tag:theconversation.com,2011:/au/topics/centrafrique-34065/articlesCentrafrique – The Conversation2023-03-06T19:28:35Ztag:theconversation.com,2011:article/2004922023-03-06T19:28:35Z2023-03-06T19:28:35ZDans les coulisses du groupe Wagner : mercenariat, business et diplomatie secrète<p>Parmi les <a href="https://special-ops.org/top-9-private-military-companies-in-the-world/">compagnies militaires privées (CMP) existant aujourd’hui dans le monde</a>, le groupe russe Wagner est unique par l’ampleur, la portée et l’audace de ses activités.</p>
<p>Créée après la révolution du Maïdan, en Ukraine (hiver 2013-2014), pour appuyer les séparatistes pro-russes dans le Donbass, cette organisation, largement impliquée en ce moment dans les <a href="https://www.lecho.be/dossiers/conflit-ukraine-russie/guerre-en-ukraine-la-russie-envoie-les-meilleures-unites-de-wagner-a-bakhmout/10450446.html">combats autour de la ville de Bakhmout</a>, joue actuellement un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/wagner-l-armee-russe-ou-l-ukraine-qui-a-gagne-la-bataille-de-soledar-4624146">rôle de premier plan dans le conflit qui l’a vue naître</a>. Mais entre 2014 et 2022, elle s’est fait un nom en étendant son champ d’opérations au Moyen-Orient et, surtout, à l’Afrique.</p>
<p>Le groupe doit sa visibilité médiatique d’abord à la Syrie, où il a combattu aux côtés des troupes gouvernementales et a été <a href="https://www.nytimes.com/2018/05/24/world/middleeast/american-commandos-russian-mercenaries-syria.html">confronté aux forces américaines</a>, puis à l’Afrique, où il s’étend de manière agressive depuis 2017. Initialement, il est apparu comme un fournisseur d’instructeurs et de combattants russes en Syrie, en Libye et sur divers théâtres d’opérations africains. Il est désormais bien plus que cela.</p>
<h2>Au-delà du mercenariat</h2>
<p><a href="https://globalinitiative.net/analysis/russia-in-africa/">De récentes recherches</a> montrent que le groupe Wagner a une double dimension : l’une visible (la fourniture de combattants/instructeurs), l’autre invisible. Comme souvent, l’aspect visible n’est que le sommet de l’iceberg.</p>
<p>Si Wagner a déployé à ce jour des forces dans cinq pays africains (Libye, Soudan, Centrafrique, Mali et brièvement Mozambique), des éléments liés à son dirigeant <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cnkl34v18z8o">Evguéni Prigojine</a> ont été identifiés dans plus d’une douzaine de pays africains pour des missions variées (militaire, économique ou politique).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=616&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513380/original/file-20230303-24-i5zzxm.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=774&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pays où le groupe Wagner est engagé militairement, économiquement et politiquement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2023/02/J-Stanyard-T-Vircoulon-J-Rademeyer-The-Grey-Zone-Russias-military-mercenary-and-criminal-engagement-in-Africa-GITOC-February-2023-.pdf">Carte issue du rapport « La Zone grise. L’engagement militaire, mercenaire et criminel de la Russie en Afrique », de Julia Stanyard, Thierry Vircoulon et Julian Rademeyer, Global Initiative Against Transnational Organized Crime, février 2022. Cliquer pour</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Wagner fonctionne comme une holding multisectorielle qui opère à l’étranger dans trois domaines stratégiques par le biais d’entités militaires, économiques et politiques interconnectées qui, toutes ensemble, forment le groupe – ou, plutôt, la nébuleuse.</p>
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<p>En effet, ces sociétés sont caractérisées par leur opacité. Certaines d’entre elles fournissent des services militaires à des gouvernements autocratiques affaiblis (formation, équipements, combattants), n’hésitant pas à violer les embargos de l’ONU comme en Centrafrique et en Libye. D’autres fournissent des services de conseil politique et d’influence (missions d’observation électorale biaisées, campagnes de propagande et de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Wagner-Leaks-comment-Prigojine-etend-reseaux-Afrique-2023-02-21-1201256189">désinformation numérique</a>, etc.). Certaines exploitent des <a href="https://www.agenceecofin.com/mines/2302-105809-gros-plan-sur-les-organigrammes-des-societes-controlees-par-le-groupe-russe-wagner-en-afrique-rapport">ressources naturelles</a> en contrepartie de services politiques ou militaires, tandis que d’autres encore fournissent des services logistiques (transport).</p>
<p>Bien qu’elles soient dispersées de par le monde, elles ont toutes en commun d’être liées à des entreprises basées en Russie et contrôlées par <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/cnkl34v18z8o">Evguéni Prigojine</a> et son entourage. Cette holding multisectorielle montre que le groupe Wagner n’est pas seulement une société militaire, mais aussi un prestataire d’opérations d’influence politique et un réseau d’entreprises avec des filiales locales.</p>
<p>De ce fait, la présence de la holding varie selon les pays. Si <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-societes-militaires-privees-russes-au-Moyen-Orient-2-2-En-Libye-le-groupe.html">certains de ses engagements sont purement militaires (Libye)</a>, d’autres se limitent à des rôles politiques, commerciaux ou encore logistiques (Cameroun, Kenya). Et dans certains pays (Centrafrique, Soudan), le Groupe Wagner déploie la totalité de sa gamme d’activités.</p>
<h2>Pouvoir et crime organisé</h2>
<p>Cette holding russe n’est pas seulement ancrée dans le vaste univers de la corruption internationale (paradis fiscaux, sociétés écrans, commerce illicite, etc.), elle s’inscrit aussi et surtout dans l’histoire contemporaine de la Russie.</p>
<p>Elle est, en effet, le symbole de l’évolution des <a href="https://journals.openedition.org/pipss/5057">relations entre le crime organisé et le pouvoir en Russie</a>. La mafia a connu un véritable essor en Russie après la chute de l’Union soviétique. Avec la privatisation des entreprises publiques et la faiblesse d’un État russe ne disposant pas des ressources nécessaires pour maintenir l’ordre, la criminalité a explosé et certaines privatisations ont donné lieu à de véritables guerres économiques (par exemple, la <a href="https://www.theguardian.com/world/2008/oct/22/oleg-deripaska-russia-oligarch">fameuse guerre de l’aluminium</a>). Bon nombre des <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/les-oligarques-ou-comment-une-petite-caste-s-est-emparee-de-la-russie_AN-202202220419.html">oligarques d’aujourd’hui</a> ont fait fortune pendant cette période violente.</p>
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<p>Toutefois, depuis l’avènement de Poutine, la <a href="https://www.jstor.org/stable/20451570">relation entre le crime organisé, les oligarques et le pouvoir a changé</a>. Les groupes criminels organisés sont devenus plus subordonnés et contrôlés par le Kremlin. Dans le même temps, le modèle dominant dans la criminalité organisée russe a évolué : les « entrepreneurs de violence » contrôlant des marchés criminels ont été remplacés par des <a href="https://www.theguardian.com/news/2018/mar/23/how-organised-crime-took-over-russia-vory-super-mafia">« entrepreneurs criminels », beaucoup plus ancrés dans l’économie légale</a>.</p>
<p>De criminel à chef d’entreprise, la trajectoire d’Evguéni Prigojine reflète parfaitement cette évolution. Sous le règne de Poutine, les hommes d’affaires politiquement connectés sont devenus plus dépendants du Kremlin pour maintenir leur pouvoir et leur richesse. Le groupe Wagner repose sur cette relation symbiotique entre le pouvoir, le monde des affaires et celui de la criminalité. De ce fait, en quelques années, cette nébuleuse d’entreprises privées est devenue un des outils de la diplomatie secrète russe.</p>
<h2>Diplomatie secrète et contournement des sanctions</h2>
<p>Le mode d’intervention de Wagner à l’étranger révèle son étroite imbrication avec le pouvoir russe. Le déploiement de personnel est toujours précédé d’un contact à haut niveau dans l’appareil d’État russe, d’une campagne d’influence sur les réseaux sociaux et de création de filiales locales du groupe. Le partenariat est ainsi agréé au plus haut niveau des deux pays et repose sur un montage financier généralement basé sur <a href="https://reporterre.net/Wagner-l-alliance-du-crime-et-de-la-destruction-des-ecosystemes">l’exploitation de ressources naturelles</a> du pays de déploiement (pétrole en Syrie et or en Afrique).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1629135467860967427"}"></div></p>
<p>Avec les sanctions contre la Russie, l’intérêt stratégique que représente la holding Wagner s’est encore accentué. Non seulement ses services politiques et militaires servent à accroître l’influence du Kremlin à l’étranger (en particulier en Afrique francophone) mais ses activités dans les économies illicites peuvent permettre de <a href="https://www.ft.com/content/98e478b5-c0d4-48a3-bcf7-e334a4ea0aca">contourner les sanctions occidentales et de développer des ressources économiques alternatives</a>.</p>
<p>Si sa participation aux combats sur le front russo-ukrainien provoque des <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-le-patron-des-mercenaires-wagner-accuse-letat-major-de-larmee-russe-de-trahison-20230222_YFV562YELRGMJAVA22RQTY52UU/">frictions entre Prigojine et la hiérarchie militaire</a>, en revanche son rôle d’agent d’influence à l’étranger risque d’être de plus en plus utile pour la diplomatie secrète et l’économie de guerre du Kremlin, comme l’atteste la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230210-russie-afrique-la-nouvelle-tourn%C3%A9e-fructueuse-de-sergue%C3%AF-lavrov-sur-le-continent">récente visite à Bamako du ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov</a>.</p>
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<p><em>Cet article est le résumé du rapport « La zone grise : l’engagement militaire, mercenaire et criminel de la Russie en Afrique » de Julia Stanyard, Julian Rademeyer et Thierry Vircoulon publié par <a href="https://globalinitiative.net/analysis/russia-in-africa/">Global Initiative against Transnational Organized Crime</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200492/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est membre de Global Initiative against Transnational Organized Crime et est l'un des co-auteurs du rapport sur lequel est basé l'article.</span></em></p>Plus qu’une aide militaire de l’ombre pour Moscou, le groupe Wagner se déploie pour développer les intérêts économiques et politiques de la Russie dans des pays d’Afrique et du Moyen-Orient.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1986852023-02-12T17:24:43Z2023-02-12T17:24:43ZSaint-Valentin : la face cachée du diamant de synthèse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506785/original/file-20230127-20-1b0tbb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=126%2C4%2C1398%2C766&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les techniques de fabrication des diamants de synthèse exigent un chauffage à 5500&nbsp;°C pendant plusieurs semaines.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jsjgeology/50813037593">James St. John/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>En cette <a href="https://theconversation.com/fr/topics/saint-valentin-82142">Saint-Valentin</a>, vous avez peut-être pour projet d’acheter un diamant… et il se pourrait bien que votre bijoutier vous propose un diamant de synthèse. C’est le symbole de l’amour éternel depuis le judicieux slogan du diamantaire De Beers en 1947, <a href="https://www.debeersgroup.com/about-us/a-diamond-is-forever">« A diamond is forever »</a>. Et quand on aime, <a href="https://theconversation.com/le-prix-des-noces-jamais-assez-cher-et-pourtant-toujours-trop-cher-96085">on ne compte pas</a>…</p>
<p>Mais il se trouve qu’aujourd’hui le « solitaire » en diamant naturel n’est plus « seul » sur son marché. Depuis sa mise au point en 1954 par le chimiste américain <a href="https://www.invent.org/inductees/h-tracy-hall">Tracy Hall</a>, le diamant de synthèse constitue en effet un concurrent sérieux. Si séduisant, qu’en 2018, l’entreprise De Beers elle-même a succombé. Après des années de dédain pour ces pierres artificielles qu’elle réservait à l’industrie… elle se mit à en proposer en joaillerie !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1001389887025766403"}"></div></p>
<h2>Deux frères jumeaux</h2>
<p>Chimiquement, comme le diamant naturel, le diamant de synthèse se forme grâce à la cristallisation du carbone, soumis à des conditions de chaleur et de pression extrêmes. Seuls l’origine et le lieu de ce phénomène diffèrent. Le diamant naturel est né il y a 2,5 milliards d’années, dans les entrailles de la Terre. Son rival, obtenu en laboratoire en quelques semaines, est le pur produit de la main de l’homme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lucas-8-ans-que-contiennent-les-diamants-et-comment-sont-ils-formes-113885">Lucas, 8 ans : « Que contiennent les diamants et comment sont-ils formés ? »</a>
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<p>Sémantiquement, une bataille de <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220902857.html">terminologie</a> s’est engagée et deux storytellings s’affrontent aujourd’hui. Le diamant naturel impose le respect en s’appuyant sur des valeurs d’infini et de rareté ; le diamant de synthèse offre un récit alternatif, qui convoque une forme d’alchimie verte. Vanter <a href="https://www.jem-paris.com/diamant-de-synthese?gclid=CjwKCAiA_vKeBhAdEiwAFb_nrcVYLUjxxOTPe94_Y_svNvjXZT86IH1sK5Sqr2WkR-SLR79nZvdsIRoCuyQQAvD_BwE">« la magie alliant science et nature »</a>, comme peuvent le faire certaines marques, semble judicieux. Porté par des valeurs écologiques et éthiques, ce récit réconforte les acheteurs qui culpabilisent à l’idée d’acheter un diamant naturel.</p>
<h2>Un duel aux enjeux actuels</h2>
<p>Économiquement, il faut dire que l’enjeu est de taille… En 2020, une <a href="https://www.collectif-diamant.fr/uploads/5fc682c2a1d88_Opinionway_CollectifDiamant.pdf">étude quantitative</a> a estimé que 42 % des Français déclaraient vouloir acheter un diamant « au moins une fois dans leur vie ». Cette proportion grimpe même à 65 % chez les 25-34 ans.</p>
<p>Lors de ma recherche doctorale portant sur les phénomènes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/storytelling-56621">storytelling</a>, j’ai investigué ce secteur qui semblait ne pas échapper aux accusations de « <a href="https://theconversation.com/fr/topics/greenwashing-27714">greenwashing</a> ». Ces nouveaux enjeux sur la consommation responsable constituent un des axes majeurs traités par le <a href="https://lifestyle.em-lyon.com/news/">Lifestyle Research Center</a> de emlyon qui étudie les nouveaux phénomènes de consommation grâce à des recherches auprès des acteurs de terrain.</p>
<h2>Le diamant synthétique esquive les critiques</h2>
<p>Lors de mon enquête, j’ai compris que le succès du diamant de synthèse s’est notamment bâti en contrepoint des dérives persistantes du diamant naturel.</p>
<p>Tout d’abord, il ne semble pas réservé à une élite, affichant des prix de <a href="https://www.marieclaire.fr/difference-diamant-naturel-diamant-de-synthese,1422185.asp">30 à 40 % moins chers</a>. Une responsable marketing d’une des maisons de haute joaillerie les plus réputées me précise :</p>
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<p>« C’est normal, cette filière bénéficie d’une réduction du nombre d’intermédiaires, et d’une facilité de production en laboratoire. La concurrence actuelle entre les laboratoires fait même pression sur les prix ».</p>
</blockquote>
<p>Ensuite, le diamant de synthèse ne provient pas de mines à ciel ouvert qui génèrent de véritables scandales écologiques. Pour trouver quelques carats de diamants naturels, il faut extraire des millions de tonnes de minerai dans des zones fragiles, ce qui détériore considérablement les écosystèmes naturels. Les sols, les baies et les berges qui ont été fouillés restent perturbés pendant des décennies avant que la faune et la flore ne retrouvent leur équilibre.</p>
<h2>Trop jeune pour être coupable</h2>
<p>Contrairement à son grand frère, le diamant de synthèse n’est pas entaché par l’échec du <a href="https://www.kimberleyprocess.com/fr/kimberley-process-kp">processus de Kimberley</a> (forum de négociation international réunissant les représentants des États, de l’industrie et de la société civile) mis en place il y a une vingtaine d’années pour encadrer la traçabilité de la filière diamantaire. Renié en 2011 par l’organisation non gouvernementale (ONG) <a href="https://www.globalwitness.org/en/press-releases/diamond-industry-fails-clean-its-act/">Global Witness</a> qui en était pourtant à l’origine, le PK est désormais dans le viseur des associations humanitaires comme <a href="https://www.amnesty.fr/focus/le-processus-de-kimberley">Amnesty International</a>.</p>
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<p>Le mouvement Unita en Angola, les deux guerres au Congo, et la spirale mafieuse du Liberia et de la Sierra Leone ont en effet terni la filière historique. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le plus gros extracteur de diamants naturels, en <a href="https://nationaljeweler.com/articles/10701-us-bans-import-of-russian-diamonds">réactive aujourd’hui la critique</a>.</p>
<p>En conséquence, le diamant de synthèse ne souffre pas d’une mauvaise image dans l’opinion publique alors que celle du diamant naturel est fissurée. Certes, il y a exactement un demi-siècle, Hollywood servait d’écrin au diamant naturel : en 1953, Marilyn Monroe chantait <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hEyWqVfY4vo">« Diamonds are a girl’s best friend »</a>. Mais les temps ont changé. En 2006, le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oACSq5w8xtk"><em>Blood Diamonds</em></a> révélait l’horreur des conditions de travail dans les mines diamantifères. Très marqué par son rôle, <a href="https://www.lefigaro.fr/conso/2015/11/21/05007-20151121ARTFIG00007-quand-leonardo-dicaprio-sponsorise-des-diamants-fabriques-en-usine.php">Leonardo Di Caprio</a> est aujourd’hui un porte-parole virulent contre les diamants naturels. Depuis 2014, il est même actionnaire de <a href="https://diamondfoundry.com/">Diamond Foundry</a>, important producteur de diamants de synthèse aux États-Unis.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/508327/original/file-20230206-23-cd47hi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Campagne d’Amnesty International « Quel prix pour ces diamants ? » (2003).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.adforum.com/creative-work/ad/player/30119">Adforum</a></span>
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<p>Alors, face au risque du désamour du public, la filière traditionnelle entend bien montrer qu’une fois observé à la loupe, le diamant de synthèse, lui non plus, n’offre pas que des facettes reluisantes.</p>
<h2>Le diamant naturel contre-attaque</h2>
<p>Au niveau mondial, le <a href="https://www.naturaldiamonds.com/fr/">Natural Diamond Council</a> utilise son slogan pour afficher ses ambitions de reconquête : « Only natural diamonds » (« seulement des diamants naturels »). En France, le <a href="https://www.collectif-diamant.fr/a-propos">Collectif Diamant</a>, qui regroupe les organisations référentes de la filière, relaie <a href="https://www.union-bjop.com/trucost-retrouvez-le-rapport/">l’étude</a> de la société Trucost, leader mondial en matière d’évaluation des risques environnementaux.</p>
<p>Ces campagnes visent à braquer les projecteurs sur la face cachée du diamant de synthèse.</p>
<p>Ces groupements précisent ainsi qu’il est issu de techniques de production très énergivores. Une des techniques, dite HPHT (Haute Pression, Haute Température) requiert une pression équivalente à 58 000 fois celle observée en moyenne au niveau de la mer et un chauffage à plus de 1400 °C pendant plusieurs semaines. Ainsi, les estimations d’émissions de CO<sub>2</sub> associé à la consommation d’énergie dans la production synthétique seraient près de trois fois supérieures à celle des diamants naturels.</p>
<p>Les détracteurs du diamant de synthèse rappellent aussi que sa production, récente, reste peu encadrée. La plupart des centres se situent en <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/bijoux-le-diamant-synthetique-prend-son-essor_5563527.html">Chine et en Inde</a> avec impossibilité de surveiller ce qui s’y fait, tant d’un point de vue écologique qu’éthique.</p>
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<p>En outre, sa qualité est restreinte en taille et en couleur. Le plus gros diamant de synthèse pèse seulement 9 carats alors que le plus gros diamant brut extrait d’une mine au Botswana en 2021, pèse <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/07/08/un-diamant-hors-norme-troisieme-plus-gros-au-monde-trouve-au-botswana_6087507_3212.html">1174 carats</a>. Les diamants naturels offrent également une <a href="https://theconversation.com/pourquoi-existe-t-il-des-diamants-de-toutes-les-couleurs-114787">palette de teintes</a> bien plus large. Évalué selon les 4C institués par De Beers, à savoir, <em>cut</em> (taille), <em>colour</em> (couleur), <em>clarity</em> (pureté) et <em>carat</em> (poids), le diamant de synthèse ne rivalise pas encore.</p>
<p>Enfin, le concurrent du diamant naturel ne concerne que des scientifiques en laboratoires et de la main-d’œuvre qualifiée en usine, alors que l’exploitation minière peut se targuer d’employer plus de <a href="https://www.lofficielhb.com/bijouterie-joaillerie/ethique-diamant-naturel-donnees-sociales-environnementales/">77 000 personnes pauvres</a>, principalement en Australie, au Botswana, au Canada, au Lesotho, en Namibie, en Russie, en Afrique du Sud et en Tanzanie. Vouloir éradiquer un écosystème économique réel dans des pays particulièrement pauvres reste un discours difficile à tenir.</p>
<h2>Un face-à-face fratricide ?</h2>
<p>Aujourd’hui, le diamant naturel résiste encore à la concurrence… décidément, c’est un matériau robuste ! Une <a href="https://nationaljeweler.com/articles/10624-measuring-the-lab-grown-diamond-market-size-growth-and-future-opportunities">étude</a> du National Jeweler estime que la part de marché volume du diamant synthétique reste inférieure à 10 %. Elle a quintuplé en cinq ans, dépassant les 6 milliards de dollars… Mais les diamants de synthèse sont désormais eux aussi au cœur d’une controverse et pourraient bien vaciller.</p>
<p>En conclusion, même consciente des progrès à réaliser, la filière diamantaire peine à trouver une alternative. Pas évident de séduire les nouvelles générations d’amoureux avec deux filières ni éthiques ni écologiques qui ternissent l’image l’une de l’autre… au risque de se décrédibiliser toutes les deux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198685/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Riou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le marché du diamant naturel se trouve aujourd’hui déstabilisé par la promesse éthique du diamant de synthèse… qui se révèle pourtant tout aussi controversée !Alice Riou, Professeur Associé - Marketing et Innovation, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1843312022-06-21T19:21:37Z2022-06-21T19:21:37ZLe paradoxal passage à l’économie de la blockchain en Centrafrique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/469342/original/file-20220616-24-pz2bbs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C5946%2C3952&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La République centrafricaine va devenir le deuxième pays du monde après le Salvador à adopter le bitcoin comme monnaie officielle.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Au soir du 22 avril 2022, les médias furent unanimement interloqués par le virage que prenait la politique monétaire de la République centrafricaine : l’<a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220427-la-centrafrique-adopte-le-bitcoin-comme-monnaie-l%C3%A9gale">adoption du bitcoin comme monnaie officielle</a> au côté du franc CFA et la légalisation de l’usage des cryptomonnaies.</p>
<p>La présidence de la RCA affirme que « cette démarche place la République centrafricaine sur la carte des plus courageux et visionnaires pays au monde », étant donné qu’elle serait le deuxième État du monde à l’entreprendre, après le <a href="https://theconversation.com/salvador-le-pari-a-haut-risque-du-president-sur-le-bitcoin-164728">Salvador</a>, et le tout premier du continent africain.</p>
<p>Un optimisme pour les nouvelles économies de la blockchain que ne partagent pas nombre d’observateurs, à l’instar de Bill Gates, qui estime que les <a href="https://www.bfmtv.com/crypto/bitcoin/pour-bill-gates-les-cryptomonnaies-n-apportent-rien-a-la-societe_AV-202205240547.html">cryptomonnaies n’apportent rien à la société</a>. Cette position est également reprise par la directrice de la Banque centrale européenne Christine Lagarde, pour qui ces actifs digitaux <a href="https://www.journaldugeek.com/2022/05/24/pourquoi-la-banque-centrale-europeenne-pense-que-les-cryptomonnaies-ne-valent-rien/">ne valent rien</a>.</p>
<h2>La cryptomonnaie en RCA, un Far-West qui incite la méfiance</h2>
<p>Deux raisons semblent justifier les inquiétudes suscitées par la décision de Bangui.</p>
<p>La première est tout simplement le fait que la cryptomonnaie est animée par une prétention de « self-made » qui échappe aux traditions et au classicisme des économies et systèmes d’échange, dont les lois sont valables et identifiables à toutes les époques. Un véritable trou noir pour les adeptes du contrat social, qui estiment que les modes d’organisation qui ne sont pas soumis à l’autorité sont des Far-West sans foi ni loi.</p>
<p>La seconde raison est le gabarit économique de la République centrafricaine, qui est <a href="https://www.gfmag.com/global-data/economic-data/the-poorest-countries-in-the-world?page=12">l’un des pays les plus pauvres de la planète</a>. Regardons cela de plus près.</p>
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<figcaption><span class="caption">Centrafrique : le bitcoin devient la devise officielle (France 24, 28 avril 2022).</span></figcaption>
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<p>Le procès fait aux cryptoactifs n’est pas dénué de raison. Adopter la cryptomonnaie comme monnaie légale, c’est s’engager dans une géopolitique de l’inconnu, de l’incertitude et de la surprise – l’incertitude étant source d’insécurité, ne serait-ce que parce qu’elle facilite le développement d’intentions inconnues et le déploiement d’actions non maîtrisées. Déplacer les activités dépendantes du régalien vers une dépendance aux lois du marché ou des zones d’ultralibéralisme, créées justement pour échapper à la souveraineté des États et autres contraintes politiques, n’est pas sans risque. Dans cette course, les États faibles comme la République centrafricaine ne semblent a priori pas disposer des meilleurs atouts.</p>
<p>Et que dire de la volatilité, caractéristique intrinsèque de la cryptomonnaie qui <a href="https://theconversation.com/le-cours-du-bitcoin-condamne-a-toujours-plus-de-volatilite-163997">condamne le cours du bitcoin à une précarité perpétuelle</a> ? En 2021, les cours du bitcoin avaient flambé de plus de 150 %, atteignant un taux historique de 68 991 dollars, avant de s’effondrer. Même si le marché́ s’est assagi en 2022, les variations restent très fortes : -17 % en février, +8 % en mars et +10 % en avril. Le bitcoin s’échangeait le 27 avril 2022 à plus de 39 000 dollars ; sa valeur au 26 mai était de 29 494,60 USD ; au 21 juin, elle était de 20 033,31 USD.</p>
<p>L’expérience du Salvador, où 92 % des plus de 1 600 personnes interrogées dans un sondage ont manifesté leur <a href="https://coinacademy.fr/bitcoin/bitcoin-au-salvador-airdrop-massif-au-peuple-et-membre-du-congres-recalcitrant/">désamour du bitcoin</a> et 93,5 % leur réticence à être payées en bitcoins, est de nature à conforter cette méfiance.</p>
<p>Le bitcoin est régulièrement perçu comme une bulle spéculative à cause de l’alternance imprévisible entre les envolées de ses cours et <a href="https://www.cnetfrance.fr/news/bitcoin-la-valeur-degringole-de-50-en-six-mois-et-passe-sous-la-barre-des-32-000-dollars-39941769.htm">leurs chutes vertigineuses</a>. Pour bon nombre de spécialistes, la généralisation de son utilisation ne peut que susciter des pertes financières catastrophiques.</p>
<p>Les banques centrales lui reprochent de favoriser les déséquilibres financiers, le blanchiment d’argent et la fraude fiscale. Le Fonds monétaire international a <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/le-fmi-demande-au-salvador-de-renoncer-au-bitcoin-comme-monnaie-officielle-1382095">qualifié</a> la décision du Salvador de danger pour « la stabilité financière, l’intégrité financière et la protection des consommateurs ». Concernant la Centrafrique, Abebe Aemro Selassie, directeur Afrique du FMI, prévient qu’il ne faut pas considérer les cryptomonnaies <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/04/29/le-bitcoin-adopte-comme-monnaie-officielle-en-centrafrique-n-est-pas-une-panacee-avertit-le-fmi_6124157_3212.html">« comme une panacée contre les défis économiques »</a>.</p>
<p>Le bitcoin est également suspecté de faciliter les escroqueries, le financement du terrorisme et les trafics en tout genre à cause de son système de paiement anonyme crypté. Les transactions illicites permises par le bitcoin sont <a href="https://academic.oup.com/rfs/article-abstract/32/5/1798/5427781?login=false">estimées à 76 milliards de dollars par an</a>, soit 46 % des transactions en bitcoins.</p>
<p>En tout état de cause, pour se prêter institutionnellement à la mouvance des cryptoactifs et tirer son épingle du jeu, la RCA devrait disposer des infrastructures et de la complexité économique nécessaires pour absorber leurs évolutions. Or la sécurité économique et technologique du pays soulève bien des inquiétudes.</p>
<h2>L’insécurité économique de la RCA</h2>
<p>Selon la dernière évaluation risque-pays de la <a href="https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Republique-centrafricaine">Compagnie française d’assurance spécialisée dans l’assurance-crédit à l’exportation</a> (COFACE), les conditions sécuritaires et politiques en RCA sont source de fragilité et d’instabilité, ce à quoi s’ajoute l’extrême pauvreté de la population.</p>
<p>L’économie accuse une forte dépendance à l’égard des exportations de matières premières – une dépendance d’autant plus problématique que l’exportation d’or et de diamants, qui se déroule souvent dans l’illégalité, n’alimente que très peu les recettes publiques. Avec une inflation moyenne de 2,7 % sur les quatre dernières années, les prévisions de taux de croissance de 3,4 % pour 2022 ne doivent pas laisser oublier qu’il a été de -0,6 % en 2021. Autres indices défaitistes, le solde courant par rapport au PIB (-6,1 % en 2022) et le solde public par rapport au PIB (-1,2 % en 2022) sont tous négatifs depuis les trois dernières années.</p>
<p>Selon la Banque mondiale, depuis l’indépendance obtenue en 1960, la <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/centralafricanrepublic/publication/the-central-african-republic-economic-update-explained-in-5-charts">richesse par habitant a été réduite de moitié</a> en RCA. Une reprise économique durable, possible seulement si l’insécurité baisse nettement, est indispensable pour réduire la pauvreté (<a href="https://www.banquemondiale.org/fr/country/centralafricanrepublic/overview">70 % de la population vivrait sous le seuil de pauvreté en 2020</a>. Cette pauvreté explique la forte mortalité infantile, estimée à 882 pour 100 000 naissances vivantes, mais aussi le classement du pays à l’indice de développement humain de l’ONU, au 188<sup>e</sup> rang sur 189 pays en 2020.</p>
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<figcaption><span class="caption">La décision de la Centrafrique d’adopter le Bitcoin comme monnaie légale fait polémique (Jeune Afrique, 5 mai 2022).</span></figcaption>
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<p>La Banque africaine de développement fait un constat du même ordre en soulignant que le risque de surendettement de la RCA <a href="https://www.afdb.org/fr/countries/central-africa/central-african-republic/central-african-republic-economic-outlook">reste élevé en raison de sa grande vulnérabilité aux chocs extérieurs</a> et du risque de change lié au niveau élevé de sa dette extérieure. Ce gabarit économique montre combien les défis de développement y demeurent prioritaires et profonds.</p>
<h2>Décalage infrastructurel et faiblesse de l’éducation numérique</h2>
<p>L’opérationnalisation d’un projet d’économie durable de la blockchain à l’échelle nationale, au regard de sa globalité et des effets d’enchaînement escomptés, devrait reposer a minima sur une base infrastructurelle soutenable et une éducation numérique viable.</p>
<p>Or les capacités infrastructurelles de la RCA sont très limitées. Sur le plan énergétique, le <a href="https://www.donneesmondiales.com/afrique/republique-centrafricaine/bilan-energetique.php">ratio énergétique entre la production</a> (171 millions kWh) et la consommation électrique (159,40 millions de kWh) en RCA est excédentaire de 108 % des besoins réels actuels. Mais le 22 mars dernier, après sollicitation de la RCA pour le financement du développement de son réseau et de sa capacité électrique, la Banque mondiale a laissé entendre que la RCA reste le pays au monde où le taux d’accès à l’électricité est le plus faible. Avant d’ajouter que la <a href="https://lanoca.over-blog.com/2022/03/centrafrique-la-banque-mondiale-s-engage-a-augmenter-l-acces-a-l-electricite-d-ici-2030.html">mise en œuvre d’un tel projet y serait très difficile</a>.</p>
<p>Avec un taux d’électrification de 3 %, et alors que <a href="https://www.scidev.net/afrique-sub-saharienne/data-visualisation/faits-et-chiffres-la-couverture-lectrique-en-afrique/">4 de ses 5 millions d’habitants vivaient sans électricité en 2012</a>, faute d’investissement, une <a href="https://info.undp.org/docs/pdc/Documents/CAF/Rapport%20de%20diagnostic%20du%20secteur%20%C3%A9nergie%20RCA%20VF.pdf">étude du PNUD</a> montre en 2017 que le potentiel hydroélectrique du pays reste sous exploité. La bioénergie représente encore 98 % de la production nationale. C’est la prééminence de cette catégorie d’énergie dans la production nationale qui semble justifier la rareté d’infrastructures technologiques de consommation électrique. En outre, <a href="http://le-tambourin.over-blog.com/2019/09/rca-plus-que-12-mois-pour-avoir-de-l-electricite-24h-sur-24-et-voir-la-fin-des-delestages-a-bangui.html">plusieurs projets d’envergure</a> sont perturbés par des cycles d’instabilité sécuritaire et politique. En 2022, le gouvernement tente toujours de rassurer la population qui attend des réalisations concrètes.</p>
<p>Sur le plan technologique, lors de l’approbation de la composante RCA de la <a href="https://projectsportal.afdb.org/dataportal/VProject/show/P-CG-GB0-002?lang=fr">Dorsale à fibre optique d’Afrique centrale</a> en 2018, la <a href="https://www.afdb.org/fr/documents/document/central-african-republic-central-africa-fibre-optic-backbone-project-cab-car-component-approved-99666">Banque africaine de développement dressait le constat</a> que « la RCA demeure le dernier pays enclavé du continent à ne pas disposer de liaisons terrestres à fibre optique avec ses voisins immédiats. De plus, à la faiblesse notoire du taux de pénétration d’Internet et de la téléphonie mobile vient s’ajouter la quasi-inexistence d’infrastructures haut débit filaires ».</p>
<p>Quatre ans plus tard, bien que Huawei et Orange interviennent comme partenaires technologiques majeurs, les avancées demeurent médiocres. Si les Datacenter sont implémentés pour des structures spécifiques comme le <a href="http://centrafrique-sur-7.over-blog.com/2021/04/centrafrique/datacenter-la-digitalisation-des-finances-publiques-en-marche.html">ministère des Finances et du Budget</a> ou celui qui accompagne la <a href="https://www.afdb.org/fr/documents/aoi-centrafrique-fourniture-formation-installation-dequipements-informatiques-reseaux-etc-et-construction-et-operationnalisation-dun-datacenter-principal-et-de-secours">composante RCA de la dorsale à fibre optique d’Afrique centrale</a>, ces installations critiques <a href="https://www.digitalbusiness.africa/rca-le-data-center-dorange-centrafrique-ses-installations-radio-et-son-coeur-de-reseau-ravages-par-les-flammes/">restent sous la menace constante posée par l’insécurité qui règne dans le pays</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1535156580311785473"}"></div></p>
<p>« Là où Internet propose de créer des ponts, l’illectronisme risque toujours de lui faire barrage », <a href="https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2020-11-20/lutter-contre-l-illectronisme-en-afrique-862662.html">soulignait</a> en novembre 2020 Philippe Wang, alors vice-président exécutif de Huawei Northern Africa. Le paysage numérique centrafricain illustre la justesse de cette affirmation. Ainsi, la difficulté qu’éprouvent les individus à maîtriser les outils numériques en RCA constitue l’une des limites majeures à la numérisation et à l’éducation des populations aux outils digitaux.</p>
