tag:theconversation.com,2011:/au/topics/commission-europeenne-22430/articlesCommission européenne – The Conversation2024-01-04T21:57:08Ztag:theconversation.com,2011:article/2204422024-01-04T21:57:08Z2024-01-04T21:57:08ZJacques Delors, le premier dirigeant politique européen<p>Jacques Delors, qui s’est éteint le 27 décembre dernier à 98 ans, restera dans l’histoire comme l’homme de la relance de l’Europe.</p>
<p>Il façonna ce personnage durant son mandat de président de la Commission européenne (1985-1995), dix années au cours desquelles il joua un rôle décisif et novateur : il a, tout simplement, inventé la fonction de dirigeant politique européen, et a été le premier à l’exercer.</p>
<h2>Père fondateur, non ; bâtisseur, oui</h2>
<p>Il n’a pas été l’un des <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20311-quelles-sont-les-personnalites-lorigine-de-la-construction-europeenne">« pères fondateurs de l’Europe »</a>. Non seulement parce qu’il appartient à la génération d’après : les fondateurs (Adenauer, Schuman, Spaak, Beyen, Bech, De Gasperi, Martino, Hallstein, Mollet – ainsi que Monnet qui n’est jamais entré en politique) sont nés entre 1875 et 1905, alors que Delors est né en 1925 ; mais aussi parce que les fondateurs ont été avant tout des dirigeants nationaux – certes décidés à unir leurs pays, à les reconstruire ensemble et à mettre fin à l’état de guerre entre eux. C’est à cet effet qu’ils inventèrent dans les années 1950 la supranationalité : ils instituèrent la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-paris-1951/">par le traité de Paris de 1951</a> puis la Communauté économique européenne (CEE) <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-traites-de-rome-1957/">par le traité de Rome de 1957</a>. Lorsque Delors arrive au pouvoir comme ministre français des Finances en 1981, tout ceci est acquis.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/1957-2017-que-reste-t-il-des-traites-de-rome-70791">1957-2017 : que reste-t-il des traités de Rome ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Si Delors n’a pas été à l’origine de la construction européenne, il lui donne un coup d’accélérateur décisif lors de ses dix années à la tête de la Commission. Sous sa férule réformatrice, le marché commun du traité de Rome devient le marché unique – institué par <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">l’Acte unique européen de 1986</a> entré en vigueur en 1992, puis l’Union européenne avec le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-maastricht-1992/">traité de Maastricht</a> qui entre en vigueur en 1993.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Émerge un véritable territoire politique européen : l’Acte unique mutualise des pans entiers de souveraineté puisqu’il n’y a plus d’obstacle à la mobilité des femmes et des hommes, ni à la circulation des biens et des services. C’est le temps de la création des programmes de mobilité étudiante <a href="https://www.cairn.info/erasmus-et-la-mobilite-des-jeunes-europeens--9782130581260-page-1.htm">Erasmus</a> et <a href="https://www.etudionsaletranger.fr/programme-leonardo/le-programme-leonardo">Leonardo</a> ; de l’essor d’une politique régionale dite de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-europe-en-region/qu-est-ce-que-la-politique-de-cohesion-de-l-union-europeenne/">cohésion</a> – sorte de plan Marshall permanent de soutien aux régions et aux pays les moins prospères ou en crise ; et de l’instauration d’une politique européenne de R&D très bien financée (<a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/608697/EPRS_IDA(2017)608697_FR.pdf">PCRD</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/08/06/europe-160-millions-de-dollars-pour-le-programme-esprit_3009596_1819218.html">Esprit</a>, <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/numerique/ressources/eureka">Eureka</a>, bientôt suivis d’Airbus, de Galileo et du spatial en lien avec <a href="https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Des_faits">l’Agence spatiale européenne</a>).</p>
<p>Le marché unique s’est lui-même fondu dans l’Union européenne du traité de Maastricht. Signé en 1991, entré en vigueur en octobre 1993, « Maastricht » mutualise des éléments de la souveraineté régalienne : justice, police, affaires étrangères, défense le sont à petits pas et très partiellement. La monnaie, elle, est totalement mutualisée, et Delors est personnellement très impliqué puisqu’à la fin des années 1980, il a présidé l’instance qui invente l’euro.</p>
<p>Margaret Thatcher, qui n’a pas vu venir cette dynamique à laquelle elle tenta, seule souverainiste du Conseil européen, de s’opposer, fut poussée à la démission par sa propre majorité parlementaire en 1990.</p>
<p>Au passage, la Commission Delors accompagne avec finesse l’unification de l’Allemagne et l’intégration de l’ex-RDA dans la CEE, ainsi que <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/801">l’élargissement</a> en 1995 à trois pays neutres (la Suède, la Finlande et l’Autriche) et l’association à l’UE des pays de l’Est libérés du communisme et <a href="https://www.cvce.eu/obj/conclusions_du_conseil_europeen_de_copenhague_extrait_sur_les_criteres_d_adhesion_a_l_ue_21_22_juin_1993-fr-24104be4-664b-41b8-8e16-756c57868498.html">devenus candidats</a> – trois développements totalement imprévus et rendus possibles par la fin de la guerre froide et de l’URSS.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/GBHh_PV9_tQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Delors incarne mieux que tout autre le passage de la CEE à l’UE et de l’Europe des Dix à l’Europe des 25. Bien entendu, il n’était pas seul. L’Europe était et demeure, selon <a href="https://www.cvce.eu/histoire-orale/unit-content/-/unit/07f58085-4b00-405f-a403-a603c1397fd5/7a55379d-7ca2-4086-bcda-61ed3ad44b17/Resources">sa propre formule</a>, une « fédération d’États-nations ». La construction européenne met effectivement en place une <a href="https://theconversation.com/lavenement-de-letat-europeen-un-etat-baroque-unique-au-monde-143328">sorte d’État fédéral</a> qui associe non pas des États fédérés mais des États souverains ; non pas des peuples mais des nations, indépendantes et politiquement construites.</p>
<p>Delors fut le premier à mettre en scène le système politique européen et à en utiliser tout le potentiel. Dès la rédaction collective de l’Acte unique, il favorise le renforcement progressif des pouvoirs du Parlement européen, historiquement bien moindres que ceux du Conseil (nom donné au parlement des États membres) et donc le caractère bicaméral de la CEE. En incarnant la Commission européenne, il lui fait jouer pleinement son double rôle d’administration centrale des politiques publiques européennes et d’inspirateur de dispositifs et de solutions à décider par les États. Il téléphone régulièrement aux chefs de gouvernements pour avancer, proposer, négocier ; il en tutoie un certain nombre. Il est des leurs. Ils l’ont d’ailleurs choisi, en 1984, en connaissance de cause.</p>
<h2>1984 : le candidat idéal</h2>
<p>Cette année-là, les dirigeants des Dix, à qui il revient de choisir ensemble le ou la présidente de l’exécutif européen, veulent désigner un président de la Commission fort. Car la commission qui entrera en fonctions en janvier 1985, aura fort à faire. Au <a href="https://www.deezer.com/fr/episode/399246497">sommet de Fontainebleau de juin 1984</a> que préside François Mitterrand, les Dix se sont mis d’accord pour relancer la construction européenne : au prix tout relatif du compromis sur le <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/budget-europeen-qu-est-ce-que-le-rabais-britannique/">rabais britannique</a>, ils mettent fin au blocage budgétaire exercé par le gouvernement de Margaret Thatcher depuis 1979, ouvrent grand la porte à l’Espagne et au Portugal, <a href="https://www.cvce.eu/recherche/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/d4c04734-67dc-4e67-8168-1f996b10672f">qui adhéreront en 1986</a>, annoncent la création du passeport européen, la suppression des contrôles aux frontières internes de la CEE, l’équivalence des diplômes universitaires au sein de la CEE, la création d’un drapeau et d’un hymne européens et, <em>last but not least</em>, la mise en place d’un « comité Spaak » destiné à <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">approfondir la construction européenne et sa vie politique</a>.</p>
<p>Pour ces dirigeants de l’Europe des Dix – Kohl, Mitterrand, Craxi, Martens, Lubbers, Santer, Thatcher, FitzGerald, Schlüter et Papandreou –, Delors sera <em>the right man at the right place</em>. Il a la confiance des trois leaders socialistes, puisqu’il est l’un des proches de François Mitterrand depuis le milieu des années 1960, mais aussi celle des cinq démocrates-chrétiens et des deux conservateurs : ministre des Finances depuis 1981, il est celui qui a su imposer aux courants souverainistes et marxistes du gouvernement de gauche français la préférence pour l’Europe et l’économie de marché, et la faire endosser par le président Mitterrand. Et de 1969 à 1972, il avait été le conseiller de Jacques Chaban-Delmas, un premier ministre de droite, gaulliste social.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BvwMwMo7GSY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’heure de Vérité (Antenne 2 | 20/05/1982).</span></figcaption>
</figure>
<p>Delors a fait ses preuves : il sait diriger, il connaît la vie politique nationale et supranationale, il a une vision claire des tenants, des aboutissants et des enjeux de l’économie internationale. Dans ses différentes fonctions, il a mis en pratique sa foi dans l’intelligence collective, la concertation et la négociation, qui débouche sur la contractualisation. Il n’a le culte ni de l’État ni du parti d’avant-garde : pour lui, les États et les partis sont des acteurs certes importants, mais parmi d’autres. Il n’y a « pas de solutions durables sans le concours des différents groupes de producteurs, chefs d’entreprise, salariés, paysans… », a-t-il écrit.</p>
<p>C’est un homme de 60 ans qui s’apprête à transformer l’Europe. À cet âge-là, dans la France des années 1980 et de la victoire de la gauche, on prend sa retraite ! C’est que Delors est entré en politique sur le tard : son premier mandat électif date de 1979, lorsqu’il devient député européen sur la liste du parti socialiste français – mandat qu’il interrompt en 1981 en entrant au gouvernement. En 1983, il est élu maire de Clichy, en banlieue parisienne – fonction qu’il quitte en rejoignant Bruxelles. C’est tout pour les élections. En 1977 et en 1978, alors membre des instances dirigeantes du PS, Delors décline les propositions de s’engager comme candidat dans les batailles électorales des municipales puis des législatives.</p>
<p>Jusqu’au début des années 1980, l’essentiel de <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/video-qui-etait-jacques-delors-sa-vie-en-cinq-dates-cles-CNT000002aZ6Ld.html">son parcours</a> a donc moins été celui d’un homme politique que celui d’un ingénieur de la réforme et d’un homme d’idées : durant les décennies 1960 et 1970, il co-anime des clubs et des réseaux de réflexion, comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_Jean-Moulin">Jean Moulin</a> ou <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/11/27/le-club-echange-et-projets-la-france-s-rsquo-enfonce-dans-le-sous-developpement-en-matiere-d-information_2763906_1819218.html">Échanges et projets</a>. En 1990, encore, il fonde le <a href="https://institutdelors.eu/publications/discours-de-jacques-delors-au-colloque-du-club-temoin-sur-les-relations-entre-la-france-et-leurope/">club Témoin</a>.</p>
<p>C’est un chrétien de gauche : l’inclusion, la justice sociale et la solidarité lui importent au premier chef – plus que l’émancipation individuelle et l’extension des droits de la personne. Pour y parvenir, il est convaincu de la centralité du travail dans la société. C’est pourquoi il consacre ses efforts à la création d’emplois, au partage du travail et à son humanisation. « Pas d’économique sans social, pas de social sans économique, et pas d’économique sans modernisation », écrit-il.</p>
<p>Militant syndical, il contribue à la déconfessionnalisation de la <a href="https://www.cftc.fr/notre-histoire">CFTC</a> et à la <a href="https://f3c.cfdt.fr/portail/f3c/nous-connaitre/histoire-de-la-cfdt/histoire-de-la-cfdt-srv1_612979">naissance de la CFDT</a>. Dans les années 1960, il n’est pas énarque mais chef de service au Commissariat général au Plan ; le Plan n’était-il pas le <em>think tank</em> de l’État ? De là, il est appelé à rejoindre le cabinet de Jacques Chaban-Delmas, nommé premier ministre par le nouveau président Pompidou.</p>
<p>Il est alors l’inspirateur de l’implantation de la formation professionnelle dans toutes les entreprises (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000687666/">loi de 1971</a>) et des <a href="https://www.lesechos.fr/1996/03/contrat-de-progres-mode-demploi-832267">contrats de progrès</a> dans les entreprises publiques. Si Mitterrand était devenu président en <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/24174-election-presidentielle-1965-ses-specificites">1965</a>, Delors l’aurait sans doute suivi à l’Élysée car il avait avec discrétion rejoint son équipe de campagne. D’ailleurs, en 1981, il s’imaginait plus en secrétaire général de l’Élysée ou en commissaire au Plan qu’en ministre des Finances. Avec ces quelques éléments en perspective, on est moins surpris qu’il <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/jacques-delors-election-presidentielle-1994-politique">n’ait pas franchi le pas de la candidature à l’élection présidentielle de 1995</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1740069594277048597"}"></div></p>
<p>Mais revenons à 1984. La nomination de Delors comme futur président de la Commission à partir du 1<sup>er</sup> janvier 1985 s’impose d’autant plus qu’il ne candidate pas. Aucun des prétendants (Cheysson, Christophersen, Biedenkopf…) ne fait l’unanimité ni même ne convainc. Aucun ne coche toutes les cases que coche Delors.</p>
<p>Helmut Kohl le premier évoque son nom en arrivant à Fontainebleau. <em>Mutatis mutandis</em>, Delors n’est-il pas, au vu de toutes ses qualités, ce qu’en Allemagne on reconnaîtrait comme un dirigeant chrétien-démocrate adepte de l’économie sociale de marché ? Kohl, aux affaires depuis 1982, a en très peu de temps scellé avec Mitterrand une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/helmut-kohl-et-francois-mitterrand-au-coeur-de-l-amitie-franco-allemande-il-y-avait-une-vraie-affection-entre-les-deux-hommes_2241227.html">solidarité d’une grande vigueur</a>, éprouvée dans la crise des euromissiles et les spéculations contre le franc. 1984 est le sommet où le tandem franco-allemand se déploie avec une rare intensité et une efficacité maximale.</p>
<p>Mitterrand n’est pas fâché d’exfiltrer Delors du gouvernement : il vient de nommer premier ministre Laurent Fabius, qui le déteste ; il est fatigué des menaces à la démission, l’un des pêchés mignons de Delors, qui a par ailleurs refusé en 1983 le poste de premier ministre au motif qu’il voulait le cumuler avec celui de ministre des Finances. L’essentiel est pourtant ailleurs. Avec Fontainebleau, Mitterrand prend un tournant majeur : il <a href="https://www.sciencespo.fr/centre-etudes-europeennes/sites/sciencespo.fr.centre-etudes-europeennes/files/01_2012%20la-place-de-la-construction-europeenne-dans-la-conquete-puis-la-conservation-du-pouvoir-par-les-socialistes-francais-1966-1984.pdf">se drape dans son habit de grand président français européen</a>, qui fait de la construction européenne sa priorité et la planche de salut de son programme socialiste et progressiste.</p>
<p>Delors lui est loyal et fidèle : depuis 20 ans, il l’a prouvé à maintes reprises. Dans le même temps, son indépendance, sa réticence à l’embrigadement partisan et idéologique, son positionnement social-démocrate, son indifférence au marxisme – toutes caractéristiques pour lesquelles il n’a jamais été en odeur de sainteté au sein du <a href="https://www.slate.fr/story/210404/congres-epinay-cinquante-ans-parti-socialiste-lecon-politique-oubli-signification">PS d’Épinay</a> – sont autant de qualités pour diriger un exécutif supranational à une époque où les socialistes sont minoritaires au sein du Conseil européen.</p>
<h2>L’européanisation de la politique des États membres</h2>
<p>Le legs le plus original et le plus porteur transmis par Delors aux générations suivantes et actuelles est la façon dont il a dénationalisé et européanisé la politique. Il a été secondairement un homme politique français car il a été avant tout un homme politique européen. Il contribue comme ministre des Finances à la relance de l’Europe de 1984 par le rôle qu’il a joué dans la conversion du PS français et de la société française à l’Europe communautaire.</p>
<p>Désigné président de la future Commission, il joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre et le déploiement de cette relance de la construction européenne. Comme l’écrit <a href="https://www.letemps.ch/opinions/le-discours-de-jacques-delors-qui-fit-rever-les-suisses">Chantal Tauxe dans <em>Le Temps</em></a>, « on se figure mal aujourd’hui (combien) la création du marché et de la monnaie uniques (a été) une sorte de big bang de l’intégration européenne ».</p>
<p>Avant même son entrée en fonctions, il entreprend le tour des capitales. À chaque chef de gouvernement, il propose quatre modalités de relance de la construction européenne. Dans l’immédiat, une fit consensus – même les thatchériens la soutinrent : le marché unique. La politique européenne de création par le droit d’un marché à la taille de l’espace européen est tout sauf du néo-libéralisme : c’est un marché institué, régulé et encadré.</p>
<p>Il s’est agi de mettre fin, d’une part aux obstacles non tarifaires au commerce entre pays (c’est-à-dire autres que les droits de douane : des règlements nationaux ou régionaux utilisés à des fins protectionnistes), et d’autre part aux monopoles d’État sur la production et la distribution de l’électricité, du gaz, du courrier postal, des télécommunications, des communications terrestres (routières, ferroviaires, fluviales) et aériennes. Les conséquences de l’ouverture d’un marché européen dans les secteurs en question sont immenses pour les populations et les sociétés : démocratisation des transports, de la mobilité, de l’usage du téléphone…</p>
<h2>Un héritage durable</h2>
<p>Le 17 janvier 1989, reconduit par les dirigeants des Douze, Delors rappelle, dans le premier <a href="https://www.cvce.eu/obj/discours_de_jacques_delors_devant_le_parlement_europeen_17_janvier_1989-fr-b9c06b95-db97-4774-a700-e8aea5172233.html">discours</a> au Parlement européen de son nouveau mandat bruxellois, que ce qui est à l’œuvre est « la combinaison du jeu du marché – qui ne peut fonctionner sans un minimum de règles –, du dialogue social et de l’action des institutions publiques […], et ce dans le respect du principe de subsidiarité afin d’éviter une centralisation excessive et inutile ». Et d’ajouter : « Le succès de l’Acte unique européen […] ne dépendra pas que du dynamisme et du savoir-faire de la Commission. Loin de là ! Il sera fonction de l’esprit d’innovation de chaque région. Il ne sera possible que si les bureaucraties nationales renoncent à vouloir tout contrôler et à raisonner uniquement en termes de transferts financiers. »</p>
<p>L’héritage que laisse Delors à la classe et aux partis politiques d’aujourd’hui est donc celui-ci : ne vous laissez pas enfermer par l’illusion du monopole national de la politique. La politique réduite au national fait partie du problème. Pour trouver des solutions, faites de la politique entre Européens et prenez vos décisions à l’échelle européenne.</p>
<p>De fait, dans la durée, ce legs est vivant et entretenu. Même avec difficulté, même si cela a parfois pris du temps, les classes politiques européennes n’ont cessé de résoudre les problèmes et les défis par des solutions européennes :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes/">Mécanisme européen de stabilité</a> (MES) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-pacte-budgetaire-europeen/">Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro</a> (TSCG) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/politique-monetaire/l-assouplissement-quantitatif/">Quantitative easing</a> (QE) mis en œuvre par la Banque centrale européenne pour sortir de la crise des dettes souveraines et de la zone euro (2010-2018) ;</p></li>
<li><p>mandat unique donné à la Commission européenne par les 27 pour négocier le Brexit et établir un <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/relations-non-eu-countries/relations-united-kingdom/eu-uk-trade-and-cooperation-agreement_fr">nouveau traité bilatéral avec le Royaume-Uni</a> (2016-2020) ;</p></li>
<li><p><a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/green-deal/">Pacte vert pour la transition climatique et énergétique</a> ;</p></li>
<li><p><a href="https://france.representation.ec.europa.eu/strategie-et-priorites/le-plan-de-relance-europeen_fr">plan de relance européen</a> financé par l’émission inédite de bons du trésor européens ;</p></li>
<li><p>création d’une politique industrielle et d’une <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/coronavirus-response/safe-Covid-19-vaccines-europeans/questions-and-answers-Covid-19-vaccination-eu_fr">politique de vaccination</a> pour faire face aux conséquences sanitaires, économiques et sociales de la pandémie du Covid-19 qui a tué près de 1,4 million d’Européens (2020) ;</p></li>
<li><p>coordination et convergence sans précédent de la politique étrangère et de défense pour <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-response-ukraine-invasion/eu-solidarity-ukraine/">soutenir l’Ukraine</a> agressée par la Russie, <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/les-sanctions-contre-la-russie-fonctionnent-2023-12-21_fr">sanctionner</a> cette dernière, et <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/08/31/lue-se-desengage-du-gaz-russe-malgre-la-hausse-des-importations-de-gnl">mettre fin</a> aux importations d’énergie russe (depuis 2022).</p></li>
</ul>
<p>Et tout cela avec un Parlement européen dont le rôle et l’influence n’ont cessé d’augmenter.</p>
<p>De façon significative, face au Brexit, au Covid et à la guerre d’Ukraine, le rôle d’impulsion, d’invention et de coordination de la Commission européenne est à nouveau très tangible, comme il l’était du temps de Delors. Et comme alors, son lointain successeur, Ursula von der Leyen, en poste depuis 2019, a donné à l’Europe un visage, une incarnation et un leadership. Mais l’époque a changé et ce changement ne doit rien à Delors ni à son héritage : cette fois, avec éclat, et alors que le Conseil européen s’est féminisé, ce visage et ce leadership européens sont ceux d’une femme !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il fut notamment ministre français des Finances de 1981 à 1985, c’est avant tout pour son rôle majeur à la tête de la Commission européenne (1985-1995) que Jacques Delors restera dans les mémoires.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175832023-12-19T19:23:33Z2023-12-19T19:23:33ZGlyphosate : sur quelles pathologies portent les soupçons et avec quels niveaux de preuves ?<p>En novembre 2023, l’autorisation de mise sur le marché du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/glyphosate-40177">glyphosate</a> a été <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_23_5793">renouvelée pour les dix prochaines années</a> alors que des organismes de références, au niveau national ou international, soupçonnent ce pesticide de favoriser la survenue de pathologies graves, et notamment des cancers.</p>
<p>Au moment du vote, la majorité des états membres de l’Union européenne a préféré suivre <a href="https://www.efsa.europa.eu/fr/news/glyphosate-no-critical-areas-concern-data-gaps-identified">l’avis rendu en juillet 2023 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments</a> (EFSA). Cette dernière a en effet statué que « l’évaluation de l’impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique ».</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-glyphosate-revelateur-de-linfluence-des-lobbys-industriels-sur-la-science-reglementaire-215604">Le glyphosate, révélateur de l’influence des lobbys industriels sur la « science réglementaire »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Des soupçons de cancers, de malformations congénitales…</h2>
<p>Dès 2015 pourtant, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC ou IARC en anglais), qui dépend directement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé le glyphosate comme <a href="https://www.iarc.who.int/featured-news/media-centre-iarc-news-glyphosate">« cancérigène probable pour l’Homme »</a>, mais pas comme cancérigène avéré.</p>
<p>En octobre 2023, le débat autour des risques sanitaires liés au glyphosate a rebondi en France après que le journal <em>le Monde</em> a révélé que le <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/09/glyphosate-theo-grataloup-porteur-de-graves-malformations-apres-une-exposition-prenatale-sera-indemnise_6193378_3244.html">Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a reconnu un lien entre l’exposition prénatale au glyphosate et la survenue de graves malformations chez un jeune homme âgé aujourd’hui de 16 ans</a>. Cette première, en France, ouvre la voie à l’<a href="https://fonds-indemnisation-pesticides.fr/indemnisation/">indemnisation du jeune homme</a>.</p>
<p>De plus en plus d’articles ou d’études indiquent que le glyphosate pourrait avoir des effets neurotoxiques, à l’image de cet autre article du <em>Monde</em> paru en 2022 qui évoquait une <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/07/glyphosate-une-etude-industrielle-sur-la-neurotoxicite-de-l-herbicide-soustraite-aux-autorites-europeennes_6140508_3244.html">étude industrielle ancienne qui aurait été soustraite aux autorités européennes</a>, selon le quotidien.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-glyphosate-revelateur-de-linfluence-des-lobbys-industriels-sur-la-science-reglementaire-215604">Le glyphosate, révélateur de l’influence des lobbys industriels sur la « science réglementaire »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une expertise de l’Inserm pour faire le point sur le dossier à charge</h2>
<p>Cancers (et lesquels ?), malformations congénitales… autour de quelles pathologies se concentrent les soupçons qui visent le glyphosate concernant la santé humaine et avec quels niveaux de preuves ? Dans son expertise collective <a href="https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/">« Pesticides et santé »</a> publiée en 2021, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) reprend les données scientifiques à date.</p>
<p>Pour un type de cancers en particulier — les <a href="https://www.ameli.fr/paris/assure/sante/themes/lymphome-non-hodgkinien/definition-facteurs-favorisants">lymphomes non hodgkiniens</a> (LNH) — L’Inserm a conclu à « un risque accru de LNH avec une présomption moyenne de lien ».</p>
<p>Les lymphomes non hodgkiniens sont des cancers du <a href="https://www.inserm.fr/portrait/tetes-chercheuses/barbara-garmy-susini-coup-de-projecteur-sur-le-systeme-vasculaire-lymphatique/">système lymphatique</a> caractérisés par une multiplication des cellules blanches du sang (ou cellules immunitaires) que sont les lymphocytes (B ou T).</p>
<p>En épidémiologie, la présomption d’un lien se réfère à l’hypothèse selon laquelle il existe une association entre un facteur particulier (comme une exposition à un pesticide) et un effet sur la santé (comme une maladie). Il est important de noter que la présomption d’un lien ne constitue pas une preuve définitive de causalité. Elle indique simplement qu’il existe une association apparente entre le facteur et l’effet. En cas de présomption de lien moyenne, cela signifie qu’il existe au moins une étude de bonne qualité qui montre une association statistiquement significative.</p>
<p>Sur le risque de malformations congénitales, l’Inserm ne disposait pas d’études en 2021 pour se prononcer.</p>
<h2>Le glyphosate, peut-être le pesticide le plus utilisé au monde</h2>
<p>Avant tout, rappelons ce qu’est le glyphosate. Mis sur le marché des produits phytosanitaires en 1974 par la société Monsanto, sous l’appellation Roundup, le glyphosate est un pesticide présentant des propriétés herbicides. Aujourd’hui, il entre dans la composition de plusieurs formulations. Des produits incorporent du glyphosate en l’associant à d’autres constituants destinés à faciliter sa pénétration dans les organismes cibles — ces constituants <a href="https://anses.fr/fr/content/retrait-des-produits-phytopharmaceutiques-associant-en-coformulation-glyphosate-et-poe">pouvant eux-mêmes présenter une certaine toxicité</a>.</p>
<p>Le glyphosate présente une très grande efficacité car il agit en bloquant la production de composés essentiels pour le fonctionnement des plantes (sa cible métabolique existe aussi chez certaines bactéries et champignons).</p>
<p>Compte tenu de son efficacité et d’un prix particulièrement attractif, le glyphosate est souvent présenté comme l’herbicide le plus utilisé sur la planète. Sa consommation est estimée à plus de 820 000 tonnes en 2014, dont près de 10 000 tonnes en France entre 2014 et 2018, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/publication-des-donnees-provisoires-des-ventes-produits-phytopharmaceutiques">chiffre en baisse en 2021 pour atteindre 7765 tonnes</a>.</p>
<p>L’usage du glyphosate est essentiellement agricole. En raison de l’absence de cultures OGM résistantes au glyphosate, en France comme dans la plupart des pays européens et contrairement à ce qui se pratique pour le maïs aux États-Unis, il est principalement utilisé entre deux cultures pour préparer le terrain avant implantation.</p>
<h2>La peau, principale voie d’absorption du glyphosate</h2>
<p>La très large utilisation du glyphosate a rapidement conduit les scientifiques à s’intéresser aux conséquences sanitaires de cette exposition. Compte tenu de son emploi principalement agricole, les scientifiques se sont principalement focalisés sur les expositions professionnelles qui concernent les formulations commerciales à base de glyphosate, et non le glyphosate seul.</p>
<p>Du fait des épandages, la principale voie d’absorption du glyphosate chez l’être humain est la peau (voie cutanée). Compte tenu de ses <a href="https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/Glyphosate">caractéristiques chimiques</a>, le glyphosate ne se volatilise pas à partir des surfaces traitées.</p>
<p>Néanmoins, une partie du glyphosate et un produit de dégradation du glyphosate (son métabolite AMPA qui présente aussi une certaine toxicité) se retrouvent dans les eaux de surface ou souterraines par ruissellement. Il n’existe pas de données sur d’autres métabolites potentiels.</p>
<h2>Un pesticide présent aussi dans certains aliments</h2>
<p>Au-delà des expositions directes, le glyphosate peut aussi être absorbé via l’alimentation. En effet, les denrées alimentaires peuvent contenir du glyphosate, qu’il s’agisse de produits agricoles bruts (lait, œufs, viande, graines…) ou transformés, ainsi que les <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fenvs.2022.941836/full">eaux de boisson</a>.</p>
<p>Dans ces aliments, le glyphosate est retrouvé à des concentrations inférieures aux limites maximales de résidus de pesticides autorisés légalement dans les denrées alimentaires.</p>
<p>À noter qu’une fois absorbé, le glyphosate est peu métabolisé et est rapidement éliminé, notamment dans les urines. Sa demi-vie, c’est-à-dire le temps nécessaire pour éliminer la moitié de la quantité de molécules absorbées, est de 5 à 10h.</p>
<h2>Étudier les populations humaines comme les mécanismes d’action</h2>
<p>De nombreuses études comparant des populations humaines exposées et non exposées au glyphosate (études épidémiologiques) se sont intéressées à l’apparition de différentes pathologies. Ce sont les études concernant certains cancers qui fournissent les niveaux de preuve les plus élevés.</p>
<p>Les études épidémiologiques sont complétées par des études expérimentales (soit <em>in vitro</em> quand elles ont recours à des modèles de cellules humaines ou non, soit <em>in vivo</em> quand elles s’appuient sur des modèles animaux par exemple les rongeurs). Si les études épidémiologiques permettent l’obtention de données sur des populations humaines les plus à même de permettre de traiter la question en termes sanitaires, les études expérimentales (sur des cellules ou des modèles animaux) éclairent les mécanismes d’action de la molécule étudiée et permettent d’attester des résultats obtenus à l’aide des populations.</p>
<p>Le terme d’association est utilisé fréquemment dans les études épidémiologiques tandis que les études expérimentales permettent d’établir les liens de causalité. Cette complémentarité et cette interdisciplinarité constituent le cœur des deux expertises Inserm, menées sur la question du rôle des pesticides dans la survenue de pathologies.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-lepidemiologie-110721">Comprendre l’épidémiologie</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Des conclusions qui s’appuient sur les données de plusieurs cohortes</h2>
<p>La première expertise de l’Inserm, publiée en 2013, avait déjà conclu <a href="https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-effets-sur-sante/">que l’exposition au glyphosate était associée à un excès de risque de lymphomes non hodgkiniens</a>, avec une présomption de lien faible.</p>
<p>Cette présomption de lien a été analysée de nouveau entre 2013 et 2021. Pour cela, les experts se sont basés sur de nouvelles études épidémiologiques et de nouvelles données concernant les mécanismes d’action du glyphosate.</p>
<p>Dans le détail, le suivi de la cohorte AHS (American Health Study, cohorte agricole aux États-Unis) n’a pas permis d’établir d’associations entre le fait d’appliquer du glyphosate et le risque de développer un lymphome non hodgkinien.</p>
<p>Toutefois, en épidémiologie, il est possible de combiner des données de différentes études, puis de mener une analyse statistique sur l’ensemble des données, afin de faire émerger de nouvelles informations ; c’est ce qu’on appelle une méta-analyse.</p>
<p>Cette approche a été utilisée pour analyser à nouveau les données en <a href="https://academic.oup.com/ije/article/48/5/1519/5382278?login=false">combinant celles de la cohorte AHS et de deux autres cohortes agricoles</a> (CNAP et AGRICAN, respectivement norvégienne et française). Portant sur plus de 300.000 sujets au global, sur les trois cohortes combinées, ces nouveaux travaux ont recensé 2430 cas de lymphomes non hodgkiniens.</p>
<p>Leurs auteurs ont conclu qu’il existe bien une association statistiquement significative entre le risque de survenue d’un type de lymphome non hodgkinien et l’exposition aux produits à base de glyphosate.</p>
<p>Compte tenu de ces éléments, les experts de l’Inserm ont fait évoluer le niveau de présomption de lien entre l’exposition au glyphosate et le risque de survenue de lymphomes non hodgkiniens. Il est passé de faible (en 2013) à moyenne (en 2021).</p>
<p>Cette évolution du niveau de présomption est cohérente avec les données des études expérimentales académiques sur les mécanismes d’action du glyphosate. Celles-ci démontrent à la fois un niveau potentiel de génotoxicité de la molécule (une substance est génotoxique lorsqu’elle est susceptible d’endommager l’ADN, <a href="https://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/10641/?sequence=174#page=40">ce qui est le cas du glyphosate selon plusieurs travaux expérimentaux</a>) et des incertitudes sur l’induction de cancers chez l’animal de laboratoire.</p>
<h2>De possibles perturbations du système endocrinien ou du microbiote ?</h2>
<p>La publication de l’expertise Inserm 2021 « Pesticides et effets sur la santé » s’est également intéressée à de nouveaux risques potentiels liés à l’exposition au glyphosate. En effet, des hypothèses quant à son potentiel de <a href="https://www.inserm.fr/dossier/perturbateurs-endocriniens/">perturbation du système endocrinien</a> ou de perturbation du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/microbiote-30806">microbiote</a> complétaient cet avis.</p>
<p>Il est d’ailleurs étonnant que cette piste de recherche n’ait pas été explorée plus en amont alors qu’on sait que <a href="https://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/10641/?sequence=174#page=61">certaines bactéries sont sensibles au glyphosate</a>, et notamment des bactéries du microbiote considérées comme protectrices (Enterococcus faecalis, E. faecium, Bacillus badius, Bifidobacteriumadolescentis, Lactobacillus spp.).</p>
<p>Le <a href="https://www.inserm.fr/dossier/microbiote-intestinal-flore-intestinale/">microbiote intestinal</a> des humains comprend des bactéries et des champignons dont certains sont des cibles du glyphosate. Or il est connu que des perturbations du microbiote sont liées à certaines <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2013/08/medsci2013296-7p586/medsci2013296-7p586.html">pathologies inflammatoires</a>.</p>
<p>Enfin, concernant le <a href="https://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/10641/?sequence=174#page=45">potentiel risque de perturbation endocrinienne</a>, c’est-à-dire du système hormonal, plusieurs études expérimentales <em>in vivo</em> et <em>in vitro</em>, montrent que les formulations à base de glyphosate perturbent certaines voies de signalisation hormonale (avec des impacts sur l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique) et d’autres systèmes organiques. Il est important de noter que plusieurs études ont montré que le glyphosate de qualité technique est moins toxique que les produits qui associent le glyphosate et d’autres substances (les GBH formulés), ce qui indique que le mélange de l’ingrédient actif et des produits de formulation peut avoir des effets cumulatifs sur le système endocrinien et le système reproductif.</p>
<h2>Une divergence entre l’agence européenne et les organismes de recherche qui s’explique</h2>
<p>Compte tenu de toutes ces données, comment expliquer la divergence entre les avis du CIRC et de l’Inserm d’un côté et celui de l’agence européenne EFSA ?</p>
<p>Cette divergence s’explique. Le CIRC, qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, tout comme l’Inserm, organisme de recherche public français, se basent sur une grande variété d’études académiques (épidémiologiques et expérimentales) incluant non seulement des études sur le glyphosate, mais aussi ces formulations. L’EFSA, elle s’appuie, à la fois sur les études réalisées par les industriels eux-mêmes (par exemple, pour homologuer la molécule) et sur quelques études académiques considérées comme robustes.</p>
<p>Les agences européennes — non seulement l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), mais aussi l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) — considèrent que l’évaluation des molécules doit notamment reposer sur l’utilisation de tests robustes, validés entre différents laboratoires (après plusieurs années).</p>
<p>La démarche académique est tout autre : un laboratoire s’inspirant des données d’un autre laboratoire pour enrichir la connaissance précédemment produite. Légitimement, les données ne sont pas répétées à l’identique (les articles faisant l’objet d’un processus d’évaluation par les pairs) mais forment un continuum de connaissances.</p>
<h2>Considérer la santé planétaire</h2>
<p>L’Union européenne et ses agences sont conscientes du fait que leur méthodologie doit évoluer. Pour se faire, elles financent des programmes visant à développer de nouveaux tests réglementaires, non seulement dans le domaine du cancer mais aussi d’autres pathologies. Par ailleurs, la Commission européenne met en place des programmes et mandatent des scientifiques pour qu’ils lui recommandent des mesures à prendre en faveur de la santé environnementale, à l’image du <a href="https://www.inserm-transfert.fr/projetcollaboratif/hera/">programme Hera</a>.</p>
<p>Un des aspects de cette évolution pourrait être de considérer la « santé planétaire » qui intègre non seulement la santé des êtres humains mais aussi celles des animaux et des écosystèmes qui leur sont associées. Ainsi, des abeilles exposées par voie orale à des doses environnementales de glyphosate sont <a href="https://journals.biologists.com/jeb/article/217/19/3457/12504/Effects-of-field-realistic-doses-of-glyphosate-on">plus à risque de développer des infections opportunistes</a>, ce qui est susceptible d’entraîner une réduction de leurs populations. Des effets qui pourraient indirectement affecter les êtres humains qui dépendent de ces insectes pollinisateurs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217583/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Coumoul a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche, la Commission européenne, l'Anses,
l'Inca, l'Université Paris Cité, l'Inserm.</span></em></p>Concernant les effets potentiels du glyphosate sur la santé, les soupçons se focalisent sur des cancers du système immunitaire et sur une neurotoxicité à l’origine de malformations congénitales.Xavier Coumoul, Professeur de Toxicologie et de Biochimie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2140392023-09-26T19:10:18Z2023-09-26T19:10:18ZFinance durable : Comment l’UE a expérimenté les principes de la démocratie participative<p>En 2016, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/commission-europeenne-22430">Commission européenne</a> réunissait un groupe d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/experts-25772">experts</a> venant de la société civile, du secteur financier et universitaire pour préparer un rapport visant à réformer la régulation en faveur d’une finance plus durable. Après une année de travail, le groupe, composé de 20 personnes, émet ses <a href="https://finance.ec.europa.eu/system/files/2018-01/180131-sustainable-finance-final-report_en.pdf">recommandations</a> en janvier 2018. </p>
