tag:theconversation.com,2011:/au/topics/archives-37993/articlesarchives – The Conversation2022-11-07T19:52:46Ztag:theconversation.com,2011:article/1931462022-11-07T19:52:46Z2022-11-07T19:52:46ZChaucer, poète médiéval accusé de viol : pourquoi son cas divise le milieu littéraire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493836/original/file-20221107-3517-bi5p9x.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C1%2C814%2C513&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Portrait de Chaucer par Thomas Occleve (1369 - 1426), dans le Regiment of Princes (1412). </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Contes_de_Canterbury#/media/Fichier:Chaucer_Hoccleve.png">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Le 11 octobre dernier, un séisme a secoué le monde des études médiévales anglaises. Plus de six siècles après la mort du poète Geoffrey Chaucer, Sebastian Sobecki (professeur de littérature médiévale anglaise à l’Université de Toronto) et Euan Roger (historien aux Archives nationales britanniques) ont levé le voile sur une accusation de viol ayant longtemps terni la réputation du poète.</p>
<p>Souvent défini comme le père de la littérature anglaise, Chaucer est de bien des façons le poète emblématique de Moyen Âge anglais. Auteur, traducteur, diplomate, ce poète courtois s’est notamment montré décisif dans l’avènement de la Renaissance en Angleterre, de par la richesse de ses emprunts à la poésie italienne du Trecento. Mais cette affaire souligne toute l’ambiguïté de son rapport aux femmes. En effet, s’il est parfois perçu <a href="https://theconversation.com/calls-to-cancel-chaucer-ignore-his-defense-of-women-and-the-innocent-and-assume-all-his-characters-opinions-are-his-152312">comme un féministe</a> et un défenseur des opprimés, ses écrits ne sont pas pour autant exempts d’une forme de violence sexuelle à ne pas sous-estimer (c’est par exemple le cas du Conte du Régisseur dans <em>Les Contes de Canterbury</em>).
Il faut cependant noter que les écrits de Chaucer n'ont rien de particulièrement exceptionnels dans leur représentation des femmes par rapport aux autres oeuvres littéraires médiévales, sachant que les scènes de violence sexuelle sont particulièrement répandues dans le genre du fabliau (très populaire au Moyen Âge). </p>
<h2>Les origines de l’accusation</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493357/original/file-20221103-18-6w5l0x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1073&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frederick James Furnivall (1825-1910).</span>
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<p>En 1873, Frederick J. Furnivall (fondateur de la <a href="https://newchaucersociety.org/">Chaucer Society</a>) mit la main sur un texte qui devait profondément nuire à la réputation du poète. Daté du 4 mai 1380, ce <a href="https://chaumpaigne.org/the-legal-documents/may-4/">document juridique</a> rédigé en latin stipule qu’une dénommée <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/452/318659/Who-Was-Cecily-Chaumpaigne">Cecily Champagne</a> (une femme guère plus jeune que Chaucer lui-même et issue d’une famille aisée et influente), « fille de feu William Champagne et de sa femme Agnès », libère pour toujours Geoffrey Chaucer des charges liées à <em>de raptu meo</em>, à savoir « de mon viol » ou « de mon enlèvement » (selon la traduction).</p>
<p>Plus d’un siècle plus tard, en 1993, <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.2307/2863835">Christopher Canon</a> dévoila à son tour un mémorandum daté du 7 mai 1380 ne jouant guère en la faveur de Chaucer en raison de sa référence à un crime liant Chaucer à Champagne – bien que le terme <em>raptus</em> en soit absent.</p>
<p>Embarrassés par ces découvertes, de nombreux chercheurs (pour la plupart des hommes, même si quelques femmes ont pu se joindre à eux) n’ont eu de cesse au fil des décennies que de défendre leur poète. Furnivall lui-même souhaita, un peu comme Robert Oppenheimer, le physicien à l’origine de la concrétisation du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-methode-scientifique/projet-manhattan-et-l-humanite-toucha-sa-fin-5342640">Projet Manhattan</a>, n’avoir jamais fait cette découverte.</p>
<p>D’autres, en revanche, refusèrent d’y croire, comme ce fut le cas en 1968 d’Edward Wagenknecht, critique littéraire et professeur américain – comment la fine fleur de la poésie courtoise anglaise pourrait-elle être à l’origine d’un acte aussi infâme ? Peut-être ne s’agissait-il pas d’un viol et que la traduction du terme <em>raptus</em> devait être nuancée. Chaucer aurait peut-être fait des avances à Champagne, il aurait pu la séduire, Champagne aurait pu mentir, ou bien elle aurait pu céder à Chaucer et se retourner contre lui après coup. Qui plus est, malgré l’accusation, elle libéra Chaucer de toutes charges, preuve que le poète était innocent aux yeux de la loi, non ?</p>
<p>Cet embarras en dit long sur le rapport aux femmes de ces chercheurs et du poids du patriarcat dans le monde universitaire. On reconnaît d’ailleurs sans mal certains des arguments énumérés par les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/10/12/cinq-ans-apres-metoo-l-antifeminisme-prospere-sur-les-reseaux-sociaux_6145406_4408996.html">plus fervents opposants</a> aux affaires mises en lumière par le mouvement #MeToo…</p>
<p>De fait, la véhémence de la réaction de ces universitaires nous pousserait presque à croire que ce n’est pas Chaucer qui est accusé, mais bien les hommes dans leur ensemble. Pire encore, en réduisant Champagne au rang de simple sous-intrigue amoureuse dans la biographie du poète (c’est par exemple le cas du médiéviste américain <a href="https://slate.com/culture/2022/10/chaucer-rape-allegation-servant-new-documents-cecily-chaumpaigne.html">John Fisher</a> en 1991), ils la réifient au point de n’en faire qu’un simple objet sexuel, une passade dans la vie d’un homme vivant loin de sa propre épouse. Or, les choses sont, comme souvent, bien plus complexes qu’elles n’y paraissent. Et à en croire la <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2022/10/11/chaucer-wrongly-accused-rape-150-years-newly-unearthed-documents/">presse internationale</a>, ce qu’il faut retenir de cette découverte, c’est l’innocence d’un homme mis sur le banc des accusés à tort. Plus qu’un simple micro-événement relatif à un point de la biographie d’un poète mort il y a 622 ans, cette révélation a pris une dimension dépassant de loin les limites du monde académique.</p>
<h2>Chaucer, Champagne et le Statut des travailleurs</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493355/original/file-20221103-33452-oocjcj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Statut des travailleurs (1351). Catalogue ref : C 74/1, m. 18.</span>
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<p>Revenons-en donc au 11 octobre dernier. Lors d’une présentation en ligne devant des centaines d’historiens et médiévistes, Sebastian Sobecki et Euan Roger ont annoncé avoir de nouveaux documents pouvant démêler cette sordide affaire.</p>
<p>Un an avant l’accusation de <em>raptus</em>, soit le 16 octobre 1379, Chaucer et Champagne furent tous deux poursuivis par Thomas Staundon selon le <a href="https://www.oxfordreference.com/view/10.1093/oi/authority.20110803100046308">Statut des travailleurs</a>, une loi votée en 1351 afin de répondre à la pénurie de main-d’œuvre consécutive à l’épidémie de peste noire.</p>
<p>Champagne, alors au service de Staundon, abandonna son poste de servante avant la fin de son contrat afin d’être employée par Chaucer. Or, le Statut des travailleurs fut justement conçu pour réguler le marché du travail, endiguer les hausses de salaires et empêcher le débauchage de serviteurs. Et c’est précisément cela que Staundon reproche à Chaucer. Ainsi, selon Sobecki et Roger, les deux principaux protagonistes de cette affaire seraient en fait codéfendeurs face à Staundon.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=258&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493335/original/file-20221103-18-g45ur9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=324&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Note tardive précisant que l’affaire Chaucer/Champagne n’a pas été traduite en justice.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Catalogue ref : KB 136/5/3/1/2</span></span>
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<p>Le terme <em>raptus</em> prendrait un tout autre sens dans ce contexte et le document de 1380 pourrait, dans ce cas, être lu comme une stratégie juridique permettant de contrecarrer de potentielles nouvelles poursuites de Staundon contre Chaucer. En libérant officiellement Chaucer de toutes responsabilités dans cette histoire de droit du travail, elle lui permet de se sortir d’affaire. Le fait est qu’à la période de Pâques en 1380, Staundon retira sa plainte et qu’une note ajoutée plus tard dans la marge de l’assignation précise que l’affaire fut <em>non prosecutum</em> (« non traduite en justice »).</p>
<p>Ces révélations, publiées dans un <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/403/318660/The-Case-of-Geoffrey-Chaucer-and-Cecily">numéro spécial de <em>The Chaucer Review</em></a>, sont toutefois à nuancer et c’est bien ce qu’on fait les deux chercheurs en proposant à Sarah Baechle, Carissa Harris et Samantha Katz Seal (respectivement spécialistes de littérature médiévale à l’Université du Mississipi, Temple University, et à l’Université du New Hampshire) de contextualiser leur découverte. Ils ont fait en sorte de garder au cœur du débat une approche féministe qui risquerait de pâtir de cette découverte.</p>
<p><a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/475/318658/On-Servant-Women-Rape-Culture-and-Endurance?searchresult=1">Carissa Harris</a> souligne, par exemple, la nécessité de s’intéresser aux femmes en position de servitude que l’on retrouve dans l’œuvre de Chaucer et d’analyser leurs conditions de travails ainsi que leurs obligations, ce qui pourrait éclairer l’affaire Chaucer-Champagne d’une nouvelle manière. De même, <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/463/318663/Speaking-Survival-Chaucer-Studies-and-the?searchresult=1">Sarah Baechle</a> note que cette découverte est une opportunité de transformer notre approche du poète et de la violence sexuelle. Puisque nous n’avons plus à gérer la culpabilité de Chaucer et la victimisation de Champagne, nous sommes désormais en position d’adopter une approche structurelle nous permettant d’étudier les récits de viols (comme le Conte du Régisseur) du poète sous un nouveau jour. <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/psup/chaucer/article/57/4/484/318664/Whose-Chaucer-On-Cecily-Chaumpaigne-Cancellation?searchresult=1">Samantha Katz Seal</a>, de son côté, nous rappelle avec justesse que si Chaucer est innocent, cela n’absout en rien les critiques littéraires et historiens qui ont, au cours du siècle passé, exploité une représentation fantasmée de Champagne et justifié son rôle d’objet sexuel.</p>
<h2>Des zones d’ombre persistantes</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493354/original/file-20221103-24-bb0f9i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les pèlerins des Contes de Canterbury réunis à l’auberge, illustration de l’édition de Richard Pynson en 1492.</span>
</figcaption>
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<p>À la lumière de ces documents, il est désormais possible de penser que Chaucer n’ait pas violé Cecily Champagne. Or, si nous avons tous cru pendant si longtemps à ces allégations, c’est bien parce que la poésie de Chaucer, empreinte de violence sexuelle, nous permettait de voir en lui un violeur potentiel (les fabliaux des <em>Contes de Canterbury</em> regorgent d’exemples allant dans ce sens). Sobecki a d’ailleurs été clair à ce sujet durant la présentation en ligne : cette découverte n’enlève rien au fait que la culture du viol existait et existe hélas toujours. Chaucer peut avoir enfreint la loi en employant Champagne avant la fin de son contrat (c’est ce que les nouveaux documents indiquent bel et bien), mais cela n’efface pas entièrement l’ardoise pour autant. Il demeure impossible d’écarter la possibilité qu’une forme de violence physique et/ou sexuelle ait joué un rôle dans ce transfert, d’une manière ou d’une autre.</p>
<p>Cette découverte demeure profondément polémique car loin d’apaiser les esprits (Chaucer est dans les faits innocent), elle soulève énormément de questions quant à notre rapport, en tant qu’universitaires, à la place des femmes dans notre discipline et à leur représentation littéraire. Hélas, cela tend à reléguer dans l’ombre <a href="https://blog.nationalarchives.gov.uk/geoffrey-chaucer-and-cecily-chaumpaigne-rethinking-the-record/">l’incroyable travail réalisé par Sobecki et Roger</a>, et qu’il est important de saluer ici. Mais il est tout aussi essentiel de rappeler que cette découverte ne discrédite en rien les dernières décennies de critique féministe de l’œuvre du poète. Car à y regarder de plus près, ce n’est pas tant Chaucer qui est en cause, un homme du Moyen Âge mort il y a fort longtemps, mais bien la réaction d’hommes et de femmes modernes à une affaire hautement symbolique.</p>
<p>Au final, notre façon d’appréhender cette question en dit long sur notre champ d’études et notre société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Fruoco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le XIXᵉ siècle, une accusation de viol pesait sur le poète médiéval Geoffrey Chaucer. À tort, si l’on en croit une découverte récente.Jonathan Fruoco, Chercheur associé, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1752572022-01-23T17:29:19Z2022-01-23T17:29:19ZEntretenir la mémoire du goulag, malgré les menaces de dissolution de Memorial par les autorités russes<p><a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/home/accueil">« Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag »</a> est un « livre ouvert ». Cette production éditoriale numérique s’est développée à partir d’une recherche collective engagée en 2007, portant sur les déportations staliniennes. Elle est fondée sur le recueil d’entretiens auprès d’anciens déportés des territoires occidentaux de l’URSS et des pays d’Europe centrale et orientale relégués dans les territoires sibériens, d’Asie centrale ou du Grand Nord russe, entre 1939 et 1941 et entre 1944 et 1953.</p>
<p>Lorsque nous avions entrepris ce projet, que nous coordonnions avec Valérie Nivelon (Radio France Internationale) nous marchions dans les traces de l’ONG russe <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/">Memorial</a>. Celle-ci s’était consacrée depuis 1987 à révéler la violence stalinienne, et à rassembler des documents et objets (exposés par exemple lors de l’exposition <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/projects/vystavka-material">« Matériaux – mémoires féminines du goulag »</a> ou encore <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/projects/vystavka-skripka-bromberga">« Le violon de Bromberg – les victimes des campagnes antisémites en URSS, 1920-1950 »</a>) permettant d’en comprendre la nature.</p>
<p>Nous n’imaginions pas que, quelques années plus tard, cette ONG serait <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211229-russie-la-justice-ordonne-la-dissolution-du-centre-des-droits-humains-de-l-ong-memorial">brutalement dissoute</a> par le pouvoir russe, désireux d’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/01/la-dissolution-de-memorial-marque-une-etape-decisive-dans-la-politique-de-controle-de-la-societe-russe_6107899_3232.html">imposer une histoire</a> écrite au seul profit d’une vision héroïque de l’URSS ou plutôt de la Russie.</p>
<h2>Une histoire du stalinisme qui n’est pas que soviétique</h2>
<p>Les Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag contribuent, au contraire, à une histoire en débat, extrêmement complexe qui ne peut se réduire à une analyse simpliste.</p>
<p>Le projet a conduit à écrire une histoire du stalinisme qui soit réellement européenne et ne soit pas enfermée dans les frontières de l’ancienne Union soviétique, encore moins dans les frontières de la Russie actuelle. C’est aussi, et surtout, l’histoire de celles et ceux qui ont vécu ces violences.</p>
<p>Cette publication a de plus pour objectif, dans la tradition de Memorial et s’inscrivant dans la science ouverte, de développer un travail historien de haut niveau, mais aussi en dialogue avec un large public. Ce dialogue, nous l’avons engagé dès l’origine, en travaillant avec RFI qui a produit de nombreuses émissions de <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/marche-monde/">La Marche du Monde</a>, dont la dernière série en six épisodes <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/la-marche-du-monde/20210521-les-voix-du-goulag-1-6">« Les voix du goulag »</a>. Nous le renforçons encore aujourd’hui en concevant une publication destinée à partager très largement les résultats de cette recherche, les entretiens et autres matériaux recueillis, non seulement pour un public français, mais aussi international, le travail étant diffusé en quatre langues (<a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr">français</a>, <a href="https://museum.gulagmemories.eu/en">anglais</a>, <a href="https://museum.gulagmemories.eu/ru">russe</a> et <a href="https://museum.gulagmemories.eu/pl">polonais</a>).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/zbji5SZE3_A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’histoire ici narrée est celle de millions de personnes déportées vers des « villages spéciaux », monde intermédiaire entre les camps du goulag et le monde libre.</p>
<p>Ces relégués vécurent les violences de l’arrachement de leur domicile au petit matin, des <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-transport">longs trajets en train</a> entassés dans des wagons à bestiaux, l’arrivée dans des territoires souvent inhospitaliers, le travail forcé.</p>
<p>La déportation de masse fut largement utilisée par Staline et ses proches pour contraindre les populations à se soumettre à l’ordre soviétique. <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/la-matrice-des-peuplements-speciaux">Les paysans en furent les premières victimes</a>, au début des années 1930. Suivirent les groupes jugés peu loyaux, vivant aux frontières du pays, puis les peuples dont Staline craignait qu’ils s’allient à l’ennemi – Coréens, Allemands, Polonais… – pour s’élargir ensuite à bien d’autres populations.</p>
<p><em>Archives sonores – Mémoires européennes du Goulag</em> a pour objet les déportations menées à partir des territoires occidentaux de l’URSS et des pays d’Europe centrale et orientale.</p>
<p>Les premiers, aujourd’hui États ou territoires d’États indépendants, de l’Estonie à l’Ukraine occidentale, furent <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2019-3-page-3.htm">annexés</a> en 1939 et 1940 à la suite du pacte scellé en août 1939 entre l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne, occupés ensuite par l’armée allemande, puis réintégrés à l’URSS à partir de 1944. Dans ces territoires, les vagues de déportation se succédèrent, en <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/les-territoires-annexes-lurss-1939-1941">1940 et 1941</a>, peu avant l’invasion allemande, touchant les élites et autres populations jugées déloyales. <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/les-territoires-annexes-lurss-1944-1952">À partir de 1944</a>, ces déportations constituèrent un des outils de lutte employés par le pouvoir de Moscou contre les <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2012-2-page-77.htm">insurrections</a> qui se développèrent face au retour de l’Armée rouge ; elles furent aussi utilisées pour collectiviser rapidement les exploitations paysannes de ces régions, dans un monde essentiellement rural. Dans le « bloc de l’Est », entré dans la sphère d’influence soviétique après la guerre, elles furent aussi largement utilisées, avec divers objectifs.</p>
<h2>Une multiplicité de témoignages</h2>
<p>Ce livre ouvert est fondé au départ sur le recueil d’un grand nombre de récits (200 ont été recueillis jusqu’à présent) qui permettent d’enrichir la masse d’archives ouvertes à l’issue de la perestroika.</p>
<p>Les personnes que nous avons retrouvées avaient été déportées, le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/enfances-au-goulag">plus souvent enfants</a>, entraînées avec leur mère (leur père parfois, quand il n’était pas envoyé en camp) dans ce long exil. Certaines avaient été envoyées dans un camp de travail.</p>
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<p>Ce livre ouvert offre à écouter de nombreuses voix, à voir de nombreux documents photographiques, conservés par ces déportés, parfois des <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/correspondre">correspondances</a>. Il traite de <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/thematique">thèmes</a> aussi variés que la <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/la-faim">faim</a>, le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-travail-en-deportation">travail</a>, le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-quotidien">quotidien</a>, ou encore le <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/le-retour">retour</a>, tout en proposant des entrées par les <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/biographie">vies</a> de celles et ceux qui ont partagé avec nous leur récit, comme <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/maryte-kontrimaite">Marytė Kontrimaitė</a>, déportée de Lituanie en 1941 et qui vit à Vilnius ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/henry-welch">Henry Welch</a>, déporté après avoir fui l’avancée nazie en Pologne et ayant, après sa libération, parcouru le monde ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/micheline-herc">Micheline Herc</a>, qui vit désormais en France ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/zofia-helwing">Zofia Helwing</a>, déportée de Pologne ; <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/salle/juozas-miliauskas">Juozas Miliauskas</a>, qui a décidé, après sa libération, de rester en Sibérie.</p>
<h2>Un projet en constante évolution</h2>
<p>« Livre ouvert », « livre dynamique », cette publication innovante en développement articule étroitement des présentations destinées à un large public et des contributions académiques validées par les pairs. Elle est destinée à être un support d’enseignement autant que de débats sur de nouvelles recherches. Contrairement aux productions éditoriales valorisant un état achevé de la connaissance, cette forme dynamique de publication permet de donner à voir la science en marche et de se faire l’écho de nouvelles approches, y compris à l’état d’hypothèses appelant à une réflexion critique. Elle est aussi destinée à susciter un débat entre société civile et historiens.</p>
<p>Cette publication va évoluer ces prochaines années, avec le soutien du Fonds national pour la science ouverte, en adaptant les contenus, dans la mesure du possible, à un public empêché de lire ou d’entendre, en accueillant des articles scientifiques, des notes méthodologiques, des réflexions sur l’usage des sources, un <a href="https://museum.gulagmemories.eu/fr/cartographie">travail cartographique</a> original et des parcours pédagogiques. La cartographie mettra mieux en image l’immensité des territoires traversés, et les liens qui se tissaient entre des lieux éloignés de milliers de kilomètres. Les parcours pédagogiques seront destinés aux enseignants, élèves et étudiants, et chercheront à utiliser au mieux les médias divers pour traiter de thèmes essentiels à cette histoire, partant toujours du vécu. C’est ainsi que sera traité le pacte Molotov-Ribbentrop, dont l’interprétation est aujourd’hui un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/05/11/01003-20150511ARTFIG00216-poutine-rehabilite-le-pacte-molotov-ribbentrop.php">enjeu central de l’histoire officielle en Russie</a>. Enfin, toutes les données collectées seront archivées dans un entrepôt garantissant leur pérennité et leur accessibilité.</p>
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<p>Cette large ouverture des données et des résultats de cette recherche permettra de préserver pour les générations à venir cette mémoire aujourd’hui menacée en Russie. La dissolution de l’ONG <em>Memorial</em>, prononcée par la Cour suprême de Russie après un <a href="http://memorial-france.org/jusquou-iront-les-autorites-russes/">simulacre de procès</a>, malgré le travail magnifique des juristes et avocats de cette organisation et une mobilisation <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20211209-russie-la-mobilisation-s-organise-pour-tenter-de-sauver-l-ong-m %C3 %A9morial-de-la-dissolution">nationale</a> et <a href="https://www.allotrends.com/fr/france-24/russie-la-communaute-internationale-s-inquiete-suite-a-la-liquidation-de-l-ong-memorial-714369.html">internationale</a> massive, a parmi d’autres conséquences celle de la perte totale de crédibilité de l’histoire officielle russe aujourd’hui. Les débats compliqués, parfois tendus, entre historiens russes et ceux des divers pays d’Europe centrale et orientale, sont désormais réduits à une confrontation qui ne permet guère le dialogue et la nuance.</p>
