tag:theconversation.com,2011:/au/topics/coree-du-nord-25020/articlesCorée du Nord – The Conversation2023-12-20T19:55:41Ztag:theconversation.com,2011:article/2202452023-12-20T19:55:41Z2023-12-20T19:55:41ZVie économique, relations familiales, normes sociales… comment les femmes changent la Corée du Nord<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/566893/original/file-20231212-15-fz337w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=131%2C15%2C1793%2C1131&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comme le montre cette photo prise à Pyongyang, les habitudes vestimentaires des Nord-Coréennes sont en train de changer, reflet d’une évolution discrète mais profonde.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Kang (ici et plus loin, les prénoms ont été changés pour des raisons de sécurité) avait 20 ans lorsqu’elle a quitté son emploi officiel de glaneuse de pommes de terre en Corée du Nord, pour rejoindre les rangs des femmes s’étant lancées dans des activités commerciales illicites, d’abord pour survivre à la <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/how-did-the-north-korean-famine-happen">grande famine des années 1990</a>, puis pour construire une vie meilleure pour elles-mêmes et leurs familles en échappant – partiellement – à l’étroit contrôle exercé par le gouvernement.</p>
<p>Kang a commencé à faire commerce de marchandises telles que le riz, les métaux et même le pétrole, ce qui lui a permis de générer des revenus bien supérieurs à ceux qu’elle aurait pu attendre d’un emploi autorisé par l’État. Avant son départ pour la Corée du Sud en 2013, son activité la plus lucrative était un service de courtage pour les jeunes femmes qui souhaitaient travailler dans des usines en Chine.</p>
<p>Kang est l’une des femmes que nous avons rencontrées dans le cadre de la rédaction de notre récent livre, <a href="https://www.routledge.com/North-Koreas-Women-led-Grassroots-Capitalism/Dalton-Jung/p/book/9780367536961"><em>North Korea’s Women-led Grassroots Capitalism</em></a>. Comme elle nous l’a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Le plus gratifiant dans ce travail, c’était l’argent. J’ai pu payer les frais d’inscription à l’université de ma sœur cadette, ainsi que ceux de mes beaux-enfants. J’ai même pu faire adhérer mon mari au Parti des [travailleurs], et il a fini par devenir secrétaire du parti. Travailler dans le business m’a permis de mûrir. […] Grâce à l’argent que je gagnais, nous étions pratiquement comme des fonctionnaires du parti subvenant aux besoins de leurs enfants. »</p>
</blockquote>
<h2>Un phénomène discret mais sensible</h2>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/40377482">L’émergence d’un capitalisme d’en bas en Corée du Nord</a>, à travers des femmes comme Kang, constitue un avertissement pour les sociétés patriarcales du monde entier : sous-estimer les femmes est à vos risques et périls. Nos recherches ont révélé qu’en rendant compliqué <a href="https://lentraidemissionnaire.org/la-realite-des-droits-des-femmes-en-coree-du-nord">l’accès des femmes à la sphère publique et à l’économie formelle</a>, le gouvernement nord-coréen les a, de fait, incitées à devenir des entrepreneuses, ce qui a eu des effets en cascade sur la société.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565046/original/file-20231212-15-sehe17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De petites boutiques ont vu le jour autour de Pyongyang, tenues pour la plupart par des femmes, qui vendent de la nourriture et d’autres petits articles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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</figure>
<p>Comment cela s’est-il produit ? Les autorités nord-coréennes oppriment leur population par la terreur et la surveillance afin de contenir l’expansion du capitalisme. Mais elles se concentrent avant tout sur les hommes, bien plus que sur les femmes.</p>
<p>De plus en plus de femmes nord-coréennes, sous-estimées par le pouvoir, ont progressivement appris à contourner la surveillance et les contrôles officiels, si bien qu’elles ont su peu à peu créer des espace favorables à des changements économiques et sociaux significatifs.</p>
<figure class="align-right ">
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<figcaption>
<span class="caption">Une femme portant une jupe au-dessus du genou, des chaussures à talons hauts et un sac à main de marque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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</figure>
<p>Notre livre explore les façons complexes dont les femmes nord-coréennes agissent au quotidien pour améliorer leurs conditions d’existence. Nos recherches sont basées sur 52 entretiens avec des transfuges nord-coréennes et des représentants d’ONG, ainsi que sur plusieurs visites de terrain en Corée du Nord et dans le nord-est de la Chine. Loin des stéréotypes d’après lesquels les femmes nord-coréennes seraient des automates ayant subi un lavage de cerveau ou des victimes impuissantes ayant besoin de protection, nous avons découvert qu’elles étaient fortes, résistantes et créatives.</p>
<p>Par leurs actes de résistance discrète, elles ont provoqué des évolutions profondes dans de nombreux domaines comme la sexualité, la procréation et, plus généralement, l’ensemble des rôles attribués aux femmes dans la culture du pays.</p>
<h2>5 façons dont les femmes changent la Corée du Nord</h2>
<p>**1) Les femmes sont le moteur du capitalisme d’en bas</p>
<p>Les femmes jouent un rôle actif dans <a href="https://beyondparallel.csis.org/markets-private-economy-capitalism-north-korea/">l’économie informelle émergente</a> centrée sur les marchés locaux. Celle-ci, avant la pandémie de Covid-19, <a href="https://www.nkeconwatch.com/category/statistics/">représentait</a> environ 80 % du revenu des ménages et plus de 60 % de la nourriture et des besoins de base de la population. En bref, la survie des Nord-Coréens dépend largement du travail des femmes.</p>
<p>Dans la plupart des familles nord-coréennes, les femmes pourvoient plus que les hommes au budget du ménage. Cette réalité engendre toujours plus d’opportunités pour les femmes, et toujours plus de défis pour ceux qui cherchent à les contrôler, y compris l’État.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Une femme transporte des marchandises à l’aide d’une charrette tirée à la main dans la campagne du sud.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
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</figure>
<h2>2) Les rôles de genre évoluent</h2>
<p>Les femmes sont à l’origine de changements qui déstabilisent deux piliers fondamentaux de la Corée du Nord : d’une part, le socialisme ; de l’autre, un patriarcat profondément enraciné.</p>
<p>La participation des femmes à des activités commerciales leur a permis d’accéder à des ressources rares, à commencer par l’argent, et à un niveau de visibilité publique et d’interaction sociale auparavant réservé aux hommes.</p>
<p>L’indépendance économique et le fait d’avoir davantage voix au chapitre dans la prise de décision au sein du foyer ont mis à rude épreuve des dynamiques familiales établies de longue date et remis en question des normes sociales plus larges. Comme l’explique Seol :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsque les rations ont diminué, les femmes ont pris davantage d’initiatives et sont allées travailler à l’extérieur. Les hommes, eux, restaient à la maison. Nous avons commencé à nous attendre à ce que les hommes fassent la cuisine et s’occupent des tâches domestiques. Je pense que les rôles des femmes et des hommes ont été inversés. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Un écolier achète une glace à une vendeuse de rue à Pyongyang. L’évolution des dynamiques familiales, les femmes gagnant désormais plus que les hommes, provoque des tensions dans les familles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>3) Une révolution sexuelle est en cours</strong></p>
<p>La manière dont les femmes vivent et abordent la sexualité, les relations et le mariage est devenue beaucoup plus complexe. Cela se traduit par un retardement du mariage et une augmentation du nombre de divorces. Les relations non traditionnelles sont également en plein essor, comme les relations prémaritales et extraconjugales (qui ont conduit à l’augmentation du nombre de mères célibataires) et les mariages où les femmes sont plus âgées que leurs époux. Une jeune femme nommée Bae nous a confié :</p>
<blockquote>
<p>« Comme je gagne beaucoup d’argent, j’ai des exigences élevées en ce qui concerne mon futur mari. Étant occupée à gagner de l’argent, je n’ai pas le temps de penser au mariage ou de me marier. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, les jeunes citadins adoptent des attitudes plus libérales en matière de rencontres et de sexe, ainsi qu’une vision plus romantique des relations. Comme le dit Joo :</p>
<blockquote>
<p>« De nombreux jeunes couples s’affichent en public et se promènent en s’enlaçant. Friandes de séries sud-coréennes, les jeunes femmes appellent leur petit ami “oppa” (frère) comme en Corée du Sud. »</p>
</blockquote>
<p>Certaines femmes ont aussi, souvent par stratégie bien réfléchie, établi des relations avec des hommes chinois afin de s’installer en Chine et d’assurer ainsi leur sécurité.</p>
<h2>4) Le temps des talons hauts</h2>
<figure class="align-right ">
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<figcaption>
<span class="caption">À Pyongyang, les femmes portent désormais des talons plus hauts et des vêtements plus colorés que par le passé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Tout en semblant se conformer aux versions patriarcales de la féminité, les femmes construisent en réalité une nouvelle version, hyperféminine, de la femme nord-coréenne idéale. Il s’agit généralement d’un moyen d’accéder à des biens matériels et à des récompenses sociales.</p>
<p>Par leurs choix vestimentaires et consuméristes ostentatoires, ces femmes jouent un rôle clé dans la manière dont leur statut est désormais déterminé en Corée du Nord. Par exemple, les talons hauts sont de rigueur, constate Bae :</p>
<blockquote>
<p>Les femmes sont obsédées par les talons hauts. Probablement parce que nous, les filles, sommes petites. Que les femmes vivent à la campagne ou à la montagne, elles préfèrent ce type de chaussures, même sur les routes non goudronnées.</p>
</blockquote>
<p>À l’instar des <a href="https://www.lejdd.fr/International/coree-du-sud-et-chirurgie-esthetique-enquete-au-pays-du-bistouri-roi-4156317">Sud-Coréennes</a>, les jeunes générations cherchent de plus en plus à avoir des corps minces et des cheveux longs et lisses. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à avoir recours non seulement à la chirurgie esthétique. Une autre femme, Gho, nous a raconté :</p>
<blockquote>
<p>« Nous, les jeunes, nous sommes comme les Sud-Coréennes. Nous regardons des séries télévisées sud-coréennes en cachette, nous portons des pantalons comme les Sud-Coréennes [rires], et nous nous teignons les cheveux en jaune comme les Sud-Coréennes. »</p>
</blockquote>
<p>Par ces actions, les femmes remettent en question les idéaux traditionnels qui leur assignent des rôles d’épouses et de mères, et élaborent de nouvelles constructions de la féminité.</p>
<p>La façon dont Paik décrit sa décision de se teindre les cheveux et de porter des boucles d’oreilles illustre la façon dont les femmes imitent la première dame du pays <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ri_Sol-ju">Ri Sol-ju</a>, connue pour son <a href="https://www.scmp.com/lifestyle/fashion-luxury/article/2121968/north-korean-first-ladys-fashion-evolution-drives-new-elite">goût de la mode</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les policiers avaient l’habitude de contrôler tous ceux qui portaient des boucles d’oreilles. Mais Ri Sol-ju est apparue en public avec des boucles d’oreilles et maintenant, les autorités ne peuvent plus rien faire. Les gens ont commencé à se rebeller. En Corée du Nord, il est interdit de se teindre les cheveux. […] Aujourd’hui, beaucoup de gens se teignent les cheveux. »</p>
</blockquote>
<p><strong>5) Le nouvel idéal féminin de la propagande du régime</strong></p>
<p>L’État a réagi à ces changements sociétaux en faisant évoluer la manière dont il présente la femme « idéale » dans sa propagande.</p>
<p>Ainsi, il promeut désormais des femmes qui incarnent un mélange attrayant et dynamique d’ancien et de nouveau, de loyauté et de modernité. C’est ce modèle que reprennent aujourd’hui la sœur, l’épouse et, depuis peu, la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/coree-du-nord/coree-du-nord-kim-jong-un-met-sa-fille-en-scene-en-vue-d-une-probable-succession_5679665.html">fille</a> du dirigeant suprême du pays, Kim Jong‑un. Par exemple, Ri apparaît régulièrement en Prada, Christian Dior et Chanel, ou dans des looks inspirés de ces marques de haute couture.</p>
<p>Le régime cherche ainsi à coopter les tendances sociales pour maintenir sa légitimité.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=265&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=265&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=265&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=333&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=333&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565043/original/file-20231212-15-u1vhzr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=333&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les habitantes branchées de Pyongyang adorent les vêtements arborant un logo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lesley Parker</span></span>
</figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/220245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bronwen Dalton a reçu des financements de l'Australian Research Council and the Academy of Korean Studies.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kyungja Jung a reçu des financements de l'Australian Research Council and the Academy of Korean Studies.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lesley Parker ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De plus en plus présentes dans la vie économique du pays, les Nord-Coréennes font progressivement évoluer les normes sociales en vigueur.Bronwen Dalton, Professor, Head of Department of Management, UTS Business School, University of Technology SydneyKyungja Jung, Associate Professor, University of Technology SydneyLesley Parker, Adjunct Fellow, University of Technology SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1634402021-07-06T17:22:27Z2021-07-06T17:22:27ZDes médecins militant pour la prévention de la guerre nucléaire : l’IPPNW et son double prix Nobel de la paix<p>En janvier 2021 est entré en vigueur le <a href="https://theconversation.com/vers-une-mise-au-ban-de-la-bombe-nucleaire-153995">Traité d’interdiction des armes nucléaires</a> (TIAN), une victoire pour la <a href="http://icanfrance.org/">Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires</a> (ICAN), regroupement de près de 500 associations militant pour la paix et le désarmement, fondé en 2007 à Vienne et dont l’action a été saluée par le prix Nobel de la paix en 2017.</p>
<p>Parmi ces associations, représentant plus de 100 pays, figure en bonne place <a href="https://www.ippnw.eu/fr/accueil.html">l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire</a> (IPPNW), créée en 1980, et qui a elle-même reçu le <a href="https://www.ippnw.org/about/ippnw-a-brief-history/nobel-peace-prizes">prix Nobel de la Paix en 1985</a>.</p>
<p>Pourquoi l’IPPNW et sa branche française, <a href="https://www.amfpgn.org/">l’Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire</a> (l’AMFPGN-IPPNW France), ne sont-elles pas davantage connues, et leur combat plus médiatisé ?</p>
<p>Des entretiens inédits avec des membres et avec le président de l’association permettent de braquer le projecteur sur l’action menée par cette structure.</p>
<h2>Une approche pluridisciplinaire</h2>
<p>Anne-Marie Roucayrol, médecin anatomo-pathologiste, membre du bureau de l’association, que nous avons rencontrée, s’est intéressée à la question de l’arme nucléaire de par sa spécialité, l’étude des lésions et les diagnostics de cancer :</p>
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<p>« C’était un choix politique pour moi d’entrer à l’association. J’ai adhéré dans les années 1980, c’était encore l’époque de la guerre froide. Dans l’association, nous nous centrons sur la prévention des conflits nucléaires. Cette notion de prévention est vraiment le mot clé car, en tant que médecins, nous savons qu’il n’y a pas de remède aux retombées radioactives d’une guerre nucléaire. Il faut donc à tout prix l’empêcher. Nous nous sommes intéressés aux enjeux géopolitiques et au face-à-face des deux Grands, et à partir des années 1990 nous avons intégré les pays émergents, avec l’idée de la pyramide de la violence, dont le sommet est la guerre nucléaire et la base est constituée par la violence sociale, dont les inégalités sociales sont l’un des principaux moteurs. L’association a travaillé dans de nombreuses directions. Nous avons étudié tous les échelons de la filière nucléaire et des causes de tensions dans le monde. »</p>
</blockquote>
<p>L’IPPNW condamne les essais nucléaires français menés sous la présidence Chirac (1995-2007) et leurs conséquences, notamment en Polynésie française, en particulier dans <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/09/07/bombe-h-moruroa-un-silence-des-morts_1677269/">l’atoll de Mururoa</a>.</p>
<p>Anne-Marie Roucayrol ajoute : « Jacques Mongnet, qui s’occupait de la revue de notre association, et Christian Chenal ont initié un travail remarquable au Kazakhstan, sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Polygone_nucl%C3%A9aire_de_Semipalatinsk">polygone nucléaire de Semipalatinsk</a> », qui était l’un des principaux sites d’essais nucléaires soviétiques.</p>
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<p>L’IPPNW et sa branche française ont suscité et publié de nombreux rapports et études, en s’appuyant sur les compétences médicales de ses membres, aussi bien en radiophysique, en radiobiologie qu’en épidémiologie, ou même en matière d’aspects psychologiques. L’un de ses membres, <a href="https://maitron.fr/spip.php?article179635">Stanislas Tomkiewicz</a> (1925-2003), Juif polonais rescapé du ghetto de Varsovie et des camps de la mort, est devenu psychiatre pour adolescents et a travaillé sur les aspects psychologiques des conflits. Il a d’ailleurs eu pour compagne la fille d’une rescapée d’Hiroshima. « Ainsi, dans l’association nous étudions tous les aspects du problème, avec une dimension de militantisme pacifiste », témoigne la militante.</p>
<p>L’association fournit une expertise et des études rigoureuses sur de nombreux sujets, comme les cas de <a href="https://www.ippnw.eu/fr/accueil/artikel/5f54786b06b290bc9e9d05e14ef60598/les-cas-de-cancer-de-la-thyroide-che.html">cancers de la thyroïde chez les enfants de Fukushima</a>, les <a href="https://dailygeekshow.com/guerre-nucleaire-famine/">risques de famine liés à une guerre nucléaire</a>, ou encore les <a href="https://www.amfpgn.org/">risques d’écocide liés aux armes nucléaires</a>.</p>
<h2>Un plaidoyer difficile…</h2>
<p>Cependant, analyse A.-M. Roucayrol, « le problème de cette association, c’est que c’est un groupe d’experts, plus qu’une association de masse. » Elle apporte de l’expertise, elle vulgarise les connaissances médicales sur le nucléaire et elle s’efforce d’influencer les dirigeants politiques, ce qui est difficile étant donné que la France est une grande puissance nucléaire :</p>
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<p>« Notre association est reçue de temps en temps au Quai d’Orsay, et aussi à l’Élysée. Nous leur exposons nos arguments, mais les fonctionnaires du Quai d’Orsay n’en démordent pas, restent attachés à la théorie de la dissuasion, donc à la bombe. »</p>
</blockquote>
<p>Afin de s’adapter aux sensibilités de la société actuelle, l’association insiste aujourd’hui davantage sur les enjeux humanitaires et environnementaux. Elle s’efforce de faire prendre conscience à la population que la question de la bombe est d’actualité dans un contexte marqué par les risques posés par le terrorisme et la cyber-guerre.</p>
<p>L’IPPNW, qui a des branches actives dans de nombreux pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Australie, Nouvelle-Zélande, mais aussi Russie et d’autres pays issus de l’URSS, Chine, Inde, Pakistan et Japon), a permis et permet des échanges et des circulations transnationales d’idées et d’expertise par-delà les frontières, y compris par-delà le rideau de fer au début de son existence, lors de la guerre froide.</p>
<p>Cependant, aujourd’hui en France, « l’association a du mal à recruter des jeunes internes et des jeunes médecins, ces derniers se méfiant de tout embrigadement politique et étant déjà surchargés de travail ».</p>
<p>Pourtant, l’association mène des travaux scientifiques et rigoureux sur des sujets cruciaux, comme la question des dédommagements à apporter à l’Algérie pour les essais nucléaires menés par la France au Sahara.</p>
<h2>… mais couronné de plusieurs succès</h2>
<p>L’association a, depuis sa création, organisé des délégations qui se sont rendues à des commémorations à Hiroshima ; elle a été représentée au Forum social mondial ; elle a également contribué à la création du réseau international <a href="https://afcdrp.com/">« Maires pour la paix »</a>. Elle alerte sur les situations humanitaires dramatiques des migrants et réfugiés, des ouvriers sous-traitants, précaires, travaillant dans les centrales nucléaires. « Avec <a href="https://aven.org/">AVEN (l’association des vétérans des essais nucléaires)</a>, nous avons réussi à faire bouger le gouvernement français », se félicite Anne-Marie Roucayrol, en particulier en matière de reconnaissance des dégâts causés par les essais nucléaires français au Sahara et dans le Pacifique. L’association fait connaître le fait que « même une faible dose d’irradiation a des effets toxiques, c’est l’effet micro-dose, avec la notion d’exposome, qui modifie l’ADN ; ainsi, plusieurs facteurs se potentialisent. »</p>
<p>Nous avons également rencontré <a href="https://maitron.fr/spip.php?article212146">Abraham Béhar</a>, le président de l’AMFPGN, et ancien co-président de l’IPPNW. Ancien médecin nucléaire, il a dirigé un laboratoire de radiobiologie et a beaucoup travaillé sur les essais nucléaires français dans l’atoll de Mururoa, montrant que les normes de radioprotection n’étaient pas appliquées et que les essais dégradaient le corail, et appelant donc à un moratoire sur les essais nucléaires :</p>
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<p>« Cet engagement était dangereux pour ma carrière. Le Quai d’Orsay a demandé à mon patron de me mettre à la porte, il y a eu toute une coalition pour m’empêcher d’être nommé médecin des hôpitaux, j’ai fini par l’être mais j’ai perdu dix ans. […]. Avec d’autres collègues de l’association, nous avons effectué une mission à Mururoa en 1990. Nous savions depuis 1981 qu’à la suite d’un tsunami, deux kilogrammes de plutonium avaient été répandus sur l’atoll. Il y a eu des hurlements du CEA pour dire que c’était un mensonge éhonté. Quand nous avons été sur place avec notre équipe envoyée par Michel Rocard, les militaires ont voulu nous montrer combien ils avaient bien travaillé pour colmater les taches radioactives du plutonium. »</p>
</blockquote>
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<p>C’est une victoire de l’association d’avoir obtenu le <a href="https://www.liberation.fr/france/2021/01/27/c-etait-un-27-janvier-le-dernier-essai-nucleaire-francais_1818583/">moratoire sur les essais nucléaires</a> décrété par le président Mitterrand en avril 1992.</p>
<p>Abraham Behar a mené des enquêtes médicales en Polynésie, à Tahiti et à Mururoa :</p>
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<p>« Notre association a placé le problème sur le plan de la santé publique, c’est notre spécificité, alors que d’autres organisations l’ont mis sur le plan politique, ou environnemental. Il y avait alors le débat sur les faibles doses : les gens pensaient qu’une faible dose de radioactivité était inoffensive, or nous avons montré que même une faible dose est nocive. Nous avons montré les effets délétères sur les 15 000 hommes de Polynésie qui avaient été recrutés par le gouvernement français, déracinés de leur atoll, pour travailler aux essais nucléaires : ils se sont retrouvés dans les bidonvilles de Tahiti où leurs conditions de vie et de santé se sont dramatiquement dégradées. »</p>
</blockquote>
<p>Il a également eu une action internationale :</p>
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<p>« Au titre de l’IPPNW, j’étais envoyé à l’étranger pour plaider en faveur du désarmement nucléaire. Dans ce cadre, je me suis rendu plusieurs fois en Chine, en Inde, au Pakistan, ainsi qu’en Russie, et dans ces différents endroits nous avons essayé de plaider au sommet, on s’est vite rendu compte que ça ne servait à rien du tout, on était très bien reçus, j’ai été invité à dîner avec des ministres, mais cela ne changeait rien, on s’est aperçus que la bataille était autour de l’opinion publique. »</p>
</blockquote>
<p>Abraham Behar a par ailleurs enquêté sur l’arme nucléaire israélienne ainsi que sur les effets secondaires des bombardements sur les populations civiles lors de la guerre du Vietnam, dans le cadre du <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/730">Tribunal Russell sur les crimes de guerre au Vietnam</a>, ce qui l’a amené ensuite à fonder l’Association médicale franco-vietnamienne.</p>
<h2>La campagne « No First Use »</h2>
<p>Au fil des années, les pays non nucléaires se sont de plus en plus affirmés au sein de l’IPPNW et sur la scène internationale. C’est de ces pays émergents, et en particulier d’Australie, qu’est venue l’idée du TIAN.</p>
<p>Cependant, aucun pays de l’OTAN n’a signé le TIAN. Ainsi, « actuellement, le TIAN, bien qu’entré en vigueur, marque le pas », selon Abraham Behar :</p>
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<p>« Il y a un grand danger avec le réarmement accéléré auquel se livrent des pays comme la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan. Profitant du fait que l’opinion publique est occupée par la pandémie, ils avancent leurs pions de façon énorme. »</p>
</blockquote>
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<p>C’est pourquoi, face à ce danger, l’IPPNW a déclenché une nouvelle campagne en Europe : celle du « No First Use » (« Non-recours en premier aux armes nucléaires »). « Cela permettrait de supprimer la logique de la dissuasion qui est basée sur le principe de la menace du <em>first use</em> », explique Abraham Behar.</p>
<p>« Cette bataille du <em>no first use</em> est importante, elle arrive à un moment opportun ; si cela marche, la France sera obligée de suivre. La campagne a en partie porté ses fruits : le communiqué final de l’entrevue Biden/Poutine fait allusion, de manière alambiquée, à cette question – un premier pas, donc, vers cet objectif. »</p>
<p>Les deux dirigeants ont en effet ébauché <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/16/entre-joe-biden-et-vladimir-poutine-des-retrouvailles-sous-le-signe-de-la-defiance_6084308_3210.html">l’amorce d’un nouveau système de sécurité collective et de contrôle des armements</a> entre les États-Unis et la Russie, après l’abandon ces dernières années de plusieurs traités de désarmement entre ces deux pays.</p>
<p>La question de l’arme nucléaire est plus que jamais d’actualité aujourd’hui : la pandémie de 2020-2021 ayant accaparé l’attention médiatique, les puissances nucléaires en ont profité pour augmenter leurs dépenses d’armement sans que cela n’attire l’attention des populations, si bien qu’aujourd’hui, avec <a href="https://passes-composes.com/book/285">près de 1 800 milliards de dollars</a>, la dépense militaire mondiale a atteint son maximum depuis la fin de la guerre froide. Les États-Unis sont toujours en tête des dépenses militaires mondiales, suivis de la Chine, puis de l’Arabie saoudite, puis de la Russie.</p>
<p>Malgré l’entrée en vigueur du TIAN en janvier 2021, et la remise du prix Nobel de la paix à l’ICAN en 2017, la prolifération nucléaire continue. Il est donc crucial d’accorder de l’importance à l’action salutaire menée par ces associations et par les pays non nucléaires qui ont signé le TIAN.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163440/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chloé Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire multiplie les actions de plaidoyer depuis sa création en 1980. Malgré des succès, la route est encore longue.Chloé Maurel, SIRICE (Université Paris 1/Paris IV), Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1524992020-12-27T22:39:01Z2020-12-27T22:39:01ZFact check US : Donald Trump a-t-il apaisé les tensions avec la Corée du Nord ?<p>Au cours de la campagne présidentielle, Donald Trump a affirmé que le président Obama lui avait laissé une situation très dangereuse avec la Corée du Nord qui <a href="https://time.com/5903268/donald-trump-north-korea-missiles-debates/">aurait même pu conduire à une guerre</a>. Selon ses dires, lui aurait au contraire contribué durant son mandat à apaiser les tensions entre les États-Unis et le régime nord-coréen en raison des relations personnelles qu’il a su créer avec son jeune dirigeant, Kim Jong‑un. Dès 2018, Donald Trump s’était d’ailleurs vanté sur Twitter d’avoir <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/06/13/washington-espere-desarmer-la-coree-du-nord-avant-la-fin-du-mandat-de-donald-trump_5314452_3210.html">réglé le problème</a>. À l’issue de sa première entrevue avec son homologue nord-coréen à Singapour, il déclarait en effet sur le réseau social :</p>
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<p>« Le président Obama disait que la Corée du Nord était notre plus gros et plus dangereux problème. Ce n’est plus le cas – dormez bien ce soir ! »</p>
</blockquote>
<p>Toutefois, si on peut admettre que Donald Trump a évité une crise majeure avec la Corée du Nord, il n’a pas su empêcher que celle-ci développe ses capacités nucléaires et balistiques et s’affirme, de fait, comme la cinquième puissance nucléaire du continent asiatique, après la Chine, la Russie, l’Inde et le Pakistan.</p>
<h2>Donald Trump, paradoxal « faiseur de paix » sur une péninsule nucléarisée</h2>
<p>Comme souvent s’agissant de Donald Trump, il y a une part de véracité dans ses déclarations. La situation lui permet de se positionner à son avantage, comme un pacificateur, et même de songer à recevoir un prix Nobel comme le président Obama avant lui. En 2019, il n’hésitait pas à faire mention des <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2019/feb/15/trump-shinzo-abe-nominated-me-nobel-peace-prize">propositions de nomination</a> qu’auraient formulées en sa faveur le premier ministre japonais d’alors, Shinzo Abe, suivi par le président sud-coréen Moon Jae-in. Ceux-ci saluaient ainsi l’initiative, il est vrai courageuse et inattendue, d’un dialogue direct avec Kim Jong‑un et de rencontres « au sommet ». La rencontre de Singapour entre les deux dirigeants en juin 2018 avait en effet marqué les esprits par son caractère spectaculaire et prometteur. Elle mettait notamment fin à une <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-etats-unis-mettre-fin-a-la-diplomatie-des-extremes-82843">escalade verbale déclenchée à l’été 2017</a>, lorsque Donald Trump avait menacé de déchaîner « le feu et la fureur » et que son état-major n’écartait pas une option militaire contre la Corée du Nord.</p>
<p>Pour autant, la diplomatie « des sommets », aussi novatrice qu’elle ait pu paraître, n’a pas eu plus d’effet que les stratégies mises en œuvre avant elle, dont la « patience stratégique » de l’administration Obama, qui attendait que le régime s’effondre sous le poids des sanctions pour obtenir une dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible de la Corée du Nord. Si Donald Trump a évité un conflit, il n’a pu empêcher qu’au terme de six essais nucléaires et de nombreux tirs de missiles balistiques jusqu’en 2017, la Corée du Nord revendique un statut de puissance nucléaire et dispose de <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/north-koreas-military-capabilities">capacités de dissuasion crédibles</a>. À ce titre, elle reste une menace réelle et persistante tant pour les États-Unis, dont le territoire n’apparaît plus guère à l’abri de tirs nord-coréens de missiles balistiques intercontinentaux, que pour leurs deux plus proches alliés sud-coréens et japonais.</p>
<h2>Le nucléaire nord-coréen, outil de dissuasion</h2>
<p>Au demeurant, les motivations nucléaires de la Corée du Nord ont pu varier au cours du temps, sans que les administrations américaines successives ne se donnent les moyens de les comprendre. Lorsque le régime de Kim Jong-il effectue son premier essai souterrain en 2006, il le justifie par la « menace nucléaire » et les pressions exercées par l’administration Bush. Celle-ci vient de le labelliser « membre de l’axe du mal » aux côtés de l’Irak et de l’Iran dans le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=YtuL3Wg2OUI&ab_channel=atelierdesarchivesHistory">célèbre discours sur l’état de l’Union</a> du président Bush en 2002. Après l’invasion de l’Irak et l’exécution de Saddam Hussein en 2006, George Bush est fortement soupçonné par Pyongyang de vouloir faire de même en Corée du Nord en provoquant un changement de régime par la force. Cette suspicion et le manque de confiance réciproque expliquent en partie les aléas des <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2007/02/14/l-accord-sur-le-nucleaire-nord-coreen-suscite-prudence-et-reserve_867231_3216.html">Pourparlers à Six</a>, un mécanisme de dialogue multilatéral rassemblant les six pays riverains de la péninsule coréenne mis en place en 2003. Tout en tergiversant, la Corée du Nord avait accepté le principe d’une dénucléarisation progressive, action par action, et exigé la construction d’un réacteur à eau légère et le versement d’un million de tonnes de fuel lourd. Elle s’en retirera en 2009, non sans avoir obtenu la livraison de 550 000 tonnes de fuel lourd de la part des États-Unis.</p>
<p>En mai 2009, un second tir nucléaire nord-coréen intervient après le lancement d’un satellite qui se révèle être un missile balistique, déclenchant un nouveau cycle de sanctions. On peut alors penser, comme l’administration Obama, qu’il s’agit de la poursuite d’une politique de provocation pour obtenir des concessions selon un cycle plus ou moins identifié : provocations, sanctions, négociations, concessions. L’arrivée de Kim Jong‑un à la tête du pays en 2011 voit le nucléaire devenir un outil de puissance et un marqueur identitaire du régime alors que celui-ci renforce ses capacités opérationnelles par des campagnes de tirs accélérées. <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-le-nucleaire-comme-pacte-social-54994">Le nationalisme nucléaire</a> de la Corée du Nord répond à un besoin tout autant politique que stratégique. Au plan intérieur, il renforce la légitimité et donc la pérennité du régime et au plan extérieur, il remplit une fonction de dissuasion face aux États-Unis et ses alliés sud-coréens et japonais qui ont, tous trois, renforcé leur défense antimissile.</p>
<h2>D’Obama à Trump, les limites d’une politique de pressions maximales et de sanctions</h2>
<p>À peu de variantes près, l’objectif d’une dénucléarisation de la Corée du Nord, largement popularisé sous son acronyme anglais CVID, pour « Complete, Verifiable, Irreversible Denuclearization », a constitué le mantra indépassable des politiques nord-coréennes des États-Unis depuis George W. Bush en 2001 jusqu’aux présidents Obama et Trump. Leur manque de flexibilité et l’impact de facteurs régionaux – dont le facteur chinois – en expliquent les échecs passés et sans doute à venir. En effet, si la Corée du Nord a pu se montrer disposée à accepter un processus de dénucléarisation, dans son esprit celui-ci devait être progressif, englober toute la péninsule coréenne, c’est-à-dire impliquer le retrait des troupes américaines présentes, et s’assortir de robustes garanties de sécurité de la part des États-Unis, notamment la signature d’un traité de paix.</p>
<p>On se rappelle que lors de la signature de l’Accord dit du Cadre Agréée en 1994 entre l’administration Clinton et la Corée du Nord de Kim Il-sung, grand-père de l’actuel dirigeant, la première s’engageait sur la construction de réacteurs à eau légère pour fournir à Pyongyang l’électricité nécessaire à son développement en échange du gel de son programme nucléaire alors embryonnaire. Au demeurant, la Corée du Nord n’a <a href="https://slate.com/news-and-politics/2018/06/bolton-pompeo-trump-and-kim-all-have-different-ideas-about-what-the-d-in-cvid-stands-for.html">jamais entériné ce concept de dénucléarisation</a>, lui préférant celui de démantèlement. Ce qui, dans son esprit, peut aboutir à déclasser et fermer certains sites, notamment celui de Yongbyon, sans pour autant renoncer à ses capacités nucléaires.</p>
