemple, le Center for Countering Digital Hate a révélé que 12 influenceurs étaient responsables de la diffusion de 65 % du contenu anti-vaccin partagé sur les médias socionumériques entre le 1er février et le 16 mars 2021.

La littérature scientifique en marketing relationnel classifie les influenceurs selon leur portée et leur taux d’engagement. Généralement, moins l’influenceur a d’abonnés, plus il est considéré comme accessible et plus son taux d’engagement est élevé. L’engagement des abonnés se déploie de manière tridimensionnelle (cognitif, affectif et comportemental). Ils peuvent, par exemple aimer ou repartager une publication de leur influenceur. Toutefois, à son apogée, l’abonné devient un abonné-évangéliste, – concept émergent en marketing relationnel (Evengelism Marketing). Cet individu croit en son influenceur avec une telle ferveur qu’il en fait la promotion auprès de son entourage. Il devient un influenceur de son influenceur en endossant ses gestes, en adhérant à ses idées et en consommant les marques mises de l’avant.

Catégorisation des influenceurs. Levesque et Pons, 2022

Propulsés par les téléréalités

Pour plusieurs, c’est à la suite de leur participation à une téléréalité qu’ils ont obtenu le statut d’influenceur et ont été bombardés d’offres de collaboration avec des marques.

D’ailleurs, certains anciens participants des téléréalités comme L’île de l’amour et Occupation Double ont été identifié dans l’avion de Sunwing.

Ce type d’émission est une machine de production de vedettes basées sur une notoriété acquise en quelques semaines ne reposant sur aucun talent particulier, si ce n’est la personnalité. Pour les participants, le après téléréalité est alléchant, mais sont-ils prêts à endosser ce rôle d’être à la fois l’idole de milliers de personnes et la cible de nombreux rageux (haters), tout en gérant leur image de marque et celles de leurs partenariats ? Visiblement, ce métier n’est pas pour tous.

Influenceurs, mais pas tous dans le même avion

Sur 130 passagers-vacanciers, il y avait possiblement 15 influenceurs à bord du vol de Sunwing.

Dans cette affaire, les médias se sont approprié le terme « influenceur » pour mousser la manchette. C’est dommage, car mettre tous les influenceurs dans le même avion ruine la réputation de ceux qui s’affairent à partager du contenu pertinent et responsable.

Par exemple, durant la pandémie de la Covid-19, le gouvernement du Québec a fait appel à une brigade d’influenceurs pour sensibiliser les jeunes au port du masque et à la distanciation sociale. Dans le cadre d’une de mes études, j’ai interviewé certains de ces influenceurs. Ils ont mentionné avoir senti que leur rôle prenait tout son sens en ayant la capacité de sensibiliser leurs abonnés pour le bien-être collectif. Donc, en joignant leur voix à des causes, les influenceurs sont des porte-étendards de prédilection.

Saisir l’occasion d’un coup marketing

La saga Sunwing a inspiré plusieurs entreprises à exploiter le côté ridicule de la situation. Par exemple, l’épique direct de l’humoriste Arnaud Soly sur sa page Instagram, accompagné de nombreux collègues québécois. Il interprétait Devin, un des influenceurs en vacances à Tulum. De manière déjantée et hilarante, il a notamment fait référence aux 3 V de la manchette : vodka, vaseline et vapoteuse. Aussi, les publicités humoristiques d’entreprises québécoises comme celles du Clan Panneton, de La Belle et la Bœuf et de TAMÉLO ne sont pas passées inaperçues.

Pour sa part, le désormais célèbre Senior, de son vrai nom James (ou Kevin) William Awad, organisateur de l’évènement, a fait un direct pour sonder ses abonnés sur l’idée de réaliser un film Netflix sur la saga. La surmédiatisation de l’affaire a cependant mis en lumière ses pratiques douteuses et sa richesse à l’origine inexpliquée.

Disponible exclusivement sur les vols de votre compagnie aérienne en direction Cancun ou Tulum. Non pour vrai, c’t’une joke, ne dérangez pas votre agent de bord et ayez un peu de classe sur votre vol. Page Facebook de La Belle et la Bœuf

L’affaire Sunwing génère des discussions sur des enjeux sociaux importants. La pandémie et ses multiples restrictions ont exacerbé notre besoin de divertissement. Tout comme ces jeunes en plein party ont attisé nos propres privations sociales. Indubitablement, en s’affichant au grand jour, les influenceurs s’exposent à des conséquences, dont certaines sur leur carrière future. Ils pourraient aussi perdre de lucratives collaborations avec des marques.

Dans une société où la culture du bannissement est bien présente, ils deviennent faciles à ostraciser publiquement. Cependant, en leur portant une trop grande attention, nous contribuons à leur surmédiatisation, ainsi qu’à l’exaspération de la population. #tulumtoolate

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