<p>Moins de deux mois après la publication de ce rapport, en mars 2018, la Commission européenne dévoile son plan d’action pour une finance durable, largement alimenté par les travaux des experts. S’en suivra une série de régulations en matière de finance durable, telles que la <a href="https://finance.ec.europa.eu/sustainable-finance/tools-and-standards/eu-taxonomy-sustainable-activities_en">« taxonomie verte »</a> en 2020.</p>
<p>Le mode de fonctionnement suivi par ce groupe d’experts s’apparente à un « mini public délibératif » qui jusque-là réunissait plutôt des citoyens. Un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41304-020-00284-9">projet de recherche européen</a> a répertorié plus de 105 « mini-publics délibératifs » organisés entre 2000 et 2020 en Europe, dont 20 en France, où des conventions citoyennes sur le climat ou la fin de vie ont par exemple été organisées. </p>
<p>Depuis quelques années, ces principes de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/democratie-participative-73457">démocratie participative</a> se développent aussi parmi les groupes d’experts et des représentants des parties prenantes aux intérêts divergents et aux parcours de plus en plus hétéroclites qui tentent de résoudre des problèmes sociaux et environnementaux.</p>
<h2>Une capacité à délibérer fragile</h2>
<p>Cependant, en ce qui concerne la forme la plus répandue des conventions citoyennes, cette forme de délibération reste régulièrement décriée du fait de <a href="https://www.lagrandeconversation.com/debat/politique/la-convention-citoyenne-une-innovation-democratique/">son manque de transparence ou de légitimité démocratique</a>. Et pour cause, les participants ne sont pas élus, mais, le plus souvent, aléatoirement choisis en fonction de critères sociodémographiques. De plus, ces participants-citoyens ne reconnaissent pas toujours le <a href="https://theconversation.com/lintelligence-collective-au-coeur-des-enjeux-politiques-et-sociaux-169203">résultat tangible des discussions</a> dans les recommandations finales, et encore moins <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">dans leur mise en œuvre par le pouvoir politique</a>.</p>
<p>La « capacité à délibérer » qui sous-tend ces conventions citoyennes reste elle-même fragile. Des chercheurs en sciences politiques comme l’Australien <a href="https://researchprofiles.canberra.edu.au/en/publications/democratization-as-deliberative-capacity-building">John Dryzek</a> considèrent qu’une délibération est d’autant plus démocratique qu’elle intègre une diversité de participants et d’intérêts (<em>inclusion</em>), qu’elle se compose de débats clairement argumentés, au sein desquels les points de vue contradictoires sont écoutés avec empathie et débattus (<em>authenticité</em>) et qu’elle se traduit en implications concrètes, visibles et légitimes pour les participants (<em>impact</em>). Cependant, la mise en œuvre de ces trois propriétés reste une tâche complexe.</p>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/01708406231185972">Notre étude</a> suggère ainsi que l’organisation concrète d’une telle délibération s’apparente à une forme de funambulisme, tant sont fortes les contradictions entre inclusivité, authenticité et impact. </p>
<p>Trop d’inclusivité, avec des participants très divers, et ayant potentiellement des points de vue divergents, rend par exemple périlleuse la conduite de discussions authentiques. Un groupe plus homogène aura plus de facilités pour débattre et argumenter, mais ses recommandations seront moins représentatives de la diversité des enjeux.</p>
<h2>Une réorganisation en cours de route</h2>
<p>Dans le cas de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reglementation-68082">réglementation</a> européenne en faveur de la finance verte, la Commission européenne a géré cette tension en recrutant, au-delà de membres d’organisations non gouvernementales et d’experts financiers, une proportion conséquente d’experts « hybrides » provenant de la finance durable avec une expertise du sujet et des expériences au sein de la société civile.</p>
<p>Une seconde tension oppose authenticité et impact. Le temps requis pour organiser un débat authentique peut être long. Bien que nécessaire pour créer des conditions de discussions authentiques, celui-ci correspond rarement <a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-la-democratie-participative-vue-de-linterieur-141571">aux urgences liées à l’agenda politique</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans le cas étudié, les organisateurs prirent soin de redéfinir les frontières des espaces de délibération, en constituant des sous-groupes chargés de générer des idées sous forme orale et écrite. Ces sous-groupes ont été réorganisés en cours de route afin de ne pas laisser les participants s’enfermer dans leur domaine d’expertise.</p>
<p>La recherche d’inclusivité apparaît également en contradiction avec l’impact de la délibération, car la diversité des enjeux à prendre en compte peut ralentir la production de recommandations. Dans le groupe d’experts étudié, cette tension a été réduite en responsabilisant les participants vis-à-vis des résultats obtenus, en les impliquant dans des espaces de discussion publics (médias, forums publics), et en les incitant à prendre part aux discussions sur ces thèmes dans leurs pays respectifs, tout en dialoguant avec d’autres spécialistes de la Commission européenne et du Parlement européen.</p>
<p>Cette confrontation à d’autres espaces a contribué à la production de recommandations susceptibles d’avoir un impact tangible sur la régulation des marchés financiers.</p>
<h2>Impliquer directement le politique</h2>
<p>Toute personne impliquée dans la mise en œuvre d’une délibération a été confrontée à ces tensions, sources de frustrations pour les participants, notamment lorsque l’impact législatif des débats reste limité. S’il n’y a pas de recette miracle pour y remédier, notre recherche met en lumière des pratiques permettant de gérer ces tensions qui pourraient être utiles aux organisateurs de délibérations soucieux de les conduire de manière inclusive et authentique, tout en préservant leur impact. </p>
<p>Ainsi, impliquer les décideurs politiques directement dans de telles délibérations permettrait de renforcer leur impact concret sur le cadre législatif, notamment en ce qui concerne les questions sociétales ou liées au changement climatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214039/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un projet de recherche revient sur le processus de délibération au sein d’un groupe d’experts aux visions divergentes qui a posé les jalons du texte européen visant à responsabiliser la finance.Stephanie Giamporcaro, Associate Professor, ESG and Sustainable Finance, Nottingham Trent UniversityCéline Louche, Professor, AudenciaJean-Pascal Gond, Professor of Corporate Social Responsibility, City, University of LondonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1905022022-09-19T18:41:01Z2022-09-19T18:41:01ZDécryptage : L’ouverture à la concurrence en Europe, aux racines de la flambée des prix de l’électricité<p>Depuis quelques mois, la flambée des prix de l’électricité suscite légitimement de fortes <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/09/06/flambee-des-prix-de-lelectricite-a-cazeres-ce-nest-pas-mieux-avec-la-regie-municipale-delectricite-10525001.php">réactions</a> des populations et des entreprises qui voient leurs factures énergétiques exploser. Elle appelle également des analyses des experts du secteur électrique qui avancent de <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/energie/entretien-crise-de-l-energie-pourquoi-l-electricite-et-le-gaz-sont-ils-devenus-si-chers-3c868818-2f79-11ed-9e2e-941646c9f304">nombreux facteurs</a> pour expliquer cette augmentation. Il y a la guerre en Ukraine, la flambée des prix des combustibles fossiles, la forte croissance des <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/282323-co2-le-marche-du-carbone-dans-lunion-europeenne">prix du carbone</a> sur le marché du CO<sub>2</sub>, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/nucleaire-la-moitie-du-parc-francais-a-l-arret-emmanuel-macron-et-edf-se-renvoient-la-balle_5349400.html">faible disponibilité du nucléaire</a> pour des raisons de maintenance, ou encore le <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/secheresse-les-barrages-hydroelectriques-fragilises-20220815">déficit hydrique</a> dans les barrages…</p>
<p>Ces raisons sont certes indiscutables et un plan d’urgence est en <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/bruxelles-un-plan-d-urgence-en-cinq-points-pour-endiguer-la-flambee-des-prix-de-l-electricite-929422.html">discussion à Bruxelles</a>, mais au-delà de la conjoncture, il existe aussi des explications à plus long terme. Elles tiennent aux réformes mises en place dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des marchés européens de l’électricité au début des années 2000, objet de nos <a href="https://livre.fnac.com/a4683637/Francois-Mirabel-La-dereglementation-des-marches-de-l-electricite-et-du-gaz">travaux</a> depuis plusieurs années.</p>
<h2>Aux racines d’un grand chamboulement</h2>
<p>Il y a plus de 20 ans maintenant, le marché de l’électricité s’ouvrait à la concurrence en France. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:11957E/TXT&from=CS">L’article 90</a> du traité de Rome de 1957 imposait cette ouverture, finalement formalisée dans le cadre d’une <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31996L0092:fr:HTML">directive européenne de 1996</a>. Cette directive prévoyait une mise en concurrence progressive et actait la fin du monopole d’EDF : d’autres fournisseurs doivent pouvoir vendre de l’électricité aux particuliers comme aux entreprises.</p>
<p>Très rapidement, la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne a considéré qu’il n’y avait pas suffisamment de concurrence, avec un nombre trop réduit de fournisseurs alternatifs d’électricité. Particulièrement pointée du doigt, la France a réagi en votant en 2010 la loi Nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000023174854">loi Nome</a> dont Bercy, piloté alors par Christine Lagarde, se <a href="https://www.bfmtv.com/immobilier/renovation-travaux/electricite-lagarde-defend-la-loi-nome_AN-201011260127.html">félicitait</a>. Deux dispositifs apparaissent alors dans l’hexagone : l’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique, ou <a href="https://www.edf.fr/entreprises/electricite-gaz/le-benefice-arenh">ARENH</a>, et une nouvelle méthode de calcul des Tarifs réglementés de vente de l’électricité, les TRVE, qui sont les prix auxquels doit vendre l’opérateur historique EDF.</p>
<p>Leur raison d’être puise dans les travaux des économistes William Baumol, John Panzar et Robert Willig, et dans <a href="https://books.google.fr/books/about/Contestable_Markets_and_the_Theory_of_In.html?id=hHdgAAAAIAAJ&redir_esc=y">l’ouvrage</a> qu’ils publient en 1982 sur la « contestabilité » des marchés. L’idée ? S’il n’est pas possible de contester à un acteur, la domination d’un marché, les prix resteront plus haut qu’à l’optimum que l’on atteint en situation concurrentielle. La priorité serait donc de s’assurer que l’entrée (de même que la sortie) sur les marchés reste libre et gratuite et que les concurrents potentiels bénéficient des mêmes conditions économiques de production que les entreprises en place.</p>
<h2>Vision idyllique</h2>
<p>Pour beaucoup, la transposition de cette analyse dans le secteur électrique semblait évidente : pour assurer la contestabilité des marchés, les concurrents doivent bénéficier d’un accès à l’électricité nucléaire produite par EDF, électricité produite à un coût nettement inférieur à la concurrence. C’est là qu’intervient l’ARENH : EDF doit céder à ses concurrents chaque année environ un quart de sa production d’électricité nucléaire (100 TWh/an) à un prix fixé à 42 euros par MWh, proche du coût de production des centrales nucléaires d’EDF. Ce dispositif était vu, notamment par les auteurs du <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/30427-rapport-de-la-commission-sur-organisation-du-marche-de-electricite">rapport de la commission Champsaur</a>, comme la condition permettant l’entrée de nouveaux concurrents et, à terme, une baisse des prix pour les consommateurs.</p>
<p>Cette vision idyllique de l’ARENH reste cependant très discutable si on évalue le dispositif du point de vue d’un autre phénomène bien connu que les économistes appellent la « double marge ». EDF vendait dans le passé son électricité directement aux consommateurs à un prix reflétant les coûts de production. Maintenant, EDF vend son électricité aux fournisseurs, première marge, qui la revendent à leur tour aux consommateurs, deuxième marge, ce qui semble clairement source d’inefficacités.</p>
<p>En mettant en place ce nouveau dispositif, le régulateur a certainement fait le pari que les bienfaits supposés de la concurrence l’emporteraient à terme pour faire baisser les prix ; cela ne s’est malheureusement pas produit.</p>
<h2>Des prix déconnectés des coûts</h2>
<p>Ce n’est pas tout : la loi NOME de 2010 imposait d’aller plus loin en définissant un nouveau mode de calcul des TRVE, toujours afin de faciliter l’entrée des concurrents sur le marché.</p>
<p>Historiquement, les tarifs étaient fondés sur les coûts de production d’EDF : la Commission de régulation de l’énergie (CRE) évaluait les coûts comptables d’EDF puis les répartissait sur le parc d’abonnés. La loi NOME est ensuite intervenue avec un objectif clair rappelé par le Juge des référés du Conseil d’État dans une décision du <a href="https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/juge-des-referes-7-janvier-2015-association-nationale-des-operateurs-detaillants-en-energie-anode">7 janvier 2015</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La contestabilité économique que le nouveau mode de fixation des tarifs est destiné à garantir, consiste en la faculté pour un opérateur concurrent d’EDF présent ou entrant sur le marché de la fourniture d’électricité de proposer, sur ce marché, des offres à prix égaux ou inférieurs aux tarifs réglementés. »</p>
</blockquote>
<p>Est conçu un nouveau mode de calcul des TRVE, dit par « empilement ». Il s’agit d’intégrer dans le calcul le coût d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs d’électricité et donc, de faire dépendre les TRVE des prix de l’électricité sur les marchés de gros. Cela revient à calculer indirectement les augmentations des TRVE nécessaires pour que les concurrents puissent être compétitifs et rentrer sur le marché.</p>
<p>Autrement dit, les TRVE qu’EDF propose à ses clients deviennent déconnectés de ses coûts de production et sont à présent liés aux coûts d’approvisionnement des concurrents. Les TRVE deviennent ainsi en quelques sortes un prix fixé pour que la concurrence puisse être compétitive par rapport à ce même prix (on parle de « contestabilité des tarifs »). Cela ressemble à une anomalie.</p>
<h2>Réforme profonde ou bien rustines ?</h2>
<p>Devant l’explosion des prix de l’électricité depuis juin 2022, d’autres mesures ont été mises en place pour sauver ce marché. Le dispositif ARENH a été <a href="https://www.cre.fr/Actualites/mise-en-aeuvre-des-20-twh-additionnels-d-arenh-au-1er-avril-2022">étendu</a> au 1<sup>er</sup> avril et ce sont à présent 120 TWh qu’EDF doit céder aux concurrents (soit un tiers de sa production nucléaire). Parallèlement, l’État a mis un bouclier tarifaire qui permet de <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/sans-le-bouclier-tarifaire-les-prix-de-l-energie-doubleraient-en-2023-bruno-le-maire-928970.html">limiter l’augmentation des TRVE à 4 %</a> seulement, avec un coût pour les finances publiques estimé à plus de 20 milliards d’euros.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/electricite-pourquoi-les-tarifs-augmentent-et-devraient-encore-augmenter-183751">Électricité : pourquoi les tarifs augmentent (et devraient encore augmenter)</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Reste que le système nous semble avoir montré de grandes limites. Les consommateurs s’avèrent soumis à la <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20220826-flamb%C3%A9e-du-prix-de-l-%C3%A9lectricit%C3%A9-en-france-les-prix-sont-compl%C3%A8tement-d%C3%A9mentiels">volatilité</a> d’un prix de marché de gros qui peut passer en un an de 80 euros/MWh à des pics à plus de 1000 euros/MWh pour un bien essentiel. Il nous semble souhaitable de revenir à une organisation beaucoup plus centralisée du secteur électrique où les TRVE seraient à nouveau calés sur les coûts de production.</p>
<p>Des questions cruciales relatives aux missions de service public concernant les prix, la sécurité d’approvisionnement, l’indépendance énergétique, à la réduction des émissions de CO<sub>2</sub>, à la promotion des énergies renouvelables paraissent nécessiter un encadrement et une planification forte de l’État. Ces exigences sont au cœur des contestations citoyennes pour une électricité sécurisée, à prix régulés et équitables.</p>
<p>Dans ce contexte, une réforme profonde de l’organisation du secteur de l’électricité doit être engagée. Les ministres chargés de l’énergie dans les États membres de l’Union européenne ont tout récemment <a href="https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/bruxelles-un-plan-d-urgence-en-cinq-points-pour-endiguer-la-flambee-des-prix-de-l-electricite-929422.html">entamé des discussions</a>. À voir s’il n’en sortira que de nouvelles rustines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190502/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Mirabel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les dispositifs qui devaient favoriser la concurrence en Europe et une baisse des prix pour les consommateurs semblent aujourd'hui avoir manqué leurs objectifs.François Mirabel, Professeur en économie de l'énergie et des transports, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1865202022-07-10T15:43:28Z2022-07-10T15:43:28ZGuerre en Ukraine : le rôle des organisations internationales<p>La guerre fait rage en Ukraine depuis plus de quatre mois. L’armée russe paraît en passe de contrôler un cinquième de la partie orientale du pays après la dévastation méthodique de ses villes par des bombardements massifs. </p>
<p>La violence de la bataille militaire, la souffrance infligée à la population ukrainienne, et l’ampleur de la destruction sur le terrain questionnent l’utilité des organisations internationales, qui paraissent démunies voire insignifiantes. </p>
<p>Au point que certains diagnostiquent l’ONU en état de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/17/guerre-en-ukraine-l-onu-en-etat-de-mort-cerebrale_6130858_3210.html">« mort cérébrale »</a> selon la célèbre formule utilisée par Emmanuel Macron sur l’OTAN.</p>
<p>Il faut pourtant y regarder de plus près.</p>
<h2>La crise du Conseil de sécurité de l’ONU</h2>
<p>Que le Conseil de sécurité de l’ONU soit en crise est peu discutable. Saisi dès le lendemain de l’invasion (25 février 2022) d’un projet de résolution visant à « déplorer l’agression » de l’Ukraine, il s’est d’emblée trouvé bloqué par un veto russe (la Chine et l’Inde s’abstenant). Certes, les représentants des États membres du Conseil de sécurité hostiles à l’intervention russe ne se sont pas privés de la condamner fermement et régulièrement depuis. Le président Zélensky a lui-même été associé par visioconférence <a href="https://www.tf1info.fr/international/en-direct-guerre-ukraine-russie-zelensky-poutine-missile-frappe-le-centre-commercial-de-krementchouk-reunion-conseil-securite-de-l-onu-les-informations-de-mardi-28-juin-2022-2224556.html">à deux sessions du Conseil</a> pour y témoigner des atrocités commises contre les civils ukrainiens.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<p>Pour le reste, la meilleure chose que le Conseil de sécurité a pu faire a été de transmettre le dossier à l’Assemblée générale de l’ONU par le vote du 27 février 2022 visant à convoquer une « session extraordinaire d’urgence » de l’Assemblée. Comme ce vote procédural ne permet pas l’exercice du veto, la Russie n’a pu le bloquer.</p>
<p>La paralysie du Conseil de sécurité de l’ONU sur la guerre en Ukraine est néanmoins grave car c’est la troisième fois en vingt ans que le Conseil est empêché de jouer son rôle face à des guerres majeures. En 2003, la guerre décidée par l’administration Bush contre l’Irak avait été lancée sans soutien du Conseil de sécurité en raison de l’opposition annoncée de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/jacques-chirac-le-non-de-la-france-a-la-guerre-d-irak-en-2003--26-09-2019-2337957_24.php">France</a>, de la Russie et de la Chine. Le Conseil de sécurité a également été empêché d’agir pendant les dix ans de guerre en Syrie (2011-2020) par <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1267256/aide-humanitaire-en-syrie-lenjeu-dun-veto-russe.html">16 vetos russes</a>. Le Kremlin, déjà, combinait l’écrasement sous les bombes des villes syriennes rebelles et une obstruction systématique au Conseil de sécurité à l’encontre de tous les projets de résolutions susceptibles d’indisposer Bachar-Al-Assad et/ou de gêner sa propre intervention militaire à ses côtés.</p>
<h2>Dire le droit, désigner l’agresseur, soutenir l’Ukraine</h2>
<p>Mais le Conseil de sécurité de l’ONU ne représente pas toute l’Organisation, et encore moins l’ensemble des organisations internationales.</p>
<p>La saisine de l’Assemblée générale de l’ONU en « session extraordinaire d’urgence » a réactivé <a href="http://uniting.free.fr/res_377.htm">« la jurisprudence Acheson »</a> : la mobilisation de l’Assemblée pour pallier le blocage du Conseil de sécurité, qui remonte au précédent créé en 1950 à l’initiative du Secrétaire d’État américain, Dean Acheson, au début de la guerre du Corée. Utilisée à dix reprises seulement depuis 1950, cette convocation de l’Assemblée générale trois jours après l’invasion de l’Ukraine traduit bien la gravité de la crise.</p>
<p>Dès le 2 mars, l’Assemblée adopte une résolution intitulée « Agression contre l’Ukraine » par 141 voix pour (soit près des ¾ des États membres de l’ONU), 35 abstentions, et 5 votes contre. La Russie, qui a évidemment voté contre, n’a été soutenue que par un quarteron des pires dictatures du monde (Biélorussie, Érythrée, Syrie, Corée du Nord). Parmi les abstentionnistes issus essentiellement des pays du Sud, figurent notamment la Chine et l’Inde.</p>
<p>La mobilisation de l’Assemblée générale de l’ONU se poursuit à mesure que les preuves d’exactions contre les civils ukrainiens s’accumulent. Dans une nouvelle résolution adoptée le 24 mars avec encore 140 voix, elle « condamne fermement les attaques aveugles et disproportionnées, y compris les bombardements frappant sans discrimination ».</p>
<p>De son côté, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (47 États élus par l’Assemblée générale pour un mandat de 3 ans) se mobilise également rapidement. Dès le 4 mars, il adopte une résolution dans laquelle il « déplore les souffrances du peuple d’Ukraine » et « condamne dans les termes les plus forts possibles les violations du droit international humanitaire résultant de l’agression de l’Ukraine ». Le 12 mai, il « condamne fermement » les attaques dirigées contre « des zones résidentielles, des écoles, des jardins d’enfants et des installations médicales », le recours aux bombes à sous-munitions, les « actes de torture », les « exécutions arbitraires et extrajudiciaires », les « disparitions forcées », les « violences sexuelles », les « transferts forcés de population et les violations et atteintes commises contre des enfants ».</p>
<p><em>[Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.]</em></p>
<p>D’autres organisations internationales s’associent à la réprobation de la guerre. A l’OMS, par exemple, l’Assemblée mondiale de la Santé adopte, le 26 mai, une résolution condamnant « avec la plus grande fermeté » l’invasion de l’Ukraine et, en particulier, les <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220408-ukraine-%C3%A0-mykolaiv-pourquoi-ont-ils-d%C3%A9cid%C3%A9-de-bombarder-un-h%C3%B4pital-p%C3%A9diatrique">attaques très nombreuses contre ses infrastructures de santé</a> (plus de 250 en trois mois de conflit).</p>
<p>L’Union européenne (UE), enfin, joue un rôle essentiel dans le soutien à l’Ukraine et la condamnation de l’offensive russe. L’initiative de solidarité européenne la plus importante est le soutien apporté à la candidature de l’Ukraine à l’UE. En visite à Kiev le 8 avril, Ursula von der Leyen et Josep Borrell transmettent au président Zélensky un document formalisant la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Le 23 juin, le Conseil européen accorde officiellement <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/ukraine-quatre-questions-sur-le-statut-de-candidat-a-lunion-europeenne-1415460">à l’Ukraine le statut de candidat à l’adhésion à l’UE</a>. A contrario, les représentants de l’UE dénoncent régulièrement les violences de l’armée russe. A Tokyo, le 12 mai, Ursula von der Leyen déclare que la Russie de Poutine représente la « menace la plus directe pour l’ordre international ».</p>
<h2>Documenter les crimes et sanctionner la Russie</h2>
<p>Du fait de la mobilisation de plusieurs organisations internationales, la guerre en Ukraine apparaît comme l’un des conflits contemporains où la traque des crimes de guerre se fait quasiment en temps réel. Le 1<sup>er</sup> avril, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU institue ainsi une <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115652">Commission d’enquête</a> avec pour mandat de mener des investigations sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire commis en Ukraine.</p>
<p>De son côté, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, <a href="https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-reception-de">ouvre le 2 mars 2022 une enquête au nom de la Cour</a>. L’Ukraine a accepté la compétence de la Cour pour les allégations de crimes commis sur son territoire depuis 2014. En visite à Boutcha le 13 avril 2022, Karim Khan déclare que « l’Ukraine est une scène de crime ». Le 14 mai, il annonce l’envoi de 42 enquêteurs en Ukraine.</p>
<p>L’association des organisations internationales aux sanctions contre la Russie prend des formes multiples. La sanction la plus immédiate consiste à exclure Moscou d’un certain nombre d’enceintes. Le 7 avril, l’Assemblée générale de l’ONU décide ainsi de <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/04/1117912">suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme</a>. Le seul précédent d’une suspension d’un État au Conseil des droits de l’homme de l’ONU est celui la Libye de Kadhafi en 2011. A l’échelle régionale, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (organisation paneuropéenne de 47 États dont la Russie était membre depuis 1996) prend également des mesures de rétorsion à l’égard de la Russie, suspendue dès le 25 février, puis exclue de l’organisation le 16 mars.</p>
<p>De son côté, l’Union européenne adopte une série de sanctions multiformes contre la Russie, étendues à six reprises depuis le début du conflit.</p>
<h2>Dissuader de futures agressions ?</h2>
<p>La seule organisation capable d’exercer un pouvoir de dissuasion sur la Russie est l’OTAN. Après des années d’enlisement en Afghanistan et un désinvestissement tendanciel des États-Unis dans la sécurité de l’Europe, la guerre en Ukraine <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/03/12/comment-l-otan-s-est-elargie-en-europe-de-l-est_6117186_4355770.html">relance l’OTAN à grande échelle</a> : activation de sa force de réaction rapide, mise en état d’alerte de 300 000 hommes, transferts de troupes sur son flanc oriental, retour de troupes américaines en Europe à hauteur de 100 000 hommes (contre 64 000 en 2020), aide militaire à l’Ukraine.</p>
<p>Par ailleurs, le 18 mai, la Suède et la Finlande, deux États historiquement neutres, déposent des demandes d’adhésion. Les objections formulées un temps par Erdogan, au motif que les deux États nordiques ne coopèrent pas avec Ankara dans la lutte contre les combattants kurdes du PKK, sont levées lors du sommet de Madrid de l’OTAN (28-30 juin). L’adhésion effective des deux pays nordiques reste toutefois conditionnée à la ratification des 30 États membres actuels de l’OTAN, Turquie incluse.</p>
<p>Il aurait été dans les intérêts de Poutine que la guerre en Ukraine apparaisse aux yeux du monde comme une opération de maintien de l’ordre géopolitique local de la Russie dans sa « sphère d’influence » historique. Il n’en a rien été. La guerre est majoritairement perçue à l’ONU et en Europe comme une guerre d’agression contre un État souverain, semant la dévastation en Ukraine, déstabilisant l’ordre international, et dressant une liste de crimes de guerre chaque jour plus longue.</p>
<p>Les organisations internationales et européennes ont joué leur partition dans cette délégitimation collective de l’invasion de l’Ukraine, en qualifiant l’agression et en témoignant, pour l’avenir et pour la justice internationale, de l’ampleur des violences infligées à la population ukrainienne. L’ordre européen en sort également bouleversé : l’Union européenne et l’OTAN ont fait preuve, dans l’ensemble, d’une mobilisation sans précédent pour faire face à l’impérialisme de la Russie de Poutine.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186520/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Franck Petiteville ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si le Conseil de sécurité de l’ONU montre une nouvelle fois ses limites face au conflit ukrainien, d’autres instances internationales se mobilisent.Franck Petiteville, Professeur de science politique, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1770862022-02-15T17:25:12Z2022-02-15T17:25:12ZDroit de la concurrence : l’arrêt Intel marque-t-il une rupture ?<p>L’annulation d’une décision de la Commission par le tribunal de l’Union européenne sur la base de la non-prise en considération de l’ensemble des circonstances de l’espèce ne devrait pas a priori intéresser les lecteurs, sauf ceux qui se passionnent pour le droit processuel de l’UE.</p>
<p>Cependant, un tel arrêt peut revêtir des dimensions remarquables, comme en ont témoigné les nombreuses réactions à la diffusion du communiqué de presse du 26 janvier 2022 relatif à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/26/intel-voit-son-amende-de-1-milliard-d-euros-annulee-par-la-justice-europeenne_6111070_3234.html">l’annulation d’une décision sanctionnant Intel</a>, géant américain de semi-conducteurs, et lui imposant une amende de plus d’un milliard d’euros, pour abus de position dominante.</p>
<p>Premièrement, l’affaire est une des grandes sagas du droit de la concurrence européen. La plainte a été initialement déposée en octobre 2000. La procédure a été ouverte en 2004. La décision rendue en mai 2009. C’est bien cette décision rendue il y a 13 ans qui a été annulée, liée à une plainte déposée il y a 22 ans pour des pratiques ayant débuté en 1997 (25 ans donc). Cette décision représentait en outre un record en matière d’amende pour un abus de position dominante : il faudra attendre les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2021/11/10/l-ue-valide-une-amende-de-2-4-milliards-d-euros-contre-google-pour-pratiques-anticoncurrentielles_6101628_4408996.html">sanctions pour pratiques anticoncurrentielles concernant Google</a> en 2017, 2018 et 2019 pour voir ce record battu.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1486376769880010759"}"></div></p>
<p>Pourquoi, une décision de 2009 est-elle annulée en 2022 ? L’explication est le deuxième intérêt de l’affaire. Le tribunal, qui vient d’annuler la décision l’avait pourtant confirmée en appel en 2014 ! L’explication est à rechercher dans un arrêt de la Cour de Justice, laquelle est intervenue en cassation en 2017. Celle-ci se basait sur un argument central : le tribunal n’avait pas examiné les effets des rabais mis en cause pour caractériser l’éviction anticoncurrentielle d’AMD, également fabricant américain de semi-conducteurs, par Intel. C’est sur la base de cette évaluation que le tribunal annule la décision.</p>
<p>Techniquement, l’annulation repose sur un point de droit : c’est une question de procès équitable, d’attribution de la charge de la preuve et de son standard (c’est-à-dire de son degré d’exigence). La forme que prend un rabais de fidélité accordé par une entreprise dominante (même s’il conduit à une quasi-exclusivité) ne suffit pas à entraîner une sanction pour pratiques anticoncurrentielles : il faut démontrer l’existence d’un effet anticoncurrentiel.</p>
<h2>Approche par les effets</h2>
<p>Or, la Commission a, selon le tribunal, qui a repris en 2022 des tests qu’il n’avait pas contrôlés en 2014, n’a pas répondu à cette exigence et a commis des erreurs viciant son analyse. Ainsi, le tribunal réhabilite l’approche plus économique ou approche par les effets que la Commission défendait… en 2009 (au travers d’une communication sur ses orientations en matière d’application de l’article 82 (actuel <a href="https://eur-lex.europa.eu/eli/treaty/tfeu_2008/art_102/oj">article 102</a> du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou TFUE) aux abus d’éviction mis en œuvre par des entreprises dominantes). C’est un autre point qui explique le retentissement qu’a eu l’annulation de la décision de la Commission. L’approche par les effets conduit à sanctionner une pratique si et seulement si son effet sur le bien-être du consommateur est négatif.</p>
<p>Ce critère a été vivement critiqué ces dernières années. Les difficultés liées à son application conduiraient à une sous-application des règles de concurrence, à tolérer des pratiques permettant des opérateurs dominants à infliger des dommages irréversibles à la concurrence. Bref, elles conduiraient à un biais pro-défendeur.</p>
<p>Ces effets sont souvent mis en avant pour expliquer une application insuffisante des règles de concurrence aux États-Unis. C’est l’une des causes du phénomène que l’économiste français Thomas Philippon a appelé <a href="https://www.parisschoolofeconomics.eu/fr/actualites/11-decembre-conference-de-thomas-philippon-the-great-reversal-how-america-gave-up-on-free-markets/"><em>The great reversal, how America gave up on free markets</em></a> (le grand renversement, comment l’Amérique a renoncé à la liberté des marches). Ce phénomène a été longtemps dénoncé par les juristes américains <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2019/01/02/32001-20190102ARTFIG00185-lina-khan-la-juriste-qui-fait-trembler-amazon.php">Lina Khan</a> ou <a href="https://globalreports.columbia.edu/books/the-curse-of-bigness/">Tim Wu</a>… avant que ces derniers accèdent au printemps 2021 respectivement <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/06/16/lina-khan-une-farouche-critique-des-gafa-nommee-a-la-tete-de-l-antitrust-americain_6084421_3234.html">à la tête de la FTC</a> (Federal Trade Commission, le régulateur américain de la concurrence) et à un <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/05/technology/tim-wu-white-house.html">poste de conseiller économique</a> du président Joe Biden.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1405441819991855105"}"></div></p>
<p>En effet, cette approche est battue en brèche depuis l’alternance de 2021. Dans le même temps, l’exemple européen a inspiré de nombreuses propositions de réformes du droit de la concurrence américain, tant au niveau de l’État fédéral (le <a href="https://judiciary.house.gov/uploadedfiles/competition_in_digital_markets.pdf">rapport</a> bipartisan de la Chambre des Représentants en octobre 2020) qu’au niveau des États fédérés (projets en 2021, d’introduire un abus de position dominante dans la loi antitrust de l’État de New York ou de réguler les plates-formes comme des industries de réseaux dans l’État de l’Ohio).</p>
<p>Doit-on conclure que l’arrêt Intel marque une rupture ? Annonce-t-elle un retour des juridictions européennes à des outils aujourd’hui objets de très vifs débats et de critiques acerbes aux États-Unis ?</p>
<p>L’enjeu est de taille car l’arrêt peut être lu comme un premier coup d’arrêt donné une politique bien plus vaste : celle de la régulation concurrentielle des Big Tech. Le <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-markets-act-ensuring-fair-and-open-digital-markets_fr">Digital Markets Act</a> est en cours d’adoption (il a été proposé en décembre 2020 par la Commission) et constitue une volonté d’encadrer les firmes en question par des règles ex ante et non par l’activation des règles de concurrence ex post.</p>
<h2>Une dynamique remise en cause ?</h2>
<p>De la même façon, le tribunal a confirmé en novembre 2020 la décision de la Commission concernant <a href="https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/droit-economique/35258/google-shopping-le-tribunal-de-l-union-confirme-l-abus-de-position-dominante-de-google">l’abus de position dominante de Google Shopping</a> de 2017. Or, cet arrêt vient de faire l’objet d’un <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/google-fait-appel-dune-amende-de-24-milliards-deuros-infligee-par-bruxelles-1426123">recours</a> devant la Cour de justice de l’Union européenne. Sachant que le recours de Google repose sur un défaut argué de démonstration des effets des pratiques qui lui sont reprochées, l’enjeu est de taille. Il l’est d’autant plus que le tribunal va rendre possiblement un arrêt en 2022 sur la décision Google Android de 2018, décision dans laquelle encore la question des effets est au cœur du recours.</p>
<p>Cette décision pourrait donc remettre en cause la dynamique initiée par l’UE… à un moment où les efforts américains apparaissent comme conditionnés au résultat des midterms, les élections législatives de mi-mandat, de novembre 2022 qui pourraient faire perdre le Sénat aux démocrates.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1484475630880268288"}"></div></p>
<p>Doit adopter une telle vision ? Cela n’est pas acquis, au moins pour trois raisons.</p>
<p>L’affaire Intel porte certes sur un géant de la Tech mais il s’agit d’une procédure basée sur une pratique anticoncurrentielle très classique, dont les précédents cas avaient été traités dans le domaine aérien et dans celui des pneumatiques. Nulle économie des plates-formes ou des algorithmes ici mais une affaire très classique de rabais de fidélité par lesquels un opérateur dominant peut évincer des concurrents de plus petite taille qui ne peuvent de ce fait y répondre.</p>
<p>En d’autres termes, AMD pourrait avoir été évincé parce que seul un opérateur dominant pouvait proposer de telles offres. Il ne pouvait répliquer les offres de l’opérateur dominant. Le Digital Markets Act européen, quant à lui, traite de questions autres : la contestabilité des marchés numériques structurés autour de grandes plates-formes et les distorsions de concurrence dans les écosystèmes numériques. Ce n’est pas du droit de la concurrence mais un instrument de réglementation des marchés numériques présenté comme complémentaires à celui-ci.</p>
<p>Ensuite, si l’arrêt Intel semble réhabiliter l’approche plus économique et si effectivement le Tribunal a noté des erreurs factuelles dans le raisonnement économique de la Commission, l’annulation de la décision s’est faite sur des questions de standards juridiques. Le tribunal ne dit pas que les rabais n’avaient pas d’effets anticoncurrentiels, mais que</p>
<blockquote>
<p>« l’analyse de la Commission ne permet pas d’établir à suffisance de droit que les rabais litigieux étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets anticoncurrentiels ».</p>
</blockquote>
<p>En outre, il faut noter que les rabais n’étaient pas la seule pratique reprochée à Intel : il y avait aussi des restrictions non déguisées. Or, toute la décision a été annulée. Que doit-on conclure pour les autres pratiques ? Rappelons que selon le <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2009:227:0013:0017:FR:PDF">point 23 de la décision de 2009</a>, la Commission avait reproché à Intel d’avoir :</p>
<blockquote>
<p>« octroyé des paiements à Media Saturn Holding (MSH), le plus grand distributeur européen d’ordinateurs de bureau, à la condition que ce dernier vende exclusivement des PC équipés de processeurs Intel. Ces paiements sont d’effet équivalent aux rabais conditionnels accordés aux équipementiers informatiques ».</p>
</blockquote>
<p>Ces pratiques sont-elles également concernées par la qualification d’incomplète appliquée par le Tribunal à l’analyse réalisée par la Commission ?</p>
<p>Enfin, il faut prendre en compte le fait que l’arrêt pourra faire l’objet d’un pourvoi en cassation (sur des points de droit) devant la Cour de Justice de l’Union européenne. Des questions pourront alors y être soulevées par la Commission.</p>
<p>Au final, l’arrêt du Tribunal est intéressant en plusieurs points. Il démontre l’importance dans les affaires de concurrence d’une analyse au cas par cas des pratiques concernées et la nécessité de considérer avec circonspection les agissements des entreprises dominantes. Si des stratégies visant à renforcer la concurrence leur sont ouvertes, des stratégies d’entraves doivent être sanctionnées. L’arrêt souligne ensuite le caractère déterminant des garanties légales en matière de respect de droit de la défense et de droit à un procès équitable. L’argumentaire central du tribunal ne porte pas sur la discussion du test économique – en l’espèce le test du « concurrent aussi efficace » – mais sur une question de standard de la preuve. Une présomption simple n’exonère pas la Commission d’une analyse des effets.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/177086/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Marty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’annulation de la sanction européenne visant le fabricant américain de semi-conducteurs européen pour abus de position dominante traduit-elle une nouvelle évolution de la doctrine juridique ?Frédéric Marty, Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), chercheur au GREDEG, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1679262021-09-23T20:18:37Z2021-09-23T20:18:37ZIl n’y aura pas d’Europe verte sans politique industrielle à Bruxelles<p>L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux pour le climat. Elle ne peut espérer les atteindre sans une politique industrielle d’une même ambition. Drôle de thèse ! N’est-ce pas l’industrie qui pollue et s’active pour défendre ses intérêts dans les couloirs de la Commission européenne ? Et puis, les politiques industrielles se décident à Paris, Rome ou Berlin. Est-ce l’affaire de Bruxelles ? Ne fleurent-elles pas bon aussi la planification bureaucratique et le protectionnisme économique ? Les tentatives de la Commission de créer des Airbus de tous poils – des batteries pour véhicules électriques à l’avion zéro carbone en passant par l’hydrogène propre – ne sont-elles pas dès lors inévitablement vouées aujourd’hui à l’échec ? Eh bien non !</p>