<p>Selon le <a href="https://sustainabledevelopment.un.org/content/documents/23414RAPPORT_VOLONTAIRE_DE_SUIVI_ODD_RCA_FINAL_SIGNATURE_MINISTRE_003.pdf">rapport national volontaire de suivi de mise en œuvre des objectifs du développement durable en 2019</a>, alors que le taux d’alphabétisation des adultes est de 58,9 %, la part des établissements scolaires ayant accès à l’électricité est de 3 % et aucun n’a accès à Internet. Au total, on décompte 650 000 utilisateurs d’Internet en RCA pour environ 5 millions d’habitants, avec un taux général de pénétration de 14 % en janvier 2020. La RCA se retrouve en bas des <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/jendoubi_reseaux_sociaux_rca_2021.pdf">classements mondiaux des principaux réseaux sociaux</a> avec 2,5 % de taux de pénétration.</p>
<h2>Une réforme qui ne profitera qu’à une minorité</h2>
<p>Dans ce contexte, l’adoption du bitcoin comme monnaie officielle laissera transparaître la fracture digitale du pays. L’économie de la blockchain peut être salutaire, mais elle exige un investissement humain, matériel et financier conséquent. Dans le cas contraire, elle deviendra un modèle élitaire dont l’impact sera limité aux urbains fortunés et instruits au numérique.</p>
<p>Finalement, il est en même temps trop tôt pour <a href="https://theconversation.com/bitcoin-lintenable-promesse-dune-monnaie-pour-tous-158475">confirmer les promesses faites au lancement du bitcoin</a>, mais aussi, trop tôt pour le condamner définitivement après l’annonce du nouveau <a href="https://cryptoast.fr/projet-sango-republique-centrafricaine-place-mondiale-bitcoin/">projet Sango</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184331/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Idriss Miskine Buitchoho ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’un des États les plus pauvres du monde vient d’annoncer que ses citoyens pourront désormais régler leurs achats en bitcoin. Une décision pour le moins discutable…Idriss Miskine Buitchoho, Chercheur au Centre Maurice Hauriou de recherche en droit public et science politique, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1789132022-03-13T17:39:07Z2022-03-13T17:39:07ZLa Russafrique : combien de votes ?<p>Le 2 mars, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115472">résolution</a> déplorant l’agression commise par la Russie contre l’Ukraine et exigeant que Moscou retire immédiatement ses troupes du territoire ukrainien.</p>
<p>Cette résolution a été <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/03/resolution-a-l-onu-contre-la-guerre-en-ukraine-qui-a-vote-pour-ou-contre-et-qui-s-est-abstenu_6115936_4355770.html">adoptée à une très large majorité</a> : 141 pays ont voté en sa faveur et seulement 5 pays contre – la Corée du Nord, la Syrie, l’Érythrée, la Biélorussie et bien évidemment la Russie. Mais plus que les « pour » et les « contre », ce sont les abstentions qui retiennent l’attention. 34 pays se sont abstenus, dont 16 pays africains.</p>
<p>Pour être complet, ce décompte doit aussi inclure les pays qui ont opté pour la stratégie de la chaise vide en ne participant pas au vote, ce qui constitue une abstention cachée. Ces derniers sont au nombre de 13 ; parmi eux, 8 pays africains. En additionnant l’abstention assumée et l’abstention cachée, 24 pays africains sur 54 ont préféré ne pas condamner la Russie, soit près de la moitié du continent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=615&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=772&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=772&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450912/original/file-20220309-13-1sg8rwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=772&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Votes des pays africains sur la résolution exigeant la fin immédiate de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.</span>
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<p>Face à ce conflit inédit qui menace la paix mondiale, la moitié de l’Afrique diplomatique est abstentionniste. Comment interpréter ce choix ?</p>
<h2>Anciens et nouveaux leviers d’influence</h2>
<p>Une première lecture attribue cette attitude à la forte influence que la Russie exerce aujourd’hui en Afrique, même si l’Union européenne demeure le premier bailleur et le premier partenaire commercial du continent. Cette influence est le résultat cumulé de l’héritage de l’histoire et de la nouvelle politique africaine de Moscou.</p>
<p>Le vote de certains pays africains est une réminiscence des vieilles loyautés de l’époque de la guerre froide et de la décolonisation. Le souvenir du soutien soviétique à la décolonisation, l’alignement pro-soviétique de certains pays africains (Angola, Algérie, Éthiopie, etc.) et l’avènement au pouvoir d’anciens mouvements de libération soutenus par l’URSS (Mozambique, Namibie, Afrique du Sud, Zimbabwe) font partie de l’héritage historique des relations russo-africaines.</p>
<p>Cependant, cet héritage historique compte sans doute moins que la réactivation récente de la <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/kalika_russie_afrique_2019.pdf">politique africaine de la Russie</a>. Alors que la diplomatie russe avait oublié l’Afrique depuis la fin de l’URSS, la <a href="https://theconversation.com/lukraine-barometre-de-letat-de-la-relation-russo-americaine-70809">crise ukrainienne de 2014</a> et les premières sanctions occidentales lui ont fait retrouver la mémoire. À partir de ce moment charnière, les autorités russes ont mené une stratégie de réimplantation agressive grâce à leurs deux principaux atouts : les ventes d’armes et la fourniture de prestations de sécurité.</p>
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<p>En effet, les échanges économiques de l’Afrique avec la Russie sont limités (environ 20 milliards de dollars en 2019) par rapport aux autres puissances (Chine : 210 milliards ; Europe : 225 milliards). Cependant, ils sont concentrés sur quelques secteurs stratégiques : l’alimentation, les ressources naturelles et les armes.</p>
<p>Premier exportateur mondial, la Russie a mené une diplomatie du blé, notamment en direction des pays d’Afrique du Nord, très dépendants au niveau alimentaire. L’Égypte achète les trois quarts de ses importations à la Russie et, en froid avec Paris, <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20181012-attiree-le-ble-russe-algerie-pourrait-detourner-ble-francais">Alger s’est tourné vers le blé russe</a>. Ses autres clients sont principalement le Nigeria, la Tanzanie, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Soudan, dont <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220303-la-junte-soudanaise-dans-les-bras-de-moscou">l’un des dirigeants était à Moscou</a> pour finaliser une livraison de blé au moment de l’invasion de l’Ukraine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501851579518963712"}"></div></p>
<p>Les grandes sociétés publiques russes du secteur extractif (Rosneft, Lukoil, Alrosa, Rusal, Gazprom, Nordgold, etc.) <a href="https://www.lepoint.fr/economie/mines-nikolai-zelensky-l-afrique-a-une-place-centrale-dans-notre-strategie-17-02-2017-2105586_28.php">ont investi en Afrique</a> mais elles ne sont ni dominantes ni irremplaçables.</p>
<p>En revanche, la Russie est un acteur important du marché africain de la sécurité. De 2016 à 2020, elle a fourni <a href="https://sipri.org/sites/default/files/2021-03/fs_2103_at_2020.pdf">30 % des armes acquises</a> par les pays d’Afrique subsaharienne ; depuis 2017, elle a signé des accords de coopération militaire avec 20 pays d’Afrique subsaharienne, contre seulement sept de 2010 à 2017 ; et elle a peut-être trouvé avec le Soudan un pays hôte pour une <a href="https://www.areion24.news/2021/03/29/russie-soudan-malgre-la-chute-domar-el-bechir-lidylle-continue/">base militaire au bord de la mer Rouge</a>.</p>
<p>Cet activisme sécuritaire est encore renforcé par sa diplomatie du mercenariat incarnée par le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1312730/politique/russie-afrique-les-mercenaires-de-wagner-sont-ils-vraiment-efficaces/">désormais célèbre groupe Wagner</a> présent en Libye, au Soudan, au Mozambique, en Centrafrique et au Mali.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le Groupe Wagner en Ukraine et au Mali – Leçon de géopolitique – Le Dessous des cartes | Arte, 26 janv. 2022.</span></figcaption>
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<p>La présence de Wagner permet à Moscou d’élargir <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/russieneivisions/societes-militaires-privees-russes-afrique">à moindre coût son espace stratégique</a>. Le groupe fournit aux pouvoirs africains affaiblis un package « mercenaires/propagande numérique » et démarche tous azimuts sur le continent. Son patron <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/le-groupe-wagner-bottes-secretes-de-poutine-a-letranger-20220218_ZKA4RFPLKZDN3NWOC6GQQYEGL4/">Evgueni Prigogine</a> a, par exemple, <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/burkina-faso-le-russe-prigojine-chef-presume-du-groupe-wagner-salue-une-ere-de">personnellement courtisé les putschistes burkinabé</a> en saluant leur coup d’État en janvier et en le comparant à une décolonisation.</p>
<p>Cette forte présence dans la sécurité d’État garantit au Kremlin un accès privilégié aux cercles du pouvoir, voire lui permet de les vassaliser quand ils sont très faibles <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/central-africa/central-african-republic/russias-influence-central-african-republic">comme en Centrafrique</a>.</p>
<h2>Affinités politiques</h2>
<p>La forte abstention africaine reflète aussi le <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/vers_un_retour_de_lautoritarisme_en_afrique.pdf">vent d’autoritarisme qui souffle en Afrique</a> depuis dix ans. Après la décennie de la démocratisation (1990-2000), le continent subit un reflux autoritaire, avec comme conséquence l’éloignement des puissances démocratiques et le rapprochement des puissances autoritaires.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500124249398280192"}"></div></p>
<p>Silencieuse à ses débuts, cette mécanique géopolitique s’est accentuée au fur et à mesure des troisièmes mandats truqués, des nouvelles guerres civiles et des putschs. Ces dérives autoritaires ont généralement été accompagnées par des condamnations diplomatiques occidentales, voire des sanctions critiquées pour leur sélectivité. Ainsi, au début de cette année, les États-Unis ont sanctionné les gouvernements de l’Éthiopie (pour violations des droits de l’homme), du Mali et de la Guinée (pour leurs coups de force militaires) en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/washington-exclut-l-%C3%A9thiopie-le-mali-et-la-guin%C3%A9e-de-l-agoa/2463279">les excluant de l’accord commercial African Growth and Opportunity Act (AGOA)</a>, mais ils restent <a href="https://arabcenterdc.org/resource/agreements-and-tensions-in-us-egyptian-relations/">accommodants avec le régime militaire égyptien</a>.</p>
<p>Ces dernières années, plusieurs bras de fer diplomatiques ont opposé l’Union européenne à des régimes autoritaires africains (Burundi, Madagascar, Zimbabwe, Tanzanie, Bénin, Centrafrique, etc.). De manière révélatrice, la pire dictature du continent africain (l’Érythrée) a voté contre la résolution dénonçant l’agression russe et les récents régimes putschistes condamnés par les Occidentaux (Mali, Guinée, Burkina Faso) ont tous opté pour l’abstention assumée ou cachée.</p>
<p>Au XXI siècle, le regain d’autoritarisme en Afrique joue en faveur du club autocratique dont les présidents russe et chinois se disputent discrètement la présidence. Le jeu des affinités de régimes n’est toutefois pas systématique : des dictatures comme le Tchad et le Rwanda ont voté pour la résolution tandis que les deux pays africains où la démocratie semble la mieux enracinée (le Sénégal et l’Afrique du Sud) se sont abstenus.</p>
<h2>Retour simultané de la géopolitique bipolaire et du non-alignement</h2>
<p>La préférence de l’Afrique pour l’abstention est aussi le fait de sa multi-dépendance dans une géopolitique de nouveau bipolaire. Dans un contexte international de multipolarité dérégulée, la politique de diversification des partenariats menée par de nombreux pays en développement semblait être une stratégie gagnante.</p>
<p>Elle était censée leur permettre de maximiser les opportunités de coopération sur le marché international de l’aide et de regagner des marges de manœuvre politiques en faisant jouer la concurrence entre leurs partenaires. En effet, alors qu’elle est essentiellement perçue <a href="http://www.ledmaroc.ma/pages/numeros_parus/37-9.pdf">sous l’angle économique</a>, la diversification des partenariats <a href="https://www.letemps.ch/opinions/lafrique-pauvre-courtisee-puissances-mondiales">est aussi éminemment sécuritaire et politique</a>. En témoigne la multiplication des présences militaires étrangères et des sommets où un pays invite tout le continent africain.</p>
<p>Ainsi la politique étrangère de certains pays africains est devenue un jeu d’équilibre complexe. La République démocratique du Congo d’Étienne Tshisekedi est politiquement très proche des États-Unis mais dépend économiquement surtout de la Chine. L’Égypte du maréchal al-Sissi a des partenariats sécuritaires étroits avec des pays occidentaux mais achète des armes et du blé russes et <a href="https://new.sfen.org/rgn/russie-construira-premiere-centrale-nucleaire-egyptienne/">compte sur Rosatom</a> pour construire sa première centrale nucléaire.</p>
<p>Le passage rapide de la multipolarité dérégulée à la repolarisation du monde en deux camps expose désormais les tenants de la diversification des partenariats à des <a href="https://lexpress.mg/05/03/2022/sergiusz-wolski-la-position-quun-pays-adopte-est-soigneusement-notee/">pressions multiples</a> et contradictoires qui peuvent les acculer à des choix délicats. Dans certains pays particulièrement fragiles, la survie du régime <a href="https://www.africaintelligence.fr/afrique-est-et-australe_politique/2022/03/07/entre-moscou-et-washington-burhan-et-hemeti-jouent-les-equilibristes,109737998-art">dépend de ses alliances extérieures</a>.</p>
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<p>Pour échapper à ce dilemme stratégique, le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/mouvementdesnonalignes#:%7E:text=Fond%C3%A9%20en%201961%20lors%20de,effective%20des%20pays%20du%20Sud">non-alignement</a> inventé en 1955 fait son retour en 2021 comme une option prudente et rassurante. Le Mouvement des Non-Alignés né de la conférence de Bandung en 1955 réunissait les États qui ne voulaient s’affilier ni au bloc de l’Est ni au bloc de l’Ouest. Il existe toujours (sa dernière réunion a eu lieu en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/la-serbie-accueille-le-sommet-du-mouvement-des-non-align%C3%A9s/2388294">Serbie en 2021</a>) et les États africains constituent toujours la majorité de ses membres.</p>
<p>Le non-alignement, dont l’abstention au vote de l’Assemblée générale de l’ONU est l’expression, évite de prendre parti dans ce conflit entre grandes puissances et permet de naviguer dans les eaux tumultueuses de la nouvelle guerre froide. L’avenir dira si cette stratégie diplomatique permettra de ne pas trop déplaire ou de déplaire à tout le monde, notamment si le conflit s’embrase.</p>
<p>Dans un contexte international ultra-polarisé, le vote de la résolution contre l’invasion de l’Ukraine a été perçu comme un instantané des nouveaux rapports de force diplomatiques. Cependant, si le parti des abstentionnistes compte tant de membres en Afrique, il ne faut pas seulement y voir l’influence de Moscou et la baisse de popularité des Européens et des Américains mais aussi et surtout un réflexe de prudence et de sauvegarde de la part d’une Afrique multi-dépendante qui sait que « quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'Institut Français des Relations Internationales et à Global Initiative against Transnational Organised Crime. </span></em></p>Les choix de vote (ou non) lors de la résolution à l’ONU condamnant l’agression russe contre l’Ukraine révèlent la position des différents pays africains vis-à-vis de la Russie.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, membre du Groupe de Recherche sur l'Eugénisme et le Racisme, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1705862022-02-03T17:44:56Z2022-02-03T17:44:56ZLa sauvegarde du bassin du lac Tchad, un enjeu régional majeur<p>Situé au carrefour de cinq pays de l’Afrique (Centre et Ouest) – Cameroun, Tchad, République centrafricaine, Niger et Nigeria –, le bassin du Lac Tchad représente une source d’eau importante et vitale partagée plus de 40 millions d’habitants.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/440027/original/file-20220110-15-su6j7y.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte du bassin du lac Tchad.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bassin_du_Tchad#/media/Fichier:Chad_River_Basin_relief_2.png">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Ce bassin abrite une biodiversité ainsi qu’un patrimoine naturel et culturel extrêmement précieux. Des systèmes de productions riches et variés construits sur des usages diversifiés de l’espace, ainsi que des conventions locales anciennes, attestent d’une exploitation rationnelle des ressources naturelles.</p>
<p>Depuis quelques décennies, cet espace est malheureusement en proie à un déséquilibre anthropo-écologique, auquel s’ajoutent les changements climatiques amorcés depuis le début des années 1970 ; ces derniers ont conduit à un assèchement progressif du bassin.</p>
<p>On assiste ainsi à une forte pression, voire un usage concurrentiel des ressources naturelles, doublés depuis plus d’une décennie de conflits armés <a href="https://youtu.be/kH7BLGPK5Oo">orchestrés par la secte de Boko Haram</a>. La présence de ce groupe dans le bassin a exacerbé le trafic illégal de bois, le braconnage des espèces protégées et les conflits agropastoraux.</p>
<p>Une situation qui conduit à des migrations importantes de populations.</p>
<h2>Des « réserves de biosphère » pour préserver les ressources</h2>
<p>Les défis qui se posent actuellement au bassin du Lac Tchad sont de trois ordres.</p>
<p>Un défi sécuritaire pour la restauration de la paix et de la sécurité dans les pays du bassin du Lac Tchad ; un défi écologique, avec la conservation de la biodiversité, la gestion des écosystèmes et leur réhabilitation ; un défi socio-économique, pour la relance des activités agricoles, pastorales et piscicoles, la réduction de la pauvreté, la planification participative et la gouvernance inclusive.</p>
<p>Pour sauvegarder et gérer durablement les ressources hydrologiques, biologiques et culturelles de cette zone, contribuer à la réduction de la pauvreté et promouvoir la paix, les cinq États du bassin ont décidé d’appliquer le <a href="https://theconversation.com/en-afrique-les-lecons-des-reserves-de-biospheres-pour-vivre-dans-le-respect-de-la-biodiversite-158456">modèle des « réserves de biosphère »</a> transfrontières et des sites du Patrimoine mondial.</p>
<p>C’est dans cette optique que l’Unesco, dans le cadre du projet <a href="https://youtu.be/cM2w-sQSgpY">Biosphère et patrimoine du lac Tchad</a> (BIOPALT), s’est donnée pour mission d’accompagner les cinq États à la préparation de dossiers de nomination de réserves de biosphère nationales et/ou transfrontières et d’un site de patrimoine mondial transfrontalier dans le bassin.</p>
<h2>Une démarche participative</h2>
<p>Les différentes concertations – nationale, menée par BIOPALT et régionale, conduite par la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) – ont permis de circonscrire les difficultés majeures du bassin et les attentes des communautés face à ces contraintes.</p>
<p>Pour mener à bien ces initiatives, la démarche participative a été adoptée. Son mode opératoire s’est construit sur quatre composantes principales : connaître, former et renforcer les capacités, réhabiliter et utiliser durablement, gérer et valoriser. Ici, les différentes activités ont été menées en s’appuyant sur des partenaires locaux, mais aussi internationaux.</p>
<p>Le réseau de partenaires du projet est composé de scientifiques (principalement les universités des pays membres de la CBLT, mais aussi d’autres institutions internationales), d’ONG et d’associations. Les travaux conduits sont validés par un conseil scientifique et technique.</p>
<h2>Une dizaine d’études sur le bassin du lac Tchad</h2>
<p>De 2017 à 2021, treize études ont été réalisées sur la biodiversité, l’hydrologie, la culture et les aspects socio-économiques du bassin. Elles ont permis une meilleure connaissance des risques hydroclimatiques, de la qualité de l’eau, de la diversité biologique et culturelle et enfin de la variabilité et la résilience au climat de cet espace.</p>
<p>Deux outils ont été élaborés : un portail sur la qualité de l’eau dans le bassin du lac Tchad ; une plate-forme de suivi des inondations et des sécheresses. Ces outils permettent le contrôle de la pollution du lac et de ses affluents ainsi que la surveillance des aléas météorologiques.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428228/original/file-20211025-19-7789zk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Images satellites du lac Tchad utilisées pour le suivi de la qualité de l’eau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Amadou Boumeira/Photothèque BIOPALT</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Quatre ateliers – organisés autour du suivi des inondations et sécheresses, de la surveillance de la qualité de l’eau du lac Tchad et de la mise en place d’un comité PHI Cameroun – auront permis de former 90 experts.</p>
<p>Quelque 2 000 personnes ont également été formées dans le cadre de la gestion pacifique des ressources naturelles, la prévention des conflits et la conservation durable du lac Tchad. Un master et un MOOC ont d’autre part été créés pour aborder la gestion des réserves de biosphère et des sites du patrimoine mondial.</p>
<p>Enfin, une réserve de biosphère a été créée, deux autres ont été proposées ainsi qu’un site transfrontalier du patrimoine mondial, tandis que deux radios communautaires ont été lancées, participant ainsi à la prévention de l’extrémisme violent, la promotion de la paix, la protection de l’environnement et le développement durable.</p>
<p>Sept activités génératrices de revenus portant sur l’apiculture, la pisciculture, le maraîchage agroécologique, la riziculture et l’arboriculture ont été lancées permettant ainsi à 20 000 bénéficiaires de diversifier leurs sources de revenus et de renforcer leur résilience socio-économique face aux impacts du Covid-19.</p>
<p>Trois techniques de restauration écologiques ont également été développées, permettant la réhabilitation des terres dégradées et l’amélioration des compétences communautaires. Des actions de communication (<a href="https://fr.unesco.org/biopalt">site web</a>, newsletter et événements) visent à faire connaître le projet.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/428229/original/file-20211025-25-1h925i7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur les rives du lac Tchad, on récolte aussi la spiruline, cette algue très riche en protéine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Photothèque BIOPALT</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Si 80 % des activités prévues dans le cadre du plan d’action de BIOPALT ont été réalisées, plusieurs points restent aujourd’hui à concrétiser : la finalisation de quatre publications, la réalisation d’une étude bioécologique et socioéconomique à Kalamaloué (Cameroun), la réalisation d’un atelier régional relatif au patrimoine mondial, la finalisation de MOOC sur les réserves de biosphère et le patrimoine mondial.</p>
<h2>Restauration écologique et synergie</h2>
<p>Plusieurs perspectives se dessinent dans une seconde phase du projet BIOPALT. La restauration écologique est, par exemple, déjà amorcée et vise à rapprocher les différents usagers du lac et promouvoir la paix et le développement. Des activités génératrices de revenus se sont développées et vont permettre d’une part de procurer des revenus substantiels aux acteurs de terrain et de l’autre de renforcer la gestion communautaire pour conserver la biodiversité et réduire la pauvreté.</p>
<p>La transhumance transfrontalière a elle aussi été promue, fondée sur des accords de gestion pacifique des ressources naturelles et de formations (culture de la paix, PVE). Des écoles pastorales mobiles pourront également être envisagées.</p>
<p>Enfin, une synergie d’action entre éducation et alphabétisation se met en place avec d’autres initiatives, à l’image du Projet de renforcement de l’éducation et de l’alphabétisation (PREAT).</p>
<p>Le projet BIOPALT aura ainsi permis d’obtenir des résultats tangibles dans le domaine de la restauration d’écosystèmes dégradés (mares, plaines dunaires) et la promotion d’activités génératrices de revenus à base d’économie verte.</p>
<p>La formation et le renforcement des capacités sur la gestion pacifique des ressources naturelles, s’appuyant sur « l’approche PCCP » de l’Unesco, a également été développée, tout comme le renforcement de la coopération transfrontalière, de l’intégration régionale et la réalisation de dossiers d’inscription du lac Tchad sur la liste du patrimoine mondial et de création de réserves de biosphère.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Depuis 50 ans, le <a href="https://en.unesco.org/mab">Programme pour l’homme et la biosphère</a> (MAB) de l’Unesco s’appuie sur l’alliance entre sciences exactes, sciences naturelles et sciences sociales pour trouver des solutions mises en œuvre au cœur de 714 sites naturels d’exception (dans 129 pays) bénéficiant du statut de réserves de biosphère</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170586/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plusieurs décennies, cet espace est en proie à un déséquilibre anthropo-écologique, auquel s’ajoute les changements climatiques amorcés depuis le début des années 1970.Amadou Boureima, Responsable du Laboratoire d’études et de recherches sur les territoires sahélo-sahariens (LERTESS), Université Abdou Moumouni de Niamey (UAM)Aristide Comlan Tehou, Chercheur au Laboratoire d’écologie appliquée de la faculté des sciences agronomiques, University d'Abomey-Calavi de BéninDaouda Ngom, Professeur titulaire, responsable du Laboratoire d’écologie et d’écohydrologie, Université Cheikh Anta Diop de DakarMallé Gueye, Enseignant-chercheur, département hydrosciences et environnement, Université Iba Der Thiam de ThièsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1690402021-10-18T18:48:14Z2021-10-18T18:48:14ZComment la constitution de la Vᵉ République a modelé la décolonisation<p>La demande de pardon officielle du président Macron adressée aux harkis et l’annonce de l’adoption prochaine d’une loi de réparation <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/09/20/emmanuel-macron-demande-pardon-aux-harkis-et-annonce-une-loi-de-reconnaissance-et-de-reparation_6095314_823448.html">marquent une étape importante</a> dans le processus de réconciliation nationale de la France avec son passé colonial.</p>
<p>Le droit, et l’enseignement du droit, ont aussi leur rôle à jouer dans l’entreprise de décolonisation. En effet, une colonisation va de pair avec une domination légale, celle d’un système juridique et judiciaire pensé et appliqué pour maintenir un territoire et sa population sous le joug du <a href="http://www.bloomsburycollections.com/book/revolutionary-constitutionalism-law-legitimacy-power">colonisateur</a>.</p>
<p>La domination légale se concrétise avant tout au niveau des droits personnels, comme ce fut le cas de la différence de statut entre le <a href="http://juspoliticum.com/article/La-citoyennete-dans-l-empire-colonial-francais-est-elle-specifique-980.html">citoyen français</a> de métropole et l’indigène – dépourvu de la plupart des droits civiques. Mais elle se concrétise aussi au niveau des <a href="http://juspoliticum.com/article/La-France-libre-Vichy-l-empire-colonial-978.html">institutions</a> avec une organisation des relations de pouvoir entre la métropole et les colonies destinés à asseoir la domination de la première sur les secondes.</p>
<p>Ainsi une décolonisation est un processus de transition dite juridique. Il s’agit de débarrasser le système juridique du pays nouvellement indépendant des rapports juridiques qui le liaient à l’ancienne métropole. En France, cette transition juridique a été actée par la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/2018/08/23/26001-20180823ARTFIG00243-le-discours-du-general-de-gaulle-a-brazzaville-le-24-ao%C3%BBt-1958.php">constitution de 1958</a>. Si cette dernière marqua le début de la V<sup>e</sup> République, elle fut surtout l’occasion pour les territoires d’Afrique francophone d’affirmer leur volonté d’indépendance.</p>
<h2>Une constitution de décolonisation</h2>
<p>Il est de bon ton, dans les facultés de droit et ailleurs, d’expliquer que la raison d’être de la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1959_num_9_1_402982?q=constitution+1958">constitution de 1958</a> repose dans l’instabilité gouvernementale de la IV<sup>e</sup> République. Cette dernière, et ses 22 gouvernements en 12 ans, était devenu dangereusement inefficace. Il fallait retrouver de la stabilité grâce à un président qui « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État » (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur">article 5</a>) et un gouvernement sans la menace constance d’une motion de censure du Parlement.</p>
<p>Rares sont cependant les étudiants à connaître l’objectif de décolonisation attaché à la constitution de 1958. En effet, ce point n’apparaît dans aucun des ouvrages de référence. De Gaulle, dans son <a href="https://mjp.univ-perp.fr/textes/degaulle04091958.htm">discours</a> du 4 septembre 1958 était pourtant clair : il fallait une nouvelle constitution pour </p>
<blockquote>
<p>« qu’entre la nation française et ceux des territoires d’outre-mer qui le veulent, soit formée une Communauté, au sein de laquelle chaque territoire va devenir un État qui se gouvernera lui-même ».</p>
</blockquote>
<p>Un des objectifs principaux de la constitution de 1958 était donc de finir le processus de décolonisation amorcé par la IV<sup>e</sup> République. Cette dernière, en affirmant l’égalité des peuples dans son préambule, se devait de mettre en terme à l’impérialisme français.</p>
<h2>Les étapes</h2>
<p>L’apport principal de la constitution de 1946 fut de transformer l’Empire Français en Union française à la suite de quoi le Cambodge et le Laos en 1953, le Vietnam en 1954, la Tunisie et le Maroc en 1956 retrouvèrent leur <a href="https://www.worldcat.org/title/droit-doutre-mer-et-de-la-cooperation/oclc/923234055&referer=brief_results">indépendance</a>. En dehors de ces pays, la majorité des anciennes colonies restèrent sous le statut de territoires d’outre-mer c’est-à-dire sous une tutelle encore très forte de la métropole qui décida notamment de leurs relations extérieures ou des <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-de-1946-ive-republique">modalités de représentation politique</a> (Titre VIII, constitution de 1946).</p>
<p>La pierre angulaire du processus de décolonisation fut le référendum du 28 septembre 1958. Si en France, celui-ci servait à approuver la V<sup>e</sup> République, pour les territoires d’outre-mer, il représentait la première étape vers l’indépendance. Un « non » signifiait un rejet de la constitution et un accès immédiat à l’indépendance. Seule la Guinée opta pour cette option. Si les territoires votaient oui, ils pouvaient choisir entre un maintien du statu quo, une assimilation en tant que département ou une élévation au rang d’État membre de la Communauté. Comme l’ancien <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Constitution_de_la_France_de_1958_(version_initiale)">article 86</a> de la constitution le précisait, un État membre pouvait devenir indépendant et cesser d’appartenir à la Communauté.</p>
<p>Entre novembre et décembre 1958, tous les territoires d’outre-mer, à l’exception de la Guinée, choisirent le régime de la Communauté, après avoir voté oui au référendum. En août 1960, le Bénin, le Burkina Faso, le Chad, la Centrafrique, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Niger proclamèrent leur indépendance. En juin ce fut le tour de Madagascar suivi de la Mauritanie en novembre. La procédure d’indépendance progressive prévue par la constitution de 1958 peut donc être considérée comme un succès.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425296/original/file-20211007-17-2p8ml3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les étapes vers l’indépendance.</span>
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<h2>De l’indépendance à la dictature du parti unique</h2>
<p>Ce fut cependant un bref succès. À l’exception de Madagascar, tous les États se dotèrent d’une nouvelle constitution quelques mois à peine après leur indépendance. Ces constitutions instaurèrent toutes un régime présidentiel fort, sur le modèle de la constitution de 1958 après l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Elles marquèrent le début des dictatures dites du parti unique qui sclérosent l’Afrique francophone depuis 1960.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=342&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425297/original/file-20211007-26-7a2azo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=430&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chronologie comparative – de l’inclusion à la Communauté à l’adoption d’une constitution autoritaire.</span>
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</figure>
<p>Une adoption si coordonnée de constitutions si similaires interroge forcément sur l’influence de l’ancienne métropole.</p>
<h2>La reproduction d’un modèle autoritaire</h2>
<p>Entre le oui au référendum et la déclaration d’indépendance, le régime de la Communauté s’appliquait. Or ce régime était caractérisé par une concentration des pouvoirs dans les mains du président de la République, lui-même président de la Communauté (article 80). Par décision présidentielle du 9 février 1959, le français resta langue officielle, la Marseillaise demeura l’hymne des États, l’armée française pouvait y stationner. La France contrôlait de fait ces anciens territoires jusqu’à l’aune de leur indépendance.</p>
<p>En 1963, le professeur de droit public <a href="http://www.worldcat.org/oclc/299896883">François Luchaire</a>, décrivait le caractère autoritaire des pays d’Afrique francophone avec les mots suivants :</p>
<blockquote>
<p>« Les États d’expression française n’ont pas eu l’impression de rompre avec l’exemple français ; bien au contraire, chacun a voulu donner à son chef d’État une autorité constitutionnelle comparable à l’autorité qui est celle du général de Gaulle en France ; parfois conseillés par des experts français, ils ont d’ailleurs utilisé les innovations contenues dans la constitution française avec les adaptations qui s’expliquent. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/169040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Fournier est Fellow du Re:constitution Programme pour l'année 2021, un programme du Forum Transregionale Studen financé par le Mercartor Stiftung.</span></em></p>La constitution de 1958 portait en elle la décolonisation juridique des territoires envahis par la France. Mais son modèle facilita aussi l’émergence de dictatures.Théo Fournier, Docteur en droit - Chercheur associé au centre Sorbonne Constitutions et Libertés (Paris 1), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1427492020-11-18T21:34:33Z2020-11-18T21:34:33ZLa Covid-19 et l'urgence de la dette des pays d'Afrique centrale envers la Chine<p>La Covid-19 a provoqué une baisse de l’activité économique mondiale, aggravée par des mesures de distanciation sociale qui ont perturbé des secteurs comme le tourisme, l’hôtellerie, l’industrie manufacturière ou encore l’énergie. La hausse de l’inflation et l’affaiblissement des devises ont exacerbé les inquiétudes concernant la soutenabilité de la dette.</p>
<p>La région de la <a href="http://www.cemac.int/">Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale</a> (CEMAC) comprend le Cameroun, le Tchad, la République centrafricaine, le Congo et le Gabon. Pour ces pays, l’incidence de la pandémie de la Covid-19 sera très négative car les <a href="https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/tableau-bord-marches-petroliers">cours du pétrole</a> sont actuellement inférieurs aux prix de référence retenus dans leurs budgets respectifs. La situation pourra donc compromettre les efforts considérables qui ont été faits dans le <a href="https://www.financialafrik.com/2020/01/06/le-fmi-recommande-plus-de-restriction-economique-aux-pays-de-la-cemac/">cadre des programmes d’ajustement structurel (PAS)</a>. En effet, en raison de la Covid-19, la région est particulièrement exposée aux risques croissants que le protectionnisme ou le régionalisme peuvent faire peser sur les chaînes d’approvisionnement (les étapes pour faire passer un produit ou le service de son état initial au client).</p>
<p><strong>Tableau : Impact de la Covid-19 sur les principaux indicateurs macroéconomiques des pays de la CEMAC (en %)</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=280&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368918/original/file-20201111-17-1hs4nj8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=352&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<h2>L’influence chinoise</h2>
<p>Selon le <a href="http://french.mofcom.gov.cn/">ministère du Commerce</a> de la République populaire de Chine, en 2018 les flux d’investissements directs étrangers chinois (IDE) à destination de la CEMAC ont chuté de 103 millions de dollars par rapport à l’année 2017, où ils se sont élevés à 193 millions de dollars. Cela correspond à 0,14 % des IDE totaux chinois ou encore à 0,42 % des IDE totaux reçus par l’Afrique au cours de l’année écoulée. Autrement dit, en dépit de cette baisse, ces investissements jouent un rôle très important pour ces pays en raison du fait qu’ils s’attaquent aux faiblesses des infrastructures (routières, ferroviaires, barrages hydroélectriques.) même si le gap infrastructurel reste très large.</p>
