tag:theconversation.com,2011:/au/topics/art-contemporain-23058/articlesart contemporain – The Conversation2023-10-03T16:32:44Ztag:theconversation.com,2011:article/2132992023-10-03T16:32:44Z2023-10-03T16:32:44ZL’art explosif d’Hamad Butt, étoile filante de l’art britannique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551733/original/file-20231003-21-kh2s3d.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C776%2C613&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Cradle, une œuvre qui attire l'attention sur un danger contenu mais bien réel. </span> <span class="attribution"><span class="source">Hamad Butt</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://hamadbutt.co.uk">Hamad Butt</a>, artiste méconnu en France, est mort du sida en 1994, à l’âge de 32 ans. Diplômé de l’université Goldsmith à Londres en 1990 et condisciple notamment du célèbre <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Damien_Hirst">Damien Hirst</a>, il aura donc été une étoile filante dans le monde des plasticiens britanniques. Le <em>Guardian</em> lui a consacré un long article en <a href="https://www.theguardian.com/artanddesign/2023/jun/12/hamad-butt-lethal-tate-rehang-evacuation">juin 2023</a>, à l’occasion de l’entrée de ses œuvres à la Tate Britain. C’est ainsi que je l’ai découvert.</p>
<p>L’historien d’art <a href="https://www.qmul.ac.uk/sed/staff/johnsond.html">Dominic Johnson</a>, professeur à la Queen Mary University de Londres, dont les recherches portent sur l’art de la performance et l’art vivant, généralement dans une perspective queer, va développer en 2024 à l’University of Southern California (Los Angeles), un <a href="https://fulbright.org.uk/people-search/dominic-johnson/">travail de recherche</a> annoncé comme :</p>
<blockquote>
<p>« la première étude scientifique de l’œuvre de cet artiste britannique originaire d’Asie du Sud dans le contexte de la relation entre l’art et le sida ».</p>
</blockquote>
<p>En attendant cette somme, j’ai eu envie de me pencher, en physicien, sur une seule pièce de Hamad Butt, intitulée <em>Cradle</em> (<em>Berceau</em>).</p>
<p>Je n’ai pas encore vu l’œuvre in situ mais sur les photos, on ressent déjà sa force, sa puissance plastique, avec cette immobilité qui appelle un mouvement, et cette idée de mouvement suspendu. L’objet peut sembler mystérieux au premier abord, surtout si on n’est pas familier du pendule de Newton, ni conscient de ce que représente le danger du gaz de chlore. Car l’œuvre s’impose, sous des dehors neutres et inoffensifs, par la présence réelle du danger, à la fois invisible et sensible.</p>
<p>Les boules de verre soufflé contiennent en effet du vrai gaz de chlore. Un très beau jaune… mortel si la dose respirée est trop importante. Ce produit toxique est un puissant irritant pour les yeux, la peau et les voies respiratoires. Autrement dit, cette œuvre est effectivement dangereuse. Bien sûr, des mesures de sécurité draconiennes en font un danger qui reste potentiel, mais il est là et vous regarde dans les yeux. Cette œuvre expose le public, et c’est, à ma connaissance, unique.</p>
<h2>Un pendule de Newton, du chlore, du verre soufflé</h2>
<p>Hamad Butt installe sous nos yeux les principes de la physique et de la chimie. Pour la physique, il détourne le pendule de Newton : les cinq boules d’acier (ici en verre), par leur mouvement et leurs chocs, matérialisent deux lois de conservation fondamentales : celle de l’énergie mécanique et celle de la quantité de mouvement.</p>
<p>Une fois les boules lancées, leur comportement est spectaculaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un pendule de Newton.</span></figcaption>
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<p>L’artiste fait ainsi une allusion très directe au fait que la connaissance scientifique et la maîtrise technologique nous ont ouvert le contrôle et le développement du mouvement mécanisé, et surtout de la vitesse. Mais justement : le « pendule de Newton » de Hamad Butt ne bouge pas – « cradle » est peut-être une allusion ironique à ce mouvement de balancier en suspens. Il ne doit pas bouger pour des raisons de sécurité. Il évoque irrésistiblement le mouvement, mais le mettre en mouvement serait dangereux !</p>
<p>La physique et la chimie apparaissent ici dans toutes leurs dimensions : l’œuvre évoque un dispositif de recherche sorti d’un laboratoire, mais souligne dans le même temps combien l’alliance entre la science, la technologie et l’industrie ont été les éléments clés du développement au XX<sup>e</sup> siècle – son berceau. Dans cette perspective, l’œuvre de Hamad Butt est d’une grande force : par ses composants, par sa structure, elle nous rappelle comment cette société a déployé la science et la technologie à une échelle planétaire, tout en affirmant sa capacité à nous prémunir contre la plupart des dangers et des risques induits par ce développement sans précédent, sans que nous ayons à nous en préoccuper au quotidien.</p>
<p>L’irruption du VIH/sida et l’hécatombe qui en a résulté a largement pris à revers cette conviction, bien au-delà des dernières années de la vie de Hamad Butt.</p>
<h2>Le chlore, gaz dangereux et omniprésent</h2>
<p>Le chlore est un élément chimique extrêmement abondant. Le sel de mer, par exemple, est composé à parité sodium et chlore. L’eau de javel est une des mises en forme les plus connues du chlore. La manipulation du chlore, notamment industrielle, est donc très courante, mais elle reste dangereuse. En juin 2022, dans le port d’Aqaba en Jordanie, un accident a fait 13 morts et plus de 250 blessés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iRsJrwVMN8A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une fuite de chlore cause la mort de 13 personnes dans le port jordanien d’Aqaba.</span></figcaption>
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<p>Lors du chargement par une grue portuaire, la rupture du câble a précipité un lourd container de chlore directement sur le pont du bateau. Le nuage jaune très dense qui s’est répandu instantanément ne laissait aucun doute. Il y a là un parallèle saisissant avec <em>Cradle</em>, l’œuvre de Hamad Butt. La grue, les câbles de suspension et la citerne de chlore sont intégrés dans son installation. L’œuvre qui précède cet accident d’un quart de siècle est pratiquement la miniature du dispositif portuaire. Vraiment saisissant !</p>
<h2>Des usages massifs au prix d’accidents à répétition</h2>
<p>Cette mise en situation du risque, à travers le danger que représente le chlore gazeux, a été prise en charge par la collaboration avec les chimistes de l’Imperial Collège à Londres, et avec un technicien spécialiste du verre soufflé. Ils installent ici une relation entre arts et sciences très singulière, construite sur une responsabilité partagée et un engagement commun auprès du public. Ils doivent s’assurer que cette œuvre ne pose pas de problème de sécurité lors de son exposition au public.</p>
<p>C’est là une analogie de ce que font partout, et depuis des décennies, la science, la technologie et l’industrie : produire un nouveau dispositif, une innovation, trop intéressante pour ne pas prendre en charge le risque inhérent et chercher parallèlement à assurer la sécurité.</p>
<p>Mais ici, on a affaire à une installation « inutile » : ce dispositif ne sert à rien, n’a pas d’usage pratique qui justifierait la prise de risque. En réalité, sa fonction est toute autre : Hamad Butt nous rappelle ce pacte auquel nous nous associons tous en délégant à des experts les conditions de notre sécurité et de notre santé. L’accident dans le port d’Aqaba montre que nous acceptons de payer le prix d’accidents meurtriers et répétés, mais dont nous trouvons collectivement les impacts suffisamment limités pour ne pas nous passer de l’innovation.</p>
<h2><em>Cradle</em>, une œuvre complexe et multiple</h2>
<p>Lors de son départ en retraite, Steve Ramsey, le souffleur de verre, qui travaillait à l’époque de la conception de l’œuvre dans un laboratoire de recherche scientifique de l’Imperial College, a raconté sa collaboration avec Hamad Butt :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai travaillé pendant plus de deux ou trois ans avec cet artiste et il n’arrêtait pas de disparaître, alors qu’il faisait pression pour que cette œuvre soit réalisée. J’ai trouvé cela assez frustrant, mais je ne savais pas qu’il était en train de mourir du sida. »</p>
</blockquote>
<p>Ce propos éclaire d’un jour nouveau l’œuvre de Hamad Butt, celui que Dominic Johnson a choisi pour ses recherches. Difficile en effet de dissocier ce rapport à la maladie, à la finitude, au danger de l’œuvre de Hamad Butt.</p>
<p>Avec des œuvres qui s’imposent par leur présence physique et potentiellement dangereuses face aux visiteurs, et qui génèrent ces interrogations si contemporaines, Hamad Butt reste au cœur de nos vies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213299/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Méconnu en France, Hamad Butt sera prochainement mis à l’honneur à la Tate Britain. Le travail de l’artiste des années 1990 impose une réflexion inédite sur les dangers de notre ère technologique.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1960132023-01-06T14:18:40Z2023-01-06T14:18:40ZBasquiat, artiste multidisciplinaire, dénonciateur des violences faites envers les communautés afro-américaines<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/503147/original/file-20230104-129650-pb1p63.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6274%2C2991&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'oeuvre "Toxic", de Jean-Michel Basquiat, à droite sur la photo, s'inspire du cartoon américain et dénonce la violence de la société américaine. À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Basquiat est plus pertinente que jamais.</span> <span class="attribution"><span class="source">(MBAM)</span></span></figcaption></figure><p>L’exposition <a href="https://www.mbam.qc.ca/fr/expositions/jean-michel-basquiat/"><em>À plein volume : Basquiat et la musique</em></a> présentée actuellement au Musée des beaux-arts de Montréal, démontre que l’œuvre de Jean-Michel Basquiat, que l’on associe habituellement à la peinture, convoque plusieurs autres médias : la musique — thème principal de cette exposition-, la littérature, la bande dessinée, le cinéma et… l’animation, un volet nettement moins connu de son travail.</p>
<p>Basquiat est né à New York en 1960, d’un père haïtien et d’une mère d’origine portoricaine. Vers la fin des années 1970, il dessine en collaboration avec Al Diaz des graffitis énigmatiques <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520383340/reading-basquiat">sous le pseudonyme SAMO</a>. Rapidement, l’artiste se fait connaître dans le milieu de l’art new-yorkais (il se lie d’amitié notamment avec Andy Warhol et fréquente Madonna). Il réalise alors des œuvres picturales en solo et obtient une renommée internationale sans cesse grandissante jusqu’à son décès, en 1988.</p>
<p>À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Jean-Michel Basquiat est plus pertinente que jamais. Elle met en lumière les inégalités raciales et le manque de représentation dans les médias des personnes racisées, mais aussi les violences subies par les Afro-Américains.</p>
<p>C’est ce que je me propose d’explorer dans cet article. Doctorant en littérature et arts de la scène et de l’écran, mes recherches portent notamment sur les interactions entre le cinéma d’animation et les arts visuels (bande dessinée, peinture) ainsi que sur le cartoon américain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503146/original/file-20230104-129855-7kcpz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jean-Michel Basquiat avec son installation Klaunstance, à l’Area, en 1985.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Photo Ben Buchanan)</span></span>
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<h2>Amour/haine pour le cartoon</h2>
<p>Enfant, Basquiat <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">rêvait de devenir animateur pour le cinéma d’animation</a>. Une fois devenu peintre, la télévision était toujours allumée dans son atelier, <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/a-plein-volume-basquiat-et-la-collectif-9782072985935.html">diffusant régulièrement des dessins animés</a>. Ces émissions et films ont été une grande source d’inspiration pour l’artiste. En effet, il a intégré dans ses tableaux plusieurs références à l’animation ou encore, à la bande dessinée.</p>
<p>L’une de ces œuvres que l’on peut contempler dans l’exposition du MBAM s’appelle <em>Toxic</em> (1984). Le tableau représente un homme noir, les bras en l’air, avec en arrière-plan un collage mentionnant plusieurs titres de courts métrages d’animation réalisés entre 1938 et 1948.</p>
<p>Le personnage est en fait un ami de Basquiat, l’artiste Torrick « Toxic » Ablack. Le <a href="https://www.leslibraires.ca/livres/a-plein-volume-basquiat-et-la-collectif-9782072985935.html">titre du tableau lui ferait donc référence</a>. Cependant, sachant que Basquiat <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">jouait avec les mots et leurs sens</a>, « Toxic » pourrait en fait vouloir désigner la relation qu’il entretient avec les films d’animation qui sont mentionnés derrière le personnage.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503155/original/file-20230104-129650-l0k73w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Artiste multidisciplinaire, Jean-Michel Basquiat était aussi musicien. L’exposition qui lui est consacrée au MBAM illustre ce volet de son œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(MBAM)</span></span>
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<p>Pourrait-on dire que ces films sont considérés toxiques par Jean-Michel Basquiat, malgré l’admiration qu’il leur porte ? En fait, je crois qu’une certaine dualité s’installe dans ce tableau : l’artiste aime le cartoon, mais il le déteste en même temps. Selon le dictionnaire <em>Le Petit Robert</em>, le mot <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/toxique">« toxique »</a> peut signifier « nuisible » (de manière sournoise). Le terme « sournois » sous-entend donc que l’élément toxique (le cartoon dans ce cas-ci) est dangereux sans que l’on s’en aperçoive.</p>
<h2>La violence des cartoons</h2>
<p>Le cartoon est souvent associé à l’enfance, au plaisir, à l’excentricité.</p>
<p>Il s’agit d’un univers où tout est possible : dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=6leVrkdoYIU&t=6s"><em>Gorilla My Dreams</em></a>, réalisé par Robert McKimson en 1948, par exemple, le lapin Bugs Bunny parle, se déguise en bébé et imite un singe. Plutôt innocent. Cependant, le dessin animé peut aussi représenter de façon bien sournoise le pire de l’humanité par la violence inouïe qu’il contient : les personnages se pourchassent, se chassent, se frappent, se découpent, se tuent, puis recommencent.</p>
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<figcaption><span class="caption">Robert McKimson, Gorilla My Dreams, Warner Bros., 1948.</span></figcaption>
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<p>Ainsi, dans <em>Porky’s Hare Hunt</em>, film réalisé par Ben Hardassent en 1938 et cité dans <em>Toxic</em>, le personnage de Porky est blessé par de la dynamite, se fait maltraiter alors même qu’il est dans son lit d’hôpital et tente d’abattre un lapin. Basquiat, qui consomme des cartoons tous les jours à la télévision, sait qu’ils sont le reflet de la société américaine du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Il s’agit d’une interprétation qui pourrait être soutenue par le titre d’un autre de ses tableaux reprenant lui aussi une iconographie issue de l’animation ou de la bande dessinée : <em>Television and cruelty to animals</em> (1983). Cette cruauté est aussi dénoncée et reproduite dans <em>An Opera</em> (1985) montrant un Popeye se faire frapper avec au-dessus de sa tête les mots « senseless violence » (violence injustifiée) ainsi que dans <a href="https://www.mbam.qc.ca/en/oeuvres/14684/"><em>A Panel of Experts</em></a> (1982), où l’on voit des bonhommes allumettes se frapper tout prêt d’un énorme revolver.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=573&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503115/original/file-20230104-14-ck5io.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=720&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La toile A Panel of Experts, produite en 1982, dénonce la cruauté et la violence.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(MBAM, don d’Ira Young. Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York. Photo Douglas M. Parker)</span></span>
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<p>Cette violence que dénonce Basquiat est si présente dans le cartoon qu’elle semble jusqu’à un certain point devenue banale, comme celle que l’on voit dans les bulletins de nouvelles à la télévision (qu’il regardait probablement pendant qu’il peignait).</p>
<h2>Dénoncer les stéréotypes raciaux</h2>
<p>Ces cartoons sont aussi violents parce qu’ils perpétuent souvent des stéréotypes raciaux (sans compter les nombreux stéréotypes liés à l’orientation sexuelle, au genre, au sexe, à l’apparence corporelle, etc.).</p>
<p>Le film <em>Patient Porky</em>, réalisé par Bob Clampett en 1940, qui est aussi mentionné dans <em>Toxic</em>, présente une scène où un valet d’ascenseur parodie grossièrement et de façon monstrueuse un personnage noir. Dans l’œuvre <em>Sans titre (All Stars)</em> (1983), Basquiat cite le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_WXrrOIWZKo"><em>The Chinaman</em></a>, de Max Fleischer, réalisé en 1920, dans lequel on retrouve un personnage d’origine asiatique très caricaturé et un Koko le clown se maquillant afin de lui ressembler.</p>
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<figcaption><span class="caption">Max Fleischer, The Chinaman, Bray Studios, 1920.</span></figcaption>
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<p>Basquiat tente donc, en plaçant dans ses compositions des éléments faisant référence à l’animation, de dénoncer une vision du monde stéréotypée et injuste où les <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">personnes racisées sont dépeintes de manière irréaliste</a>. Basquiat disait d’ailleurs que s’il n’avait pas été peintre, il aurait été cinéaste et aurait raconté des histoires où les personnes noires <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520305168/the-jean-michel-basquiat-reader">sont représentées comme des humains, et non plus de façon négative</a>.</p>
<p>Le titre du tableau <em>Toxic</em> porterait ainsi plusieurs sens. Il désigne à la fois le sujet principal (Torrick « Toxic » Ablack), mais aussi la relation qu’il entretient avec la culture populaire, et l’animation dans ce cas-ci.</p>
<p>J’ai omis de mentionner que le personnage de <em>Toxic</em> a les bras en l’air et les mains rougies. Se pourrait-il que cette relation toxique lui ait sali les mains ? Plus précisément que le personnage, du fait que le cartoon a continuellement dépeint les personnes noires de manière péjorative, est maintenant représenté comme un criminel ? Sa position indique en effet qu’il semble être en état d’arrestation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=298&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/503154/original/file-20230104-105026-uxktgp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=375&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dog Bite/Ax to Grind (1983).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Estate of Jean-Michel Basquiat. Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen. Licensed by Artestar, New York)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette hypothèse est fort probable puisque Basquiat a produit plusieurs œuvres dénonçant la brutalité policière envers les Afro-Américains, dont <em>The Death of Michael Stewart (Defacement)</em> (1983).</p>
<p>Basquiat est décédé prématurément en 1988, à l’âge de 27 ans. D’autres artistes issus de la communauté noire, comme les peintres montréalais <a href="https://helloteenadultt.com/">Kezna Dalz alias Teenadult</a>, <a href="https://www.manuelmathieu.com/">Manuel Mathieu</a>, et la cinéaste d’animation <a href="http://www.martinechartrand.net/">Martine Chartrand</a> ont, à leur façon, repris son combat et continuent de lutter pour une plus grande visibilité des personnes noires dans les arts.</p>
<hr>
<p><em>Exposition Basquiat Sountracks, Du 6 avril au 30 juillet 2023 à la Philharmonie de Paris.
Exposition « Basquiat × Warhol, à quatre mains », du 5 avril au 28 août 2023 à la Fondation Louis Vuitton, Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196013/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de John Harbour sont financées par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).</span></em></p>À l’heure du mouvement Black Lives Matter, l’œuvre de Basquiat est plus pertinente que jamais. Elle met en lumière les inégalités raciales et la violence contre les personnes racisées.John Harbour, Doctorant en littérature et arts de la scène et de l'écran (concentration cinéma), Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1938902022-11-08T19:02:11Z2022-11-08T19:02:11ZSortir du blasement en entreprise : les leçons du graphiste polonais Roman Cieslewicz<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493510/original/file-20221104-19-xtot2q.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C28%2C1018%2C684&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Circulez… Circulez…_ (Roman Cieslewicz, collage, collection _Pas de Nouvelles, Bonnes Nouvelles_, 1986).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.auction.fr/_fr/lot/roman-cieslewicz-pas-de-nouvelles-bonnes-nouvelles-hellip-1150633">Collection privée </a></span></figcaption></figure><p>Dans un <a href="https://theconversation.com/le-blase-en-entreprise-une-victime-de-la-routine-172344">article précédent</a>, nous analysions le cas du blasé en entreprise en proposant notamment une relecture de l’ouvrage <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/les-grandes-villes-et-la-vie-de-lesprit-9782228920643"><em>Les grandes villes et la vie de l’esprit</em></a> du philosophe et sociologue allemand <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/georg-simmel/">Georg Simmel</a>. L’objectif était de transposer l’analyse de la mentalité métropolitaine développée par Simmel au travail quotidien d’un salarié du secteur tertiaire. Bien souvent confronté à un flux d’informations qui circule d’écran en écran, le salarié finit blasé : l’hyperexcitation perpétuelle entraîne une anesthésie des facultés sensorielles.</p>
<p>C’est ce que nous ont confirmé les jeunes diplômés interrogés dans le cadre d’une enquête de terrain récente. Ainsi, Charles a insisté sur le flot d’e-mails qui inonde son écran toute la journée :</p>
<blockquote>
<p>« C’est pénible d’avoir des gens qui nous sollicitent tout le temps. En plus, comme je suis dans une grande <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprise</a>, on est souvent dans des listes d’e-mails… et puis on se retrouve bombardé par des sujets qui nous ne concernent pas du tout. Donc il y en a un certain nombre tous les jours qui finissent à la poubelle, mais c’est gênant. Tu vois quelque chose s’afficher, t’es sollicité en permanence, c’est quelque chose qui t’est imposé, tu n’es pas maître face à l’écran. »</p>
</blockquote>
<p>Cette sursollicitation finit par rendre les jeunes diplômés amorphes, indifférents et blasés.</p>
<p>Dans son essai, Simmel rapproche le blasement qui règne dans les grandes villes de l’omniprésence de l’argent dans les relations urbaines. Voici ce qu’il écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Aux yeux du blasé, les [choses] apparaissent d’une couleur uniformément terne et grise, indigne d’être préférée à l’autre. Cette attitude d’âme est le reflet subjectif fidèle de la parfaite imprégnation par l’économie monétaire […]. [Ainsi, l’argent] se pose comme le commun dénominateur de toutes les valeurs, il devient le niveleur le plus redoutable. […] [Les choses] flottent toutes d’un même poids spécifique dans le fleuve d’argent qui progresse, elles se trouvent toutes sur le même plan et ne se séparent que par la taille des parts de celui-ci qu’elles occupent. »</p>
</blockquote>
<p>Finalement, le blasement du citadin n’est que le reflet subjectif de l’intériorisation de cette économie financière qui est à son apogée dans les aires métropolitaines. Dès lors, en quoi ce processus de nivellement est-il caractéristique de notre modernité ?</p>
<h2>La torpeur de Roman Cieslewicz</h2>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=574&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493293/original/file-20221103-22-idgfcs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=721&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’artiste Roman Cieslewicz dans son atelier de Varsovie en 1962.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_Cieslewicz#/media/Fichier:Portrait_de_Roman_Cieslewicz.tiff">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 1985, le graphiste polonais <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/roman-cieslewicz/">Roman Cieslewicz</a> est hospitalisé à Paris à la suite d’un accident. Alors qu’il se rétablit lentement dans sa chambre, il n’a que la télévision pour passer le temps. Cependant, il est très vite abasourdi par le flux d’informations qui défile devant ses yeux.</p>
<p>Cieslewicz est blasé au sens de Simmel : il est bombardé de stimuli au point de sombrer dans la torpeur. Les images que l’artiste a sous les yeux sont à la fois si violentes et si nombreuses qu’elles en deviennent banales et imperceptibles. Leur accumulation jusqu’à la saturation fait qu’elles perdent de leur puissance de frappe. Tous les événements sont mis sur le même plan : d’un mariage princier à l’annonce d’une épidémie meurtrière en passant par une victoire sportive.</p>
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<p>Une fois sa convalescence terminée, Cieslewicz est déterminé à rendre aux images d’actualité toute leur violence. Armé d’une paire de ciseaux, le graphiste découpe dans les journaux de l’époque les images qu’il souhaite remettre en avant. C’est ainsi que naît sa série de collages <em>Pas de Nouvelles, Bonnes Nouvelles</em>, véritable manifeste minimaliste en faveur de la colle et des ciseaux dans l’exercice de la critique politique.</p>
<h2>La singularité derrière l’uniformité</h2>
<p>Pour rendre aux images leur force de frappe, le graphiste polonais pratique un art de la juxtaposition et de l’assemblage d’éléments bruts. Il ne retouche aucune image mais s’ingénie à les relier par des traits d’union rouges et des étiquettes dont le message est percutant.</p>
<p>Voici ce qu’écrit sur ce point le théoricien de l’art <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Jean-Marc-Lachaud--23231.htm">Jean-Marc Lachaud</a> dans un article consacré à <a href="https://journals.openedition.org/socio-anthropologie/120">« l’usage du collage en art au XXᵉ siècle »</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Deux étapes caractérisent le processus de fabrication de l’œuvre collagiste : celle de la déconstruction et celle de la reconstruction. Dans un premier temps, l’artiste puise et sélectionne au cœur de la réalité un ensemble de morceaux hétéroclites. Pour ce faire, il pratique une intervention de type chirurgical : il prélève, découpe, ampute. Parfois, le hasard de la trouvaille ou l’accidentel accompagnent sa récolte. Dans un second temps, il assemble (sans être préoccupé par un ordonnancement pré-établi) et met en rapport (de manière conflictuelle) les pièces de ce puzzle. Il les juxtapose, les superpose, les mixe. Ces brisures du réel, arrachées à leur univers habituel, sont insérées, sans toutefois perdre leurs propriétés originelles et leur mémoire, au sein d’une structure mouvante. Tout en résistant aux manipulations de l’artiste et en conservant une relative autonomie, elles sont néanmoins décontextualisées. »</p>
</blockquote>
<p>Parmi les collages réalisés par Cieslewicz, on trouve par exemple l’image d’un nouveau-né meurtri par la famine juxtaposée à celle d’un astronaute qui évolue dans le vide intersidéral. Au-dessus du personnage muni de jumelles, le graphiste a collé l’étiquette « Non-sens ». Cette mise en miroir est une façon pour l’artiste de souligner l’absurdité de conquérir l’espace alors que des enfants meurent de faim sur Terre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493294/original/file-20221103-26-9iie5y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"><em>Non-sens</em> (Roman Cieslewicz, collage, collection <em>Pas de Nouvelles, Bonnes Nouvelles</em>, 1987).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.maisonpop.fr/faire-voir-faire-dire-la-question-de-l-engagement">Collection privée</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les œuvres de Cieslewicz visent notamment la télévision qui favoriserait l’ignorance en déformant l’information. En effet, la violence y est omniprésente à tel point qu’elle ne scandalise plus personne. Les informations sont jetées pêle-mêle, sans transition au regard des téléspectateurs. On retrouve ici les intuitions de Georg Simmel qui présentait « le fleuve d’argent » comme « le commun dénominateur de toutes les valeurs » et « le niveleur le plus redoutable ».</p>
<p>Grâce à ses œuvres, Cieslewicz cherche à rendre toute leur singularité aux événements avalés par le flot informationnel. Ainsi, Jean-Marc Lachaud précise que :</p>
<blockquote>
<p>« les failles béantes et les espaces vacants qui articulent les [collages] invitent à la découverte de l’indéterminé, du différend, du non-encore là. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même esprit, la journaliste <a href="https://www.lemonde.fr/vous/article/2006/03/05/le-graphisme-a-l-honneur_747613_3238.html">Roxana Azimi</a> rappelle que :</p>
<blockquote>
<p>« ces collages ironiques permettent une lecture en raccourci de l’actualité d’une décennie […]. À la “pollution de l’œil”, ils opposent une “hygiène de la vision” très efficace. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, en quoi la pratique artistique de Cieslewicz peut-elle devenir une source d’inspiration pour sortir du blasement en entreprise ?</p>
<h2>Les humanités pour disséquer l’entreprise</h2>
<p>Par ses collages, Cieslewicz donne du relief aux événements nivelés et absorbés par le flot d’informations. Son geste artistique est une façon de puiser dans la nappe uniforme de l’ordinaire des éléments de matière brute chargés de signification.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=928&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=928&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=928&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1166&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1166&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/493297/original/file-20221103-17-w1dad0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1166&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"><em>La philosophie qui se fait</em> (Patrice Maniglier & Philippe Petit, Éditions du Cerf, 2019).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tel est le rôle de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/philosophie-21470">philosophie</a> et plus largement des <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/sciences-humaines/2-l-etude-des-humanites/">humanités</a> (arts, histoire, littérature, etc.) pour penser les phénomènes organisationnels. À la façon de Cieslewicz qui dissèque le monde avec sa paire de ciseaux, les humanités cherchent à pointer du doigt les absurdités en entreprise, à bousculer les idées reçues et à donner toute leur ampleur à des événements souvent présentés comme insignifiants.</p>
<p>Dans ses <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18654/la-philosophie-qui-se-fait">entretiens</a> avec <a href="https://www.marianne.net/auteur/philippe-petit">Philippe Petit</a>, le philosophe <a href="https://www.franceculture.fr/personne/patrice-maniglier">Patrice Maniglier</a> défend l’idée d’un travail d’investigation philosophique à la fois vivifiant et original.</p>
<p>Ainsi, la philosophie doit être envisagée de la façon suivante :</p>
<blockquote>
<p>« [un] temps arrêté où l’on s’enferme dans un travail de rassemblement des données, de réflexion, d’enquête, un temps libre où l’on ne sait pas où l’on va et grâce auquel on revient vers ces pratiques d’une manière plus fraîche, avec plus d’élan, avec la capacité à prendre les choses autrement. »</p>
</blockquote>
<p>Si Cieslewicz s’appuie sur l’art pour redonner du sens à un monde nivelé et sans relief, les humanités peuvent devenir un outil pertinent pour interroger et mettre en perspective les phénomènes organisationnels. Ainsi, les <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199595686.001.0001/oxfordhb-9780199595686">« Critical Management Studies »</a> (ou <em>Études critiques en management</em>) qui se sont développées depuis le début des années 1990 ont pour objectif d’explorer les limites et les apories des techniques classiques de gestion. Elles s’appuient notamment sur des philosophes comme <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Michel_Foucault/120008">Michel Foucault</a> ou <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jacques_Derrida/116181">Jacques Derrida</a> pour dénoncer les mécanismes sournois et les absurdités à l’œuvre dans les organisations.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/arts-histoire-philosophie-les-employeurs-apprecient-de-plus-en-plus-les-competences-non-techniques-182715">Arts, histoire, philosophie… les employeurs apprécient de plus en plus les compétences non techniques</a>
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</em>
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<hr>
<p>Malheureusement, ces études sont parfois contre-productives en incarnant une contestation systématique et mécanique à tous les phénomènes relatifs à la vie en entreprise. Uniquement focalisées sur un travail de déconstruction, ces critiques purement négatives deviennent alors stériles, incapables de s’ériger en forces de proposition.</p>
