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Au Gabon, en attendant 2023…

Le président sortant Ali Bongo, proclamé vainqueur par la Cour constitutionnelle, lors des funérailles d'un policier tué durant la crise post-électorale. Steve Jordan/AFP

Décidément, le président du Gabon ne parviendra pas à être élu « comme on l’entend ». S’il est vrai qu’il n’y avait guère de suspense quand à la décision qu’allait prendre la Cour constitutionnelle de valider l’élection d’Ali Bongo, il subsistait quelque espoir de voir enfin surgir les fameuses remontées parallèles des résultats, c’est-à-dire la compilation « citoyenne » des 2580 procès verbaux émis sur l’intégralité du territoire.

Rappelons le principe : dans un pays où l’on compte 171 abonnés à la téléphonie mobile pour 100 habitants, il semblait évident que bon nombre d’électeurs avaient assisté au dépouillement, chacun dans son bureau de vote, et photographié à la fois les chiffres et le PV aux fins de transmettre ces pièces à une plateforme centralisatrice de la société civile ou de l’un des deux camps. Pour faire bonne mesure, et pour s’aligner sur ce qui se passe dans d’autres pays, les chancelleries diplomatiques auraient pu être destinatrices de ces compilations.

Et, au cas où cette démarche technologique aurait rebuté certains électeurs moins bien équipés mais néanmoins vigilants, il leur suffisait de recopier, au soir du 27 août, ce qui avait été acté à la craie sur les tableaux noirs des écoles faisant office de bureaux de vote, en attendant de pouvoir comparer avec les chiffres officiels.

Alors tout paraissait simple : la CENAP (Commission électorale nationale autonome et permanente) aurait publié les résultats bureau de vote par bureau de vote, la Cour constitutionnelle aurait ensuite fait connaître les siens après corrections, et le camp de Jean Ping aurait eu toute latitude pour afficher ses propres chiffres. À chaque électeur de témoigner de la convergence des différents scores avec ce qu’il avait lui-même observé.

Hacker ivoirien

Trop simple sans doute. D’abord parce que la CENAP ne dispose pas de site Internet et ne peut donc pas assurer cette publication aussi facilement que dans les pays plus avancés dans ce processus. L’aurait-elle pu qu’elle aurait probablement argué que la loi ne le lui permettait pas, confondant comme d’habitude ce que la loi ne prévoit pas (donc n’interdit pas) avec ce que la loi n’autorise pas.

Ensuite parce que, malgré la présence sur place du NDI (National Democratic Institute), habituel partenaire (américain) des plateformes d’observation des élections pour le compte des sociétés civiles, aucun listing parallèle fiable (c’est-à-dire complet) n’a été publié à notre connaissance. Ne disposait-on pas d’un bon logiciel ? L’opprobre jeté sur le hacker ivoirien accusé d’avoir produit des PV falsifiés pour le compte de Jean Ping a-t-il discrédité la méthode au point de réduire à néant la dynamique citoyenne ? L’opposition n’a-t-elle pas été capable de disculper l’informaticien, au motif qu’il est stupide de falsifier des PV quand on vise justement à prendre à témoin des vrais résultats les électeurs de chaque bureau de vote ?

La reconnaissance du ventre

Quant au camp de Jean Ping lui-même, qui prétendait être détenteur de plus de 160 PV pour le Haut-Ogooué, il n’a pas fait basculer sur le net l’intégralité des comptages sur lesquels il faisait reposer sa certitude d’avoir été élu. Pourquoi ? Avait-il lui aussi trop triché dans ses propres fiefs, au point de perdre toute crédibilité au niveau national ?

Jean Ping considère avoir gagné le scrutin présidentiel. Samir Tounsi/AFP

Sauf à imaginer une irrésistible insurrection populaire, il est probable que tout le monde va rentrer dans le rang, car la « communauté internationale » va mettre son poids dans la balance. Bien sûr, certains vont (hypocritement) se pincer un peu le nez, d’autres vont faire valoir que la stabilité du Gabon et de la sous-région ne sera assurée qu’au prix de ce déni de démocratie, et d’autres encore seront tenus par la reconnaissance du ventre. Certains chefs d’État n’assisteront pas à l’investiture, mais toutes les grandes entreprises étrangères vont respirer, car elles n’imaginaient pas devoir renégocier des contrats (et des commissions) avec un nouvel interlocuteur, dont l’intégrité était d’ailleurs loin d’être avérée.

C’est triste pour le peuple gabonais, et c’est dommageable pour la démocratie en Afrique. Mais on pourra toujours se consoler en relisant le roman de Barbara Kingsolver (Les Yeux dans les arbres) qui racontait l’apprentissage de la démocratie en Afrique centrale juste après les indépendances :

« Les hommes blancs nous disent : votez, Bantu ! Ils nous disent : vous n’avez pas à être tous d’accord, ce n’est pas nécessaire ! (Pourtant) il semble étrange que de deux individus ayant obtenu l’un 51 voix et l’autre 49, ce soit le premier qui gagne tandis que l’autre perd. Cela équivaudra à ce que la moitié du village soit mécontente, et un village qui n’est qu’à demi satisfait risque de faire longtemps parler de lui. »

Déjà, en 2009, Ali Bongo n’avait probablement pas gagné l’élection présidentielle, mais le village à moitié mécontent avait fini par se taire. Alors attendons 2023…

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