<p>Déjà, en 2018, au lendemain de la première rencontre de Singapour entre un Donald Trump triomphant affirmant que le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/en-direct-sommet-de-singapour-trump-pret-suspendre-les-exercices-militaires-avec-seoul">processus de dénucléarisation allait commencer « très vite »</a> et son homologue nord-coréen, l’accord signé entretenait l’ambiguïté sur les perspectives d’une dénucléarisation sur laquelle les deux parties avaient une conception très différente. D’après le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/joint-statement-president-donald-j-trump-united-states-america-chairman-kim-jong-un-democratic-peoples-republic-korea-singapore-summit/">document commun</a>, l’objectif de cette rencontre était « l’établissement de nouvelles relations » entre les deux pays et l’instauration d’un « régime de paix solide et durable sur la péninsule coréenne ». Pour ce faire, le président Trump s’engageait à fournir des « garanties de sécurité » à la Corée du Nord dont le dirigeant réaffirmait son « engagement ferme et inébranlable envers la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Faute de mieux, des gestes symboliques ont été faits. En réponse au moratoire sur les essais nucléaires observé par Pyongyang, à sa propre initiative, Donald Trump avait ainsi suspendu ou réduit l’ampleur de certaines manœuvres militaires américano-sud-coréennes, comme Ulchi Freedom Guardian, <a href="http://www.opex360.com/2018/07/10/coree-sud-annulant-lexercice-ulchi-freedom-guardian-pentagone-va-economiser-14-millions-de-dollars/">annulées</a> en septembre de la même année.</p>
<p>En 2019, une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2019/02/28/01003-20190228ARTFIG00220-sommet-de-hanoi-kim-et-trump-dans-l-impasse-nucleaire.php">nouvelle rencontre à Hanoï</a> révèle clairement le malentendu et tourne au fiasco, chacun protestant de sa bonne foi. Donald Trump a assuré que Kim Jong‑un souhaitait la levée de toutes les sanctions pesant sur son pays en contrepartie du démantèlement, déjà promis par le passé, de la centrale de Yongbyon. La partie nord-coréenne, pour qui le développement économique du pays est une priorité essentielle, a affirmé, quant à elle, n’avoir demandé, en échange de l’arrêt de la centrale, qu’une levée partielle des sanctions affectant le plus durement la population.</p>
<p>Quelques mois plus tard, la rencontre impromptue de Panmunjom entre les deux dirigeants, dans le périmètre de la zone démilitarisée (<em>Demilitarized Zone</em>, DMZ), entretient l’illusion qu’une négociation peut encore aboutir. Sur son compte Twitter, Donald Trump insiste en vain sur les avantages économiques qu’apporterait la dénucléarisation. S’accrochant aux perspectives d’une reprise du dialogue, en pensant que sa politique de maintien des sanctions fonctionnerait, la partie américaine a soigneusement évité tout au long de l’année 2019 et jusqu’en 2020 de renchérir sur les provocations nord-coréennes de tirs de missiles de courte portée.</p>
<p>Au final, Donald Trump a clairement échoué à faire du règlement de la question nucléaire nord-coréenne un succès personnel dû à ses talents de négociateur et à la proximité créée avec le dirigeant nord-coréen. En dépit de contacts directs et de l’envoi régulier de lettres – ils s’en seraient adressé 25 selon le journaliste américain Bob Woodward –, la personnalisation de leur relation, jouée ou réelle, s’est heurtée au réalisme stratégique nord-coréen. Si une guerre avec la Corée du Nord a été évitée, le pays dispose de capacités nucléaires et, en dépit des sanctions et de la pandémie, se serait doté de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux. L’un de ceux-ci, <a href="https://www.38north.org/2020/10/melleman102120/">aux proportions impressionnantes</a>, porté sur un véhicule de 13 essieux a été complaisamment exposé lors de la grande parade militaire nocturne organisée à Pyongyang le 10 octobre 2020. Des questions se posent sur son opérationnalisation. Faut-il s’attendre à une nouvelle campagne de tirs nord-coréens en 2021 ?</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été réalisé avec la collaboration de Bessma Sikouk de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ Lille).</em></p>
<p><em>La rubrique Fact check US a reçu le soutien de <a href="https://craignewmarkphilanthropies.org/">Craig Newmark Philanthropies</a>, une fondation américaine qui lutte contre la désinformation</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump a évité une crise majeure avec la Corée du Nord. Mais la question du nucléaire nord-coréen reste entière, le pays continuant de développer ses capacités nucléaires et balistiques.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1388512020-05-26T21:53:26Z2020-05-26T21:53:26ZLa Chine et l’Asie du Nord-Est : un avenir incertain<p>Fin décembre dernier, à la veille du déclenchement de la pandémie de Covid-19, le président Xi Jinping a organisé un <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-chine-organise-un-sommet-avec-le-japon-et-la-coree-du-sud-24-12-2019-2354617_24.php">sommet avec le Japon et la Corée du Sud</a> au moment où les deux voisins de Pékin tentaient un timide rapprochement sur fond d’incertitude autour du dossier nucléaire nord-coréen. Ce sommet tripartite, qui s’est déroulé à Chengdu (capitale chinoise du Sichuan), a été l’occasion du premier tête-à-tête en 15 mois entre le premier ministre japonais Shinzo Abe et le président sud-coréen Moon Jae-in, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/commerce-le-japon-pret-a-durcir-le-ton-contre-la-coree-du-sud-1118174">après une forte escalade des tensions entre les deux pays asiatiques</a>.</p>
<p>Si la Chine se pose en médiatrice, c’est qu’elle a su nouer des relations multiséculaires avec les pays de l’Asie du Nord-Est. Pékin a même su établir des relations diplomatiques à la fois avec Pyongyang, son turbulent allié historique, et Séoul, troisième puissance économique asiatique, et pourtant proche de Washington. Que ces initiatives aient contrarié Tokyo ne fait aucun doute. Ancienne <a href="http://afe.easia.columbia.edu/main_pop/kpct/kp_koreaimperialism.htm">puissance coloniale</a>, le Japon a toujours considéré la région comme un pré carré et continue de disputer à la Chine le <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100983860">leadership dans l’ensemble de l’Asie</a>. La Chine, le Japon et la Corée du Sud sont liés par une forte interdépendance économique, mais la coopération régionale entre ces trois puissances est lacunaire, notamment du fait de la pierre d’achoppement que constitue la question nord-coréenne.</p>
<h2>Un passé qui ne passe pas</h2>
<p>Révolution industrielle et conquêtes coloniales se sont terminées pour l’archipel nippon dans la tragédie des frappes nucléaires américaines de 1945. Depuis, son destin historique a été diamétralement opposé à celui de la Chine. Le Japon a su transcender sa défaite par des victoires économiques qu’il a obtenues en <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Le-Japon-grec">assumant les choix</a> de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Moderne-sans-etre-occidental">sa propre modernité</a>, mais s’est tout de même retrouvé au ban des nations pour les crimes de guerre commis durant le conflit, notamment à <a href="https://www.histoire-politique.fr/index.php?numero=1&rub=comptes-rendus&item=93">Nankin dès 1937</a>.</p>
<p>C’est un passé qui ne passe pas. Même si dirigeants chinois et japonais ont fait profil bas à ce sujet longtemps après la Seconde Guerre mondiale, des attitudes pour le moins clivantes ont empêché toute forme de réconciliation véritable. Côté japonais, révisionnisme historique des manuels scolaires et visites répétées des plus hauts dignitaires au cimetière militaire de <a href="https://journals.openedition.org/droitcultures/2059">Yasukuni</a> n’ont fait qu’aggraver une relation que le court XX<sup>e</sup> siècle aura considérablement abîmée tout en redistribuant les cartes pour l’ensemble des acteurs de la région.</p>
<p>La péninsule coréenne en aura durablement fait les frais, des suites du déterminisme géopolitique dont elle fait l’objet. Elle est, en effet, à l’Asie orientale ce que la Pologne est à l’Europe : un champ de force opposant les grandes puissances. L’arrivée au pouvoir la même année, en 2012, de <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-3-page-172.html">Xi Jinping en Chine et de Shinzo Abe au Japon</a> allait accentuer les tensions et le ressentiment national réciproque. Depuis, les relations bilatérales Pékin-Tokyo se sont <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-3-page-23.htm">détériorées de manière quasi continue</a>.</p>
<p>Rétrospectivement, on constate qu’avec la guerre froide, la péninsule coréenne se situe déjà aux avant-postes d’une lutte qui, spécialement durant la guerre (1950-1953) met aux prises <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-de-coree--9782262065447.htm">communistes et Américains</a>. Premiers bombardements au napalm, côté américain ; affrontements au corps à corps ou charges à la baïonnette, côté chinois : c’est une saignée. La Chine compte 380 000 blessés dans ses rangs. 21 000 de ses hommes sont capturés. 114 000 autres meurent au combat. Parmi eux, Mao Anying (1922-1950), fils de Mao Zedong. Pour la première fois depuis sa récente fondation, la Chine rouge intervient sur un théâtre d’opération extérieure. Non sans succès militaires d’ailleurs. Depuis, Pyongyang et Pékin ont scellé leur destin dans une épreuve qui aura durablement marqué les deux peuples. Ce rapprochement a donné lieu en 1961 à la signature d’un traité d’amitié, d’assistance et de coopération mutuelle. L’article 2 du texte précise que si l’un des deux pays est attaqué par une nation ou une coalition, l’autre doit prendre toutes les mesures nécessaires pour s’y opposer. Ils doivent ainsi se porter immédiatement assistance. <a href="https://thediplomat.com/2019/07/does-chinas-alliance-treaty-with-north-korea-still-matter/">Ce traité se renouvelle automatiquement tous les vingt ans</a>. Le dernier renouvellement date de 2001.</p>
<p>Aux traumatismes anciens s’ajoutent des contentieux insulaires : les îles <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Eles_Senkaku">Senkaku</a> – appelées en chinois <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/09/11/ces-iles-qui-enveniment-les-relations-entre-la-chine-et-le-japon_1758370_3216.html">Diaoyutai</a> – entre le Japon et la Chine ; les rochers Liancourt – appelés respectivement <a href="https://www.lemonde.fr/japon/article/2012/08/10/tensions-sino-coreennes-autour-des-iles-dokdo-takeshima_1744703_1492975.html">« Takeshima »</a> et « Dokdo » – entre le Japon et les deux Corées.</p>
<p>Ces litiges ont été ravivés par les rivalités sino-américaines sur fond de nationalisme exacerbé. Pékin procède à une extension de son <a href="https://amti.csis.org/counter-co-east-china-sea-adiz/">ADIZ (Air Defence Idenfication Zone)</a> et intensifie les incursions militaires aériennes et navales dans le territoire maritime japonais, attisant les tensions. À titre d’exemple, la <a href="http://www.opex360.com/2019/10/31/le-japon-envisage-dinvestir-plus-de-4-milliards-de-dollars-pour-moderniser-ses-avions-de-combat-f-15j/">chasse aérienne japonaise</a> a dernièrement effectué son plus grand nombre de décollages d’urgence depuis la fin de la guerre froide : en moyenne plus de <a href="https://www.avionslegendaires.net/2020/04/actu/2019-une-annee-record-pour-la-chasse-japonaise/">950 décollages par an, pour les dernières années 2018 et 2019</a>.</p>
<h2>Montée des tensions</h2>
<p>Les incidents entre le Japon et la Chine se sont ainsi répétés au fil de ces dernières années. À la suite des <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/nouvelles-manifestations-anti-japon-en-chine_1162439.html">émeutes antijaponaises</a> qui eurent lieu dans des villes chinoises au cours de l’automne 2012, des touristes japonais annulèrent leur voyage en Chine par peur des violences dont ils craignaient être l’objet. La consommation de produits japonais, d’automobiles en particulier, connut alors une <a href="https://www.lemonde.fr/japon/article/2012/09/18/la-crise-des-iles-senkaku-pese-sur-les-relations-economiques-sino-japonaises_1761676_1492975.html">forte chute</a> en Chine.</p>
<p>Depuis, les relations commerciales du Japon se sont davantage diversifiées vers les pays de l’Asean. Autre fait marquant : nombre d’industriels japonais ont explicitement souhaité <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/tokyo-profite-de-la-crise-du-coronavirus-pour-encourager-ses-industriels-a-sortir-leurs-usines-de-chine-1193616">se retirer du marché chinois du fait de la pandémie du Covid-19</a>. Cette conjoncture défavorable s’accompagne d’un climat de suspicion à l’encontre tantôt de la Chine tantôt de la Russie dans leur soutien respectif à la Corée du Nord dont la menace d’une frappe nucléaire est, depuis 2006, quotidiennement palpable aussi bien à Tokyo qu’à Séoul.</p>
<p>C’est cette crainte qui a poussé le premier ministre Shinzo Abe à modifier l’article 9 de la Constitution de son pays. Le Japon peut désormais intervenir en dehors de son propre périmètre de sécurité et ce, aux côtés des forces américaines. Tokyo a également mis en œuvre un programme ambitieux dans le domaine aéronaval (achat en grand nombre de <a href="https://www.areion24.news/2019/04/23/le-japon-renforce-finalement-son-armee/">F-35 et transformation des porte-hélicoptères en porte-avions</a> – l’Izumo et le Kaga) pour concurrencer la Chine, revoyant ainsi la nature de ses forces d’autodéfense.</p>
<p>En Corée du Sud, l’ère chaotique de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/coree-park-geun-hye-investie-premiere-femme-presidente-25-02-2013-1632019_24.php">Park Geunhye, première femme dirigeante d’un pays d’Asie du Nord-Est</a> et accessoirement fille de dictateur, a cédé la place à une plus grande stabilité – quoique le choix stratégique d’établir en mars 2017 des <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20160208.OBS4214/comment-fonctionnerait-le-bouclier-antimissile-americain-en-coree.html">batteries antimissiles américaines THAAD (Terminal High Altitude Area Defense)</a> sur le territoire sud-coréen continue de provoquer des remous au sein de l’opinion et les plus vives protestations de Pékin. Ce système très sophistiqué (<a href="https://www.lockheedmartin.com/en-us/products/thaad.html">global, intégré et multicouche</a>) permet de compléter les autres systèmes de défense antimissile existants (<a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/japan/patriot.htm">Aegis sur mer et PAC-3 Patriot sur terre</a> – depuis les positions américaines). En outre, le système THAAD dispose d’équipements d’interception couvrant une zone bien plus large que le territoire nord-coréen. Le déploiement de ce système a entraîné le boycott d’une partie de l’économie sud-coréenne par la Chine et une <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/reaction-chinoise-deploiement-thaad-illustration-dilemme-sud-coreen-2017">détérioration aiguë de plusieurs pans des relations bilatérales</a> (échanges commerciaux, visas étudiants, chute spectaculaire du tourisme chinois en Corée, etc.).</p>
<p>Les choix pro-américains de Séoul et de Tokyo ne doivent pas faire perdre de vue que les relations complexes qu’entretiennent les différentes capitales confèrent à cette région l’un des climats les plus crisogènes de la planète.</p>
<h2>Insécurité : du facteur nord-coréen au facteur chinois</h2>
<p>La région est très fortement marquée par l’incertitude stratégique liée à la question nord-coréenne d’une part et à la posture offensive de la Chine d’autre part. Si l’interdépendance permet dans une certaine mesure de contenir l’escalade, l’espace nord-est asiatique enregistre des dépenses militaires parmi les plus importantes au monde, Chine en tête avec plus 250 milliards de dollars en 2019 (selon le dernier <a href="https://www.sipri.org/databases/milex">rapport du SIPRI en mai 2020</a>).</p>
<p>La récurrence des <a href="https://missilethreat.csis.org/country/dprk/">essais et des tirs de missiles par Pyongyang</a> depuis 2017 a montré les limites de la diplomatie chinoise dans la question sécuritaire nord-coréenne et, plus largement, dans sa politique concernant la péninsule. Les oscillations de la « politique d’équidistance » de la Chine envers Séoul et Pyongyang n’ont jamais été aussi fortes. Si Pékin joue un <a href="https://www.latrobe.edu.au/nest/whats-chinas-relationship-north-korea-really-like/">rôle important dans le dossier nord-coréen</a>, en plus d’être le premier partenaire économique du pays, le régime de Pyongyang, pour des raisons de politique intérieure, <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-le-nucleaire-comme-pacte-social-54994">n’a jamais abandonné son programme nucléaire et balistique</a>. C’est pourquoi les États-Unis ont renforcé leur réseau d’alliances et leurs garanties de sécurité offertes au Japon et à la Corée du Sud.</p>
<p>Par ailleurs, la diplomatie de Tokyo d’une part et le succès du modèle de gouvernance de la crise sanitaire par Séoul d’autre part recomposent peu à peu les relations de l’Asie du Nord-Est avec le reste de l’Asie et du monde. D’un côté, le Japon continue de tisser des liens solides avec l’Inde, l’Asie du Sud-Est et l’Australie dans le <a href="https://www.japantimes.co.jp/opinion/2020/01/21/commentary/japan-commentary/india-fits-japans-indo-pacific-strategy/">cadre « Indopacifique »</a> mais aussi à l’ONU (dont il est le <a href="https://www.mofa.go.jp/policy/un/sc/pdfs/pamph_unsc21c_esp.pdf">troisième contributeur</a>) ou encore dans le commerce avec l’Europe, dans le cadre du <a href="https://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/eu-japan-economic-partnership-agreement/index_fr.htm">JEFTA (Japan-EU free trade agreement)</a>. De l’autre, la Corée du Sud, par la voix du président Moon, expliquait fin mars dernier les trois préceptes de la méthode sud-coréenne dans la lutte contre le coronavirus : <a href="https://theconversation.com/les-deux-corees-au-c%C5%93ur-de-la-guerre-sanitaire-sino-americaine-136092">« Ouverture, transparence et démocratie »</a>. Ainsi, Séoul a pu exporter (sans tonitruance) du matériel médical aux États-Unis, en Asie du Sud-Est ou encore au Moyen-Orient.</p>
<p>En outre, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/en-asie-de-plus-en-plus-de-gouvernements-tentes-par-la-distanciation-economique-avec-la-chine-1202338">plusieurs capitales d’Asie, notamment Tokyo et Séoul</a>, ont amorcé un processus de relocalisation et réduit leur dépendance à l’égard de la Chine. Le gouvernement japonais prévoit une enveloppe de 2 milliards d’euros pour aider ses industriels. La Corée du Sud a fait de <a href="https://www.bpifrance.fr/A-la-une/Actualites/La-Coree-du-Sud-l-innovation-dans-les-genes-39095">l’innovation un atout</a> politique et diplomatique, stimulant son tissu entrepreneurial à l’international.</p>
<p>Alors que la Chine a réussi à se hisser au rang de puissance industrielle et commerciale en s’inspirant en partie du modèle de développement industriel des pays d’Asie de l’Est (Japon, Taïwan, Corée du Sud, Singapour ou Hongkong), la crise du Covid-19 et sa gestion par le régime de Pékin polarise plus rapidement encore la distanciation stratégique de ses principaux partenaires économiques dans sa périphérie immédiate du Nord-Est.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Japon et les deux Corées entretiennent des relations délicates avec le grand voisin chinois, marquées à la fois par le poids du passé et la volonté d’expansion actuelle de Pékin.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1360922020-04-14T17:13:50Z2020-04-14T17:13:50ZLes deux Corées au cœur de la guerre sanitaire sino-américaine<p>Le monde est devenu en quelques semaines la caisse de résonance d’un <a href="https://www.politico.eu/article/coronavirus-china-winning-propaganda-war/">discours chinois post Covid-19 triomphaliste</a>. Les enjeux politiques de l’amplification du succès de la campagne sanitaire chinoise et de l’aide internationale en dons d’équipement qui l’accompagne n’échappent à personne. Derrière la mise en avant d’un modèle sanitaire chinois efficace car coercitif, tel que présenté par la propagande du pays, se cache la <a href="https://warontherocks.com/2020/03/how-china-is-exploiting-the-pandemic-to-export-authoritarianism/">promotion d’un système politique autoritaire estimé supérieur</a>. Si cette nouvelle manipulation de l’information par Pékin est à remettre dans le contexte d’une rivalité sino-américaine exacerbée, elle tend à occulter les stratégies sanitaires efficaces mises en œuvre par les démocraties régionales, dont Taiwan, la Corée du Sud et le Japon, qui ont fait le choix de ne pas mettre leur pays à l’arrêt.</p>
<p>En combinant la libre circulation de sa population avec une prise en charge sans faille de sa santé et un dépistage systématique, la Corée du Sud s’est imposée mondialement comme une référence innovante, si bien qu’elle représente aujourd’hui un « anti-modèle » par rapport à la Chine et peut tendre une main secourable à l’allié américain. De son côté, la Corée du Nord, tout en proclamant être épargnée par le Covid-19, a lancé un appel à l’aide internationale.</p>
<h2>La Corée du Sud au secours du « grand allié » américain</h2>
<p>En Asie du Nord-Est, l’épidémie de coronavirus a mis au jour les dissensions de l’alliance de sécurité du Japon et de la Corée du Sud avec les États-Unis face à une situation pourtant présentée comme une « guerre » par Donald Trump. En dépit de la pandémie, les trois alliés restent engagés dans des discussions laborieuses concernant le coût de stationnement des forces américaines sur le territoire des deux pays asiatiques – un coût que le président américain <a href="https://eu.usatoday.com/story/news/world/2019/11/15/trump-administration-demands-south-korea-pay-more-for-us-troops/4200210002/">souhaite substantiellement augmenter</a>. Par ailleurs les relations entre Tokyo et Séoul, déjà tendues depuis l’été 2020 par la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/20/entre-seoul-et-tokyo-une-guerre-de-la-memoire_5500958_3210.html">résurgence des questions mémorielles</a>, connaissent un nouveau raidissement, Séoul <a href="https://www.cnbc.com/2020/03/06/south-korea-protests-japans-travel-curbs-as-coronavirus-ignites-diplomatic-row.html">s’insurgeant</a> face aux restrictions mises à l’entrée de ses citoyens sur le territoire japonais.</p>
<p>Porté par le souci de contrebalancer la réécriture chinoise des événements, Donald Trump s’est lancé dans une <a href="https://www.npr.org/2020/03/23/820009370/u-s-china-accuse-each-other-of-mishandling-covid-19-outbreak?t=15">guerre de mots avec Pékin</a>, dénonçant sans nuance le <a href="https://time.com/5800917/trump-china-virus-tweet/">« virus chinois »</a> ou « virus de Wuhan ». Mais il a lui-même multiplié les déclarations les plus contradictoires sur la stratégie de lutte américaine, jetant un doute sur les capacités de son pays à y faire face. Il a fallu attendre fin mars pour qu’il réalise la gravité de la situation et <a href="https://fr.yna.co.kr/view/AFR20200330002900884?section=international/index">demande l’aide de la Corée du Sud</a>. </p>
<p>Celle-ci, forte de la reconnaissance procurée par les capacités de diagnostic de son système de gestion de la pandémie sur son territoire, s’est lancée dans une coopération sanitaire active. Son gouvernement a en effet tiré parti de l’expérience acquise lors de l’épidémie du MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) en 2015. Dès février, il a été en mesure de lancer la production à grande échelle de kits de dépistage et la fabrication industrielle de masques.</p>
<h2>Une coopération sanitaire qui renforce la diplomatie de puissance moyenne sud-coréenne</h2>
<p>Plus discrète que la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/la-chine-actionne-la-diplomatie-du-masque-20200319">« diplomatie du masque »</a> pratiquée par la Chine, la politique sanitaire de la Corée du Sud à l’international a suscité l’intérêt d’un nombre croissant de pays, notamment à la suite de la <a href="http://french.korea.net/Government/Current-Affairs/National-Affairs/view?affairId=2039&subId=5&articleId=183715&viewId=53523">présentation</a> que le président Moon Jae-in en a faite lors de la visioconférence des pays du G20 du 26 mars dernier. Il a détaillé à cette occasion les trois préceptes de la méthode sud-coréenne – « Ouverture, transparence et démocratie » – qui, dans leur définition même, prennent le contre-pied de l’approche chinoise. L’expérience sud-coréenne s’appuie sur la volonté de circonvenir la propagation du virus par des dépistages systématiques et un suivi partagé au moyen des <a href="https://www.healthandtech.eu/fr/tour/news/10594/covid-19-comment-coree-sud-exploite-technologies-numerique-endiguer.html">technologies numériques</a> des personnes diagnostiquées positives au Covid-19.</p>
<p>C’est à la vue de l’exemple coréen que l’OMS a recommandé aux pays touchés de recourir à des campagnes de dépistage, d’isoler les personnes contaminées et de suivre les contacts que celles-ci ont pu avoir. Cette démarche a paru remporter l’adhésion de la population sud-coréenne, en raison notamment de la politique de communication ouverte pratiquée par les responsables sanitaires du pays. La situation n’a pas donné l’impression d’être sous-estimée, comme aux États-Unis ou en Chine.</p>
<p>Face aux sollicitations internationales et dans le souci de ne pas affaiblir ses capacités intérieures, la Corée du Sud a dans un premier temps choisi de privilégier les pays demandeurs avec qui elle coopère le plus étroitement, comme <a href="https://fr.yna.co.kr/view/AFR20200327004000884">son partenaire américain, les Émirats arabes unis et l’Indonésie</a>, porte d’entrée dans l’Asean.</p>
<p>Ainsi, alors qu’un grand nombre de masques chinois ont dû être retournés en raison de défauts de fabrication, la Corée du Sud exporte en masse ses kits de dépistage vers l’étranger. Plus d’une centaine de pays sont en attente. Plusieurs villes américaines ont ainsi signé des contrats d’approvisionnement. Los Angeles a acquis 20 000 kits pour 1,25 million de dollars. Les Émirats arabes unis en ont acheté 51 000. Des cargaisons ont été acheminées vers l’Europe, notamment l’Allemagne et la Pologne. Enfin, le président Moon s’est engagé à apporter une aide médicale d’urgence à l’Asean dans un cadre humanitaire bilatéral, mais aussi via le mécanisme Asean+3 aux côtés de la Chine et du Japon.</p>
<h2>La Corée du Nord renvoyée aux fragilités de son système</h2>
<p>À rebours de la politique de transparence et d’ouverture internationale pratiquée avec assurance par sa voisine du sud, la Corée du Nord a fermé ses frontières et s’est repliée sur elle-même depuis fin janvier 2020. Au plan militaire, le régime a tenté de donner le change en poursuivant une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/la-coree-du-nord-tire-des-projectiles-seoul-suspecte-des-missiles-20200414">campagne de tirs de missiles balistiques</a> de courte portée. Mais il masque difficilement ses inquiétudes devant la menace que fait peser le Covid-19 sur la stabilité du pays.</p>
<p>L’état du système de santé nord-coréen est <a href="https://www.kihasa.re.kr/common/filedown.do?seq=42195">mauvais</a>. Beaucoup d’hôpitaux, hormis les hôpitaux militaires, ne peuvent fonctionner faute d’équipements et de médicaments. Le régime est conscient de ces carences et des dangers sanitaires et politiques qui en découlent ; aussi a-t-il fait <a href="https://www.ft.com/content/6168de68-6e4e-11ea-9bca-bf503995cd6f">appel à l’aide internationale</a> en se tournant vers l’UNICEF, l’OMS, la Croix-Rouge et Médecins sans Frontières. Par ailleurs, il s’est lancé dans une inhabituelle campagne d’information sanitaire, expliquant à la population les dispositions à prendre pour prévenir la menace de pandémie.</p>
<p>Au-delà d’un système de santé défaillant, la Corée du Nord souffre d’une économie dont la fragilité systémique a été <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/en-chute-libre-leconomie-nord-coreenne-est-desormais-50-fois-moins-puissante-que-celle-de-la-coree-du-sud-1346062">accentuée</a> par le régime de sanctions mis en place par la communauté internationale depuis 2006. Jusqu’à présent, elle a pu partiellement y faire face grâce aux activités d’un secteur économique informel organisé autour d’entrepreneurs privés. </p>
<p>Dans un contexte perturbé par l’expansion de l’épidémie du Covid-19, cette population est exposée à être privée d’une partie de ses revenus et de son accès à des produits de première nécessité. Pour lutter contre la hausse du prix des denrées de base et d’inévitables trafics, le <a href="https://www.dailynk.com/english/north-korea-begins-enforcing-price-controls-local-markets/">gouvernement a instauré un contrôle des prix renforcé</a>. Dans sa quête de fonds dans un monde aux frontières fermées, il est à craindre qu’il développe ses <a href="https://www.areion24.news/2020/01/23/la-souverainete-criminelle-de-la-coree-du-nord/">activités criminelles</a>, notamment en recourant à la cybercriminalité à des fins de captation financière.</p>
<h2>La crainte régionale de l’écroulement du régime</h2>
<p>Dans le passé et jusqu’à aujourd’hui, le régime nord-coréen a pu faire la preuve de <a href="http://politiqueinternationale.com/search/index.php">ses capacités de résilience</a>, notamment lors de l’épisode de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=43bQpcfR-FIC&oi=fnd&pg=PA229&dq=north+korea+hunger&ots=pgcWNhHYtL&sig=Mnh26Dqh4vxX9gQaisUrg4whTlc&redir_esc=y#v=onepage&q=north%20korea%20hunger&f=false">grande famine du milieu des années 1990</a> qui aurait fait deux millions de morts sur une population d’environ 23 millions. On peut de plus supposer qu’engagés eux-mêmes dans la gestion d’une crise inédite frappant durement leur population et leurs économies, aucun des pays voisins de Pyongyang ne souhaitent faire face à l’écroulement de la Corée du Nord.</p>
<p>Contre toute attente, le pays bénéficie ainsi objectivement d’un soutien régional total, de peur d’une situation chaotique qui verrait la fuite d’une population contaminée hors des frontières nord-coréennes. Vu de l’extérieur, on peut même avoir le sentiment d’assister à une course à l’aide humanitaire, chacun tablant sur la vulnérabilité du régime pour l’inciter à s’ouvrir davantage. Séoul et <a href="https://fr.yna.co.kr/view/AFR20200330003900884?section=nk/index">Washington partagent ainsi l’espoir de reprendre un dialogue</a> dans l’impasse depuis la <a href="https://theconversation.com/donald-trump-et-kim-jong-un-a-hano-lart-delicat-du-compromis-112431">rencontre entre Kim Jong‑un et Donald Trump à Hanoi en février 2019</a>. Pour leur part, la Chine et la Russie ont jugé le moment propice afin d’obtenir un allègement des sanctions pesant sur Pyongyang. Les deux pays ont été parmi les premiers à acheminer des kits de dépistage, des masques et des médicaments tandis d’autres acteurs, dont la Croix-Rouge Internationale, doivent passer par un circuit d’exemptions de sanctions qui provoque des délais.</p>
<h2>La Chine reprend la main sur Pyongyang</h2>
<p>Mais si la pandémie a permis à la Corée du Sud de rééquilibrer sa relation avec les États-Unis, elle aura sans doute pour effet de renforcer la dépendance politico-économique de la Corée du Nord vis-à-vis de la Chine, dont Kim Jong‑un a tenté de s’affranchir en jouant la carte de négociations directes avec Donald Trump. Dans leur gestion de l’urgence sanitaire, les deux régimes disposent des mêmes armes coercitives : le recours à un appareil sécuritaire omniprésent et une propagande efficace visant à s’assurer d’un contrôle social suffisant de leur population.</p>
<p>Mais pour Pyongyang plus que pour Pékin, le danger réside sûrement avant tout dans les cercles proches du pouvoir. Face à la crise sanitaire, Kim Jong‑un a plus que jamais besoin du soutien des hauts responsables de l’appareil d’État – cadres supérieurs du Parti des travailleurs de Corée, haut commandement militaire et hauts fonctionnaires des services de sécurité – mais aussi de la <a href="https://theconversation.com/the-rise-and-rise-of-north-korea-money-masters-47708">classe d’entrepreneurs dont il a favorisé l’émergence</a>.</p>
<p>Or le contrat social implicite passé avec cette élite civilo-militaire aux intérêts disparates réside dans le maintien de son style de vie et de ses possibilités de captation de certaines ressources du régime. Mais les perspectives de ces gains sont désormais sérieusement menacées. Kim Jong‑un a montré par le passé qu’il n’hésitait pas à frapper au plus haut niveau de l’appareil d’État comme <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/03/14/jang-song-thaek-du-pouvoir-a-l-execution-a-la-mitrailleuse-lourde_4882657_3210.html">l’a illustré l’exécution de son oncle et mentor Jang Song-thaek</a>. Un train de purges n’est donc pas exclu à Pyongyang, ne serait-ce qu’à titre dissuasif…</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie a permis à la Corée du Sud de rééquilibrer sa relation avec les États-Unis et renforcé la dépendance politico-économique de la Corée du Nord vis-à-vis de la Chine.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1298352020-01-15T17:59:47Z2020-01-15T17:59:47ZCorée du Nord/États-Unis : un seul lit pour deux rêves en 2020 ?<p><em>« Un seul lit pour deux rêves » est une formule tirée d'un proverbe chinois, utilisée par Chou En-lai (ministre des Affaires étrangères chinois sous Mao) et titre d'un <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1982_num_47_1_3120_t1_0188_0000_5">livre</a> remarqué d'André Fontaine paru en 1981 et évoquant la période de détente (1963-1980) non dénuée d'arrière-pensées entre l'Union soviétique et les États-Unis.</em></p>
<p>Après la spectaculaire détente de 2018 dans la péninsule, l’année 2019 a vu les pourparlers entre les États-Unis et la Corée du Nord marquer le pas à la suite du fiasco du <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2019/02/28/01003-20190228ARTFIG00220-sommet-de-hanoi-kim-et-trump-dans-l-impasse-nucleaire.php">deuxième sommet de Hanoï en février 2019</a> entre les deux dirigeants. D’autres discussions bilatérales, menées à un niveau inférieur, se sont également terminées sur une impasse.</p>
<p>Pensant amener les États-Unis à des concessions, la Corée du Nord est revenue à sa politique éprouvée de provocations militaires avec des tirs divers : artillerie, roquettes, missiles à courte portée. Ceux-ci ont été invariablement minorés par Washington qui les a même qualifiés de « projectiles », ne voulant pas remettre en cause le bénéfice du moratoire sur les tirs de missiles balistiques et nucléaires que le président Trump s’est targué d’avoir obtenu de Kim Jong‑un. En décembre, la Corée du Nord n’a pas hésité à procéder à deux tirs de missiles à partir de sa base de lancement de satellites de Sohae, évoquant la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Coree-nord-accelere-programme-nucleaire-militaire-2019-12-14-1201066471">détention d’une « nouvelle arme stratégique »</a>. Poussant plus loin la menace, elle a même fait du 31 décembre une date butoir pour la reprise des négociations, laissant planer le doute sur un possible nouveau tir nucléaire qui mettrait Washington au pied du mur.</p>
<p>Toutefois, le discours de fin d’année du jeune dirigeant nord-coréen change la donne. Quittant la rhétorique belliqueuse, il a en effet adopté un ton grave, annonçant une nouvelle orientation du pays sans que l’on comprenne si ce discours est à usage interne ou externe. Pourquoi Kim Jong‑un a-t-il publiquement acté la faillite des négociations menées avec les États-Unis ? Faute d’une levée des sanctions, va-t-on vers la reprise des essais nucléaires ? Et si, pour des raisons de politique intérieure, Kim Jong‑un et Donald Trump étaient condamnés à s’appuyer l’un sur l’autre et à « s’entendre » ?</p>
<h2>Chronique d’une faillite diplomatique annoncée</h2>
<p>L’extrême personnalisation des négociations entre les États-Unis et la Corée du Nord avait été considérée comme le socle d’une politique inédite, bien que largement critiquée en raison de sa complaisance pour la normalisation d’un régime proliférant.</p>
<p>Au lendemain de la première rencontre de Singapour en juin 2018, un Donald Trump euphorique avait voulu convaincre le monde entier <a href="https://www.nytimes.com/2018/06/13/us/politics/trump-north-korea-nuclear-threat-.html">qu’il n’y avait plus de menace nucléaire nord-coréenne</a> avant de découvrir que les deux parties avaient une conception très différente de la dénucléarisation qu’ils s’étaient fixée comme objectif. Pyongyang envisageait cette dénucléarisation comme un processus progressif, étendu à l’ensemble de la péninsule et accompagné de fortes garanties de sécurité américaines, dont la signature d’un traité de paix. À Hanoï, en février 2019, ce sont les termes mêmes de l’engagement envisagé qui ont posé problème.</p>
<p>Donald Trump a assuré que Kim Jong‑un souhaitait la levée de toutes les sanctions pesant sur son pays contre le démantèlement, déjà promis par le passé, de la centrale de Yongbyon. La partie nord-coréenne a souhaité rectifier ces affirmations en assurant n’avoir demandé en échange de l’arrêt de la centrale qu’une levée partielle des mesures affectant le plus durement la population. Le 30 juin 2019, la rencontre impromptue de Panmunjom entre les deux dirigeants, dans le périmètre hautement symbolique de la zone démilitarisée (<em>Demilitarized Zone</em>, DMZ), entretient l’illusion qu’une négociation peut encore aboutir. Sur son compte Twitter, Donald Trump insiste sur les avantages économiques qu’apporterait la dénucléarisation.</p>
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<p>S’accrochant aux perspectives d’une reprise du dialogue, en pensant que sa politique de maintien des sanctions fonctionnerait, la partie américaine a soigneusement évité tout au long de l’année 2019 de renchérir sur les provocations nord-coréennes, s’abstenant de s’associer aux condamnations des tirs nord-coréens au sein du Conseil de sécurité. En décembre, Washington s’était même refusé à apporter son soutien à une initiative pour l’organisation d’une réunion au Conseil de sécurité sur la situation des droits de l’homme en Corée du Nord, empêchant ainsi sa tenue. Confronté à la perspective d’une procédure de destitution et déjà ouvertement en campagne pour sa réélection, le président Trump veut continuer à croire, où à faire croire, que sa politique nord-coréenne fonctionne.</p>
<h2>Des soutiens chinois et russes constants mais non décisifs</h2>