<p>Il est difficile de saisir l’ampleur des transformations industrielles qu’exige le passage à une économie européenne complètement décarbonée pour le milieu du siècle. Déjà, l’étape intermédiaire en 2030, qui prévoit une réduction de 55 % des émissions de carbone (par rapport au niveau de 1990), suppose des mouvements tectoniques. Imaginez un parc de véhicules pour moitié fabriqués sans moteur thermique contre environ 1 % aujourd’hui. Imaginez encore des usines d’aluminium, d’acier ou d’ammoniac passées à l’électricité ou à l’hydrogène verts. Vous n’y arrivez pas ? Disons alors qu’il faudrait <a href="https://confrontations.org/pdeweverconfrontations-org/hydrogene-pour-quoi-faire-et-pourquoi-faire/">5 réacteurs nucléaires ou 10 000 éoliennes</a> pour remplacer seulement le dihydrogène produit à partir de produits pétroliers ou de charbon et utilisé aujourd’hui en France par l’industrie. Si j’alignais les <a href="https://ecipe.org/publications/eu-green-deal/">centaines de milliards d’euros d’investissements supplémentaires nécessaires</a> pour la seule augmentation de l’objectif à atteindre en 2030 qui a été décidée cet été (de 47 à 55 % de réduction), cela ne vous parlerait sans doute pas plus.</p>
<h2>Emplois en moins</h2>
<p>Oublions donc les chiffres un instant et rappelons-nous des révolutions industrielles de nos manuels scolaires d’histoire, qualifiées de première et de seconde, ou plus joliment nommées de la machine à vapeur et de l’électricité. Eh bien, décarboner l’économie revient à réaliser intentionnellement une révolution industrielle et lui fixer en plus une date butoir. Une date très proche de surcroît puisque nous nous laissons maintenant un peu moins de 30 ans pour accomplir ce tour de force.</p>
<p>La référence à la notion de révolution industrielle permet également de prendre conscience de la déflagration destructrice qui l’accompagne : pas de révolution industrielle sans élimination de pans entiers d’activités, de technologies dépassées et de compétences et métiers devenus inutiles.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/421147/original/file-20210914-17-1qhk84x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution de l’emploi après l’abandon du programmé du charbon en Allemagne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0360544220301110">Coal phase-out in Germany: Implications and policies for affected regions (2020).</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour rester dans la tonalité historique et offrir un seul exemple prenons celui de l’abandon programmé du charbon et du lignite en l’Allemagne. Il revient à déclasser une technologie qui représente plus du quart de la production d’électricité du pays, entraîne une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0360544220301110">perte de 200 000 emplois directs</a>, en particulier du secteur minier, et retire plusieurs milliards d’euros de valeur ajoutée à l’économie de trois petites régions.</p>
<p>Il convient donc d’accompagner cette nouvelle révolution d’aides publiques massives à la reconversion des personnes, des entreprises et des territoires condamnés au déclin. L’Union européenne l’envisage déjà à travers le <a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal/finance-and-green-deal/just-transition-mechanism_fr#qui-en-bnficiera">Fonds pour une transition juste</a> destiné aux régions et secteurs à forte intensité de carbone. Ce volet social et économique, essentiel pour limiter les effets négatifs considérables de la transition, ne doit cependant pas être vu comme un pilier central de la politique industrielle verte. Il n’en est même pas une composante dès lors que l’on en adopte une définition resserrée, à savoir une intervention publique ciblée sur des technologies et des secteurs pour accroître leur rôle dans l’économie de demain ainsi que la productivité, le moteur de sa croissance.</p>
<p>En d’autres termes, la politique industrielle vise à orienter le système productif <a href="https://academic.oup.com/wbro/article-abstract/21/2/267/1682363">vers des activités qui offrent les meilleures perspectives</a>. Il ne faut pas la comprendre comme l’ensemble des actions de l’état qui affectent l’industrie et les entreprises et inclurait donc la taxation des profits ou la politique de concurrence. Dans le jargon économique, ces interventions sont dites horizontales car elles affectent toutes les entreprises et industries, tandis que la politique industrielle est sélective parce que centrée sur certaines d’entre elles. Elle est verticale.</p>
<h2>Pas de boules de cristal fiables…</h2>
<p>Sur le plan théorique, la politique industrielle ne manque pas de justifications économiques. Le changement structurel d’un système productif se heurte en effet à de nombreux effets externes qui freinent et rendent moins efficaces les initiatives privées. Les principaux concernent les retombées de l’innovation et les bénéfices de la coordination. Les innovations sont souvent utiles à d’autres entreprises que les pionnières et même à d’autres industries que celles où elles sont nées.</p>
<p>Ces bénéfices n’entrant pas dans la poche des innovateurs, le niveau d’investissement dans les nouvelles techniques pour les inventer, les développer ou encore les déployer sera insuffisant par rapport aux besoins de la société. De même lorsqu’une entreprise investit dans telle zone ou dans tel segment d’activité, d’autres vont en profiter, et ce manque à gagner individuel pénalisera la constitution d’écosystèmes industriels cohérents et efficaces. La politique industrielle sert à pallier de telles externalités.</p>
<p>Cette légitimation n’empêche pas des prises de position défavorables à l’idée même de politique industrielle, y compris de <a href="https://editions.flammarion.com/10-idees-qui-coulent-la-france/9782081334946">la part de nombreux économistes</a>. Elles trouvent leur source dans des obstacles à sa mise en œuvre, jugés rédhibitoires : faute des bonnes informations et de boules de cristal fiables, la puissance publique est incapable de sélectionner les technologies de demain ainsi que les entreprises qui en seront les futures championnes ; elle devient dès lors la proie rêvée des lobbies les plus puissants et aide finalement ceux qu’il ne faut pas. La meilleure politique industrielle serait alors de ne pas en avoir.</p>
<p>Cette vision d’un remède pire que le mal est de moins en moins partagée, même <a href="https://www.bruegel.org/2011/06/rethinking-industrial-policy/">parmi les économistes</a>, car les gouvernements adoptent des approches nouvelles et <a href="https://drodrik.scholar.harvard.edu/files/dani-rodrik/files/rebirth_of_industrial_policy_and_an_agenda_for_the_21st_century.pdf">plus avisées</a> : transparence des discussions, approfondissement des motivations, suivi et contrôle des aides, évaluation d’étape, clause d’extinction, ou encore subvention remboursable sont devenues choses courantes.</p>
<p>La politique industrielle verte s’inscrit dans ce cadre général, même si elle connaît <a href="https://drodrik.scholar.harvard.edu/files/dani-rodrik/files/green_industrial_policy.pdf">quelques particularités</a>. En premier lieu, d’autres externalités les justifient. Il s’agit principalement de l’absence d’un prix du carbone suffisamment élevé et d’une visibilité sur sa trajectoire future. En second lieu, elle concerne un ensemble technologique et industriel très large : du secteur de l’énergie (infrastructures, production, services) en passant par les activités de l’économie circulaire et de la gestion de l’eau jusqu’aux industries qui sont obligées de verdir leurs procédés et leurs produits (chimie, automobile, transport aérien, etc.). En troisième lieu, elle doit permettre de réaliser des gains de productivité y compris en capital naturel, c’est-à-dire en économisant les ressources naturelles.</p>
<p>Les premiers penseurs de l’économie, les physiocrates, considéraient seule la Terre comme facteur de production de richesse ; leurs successeurs uniquement le travail et le capital. L’état de la planète exige d’ajouter le facteur Terre, mais cette fois comprenant aussi bien l’atmosphère et l’océan que le sol nécessaire à la production agricole. Ces ressources étant le plus souvent d’accès peu restreint et exploitables à bon marché, tout l’enjeu des politiques climatiques est d’en réduire l’accès et d’en renchérir l’utilisation pour inciter à les économiser. Mais elles doivent s’accompagner de politiques industrielles pour y parvenir plus vite et de façon plus efficace, et surtout sans que ces gains soient obtenus par pure substitution en utilisant plus de capital et plus de travail.</p>
<p>J’espère vous avoir éclairé sur le bien-fondé des politiques industrielles et la pertinence d’en lancer des vertes mais reste alors la question de l’implication de Bruxelles. L’Union européenne n’est pas un État souverain et la politique industrielle n’est pas de son ressort, contrairement, par exemple, à la politique de concurrence. La Commission a pourtant pris début 2020 une série d’initiatives, un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_416">« paquet de politique industrielle »</a> dans le jargon bruxellois qui comprend explicitement un volet pour aider la transition verte. Il contient une série d’objectifs, comme la création de marchés porteurs pour les technologies propres, ainsi qu’une série de programmes d’action dans certains domaines à l’instar de <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0102&from=EN">celui de l’acier zéro carbone</a>. Dans le cadre du plan de relance post-Covid (750 milliards d’euros sur 2021-2024), l’UE a également requis que près du tiers soit consacré à des investissements verts.</p>
<p>Ces exemples illustrent bien l’un et l’autre <a href="https://www.bruegel.org/wp-content/uploads/2020/12/Bruegel_Blueprint_31_Complete_151220.pdf">deux façons d’agir</a> au niveau européen, soit classiquement par une politique verticale, soit en « verticalisant » une politique horizontale. Pour cette dernière, citons aussi le fléchage du programme de R&D européen à hauteur de 35 % de son budget pour les travaux liés à la conservation de la planète et son climat.</p>
<h2>Stratégie d’alliance</h2>
<p>On aurait pu aussi mentionner le Semestre européen, instance de discussion et de coordination des politiques nationales et son agenda sur les politiques industrielles vertes. Pour la première façon d’agir, développons le cas des alliances. Il porte sur l’instrument le plus spécifique et novateur de la politique industrielle européenne ainsi que le plus emblématique de son volet vert. La première du genre, <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2021/02/OSFME-R6-Lalliance-europ%C3%A9enne-des-batteries.pdf">« l’Airbus des batteries »</a> en langage journalistique, a été lancée en 2017. Elle a depuis été suivie par la création d’alliances industrielles dans <a href="https://ec.europa.eu/growth/industry/policy/industrial-alliances_en">l’économie circulaire des plastiques, des matières premières et de l’hydrogène propre</a>.</p>
<p>Le principe des alliances est de constituer des chaînes de valeur transnationales en favorisant la création de consortiums européens. Elles mettent en réseau les acteurs privés et publics, les laboratoires et entreprises impliquées dans les différents stades de l’innovation ainsi que les entreprises intervenant aux différentes étapes de la chaîne de valeur.</p>
<p>L’alliance des batteries pour les véhicules électriques réunit ainsi dans une communauté de la connaissance et de l’innovation près d’un demi-millier de participants. Cet instrument original de politique industrielle ne propose pas de financement mais il ouvre les portes pour en obtenir via le dépôt de projets d’intérêt européen commun et la Banque européenne d’investissement.</p>
<p>C’est astucieux, car l’absence de guichet attitré permet de limiter le lobbying des chasseurs de subvention et facilite ainsi la formation de consortiums pertinents sur le plan des complémentarités techniques et industrielles. En outre, la perspective d’obtenir des fonds dans un second temps augmente les incitations des entreprises à se découvrir, s’échanger des informations, se réunir et élaborer des projets communs innovants et risqués.</p>
<p>Les projets de l’alliance des batteries bénéficient aujourd’hui d’un engagement de 20 milliards d’euros de financement, dont 6 d’aide publique. Celle-ci provient essentiellement des pays membres et la Commission s’est assurée que ces aides d’État étaient bien compatibles avec le maintien d’une concurrence loyale sur le marché européen.</p>
<p>La jeunesse des alliances industrielles rend difficile leur évaluation empirique en particulier la mesure de leur efficacité. Il me semble cependant que le succès devrait être aux rendez-vous. Elles correspondent en effet à l’approche nouvelle de la politique industrielle et leurs premiers résultats en matière de coordination et de diffusion des connaissances sont encourageants.</p>
<p>Les alliances industrielles illustrent plus largement l’intérêt de l’implication de l’Union européenne en matière de politique industrielle en général, et verte en particulier : elle permet de coordonner les politiques nationales, de limiter une compétition stérile entre les États à coup de subventions au détriment des voisins, tout en tirant bénéfice d’une émulation entre pairs, et d’inciter au développement de relations pan-européennes entre entreprises.</p>
<p>La politique industrielle verte fait le pari que l’industrie, bien que faisant partie du problème, est aussi une partie de la solution. L’Europe l’a compris et son implication en la matière est nécessaire pour espérer atteindre les objectifs climatiques ambitieux qu’elle s’est fixés.</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque vient de publier chez Odile Jacob <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">« Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global ? »</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167926/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’économie actuelle demande une transformation une telle ampleur que la coordination apparaît indispensable – au risque de manquer les objectifs qui ont été fixés.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1685962021-09-23T20:18:05Z2021-09-23T20:18:05ZLe couple franco-allemand sous Angela Merkel : quatre mariages sans enterrement<p>Autant commencer par la fin : il y a seize mois, en mai 2020, la chancelière réveillait le couple franco-allemand d’un long sommeil avec la désormais fameuse <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/05/18/initiative-franco-allemande-pour-la-relance-europeenne-face-a-la-crise-du-coronavirus#:%7E:text=Pour%20soutenir%20une%20reprise%20durable,concentr%C3%A9e%20sur%20ses%20premi%C3%A8res%20ann%C3%A9es.">initiative franco-allemande pour une relance européenne</a> de l’économie frappée par la pandémie de Covid-19. Ce faisant, avec son homologue français Emmanuel Macron, elle relançait une construction européenne lestée depuis une décennie d’un empilement de crises…</p>
<p>Deux mois plus tard, elle <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/elections-en-allemagne/apres-un-nouveau-revers-electoral-angela-merkel-annonce-qu-elle-ne-se-representera-pas-a-la-presidence-du-parti-cdu_3008913.html">annonçait</a> qu’elle ne briguerait pas un cinquième mandat et se concentrait sur « sa » <a href="https://www.eu2020.de/eu2020-fr">présidence allemande de l’UE</a> (1er juillet-31 décembre 2020). Lors des Conseils européens de juillet puis de décembre 2020, elle joua, avec le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, un rôle éminent dans l’élaboration des compromis entre les pays « frugaux » et tous les autres, puis entre les gouvernements illibéraux et tous les autres, pour que le plan de relance soit définitivement rédigé, adopté et lancé.</p>
<p>Avec un grand sens du timing et de l’opportunisme politique, Angela Merkel (2005-2021) s’est donc inscrite <em>in extremis</em> dans la tradition de la démocratie chrétienne qui fait des grands chanceliers des bâtisseurs franco-allemands de l’Europe.</p>
<h2>Rechercher le compromis avec Paris pour préserver l’UE…</h2>
<p>Jusqu’alors, elle s’était contentée de tenir la boutique de la construction européenne. Elle a maintenu la maison européenne solide sur ses fondations, mais n’a eu l’idée ni l’audace (ni l’envie ?) de la développer ni de la mettre en chantier. Durant seize années, elle s’est ingéniée, avec talent et réussite, à ne jamais froisser son partenaire français, à éviter un déchirement de l’UE, à faire accoucher les Conseils européens des chefs d’État et de gouvernement de compromis opérationnels.</p>
<p>En juillet 2015, en pleine crise grecque, elle a ainsi fait, avec François Hollande (2012-2017), la <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/07/13/20002-20150713LIVWWW00007-grece-hollande-tsipras-merkel-et-trusk-proposent-un-projet-de-compromis.php">synthèse</a> entre les dirigeants exaspérés – dont son propre ministre des Finances Wolfgang Schaüble – qui envisageaient un Grexit, et les dirigeants qui privilégiaient la poursuite des plans d’aide à la Grèce alors dirigée par le gouvernement de gauche radicale d’Alexis Tsipras.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PntHI232CNk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Angela Merkel : 16 ans de pouvoir, quatre présidents français • France 24, 17 septembre 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>En octobre 2011, elle s’était finalement entendue avec Nicolas Sarkozy (2007-2012) sur un effacement partiel de la dette grecque détenue par les créanciers privés, principalement des banques, <a href="http://www.slate.fr/story/45589/fesf-europe-dette-accord">convoquées à Bruxelles dans la nuit du 27 octobre</a> par Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Herman Van Rompuy (président du Conseil européen à l’époque) et Christine Lagarde (alors directrice du FMI). Suivraient la création d’un fonds monétaire européen permanent (le <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/qu-est-ce-que-le-mecanisme-europeen-de-stabilite-mes/">MES, mécanisme européen de stabilité</a>) et le <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20386/st00tscg26-fr-12.pdf">TSCG (traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro)</a> appelé « pacte budgétaire ».</p>
<p>Ces dispositifs portent la marque du compromis entre l’approche française, favorable à un endettement public européen plus souple et mutualisé d’une part ; et l’approche de la majorité des pays de l’UE et de la société allemande d’autre part, peu enclines à la générosité avec les États en difficulté en raison de politiques budgétaires qu’elles estimaient trop laxistes. Au final, la solidarité européenne prend alors la forme de prêts à taux bas et de garanties bancaires en contrepartie de réformes nationales structurelles et d’un examen mutualisé à l’échelle européenne de chaque budget national annuel.</p>
<h2>… et les intérêts bien compris des Allemands</h2>
<p>Ce faisant, Angela Merkel a édulcoré l’ordo-libéralisme allemand. Pourtant, on a <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques1-2014-2-page-118.htm">surtout retenu</a> que c’était elle-même qui avait imposé, pour prix du sauvetage de la zone euro, des plans de rigueur <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/pourquoi-au-juste-angela-merkel-est-elle-admiree.html">aux conséquences très douloureuses</a> aux pays bénéficiaires de ces « aides », notamment la Grèce.</p>
<p>Dans les faits, elle a, comme son prédécesseur immédiat Gerhard Schröder (1998-2005), le premier avant elle, normalisé la politique européenne de l’Allemagne : à l’image de ses homologues européens, et tout particulièrement Jacques Chirac (1995-2007), Angela Merkel a considéré que la construction européenne et la recherche d’un intérêt général européen ne devaient jamais être une fin en soi et primer sur les intérêts bien compris du pays qu’elle dirigeait et de l’état de son opinion publique. Ses gouvernements successifs ont ainsi été particulièrement attentifs à préserver <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2017/09/24/comprendre-lexcedent-allemand/">l’excédent commercial</a> et les capacités industrielles de l’Allemagne, ainsi que les revenus des <em>insiders</em> allemands (salariés couverts par les accords de branche, retraités, épargnants).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/cT2aHjwBqvg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Allemagne : une puissance nommée Merkel ? – Le dessous des cartes, Arte, 17 février 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les prédécesseurs de Merkel et Schröder (Konrad Adenauer, Willy Brandt, Helmut Schmidt, Helmut Kohl) ne fonctionnaient pas ainsi. Tout en étant à l’écoute des groupes d’intérêts au sein de leur pays, et tout en prenant parfois des décisions sans trop sacrifier à la concertation (<a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/55c09dcc-a9f2-45e9-b240-eaef64452cae/b3f1bdcb-928a-497d-96bc-e85a4c77cab8">Ostpolitik</a> de Brandt, <a href="https://books.openedition.org/septentrion/8960?lang=fr">refus du SME jusqu’en 1978 par Schmidt</a>, réunification allemande et reconnaissance de la Croatie par Kohl), ces chanceliers du second XX<sup>e</sup> siècle considéraient que faire émerger l’intérêt général européen était l’une des raisons d’être de l’Allemagne démocratique, humaniste et fédérale née en 1949.</p>
<p>Conséquents dans leur volonté d’approfondir la construction européenne, ces prédécesseurs d’Angela Merkel étaient très sensibles aux initiatives franco-allemandes propres à dynamiser l’UE : SME et élection du Parlement européen des années 1970 ; déploiement des euromissiles, franc soutenu par la Bundesbank, nouveau budget communautaire et marché unique dans les années 1980 ; monnaie unique et élargissements des années 1990. C’est bien pourquoi la mise en scène du couple franco-allemand a produit des souvenirs iconiques, comme la poignée de mains de Verdun entre Helmut Kohl et François Mitterrand devant l’ossuaire de Douaumont en 1984. La classe politique allemande accordait bien volontiers sa confiance aux instances supranationales européennes (Commission, Parlement).</p>
<h2>Un bilan franco-allemand modeste, relevé in extremis par le plan de relance…</h2>
<p>Angela Merkel a pour sa part constamment privilégié le Conseil européen comme lieu dominant du pouvoir européen. Elle ne soutint pas Jean‑Claude Juncker, dont elle fut pourtant si proche quand il dirigeait le Luxembourg et la zone euro, lorsqu’il proposa, en sa qualité de président de la Commission (2014-2019), un plan de relance de l’économie européenne que piloterait celle-ci.</p>
<p>Comme chancelière, Angela Merkel a même pris de façon unilatérale plusieurs décisions aux conséquences très importantes pour l’UE, comme la <a href="https://allemagne-energies.com/sortie-du-nucleaire/">sortie du nucléaire en 2011</a> (qui a considérablement augmenté la dépendance des Européens au charbon et au gaz russe), ou <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Le-31-aout-2015-Angela-Merkel-ouvre-frontieres-allemandes-refugies-2019-04-12-1201015262">l’accueil d’un million de personnes migrantes en 2015</a> suivi d’un <a href="https://www.senat.fr/rap/r16-038/r16-038_mono.html">accord</a> par lequel la Turquie retient les migrants sur son territoire moyennant finances.</p>
<p>Pendant ce temps, elle n’a pas proposé à ses quatre homologues français de plans visionnaires ou de dispositifs innovants, et n’a que peu saisi les propositions de ce type qu’ils lui ont adressées, que ce soit les eurobonds sous Sarkozy puis Hollande, ou <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-degre-dambition-de-macron-est-trop-eleve-pour-ses-partenaires-europeens-1163254">l’ambitieux catalogue d’initiatives nouvelles d’Emmanuel Macron</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0XlpARDlcIo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Sommet européen : consensus sur la Grèce, mais pas sur les eurobonds, Euronews, 24 mai 2012.</span></figcaption>
</figure>
<p>À l’exception du plan de relance pour faire face aux conséquences du Covid, le bilan européen et franco-allemand de Merkel est donc plutôt discret. Mais il est vrai que ce seul plan restera très probablement comme un tournant majeur de la construction européenne, une relance de celle-ci à l’image de celles enclenchées par le projet de Marché commun en 1956 et par le <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">Conseil européen de Fontainebleau en 1984</a>.</p>
<p>Avec ce plan de relance, Merkel a <a href="https://www.lepoint.fr/europe/plan-de-relance-europeen-la-cour-de-karlsruhe-donne-son-feu-vert-21-04-2021-2423268_2626.php">remis à sa place</a> le tribunal fédéral constitutionnel de Karlsruhe qui menaçait de rendre des arrêts entravant l’action déterminante de la BCE (conduite par Mario Draghi puis Christine Lagarde) et contestait la primauté du droit européen. Plus encore, en bifurquant à 180 degrés vers un endettement de l’UE finançant des dons aux États membres, elle a brisé l’idole des critères de Maastricht et de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/coronavirus-l-ordoliberalisme-allemand-semble-se-fissurer_6036242_3232.html">l’ordo-libéralisme</a> qui étaient son repère européen depuis 2005.</p>
<p>Elle l’a fait pour plusieurs raisons : être en phase avec son opinion publique bouleversée par les drames de la pandémie en Italie et dans toute l’Europe ; se débarrasser de son costume de mère fouettarde incarnant la rigueur dont l’affublait une bonne partie de l’opinion publique européenne ; prendre pour une fois et enfin par la main un de ses maris français, le quatrième ; et, bien sûr, comme elle l’indiqua elle-même, parce qu’il était dans l’intérêt de l’Allemagne que l’économie et la société de l’UE ne s’effondrent pas, résistent et se relancent.</p>
<h2>… et la nomination surprise d’Ursula von der Leyen</h2>
<p>À cette aune, le legs le plus déterminant du couple franco-allemand de l’ère Merkel pourrait bien être la nomination d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne en juillet 2019. Fidèle d’entre les fidèles de la chancelière, sa nomination imposée conjointement par Macron et Merkel (suivie d’une investiture par le Parlement européen avec <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/l-allemande-von-der-leyen-premiere-femme-elue-la-tete-de-la-commission-europeenne-6447564">9 voix de majorité seulement</a> !) est un peu le pendant de celle de Jacques Delors imposée 35 ans plus tôt par Kohl et Mitterrand : un « coup » du couple franco-allemand. Or, il y a aujourd’hui un nombre certain de signaux faibles que le ou les Commission(s) von der Leyen auront une portée aussi décisive que les mandats Delors (1985-1995).</p>
<p>Comme Delors, von der Leyen déroule depuis son entrée en fonction un programme politique impressionnant. On l’a déjà oublié : c’est bien la Commission qui, dès le mois de mars 2020, en connivence avec le Parlement européen, a soufflé au Conseil européen l’idée d’un plan de relance XXL, pour que ledit Conseil lui demande du haut de sa majestueuse centralité de bien vouloir lui présenter un plan de relance européen pour la fin mai 2020. Dans le même temps, la Commission a abattu un travail intense et déterminant en <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/covid-19-chronologie-de-la-pandemie-en-europe/">mobilisant</a> dès la mi-mars 2020 un maximum de ressources juridiques, politiques et financières pour lancer une politique européenne de santé anti-Covid et soutenir les économies et les sociétés mises à l’arrêt par le confinement généralisé.</p>
<p>C’est la Commission qui lança le processus de suspension des critères de Maastricht et de la législation sur les aides d’État ; qui mobilisa les fonds disponibles dans le budget ordinaire tout en s’alliant avec la BEI pour un premier plan de relance qui n’en portait pas le nom ; qui détourna les dispositifs existants de leur destination première aux fins de la lutte contre le Covid (Sure et Fonds de solidarité, par exemple) ; qui lança des appels d’offres européens inédits pour le matériel médical (masques, respirateurs) puis les vaccins tout en organisant la production et la répartition des doses dans l’UE ; qui stoppa net les premières manifestations de protectionnisme sanitaire au sein de l’UE.</p>
<p>La Commission von der Leyen s’est enfin saisie du plan de relance pour amplifier et accélérer la politique européenne de transition énergétique (<a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr">« pacte vert »</a>). Cette Commission est en train d’en faire l’instrument d’une politique d’orientation des économies européennes par l’investissement. Avec le soutien d’une grande partie de l’opinion publique, la Commission se sert également de la manne du plan de relance pour exercer une pression inédite sur les gouvernements qui s’affranchissent de l’État de droit et favorisent la corruption (principalement ceux d’Orban et de Morawiecki).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1419733096342097924"}"></div></p>
<p>Bien entendu, tout cela n’est possible que parce que les États acceptent d’être mobilisés ; mais encore faut-il oser les mobiliser, et le faire avec doigté, tant les dirigeants étatiques sont soucieux du respect de l’étiquette et des signes de leur prééminence.</p>
<p>La Commission actuelle a senti la demande d’Europe produite dans les sociétés civiles par l’ampleur de la crise sanitaire qui a dévoilé les pesanteurs des appareils d’États et de sociétés politiques dépassés ou démunis. Merkel et Macron ont su recouvrir ces défaillances et ces pesanteurs par la geste renouvelée de ce <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-idees-claires-de-sylvain-kahn/le-couple-franco-allemand-un-mythe-operatoire">mythe opératoire</a> que demeure le <em>couple franco-allemand moteur de l’Europe</em>. Le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/haut-rhin/mulhouse/coronavirus-nouveau-transfert-malades-tgv-mulhouse-1808254.html">transfert</a> des malades français sous respirateurs et en réanimation vers des hôpitaux allemands en TGV médicalisés siglés SNCF restera dans les annales.</p>
<p>En nommant pour la première fois une femme à la tête de la Commission, Merkel et Macron ont eu la détermination et l’habileté de faire accepter aux partis politiques la mise à l’écart des <em>spitzenkandidät</em>, dont le chrétien-démocrate allemand arrivé en tête (Manfred Weber) ne présentait qu’un honnête CV d’apparatchik parlementaire. En même temps, ils prenaient en compte les demandes sociales les plus actuelles des vingtenaires et des trentenaires, que le résultat des élections européennes de juin 2019 avaient cristallisées de façon inattendue. Sans doute seule Merkel pouvait-elle imposer à cette classe de dirigeants politiques européens si virils et sûrs d’eux même une femme politique polyglotte et au moins aussi intelligente et brillante qu’eux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268112943759138816"}"></div></p>
<p>Elle l’a fait en fin de carrière politique : est-ce une manière de se prolonger et de se dépasser, d’être là sans y être, elle qui a tout fait pour étouffer l’émergence d’un grand successeur chrétien-démocrate en Allemagne ? Elle qui assure ne plus vouloir jouer aucun rôle européen quand tant lui demandent déjà de prendre la présidence du Conseil ou de la Commission en 2024 ? Est-ce une manière, au final et sans en avoir l’air, d’accorder au programme européen très allant de son partenaire français Emmanuel Macron une chance de se réaliser enfin par la grâce et la volonté d’une Commission entreprenante, dynamique et à l’écoute du Parlement européen élu en 2019 ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168596/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au cours de ses seize années au pouvoir, Angela Merkel a toujours cherché à entretenir le couple franco-allemand, tout en promouvant constamment les intérêts de son pays. Un délicat jeu d’équilibre…Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1625452021-06-15T16:52:05Z2021-06-15T16:52:05ZLa transparence des salaires peut-elle réduire les inégalités entre hommes et femmes ?<p>Face à un écart de rémunération entre les hommes et les femmes qui peine à diminuer sur le Vieux Continent, Bruxelles a proposé une nouvelle directive au mois de mars. Après sept ans d’une approche faisant appel au volontarisme des États, l’Union européenne (UE) met sur la table des <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_881">mesures de transparence salariale</a> et vient désormais se positionner sur le terrain juridique pour agir. La présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen, en avait d’ailleurs fait une <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/political-guidelines-next-commission_en_0.pdf">priorité politique</a> dans son acte de candidature.</p>
<p>Dans la continuité de ce qui n’avait que le statut de recommandation en 2014, l’Union demanderait notamment aux employeurs une plus grande transparence à l’égard des demandeurs d’emploi. Les employés auront, eux, le droit de demander des informations sur leur salaire individuel et sur les moyennes dans leur entreprise pour des travailleurs effectuant des tâches équivalentes. Les plus grandes entreprises devront publier des informations sur les écarts de rémunération internes et, lorsque ces écarts dépasseront 5 %, les représentants des employeurs et des employés devront en évaluer les raisons.</p>
<iframe title="Les inégalités salariales entre hommes et femmes évoluent lentement en Europe" aria-label="Interactive line chart" id="datawrapper-chart-ZfZUW" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZfZUW/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width : 0 ; min-width : 100 % !important ; border : none ;" height="400" width="100%"></iframe>
<p>C’est la <a href="https://www.leparisien.fr/archives/comment-s-organisent-les-autres-pays-16-04-2013-2729919.php">Suède</a> qui peut être considérée comme le berceau des mesures de transparence salariale. Des réglementations y ont été mises en place dès le début des années 2000. Jusqu’alors, la Commission européenne encourageait, avec sa recommandation de 2014, les États membres de l’UE à donner aux employés le droit de demander des informations sur les niveaux de rémunération, à veiller à ce que les entreprises rendent régulièrement des comptes à ce sujet en réalisant des audits salariaux, et à stimuler l’inclusion de l’égalité salariale en tant que question distincte dans les négociations collectives.</p>
<p>Bien que certains États membres aient <a href="https://www.eurofound.europa.eu/fr/publications/article/2020/member-states-are-dawdling-on-gender-pay-transparency">suivi la démarche</a>, notamment l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l’Allemagne ou même le Royaume-Uni, ce n’est pas le cas de beaucoup.</p>
<h2>Rares remises en question</h2>
<p>Or, malgré une mise en œuvre limitée, un certain <a href="https://blogs.lse.ac.uk/businessreview/2021/03/29/uk-gender-pay-gap-reporting-a-crude-but-effective-policy/">impact</a> des mesures de transparence, parfois <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2013/11/26/transparence-la-bbc-publie-les-remunerations-de-ses-employes_6000601_4832693.html">très médiatisé</a>, a été constaté sur l’écart de rémunération entre les sexes. Pourquoi faire ce pari face aux inégalités ? Quels en sont les avantages mais aussi les obstacles probables ?</p>
<p>Nous pouvons explorer ces questions à deux niveaux : le niveau juridique et réglementaire d’une part et le niveau organisationnel et du marché du travail de l’autre.</p>
<p>L’écart de rémunération entre les sexes est la différence en pourcentage entre le salaire horaire moyen des femmes et des hommes. Il résulte d’un certain nombre d’influences imbriquées à différentes échelles et qui contribuent à renforcer les inégalités entre les sexes.</p>
<p>Au niveau des ménages, la répartition inégale des tâches domestiques non rémunérées limite la participation des femmes au marché du travail et leur progression de carrière. Au niveau de l’organisation, les pratiques managériales et les divergences de rémunération semblent rarement remises en question et demeurent souvent une source de discrimination. Au niveau du marché du travail, enfin, hommes et femmes œuvrent dans des secteurs et à des niveaux d’emplois qui ne s’avèrent pas pareillement rémunérateurs.</p>
<h2>Sentiment de justice</h2>
<p>Les premières expériences montrent que les politiques, même informelles, de transparence salariale ont un impact sur les facteurs qui contribuent à maintenir les inégalités. Une application juridiquement contraignante de ces principes pourrait doper le long processus de réduction de l’écart de rémunération entre les sexes.</p>
<p>C’est au niveau de l’organisation que les nouvelles mesures devraient avoir le plus d’impact. La législation ne s’appliquera en effet qu’aux écarts de rémunération au sein des entreprises et les différences nées de la répartition entre des secteurs inégalement rémunérateurs ne seront probablement pas affectées.</p>
<p>La transparence salariale vise surtout à faire la lumière sur les <a href="https://theconversation.com/i-can-see-clearly-now-pay-secrecy-fades-as-more-transparency-becomes-the-norm-95962">décisions managériales</a> qui peuvent être à l’origine d’inégalités entre les travailleurs. Ces contrôles et contrepoids sur les choix des dirigeants contribuent souvent à promouvoir un sentiment de justice au niveau de l’organisation, avec des <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2014-2-page-439.htm">conséquences positives</a>. Il semble même que certains employeurs considèrent le suivi des écarts de rémunération comme faisant partie d’une bonne gestion des ressources humaines, et comme représentant une procédure relativement simple avec des systèmes informatiques modernes.</p>
<p>D’un point de vue juridique, les mesures faciliteraient les actions en justice en matière de discrimination, intentées par des employés soupçonnant qu’ils sont indûment moins bien payés que leurs collègues. Les organisations, soucieuses de protéger leur réputation, seraient de plus incitées à procéder à un audit et à un nettoyage de leurs propres inégalités salariales.</p>
<p>En outre, d’autres groupes, qui peuvent également souffrir de discrimination salariale, pourraient en bénéficier puisque la directive proposée reconnaît les désavantages qui découlent de <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/aid_development_cooperation_fundamental_rights/com-2021-93_fr_0.pdf">l’intersection</a> de sources de discrimination.</p>
<h2>Pas une solution magique</h2>
<p>Si le droit à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes apparaît comme l’un des principes les plus anciens de l’UE, il reste toutefois difficile à mettre en œuvre car il repose largement sur l’action individuelle.</p>
<p>Le coût des mesures de transparence est souvent objecté. C’est pourquoi, en réponse, la Commission européenne a prévu des exceptions pour les petites entreprises (moins de 250 employés). Leurs employés ne seront ainsi pas couverts par la législation bien que les promoteurs du projet de directive estiment que les coûts annuels totaux pour les employeurs concernés seraient plutôt faibles, entre 379 et 890 euros.</p>
<p>La transparence fait également l’objet de controverse dans la mesure où elle est perçue comme une ingérence dans l’autonomie et la liberté des entreprises. Le pouvoir de fixer les salaires est parfois considéré comme un élément clé de la prérogative managériale. Certains dirigeants et certaines organisations considèrent l’opacité actuelle relative aux décisions salariales comme un élément important de contrôle.</p>
<p>Dévoiler les rémunérations est aussi parfois accusé d’enfreindre la législation sur la protection des données personnelles. En réalité, si l’on se réfère au droit proposé pour les candidats à l’emploi de recevoir des informations sur les fourchettes de salaires, sans avoir à les demander, et à l’interdiction faite aux employeurs de poser des questions sur l’historique des salaires, les mesures semblent présenter des garanties ne mettant pas en danger la protection des données personnelles.</p>
<p>Il est difficile de dépasser les processus informels qui maintiennent les inégalités, d’autant plus à l’heure du Covid-19 qui ne favorise pas la transparence.</p>
<p>Il ne s’agit donc pas là d’une <a href="https://theconversation.com/lobligation-de-transparence-reste-insuffisante-pour-reduire-les-inegalites-salariales-hommes-femmes-105958">solution magique</a>, la transparence salariale devant sans doute être considérée comme un élément parmi un ensemble de mesures visant à promouvoir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Si la directive est adoptée par le Parlement européen et par le Conseil, les États membres auront deux ans pour la transposer en droit interne et communiquer leurs textes à la Commission. Celle-ci procèdera à une évaluation des effets de cette directive au bout de huit ans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162545/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>En 2020, Mark Smith, tant que chercher à Grenoble Ecole de Management, a reçu des financements de la Fondazione Giacomo Brodolini pour travailler en tant qu’expert sur un rapport sur la transparence salariale. Le raport était commandité par la Commission Européenne dans le but de préparer la proposition de directive sur les transparences salariales. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>En 2020, Annick Masselot a reçu des financements de la Fondazione Giacomo Brodolini pour travailler en tant qu’expert sur un rapport sur la transparence salariale. Le raport était commandité par la Commission Européenne dans le but de préparer la proposition de directive sur les transparences salariales.