<p>L’accent est mis sur la dette envers la Chine car en 2019, dans un rapport sur les prêts chinois qu’elle a co-rédigé, Carmen Reinhart, économiste en chef de la Banque mondiale <a href="https://www.lepoint.fr/afrique/banque-mondiale-chine-afrique-nouvelle-donne-24-07-2020-2385476_3826.php">constate</a> que « 50 % des prêts de la Chine aux pays en développement ne sont pas déclarés au FMI ou à la Banque mondiale. Ces “dettes cachées” biaisent la surveillance des politiques, l’évaluation des risques et les analyses de viabilité de la dette ». Elle soutient par ailleurs qu’un endettement supérieur à 90 % du Produit intérieur brut peut entraîner une récession économique.</p>
<p><strong>Graphique 1. Comparaison de l’endettement de l’Afrique à l’égard de la Chine avec d’autres partenaires de la Chine (% PIB)</strong></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368919/original/file-20201111-13-1uhkg37.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p>Dans l’absolu, le montant de ces prêts reste extrêmement faible – et ce, d’autant que cette somme est destinée à six pays. Cela étant, l’intérêt des investisseurs chinois pour les pays de la CEMAC décroît tendanciellement tout au long de la période 2003-2018. Les causes sont connues : les pays développés offrent des opportunités techniques. En effet, les firmes chinoises n’apportent pas grand-chose aux pays de la CEMAC en termes de transferts de technologie. Il est dans l’intérêt de ces firmes d’utiliser les technologies les moins techniques pour avoir le plus de main-d’œuvre bon marché possible.</p>
<h2>La Chine, créancier majeur de la région CEMAC</h2>
<p>La Chine est devenue un créancier majeur des pays de la CEMAC. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/05/14/l-afrique-sous-la-menace-du-surendettement-effet-pervers-des-prets-chinois_5298844_3212.html">Près de 70 %</a> de la dette publique bilatérale camerounaise sont détenus par Pékin. En 2014, la République du Congo a subi de plein fouet <a href="https://trends.levif.be/economie/politique-economique/au-congo-brazzaville-l-argent-chinois-tombe-sur-un-os/article-news-1128407.html">« une chute très brutale des cours de pétrole, liée paradoxalement au ralentissement chinois »</a>. Ce qui s’est traduit par une explosion de son endettement à 110 % du PIB en 2017, dont plus d’un tiers détenu par la Chine, soit environ 2 milliards de dollars, selon la <a href="https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Chine">COFACE</a>. Près de 3,15 milliards dollars de dette congolaise sont détenus par Pékin (35 % de l’endettement total de Brazzaville, évalué par le FMI à 9 milliards de dollars, soit 90,2 % du PIB du pays). La Chine, a néanmoins accepté, le 29 avril 2019, de restructurer la dette publique congolaise.</p>
<p>Les prêts à la zone CEMAC représentent 10 % du total des prêts octroyés aux gouvernements et entreprises publiques en Afrique subsaharienne par la Chine sur la période 2000‑2017. Les prêts accordés par la Chine sont <a href="https://static1.squarespace.com/static/5652847de4b033f56d2bdc29/t/58ac91ede6f2e1f64a20d11a/1487704559189/eastern+promises+v4.pdf">facilités</a> par des partenariats commerciaux étroits, l’attribution de marchés publics ou de concessions pétrolières et minières. Les taux d’intérêt des prêts octroyés par des banques publiques chinoises (Exim Bank, China Development Bank) sont souvent conditionnés par une exécution chinoise du projet financé ; et un tiers des prêts sont garantis par des produits d’exportations (pétrole et minerais).</p>
<p><strong>Graphique 2 : Prêts accordés par la Chine aux pays de la CEMAC (en millions de dollars)</strong></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=303&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=381&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=381&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368920/original/file-20201111-23-3w3zqu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=381&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<h2>Le positionnement des pays de la CEMAC</h2>
<p>Il y a effectivement des défis majeurs, notamment pour les pays de la CEMAC les plus fragiles, allant du moratoire à l’annulation de la dette. L’endettement pourrait favoriser le développement des pays de la région. Mais les retombées sur l’économie de l’endettement à l’égard de la Chine dépendront fortement de la capacité des pays d’Afrique centrale à adopter une stratégie leur permettant de tirer profit de cette dette.</p>
<p>Les pays de la CEMAC sont très dépendants de la Chine et restent exposés aux changements de la demande chinoise ou à un retour à la baisse du prix des matières premières, en particulier des métaux. N’en déplaise à certains dirigeants, il faut se garder d’être trop dépendant du financement de la Chine, au risque de devenir vulnérables aux variations de sa politique extérieure.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142749/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fred Eka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie de Covid-19 exacerbe les inquiétudes sur la soutenabilité de la dette des pays d'Afrique centrale envers la Chine.Fred Eka, Enseignant-chercheur, University of DoualaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1397442020-06-04T17:53:10Z2020-06-04T17:53:10ZCovid-19 en Afrique : « la flambée épidémique que l’on craignait ne s’est pas encore produite »<p><em>Docteur en médecine et spécialiste de santé publique, Éric D’Ortenzio est coordinateur scientifique du <a href="https://reacting.inserm.fr/how-we-work/">consortium Reacting</a>. Il revient pour The Conversation sur l’évolution de l’épidémie de Covid-19 sur le continent africain.</em></p>
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<p><strong>En Afrique, où en est la situation de l’épidémie ?</strong></p>
<p>L’explosion de l’épidémie de COVID-19 que l’on craignait il y a quelques semaines ne s’est pour l’instant pas produite. Les chiffres officiels des contaminations sont encore relativement peu élevés : au 4 juin, le <a href="https://africacdc.org/covid-19/">CDC Africa</a> recensait 162 673 cas et 4 601 morts sur le continent. Mais certains états sont plus ou moins touchés : parler de l’Afrique en général n’a pas de sens, c’est un continent composé de 54 pays et peuplé de 1,2 milliard d’habitants, dont les réalités sont très différentes suivant les régions.</p>
<p>Les pays du Maghreb ont été touchés les premiers, notamment l’Égypte, qui est un des premiers pays qui a rapporté des cas importés, l’Algérie, le Maroc. Cette ancienneté de l’épidémie pourrait expliquer pourquoi on y dénombre le plus de cas, rapportés à la population.</p>
<p>En Afrique subsaharienne, les systèmes de santé sont plus ou moins fragiles selon les pays. C’est ce qui expliquerait en partie les disparités dans la dynamique de l’épidémie : certains gouvernements ont pu mettre en place une offre de tests plus importante, d’autres ont acquis au fil des années une expérience des épidémies qui leur sert durant la crise actuelle. </p>
<p>Les pays qui peuvent mieux tester leur population seront probablement plus à même de maîtriser l’épidémie de Covid-19, en isolant les malades et en identifiant les contacts. On voit bien que la situation diffère selon les endroits : le nombre de cas de Covid-19 a par exemple beaucoup plus progressé en Côte d’Ivoire et au Sénégal qu’au Burkina ou au Mali. Ce que nous voyons ne représente cependant que la partie émergée de l’iceberg, basée sur les chiffres officiels en circulation.</p>
<p><strong>Comment expliquer cette faible croissance de l’épidémie, contraire aux craintes formulées au début de l’épidémie ?</strong></p>
<p>Plusieurs hypothèses sont envisagées pour l’expliquer. L’offre de test disponible a dû jouer : en raison de la tension internationale sur les équipements et les réactifs, les difficultés d’approvisionnement ont été importantes. Il en aurait résulté un accès insuffisant aux tests, et donc une sous-estimation du nombre de cas. Mais cela n’explique pas tout.</p>
<p>Une seconde hypothèse est aussi avancée : <a href="https://theconversation.com/comment-la-jeunesse-de-sa-population-peut-expliquer-le-faible-nombre-de-morts-du-covid-19-en-afrique-139832">la population est en moyenne plutôt jeune sur le continent</a>, et la proportion de plus de 65 ans est très faible (elle représente peut-être 5 % de la population en Afrique subsaharienne). Cela pourrait expliquer cette impression que l’épidémie ne flambe pas : le virus circulerait, mais les formes peu ou asymptomatiques, non détectées, seraient majoritaires. On sait en effet que les formes sévères concernent surtout les personnes âgées ou à risque, avec des comorbidités de type obésité, diabète, des problèmes cardiovasculaires. Or, même si en Afrique on considère qu’il y a une transition épidémiologique (des maladies infectieuses aux maladies chroniques) et que de plus en plus de gens développent des diabètes, des surpoids, et des pathologies cardiovasculaires, la prévalence demeure inférieure à celle des pays d’Europe ou d’Amérique du Nord.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-jeunesse-de-sa-population-peut-expliquer-le-faible-nombre-de-morts-du-covid-19-en-afrique-139832">Comment la jeunesse de sa population peut expliquer le faible nombre de morts du Covid-19 en Afrique</a>
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<p>Autre hypothèse : les premiers cas auraient plutôt touché l’élite socio-économique, c’est-à-dire des gens qui ont les moyens de voyager à l’étranger. En rentrant chez eux, ils auraient importé la maladie. Ces premiers cas, qui appartenaient aux classes sociales aisées, auraient peut-être pu mieux s’isoler et se faire tester dès les premiers jours suivant leur retour. Par ailleurs à ce moment les gouvernements, inquiets de la situation européenne, commençaient à mettre en place des mesures de confinement. La conjonction de ces deux facteurs expliquerait en partie pourquoi la maladie n’a pas diffusé massivement dans la population générale.</p>
<p>Des explications sont aussi à rechercher du côté des modes de vie, qui diffèrent de ceux des pays occidentaux. Du fait de conditions de vie souvent précaire, une grande partie des populations vit plus à l’extérieur. Les gens passent moins de temps dans des espaces clos et confinés où on sait que le virus se transmet mieux. Cela participe aussi à la dynamique de l’épidémie.</p>
<p>Parmi les pistes à explorer figure également la réponse immunitaire : il pourrait exister des différences chez certaines populations soumises à de nombreuses expositions microbiennes. On peut émettre l’hypothèse d’une immunité croisée (<em>ndlr : les anticorps produits suite à une infection antérieure par d’autres microbes pathogènes seraient également actifs, au moins partiellement, contre le coronavirus SARS-CoV-2</em>).</p>
<p>Enfin, il faudrait aussi étudier la question du climat, déterminer par exemple si la chaleur, l’humidité, pourraient jouer un rôle.</p>
<p>Ce faisceau d’hypothèses expliquerait pourquoi l’épidémie ne semble pas flamber en Afrique. Cependant, pour confirmer ces suppositions, des études destinées à mieux comprendre ce qui s’est passé dans chaque pays, à l’échelle d’une région, d’une ville, seront nécessaires. Seules des données solides et bien analysées pourront expliquer ce qui s’est passé.</p>
<p><strong>À ce propos, comment la pandémie de Covid-19 influe-t-elle sur les autres épidémies ?</strong></p>
<p>En République démocratique du Congo, il y a eu une résurgence de cas de maladie à virus Ebola dans le Nord-Kivu. On pensait l’épidémie terminée, mais quelques cas sporadiques surviennent encore chaque semaine, dans cette région <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/republique-democratique-du-congo/nord-est-de-la-rdc-un-espoir-tenu-de-retour-a-la-paix_3953103.html">où s’affrontent des groupes armés</a>. Ces nouveaux cas révèlent que l’épidémie d’Ebola n’y est pas contrôlée. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Ebola-nouveau-foyer-RD-Congo-2020-06-02-1201097124">Un nouveau foyer dans la province de l’Équateur</a>, proche de la ville de Mbandaka, vient également d’être confirmé. </p>
<p>Cette situation met le pays en difficulté, notamment face aux autres épidémies telles que celle de rougeole, très meurtrière depuis 2019, qui touche aussi la République Centrafricaine voisine. La concomitance d’autres épidémies comme celle de fièvre Lassa ou fièvre jaune au Nigéria, de fièvre de la vallée du Rift au Soudan, ou d’épidémies de choléra dans de nombreux pays, rendent plus complexes la gestion de ces cocirculations de pathogènes. Ce type de situation concerne diverses autres zones fragilisées, ailleurs sur le continent.</p>
<p>En outre, la question de l’accès au diagnostic de la maladie Covid-19 dans les zones rurales est souvent compliquée. L’offre est centralisée dans les capitales. Plusieurs centres y font des prélèvements, qui sont ensuite envoyés dans les laboratoires de référence où sont effectuées les analyses. Quand un cas suspect est identifié en région, ses prélèvements peuvent être envoyés à la capitale, mais parfois le malade s’y déplace. S’il est effectivement positif, il risque de diffuser le virus.</p>
<p><strong>Craignant une flambée de l’épidémie sur le continent, l’Organisation mondiale de la santé avait appelé très tôt à l’aide internationale. Cela a-t-il été suivi d’effet ?</strong></p>
<p>Oui, la mobilisation a eu lieu dès le début de l’épidémie, car tout le monde a craint l’explosion. Les financements qui ont été mis à disposition rapidement ont permis par exemple de renforcer les capacités diagnostiques, ce qui a sûrement influé aussi sur la dynamique de l’épidémie. La France a participé via l’Agence française de développement, qui a lancé l’initiative « Covid-19 – Santé en commun », en réponse à la crise sanitaire mondiale. L’AFD a aussi financé des projets de différents instituts tels que l’Inserm, l’IRD ou l’Institut Pasteur, ainsi que ceux de la Fondation Mérieux et d’organisations non gouvernementales comme Alima et le CICR.</p>
<p>Ces financements ont notamment permis au projet de renforcement de capacités APHRO-CoV de voir le jour, en partenariat avec 5 pays : Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina et Gabon. Initié sous l’égide de la <a href="http://www.infectiologie-afrique.com/">Société africaine de pathologies infectieuses</a>, ce projet est multiacteurs. Il est piloté par l’Inserm via REACTing, en collaboration avec le programme PAC-CI en Côte d’Ivoire ainsi que l’Université de Bordeaux, et s’appuie sur l’expertise de l’AP-HP. Concrètement, il se déploie avec quatre objectifs :</p>
<ul>
<li><p>Former, équiper et renforcer les capacités de 5 laboratoires hospitaliers situés à proximité des services de maladies infectieuses des centres hospitaliers universitaires (CHU) référents, qui sont appelés à prendre en charge les cas suspects. Il s’agit de réduire le délai de rendu du résultat, qui fait actuellement appel à un laboratoire de référence national ou régional ;</p></li>
<li><p>Former, équiper et renforcer les capacités des services de maladies infectieuses de ces 5 CHU appelés à prendre en charge les cas (suspects et confirmés) en matière d’hygiène hospitalière, d’adéquation de la prise en charge et de soutien psychologique aux personnes et personnels concernés ;</p></li>
<li><p>Former et renforcer les capacités des Instituts nationaux de santé publique et de leurs « Centres des Opérations de Réponse aux Urgences Sanitaires » (CORUS) en matière d’alerte précoce et de circuit de l’information pour la surveillance et le suivi des cas contacts ; </p></li>
<li><p>Accompagner les mesures de riposte avec une analyse des craintes et des rumeurs qui circulent, afin de mieux guider les réponses des décideurs, notamment en matière de communication.</p></li>
</ul>
<p>Nous avons dû nous adapter face à la crise sanitaire. Par exemple, suite à la restriction des déplacements entre les pays africains et à l’international imposée par les gouvernements, les formations ont été modifiées et sont aujourd’hui organisées sous forme de webinaires. </p>
<p>Le réseau de partenaires que nous sommes en train de constituer a non seulement vocation à répondre aux enjeux actuels, qui sont criants, mais aussi à devenir pérenne. Le renforcement des capacités réalisé durant l’épidémie de Covid-19 au niveau des laboratoires des CHU pourrait permettre ultérieurement d’améliorer le diagnostic d’autres pathologies notamment d’autres virus respiratoires.</p>
<p><strong>Comment les populations des pays concernées par le projet vivent-elles la situation ? Observe-t-on une certaine défiance, comme dans une partie des populations occidentales ?</strong></p>
<p>Les expériences des épidémies anciennes ont montré que la défiance envers les décideurs et les politiques est en général très forte. C’est probablement la même chose dans le cas de l’épidémie de Covid-19, même si pour l’instant on ne peut que le supposer. Au Sénégal, on assiste ces derniers jours à des manifestations contre le couvre-feu imposé, donc on voit que les réactions des populations peuvent être très violentes face aux décisions politiques. C’est sur cette défiance qu’il faut travailler. La communication est ici essentielle et déterminante.</p>
<p>L’engagement est important aussi : si la population ne se sent pas impliquée et actrice de la lutte contre l’épidémie, ça ne marchera pas. Nous avons beaucoup travaillé sur l’engagement communautaire lors de l’épidémie d’Ebola en Guinée, ce qui avait permis de regagner la confiance de la population tant dans la lutte contre l’épidémie que pour la mise en place d’essais cliniques.</p>
<p>Un des problèmes est aussi de trouver des modes de confinement compatibles avec la vie quotidienne des populations. Dans de nombreuses classes sociales, les gens sont obligés de continuer à sortir chaque jour pour aller gagner leur vie. Certains pays ont dû adapter le confinement pour en tenir compte. </p>
<p>Chaque gouvernement a pris ses propres décisions, s’est entouré ou non d’un conseil scientifique pour avoir des avis… La Côte d’Ivoire a partiellement levé le confinement, la Guinée a opté pour un confinement relatif où l’on peut sortir à condition de porter un masque, où les habitants de la capitale ne peuvent la quitter sauf motif impératif, où école, bars et restaurant sont fermés… </p>
<p><strong>Comment vont se passer les prochains mois ?</strong></p>
<p>La situation demeure très fragile, et il est encore trop tôt pour savoir comment elle va évoluer. Le virus circulera encore probablement pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. D’épidémique, la situation va devenir endémique. </p>
<p>À la co-circulation avec les autres maladies infectieuses (VIH, paludisme, tuberculose, infections respiratoires, diarrhées…) s’ajoute parfois une vulnérabilité accrue due à la malnutrition. Cela pourrait être problématique dans le cas de l’épidémie de Covid-19. D’autant plus que celle-ci risque de perturber les programmes de vaccination, rendant encore les populations plus fragiles face aux maladies à prévention vaccinales. Les programmes de lutte contre les autres pandémies vont aussi être affectés.</p>
<p>La vigilance reste donc de mise. Il ne faut pas se relâcher, que ce soit sur le plan de la surveillance, de l’offre de test, de la prise en charge clinique, sur la connaissance de la maladie dans les contextes africains. L’apport des sciences humaines et sociales est ici essentiel pour mieux comprendre et proposer des mesures de prévention pertinentes. Le facteur déterminant sera le système de santé. Les pays où il est le plus fragile seront les plus à risque, c’est là qu’il faut renforcer. D’autant plus, évidemment, si la situation politique ou sanitaire y est difficile : conflits, mouvements de population, autres épidémies… </p>
<p>Tout cela va jouer. L’inquiétude concerne de nombreux pays, en particulier ceux qui comptent des dizaines de millions d’habitants, où la population est parfois concentrée dans des capitales surchargées comme Lagos, Le Caire, Kinshasa, Johannesburg, Nairobi… Si l’épidémie y flambait, ce serait très problématique.</p>
<p>L’attention portée à la circulation du virus doit demeurer permanente, pour éviter que cette région du monde ne subisse la catastrophe annoncée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139744/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric D'Ortenzio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que l’Afrique faisait l’objet de toutes les inquiétudes, l’épidémie de Covid-19 ne semble pas y flamber pour l’instant. Comment expliquer cette situation, qui a déjoué les attentes des experts ?Eric D'Ortenzio, Médecin épidemiologiste, coordonnateur scientifique de REACTing, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1372982020-05-19T20:53:59Z2020-05-19T20:53:59ZCentrafrique : la face cachée du processus de paix<p>Depuis <a href="https://www.hdcentre.org/wp-content/uploads/2019/02/Accord-pour-la-paix-et-la-r%C3%A9conciliation-en-Centrafrique.pdf">sa signature le 6 février 2019 à Khartoum</a>, il est de bon ton à Bangui de se féliciter de l’« Accord politique pour la paix et la réconciliation en Centrafrique ». Ce texte fait certes la part belle aux groupes armés, et ses multiples violations restent impunies ; mais, comme on dit dans les cercles internationaux, « c’est la seule solution que nous avons ».</p>
<p>Depuis plus d’un an, l’application de l’Accord de Khartoum révèle son instrumentalisation par les protagonistes du conflit. En effet, le processus de paix constitue « la » nouvelle opportunité d’enrichissement aussi bien pour les groupes armés que pour les acteurs gouvernementaux.</p>
<h2>L’Accord de Khartoum : une manne pour les groupes armés…</h2>
<p>Dès les premières réunions organisées par la Russie et le Soudan à Khartoum en 2018, les conditions de négociation de cet accord (des enveloppes de billets et des promesses d’autres enveloppes à venir) n’étaient déjà <a href="https://theconversation.com/centrafrique-quand-lobjectif-est-la-negociation-et-non-la-paix-114152">pas de bon augure</a>. Négocié loin du peuple centrafricain, dans la capitale d’un pays voisin ayant été partie prenante au début du conflit, l’accord de Khartoum n’est plus que le vecteur formel de la redistribution de la manne financière internationale aux groupes armés.</p>
<p>Cette redistribution s’effectue par diverses mesures : celles qui sont prévues explicitement dans l’accord de paix et celles qui sont officieuses. Les premières sont le programme de DDR (démobilisation, désarmement et réinsertion), la mise en place des Unités spéciales mixtes de sécurité (USMS), la participation rémunératrice à des comités multiples et variés et les postes officiels octroyés aux leaders des groupes armés dans le cadre de leur cooptation dans le système institutionnel. Une partie des fonds consacrés par les bailleurs au DDR et aux USMS servent à assurer la prise en charge financière des miliciens qui, durant plusieurs mois, participent au programme de DDR ou intègrent les USMS (trois USMS étaient prévues en 2019 mais une seule a été créée jusqu’à présent). Au titre des précédents programmes liés au DDR (pré-DDR, DDR pilote, CVR), les donateurs internationaux ont dépensé plusieurs millions de dollars depuis 2016, sans effet sur les groupes armés.</p>
<p>Pour le DDR, qui a débuté après la signature de l’accord de paix, la Banque mondiale a budgété 40 millions de dollars, pour un nombre de combattants estimés à 5 000. Les miliciens participant au DDR reçoivent une indemnité journalière pendant environ six mois (les fameux per diem fournis par toutes les organisations internationales en dépit du bon sens), puis un package pour recommencer leur vie dont le montant maximal est fixé à 700 dollars – une somme à comparer au revenu annuel par habitant qui est en Centrafrique de… <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GNP.PCAP.CD?locations=DO-CF">490 dollars</a>.</p>
<p>Ceux qui sont en formation dans les USMS touchent une « prime générale d’alimentation » – une autre sorte de per diem. Il y a ensuite les jetons de présence pour les représentants des groupes armés dans les multiples comités censés être indispensables à la mise en œuvre de l’accord de paix. Lors d’une réunion d’un de ces comités, les représentants des groupes armés ont ainsi révélé que leur participation aux multiples « comités Théodule » leur rapporte l’équivalent du salaire d’un directeur général dans un ministère. En outre, il y a les salaires versés aux leaders de groupes armés par le gouvernement au titre de leurs fonctions aussi officielles que fictives : non seulement des représentants de groupes armés ont été nommés ministres en application de l’accord de Khartoum mais Sidiki Abbas (leader des 3 R), Ali Darassa (leader de l’Unité pour la Paix en Centrafrique) et Mahamat Al-Khatim (leader du Mouvement patriotique pour la Centrafrique) ont été nommés <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20190327-rca-trois-importants-chefs-rebelles-nommes-conseillers-speciaux-militaires">« conseillers militaires spéciaux » du premier ministre avec rang de ministre délégué</a>.</p>
<p>Outre ces rémunérations officielles, le processus de paix comporte de nombreuses opportunités de profits pour ceux qui détiennent un pouvoir de décision ou d’influence dans la mise en œuvre du DDR et des USMS : marchés de rénovation et d’équipement, inscription sur les listes de bénéficiaires, versement des prises en charge financières, etc. Tels sont les enjeux très matériels des luttes de pouvoir qui se déroulent dans les coulisses du DDR et des USMS (par exemple entre le ministre du DDR, Maxime Mokom, lui-même leader du mouvement armé des anti-balaka, et l’unité d’exécution du programme de DDR composée de fonctionnaires centrafricains rémunérés par des fonds internationaux). Il s’agit de tirer profit de toutes les façons possibles des financements internationaux de ces projets pour soi et sa clientèle personnelle.</p>
<p>Ces pratiques seraient tolérables si elles atteignaient in fine leur but, c’est-à-dire acheter la paix. Or ce n’est pas le cas. Les groupes armés touchent les dividendes de l’accord – que les négociateurs leur ont fait miroiter – sans remplir leur part du contrat. Tout en engrangeant les fonds précédemment mentionnés, dont le montant exact depuis la signature de l’accord mérite d’être rendu public, ils multiplient les violences dans la plus totale impunité. En effet, l’article 35 de l’accord de paix, qui prévoit des sanctions, reste toujours lettre morte. De plus ils s’efforcent de limiter leur désarmement et la démobilisation de leurs combattants. Dès le début du DDR, le ratio miliciens/armes fixé à 90 % (90 % des miliciens candidats au DDR doivent rendre une arme fonctionnelle) n’est pas respecté. Le ministre Mokom essaie de détourner le DDR à son profit en y incluant des personnes qui n’y ont pas droit. Quand ils n’obtiennent pas leur dû financier, les miliciens <a href="https://corbeaunews-centrafrique.com/rca-greve-des-usms-laxe-baoro-boua-toujours-bloque-touadera-appelle-sidiki/">bloquent la principale route du pays</a>. Ces « miliciens grévistes » expriment ainsi haut et fort une revendication salariale !</p>
<p>Mais l’accord de paix n’est pas seulement une bonne affaire pour les groupes armés ; c’est aussi une bonne affaire pour le gouvernement.</p>
<h2>… et pour l’élite</h2>
<p>Les signes de l’enrichissement de l’élite sont visibles à l’œil nu dans les quartiers de Bangui. Il suffit de s’y promener pour se rendre compte de la spéculation foncière effrénée qui règne dans la capitale alors que le pays est en ruines. On n’a jamais autant construit d’immeubles et d’hôtels à Bangui depuis le début du siècle. Sont particulièrement prisés le quartier de Bellevue dans le VII<sup>e</sup> arrondissement où nombre de membres du gouvernement se sont installés dans le sillage du premier ministre ; le centre-ville ; le quartier de Lakouanga dans le II<sup>e</sup> arrondissement ; et même la commune de Bimbo, à la sortie de la ville.</p>
<p>Les principaux acteurs de ce boom immobilier sont en premier lieu l’élite politico-administrative, puis quelques grands commerçants de la place ainsi que des entreprises chinoises. Ce soudain boom immobilier et la construction d’une vaste ferme par le président Touadéra à Damara ne sauraient se comprendre sans référence à la succession de scandales qui caractérisent le régime depuis deux ans : la privatisation d’emprises militaires (par exemple le camp Fidèle Obrou), le <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200409-centrafrique-affaire-faux-passeports-diplomatiques">trafic de documents d’identité</a>, l’ouverture du secteur minier <a href="http://www.finances-budget.cf/documents/permis-d-exploitation/permis-miniers">aux entreprises chinoises et russes</a>, la <a href="https://letsunami.net/index.php/2019/11/29/centrafrique-detournements-massifs-des-deniers-publics-au-ministere-de-la-defense-nationale-mme-marie-noelle-koyara-doit-prendre-ses-responsabilites/">privatisation des budgets publics</a> et la multiplication des exonérations fiscales qui explique que certains produits qu’on retrouve sur tous les marchés de Bangui ont disparu des statistiques douanières d’importation. Comme ses prédécesseurs, le régime actuel prend le Trésor public pour son propre compte en banque et s’acoquine avec des <a href="https://www.africaintelligence.fr/afrique-ouest-et-centrale_politique/2019/09/11/qui-est-le-groupe-libanais-qui-negocie-les-cartes-d-identite,108372034-art">businessmen étrangers grands habitués de la navigation en eaux troubles</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/336140/original/file-20200519-152288-1gdgn0y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chantier à Bangui, février 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thierry Vircoulon</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/336142/original/file-20200519-152292-gpaogb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Chantier à Bangui, février 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thierry Vircoulon</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Alors que 70 % des Centrafricains vivent avec moins de 1,90 dollar par jour, deux groupes se sont largement enrichis grâce au conflit centrafricain : les seigneurs de guerre et l’élite dirigeante. Chacun d’entre eux capte les ressources qui sont à sa portée avec ses propres méthodes : les premiers captent les ressources de l’économie informelle (or, diamants, bétail, commerce transfrontalier, etc.) par la violence dans les provinces sous leur contrôle tandis que les seconds captent les ressources de l’État à Bangui par l’abus de pouvoir. Ils ont toutefois un abreuvoir commun : l’aide internationale.</p>
<h2>À quoi l’aide internationale sert-elle ?</h2>
<p>Alors que la Centrafrique était décrite comme un orphelin de l’aide avant le déclenchement du conflit en 2015, l’aide internationale a <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/DT.ODA.ODAT.CD?locations=C">nettement augmenté depuis</a>. À tel point que l’aide internationale représentait 45 % des recettes publiques en 2018.</p>
<p>Si cette aide est multiforme, une partie substantielle prend la forme d’appui budgétaire, c’est-à-dire de fonds directement versés au gouvernement et dont les principaux pourvoyeurs sont l’UE et la Banque mondiale. Cette dernière a ainsi versé au gouvernement pas moins de <a href="https://projects.worldbank.org/en/projects-operations/project-detail/P168035?lang=en">98 millions de dollars en 2019</a> et l’UE <a href="https://ndjonisango.com/2018/08/13/centrafrique-lunion-europeenne-decaisse-8875-millions-deuros-pour-lappui-budgetaire/">88 millions d’euros de 2014 à 2018</a>.</p>
<p>Cette modalité d’aide étant un simple transfert financier au profit du gouvernement, elle est facile à détourner comme l’ont déjà démontré de <a href="https://www.lepoint.fr/economie/la-banque-mondiale-reprend-son-aide-budgetaire-au-malawi-06-05-2017-2125291_28.php">nombreux exemples</a>. Ces détournements risquent d’alimenter les caisses de la campagne électorale du président en 2020. En effet, un nouveau versement d’appui budgétaire est prévu en septembre de cette année par l’UE alors qu’il n’existe aucune règle de transparence des financements électoraux et qu’il interviendra juste avant le début de la campagne électorale.</p>
<h2>L’échec inéluctable de la paix « made in Khartoum »</h2>
<p>Après un an d’application de l’accord de Khartoum, plusieurs constats s’imposent :</p>
<ul>
<li><p>Le DDR, qui a été présenté dès 2014 comme la clé du problème des groupes armés, va connaître le sort des précédents DDR depuis 2008 : il ne désarmera et ne démobilisera pas les groupes armés. Peu de miliciens sont concernés par le DDR et seule une ultra-minorité est concernée par les USMS. Le traitement des 3 R par le DDR et l’USMS est déjà révélateur : depuis qu’il a accepté de participer à ces deux programmes à la fin de 2019, ce groupe armé a, en fait, conservé l’essentiel de son armement et de ses miliciens et son leader vient de <a href="http://news.abangui.com/h/71940.html">retourner dans la brousse</a>. L’échec du DDR est donc programmé.</p></li>
<li><p>Les acteurs internationaux qui portent (l’ONU et l’UA) et financent (l’UE) l’application de l’accord sont au centre du processus de paix tandis que le gouvernement et les groupes armés jouent les figurants/profiteurs.</p></li>
<li><p>La stratégie des sponsors internationaux de l’accord de Khartoum, qui consistait très cyniquement à « acheter la paix », ne leur a permis que de louer une accalmie. Malgré les prébendes obtenues par les groupes armés, les plus importants d’entre eux continuent de s’affronter, d’essayer d’étendre leur territoire et de violer allégrement l’accord. Les sponsors internationaux de l’accord de paix sont maintenant pris au piège de leur propre stratégie : chaque étape de la mise en œuvre de l’accord est <a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200425-centrafrique-groupes-armes-discussions-gouvernement-tensions">chèrement marchandée par les groupes armés</a>.</p></li>
<li><p>Grâce à l’accord de paix, la captation de l’aide internationale, qui était auparavant le privilège de l’élite au pouvoir (voir la page 43 de <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/493201582052636710/pdf/Elite-Capture-of-Foreign-Aid-Evidence-from-Offshore-Bank-Accounts.pdf">l’étude de la Banque mondiale</a>, a été élargie aux seigneurs de guerre. Ils ont maintenant aussi accès par des voies officielles et officieuses à cette manne qui est l’une des principales ressources du pays. De ce fait, l’économie politique prédatrice des groupes armés – en voie de légalisation – ressemble de plus en plus à celle des dirigeants. Et ni les uns ni les autres n’ont intérêt à une paix qui aboutirait in fine à la réduction de cette manne internationale.</p></li>
<li><p>Comme dans beaucoup d’autres pays, la phase post-conflit (en réalité une période à mi-chemin entre l’anarchie totale et la paix) donne lieu à une amplification de la corruption. Le boom immobilier de Bangui consécutif à l’afflux d’aide dans une capitale sécurisée par les forces internationales a déjà eu lieu à <a href="https://www.batiactu.com/edito/kaboul-nouveau-paradis-speculateurs-immobiliers-15837.php">Kaboul</a>, <a href="http://gmanzukula.over-blog.com/article-boom-immobilier-a-kinshasa-l-ombre-de-l-argent-sale-117669323.html">Kinshasa</a>, <a href="https://immobilier.lefigaro.fr/article/en-somalie-les-projets-immobiliers-renaissent-apres-20-ans-de-guerre_8be812b6-b2ab-11e5-b003-91231f436522/">Mogadiscio</a>, etc. Toutes ces villes ont en commun le non-renouvellement des élites dirigeantes, la stimulation du marché immobilier par la présence d’une importante communauté expatriée, la stratégie d’« achat de la paix » et d’inclusion institutionnelle des seigneurs de guerre pour résoudre le conflit et l’afflux d’aide budgétaire au prétexte de consolidation de l’État dans un pays où la gestion des finances publiques <a href="https://www.pefa.org/assessments/summary/2466">manque de transparence et de contrôle</a> et où la corruption est institutionnalisée (l’indice de perception de la corruption de Transparency International classe la Centrafrique <a href="https://transparency-france.org/wp-content/uploads/2020/01/2019_CPI_Report_FR.pdf">au 153e rang sur 180 pays</a>). Tous ces éléments accroissent les opportunités de corruption et incitent les bailleurs à fermer les yeux – en Centrafrique <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/faire-taire-les-armes-24-peace-building-peut-acheter-la-paix">comme ailleurs</a>.</p></li>