<p>Afin d’apaiser les tensions, la Russie et la Chine, les deux principaux alliés de la Corée du Nord, ont déposé mi-décembre devant le Conseil de sécurité de l’ONU une <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/sep/27/un-security-council-north-korea-sanctions-china-russia-pompeo">proposition de réduction des sanctions</a> sous réserve que le pays avance vers la dénucléarisation.</p>
<p>Au plan économique, les deux pays continuent d’afficher leur soutien sans faille à Kim Jong‑un, sachant qu’un affaiblissement trop notable, qui pourrait provoquer l’effondrement du régime ou le conduire à l’aventurisme nucléaire, reste pour eux le pire scénario envisageable. Il semblerait qu’ils n’appliquent que <a href="https://www.ft.com/content/220c9eac-215b-11ea-92da-f0c92e957a96">partiellement</a> la résolution 2397, selon laquelle les membres des Nations unies devaient renvoyer chez eux les travailleurs nord-coréens présents à l’étranger avant fin décembre 2019. Or ces quelque 100 000 travailleurs à l’étranger constituent une source de devises appréciables pour la Corée du Nord <a href="https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/Programs/pages/nkorea.aspx">selon le département d’État américain</a>.</p>
<p>Toutefois, la coopération économique entre la Corée du Nord et ses deux alliés (transfert de charbon et de pétrole et un commerce transfrontalier restreint) ne suffit pas à aider le jeune dirigeant à lancer la réforme économique d’ampleur dont le pays a besoin. Pour Pékin, qui n’est pas mécontent de reprendre l’ascendant sur un partenaire jugé trop indépendant, la Corée du Nord constitue une variable d’ajustement dans ses relations avec les États-Unis, notamment dans le cadre de la guerre commerciale en cours. C’est de ce point de vue qu’il convient d’appréhender la visite de <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-21-juin-2019">Xi Jinping en Corée du Nord en juin 2019</a>, à la veille du Sommet du G20, la première en quatorze ans d’un chef de l’État chinois à Pyongyang, après les quatre visites de Kim Jong‑un à Pékin au cours des deux dernières années.</p>
<p>Prenant le monde à témoin de sa proximité avec le dirigeant nord-coréen, Pékin a ainsi rappelé implicitement à Washington que la péninsule faisait partie du « pré carré » chinois et que la Chine demeurait un acteur incontournable dans tout règlement de la question nucléaire nord-coréenne. Le message était clair : si Donald Trump souhaite mettre à son actif un succès diplomatique avec une Corée du Nord rétive, il doit faire preuve de souplesse avec la Chine afin que celle-ci incite Pyongyang à faire des concessions.</p>
<h2>La Corée du Nord au milieu du gué</h2>
<p>Si, pour des raisons de politique intérieure, Donald Trump ne reconnaît pas qu’en dépit de ses efforts la relation qu’il a créée avec Kim Jong‑un n’a pas débouché sur un accord, le dirigeant nord-coréen, pour sa part, a publiquement fait le constat de l’improbabilité d’une levée des sanctions internationales lors d’un plénum extraordinaire du comité central du Parti des Travailleurs de Corée du 28 au 31 décembre 2019. Il a annoncé la <a href="https://www.38north.org/reports/2020/01/pressbriefing010220/">fin du moratoire sur les essais de missiles balistiques et nucléaires</a> et sa résolution à vivre sous le poids des sanctions afin de conserver sa capacité nucléaire. La dénucléarisation, sous quelle forme que ce soit, n’est donc plus à l’ordre du jour ; a contrario, <a href="https://www.lci.fr/international/coree-du-nord-le-monde-va-decouvrir-dans-un-proche-avenir-une-nouvelle-arme-strategique-annonce-kim-jong-un-2141664.html">Pyongyang annonce le développement d’une arme stratégique</a>.</p>
<p>Kim Jong‑un est revenu sur les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/02/en-coree-du-nord-l-economie-menacee-par-le-retour-des-tensions_6024602_3210.html">difficultés de l’économie nord-coréenne</a> en ayant recours à une métaphore déjà utilisée précédemment sur la nécessité pour la population de ne pouvoir compter que sur elle-même et de « se serrer la ceinture » en raison de l’intransigeance de Washington. Au-delà de la priorité accordée à l’arme nucléaire, garantie de sécurité du régime mais aussi source de sa légitimité, Kim Jong‑un n’a cessé, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, d’insister sur l’importance d’améliorer le quotidien de la population.</p>
<p>Sous son impulsion, une économie semi-capitaliste s’est instaurée. Les marchés privés se sont multipliés, des supermarchés et de petites boutiques sont apparus. Kim Jong‑un entend promouvoir le tourisme avec la construction de complexes modernes comme la station de ski de Samjyon, achevée en décembre 2019, ou la station balnéaire de Wonsan. S’il escompte obtenir des revenus avec le développement d’une activité qui n’est pas sous sanctions, il veut également poursuivre l’ouverture internationale qu’il a lui-même lancée au plus haut niveau et continuer à « normaliser » l’image de son pays.</p>
<p>Tout cela ne suffit cependant pas pour procéder au redressement économique dont la Corée du Nord a un urgent besoin. Mais cet objectif implique un climat régional stable, sans retour à des campagnes de tirs provocantes qui isoleraient davantage le pays et entraîneraient de nouvelles sanctions. Accaparé par le dossier iranien et la gestion de sa campagne électorale, Donald Trump continue à croire en ses bonnes relations avec le leader nord-coréen, dont il a salué l’anniversaire le 10 janvier dernier. Ce dernier semble s’installer dans une posture d’attente, observant les développements de la crise iranienne et sondant peut-être les résultats des élections américaines avec le maintien possible de son « ami » Donald Trump à la Maison Blanche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129835/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le discours de fin d’année de Kim Jong‑un a suscité l’émoi : s’achemine-t-on vers une nouvelle crise entre Pyongyang et Washington ? En réalité, les deux parties semblent condamnées à s’entendre.Marianne Péron-Doise, Expert associé au Ceri, chargée du programme Sécurité maritime internationale à l'IRSEM, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1209092019-08-21T05:41:37Z2019-08-21T05:41:37ZCarnets de voyage : les paradoxes du miracle économique coréen<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/285505/original/file-20190724-110175-lio1tf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C129%2C1196%2C1068&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En matière d'innovation, la Corée du Sud ne fait rien comme tout le monde…</span> <span class="attribution"><span class="source">Auteurs.</span></span></figcaption></figure><p>Samedi 29 juin 2019, 14h34. Notre avion décolle de Séoul après 10 jours d'un voyage d'études passionnant avec des étudiants de l'Université Paris-Dauphine. Quelques heures plus tard, le président des États-Unis Donald Trump atterrira en Corée pour accomplir un geste historique : le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/donald-trump-passe-la-frontiere-nord-coreenne-pour-une-poignee-de-main-avec-kim-jong-un_3514721.html">passage à pied de la frontière nord-coréenne</a> en compagnie de Kim Jong-un.</p>
<p>Que retenir de cette expérience ? Nous rentrons de ce pays magnifique avec beaucoup de questions et le sentiment de nombreux paradoxes. Le thème du voyage portait sur l'intelligence artificielle et le futur du travail en Corée. Nous avons visité de nombreuses entreprises, universités ou labs (Asiance, Skelter Labs, Sogang university, The Vault, Renault innovation lab, Thalès Corée, Incheong Campus International…) et fait de très belles rencontres. Avant de partir, nous avons aussi beaucoup lu.</p>
<h2>Mais d'où vient l'innovation ?</h2>
<p>Sur place, que d'étonnements ! Comment l'un des pays les plus tournés au monde vers l'exportation peut-il avoir un écosystème de techniques (des applications) aussi spécifiques ? Être aussi peu tourné vers toutes les plates-formes globales que nous connaissons ? Pratiquer aussi peu la langue anglaise ? Comment un pays aussi innovant (en 2018, pour la cinquième année, la Corée a été désignée comme le pays le plus innovant par le <a href="https://www.bloomberg.com/graphics/2015-innovative-countries/">Bloomberg Innovation Index</a>) peut-il être aussi ordonné ? Comment expliquer ce degré d'innovation dans un pays où tout et chacun à sa place, où les hiérarchies et les traditions sont si fortes, où la séniorité pèse si fortement, où le chaos et le désordre n'ont pas leur place ?</p>
<p>Interrogés sur les capacités d'innovation du pays, certains des experts rencontrés ont insisté sur des stratégies encore très tournées vers « l'absorption » davantage que la « disruption », et une place encore modeste donnée à l'entrepreneuriat et au freelancing. Mais là aussi, dans un Séoul où les <a href="https://www.wework.com/fr-FR">WeWork</a> (enseigne spécialisée dans les espaces de travail) nous ont semblé omniprésents, où nombre d'expatriés que nous avons rencontrés physiquement ou en ligne sont de bouillonnants entrepreneurs, difficile de comprendre tous ces paradoxes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=611&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=611&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=611&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=767&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=767&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/285496/original/file-20190724-110187-wpvy3c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=767&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Visite du Renault Innovation Lab de Séoul.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
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<p>Sur le digital en revanche, le voyage a été sans surprise. C'est bien un pays à la pointe, où le smartphone est au cœur de tout, que nous avons exploré. Si la sensation d'un portable greffé dans la main, d'une véritable symbiose avec le geste de la glissade sur l'écran, peut exister à Paris, Séoul incarne un changement d'échelle. Il suffit d'observer des Coréens en train d'attendre pour traverser une rue, de scruter ce court moment d'attente, pour être frappé par la même chose : le portable est là, dans la main, et exploité.</p>
<p>La question de la data privacy a été posée à de nombreuses reprises (à des entrepreneurs comme à des utilisateurs). On a souvent eu l'impression que la peur d'un <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/ZUBOFF/59443">capitalisme de surveillance</a> n'est pas la même ici que dans la plupart pays occidentaux. Et de nombreux Coréens font même le choix de monétiser leurs données privées d'achat et de mouvements en <a href="https://www.lesechos.fr/2018/05/voyage-dans-la-coree-du-neuf-1020373">acceptant de recevoir des tokens</a> valables pour des achats en ligne chez des partenaires.</p>
<h2>L'image exemplaire de la France</h2>
<p>En parlant d'achat en ligne, une différence cruciale nous est apparue dans le contexte coréen : la sécurité. On peut facilement se faire livrer un article devant sa porte ou dans son hall. Il restera à sa place. Personne ne viendra le prendre avant votre retour le soir. Bien sûr, cela change beaucoup de choses d'un point de vue postal et logistique.</p>
<p>Que dire sur un des sujets clés du voyage, l'intelligence artificielle ? Elle est <a href="http://www.koreaherald.com/view.php?ud=20190619000616">bien présente</a> au cœur des applications et des recherches. Un projet évoqué avec nous concerne une IA conversationnelle plus émotionnelle, capable de sentir le degré de stress et le type d'émotions à partir de la voix, du timbre de voix, de son rythme ou du frappé sur un clavier.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/285502/original/file-20190724-110179-ide2bn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le lab The Vault travaille sur un outil d’IA pour le sport.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs.</span></span>
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<p>Mais le point qui nous a le plus surpris, pour des voyageurs venant d'aussi loin, a été d'être renvoyé vers le statut exemplaire de la France. Nos informaticiens, nos chercheurs (en mathématiques et en informatique), nos universités, nos entreprises, sont perçus comme les références qui vont probablement déclencher les innovations de rupture sur ces sujets. Dans le pays le plus automatisé au monde <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/GB.XPD.RSDV.GD.ZS">qui dépense 4,3% de son PIB en R&D</a> (plus que tout autre pays développé), ce renvoi vers l'extérieur, en particulier notre pays d'origine, nous a étonnés.</p>
<p>Sur le sujet du travail et des transformations du travail, nous avons senti un pays au bord d'une véritable transformation. Les <a href="https://france-coree.pagespro-orange.fr/economie/coree2001_chaebols.htm">chaebols</a>, ces vastes conglomérats familiaux qui sont au cœur de l'économie coréennes (Samsung, Hyundai, LG, etc.) ont atteint leurs limites. Ils ont du mal à produire des innovations disruptives et à maintenir le modèle social de l'emploi à vie dans de grandes entreprises très hiérarchiques. Et pour l'heure, la cohabitation avec le monde des startups et de l'open innovation semble difficile. Rapidement, les startups sont absorbées et les chaebols limitent et contraignent les espaces de développement entrepreneuriaux.</p>
<p>Par ailleurs, nous avons souvent senti <a href="https://www.marieclaire.fr/coree-du-sud-reportage-pression-jeunes-suicide,1288242.asp">beaucoup de stress</a> dans ce pays où le taux de suicide (notamment des plus jeunes) est un des plus élevés au monde. Les signes de stress sont subtils, mais ils sont bien là. Dans une façon de conduire, dans un rapport à l'alcool, dans la plongée dans la nuit et même dans le souci permanent et obsessionnel de bien faire. Les femmes et les jeunes semblent parfois ne pas avoir toute la place qu'ils méritent dans une société encore très patriciale. Les femmes en particulier sont clairement victimes d'une forme de machisme plus ou moins visible. Les jeunes ont du mal à s'affirmer face aux plus anciens.</p>
<h2>Force du collectif</h2>
<p>Des premières évolutions dans les pratiques de gestion des ressources humaines et les politiques publiques semblent aller en direction de véritables changements sociaux (notamment dans les promotions et la formation). C'est ce dont ont témoigné des jeunes salariés que nous avons rencontrés. Mais à nouveau, les paradoxes nous ont semblé multiples. Les traditions donnent un sens et des continuités à d'innombrables points de rupture.</p>
<p>La géographie même de Séoul (le sud du fleuve Han) incarne notre propos. La ville du sud est plus moderne, faite d'axes rectilignes (de 8 voies). On transforme régulièrement la géographie sans nostalgie inutile, avec un grand pragmatisme. Et tout Séoul est un immense showroom des savoir-faire et de l'esthétique de l'ambition coréenne. On montre partout ce que l'on sait faire et on montre ses savoir-faire en faisant. Le tout, dans une ambiance toujours esthétique. Hommes et femmes soignent particulièrement leurs apparences dans ce <a href="http://coreeaffaires.com/2013/12/05/la-coree-du-sud-et-la-cosmetique-un-marche-cle-pour-loreal/">marché clé</a> pour le luxe et les cosmétiques français.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/285503/original/file-20190724-110166-ct6exg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une libraire très étonnante à Séoul… aux allures de showroom !</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs.</span></span>
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<p>Les <a href="https://cosmeticobs.com/fr/articles/lactualite-des-cosmetiques-7/marche-et-tendances-cosmetiques-en-coree-du-sud-4028/">femmes coréennes utilisent en moyenne trois fois plus de cosmétiques que les femmes françaises</a>. La chirurgie esthétique (nous avons été frappés par le nombre de cliniques de chirurgie esthétique partout dans Séoul… dont une dans notre hôtel !) est omniprésente. Il faut ressembler aux stars des séries coréennes.</p>
<p>Les pratiques de management ont également été un <a href="https://regards-interculturels.fr/2015/07/management-coreen/">autre point d'étonnement</a>. Les témoignages que nous avons entendus soulignent de nombreuses hybridations entre des techniques de management américaines et des pratiques locales. On crée des plateaux type start-up en open space, des zones de sieste, des avatars qui permettent à chacun d'exprimer sa personnalité, des espaces de cuisine qui sont des convivialités nouvelles… mais on garde des placements thématiques ou fonctionnels dans l'espace de travail (pas de « flex office » ou de placements par projets). Le « chef » reste très respecté et l'équipe écoute en contribuant modestement. Mais en même temps, l'énergie, la force du collectif sont là. On est engagé et impliqué dans le travail.</p>
<p>Sur le plan universitaire, le pays était également très intéressant. Avec KAIST, le MIT coréen lancé en 1971, où les salaires sont trois fois plus élevés dans le reste du pays et où la recherche est à un niveau global, les moyens sont exceptionnels. La visite de l’<a href="http://www.igc.or.kr/en/index.do">Incheon Global Campus</a>, posé à plus d'une heure de Séoul, nous a également impressionnée. Cet immense campus, en partenariat avec des universités américaines et à proximité de l'aéroport international, semble sorti de nulle part. Que d'énergie ! J'y aurais vu un des makerspaces les plus propres et les mieux rangés de toutes mes visites de ces cinq dernières années dans une trentaine de pays !</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/285504/original/file-20190724-110179-adoqxm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Visite du campus de l'université IGC et de son makerspace.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteurs.</span></span>
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<p>Encore fois, nous sommes tous revenus avec beaucoup de questions et sans la prétention d'avoir compris ce qu'il y avait à comprendre. Dans ce pays sur le fil du rasoir d'un point de vue géopolitique, le monde de demain continue à se fabriquer. Dans la discipline et l'esthétique. Les prochaines licornes digitales du monde de l'IA et d'ailleurs viendront d'ici. Je ne sais pas encore comment, mais je reviens convaincu qu'à nouveau, ce pays historiquement revenu de loin, à l'équilibre politique et géopolitique encore précaire, saura se réinventer. Et je reviendrai avec plaisir suivre ces transformations…</p>
<hr>
<p><em>Je tiens à remercier ici les étudiants du <a href="https://www.mbc.dauphine.fr/">master 128</a> de l'université Paris-Dauphine qui ont coorganisé ce voyage, en particulier Maximilien Briançon, Julie Piquet, Justine Gaine, Amine Bennekrouf, Jules Haton, Sarah Moubarak.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/120909/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-Xavier de Vaujany est président du think tank et réseau collaboratif RGCS dédié aux nouvelles formes d'organisation et aux nouvelles formes de travail (<a href="http://rgcs-owee.org/">http://rgcs-owee.org/</a>)</span></em></p>Les participants au voyage d'études organisé par Paris-Dauphine reviennent sur un séjour plein de surprises à Séoul…François-Xavier de Vaujany, Professeur en management & théories des organisations, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1124312019-02-26T21:01:29Z2019-02-26T21:01:29ZDonald Trump et Kim Jong‑un à Hanoï, l’art délicat du compromis<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260750/original/file-20190225-26162-vm2k2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1194%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">A Hanoï, le 25 février 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Manan Vatsyayana / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Alors que Kim Jong‑un a quitté Pyongyang, le 24 février, pour Hanoï (Vietnam), lieu de sa deuxième rencontre avec Donald Trump, nombre d’interrogations subsistent sur le contenu probable de ce sommet des 27-28 février, et les concessions envisageables par les deux protagonistes. Les déclarations hyperboliques du Président américain sur sa relation privilégiée avec son homologue nord-coréen ont, toutefois, donné le ton. Ce sommet sera un succès !</p>
<h2>Des objectifs contradictoires et un besoin de s’appuyer l’un sur l’autre</h2>
<p>Ni Washington ni Pyongyang ne s’entendent sur le contenu et les étapes du processus de dénucléarisation. Washington la comprend comme l’élimination définitive de toutes armes ou composantes nucléaires avec le démantèlement des sites s’y rapportant et la mise en place d’un système de vérification robuste. Pyongyang la voit comme un processus régional graduel impliquant le retrait de tout système d’arme nucléaire américain de la péninsule coréenne, y compris les troupes qui y sont déployées. Cette approche par étapes suppose, par ailleurs, d’intégrer des séquences d’allègement des sanctions en réponse aux « efforts » nord-coréens.</p>
<p>Toutefois, les <a href="http://english.hani.co.kr/arti/english_edition/e_editorial/879102.html/">deux dirigeants devraient se ménager</a>, car ils sont soumis à des enjeux de politique intérieure et ont besoin de renforcer leur stature d’homme d’État en s’appuyant l’un sur l’autre. Les prochaines élections américaines étant à horizon d’un an, <a href="https://www.irsem.fr/institut/actualites/note-de-recherche-n-65-2018.html">Donald Trump est déjà en campagne</a>. Il a besoin de marquer fortement les esprits et estime que le dossier nord-coréen peut lui en fournir l’occasion, même si le Congrès apparaît prêt à fixer des limites à ses potentielles ouvertures. La Corée du Nord constitue également un levier dans la guerre commerciale que livre Donald Trump à la Chine.</p>
<p>De son côté, Kim Jong‑un doit faire la preuve de son habileté à gérer la question des relations avec les États-Unis, tout en protégeant les intérêts de son pays. <a href="https://www.reuters.com/article/us-northkorea-usa-diplomats-analysis-idUSKCN1Q90HN">Son assise politique n’est pas aussi solide qu’escomptée</a>. Le régime peine à mettre en place la réforme économique promise. L’objectif d’un desserrement des sanctions est sa priorité.</p>
<h2>Des zones d’ombre persistantes</h2>
<p>Si depuis un an, le secrétaire d’État Mike Pompeo a pu se rendre plusieurs fois à Pyongyang, peu d’éléments ont filtré de ces rencontres. Cette discrétion a accrédité l’impression que rien n’avançait sur le dossier complexe de la dénucléarisation et que Pyongyang refusait de répondre aux demandes américaines de clarification sur l’état de son programme nucléaire.</p>
<p>En juillet 2018, soit deux mois après le sommet de Singapour, un <a href="https://www.washingtonpost.com/world/national-security/us-spy-agencies-north-korea-is-working-on-new-missiles/2018/07/30/b3542696-940d-11e8-a679-b09212fb69c2_story.html?utm_term=.b21fff863c38">article du Washington Post</a> relançait les spéculations sur la duplicité du régime nord-coréen en faisant état de rapports d’agences de renseignement américaines accusant Pyongyang de construire de nouveaux missiles intercontinentaux. Des images satellites permettaient de conclure qu’une activité nord-coréenne se poursuivait sur au moins un missile intercontinental. Ce dernier, le Hwasong-15, d’une portée estimée de 13 000 km, aurait la capacité d’atteindre la côte Est des États-Unis. En juillet 2018, Mike Pompeo, <a href="https://www.letemps.ch/monde/pompeo-affirme-pyongyang-continue-produire-materiaux-fissiles">lors d’une audition devant le Congrès</a>, a admis que la Corée du Nord continuait à produire des matériaux nucléaires.</p>
<p>Enfin, l’attitude équivoque de la Chine persiste sur le sujet des sanctions. La reprise des rotations de camions de transport de marchandises entre la ville chinoise de Dandong et la frontière nord-coréenne courant 2018 montre que Pékin, hostile à un scénario d’effondrement du régime nord-coréen, n’adhère plus que partiellement à la logique des sanctions.</p>
<p>Depuis le sommet de Singapour, <a href="https://thediplomat.com/2018/11/china-russia-and-us-sanctions-on-north-korea/">Pékin tout comme la Russie</a> réclament un allègement de celles-ci au Conseil de sécurité des Nations unies afin de répondre de façon positive au gel des tirs nucléaires et balistiques observé par la Corée du Nord. Les deux pays invoquent ainsi une nécessaire réciprocité dans le traitement diplomatique de la Corée du Nord ainsi qu’une approche graduelle ou pas à pas.</p>
<h2>Les cartes nord-coréennes</h2>
<p>Dans son <a href="https://www.ncnk.org/resources/publications/kimjongun_2019_newyearaddress.pdf/file_view">discours du Nouvel an 2019</a>, Kim Jong‑un a fixé une feuille de route pour les futures relations américano-nord-coréennes, tout en évoquant une « nouvelle voie » si les États-Unis maintenaient sanctions et pressions à l’égard du régime, voire en cas de revirement de Donald Trump, comme dans l’exemple de l’accord avec l’Iran.</p>
<p>Le dirigeant nord-coréen a affirmé que son pays « ne produirait plus, ni ne testerait, n’utiliserait ou ne propagerait plus » ses armes nucléaires, tout en demandant aux États-Unis des « mesures correspondantes ». Parmi ses demandes figurent, sans surprise, la fin des exercices d’entraînements majeurs américano-sud-coréens, la mise en place d’un mécanisme de paix qui remplacerait le régime d’armistice et le retrait des sanctions.</p>
<p>Pour l’heure, Kim Jong‑un apparaît en position de force, car il dispose de plusieurs options. Il peut conserver ses armes nucléaires ou choisir de « geler » son programme à défaut de le démanteler. Il peut s’appuyer sur le soutien de la Chine et de la Russie, qui se sont déjà prononcées en faveur d’une levée des sanctions. Enfin, il sait que le Président sud-coréen est prêt à entamer une active collaboration économique.</p>
<p>La reprise des <a href="https://en.yna.co.kr/view/AEN20190219011652315?section=national/politics">relations entre les deux Corées</a> a permis la réactivation d’un certain nombre d’engagements déjà au cœur de la <em>Sunshine Policy</em>, ou politique d’ouverture au Nord entamée dans les années 2000 : échanges sportifs, réunions de famille séparées, assistance humanitaire, reconnexion des voies ferrées et coopération économique. Il s’y est ajouté un important volet militaire avec l’instauration de mesures de confiance (déminage de la zone démilitarisée (DMZ), dialogue des militaires). Un bureau de liaison intercoréen a également été inauguré à Kaesong, en septembre 2018.</p>
<h2>Côté américain, la recherche du compromis</h2>
<p>Le discours de <a href="https://www.state.gov/p/eap/rls/rm/2019/01/288702.htm">Stephen Biegun devant l’université de Stanford</a>, le 31 janvier 2019, a permis de préciser les attentes de part et d’autre. L’émissaire américain pour la Corée du Nord est notamment revenu sur le processus des négociations américano-nord-coréennes évoquant des « actions simultanées » et conduites en parallèle par les deux parties. Il a également développé le sujet de l’accès d’experts aux installations nucléaires et balistiques nord-coréennes, ainsi que celui des mécanismes de surveillance à mettre en place sur ces sites.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dHtNCh2c1gs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Parmi les initiatives envisageables lors du sommet d’Hanoï figurent des gestes comme l’ouverture d’un bureau de liaison américain à Pyongyang, voire une « déclaration » mettant fin formellement à l’état de guerre entre les deux pays, déjà évoquée avant le sommet de Singapour. Pyongyang pourrait s’engager à ne pas développer davantage d’armes et à démanteler la centrale de Yongbyon.</p>
<p>Concernant les mesures incitatives, la reprise de projets économiques intercoréens figure en bonne place. La réouverture du complexe industriel de Kaesong et celle du site touristique du Mont Kumgang sont activement poussées par le Président sud-coréen qui y a déjà engagé des travaux préparatoires.</p>
<p>L’inconnue principale reste la position de Washington sur la question qui a, jusqu’à présent, bloqué les négociations : la dénucléarisation « complète, irréversible et vérifiable » de la Corée du Nord, perspective inacceptable pour Pyongyang.</p>
<p>On notera que, depuis la fin 2018, Washington a assoupli sa position sur un autre préalable : la fourniture par la Corée du Nord d’un inventaire de son arsenal nucléaire sa localisation et la liste des sites de lancement des missiles. Pyongyang s’y est jusqu’à présent refusé mettant en avant sa sécurité.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Le choix du Vietnam comme lieu de la deuxième rencontre américano-nord-coréenne apparaît, à bien des égards, symbolique. Ennemis d’hier, les États-Unis et le Vietnam se sont réconciliés et ont entamé des relations économiques et politiques fructueuses. En outre, le Vietnam réunifié est souvent cité comme un modèle de développement réaliste pour la Corée du Nord.</p>
<p>Le régime de Hanoi a su conduire les réformes économiques nécessaires ou <em>Doi Moi</em>, s’ouvrir sur le monde tout en conservant un fort contrôle idéologique sur la population. Est-ce la voie tracée pour la Corée du Nord ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux dirigeants devraient se ménager, car ils sont soumis à des enjeux de politique intérieure et ont besoin de renforcer leur stature d’homme d’État en s’appuyant l’un sur l’autre.Marianne Péron-Doise, Expert associé au Ceri, chargée du programme Sécurité maritime internationale à l'IRSEM, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1085382018-12-19T14:37:16Z2018-12-19T14:37:16Z2018 en revue : février, rapprochement des deux Corée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/249720/original/file-20181210-76971-1csyur6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C82%2C994%2C937&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sommet Inter-Coréen d'avril 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://www.president.go.kr/">Wikipedia / Cheongwadae / Blue House</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Retour sur une année exceptionnelle dans cette zone en tension depuis 1953 :</em></p>
<p><em>– 9 au 25 février : participation du Nord aux Jeux Olympiques en Corée du sud ouvrant la voie à un dégel entre les deux camps. Après deux années de silence, une ligne de communication militaire a été remise en service en janvier. Ces « JO de la Paix », voient la rencontre inédite entre Kim Yo Jong, sœur cadette du dirigeant nord-coréen, et le président sud-coréen Moon Jae-in.</em></p>
<p><em>– Début mars, les deux Corée conviennent d’un sommet entre Kim Jong‑un et le président sud-coréen.</em></p>
<p><em>– 9 mars : Donald Trump accepte un sommet historique avec le leader nord-coréen à une date prochaine.</em></p>
<p><em>– 21 avril : Kim Jong‑un annonce la suspension des essais nucléaires et des tests de missiles intercontinentaux ainsi que la fermeture du site d’essais nucléaires de Punggye-ri.</em></p>
<p><em>– 27 avril : Kim Jong‑un et Moon Jae-in se rencontrent dans la Zone démilitarisée. Ils se serrent la main. “Une histoire nouvelle commence maintenant”, écrit Kim Jong‑un sur le livre d’or avant le début du sommet.</em></p>
<h2>Les délégations des deux pays qui défilent ensemble lors des JO, un symbole fort</h2>
<p>C’est la suite logique des évènements des mois précédents : en 2017, la tension entre la Corée du Nord, sa voisine du Sud et les Etats-Unis a atteint un paroxysme. La Corée du Nord voulait en effet renforcer ses capacités balistiques et montrer sa puissance nucléaire aux yeux du monde, gage de survie du régime en place mais aussi de sécurité et de crédibilité tant en interne qu’à l’international. Une fois cet objectif atteint, désormais en position de force, les nord-coréens peuvent passer à la phase suivante : se concentrer sur le développement économique nécessaire du pays, sans doute sur le modèle chinois.</p>
<p>Pour cela, Kim Jong‑un joue l’apaisement, afin de créer l’occasion favorable et de se présenter en position de force à la table des inévitables négociations. Les JO représentaient dès lors une excellente occasion de concrétiser cette phase de détente. Depuis 1953, on a assisté à de nombreux cycles marqués par les tensions et la rhétorique belliqueuse, suivies d’une phase d’apaisement : c’est une stratégie bien rôdée et parfaitement utilisée par la Corée du Nord.</p>
<h2>La rencontre de Kim Jong‑un avec le président sud-coréen Moon Jae In</h2>
<p>Le timing de cette rencontre était également excellent : Moon Jae In a basé une partie de sa campagne présidentielle sur l’apaisement avec la Corée du Nord. Alors que du côté américain, le troisième acteur principal de ce conflit, une opportunité s’est offerte. Donald Trump avait en effet laissé entendre lorsqu’il était en campagne qu’il ne voyait pas de problème à rencontrer un dirigeant nord-coréen, ce qu’aucun Président américain n’avait jamais fait.</p>
<h2>La rencontre entre Kim Jong‑un et Donald Trump à Singapour</h2>
<p>Chacun y trouve son compte, notamment en terme d’image. Mais au-delà, pas grand-chose. L’accord sur la dénucléarisation n’inclut pas d’inventaire de l’arsenal nord-coréen, pas d’agenda de démantèlement, pas de modalités de contrôle… C’est le jour et la nuit par rapport à l’accord détaillé sur le nucléaire iranien, négocié par l’administration Obama et rejeté ensuite par D. Trump. La rencontre avec Kim Jong‑un est une victoire de l’image et de l’égo pour Donald Trump mais sur le fond, tout reste à faire !</p>
<p>C’est surtout Kim Jong‑un qui en ressort gagnant : une rencontre avec un président américain en tête à tête, c’est une reconnaissance de son statut et de son régime. Par ailleurs, Chine et Russie ont ensuite assoupli les sanctions économiques qu’elles avaient prises vis-à-vis de la Corée du Nord, ce qui affaiblit la pression américaine : encore un point positif pour Kim Jong‑un et un bémol pour Donald Trump.</p>
<h2>Tout reste à faire en 2019</h2>
<p>Les négociations vont se poursuivre et Donald Trump a évoqué une deuxième rencontre avec Kim Jong‑un au début de l’année. Ce sera peut-être l’occasion d’aborder les questions qui fâchent et de voir ce que la Corée du Nord est réellement prête à concéder. Personnellement, je pense que la dénucléarisation prendra du temps et surtout qu’une dénucléarisation complète sera très difficile à obtenir car le programme nucléaire est la garantie de survie du régime. Il est cependant incompatible avec le développement économique recherché par Kim Jong‑un, qui demande un relâchement des sanctions américaines. C’est un peu la quadrature du cercle…</p>
<p>Il faudra donc voir ce qui est acceptable pour le régime nord-coréen et pour la communauté internationale, si un compromis est possible et à quel prix. Par ailleurs, la question des droits de l’homme devra également être abordée à un moment ou à un autre, alors qu’elle est totalement mise de côté pour favoriser les discussions actuelles. Une chose me semble cependant claire : si les négociations ne tournent pas comme la Corée du Nord le souhaite, nous risquons de voir réapparaître les tensions et de repartir dans un cycle de crise. </p>
<p><em>Retrouvez <a href="http://www.ulb.ac.be/ulb12mois12experts/">ici l'intégrale des articles de la rétrospective 2018</a> des enseignants-chercheurs de l'ULB.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thierry Kellner ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur un événement inimaginable il y a encore quelques années : la poignée de main entre deux leader que tout semblait opposer.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1044532018-10-07T18:51:26Z2018-10-07T18:51:26ZQuelle communauté internationale ? Espoirs et illusions à l’heure de l’Amérique de Donald Trump<p>L’ouverture de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) offre, chaque année, l’occasion de photographier le paysage diplomatique mondial. C’est également un moment propice pour apprécier les talents théâtraux des chefs d’Etat et de gouvernement : Nikita Khrouchtchev brandissant sa chaussure en 1960, Fidel Castro et son discours-fleuve la même année, Mouammar Kadhafi déchirant la charte de l’ONU en 2009… L’enceinte des Nations unies devient alors, littéralement, une « scène » internationale où une multitude de visions du monde se rencontrent, se confrontent et s’affrontent.</p>
<p>En ce début d’automne, l’inauguration de la 75<sup>e</sup> session de l’Assemblée Générale n’a pas dérogé à la tradition avec le spectacle du duel oratoire entre Donald Trump et Emmanuel Macron, opposant deux conceptions fort différentes de la diplomatie. Ce qui est toutefois inhabituel c’est que cette joute divise deux membres d’un même camp, l’OTAN, voire d’un même «club», le groupe très restreint des démocraties développées qui forment le G7.</p>
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<p>Il y a certes eu dans le passé d’autres affrontements franco-américains, notamment le violent désaccord autour de l’invasion de l’Irak, désaccord exprimé par un célèbre discours de Dominique de Villepin en 2003. Mais aussi dure aura été cette confrontation entre les États-Unis de George W. Bush et nombre de ses alliés d’Europe de l’Ouest, elle n’avait pas la dimension systémique que prend aujourd’hui le clash de visions entre Donald Trump et Emmanuel Macron.</p>
<p>La position nationaliste de Trump s’applique a priori à tous les sujets relevant de la concertation multilatérale, et de ce fait hypothèque la notion même de « communauté internationale ». Ou tout au moins, le nationalisme appuyé de la première puissance mondiale nécessite-t-il de repenser ce qu’on doit – ou ce qu’on peut – attendre de ladite « communauté internationale ». Le sens de ce terme étant, du reste, assez imprécis.</p>
<h2>Le règne éphémère de la « communauté des nations »</h2>