<p>Mais s’il est possible de dissoudre une institution, fut-elle immensément respectée, on ne dissout pas la mémoire, les souvenirs, on ne peut empêcher d’écrire une histoire en débat, une histoire partagée par l’Europe dans son ensemble. Notre publication veut contribuer à poursuivre l’écriture d’une telle histoire, à préserver cette mémoire, à poursuivre le magnifique travail pédagogique mené par <em>Memorial</em> en Russie.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, veuillez consulter la page <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175257/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Blum est vice-président de l'association Mémorial-France, filiale de Memorial International, que nous évoquons dans l'article</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marta Craveri est membre de l'association Mémorial-France. </span></em></p>Le régime russe vient d’ordonner la liquidation de la principale ONG du pays travaillant sur la mémoire des crimes du stalinisme. De nombreux projets continuent toutefois de faire vivre cette mémoire.Alain Blum, Directeur d'études, Institut National d'Études Démographiques (INED)Marta Craveri, Directrice du Pôle International de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740832022-01-16T17:13:31Z2022-01-16T17:13:31ZBonnes feuilles : « Website story »<p><em>Depuis les années 1990 et la création d’un dépôt légal du web, l’INA et la BNF collectent, conservent et rendent accessible l’Internet français. Issue d’une thèse, cette étude propose une analyse des enjeux mémoriels et historiques de l’archivage des sites Internet. Dans ces bonnes feuilles extraits de son dernier ouvrage, « Website story », Sophie Gebeil revient sur les défis que rencontrent les historien·ne·s face aux sources en ligne.</em></p>
<hr>
<p>La généralisation d’Internet offre un vaste territoire d’exploration, mais prendre le Web comme source primaire induit une complexification des méthodes historiques. Du fait de leurs spécificités, les sources en ligne remettent en question les notions de matérialité et surtout de stabilité du document historique, aspect déterminant dans l’administration de la preuve et dans l’ontologie de la discipline.</p>
<p>Le premier obstacle est d’ordre méthodologique. Fondée sur la diplomatique, la critique documentaire constitue, depuis la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, un fondement de la démarche historienne déclinée en quatre dimensions : la critique externe (la forme du document, en lien avec les sciences auxiliaires de l’histoire), la critique interne (le discours ou la représentation), la critique de provenance (point de vue et authenticité) et la critique de portée (destinataire).</p>
<p>« L’âge des fichiers » transforme les modalités de l’enquête et les termes mêmes de l’étude. Par exemple, la critique externe implique de cerner le dispositif de médiation, et donc nécessite une culture numérique minimale, tout comme l’analyse d’une archive télévisuelle nécessite une culture en matière de production audiovisuelle. De plus, la critique interne sur un corpus de données massives peut nécessiter le recours à des outils numériques (outils d’analyse lexicologique comme Iramuteq par exemple) au profit d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin-2016-2-page-119.htm">« histoire par les données »</a>. L’absence d’outil d’analyse adapté aux spécificités disciplinaires <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2011-5-page-30.htm">ne facilite pas l’appréhension d’Internet comme source</a>. Outre ces freins, le Web brouille les critères d’identification du fait d’une forme d’opacité et de la démultiplication des sources disponibles en ligne. Ces défis, auxquels toutes les SHS sont confrontées, prennent une dimension particulière en histoire.</p>
<p>En effet, une deuxième difficulté est d’ordre ontologique et renvoie à la place du document dans la méthodologie historique. Le caractère « volatile », « fluide » des sources en ligne est unanimement rappelé par les cyber-historien·ne·s au début des années 2000, principalement à l’aune du modèle des sources manuscrites ou imprimées.</p>
<p>La dissociation entre l’information et son support permet la circulation des contenus qui sont par définition instables, bouleversant ainsi la conception de la source historique à laquelle est traditionnellement associée l’idée de matérialité du document. Selon les <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/L-archeologie-du-savoir">termes de Michel Foucault</a> :</p>
<blockquote>
<p>« [La formulation des actes] fait apparaître, sur un matériau quelconque et selon une forme déterminée, ce groupe de signes : la formulation est un événement qui, en droit au moins, est toujours repérable selon des coordonnées spatio-temporelles, qui peut toujours être rapporté à un auteur, et qui éventuellement peut constituer par elle-même un acte spécifique… »</p>
</blockquote>
<p>La matérialité des traces laissées par l’activité humaine est aussi associée à l’élaboration des faits historiques chez Marc Bloch évoquant les « matériaux fournis par les générations passées » sur lesquels les historien·ne·s s’appuient. L’analyse des sources inclut d’ailleurs l’étude du support matériel en relation avec les sciences auxiliaires de l’histoire, comme l’épigraphie par exemple, permettant de cerner les modalités d’élaboration du document. Or, <a href="https://www.openedition.org/13753?lang=en">comme l’expliquent Frédéric Clavert et Serge Noiret</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les sources primaires ne sont souvent plus reliées au contexte matériel qui leur faisait “prendre sens” et les validait dans leurs contextes : dans le monde numérique, un des grands problèmes est certainement celui de l’individuation des contextes signifiants, ce que les philologues appellent l’histoire de la construction des textes et des documents. »</p>
</blockquote>
<p>La dissociation entre l’information et son support invite donc à repenser la notion de traces en y intégrant la dimension numérique et interconnectée. Cependant les historien·ne·s des médias savent bien que le caractère « immatériel » des sources ne concerne pas seulement les documents issus du Web. Bruno Bachimont a en effet montré comment les « médium technologiques » (sources audiovisuelles) avaient déjà, dans leur format analogique, entraîné une dissociation entre le support d’enregistrement (par exemple la bobine d’un film) et la forme de restitution (écran de la salle de cinéma).</p>
<p>À cette première étape de « déconstruction du document », s’est ajoutée la numérisation des sources audiovisuelles, à l’image de la télévision qui est aujourd’hui un média de flux digital. La dématérialisation des sources n’est donc pas inédite, en particulier pour les historien·ne·s des médias, mais le numérique induit un changement de paradigme documentaire <a href="https://cours.ebsi.umontreal.ca/sci6116/Ressources_files/Bachimont-Archivage.pdf">caractérisé par la « re-construction »</a>.</p>
<p>Par rapport aux sources audiovisuelles, les sources en ligne sont l’objet d’une instabilité plus importante car elles s’inscrivent dans un environnement en mouvement qui évolue au gré des interactions émanant des acteur·rice·s de la Toile : en consultant une page Web, l’usager traite une actualisation du document à un instant donné, dans un processus de modification <a href="http://andre.tricot.pagesperso-orange.fr/Tricot_HDR.pdf">constant et de reconstruction à partir de ressources multiples</a>.</p>
<p>De surcroît, ce phénomène de « mutation vers des textes fluides, soumis à des changements continus 3 », s’effectue dans une temporalité de plus en plus brève qui s’accorde mal avec les impératifs de la recherche historique fondée sur un corpus documentaire stable.</p>
<p>À la modularité des contenus en ligne s’ajoute leur mobilité sur le réseau. En 2011, Brewster Kahle (fondateur d’Internet Archive) estimait que la durée de vie, en moyenne, d’une page web avant <a href="http://www.internetactu.net/2011/06/28/brewster-kahle-internet-archive-le-meilleur-du-web-est-deja-perdu/">qu’elle ne soit supprimée ou modifiée était de 100 jours</a>. S’il est en réalité difficile de mesurer statistiquement le phénomène, la volatilité des contenus demeure un frein fondamental à la constitution d’un corpus nativement numérique dans une perspective historique car elle remet en cause la stabilité et la pérennisation des sources.</p>
<p>Cette instabilité contraste avec le sentiment d’accessibilité qui prévaut dans l’usage, y compris lorsqu’il s’agit de citer des pages Web dans un travail de recherche. En effet, contrairement à la télévision numérique diffusée en direct pour laquelle l’usager sait qu’il ne disposera que d’un temps limité pour capter l’émission via un enregistrement, ou un accès différé en streaming, les sources en ligne sont encore trop souvent mobilisées au prisme du mirage de l’accessibilité.</p>
<p>D’ailleurs, l’un des réflexes après avoir raté une émission diffusée à la télévision est d’éventuellement la retrouver en ligne. L’indication, en note infrapaginale, de l’adresse URL exacte du document utilisé ne garantit pas la possibilité de consulter l’information citée pour la lectrice ou le lecteur. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est de coutume de se prémunir en indiquant la date de dernière consultation.</p>
<p>Au-delà de la désagréable sensation générée par l’affichage d’une « erreur 404 » indiquant que la demande ne peut aboutir, <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2001-1-page-137.htm">cela brise le « contrat de vérité</a> » qui lie l’historien·ne et son destinataire. En effet, l’historien·ne, dans son travail « d’objectivation documentaire » est tenu « de répondre à la confiance que lui accorde son lecteur ». Comme le soulignait March Bloch, la citation des sources utilisées en notes infrapaginales s’inscrit dès lors dans l’établissement de la preuve et offre la possibilité au lecteur·rice de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/bloch_marc/apologie_histoire/apologie_histoire.html">pouvoir consulter le matériau de l’historien·ne</a>. Le lien « brisé », à cause d’une adresse URL qui n’est plus valable rend caducs les faits établis à partir des documents cités.</p>
<p>La possibilité de vérifier les sources énoncées est un point fondamental de l’administration de la preuve au sein de la discipline.</p>
<p>Une première parade réside dans les dispositifs personnels de sauvegarde (captures d’écran, collecte personnelle via API, etc.). Cependant, ces procédés n’en garantissent pas la pérennisation et ne permettent pas au futur lecteur de consulter la totalité des sources convoquées. Le caractère volatil des sources n’est pas une nouveauté en soi, une bobine filmique peut par exemple brûler ou se dégrader.</p>
<p>En régime numérique, la malléabilité des sources est non seulement généralisée, mais en plus, leur caractère hyperlié en limite la possibilité d’identification dans le temps malgré une apparente traçabilité. L’instabilité des contenus constitue donc un frein majeur à leur historicisation, comme le résume ici Serge Noiret :</p>
<blockquote>
<p>« Le digital turn a rendu précaire un certain nombre de concepts chers aux historiens comme celui de la pérennité des sources et de la capacité de reproduire dans le temps une analyse qui s’y réfère […]. La permanence et la conservation des informations dans la Toile est ainsi un problème central de son utilisation scientifique. »</p>
</blockquote>
<p>En l’absence de « mise en archive » du Web, les sources nativement numériques agissent comme un mirage : elles sont facilement accessibles, consultables en ligne, il semble aisé d’en sauvegarder une trace, mais leur instabilité a pour conséquence une « citabilité » fragile et problématique qui rend leur appréhension comme source historique complexe.</p>
<p>Face à ces défis, les archives du Web sont indispensables pour les historien·ne·s du très contemporain car elles permettent de stabiliser des corpus et de retrouver des traces qui ne sont plus accessibles sur le Web aujourd’hui. Néanmoins leur exploitation impose de multiples précautions et instaure un nouveau rapport à l’archive.</p>
<h2>Quand l’historien·ne rencontre les archives du Web</h2>
<blockquote>
<p>« Pour que toute la procédure historiographique garde la possibilité de vérifier, de contester, et qu’elle maintienne en dernier lieu, son fondement scientifique propre au savoir historique, il faut que les documents et les témoignages qui constituent la base de ce travail demeurent identifiables, stables et inaltérables, et comme tels, susceptibles d’être analysés, critiqués et interprétés […]. Comment donc faire en sorte qu’un matériel documentaire qui par nature tend à la variabilité et au mouvement, <a href="https://archive.org/index.php">devienne stable</a> ? »</p>
</blockquote>
<p>L’interrogation ici exprimée par Rolando Minuti rend compte des obstacles à l’analyse des sources en ligne du fait de leur instabilité. Opération essentielle de la démarche historienne, l’accès aux archives conditionne la recherche.</p>
<p>La démocratisation du Web s’est accompagnée de l’émergence d’initiatives visant à préserver les contenus en ligne, à l’image de la fondation d’<a href="https://archive.org">Internet Archive</a> (IA)aux États-Unis en 1996.</p>
<p>Depuis, les archives du Web constituent un objet de recherche interdisciplinaire particulièrement dynamique. Après un rapide historique de l’essor de l’archivage du Web depuis les années1990, il s’agira de s’immiscer dans la « boîte noire » de l’archivage du Web pour mieux en comprendre le cadre juridique et le fonctionnement, en particulier celles d’IA, de la <a href="https://www.bnf.fr/fr/archives-de-linternet">BnF</a> et de l’<a href="http://www.inatheque.fr/fonds-audiovisuels/sites-web-media.html">INA</a>.</p>
<p>À ces éléments d’ordre général succédera un retour d’expérience de la consultation de ces trois archives du Web qui permet d’en cerner les limites. Cette pratique impose enfin une réflexion épistémologique sur le nouveau rapport qui s’instaure entre l’historien·ne et l’archive.</p>
<hr>
<p><em>A lire : <a href="http://www.inatheque.fr/publications-evenements/publications-2021/website-story-histoire-m-moires-et-archives-du-web.html">« Website story. Histoire, mémoires et archives du web »</a>, Sophie Gebeil, INA, étude et controverses, 2021.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174083/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Gebeil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du fait de leurs spécificités, les sources en ligne remettent en question les notions de matérialité et surtout de stabilité du document historique.Sophie Gebeil, Maître de conférences en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1626932021-06-28T19:52:40Z2021-06-28T19:52:40ZJusqu’à quand l’État doit-il garder ses « secrets » ?<p>Pour l’État français, en matière de sécurité nationale, historiens, citoyens et générations futures n’auront bientôt plus « le droit d’en connaître ». Une importante réforme du secret d’État se prépare, au cœur d’un <a href="http://www.senat.fr/leg/pjl20-672.html">projet de loi</a> adopté le 2 juin par l’Assemblée nationale.</p>
<p>Originellement relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, ce texte propose une réforme du droit des archives, permettant de garder secrets certains documents jusqu’à l’épuisement de leur « valeur opérationnelle », une notion floue et sans limites temporelles.</p>
<p>Qualifié de <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2020-2021/deuxieme-seance-du-mercredi-02-juin-2021#2537918">solution « équilibrée et de bon sens »</a> par la ministre des armées Florence Parly, la proposition a au contraire été critiquée par de nombreux historiens, archivistes, et députés qui <a href="https://www.archivistes.org/Reaction-des-associations-a-l-origine-des-recours-devant-le-Conseil-d-%C3%89tat-a-l">dénoncent une atteinte</a> à la recherche, et donc à l’information des citoyens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1405421123517493249"}"></div></p>
<p>Le débat est d’autant plus vif que la réforme survient à la suite d’une instruction interministérielle récente restreignant l’accès à des documents qui auraient dû être <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/26/archives-classees-secret-defense-un-reglement-absurde-interrompt-brutalement-des-centaines-de-travaux-de-recherche_6067604_3232.html">rendus publics</a>, instruction qui fait l’objet <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210617-restriction-d-acc%C3%A8s-aux-archives-les-objections-du-rapporteur-du-conseil-d-%C3%A9tat">d’un recours devant le Conseil d’État</a>.</p>
<p>Empêtré dans une bataille juridique qui menace le cadre réglementaire actuel d’illégalité, le gouvernement prend les devants en proposant d’inscrire dans la loi un pouvoir discrétionnaire de l’administration sur les délais de déclassification.</p>
<p>Les débats autour de cette réforme offrent l’occasion de s’interroger sur le secret en démocratie. Si cette question est souvent posée relativement à son contenu – ce que l’État peut, ou non, garder secret – le nouveau projet de loi nous invite à réfléchir sur un autre aspect tout aussi important, celui de la temporalité. Jusqu’à quand un secret doit-il le rester ?</p>
<h2>Secret à durée indéterminée : le problème de la « valeur opérationnelle »</h2>
<p>Tout d’abord, que contient ce projet de loi ? Celui-ci dispose, en <a href="http://www.senat.fr/leg/pjl20-672.html">son article 19</a>, que certains documents, classifiés ou non, ne pourront être accessibles au public qu’après leur « perte de valeur opérationnelle », c’est-à-dire lorsque l’administration, et elle seule, considérera qu’ils peuvent être déclassifiés sans porter préjudice à l’action publique. Dans l’état actuel, la loi exige une publicité automatique des documents administratifs protégés par le secret défense après 50 ans – à l’exception depuis 2008 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000019198568">du secret nucléaire</a>.</p>
<p>Seront ainsi gardés secrets au-delà de 50 ans les documents relatifs aux « procédures opérationnelles et aux capacités techniques » de certains services de renseignement, ou à « l’organisation, à la mise en œuvre et à la protection des moyens de la dissuasion nucléaire ». Concrètement, cela concerne en priorité les archives des Armées, du Commissariat à l’énergie atomique, ainsi que de la DGSE et de la DGSI, mais aussi de leurs ancêtres comme le SDECE.</p>
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<p>Pourquoi cela pose problème ? Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, parce que le secret n’est pas compatible avec la démocratie. La démocratie, de manière générale, entretient une relation malaisée avec le secret, puisqu’elle repose fondamentalement sur un principe de transparence dans l’action publique, héritage de la lutte contre la monarchie et ses pratiques opaques. Cependant, <a href="https://www.jstor.org/stable/2657736?seq=1#metadata_info_tab_contents">selon le politiste Dennis Thompson</a>, le secret peut être démocratique, à condition qu’il soit lié à la possibilité d’un contrôle sur l’action de l’État. Il est justifié à partir du moment où une transparence trop importante nuit à une politique publique, et que les citoyens et leurs représentants en ont préalablement convenu. Cela suppose, donc, que l’étendue du secret de l’État soit définie par les instances démocratiques, et non l’appareil bureaucratique, d’où le vote par l’Assemblée et le Sénat des lois en la matière.</p>
<p>Mais cela suppose aussi que le secret ne rende pas impossible la responsabilité devant les citoyens, et donc que les documents classifiés soient rendus finalement publics. C’est parce que nous savons que ce qui est gardé loin de notre vue nous sera finalement accessible, et que nous pourrons juger des choix qui furent faits, que le secret est démocratiquement acceptable – et <a href="https://academic.oup.com/fpa/article-abstract/14/4/592/4990380">démocratiquement accepté</a>.</p>
<p>Ainsi, le secret d’État est légitime à la condition qu’il soit doublement limité : dans son objet, et dans sa temporalité. Tout ne peut pas être secret, et rien ne peut l’être à jamais.</p>
<h2>Une double vulnérabilité démocratique</h2>
<p>Or, l’article 19 vient partiellement remettre en cause ce second principe puisqu’il remet dans les mains de l’administration le pouvoir de décider du délai de publicité d’une information. Cette indétermination temporelle n’est d’ailleurs pas neuve dans le droit français. Elle existait déjà dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037269071/">loi du 15 juillet 2008</a>, pourtant vertueuse en la matière, qui créait une exception à la « règle des 50 ans » pour les documents « dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ».</p>
<p>Dans ce cas, le délai s’étend indéfiniment, ce qui signifie qu’elles sont virtuellement incommunicables, un statut quasi unique dans l’histoire française – le seul précédent comparable remontant à… <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/le-secret-de-letat/">1792</a>. À cette époque, la jeune République française commence à élaborer un système national pour conserver, mais aussi partiellement détruire, les archives de la monarchie.</p>
<p>Avec cette règle, toute une partie de l’action étatique, dont les contours restent mal définis, échappent ainsi indéfiniment au regard des citoyens, dépourvus de toute capacité de contrôle en la matière. Cette situation est génératrice d’une double vulnérabilité, d’ordre politique et épistémique.</p>
<p>Politique, d’abord, car là où un délai franc ne permet pas d’esquiver les responsabilités et assure la capacité des citoyens d’une démocratie à juger de l’action de l’État et à limiter l’arbitraire, ce pouvoir discrétionnaire vient déséquilibrer une balance déjà fragile.</p>
<p><a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/5s7b7pgb6f8j9pjajv7bpa4sva/resources/2019-pelopidas-conclusion-strategies-nucleaires.pdf">Epistémique</a>, ensuite, parce que le citoyen, comme l’expert, se retrouve dans une situation où il n’est pas possible d’être certain de la véracité de ce que l’on tient pour vrai, ni d’être certain du moment où il sera possible de savoir.</p>
<h2>La valeur opérationnelle d’un document</h2>
<p>Car quand un document cesse-t-il d’avoir une valeur opérationnelle ? La question est importante, et néanmoins toujours ouverte, puisque l’instauration d’un délai maximum de 100 ans <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2020-2021/deuxieme-seance-du-mercredi-02-juin-2021#2537918">a été rejeté par l’Assemblée nationale</a> lors des débats qui eurent lieu dans la nuit du 2 juin dernier.</p>
<p>De quel recours dispose le citoyen ? En France, la commission d’accès aux documents administratifs ne dispose pas du pouvoir de rendre des jugements en la matière, et constitue une institution uniquement capable de rendre des avis. De même, il est difficile d’imaginer comment le juge administratif pourrait déterminer l’existence, ou non, de la valeur opérationnelle d’un document. Cela risque de favoriser la pratique de la déclassification par le « fait du prince », comme ce fut le cas pour les archives relatives à l’action de la France au Rwanda (1990-1994), ou aux disparus lors de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962).</p>
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<p>Ce que certains ont identifié comme une <a href="https://www.la-croix.com/France/Guerre-dAlgerie-Emmanuel-Macron-facilite-lacces-archives-classifiees-2021-03-09-1201144616">« contradiction »</a> constitue peut-être un choix de gouvernement, où le chef de l’État, et non les citoyens, détermine les conditions dans lesquelles il rendra des comptes.</p>
<p>L’histoire nucléaire française fournit d’ailleurs un excellent exemple de la manière dont la classification et le refus de communiquer des archives permettent à l’État d’échapper à sa responsabilité. En février 1998, lorsque le <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-22-janvier-2019">journaliste Vincent Jauvert</a>, sur la base des archives militaires françaises, avait révélé que les Polynésiens avaient été exposés à des retombées radioactives consécutive aux essais nucléaires dès le premier tir du 2 juillet 1966, et que les responsables de l’époque en charge du contrôle radiologique avaient conseillé à leur hiérarchie de minimiser les chiffres réels, l’État s’était empressé de fermer ces archives.</p>
<p>Plus tard, sont parus plusieurs rapports officiels dont les conclusions allaient dans le sens d’une responsabilité française limitée. Ces rapports ne pouvaient être contredits, les archives étant toujours fermées. Cette année, le <a href="https://www.puf.com/content/Toxique">chercheur français Sébastien Philippe</a>, sur la base des archives déclassifiées entre-temps, a pu démontrer que les calculs effectués dans ces rapports sous-estimaient largement l’étendue de la radioactivité subie par les populations, et donc le nombre de personnes admises à engager la responsabilité juridique de l’État et à obtenir une indemnisation.</p>
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<p>Depuis 2008, écrire l’histoire nucléaire de la France est une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14682745.2020.1832472">tâche particulièrement ardue</a>. Le problème du secret s’ajoute aux obstacles multiples à l’avancée de la connaissance sur les sujets de sécurité nationale, notamment le <a href="https://www.cairn.info/revue-vingt-et-vingt-et-un-revue-d-histoire-2020-1-page-135.htm">problème de l’indépendance des chercheurs et des questions qu’ils se permettent de poser</a>. Ce qui concernait le cas du nucléaire militaire risque bientôt d’être étendu, dans la loi, à un grand nombre d’autres domaines liés à la sécurité nationale.</p>
<p>La nouvelle notion de « valeur opérationnelle », justifiée par des considérations de sécurité nationale, crée ainsi un risque de dégradation démocratique. Ce risque, par ailleurs, est accentué par le contenu du projet de loi. Alors que l’État affaiblit les mécanismes de responsabilité des services de renseignements, il renforce dans le même mouvement <a href="https://www.ladepeche.fr/2021/05/31/nouvelle-loi-antiterroriste-surveillance-dinternet-au-menu-9576718.php">ses capacités de surveillance</a> – qui sont, elles, déjà bien opérationnelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162693/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Fraise a reçu des financements du Conseil Européen de la Recherche (ERC) au titre du programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l'innovation Horizon 2020 (projet NUCLEAR, convention de subvention n° 759707). Cet article est issue de son travail de recherche doctorale. </span></em></p>Les débats autour d’une réforme sur le droit des archives offrent l’occasion de s’interroger sur le secret en démocratie.Thomas Fraise, Doctorant au sein du projet ERC NUCLEAR, Nuclear Knowledges/CERI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1617142021-06-24T17:23:48Z2021-06-24T17:23:48ZÀ quoi ressemblaient les premiers restaurants ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/406861/original/file-20210616-3598-1b36x7q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C2%2C834%2C487&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Déjeuner au Palais Royal, 1822, par George Cruikshank (1792-1878).</span> <span class="attribution"><span class="source">British library</span></span></figcaption></figure><p>Le concept même de restaurant connaît aujourd’hui des changements majeurs avec le « click and collect » et les <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/grand-reportage/les-recettes-des-chefs-face-a-la-crise-du-covid">« dark kitchens » ou « cuisines fantômes »</a>. Avec ces nouvelles façons de se restaurer, le consommateur tend à s’éloigner du lieu physique que constitue le restaurant. Ces bouleversements interrogent son identité même nous invitent à nous questionner sur ses origines.</p>