<li><p>Enfin, la Centrafrique est une nouvelle preuve que, si les conflits impactent gravement la vie de la population, en revanche ils ne changent ni les pratiques de corruption des élites locales ni le comportement complaisant des bailleurs. Même si la paix finissait par être atteinte en Centrafrique, l’actuelle captation de l’aide montre que les dividendes de la paix seraient monopolisés par les élites prédatrices et ne profiteraient pas à la population, rendant à terme inévitable le retour du conflit.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/137298/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Accord de Khartroum signé le 6 février 2019 pour mettre fin au conflit en Centrafrique comporte bien des défauts, à commencer par l’idée qu’il permettra d’« acheter la paix ».Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1303992020-01-30T17:36:56Z2020-01-30T17:36:56ZRepenser l’aide aux États faillis<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-1-page-31.htm">États faillis</a> (Somalie, Afghanistan, Haïti, Guinée-Bissau, République démocratique du Congo, etc.) sont devenus une réalité bien ancrée dans le paysage international et leur liste ne cesse de s’étendre avec de nouveaux effondrements contemporains (Libye, Centrafrique, Yémen et, demain, certains pays du Sahel). Non seulement l’effondrement des premiers pays cités remonte au siècle dernier, mais il dure depuis plusieurs décennies. De ce fait, la faillite de ces États ressemble plus à une période qu’à un événement de leur histoire. Compte tenu des sommes importantes investies dans leur reconstruction avec des <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/le-controle-des-dons-pour-l-afghanistan-insuffisant-rapport-americain_2003665.html">contrôles insuffisants</a>, il convient de s’interroger sur le « succès de leur faillite ».</p>
<h2>Qu’est-ce qu’un État failli ?</h2>
<p>À cette question posée naïvement lors de mon arrivée au Congo au début de ce siècle, un collègue expérimenté m’avait répondu : « Marche dans la rue, et tu comprendras vite ce que c’est. » En effet, il suffit de marcher dans la rue (quand il y en a encore !) pour comprendre qu’un État failli est un État incapable de garantir la sécurité de ses citoyens, dont les institutions sont structurellement dysfonctionnelles, les infrastructures publiques sont en ruines, le budget national est ridicule et l’économie est presque complètement informalisée.</p>
<p>Pauvreté massive, insécurité et impunité totale sont les marqueurs de l’État failli. Depuis les années 1990, les acteurs internationaux ont formalisé une thérapie à base de perfusion budgétaire, d’aide humanitaire, de Casques bleus et d’élections. Mais ce kit de la reconstruction est <a href="https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-de-l-impossibilite-de-reconstruire-les-etats-faillis-23-11-2019-2349140_3590.php">loin de remédier</a> à la faillite de l’État. Les raisons de cet échec sont multiples et l’une d’elles est l’ignorance de deux réalités fondamentales.</p>
<h2>L’État est dans le coma, il n’est pas mort</h2>
<p>Le fait que l’État n’assume plus ses responsabilités de base n’est pas synonyme de disparition. Un squelette d’administration survit à l’effondrement. Des fonctionnaires continuent d’aller au bureau, des jeunes continuent de vouloir devenir les agents d’un État déliquescent et des recrutements continuent – le plus souvent illégalement.</p>
<p>Ce paradoxe s’explique par la stratégie de survie des fonctionnaires. Peu ou pas payés, ils privatisent leur fonction et taxent lourdement et arbitrairement la population et les quelques acteurs du secteur formel (ONG internationales et entreprises). Ils utilisent encore leur position dans l’ancien système étatique sans être en mesure de procurer les services publics qu’il fournissait, comme l’eau potable et l’électricité. Dans l’environnement de l’État failli, les relations entre le gouvernement, les fonctionnaires et la population sont l’inverse de ce qu’elles étaient. Alors qu’elle était avant centralisée au niveau gouvernemental, la corruption est généralisée et institutionnalisée dans l’administration ; une importante parafiscalité illégale pèse sur une population appauvrie ; et les fonctionnaires s’autonomisent par rapport à un gouvernement qui les paie mal, irrégulièrement ou pas du tout et n’a plus guère d’autorité sur eux.</p>
<p>Plusieurs conséquences découlent de cette situation. La notion de service public est vidée de son sens : aucun service fourni par l’administration n’est gratuit, celle-ci se comportant comme un prestataire privé. Les fonctionnaires, qui faisaient autrefois partie de l’élite du pays, sont à la fois déconsidérés et enviés. De plus, les administrations les plus résilientes dans les États faillis sont les administrations financières, et plus particulièrement les douanes. Comme cette administration génère souvent l’essentiel de la fiscalité de l’État failli, elle reste fonctionnelle, opaque et résistante à toutes les tentatives de réforme.</p>
<h2>L’invention d’un secteur social de substitution</h2>
<p>L’État failli qui n’assume plus ses responsabilités régaliennes, sociales et économiques donne inévitablement naissance à des substituts. Bien qu’elles s’en défendent au nom de la souveraineté et l’appropriation nationales, les institutions internationales prennent en mains de facto certaines fonctions étatiques : l’ONU confie la sécurité publique aux Casques bleus avec leur habituel mandat de protection de la population, la santé est co-gérée par l’OMS et les bailleurs, etc. Mais ce sont surtout les acteurs de la société (les églises, le secteur privé, les associations, etc.) qui répondent en premier à la disparition des services publics de base (sécurité, eau, santé, éducation, électricité).</p>
<p>En <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03056240902863587">République démocratique du Congo</a>, où la faillite de l’État dure depuis trois décennies, un important secteur social de substitution s’est construit de manière ad hoc. Autrefois assurée par l’État, l’éducation est maintenant essentiellement l’affaire d’acteurs non étatiques, au premier rang desquelles des organisations religieuses. La privatisation a été introduite par le bas – avec les maîtres-parents dans les écoles publiques – et par le haut – avec la délégation d’écoles publiques aux congrégations religieuses qui sont appelées des écoles publiques confessionnelles (c’est-à-dire dirigées par des églises et reconnues par l’État). L’enseignement universitaire a également fait l’objet d’une double privatisation : faute de dotations d’État, les universités publiques se sont tournées vers des financements privés et les universités privées, souvent d’inspiration religieuse, se multiplient pour absorber la forte croissance de la population étudiante.</p>
<p>Les acteurs de l’économie informelle inventent aussi leurs propres mécanismes de financement avec les célèbres tontines. Elles permettent à leurs membres de faire face financièrement aux coups durs (maladie) et de financer un petit commerce de survie. Elles sont en même temps la sécurité sociale et la banque des pauvres. Le succès des églises de réveil tient en grande partie à ce qu’elles ont intégré ce système de solidarité financière dans un cadre confessionnel.</p>
<p>Loin du cliché culturaliste sur le « dynamisme de la société civile », la multiplication des réseaux de solidarité communautaire, des structures confessionnelles et des associations en tous genres est la réponse pragmatique à la faillite de l’État. La population n’a d’autre choix que d’inventer de nouvelles formes de solidarité, d’échange et d’interdépendance pour tenter de se procurer les services publics de base dont elle est privée. Ce faisant, elle construit progressivement un secteur social de substitution qui n’est pas exempt de problèmes (manque de compétences et de financement, fragmentation, désorganisation, etc.) mais qui a l’avantage de répondre à des besoins locaux et immédiats. Avec le temps, les acteurs non étatiques de ce secteur acquièrent une légitimité et un prestige auprès de la population qui apprécie les services qu’ils rendent en lieu et place de l’État.</p>
<h2>L’échec du « state building » international</h2>
<p>Face à un État failli, les donateurs internationaux répondent par le <a href="https://muse.jhu.edu/article/54670/summary">« state building »</a>. L’essentiel de l’aide internationale est orienté vers l’administration (construction et équipement de bureaux, aide budgétaire pour payer les salaires des fonctionnaires, etc.) et seule une maigre portion est attribuée à la société civile. Ainsi, au lieu de s’interroger d’abord sur la façon dont la population se soigne, s’éduque, s’approvisionne en eau potable, etc., et d’identifier les acteurs non étatiques qui contribuent à ces services de base, les donateurs font des diagnostics des administrations qui ne fournissent plus ces services dans le but de les rendre de nouveau opérationnelles.</p>
<p>Cette approche est un échec 9 fois sur 10. D’une part, elle ignore que le corps social n’est pas resté passif face à l’effondrement de l’État et a inventé ses propres solutions à la crise. Pour imparfaites qu’elles soient, ces solutions fonctionnent. Elles génèrent aussi des effets de légitimité et des intérêts qui peuvent parfois aller à l’encontre de la politique de reconstruction des administrations, la population ayant plus confiance dans des églises ou des associations que dans l’État. D’autre part, l’État failli étant moribond mais pas mort, il résiste encore aux initiatives de transformation. Il survit parce qu’il est toujours le réceptacle des intérêts de l’élite politico-administrative même si celle-ci a failli et conduit le pays à la ruine. Si elle acquiesce aux réformes de gouvernance publique promues par les bailleurs, elle s’efforce de les saborder en silence car elles remettent en cause sa stratégie de survie.</p>
<p>Après la période des déclarations d’intention bienveillantes, l’agenda des réformes est bloqué à tous les niveaux – aussi bien par le haut (le gouvernement) que par le bas (les fonctionnaires). Ils font cause commune pour que les bailleurs se préoccupent plus de leurs salaires et de la reconstruction de leurs bureaux que de leurs performances et de la réforme de leurs pratiques. La transformation de l’État failli en État fournisseur de services se heurte à des logiques de prédation que les bailleurs tolèrent tout en sachant qu’elles réduisent leurs investissements et efforts à néant.</p>
<p>S’ils veulent vraiment reconstruire quelque chose dans les États faillis, les donateurs doivent réexaminer le paradigme stérile du « state building » (qui ne saurait se limiter à un simple mécano institutionnel) et confronter leurs idées préconçues à la réalité sociologique. Pour ce faire, voici quelques questions simples qui définissent un agenda de recherches utiles à leur stratégie de reconstruction :</p>
<ul>
<li><p>Quelle est la légitimité de l’administration et de ses incarnations multiples aux yeux de la population ? A-t-elle des ressources pour se réinventer, à quel horizon temporel et à quel coût ?</p></li>
<li><p>Quels sont les intérêts qui assurent sa survie et quelles sont ces structures de pouvoir ?</p></li>
<li><p>Quels sont les services de base qui existent encore ? Qui sont leurs pourvoyeurs ? Quels sont leurs intérêts ?</p></li>
<li><p>Quelles sont les structures de pouvoir du secteur social de substitution, comment fonctionne-t-il et quelles sont ses interactions avec l’État résiduel ?</p></li>
</ul>
<p>On ne peut que regretter qu’à part quelques exceptions notables (les travaux de <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Th%C3%A9odore-Trefon--34167.htm">Theodore Trefon</a> sur la RDC et ceux d’Avocats sans Frontières sur la <a href="https://www.asf.be/wp-content/uploads/2018/03/ASF_RCA_Itin%C3%A9raires2016-2018_1_OmbreEtat_FR.pdf">justice informelle en Centrafrique</a>) le secteur social de substitution n’ait pas suscité autant de recherches que l’économie informelle. Il s’agit pourtant là d’un domaine qui joue un rôle clé dans la survie des populations des États faillis et permet de comprendre comment les sociétés s’adaptent à la déliquescence de l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon is affiliated with IFRI (French Institute for International Affairs) and Global Initiative against Transnational Organised Crime. </span></em></p>Dans de nombreux États considérés comme « faillis », les donateurs internationaux se sont livrés à des tentatives de « state building » aussi coûteuses qu’inutiles.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1276412019-12-19T17:53:23Z2019-12-19T17:53:23ZRéussir la réforme de la zone franc africaine<p>La zone franc africaine est composée de 14 pays de l’Afrique subsaharienne. Huit appartiennent à la zone de l’Union économique ouest-africaine (<a href="http://www.uemoa.int/fr/presentation-de-luemoa">UEMOA</a>) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Les six autres – le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad – relèvent de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (<a href="http://www.cemac.int/">CEMAC</a>). Depuis quelques années, cette <a href="https://www.banque-france.fr/economie/relations-internationales/zone-franc-et-financement-du-developpement/presentation-de-la-zone-franc">zone franc</a> est contestée de manière récurrente. Le débat sur la question, fortement contrôlé jusqu’au <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2012-2-page-91.htm">début des années 2000</a>, échappe désormais aux milieux académiques et aux cercles politiques ; toutes les composantes des sociétés africaines s’en emparent.</p>
<p>Aujourd’hui, une réforme concertée s’impose, quel que soit le scénario envisagé : rupture totale de la zone franc ou éclatement en deux zones autonomes entre, d’une part, la CEMAC et, d’autre part, la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui englobe tous les pays de l’UEMOA, ainsi que huit autres pays dont le Nigeria et le Ghana), qui a pour projet de <a href="https://www.jeuneafrique.com/797131/economie/eco-future-monnaie-unique-de-la-cedeao-les-chefs-detat-maintiennent-lobjectif-de-2020/">créer une nouvelle monnaie unique appelée « eco » dès 2020</a>. Une chose est sûre : toute réforme devra accroître ou, au moins, sauvegarder les acquis de cette expérience de coopération monétaire, tout en y apportant les aménagements nécessaires.</p>
<h2>Éviter au moins deux pièges</h2>
<p>La future réforme devra échapper à deux pièges majeurs, liés à des perceptions déformées de la réalité.</p>
<p>La première déformation est relative au <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01391233/document">compte d’opérations</a> ouvert dans les livres du <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/qui-sommes-nous">Trésor français</a> où sont aujourd’hui logées 50 % des réserves de change des États membres. En effet, il n’est pas tout à fait exact de dire qu’une <a href="https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/5466">dénonciation des accords de coopération monétaire</a> permettrait de recouvrer ces réserves et de les affecter à d’autres projets prioritaires. Car, en réalité, les pays africains assurent eux-mêmes la convertibilité de leur monnaie. La garantie française ne joue que si une union monétaire (UEMOA ou CEMAC) est globalement déficitaire. Et quand les risques se sont accrus en 1993 et le déficit est devenu global et intenable, la France a contraint les pays de la zone à accepter la <a href="https://www.herodote.net/11_janvier_1994-evenement-19940111.php">dévaluation en 1994</a>, pour ne pas avoir à être mise à contribution.</p>
<p>La seconde déformation est l’idée selon laquelle l’<a href="https://www.bceao.int/fr/content/histoire-du-franc-cfa">arrimage depuis 1999</a> à l’euro, monnaie forte, rend le franc CFA surévalué, ce qui obère la compétitivité à l’exportation et limite de facto les possibilités de transformation structurelle et d’industrialisation des pays africains.</p>
<p>Trois explications limitent toutefois la portée d’une telle critique. Premièrement, le commerce de la plupart des pays africains souffre plutôt d’une compétitivité hors prix. C’est le cas, par exemple, des <a href="https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/january-2006/de-nouveaux-obstacles-au-commerce-de-l%E2%80%99afrique">barrières non tarifaires</a> imposées à l’entrée des marchés des pays industrialisés vers lesquels ils exportent.</p>
<p>Deuxièmement, l’observation de la structure du commerce et de son positionnement sur les chaînes de valeur régionales et internationales montre que les <a href="https://www.lepoint.fr/economie/matieres-premieres-marches-financiers-le-chainon-manquant-pour-l-afrique-20-04-2018-2212200_28.php#">pays africains sont price-takers (preneurs de prix)</a> sur les marchés des matières premières. Ainsi, les fluctuations du taux de change semblent jouer sur la profitabilité des entreprises exportatrices plus que sur leur compétitivité.</p>
<p>Troisièmement, ces pays souffrent structurellement d’un grave <a href="https://www.bceao.int/sites/default/files/2019-03/Balance%20des%20paiements%20et%20position%20ext%C3%A9rieure%20globale%20r%C3%A9gionales%20de%20l%27UEMOA%20-%202017.pdf">déséquilibre des balances courantes</a>, compte tenu du volume croissant des importations, y compris dans le secteur agricole pour <a href="http://www.fao.org/3/ca4526en/ca4526en.pdf">l’importation de denrées alimentaires</a> et des intrants industriels.</p>
<p>On le voit, il y a un « piège historique » à vouloir justifier la pertinence et l’urgence d’une réforme en se fondant uniquement sur des arguments symboliques de « décolonisation monétaire ».</p>
<p>Toutefois, de nombreuses études, comme celle de <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/205014/why-nations-fail-by-daron-acemoglu-and-james-a-robinson/">Daron Acemoglu et James A. Robinson</a>, montrent qu’une réforme équilibrée peut être envisagée.</p>
<h2>Quel consensus autour d’un régime de change optimal ?</h2>
<p>Il faut se rappeler que le franc CFA existe <a href="https://www.bceao.int/fr/content/histoire-du-franc-cfa">depuis plus de 70 ans</a> et que son usage est ancré dans les habitudes des agents économiques. C’est pourquoi toute tentative d’évolution devrait être prudente et consensuelle.</p>
<p>La volonté politique est indispensable pour garantir la réussite de la réforme. Selon toute vraisemblance, c’est la condition la plus difficile à remplir. Le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-france-ouverte-a-une-reforme-ambitieuse-du-franc-cfa-20191011">assuré</a> que la France était ouverte à une « réforme ambitieuse » du FCFA, tout en précisant qu’il revenait aux chefs d’État africains d’en décider. Mais compte tenu de la relation spéciale, parfois qualifiée de néo-coloniale, qui la lie à ses anciennes colonies, la liberté des chefs d’État d’aller vers une réforme sérieuse serait limitée. Ce qui explique, sans doute, que les positions officielles des chefs d’État de la zone franc <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-50348541">ne sont pas clairement connues</a>.</p>
<p>Choisir un <a href="https://www.cairn.info/les-taux-de-change--9782707173591-page-78.htm">régime de change</a> est difficile pour un pays en développement en raison de l’influence de ce choix sur la structure de prix et de ses multiples impacts financiers, économiques et sociaux. La réflexion doit donc permettre de définir un régime de change qui concilie stabilité et flexibilité. Ce rôle d’ancrage que joue le taux de change paraît particulièrement utile dans les pays en développement, où la difficulté d’équilibrer les finances publiques incite à la création monétaire à travers les avances aux États (financement du déficit budgétaire par la Banque centrale à travers une avance au Trésor).</p>
<p>Le choix d’une dose de flexibilité doit reposer sur des réponses claires à deux questions difficiles : quelle est la nature des chocs auxquels les économies sont confrontées ? Et quelle en est l’ampleur ?</p>
<h2>Améliorer les modalités de financement de l’économie</h2>
<p>Deux aspects doivent être examinés à cet égard : la politique monétaire d’une part et le développement des marchés financiers d’autre part. La politique monétaire doit encore évoluer pour rompre avec le <a href="https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2014/03/pdf/basics.pdf">tournant quantitativiste et monétariste</a> pris dans les années 1970 et renforcé dans les années 1990, avec les plans d’ajustement structurel qui ont conduit à poser comme norme une austérité permanente et une quasi-obsession de la recherche d’un équilibre qui s’est révélé purement récessif.</p>
<p>Une caractéristique des économies émergentes bien reconnue aujourd’hui est la profondeur et le dynamisme de leur marché des capitaux, qui facilitent la mobilisation de l’épargne longue indispensable pour le financement des infrastructures lourdes.</p>
<p>Les pays de la zone franc devraient promouvoir le développement d’une intermédiation financière inclusive, diversifiée dans l’offre de ses services, dynamique, capable d’apporter une solution optimale au financement de long terme.</p>
<p>Au sein de la CEMAC, la <a href="http://www.cemac.int/sites/default/files/ueditor/55/upload/file/20190720/1563620202756703.pdf">fusion des bourses</a> actée par les chefs d’État participe de la réalisation de cet objectif. La <a href="https://www.brvm.org/">bourse de valeurs mobilières</a> de l’UEMOA, après avoir subi sa mue, évolue – certes lentement – vers une dynamisation de ses activités. Mais il convient de relever que l’interdépendance des marchés financiers et l’objectif de stabilité financière assigné à la Banque centrale réduisent de plus en plus la souveraineté des États et invitent à plus de rigueur dans la gouvernance.</p>
<h2>La qualité des institutions au cœur du succès de la réforme</h2>
<p>Les doutes qui subsistent toujours quant à la capacité des pays de la zone franc à gérer de manière autonome leur monnaie sans se passer de la présence tutélaire de la France sont souvent justifiés par les risques de dérapage qui résulteraient d’une émission excessive de monnaie en se référant à l’exemple de la <a href="https://www.bbc.com/afrique/region/2015/06/150608_zimbabwe_dollar">« dollarisation » du Zimbabwe</a> et de la <a href="https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2005-2-page-41.htm">République démocratique du Congo</a>. Ces doutes sont encore confortés par les difficultés qu’éprouvent régulièrement ces pays pour définir et conduire des politiques économiques sans l’accompagnement des institutions de Bretton Woods.</p>
<p>Il apparaît finalement qu’un des grands chantiers qui conditionnent la réussite de la réforme de la zone franc repose sur la capacité des États à se doter d’administrations publiques solides capables de favoriser le développement économique. Cette réforme dépend donc, avant tout, de la volonté des chefs d’État africains, plus que de celle de la France. Et, naturellement, elle doit être animée par des hommes et des femmes compétents, motivés et désintéressés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127641/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Désiré Avom ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il est grand temps de réformer le franc CFA. Mais à quoi cette réforme tant attendue devrait-elle ressembler ?Désiré Avom, Professeur d'économie, Université de DschangLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1249492019-10-22T18:42:14Z2019-10-22T18:42:14ZCentrafrique : échos lointains d’une crise oubliée<p>Depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/10/31/centrafrique-la-france-met-officiellement-fin-a-l-operation-sangaris_5023219_3212.html">fin de la mission militaire française Sangaris en 2016</a>, la République centrafricaine (RCA) a largement disparu des médias français. Pourtant, la situation centrafricaine mérite qu’on s’intéresse encore à elle pour ce qu’elle nous dit de la France, de l’Afrique et du monde.</p>
<h2>Une paix relative, une gouvernance catastrophique</h2>
<p>Un accord de paix, dit « accord de Khartoum », qui consacre l’impunité des seigneurs de guerre et leur confère des postes gouvernementaux, <a href="https://theconversation.com/centrafrique-quand-lobjectif-est-la-negociation-et-non-la-paix-114152">a été signé en février dernier</a> sous l’égide de l’Union africaine, avec la bénédiction de l’ONU et grâce à l’intermédiation secrète de la Russie. Depuis, il règne en RCA une de ces situations de « ni paix ni guerre » qui peuvent durer des années. En échange d’une trêve relative, les groupes armés, qui font officiellement partie du <a href="https://www.jeuneafrique.com/753248/politique/centrafrique-les-groupes-armes-gagnent-des-portefeuilles-dans-le-nouveau-gouvernement/">gouvernement institué en mars par le président Faustin-Archange Touadéra</a>, conservent leur mainmise territoriale et économique sur une grande partie du pays, et marchandent pas à pas la mise en œuvre de l’accord de paix. Seul ce dernier point intéresse les acteurs internationaux impliqués dans la gestion du conflit (l’ONU, l’Union africaine, l’UE, la France, les États-Unis et, plus récemment, la Russie), qui font mine d’ignorer la gouvernance catastrophique du pays comme si conflit et gouvernance n’étaient pas étroitement liés.</p>
<p>Les démons habituels de la mauvaise gouvernance sont vite revenus en force. Les anciens membres de l’élite qui ont une certaine rectitude se sont éloignés – ou ont été éloignés – des affaires publiques. Un casino chinois a été ouvert à Bangui en pleine crise dès 2017 et des hommes d’affaires peu recommandables hantent les couloirs du gouvernement. Non seulement des compagnies chinoises et d’autres acteurs douteux comme l’entreprise de mercenariat russe Wagner font leur safari économique en Centrafrique (les premières dans l’<a href="https://www.jeuneafrique.com/803253/societe/centrafrique-une-commission-denquete-denonce-les-abus-des-societes-minieres-chinoises/">or</a> et la seconde dans le <a href="https://www.nytimes.com/2019/09/30/world/russia-diamonds-africa-prigozhin.html">diamant et la forêt</a>), mais on peut aussi y croiser des affairistes liés à l’internationale terroriste. </p>
<p>En juin, le gouvernement a <a href="https://www.africaintelligence.fr/lc-/premier-cercle/2019/09/11/qui-est-le-groupe-libanais-qui-negocie-les-cartes-d-identite,108372034-art">attribué de gré à gré à une société le contrat de fabrication des cartes d’identité</a>. Ce contrat est original à plus d’un titre mais, surtout, son bénéficiaire a été <a href="https://www.theguardian.com/world/2002/oct/20/alqaida.terrorism">suspecté d’accointance avec Al-Qaïda</a>. La souveraineté vide du gouvernement centrafricain attire les réseaux criminels internationaux comme un aimant attire le métal. La criminalisation de la gouvernance ne date certes pas d’hier (Viktor Bout, trafiquant d’armes rendu célèbre par le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XbK0OfY5F_4"><em>Lord of War</em></a>, avait enregistré certaines de ses entreprises en Centrafrique) mais elle s’est généralisée.</p>
<p>Paradoxalement, bien que la corruption demeure au cœur du politique, les bailleurs augmentent leur soutien financier. Les deux principaux donateurs de la Centrafrique ont largement ouvert les vannes de l’aide cette année : la Banque mondiale a ainsi décidé de <a href="https://www.radiondekeluka.org/actualites/politique/33572-le-president-touadera-decroche-de-la-banque-mondiale-100-millions-de-dollars-d-appui-budgetaire.html">débloquer 100 millions de dollars</a> et l’UE, comme au bon vieux temps de la coopération française, paie des assistants techniques pour faire fonctionner des administrations en ruine et souffler quelques idées aux ministres qui en manquent (mais qui en général n’en veulent pas). </p>
<p>De facto, et même si le <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/centrafrique/centrafrique-aide-de-24-millions-d-euros-et-livraison-d-armes-de-la-france-6049360">gouvernement français a augmenté son aide à la RCA</a> après l’arrivée des Russes en Centrafrique à la fin de l’année 2017, la charge financière de l’État centrafricain a été transférée de Paris à Bruxelles. L’UE s’est complètement substituée à la France en <a href="https://ec.europa.eu/echo/where/africa/central-african-republic_fr">rémunérant les fonctionnaires et en finançant une grande partie du secteur de la sécurité</a>. Non seulement une <a href="https://eeas.europa.eu/csdp-missions-operations/eutm-rca_fr">mission militaire européenne forme les soldats centrafricains depuis 2016</a> mais l’UE a décidé de financer la police, la gendarmerie et l’appareil judiciaire, c’est-à-dire des administrations sur lesquelles elle n’a aucun contrôle et qui sont au cœur du système de prédation.</p>
<p>Il y a plusieurs leçons à tirer de cette crise oubliée.</p>
<h2>Le triomphe de la realpolitik</h2>
<p>Premièrement, la demande de justice et de bonne gouvernance censée guider l’intervention internationale a cédé la place à la realpolitik. En mai 2015, le Forum de Bangui, une consultation populaire organisée par l’ONU, <a href="https://minusca.unmissions.org/sites/default/files/ma_006.pdf">concluait</a> que le conflit était le résultat d’une crise de gouvernance et qu’il ne pourrait y avoir de réconciliation sans justice. Des dispositions spécifiques visant à améliorer la gouvernance ont été incluses dans la <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Afrique/Les-Centrafricains-adoptent-une-nouvelle-Constitution-2015-12-22-1396038">Constitution adoptée en 2015</a>. Mais ni le fait que ces dispositions restent lettre morte ni la multiplication des affaires de corruption n’ont suscité de réaction notable des acteurs internationaux. Quant à la demande de justice des populations – et, notamment, l’exigence de juger les responsables du conflit –, elle a bel et bien été enterrée par l’accord de paix de Khartoum.</p>
<p>Entre 2015 et 2019, les acteurs internationaux sont donc passés des envolées lyriques sur la paix, la justice et la cohésion sociale du Forum de Bangui à une realpolitik qui consiste à marchander un semblant de paix avec les seigneurs de guerre, à tolérer la corruption gouvernementale et à oublier leurs promesses. Ce changement d’attitude résulte d’un nouveau contexte international : dans un monde de plus en plus multipolaire, la priorité des grandes puissances n’est pas d’appliquer leurs principes mais de conserver leur influence. Ainsi, on l’a dit, le gouvernement français, qui semblait heureux de refermer le dossier centrafricain après Sangaris, l’a rouvert rapidement quand la Russie s’est invitée en RCA. Paris est passé du désengagement au réengagement en augmentant ses visites ministérielles, son aide et ses conseillers auprès du gouvernement centrafricain. Dans la foulée, le gouvernement français, qui était réticent au réarmement de l’armée centrafricaine, s’est converti à la <a href="https://www.dw.com/fr/lonu-assouplit-lembargo-sur-les-armes-en-rca/a-50407216">nécessité de l’armer</a>. Sur ce plan, la stratégie du faible qui consiste à jouer des rivalités des puissants pour en obtenir quelques avantages, concessions et garanties pour l’avenir est payante.</p>
<h2>Le désir de changement</h2>
<p>Deuxièmement, dans la mesure où l’intervention internationale est plus conservatrice que transformatrice, se pose la question du changement endogène. Les Centrafricains se sentent floués aussi bien par les groupes armés que par les acteurs internationaux et par leur propre gouvernement. </p>
<p>Comme dans d’autres pays africains, le désir de changement de la population s’incarne désormais plus dans les organisations de la société civile et les églises que dans les partis. En <a href="http://centrafrique-presse.over-blog.com/2019/06/centrafrique-le-gouvernement-interdit-strictement-les-manifestations-de-e-zingo-biani.html">interdisant sa première manifestation en juin</a>, le gouvernement ne s’est pas trompé : la plate-forme E Zingo Biani, qui réunit des personnalités de la société civile et des politiques, est la véritable opposition dans la perspective des <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190805-rca-plus-an-elections-vie-politique-est-ebullition-bangui">élections présidentielles et législatives prévues fin 2020</a>. Face à cette menace, le pouvoir a déjà commencé à remette au goût du jour les vieilles techniques éprouvées de <a href="https://www.france24.com/fr/20190616-centrafrique-journalistes-francais-violemment-interpelles-bangui-manifestation-police">verrouillage de l’espace public</a>, d’instrumentalisation de la machinerie électorale et d’achat ou d’intimidation des opposants.</p>
<h2>L’éternel dilemme français</h2>
<p>Troisièmement, malgré leur discours, les autorités françaises sont toujours incapables de trancher le dilemme historique de leur politique africaine : <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/emmanuel-macron-lafrique-vision-lheritage">tourner la page et partir ou rester et changer véritablement de politique</a>. Aucun des gouvernements qui se sont succédé à Paris depuis les <a href="https://www.universalis.fr/evenement/18-27-mai-1996-intervention-de-l-armee-francaise-contre-une-nouvelle-mutinerie/">mutineries de 1996</a> ne s’est résolu à rompre avec une histoire que les Centrafricains lui renvoient comme une accusation. Alors que Paris clame qu’il n’a plus d’intérêts économiques et militaires en Centrafrique, la politique de désengagement, on l’a dit, a vite été inversée sous l’effet de l’offensive russe. Si l’on comprend que le gouvernement français ne souhaite pas perdre son influence au profit de la Russie, on peut se demander si cette influence se joue vraiment dans un pays comme la Centrafrique…</p>
<p>Bien malgré elle, la Centrafrique est donc le miroir à la fois d’un certain état de la France, de l’Afrique et même du monde.</p>
<img src="https://counter.theconversation.com/content/124949/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'Institut Français des Relations Internationales. </span></em></p>Une paix fragile a été instaurée en Centrafrique sous les auspices de la communauté internationale. Mais les maux qui affectent le pays depuis longtemps n’ont pas disparu.Thierry Vircoulon, Coordinateur de l'Observatoire pour l'Afrique centrale et australe de l'Institut Français des Relations Internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1141522019-03-31T19:11:14Z2019-03-31T19:11:14ZCentrafrique : quand l’objectif est la négociation et non la paix<p>Il aura fallu seulement moins d’un mois pour que l’<a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190208-rfi-rca-accord-politique-signe-khartoum">accord de Khartoum signé le 6 février 2019</a> entre le gouvernement centrafricain et 14 groupes armés sous l’égide de l’Union africaine (UA) et de l’ONU soit désavoué. Cinq groupes armés parmi ses signataires (dont les trois plus puissants) ont dénoncé l’accord sitôt annoncé le nouveau gouvernement centrafricain.</p>
<p>La pomme de discorde était, en effet, la composition du nouveau gouvernement prévu par l’accord. Les quelques représentants de groupes armés cooptés dans le nouveau gouvernement n’étaient pas suffisants pour certains groupes armés qui réclamaient à la fois plus de ministères et des ministères plus stratégiques (Défense, Intérieur, etc.).</p>
<p>Outre les déclarations agressives habituelles, un petit groupe armé, le <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190304-rca-processus-paix-remis-cause-groupes-armes-fprc-fdpc-mlcj">Front démocratique pour le peuple de Centrafrique</a> (FDPC), a bloqué la principale route d’approvisionnement du pays, la route nationale 1, qui relie la capitale Bangui au Cameroun voisin. Pour débloquer la situation, l’UA a organisé une réunion à Addis Abeba entre le gouvernement et les parties signataires d’où vient de sortir un nouveau gouvernement (le second en un mois), au sein duquel les groupes armés sont un <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190322-rca-nouveau-gouvernement-centrafrique-miskine">peu mieux représentés</a>.</p>
<p>Négocié en pleine confrontation <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/02/22/soudan-omar-el-bechir-declare-l-etat-d-urgence-limoge-le-gouvernement_1711180">entre la rue et le régime de Omar al-Bachir</a>, l’accord de Khartoum comporte 39 articles qui vont de la « promotion de la justice sociale » au fait d’arrêter le recrutement des enfants soldats et la violence contre les femmes, en passant par la fiscalité et la décentralisation.</p>
<p>Compte tenu du fonctionnement du gouvernement centrafricain, il faudrait certainement une cinquantaine d’années pour accomplir tous les engagements d’un texte qui ressemble moins un accord de paix qu’à un programme de campagne électorale.</p>
<h2>Une longue série d’accords sans lendemain</h2>
<p>Si l’échec de l’accord de Khartoum n’a surpris personne en Centrafrique (et à l’étranger), c’est parce qu’il s’inscrit dans la longue série d’accords sans lendemain conclus depuis le début du conflit :</p>
<ul>
<li><p>Accord de Libreville sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), en janvier 2013, qui prévoyait le partage du pouvoir entre le président Bozizé et la Seleka, c’est-à-dire un nouveau gouvernement comme l’accord de Khartoum ;</p></li>
<li><p>Accord de Brazzaville sous l’égide du président de la République du Congo en 2014 ;</p></li>
<li><p>Accord de Nairobi sous l’égide du président du Kenya en 2015 ;</p></li>
<li><p>Accord de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) signé par les groupes armés dans le cadre du Forum de Bangui en 2015 ;</p></li>
<li><p>Accord de Rome parrainé par Sant’Egidio en 2017.</p></li>
</ul>
<p>L’accord de Libreville n’a pas été respecté et la Seleka a pris Bangui trois mois plus tard, en mars 2013. En 2014, les groupes armés de la Seleka ont désavoué l’accord de Brazzaville une semaine après l’avoir signé. L’année suivante, l’accord de Nairobi n’a pas été reconnu par le gouvernement de transition et les partenaires internationaux. Les groupes armés ont conditionné l’application de l’accord de DDR à un accord politique global. <a href="https://www.santegidio.org/pageID/30284/langID/fr/itemID/21492/Centrafrique--signature-%C3%A0-SantEgidio-dun-accord-pour-le-cessezlefeu-et-une-feuille-de-route-pour-la-paix.html">L’accord de Rome (2017)</a> n’a jamais été pris au sérieux car signé par des seconds couteaux et non par les seigneurs de guerre eux-mêmes.</p>
<p>L’UA appuyée par l’ONU, et plus discrètement par la Russie, a réuni les parties prenantes à Khartoum pour élaborer un énième accord de paix. Or les accords successifs signés depuis 2013 ont tous échoué pour la même raison : ils répètent avec une obstination paradoxale une méthode qui est l’inverse de ce qui est enseigné dans les cours de négociations.</p>