<p>Qu’entend-on donc par « communauté internationale » ? En principe, on pourrait considérer que celle-ci désigne tout simplement l’ONU. C’est en effet la seule organisation au monde qui réunit tous les États-nations (les nations qui n’ont pas le statut d’État, comme Taiwan ou la Palestine, en étant exclues). Toutefois, dès sa création et jusqu’à la fin de la Guerre froide, l’ONU et son Conseil de sécurité étaient largement paralysés par la logique bipolaire de l’ordre mondial, même si des avancées – comme la mise à l’agenda des questions de développement dans les années 1970 – ont été réalisées durant cette période. Jusqu’aux derniers jours de 1989, invoquer, au singulier, « la communauté internationale », était relativement improbable.</p>
<p>C’est après 1990, qui aura vu la dislocation de l’URSS et une coopération inédite russo-américaine autour de la crise dans le golfe persique, que George H.W. Bush introduit l’idée d’une « communauté des nations » portant et défendant un « nouvel ordre mondial » (dans son discours prononcé devant le Congrès américain au lendemain de l’opération « Desert Storm » au Koweït et en Irak, en mars 1991). Le texte, connu comme le « New world order speech », fait partie du répertoire classique de la politique étrangère des Etats-Unis).</p>
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<p>Pendant une décennie, avant que l’Histoire s’empresse de la contrarier, cette idée, la possibilité d’un vrai consensus en faveur de la coopération multilatérale à l’échelle de la planète, semblait viable. L’ONU pouvait, semblait-il, enfin devenir ce que ses concepteurs, au milieu des années 1940, avaient souhaité qu’elle soit ; la garante ultime de la paix et de la prospérité mondiales.</p>
<h2>Communauté, système et monstres froids</h2>
<p>Imaginer une institution permettant véritablement la communion des États-nations, suppose une part d’idéalisme – ou d’irréalisme, diraient certains – substantielle. En dépit de la multitude de calculs géopolitiques qui ont précédé sa naissance, le projet de l’ONU a bel et bien été porté par un idéalisme dont l’ampleur était proportionnelle à celui du désastre de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Cet héritage fondateur a alimenté une forme de culture « onusienne », qu’illustre le récit de la paix planétaire, et qui, tout en se renouvelant (en tenant compte de nouveaux facteurs comme le développement, puis l’environnement), se déroule inexorablement, au-delà des vicissitudes. En d’autres termes, si ce qu’on appelle « communauté internationale » renvoie à l’esprit onusien, alors il s’agit d’un projet ambitieux, voire d’un horizon, plutôt qu’une entité tangible.</p>
<p>Dans la théorie des relations internationales, l’hypothèse que les États forment a priori une « communauté » implique que la coopération, et même la solidarité, sont des mécanismes naturels : à cette hypothèse s’oppose celle du « système d’États », où ces derniers sont des « monstres froids » selon l’expression de Raymond Aron.</p>
<p>Dans <em>Paix et guerre entre les nations</em> (1962), Raymond Aron considère que les « relations internationales n’étant pas sorties de l’état de nature », chaque entité nationale doit survivre « dans la jungle où s’ébattent des monstres froids ». Ils peuvent au mieux coexister.</p>
<p>A mi-chemin entre la « communauté » et le « système », l’hypothèse de la « société d’États » suppose que les États ne coopèrent pas spontanément mais que l’intérêt national de chacun les amènent à se concerter pour établir des règles partagées. Dans cette perspective, la « communauté internationale » a-t-elle jamais existé ?</p>
<h2>«Pour l’honneur de la communauté internationale»</h2>
<p>On est tenté de répondre que l’entreprise idéaliste d’un Woodrow Wilson, le président américain qui imagina la «Ligue des nations» ou Société des Nations (1920-1946), n’aura pas fait long feu, et que l’espoir de voir se matérialiser le rêve onusien après 1989 aura été fugitif.</p>
<p>Ce rêve a rencontré plusieurs monstres froids : la posture d’un George Bush, défiant le «nouvel ordre» formulé par son père, l’insistance souverainiste des nouvelles puissances – Chine, Inde, Brésil, Russie… –, la montée globale des nationalismes.</p>
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<p>Et pourtant ce printemps encore, Emmanuel Macron déclarait que la France était intervenue en Syrie « pour l’honneur de la communauté internationale ». Celle-ci doit donc bien exister, d’autant que nombre de leaders politiques, de commentateurs et de journalistes continuent de l’évoquer quotidiennement. La question alors est non pas de savoir si cette « communauté internationale » existe, mais qui est-elle ?</p>
<h2>Trump, le plus gros contributeur de l’ONU</h2>
<p>Recouvre-t-elle non pas toutes les nations de la planète, mais les alliés traditionnels des États-Unis, comme c’était le cas en Syrie, où à ces derniers s’étaient rejoints outre la France, le Royaume-Uni ? Il y a clairement, quand on se réfère à « l’honneur » ou le « devoir » de la « communauté internationale » un jugement normatif. Cette communauté est nécessairement juste ; elle défend l’héritage moral de l’après-1945, la lutte pour la dignité humaine dont les fronts se sont progressivement démultipliés – anti-racisme, anti-colonialisme, justice économique, émancipation des femmes, protection des enfants, respect de l’environnement…</p>
<p>Mais une fois posés ces principes généraux, comment décide-t-on qui est inclus et qui est exclu de la communauté ? Cela suppose un exercice d’évaluation, et d’auto-évaluation, pour le moins complexe, et politiquement chargé. Dans l’opposition Macron-Trump à l’Assemblée Générale de l’ONU, on pouvait presque penser que les États-Unis – dont le président semble plus à l’aise avec le dictateur nord-coréen Kim Jong‑un qu’avec ses alliés démocratiques du G7 –, étaient sortis de la communauté internationale qu’ils accueillaient sur leur sol, à New York.</p>
<p>En attendant, et même à l’heure du « America First » de Donald Trump, lesdits États-Unis restent le plus important contributeur aux entreprises multilatérales (fournissant plus de 20 % du budget de l’ONU, suivi par le Japon qui en fournit 10 %), et continuent de ce fait de soutenir la possibilité d’une communauté internationale, quelle que soit son identité.</p>
<hr>
<p><em>The Conversation est partenaire du débat «Amis, alliés, partenaires ? Le “club des démocraties” et Donald Trump», organisé, mardi 9 octobre, au Ceri (Sciences Po), 56 rue Jacob, à Paris (75006), à partir de 17h. Inscriptions obligatoires <a href="https://www.sciencespo.fr/agenda/ceri/fr/event/Amis%2C+alli%C3%A9s%2C+partenaires+%3F+Le+%22club+des+d%C3%A9mocraties%22+et+Donald+Trump?event=621">ici</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Karoline Postel-Vinay ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La position nationaliste de Trump s’applique a priori à tous les sujets relevant de la concertation multilatérale, et de ce fait hypothèque la notion même de « communauté internationale ».Karoline Postel-Vinay, Directrice de recherche, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/980382018-06-11T21:12:54Z2018-06-11T21:12:54ZCorées : réunification politique, intégration économique… et réticences à tous les étages<p>La réunification de la péninsule coréenne n’est pas un objectif envisageable à court-moyen terme, et peu probable à long terme, car elle supposerait un effondrement du régime nord-coréen qui, dans une telle perspective, réagirait violemment. De plus, au-delà des pétitions de principe, personne n’en veut réellement. Les Chinois, pas plus que les Russes, ne souhaitent voir les États-Unis se rapprocher de leur frontière. De leur côté, les Coréens du Sud sont effrayés par la note à payer et par la perspective d’accueillir des millions de « frères » fuyant le Nord. Enfin, le Japon craint le renforcement de son concurrent.</p>
<p>Un échec du sommet Kim-Trump de ce 12 juin, à Singapour, serait cependant dommageable pour les deux protagonistes. Ils perdraient tous les deux la face. Mais le plus grand perdant serait Trump qui se veut un maître du « deal ». Tandis que Kim, grâce à cette rencontre, obtenue sans aucune condition ou concession de sa part (du jamais vu en matière diplomatique), est parvenu à changer de statut : de chef d’un « pays voyou », il est devenu un adversaire presque fréquentable.</p>
<p>De cet échec résulterait aussi une longue période d’affrontements à l’issue imprévisible. C’est pourquoi il est plus probable que l’on parviendra à un accord flou de promesses de dénucléarisation de la péninsule à long terme et par étapes, en échange de la promesse d’un retrait progressif de la présence militaire américaine.</p>
<p>Cela ouvrirait la voie à la levée progressive des sanctions internationales et à l’intégration progressive de l’économie nord-coréenne, par l’intermédiaire de la Chine et de la Corée du Sud, dans l’économie mondiale. Ce qui sauverait la face de Trump et conviendrait à tous les autres protagonistes.</p>
<h2>Après le nucléaire, cap sur le développement économique</h2>
<p>Du côté de la Corée du Sud, l’actuel chef de l’État, Moon Jae-in, contrairement à la Présidente qui l’a précédé, représentante d’une ligne dure vis-à-vis du Nord, est favorable à un rapprochement. Le sommet qu’il a tenu en avril 2018 avec Kim Jong‑un a été une réussite, mais celle-ci reste soumise aux résultats du sommet Kim-Trump. Les objectifs attendus des deux sommets sont fortement imbriqués : dénucléarisation de la péninsule, conclusion d’un accord de paix, <a href="http://www.institutdiderot.fr/lavenir-de-la-coree-du-nord/">relance des relations intercoréennes</a> pour déboucher sur la levée des sanctions et la normalisation des relations entre Pyongyang et Washington. Vaste programme !</p>
<p>À son arrivée au pouvoir en 2011, le programme de Kim Jong‑un se résumait en deux points qui assureraient sa légitimité : la création d’une force de dissuasion nucléaire opérationnelle et le développement économique de son pays. Le premier point est acquis, reste le second qui repose sur la levée des sanctions et une réforme économique profonde du pays.</p>
<p>Pratiquement tous les dirigeants des pays en développement pensent que le développement de leur pays passe par une intégration forte à l’économie mondiale. La réussite des pays d’Asie orientale n’est pas pour rien dans cette conviction. On peut donc penser que la religion de Kim sur ce point est faite.</p>
<p>Mais quel serait le modèle pour l’intégration économique de la Corée du Nord ?</p>
<h2>Un modèle allemand… qui n’en est pas un</h2>
<p>Le modèle allemand de réunification ne convient absolument pas au cas coréen. D’une part, il correspond à la disparition de la RDA ; d’autre part, il suppose la mise aux normes mondiales de l’économie nord-coréenne, comme la RDA a dû le faire pour s’adapter à ce qu’il est convenu d’appeler les acquis communautaires.</p>
<p>Autre facteur qui disqualifie ce modèle : l’<a href="http://www.kiep.go.kr/eng/sub/view.do?bbsId=search_report&searchCate1=ORGNZT_0130010000000&nttId=201128&searchIssue=&searchEngWrt=&pageIndex=2">écart immense qui sépare les niveaux de vie entre les deux Corées</a>. Grossièrement (car on ne dispose d’aucune donnée fiable pour la Corée du Nord), l’écart des PIB par habitant serait d’un à trente-neuf. Il n’était que d’un à dix entre les deux Allemagnes.</p>
<p>La grande pauvreté de la Corée du Nord est confirmée par les données des Nations unies sur l’aide alimentaire mondiale : elle est destinataire d’au moins 13 % du volume total des aides allouées à ce titre par le programme des Nations unies. <a href="https://www.diploweb.com/_Christophe-Alexandre-PAILLARD_.html">La prévalence de la malnutrition reste un enjeu important</a> : selon une étude menée en 2012, plus de 28 % des enfants souffrent d’un retard de croissance faute de micronutriments pendant les deux premières années de leur vie.</p>
<h2>Le modèle pertinent de Deng Xiaoping</h2>
<p>Compte tenu de son succès spectaculaire et de la proximité initiale des régimes politiques, le modèle le plus pertinent serait celui des réformes à la Deng Xiaoping entamées en 1978, suivies (autre exemple) dix ans plus tard par les réformes mises en œuvre au Vietnam. Dans un premier temps, on libère l’agriculture, base à l’époque de l’économie chinoise, et par ailleurs on ouvre des zones économiques spéciales pour faciliter l’implantation de multinationales et opérer des transferts de technologie.</p>
<p>Des réformes sont, semble-t-il, en cours. Ainsi les observateurs estiment que la croissance économique a été forte en Corée du Nord depuis 2014, <a href="http://cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=599">grâce notamment à une loi de révision du statut des entreprises</a> qui permet notamment aux paysans de vendre sur le marché intérieur jusqu’à 30 % de leur production. <a href="https://www.38north.org/author/peter-ward/">Celle-ci réduit aussi le rôle du Parti dans la gestion des entreprises</a> en donnant à celle-ci la possibilité de travailler directement avec d’autres entreprises sur la base de prix négociés et non plus imposés. De même, il semble que des formes de propriété privée, ainsi que la création de pseudo firmes d’État, sont apparues.</p>
<p>Pour ce qui est des Zones économiques spéciales, cela reviendrait, de fait, à réactiver des zones qui existent déjà, mais sont asphyxiées par les sanctions internationales : la ZES de Rajin-Songbong (Rason) sur la côte de la mer du Japon (mer de l’Ouest pour les Coréens) créée en 1991 et, plus récemment, les zones de Whiwa et Hwanggumpyong, situées à la frontière chinoise. Pour l’instant, les investisseurs présents dans ces zones sont essentiellement des Chinois, quelques Russes et des Coréens pro-Pyongyang habitants au Japon.</p>
<h2>Le précédent entre la Chine et Taïwan</h2>
<p>Pour l’ouverture du commerce entre les deux frères ennemis, l’autre source d’inspiration, pourrait être trouvée dans l’<a href="https://journals.sub.uni-hamburg.de/giga/jcca/article/view/1040">évolution des rapports entre la Chine et Taiwan</a>. Ces deux pays s’affrontent en permanence, depuis 1949, tant sur le plan politique que militaire. La Chine tente par tous les moyens d’isoler diplomatiquement Taiwan. Elle considérerait toute tentative de déclaration d’indépendance de l’île comme un casus belli. « Tous les actes et tous les stratagèmes visant à séparer la Chine sont voués à l’échec et s’exposeront à la condamnation populaire et à la punition de l’Histoire », a ainsi déclaré Xi Jinping lors de l’Assemblée nationale populaire de Chine du 20 mars 2018. Et personne ne peut croire qu’il s’agisse là d’une vaine menace.</p>
<p>En attendant, les relations économiques entre les deux côtés du détroit de Formose n’ont cessé de se développer au bénéfice des deux partenaires. De moins de 4 % avant les réformes à Pékin, les exportations de Taiwan vers la Chine sont passées à 11 % au moment de l’entrée de cette dernière (2001) et de Taiwan (2002) à l’OMC, et à 37 % aujourd’hui !</p>
<p>De la même façon, les entreprises taiwanaises ont fait le forcing pour investir en Chine où elles sont devenues des acteurs majeurs dans l’économie chinoise comme Foxconn qui, en 2018, emploie sur le continent un million trois cent mille employés. Les relations ont atteint un niveau de formalisation élevé avec le Economic Cooperation Framework Agreement (EFCA), qui prévoit en particulier l’entrée libre des produits chinois à Taiwan (ce qui était le cas dans l’autre sens dès 1980).</p>
<h2>Un prometteur projet de gazoduc depuis la Russie</h2>
<p>Du côté de la Corée du Sud, les grandes entreprises manifestent un intérêt vif, mais prudent compte tenu des expériences décevantes du passé, à leur implantation en Corée du Nord. En plus de leur intérêt économique intrinsèque, cela leur donnerait droit à un brevet de patriotisme. Pour les deux Corées, cela leur permettrait aussi de réduire leur dépendance à l’égard de la Chine qui peut s’avérer pesante.</p>
<p>Autre intérêt pour elles, l’accueil du gazoduc acheminant le gaz naturel de la région russe de la Kovykta (près d’Irkoutsk) par le Nord en direction de la Corée du Sud, en cas de succès dans les négociations entre la Chine, la Russie et la compagnie BP. Un autre projet de gazoduc pourrait relier les exploitations situées dans la partie russe des îles Sakhaline à la Corée du Sud.</p>
<p>Les projets ne manquent pas, donc, mais tout ceci repose – in fine – sur l’évolution des relations entre deux personnalités pour le moins imprévisibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98038/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Fouquin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En cas d’échec du sommet du 12 juin, les deux protagonistes perdraient tous les deux la face. Mais le plus grand perdant serait Trump qui se veut un maître du « deal ».Michel Fouquin, Professeur d'Economie à la Faculté de Sciences Sociales et Économiques (FASSE) , Conseiller au CEPII, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/972602018-05-25T09:52:32Z2018-05-25T09:52:32ZCorée du Nord : pourquoi Trump quitte la table des négociations<p>Ce n’est pas par un tweet, mais par une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-lintegralite-de-la-lettre-de-trump-kim-jong-un-traduite-en-francais">lettre adressée à Kim Jong‑un</a>, que Donald Trump a informé le monde de sa décision. La surprise a été grande, et pourtant, cela bouillait depuis quelques semaines : fin avril, il y a déjà eu de l’eau dans le gaz et la mauvaise humeur a commencé à monter des deux côtés du Pacifique.</p>
<p>Du côté américain, alors qu’on la souhaitait activement auparavant, la soudaine intervention de la Chine dans ce dossier n’a pas été comprise : le <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/may/08/kim-jong-un-meets-xi-jinping-in-second-surprise-visit-to-china">président Xi a rencontré deux fois Kim Jong‑un</a> en un mois, alors qu’il avait toujours refusé de le faire au cours des trois années précédentes. Il en a été conclu que la Chine voyait d’un mauvais œil l’idée de perdre le rôle de « grand voisin » à qui les Américains demandaient inlassablement d’intervenir. Car, en échange, les États-Unis ont régulièrement fermé les yeux dans d’autres dossiers, notamment commerciaux.</p>
<p>Côté coréen (du Nord), la perspective de changer de monde a fini par faire peur : Kim Jong‑un a voulu rivaliser avec Donald Trump, lui reprochant de s’accorder tous les mérites de cette rencontre, puis faisant éclater sa mauvaise humeur lorsque des <a href="https://abcnews.go.com/International/north-korea-blames-us-south-korea-military-drill/story?id=55200524">manœuvres militaires étaient organisées conjointement avec la Corée du Sud</a> ou affirmant avec vigueur que la dénucléarisation ne signifiait pas forcément l’abandon total de l’arme nucléaire. En montrant les muscles et en durcissant les rapports avec ceux qui lui tendaient la main, Kim Jong‑un a pris le risque que tout capote.</p>
<p>Et c’est ce qui est arrivé ! Du moins, pour l’instant. Mais la raison avancée – à savoir l’<a href="http://www.tvanouvelles.ca/2018/05/24/trump-annule-le-sommet-avec-kim-jong-un">hostilité de Kim Jong‑un</a> au processus de paix et les insultes adressées par un membre de son entourage au vice-président des États-Unis – a pu sembler très décalée par rapport à l’enjeu.</p>
<h2>Comme les autres présidents ?</h2>
<p>À ce stade, Donald Trump n’a donc pas fait mieux que les présidents qui l’ont précédé. Le ton employé a bien été plus fort cette fois-ci et on pensait que cela aurait pu enfin favoriser une issue à un conflit qui dure depuis 70 ans. Donald Trump a alterné le chaud et le froid et, après avoir promis « le feu et la fureur », a annoncé que la Corée du Nord <a href="http://www.businessinsider.fr/us/trump-kim-jong-un-will-get-protections-if-north-korea-gets-rid-of-nukes-2018-5">« ne regretterait vraiment pas »</a> de passer un accord avec les Américains, et que le régime de Pyongyang serait ainsi protégé.</p>
<p>Mais, dans le même temps, l’administration Trump n’a cessé de rappeler que le souvenir de 1994 ne s’était pas effacé et que l’accord obtenu par Jimmy Carter, sous Clinton, et trahi presque aussitôt par Pyongyang, incitait à rester sur ses gardes : rien ne serait cédé, a alors martelé Donald Trump, et la dénucléarisation devrait être totale. C’est cette volonté forte et clairement affichée qui a enthousiasmé les Coréens du Sud, qui ne rêvent que de paix et de territoire réunifié. Le Président Moon Jae-In a ainsi <a href="http://www.iris-france.org/111692-moon-jae-in-la-discrete-victoire/">fait le premier pas</a>, et sa rencontre avec Kim Jong‑un appartient, de toute façon, déjà à l’Histoire, tout comme le nom du village de Panmunjom dans la Zone démilitarisée (DMZ) séparant les deux Corées, <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/2018/04/19/inside-panmunjom-dmz-truce-village-will-host-historic-talks/">qui a accueilli fin avril le sommet intercoréen</a>.</p>
<h2>Le poids des évangélistes américains</h2>
<p>Effectivement, rien n’a été cédé par Donald Trump et il faut le relever : la demande de dénucléarisation a été maintenue avec fermeté, même si le Président américain assurait le matin même de sa fracassante annonce sur l’annulation du sommet qu’elle pourrait intervenir par paliers. Les manœuvres militaires conjointes n’ont pas été suspendues, et il n’a jamais été question non plus de rapatrier les 28 500 soldats américains qui stationnent dans la péninsule : la présence des <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-southkorea-northkorea/south-korea-says-it-wants-u-s-troops-to-stay-regardless-of-any-treaty-with-north-korea-idUSKBN1I305J">Forces américaines en Corée (USFK) est un sujet</a> relève exclusivement de l’alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis. « Cela n’a rien à voir avec la signature d’un traité de paix », a déclaré Moon Jae-In à ce sujet.</p>
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<p>Le ton est donc différent de ce que l’on a connu par le passé. Mais il y a un point sur lequel tous les présidents américains se rejoignent et qui explique aussi la mauvaise humeur constante de Kim Jong‑un : Donald Trump exige, comme l’ont fait tous ses prédécesseurs, qu’il y ait une discussion sur les droits de l’homme en Corée. Cette exigence n’était pas présente au début de leurs échanges, juste après l’élection du 45<sup>e</sup> président. Mais elle a été poussée avec <a href="https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2018/02/21/how-billy-graham-took-his-crusade-to-north-korea/?utm_term=.8091937c97a6">constance et détermination par les évangélistes</a>, un courant religieux très actif au sein des protestants américains. Or, ces derniers pèsent lourdement dans le <a href="https://apjjf.org/-John-Feffer/1805/article.html">débat politique actuel</a>, grâce au soutien que leur groupe a apporté à Donald Trump en 2016 et qui a largement contribué à sa victoire.</p>
<p>Kim Jong‑un ne veut pas entendre parler de cette question ? Peu importe ! Le président des États-Unis a évoqué ce sujet à l’occasion de trois discours forts en à peine quelques mois, y compris lors de son discours de l’Union, auquel il a invité un transfuge de Corée du Nord, venu dans l’enceinte du Capitole <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IUsrIYN1ahg">montrer au monde ses blessures</a> et la cruauté du dictateur coréen.</p>
<h2>La discussion continue ?</h2>
<p>Donald Trump entend engager la discussion sur des bases nouvelles, fort de son « art de la négociation » qu’il prétend maîtriser mieux que les autres. Au-delà de sa vantardise, il faut lui concéder que le ton a changé : il a promis la protection à Kim Jong‑un et résiste, dans les intentions en tout cas, aux injonctions de ses plus fidèles lieutenants qui sont <a href="http://thehill.com/policy/international/387502-pompeo-dodges-on-north-korean-regime-change-question">plutôt favorables à un changement de régime</a>.</p>
<p>Son art de la négociation passe pourtant toujours par des changements de ton très brutaux : c’est peut-être bien ce à quoi nous assistons aujourd’hui, alors qu’il a cornerisé Kim Jong‑un, l’obligeant désormais à réagir, tout en lui rappelant que la discussion n’était que suspendue (et non pas fermée). Une manière de rappeler à ce « petit homme fusée », comme il l’appelait au plus fort de la crise, que le chef c’est lui, et qu’ils ne sont pas égaux.</p>
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<p><a href="https://www.axios.com/james-clapper-advice-for-trump-on-north-korea-1484af9b-5792-4e64-8201-f3fd0cd66fec.html">Kim Jong‑un lui a répondu</a> avec des termes très proches de ceux utilisés par le président américain dans sa lettre. Le dirigeant nord-coréen lui fait savoir qu’il a « hautement apprécié le fait que le président Trump a pris une décision courageuse qu’aucun président par le passé n’a su prendre et pour ses efforts en faveur du sommet. » La porte n’est donc fermée d’aucun côté, et les discussions pourront continuer en vue de remettre sur les rails ce sommet qui a tant apporté à la cote de popularité de Donald Trump ces dernières semaines.</p>
<p>On ne peut s’empêcher de penser, toutefois, que si le sommet pouvait juste avoir été retardé de cinq mois, afin de se tenir finalement à quelques jours de l’élection de mi-mandat, en novembre 2018, ce serait une véritable aubaine pour les républicains. Mais personne n’imagine que c’est là une raison possible pour cette suspension brutale, n’est-ce pas ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97260/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Si le sommet pouvait juste avoir été retardé afin de se tenir finalement à quelques jours de l’élection de mi-mandat, en novembre 2018, ce serait une véritable aubaine pour les républicains.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines et chercheur associé à l'institut Iris., Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/957742018-05-13T19:52:58Z2018-05-13T19:52:58ZFake news : tous une part de responsabilité !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/218692/original/file-20180513-34038-1bmylkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C17%2C1985%2C1574&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fake news: des informations falsifiées, forgées, davantage que des «fausses nouvelles».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mikemacmarketing/36588125251/in/photolist-XKaGVH-RH3h7C-6meTqN-25FFSgh-ShiFGu-TvcZRU-mHu88P-GLCAmB-VX2orJ-qWiQUQ-bMQTBR-UFZbwJ-EcV5Ci-XhVTKC-r6vYQv-226n3F8-UM1uqK-JhXN9Q-26mXaSd-U7wULE-26mXb2S-JhVYYE-Tn99eu-RWaGzM-TkWvUy-RSrN9K-byHxz7-bMQTXe-byHxo7-bMCdyP-bMCdTk-mHt88T-pVCjgF-Qa6as3-bWK2YB-byJfwN-FZtoZg-RPS3xW-dcujdB-RSrN3T-byKnnA-SWh6Ff-Tb78g8-kKvHUi-UGD7PB-F5Q7kv-kKy7mC-VP4Csi-a2niNr-255g5N2">Mike MacKenzie/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>S’il est un terme qui a fait florès en un temps record à partir de septembre 2016, c’est bien celui de « fake news ». En pleine campagne électorale américaine, les partisans de Donald Trump, ceux qui ont su surfer sur son succès à coup de scandales et de déclarations tonitruantes pour faire de l’argent, ou encore des puissances étrangères en mal de déstabilisation, se sont employés à diffuser des informations fausses ou provocatrices pour affaiblir son adversaire (Hilary Clinton).</p>
<p>Ils utilisèrent les réseaux socionumériques comme Facebook, Twitter, 4chan ou encore Reddit, afin de voir se disséminer ces contenus trompeurs présentés à la façon d’une information journalistique. Nos contemporains ont rapidement adopté ce terme car ils ressentent que ce n’était pas juste une manipulation électorale comme d’habitude, que ce n’était pas juste une « false news ». La notion est rapidement devenue populaire, comme en atteste la courbe mondiale de recherche du terme sur Google, avec un pic en janvier 2018, bien après l’élection américaine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=171&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=171&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=171&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=214&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=214&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/216780/original/file-20180430-135825-1aiotvw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=214&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Google trend.</span>
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<p>Évolution de la recherche du terme « fake news » dans le monde selon Google trends, depuis le 1<sup>er</sup> janvier 2016</p>
<h2>Définir les fake news</h2>
<p>Le <em>Collins Dictionary</em> en a fait son mot de l’année 2017 en définissant une fake news comme « une information fausse, souvent sensationnelle, diffusée sous le couvert de reportages ». Mais si on veut traduire en français la nuance entre « false » et « fake », il vaut mieux éviter de parler de « fausses nouvelles » – notion ancienne et usuelle, reconnue légalement dans l’inusable loi française sur la presse de 1881 –, mais parler plutôt d’informations falsifiées, d’informations forgées. Elles sont « journalisées », c’est-à-dire conçues pour ressembler à des informations telles que les journalistes les produisent, alors même que les producteurs de fake news sont pourtant très critiques vis-à-vis des médias voire franchement hostiles aux journalistes, souvent insultés par le terme « journalopes ».</p>
<p>Ces créations d’informations falsifiées prennent des formes variées : détournement d’images ou de vidéos pour leur faire illustrer un fait ou un pseudo fait qui n’a rien à voir ; usages de faux comptes pour mettre sous la plume d’une personnalité des propos qu’elle n’a jamais défendus ; « défacement » d’un site d’information avec création d’une adresse URL ressemblante pour publier une information sous le nom d’un journal existant et dans une mise en page trompeuse car hyper-ressemblante ; rédaction de pseudo articles publiés sur des blogs peu crédibles et souvent complotistes qui véhiculent des rumeurs sordides ; création de faux documents censés faire preuve, republiés sur les comptes de réseaux socionumériques grâce à l’appui de bots qui automatisent et massifient artificiellement la viralité des messages.</p>
<h2>Fake news et post-vérité</h2>
<p>Cette notion de fake news est en lien étroit avec une autre notion qui a connu aussi une éclosion spectaculaire en 2016, celle de post-vérité que nous avons <a href="https://www.inaglobal.fr/idees/article/post-verite-nouveau-mot-ou-nouvelles-realites-9668">déjà eu à définir</a>. Le Oxford Dictionary proclama, d’ailleurs, le terme « post-truth » mot de l’année 2016 en le définissant ainsi : « Un adjectif se rapportant ou indiquant des circonstances dans lesquelles des faits objectifs influencent moins l’opinion publique que l’appel à l’émotion et à la croyance personnelle. » Et la rédactrice en chef du <em>Guardian</em>, Katharine Viner, encore sous le choc de la victoire du « Leave » au référendum britannique, acquise lors d’une campagne particulièrement mensongère, <a href="https://www.theguardian.com/media/2016/jul/12/how-technology-disrupted-the-truth">déplorait</a>, en juillet 2016, que « à l’ère de la politique post-vérité, un mensonge péremptoire peut devenir roi ».</p>
<p>Article auquel un <a href="http://www.nytimes.com/2016/08/24/opinion/campaign-stops/the-age-of-post-truth-politics.html">éditorial</a> du <em>New York Times</em> vint faire écho, en se désolant que « ce n’est pas que la vérité soit falsifiée ou contestée, mais qu’elle soit devenue secondaire. »</p>
<p>Les fake news prospèrent donc dans un contexte de crise de confiance généralisée vis-à-vis des « sachants », ceux qui portent une parole de vérité (les journalistes, les professeurs, les experts…) et un climat de doute généralisé puisque les repères sur lesquels étayer un jugement de véracité semblent se dérober sous les pieds de beaucoup d’internautes.</p>
<p>La psychologie plus ou moins complotiste de certains, la propension à la <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-gerald-bronner-ce-nest-pas-la-post-verite-qui-nous-menace-mais-lextension-de-notre-credulite-73089">crédulité</a> telle que l’analyse le sociologue Gérald Bronner, sont si ancrées chez certains, que le fait que des sachants fassent un travail de vérification des faits et cherchent à rétablir des vérités contre les rumeurs, devient chez eux la preuve ultime que le mensonge est véridique, car « le système » se défend, cherche à étouffer l’affaire, à nier la réalité, etc.</p>
<p>Quand le rétablissement de la vérité des faits est la preuve ultime du bien-fondé du mensonge, alors il n’y a plus de débat démocratique possible.</p>
<h2>Les conditions du débat démocratique menacées</h2>
<p>Car le débat démocratique est normalement régi par des règles de la conversation établies par le philosophe du langage britannique Paul Grice : les <a href="https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_30_1_1446">« maximes conversationnelles »</a> qui fondent la civilité et le vivre ensemble. L’échange conversationnel repose, entre autres, sur un principe de coopération réciproque selon lequel les interlocuteurs s’engagent à reconnaître l’autre comme un partenaire légitime afin de favoriser la poursuite de l’échange.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=602&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=602&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=602&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218691/original/file-20180513-34027-jquk79.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=756&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fake news, post-vérité et faits alternatifs, par le dessinateur du journal <em>Le Monde</em>, Xavier Gorce.</span>
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<p>Faire d’un « sachant » exerçant sa fonction sociale un défenseur d’un « système » fantasmé revient à lui nier toute légitimité à s’exprimer. Le dialogue est aussi implicitement régi par un principe de qualité, dit Grice. Il pourrait se résumer ainsi : ne dites pas ce que vous n’avez pas de raisons suffisantes de considérer comme vrai ou encore : n’affirmez pas ce pour quoi vous n’avez pas suffisamment de preuves. Or si on peut débattre légitimement de l’interprétation des faits, de l’angle sous lequel on peut voir la réalité, la base d’une saine discussion démocratique est de s’entendre sur la matérialité de certains faits avérés.</p>
<p>Un étudiant a-t-il été grièvement blessé, <a href="https://www.facebook.com/LeMediaTV/videos/2092394187706722/">« la tête complètement explosée »</a>, « dans le coma », lors de l’évacuation par la police du site de Tolbiac de l’université Paris1 le 20 avril 2018 ? Si oui, est-ce un simple accident ou est-ce le fruit d’un agissement de la police ? Si c’est le cas, est-ce qu’une charge a occasionné sans le vouloir un geste conduisant à l’accident ou est-ce le fruit d’une agression délibérée ? Si rien de tout ceci n’a existé, c’est donc un pur mensonge, une manipulation pour tenter de mobiliser d’autres étudiants, pour rallier des non grévistes à la cause.</p>
<p><a href="http://www.liberation.fr/france/2018/04/24/blesse-grave-a-tolbiac-un-temoin-avoue-avoir-menti-le-site-reporterre-retropedale_1645623">Ce fut le cas</a>, obligeant ensuite les sites militants qui avaient véhiculé cette fake news a rétropédaler honteusement.</p>
<p>Mais dans ce cas, il ne peut pas y avoir d’entre-deux indéfinissable : ce serait une rumeur colportée de bonne foi qui s’expliquerait par le choc émotionnel des grévistes délogés qui n’auraient fait qu’exagérer des cas de violence policière avérés. De même, si Charles Maurras, soutien inconditionnel de l’armée française, a justifié la fabrication d’une pièce compromettante contre le capitaine Dreyfus, en la nommant « faux patriotique », c’est bien au détriment de la matérialité des faits : si cette note est frauduleusement forgée de toutes pièces, alors elle n’a pas voix au chapitre dans l’arène judiciaire et le débat démocratique.</p>
<p>Voilà pourquoi la prolifération des fake news, grâce notamment aux réseaux socionumériques, doit être considérée comme un grave symptôme de délitement politique. Le symptôme d’une crise de confiance de nombreux gouvernés vis-à-vis de ceux qu’ils perçoivent comme des élites, des sachants, contre ceux qu’ils vivent comme leur donnant la leçon car prétendant établir les règles du débat démocratique sur la reconnaissance mutuelle de la véracité des faits.</p>
<p>D’où la célébration dans la bouche de certains, y compris de leaders politiques démagogiques, des « faits alternatifs » : façon de voir le monde qui entend s’exempter du principe de réalité au profit d’une fabrication de faits qui servent une cause, qui donnent à voir un fait qui n’existe pas mais pour mieux montrer une réalité trop peu visible pour le grand public qui a donc besoin « d’informations forgées », de fake news pour enfin crever les yeux de tous. La fake news, artifice obligé pour devenir outil d’éveil des consciences, en somme. La justesse d’une cause justifierait alors pleinement ces coups portés au principe de réalité.</p>
<h2>Comment en est-on arrivé là ? Tous coupables</h2>
<p>Évidemment, les historiens nous rappelleront utilement que les manipulations sont vieilles comme l’Antiquité, que le mensonge en politique pullulait déjà avant Internet, que la rumeur est <a href="http://www.cicns.net/Rumeurs_3.htm">« le plus vieux média du monde »</a>. Mais si le terme fake news a fait florès, c’est qu’il traduit autre chose : un climat politique et technologique singulier où chacun a sa part de responsabilité.</p>
<p>Responsables, les politiciens de tout bord et de tous pays qui ont cru à l’ère de la communication reine que pour être élus ou pour arriver à ses fins, il suffisait juste de fabriquer des mensonges plus gros et plus sophistiqués. Comme l’invention pure et simple qu’il fallait intervenir en Irak à cause d’armes de destruction massive imaginaires, faisant de ces faux récits des <a href="http://www.cnrseditions.fr/science-politique/5377-Armes-communication-massive-Jean%E2%80%91Marie-Charon.html">armes de communication massive</a> pour embobiner l’opinion publique.</p>