<h2>Du « bon bouillon qui restaur » au lieu le « restaurant »</h2>
<p>Le mot restaurant, avec le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, a été validé par l’académie française en 1835. Jusque-là, le « restauran », aussi appelé « bouillon restaurateur », désigne un plat composé principalement, au gré des recettes, de viande, d’oignons, d’herbes et de légumes. Il s’agit d’un bouillon aux vertus médicinales et digestives dont le but initial est de redonner des forces aux personnes faibles, de les « restaurer ». Le terme « restaurant » a donc initialement une connotation médicale. D’ailleurs, les lieux qui les proposent à la vente dans les années 1760 se nomment aussi « maison de santé ».</p>
<h2>Le premier restaurant</h2>
<p>Le premier restaurant tel que nous l’entendons aujourd’hui a ouvert ses portes à Paris, en 1765, rue des Poulies, l’actuelle rue du Louvre. Sur le devant de la boutique est gravée la phrase latine issue de la Bible : « Venite ad me omnes qui stomacho laboratis, et ego vos restaurabo. » « Venez à moi, ceux dont l’estomac souffre, et je vous restaurerai. » C’est de là qu’est venu le terme « restaurant ». Son propriétaire se nomme <a href="https://www.franceculture.fr/societe/naissance-du-restaurant-une-revolution-dans-lassiette">Mathurin Roze de Chantoiseau</a>. </p>
<p>D’autres écrits évoquent un certain Boulanger. Quoi qu’il en soit il vend des mets « restaurans » tels que la volaille, les œufs, les pâtes au beurre, les gâteaux de semoule, dont on disait que la couleur claire possédait des vertus bénéfiques pour la santé. Ce lieu est aussi un des premiers à connaître un certain succès culinaire grâce à la « volaille sauce poulette » réputée dans le Tout-Paris.</p>
<p>Diderot, le mentionne dès 1767 dans une lettre adressée à Sophie Volland :</p>
<blockquote>
<p>« Si j’ai pris du goût pour le restaurateur ? Vraiment oui ; un goût infini. On y sert bien, un peu chèrement, mais à l’heure que l’on veut. […] Cela est à merveille, et il me semble que tout le monde s’en loue. »</p>
</blockquote>
<p>L’écrivain Édouard Fournier relate d’ailleurs l’apparition de ce restaurant dans l’ouvrage Paris démoli, publié en 1853 :</p>
<blockquote>
<p>« Tout près de là, dans la rue des Poulies, s’ouvrit, en 1765, le premier Restaurant, qui fut ensuite transféré à l’hôtel d’Aligre. C’était un établissement de bouillons, où il n’était pas permis de servir de ragoût, comme chez les traiteurs, mais où l’on donnait des volailles au gros sel, des œufs frais et cela sans nappe, sur de petites tables de marbre. »</p>
</blockquote>
<p>Dans ces années qui précèdent la Révolution française, Mathurin Roze de Chantoiseau est le premier à proposer le concept novateur qui consiste en un service sans horaire fixe, sur une table individuelle et à offrir un choix de plats dont le prix est indiqué à l’avance, devant le restaurant. À cette époque, en France, le seul endroit où l’on peut manger en dehors de chez soi est la taverne ou l’auberge.</p>
<p>Or ces lieux ne proposent que des tables d’hôtes avec un plat unique, au prix non fixé à l’avance, dans lesquels on ne vient qu’à heure fixe. De plus, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Les personnes qui se rendent dans ces lieux le font pour se nourrir et non pas pour apprécier les qualités gustatives d’un plat. Les rôtisseurs et les traiteurs présents aussi à l’époque ne peuvent vendre que des pièces entières et non pas des portions individuelles.</p>
<p>Cette nouvelle façon de se nourrir, proposée par Mathurin Roze de Chantoiseau, connaît un très grand succès, et <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-bonnes-choses/comment-est-ne-le-restaurant-francais-0">ce style de restaurant va se répandre tout en évoluant</a>. La notion de plaisir de manger va devenir prépondérante et la gastronomie va alors se développer, voire, dans une certaine mesure, se démocratiser. Jusqu’alors, les seules personnes qui mangeaient très bien en France étaient les membres de la cour à Versailles ou les nobles car ils disposaient de leurs cuisiniers personnels.</p>
<h2>Les nouveaux restaurants et l’apparition du menu</h2>
<p>À la veille de la Révolution française, sur la centaine de restaurants recensés dans la capitale, de nombreuses enseignes sont fort renommées. Les clients ne viennent plus dans ces lieux pour manger des plats reconstituants mais pour déguster des mets qui charment leurs papilles. Le restaurant d’alors est un endroit luxueux que l’on trouve principalement dans le quartier du Palais Royal. En effet, réside ici une clientèle capable de s’offrir des repas qui, s’ils ne sont plus réservés aux aristocrates, n’en demeurent pas moins onéreux. C’est donc une élite aisée qui les fréquente.</p>
<p>La grande nouveauté des restaurants d’alors est le menu. Les restaurants proposent très souvent un <a href="https://happy-apicius.dijon.fr/une-carte-de-restaurant-ancienne-nos-belles-acquisitions-2016-n1/">choix incalculable de plats</a>. Le menu a donc été inventé car « il ne propose qu’un « menu » aperçu de la prodigalité de l’établissement » comme l’écrit l’historienne Rebecca Spang.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408196/original/file-20210624-15-1pytg21.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un extrait de la carte du restaurant Véry, en 1790.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque de la Ville de Paris</span></span>
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<p>Cependant, même avec cette version « abrégée » de ce qui est offert, le client a parfois besoin de longues minutes pour le lire. D’ailleurs dans les premiers temps, son utilisation n’est pas évidente pour de nombreux clients. D’autre part, le menu permet aussi grâce aux mots qui le composent, <a href="https://www.cairn.info/journal-politiques-de-communication-2015-2-page-13.htm">d’éveiller des désirs et des sensations autrement que par l’odorat ou la vue et d’aiguiser l’appétit</a>, fonctions qu’il conserve aujourd’hui.</p>
<h2>Antoine de Beauvilliers et le premier restaurant gastronomique</h2>
<p>Antoine de Beauvilliers, ancien Officier de bouche du comte de Provence, frère du roi, est le premier de sa profession à quitter son maître pour s’installer à son compte à Paris. En 1782 il ouvre, dans le quartier du Palais-Royal, rue de Richelieu, Le Beauvilliers (qui sera remplacé quelques années plus tard, toujours dans la même rue par La Taverne de Londres). Cet endroit, fort luxueux, va rapidement connaître un immense succès car il propose à ses clients – principalement des aristocrates – de manger comme à Versailles. Il y a en effet un cadre magnifique, un service irréprochable, une superbe cave et des plats exquis présentés avec soin dans une vaisselle magnifique. Pendant de nombreuses années, sa cuisine demeurera inégalée au sein de la haute société parisienne. Ce restaurant est d’ailleurs considéré comme le premier restaurant gastronomique français.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1014&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1014&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1014&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1274&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1274&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408197/original/file-20210624-25-45js7r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1274&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Beauvilliers, L’art du Cuisinier, 1814.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Antoine_Beauvilliers#/media/File:Beauvilliers,_L'art_du_Cuisinier,_1814.png">Wikimedia</a></span>
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<p>Dans les années précédant puis suivant la Révolution française, de nombreux cuisiniers, qui jusqu’alors travaillaient pour des membres de la noblesse, suivront l’exemple d’Antoine de Beauvilliers et ouvriront leur propre restaurant. C’est ainsi qu’une cuisine de qualité faite de recettes, de rites et de façons de manger, mais comprenant aussi les arts de la table passa des cuisines privées de l’aristocratie à celles, publiques, de la haute société.</p>
<p>La restauration gastronomique française fait son apparition et de célèbres et luxueuses enseignes comme Véry, ou Les Trois-Frères Provençaux (qui importera à Paris la brandade de morue et la bouillabaisse) <a href="https://www.grand-vefour.com/legrandvefour/lhistoire.html">ou encore le restaurant le Grand Véfour</a>, toujours en service aujourd’hui voient le jour. L’aspect médical des premiers « bouillons restaurans » est désormais loin et remplacé par la gastronomie, référence culturelle mondialement reconnue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161714/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Louisgrand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le premier restaurant tel que nous l’entendons aujourd’hui a ouvert ses portes à Paris, en 1765, rue des Poulies, l’actuelle rue du Louvre.Nathalie Louisgrand, Enseignante-chercheure, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1370352020-05-13T18:56:53Z2020-05-13T18:56:53ZCovid-19 et grippe espagnole : quand la presse du XXᵉ siècle rappelle celle de 2020<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/330145/original/file-20200423-47820-1l86k58.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C33%2C1129%2C654&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Photo de Londoniens portant un masque de protection, parue le 26 février 1919 dans le quotidien illustré _Excelsior_.</span> <span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr / BnF</span></span></figcaption></figure><p>« Le Covid-19 qui affecte tous les continents et frappe tous les pays européens est la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle », annonçait le 12 mars dernier Emmanuel Macron, faisant ainsi référence à la grippe de 1918 dite « espagnole ».</p>
<p>Le président français n’est pas le seul à faire un lien entre l’épidémie qui a décimé le monde entre 1918 et 1920 – causant entre 20 et 100 millions de morts selon les estimations – et le nouveau coronavirus. En effet, depuis la « pandémisation » de l’épidémie au début du mois de mars, la presse discute largement la pertinence de l’analogie devenue elle aussi virale : peut-on réellement comparer le coronavirus avec la grippe espagnole ?</p>
<p>S’ils relèvent bien quelques <a href="https://www.contrepoints.org/2020/04/01/367596-peut-on-comparer-le-coronavirus-a-la-grippe-espagnole#fnref-367596-1">traits communs aux deux épidémies</a> (contagiosité, mode de transmission, symptômes), les articles portant sur le sujet s’accordent pour dire que celles-ci ne peuvent être assimilées. En effet, le contexte politique, médiatique et hygiénique dans lequel se déclare la grippe de 1918 <a href="https://theconversation.com/grippe-espagnole-et-coronavirus-pourquoi-le-contexte-est-tres-different-133836">n’est en rien comparable avec celui de l’époque actuelle</a>.</p>
<p>Pourtant, une investigation dans les archives de presse du XX<sup>e</sup> siècle nous permet de repérer d’étonnantes similitudes entre la gestion politique des deux crises, mais aussi dans le traitement médiatique des épidémies. Ce travail est mené dans le cadre <a href="https://www.newseye.eu/fr/">du projet européen NewsEye</a> dont la <a href="https://platform.newseye.eu/">plateforme</a>, accessible au grand public, a pour objectif de rendre exploitables et analysables à grande échelle les collections de presse anciennes numérisées de plusieurs bibliothèques nationales européennes, dont la <a href="https://www.bnf.fr/fr">Bibliothèque Nationale de France</a>.</p>
<h2>Une « simple grippe »</h2>
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<span class="caption">« La guerre à la grippe », Une du quotidien <em>L’Œuvre</em>, le 22 octobre 1918. Cet emprunt au lexique belliqueux n’est pas sans rappeler les éléments de langage utilisés par Emmanuel Macron à l’annonce du confinement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
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<p>Mesures préventives, pénuries de matériel médical, communication à retardement ou encore désinformation : les articles publiés dans les colonnes des journaux il y a plus de cent ans semblent tout droit sortis de la presse contemporaine.</p>
<p>En avril 1918, alors que la grippe se propage en Europe, les journaux français ne mentionnent pas l’épidémie. Et pour cause, la France vit un moment décisif pour l’issue de la guerre avec la grande offensive allemande du printemps et les bombardements de Paris : le conflit mondial retient toute l’attention de la presse nationale.</p>
<p>L’origine du qualificatif « espagnole » utilisé par les Français pour désigner la grippe vient du fait que l’Espagne, <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2014-4-page-53.html">demeurée à l’écart du conflit</a>, est la première à avoir librement communiqué sur l’épidémie.</p>
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<span class="caption">« La grippe espagnole a gagné l’Europe », quotidien <em>Le Matin</em>, 7 juillet 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
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</figure>
<p>Il faut donc attendre l’été 1918 pour retrouver dans la presse française des informations sur le virus qui, selon les médecins interrogés, n’est rien de plus qu’une réplique de la grippe saisonnière. Ainsi <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5725842/f2.item">peut-on lire</a>, dans <em>Le Matin</em> du 7 juillet 1918, qu’il s’agit d’une « vulgaire influenza », « une grippe ordinaire », qui n’a « rien de dangereux » et qui, de toute évidence est « bénigne » en France. Des propos analogues circulent également dans les quotidiens régionaux, comme dans <em>La Petite Gironde</em>, le 8 juillet 1918 :</p>
<blockquote>
<p>« Le professeur Chauffard, médecin des hôpitaux de Paris et membre de l’Académie de médecine, a donné son opinion à un de nos confrères sur l’épidémie désignée sous le nom de grippe espagnole : “Le nom de grippe espagnole, a-t-il dit, est un nom ridicule. Il ne s’agit pas d’un mal nouveau, mais bien de la grippe ordinaire que chaque hiver amène comme escorte, et que l’on a baptisée, depuis la guerre, grippe des tranchées”. »</p>
</blockquote>
<p>Cette sous-évaluation des risques de propagation du virus en France rappelle le <a href="https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2020-01-24">discours rassurant de l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn</a>, alors que le Covid-19 touchait la Chine et que trois premiers cas étaient sur le point d’être confirmés dans l’Hexagone, ou encore les <a href="http://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-j-ai-probablement-trop-rassure-les-francais-le-mea-culpa-de-michel-cymes-17-03-2020-8281755.php">prédictions maladroites du médecin-animateur Michel Cymès</a>, qui comparait le coronavirus à une maladie virale « comme on en a tous les ans ».</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<span class="caption">« L’épidémie de grippe », <em>L’Homme libre</em>, 13 octobre 1918, p.2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
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</figure>
<p>Si le contexte politico-médiatique – et notamment la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2005-1-page-50.html">surveillance rapprochée des journaux</a> contraints au mutisme par la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6521340t/f7.texteImage">loi sur les indiscrétions de presse en temps de guerre</a> – peut justifier la lente prise de conscience de la gravité du virus en 1918, ce n’est pas le cas en 2020, à l’heure où l’accès à l’information est considéré comme un droit fondamental et où la <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/coronavirus-pres-de-19000-articles-chaque-jour-dans-la-presse-francaise-un-record-3956891">production journalistique autour de l’épidémie explose</a>.</p>
<h2>Mêmes recommandations</h2>
<p>Outre les circonstances militaires, les articles qui discutent l’analogie « grippe espagnole »/Covid-19 soulignent une différence de taille entre les deux épidémies : le contexte sanitaire. Effectivement, la socialisation de la médecine (lois sociales, prise en charge collective, mutualité, extension des dispositifs de soins à de nouvelles classes sociales, etc.), les progrès scientifiques et hygiéniques – <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-grande-tueuse-9782226397218">produits de la pandémie de 1918</a> – nous permettent d’identifier l’ennemi et de faire face à la crise dans de bien meilleures conditions. Mais il est troublant de relever les mêmes recommandations dans la presse de l’époque.</p>
<blockquote>
<p>« Dans sa séance d’hier, le conseil d’hygiène et de salubrité du département de la Seine a chargé le comité permanent des épidémies de rédiger des conseils […] : la grippe se transmet directement du malade à l’individu sain par l’intermédiaire du mucus nasal et des particules de salive projetées en toussant ou en parlant, ou encore, par les mains souillées de salive.</p>
<p>On doit donc éviter, quand il n’y a pas nécessité, le contact avec les personnes malades. Il faut, par conséquent, isoler celles-ci dès le début de la maladie […] Il est recommandé de se laver les mains et de se rincer la bouche chaque fois que l’on a donné des soins à un grippé. Lorsqu’il s’agit de cas graves, il sera utile de placer une compresse protectrice devant le nez et la bouche. Il faut […] éviter les réunions de personnes nombreuses, aussi bien en plein air que dans les locaux fermés (lieux consacrés aux cultes, théâtres, cinémas, grands magasins, chemins de fer, etc.). »</p>
</blockquote>
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<span class="caption">Les gestes barrières promus par le gouvernement en 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gouvernement.fr/info-coronavirus</span></span>
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<p>Les mesures préventives diffusées par les autorités sanitaires en 2020 sont sensiblement identiques à celles que véhiculait la presse cent ans plus tôt. En l’absence de vaccin, le lavage des mains, l’isolement des malades, ou encore la quarantaine restent nos meilleurs alliés…</p>
<p>Seule la consommation de rhum, reconnue comme remède efficace contre la grippe « espagnole », ne figure pas dans la liste des recommandations officielles contre le coronavirus.</p>
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<figcaption>
<span class="caption">« Le rhum, remède contre la grippe », <em>Le Petit Parisien</em>, 29 octobre 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">« La grippe est vaincue », <em>Le Pêle-Mêle</em>, 2 février 1919.</span>
<span class="attribution"><span class="source">gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le port du masque fait aussi l’objet de nombreuses discussions dans la presse à partir de la deuxième vague de grippe en octobre 1918. Bien que déjà fortement recommandé par l’Académie de médecine et largement adopté par nos voisins européens et américains, cet usage peine à convaincre en France où il semble incompatible avec la mode parisienne.</p>
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<figure class="align-left ">
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<figcaption>
<span class="caption"><em>Le Gaulois</em>, 27 février 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Mais, voilà, les Parisiennes consentiront-elles à se défigurer pour sauvegarder leurs bronches ? J’ai bien peur qu’elles ne prennent ce masque-là en grippe », ironise-t-on dans <em>Le Gaulois</em>.</p>
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<span class="caption">« Une épidémie… de masques à San Francisco. La crainte de la grippe donne un aspect étrange aux passants », quotidien <em>Excelsior</em>, 7 janvier 1919.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Après moult débats et cafouillages gouvernementaux autour de cet usage, le port d’un masque a finalement été recommandé par l’Académie de médecine début avril, et il est obligatoire pour certaines professions et dans certains lieux publics depuis le 11 mai 2020.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">« Le masque protecteur contre la grippe », <em>Le Petit Parisien</em>, 27 octobre 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les débats sur la nécessité de désinfecter les lieux publics ou encore sur les <a href="https://gallica.bnf.fr/blog/06052020/de-la-grippe-espagnole-au-covid-19-ces-remedes-qui-promettent-des-miracles?mode=desktop">vertus de certains traitements</a> semblent également avoir traversé les époques. En 1918, par exemple, une enquête sur l’efficacité de la quinine, initialement utilisée pour traiter le paludisme, rappelle les <a href="https://theconversation.com/chloroquine-et-infections-virales-ce-quil-faut-savoir-135339">polémiques actuelles autour de la chloroquine</a>, qui en est le substitut synthétique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=527&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/332011/original/file-20200501-42929-1u1vfxq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=663&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« La quinine paraît efficace », <em>Le Matin</em>, 22 octobre 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Enfin, malgré les avancées médicales et un système sanitaire jugé « prêt » à faire face à la crise, nous pouvons constater les mêmes insuffisances : pénuries, manque de moyens dans les hôpitaux ou encore la mise en danger du personnel soignant en première ligne.</p>
<p>En 1918, les médecins peinent à rejoindre le chevet de leurs patients car aucun véhicule ne leur est spécialement dédié, sinon à leurs frais. Ils sont également les premiers touchés par manque de protection, ce qui <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-la-cgt-observe-une-forte-surcontamination-des-personnels-soignants-6824452">semble malheureusement toujours le cas aujourd’hui</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">« La Grippe à Paris », <em>Le Petit Journal</em>, 31 octobre 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les problématiques liées au manque d’effectif sont elles aussi récurrentes : alors que les médecins militaires sont appelés en renfort contre la grippe espagnole, le gouvernement <a href="https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/mobilisation-reserve-sanitaire-faire-face-coronavirus">mobilise début mars la Réserve sanitaire</a> pour faire face à l’épidémie de coronavirus.</p>
<p>En 1918, la situation chaotique suscite de nombreuses critiques quant à la gestion gouvernementale des crises sanitaires. La presse, qui déplore l’impréparation et le laxisme des institutions politiques, appelle au renforcement des mesures :</p>
<blockquote>
<p>« Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir entrepris contre la grippe – dont les méfaits vont en augmentant – une lutte pratique sérieuse. Tout s’est à peu près borné à des affiches et à des circulaires. Il y a pourtant des mesures urgentes à prendre. […] L’heure n’est pas aux demi-précautions ». (<a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76014706.item">Le Journal, 19 octobre 1918</a>)</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=147&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=185&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=185&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333340/original/file-20200507-49589-rfhnh8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=185&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Sur le site de France Bleu le 23 mars 2010</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si la gestion de la pandémie de coronavirus se fait à l’échelle nationale – contrairement à l’épidémie de grippe gérée au niveau régional et départemental en 1918 – les préfets et les maires sont également « mis à forte contribution » pour <a href="https://www.ouest-france.fr/region-occitanie/beziers-34500/coronavirus-la-ville-de-beziers-retire-tous-les-bancs-publics-pour-faire-respecter-le-confinement-6803209">« éviter les relâchements »</a> et prendre les mesures qui s’imposent afin de protéger les populations.</p>
<iframe width="100%" height="720" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/la-petite-gironde/23-octobre-1918/241/1394123/2 ?fit=872.555.377.710" frameborder="0"></iframe>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=252&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333500/original/file-20200507-49542-15a89r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=317&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Contre la grippe, ne relâchons pas les précautions », <em>Le Matin</em>, 10 novembre 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le monde de demain et le monde d’hier</h2>
<p>Au siècle dernier, comme aujourd’hui, la fermeture des lieux de sociabilité et la mise à l’arrêt de l’économie sont propices <a href="https://theconversation.com/penser-lapres-sciences-pouvoir-et-opinions-dans-lapres-covid-19-137272">aux projections</a> et aux fantasmes au sujet du « monde d’après » la catastrophe.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Une du <em>Parisien</em>, le 5 avril 2020.</span>
</figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Une nouvelle ère commence, il faut que nous disions bien que préjugés, habitudes, croyances, passions, intérêts vont être bouleversés. […] Il serait pénible de penser qu’une épidémie pourrait passer sur le Monde sans servir à autre chose qu’à diminuer le nombre de vivants. Non, la grippe aura servi aussi à nous faire réfléchir » analyse Sixte-Quenin, dans un éditorial titré « L’Après-Grippe », <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k255497z/f1.item.zoom">paru dans <em>L’Humanité</em> le 18 décembre 1918</a>.</p>
</blockquote>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">« Lettre d’Espagne (de notre correspondant particulier), <em>L’Écho d’Alger</em>, 29 octobre 1918.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallica.bnf.fr/BnF</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Plus solidaire, plus résilient, plus écologique, à quoi ressemblera le monde d’après Covid-19 et quelles leçons peut-on d’ores et déjà tirer de cette crise ? Pour Freddy Vinet, <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-chroniques/la-grande-grippe-freddy-vinet/">géographe spécialiste de la « grande grippe »</a>, cette épidémie du XX<sup>e</sup> siècle doit nous <a href="https://usbeketrica.com/article/covid-19-quelles-lecons-peut-on-tirer-de-la-grippe-espagnole-de-1918">« rappeler l’importance de la culture épidémiologique que nous avons perdue » et nous permettre d’« intégrer mentalement les impacts potentiels d’une catastrophe</a> ». À cet effet, la presse du XX<sup>e</sup> siècle paraît être une précieuse alliée pour garder en mémoire le passé et penser l’avenir, en prenant garde aux <a href="https://www.lalibrairie.com/livres/les-lapins-du-pere-lachaise_0-6550760_9782271133656.html">fake news déjà bien nombreuses à l’époque</a>, comme en témoigne cet article paru dans <em>l’Écho d’Alger</em> en octobre 1918.</p>
<blockquote>
<p>« Cependant, de tous côtés on se demande : qu’est-ce que ce mal mystérieux qui défie la science médicale et qui fauche des populations entières ? Une rumeur se propage dont je suis obligé de tenir compte : l’épidémie ne serait ni espagnole, ni napolitaine, ni orientale, ce serait bel et bien la grippe allemande. Ce serait l’infection propagée par les démoniaques chimistes boches qui ont introduit leurs bacilles empestés dans les boîtes de conserve, qui en ont parsemé les fruits et les légumes ; c’est pourquoi, dit-on, la Suisse, la Suède, la Hollande, qui recevaient des produits boches en quantité, ont été si fort atteintes ; c’est pourquoi il en est de même pour l’Espagne, où tant de fabriques, tant de négoces fonctionnant sous des firmes espagnoles, sont en réalité dirigés par des Allemands qui ont ici leurs chimistes et leurs drogues, lesquelles furent apportées par des sous-marins ; voilà pourquoi l’Espagne, à son tour, a été la première envahie avec une si terrible violence. »</p>
</blockquote>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328409/original/file-20200416-192725-wmbl1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article fait partie de la série « Les belles histoires de la science ouverte » publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Pour en savoir plus, visitez le site <a href="https://www.ouvrirlascience.fr/">Ouvrirlascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nejma Omari a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation de l'Union Européenne Horizon 2020, dans le cadre de l'accord de financement no 770299 (NewsEye).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Doucet a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation de l'Union Européenne Horizon 2020, dans le cadre de l'accord de financement no 770299 (NewsEye).</span></em></p>Une plongée dans les archives de la presse française du XXᵉ siècle permet de repérer d’étonnantes similitudes entre le traitement médiatique de la grippe espagnole et celui du Covid-19.Nejma Omari, Doctorante en Littérature française, professeure de Lettres Modernes, Université Paul Valéry – Montpellier IIIAntoine Doucet, Professeur des universités en informatique, La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1267802019-11-12T20:22:12Z2019-11-12T20:22:12ZSolidarnosc, une mémoire clivante<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/301087/original/file-20191111-194646-1jcglxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C3%2C1019%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">22 novembre 2018 : première rencontre depuis des années entre l'ex-président polonais Lech Walesa (à gauche) et le leader du parti Droit et Justice au pouvoir, Jaroslaw Kaczynski (à droite), lors d'un procès en diffamation intenté par le second au premier. Le conflit entre les deux hommes, anciens alliés, est à la fois personnel, politique et historique.</span> <span class="attribution"><span class="source">Krzysztof Mystkowski/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Les commémorations de la chute du mur de Berlin dépassent les frontières de l’Allemagne. Elles invitent à <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/093390-000-A/arte-journal-special-chute-du-mur-de-berlin/">questionner le processus qui sonna la fin du système communiste</a> et du Rideau de fer qui partageait l’Europe en deux. L’histoire du syndicat polonais Solidarnosc, dont la création fut l’une des premières fissures au sein du bloc de l’Est, constitue aujourd’hui un héritage conflictuel et clivant.</p>
<h2>Un mouvement conduit sous l’œil des caméras</h2>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/07/adam-michnik-c-est-en-pologne-avec-solidarnosc-que-le-mur-de-berlin-s-est-fissure_6018300_3232.html">Comme le rappelle le journaliste et ancien opposant Adam Michnik</a>, c’est en Pologne en août 1980 que le parti communiste a été « décrédibilisé ». Gdansk, ville portuaire et industrielle située au bord de la Baltique, a été le berceau d’un mouvement de contestation, d’émancipation et de fraternisation unique dans l’histoire du bloc socialiste. La grève qui en fut à l’origine, déclenchée le 14 août 1980 par les ouvriers du chantier naval Lénine, est une <a href="https://journals.openedition.org/elh/337#tocto1n3">« grève calme »</a>, un « mouvement autolimité » qui suscite immédiatement une <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/10/gdansk-ou-l-increvable-modele-de-solidarnosc_4751367_3214.html">vague de sympathie et d’engouement médiatique à l’échelle internationale</a> : Solidarnosc toucha les cœurs et ébranla les consciences politiques des deux côtés du Rideau de fer, déjouant les pronostics les plus audacieux.</p>
<p>Au cours des 25 années précédentes, les pouvoirs communistes avaient mis fin aux révoltes est-allemandes (1953) hongroise (1956), tchèque (1968) et, déjà, polonaises (<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2006/06/29/les-emeutes-de-poznan_789721_3232.html">1956</a>, <a href="https://dossiers-bibliotheque.sciencespo.fr/voir-plus-loin-que-mai-les-mouvements-etudiants-dans-le-monde-en-1968/polish-1968-student-revolt">1968</a>, <a href="https://www.nytimes.com/1970/12/20/archives/poland-fires-of-discontent-scorch-gomulka-regime.html">1970</a>, <a href="https://sites.google.com/site/rauwiller67/home/pages-dates-parues-dans-le-monde/les-emeutes-en-pologne-1">1976</a>) en employant la force armée. Cette fois, à Gdansk, le pouvoir communiste a peur de tirer sur les ouvriers. Ses représentants acceptent de se rendre sur place, au chantier naval, dans une chaleur caniculaire, pour discuter, plusieurs jours durant, des <a href="https://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/memory-of-the-world/register/full-list-of-registered-heritage/registered-heritage-page-8/twenty-one-demands-gdansk-august-1980-the-birth-of-the-solidarity-trades-union-a-massive-social-movement/">21 revendications</a> formulées par les grévistes. À leur tête : l’électricien Lech Walesa, soutenu et conseillé par des intellectuels comme Tadeusz Mazowiecki et Bronislaw Geremek. Le 31 août 1980, les <a href="https://www.herodote.net/31_ao_t_1980-evenement-19800831.php">accords de Gdansk</a> sont signés, sous l’œil ébahi des cameramen du monde entier. Le premier syndicat libre et autonome vis-à-vis du Parti est légalisé. Presque 40 ans plus tard, sa quasi-absence dans les récits mobilisés pour les commémorations françaises de la chute du Mur interroge.</p>
<h2>La richesse des archives audiovisuelles</h2>
<p>Solidarnosc fut un mythe pour ceux qui ont vécu, de près ou de loin, les grèves d’août 1980 aux chantiers navals Lénine de Gdansk. <a href="https://journals.openedition.org/elh/337">L’écrivaine Marguerite Duras</a>, comme des milliers d’autres Européens, a tremblé en apprenant cette « joie immense », ce « bonheur de nature révolutionnaire » venu de Pologne et qui faisait alors la une des journaux occidentaux.</p>
<p>Comprendre l’histoire de Solidarnosc oblige aujourd’hui à prendre en compte et à questionner non seulement les sources écrites et les témoignages, mais aussi les nombreux fonds d’archives <a href="https://www.cairn.info/revue-geneses-2008-1-page-120.htm">graphiques</a>, photographiques et audiovisuelles. Ces sources précieuses et singulières – qui peuvent parfois <a href="http://www.editions-codex.fr/2019/11/01/vient-de-paraitre-pologne-1989-comment-le-communisme-sest-effondre/">déplacer notre manière d’analyser la sortie du communisme</a> – nécessitent en effet de mobiliser des outils d’analyse spécifiques ; elles posent des questions complexes de propriété et de droits d’auteur. Comme le <a href="https://www.editions-msh.fr/livre/?GCOI=27351100374750">souligne</a> l’historienne <a href="https://sylvielindeperg.com/">Sylvie Lindeperg</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les images d’archives sont aussi les symptômes des mentalités d’une époque, de ses manières de voir et de penser, de façonner l’opinion, de construire les mémoires et fixer les imaginaires. » </p>
</blockquote>
<p>Ces archives sont aujourd’hui sollicitées par les historiens et réinvesties de manière exponentielle dans de <a href="https://dokest89.wordpress.com/">nombreux films documentaires produits après 1989</a>. Elles participent pleinement à l’écriture de l’histoire du Bloc de l’Est et fournissent de nouvelles sources pour la compréhension des sociétés communistes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301080/original/file-20191111-194624-ih9hav.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Photogramme du film « Solidarnosc, la chute du mur commence en Pologne ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Looksfilm/NDR/Arte, 2019</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De 1980 à 1989, une masse d’images a été produite par les deux camps. Certaines d’entre elles ont été diffusées au delà des frontières polonaises pour susciter la sympathie internationale et infléchir le régime. Dans le film <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/086126-000-A/solidarnosc-la-chute-du-mur-commence-en-pologne/">« Solidarnosc, la chute du mur commence en Pologne »</a>, produit en 2019 par Looksfilm (Gunnar Dedio et Christin Schutta) et NDR/Arte (Ulrike Dotzer), je propose de remobiliser ces images en confrontant celles produites par les opérateurs de la police politique communiste, celles des militants de Solidarnosc et celles des télévisions de l’Ouest.</p>
<p>Cette confrontation de plusieurs regards animés par des stratégies politiques diverses donne à voir les rapports de force qui se jouèrent à Gdansk et tout au long des années 1980 sur la scène polonaise et européenne. La télévision publique polonaise fut ainsi utilisée par les dirigeants communistes pour dénoncer l’« anarchie » des opposants et inciter les citoyens à respecter l’ordre social. Les caméras de la Bezpieka (la police secrète polonaise) furent de leur côté mobilisées pour surveiller les fauteurs de troubles, semer la désunion dans les rangs des insurgés et alimenter les peurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301081/original/file-20191111-194675-z29qxf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un agent de la Bezpieka en train de filmer des suspects depuis un véhicule banalisé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives de l’IPN</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces images, conservées dans les fonds de l’<a href="https://ipn.gov.pl/en">IPN (Institut de la Mémoire nationale)</a>, sont encore peu connues, aussi bien des historiens que du grand public, mais elles sont accessibles. Elles dévoilent les techniques opérationnelles des agents de sécurité – filature, échanges d’informations… – inspirées pour les meilleures d’entre elles des films d’espionnage occidentaux. Tantôt tragiques – arrestations, diverses opérations d’intimidation… –, elles frôlent parfois le comique (on songe, notamment, aux interrogatoires mis en scène par les forces de l’ordre). </p>
<p>Après la mise en place de l’<a href="https://www.herodote.net/13_decembre_1981-evenement-19811213.php">état de guerre le 13 décembre 1981</a>, les caméras des studios de cinéma et de télévision sont confisquées par les militaires. Mais dans le camp des militants de Solidarnosc, la production audiovisuelle continue, exploitant notamment le progrès technique que constitue l’apparition des premières caméras vidéo. Des cameramen dissidents comme Jacek Petrycki ou Michal Bukojemski photographient et filment les militants emprisonnés, les actions spontanées de rue, le travail des imprimeries illégales, les entretiens clandestins. Dans les camps d’internement, ils documentent ainsi la vie quotidienne des opposants, mais aussi celle d’une véritable société parallèle qui continue d’entretenir l’esprit de Solidarnosc.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301082/original/file-20191111-194661-1l46osc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">1982, au camp d’internement de Bialoleka.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Michal Bukojemski</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Images d’hier, enjeux d’aujourd’hui</h2>
<p>Ces images sont une source passionnante pour comprendre les batailles successives qui rythmèrent la guerre idéologique et émotionnelle menée par les deux camps. Plus généralement, elles posent la question de la conservation et de la mise à disposition des archives photographiques et audiovisuelles, mais aussi celle de leur indépendance à l’égard des conflits politiques contemporains. C’est le rôle difficile des institutions responsables de ces divers fonds d’archives, telles que <a href="https://karta.org.pl/">Karta</a>, l’IPN et surtout le <a href="https://ecs.gda.pl/title,Jezyk,pid,2,lang,2.html">Centre européen de Solidarnosc (ECS)</a>, dont l’indépendance est constamment menacée par les instances dirigeantes. </p>
<p>L’histoire de la Pologne est en effet largement exploitée pour légitimer les choix politiques du pouvoir actuel, conservateur et nationaliste, dirigé par le PiS. Elle lui permet de distinguer les « bons » et les « mauvais » Polonais, les « vrais patriotes » et ceux qui – par leurs divergences – menaceraient la vision homogène de l’identité polonaise que le PiS entend imposer. Les financements publics de l’ECS sont ainsi régulièrement coupés. Comme l’<a href="https://www.spiegel.de/plus/polen-die-solidarnosc-hat-sich-politisch-verengt-a-00000000-0002-0001-0000-000163834438">analyse à juste titre le directeur de l’ECS Basil Kerski</a>, « Solidarnosc a été une union pluraliste de différents forces sociales, son fondement était la tolérance. Les dirigeants actuels du syndicat soulignent au contraire son statut de mouvement national et catholique. Ils ont un problème avec ceux qui pensent différemment, et notamment avec les Polonais critiques envers l’Église. » Le <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2017-1-page-36.htm">travail des historiens</a> sur l’héritage complexe de Solidarnosc n’échappe pas à ces <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/En-Pologne-drole-guerre-entre-Walesa-Kaczynski-2018-05-14-1200938819">luttes politiques actuelles</a> et à la montée des populismes qui agitent l’Europe.</p>
<p>Les responsables de ces institutions ont aujourd’hui une lourde tâche à accomplir en matière de préservation et de gestion des archives de Solidarnosc : maintenir l’<a href="https://www.franceculture.fr/histoire/a-lehess-un-colloque-sur-lhistoire-de-la-pologne-perturbe-par-des-nationalistes">indépendance de la recherche</a> et le débat démocratique, former les citoyens à une lecture critique du passé, lutter contre les tentatives de réappropriation de l’Histoire et contre la domination d’un récit national unique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ania Szczepanska ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si le mur de Berlin est tombé en 1989, la remise en cause du pouvoir communiste a commencé en Pologne 9 ans plus tôt. Aujourd’hui, l’héritage du syndicat Solidarnosc fait l’objet de débats acharnés.Ania Szczepanska, Maître de conférences en histoire du cinéma, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1190412019-07-17T21:23:20Z2019-07-17T21:23:20ZArchiver les traces numériques en Méditerranée, un défi aux multiples enjeux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/284503/original/file-20190717-147318-12u7n8c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C6%2C1019%2C676&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La BNF conserve également les archives du Net. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/julien-carnot/2241746758">Flickr / Julien carnot</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié dans le cadre du Festival du Jeu de l’Oie organisé par l’Université Aix Marseille, qui s’est tenu du 9 mai au 22 juin 2019, et dont The Conversation France était partenaire. Retrouvez le programme complet sur le <a href="https://festivaljeudeloie.fr/">site de l’événement</a>.</em></p>
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<p>Lors de mes recherches sur les mémoires de l’immigration maghrébine sur la Toile dans une perspective historique, j’ai opté pour une approche qualitative et sociale, en analysant en profondeur un nombre limité de contenus en ligne qui avaient été archivés parfois depuis 1999 par la Bibliothèque nationale de France et l’Institut national de l’audiovisuel. Dans le même temps, il a été nécessaire d’aller « au-delà de l’écran » à la rencontre des créatrices et des créateurs des contenus en ligne pour connaître leurs motivations et les conditions de la fabrique des mémoires.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/284706/original/file-20190718-116539-17q04ij.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d'écran du site MedMem, Mediterranean Memory ; dir. Institut national de l'audiovisuel, www.medmem.eu/en/</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ce premier doctorat d’histoire fondé sur les <a href="https://theconversation.com/archiver-le-web-un-defi-historique-117854">archives du Web</a> a mis en exergue la reconfiguration de ces mémoires sur la toile : les scénographies héritées de la période pré-Web étant progressivement ré-agencées au profit des modes de narration propres au Web et, si certaines interprétations du passé perduraient (anticolonialisme, souffrances économiques et sociales, mémoires de luttes immigrées) d’autres lectures émergaient sur la Toile, notamment une interprétation religieuse de cette histoire à la fin des années 1990 puis une approche « post-coloniale » dès 2003.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/archiver-le-web-un-defi-historique-117854">Archiver le Web, un défi historique</a>
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<p>À l’issue de cette recherche, un des freins dans le recours aux archives Web françaises gérées par l’<a href="http://www.ina.fr/">Ina</a> et la <a href="http://www.bnf.fr/">BnF</a>, a été de ne pas pouvoir accéder aux contenus issus du Web algérien, tunisien ou marocain des années 2000 qui donnent sans doute à voir des lectures bien différentes de l’histoire des migrations depuis la rive sud de la Méditerranée. Cela signifie que mon travail s’est limité pour les années 2000 au seul point de vue français de ces mémoires en ligne, alors que la question de la confrontation et de la <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/traversees-memoires-mediterranee">« traversées des mémoires »</a> de part et d’autre du bassin méditerranéen est un enjeu majeur. Cette carence illustre l’inégale situation des États de la région quant à la préservation de leur <a href="http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=17721&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html">patrimoine numérique</a>, de surcroît en contexte de bouleversements sociopolitiques.</p>
<h2>Une histoire de la contestation en ligne</h2>
<p>Alors que les « révoltes arabes » ont généré de multiples discours sur le rôle politique des médias sociaux, devenant un terrain d’affrontement entre technophiles et technophobes, de nombreux chercheur·e·s en SHS ont travaillé sur les articulations complexes entre les militants et les outils de communication. Ces études montrent notamment la façon dont les réseaux sociaux ont été mobilisés comme vecteurs de la contestation qui s’est déroulée avant tout dans l’espace public hors ligne et sur le terrain politique. Depuis le 22 février 2019, c’est la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/02/28/en-algerie-le-regime-a-surestime-la-patience-du-peuple_5429638_3212.html">population algérienne qui refuse le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika</a>.</p>
<p>Les manifestants se mobilisent dans la rue comme sur les réseaux socionumériques et font circuler, via les photographies et les vidéos, les mots d’ordre de la contestation, parfois avec beaucoup de dérision. Ces traces numériques sur la Toile constituent une part de la mémoire des événements qui sont en train de se dérouler.</p>
<p>Comme l’illustre l’exposition <a href="http://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/instant-tunisien-les-archives-de-la-revolution">« Instant tunisien »</a> qui se déroule en ce moment au MUCEM en relation avec le <a href="https://festivaljeudeloie.fr/">Festival Jeu de l’Oie</a>, les « Archives de la Révolution » sont aussi numériques.</p>
<p>Néanmoins, en observant la carte des États dans lesquels des institutions sont membres de l’<a href="http://netpreserve.org/about-us/members/">International Internet Preservation Consortium</a>, le Sud et l’Est de la Méditerranée apparaissent peu représentés. Parmi les <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Web_archiving_initiatives">initiatives nationales</a>, on peut citer la Bibliothèque d’Alexandrie qui archive le Web égyptien depuis 2002 ou encore la mise en place d’une collecte du Web national grec depuis 2010.</p>
<h2>Le contrôle de la mémoire</h2>
<p>Pour les sociétés et pour les chercheurs, l’absence de politique d’archivage cohérente, étatique ou non, a pour conséquence le déploiement de formes d’auto-constructions mémorielles, chaque individu, chaque groupe, chaque association, chaque parti ou gouvernement, tentant de préserver les traces numériques qui lui semblent importantes. De ce fait, le patrimoine numérique des événements contemporains se construit au pluriel, selon des formes de choix et d’interprétations du passé spécifiques, chacun choisissant les traces sauvegardées selon son point de vue. À cela s’ajoute le fait que, si la volonté d’organiser un archivage des traces numériques qui prenne en charge l’intégralité et la pluralité des récits est sans doute présente au sein des organismes patrimoniaux, cela représente un coût financier conséquent lié au stockage des données numériques (serveurs). Par ailleurs, les enjeux de préservation du patrimoine numérique en Méditerranée dépassent largement le cadre de la seule problématique mémorielle.</p>
<p>La tentation, à des fins politiques, de contrôler la mémoire visuelle d’événements historiques est bien sûr ancienne, à l’image de l’exemple emblématique des photographies truquées des discours de Lénine dans l’URSS du début des années 1920, effaçant la mémoire des anciens héros de la Révolution devenus gênants, grand classique de l’<a href="https://www.histoire-image.org/fr/etudes/histoire-soumise-ideologie">histoire scolaire</a>. À l’ère numérique, le contrôle politique est protéiforme, il peut bien sûr s’agir de contrôler les communications et l’accès ou non à certains sites, mais dans des cas plus radicaux, cela peut également se traduire par la suppression, à grande échelle, de données en ligne.</p>
<h2>L’exemple du Web syrien</h2>
<p>Penchons-nous sur le cas du Web syrien. Avant le début de la contestation en 2011, Internet et le Web syrien étaient sous le contrôle du régime. Ainsi, en 2007 Facebook est interdit car le site est perçu comme une menace américaine (ce qui n’empêche pas une partie de la population de continuer à utiliser la plate-forme), YouTube est bloqué à plusieurs reprises entre 2008 et 2009. Paradoxalement, au début de la contestation, le régime rouvre l’accès aux plates-formes de partage de vidéos et aux réseaux socionumériques. Ainsi la page Facebook « Syrian Revolution » compte en mars 2011 près de 140 000 membres mais cette ouverture est en réalité un piège pour la protestation, le régime utilisant les données pour identifier les réseaux et traquer les opposants.</p>
<p>Comme le soulignent <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-12-page-595.htm?contenu=resume">Stéphane Bazan et Christophe Varin</a>, le Web s’est transformé pour les contestataires en un immense piège. La guerre se déroule aussi sur la toile et la Syrian Electronic Army s’affaire, en plus de publier des contenus factices, à effacer ou à dégrader les sites des opposants, faisant ainsi disparaître par la même toute possibilité de transmission de cette mémoire numérique de la contestation. À cela s’ajoutent bien sûr bon nombre de contenus réalisés et diffusés par les différents belligérants, dont Daesch.</p>
<p>Le cas syrien, de par sa radicalité et son caractère dramatique, illustre avec acuité les enjeux liés à l’archivage du Web.</p>