<p>Dès lors, ne faut-il pas dépasser cette opposition dogmatique et caricaturale pour opérer une reconstruction à la façon de Cieslewicz ? C’est en tout cas ce que proposent les philosophes rassemblés autour de <a href="https://www.franceculture.fr/personne-laurent-de-sutter.html">Laurent de Sutter</a> dans un ouvrage collectif intitulé <a href="https://www.puf.com/content/Postcritique"><em>Postcritique</em></a>. Les penseurs de ce manifeste se rejoignent sur la nécessité impérieuse de comprendre les phénomènes avant de les juger négativement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/xocYGPhUwPY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ghislain Deslandes : <em>Postcritique</em> : pour une critique vraiment constructive (Xerfi Canal, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Finalement, s’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de la pratique du collage de Cieslewicz ou du recours aux humanités pour penser le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a>, ce serait cette éducation du regard, ce travail de dissection des phénomènes et cette aptitude à voir que derrière la vie de tous les jours se cache la vie de chaque instant.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-blase-en-entreprise-une-victime-de-la-routine-172344">Le « blasé » en entreprise, une victime de la routine ?</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/193890/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon travaille pour Montpellier Business School en tant que Professeur Assistant.</span></em></p>Les collages de l’artiste, fruits d’un travail de déconstruction puis de reconstruction, incitent à changer de point de vue sur les organisations en prenant du recul sur les situations du quotidien.Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818262022-09-20T13:41:27Z2022-09-20T13:41:27ZJetons non fongibles dans le monde de l’art : révolution ou désillusion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469853/original/file-20220620-14209-o88hmb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C7%2C994%2C552&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une large part des créateurs de NFT (jetons non fongibles) sont issus d’une pratique de modélisation 3D, de design graphique, d’animation ou de conception de jeu vidéo.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les NFT ou <em>jetons non fongibles</em> sont des objets numériques qui représentent une chose, par exemple une œuvre d’art, une vidéo, ou même un <a href="https://techno.konbini.com/fr/societe/gavage-jack-dorsey-vend-son-premier-tweet-pour-29-millions-de-dollars/">tweet</a>. Leur particularité est de certifier l’existence et la propriété de cette chose grâce à un enregistrement de données sur une chaîne de blocs (un <a href="https://www.cpacanada.ca/fr/ressources-en-comptabilite-et-en-affaires/domaines-connexes/technologies-et-gestion-de-linformation/publications/introduction-a-la-technologie-de-la-chaine-de-blocs">registre numérique distribué et sécurisé</a>).</p>
<p>Depuis l’émergence des NFT en 2016, de nombreux artistes ont expérimenté ce nouveau dispositif numérique pour commercialiser leurs créations. Les NFT s’achètent et se revendent le plus souvent via des sites de mise aux enchères, où les paiements se font en cryptomonnaie (telle la <a href="https://ethereum.org/fr/eth/">monnaie Ether</a>). C’est cette notion de certificat enregistré sur une chaîne de blocs qui distingue le NFT d’une œuvre numérique standard.</p>
<p>Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le discours public et médiatique au sujet des NFT est polarisant : pour les plus enthousiastes, les NFT représentent l’avenir de l’art, alors que pour leurs détracteurs, ils sont une vaste arnaque et un gaspillage d’énergie.</p>
<p>Comment caractériser ce phénomène NFT ? Dans quelle mesure bouscule-t-il les codes établis de l’art contemporain ?</p>
<p>Je propose de faire un bref état de la situation en tant que chercheuse spécialisée en étude des médias et en sociologie de la culture.</p>
<h2>Crypto-évangélistes et crypto-sceptiques</h2>
<p>D’un côté, on trouve un pôle qu’on peut qualifier de <em>crypto-évangéliste</em> : c’est-à-dire un ensemble de discours qui présentent les NFT comme une nouvelle révolution qui va radicalement tout changer.</p>
<p>C’est le discours qui entoure la vente sensationnelle d’une œuvre de l’artiste Beeple (un collage de vignettes créées par logiciel numérique) chez la prestigieuse société de vente aux enchères Christie’s, pour près 70 millions de dollars américains en 2021. Selon les <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/beeple-how-i-changed-the-art-world-for-ever-tggbx99vm">deux principaux acquéreurs</a> de cette œuvre, elle serait « emblématique d’une révolution en marche », et marquerait « le début d’un mouvement porté par toute une génération ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1361670588608176128"}"></div></p>
<p>De l’autre côté, on trouve le <em>crypto-scepticisme</em>. C’est la position de Hito Steyerl, artiste largement reconnue en arts médiatiques. <a href="https://www.holo.mg/stream/hito-stereyl-nfts-like-toxic-masculinity/">Elle estime</a> que les NFT doivent leur développement aux « pires acteurs » qui exploitent la précarité des créateurs, en plus de monopoliser les ressources et l’attention en créant un environnement toxique.</p>
<p>Cette polarisation fait en sorte que le potentiel réel des NFT, tout comme leurs failles, elles aussi bien réelles, tendent à être éclipsés par des positions de principe souvent caricaturales. Il existe pourtant dans cet écosystème des NFT un ensemble de pratiques artistiques riches et plurielles.</p>
<h2>Des scènes créatives en émergence</h2>
<p>Le format NFT constitue résolument une nouvelle forme d’objet à échanger. Il est fondé sur un nouveau type de contrat (dit « intelligent »), lui-même issu de l’innovation de la technologie de la chaîne de blocs. En cela, le format NFT a suscité l’émergence d’une nouvelle scène créative. Ou plutôt de scènes au pluriel, caractérisées par une grande effervescence – et par certaines contradictions.</p>
<p>Les scènes <em>natives</em> du format NFT, c’est-à-dire nées avec l’invention de ce format, se caractérisent par une forte visibilité médiatique, un volume d’investissement financier faramineux, et, pour certains de ses acteurs, une volonté de rebattre les cartes du monde l’art en critiquant son ordre établi.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1541993095218307073"}"></div></p>
<p>Une large part des créateurs de NFT sont issus d’une pratique de modélisation 3D, de design graphique, d’animation ou de conception de jeu vidéo. En d’autres termes, du secteur des industries créatives. Ce secteur a généré dans les dernières décennies un très important bassin de compétences, dont le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/07053436.2004.10707657">surplus créatif</a> trouve dans le format des NFT un mode d’expression. Mais aussi une source de revenus complémentaires pour faire face aux conditions du travail créatif, souvent précaires.</p>
<p>De très nombreuses figures des scènes natives des NFT sont, pour reprendre le terme anglais du <a href="https://www.cairn.info/outsiders--9782864249184.htm">sociologue H. Becker</a>, des <em>outsiders</em> (des profanes) par rapport aux mondes de l’art établis. C’est-à-dire qu’ils socialisent dans des cercles autres que ceux du monde de l’art institutionnel, et ils en transgressent les règles à de nombreux égards.</p>
<h2>Un monde de l’art plus égalitaire ?</h2>
<p>Le discours des principaux acquéreurs de l’œuvre sensation de Beeple est très éclairant en ce sens. Dans une <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/beeple-how-i-changed-the-art-world-for-ever-tggbx99vm">entrevue</a> accordée au magazine <em>Slate</em>, MetaKovan et Twobadour (deux investisseurs du monde de la crypto, d’origine indienne) font les déclarations suivantes :</p>
<blockquote>
<p>On nous a conditionnés, depuis notre plus jeune âge, à penser que l’art ne nous était pas destiné. […] Nous avons toujours été contre l’idée d’exclusivité. Le métavers est tout ce qu’il y a de plus inclusif. […] Un métavers dans lequel chacun aura les mêmes droits, pouvoirs, sera légitime. […] C’est particulièrement égalitaire.</p>
</blockquote>
<p>Mais entre le discours d’égalitarisme qui est prôné ici, et sa mise en pratique dans les projets de ces deux investisseurs, il y a des contradictions majeures. Par exemple, lors de l’événement d’art technologique <a href="https://www.dreamverse.life/ticketing.html"><em>Dreamverse</em></a> qu’ils ont organisé à New York en 2021, le prix d’entrée à la soirée variait entre 175$ et 2 500$ américains. Un coût inaccessible pour de nombreux amateurs. Cette hiérarchie des prix conduit plutôt à reproduire une logique d’exclusivité pour les plus fortunés.</p>
<h2>Des musées frileux</h2>
<p>L’écart entre la valorisation marchande des NFT et leur valorisation muséale est sans précédent. La première atteint des sommets inégalés, tandis que l’autre touche encore le fond. En effet, le collectionnement de NFT par des musées reste, à ce jour, une pratique très marginale. Seule une poignée de NFT est intégrée dans des collections muséales. Certains sont acquis à la suite d’une exposition dans un musée, où ils sont présentés sur des écrans numériques accrochés au mur.</p>
<p>Un des facteurs de ce déficit de légitimité culturelle tient au processus de désintermédiation (élimination des intermédiaires) et réintermédiation (introduction de nouveaux intermédiaires) qui caractérise le monde des NFT. C’est-à-dire que dans son élan disruptif (tout changer, rebattre les cartes), la « révolution » proclamée des NFT s’est coupée d’une chaîne d’intermédiaires légitimes bien établis : les galeristes, commissaires, critiques d’art, collectionneurs conventionnels, subventionneurs publics.</p>
<p>Elle les a remplacés par de nouveaux intermédiaires – en premier lieu, des « baleines » : autrement dit des investisseurs ayant fait fortune dans la cryptomonnaie, ou encore des célébrités du monde de la culture populaire. Ces nouveaux intermédiaires surinvestissent en capital financier la production de NFT, dans le but de gagner une position de prestige comme collectionneur, ou de s’enrichir en faisant monter la valeur des œuvres. Mais il leur manque bien souvent le capital social et le capital culturel pour trouver une voie d’accès vers les musées, leurs espaces d’exposition et leurs collections.</p>
<h2>À la recherche d’une légitimité</h2>
<p>Ces œuvres sont toutefois accessibles au public, puisque tous les NFTs sont librement consultables sur le portefeuille électronique de leurs acquéreurs. Certains collectionneurs achètent des œuvres seulement pour spéculer. D’autres gagnent en visibilité en exposant leurs NFTs dans un métavers (un monde virtuel) comme <a href="https://decentraland.org/">Decentraland</a>, un des plus connus, ou <a href="https://www.tryspace.com/">Space</a>, un nouveau venu.</p>
<p>Et pour d’autres encore, la quête de légitimité va plus loin : au printemps 2022, un groupe d’artistes, de commissaires d’art, de collectionneurs et de plates-formes de NFT ont organisé un <a href="https://decentralartpavilion.io/">Decentral Art Pavilion</a>, en parallèle de la Biennale de Venise de 2022. Restée hors du programme officiel, l’exposition avait pour ambition de positionner les NFTs dans l’orbite de ce rendez-vous incontournable de l’art contemporain.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1527990090319790080"}"></div></p>
<p>Mais la présence des NFTs est restée marginale dans cette édition de la biennale. Seul le <a href="https://www.labiennale.org/en/art/2022/cameroon-republic">pavillon du Cameroun</a> a exposé des NFTs sous la houlette d’un commissaire à la <a href="https://www.lejournaldesarts.fr/le-pavillon-du-kenya-la-biennale-de-venise-represente-par-six-artistes-chinois-125043">réputation sulfureuse</a>, avec un résultat décevant (manque de cohérence, accrochage négligé).</p>
<p>La reconnaissance des NFTs par le monde de l’art consacré passera peut-être plutôt par des chemins de traverse, comme les pratiques plus expérimentales présentées à la <a href="https://documenta-fifteen.de/en/">documenta de Kassel</a> cette année (un autre évènement phare d’art contemporain), ou les revendications d’artistes des pays en développement, comme le projet <a href="https://balot.org/">Balot</a>, qui utilise le format NFT pour critiquer l’appropriation d’une œuvre originaire du Congo par un musée américain.</p>
<p>Une reconnaissance par les marges donc, mais dans ces derniers cas, ce sont des marges plus facilement intégrables par le milieu de l’art établi, car elles en partagent les codes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181826/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les créateurs d’œuvres d’art NFT (œuvres sur la chaîne de blocs) s’organisent en nouvelles scènes artistiques, mais elles sont encore en quête de légitimation culturelle, et les musées restent frileux.Nathalie Casemajor, Professeure, Institut National de la Recherche Scientifique, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Sophie Herrmann, Étudiante au doctorat, Institut national de la recherche scientifique (INRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1905742022-09-14T18:06:36Z2022-09-14T18:06:36Z« Une image davantage qu’un sujet » : les femmes dans le cinéma de Jean-Luc Godard<p><em>Historienne du cinéma, Geneviève Sellier est spécialiste de l’étude des représentations des rapports sociaux de sexe et des identités de sexe au cinéma et à la télévision. En 2005, elle a publié l’ouvrage <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/la-nouvelle-vague/">« La Nouvelle Vague, un cinéma au masculin singulier »</a> (CNRS éditions) et écrit régulièrement pour le site <a href="https://www.genre-ecran.net/">« Le genre et l’écran »</a>. Nous l’avons questionnée sur le « male gaze » propre à Jean-Luc Godard, et son rapport ambivalent au féminin.</em></p>
<hr>
<p><strong>Jean-Luc Godard vient de disparaître, à l’âge de 91 ans. Votre approche critique porte sur les rapports de genre au cinéma, et vous avez plus particulièrement étudié la Nouvelle Vague. Est-ce difficile de critiquer un « monstre sacré », est-ce que la légende – largement bâtie du vivant de Godard – oblitère en un sens la possibilité d’une telle critique ? Comment a-t-elle été reçue, en France et ailleurs ?</strong></p>
<p>Mon livre sur la Nouvelle Vague (2005, CNRS éditions) a été largement ignoré ou boycotté par les universitaires et les critiques français pour qui Godard (et plus largement la Nouvelle Vague) est intouchable ; il faut ajouter que la question du genre (gender) est complètement taboue en France, en <a href="https://editions-attribut.com/product/nectart-11/">particulier quand il s’agit de traiter d’un « auteur »</a>, été 2020). En revanche dans les pays anglophones, ce livre a été bien accueilli, traduit par Kristin Ross <a href="https://www.dukeupress.edu/masculine-singular">et publié en 2008</a>.</p>
<p>La critique des films de Godard du point de vue du genre a été inaugurée par la chercheuse britannique Laura Mulvey en 1980 dans un ouvrage co-écrit avec Colin MacCabe, <a href="https://www.richardhollis.com/film-subjects/godard/"><em>Godard : Images, Sounds, Politics</em></a> (Macmillan). Une vision critique d’un point de vue sociologique est <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2006-1-page-197.htm">développée par Jean-Pierre Esquenazi</a> et <a href="https://www.livres-cinema.info/livre/2179/nouvelle-vague-et-le-cinema-d-auteur">par Philippe Mary</a>, mais ces approches restent très marginales dans l’énorme bibliographie multilingue sur Godard qui se caractérise principalement par son ton hagiographique. Encore aujourd’hui, Godard reste un monument intouchable de « l’art contemporain ».</p>
<p><strong>Comment résoudre le paradoxe (dans l’imaginaire collectif) d’une époque d’émancipation des femmes, dans les années 1960, d’un cinéma vu comme « moderne », et dans le même temps d’un regard masculin qui enferme les femmes dans des rôles fétichisés, dans un regard sexiste ?</strong></p>
<p>Ce paradoxe n’est qu’apparent. L’imaginaire collectif est encore imprégné de la misogynie et du sexisme qui caractérisent sous des formes différentes la culture de masse et les <a href="https://lesparleuses.hypotheses.org/1037">« grands auteurs » en France</a>. Comme en témoigne l’invisibilité des femmes (et des actrices) de plus de 50 ans dans les films alors qu’elles sont de plus en plus présentes dans le monde professionnel et politique, <a href="https://aafa-asso.info/tunnel-comedienne-50-ans/">y compris aux postes de pouvoir</a>. Comme l’a montré <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AGMUoLQXfWc">Reine Prat</a> à propos du spectacle vivant, la création culturelle est un des domaines où la domination masculine reste la plus affirmée, sous prétexte que « le talent n’a pas de sexe ».</p>
<p><strong>Godard est aussi celui qui a fait « émerger » de grandes actrices (Jeanne Moreau, Anna Karina). Sommes-nous aussi prisonniers de cette vision du cinéaste « Pygmalion » ? Comment ces actrices ont-elles réussi à s’émanciper – ou non – de ce regard ?</strong></p>
<p>Cette affirmation est fausse concernant <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/jeanne-moreau-l-unique-1928-2017-1556341">Jeanne Moreau</a> : formée au Conservatoire, comédienne reconnue au théâtre (TNP) puis dans le cinéma populaire des années 1950 (<em>La Reine Margot</em>, Dréville, 1954), c’est Louis Malle qui crée son image « Nouvelle Vague » dans <em>Ascenseur pour l’échafaud</em> (1957) et <em>Les Amants</em> (1958), et Truffaut qui va la consacrer dans <em>Jules et Jim</em> (1962) comme « la » star de la Nouvelle Vague. Elle continuera en toute indépendance sa carrière au cinéma, au théâtre, à la télévision et dans la chanson. C’est sans doute la solidité de sa formation théâtrale qui lui permit d’exister en dehors de et après la Nouvelle Vague.</p>
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<p>En revanche <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/tous-en-scene/dans-les-yeux-d-anna-karina-8866459">Anna Karina</a>, jeune mannequin danoise sans formation, est en effet une « création » de Godard (de dix ans son aîné) qui la configure comme une femme-enfant, fétichisée par les alter-egos du réalisateur dans la fiction et par la caméra. De 1960 à 1967, elle incarne une vision réactionnaire et infantilisante de « l’éternel féminin » qui disparaîtra du cinéma de Godard après sa rencontre avec Anne-Marie Miéville en 1972. Quant à l’actrice Anna Karina, elle aura le plus grand mal à exister après ses « années Godard », malgré quelques performances remarquables (<em>La Religieuse</em>, Rivette, 1967), une carrière de chanteuse et même deux réalisations (<em>Vivre ensemble</em>, 1973 ; <em>Victoria</em>, 2008).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OuuEe-qBdGQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><strong>Quelles formes prend ce regard masculin chez Godard, pour donner quelques exemples ? Y a t-il des « gimmicks », des stéréotypes qui reviennent, dans la représentation des femmes, les paroles et les comportements qui leur sont attribués ?</strong></p>
<p>Le prototype féminin dans le cinéma du Godard, du moins jusqu’aux années 1970, est une femme-enfant androgyne, souvent étrangère, maîtrisant mal le français, opaque, une image davantage qu’un sujet : dans les films centrés sur un personnage masculin alter-ego de l’auteur (<em>A bout de souffle</em>, <em>Le Petit Soldat</em>, <em>Pierrot le fou</em>), elle est l’objet d’une fixation amoureuse qui sera fatale au héros, soit qu’elle le trahisse, soit qu’elle le rende vulnérable.</p>
<p>Dans les films centrés sur un personnage féminin, elle est l’objet du regard à la fois fétichiste et « sociologique » du réalisateur, mais jamais le sujet actif et conscient de son histoire : <em>Une femme est une femme</em>, <em>Vivre sa vie</em>, <em>Une femme mariée</em>, <em>Masculin féminin</em>, <em>Deux ou trois choses que je sais d’elle</em>. Elles incarnent souvent l’aliénation de/à la société de consommation que le discours masculin commente en voix off ou par l’intermédiaire d’intellectuels.</p>
<p>Seuls les personnages féminins incarnés par des stars échappent en partie à ce stéréotype : Jean Seberg dans <em>A bout de souffle</em> est une aspirante journaliste et sa liaison avec le « mauvais garçon » Belmondo perturbe son projet professionnel : elle le fera arrêter. Brigitte Bardot dans <em>Le Mépris</em> est une secrétaire qui a épousé un scénariste (Michel Piccoli) fasciné par sa beauté : quand elle comprend qu’il l’utilise pour faire carrière, elle le quitte.</p>
<p><strong>Quelles sont les conséquences d’un tel regard sur le monde du cinéma sur la place des réalisatrices, sur les types de narration ou la façon dont nous considérons les actrices ?</strong></p>
<p>Au-delà du cas Godard, dont le cinéma est devenu de plus en plus confidentiel, les cinéastes masculins de la Nouvelle Vague et leurs héritiers (Arnaud Desplechin, Olivier Assayas, Léos Carax, François Ozon, Bertrand Bonello, Christophe Honoré, Emmanuel Mouret…) sont considérés par la critique et par les institutions cinéphiliques comme des « auteurs » dont l’œuvre échappe aux déterminations sociales – c’est-à-dire aux questions de genre, de classe et d’ethnicité –, et qu’il s’agit d’abord de valoriser auprès d’un public pas toujours sensible au narcissisme plus ou moins abscons de beaucoup de ces films (je renvoie aux critiques publiées sur le site <a href="https://www.genre-ecran.net/">Le Genre et l’écran</a>). Les réalisatrices qui peinent à faire partie de ce premier cercle, ont le plus souvent intériorisé ce modèle du cinéma d’auteur masculin (Claire Denis, Catherine Breillat, Valeria Bruni-Tedeschi, Maïwenn, Anne Fontaine…) et même si leurs films font une place beaucoup plus conséquente aux personnages féminins de tous âges, on y décèle rarement une conscience féministe ou un regard critique sur les rapports homme/femme.</p>
<p><strong>Qu’en est-il des autres grands noms de la Nouvelle Vague, en matière de regard genré ?</strong></p>
<p>Contrairement à Godard, beaucoup d'autres cinéastes de la Nouvelle Vague ont insufflé un ton nouveau au cinéma de fiction sans remettre en cause les conventions narratives du scénario et des dialogues, la vraisemblance, l’identification du public à des personnages incarnés par des stars au glamour indiscutable… Si Chabrol et Truffaut ont largement rejoint le cinéma narratif dominant et se sont illustrés dans des genres populaires (policier, film à costumes), un cinéaste plus confidentiel comme Rohmer a construit sa carrière sur sa capacité à reconduire le même type de récit « intimiste », le même genre d’écriture « ciselée », le même type d’acteurs et d’actrices « ordinaires », qui s’inscrivent dans une tradition littéraire dont l’élite cultivée raffole. Mais ce type de récit, aussi bien que le cinéma de genre, contribuent à maintenir l’asymétrie genrée qui naturalise la domination masculine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geneviève Sellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Geneviève Sellier, historienne du cinéma, nous parle des films de Jean-Luc Godard (et plus largement, de la Nouvelle Vague) au prisme du genre.Geneviève Sellier, Professeure émérite en études cinématographiques, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1895772022-09-05T22:54:54Z2022-09-05T22:54:54ZLe volant, symbole technologique d’un autre temps ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/482771/original/file-20220905-2243-acsa0g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C960%2C635&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Data driven sans les mains, une oeuvre de Filipe Vilas-Boas.</span> <span class="attribution"><span class="source">Page Facebook de l'artiste / Émile Ouroumov, La Ferme du Buisson</span></span></figcaption></figure><p>Dans l’exposition collective <a href="https://seine-et-marne.fr/fr/fiche-evenement/le-palais-des-villes-imaginaires">« Le palais des villes imaginaires »</a> qui s’est tenue au Centre d’Art Contemporain de la Ferme du Buisson de Noisiel, Filipe Vilas-Boas présentait trois œuvres entre mars et juillet. L’une d’elles, créée en 2022, s’intitule <em>Data driven. Sans les mains</em>. Fixés sur un mur blanc, placés à égale distance les uns des autres, neuf volants correspondant à différentes marques de voitures tournent sans fin.</p>
<p>Ils tournent à droite, puis à gauche, puis reviennent dans leur position « aller tout droit », pour tourner à nouveau à droite ou à gauche. Apparemment, ils passent leur temps à « conduire » chacun une voiture virtuelle dans une sorte de Google Maps. L’écran sur le mur latéral montre les neuf petites voitures en mouvement, allant chacune vers sa destination choisie par un visiteur.</p>
<h2>L’intention de l’artiste</h2>
<p>Le texte de la feuille de salle qui accompagne l’œuvre précise :</p>
<p>« À l’instar des dispositifs de conduite autonome, Filipe Vilas-Boas propose avec l’œuvre <em>Data driven. Sans les mains</em>, de regarder passivement les volants effectuer les trajets que nous leur demandons. À l’aube d’une ère où la surconsommation énergétique peut nous amener à moins voyager, l’œuvre nous propose de penser à une infinité de destinations. Entre la rêverie et la flemmardise, l’artiste questionne les relations entre humains et automatisation des machines. »</p>
<p>J’ai eu la chance de rencontrer Filipe Vilas-Boas. Il m’avait décrit son travail avec les volants de voiture sans me dire ni le titre, ni son intention, sans « divulgâcher »… puis je me suis retrouvé face à son œuvre à La Ferme du Buisson.</p>
<p>Dès mon entrée dans la salle, j’ai vu neuf volants continuer leur vie de volant, comme « dans un jeu vidéo pour volants de voitures », privés de conducteurs et de voitures. Conduire encore un moment. Faire encore un tour. Avec l’énergie du désespoir. Et même si ce n’est qu’un tour en avatar de voiture dans un espace virtuel. Et même si, en l’absence de conducteur, pour faire encore ce tour, il faut devenir le jouet, inutile et presque ridicule, des « data ». Les capteurs et le logiciel deviennent les réels pilotes, que ce soit d’ailleurs dans cette œuvre comme dans la vie réelle. Il n’y a pas de mains. Le logiciel nourri de flots de « data » n’a pas besoin d’une interface comme un volant pour prendre le contrôle d’un véhicule qu’il soit virtuel ou réel d’ailleurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482788/original/file-20220905-7047-seyac7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur l’écran, on peut suivre les mouvements des voitures virtuelles symbolisées concrètement par les volants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://filipevilasboas.com/Data-Driven-Sans-les-mains">Site de l’artiste</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le véhicule autonome et la fin du volant</h2>
<p>Le véhicule réel est en passe de devenir autonome. Plus de volant à la fin de l’histoire. On dit qu’Elon Musk a changé le paradigme de la voiture en mettant le logiciel au centre. Une voiture autonome en kit c’est à peu près : des capteurs disséminés dans la structure de la voiture, un ordinateur connecté et son logiciel interne remis à jour à distance, un moteur, des freins, une direction. Et un habitacle pour les passagers, éventuellement. Il faut ajouter bien sûr une batterie pour alimenter l’ensemble en énergie. </p>
<p>Les capteurs transmettent toutes les données nécessaires sur le monde environnant. Le logiciel les reçoit, les traite et prend directement les commandes : les freins, le moteur et la direction. Et donc pas de rétroviseur, pas de pédales… et disparition du volant.</p>
<h2>Naissance du volant</h2>
<p>Voilà ce que dit Wikipedia quand on cherche « volant directionnel » :</p>
<blockquote>
<p>« Dans une automobile, le volant est la pièce mécanique permettant au conducteur de choisir la direction du véhicule. Le volant fait donc partie du mécanisme de direction du véhicule. Il fut introduit pour la première fois en 1894, dans l’épreuve Paris-Rouen, par M. Alfred Vacheron et son numéro 24. »</p>
</blockquote>
<p>La voiture était une Panhard 4CV. Cela signifie-t-il que l’invention du volant directionnel est consécutive à l’apparition des premières voitures ? Il semble bien. En tous cas, on rapporte qu’en 1905, une décennie après sa première apparition, le volant est devenu pratiquement la norme dans la production automobile.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=460&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/482791/original/file-20220905-5965-kj20jv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=578&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Voiture Panhard conduite par Ivor Bertie Guest, 1ᵉʳ Baron Wimborne (1835-1914), vers 1902.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lafayette archive/V&A Museum/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>J’ai vu <em>Data driven. Sans les mains</em> et j’ai pensé à <em>Fondation foudroyée</em>, le 4<sup>e</sup> tome du cycle de romans de science-fiction « Fondation » d’Isaac Asimov publié en 1982 :</p>
<blockquote>
<p>« Trevize plaça les mains contre les contours dessinés sur le plateau, contours positionnés de telle sorte qu’il pût le faire sans effort.</p>
<p>“Fermez les yeux, je vous en prie, détendez-vous. Nous allons établir la connexion.”</p>
<p>Par les mains ?</p>
<p>Les mains ? Pourquoi pas ?</p>
<p>C’étaient les mains, la surface active du corps, les mains qui touchaient et manipulaient l’Univers.</p>
<p>L’homme pensait avec ses mains. C’étaient ses mains qui répondaient à sa curiosité, qui tâtaient et pinçaient et tournaient et levaient et soupesaient. »</p>
</blockquote>
<h2>Prendre le volant</h2>
<p>L’expression « je prends le volant » le dit bien, mettre les mains sur le volant d’une « belle voiture » reste encore un rêve pour certains conducteurs. On peut relire ce texte d’Asimov écrit au XX<sup>e</sup> siècle comme une description simple et immédiate de la relation du conducteur à la voiture, par le volant, par les mains. Les films et séries basés sur cette relation sont légion avec des scènes – des poursuites, entre autres – d’anthologie.</p>
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<p>Le volant comme symbole de la civilisation de la voiture, celle des Trente Glorieuses. Après cette lecture, <em>Data driven. Sans les mains</em> devient pour moi : des volants qui tentent désespérément de retrouver ensemble, et même « en faisant semblant », le bon vieux temps, celui où ils étaient les rois, avant la disparition des conducteurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-bill-fontana-redonne-vie-aux-cloches-de-notre-dame-185522">Quand Bill Fontana redonne vie aux cloches de Notre-Dame</a>
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<h2>Une extension du corps</h2>
<p>Entre l’invention de Alfred Vacheron en 1894 et <em>Fondation foudroyée</em> en 1982, un miracle s’est produit. Le volant devient la norme dès 1905. Ensuite il envahit le monde. Bien sûr entre une voiture de luxe aujourd’hui et ce volant initial, il y a beaucoup de différences, mais elles restent marginales. Il s’agit encore et toujours d’une voiture avec un volant pour orienter les deux roues directrices. La direction assistée complète le dispositif et il rencontre alors parfaitement le conducteur, la précision de ses mouvements, ses anticipations, son appréciation du volume et des formes du véhicule en mouvement, et même à grande vitesse.</p>
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<p>Alfred Vacheron en avait-il conscience ? Avec le volant, il complétait la voiture et en faisait littéralement une extension du corps par les mains. Chez Filipe Vilas-Boas comme Isaac Asimov, la conduite passe toujours par les mains qui établissent cette connexion intuitive et sensible, en fait extraordinaire, entre la machine et son conducteur. Comment analyse-t-on la qualité exceptionnelle de l’adéquation du volant comme interface entre la voiture et le conducteur ?</p>
<h2>Le volant comme interface homme-machine</h2>
<p>L’état des technologies en 1982 permettait à Isaac Asimov d’envisager ce futur éventuel du volant. Les interfaces tactiles et haptiques sont encore jeunes mais elles sont déjà là, et travaillent aux interactions entre nos mains et la technologie au-delà des claviers. Elles le font toujours d’arrache-pied. Les travaux de Vincent Hayward <a href="https://images.cnrs.fr/video/4226">sur le toucher et sur l’haptique</a>, dès cette époque, l’ont conduit aujourd’hui à l’Académie des Sciences. </p>
<p>De fait comme le montre Wendy Mackay dans son cours inaugural sur les interfaces homme-machine (IHM) au Collège de France en 2022, les IHM ont connu des évolutions fulgurantes dans les dernières décennies et ont accompagné le déploiement massif des technologies numériques dans le monde. Finalement Isaac Asimov décrit peut-être plus l’écran tactile de nos ordinateurs ou smartphones que le poste de contrôle d’un véhicule automobile aujourd’hui.</p>
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<h2>Filipe Vilas-Boas inverse le jeu</h2>
<p>Une voiture, un volant, un conducteur : toutes les configurations sont aujourd’hui possibles. Les jeux de course automobile utilisent un volant connecté à une console de jeux. Ils gardent le pilote et le volant. La voiture n’est plus qu’un avatar dans un univers virtuel construit par les données. Filipe Vilas-Boas, lui, enlève la voiture réelle et le conducteur. Des flots de données circulent depuis l’espace virtuel, celui de l’avatar de la voiture, vers le volant motorisé. Dans une inversion absurde, au lieu d’être le cœur du pilotage, il exécute et tourne à vide. La troisième configuration est la voiture autonome. Ni volant, ni conducteur. Filipe Vilas-Boas nous prévient-il du sort qui nous attend ? Celui du volant ?</p>
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<p><em>L'oeuvre de Filipe Vilas-Boas sera visible au musée des Arts et Métiers à partir de janvier 2023, dans le cadre de l'exposition <a href="https://www.arts-et-metiers.net/musee/nuit-blanche-2022-plein-phares">« Permis de conduire »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour l’artiste Filipe Vilas-Boas, la voiture n’est plus qu’un avatar dans un univers virtuel construit par les données.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1771152022-04-19T16:39:13Z2022-04-19T16:39:13ZLes « Tapis-Nature » de Piero Gilardi, ou le carbone dans tous ses états<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458628/original/file-20220419-16-hg3uaj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C6%2C677%2C569&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Piero Gilardi installé sur l'une de ses oeuvres. </span> <span class="attribution"><span class="source">Piero Gilardi / Ecole des Beaux-Arts, Paris</span></span></figcaption></figure><p>En 1965, le plasticien Piero Gilardi crée les « Tapis-Nature », morceaux très réalistes de nature… en plastique. Hier reçus comme éléments de décoration intérieure souples, on peut les voir aujourd’hui avec un regard très différent : les matières plastiques sont devenues une présence envahissante et polluante partout sur la planète.</p>
<h2>De la « Nature en plastique » ?</h2>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Piero_Gilardi">Piero Gilardi</a> est une figure majeure du mouvement artistique italien L’« Arte povera ». De ses « Tapis-Nature », sculptures posées au sol ou accrochées au mur représentant des morceaux de paysage, il a dit :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai créé les Tapis-Nature en 1965 en les pensant comme les exemples de la décoration intérieure de la « cellule individuelle d’habitation » cybernétique, présentée lors de l’exposition Machines du futur. En réalisant les premiers Tapis-Nature, j’ai emprunté à <a href="https://www.aparences.net/art-contemporain/neo-dada/claes-oldenburg-entre-happening-et-performance/">Claes Oldenburg</a> sa poétique sensorielle du « soft » mais, pour moi, la mousse en caoutchouc avait surtout pour fonction d’accueillir et d’interagir avec le corps. »</p>
</blockquote>
<p>Ces Tapis-Nature faits pour accueillir et interagir avec le corps, sont donc en plastique, plus exactement en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Polyur%8Ethane">polyuréthane</a>. Dans un tout autre contexte, pour le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Monde_comme_volont%8E_et_comme_repr%8Esentation/Livre_I/%A4_7">philosophe Schopenhauer s’attaquant au matérialisme</a>, l’idée même d’une matière sans une intelligence pour la connaître est tellement aberrante qu’elle lui évoque cette image absurde d’un « morceau de fer en bois ». On aurait peut-être pu lui proposer cette autre image : « de la nature en plastique », ce dernier étant en fait aussi étranger à la nature que le fer l’est au bois.</p>