<p>Responsables, également, les <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/8579">« marchands de doute »</a>, tous ces communicants et lobbyistes qui foulent aux pieds les chartes éthiques de leur profession et sont prêts à tordre les faits, à nier les acquis de la science pour défendre les intérêts de leurs clients industriels. Comme, par exemple, nier les liens entre cancer et cigarettes (les fameux <a href="http://sante.lefigaro.fr/article/les-multinationales-du-tabac-condamnees-a-financer-des-campagnes-de-prevention/"><em>Tobacco papers</em></a>). Ou encore nier les effets néfastes du glyphosate sur la santé humaine alors que des <a href="http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/10/04/monsanto-papers-desinformation-organisee-autour-du-glyphosate_5195771_3244.html">documents internes</a> à la firme Monsanto montrent comment la multinationale a fait paraître des articles académiques coécrits par ses employés, mais signés par des scientifiques de renom acceptant des subventions du groupe pour cela. Tout ceci afin de contrer artificiellement les informations dénonçant la toxicité possible du glyphosate.</p>
<p>Responsables, aussi, les journalistes et les médias qui font mal leur travail, qui à coup de maladresses, de traitements dans l’urgence et sans recul, de mauvaise chasse au scoop, de vérifications insuffisantes, publient des informations erronées, et donc érodent la crédibilité de l’ensemble de la profession en contribuant à la <a href="https://journals.openedition.org/edc/138">malinformation</a>. Y compris en digérant mal des publications scientifiques, via une <a href="http://www.lafnim.com/actualite/peut-on-encore-croire-a-l-information-medicale-et-scientifique-143.htm">vulgarisation hasardeuse</a>.</p>
<p>Responsables, bien sûr, les plateformes de réseaux sociaux comme Facebook qui n’a jamais lutté spontanément contre les fake news. Elle a laissé s’installer une économie politique des fake news dont la firme tire profit. En effet, sur les réseaux socionumériques ces contenus sont <a href="https://www.nouvelobs.com/sciences/20180308.OBS3317/sur-twitter-les-fakenews-se-propagent-beaucoup-plus-vite-que-la-verite.html">plus partagés que ceux sérieux</a> et avérés, au point que des petits malins peuvent gagner de l’argent en fabriquant ces contenus mensongers, comme ces <a href="https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20161104.RUE3679/en-macedoine-trump-est-une-machine-a-cash-pour-des-sites-d-info-crapuleux.html">étudiants macédoniens</a> qui ont inondé Facebook de fake news pro-Trump juste pour arrondir leur fin de mois.</p>
<p>Responsables, également, les chercheurs en sciences sociales qui poussent jusqu’à l’absurde la théorie pourtant stimulante de la <a href="https://www.scienceshumaines.com/la-construction-sociale-de-la-realite_fr_13014.html">« construction sociale de la réalité »</a> héritée de P. Berger et T. Luckmann. Ce qui aboutit à un relativisme consternant, où un corps inerte sans activité cérébrale et sans battement de cœur ne serait pas mort tant que cela ne viendrait pas à se savoir socialement, où il n’existerait aucune différence biologique objective de sexe, etc.</p>
<p>Responsables, ces <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/10/25/les-sites-parodiques-du-rire-a-l-intox_5205763_4355770.html">sites d’information parodiques</a>, comme le très drôle <a href="http://www.legorafi.fr/">Gorafi</a> ou <a href="https://www.theonion.com/">The Onion</a>, par exemple, qui à force de jouer avec les codes des énoncés journalistiques contribuent (malgré eux, certes) à créer une sorte de zone tampon entre l’information journalistique de qualité et les fake news. Une zone grise qui contribue à douter des informations en général : est-ce vrai ou bien s’agit-il d’une parodie ?</p>
<p>Responsables, bien sûr, les militants politiques, le plus souvent aux extrêmes, comme ceux couramment rassemblés sous le vocable de <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/flammarion-enquete/la-fachosphere">fachosphère</a>, qui diffusent des mensonges pour alimenter leurs discours de haine et xénophobes, en se vantant – c’est un comble – de présenter la véritable information, impudemment qualifiée de <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01657709/document">« réinformation »</a>.</p>
<p>Responsables, aussi, les puissances étrangères, telles la Russie ou la Corée du Nord, qui ont construit des <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs12290-016-0395-5">usines à trolls</a> pour inonder les pays de mensonges ou de <a href="http://www.france24.com/fr/20171102-facebook-publicite-reseaux-sociaux-trump-russie-election-americaine-clinton">messages payés</a>, véritable <a href="http://www.cairn.info/revue-herodote-2017-1-page-123.htm">stratégie informationnelle</a> visant à polariser et à fracturer nos sociétés, afin de défendre leurs intérêts géopolitiques.</p>
<p>Responsables enfin, moi, toi, vous, nous, qui avons cédé un jour ou l’autre à la tentation de liker ou de partager un contenu douteux parce que « on ne sait jamais, c’est peut-être vrai », parce que « si c’est pas vrai c’est quand même rigolo », parce qu’on a cliqué sur le bouton partage sur la seule foi du titre, sans même ouvrir le lien ; parce que sous le choc de l’actualité (attentats par exemple) on est déboussolé, on perd ses réflexes critiques et on cède à la tentation du spectaculaire ou de l’émotionnel.</p>
<p>Tous coupables, donc, il revient à chacun d’agir et lutter sans relâche, chacun avec ses moyens, contre la société du doute, fumier sur lequel s’enracinent les fake news pestilentielles.</p>
<p><em>Le dessin de Xavier Gorce est paru initialement sur le site du Monde.fr et est reproduit ici avec l’aimable autorisation de son auteur.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95774/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Quand le rétablissement de la vérité des faits est la preuve ultime du bien-fondé du mensonge, alors il n’y a plus de débat démocratique possible.Arnaud Mercier, Professeur en Information-Communication à l’Institut Français de presse, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/959012018-05-01T21:43:56Z2018-05-01T21:43:56ZPéninsule coréenne : les fragiles espoirs de la diplomatie des sommets<p>Accompagnant les attentes créées par les ouvertures du <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/28/ce-qu-il-faut-retenir-de-la-rencontre-entre-les-deux-corees_5291810_3216.html">sommet intercoréen du 27 avril 2018,</a> l’attention internationale se reporte désormais sur le contenu possible de la rencontre entre les dirigeants américain et nord-coréen envisagée fin mai ou début juin 2018. Un intense cycle de négociations diplomatiques s’est enclenché – les délais étant brefs –, comme l’atteste la venue à Pyongyang, fin mars, de Mike Pompeo, ancien directeur de la CIA nommé depuis secrétaire d’État, où il s’est entretenu avec Kim Jong‑un. De son côté, afin de ménager un allié chinois longtemps ignoré, le numéro un nord-coréen s’est rendu à Pékin, du 25 au 28 mars, en quête d’un soutien que Xi Jinping, désireux de marquer un retour d’ influence sur le leadership nord-coréen, ne pouvait lui refuser.</p>
<p>La nécessité de régler la question nord-coréenne est devenue une affaire prioritaire pour Donald Trump, même si les bases d’un accord possible semblent encore faire défaut. D’ores et déjà, le Président américain se félicite bruyamment de sa politique de « pressions maximales » combinant menaces militaires et renforcement des sanctions. De son côté, quelle que soit l’issue de sa rencontre avec son homologue américain, Kim Jong‑un pourra mettre en avant qu’il aura traité sur un même pied avec la superpuissance américaine dont il aura ainsi obtenu la reconnaissance.</p>
<h2>Un Sommet intercoréen aux allures de réunification symbolique</h2>
<p>Le sommet entre les présidents Moon Jae-in et Kim Jong‑un, bien qu’étant le troisième entre les deux pays, est historique à plus d’un titre. En effet, il s’est tenu dans la zone démilitarisée (<em>Demilitarized Zone</em>, DMZ), et du côté sud – si bien que c’est le président sud-coréen, qui a accueilli son homologue du Nord. Ce choix à la signification symbolique a voulu dépasser la réalité de la séparation entre les deux États coréens en consacrant cet espace hautement militarisé comme une zone de paix dans le cadre d’un dialogue qui, s’il a porté sur la <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/27/rencontre-entre-les-deux-corees-courtoisie-poignee-de-main-et-livre-d-or_5291238_3216.html">réconciliation et la dénucléarisation</a>, a également évoqué la thématique de la réunification.</p>
<p>Les gestes de bonne volonté n’ont pas manqué de part et d’autre. La Corée du Nord a ainsi annoncé la suspension de ses essais nucléaires et de ses tirs de missiles balistiques intercontinentaux, tandis que le Sud arrêtait la diffusion de messages de propagande par haut-parleurs à la frontière. Enfin, les deux parties ont mis en place une ligne de communication directe entre leurs dirigeants.</p>
<p>La scénarisation appuyée de la rencontre entre les deux dirigeants coréens, que le poids du protocole et les impératifs de sécurité expliquent en partie, n’ont pas empêché les échanges d’être marqués par une chaleur non feinte. Dans les semaines précédant l’évènement, le Président Moon Jae-in avait pris le soin de préciser que cette rencontre devait s’apprécier dans la perspective dominée par le sommet à venir entre Kim Jong‑un et Donald Trump. Il indiquait ainsi que les objectifs attendus des deux sommets étaient imbriqués, liant dénucléarisation de la péninsule, conclusion d’un accord de paix, relance des relations intercoréennes pour déboucher sur la levée des sanctions et la normalisation des relations entre Pyongyang et Washington.</p>
<p>C’est ainsi que la <a href="https://theconversation.com/north-and-south-korea-met-but-what-does-it-really-mean-95755">Déclaration de Panmunjom</a> publiée à l’issue du sommet ouvre la voie à un accord global et une dynamique sur laquelle le Président Trump peut difficilement revenir sans prendre le risque de porter la responsabilité de l’échec des futures négociations.</p>
<h2>Kim Jong‑un et l’impératif du développement économique de son pays</h2>
<p>On continue à s’interroger sur les <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/apr/21/north-koreas-nuclear-pause-grist-for-both-doves-and-hawks">arrières pensées de Kim Jong‑un</a> et les raisons qui ont pu le pousser à accepter l’invitation à participer aux Jeux olympiques de Pyongchang, en février 2018, puis à prendre l’initiative des sommets intercoréen et américano-nord-coréen. Il reste que le jeune dirigeant a su habilement imposer un <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/04/the-kim-jong-un-era/559181/">tempo stratégique accéléré</a> à l’Asie du Nord-Est, obligeant tour à tour Séoul, Pékin et Washington à prendre position. Seul le Japon, inquiet devant cette effervescence diplomatique, apparaît en retrait.</p>
<p>Le discours du Nouvel An 2018 de Kim Jong‑un et ses déclarations lors du Plénum du Parti des Travailleurs, en mars suivant, fournissent des éléments de réponse éclairants à ce qui peut être vu comme un <a href="https://www.38north.org/2018/04/rcarlin042318/">retournement stratégique de sa part</a>. On peut, en effet, comprendre que ce dernier estime sa politique dite de développement parallèle de l’arme nucléaire comme de l’économie ou <em>byungjin</em> a atteint un palier et qu’il convient de se focaliser sur cette dernière.</p>
<p>Pour l’heure, le développement de la Corée du Nord est fragile. Le <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/08/07/signes-d-essor-economique-au-pays-de-kim-jong-un_5169542_3216.html">taux de croissance de 3,6 %</a>, observé en 2016 par la Banque de Corée, ne peut se maintenir avec la poursuite de l’isolement du pays. La fin de l’année 2017 a vu un tournant dans l’imposition des sanctions avec une Chine réduisant drastiquement ses importations (charbon, textiles) et fermant des entreprises employant de la main-d’œuvre nord-coréenne, au point de provoquer un <a href="http://www.lepoint.fr/monde/coree-du-nord-a-la-frontiere-chinoise-l-economie-plombee-par-les-sanctions-23-01-2018-2188817_24.php">ralentissement de la croissance dans les provinces chinoises du nord</a>, dont la ville frontalière de Dandong.</p>
<p>Or le soutien politique et les investissements financiers de Pékin sont primordiaux pour poursuivre la séquence d’ouverture décidée par Pyongyang, relancer son économie et développer les zones économiques spéciales récemment mises en place dans le pays.</p>
<p>Au demeurant, face à des États-Unis lancés dans une guerre commerciale contre la Chine, les intérêts économiques et diplomatiques de Pékin et de Pyongyang s’épousent étroitement. Si Pékin est le meilleur avocat de Pyongyang pour obtenir une levée des sanctions internationales, il est également son plus solide défenseur dans l’optique de l’octroi de garanties de sécurité attendues de la part de Washington dans la perspective des discussions à venir sur la dénucléarisation.</p>
<h2>Vu de Washington, un Trump gagné par l’euphorie malgré des conseillers sceptiques</h2>
<p>À rebours de la véhémence menaçante de l’année 2017, Donald Trump affiche désormais un optimisme de bon aloi. Contre toute attente, il a apporté son soutien aux principes des discussions intercoréennes et à la conclusion d’un Traité de Paix entre les deux pays. Enfin, il semble résolu à rencontrer son homologue nord-coréen, comme l’illustrent la <a href="https://edition.cnn.com/2018/04/26/politics/mike-pompeo-kim-jong-un-photo/index.html">rencontre entre Mike Pompeo et Kim Jong‑un.</a>, mais aussi maintes discussions, aux allures de référendum, lancées via son compte Twitter sur le lieu potentiel de la rencontre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"990928644100034561"}"></div></p>
<p>On comprendra cependant que la partie américaine reste sur ses gardes quant aux modalités de concrétisation des engagements sur la dénucléarisation. Les notions de « nucléarisation totale » et de « péninsule coréenne non nucléaire », contenues dans la déclaration de Panmunjon et impliquant une remise en cause du parapluie nucléaire américain accordée à la Corée du Sud, ont été peu goûtées. Jusqu’à présent, la vision qui prévaut à Washington est que le sommet États-Unis–Corée du Nord devrait conduire à l’adoption d’une feuille de route en posant des principes, dont les détails devront ensuite être précisés.</p>
<p>Ce contexte suppose des avancées sur un mode simultané, conformément au principe « action contre action » qui a longtemps prévalu dans les échanges diplomatiques sur la question coréenne. Toutefois, le nouveau conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, a récemment évoqué une possible <a href="http://french.yonhapnews.co.kr/northkorea/2018/04/30/0500000000AFR20180430000900884.HTML">application du modèle libyen</a>, à savoir un démantèlement complet de son arsenal nucléaire de la part de la Corée du Nord avant toute concession du côté des États-Unis. Certains responsables du Parti républicain ont abondamment critiqué la fragilité de la posture américaine, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/mar/11/trump-north-korea-kim-jong-un-denuclearisation-pompeo-shah">aucune pré-condition sérieuse</a> n’ayant finalement été posée avant la tenue des discussions avec Pyongyang contrairement aux déclarations antérieures du Président Trump.</p>
<p><a href="https://www.nytimes.com/2018/01/03/opinion/united-against-north-korea.html">Les sceptiques estiment pourtant improbable que Kim Jong‑un renonce à un arsenal nucléaire</a> et balistique longtemps présenté comme la garantie de survie du régime et au statut de puissance nucléaire inscrit dans la Constitution nord-coréenne depuis 2012. D’autant que Donald Trump, en menaçant clairement de dénoncer l’accord passé avec l’Iran démontre peu d’inclination à honorer ses engagements internationaux. Il apparaît donc dès maintenant difficile de convaincre le dirigeant nord-coréen qu’il sera en sécurité après avoir renoncé à son armement nucléaire. La fin tragique du Président Khadafi étant un contre-exemple amplement dissuasif.</p>
<p>Par ailleurs, l’alignement de <a href="http://www.france24.com/fr/20180331-donald-trump-john-bolton-etats-unis-desaccords-coree-nord-russie-poutine">conservateurs campant sur une ligne dure côté américain</a> avec Mike Pompeo et John Bolton, nommé à dessein par Donald Trump avant le Sommet Washington-Pyongyang, laisse craindre la menace de sanctions renforcées si le dirigeant nord-coréen rompait les discussions ou n’honorait pas ses engagements.</p>
<p>Au fur et à mesure que la date présumée de la rencontre américano-nord-coréenne approche, toute la difficulté semble tenir dans le contenu des garanties de sécurité que Washington pourra offrir à la Corée du Nord et dans l’établissement d’un calendrier permettant de réaliser concrètement la dénucléarisation et les vérifications auxquelles Pyongyang acceptera de se soumettre pour y parvenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95901/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La nécessité de régler la question nord-coréenne est devenue une affaire prioritaire pour Donald Trump même si les bases d’un accord possible semblent encore faire défaut.Marianne Péron-Doise, Expert associé au Ceri, chargée du programme Sécurité maritime internationale à l'IRSEM, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/931722018-03-09T18:19:27Z2018-03-09T18:19:27ZPyongyang en position de force face à Donald Trump<p>Rarement le terme « historique » n’aura été utilisé, sans être galvaudé, pour décrire les évènements ayant lieu actuellement dans la péninsule coréenne. L’échange de délégations de haut niveau entre le Nord et le Sud, avant et pendant les Jeux olympiques, constituait déjà un bouleversement complet dans l’architecture politique d’une région qu’on pensait figée.</p>
<p>Pour rappel, pas plus tard que le 28 novembre dernier, la <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/11/28/la-coree-du-nord-procede-a-un-nouveau-tir-de-missile-balistique_5221725_3216.html">Corée du Nord testait sa dernière génération de missiles intercontinentaux</a> (théoriquement capables de raser New York ou Washington) et déclarait que sa quête nucléaire était achevée. Qui aurait pu penser que, quelques mois après, un envoyé spécial sud-coréen, fraîchement revenu de Pyongyang, allait tenir un étrange point de presse en direct de la Maison Blanche pour déclarer que, pour la première fois, un Président américain en exercice allait rencontrer le dirigeant de la Corée du Nord ?</p>
<h2>La maîtrise de Pyongyang</h2>
<p>Les diplomates sud-coréens ont eu la bonne idée, lors de ce point de presse, de mettre au crédit de Donald Trump l’apaisement actuel des tensions dans la péninsule. Cette politesse diplomatique est parfaitement compréhensible, mais force est de constater que les États-Unis ont, pour l’instant, été réduits à l’état d’observateurs des développements du réchauffement Nord-Sud. L’organigramme de l’administration Trump présente, d’ailleurs, encore un certain nombre de « trous » : plusieurs postes clés sont toujours en attente de nomination, dont celui d’ambassadeur en Corée du Sud ou de représentant spécial pour la République populaire de Corée du Nord (RPDC).</p>
<p>Par ailleurs, Washington avait réagi plus que froidement à l’accueil d’une délégation de très haut niveau nord-coréenne lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pyongchang, à l’image d’un vice-président américain, Mike Pence, allant jusqu’à refuser d’applaudir au passage de la délégation unifiée d’athlètes du Nord et du Sud.</p>
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<p>Or l’idée que la politique de « <em>Maximum Pressure</em> » chère à l’administration Trump puisse être à l’origine d’un éventuel changement d’attitude nord-coréen ne semble pas résister à l’analyse. Bien que les sanctions économiques à l’encontre de la Corée du Nord se soient gravement accumulées ces deux dernières années, elles semblent mises en œuvre de manière extrêmement réticente par les principaux partenaires commerciaux de la RPDC, <a href="https://theconversation.com/pour-pekin-la-vraie-menace-ne-vient-pas-de-la-coree-du-nord-mais-des-etats-unis-88419">à savoir la Chine et la Russie</a>.</p>
<p><a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/12/24/sanctions-de-l-onu-la-coree-du-nord-parle-d-un-acte-de-guerre_5234043_3216.html">Ces sanctions économiques</a> ne semblent pas avoir, pour l’instant, causé de véritable effet sur l’économie du pays, qui affiche même, selon les différents observateurs, une amélioration sensible. Ainsi, la limitation sur les importations nord-coréennes de pétrole, décidée en septembre 2017 et renforcée en décembre, souvent considérée comme le <em>nec plus ultra</em> de la « diplomatie coercitive » a, pour l’instant, surtout eu pour paradoxal effet de faire baisser le prix de l’essence à Pyongyang.</p>
<p>Enfin, la maîtrise – impressionnante – de la séquence diplomatico-militaire nord-coréenne depuis l’emballement des programmes nucléaires et balistiques jusqu’à l’ouverture du dialogue avec le Sud et les États-Unis laisse plutôt l’impression d’une stratégie de long terme qu’un revirement en catastrophe sous l’effet de sanctions économiques.</p>
<h2>Kim, un stratège hors pair</h2>
<p>A l’heure actuelle, les analystes en sont réduits à spéculer tant sur la forme que pourra prendre cette rencontre que sur le contenu des discussions. Évidemment, la question du nucléaire nord-coréen devra occuper le devant des discussions, mais il serait naïf et illusoire de penser que négocier avec Pyongyang sur une question qui relève de la sécurité et de la souveraineté de la RPDC sera rapide et facile.</p>
<p>En effet, contrairement à ce qu’on pu expliquer certains médias, Kim Jong‑un ne s’est nullement engagé à dénucléariser. Il aurait laissé l’option ouverte si, et seulement si, les États-Unis fournissent des garanties de sécurité suffisantes. Il convient, par ailleurs, de noter que ces propos de Kim Jong‑un nous sont rapportés par les diplomates sud-coréens – ce qui rend les intentions réelles de Pyongyang difficiles à lire.</p>
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<p>La Corée du Nord prouve, une fois de plus, qu’elle est non seulement un acteur rationnel, mais aussi et surtout un excellent stratège. Pyongyang aborde le futur sommet en position de force : son arsenal nucléaire est prêt, et le « Leader suprême » nord-coréen ne s’est encore engagé à rien. Bien au contraire, la bombe atomique est un héritage du père de Kim Jong‑un, Kim Jong-il, et c’est précisément cette filiation qui donne sa légitimité politique à l’actuel dirigeant. On voit difficilement comment le fils pourrait liquider l’héritage du père sans entamer <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-le-nucleaire-comme-pacte-social-54994">son propre capital politique</a>.</p>
<h2>Dénucléarisarion nord-coréenne contre dénucléarisation américaine</h2>
<p>Par ailleurs, le <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/coree-du-nord-le-regime-annonce-avoir-acquis-le-statut-de-puissance-nucleaire-627830.html">statut nucléaire de la Corée du Nord</a> est désormais inscrit dans la Constitution nord-coréenne, ce qui rend encore moins probable une dénucléarisation sous pression américaine à court ou à moyen terme. En d’autres termes, la RPDC n’a rien à perdre dans ces futurs pourparlers : il est fort probable qu’en échange d’une dénucléarisation progressive soit formulées des demandes acceptables – établissement de relations diplomatiques formelles, aide économiques, retrait des sanctions –, mais aussi d’autres beaucoup plus radicales, dont notamment un retrait des troupes américaines de Corée du Sud ou même une dénucléarisation américaine.</p>
<p>Les États-Unis, qui s’inquiètent plus d’une Chine expansionniste que d’une Corée du Nord dotée d’une capacité de dissuasion nucléaire, n’accepteront véritablement jamais les garanties de sécurité que Pyongyang ne manquera pas de réclamer comme conditions <em>sine qua non</em>. Ainsi, au terme de longues et sans doute pénibles négociations, il est fort probable que les résultats de ces échanges soient minces côté américain.</p>
<p>Côté nord-coréen, par contre, on peut déjà imaginer les images de la télévision centrale nord-coréenne montrant Kim Jong‑un et le Président américain dialoguant d’égal à égal, ou même déambulant dans les nouvelles rues futuristes de Pyongyang. Une fois de plus, le calcul stratégique nord-coréen, qui consiste, depuis les années 1960, à alterner pression sécuritaire et périodes d’accalmie pour rompre son isolement, risque de se révéler payant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93172/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Corée du Nord prouve, une fois de plus, qu’elle est non seulement un acteur rationnel, mais aussi et surtout un excellent stratège.Théo Clément, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/914502018-02-08T21:02:03Z2018-02-08T21:02:03ZDialogue entre les deux Corées : réelles avancées ou simple trêve olympique ?<p>Tradition du fondateur de la République populaire et démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) remise au goût du jour par son petit-fils Kim Jong‑un en 2013, le discours du Nouvel an est l’occasion pour Pyongyang d’aborder le sujet des relations Nord-Sud et de faire un point sur le processus de réunification d’une péninsule divisée depuis 1945.</p>
<p>La version 2018 de ce discours, scrutée de près par les analystes étrangers, n’a pas failli à cette règle puisque Kim Jong‑un conclût son propos en expliquant qu’il était urgent de diminuer les tensions militaires dans la péninsule coréenne et que les Jeux olympiques sud-coréens de Pyeongchang constituent une belle occasion de « démontrer le prestige de la Nation [coréenne] ».</p>
<p>Le « Leader Suprême » nord-coréen indique, par ailleurs, son souhait d’envoyer des délégations et même de proposer une rencontre de haut niveau entre Sud et Nord – ce qui n’avait plus été le cas depuis 2015 : la présidence conservatrice de Park Geun-hye, peu disposée au dialogue intercoréen, et les programmes nucléaires et balistiques nord-coréens avaient rendu quasiment impossible toute coopération entre Séoul et Pyongyang.</p>
<h2>Le cadeau très stratégique de Kim Jong‑un</h2>
<p>L’offre de Kim Jong‑un est tardif et surprenant au vu d’une année très difficile et tendue, mais particulièrement bien inspirée d’un point de vue politique et stratégique. En effet, à quelques semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, en Corée du Sud, la promesse d’une accalmie rapide des tensions sécuritaires ayant crispé toute l’Asie du Nord-Est <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-etats-unis-mettre-fin-a-la-diplomatie-des-extremes-82843">depuis l’élection de Donald Trump</a> constitue un véritable cadeau pour les organisateurs des Jeux, et notamment pour l’administration démocrate (centre-gauche) de Monn Jae-in, élue en mai 2017 sur un programme de rapprochement avec le Nord.</p>
<p>C’est un cadeau qui n’oublie cependant pas les intérêts de Pyongyang puisque cette soudaine main tendue place Séoul dans une position de porte-à-faux diplomatique : allié militaire et politique des États-Unis, la Corée du Sud peut difficilement refuser une <a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-a-la-recherche-dune-exit-strategy-77047">offre de rapprochement du « frère ennemi » du Nord</a>, au grand dam de Washington, qui persévère dans une politique d’isolement et de pression (« maximum pressure ») à l’égard de Pyongyang.</p>
<p>La RPDC signe donc une initiative diplomatique bien calculée permettant à la fois de distendre (temporairement) l’<a href="https://theconversation.com/ladministration-trump-decouvre-lasie-du-nord-vers-lorient-complique-74812">alliance américano-sud-coréenne</a> et de fragmenter la complexe architecture des relations internationales de l’Asie du Nord-Est en deux problématiques distinctes. D’un côté, la question de la réunification et des relations Nord-Sud ; de l’autre, la question des programmes nucléaires nord-coréens et le bras de fer avec Washington.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://www.cnbc.com/2018/01/09/north-korea-and-south-korea-agree-to-resolve-issues-through-dialogue.html">comme s’est empressé de l’expliquer Ri Song-won</a>, le délégué nord-coréen lors de l’ouverture des discussions avec le Sud, le 9 janvier dernier : « Les armes nucléaires, à hydrogène et missiles balistiques [nord-coréens] visent uniquement les États-Unis, mais pas nos frères [du Sud], ni la Chine ou la Russie. »</p>
<h2>Volonté d’apaisement de part et d’autre</h2>
<p>Si les actuelles discussions Nord-Sud portent essentiellement sur des sujets d’ordre symbolique, sportif ou culturel, les échanges ont été effectivement fructueux et les négociations constructives : Pyongyang a envoyé plusieurs délégations de travail et de reconnaissance, des sportifs sud-coréens sont allés visiter les infrastructures de tourisme sportif du Nord (dont la fameuse piste de ski de Masikryong, projet chéri de Kim Jong‑un), et il a d’ores et déjà été décidé que les équipes des <a href="http://lemonde.fr/jeux-olympiques-pyeongchang-2018/article/2018/01/20/jo-2018-les-deux-corees-defileront-ensemble-une-equipe-commune-en-hockey-sur-glace_5244618_5193626.html">deux Corée défileront ensemble</a>, sous drapeau unique, lors de la cérémonie d’ouverture des JO.</p>
<p>Dans leur volonté de dialogue et d’apaisement, Pyongyang comme Séoul ne manquent pas de faciliter les choses par l’envoi de signaux diplomatiques forts, comme la suspension temporaire, par la Corée du Sud, des <a href="https://www.challenges.fr/monde/asie-pacifique/la-coree-du-nord-fustige-les-exercices-militaires-des-etats-unis-et-de-la-coree-du-sud-ces-maniaques-de-la-guerre_494252">exercices militaires conjoints avec les troupes américaines</a>, prévus ce mois-ci et considérés par Pyongyang comme une répétition générale d’une invasion militaire du nord de la péninsule.</p>
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<p>La RPDC, de son côté, a fait des choix d’émissaires particulièrement éclairés, témoignant d’une réelle volonté d’ouverture : outre Ri Son-gwon, ancien négociateur militaire ayant eu des <a href="http://english.yonhapnews.co.kr/northkorea/2018/01/07/34/0401000000AEN20180107001851315F.html">expériences plutôt réussies du dialogue Nord-Sud</a>, Pyongyang a jugé utile d’envoyer en éclaireur la célèbre chanteuse Hyon Song-wol, parfaite représentante d’un certain « glamour » et de ce le plus d’une « modernité pop » à la nord-coréenne. Dans une Corée du Sud toute acquise à la déferlante de la K-pop et qui a souvent tendance à considérer ses compatriotes nordistes comme des « arriérés », cela constitue incontestablement un choix astucieux.</p>
<h2>La sœur de Kim Jong‑un attendue au Sud</h2>
<p>Signe supplémentaire de la détermination de Pyongyang, la proposition de délégation nord-coréenne pour la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pyeongchang devrait comprendre, outre des hommes politiques de premier rang (dont le Chef d’État protocolaire nord-coréen, Kim Yong-nam), la <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/jo-la-soeur-de-kim-jong-un-attendue-au-sud-pour-une-premiere-historique_1982862.html">propre sœur de Kim Jong‑un, Kim Yo-jong</a>.</p>
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<p>Cette dernière, que les analystes ont vu assister à plusieurs visites de terrain avec son frère depuis 2011, a été bombardée membre suppléant du bureau politique du Comité central du Parti du Travail de Corée (PTC) en 2017. Sa visite au Sud, si elle est confirmée, ferait d’elle le seul membre de la famille Kim à visiter la Corée du Sud depuis la partition du pays en 1945.</p>
<h2>Séoul en porte-à-faux vis-à-vis de Washington</h2>
<p>Pour autant, ce brusque réchauffement des relations Nord-Sud constitue-t-il le calme après la tempête ou seulement l’œil du cyclone ?</p>
<p>Car quand bien même Pyongyang fait montre d’une bonne volonté indiscutable, la RPDC n’oublie bien évidemment pas ses intérêts : l’accalmie des tensions a nécessité des compromis importants de la part de la Corée du Sud, dont le report des exercices militaires conjoints déjà évoqués, mais aussi des suspensions de certaines sanctions unilatérales sud-coréennes, mises en place par la <a href="https://theconversation.com/la-coree-du-sud-en-plein-psychodrame-national-69747">précédente administration conservatrice de Park Geun-hye</a>.</p>
<p>Ainsi, l’arrivée par bateau d’une troupe d’artistes nord-coréens a nécessité de Séoul une suspension des mesures interdisant aux navires nord-coréens (ou ayant mouillé dans des ports nord-coréens récemment) d’entrer dans les ports du Sud.</p>
<p>Par ailleurs, l’envoi de Kim Yo-jong est signe de bonne volonté mais pas pour autant innocent : cette dernière, en charge du département d’« agit’prop’ » du PTC, figure sur la liste des personnalités <a href="http://www.koreaherald.com/view.php?ud=20180207000928">sanctionnées par les États-Unis depuis 2017</a>.</p>
<p>Ainsi, sa venue annoncée à Pyeongchang place la Corée du Sud, une fois de plus, en porte à faux vis-à-vis des États-Unis et souligne le message porté par Pyongyang depuis des années, à savoir le fait que les sanctions et les ingérences américaines dans les affaires péninsulaires empêchent le processus de dialogue et de réunification.</p>
<h2>Quand la flamme sera éteinte…</h2>
<p>C’est une fois la flamme olympique éteinte que les choses risquent de se compliquer : la tenue des exercices militaires conjoints au Sud risque en effet de fournir à la Corée du Nord une bonne occasion de faire valoir son analyse selon laquelle Séoul privilégie l’alliance – militaire – avec Washington plutôt que le dialogue avec son frère du Nord.</p>
<p>La RPDC verrait ainsi ses programmes de dissuasion controversés « justifiés » par le fait que ses efforts d’ouverture soient ignorés. Or, on voit difficilement comment Moon Jae-in pourrait diminuer ou suspendre à nouveau ces exercices militaires sans faire perdre la face à Donald Trump et à sa stratégie de « maximum pressure ».</p>
<p>Ainsi, au-delà des Jeux olympiques, la balle semble dans le camp sud-coréen, et les choix s’annoncent difficiles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Théo Clément ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux « frères ennemis » ont multiplié les gestes de bonne volonté à la veille des Jeux, Pyongyang plaçant du même coup son voisin du Sud dans une situation délicate vis-à-vis de l’allié américain.Théo Clément, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/894762018-01-04T20:01:50Z2018-01-04T20:01:50ZJeux olympiques en Corée du Sud et Mondial de football en Russie : une année sportive… très politique<p>2018 est un cru prometteur pour la géopolitique du sport. Deux événements sportifs et politiques marqueront l’année : les <a href="https://www.olympic.org/pyeongchang-2018">Jeux olympiques d’hiver en Corée</a> (en février) et le <a href="http://www.fifa.com/worldcup/index.html">Mondial de football en Russie</a> (en juin-juillet). Deux zones importantes pour le sport de haut niveau. Et deux points chauds pour les relations internationales. En effet, chacun de ces événements cristallisera une ou plusieurs crises : les Jeux se dérouleront à Pyeongchang, à quelques dizaines de kilomètres de la Corée du Nord, et le Mondial sera organisé par un pays sous sanctions économiques, financières et sportives.</p>
<p>La portée économique et culturelle des grands événements sportifs internationaux est désormais bien connue, notamment grâce aux travaux de Pascal Boniface, le directeur de l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques). Qu’il s’agisse des Jeux de Berlin utilisés, en 1936, par le régime nazi <a href="https://www.la-croix.com/Sport/Organiser-JO-reste-enjeu-geopolitique-majeur-2017-08-01-1200867049">pour célébrer sa puissance</a> ou de la démonstration de force de la République populaire de Chine lors <a href="https://www.la-croix.com/Archives/2008-07-15/JO-et-mondialisation.-_NP_-2008-07-15-324132">des Jeux de Pékin en 2008</a>, les compétitions sportives internationales fortement médiatisées servent tout à la fois de caisse de résonance pour les évolutions du monde mais aussi d’<a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2004/08/BONIFACE/11492">arène aux rivalités géopolitiques</a>.</p>
<p>Les idéaux pacifiques de Pierre de Coubertin sont malheureusement <a href="https://fr.sputniknews.com/sports/201712051034190548-jo-boycotts-scandales-histoire/">restés lettre morte</a>. Les enjeux financiers, les scandales liés au dopage, à la protection de l’environnement ou aux dépenses somptuaires menacent depuis longtemps l’image de ces compétitions. C’est que sport est <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/030999409645-mondial-2018-pour-la-russie-beaucoup-plus-que-du-foot-2136964.php">bien plus que du sport</a> : c’est de la politique, de l’économie, de la diplomatie et de la communication. Ces compétitions tendent un <a href="https://www.diploweb.com/Geopolitique-du-sport-Regards.html">miroir déformant mais éclairant sur l’état du monde</a>.</p>
<h2>Des Jeux olympiques d’hiver à l’ombre de la menace nucléaire nord-coréenne</h2>
<p>La XXIII<sup>e</sup> édition des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver aura lieu en Corée du Sud du 9 au 25 février. Les sites principaux sont situés à environ 80 kilomètres de la zone démilitarisée séparant la Corée du Nord et la Corée du Sud suite à la guerre dans la péninsule de 1950-1953. Course aux armements en Asie, vicissitudes stratégiques de la présidence Trump, etc. : tous ces éléments se cristalliseront dans la compétition. Sous les magnifiques images des montagnes coréennes, la politique régionale sera à scruter.</p>