<p>Premièrement, avec Internet émergent de nouveaux passeurs et intermédiaires, partie prenante du conflit et de sa mémoire : les principales plates-formes de diffusion sont devenues des intermédiaires incontournables du Web qui participent de fait à la fabrication des événements. Ainsi Facebook censure peu les propos propagandistes, mais, tout comme YouTube, supprime l’accès aux contenus violents, ce qui fût le cas pour les vidéos qui donnaient à voir des exactions contre les populations civiles relevant de la violation des droits fondamentaux.</p>
<p>Deuxièmement, média computationnel et décentralisé, le Web et les réseaux socionumériques peuvent faire l’objet de pratiques d’effacement plus ou moins volontaires, prolongeant ainsi la « cyberguerre » dans un affrontement de la sauvegarde de mémoires numériques conflictuelles. Dans le cas syrien, une partie de la contestation en exil a pris en charge la préservation et la diffusion des contenus en ligne, à l’image du site <a href="https://creativememory.org/fr/"><em>The Creative Memory of The Syrian Revolution</em></a>. Pour ce qui concerne les vidéos en ligne, elles peuvent potentiellement constituer, quels que soient les belligérants, des preuves dans le cadre d’éventuelles procédures judiciaires à l’avenir.</p>
<p>Face à ce phénomène, le collectif <a href="https://syrianarchive.org/en">The Syrian Archive</a> s’est engagé dans la collecte des vidéos des exactions commises par les différents acteurs du conflit. Les contenus sont vérifiés, sauvegardés et diffusés.</p>
<p>Troisièmement, pour comprendre le rôle du Web et des médias sociaux dans ces événements récents, aussi effroyables que complexes, les chercheur·e·s en Sciences humaines et sociales se trouvent – et se trouveront à terme – démuni·e·s en l’absence d’archives Web qui, malgré leurs limites, offrent des perspectives de sauvegarde et de stabilisation des corpus. Les pistes de recherche sont nombreuses comme en témoigne le projet de recherche <a href="https://shakk.hypotheses.org/">« De la révolte à la guerre en Syrie »</a> qui porte sur les vidéos vernaculaires du conflit. De plus, les possibilités techniques sont réelles, à l’image de la reconstitution, par Anat Ben David, du domaine national yougoslave (ensemble des sites en.yu) supprimé en 2010, sept ans après la dissolution du pays. Grâce à une approche interdisciplinaire, cette chercheuse en sociologie et en sciences de la communication a collecté les traces du Web yougoslave sauvegardées par <a href="https://archive.org/">Internet Archive</a> et par des amateurs, afin de <a href="https://www.slideshare.net/anatbd/resaw2015-bendavid-presentation">reconstruire le domaine et de l’analyser</a>.</p>
<p>Outre ces questionnements historiographiques et géopolitiques liés à la préservation du patrimoine numérique en Méditerranée, les enjeux sont aussi éthiques. En tant que chercheur ou chercheuse, doit-on sauvegarder ou diffuser les traces numériques des belligérants ce qui pourraient mettre leur vie ou celle de leur famille en péril ? </p>
<p>En tant que citoyenne et citoyen de pays méditerranéens membres de l’Union européenne, doit-on attendre que ce soit l’association états-unienne Internet Archive qui, dans le cadre d’un projet de recherche, prenne en charge la collecte des conflits et des mouvements sociaux du monde arabe ? Doit-on envisager, à l’image du projet <a href="http://www.mmsh.univ-aix.fr/ressources/Pages/MedMem.aspx">MedMem</a>, une politique d’incitation à des programmes de recherche-action impliquant des chercheurs issus des deux rives autour de la préservation et de l’appréhension du patrimoine numérique ? Si cette dimension semble bien anecdotique au regard de l’acuité des enjeux méditerranéens contemporains, elle est néanmoins décisive pour l’avenir de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119041/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sophie Gebeil a reçu des financements de Aix-Marseille Université. Chercheur associé à l'Institut national de l'audiovisuel (pas de financement associé à l'exception des frais de déplacement).</span></em></p>Sera-t-il possible, dans 50 ans, d’étudier les traces numériques de la Révolution tunisienne ou du conflit syrien ?Sophie Gebeil, Maître de conférences en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1178402019-06-04T23:09:52Z2019-06-04T23:09:52ZLa créatrice de la poupée Barbie, un cas de leadership au féminin<p>En fêtant les <a href="https://www.lepoint.fr/societe/barbie-60-ans-et-pas-une-ride-02-01-2019-2282797_23.php">60 ans de Barbie</a>, l’historien des entreprises risque de se focaliser sur certains aspects de Mattel, la société américaine qui la commercialise, comme son développement mondial rapide, ses <a href="https://www.20minutes.fr/economie/2314099-20180727-barbie-fabricant-mattel-va-supprimer-2200-emplois-apres-lourde-perte">difficultés actuelles</a> face à des jouets plus interactifs, ou encore l’impact de la poupée sur le rapport des jeunes filles au corps et la propagation d’un modèle <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/10/10/barbie-veut-combattre-les-stereotypes-sexistes-apres-les-avoir-vehicules-pendant-des-annees_a_23556385/">stéréotypé</a> de femme. Mais en cette date anniversaire, un oubli peut surprendre quand on connaît le cas d’école que constitue la création de cette marque mondialement connue. Cet oubli porte sur la personnalité hors du commun de la fondatrice de l’entreprise : Ruth Handler.</p>
<h2>Une succession d’épreuves</h2>
<p>La première partie de la vie de Ruth Handler (née Moskowicz) est une succession d’épreuves. C’est d’abord le déracinement de sa famille de juifs polonais émigrés aux États-Unis. Cadette de dix enfants, Ruth ne pourra pas faire d’études et commencera vite à travailler comme secrétaire. Elle affrontera aussi l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale qui touche toute l’Amérique. Au lendemain de la guerre, ce sont aussi des difficultés financières pour son jeune couple installé en Californie avec deux enfants. Mais à déjà 30 ans, Ruth avait une énorme ambition pour sa vie et voyait les choses en grand pour la famille Handler.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277574/original/file-20190603-69079-wepvga.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La poupée Barbie doit son succès mondial à l’ambition de sa créatrice, Ruth Handler.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ekaterina_Minaeva/Shutterstock</span></span>
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<p>Elle incita donc son mari à exploiter ses compétences de designer pour créer, en 1945 une entreprise de fabrication d’objets en plastique. Très vite, le succès fut au rendez-vous. Derrière la création de Mattel, les qualités de Ruth font immédiatement merveille. En plus de son ambition, la liste de ses compétences met en exergue les qualités hors pair de la jeune femme : goût du risque, créativité, énergie, capacité de conviction, intelligence, détermination. Ces qualités faisaient d’elle le véritable dirigeant de Mattel (même si elle ne prit le titre de président qu’en 1967).</p>
<h2>Poker et ruptures stratégiques</h2>
<p>Mais, une autre qualité rare doit être soulignée chez Ruth Handler : sa capacité d’anticipation. Dirigeante visionnaire, Ruth Handler a en effet marqué sa société par sa capacité à analyser les signaux faibles de son environnement, déceler les innovations potentielles, et développer des ruptures stratégiques en avance sur son temps.</p>
<p>Ainsi, lors du lancement d’un des premiers jouets de Mattel (une mitrailleuse en plastique), l’entreprise chercha une manière originale d’en faire la promotion. Une innovation fut d’instaurer un lien direct avec les enfants, alors qu’auparavant les jouets étaient vendus aux parents qui choisissaient les jouets à la place de leur progéniture. Les parents venaient donc dans les magasins en demandant un jouet pour un enfant de tel ou tel âge, sans finalement en référer aux utilisateurs finaux.</p>
<p>L’idée de Ruth Handler fut de sponsoriser, en 1955, l’émission de télévision <em>Mickey Mouse Club</em> afin de faire la promotion directement auprès de son jeune public (et non des parents) de sa marque et de son jouet. Suite à cette promotion, des milliers de garçons demandèrent avec insistance à leurs parents la nouvelle mitrailleuse, un renversement par rapport à l’acte d’achat traditionnel dicté par les parents.</p>
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<figcaption><span class="caption">La première publicité de Mattel diffusée pendant le <em>Mickey Mouse Club</em>.</span></figcaption>
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<p>Si cette idée peut paraître anodine pour des consommateurs du XXI<sup>e</sup> siècle, ce fut une indéniable rupture dans les habitudes marketing de l’époque. Une autre innovation est le coût de cette opération de promotion : 500 000 dollars, soit à l’époque la totalité de la valeur financière de la société Mattel. Férue de poker, Ruth Handler était ainsi prête à risquer l’intégralité de son patrimoine sur une seule opération commerciale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277570/original/file-20190603-69063-a5fin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bild Lilli, l’inspiratrice de la poupée Barbie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/romitagirl67/12681433433">RomitaGirl67/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Devant le succès du jouet préféré de son fils (Kenneth, qui d’ailleurs guida la création de Ken, le célèbre compagnon de Barbie), Ruth Handler souhaitait aussi faire un produit pour les filles, sachant qu’elle avait déjà une consommatrice de choix : sa fille Barbara. L’idée de la poupée Barbie émergea dans l’esprit de Ruth Handler lors d’un voyage en famille en Europe. Dans la vitrine d’une boutique suisse, elle découvrit un sex-symbol aux formes généreuses : Bild Lilli, une poupée pour chauffeurs routiers souhaitant décorer leur véhicule qu’un mannequin aux formes généreuses.</p>
<p>Une autre idée géniale de Ruth Handler (et d’une certaine manière à son image) fut de comprendre que les jeunes filles des années 1950 ne voulaient plus seulement être des mères, mais aussi des jeunes femmes qui voulaient séduire et travailler. Alors que les jouets concurrents correspondaient au rôle unique assigné de la femme au foyer (on vendait dans les années 1950 beaucoup de bébés à langer), la poupée Barbie était l’annonce d’une certaine émancipation du rôle unique de mère. Bien sûr, avec le recul, on peut voir dans Barbie la personnification de la femme-objet. Mais à l’époque, l’idée de Ruth Handler n’est pas de créer un jouet sex-symbol mais un jouet reflétant la femme travaillant, souhaitant être autonome. Comme elle le <a href="http://www.quotabelle.com/author/ruth-handler">déclara</a> quelques années plus tard :</p>
<blockquote>
<p>« Barbie représente pour moi le fait qu’une femme a toujours des choix dans la vie ».</p>
</blockquote>
<p>Quand Ruth Handler présenta son nouveau concept de jouet au patron d’une grande agence américaine de publicité, celui-ci s’écria : « cela n’a aucune chance de réussir. Vous êtes en train de me faire une blague ». Le pudique comité de direction de Mattel (uniquement composé d’hommes exceptée Ruth) s’opposa aussi à l’idée d’une poupée sexy. Résolue, Ruth Handler imposa le projet. Elle obligea immédiatement le département de recherche et de développement de Mattel à réaliser les prototypes d’une poupée vendue à prix coûtant, mais dont le bénéfice était réalisé sur la vente des habits et autres accessoires.</p>
<h2>Un contact direct avec les enfants</h2>
<p>Au passage, les 200 personnes du département R&D étaient une exclusivité de Mattel que l’on ne trouvait à l’époque que dans l’aéronautique ou l’automobile, mais pas dans le secteur du jouet. Par la même occasion, l’innovation d’un produit dont le bénéfice provient des consommables (en l’occurrence les accessoires) était née. On a ici une rupture stimulante : la poupée est vendue à un prix très faible pour capter un marché et le profit est généré par la vente des accessoires. Ce modèle d’affaires est maintenant devenu la norme dans beaucoup de secteurs.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277573/original/file-20190603-69083-axx1k5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une réédition du modèle Barbie présenté en 1959 à New York.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tinker-tailor/4214155125">Dollyhaul/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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</figure>
<p>Quand la poupée Barbie fut présentée à la foire internationale du jouet de New York, en 1959, tous les grands acheteurs notamment des grandes enseignes de magasins américains refusèrent ce nouveau produit. Là où beaucoup d’entrepreneurs auraient baissé les bras, en constatant que les acheteurs professionnels ne suivaient pas, Ruth Handler décida de passer outre et d’aller directement vendre sa poupée aux enfants. Finalement, Ruth fit ce qu’elle savait faire : instaurer un contact direct avec les consommateurs. Une grande campagne de publicité fut alors lancée qui se solda par le succès planétaire que l’on connaît.</p>
<p>Six décennies plus tard, cette femme dirigeante extraordinaire, décédée en 2002, semble être la grande oubliée des 60 ans de Barbie. Ruth Handler était pourtant une femme autonome, créative, puissante et libre. On peut donc voir en elle un modèle de leadership au féminin. Finalement, un modèle beaucoup plus intéressant et utile que la femme-objet aux formes sexy…</p>
<iframe width="100%" height="100%" frameborder="0" marginheight="0" marginwidth="0" scrolling="no" src="https://player.ina.fr/player/embed/2009926001031/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1" allow="fullscreen,autoplay"></iframe><img src="https://counter.theconversation.com/content/117840/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>2019 marque le 60ᵉ anniversaire de la célèbre poupée. L’occasion de revenir sur le parcours de l’héroïne de l’aventure Mattel : Ruth Handler, un modèle exemplaire de leader visionnaire.Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1067142019-02-17T21:28:52Z2019-02-17T21:28:52ZUne nouvelle lecture de la Grande Dépression des années 1930 en France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/258745/original/file-20190213-181589-10ntjod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C30%2C1011%2C695&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En France, les conséquences de la crise bancaire de 1930-1931 ont été graves.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.berthomeau.com">Anonyme</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article s’appuie sur le <a href="https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/wp698_0.pdf">working paper</a> intitulé « Flight-to-safety and the credit crunch : A new history of the banking crisis in France during the great depression ») publié par le Centre for Economic Policy Research.</em></p>
<hr>
<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/crise-financiere-39995">crise bancaire de 2008</a> a entraîné le monde dans ce qu’il est désormais d’usage d’appeler la « grande récession », en référence à la Grande Dépression des années 1930, la seule crise économique d’envergure comparable.</p>
<p>Comment une crise bancaire entraîne-t-elle une crise économique ? Les réponses traditionnelles sont toutes fondées sur l’analyse des paniques bancaires des années 1930 aux États-Unis, le seul pays pour lequel existent de larges bases de données en raison d’une régulation bancaire qui imposait aux banques la transmission périodique au régulateur de bilans harmonisés.</p>
<p>Ces réponses mettent en évidence le rôle de facteurs monétaires comme la diminution de la liquidité (<a href="https://academic.oup.com/jah/article-abstract/51/1/101/838097?redirectedFrom=fulltext">Friedman et Schwartz, 1963</a>), et non monétaires comme une moindre efficacité de l’allocation du crédit (<a href="https://www.nber.org/papers/w1054">Bernanke, 1983</a>). L’effet monétaire réduirait la base monétaire par le gel de dépôts dans les faillites bancaires ; l’effet non monétaire augmenterait le coût de l’intermédiation à cause d’un durcissement des asymétries d’information, les entreprises recherchant des nouveaux partenaires bancaires à la suite des faillites.</p>
<h2>Fuite vers la sécurité</h2>
<p>La crise dite des subprimes a pourtant mis en exergue un mécanisme alternatif fondé sur la « fuite vers la sécurité » des banques et des investisseurs en raison de leur perception accrue du risque systémique du système bancaire (<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304405X1100081X">Gorton et Metrick, 2012</a>, <a href="http://economics.mit.edu/files/3679">Caballero et Krishnamurthy, 2008</a>). En réexaminant l’histoire de la Grande Dépression américaine, <a href="https://www.nber.org/papers/w22074">Mitchener et Richardson (2016)</a> ont montré le rôle clé de ce phénomène.</p>
<p>Dans un <a href="https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/wp698_0.pdf">article récent</a>, nous proposons une nouvelle interprétation de la Grande Dépression en France fondée sur cette fuite vers la sécurité. Initialement plus modérée que dans d’autres pays comme les États-Unis et l’Allemagne, la crise économique française a été très persistante. Après les paniques bancaires de 1930-1931, l’indice de la production industrielle est resté inférieur de 30 % à son sommet de 1929. Les recherches antérieures ont minimisé le rôle de ces crises bancaires, soulignant plutôt celui de l’adhésion obstinée de la France à l’étalon-or jusqu’en 1936, un système de change fixe fondé sur la parité en or des monnaies.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258744/original/file-20190213-181615-17i43iz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les principaux établissements de l’époque ont été davantage épargnés par la crise que le reste du système bancaire français.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/wp698_0.pdf">Auteurs</a></span>
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</figure>
<p>En l’absence de statistiques bancaires complètes pour la France de l’entre-deux-guerres, la méthode habituelle de calcul des séries de crédits et de dépôts bancaires reposait sur les bilans des quatre plus grandes banques commerciales – facilement disponibles – qui étaient supposées représenter grosso modo la moitié du secteur bancaire à la suite d’une enquête de la Banque de France portant sur l’année 1939. Puisque ces grandes banques n’avaient pas connu de difficultés en 1930 et 1931, il n’y avait aucune preuve d’une crise majeure, bien que quelques historiens aient signalé un nombre important de faillites bancaires.</p>
<h2>Plus de la moitié du système bancaire ravagé</h2>
<p>Sur la base de recherches archivistiques approfondies, nous avons ont réuni et harmonisé les bilans de plus de 400 banques françaises pendant l’entre-deux-guerres et enrichit cette base avec des données couvrant les caisses d’épargne, la Banque de France et d’autres institutions financières non bancaires. Nous montrons que, dans le cas français, la fuite vers la sécurité était le principal mécanisme de transmission des crises bancaires à l’économie réelle. Très asymétrique, la crise a épargné les grandes banques, mais elle a ravagé le reste du système bancaire qui représentait en 1929 bien plus que la moitié du système bancaire français.</p>
<p>La crise bancaire a déclenché cette fuite vers la sécurité via le transfert des dépôts des banques vers les caisses d’épargne et la banque centrale. Les banques françaises n’étaient pas réglementées à l’époque alors que les caisses d’épargne bénéficiaient d’une garantie implicite de l’État qui absorbait la totalité de leurs ressources.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=393&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/258739/original/file-20190213-181619-fu1580.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=494&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les quatre principales banques françaises ont rapidement augmenté leurs dépôts à la Banque de France après la crise de 1929.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/wp698_0.pdf">Auteurs</a></span>
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</figure>
<p>Puisque les crises bancaires ont principalement conduit à ce transfert des dépôts, la masse monétaire totale n’a pas diminué. Pourtant, la Banque de France et les caisses d’épargne ont investi les nouvelles ressources pour réduire la dette publique et augmenter les réserves d’or dans la perspective de sécuriser l’adhésion à l’étalon-or. Aucune autre institution financière n’est parvenue à remplacer le rôle du système bancaire dans le financement des entreprises alors que l’État et la banque centrale n’ont pas mis en place de politiques de relance.</p>
<p>Ainsi, le total des prêts aux entreprises a fortement diminué : le ratio entre crédit et masse monétaire est passé de 40 % avant la crise à 20 % en 1931 et est resté à ce niveau tout au long des années 1930. Cette nouvelle interprétation de la Grande Dépression française montre la nécessité d’une vision globale du système financier pour comprendre les canaux et les conséquences des crises bancaires… et tenter de les prévenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106714/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Angelo Riva a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche. Projet "Systemic Risk in the 1930s" (ANR 15-CE26-0008)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cette étude a été financée par l'ANR (Agence Nationale pour la Recherche) sous le nom de projet SYSRI 30 (ANR-15-CE26-0008). Les points de vue ne reflètent pas l'opinion de la Banque de France ou de l'Eurosystème.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Patrice Baubeau a reçu des financements de l'ANR en vue de réaliser la recherche à l'origine de cette publication.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Stefano Ungaro ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La diffusion de la crise bancaire à l’économie réelle s’est effectuée plus lentement qu’ailleurs car les banques et les investisseurs ont adopté un comportement de fuite progressive vers la sécurité.Angelo Riva, Economiste, Professeur de finance à l'European business school, INSEEC Grande ÉcoleEric Monnet, Economiste, professeur affilié, Paris School of Economics – École d'économie de ParisPatrice Baubeau, Maître de conférence HDR, Histoire, histoire économique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresStefano Ungaro, Chercheur Postdoctoral, Paris School of Economics – École d'économie de ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1055292018-10-30T23:34:05Z2018-10-30T23:34:05ZDe Charcot à la revue de charme : quand l’hystérie se fait fantasme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/241856/original/file-20181023-169825-1t9pcpy.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C744%2C563&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Iconographie photographique de la Salpêtrière, tome II, 1876-1880, planche XXIX et Mes Modèles, n° 1, 1er avril 1905.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Clôturant un siècle de révolutions tous azimuts, l’orée du XX<sup>e</sup> siècle est plus que jamais une époque parcourue de tensions. Instabilités politiques, innovations technologiques, avancées scientifiques et premières tentatives de libération de la condition féminine rendent la période trouble et, au milieu de ce bouillonnement, une presse emblématique de son temps voit le jour.</p>
<p>Sans précédents ni avatars, les albums du nu naissent au tout début du siècle : ils pulluleront durant les douze années qui précèdent la Grande Guerre pour s’éteindre au commencement de cette dernière. Parus entre 1902 et 1914, les albums du nu sont en réalité les premières revues de modèles de nu photographique, prétendument à destination des artistes. Ces fascicules, vendus à bas prix, se présentent à leurs lecteurs comme des catalogues de poses, chaque exemplaire s’ouvrant sur quelques pages de texte théorique censées avaliser l’adresse « à destination des artistes » placardée fièrement sur chaque couverture.</p>
<h2>Document artistique ou revue de charme ?</h2>
<p>Clamant haut et fort leur strict académisme, leur ambition artistique est d’ailleurs appuyée par leur présence dans les archives de nombreuses institutions et artistes de l’époque : de l’École des Beaux-Arts aux archives de Picasso en passant par celles de Matisse, les revues du nu sont partout. À y regarder de plus près pourtant, le contenu scientifique – douteux à plus d’un titre –, comme les images – parfois très suggestives –, laissent supposer que le lecteur attendu ne serait pas tant l’artiste reconnu que l’amateur d’art, entendu évidemment au sens d’amateur de « belles choses ». Les revues du nu seraient dès lors des revues créées par les hommes, et pour les hommes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241876/original/file-20181023-169804-1cwj0hd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« Jeunes filles targui », tirées de <em>L’Humanité féminine. Femmes d’Afrique. Sud-Algérien et Tunisie</em>, IIIᵉ série, 5 janvier 1907 et Henri Matisse, <em>Deux négresses</em>, 1908, Paris, Musée national d’art moderne.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De fait, les photographies et leurs légendes sont à l’origine d’un discours qui évoque la domination du « sexe fort » sur le « sexe faible », un ascendant qui se redouble encore d’une domination de l’homme sur l’Autre, ce dernier pouvant être entendu de trois manières différentes, voire concomitantes au sein des albums du nu. L’Autre est femme, l’Autre est exotique, l’Autre est aliéné. Textes comme images des revues sont pétris de clichés : genre, race et pathologie sont autant de pôles autour desquels la revue du nu peut exprimer et refléter les mentalités de son temps. Et si les deux premiers n’ont jamais échappé à l’iconographie érotique ou artistique, le troisième était plus inattendu. Pleines de surprises, les revues du nu ne se contenteront pas de puiser aux clichés exotiques, et une influence aussi incongrue que déconcertante vient contaminer les fascicules.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241863/original/file-20181023-169813-1wf7ceq.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>Mes Modèles</em>, n° 50, 20 septembre 1906.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
