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main ganté attrapant un wafer
Les semi-conducteurs et puces électroniques utilisent des ressources limitées, et leurs prix augmentent. asharkyu, Shutterstock

Au pays des puces électroniques, l’innovation et les ressources coûtent très cher

Du smartphone à l’ordinateur en passant par les innombrables objets toujours plus connectés qui garnissent nos habitations et bureaux, du code informatique travaille, calcule, prédit pour fluidifier nos expériences, intermédier nos interactions sociales, et organiser nos vies.

Sauf que derrière toute ligne de code qui s’exécute, il y a une puce électronique qui calcule… et consomme de l’énergie. C’est la face matérielle du monde virtuel. Les coûts financiers et environnementaux croissants de la fabrication des puces qui animent le numérique, du smartphone au data centre, pourraient précipiter la sobriété numérique.

L’augmentation de la puissance des puces a un coût croissant

Simple prédiction au départ, la « loi de Moore » – qui annonce un doublement de la densité des transistors, et donc de la puissance de calcul, des microprocesseurs tous les deux ans – dicte la cadence de l’innovation dans l’industrie des semiconducteurs depuis 50 ans.

Pour tenir ce rythme, chaque génération de microprocesseurs est gravée plus finement. Le leader mondial, TSMC, grave actuellement ses puces à une échelle de 5 nanomètres, soit 5 millionièmes de millimètre. Cette course à la puissance des processeurs impose la construction de nouvelles « fonderies » à chaque nouvelle génération de puces et entraîne une forte concentration de l’industrie : Japon, États-Unis, Taïwan et Chine hébergent 70 % des plus de 500 fonderies mondiales, et la part de marché des 5 principaux fabricants mondiaux est passée de 34 à 42 % de 2010 à 2020.

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Cette concentration est liée à l’investissement nécessaire à la R&D et à la construction de ces fonderies qui augmente : la construction d’un seul site de production requiert aujourd’hui près de 15 milliards d’euros, contre « seulement » 3 milliards de dollars pour une fonderie construite par Intel en 2007. Alors que les coûts marginaux de production (les coûts additionnels résultant de la fabrication d’une unité supplémentaire) de l’industrie sont relativement stables, ses coûts fixes explosent. Pour que les marges du producteur se maintiennent, il faut donc que les volumes de production (donc la demande) restent stables mais que les prix augmentent, ou que les prix restent stables mais que le volume augmente.

Depuis l’avènement du microprocesseur, c’est la seconde option qui s’est imposée. La croissance exponentielle de la demande d’ordinateurs et d’appareils intelligents (aux 340 millions de PCs vendus en 2021 sont venus s’ajouter les tablettes et près d’un milliard et demi de smartphones, pendant que les voitures et appareils électroménagers ne cessaient de s’enrichir de microprocesseurs) a permis d’augmenter la puissance des puces tout en diminuant leur prix. La loi de Moore s’est transformée en diktat économique : il faut poursuivre la baisse des prix à puissance de calcul constante pour garantir la croissance de la demande… que requiert l’innovation.

Aujourd’hui, une brosse à dents connectée dispose d’une puissance de calcul près de 100 fois supérieure à celle des supercalculateurs de la NASA qui guidaient les missions Apollo, et le prix d’un « MIPS » (million d’instructions par seconde, l’une des unités de mesure de la puissance de calcul d’une puce) est ainsi passé de quelques dizaines de millions d’euros dans les années 70 (avec le supercalculateur d’IBM System/360 Model 75 par exemple) à quelques cents aujourd’hui (des puces effectuant de l’ordre de 100 MIPS coûtent quelques euros).

Les impacts environnementaux des semi-conducteurs

À ces coûts de l’augmentation de la puissance des puces s’ajoute l’empreinte environnementale des semiconducteurs. L’industrie des semiconducteurs a longtemps joui d’une relative insouciance, liée à la dématérialisation qu’elle permet. Désormais, un nombre croissant d’articles scientifiques révèle la contrepartie environnementale d’une société numérisée.

Alors qu’au début des années 1980 une douzaine d’éléments chimiques suffisait à produire un microprocesseur, c’est aujourd’hui la quasi-totalité des éléments non radioactifs qu’il faut mobiliser pour produire nos puces. L’extraction et la purification de ces matériaux exigent d’importantes quantités d’énergie et d’eau et pourraient un jour se heurter à des limites économiques – l’antimoine et l’étain approchent la limite de leurs réserves rentables par exemple – ou géopolitiques –, les terres rares chinoises, le palladium russe et le néon ukrainien deviennent incontournables.

De plus, les investissements dans l’ouverture et l’extension de mines marquent le pas face à l’augmentation des coûts d’extraction et à l’incertitude. Or, si l’extraction des matériaux ne suit pas, l’industrie sera confrontée à des pénuries et à une inflation importante.

La fabrication des tranches de silicium, puis des microprocesseurs et mémoires, requiert également beaucoup d’énergie et d’eau. D’après son propre rapport de durabilité, TSMC a consommé 77 millions de m3 d’eau de ville en 2020 (l’équivalent de 70 piscines olympiques par jour) dans ses fonderies taïwanaises et a émis près de 10 mégatonnes d’équivalent CO₂.