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<p>Ces « morceaux » de nature stylisés étaient en plastique souple et venaient prendre leur place dans la décoration des intérieurs. Les regarder en 2022 comme en 1965 est simplement impossible. En 50 ans, Piero Gilardi connaît d’ailleurs une évolution radicale dans sa démarche artistique : ainsi en 2008, il compte parmi les fondateurs du <a href="http://parcoartevivente.it/pav/?id=197">Parco Arte Vivente</a> à Turin, un Centre Expérimental d’Art Contemporain dédié à la nature, aux biotechnologies et à l’écologie. Le jardin du <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-masterclasses/gilles-clement-avec-la-creation-dun-jardin-entre-dans-une-dimension-politique">paysagiste Gilles Clément</a>, dit « Jardin mandala », d’environ 600 mètres carrés sur le toit du bâtiment, en est une des installations marquantes.</p>
<h2>Invention des plastiques et création plastique</h2>
<p>Après la Deuxième guerre mondiale, au cœur des trente glorieuses et du progrès triomphant, la production des plastiques augmente vite. Leur utilisation, et donc celle du polyuréthane, prend toujours plus d’importance et se diversifie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-monde-sest-plastifie-115991">Comment le monde s’est plastifié</a>
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<p>Le chimiste Otto Bayer a découvert le polyuréthane en 1937. En 1967, la voiture Bayer K 67 produite en Allemagne est surnommée « the polyurethane car » : toute sa carrosserie est faite dans ce plastique. Ces polymères comme le polyuréthane, sont le produit industriel de la recherche en pétrochimie. Ils sont totalement artificiels, et le cœur de ce qu’on l’appelle communément les matières plastiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Et d’abord du carbone de partout (C et hexagone) dans ces molécules géantes" src="https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=207&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457679/original/file-20220412-13-1f4n2s.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=260&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Équation chimique décrivant la réaction de polymérisation conduisant au polyuréthane.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il y a donc du nouveau dans la matière du monde. La chimie a permis de concevoir des matériaux à base de carbone totalement nouveaux dotés de propriétés extraordinaires. Dans les années 70, la physicienne <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_Veyssi%C3%A9">Madeleine Veyssié</a>, collaboratrice de Pierre Gilles de Gennes à Paris, utilise la première, l’expression « Matière molle » pour nommer le champ scientifique qui étudie notamment la physique de ces matériaux. La conférence Nobel de <a href="https://physicsworld.com/a/soft-matters-charismatic-pioneer/">Pierre Gilles de Gennes</a> en 1991 s’intitule « Soft Matter ». Dans ces années-là, ces matériaux triomphent et commencent à envahir la planète. Mais ce n’est que le début.</p>
<h2>Et pourtant, c’est d’abord du carbone</h2>
<p>Dans <a href="https://www.fondation-lamap.org/fr/page/12107/le-cycle-du-carbone">son article sur le carbone</a> pour le site de « la Main à la Pâte », Didier Pol, agrégé de sciences naturelles, analyse : « Le carbone est présent chez les êtres vivants mais aussi dans l’atmosphère, les eaux et les roches. Biosphère, atmosphère, hydrosphère et roches constituent ainsi quatre réservoirs de carbone. » Il décrit alors la circulation du carbone entre trois de ces quatre réservoirs, notamment par ce schéma.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/457683/original/file-20220412-50231-ug5yzn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=413&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Principaux flux de carbone entre atmosphère, biosphère et hydrosphère (en gigatonnes, estimations). Dans l’atmosphère et dans l’eau (hydrosphère), le carbone est en particulier du CO₂, trop de CO₂.</span>
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</figure>
<p>Photosynthèse, respiration, fermentation font le lien entre vivant, air et eau. La photosynthèse transforme notamment « du carbone minéral », le CO<sub>2</sub>, présent dans l’air et l’eau, en « carbone biologique » dans les végétaux.</p>
<p>Il y a aussi des échanges entre l’air que nous chargeons toujours plus en CO<sub>2</sub>, et l’eau : l’océan est un énorme réservoir de CO<sub>2</sub> au prix notamment de son acidification.</p>
<p>Cet article de Didier Pol est une description remarquable des réservoirs et des cycles du carbone, à l’usage des collèges et lycées. Il ne mentionne pas les plastiques qui constituent pourtant, conséquence de l’activité humaine, un nouveau réservoir de carbone. Pour une bonne raison, en tous cas la plus marquante me semble-t-il : si le plastique se répand partout, il ne fait pas partie des cycles massifs du carbone sur terre, au-delà peut-être d’une <a href="https://theconversation.com/la-lente-fragmentation-des-plastiques-decryptee-123717">très lente dégradation objet d’études</a>.</p>
<p>Et quand on se pose la question de cette interférence avec les cycles du carbone, on pense d’ailleurs surtout à la toxicité. Qui voit une forme de vie en mesure de se nourrir des déchets plastiques, ce qui changerait tout ? Pour le moment, ils sont toujours plus présents, envahissants et dispersés, séparés pour l’essentiel de la circulation du carbone sur terre. On les a sortis du pétrole, fossile d’un vivant ancien, pour les envoyer dans ce cul-de-sac. Les Tapis-Nature pointent cette séparation, et c’est elle qui a imposé à mon esprit cette image du « fer en bois » alors que, en fait, ici tout n’est que carbone.</p>
<h2>Le pouvoir d’anticipation des œuvres d’art</h2>
<p>La force de l’art est étonnante. Je ne peux voir aujourd’hui les Tapis-Nature sans avoir cette pensée : cette œuvre va au-delà même de l’intention première explicitée par Piero Gilardi. Avec elle, Piero Gilardi ne le sait sûrement pas encore en 1965, mais son œuvre tape juste face à cette émergence redoutable des plastiques.</p>
<p>On pense au philosophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hubert_Damisch">Hubert Damisch</a> : « La peinture, ça ne montre pas seulement, ça pense ». L’historien d’art <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Arasse">Daniel Arasse</a> la mentionne à l’appui de <a href="https://www.franceculture.fr/peinture/histoires-de-peintures-eloge-paradoxal-de-michel-foucault-travers-les-menines">son analyse du texte</a> de Michel Foucault sur les <em>Ménines</em> de Velasquez dans l’introduction des « Mots et les choses ». Daniel Arasse précise : « Les Ménines telles que nous les voyons aujourd’hui pensent toutes seules, et indépendamment de ce qu’a voulu faire Velasquez. » Est-ce un marqueur d’œuvres majeures ?</p>
<p>Piero Gilardi avec « cette nature en plastique » qui pénètre les intérieurs, nous fait prendre la mesure de ces bouleversements au cœur de l’urbanisation du monde. A mes yeux, les Tapis-Nature deviennent aujourd’hui un spectacle d’horreur, ce qui en fait des œuvres importantes.</p>
<p>D’abord, ils soulignent notre séparation physique du vivant, qui ne serait alors plus présent dans notre quotidien que par cette représentation aberrante, une nature plastifiée, ersatz pour notre perception. Et ainsi, ils introduisent au cœur de nos vies, ce plastique artificiel qui apparaît toujours plus comme une menace pour le vivant. Cette œuvre est comme un manifeste qui prévient.</p>
<p>Les œuvres d’art ont ce pouvoir incroyable : avec le temps, elles peuvent aller au-delà de l’intention initiale explicite de leur créateur, se métamorphoser sous le regard des spectateurs.</p>
<p>J’ai ici réécouté Daniel Arasse extraordinaire dans son propos sur l’anachronisme en art, toujours à partir du texte de Michel Foucault. En ne s’embarrassant alors pas avec cet anachronisme flagrant, chacun peut s’emparer aujourd’hui en toute liberté de l’œuvre de Piero Gilardi. Avec cette œuvre, j’ai découvert cet artiste et ressenti de l’admiration pour son travail, mais je ne pourrais pas vivre avec un Tapis-Nature chez moi. Pourtant, je devrais : cette œuvre devenue horrible aujourd’hui <em>a raison</em>. Elle nous redit l’urgence de renouer avec le vivant et de porter la plus grande attention à ce que nous faisons de nos vies. Par exemple quand, désinvoltes et par habitude, nous jetons, comme un message envoyé au vivant non humain, un sac en plastique utilisé au mieux quelques minutes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177115/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que nous disent aujourd’hui les créations en plastique de cette figure de l’« Arte povera », conçues dans les années 1960 ?Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701292022-01-26T19:27:09Z2022-01-26T19:27:09ZComment la Chine a fait de l’art contemporain une arme de soft power<p>Si en Occident la perception principale que l’on peut avoir de la relation entre la Chine et l’art contemporain est la <a href="https://news.artnet.com/art-world/italy-anti-chinese-government-badiucao-show-2034812">manifeste défiance du régime de Pékin</a> envers un certain nombre d’artistes nationaux, le fait est qu’en moins de vingt ans, la Chine est (aussi) devenue un <a href="https://www.lesechos.fr/patrimoine/investissements-plaisir/le-grand-reveil-du-marche-de-lart-a-shanghai-1266718">géant du marché de l’art</a>.</p>
<p>Avant l’an 2000, il n’existait pas de véritable marché chinois pour l’art contemporain – à la différence de l’Europe et de l’Amérique du Nord, régions où la structuration du marché de l’art <a href="https://www.cairn.info/le-marche-de-l-art--9782130442042-page-5.htm">est ancienne</a>, avec l’essor dans le temps des places fortes que sont Paris, puis Londres et New York.</p>
<p>Aujourd’hui, l’Empire du Milieu a conquis une position de mastodonte du marché de l’art à l’échelle internationale. Si le même type d’essor est observé au cours de la période dans d’autres pays, en particulier les autres BRIC (Brésil, Russie, Inde), la <a href="https://www.letemps.ch/culture/marche-lart-fin-leldorado-asiatique-debut-reve-chinois">proportion reste incomparable</a> par rapport à la Chine.</p>
<h2>Une ascension spectaculaire</h2>
<p>L’évolution est impressionnante : en partant de rien et en s’appuyant sur des investissements colossaux, le marché de l’art chinois s’est développé à travers l’émergence de toute une série de structures sur le territoire national (maisons d’enchères, musées et foires d’art contemporain, etc.) afin de permettre le déploiement de ce marché à fort potentiel.</p>
<p>Cet élan, soutenu à la fois par l’État et le secteur privé, met en évidence la façon dont l’art contemporain peut être utilisé comme instrument de soft power, ici afin de <a href="https://www.revueconflits.com/art-chine-etats-unis-peinture-puissance/">diffuser la grandeur de la Chine à l’international</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10632921.2021.1921642?needAccess=true">chiffres</a> sont éloquents : de zéro en 2000, les musées d’art contemporain privés – développés par des entrepreneurs – sont passés à 88 en 2019 ; les musées publics à 42.</p>
<p>Plus précisément, la multiplication de ces musées publics et privés sur le territoire national est particulièrement évidente de 2006 à 2015. <a href="https://journals.openedition.org/gc/4405?lang=en">Nos recherches</a> montrent comment ces lieux, à travers les expositions qui y sont organisées, sont les vecteurs d’une évolution bien réelle des politiques culturelles – et donc les témoins d’investissements lourds dans le secteur culturel. Citons par exemple l’exposition <a href="http://www.artlinkart.com/en/space/exh_yr/f14csAr/07fdyzrm">Post Ink and After Ink</a> en 2015, au Today Art Museum (Beijing, China), ou celle que le musée d’art contemporain de Shanghai a consacrée à l’artiste japonaise Yayoi Kusama (<a href="http://www.artlinkart.com/en/space/exh_yr/713dyu/3c5dsxpr">A Dream I Dreamed</a>).</p>
<p>La diffusion fulgurante de l’art contemporain dans ces espaces illustre de manière concrète la façon dont les politiques de libéralisation économique et culturelle ont contribué à l’évolution du statut de pratiques artistiques d’avant-garde. D’abord informelles voire clandestines, elles se sont muées en pratiques institutionnelles soutenues par l’État et le secteur privé.</p>
<p>À partir de données recueillies sur une période allant de 1989 à 2019, et notamment grâce à l’analyse des réseaux sociaux depuis leur émergence, nous avons pu mettre en évidence le processus qui a vu l’art contemporain progressivement supplanter l’art officiel et finir par <a href="https://journals.openedition.org/gc/4405">obtenir une véritable reconnaissance à l’international</a>.</p>
<p>Depuis la fin des années 2000, ce sont surtout les foires d’art contemporain qui ont joué un rôle majeur dans l’aboutissement de ce processus et dans la mise en relation entre les différents acteurs de la scène artistique internationale (Art Beijing, CIGE, Sh Contemporary, Shanghai Art Fair).</p>
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<h2>La fin du statut underground de l’art contemporain</h2>
<p>La dichotomie entre art officiel et art contemporain en Chine continentale tend à s’atténuer au tournant du début du siècle.</p>
<p>D’une part, les politiques culturelles entérinent la transformation d’un « marché culturel » – simple espace où acheteurs et vendeurs se connectent – en une « industrie culturelle » – soit la création de toute une filière de production, de distribution de biens et services qui avant n’existait pas. Cela témoigne, aux yeux des autorités, de l’importance que <a href="https://www.businessfrance.fr/Contents/Item/Display/128077">prend ce secteur au sein de l’économie chinoise</a> en même temps que cela permet une compréhension progressive du rôle stratégique de l’économie culturelle dans le développement social et économique de l’État. Entre 2005 et 2008, des politiques culturelles favorables et une croissance économique rapide soutiennent l’expansion exceptionnelle des ventes aux enchères d’art contemporain. Il y a pendant cette période un alignement du marché de l’art chinois et des collections domestiques avec des marchés étrangers.</p>
<p>D’autre part, ayant <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/1018">adhéré à l’OMC en 2001</a>, la Chine se montre attentive à la préservation de la souveraineté culturelle de l’État face à la pression croissante de la mondialisation. La reconnaissance du soft power vise alors à <a href="https://www.cairn.info/revue-revue-d-etudes-comparatives-est-ouest1-2012-1-page-287.htm?contenu=article">renforcer l’attractivité culturelle de la nation</a>. Les autorités s’efforcent de faire de l’art contemporain chinois le fleuron de leurs échanges culturels internationaux. Dans ce contexte de mondialisation prégnante, la marchandisation de la scène artistique chinoise témoigne de l’ascendance qu’acquiert l’art contemporain dans le pays au regard de l’art officiel.</p>
<p>Les artistes contemporains, frappés depuis 1989 <a href="https://www.artpress.com/2003/05/16/chine-demain-pour-aujourdhui-artistes-chinois-1979-2003-de-la-marginalisation-a-la-reconnaissance-locale-et-internationale/">par l’interdiction d’exposer leurs œuvres dans les musées publics</a> apparaissent à partir de 2005 dans les biennales organisées par l’État et dans les expositions des musées d’art public ; c’en est alors fini de leur statut underground.</p>
<p>Ce changement d’attitude de la société chinoise face à la modernisation et la globalisation des marchés de l’art peut être considéré comme un ajustement de l’ancienne logique institutionnelle de la bureaucratie d’État opéré pour adapter la scène artistique nationale à son nouvel environnement et de permettre à la Chine de se connecter au reste du monde. Et donc, de trouver un nouveau vecteur efficace pour diffuser son influence.</p>
<h2>Musées publics, musées privés</h2>
<p>L’essor de l’art contemporain en Chine continentale, concomitant à celui des musées qui assurent sa structuration en réseau, est donc d’abord lié aux politiques culturelles qui contribuent à la légitimation de cet art.</p>
<p>Mais un autre facteur s’avère déterminant : le développement des collections privées par de jeunes entrepreneurs chinois en rapport <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-12-collectors-shaping-the-chinese-art-world">avec l’ouverture de musées privés</a>. Ainsi les nouvelles conditions économiques et le boom de l’économie chinoise font apparaître de nouveaux moyens financiers et économiques pour investir dans différentes formes d’art, en particulier contemporain.</p>
<p>Ce phénomène peut avoir une double motivation : d’une part, les nouveaux collectionneurs privés d’art contemporain, principalement les plus jeunes, ont une forte <a href="https://www.widewalls.ch/magazine/young-art-collectors-china">propension à partager leurs goûts et à exprimer leur attitude en construisant des musées privés</a>.</p>
<p>De l’autre, l’établissement de musées privés leur permet de devenir des acteurs pertinents du système de l’art contemporain et d’influer sur son développement.</p>
<p>Par exemple, si l’on observe la période qui s’étend de 2006 à 2015, les musées privés apparaissent plus actifs que les publics en termes de nombre total d’expositions individuelles et collectives organisées.</p>
<p>En revanche, les musées privés sont moins engagés dans des événements artistiques importants, tels que des événements biennaux, triennaux et internationaux. En effet, ces événements sont souvent coordonnés par l’État, car ils sont considérés comme une forme importante d’échange culturel et artistique au niveau international.</p>
<p>Les musées publics ont donc le privilège d’accueillir <a href="http://www.guangzhouimagetriennial.org/en/">d’importants événements artistiques</a>. Les foires d’art créées en Chine reflètent d’une manière très fidèle les dynamiques du marché d’art contemporain. Différents modèles de foires ont été adoptés en Chine ; presque toutes connaissent une belle croissance dans le temps, avec un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10632921.2021.1921642?needAccess=true">bon positionnement dans le réseau international</a> à travers la participation de galeries à forte renommée.</p>
<p>Il y a fort à parier que cette nouvelle topographie du système de l’art contemporain se développe en intensité dans les années à venir. Pour la Chine, ce développement a des vertus doubles : il dynamise l’art du pays à l’international et il offre au pays un formidable levier de soft power.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170129/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marilena Vecco ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine est devenue le leader mondial du marché de l’art, en se concentrant sur l’art contemporain. Un revirement important pour le régime, qui a longtemps méprisé cette forme d’art.Marilena Vecco, Coordinatrice Axe de recherche Arts and Cultural Management, Burgundy School of Business Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1727282021-12-06T22:33:11Z2021-12-06T22:33:11ZLa « Françafriche », nouvel avatar de la Françafrique ?<p>La coopération culturelle et artistique franco-africaine – la <a href="https://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=9208&menu=0">« Françafriche »</a> – n’a-t-elle pas trouvé son point d’orgue avec <a href="https://www.pro.institutfrancais.com/fr/offre/africa-2020">« Africa 2020 »</a> ? C’est la question que l’on peut se poser à propos de cette saison africaine en France, interrompue un temps en raison de la pandémie mais qui s’est poursuivie cette année.</p>
<p>En organisant cette série d'événements, la France a voulu rendre hommage à l’Afrique. Toutefois, si l'on y regarde de plus près, Africa2020 et, au-delà, la vision qu'a aujourd'hui Paris de sa coopération avec l'Afrique suscitent quelques questionnements…</p>
<h2>Les deux primitivismes</h2>
<p>Malgré la bonne volonté qui a présidé à la mise en oeuvre d'Africa2020, un stéréotype primitiviste accolé de façon illégitime au continent continuait à émaner de cette opération. Et en la matière, il convient de distinguer un « primitivisme premier » et un « primitivisme second ». Le premier, lié aux <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/art_premier/187292">arts dits « premiers »</a> est classiquement reconnu comme ayant fortement influencé l’art occidental alors que le second est plus difficile à débusquer.</p>
<p>Aujourd’hui, ce primitivisme premier n’est plus l’objet de controverses puisqu’on parle désormais d’« art classique africain » et que le principe de la restitution de ces œuvres d’art aux pays africains a acquis droit de cité. Même s’il subsiste, comme on le verra à propos de l’exposition <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/ex-africa-38922/">« Ex-Africa »</a>, il a été remplacé par un autre paradigme – le primitivisme second – qui a trait à l’enrichissement ou à la re-fécondation de la culture artistique française par l’art contemporain africain.</p>
<p>Ce processus de re-fécondation accompagne le « nettoyage » artistique et toponymique auquel se livrent les gouvernements de nombreux pays <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-09-juin-2020">à la suite du meurtre de George Floyd</a>. Il s’est ensuivi un processus de déboulonnage de statues de personnages esclavagistes ou coloniaux et de remplacement de ces statues, ainsi que de noms de rue et de places de même nature, par des « figures de la diversité ».</p>
<p>Pour la première fois en France, avec l’opération « Africa 2020 », lancée par Emmanuel Macron, on peut voir des monuments français portant la marque d’artistes africains. C’est notamment le cas avec l’installation d’œuvres d’<a href="http://www.paris-conciergerie.fr/Actualites/el-anatsui-revisite-conciergerie-artiste-sculpture">El Anatsui à La Conciergerie</a>, de <a href="http://www.aigues-mortes-monument.fr/Actualites/Brise-du-rouge-soleil-carte-blanche-a-Joel-Andrianomearisoa">Joël Andrianomearisoa sur les remparts d’Aigues-Mortes</a> ou bien encore celles de l’artiste de République démocratique du Congo <a href="https://www.grandpalais.fr/fr/article/le-grand-palais-invite-lartiste-sammy-baloji-dans-le-cadre-de-la-saison-africa-2020">Sami Baloji à l’entrée du Musée du Grand Palais</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/435560/original/file-20211203-25-1iaabj6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une partie de l’installation d’El Anatsui exposée à la Conciergerie à Paris du 20 mai au 14 novembre 2021 à l’occasion de la saison Africa2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eric Sander/Centre des monuments nationaux</span></span>
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<p>Bref, la France, l’Europe, l’Occident se débarrassent de leurs vieux oripeaux coloniaux – les « fétiches » –, qui sont désormais promis à un recyclage dans les musées de sociétés déjà créés ou en cours de construction en Afrique. À l’occasion d’« Africa 2020 », la France a manifesté l’existence d’une « présence africaine », comme dans le cas de l’exposition <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/ex-africa-38922/">« Ex Africa »</a> (Musée du quai Branly) – même si cette dernière exposition n’est pas exempte de présupposés primitivistes, puisqu’elle a mis en évidence le poids que continuent d’occuper les représentations anciennes de l’art classique africain dans l’esprit de certains artistes contemporains, qu’ils soient occidentaux ou africains.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Ex Africa » au quai Branly en 100 secondes chrono, Beaux-Arts Magazine, 6 avril 2021.</span></figcaption>
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<p>De la sorte, c’est toute l’ambiguïté de la saison « Africa 2020 » qui s’exprime au prisme de ces quatre expositions. Tout autant qu’une opération de reconnaissance de l’art contemporain africain, <em>per se</em>, il s’agit largement d’indexer l’art contemporain africain à des monuments datant de plusieurs siècles et d’assimiler ainsi cet art au patrimoine architectural et historique français.</p>
<p>Dans les deux cas, ces opérations se traduisent par une massification des différentes œuvres de ces artistes qui peinent à exister dans leur individualité.</p>
<h2>Un aggiornamento du rapport de la France à l’Afrique ?</h2>
<p>Ce sommet artistique Afrique-France n’avait-il pas en définitive pour but de faire oublier <a href="https://sommetafriquefrance.org/">celui, beaucoup plus concret, de Montpellier</a> qui devait, pour une énième fois, rafistoler les relations franco-africaines dans les domaines politique, économique et stratégique ? En somme, « Africa 2020 » – ce dernier avatar de la « Françafriche » – aurait constitué le prélude au rajeunissement de la Françafrique.</p>
<p>Ces deux événements – Africa 2020 et le sommet Afrique-France de Montpellier – semblent en effet dessiner les nouveaux linéaments de la politique française en Afrique. Ils peuvent être interprétés comme un <em>aggiornamento</em> visant à rompre avec les pratiques politiques anciennes.</p>
<p>Dans le domaine militaire, il s’agit, pour le gouvernement français, de manifester sa volonté de se retirer du continent africain et notamment du Sahel pour faire pièce à l’opposition croissante que cette présence suscite. En témoigne l’abandon par la force Barkhane des bases de Kidal, Tombouctou et Tessalit au Mali.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1460601832342835205"}"></div></p>
<p>En même temps, la force Barkhane ne quitte pas totalement le Sahel car il lui reste la tâche de protéger l’approvisionnement de la France en uranium du Niger – une ressource d’autant plus indispensable qu’Emmanuel Macron vient d’<a href="https://www.europe1.fr/politique/nucleaire-macron-annonce-la-construction-de-nouveaux-reacteurs-4076148">annoncer</a> la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. C’est en tenant compte de ce souci de sécuriser cet apport énergétique qu’il faut apprécier la hantise de voir les Russes pénétrer sur le pré carré français dans la zone sahélienne.</p>
<p>Le maintien de la présence française en Afrique, outre le domaine militaire avec ses opérations extérieures et ses bases, a également un volet diplomatique. En la matière, la politique française est fragile puisqu’elle repose sur le principe « deux poids-deux mesures ». Selon les cas, la France peut aussi bien soutenir une transition non démocratique du pouvoir effectuée par le biais de coups d’État illégaux comme au Tchad ou légaux comme en Côte d’Ivoire, ou désavouer des putschs, comme au Mali et en Guinée.</p>
<p>Le sommet de Montpellier, avec toutes ses ambiguïtés, avait pour but de permettre à Paris de se démarquer des despotes africains au pouvoir depuis plusieurs dizaines d’années, tout en tentant de nouer des liens avec les différentes « sociétés civiles » du continent et en projetant de mettre sur pied une sorte de « start up Africa ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Sommet Afrique-France : Emmanuel Macron « bousculé » par la jeunesse, France 24, 8 octobre 2021.</span></figcaption>
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<p>De la même façon, la mise en scène de la restitution de pièces d’art « premier » aux pays africains n’est que l’amorce de la continuation d’une politique de coopération artistique et culturelle « new look » entre la France et l’Afrique, coopération déjà à l’œuvre avec « Africa 2020 ».</p>
<p>Ainsi est instauré un nouveau partenariat <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/11/15/chacun-apporte-sa-pierre-quand-musees-francais-et-africains-uvrent-main-dans-la-main_6102159_3212.html">qui se veut paritaire</a> entre musées français et musées africains. En témoigne l’exposition « Picasso à Dakar, 1972-2022 » qui doit avoir lieu au Musée des civilisations noires de Dakar où seront sempiternellement mises en regard les œuvres du maître catalan avec les pièces d’art « classique » africain qui l’ont inspiré.</p>
<p>De la même façon, sans préjuger de ce que sera la reconstruction du Festival Mondial des Arts nègres de 1966 au Grand Palais en 2025, on peut se demander pourquoi il faut que ce soit presque toujours la France qui soit impliquée dans les projets artistiques ou muséaux concernant l’Afrique et particulièrement sa partie francophone. Même s’il existe d’autres projets ou réalisations artistiques et muséales qui ont par exemple entraîné la participation de la Corée du Sud ou de la Chine, la présence massive et presque sans rival de la France dans ce domaine conduit inévitablement à se demander si ne se maintient pas là, d’une certaine façon, une forme de paternalisme.</p>
<h2>La complexité du lien entre la France et l’Afrique</h2>
<p>Enfin, l’attribution du prix Goncourt 2021 à Mohamed Mbougar Sarr, qui a participé au sommet de Montpellier, s’inscrit dans le droit fil de cette recherche de rajeunissement à laquelle contribue la Françafriche. Mohamed Mbougar Sarr, indépendamment de son talent d’écrivain, coche en effet toutes les cases. Il est jeune, francophone, est publié par un petit éditeur français et fait référence dans son roman <a href="http://www.philippe-rey.fr/livre-La_plus_secr%C3%A8te_m%C3%A9moire_des_hommes-504-1-1-0-1.html">« La plus secrète mémoire des hommes »</a> aux écrivains les plus prestigieux – Gombrovicz, Bolano et Borges, entre autres.</p>
<p>Cette attribution, qui intervient cent ans après que le Goncourt a <a href="https://www.jeuneafrique.com/1258062/culture/rene-maran-premier-auteur-noir-a-remporter-le-goncourt-de-retour/">couronné un autre écrivain « noir »</a>, René Maran, avec <a href="https://www.albin-michel.fr/batouala-9782226463432"><em>Batouala</em></a>, montre l’attachement indéfectible de la France, et notamment de la France littéraire, à ses « petits frères africains ».</p>
<p>« Africa is so important for us » a déclaré récemment Emmanuel Macron en exhortant les responsables d’institutions artistiques à renforcer leurs liens avec l’Afrique.</p>
<p>Cette injonction, certes généreuse et visant à une reconnaissance du rôle de l’Afrique dans la culture mondiale, renvoie à la place que continue d’occuper le continent africain, particulièrement sa partie supposément francophone, dans le destin de cette grande puissance de deuxième ordre qu’est maintenant devenue la France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172728/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Loup Amselle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La France a beaucoup mis en scène sa relation avec l’Afrique en 2021, avec la saison artistique Afrique2020 ou le sommet de Montpellier. Une nouvelle ère est-elle vraiment en train de s'ouvrir ?Jean-Loup Amselle, Anthropologue et ethnologue, directeur d'études émérite à l'EHESS, chercheur à l'Institut des mondes africains, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673422021-09-22T22:24:21Z2021-09-22T22:24:21ZArt contemporain : Damien Hirst, un pas de deux avec le capitalisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422627/original/file-20210922-13-1cxq4d2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C3%2C1017%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Damien Hirst en juillet 2021, à la Fondation Cartier. </span> </figcaption></figure><p>Mauvais garçon, provocateur, vaniteux, égocentrique, arrogant, vulgaire, cynique, excessif, showman… tout a été écrit au sujet de cet artiste. À Paris, la Fondation Cartier pour l’art contemporain lui offre sa première exposition institutionnelle en France ; on y voit pas moins de trente tableaux sur les 107 toiles que comprend une série réalisée dans son atelier londonien.</p>
<p>Sur des toiles grand format préalablement peintes d’un bleu sans nuage, l’artiste s’est déchaîné pendant trois ans, avant et pendant la période de confinement ; monté toute la journée sur une échelle, il a tamponné de la matière picturale au bout d’un grand bâton. Bombardement intense, violent mais joyeux. Usage débridé de la couleur. Giclées de peinture à la verticale. Sur fond bleu, des milliers de tâches verdâtres, marrons caca d’oie, blancs sales, bleus lavés, rouges sang noir. De près, on y voit des ronds plus ou moins ronds et plus ou moins épais, encore frais, en voie de séchage – référence, peut-être, aux <a href="https://www.damienhirst.com/texts1/series/spots">« spot paintings »</a> qui ont rendu Hirst célèbre à la fin des années 80 et clin d’œil à l’« action painting » ; en prenant du recul ce sont des cerisiers en fleurs. Le visiteur est clairement invité à se perdre dans la peinture en écho aux émotions fulgurantes de l’artiste, qui annonce :</p>
<blockquote>
<p>« Les cerisiers en fleurs sont tape-à-l’œil, désordonnés et fragiles, et grâce à eux je me suis éloigné du minimalisme pour revenir avec enthousiasme à la spontanéité du geste pictural ».</p>
</blockquote>
<h2>A quoi joue Damien Hirst ?</h2>
<p>Le travail de Damien Hirst suscite la controverse, inutile donc d’en rajouter au sujet du « plus riche de tous les artistes vivants » ; je souhaite plutôt me demander : à quoi joue Damien Hirst et à quoi jouons-nous en allant voir ses expositions ?</p>
<p>Hirst connaît les règles du jeu du capitalisme et sait parfaitement en jouer. Quand, tout jeune, on lui demande ce qui le pousse à devenir artiste, il répond sans hésiter « pour gagner de l’argent », réponse assez inattendue de la part d’un jeune diplômé du prestigieux Goldsmiths College of Art, comme si le nom même de son collège, renvoyant aux montres de luxe et au métier de joailler, lui avait indiqué la voie à suivre. D’ailleurs, il achètera à Londres un crâne du XVIII<sup>e</sup> siècle, crâne sur lequel il fera sertir pas moins de 6 601 diamants avec à l’avant du crâne un diamant rose de 52 carats ; cette vanité moderne, <em>For the love of God</em>, sera vendue à un mystérieux consortium pour la modeste somme de 50 millions de livres. Pour Hirst, l’argent a une vertu, celle d’assurer son autonomie.</p>
<p>Ayant vécu une jeunesse difficile et tourmentée dans un milieu assez pauvre, gagner de l’argent pour réaliser ses idées les plus folles relevait de l’urgence. Très vite, l’artiste comprend <a href="https://www.cairn.info/revue-terrains-et-travaux-2003-1-page-162.htm">ce que le sociologue Mark Granovetter veut dire</a> lorsqu’il découvre, il y a cinquante ans, la force des liens faibles ;le sociologue oppose en effet les liens forts noués au sein de la famille et des amis proches aux liens faibles qui se nouent lors de réunions entre connaissances comme les vernissages, la force de ces liens faibles étant de pouvoir rentrer dans des cercles sociaux et d’opérer des recoupements.</p>
<p>Hirst ne se vit pas comme un artiste maudit sûr de son génie qui, un jour, finirait par être découvert par les vrais amateurs d’art. Encore étudiant et avec quelques camarades d’atelier, il peint sur un mur d’un hangar désaffecté du port de Londres des ronds de couleur qui attireront l’attention du monde de l’art contemporain à la recherche d’artistes rebelles qui déclarent vouloir changer le monde.</p>
<h2>Consommation ostentatoire</h2>
<p>L’artiste est à l’aise avec les acteurs qui font le monde de l’art et des médias ; avec l’aide d’assistants, il entreprend des projets d’envergure qui peuvent durer plusieurs années, ce qui permet ensuite de raconter une histoire. Hirst est autant artiste que chef d’une entreprise <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/08/20/malgre-les-aides-et-sa-fortune-damien-hirst-licencie-le-petit-personnel_6091938_4500055.html">qu’il gère dans le plus pur style ultralibéral</a>. Il comprend parfaitement la loi du marché, celle de l’offre et de la demande, et plus particulièrement un mécanisme étonnant mis en lumière par l’économiste et sociologue Thorstein Veblen à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Theorie-de-la-classe-de-loisir"><em>Theory of the Leisure Class</em></a> (1899).</p>