Annick Masselot était assistante coordinateur du réseaux d’expert légaux de la Commission Européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes (2000-2007). Depuis, 2007, elle a travaillé sur plusieurs rapports pour le réseaux d’expert légaux de la Commission Européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>. En 2020, Jill Rubery a reçu des financements de la Fondazione Giacomo Brodolini pour travailler en tant qu’expert sur un rapport sur la transparence salariale. Le rapport était commandité par la Commission Européenne dans le but de préparer la proposition de directive sur les transparences salariales</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>En 2020, Petra Foubert a reçu des financements de la Fondazione Giacomo Brodolini pour travailler en tant qu’expert sur un rapport sur la transparence salariale. Le rapport était commandité par la Commission Européenne dans le but de préparer la proposition de directive sur les transparences salariales.
Depuis 2010, elle a travaillé sur plusieurs rapports pour le réseau d'experts légaux de la Commission Européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes.</span></em></p>L’Union européenne a proposé en mars dernier de rendre juridiquement contraignantes des mesures qui ont fait leurs preuves, même si, seules, celles-ci ne lèveraient pas toutes les barrières.Mark Smith, Professor, Director & former Dean, Grenoble École de Management (GEM)Annick Masselot, Professor of Law, University of CanterburyJill Rubery, Professor of Comparative Employment Systems, University of ManchesterPetra Foubert, Professor of law, Hasselt UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1619192021-06-06T16:30:32Z2021-06-06T16:30:32ZComptabilité « verte » : l’UE fait un pas en direction d’une harmonisation des normes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/403809/original/file-20210601-19-krxvlm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6079%2C3564&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bruxelles cherche aujourd’hui à s’inscrire dans les différentes mouvances globales qui élaborent ou élaboreront des normes internationales sur la durabilité.
</span> </figcaption></figure><p>Ces dernières années, plusieurs initiatives d’importance se sont relayées pour encourager les acteurs du monde économique à publier des <a href="https://doi.org/10.1007/s10551-013-1906-9">informations standardisées et normalisées</a> sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou le développement durable. Récemment, l’acteur majeur qu’est l’International Financial Reporting Standards Foundation (la fondation IFRS), régulateur comptable international ayant édicté les normes qui portent son nom, lançait en septembre 2020 une réflexion et une <a href="https://www.ifrs.org/projects/work-plan/sustainability-reporting/consultation-paper-and-comment-letters/">consultation mondiale</a> afin de déterminer : « s’il y a un besoin de normes mondiales de durabilité ; si la fondation IFRS devrait jouer un rôle ; et quelle pourrait être la portée de ce rôle ».</p>
<p>Fin avril 2021, à l’issue de cette consultation, le normalisateur a publié un <a href="https://www.ifrs.org/content/dam/ifrs/project/sustainability-reporting/ed-2021-5-proposed-constitution-amendments-to-accommodate-sustainability-board.pdf">exposé-sondage</a> dans lequel il annonce sa volonté de créer l’International Sustainability Standards Board (ISSB), un conseil ad hoc chargé d’établir de nouvelles normes IFRS autour du développement durable. Une initiative concomitante avec celle de la Commission européenne qui adoptait le 21 de ce même mois une <a href="https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/company-reporting-and-auditing/company-reporting/corporate-sustainability-reporting_en#review">proposition pour une nouvelle directive</a> traitant des rapports sur le développement durable que les entreprises devront publier.</p>
<h2>Pourquoi maintenant ?</h2>
<p>La communication externe des entreprises dédiée aux dimensions sociétales, environnementales ou sociales n’est pas une pratique récente. En France, le bilan social existe depuis les années 1970. La loi relative aux nouvelles régulations économiques (loi NRE de 2001), la loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (plus connue sous l’acronyme PACTE, loi votée en 2019) et autres dispositifs réglementaires qui ont vu le jour ces dernières décennies ont contribué à cadrer cette communication extrafinancière.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=506&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/403763/original/file-20210601-17-1f1nn6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=636&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les pratiques de reporting sur le développement durable en progrès réguliers ces dernières années.</span>
<span class="attribution"><span class="source">KPMG</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces initiatives, françaises mais aussi internationales, telle que la <a href="https://www.globalreporting.org/">Global Reporting Initiative</a> (la GRI), ont accompagné un progrès continu des pratiques de reporting ces 30 dernières années comme le montrent les <a href="https://home.kpmg/xx/en/home/insights/2020/11/the-time-has-come-survey-of-sustainability-reporting.html">observations sur les panels N100</a> (4 900 entreprises correspondant au top 100 de 49 pays) et G250 (le top 250 mondial). Pour autant, le débat sur l’harmonisation des méthodes reste ouvert.</p>
<p>Pourquoi la fondation IFRS, spécialisée dans le reporting financier, a-t-elle souhaité élargir son champ d’action et s’intéresser au reporting extrafinancier sur le développement durable pour lequel existent déjà de nombreux référentiels et standards ?</p>
<p>L’organisation internationale met en avant plusieurs arguments. Tout d’abord, elle considère qu’il y a urgence à améliorer la cohérence et la comparabilité des rapports sur le développement durable et à réduire leur complexité. Elle pense de plus que ces nouvelles normes internationales augmenteraient la transparence des entreprises et seraient particulièrement utiles pour les investisseurs.</p>
<p>Enfin, le normalisateur <a href="https://www.ifrs.org/content/dam/ifrs/project/sustainability-reporting/consultation-paper-on-sustainability-reporting.pdf">justifie son initiative</a> en se reposant sur les appels émanant de plusieurs praticiens de la comptabilité tels que l’Accountancy Europe ou l’International Federation of Accountants (<a href="https://www.ifac.org/">l’IFAC</a>). La fondation IFRS écrit dans son rapport :</p>
<blockquote>
<p>« Les antécédents et l’expertise de la Fondation en matière de normalisation, ainsi que ses relations avec les régulateurs mondiaux et les gouvernements du monde entier, pourraient être utiles pour l’établissement de normes de reporting sur le développement durable ».</p>
</blockquote>
<p>Ainsi la fondation considère-t-elle que son expérience avec les normes IFRS pour le reporting financier lui donne une légitimité et des atouts supplémentaires pour réussir la production et la diffusion de nouvelles normes pour la durabilité à travers le monde.</p>
<p>Comment, par ailleurs interpréter le <em>timing</em> de cette initiative ? Pour la fondation IFRS, la proposition s’inscrit pleinement dans le contexte actuel où nos sociétés exigent de plus en plus d’initiatives de la part des entreprises pour lutter contre le changement climatique.</p>
<p>Certains grands cabinets de comptabilité et d’audit, en outre, ont plaidé ces dernières années <a href="https://www.linkedin.com/pulse/now-time-global-standards-non-financial-reporting-robert-e-moritz/">pour une harmonisation des normes</a> pour le reporting sur le développement durable. Les <a href="https://www.ey.com/en_gl/assurance/time-to-take-a-standard-approach-to-nonfinancial-reporting">arguments avancés</a> sont les mêmes que lors de la diffusion des normes IFRS dans les années 1990 et 2000. Citons ici la comparabilité internationale, l’intelligibilité et la « vérifiabilité » de l’information communiquée, l’exhaustivité des rapports publiés ou encore la pertinence pour la prise de décision des investisseurs.</p>
<h2>Bientôt obligatoires en Europe ?</h2>
<p>Malgré les différents arguments présentés par la fondation IFRS, l’initiative a reçu quelques critiques. Ces dernières portaient notamment soit sur le caractère « urgent » de l’initiative, soit sur sa recherche d’uniformité et de comparabilité des indicateurs. L’uniformité est en effet difficilement envisageable pour les dimensions sociétales. Soit, enfin, sur l’orientation trop « financière » que le normalisateur international compte donner à ces IFRS « verts ». Il privilégierait ainsi les besoins des investisseurs <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpa.2021.102309">au détriment des besoins des autres parties prenantes</a>.</p>
<p>L’initiative de la fondation IFRS nous amène également à une autre interrogation. Si ces IFRS « verts » venaient à voir le jour, seront-ils obligatoires, du moins en Europe, à l’instar de ce qui s’est fait avec les normes IFRS pour les grandes entreprises du continent depuis 2005 ? Difficile de répondre pour l’heure.</p>
<p>Les dernières nouvelles qui nous parviennent de Bruxelles montrent que les positions évoluent également au sein de l’Union à ce sujet, avec notamment le projet de directive déposée par la Commission le 21 avril dernier.</p>
<p>Au-delà du fait que cette proposition prévoit, pour les sociétés cotées, une obligation de réaliser un audit externe des rapports de développement durable, elle impose surtout d’établir ces rapports conformément à des normes européennes. Ces dernières <a href="http://revuefrancaisedecomptabilite.fr/normalisation-europeenne-de-linformation-extra-financiere/">restent encore à construire</a>. La proposition précise :</p>
<blockquote>
<p>« Elles seront adaptées aux politiques de l’UE, tout en s’appuyant sur les initiatives internationales de normalisation et en y contribuant. »</p>
</blockquote>
<p>On voit donc se dessiner une volonté claire de la Commission de s’inscrire dans les différentes mouvances globales qui élaborent ou élaboreront des normes internationales sur la durabilité.</p>
<p>Pourrions-nous anticiper dès maintenant des points de convergence entre les futures normes européennes et les IFRS « verts » ? La réponse ne semble pas évidente. Soulignons tout de même que l’European Financial Reporting Advisory Group (ou EFRAG), chargé de développer ces nouvelles normes européennes, paraît adopter une vision de la communication sur la durabilité portée davantage vers les parties prenantes. Cela contraste avec la vision prônée par la fondation IFRS, nous l’avons dit, plus orientée vers les <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpa.2021.102309">investisseurs</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Moez Essid ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Commission européenne a proposé fin avril une directive visant à mieux évaluer l’activité extrafinancière des entreprises dans le sillage de plusieurs initiatives mondiales.Moez Essid, Enseignant-chercheur en comptabilité et contrôle de gestion, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606592021-05-11T17:58:44Z2021-05-11T17:58:44ZLes incertitudes de l’action judiciaire européenne contre AstraZeneca<p>Lundi 26 avril 2021, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/vaccin/covid-19-l-union-europeenne-lance-une-action-en-justice-contre-astrazeneca-pour-non-respect-de-ses-engagements-de-livraison-de-vaccins_4387175.html">Commission européenne annonçait</a> avoir engagé, en son nom et en celui des vingt-sept États membres, une action en référé (en urgence) <a href="https://www.proximus.be/pickx/fr/2136518/action-en-justice-contre-astrazeneca-une-premiere-audience-mercredi">devant le tribunal de première instance de Bruxelles</a> contre le laboratoire anglo-suédois AstraZeneca qui n’aurait pas correctement exécuté ses obligations en vertu de <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_1438">son contrat conclu en novembre dernier avec Bruxelles</a> pour la fourniture de doses de vaccin contre la Covid-19.</p>
<p>Le mardi 11 mai, la Commission européenne, qui a annoncé <a href="https://www.lepoint.fr/sante/l-ue-n-a-pas-renouvele-sa-commande-astrazeneca-pour-apres-juin-09-05-2021-2425637_40.php">ne pas vouloir renouveler son contrat avec le laboratoire</a>, a en outre déposé une <a href="https://www.lefigaro.fr/economie/nouvelle-plainte-de-l-union-europeenne-contre-astrazeneca-20210510">nouvelle plainte</a> visant à obtenir une indemnisation de la part du groupe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1391358124926423041"}"></div></p>
<p>Deux choses sont reprochées au laboratoire : des doses en quantité insuffisante (50 millions livrées au premier semestre 2021 sur les 120 millions promises et 70 millions sur les 180 millions prévues pour le second semestre) et des retards de livraison. Mais le laboratoire est-il réellement « fautif » ? À quoi ce dernier s’est-il précisément engagé contractuellement ?</p>
<h2>Obligation de résultat ou de moyens ?</h2>
<p>La lecture du contrat révèle la fragilité des accusations formulées par la Commission et surtout le manque de sécurisation dû sans doute à l’absence de prévision par les deux parties d’un problème qui s’est révélé bien après la conclusion du contrat : celui de l’insuffisance des capacités de production. Mais peut-on aujourd’hui réellement en faire le grief au laboratoire AstraZeneca ?</p>
<p>Au cœur du différend, la qualification de la nature de l’obligation lui incombant : celle de fournir ses « best reasonable efforts » (meilleurs efforts raisonnables) pour fabriquer des « doses initiales » de vaccin dans l’Union européenne et les livrer. Le juge belge saisi, juge de droit civil à l’instar du juge français, devra s’interroger sur la compréhension en droit des contrats belge (très proche du droit français) de cette notion d’origine anglo-saxonne pour déterminer à quoi le laboratoire s’est précisément engagé et quelle était son intention au jour de la conclusion du contrat.</p>
<p>En clair : ce dernier a-t-il accepté de faire de son obligation de fabriquer et de fournir les doses une obligation de résultat ou de moyens ? La première est bien plus contraignante que la seconde.</p>
<p>En effet, dans le cas d’une obligation de résultat, le seul constat que le résultat promis n’a pas été atteint – quantités insuffisantes ou retards dans les livraisons – permettrait à la Commission d’engager la responsabilité du laboratoire et d’être certaine d’obtenir des dommages et intérêts. Il lui suffirait de prouver ce fait objectif.</p>
<p>Mais si l’obligation est en revanche interprétée comme une obligation de moyens, les chances de succès de l’action s’avèrent bien moindres. Dans cette hypothèse, le débiteur ne s’engage pas à fournir un résultat à une date précise. Il s’engage « seulement » à mettre en œuvre tous les moyens qui sont à sa disposition pour espérer atteindre le résultat fixé dans le calendrier prévu. Et le créancier qui constaterait que ledit résultat n’aurait pas été atteint à l’échéance, devrait alors rapporter la preuve bien plus difficile que le laboratoire n’aurait pas en réalité déployé tous ses efforts possibles, qu’il aurait fait preuve d’une inaction coupable, d’une insuffisance, d’une négligence, etc., pour le faire condamner.</p>
<p>Le seul défaut de résultat ne permettrait pas d’obtenir sa condamnation, d’autant que le laboratoire pourrait évidemment se défendre en montrant qu’au contraire il a bien mobilisé tous les moyens qui étaient raisonnablement à sa disposition pour espérer livrer toutes les doses promises selon le calendrier fixé.</p>
<p>Pour l’aider à qualifier l’obligation, le juge utilise des critères et notamment celui de l’aléa : plus l’exécution de l’obligation est soumise à l’existence d’un aléa qui en rend l’exécution incertaine, plus la balance penchera du côté d’une obligation de moyens, le débiteur n’ayant pas pu s’engager avec certitude à fournir un résultat dont l’existence dépend largement d’évènements extérieurs et incertains qu’il ne maîtrise pas. L’exemple typique de l’obligation de moyens est celui du médecin vis-à-vis de son patient qu’il ne peut pas s’engager à guérir en raison des trop grandes incertitudes en la matière.</p>
<h2>« Meilleurs efforts raisonnables »</h2>
<p>De la même manière, l’aléa évident inhérent à la mise au point d’un nouveau type de vaccin et à sa production de masse, à une échelle globale dans un contexte de pandémie, devrait vraisemblablement conduire le juge belge à retenir la qualification d’obligation de moyens. Ce d’autant plus que l’obligation est assortie d’une clause de « best reasonable efforts » que l’on retrouve habituellement dans les contrats d’affaires internationales où l’obtention du résultat souhaité ne peut justement pas être garantie de manière absolue, principalement dans les opérations très risquées (par exemple <a href="http://droit-et-commerce.org/medias/ConferenceDroitEtCommerce-13052013.pdf">dans les contrats de lancement de satellites</a>).</p>
<p>Son interprétation tend plutôt à alléger l’obligation à la charge du laboratoire qui ne s’est pas engagé à fournir ses « meilleurs efforts » dans la fabrication des vaccins, clause permettant habituellement de qualifier l’obligation de moyens, mais « seulement » ses meilleurs efforts « raisonnables », ce qui tendrait encore à limiter les efforts attendus.</p>
<p>La Commission ne pouvait pas ainsi attendre du laboratoire qu’il fournisse des efforts démesurés sur le plan matériel et économique (par exemple la construction de nouvelles usines). L’insertion de cette clause dans le contrat, acceptée par les deux parties, pourrait alors être une manière de dire qu’en raison des circonstances particulières liées à la pandémie on n’exigera pas trop du débiteur.</p>
<p>Mais à quel degré de diligence le laboratoire s’est-il précisément engagé ? Pour apprécier ses efforts fournis (critère subjectif) en vue d’étendre sa capacité de production et exécuter ses obligations contractuelles, le juge belge devra les comparer, objectivement, avec ceux qu’un autre laboratoire similaire dans sa taille à AstraZeneca et placé dans les mêmes circonstances, à savoir celles d’une pandémie globale (art. 1.9 du contrat), aurait pu faire.</p>
<p>Pour retenir sa responsabilité contractuelle, il faudra donc que la Commission réussisse à démontrer l’écart entre le degré d’effort fourni par AstraZeneca et celui qu’aurait fourni ou pu fournir un autre laboratoire comparable dans sa taille et soumis aux mêmes difficultés. Par exemple : le laboratoire Pfizer/BioNTech qui aurait non seulement honoré mais <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Pourquoi-lUnion-europeenne-attaque-elle-AstraZeneca-justice-2021-04-27-1201152918">même surpassé ses engagements contractuels</a>.</p>
<h2>Possibilités non exploitées</h2>
<p>Mais la comparaison a ses limites car la lettre du contrat exprime aussi un devoir de coopération et de confiance entre les parties, la Commission et les États devant « … soutenir leur cocontractant dans le développement du vaccin compte tenu du besoin urgent… » (art. 1.9 b), voire l’assister dans la <a href="https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/commission/affaires_europeennes/Actualites/vfActualites_europeennes_n_66_Vaccin_19-12_4_pages_vaccin_Final.pdf">production des produits finis</a> (art. 5.4) et la fourniture des <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/vaccins-anti-covid-les-premieres-penuries-dingredients-inquietent-1296855">matières premières nécessaires</a> à la fabrication des vaccins (art. 6.1).</p>
<p>Ainsi, si le laboratoire doit fabriquer ou faire fabriquer les doses de vaccins sur le territoire de l’Union européenne, Royaume-Uni compris, selon ses propres schémas (production directe au sein de filiales européennes ou recours à des façonniers, donc à la sous-traitance), la Commission peut en cas de difficulté lui indiquer d’autres façonniers installés sur le territoire européen susceptibles de fabriquer lesdites doses. Et comme une ultime solution, le laboratoire est autorisé à faire fabriquer des doses dans des installations situées hors de l’Union européenne.</p>
<p>Ces diverses possibilités ont-elles été exploitées ? AstraZeneca a-t-il notamment fait <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/03/25/vaccins-astrazeneca-a-signe-des-contrats-avec-l-europe-et-le-royaume-uni-qui-ne-sont-pas-compatibles_6074468_3244.html">produire des doses dans ses usines anglaises pour le marché européen</a> ? Et à défaut, avait-il d’autres moyens à sa disposition pour espérer de bonne foi respecter ses engagements contractuels et les a-t-il exploités ? La preuve à la charge de la Commission n’est à l’évidence pas facile à rapporter et la lettre du contrat insuffisamment sécurisée. Les futurs contrats d’approvisionnement en doses de vaccin de « seconde génération » devront faire preuve d’une plus grande fermeté à l’égard des engagements des laboratoires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160659/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’action en référé lancée par Bruxelles, qui reproche notamment au laboratoire des retards de livraison, repose sur l’hypothétique preuve d’une insuffisance des moyens déployés.Clotilde Jourdain-Fortier, Professeur en droit international économique - CREDIMI, Université de Bourgogne – UBFCMathieu Guerriaud, Maître de conférences en Droit pharmaceutique et de la santé, pharmacovigilance et iatrogénie - CREDIMI, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1602862021-05-05T17:57:09Z2021-05-05T17:57:09ZPourquoi les fonds du plan de relance européen n’ont pas encore été débloqués<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/398627/original/file-20210504-13-1sj5cpw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C10%2C1187%2C786&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fin avril, 19&nbsp;États membres, dont la France, avaient approuvé le texte ouvrant la voie au lancement du plan de relance.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19 attisent une impatience légitime à l’égard du plan de relance européen, dont les fonds n’ont pas encore été débloqués, près d’un an après la proposition de la Commission.</p>
<p>Ce plan, inédit dans son volume (750 milliards d’euros) comme dans sa philosophie (permettre à la Commission européenne d’emprunter sur les marchés pour faire des transferts budgétaires et des prêts aux États membres), repose sur une architecture institutionnelle complexe.</p>
<p>La clé de voûte juridique du plan de relance est la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020D2053&from=FR">décision du Conseil sur le système des ressources propres du 14 décembre 2020</a>, prévue à l’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Dans l’ordre juridique européen, ce texte a un rang de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/17/europe-le-plan-de-relance-repose-sur-une-base-juridique-solide_6056379_3232.html">quasi traité</a>. Il requiert l’approbation unanime des États membres selon leurs procédures constitutionnelles respectives, ce qui implique, dans la plupart des cas et notamment en France, une autorisation des parlements nationaux et donc le plein respect de la souveraineté nationale.</p>
<p>C’est ce même texte qui place le produit de l’emprunt venant abonder les politiques communes européennes hors balance budgétaire, en lui conférant le statut de « recette affectée externe ». Cette disposition permet de ne pas contrevenir au principe d’équilibre budgétaire, en application duquel l’Union ne peut pas souscrire d’emprunt dans le cadre de son budget.</p>
<h2>Des procédures longues</h2>
<p>Après l’éclatement de la crise, le temps de la décision politique a été rapide. <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/05/18/initiative-franco-allemande-pour-la-relance-europeenne-face-a-la-crise-du-coronavirus">L’initiative franco-allemande pour la relance européenne du 18 mai 2020</a> a ouvert la voie à la <a href="https://eur-lex.europa.eu/resource.html">proposition de la Commission européenne du 27 mai</a>.</p>
<p>Deux mois plus tard, le 21 juillet, les chefs d’État ou de gouvernement sont parvenus à un <a href="https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-10-2020-INIT/fr/pdf">accord unanime au Conseil européen</a>. Les négociations pour sceller un <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20201106IPR91014/budget-a-long-terme-de-l-ue-16-milliards-de-plus-pour-des-programmes-cles">accord avec le Parlement européen</a> sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et le plan de relance Next Generation EU n’ont pris que quatre mois, un délai comparable à celui observé lors des négociations des deux précédents cadres financiers pluriannuels de l’Union européenne (cinq mois en 2006 et 2013).</p>
<p>Les décideurs européens se sont collectivement engagés à mener à leur terme les procédures nationales d’approbation de la décision sur le système des ressources propres dans les meilleurs délais. Ils étaient néanmoins bien conscients qu’elles pourraient être longues et semées d’embûches.</p>
<p>À titre de comparaison, entre l’adoption de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32007D0436&from=FR">décision du Conseil sur les ressources propres du 7 juin 2007</a> et son entrée en vigueur le 1<sup>er</sup>mars 2009, 21 mois auront été nécessaires pour assurer son approbation par tous les États membres. Ce délai a été porté à 28 mois pour la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014D0335&from=FR">décision du 26 mai 2014</a>.</p>
<p>À la date du 30 avril 2021, 19 États membres, dont la France, ont achevé le processus d’approbation de la décision sur le système des ressources du 14 décembre 2020. Les informations disponibles donnent à penser que les procédures sont sous contrôle et pourraient être finalisées avant la fin du mois de mai dans la plupart des autres pays.</p>
<h2>Écueils en Allemagne et en Pologne</h2>
<p>Entre-temps, deux écueils sont apparus. Le premier, de nature juridique en Allemagne, a pu être rapidement levé. La loi autorisant l’approbation de la décision sur les ressources a obtenu une solide majorité des deux tiers des membres au Bundestag et fait l’unanimité au Bundesrat.</p>
<p>Toutefois, l’introduction de deux recours visant à contester sa conformité avec les traités européens et la Constitution allemande avait conduit la <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/DE/2021/bvg21-023.html">Cour constitutionnelle fédérale le 26 mars 2021</a> à enjoindre le président fédéral à ne pas signer la loi. Si une telle interdiction avait été maintenue dans l’attente d’un jugement au fond, après une possible question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne, c’est tout l’édifice du plan de relance européen qui aurait pu être remis en cause, dans sa temporalité comme dans son principe.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/EN/2021/bvg21-029.html">ordonnance publiée le 21 avril</a>, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la demande d’injonction préliminaire dirigée contre la loi ratifiant la décision sur les ressources propres, permettant ainsi sa signature par le président fédéral.</p>
<p>Elle a considéré « sur la base d’un examen sommaire, (qu’)il ne semble pas très probable que la Cour conclue à une violation de l’article 79(3) de la Loi fondamentale dans la procédure principale ». Il est ressorti de son analyse des risques que « les conséquences qui se produiraient si l’interdiction provisoire demandée n’était pas délivrée, mais que l’acte d’approbation était ultérieurement jugé inconstitutionnel, sont moins graves que les conséquences qui se produiraient si l’interdiction provisoire était effectivement délivrée, mais que les plaintes constitutionnelles déposées par les requérants se révélaient finalement non fondées dans la procédure principale ».</p>
<p>L’issue du deuxième écueil, politique, demeure plus incertaine en Pologne. En effet, une petite formation membre de la majorité au pouvoir, Pologne unie, refuse de soutenir la décision sur les ressources propres, exacerbant un peu plus encore les tensions au sein de la coalition tripartite dirigée par le parti Droit et Justice (PiS) au point d’en mettre en danger l’existence.</p>
<p>Ce parti s’oppose en particulier au <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R2092&qid=1620047191266&from=FR">règlement</a> ouvrant la possibilité de sanctionner un pays membre en cas de défaillance de l’État de droit pouvant porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union, règlement sur lequel la Pologne et la Hongrie ont d’ailleurs intenté un recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne.</p>
<p>Pour des raisons exactement symétriques, le principal groupe d’opposition, la Plateforme civique, est enclin à ne pas voter le projet de loi tant que le gouvernement n’apporte pas de garanties suffisantes que l’argent de l’Union européenne dont la Pologne bénéficie sera dépensé de manière juste et transparente.</p>
<p>Le gouvernement se trouve donc contraint de négocier avec une autre formation d’opposition et ne devrait transmettre le dossier au Parlement que lorsqu’il disposera de la garantie qu’une majorité existe pour l’approuver. Des incertitudes de calendrier subsistent également en Hongrie, en lien aussi avec l’introduction de conditionnalités liées à l’État de droit. Les pressions exercées par les autres pays membres sont de plus en plus fortes car il en va de la capacité de l’Union européenne à mettre en œuvre son plan de relance.</p>
<h2>Pas de retard, mais l’urgence</h2>
<p>Parallèlement au processus de ratification, un travail intense est conduit dans les capitales et à Bruxelles. Les États membres devaient en effet transmettre avant le 30 avril la version finale de leur plan national de relance et de résilience. Or, seulement douze d’entre eux, dont la France, ont pu satisfaire cette exigence.</p>
<p>La Commission avait préalablement décidé d’assouplir ce délai pour permettre aux États de parfaire leurs plans dans le cadre du dialogue très pointilleux qu’elle a ouvert avec eux, plutôt que d’avoir à leur demander de les amender après leur transmission officielle.</p>
<p>La Commission entend ainsi veiller à ce que le plan de relance européen ne consiste pas simplement à injecter des liquidités dans l’économie mais permette bien, conformément au <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R0241&from=FR">règlement établissant la Facilité pour la reprise et la résilience</a>, de « renforcer le potentiel de croissance, la création d’emplois et la résilience économique, sociale et institutionnelle de l’État membre concerné », le tout devant être documenté par des indicateurs qui jalonneront les différentes étapes de sa mise en œuvre, en particulier les paiements.</p>
<p>Après leur transmission officielle, la Commission dispose d’un délai de deux mois pour évaluer les plans nationaux, avec une attention particulière à la cohérence des investissements publics et des réformes structurelles qui devront être mis en œuvre d’ici 2026 afin de relever les défis des transitions écologique (au minimum 37 % de l’enveloppe allouée à chaque État membre) et numérique (au moins 20 % de l’enveloppe). Le Conseil aura ensuite un mois pour approuver au cas par cas ces plans.</p>
<p>La Commission a également présenté le 14 avril sa <a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2021/FR/COM-2021-250-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF">stratégie de financement</a>. Avec une enveloppe d’emprunt de l’ordre de 150 milliards d’euros par an, elle deviendra un des principaux émetteurs en euros. Elle entend recourir à une diversité d’instruments de financement (obligations à moyen et long terme, dont certaines seront émises sous la forme d’obligations vertes, et titres de créance à court terme) afin de maintenir une certaine souplesse en ce qui concerne l’accès au marché et de gérer les besoins de liquidité et le profil des échéances.</p>
<p>Elle procèdera via une combinaison d’adjudications et de syndications, afin de garantir un accès présentant un bon rapport coût-efficacité au financement nécessaire à des conditions avantageuses.</p>
<p>Préparer tout ce qui peut l’être pour pouvoir démarrer dès que les ratifications de la décision sur les ressources propres auront été complétées, accélérer pour que cette solidarité européenne sans précédent se matérialise, la mobilisation est totale, à Bruxelles comme dans les autres capitales européennes, car s’il n’y a pas encore de retard, il y a assurément urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160286/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Saurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les procédures nationales d’approbation du financement du plan de relance européen retardent sa mise en œuvre. Mais l’horizon semble s’éclaircir.Stéphane Saurel, Maître de conférences invité, Université Saint-Louis de Bruxelles, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1597192021-04-29T19:39:51Z2021-04-29T19:39:51ZRéglementation européenne de l’IA : un projet en phase avec les attentes des jeunes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/397038/original/file-20210426-23-nxlpde.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5885%2C3911&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les jeunes restent réticents à une utilisation de l’IA pour évaluer des aspects personnels, tels que l’expression du visage, lors d’entretiens d’embauche.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/facial-recognition-system-concept-face-3d-731926345">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La Commission européenne vient de proposer de nouvelles règles et un plan d’action en faveur de l’excellence et de la confiance dans l’intelligence artificielle (IA). Dans son <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/news/europe-fit-digital-age-commission-proposes-new-rules-and-actions-excellence-and-trust-artificial">communiqué de presse</a> du 21 avril 2021, elle met en avant la nécessité d’une réglementation stricte pour faire face aux risques de cette technologie.</p>
<p>Cette initiative pionnière au niveau mondial, qui devra encore être adoptée par le Parlement et les États membres, démontre l’importance stratégique de se pencher sur la question des impacts de l’IA sur la société et de l’éthique de son usage.</p>
<p>Dans le monde professionnel, l’IA investit la majorité des métiers mais aussi la relation entre collaborateurs et entreprise. Le recrutement en est un exemple notable et ses pratiques, lorsqu’elles font recours à l’IA, sont justement considérées à haut risque dans la proposition de la Commission.</p>
<p>À l’heure du « talent management », le recrutement est pour les jeunes diplômés un des premiers points de contact avec l’entreprise. S’ils font confiance à l’intelligence artificielle pour créer leur réseau amical ou trouver l’âme sœur, qu’en est-il pour la recherche de leur premier emploi dont ils espèrent qu’il soit vecteur de développement et porteur de sens ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, l’EDHEC NewGen Talent Centre a interrogé 1 536 étudiants en gestion sur leur vision de l’impact de l’IA dans le monde des affaires et plus spécifiquement, leur point de vue sur l’utilisation d’algorithmes dans les processus de recrutement des entreprises. Leurs réponses et témoignages apportent un éclairage générationnel plus nuancé qu’on ne pourrait l’attendre des jeunes que l’on nomme « digital natives ».</p>
<h2>L’IA, une source de progrès sous conditions</h2>
<p>Tout d’abord, les étudiants interrogés ont une vision des répercussions de l’IA sur le monde qui évolue au cours des études. S’ils sont plutôt partagés en début de parcours, leur opinion est plus favorable en fin de formation (en Master 2), où les trois quarts des étudiants interrogés pensent que les avancées permises par cette technologie sont positives.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397014/original/file-20210426-23-14lysmd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1 : Impact de l’intelligence artificielle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs (D.R)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ceux qui ont un avis positif sur l’IA valorisent les bénéfices en termes de productivité et de performance : l’IA est un facilitateur de vie. Pour eux, « l’IA va permettre d’accélérer les processus de production, et faciliter nos vies quotidiennes ». C’est aussi un amplificateur des performances humaines, « elle va permettre de faire ce que les êtres humains ne sont pas capables en raison de leurs limitations physiques ou mentales ». L’impact de cette technologie accélère le rythme de l’innovation dans la recherche et le traitement des informations, dont les bénéfices touchent universellement la planète.</p>
<p>Ils sont toutefois prudents et mentionnent la nécessité d’un encadrement des pratiques. Ce n’est que « si on arrive à correctement contrôler l’IA, qu’elle peut être source de progrès ». L’IA doit être gardée sous contrôle et réglementée.</p>
<p>En revanche, les moins convaincus par l’IA redoutent une perte d’humanité au profit de la robotisation : « L’IA va remplacer les emplois les moins bien qualifiés ». Ils craignent qu’elle impacte les emplois mais aussi l’individu dans son autonomie et sa capacité de réflexion : « L’IA décharge trop les hommes au point de les rendre moins capables, plus dépendants », ils redoutent « le dépassement de l’Homme par les machines et également la perte de réflexion, voire d’intelligence, chez les humains ».</p>
<p>Ils associent ce risque de prise de contrôle sur l’intelligence et les activités jusqu’ici humaines à une déshumanisation qui met à mal les liens sociaux et qui peut aller jusqu’à déséquilibrer la société.</p>
<p>S’ils pensent que l’IA bouleverse tous les domaines, plus d’un quart des jeunes, femmes et hommes, évaluent les changements les plus importants dans la santé où elle permet des diagnostics plus sûrs, la robotisation de certains actes chirurgicaux et une meilleure efficacité dans le traitement des données médicales.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=247&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397016/original/file-20210426-19-1i9ug4r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=311&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2 : Les secteurs d’activité où l’intelligence artificielle a le plus d’imact.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs (D.R)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les autres secteurs d’activité, l’apport de l’IA produira selon eux plus d’automatisation, de performance et une meilleure gestion des risques qui se concrétiseront, par exemple, par une gestion domotique intelligente dans le domaine de l’assistance personnelle, une meilleure maîtrise des aléas dans l’industrie ou une gestion automatisée des risques en finance.</p>
<h2>Perception de l’IA dans le cadre du recrutement</h2>
<p>Comme décrit ci-dessus, l’IA peut jouer beaucoup de rôles dans une multitude de secteurs d’activité. Dans le monde du recrutement, l’IA est appelée à jouer un rôle de plus en plus prépondérant, que ce soit pour apporter une évaluation moins biaisée des candidats à un emploi, que pour faciliter le processus parfois très long qu’est le recrutement de nouveaux collaborateurs.</p>