<p><a href="https://www.usatoday.com/story/sports/olympics/2017/10/31/five-questions-pyeongchang-prepares-host-games-100-days/815956001/">La première préoccupation du pays</a> hôte sera la sécurité de la compétition et le comportement de la Corée du Nord. Utilisera-t-elle l’événement pour exercer une nouvelle pression sur la région ? Ou bien mettra-t-elle à profit la participation de ses propres athlètes pour tenter de <a href="http://www.france24.com/fr/20170929-pyeongchang-2018-coree-nord-menace-jeux-olympiques-hiver-fourcade-trump-kim-jung">se réinsérer partiellement dans la communauté internationale</a> ? Depuis le début de la présidence Trump, le régime de Kim Jon-Un a donné un nouvel élan <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/09/09/coree-du-nord-un-seisme-de-magnitude-5-3-attribue-a-un-essai-nucleaire_4994864_3216.html">à la course aux armements</a>, déjà fort active dans la région. Il perfectionne la militarisation de ses têtes nucléaires grâce à une <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2016/09/09/01003-20160909ARTFIG00044-la-coree-du-nord-a-mene-son-5e-essai-nucleaire-le-plus-puissant-a-ce-jour.php">série de tests</a>. Et il étend de plus en plus le rayon d’action de ses missiles, menaçant le Japon et même le <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2017/07/30/coree-du-nord-le-dernier-test-de-missile-un-avertissement-adresse-aux-etats-unis_5166665_3210.html">territoire des États-Unis</a> – qu’il s’agisse de l’île de Guam ou même de l’Alaska.</p>
<p>De leur côté, les alliés de la Corée du Sud déploient <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/07/18/tir-de-missile-nord-coreen-coree-du-sud-japon-et-etats-unis-disposent-des-moyens-d-une-dissuasion-globale_5161845_3216.html">des batteries antimissiles</a>, notamment THAAD, à proximité du territoire chinois et de l’Extrême-Orient russe. Face aux préoccupations des pays participants aux Jeux pour la sécurité de leurs délégations et face aux tensions sans cesse renaissantes entre les menaces nucléaires nord-coréennes et les déclarations belliqueuses de la présidence Trump, le premier objectif de la Corée du Sud sera de présenter le visage serein d’une compétition dont la sécurité est assurée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1152&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1152&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200687/original/file-20180103-26139-1pkp72g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1152&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’affiche des JO de Séoul en 1988.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bensutherland/5774393568/in/photolist-dmPfcW-9ouTgY-9Ngh2N-bH6GDe-brS5sj-8jYvHF-8kvuq8-cTk91S-9m4awg-9m4aCg-8kvuwz-8kyFCw-8kyFBq-8kvuvZ-8kyFDQ-8kyAEf-9ouT4Y-8kvpvD-8kvuo2-8jYvKn-8kvpBR-9DPwhQ-9m7ekh-9jy4s5-9mnRtw-8kyFyo-9vJQrz-qGzAYz-9wyZPc-9m4aDx-qq8NaV-7NG35e-9mWK4V-rBeT1E-cP2Eo9">Ben Sutherland/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Deuxièmement, ces Jeux olympiques seront l’occasion, pour le pays hôte d’une indispensable opération de <em>nation branding</em> ou, plus exactement de <em>nation rebranding</em>. En bon français, il s’agit d’infléchir l’image de la Corée. Le pays est familier de l’exercice. Cela avait déjà été le cas <a href="https://www.wilsoncenter.org/publication/nkidp-e-dossier-no-3-sport-and-politics-the-korean-peninsula-north-korea-and-the-1988">pour les Jeux olympiques d’été de Séoul en 1988</a> : après une reconstruction rapide et une croissance forte sous la férule du général Park, il s’agissait pour la Corée du Sud de manifester <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2752/175470811X13002771867761?journalCode=rfdc20">sa prospérité et son intégration dans l’économie internationale</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, il faut affaiblir l’équivalence, instillée dans l’opinion mondiale, entre Corée et prolifération nucléaire mais aussi matérialiser son <em>softpower</em>. En effet, la Corée du Sud nourrit une grande partie de l’Asie de <a href="http://www.culturaldiplomacy.org/pdf/case-studies/Hwajung_Kim_The_Importance_of_Nation_Brand.pdf">ses chansons, de ses séries et de son cinéma</a>. Ainsi, le slogan choisi par les organisateurs des JO de cet hiver illustre la volonté de la Corée du Sud de s’inscrire non seulement dans la révolution numérique mais aussi dans celui de la culture : <a href="https://www.pyeongchang2018.com/en/press-releases/new-slogan-passion-connected-is-unveiled">« Passion. Connected »</a>. Ce mot d’ordre rappelle la place de Samsung dans le PIB du pays : 25 %. Mais il illustre aussi le fait que la Corée est un réservoir de représentations collectives très puissant.</p>
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<p>Enfin, troisièmement, ces Jeux olympiques souligneront à quel point l’Asie est un des grands pôles du sport international en devenir. Après les Jeux olympiques de Tokyo (1964) et de Sapporo (1972) au Japon, de Sydney (2000) en Australie et de Pékin (2008), la Corée portera les couleurs de l’Asie au sein de l’olympisme et donc de la mondialisation du sport. C’est la signification du vote du Comité olympique international en 2011 : Pyeongchang avait été préférée à deux villes européennes, Annecy et Munich. Sa victoire avait été nette, avec 63 voix sur 95. Si le monde économique a déjà pris son centre de gravité en Asie du Nord, le monde sportif est, lui, encore polarisé en Europe et en Amérique du Nord.</p>
<h2>Mondial de Football en Russie : redorer l’image du pays ou affirmer sa puissance</h2>
<p>La compétition sportive internationale la plus regardée de l’année 2018 sera incontestablement la compétition de football de la FIFA. Seuls les Jeux olympiques d’été auraient pu entrer en lice en <a href="https://www.lesechos.fr/05/08/2016/LesEchos/22249-114-ECH_television---l-evenement-sportif-le-plus-regarde-au-monde.htm#">terme d’audience télévisuelle</a>. Mais, en 2018, la Coupe du monde de football éclipsera bien les autres événements.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200689/original/file-20180103-26154-k8988p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Iekaterinbourg, on se prépare pour l’été 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mfoubister/36904507842/in/photolist-Ye8frY-HkHkbp-B73oWs-B898gh-Acs1Ng-Avnqum-AcrZna-B73n13-urxW3w">Murray Foubister/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La signification géopolitique de l’événement tiendra tout simplement <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/030999409645-mondial-2018-pour-la-russie-beaucoup-plus-que-du-foot-2136964.php">au lieu, à la durée et au moment de la compétition</a>. Elle se déroulera du 14 juin au 15 juillet dans 12 villes de Russie européenne. Autrement dit, le Mondial de football 2018 placera sous les yeux de l’opinion internationale, durant tout un mois, un État dont la place est centrale sur la scène politique internationale mais dont l’image est brouillée.</p>
<p>D’une part, le Comité olympique russe vient d’être <a href="http://www.lemonde.fr/jeux-olympiques-pyeongchang-2018/article/2017/11/15/dopage-interdire-les-jo-a-la-russie-est-non-seulement-justifie-mais-necessaire_5214948_5193626.html">suspendu par le Comité olympique international</a> en raison de dopage lors des derniers Jeux de Sotchi. Le CIO a seulement laissée ouverte la possibilité, pour les athlètes russes n’ayant jamais été suspendus pour dopage et se soumettant à des tests, de participer à la compétition en tant qu’« athlètes olympiques de Russie ».</p>
<p>Dans un pays qui a depuis longtemps érigé le sport de haut niveau en levier d’influence, en <a href="http://notes-geopolitiques.com/geopolitique-des-jeux-olympiques/">outil de prestige national et en instrument de statut géopolitique</a>, il s’agit d’un camouflet significatif. La réussite de l’organisation du Mondial 2018 sera, pour les autorités russes, un moyen d’effacer les <a href="http://www.lemonde.fr/jeux-olympiques/video/2014/02/04/jo-de-sotchi-comprendre-la-situation-dans-le-caucase-en-3-minutes_4357843_1616891.html">controverses sur les coûts financiers et environnementaux des Jeux de Sotchi</a>, de redorer sa réputation en matière de lutte contre le dopage et de droits des homosexuels et attirer le plus possible de spectateurs européens. Tels seront les premiers défis de la Russie. Le pays a en effet fait construire ou de rénover à grands frais 12 stades, <a href="http://www.france24.com/fr/20170830-focus-russie-urbanisme-moscou-travaux-serguei-sobianine-maire-ville-chantiers">a transformé Moscou</a>, au risque de susciter de multiples manifestations à l’approche de l’élection présidentielle de mars 2018.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=391&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/200694/original/file-20180103-26148-llew01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=491&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le stade Loujniki à Moscou (ici en 2014) a été entièrement rénové pour le Mondial de 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/titkov/24639023152/in/photolist-21Ko5Mk-B73oWs-B898gh-ZKG1Y4-9jy4s5-wxN1ca-DmH1u8-DKtCmp-Dxgrb1">Nickolas Titkov/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>D’autre part, la Russie fait l’objet de sanctions économiques et financières, suite à l’annexion de la Crimée et à la guerre dans le Donbass en 2014. L’économie russe, plongée dans la récession depuis lors notamment en raison de la chute des prix des hydrocarbures, vient tout juste de se rétablir. Et, sur la scène diplomatique, la Russie a repris l’initiative en déclenchant une expédition militaire en Syrie à partir de septembre 2015.</p>
<p>Toute la question est aujourd’hui celle de la stratégie de la Russie au mitan de 2018, au moment où l’Union européenne examinera la <a href="http://www.rtl.fr/actu/international/mondial-2018-un-evenement-geopolitique-avant-tout-explique-un-specialiste-7791230152">possibilité de levée partiellement ou complètement les sanctions</a>, en même temps qu’elle analysera la mise en œuvre du cessez-le-feu en Ukraine, en vertu de l’accord dit « Minsk II ». La Russie choisira-t-elle l’apaisement et la reprise du dialogue pour éviter le boycott des dirigeants européens qui s’était produit pour les Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 ? On se souvient que la <a href="http://www.lemonde.fr/sport/article/2013/12/16/le-debat-fait-rage-sur-le-boycottage-des-jo-de-sotchi_4335268_3242.html">Chancelière Merkel et le Président Hollande</a> avaient refusé d’assister aux Jeux pour protester contre l’annexion en cours de la Crimée.</p>
<p>Ou bien fera-t-elle plutôt de l’événement une tribune pour l’affirmation de la puissance russe ? La même question se pose en politique intérieure : les autorités russes mettront-elles l’accent sur la sécurité, la lutte antiterroriste et la pression sur les forces d’opposition ? Ou bien souhaiteront-elles montrer un visage avenant pour les opinions occidentales en laissant l’opposition s’exprimer ?</p>
<p>Apaisement ou rupture ? Les symboles et les signes seront à scruter quelques mois après la réélection, pour la quatrième fois, de Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie, <a href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/poutine-2018-chronique-dune-victoire-annoncee.html">probablement dès le premier tour</a>, le 18 mars 2018, date anniversaire de l’annexion de la Crimée.</p>
<p>Depuis longtemps les grandes compétitions sportives internationales ont quitté le statut d’événements mineurs. Elles sont devenues des enjeux de puissance et de communication pour les États. Le <em>nation branding</em> et le <em>soft power</em> de la Corée du Sud et de la Russie seront au centre de l’année sportive 2018.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89476/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces deux compétitions tendent un miroir déformant mais éclairant sur l’état du monde.Cyrille Bret, Maître de conférences, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/884192017-11-30T15:38:37Z2017-11-30T15:38:37ZPour Pékin, la vraie menace ne vient pas de la Corée du Nord mais des États-Unis<p>À chaque nouvel essai nucléaire ou missile balistique lancé depuis Pyongyang, comme <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/11/28/la-coree-du-nord-procede-a-un-nouveau-tir-de-missile-balistique_5221725_3216.html">celui de mardi 28 novembre</a>, Donald Trump exhorte la Chine à <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/11/29/donald-trump-demande-a-pekin-de-faire-pression-sur-la-coree-du-nord_5222289_3216.html">faire pression</a> sur la Corée du Nord. Tout comme <a href="https://www.nytimes.com/2017/11/08/world/asia/trump-china-xi-jinping-north-korea.html">ses prédécesseurs</a>, Trump reste persuadé qu’un accord diplomatique avec le régime nord-coréen ne peut se faire que par le biais de Pékin.</p>
<p>Dans toute la région asiatique, la Chine est le pays pouvant le plus peser sur ce pays et pourrait <a href="https://www.reuters.com/article/us-trump-asia-china/in-beijing-trump-presses-china-on-north-korea-and-trade-idUSKBN1D9034">« rapidement et facilement »</a> résoudre la crise, mais se refuserait à obtempérer.</p>
<p>Or les avancées technologiques de la Corée du Nord en font désormais une question de sécurité nationale prioritaire pour les États-Unis, <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/11/29/la-coree-du-nord-defie-de-nouveau-washington_5221987_3216.html">Pyongyang affirmant</a> avoir désormais la capacité de frapper directement des villes américaines.</p>
<p>Depuis le début de son mandat, Trump a fait de la Corée du Nord le centre de la diplomatie <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2017/08/14/u-s-china-relations-6-months-into-the-trump-presidency">sino-américaine</a>.</p>
<p>Sa stratégie principale a été de jouer sur les <a href="https://www.theguardian.com/business/2017/aug/25/donald-trump-trade-policy-china-north-korea-kim">relations commerciales bilatérales</a> afin de pousser Pékin à agir sur son voisin et faire ainsi le jeu des États-Unis. Il a été rejoint par le <a href="https://www.challenges.fr/monde/asie-pacifique/coree-du-nord-macron-met-la-pression-sur-la-russie-et-la-chine_516820">Président français qui demande également à la Russie</a> d’imposer des sanctions à l’encontre de Pyongyang.</p>
<h2>La Chine ne bougera pas</h2>
<p>Or, bien que Pékin ait annoncé quelques mesures coercitives comme la possible <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2017/09/china-north-korea/541371/">clôture de joint-ventures sino-coréennes</a>, il est peu probable que le gouvernement de Xi soit plus ferme et ce, en dépit de ses <a href="http://www.scmp.com/news/china/diplomacy-defence/article/2122288/china-will-back-tougher-sanctions-north-korea-threat">dernières déclarations</a>.</p>
<p>Il dispose pourtant d’un atout non-négligeable pour freiner Kim Jong‑un : selon les informations du <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-09-04/china-s-oil-lifeline-to-north-korea-targeted-after-nuclear-blast">Département de l’énergie américain</a>, la Chine est le plus important fournisseur en pétrole de la Corée du Nord – ce qui représente près de 90 % de sa balance commerciale.</p>
<p>Un embargo sur le pétrole, <a href="http://www.europe1.fr/international/les-etats-unis-appellent-la-chine-a-cesser-toute-livraison-de-petrole-a-pyongyang-3507191">ce qu’exige Trump</a>, pourrait ainsi considérablement ralentir l’économie du pays.</p>
<p>C’est pour cela que la plupart des observateurs internationaux perçoivent Pékin comme la <a href="https://www.reuters.com/article/us-northkorea-missiles-britain/china-is-key-to-resolving-north-korean-nuclear-issue-uk-defense-minister-idUSKCN1BH0VL">solution au problème nord-coréen</a>.</p>
<p>Alors pourquoi la Chine demeure-t-elle aussi peu disposée – malgré de <a href="http://www.scmp.com/news/china/diplomacy-defence/article/2122288/china-will-back-tougher-sanctions-north-korea-threat">récentes promesses</a> – à prendre des sanctions effectives et immédiates contre son voisin ?</p>
<p>Pékin souhaite maintenir la Corée du Nord viable économiquement car, plus que tout, il craint la chute du régime et le chaos qui s’ensuivrait. Cela se traduirait par un afflux de réfugiés à ses frontières et surtout un bouleversement géopolitique majeur dans la région favorisant un seul acteur : les États-Unis.</p>
<h2>Une bataille pour l’hégémonie en Asie</h2>
<p>Pékin ne voit en effet pas d’un bon œil une réunification des deux Corées sous la bannière démocratique pro-américaine de la Corée du Sud, accompagnée de la présence de quelques <a href="https://qz.com/374138/these-are-all-the-countries-where-the-us-has-a-military-presence/">28 000 soldats américains</a> à sa porte.</p>
<p>Une telle influence sur toute la péninsule coréenne serait catastrophique pour la sécurité de la Chine et déséquilibrerait son pouvoir dans la région.</p>
<p>Or, historiquement, Pyongyang a été toujours perçu par les analystes chinois comme une <a href="http://english.yonhapnews.co.kr/northkorea/2016/11/17/0401000000AEN20161117006100315.html">zone tampon</a> contre l’influence américaine.</p>
<p>Le fait que la Chine continue implicitement (par son manque d’action) à soutenir le régime de Kim montre bien l’importance de cette zone pour Pékin.</p>
<p>De plus, la Corée du Nord est utilisée également comme moyen de pression dans les conflits divisant Washington et Pékin : les disputes sur les <a href="http://carnegieendowment.org/2013/04/04/china-s-maritime-disputes-in-east-and-south-china-seas-pub-51417">mers de Chine du Sud et de l’Est</a> ou encore sur le statut de <a href="https://www.huffingtonpost.com/entry/status-quo-in-taiwan-wont-last-forever-us-officials_us_590389f0e4b05279d4edbbad">Taïwan</a>.</p>
<p>Le changement de politique étrangère en Asie-Pacifque amorcé <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/asia/obama-and-asia">sous l’administration Obama</a> a particulièrement accru la valeur de la Corée du Nord pour la Chine. Dans le cadre de cette stratégie, les États-Unis ont noué de nouvelles <a href="http://nationalinterest.org/blog/the-buzz/fact-americas-rebalance-asia-has-some-serious-military-12652">alliances et coopérations</a> tout en développant leur présence institutionnelle dans la région, isolant un peu plus la Chine.</p>
<p>Washington a aussi renforcé sa capacité militaire dans la région (bases de défense et programmes de missiles) ce qui inquiète Pékin qui se sent encerclé. Les analystes chinois pensent ainsi que l’objectif des États-Unis est de <a href="https://www.brookings.edu/opinions/assessing-u-s-china-relations-under-the-obama-administration/">contenir et limiter la puissance chinoise</a> afin de préserver l’influence américaine.</p>
<h2>Peur de l’intrusion américaine</h2>
<p>Les récentes installations des systèmes de boucliers défensifs dits <a href="https://theconversation.com/leternel-retour-de-la-defense-antimissile-en-asie-du-nord-63205">THAAD (<em>Terminal High Altitude Area Defense</em>)</a> en Corée du Sud – permettant une protection contre la Corée du Nord – était d’abord un projet américain visant à affaiblir les capacités d’agression nucléaires chinoises.</p>
<p>Or les experts militaires et sécurité chinois pensent que le système de radar qui accompagne ce bouclier permet désormais de surveiller en profondeur les <a href="https://www.reuters.com/article/us-china-southkorea-missiles-idUSKBN15Y01Z?il=0">territoires russes et chinois</a>.</p>
<p>Ils sont particulièrement méfiants et inquiets du fait que le système THAAD à Séoul sera prochainement connecté à deux autres radars situés <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2017/04/north-korean-nuclear-issue-fu-ying.pdf">au nord et au sud du Japon</a>, facilitant l’échange d’information et renforçant la force de frappe des États-Unis dans le voisinage chinois.</p>
<p>Il semble ainsi qu’une alliance trilatérale États-Unis-Corée du Sud-Japon s’amorce durablement pour contrer la Chine. Pékin s’inquiète aussi de l’effet boule de neige : la présence du bouclier antimissile à Séoul pourrait donner des idées au <a href="https://www.cnbc.com/2017/03/13/china-readying-countermeasures-against-missile-defence-shield-in-south-korea-retired-pla-general-says.html">Japon, à Taïwan et aux Philippines</a>.</p>
<p>Que la crise s’amenuise ou s’intensifie, les intérêts de Washington dans la région demeurent trop importants : ainsi, pour Pékin, la menace la plus importante n’est pas le régime de Kim mais bien les États-Unis de Trump qui, selon les <a href="https://www.hoover.org/sites/default/files/research/docs/clm52ms.pdf">analystes chinois</a>, utilisent la crise nord-coréenne pour prendre le contrôle de la région.</p>
<p>Le <a href="https://www.theguardian.com/business/2017/aug/25/donald-trump-trade-policy-china-north-korea-kim">ton agressif</a> du Président américain et ses injonctions à l’encontre de la Chine n’aident pas. À moins de trouver des arguments plus convaincants, il est ainsi peu probable que Pékin lâche son atout nord-coréen et prenne le risque de susciter un chaos régional à ses dépens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88419/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anny Boc est actuellement Fellow dans la division Asie du German Institute for International and Security Affairs (SWP), Berlin.</span></em></p>Pour le gouvernement Xi, un embargo brutal contre la Corée du Nord nuirait aux ambitions hégémoniques de la Chine et l’affaiblirait face aux États-Unis en quête de toute puissance dans la région.Anny Boc, PhD Candidate at the Graduate School of East Asian Studies (GEAS), Freie Universität BerlinLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/855542017-10-19T21:40:00Z2017-10-19T21:40:00ZFace au danger nucléaire, les effets d’un discours expert désinvolte<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190700/original/file-20171017-30410-z8nhu6.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Se méfier du prêt-à-penser des experts en nucléaire.</span> </figcaption></figure><p><em>Cet article est republié dans le cadre de la deuxième édition du <a href="http://www.sorbonne-paris-cite.fr/fr/vie-de-campus/uspc-et-la-cite/festival-des-idees-paris-16-19-novembre-2016">Festival des idées</a>, qui a pour thème « L’amour du risque ». L'événement, organisé par USPC, se tient du 14 au 18 novembre 2017. The Conversation est partenaire de la journée du 16 novembre intitulée « La journée du risque » qui se déroule à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).</em></p>
<hr>
<p>La crise nucléaire nord-coréenne et le prix Nobel de la Paix décerné à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (<a href="http://www.lexpress.fr/actualite/monde/a-quoi-sert-l-ican-prix-nobel-de-la-paix-2017_1950185.html">ICAN</a>) pour son action conduisant à la conclusion d’un traité d’interdiction de ces armes ont récemment généré une prolifération des discours « experts » sur le nucléaire. Une série de contre-vérités et d’arguments d’autorité est venue saturer le discours public sur ce sujet, alors même que la France s’engage <a href="http://lemonde.fr/politique/article/2016/09/26/dissuasion-nucleaire-de-lourdes-questions-en-suspens_5003745_823448.html">dans la perpétuation de son arsenal</a>. Dans ce contexte, cette brève intervention vise à rétablir quelques faits fondamentaux à la lumière des avancées de la recherche et veut proposer des moyens de détecter le prêt-à-penser, les contrevérités et la désinvolture du discours « expert » français sur les armes nucléaires.</p>
<p>Tout d’abord, quelques rappels : un <a href="https://fas.org/issues/nuclear-weapons/status-world-nuclear-forces/">peu moins de 15 000 têtes nucléaires existent aujourd’hui dans le monde</a>, la plupart d’entre elles ayant une capacité de destruction bien supérieure à celles qui ont frappé Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Depuis le couplage d’armes nucléaires avec des missiles intercontinentaux (au début des années 1960 aux États-Unis et en Union soviétique, dans les années 70 en France – aujourd’hui en Corée du Nord), il n’est plus possible de protéger la population contre une attaque nucléaire délibérée ou accidentelle. Les promesses des abris anti-atomiques et de la défense antimissile n’ont pas été tenues, de sorte que la conséquence première de la nucléarisation du monde est une <a href="http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part1/avoir-la-bombe-repenser-la-puissance-dans-un-contexte-de-vulnerabilite-nucleaire-globale?page=show">vulnérabilité fondamentale</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, les États dotés d’armes nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, Chine, France, Israël, Inde, Pakistan et Corée du Nord) envisagent ou ont déjà lancé, sans consultation démocratique, des programmes d’investissement de grande ampleur dans leurs arsenaux nucléaires, qui vont engager ces communautés politiques pour plusieurs décennies. Même la <a href="https://www.sipri.org/sites/default/files/The-next-generation%28s%29-Europeans-facing-nuclear-weapons.pdf">génération suivante</a>, qui n’a pas non plus voix au chapitre, devra vivre avec les conséquences de ces décisions. Dans un tel contexte, le discours expert est le seul accès dont disposent les citoyens à la question nucléaire.</p>
<p>Or, les arguments d’autorité assénés par les « experts » para-officiels sur les événements clés de l’âge nucléaire sont parfois faux, sous-estiment les limites de la connaissance existante ou transforment des choix politiques en certitudes autorisées. Ces arguments sont d’autant plus problématiques que ceux qui les avancent n’auraient pas à rendre de comptes en cas de catastrophe.</p>
<p>Rappelons ainsi qu’avant la <a href="http://www.sciencespo.fr/nk/fr/">constitution de cette chaire</a>, il n’existait pas de programme de recherche indépendant sur les questions nucléaires militaires en France. Et en l’absence d’analyse critique de chercheur indépendant, le prêt-à-penser, les contrevérités et la désinvolture se sont normalisés dans le discours français. Voici trois exemples, issus du numéro spécial du journal <em>Le 1</em> sur le sujet (daté du 11 octobre 2017), mais que l’on aurait aussi bien pu lire ailleurs.</p>
<h2>L’affirmation de la connaissance et du contrôle</h2>
<p>L’intuition de l’immensité de la dévastation causée par les armes nucléaires invite un inconfort qui se traduit par un désir de contrôle et de connaissance. Ce désir se mue souvent en une foi dans le discours autorisé qui affirme contrôle et connaissance. En d’autres termes, on se réfugie derrière l’apparente solidité de l’absence d’explosion nucléaire à l’issue de la crise de Cuba ou d’autres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=498&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/191000/original/file-20171019-1045-1xntioo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=626&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cliché pris par l’US Air Force en novembre 1962, au plus fort de la « crise de Cuba ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">US Air Force/Wikimedia</span></span>
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<p>Toutefois, la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-international-security/article/unbearable-lightness-of-luck-three-sources-of-overconfidence-in-the-manageability-of-nuclear-crises/BDE95895C04E7E7988D15DB4F217D1E4">recherche a montré</a>, contre les versions officielles et para-officielles, que des contingences indépendantes du contrôle des acteurs ont été décisives. Kennedy et Khrouchtchev ne disposaient pas d’un contrôle total sur les arsenaux nucléaires : l’autorité d’utiliser les armes avait été déléguée aux pilotes de l’US Air Force. Les informations à partir desquelles les décideurs des deux côtés ont dû se prononcer étaient au mieux partielles et souvent erronées. Par ailleurs, les traitements médicaux du Président Kennedy, qui comprenaient stéroïdes et amphétamines, administrées par deux équipes qui ignoraient ce que faisait l’autre, auraient pu altérer son jugement alors même qu’il était constamment en minorité face aux partisans de l’usage de la force. Enfin, certains officiers ont fait preuve d’insubordination et la sûreté des armes à l’époque laissait largement à désirer, de sorte que <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/070114/les-armes-nucleaires-et-lillusion-de-la-surete">plusieurs accidents ont eu lieu dans les années 1960 et au moment de la crise</a>.</p>
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<p>Les contingences indépendantes du contrôle des acteurs et les défaillances des pratiques de contrôle qui n’ont pas conduit à une explosion nucléaire, voire l’ont empêchée, ont un nom : la chance.</p>
<p>La recherche a aussi établi que les <a href="https://www.amazon.fr/Thinking-Fast-Slow-Daniel-Kahneman/dp/0374533555">cadres intellectuels des « experts » les rendent aveugles au rôle possible de la chance</a>. Or cet aveuglement n’est ni un fondement solide pour juger du rôle de la chance <a href="http://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/2fr8bb1r86977od1i8gj9gpsu7/resources/2017-pelopidas-presentation-chaire.pdf">ni une fatalité</a>. Personne ne dit que seule la chance a empêché l’emploi des armes nucléaires, mais le fait qu’elle a été nécessaire – ne serait-ce que dans certains cas – devrait suffire à nuancer ces affirmations de contrôle et à inaugurer un programme de recherche susceptible de décider de son rôle dans l’histoire nucléaire globale.</p>
<h2>La tentation poétique : « La bombe nous protège parce qu’elle nous menace »</h2>
<p>Cette phrase perpétue, sur un mode poétique, l’idéologie dominante, sans se soucier d’offrir des preuves. Elle postule que la menace nucléaire suscite de la peur et que cette peur entraîne de la prudence de la part des décideurs. Or, la recherche empirique a montré, à partir de sources primaires, qu’aucun de ces deux postulats n’était aussi vrai qu’il n’y paraît.</p>
<p>Ainsi, au moment de la crise de Cuba, la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-international-security/article/unbearable-lightness-of-luck-three-sources-of-overconfidence-in-the-manageability-of-nuclear-crises/BDE95895C04E7E7988D15DB4F217D1E4">peur a été très limitée en France</a>, alors que le pays était très vulnérable, et les dirigeants qui ont eu le plus peur, tel Fidel Castro, n’ont en rien manifesté de la prudence. Ils ont, bien au contraire, <a href="http://nsarchive2.gwu.edu/nsa/cuba_mis_cri/621026%20Castro%20Letter%20to%20Khrushchev.pdf">poussé dans le sens de l’escalade</a>.</p>
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<p>Sous les apparences de l’évidence, ce sont les hypothèses d’une tradition parmi d’autres qui se manifestent : celle de la dissuasion existentielle, dont la <a href="https://theconversation.com/la-dissuasion-nest-plus-ce-quelle-etait-84131">critique</a> <a href="http://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/24h13fpf8o9n99g23352u3676b/resources/pelopidas-goodby-shultz-the-war-that-must-never-be-fought.pdf">a été menée depuis un demi-siècle</a>. Mais, visiblement, l’élégance du paradoxe séduit au détriment des faits établis par une recherche empirique rigoureuse. Étonnamment, mais fort heureusement, on entend moins ce type de discours de la perfection automatique à propos de la bombe nord-coréenne ou des armes des autres États dotés.</p>
<h2>L’obscénité de la normalisation : accepter le risque nucléaire comme le risque automobile</h2>
<p>L’analogie entre l’acceptation du danger nucléaire et celle du risque automobile est trompeuse et biaisée quant à ce que l’on peut connaître, les conséquences attendues de la catastrophe et la construction de la responsabilité à cet égard.</p>
<p>Ce que l’on peut connaître : la mesure du risque automobile s’appuie sur un univers de données exhaustif et de très grande ampleur dans le temps et dans l’espace, accepté par experts et contre-experts. Au contraire, la mesure du risque nucléaire s’appuie sur un nombre très limité d’événements au sujet desquels les <a href="http://www.sup.org/books/title/?id=22290">officiels ont menti</a>, pour lesquels le secret d’État demeure un obstacle à la connaissance et sur lequel les <a href="https://www.amazon.fr/Thinking-Fast-Slow-Daniel-Kahneman/dp/0374533555">experts surestiment la suffisance et la validité de leur connaissance</a>.</p>
<p>Si ces experts sont financés par des organisations responsables de contrôler le risque nucléaire, le biais cognitif se double d’un intérêt professionnel. Il a ainsi fallu plusieurs décennies et un travail de recherche indépendant et obstiné pour établir que le <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/european-journal-of-international-security/article/unbearable-lightness-of-luck-three-sources-of-overconfidence-in-the-manageability-of-nuclear-crises/BDE95895C04E7E7988D15DB4F217D1E4">danger de la crise dite « de Cuba » était considérable</a>, plus grand encore que ce qu’en pensaient les acteurs de la crise.</p>
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<figcaption><span class="caption">La rencontre entre McNamara et Castro (<em>Le brouillard de la guerre</em>).</span></figcaption>
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<p>La connaissance accessible aujourd’hui en matière de danger automobile et nucléaire n’est donc pas comparable.</p>
<p>Ensuite, un accident automobile mortel n’affecterait sans doute pas plus que des dizaines de personnes, tandis qu’une explosion nucléaire en tuerait probablement des dizaines de milliers, sans parler des dommages sur le long terme. Une escalade en Inde et au Pakistan pourrait ainsi causer un <a href="http://climate.envsci.rutgers.edu/pdf/XiaChinaAgro.pdf">milliard de morts</a> par famine et effets indirects d’après une modélisation récente.</p>
<p>Enfin, l’attribution de responsabilité quant à l’accident de voiture n’a rien à voir avec celle d’une catastrophe nucléaire. La connaissance des risques encourus est accessible aux futures victimes lorsqu’elles prennent la route. Au contraire, les populations, et victimes potentielles d’une catastrophe nucléaire, ne connaissent que très rarement les dangers auxquels elles sont exposées, du fait des illusions de connaissance et de contrôle activement perpétuées par quiconque déploie cette analogie.</p>
<p>L’accident de la route sera, par ailleurs, pris en charge par une assurance qui offrira des compensations aux survivants et sanctionnera les responsables. Mais quelles sanctions pourraient être prises pour les experts majoritaires du nucléaire s’ils se trompaient ? Ils annoncent, au moins depuis 2006, que l’Iran aura « la bombe » demain matin… L’erreur, tant qu’elle est collective et dans le sens de la politique en cours, n’affecte pas l’autorité de ceux qui la commettent. Le parallèle avec les experts de la finance après la crise de 2008 est <a href="https://www.cairn.info/politiques-publiques-3--9782724612387-page-321.htm">éloquent</a>.</p>
<p>En somme, l’analogie entre les possibilités de l’accident de voiture et de la catastrophe nucléaire normalise le monde nucléaire tel qu’il est et entend réaffirmer l’autorité de ceux qui se disent en position de contrôle, mais n’auraient pas à rendre compte en cas de catastrophe.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Puisque des éléments au-delà du contrôle des décideurs ont empêché l’escalade, que la peur n’a pas toujours été à la hauteur du danger, qu’il a fallu des décennies pour prendre la mesure des dangers réels encourus en 1962, que les « experts » para-officiels <a href="http://www.sup.org/books/title/?id=22290">tout comme les participants aux délibérations de l’époque</a> ont perpétué des illusions de contrôle et de connaissance, et que la vulnérabilité nucléaire demeure, seule une <a href="https://theconversation.com/pour-une-recherche-independante-sur-les-armes-nucleaires-en-france-62250">recherche réellement indépendante</a> et des citoyens actifs peuvent faire la lumière sur notre passé nucléaire en vue d’éclairer l’avenir.</p>
<p>Cette recherche met en lumière les <a href="http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/les-enjeux-nucleaires-du-prochain-mandat-presidentiel">paris</a> au nom desquels experts et décideurs choisissent de perpétuer la vulnérabilité nucléaire globale et propose des moyens d’identifier le rôle de la chance plutôt que de le nier a priori. En attendant de prochaines découvertes, le moins qu’elle puisse faire est de donner au citoyen actif les moyens d’éviter l’intoxication.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85554/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benoît Pelopidas va recevoir des financements de l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) et du European Research Council (ERC) sur la base d'une évaluation scientifique de son projet de recherche. Il est chercheur associé au European Leadership Network. </span></em></p>Le prêt à penser, les contrevérités et la désinvolture se sont répandus à propos de la question du danger nucléaire. Voici quelques exemples à détecter et quelques pistes pour éviter l’intoxication.Benoît Pelopidas, Titulaire de la chaire d'excellence en études de sécurité au CERI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/841312017-09-19T18:46:06Z2017-09-19T18:46:06ZLa dissuasion n’est plus ce qu’elle était<p>Dissuasion : le mot n’est plus synonyme systématique de possession de l’arme nucléaire (« force de dissuasion ») mais renvoie à tout un éventail de postures dont l’objectif est de décourager un tiers (adversaire potentiel ou déclaré) d’aller plus loin dans l’escalade, d’entreprendre une action contre ses intérêts, de se mêler de ce qui ne le regarde pas.</p>
<p>La crise coréenne actuelle, les tirades de Donald Trump, le non-dit de l’intimidation russe, les bras de fer récents avec l’Iran, et l’essor des puissances émergentes restent, en partie, liée à la problématique nucléaire. Mais, en réalité, ils la dépassent largement, pour inclure des registres d’action plus variés.</p>