<p>Hirst n’a peut-être pas lu Veblen mais l’a compris par expérience. Veblen s’intéressait en effet à ce qu’il nomme la consommation ostentatoire (« conspicuous consumption ») et démontre que plus les prix des produits ostentatoires sont élevés et plus leur demande augmente. Une contre – intuition bien assimilée par l’artiste qui comprend parfaitement que ce mécanisme est au cœur du fonctionnement de l’industrie du luxe. L’acquisition d’une toile à un prix élevé est un indicateur de prestige social, tout comme un sac plastifié mais griffé d’une marque reconnue mondialement ; le prix élevé de la toile devient une barrière à franchir qui procure un niveau de jouissance, la jouissance d’exposer une position sociale privilégiée.</p>
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<p>Lors du vernissage à Venise – événement mondain mondialisé – de son exposition « Treasures from the wreck of the unbelievable » au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana (2017), Damien Hirst est au sommet de son art et de son empire ; l’art a besoin du luxe, et le luxe a besoin de l’art. Quelques années auparavant, l’artiste-entrepreneur avait fait une autre découverte, celle de la chaîne de valeur en économie, <a href="https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-damien-hirsts-200-million-auction-symbol-pre-recession-decadence">et déposé ses propres œuvres en salles de ventes</a> au risque de se mettre à dos les galeries qui vivent du fait de la longueur de la chaîne. Les intermédiaires n’aiment pas les circuits courts. Damien Hirst, enfin, a ouvert son propre musée à Londres, la <a href="https://www.newportstreetgallery.com/">Newport Street Gallery</a>. Toujours cette soif d’autonomie.</p>
<h2>A quoi jouent les visiteurs ?</h2>
<p>Vient maintenant la question du regardeur, celui qui finalement fait le tableau pour reprendre Marcel Duchamp. À quoi jouons-nous en allant voir Damien Hirst ? Au second degré, il y a le regard de qui s’émerveille du talent de l’artiste quant à sa capacité de provoquer un système. La force du capitalisme est en effet de <a href="https://journals.openedition.org/lectures/1699">métaboliser les contradictions sous des formes subtiles d’appropriation</a>. Oui, voir les liens entre l’artiste et le capitalisme et la façon dont les institutions muséales digèrent ses provocations, c’est un spectacle en soi.</p>
<p>Mais s’extasier devant la capacité de l’artiste à nous berner finit par lasser, et le risque de blaser le visiteur menace aussi l’artiste. En <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-L%E2%80%99Homme_unidimensionnel-2186-1-1-0-1.html">suivant Marcuse</a> dans son analyse de la société unidimensionnelle, on pourrait dire que Hirst illustre la perte de la fonction critique de l’art, celle de rendre visible les contradictions d’une société et que son travail a une fonction d’aveuglement. Or, ce que nous recherchons finalement lorsque nous allons au musée, c’est de ressentir une expérience esthétique. C’est Adorno <a href="https://www.philomag.com/articles/esthetique-195859-de-theodor-adorno">qui nous met sur la voie</a> :</p>
<blockquote>
<p>« On devrait définir le comportement esthétique comme la faculté de ressentir quelque effroi comme si la chair de poule était la première image esthétique Ce qu’on appelle plus tard subjectivité, qui se libère de la peur aveugle de l’effroi, en est en même temps le déploiement […] Mais cet effroi, où se meut une subjectivité qui n’en est pas encore une, est le fait d’être touché par l’autre. »</p>
</blockquote>
<p>Hirst nous effrayait lorsqu’il nous donnait à voir la vache et son veau (<em>Mother and Child Divided</em>) <a href="https://www.tate.org.uk/art/artworks/hirst-mother-and-child-divided-t12751">découpés en tranche et plongés dans des bains de formol</a>, aujourd’hui ses milliers de taches rondes encore fraîches projetées sur des toiles grand format nous en mettent plein la vue mais ne nous effraient plus, et ne nous touchent pas vraiment – même si le culot de l’artiste fascine toujours.</p>
<p>Mais alors, pourquoi allons – nous voir Damien Hirst ? Est-ce un simple marqueur social valorisant lors de conversations entre ami.es et destiné à alimenter nos réseaux sociaux ? Il s’agit plutôt de suivre le travail d’un artiste qui a tout essayé, et qui au bout de longues années revient sur ses extravagances et ses provocations pour nous dire qu’il est temps pour lui de retourner à la peinture et aussi qu’à l’âge de 56 ans, il peut s’accorder une pause. Pause pour retrouver l’inspiration des pointillistes mais aussi pause pour s’interroger sur le sens de tout cet argent accumulé, produit de la vente de ses tableaux et de ses sculptures dont, dixit l’artiste, « les prix sont devenus complètement dingues ».</p>
<h2>Rapports entre l’art et l’argent</h2>
<p>Se coiffant d’un chapeau d’économiste, l’artiste infatigable ouvre un nouveau champ d’investigation, il s’interroge aujourd’hui sur la signification d’un billet de banque, vulgaire bout de papier qui repose sur la confiance (<em>fides</em>), les économistes parlent d’ailleurs de monnaie fiduciaire. Hirst observe que la confiance du détenteur d’un billet de banque résonne avec la confiance du collectionneur qui achète ses tableaux. Son nouveau projet, « The Currency », est une véritable expérimentation sociale à grande échelle.</p>
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<p>Il aborde le rapport entre l’art et l’argent d’une tout autre manière qu’Andy Warhol et ses « dollar signs » ou que Salvador Dali, si obsédé par l’argent qu’il était surnommé Avida Dollars (une anagramme trouvée par André Breton). Il s’agit de se questionner sur la valeur de la monnaie, en n’hésitant pas à dialoguer <a href="https://www.courrierinternational.com/article/art-contemporain-currency-et-damien-hirst-entre-dans-la-danse-des-nft">avec l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre</a> : sortant en quelque sorte de son domaine de compétence, il se lance dans la création… monétaire.</p>
<p>À cette fin, avec l’aide de ses assistants, Damien Hirst a peint non pas des cerises mais des ronds de couleur, reprenant ses célèbres « spot paintings » ou « dot paintings » sur pas moins de 10 000 feuilles papier A4 ; chaque feuille, datée et griffée par l’artiste, est vendue 2 000 euros. Son idée est de proposer ensuite à chaque acheteur le « deal » suivant et cela seulement au bout de six mois : soit vous gardez votre original, soit vous le transformez en jeton non fongible qui sera alors gardé dans un coffre numérique, votre original étant alors détruit. Le but du jeu est de savoir qui de la propriété physique d’un bien l’emportera sur la propriété digitale, pari qui semble fasciner Damien Hirst. Ce n’est plus l’argent qui corrompt l’art mais l’art qui vient corrompre l’argent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167342/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’exposition présentée à la fondation Cartier représente-t-elle une exception dans une carrière marquée par des liens étroits avec le monde de la finance et du luxe ?Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1672012021-09-19T18:41:57Z2021-09-19T18:41:57ZArt contemporain : Tarek Atoui, passeur de vibrations<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/421324/original/file-20210915-18-w8ujqp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C3%2C1118%2C744&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">The Wave, 2019. Oeuvre de Tarek Atoui, galerie Chantal Crousel. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.crousel.com/artiste/tarek-atoui-R90LMW/">Galerie Chantal Crousel</a></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.crousel.com/en/artist/tarek-atoui-R90LMW/">Tarek Atoui</a> a exposé, jusqu’au 6 septembre 2021, son œuvre <a href="https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce/tarek-atoui">« The Ground »</a> à la Bourse du Commerce, le centre d’art contemporain créé par François Pinault. Il l’avait déjà présentée à la Biennale d’Art contemporain de Venise en 2019.</p>
<p>On pourra revoir ses œuvres à la galerie parisienne <a href="https://www.crousel.com/en/artist/tarek-atoui-R90LMW/">Chantal Crousel</a> en 2021.</p>
<p>Tarek Atoui est d’abord un musicien, spécialiste de l’électroacoustique. Il explore, en artiste, les vibrations de la matière et les vibrations de l’air qui en résultent, c’est-à-dire les sons entendus. Avec « The Ground », il nous emmène ainsi au cœur de l’infinité des sons du monde inscrits dans la matière, dans le réel. Ces sons, surprises permanentes, sont créés par les contacts, les chocs, les frottements, dans les mouvements désordonnés de ses dispositifs.</p>
<h2>Une lutherie frugale</h2>
<p>J’ai découvert un peu par hasard ce laboratoire d’exploration du son produit par des vibrations mécaniques issues d’instruments improbables, comme une lutherie frugale, chaotique. Je ne peux pas approcher cette œuvre en musicien, mais en physicien, j’étais chez moi. Mais <a href="https://www.crousel.com/artiste/tarek-atoui-R90LMW/">« The Ground »</a> montre que nous pouvons tous partager les émotions créées par cette exploration des vibrations, par les surprises qu’elles génèrent, et par ce qu’elles nous révèlent de l’intimité imperceptible des bruissements permanents du monde autour de nous, mouvements qui vont en fait jusqu’à l’échelle atomique.</p>
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<h2>Quand Georges Charpak voulait entendre les potiers antiques</h2>
<p>Cette œuvre m’a rappelé qu’à la mort du prix Nobel de physique Georges Charpak, en 2010, Mathias Fink – physicien français spécialiste mondial de l’acoustique – a raconté en <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/Sciences/Rien-n-effrayait-Georges-Charpak-224460-3252962">hommage</a> qu’il avait ce projet fou : rechercher si le stylet des potiers grecs, à l’époque de Périclès, avait, par transmission des vibrations mécaniques, « imprimé » des conversations.</p>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Phonographe">Thomas Edison</a> a bien enregistré et reproduit des sons avec une aiguille qui marquait puis lisait un cylindre de cire. Je me souviens de ce propos de Georges Charpak. Tout jeune physicien à Grenoble, j’avais eu un sourire goguenard tant cela me semblait aberrant. J’avais tort ! D’autant plus qu’un an auparavant, le prix Nobel avait récompensé des chercheurs d’IBM pour la visualisation des atomes sur une surface grâce au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Microscope_%88_effet_tunnel">microscope à effet tunnel</a>. Ce nanopalpeur n’est finalement qu’une pointe sur une surface contrôlée à l’échelle atomique. Tout le monde pensait le microscope à effet tunnel impossible justement à cause des vibrations ambiantes dues aux bruits mécaniques omniprésents.</p>
<p>L’idée de Georges Charpak s’inscrit dans tout ce contexte. Il savait évidemment l’énormité de la difficulté, comme il savait qu’elle était égale à son intérêt. Quelle idée fascinante : écouter les potiers de Périclès ! Il suffit d’y penser pour que le regard se perde. Qu’importe si c’est infaisable, cette idée folle, seule, est un cadeau magnifique.</p>
<h2>Les vibrations mécaniques font sonner le monde</h2>
<p>C’est en musicien, et en luthier minimaliste que Tarek Atoui explore l’infinité des sons qui peuvent faire musique et envahir notre espace. Les sons que nous écoutons ne se réduisent pas à un monde de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%83chelle_chromatique">12 notes</a>, au solfège et aux instruments musicaux acoustiques ou électroacoustiques, aussi immensément riche et fécond ce monde de la musique soit-il. Avec « The Ground », on revient à l’essence du son, c’est-à-dire à des vibrations mécaniques de la matière couplées à celles de l’air transmises à nos oreilles après de multiples transformations. Tarek Atoui entre dans un espace surprenant et incontrôlable, sans repères immédiats. Cette œuvre ouvre une exploration équipée par la création d’instruments et de situations fragiles qui produisent des sons chaotiques, inattendus et surprenants. On imagine Tarek Atoui essayer encore et encore, dans un processus de découverte constant.</p>
<h2>Jouer jusqu’à l’inaudible, puis traiter et amplifier</h2>
<p>Je ne sais pas comment Georges Charpak imaginait, sinon de faire l’expérience, au moins de tenter quelque chose. Mais je suis sûr d’une chose : il y aurait eu un capteur, un traitement du signal et une amplification. Tarek Atoui est un musicien expert de l’électroacoustique. Il connaît et partage avec les physiciens cette chaîne instrument-capteur-signal-amplification. On le voit dans « The Ground » : les capteurs peuvent détecter des vibrations très faibles, et ensuite, l’amplificateur électronique vient donner de la puissance au signal, et ainsi monter le volume sonore. Cela permet de jouer même en deçà du seuil de la perception, de mettre en œuvre des vibrations faibles, subtiles, délicates mais a priori inaudibles.</p>
<p>En mesurant, grâce à des capteurs, la trace de la voix du potier, on aurait cherché la qualité de la mesure, la précision, gages de l’authenticité lors de l’écoute. Pour le musicien, la différence est là. Il n’a pas nécessairement cet objectif de rendu fidèle. Il suit sa démarche créatrice, et il est libre d’accueillir cette vibration pour ce qu’elle est ou de la transformer, pour en faire de la musique.</p>
<h2>Chercher l’inattendu dans l’incontrôlable</h2>
<p>Surtout, les dispositifs de « The Ground » reviennent aux fondamentaux des instruments de musique : le frottement et le contact, c’est-à-dire le choc, la percussion. En séparant, grâce à l’électroacoustique, nature du son et amplification, Tarek Atoui explore des vibrations mécaniques fugaces et parvient faire entendre à quel point choc et percussion ouvrent des espaces de création.</p>
<p>Tarek Atoui peut tout modifier à l’envie, pour accueillir sans fin les surprises d’un son toujours renouvelé, s’en remettant aux propriétés incontrôlables du contact et du frottement dans les mouvements. Un violoniste sait contrôler le frottement entre l’archet et la corde. Mettre au point le système touche-marteau-corde dans un piano qui permet le contrôle et la répétition de la frappe du marteau sur la corde est la grande histoire technique du piano. Dans les deux cas, des <a href="https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/histoires-d-instruments-musee-de-la-musique.aspx">facteurs</a> de violon et de piano sont devenus célèbres tant contrôler les vibrations et le son, demande une intelligence, une connaissance, une précision et une rigueur inouïes.</p>
<p>Il faut célébrer <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%83rard">Sébastien Érard</a>, l’inventeur du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9canique_de_r%C3%A9p%C3%A9tition">double échappement</a> pour le piano.</p>
<p>Ces instruments demandent une attention et un soin maniaques. Cela ne signifie pas que, en s’en remettant aux surprises que génèrent ses dispositifs, Tarek Atoui tombe dans le laisser-aller. Le son écouté ne le permet pas. Ce qu’il fait reste difficile et exigeant parce qu’il choisit les matériaux, met en place les mouvements et construit les situations qui produisent de bonnes surprises, celles qu’il cherche. Il place ainsi un soin maniaque dans la capture, le traitement et l’amplification du signal. Jouer du contact et du frottement qui introduisent cet inattendu, cette singularité, lui permet d’être à l’affût de ce qui l’intéresse : le son que nous écoutons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167201/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tarke Atoui nous emmène au cœur de l’infinité des sons du monde inscrits dans la matière.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1633192021-07-05T18:11:00Z2021-07-05T18:11:00ZPackaging et art contemporain : je t’aime, moi non plus<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/409567/original/file-20210704-29374-61kkor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C338%2C4001%2C2679&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">SupermARTché de Chloé Ruchon, Forum Ouvert Oeuvres et Recherches (FOOR) 2021, Espace culture de l'Université de Lille 2021</span> <span class="attribution"><span class="source">Chloé Ruchon</span></span></figcaption></figure><p>Alors que le <a href="http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202102/climat/pjl_climat_et_resilience.html">Sénat a adopté, le 29 juin dernier, le projet de loi Climat et résilience</a>, le packaging est pointé du doigt pour ses conséquences négatives sur la planète. <a href="https://aida.ineris.fr/consultation_document/40806">La directive (UE) 2018/852 relative aux emballages et aux déchets </a> réclamait déjà la disparition du packaging, si celui-ci n’assure aucune fonction technique. L’article 11 du projet de loi Climat et résilience va dans le même sens et incite les <a href="https://www.ilec.asso.fr/uploads/media/602ea2e1b09af308414808.pdf">entreprises à privilégier la vente en vrac de leurs produits</a>.</p>
<p>Malgré la crise environnementale qui signe la fin du packaging, la crise sanitaire semble avoir stimulé l’utilisation des emballages par les consommateurs, notamment pour des achats à emporter. Selon le <a href="https://www.all4pack.fr/Media/Network-Passions/All-4-Pack-Medias/Fichiers/2020/CP/CP_Resultats_sondage_IFOP">sondage IFOP du 16/06/2020</a>, six Français sur dix considèrent l’emballage comme « extrêmement ou très utile » et cette proportion est encore plus importante chez les seniors âgés de 65 ans et plus. Si huit Français sur dix indiquaient privilégier avant la pandémie des produits avec moins d’emballage (et un sur trois de manière régulière), 40 % d’entre eux déclarent acheter davantage de produits avec emballage depuis la crise. « Une différence de comportement qui s’explique par la fonction sécuritaire qu’apporte l’emballage et qui semble vouée à perdurer » commente l’étude qui précise qu’un français sur deux continue d’acheter des produits avec moins d’emballage.</p>
<h2>A quoi sert le packaging ?</h2>
<p>Sa première fonction est la protection. Il permet de protéger le produit de l’environnement extérieur, d’empêcher le vol ou la consommation du contenu avant l’acte d’achat, de limiter les détériorations du conditionnement ou du produit. Sa conception doit également intégrer la sécurité du consommateur, la conservation des qualités organoleptiques et nutritionnelles du produit, la prise en compte de l’environnement et les praticités d’usage du produit.</p>
<p>De nombreuses innovations portent sur les <a href="https://www.lsa-conso.fr/farine-francine-lance-un-nouvel-emballage-plus-pratique,376573">facilités d’usage</a> du produit et/ou constituent un levier important dans la <a href="https://www.creads.com/blog/comment-faire/emballage-ecologique-nouvelle-tendance">démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises et de développement durable</a>. A cet effet, le <a href="https://conseil-emballage.org/">Conseil National de l’Emballage</a> rappelle les huit leviers permettant la prévention par réduction à la source des emballages : faire évoluer la conception du produit, modifier le procéder de conditionnement, concevoir différemment l’emballage, simplifier le système d’emballage, bénéficier des évolutions techniques des matériaux, améliorer la mise en œuvre des matériaux et optimiser la palettisation des produits.</p>
<p>Le packaging est utilisé comme levier d’action marketing : il constitue un des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/076737010902400203">signes de la marque</a> en remplissant de nombreuses fonctions commerciales : <a href="https://mobeye-app.com/blog/vu-en-magasin-juillet-2019/">théâtraliser le linéaire</a>, <a href="https://inspirationsgraphiques.com/2020/09/14/packaging-un-chat-bleu-sinvite-sur-des-briques-de-lait/">capter l’attention du consommateur et favoriser l’impulsion d’achat</a>, <a href="https://www.ladn.eu/adn-business/experts-metiers/branding/image/design-global/candia-demarche-responsable-identite-visuelle-pulp/">enrichir les identités</a> <a href="https://www.ladn.eu/adn-business/experts-metiers/branding/image/design-global/candia-demarche-responsable-identite-visuelle-pulp/">visuelle, olfactive</a> ou <a href="https://www.ladn.eu/adn-business/experts-metiers/branding/image/design-global/candia-demarche-responsable-identite-visuelle-pulp/">sonore de la marque</a>, donner des <a href="https://cosmeticseurope.eu/cosmetic-products/understanding-label/">informations utiles ou légales sur le produit</a>. Ces fonctions commerciales sont apparues avec l’évolution de la société de consommation et font du packaging un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=enBhjXogg7U">objet design</a>.</p>
<h2>Un terrain d’expérimentation</h2>
<p>Le packaging des Produits de Grande Consommation (PGC) est la source d’inspiration, la matière première de nombreux artistes contemporains. Ces détournements reposant sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-nectart-2016-1-page-93.htm">transgression et l’expérience des limites, les significations sociopolitiques et le ludisme</a> peuvent être regroupés en trois types d’expressions artistiques :</p>
<ul>
<li><p>faire <a href="http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-nouvrea/ENS-nouvrea.htm">« un recyclage poétique du réel »</a>. Affranchis de leurs fonctions et/ou de leurs significations premières, les emballages deviennent les supports et les composants d’un vocabulaire à partir duquel sont réalisées des pièces « sur-mesure » comme <a href="https://www.emballagesmagazine.com/tous-secteurs/les-palettes-a-l-honneur-a-art-up.37794">« Le Lion » de Laurent Martin présenté, en 2016, à la foire d’art contemporain de Rouen</a>.</p></li>
<li><p>faire naître l’esprit critique. Au travers de manipulations de sens et/ou détournements de leurs fonctions primaires, les objets suscitent surprise et interrogation sur notre société. Ainsi l’installation artistique <a href="https://www.youtube.com/watch?v=94x2dnoRR10">« The plastic Bag Store » de Robin Frohardt, présenté en 2020 à Times Square (New York)</a>, a pour but d’interroger nos modes de consommation et sensibiliser le spectateur à l’environnement.</p></li>
<li><p>dénoncer la société de consommation à l’instar de la série photos <a href="https://phototrend.fr/2014/07/7-days-of-garbage-des-photographies-damericains-allonges-au-milieu-de-leurs-ordures/">« Seven days of garbage » de Gregg Segal (2015)</a> qui dénonce le doublement de la production de déchets domestiques américains en 55 ans soit 50 % de plus que la moyenne d’Europe de l’Ouest.</p></li>
</ul>
<p>Dans une démarche de synthèse, l’œuvre « SupermARTché » est née d’une collaboration entre une artiste plasticienne, <a href="https://www.chloeruchon.com">Chloé Ruchon</a>, et des chercheurs en marketing du laboratoire LUMEN dans le cadre du programme AirLab à l’Université de Lille. Cette œuvre immersive, dans laquelle on peut déambuler, récupère les codes du supermarché : on y trouve des rayons remplis avec des packagings détournés, une caisse automatique, des caddies… SupermARTché devient un espace à penser sur les défis environnementaux. Elle interroge notre consommation quotidienne : l’importance de l’emballage dans notre achat, les déchets que l’on fabrique dans notre consommation usuelle, les types de consommations essentielles ou non essentielles… Elle joue sur le marketing expérientiel, propose de vivre le supermarché comme une expérience culturelle et invite le spectateur-consommateur à poser son regard sur des choses normalement imperceptibles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Chloé Ruchon" src="https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/409551/original/file-20210704-39677-19r6kq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">SupermARTché de Chloé Ruchon, FOOR 2021, Espace culture de l’Université de Lille.</span>
</figcaption>
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<p>Le packaging est au cœur des réflexions proposées par l’installation : Pourquoi jette-t-on un emballage ? L’emballage peut-il évoluer grâce à une réinterprétation artistique ? Peut-il devenir un espace d’expression pour le consommateur ? L’art contemporain tente ainsi de lui attribuer une nouvelle valeur, et incite le spectateur-consommateur à le garder et le réutiliser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>La collaboration entre art et recherche mentionnée dans cet article est financée par le programme AirLab, Artiste en Immersion Recherche dans un LABoratoire à l’Université de Lille. La recherche devient ainsi une source d’émergence de projets artistiques innovants. Et l’art à son tour développe le regard critique du chercheur sur son objet de recherche et favorise sa créativité, notamment en ce qui concerne la diffusion des savoirs</span></em></p>Le packaging des Produits de Grande Consommation (PGC) est la matière première de nombreux artistes contemporains, qui interrogent notre rapport aux objets et aux déchets.Nil Özçaglar-Toulouse, Professeure des universités, LUMEN (ULR 4999), Université de LilleFrédérique Perron, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, LUMEN (ULR 4999), Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1598372021-04-28T18:05:25Z2021-04-28T18:05:25ZArts et sciences : comment se réinventer ensemble en période de pandémie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/397630/original/file-20210428-21-qm9mkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C569%2C2731%2C2621&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Réunion de travail au Musée d’Art Contemporain de Lyon animée par l’artiste Chloé Serre. </span> <span class="attribution"><span class="source">Françoise Lonardoni</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Arts et sciences sont directement affectés par la pandémie que nous traversons. Côté arts, la fermeture des lieux culturels suscite <a href="https://theconversation.com/covid-19-en-france-la-culture-sacrifiee-152049">l’indignation des professionnels de la culture</a> et contraint ces derniers à se réinventer. Sévèrement touchés par les restrictions sanitaires, les musées tentent d’investir le numérique pour imaginer de nouvelles modalités de rencontre avec les publics. Certains misent sur les visites virtuelles, tandis que d’autres programment des événements en ligne ou se lancent dans le podcast.</p>
<p>Côté sciences, les scientifiques sont mis sur le devant de la scène à travers la figure de l’expert sollicité pour éclairer les décisions gouvernementales. Néanmoins, le discours des chercheurs est traversé de désaccords propres à la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_vie_de_laboratoire-9782707148483">production de faits scientifiques</a>. La médiatisation du dissensus chez les scientifiques suscite <a href="https://theconversation.com/science-et-covid-19-pourquoi-une-telle-crise-de-confiance-147808">l’incompréhension du grand public</a> voire éveille sa suspicion.</p>
<p>Professionnels de la culture et de la science font face à des problématiques communes en ces temps de crise sanitaire : comment repenser le lien avec le public ? Pourquoi et comment (r)établir un contact direct avec la société civile ? Le projet macSUP constitue une tentative encourageante d’avancer dans ces réflexions.</p>
<h2>Un projet de recherche-création</h2>
<p>Initié en 2017 par le Musée d’Art Contemporain de Lyon, macSUP est un projet annuel de recherche-création en milieu universitaire. Il réunit des artistes, enseignants-chercheurs et étudiants de disciplines variées allant de la physique à la biologie en passant par la philosophie et la gestion. Chaque participant mobilise les connaissances et compétences propres à son champ afin de contribuer à la création collective. Après six mois de travail, le fruit de cette création collective est restitué au public. Les années précédentes, la restitution avait lieu en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=jkWdiG2J2dE">présentiel au Musée d’Art Contemporain de Lyon</a> ou hors les murs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/77Qn1aZDv9I?wmode=transparent&start=27" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette année, macSUP s’est déroulé en pleine période de pandémie d’octobre 2020 à mars 2021. Le contexte sanitaire a invité les participants à aborder de façon directe ou indirecte ce que la crise sanitaire fait au travail d’artiste et de chercheur. Plusieurs pistes ont émergé pour repenser le lien entre les professionnels de l’art et de la recherche d’une part, et le public d’autre part.</p>
<h2>Pousser l’idéal d’ouverture</h2>
<p>La moitié des participants s’est penchée sur l’intrication des lieux de vie et de travail en période de confinement. Ils ont formé le <a href="https://crepis.org/">CREPIS</a> (Centre de Recherches et d’Expérimentations Poétiques pour des Intérieurs Soutenables) afin d’explorer de façon sensible, corporelle et intellectuelle <a href="https://theconversation.com/le-confinement-bouscule-nos-manieres-dhabiter-135061">nos intérieurs</a> devenus multifonctionnels et insoutenables avec le télétravail. Les membres du CREPIS ont créé le <a href="https://crepis.org/#solutions">GRIGRI</a>, un outil collaboratif s’appuyant sur les mathématiques afin d’offrir des solutions aux épineuses questions posées par nos intérieurs confinés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397624/original/file-20210428-23-1co61k7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Réflexions du CREPIS créé par l’artiste Mathilde Chénin sur les méthodes de rangement de nos intérieurs confinés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">François Lonardoni</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le GRIGRI prend le contre-pied de la <a href="https://theconversation.com/le-bonheur-a-quel-prix-108619">science du bonheur</a> et de ses outils comme la gestion des émotions et le développement personnel. Si certains voient dans ces outils un <a href="https://theconversation.com/les-livres-de-croissance-personnelle-sont-utiles-pourquoi-les-denigre-t-on-146797">moyen de mieux se connaître proche du stoïcisme</a>, d’autres y voient une injonction à se prendre en main servant de fondement à ce qu’Eva Illouz nomme <a href="https://theconversation.com/sois-heureux-et-tais-toi-101778">« happycratie »</a>. Au lieu d’ériger le bonheur en valeur ultime et de monétiser des conseils pour y parvenir, les membres du CREPIS promeuvent la poésie, la malice et l’esprit critique à travers un GRIGRI prodiguant gratuitement de vrais faux conseils. Le 27 mars, jour de la restitution de macSUP au public, les visiteurs ont pu manipuler le GRIGRI puis échanger sur Discord (logiciel gratuit de messagerie instantanée) avec les membres du CREPIS.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=747&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=747&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397626/original/file-20210428-17-1b1h7o8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=747&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un conseil donné par le GRIGRI.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Françoise Lonardoni</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Recourir à une démarche artistique a permis d’avancer vers <a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-faire-de-la-science-ouverte-sur-zoom-146491">l’idéal d’une science ouverte</a> (open access). Trois maillons de la démarche de recherche sont concernés. Tout d’abord, le recours à un l’outil gratuit Discord issu du gaming pour les réunions de travail et la restitution. Mais aussi l’ouverture du protocole de recherche via la restitution au public lors de laquelle la démarche a été partagée librement. Et enfin le fruit des recherches a été rendu accessible à tous grâce à la mise en ligne gratuite du GRIGRI (https://crepis.org/#solutions).</p>
<p>Si l’idéal d’une science complètement ouverte est encore loin d’être atteint en dépit d’un contexte particulièrement pressant, le projet macSUP œuvre à s’en approcher.</p>
<h2>Se réinventer par le jeu</h2>
<p>L’autre moitié des participants de macSUP s’est penchée sur le jeu et la façon dont il permet de repenser le cadre des interactions sociales. Avec le passage massif aux cours et conférences en ligne, le monde de l’enseignement et de la recherche a été particulièrement bousculé. Les incursions inopinées de la sphère domestique et les problèmes techniques ont mis à mal la possibilité de faire un cours ou une présentation académique de façon strictement cadrée. C’est dans ce contexte que les participants de macSUP ont mis au point un jeu de rôle à performer en environnement virtuel.</p>
<p>Le but du jeu est de donner une leçon à un public dans une situation sujette aux perturbations. Quatre rôles ont été définis :</p>
<ul>
<li><p>l’enseignant improvise un cours sur un thème choisi collectivement (ex : le moteur, l’eau, la pizza) ;</p></li>
<li><p>le trublion sabote la leçon en assignant une contrainte à l’enseignant (ex : commencer chaque phrase par « comme le disait Nietzsche », expliquer sous forme de recette, mimer la leçon) ;</p></li>
<li><p>les apprenants écoutent la leçon ;</p></li>
<li><p>le maître du jeu assigne un rôle à chaque joueur et veille à ce que chaque joueur ait endossé tous les rôles d’ici la fin de la partie.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397628/original/file-20210428-15-1jdnn80.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Version préliminaire du jeu créé par les participants de macSUP en collaboration avec l’artiste Chloé Serre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Davy Carole.</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Lors de la restitution du 27 mars, le public a pu participer au jeu au même titre que ses concepteurs.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que des chercheurs mobilisent le jeu, comme l’illustre le <a href="https://theconversation.com/le-jeu-peut-il-nous-sauver-136813">recours croissant au serious game</a> dans la production du savoir scientifique. Mais ici, le jeu est mobilisé différemment pour repenser le cadre dans lequel s’inscrit la transmission de connaissances. Il s’agit d’abord de renverser la dynamique passif/actif. Grâce au rôle du trublion, les enseignants-chercheurs cessent (temporairement) de subir les perturbations affectant leurs interventions en ligne pour devenir ceux qui perturbent (avec plaisir) l’intervention d’autrui.</p>
<p>C’est aussi l’occasion de faire de la perturbation la règle. En intégrant les perturbations aux règles du jeu, les débordements deviennent partie intégrante du cadre de l’interaction et se normalisent.</p>
<p>Enfin, le jeu permet de susciter l’empathie. Pour les étudiants participant au jeu, endosser le rôle de l’enseignant permet de prendre conscience des difficultés inhérentes à l’enseignement en distanciel. Pour les enseignants-chercheurs, endosser le rôle du public permet de comprendre les difficultés que pose le <a href="https://theconversation.com/cours-a-distance-quen-pensent-vraiment-les-etudiants-152265">suivi attentif d’un cours en distanciel</a>.</p>
<h2>Vers un lien plus direct et libre ?</h2>