<p>Mais comment son utilisation est-elle perçue par les nouvelles générations, ont-ils une vision différente des recruteurs ou encore des demandeurs d’emploi déjà sur le marché du travail ? Pour le comprendre, nous avons collecté des données auprès de ces publics cibles, en leur demandant s’ils trouvaient éthique d’utiliser l’IA dans les différents aspects du recrutement au moyen d’une échelle en 5 niveaux allant de pas du tout éthique à très éthique.</p>
<p>En ce qui concerne les étudiants, ils sont plutôt peu favorables à l’usage de l’IA dans les processus de recrutement. Globalement, seul un jeune sur cinq y est favorable. Leur avis est toutefois nuancé selon les pratiques de recrutement dans lesquelles l’IA est utilisée.</p>
<p>Comme indiqué dans le tableau ci-dessous, nos résultats montrent que l’analyse par l’IA des documents soumis par les candidats est beaucoup mieux acceptée que l’analyse des attitudes, de la voix ou des expressions non verbales, quelles que soient les populations interrogées.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=198&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=198&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=198&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=249&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=249&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397019/original/file-20210426-19-1eso7x1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=249&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 3 : Part des étudiants qui trouvent éthique (un peu ou très) différentes pratiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs (D.R)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce résultat est à noter car il confirme l’acceptation d’une IA utile pour des tâches en amont du processus alors que subsistent des réticences lors d’une utilisation dans les relations d’ordre privée ou pour évaluer des aspects plus personnels d’un entretien tels que l’expression du visage. Cela fait complètement écho à leur réserve précédemment décrite, les jeunes sont moins favorables à l’intelligence artificielle dès qu’elle interfère dans les interactions sociales et menace de les bouleverser.</p>
<p>L’adhésion à l’usage de l’IA dans le recrutement augmente avec l’avancée dans les études sauf pour l’analyse des réseaux sociaux où, quel que soit l’âge, ils sont fortement réticents au décryptage par des algorithmes des contenus les concernant.</p>
<h2>La perception du marché du travail</h2>
<p>Il nous a semblé intéressant de voir si cette vision des jeunes générations se confirme pour les personnes sur le marché de l’emploi. À cette fin, nous avons interrogé 305 demandeurs d’emploi et recruteurs sur les mêmes questions d’éthique de l’IA dans les différentes phases du recrutement. Les résultats montrent une perception assez semblable à celle des étudiants sauf pour l’analyse du contenu des réseaux sociaux. Dans ce cas, les demandeurs d’emploi et surtout les recruteurs sont plus souvent acquis au caractère éthique de l’IA que les étudiants.</p>
<p>Ceci dit, nous décelons aussi des différences entre les demandeurs d’emploi et les recruteurs (tableau ci-dessous). Les recruteurs ont une perception de l’éthique de l’IA plus positive que les demandeurs d’emploi, surtout en ce qui concerne son utilisation pour analyser les documents envoyés par les candidats, pour analyser le contenu de leurs réseaux sociaux, ainsi que pour analyser le langage corporel durant les entretiens d’embauche.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397020/original/file-20210426-17-185q7m4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 4 : Part des demandeurs d’emploi et recruteurs qui trouvent éthique (un peu ou très) différentes pratiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs (D.R)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Compte tenu de leur expérience du marché de l’emploi, nous leur avons également demandé leur avis sur l’utilisation de l’IA pour mener un entretien (par exemple via l’utilisation d’un chatbot) ou pour sélectionner les candidats à qui faire une offre. Pour ces deux utilisations, le recours à l’IA est loin d’être considéré comme éthique dans la mesure où ils sont moins de 10 % à approuver son utilisation.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=332&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/397021/original/file-20210426-19-1xlm4fa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=418&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 5 : Perceptions éthiques moyennes de l’utilisation de l’IA pour différentes pratiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs (D.R)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le graphique ci-contre résume les réponses des demandeurs d’emploi et des recruteurs en comparant leur niveau moyen d’acceptation en termes d’éthique (note sur 5) pour chacune des pratiques couvertes par l’enquête.</p>
<p>Le <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/news/europe-fit-digital-age-commission-proposes-new-rules-and-actions-excellence-and-trust-artificial">projet européen de réglementation</a> en faveur d’une intelligence artificielle source de progrès, centrée sur l’humain, durable, sûre, inclusive et digne de confiance permet de lever les réserves évoquées par les jeunes générations et crée un cadre législatif nécessaire pour éviter les dérives qu’ils redoutaient, que ce soit dans la vie de tous les jours, dans les processus de recrutement ou dans l’équilibre « Homme-Machine ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon une étude de l’EDHEC NewGen Talent Center, les étudiants estiment que l’intelligence artificielle peut être source de progrès mais mentionnent la nécessité d’un encadrement des pratiques.Geneviève Houriet Segard, Docteur en démographie économique, Ingénieur de recherche à l’EDHEC NewGen Talent Centre, EDHEC Business SchoolSerge da Motta Veiga, Professeur en Gestion des Ressources Humaines, EDHEC Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1591492021-04-19T17:18:44Z2021-04-19T17:18:44ZUE : les trois limites du projet de taxe carbone aux frontières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/395441/original/file-20210416-17-117w7si.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3792%2C2393&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ce projet s’intègre dans le cadre, à la fois, de sa nouvelle stratégie commerciale et du «&nbsp;Green Deal&nbsp;» («&nbsp;pacte vert&nbsp;»), visant à faire de l’Europe, d’ici à 2050, le «&nbsp;premier continent neutre en carbone&nbsp;».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/strasbourg-france-march-20-exterior-european-169958063">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En mars dernier, le Parlement européen a voté le principe d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce projet de taxe carbone aux frontières s’intègre dans le cadre, à la fois, de sa <a href="https://ec.europa.eu/france/news/20210218/politique_commerciale_ouverte_durable_ferme_pour_l_union_europeenne_fr">nouvelle stratégie commerciale</a>, intitulée <em>Une politique commerciale ouverte, durable et volontaire</em>, et du « Green Deal » (« pacte vert »), visant à faire de l’Europe, d’ici à 2050, le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0071_FR.html">« premier continent neutre en carbone »</a>.</p>
<p>Le texte indique que le MACF devra être non discriminant, c’est-à-dire respecter les articles I (clause de la nation la plus favorisée) et III (traitement national) des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et être compatible avec les dispositions de l’Article XX (les exceptions générales), particulièrement ne pas générer de distorsions aux échanges.</p>
<p>Afin d’éviter d’être associé à une restriction quantitative aux échanges (prohibée par l’OMC), le dispositif n’impose ni l’achat de quotas, ni la participation à un marché parallèle réservé aux importateurs. De fait, le mécanisme s’apparenterait à une taxe à l’importation calculée en fonction du contenu carbone des importations et dont le taux serait fixé en fonction du prix de la tonne de CO<sub>2</sub> dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SEQE).</p>
<p>Trois réserves peuvent toutefois être émises sur ce projet. Il n’est en effet pas certain que les précautions citées précédemment suffisent à ce que le MACF soit adopté, soit compatible avec le régime OMC, et soit effectif.</p>
<h2>La décarbonation sacrifiée ?</h2>
<p>La première concerne l’effectivité de la mesure. En indiquant que le MACF doit inciter à la fois à décarboner, à améliorer la compétitivité des produits européens tout en ne nuisant pas aux opportunités commerciales de l’Union européenne (UE), nous sommes au cœur du trilemme globalisation-compétitivité-commerce.</p>
<p>Selon la recherche, il n’est <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w10090/w10090.pdf">pas possible</a> d’obtenir simultanément une économie globalisée, s’appuyant sur des stratégies d’ouverture compétitive tout en étant sur une trajectoire ambitieuse de décarbonation. Du Sommet de la Terre de Rio de 1992 à l’Accord de Paris de 2015, la gouvernance climatique internationale s’interprète comme un arbitrage, constamment réaffirmé, en faveur d’une globalisation, dont l’un des moteurs est les politiques de compétitivité, au dépens de l’angle décarbonation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1239395118173618176"}"></div></p>
<p>La nouvelle stratégie ne tranche pas ce dilemme : elle affirme que l’accès au marché intérieur de l’UE sera un levier pour amener les partenaires à accroître leurs efforts en matière climatique et environnementale. En parallèle, elle réaffirme la doctrine libre-échangiste et le fait que la politique commerciale est un soutien à la politique de concurrence. La décarbonation sera-t-elle dès lors sacrifiée une nouvelle fois sur l’autel de la <em>realpolitik</em> commerciale ?</p>
<p>La deuxième réserve renvoie à la compatibilité avec le régime OMC. Ce dernier n’a pas de doctrine fixe concernant les mesures d’ajustement aux frontières.</p>
<p>Trois points méritent d’être rappelés. Primo : une mesure d’ajustement aux frontières ne peut s’appliquer que vis-à-vis de pays présentant une « situation similaire » ou des « conditions comparables ». Cela exclurait les pays les moins avancés (PMA) mais également les pays en développement (PED) tels les émergents, cette catégorie n’existant pas à l’OMC.</p>
<p>Deuxio : le MACF risque de buter sur le test de nécessité selon lequel, pour qu’une mesure soit tolérée, il faut démontrer qu’elle est nécessaire à défaut de tout autre dispositif à la réalisation des objectifs énoncés par le régulateur.</p>
<p>Ne perdons pas de vue que l’article 3.5 de la <a href="https://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf">Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques</a> (CCNUCC) empêche le recours aux mesures commerciales pour atteindre les objectifs de politique climatique. Aussi, le MACF ne peut être la seule option de l’UE pour décarboner les échanges, comme nous l’avions souligné dans un <a href="https://www.ieim.uqam.ca/IMG/pdf/mehdi_abbas_decarbonizing_trade_policy.pdf">article de recherche</a> récent.</p>
<p>Tertio : l’OMC étant une organisation conduite par ses membres, la compatibilité d’un MACF dépendra, en dernier ressort, du consensus des États membres.</p>
<p>C’est pourquoi l’UE devra engager une diplomatie du consensus building et engager une procédure au titre de l’article IX.3 de l’accord instituant l’OMC. La prochaine conférence ministérielle qui se tiendra à Genève en novembre 2021 pourrait être l’occasion d’avancer dans ce sens.</p>
<h2>Une piste prometteuse mais problématique</h2>
<p>La troisième réserve porte sur l’articulation avec le SEQE. Deux éléments doivent être gardés à l’esprit pour la comprendre.</p>
<p>Le premier est que la mise en place d’un MACF implique la fin de la <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/systeme-dechange-quotas-demission">gratuité des quotas d’émission</a> aujourd’hui en vigueur. Celle-ci devrait intervenir en 2030, mais si la mesure entre en vigueur en 2022, le SEQE devra être réformé au risque que l’UE soit attaquée pour double protection de ses producteurs : ils ne paient pas pour leurs émissions et ils sont protégés par le MACF.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395450/original/file-20210416-19-11aiq6p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La mise en place d’un MACF devra s’accompagner d’une réforme du SEQE, afin d’empêcher la double protection des producteurs européens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/factory-pipe-polluting-air-smoke-chimneys-534462514">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier pourrait même inciter les firmes les plus émettrices à localiser leurs sites en Europe. Paradoxe climatiquement intenable.</p>
<p>Le second élément renvoie à la comptabilité carbone des importations : comment calculer, en l’absence de toute méthodologie consensuelle internationale, l’empreinte carbone des biens importés/produits hors de l’UE. Le projet laisse entendre que les importateurs devraient avoir la possibilité de prouver que la teneur en carbone de leurs produits est inférieure à celle de leurs équivalents européens.</p>
<p>Certes, mais quelle institution certifiera cette information et selon quelles modalités de calcul ? Faut-il se limiter au produit en tant que tel ou inclure les procédés et méthodes de production, et le bilan carbone des entrants et le prix local du carbone ? Le chantier est immense et d’une redoutable complexité.</p>
<p>L’option d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE représente une piste à la fois prometteuse et problématique. Elle est prometteuse car le projet entend compléter la stratégie de décarbonation de l’UE, accompagner la révision du système européen des quotas d’émissions (acter la fin de leur gratuité) et contribuer à la réindustrialisation décarbonée de l’économie européenne.</p>
<p>Elle est cependant problématique car la géoéconomie du carbone et les nouveaux rapports de puissance dans l’économie globale la rendent hautement conflictuelle. Le mécanisme implique en effet une action au niveau multilatéral (OMC), susceptible d’en retarder l’adoption et/ou de grandement en neutraliser les effets.</p>
<p>Le projet de taxe carbone aux frontières dépendra donc, dans une large mesure, de la capacité de l’Europe à construire un consensus international, c’est-à-dire à convaincre et à peser sur les rapports de force, talon d’Achille de l’UE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mehdi Abbas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Effectivité, compatibilité avec les textes de l’OMC, calcul de l’empreinte carbone… Le dispositif voté par les eurodéputés en mars dernier laisse plusieurs questions essentielles en suspens.Mehdi Abbas, Maître de conférence, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1587972021-04-12T20:35:32Z2021-04-12T20:35:32ZSauvetage d’Air France : les contreparties vont-elles compromettre le redécollage de la compagnie ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/394460/original/file-20210412-13-np27ez.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4072%2C2712&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La crise a coûté une perte d’exploitation de 4,5&nbsp;milliards d’euros à la compagnie aérienne en 2020.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/paris-france-march-2018-air-airplanes-1055606795">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Avec un trafic de passagers <a href="https://www.leparisien.fr/economie/transport-aerien-le-trafic-passagers-a-chute-de-66-en-2020-03-02-2021-8422921.php">réduit de deux tiers</a> pour la seule année 2020, les compagnies aériennes paient un <a href="https://www.franceculture.fr/economie/covid19-et-aerien-une-crise-sans-precedent-qui-laissera-des-traces">lourd tribut</a> à la crise de Covid-19.</p>
<p>Lestées de coûts fixes importants, ces dernières subissent de plein fouet un effet de ciseau qui les pousse à se tourner vers la puissance publique pour éviter des <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/covid-19-le-secteur-aerien-americain-pourrait-perdre-90000-emplois-1264615">plans sociaux massifs</a>, voire des faillites en cascade touchant l’ensemble de l’écosystème du transport aérien.</p>
<p>Or, de telles aides d’État n’ont rien d’automatique : au plan national, elles engagent la participation des pouvoirs publics au système productif, engagement qui est réglementé.</p>
<p>En outre, accordées unilatéralement et sans la moindre contrepartie, elles seraient de nature à fausser le jeu de la concurrence dont la Commission européenne est la gardienne. Elles font donc l’objet d’un <a href="https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/aides-d-etat">encadrement strict</a> au titre de <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A12008E107">l’article 107</a> du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).</p>
<h2>La mécanique du plan de soutien</h2>
<p>C’est dans le contexte d’une version assouplie (en raison de la crise) de ce cadre, que la Commission européenne <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/accord-trouve-avec-la-commission-europeenne-sur-un-nouveau-soutien-financier-a-air-france-le-maire-881620.html">a accepté</a>, le 6 avril 2021, le projet de recapitalisation d’Air France par le gouvernement de Jean Castex. Dans le détail, ce projet vise la transformation d’une partie du prêt accordé l’an dernier à la compagnie aérienne pour faire face à la première vague de Covid-19, en <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/le-parachute-du-renflouement-public-au-secours-dun-secteur-aerien-en-chute-libre/">quasi-fonds propres</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394456/original/file-20210412-23-11r9p2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le projet de recapitalisation d’Air France du gouvernement de Jean Castex a été accepté par la Commission européenne début avril.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://u.afp.com/UQmR">Ludovic Marin/AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/le-sauvetage-d-air-france-attention-a-la-concurrence-deloyale_707278">7 milliards d’euros alors obtenus</a> par la compagnie se divisaient en 4 milliards au titre des prêts garantis par l’État (PGE) et en 3 milliards d’un prêt d’actionnaire. Le projet du gouvernement était de transformer ce second prêt, dont le remboursement devait se faire sous trois ans, en obligations hybrides.</p>
<p>Ce montage a deux avantages pour la compagnie. Le premier est que ces obligations pourront être remboursées à plus long terme ; le second est qu’elles sont considérées non plus comme de la dette mais comme des <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-recapitalisation-dair-france-paree-a-decoller-1304243">quasi-fonds propres</a>. Le remboursement est conditionné aux résultats, ce qui rapproche en effet ces fonds des fonds propres stricto sensu.</p>
<p>Cette transformation déplace la dette (qui n’en est plus, au sens strict) en haut du bilan, ce qui en diminue l’exigibilité. L’amélioration des ratios financiers qui en découle permettra à Air France de se financer plus facilement (et moins coûteusement) sur les marchés.</p>
<p>Outre les 3 milliards d’euros de prêts transformés en quasi-fonds propres, le plan de soutien prévoit une augmentation de capital de 1 milliard d’euros dont la souscription sera ouverte aux actionnaires et au public. L’État ne devra pas augmenter sa part au-delà de 25 % et s’engage à se retirer d’ici 6 ans. Y sont associées des règles de gouvernance strictes en matière de rémunération des actionnaires.</p>
<h2>Une recapitalisation vitale</h2>
<p>Or, l’accès à de nouveaux financements reste vital pour la compagnie nationale. La crise lui a coûté une <a href="https://www.airfranceklm.com/fr/finance/publications/resultats">perte d’exploitation de 4,5 milliards d’euros</a> en <a href="https://www.airfranceklm.com/sites/default/files/q4_2020_press_release_fr_final.pdf">2020</a> et elle anticipe une perte de 2 milliards en 2021. Le groupe Air France-KLM est endetté à hauteur de 11 milliards d’euros en 2020, son résultat est de – 7 milliards d’euros alors que sa capitalisation ne dépasse pas le milliard d’euros.</p>
<p>Cependant, il faut se rappeler que la compagnie a joué un rôle clé durant la pandémie, que ce soit en matière de fret pour les matériels sanitaires ou de rapatriements de nos concitoyens français et européens dans des conditions qui ont été <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/279083-cour-des-comptes-2021-le-covid-19-au-coeur-du-rapport-public-annuel">saluées par la Cour des Comptes</a>.</p>
<p>Hors ces conditions exceptionnelles, il s’agit d’abord de préserver l’un des acteurs clés de l’aménagement et la connectivité des territoires, <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2020/qSEQ200515925.html">comme il l’a encore été récemment rappelé au Sénat</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1369745867914240010"}"></div></p>
<p>D’autant qu’Air France, par ses commandes et son activité, est aussi un relais privilégié de la filière aéronautique, de la construction et la maintenance aéronautique à l’exploitation des infrastructures aéroportuaires, notamment à l’heure où l’effondrement du trafic aérien met à mal l’équilibre des contrats de concession.</p>
<p>Sans omettre l’impulsion qu’Air France peut jouer en matière de verdissement des flottes. Dans ce schéma, la compagnie aérienne est un acteur moteur qu’il s’agit donc de préserver « quoi qu’il en coûte ».</p>
<p>Au-delà, le soutien apporté à Air France doit lui permettre de financer son <a href="https://www.fondapol.org/etude/apres-le-covid-19-le-transport-aerien-en-europe-le-temps-de-la-decision-2/">adaptation à son nouvel environnement concurrentiel</a>. Il s’agit en effet de faire face à la montée en puissance de compagnies à bas coûts, lesquelles sont de moins en moins cantonnées à une clientèle loisir mais sont des concurrentes de plus en plus sérieuses sur les lignes province – Paris.</p>
<p>Sur ces lignes, les compagnies à bas coût doivent récupérer des <em>slots</em>, ces si convoités droits d’usage (créneaux) à quantité limitée autorisant les compagnies à atterrir et décoller à partir des aéroports visés. Air France, tout comme l’ensemble des compagnies historiques européennes, semble condamnée à accélérer le développement de leurs offres complémentaires à bas coûts pour faire face à ces concurrents de plus en plus dangereux.</p>
<h2>La guerre des slots</h2>
<p>Aussi vital soit-il pour Air France (<a href="https://theconversation.com/podcast-air-france-sur-la-mauvaise-pente-115005">et l’écosystème auquel la compagnie appartient</a>), un tel projet de recapitalisation pourrait fausser le jeu de la concurrence. C’est pourquoi la Commission européenne, au terme d’un examen, s’assure que les aides d’État soient nécessaires et proportionnées et que les distorsions concurrentielles qui pourraient en résulter soient compensées par des mesures permettant de renforcer la concurrence.</p>
<p>Ainsi, tout comme la Lufthansa avait dû, en juin 2020, <a href="https://www.aviation24.be/airlines/lufthansa-group/lufthansa/european-commission-agrees-on-lufthansa-rescue-package-the-airline-surrenders-8-aircraft-and-24-slots-in-frankfurt-munich/">abandonner à ses concurrents 24 slots quotidiens</a> pour ses hubs de Francfort et de Munich (aéroports stratégiques situés au cœur du <a href="https://theconversation.com/air-france-en-crise-un-handicap-pour-skyteam-49066">réseau en étoile</a> des opérateurs aériens, jouant le rôle de carrefour de dessertes), Air France est enjointe par la Commission européenne à céder au moins <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_21_1581">18 slots de décollage à l’aéroport de Paris-Orly</a>.</p>
<p>Si la Commission est prompte à exiger des opérateurs historiques qu’ils cèdent des slots en contrepartie des aides reçues, c’est qu’elle n’ignore rien de leur caractère stratégique. En effet, les compagnies aériennes peuvent <a href="https://theconversation.com/des-avions-qui-volent-a-vide-pour-conserver-les-creneaux-aeroportuaires-retour-sur-la-polemique-133943">reporter d’une année à l’autre leurs slots</a> dans un aéroport donné dès lors qu’elles en ont utilisé plus de 80 % l’année précédente.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1241845835673067520"}"></div></p>
<p>Cette pratique, appelée la « règle du grand-père » (aménagée encore du fait de la crise de la Covid-19 pour éviter de faire voler des appareils avec de très faibles taux de remplissage), avantage indubitablement les opérateurs historiques vis-à-vis des nouveaux entrants puisque, naturellement, elles en disposent en plus grande quantité, dans des aéroports de premier plan, et sur des créneaux horaires plus stratégiques. Ces slots sont donc vus par la Commission européenne comme une barrière à l’expansion des concurrents, notamment des opérateurs à bas coûts.</p>
<h2>Nouvelles concurrences (dé)loyales</h2>
<p>Les néo-compagnies, nous l’avons souligné, sont désormais de <a href="https://www.fondapol.org/etude/combe-les-vertus-cachees-du-low-cost-aerien/">redoutables concurrents</a> aux compagnies historiques aux structures de coûts nettement plus lourdes et moins flexibles. Elles peuvent être vues comme une réelle réussite de la libéralisation sectorielle initiée par la Commission.</p>
<p>Mais leur capacité à concurrencer encore plus les opérateurs historiques est freinée par le contrôle que ces derniers exercent sur les slots des aéroports stratégiques. Ces précieux slots pourraient leur permettre de prendre encore des parts de marché aux acteurs historiques, via le développement de nouveaux services de correspondance et du <em>self-connecting</em>.</p>
<p>Car l’idée selon laquelle les compagnies à bas coûts se limiteraient à des liaisons point à point pour une clientèle loisir est peu à peu démentie par les faits. Il n’y a pas une segmentation du marché mais, au contraire, un mouvement de montée en gamme de certaines compagnies à bas coûts et une nécessaire réinvention du modèle économique des opérateurs historiques pour défendre leur présence sur le court et moyen-courrier.</p>
<p>Or, la défense de ce modèle économique repose sur ces fameux slots qui leur permettent d’alimenter leurs vols long-courriers (souvent rentables) depuis des hubs alimentés par des lignes radiales (parfois déficitaires).</p>
<p>Se dessine alors un schéma concurrentiel particulièrement défavorable aux compagnies historiques. Sur le segment du long courrier, elles s’opposent à des <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/aeronautique/golfe-des-compagnies-trop-subventionnees_2655328.html">compagnies</a> bénéficiant de soutiens étatiques parfois massifs. Sur le segment des courts et moyens courriers, le caractère loyal de la concurrence que leur opposent les compagnies à bas coûts peut également être questionné.</p>
<p>D’un côté, l’émergence de ces compagnies a profité aux consommateurs européens. Leur croissance vient en grande partie de leur performance économique : un modèle de minimisation des coûts, une gestion des flux passagers optimisée et une flotte homogène exploitée de la façon la plus efficace possible. Le succès des nouveaux entrants comme Ryanair et EasyJet est indubitable. Leur émergence apparaît comme l’un des effets de la politique de concurrence.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394452/original/file-20210412-19-109vosi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’émergence des compagnies à bas coûts comme Ryanair et EasyJet a profité aux consommateurs européens.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/tenerife-spain-august-2019-ryanair-easyjet-1511145887">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De l’autre, la croissance de ces compagnies peut aussi s’expliquer par des <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-aeroports-francais-face-aux-mutations-du-transport-aerien">aides versées par des gestionnaires d’aéroports dits périphériques</a>, mais aussi par des mesures de dumping fiscal et <a href="https://journals.openedition.org/nrt/3527">social</a>… au sein même de l’Union européenne ! Difficile, dans ces conditions, de prétendre que l’expansion des compagnies à bas coûts n’est que le fruit de leurs mérites et que la concurrence intra et extra européenne se soit toujours jouée « à égalité des armes ».</p>
<h2>Contreparties paradoxales</h2>
<p>C’est pourtant au titre de la préservation d’une concurrence libre et non faussée que la Commission européenne exige des opérateurs historiques qu’ils cèdent des slots en contrepartie des aides d’État qu’ils reçoivent.</p>
<p>Pointe alors un curieux paradoxe, souligné dans un récent <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2021/OFCEpbrief87.pdf">Policy brief</a> de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : les contreparties exigées par la Commission européenne ne sont-elles pas de nature à affaiblir les perspectives de reprise de l’activité d’Air France (et donc sa capacité même à redéfinir son modèle économique), qui pourtant est la finalité même de la mesure de soutien public ?</p>
<p>Le compromis obtenu sur les contreparties n’est donc pas une concession par rapport à l’application des règles de concurrence mais un équilibre entre l’ouverture du marché, le maintien des chances de restructuration de l’opérateur historique et la prise en compte d’avantages symétriques dont bénéficient les nouveaux entrants.</p>
<p>Autrement dit, pour la Commission européenne, il s’agit donc d’arbitrer entre le renforcement de la concurrence, au bénéfice des consommateurs, et la préservation des opérateurs historiques qui jouent, nous l’avons vu, un rôle d’entraînement économique majeur.</p>
<p>Le nombre présumément inférieur de slots qu’Air France devra céder par rapport à ce que l’Allemagne a dû accepter (18 contre 24) témoigne d’ailleurs de la recherche d’une voie d’équilibre entre contreparties concurrentielles et préservation des chances de succès de la restructuration d’Air France, dans un contexte où la crise de la Covid-19 a exacerbé ses <a href="https://theconversation.com/air-france-ou-comment-se-couper-les-ailes-95758">difficultés structurelles préexistantes</a>.</p>
<p>Une restructuration qui se ferait au prix de l’affaiblissement concurrentiel inexorable de la compagnie induirait le risque de devoir la soutenir dans le futur de façon récurrente ou de l’abandonner et avec elle les milliards injectés. Et personne n’a intérêt à ce qu’Air France s’enlise dans une spirale d’attrition <a href="https://ajot.com/news/alitalia-is-running-out-of-cash-and-italy-canat-help-this-time">comparable à celle d’Alitalia</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1260291791548567553"}"></div></p>
<p>La disparition d’Air France, dont la situation est aujourd’hui extrêmement fragile, ferait partir avec elle non seulement des emplois mais une entreprise de services expérimentée et un levier de la politique territoriale et environnementale du gouvernement. En outre, la concurrence en serait grandement affectée.</p>
<p>La décision de la Commission fera sans doute l’objet de <a href="https://www.france24.com/en/europe/20210406-air-france-gets-european-union-approval-for-%E2%82%AC4-billion-in-aid">recours</a> de la part d’opérateurs à bas coûts à l’instar de ceux qui avaient été vainement <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/02/17/la-justice-europeenne-rejette-les-recours-de-ryanair-contre-les-aides-publiques-a-air-france_6070278_3234.html">engagés</a> contre les programmes de soutien autorisés par la Commission au printemps 2020. La balance d’intérêts antagonistes pèse sur les instances européennes qui doivent réaliser un difficile arbitrage entre intérêts de court terme et intérêts de long terme, entre principes et réalisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158797/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les conditions exigées par la Commission européenne, qui prévoient notamment une réduction des slots dans les aéroports, pourraient affaiblir l'entreprise face à la concurrence.Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie et Stratégie (Inseec U.) / Pr. et Chercheur associé (U. Paris Saclay), INSEEC Grande ÉcoleFrédéric Marty, Chargé de recherche CNRS, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Sarah Guillou, Directrice, département Innovation et concurrence à l'OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1586382021-04-08T14:44:48Z2021-04-08T14:44:48ZLe « sofagate » ou la faillite de la politique étrangère de l’Union européenne<p>Depuis le matin du mercredi 7 avril, une vidéo de la rencontre entre Recep Tayyip Erdogan et Ursula von der Leyen et Charles Michel <a href="https://www.politico.eu/article/sofagate-ursula-von-der-leyen-turkey-sofa-charles-michel-recep-tayyip-erdogan/">met en émoi les réseaux sociaux</a>.</p>
<p>On y voit le président du Conseil européen et le président turc, suivis de la présidente de la Commission européenne et du ministre des Affaires étrangères turc, marcher de concert, comme de vieux amis, du pas énergique qui sied aux hommes de pouvoir, et s’installer sur les deux fauteuils préparés à leur intention dans l’immense salon d’un palais gouvernemental.</p>
<p>Ce faisant, comme dans le jeu des chaises musicales, ils laissent la présidente de la Commission en retrait, seule, debout, incrédule : il n’y a pas de fauteuil pour elle. Aucun d’eux ne fait mine de se préoccuper de son sort ou de se lever. Celle-ci n’a d’autre choix que de s’asseoir sur un canapé, en face de Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre turc des Affaires étrangères.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IUvjqXJE6VE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Une rencontre avec le président turc qui frôle l’incident diplomatique ? YouTube, Huffington Post.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un dispositif très calculé</h2>
<p>Chacun pouvait s’attendre à pareille provocation de la part des autorités turques. Car ce n’est pas une gaffe du service du protocole de la présidence : ce serait leur faire insulte que de leur prêter tant d’amateurisme. C’est au contraire un dispositif très calculé, destiné à humilier publiquement la présidente de la Commission, dans un contexte chargé en jouant sur les ambiguïtés du protocole européen.</p>
<p>La Turquie s’est en effet <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/22/violences-contre-les-femmes-erdogan-retire-la-turquie-de-la-convention-d-istanbul_6074029_3210.html">retirée</a> le 19 mars dernier de la Convention européenne dite « d’Istanbul », relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Et Madame Von der Leyen ne s’est pas montrée très complaisante avec les autorités turques depuis son élection à la tête de la Commission, en juillet 2019. Elle s’était notamment élevée, en octobre 2020, contre les violations des eaux territoriales chypriotes par la Turquie, déclenchant <a href="https://www.leparisien.fr/international/mediterranee-orientale-l-ue-donne-trois-mois-a-la-turquie-pour-stopper-les-provocations-02-10-2020-8395542.php">l’ire du président Erdogan</a>.</p>
<p>La présidente de la Commission a appliqué, depuis, une stratégie de la carotte et du bâton, évoquant tout à la fois une modernisation de l’union douanière avec la Turquie, pour faciliter les échanges commerciaux, et une meilleure coopération sur la question migratoire – c’est-à-dire davantage d’argent – mais également de possibles sanctions de l’Union européenne à l’encontre d’Ankara. Quant à Recep Tayyip Erdogan, c’est un fin stratège, qui sait créer de tels incidents et <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/03/13/apres-la-division-l-union-europeenne-resserre-les-rangs_1555452">diviser pour régner</a>, et ne craint pas les situations tendues.</p>
<p>On pourrait y voir une péripétie sans importance, considérer que les visites d’État ne sont qu’un barnum sans intérêt, et que ces histoires de chaises, de canapés et de protocole sont secondaires. Mais ce serait ignorer que ces rencontres hautement médiatisées ne sont qu’affaires de symboles : le contenu des échanges importe moins que les signes d’entente et de bonne volonté ou, au contraire, de défiance et de crispation qui sont émis durant ces courtes séquences.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1380074124924583947"}"></div></p>
<p>Il faut faire ici le parallèle avec la <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/le-haut-representant-de-lue-naurait-pas-du-se-laisser-humilier-a-moscou">manière très rude</a> dont les autorités russes avaient reçu le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, Josep Borrell, à Moscou le 5 février dernier. On a évoqué des maladresses de sa part, mais il est plus juste de considérer qu’il a été la cible d’une <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/ici-l-europe/20210330-josep-borrell-sur-sa-visite-%C3%A0-moscou-humili%C3%A9-non-j-ai-%C3%A9t%C3%A9-agress%C3%A9-par-les-russes">stratégie d’humiliation</a> en bonne et due forme, orchestrée par le ministre russe des Affaires étrangères, le très aguerri Sergueï Lavrov. Borrel était en visite officielle à Moscou quand les autorités russes ont expulsé trois diplomates européens, accusés de soutien à l’opposant Alexeï Navalny. Il a aussi dû subir une conférence de presse réunissant des journalistes peu hostiles au Kremlin.</p>
<h2>Une guerre froide</h2>
<p>Ce qui s’est joué à Ankara, comme à Moscou, n’est pas du registre de la courtoisie ou de la manifestation d’une humeur, bonne ou mauvaise : ce sont des manifestations de guerre froide. La Turquie – comme la Russie, la Chine ou l’Inde – se revendique désormais avec force comme un <a href="https://www.ft.com/content/b6bc9ac2-3e5b-11e9-9bee-efab61506f44">« État de civilisation »</a>.</p>
<p>Recep Tayyip Erdogan affirme sans détour aux leaders des pays dits occidentaux qu’il ne partage pas leurs valeurs, n’entend pas s’y rallier, et veut au contraire affirmer les siennes, qu’il juge tout aussi légitimes, car fondées sur <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/13/turquie-les-nouveaux-habits-historiques-du-president-erdogan_6059559_3232.html">« une longue et glorieuse histoire »</a>, et un fort <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/erdogan-mene-un-projet-panislamiste-et-neo-ottoman-qu-il-faut-combattre-de-toute-urgence-20200303">attachement à des convictions religieuses</a>.</p>
<p>De même que Vladimir Poutine ou Xi Jinping, le président turc <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Turquie-agenda-positif-prix-labdication-valeurs-europeennes-2021-02-10-1201139994">récuse</a> la prétention universelle des perceptions européennes de la démocratie, des droits de l’homme et du progrès social, et leur croyance dans des relations internationales fondées sur le règne de la coopération et du droit. Il refuse de faire siennes les conceptions sociétales promues à Bruxelles, en particulier en ce qui concerne les rapports entre hommes et femmes, les droits des minorités sexuelles ou ceux des minorités ethniques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1377635861014188040"}"></div></p>
<p>Cette manœuvre n’est pas surprenante de la part de ce leader nationaliste, dont l’agenda est connu et qui sait parfaitement ce qu’il fait.</p>