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<h2>De l’étrangeté des poses</h2>
<p>Page après page, les photographies « académiques » côtoient des clichés dans lesquels les poses laissent perplexes. Les attitudes des modèles sont parfois bien éloignées des conventions artistiques en la matière et les postures, forcées à plus d’un titre, dérangent les clichés. Ce sont les corps en tension de modèles déformés qu’on découvre au fil des numéros : comme pris de spasmes, les jeunes femmes se tendent et se tordent devant les yeux ébahis du lecteur. De temps à autre, se conjuguent à ces corps distordus des expressions faciales hagardes, voire carrément extatiques. Ces clichés, comme celui qui paraît en 1909 dans <em>L’Étude académique</em>, ne laissent plus l’ombre d’un doute : la folie habite certains des modèles.</p>
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<span class="caption"><em>L’Étude académique</em>, n° 131, 1ᵉʳ juillet 1909.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Revues de charme ou revues artistiques, la surprise est la même : au premier coup d’œil, la figure de l’aliénée fait tache. Pourtant, à la lumière de leur époque, les images torturées de nos revues s’éclairent. C’est en creusant l’iconographie contemporaine, en particulier médicale, qu’on découvre que ces attitudes tourmentées ne sont pas orphelines. Elles puisent leur vocabulaire aux sources d’une imagerie scientifique et savante qui fait alors l’objet d’une large vulgarisation.</p>
<h2>Quand la folie se fait muse</h2>
<p>Dans le Paris fin de siècle, l’<a href="http://www.editionsmacula.com/livre/72.html">hystérie connaît son âge d’or</a>. En effet, si la Salpêtrière ne comptait au milieu du siècle qu’un pour cent de femmes diagnostiquées hystériques à leur entrée, elles étaient autour de 1880 près d’un quart. Les médecins aliénistes, le docteur Charcot en tête, produisirent dans les années 1870 et 1880 d’innombrables sommes et traités, des centaines d’articles, destinés à populariser la maladie. Dans cette entreprise de diffusion, la plus importante fut probablement l’œuvre de l’<a href="https://archive.org/details/iconographiepho00regngoog/page/n8"><em>Iconographie photographique de la Salpêtrière</em></a> de Charcot, anthologie imagée de l’hystérie illustrée par la photographie (1876-1880).</p>
<p>À la lumière des clichés voulus par Charcot, le doute n’est plus possible : c’est bien l’imagerie de l’hystérie qui parcourt les revues du nu. Et si les recherches de Rae Beth Gordon avaient déjà révélé que l’<a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=3223">imagerie médicale avait pu pénétrer le spectacle populaire</a> autour de 1900, lui insufflant une esthétique nouvelle, le fait qu’elle abreuve également les revues du nu est une découverte. Documents artistiques ou documents de charme, qu’importe : de la part de publications se présentant comme des catalogues de modèles anatomiques pour artistes et amateurs d’art, l’analogie ne laisse pas de surprendre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241864/original/file-20181023-169813-1swnzbf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Iconographie photographique de la Salpêtrière</em>, tome II, 1876-1880, planche XXVI et <em>L’Étude académique</em>, n° 28, 15 mars 1905.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>De l’hystérisation à la sexualisation : du pareil au même</h2>
<p>En allant un peu plus avant dans la compréhension de ce qui se joue au niveau de la science aliéniste de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, tout s’éclaire. La période, époque de grandes avancées en matière scientifique, fut également celle qui associa fatalement pathologie, psychologie et sexualité : folie, hystérie et sexe devinrent les trois versants d’un même discours dans la bouche des médecins aliénistes. Le délire fut cuisiné à toutes les sauces, et ce fut la femme qui en fit les frais. Comment en aurait-il pu être autrement ? L’étymologie même du terme « hystérie » renvoie au mot grec désignant l’utérus. C’est donc naturellement autour de la femme hystérique, guidée uniquement par son sexe, que gravitera toute la science médicale de cette fin de siècle. De fait, si les aliénistes des années 1880 et 1890 associaient à l’hystérie les notions de criminalité et d’alcoolisme, ils y attachaient encore et surtout les pathologies sexuelles, au premier rang desquelles la syphilis. Et quelle cible plus facile que celle qui s’expose chaque jour à la maladie ? Les théories psychiatriques ne pouvaient évidemment que souligner <a href="http://www.editions-hermann.fr/5187-l-imaginaire-de-la-prostitution.html">« qu’hystérie et prostitution représentent une sorte d’excès du beau sexe »</a>.</p>
<p>La maladie se voyant alors associée communément à l’abus de rapports sexuels, les prostituées furent toujours soupçonnées d’hystérie. Or l’assimilation de la fille publique à l’hystérique trouvait un écho dans leur marginalisation même : à la prostituée, la prison du bordel ; à l’hystérique, celle de l’hôpital. La clôture était, là encore, un trait fédérateur. L’hystérie put alors devenir le verso de la sur-sexualisation féminine qui avait pour recto la prostitution.</p>
<p>En définitive, ce qui se joue autour du sexe féminin à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle est fondamental pour comprendre la réutilisation de l’imagerie médicale par nos revues. L’hystérisation du corps de la femme la transforme <a href="http://www.editionsdelamartiniere.fr/ouvrage/cache-sexe/9782732465388">« tout entière en sexe »</a>.</p>
<p>Cette sexualisation, papable dans les clichés de la Salpêtrière, est évidente dans les revues du nu. La nudité des corps ajoute à leur sensualité, à leur lasciveté, à leur sexualité extrême. Tout à la fois nus et tendus, les modèles s’offrent aux yeux des lecteurs qui ne peuvent que se délecter de ces corps soumis à tous leurs fantasmes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=185&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=185&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=185&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241871/original/file-20181023-169828-t71zyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=233&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Iconographie photographique de la Salpêtrière</em>, tome II, 1876-1880, planche XXV ; <em>Mes Modèles</em>, n° 40, 10 juin 1906 et Mes Modèles, n° 58, 15 janvier 1907.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>La revue du nu, miroir des ambivalences de son temps</h2>
<p>En plus de puiser son inspiration aux mines stéréotypiques et stéréotypées que constituent la race et le genre, la revue du nu trouve dans la pathologie fin-de-siècle les moyens de renouveler son vocabulaire visuel. Sexe, exotisme et hystérie y travaillent de concert, lui permettant d’entrer parfaitement en résonance avec les schèmes de domination de son époque. Créée par et pour les hommes, la revue du nu livre un discours qui est celui que le lecteur souhaite et a l’habitude d’entendre. Ce dernier, masculin par essence, trouve en l’album du nu les engrais de sa domination.</p>
<p>Ce faisant, la revue du nu finit de confirmer l’ambivalence de ses usages. Si son ambition artistique est honorée par les utilisations avérées dont elle fait l’objet, les images qu’elle véhicule – visuelles comme mentales – font également d’elle une curiosité, un document de charme, un <em>curiosa</em> en somme. Entre ambiguïtés et clichés, elle navigue entre les pôles instables de l’académisme et de la légèreté. Profondément équivoque, l’album du nu est à l’image des questions qu’il soulève : infiniment complexe. Tout en révélant les tensions inhérentes à son époque, les débats qu’il soulève, hier comme aujourd’hui, traduisent et éclairent une question de toute éternité : quand parle-t-on d’art, quand parle-t-on d’obscénité ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Manon Lecaplain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les revues du nu 1900, images étranges et visions curieuses se conjuguent pour conter les clichés et ambivalences qui entouraient alors la condition féminine.Manon Lecaplain, Elève archiviste-paléographe à l'Ecole nationale des chartes, École Nationale des ChartesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1044302018-10-14T18:09:29Z2018-10-14T18:09:29ZÀ quand un inventaire franco-algérien des archives de l’Algérie à la période coloniale ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239887/original/file-20181009-72130-no7hrc.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1198%2C767&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Archives nationales CARAN, salle de l'armoire de fer, Paris. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://devhist.hypotheses.org/920">Archives nationales</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Plus d’un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, la question des archives reste une question majeure du contentieux historique entre l’Algérie et la France. Elle s’annonce comme une tâche primordiale pour Emmanuel Macron dont le quinquennat se révèle novateur en la matière.</p>
<p>Après son affirmation que la colonisation a constitué un « crime contre l’humanité », pendant la campagne présidentielle, il a <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-du-president-de-la-republique-sur-la-mort-de-maurice-audin/">récemment reconnu</a> les responsabilités de l’État dans la torture et les disparitions pendant la guerre d’indépendance algérienne. Entre les deux, une annonce à l’occasion de sa visite éclair à Alger, en décembre 2017 : le <a href="https://blogs.mediapart.fr/semcheddine/blog/091217/macron-alger-une-restitution-de-la-memoire-dose-homeopathique">chantier des archives va être ouvert</a>.</p>
<h2>Des traces d’histoires individuelles qui hantent les familles</h2>
<p>L’enjeu des archives est politique et citoyen. Les archives servent en effet, banalement mais fondamentalement, à tout un chacun – pensons aux généalogistes et à leurs entreprises de reconstitution d’histoires familiales.</p>
<p>Dans le cas de l’Algérie coloniale et de sa cruelle guerre d’indépendance, les archives conservent les traces d’histoires individuelles qui hantent parfois, aujourd’hui encore, les familles. <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20181001.OBS3226/decouvrez-le-documentaire-maurice-audin-une-histoire-de-mathematiciens.html">Le cas de la famille Maurice Audin</a> est de ce point de vue exceptionnel et ordinaire : exceptionnel par sa médiatisation, grâce à la mobilisation constante de sa femme et de ses enfants ; ordinaire car leur vécu n’est rien moins que celui de tous ceux qui ont perdu, dans cette guerre, un être cher, même s’ils ne s’expriment pas publiquement. C’est une particularité de ces douleurs que de rester dans le for privé.</p>
<p>Aussi les historiens travaillant sur ce passé reçoivent des demandes d’hommes et de femmes en quête de connaissance du vécu de l’un des leurs, dans les générations précédentes, parfois aussi d’un de leurs amis perdus de vue.</p>
<p>Deux exemples parmi d’autres, dont la relation requiert l’anonymat : un homme âgé vivant dans l’est de la France cherche à savoir ce qu’est devenu un de ses complices du club de foot local, Algérien engagé dans la lutte pour l’indépendance, arrêté et interné au camp de Vadenay, un de ces camps pour suspects qui existaient <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2008-4.htm">sur le sol français même</a> ; une femme, dont la mère a mis fin à ses jours, voudrait savoir pourquoi et, dans ce but, veut reconstituer au plus près ce que sa mère a subi lorsque, arrêtée en Algérie pendant la guerre d’indépendance pour son engagement, elle a été emprisonnée et condamnée par un tribunal militaire.</p>
<h2>Preuves précieuses</h2>
<p>Tous cherchent à comprendre le pourquoi des engagements de leurs proches, le détail de leurs parcours, ce qu’ils sont devenus, etc., parce qu’ils ne supportent plus le silence régnant dans le cercle familial, parce qu’ils regrettent d’avoir laissé filer le temps sans s’y intéresser plus tôt ou parce que les questions surgissent trop tard, après la mort de l’intéressé. <a href="http://histoirecoloniale.net/Le-site-1000autres-org-suscite-de-nombreux-temoignages.html">Les témoignages reçus par le site Histoirecoloniale.net</a>, après la mise en ligne d’un fichier nominatif recensant des Algériens dont les familles, inquiètes, avaient demandé des nouvelles pendant la guerre elle-même, le confirment.</p>
<p>Et puis, surtout, les archives recèlent des preuves précieuses, comme celles qui sont nécessaires à l’acquisition de droits divers, retraites et pensions au premier chef. Certains y cherchent des preuves de nationalité – tout autant les Français nés en Algérie que la loi contraint à des démarches complexes au moment du renouvellement de leurs papiers que des Algériens s’interrogeant sur une possible acquisition de la nationalité française par l’un de ses ascendants ou sur des <a href="https://droit-finances.commentcamarche.com/forum/affich-7347356-nationalite-francaise-algerie">droits particuliers</a> dont ils auraient pu bénéficier, susceptibles d’être transmissible.</p>
<p>Pour cette raison, le contentieux franco-algérien doit être dépassé, même s’il s’agit là d’un dossier complexe. Pour le comprendre, il faut revenir au moment de l’indépendance algérienne.</p>
<h2>Une question épineuse au plan diplomatique</h2>
<p>Les autorités françaises avaient alors une doctrine en matière de répartition des archives dans des contextes de transfert de souveraineté. Cette doctrine distingue les archives dites « de souveraineté » et les archives dites « de gestion ». Les premières, concernant l’exercice du pouvoir, sont appelées à être transférées en France. Il s’agit essentiellement, dans le cas de l’Algérie à la période coloniale, des archives du gouvernement général ainsi que de celles des préfectures et sous-préfectures. Les secondes, les archives « de gestion », sont appelées à rester dans le pays. Celles-ci sont en effet les archives produites par l’administration dans son activité quotidienne. Il s’agit, notamment, de l’état civil, du cadastre, de registres comme les registres d’écrou des prisons…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239882/original/file-20181009-72124-18jevrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Registre d’écrou des prisons de Montfort-sur-Meu de 1859 à 1869, conservé aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, sous-série 3 Y. Ces documents « de gestion » sont cruciaux pour les historiens mais aussi pour les familles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Registre_prison_Montfort_1868.jpg">TigH/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ces archives « de gestion » sont appelées à rester sur place car elles sont indispensables à la continuité de l’action administrative. Les administrations du nouvel État souverain n’auraient pu fonctionner sans elles. De leur côté, les autorités algériennes rejettent cette distinction. Depuis 1962, elles n’ont eu de cesse de dénoncer leur dépossession et de demander la restitution de tous les documents. Un accord a pu être trouvé sur les seules archives ottomanes que les autorités françaises avaient transférées, en pleine contradiction avec leur <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2006_num_204_4_3827">propre doctrine</a>.</p>
<p>Pour le reste, les positions françaises et algériennes sont incompatibles et c’est pour cette raison, précisément, que la question des archives continue d’être traitée au plan diplomatique. Elle échappe ainsi aux praticiens des archives que sont en particulier les archivistes et les chercheurs en sciences humaines et sociales. Eux en ont pourtant une vision différente, forgée à partir de leur expérience, sur le terrain.</p>
<p>Qu’en est-il, dans les faits, de la répartition des fonds entre la France et l’Algérie ?</p>
<h2>Les transferts français : une ligne politique et des aléas</h2>
<p>Il apparaît d’abord que la distinction française ne permet pas de comprendre la réalité des transferts effectués. Ceux-ci s’inscrivent en effet dans une <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/14873">histoire très complexe</a> car elle mêle, d’une part, l’histoire de la collecte, de la conservation et du classement des archives pendant la période coloniale elle-même et, d’autre part, l’histoire de la transition entre les deux États au moment de l’indépendance. Et s’il y a bien eu une ligne politique consistant à transférer les archives, concrètement, les conditions mêmes des déménagements au moment de l’indépendance ont introduit des aléas.</p>
<p>Un exemple, issu d’un témoignage informel : il aurait suffi d’un escabeau trop bas pour que le dernier niveau d’une étagère d’archives reste sur place tandis que les niveaux inférieurs auraient été pris et emmenés en France.</p>
<p>Un bilan global des fonds conservés en France reste difficile à établir car en dépit des efforts soutenus pour produire régulièrement des inventaires, les <a href="http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/index.html">Archives nationales d’outre-mer</a> (ANOM), à Aix-en-Provence, conservent encore des fonds non classés. La base de données en ligne des ANOM témoigne à la fois de la production de nouveaux inventaires et de l’importance des fonds qui <a href="http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/index.html">n’ont pas encore été traités</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=608&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/239885/original/file-20181009-72110-1lhfh4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=764&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sacs et caisses d’archives à leur arrivée en 1966, Archives nationales d’outre-mer, 50 ans d’archives.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/anom/fr/Action-culturelle/Dossiers-du-mois/1612-50-ans/index.html">ANOM</a></span>
</figcaption>
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<h2>En Algérie : une richesse trop peu exploitée</h2>
<p>En Algérie, le retour de la sécurité au début des années 2000 a permis à des chercheurs étrangers, au premier rang desquels un trio pionnier de doctorants aixois, d’effectuer des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01400576">séjours de recherche sur place</a>. Ainsi ont-ils pu constater la richesse des fonds restés en Algérie et leurs apports à l’écriture de l’histoire.</p>
<p>L’Algérie est bien, du point de vue des archives, entre l’héritage et la spoliation : héritage de fonds massivement restés sur place, spoliation hautement symbolique de son <a href="https://journals.openedition.org/insaniyat/14873">patrimoine national</a>.</p>
<p>Depuis le début des années 2000, d’autres chercheurs ont fait part de leur expérience afin d’encourager les séjours de recherche dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2011-2-page-147.htm">centres d’archives algériens</a>). Ces témoignages sont précieux car le partage d’informations est la meilleure des façons de progresser dans la localisation des fonds ainsi que dans la compréhension des démarches à suivre pour pouvoir les consulter. Les conditions pratiques d’accès aux archives ont en effet fluctué depuis le début des années 2000, où la question des archives est <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2015-3-p-57.htm">directement corrélée à celle du régime</a> – comme elle l’est, de façon bien plus générale, à celle de la nature de l’État et de son <a href="https://doi.org/10.1093/ahr/120.3.869">organisation</a>.</p>
<h2>Pour l’écriture de l’histoire… mais pas seulement</h2>
<p>Aux enjeux politiques et citoyens s’ajoute bien sûr un enjeu académique. L’écriture de l’histoire de la colonisation en Algérie n’est pas empêchée car les fonds d’ores et déjà repérés et accessibles sont riches et nombreux. Sans compter qu’aux archives publiques s’ajoutent les papiers privés ainsi que la possibilité de procéder à des enquêtes orales. L’écriture de cette histoire n’en est pas moins influencée. Ainsi l’histoire sociale de l’Algérie à la période coloniale souffre des lacunes en <a href="https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2011-3-page-3.htm">matière d’archives locales</a>. Elles sont celles sur lesquelles pèsent le plus d’incertitudes. Elles sont moins bien identifiées, moins bien inventoriées et moins bien accessibles que les autres. Or les historiens le savent : les listes électorales, les fiches des agents recenseurs, les dossiers des tribunaux, les registres de chambres de commerce… sont, entre autres sources produites dans le quotidien, des points d’entrée privilégiés dans les sociétés du passé sur lesquels ils travaillent.</p>
<p>Arlette Farge, dans son ouvrage célébrant <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/le-gout-de-l-archive-arlette-farge/9782020309097"><em>Le Goût de l’Archive</em></a>, a bien décrit la façon dont les archives judiciaires, en l’occurrence, constituent un point d’entrée dans le monde social du XVIII<sup>e</sup> siècle sur lequel elle travaille.</p>
<p>Au nom de l’écriture de l’histoire mais aussi des citoyens des sociétés toutes deux concernées, il est urgent que la question des archives de la période coloniale en Algérie soit traitée sur des bases nouvelles, loin des théories officielles ne correspondant pas à la réalité connue des archivistes et des chercheurs. La conclusion est sans appel : un inventaire bilatéral des sources conservées de part et d’autre fait cruellement défaut. Il est bien là, le chantier à ouvrir.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre d’un cycle d’événements commémorant la restauration des archives sonores du procès Rivonia appartenant à la National Archives and Records Service of South Africa (NARSSA) du gouvernement sud-africain. L’événement a été co-organisé par l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) et l’Université du Witwatersrand, l’UMIFRE IFAS et piloté par la Nelson Mandela Foundation.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104430/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Thénault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des querelles diplomatiques, c’est un inventaire bilatéral des archives conservées en Algérie comme en France qui fait cruellement défaut.Sylvie Thénault, Historienne, CNRS, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1028262018-10-09T16:18:11Z2018-10-09T16:18:11ZLes défis de la gestion electronique des documents en Afrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/239011/original/file-20181002-85626-1iio32w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C99%2C1900%2C1262&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gestion electronique des documents (GED).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.syleg.fr/ged/">Syleg</a></span></figcaption></figure><p>Où en est le déploiement des technologies de l’information utilisées pour numériser, archiver et exploiter tous types de documents en Afrique ? Ces technologies, liées au processus de <a href="https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2015-3-page-17.htm">dématérialisation qui s’impose peu à peu</a>, posent de nombreuses questions.</p>
<h2>Solutions, fonctionalités et acteurs de la GED</h2>
<p>En Afrique comme partout ailleurs, les promesses de la gestion électronique des documents (GED) sont <a href="http://www.decision-achats.fr/Thematique/it-digital-1233/Breves/GED-coeur-transition-numerique-319494.htm">significatives et séduisantes</a>. En effet, la GED est actuellement appréhendée comme une technologie qui contribue à intervenir sur des documents dans leur transformation physique/numérique ou numérique/numérique. Il s’agit concrètement de pouvoir créer, échanger, stocker, archiver, réutiliser, valoriser, etc. des documents de diverses formats et natures.</p>
<p>Outre les avantages liés à la dématérialisation classique, la GED une fois installée va permettre d’accéder, de façon sélective et massive, aux documents en quelques secondes. Par exemple, là où une recherche manuelle des dossiers aurait nécessité quelques minutes voire quelques heures, une documentation stockée et archivée via une GED bien déployée sera accessible en quelques clics !</p>
<p>Les fonctionnalités les plus souvent proposées par les éditeurs de solutions GED – y compris via <a href="http://www.journaldunet.com/developpeur/outils/selection/08/0205-ged-open-source/2.shtml">certaines solutions open source</a> – sont notamment la gestion des métadonnées, la gestion des versions, la gestion des contenus structurés, les workflows, le multilinguisme, la catégorisation, l’indexation, le référencement, le cycle de vie, l’archivage, la dématérialisation du courrier, etc.</p>
<h2>La percée de la GED en Afrique</h2>
<p>Dans le cas du continent africain, l’implémentation de solutions de type GED au sens large permet en particulier d’affronter des problématiques classiques liées aux conditions difficiles de conservations des documents physiques (chaleur, humidité, sécurité, énergie, etc.)</p>
<p>Nous notons que ces systèmes d’acquisition (numérisation de masse de documents papier), d’indexation, de classement, de gestion et stockage, d’accès (navigation et recherche) et de consultation des documents sont généralement les bienvenus du point de vue des utilisateurs et acteurs finaux. Signalons par exemple, le cas du <a href="https://www.francophonie.org/Capital-numerique-un-projet-pour.html">projet capital numérique qui mobilise près de sept acteurs africains et européens</a> pour la valorisation du patrimoine audiovisuel africain. Ce projet pour la renaissance du patrimoine culturel africain repose notamment sur des dispositifs de dématérialisation et d’archivage portés par l’organisation internationale de la francophonie (OIF). Il a bénéficié d’un financement sur trois ans, d’un montant total de 685 000 € (dont 500 000 € apportés par le <a href="http://www.acpculturesplus.eu/?q=fr/content/financement-de-la-culture-dans-les-pays-acp">programme ACP Cultures + financé par l’Union européenne</a> et géré par le Groupe des États ACP).</p>