<p>macSUP est une expérience collective aidant à repenser le lien unissant professionnels de la culture et de la science d’une part, et publics d’autre part. Le recours forcé à la médiation des technologies en temps de crise sanitaire a offert une opportunité d’établir un lien de proximité avec les publics. Avec la restitution, les scientifiques se sont adressés directement au grand public sans la médiation des éditeurs scientifiques ni celle des acteurs politiques. Quant aux artistes, ils ont rencontré le public dans un lieu virtuel, pendant numérique du mouvement d’occupation physique des lieux culturels.</p>
<p>macSUP a également permis d’imaginer un lien plus libre avec les publics grâce à la mise à distance de deux freins à l’ouverture des sciences : <a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-chercheurs-ouvrent-ils-leurs-recherches-135707">l’injonction de publier des travaux originaux et exclusifs dans d’excellentes revues académiques, et l’obligation de confidentialité du fait de partenariats avec les industriels</a>. Le GRIGRI et le jeu sont ouverts afin de diffuser gratuitement poésie, malice, humour et empathie dans la société. Néanmoins, cette initiative ne va pas de soi dans un contexte où la baisse historique de la fréquentation des musées a drastiquement réduit leurs recettes propres. macSUP est donc une opportunité pour les institutions culturelles de <a href="https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-comment-vont-les-musees">repenser leur modèle économique et de réfléchir à leur mission</a> : comment faire pour que les citoyens aient accès à la création artistique tout en rémunérant de façon juste l’ensemble des acteurs impliqués ? C’est en résolvant cette équation qu’arts et sciences pourront œuvrer au bien commun.</p>
<hr>
<p><em>MacSup est un projet réunissant le Musée d’Art Contemporain de Lyon, l’Université Claude Bernard Lyon1, l’Université Jean Moulin Lyon3, l’INSA Lyon, l’École normale supérieure de Lyon, l’emlyon business school, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon – Pratiques artistiques amateurs. Les artistes Mathilde Chénin et Chloé Serre ont animé l’édition 2020/2021, Le programme macSUP bénéficie du soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes.</em></p>
<p><em>Une première restitution au public a eu lieu le 27 mars 2021. La seconde restitution se déroulera en septembre 2021. En attendant, le GRIGRI est toujours accessible <a href="https://crepis.org/generator">sur le site du CREPIS :</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159837/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anissa Pomiès ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Initié en 2017 par le Musée d’Art Contemporain de Lyon, macSUP est un projet annuel de recherche-création en milieu universitaire.Anissa Pomiès, Professeur Assistant de Marketing, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1585042021-04-13T19:30:25Z2021-04-13T19:30:25Z« White Cube » : une utopie postcoloniale ?<p>Après <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Enjoy_Poverty"><em>Enjoy Poverty</em></a> sorti en 2008 qui a suscité beaucoup de débats en République démocratique du Congo (RDC) et en Europe au sujet de « l’industrie de lutte contre la pauvreté », l’artiste néerlandais Renzo Martins vient de sortir un nouveau documentaire, <a href="https://oma.eu/lectures/white-cube-trailer"><em>White Cube</em></a>, qui fait déjà beaucoup parler de lui dans les <a href="https://www.on-curating.org/issue-41-reader/the-repatriation-of-the-white-cube-how-should-the-rural-capitalise-on-art-a-conversation-with-renzo-martens-artistic-director-of.html">mondes de la coopération au développement et de l’art</a>.</p>
<p>Le film présente le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cercle_d%27art_des_travailleurs_de_plantation_congolaise">Cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise</a> (CATPC), une coopérative située dans une ancienne plantation de la multinationale Unilever à Lusanga, en RDC. Il relate l’histoire de néo-artistes de CATPC qui produisent des sculptures d’argile. Celles-ci sont ensuite scannées en 3D, envoyées à un musée de New York et reproduites en chocolat. Les revenus issus de ce chocolat sont utilisés par la coopérative pour le rachat de ses terres, épuisées après des décennies d’exploitation par Unilever. La coopérative peut alors y conduire des projets agro-forestiers durables.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/W_HJ64ytwRE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Du point de vue artistique, <em>White Cube</em> permet de relancer les <a href="http://africultures.com/video-critique-de-notion-dart-africain-de-babacar-mbaye-diop/">débats sur la place de l’Afrique et de l’art africain</a> dans la modernité artistique, sur le marché international de l’art et dans les « rencontres des cultures » aujourd’hui. Les débats que suscite de plus en plus ce film posent deux problèmes majeurs : le problème de la colonialité dans la présentation de l’art africain dans les musées en Occident ; et celui de la définition même de ce que serait en réalité cet art et ces artistes derrières lesquels il y aurait toujours un Blanc à l’origine, dans les coulisses, en train de commander l’artiste noir qui, invisibilisé de ce fait, perdrait, avec son art, tout caractère artistique.</p>
<p>Mais l’histoire de l’exploitation capitaliste coloniale et post-coloniale que raconte ce film déroute très vite de cet ordre du discours sur l’art et les artistes africains. Ce qui finit par captiver l’attention, c’est cette phrase révélatrice de Matthieu Kasiama, membre du CATPC :</p>
<blockquote>
<p>« La terre ou l’art ? Si je devais choisir, je choisirais les deux. Mais si je ne devais en choisir qu’un, si je devais choisir entre l’art et la terre, je choisirais la terre. »</p>
</blockquote>
<p>Ici, Matthieu Kasiama suggère qu’il y aurait dans l’art quelque chose de plus important que l’art en lui-même. Et ce n’est ni la divinité, ni la sublimation et moins encore la reconnaissance. Il y aurait ce quelque chose qui symboliserait la vie et qui a à voir avec nos conditions matérielles concrètes : la terre et la subjectivité politique qu’elle rend possible. « Où puis-je installer ma chaise et commencer à faire de l’art, si je ne suis pas propriétaire du terrain ? », dit-il.</p>
<p><em>White Cube</em> propose ainsi de penser l’art et les artistes africains en essayant d’ignorer les débats décoloniaux dominants sur ce sujet. Il tente au contraire de se recentrer sur les violences produites par un système mondial dans lequel s’intègre l’art et qui est visible dans divers défis globaux : exploitation capitaliste, mondialisation inégale, néolibéralisme meurtrier, dégradation environnementale, etc. Mais un tel renouvellement n’est possible qu’à partir d’une réinterprétation d’un certain nombre de postulats de base sur l’art, la décolonisation de l’art et la décolonisation plus largement.</p>
<h2>Décoloniser l’art à partir de la plantation</h2>
<p>En prenant fait et cause pour la terre à la place de l’art, le CATPC désacralise celui-ci. En d’autres termes, le sens de l’art n’est plus à rechercher dans les discours dominants, critiques ou encore décoloniaux sur l’art. D’ailleurs, Matthieu Kasiama semble se demander ce que des œuvres d’art d’origine congolaise, qu’il considère comme des objets sacrés de ses ancêtres, font dans un musée qu’il visite à New York. Il montre aussi qu’il peut supporter ce blasphème si ce musée lui permet de recouvrer ses terres et la dignité qui en résulte.</p>
<p>Renzo Martens, quant à lui, trouve injuste que « la violence du système de la plantation [ait toujours] financé les musées » au Nord. Pour lui, ces musées et ceux qui les fréquentent « ont une dette à l’égard des travailleurs de la plantation ». Il propose dès lors d’utiliser l’art non seulement pour dénoncer mais surtout pour tenter de soigner et de réparer ce qui peut encore l’être de cette humanité fracassée par le système de la plantation et dont le musée s’est rendu complice. Renzo ne semble pas prêter attention au fait qu’on pourrait lui reprocher d’endosser le rôle du « Blanc sauveur ». Il assume clairement sa centralité dans le film. Le politiquement correct ne l’embarrasse guère. Le plus important, pour lui, c’est que l’Occident puisse payer sa dette.</p>
<p>Son film apparaît ainsi comme un acte de contrition et de réparation d’un « receleur » par rapport à sa responsabilité face au double drame, humain et écologique, de la plantation coloniale et postcoloniale, et comme un appel à repenser les conditions de ré-humanisation du Blanc qui a joui et qui continue de jouir des crimes de la plantation aujourd’hui. Le film opère ainsi un déplacement du discours sur la représentation et la place de l’art et de l’artiste africain, vers la question de la réparation des corps violentés par un système global dans lequel l’art joue un rôle. Il se transforme ainsi, bien que de manière imparfaite, en fragment d’une critique décoloniale renouvelée. Il s’agit d’une autocritique d’un Occidental pragmatique qui tente de penser les problèmes des relations Nord-Sud et la place que l’art y occupe à la fois comme problème et solution.</p>
<p>La colonialité ici consiste, à la fois, dans la continuité de l’exploitation des Noirs dans les plantations congolaises (malgré l’effondrement du colonialisme) et dans la jouissance des Blancs, via Unilever et les musées subventionnés par celle-ci, de cette exploitation qui dégrade à la fois les corps noirs et l’environnement. En tant qu’illustration de la contrition et d’une alliance post-coloniales, le film explore les conditions pour parvenir à faire ce que Achille Mbembe appelle la <a href="https://www.cairn.info/sortir-de-la-grande-nuit--9782707176646-page-55.htm">« montée en humanité »</a>. Il s’agit d’une politique de vie « qui, par définition, pour être valable, doit être partagée » entre d’une part le Blanc qui tente de payer sa dette via la mobilisation du musée occidental et d’autre part le Noir qui essaye de se réapproprier sa terre et, par là, sa dignité.</p>
<h2>Une political ecology décoloniale</h2>
<p>Le film dépeint la pauvreté de ces Noirs travailleurs de la plantation. Ils ne sont pas blancs. Ils n’ont pas assez de capital social pour peser. Ils ont besoin de ressources ; de ce Blanc en quête de sa propre humanité, en quête de son propre salut, et pas de celui du Noir cette fois-ci. L’alliance post-coloniale qui ressort de cette rencontre est une <em><a href="https://www.youtube.com/watch?v=O5HeR26XbK4">political ecology</a> décoloniale</em> qui passe par l’art.</p>
<p>En d’autres termes, comme dans la <em>political écology</em>, le film montre comment la pauvreté et la domination qui la sous-tend sont étroitement liées à l’économie politique, comment cela provoque la dégradation de la nature (ici par la monoculture) et comment ces drames humain et écologique trouvent leurs sources à diverses échelles locales, nationales et internationales. Mais ce que la <em>political ecology</em> n’a pas encore suffisamment fait, c’est de montrer la continuité et la colonialité derrière ce système d’exploitation d’une part et, d’autre part, se débarrasser du simple discours pour agir, c’est-à-dire faire en sorte que le drame des expropriés et des lésés puisse être réparé.</p>
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</figure>
<p><em>White Cube</em> nous mène ainsi vers une forme possible de re-signification de l’art africain moderne dans ses rapports avec la plantation coloniale et les défis sociétaux globaux. Cependant, il continue à poser trois questions qu’il s’agit encore d’approfondir. Tout d’abord, il fait à la fois de Renzo et des néo-artistes africains du CATPC des artistes capitalistes qui tentent de s’en sortir à partir des logiques du système global contre lequel ils essaient de se battre. Ensuite, le film pose la question de l’efficacité plus large de l’approche du CATPC face à un problème global d’inégalités Nord-Sud qui, en réalité, est une reconfiguration d’un système colonial. Enfin, il pose la question d’une alliance, certes pragmatique, mais où les pauvres Noirs dépendant des réseaux des alliés blancs risqueraient de demeurer des sujets apolitiques, c’est-à-dire toujours en train d’être représentés dans leurs propres luttes.</p>
<p>Toutes ces questions font de <em>White Cube</em> non pas la solution aux problèmes de la plantation postcoloniale mais à la fois un cri de délivrance de ceux qui en profitent et une preuve que la dignité de ceux qui en souffrent est possible. Ainsi, <em>White Cube</em> ne peut plus être lu à partir de l’ironie, du cynisme, du narcissisme ou de la colonialité auxquels il peut par moment faire penser. Il n’a de sens que dans son acception métaphorique, symbolique et rituel où, tourmenté, un endetté tente d’incarner le capitalisme, ce mal contre lequel il veut se battre par l’art et l’écologie. Voilà ce qui fait de <em>White Cube</em> une métaphore artistique qui tente d’exprimer la possibilité de l’utopie postcoloniale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158504/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aymar Nyenyezi Bisoka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le documentaire de l’artiste néerlandais Renzo Martins génère d’importants débats aujourd’hui aussi bien en République démocratique du Congo qu’en Europe. Analyse des enjeux d’un film qui fera date.Aymar Nyenyezi Bisoka, Assistant professor, Université de MonsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1317302020-10-27T22:15:05Z2020-10-27T22:15:05ZGunther Uecker : artiste de la matière, de l’élémentaire au complexe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/365646/original/file-20201026-21-t8zes3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C16%2C831%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Günther Uecker, Sans titre, 1960
Clous sur toile peinte montée sur bois
36 cm x 37 cm x 4,5 cm</span> </figcaption></figure><p>Depuis 60 ans, <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/G%C3%BCnther_Uecker">Gunther Uecker</a> produit des œuvres à partir de clous qu’il plante, dans un geste apparemment simple. C’est la galeriste <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Dominique_L%C3%A9vy">Dominique Lévy</a> qui m’en a parlé : « Vous devriez regarder. Cet artiste maintenant présent sur la scène internationale depuis plus d’un demi-siècle, crée une œuvre qui devrait parler à un scientifique. ».</p>
<p>Je n’ai rien tenté de lire sur Gunther Uecker. Je n’ai fait que regarder son travail. Et effectivement, ce fut une découverte. Cet artiste allemand est né en 1930. Son tableau, <em>Sans titre</em> en 1960, annonce la couleur. Depuis, avec constance, il a produit des œuvres construites sur des clous enfoncés en (très très) grand nombre notamment dans des panneaux mais aussi dans d’autres supports comme on le voit dans la vidéo ci-dessous.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Un portrait de Günther Uecker à l’occasion de la présentation de ses œuvres en 2017 à la Galerie Lévy Gorvy de Londres.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le clou comme une particule élémentaire</h2>
<p>Dans ses œuvres, le clou se fait « particule élémentaire » ou « brique de base ». Les clous sont assez gros et assez espacés pour que leur présence individuelle soit incontournable. Mais simultanément, l’œuvre émerge de l’ensemble organisé des clous. Ils sont rigidement liés entre eux par le substrat dans lequel ils sont plantés. Les distances et les orientations relatives entre les clous sont définitivement fixées. Dans certains cas, la forme générale relève d’une géométrie délibérément élémentaire comme sur l’image ci-dessous.</p>
<p>Dans d’autres, Gunther Uecker installe une dynamique, un mouvement comme ici avec ce tourbillon complexe de clous sur un tableau de 2 mètres de côté.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=634&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315087/original/file-20200212-61974-98mn5f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=796&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Günther Uecker, Spirale I 1997.</span>
<span class="attribution"><span class="source">//www.sothebys.com/fr/auctions/ecatalogue/2018/contemporary-art-day-sale-n09933/lot.136.html</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Gunther Uecker n’est pas le seul à avoir fait le choix d’un élément discret pour produire un ensemble. On peut penser à <a href="https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cMa5Ad/rrgx6qj"><em>Elevage de poussières</em></a> de Marcel Duchamp et Man Ray en 1920. Le simple amoncellement de grains de poussière sur le <em>Grand Verre</em> après plusieurs mois a été immortalisé par la photo de Man Ray exposée dans le monde entier. Avec <em>Dépouille d’or sur épines d’acacia (bouche)</em>, Giuseppe Penone produit une œuvre dans laquelle des milliers d’épines viennent constituer cette peau piquante autour d’une bouche. Chez Penone, une sensation de contact piquant vient toucher la personne qui regarde cet immense tableau.</p>
<p>Gunther Uecker ne se situe pas dans le même registre. Les émergences qu’il produit sont à l’image de l’organisation du monde dans de multiples domaines. Ses assemblées de clous offrent la vision d’un mouvement d’ensemble, un peu comme celui de vagues à la surface de l’eau, ou de plis de tissus savamment travaillés. Les molécules H<sub>2</sub>0, invisibles, <a href="https://www.pourlascience.fr/sr/article/lunivers-est-il-pointilliste-9292.php">sont les éléments discrets</a> en nombre inimaginable, qui forment des vagues. De même, tandis que les mouvements du tissu peuvent laisser apparaître les fils tissés alors que les fibres au cœur des fils restent invisibles. Ces tableaux sont construits selon l’assemblage discret de clous pour former une structure que l’on perçoit continue, au-delà de ces éléments de base.</p>
<h2>Quel lien avec la science ?</h2>
<p>On parle communément en sciences d’un passage du discret élémentaire au continu complexe lors des changements d’échelle. Selon <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Structure_discr%C3%A8te">Wikipedia</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En mathématiques et plus généralement dans le discours scientifique, une structure discrète est une structure formée de points épars, isolés les uns des autres. Le concept s’oppose à celui de structure continue dans laquelle les points ne sont pas individualisés. Le réseau formé des points du plan à coordonnées entières en est un exemple particulièrement typique. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315085/original/file-20200212-61947-1xnybuq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Günther Uecker, barefoot », par Lothar Wolleh.</span>
<span class="attribution"><span class="source">lothar-wolleh.com</span></span>
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<p>Ce dialogue entre le discret et le continu est caractéristique de la science notamment depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle, en mathématiques, physique, chimie, biologie et bien sûr en informatique. On le retrouve dans les trois éléments clés qui sous-entendent notre description du monde : la matière, l’énergie et l’information.</p>
<h2>La matière, c’est des atomes</h2>
<p><em>Les Atomes</em> du physicien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Perrin#Les_Atomes">Jean Perrin</a> est publié depuis 1913, un peu moins de vingt ans avant la naissance de Gunther Uecker. La théorie de la matière basée sur les atomes et le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dmitri_Mendele%C3%AFev">tableau de Mendeleïev</a> viennent de s’installer définitivement. Toute la matière autour de nous – nous avec – est constituée d’atomes. À notre échelle, ils sont invisibles mais à neuf ou dix ordres de grandeur, la matière apparaît avec ses constituants atomiques discrets.</p>
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<p>Le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Microscope_%C3%A0_effet_tunnel">microscope à effet tunnel</a> a valu le prix Nobel à ses inventeurs Gerd Binnig et Heinrich Rohrer en 1986. En balayant une surface par exemple de graphite avec une simple pointe métallique, on observe les atomes un par un. « Observer les atomes » est devenu une séance de travaux pratiques pour les étudiants de nombreuses universités.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315091/original/file-20200212-61935-1n2pdvn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Vingt atomes de brome, en fausse couleur rouge, substitués à des atomes de chlore sur une surface de chlorure de sodium. La structure est stable à température ambiante.</span>
<span class="attribution"><span class="source">futura-sciences.com</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’énergie et les quanta</h2>
<p>Pour parvenir à une description de la stabilité et de la structure des atomes, et de la nature de la lumière, les physiciens ont quantifié l’énergie. L’énergie E d’un grain de lumière, un photon unique, est donnée par l’expression qui combine la constante de Planck, la vitesse de la lumière et la longueur d’onde du rayonnement.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=235&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=235&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=235&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=296&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=296&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315094/original/file-20200212-61952-1cqfy38.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=296&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Non seulement le concept d’énergie n’échappe donc pas à cette dichotomie entre discret et continu, mais en fait, il n’est pas possible de comprendre autrement la stabilité de la matière constituée d’atomes. Ces avancées dans le domaine de la physique modifient en profondeur notre relation au monde, tant en termes de connaissances que de développements technologiques, jusqu’à aujourd’hui.</p>
<h2>L’ADN, l’information du vivant avec quatre éléments de base</h2>
<p>En février 1953, Crick et Watson entrent dans le pub l’Eagle à Cambridge en criant : « Nous avons trouvé le secret de la vie ! » Épisode entré dans la légende. Gunther Uecker est un jeune homme, à peu près comme Watson, lorsque la science découvre que l’information génétique s’écrit à partir de 4 éléments clés seulement.</p>
<p>Un alphabet qui permet d’écrire en séries quasi infinies dans la structure en double hélice de l’ADN, le code génétique à l’intérieur des chromosomes. Encore le passage du discret avec ces 4 molécules, au continu de l’être vivant.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315097/original/file-20200212-61947-qzy7ox.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">James Watson (à gauche) et Francis Crick (à droite), devant leur modèle de la molécule d’ADN, aux laboratoires Cavendish en 1953.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A. Barrington Brown/Science Photo Library</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La discrétisation de l’information qui circule dans l’humanité grâce à la technologie, se produit dans la même période. C’est l’avènement de l’ère numérique. Toute la musique, toutes les images, tous les textes sont codés à partir non pas de quatre mais de deux éléments distincts. 0 et 1 circulent massivement, sans erreur et à grande vitesse dans des structures à base de silicium contrôlées depuis l’échelle du nanomètre par l’industrie des micro/nanotechnologies. C’est un monde fait de <a href="http://cba.mit.edu">bits et d’atomes</a>.</p>
<h2>Un chemin parmi d’autres</h2>
<p>La génération de G. Uecker a vécu le temps de ces révolutions scientifiques et technologiques, de leur montée en puissance et de leur impact croissant sur l’humanité. Ces révolutions contribuent à des changements profonds du monde présent et à venir.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=741&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=741&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=741&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=932&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=932&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315100/original/file-20200212-61958-e20ine.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=932&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue aérienne de Hongkong.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Zoom Drones/Pinterest</span></span>
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</figure>
<p>Je ne peux pas voir les œuvres de Gunther Uecker sans les situer dans ce contexte, et sans construire ainsi ma relation avec elles. Être scientifique modifie clairement en profondeur le regard sur le monde. Dans mon cas, cela va jusqu’à orienter mon regard sur ces œuvres : ma vision de scientifique surdétermine mon approche de cet artiste. Mon approche n’a peut-être rien à voir avec ses intentions, son inspiration, les sources de sa création. Qu’importe. C’est probablement la force des œuvres d’art : elles ouvrent d’innombrables chemins à leurs regardeurs pour explorer notre façon d’être au monde.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315099/original/file-20200212-61981-dpvzzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Forêt des Landes : un réseau d’arbres « vu de côté ».</span>
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<p>Après tout, les clous de Gunther Uecker évoquent aussi des forêts, ou les feuilles des arbres, ou des assemblées humaines, ou bien encore les centaines de gratte-ciel des grandes métropoles… Cela pourrait même être un jeu : distinguer partout les grands ensembles, les grandes dynamiques, les réseaux qui émergent des liaisons, c’est-à-dire des flux de matière, d’énergie et d’information, entre des individus clairement identifiables, et qui sont chacun, un autre pour tous.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131730/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Gunther Uecker enfonce des milliers de clous depuis 60 ans. Ses œuvres explorent ainsi le passage du discret au continu, comme depuis les atomes jusqu’à l’humain.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1321262020-03-05T19:02:21Z2020-03-05T19:02:21ZExposition « L’exode de l’humanité » : les sédiments de l’expérience<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/318311/original/file-20200303-66089-3ibnmi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Corne/FSMH</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>L’exposition de l’artiste mexicain Cristian Pineda à la Fondation des Maisons des Sciences de l’Homme invite à un dialogue entre l’art, l’expérience et les sciences sociales. Un dialogue qui se retrouve au cœur de son œuvre et qu’il renouvelle à chacun de ses projets. Les différentes parties de « L’exode de l’Humanité » ouvrent un espace de rencontre, d’expression et d’échange entre les exilés et l’artiste, et parfois avec une communauté qu’ils traversent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318292/original/file-20200303-66060-dpkeeb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’artiste mexicain Cristian Pineda devant les locaux de son exposition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Corne/FMSH</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Une expérience inclusive autour de récits de migrants</h2>
<p>Les dispositifs d’art participatif de Pineda permettent aux acteurs d’exprimer leurs expériences, l’épreuve qu’elles représentent et les transformations personnelles qu’elles impliquent. À travers ses projets, l’artiste invitent à une rencontre entre la subjectivité de l’exilé et celles du visiteur qui prend le temps d’observer et d’être interpellé par les symboles qu’elle recèle. Comment ne pas être affecté par ce petit sac qu’un réfugié népalais a accroché à son œuvre et qui contient les boîtes de médicaments qu’il a pris depuis son arrivée en Europe ?</p>
<p>L’œuvre interpelle parce qu’elle nous invite à entrer en résonance avec l’expérience d’êtres humains qui traversent une épreuve difficile et transformatrice. Ces « Boîtes de vie » ou ces silhouettes représentent simplement ce qu’ils étaient et ce qu’ils aimeraient être. Les dispositifs d’art participatif mis en place pour chacun des projets ont permis de récolter des sédiments d’expérience d’exilés, en les invitant à peindre de manière très personnelle sur des figurines, des caisses de bois, ou encore, à travers des vêtements et objets récoltés par l’artiste dans des déserts de la frontière américaine et réunis dans ces « Cercles de vie ». L’artiste a mis en place des dispositifs pour les récolter et nous permet d’y accéder.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318293/original/file-20200303-66089-hzq0gg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Corne/FSMH</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les « Marcheurs de papier » et les « Boîtes de vie » sont le fruit de dispositifs mis en place dans des auberges de migrants au Mexique, où les Centraméricains se reposent quelques jours dans leur périple incertain vers les États-Unis, et dans un centre de réfugiés en Belgique, où l’attente du destin incertain que leur réserve l’office des étrangers et l’évaluation de leur demande d’asile durent des mois.</p>
<p>Ces espaces de repos, ou d’attente, sont propices à l’introspection, à la réflexion sur son identité en plein bouleversement, à ces processus de subjectivation, entendus comme un travail de construction de soi comme principe de sens. Les « Boîtes de vie » favorisent ce travail d’introspection et de subjectivation, permettent son expression au cours d’une étape d’un voyage personnel, laissent des témoignages et, rassemblés dans cette exposition, font œuvre de mémoire collective.</p>
<p>Ces dispositifs d’art participatif ont une dimension thérapeutique. Ils ont également une portée résolument sociologique. Ce qui s’exprime dans ces espaces d’expérience créés par les dispositifs est à la fois profondément intime et résolument social. L’expérience y est à la fois personnelle et collective.** C’est ce qu’analyse la sociologue <a href="https://uclouvain.be/fr/facultes/espo/evenements/pascale-naveau.html">Pascale Naveau</a> à partir des dispositifs d’art participatif mis en œuvre avec Cristian Pineda pour favoriser ces processus de reconstruction de soi comme personne et comme acteur de migrants, de familles ou de victimes de la violence au Mexique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=307&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318307/original/file-20200303-66056-pulvcg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=386&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Caminates.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Corne/FSMH</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Les dimensions humaine, sociologique et politique de l’art de Cristian Pineda</h2>
<p>L’art de Cristian Pineda a également une portée politique. Non parce qu’il dénonce explicitement les causes de l’exode ou les conditions dans lesquelles il s’effectue. Mais plutôt parce qu’il nous confronte directement à l’expérience de ces exilés que les gouvernements, les institutions et nous-mêmes nous efforçons de ne pas voir. Cristian Pineda rend visible cette réalité souvent si proche géographiquement, mais invisible socialement, faisant écho à <a href="https://www.editionsddb.fr/livre/fiche/epistemologies-du-sud-9782220081427">l’invitation du sociologue Boaventura de Sousa Santos</a>.</p>
<p>Les « Cercles de vie » rendent palpable la violence de la traversée du désert vers la frontière des États-Unis. Une expérience que peu racontent parce qu’ils sont à présent « de l’autre côté » ou parce qu’ils ont laissé la vie dans cette traversée et ne sont plus là pour la raconter. Dans les « Cercles de vie », il n’y a ni nom, ni visage. Mais un véritable récit conté par de simples vêtements, des cartouches ou des messages sur les bidons d’eau retrouvés dans le désert. Autant de sédiments de l’épreuve souvent tragique qui se joue aux portes des États-Unis.</p>
<p>Qu’est devenue la personne qui a laissé ce pantalon dans le désert ? Pourquoi cet autre a-t-elle abandonné ces vêtements ? A-t-elle réussi à passer « de l’autre côté » ? Et si c’est le cas, sa vie est-elle à la hauteur des espoirs et des efforts qu’elle a mis dans cette traversée ?</p>
<p>Ces « Cercles de vie » nous interpellent aussi parce que notre frontière à nous, européenne, est la Méditerranée, une mer intérieure devenue une muraille et un cimetière qui n’a rien à envier au désert où cette œuvre a été réalisée. Contrairement à ces déserts, cette mer absorbe les corps et jusqu’aux sédiments d’expérience des migrants qui y laissent la vie, rendant moins visible encore la tragédie qui s’y joue.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/318309/original/file-20200303-66052-bwbu8l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Serie foto.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Emmanuelle Corne/FSMH</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>« L’humanité de l’exil » nous bouscule et nous invite à comprendre le monde à partir de ces sédiments d’expérience laissés par ces acteurs qui entreprennent un voyage long et risqué. Des acteurs qui s’expriment avec force et dont les œuvres interpellent. Elles montrent la grandeur de ces êtres que nos sociétés s’efforcent de nier.</p>
<p>Ce ne sont pourtant ni des héros, ni des sujets pleinement réalisés que nous présente Cristian Pineda. Les acteurs qui s’expriment avec une telle force dans ces œuvres sont des sujets vulnérables, fragiles, souvent torturés par des expériences récentes d’une violence endémique et confrontés aux inconnues d’un avenir incertain.</p>
<p>Plongés dans une traversée périlleuse, ils expriment qui ils sont, d’où ils viennent et qui ils veulent être. C’est dans et par cette vulnérabilité que les sédiments laissés dans ces œuvres nous interpellent. Ces acteurs sont très vulnérables face à la violence, à la montée de la xénophobie et aux idées et politiques d’extrême droit.</p>
<p>C’est à partir de cette fragilité et des chemins tortueux de la reconstruction de soi qu’ils ont créé ces œuvres et qu’ils nous interpellent. C’est à partir de ces sédiments d’expérience laissés dans le désert, sur une silhouette ou dans une boîte en bois que Cristian Pineda nous invite à un dialogue entre l’art et les sciences sociales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geoffrey Pleyers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’exposition de l’artiste mexicain Cristian Pineda à la Fondation des Maisons des Sciences de l’Homme invite les spectateurs à s’interroger et à remettre en question ses préjugés sur la migration.Geoffrey Pleyers, Sociologue, Chercheur FNRS au CriDIS (UCLouvain) et au Collège d’études mondiales (FMSH), Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1324722020-03-01T16:53:19Z2020-03-01T16:53:19ZL’exode de l’humanité en images<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/317570/original/file-20200227-24680-dqtg1q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Je suis ma maison. </span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Alors que les médias communiquent quotidiennement au sujet de la crise migratoire, au niveau national comme international, ne faisons-nous pas face à une incompréhension humaine de la migration ?</p>
<p>L’exposition « L’Exode de l’humanité », visible du 2 au 31 mars à la <a href="http://www.fmsh.fr/fr/college-etudesmondiales/30789">Fondation Maison des Sciences de l’Homme</a>, réalisée par l’artiste Cristian Pineda, s’efforce de rétablir une bonne image des migrants. En effet, loin des concepts de frontière, de guerre, de changement climatique, de visa, de camps ou encore de réfugiés, les acteurs migrants sont avant tout des humains dont l’existence physique coexiste avec un univers culturel fait d’expériences personnelles. Pour comprendre la migration à partir de l’expérience de vie et non pas à partir de notions politiques et diplomatiques, la rencontre entre l’art contemporain et les acteurs migrants compose une démarche innovante fondée sur l’émotion et le sentir humain.</p>