<p>Que la présidente de la Commission ait eu à subir un tel traitement n’est pas constitutif en soi d’une faillite de la politique étrangère de l’Union. Elle a fait face, a manifesté son déplaisir avec tact, et ne s’est pas laissée piéger par la provocation. Elle a pris pleinement part à la discussion, qui devait porter – ce n’est pas un hasard – sur les droits de l’homme. Rentrée à Bruxelles, elle a officiellement protesté contre ce traitement, et donné des instructions à ses équipes pour que cela n’arrive plus.</p>
<p>Si faillite de la politique étrangère de l’Union il y a eu, c’est en raison de l’attitude de Charles Michel, le président du Conseil européen. Comment, en effet, expliquer que celui-ci se soit assis sans se préoccuper du sort d’Ursula von der Leyen ? On aurait pu imaginer qu’il se lève pour lui céder son fauteuil ou exige d’être assis à côté de la présidente de la Commission européenne, mais il n’en a rien fait. Il s’est contenté, de retour à Bruxelles, de <a href="https://www.politico.eu/article/charles-michel-on-sofagate-not-my-fault-ursula-von-der-leyen-recep-tayyip-erdogan/">faire valoir</a> qu’il n’était pas responsable des dispositions protocolaires et que les images de la réunion donnaient une fausse impression de la situation.</p>
<p>Certains soulignent que ce dispositif a forcément été validé par les services du protocole de la Commission, et que l’on fait donc un mauvais procès aux autorités turques, mais ces services n’étaient pas sur place, en raison de la situation sanitaire. Le chef du protocole de la Commission, Éric Mamer, a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/07/a-ankara-ursula-von-der-leyen-fait-les-frais-d-une-tres-sexiste-faute-de-protocole_6075893_3210.html">confirmé</a> que, lors d’une visite à l’étranger à laquelle les deux présidents prennent part, ils doivent être traités de la même manière.</p>
<p>Cette interprétation est contestée, certains estimant qu’à l’étranger, le président du Conseil européen a <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/recep-tayyip-erdogan-a-t-il-humilie-ursula-von-der-leyen-20210407_ZSQXDPRAYVAE7C6E2LFJBBDZYA/">rang de préséance sur son homologue de la Commission</a>. Jean‑Claude Juncker, ancien président de la Commission, <a href="https://www.politico.eu/article/juncker-tries-to-take-the-sting-out-of-sofagate/">laisse entendre</a> que Mme Von der Leyen est bien susceptible, et qu’il lui arrivait également de se retrouver au second plan. Il reste que Charles Michel n’est pas le supérieur hiérarchique de la présidente de la Commission, comme Recep Tayyip Erdogan l’est de son ministre. En outre, les médias abondent de photos montrant que, lors de la précédente visite officielle des responsables européens à Ankara, le président du Conseil européen Donald Tusk et celui de la Commission Jean‑Claude Juncker étaient installés tous deux aux côtés de M. Erdogan, sur un pied d’égalité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1379867787783458816"}"></div></p>
<p>Quoi qu’il en soit, l’incident marque les limites de l’action extérieure de l’Union. Depuis les dernières élections européennes (mai 2019), les leaders européens (ceux des institutions l’Union comme ceux des États membres) n’en finissent plus d’évoquer la <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2020/12/03/conversation-avec-clement-beaune/">« puissance »</a> et <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/leurope-etre-strategiquement-autonome">« l’autonomie stratégique »</a> de l’Union, son rôle « géopolitique », voire sa <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/01/08/comment-definir-les-contours-de-leurope-puissance/">« souveraineté »</a>.</p>
<p>Un consensus émerge parmi eux pour reconnaître que l’UE ne peut plus s’en tenir à la promotion pacifique et angélique de ses valeurs, et que la convergence globale vers le modèle de l’État-nation occidental, <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/lhistoire-de-la-fin-de-lhistoire">prédite au lendemain de la chute du bloc soviétique</a>, n’aura pas lieu. En conséquence, l’Union doit <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-fin-de-la-naivete-1229485">cesser de faire preuve de naïveté dans son action internationale</a>. Dans ce contexte, l’incapacité de Charles Michel à comprendre la situation créée par le président turc et à s’en saisir est assez désastreuse.</p>
<h2>Naïveté européenne</h2>
<p>L’attitude du président du Conseil européen est en effet symptomatique de l’incapacité de l’UE à définir et à mettre en œuvre une ligne politique claire à l’échelle internationale, et à parler d’une seule voix avec ses interlocuteurs. Elle illustre parfaitement la situation qu’engendre la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/maxime-lefebvre-le-traite-de-lisbonne-ne-met-pas-fin-aux-risques-de-cacophonie/amp/">polyarchie</a> européenne en matière de relations extérieures, qui voit la responsabilité de sa politique étrangère divisée entre de multiples leaders qui se trouvent dans une situation de concurrence objective : les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne, le Haut Représentant de l’Union, ainsi que la « présidence semestrielle » du Conseil.</p>
<p>Il faut, bien entendu, compter également avec les responsables politiques des 27 États membres, qui restent libres de définir leur politique étrangère pour tout ce qui ne relève pas des compétences centrales de l’Union (commerce, environnement, agriculture…). Cette situation engendre une concurrence et une cacophonie persistantes, dont le manque de solidarité de Charles Michel à l’endroit d’Ursula von der Leyen est la parfaite illustration.</p>
<p>Il faut rappeler ici l’importance stratégique que revêtait la visite à Ankara, qui visait à <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20210406-les-dirigeants-de-l-union-europ%C3%A9enne-en-turquie-pour-apaiser-les-tensions">réchauffer des relations</a> entre l’UE et la Turquie au point mort. Le président Erdogan souffle désormais le chaud et le froid, contrarié par l’élection de Joe Biden, qui n’est plus aussi conciliant que ne l’était Donald Trump. L’année 2020 a été difficile entre les deux blocs, avec une série de déclarations belliqueuses du président turc, qui avait notamment <a href="https://www.challenges.fr/monde/erdogan-interroge-la-sante-mentale-de-macron_734206">mis en doute la santé mentale d’Emmanuel Macron</a> et qualifié la France de pays <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/erdogan-en-france-on-est-face-%C3%A0-un-racisme-institutionnel/2161087">« raciste »</a>.</p>
<p>Les dirigeants de l’Union voulaient sonner l’heure du rapprochement, la Turquie étant toujours officiellement candidate à l’adhésion. Cette rencontre devait leur permettre d’exposer leur point de vue sur l’avenir de la région, à travers des discussions sur la coopération économique, les questions de mobilité et les migrations. Le nœud des relations entre la Turquie et l’Union reste en effet la <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/crise-migratoire-qu-est-devenu-l-accord-entre-l-union-europeenne-et-la-turquie/">question migratoire</a>. En la matière, l’Union fait miroiter à Ankara des financements – il est question de 6 milliards d’euros – en échange du maintien sur le sol turc des 4 millions de migrants syriens qui espèrent venir en Europe.</p>
<p>Le « sofagate » créé délibérément par Recep Tayyip Erdogan augure mal de la capacité de l’Union à parler d’une seule voix à l’étranger et de défendre ses intérêts dans une relation équilibrée avec les autres grandes puissances. Espérons qu’il sera l’occasion d’un sursaut de lucidité au sein des institutions européennes.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Costa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’incident diplomatique survenu lors de la visite à Ankara d’Ursula von der Leyen et Charles Michel illustre la faiblesse de l’Union face à la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.Olivier Costa, Directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF / Directeur des Etudes politiques au Collège d'Europe, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1580322021-03-31T19:50:18Z2021-03-31T19:50:18ZPolitique sanitaire commune : l’implosion de l’Union européenne ?<p>Alors que les tensions montent en Europe sur la question des vaccins et de leur répartition, l’Union européenne subit des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/coronavirus-lue-demande-astrazeneca-de-rattraper-son-retard-en-matiere-de-livraison-de">retards de livraisons</a> à répétition et les foudres des critiques.</p>
<p>En effet selon l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans toutes les politiques et activités de l’Union. »</p>
<p>Les citoyens de l’UE ont le droit d’accéder aux soins de santé dans n’importe quel État membre de l’UE et d’être remboursés pour des soins à l’étranger par leur pays d’origine. La carte européenne d’assurance maladie (CEAM) garantit depuis juin 2004 que les soins de santé nécessaires sont fournis dans les mêmes conditions et au même coût que les personnes assurées dans leur pays d’origine.</p>
<p>Pour autant, en termes de politique de santé, l’UE ne dispose aujourd’hui que d’une <a href="https://ec.europa.eu/health/policies/overview_en">compétence d’appui</a>. Toujours selon l’article 168 l’UE « encourage la coopération » et « complète les politiques nationales », sans s’y substituer. De fait, elle s’attache aujourd’hui essentiellement à agencer au mieux l’action des États membres.</p>
<h2>Le précédent « vache folle »</h2>
<p>Avec l’épisode dit de la vache folle dans les années 80, l’UE avait déjà été au centre des critiques.</p>
<p>Bruxelles avait eu en effet tout au long de la crise un retard important par rapport aux mesures prises par le Royaume-Uni puis la France. Des pressions furent même effectuées sur les comités consultatifs afin qu’ils évitent tout « alarmisme » dans leurs conclusions, comme attesté par la fameuse <a href="https://www.senat.fr/rap/r00-321-1/r00-321-154.html">« note Legras »</a> rendue publique par la presse.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Pxojz6grwcU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo rappelant la crise de la « vache folle », en anglais.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ainsi fallu-t-il attendre plus de six ans après l’interdiction des farines animales dans les aliments du bétail pour que l’UE <a href="https://www.senat.fr/rap/r00-321-2/r00-321-243.html">interdise leurs exportations</a> vers les autres États membres.</p>
<p>L’interdiction de l’utilisation des matériaux à risque dans la chaîne alimentaire des pays membres de l’UE n’intervint elle aussi qu’en 2000, à la suite de trois années de procédures, et celle concernant la distribution des farines animales aux animaux d’élevage, <a href="https://information.tv5monde.com/info/farines-animales-sont-elles-vraiment-interdites-dans-l-union-europeenne-312730">l’année suivante seulement</a>.</p>
<p>Il fut par ailleurs reproché à Bruxelles un certain manque d’autorité face à la crise, notamment à travers une réglementation peu draconienne par rapport à celles adoptées par les pays membres. En effet, il fallut attendre 1994 pour que l’Union européenne interdise les protéines issues de tissus bovins dans l’alimentation des ruminants et l’exportation de viande bovine provenant d’un élevage ayant eu un cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, maladie de la vache folle).</p>
<p>Et ce n’est qu’en 1996 que l’UE imposa un embargo sur les bovins et leurs produits dérivés provenant du Royaume-Uni, avant de lever ce même embargo l’année suivante.</p>
<p>Pis : alors qu’en février 1996, les Länder allemands avaient fermé leurs frontières à la viande bovine britannique, ceux-ci subirent une première procédure de la Commission européenne, suivie d’une seconde en 1999 pour infraction aux décisions 98/256/CE et 99/514/CE d’autoriser l’entrée sur son territoire de viandes de bœuf britannique.</p>
<h2>Une évaluation des pesticides jugée timorée</h2>
<p>Autre reproche couramment adressé à l’UE dans le domaine de la santé : l’évaluation des pesticides par l’<a href="https://www.efsa.europa.eu/en/news/cumulative-risk-assessment-pesticides-faq">Autorité européenne de sécurité alimentaire</a> (AESA) en fonction des risques, et non des dangers.</p>
<p>En mars 2015, le glyphosate, principal herbicide utilisé en Europe, a été classé par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) basé à Lyon, comme cancérogène probable pour l’homme. Selon l’ONG Générations futures, le glyphosate se retrouve aujourd’hui dans la <a href="https://reporterre.net/Du-glyphosate-retrouve-dans-la-moitie-des-aliments-testes-par-une-ONG">moitié des aliments</a> consommés par l’humain.</p>
<p>Or, depuis sa création à Parme en 2002, l’AESA conclue systématiquement <a href="https://www.efsa.europa.eu/fr/news/pesticide-residues-food-track-trends-our-browsable-charts">son rapport annuel</a> par la phrase suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Les produits alimentaires analysés ne sont pas susceptibles de constituer un problème pour la santé des consommateurs. »</p>
</blockquote>
<p>Le 2 mars 2016, <a href="https://www.generations-futures.fr/actualites/6-ong-environnementales-portent-plainte/">six ONG environnementales</a> (Global 2000, PAN Europe, PAN UK, Générations futures, Nature et Progrès Belgique et wemove.fr) ont déposé une plainte contre les responsables de l’évaluation du glyphosate en Europe, pour déni des effets cancérogènes et contre la possibilité de voir réautoriser sur le marché européen cette molécule.</p>
<p>L’année précédente, le gouvernement suédois avait lui-même saisi la justice européenne contre la Commission en raison de son inaction. Malgré un jugement en faveur du royaume, la Commission retarda les actions nécessaires et, <a href="https://www.lepetitjuriste.fr/perturbateurs-endocriniens-commission-europeenne-condamnee-inaction/">selon la Suède</a></p>
<blockquote>
<p>« faillit à protéger la santé humaine et l’environnement contre les menaces des perturbateurs endocriniens ».</p>
</blockquote>
<h2>De profonds dysfonctionnements</h2>
<p>Au-delà de telles « manœuvres de retardement », le plus inquiétant, selon les critiques de l’UE, seraient les efforts délibérés de la direction générale de la santé européenne, pour affaiblir les <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/05/09/comment-la-commission-europeenne-a-tente-d-affaiblir-la-protection-contre-les-pesticides_1725702/">garde-fous</a> à la fois nationaux et européens.</p>
<p>Ainsi la crise du Covid aurait-elle, une fois de plus, mis en exergue les profonds dysfonctionnements au sein de l’UE.</p>
<p>Le succès de la stratégie vaccinale de nos voisins d’outre-Manche démontrerait selon certains observateurs l’échec patent de l’UE dans ce domaine, avec une bureaucratie inefficace dans ses négociations qui encourage une partie grandissante de territoires à court-circuiter Bruxelles pour s’approvisionner en Russie, voire… en Chine.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jzbxp5i7OsA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du Telegraph, humiliation de l’UE ?</span></figcaption>
</figure>
<h2>En dépit des échecs, à grands pas vers une Europe de la santé</h2>
<p>En réponse à toutes ces critiques, la Commission a présenté <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_20_2042">dès novembre 2020</a> une liste de propositions afin de mieux préparer l’Europe face aux crises sanitaires à venir.</p>
<p>Ces propositions constituent un premier pas vers une véritable Union européenne de la santé. En premier lieu, il est prévu <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ctscRGSpsVM">d’accroître le rôle</a> du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et de l’Agence européenne des médicaments (EMA).</p>
<p>Un ECDC au mandat renforcé disposera, selon sa directrice le <a href="https://www.ecdc.europa.eu/en/news-events/ecdc-response-european-ombudsman-inquiry">Dr Andrea Ammon</a>, de davantage d’outils de surveillance à disposition pour assurer une veille en temps réel de la situation épidémiologique sur l’ensemble de l’UE. Il sera également en capacité d’envoyer des équipes médicales pour assister les pays européens en proie à une crise sanitaire.</p>
<p>Quant à l’EMA, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BY23Djg15rU">dirigée par Emer Cooke</a>, il est prévu de la doter d’effectifs et de moyens supplémentaires afin qu’elle puisse contrôler et surveiller les stocks de matériel médical et de médicaments et prévenir des risques de pénurie. L’EMA deviendrait en mesure de formuler des recommandations sur les médicaments susceptibles d’être utilisés face aux maladies émergentes.</p>
<p>Enfin, l’agence <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DWINoPVo-I">coordonnerait</a> les essais cliniques et les études d’efficacité sur les vaccins en cours de développement.</p>
<h2>Une nouvelle autorité pour les urgences sanitaires</h2>
<p>Il est par ailleurs prévu de créer d’ici la fin 2023 une autorité pour la réaction aux urgences sanitaires, Health Emergency Response Authority (HERA), sur le modèle de la BARDA américaine.</p>
<p>Créée en 2006, la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) est <a href="https://www.phe.gov/about/barda/Pages/default.aspx">l’agence états-unienne</a> responsable de l’acquisition et du développement de contre-mesures médicales contre le bioterrorisme, les menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires, les pandémies et les maladies émergentes.</p>
<p>L’agence gère notamment le projet BioShield, qui finance la recherche, le développement et le stockage de vaccins et de traitements que le gouvernement pourrait utiliser lors d’urgences de santé publique. La BARDA travaille étroitement avec l’industrie biomédicale pour promouvoir la recherche avancée, l’innovation et le développement de dispositifs médicaux, tests, vaccins et produits thérapeutiques. Elle achète et maintient également d’importants stocks de matériel, tels que médicaments, équipements de protection individuelle et vaccins.</p>
<p>Disposant de plusieurs accélérateurs de start-up situés à travers les États-Unis, le <a href="https://medtechinnovator.org/newsletter-january2021">MedTech Innovator</a> de la Barda, notamment, est un programme public-privé transformateur dont les activités de financement s’avèrent prometteuses. Pour le seul mois de janvier 2021, les start-up de la BARDA ont levé plus de 160 millions de dollars, après avoir levé 600 millions de dollars pour l’ensemble de 2020.</p>
<p>La nouvelle « BARDA européenne », HERA aurait, comme sa consœur américaine pour mandat d’investir <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Mj6Yn97AsDY">très tôt</a> dans la R&D pharmaceutique européenne, d’aider les industriels européens à accélérer le développement de leurs traitements, et de s’assurer ainsi une primauté sur les nouveaux traitements découverts. Outre l’apport en capital-risque, la HERA utiliserait des <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/qanda_21_642">accords d’achats anticipés</a> pour financer le fonds de roulement des industriels et garantir un accès et une livraison rapides des prochaines générations de vaccins.</p>
<p>La Commission européenne prévoir par ailleurs de développer <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_16_483">son instrument d’aide d’urgence</a>, créé en 2016 lors de la crise des réfugiés en Méditerranée.</p>
<p>Selon <a href="https://ec.europa.eu/echo/files/aid/countries/factsheets/thematic/eu_emergency_support_fr.pdf">l’Union européenne</a>, ces fonds ont permis d’organiser des soins de santé de base, de prendre de meilleures mesures d’hygiène et de construire des logements temporaires pour les immigrants dans le besoin. L’initiative phare de ce programme est l’Aide d’urgence pour l’intégration et l’hébergement’ (ESTIA), qui aide les réfugiés et leurs familles à louer un logement urbain et les dote d’une allocation en espèces régulière.</p>
<p>Dès les premiers mois de la crise du Covid, ce même instrument a notamment permis de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0q5SKj0T4Cc">débloquer d’urgence</a> la somme de 100 millions d’euros pour l’achat de tests antigéniques à résultat rapide, outre 220 millions d’euros pour le transfert de malades du Covid-19 depuis les régions sous tension et l’acheminement de matériel médical entre les différents pays européens.</p>
<p>Fondé sur l’article 122, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’instrument permet de faire parvenir de l’aide au plus tôt et au plus grand nombre, dans un esprit de solidarité entre les États membres, donc en dehors du mandat originel d’aide aux réfugiés.</p>
<p>Enfin, on notera que la Commission a ouvert dès le 16 juillet 2020 une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1065">consultation publique</a> pour élaborer une stratégie pharmaceutique afin de sortir de la dépendance aux matières premières asiatiques, aujourd’hui en situation de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=MtBRs2MWAbE">quasi-monopole</a>.</p>
<p>L’ensemble de ces mesures fait que la santé, encore aujourd’hui considérée comme un parent pauvre de l’UE, pourrait rapidement s’avérer l’une de ses priorités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serge Besanger est co-auteur, avec Fabrice Roth, de l’ouvrage « Stratégie financière du secteur public », publié aux Éditions ISTE.</span></em></p>En termes de politique de santé, l’UE ne dispose aujourd’hui que d’une compétence d’appui qui.Serge Besanger, Professeur à l’ESCE International Business School, INSEEC U Research Center, ESCE International Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1576062021-03-25T21:09:12Z2021-03-25T21:09:12ZGAFAM et Europe : régulations et tensions vont redessiner le digital dans tous les secteurs<p>Comment faire de la prospective, c’est-à-dire, mener des réflexions crédibles et rigoureuses afin d’anticiper plusieurs futurs possibles, à l’heure du digital ? Une méthodologie possible est de décrypter les comportements stratégiques des différents acteurs en présence.</p>
<p>À cet égard, les tensions qui vont avoir lieu dans les deux ans à venir entre les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), la Commission et le Parlement européen, et les autres parties prenantes, à la suite des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/gafam-leurope-engage-la-bataille-contre-les-geants-du-numerique">nouvelles réglementations européennes</a> présentées le 15 décembre 2020, seront particulièrement impactantes pour tous les secteurs.</p>
<p>Nos <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2016-7-page-35.htm">travaux de recherche</a> confirment que, même pour les transformations induites par les politiques publiques, les évolutions se font par palier. Des périodes de transformations incrémentales, où toutes formes d’évolutions semblent bloquées, rendent enfin possibles des mutations brutales et rapides. Tout se joue dans le <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-regionale-et-urbaine-2018-1-page-33.htm">« le jeu des acteurs »</a> dans des cadres incitatifs coercitifs.</p>
<p>Quand on fait de la prospective et qu’on se projette dans le futur à long terme, il est très important de réussir à anticiper la possibilité de telles mutations. Dans un précédent <a href="https://theconversation.com/comment-les-entreprises-peuvent-elles-se-projeter-dans-le-futur-pour-anticiper-les-crises-135735">article publié</a> sur The Conversation, nous avions développé une première approche prospective pour anticiper ces mutations au travers de l’analyse des ruptures aux tendances.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1248024345471078400"}"></div></p>
<p>Dans cet article, nous tentons de décrypter « le jeu des acteurs » autour des nouveaux règlements incitatifs coercitifs négociés au niveau de la Commission européenne pour montrer la potentialité élevée d’une profonde mutation à venir.</p>
<h2>Un secteur difficile à réglementer</h2>
<p>On observe depuis quelques années un « GAFAM bashing » (lynchage médiatique des GAFAM). Néanmoins, il faut être conscient que durant la période d’émergence du digital, les pionniers du numérique ont joué trois rôles essentiels : celui de locomotive, de booster d’innovation et de modèle. Sans eux, de nombreux nouveaux secteurs n’auraient pas vu le jour.</p>
<p>Mais aujourd’hui, le numérique est devenu un véritable « Far West » avec trop peu de règles, pour reprendre les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_RJ7q8BBQ4g&t=1196s">termes utilisés</a> par le commissaire européen Thierry Breton.</p>
<p>Il aura fallu attendre le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8YO7dXNhFjc">scandale Cambridge Analytica</a> – une fuite de données personnelles utilisées à des fins politiques en 2017-2018 – pour que la Commission européenne ait le poids suffisant face aux grandes entreprises de la « tech », afin de faire enfin voter un texte, en discussion depuis de nombreuses années, destiné à mieux encadrer la gestion des données personnelles : le <a href="https://ec.europa.eu/info/law/law-topic/data-protection/reform/rules-business-and-organisations/principles-gdpr_fr">règlement général sur les données personnelles</a> (RGPD) qui est entré en vigueur mi-2018. L’Europe était alors la première à légiférer dans ce domaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1010059410796875777"}"></div></p>
<p>Néanmoins, elle n’a pas eu le poids suffisant pour faire voter dans la foulée un second règlement, le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/reglement-europeen-e-privacy-bloque-depuis-2017-au-conseil-de-l-ue-va-enfin-pouvoir-etre-debat#.YFXn4q9KjIU">ePrivacy</a>, qui s’attaquait entre autres <a href="https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/online-privacy">à la question des cookies</a>, ces fichiers installés par le site chez l’utilisateur pour suivre son parcours de navigation.</p>
<p>En 2017, ce règlement avait créé un véritable tollé. De nombreuses parties prenantes, <a href="https://www.lesechos.fr/2017/05/e-privacy-inquiets-pour-leur-modele-economique-les-medias-alertent-bruxelles-169146">comme les médias</a> et les <a href="https://comarketing-news.fr/e-privacy-les-marques-sattendent-a-perdre-1-3-de-leur-trafic/">marques</a>, voire les <a href="https://www.argusdelassurance.com/juriscope/reglement-eprivacy-la-transformation-digitale-des-assureurs-pourrait-etre-entravee-insurance-europe.156034">assureurs</a>, se sont élevés contre cette future règlementation. Les discussions ont alors été stoppées au niveau de la Commission.</p>
<h2>Des changements induits par les jeux d’acteurs</h2>
<p>Finalement, pressentant les changements et voulant se différencier, ce sont les moteurs de recherche <a href="https://blog.mozilla.org/press-fr/2019/09/03/firefox-bloque-desormais-par-defaut-les-cookies-tiers-de-pistage-et-les-mineurs-de-cryptomonnaies/">Mozilla</a> et <a href="https://siecledigital.fr/2020/03/26/sur-safari-les-cookies-tiers-cest-fini/">Safari (Apple)</a> qui ont décidé de bloquer les cookies tiers, blocage qui s’est d’ailleurs <a href="https://www.macg.co/logiciels/2020/03/safari-bloque-nouveau-tous-les-cookies-tiers-112795">renforcé en 2020</a>.</p>
<p>Google a décidé en 2020 d’en faire de même en annonçant la fin des cookies tiers pour 2022, <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/pourquoi-la-fin-des-cookies-va-profiter-a-google-1183296">non sans critique d’ailleurs</a>. Le géant du numérique est déjà en train de préparer « l’après-cookies » avec de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/03/05/fin-des-cookies-les-annonces-de-google-font-grincer-des-dents_6072134_3234.html">nouvelles techniques de publicité digitale</a>.</p>
<p>Il s’agit d’un premier exemple de mutation profonde occasionnée par une série de jeux d’acteurs, autour d’un règlement qui n’a jamais vu le jour. Ces jeux ont aujourd’hui des impacts considérables notamment sur tous les modèles économiques basés sur l’usage des données et la publicité digitale, avec beaucoup de secteurs impactés de façon collatérale.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fgi-GSCB6ho?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation de la nouvelle stratégie digitale européenne (Commission européenne, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Parallèlement, depuis de nombreuses années, un nombre croissant de procès pour abus de position dominante ou pratiques abusives sont intentés contre les GAFAM, en <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/abus-de-position-dominante-et-distorsion-de-concurrence-bruxelles-sort-l-artillerie-lourde-contre-amazon-862044.html">Europe</a>, mais aussi un peu partout dans le monde y compris <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/20/la-justice-americaine-ouvre-une-procedure-contre-google-pour-abus-de-position-dominante_6056727_3210.html">aux États-Unis</a>. Même la Chine a décidé de durcir <a href="https://www.usine-digitale.fr/article/la-chine-durcit-sa-legislation-antitrust-contre-ses-plateformes-tech-nationales.N1058504">sa législation anti-trust</a> (anti-monopole).</p>
<h2>La stratégie européenne</h2>
<p>L’Europe a donc décidé de dompter ce Far West du digital avec une stratégie en 3 volets, accompagnée de lourdes sanctions :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-services-act-ensuring-safe-and-accountable-online-environment_fr">Le Digital Service Act</a> : qui cherche à réguler les contenus comme la haine en ligne ou les « fake news » et à assurer la transparence des algorithmes.</p></li>
<li><p><a href="https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age/digital-markets-act-ensuring-fair-and-open-digital-markets_fr">Le Digital Market Act</a> : qui cherche à lutter contre les abus de position dominante.</p></li>
<li><p><a href="https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/proposal-regulation-european-data-governance-data-governance-act">Le Gouvernance Data Act</a> : qui viendra un peu plus tard et qui cherche à réguler le partage des données entre les acteurs de la société y compris publics.</p></li>
</ul>
<p>Ces trois bras armés viennent compléter d’autres législations européennes en cours d’implémentation, comme les <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/qu-est-ce-que-la-directive-europeenne-sur-le-droit-d-auteur.html">droits voisins</a> qui cherchent à rétablir un équilibre dans la répartition des revenus entre médias et titans du numérique.</p>
<p>C’est un thème qui crée des tensions très fortes entre acteurs en France, en Europe, mais aussi partout au monde, comme l’a récemment démontré la <a href="https://theconversation.com/le-blocage-des-articles-de-presse-sur-facebook-quels-enjeux-et-quelles-consequences-155726">limitation de l’accès aux contenus des médias</a> par Facebook en Australie, en réaction à un projet de loi visant à mieux rémunérer les éditeurs. L’Europe cherche également à construire une réflexion commune pour mieux encadrer les <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/reconnaissance-faciale-ces-cas-qui-ont-fait-polemique-en-europe-1287708#xtor=CS1-3046">usages à risque de l’intelligence artificielle</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1363961314922618886"}"></div></p>
<p>Sur le Vieux Continent, le Digital Market Act va « <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/digital-services-act-2-2-les-empires-des-geants-du-net-enfin-sous-pression-863434.html">dépoussiérer</a> » (ce sont les spécialistes qui le disent) le droit de la concurrence. Le texte présente une série d’obligations et d’interdictions que devront respecter les plates-formes « systémiques » pour qu’elles ne soient plus en position d’imposer leurs conditions à tout leur écosystème de par la place incontournable qu’elles ont prise.</p>
<p>L’esprit du Digital Market Act est de créer une régulation préventive, y compris en étant informé des projets de diversification par acquisition, prévus par les grandes entreprises de la tech dites <a href="https://theplatformlaw.blog/2020/10/05/what-is-a-digital-gatekeeper/">« gatekeepers »</a>. Or, ce règlement constitue une remise en cause complète des modèles économiques et de développement initiaux des pionniers du numérique…</p>
<p>Ces modèles sont souvent basés sur des algorithmes de plus en plus complexes et obscurs, notamment sur la façon dont nos données sont monétisées, le but étant d’optimiser l’usage de ces données autour de services de plus en plus nombreux. Le modèle de développement du digital consiste quant à lui, en une diversification rapide à partir d’un cœur de métier, qui est souvent non rentable, pour apporter de plus en plus de services aux clients.</p>
<p>C’est comme ça qu’Amazon a bâti son empire, car jusqu’en 2017, les activités de e-commerce de l’entreprise <a href="https://fr.statista.com/infographie/20723/croissance-chiffre-affaires-et-benefice-net-amazon/">ne dégageaient pas de profit</a>. Sans ses activités complémentaires de logistique, de <em>cloud</em>, d’approvisionnement et de publicité, l’entreprise n’aurait pas survécu.</p>
<p>Parallèlement, le problème vient aussi de la vitesse vertigineuse avec laquelle ces entreprises pionnières, souvent difficilement rentables, sont devenues de redoutables titans qui verrouillent toute concurrence. C’est le cas de Facebook, par exemple, qui <a href="https://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/05/24/entree-en-bourse-de-facebook-les-raisons-d-un-fiasco_1706425_651865.html">jusqu’en 2012</a> était une entreprise non rentable pour laquelle les spécialistes se posaient la question de sa survie à long terme. Pourtant, en 2019, l’entreprise captait, avec Google et Amazon la majorité du marché de la publicité digitale qui elle même représente aujourd’hui <a href="https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/google-facebook-amazon-les-grands-gagnants-du-marche-de-la-pub-en-france-en-2020-n158217.html">plus de 50 % du marché</a> général de la publicité.</p>
<h2>La crainte des experts sur les réglementations</h2>
<p>Le problème de l’économie numérique, c’est qu’elle est très systémique et que toute régulation des grandes entreprises de la tech peut potentiellement avoir des effets collatéraux très importants sur toute l’économie digitale et donc sur tous les secteurs.</p>
<p>En innovation et en digital, l’échelle européenne, bien qu’elle concerne une zone de 27 pays différents, constitue le meilleur niveau pour agir par rapport aux blocs asiatique et américain. Néanmoins, <a href="https://www.oxera.com/agenda/move-fast-and-analyse-things-sensible-regulation-for-digital-markets/">certains experts</a> expriment des craintes face à ces nombreuses nouvelles réglementations européennes, comme l’étouffement de l’innovation et le ralentissement du développement des futurs champions européens du digital.</p>
<p>Les tensions entre acteurs n’ont jamais été aussi importantes qu’en ce moment. C’est tout l’enjeu des discussions et des négociations qui vont se jouer dans les années qui viennent entre toutes les parties prenantes : trouver le juste et bon équilibre pour réussir à réguler le Far West numérique sans étouffer l’innovation générée par le digital dans toute notre économie… Potentiellement, quelle que soit l’issue des débats, derrière ces jeux d’acteurs, on peut d’ores et déjà anticiper une période de fortes mutations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157606/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valery Michaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude prospective fondée sur le « jeu des acteurs » montre que les discussions actuelles au niveau européen devaient impulser une période de mutation dans l’économie numérique, mais aussi au-delà.Valery Michaux, Enseignant-Chercheur - HDR, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1525692020-12-29T21:40:35Z2020-12-29T21:40:35ZLe Brexit et l’importance d'une Europe unie<p>Ainsi un <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/draft_eu-uk_trade_and_cooperation_agreement.pdf">compromis</a> a-t-il pu être scellé sur le futur accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Il convient maintenant d’en assurer la mise en œuvre, ce qui ne manquera pas de susciter de réelles difficultés pour les acteurs économiques.</p>
<p>La création d’une zone de libre-échange pour les marchandises ne saura en effet être équivalente à la fluidité du marché intérieur. Il y a aura à nouveau des contrôles et diverses formalités administratives dont les Britanniques seront les premiers à pâtir, dans la mesure où l’Union européenne représente encore 50 % de leurs échanges. La diversification des flux commerciaux du « Global Britain » annoncée par le premier ministre Boris Johnson sera loin de se faire du jour au lendemain. Le Royaume-Uni devra signer des accords bilatéraux avec tous les pays du monde. Pour l’instant, seul un accord avec le <a href="https://www.gov.uk/government/news/uk-and-japan-sign-free-trade-agreement">Japon</a> est effectif et celui avec la <a href="https://www.politico.eu/article/uk-turkey-trade-deal-analysis/">Turquie</a> est en cours de négociation.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/R9fYqQH259I?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Accord post-Brexit : tourisme, travail, ce qui va changer, France24.</span></figcaption>
</figure>
<p>Aucun État européen ne s’est réjoui du Brexit, qui est un processus « perdant – perdant », comme l’a dit le négociateur Michel Barnier dans sa conférence de presse du 25 décembre. En revanche, les 27 États membres de l’Union ont une raison d’être fiers : celle d’être restés sur des positions communes pendant les quatre ans et demi de négociations. Cette unité des 27 a été suffisamment rare ces dernières années sur d’autres sujets européens pour qu’elle soit soulignée à propos du Brexit. </p>
<p>Les Britanniques ont bien tenté de diviser les positions européennes, notamment entre la France et l’Allemagne, selon les bonnes vieilles règles du jeu diplomatique, mais n’y sont jamais parvenus. Cette unité répond à trois explications principales.</p>
<h2>Trois explications de l’unité européenne</h2>
<p>La première est que le Brexit a été un test grandeur nature de la désintégration de l’Union européenne. Il est un temps pas si éloigné où les spécialistes de l’Europe enseignaient à leurs étudiants que la sortie de l’UE était théoriquement possible au regard des traités, mais en pratique impossible compte tenu des liens d’interdépendance auxquels donnait naissance toute adhésion. Or en juin 2016, l’impossible est subitement devenu possible. Ce fut un choc pour les gouvernements européens, et notamment pour les États fondateurs comme la France, l’Allemagne et les pays du Benelux, qui ont réagi en se disant qu’un tel défi impliquait une position coordonnée, au risque de voir d’autres États membres imiter le Royaume-Uni dans une sorte de <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/06/22/20002-20160622ARTFIG00079-brexit-le-risque-d-un-effet-domino-en-europe.php">scénario boule de neige catastrophe</a>. La peur était d’autant plus grande que certains partis d’extrême droite eurosceptiques évoquaient une possible sortie aux Pays-Bas, en France ou encore en République tchèque.</p>
<p>La deuxième raison fut l’intérêt des États à préserver cet édifice central de la construction européenne qu’est le marché intérieur. En évoquant au début de la négociation la possibilité de demeurer <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/brexit-theresa-may-veut-une-europe-a-la-carte-02-03-2018-2199185_1897.php">« à la carte »</a> dans l’espace des échanges de biens, capitaux, personnes et services, le gouvernement britannique a créé chez les 27 une réaction consistant à défendre coûte que coûte l’intégrité du marché intérieur. Pour tous les États membres de l’UE, bricoler les règles du marché intérieur est devenu une ligne rouge à éviter absolument, compte tenu des bénéfices économiques tirés de la bonne application des règles d’échange.</p>