<h2>Feu la dissuasion</h2>
<p>La dissuasion <em>à l’ancienne</em>, c’est-à-dire à la mode bipolaire, reposait sur la menace de l’apocalypse : la destruction mutuelle assurée (MAD) entre les plus grands, ou des pertes inacceptables au regard de l’objectif poursuivi, pour un grand qui voudrait s’en prendre à un plus petit – le plus petit atteignant ainsi un « seuil de suffisance » qui faisait de l’atome une arme égalisatrice en ce qu’elle devait constituer une assurance vie, y compris contre les adversaires supérieurs.</p>
<p>C’était, entre autres, l’idée des penseurs français de la doctrine nucléaire. Cette dissuasion pouvait soit exclure l’emploi du nucléaire en premier et n’être donc que défensive, soit ne s’adresser qu’aux autres puissances nucléaires (et donc facteur de statu quo), soit ne rien exclure du tout (et ainsi compenser une potentielle infériorité conventionnelle – par exemple Israël, à l’époque, face aux armées arabes voisines).</p>
<p>Les limites de cette dissuasion-là ont été largement commentées, notamment par <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Penser-la-guerre-Clausewitz">Raymond Aron</a>. Les doctrines de la dissuasion, poussées à l’extrême de l’abstraction par des théories des jeux complexes, étaient peu applicables aux réalités politiques, humaines, sociales, d’une crise internationale grandeur nature. La crise des fusées de Cuba entre les États-Unis et l’URSS, en 1962, a montré – notamment au fil de l’étude magistrale de Graham Allison (<a href="http://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199646135.001.0001/oxfordhb-9780199646135-e-38">Essence of Decision</a>, 1971) la subtilité des dynamiques à l’œuvre, le caractère hautement hasardeux des procédures opérationnelles, et la nature aléatoire des choix des acteurs.</p>
<p>Ensuite, à mesure que la prolifération agissait – en plus des cinq permanents du Conseil de Sécurité, l’Inde, le Pakistan, sans doute Israël et bien sûr la Corée du Nord, se sont dotés de l’arme atomique, d’autres ont été tentés ou ont tenté de le faire –, les règles se sont brouillées et l’accident devenait plus envisageable encore. Enfin, les agissements d’acteurs internationaux non étatiques (religieux, terroristes, mafieux…) ont posé la question de l’efficacité de la dissuasion nucléaire étatique face à des adversaires non étatiques, et celle de la crédibilité de l’usage de l’arme atomique par des démocraties contre des sociétés civiles.</p>
<h2>Cinq nuances de bluff</h2>
<p>Les puissances ont, sans le dire, tiré les leçons de ces évolutions. La dissuasion d’aujourd’hui n’est plus seulement celle du fort doté de <em>n</em> têtes nucléaires, face à des acteurs inférieurs. Elle se décline sur au moins cinq modes : celui du fou, celui du trublion, celui du déterminé, celui du nuisible, et celui du dissuadeur potentiel.</p>
<p><strong>Le fou</strong> ne fait pas dans la nuance, et à ce titre reste le plus proche des doctrines anciennes de la riposte massive. Il est illustré aujourd’hui par <a href="https://www.letemps.ch/opinions/2017/09/04/kim-jongun-estil-fou-monde-ulcere-bombe-h-1">Kim Jong Un</a> et son étrange régime nord-coréen. Promettant l’impensable à quiconque s’opposerait à lui, il dissuade d’abord en entretenant la perception d’une irrationalité totale, capable du pire, imperméable aux discussions raisonnables. Laissant le choix entre l’<em>appeasement</em> coupable et l’engrenage fatal, il crée habilement une sorte de syndrome de Munich permanent.</p>
<p>Il ne reste qu’à espérer qu’il revienne à la raison, ou à engager en premier une difficile guerre préventive. <a href="http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20111208.OBS6259/syrie-le-president-bachar-al-assad-est-il-fou.html">Bachar al-Assad</a>, certes désormais sous double tutelle russo-iranienne, tente également de se rapprocher de ce profil : la destruction totale est préférable à la défaite, la vie humaine, ni le patrimoine, ni rien d’autre, n’ont aucune valeur, la discussion est vaine.</p>
<p><strong>Le trublion</strong> peut se situer sur un registre voisin, mais, encadré par un système politique au pouvoir plus collectif, c’est davantage sa personnalité propre qui pose question. Il suscite à l’extérieur un doute subtil en plusieurs étapes. « Osera-t-il ? ». « S’il ose, quelle est sa réelle marge de manœuvre ? Le système le laissera-t-il faire ? ». « S’il déclenche une guerre – pas forcément nucléaire – son opinion suivra-t-elle ? Restera-t-il au pouvoir ? »</p>
<p><a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/08/16/trump-incontrolable-les-republicains-sans-garde-fou_1590334">Donald Trump</a>, promettant à la fois d’en finir avec Kim Jong Un, Nicolas Maduro et d’autres encore, sans jamais tenir compte de la fragilité des équilibres régionaux, incarne le trublion magnifique, peut-être pas fou, mais si ignorant qu’il en devient dangereux. Les trublions n’ont jamais manqué (de <a href="http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20130306trib000752538/les-petites-phrases-et-grandes-provocations-du-tribun-hugo-chavez.html">Chavez</a> à Berlusconi), mais ils n’ont pas toujours été belliqueux, et ont rarement eu la puissance de feu des États-Unis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=903&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=903&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=903&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186400/original/file-20170918-8268-1t59kib.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1135&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La détermination de V. Poutine, un effet dissuasif.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.putin.kremlin.ru/2013-01">Kremlin/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p><strong>Le déterminé</strong> joue la carte de la dissuasion par le cynisme implacable. Sa réputation n’est pas celle de l’incompétence psychiatrique ou politique, mais au contraire celle d’un esprit brillant (individuel ou collectif), développant une stratégie calculée, qui sera bien mise en œuvre jusqu’au bout, quelles que soient les réactions indignées, qui apparaîtront bien naïves. La Russie – surtout celle de <a href="http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/poutine-ou-la-strategie-du-coup-d-avance_1775572.html">Vladimir Poutine</a>, mais aussi la <a href="http://www.courrierinternational.com/article/strategie-comment-la-chine-etend-son-empire-maritime">Chine</a> ou <a href="http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/313792/gaza-samedi">Israël</a> ont montré, à plusieurs reprises, la maîtrise de cette carte.</p>
<p>Leur caractère dissuasif tient à leur capacité à maintenir sur la durée, en dépit des protestations, le fil d’une détermination implacable. Détermination à reconquérir, y compris par le fait accompli, l’influence dans leur voisinage régional (Russie en Ukraine et Géorgie ; Chine en mer de Chine du Sud ; Israël par la colonisation ou les frappes sur le Hezbollah ou le Hamas…). Ils font savoir qu’ils ne reculeront pas, et là réside leur caractère dissuasif. La France a eu ses moments de dissuasion par la détermination, incarnée par une personnalité forte, comme Charles de Gaulle ou François Mitterrand. Jacques Chirac est parti sur ce registre, avec la reprise des essais nucléaires en 1995, tout en tenant compte, finalement, de la contrainte globale à la fin du processus.</p>
<p><strong>Le nuisible</strong> s’inscrit davantage dans la stratégie indirecte. Maîtrisant un grand nombre de paramètres régionaux, en grande partie non étatiques et transnationaux, il sait convaincre qu’une action contre lui provoquerait une onde de choc considérable. Comme le déterminé, il avance ses pions, mais en jouant davantage sur des mécanismes de solidarité par le bas (confessionnels, ethniques, linguistiques…), d’autant plus redoutables que chacun sait que s’ils sont aisément déclenchables, ils s’avéreront ensuite très difficile à calmer. L’<a href="http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/jean-francois-bayart-une-capacite-de-nuisance-considerable_482189.html">Iran</a> incarne ce modèle de dissuasion, en entretenant savamment la conviction qu’une action d’envergure contre lui provoquerait des troubles graves au Liban, peut-être à Bahreïn et ailleurs, des conséquences Irak, au Yémen, en Syrie…</p>
<p>Enfin, <strong>le dissuadeur potentiel</strong> reste pour l’heure sur le registre du partenaire qui concerte ses partenaires et interlocuteurs, et s’inscrit dans une démarche de sécurité collective. Mais sa force économique, son niveau d’excellence technologique, la compétence de son personnel politique, militaire, diplomatique et autre, ne laissent aucun doute sur le fait qu’il est en mesure de réunir rapidement les conditions d’une véritable force de frappe, appuyée elle-même sur une centralité reconnue dans le système économique et commercial global.</p>
<p>L’Allemagne et le Japon entrent naturellement dans cette catégorie. États du « seuil » en matière nucléaire, disposant d’un budget militaire qui peut encore être augmenté et utilisé avec moins d’autocontrainte en cas de menace urgente, solides sur le plan financier, en pointe au niveau technologique, seule leur volonté politique de ne pas user de ces atouts à mauvais escient, les a jusqu’à présent éloignés d’une logique de dissuasion.</p>
<p>D’autres registres de dissuasion existent sans doute, et se développeront sûrement. Ils imposent une réflexion sur l’avenir de la dissuasion à l’ancienne, qui n’est pas à jeter aux oubliettes de l’histoire, mais doit très certainement être revue et adaptée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84131/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La dissuasion d’aujourd’hui n’est plus seulement celle du fort doté de N têtes nucléaires, face à des acteurs inférieurs. Elle se décline sur au moins cinq modes.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/834652017-09-04T20:43:32Z2017-09-04T20:43:32ZTrump et la Corée du Nord : les États-Unis perdants à tous les coups<p>Le sixième essai nucléaire nord-coréen, <a href="http://www.europe1.fr/international/la-coree-du-nord-semble-avoir-realise-un-nouvel-essai-nucleaire-un-seisme-de-magnitude-63-signale-3425732">réalisé dimanche 3 septembre</a>, montre que le régime de Pyongyang pourrait bientôt mettre au point une ogive nucléaire miniaturisée, à même d’être déployée dans un missile balistique intercontinental. En effet, la secousse tellurique de <a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us2000aert#executive">magnitude 6,3</a> sur l’échelle de Richter qui a été enregistrée en Corée du Nord a été provoquée par une explosion nucléaire qui <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/03/ce-qu-il-faut-savoir-sur-l-essai-nucleaire-nord-coreen-et-ses-consequences_5180280_3216.html">pourrait être celle</a> d’une bombe à hydrogène. Ce séisme artificiel a été approximativement <a href="http://www.38north.org/2017/09/nuke090317/#_ftn4">10 fois plus puissant</a> que celui enregistré lors des derniers essais nucléaires nord-coréens, en septembre 2016.</p>
<p>La crise diplomatique créée par l’explosion nord-coréenne place les États-Unis dans une situation dont ils sortiraient à tous les coups perdants. Cette impasse aggrave d’ailleurs la crise, puisque la réaction de l’administration américaine à cet essai nucléaire peut s’avérer très ferme. Prenons donc le temps d’envisager quelques scénarios.</p>
<h2>La guerre</h2>
<p>Si les États-Unis rentraient en guerre contre la Corée du Nord, la vie de millions de personnes résidant dans toute la région serait en jeu. À la suite de ce dernier essai nucléaire, James Mattis, secrétaire à la Défense, a <a href="https://www.nknews.org/2017/09/massive-military-response-if-n-korea-threatens-u-s-mattis/?c=1504473046047">menacé la Corée du Nord</a>, d’« une réponse militaire efficace et massive ». Utilisant une rhétorique inappropriée, ce type de propos, distillés par l’administration Trump, portent atteinte à la crédibilité et au positionnement régional des États-Unis.</p>
<p>En effet, toute action militaire contre la Corée du Nord est <a href="https://theconversation.com/attacking-north-korea-surely-donald-trump-couldnt-be-that-foolish-76144">particulièrement risquée</a>. Plus largement, il ne semble pas qu’il existe une option politique convaincante liée à l’utilisation de la force. C’est d’ailleurs <a href="http://prospect.org/article/steve-bannon-unrepentant">ce que relevait</a> Steve Banon, conseiller de Donald Trump jusqu’au 18 août dernier :</p>
<blockquote>
<p>« Il n’existe pas de solution militaire à la menace nucléaire nord-coréenne, vous pouvez faire une croix dessus. À moins que quelqu’un m’explique comment, si un conflit éclatait, les 10 millions de coréens du sud qui vivent à Séoul ne mourraient pas dans les 30 premières minutes, tués par des armes conventionnelles ; il n’y a donc pas de solution militaire, ils nous tiennent. »</p>
</blockquote>
<p>De ce fait, peu importe le scénario, les États-Unis perdraient la guerre, bien que leurs forces militaires, soutenues par l’armée sud-coréenne, finiraient inévitablement par remporter le conflit.</p>
<h2>Ne rien faire</h2>
<p>Si jamais l’administration Trump continuait à bomber le torse, tout en ne faisant rien, elle laisserait les alliés régionaux des États-Unis dans une situation risquée, et donnerait à la Chine un boulevard dans la reconfiguration politique régionale en Asie du Nord-Est. Les alliances américaines avec les États situés dans cette région, en particulier la Corée du Sud, s’en trouveraient contestées, indépendamment de ce que Donald Trump pourrait faire par la suite.</p>
<p>En cas de guerre, les futurs missiles nucléaires intercontinentaux de la Corée du Nord augmenteraient le risque, pour les États-Unis, d’avoir à défendre la Corée du Sud et le Japon. Cette situation minerait la confiance de ces États en la garantie sécuritaire américaine. D’ailleurs, le fait que l’administration Trump <a href="https://www.cnbc.com/2017/05/12/us-still-doenst-have-ambassadors-in-china-south-korea-or-japan.html">ait tardé à nommer des ambassadeurs</a> en Corée du Sud et au Japon ne contribue pas à apaiser la situation actuelle.</p>
<p>Toute action militaire qui mènerait à une escalade vers la guerre pourrait déclencher une attaque de l’artillerie nord-coréenne sur Séoul (la capitale sud-coréenne), et des frappes de missiles sur d’autres cibles, en Corée du Sud, au Japon, et même bien plus loin.</p>
<p>Si elle était poussée dans ses retranchements et que la continuité du régime de Kim Jong-un était menacée directement, la Corée du Nord <a href="https://muse.jhu.edu/article/14386">pourrait même utiliser</a> des armes nucléaires. Par conséquent, dans la mesure où elles ont été mises en place pour éviter ce genre d’attaque, les alliances américaines avec la Corée du Sud et le Japon s’en trouveraient fortement ébranlées.</p>
<h2>De nouvelles sanctions</h2>
<p>Si les sanctions restent aussi inefficaces qu’elles l’ont été jusqu’à présent, la Corée du Nord n’aura aucun problème à les contourner et à parachever l’acquisition d’un arsenal nucléaire complet.</p>
<p>Un tel succès saperait les fondements du régime international de non-prolifération nucléaire. La Corée du Nord ferait figure d’exemple pour d’autres candidats potentiels, en leur montrant qu’il est possible de développer un arsenal nucléaire sans en subir de conséquences significatives – en dehors de sanctions économiques inefficaces.</p>
<p>Un tel scénario démontrerait aussi que les États-Unis sont incapables, face à une puissance déterminée à acquérir des armes nucléaires, de défendre leur hégémonie en la matière.</p>
<p>Le monopole nucléaire est l’un des piliers de la puissance américaine. Basé sur le <a href="http://www.un.org/french/events/npt2005/npttreaty.html">Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires</a> de 1967, il stipule qu’aucun État non doté d’un arsenal au moment de sa signature ne doit s’en doter. Le <a href="http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09512748.2011.554992?src=recsys&">« spectre du nucléaire »</a> représenté aujourd’hui par certains pays leur donne plus de latitude pour négocier avec les États-Unis et réduit les possibilités pour ces derniers d’exercer leur pouvoir.</p>
<h2>Une guerre commerciale avec la Chine</h2>
<p>Si les États-Unis décident de mettre la pression sur la Chine pour qu’elle intervienne, ils prendront le risque de s’engager dans une guerre commerciale qu’ils ne pourront que perdre.</p>
<p>Sur Twitter, Donald Trump a affirmé que les États-Unis « considéraient, en plus d’autres possibilités, celle d’interrompre toute relation commerciale avec les pays qui commercent avec la Corée du Nord ». Un avertissement à peine voilé à Pékin, principal partenaire commercial de Pyongyang.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"904377075049656322"}"></div></p>
<p>Le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, <a href="http://www.latribune.fr/economie/international/coree-du-nord-trump-prepare-de-nouvelles-sanctions-748873.html">a fait la même proposition</a> en annonçant que son ministère travaillait à une série de sanctions destinées à étrangler « toute activité commerciale » avec la Corée du Nord.</p>
<p>Des voix se sont également fait entendre pour appeler la Chine à <a href="http://m.koreatimes.co.kr/phone/news/view.jsp?req_newsidx=235888">interrompre ses livraisons de pétrole brut</a> et ainsi renforcer la pression sur les épaules du régime de Kim Jong-un.</p>
<p>Cependant, n’oublions pas que <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/sep/03/north-korea-bomb-trumps-trade-threat-to-china-not-seen-as-credible?CMP=share_btn_tw">Washington a importé 463 milliards de dollars</a> (389 milliards d’euros) de marchandises depuis la Chine l’an dernier. <a href="http://www.telegraph.co.uk/finance/financialcrisis/4782755/Hillary-Clinton-pleads-with-China-to-buy-US-Treasuries-as-Japan-looks-on.html">Comme l’avait remarqué Hillary Clinton</a> lorsqu’elle était secrétaire d’État, Pékin a une marge de négociation considérable avec Washington puisqu’il est <a href="http://money.cnn.com/2017/08/16/investing/china-us-debt-treasuries/index.html">son premier créancier</a>.</p>
<p>Engager une stupide spirale protectionniste, au risque de conduire à une récession mondiale, ou forcer la Chine à lâcher la « bombe dollar » ne peuvent donc être des solutions crédibles au problème nord-coréen.</p>
<h2>Le gel du programme nucléaire</h2>
<p>Une hypothétique négociation entre Washington et Pyongyang sur le gel du programme nucléaire en Corée du Nord ne ferait sans doute que repousser le problème.</p>
<p>Quand on a à l’esprit les <a href="https://theconversation.com/north-korea-tests-again-the-ritual-of-korean-peninsula-nuclear-politics-52823">propos fermes</a> tenus rituellement par les dirigeants de la région à la suite de chaque provocation de la Corée du Nord, et la répétition absurde de l’idée selon laquelle diplomatie signifie forcément <a href="https://Twitter.com/realDonaldTrump/status/904309527381716992">« apaisement »</a>, <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/sep/03/this-north-korean-nuclear-test-means-trump-must-now-start-talks?CMP=twt_gu">discuter avec la Corée du Nord</a> pourrait, certes, apparaître comme la moins pire des solutions.</p>
<p>Le régime de Kim est susceptible d’accepter un <a href="https://www.armscontrol.org/act/2017-08/features/advances-north-korea-missile-program-what-comes-next">gel de son programme nucléaire militaire</a>, ou un moratoire sur ses tests balistiques, mais uniquement pour gagner de temps. Au sein du <a href="http://www.kinu.or.kr/upload/neoboard/DATA01/co13-11%28E%29.pdf">modèle de développement dit « Byungjin »</a> cher à Kim Jong-un (la prolifération nucléaire et le développement économique), l’arme nucléaire revêt en effet une importance vitale en terme de légitimité interne, et sous-tend sa longue pratique du <a href="https://theconversation.com/pay-attention-to-me-the-politics-of-north-koreas-next-rocket-launch-11200">chantage au nucléaire</a> en échange de concessions.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, une telle option se heurte à un obstacle de taille : il n’existe même pas de point de départ commun pour amorcer la négociation. Par ailleurs, <a href="http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09512748.2011.554992?src=recsys&">on voit mal</a> le régime de Pyongyang renoncer volontairement à son programme nucléaire militaire, clé de voûte de sa stratégie de sécurité nationale, de son développement économique et de sa légitimation politique sur le plan interne.</p>
<h2>Un accord de paix</h2>
<p>Si les États-Unis négocient un traité de paix avec la Corée du Nord, leur prestige risque d’être durablement entamé dans la région – et la raison d’être de leur présence militaire en Corée du Sud tout simplement annihilée.</p>
<p>Pourtant, il reste une possible voie de négociation lorsque la Corée du Nord aura achevé son programme et déployé ses vecteurs nucléaires. À ce moment précis, elle pourrait en effet appeler les États-Unis à négocier un accord de sécurité et la fin formelle de la guerre de Corée, la péninsule demeurant techniquement en état de guerre <a href="http://news.findlaw.com/cnn/docs/korea/kwarmagr072753.html">depuis l’armistice de 1953</a>.</p>
<p>Mais qu’est-ce qui pourrait bien pousser la Corée du Nord à s’engager dans telles discussions ? La raison en est simple : une fois dotée d’une de force dissuasion nucléaire, elle pèsera beaucoup plus lourd dans les négociations.</p>
<p>Or une telle option est sans doute la moins inquiétante de toutes aux yeux de l’administration Trump. Il est même fort probable que les pays de la région soient contraints, au final, de trouver un moyen d’accepter une Corée du Nord nucléarisée.</p>
<h2>Le signe du déclin américain</h2>
<p>Au-delà de sa capacité à faire une démonstration de force et à résoudre cette crise, rien ne dit qu’au final l’administration Trump n’aura pas fait étalage des limites de sa puissance.</p>
<p>Les événements actuels en Corée du Nord ne seraient-ils pas la <a href="http://www.bbc.co.uk/history/british/modern/suez_01.shtml">crise de Suez</a> des États-Unis ?</p>
<p>En 1956, la Grande-Bretagne surestima ses capacités à maintenir son emprise en Égypte, exhibant par la même occasion le gouffre existant entre ses prétentions impériales datant d’une époque révolue et la réalité de sa puissance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>Le cas de la Corée du Nord est emblématique de cette <a href="https://theconversation.com/china-globalisations-unlikely-champion-72101">fin de la suprématie américaine sur la scène mondiale</a>. L’administration Trump n’a que des cartes perdantes à sa disposition. Cet état de fait illustre de manière criante le déclin des États-Unis et ses marges de manœuvre de plus en plus étroites dans l’environnement stratégique de l’Asie du Nord-Est.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte a été traduit par la rédaction de The Conversation France. Pour plus d’information sur ce sujet, vous pouvez écouter en <a href="https://soundcloud.com/asia-rising/trump-vs-north-korea">podcast</a> la discussion entre Benjamin Habib et Nick Bisley.</em></p>
<iframe width="100%" height="450" scrolling="no" frameborder="no" src="https://w.soundcloud.com/player/?url=https%3A//api.soundcloud.com/tracks/339263338&color=ff5500&auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true"></iframe><img src="https://counter.theconversation.com/content/83465/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Habib ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que faire face aux provocations répétées du régime nord-coréen ? Si les États-Unis de Donald Trump disposent de plusieurs options, aucune ne semble véritablement en mesure de stopper Kim Jong-un.Benjamin Habib, Lecturer, School of Social Sciences, La Trobe UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/828402017-08-29T11:26:41Z2017-08-29T11:26:41ZTrois réflexions sur l’analogie entre la crise coréenne et la crise de Cuba<p>Après la brusque poussée de fièvre entre la Corée du Nord et les États-Unis, début août, la tension avait semblé retomber. Un répit seulement, car la Corée du Nord vient de tirer un missile au-dessus du Japon, à l’issue des exercices militaires menés conjointement par les Américains et les Sud-Coréens dans cette même zone. Il s’agit sans doute de montrer que les menaces et les sanctions n’empêcheront pas le régime de Pyongyantg de poursuivre coûte que coûte son programme balistique.</p>
<p>A plusieurs reprises, la crise de Cuba, <em>alma mater</em> de l’étude des crises nucléaires, a été évoquée dans ce dossier. Certes, cette crise a été une <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/08/15/coree-du-nord-ni-resolution-diplomatique-ni-conflit-militaire_5172588_3232.html">vraie surprise</a>, alors qu’un nouveau pic de tension avec la Corée était attendu, à cause des progrès en matière balistique accomplis Pyongyang. Il ne s’agit pas ici de faire la liste des ressemblances et des différences entre 1962 et 2017, mais de proposer quelques réflexions d’historien.</p>
<h2>Les armes nucléaires sont-elles offensives ou défensives ?</h2>
<p>Dans chaque étude sur la crise de Cuba, on reproduit la carte montrant la portée des missiles installés sur l’île, pour montrer à quel point ils menaçaient le territoire américain. On a fait de même avec les <a href="https://www.washingtonpost.com/graphics/2017/world/north-korea-launch/?utm_term=.2e15a7adaa2d">missiles nord-coréens</a>. Ils semblent, dès lors, relever de l’offensive, voire de l’agression possible, et il y a eu bien des surréactions à la demande de Kim Jong-un de plans pour faire des tests de missiles près de Guam. La vulnérabilité à des frappes nucléaires a toujours rendu les Américains mal à l’aise, et c’est bien ce qui a amené le président Reagan, dans les années 1980, à vouloir sortir d’une stratégie de prise en otage mutuelle, en souhaitant au mieux un monde sans armes nucléaires et au minimum un bouclier antimissile.</p>
<p>Les missiles à Cuba servaient, pour Khrouchtchev, à rééquilibrer le jeu nucléaire américano-soviétique. Kennedy s’était fait élire grâce à la thématique du « missile gap ». Or les Américains, au contraire, étaient très supérieurs aux Soviétiques en ICBM (missiles à longue portée). Comme le leader soviétique misait sur le nucléaire pour la défense du pays, afin de rediriger des ressources vers le développement économique, il lui fallait, auprès du Politburo, ne pas paraître en difficulté. Des missiles à Cuba toucheraient les États-Unis de la même façon. Les Américains avaient installé des missiles autour de l’URSS pour la même raison, avant d’avoir assez d’ICBM ou de missiles embarqués sur des sous-marins. Par ailleurs, Khrouchtchev était ravi de montrer aux Américains ce que représente de vivre avec des missiles ennemis aux frontières, comme ils en avaient déployé en Turquie.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=802&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183639/original/file-20170828-1572-fr2lio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1008&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Che Guevara et Fidel Castro en 1961.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/47/CheyFidel.jpg">Albert Korda/Wikimedia</a></span>
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<p>L’objectif du Kremlin n’était donc pas d’attaquer. Les missiles américains en Turquie étaient présentés comme défensifs, et comme une « garantie » de l’alliance entre Washington et Ankara (dans le cadre de l’OTAN). De même, pour Khrouchtchev, les missiles servaient bien à défendre Cuba. Rappelons ici l’affaire de la Baie des Cochons (1961), tentative de débarquement des anti-castristes, mais aussi que les États-Unis préparaient, en 1962, une opération militaire de grande ampleur pour faire tomber le régime castriste (préparation ne voulant pas dire toutefois mise à exécution).</p>
<p>Aujourd’hui, la question est de savoir si le régime à Pyongyang ne juge pas tout simplement le nucléaire et les missiles comme étant indispensables à sa propre défense. Les Américains ont retiré leurs dernières armes nucléaires de Corée du Sud en 1991 (elles y avaient été installées à partir de 1957), mais peuvent frapper le Nord de bien d’autres manières. On peut rappeler que la crise de Cuba s’est achevée par la promesse de non-invasion de Cuba par Washington contre le retrait des missiles soviétiques de l’île (et américains de Turquie). La Corée du Nord pourrait-elle accepter ce type d’accord ? Les Américains veulent moins changer son régime que celui de Cuba, et les émigrés anticastristes sont plus préoccupés par leur île que les Coréens du Sud par la Corée du Nord.</p>
<p>N’oublions pas qu’il y a eu, en réalité, une <a href="http://www.sup.org/books/title/?id=17376">seconde crise de Cuba</a>, lorsqu’en novembre 1962, les Soviétiques ont voulu retirer leurs missiles de l’île. Castro, qui avait vitupéré contre la « capitulation » soviétique le mois précédent, vécut très mal cet « abandon ». Il pouvait toutefois estimer que l’Union Soviétique restait une protection efficace (d’autant que l’URSS développa alors sa marine), alors que la Corée du Nord se sent bien seule aujourd’hui. Pyongyang a bien vu qu’en 1962 Cuba avait été abandonné par Moscou, et cela l’a encouragé à obtenir ses propres capacités nucléaires (quitte à demander de l’aide, sans succès, de la part des Soviétiques et des Chinois).</p>
<p>L’invasion de la Grenade par les Américains en 1983 a aussi provoqué une <a href="https://www.washingtonpost.com/news/made-by-history/wp/2017/08/09/the-reagan-era-invasion-that-drove-north-korea-to-develop-nuclear-weapons/?utm_term=.4539454c079f">accélération du programme nucléaire de la Corée du Nord</a>. En définitive, la Corée du Nord a gagné en 2017 plus que l’URSS (et Cuba) en 1962, puisque la perspective de <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2017/08/16/la-crise-avec-pyongyang-a-mis-a-jour-un-changement-de-paradigme-sur-le-nucleaire-nord-coreen_5172765_3210.html">sa dénucléarisation a semblé s’éloigner</a>, C’est un peu comme si les missiles soviétiques étaient restés à Cuba…</p>
<h2>Le risque d’utilisation de l’arme nucléaire</h2>
<p>Les historiens estiment désormais que le risque d’escalade nucléaire ne fut finalement pas aussi grave que redouté à l’époque. L’autodissuasion a joué. Il semble bien que Khrouchtchev ait perçu les <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01402390.2017.1330683">risques d’une guerre nucléaire</a>. Certains stratèges continuent de colporter l’image d’un Kennedy viril, menaçant du pire les Soviétiques et les forçant à capituler, et vont jusqu’à souhaiter que Trump pousse la <a href="https://www.wsj.com/articles/playing-chicken-with-china-1503258727">crise à l’extrême avec la Chine</a> pour qu’elle règle le problème nord-coréen. Avec le recul, Kennedy apparaît pourtant davantage comme une colombe au milieu de son entourage de faucons, alors que <a href="http://www.newsweek.com/north-korea-nuclear-standoff-trump-has-flunked-jfk-cuba-missile-crisis-test-652075">Trump semble le faucon dans un entourage plus « réaliste »</a>.</p>
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<p>C’est oublier les <a href="https://global.oup.com/academic/product/kennedys-quest-for-victory-9780195045840?cc=fr&lang=en&">anciennes critiques de gauche</a> qui se demandèrent pourquoi Kennedy a déclenché une crise avec Moscou sur Cuba, alors que les missiles déployés sur l’île ne changeaient pas tant l’équation stratégique que cela, si ce n’est que les Américains seraient morts quelques minutes plus tôt en cas de tir depuis Cuba plutôt que depuis l’URSS… Pour ces critiques, le jeune Président aurait pensé, avant tout, à sa crédibilité personnelle et internationale. Il aurait voulu affirmer sa virilité et celle de l’Amérique, alors que Cuba, jadis féminisée dans les discours et les représentations iconographiques américaines, avait été conquise par un barbu en treillis et cigare (Castro castrant l’Amérique) et l’hémisphère occidental <a href="https://www.upress.umn.edu/book-division/books/faking-it">« pénétré » par l’Union Soviétique</a> qui y installait de gros missiles…</p>
<p>Aujourd’hui, Trump est suspecté de rouler des épaules parce qu’il ne joue qu’au golf pendant que <a href="http://www.newsweek.com/putin-mocking-trump-golf-photos-647876">Poutine montre ses muscles à la pêche</a>. Une récente étude a montré que l’opinion américaine n’était <a href="https://warontherocks.com/2017/08/how-americans-feel-about-going-to-nuclear-war/">pas hostile à l’usage de l’arme nucléaire</a> face à la menace coréenne, mais on peut s’interroger – comme dans les années 1950 – sur le <a href="http://www.cambridge.org/catalogue/catalogue.asp?isbn=9780521881005">choc que constituerait pour l’opinion asiatique</a> un nouveau bombardement atomique sur des populations locales.</p>
<p>Les personnages de Trump et de Kim Jong-un laissent à penser qu’on est en train d’inaugurer une ère inquiétante, celle de la <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/08/09/folie_1589154">dissuasion « du fou au fou »</a>, ou du <a href="https://www.washingtonpost.com/news/global-opinions/wp/2017/08/09/the-united-states-and-north-korea-are-both-nuclear-rogue-states/?utm_term=.b596c9a9a77b">voyou au voyou</a>. Et certains de se demander, comme avec Nixon au début des années 1970, s’il ne faudrait pas <a href="http://www.politico.com/magazine/story/2017/08/11/donald-trump-nuclear-weapons-richard-nixon-215478">rogner le pouvoir de Trump</a> habilité à déclencher le feu atomique, tandis que Kim apparaît même aux yeux de certains observateurs comme le <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/07/04/l-objectif-de-la-coree-du-nord-est-de-survivre-pas-de-lancer-une-bombe-atomique-sur-le-territoire-americain_5155504_3216.html">plus rationnel des deux</a>.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/coree-du-nord-etats-unis-mettre-fin-a-la-diplomatie-des-extremes-82843">Le danger apparaît davantage dans le risque d’escalade que dans le nucléaire nord-coréen en tant que tel</a>. Certains stratèges soulignent que la crise de Cuba aurait pu dégénérer, même si les deux K ne le voulaient pas. On aurait ainsi frôlé la guerre nucléaire par inadvertance ou malchance, <a href="https://www.frstrategie.org/publications/recherches-et-documents/a-deux-doigts-de-la-catastrophe-un-reexamen-des-crises-nucleaires-depuis-1945-04-2017">même s’il ne faut pas exagérer ce risque</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=466&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=585&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=585&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183638/original/file-20170828-1590-vmk0hq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=585&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nikita Khrouchtchev et John Kennedy (ici en 1961, à Vienne), les deux acteurs principaux de la « crise de Cuba ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7e/John_Kennedy%2C_Nikita_Khrushchev_1961.jpg">U. S. Department of State/Wikimedia</a></span>
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<p>Il n’empêche : le refus de la prolifération nucléaire s’appuie bien souvent sur la question du contrôle des armes atomiques, de la psychologie des dirigeants et du risque de dérapage. Bien sûr, après la crise de Cuba, les deux Grands ont mis en place une « hot line » (improprement traduit en français par « téléphone rouge ») pour éviter les mauvaises perceptions et faciliter la gestion des crises. Mais il est douteux que Washington accepte de rehausser le statut de la Corée du Nord en établissant une telle ligne directe.</p>
<h2>Et si on pensait global ?</h2>
<p>Le traitement médiatique de la crise avec la Corée est marqué par la rareté des perspectives d’ensemble, qui existent désormais <a href="https://www.wilsoncenter.org/sites/default/files/CWIHP_Cuban_Missile_Crisis_Bulletin_17-18.pdf">pour celle de Cuba en 1962</a>. On a, certes, abondamment parlé de la Chine, mais aussi du Japon et de la Corée du Sud. Avec cette préoccupation côté américain : le nucléaire nord-coréen pourrait provoquer une réaction en chaîne : nucléarisation du Japon et de la Corée du Sud. Il faut noter que celle-ci est souhaitée par certains think tanks conservateurs américains qui militent pour une implication minimale des États-Unis sur la scène internationale. Ils estiment que le Japon et la Corée du Sud sont assez riches pour se défendre seuls. Trump, du moins au départ, semblait d’ailleurs sur cette même ligne.</p>
<p>De leur côté, Japonais et Sud-Coréens craignent d’être engagés dans une guerre « américaine » contre la Corée qui pourrait se muer, comme celle de 1950-53, en guerre avec la Chine. Ils ne veulent ni être abandonnés par l’Amérique, ni être entraînés par elle dans un conflit. En cas d’escalade, Washington doit intégrer le risque de possibles attaques sur la Corée du Sud (surtout sur la capitale hypertrophiée Séoul) : en octobre 1962, Kennedy a redouté en permanence une réplique soviétique sur Berlin-Ouest. Plus largement, le sort des alliés ouest-européens des États-Unis était alors en jeu dans les tensions avec Moscou, et c’est principalement les <a href="https://www.routledge.com/An-International-History-of-the-Cuban-Missile-Crisis-A-50-year-retrospective/Gioe-Scott-Andrew/p/book/9781138183650">Britanniques qui étaient consultés par Washington</a>.</p>