<h2>Les quatre erreurs de l’Union africaine</h2>
<p>Dans ce processus de négociations, l’UA a fait au moins quatre erreurs :</p>
<ul>
<li><p><strong>Elle n’a pas choisi un terrain neutre</strong> : en organisant les négociations entre le gouvernement et les groupes armés à Khartoum, l’UA a choisi un des pays impliqués dans le conflit centrafricain et a fait un cadeau diplomatique au régime de Béchir et à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Centrafrique-main-basse-Moscou-2018-10-03-1200973373">son allié, la Russie</a>. Qu’elle le fasse au moment où le peuple soudanais se révolte contre son président au pouvoir depuis 1989 n’est pas le moindre des paradoxes. La Seleka avait des liens avec le régime soudanais et plusieurs groupes armés entretiennent encore des relations opaques avec ce dernier. De plus, le gouvernement russe avait organisé, en 2018, deux réunions à Khartoum avec certains seigneurs de guerre et des représentants du gouvernement centrafricain en vue de résoudre le conflit.</p></li>
<li><p><strong>Elle n’a pas circonscrit l’agenda de la négociation</strong> : sous la conduite de l’Union africaine, pendant toute une année, les groupes armés ont élaboré une liste qui ne comptait pas moins d’une centaine de revendications. En réunissant quatorze groupes armés aux intérêts différents, elle a provoqué une surenchère de revendications.</p></li>
<li><p><strong>Elle a décerné un brevet de légitimité à tous les groupes armés</strong> : actuellement, parmi les acteurs du conflit centrafricain, on trouve des gangs de voleurs de bétail et de bandits de grand chemin (appelés localement les <em>zarguinas</em>), des brigands sociaux, des milices communautaires, des trafiquants de diamants, des soldats perdus et des professionnels de la rébellion. En associant l’ensemble de ces acteurs aux négociations sans faire le moindre tri, l’UA légitime tous les seigneurs de guerre et leur revendication pour obtenir un morceau du gâteau appelé Centrafrique.</p></li>
<li><p><strong>Elle a engagé des négociations en position de faiblesse</strong> : malgré la présence de 10 000 Casques bleus et l’appui militaire russe pour la formation et l’équipement de l’armée centrafricaine, les groupes armés ont toutes les cartes en main. Ils tiennent la majeure partie du territoire ; leurs multiples business – <a href="http://ipisresearch.be/publication/republique-centrafricaine-cartographie-du-conflit/">du trafic de diamants au commerce du bétail</a> –prospèrent et leurs voies d’approvisionnement ne sont pas perturbées.</p></li>
</ul>
<p>En dépit de leurs violences récurrentes contre les populations et du recrutement d’enfants soldats (c’est-à-dire de crimes de guerre), l’UA et l’ONU n’ont jamais envisagé de les exclure des discussions sur le DDR ou de la préparation des négociations de Khartoum. L’UPC (Unité pour la paix en Centrafrique), <a href="https://theconversation.com/face-a-la-crise-en-centrafrique-lonu-dans-le-deni-108719">qui a attaqué plusieurs camps de déplacés à la fin 2018</a>, s’est même fait prier pour aller à Khartoum.</p>
<p>En engageant les négociations alors que le rapport de force est en faveur des groupes armés, l’UA permet à ceux-ci de fixer le prix de la paix. Et après cinq accords, ce prix est connu car toujours le même : l’amnistie pour les crimes commis et une place dans le système de pouvoir aux niveaux national et local (décentralisation). Jugée insuffisante, cette place a été rehaussée après des négociations <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190324-rca-centrafrique-nouveau-gouvernement-deja-conteste-groupes-armes">pour sauver l’accord de Khartoum à Addis Abeba</a>.</p>
<p>Mais ces erreurs en sont-elles vraiment et la logique folle qui semble motiver ces négociations en série ne dissimule-t-elle pas des calculs politiques éloignés de la recherche de la paix ?</p>
<h2>Quand l’objectif est la négociation et non la paix</h2>
<p>Chacun a ses « bonnes » raisons de signer des accords voués à l’échec.</p>
<ul>
<li><p>Les sponsors de ces initiatives – présidents africains, organisations internationales mandatées pour résoudre les crises – sont à la recherche d’un « coup politique » bénéfique pour leur image de marque et leur réputation internationale, voire plus prosaïquement la carrière de certains. Dans le marasme international actuel, l’échec n’a qu’un faible coût réputationnel pour eux. <a href="https://theconversation.com/face-a-la-crise-en-centrafrique-lonu-dans-le-deni-108719">Le mantra onusien</a> selon lequel il n’y a que des solutions politiques aux conflits oublie volontairement que le rapport de force sur le terrain conditionne la négociation.</p></li>
<li><p>Les groupes armés retirent de leur disponibilité pour négocier un peu de reconnaissance de la part des acteurs internationaux, gagnent du temps et surtout de l’argent facile. Les négociations leur permettent de monnayer leur bonne volonté : leur présence à la table des négociations aurait coûté 2,5 millions de dollars <a href="https://sputniknews.com/africa/201901291071907401-car-government-armed-opposition-exchange-views-peace-talks-khartoum-source/">à la Russie qui a suivi de près les discussions</a>. Les négociations étant une occasion de se remplir les poches, les tensions sur la composition des délégations de négociateurs se comprennent mieux. Paradoxe intéressant : l’argent des négociations de paix versé aux groupes armés en février risque accessoirement de servir à leur réarmement, c’est-à-dire exactement l’inverse de sa finalité initiale.</p></li>
<li><p>Le gouvernement (ou plutôt le président tant le système politique est focalisé sur le chef de l’État) est probablement celui qui, en apparence, a le moins de raison de négocier car, à l’inverse des groupes armés, il est acculé au compromis. Le Président Touadéra a dû faire une plus grande place qu’il ne le souhaitait aux groupes armés dans son gouvernement, leur promettre à mots couverts l’amnistie et sacrifier son très impopulaire bras droit, le premier ministre Sarandji. Ce faisant, il avoue sa faiblesse à une opinion publique nationale hostile aux négociations à moins de deux ans d’une élection présidentielle qu’il a déjà commencé à préparer. La discrétion de la parole présidentielle sur le sujet et l’extrême prudence de la communication gouvernementale (l’accord n’a été rendu public qu’au dernier moment) reflètent cet embarras.</p></li>
<li><p>Du côté du Président, les raisons de négocier renvoient à la fois aux pressions « amicales » de certains partenaires internationaux et à la conviction que cet accord sera à l’image des précédents, un échec. Les concessions aux groupes armés, dont la limite est la Constitution quitte à l’interpréter un peu, sont aujourd’hui le prix temporaire à payer pour que la Russie et d’autres continuent à sécuriser son pouvoir jusqu’à la prochaine élection.</p></li>
</ul>
<p>Les accords de paix signés jusqu’à présent sont des échecs calculés dans le cadre d’un jeu d’acteurs sur une scène de conflit bloqué. Paradoxalement, le fait que le rapport de force soit en faveur des groupes armés fait de ces derniers à la fois les gagnants <em>maintenant</em> et les fossoyeurs <em>demain</em> de l’accord Khartoum. Dans le cadre de sa mise en œuvre, ils ont en effet tout intérêt à faire monter les enchères et à tester les limites de la patience des médiateurs internationaux et d’un gouvernement sans armée malgré les soutiens russe et européen.</p>
<p>La re-formation du gouvernement qui vient d’être négociée à Addis Abeba n’est que leur première exigence. Tant que le rapport de force ne changera pas, les accords sans lendemain se succéderont en Centrafrique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114152/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon est analyste à l'Institut français des relations internationales (IFRI). </span></em></p>Les accords de paix en Centrafrique signés jusqu’à présent sont des échecs calculés dans le cadre d’un jeu d’acteurs sur une scène de conflit bloqué.Thierry Vircoulon, Enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1087192018-12-16T20:31:02Z2018-12-16T20:31:02ZFace à la crise en Centrafrique, l’ONU dans le déni<p>Commençons par quelques éléments de contexte : la République centrafricaine (RCA) connaît, depuis décembre 2012, le conflit le plus important de son histoire – par son intensité, sa durée, son extension territoriale. Des milices dites « séléka » (provenant du nord du pays, mais aussi du Tchad, du Soudan, et de populations peules) ont pris le pouvoir à Bangui, en mars 2013. Face aux exactions de ces milices, des groupes dites « antibalaka » ont émergé et s’en sont pris, à partir de la fin 2013, aux séléka. Les séléka étant musulmans, les antibalaka non, le conflit a pris une tournure interconfessionnelle : chrétiens contre musulmans. </p>
<p>Mais la réalité est bien moins binaire. Aujourd’hui, ce ne sont <a href="https://enoughproject.org/uncategorized/proliferation-ii-republique-centrafricaine">pas moins de 18 groupes politico-militaires</a> – tantôt issus de l’ex-séléka, tantôt se proclamant antibalaka, tantôt autonomes vis-à-vis de ces deux mouvances – qui se disputent le contrôle du territoire centrafricain et de ses richesses (pour l’essentiel : diamant, or, bétail). </p>
<p>Le pouvoir centrafricain, issu en février 2016 d’élections dites « libres » (ce qui est évidemment faux dans un pays en très large partie contrôlé par des milices), est sous la tutelle – financière et militaire – des Nations unies. Si l’arrivée récente dans le pays des Russes semble bousculer un peu cette donne, l’essentiel des espoirs de pacification et de relèvement du pays repose encore, en cette fin 2018, sur le système des Nations unies, militaire comme civil. </p>
<p>Du côté des civils, on trouve les organisations usuelles : la Coordination humanitaire (OCHA), le Programme alimentaire mondial (PAM), la Banque mondiale, l’Unicef, etc. Du côté des militaires, on trouve la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca), une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Force_de_maintien_de_la_paix_des_Nations_unies">opération classique de maintien de la paix</a> déployée depuis avril 2014. Forte d’environ 11000 militaires et 2000 policiers, dotée d’un budget de 880 millions de dollars, la Minusca regroupe des contingents d’une vingtaine de nationalités, issus de tous les continents. Elle a été précédée puis secondée par le contingent français de l’opération Sangaris (de décembre 2013 à octobre 2016).</p>
<p>La crise centrafricaine est donc complexe, mais face à cette complexité, le système onusien persiste dans des éléments de langage et des pratiques qui relèvent très largement du déni de réalité. En voici deux exemples.</p>
<h2>Premier déni : une armée onusienne est en mesure de protéger les populations civiles</h2>
<p><a href="https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/En-Centrafrique-le-cycle-des-violences-risque-de-se-poursuivre-2018-11-26-1200985574?from_univers=lacroix">J’étais à Alindao, le 15 novembre dernier</a>, lorsque l’UPC (Union pour la paix en Centrafrique, l’un des groupes de l’ex-séléka) a décidé de razzier le site de déplacés situé autour de l’évêché catholique. Le contingent mauritanien, appuyé ce jour-là par des éléments burundais de passage, n’a pas bougé. Bilan : des milliers de huttes détruites, des bâtiments catholiques détruits, 60 personnes tuées, dont beaucoup d’enfants, de femmes et de vieillards, n’ayant pas fui assez vite, et 26000 personnes éparpillées en brousse. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250759/original/file-20181215-185234-kyy4p7.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue sur une partie des ruines du camp de déplacés d’Alindao (novembre 2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benoît Lallau/DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Comment expliquer une telle incapacité, qui s’est bien sûr observée ailleurs qu’à Alindao, à assumer son mandat de protection des populations civiles ? Par le fait, très simplement, que la Minusca n’est pas une armée. Elle agrège des fragments de contingents, à l’efficacité, la volonté d’engagement et la probité très variables. </p>
<p>Certaines troupes sont assez reconnues pour leur détermination, comme les Portugais, les Rwandais, les Burundais (et auparavant les Français, intervenant en complément de la Minusca via l’opération Sangaris). D’autres, beaucoup plus nombreux, sont considérées comme peu fiables, pour des raisons très diverses, parmi lesquelles : le dysfonctionnement des chaînes de commandement, la passivité de soldats bien payés mais fort peu enclins à se faire tuer pour les civils centrafricains, l’implication dans les trafics d’or ou de diamant, voire même collusion avec certains des groupes armés qui écument le territoire centrafricain, par proximité religieuse ou ethnique.</p>
<p>Mais cela n’est évidemment pas assumé. Ainsi les éléments de langage déployés par la Minusca après la razzia d’Alindao se limitent aux arguments suivants : <a href="https://minusca.unmissions.org/la-minusca-d%C3%A9nonce-les-affrontements-entre-%C3%A9l%C3%A9ments-arm%C3%A9es-%C3%A0-alindao">le communiqué officiel relate un affrontement entre groupes armés</a> (et donc pas une attaque de civils par un groupe armé) – ce qui minimise la responsabilité du contingent. On met en avant le trop faible effectif sur place, alors que l’on a interdit l’engagement du contingent burundais qui se trouvait aussi sur zone. Et puisque la collusion avec le groupe armé (l’UPC ici), devient trop flagrante, on reconnaît pudiquement que le contingent (mauritanien) n’est pas « à la hauteur des standards d’une force de maintien de la paix » (je cite de mémoire Parfait Onanga, le chef gabonais de la Minusca, le 18 novembre dernier, lors d’un échange à propos des évènements d’Alindao).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250761/original/file-20181215-185252-vefklv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=417&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de la République centrafricaine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/maps/@5.0402231,20.0904883,6z">Google map</a></span>
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<p>Le cas d’Alindao n’est pas isolé et on est loin, dans la RCA de 2018, d’une situation de conflit de basse intensité, comme on l’avance encore trop souvent. Non, la Minusca n’est pas, globalement et en dépit – je le répète – de l’engagement réel de certains contingents, en mesure de protéger les populations centrafricaines. Tout simplement parce qu’elle n’est pas crainte par les groupes armés. L’absence de réaction vigoureuse lorsque certains de ses contingents subissent une attaque, tout comme l’absence de volonté de prendre le contrôle des zones minières (zones qui permettent le financement des milices), ne font que renforcer ce sentiment. </p>
<p>Un officier français de l’opération Sangaris m’expliquait, il y a quelques années, à Bangui, ce que tous les spécialistes de stratégie savent bien : une bonne négociation se fonde sur un rapport de forces établi au préalable. Avant de discuter de la carotte, il faut avoir montré voire utilisé le bâton. Ce bâton, la Minusca ne sait pas, ou ne veut pas l’utiliser.</p>
<h2>Second déni de réalité : le DDR peut ramener la paix en RCA</h2>
<p>Venons-en donc à la carotte. Cette carotte, elle se nomme « DDR » : Désarmement, Démobilisation, Réintégration des anciens combattants. Expliquons à ceux qui ne maîtrisent pas la novlangue onusienne : il s’agit de d’appuyer le retour à la vie civile des membres de milices, de les inciter à abandonner les armes. Et ce par des versements monétaires, des intégrations dans l’armée régulière, et de manière moins explicite par l’octroi de postes ministériels ou dans la haute fonction publique aux leaders des groupes armés. </p>
<p>Cela ne fonctionne pas. L’échec des DDR précédents a été bien mis en évidence, notamment <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2012-1-page-189.htm">par Louisa Lombard de Yale University.</a> Mais ce qui n’a pas fonctionné par le passé doit être retenté. C’est au nom de cette antienne onusienne qu’a été signé un nouvel accord de DDR, en mai 2015, impliquant une bonne partie des principaux groupes armés écumant le territoire centrafricain.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250760/original/file-20181215-185249-4m762c.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des déplacés revenant dans les ruines du camp d’Alindao, le 17 novembre, sous la protection d’un véhicule blindé burundais de la Minusca.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Benoît Lallau/DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Les raisons de l’échec de tels dispositifs sont nombreuses, et entremêlées. Considérons, pour les comprendre, l’une de ces entreprises politico-militaires, celle-là même qui a razzié le site de déplacés d’Alindao le 15 novembre dernier, l’UPC. UPC comme « Union pour la paix en Centrafrique ». Mais ne vous laissez pas abuser par le nom : nous avons ici affaire à des professionnels de la prédation, sans projet politique national. L’UPC est dirigée par Ali Darass, Peul de l’ethnie Oudah originaire du Niger, secondé par des « comzones » (commandants de zone) et « officiers » tel le redouté « Colonel Ben Laden » à Alindao. Elle agrège, au sein d’une troupe assez disciplinée et bien armée, de nombreux jeunes majoritairement Peuls, de diverses nationalités. Quelle prise peut donc avoir le DDR sur cette UPC ?</p>
<p>Bien mince, en réalité. Car le DDR a comme hypothèses principales :</p>
<ul>
<li><p>que l’État est capable de reprendre le monopole de la violence légitime ;</p></li>
<li><p>que les groupes armés souhaitent déposer les armes, pour peu qu’on les y incite. </p></li>
</ul>
<p>Passons l’inexistence de l’État dans les régions périphériques depuis des décennies, et la propension des élites centrafricaines à se préoccuper d’abord de leurs intérêts immédiats, quitte à brader le pays aux plus offrants, les Russes actuellement. Et arrêtons-nous sur la seconde hypothèse. Elle soulève deux objections fondamentales : l’impunité et le <em>no exit</em>.</p>
<h2>Le fléau de l’impunité</h2>
<p>En premier lieu, le DDR entretient une culture de l’impunité, car si l’on y réfléchit bien, il revient à penser et à distribuer des « primes de départ » pour pillards. C’est un fait bien établi pour tous les Centrafricains : le pillard (tout comme le « détourneur ») ne rend pas de comptes. </p>
<p>Au contraire, il peut briguer un titre de ministre ou d’opposant politique s’il est haut placé dans la hiérarchie de l’entreprise prédatrice, ou il espère profiter de quelques aides à la réinsertion s’il n’en est que l’un des soutiers. Il n’a pas à restituer les biens volés, il n’a pas à s’excuser pour les exactions commises, puisque c’était pour la bonne cause, la « libération », l’autodéfense, la nécessité de nourrir la famille ; et puisque ces chrétiens ou musulmans l’ont quand même bien cherché… Il peut même se risquer à revendiquer l’amnistie générale dans le cadre des négociations multipartites. </p>
<p>Seuls les moins nuisibles et/ou les moins protégés, risquent d’être transférés devant la CPI (Cour pénale internationale). Tels ces deux ex-leaders antibalaka : Alfred Yekatom Rombhot alias « Rambo » et peut-être prochainement Patrice-Edouard Ngaïssona, récemment arrêté en France. « Des idiots utiles », me glissait récemment un diplomate… </p>
<p>Face à une impunité qui demeure la norme, chez les victimes s’ancre la conviction que, plutôt que de réclamer justice, il faut se venger, piller à son tour. Le DDR se heurte alors au cycle des représailles, et au désordre de la justice dite « populaire ».</p>
<h2>La logique du « no exit »</h2>
<p>En second lieu, le DDR se confronte à la logique du « no exit ». Je m’explique. Le système onusien est actuellement face à une contradiction fondamentale. D’un côté, on entend lutter contre l’impunité, en refusant désormais toute perspective d’amnistie générale, au moins pour les principaux chefs de guerre. Mais, de l’autre, on ne tente pas de mettre fin aux activités de ces groupes – ce qui revient à reconnaître, de fait, l’impunité.</p>
<p>On comprend aisément qu’il n’est alors d’autre porte de sortie, pour les groupes armés, que la fuite en avant dans la prédation, jusqu’à une hypothétique neutralisation. Et précisément ce DDR est perçu, par ces chefs de guerre et leurs relais banguissois, comme un signe de faiblesse des Nations unies, une opportunité à saisir pour se réarmer, pour étendre son territoire. Pire, il les pousse à faire monter les enchères en montrant leur capacité de nuisance (et donc en pillant et tuant davantage encore).</p>
<p>En cela, ce dispositif aboutit au résultat exactement opposé à celui recherché : un accroissement et un enracinement des violences dans tous les territoires sous la coupe de ces groupes. Ainsi, dans son essence même, l’UPC, sans agenda politique national, n’a pas intérêt à une stabilisation de la situation, puisque c’est précisément du désordre et de la violence que vient sa prospérité. Quitte à exacerber et instrumentaliser l’opposition interconfessionnelle, en s’en prenant par exemple à l’église catholique, moins pour les biens pillés cette fois que pour le symbole que cela représente, et les cycles de représailles que cela peut induire. </p>
<p>Et ce manque d’attractivité du DDR s’observe aussi au niveau des miliciens de base : que valent les quelques dizaines de dollars espérées du DDR (lorsqu’elles arrivent vraiment !), pour ces jeunes gens qui n’ont souvent plus de « chez eux », qui n’ont d’autre horizon, d’autre famille souvent, que leur milice ?</p>
<h2>Un ressentiment croissant contre l’ONU</h2>
<p>Ainsi, le DDR n’est pas parvenu, et ne parviendra pas plus à l’avenir, à rompre le cercle du conflit centrafricain. Tous ses promoteurs onusiens ou centrafricains, et tous ses bénéficiaires effectifs ou potentiels le savent bien, mais affirment à l’unisson le contraire, tirant les uns et les autres profit de ce déni. </p>
<p>Bien que le mandat de la Minusca ait été <a href="https://minusca.unmissions.org/rca-le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-proroge-le-mandat-de-la-minusca-et-renforce-son-appui-au-processus">reconduit le 13 décembre</a>, un constat s’impose donc : ni la carotte tendue ni le bâton brandi par les Nations unies ne semblent en mesure de résoudre la crise dévastant la RCA. Un pays désormais investi par les Russes, qui voient là un bon coup géopolitique à peu de frais (dans l’extension de leur implantation au Soudan), occupant ainsi le terrain laissé libre par le retrait de la France et l’inefficacité de la Minusca.</p>
<p>Et face à un système onusien qui se complaît dans ses dénis de réalité, il y a des populations centrafricaines dont la situation ne s’améliore pas voire s’aggrave, parfois obligées (comme à Alindao ces dernières semaines) de survivre en brousse, « comme des animaux » nous disent-elles. Et qui nourrissent un ressentiment croissant vis-à-vis des personnels onusiens, civils comme militaires. </p>
<p>Qui, en dehors de ce système, pourrait s’en étonner ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoît Lallau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la complexité de la situation en Centrafrique, le système onusien persiste dans des éléments de langage et des pratiques qui relèvent très largement du déni de réalité.Benoît Lallau, Maître de conférences, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1026872018-09-13T03:29:37Z2018-09-13T03:29:37ZL’humanitaire au risque de la résilience<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/235845/original/file-20180911-144476-cchca6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2038%2C1189&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Niamey, au Niger (ici en 2007). Le Sahel est l'une des zones où les ONG sont le plus actives dans le monde.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/erh1103/7531764808/in/photolist-ctyggW-pr6Wvu-26UQ5R5-4LK2x2-t7mjpN-bA95mz-fqhSAh-psm5Ac-cZzJZW-4CK4vn-fKqSnx-fKHmpY-fKHino-fKHo1f-fqi4V7-fq3yzz-Bhk9kd-8Qzee8-bUWwpe-4LPdt9-4LPSu9-apExK6-4LK2yD-BErxGW-cufN4m-dME9TA-93L9XM-gVh2cJ-gVhnDA-fqhPGN-gVhq84-mfg6Uf-fWwbYv-fqhRC3-99E6jm-fKKM6E-99E6mL-fqi6Wo-fWvNsj-5MWisn-WG6yhM-68QmDS-cwMP7U-gWzuch-96q1sd-TFU7ZQ-cwMdkh-93PeCb-25A4NeD-aqAfqb">Eric Haglund/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le système humanitaire est parcouru de modes et de mots-éponges. Le terme incontournable des années 2010 sera sans doute celui de « résilience », entendue d’abord comme capacité à rebondir après une catastrophe, mais aussi désormais à s’y préparer et, parfois, à l’éviter. Venue de domaines aussi différents que l’écologie ou la psychologie, elle a été impulsée au cœur du système par les bailleurs américains et anglais, et est reprise désormais pas tous.</p>
<p>Il faut, ces dernières années, <a href="https://journals.openedition.org/com/7726">« faire de la résilience »</a>, embaucher des <em>resilience program managers</em>, penser des « plans d’action à 100 jours », promouvoir la résilience des villes, comme celle des communautés rurales affectées par une sécheresse ou un conflit, celle des femmes, celle des enfants-soldats, etc.</p>
<p>L’Union européenne en a ainsi fait, <a href="https://ec.europa.eu/echo/what/humanitarian-aid/resilience/sahel-agir_fr">avec l’initiative AGIR</a>, le cœur de son intervention contre l’insécurité alimentaire au Sahel. Il faut dire que cette notion a de nombreux atouts, mais qui constituent autant de défis pour le système humanitaire, défis dont les acteurs de ce système ne semblent pas toujours réaliser la portée.</p>
<h2>Le dépassement du clivage urgence-développement</h2>
<p>Premier atout, premier défi, le dépassement du clivage urgence-développement. Par définition, la résilience oblige à s’inscrire dans le temps long, celui de l’adaptation des pratiques et des transformations des systèmes. Il y a là une opportunité de dépasser le clivage usuel du monde de l’aide, partagé institutionnellement entre développeurs et urgentistes.</p>
<p>La résilience appelle, au contraire, à se préparer à l’éventuelle urgence durant les périodes de stabilité (par la prévention ou la préparation), et tenter de sortir le plus vite possible des logiques du « life saving » après une crise. Cette préoccupation n’est pas nouvelle, souvenons-nous par exemple de l’approche LRRD (Linking Relief, Rehabilitation and Development), <a href="https://www.coordinationsud.org/document-ressource/associer-laide-durgence-la-rehabilitation-et-le-developpementlrrd-vers-une-approche-mieux-concertee-pour-ameliorer-la-resilience-et-limpact/">suscitée dès les années 90 par différents bailleurs</a>.</p>
<p>Mais elle se heurte toujours aux mêmes obstacles : la brièveté et la volatilité des financements accordés par ces bailleurs, qui empêchent d’allonger les temporalités de l’action ; la difficulté de la concertation (sans même parler d’une fusion) entre urgentistes et développeurs ; et la difficulté de penser la « normalité », dans des contextes dits de « crise prolongée », tels ceux du Nord Kivu ou de la Centrafrique. Des contextes où il devient d’ailleurs illusoire de parler de résilience, tant il n’y est question, bien souvent, que de survie.</p>
<h2>L’acceptation de la complexité</h2>
<p>Deuxième atout, deuxième défi : l’acceptation de la complexité. La résilience appelle à une compréhension du <a href="https://theconversation.com/resilience-51449">fonctionnement de systèmes socio-écologiques complexes</a>. Or, c’est plutôt la recherche de la simplicité qui demeure privilégiée par les organisations humanitaires, avec la promotion d’approches en « kits », duplicables d’un contexte à l’autre. Des approches qui ne nécessitent pas de connaissance fine des contextes d’interventions, qui privilégient au contraire <a href="https://hea-sahel.org/">des évaluations standardisées, sans recul historique</a> (de type Household Economy Analysis), et qui permettent la rotation rapide des équipes.</p>
<p>Par ailleurs, de par cette nature systémique, la résilience appelle une action dite intégrée, c’est-à-dire jouant sur plusieurs leviers à la fois, et coordonnant les différents acteurs de l’aide sur une même zone. Or, le système humanitaire demeure généralement cloisonné, fonctionnant sur la base de ce que l’on appelle les <em>Clusters</em> (par spécialisation sectorielle). Et il est encore parfois davantage mû par des logiques concurrentielles que par un souci de coordination et de complémentarité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235849/original/file-20180911-144485-bc7e2m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans l’est de la République démocratique du Congo (en 2007).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/julien_harneis/1374298890/in/photolist-36rDbs-TdyE3-6rHsYv-3RujEa-5BR35H-5BuQri-3RvbLf-5BAgF3-577ZBx-3RriRA-5BAaru-4wr7HT-4wr6kR-57cyZA-5Bw4m4-34Qdez-5WmaMn-5WrPsm-3RsKiG-36o3yx-4S57ja-QgJVn-6rGEzx-3RnApT-QfKPJ-4vtJZy-5Wm1GK-5UJszk-6sphwP-WZwJU-4wvhgs-6rHeck-5At53Y-57ch4q-6su6To-67ptkq-4S97zS-67ndWC-5AtycU-4RLcTY-578BiT-4RKsZd-67iYkt-5ByvBm-4L5LjM-57bTNW-4S9bVb-5Atahm-4LavG1-4QGgop">Julien Harneis/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il existe certes des tentatives intéressantes d’actions intégrées – telles les <a href="http://www.fao.org/3/a-i5869f.pdf">caisses de résilience de la FAO</a>, combinant techniques agricoles, accès au crédit et actions sociales. Mais celles-ci ne sont souvent que la remise au goût du jour de vieilles préconisations. Souvenons-nous du développement rural intégré des années 1980…</p>
<p>Enfin, adopter une démarche systémique appelle à considérer l’ensemble des chocs qui frappent ou menacent une communauté. Or, beaucoup d’approches se limitent aux chocs dits « naturels » (terme qui en soi peut faire débat), peinant à intégrer l’ensemble de l’adversité qui constitue l’âpre quotidien des populations pauvres, donc vulnérables.</p>
<h2>La prise en compte des capacités locales</h2>
<p>Troisième atout, troisième défi : la prise en compte des capacités locales. La résilience met l’accent sur les capacités de réaction et d’adaptation des populations affectées par des chocs. C’est là un atout majeur de la notion : sortir d’une approche misérabiliste, de populations passives ne devant leur salut qu’à l’intervention extérieure.</p>
<p>Mais cette vision n’est pas sans limite ni danger. En premier lieu, pour tenir compte judicieusement de ces capacités locales, il est nécessaire de bien étudier ses contextes d’intervention et de savoir adapter son action en conséquence. Or, on l’a dit, ce sont plutôt des approches standardisées à l’extrême qui ont été imposées ces dernières décennies, tant pour l’évaluation des besoins et des réactions des populations que pour les pratiques de l’aide elles-mêmes.</p>
<p>En second lieu, cette vision peut conduire à surestimer les capacités des populations à faire face. Et c’est là que certains pointent du doigt deux autres dangers de la notion : celui d’en faire un alibi pour le désengagement (puisqu’ils savent se débrouiller seuls, nous pouvons réduire notre aide), et celui d’une nouvelle forme d’injonction (savoir montrer des gages de résilience pour mériter l’appui). Ce risque d’injonction se retrouve en particulier dans les approches de la résilience des « communautés », que l’on a trop tendance à postuler soudées, capables de réconciliation, de cohésion, et d’inclusion (autre mot-éponge de cette décennie !).</p>
<h2>Une rigidité du système</h2>
<p>Au final, on voit bien toute la difficulté d’intégrer réellement la résilience dans l’action humanitaire, et d’éviter d’en faire autre chose qu’un slogan mobilisateur, un alibi pour le désengagement, ou une nouvelle injonction.</p>
<p>Si de nombreux programmes pro-résilience ont certes été initiés durant ces années 2010 (par exemple, <a href="http://www.braced.org">BRACED</a>), il demeure toujours difficile de se coordonner, d’allonger les horizons des financements et de l’action, de limiter les lourdeurs bureaucratiques, voire de lutter contre les logiques de rente associées à l’urgence, ou contre la tentation de « faire du neuf avec du vieux ».</p>
<p>La question se pose donc ainsi : <a href="http://alternatives-humanitaires.org/fr/2017/11/20/de-resilience-a-localisation-slogans-ne-suffisent-a-reformer-profondeur-secteur-humanitaire/">n’attend-on pas trop de la résilience</a>, dans un système humanitaire qui peine à changer radicalement son mode de fonctionnement, et qui parvient finalement à en neutraliser le potentiel perturbateur ?</p>
<p>Une histoire de résilience, là encore…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ces dernières années, Benoît Lallau a reçu des financements de l'Agence Universitaire de la Francophonie.</span></em></p>N’attend-on pas trop de la résilience dans un système humanitaire qui peine à changer radicalement son mode de fonctionnement, et qui parvient finalement à en neutraliser le potentiel perturbateur ?Benoît Lallau, Maître de conférences, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1027352018-09-10T20:18:41Z2018-09-10T20:18:41ZTurquie, Tunisie, Liban : quand la politique bouscule l’économie<p>Les turbulences financières du mois d’août en Turquie nous le rappellent avec force : des développements d’ordre politique peuvent déclencher des troubles économiques et financiers de grande ampleur. La détérioration des relations entre la Turquie et les États-Unis et la concentration des pouvoirs entre les mains du Président turc – deux développements de nature politique – sont les principaux facteurs déclencheurs de la forte dépréciation de la monnaie turque. Celle-ci a perdu près de 30 % de sa valeur au cours de ces dernières semaines. Auparavant, la Turquie a longtemps pu présenter des fondamentaux macroéconomiques fragiles sans être sanctionnée pour autant par les acteurs sur les marchés financiers.</p>
<h2>Crises politiques et troubles économiques : un lien étroit et ancien</h2>
<p>Cette illustration récente de l’imbrication entre politique et équilibres économiques et financiers vient s’ajouter à une succession de cas similaires. <a href="https://www.afd.fr/fr/egypte-les-impacts-economique-et-financier-dune-transition-politique-difficile">Les révolutions égyptienne</a> et <a href="http://documents.worldbank.org/curated/en/518411476195193488/The-impact-of-the-Arab-Spring-on-the-Tunisian-economy">tunisienne</a> ont durablement modifié les équilibres macroéconomiques et financiers des deux pays. L’assassinat du premier ministre libanais, Rafic Hariri, en 2005, avait propulsé le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/13504850500426335">Liban au bord de la crise financière</a>).</p>
<p>Les exemples sur le continent africain sont nombreux, du Zimbabwe à la Côte d’Ivoire. Et aujourd’hui les pays occidentaux ne sont plus immuns d’événements politiques qui modifient durablement les perspectives économiques. À l’image du Brexit ou des dernières élections italiennes, ils peuvent conduire à des modifications aussi radicales qu’instantanées de la perception des acteurs des marchés.</p>
<p>Quand il s’agit pour un investisseur d’analyser ex ante le risque qu’il prend à intervenir en Turquie plutôt qu’en Malaisie ou au Brésil, c’est-à-dire le « risque-pays », il est plus confortable de restreindre ses analyses aux données économiques et financières chiffrées que de s’aventurer dans l’analyse politique, par nature plus subjective. Conclure que la trajectoire de la dette publique est sur une dynamique non soutenable ou que les réserves extérieures de la banque centrale sont insuffisantes pour faire face à un choc d’ampleur constituent des exercices moins audacieux que d’anticiper les effets des développements politiques à venir sur le cours du change ou la capitalisation boursière.</p>
<p>Faut-il pour autant baisser les bras et se réfugier derrière l’imprédictibilité de ces événements pour ne pas les intégrer dans ses paramètres de décisions ou n’asseoir ces dernières que sur des intuitions personnelles ?</p>
<h2>Analyser les contextes, traquer les vulnérabilités</h2>
<p>Bonne nouvelle, la recherche scientifique récente apporte beaucoup de grain à moudre pour qui sait prendre le temps de l’analyse méthodique. Depuis le début des années 2000 en effet, les <a href="https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-02-05-48-06/md-25-risquesociopolitique-risquepays-Vergne-Laville.pdf">travaux sur les risques sociopolitiques</a> sont en pleine expansion : économistes, politologues, géographes, historiens et anthropologues cherchent à comprendre les dynamiques sous-jacentes au déclenchement des troubles sociopolitiques ainsi que leurs répercussions sur le développement des pays touchés par ce phénomène.</p>
<p>Ces travaux permettent d’identifier les vulnérabilités qui constituent un terreau fertile à l’instabilité et des facteurs déclencheurs spécifiques qui peuvent transformer des tensions structurelles latentes en troubles sociopolitiques. Quatre grands groupes de vulnérabilités structurelles se dégagent de ces travaux.</p>
<p><strong>La géographie détermine le destin</strong></p>
<p>Ils donnent tout d’abord raison à cette intuition prêtée à Napoléon, en l’étendant à l’histoire idiosyncratique propre à chaque pays. Un pays est plus exposé à connaître des troubles sociopolitiques à l’avenir si un de ses voisins l’est aujourd’hui (Hegre et <a href="https://www.google.fr/search?hl=fr&q=Hegre+H.+et+N.+Sambanis+(2006),+%E2%80%9CSensitivity+Analysis+of+EmpiricalResults+on+Civil+War+Onset%E2%80%9D,+Journal+of+conflict+resolution,Vol.+50,+No.+4,+pp.+508-535.&gws_rd=ssl">Sambanis</a>, 2006 ; <a href="http://www.oecd.org/fr/cad/conflits-fragilite-resilience/etats-de-fragilite-2016-9789264269996-fr.htm">OCDE, 2016)</a>. La propagation des printemps arabes en a été un exemple marquant. De même, les pays ayant déjà connu des conflits sont plus exposés à un risque de rechute matérialisant une forme de « trappe à conflits ». La Centrafrique, qui voit les crises se succéder les unes après les autres, illustre ce phénomène.</p>