<p>Cela fut vrai pour la France et l’Allemagne, mais aussi pour des pays que l’on disait pourtant proches du Royaume-Uni lorsque ce dernier était membre, comme les Pays-Bas et le Danemark. De même, les pays gouvernés par des partis eurosceptiques comme la Hongrie et la Pologne, que les partisans du Brexit pensaient pouvoir attirer vers eux par une logique purement idéologique, n’ont jamais été prêts à sacrifier le marché intérieur dans les négociations. Ce fut une énorme erreur du Royaume-Uni de vouloir jouer avec les règles du marché intérieur que lui-même avait largement contribué à mettre en place lorsqu’il était membre. Rien ne pouvait davantage conduire les 27 à faire bloc pour préserver ce qui s’est imposé comme un acquis central de l’Union européen. L’ironie est que l’on a souvent reproché dans le passé au Royaume-Uni de ne vouloir que le marché intérieur, et c’est ce même marché qu’on lui a opposé pour lui faire comprendre que ses règles n’étaient pas négociables.</p>
<p>La dernière raison de l’unité des 27 s’explique par le fait que la négociation a été confiée à un représentant unique de la Commission, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-grande-bretagne-et-l-ue/qui-est-michel-barnier-le-negociateur-en-chef-de-lue-pour-le-brexit_4233997.html">Michel Barnier</a>. Il ne fait aucun doute que l’expérience des arcanes du compromis européen par le négociateur en chef européen a été fondamentale. Michel Barnier s’est imposé comme un homme d’État européen, un cas de figure finalement assez rare pour être souligné.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1342209205252599833"}"></div></p>
<p>Mais au-delà du facteur personnel, le Brexit a surtout montré que, dans la négociation avec un tiers, une vraie délégation de responsabilité à la Commission accroît l’efficacité si elle est exercée sans négliger la consultation des États membres et celle du Parlement européen. L’action de Michel Barnier a redonné de la crédibilité au rôle bénéfique que peut jouer la Commission européenne dans la mise en cohérence des positions nationales.</p>
<h2>Une leçon d’unité pour demain ?</h2>
<p>Il ne fait aucun doute que les négociations du Brexit ont eu un effet positif sur la cohésion des 27, comme nous avons eu l’occasion de le montrer avec Thierry Chopin dans un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14782804.2020.1714560">article</a> du <em>Journal of Contemporary European Studies</em>.</p>
<p>Il est cependant intéressant de constater qu’il a fallu l’expérience extrême du départ d’un État (et donc la menace réelle d’une désintégration) pour que l’Union européenne se rende compte de l’importance de son unité pour la préservation de ses intérêts. </p>
<p>Une leçon devrait en être tirée pour la conduite à suivre en matière de politique extérieure de l’Union : cette même dynamique unitaire devrait s’appliquer dans les négociations avec les grands partenaires du monde, en particulier les États-Unis et la Chine. </p>
<p>Mais il y a fort à parier que la perception de la perte d’intérêts n’est pas aussi forte que dans le cas du Brexit pour que les 27 États en prennent véritablement la mesure, ce qui est une erreur d’appréciation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152569/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Lequesne ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>S’il est une leçon positive à retirer du Brexit, c’est bien l’unité dont les Européens ont su faire preuve au cours des quatre années écoulées. Une unité à confirmer face à Pékin et à Washington…Christian Lequesne, Professeur de science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1517632020-12-10T18:24:40Z2020-12-10T18:24:40ZPourquoi les pratiques d’Amazon sur sa « marketplace » sont dans le collimateur de Bruxelles<p>Accusée de <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/06/22/le-commerce-de-proximite-menace-par-amazon-quel-commerce-voulons-nous_1791929">ruiner le commerce de proximité</a>, de générer un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/reportage-emplois-contre-pollution-le-dilemme-amazon-dans-le-gard">intense trafic routier</a> et de <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/les-salaries-damazon-a-bout-de-souffle-1365381">maltraiter ses salariés</a>, Amazon fait également <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2077">l’objet de deux enquêtes de la Commission européenne</a>. Le 10 novembre dernier, Bruxelles a en effet informé le géant américain de la distribution en ligne qu’il avait « enfreint les règles de l’Union européenne en matière de pratiques anticoncurrentielles en faussant la concurrence sur les marchés de détail en ligne ».</p>
<p>Ces deux enquêtes ont le mérite de mettre à jour les rapports qu’elle entretient avec les vendeurs tiers à qui elle propose ses services de place de marché (« marketplace »), qui assure une partie importante et en constante augmentation de son chiffre d’affaires. En 2019, si les ventes de produits avaient rapporté 160,4 milliards de dollars, celles des services, comme la mensualité de 39,99 euros prélevée aux vendeurs tiers pour avoir accès à la plate-forme, s’élevaient ainsi à <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b3127_rapport-information">120 milliards de dollars</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1326166472943570944"}"></div></p>
<p>Ce sont ces mêmes pratiques anticoncurrentielles qui avaient en outre été condamnées par le <a href="https://www.actualitesdudroit.fr/browse/affaires/droit-economique/23357/desequilibre-significatif-amazon-sanctionnee">tribunal de commerce de Paris le 2 septembre 2019</a> sur une action introduite par le ministère de l’Économie et des finances, en sa qualité de garant de l’ordre public économique.</p>
<h2>Des vendeurs tiers soumis à Amazon</h2>
<p>Le jugement apparaît particulièrement intéressant en ce qu’il détaille les pratiques d’Amazon vis-à-vis des vendeurs tiers, à l’origine de 80 % des biens vendus sur son site. Ces vendeurs tiers ne négocient pas les contrats souscrits avec Amazon : les plates-formes d’intermédiation ont automatisé les procédures afin d’offrir aux consommateurs des modalités, conditions et prestations identiques pour tous les produits.</p>
<p>Toutefois, les clauses restent significativement déséquilibrées au détriment des vendeurs. Elles font apparaître un pouvoir discrétionnaire de la plate-forme qui peut modifier le contrat, y compris sur des éléments essentiels comme le montant de la commission à verser par le vendeur, le suspendre, le résilier, interdire ou restreindre l’accès à tout site Amazon, retarder une mise en vente ou la refuser.</p>
<p>À chaque fois, Amazon se réserve le droit d’agir de manière discrétionnaire, sans préavis ni notification individuelle au vendeur concerné, et sans fournir les motifs de sa décision.</p>
<p>Ces clauses sont censurées par le juge comme créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Elles ne seront plus possibles à l’avenir. Le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32019R1150">règlement européen 2019/1150 du 20 juin 2019</a>, visant à promouvoir l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, exige en effet désormais que les décisions soient motivées, notifiées individuellement à chaque vendeur et qu’elles respectent un délai de préavis (15 jours au minimum).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373835/original/file-20201209-13-2ztycm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=510&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les vendeurs indépendants sont aujourd’hui à l’origine de 80 % des biens vendus par Amazon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Justin Sullivan/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette exigence met fin aux pratiques d’Amazon qui se contentait d’informer les utilisateurs via l’interface « seller central » qu’ils étaient censés consulter régulièrement pour être informés des changements contractuels.</p>
<p>L’argument d’Amazon, consistant à se retrancher derrière la nécessaire automatisation d’une place de marché garantissant l’homogénéité des services pour gérer 170 000 vendeurs, est donc balayé par le tribunal. La justice européenne constate que, si Amazon est en capacité d’adresser par mail une notification à des millions de consommateurs pour leur indiquer que leur commande a été prise en compte et que leur compte sera débité, il doit être possible d’en faire autant pour les vendeurs tiers !</p>
<h2>Concurrence déloyale</h2>
<p>Les clauses relatives aux facteurs de performance constituent un autre sujet de discorde. Ces facteurs (taux de commandes défectueuses, taux d’annulation de commandes avant traitement, taux d’expédition en retard) rejaillissent directement sur le compte du vendeur : si son indice de performance chute, la suspension de son compte lui interdira de vendre pendant toute la période de la suspension et ses fonds seront bloqués pour les produits de ses ventes passées, pour une période allant jusqu’à 90 jours.</p>
<p>Or, non seulement les indicateurs de calcul de la performance ne figurent pas dans le contrat mais leurs critères sont jugés imprécis, instables et leur évolution totalement discrétionnaire.</p>
<p>Enfin, la clause « garantie A à Z » est également censurée : elle permet aux clients du vendeur tiers de renvoyer leurs produits et d’être remboursés du prix de leur achat dans différentes situations (produit non conforme, défectueux, livré hors délai, etc.) ; le vendeur tiers est débité sur son compte du remboursement réalisé par Amazon, et ce même si, après enquête, la réclamation est considérée comme injustifiée et même si le produit n’est pas retourné. Pourtant, Amazon, pour ses propres produits en concurrence directe avec ceux des vendeurs tiers, ne rembourse le consommateur qu’en cas de retour du produit.</p>
<p>Le Règlement sera ici peu efficace si ce n’est dans les formes de la notification individuelle de toute décision visant à restreindre ou suspendre la fourniture des services d’intermédiation en ligne à une entreprise utilisatrice. La plate-forme devra « faire référence aux faits ou aux circonstances spécifiques, y compris le contenu des signalements émanant de tiers ».</p>
<p>L’article 5 du Règlement européen consacré au classement se contente d’exiger que les principaux paramètres et les raisons justifiant l’importance relative de ces principaux paramètres par rapport aux autres paramètres figurent dans les conditions générales et s’il peut être influencé par une rémunération directe ou indirecte versée par les entreprises utilisatrices et dans ce cas décrire ces possibilités et leurs effets. La Commission européenne devrait émettre des lignes directrices relatives aux exigences de transparence.</p>
<p>L’article 7 du Règlement sur le traitement différencié vise le cas dans lequel la plate-forme propose elle-même des biens et des services en concurrence directe avec les vendeurs tiers, ce qui est le cas d’Amazon. Dans ce cas, le risque est qu’elle tire parti de sa position pour fournir des avantages techniques ou économiques à ses propres offres, avantages qu’elle pourrait refuser aux entreprises utilisatrices concurrentes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1066876766508249088"}"></div></p>
<p>C’est exactement l’objet de l’enquête pour abus de position dominante de la Commission européenne. Bruxelles reproche à Amazon d’utiliser les données commerciales non publiques des vendeurs tiers (nombre d’unités de produits commandées et expédiées, recettes des vendeurs sur la place de marché, nombre de visites sur les offres des vendeurs, données relatives aux expéditions, aux performances passées des vendeurs) pour construire sa propre offre et la rendre plus attractive au détriment des vendeurs tiers. Mais le règlement n’interdit pas ces pratiques, il se contente d’exiger la transparence.</p>
<h2>Une avancée pour les vendeurs tiers</h2>
<p>In fine, le tribunal, après avoir procédé à une appréciation globale du déséquilibre, condamnera Amazon à une amende civile de 4 millions d’euros. Refusant la logique du géant américain qui estimait que l’ensemble des services proposés aux vendeurs contrebalance les clauses litigieuses, le tribunal met en évidence que, si les services d’Amazon sont effectivement performants, ils restent aussi payants pour les vendeurs.</p>
<p>Le juge précise en outre que « certains des manquements, notamment ceux relatifs aux indicateurs de performance commerciale, sont de nature à permettre à Amazon d’user d’une stipulation pour, après avoir testé sur un marché un nouveau produit lancé par un vendeur tiers, privilégier la vente du sien au détriment de celui du vendeur tiers après avoir aligné son prix ».</p>
<p>Ces mêmes critères de performance sont également pris en compte pour déterminer l’accès à la fameuse Buy Box qui met en avant le produit du vendeur tiers, « en concurrence pour cet accès avec ceux identiques d’Amazon ». Or, les critères d’accès à la Buy Box font précisément l’objet de la seconde enquête initiée par la Commission européenne qui cherche à savoir « si les critères fixés par Amazon pour sélectionner le vainqueur de la “boîte d’achat” et permettre aux vendeurs de proposer des produits aux utilisateurs Prime, dans le cadre du programme de fidélisation Prime d’Amazon, conduisent à un traitement préférentiel de l’activité de détail d’Amazon ou des vendeurs qui utilisent les services logistiques et de livraison d’Amazon ».</p>
<p>Au bilan, il faut saluer le travail de fourmi des juges nationaux malgré une amende au montant ridicule par rapport à la surface financière d’Amazon. Le nouveau Règlement constitue une avancée pour les vendeurs tiers, mais il est loin de constituer une forme de régulation du modèle économique des plates-formes.</p>
<p>Il semblerait bien que le Traité sur le fonctionnement de l’UE et son article 102 sur les abus de position dominante soit autrement plus efficace. Mais le facteur temps joue en sa défaveur, la durée d’une enquête dépendant de la complexité de l’affaire, du degré de coopération des entreprises en cause avec la Commission et de l’exercice des droits de la défense.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabienne Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Commission européenne reproche notamment au géant américain d’utiliser les données commerciales des vendeurs tiers pour mieux leur faire concurrence avec sa propre activité de vente au détail.Fabienne Muller, Enseignant-chercheur émérite, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1517052020-12-09T19:01:27Z2020-12-09T19:01:27ZLes (ac)crocs de Schengen : l’ombre portée du passé sur le projet français de réforme<p>« Ça ne peut plus durer. Schengen doit être repensé. » Ces propos ne sont pas ceux du président Emmanuel Macron exprimés à l’issue du Conseil européen du 10 décembre 2020, mais bien ceux du président Sarkozy formulés il y a neuf ans, le 1<sup>er</sup> décembre 2011.</p>
<p>En tant qu’espace de libre circulation, Schengen, <a href="http://www.gdr-elsj.eu/2015/11/25/frontieres/schengen-un-coupable-ideal/">« coupable idéal »</a>, cristallise les critiques et chaque crise voit son lot d’annonces de refonte : <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part2/la-remise-en-cause-des-accords-de-schengen?page=1">2011</a> (Printemps arabe), <a href="http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr15-500.html">2015</a> (crises migratoire et terroriste) et <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/276363-vers-une-reforme-de-la-politique-europeenne-de-migration-et-dasile">2020</a> (crises sanitaire et terroriste).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/u0MwE7S28b8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p><a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/11/05/je-suis-favorable-a-une-refondation-complete-de-schengen-deplacement-du-president-emmanuel-macron-dans-les-pyrenees-orientales">L’allocution</a> du président Macron formulée le 5 novembre 2020 lors d’un déplacement à la frontière franco-espagnole du Perthus reflète à cet égard l’intention d’une « refonte en profondeur ». Elle est précisée par une note du 1<sup>er</sup> décembre envoyée aux capitales européennes, qui esquisse les contours du projet que la France entend mener à bien lorsque viendra son tour d’assurer la présidence du Conseil de l’UE (janvier-juin 2022). Paris entend donner des crocs à Schengen : le système doit être capable de réagir plus rapidement aux pressions migratoires aux frontières extérieures de l’Union, de parer plus efficacement aux attaques terroristes et de répondre aux enjeux politiques liés au non-respect des règles par certains États membres.</p>
<h2>Enraciner Schengen dans un écosystème de gestion de la sécurité et des migrations</h2>
<p>Pour comprendre la réforme qui se dessine, il convient d’avoir à l’esprit le fait que les différents leaders politiques actuels de la zone Schengen souhaitent ancrer Schengen dans un écosystème de gestion de la sécurité et des migrations pour mieux structurer une réponse commune face à des crises graves susceptibles d’ébranler la construction européenne.</p>
<p>D’abord, l’annonce faite le 5 novembre 2020 par le président Macron s’inscrit dans un contexte sécuritaire tendu, puisqu’elle a été présentée à la suite des <a href="https://atalayar.com/fr/blog/macron-apr%C3%A8s-les-attentats-de-nice-et-de-vienne-repenser-schengen">attentats</a> du 29 octobre de la basilique Notre-Dame de Nice et de ceux de Vienne du 2 novembre. Mais un train peut en cacher un autre. Cette réforme Schengen se double d’un agenda sur la sécurité pour la période 2020-2024. Cette <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1379">stratégie sur l’union de la sécurité</a> lancée en juillet 2020 vise à conférer à l’Union une capacité de riposte face aux attaques terroristes : modernisation d’Europol, achèvement de la réorganisation des systèmes européens de sécurité et de gestion des frontières, établissement d’un « code de coopération policière » européen, renforcement de la coordination policière en temps de crise.</p>
<p>Ensuite, le <a href="https://ec.europa.eu/france/news/20200923/nouveau_pacte_migration_et_asile_fr">« Pacte sur la migration et l’asile »</a> présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020 entend mieux anticiper les pressions migratoires, prévenir les crises politiques qui en découlent et réguler les flux secondaires, c’est-à-dire les mouvements non autorisés de migrants au sein de l’Union. Pour certains experts, le véritable homme malade est <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/affaires-etrangeres-emission-du-samedi-05-decembre-2020">Dublin et non Schengen</a>.</p>
<h2>Dublin, le véritable homme malade à soigner</h2>
<p>La réforme de Schengen ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. En dépit des multiples modernisations, c’est surtout <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/asile-et-migrations-en-europe-qu-est-ce-que-le-reglement-de-dublin.html">Dublin</a> (mécanisme de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile de tout migrant arrivé dans l’UE), qui dysfonctionne et ce, <a href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-droit-d-asile-saisi-par-le-droit-europeen">depuis de nombreuses années</a> et malgré les ajustements effectués. Autrement dit, la réforme de Schengen annoncée doit se comprendre avant tout comme un complément au projet de révision de Dublin tel que prévu dans le Pacte, à savoir le déploiement d’un arsenal de mesures de solidarité par les États membres sous forme de répartition dans l’UE des candidats à l’asile ou de parrainage en matière d’expulsion des demandeurs déboutés.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/6rkrOoskyGU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Comme le <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200406/europ.html">souligne</a> le Français Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex, « la pression migratoire est un défi de long terme pour l’Union européenne ». L’enjeu politique majeur porte donc essentiellement sur la concrétisation de ce Pacte qui ambitionne d’apporter une réponse structurée, notamment sous la forme de la mise en place de mécanismes communs de filtrage de toutes personnes débarquées. À ce propos, « 22 % des personnes qui entrent dans l’espace Schengen ne feraient actuellement l’objet d’aucun contrôle », selon la commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson, reprenant les chiffres de Frontex.</p>
<h2>« Club des égoïstes » contre « club des laxistes »</h2>
<p>Les textes européens le rappellent à l’envi : la gestion des frontières extérieures relève des États membres seuls. Or cette compétence individuelle s’accommode mal d’un espace commun au sein duquel la qualité des contrôles effectués par un État affecte l’équilibre de l’ensemble.</p>
<p>Les crises migratoires de 2011 et de 2015 ont mis en évidence la difficulté, pour les États du Sud, d’assumer pleinement les contrôles sur leurs portions respectives des frontières extérieures. En résulte une cristallisation politique autour de deux pôles traduisant deux visions opposées de la répartition des rôles : il y a d’abord, les tenants de la « responsabilité », les pays du Nord, pour qui la tâche d’effectuer la surveillance des frontières incombe désormais aux pays du Sud. L’usage de la clause dite « d’ordre public » prévue par le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/HTML/?uri=CELEX:32016R0399">Code Frontières Schengen</a> apparaît alors comme un moyen de riposte à l’égard des pays jugés « laxistes » manquant à leurs obligations. Il y a, ensuite, les partisans de la « solidarité », les pays du Sud, qui mettent en exergue le fait que le fardeau de la surveillance des frontières est inégalement réparti. Ils reprochent aux pays du Nord le fait de se montrer égoïstes, en tirant les bénéfices des contrôles sans apporter l’aide requise en cas de pression migratoire.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uQaa8NxupTI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Pour jeter un pont entre ce « club des égoïstes » critiquant les défaillances et ce « club des laxistes » réclamant davantage de soutien, plusieurs mesures ont été mises en place. Faute de solidarité « venant du bas » (entre États eux-mêmes), une solidarité venant d’en haut (fournie directement par l’Union) s’est structurée progressivement, par l’accroissement de l’enveloppe des subventions européennes (actuellement le fonds dit « <a href="https://fr.welcomeurope.com/subventions-europennes/fami-1-fonds-asile-migration-integration-839+739.html">FAMI</a> »), le <a href="https://www.etiasvisa.com/fr/actualites/reglamentations-frontex-renforcer-operations">renforcement des pouvoirs de l’Agence européenne Frontex</a> sous l’angle de l’appui apporté aux opérations d’expulsion de migrants illégaux et, plus récemment, la création du <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/11/08/european-border-and-coast-guard-council-adopts-revised-regulation/">Corps européen de garde-frontières</a> actuellement en cours de constitution.</p>
<h2>Remettre le « SCH-EVAL » en selle</h2>
<p>La deuxième série de mesures prises sous l’égide de la « responsabilité » consiste, entre autres, en la <a href="https://revue-jade.eu/article/view/1649">possibilité d’intervention d’initiative de Frontex</a> (c’est-à-dire sans avoir reçu de demande préalable) et surtout en la révision du mécanisme d’évaluation mutuelle. Depuis sa création, la <a href="https://www.cvce.eu/obj/convention_d_application_de_l_accord_de_schengen_19_juin_1990-fr-34df2451-3af1-48d1-bd61-132209a4e8e1.html">convention de 1990</a> prévoyait un système de contrôle mutuel visant à remédier aux carences concernant les contrôles effectués aux frontières extérieures. Un tel dispositif, le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/council-eu/preparatory-bodies/working-party-schengen-matters/#">« SCH-EVAL » (Schengen Evaluation)</a>, du nom du groupe de travail chargé de cette tâche, avait montré de sérieuses faiblesses et la première réforme Schengen de <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20130607IPR11390/le-parlement-europeen-soutient-l-accord-sur-la-reforme-de-schengen">2013</a> a tenté d’y remédier. Reste que ce contrôle interétatique ne donne toujours pas les résultats escomptés. Par conséquent, l’annonce du président Macron vise à aller plus loin en étendant le pouvoir de la Commission européenne dans ces équipes.</p>
<p>Une telle réforme va de pair avec la révision de la « gouvernance Schengen » opérée en parallèle. Dans sa proposition, la Commission européenne avait préconisé initialement, en septembre 2011, une gouvernance de nature bureaucratique immédiatement rejetée par les États qui préfèrent, quant à eux, une gouvernance politique.</p>
<h2>Éviter que les barrières physiques ne débouchent sur des barrières mentales</h2>
<p>À l’image du bateau qui affronte pour la première fois la tempête, la crise de 2015 a fait chavirer cette gouvernance politique actée par la première réforme de Schengen de 2013 : face à l’afflux massif de migrants, de nombreux États ont fait usage de la <a href="https://www.senat.fr/questions/base/1997/qSEQ970702178.html">clause de sauvegarde</a> en prenant les mesures unilatérales de réinstauration des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen. Ce rétablissement s’est opéré sans concertation, faisant d’une telle gouvernance politique un vœu pieux. Comme le <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/politique-migratoire-europeenne-le-roi-est-nu">souligne</a> le chercheur Yves Pascouau : chaque État a son propre agenda et ses propres priorités, si bien que l’UE est impuissante. Le roi est nu.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1274682055960539136"}"></div></p>
<p>Les mêmes causes engendrant les mêmes conséquences, la crise sanitaire liée à la Covid-19 provoque des <a href="https://theconversation.com/schengen-a-lepreuve-du-coronavirus-134267">réflexes nationaux identiques</a>. Le recours au printemps 2020 à la clause de sauvegarde, qui s’apparente à un « sauve-qui-peut » généralisé, met en péril la pérennité du marché intérieur au sens où les flux économiques intra-UE se sont trouvés entravés par des frontières fermées entre États membres. Cela se conjugue, depuis 2011, à la multiplication des rétablissements ponctuels de contrôles aux frontières intérieures, ce qui crée une ambiance lourde de recloisonnement. Selon les circonstances et faisant parfois fi de la légalité, une réinstauration durable des contrôles s’opère dont l’intensité varie selon les circonstances du moment. Le risque est alors que, dans un tel climat, les <a href="https://theconversation.com/la-frontiere-franco-allemande-au-temps-du-covid-19-la-fin-dun-espace-commun-136467">frontières mentales</a> s’ajoutent aux frontières physiques, naturalisant l’idée d’un espace de nouveau et définitivement cloisonné.</p>
<h2>Du tout nouveau « Forum Schengen » au futur « Conseil de sécurité intérieure »</h2>
<p>Pour endiguer ce rétablissement permanent, la Commission européenne vient de mettre en place un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_2232">« Forum Schengen »</a>. C’est le premier étage de la fusée institutionnelle. Il s’agit d’organiser entre parties prenantes, notamment des ministres nationaux de l’Intérieur et des députés du Parlement européen, une discussion politique sur des thèmes liés à Schengen. Quant au Conseil européen de sécurité intérieure évoqué par la note française du 1<sup>er</sup> décembre, il entend permettre cette gouvernance politique qui a fait actuellement cruellement défaut. Prenant la forme de réunions annuelles des chefs d’États et de gouvernement, il vise à assurer un pilotage au plus haut niveau. Certes, le Conseil européen joue déjà ce rôle, mais la création d’un tel Conseil, qui est le deuxième étage de la fusée institutionnelle, entend envoyer un signal politique fort : désormais, la coordination est un passage obligé, abordé au sommet et organisé de manière routinière.</p>
<h2>Réformer Schengen ou revenir aux sources du projet</h2>
<p>La réforme institutionnelle dans les tuyaux est l’avers de la structuration de la gouvernance politique de Schengen, le revers étant l’élaboration d’un Pacte de sécurité sur le modèle du Pacte de stabilité de la zone euro. Les contours de ce projet maillon de la réforme de Schengen souhaité par le président Macron, qui devrait être dévoilé ces prochaines semaines, est destiné à rénover le mécanisme d’évaluation mutuelle de manière à pouvoir infliger, en dernière extrémité, des sanctions aux pays vis-à-vis desquels il est relevé des manquements persistants en matière de surveillance de leur tronçon de frontières extérieures. Il s’agit de donner des crocs à Schengen : les dents du « SCH-EVAL » sont limées au sens où, pour l’heure, ce dispositif d’évaluation mutuelle ne débouche que sur des recommandations adressées aux pays inspectés.</p>
<p>Au final, cette réforme de Schengen a un mérite essentiel. Elle s’apparente à un <a href="http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20201109/europ.html">retour aux sources</a> en répondant à l’axiome « pas de liberté sans sécurité » qui avait présidé à la convention de 1990. La sécurité et la préservation des frontières extérieures de l’UE irriguent et vivifient l’espace de liberté. Ainsi que le <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Gilles-de-Kerchove-La-menace-terroriste-reste-severe-mais-les-%C3%89tats-ont-reduit-leurs-vulnerabilites-2015-03-21-1293763">résume le coordinateur européen pour la lutte antiterroriste</a> Gilles De Kerchove, « il est indispensable de préserver la libre circulation, un des plus beaux acquis de la construction européenne. Les accords de Schengen sont un ensemble de mesures compensatoires, adaptées en permanence pour tenir compte de l’évolution de la situation. Le renforcement du contrôle aux frontières extérieures en fait partie. La meilleure manière de préserver la libre circulation à l’intérieur, c’est d’affiner le dispositif à l’extérieur. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151705/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Berthelet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Emmanuel Macron souhaite réformer l’espace Schengen. Ce n’est pas la première fois que ce système est jugé insuffisant depuis sa création en 1990, loin de là…Pierre Berthelet, Docteur en droit (UE) & chercheur associé à l'Univ. Grenoble-Alpes (CESICE) & univ. Aix-Marseille (CERIC), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502192020-11-30T18:34:25Z2020-11-30T18:34:25ZSalaires minimaux : l’Union européenne opte (encore) pour la gouvernance par les données<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/369616/original/file-20201116-21-joioxt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1022%2C680&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Valdis Dombrovskis (à gauche), vice-président de la Commission européenne et Nicolas Schmit (à droite), commissaire européen, ont participé à une conférence de presse sur les salaires minimums adéquats dans l’UE à Bruxelles le 28&nbsp;octobre 2020.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://u.afp.com/3yoB">Virginia Mayo / POOL / AFP</a></span></figcaption></figure><p>Le 28 octobre 2020, la Commission européenne a adopté une <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_1968">proposition de directive</a> relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne. Cette proposition met fin à la consultation des partenaires sociaux engagée en janvier et place le sujet sur l’agenda législatif de l’Union européenne pour les mois à venir, puisque la directive sera amendée et, le cas échéant, adoptée par le Conseil de l’Union (où siègent les ministres nationaux) et le Parlement européen.</p>
<p>Avec ce texte, la Commission cherche à combattre la pauvreté des travailleurs tout en désamorçant les nombreuses critiques vis-à-vis d’une intervention européenne dans le domaine des salaires. Pour réussir la quadrature du cercle, elle emprunte le chemin de la gouvernance par les données, dernière variante de la « gouvernance par les nombres ».</p>
<h2>Souveraineté nationale vs. action européenne</h2>
<p>Nommée à la tête de la Commission européenne en octobre 2019, Ursula von der Leyen a endossé la volonté, déjà exprimée par son prédécesseur Jean‑Claude Juncker, de redorer le blason social de l’Union européenne. Il s’agit depuis 2014 de tourner la page de la double présidence Barroso, durant laquelle les institutions européennes avaient surtout servi aux peuples une potion amère faite de dogmatisme néolibéral, de gestion austéritaire de la zone euro et de régression sociale.</p>
<p>Alors que les économies européennes s’enfoncent dans la récession provoquée par la pandémie de Covid-19, il est d’autant plus urgent de protéger les plus précaires en évitant un gel (voire une baisse) des salaires et une recrudescence de la pauvreté comme ce fut le cas il y a dix ans. Selon la Commission européenne, le salaire minimum atteint 60 % du salaire médian (<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=PI_COM:C(2020)3570&from=EN">point de référence</a> dans seulement 5 des 27 pays de l’Union européenne, en y ajoutant le Royaume-Uni.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370767/original/file-20201123-23-kub8ay.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=526&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Salaire minimum, exprimé en pourcentage du salaire brut médian des travailleurs à temps plein, 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Commission européenne</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si elle s’attaque donc à un véritable problème au regard de la <a href="https://ec.europa.eu/social/main.jsp?langId=fr&catId=751#:%7E:text=Moins%20de%20personnes%20vivent%20dans,%E2%80%99ensemble%20de%20l%E2%80%99UE.">proportion élevée de travailleurs pauvres en Europe</a> (9,6 %), la réglementation des salaires minimaux n’est pas une voie facile sur le plan politique. L’UE a toujours été tenue à l’écart de la question salariale qui demeure l’apanage des États membres. <a href="https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:12012E/TXT:fr:PDF">L’article 153</a> du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne mentionne même explicitement que les compétences européennes ne s’appliquent pas aux rémunérations.</p>
<p>Ainsi, cette tentative d’imposer une réglementation européenne en la matière suscite des résistances à la fois chez ceux qui, plus favorables aux intérêts du capital, voient d’un mauvais œil l’augmentation des salaires, chez ceux qui, par principe, refusent de voir l’UE étendre son périmètre d’action en matière sociale, et a fortiori, chez ceux qui cumulent ces deux griefs.</p>
<p>Face aux invocations de la subsidiarité, une option pour la Commission aurait été de se replier sur un instrument juridiquement non contraignant, par exemple une recommandation du Conseil, laissant aux gouvernements la liberté de se conformer ou non aux normes européennes. La Commission a pourtant soumis une proposition de directive sur la base de l’article 153.1 (b) TFUE, s’exposant ainsi à de probables controverses juridiques et politiques dans les mois qui viennent.</p>
<h2>Salaires minimaux légaux vs. négociation collective</h2>
<p>Parmi les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Plan-relance-europeen-veulent-quatre-frugaux-2020-05-27-1201096191">détracteurs de l’initiative</a> de la Commission figurent les syndicats des pays nordiques (Danemark et Suède en particulier) qui, jouissant d’un système de négociation collective performant et de salaires élevés, ont multiplié les prises de positions publiques pour clamer que « ce qui n’est pas cassé ne doit pas être réparé ».</p>
<p>Il faut rappeler qu’en <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2008-4-page-135.htm">bafouant</a> la force normative des conventions collectives, les jugements de la Cour de justice de l’Union européenne de 2007-2008 (arrêts Laval, Viking, Rüffert, Luxembourg) ont provoqué un véritable traumatisme et nourri un fort rejet de l’UE dans ces pays.</p>
<p>Depuis le début des consultations, la Commission européenne a donc dû convaincre que son objectif n’était pas de contraindre les États membres à adopter des salaires minimaux légaux, là où ils sont traditionnellement régis par la négociation autonome entre partenaires sociaux.</p>
<p>Conformément à cet engagement, la proposition de directive fait des négociations collectives la clef de voûte de la fixation des salaires. L’article 4 stipule ainsi que les États membres doivent prévoir des mesures visant à soutenir la négociation entre partenaires sociaux, avec l’obligation pour les pays dans lesquels moins de 70 % des travailleurs sont couverts par des conventions collectives de mettre en place un cadre réglementaire précis (soit par la loi, soit par un accord entre partenaires sociaux). L’article 7 prévoit en outre que les États garantissent la participation effective des partenaires sociaux à la fixation et à l’actualisation des salaires minimaux légaux.</p>
<h2>La gouvernance par les données</h2>
<p>On aurait pu s’attendre à ce que la disposition clef de la proposition définisse un niveau plancher basé sur une valeur de référence internationale, le seuil de 60 % du salaire médian ayant souvent été évoqué.</p>
<p>L’utilisation d’indicateurs et d’objectifs chiffrés est une marque de fabrique de l’Union européenne. Plus que tout autre système politique, elle s’appuie sur <a href="https://journals.openedition.org/rfsic/3521">« la gouvernance par les nombres »</a> théorisée par le professeur au Collège de France Alain Supiot et approfondi par l’universitaire américaine Vivien Schmidt dans son <a href="https://global.oup.com/academic/product/europes-crisis-of-legitimacy-9780198797067?cc=fr&lang=en&">récent ouvrage</a> sur la crise de la zone euro.</p>
<p>Les règles du Pacte de stabilité et de croissance, visant à limiter le déficit à 3 % et la dette à 60 % du PIB, en sont devenues le symbole le plus frappant. Dans le domaine social, la <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dossier26-2.pdf">cible en matière de lutte contre la pauvreté adoptée en 2010</a>, et qui devait voir le nombre de pauvres en Europe diminuer de 20 millions d’ici 2020, en offre également une malheureuse illustration puisque <a href="https://www.telos-eu.com/fr/societe/lechec-de-leurope-contre-la-pauvrete.html">l’objectif n’a pas été atteint</a>.</p>
<p>En matière de salaires minimaux, la Commission a fait le choix d’éviter l’imposition par le haut d’un objectif chiffré. Variante de la gouvernance par les nombres, l’article 4 sur le « caractère adéquat » des salaires minimaux prévoit la mise en place, au niveau national, d’une gouvernance basée sur des critères objectivés par des données.</p>
<p>Les États peuvent choisir les critères devant servir à définir le niveau du salaire minimum. Ce choix est toutefois encadré puisque quatre critères doivent obligatoirement être pris en compte (le pouvoir d’achat des salaires minimaux légaux, compte tenu du coût de la vie et de la contribution des impôts et des prestations sociales ; le niveau général et la répartition des salaires bruts ; le taux de croissance des salaires bruts ; l’évolution de la productivité de la main-d’œuvre). Les États sont également appelés à s’orienter par rapport aux valeurs de références internationales (on pense notamment à l’Organisation international du travail).</p>