<p>Dans le détail, plus d’une vingtaine de télévisions publiques d’Afrique subsaharienne francophone ont été équipées en logiciels de numérisation et d’indexation depuis de 2014 à nos jours. Outre ce type de projet d’envergure internationale, initié hors du continent africain, d’autres acteurs étrangers installés en Afrique, interviennent directement sur le terrain par le biais des entreprises de représentation. C’est le cas notamment du groupe Bolloré avec des représentations en Afrique telles que Bolloré Africa Logistics, CFAO Technologies, etc.</p>
<p>Au fil des ans, le numérique a conquis progressivement des pans entiers de la vie économique obligeant certaines entreprises – et dans une moindre mesure l’état – à modifier leur structuration et leurs <em>business models</em> sur le terrain. C’est la raison pour laquelle, dans la plupart des pays africains, on assiste à la création d’un département ministériel chargé de l’économie numérique. Ceci a favorisé l’émergence de nombreux acteurs et projets du numérique tant du côté de l’administration publique que privée. Pour ce qui concerne les acteurs locaux, nous pouvons citer <a href="http://softnet-group.com/">Softnet Group</a> au Burkina Faso, <a href="https://www.gainde2000.com/">Gainde 2000</a> au Sénégal, Open Bee en Tunisie, etc.</p>
<p>À titre illustratif, Softnet Group, l’un des principaux acteurs locaux au Burkina propose la réalisation de projets de type GED dans la plupart des pays membres de l’UEMOA. Il compte à son actif plusieurs réalisations qui sont entre autres, les projets d’enrôlement biométrique (numérisation et centralisation des données individuelles des électeurs), Sylvie (système de liaison virtuelle d’importation et d’exportation).</p>
<p>Ce type de projet offre à l’ensemble des acteurs concernés une gestion intégrée des données issues des services d’importation et d’exportation pour un suivi, contrôle automatique et de partage de documents de l’administration douanière à la suite du succès de l’implémentation du projet Sylvie au Burkina Faso, ce projet a été étendu dans d’autres pays tels que le Niger, le Sénégal et actuellement en cours de réalisation au Mali.</p>
<p>L’exemple du projet d’enrôlement biométrique, implémenté dans plusieurs pays africains a pour vocation de faciliter la gestion des données électroniques des électeurs dans le but de mettre en place un système de vote électronique. À l’heure actuelle, seule la Namibie semble avoir réussi l’usage du système de vote électronique et pourrait apporter une lueur d’espoir dans le processus de délibération des résultats des élections en Afrique. Plusieurs pays africains ont mis en place un système de vote électronique, censé assurer la crédibilité du scrutin. Mais l’informatique comporte aussi certains risques, comme on l’a vu récemment <a href="http://www.dw.com/fr/les-syst%C3%A8mes-de-vote-%C3%A9lectronique-en-question">au Kenya</a>.</p>
<h2>Des experiences diverses et des résultats mitigés</h2>
<p>En termes de mise en place de projets de GED en Afrique, les statistiques indiquent un net progrès des taux d’adoption et d’usage des logiciels de GED. Au cours des cinq dernières années, un net engouement est constaté au sein des institutions publiques et privées sous régionales pour une adoption ou intention d’adopter un système de GED pour améliorer leurs prestations quotidiennes. Pour l’instant, l’Afrique du Sud est le premier pays africain à élaborer les politiques pour promouvoir l’utilisation des logiciels libres dans le pays.</p>
<p>Plusieurs logiciels de type GED ont été testés au sein des administrations africaines avec des résultats à succès variables selon les besoins des entreprises hôtes. Plusieurs projets d’usage de logiciels ont été expérimentés sur le terrain africain. Parmi ceux-ci les sollicités sont les logiciels SharePoint, Alfresco, Aime, Qualios et Archimed. SharePoint est une série de logiciels pour applications Web et portails développée par Microsoft. Les fonctionnalités des produits SharePoint sont la gestion de contenu, les moteurs de recherche, la gestion électronique de documents, les forums, la possibilité de créer des formulaires et des statistiques décisionnelles.</p>
<p>Alfresco est un système de gestion de contenu (en anglais ECM pour Enterprise Content Management) créé par Alfresco Software en 2005 et distribué sous licence libre. Il répond aux besoins d’un projet intégrant un extranet avec peu de personnalisation nécessaire, et sans avoir à faire de développements supplémentaires. Un extranet couplé à Alfresco permet à des utilisateurs issus de plusieurs sociétés indépendantes d’échanger des informations, des données, des fichiers.</p>
<p>Aime (archivage interactif multimédia evolutif) est un logiciel installé dans plus d’une dizaine de pays en Afrique et destiné à l’archivage et au traitement documentaire de la production audiovisuelle courante et des fonds d’archives des chaînes de radio et de télévision. À ce titre, le projet Aime s’illustre comme l’une des références en matière d’implémentation de la GED au bénéfice des services d’archives audiovisuelles en Afrique (https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01534113/document de L Tapsoba – 2017). Les résultats d’une recherche se présentent sous la forme d’un lot de résultats, c’est-à-dire une liste d’émissions ou de parties d’une émission (sujets ou séquences). Cette liste se trouve ordonnée par pertinence décroissante. Plus la pertinence est élevée, plus la réponse donnée correspond aux critères de recherche (voir illustration ci-dessous).</p>
<p>Cependant, ces projets de GED sont largement orientés vers la gestion administrative et commerciale des PME publiques ou privées en Afrique. Pour l’instant, très peu d’établissements d’archivage et de documentation en font l’usage. Or, la transformation numérique s’applique actuellement à tout type d’entreprise et se joue sur trois vecteurs, selon Jérôme Colin (2014) qui sont les équipements (terminaux connectés), les hommes et les usages. La réussite d’une opération d’implémentation de GED passe nécessairement d’une part, par l’adaptation des usagers aux nouvelles infrastructures technologiques. D’autre part, les usages, le déploiement d’une nouvelle manière de travailler, par exemple via la dématérialisation sont des accélérateurs de l’acceptation de l’usage de la GED.</p>
<p>Aussi, les obstacles à l’usage de la GED sont d’ordre économique. Le coût d’installation des infrastructures est souvent hors de portée pour une PME en Afrique. À titre d’exemple, pour chaque page à numériser peut coûter 100 francs CFA, or l’entreprise dispose des milliers de documents d’archives à numériser, sans compter les coûts d’acquisition et d’installation des équipements et la formation des agents dans le cas d’une adoption GED.</p>
<p>Ce qui représente une fortune et dans le même temps un frein à l’adoption d’une solution de type GED par les PME en Afrique.</p>
<h2>Finalement, quelles sont les perspectives ?</h2>
<p>L’expérimentation du système de GED est un succès mitigé dans la plupart des cas en Afrique. Il ne s’agit plus désormais de gérer un stock de documents papier, mais bien de capturer, de stocker, de reconnaître et de sécuriser des informations, des données, des documents qui viennent de sources multiples et qui se présentent dans de multiples formats. Or, les entreprises africaines peinent à franchir le pas de la transformation numérique et à embrasser les nouveaux usages qui l’accompagnent.</p>
<p>Pour faciliter la transition numérique et réduire les risques de perte de profits liés à l’adoption de la GED, nous proposons la mutualisation les moyens financiers chez les PME africains dans le but d’affronter les coûts d’adoption d’une solution de type GED. De nos jours, peu de solutions GED communicantes offrent de réelles garanties en matière de sécurité et de confidentialités de données collectées et stockées par des fournisseurs. Pour ce faire, il devient nécessaire de disposer de solutions déployant des services GED agiles de première qualité sur des espaces de données entièrement contrôlés par les utilisateurs.</p>
<p>Enfin, l’un des défis majeurs pour les PME africaines à l’adoption des solutions de type GED serait d’arriver à concilier échanges électroniques et sécurités des données exploitées sur le marché. Cela passe nécessairement par une évolution de nos modes d’échanges et l’émergence de nouvelle manière de communiquer.</p>
<p>À titre illustratif, le modèle « mail+ pièces jointes » pourrait être substitué par « une vision centrée documents avec discussions jointes ». Ainsi, le marché de la GED pourrait donc continuer sa mutation et offrir de nouvelles perspectives de croissance pour les PME et TPE en Afrique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102826/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Membre du cinquantenaire du FESPACO</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est professeur associé à l'école doctorale de l'Université Aube Nouvelle au Burkina Faso</span></em></p>Un point sur les défis et obstacles mais aussi sur les opportunités des technologies numériques liées à la gestion électronique des documents (GED) en Afrique.Lassané Tapsoba, Docteur, Sciences de Gestion, Université Aube NouvelleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/843382017-10-12T19:07:45Z2017-10-12T19:07:45ZÀ qui appartiennent les images ? (2)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/189435/original/file-20171009-6999-i0zv7y.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C706%2C491&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur le site de l'Agence d'images de la défense.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://archives.ecpad.fr/defiles-du-14-juillet-a-paris-de-1915-a-2007/">ECPAD</a></span></figcaption></figure><p>Quels que soient nos métiers et les usages que nous faisons des images, nous tremblons devant la fragilité des supports, censés conserver les traces du passé et nous préserver d’une amnésie générale. L’immatérialité des images numériques est terrifiante car elle porte en elle le spectre d’une disparition soudaine, imprévisible et irréparable.</p>
<h2>Perte d’identité</h2>
<p>L’angoisse est d’autant plus grande qu’elle ne concerne pas uniquement la perte des images. La menace s’étend désormais aux données qui rendent possibles leur traçabilité et leur compréhension. Cette perte d’identité se présente parfois comme un programme éditorial : c’est le cas des nouvelles banques américaines d’images qui privatisent et font commerce des fonds sans se soucier de leur provenance, ni de leurs caractéristiques, et se satisfont d’un classement par mots-clés thématiques.</p>
<p>Si l’on interroge la base de données de <a href="http://www.gettyimages.fr">Getty Images</a> avec le terme « révolution », plus de 3 100 vidéos sont proposées.</p>
<p>Sur la même page, les images de la prise de la Bastille, issues d’une fiction télévisée non datée, côtoient des images anonymes de foule protestant sur la place de Maïdan, tandis qu’une troisième séquence montre, en gros plan, une explosion de feux d’artifice sur fond de drapeau libyen, le tout « à insérer dans votre panier ». Nulle part les coordonnées techniques des images ne sont signalées.</p>
<p>Ces pratiques, fondées sur les règles de la communication publicitaire, rendent impossible un usage honnête des archives audiovisuelles. Elles s’inscrivent dans une logique marchande qui tend à s’imposer dans le monde entier ; cette gestion des images se fait au détriment du modèle français né dans les années 1980 et, plus généralement, d’une <a href="http://www.archivistes.org/-L-AAF-">éthique archivistique</a> qui reliait la conservation d’images à un minutieux travail d’indexation et de catalogage.</p>
<p>Les producteurs et les cinéastes sont les témoins privilégiés de ces rachats de fonds qu’ils dénoncent sans pouvoir les freiner ; comment utiliser avec rigueur des images dont on ne sait rien ? Le transfert de propriété dans les mains de gestionnaires-investisseurs est dangereux à double titre : il menace les politiques patrimoniales des États et favorise une circulation sauvage d’images privées d’identité.</p>
<h2>Images travesties</h2>
<p>Cette perte d’identité prend un visage plus pernicieux encore lorsqu’elle est due au travestissement de l’image, au nom d’une « réalité augmentée ». Le risque est alors grand de voir la contrefaçon s’imposer à la place de l’original. Dans cette entreprise de falsification, ce ne sont pas les métamorphoses des images qui inquiètent, mais plutôt un processus de substitution qui ne dit pas son nom. Même si elle ne vise pas la suppression de la version originale, le surplus de visibilité de l’image retouchée peut en effet mettre en péril l’archive d’origine, la rendant tantôt inutile, tantôt moins « crédible ». Car ces plans trafiqués s’imposent avec plus de force dans l’imaginaire des spectateurs. Certains responsables d’archives partagent cette crainte et vont même jusqu’à envisager que le « détournement devienne sa propre vérité ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/188260/original/file-20171001-10771-mjtzyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Site Getty après une recherche vidéo sur le terme « révolution ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.gettyimages.fr/footage">Getty</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ceux qui s’en émeuvent souhaiteraient faire appel au droit pour réguler ces pratiques, garantir la sauvegarde des originaux, sans limiter pour autant la variété de leurs usages. Mais la loi se révèle impuissante à protéger l’intégrité des images d’archives, car elle continue à rattacher leur protection aux notions d’œuvre et d’auteur, seul détenteur du droit moral. Or, l’image d’archive n’a pas toujours un auteur au sens où l’entend la loi. Le cas par cas de la jurisprudence constitue certes un rempart, mais l’absence d’un cadre juridique clair renforce le désarroi collectif.</p>
<p>Au-delà des peurs collectives et de ces nombreuses voix discordantes, des lignes de convergence s’esquissent pourtant. Les professionnels qui ont en charge les images d’archives souhaitent définir les règles d’un usage raisonnable de ces fonds précieux, sans prétendre pour autant légiférer sur les pratiques de chacun.</p>
<h2>Créer un code de déontologie</h2>
<p>La nécessité d’élaborer un code de déontologie s’impose. Il implique de redéfinir la propriété de l’image d’archives, prenant acte du vide juridique qui empêche d’en garantir l’intégrité. Pour autant, rédiger un décalogue qui distinguerait les bonnes pratiques des mauvaises n’est pas souhaitable. Il serait en revanche envisageable, comme le proposent certains, de constituer, au sein des institutions, des commissions ayant pour mission de débattre, au cas par cas, des projets en cours. C’est ce que fait le CNC lorsqu’il répartit l’argent public, sans qu’on lui reproche d’appliquer des critères de goût personnel, nécessairement subjectifs. </p>
<p>Dès lors, pourquoi ne pas concevoir également ce type de procédures dans les lieux chargés des biens publics que sont les archives audiovisuelles ? Composées de représentants de disciplines et de professions diverses, ces commissions consultatives ou légiférentes pourraient être les garantes d’un nouveau droit moral qui « relèverait des obligations de ceux qui font usage d’un document visuel, et non des prérogatives d’un possesseur ».</p>
<p>L’identification claire des sources, la possibilité pour le spectateur de retrouver la forme originale des images qu’on lui montre : autant d’« obligations » que beaucoup jugent inapplicables dans une salle de montage. Cette redéfinition du droit moral, découplée d’une propriété personnelle, n’est pourtant pas incompatible avec la pratique réaffirmée d’une licence poétique.</p>
<p>Les obligations des usagers à l’égard des images d’archives peuvent et doivent se matérialiser dans les formes esthétiques les plus variées, en fonction de la grammaire du film qui les intègrent, du geste artistique qui les emploie et du pacte qu’ils nouent avec le spectateur.</p>
<h2>Les images d’archives, un bien commun</h2>
<p>Un second point de convergence concerne la valeur des images d’archives, comprises non plus en tant qu’objets matériels, ayant une valeur marchande, mais en tant que biens communs. Les politiques patrimoniales, qui en ont pris acte depuis les années 1980, n’en tirent pas encore toutes les conséquences. Archiver, c’est « être conscient de la critériologie politique, économique ou autre […] qui gouverne ces stocks ». Il peut alors apparaître tendancieux de « favoriser des mécanismes de préférences en fonction de désirs actuels de chercheurs et/ou archivistes ». Se référer aux attentes présupposées d’un « grand public » ou au goût des internautes, mesuré au nombre de clics et de likes, ne l’est-il pas davantage ?</p>
<p>La pensée des critères de conservation et d’indexation ne peut donc se faire qu’en concertation avec ceux qui en ont la connaissance et l’usage, au premier rang desquels les milieux de la recherche et de l’audiovisuel ; c’est ce que font déjà certaines institutions d’archives.</p>
<h2>Approche participative</h2>
<p>Un second horizon très stimulant consiste à repenser l’archivage dans un processus de participation collective des citoyens. C’est ce que suggère le concept de l’« amateur éclairé » qui s’est notamment imposé grâce aux travaux de Bernard Stiegler et aux innovations pionnières de l’<a href="http://www.iri.centrepompidou.fr/">Institut de recherche et d'innovation</a> (IRI) 18. Cette nouvelle manière de concevoir l’enrichissement des données par un public éclairé a l’avantage de rompre avec l’opposition entre professionnels et non-professionnels, entre producteurs et consommateurs ; elle promeut la figure politique d’un citoyen contributeur et coresponsable du patrimoine audiovisuel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/188261/original/file-20171001-13542-cqa7gg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La couverture du livre de S. Lindeperg et A. Szczepanska, sorti le 19 septembre 2017 aux éditions Fondation Maison des Sciences de l'homme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FMSH</span></span>
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<p><em><a href="http://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/28593">« A qui appartiennent les images ? »</a> de Sylvie Lindeperg et Ania Szczepanska, éditions Fondation maison des sciences de l’homme, collection Interventions, 144 pages, 12 euros.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’immatérialité des images numériques est terrifiante car elle porte en elle le spectre d’une disparition soudaine, imprévisible et irréparable.Sylvie Lindeperg, Historienne, spécialiste des relations entre cinéma, mémoire et histoire, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneAnia Szczepanska, Maître de conférences en histoire du cinéma, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/842892017-10-11T19:03:52Z2017-10-11T19:03:52ZÀ qui appartiennent les images ? (1)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/188259/original/file-20171001-21091-sd70sw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une capture d'écran sur le site de l'ECPAD (Agence d'images de la Défense)</span> </figcaption></figure><p>Les images filmées sont infiniment précieuses pour penser et interpréter le passé, écrire et transmettre l’histoire. Depuis quelques années, leur attrait s’accroît de manière exponentielle. Il se manifeste aussi bien dans les œuvres de création que dans les programmes audiovisuels, contribuant à façonner notre mémoire et nos imaginaires du passé.</p>
<p>Les usages des images d’archives soulèvent des problèmes historiques, politiques, éthiques. <a href="http://www.lexpress.fr/culture/tele/la-seconde-guerre-mondiale-telle-qu-on-vous-ne-l-avez-jamais-vue_784404.html">Leurs métamorphoses</a> menacent parfois leur intégrité. Leur définition juridique souffre d’un flou persistant. Leur coût très élevé freine la production documentaire et l’expérimentation de formes innovantes d’écriture de l’histoire.</p>
<p>Ces questions entrelacées appellent un débat associant différentes professions et disciplines : historiens, philosophes, archivistes, juristes, réalisateurs, monteurs, producteurs, diffuseurs… Ces métiers travaillent sur des objets communs sans partager toujours le même langage ni les mêmes logiques. La compartimentation des savoirs et des expériences produit souvent fantasmes et malentendus. Ces tensions génèrent une demande d’outils théoriques permettant de penser des pratiques en constante évolution ; elles rendent nécessaire une réflexion sur le statut des archives.</p>
<h2>Des images très prisées</h2>
<p>L’« attrait » pour les images d’archives se manifeste aussi bien dans les domaines de la création et de la recherche que dans les programmes audiovisuels des industries culturelles. C’est à la télévision que ce phénomène de mode est le plus visible. Les responsables de programmation, encouragés par le succès de certains documentaires historiques, incitent les sociétés de production à concevoir des films à base d’archives audiovisuelles. Au rythme des grandes vagues commémoratives, ils entretiennent le goût pour l’histoire auprès d’un large public. Cette orientation éditoriale est portée par l’ensemble des acteurs du monde audiovisuel qui en tire des avantages.</p>
<p>Les producteurs, soucieux de l’équilibre économique de leur société, s’empressent de répondre aux commandes des chaînes – qu’elles soient publiques ou privées. Bien que ces projets, souvent très onéreux, dépassent les budgets moyens des films documentaires, ils peuvent obtenir des aides supplémentaires dont les règles d’attribution sont âprement discutées au sein de la profession. Cet engouement généralisé atteint aussi les réalisateurs qui recourent aux images d’archives de manière plus systématique. Lorsque le budget le permet, ils font appel à des documentalistes qui leur facilitent l’accès aux fonds et peuvent négocier le prix des images.</p>
<p>Car ce type de production donne lieu à des transactions complexes avec les institutions d’archives qui détiennent les supports. Les demandes sont traitées au cas par cas, sans barème financier clairement affiché, dans une opacité persistante qui favorise souvent des pratiques douteuses. La tentation est ainsi grande d’entretenir la confusion entre le coût lié au droit des images et leurs frais de reproduction. De fait, le prix d’une minute d’archives tombée dans le domaine public varie fréquemment en fonction du périmètre de sa diffusion alors même qu’il devrait être stable, ces images étant libres de droits.</p>
<h2>Marchandages</h2>
<p>Les acquéreurs ne protestent pas toujours contre ces abus. Les marchandages reposent en effet sur des accords tacites, des ententes réciproques, des liens d’interdépendance. Les producteurs de documentaires historiques peuvent difficilement contourner les institutions d’archives dont ils dépendent. Les responsables de ces lieux doivent quant à eux concilier leur pérennité économique avec leur vocation de conservation et de diffusion des images auprès de publics divers. Ces dilemmes sont particulièrement vifs au sein des lieux d’archives exerçant une mission de service public : les responsables de la conservation entrent parfois en désaccord avec ceux de la commercialisation car leurs objectifs diffèrent. Ces tensions soulèvent le problème fondamental de la hiérarchisation des missions dans un contexte de fragilité économique. Pourtant, si ces conflits sont régulièrement évoqués en coulisse, ils sont tus dans les débats publics.</p>
<h2>Tensions exacerbées</h2>
<p>Les tensions liées aux usages des images sont largement exacerbées par l’environnement numérique et ses nouvelles pratiques. Pour les lieux d’archives, l’<a href="http://www.cnc-aff.fr/Internet_cnc/Home.aspx?Menu=MNU_ACCUEIL">ère de la numérisation généralisée</a> est une chance en même temps qu’un fardeau. Elle facilite l’ouverture des fonds, leur accessibilité et leur consultation. Mais les capacités d’enregistrement numérique multiplient aussi de façon vertigineuse les archives audiovisuelles à collecter et à conserver, à inventorier et à indexer. Cette massification soulève de redoutables questions épistémologiques, méthodologiques, techniques, financières.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=951&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=951&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=951&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1195&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1195&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186616/original/file-20170919-22632-1iwxikv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1195&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L'ouvrage de Sylvie Lindeperg et Ania Szczepanska.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/28593">FMSH</a></span>
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<h2>Droits des auteurs versus droits des publics</h2>
<p>L’environnement numérique conduit également à une mise en tension du droit d’auteur et à un bouleversement du modèle socio-économique sur lequel il a longtemps reposé. Après le secteur musical, le monde de l’audiovisuel se trouve confronté à une redéfinition radicale des modes de répartition de la valeur marchande des images et des films. La circulation de copies non autorisées accroît les réflexes défensifs. De nouveaux conflits opposent ainsi les droits des auteurs à ceux des publics. Ces revendications sont portées au nom d’une culture de l’échange et de la gratuité particulièrement vive chez les natifs du numérique.</p>