<p><strong>Certains régimes plus exposés par nature</strong></p>
<p>Les recherches en sciences politiques mettent également en évidence le rôle de la nature du régime politique dans l’émergence de troubles d’ordre sociopolitiques. Ces travaux concluent que les régimes purement démocratiques ou purement autocratiques sont moins sujets au déclenchement de troubles que les régimes intermédiaires.</p>
<p>Ces derniers ne disposent pas d’institutions démocratiques suffisantes pour que s’expriment pacifiquement les désaccords de la population tout en laissant suffisamment de latitude aux groupes dissidents pour s’organiser. Les actions pacifiques y sont les plus souvent inefficaces poussant les opposants à franchir le Rubicon de l’action violente.</p>
<p><strong>Les inégalités sources de conflits</strong></p>
<p>Les vulnérabilités de nature socioéconomique et démographique doivent également être prises en compte. Les études économiques sur les guerres civiles ont montré une relation robuste entre pauvreté, croissance anémique et probabilité d’occurrence d’un conflit (<a href="https://www.google.fr/search?hl=fr&ei=KQONW8CRDMauav3CuPgG&q=Fearon+J.D.+et+D.D.+Laitin+%282003%29%2C+%E2%80%9CEthnicity%2C+insurgency%2C+and&oq=Fearon+J.D.+et+D.D.+Laitin+%282003%29%2C+%E2%80%9CEthnicity%2C+insurgency%2C+and&gs_l=psy-ab.3...220348.221777.0.222559.1.1.0.0.0.0.67.67.1.1.0...0...1c.1.64.psy-ab..0.0.0...0.-ZpsE9iotMs">Fearon et Laitin, 2003</a> ; <a href="https://www.google.fr/search?hl=fr&q=Collier+P.+et+A.+Hoeffler+(2004),+%E2%80%9CGreed+and+Grievance+inCivil+War%E2%80%9D,+Oxford+Economic+Papers,+Vol.+56,+No.+4,+pp.+563-595.&gws_rd=ssl">Collier et Hoeffler, 2004</a>). Les inégalités sont également une cause importante de contestation.</p>
<p><strong>Le poids croissant du changement climatique</strong></p>
<p>Enfin, et ces risques sont probablement amenés à croître à l’avenir, les changements environnementaux et climatiques sont facteurs d’instabilité. A titre d’illustration, avec la prévision d’une hausse d’un mètre du niveau de la mer, 17 % des terres du Bangladesh disparaîtraient sous les eaux d’ici 2050, provoquant une perte de 13 % de la production agricole et des déplacements de populations massifs. Jusqu’à 8 millions de Bangladais pourraient ainsi devoir fuir leurs terres (les inondations d’eau salée détruisant les champs).</p>
<p><strong>A la recherche des facteurs déclencheurs</strong></p>
<p>Il faut compléter cette analyse par celle des facteurs potentiellement déclencheurs qui peuvent transformer des tensions longtemps latentes en conflit ouvert. L’approche d’une élection contestée dans un régime intermédiaire, la volonté de modifier la constitution pour étendre le nombre de mandats qu’un président peut exercer à l’instar de ce qui a produit la chute de Blaise Campaoré au Burkina Faso, la mort d’un chef d’État omnipotent n’ayant pas organisé sa succession constituent autant de facteurs déclencheurs de troubles sociopolitiques qui peuvent être anticipés. Pour mener à bien ces travaux, ici comme ailleurs, les économistes et financiers gagnent à s’appuyer sur l’expertise des historiens, géographes, politologues et anthropologues.</p>
<p>Bien sûr, beaucoup de développements d’ordre politique ou social restent imprédictibles, tout comme l’emballement des événements dans certains contextes. L’immolation par le feu d’un vendeur de Sidi Bouzid avait, par exemple, conduit en moins d’un mois au renversement du régime Ben Ali en Tunisie début 2011. Mais l’analyste n’est pas démuni. Pour peu qu’il prenne le temps de chercher à comprendre les spécificités de chacun des pays.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte s’appuie sur le Macrodev n°25, <a href="https://www.afd.fr/fr/comment-analyser-le-risque-sociopolitique-une-composante-cle-du-risque-pays">« Comment analyser le risque sociopolitique ? Une composante clé du risque-pays »</a>, co-rédigé par Clémence Vergne, économiste à l’AFD et Camille Laville, assistante de recherche à la Ferdi.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102735/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La détérioration des relations entre Ankara et Washington et la concentration des pouvoirs aux mains du Président turc sont les principaux facteurs déclencheurs de la chute de la monnaie turque.Clémence Vergne, Economiste principal Département Méditerranée et Moyen Orient, Agence française de développement (AFD)Vincent Caupin, Directeur - Département Diagnostics Economiques et Politiques Publiques - Agence Française de Développement, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1022762018-09-04T19:07:13Z2018-09-04T19:07:13ZEn Afrique, le fantasme d’une « communauté peule » radicalisée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/234822/original/file-20180904-45158-1tb6mmk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1270%2C933&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un village peul dans le nord du Sénégal (ici en 2007).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?q=Peuls&rlz=1C5CHFA_enFR797FR798&tbm=isch&source=lnt&tbs=sur:fmc&sa=X&ved=0ahUKEwjjk8SOqqHdAhXmx4UKHTCaCCsQpwUIHw&biw=1711&bih=835&dpr=1#imgrc=pmdAyjGb0xoFLM:">KaBa/Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>Les Peuls focalisent actuellement l’attention du fait de l’instrumentalisation de certains d’entre eux par des groupes fondamentalistes tentant de s’implanter localement dans le Sahel. La terreur djihadiste crée une angoisse sociale chez les autres communautés dans les zones menacées, faisant des Peuls des boucs émissaires du fait de leurs prétendues affinités historiques avec l’islam radical. L’identité peule apparaît ainsi comme un épouvantail symbolisant la menace djihadiste. Pourtant, cette identité est trop hétérogène pour établir un lien aussi simple.</p>
<p>Les Peuls seraient entre 25 et 65 millions d’individus en Afrique, répartis sur une vingtaine de pays dans le centre et l’ouest du continent, et dans le monde. Cette variation très importante peut s’expliquer par le type d’indicateur employé (ascendance paternelle ou maternelle, pratique de la langue, reconnaissance de communautés assimilées, etc.).</p>
<p>Les Peuls constituent un ensemble de communautés vivant notamment de l’élevage, soumis aux conflits fonciers, aux changements climatiques et en butte parfois au racisme d’État.</p>
<p>Du fait de la diversité de cette communauté, il est nécessaire d’appréhender les questions relatives aux Peuls à la lumière des revendications identitaires en mutation. Les outils de la nouvelle mondialisation (réseaux sociaux, mobiles, etc.) créent une interconnexion puissante entre les différents éléments de la diaspora peule.</p>
<h2>Une communauté en mutation</h2>
<p>Le nombre d’entités politiques fortes créées ou dirigées par des Peuls, notamment durant la période des hégémonies peules en Afrique de l’Ouest, au cours du XVIII<sup>e</sup> siècle, en a fait une force avec laquelle il fallait compter, un peuple admiré et redouté, inculquant aux générations successives de Peuls le <a href="https://www.webpulaaku.net/defte/pondopoulo/francais-peuls-relation-privilegiee/index.html">sentiment qu’elles sont issues de gens dont le patrimoine doit être fermement défendu</a>.</p>
<p>Pourtant, les Peuls en savent souvent bien peu sur les conditions de vie de leurs congénères. Ainsi les Sahéliens ignorent que les zones plus vertes de l’Afrique abritent des peuplements peuls anciens. Aujourd’hui, émerge chez eux une véritable prise de conscience du poids démographique, de l’omniprésence et de la richesse qu’ils représentent lorsqu’ils sont considérés comme un ensemble uni.</p>
<p>Une question apparaît alors pour les générations actuelles de Peuls : s’ils sont aussi prospères que leur nombre et leur histoire l’indiquent, comment expliquer les tragédies actuelles dont ils sont victimes ?</p>
<p>Le regain de l’identitarisme peul puise sans doute des racines dans cette interrogation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=507&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234823/original/file-20180904-45178-13kwzhj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=637&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« L’archipel Peul ». Source : 1994.</span>
<span class="attribution"><span class="source">« Pour une nouvelle cartographie des Peuls », Jean Boutrais,</span></span>
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<h2>Un peuple uni dans la victimisation</h2>
<p>Depuis 2012, le centre du Mali est en <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/04/dans-le-centre-du-mali-c-est-la-souffrance-la-fatigue-et-la-peur-qui-nous-ont-pousses-a-fuir_5309512_3212.html">proie à des affrontements intercommunautaires</a> sur fond de massacres réguliers des Peuls par des milices locales, ou par des agents de l’État. <a href="https://www.hrw.org/news/2017/09/08/mali-unchecked-abuses-military-operations">De nombreux charniers</a> ont été retrouvés depuis 2013.</p>
<p>Dans le contexte de violence au Mali, la diaspora peule s’est mobilisée, comme l’ont montré des marches récentes à Nouakchott, à Washington, à Paris et dans d’autres grandes villes à travers le monde. Sur les réseaux sociaux et les systèmes de messagerie, les images de destruction et de mort sont partagées très rapidement, sous le coup de l’émotion, et pour témoigner. Dès que de nouveaux évènements touchent des Peuls dans une partie du monde, l’information est relayée.</p>
<p>En République centrafricaine (RCA), ou dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire), les violences subies par des Peuls fournissent du contenu violent et traumatique à travers les échanges de photos et de vidéos, renforçant l’idée des Peuls comme peuple uni dans la victimisation. Pourtant, alors qu’ils font face en RCA à un contexte de guerre civile, dans les autres pays du continent, il s’agit plutôt d’explosions dues aux tensions habituelles entre éleveurs peuls et agriculteurs.</p>
<p>Malgré ces différences de contexte, il existe bien une communauté peule ayant conscience de son unité, faisant face donc à des défis de nature diverse. Le sentiment de stigmatisation actuel est ainsi en train de lui conférer une identification commune que l’on ne peut plus ignorer. Lorsque des Peuls souffrent ici, des Peuls là-bas s’identifient désormais à eux, surtout lorsque lesdites souffrances ont des échos dans leur propre quotidien. L’expérience commune de l’identité peule est clairement en train de se renforcer autour du traumatisme.</p>
<h2>Une même angoisse de l’éradication</h2>
<p>Les Peuls se retrouvent traditionnellement autour du « Pulaaku » (ou manière d’être peul), un code de conduite et d’éthique reposant sur la retenue, l’endurance, la sagesse, et la bravoure. Le mot Pulaaku fait également référence à la communauté des personnes partageant ces éléments.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234835/original/file-20180904-45151-4p4rpl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
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<p>La mémoire sociale et les récits de Peuls différents contribuent à une idée globale partagée de la condition peule. Les histoires circulent, de même que les mythes antiques, les chants modernes, les articles de presse, etc.</p>
<p>Parmi les images et récits véhiculés de manière populaire émerge la figure des Peuls victimes incessantes d’un complot ourdi par d’autres communautés visant à les éradiquer. Cette vision très puissante résonne au sein de communautés très éloignées les unes des autres, comme en attestent les témoignages dans les divers groupes peuls sur les réseaux sociaux. La reconnaissance de ces échos facilite l’appropriation des combats et des messages des uns et des autres.</p>
<h2>Le cas emblématique de la Guinée</h2>
<p>L’histoire des Peuls de la Guinée éclaire fortement cette réalité. Le régime de Sékou Touré (1958-1984), premier Président du pays, a procédé à des exécutions et mis en place une politique discriminatoire à l’encontre de Peuls, estimant que leurs élites étaient des agents internes des puissances impérialistes occidentales visant à renverser le régime. Les Peuls étaient alors accusés d’avoir peu soutenu le référendum ayant fait accéder la Guinée à l’indépendance en 1958, deux ans avant les autres colonies françaises d’Afrique de l’Ouest.</p>
<p>Les rivalités politiques étaient sans doute la source principale de la stigmatisation, les stéréotypes ethniques et le racisme venant rationaliser les positions de l’État a posteriori. En effet, une grande part des opposants aux politiques de Sékou Touré étaient peuls. Parmi eux, <a href="http://www.rfi.fr/emission/20180512-diallo-telli-ascension-jeune-diplomate-12">Boubacar Diallo Telli</a>, premier secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine, fut torturé et mourut emprisonné par le régime de Sékou Touré. Des centaines d’autres furent tués ainsi.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=695&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=695&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=695&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=873&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=873&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234834/original/file-20180904-45175-1p4f3zd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=873&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Président guinéen Ahmed Sekou Touré (en 1962).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Ahmed_S%C3%A9kou_Tour%C3%A9_1962.jpg">Dutch National Archives/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Or les tensions intercommunautaires ne cessent d’augmenter depuis 2009, début de la transition vers la démocratie et la compétition pour le pouvoir politique. En septembre 2013, tentant de mobiliser la communauté internationale face à des craintes d’abus basés sur l’appartenance communautaire, des intellectuels Peuls ont rédigé un fascicule intitulé « Alerte sur la préparation du génocide contre les Peuls et le projet de guerre civile en Moyenne Guinée ».</p>
<p>L’intention des auteurs était de dénoncer l’ethnicisation de la politique en Guinée et le danger que les Peuls encouraient du fait de tactiques populistes du régime au pouvoir. Ils y ont donné un aperçu de la victimisation des Peuls à l’époque de Sékou Touré, lors de la transition politique de 2009, puis lors des élections de 2010.</p>
<p>Finalement, les Peuls n’ont pas été victimes de l’épuration ethnique redoutée. Cependant, le sentiment d’injustice sociale est demeuré, avec une très faible place pour les Peuls (qui représentent pourtant près de 50 % de la population du pays) dans les instances politiques et militaires.</p>
<p>Ce document d’alerte n’a pas obtenu d’échos audibles parmi la communauté internationale, notamment du fait du ton agressif et des attaques <em>ad hominem</em> contre l’actuel président Alpha Condé.</p>
<h2>Des figures politiques peules ciblées</h2>
<p>Avec de nombreux défis à relever, les leaders politiques peuls sont très attendus sur les questions relatives à leur communauté. Cependant, ils éprouvent de grandes difficultés à déployer un discours audible sur ces questions. Accuser un Peul de « biais ethnique », de « fourberie », d’« extrémisme » est devenu une manière efficace, dans la compétition politique, de s’assurer leur silence ou une forme d’autocensure sur les questions touchant à la communauté.</p>
<p>Il en va ainsi au Mali avec le candidat à la présidence Soumaïla Cissé, en Guinée avec l’opposant Cellou Dalein Diallo, ou encore au Nigéria avec le président Muhammadu Buhari: le rappel continu de leur appartenance identitaire peule et de supposés biais parvient à miner leur impartialité politique. Cissé est fréquemment accusé de favoritisme pour les régions du Nord, Diallo d’entretenir un agenda secret de domination et de revanche des Peuls. Au Nigéria, des classes populaires aux intellectuels, il est fréquent d’entendre que le président Buhari protégerait les Peuls coupables de massacres dans le centre et le sud-est du pays, et d’ainsi laisser se former un suprématisme peul.</p>
<p>Ces attaques <em>ad hominem</em> contre ces figures politiques peules contribuent à renforcer au sein de cette communauté hétérogène le sentiment global qu’ils sont mal-aimés, et ainsi nourrir des récits chargés émotionnellement quant à leur position précaire et la nécessité de se protéger.</p>
<h2>La rumeur d’un État peul</h2>
<p>En 2016, alors que des organisations de Peuls préparaient un Congrès mondial du Pulaaku au Burkina Faso, des médias en Guinée et au Mali dénonçaient la volonté des élites peules de proclamer la naissance d’un nouvel État Peul. Ces rumeurs ont suffi à faire annuler la participation de dignitaires Peuls craignant alors d’être assimilés à des manifestations subversives.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/234832/original/file-20180904-45158-1hfh3sg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Danse d’éleveurs avec les bœufs au Mali.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Danse_de_peuls_avec_les_b%C5%93ufs.jpg">Fasokan/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un rapport du Global Terrorism Index, publié en 2015, considérait les « militants peuls nigérians » comme le quatrième groupe terroriste le plus meurtrier au monde. Le rapport a été relayé <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/africa/global-terrorism-index-nigerian-fulani-militants-named-as-fourth-deadliest-terror-group-in-world-a6739851.html">par divers médias</a>, renforçant le récit sur la « violence des Peuls ».</p>
<p>Pourtant, il n’existe pas de mouvement monolithique et systématiquement organisé au Nigéria avec un leadership peul basé sur l’appartenance communautaire. Mais plutôt des réseaux de groupes armés dont des membres sont <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/15/nigeria-on-craint-que-le-conflit-entre-bergers-et-agriculteurs-ne-soit-sous-estime-comme-pour-boko-haram_5271348_3212.html">des bergers peuls</a>.</p>
<p>Certaines analyses font des Peuls des apôtres des djihadistes du fait de leur passé religieux et de la présence, pourtant difficile à quantifier, de Peuls parmi les mouvements fondamentalistes armés. Ces représentations ont suscité un sentiment de colère chez les Peuls.</p>
<p>Il faut préciser ici que les Peuls n’ont jamais constitué un empire avec un continuum centralisé. Il s’agit là d’une lecture moderne, postcoloniale qui favorise des visions nationalistes du monde peul.</p>
<p>Car en essentialisant les aspirations d’une communauté complexe, on encourage l’émergence de positions inadaptées. En évoquant une question peule unique, on élude la complexité des tragédies en cours, et on agrège des problématiques que l’identitarisme modernisé finit par englober sans proposer de solutions adaptées aux demandes de chacun.</p>
<p>Il convient donc de prendre garde aux radicalisations identitaires qui surgissent, liées à des politiques sécuritaires biaisées et à la diffusion de récits médiatiques sensationnalistes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102276/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré est membre fondateur de l'Observatoire Kisal, pour la protection des droits humains au Sahel.</span></em></p>L’identité peule apparaît comme un épouvantail symbolisant la menace djihadiste. Pourtant, cette identité est bien trop hétérogène pour établir un lien aussi simple.Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, Chargé de cours, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/974202018-07-05T21:23:19Z2018-07-05T21:23:19ZQuartiers précaires : réhabiliter plutôt que détruire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/225714/original/file-20180702-116139-wruu3p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1292%2C343%2C4848%2C1806&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Antananarivo, capitale économique et politique de Madagascar, est particulièrement touchée par la précarité : 75 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mbiddulph/14865328155/in/photolist-oDAGai-p4wynF-yen3gE-pmTwFq-pmV5Ft-xXMiwV-ycXo1C-72ncXf-6jjwDv-5Urz5z-nAgR64-6jjM2B-2hjGV-owadtH-XmmzYb-7xWYtv-fFCbBz-6fUCPz-5U6NZF-6kiVF3-5VseSM-fp41ea-nZWpwz-avbpmm-2hkoD-6fUCPv-6fYVdN-78rs8k-6fYSpY-owagTu-78rsWa-6fYSpE-6fYHYN-6hnz1L-5VwzC5-25hSGm4-25ov7dk-8B2hbN-6em8B5-6ohiW-9ih6TA-La8sA3-dyATxq-XtiSnj-6em8AS-FFqoCC-XmmzVq-5Vsegz-agz3D7-bx2h2L">Matt Biddulph/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La plupart des villes en développement se construisent aujourd’hui de manière informelle, et le milliard d’habitants vivant actuellement dans des quartiers précaires <a href="https://www.afd.fr/fr/repenser-les-quartiers-precaires">devrait doubler d’ici 2030</a>.</p>
<p>Ces quartiers constituent autant de morceaux de territoire en décrochage. Caractérisés par une exclusion urbaine et socio-économique, ils pâtissent d’un accès insuffisant aux services et équipements. Anciens centres dégradés, quartiers dévastés à reconstruire suite au déclenchement d’une crise, bidonvilles, quartiers en dur se densifiant ou encore extensions de villes sous-équipées, ils représentent tous un défi majeur pour les collectivités locales et les États.</p>
<p>Creusets de multiples innovations, ces lieux ont pourtant de nombreuses potentialités comme le souligne Julien Damon dans son ouvrage <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-de-bidonvilles-julien-damon/9782021366488"><em>Migrations et urbanisme informel</em></a> : « Accessibilité piétonnière, industrie de la récupération et du recyclage et agriculture urbaine, ou encore dynamisme entrepreneurial allant du commerce minuscule (le barbier à un fauteuil) aux activités de troc et d’ateliers ».</p>
<p>La perception de ces espaces a ainsi évolué : à l’injonction à la « résorption » des bidonvilles, on privilégie désormais l’amélioration sur place de ces quartiers ; une stratégie moins coûteuse, plus acceptable et plus durable. Il semble également nécessaire que les pouvoirs publics valorisent et développent la capacité de ces quartiers à contribuer au bon fonctionnement des villes.</p>
<h2>Éviter les relogements</h2>
<p>Les actions de rénovation des quartiers précaires ont pour objectif de réussir l’intégration non seulement spatiale, mais aussi sociale, économique et politique de ces quartiers au reste de l’espace urbain. Le premier principe guidant les interventions dans ce domaine consiste à partir de l’existant : privilégier autant que possible la réhabilitation sur place en minimisant les relogements.</p>
<p>Moins onéreuse que le relogement donc, et développée plus rapidement, cette approche pragmatique permet d’apporter une réponse au plus près des attentes des populations. Elle consiste à miser sur les services, équipements et espaces publics comme leviers de désenclavement, tout en maintenant les liens sociaux existants et la proximité des lieux d’emplois et d’échanges.</p>
<p>Cette approche est développée dans un nombre croissant de villes de pays en développement, comme à Antananarivo (Madagascar). Dans les quartiers les plus précaires de la capitale malgache, des ruelles, voies carrossables, bornes-fontaines, blocs sanitaires, lavoirs, bacs à ordures, espaces publics ont <a href="https://www.afd.fr/fr/desenclaver-et-assainir-les-quartiers-prioritaires-dantananarivo">été installés</a> par l’État grâce à divers projets « Lalankely » (ruelle en malgache) soutenus par l’Agence française de développement (AFD).</p>
<p>Une gestion communautaire des équipements a été mise en œuvre via la structuration et la formation de comités d’habitants pour inscrire cette réhabilitation dans la durée. Ces projets simples, de mise en œuvre rapide et avec une forte contribution des habitants, ont eu un impact visible et durable sur l’amélioration des quartiers car ils ont lancé une dynamique permettant notamment l’émergence de petits commerces dans ces quartiers.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225722/original/file-20180702-116135-10s4ar1.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un bac à ordure à Antananarivo à Madagascar, en 2014.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Anosibe.JPG">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des quartiers à part entière</h2>
<p>Si les interventions doivent être adaptées au cas par cas, une approche urbaine globale est nécessaire dans chaque situation. Il s’agit d’appréhender les quartiers précaires dans ce qu’ils apportent au fonctionnement urbain en général.</p>
<p>En incitant, à travers un dialogue de politique publique, les autorités à les considérer comme des quartiers de villes à part entière, ils pourront ainsi bénéficier d’une politique d’intervention identique à celle des autres quartiers, tant au niveau des investissements à réaliser que de leur gestion et maintenance au long terme.</p>
<p>Du fait de la sensibilité de ces interventions, qui interviennent auprès de populations souvent marginalisées dans des contextes urbains complexes, une volonté politique forte des acteurs locaux et nationaux est un préalable à l’action. Il faut ainsi favoriser le retour de la puissance publique dans ces quartiers en créant les conditions d’une confiance entre les autorités et les habitants. Ces derniers doivent devenir des acteurs à part entière du projet dans les choix d’aménagement, la priorisation des investissements, la mise en œuvre et l’entretien des ouvrages. Cela permet d’assurer leur appropriation tout en luttant contre les risques d’exclusion d’un groupe par un autre.</p>
<h2>Une approche multi-villes</h2>
<p>Aujourd’hui, de tels projets existent à l’échelle d’une ville, comme à Madagascar, mais aussi à l’échelle d’un pays et dans une logique multi-villes, comme en Tunisie.</p>
<p>Les autorités tunisiennes ont ainsi lancé depuis plusieurs décennies une politique pérenne de réhabilitation des quartiers précaires. Elle facilite l’accès des populations aux services, leur intégration socio-économique et les incite à construire des logements en dur alignés dans l’attente de l’intervention de la puissance publique.</p>
<p>Le nouveau <a href="https://www.afd.fr/fr/proville-appuyer-la-politique-de-la-ville-en-tunisie">Programme de réhabilitation et d’intégration des quartiers d’habitation</a> (2018-2023) intervient par exemple dans près de 150 quartiers, ciblant plus d’un million d’habitants, notamment Sousse, Jendouba, Kairouan, ou encore Sidi Bouzid.</p>
<p>L’objectif est de mettre à niveau les infrastructures de base et de renforcer l’accès aux équipements culturels, sportifs ou industriels. L’innovation sera testée au fil de la mise en œuvre, tant à travers des actions de projets participatifs frugaux pour signaler le changement entamé, qu’à travers une inclusion plus forte des collectivités à la mise en œuvre du programme.</p>
<p>Au-delà de l’accès aux services, la requalification des espaces communs – via la mise en place ou l’amélioration d’équipements publics, l’embellissement des quartiers par des places et parcs qui génèrent d’importants impacts sociaux, le développement d’équipements culturels et sportifs – contribue à modifier durablement l’aspect des quartiers et les conditions de vie des habitants.</p>
<p>Les composantes sociales et institutionnelles des projets sont également essentielles pour accompagner les investissements et en assurer la gestion comme c’est le cas à Madagascar : en favorisant les approches à haute intensité de main-d’œuvre, la création de comités d’habitants pour gérer les services ou en développant des laboratoires d’innovation urbaine facilitant l’émergence de <a href="https://ideas4development.org/renouvellement-urbain/">petits projets</a> frugaux et d’urbanisme temporaire en amont des travaux comme en Tunisie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97420/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Que faire des quartiers précaires et des bidonvilles ? Plutôt que de les raser, intégrer ces ensemble dans l’espace urbain semble être une alternative prometteuse.Pierre-Arnaud Barthel, Chef de projet en développement urbain, Agence française de développement (AFD)Anne Odic, Responsable de la division développement urbain, aménagement et logement, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/898202018-01-15T20:39:06Z2018-01-15T20:39:06ZL’impunité, le prix à payer pour la démocratie en Afrique ?<p>La mise à l’écart en douceur de Robert Mugabe au Zimbabwe, en novembre 2017, a réactivé le débat sur l’impunité en Afrique et sur son rapport avec l’avancée du processus démocratique. Blanchir les dictateurs de tous les crimes qu’ils ont commis est-il le prix à payer pour retrouver la paix civile et pour revenir à la démocratie ?</p>
<p>En effet, le cas de Mugabe n’est pas isolé. Avant lui, le <a href="https://theconversation.com/presidentielles-en-afrique-comment-ca-va-la-democratie-71747">départ de Yahya Jammeh en Gambie</a> (janvier 2017) avait été négocié contre la promesse de le laisser quitter son pays sans être inquiété. À cette occasion, l’autocrate déchu avait choisi avec soin son pays d’accueil (la Guinée équatoriale) dont il pouvait être presque sûr que le président – l’autre dictateur Obiang Nguema – ne lui jouerait pas le mauvais tour du Nigeria à l’encontre de Charles Taylor.</p>
<p>On se souvient en effet que l’ancien chef d’État du Liberia avait lui aussi accepté de partir en 2003, moyennant l’impunité et l’exil à Lagos (Nigeria). Mais, sous la pression de la communauté internationale, le président nigérian Olusegun Obasanjo a finalement accepté, en 2006, la demande d’extradition du criminel de guerre, d’abord vers la Sierra Leone, théâtre de ses exactions les plus graves, puis vers la <a href="http://www.liberation.fr/planete/2013/09/26/cinquante-ans-de-prison-confirmes-pour-charles-taylor_934893">Cour pénale internationale de La Haye</a>.</p>
<h2>Amnisties informelles</h2>
<p>L’impunité n’est donc pas forcément éternelle. Parfois, elle est même très passagère. Ainsi l’ex-président malgache Marc Ravalomanana, « démissionnaire » en mars 2009, exilé en Afrique du Sud puis condamné (par contumace) aux travaux forcés à perpétuité en août 2010 pour la mort d’une trentaine de partisans de son rival d’alors Andry Rajoelina, avait vu son mandat d’arrêt annulé pendant quelques heures en janvier 2012, au moment où il s’apprêtait à revenir dans la Grande Île. Le prix à payer pour la réconciliation nationale avait sans doute paru trop élevé à l’époque, mais l’homme est néanmoins de retour aujourd’hui dans son pays et semble bénéficier d’une « amnistie informelle ».</p>
<p>Les ex-présidents ne sont pas les seuls bénéficiaires de telles largesses. Parfois des criminels de guerre notoires sont tellement au-dessus des lois qu’ils peuvent encore être candidats à la magistrature suprême. C’est le cas du Libérien Prince Johnson, qu’une vidéo de 1995 le montrant en train de boire une bière pendant que ses hommes coupaient les <a href="http://www.jeuneafrique.com/176384/politique/liberia-l-horrible-fin-de-samuel-doe-6/">oreilles de l’ancien président Samuel Doe</a> a rendu tristement célèbre.</p>
<p>Malgré les milliers d’autres morts dont il est probablement responsable, il a reconquis une forme de respectabilité en se faisant élire sénateur du Comté de Nimba en 2005. Puis il est arrivé troisième au 1<sup>er</sup> tour de la présidentielle de 2011, avec 12 % des suffrages. Toujours dans la course, il a encore recueilli 9 % des voix lors du scrutin présidentiel de 2017, et il a largement contribué à la victoire de George Weah. Au Libéria, ce n’est pas tant la réconciliation qui est recherchée que la paix civile, car l’ancien chef de guerre dispose encore dans son fief frontalier de la Côte d’Ivoire et de la Guinée de miliciens et d’armes susceptibles de faire replonger le pays dans le cauchemar des années 1990.</p>
<p>On pourrait également citer des présidents en exercice qui échappent à la justice – nationale ou internationale – justement parce qu’ils sont présidents mais aussi parce que l’opinion publique et la communauté internationale semblent avoir peur du désordre qui pourrait s’installer si on leur appliquait la loi. Ainsi <a href="https://theconversation.com/en-afrique-du-sud-la-chute-programmee-de-lanc-89172">Jacob Zuma</a> parvient-il à échapper aux lourdes charges qui pèsent contre lui grâce à l’immunité qui le protège et au soutien de ses amis politiques.</p>
<p>Quant au dirigeant du Soudan Omar el-Bechir, passible de la Cour pénale internationale, il continue à circuler tranquillement en dehors de son pays sans être inquiété par les mandats d’arrêt lancés contre lui en 2009 et 2010 pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité <a href="https://theconversation.com/soudan-soudan-du-sud-tchad-guerres-sans-fin-guerriers-sans-frein-71237">au Darfour</a>.</p>
<h2>L’impunité par contumace</h2>
<p>Pour autant, l’impunité n’est pas forcément la règle, même si elle est largement répandue dans toutes les strates de la société dans bon nombre d’États africains. Ainsi le dictateur sanguinaire éthiopien Mengistu Hailé Mariam, réfugié en 1991 au Zimbabwe, a été condamné à mort par contumace en 2008.</p>
<p>De même, les autocrates chassés par les printemps arabes de 2011 ont-ils été poursuivis par la justice. En Tunisie, Zine el-Abidine Ben Ali a été sous le coup de 93 chefs d’inculpation dont 35 relevant de tribunaux militaires. À l’issue d’une douzaine de procès, il a été condamné par contumace à plusieurs peines de réclusion à perpétuité. <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/14/ben-ali-arabie-saoudite_n_8978494.html">Il est réfugié en Arabie saoudite</a>, qui refuse de l’extrader.</p>
<p>En Égypte, Hosni Moubarak a risqué la peine de mort par pendaison lors d’un long procès ouvert le 2 août 2011, mais il a finalement été acquitté et libéré le 2 mars 2017 sous réserve de ne pas quitter le territoire.</p>
<p>Quelques mois plus tard, l’ex-président malien Amadou Toumani Touré, renversé le 22 mars 2012 et réfugié au Sénégal, était sous la menace d’une inculpation pour haute trahison avant qu’une commission <em>ad hoc</em> le blanchisse de ces charges en 2016. <a href="http://www.jeuneafrique.com/505161/politique/mali-lex-president-att-est-arrive-a-bamako-apres-5-ans-dexil/">Il vient d’ailleurs de regagner Bamako.</a></p>
<p>En Centrafrique, l’ex-président François Bozizé, renversé le 24 mars 2013 et réfugié au Cameroun, est toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la justice de son pays le 29 mai 2013. Au Burkina-Faso, <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20171118-cote-ivoire-ex-president-burkinabe-compaore-sort-son-silence">Blaise Compaoré</a>, chassé du pouvoir le 31 octobre 2014 et réfugié en Côte d’Ivoire, est également visé par 18 mandats d’arrêt internationaux, dont certains ont été levés mais d’autres courent toujours, notamment pour la répression de l’insurrection populaire qui a provoqué sa chute.</p>
<h2>Laurent Gbagbo, un cas particulier</h2>
<p>Ailleurs, le cas de Laurent Gbagbo est particulier : il a été arrêté en avril 2011 et transféré sept mois plus tard (30 novembre 2011) à la Cour pénale internationale de La Haye. Nul doute que, lors des négociations ayant précédé son départ du Palais présidentiel d’Abidjan, l’argument de l’impunité (et de l’exfiltration) a pu être avancé par l’une ou l’autre des parties. Mais le pays était en situation de guerre civile larvée, les institutions – et singulièrement les tribunaux – étaient sinistrées et le régime d’Alassane Ouattara ne disposait pas des moyens pour faire face à un éventuel procès sur place.</p>
<p>Ainsi donc, à l’exception d’Hosni Moubarak et de Laurent Gbagbo, tous ces acteurs ont bénéficié d’une impunité <em>de facto</em> puisqu’ils sont en exil dans des pays qui refusent de les extrader. Ces refus sont souvent hypocritement justifiés par le manque de confiance dans les institutions judiciaires nationales concernées.</p>
<h2>Par quelle justice passer ?</h2>
<p>Alors pourquoi ne pas déléguer cette fonction à une instance internationale, comme ce fut le <a href="https://theconversation.com/le-proces-habre-un-moment-crucial-de-la-justice-internationale-en-afrique-60839">cas pour Hissène Habré</a>, jugé au Sénégal à partir de juillet 2015 par les Chambres africaines extraordinaires et <a href="http://www.jeuneafrique.com/432752/societe/tchad-hissene-habre-condamne-a-appel/">condamné à la réclusion à perpétuité</a>. En effet, cette juridiction originale créée par l’Union africaine semble être la bonne réponse à la défiance généralement ressentie à l’endroit à la fois des justices nationales et de la Cour pénale internationale. Cette dernière est, d’ailleurs, de plus en plus <a href="https://theconversation.com/lafrique-et-la-cour-penale-internationale-chronique-dun-divorce-annonce-68040">mal supportée par les États africains</a> qui l’accusent de ne s’en prendre qu’aux autocrates du continent.</p>
<p>En fait, la CPI a souvent du mal à instruire correctement ses procès, comme on a pu le voir en décembre 2014 lorsqu’elle a dû abandonner les <a href="http://lemonde.fr/afrique/article/2014/12/05/cpi-abandon-des-poursuites-contre-le-president-kenyan-kenyatta_4535316_3212.html">charges contre le président Uhuru Kenyatta</a>, pourtant accusé de crimes contre l’humanité, mais qui avait profité du pouvoir qu’il exerçait (à nouveau) pour purger son dossier des preuves attendues.</p>
<p>Cet exemple illustre bien le cœur du problème : comment faire prévaloir une justice réellement indépendante dans des pays où les libertés sont muselées ? Quels magistrats, quels tribunaux, quelles cours ont le courage d’affronter des pouvoirs qui, s’ils ne sont pas tous autocratiques, sont souvent complices des dictateurs ? On dispose de très peu d’exemples.</p>