<p>La proposition de directive comprend en outre un long article 10 sur le suivi et la collecte de données. Celui-ci oblige les États membres à « mettre au point des outils efficaces de collecte de données pour surveiller la couverture et le caractère adéquat des salaires minimaux ». Chaque année, les gouvernements doivent transmettre à la commission sept types de données relatives aux salaires minimaux « ventilées par sexe, tranche d’âge, handicap, taille de l’entreprise et secteur ». La Commission pourra ensuite évaluer ces données dans un rapport lui-même examiné par le comité de l’emploi du Conseil.</p>
<p>Il apparaît donc que cette proposition de la directive relève moins d’une logique de réglementation par le droit dictant aux États membres « quoi faire » que d’une logique de surveillance multilatérale héritée de la coordination souple indiquant aux États « comment faire ». La gouvernance par les données, le <em>evidence based policy making</em> fortement ancré dans la pratique des institutions européennes, doit se substituer à l’arbitraire du politique et aux résultats sous-optimaux résultant des rapports de force entre capital et travail.</p>
<p>En devenant juridiquement contraignante (puisque les manquements des États aux dispositions d’une directive peuvent être portés devant la Cour de Luxembourg), la gouvernance par les données pourra-t-elle réussir la quadrature du cercle de la légitimité et de l’efficacité de l’action publique multiniveaux ? Sera-t-elle combattue avec autant de vigueur par les opposants à une plus grande intégration de l’Europe en matière sociale ? Est-ce la recette du succès ou le dernier avatar d’une utopie bureaucratique sans prise sur la réalité ? Autant de questions qui trouveront une réponse dans les mois et les années qui viennent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150219/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amandine Crespy, Cevipol/Institut d'études européennes, Université libre de Bruxelles</span></em></p>Fin octobre, la Commission a adopté une proposition de directive qui, sans fixer d’objectifs chiffrés, demande aux États membres de relever leurs seuils sur la base de plusieurs indicateurs.Amandine Crespy, Professeure en science politique et études européennes (CEVIPOL/Institut d'Etudes Européennes), Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1486632020-11-01T16:57:18Z2020-11-01T16:57:18ZDébat : L’hydrogène produit par les seules renouvelables ? Ni possible, ni durable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/366848/original/file-20201101-22-b7mz4g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Train fonctionnant à l’hydrogène. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/groningen-netherlands-march-7-2020-first-1666922569">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’hydrogène suscite un intérêt grandissant mais cette médiatisation de la filière traduit souvent une grande confusion sur un sujet qui, depuis Jules Verne (1875), n’a cessé d’alimenter les utopies. On pense ici à J.B.S. Haldane (1923) et, plus près de nous, Jeremy Rifkin et son <a href="https://www.foet.org/books/the-hydrogen-economy/"><em>Économie hydrogène</em></a> (2002).</p>
<p>Trois objectifs différents sont visés dans les différents « plans hydrogène » rendus publics récemment.</p>
<ul>
<li><p>Un « verdissement » de la production d’hydrogène de 1 Mt/an en France et 60 Mt/an au niveau mondial pour les <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Questions_reponses_hydrogene.pdf">industriels « non énergétiques »</a>, soit les secteurs de la chimie, de la production d’ammoniac et d’engrais et du raffinage de produits pétroliers.</p></li>
<li><p>Un développement des usages énergétiques de l’hydrogène pour décarboner la mobilité lourde (trains, bus et poids lourds) et les réseaux de distribution de gaz.</p></li>
<li><p>L’utilisation de l’hydrogène comme moyen de stockage/déstockage permettant l’intégration des renouvelables dans le mix électrique.</p></li>
</ul>
<p>Ces trois objectifs sont-ils atteignables par le seul recours à l’électricité des renouvelables, comme <a href="https://theconversation.com/lhydrogene-sera-vraiment-revolutionnaire-si-il-est-produit-a-partir-des-renouvelables-145804">certains l’appellent de leurs vœux</a> ?</p>
<p>La Commission européenne considère elle-même cette option <a href="https://www.fch.europa.eu/sites/default/files/Hydrogen%20Roadmap%20Europe_Report.pdf">comme la seule pertinente</a>, sans aucune argumentation sérieuse toutefois, hormis la baisse avérée mais trompeuse, des coûts de l’électricité renouvelable (solaire photovoltaïque et éolienne) pour produire l’hydrogène par électrolyse.</p>
<p>On mesure là très probablement l’influence de Jeremy Rifkin, qui écrivait dans <em>L’Économie hydrogène</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Si cette nouvelle technologie n’est pas abandonnée aux grands fournisseurs d’électricité, les piles à combustible permettront à chaque être humain de produire et même d’échanger sa propre électricité. L’ensemble de nos institutions économiques, politiques et sociales, ainsi que nos modes de vie s’en trouveraient transformés. »</p>
</blockquote>
<p>Aujourd’hui, seule une <a href="http://emerites.blogspot.com/">estimation précise des ordres de grandeurs</a> et un regard objectif posé sur la formation du coût de production de l’hydrogène par électrolyse, permettent de comprendre que ces objectifs ne peuvent avoir ni le même niveau de priorité, ni forcément aller de pair.</p>
<h2>L’impossible compétitivité</h2>
<p>Pour comprendre la formation du coût de production d’hydrogène par électrolyse – un procédé trois fois plus coûteux environ en énergie que le vaporeformage de gaz naturel utilisé presque exclusivement aujourd’hui –, il faut non seulement prendre en compte le prix de l’électricité mais aussi les coûts d’investissement et de maintenance des électrolyseurs.</p>
<p>Comment imaginer que l’utilisation des seuls surplus d’électricité renouvelable, comme l’avancent les différents plans hydrogène, permettrait d’assurer des coûts compétitifs de production d’hydrogène par électrolyse ?</p>
<p>Ces surplus sont construits par accumulation des excédents générés de manière intermittente tout au long de l’année, aux instants où la puissance produite <a href="https://www.researchgate.net/publication/308392601_Electricity_production_by_intermittent_renewable_sources_a_synthesis_of_French_and_German_studies/link/57e2946c08ae9e25307f40e0/download">excède la puissance consommée</a> et qui, du fait du fonctionnement du marché de l’électricité, peuvent être vendus à prix très bas, voire négatifs.</p>
<p>Dans ce mode de production, les coûts d’investissement et de maintenance d’installations, nécessairement largement surdimensionnées, domineraient très largement dans la formation du prix au kg de l’hydrogène produit. Les électrolyseurs doivent en effet être dimensionnés à la puissance maximale, même si dans le cas d’alimentation par les surplus, cette puissance n’est atteinte que sur un nombre d’heures très réduit à l’année.</p>
<p>Des <a href="https://www.iea.org/reports/the-future-of-hydrogen">études détaillées de l’IEA</a> et, pour la France, de <a href="https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/rapport%20hydrogene.pdf">RTE</a> soulignent clairement ce point.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-fonctionnent-les-voitures-a-hydrogene-145779">Comment fonctionnent les voitures à hydrogène ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>La question centrale des électrolyseurs</h2>
<p>Quelques illustrations chiffrées – reposant sur les lois de la physique, les performances actuelles des électrolyseurs et les perspectives des besoins exprimées dans les plans – permettent d’appréhender l’énormité du défi que représente la production massive d’hydrogène décarboné par électrolyse, dans l’optique d’une neutralité carbone pour 2050.</p>
<p>Pour produire 1 kg d’hydrogène – dont le contenu énergétique de 35 kWh équivaut à celui d’environ trois litres de pétrole et correspond, en gros, à l’énergie stockable dans une batterie automobile de 300 kg – par électrolyse, il faut, en tablant sur un rendement actuel de 70 %, dépenser 50 kWh d’électricité. Soit, en prenant le tarif de 42 €/MWh du <a href="https://www.edf.fr/entreprises/electricite-gaz/le-benefice-arenh">mécanisme ARENH</a>, 2,1 €/kg.</p>
<p>L’amélioration du rendement des électrolyseurs permettrait de se rapprocher du coût de production par vaporeformage – soit environ 1,5 €/kg. Mais il faut encore ajouter la contribution du coût d’investissement et de maintenance des électrolyseurs, qui dépend on l’a vu fortement de leur temps d’utilisation.</p>
<p>Il faudra donc une baisse drastique du coût des électrolyseurs pour rendre le procédé compétitif.</p>
<p>La situation la plus favorable, car évitant les surcoûts liés au surdimensionnement, correspondra toujours à celle où les électrolyseurs fonctionnent à leur capacité maximale sur la plus longue partie de l’année, c’est-à-dire aux facteurs de charge les plus élevés.</p>
<h2>Doubler la production d’électricité</h2>
<p>La <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20H2%20MTES%20CEA%200106.pdf">première ambition du plan hydrogène français</a> consiste à substituer totalement 400 kt d’hydrogène décarboné à celui produit par vaporeformage.</p>
<p>Quelle quantité d’électricité faut-il consommer pour y parvenir ? Environ 20 TWh… ce qui requiert une puissance d’électrolyse minimale de l’ordre de 2,5 GW, mais qui devrait être jusqu’à dix plus élevée en utilisant les seuls surplus d’électricité renouvelable.</p>
<p>Avec un coût d’investissement et de maintenance minimal de l’ordre de 1300 €/kW actuellement, cela fait au total, pour des électrolyseurs fonctionnant à pleine charge toute l’année, plus de 3 milliards d’euros au minimum !</p>
<p>Même en espérant une division par deux du prix des électrolyseurs, il faudra d’énormes investissements pour installer une puissance suffisante permettant d’aller au-delà du verdissement de l’hydrogène consommé par l’industrie.</p>
<p>Le plan français ambitionne de substituer, d’ici 2050, 20 % de la consommation finale d’énergie, ce qui correspond actuellement à 31 Mtep de ressources fossiles. Il faudra pour cela produire environ 10 Mt H2/an, nécessitant de l’ordre de 500 TWh d’électricité, ce qui impliquerait donc un doublement de la production nationale.</p>
<p>Comment pourrait-on faire face à une telle augmentation ? Avec l’éolien off-shore ? Son potentiel est estimé pour la France à une capacité de 22 à 30 GW – 65 et 85 TWh/an dans le meilleur des cas. Avec le solaire PV ? La dizaine de GW installés fin 2019 ont produit au plus 12 TWh en 2019.</p>
<p>12 TWh, c’était aussi la production annuelle de la centrale nucléaire de Fessenheim. Une telle centrale alimentant 1,5 GW d’électrolyseurs produirait 250 ktH2/an. Avec les 3 000 éoliennes de 2 MW de puissance unitaire, pouvant permettre de produire chaque année la même quantité d’énergie, il faudrait pour cela, compte tenu de la différence de facteur de charge, installer une capacité d’électrolyse de l’ordre de 9 GW, c’est-à-dire six fois plus grande.</p>
<h2>Le nucléaire reste incontournable</h2>
<p>Le solaire et l’éolien ne permettront jamais de produire, en France, les énormes quantités d’électricité requises si l’on veut substituer l’hydrogène aux ressources fossiles ; quant à son rôle d’intégrateur des renouvelables – systématiquement mis en avant –, il ne va pas du tout de pair avec les deux premiers objectifs.</p>
<p>Si la priorité est bien de trouver avec l’hydrogène – directement ou indirectement par la <a href="https://www.iea.org/reports/the-future-of-hydrogen">production de carburants de synthèse</a> à base d’hydrogène –, un substitut aux ressources fossiles carbonées, en le produisant donc à partir d’électricité décarbonée, il faut nécessairement combiner optimisation des investissements dans les électrolyseurs, en les faisant fonctionner avec la plus forte charge annuelle, et électricité à bas coût.</p>
<p>L’idée d’utiliser pour cela l’électricité produite à partir de sources renouvelables et surtout ses surplus, pourtant séduisante, s’avère être la plus coûteuse et aussi la plus gourmande en ressources minérales. Cela s’explique déjà par le nécessaire surdimensionnement des installations évoqué plus haut, et pourrait s’avérer encore plus crucial si l’on choisissait l’option des électrolyseurs de type PEM (membranes à échange de protons), qui ne peuvent éviter pour le moment le recours à l’utilisation de métaux nobles. Ce n’est clairement pas une solution durable et à laquelle donner la priorité des investissements.</p>
<p>D’autant que le solaire et l’éolien ne permettront jamais de produire les énormes quantités d’électricité requises. Les Allemands en ont bien conscience, <a href="https://www.bmwi.de/Redaktion/EN/Publikationen/Energie/the-national-hydrogen-strategy.html">leur plan hydrogène</a> prévoyant l’importation massive d’hydrogène. On peut aussi évoquer la stratégie japonaise, qui envisage d’importer annuellement 10 Mt d’hydrogène en 2050.</p>
<p>Pour rendre possible cette indispensable substitution, il faut investir dans la R&D sur les électrolyseurs, comme le prévoit le plan français dans son <a href="https://www.economie.gouv.fr/presentation-strategie-nationale-developpement-hydrogene-decarbone-france#">actualisation toute récente</a>, mais l’énorme défi ne pourra pas être relevé sans le recours au nucléaire. Ce qui implique aussi d’investir dans la R&D sur le nucléaire de <a href="https://www.gen-4.org/gif/upload/docs/application/pdf/2020-07/gif_2019_annual_report_2020-07-29_14-20-8_872.pdf">quatrième génération</a>, les réacteurs à très haute température en particulier, qui permettraient, en combinaison avec l’électrolyse à haute température, la production massive et bon marché de cet hydrogène dont rêvait Jules Verne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148663/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gérard Bonhomme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’utilisation des seuls surplus d’électricité renouvelable, comme l’avancent les plans hydrogène, ne permettra pas d’assurer des coûts compétitifs de production d’hydrogène par électrolyse.Gérard Bonhomme, Professeur émérite, physique des plasmas, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1435752020-07-30T20:40:55Z2020-07-30T20:40:55ZLe numérique, cet impensé du pacte vert européen<p>En dépit de l’accord de Paris, les émissions de gaz à effet de serre sont au plus haut. Des actions renforcées sont nécessaires pour tenter de <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/12/UNEP-1.pdf">rester sous la barre des 1,5 °C</a> degré de réchauffement. Avec le <a href="https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/european-green-deal-communication_fr.pdf">récent pacte vert européen</a> – qui vise la neutralité carbone d’ici 30 ans –, l’Europe semble prendre ses responsabilités en se donnant des objectifs à la hauteur des défis environnementaux actuels et à venir.</p>
<p>L’horizon d’une société « juste et prospère, dotée d’une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources et compétitive », devrait positionner l’Union européenne en leader mondial dans le domaine de « l’économie verte », où les citoyens seraient placés au cœur « d’une croissance durable et inclusive ».</p>
<h2>Les promesses du pacte</h2>
<p>Comment un tel tour de force est-il possible ?</p>
<p>Le pacte vert s’inscrit dans une longue dynamique de politiques portant sur l’efficacité énergétique, les déchets, l’écoconception, l’économie circulaire, l’achat public et l’information des consommateurs. Grâce à ces orientations, l’UE <a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-773-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF">pense avoir réalisé le découplage</a> tant attendu :</p>
<blockquote>
<p>« En conséquence des réglementations déjà adoptées, entre 1990 et 2016, la consommation d’énergie a diminué de près de 2 % et les émissions de gaz à effet de serre de 22 %, tandis que le PIB a progressé de 54 % […]. La part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie est passée de 9 % en 2005 à 17 % aujourd’hui ».</p>
</blockquote>
<p>Avec le pacte vert, l’objectif est de poursuivre cet effort avec toujours plus de renouvelables, d’efficacité énergétique et de produits verts. Les secteurs du textile, de la construction et de l’électronique sont désormais ciblés au titre de l’économie circulaire, avec une attention portée à la réparation et au réemploi. L’ensemble repose sur des incitations pour les entreprises et les consommateurs.</p>
<p><a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-773-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF#page=9">Dans ce cadre</a>, les mesures d’efficacité devraient réduire la consommation d’énergie de moitié ; l’étiquette-énergie, et les gains assez énormes qu’elle a permis de réaliser est mise en avant.</p>
<p>Selon le pacte vert, le déploiement des renouvelables devrait permettre de réduire la part des fossiles à 20 %. L’électricité serait davantage mobilisée, en tant que vecteur énergétique, et serait à 80 % renouvelable en 2050. La consommation d’énergie serait réduite de 28 % par rapport aux niveaux actuels. L’hydrogène, le stockage de carbone et divers procédés de conversion chimique de l’électricité en matériaux combustibles seraient utilisés en complément, permettant de conférer des capacités de flexibilité et de stockage.</p>
<p>Dans ce nouvel ordre des choses, un <a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-773-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF#page=10">jeu de rôles est également identifié</a> : d’un côté, des producteurs de produits propres ; de l’autre, des citoyens qui les achètent. À cette mobilisation des producteurs et des consommateurs s’ajoutent la mobilisation des budgets nationaux, du budget européen et de la finance « verte », privée, dont le cadre est attendu pour la fin de l’année 2020.</p>
<p>Efficacité, renouvelables, courbe avec une forte décroissance de la consommation d’énergie, promesses importantes d’emploi : si l’on se rappelle que, dans les années 1970, EDF se contentait de planifier 200 centrales nucléaires à l’horizon 2000 – fort de la conviction que plus de consommation signifiait plus de progrès –, tout indique que les partisans du scénario Négawatt (ONG écologistes, réseaux de collectivités engagées, entreprises et artisans mobilisés) ont remporté un combat historique, culturel (sur les valeurs, sur la manière de cadrer les enjeux) et politique (textes officiels à la clé).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350200/original/file-20200729-19-qlz4t3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Trajectoire des émissions de GES dans un scénario de réchauffement à 1,5 °C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-773-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF">Commission européenne</a></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=294&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350205/original/file-20200729-27-1wnlxmd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Scénario Négawatt.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://negawatt.org/">Négawatt</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/european-green-deal-communication_fr.pdf">Dans le texte du pacte</a>, les économies évoquées sur les fossiles s’élèvent entre 150 et 200 milliards d’euros par an, à quoi s’ajoute une facture sanitaire évitée de 200 milliards/an et la <a href="https://ec.europa.eu/knowledge4policy/publication/depth-analysis-support-com2018-773-clean-planet-all-european-strategic-long-term-vision_en">perspective d’exportation de produits « verts »</a>. Enfin, des millions d’emplois sont à la clé, avec des mécanismes d’aide à la reconversion pour les secteurs touchés, et un soutien pour les plus bas revenus.</p>
<h2>L’épreuve du réel pour le pacte</h2>
<p>Victoire finale ? Tout l’indique, du moins sur le papier.</p>
<p>Mais ce n’est pas si simple et l’UE reconnaît elle-même que les améliorations dans le domaine de l’efficacité énergétique et des <a href="https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-773-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF#page=5">réductions d’émissions de gaz à effet de serre stagnent</a>.</p>
<p>Les causes de cette stagnation sont les suivantes, par ordre d’importance : la croissance économique ; le ralentissement des gains en efficacité énergétique, notamment dans le transport aérien ; la forte croissance des SUV ; et enfin l’ajustement à la hausse des émissions réelles des véhicules, <a href="https://www.novethic.fr/lexique/detail/dieselgate.html">réalisé à la suite du « diesel gate »</a> (+30 %).</p>
<p>Plus grave, les émissions nettes de l’UE, c’est-à-dire celles incluant les importations et les exportations, montrent une croissance de <a href="https://eeb.org/library/decoupling-debunked/">8 % des émissions</a> pour la période 1990-2010.</p>
<p>L’efficacité a ses limites et les gains les plus faciles à réaliser se trouvent en général au départ, beaucoup plus rarement à l’arrivée.</p>
<h2>Le défi du numérique</h2>
<p><a href="https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/european-green-deal-communication_fr.pdf#page=10">Pour le pacte vert</a>, « les technologies numériques s’avèrent d’une importance cruciale pour atteindre les objectifs fixés en matière de développement durable, et ce dans une grande variété de secteurs » – 5G, vidéosurveillance, Internet des objets, informatique en nuage ou IA. Vraiment ? On peut en douter.</p>
<p>Diverses études, dont <a href="https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift/">celles du Shift Project</a> montrent que les émissions du secteur numérique ont doublé, entre 2010 et 2020. Elles sont aujourd’hui plus importantes que celles de l’aviation civile, aujourd’hui pointée du doigt. Quant aux applications mises en avant par le pacte vert européen, elles figurent parmi les plus consommatrices, selon divers <a href="https://theconversation.com/linquietante-trajectoire-de-la-consommation-energetique-du-numerique-132532">scénarios prospectifs</a>.</p>
<p>La croissance des usages sera-t-elle compensée par l’efficacité énergétique ? Le secteur a connu des progrès fulgurants, presque sans égal. Le premier ordinateur, <a href="https://www.decitre.fr/livres/une-histoire-de-l-informatique-9782020123488.html">l’ENIAC pesait 30 tonnes</a>, consommait 150 000 watts et ne faisait guère plus de 5000 opérations par seconde. Un PC actuel consomme 200 à 300 W, pour une puissance disponible de <a href="https://www.top500.org/green500">l’ordre d’un supercalculateur</a> du début des années 2000 consommant 1,5 MW ! Autant de progrès qui semblent aller à l’infini…</p>
<p>Sauf qu’une limite absolue (<a href="http://worrydream.com/refs/Landauer%20-%20Irreversibility%20and%20Heat%20Generation%20in%20the%20Computing%20Process.pdf">« la limite de Landauer »</a>) a été identifiée dès 1961 et <a href="https://arxiv.org/pdf/1503.06537.pdf">vérifiée en 2012</a>. D’après <a href="https://www.semiconductors.org/resources/rebooting-the-it-revolution-a-call-to-action-2/">l’industrie des semi-conducteurs elle-même</a> la limite se rapproche rapidement, au regard de la temporalité invoquée par le pacte vert.</p>
<p>Cela, alors que la consommation de trafic et de puissance de calcul augmente de manière exponentielle. Est-il bien raisonnable de continuer à se rendre toujours plus dépendants du numérique au motif que de vagues courbes d’efficacité feraient apparaître des « lois » de réduction de la consommation ?</p>
<p>D’autant que les gains obtenus en matière d’efficacité énergétique n’ont pas grand-chose à voir avec une inscription croissante dans des modes de vie plus écologiques : les motivations ont été le coût, l’évacuation de la chaleur, le souci de rendre les dispositifs numériques portables pour qu’ils puissent à tout moment capturer notre attention.</p>
<p>Ces limites sur l’efficacité expliquent la montée en puissance de la thématique de la sobriété numérique. Le <a href="https://cnnumerique.fr/environnement_numerique">Conseil national du numérique</a> a présenté sa feuille de route, peu après celle de l’Allemagne. Mais le pacte vert s’entête dans cette même voie : celle qui consiste à s’appuyer sur un secteur numérique imaginaire qui n’a pas grand-chose de commun avec le secteur réel.</p>
<h2>Le numérique, facilitateur de croissance</h2>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0040162516308022">En s’appuyant sur un article récent</a>, le Shift Project nous met en garde : « Jusqu’ici, les effets rebond se sont montrés plus importants que les gains apportés par l’innovation technologique. ». Ce diagnostic a encore été <a href="https://www.researchgate.net/publication/342260978_Digitalization_and_Energy_Consumption_Does_ICT_Reduce_Energy_Demand">récemment confirmé</a>.</p>
<p>Les bénéfices environnementaux du télétravail sont, par exemple, <a href="https://theshiftproject.org/article/publication-du-rapport-decarboner-la-mobilite-dans-les-zones-de-moyenne-densite-cest-possible/">largement inférieurs</a> à ceux intuitivement escomptés, en tout cas lorsqu’il n’est pas combiné à d’autres changements de l’écosystème social. Autre exemple : <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/transport/itf-transport-outlook-2019_transp_outlook-en-2019-en">dans son scénario « au fil de l’eau » de 2019</a>, l’OCDE disait s’attendre à un triplement du transport passager entre 2015 et 2050, facilité par le véhicule autonome (et non empêché par lui).</p>
<p>Car le numérique est d’abord un facteur de croissance, comme le soulignait Pascal Lamy, alors directeur de l’OMC, quand il estimait que la mondialisation <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2011/06/30/pascal-lamy-la-demondialisation-est-un-concept-reactionnaire_1542904_3234.html">reposait sur deux innovations</a> : Internet et le conteneur. Plus de numérique, ce sera d’abord plus d’émissions. Et si ce n’est pas le cas, ce sera parce qu’un virage écologique aura été pris, y compris pour le numérique.</p>
<p>On peut légitimement se demander ce que cherche vraiment à garantir le pacte vert. Le climat ou les marchés numériques des grands groupes ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143575/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Flipo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’Europe affiche avec son pacte vert de hautes ambitions en matière d’économie d’énergie, elle semble faire l’impasse sur les problèmes posés par le déploiement du numérique.Fabrice Flipo, Professeur en philosophie sociale et politique, épistémologie et histoire des sciences et techniques, Institut Mines-Télécom Business School Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1435482020-07-29T22:31:54Z2020-07-29T22:31:54ZL’Union politique européenne vaut-elle vraiment 750 milliards d’euros ?<p>Après un sommet marathon, les pays de l’Union européenne ont réussi à s’entendre in extremis mercredi 22 juillet au petit matin sur le plan de relance de €750 milliards comprenant 390 milliards de subventions et €360 milliards de prêts.</p>
<p>Durant le week-end, les négociations ont frôlé la rupture mais aujourd’hui chacun y trouve un satisfecit. Les frugaux – Autriche, Pays-Bas, Suède et Danemark – ont diminué le montant des subventions initialement fixé à 500 milliards et auront un droit de regard sur l’utilisation des fonds mais pas le droit de veto lors de l’adoption des plans de relance de relance nationaux. 70 % des subventions seront allouées sur 2021 et 2022 avec des dépenses qui <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-budget-europeen-et-plan-de-relance-un-accord-historique-en-trompe-loeil-1225464">pourront être engagées dès 2020</a>.</p>
<h2>La dette fédératrice de l’Europe</h2>
<p>Finalement, comme pour les États-Unis en 1781, c’est la dette qui va pousser l’Union européenne vers davantage de fédéralisme à travers l’adoption d’un budget européen contra-cyclique financé par des ressources propres. Les débats qui ont eu lieu jadis sont d’une étonnante actualité. Comme <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2014-1-page-180.htm">l’écrit Alix Meyer</a> dans « Les paradoxes de la dette américaine » :</p>
<blockquote>
<p>« les États-Unis naissent endettés… Adoptée en 1781, la première Constitution de la République américaine, les Articles de la Confédération, donne naissance à un État central très faible. Pour financer ses opérations et rembourser ses dettes, il doit notamment s’appuyer sur des contributions volontaires de la part d’États membres dont les finances sont elles-mêmes très affaiblies ».</p>
</blockquote>
<p>La question de la fédéralisation des dettes des États devient centrale dans la construction des États-Unis.</p>
<h2>Petite leçon d’histoire américaine</h2>
<p>À partir de 1781, les <a href="https://eud.u-bourgogne.fr/langues-et-civilisations-etrangeres/141-le-federalisme-americain-en-question-de-1964-a-nos-jours-2915552401.html">fédéralistes et les anti-fédéralistes américains</a> s’affrontaient avec des arguments qui font écho aujourd’hui aux questions de souveraineté et de centralisation des pouvoirs. Les anti-fédéralistes étaient alors incarnés par Thomas Jefferson, à l’époque secrétaire d’État de George Washington, et d’obédience démocrate tandis que les fédéralistes étaient conduits par Alexander Hamilton, de tendance plutôt républicaine. Des positionnements à l’inverse des étiquettes politiques européennes d’aujourd’hui.</p>
<p>Les anti-fédéralistes craignaient pour la souveraineté des États. Comme le rapporte Alix Meyer, ils voyaient dans la fédéralisaton des États :</p>
<blockquote>
<p>« une machination funeste qui fait passer les intérêts des élites financières devant ceux du peuple. En effet, la dette doit être remboursée par les impôts qui sont payés par les citoyens tandis que les intérêts de cette dette viendront enrichir les spéculateurs qui prêtent leurs capitaux à l’État.</p>
</blockquote>
<p>Thomas Jefferson déclarant : “la dette publique est le plus grand danger qui menace” (public debt is the greatest of the dangers to be feared) ».</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="Portrait de Thomas Jefferson," src="https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=716&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350210/original/file-20200729-15-1vh2lz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=899&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Thomas Jefferson, qui sera le troisième président des États-Unis, considérer la fédéralisation des États comme « une machination funeste ». Ici vers 1800.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Jefferson#/media/Fichier:Official_Presidential_portrait_of_Thomas_Jefferson_(by_Rembrandt_Peale,_1800).jpg">Rembrandt Peale/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il proposera d’ailleurs un amendement constitutionnel pour imposer l’équilibre budgétaire fédéral afin de réduire le pouvoir de l’État fédéral. Jefferson n’est pas opposé à la dette des États, il est opposé à la centralisation du pouvoir.</p>
<p>Il estime que l’État fédéral s’éloigne des intérêts du peuple et favorise l’émergence d’une oligarchie. Au contraire, Alexander Hamilton alors secrétaire au Trésor de George Washington, voit dans la fédéralisation des dettes des états un moyen d’asseoir la réputation de l’État américain et de lui permettre de se financer à moindre coût.</p>
<p>Il voit aussi dans la dette publique un moyen d’augmenter la masse monétaire et favoriser le commerce grâce à la création de la première Banque nationale, « First Bank of the United States » sur le <a href="https://www.amazon.com/Origins-Central-Banking-United-States/dp/0674644808">modèle</a> de la banque d’Angleterre.</p>
<p>Par ailleurs, la fédéralisation de dette publique est également un moyen de mieux contrôler les États à qui la Constitution avait enlevé le pouvoir d’émission de titre de crédit. Par la suite, les successeurs des fédéralistes défendront la dette publique au nom de l’investissement dans les infrastructures.</p>
<h2>Emmanuel Macron, le Alexander Hamilton de l’UE ?</h2>
<p>Comparaison n’est pas raison mais on ne peut s’empêcher de remarquer la similitude des débats et préoccupations qui ont animé la transformation des États-Unis en un véritable État fédéral et l’ambition européenne vers une Europe construite sur le même modèle.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="Portrait de Alexander Hamilton" src="https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=711&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=893&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=893&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/350208/original/file-20200729-23-13tvi7v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=893&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Macron-Hamilton ? Portrait d’Alexander Hamilton, farouche défenseur du fédéralisme et de la centralisation du pouvoir, par John Trumbull.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexander_Hamilton#/media/Fichier:Alexander_Hamilton_portrait_by_John_Trumbull_1806.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’accord sur le plan de relance européen est-il donc une étape nécessaire vers une Europe fédérale ? Il serait prématuré d’y voir une avancée significative sur cette voie.</p>
<p>En premier lieu, si les négociations ont laborieusement abouti à un accord mardi dernier, la route est encore longue avant qu’il soit définitivement entériné. Il doit être voté par le parlement européen et les concessions faites pour y aboutir sont loin de faire l’unanimité.</p>
<h2>La question des rabais</h2>
<p>Parmi les concessions importantes figurent les <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/budget-europeen-qu-est-ce-que-le-rabais-britannique.html.">rabais</a>, remises faites aux <a href="https://www.touteleurope.eu/actualite/budget-europeen-pays-contributeurs-et-pays-beneficiaires.html">pays contributeurs nets</a> au budget Européen.</p>
<p>Avec le Brexit beaucoup pensaient que les rabais allaient enfin <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Sommet-europeen-rabais-leviers-majeurs-negociations-2020-07-20-1201105687">disparaître</a>. Instaurés par Margaret Thatcher hostile à une Europe fédérale à travers sa phrase historique : « we want our money back », les rabais reflètent pour certains pays comme la France une approche de l’Union européenne utilitariste et non coopérative qui n’est pas à la hauteur des ambitions.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rNLVeAQvzn8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Margaret Thatcher, 1979.</span></figcaption>
</figure>
<p>Néanmoins comme à l’époque de la bataille entre fédéralistes et anti-fédéralistes, la question de la centralisation des pouvoirs est clef.</p>
<p>La France est naturellement encline à pousser vers une centralisation accrue des pouvoirs en particulier si elle y joue un rôle important. Les pays dits frugaux veulent s’assurer que les fonds empruntés par la Commission européenne seront utilisés à bon escient.</p>
<h2>De l’attrait des subventions plus que des prêts</h2>
<p>Dans cette bataille on retrouve une thématique récurrente dans les débats sur les finances publiques, celui du consentement à l’impôt.</p>
<p>Il n’est pas question pour les pays frugaux de se retrouver solidaires de dépenses publiques qu’ils ne cautionnent pas. Cette question animait déjà les premiers échanges de l’Eurogroupe en avril sur les mesures spéciales à prendre <a href="https://www.contrepoints.org/2020/04/15/369080-eurogroupe-le-plan-a-500-milliards-un-pas-vers-la-mutualisation-des-dettes">face au Covid-19</a>.</p>
<p>L’accès au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) qui permet aux pays de la zone euro en difficultés financières d’accéder à des lignes de crédit, était <a href="https://www.contrepoints.org/2020/04/15/369080-eurogroupe-le-plan-a-500-milliards-un-pas-vers-la-mutualisation-des-dettes">déjà conditionné</a> à l’utilisation exclusive des fonds empruntés pour des dépenses liées au Covid.</p>
<p>Il est intéressant de noter qu’à ce jour, aucun pays n’a utilisé cette option pour la simple et bonne raison que les pays les plus durement touchés n’ont aucun mal à financer leur dette résultat de la politique monétaire <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-budget-europeen-et-plan-de-relance-un-accord-historique-en-trompe-loeil-1225464">ultra-accommodante</a> de la BCE.</p>
<p>Pour les mêmes raisons, il est fort à parier que les pays de l’Union n’auront pas recours à l’enveloppe de 390 milliards de prêt du plan de relance. En effet, depuis les premières discussions sur les différentes modalités du plan de relance au sein de l’Eurogroupe, les « spreads » – l’écart de taux entre le pays le plus solide (l’Allemagne) et les autres pays de la zone euro – sur la dette souveraine des pays de la zone euro – <a href="https://www.amundi.fr/fr_part/ezjscore/call/ezjscamundibuzz::sfForwardFront::paramsList=service=ProxyGedApi&routeId=_dl_MzBiNTVkNDRkNjMwNWQwMjJmZDdlZDNiODE1NjU5OTg_inline">se sont resserrés</a>.</p>
<h2>Du financement du plan de relance</h2>
<p>Tout comme à l’époque de Jefferson et Hamilton la question de l’équilibre budgétaire était un point d’achoppement, Jefferson voyant dans l’équilibre budgétaire une manière de contenir le pouvoir central de l’État fédéral, la question du remboursement étant un point d’orgue des discussions au sein de l’Eurogroupe.</p>
<p>Les frugaux préféraient les prêts aux subventions, un moyen de contenir les dérives possibles. C’est pourquoi ils ont bataillé fort pour revoir à la baisse le volet subvention passant de 500 milliards à 390 milliards.</p>
<p>Reste à savoir désormais comment les financer en développant les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/plan-de-relance-leurope-au-defi-de-developper-ses-ressources-propres-1224860">ressources propres</a> de l’Union européenne sachant qu’en pleine pandémie une augmentation des taxes n’est jamais bienvenue.</p>
<p>Qu’à ne cela tienne ! il suffit de mentionner la taxation d’activités perçues comme nuisibles pour mieux les faire accepter comme les services numériques (taxe Gafa) ou la taxe sur les transactions financières <a href="https://www.novethic.fr/lexique/detail/taxe-tobin.html">(souvent appelée taxe Tobin)</a>, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/220612/serpent-de-mer-europeen-la-taxe-tobin-concernera-un-groupe-restreint?onglet=full">serpent de mer</a> qu’on ressort régulièrement depuis la crise de 2008, sans oublier de faire appel à la conscience écologique avec la taxe carbone et le renforcement du système d’échange de quotas d’émissions polluantes.</p>
<p>L’avenir nous dira si ce sommet européen historique de par sa durée deviendra également historique parce qu’il aura marqué les balbutiements des États-Unis d’Europe à l’image de leurs cousins d’Amérique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Janson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accord sur le plan de relance européen est-il une étape nécessaire vers une Europe fédérale ? En filigrane, demeure la question clé de la centralisation du pouvoir.Nathalie Janson, Économiste & enseignante-chercheure, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.