<p>Les formes traditionnelles du droit d’auteur sont également remises en question au nom de la liberté de créer à partir d’images existantes. De nouvelles pratiques de réemploi, comme le <em>mash up</em>, se multiplient sur Internet. Revendiquant le « braconnage culturel » cher à Michel de Certeau, certains créateurs militent dès lors pour un nouveau droit à innover et à expérimenter. Ils préconisent d’élargir les exceptions au droit d’auteur et d’adapter aux images le droit de citation. Un collectif français a ainsi lancé en 2014 une pétition pour « promouvoir une éthique et une pratique renouvelée de l’accessibilité aux images » présentée comme une alternative positive « au pillage et au détournement de la propriété intellectuelle ». Les pétitionnaires proposent de réduire considérablement les tarifs des images réemployées et de régler leurs droits sur les bénéfices générés par l’exploitation de l’œuvre. La vivacité des échanges atteste les crispations générées par ces nouvelles pratiques du Web ainsi que les retards du droit qui peine à s’adapter à un environnement en constante mutation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8ol9Tf39jh8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’objet de notre livre est précisément de lancer un débat en confrontant les points de vue et en décloisonnant les horizons professionnels. Il interroge les formes d’écriture de l’histoire, les contours de la licence poétique, la nature du pacte entre créateurs et spectateurs. Les dialogues présentés dans l’ouvrage réfléchissent à la conservation et au commerce des archives audiovisuelles ; ils imaginent les moyens de concilier le respect de l’historicité et de la propriété des images avec les libertés nécessaires à la création.</p>
<hr>
<p><em><a href="http://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/28593">« A qui appartiennent les images ? »</a> de Sylvie Lindeperg et Ania Szczepanska, éditions Fondation maison des sciences de l’homme, collection Interventions, 144 pages, 12 euros.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84289/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis quelques années, l’attrait pour les images filmées s’accroît de manière exponentielle. Mais leurs usages soulèvent des problèmes historiques, politiques et éthiques.Sylvie Lindeperg, Historienne, spécialiste des relations entre cinéma, mémoire et histoire, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneAnia Szczepanska, Maître de conférences en histoire du cinéma, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/782952017-05-24T16:14:04Z2017-05-24T16:14:04ZLa non-défaite de Trafalgar<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/170806/original/file-20170524-31373-4kxfcg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C1%2C786%2C547&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Bibliothèque nationale de France</span></span></figcaption></figure><p><em>Nous vous proposons cet article en partenariat avec <a href="https://www.retronews.fr/">RetroNews</a>, le site de presse de la <a href="http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.html">Bibliothèque nationale de France</a>.</em></p>
<hr>
<blockquote>
<p>« Vous êtes du nombre de ceux qui se sont bien battus, vous prendrez votre revanche. »</p>
</blockquote>
<p>C’est ainsi que Napoléon encouragea les capitaines de vaisseaux <em>Magendie</em> et <em>Villemadrin</em>, qui avaient commandé respectivement le <em>Bucentaure</em> et le <em>Swiftsure</em> à la bataille de Trafalgar, <a href="https://www.retronews.fr/journal/journal-de-l-empire/20-mai-1806/47/1033439/3">comme le relate le 20 mai 1806 le <em>Journal de l’Empire</em></a>.</p>
<p>La défaite infligée, le 21 octobre 1805, à l’escadre franco-espagnole au large du cap de Trafalgar par l’escadre britannique commandée par l’amiral Nelson, n’avait pas été passée sous silence par la presse officielle de l’Empire français, mais la présentation de l’événement était abordée d’une manière très différente de celle de l’éclatante victoire terrestre française d’Austerlitz.</p>
<p>En guerre contre l’Autriche et la Russie, dans les plaines de Moravie, Napoléon ne semble avoir été informé par son ministre de la marine, Denis Decrès, que le 18 novembre 1805 de la bataille de Trafalgar :</p>
<blockquote>
<p>« Je reçois votre lettre relative au combat de Cadix. J’attends les détails ultérieurs que vous m’annoncez, avant de me former une opinion décisive sur la nature de cette affaire. En attendant, je m’empresse de vous faire connaître que cela ne change rien à mes projets de croisières ; je suis même fâché que tout ne soit pas prêt. » (Correspondance de Napoléon)</p>
</blockquote>
<p>Des références au « combat de Trafalgar » <a href="https://www.retronews.fr/journal/journal-de-l-empire/20-mai-1806/47/1033439/3">ne semblent apparaître dans la presse française</a> qu’après Austerlitz, mais contrairement à cette dernière bataille, dont le déroulement fut relaté, le 17 décembre par le <em>Journal de l’Empire</em> avec le détail sur les forces en présence et les pertes, le lecteur devait bien deviner que Trafalgar, au contraire, était une défaite.</p>
<p>Pour le lecteur du <em>Journal de l’Empire</em>, Trafalgar était <a href="https://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/08-fevrier-1806/427/1601157/7">surtout associé à la mort de lord Nelson</a>. <a href="https://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/15-janvier-1806/427/1593161/7">Ses funérailles</a>, le contenu de son testament, les collectes faites au profit des <a href="https://www.retronews.fr/journal/journal-de-l-empire/14-janvier-1806/47/1033379/2">familles des matelots anglais tués lors de la bataille</a>, semblaient préoccuper la presse française davantage que l’ampleur du désastre franco-espagnol.</p>
<p>Le 26 janvier 1806, la paix de Presbourg avec l’Autriche signée et la Prusse rangée aux côtés de la France, le <em>Journal de l’Empire</em> publia entre autres une lettre de Londres dans laquelle le premier ministre anglais William Pitt fut rendu responsable de toutes les défaites de la 3<sup>e</sup> coalition :</p>
<blockquote>
<p>« Aujourd’hui M. Pitt s’aperçoit qu’en se faisant une affaire personnelle de cette guerre, il est devenu personnellement responsable de tous les événements ; toutes les défaites sont tombées sur lui ; l’humiliation le poursuit ; et son nom qui a eu quelque temps un si grand crédit en Europe, va devenir dans notre pays même le plus sûr moyen de désigner l’ambitieux sans capacité. »</p>
</blockquote>
<p>Relativisant l’importance accordée par la presse britannique à la prise, le 19 janvier 1806, du Cap de Bonne-Espérance aux Hollandais, alliés des Français, le journal anglais <em>Bell’s Messenger</em>, <a href="https://www.retronews.fr/journal/journal-de-l-empire/12-mars-1806/47/1032991/2">cité par le <em>Journal de l’Empire</em></a>, fait un commentaire prémonitoire au sujet de l’affrontement avec la France :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est ni à Trafalgar, ni au Cap de Bonne-Espérance qu’a pu se décider le grand procès qui existe entre la France et l’Angleterre ; et si nous ne voulons désormais signer de paix que celle qui abaisseroit la prépondérance de notre ennemi, il faut nous résoudre à ébranler tous les états du Continent, qui sont à présent ou gagnés à sa cause, ou enchaînés par sa puissance. »</p>
</blockquote>
<iframe width="100%" height="315" src="https://www.retronews.fr/embed-journal/journal-de-l-empire/12-mars-1806/47/1032991/2?fit=599.74.609.447" frameborder="0"></iframe>
<p>Lorsque l’<a href="https://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/08-fevrier-1806/427/1601157/7">espoir de la conclusion d’une paix avec la France</a> apparut, les rédacteurs de ces journaux prévoyaient assez clairement la guerre qui allait embraser l’Europe pendant encore une dizaine d’années et que seule la victoire terrestre de l’Europe coalisée termina. Mais d’une autre manière qu’on ne le présente souvent.</p>
<p>En encourageant et décorant les officiers de marine, comme Lucas ou Infernet, qui s’étaient vaillamment battus à Trafalgar et <a href="http://www.retronews.fr/journal/journal-de-l-empire/06-mai-1806/47/1033465/2">dont l’action fut minutieusement décrite par le <em>Journal de l’Empire</em></a> (avec cependant des erreurs sur les noms des navires, <a href="https://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/07-mai-1806/427/1602371/6">corrigés quelques jours plus tard</a>), Napoléon faisait clairement comprendre qu’il n’avait pas abandonné la partie de la guerre sur mer, alors qu’à ce moment-là, le blocus continental n’était pas encore décrété. Il aurait déclaré à Lucas et Infernet : « Si tous mes vaisseaux s’étaient conduit comme ceux que vous commandiez, la victoire n’aurait pas été incertaine ».</p>
<p>Dans d’autres récits, les <a href="https://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/18-mars-1806/427/1592025/6">rédacteurs du <em>Journal de l’Empire</em></a> mettaient en doute la victoire anglaise. Mettre en valeur ses propres victoires et minimiser ses défaites fait sans doute partie de la propagande d’un gouvernement en guerre. En attendant, ni la poursuite des opérations navales de ravitaillement des colonies, ni les efforts de construction navale entrepris après 1805, ne semblent indiquer que Napoléon ait considéré Trafalgar comme mettant un terme définitif à la guerre navale contre l’Angleterre.</p>
<p>Il fallait attendre la chute de Napoléon pour voir paraître dans la presse française officielle des interprétations érigeant Trafalgar en événement. Ainsi, le 20 avril 1814, après la première abdication de l’Empereur, le <em>Journal des débats politiques et littéraires</em> publia une lettre factice de l’amiral Villeneuve, « adressée à Bonaparte » et qui aurait paru dans un journal anglais.</p>
<p>Villeneuve y aurait rendu Napoléon, traité de tyran, <a href="https://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/07-mai-1806/427/1602371/6">responsable de la ruine de la marine française</a> et lui aurait promis sa punition certaine. Faisant l’éloge des marins britannique, la presse de la Restauration <a href="http://www.retronews.fr/journal/ark12148cb327510949/07-mai-1806/427/1602371/6">allait même jusqu’à affirmer aucune bataille navale n’avait été livrée depuis Trafalgar</a> « parce que cette mémorable action avait balayé les mers de tout ennemi qui aurait pu les disputer ».</p>
<p>Mais ce n’est que le 20 février 1816 que le <em>Moniteur universel</em> <a href="https://www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/20-fevrier-1816/149/1375321/2">faisait écho des débats parlementaires britanniques</a> au sujet de l’érection d’un « monument national commémoratif de la décisive et signalée bataille de Trafalgar ». Certains députés, associant Trafalgar à Waterloo, demandèrent même de n’ériger qu’un seul monument pour les deux batailles. Napoléon étant alors à Sainte-Hélène, on prenait conscience alors qu’une époque était révolue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/78295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicola Todorov ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La défaite infligée aux Français à Trafalgar en 1805 fut presque entièrement passée sous silence par la presse.Nicola Todorov, Chercheur associé au centre d'histoire du XIXe siècle, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/764872017-04-24T05:11:27Z2017-04-24T05:11:27ZArchives : comment le Web devient patrimoine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/166108/original/file-20170420-20068-1rfj1lo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Internet Archive Googly Eyes.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Internet_Archive_Googly_Eyes_09.jpg?uselang=fr"> Jason « Textfiles » Scott/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>« Faire une sauvegarde de l’histoire de l’Internet au Canada pour la protéger de Trump » titrait <a href="http://tcrn.ch/2gFGeH5"><em>TechCrunch</em> le 8 décembre 2016</a>, après l’annonce du fondateur d’Internet Archive, <a href="http://bit.ly/29jMPDY">Brewster Kahle</a>, d’accélérer le mouvement de duplication de l’énorme fonds d’archives du Web de la fondation pour en héberger une copie au Canada.</p>
<h2>Archiver les campagnes électorales</h2>
<p>Avec 284 milliards de pages web archivées depuis 1996 – notamment les sites des campagnes présidentielles de Trump de 2008 et 2012, mais aussi quantité d’archives audiovisuelles – les fonds d’<a href="https://archive.org/index.php">Internet Archive</a> regorgent de contenus politiques qui peuvent en faire un outil d’investigation précieux pour les journalistes, les chercheurs et plus généralement la société civile, alors que les campagnes et la communication politiques se jouent aussi – et de plus en plus – sur la Toile.</p>
<p>Côté français également, en 2017, serveurs et robots sont mis à contribution pour garder notamment les traces numériques des sites de campagne et des débats électoraux, grâce à une collecte spécifique conduite par la Bibliothèque nationale de France (BnF). Depuis 2002 – et en un mouvement plus soutenu depuis qu’elle s’est vue confier en 2006 dans le cadre du dépôt légal la mission d’archiver les contenus web français, la BnF sauvegarde les sites des campagnes électorales nationales lors de <a href="http://www.bnf.fr/documents/cp_archive_web_electoral.pdf">collectes spécifiques</a>. Celles-ci trouvent par ailleurs également un écho du côté de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina), au périmètre d’archivage tourné vers les sites web à contenus audiovisuels, dont nombreux seront ceux qui suivront avec attention la course à l’élection présidentielle.</p>
<h2>Conserver les données politiques au sens large</h2>
<p>Mais les contenus politiques conservés dans les archives du Web dépassent de loin ceux des seules élections. Dès 1996 sont archivés des sites qui peuvent être institutionnels, mais aussi militants, ou encore garder la trace de luttes sociales. Depuis 2010 <a href="https://archive-it.org/">Archive-It</a>, lié à la fondation Internet Archive, a même lancé une collecte consacrée aux lanceurs d’alerte internationaux et aux pages de la Toile qui leur sont dédiées, dont les premiers résultats s’ouvrent sur les contenus concernant Snowden. Une autre a été dédiée aux documents mis à disposition par Wikileaks, ou encore à des fonds relatifs à la révolution de Jasmin et au conflit ukrainien.</p>
<p>Autant de collectes spéciales, tournées vers des événements politiques qui côtoient catastrophes naturelles – le tremblement de terre japonais de 2011 ou les inondations de 2008 dans l’Iowa – et humaines – collection sur les événements entourant les attentats contre Charlie Hebdo et la tuerie d’Orlando, ou auparavant sur l’affaire Michael Brown, jeune afro-américain abattu en août 2014 par un policier, et les manifestations et émeutes de Ferguson qui s’en sont suivies.</p>
<p>Ce sont à nouveau les événements politiques et sociaux de Ferguson qui servent de référence au projet <a href="http://www.docnow.io">Documenting the Now</a>, lancé en 2016 et porté par plusieurs institutions universitaires états-uniennes, et dont la page d’accueil s’ouvre sur des photographies liées aux manifestations et émeutes et au mouvement Black Lives Matter. Visant à développer notamment une application ouverte permettant de préserver, collecter et analyser les contenus de Twitter, ses concepteurs revendiquent aussi le souci de lutter contre les silences des archives que relevait Michel-Rolph Trouillot dès 1997 dans <em>Silencing the Past : Power and the Production of History</em>.</p>
<h2>Sous l’archivage du web, des choix politiques</h2>
<p>Contenus parfois sensibles, qui posent des enjeux sociétaux et éthiques, les archives du web nous rappellent que derrière les choix de conservation et de collectes s’expriment avec vigueur des choix politiques.</p>
<p>Si la référence au Dépôt légal français renvoie à une histoire ancienne qui remonte à François I<sup>er</sup> et s’inscrit dans des ambitions à la fois culturelles mais aussi une volonté de contrôle politique – et religieux, comme en témoigne l’<a href="http://bit.ly/2pKf4nC">ordonnance de Montpellier de 1537</a> – la Toile et les réseaux sociaux numériques par leur diversité, leur fugacité, leur logique de flux et de circulation, de duplication comme d’effacement (voir sur ce sujet les travaux de <a href="http://merzeau.net/">Louise Merzeau</a>) impliquent – à défaut d’exhaustivité possible – une politique d’archivage sélectif, qui se veut représentatif, mais doit en permanence négocier entre la pléthore et la lacune.</p>
<p>Dès lors les périmètres d’archivage et les choix de conservation sont sujets à des négociations et inscrits dans des politiques qui, tout en prenant en compte les cadres légaux, ouvrent des choix en terme de récurrence des collectes, de profondeur, etc., débattus tant au plan institutionnel général qu’en interne.</p>
<h2>Archiver l’actualité</h2>
<p>Ce fut par exemple le cas au sein de la BnF lors de la collecte d’urgence consacrée aux évènements qui ont entouré l’attaque de Charlie Hebdo, que rappelait en mars 2016 Annick le Follic, alors chargée de collections numériques au département de dépôt légal de la BnF :</p>
<blockquote>
<p>« Le lendemain des attentats contre Charlie Hebdo toute l’équipe s’est dit qu’il faudrait faire une collecte d’urgence. Dans la journée nous avons discuté au sein du service pour savoir quelle forme devait prendre cette collecte et la lancer aussitôt. […] Dernièrement, nous avons lancé de telles collectes pour documenter les mouvements contre l’aéroport de Notre-Dame des Landes, et celui du Mariage pour tous. […] Notre obligation légale est d’effectuer une collecte annuelle large du domaine français, mais nous nous sommes toujours dit que ce n’était pas suffisant. Comme notre cadre juridique est assez large, nous avons commencé des collectes d’urgence en 2007, après les présidentielles. » (<a href="https://asap.hypotheses.org/168">Entretien du 21 mars 2016 avec Annick Le Follic</a>, BnF)</p>
</blockquote>
<p>Même réaction alors du côté de l’Institut national de l’audiovisuel face au caractère exceptionnel et à l’impact national et international des événements de janvier 2015 :</p>
<blockquote>
<p>« La mission de l’Ina en ce qui concerne la collecte Web est de collecter les sites, réseaux socio-numériques et médias sociaux en lien avec l’audiovisuel. Or ces événements ont eu un impact énorme au plan national bien sûr, mais aussi dans l’audiovisuel français. Cela nous paraissait important de consacrer une collecte d’urgence aux événements. Et Twitter nous a semblé particulièrement important à collecter, car il y avait le risque que personne ne le fasse. » (<a href="https://asap.hypotheses.org/173">Entretien du 21 mars 2016 avec Thomas Drugeon</a>, responsable du DL Web à l’Ina)</p>
</blockquote>
<h2>Quels choix (humains) de curation ?</h2>
<p>Ces témoignages rappellent avec force que derrière les collectes automatisées, programmées et l’action des robots moissonneurs, les choix patrimoniaux restent profondément liés à des curations humaines.</p>
<p>Et si la valeur de ce patrimoine nativement numérique (<a href="http://bit.ly/2otfU6Y">Born Digital Heritage</a> pour les Anglo-Saxons) a été reconnue par une <a href="http://bit.ly/2oR1znG">charte de l’Unesco sur le patrimoine numérique</a> en 2003, les politiques d’inclusion de contenus peuvent être plus ou moins restrictives. Ainsi, alors que la BnF effectue annuellement une collecte dite large de 4,5 millions de sites en se fondant sur les listes de l’Afnic, d’OVH et de l’Office des postes et télécommunications de Nouvelle-Calédonie, sans distinguer, hiérarchiser ou exclure des sites en terme de « valeur » patrimoniale, la Bibliothèque nationale suisse par exemple a, elle, opté pour une stratégie plus sélective mettant l’accent sur les sites web portant sur les cantons et les communes, ou encore sur des domaines spécifiques telles que les sciences sociales ou la littérature suisse, plutôt que sur les productions dites « vernaculaires » des internautes (pages personnelles, blogs, etc.).</p>
<p>À l’opposé l’<a href="http://archiveteam.org/index.php?title=Main_Page">Archive Team</a>, dont une des figures les plus connues est Jason Scott, s’est fait une spécialité du sauvetage de ces contenus personnels menacés, comptant parmi ses faits d’armes le sauvetage de Geocities à la suite de la fermeture du service en 2009 par Yahoo! ou encore de MobileMe et Panoramio.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/166118/original/file-20170420-20057-adlab.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Internet Archive Googly Eyes par Jason .</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Internet_Archive_Googly_Eyes_04.jpg?uselang=fr">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Diverses visions du Web, divers accès aux archives</h2>
<p>Derrière ces choix d’archivage s’expriment aussi des visions et des imaginaires du Web, du numérique et du patrimoine qu’il convient d’interroger à un moment de redistribution des pouvoirs patrimoniaux, en une « explosion patrimoniale » – pour reprendre la formule de Pierre Nora en 1996 concomitante de la création d’Internet Archive, qui voit encore s’accélérer le passage du « patrimoine hérité » au « patrimoine revendiqué » que relevait l’historien.</p>
<p>Toutefois, bien que des décisions humaines restent au cœur des politiques d’archivage, ces dernières doivent aussi composer avec des obstacles et des verrous techniques qui peuvent relever de paramètres propres aux sites et plateformes, de protocoles https ou encore des captcha, sans compter l’inclusion de robots.txt témoignant du souhait de ne pas voir certaines pages référencées.</p>
<p>Si Internet Archive respectait ces restrictions des robots.txt, ce qui explique par exemple que lemonde.fr n’y soit pas archivé, la BnF au titre de sa mission de dépôt légal collecte quotidiennement ce site. Différence de taille toutefois : les collections de la Bibliothèque nationale de France ne sont consultables que dans ses enceintes et plusieurs emprises régionales, alors qu’Internet Archive rend accessible en ligne via la <a href="https://archive.org/web/">Wayback Machine</a> lancée en 2001 tous les contenus web qu’elle a archivés.</p>
<p>Même politique d’ouverture et d’accès libre du côté des archives du Web portugaises d’<a href="http://arquivo.pt/">arquivo.pt</a>, quand la plupart des institutions limitent au contraire la consultation aux bibliothèques, en vertu du droit d’auteur et de questions juridiques liées à la propriété intellectuelle.</p>
<p>Ceci n’est évidemment pas sans poser des enjeux d’accès et de consultation, les fonds européens archivés étant ainsi fragmentés en fonction des frontières nationales, sans passerelles possibles à ce jour entre eux, ni possibilité d’exporter données et métadonnées pour les croiser. Ces restrictions impliquent dès lors de plus en plus de la part des institutions d’archivage des politiques de développement d’outils, rappelées par Thomas Drugeon :</p>
<blockquote>
<p>« L’utilisateur, le chercheur ne peut pas “partir” avec les données du DL Web, les sortir, aussi nos outils doivent répondre à ses besoins, pour qu’avec les outils que nous proposons il puisse faire des analyses pertinentes ».</p>
</blockquote>
<p>Travail d’élaboration complexe pour ses concepteurs, « tiraillés entre ces besoins pointus, et ceux de la majorité des usagers, pour lesquels il ne faut pas trop spécialiser l’outil, sinon il devient incompréhensible », qui implique aussi des politiques de développement à l’interface entre plusieurs professions, celles de l’archivage, de l’ingénierie et de la recherche.</p>
<h2>La fabrique de l’archivage</h2>
<p>Saisies à l’aune de ces remarques, l’exploration de la fabrique de l’archivage et des archives du Web permet de revisiter Langdon Winner et son papier séminal <a href="http://bit.ly/2pGkQ9w"><em>Do Artefacts Have Politics ?</em></a> publié en 1980 en un <em>Do Web Archives have Politics ?</em> dont la réponse serait assurément positive.</p>
<blockquote>
<p>« Les innovations technologiques ressemblent aux textes de lois ou aux institutions publiques qui fixent un cadre destiné à durer pendant plusieurs générations. C’est pour cette raison que la même attention que celle qui est accordée aux lois, fonctions et relations politiques doit aussi être accordée à des choses comme la construction d’autoroutes, la création de réseaux de télévision, et la mise au point de caractéristiques apparemment inoffensives sur de nouvelles machines », notait Winner en 2002, dans <a href="http://bit.ly/2pGq6dp"><em>La baleine et le réacteur</em></a>.</p>
</blockquote>
<p>Cette attention n’a pas échappé à plusieurs pays qui ont fait des archives du Web un enjeu non plus seulement politique mais géopolitique, que ce soit la Chine qui bloquait Internet Archive en 2014, ou encore le gouvernement russe qui en juin 2015 prenait pour argument la découverte d’une page archivée faisant la promotion du djihadisme en Russie pour bloquer également l’intégralité du domaine archive.org.</p>
<p>Dominique Boullier préconisait en 2008 dans <a href="http://bit.ly/2pGysEB"><em>Politiques de la mémoire en temps d’incertitude</em></a> qu’une politique du patrimoine et de la mémoire puisse s’appuyer à la fois sur la capacité des communautés à produire leur mémoire, comme le fait la tradition, la capacité à réviser ces mémoires et les capitaliser, comme le fait l’activité scientifique, et enfin la capacité, propre aux médias, à faire émerger de nouveaux centres d’intérêt et références.</p>
<p>Un des enjeux de l’archivage du Web dans les années à venir pourrait être aussi d’échapper aux tentatives de capitalisation par des grands groupes de la communication qui sont devenus à part entière des acteurs de la patrimonialisation numérique, à l’instar de Facebook et Twitter, et de préserver une capacité de révision tout en empêchant le révisionnisme.</p>
<hr>
<p>Texte initialement paru dans le sixième numéro de la revue <a href="http://nichonsnousdanslinternet.fr/">Nichons-nous dans l’Internet</a>, disponible en librairies ou en ligne</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Schafer a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche pour le projet Web90 (2014-2018) et du CNRS en 2016 pour le projet ASAP (Archives Sauvegarde Attentats Paris). </span></em></p>Blocage du site d’Internet Archive dans plusieurs pays, inquiétude de la fondation après l’élection de Trump… les archives du Web apparaissent de plus en plus clairement comme un enjeu politique.Valérie Schafer, Chargée de recherche à l’Institut des sciences de la communication (CNRS/Paris-Sorbonne/UPMC), Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.