<p>Cette démarche est celle entreprise depuis 2006 par <a href="http://www.cristianpineda.com.mx/">Cristian Pineda</a>. D’origine mexicaine, l’artiste consacre une partie de son travail à la compréhension du phénomène migratoire. Originaire de Juchitán Oaxaca, une ville au sud du Mexique, qui présente la particularité d’être un territoire et un espace de passage commercial, touristique, mais aussi migratoire. Cristian Pineda vit donc depuis son enfance aux côtés d’un véritable transit migratoire en provenance d’Amérique centrale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317563/original/file-20200227-24685-15zs5cx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’artiste Cristian Pineda.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cristian Pineda</span></span>
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<p>À cette époque, les migrants étaient des aventuriers en quête d’une autre vie. Aujourd’hui, ils sont les victimes d’une violence structurelle présente en Amérique centrale et au Mexique. En fuite de ces violences extrêmes, en route vers le Nord, ils s’évadent vers des destinations inconnues, qui loin d’être des rêves (en l’occurrence le rêve américain), sont devenus des destinations de survie méconnues.</p>
<h2>Dépasser les préjugés pour laisser place à l’humain</h2>
<blockquote>
<p>« Pourquoi les gens partent-ils ? Pourquoi arrache-t-on ses propres racines ? On peut être chassé, menacé, poussé à la fuite. Il peut y avoir la guerre, la faim, la peur, toujours elle. Mais on peut aussi choisir la fuite parce qu’elle est sage ».</p>
</blockquote>
<p>La réflexion qui accompagne l’interrogation proposée par le <a href="http://www.seuil.com/auteur/henning-mankell/4122">romancier et dramaturge suédois Henning Mankell</a> montre que le statut de victime est très vite dépassé par une volonté subjective d’être un acteur migrant.</p>
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<span class="caption">Jungle de Calais.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’artiste, qui a vécu au plus près le passage de la migration d’un état d’aventure à un état de crise humanitaire, illustre au travers de ses projets le besoin de donner la parole aux migrants et de comprendre ces vagues humaines en fuite. Tous ces migrants, même s’ils proviennent de pays, de cultures et de violences hétérogènes, partagent la qualité d’acteur du monde et de leur vie. Cristian Pineda traduit ainsi dans son œuvre cette capacité qu’ont les migrants à ne pas se placer comme victimes mais à se considérer comme acteurs.</p>
<h2>Une expérience subjective</h2>
<p>Ma rencontre avec Cristian Pineda a donné naissance à un travail en binôme où l’art participatif permet l’accès à des sources d’informations, certes complexes, mais surtout enrichissantes pour les sciences humaines. Au travers de cette expérience sociologique et artistique, le phénomène migratoire peut être étudié au-delà de ces considérations historiques, territoriales et politiques. Il permet ainsi de se pencher sur l’expérience subjective du migrant en question. Une expérience subjective qui se construit sur le vécu, les émotions, l’identité, le transit, l’aspiration, l’illusion…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317565/original/file-20200227-24668-1qg58pg.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cercles de vie.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Lors des projets d’art participatif, les migrants et demandeurs d’asile construisent au travers de leur pièce artistique un narratif basé sur l’expérience de l’espace de départ et de transit ainsi que sur l’illusion future. Ce besoin de s’exprimer** est motivé par des expériences de violence extrême et structurelle. D’autant plus, que celles-ci ont été vécues dans un environnement connu et familier composé de relations familiales, amicales, professionnelles, mais devenu invivable pour les sujets en question. La migration est une fuite. La seule échappatoire à la mort.</p>
<h2>Une exposition qui tient le rôle de médiateur</h2>
<p>C’est donc au travers de cette perspective que mon travail sociologique dialogue avec le travail artistique de Cristian Pineda. Alors que de nombreux artistes font interagir leur travail avec le thème de la migration, Pineda dépasse la frontière entre la problématique et les acteurs. Pour ce, son travail se démarque de nombreuses initiatives et permet un accès direct à l’art et à l’humain. Cet accès direct se traduit entre-autre par la singularité que l’on peut observer dans chaque œuvre produite par un ou une migrant·e qui à la suite de son travail va signer sa pièce de son nom. Par cette action, les migrants ne sont plus chosifiés mais revendiquent leur identité à partir de leur nom et origine, faisant d’eux des êtres à part entière.</p>
<p>Ils ont vécu des situations de déracinement, de deuil, de traumatisme et de perte d’identité, rarement résolues. La douleur que cela représente est difficilement communicable car le langage ordinaire n’est pas à la hauteur de tels récits de vie. Dans le but de surmonter cette crise, la représentation artistique et symbolique permet de transcender les limites du langage. Pour y parvenir, il est important que l’artiste confie le processus de création aux migrants eux-mêmes. Ceci donne lieu lors de chaque rencontre à une expérience innovante qui crée une dynamique où le processus de rencontre et de création devient le pilier fondateur de l’œuvre.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317571/original/file-20200227-24680-1ex5nmx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Marcheurs de papier.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Par la suite, cette expérience multidisciplinaire entre la migration, l’art et la recherche sociologique va donner lieu à des expositions (Juchitán-Oaxaca MIGROMA en 2016, Santa Maria Huatulco-Oaxaca MIGROMA en 2017, Human Mobility, Eupen-Belgique en 2019) à caractère social imaginées à partir de l’art, des migrants et de la vulnérabilité dans laquelle se placent les différents protagonistes.</p>
<p>Ces expositions seront des espaces où les visiteurs peuvent être les acteurs d’une reconstruction du tissu social humain si souvent décomposé par l’ignorance, les discours politiques ou encore la peur de l’inconnu.</p>
<p>L’apport le plus notable du travail de Cristian Pineda réside vraisemblablement dans le potentiel de solutions concrètes que présente son travail face à la crise humaine migratoire. En effet, ses œuvres permettent la création d’une mémoire collective, faisant de son art un sanctuaire migratoire et un témoignage de l’identité des acteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascale Naveau a reçu des financements de la bourse Marie Curie, du Programme des Nations Unies pour le Développement et de l'Agence des Nations Unies pour les Réfugiés</span></em></p>« L’Exode de l’humanité » est une exposition dont l’objectif est de permettre aux spectateurs de se détacher de l’image négative associée aux migrants.Pascale Naveau, Docteure en sociologie à l'Université de Louvain, chercheuse associée, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274742019-11-25T19:45:24Z2019-11-25T19:45:24ZPhilippe Grandrieux à Hongkong, ou quand l’art nous parle de la violence du monde<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/303433/original/file-20191125-74588-167qtr5.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1072&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image extraite du projet « The Scream », de Philippe Grandrieux. </span> </figcaption></figure><p>Le samedi 28 septembre 2019, des manifestants se sont rassemblés à Harcourt Road près du complexe du gouvernement central de Hongkong pour marquer le cinquième anniversaire du Mouvement des parapluies, cette série de manifestations pro-démocratie qui ont immobilisé la ville pendant 79 jours en 2014.</p>
<p>Dans le contexte des événements survenus à Hongkong au cours des huit derniers mois, cette manifestation se présentait comme l’écho des événements qu’elle commémorait. Les manifestants ont été accueillis par des gaz lacrymogènes et des canons à eau, de même que ceux qui les ont précédés. Entre temps, de l’autre côté de l’île de Hongkong, à la Empty Gallery, se déroulait le vernissage d’une nouvelle installation vidéo multi-écrans de l’artiste et cinéaste français Philippe Grandrieux. L’exposition, intitulée « The Bare Life », remplit l’espace de la galerie. Au niveau inférieur, trois œuvres vidéo forment ensemble la trilogie « Unrest » et, au niveau supérieur, une nouvelle installation de 11 écrans intitulée « The Scream ».</p>
<p>À bien des égards, ces deux événements qui se déroulaient simultanément et à proximité immédiate n’auraient pu être plus éloignés l’un de l’autre. L’exposition de Grandrieux avait été commandée bien avant le début des manifestations. Son travail (à quelques exceptions près) évite tout engagement ou commentaire politique explicite, jamais plus peut-être que dans ces nouvelles œuvres.</p>
<p>Les longs métrages de fiction de Grandrieux (<em>Sombre</em> (1998), <em>La Vie nouvelle</em> (2002), <em>Un lac</em> (2008), <em>Malgré la nuit</em> (2015)) sont tous associés au mouvement cinématographique baptisé par des critiques anglophones tels que James Quandt ou Tim Palmer la <a href="https://www.artforum.com/print/200402/flesh-blood-sex-and-violence-in-recent-french-cinema-6199">« New French Extremity »</a> ou <a href="https://web.archive.org/web/20100602235125/http://www.uncwil.edu/filmstudies/faculty/documents/PalmerJFVarticle.pdf">« le cinéma du corps »</a>. Ces termes font référence aux films d’un groupe de réalisateurs qui cherchent à engager le spectateur sur un plan affectif, décrivant des corps dans des situations extrêmes, à la fois sexuelles et violentes, repoussant les limites de ce qui peut être représenté à l’écran et, surtout chez Grandrieux, de la logique narrative.</p>
<p>Une approche similaire se retrouve dans les documentaires de Grandrieux, <em>Retour à Sarajevo</em> (1996) et <em>Il se peut que la beauté ait renforcé notre résolution – Masao Adachi</em> (2011). Malgré leur contenu ostensiblement politique, ces œuvres s’affairent principalement à capturer les interactions de corps dans et avec l’espace qui les entoure.</p>
<h2>Des œuvres qui résonnent avec le contexte local</h2>
<p>Cette méthodologie se voit poussée à l’extrême dans les œuvres présentées à Hongkong, toutes issues d’un intense processus de collaboration entre Grandrieux et des danseurs. Ce travail finit par produire des études abstraites de corps en mouvement, des œuvres dénudées de tout récit, contexte historique ou géopolitique. Et pourtant, d’une manière ou d’une autre, ces œuvres entrent en résonance avec les événements actuels (nés d’une constellation très particulière de contextes historiques et géopolitiques) dans la région administrative spéciale où elles sont exposées. Elles nous aident à comprendre pourquoi, dans des moments pareils, nous avons besoin de l’art plus que jamais.</p>
<p>Prétendre que l’œuvre de Grandrieux ne s’intéresse pas à la politique peut paraître étrange compte tenu du titre de cette exposition qui fait référence aux travaux du philosophe politique italien Giorgio Agamben. Pour Agamben, le concept de « vie nue » s’applique à des situations politiques extrêmes lorsqu’un état d’exception <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/homo-sacer-le-pouvoir-souverain-et-la-vie-nue-giorgio-agamben/9782020256452*">devient la règle</a>. Dans de telles situations – on pense aux camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale ou à Guantánamo Bay – les contraintes juridico-politiques auxquelles les pouvoirs en place sont obligés de se conformer ne sont plus applicables. Tout être humain perçu comme une menace pour la sécurité peut être dépouillé de ses droits humains et de toute agence, réduit à une forme de « vie nue » qui existe désormais en dehors des cadres sociaux, moraux, éthiques et judiciaires qui nous habilitent et nous protègent.</p>
<h2>S’engager vers ce qu’on ne peut comprendre</h2>
<p>S’il est facile de voir en quoi la perte des droits de l’homme au cœur du concept d’Agamben résonne avec les peurs qui alimentent actuellement les manifestations de Hongkong, ce concept est mis en œuvre de manière différente chez Grandrieux. Pour lui, le terme d’Agamben sert à conceptualiser une forme de vie primordiale qui nous relie à un mode d’être présocial, à une manière d’être dans le monde qui n’est pas gouvernée par les mœurs sociales et les normes sociétales. Domine alors la sensation, par un lien direct et incarné au monde qui nous entoure – tel le nouveau-né aveuglé par une vague de stimuli visuels qui réagit en criant, façon de se connecter à son nouvel environnement et d’entamer la respiration. C’est ici, dans cette tentative de créer un rapport différent au monde, que l’on trouve un message politique implicite. Effectivement, en contournant la compréhension et en privilégiant la sensation, ces œuvres nous offrent un espace pour s’engager dans ce que nous ne pouvons pas comprendre.</p>
<p>Avec « The Scream », le désir de Grandrieux de figurer une relation au monde pure et instinctive qui échappe à la compréhension atteint son apogée. Une série de vignettes est présentée au spectateur. Chacune d’elles révèle une silhouette féminine nue et solitaire dans une grotte sombre ou un espace qui ressemble à une cave. Ces corps hurlent, rient, bourdonnent, chantent, halètent, respirent, pulsent, tremblent, se soulèvent, se débattent, se rebiffent, se torturent, se contractent, s’étirent, se tordent, convulsent, grognent, gémissent, hyperventilent, spasment, secouent, frottent, giflent, glissent, griffent, frappent, tanguent, chuchotent, crient, crient, crient.</p>
<p>Comme le note <a href="http://www.screeningthepast.com/2017/12/the-affective-force-of-the-scream-in-the-cinema-of-philippe-grandrieux/">Michel Rubin</a>, il existe dans cette œuvre des repères culturels évidents : Edvard Munch, Antonin Artaud et les personnages distordus des tableaux de Francis Bacon. Et pourtant, dans le contexte actuel, comment ne pas y trouver également un renvoi au flux quotidien d’images diffusées depuis Hongkong montrant des corps battus, frappés, fusillés, jetés à la terre, menottés, battus, de citoyens qui hurlent, protestent, pleurent et crient ?</p>
<p>La forme même de l’œuvre de Grandrieux renforce ce lien, car si nos réseaux sociaux sont remplis d’un défilé d’images et de vidéos de nombreux événements du même genre, filmés à partir d’un nombre apparemment infini de perspectives différentes, « The Scream » projette les mêmes images sur onze écrans (de 2 mètres par 1,12 mètre et présentés en format vertical) avec un délai de deux secondes entre chacun d’eux.</p>
<p>L’effet se rapproche du canon, cette forme musicale où différentes voix ou instruments jouent la même musique de manière différée. Il en résulte une confusion des identités car les relations harmoniques entre les voix individuelles les unissent selon un ordre supérieur et rendent difficile la localisation d’une seule voix.</p>
<h2>Vers un art qui nous éveille</h2>
<p>Si « The Scream » de Grandrieux peut nous parler des violences à Hongkong qui ne cessent de croître, elle semble aussi faire écho au mouvement du « million de cris » né à Hongkong le 19 août 2019, à travers sa forme polyphonique. Ce mouvement, qui fait penser à une scène célèbre du film de Sidney Lumet <em>Network</em> (1976), est un événement qui se déroule chaque soir à 22 heures qui permet aux citoyens de Hongkong de retrouver une forme de solidarité anonyme en criant des slogans politiques des fenêtres des bâtiments où ils habitent, le mixage des voix dans le noir leur permettant <a href="https://www.hongkongfp.com/2019/09/06/million-scream-every-night-10pm-hong-kong-protesters-belt-frustrations/">d’exprimer leur colère tout en dissimulant leur identité</a>.</p>
<p>Dans cette œuvre, cependant, ce ne sont pas des voix différentes qui se font écho, mais la même voix, le même corps. Le sujet que nous voyons perd son unicité, reproduit en une série potentiellement infinie de moments différents. On serait tenté d’y voir un renvoi à la situation de ces citoyens arrêtés par la police à Hongkong qui, de peur de perdre leur identité, crient à haute voix le numéro de leur carte d’identité. Cependant il est important de rappeler que l’œuvre de Grandrieux ne parle pas de façon aussi directe de la situation à Hongkong ; si elle peut nous en parler c’est seulement parce que l’art nous permet de réfléchir à notre propre situation, même s’il provient et parle d’un temps et d’un lieu très différents.</p>
<p>Les médias contemporains nous plongent dans un présent fugace et évanescent, tandis que l’œuvre de Grandrieux, en rejetant ce type de relation à l’image, forge une esthétique qui nous éveille et rend impossible toute sublimation.</p>
<p>Chez Grandrieux, la violence exprimée nous oblige à affronter notre humanité universelle, à comprendre notre lien les uns avec les autres dans l’espace et dans le temps. Les formes artistiques ne sont pas des récipients vides conçus uniquement pour nous transmettre un contenu fixe, mais des expressions qui cherchent à forger des relations, à nous faire sentir la douleur, l’amour, le chagrin, la colère, la rage, la joie, la peur, l’espoir, le désespoir et la souffrance d’autrui comme s’il s’agissait de la nôtre et ainsi à nous pousser à l’acte quand nous voyons qu’il faut agir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127474/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Greg Hainge FAHA ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La nouvelle œuvre de Philippe Grandrieux, installée à Hongkong, nous permet de saisir les événements qui s’y déroulent différemment et nous met en contact avec notre humanité universelle.Greg Hainge FAHA, Professor of French, The University of QueenslandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1263742019-11-04T15:31:39Z2019-11-04T15:31:39ZShanghai, nouvelle vitrine internationale de l’art<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/301262/original/file-20191112-178525-rnrmcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=18%2C0%2C4007%2C3017&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au tout nouveau Centre Pompidou de Shanghai, en novembre 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Anne Gombault</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« En l’espace de quelques années, Shanghai est devenue la capitale chinoise du design et de l’art contemporain », estime Jérôme Sans, cofondateur du Palais de Tokyo, directeur d’une des plus anciennes institutions artistiques privées en Chine, l’Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) à Pékin, de 2008 à 2012, et commissaire de la prochaine exposition de la Fondation Prada à Shanghai, qui débute le 6 novembre. « Cette première semaine de novembre 2019, historique, plus grand événement dédié à l’art contemporain dans l’histoire de la Chine, incarne cette nouvelle position », explique-t-il.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=610&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=610&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=610&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=766&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=766&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301272/original/file-20191112-178525-101mpmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=766&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Exposition Anish Kapoour au CAFA Art Museum.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anne Gombault</span></span>
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<p>L’évènement va réunir les deux principales foires chinoises d’art contemporain Art 21 et <a href="http://researchonline.rca.ac.uk/4025/1/VictoriaWalsh--CREATINGANDSUSTAININGVALUEINTHESHANGHAIARTSECOLOGY.pdf">Westbund Art and Design Fair</a>, respectivement installées dans le centre de la ville et dans le West Bund, avec plus de 200 galeries du monde entier, une première en Chine, le premier salon de design d’édition limitée, Unique Design Shanghai, et tous les principaux musées de la ville. C’est notamment pour cette raison que le Centre Pompidou Shanghai sera inauguré à cette période, jouant un rôle d’amplificateur et d’accélérateur de ce nouveau rayonnement artistique de la ville.</p>
<h2>Le réveil artistique de Shanghai face à Pékin</h2>
<p>La rivalité entre Pékin et Shanghai fait long feu. À chaque fois que Shanghai s’est trop développée, Pékin l’a un peu refroidie ou ralentie. Pékin demeure l’incontestable capitale culturelle institutionnelle, mêlant habilement patrimoine culturel national et industries créatives.</p>
<p>On y trouve la Cité interdite qui est autant un musée qu’un monument, le National Museum of China (NAMOC) et la prestigieuse Central Academy of Fine Arts (CAFA) qui abrite en son sein un musée. Surtout, Pékin a eu l’intelligence de dédier dans les années 2000 une friche industrielle à l’art contemporain avec le quartier <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1468-2427.12748?casa_token=CMdRslv498UAAAAA%3AAMdkQ5RZvPTh4fxQpKD6pFeRZivQ8ibq51JWOAfWp4Ig6sMLNd6RmKkkt_IvJ4TYbJJdDCVs0KXRVA6E">798</a> et d’y attirer des acteurs majeurs du monde de l’art international comme Saatchi Gallery et UCCA. D’autres quartiers abritent <a href="https://www.wallpaper.com/art/beijing-art-scene">l’avant-garde</a>, les créateurs et artistes continuant d’habiter et de créer dans la capitale. Pékin est un peu le New York chinois, la « old-new capital », même s’il y a moins de lieux institutionnels d’expositions.</p>
<h2>La création du cluster de West Bund</h2>
<p>En face, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/9781118568446.eurs0285">Shanghai la cosmopolite</a> a plutôt négligé son influence culturelle au profit de son développement économique, financier et commercial. Elle se réveille en 2005 quand le gouvernement municipal de Shanghai adopte une <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315726052/chapters/10.4324/9781315726052-9">stratégie</a> centrée sur les <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315726052/chapters/10.4324/9781315726052-9">industries créatives</a>, explicitement inspirée, via Hong Kong, du modèle britannique. Elle cherche à renouer avec son rôle historique d’agent de modernisation en Chine, veut devenir une plate-forme <a href="https://books.google.hr/books?hl=en&lr=&id=rbirDwAAQBAJ&oi=fnd&pg=PT6&dq=exposition+universalle+shanghai+westbund&ots=3F6ahkFFDn&sig=cJcXL1e4tBz5IUEDAPkDeDVVjRM&redir_esc=y">d’innovation culturelle</a> et toucher les marchés étrangers.</p>
<p>La fin de l’exposition universelle en 2010 marque un tournant. Le pavillon chinois accueille le musée d’art moderne de Shanghai, qui déménage de People’s Square à Pudong, en face de West Bund. L’ancien pavillon français 2010 devient le Minsheng Museum et le Pavillon du futur est transformé en Power Station of Art, musée public dédié à l’art contemporain. En 2013, le gouvernement du district de Xihui lance une nouvelle initiative de réaménagement urbain autour du West Bund et planifie la transformation des anciens sites aéroportuaires et industriels abandonnés le long de la rivière Huangpu en de nouveaux espaces culturels et verts. Il s’agit de faire du West Bund le nouveau hub de l’art qui accueillera des musées et des galeries. C’est avant tout un projet immobilier, de génération d’un <a href="https://books.google.fr/books?id=mk_FBQAAQBAJ&printsec=frontcover&dq=keane+2011+cluster+shanghai&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwj92IyBlM7lAhVKRBoKHRLRDyoQ6AEIMTAB">cluster créatif</a> à partir d’espaces en friche par un promoteur public, filiale du gouvernement de Shanghai.</p>
<p>Inscrit dans le programme de planification de Shanghai à l’horizon 2035, le West Bund axe son développement sur la « culture, l’écologie et l’innovation technologique », en déployant ces industries : « Culture et Média, Technologie et Finance ». Cette inscription de l’art dans un périmètre plus large de la ville indique aussi une maturation de l’écologie culturelle de la ville, inscrivant pleinement le monde artistique dans la ville, alors que les premiers quartiers artistiques <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877916614000472">comme le M50</a> les en isolaient.</p>
<p>La <a href="https://academiccommons.columbia.edu/doi/10.7916/d8-etbb-3372">gouvernance du West Bund</a> initie aussi un développement urbain plus durable et collaboratif que les pratiques précédentes, impliquant plusieurs parties prenantes, autorités du district, promoteurs, investisseurs, professionnels de l’art, médias. Le West Bund se développe en attirant deux importants collectionneurs privés : en 2014, Liu Liqian et son épouse avec le Long Museum West Bund, une annexe du Long Museum qu’ils ont fondé en 2012, puis le collectionneur et philanthrope sino-indonésien Budi Tek avec le Yuz Museum en 2015, construit sur l’ancien site du hangar à aéronefs de l’ancien aéroport de Long Hua.</p>
<p>C’est dans un double logique d’aménagement du territoire et de prise de conscience des enjeux de l’art en Chine que Shanghai se positionne alors pour rattraper son retard. Les décisions sont drastiques : déplacement de musées publics du centre à la périphérie, implantation de grands musées privés, incitation des galeries du M50 (Moganshan Lu) à aller s’installer dans les préfigurations du WestBund, grandes foires d’art avec la West Bund Art Design née en 2014, attraction de marques culturelles connues à la réputation internationale comme le Centre Pompidou, ouverture du Shanghai Center of Photography (SCOP), puis en mars 2019 de l’étonnant <a href="https://www.fastcompany.com/90341401/this-gorgeous-museum-is-made-from-old-jet-fuel-tanks">Tank Museum</a> du collectionneur d’art contemporain Qiao Zhibing.</p>
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<span class="caption">Le Tank museum, à Shanghai.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anne Gombault</span></span>
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<h2>Pompidou Shanghai : une marque culturelle internationale pour la valorisation de la ville</h2>
<p>Dans cette logique d’aménagement du West Bund, des stratégies de coopération ont été mises en place d’une part avec <a href="https://www.westkowloon.hk/en/the-authority/newsroom/75th-board-meeting-of-the-west-kowloon-cultural-district-authority-held-today">West Kowloon Cultural District</a> de Hong Kong et d’autre part avec le Centre Pompidou de Paris dans un projet de coopération culturelle. Les objectifs sont convergents pour les différentes parties prenantes chinoises : donner une dimension globale au West Bund en faisant venir une institution culturelle internationale de marque prestigieuse, valoriser le terrain et la construction à venir de trois immeubles abritant bureaux appartements et centre commerciaux, avec vue sur le musée. Comme le montre la <a href="https://www.parismatch.com/Culture/Art/Le-centre-Pompidou-a-40-ans-Son-ADN-c-est-la-thematique-1175552">vision</a> de Serge Lasvignes, son président actuel, les <a href="https://www.lesechos.fr/2017/07/premiere-etape-vers-un-centre-pompidou-a-shanghai-174836">objectifs</a>, pour le centre Pompidou, sont de s’implanter en Asie et en Chine, d’enrichir ses collections en découvrant de nouveaux artistes, de toucher un <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/chine-le-centre-pompidou-inaugure-son-antenne-a-shanghai-en-quete-d-un-nouveau-public-et-de-nouvelles-sources-de-financement_3685947.html">nouveau public</a>, de valoriser son ingénierie culturelle et sa marque, de développer des recettes à l’international.</p>
<p>Le Centre Georges Pompidou rêvait depuis longtemps d’une implantation en Asie puisqu’il projetait dès 2005, de s’installer à Hongkong en partenariat avec la fondation Guggenheim, ce qui n’a finalement pas abouti, pour lui préférer déjà l’<a href="http://www.theses.fr/2019TOU10007">ouverture d’une antenne</a> à Shanghai, pour la fin de l’année 2007, sans succès. Cela ne dissuada pas Centre Pompidou d’organiser une <a href="https://www.parismatch.com/Culture/Art/Beaubourg-a-la-conquete-de-Shanghai-160638">première grande exposition de prestige</a> à la Power Station of Art en 2012. Finalement c’est bien à Shanghai en 2019 qu’il implante un établissement, à la suite des antennes de <a href="http://www.theses.fr/2019TOU10007">Malaga</a> et de Bruxelles. Le premier contrat est signé pour 5 ans, renouvelables. Toutefois, la Chine – consciente de sa puissance et constatant qu’elle est convoitée par les grandes institutions culturelles occidentales – n’offre pas la manne des États du <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/autopsie-du-musee/">Moyen-Orient</a>. Dès lors, si le Centre Pompidou sera rémunéré pour ses prestations à Shanghai (2.75 millions d’euros), comme en Espagne et en Belgique, les sommes évoquées pour la redevance de la marque (1,4 million par an) sont très loin de celles pratiquées par la fondation Guggenheim à Bilbao ou le <a href="https://theconversation.com/le-louvre-abu-dhabi-une-innovation-de-rupture-sans-lendemain-87197">Louvre à Abou Dabi</a>.</p>
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<span class="caption">Le 7 novembre 2019, ouverture du West Bund Art Center au public</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anne Gombault</span></span>
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<h2>D’autres musées internationaux et d’autres clusters</h2>
<p>Par sa variété et son dynamisme, l’offre culturelle et artistique de Shanghai est dorénavant prolifique. « L’économie chinoise de l’art contemporain chinois repose sur la ville. Elle en est même la vitrine » analyse Jérome Sans. Ce n’est qu’un début, Lisson, Perrotin et Almine Rech, sont les dernières galeries internationales à avoir récemment choisi de s’y implanter. Le même jour que le Centre Pompidou, Le groupe Japonais TeamLab ouvre un grand espace numérique, le <a href="http://www.smartshanghai.com/articles/arts/japanese-art-group-teamlab-is-opening-a-crazy-huge-museum-in-shanghai-heres-a-preview">TeamLab Borderless Shanghai</a>, près du Power Station of Art. <a href="https://artdaily.cc/news/118009/LACMA-announces-landmark-collaboration-with-international-partners">Le LACMA</a> devient le partenaire du Yuz Museum. Et dans la même stratégie que West Bund, un deuxième cluster est en cours de développement, à Pudong. L’annexe du Shanghai Museum de People Square s’annonce deux fois plus grand que le Louvre pour exposer les œuvres des réserves. Un autre musée public, le Pudong Art Museum, construit par Jean Nouvel, et <a href="https://www.theartnewspaper.com/news/tate-will-send-its-collection-to-china-under-new-partnership-with-the-pudong-museum-of-art">partenaire de la Tate</a>, déploiera ses 130000 m<sup>2</sup> au pied de la Pearl de l’Orient. Par ce développement accéléré d’infrastructures et de projets, Shanghai devient ainsi une <a href="https://www.manchesterhive.com/view/9781526132611/9781526132611.xml">« global art city »</a>, renforçant sa mythologie historique <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/e/9781315163956/chapters/10.4324/9781315163956-16">« East-meets-West »</a>, même si elle doit travailler maintenant à <a href="https://www.researchgate.net/publication/288788874_Making_Shanghai_a_creative_city_Exploring_the_creative_cluster_strategy_from_a_Chinese_perspective">développer ses processus créatifs « softs »</a> pour devenir une véritable ville créative, à savoir les impacts sociaux de cette offre, l’émergence d’une « milieu créatif » en favorisant le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1877916613000702">bottom-up</a>, la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0042098011399593?casa_token=z4QQe4RflrkAAAAA%3AwUJLxPvzcreWb_NvgBQhtHqM_x1Io0iekDWwxcfiIbvoVNGAqf4BXHtzGQdXmraPjqO9RMgzPy8p5KI">stimulation de l’entrepreneuriat créatif</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=315&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300108/original/file-20191104-88409-105zacq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=396&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La Power Station of Art à Shanghai.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/pg/powerstationofart/photos/?ref=page_internal">Page Facebook de la Power Station</a></span>
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<h2>L’essor des musées français ailleurs en Chine</h2>
<p><a href="https://asialyst.com/fr/2018/04/09/chine-action-culturelle-francaise-offensive/">La diplomatie culturelle</a> française se déploie en Chine, au service de la culture française en particulier et des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/11/03/voyage-delicat-pour-macron-en-chine_6017839_823448.html">relations de la France avec la Chine</a> en général.</p>
<p>En octobre 2019, le <a href="https://www.artforum.com/news/musee-rodin-expands-to-shenzhen-china-80985">musée Rodin</a> de Paris a annoncé qu’il prévoyait d’ouvrir un avant-poste à Shenzhen, dans la province du Guangdong au sud de la Chine. </p>
<p>Cette première semaine de novembre, <a href="http://www.globaltimes.cn/content/1169163.shtml">le Musée national Picasso-Paris, la Fondation Giacometti</a> et le Beijing 798 Creative Industry Investment Co, Ltd ont signé un accord : les deux institutions françaises se voient confier la programmation exclusive de dix expositions majeures du musée pékinois. L’établissement est actuellement en cours de construction dans la zone culturelle du 798 à Pékin, aujourd’hui le deuxième site culturel le plus fréquenté en Chine. </p>
<p>Le Château de Versailles vient également d’annoncer une importante exposition en 2020 avec le musée du Palais à la Cité Interdite à l’occasion de son six-centièmeanniversaire. </p>
<p>A Shanghai ou ailleurs, quelque soient les formes de coopération, la France compte bien profiter de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/28/en-chine-un-appetit-grandissant-pour-l-art-occidental_5442527_3234.html">la demande croissante de la Chine pour l’art</a>, 3ème marché mondial derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni.</p>
<hr>
<p><em>Pierre-Yves Lochon est spécialiste de l’innovation culturelle en France et des musées en Chine, directeur de Sinapses Conseil. A ce titre, il a fortement contribué à la rédaction de cet article. Il est également intervenant dans le MSc Arts & Creative Industries Management de Kedge Business School, et travaille avec Anne Gombault sur le management des arts et du patrimoine en Chine.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126374/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Gombault est responsable pédagogique pour la partie française de l'Institut Franco-Chinois de Management des Arts créé par Central Academy of Fine Arts (CAFA) et Kedge Business School, en partenariat ave l'Université Paris-Sorbonne. Elle mène des travaux de recherche sur le management des arts et du patrimoine en Chine.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Tobelem ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En l'espace de quelques années, l'offre culturelle et artistique de Shanghai est devenue prolifique.Anne Gombault, Professeur de management, directrice du centre de recherche Industries créatives Culture, Kedge Business SchoolJean-Michel Tobelem, Professeur associé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1260502019-10-31T18:36:32Z2019-10-31T18:36:32ZDu texte à l’espace public : les arts littéraires dans la rue à Québec<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/299186/original/file-20191029-183116-9w01zp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2041%2C1508&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Littérature exposée et contre-narration : « Ceci n’est pas une pub »</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Depuis une vingtaine d’années, la création littéraire québécoise se distingue par la diffusion sur son territoire des arts littéraires. Ainsi apparaissent des œuvres hybrides et souvent expérimentales, qui recourent à de multiples pratiques transdisciplinaires centrées sur une dimension performative ou spectaculaire, à partir d’un travail esthétique sur la langue et d’une écriture qui combine les supports.</p>