<p>En juin 2015, la justice sud-africaine avait instruit la requête d’une ONG demandant que soient exécutés les mandats d’arrêt internationaux qui visaient le président soudanais Omar el-Bechir, de manière à ce qu’il soit bloqué à Pretoria lors de son passage dans le pays. Mais cette audace n’avait pas duré plus de 24 heures. Plus courageuse, la présidente du Malawi (Joyce Banda) avait préféré renoncer à accueillir le sommet de l’Union africaine en 2012 plutôt que d’y voir ce même Omar El-Bechir.</p>
<p>Alors Robert Mugabe, Yahya Jammeh, Prince Johnson, François Bozizé, Blaise Compaoré, Mengistu Hailé Mariam, Omar el-Bechir, Uhuru Kenyatta et quelques autres pourront sans doute encore vivre des jours tranquilles à l’abri des sanctions, au mépris des souffrances qu’ils ont infligées ou infligent encore à leurs peuples. À ceux-ci de dire si l’impunité – réelle ou <em>de facto</em> – dont bénéficient ces autocrates leur a procuré un mieux-vivre au quotidien.</p>
<p>Encore faudrait-il que ce quotidien ne soit pas lui-même marqué par une impunité généralisée, à tous les échelons de la société, faisant ainsi oublier la notion même de justice.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89820/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Blanchir les dictateurs de tous les crimes qu’ils ont commis est-il le prix à payer pour retrouver la paix civile et pour revenir à la démocratie ?Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/878092017-11-23T21:30:40Z2017-11-23T21:30:40ZLe coup de force au Zimbabwe montre l’incohérence des organisations régionales africaines<p>La confusion initiale sur la nature des évènements au Zimbabwe le 14 novembre a été levée, le jour suivant, par les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=EW2Sixz-n6w">déclarations</a> de l’armée qui laissaient très peu de doute sur le fait qu’il s’agissait bel et bien d’une <a href="http://information.tv5monde.com/en-continu/zimbabwe-de-l-intervention-de-l-armee-aux-appels-au-depart-de-mugabe-203987">prise de contrôle militaire</a> demandant la démission du président de la République, le nonagénaire Robert Mugabe.</p>
<p>Les faits indiquant bien un coup d’État, pourquoi ne pas l’avoir nommé ainsi ? La réponse se trouve quelque part entre la stratégie de l’armée (Forces de Défense du Zimbabwe) et l’incohérence des élites politiques et des organisations africaines.</p>
<p>D’une part, les « putschistes zimbabwéens » craignaient certainement, conformément à l’<a href="http://www.achpr.org/fr/instruments/au-constitutive-act/#30">article 30 de l’Acte constitutif de l’Union Africaine</a> (UA), une suspension et des <a href="http://www.peaceau.org/fr/article/communique-de-la-551eme-reunion-du-conseil-de-paix-et-de-securite">sanctions</a> potentielles de l’organisation, que les États membres se doivent d’appliquer. D’autre part, Mugabe, au pouvoir depuis 37 ans, adulé par ses pairs comme l’<a href="http://www.jeuneafrique.com/298498/politique/le-tchadien-idriss-deby-itno-designe-president-de-lunion-africaine/">« infatigable militant de l’indépendance et de la dignité de l’Afrique »</a>, ceux-ci allaient probablement se ranger derrière lui.</p>
<h2>Dangereux coups d’État</h2>
<p>De fait, il existe un large consensus – y compris et surtout de la part de nombreux régimes autoritaires africains – <a href="http://www.jeuneafrique.com/231863/politique/dar-es-salaam-les-chefs-d-tat-de-l-afrique-de-l-est-condamnent-le-coup-d-tat-au-burundi/">contre les coups d’État militaires ou « changements anticonstitutionnels de gouvernement »</a>.</p>
<p>La <a href="http://www.achpr.org/fr/instruments/charter-democracy/">Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) de 2007</a>, en son article 3 (10), énonce le principe du « rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement ». Même si jusqu’à présent, seuls dix pays ont signé et <a href="http://www.achpr.org/fr/instruments/charter-democracy/ratification/">ratifié cette Charte</a>, ce principe est « endossé » par les organismes sous-régionaux africains, y compris la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont le Zimbabwe est un État membre.</p>
<p>La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) <a href="http://www.peaceau.org/en/article/the-au-calls-for-a-speedy-orderly-and-peaceful-transition-and-transfer-of-power%20aux%20nouvelles%20autorit%C3%A9s%20en%20Gambie">« s’appuie »</a> elle aussi sur cette Charte et l’a d’ailleurs récemment utilisée comme base pour <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20170122-gambie-accord-depart-yahya-jammeh-guinee-conakry-equatoriale-malabo-cedeao">pousser l’ex-président de la République gambienne Yahya Jammeh vers la sortie</a>.</p>
<p>C’est sur cette base que, Alpha Condé, actuel président de l’UA, <a href="https://au.int/fr/node/3587">qui regroupe 55 pays membres en 2017</a>, a exigé « un retour à l’ordre constitutionnel » et martelé le fait que l’organisation <a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/16/nous-allons-trouver-une-solution-au-zimbabwe-dit-le-president-alpha-conde_5216089_3212.html">« n’acceptera jamais un coup d’État »</a> militaire à Harare.</p>
<p>De même, Jacob Zuma, président en exercice de la SADC, a également <a href="https://www.news24.com/Africa/Zimbabwe/zuma-slams-unconstitutional-take-over-of-zim-20171115">exprimé</a> le refus de son organisation face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement.</p>
<p>Il est, par ailleurs, difficile de nier l’impact négatif des coups d’État militaires sur la démocratie et la stabilité sociopolitique d’un pays.</p>
<p>Cas emblématique, la République centrafricaine a connu au moins une vingtaine de putschs ou tentative de coups d’État et <a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/27/guterres-appelle-a-renforcer-la-force-de-l-onu-en-centrafrique_5206668_3212.html">continue de croupir dans une instabilité paralysante</a>.</p>
<p>Dans ce dernier cas, la condamnation initiale des putschistes par les organisations régionales ne les ont pas empêchés de « s’accommoder » de l’état de fait et de participer au processus de <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20130818-debut-transition-centrafrique-michel-djotodia-face-defis">« constitutionnalisation »</a> du régime éphémère de Michel Djotodia.</p>
<p>Les institutions régionales ont le mandat de se porter garante d’une meilleure gouvernance politique et démocratique et soutenir dans cette voie leurs membres. Or, dans les faits, elles demeurent assez timorées.</p>
<h2>Incohérence dans l’application des principes</h2>
<p>La Charte (CADEG) définit ainsi comme principes :</p>
<p>« Le respect des droits humains, la tenue d’élections régulières, transparentes, libres et équitables, la transparence et l’équité dans la gestion des affaires publiques et la condamnation et le rejet des actes de corruption, des infractions connexes et de l’impunité. »</p>
<p>Cependant, pour les organisations régionales africaines, certaines violations semblent être moins répréhensibles que le renversement militaire d’un régime corrompu et autoritaire.</p>
<p>Pour exemple, sur la question des <a href="http://www.france24.com/fr/20150923-congo-brazzaville-president-annonce-referendum-constitution-sassou-nguesso">modifications des Constitutions à des fins électoralistes</a> – comme ce fut le cas en République du Congo – avec les <a href="https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/republique-du-congo/congo-vague-de-repression-contre-les-opposants-au-projet-de-nouvelle">violences qui en découlent</a>, les organisations régionales africaines ont été pour le moins passives.</p>
<p>Lors des tensions autour de la modification de la Constitution, l’UA s’est contentée d’exhorter les acteurs politiques <a href="http://www.peaceau.org/fr/article/l-union-africaine-appelle-au-calme-et-a-la-retenue-en-republique-du-congo">« à trouver, par le dialogue, une solution à leurs différences »</a>, pour plus tard en appeler au respect de la décision de la cours constitutionnelle <a href="https://au.int/fr/node/27523">validant l’élection présidentielle</a>, avalisant ainsi des élections et des régimes qui ne brillent pas par leur caractère démocratique.</p>
<p>En même temps, peut-on, par exemple, être <a href="http://www.jeuneafrique.com/298498/politique/le-tchadien-idriss-deby-itno-designe-president-de-lunion-africaine/">président de l’UA</a> et critiquer ses propres égarements antidémocratiques comme ce fut le cas pour le président <a href="http://www.jeuneafrique.com/319316/politique/presidentielle-tchad-idriss-deby-itno-reelu-cinquieme-mandat/">tchadien Idriss Déby</a> ?</p>
<p>Il y a là un grand paradoxe inhérent à la structure des organisations intergouvernementales africaines. En effet, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement (CCEG) de l’UA, en tant qu’<a href="https://au.int/fr/organes/conference">organe suprême de l’institution</a>, jouit de tous les pouvoirs tandis que le parlement panafricain (qui se réunit deux fois par an) est un <a href="http://www.panafricanparliament.org/">organe purement consultatif</a>.</p>
<p>Cette critique peut d’ailleurs s’appliquer, dans une certaine mesure, au <a href="http://www.un.org/fr/sc/members/">Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU)</a> – organe suprême sur les questions de paix et de sécurité internationales – où les membres dit du P5 jouissent d’un pouvoir disproportionné (avec droit de veto)- tandis que l’<a href="http://www.un.org/fr/ga/">Assemblée générale qui réunit les 193 membres de l’organisation</a>, rend des décisions qui ont valeur d’orientations et de recommandations.</p>
<p>Cette situation montre, dans le cas de l’UA, que l’organisation est dysfonctionnelle. Cependant, la suprématie de la CCEG s’explique aussi par le désir des États membres de protéger leur souveraineté nationale, toute chose qui ne devrait pas nécessiter de s’émanciper des exigences de l’État de droit.</p>
<p>L’écart entre la position de principe des organisations africaines sur les coups d’État et la violation des droits humains, la fraude électorale et les modifications opportunistes des Constitutions par de <a href="http://www.jeuneafrique.com/470871/politique/nouveau-report-de-la-presidentielle-en-rdc-lua-est-ok-le-rassemblement-pas-ko/">nombreux dirigeants africains</a>, montre bien l’incohérence de leur posture.</p>
<p>Comment peut-on rejeter le putsch au Zimbabwe et le déclarer anticonstitutionnel, tout en détournant le regard des <a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/30/robert-mugabe-est-le-nouveau-president-de-l-union-africaine_4566953_3212.html">agissements antidémocratiques</a> du même régime ? Comment peut-on prôner le respect absolu des Constitutions et approuver tacitement le maintien au pouvoir quasi-anticonstitutionnel de la <a href="http://afrique.latribune.fr/politique/2017-07-20/rdc-l-impressionnant-cartel-des-kabila-qui-regne-sur-l-economie-du-pays-744700.html">dynastie Kabila</a> en République démocratique du Congo ?</p>
<h2>Zone de turbulences</h2>
<p>Après avoir brandi la « baguette magique constitutionnelle » pour tenter de conserver son siège, <a href="http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/21/zimbabwe-robert-mugabe-a-demissionne-selon-le-president-du-parlement_5218193_3212.html">Mugabe a fini par « démissionner », par la voix du président du Parlement</a>.</p>
<p>S’ouvre donc à Harare une période de « transition » qui sera conduite par celui qui a eu raison du téméraire « négociateur » de <a href="http://www.francesoir.fr/actualites-monde/zimbabwe-dates-cle-depuis-larrivee-au-pouvoir-de-mugabe">Lancaster House</a> », Emmerson Mnangagwa. Le coup de force ayant été légitimé par la démission de Mugabe et par la mobilisation populaire, les nouvelles autorités du Zimbabwe ne risquent, a priori, aucune sanction de l’UA ou de la SADC.</p>
<p>Par contre, il est à craindre que l’arrivée au pouvoir de Mnangagwa avec l’aide de l’armée, n’augure pas forcément de <a href="https://theconversation.com/zimbabwe-beware-the-military-is-looking-after-its-own-interests-not-democracy-87712">lendemains meilleurs pour le pays et ses populations</a>. Le « crocodile » comme on le surnomme, à 75 ans, est en effet un <a href="http://www.jeuneafrique.com/mag/494251/politique/zimbabwe-qui-est-emmerson-mnangagwa-lhomme-qui-a-fait-tomber-robert-mugabe/">pur produit du système qu’il a contribué à bâtir et à maintenir par tous les moyens</a>. De même, si le rôle de l’armée dans la chute de Mugabe apparaît salutaire, il n’en demeure pas moins que les militaires ont pris conscience de leur poids dans l’arène politique zimbabwéenne.</p>
<p>Le nouveau pouvoir fera-t-il les réformes qui s’imposent, notamment dans la perspective de la présidentielle de 2018 ?</p>
<p>La question reste entière car, le ZANU-PF, (ancien) parti de Mugabe, et <a href="http://www.rfi.fr/emission/20171117-daniel-jouanneau-mugabe-supportait-mnangagwa-veuille-succeder">Emmerson Mnangagwa le « fils »</a> de ce dernier conserveront probablement les rênes de l’État. Ce qui est certain, c’est que le Zimbabwe est rentré dans une zone de très fortes turbulences.</p>
<p>En fin de compte, on pourrait aussi considérer la « transition » actuelle au Zimbabwe comme la fin d’une ère pour les leaders indépendantistes africains, que Mugabe a incarnée dans son pays. Le Zimbabwe, à 37 ans, est un État extrêmement jeune qui connaîtra certainement d’autres vicissitudes sur son parcours vers la consolidation de ses structures.</p>
<p>Reste à savoir si les organisations régionales africaines sont en mesure de s’adapter aux bouleversements profonds qui risquent d’émerger avec la <a href="https://theconversation.com/mugabe-et-dos-santos-quand-le-pouvoir-des-doyens-africains-setiole-87791">mort symbolique des doyens africains</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/87809/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed M Diatta ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise politique au Zimbabwe révèle les failles des organisations régionales africaines et de leur capacité à être les garants d’un fonctionnement démocratique au sein des états membres.Mohamed M Diatta, Ph.D. Candidate & Lecturer in Political Science-International Relations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/849422017-10-09T19:19:51Z2017-10-09T19:19:51ZLe maintien de la paix, version ONU : radiographie d’une impuissance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/189378/original/file-20171009-6947-ir08kp.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C52%2C2044%2C1364&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un véhicule de la mission de maintien de la paix au Congo (Monusco), l'opération la plus importante de l'ONU dans le monde. </span> <span class="attribution"><span class="source">Thierry Vircoulon</span></span></figcaption></figure><p>En matière de maintien de la paix, les Nations unies sont maintenant au pied du mur. Lors de la réunion de l’Assemblée générale de l'ONU en septembre, l’administration américaine – son principal bailleur de fonds – a annoncé la réduction de sa contribution de 1,3 milliard et a défini une nouvelle politique par la voix du vice-président Mike Pence :</p>
<blockquote>
<p>« En bref, quand une mission sera couronnée de succès, nous y mettrons un terme. Si elle n’atteint pas les objectifs fixés, nous la remanierons. Et si une opération se solde par des échecs répétés, nous y mettrons un terme ».</p>
</blockquote>
<p>Avec un budget de 7,8 milliards et 15 missions <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer-78104">qui semblent sans fin</a>, l’ONU est mise en demeure de réduire le nombre de Casques bleus qui émargent à son budget, quelque 95 000 aujourd’hui.</p>
<p>Évidemment, vue d’Afrique, cette nouvelle approche peut sembler dangereuse et même contre-productive au moment où tous les signes précurseurs d’un nouveau conflit sont réunis en République démocratique du Congo (RDC) – le président Joseph Kabila espère rester au pouvoir en repoussant les élections d'une année à l'autre, <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20170928-rdc-attaque-mai-mai-yakutumba-uvira-lac">ce qui conduit à la remobilisation des groupes armés la ville d'Uvira</a> –, où la Centrafrique se désagrège lentement mais sûrement et où les accords de paix pour régler les conflits malien et sud-soudanais ne sont toujours pas appliqués deux ans après leur signature.</p>
<p>Mais ce paradoxe n’est qu’apparent. En effet, dans les couloirs des Nations unies à New York, dans les chancelleries occidentales et sur le terrain en Afrique, personne ne croit que les Casques bleus vont <a href="https://theconversation.com/la-republique-democratique-du-congo-peut-elle-echapper-a-son-histoire-70468">empêcher un nouvel embrasement de la RDC</a>, désarmer les groupes armés en Centrafrique et imposer l’application des accords de paix au Mali et au Sud-Soudan. La raison en est simple : depuis plus de dix ans, les Nations unies sont à la résolution des conflits ce que l’homéopathie est au cancer.</p>
<h2>De la résolution de conflit à la stabilisation-enlisement</h2>
<p>Plus la machine onusienne de maintien de la paix se professionnalise avec un département dédié (le <a href="http://www.un.org/fr/peacekeeping/about/dpko/">Département des opérations de maintien de la paix, DOMP</a>, dirigé depuis 20 ans par un représentant français), plus les missions s’enlisent et perdent leur sens. En Afrique, les derniers succès du maintien de la paix remontent au début du siècle : Sierra Leone, Liberia, Burundi. De ce fait, les cadres du DOMP ont intériorisé l’idée que les missions de maintien de la paix ne sont plus déployées pour résoudre les conflits mais pour les « stabiliser ». Définie dans les couloirs du Conseil de sécurité par la protection des civils et le rétablissement de l’autorité de l’État, cette soi-disant stabilisation est, en réalité, synonyme d’enlisement sur le terrain.</p>
<p>Érigée en priorité numéro un des missions de maintien de la paix <a href="http://lemonde.fr/europe/article/2005/07/08/le-mea-maxima-culpa-de-kofi-annan-pour-le-massacre-de-srebrenica_671090_3214.html">après Srebrenica (en 1995) et le génocide rwandais (1994)</a>, la protection des civils reste un objectif illusoire – faute d’être partagé par les pays fournisseurs de Casques bleus. En 2014, le responsable de la Monusco en RDC a dû s’excuser publiquement de la <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20140704-kivu-hrw-denonce-attitude-armee-monusco-lors-massacre">passivité des Casques bleus lors du massacre de Mutarule</a>. Au Sud-Soudan, un <a href="https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1635591.pdf">rapport d'enquête de l'ONU</a> sur les violences de juillet 2016 à Juba a mis en évidence le refus des Casques bleus de répondre aux appels à l’aide. En Centrafrique, au moins une enquête interne est en cours sur le comportement des Casques bleus lors d’un massacre récent.</p>
<p>Malgré l’ampleur des violences contre les populations réfugiées à proximité ou dans les bases de l’ONU au Sud-Soudan, les 15 membres du Conseil de sécurité ne sont pas parvenus à un consensus lors du vote de la <a href="http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/s_res_2304.pdf">résolution créant une force de protection en 2016</a>. Alors que la protection des civils est vue comme une politique humaniste par une partie des membres du Conseil de sécurité, elle est perçue comme une dangereuse lubie antigouvernementale par l’autre partie (en particulier, la Russie et la Chine).</p>
<h2>Rétablir un État… qui n’existe pas</h2>
<p>La seconde priorité des missions « de stabilisation » – trois missions de maintien de la paix sont officiellement nommées ainsi en Afrique : Mali, Centrafrique et RDC – est le rétablissement de l’autorité de l’État. Cette formule à la résonance prétorienne veut simplement dire que les territoires du pays concerné doivent être administrés par les représentants de l’État et non par des groupes armés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189385/original/file-20171009-6967-1dpdw3u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des Casques bleus bangladais de la Monusco, ici en Ituri (est de la RDC), en 2004. La population congolaise leur reproche leur passivité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thierry Vircoulon</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Outre le fait qu’elle entretienne la confusion pratique entre État et gouvernement, cette formule escamote quelques réalités politico-historiques : le gouvernement central a-t-il jamais dirigé ces territoires ? En a-t-il seulement les moyens ? Est-il accepté par les populations ? Sinon, pourquoi ?</p>
<p>Les missions de stabilisation sont mandatées par le Conseil de sécurité pour rétablir une autorité de l’État dans des régions (l’Est congolais, le nord du Mali et de la Centrafrique) où cette absence d’autorité est le résultat d’une longue absence de légitimité. Des élections financées et organisées à la va-vite par la communauté internationale sont censées combler, en quelques semaines, <a href="https://theconversation.com/limpasse-du-contre-terrorisme-au-sahel-52171">ce déficit historique</a>. Les problèmes existentiels de ces pays qui durent depuis l’indépendance sont poliment ignorés dans l’enceinte onusienne, où le principe cardinal est la souveraineté des États, quel que soit leur degré d’existence réelle.</p>
<h2>Des missions par qui le scandale arrive</h2>
<p>En s’enlisant, les missions font plus partie du problème que de la solution. Leur gouvernance se révèle problématique. D’une part, elles deviennent des machines à scandales et perdent leur crédibilité. En zone de guerre, le temps contribue à l’enracinement des mauvaises habitudes et à la consolidation des intérêts, y compris de ceux des Casques bleus. À New York, les missions de maintien de la paix sont celles par qui le scandale arrive : information biaisée et dissimulée sur les crimes au Darfour (Minuad), refus de protéger les civils au Sud-Soudan (Minuss) et <a href="http://www.europe1.fr/international/abus-sexuels-une-coalition-dong-denonce-le-simulacre-denquete-de-lonu-en-centrafrique-3437318">trafics et abus sexuels en Centrafrique</a> et au Congo (Monusco et Minusca).</p>
<p>Une rapide recherche sur Internet montre que les missions de maintien de la paix défraient plus la chronique pour leurs abus sexuels que pour avoir rétabli la paix. À ce titre, la Monusco détient le record : sur un total de 2 000 accusations d’abus sexuels portées contre les Casques depuis 12 ans, 700 proviennent du Congo. Loin d’être inconnus des populations et du gouvernement, les dérapages des Casques bleus contribuent à leur discrédit local et offrent un intéressant levier de chantage. Comme le DOMP est la machine à scandales de l’ONU, on se demande pourquoi la diplomatie française y tient tant.</p>
<p>D’autre part, malgré les promesses qu’elles claironnent, les missions finissent par ne plus être un acteur de changement mais de conservation. Depuis 1999, les Nations unies ont dépensé 15 milliards de dollars dans une mission de maintien de la paix en RDC sans parvenir à neutraliser les groupes armés et à démocratiser le régime. Leur leadership penche presque toujours du côté du pouvoir en place et leur neutralité est vite compromise par de petits arrangements.</p>
<p>Au Mali, en RDC et en Centrafrique, les missions ont pour mandat d’appuyer les efforts de gouvernements dont elles taisent la corruption pour conserver leur bienveillance et éviter que ces gouvernements déclarent persona non grata le personnel de l’ONU. Ces missions fournissent à ces gouvernements une protection et une légitimité de façade dont ils usent et abusent contre leur population. En RDC, par exemple, la Monusco a fourni un soutien logistique et militaire à une armée qui s’illustre par ses <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/reflexions_sur_17_ans_de_presence_de_lonu_en_republique_democratique_du_congo_0.pdf">violations des droits de l'homme</a>. À la fin du mois de septembre, elle a une fois de plus servi <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-09-28/un-sends-troops-to-defend-eastern-congolese-city-after-clashes?utm_source=Media+Review+for+September+29%2C+2017&utm_campaign=English_DMR_09292017&utm_medium=e-mail">d'auxiliaire de l'armée congolaise contre les miliciens maï-maï à Uvira</a>.</p>
<p>Incapables de régler les conflits, les missions de maintien de la paix se contentent dorénavant de les accompagner dans la durée. Les membres du Conseil de sécurité n’ont ni le courage de voter le désengagement (à cause d’un précédent tragique : le génocide rwandais) ni le courage de leur accorder les moyens nécessaires et définir une vraie stratégie de résolution de conflit. Ce qu’on appelle pompeusement une « solution politique ». Pour éviter de faire des arbitrages difficiles, ils optent pour un consensus négatif (le ni… ni…) autour d’une « politique de paix » qu’ils savent pertinemment inefficace pour au moins trois raisons.</p>
<h2>Le triple secret de l’inefficacité des missions de maintien de la paix</h2>
<p><strong>1. L’impuissance militaire</strong></p>
<p>Les missions de maintien de la paix n’ont pas de force militaire. Les 95 000 Casques bleus ont toutes les apparences d’une armée (uniformes, armes, véhicules et hélicoptères de combat et maintenant des drones de surveillance), mais ils ne sont pas une armée. Il n’y a pas une chaîne de commandement mais au moins deux (le Force Commander de la mission et la capitale du pays contributeur de troupes), et surtout combattre (ou prendre le risque de combattre) est parfois totalement exclu de la mission.</p>
<p>Dans le cadre des négociations discrètes entre l’ONU et les pays contributeurs de troupes, certains d’entre eux négocient âprement le périmètre de leur mission et en excluent parfois l’usage de la force prévu pourtant par le chapitre VII de la charte des Nations unies. Le retrait des Casques bleus japonais de la Minuss et le <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/jul/27/tomomi-inada-japanese-defence-minister-resign-south-sudan">scandale politique interne qui a suivi</a> correspondaient à ce type de restrictions d’emploi négociées secrètement.</p>
<p>Cette différence entre l’apparence et la réalité des Casques bleus est <a href="http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_2005_num_70_1_1099_t1_0195_0000_2">au cœur de l'incompréhension</a> (et du ressentiment) entre l’ONU et les populations qui ne comprennent pas pourquoi des milliers d’hommes en uniformes déployés avec des moyens de combat ne combattent pas. Cette différence entre l’endroit et l’envers des Casques bleus relativise l’argument selon lequel le principal problème du maintien de la paix serait quantitatif, à savoir le manque de troupes. À quoi servirait-il d’augmenter troupes, matériel et budget si un accord secret interdit de s’en servir ?</p>
<p><strong>2. L’absence de stratégie</strong></p>
<p>Dans de nombreux cas, les missions de maintien de la paix n’ont tout simplement pas de stratégie de résolution du conflit. Elles jouent un rôle de substitut aux pressions politiques que les grands acteurs internationaux ne veulent pas faire sur leurs « pays-clients » et à l’absence de stratégie de résolution de conflit.</p>
<p>Le meilleur indice de cette absence est le mandat des missions. Tel que défini par le Conseil de sécurité, ce mandat n’est qu’un copié-collé de mandats précédents dans d’autres pays. Les mandats de la Minusca, la Monusco et la Minusma sont à 80 % les mêmes : programme de désarmement, démobilisation et réinsertion pour les groupes armés, réforme du secteur de la sécurité, justice transitionnelle, promotion des droits de l’homme, etc. Peu importe que les conflits, les acteurs et les pays soient différents, l’ONU promeut toujours le même modèle de paix (<em>peace template</em>), du Mali à la RDC.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189423/original/file-20171009-6990-15b4stu.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des Casques bleus pakistanais en Ituri, dans l'est du Congo (en 2004).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thierry Vircoulon</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les mandats des missions ne contiennent pas une stratégie de résolution de conflit mais une liste standardisée de mesures qui ont déjà échoué ailleurs. Paradoxalement, les missions de maintien de la paix sont toujours en quête de leur théorie du changement. Cela est dû à deux facteurs : les intérêts bien compris de certains pays du Conseil de sécurité – en tant que fidèle allié du Maroc, la France a joué son rôle au Conseil de sécurité pour rendre la <a href="http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/minurso/">Minurso</a> (créée en 1991 et censée régler le problème du Sahara occidental) complètement ineffective – et l’absence d’imagination de la bureaucratie onusienne. Comme nous le confiait un de ses employés, « à l’ONU, on travaille beaucoup mais on ne fait pas grand-chose. »</p>
<p><strong>3. Une doctrine périmée</strong></p>
<p>Plusieurs pays (et non des moindres comme la Chine et la Russie) s’opposent à l’adaptation indispensable de la doctrine du maintien de la paix aux nouveaux conflits.</p>
<p>Formalisée en 2008 avec le <a href="http://www.zif-berlin.org/fileadmin/uploads/analyse/dokumente/UN_Capstone_Doctrine_ENG.pdf">rapport Capstone</a>, cette doctrine n’est plus en phase avec les conflits actuels. Les conflits du XXI<sup>e</sup> siècle ne sont plus le résultat de rivalité d’États dotés d’armées conventionnelles mais de menace terroriste (Mali, Somalie) ou de prédation conflictogène historique (RDC, Centrafrique). Dans ces contextes, tous les accords de paix sont signés de mauvaise foi et personne ne respecte le droit de la guerre.</p>
<p>Contrairement à une certaine interprétation, dans ces conflits du XXI<sup>e</sup> siècle la solution n’est pas « d’imposer la paix » mais de créer les conditions de sa négociation et de son respect. En Centrafrique, au Mali et au Sud-Soudan, il faut inverser le rapport de force sur le terrain et sanctionner ceux qui violent les accords de paix. Mais à l’ONU, il n’y a pas de consensus sur cette évolution vers la mal-nommée « imposition de la paix » qui mettrait en adéquation la doctrine et la réalité du terrain.</p>
<p>Faute d’un consensus entre les membres du Conseil de sécurité et les pays contributeurs de troupes, depuis plusieurs années les nombreuses recommandations des nombreux rapports <a href="http://peaceoperationsreview.org/wp-content/uploads/2015/08/HIPPO_Report_1_June_2015.pdf">sur la réforme du maintien de la paix</a> restent obstinément lettre morte. Sur le terrain, ce refus de l’imposition de la paix se traduit par le fait que, face aux violations des accords de paix et aux exactions contre les civils, la Minusca (en Centrafrique) en est réduite à avertir les groupes armés que leurs « actes constituent de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, qui pourraient constituer des crimes de guerre dont elles assumeront toutes les responsabilités pénales devant les juridictions nationales et internationales compétentes ».</p>
<h2>Après les États-Unis, à qui le tour ?</h2>
<p>Après la dernière Assemblée générale de l’ONU, tout indique que le consensus négatif – ni désengagement ni volontarisme politique – qui rend inefficaces les missions de maintien de la paix va durer. En Afrique, les missions de maintien de la paix vont continuer à faire un médiocre travail de gardiennage d’États qui n’existent plus ou existent à peine à force d’être systématiquement pillés depuis l’indépendance par une coalition d’élite locale et de profiteurs étrangers.</p>
<p>Confrontée à cette impasse, l’administration américaine en a tiré la conséquence qui s’imposait : se désengager financièrement. Elle risque de ne pas être la seule à choisir cette voie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plus de dix ans, les Nations unies sont à la résolution des conflits ce que l’homéopathie est au cancer.Thierry Vircoulon, Enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/844012017-09-25T20:01:07Z2017-09-25T20:01:07ZLe malaise des armées, objet médiatique permanent<p>« Blues du soldat », « malaise des armées » : ces mots ont envahi le traitement médiatique de l’actualité militaire, y compris celui des opérations extérieures ou intérieures alors que, dans le même temps, 88 % des Français disent avoir une <a href="http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/les-chiffres-cles-des-sondages-de-la-defense-juillet-2017">bonne image des armées</a>.</p>
<p>Ce paradoxe n’est qu’apparent, et personne n’est dupe : on peut tout à la fois être aimé et se sentir incompris. Le moral des troupes n’est une préoccupation nouvelle ni pour les chefs militaires, ni pour les autorités politiques. Ce qui mérite analyse, en revanche, c’est la continuité de la présence médiatique de cette question depuis 2008.</p>
<h2>2008, année charnière</h2>
<p>L’année est alors chargée en actualité militaire : la réforme de la carte militaire provoque la fermeture de nombreuses casernes ; les discussions préparatoires du nouveau Livre blanc sont ponctuées de multiples polémiques médiatiques sur la place des armées au sein de la nation et la cohérence des orientations stratégiques qui se dessinent. <a href="http://secretdefense.blogs.liberation.fr/2008/06/29/drame-au-3me-rp/">Le 26 juin 2008, à Carcassonne</a>, des militaires du 3<sup>e</sup> RPIMa utilisent des balles réelles au lieu des munitions à blanc lors d’une démonstration publique. Le bilan est lourd : un militaire et quinze civils sont blessés, et parmi eux quatre enfants. Le Président Nicolas Sarkozy traitent les militaires d’« amateurs » et le <a href="http://www.dailymotion.com/video/x5zoea">chef d’état-major de l’armée de terre démissionne</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mQ9JZ1ntCY0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Enfin, le 18 août, 10 militaires français sont tués lors de l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, et 21 autres blessés. L’emblématique émission « C dans l’air » ne consacre pas moins de six éditions aux sujets militaires lors du printemps et de l’été 2008. Jamais, depuis, cette densité et cette fréquence ne se sont répétées.</p>
<p>Après l’embuscade d’Uzbin, les journalistes se penchent, nombreux, sur l’état des équipements et des matériels militaires. Ils racontent, avec un pathos parfois excessif, l’histoire d’une armée paupérisée. Les magazines d’enquête et de reportage abondent sur le sujet. L’année 2008 apparaît bien comme celle du surgissement médiatique d’un malaise qui couvait.</p>
<h2>Le catalyseur Sentinelle</h2>
<p>Depuis, le dossier est demeuré ouvert en permanence et, à intervalles réguliers, les journalistes y puisent sujets de reportage et motifs d’enquête. Pas une opération qui n’échappe aux articles <a href="http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-incroyable-audition-testament-du-general-pierre-de-villiers-746438.html">sur les moyens insuffisants qui lui sont alloués</a>. Or, ils sont systématiquement au-dessous du niveau qu’exigeraient les ambitions politiques affichées. Lorsqu’à cette paupérisation, s’ajoutent les interrogations manifestes des hommes eux-mêmes sur le sens de certaines missions accomplies dans des contextes particulièrement éprouvants physiquement et moralement, le malaise revient inévitablement sur le devant de la scène.</p>
<p>Les opérations d’interposition et de rétablissement de la paix sont sans doute les plus emblématiques, tant le récit médiatique qui en est fait tourne systématiquement à celui d’une impuissance face à l’ampleur du chaos. <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/centrafrique/centrafrique-quel-bilan-pour-l-operation-francaise-sangaris-4587088">La dernière en date, Sangaris, en République centrafricaine</a>, n’y a pas échappé.</p>
<p>Alors que les chercheurs ne peuvent que réunir des faisceaux d’indices sur la réalité de ce malaise (il est légitime que les états-majors ne communiquent pas vers l’extérieur sur cette question sensible et ce « malaise » est lui-même si compliqué à définir que quelques chiffres ne suffiraient pas à venir le mesurer), cette omniprésence médiatique est en elle-même un symptôme qui aurait dû préoccuper davantage les responsables politiques, et certains grands chefs militaires qui n’ont pas toujours voulu en prendre la mesure.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/187007/original/file-20170921-8218-13u79e7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Gare de Lyon, à Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4a/Marsouin-IMG_5083.jpg/640px-Marsouin-IMG_5083.jpg">Rama/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Dans ce contexte en effet, l’<a href="https://theconversation.com/operation-sentinelle-cette-histoire-piegee-que-lon-raconte-aux-francais-61471">opération Sentinelle</a> a joué un rôle de catalyseur : du fait de son format massif et de sa proximité géographique, elle a rendu le malaise des armées plus visible et palpable encore, sans en être la cause première. Il est illusoire de penser que le sujet n’affleurera plus dans les médias par l’effet <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/parly-confirme-la-forte-hausse-du-budget-de-l-armee-entre-2019-et-2022_498732">des seules annonces budgétaires</a> (conséquentes mais à relativiser au regard du retard accumulé et des promesses de campagnes, jamais tenues) et des mesures subtiles imaginées pour faire évoluer les opérations en cours, et en particulier l’<a href="http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2017/09/14/sentinelle-redeploye-mais-pas-reduit-18509.html">opération Sentinelle</a>.</p>