Dans l’ensemble, la production d’un microprocesseur de smartphone entraîne l’émission d’entre 0,5 et 3 kilogrammes d’équivalent CO₂ et la consommation d’entre 10 et 50 litres d’eau.

Une fois produites, les puces nécessitent de l’électricité pour fonctionner : le processeur central et le processeur graphique peuvent ensemble approcher, voire dépasser, la consommation d’un four à microondes (500 Watts ou plus). Globalement, la consommation électrique des équipements numériques représente environ 8 % de la consommation électrique et de 2 à 4 % des émissions de CO₂ mondiales, à peu près à égalité avec l’aviation civile.

La fin de vie des puces n’est guère plus réjouissante. Étant donné la quasi-impossibilité de séparer les métaux rares, celles-ci terminent massivement dans les décharges à ciel ouvert. Près de 50 millions de tonnes de déchets électroniques et électriques sont émises chaque année dans le monde, et moins de 20 % sont recyclés.

tableau périodique coloré pour indiquer l’introduction des éléments chimiques dans la fabrication des transistors
Introduction des éléments chimiques dans la fabrication des transistors CMOS au fil du temps. La majeure partie des éléments du tableau périodique se retrouve dans les processeurs. Ernst et Raskin, 2021, Fourni par l'auteur

Vers un changement de modèle économique

Afin de limiter les coûts liés à la consommation de ressources minérales, en eau et en énergie, les fabricants de semiconducteurs et d’autres acteurs du numérique, comme les gestionnaires de data centers, investissent massivement.

Ces efforts permettent un certain découplage des performances par rapport aux émissions de gaz à effet de serre (GES) : sur la dernière décennie, les émissions de CO₂ des centres de données mondiaux ont augmenté de 6 %, alors que leur puissance de calcul a été multipliée par 6. Ce découplage s’explique principalement par les architectures modernes des centres de données (hyperscaling et virtualisation), par l’amélioration de l’efficience des puces, et par une amélioration analogue de l’efficacité énergétique du stockage. Cependant, il s’agit bien ici d’un découplage relatif aux performances. En effet, les émissions de GES par unité de production (la fabrication d’un microprocesseur) ou de service (un abonnement à l’internet mobile) continuent de croître légèrement.

Globalement, le bilan net absolu s’alourdit donc et les modèles prédisent une multiplication de l’empreinte carbone du streaming en Europe par 6 d’ici à 2030 et du numérique dans le monde par 2 à 5 d’ici à 2030, à contresens des objectifs fixés par les Accords de Paris.

L’explication est simple : les gains d’efficience énergétique des puces et centres de données sont plus que compensés par l’augmentation des volumes de calcul sur les puces. Les dernières évolutions technologiques requièrent en effet des puces toujours plus puissantes et omniprésentes et s’appuient sur la force brute du calcul : entre streaming vidéo haute définition, métavers, intelligence artificielle ou encore blockchains, l’« effet rebond » annihile les gains d’efficience.

Si le bilan environnemental des semiconducteurs appelle un changement de paradigme, celui-ci pourrait bien être dicté par l’économie elle-même. Face à une possible augmentation de leurs coûts, les producteurs pourraient être forcés d’augmenter significativement leurs prix, imposant de facto une forme de sobriété numérique, ou à tout le moins un début de discernement dans le recours aux puces.

Pour les consommateurs, il s’agirait alors de questionner la fuite en avant vers le tout numérique et le remplacement trop rapide de leurs équipements. Pour l’industrie qui utilise des semiconducteurs, on pourrait basculer d’une maximisation de l’exploitation des puces (considérées comme quasiment gratuites et illimitées) sous contrainte que les fonctionnalités soient vendables, vers une maximisation de l’utilité sous contrainte de minimiser le recours aux semiconducteurs.

Du côté de la production, c’est la logique de la stratégie d’innovation qui est à revoir en profondeur : au lieu de considérer la loi de Moore comme immuable et la croissance des volumes comme variable d’ajustement aux coûts, il faudrait considérer les volumes comme fixes (ou mieux, à la baisse) et orienter l’innovation vers la réduction des coûts fixes.

Ceci pourrait libérer des innovations de rupture tant technologiques (des concepts ou architectures de puces radicalement nouveaux) que commerciales (des modèles d’affaires économiquement profitables qui ne reposent pas sur l’hypothèse d’une croissance extensive – de nouvelles applications, ou intensive – le volume des applications existantes – de la consommation de puces).

La littérature sur cette nouvelle économie de la « décroissance » ou de la « non-croissance » est émergente et le plus souvent conceptuelle ou centrée sur des considérations macroéconomiques. Les rares travaux qui s’intéressent aux modèles d’affaires compatibles avec la décroissance n’ont – à notre connaissance – pas encore étudié leur application éventuelle à l’économie si particulière des semiconducteurs.

L’économie des moyens numériques reste à inventer, et il y a urgence.

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