<p>En cela, les arts littéraires sont proches d’une certaine tendance de la littérature contemporaine française qualifiée « hors du livre » <a href="https://www.cairn.info/revue-litterature-2010-4.htm">par certains chercheurs</a> (Olivia Rosenthal, Lionel Ruffel).</p>
<p>De manière plus générale, cette tendance s’inscrit dans le « tournant performatif » touchant à la fois le champ artistique et celui des sciences humaines et sociales (<a href="https://www.researchgate.net/publication/248991019_Performing_History_The_Importance_of_Occasions">Peter Burke</a>, <a href="https://trove.nla.gov.au/work/8187415?q&versionId=46260717">Elizabeth Bell</a>).</p>
<p>Les arts littéraires croisent les champs, transgressent les frontières artistiques et s’actualisent ainsi sous des formes variées. Poésie sonore, œuvres vidéo et numériques, lectures musicales, installations, performances participatives et expositions sont au rendez-vous. La littérature quitte le support livresque pour investir l’espace public : de nombreuses créations littéraires infiltrent l’espace de la rue, les façades d’immeubles, les trottoirs, tout en posant aussi la question des « faire avec l’espace » qui <a href="https://www.persee.fr/doc/tigr_0048-7163_2007_num_33_129_1527">rejoint certains enjeux de l’art contemporain</a> (Anne Volvey).</p>
<h2>Un festival-laboratoire</h2>
<p>Le festival « Québec en toutes lettres » s’impose depuis 2010 comme un laboratoire d’expérimentation novateur qui s’emploie à soutenir et à rendre visibles les arts littéraires dans leur diversité, comme le dispositif « Œuvres de chair » (2012) offrant au public un étonnant speed dating littéraire sous la forme d’un rendez-vous clandestin avec un écrivain dans l’intimité d’une chambre d’hôtel de la ville aménagée par l’auteur ou encore les « commandos poétiques » (2018) <a href="https://www.les-souffleurs.fr/pages-cach%C3%A9es/page-canada-2018/">du collectif les Souffleurs</a> qui chuchotent à l’oreille des passants des poèmes et brandissent au sommet des toits des écriteaux-poèmes afin de désenclaver la littérature.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=336&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299187/original/file-20191029-183147-k53rkd.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=422&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’affiche du festival.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>À l’occasion de son 10<sup>e</sup> anniversaire, le festival a lancé dans la ville une offensive littéraire axée sur la performance avec l’instauration d’une ambitieuse brigade de 40 créateurs investissant les rues et identifiables dans l’espace public grâce à leurs dossards orange, porte-voix et insignes. L’enjeu est d’infuser le terrain et de propager la littérature selon différentes formes (poèmes, contes, micro-récits, fragments, slams) en allant par équipe de 3 artistes au contact des passants dans quatre quartiers de la ville.</p>
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<p>Privilégiant le corporel, l’instantané et l’improvisation, cette littérature performée prend appui sur un enjeu physique et s’efforce d’effacer les frontières entre le privé et le public, mais aussi entre la vie quotidienne et la littérature.</p>
<p>Le livre n’est envisagé que comme un relais, sorte de partition pour la performance à venir. Il s’agit en effet d’une démarche interactive visant à aborder le public en lui proposant une courte lecture capable le temps d’un instant de le transporter dans un autre univers. Cette interpellation du public engendre des réactions diverses. Si certains refusent ou mettent en place des stratégies d’évitement, d’autres participent activement et prennent part à ce moment d’échange, dans l’interaction, en récitant en retour un texte aimé ou un poème de leur propre création parfois. À travers cette dynamique de partage et approche performative, les arts littéraires génèrent à la fois une expérience artistique, esthétique et culturelle éphémère et extraordinaire.</p>
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<span class="caption">Littérature exposée et contre-narration : « Ceci n’est pas une pub »</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Détourner les valeurs marchandes et publicitaires</h2>
<p>Se saisissant de manière ludique de la critique du développement du capitalisme hyperindustriel et du consumérisme outrancier analysé notamment par l’écrivain et philosophe Bernard Stiegler, (<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2004/06/STIEGLER/11261">« Le désir asphyxié, ou comment l’industrie culturelle détruit l’individu »</a>, Le Monde diplomatique, juin 2004), le festival opère cette année un détournement des valeurs marchandes et publicitaires au profit d’un message désintéressé visant à démocratiser la littérature et à réfléchir sur la fabrication artificielle de nos désirs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299195/original/file-20191029-183136-1qrobqg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans les vitrines du quartier Saint-Roch.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’événement intitulé « Ceci n’est pas une pub », mené en partenariat avec les libraires indépendants de Québec et les commerçants, invite actuellement le public à suivre une création dispersée dans plusieurs quartiers de la ville (Faubourg Saint-Jean, Montcalm, Saint-Roch et Vieux-Québec). Cette littérature exposée et fugace cherche à bousculer le quotidien des passants et à détourner les supports communicationnels habituels au sein de l’espace public durant quelques jours.</p>
<p>Ainsi, dans cet espace symbolique, correspondant selon Jürgen Habermas à l’expression d’un <a href="http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/espace-public/">« intérêt général partagé »</a>, se déploient des fragments poétiques inédits produits à cette occasion par 40 auteurs sur des banderoles géantes dans les rues, des graffitis poétiques à la craie sur les trottoirs, des affiches dans les vitrines de magasins, des ardoises dans les restaurants, des expositions extérieures de bandes dessinées sur présentoirs et de poèmes sur les grilles des jardins.</p>
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<span class="caption">Les textes investissent les grilles du cimetière St Matthew.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les œuvres ne sont pas conçues comme des objets mais plutôt comme une dynamique et un principe de prolifération. L’installation sonore s’infiltre aussi sur le territoire urbain grâce à la mise en place d’une dizaine de capsules audio diffusant les poèmes créés pour l’occasion au détour des rues (boîte aux lettres vocale), des librairies (bornes interactives) et des ascenseurs.</p>
<p>Cette littérature exposée se joue des usages instrumentaux de la narration soumise habituellement à des fins de stratégie communicationnelle et commerciale, afin d’activer un art de conter transmédial qui s’inscrit dans une visée esthétique interrogeant le citoyen, en écho avec la thématique porté par le festival sur les enjeux actuels liés à l’avenir de la vie sur Terre, les liens avec les territoires et la sauvegarde de la beauté du monde.</p>
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<span class="caption">La brigade poétique en action.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Renaud Philippe</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Culture expérentielle et médiations in situ</h2>
<p>Outre l’inscription territoriale, la manifestation « Ceci n’est pas une pub » intègre une « promenade accompagnée » par le biais d’une cartographie, sous la forme de cartels, signalant les rues de Québec investies. Dans une perspective dialogique et hybride, cette médiation culturelle in situ portant sur les arts littéraires met en jeu une pluralité d’acteurs et de lieux, tout en cherchant à renouveler les rapports entre l’individu et la littérature.</p>
<p>Partant de la Maison de la littérature, la déambulation menée sous la conduite d’un médiateur comprend quatre stations (rue St Jean, place d’Youville, jardin St Matthew, rue St Joseph) qui permettent de contextualiser le projet littéraire et la démarche, tout en lisant les créations exposées ou en activant les bornes des poèmes sonores. Cette expérience singulière et immersive, établie grâce à cette relation entre le sujet et l’œuvre exposée, invite les participants à se décentrer afin de s’immerger dans la poésie et d’expérimenter les émotions qui en découlent. Mais quel bilan au final du côté du public ?</p>
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<span class="caption">Dans un ascenseur, un poème sonore.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Un public enthousiasmé</h2>
<p>Sur la quarantaine de personnes représentant un panel particulièrement hétérogène (genre, âge, profils professionnels…) et ayant assisté à cette « promenade accompagnée », nous avons pu, lors d’entretiens menés au cours de la déambulation, saisir l’intérêt de cette médiatisation des arts littéraires dans ce format spécifique. En effet, plusieurs participants ont souligné leur goût pour « une activité culturelle moins habituelle que les lectures musicales ou conférences d’auteurs durant les festivals », un « renouvellement du rapport à la littérature grâce à la promenade ». </p>
<p>D’autres ont insisté sur la possibilité offerte de vivre la poésie « comme une pratique collective encadrée permettant de mieux comprendre les œuvres, en étant guidé » et aussi « une pratique qui relie aux autres », « un moyen de partager ses émotions » face aux œuvres. Enfin pour certains : « un attrait pour les arts littéraires », « une façon de lutter contre les stéréotypes sur la poésie comme genre inaccessible », « un moyen de rendre accessible la culture ». Au final, un objectif de taille semble avoir été atteint à travers cette publicisation des arts littéraires, celui de démocratiser la littérature contemporaine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299194/original/file-20191029-183142-meq4w9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pour la suite du monde… un poème de Normand Baillargeon.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/126050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Bisenius-Penin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le festival « Québec en toutes lettres » s’impose depuis 2010 comme un laboratoire d’expérimentation novateur.Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1132812019-05-07T13:05:49Z2019-05-07T13:05:49ZBerlinde de Bruyckere, ou les métamorphoses de la matière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/273080/original/file-20190507-103057-u1xxm8.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C890%2C587&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Berlinde De Bruyckere, Criplewood, 2012-2013</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/slashparis/photos/pcb.1017344291643565/1017323268312334/?type=3&theater">Compte Facebook de Slash Paris</a></span></figcaption></figure><p>Son nom, prononcé à la flamande en roulant les « r », évoque des carcasses d’animaux qui n ‘en sont pas : c'est <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/078894-003-A/femmes-artistes-berlinde-de-bruyckere/">Berlinde de Bruyckere</a>. L’artiste sculpte des corps, ni homme ni bêtes, comme pendus à des crocs de boucher imaginaires ; la peinture violente et organique de Francis Bacon n’est pas loin. La matière employée pour ces sculptures est énigmatique : cuir, époxy, cire, graisse ? On n’arrive pas à le savoir, et au fond, c’est sans importance. Ce qui se joue, c’est l’effet produit par ce mélange de matières.</p>
<p>Car ces étranges sculptures monumentales se transforment en images mentales indélébiles qui questionnent l’anthropomorphisme, le mystère d’une transformation et le drame de la souffrance et de la décomposition des corps ; elles interrogent notre humanité. Si les sculptures d’un artiste comme Ron Mueck montrent bien le vieillissement et la déformation des corps, l’exaspération des tailles, le fripé d’un nouveau-né, Berlinde de Bruyckere s’interroge plutôt sur les métamorphoses, c’est-à-dire la transformation des formes, la chenille devenue papillon, le sang de l’amant d’Apollon, Hyacinthe devenu fleur de lys. Elle pense aux <em>Métamorphoses</em> d’Ovide lorsque, d’entrée de jeu, le poète écrit : « je veux dire l’histoire et les métamorphoses des formes et des corps ».</p>
<p>A Mechelen, se tient actuellement une exposition personnelle de l’artiste flamande. Mechelen dominait l’Europe <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tZUWyIBnEBc">au temps de Marguerite d’Autriche</a> ; fille de l’empereur Maximilien d’Autriche, tante de Charles-Quint, elle régna sur les Pays-Bas bourguignons pendant plus de vingt ans. De ce pouvoir exercé au XVIe siècle subsiste la puissance symbolique de son palais, entouré de quelques demeures seigneuriales.</p>
<p>C’est dans dans la maison de l’humaniste Jérôme de Busleyden que Berlinde de Bruyckere dialogue avec des retables appelés « jardins clos », œuvres des religieuses du XVIe siècle. Tout comme dans le pavillon belge où l’artiste exposait à la biennale de Venise un corps/tronc d’arbre à peine visible, le visiteur a l’impression de rentrer dans l’histoire où d’ailleurs nous aurions pu rencontrer l’humaniste de la Renaissance <a href="https://goo.gl/images/AUewCj">Thomas More</a>, l’ami du propriétaire des lieux, et auteur d’<a href="https://www.lhistoire.fr/classique/%C2%AB-lutopie-%C2%BB-de-thomas-more"><em>Utopie</em></a>.</p>
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<p>En nous plongeant dans la pénombre, l’artiste nous demande d’interroger le lien entre le patient travail de ces religieuses anonymes du XVIe siècle et son propre travail sur les métamorphoses. C’est en résonance avec ces paradis miniatures visibles dans de petites vitrines que Berlinde de Bruyckere imagine des formes qui pourraient ressembler à des fleurs de lys mais qui n’en sont pas. Revenons à Ovide : « une fleur apparut, qui eut semblé de lys, s’il n ‘était pas argenté, elle de vermillon vif »…</p>
<p>Sachant que ces petits retables sont l’œuvre de sœurs de l’ordre hospitalier, un bref retour historique s’impose. Les Sœurs augustines soignaient les malades et les pélerins ; ce sont des religieuses à demeure qui vivent dans un hospice de la ville sous le contrôle de l’archevêque de Malines. Ces retables restaurés du XVIe ont pu être sauvés grâce à la ruse des religieuses ; en effet pendant les guerres de religions, elles les avaient rangés dans les salles réservées aux malades de la peste, un lieu que les iconoclastes n’osaient pénétrer.</p>
<p>C’est cette résonance entre deux mondes qui fait toute la force de cette exposition ; un monde contenu, serré, épinglant minutieusement, pendant des heures et des heures, les mini-reliques, les objets des scènes de la vie quotidienne mais aussi les écureuils, les oiseaux les fruits et les fleurs ; un monde qui exprime la fragilité mais aussi un idéal, une utopie de la vie bonne.</p>
<p>A ce monde résonne celui de l’artiste, un monde qui exprime aussi la souffrance et la fragilité mais d’une toute autre manière. Les matériaux utilisés d’abord sont différents. Ce n’est plus de la soie ni du papier, ni de la terre, ni du bois, ni des perles, ni du verre qui sont utilisés mais des peaux de vache encore chaude provenant de l’abattoir pour mieux les mouler dans la cire, aussi des vielles couvertures abîmées par le temps et les éléments et utilisées comme pour rappeler au visiteur le <a href="https://goo.gl/images/ef1cXh">rôle protecteur d’une couverture</a>, qui symbolise aussi une forme de vulnérabilité.</p>
<p>L’échelle est différente elle aussi, le passage de la miniature au monumental change le regard ; les fleurs fanées sont pendues de haut en bas comme des silhouettes à l’allure christique, des formes aux allures de moine à capuchons frôlent Zurbaran. Si les matériaux et les échelles diffèrent, le point commun reste la ferveur créatrice, d’expression religieuse ou non.</p>
<p>C’est dans la salle où sont exposés les dessins de fleurs en floraison et en déclin qui évoquent le sexe ou des dessins de sexe qui évoquent des fleurs en floraison ou en déclin que le travail de l’artiste est le plus ambivalent dans sa correspondance avec les œuvres des religieuses. Pour ces religieuses ayant fait vœu de chasteté et toutes entières dévouées à la souffrance de leurs malades, ce travail patient et obstiné peut se comprendre comme un refuge intime mais aussi comme l’expression de la souffrance et de leur créativité joyeuse annonçant le paradis. On peut l’interpréter aussi comme une forme de sublimation ou de mysticisme.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/273087/original/file-20190507-103057-1q19lnl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L'affiche de l'exposition.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée de Mechelen.</span></span>
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<p>Ces religieuses anonymes, tout comme cette artiste flamande, entretiennent un même rapport au monde : pour elles, le temps ne se compte pas, l’esprit de calcul n’a pas sa place, le travail de création engage le corps et l’esprit sans crainte du jugement ; l’engagement total dans l’art prend une dimension presque mystique. Loin des représentations comptables de nos vies intérieures, auxquelles trop souvent le monde moderne veut nous réduire. Repensons à Ovide : « Dieux, c’est votre œuvre aussi ; inspirez mon poème et guidez en le fil de l ‘aurore du monde au matin d’aujourd’hui ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Saussois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les sculptures de Berlinde de Bruyckère questionnent l’anthropomorphisme, le mystère d’une transformation et le drame de la souffrance et de la décomposition des corps.Jean-Michel Saussois, Professeur émérite HDR en sociologie, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1119842019-03-10T20:02:21Z2019-03-10T20:02:21ZQuand une chercheuse vit l’expérience « DAU » : conversation avec Isabelle Barbéris, spécialiste en arts de la scène<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/263039/original/file-20190310-86693-rnxubh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C2%2C773%2C446&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image d'un des films projetés. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/saison-2018-2019/temps-forts/dau">DAU</a></span></figcaption></figure><p><em>À l’origine du projet DAU se trouve un cinéaste : Ilya Khrzhanovsky. Ce réalisateur russe quadragénaire décide en 2009 de reconstituer un institut scientifique en Ukraine qui se veut identique à un institut de l’époque soviétique, et dans lequel le célèbre physicien <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/physique-doodle-google-honore-lev-landau-genial-prix-nobel-russe-14318/">Lev Landau</a> (DAU est un diminutif de son nom) a travaillé.</em></p>
<p><em>Il réunit dans ce lieu plusieurs centaines de personnes, comme autant d’acteurs ou de figurants, qui pourtant n’ont pas de texte et ne reçoivent pas de directives particulières. Ils doivent simplement vivre là, dans un environnement strict et régulé dans des conditions semblables à celles de l’époque soviétique, pour contribuer à rendre plus crédible cette fiction sur la vie de Landau qui est tournée comme une télé-réalité. On y paie en roubles, il n’y a évidemment pas de portables. Les participants peuvent partir quand ils le souhaitent, mais ils acceptent d’être filmés à tout moment. Chacun garde son métier d’origine. Il en résultera trois ans plus tard 700 heures de pellicule, 13 longs-métrages et une foule de documentaires.</em></p>
<p><em>Ces images ont été au cœur du dispositif DAU : elles étaient projetées, par séquences plus ou moins longues, en différents lieux des théâtres de la Ville et du Châtelet en travaux, à différents horaires. Mais DAU se voulait aussi une immersion dans une URSS reconstituée, fantasmée, mise en scène.</em></p>
<p><em>À Paris, l’expérience DAU a duré trois semaines, du 24 janvier au 17 février ; les lieux étaient accessibles 24h/24. On y entrait grâce à un visa fabriqué spécialement pour l’occasion et après avoir rempli un questionnaire psychométrique dont les réponses étaient censées guider votre visite.</em></p>
<p><em>Le dispositif relevait aussi bien du théâtre, de l’installation, du happening que de l’exposition d’art contemporain – sans parler du marketing monstre qui a accompagné l’événement. Cette expérience unique en son genre, déroutante et très controversée a fait couler beaucoup d’encre – notamment en raison des <a href="https://next.liberation.fr/theatre/2019/01/21/dau-montagne-russe-et-montage-louche_1704459">conditions de tournage des films et des sources de financement du projet</a>. Il s’agissait cependant d’un événement totalement inédit dans sa forme et dans ses intentions, et tandis que DAU a quitté Paris et s’apprête à investir un lieu londonien, The Conversation donne la parole à Joël Chevrier, professeur de physique à l’Université Grenoble Alpes et professeur en délégation à l’Université Paris Descartes (CRI Paris) qui a vécu l’expérience le 14 février dernier et accepté de nous la raconter.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation : Combien de temps avez-vous passé au sein du dispositif <em>DAU</em> ? Avez-vous visité plusieurs sites ? Êtes-vous rentrée et sorti plusieurs fois d’un même site ?</strong></p>
<p><strong>Isabelle Barbéris :</strong> Pour ma part, j’ai partagé mon temps (4h30) entre les deux sites en chantier (théâtres de la Ville et du Châtelet), j’ai déambulé successivement dans ces deux espaces – dont on fait assez vite le tour, mais au sein desquels il reste difficile de se repérer. L’effet de désorientation est sans doute en partie délibéré, mais il provient aussi de l’inachèvement du projet : en matière de « hasard organisé », l’histoire de la performance regorge d’exemples bien plus virtuoses et déroutants – et surtout plus organiques. Dans les entrailles de <em>DAU</em>, je me me suis prise à faire le parallèle avec <a href="https://www.jstor.org/stable/1125230?seq=1#page_scan_tab_contents"><em>EAT</em>, d’Allan Kaprow</a>, qui se déroulait dans une ancienne brasserie désaffectée du Bronx et plus récemment aux expériences « site specific » de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-6iFd2EuS5Y">Rimini Protokoll</a>, dont la facture apparaît bien plus élaborée, millimétrée – parfois trop. Finalement, <em>DAU</em> qui s’annonçait comme une traversée initiatique du totalitarisme, laisse beaucoup plus de liberté que nombre de performances désormais très pré-paramétrées. En miroir, et en décalage, cela peut aussi nous conduire à réfléchir sur le sens de ces performances de plus en plus calibrées.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8iCM-YIjyHE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>The Conversation : Avez-vous été déroutée et si oui, par quoi ?</strong></p>
<p><strong>I.B. :</strong> J’ai été déroutée par une forme d’amateurisme et de « customisation » : ainsi, le balisage des lieux avec des mots « chocs », qui vont mettre en avant un vice ou une passion (le ressentiment, la luxure, etc.) devient vite anecdotique car superficiel – parfois réduit au pur affichage – sans véritable travail cartographique. La passion « orgie » par exemple correspond… au bar, où l’on pouvait acheter du coca russe – hors de prix. Et l’étage « luxure » à un autre bar au décor constitué de VHS de films porno et d’une poupée gonflable. Cela relève bien plus de la customisation ou du marketing expérienciel que de l’expérience artistique. La salle « idéologie » qui m’intéressait de près étant donné mon sujet de recherche (notamment une habilitation à diriger les recherches sur « théâtre, démocratie et idéologies du réel », en 2018, dont certains résultats figurent <a href="https://www.puf.com/content/Lart_du_politiquement_correct">ici</a>) se présente comme une juxtaposition de cabines où le visiteur peut entrer en dialogue avec un membre de l’« Organisation ». J’ai passé mon tour car les questions me semblaient téléphonées, destinées à créer une pseudo-intimité très artificielle.</p>
<p>Toutes ces conversations sont ensuite consultables par n’importe quel visiteur à l’intérieur d’une base de données, mais les témoignages sont assez insignifiants, comme tout « micro-trottoir ». Le but était sans doute de produire une sorte de malaise à l’égard de la manipulation des données personnelles par une mystérieuse organisation russe. L’effet de paranoïa, qui semblait être recherché, ne fonctionne pas plus que la désorientation.</p>
<p>L’ensemble du territoire <em>DAU</em> est ensuite jalonné de ces petites cabines, qui délimitent un potentiel espace intime (mais en fait sous contrôle) dans le dispositif d’ensemble. Il y a aussi beaucoup de choses que l’on ne comprend pas, et qui ne semblent pas activées – de la signalétique, des entassements, des objets à teneur archéologique, etc. L’effet de « décor » m’a paru assez déplaisant sur le moment car en tant que spectatrice de théâtre et de performance, je suis habituée à ce que tous les signes forment un réseau continu de signification et soient activés, exploités dans le projet artistique.</p>
<p><strong>The Conversation : Quelle a été l’influence de votre « filtre » universitaire sur vos choix au sein du dispositif ?</strong></p>
<p><strong>I.B :</strong> Bien entendu, je suis une spectatrice par avance « blasée » qui repère d’emblée toutes les manies de l’art contemporain (l’immersion, l’effet paranoïaque, l’hyperréalisme, le documentaire et l’autorité du réel, le convivialisme)… Je nourrissais des attentes concernant le jeu de miroir entre art et pulsions totalitaires – une ambivalence que le nom du prestataire, « L’Organisation », laissait pressentir.</p>
<p>Dans mon HDR, j’émets l’hypothèse que l’artiste est en train de se transformer en « grand Organisateur » et en « Ingénieur du social » exerçant une sorte d’emprise sur le réel, ou se réclamant de son autorité. Cet élément est bien présent, mais il n’est pas pleinement formalisé. Avec la distance, je ne saurais dire si cette imperfection est délibérée (afin de laisser au spectateur une part de liberté) ou bien le résultat d’une sorte de naïveté, qui conduit <em>DAU</em> à ressembler à un dispositif de marketing sensoriel et kitsch.</p>
<p>Le résidu de familiarité qui persiste dans cet étrange dispositif vient en effet de l’effet marketing hypervisible, qui en dernier lieu apparaît comme le principal repère anthropologique interculturel – bref ce qui fait « lien » et demeure familier, c’est le signifiant mercantile !</p>
<p>Cette marchandisation de la mémoire est assumée avec une une forme d’agressivité : dans la boutique de <em>DAU</em>, le visiteur pouvait faire l’acquisition de toute une série de goodies kitsch et <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/allemagne-l-ostalgie-la-nostalgie-de-la-rda_2746267.html">« ostalgiques »</a> très onéreux : timbales en laiton, cahiers, besaces. Sur l’un des sites prenait place un atelier de sérigraphie où l’on pouvait, là encore, acheter des Tshirts ou des sacs siglés. Ce qui était assez déplaisant, mais peut fournir matière à réflexion.</p>
<p><strong>The Conversation : Quelle est votre analyse en fonction de votre connaissance des arts de la scène ? Quelles références vous viennent à l’esprit ? D’après vous, toutes les ruses destinées à mettre le visiteur « dans le bain » sont-elles utiles ? Efficaces ?</strong></p>
<p><strong>I.B. :</strong> <em>DAU</em> se présentait comme révolutionnaire, mais ce type d’ouverture, dans des lieux qui se transforment, le temps de l’expérience, en friche ou en atelier, et intègrent le public dans la co-production d’un évènement, est désormais très fréquente : on peut songer aux déambulations de Rimini Protokoll, à l’installation de l’<a href="https://www.palaisdetokyo.com/fr/evenement/flamme-eternelle">atelier de Thomas Hirschorn au Palais de Tokyo</a> ou bien à la récente carte blanche accordée à Tino Sehgal dans ce même lieu d’art contemporain.</p>
<p>On peut aussi songer à l’actuel projet de <a href="https://www.rtbf.be/culture/scene/theatre/detail_milo-rau-le-manifeste-de-gand-un-dogma-theatral-qui-fait-polemique-une-saison-riche-au-ntghent?id=9926322">Milo Rau à Gand</a>, qui s’inspire de l’hyperréalisme du <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/151/VINTERBERG/57082">Dogme95</a> rédigé par les cinéastes Lars von Trier et Thomas Vinterberg en 1995. De ce point de vue, il s’agit d’expériences plus abouties – certaines, comme celle de Sehgal, flirtant selon moi réellement avec le totalitarisme – du point de vue de la superposition entre réel et fiction, et du « contrôle » du spectateur.</p>
<p>Mais l'écho le plus fort s'inscrit en résonance avec <a href="https://www.jstor.org/stable/24267957?seq=1#page_scan_tab_contents"><em>Week-end à Yaïk</em></a> (1977), d’<a href="https://www.colline.fr/auteurs-et-metteurs-en-sc%C3%A8ne/andre-engel">André Engel</a>, un spectacle d'immersion conçu comme un voyage organisé dans des appartements de Berlin Est, à l'époque où les États staliniens organisaient vraiment des excursions pour les intellectuels et les artistes, un jeu hypperréaliste et mystifiant qu'Engel avait pensé sur le modèle des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Village_Potemkine">« villages Potemkine »</a> de la Grande Catherine. Bernard Sobel avait alors accusé Engel de faire de « l'anticommunisme primaire »…</p>
<p>Pour revenir à <em>DAU</em>, la promesse de départ est donc assez trompeuse pour un spectateur qui a l’habitude de manipulations hautement plus perverses ! Le questionnaire assez intime que l’on doit remplir au moment de la demande de « visa » par exemple, n’est à ma connaissance pas activé. C’est un peu gadget.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-un-chercheur-vit-lexperience-dau-conversation-avec-joel-chevrier-physicien-113059">Quand un chercheur vit l’expérience « DAU » : conversation avec Joël Chevrier, physicien</a>
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<p><strong>The Conversation :Quelles ont été vos deux ou trois expériences les plus « marquantes » ?</strong></p>
<p><strong>I.B :</strong> Le plus intéressant me semble relever de l’expérience strictement cinématographique, à savoir le <em>reenactment</em> filmé, via des caméras cachées (selon les informations qui nous sont données, mais évidemment redevables de doutes), de la vie d’un célèbre scientifique pendant la Guerre froide : comment continuer à penser et à inventer, sous un régime qui, précisément, bride par la surveillance et l’omniprésence de la représentation la formation même de la pensée, en obligeant en permanence quiconque à « jouer son propre rôle » – comme dans le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Am%C3%A9rique">Théâtre de la Nature d’Oklahoma</a> de Kafka ?</p>
<p><em>DAU</em> est à mon sens d’abord un dispositif et une œuvre cinématographiques – mais je n’ai pas pu voir suffisamment de séquences filmées pour me faire une idée d’ensemble. Toutefois, les extraits que j’ai visionnés durant mon passage étaient saisissants de réalisme, et très oppressants. À cet endroit, ils ont réussi à faire ressortir un monde englouti, et le terme de « visa » prend tout son sens : on bascule dans une autre dimension, complètement refoulée par le monde moderne.</p>
<p>À côté de la prouesse cinématographique, la partie performative (la reconstitution de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=A42KJouh_Bg">Kommounalkas</a> : des appartements russes, partagés, et habités, où le visiteur peut entrer, manipuler des objets, s’asseoir à la table d’un couple, etc.) n’est pas sans intérêt, introduisant de la « chair » dans l’illusion cinématographique.</p>
<p>Dans ces appartements-vitrines, on n’ose à peine s’approcher des « vrais Russes » (dont on ignore s’ils sont vrais, ou pas), comme s’il s’agissait de bibelots « sacrés », momifiés – par kitschisation dérangeante du vivant. On est aussi gêné par l’effet de zoo humain, qui nous est imposé sans aucune clé de fabrication. Cet hyperréalisme est propre à susciter un effet psychodramatique chez les gens qui ont vécu cette période, dont certains se disent d’ailleurs bouleversés. Ceux qui y ont échappé, comme c’est mon cas, ne peuvent qu’avoir une réception plus froide et réfléchir sur l’effet miroir que cette reconstitution produit sous nos yeux.</p>
<p><strong>The Conversation : Le dispositif immersif donne-t-il des clés de compréhension des films ? Et inversement ?</strong></p>
<p><strong>I.B :</strong> Ces liens existent sans doute, mais ils ne me sont pas apparus. L’architecture d’ensemble ne se fait pas jour, et les passages entre les différentes expériences ne sont pas fluides : <em>DAU</em> est en fait une sorte d’« hyper-œuvre » (plutôt que de méta-œuvre) : un contenant global, qui contient une multitude d’œuvres (plus ou moins gadgets), reliées par une thématique commune. Mais l’ensemble ne forme pas une œuvre organique.</p>
<p>L’entrée ressemble à un hall de gare avec un panneau lumineux indiquant les différents « rendez-vous » (films, conférences, concerts), pour lesquels le visiteur doit se présenter à l’heure (ce qui crée des temps d’attente et de désœuvrement assez pénibles). Comme dans n’importe quel parc d’attractions.</p>
<p>Les temps de fouille à l’entrée et à la sortie sont assez éprouvants, superposant là encore réel et fiction. Ce sont des protocoles auxquels on est désormais habitués, ce qui crée une étrange proximité entre notre monde, censé être « libre », et le monde reconstitué de <em>DAU</em>.</p>
<p><strong>The Conversation : Les films projetés ont-ils fait écho à d’autres expériences (cinéma, télévision, photo, web) ?</strong></p>
<p><strong>I.B. :</strong> La caméra cachée fait facilement penser à certains « teen-movies » qui jouent sur la présence d’une caméra clandestine, ce qui engendre bien sûr des effets très puissants. Le metteur en scène Heiner Goebbels a déjà exploité ce type d’effets dans <em>Eraritjaritjaka</em>, d’après Elias Canetti. Le « mouchard » est un procédé très courant désormais : la scène contemporaine raffole des effets hyperréalistes. Ce que j’appelle le « panréalisme ». Mais on peut aussi faire le lien avec la grande tradition russe du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_M%C3%A9thode_(th%C3%A9%C3%A2tre)">naturalisme stanislavskien</a>, qui repose sur la reconstitution à la fois matérielle et psychologique d’un milieu donné.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/136923407" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