<p>Tout cela peut certes relâcher la pression qui pèse sur les épaules des militaires et leur offrir quelques respirations, permettre à l’état-major de retrouver les marges de manœuvre perdues depuis janvier 2015. À moyen terme, cependant, il y a fort à parier que si les causes profondes de cette permanence médiatique du « malaise » ne sont ni analysées ni reconnues, rien ne changera vraiment.</p>
<h2>Crise d’identité</h2>
<p>Ce qui est apparu au grand jour en 2008 couvait depuis de nombreuses années. Au début des années 1970, les médias français, et la télévision en particulier, évoquent déjà ce fameux « malaise », comme l’a raconté <a href="https://books.google.fr/books/about/Grande_muette_petit_%C3%A9cran.html?id=FXobAQAAIAAJ&redir_esc=y">Bernard Paqueteau</a> dans un livre oublié (<em>Grande Muette, petit écran</em>, Fondation pour les études de la défense nationale, 1986). Bien sûr, planent les souvenirs des blessures mal refermées des guerres d’Indochine et d’Algérie, dans le contexte des luttes, notamment antimilitaristes, des années 1970. Mais de cela, les militaires ne parlent pas ouvertement. En revanche, les analystes pointent du doigt l’évolution du modèle de défense qui accompagne le développement de la dissuasion nucléaire : les forces dites conventionnelles se sentent dépassées et délaissées.</p>
<p>En filigrane, se pose aussi la question de l’évolution du service national et d’un tiraillement croissant, chez certains officiers, entre leur rôle social et leur rôle opérationnel, de plus en plus déconnectés, les appelés ayant de moins en moins vocation à servir leur pays par les armes. Si la première cause d’inquiétude s’efface dans les années 1980, la seconde, elle, ne fait que grandir : les jeunes Français sont de moins en moins nombreux à faire leur service militaire et ne partent plus en opération extérieure.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UfyEYeyiMpI?wmode=transparent&start=240" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le sens de l’engagement militaire</h2>
<p>La professionnalisation des armées, annoncée en 1996, aurait pu apporter une réponse à cette crise d’identité déjà ancienne. Elle ne l’a pas fait parce que le récit offert au grand public n’a pas rendu justice <a href="https://theconversation.com/rendre-aux-armees-leur-vraie-place-80840">au sens profond de l’engagement militaire</a>. Elle aurait pu rendre aux armées une identité épique aux yeux des Français mais c’est en fait une banalisation accrue de l’image des militaires qui s’est déployée au tournant du siècle : au début des années 2000, à la télévision française, on parle autant des sujets sociétaux dont les armées affirment se saisir (la féminisation et l’intégration des jeunes Français en difficulté sociale et d’intégration, pour l’essentiel) que des opérations extérieures. Lorsque ces dernières sont montrées dans des reportages, les militaires n’y combattent que très rarement. Ils sont, en revanche, d’excellents agents humanitaires et logisticiens.</p>
<p>Les communicants qui œuvrent au recrutement racontent au fil des campagnes, jusqu’après 2008, l’histoire d’une armée qui permet avant tout d’obtenir des qualifications recyclables dans le civil et de mener la même vie que n’importe quel autre employé d’une grande institution publique ou privée. L’acte combattant n’a qu’une place marginale dans ce récit global. C’était déjà le cas avant la professionnalisation. Rien n’a vraiment changé après.</p>
<p>Cela explique, en partie, que se soient multipliés depuis 2015 les débats mal posés sur un éventuel <a href="https://theconversation.com/le-service-militaire-objet-de-fantasmes-politiques-75503">retour du service national obligatoire</a>. Ils sont des révélateurs parmi tant d’autres de la perte de compréhension du sens de l’engagement militaire : ceux qui aimeraient voir les armées jouer massivement un rôle socio-éducatif ne lient jamais cette question aux réflexions stratégiques en cours. Rien ne vient laisser espérer que les discussions sur la mise en œuvre des projets du président de la République en la matière n’établissent davantage cette relation qui, pourtant, est le fondement de tout débat valable sur le sujet.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/187059/original/file-20170921-20978-unor84.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’armée de terre en campagne, à Strasbourg (en 2010).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:V%C3%A9hicule_Blind%C3%A9_L%C3%A9ger_Arm%C3%A9e_de_Terre_Strasbourg-2010-02.jpg">Kevib-n B./Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Ces distorsions entre l’identité narrative qui se construit jour après jour par le récit politico-médiatique et la réalité des sacrifices demandés à ceux qui s’engagent, dont le métier est d’abord d’œuvrer collectivement à l’efficacité au combat de leurs armées, est une racine ancienne du malaise dont on parle tant. Les saignées budgétaires sont venues se conjuguer avec cette cause profonde et rendre manifeste le manque de compréhension dont souffraient les armées au sein de la société.</p>
<h2>Pitié et compassion</h2>
<p>Des lignes ont bougé depuis l’opération Serval, au Mali, puis après janvier 2015. Les complexes à assumer la vocation combattante des armées s’effacent progressivement. Ces changements perceptibles ne peuvent, cependant, suffire à effacer les décennies lors desquelles le malaise a couvé sans vraiment être perçu et alors qu’il est entretenu par les <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/07/20/la-demission-du-general-pierre-de-villier-suscite-une-onde-de-choc_5162896_823448.html">crises régulières de la relation entre politiques et militaires</a> autant que par la surchauffe qu’a provoquée l’opération Sentinelle.</p>
<p>Il ne s’agit pas d’un corporatisme revendicateur de plus dont on pourrait effacer les manifestations par quelques primes et quelques congés de plus. La question du malaise des armées, qui prend des formes différentes au fil des décennies mais soulève toujours la question du regard porté par la société sur ceux qui la servent par les armes, appartient désormais au temps long de l’histoire. Ce n’est qu’au prix de la restauration d’une identité cohérente, claire et assumée – à tous égards, y compris sur le plan budgétaire – au sein de la nation qu’elle sortira du champ médiatique quotidien.</p>
<p>L’enjeu n’est pas mince. Derrière cette question, en effet, se cache une préoccupation qui intéresse la nation tout entière : peut-on gagner des guerres avec une armée qui finit par inspirer, de manière aussi récurrente et permanente, autant de pitié et de compassion ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84401/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bénédicte Chéron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Peut-on gagner des guerres avec une armée qui finit par inspirer – de manière aussi récurrente et permanente – autant de pitié et de compassion ?Bénédicte Chéron, Historienne, chercheur-partenaire au SIRICE, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/808602017-07-16T22:10:04Z2017-07-16T22:10:04ZJournée pour la justice internationale : le poids de l’utopie, le choc des réalités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/178108/original/file-20170713-12241-fokcg2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue sur le siège de la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/96/International_Criminal_Court_building_%282016%29_in_The_Hague.png">OSeveno/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>D’utopie au XIX<sup>e</sup> siècle, la justice internationale célébrée en ce 17 juillet (en 1998, le statut de la Cour Pénale internationale était adopté ce jour-là à Rome) est devenue une réalité à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, d’abord avec les conflits de l’ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda ; puis en 2002, avec la mise en œuvre de la Cour pénale internationale (CPI). Mais ce passage de l’utopie à la réalité a été un choc, dont on commence seulement à prendre la mesure.</p>
<h2>Soif de justice</h2>
<p>La soif de justice des sociétés est inextinguible. De la <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">Syrie</a> à la République démocratique du Congo (RDC), en passant par des dizaines de conflits autour de la planète, les crimes de guerre forment une terrible et quasi-infinie litanie, à laquelle répond en écho le besoin de dignité et de reconnaissance de populations martyrisées.</p>
<p>Mais les tribunaux pénaux peuvent-ils répondre à ces demandes ? Comment peuvent-ils concilier la logique des rapports de force et l’équité que suppose la justice internationale, alors que ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie n’ont ratifié les statuts de la Cour pénale internationale ? Comment la justice internationale peut-elle agir alors qu’elle dépend si étroitement des États pour bâtir les actes d’accusation et appréhender les inculpés ?</p>
<p>Comment ne pas reconnaître, aussi, que certains tribunaux pénaux ont été instrumentalisés à des fins politiques, sans réussir pour autant à les atteindre ? Pensons au <a href="https://www.stl-tsl.org/fr/">Tribunal spécial pour le Liban</a>, dont l’existence végétative se poursuit car nul État au Conseil de sécurité de l’ONU n’ose prendre la responsabilité de reconnaître son échec absolu.</p>
<h2>L’alibi Trump</h2>
<p>De toute évidence, la justice internationale n’est pas une île détachée des brutales réalités du monde. Ces dernières années, la montée en force des régimes autoritaires en Russie, en <a href="https://theconversation.com/bannis-de-nos-vies-les-intellectuels-pleurent-la-turquie-qui-fut-73864">Turquie</a> et ailleurs témoigne d’un environnement où les droits de l’Homme sont perçus comme un empêchement à la bonne marche des affaires.</p>
<p>La justice internationale subit aussi le contrecoup de l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, des inégalités qui se creusent à l’intérieur des sociétés du Nord comme du Sud et des frustrations et des colères qu’elles engendrent. La politique unilatéraliste du président Trump, marquée notamment par des coupes drastiques aux Nations unies et à l’aide à l’Afrique (exceptés les programmes anti-terroristes), compensées par sa foi naïve dans la force militaire, donnent un alibi supplémentaire à des gouvernements dictatoriaux pour affaiblir les droits de l’homme, dont la justice internationale est l’un des piliers.</p>
<p>Rappelons ce qu’observait déjà <a href="http://www.penseesdepascal.fr/Raisons/Raisons20-moderne.php">Pascal</a> au XVII<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. »</p>
</blockquote>
<h2>Impératif de justice, recherche de la paix</h2>
<p>Nous faut-il pour autant désespérer ? Étrangement, non. Les obstacles sont innombrables, mais ces vingt-cinq dernières années nous ont permis de prendre conscience de certains faits.</p>
<p>D’abord, la justice internationale est une réalité. Une réalité certes souvent niée, malmenée, voire même dans des cas extrêmes manipulée. Mais cette exigence de justice des sociétés demeure, même si, par exemple, en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer-78104">Centrafrique</a>, la nouvelle Cour pénale spéciale devra faire la preuve de son efficacité alors que le pays reste largement aux mains des groupes armés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cérémonie de signature de la paix entre le gouvernement de Colombie et la guérilla des FARC.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jefa_de_Estado_participa_en_ceremonia_de_la_Firma_de_la_Paz_entre_el_Gobierno_de_Colombia_y_las_FARC_E.P._(29659979080).jpg">Gouvernement du Chili/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://theconversation.com/la-colombie-sur-le-sentier-perilleux-de-la-paix-66098">En Colombie</a> comme en Ouganda, de manière radicalement différente, le même défi existe comme dans bien d’autres lieux de conflit : comment articuler le mieux possible l’impératif de justice et celui de la recherche de la paix ? Les débats sur les contours des amnisties admissibles restent plus que jamais largement ouverts.</p>
<p>La justice internationale n’est pas une bureaucratie judiciaire installée dans une capitale assoupie d’Europe occidentale (La Haye, aux Pays-Bas). Elle reste une ligne d’horizon. Le temps de l’utopie est fini. Commence enfin celui des défis !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Hazan est conseiller éditorial de <a href="http://www.justiceinfo.net">www.justiceinfo.net</a>. </span></em></p>La soif de justice des sociétés est inextinguible. Mais les tribunaux pénaux peuvent-ils répondre à ces demandes ?Pierre Hazan, professeur associé, Université de NeuchâtelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/781042017-05-23T19:26:49Z2017-05-23T19:26:49ZPourquoi la crise centrafricaine dure et va durer…<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/170497/original/file-20170523-8895-1crerw3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Soldat de l'armée centrafricaine (mai 2017).</span> <span class="attribution"><span class="source">Saber Jendoubi/DR</span></span></figcaption></figure><p>Une nouvelle vague de violence frappe la Centrafrique. Le 8 mai, des miliciens ont tendu une embuscade à un convoi de la <a href="https://minusca.unmissions.org/">Minusca</a>, faisant six morts parmi les Casques bleus. Puis dans la nuit du 12 au 13 mai, des miliciens ont attaqué la ville de Bangassou et s’en sont pris aux communautés peules et musulmanes de cette ville. D’après la Croix-Rouge centrafricaine, l’attaque de Bangassou aurait fait une centaine de morts et, les jours suivants, des combats se sont encore déroulés à Bria et Alindao.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=810&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=810&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170495/original/file-20170523-8895-veney9.gif?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=810&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">République centrafricaine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?q=carte+RCA&tbm=isch&imgil=XZOYtZTyK_J7JM%253A%253B8L-UJ8BYOr-ffM%253Bhttp%25253A%25252F%25252Fwww.defap.fr%25252Fimages%25252Fcartes-pays%25252Fcarte-de-la-centrafrique%25252Fimage_view_fullscreen&source=iu&pf=m&fir=XZOYtZTyK_J7JM%253A%252C8L-UJ8BYOr-ffM%252C_&usg=__YQxpptlOnaYONLooqAKsL5__kqU%3D&biw=1440&bih=691&ved=0ahUKEwj-zvvZn4XUAhVK7hoKHa11CQYQyjcIPw&ei=2sMjWf75Jsrca63rpTA#q=carte+RCA&tbm=isch&tbs=sur:fmc&imgrc=6_m7b90mjBMAoM:">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon un scénario désormais bien rôdé, quand une partie du pays s’enflamme, l’incendie est communicatif et l’opposition se déchaîne contre l’inefficacité du gouvernement et des Casques bleus. À la violence du sud-est de la Centrafrique fait écho la violence du nord-ouest dans les régions de Paoua, Bocaranga, Kabo, Markounda et Bang où les humanitaires sont particulièrement ciblés.</p>
<p>Du fait de la dégradation de leur situation sécuritaire, <a href="http://www.journaldebangui.com/article.php?aid=12242">quatre des plus importantes organisations humanitaires en Centrafrique</a> ont décidé, début mai, de suspendre temporairement leurs activités dans ces régions. Tous ces événements sont venus rappeler aux diplomates et à la classe politique centrafricaine, qui ne quittent guère la capitale, que la normalisation de la situation sécuritaire à Bangui ne signifie pas la normalisation dans le reste du pays.</p>
<h2>Un territoire à prendre</h2>
<p>Il y a des raisons circonstancielles à cette nouvelle flambée de violence dans le sud-est qui s’est soldée par les pertes les plus importantes pour les Casques bleus, dans une seule attaque, depuis leur engagement dans le pays. Sanctuarisés dans une immense zone allant du nord-ouest au sud-est qui coupe le pays en deux, les groupes armés luttent les uns avec les autres pour contrôler certaines ressources naturelles et certains axes commerciaux.</p>
<p>Après s’être affrontés au début de cette année pour le contrôle de Bambari, une ville stratégique au centre du pays, les différents groupes armés se battent maintenant pour définir « leurs » zones d’influence dans le sud. Par exemple, l’Union pour la Paix en Centrafrique (un nom particulièrement ironique pour un groupe armé !) s’efforce d’avoir accès à la frontière centrafricano-congolaise afin de pouvoir trafiquer avec certains en République démocratique du Congo.</p>
<p>Cette guérilla territoriale, qui se déroule à des centaines de kilomètres de la capitale, est attisée par le <a href="http://lemonde.fr/afrique/article/2017/04/25/washington-abandonne-la-lutte-contre-la-lra-de-joseph-kony-dans-l-est-de-la-centrafrique_5117020_3212.html">retrait annoncé des armées ougandaise et américaine</a> du sud-est. Installées depuis 2011 pour neutraliser l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), ces forces ont paradoxalement échoué à neutraliser la LRA mais ont réussi à préserver cette région excentrée des ondes de choc violentes de la crise centrafricaine depuis 2013. Leur retrait, qui a commencé et devrait être achevé en juin, crée un vide sécuritaire au sud-est avec des effets évidents : outre l’inévitable recrudescence des attaques de la LRA, certains groupes armés se positionnent déjà pour tirer profit de ce vide. Après le centre du pays, la géo-économie violente des groupes armés a trouvé dans le sud-est un nouveau territoire d’affrontement.</p>
<p>Mais au-delà des stratégies territoriales mouvantes des différents groupes armés, cette recrudescence de violence met en évidence les trois principales raisons de la persistance de la crise centrafricaine.</p>
<h2>Le programme de DDR, une utopie lointaine</h2>
<p>Présenté comme la recette miracle pour le retour de la sécurité et censé être mis en œuvre par les Nations unies, le programme de « désarmement, démobilisation et réintégration », dit DDR, est bloqué depuis 2015. En fait, malgré l’accord signé par les groupes armés lors du Forum de Bangui en mai 2015, ce programme est toujours un projet en discussion. Après son élection en février 2016, le <a href="http://www.france24.com/fr/20160220-presidentielle-centrafrique-victoire-faustin-archange-touadera-voix">président Touadéra</a> et l’ONU ont pris contact avec les groupes armés sur ce sujet, mais ces derniers ont jusqu’à présent joué double jeu en participant aux réunions sur le DDR à Bangui et en s’enracinant dans certaines provinces.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=783&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170498/original/file-20170523-8876-1alflo8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=984&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Faustin-Archange Touadera, le président élu en février 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?q=pr%C3%A9sident+Touad%C3%A9ra&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwjt-ejuooXUAhWCrRoKHRAhD1YQ_AUICygC&biw=1440&bih=691#q=pr%C3%A9sident+Touad%C3%A9ra&tbm=isch&tbs=sur:fmc&imgrc=98AADuoJ923rqM:">Wikimedia</a></span>
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<p>Le DDR est enlisé car les incitations négatives sont plus importantes que les incitations positives pour le gouvernement et les groupes armés. Le gouvernement n’a aucun intérêt à accepter les revendications des chefs de groupes armés (amnistie, participation au gouvernement et aux institutions de sécurité). Et de leur côté, les représentants des groupes armés ont tout intérêt à faire durer les discussions sur le DDR : ils sont rémunérés à chaque réunion et l’absence de toute force coercitive – qu’il s’agisse des forces nationales ou internationales – leur donne carte blanche pour s’adonner à une prédation violente dans les zones sous leur contrôle.</p>
<p>Si les bailleurs ont réuni 45 millions de dollars pour le DDR, les conditions politiques et sécuritaires ne sont pas actuellement réunies et l’ONU ne semble pas avoir le pouvoir de les mettre en place.</p>
<h2>La réforme de gouvernance : une rhétorique vide</h2>
<p>Sur le plan de la gouvernance, l’absence d’élan réformateur par le gouvernement issu des élections de 2016 pose un problème. La crise centrafricaine qui a débuté en 2013 est l’aboutissement d’au moins deux décennies de mauvaise gouvernance qui ont eu pour conséquences logiques la déréliction de l’appareil d’État et la « dés-administration » progressive d’une grande partie du territoire.</p>
<p>Au fur et à mesure que les dirigeants vidaient à leur profit le Trésor public et que les bailleurs lassés se retiraient sur la pointe des pieds, la Centrafrique est devenue un <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/central-africa/central-african-republic/central-african-republic-anatomy-phantom-state">État fantôme</a>. Avant même la crise de 2013, l’administration a abandonné les zones rurales puis les villes des provinces périphériques. Avec la crise de 2013, elle a finalement disparu des villes de province. Ce faisant, la République centrafricaine s’est réduite au siège du gouvernement, la capitale, devenant un État fictif, incapable d’exercer les fonctions de souveraineté basiques sur la majorité de son territoire.</p>
<p>L’élection régulière d’un nouveau gouvernement était porteuse d’une promesse de rupture avec ce passé et de refondation de l’administration tant civile que sécuritaire. Mais les promesses de changement n’engagent que ceux qui y croient, surtout quand l’ombre de l’ancien régime plane sur le nouveau. Ainsi les fonctionnaires des administrations régaliennes ont été redéployés en province sans moyens financiers pour fonctionner – comme avant la crise. Les ministres et le Président prennent plus souvent la route de l’aéroport pour se rendre à l’étranger que les quelques routes reliant encore la capitale aux provinces – comme avant la crise. Et le gouvernement veut envoyer le plus vite possible contre les groupes armés des soldats sans avoir de plan pour les payer et les soutenir sur le terrain – comme avant la crise.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170499/original/file-20170523-8900-19bxgi7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La situation instable du pays ne permet pas le retour massif des déplacés à l’intérieur du pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Saber Jendoubi</span></span>
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<p>De manière très révélatrice, alors que le sud-est du pays s’embrase, les militaires centrafricains à Obo, une des localités du sud-est, ont manifesté le 5 mai pour exiger de l’état-major leur relève après un an de présence dans cette localité au lieu des six mois prévus. Le gouvernement revendique la mise sur pied d’une armée d’environ 7 000 hommes alors qu’il n’est pas capable de gérer les quelques centaines de militaires déployés en province.</p>
<p>Le déficit de management des rares services administratifs qui subsistent en Centrafrique fait douter les bailleurs de la volonté du gouvernement d’enclencher les réformes de gouvernance mises en avant dans sa feuille de route et de nettoyer les écuries d’Augias, c’est-à-dire de <a href="https://eeas.europa.eu/sites/eeas/files/car_main_report-a4-french-web.pdf">lutter contre la corruption</a>. À Bangui, on préfère redéployer l’administration avant de la réformer, c’est-à-dire mettre la charrue avant les bœufs.</p>
<p>Ayant pris conscience à Bangui, à Bamako et ailleurs qu’une classe politique qui ne se renouvelle pas ne peut être <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/notes-de-lifri/transitions-politiques-deboires-modele-de-sortie-de-crise">porteuse de changement</a>, les bailleurs voient confirmées leurs inquiétudes exprimées lors de la <a href="http://www.jeuneafrique.com/375381/economie/conference-bailleurs-de-centrafrique-promesses-de-dons-depassent-2-milliards-de-dollars/">conférence de Bruxelles en 2016</a>. Le fait que certains barons du régime Bozizé sont bien introduits dans les cercles gouvernementaux ne contribue pas à les rassurer.</p>
<h2>L’ONU face à ses contradictions</h2>
<p>Depuis la fin de l’<a href="http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2017/05/22/les-drones-sdti-francais-sont-deployes-a-bambari-en-rca-18098.html">opération militaire française Sangaris</a> et de l’opération européenne Eufor et en raison de la passivité de l’Union africaine et de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, l’ONU est de facto chargée de conduire la Centrafrique vers une paix durable. Pour ce faire, le Conseil de sécurité a posé les principes de [la <a href="http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2301%20(2016)">stratégie de paix</a> dans la résolution postélectorale du 26 juillet 2016. Cette stratégie est censée être le résultat d’un consensus entre les membres du Conseil de sécurité et le gouvernement hôte.</p>
<p>La stratégie de paix pour la Centrafrique repose sur les mêmes principes que ceux énoncés par le Conseil de sécurité pour le Mali, le Sud-Soudan ou la République démocratique du Congo : la réconciliation par le dialogue, la lutte contre l’impunité, la lutte contre le trafic d’armes et de ressources naturelles, etc. D’un pays à un autre, malgré les différences de contexte, les résolutions répètent les mêmes idées et les mêmes techniques de pacification (DDR, réforme du secteur de la sécurité, cour pénale spéciale, etc.). L’agent d’application de cette stratégie et de ces techniques est la Minusca qui compte environ 10 000 Casques bleus dotés du droit d’employer la force en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies.</p>
<p>Cohérente en apparence, cette architecture de paix est malheureusement viciée à la base par de faux présupposés. D’une part, la stratégie de paix contenue dans la résolution onusienne ne fait pas consensus ; d’autre part, l’ONU a une capacité de « <em>containment »</em> des acteurs du conflit mais pas une capacité d’influence sur eux.</p>
<h2>Objectifs et moyens, le grand écart de l’ONU</h2>
<p>Dans les faits, le consensus politique n’existe pas ou peu – le gouvernement hôte ayant une vision du conflit et de ses causes très différente du Conseil de sécurité. À titre d’exemple, même si les internationaux et le gouvernement s’accordent pour <a href="http://www.defense.gouv.fr/content/download/501361/8515378/file/NR_IRSEM_36.pdf">recréer une armée centrafricaine</a>, ils ne s’accordent ni sur la méthode ni sur la finalité. Alors que les premiers évoquent réforme du secteur de la sécurité, les seconds parlent simplement de reconstituer et de réarmer les forces centrafricaines.</p>
<p>Quant à la Minusca, elle ne déroge pas à la règle de toutes les missions de maintien de la paix : le grand écart entre les objectifs et les moyens. Le Conseil de sécurité lui attribue une mission multidimensionnelle de conseil du gouvernement, de médiation entre les groupes armés et le gouvernement, de protection de la population, de promotion des droits de l’homme, de lutte contre l’impunité, d’aide à l’acheminement de l’aide humanitaire, d’appui à la remise en marche des administrations et plus particulièrement des services de sécurité, etc. L’élargissement du maintien de la paix au pilotage du processus politique, à la reconstruction de l’État et à la défense les droits de l’homme aboutit à quelques contradictions irréconciliables (lutte contre l’impunité versus réconciliation entre ennemis d’hier) et à un effet de surcharge dont le Conseil de sécurité est pleinement conscient :</p>
<blockquote>
<p>« Le Conseil de sécurité autorise la Minusca à user de tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de son mandat <em>dans les limites de ses capacités et de ses zones de déploiement</em>. » (résolution 2301).</p>
</blockquote>
<p>Non seulement la Minusca n’a pas les moyens matériels et financiers des ambitions du Conseil de sécurité mais, ce qui est plus préjudiciable, elle n’a pas de capacité d’influence sur les parties du conflit. Premièrement, les outils de coercition habituels du Conseil de sécurité ne fonctionnent plus : en Centrafrique comme ailleurs, depuis longtemps, l’embargo sur les armes et les sanctions individuelles ne font plus peur car elles sont inappliquées, notamment par les États voisins. Ces décisions du Conseil de sécurité n’ont plus qu’une fonction symbolique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/170512/original/file-20170523-8889-bylgnw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une armée qui n’a pas vraiment démarré sa reconstruction et déployée sur le terrain avec les moyens du bord.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Saber Jendoubi</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Deuxièmement, si les 10 000 Casques bleus ont toutes les apparences d’une armée, ils n’en sont pas une pour des raisons qui sont autant capacitaires (insuffisance numérique, faible mobilité, déficit de réactivité, etc.) que politiques (système de double commandement par les pays contributeurs de troupes, aversion pour le risque, etc.). Bien connue des observateurs de terrain, l’inefficacité structurelle des Casques bleus est devenue maintenant un sujet de débat public suite aux <a href="http://peaceoperationsreview.org/thematic-essays/can-we-make-un-peacekeeping-great-again/">coupes budgétaires américaines dans le budget de l’ONU</a>.</p>
<p>L’inefficacité de l’armada onusienne (dont le budget est proche du milliard de dollars) et des sanctions du Conseil de sécurité n’a pas seulement un coût humain mais aussi un coût politique : le fait d’être un acteur de sécurité faible sur le terrain ne discrédite pas seulement l’ONU aux yeux des acteurs locaux (populations, groupes armés et gouvernement), il en fait aussi un nain politique dans un contexte où le Conseil de sécurité souhaite une solution négociée à la crise. Dès lors la stratégie onusienne est prise dans un cercle vicieux : l’absence de force dissuasive n’incite pas à la négociation et la spirale de la violence rend la négociation encore plus improbable.</p>
<h2>Impuissance volontaire</h2>
<p>Pour l’heure, on ne voit ni sortie de crise proche ni solution durable pour la crise centrafricaine. Tant qu’il n’y aura pas de forte pression sur le gouvernement et les groupes armés et que le Conseil de sécurité continuera d’opter pour l’impuissance volontaire tout en se donnant la bonne conscience <em>de faire quelque chose</em>, la Centrafrique subira un conflit de basse intensité avec des pics de violence tous les quatre ou cinq mois.</p>
<p>Faute d’intérêts à s’accorder sur le DDR, celui-ci demeure depuis deux ans une utopie que l’ONU entretient avec d’innombrables réunions et d’épais « documents stratégiques ». Mais en deux ans, le temps a fait son œuvre : les groupes armés ont consolidé leur base économique et sont passés de 10 à 14. Après les violences à Bambari et Bangassou, les membres du Conseil de sécurité sont face à l’alternative suivante :</p>
<ul>
<li><p>soit se contenter d’un statu quo épisodiquement violent et d’une partition de facto de la Centrafrique. Financièrement, ce choix signifie que les bailleurs devront continuer à maintenir le gouvernement sous perfusion et qu’il faudra financer la Minusca pour encore au moins dix ans, à raison de 1 milliard par an, et trouver les fonds qui manquent pour faire face à une crise humanitaire durable (actuellement, le plan de réponse humanitaire n’est financé qu’à hauteur de 16 % des besoins). En termes de risque, ce choix conduira à l’enracinement des groupes armés et à la création d’une zone grise de la taille de la France et de la Belgique réunies au centre de l’Afrique. C’est le scénario congolais qui serait répété en Centrafrique – le Conseil de sécurité maintenant en République démocratique du Congo une <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/enotes/notes-de-lifri/reflexions-17-ans-de-presence-de-lonu-republique-democratique">mission de 20 000 Casques bleus</a> qui coûte 1,4 milliard de dollars par an et ne sert plus à grand-chose.</p></li>
<li><p>soit faire bouger les lignes pour une solution négociée en regagnant de l’influence sur les parties au conflit. Cela implique de faire en sorte qu’au niveau de l’ONU la force et la diplomatie aillent de pair et cessent d’être présentées de manière antinomique, de cesser de croire qu’un DDR par le seul dialogue est possible et d’employer la méthode de la carotte et du bâton pour débloquer ce dossier, d’agir sur l’économie de guerre des groupes armés et de conditionner le soutien au gouvernement à des actions concrètes au lieu de promesses vides. C’est un scénario innovant, et donc hautement improbable.</p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/78104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Vircoulon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des stratégies territoriales mouvantes des différents groupes armés, la recrudescence de violence met en évidence les trois raisons principales de la persistance de la crise centrafricaine.Thierry Vircoulon, Enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/769042017-05-02T21:43:38Z2017-05-02T21:43:38ZLe long chemin de l’électrification de l’Afrique<p>L’Afrique est faiblement électrifiée. Près de <a href="http://www.africaprogresspanel.org/wp-content/uploads/2015/06/APP_FR_2015_Web_FINAL_PRINT.pdf">621 millions de personnes</a>, soit deux Africains sur trois, ne bénéficient pas d’électricité. L’Afrique subsaharienne affiche un taux d’électrification de 43 % alors que l’Afrique du Nord est à un taux de 99 %. Ce manque d’électrification cause au continent une perte annuelle de 2 à 4 % de PIB et stoppe les investissements et la création d’emplois. Or, l’Afrique est « riche en ressources énergétiques » comme le souligne l’<a href="https://www.iea.org/">Agence Internationale de l’Énergie</a> (AIE).</p>
<p>L’électrification constitue un moyen d’accélération de l’industrialisation du continent en facilitant l’innovation, la créativité, la mise en place d’un entreprenariat social et en libérant les potentialités de développement. Elle peut permettre au continent africain de procéder à sa révolution industrielle via la progression des énergies renouvelables (hydraulique, biomasse, énergie des vagues et marées, éolien, solaire, etc.). S’offre dès lors pour les États africains une perspective d’industrialisation rapide en intégrant le changement climatique et la durabilité dans le <a href="http://www.africaprogresspanel.org/wp-content/uploads/2017/03/Lumiere_Puissance_Action_Infographies_FR.pdf">processus</a> d’industrialisation.</p>
<iframe id="datawrapper-chart-62rxn" src="https://datawrapper.dwcdn.net/62rxn/3/" width="100%" height="600" frameborder="0" allowfullscreen="allowfullscreen"></iframe>
<p><em>Taux d’accès à l’électricité dans les pays africains des populations urbaines et rurales Cliquer sur l’onglet pour changer entre les deux.</em></p>
<p>La figure ci-dessus illustre la politique d’électrification des États africains. Les États d’Afrique du Nord sont en tête au regard de leur politique de diversification et de <a href="http://www.planete-energies.com/fr/medias/decryptages/qu-est-ce-que-le-mix-energetique">« mix énergétique »</a>. Par exemple, au Maroc, <a href="http://www.noorouarzazate.com/">le projet Noor</a> – une centrale photovoltaïque –, permet au pays de diversifier tout en continuant d’utiliser les énergies fossiles (pétrole à environ 62 %, charbon 20 % et gaz 5 %). Le pays a également <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/le-maroc-poursuit-l-extension-de-sa-centrale-solaire_111906">mis en place</a> une douzaine d’installations hydroélectriques – transformation de l’énergie du courant d’eau en énergie électrique – ayant généré 2,523 térawatts-heure en 2015, ainsi qu’une quinzaine de parcs éoliens dont la puissance cumulée en 2016 était de 787 mégawatts.</p>
<p>L’<a href="http://www.uneca.org/sites/default/files/PublicationFiles/era_2016_fre_web.pdf">Angola</a> occupe une bonne place également au regard de sa politique d’investissement dans des secteurs stratégiques non pétroliers, tels que l’électricité (les centrales hydroélectriques produisent les 2/3 de l’électricité du pays). L’hydroélectrique permet au Mozambique de devenir une véritable <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/405832">« puissance régionale en matière de production d’électricité »</a>. On retrouve le modèle hydroélectrique combiné avec des énergies renouvelables en RDC (projet Grand Inga), au Soudan (l’hydroélectrique constitue 68 % de la production d’énergie), et au niveau des parcs éoliens en Éthiopie. Le <a href="http://www.ipdc.gov.et/index.php/en/industrial-parks/hawasa">parc éco-industriel de Hawassa</a>, en Éthiopie, inauguré en juillet 2016, recycle l’eau, emploie une diode électroluminescente avec des méthodes d’éclairage ingénieux. Il s’agit de l’un des seuls parcs industriels au monde qui a adopté le modèle de <a href="http://www.uneca.org/sites/default/files/PublicationFiles/era_2016_fre_web.pdf">« zéro rejet de liquide »</a>, avec des énergies renouvelables à 100 %.</p>
<p>Des États comme le Sénégal, le Gabon, le Burkina-Faso ou encore la Côte d’Ivoire, qui intègrent la question de l’électrification dans leur politique nationale d’émergence occupent également une place de choix dans le palmarès. Mais, l’on note un gap considérable entre le taux d’électrification en zone urbaine et en zone rurale.</p>
<p>Enfin, des pays en proie à des conflits internes comme le Soudan du Sud ou encore la Centrafrique voient leur électrification contrariée par la dispersion des ressources et la question du retour à la paix.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Adam Abdou Hassan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’électrification du continent africain est un prérequis pour l’accélération de son développement. Les situations sont très diverses selon les pays, et les régions.Adam Abdou Hassan, Enseignant chercheur, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.