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<p>À l’époque, Kennedy ne pouvait ignorer l’offensive de l’armée chinoise contre l’Inde, qui commença précisément durant la crise de Cuba. <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/histoire-du-xxe-siecle/histoire-du-monde-se-fait-en-asie_9782738136237.php">La connexion entre ces deux événements</a> est trop rarement évoquée. Nehru en appela alors aux États-Unis, compromettant son image de non-aligné, tandis que la Chine devait juger le soutien soviétique très insuffisant. Kennedy croyait à une offensive concertée sino-soviétique (Cuba, Inde et Indochine), mais la Chine poussait surtout Moscou à se montrer intransigeant sur Cuba. Ce n’est pas le cas aujourd’hui de la Chine face à la Corée du Nord. Aujourd’hui, le silence des médias sur les actuelles tensions frontalières entre la Chine et l’Inde et l’escalade verbale entre les deux États est surprenant. Notons toutefois qu’un règlement vient d’intervenir, l’Inde acceptant de faire un geste en retirant les troupes qui s’étaient avancées au Doklam, dans l’Himalaya).</p>
<p>Les États-Unis ont semblé envoyer <a href="http://www.firstpost.com/india/hizbul-mujahideen-ban-not-just-terror-us-move-will-help-strengthen-indias-hands-against-china-3941515.html">quelques signaux à l’attention de l’Inde</a>. Celle-ci n’en redoute pas moins que Trump ne l’abandonne face à Pékin <a href="http://www.asianage.com/amp/opinion/columnists/190817/doklam-lessons-from-1962.html">contre un soutien chinois sur le dossier nord-coréen</a>. Des <a href="http://www.globaltimes.cn/content/1061463.shtml">éditorialistes chinois</a> mettent d’ailleurs en garde l’Inde : pas plus qu’en 1962 elle n’aura de soutien de la part des États-Unis.</p>
<p>Ces mêmes éditorialistes estiment que la Russie, pas plus qu’en 1962, ne pourra faire un choix entre la Chine et l’Inde – d’autant que <a href="https://theconversation.com/passes-et-futur-du-pivot-asiatique-de-la-russie-69928">Moscou rêve depuis les années 1950 d’un alignement Moscou-Pékin-Delhi</a>. Moscou semble être une carte de rechange pour Pyongyang. La Russie a toujours été un <a href="https://www.routledge.com/Origins-of-the-North-Korean-Garrison-State-The-Peoples-Army-and-the/Kim/p/book/9781138942158">acteur important dans cette zone</a>, même si ce n’est pas elle seule qui a « fabriqué » le régime nord-coréen d’après 1945. Aujourd’hui, comme hier, elle paraît vouloir jouer sur tout le clavier eurasiatique (Baltique, Ukraine, Balkans, Syrie, Caucase, Afghanistan, Corée…) pour promouvoir ce qu’elle perçoit comme ses intérêts, tout en perturbant ceux des États-Unis. Il est impossible d’analyser la crise coréenne sans penser l’ensemble des théâtres où se déploient Américains et Russes.</p>
<p>Enfin, la question coréenne ne peut être isolée de la question iranienne. Un débat virulent se déroule en ce moment à Washington sur l’avenir de l’accord de 2015 qui devait empêcher l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire. Si les États-Unis déchirent cet accord, cela n’incitera guère Pyongyang à renoncer à son programme nucléaire. Le régime nord-coréen a n’a pas oublié l’élimination de Kadhafi en 2011, alors que la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/traiter-avec-le-diable-_9782738127716.php">Libye avait négocié l’abandon de son programme nucléaire</a>.</p>
<p>En résumé, il ne sert à rien de savoir si l’histoire se répète, ou à se focaliser sur les « leçons » du passé. Il vaut mieux penser toutes les variables et leurs interconnexions. Ce qui permet de rappeler qu’agir sur la scène internationale est une tâche des plus ardues.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/82840/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Rien ne sert de savoir si l’histoire se répète, ou de se focaliser sur les « leçons » du passé. Il faut mieux penser global pour comprendre les tensions actuelles avec la Corée du Nord.Pierre Grosser, Professeur de relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/828432017-08-23T22:08:40Z2017-08-23T22:08:40ZCorée du Nord–États-Unis : mettre fin à la diplomatie des extrêmes<p>Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, la <a href="https://theconversation.com/ladministration-trump-decouvre-lasie-du-nord-vers-lorient-complique-74812">crise nucléaire nord-coréenne</a> s’est progressivement réduite à un face à face tendu entre le nouveau Président américain et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2017/08/09/01003-20170809ARTFIG00280-entre-les-etats-unis-et-la-coree-du-nord-la-guerre-a-portee-de-mots.php">Une escalade verbale dangereuse</a> accompagne désormais chaque avancée du programme nucléaire et balistique de Pyongyang, ajoutant un élément de confrontation supplémentaire et personnalisant à l’excès une situation qui échappe en partie au contrôle de la communauté internationale.</p>
<p>Face à ce contexte de crise à répétition, l’Europe – pourtant présente au <a href="http://asean.org/storage/2017/08/Joint-Communique-of-the-50th-AMM_FINAL.pdf">50ᵉ Sommet de l’ASEAN</a> et ses multiples conférences annexes tenues à Manille début août 2017 – est à peine visible et audible. Or abandonner l’espace diplomatique à La Chine, comme y pousse Donald Trump, incite celle-ci à ne prendre en compte que ses intérêts stratégiques, et à rester quoiqu’elle dise l’allié objectif de Pyongyang.</p>
<p>À ce stade, faute d’acteur porteur de propositions de négociation adaptée, la menace nord-coréenne perdure, la Chine avance ses pions et l’alliance de sécurité organisée autour des États-Unis en Asie du Nord-Est vacille.</p>
<h2>Une posture américaine génératrice d’instabilité</h2>
<p>On le sait : pour fonctionner, la <a href="https://www.cairn.info/l-arme-nucleaire--9782130564973-page-29.htm">dissuasion</a> consiste à convaincre son adversaire que les dommages potentiels encourus en cas de confrontation militaire seraient largement supérieurs aux gains escomptés. Cependant, <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/08/09/tensions-autour-de-la-coree-du-nord-plusieurs-pays-appellent-a-la-retenue_5170532_3216.htm">brandir son arsenal nucléaire</a> comme Donal Trump l’a fait début août, face au dirigeant d’un État totalitaire dont l’ambition manifeste est de garantir sa sécurité et la survie de son régime via l’acquisition de capacités nucléaires, tient du non-sens stratégique.</p>
<p>La pause tactique finalement observée avec la décrue des tensions, dès le 15 août, n’a abouti qu’à souligner l’inconstance de la posture américaine en laissant l’initiative de la désescalade à Pyongyang. Que le régime nord-coréen, fidèle à une ligne verbale connue, accumule les hyperboles belliqueuses ne trouble guère ; mais que le Président des États-Unis y recourt est plus que préoccupant.</p>
<p><a href="http://www.defensenews.com/global/asia-pacific/2017/08/11/if-the-us-is-going-to-war-in-north-korea-nobody-told-the-us-military/">Aucun préparatif militaire sérieux</a> n’était enregistré sur les bases américaines au Japon, en Corée du Sud et a fortiori à Guam au plus fort de la joute verbale entre Washington et Pyongyang. De plus, il s’avère que les <a href="https://www.cnbc.com/2017/08/11/us-diplomat-engaging-in-back-channel-diplomacy-with-north-korea.html">canaux d’échanges diplomatiques traditionnels</a> entre les États-Unis et la Corée du Nord étaient toujours actifs. Joseph Yun, le représentant américain pour la Corée du Nord et son interlocuteur habituel, Pak Song-il, représentant nord-coréen auprès des Nations Unies, étaient très précisément en discussion. Et on se souvient qu’en avril dernier, Donald Trump avait déjà été à l’origine <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/22/un-porte-avions-americain-et-sa-flotte-seront-dans-quelques-jours-en-mer-du-japon_5115399_3210.html">d’une brusque montée de tension</a>, tout en mettant en cause sa crédibilité en évoquant l’envoi d’un porte-avions nucléaire américain dans les approches de la péninsule coréenne.</p>
<h2>Le spectre du découplage entre la sécurité des États-Unis et de leurs alliés</h2>
<p>Si la stratégie de montée aux extrêmes de Donald Trump a constitué une manœuvre destinée à exercer des pressions maximums pour inciter la Chine – et peut-être la Russie – à s’investir davantage auprès de la Corée du Nord, elle a dangereusement exposé les principaux partenaires asiatiques des États-Unis – la Corée du Sud et le Japon.</p>
<p>La résonance médiatique de la crise, l’insistance manifestée par le Président américain et ses principaux représentants à souligner la <a href="https://www.washingtonpost.com/world/national-security/north-korea-now-making-missile-ready-nuclear-weapons-us-analysts-say/20">menace accrue</a> représentée par le dévoilement des capacités balistiques nord-coréennes ont donné à Pyongyang le sentiment d’une nouvelle puissance. Celle-ci pourrait, à terme, pousser Kim Jong-un à une grave erreur d’appréciation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183010/original/file-20170822-30500-kiwjzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Conférence de presse du commandant des forces américaines dans le Pacifique Sud, l’Amiral Harry Harris Jr, pour le lancement des manœuvres conjointes américano-sud-coréennes, le 22 août.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lee Jin-Man/AFP</span></span>
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<p>Cette amplification de la menace nord-coréenne a, en outre, contribué à brouiller la hiérarchie des priorités stratégiques américaines. Les responsables japonais et <a href="http://koreajoongangdaily.joins.com/news/article/article.aspx?aid=3037424">sud-coréens</a> ont pu, à juste titre, se demander si leur grand allié américain n’était pas plus préoccupé par la sécurité de Guam au détriment de celle de Tokyo ou de Séoul, au mépris de ses engagements de sécurité envers eux. Leur position est doublement inconfortable car ils souffriraient tout autant d’un éventuel passage à l’acte des États-Unis ou de la Corée du Nord.</p>
<p>Un <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/08/world/asia/north-korea-japan-missile-south.htm">débat a pris corps à Séoul</a> pour que le pays se dote d’armes nucléaires où que les États-Unis en introduisent puisque la <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/08/11/en-coree-du-sud-des-appels-a-se-doter-d-un-arsenal-nucleaire_5171353_3216.html">Corée du Sud a renoncé à en produire</a> depuis 1974 et la signature d’un traité sur l’énergie atomique avec Washington. À Tokyo, une réflexion a été lancée sur les conditions dans lesquelles le Japon <a href="http://the-japan-news.com/news/article/0003875340">pourrait « légalement et techniquement » intervenir</a> contre les missiles nord-coréens.</p>
<h2>La Chine prise au piège d’une course aux armements régionale</h2>
<p>L’épisode de crise a contribué à éclipser l’unanimité qui a présidé à l’adoption de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord via le <a href="http://www.38north.org/2017/08/jdethomas080717/">vote de la résolution 2371</a> par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 5 août 2017. Certes, en 10 ans, le régime des sanctions n’a pas prouvé son efficacité pour endiguer le développement du programme d’armes nord-coréen. Néanmoins, les embargos successifs décrétés – armements, carburant d’avions, produits de luxe, quotas sur les ressources minières –, la dénonciation de sociétés commerciales écrans ou d’entités bancaires complices en a accru la portée. La résolution 2371 ambitionne de <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/08/06/pyongyang-missiles-et-chatiments_1588487">réduire d’un tiers les revenus nord-coréens</a>, notamment en visant de nouveaux secteurs, dont le lucratif domaine des produits de la mer et l’exportation de main-d’œuvre nord-coréenne.</p>
<p>Toutefois, même si comme elle s’y est engagée, la <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/08/07/97001-20170807FILWWW00104-la-chine-appliquera-a-100-les-sanctions-contre-la-coree-du-nord.php">Chine applique les sanctions à 100 %</a> (suivant l’expression de son ministre des Affaires étrangères Wang Yi), celles-ci ont peu de chance de faire revenir la Corée du Nord à la table des négociations si elles ne sont pas accompagnées de nouvelles bases de discussions. À ce jour, la Chine, appuyée par la Russie, a proposé un <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/north-korea-nuclear-threat-china-double-freeze-by-minxin-pei-2017-08">double moratoire</a>, ou double gel, qui répond avant tout à ses préoccupations stratégiques : la Corée du Nord s’engagerait à suspendre son programme nucléaire et balistique en échange d’un arrêt des manœuvres militaires conjointes américano-sud-coréennes et d’un retrait du dispositif antimissiles américain THAAD (<em>terminal high-altitude area defense</em>), par la Corée du Sud.</p>
<p>On le sait : Pékin n’a de cesse de dénoncer l’introduction de ce système, estimant qu’il fragilise sa stratégie d’interdiction et de déni d’accès (A2/AD pour <em>anti access/area denial</em>). Or, tant les dirigeants sud-coréens que <a href="http://www.huffingtonpost.com/entry/japan-north-korea_us_59946e1fe4b0e789a948b47f">japonais</a>, persuadés de la pertinence d’une capacité antimissile pour leur défense, sont en train d’investir pour disposer de <a href="https://www.nytimes.com/2017/07/29/world/asia/us-south-korea-north-korea-missile-test.html">moyens nationaux renforcés</a>. On comprend donc que la Chine, sous couvert de traiter la crise nucléaire nord-coréenne, veille avant tout à ses intérêts stratégiques en tentant d’empêcher l’émergence d’une architecture de défense antimissile régionale impliquant une coordination technique et opérationnelle entre les forces américaines et ses deux principaux alliés.</p>
<h2>L’Europe, une potentielle alter-diplomatie pour la péninsule coréenne ?</h2>
<p>À ce stade, il est regrettable que l’Europe ne mette pas plus en avant son expertise politico-militaire dans la prévention des crises pour être une force de proposition. L’initiative chinoise, volontairement radicale et sans nuance, ne vise qu’à exonérer Pékin en renvoyant la responsabilité des tensions sur les États-Unis.</p>
<p>L’Europe entretient des dialogues de sécurité avec la plupart des acteurs asiatiques concernés et n’ignore rien des préoccupations tant chinoises que japonaises ou sud-coréennes. Si au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies la France et le Royaume-Uni constituent des acteurs moteurs dans l’élaboration et le suivi de résolutions sanctionnant le programme d’armes de destruction massive de Pyongyang, l’UE n’a pas saisi l’occasion de se positionner comme un interlocuteur de recours, voire de médiateur. La perception la plus répandue est qu’elle est non directement concernée par la crise en cours.</p>
<p>Pourtant, le spectre d’une déstabilisation grave de l’Asie du Nord, ancrage de puissances économiques et politiques majeures, tout comme les activités proliférantes de Pyongyang (http://carnegieendowment.org/2017/04/10/unraveling-of-north-korea-s-proliferation-blackmail-strategy-pub-68622) devraient mobiliser l’Europe tout autant que le dossier nucléaire iranien a pu le faire. L’Europe s’était impliquée dans l’Accord-cadre de 1994 signé entre les États-Unis et la Corée du Nord reposant sur l’engagement de construire deux réacteurs à eau légère pour répondre aux besoins énergétiques de Pyongyang. Par ailleurs, l’expérience européenne en matière de mesures de confiance et le modèle constitué par l’<a href="https://www.csce.gov/international-impact/publications/osce-model-asian-insights">Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe</a> (OSCE), pourrait être utilement employé pour élaborer le cadre de nouvelles discussions et amorcer un processus de détente global et inclusif autour de la péninsule coréenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/82843/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Peron-Doise est experte Asie du Nord (Japon-Péninsule coréenne). Chargée du programme Sécurité Maritime internationale, Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM). </span></em></p>Faute de propositions de négociation adaptée, la menace nord-coréenne perdure, la Chine avance ses pions et l’alliance de sécurité organisée autour des États-Unis en Asie du Nord-Est vacille.Marianne Péron-Doise, Expert Asie du Nord (Japon-Péninsule coréenne), Chargée du programme Sécurité Maritime internationale, Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/770472017-05-03T23:21:00Z2017-05-03T23:21:00ZCorée du Nord, à la recherche d’une « exit strategy »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/167556/original/file-20170502-17260-1385diw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Parade militaire à Pyongyang, le 15 avril 2017.</span> <span class="attribution"><span class="source">Ed Jones/AFP</span></span></figcaption></figure><p>Les images accompagnant la retransmission de la parade militaire tenue à Pyongyang le 15 avril 2017 afin de marquer le 105<sup>e</sup> anniversaire de Kim Il-sung, père fondateur de la République populaire démocratique de Corée, ont donné à voir diverses <a href="https://www.nytimes.com/2017/04/18/world/asia/north-korea-parade-missiles.html">représentations de la puissance nord-coréenne</a> : militaire, politique et économique. Mais le débat reste entier sur la réalité tangible ou la virtualité des situations que le régime met en avant.</p>
<p>Toujours est-il est que, début août, la tension diplomatique autour de la Corée du Nord s'est accentuée, à la suite de <a href="http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/08/09/tensions-autour-de-la-coree-du-nord-plusieurs-pays-appellent-a-la-retenue_5170532_3216.html">l'escalade rhétorique</a> entre les deux pays. Cette joute ainsi que l’attente liée à l’éventualité d’un sixième essai nucléaire et les deux tirs de missiles balistiques ratés qui ont suivi la parade militaire d'avril ont cristallisé l’attention – et les craintes de la communauté internationale – sur la dimension guerrière de la posture adoptée par Pyongyang. Toutefois, la mise en perspective appliquée de la puissance américaine en réponse à la scénographie belliqueuse de la Corée du Nord n’a pas manqué, elle aussi, de susciter analyses et discussions.</p>
<p>Le narratif construit par l’administration américaine autour des déclarations de ses responsables a également adopté le langage de la force comme illustrée par l’entrée en scène, retardée il est vrai, du porte-avions <em>Carl Vinson</em> ou du sous-marin nucléaire lanceur d’engin <em>Michigan</em>.</p>
<p>Dans cet environnement stratégique saturé d’images et de métaphores militaires, seule la Chine et ses différents appels au calme et à la retenue ont paru ménager un espace diplomatique en exhortant les parties en présence au dialogue. Après la guerre des mots, le scénario de la confrontation est-il le seul probable où le retour au dialogue est-il envisageable. Mais qui en détient les clefs ?</p>
<h2>La Corée du Nord : une construction Potemkine ?</h2>
<p>En dépit de l’avalanche d’images en provenance de Pyongyang, la réalité du régime nord-coréen et son fonctionnement politico-économique restent opaques. Le rythme des constructions d’immeubles dans la capitale, l’apparente abondance des magasins d’État complaisamment relatés <a href="http://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Quand-Coree-Nord-souvre-capitalisme-2017-01-13-1200816861">par les médias occidentaux</a> mettent en avant les efforts de Kim Jong-un pour faire de la capitale nord-coréenne la vitrine de la réussite du système. Les restrictions imposées par le <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/09/09/des-sanctions-trop-faibles-ou-inadaptees_1491440">renforcement successif des sanctions</a> votées depuis 2006, date du premier essai nucléaire nord-coréen, sont apparemment sans effet sur le développement du pays et l’émergence d’une classe moyenne d’entrepreneurs enrichie par le commerce avec la Chine. Tel est, en tous cas, le sens de la démonstration tentée par Kim Jong-un en convoquant quelques 200 journalistes étrangers à une cérémonie d’inauguration d’un nouveau quartier résidentiel de Pyongyang, Ryomyong, deux jours avant l’imposant défilé du 15 avril.</p>
<p>Qu’en est-il vraiment et comment évaluer la <a href="https://www.nytimes.com/2017/04/30/world/asia/north-korea-economy-marketplace.html?_">réussite de la nouvelle ligne politique</a> ou <em>byungjin</em> mis en avant par le jeune dirigeant depuis décembre 2011 ? Cette dernière pose le développement simultané du développement économique et des programmes d’armes de destruction massive. Or sur les deux plans, le doute persiste tant le régime entretient habilement l’ambiguïté. Ainsi, la prospérité vue à Pyongyang a-t-elle atteint le reste du pays ?</p>
<p>On retiendra, néanmoins, que le défilé du 15 avril a montré deux engins s’apparentant à des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) érigés sur des camions lanceurs et donnant corps aux affirmations du régime clamant qu’il en est aux étapes finales avant le lancement d’un missile de ce type décrit comme pouvant atteindre les États-Unis. D’autres missiles de type KN-08 et KN-14 ont été aperçus tandis que la perspective d’un sixième essai nucléaire, toujours en suspens, contribue à entretenir l’inéluctabilité d’un rapport de force où la supériorité quantitative et qualitative des États-Unis n’est guère décisive.</p>
<h2>La nouvelle posture américaine : entre hasard et nécessité stratégique</h2>
<p>Du côté américain, que ce soit le secrétaire d’État Rex Tillerson ou le vice-président Mike Pence lors de leurs récentes tournées asiatiques, la page de la <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/03/17/97001-20170317FILWWW00079-tillerson-fin-de-la-patience-strategique-envers-pyongyang.ph">« patience stratégique</a> » apparaît tournée. Ce nouveau mantra de l’administration républicaine s’ajoute à celui qui fait de la Chine le médiateur désigné, si ce n’est la clef, de la crise nord-coréenne.</p>
<p>À ce discours dominant se superpose celui du Président Trump qui rappelle régulièrement que toutes les options, y compris militaires, sont à l’étude. Nul doute que les frappes américaines en Syrie et en Afghanistan ont pesé dans la surdétermination de Pyongyang et sa stratégie de pousser les lignes rouges tout comme elles ont décidé la Chine à s’investir, plus qu’elle ne l’aurait souhaité, dans la recherche d’une solution de sortie par le haut de la crise en cours.</p>
<p>Elle y est poussée par ses intérêts stratégiques de long terme, dont sa crainte viscérale d’un effondrement du régime nord-coréen comme de la perspective du chaos à sa porte à l’approche du XIX<sup>e</sup> Congrès du Parti communiste chinois (PCC) en octobre. Alors que Xi Jinping escompte briguer un nouveau mandat de 5 ans à la tête du pays, il doit composer avec une opinion publique de plus en plus hostile au régime de Pyongyang jugé aventuriste. Le quotidien chinois <em>Global Times</em>, expression très officielle de la ligne du PCC, n’hésite plus à dire que si Pyongyang est frappé par les États-Unis, <a href="http://www.globaltimes.cn/content/1042646.shtml">ce sera bien par sa faute</a>.</p>
<h2>La Chine, malgré elle</h2>
<p>Pour autant, en dépit de ses critiques vis-à-vis de l’unilatéralisme de Washington, la Chine apparaît sans prise réelle sur le leadership nord-coréen. Au fur et à mesure que la tension s’aggrave et en dépit de son rapprochement circonstanciel avec Moscou, elle apparaît <a href="https://theconversation.com/pekin-sur-la-defensive-face-a-limprevisible-donald-trump-76427">otage d’un face à face entre Washington et Pyongyang</a> dont elle craint de faire les frais.</p>
<p>En plaçant leur rencontre à Mar-a-Lago début avril, sous le signe de la démonstration de force en Syrie, Donald Trump s’adressait tout autant à Xi Jinping qu’au dirigeant nord-coréen. Tout en appelant de façon pressante la Chine à coopérer en utilisant pleinement ses leviers économiques sur Pyongyang, l’administration américaine lui a également fait comprendre qu’elle pourrait se passer de son aide.</p>
<p>Pékin a trouvé en la <a href="http://thediplomat.com/2017/04/whats-behind-sino-russian-cooperation-on-north-korea/">Russie un autre soutien</a> répugnant à appliquer de nouvelles sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies, notamment un embargo sur l’emploi de travailleurs nord-coréens. Mais cette alliance opportuniste de ces deux uniques alliés historiques ne semble pas de nature à inciter Pyongyang à modifier son comportement intransigeant.</p>
<h2>L’inconnue politique sud-coréenne</h2>
<p>À peine sorti d’un scandale politique qui a vu la destitution de la Présidente conservatrice Park, la Corée du Sud peine à faire entendre sa voix dans les discussions en cours. Prise dans un jeu complexe d’influence et de dépendance, elle semble marginalisée par une administration Trump omniprésente dans la gestion du dossier nord-coréen.</p>
<p>Cette position complexe, au carrefour des intérêts américains, chinois et nord-coréens pourrait pourtant permettre à Séoul de contribuer à créer un climat d’apaisement régional et faciliter la mise en place d’une <em>exit strategy</em> dont la péninsule a besoin. Le déploiement en cours <a href="https://theconversation.com/leternel-retour-de-la-defense-antimissile-en-asie-du-nord-63205">du système de défense antimissile américain Thaad</a> (<em>Terminal High Altitude Area Defense</em>) sur le sol sud-coréen a suscité une nette détérioration des relations sino-sud-coréennes. Au-delà de la menace nucléaire et balistique représentée par Pyongyang, la Chine perçoit clairement ce système comme dirigé contre ses intérêts stratégiques. Elle n’a pas hésité à recourir à des initiatives commerciales pénalisantes pour marquer son mécontentement et tenter d’influencer les élections présidentielles sud-coréennes prévues le 9 mai prochain.</p>
<p>La montée des tensions en Asie du Nord-Est mêlant la crise nucléaire nord-coréenne, la relation sino-américaine et les enjeux liés au <em>Thaad</em> sont au cœur de la <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/04/20/le-futur-president-sud-coreen-voudra-brider-trump-sur-pyongyang_1564000">campagne électorale en cours</a> et voit Séoul reprendre progressivement l’initiative sur un dossier qui touche au plus près sa sécurité. Figure de proue du Parti démocratique de Corée, Moon Jae-in, qui apparaît être le candidat le plus populaire, s’est révélé favorable à une reprise des contacts avec la Corée du Nord.</p>
<p>Son souhait affiché est de <a href="http://www.hani.co.kr/arti/english_edition/e_editorial/792711.html">relancer un dialogue Nord-Sud</a> en souffrance depuis la fermeture du complexe industriel de Kaesong décidé par la Présidente Park après le cinquième essai nord-coréen de septembre 2016. Le mouvement de balancier qui, traditionnellement, voit les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2016/01/BULARD/54457">relations intercoréennes</a> se stabiliser et connaître d’appréciables développements sous une présidence sud-coréenne progressiste pourrait alors jouer et, en amorçant un nouveau cycle, mettre ainsi entre parenthèses les gesticulations militaires en cours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77047/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après la guerre des mots, le scénario de la confrontation est-il le seul probable où le retour au dialogue est-il envisageable ? Au-delà des rodomontades américaines, la Chine est au centre du jeu.Marianne Péron-Doise, Expert Asie du Nord (Japon-Péninsule coréenne), Chargée du programme Sécurité Maritime internationale, Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/764272017-04-20T18:16:55Z2017-04-20T18:16:55ZPékin sur la défensive face à l’imprévisible Donald Trump<p>Depuis l’élection de Donald Trump, la République populaire de Chine oscille entre l’optimisme et l’inquiétude. Pékin – par hostilité à la stratégie du pivot vers l’Asie dont Hillary Clinton était l’incarnation – était initialement plutôt favorable à Donald Trump. <a href="http://www.liberation.fr/planete/2017/01/25/retrait-du-traite-transpacifique-trump-fait-il-un-cadeau-a-la-chine_1543763">Le retrait du TPP</a>, est ainsi apparu comme une opportunité pour la Chine de mieux défendre sa propre vision de la régionalisation économique en Asie, avec le <a href="http://www.latribune.fr/economie/international/asie-pacifique-pour-contrer-le-tpp-la-chine-relance-son-projet-de-plus-grande-zone-de-libre-echange-du-monde-521258.html">projet de zone de libre-échange (FTAAP)</a> présenté par le Président chinois lors du sommet de l’APEC en 2014. La visite du Secrétaire d’État Rex Tillerson à Pékin au mois de mars, et sa référence au « respect mutuel », ont pu être perçues comme une acceptation de la conception chinoise du respect de ses intérêts fondamentaux.</p>
<p>Très vite, cependant, c’est l’inquiétude qui l’a emporté devant les initiatives prises par Donald Trump. Au mois de janvier, le Président américain est revenu « à la demande du président Xi », sur le changement majeur qu’avait constitué son entretien téléphonique avec la Présidente de Taïwan, et son tweet selon lequel <a href="http://www.reuters.com/article/us-usa-trump-china-idUSKBN1400TY">« tout peut être négocié, même la politique d’une seule Chine »</a>.</p>
<p>Mais la question est loin d’être réglée, et elle pourrait être à nouveau ouverte si les États-Unis procèdent aux importantes ventes d’armes à Taiwan annoncées. Sur tous les sujets d’importance pour la Chine, Donald Trump mêle déclarations rassurantes et menaces voilées. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la première rencontre entre les deux présidents, le 6 avril 2017.</p>
<p>Pour Xi Jinping, la symbolique de ce sommet, dont les images ont été très largement retransmises dans les médias chinois, était importante, à Mar-a-Lago (Floride), dans les mêmes conditions que le premier ministre japonais, qui avait été l’un des premiers à être reçus par Donald Trump après les élections.</p>
<h2>Avec Trump, tout est possible</h2>
<p>Avec ce sommet, les <a href="http://thediplomat.com/2017/04/the-trump-xi-summit-realistic-outcomes-for-2-dreamers/">analystes chinois</a> espéraient la confirmation d’une relation privilégiée entre un Président chinois expérimenté et un Président américain prêt à l’écouter. Mais contrairement aux attentes, aucun communiqué commun n’a été publié. Seule la mise en place d’un « dialogue approfondi » a été annoncée, autre nom du dialogue stratégique et économique qui existe entre les deux États depuis 2009.</p>
<p>En revanche, c’est autour de la question nord-coréenne, et non des questions économiques, que se cristallise la relation entre Pékin et Washington. Donald Trump a choisi de procéder à une <a href="https://www.nytimes.com/video/us/politics/100000005032090/president-trump-makes-statement-on-syria.html">démonstration de force</a>, avec le tir de 59 missiles Tomahawk contre une base de l’armée syrienne pendant sa rencontre avec le Président Xi. En annonçant le tir pendant le dîner officiel, Donald Trump a clairement démontré à la puissance chinoise que tout était possible, sans consultation préalable avec un partenaire qui pensait avoir imposé son statut de puissance incontournable.</p>
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<p>Plus préoccupant pour Pékin, cette démonstration de force en Syrie, destinée autant à la Corée du Nord et à la République populaire de Chine qu’aux autorités syriennes, a été suivie par l’utilisation, pour la première fois, d’une arme ultra puissante de haute précision, contre des installations souterraines de l’État islamique en Afghanistan.</p>
<p>Enfin, la communication sur le détournement du groupe aéroporté USS <em>Carl Vinson</em> vers la péninsule coréenne et sa participation à des manœuvres communes avec la Corée du Sud et le Japon est venue compléter cette séquence de gesticulation militaire. Il s’agissait à la fois de dissuader la Corée du Nord de procéder à un nouvel essai nucléaire et d’accroître la pression sur la Chine – en crédibilisant les risques d’escalade – afin que Pékin accepte d’exercer des pressions plus efficaces contre le régime de Pyongyang.</p>
<h2>Ligne rouge sur le dossier nord-coréen</h2>
<p>Cette stratégie est d’autant plus préoccupante pour la Chine qu’elle s’inscrit dans une séquence de « tweets » du président américain qui placent Pékin au cœur de la problématique nord-coréenne. Trump a rappelé que, si la Chine n’agissait pas, les États-Unis pourraient gérer la crise nord-coréenne sans elle mais « avec leurs alliés ». Si le <a href="http://www.euronews.com/2017/03/18/us-and-china-will-work-together-on-north-korea">Secrétaire d’État Rex Tillerson</a> a pu déclarer que « nous allons travailler avec la Chine sur la Corée du Nord », le <a href="https://theconversation.com/le-general-mcmaster-conseiller-de-trump-historien-et-stratege-de-lempire-74043">général Mac Master</a>, conseiller pour la sécurité nationale du président Trump, rappelait de son côté que « la Corée du Nord est vulnérable aux pressions chinoises » et que, contrairement à ce que certains ont pu suggérer à Pékin, la ligne rouge était bien l’arrêt du programme nucléaire nord-coréen, et non son « gel ».</p>
<p>L’objectif revendiqué est très clairement d’imposer à la Chine une révision radicale de sa politique nord-coréenne. Et la pression est d’autant plus forte pour le Président chinois que <a href="https://www.nytimes.com/2017/04/18/world/asia/china-north-korea-war.html">des voix dissidentes</a> se font entendre en Chine même pour critiquer une stratégie ambiguë, dont le premier résultat a été de considérablement dégrader l’environnement stratégique pour les intérêts chinois en Asie du Nord-Est.</p>
<p>Selon un <a href="https://www.nytimes.com/2017/04/13/world/asia/china-north-korea-trade-coal-nuclear.html">rapport publié par l’Administration des douanes chinoises</a> au mois d’avril, les échanges avec la Corée du Nord ont en effet augmenté de plus de 37 % au premier trimestre, en dépit des tensions et de la suspension provisoire des importations de charbon (ces chiffres ne concernent que le commerce légal).</p>
<h2>Une marge de manœuvre plus réduite pour Pékin</h2>
<p>En mettant en œuvre une double stratégie de déclarations et d’actions, Donald Trump a donc réussi à créer un rapport de force beaucoup moins favorable à Pékin.</p>
<p>La Chine, de son côté, a multiplié les avertissements devant les risques d’intervention militaire dans la péninsule coréenne (Dominique Patton, Seu-Lin Wong, <a href="http://www.reuters.com/article/us-northkorea-event-idUSKBN17E2CT">« China Says Tension Has to be Stopped from Reaching Irreversible Stage »</a>, Wang Yi, ministre des Affaires étrangères, appelle une fois de plus « les deux parties » à éviter toute provocation, mettant sur le même pied les États-Unis et la Corée du Nord, et un analyste de la très officielle Académie des sciences sociales de Chine s’inquiète des « conséquences désastreuses si la nouvelle administration américaine choisissait de pousser la Chine dans ses retranchements » (<a href="http://www.eastasiaforum.org/2017/04/11/the-trump-test-and-the-renminbi">Yu Yongding, « The Trump Test and the Renminbi », East Asia Forum</a>)</p>
<p>Mais dans le même temps, Pékin ne peut pas prendre le risque d’un conflit ouvert avec Washington, ni celui d’une frappe préventive contre les installations nord-coréennes qui obligerait le régime chinois et le président Xi Jinping à réagir pour préserver sa crédibilité. La Chine est donc prise entre la volonté de défendre ses choix stratégiques – dont le refus de voir le régime nord-coréen s’effondrer au profit de la Corée du Sud et des États-Unis – et celle d’éviter le risque d’une confrontation avec Washington.</p>
<p>D’ores et déjà, la stratégie de la tension mise en œuvre par Donald Trump semble avoir porté ses fruits. La Corée du Nord n’a pas procédé – pour le moment – à un nouvel essai nucléaire. Surtout, Pékin a envoyé à Séoul son représentant spécial pour les affaires coréennes, Wu Dawei, pour discuter de la <a href="http://www.presstv.ir/Detail/2017/04/10/517436/China-envoy-Wu-Dawei-South-Korea-visit-THAAD-North-Korea">question nucléaire en Corée du Nord</a>. Cette décision contraste avec les réticences chinoises à s’entretenir directement avec les autorités de Corée du Sud à la suite du <a href="http://thediplomat.com/2016/01/north-korea-nuclear-test-reveals-the-limits-of-china-south-korea-cooperation">quatrième essai nucléaire nord-coréen</a> au mois de janvier 2016.</p>
<h2>L’exigence de résultats</h2>
<p>La double stratégie de Donald Trump, en direction de la Corée du Nord et de la Chine semble donc avoir eu des résultats positifs. La menace de recours à la force, étayée par l’image d’irrationalité du Président américain, introduit un nouveau facteur d’incertitude que la puissance chinoise doit prendre en compte, y compris pour une éventuelle redéfinition de ses relations avec le régime nord-coréen.</p>
<p>Des incertitudes subsistent toutefois, quant à la constance des choix stratégiques de Donald Trump pour l’Asie. Dans son entourage, plusieurs positions semblent s’opposer, entre les partisans d’une stratégie de la fermeté et ceux qui – autour de Jared Kushner – semblent pencher vers un retour à une politique d’engagement de la puissance chinoise au nom d’une stratégie du « deal » gagnant-gagnant.</p>
<p>La réponse à ces interrogations ne pourra venir que sur le long terme, à moins que le choix de l’instabilité permanente ne l’emporte. D’ores et déjà, c’est bien un « nouveau type de relations entre grandes puissances » que Donald Trump a instauré avec Pékin. Mais, contrairement à la vision chinoise de ce partenariat privilégié, c’est aussi un nouveau type de relations fondé sur l’exigence de résultats, et non plus sur la recherche du dialogue, qui semble s’imposer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76427/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valérie Niquet est responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). </span></em></p>En mettant en œuvre une double stratégie de déclarations et d’actions, Donald Trump a réussi à créer un rapport de force beaucoup moins favorable à Pékin, notamment dans le dossier nord-coréen.Valérie Niquet, Chargée de cours, spécialiste des relations internationales et des questions stratégiques en Asie, Keio UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.