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<p><strong>The Conversation : Quel sens revêt la « reconstitution » de l’ère soviétique dans deux théâtres du cœur de Paris en 2019 ?</strong></p>
<p><strong>I.B. :</strong> Plus qu’une reconstitution (hormis celle du film), j’ai surtout vu, sur les deux sites, la jeunesse branchée russe de 2019, ce qui n’était d’ailleurs pas sans intérêt ! Des hipsters très élégants, et très assortis à l’ambiance « indus ».</p>
<p><em>DAU</em> joue beaucoup du jet-lag historique, mais aussi culturel : c’est un geste qui veut donner à faire sentir une étrangeté à laquelle on est peu habitué, en manipulant nos fantasmes culturels – tout en tissant souterrainement un lien sur la base de l’expérience totalitaire, qui est une trame anthropologique commune à l’ensemble de l’humanité. Quelque chose qui nous angoisse tous à l’ère de la globalisation : l’expérience « immersive » ultime.</p>
<p>En voyant <em>DAU</em>, on prend conscience que la fameuse « ostalgie » des années 90 et 2000 a contribué à balayer et refouler le souvenir du totalitarisme soviétique. Nous vivons une époque où l’héritage de la gauche antitotalitaire est en déshérence. La piqûre de rappel de <em>DAU</em> n’est pas sans intérêt dans le contexte que nous traversons, mais le problème vient de ce que la réflexion critique sur le totalitarisme y coexiste de manière très postmoderne (et donc banale) avec le kitsch, le marketing ostalgique.</p>
<p>Cette contradiction est très présente : d’un côté, <em>DAU</em> est une « boutique » un peu chic ; de l’autre, on peut discuter avec un comédien dans une cuisine « reconstituée » qui, à partir de l’exemple d’un objet disparu (un distributeur de cure-dents), explique au visiteur comment, durant la période soviétique, chaque objet possédait un prix unique. La juxtaposition très ambivalente de la violence marchande actuelle et de la violence totalitaire passée tiraille le visiteur entre deux modèles générateurs d’angoisse, et le met au milieu d’injonctions paradoxales.</p>
<p><em>DAU</em> est un dispositif qui veut agir émotionnellement sur la peur et l’angoisse, et qui se moque assez royalement des discours occidentaux un peu « bisounours » sur l’inclusivité et le vivre-ensemble : une sorte de courant d’air assez glacial qui joue paradoxalement avec nos codes convivialistes (inclusifs, participatifs, ludiques, etc.) pour en révéler une trame plus sombre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/111984/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Barbéris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tandis que « DAU » a quitté Paris et s’apprête à investir un lieu londonien, The Conversation donne la parole à Isabelle Barbéris, spécialiste des arts de la scène qui a vécu l’expérience.Isabelle Barbéris, Maître de conférences HDR en arts de la scène, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1130592019-03-07T19:02:44Z2019-03-07T19:02:44ZQuand un chercheur vit l’expérience « DAU » : conversation avec Joël Chevrier, physicien<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/262422/original/file-20190306-100796-1annhxh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image extraite de l'un des films présentés dans le cadre de DAU. </span> <span class="attribution"><span class="source">Jigsaw / </span></span></figcaption></figure><p><em>À l’origine du projet DAU se trouve un cinéaste : Ilya Khrzhanovsky. Ce réalisateur russe quadragénaire décide en 2009 de reconstituer un institut scientifique en Ukraine qui se veut identique à un institut de l’époque soviétique, et dans lequel le célèbre physicien <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/physique-doodle-google-honore-lev-landau-genial-prix-nobel-russe-14318/">Lev Landau</a> (DAU est un diminutif de son nom) a travaillé.</em></p>
<p><em>Il réunit dans ce lieu plusieurs centaines de personnes, comme autant d’acteurs ou de figurants, qui pourtant n’ont pas de texte et ne reçoivent pas de directives particulières. Ils doivent simplement vivre là, dans un environnement strict et régulé dans des conditions semblables à celles de l’époque soviétique, pour contribuer à rendre plus crédible cette fiction sur la vie de Landau qui est tournée comme une télé-réalité. On y paie en roubles, il n’y a évidemment pas de portables. Les participants peuvent partir quand ils le souhaitent, mais ils acceptent d’être filmés à tout moment. Chacun garde son métier d’origine. Il en résultera trois ans plus tard 700 heures de pellicule, 13 longs-métrages et une foule de documentaires.</em></p>
<p><em>Ces images ont été au cœur du dispositif DAU : elles étaient projetées, par séquences plus ou moins longues, en différents lieux des théâtres de la Ville et du Châtelet en travaux, à différents horaires. Mais DAU se voulait aussi une immersion dans une URSS reconstituée, fantasmée, mise en scène.</em></p>
<p><em>À Paris, l’expérience DAU a duré trois semaines, du 24 janvier au 17 février ; les lieux étaient accessibles 24h/24. On y entrait grâce à un visa fabriqué spécialement pour l’occasion et après avoir rempli un questionnaire psychométrique dont les réponses étaient censées guider votre visite.</em></p>
<p><em>Le dispositif relevait aussi bien du théâtre, de l’installation, du happening que de l’exposition d’art contemporain – sans parler du marketing monstre qui a accompagné l’événement. Cette expérience unique en son genre, déroutante et très controversée a fait couler beaucoup d’encre – notamment en raison des <a href="https://next.liberation.fr/theatre/2019/01/21/dau-montagne-russe-et-montage-louche_1704459">conditions de tournage des films et des sources de financement du projet</a>. Il s’agissait cependant d’un événement totalement inédit dans sa forme et dans ses intentions, et tandis que DAU a quitté Paris et s’apprête à investir un lieu londonien, The Conversation donne la parole à Joël Chevrier, professeur de physique à l’Université Grenoble Alpes et professeur en délégation à l’Université Paris Descartes (CRI Paris) qui a vécu l’expérience le 14 février dernier et accepté de nous la raconter.</em></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/262447/original/file-20190306-100781-1noe2o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joël Chevrier juste avant son immersion, le 14 février 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">S. Zannad pour The Conversation France</span></span>
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<p><strong>The Conversation : Combien de temps avez-vous passé au sein du dispositif <em>DAU</em> ? Avez-vous visité plusieurs sites ?</strong></p>
<p><strong>Joël Chevrier</strong> : C’est probablement un record personnel. Je ne suis jamais resté aussi longtemps dans un théâtre : j’imagine que j’ai dû y passer 8 ou 9 heures au total, dont une bonne partie de la nuit ! Je suis passé du Théâtre du Châtelet au Théâtre de la Ville en plusieurs aller-retour. Ces brèves incursions dans le Paris connecté d’aujourd’hui – entre deux immersions dans l’un des théâtres – m’ont fait vivre <em>DAU</em> comme un îlot fantasmé et démesuré de vie en Union soviétique, planté au beau milieu du Paris du XXI<sup>e</sup> siècle, à partir de la figure mythifiée d’un des plus grands scientifiques du XX<sup>e</sup> siècle, Lev Landau.</p>
<p><strong>The Conversation : Avez-vous été dérouté et si oui, par quoi ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> Bien sûr, mais j’ai surtout été sidéré. Dérouté car même si des souvenirs très forts remontaient des années de ma jeunesse, celles de la guerre froide, celles de l’angoissant <a href="https://www.diploweb.com/R-Aron-Paix-et-guerre-entre-les.html">« paix impossible, guerre improbable »</a> de Raymond Aron, je n’ai jamais mis les pieds en Russie, ni avant ni après 1989. Donc l’incertitude demeure pour moi quant à la teneur de ce qui est montré même si le volume énorme des films accessibles montre le souci d’une reconstitution précise.</p>
<p>Immergé physiquement dans <em>DAU</em>, j’ai toujours gardé une réserve et ne me suis pas laissé submerger par l’événement, malgré sa démesure.</p>
<p><strong>The Conversation : Quelle a été l’influence de votre « filtre » universitaire sur vos choix au sein du dispositif ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> Cette influence est énorme dans mon cas, je ne peux y échapper. En fait, je me demande quel était l’état d’esprit des autres participants à la sortie de cette immersion dans <em>DAU</em>. Je suis un physicien grenoblois de 60 ans : c’était vraiment tout un pan de mon passé qui remontait à grande vitesse sans crier gare, ce qui est en soi assez sidérant.</p>
<p><strong>The Conversation : Qu’en est-il vis-à-vis de votre connaissance de la vie et de l’œuvre de Lev Landau, et de la collusion entre politiques et scientifiques à l’ère soviétique ? L’image des physiciens telle qu’elle est restituée par les « acteurs » vous a-t-elle semblé juste ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> « DAU » est en effet le diminutif de Lev Landau. Ce physicien de génie a reçu le prix Nobel de physique en 1962, pour la théorie de la <a href="http://iramis.cea.fr/spec/cbarreteau/physique_du_solide/exposes/helium.pdf">superfluidité de l’hélium à très basse température</a>. Grenoble est marqué par la physique des très basses températures depuis pratiquement les années Landau. Aujourd’hui, l’<a href="http://neel.cnrs.fr/">Institut Néel</a>, au cœur de cette physique des basses températures, a une des plus grosses productions d’hélium liquide, dédiée à la recherche fondamentale. Ma formation de physicien dans les années 80 fut marquée par des professeurs qui ne juraient que par les livres de Landau. Bon marché, édités directement en français par les éditions russes Mir, ils représentaient un bon mètre de physique théorique sur une étagère. La concision exceptionnelle de son écriture conduisait à des exégèses sans fin. Pour le jeune étudiant venu de Valence, immergé dans cette communauté déjà très cosmopolite de physiciens à Grenoble, en lien intellectuel fort avec ces scientifiques qui travaillaient « de l’autre côté », c’était une ouverture incroyable et une approche originale du monde soviétique. Mon « concurrent » au cours de mes années de thèse travaillait sur la supraconductivité à Chernogolovska, où se trouve le <a href="http://www.itp.ac.ru/en/">Landau Institute for Theoretical Physics</a>.</p>
<p>Si on sait chercher dans les rushes des films présentés – ce qui n’est pas si facile – on retrouve le cœur de la collaboration entre les scientifiques des deux blocs fondé sur des échanges évidents et universels malgré la barrière des langues. La recherche scientifique – notamment en physique – a été une priorité stratégique des deux blocs : cela ressort fortement du dispositif, et c’est ce qui fonde le projet <em>DAU</em> à mes yeux, mais seulement si on prend le temps et si on a les clés pour aller le chercher. Mais franchement, si cette vision de la science se trouve accessible dans les films, on ne peut pas y voir une pédagogie. Comme dans les livres de Landau, c’est là si vous savez le lire !</p>
<p><strong>The Conversation : Quelles ont été vos expériences les plus « marquantes » au cours de cette visite ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> Je garde le souvenir d’avoir déambulé sans fin dans des escaliers vides à la recherche d’un évènement annoncé sur des panneaux semblables à ceux qui annoncent les départs et les arrivées des trains dans les gares. On a beaucoup marché dans <em>DAU</em>. Ces dédales absurdes dans les tréfonds des deux théâtres m’ont fait pester par moments… j’ai finalement compris que je me faisais balader, au sens propre et au sens figuré.</p>
<p>Enfin, suivre une conférence en russe, sans traduction, intitulée « physique théorique » devant un tableau noir sur lequel sera vaguement tracé un nuage de points encadré par deux axes ne m’aura finalement pas paru si absurde.</p>
<p>Mais j’ai passé l’essentiel de mon temps confiné dans de petites cabines individuelles à visionner les rushes des films qui montraient des physiciens plongés dans de longues discussions. Notamment une étonnante conversation à travers le temps entre le physicien <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-du-jeudi-01-mars-2018">Carlo Rovelli</a> – né en 1956 – et Lev Landau.</p>
<p><strong>The Conversation :Comment avez-vous reçu les films ou extraits de films visionnés ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> J’ai lu après ma visite, l’article du <em>Monde</em> intitulé <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/01/19/dau-le-projet-artistique-fou-qui-seme-le-trouble-et-les-roubles-a-paris_5411699_3246.html">« À Paris, <em>DAU</em> sème le trouble et les roubles »</a>. <em>DAU</em> est un projet protéiforme. On y trouve ce que l’on y cherche, voire ce que l’on y apporte. En tous cas, pour moi, ce fut le cas. Il était difficile d’échapper à la vision de scènes pornographiques et/ou violentes, mais je n’ai rien vu d’insoutenable ou d’inacceptable. Focalisé sur mes propres questions, j’ai donc dû rater les scènes de film dénoncées pour leur violence et leur brutalité – à juste titre si j’en crois les descriptions. <em>DAU</em> vous manipule par sa démesure.</p>
<p><strong>The Conversation : Pour vous, de quoi relève <em>DAU</em> : du théâtre, de l’exposition, de la projection scénarisée de films, de l’expérience sociale, du simple marketing, d’une forme d’expression déjà vue/connue dans l’art contemporain, du pur divertissement ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> <em>DAU</em> joue de tout cela pour embarquer le visiteur et lui faire perdre pied. De ce point de vue, c’est très réussi. J’en retiens la reconstruction d’un monde confiné autour du projet politique soviétique au beau milieu Paris du XXI<sup>e</sup> siècle, avec la vie qui ne se laisse pas faire et qui fouille toutes les failles, toutes les faiblesses de ce carcan. C’est aussi une sorte de <em>mememto mori</em>, car cette période est en passe de disparaître, bien trop vite, dans les oubliettes de la mémoire collective.</p>
<p><strong>The Conversation : Le dispositif immersif donne-t-il des clés de compréhension des films ? Et inversement ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> Non. Je ne le pense pas. Et c’est sûrement volontaire. Le titre cryptique de l’événement en est la preuve. Aujourd’hui, Landau est un parfait inconnu. Ce n’est une référence pour personne, sinon pour les physiciens. Comprendre ce titre, <em>DAU</em>, est impossible. Pas de visage célèbre, pas de nom identifiable. Dès le titre, on se fait avoir. Et cela se voit aussi dans l’extrême diversité des réactions. D’après le <em>Monde</em>, « Hanna Schygulla, pourtant enthousiasmée par le projet, est sortie de la projection du film <em>Natasha</em> : “Je ne voulais pas voir cette femme, Natasha, torturée par le KGB.” », car elle ne pouvait s’empêcher de voir une femme <em>vraiment</em> torturée.</p>
<p>Agnès Hurstel (27 ans), dans sa chronique sur France Inter, fait une description de l’événement sans aucune référence ni au titre <em>DAU</em> et donc à Landau, ni même à l’union soviétique. Elle souligne des aspects « trash » de l’expérience, mais avec légèreté. <em>DAU</em> est aussi fabriqué pour être transparent et traversé ainsi : sans rien voir. Comment expliquer que j’ai vécu une expérience complètement différente ? Probablement à cause de mon âge et de ma connaissance de la physique.</p>
<p>En 1962, Landau disparaissait. En 1961, la <a href="https://blog.slate.fr/globule-et-telescope/tag/tsar-bomba/"><em>Tsar Bomba</em></a>, bombe à hydrogène d’environ 50 mégatonnes (plus de 3 000 fois l’énergie de la bombe sur Hiroshima), explosait dans l’atmosphère au-dessus de l’arctique russe. <em>DAU</em> tente brutalement de nous immerger dans cette époque qui a disparu de tous les écrans aujourd’hui, alors que l’existence de l’URSS a surdéterminé la vision du monde de tous pendant des décennies.</p>
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<p><strong>The Conversation : Les films projetés ont-ils fait écho à d’autres expériences ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> En tant qu’étudiant dans les années 80, j’ai découvert Landau quand la lecture, le cinéma, mes camarades, dans un étonnant effet miroir, me parlaient simultanément <a href="https://www.lesechos.fr/09/08/2012/LesEchos/21245-044-ECH_le-projet-manhattan---la-premiere-bombe-atomique.htm">du projet Manhattan</a> qui a conduit à la fabrication de la première bombe atomique, avec ses figures mythiques qui ont aussi produit la physique que j’apprenais : Oppenheimer, Fermi, Feynmann… <em>DAU</em> m’a replongé dans cette atmosphère.</p>
<p><strong>The Conversation : Est-ce finalement une expérience marquante pour vous ?</strong></p>
<p><strong>J.C. :</strong> <em>DAU</em> est un projet artistique qui cherche manifestement à produire une reconstitution historique détaillée. Il m’a marqué par cette volonté d’aborder de front et sans concession un huis clos construit sur l’intrication d’une vision scientifique universelle, objective et extrêmement exigeante, d’une volonté politique de plier rationnellement l’humanité à une idéologie totalitaire, mais aussi de la force des émotions, voire de leur violence incontrôlée, entre les hommes et les femmes, à l’image d’une vie brutalisée, souffrante et humiliée qui sourd, malgré tout sans relâche, dans les moindres interstices disponibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113059/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tandis que « DAU » a quitté Paris et s’apprête à investir un lieu londonien, The Conversation donne la parole à Joël Chevrier, physicien qui a vécu l’expérience et accepté de nous la raconter.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1059342018-11-19T16:12:52Z2018-11-19T16:12:52ZDe l’art dans les centres commerciaux, un mariage contre nature ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243321/original/file-20181031-122180-1toucea.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C898%2C595&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Opencage, 2011 Inox, système audio, par Céleste Boursier-Mougenot, au centre commercial le Polygone.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.polygone-riviera.fr/7celeste">site du centre commercial le Polygone</a></span></figcaption></figure><p>« Les centres commerciaux misent sur l’art pour attirer le chaland » titrait le 25 août 2018 un article du journal <em>Les Echos</em>. Ce sujet a été repris ces derniers mois par plusieurs médias tant les exemples se sont récemment multipliés.</p>
<p>Ainsi, le centre commercial Le Polygone (Cagnes-sur-Mer) accueille, depuis son ouverture, 11 œuvres au milieu desquelles les clients peuvent déambuler. Face à l’enseigne Uniqlo, le <em>Collier doré</em> est signé Jean‑Michel Othoniel. À côté du magasin Primark, l’œuvre <em>Opencage</em> a été imaginée par Céleste Boursier-Mougenot. Et Buren a conçu la pergola colorée entre les magasins La Grande Récré et Botanica.</p>
<p>Le centre commercial O’Parinor (Aulnay-sous-Bois) a accueilli entre septembre et octobre 2017 une exposition du Louvre sur le thème du mouvement et de la danse et continue de multiplier les initiatives artistiques à l’image de l’opération « Street-Art à O’Parinor » en novembre 2018.</p>
<p>Pour le centre commercial Muse (Metz), inauguré en novembre 2017, la dimension artistique a été, dès le début, une priorité en écho au Centre Pompidou installé à quelques dizaines de mètres. Elle s’est concrétisée par un parcours jalonné de quatre installations d’artistes reconnus ou émergents et par une expérience « phygitale-arty » baptisée « MuseèArt ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=907&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=907&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=907&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1139&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1139&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242785/original/file-20181029-76390-1siygrk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1139&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le <em>Collier doré</em> de Jan-Michel Othoniel au centre commercial le Polygone.</span>
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<h2>Un rapprochement initié par les fondateurs des grands magasins</h2>
<p>Qu’il s’agisse de partenariats avec des institutions culturelles ou de commandes auprès d’artistes, qu’il s’agisse d’expositions permanentes ou temporaires, il convient de rappeler en préambule que ce mariage entre culture et commerce n’est pas nouveau. Comme le souligne <a href="https://journals.openedition.org/contextes/6316">Marzel</a>, cette collaboration trouve son origine dans l’essor des premiers grands magasins, notamment français, à l’image du Bon Marché où Aristide Boucicaut décida d’exposer des œuvres d’art dès 1852 ou encore de La Samaritaine où plusieurs expositions de tableaux issus des collections d’Ernest Cognacq – son fondateur – furent proposées. Émile Zola évoque d’ailleurs ce phénomène dans son roman <em>Au Bonheur des Dames</em> (publié en 1883). Plus près de nous, au cours des années 1960, Christian Dior a également utilisé ses boutiques comme des lieux d’exposition en présentant les œuvres de Man Ray ou de Marx Ernst.</p>
<p>Le recours à l’art par le monde du commerce est donc une pratique ancienne, amenant en son temps Andy Warhol à prophétiser une hybridation totale du monde de la culture et du commerce : « All department stores will become museums, and all museums will become department stores » (« Un jour, tous les grands magasins deviendront des musées, et tous les musées de grands magasins »).</p>
<h2>Une source de différenciation pour les centres commerciaux</h2>
<p>Le regain d’intérêt actuel des centres commerciaux pour le monde de l’art s’explique principalement par une recherche (perpétuelle) de nouvelles sources de différenciation. Comme l’analysent <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0267257X.2016.1186106">Vukadin, Lemoine et Badot</a>, la volonté d’hybrider la fonction commerciale d’un lieu de vente en y intégrant des dispositifs artistiques permet d’offrir des gratifications hédoniques au consommateur tout en créant une valeur symbolique pour le centre commercial.</p>
<p>C’est ce que reconnaît <a href="https://www.beauxarts.com/grand-format/les-centres-commerciaux-des-lieux-dexposition-comme-les-autres/">Éléonore Villanueva</a>, directrice marketing & communication d’Apsys – foncière de développement qui gère 31 centres commerciaux</p>
<blockquote>
<p>« Procurer de l’émotion, de l’enchantement, faire plaisir à nos visiteurs, les toucher, renforcer leur attachement aux lieux par le biais d’œuvres pérennes, de performances, est quelque chose que l’on met au cœur de nos centres. Nous voulons sublimer le parcours client, le surprendre. »</p>
</blockquote>
<p>Ainsi, la mobilisation d’œuvres d’art peut être rapprochée de l’ensemble des techniques de marketing expérientiel destinées à maximiser la valeur perçue de l’offre par le consommateur et à procurer un avantage compétitif à l’enseigne. En mobilisant les œuvres d’art – ressource par nature inimitable – le centre commercial évite ainsi un enlisement dans le <em>Big Middle</em>, décrit par <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022435905000278">Levy et ses collègues</a> qui conduit les enseignes – faute d’innovation – à une concurrence frontale susceptible de s’exercer principalement par les prix.</p>
<p>Pour les centres commerciaux, cette stratégie n’est cependant pas sans risque. Si la mobilisation d’œuvres artistiques peut donner de l’épaisseur au point de vente en diluant sa fonction commerciale, cette orientation stratégique peut conduire à assimiler le point de vente à un musée et à dégrader sa capacité à transformer le chaland en acheteur, comme le relèvent <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0267257X.2016.1186106">Vukadin, Lemoine et Badot</a>.</p>
<h2>Une action culturelle hors les murs</h2>
<p>Si les objectifs semblent clairs côté centre commercial, qu’en est-il de la position de l’acteur culturel, qu’il s’agisse des musées qui prêtent leurs œuvres ou des artistes qui les exposent ?</p>
<p>Avec ce type d’opération, les institutions culturelles se situent dans le cadre d’une action culturelle hors les murs. Il s’agit donc pour ces acteurs de chercher des nouveaux publics afin de les inciter à fréquenter leurs institutions culturelles.</p>
<p>On retrouve ici un objectif classique de démocratisation culturelle. Les différentes actions menées par le Louvre témoignent de cet objectif. Ainsi en 2015, le Louvre-Lens a exposé ses œuvres en grand format au centre commercial Auchan de Noyelles-Godault. Et le musée a accompagné cette exposition d’un ensemble d’actions de médiation culturelle. L’expérience a été renouvelée en 2016 et 2017. Fin 2017, le Louvre a également proposé, au centre commercial O’Parinor, une mini galerie présentant des reproductions de tableaux et de sculptures avec pour objectif de faire connaître quelques grandes œuvres classiques à un public peu habitué des institutions culturelles parisiennes.</p>
<p>Afin d’inciter les visiteurs à fréquenter le musée, des billets pour le Louvre étaient offerts au terme de la visite de la galerie. Précision importante : le Louvre a choisi O’Parinor à Aulnay-sous-Bois pour sa première installation dans un centre commercial compte tenu des liens privilégiés entretenus avec la Seine-Saint-Denis dans le cadre du projet « Le Louvre chez vous » depuis 2015.</p>
<p>Du côté des artistes, les motivations sont similaires à celles des institutions culturelles avec la volonté de s’exporter hors des institutions culturelles. Ainsi, Le Bon Marché a accueilli du 16 janvier au 20 février 2016 la première exposition en France du chinois Ai Weiwei. « Il avait envie de présenter son art dans un lieu sans ticket d’entrée » s’était alors réjoui Frédéric Bodenes, directeur artistique du magasin. Et l’expérience a été renouvelée en 2018 avec l’artiste Leandro Erlich.</p>
<p>Cependant, ces initiatives ont cristallisé de nombreuses critiques, les détracteurs de ces opérations soulignant une marchandisation de la culture. Au-delà de ces critiques relevant d’une idéologie propre au secteur culturel, il n’est cependant pas interdit d’interroger ces opérations.</p>
<h2>Questionner l’efficacité plutôt que la légitimité de ces actions</h2>
<p>L’échec des politiques de « démocratisation de la culture » comme l’émergence de nouvelles pratiques culturelles ont obligé artistes et institutions culturelles à repenser leurs relations aux publics. Dans ce contexte, les nouvelles lignes de convergence entre les lieux à vocation culturelle et les centres commerciaux peuvent constituer une réponse possible permettant de toucher de nouveaux publics.</p>
<p>En rendant accessibles certaines œuvres, ces lieux peuvent contribuer à désacraliser des objets dont la consommation reste fortement marquée par des logiques de stratifications sociales. Il reste cependant à apprécier l’efficacité de telles opérations pour les acteurs culturels. Ainsi, si l’opération du Louvre à O’Parinor en 2017 a permis de toucher 5 250 personnes (rapport d’activité 2017 du Louvre), les informations communiquées par le Louvre ne permettent pas de savoir qui sont ces personnes. Permettent-ils de toucher de nouveaux publics ? Ou, au contraire, les individus sensibles à ces opérations ne sont-ils pas déjà des visiteurs assidus des institutions culturelles ? Et si ces opérations touchent de nouveaux publics, les incitent-ils pour autant à franchir les portes des institutions culturelles ? On voit alors que la question n’est pas tant de statuer sur la présence d’œuvres d’art dans un centre commercial que d’avoir une vision claire de l’efficacité de ces actions pour les acteurs culturels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Comment s’explique le regain d’intérêt actuel des centres commerciaux pour le monde de l’art ?Rémi Mencarelli, Professeur des Universités - Marketing, Université Savoie Mont BlancCindy Lombart, PROFESSEUR DE MARKETING, AudenciaSéverine Mencarelli, Docteur en Sciences de Gestion, Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1038712018-10-14T18:10:11Z2018-10-14T18:10:11ZHiroshi Sugimoto : l’art et la science, c’est un engrenage<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240492/original/file-20181014-109213-4d1olg.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C173%2C739%2C457&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Hiroshi Sugimoto, _Mechanical Form 0034_ (spur gears), 2004.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://onlineonly.christies.com/s/paper-online/hiroshi-sugimoto-b-1948-1095/38779">Christie's</a></span></figcaption></figure><p>Dans <em>Conceptual Forms</em>, les œuvres de Hiroshi Sugimoto, exposées en 2004 à la <a href="https://www.fondationcartier.com/editions/hiroshi-sugimoto">Fondation Cartier pour l’art contemporain</a>, on trouve aussi bien des modèles réels de formes mathématiques que des photos de systèmes d’engrenages comme celui que vous voyez ci-dessus. Car « Art resides even in things with no artistic intentions » (l’art réside même dans les choses dénuées d’intention aertistique), comme le dit <a href="https://www.sugimotohiroshi.com/new-page-24/">Hiroshi Sugimoto</a>. Après <a href="https://theconversation.com/hiroshi-sugimoto-quand-lart-travaille-la-matiere-pour-mettre-les-maths-au-monde-103049">un premier article</a> fondé d’une part sur l’œuvre de Hiroshi Sugimoto <a href="https://chateau-la-coste.com/hiroshi-sugimoto-the-sea-and-the-mirror/">exposée au Château La Coste</a>, d’autre part du texte de P.W. Anderson sur la rigidité dans la matière condensée, et enfin sur la vision de la pointe rigide, je suis tombé sur ses photos d’engrenages. On ne peut décidément pas tout prévoir. J’ai donc souhaité me pencher cette fois sur les systèmes d’engrenages chez Hiroshi Sugimoto, pour les mettre en rapport avec le voyage intuitif de François Dufour à travers les échelles de longueur, de notre échelle à celle du nanomonde, et avec la réflexion menée par P.W. Anderson, qui a illustré le concept de rigidité généralisée, justement avec des engrenages.</p>
<h2><a href="https://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/assemblages_formes_francois_dufour.7314">« Dix puissance moins neuf »</a>, une œuvre de François Dufour</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=267&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=335&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=335&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237986/original/file-20180925-149985-dghf63.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=335&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Image de « Dix puissance moins neuf ». Cette œuvre a été́ réalisée par François Dufour avec ses élèves pour l’exposition Images et Mirages sur les nanosciences en décembre 2010. François Dufour est Professeur d’arts plastiques au Lycée Rive Gauche, Toulouse.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ici on voit, mais on doit aussi toucher et manipuler. L’un des exemplaires de cette œuvre est exposée dans la salle Nanomonde du CIME Nanotech à MINATEC Grenoble. L’œil et la main sont à l’œuvre ensemble. Cette machine est probablement un des meilleurs dispositifs pour permettre à notre perception de se confronter avec les changements d’échelles sans être immédiatement mise hors jeu. On bouge à notre échelle et l’effet se transmet idéalement directement à l’échelle nanométrique.</p>
<p>Le système est constitué de neuf disques associés chacun à un pignon. Le rapport entre disque et pignon est de dix. Quand le premier disque équipé d’une manivelle fait un tour, le second lié par frottement fait un dixième de tour. Le dernier un milliardième de tour. Chaque disque est associé à une lettre du mot « nanomètre » qui compte bien neuf lettres. Bien sûr, à nouveau, si cette idée est magnifique, en pratique, il est impossible à celui qui l’expérimente de faire tourner tous les disques. Il est même quasi impossible humainement de tester la machine complètement. Les disques sont liés entre eux par frottement. Y a-t-il quelque part du jeu dans la mécanique qui change tout ? A quel point ? Construire un dispositif qui transmet le mouvement de roue en roue de manière mesurable est en fait un problème d’instrumentation difficile. C’est pratiquement un sujet de recherche.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237987/original/file-20180925-149976-1657zik.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=519&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Détail en vue de dessus d’un disque et du pignon associé en contact avec le disque suivant. Le même système se répète 8 fois.</span>
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</figure>
<h2>La « rigidité généralisée » selon P.W. Anderson, prix Nobel de physique</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=264&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=332&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=332&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237988/original/file-20180925-149973-gi0a27.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=332&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Schéma issu de l’article « Some general thoughts about broken symmetry », publié par P.W. Anderson in 1981.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’intuition étonnante de Francois Dufour et de ses élèves est éclairée et soulignée par le commentaire de P.W. Anderson associé à ce schéma :</p>
<blockquote>
<p>« Illustration (quelque peu schématique) de la rigidité généralisée. Une force externe (la manivelle) se couple au paramètre d’ordre à une extrémité du système, représenté par un engrenage. Un changement de paramètre d’ordre à n’importe quel point du système est transmis à toutes les autres parties du système (le premier engrenage fait tourner le deuxième engrenage). Le deuxième engrenage fait tourner la deuxième manivelle : une force a été transmise d’une extrémité du système à l’autre par l’intermédiaire du paramètre d’ordre. »</p>
</blockquote>
<p>J’ai gardé malgré tout, dans la traduction, l’expression extrêmement technique et très profonde en physique : « paramètre d’ordre ». Comme l’indiquent les flèches, on peut lire à la place « mise en rotation », « variation de l’angle de rotation ». L’idée essentielle ici véhiculée par l’idée de « rigidité généralisée » est qu’il impossible de faire tourner une manivelle sans que l’autre ne tourne aussi. Aussi petite que soit la rotation. De même, il n’est pas possible de déplacer une partie d’un solide sans le déplacer dans son ensemble, puisque il est rigide.</p>
<h2>La rigidité, le changement d’échelles et les engrenages</h2>
<p>La rigidité d’une pointe permet de manipuler sa base macroscopique pour bouger un atome à l’échelle nanométrique. La rigidité généralisée d’un système d’engrenages parfaits permet, dans la machine « Dix puissance moins neuf » de faire tourner le premier N attaché à la manivelle et d’obtenir immédiatement un milliardième de rotation du dernier E. Enfin en principe… mais en principe, c’est déjà beaucoup.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/103871/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Joël Chevrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour comprendre le concept physique de rigidité généralisée, rien de tel que l’expérience et la sublimation artistique.Joël Chevrier, Professeur de physique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.